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net/publication/46518079
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All content following this page was uploaded by Eric Brousseau on 18 January 2016.
Résumé
Introductif à une série de contributions sur l'économie d'Internet, cet article a un triple objectif. On y rappelle tout d'abord
quelques faits et principes fondamentaux caractérisant la morphologie d'Internet, son fonctionnement, ses modalités de
régulation, ainsi que son histoire accélérée, qui a fait aujourd'hui de ce « réseau des réseaux » une plate-forme mondiale,
supportant aussi bien échanges informationnels que transactions commerciales. On y montre ensuite comment l'économie
propre au « système » Internet, en suscitant des relations et des coordinations originales entre les agents économiques et
les acteurs sociaux, agit comme un catalyseur de mutations dans la structure des marchés et celle des hiérarchies,
synthétisant - comme dans un laboratoire - le modèle d'une future économie numérique en cours de gestation. On y
dessine enfin le plan de travail des chercheurs théoriciens et empiristes qui aspirent à mettre au jour les ressorts
commandant les mécanismes à l'œuvre sur Internet et à en mesurer les impacts sur l'organisation et la croissance
économique.
Abstract
Internet economics, digital economics
As an introduction to a series of contributions about Internet economics, the present paper has three goals. We firstly
recall several basic facts and principles characterizing the morphology of the Internet, its operating system, its regulation
procedures, as well as its rapid success which today makes it the "net of nets" as well as a universal platform for
information exchanges and commercial transactions. Then we show how the economics of the "Internet system", by
creating original types of relationship and coordination between economic and social agents, acts as a catalyst generating
mutations in market structures and hierarchical settings, thus synthesizing, as in a laboratory, the scheme of an emerging
"digital economy". Finally, we draw up an agenda for the theoretical and empirical researchers in this field, aiming for a
better understanding of the Internet's dynamic driving forces and for a relevant assessment of its impact on economic
organization and growth.
Brousseau Eric, Curien Nicolas. Introduction : Economie d'Internet, économie du numérique. In: Revue économique.
Numéro Hors Série, 2001. Economie de l'Internet. pp. 7-36.
doi : 10.3406/reco.2001.410273
http://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_2001_hos_52_1_410273
économie du numérique
Ene Brousseau
Nicolas
INTRODUCTION
lité autrement dit plutôt que voir simplement en Internet une technologie
support facteur déterminant un nouveau type de développement économique
il avère plus fructueux analyser économie Internet stricto sensu comme
le germe ou incubateur une future économie numérique où seront exploitées
massivement les capacités de gérer information de manière décentralisée et sur
mesure Dans la dernière partie on se risquera dessiner le programme de
recherche que suscite le développement aux multiples facettes du réseau Inter
net ainsi que émergence concomitante une économique numérique on in
diquera comment les différents articles de ce numéro spécial ajoutant au
corpus foisonnant des publications consacrées économie Internet consti
tuent les premières pièces un puzzle encore largement en chantier dont la
figure ensemble commence seulement se laisser deviner
ECONOMIE INTERNET
QUELQUES PRINCIPES ET QUELQUES FAITS
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temps que la technologie des règles concernant les modalités usage du réseau
Leiner et al 2000] Par exemple en 1995 la Netiquette éthique du
Net prohibait tout usage du réseau pour des opérations commerciales
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définition des règles inclusion dans ces catégones influent sur les conditions
de la concurrence entre les opérateurs et donc terme sur la nature des services
et des usages
Compte tenu de ces enjeux et parce que les dispositifs techniques de gou-
vemance et de régulation Internet ne sont ni totalement légitimes ni parfai
tement complets les tats se sont progressivement immiscés dans la régulation
socio-économique du réseau Plus exactement tant Internet ne touchait
une communauté cohérente et fermée celle des scientifiques Etat amé
ricain et fortiori les autres tats ne se sont guère préoccupés intervenir dans
ce qui fonctionnait selon les règles propres cette communauté soumise de
toute manière en dernier ressort un contrôle étatique En revanche avec la
diversification des usages et des acteurs le besoin de compléter la régulation
technique afin organiser la concurrence de permettre le développement ac
tivités commerciales de protéger les citoyens etc. est fait fortement sentir
