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Introduction : Economie d'Internet, économie du numérique

Article in Revue Économique · October 2001


DOI: 10.3406/reco.2001.410273 · Source: RePEc

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2 authors:

Eric Brousseau Nicolas Curien


Paris Dauphine University Conservatoire National des Arts et Métiers
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Revue économique

Introduction : Economie d'Internet, économie du numérique


Monsieur Eric Brousseau, Monsieur Nicolas Curien

Résumé
Introductif à une série de contributions sur l'économie d'Internet, cet article a un triple objectif. On y rappelle tout d'abord
quelques faits et principes fondamentaux caractérisant la morphologie d'Internet, son fonctionnement, ses modalités de
régulation, ainsi que son histoire accélérée, qui a fait aujourd'hui de ce « réseau des réseaux » une plate-forme mondiale,
supportant aussi bien échanges informationnels que transactions commerciales. On y montre ensuite comment l'économie
propre au « système » Internet, en suscitant des relations et des coordinations originales entre les agents économiques et
les acteurs sociaux, agit comme un catalyseur de mutations dans la structure des marchés et celle des hiérarchies,
synthétisant - comme dans un laboratoire - le modèle d'une future économie numérique en cours de gestation. On y
dessine enfin le plan de travail des chercheurs théoriciens et empiristes qui aspirent à mettre au jour les ressorts
commandant les mécanismes à l'œuvre sur Internet et à en mesurer les impacts sur l'organisation et la croissance
économique.

Abstract
Internet economics, digital economics

As an introduction to a series of contributions about Internet economics, the present paper has three goals. We firstly
recall several basic facts and principles characterizing the morphology of the Internet, its operating system, its regulation
procedures, as well as its rapid success which today makes it the "net of nets" as well as a universal platform for
information exchanges and commercial transactions. Then we show how the economics of the "Internet system", by
creating original types of relationship and coordination between economic and social agents, acts as a catalyst generating
mutations in market structures and hierarchical settings, thus synthesizing, as in a laboratory, the scheme of an emerging
"digital economy". Finally, we draw up an agenda for the theoretical and empirical researchers in this field, aiming for a
better understanding of the Internet's dynamic driving forces and for a relevant assessment of its impact on economic
organization and growth.

Citer ce document / Cite this document :

Brousseau Eric, Curien Nicolas. Introduction : Economie d'Internet, économie du numérique. In: Revue économique.
Numéro Hors Série, 2001. Economie de l'Internet. pp. 7-36.

doi : 10.3406/reco.2001.410273

http://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_2001_hos_52_1_410273

Document généré le 14/10/2015


Economie Internet

économie du numérique

Ene Brousseau
Nicolas

Introductif une série de contributions sur économie Internet cet article un


triple objectif On rappelle tout abord quelques faits et principes fondamentaux
caractérisant la morphologie Internet son fonctionnement ses modalités de ré
gulation ainsi que son histoire accélérée qui fait hui de ce réseau des
réseaux une plate-forme mondiale supportant aussi bien échanges information
nels que transactions commerciales On montre ensuite comment économie
propre au système Internet en suscitant des relations et des coordinations
originales entre les agents économiques et les acteurs sociaux agit comme un
catalyseur de mutations dans la structure des marchés et celle des hiérarchies
synthétisant comme dans un laboratoire le modèle une future économie
numérique en cours de gestation On dessine enfin le plan de travail des cher
cheurs théoriciens et empiristes qui aspirent mettre au jour les ressorts comman
dant les mécanismes uvre sur Internet et en mesurer les impacts sur or
ganisation et la croissance économique

INTERNET ECONOMICS DIGITAL ECONOMICS

As an introduction to series of contributions about Internet economics the


present paper has three goals We firstly recall several basic facts and principles
characterizing the morphology of the Internet its operating system its regulation
procedures as well as its rapid success which today makes it the net of nets as
well as universal platform for information exchanges and commercial transac
tions Then we show how the economics of the Internet system by creating origi
nal types of relationship and coordination between economic and social agents
acts as catalyst generating mutations in market structures and hierarchical set
tings thus synthesizing as in laboratory the scheme of an emerging digital
economy Finally we dra up an agenda for the theoretical and empirical research
ers in this field aiming for better understanding of the dynamic driving
forces and for relevant assessment of its impact on economic organization and
growth

Classification JEL DOO LOO L86 03

Université Pans Bâtiment 200 avenue de la République F-92001 Nanterre


Cedex E-mail EncBrousseau@Compuserve.com
** Conservatoire national des arts et métiers Département conomie et Gestion 292
rue Saint-Martin F-75003 Pans E-mail curien@cnam.fr
Ce texte bénéficié des commentaires de Michel Gensollen de Thierry Pénard et
Alain Rallet que nous remercions Les imprécisions et erreurs qui pourraient subsister
incombent néanmoins aux seuls signataires

Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Revue économique

INTRODUCTION

compter de la privatisation Internet aux tats-Unis au milieu des


années 1990 le réseau des réseaux est développé un rythme accéléré Ce
déploiement est accompagné une vague innovations dans les technologies
de information mais aussi dans de nombreux domaines application donnant
naissance une multitude de services en ligne et de nouveaux modèles
affaires Au même moment berceau de ces deux évolutions les tats-Unis
ont connu une croissance non inflationniste sans précédent Cette conjonction
pu conduire certains considérer Internet constituait le ur un nouveau
régime de croissance qualifié de nouvelle économie ce qui contribua
amorcer puis amplifier une bulle spéculative autour des entreprises impliquées
dans Internet
Les espoirs infondés étant nécessairement dé us euphorie est retombée Se
trouvèrent du même coup confirmées posteriori les prévisions un certain
nombre économistes qui avaient souligné que usage des technologies de
information et de la communication TIC ne conduit pas ipso facto améliorer
les performances microéconomiques Brousseau et Rallet 1999]) que les biens
et les services informationnels échappent pas aux règles fondamentales de
économie Shapiro et Var an 1999]) et que la croissance américaine des
années 1990 était pas nécessairement fondée sur les innovations liées usage
des TIC Gordon 2000] Cohen et Debonneuil 2000] Artus 2000] Ces ana
lyses ne prétendent pas cependant que rien ne change avec la diffusion large
échelle des reseaux numériques et des pratiques qui leur sont associées En
prolongeant des reflexions plus anciennes par ex Machlup 1962] Bell 1973]
Lamberton 1974] Porat 1977 Jonscher 1983 1994]) elles signalent simple
ment que les mutations en cours sont plus lentes et plus complexes on ne
admet généralement précisément parce elles revêtent un caractère fonda
mental En suivant David 1990 2000] les technologies numériques sont des
technologies génériques General purpose technology) dont les impacts sur les
performances économiques sont liés des mutations de pratiques dans ensem
ble des dimensions de la vie économique et sociale normes de consommation
modes de production formes organisationnelles etc Telles les grandes inven
tions de la fin du XIXe siècle ces technologies bouleverseront économie dy
namiseront la croissance transformeront le visage de la société mais seulement
dans le long terme
Dans cette perspective de la longue durée Internet se situe au confluent de
deux histoires déjà anciennes une part celle des réseaux de télécommuni
cations créés au XIXe siècle et devenus électroniques dans la seconde moitié du
XXe autre part celle de informatique née durant la seconde guerre mon
diale Les mutations des sociétés sous influence de ces technologies ont
débuté bien avant irruption du réseau des réseaux qui ne marque donc pas le
début des transformations liées aux TIC Il est inverse prématuré de consi
dérer Internet constitue un aboutissement car la plupart des trajectoires de
changement étant peine amorcées il est difficile de se prononcer sur issue
finale de mouvements encore émergents et instables Internet et une manière
plus générale les réseaux numériques possèdent cependant des propriétés spé
cifiques qui impriment leur marque nombre de phénomènes dont ils devien
nent le siège il agisse de la circulation et du traitement de information

Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


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des transactions marchandes des coordinations organisationnelles de la gestion


des réseaux etc
ambition de ce numéro et du présent article introductif est de mettre en
exergue ce qui apparaît véritablement novateur dans Internet aussi bien sur le
plan des pratiques économiques que sur celui des concepts analytiques partir
des années 1980 les réseaux de télécommunications ont constitué un creuset où
se sont forgés une part de nouvelles pratiques en matière de gestion des
utilités publiques de régulation de la concurrence de conception des
services-réseaux etc. et autre part de nouveaux concepts analytiques tels
que les notions de marché contestable de yardstick competition de tarification
incitative etc. qui se sont ensuite appliqués ensemble des industries De
fa on similaire Internet donne lieu hui des pratiques innovantes qui
appellent des conceptualisations renouvelées
Trois raisons principales contribuent expliquer ce double rôle de catalyseur
des pratiques et des théories Tout abord Internet est autre une fédération
planétaire de réseaux numériques dont les potentialités techniques notamment
leur capacité supporter des modalités très différenciées de gestion de infor
mation induisent une numérisation croissante des activités accès ces
réseaux interconnectés et flexibles incite les acteurs économiques augmenter
intensité informationnelle de leurs prestations et multiplier leurs échanges
informationnels Ensuite la logique de ce réseau modulaire et décentralisé
servant de support des prestations de services fondées sur information et sur
innovation déployé dans un espace globalisé en fait un archétype des éco
nomies contemporaines où industrie tend organiser selon un modèle as
semblage flexible grâce des interfaces standardisées où la compétitivité est
fortement associée la capacité innover où les produits et les services voient
leur contenu informationnel augmenter où espace économique est de plus en
plus transnational etc Enfin les innovations organisationnelles induites par les
réseaux numériques que fédère Internet diffusent de proche en proche dans
ensemble de économie
Nous mettrons en évidence que une des caractéristiques centrales Internet
consiste en la capacité il confère aux agents économiques de gérer de ma
nière très fine en fonction des préférences individuelles des émetteurs et des
récepteurs les informations échangées Qui plus est cette gestion peut être
totalement décentralisée par le recours des normes interfa age Cette double
caractéristique fonde la fois la spécificité Internet en tant que réseau et celle
de économie numérique il supporte autres caractères fréquemment évo
qués tels que la nature globale et multimédia Internet ou encore son impact
sur les coûts information importent certes mais ne justifieraient sans doute
pas eux seuls que on accorde une attention aussi marquée économie
Internet
Cet article articule en trois parties Dans la première seront rappelés
quelques-uns des principes et des éléments factuels permettant de mieux com
prendre la nature du reseau Internet ainsi que les enjeux il représente pour
les activités économiques Dans la deuxième partie on attachera préciser le
lien entre la morphologie et économie internes du réseau Internet et les
types nouveaux de relations et échanges qui accompagnent le développement
de ce réseau ce que nous désignons par le vocable économie numérique
On montrera que ce lien relève davantage de engendrement que de la causa-

Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Revue économique

lité autrement dit plutôt que voir simplement en Internet une technologie
support facteur déterminant un nouveau type de développement économique
il avère plus fructueux analyser économie Internet stricto sensu comme
le germe ou incubateur une future économie numérique où seront exploitées
massivement les capacités de gérer information de manière décentralisée et sur
mesure Dans la dernière partie on se risquera dessiner le programme de
recherche que suscite le développement aux multiples facettes du réseau Inter
net ainsi que émergence concomitante une économique numérique on in
diquera comment les différents articles de ce numéro spécial ajoutant au
corpus foisonnant des publications consacrées économie Internet consti
tuent les premières pièces un puzzle encore largement en chantier dont la
figure ensemble commence seulement se laisser deviner

