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Simon LABROSSE Mars 2017

MaBAC 2016 / 2017

STRATÉGIE DES ORGANISATIONS CULTURELLES

Professeur : M. Laurent BODIN

Consigne : En vous appuyant sur la lecture du document proposé et en prenant soin d’utiliser le
vocabulaire du cours vous livrerez une réflexion synthétique des enjeux stratégiques liés à la
révolution numérique dans votre secteur de prédilection.

• Secteur culturel choisi : l’édition et le monde du livre.

L’article « Au seuil de l’âge de l’accès » de Jeremy Rifkin décrit la transformation du mode


de possession au sein du capitalisme, qui s’assouplit en passant de la propriété à l’accès, du fait de
la révolution numérique qui permet de transformer l’économie de la culture en une économie
d’expérience. Ce changement est particulièrement présent dans le monde de l’édition de livres, cas
éminemment intéressant puisque cette transformation est encore en cours et que l’on assiste à
l’émergence de nouveaux acteurs dans ce secteur.

Ainsi l’âge de l’accès, caractérisé par la prédominance des réseaux, qu’avait anticipé Gilles Deleuze
en théorisant le rhizome1, assouplit le modèle de la propriété capitaliste en changeant les formes de
l’acquisition. Ce modèle économique a été intégré par le monde de l’édition, bien qu’il a subi une
pression moindre du piratage que l’industrie musicale. Au coeur de ce modèle, un nouveau support
numérique, la liseuse, qui, agissant comme fonction de soutien, permet un accès différent aux textes
qui peuvent par exemple être loués sur une période donnée. En outre, le monde de l’édition
présentant un produit brut : une oeuvre de l’esprit non interprétée, les textes ayant dépassé la limite
temporelle des droits d’auteurs sont gratuits sur les supports numériques de lecture. Enfin,
l’assouplissement du droit d’auteur par l’existence d’une large variété de licences de creative
commons. L’âge de l’accès semble bel et bien avoir été atteint par le monde de l’édition dans une
logique d’éloignement de l’industrialisation et retour à un mode d’acquisition plus proche du
marché originel : faire goûter et fidéliser.

Ces nouveaux modèles d’accès ont de surcroît dès aujourd’hui des conséquences sur la
transformation du monde de l’édition. On peut en distinguer quatre principales :

- Tout d’abord, exactement comme le décrit Jeremy Rifkin : le passage de la domination du capital
financier à celle du capital culturel ou informationnel au sein même comme nerf de la guerre du
monde éditorial. Les liseuses contiennent en elles-mêmes une nouvelle fonction primaire, à
savoir la possibilité de l’extraction des donnée de lecture (le temps passé par page, le retour à la

1 Gilles Deleuze et Felix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie. (1980).


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page, le pourcentage du livre ayant été lu, etc.). Dès lors, l’utilisation des données de lecture est
le nerf de la guerre car il rend possible deux facteurs d’avantages comparatifs indéniables : un
suivi économique post-publication ainsi qu’un approfondissement considérable de la
connaissance des lecteurs.

- La concentration du pouvoir de marché par de nouveaux acteurs. La dématérialisation et la


déterritorialisation2 de l’économie de la culture que permet le numérique engendre, comme l’écrit
Jeremy Rifkin, l’émergence de géants de l’expérience culturelle à l’exemple d’Amazon qui est
aujourd’hui présent sur tous les secteurs de la chaîne de valeur du livre. Mais d’autres acteurs
tentent également de lancer de nouvelles pratiques culturelles, comme la startup Glose, lancée
par le Français Nicolas Princen, réseau social littéraire qui pourrait aller encore plus loin dans la
collecte de données précises sur les lecteurs.

- Mais aussi l’apparition de nouveaux modèles économiques de rémunération de la création.


Amazon a d’ores et déjà mis en place pour les auteurs publiés par la partie maison d’édition de
l’entreprise un modèle de rémunération de l’auteur à la page lue.

- Enfin, l’amélioration de la distribution en ligne par la curation, c’est-à-dire des recommandations


efficientes pour l’internautes qui sont permises par la collecte de données effectuée par les
moteurs de recherche. La gratuité engendre en outre la possibilité d’une collecte de données.

Toutefois, cette transformation radicale et rapide du monde éditorial soulèvent également de


nouveaux problèmes pour de nombreux acteurs de la chaîne de valeur. Quelques uns seront ici
évoqué à titre d’exemple. Premièrement, l’utilisation des données de lecture combinée à la
rémunération la page lue peut fortement influencer la création littéraire dans le sens d’une
standardisation algorithmique et d’un effacement de la création. Par ailleurs, cela ouvre la
possibilité d’un débat sur la propriété du capital culturel. Ainsi, si la rémunération des auteurs et
leur processus créatif est influencé par les données, le droit d’auteur doit-il inclure le droit d’accès
aux données de lecture sur les supports numériques. La propriété et le partage de ce capital culturel
semble possiblement devenir le nouveau sujet de lutte entre créateurs et éditeurs. Cette numérisation
de l’écriture qui ouvre de nouvelles possibilités mais inquiète les auteurs à propos de leur
souveraineté de leur création. Mais elle devrait également alerter les lecteurs et les défenseurs de la
diversité culturelle puisque la mise en place de cette standardisation aboutirait inéluctablement à
une formatage des goûts : au pire en un seul format et type de produit par genre ou bien en plusieurs
catégories définies par genre.

Pour conclure, il peut être intéressant de constater que dans le monde des livres, la barrière
numérique n’existe pas entre les usagers, mais bien entre les entreprises. Ainsi, s’il n’y a pas
fondamentalement de différence entre un usager d’un réseau social littéraire ou d’une liseuse par
rapport à un lecteur de livre papier que l’on pourrait qualifier de traditionnel. Le seuil minimum de
compétences pour l’avenir des maisons d’édition semble en voie de se relever très sensiblement et
montre la nécessité de la nouvelle compétence fondamentale qu’est l’extraction de données pour
obtenir un avantage concurrentiel.

2 Gilles Deleuze et Felix Guattari, L’Anti-Oedipe, 1972


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