Comme le souligne Benkler 1999] une intense activité législative en résulté
au Congrès américain partir de 1995 Les tats membres de OCDE et ceux
de Union européenne suivirent de près ce mouvement partir de 1997-1998
Leur réflexe premier fut de vouloir étendre le champ application des régle
mentations existantes ainsi que le domaine de compétence des autorités char
gées de les rendre exécutoires Ce mouvement toutefois buté sur deux écueils
majeurs
une part la remise en cause des frontières entre industries héritées de
ère pré-numérique ne peut opérer sans délais sans heurts et sans incohéren
ces Internet constitue la plate-forme intégration de ensemble des technolo
gies de communication et de traitement de information ce qui tend inévita
blement brouiller les frontières traditionnellement établies entre les domaines
respectifs de la voix des données et de image est-à-dire en termes indus
triels entre les secteurs des télécommunications de informatique de audio
visuel et de édition Les activités Internet ont de ce fait été soumises des
réglementations multiples parfois contradictoires parfois simplement coûteu
ses et complexes articuler Il en résulte un environnement législatif et régle
mentaire en patch-work très sensible interprétation autorités adminis
tratives ou judiciaires qui se montrent le plus souvent déroutées par originalité
et la complexité technique Internet
autre part le caractère global et ouvert Internet est un facteur peu
propice établissement de régulations nationales Comme le montre la récente
affaire Yahoo non seulement il paraît difficile de rendre exécutoire la décision
un juge obligeant un portail interdire ses clients accéder certains
contenus mais se posent en outre des questions de conflit de droit Rappelons
que sur plainte associations anti-racistes et au nom de la loi dite Gayssot
condamnant apologie de la Shoah et le révisionnisme le juge fran ais sous
peine astreinte obligé Yahoo fournisseur un portail et moteur de recher
che interdire accès des intemautes fran ais via son site un site enchères
américain sur lequel sont vendus des objets nazis Or une telle décision pose des
problèmes techniques comment reconnaître en effet la nationalité des inter-
nautes et surtout comment bloquer accès il suffit de connaître URL
pour accéder aux contenus prosents Elle pose aussi un problème juridi
que quelle est la norme qui doit prévaloir entre un côté la conception
fran aise du contrôle de certains contenus et de autre la déontologie améri
caine de défense une liberté totale expression Le système juridique mon-
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dial est organisé sur une base territoriale Or Internet est atenitorial dans la
mesure où son architecture ignore la localisation géographique des opérations de
traitement de information les données véhiculées par le réseau empruntent
des chemins incontrôlables et les bases information consultées ou utilisées
peuvent être fragmentées ou dupliquées en plusieurs lieux de manière totale
ment invisible pour utilisateur voire même pour les administrateurs du réseau
En absence un ancrage géographique des opérations réalisées sur le réseau
les normes juridiques avèrent largement inopérantes
La préexistence de dispositifs de régulation Internet et leur incomplétude
les limites des approches étatiques traditionnelles leur manque de légitimité
face idéologie libérale et libertaire qui présidé au développement du Net
expliquent une approche dite de co-régulation se soit progressivement
imposée notamment sous impulsion de tat américain de OCDE et de
Union européenne
En fait partir du début des années 1990 les tats-Unis tentèrent imposer
un modèle autorégulation que les créateurs Internet comme les industriels
appelaient de leurs ux Il avéra néanmoins rapidement impossible de main
tenir cette logique compte tenu des conséquences Internet en matière de
propriété intellectuelle de sécurité nationale de libertés publiques etc Au-delà
il fallait aussi adapter le cadre législatif existant en matière de cryptographie de
droit de la preuve etc. pour permettre le développement activités économi
ques sur Internet notamment le commerce électronique Emergea ainsi progres
sivement idée de mettre en place une coopération entre tat et des organi
sations non gouvernementales pour la régulation Internet Cette coopération
comporte deux aspects une part une délimitation informelle des domaines de
responsabilité entre Etat et les NG impliqués en appliquant notamment le
principe de subsidiante autre part une forte implication des parties prenantes
Internet dans élaboration des normes étatiques en utilisant généralement les
moyens du réseau Les Européens adoptèrent emblée une approche de ce type
en tentant cependant de appuyer davantage que dans approche américaine
sur les institutions démocratiques légitimes