ECONOMIE INTERNET
QUELQUES PRINCIPES ET QUELQUES FAITS

Les principes du bout en bout


Internet est pas un réseau proprement parler mais consiste plutôt en un
ensemble de normes permettant des machines de traitement numérique de
information inter-opérer Plus précisément les normes Internet ren
dent possibles interconnexion des réseaux informatiques et leur administration
sur un mode totalement décentralisé En particulier les fonctions de traitement
de information et celles administration du réseau ne sont pas nettement
séparées sur Internet la différence du fonctionnement un réseau de télé
communication traditionnel comme le réseau téléphonique où les terminaux
traitent information tandis que les équipements administration du réseau
en occurrence les commutateurs affectent les flux information aux capa
cités de transmission disponibles Cunen et Gensollen 1992] Sur Internet un
équipement connecté au réseau est la fois un terminal et un routeur Par
ailleurs le recours aux normes interfa age ainsi un système adressage
unifié crée une sorte de méta-réseau qui du point de vue de utilisateur
apparaît comme un système fonctionnellement sans coutures et homogène
Les équipements interconnectés par Internet sont des instruments de traite
ment numérique de information pour essentiel des micro-ordinateurs Le
réseau organise une communication entre ces machines sur la base du modèle
client-serveur Le client adresse des requêtes au serveur qui les traite
puis envoie des réponses tout équipement connecté Internet pouvant être
alternativement client et serveur Ceci est notamment le cas pour les deux ap
plications les plus répandues sur Internet le courrier électronique et le Web
envoi un mail correspond une demande où le client est-à-dire émet
teur demande au récepteur il accepte de recevoir une information qui lui sera
dans ce cas adressée Dans la pratique ces opérations sont réalisées par des
serveurs de mail qui contrairement aux terminaux des usagers sont connectés
de manière permanente afin de faciliter la gestion du trafic De même lors de
la consultation un site Web le client adresse sa demande ordinateur-serveur
où réside information qui lui envoie en retour les lignes html cf infra per
mettant au client de reconstruire la page écran De manière générale indé-

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pendamment de application considérée requêtes et réponses sont découpées en


paquets information qui sont identifiés par leur émetteur et leur récepteur et
qui circulent au sein du réseau où ils sont relayés par des routeurs Après
transmission les paquets sont re us par la machine destinataire qui reconstitue
les lignes de programmation initiales porteuses un contenu informationnel ou
instructions données la machine ainsi pilotée distance Pour que le tout
fonctionne convenablement il faut
que chaque machine connectée au réseau puisse être identifiée de manière
univoque afin que les paquets information aboutissent effectivement au des
tinataire le numéro IP constitue cet identifiant
un langage adressage permette aux utilisateurs de formuler leur
requête auprès du serveur adéquat les noms de domaine www.identi ant.com
constituent la partie visible de ce système adressage ces adresses proches du
langage naturel sont transformées en adresses machine adresses IP par des
serveurs dits DNS Domain Name System
que des protocoles de communication homogènes assurent les échanges
et le routage des paquets entre toutes les machines connectées au réseau le
protocole IP Internet Protocol est le ur un vaste ensemble de normes
techniques assurant la communication et interopérabilité entre les composan
tes du réseau
que les machines utilisent des langages de programmation compatibles
pour coder et décoder les demandes et les réponses transmises entre clients et
serveurs le langage html Hyper Text Markup Language constitue cet égard
le socle du Web en permettant des machines hétérogènes échanger textes
images données et sons
existence même Internet découle ainsi de utilisation un système uni
fié adressage numéros IP et noms de domaine et de normes Internet Protocol
et html) assurant interopérabilité de sous-réseaux hétérogènes essentiel de
la régulation technique Internet repose en conséquence sur la gestion de ces
ressources avec pour objectif de garantir interopérabilité Concrètement cette
régulation est hui assurée par trois dispositifs essentiels
ICANN Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) organi
sation de droit américain sans but lucratif fondée en 1998 qui est vu délé
guer par le Department of Commerce la responsabilité de gérer les attributions
de numéros IP et de noms de domaines Dans les deux cas il agit de sys
tèmes hiérarchiques dans lesquels des racines en nombre limité par
exemple les corn org et net permettent la création adresses Grâce cette
organisation hiérarchique attribution des adresses peut être confiée plu
sieurs entités chacune gérant son portefeuille adresses en fonction de leurs
propres enteres ICANN supervise ainsi deux fonctions distinctes une
part la distribution des adresses IP qui est assurée par les gestionnaires des
réseaux terminaux les fournisseurs accès Internet FAI autre part at
tribution des noms de domaine en définissant les racines disponibles do
maines de premier niveau ou suffixes corn fr etc.) ainsi en sélectionnant
et en contrôlant les organisations autorisées enregistrer les noms de domai
nes demandés par les utilisateurs
Le pouvoir de ICANN procède des consignes il donne entreprise
Network Solution Inc NSl) gestionnaire du serveur souche du système de
noms de domaine Root Computer Ce serveur contient le fichier source

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Revue économique

permettant de traduire les noms de domaine en adresses machines adresses


IP ICANN peut donc effacer les adresses des serveurs ou des entités qui
ne respecteraient pas les règles elle édicté et les exclure ainsi du Web
est la raison pour laquelle on considère souvent que cet organisme recèle le
germe un dispositif de gouvemance non purement technique Internet
IETF Internet Ingeneering Task Force est defacto organisme de norma
lisation des protocoles de communication Il agit pourtant une organisa
tion qui aucune existence juridique Formellement IETF est un des
groupes de travail de iSOC Internet Society) une société savante de droit
américain fondée par quelques-uns des inventeurs Internet qui consti
tue un forum de réflexion et un outil influence notamment destiné pro
mouvoir le développement un réseau efficace et ouvert dont les bénéfices
étendraient au plus grand nombre
Le W3C World Wide Web Consortium est quant lui organisme de nor
malisation des langages multimédia utilisés sur Internet Il agit un club
ouvert aux organisations qui peuvent en acquitter les droits adhésion rela
tivement élevés
Ces trois dispositifs ne constituent cependant pas des organes de régulation
au sens propre du terme
Tout abord ils ne combinent pas les trois facultés édicter des règles
de surveiller les opérateurs et les usagers et de sanctionner les manquements
des obligations ou les pratiques attentatoires des principes ils seraient
chargés de défendre tels que la loyauté de la concurrence les libertés publiques
ou la sécurité des échanges En fait IETF et le W3C constituent plutôt des
dispositifs de partage de développements techniques image de ce qui fonc
tionne dans le domaine du logiciel libre Rien oblige les utilisateurs et les
opérateurs du Net observer leurs recommandations rien si ce est le besoin
interopérabilité ICANN est certes formellement doté de pouvoirs mais ne
dispose pas des moyens nécessaires la supervision qui seule pourrait rendre
effectif et indépendant exercice de ses prérogatives titre exemple cet
organisme emploie que quatorze personnes et ses ressources techniques dé
pendent de NSI il est pourtant présumé devoir contrôler au même titre que
les autres fournisseurs de noms de domaine
De plus le statut de chacun des trois organismes est ambigu voire même
inexistant dans le cas de IETF Censés assurer la régulation un réseau mon
dial ils sont de droit américain et contractants du gouvernement des tats-Unis
ce qui avère particulièrement problématique dans le cas de ICANN Leurs
principes de fonctionnement et adhésion assurent pas leur indépendance ce
qui les fragilise et jette le doute sur la légitimité de leurs décisions La crédibilité
des normes ils édictent et des arbitrages ils rendent en trouvent affectés
car exécutabilité est pas garantie
Enfin étendue de leurs compétences est floue priori ils ne sont que
des organes de régulation technique notamment IETF et le W3C alors que
pour des raisons techniques comme historiques la régulation du réseau et celle
de ses modalités usage sont étroitement liées en effet selon la manière dont
sont définies les normes interopérabilité les dispositifs de sécurisation des
échanges information ou les mécanismes de gestion des priorités on permet
ou non le développement de catégories particulières de services Par ailleurs les
techniciens la base du développement Internet ont toujours fixé en même

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temps que la technologie des règles concernant les modalités usage du réseau
Leiner et al 2000] Par exemple en 1995 la Netiquette éthique du
Net prohibait tout usage du réseau pour des opérations commerciales

Concurrence et complémentarité entre cadres de régulation

Les entités de régulation du Net apparaissent très différentes des dispositifs


traditionnels de régulation et de normalisation internationale tels que notam
ment Union internationale des télécommunications ô) International Stan
dard Organization ISO ou la Commission électrotechnique internationale DEC
Ces différentes instances furent contournées pour quatre raisons principales
tout abord la lenteur qui les caractérise dans élaboration des normes sem
blait incompatible avec le rythme soutenu de innovation dans les technologies
liées Internet ensuite ces organismes ont pas su percevoir emblée ori
ginalité et la puissance des normes Internet dont une partie des principes
concurren ait en outre ceux ils promouvaient de leur côté par ailleurs la
portée Internet était limitée au continent nord-américain en 1998 et le
réseau demeure ailleurs encore hui très majoritairement américain en
dépit une tendance nette internationalisation enfin les techniciens et les
entrepreneurs Internet marqués par une idéologie libertaire ou libérale ont
manifesté dès le départ une méfiance quasi viscérale encontre des bureau
craties étatiques ou internationales
En dépit de leurs limites ICANN IETF et le W3C par leur combinatoire
jouent un rôle essentiel dans la gouvernance technique Internet Or cette
dernière avère essentielle car elle conditionne en partie la régulation socio-
économique des activités dont le réseau est le support En effet sur un réseau de
type Internet chaque intervenant la possibilité influencer la manière dont les
flux de communication sont administrés Cette possibilité articule avec les
capacités de cryptage de information offrent les technologies numériques
dans un système numérique toute information est codée sous forme une suite
numérique il est ensuite aisé de crypter Le cryptage constitue ainsi la clé
un filtrage des usages de information via sa manipulation on peut autoriser
accès tout ou partie de information potentiellement disponible en fonction
de identité de utilisateur ou autres critères La combinaison des capacités
de cryptage et administration décentralisée des communications permet tout
utilisateur Internet de contrôler la future utilisation des informations il
diffuse sur le réseau car il peut édicter des normes usage de ces informa
tions qui seront rendues exécutoires via la technique Ceci ouvre des marges de
man uvre quasi infinies aux agents économiques souhaitant définir des presta
tions de services informationnels comme aux acteurs sociaux désirant mettre en
uvre des règles spécifiques interaction informationnelle Il existe cependant
une contrainte notable celle impose interopérabilité pour que les acteurs
puissent mettre en uvre de telles règles spécifiques encore faut-il elles
soient compatibles avec les normes interopérabilité définies par IETF ou le
W3C Ces organismes ont par ce truchement une influence notable sur les
usages susceptibles de se développer ou non sur Internet Par ailleurs la
manière dont le système adressage est géré influence également les usages
les modalités de gestion des noms de domaines est-à-dire la reconnaissance
ou non du droit des marques la création ou non de catégories permettant
de classer les fournisseurs de services et donc de les labelliser ainsi que la