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chines ou les réseaux locaux des utilisateurs finals Internet en utilisant divers
réseaux de distribution locale réseaux téléphoniques et de télévision par câble
pour les particuliers réseaux spécialisés de toutes sortes pour les profession
nels et celui des administrateurs épines dorsales Backbones) qui intercon
nectent entre eux les FAI via des réseaux continentaux et intercontinentaux
haut débit Les FAI et les épines dorsales ils se concurrencent sont néanmoins
interconnectés entre eux afin assurer la connectivité générale du réseau
Les conditions interconnexion entre opérateurs de services Internet sont
complexes car deux dimensions interfèrent
Tout abord il agit accords verticaux composantes concurrentiel
les dans la mesure où les opérateurs sont la fois complémentaires et rivaux
un côté chacun donne accès un service de connectivité généralisée car les
utilisateurs veulent avoir accès des correspondants ou des contenus hébergés
par les autres réseaux un autre côté chacun cherche attirer le plus grand
nombre possible utilisateurs sur son propre réseau car la fonction de produc
tion présente un fort coût fixe
Ensuite les relations entre opérateurs sont marquées par de fortes exter-
nalités en raison de la décentralisation de administration du réseau Une fois
deux réseaux interconnectés leurs opérateurs respectifs en contrôlent plus
directement usage car la logique du protocole Internet fait que les paquets
information choisissent comme par eux-mêmes le chemin le plus efficace
pour atteindre leur cible en sélectionnant les composantes de réseau qui ne sont
pas saturées Dans ces conditions les capacités disponibles un opérateur
donné sont automatiquement utilisées ce qui peut dégrader la qualité des
services offerts ses propres usagers
Les éléments précédents se combinent pour soulever des problèmes originaux
en matière organisation industrielle Les relations entre opérateurs doivent en
particulier surmonter une dialectique coopération-concurrence qui se manifeste
en des termes autant plus brutaux il existe de nombreuses possibilités de
manipulation opportuniste des conditions de interconnexion Il en résulte une
grande variété de modes de gouvemance qui vont de instauration de modalités
gratuites interconnexion travers des accords ae peering destinés minimiser
les coûts de transaction une intégration verticale intemalisant les ex-
temalités en passant par diverses formules de tarification et arrangements
organisationnels Autant de stratégies qui questionnent la politique de la concur
rence car elles se situent dans un contexte où la logique des coûts fixes encou
rage la concentration
Notons enfin que ces caractéristiques ne sont pas uniquement propres aux
relations entre opérateurs Internet elles se retrouvent également dans les rela
tions entre prestataires de services informationnels ainsi que dans les rapports
entre prestataires informationnels et prestataires de services-réseaux
universalisation du réseau
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établit par ailleurs une distinction radicale entre la gestion des services-réseaux
et celle des réseaux physiques Internet puise sa force dans la base installée il
suffit de créer des passerelles entre les réseaux existants et Internet ou mieux de
mettre en uvre les standards Internet dans les réseaux existants pour que
ceux-ci deviennent une partie Internet
Un autre facteur essentiel de la réussite Internet réside dans son admi
nistration décentralisée Puisque on peut partir des standards Internet créer
des services réseaux et des services informationnels dont on contrôle les carac
téristiques et les accès Internet est une technologie de réseau éminemment
flexible un côté elle procure une connectivité généralisée instar de celle
qui est fournie par des réseaux vocation universelle comme le téléphone un
autre côté elle permet de gérer des clubs fermés ils soient intra-
organisationnels Intranets ou inter-oganisationnels Extranets la manière
dont le permettait la génération précédente de réseaux téléinformatiques en
revanche non dotés des mêmes capacités interconnexion
Enfin une dernière raison du succès Internet provient de impact que les
normes ouvertes ont exercé sur innovation et les prix Les standards Internet
se présentent en fait comme des logiciels ouverts En tant que standards ils sont
eux-mêmes dynamiques et ils intègrent en les rendant immédiatement acces
sibles ensemble des utilisateurs les avancées dans les technologies de la
communication protocole et du multimédia langage html Par ailleurs ces
standards sont eux-mêmes des normes interfa age permettant intégrer dans
le système Internet toute technologie spécifique qui les respectent La nature des
normes Internet ainsi facilité intégration des innovations dans le domaine du
traitement numérique de information ou dans les services appuyant sur ces
technologies Selon un effet accumulation du type boule de neige ces inno
vations ont été stimulées par la taille du marché engendré par les normes uni
verselles et ouvertes Enfin la convergence vers un réseau global en accroissant
le degré de concurrence poussé les prix la baisse accélérant encore la
diffusion des innovations
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des offres et des demandes les infomédiaires tel e-Bay développent cet
égard des compétences spécifiques et bénéficient économies échelle et en
vergure pour abaisser ces coûts
Enfin les marchés ne sont pas nécessairement plus transparents sur In
ternet Les études disponibles accordent pour montrer que les prix sont dis
persés ce qui relativise considérablement idée que les coûts de recherche
tendraient vers zéro Cela tient pour essentiel la capacité de man uvre
stratégique des offreurs qui cherchent différencier leur offre bloquer le
fonctionnement des moteurs de recherche comparatifs et mettre au point des
stratégies de captation de clientèles
Dans un tel contexte en quoi réside la spécificité Internet il devient
le support des coordinations économiques Trois composantes principales sem
blent se dégager
Premièrement son caractère universel fait Internet un média électronique
sur lequel peut intégrer intégralité de la coordination des filières depuis le
producteur de matières premières au consommateur final Dans le passé
intégration numérique de la coordination restait apanage des grandes entre
prises en raison du coût et de la complexité des technologies Il en résultait des
ruptures de charge qui ont plus de raison être hui en effet des
coordinations peuvent être réalisées et des services informationnels peuvent
êtres produits en faisant interagir en temps réel et avec toute la puissance des
technologies numériques ensemble des acteurs entre lesquels existent des
interdépendances En termes concrets ceci potentiellement trois effets
abord une reconfiguration ré-engineering de filières entières capables de se
réorganiser pour répondre de manière plus efficace des consommateurs finals
dont les besoins spécifiques peuvent être mieux per us et que des modalités plus
flexibles de coordination permettent de mieux satisfaire ensuite une extension
des capacités interaction des agents économiques alternativement offreurs et
demandeurs du fait de la capacité de chacun entrer plus facilement aupa
ravant en contact avec un plus grand nombre de partenaires enfin une réor
ganisation des intermédiations
Deuxièmement le caractère multimédia Internet en fait le vecteur une
offre de services informationnels aux fonctionnalités multiples intégration du
traitement des données du son et de image couplée la faculté de gérer
sur-mesure les flux de communication permet aux producteurs quelles que
soient leurs prestations de fournir des services informationnels enrichissant
leur offre Il en résulte une grande variété de stratégies de communication de
différenciation et de discrimination
Troisièmement la finesse du contrôle des échanges information sur les
réseaux numériques fédérés par Internet permet instaurer de nouvelles moda
lités interaction entre les agents économiques Ces modalités tournent autour
du partage de information selon des procédures hybrides mêlant la diffusion
gratuite sans contrepartie et la diffusion payante Ceci donne lieu émergence
de nouveaux modèles affaires mais aussi de communautés au sein des
quelles le partage de information est organisé sous la contrainte de règles
spécifiques destinées éviter les comportements de passager clandestin et
assurer le recouvrement des coûts fixes
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les économies post-industrielles Nous avan ons ici hypothèse que ce pro
cessus réside dans une dissociation entre information et son support physique
mouvement fort ancien Internet exacerbe Avant apparition de écriture
information était indiscernable de la parole qui seule pouvait la véhiculer
avant invention de imprimerie information scripturale était rigidement liée
au support sur lequel elle était inscrite était communicable que si ce support
était lui-même cédé depuis Gutenberg le livre composé permis la replication
de information moindre coût et donc sa diffusion plus large tout en main
tenant un lien physique entre information et une marchandise support et il en
va de même pour le disque le CD le DVD etc hui ce lien est rompu
Internet permettant la circulation de contenus information textes sons ima
ges débarrassés de la gangue de tout contenant Cette dématérialisation
touche non seulement les biens informationnels stricto sensu mais aussi par
contagion une part de plus en plus importante de ensemble des biens et
services dont le contenu informationnel va croissant Pour ces biens non pure
ment informationnels il pas bien sûr dématérialisation proprement
parler mais plutôt association flexible et modulaire de contenus informationnels