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Revue économique

définition des règles inclusion dans ces catégones influent sur les conditions
de la concurrence entre les opérateurs et donc terme sur la nature des services
et des usages
Compte tenu de ces enjeux et parce que les dispositifs techniques de gou-
vemance et de régulation Internet ne sont ni totalement légitimes ni parfai
tement complets les tats se sont progressivement immiscés dans la régulation
socio-économique du réseau Plus exactement tant Internet ne touchait
une communauté cohérente et fermée celle des scientifiques Etat amé
ricain et fortiori les autres tats ne se sont guère préoccupés intervenir dans
ce qui fonctionnait selon les règles propres cette communauté soumise de
toute manière en dernier ressort un contrôle étatique En revanche avec la
diversification des usages et des acteurs le besoin de compléter la régulation
technique afin organiser la concurrence de permettre le développement ac
tivités commerciales de protéger les citoyens etc. est fait fortement sentir
Comme le souligne Benkler 1999] une intense activité législative en résulté
au Congrès américain partir de 1995 Les tats membres de OCDE et ceux
de Union européenne suivirent de près ce mouvement partir de 1997-1998
Leur réflexe premier fut de vouloir étendre le champ application des régle
mentations existantes ainsi que le domaine de compétence des autorités char
gées de les rendre exécutoires Ce mouvement toutefois buté sur deux écueils
majeurs
une part la remise en cause des frontières entre industries héritées de
ère pré-numérique ne peut opérer sans délais sans heurts et sans incohéren
ces Internet constitue la plate-forme intégration de ensemble des technolo
gies de communication et de traitement de information ce qui tend inévita
blement brouiller les frontières traditionnellement établies entre les domaines
respectifs de la voix des données et de image est-à-dire en termes indus
triels entre les secteurs des télécommunications de informatique de audio
visuel et de édition Les activités Internet ont de ce fait été soumises des
réglementations multiples parfois contradictoires parfois simplement coûteu
ses et complexes articuler Il en résulte un environnement législatif et régle
mentaire en patch-work très sensible interprétation autorités adminis
tratives ou judiciaires qui se montrent le plus souvent déroutées par originalité
et la complexité technique Internet
autre part le caractère global et ouvert Internet est un facteur peu
propice établissement de régulations nationales Comme le montre la récente
affaire Yahoo non seulement il paraît difficile de rendre exécutoire la décision
un juge obligeant un portail interdire ses clients accéder certains
contenus mais se posent en outre des questions de conflit de droit Rappelons
que sur plainte associations anti-racistes et au nom de la loi dite Gayssot
condamnant apologie de la Shoah et le révisionnisme le juge fran ais sous
peine astreinte obligé Yahoo fournisseur un portail et moteur de recher
che interdire accès des intemautes fran ais via son site un site enchères
américain sur lequel sont vendus des objets nazis Or une telle décision pose des
problèmes techniques comment reconnaître en effet la nationalité des inter-
nautes et surtout comment bloquer accès il suffit de connaître URL
pour accéder aux contenus prosents Elle pose aussi un problème juridi
que quelle est la norme qui doit prévaloir entre un côté la conception
fran aise du contrôle de certains contenus et de autre la déontologie améri
caine de défense une liberté totale expression Le système juridique mon-

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dial est organisé sur une base territoriale Or Internet est atenitorial dans la
mesure où son architecture ignore la localisation géographique des opérations de
traitement de information les données véhiculées par le réseau empruntent
des chemins incontrôlables et les bases information consultées ou utilisées
peuvent être fragmentées ou dupliquées en plusieurs lieux de manière totale
ment invisible pour utilisateur voire même pour les administrateurs du réseau
En absence un ancrage géographique des opérations réalisées sur le réseau
les normes juridiques avèrent largement inopérantes
La préexistence de dispositifs de régulation Internet et leur incomplétude
les limites des approches étatiques traditionnelles leur manque de légitimité
face idéologie libérale et libertaire qui présidé au développement du Net
expliquent une approche dite de co-régulation se soit progressivement
imposée notamment sous impulsion de tat américain de OCDE et de
Union européenne
En fait partir du début des années 1990 les tats-Unis tentèrent imposer
un modèle autorégulation que les créateurs Internet comme les industriels
appelaient de leurs ux Il avéra néanmoins rapidement impossible de main
tenir cette logique compte tenu des conséquences Internet en matière de
propriété intellectuelle de sécurité nationale de libertés publiques etc Au-delà
il fallait aussi adapter le cadre législatif existant en matière de cryptographie de
droit de la preuve etc. pour permettre le développement activités économi
ques sur Internet notamment le commerce électronique Emergea ainsi progres
sivement idée de mettre en place une coopération entre tat et des organi
sations non gouvernementales pour la régulation Internet Cette coopération
comporte deux aspects une part une délimitation informelle des domaines de
responsabilité entre Etat et les NG impliqués en appliquant notamment le
principe de subsidiante autre part une forte implication des parties prenantes
Internet dans élaboration des normes étatiques en utilisant généralement les
moyens du réseau Les Européens adoptèrent emblée une approche de ce type
en tentant cependant de appuyer davantage que dans approche américaine
sur les institutions démocratiques légitimes

Complémentarité et concurrence entre opérateurs


Ainsi auto-organisation Internet est pas synonyme absence totale de
cadre institutionnel il agit une auto-organisation encadrée En outre
même si la technique aurait priori théoriquement permis le fonctionnement
du réseau opère pas sur un mode parfaitement homogène et indifférencié dans
lequel tous les acteurs joueraient des rôles symétriques Il existe des opérateurs
de réseaux dont la fonction est de fournir un ensemble de services de télé
communication pour essentiel un accès au Web et un système administra
tion de messagerie électronique en constituant une interface entre les utilisa
teurs et les offreurs de capacités de transport que sont les câblo-opérateurs les
compagnies téléphoniques les propriétaires de capacités de transmission etc
Ces opérateurs Internet mettent en uvre les normes et les systèmes adressage
décrits plus haut et ils réalisent interconnexion entre les réseaux Pour des
raisons efficacité les différents réseaux accès ne sont pas systématiquement
connectés directement les uns aux autres La hiérarchie du réseau est organisée
en deux niveaux Cremer et al 1999] celui des fournisseurs accès Internet
FAI en anglais ISP pour Internet Services Providers) qui connectent les ma-

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chines ou les réseaux locaux des utilisateurs finals Internet en utilisant divers
réseaux de distribution locale réseaux téléphoniques et de télévision par câble
pour les particuliers réseaux spécialisés de toutes sortes pour les profession
nels et celui des administrateurs épines dorsales Backbones) qui intercon
nectent entre eux les FAI via des réseaux continentaux et intercontinentaux
haut débit Les FAI et les épines dorsales ils se concurrencent sont néanmoins
interconnectés entre eux afin assurer la connectivité générale du réseau
Les conditions interconnexion entre opérateurs de services Internet sont
complexes car deux dimensions interfèrent
Tout abord il agit accords verticaux composantes concurrentiel
les dans la mesure où les opérateurs sont la fois complémentaires et rivaux
un côté chacun donne accès un service de connectivité généralisée car les
utilisateurs veulent avoir accès des correspondants ou des contenus hébergés
par les autres réseaux un autre côté chacun cherche attirer le plus grand
nombre possible utilisateurs sur son propre réseau car la fonction de produc
tion présente un fort coût fixe
Ensuite les relations entre opérateurs sont marquées par de fortes exter-
nalités en raison de la décentralisation de administration du réseau Une fois
deux réseaux interconnectés leurs opérateurs respectifs en contrôlent plus
directement usage car la logique du protocole Internet fait que les paquets
information choisissent comme par eux-mêmes le chemin le plus efficace
pour atteindre leur cible en sélectionnant les composantes de réseau qui ne sont
pas saturées Dans ces conditions les capacités disponibles un opérateur
donné sont automatiquement utilisées ce qui peut dégrader la qualité des
services offerts ses propres usagers
Les éléments précédents se combinent pour soulever des problèmes originaux
en matière organisation industrielle Les relations entre opérateurs doivent en
particulier surmonter une dialectique coopération-concurrence qui se manifeste
en des termes autant plus brutaux il existe de nombreuses possibilités de
manipulation opportuniste des conditions de interconnexion Il en résulte une
grande variété de modes de gouvemance qui vont de instauration de modalités
gratuites interconnexion travers des accords ae peering destinés minimiser
les coûts de transaction une intégration verticale intemalisant les ex-
temalités en passant par diverses formules de tarification et arrangements
organisationnels Autant de stratégies qui questionnent la politique de la concur
rence car elles se situent dans un contexte où la logique des coûts fixes encou
rage la concentration
Notons enfin que ces caractéristiques ne sont pas uniquement propres aux
relations entre opérateurs Internet elles se retrouvent également dans les rela
tions entre prestataires de services informationnels ainsi que dans les rapports
entre prestataires informationnels et prestataires de services-réseaux

universalisation du réseau

Nés dans le giron de appareil militaire et scientifique américain les réseaux


qui devinrent Internet furent progressivement transférés des initiatives privées
qui assurèrent aux normes ouvertes et au système adressage constituant In
ternet le succès universel ils connaissent hui Ce processus émer
gence fut cependant loin être spontané

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Eric Brousseau Nicolas Curien

Internet et ses précurseurs furent développés et administrés grâce des bour


ses de recherche et des contrats de concession du gouvernement américain
en 1985 il agissait pour essentiel de réseaux hétérogènes fermés et en
grande partie expérimentaux élaborés dans le cadre des grands programmes de
recherche américains tels ARPANet dans le domaine de la défense SPAN dans
celui de espace CSNet dans celui informatique etc ARPANet le précurseur
lancé en 1969 constitua cependant le principal laboratoire du futur Internet
puisque est en son sein que furent inventés les concepts et les techniques qui
structurent hui le réseau Leiner et al 2001])
En 1985 lorsque la NSF National Science Fundation prit la décision de
favoriser le développement un réseau ouvert tous les scientifiques le réseau
ARPANet devint logiquement le principal support du NSFNet Ce dernier fut
lui-même rapidement transformé en Internet lorsque en 1988 la NSF adopta une
politique interconnexion avec les réseaux privés qui ne se traduisit cependant
que beaucoup plus tard par une ouverture des applications commerciales)
La volonté ouverture de la NSF ne se cantonna pas une simple politique
interconnexion partir de 1985 les principales composantes techniques
Internet firent objet un transfert actif vers industrie Dans esprit des
administrations qui se succédèrent ouverture aux investissements privés et
la coopération avec industrie constituait en effet le meilleur moyen de favoriser
le développement du réseau et des technologies associées objectif était dou
ble une part doter les tats-Unis une infrastructure informationnelle effi
cace autre part renforcer avance de industrie informatique américaine
dans les technologies numériques Cette politique fut parachevée en 1998 lors
que la responsabilité du développement Internet fut transférée de la NSF au
Département du Commerce
Le rôle du gouvernement américain fut donc déterminant dans émergence
et la promotion Internet La politique de transfert initiée en 1985 donna
naissance un tissu industriel spécialisé Puis autorisation des applications
industrielles et commerciales partir de 1995 incita fortement le secteur privé
investir dans Internet est ce qui explique le foisonnement de offre de
services en ligne observé partir de cette date
avance prise par les Etats-Unis stimula en outre la dynamique ouverture
du réseau Puisque le gouvernement américain en maîtrisait la ressource clé
savoir le système adressage et puisque les entreprises et les universités amé
ricaines constituaient les principaux offreurs de services et fournisseurs de nor
mes ouverture de ce réseau américain aux acteurs étrangers ils soient
utilisateurs ou fournisseurs de services fut considérée comme une opportunité
plutôt que comme une menace en proposant gratuitement leur standard de
réseau ouvert et décentralisé au reste du monde les Etats-Unis permirent
Internet de imposer face autres options qui étaient priori envisageables
en matière de réseaux numériques
Ainsi la diffusion rapide Internet ne doit rien au hasard ni ordre spon
tané Elle résulte en grande partie une stratégie nù en uvre par industrie
et le gouvernement américains Pour autant cela ne signifie pas que certaines
des caractéristiques technico-économiques Internet soient étrangères son
succès
Une première caractéristique motrice est liée essence même Internet
il agit une norme interopérabilité entre réseaux hétérogènes qui