et de logiciels avec des contenants physiques vanes
Cette évolution du couplage entre contenant et contenu est porteuse de consé
quences économiques importantes qui affectent aussi bien les conditions de
offre que celles de la demande
Du côté de offre on assiste un double mouvement une part de
commoditisation des briques de base de la production banalisées et faible
contenu informationnel et autre part de servicisation des produits pro
posés aux consommateurs finals composés des commodités enrichies une
valeur ajoutée contenu informationnel fort et différencié En amont la pro
duction des commodités ainsi que la R&D nécessaire la mise au point des
contenus engendrent des coûts fixes élevés en aval assemblage et la distri
bution des paquets de services effectuent un coût marginal faible Il en
résulte une fonction globale de production rendements fortement croissants
très éloignée des caractéristiques habituelles une économie de marché et se
rapprochant davantage de celles une économie publique
Du côté de la demande les biens informationnels et par extension les
biens fort contenu informationnel présentent les caractères fondamentaux de
non-rivalité et de non-exclusion propres aux biens publics un agent qui
cède un bien informationnel en est pas privé pour autant ou du moins
consent un coût opportunité très faible vis-à-vis de utilité transférée ac
quéreur et un grand nombre agents peuvent dans la limite des effets en
combrement consommer simultanément et en totalité un même bien informa
tionnel En outre les biens informationnels sont généralement la source effets
de club considérables créant des économies échelle de demande qui en
ajoutant aux économies échelle offre favorisent émergence un stan
dard dominant suivie effets de monopolisation
Ainsi après le paradoxe de Solow un second paradoxe de économie nu
mérique pourrait-il être énoncé Les TIC améliorent les instruments qui de
vraient en théorie favoriser un fonctionnement plus efficace une économie de
marché mais elles suscitent en realité émergence une économie publique
Pour dépasser ce paradoxe une première voie évidente est celle du retour en
ardere ce que la technologie fait la technologie peut le défaire Si les TIC
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Infomediation
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Trames coopératives
En dépit de ces diverses incertitudes il est vraisemblable que naîtront de
nouvelles formes de coordination réticulaire intermédiaires entre marché et
hiérarchie conciliant flexibilité et stabilité en effet en même temps elles
permettent la réalisation de rapports plus élastiques que la subordination hié
rarchique les interactions en réseau garantissent une certaine stabilité en fa
vorisant des coopérations initialement spontanées puis maintenues comme des
équilibres de jeu répété cet égard deux exemples méritent attention
En matière de gestion de innovation un dilemme oppose classique
ment un côté intégration verticale de chaque firme et de sa propre unité de
recherche de autre la séparation entre un centre de recherche partagé par
plusieurs firmes et des unités de production en concurrence Le dilemme se
traduit par un arbitrage entre un risque latent de stérilisation une recherche
trop asservie des finalités commerciales de court terme encouru dans le pre
mier cas et un risque de rupture entre recherche fondamentale recherche ap
pliquée et développement supporté dans le second La situation notamment
observée dans la Silicon Valley démontre la possibilité une structure hybride
dans laquelle la recherche est réalisée par un vivier déjeunes pouces start-up)
qui meurent en cas échec sont rachetées ou croissent en cas de succès Dans
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ce modèle sont évités les inconvénients et réunis les avantages respectifs des
deux structures habituellement opposées une part utilité sociale de la re
cherche et la continuité de la chaîne R&D sont garanties par le fonctionnement
décentralisé et biologique du vivier en osmose avec son environnement
industriel autre part la mobilisation du capital risque constitue un mode de
mutualisation des coûts fixes de la recherche fondamentale alternatif celui qui
serait réalisé par la création un centre commun et permettant de fa on simi
laire que voient le jour des projets radicalement novateurs
En matière de production de logiciels le phénomène des logiciels ouverts
open source constitue un cas exemplaire de coopération souple entre plusieurs
types acteurs travers Internet abord des développeurs uvrant de
manière spontanée ouverte et bénévole en apparence car obéissant en fait des
stratégies de signalement motivées par la perspective une future embauche
lucrative ensuite des testeurs utilisateurs avertis affût des bugs détec
tant des défauts et des insuffisances formulant des demandes amélioration et
bénéficiant ce titre une nù disposition gratuite des logiciels enfin des
entreprises de commercialisation assurant une mise en service payante auprès
de la masse des utilisateurs ordinaires
Ces différents modes de couplage économique successivement évoqués
propos des relations entreprises-clients puis des relations interentreprises trou
vent également leur traduction dans les relations infra-entreprise De même que
les relations verticales ou horizontales entre les firmes laissent place des
relations en réseau de même se transforment les relations de travail entre agents
au sein de la firme cet égard le facteur susceptible être modifié en pro
fondeur par les TIC en réseau est celui de la gestion des connaissances et des
savoirs au-delà de la gestion des seules informations La rupture entre une
part informatique de gestion traditionnelle dont les ERP Enterprise Ressource
Planning constituent la forme la plus évoluée et autre part informatique de
gestion communicante dont les supports sont les Intranets et les ASP Applica
tion Service Providers) réside dans la capacité de cette dernière accepter des
routines de gestion évolutives construites autour de la création et de échange
de savoirs reliés la réalisation de projets Alors que les outils classiques de
informatique de gestion sont con us dans un esprit amélioration de effi
cacité travers la formalisation de procédures préétablies la vocation des outils
en réseau correspond plutôt une optique de flexibilité dans laquelle la connais
sance est pas un construit exogène mais élabore de manière endogène et
adaptative en fonction des besoins temporaires et changeants des utilisateurs
Les logiciels de groupware basés sur des algorithmes neuro-mimétiques ap
portant aux utilisateurs en mode push les données qui semblent les plus perti
nentes en fonction des contenus ils échangent constituent une illustration
de ce type outils Le développement de tels instruments au sein des organi
sations pourrait non seulement assister et structurer les flux de travail work-
ow) mais encore contribuer la formalisation de savoirs tacites la transfor
mation de savoir-faire know how en savoir knowledge) accumulation un
capital immatériel de connaissance qui dans économie numérique tend
devenir un actif essentiel des entreprises
Les analyses précédentes montrent quel point la vision selon laquelle In
ternet et les TIC rendraient les marchés plus fluides et les hiérarchies plus effi
caces est erronée parce que trop naïvement inspirée une représentation mé-
caniste et cybernétique de la notion de réseau En réalité les marchés ne sont pas
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rendus plus fluides Les marchés finals se segmentent au contraire tendant vers
un marketing de type one to one voire une production la demande Quant
aux marchés intermédiaires ils se réorganisent autour assembleurs qui se
posent en monopsones vis-à-vis des producteurs de commodités Les hié
rarchies ne sont pas rendues moins bureaucratiques organisation et objectifs
inchangés mais elles glissent de la recherche de efficacité vers celle de la
flexibilité de automatisation des procédures vers la génération de routines
adaptatives de la mise en uvre un système information vers accumula
tion un capital de connaissance cosystèmes de consommateurs vi
viers entreprises entretenant des relations mi-concurrentielles nu-
coopératives sélection adaptative de routines et de savoirs autant
expressions suggérant que la métaphore la plus pertinente pour évoquer le rôle
des réseaux dans économie numérique est vraisemblablement celle du vivant
plutôt que celle de la machine
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mission et enfin les coûts engendres par son assimilation et son utilisation
Internet par sa nature même tend engendrer des coûts du premier et du
troisième type en même temps il tend réduire les coûts du deuxième type
En conséquence économie numérique ne sera certes pas une économie
exempte de coûts information mais au contraire une économie où la valeur se
créera et accumulera dans la transformation coûteuse information en
connaissance est-à-dire en savoir mobilisable par les acteurs dans une pers
pective stratégique or cette transformation est un processus collectif nécessi
tant une mise en réseau globale des agents économiques qui serait irréalisable
si Internet offrait précisément une telle interconnexion un coût faible et avec
une très grande flexibilité
Dans les pages qui précèdent nous nous sommes attachés montrer comment
les caractéristiques odgina Internet font de ce réseau et des activités il
supporte un laboratoire de nouvelles formes organisation des activités éco
nomiques Bien entendu ces innovations organisationnelles découlent aussi
évolutions plus générales et apparition comme la diffusion Internet sont
elles-mêmes le fruit des transformations économiques et sociales qui ont marqué