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Revue économique

établit par ailleurs une distinction radicale entre la gestion des services-réseaux
et celle des réseaux physiques Internet puise sa force dans la base installée il
suffit de créer des passerelles entre les réseaux existants et Internet ou mieux de
mettre en uvre les standards Internet dans les réseaux existants pour que
ceux-ci deviennent une partie Internet
Un autre facteur essentiel de la réussite Internet réside dans son admi
nistration décentralisée Puisque on peut partir des standards Internet créer
des services réseaux et des services informationnels dont on contrôle les carac
téristiques et les accès Internet est une technologie de réseau éminemment
flexible un côté elle procure une connectivité généralisée instar de celle
qui est fournie par des réseaux vocation universelle comme le téléphone un
autre côté elle permet de gérer des clubs fermés ils soient intra-
organisationnels Intranets ou inter-oganisationnels Extranets la manière
dont le permettait la génération précédente de réseaux téléinformatiques en
revanche non dotés des mêmes capacités interconnexion
Enfin une dernière raison du succès Internet provient de impact que les
normes ouvertes ont exercé sur innovation et les prix Les standards Internet
se présentent en fait comme des logiciels ouverts En tant que standards ils sont
eux-mêmes dynamiques et ils intègrent en les rendant immédiatement acces
sibles ensemble des utilisateurs les avancées dans les technologies de la
communication protocole et du multimédia langage html Par ailleurs ces
standards sont eux-mêmes des normes interfa age permettant intégrer dans
le système Internet toute technologie spécifique qui les respectent La nature des
normes Internet ainsi facilité intégration des innovations dans le domaine du
traitement numérique de information ou dans les services appuyant sur ces
technologies Selon un effet accumulation du type boule de neige ces inno
vations ont été stimulées par la taille du marché engendré par les normes uni
verselles et ouvertes Enfin la convergence vers un réseau global en accroissant
le degré de concurrence poussé les prix la baisse accélérant encore la
diffusion des innovations

Une nouvelle infrastructure pour économie

La politique du gouvernement américain appropriation par industrie ainsi


que les caractéristiques propres du réseau expliquent largement pourquoi Inter
net est si rapidement globalisé Devenu média universel reliant ensemble des
agents économiques il était dès lors naturel que installent de multiples
activités économiques et émerge ainsi le commerce électronique
La définition même de cette notion est cependant particulièrement floue car
comme attestent les tentatives de mesure son périmètre oscille selon les cir
constances entre une acception très large consistant inclure ensemble des
activités économiques supportées par les réseaux et une acception au contraire
très restrictive limitée aux seules transactions en ligne sur Internet Trois ob
servations fondamentales doivent être faites cet égard Brousseau 2000]
Rallet 2001])
En premier lieu le développement activités économiques sur les réseaux
compris sur les réseaux numériques commencé bien avant Internet et conti
nue de se répandre sur une multitude de supports qui ils convergeront sans
doute terme vers Internet en restent distincts hui Sans remonter

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Eric Brousseau Nicolas Curien

au télégraphe ou au téléphone qui jouèrent pourtant un rôle essentiel dans


intégration un certain nombre de marchés on peut noter que de grands
systèmes de transactions en ligne fondés sur les réseaux numériques sont ap
parus dès les années 1970 notamment dans la finance le transport aérien et les
marchés énergétiques Les années 1980 virent ensuite se multiplier différents
types de systèmes intégration informationnelle interentreprises notamment
dans le commerce la logistique et les industries assemblage telles que auto
mobile ou aéronautique Tous ces systèmes continuent exister hui
Quant aux réseaux téléinformatiques intra-organisationnels les premiers remon
tent aux années 1960
Le commerce électronique au sens large comme au sens étroit ne procède
donc pas exclusivement Internet si bien que on dispose hui un
certain recul pour analyser le rôle joué par les TIC dans évolution des modalités
de coordination économique Brousseau et Rallet 1999] Un des principaux
résultats en la matière est que la technologie per se ne détermine aucun modèle
organisationnel optimal si elle lève certaines contraintes dans les choix orga-
nisationnels réalisés par les agents économiques ces choix demeurent fonda
mentalement contingents la manière dont les problèmes de coordination se
posent en fonction des activités et des cadres institutionnels existe donc une
grande diversité de formes concrètes de marchés et de hiérarchies électroni
ques. et aussi des cas où les médias électroniques apparaissent peu utiles
En deuxième lieu si la numérisation de économie est indéniable elle ne se
produit pas toutefois selon les modalités que on imagine la lecture de cer
taines prévisions de croissance popularisées par la presse ou même par certains
rapports officiels Il est très difficile de mesurer de manière précise et pertinente
la part des activités supportées par les réseaux numériques et une approche trop
naïve peut conduire des leurres On cherche en particulier trop souvent
évaluer le poids des opérations intégralement réalisées en ligne alors que ob
servation quotidienne démontre que en matière commerciale comme dans tou
tes les dimensions de la vie sociale certaines composantes élémentaires une
même opération se prêtent la numérisation et la réalisation en ligne tandis
que autres composantes échappent cette virtualisation Le virtuel
étant complémentaire et indissociable du réel il est dépourvu de sens de
tenter de mesurer le poids économique ce qui est purement virtuel. et il est
guère étonnant que le poids du pur on Une apparaisse comme marginal dans
économie Ce point de méthode étant acquis il convient de moduler affir
mation selon laquelle la numérisation de économie suivrait nécessairement une
dynamique exponentielle Il est vrai que la fin des années 1990 on observé
des taux de croissance impressionnants dans beaucoup de domaines liés In
ternet tant en ce qui concerne la taille et les activités du réseau lui-même que
le volume des transactions économiques il supporte Trois facteurs se sont
conjugués pour expliquer ce rythme très rapide de démarrage abord le ni
veau était initialement très faible puisque avant 1995 Internet était encore
un réseau confidentiel confiné des applications non commerciales Ensuite
la bulle spéculative contribué entretenir une croissance artificielle puisque
de nombreux services étaient fournis des prix très inférieurs leur coût de
revient Enfin un certain nombre de services et activités ont été transférés
depuis des réseaux spécialisés vers Internet
Les seuls chiffres véritablement fiables sur le commerce électronique
ceux du Department of Commerce disponibles sur le site

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Revue économique

http /www.census.gov/mrtsAvww/current.html attestent la réalité un dé


marrage rapide aux tats-Unis le commerce de détail en ligne bien crû en
volume depuis il est observé fin 1999 au dernier trimestre 2000 où
il atteint près de 101 des ventes de détails Mais les niveaux et les rythmes
de croissance objectivement constatés sont bien moins élevés que les estima
tions produites par les entreprises de conseil dont les chiffres se sont pourtant
imposés auprès de nombreux dirigeants et observateurs Et surtout le premier
trimestre 2001 été marqué par un recul en volume comme en poids relatif
du commerce en ligne dont la part dans le commerce de détail est retombée
091 Bien entendu il ne faut pas voir dans ces chiffres amorce un recul
du développement Internet et une dé-numérisation de économie Ils confir
ment simplement une partie des modèles économiques développés au mo
ment de la bulle spéculative était pas valide que le rythme de numérisation de
économie est lent parce que des mutations profondes dans de nombreux do
maines sont nécessaires et que on évolue pas vers une numérisation com
plète des activités et des échanges parce que essentiel de la norme de consom
mation reste constituée de biens et services matériels et parce que les
contraintes économiques et techniques qui en résultent rendent nécessaire le
recours aux formes traditionnelles organisation de la production et des échan
ges
En troisième lieu quand elles sont appliquées aux marchés et la distribu
tion les technologies numériques ont pas toujours les effets auxquels on
pourrait attendre en se fiant une intuition insuffisamment raisonnée
abord nombre de biens et services ne sont pas aisément échangeables
en ligne Ceci est pas dû uniquement aux contraintes logistiques propres aux
produits comportant une composante matérielle mais tient également la dif
ficulté de mettre au point des systèmes de description et de certification per
mettant éviter les problèmes anti-sélection et de risque moral dans la réa
lisation des transactions Il en résulte une électronisation du commerce qui est
souvent que partielle Dès lors certains des effets escomptés des réseaux nu
mériques comme la globalisation de la concurrence demeurent confinés cer
taines activités essentiellement les biens et services culturels le tourisme et les
produits électroniques pour les marchés grand public Les marchés où élec
tronisation est que partielle peuvent certes être affectés par le déploiement des
réseaux numériques mais les impacts ne peuvent être différents de ceux qui
résulteraient une place de marché intégrée et globale
Ensuite les réseaux numériques ne sont pas des dispositifs qui se subs
titueraient aux intermédiaires traditionnels afin de réaliser la fiction du marché
walrassien existence de réseaux liant offre la demande ne permet pas de
résoudre ipso facto les problèmes de coordination posés par interaction de
millions agents Brousseau 2002] Les intermédiaires demeurent des
maillons indispensables car ils remplissent certaines fonctions économiques qui
ne sont pas purement informationnelles telles que la garantie des transactions
la gestion logistique ou encore assurance de liquidité des marchés Par
ailleurs des intermédiaires informationnels émergent car même il ne
agit que une pure intermédiation informationnelle ou infomediation les
réseaux numériques ne assurent pas emblée des ressources importantes
doivent être dédiées au formatage la certification au tri et au rapprochement

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Eric Brousseau Nicolas Curien

des offres et des demandes les infomédiaires tel e-Bay développent cet
égard des compétences spécifiques et bénéficient économies échelle et en
vergure pour abaisser ces coûts
Enfin les marchés ne sont pas nécessairement plus transparents sur In
ternet Les études disponibles accordent pour montrer que les prix sont dis
persés ce qui relativise considérablement idée que les coûts de recherche
tendraient vers zéro Cela tient pour essentiel la capacité de man uvre
stratégique des offreurs qui cherchent différencier leur offre bloquer le
fonctionnement des moteurs de recherche comparatifs et mettre au point des
stratégies de captation de clientèles
Dans un tel contexte en quoi réside la spécificité Internet il devient
le support des coordinations économiques Trois composantes principales sem
blent se dégager
Premièrement son caractère universel fait Internet un média électronique
sur lequel peut intégrer intégralité de la coordination des filières depuis le
producteur de matières premières au consommateur final Dans le passé
intégration numérique de la coordination restait apanage des grandes entre
prises en raison du coût et de la complexité des technologies Il en résultait des
ruptures de charge qui ont plus de raison être hui en effet des
coordinations peuvent être réalisées et des services informationnels peuvent
êtres produits en faisant interagir en temps réel et avec toute la puissance des
technologies numériques ensemble des acteurs entre lesquels existent des
interdépendances En termes concrets ceci potentiellement trois effets
abord une reconfiguration ré-engineering de filières entières capables de se
réorganiser pour répondre de manière plus efficace des consommateurs finals
dont les besoins spécifiques peuvent être mieux per us et que des modalités plus
flexibles de coordination permettent de mieux satisfaire ensuite une extension
des capacités interaction des agents économiques alternativement offreurs et
demandeurs du fait de la capacité de chacun entrer plus facilement aupa
ravant en contact avec un plus grand nombre de partenaires enfin une réor
ganisation des intermédiations
Deuxièmement le caractère multimédia Internet en fait le vecteur une
offre de services informationnels aux fonctionnalités multiples intégration du
traitement des données du son et de image couplée la faculté de gérer
sur-mesure les flux de communication permet aux producteurs quelles que
soient leurs prestations de fournir des services informationnels enrichissant
leur offre Il en résulte une grande variété de stratégies de communication de
différenciation et de discrimination
Troisièmement la finesse du contrôle des échanges information sur les
réseaux numériques fédérés par Internet permet instaurer de nouvelles moda
lités interaction entre les agents économiques Ces modalités tournent autour
du partage de information selon des procédures hybrides mêlant la diffusion
gratuite sans contrepartie et la diffusion payante Ceci donne lieu émergence
de nouveaux modèles affaires mais aussi de communautés au sein des
quelles le partage de information est organisé sous la contrainte de règles
spécifiques destinées éviter les comportements de passager clandestin et
assurer le recouvrement des coûts fixes

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Revue économique

INTERNET CONOMIE NUM RIQUE

Une illusion trompeuse


La première esquisse qui vient être tracée des rapports entre Internet et les
modes de coordination économique invite revisiter les propriétés du réseau
pour les décliner désormais en des termes plus fonctionnels que morphologi
ques sa morphologie universelle de bout en bout multimédia décentralisée
etc. confère en effet Internet trois fonctionnalités essentielles qui en font le
vecteur de transformations économiques
Il agit abord de la plasticité est-à-dire de la capacité de relier au
réseau de nouveaux participants insérer profusion des contenus de toute
nature ouvrir ou de fermer des espaces informationnels avec une flexibilité
dynamique exceptionnelle et poussée extrême relativement ce que permet
taient les techniques de réseau ayant précédé Internet
Il agit ensuite de la transversalité est-à-dire de la possibilité une
interaction traversant sans coutures les frontières géographiques politiques
économiques ou sociales Internet est ainsi la fois trans-national trans
sectoriel et également trans-utilisateurs reliant grâce son standard unifié et
bon marché aussi bien les grandes entreprises que les petits professionnels et
le grand public
Il agit enfin de la sélectivité est-à-dire de aptitude moduler les
échanges information une manière très subtile selon la nature des émetteurs
des récepteurs et des canaux de circulation Cette sélectivité permet une acces-
sibilité accrue des agents économiques aux informations pertinentes en vue de
leurs actions stratégiques facilitant notamment la recherche des partenaires et
des produits les plus adaptés des échanges mutuellement fructueux
défaut un examen plus approfondi ces trois fonctionnalités de base
Internet pourraient prêter penser que avènement de cette technologie por
teuse de économie numérique devrait mener de manière naturelle une
part des marchés plus fluides autre part des hiérarchies moins bureau
cratiques Or cette vision fondée sur idée de bon sens une plus grande
performance technologique ne peut induire une plus grande performance
économique se trouve ores et déjà en partie contredite par les faits et pèche
par son simplisme réducteur les rouages de économie traditionnelle demeu
reraient fondamentalement invariants tandis que les TIC produiraient le lubri
fiant miracle permettant éliminer tout frottement et donnant ainsi progres
sivement réalité la double épure du marché parfait et de la hiérarchie
débureaucratisée Un tel argument est trop rapide car il ignore que les boule
versements touchant la disponibilité et la transmission des informations ont
pas seulement pour effet de perfectionner infostructure de économie
mais aussi engendrer des mutations dans la sélection des mécanismes
économiques Se trouve dès lors condamné erreur logique tout raisonnement
postulant la stabilité dynamique de ces mécanismes et leur convergence natu
relle vers un état stationnaire idéal

Information économie de marché et biens publics


Se pla ant dans une perspective de mutation quel est le processus sous-jacent
par lequel les TIC puis Internet contribueraient un changement de régime dans

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


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les économies post-industrielles Nous avan ons ici hypothèse que ce pro
cessus réside dans une dissociation entre information et son support physique
mouvement fort ancien Internet exacerbe Avant apparition de écriture
information était indiscernable de la parole qui seule pouvait la véhiculer
avant invention de imprimerie information scripturale était rigidement liée
au support sur lequel elle était inscrite était communicable que si ce support
était lui-même cédé depuis Gutenberg le livre composé permis la replication
de information moindre coût et donc sa diffusion plus large tout en main
tenant un lien physique entre information et une marchandise support et il en
va de même pour le disque le CD le DVD etc hui ce lien est rompu
Internet permettant la circulation de contenus information textes sons ima
ges débarrassés de la gangue de tout contenant Cette dématérialisation
touche non seulement les biens informationnels stricto sensu mais aussi par
contagion une part de plus en plus importante de ensemble des biens et
services dont le contenu informationnel va croissant Pour ces biens non pure
ment informationnels il pas bien sûr dématérialisation proprement
parler mais plutôt association flexible et modulaire de contenus informationnels
et de logiciels avec des contenants physiques vanes
Cette évolution du couplage entre contenant et contenu est porteuse de consé
quences économiques importantes qui affectent aussi bien les conditions de
offre que celles de la demande
Du côté de offre on assiste un double mouvement une part de
commoditisation des briques de base de la production banalisées et faible
contenu informationnel et autre part de servicisation des produits pro
posés aux consommateurs finals composés des commodités enrichies une
valeur ajoutée contenu informationnel fort et différencié En amont la pro
duction des commodités ainsi que la R&D nécessaire la mise au point des
contenus engendrent des coûts fixes élevés en aval assemblage et la distri
bution des paquets de services effectuent un coût marginal faible Il en
résulte une fonction globale de production rendements fortement croissants
très éloignée des caractéristiques habituelles une économie de marché et se
rapprochant davantage de celles une économie publique
Du côté de la demande les biens informationnels et par extension les
biens fort contenu informationnel présentent les caractères fondamentaux de
non-rivalité et de non-exclusion propres aux biens publics un agent qui
cède un bien informationnel en est pas privé pour autant ou du moins
consent un coût opportunité très faible vis-à-vis de utilité transférée ac
quéreur et un grand nombre agents peuvent dans la limite des effets en
combrement consommer simultanément et en totalité un même bien informa
tionnel En outre les biens informationnels sont généralement la source effets
de club considérables créant des économies échelle de demande qui en
ajoutant aux économies échelle offre favorisent émergence un stan
dard dominant suivie effets de monopolisation
Ainsi après le paradoxe de Solow un second paradoxe de économie nu
mérique pourrait-il être énoncé Les TIC améliorent les instruments qui de
vraient en théorie favoriser un fonctionnement plus efficace une économie de
marché mais elles suscitent en realité émergence une économie publique
Pour dépasser ce paradoxe une première voie évidente est celle du retour en
ardere ce que la technologie fait la technologie peut le défaire Si les TIC

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Revue économique vol 52 numéro hors série octobre 2001 7-36


Revue économique

constituent de nouveaux métiers tisser il est en inverser le mouvement


afin en détruire les effets Si ordre marchand est menacé par la dématéria
lisation de information il suffit de rétablir le lien entre contenu et contenant
Cette voie est autre que celle prônée et en partie actuellement mise en uvre
par de grands groupes du secteur des médias qui soucieux de protéger leurs
marchés contre des pirates souhaitent instituer un contrôle des accès aux
réseaux et aux contenus ils véhiculent cherchent empêcher les reproduc
tions illicites par une application inete de la législation en vigueur sur la
protection de la propnete intellectuelle copyright Le shérif de Nottingham
peut certes entreprendre de lutter contre Robin des Bois avec les motivations
que on comprend mais histoire semble démontrer que pareil comportement
peut se montrer fort inefficace et surtout ne durer un temps La voie de sortie
du paradoxe réside donc certainement ailleurs dans invention collective de
relations économiques novatrices adaptées la transformation inéluctable du
contexte structurel Ce nouveau type de relations devra notamment apporter des
réponses aux deux questions majeures que soulève une structure économique
présentant des caractères de type public une part comment recouvrer les
coûts fixes et autre part comment assurer adéquation de offre la de
mande
La question du recouvrement des coûts fixes admet une gamme de réponses
complémentaires dont le développement actuellement observé de économie
des TIC et Internet offre ailleurs plusieurs exemples Il peut abord agir de
transferts de recettes au sein un marché monopolistique une tarification des
services finals au-dessus de leur coût marginal quasiment nul couvrant les
coûts fixes investissement et de R&D au prix toutefois un certain rationne
ment de la demande La commercialisation des logiciels Microsoft ressortit ce
modèle Une méthode alternative consiste ne pas facturer usage vendant
ainsi en quelque sorte le service son coût marginal tout en pratiquant une
tarification par abonnement ou par forfait avec le risque cette fois exclure les
petits consommateurs est la tarification dite de Coase laquelle correspon
dent typiquement les forfaits Internet Troisième moyen tat et les collecti
vités territoriales peuvent être mis contribution pour financer en partie certai
nes infrastructures il en va notamment ainsi pour achèvement de la
couverture GSM du territoire par mutualisation des infrastructures entre opéra
teurs et subvention publique Enfin il est possible de couvrir en amont les coûts
fixes sans brider usage en aval par un déplacement de revenus vers la
publicité selon le modèle traditionnel de économie des média mais aussi et
surtout vers des produits den vés selon un mouvement déjà amorcé mais for
tement amplifié par Internet un site-portail offrant par exemple un hébergement
et un e-mail gratuit et percevant des commissions auprès des sites marchands
vers lesquels il rabat les intemautes Cet écart grandissant entre endroit où est
engendrée la valeur travers la constitution une audience et endroit où cette
valeur est récoltée travers la vente espaces publicitaires de produits dérivés
ou la perception de commissions intermédiation semble devoir être une des
caractéristiques majeures de économie numérique une économie dans la
quelle les coûts fixes consentis en amont trouvent leur financement de plus en
plus aval une chaîne de valeur en constante extension
La seconde question celle du pilotage de offre par la demande devient
particulièrement aiguë dans une économie où une grande partie de la chaîne de
valeur est soumise au principe de la gratuité et émet donc aucun signal tari-