la seconde moitié du XXe siècle Il demeure Internet représente sans nul doute
une inflexion dans ces évolutions Sa plasticité sa transversalité ainsi que sa
sélectivité en matière de gestion de information lèvent en effet beaucoup de
contraintes en matière de définition et de coordination des prestations informa
tionnelles Par ailleurs le retentissement donné la diffusion de cette techno
logie incité un très grand nombre acteurs en saisir pour innover dans de
multiples domaines de la vie économique et sociale Ceci contribué une
part accélérer le rythme de innovation dans les usages autre part en
gendrer des combinatoires inédites par exemple dans les rapports entre offre
et la demande
Telles sont les raisons pour lesquelles Internet mérite sans conteste attention
des économistes et ceci au-delà des seuls spécialistes de économie des ré
seaux Même il ne bouleverse pas les lois fondamentales de économie In
ternet provoque des mutations dans les mécanismes qui la régissent et conduit
ainsi repenser nombre de questions parce que certaines contraintes effacent
parce que le déploiement du réseau accompagne de nouvelles pratiques parce
il convient inventer les modalités les plus efficaces de production et
usage des infrastructures et des ressources informationnelles Dans ce
contexte plusieurs domaines de recherche peuvent êtres identifiés
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Transformations organisationnelles
Les mutations de intermédiation et des conditions de production et
échange des ressources informationnelles induisent au-delà de la transforma
tion des filières commerciales une restructuration des marchés des entreprises
et des filières activités qui se décline selon plusieurs dimensions organisa
tion du travail agencement des échanges mécanismes de décision distribution
spatiale des activités etc Bien avant avènement Internet des analyses ont
été consacrées ces évolutions et il est ailleurs pas toujours évident iden
tifier avec précision le rôle joué par la technologie Il apparaît dès lors utile de
procéder des études ciblées appuyant sur des travaux empiriques rigoureux
afin de élever au dessus des discours trop globalisants qui force de simpli
fication et de généralisation travestissent la nature et la complexité des chan
gements organisationnels
Outre celles qui ont été mentionnées propos de organisation des filières
commerciales plusieurs contributions de ce numéro démontrent intérêt de
telles approches empiriques Jean-Philippe Lesne et Jacques Mairesse intéres
sent au cas particulier des très petites entreprises) pour lesquelles Internet
constitue une modalité radicalement nouvelle accès aux technologies et aux
réseaux numériques Thomas Serval montre comment dans le secteur de la
finance les technologies numériques ont progressivement rapproché la presta
tion des services information et celle des services de transaction conduisant
une reorganisation des marchés de titres Enfin Alain Rallet détaille impact
potentiel Internet sur organisation spatiale des activités commerciales et la
morphologie urbaine
Ces différentes analyses étendent celles portant sur les modalités hybrida
tion entre les modèles organisationnels issus de économie numérique et ceux
dérivés de économie réelle une manière fondamentale économiste est
amené interroger sur le poids relatif des contraintes informationnelles par
rapport autres contraintes dans la détermination de organisation de éco
nomie Avec la contribution de école autrichienne au milieu du siècle dernier
et celle de économie de information partir des années 1980 les contraintes
informationnelles sont devenues le critère central dans analyse des formes
organisationnelles Les mutations actuellement constatées largement liées des
transformations dans la capacité gérer information sont occasion de tester
les avancées réalisées dans le domaine de les approfondir mais aussi de les
dépasser car autres contraintes jouent évidence un rôle essentiel en tant
que déterminants de efficacité et de la compétitivité des formes alternatives
organisation des activités
Enjeux institutionnels
Les nouveaux modèles organisationnels la fois parce ils comportent des
caractéristiques originales et parce ils se déploient dans un espace globalisé
appellent de nouvelles procédures de régulation et ce autant plus Internet
lui-même ouvre des perspectives inédites en matière efficacité des formes
alternatives de régulation Il en résulte des enjeux importants autour de la
conception du cadre institutionnel que réclame extension des réseaux numé
riques Dans ce numéro on intéresse en particulier aux évolutions de la sphère
monétaire et financière celles du cadre juridique et enfin idéologie qui
entoure et soutient le déploiement du réseau des réseaux
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RENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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