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faire Paradoxalement est la source même du problème qui fournit ici sa


solution En effet est la fourniture gratuite sur Internet outils et de contenus
facilitant les échanges économiques qui permet auto-organisation de commu
nautés de consommateurs homogènes du point de vue de leurs fonctions de
demande ainsi que la réalisation un couplage fin entre les requêtes de la
demande et les caractéristiques de offre les espaces de discussion les forums
les chat rooms ou même simplement les liens entre sites privés sont autant
de lieux sur lesquels se constituent et se segmentent des écosystèmes
intemautes-consommateurs systèmes cohérents mais évolutifs permettant
aux offreurs de cibler et de différencier leurs produits dès lors ils accèdent
cette information sur la structure de la demande On observe ainsi sur Internet
émergence une fonction intermédiation électronique infomediation
se pla ant interface offre-demande cette infomediation peut être institu
tionnalisée elle est organisée par des sites commerciaux des portails ou
des sites de média cherchant valoriser leur audience elle peut aussi être
informelle lorsque des individus interagissent directement sans intermédiateur
explicite pour échanger des informations sur des produits les pionniers
faisant alors connaître aux suiveurs les biens ou les services qui sont les plus
susceptibles de les satisfaire

Infomediation

Le modèle de infomediation est vraisemblablement une clé avenir du


commerce électronique face aux difficultés et aux faillites dans un premier
temps provoquée la transposition naïve des fonctions traditionnelles de la re
lation commerciale dans univers Internet Les sites commerciaux dont or
ganisation repose sur le triptyque référencement et présentation en ligne des
produits/gestion en ligne de la commande de la facturation et du paiement
logistique de distribution du type vente par correspondance affichent
hui un résultat incertain ou déficitaire en raison erreurs apprécia
tion sur le bilan des contraintes et des avantages spécifiques la mise en ligne
une surestimation des recettes publicitaires ou une sous-estimation des
coûts logistiques apparaît maintenant que le modèle le plus prometteur parce
il contourne les contraintes de la distribution physique et il bénéficie de
recettes publicitaires ou de commissions commerciales ne consiste pas vendre
des produits mais mettre en relation des vendeurs et des acheteurs en bref
archétype concrétisé par e-Bay contre celui concrétisé par Amazon Toutefois
lorsque les biens qui sont objet une infomediation sont purement informa
tionnels les deux fonctions de infomediation et de échange peuvent être
conjointement assurées par un même site tel Napster Ainsi infomediation
intervient non seulement pour structurer les marchés B-to-C et B-to-B respec
tivement Business to Consumers et Business to Business) mais encore pour
développer des marchés secondaires de type C-to-C Consumer to Consumer
Parce elle repose sur un mode de gouvemance largement communautaire et
associatif intermédiation peut donner lieu des pratiques violant ou contour
nant actuelle législation de la propriété intellectuelle ou industrielle elle est
ce titre menacée par des tentatives de renormalisation émanant des grands
groupes industriels ou des tats Pourtant infomediation est essentielle car
elle constitue instrument nécessaire un processus de co-évolution des fonc-

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Revue économique

tions offre et de demande indispensable la réalisation échanges écono


miques adaptés et différenciés
infomediation pas pour rôle unique de mettre en rapport la demande
finale avec des assembleurs de paquets de biens et services En remontant vers
amont de la chaîne de valeur elle prend la forme des places de marché B-to-B
assurant interface entre les assembleurs et les producteurs des commodités
banalisées Ces bourses électroniques peuvent devenir de véritables monopso
nes bénéficiant des effets échelle engendrés par des achats en masse il ne
faut cependant pas négliger les effets de la législation antitrust qui tendent
limiter les possibilités de concentration économie industrielle numérique de
vrait terme devenir une économie de la coopétition les assembleurs coo
pérant en amont pour partager des coûts fixes importants de R&D ainsi que pour
grouper leurs achats de commodités et se livrant une concurrence en aval sur
les marchés finals Cette concurrence aval est au demeurant sujette deux
facteurs de modération une part la différenciation des paquets offres tend
réduire le degré de compétition en prix par la constitution de niches de
clientèle autre part parce elle présente davantage économies enver
gure inter-produits que économies échelle relativement la taille de
audience la fonction infomediation devrait finalement conduire la coexis
tence de plusieurs écosystèmes plutôt une lutte sans merci du type winner
takes all Pareille recomposition de la chaîne de valeur est un processus forte
ment dépendant du chemin et de nombreuses incertitudes demeurent quant son
déroulement En particulier comment se combineront deux mouvements inver
ses celui engendré dans un sens par des assembleurs cherchant contrôler
infomediation pour accéder au plus près du client final et celui initié dans
autre sens par des infomédiaires cherchant se porter vers assemblage pour
valoriser leurs audiences Par ailleurs comment agenceront les relations ver
ticales entre les acteurs le long de la chaîne de valeur Quelles seront les parts
respectives des regroupements entreprises et des rapports contractuels

Trames coopératives
En dépit de ces diverses incertitudes il est vraisemblable que naîtront de
nouvelles formes de coordination réticulaire intermédiaires entre marché et
hiérarchie conciliant flexibilité et stabilité en effet en même temps elles
permettent la réalisation de rapports plus élastiques que la subordination hié
rarchique les interactions en réseau garantissent une certaine stabilité en fa
vorisant des coopérations initialement spontanées puis maintenues comme des
équilibres de jeu répété cet égard deux exemples méritent attention
En matière de gestion de innovation un dilemme oppose classique
ment un côté intégration verticale de chaque firme et de sa propre unité de
recherche de autre la séparation entre un centre de recherche partagé par
plusieurs firmes et des unités de production en concurrence Le dilemme se
traduit par un arbitrage entre un risque latent de stérilisation une recherche
trop asservie des finalités commerciales de court terme encouru dans le pre
mier cas et un risque de rupture entre recherche fondamentale recherche ap
pliquée et développement supporté dans le second La situation notamment
observée dans la Silicon Valley démontre la possibilité une structure hybride
dans laquelle la recherche est réalisée par un vivier déjeunes pouces start-up)
qui meurent en cas échec sont rachetées ou croissent en cas de succès Dans

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Eric Brousseau Nicolas Curien

ce modèle sont évités les inconvénients et réunis les avantages respectifs des
deux structures habituellement opposées une part utilité sociale de la re
cherche et la continuité de la chaîne R&D sont garanties par le fonctionnement
décentralisé et biologique du vivier en osmose avec son environnement
industriel autre part la mobilisation du capital risque constitue un mode de
mutualisation des coûts fixes de la recherche fondamentale alternatif celui qui
serait réalisé par la création un centre commun et permettant de fa on simi
laire que voient le jour des projets radicalement novateurs
En matière de production de logiciels le phénomène des logiciels ouverts
open source constitue un cas exemplaire de coopération souple entre plusieurs
types acteurs travers Internet abord des développeurs uvrant de
manière spontanée ouverte et bénévole en apparence car obéissant en fait des
stratégies de signalement motivées par la perspective une future embauche
lucrative ensuite des testeurs utilisateurs avertis affût des bugs détec
tant des défauts et des insuffisances formulant des demandes amélioration et
bénéficiant ce titre une nù disposition gratuite des logiciels enfin des
entreprises de commercialisation assurant une mise en service payante auprès
de la masse des utilisateurs ordinaires
Ces différents modes de couplage économique successivement évoqués
propos des relations entreprises-clients puis des relations interentreprises trou
vent également leur traduction dans les relations infra-entreprise De même que
les relations verticales ou horizontales entre les firmes laissent place des
relations en réseau de même se transforment les relations de travail entre agents
au sein de la firme cet égard le facteur susceptible être modifié en pro
fondeur par les TIC en réseau est celui de la gestion des connaissances et des
savoirs au-delà de la gestion des seules informations La rupture entre une
part informatique de gestion traditionnelle dont les ERP Enterprise Ressource
Planning constituent la forme la plus évoluée et autre part informatique de
gestion communicante dont les supports sont les Intranets et les ASP Applica
tion Service Providers) réside dans la capacité de cette dernière accepter des
routines de gestion évolutives construites autour de la création et de échange
de savoirs reliés la réalisation de projets Alors que les outils classiques de
informatique de gestion sont con us dans un esprit amélioration de effi
cacité travers la formalisation de procédures préétablies la vocation des outils
en réseau correspond plutôt une optique de flexibilité dans laquelle la connais
sance est pas un construit exogène mais élabore de manière endogène et
adaptative en fonction des besoins temporaires et changeants des utilisateurs
Les logiciels de groupware basés sur des algorithmes neuro-mimétiques ap
portant aux utilisateurs en mode push les données qui semblent les plus perti
nentes en fonction des contenus ils échangent constituent une illustration
de ce type outils Le développement de tels instruments au sein des organi
sations pourrait non seulement assister et structurer les flux de travail work-
ow) mais encore contribuer la formalisation de savoirs tacites la transfor
mation de savoir-faire know how en savoir knowledge) accumulation un
capital immatériel de connaissance qui dans économie numérique tend
devenir un actif essentiel des entreprises
Les analyses précédentes montrent quel point la vision selon laquelle In
ternet et les TIC rendraient les marchés plus fluides et les hiérarchies plus effi
caces est erronée parce que trop naïvement inspirée une représentation mé-
caniste et cybernétique de la notion de réseau En réalité les marchés ne sont pas

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Revue économique

rendus plus fluides Les marchés finals se segmentent au contraire tendant vers
un marketing de type one to one voire une production la demande Quant
aux marchés intermédiaires ils se réorganisent autour assembleurs qui se
posent en monopsones vis-à-vis des producteurs de commodités Les hié
rarchies ne sont pas rendues moins bureaucratiques organisation et objectifs
inchangés mais elles glissent de la recherche de efficacité vers celle de la
flexibilité de automatisation des procédures vers la génération de routines
adaptatives de la mise en uvre un système information vers accumula
tion un capital de connaissance cosystèmes de consommateurs vi
viers entreprises entretenant des relations mi-concurrentielles nu-
coopératives sélection adaptative de routines et de savoirs autant
expressions suggérant que la métaphore la plus pertinente pour évoquer le rôle
des réseaux dans économie numérique est vraisemblablement celle du vivant
plutôt que celle de la machine

Le réseau comme forme institutionnelle

Poursuivant dans cette voie on peut se risquer enger le réseau en institu


tion au même titre que le marché ou la hiérarchie et établir grands traits un
parallèle entre trois types organisation économique respectivement basés sur
la hiérarchie sur le marché et sur le réseau
Une économie fondée sur la hiérarchie instar des anciennes économies
planifiées est constituée unités périphériques coordonnées par un pouvoir
central La causalité est orientée du collectif vers individuel le centre arrê
tant une finalité collective définissant les tâches et les moyens nécessaires pour
la réaliser puis allouant ces moyens et déléguant ces tâches aux différentes
unités chacune spécialisée dans exécution une tâche particulière Les rela
tions transversales entre unités sont faibles les relations verticales entre les
unités et le centre sont fortes et reposent sur des contrats de plan plus coercitifs
incitatifs Une métaphore naturelle est celle de la machine dont les compo
santes sont prédéfinies et différenciées en fonction de la finalité assignée
ensemble Ce modèle hiérarchique viable pour un système économique de
taille modeste tel que le bourg féodal et opérant dans un domaine de ren
dements de production croissants devient inadapté pour un système économi
que de grande taille en raison de problèmes liés la transmission des informa
tions entre centre et périphérie ainsi apparition de rendements
organisationnels fortement décroissants
Une économie fondée sur le marché est constituée agents atomisés et
largement autonomes dans les limites imposées par un cadre général de régu
lation La causalité oriente ici de individuel vers le collectif les agents
décidant librement de leurs actions de production et de consommation en
fonction de leurs contraintes technologiques ou budgétaires et de leurs préfé
rences individuelles Les relations verticales entre les agents et tat sont ré
duites au strict nécessaire tandis que les relations transversales entre les agents
sont prédominantes et prennent la forme de transactions marchandes sur des
marchés où prévalent anonymat et indifférenciation Une métaphore naturelle
est celle du gaz parfait dans lequel un grand nombre de particules microsco
piques et désordonnées entrechoquant selon les lois de la mécanique produi
sent un équilibre thermodynamique macroscopiquement stable Ce modèle du

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Eric Brousseau Nicolas Curien

marché efficace pour un système économique de grande taille et caractérisé par


des rendements échelle décroissants doit faire place des organisations hié
rarchiques de taille non atomique elles avèrent moins coûteuses
Coase 1937]) ou lorsque la présence de rendements croissants extemalités
ou encore de bien publics justifient une structure industrielle concentrée et
réglementée
Une économie fondée sur le réseau telle que pourrait être la future
économie numérique apparaît comme un méta-système interconnectant entre
eux des agents individuels des hiérarchies et des marchés La causalité
établit dans les deux sens de individuel vers le collectif les contenus élaborés
sur les sites Internet étant accessibles tous et permettant la formation de
communautés ainsi que la réalisation de tâches coopératives et aussi du col
lectif vers individuel une finalité globale telle un grand programme de
recherche pouvant être accomplie en mobilisant des ressources de mémoire et
de calcul déconcentrées chez chacun des intemautes Contrairement au modèle
hiérarchique dans lequel les agents sont pré-spécialisés et contrairement au
modèle du marché où ils sont indifférenciés le modèle du réseau permet une
personnalisation variable et adaptative du rôle de chaque individu en fonction
de interaction particulière dans laquelle il est impliqué En outre les transac
tions propres aux marchés et les contrats propres aux hiérarchies sont complétés
et partiellement remplacés par des échanges coopératifs la fois non mar
chands et plus flexibles que les couplages hiérarchiques Une métaphore natu
relle est celle de la biologie animale dans laquelle organisation et évolution
une espèce résultent de la sélection adaptative et des comportements interac
tifs des individus qui la composent Le modèle du réseau accommode de
rendements croissants comme décroissants il intrique hiérarchies et
marchés il résiste donc davantage aux changements échelle sa propnete
fondamentale est précisément sa neutralité échelle scalability) un réseau
Intranet entreprise ou le Web mondial fonctionnant selon des protocoles tech
niques similaires et donnant lieu des échanges de même nature entre les uds
du réseau
Au terme des développements précédents il apparaît Internet est pas
seulement le support technique des transformations qui donnent naissance
économie numérique mais il constitue plutôt incubateur de cette nou
velle économie Autrement dit économie du système Internet est un labo
ratoire préfigurant des phénomènes qui régiront vraisemblablement terme une
part prépondérante des activités économiques émergence probable un ordre
économique nouveau est notamment révélée par le succès mitigé des tentatives
de transposition directe sur Internet des pratiques traditionnelles de économie
de marché échec relatif un certain type de commerce électronique ayant
bientôt été suivi de la genèse une forme originale intermédiation infomé-
diation De même la gratuité et le bénévolat présents sur une partie significative
Internet ne sont vraisemblablement pas des turbulences incontrôlées un
média dans enfance symptômes qui disparaîtraient âge adulte mais bien
des ressorts fondamentaux de la future économie numérique
idée naïve et inexacte selon laquelle Internet rapprocherait économie de
la double fiction des marchés parfaits et des hiérarchies en apesanteur repose sur
assertion insuffisamment précise affirmant que cette technologie abaisserait
voire effacerait les coûts information En réalité il convient de distinguer les
coûts élaboration de information les coûts liés sa manipulation et sa trans-

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Revue économique

mission et enfin les coûts engendres par son assimilation et son utilisation
Internet par sa nature même tend engendrer des coûts du premier et du
troisième type en même temps il tend réduire les coûts du deuxième type
En conséquence économie numérique ne sera certes pas une économie
exempte de coûts information mais au contraire une économie où la valeur se
créera et accumulera dans la transformation coûteuse information en
connaissance est-à-dire en savoir mobilisable par les acteurs dans une pers
pective stratégique or cette transformation est un processus collectif nécessi
tant une mise en réseau globale des agents économiques qui serait irréalisable
si Internet offrait précisément une telle interconnexion un coût faible et avec
une très grande flexibilité

PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE

Dans les pages qui précèdent nous nous sommes attachés montrer comment
les caractéristiques odgina Internet font de ce réseau et des activités il
supporte un laboratoire de nouvelles formes organisation des activités éco
nomiques Bien entendu ces innovations organisationnelles découlent aussi
évolutions plus générales et apparition comme la diffusion Internet sont
elles-mêmes le fruit des transformations économiques et sociales qui ont marqué
la seconde moitié du XXe siècle Il demeure Internet représente sans nul doute
une inflexion dans ces évolutions Sa plasticité sa transversalité ainsi que sa
sélectivité en matière de gestion de information lèvent en effet beaucoup de
contraintes en matière de définition et de coordination des prestations informa
tionnelles Par ailleurs le retentissement donné la diffusion de cette techno
logie incité un très grand nombre acteurs en saisir pour innover dans de
multiples domaines de la vie économique et sociale Ceci contribué une
part accélérer le rythme de innovation dans les usages autre part en
gendrer des combinatoires inédites par exemple dans les rapports entre offre
et la demande
Telles sont les raisons pour lesquelles Internet mérite sans conteste attention
des économistes et ceci au-delà des seuls spécialistes de économie des ré
seaux Même il ne bouleverse pas les lois fondamentales de économie In
ternet provoque des mutations dans les mécanismes qui la régissent et conduit
ainsi repenser nombre de questions parce que certaines contraintes effacent
parce que le déploiement du réseau accompagne de nouvelles pratiques parce
il convient inventer les modalités les plus efficaces de production et
usage des infrastructures et des ressources informationnelles Dans ce
contexte plusieurs domaines de recherche peuvent êtres identifiés

Complémentarités et externalités dans une économie de réseau

Un premier domaine recouvre étude de la gestion des complémentarités


informationnelles et des processus innovation Comme on souligné plus
haut il agisse des services-réseaux ou des services informationnels sup
portés par le réseau Internet est le siège de multiples complémentarités entre
offreurs et utilisateurs de ressources réseau et de ressources informationnelles

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Eric Brousseau Nicolas Curien

On retrouve de telles complementantes entre les participants aux processus


innovation qui entourent Internet notamment dans le logiciel Ces comple
mentantes qui se traduisent souvent par des extemalités du fait de incomplé-
tude des droits de propriété sont dues la potentialité du numérique discri
miner fortement les accès et les usages et donnent naissance une large palette
de solutions novatrices en matière organisation des rapports entre offre et la
demande Parmi les plus marquantes figurent de nombreuses variantes du mo
dèle des prestations gratuites ou ouvertes dont on oublie néanmoins souvent
analyser les conditions application Il appartient donc aux économistes ex
plorer ces variantes qui allient la mise en uvre de modalités particulières
échange des dispositifs organisationnels notamment destinés contrôler les
incitations
Ainsi que illustre dans sa modélisation Virginie Lethiais les solutions adop
tées marient le plus souvent une dimension tarifaire et une dimension organi-
sationnelle La capacité utiliser diverses formules de tarification découle en
effet de la faculté de contrôler les extemalités entre constituants de services
composites notamment via des arrangements organisationnels Godefroy Dang
Nguyen et Thierry Pénard montrent il existe entre prestations gratuites et
payantes un arbitrage que règlent la fois les coûts de transaction et les retours
espérés sur les extemalités produites Cette dernière variable permet de déter
miner dans quel contexte pour quel type de service ou pour quel type utili
sateur un producteur devra opter plutôt en faveur de échange marchand ou du
troc communautaire Bien entendu compte tenu de la diversité des contextes
potentiels on observe une multiplicité de formes hybridation entre le gratuit
et le payant Dominique Foray et Jean-Benoît Zimmermann en appuyant sur
exemple du logiciel libre intéressent au versant organisationnel de la gestion
des extemalités dans une économie interdépendance généralisée Ils inter
rogent sur les agencements devant être préconisés afin de garantir les incitations
individuelles et le partage du fruit des efforts privés
Se dessine ainsi tout un domaine de recherche dont le but est de comprendre
les modèles organisationnels et les modèles affaires propres une écono
mie informationnelle réticulaire et innovation Les quelques analyses pré
sentées dans ce numéro explorent certaines composantes de ce domaine et
ouvrent surtout la voie un vaste courant de travaux théoriques et empiriques
destinés mieux appréhender les fondamentaux et les déclinaisons de modèles
qui hybrident des formes organisationnelles traditionnelles telles que intégra
tion verticale ou le marché avec des formes innovantes telles que les commu
nautés intemautes en articulation avec une vaste gamme de modalités
échange prestations gratuites troc don/contre-don tarification incitative
etc

conomie des infomédiations


Une autre dimension originale de économie Internet est liée analyse de
infomediation En permettant le contrôle des flux informationnels au sein un
réseau global Internet donne naissance de nombreux instruments utiles pour
gérer la rencontre entre offre et la demande Concrètement ce sont les services
offerts par les infomédiaires les places de marché ou encore les com
munautés agrégation des demandes ou des offres Les propriétés de ces nou
veaux dispositifs intermédiation dépendent très fortement une part des

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modes de rapprochement ils privilégient il agisse enchères aveu


gle appels proposition ou actions intermédiaires autre part des mo
dalités selon lesquelles ils se constituent il agisse de coalitions offreurs ou
de demandeurs initiatives intermédiaires ou de coopérations entre partici
pants un marché ou une industrie Par ailleurs cette économie de infomé-
diation doit être examinée dans une optique prospective quels sont les modèles
viables et les méthodes acceptables de recouvrement des coûts ainsi engendrés
Quelle est la nature de la concurrence entre les différents dispositifs infome
diation Quel en est impact sur efficacité économique et la distribution du
bien-être Certains éléments de réponse sont apportés dans ce numéro
Alexandre Gaudeul et Bruno Julien en particulier discutent les impacts en
termes de bien-être de schémas alternatifs organisation de intermédiation
suivant que celle-ci est assurée de manière automatisée et ouverte par les res
sources du réseau ou bien par un intermédiaire soit en monopole soit en
concurrence Leur contribution souligne aussi que la réflexion sur infomedia
tion ne peut être déconnectée de celle portant plus généralement sur les spéci
ficités de offre de services informationnels en réseau ventes liées stratégies
de fidélisation de discrimination tarifaire ou de signalement avec des enjeux
importants en matière de politique de la concurrence Il existe également des
formes auto-organisées infomediation et la contribution de Nicolas Curien
Emmanuelle Fauchart Gilbert Laffond Jacques Lesoume et Fran ois Moreau
en constitue une illustration travers une représentation stylisée des complé
mentarités informationnelles entre consommateurs ces auteurs discutent les
conditions émergence et les propriétés de stabilité de un des phénomènes les
plus originaux sur Internet les forums de consommateurs Quant la contribu
tion de Michel Gensollen elle analyse la manière selon laquelle se tissent de
nouveaux rapports entre offre et la demande par établissement de compromis
entre la volonté des consommateurs de mettre davantage en concurrence les
producteurs et celle de ces derniers de discriminer plus finement les premiers
de tels marchés réticulaires tentent de coupler efficacement des consommateurs
structurés en communautés de partage informations avec des hiérarchies pro
ductives évoluant vers des tissus industriels coopétitifs
Ces différentes contributions illustrent toutefois que quelques-uns des as
pects un domaine de recherche étendu dont exploration est loin être ache
vée. notamment parce que attention est ici concentrée sur les mo
dèles les plus traditionnels de intermédiation et parce que les analyses
proposées sont dominante théorique La pertinence de nombreux résultats reste
par conséquent tester

Hybridation du réel et du virtuel


importance des mutations dont Internet est le siège tient ce elles ne
sont confinées ni aux activités de réseaux ni même aux activés information
nelles en résulte une question centrale comment les modalités de gestion des
complémentarités et organisation des médiations propres aux activités infor
mationnelles en réseau articulent-elles avec les procédures de gestion opé
rantes dans les activités matérielles de économie Les modèles affaires
organisation ou intermédiation en gestation au sein de économie numé
rique ne sont pas en effet transposables en état aux activités réelles ana
lyse des processus hybridation entre les modèles émergents de économie

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Eric Brousseau Nicolas Curien

numérique et les modèles établis de économie maténelle constitue ainsi une


problématique de recherche essentielle pour comprendre la nature et les consé
quences des mutations en cours
Un angle attaque privilégié consiste étudier les modes de déploiement du
commerce électronique dans les activités traditionnelles En effet outre la
connaissance elle apporte sur les évolutions concrètes des formes organi
sation du secteur du commerce de la logistique et des transports ainsi que sur
les transformations des modèles de consommation une telle approche oblige
penser économie de intermédiation commerciale identifier les contraintes
auxquelles elle doit satisfaire évaluer les impacts elle exerce en amont sur
la structuration des filières de production en aval sur les prix et la qualité des
services offerts aux consommateurs Ces questions demeurent peu traitées dans
analyse économique où seule intermediation financière ici fait ob
jet investigations approfondies cet égard les contributions de ce numéro
suggèrent plusieurs intuitions potentiellement fécondes en même temps el
les révèlent le besoin de travaux empiriques Elles montrent aussi que les
contraintes de mise en uvre des nouvelles formes de distribution et des nou
veaux modèles affaires dans le domaine des biens et services forte com
posante matérielle ne se bornent pas des problèmes logistiques Des consi
dérations relatives au signalement la discrimination la sécurisation des
échanges ainsi la nature des services rendus aux consommateurs expli
quent le déploiement de réseaux de distribution multi-canaux et parallèlement
le foisonnement usages différenciés des techniques numériques sur ces diffé
rents canaux on observe pas une évolution généralisée vers un marché
électronique support de ensemble des transactions il importe de comprendre
les déterminants des modèles alternatifs de filières de distribution et expliquer
la disparité observée dans leurs degrés de numérisation
Pierre-Jean Benghozi met en évidence la diversité des structures pouvant ré
sulter des réorganisations en cours Certaines de ces structures sont appelées
imposer et autres décliner au gré des succès ou des échecs que rencontre
ront les stratégies acteurs visant approprier et associer entre elles un certain
nombre de fonctions essentielles la maîtrise des filières industrielles logistiques
et commerciales fonctions-pivots dont la coordination est devenue la clé des
nouveaux modèles de distribution Les indéterminations sont importantes car les
processus en cours sont profondément dépendants des cheminements suivis path
dependency appuyant sur analyse des expériences de la grande distribution
en matière de commerce électronique la contribution de Christian Licoppe
donne voir combien les stratégies de maîtrise des nouvelles filières de distri
bution se heurtent des contraintes cognitives et organisationnelles au sein des
firmes Les savoir-faire traditionnels ne sont certes pas obsolètes mais ils doi
vent être couplés de nouvelles compétences qui heurtent parfois de front les
logiques des organisations préexistantes Ou bien les distributeurs traditionnels
parviendront surmonter ces contradictions ou bien les fonctions au sein des
filières du commerce seront repartagées Eric Giraud-Heraud Louis Georges
Soler et Hervé Tanguy soulignent quant eux que les stratégies commerciales
des intermédiaires constituent également un déterminant important des évolu
tions observées en fonction des caractéristiques de offre et de celles de la
demande et surtout une combinatoire entre les deux émergent différents
types de stratégies et de réorganisations possibles chez les intermédiaires

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Revue économique

Transformations organisationnelles
Les mutations de intermédiation et des conditions de production et
échange des ressources informationnelles induisent au-delà de la transforma
tion des filières commerciales une restructuration des marchés des entreprises
et des filières activités qui se décline selon plusieurs dimensions organisa
tion du travail agencement des échanges mécanismes de décision distribution
spatiale des activités etc Bien avant avènement Internet des analyses ont
été consacrées ces évolutions et il est ailleurs pas toujours évident iden
tifier avec précision le rôle joué par la technologie Il apparaît dès lors utile de
procéder des études ciblées appuyant sur des travaux empiriques rigoureux
afin de élever au dessus des discours trop globalisants qui force de simpli
fication et de généralisation travestissent la nature et la complexité des chan
gements organisationnels
Outre celles qui ont été mentionnées propos de organisation des filières
commerciales plusieurs contributions de ce numéro démontrent intérêt de
telles approches empiriques Jean-Philippe Lesne et Jacques Mairesse intéres
sent au cas particulier des très petites entreprises) pour lesquelles Internet
constitue une modalité radicalement nouvelle accès aux technologies et aux
réseaux numériques Thomas Serval montre comment dans le secteur de la
finance les technologies numériques ont progressivement rapproché la presta
tion des services information et celle des services de transaction conduisant
une reorganisation des marchés de titres Enfin Alain Rallet détaille impact
potentiel Internet sur organisation spatiale des activités commerciales et la
morphologie urbaine
Ces différentes analyses étendent celles portant sur les modalités hybrida
tion entre les modèles organisationnels issus de économie numérique et ceux
dérivés de économie réelle une manière fondamentale économiste est
amené interroger sur le poids relatif des contraintes informationnelles par
rapport autres contraintes dans la détermination de organisation de éco
nomie Avec la contribution de école autrichienne au milieu du siècle dernier
et celle de économie de information partir des années 1980 les contraintes
informationnelles sont devenues le critère central dans analyse des formes
organisationnelles Les mutations actuellement constatées largement liées des
transformations dans la capacité gérer information sont occasion de tester
les avancées réalisées dans le domaine de les approfondir mais aussi de les
dépasser car autres contraintes jouent évidence un rôle essentiel en tant
que déterminants de efficacité et de la compétitivité des formes alternatives
organisation des activités

Enjeux institutionnels
Les nouveaux modèles organisationnels la fois parce ils comportent des
caractéristiques originales et parce ils se déploient dans un espace globalisé
appellent de nouvelles procédures de régulation et ce autant plus Internet
lui-même ouvre des perspectives inédites en matière efficacité des formes
alternatives de régulation Il en résulte des enjeux importants autour de la
conception du cadre institutionnel que réclame extension des réseaux numé
riques Dans ce numéro on intéresse en particulier aux évolutions de la sphère
monétaire et financière celles du cadre juridique et enfin idéologie qui
entoure et soutient le déploiement du réseau des réseaux

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Eric Brousseau Nicolas Curien

Ulrich Hege montre comment la nature particulière des activités informa


tionnelles alliée aux caractéristiques une économie innovation implique
des transformations dans les systèmes de financement des activités en particu
lier des investissements risqués Si le modèle de coordination désormais bien
connu entre capital-risqueurs et jeunes pousses constitue bien le mode de fi
nancement privilégié une économie innovation le capital-risque revêt des
toutefois des caractéristiques spécifiques et exige des techniques adaptées
il agit entreprises exer ant des activités marquées par des coûts fixes
des extemalités de réseaux ou la production de biens collectifs
David Bounie quant lui intéresse aux conséquences monétaires du dé
veloppement de monnaies électroniques sur Internet Dans son article il exa
mine la possible apparition une concurrence entre monnaies privées sur le
modèle de la banque libre en même temps il relativise la probabilité de
instauration effective une telle concurrence la fois parce des coûts non
négligeables viennent restreindre les marges de développement des monnaies
électroniques et parce que les autorités monétaires ne sont pas dénuées de
moyens intervention en direction opérateurs privatifs
Bruno Deffains et Philippe Fenoglio examinent de leur côté les mutations
juridiques potentiellement induites par Internet Les technologies numériques
permettent en effet de rendre des normes auto-exécutoires compris les normes
juridiques et la globalité du réseau établit une concurrence généralisée entre ces
normes En résulte la possibilité de mise en uvre un ordre juridique décen
tralisé reposant sur la concurrence entre des normes développées par des com
munautés virtuelles concurrence classiquement qualifiée autorégulation Eric
Brousseau revient sur cet aspect en mettant accent sur certaines limites Tout
abord puisque autorégulation repose sur une régulation par la concurrence
entre normes il importe assurer la viabilité de ce processus concurrentiel
Ensuite les normes définies de manière décentralisée ne doivent être ni incom
patibles entre elles contraires aux droits et intérêts essentiels de ceux qui ne
participent pas leur définition mais qui en subissent néanmoins les consé
quences du fait de la présence extemalités Il convient alors imaginer le
cadre institutionnel le mieux capable assurer une autorégulation efficace
Si le droit et la monnaie constituent deux institutions essentielles elles ne
sont pas les seules les institutions informelles jouent également un rôle essen
tiel dans les coordinations économiques North 1990] intérêt de la contri
bution de Patrice Flichy est expliquer comment en Californie notamment
est forgée idéologie de la nouvelle économie qui joué un rôle essentiel
dans la caractérisation des mutations observées autour Internet Sans elle il
aurait certes pas eu de bulle spéculative mais nous aurions aussi été privés
du formidable enthousiasme qui marqué la fin de la décennie 1990 et qui été
origine de tant innovations aussi bien techniques organisationnelles et
économiques
Ce sont précisément ces innovations qui justifient un numéro spécial de la
Revue économique leur soit consacré tant pour contribuer leur analyse que
pour signaler la véritable importance de économie Internet et des enjeux
elle suscite

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Revue économique

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