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D IC T IO N N A IR E

DE

T H É O L O G IE C A T H O L IQ U E
CONTENANT

L ’E X P O S É DES D O C T K IN E S DE LA T H É O L O G IE C A T H O L IQ U E

LE U R S PREUVES ET LEUR H IS T O IR E

C O M M E N C É SO U S L A D IR E C T IO N D E

A. VACANT E. MANGENOT
PR O FESSEU R A U G R A N D S E M IN A IR E D E N A N C Y PR O FESSEU R A L ’IN S T IT U T C A T H O L IQ U E D E P A R IS

C O N T IN U É SO U S C E L L E D E

É. AMANN
PR O FE SSEU R A LA FA C U LTÉ D E T H É O L O G IE C A T H O L IQ U E D E L ’U N IV E R S IT É D E STR A SBO U R G

A V EC LE C O N C O U R S D ’U N GRAND NOM BRE DE C O LL A B O R A TE U R S

TOM E C IN Q U IÈM E
P R E M IÈ R E P A R T IE

ENCHANTEMENT - EUCHARISTIE

P A R IS -V I
L IB R A IR IE LETOUZEY ET ANE
87, B o u l e v a r d R a s p a il , 87

1939
T O U S D R O IT S R É SE R V É S
D ICTIO NN A IRE
DE

T H É O L O G IE C A T H O L IQ U E

{suite)

E N C H A N T E M E N T. — I. N otion. II. Existence. qui les rendait insensibles au tranchant du cim eterre,
III. O rigine. IV. Espèces. V . C ondam nation. de sorte qu ’ il fallut les assom m er pour les faire
I. N o t io n . — A considérer l ’ étym ologie de ce m ot m ourir.
(in,cantatio), on entend par enchantem ent J ’ art d ’ opé ­ O n raconte que l ’ enchanteur M erlin, à l ’ aide de
rer des prodiges par des chants ou par des paroles. certaines évocations, transform ait une dam e en
A cette pratique se rapportent les charmes, expression oiseau et de celui-ci faisait réapparaître la pauvre pri ­
dérivée de carmen, qui signifie : vers, poésie, chanson. sonnière, évoquait les m orts, rendait les chevaliers
La m agie étant l ’ art d ’ opérer des choses m erveil ­ invulnérables, changeait en un clin d ’ œ il une chau ­
leuses et qui paraissent surnaturelles sans l ’ inter ­ m ière en palais.
vention de D ieu, il est m anifeste que l’enchantement III. O r ig i n e . — 11 est certain que l ’ on peut, sans
n ’ est qu ’ une espèce particulière de m agie; celle-ci, recourir à aucun pouvoir occulte, enchanter les ser ­
en effet, com prend : les charm es, les enchantem ents, pents. D ans les Indes, il y a des hom m es qui les
la divination, les évocations, la fascination, les m a ­ prennent au son du flageolet, les apprivoisent, leur
léfices, les sorts ou sortilèges. T outes ces pratiques apprennent à se m ouvoir en cadence. En É gypte,
sont différentes, soit par le m oyen m is en œ uvre, soit plusieurs les saisissent avec intrépidité, les m anient
par le résultat im m édiat à obtenir. R envoyant à sans danger et jonglent avec eux. Le secret de cet art
à l ’ article M a g i e les recherches historiques, les études est conservé dans certaines fam illes égyptiennes,
critiques, les considérations théologiques et m orales appelées psylles.
qui concernent les pratiques de m agie en général, La B ible fait plusieurs fois m ention des enchante­
nous nous bornons ici à l ’ exposé de ce qui est propre ments et des enchanteurs. D ans le ps. l v i i , 5,6. D avid
à l ’ enchantem ent. com pare le pécheur endurci à l ’ aspic et au serpent qui
II. E x is t e n c e . — U ne des erreurs que l ’ on trouve se bouchent les oreilles pour ne pas entendre la voix
répandues dans presque toutes les form es du paga ­ de l’enchanteur. Le texte hébreu porte «la voix des
nism e était de croire qu ’ il y avait des paroles efficaces, sifjleurs », parce que l ’ enchanteur captive le serpent
des chants m agiques par lesquels on pouvait opérer en sifflant ou en chuchotant une conjuration plus ou
des choses m erveilleuses et surnaturelles, en appa ­ m oins intelligible. L ’ Ecclésiaste, x, 11, com pare le
rence du m oins. D ans toutes les religions anciennes, m échant au serpent qui m ord lorsqu ’ il n ’ est pas em ­
le m agicien jouait un rôle im portant. N os pères qui pêché par le charm e. LaV ulgate traduit le m ot hébreu
croyaient si vivem ent aux fées, m êlaient aux histoires, par « en silence », m ais elle ne rend pas le sens de
récits et légendes, des enchantem ents. Les traditions l ’ original. V oir Dictionnaire de la Bible de M . V igou ­
populaires en regorgent, les rom ans de chevalerie, reux, art. Charme, t. u, col. 594; Charmeurs de ser­
les chroniques du m oyen âge en sont rem plis. N ous pents, col. 595-597. Jérém ie, vin, 17, m enaçant son
n'aurions que l ’ em barras du choix, pour en allonger peuple au nom de D ieu de grands châtim ents, lui
dém esurém ent et inutilem ent cet article. dit : « Je vais envoyer contre eux des serpents et des
O n voyait, au rapport de Léon l ’ A fricain, tout en vipères contre lesquels il n ’ y a pas de charm es et ils
haut des principales tours de la citadelle de M aroc, vous m ordront. · Isaïe, ni, 3, appelle le charm eur :
trois pom m es d ’ or d ’ un prix inestim able, si bien « celui qui connaît les charm es. » La V ulgate traduit
gardées par enchantem ent, que les rois de Fez n ’ y ont prudentem eloquii mystici. Saint Jérôm e, In Is., ni,
jam ais pu toucher, quelques efforts qu ’ ils aient 3, P. L., t. xxiv, col. 62, dit qu ’ il traduit ainsi d ’ après
faits. Sym m aque et ajoute que Théodotion et A quila tra ­
M arco Polo conte que des T artares, ayant pris huit duisent justem ent par prudent enchanteur; eloquium
insulaires de Zipangu, avec qui ils étaient en guerre, mysticum doit donc s ’ entendre du charm e. Diction­
se disposaient à les décapiter, m ais ils n ’ y purent naire de la Bible de M . V igouroux, loc. cil.
parvenir, parce que ces insulaires portaient au bras O utre les serpents, il y a plusieurs espèces d ’ oiseaux
droit, entre cuir et chair, une petite pierre enchantée et d'autres anim aux que l ’ on peut attirer, endorm ir
D IC T . D E T H É O L . C A TH O L. V. — 1
3 E N C H A N TE M EN T — E N C R A T IT E S

ou apprivoiser par des sifflem ents ou par les inflexions de pratiques superstitieuses. C itons les conciles de
de la voix. Q uoique ces procédés soient très naturels, Laodicée de 366, can. 36, voir H efele, Histoire des
ils ont dû paraître m erveilleux aux ignorants. O n a conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 1018, celui d ’A gde de
vu des voyageurs ayant pris des oiseaux à la pipée 506, can. 42, H efele, t. n, p. 997. le concile in Trullo
être traités par les sauvages com m e des enchanteurs. de 692, a. 61, H efele, t. m , p. 570, le concile de R om e
D ans ces m om ents d ’ adm iration, il n ’ a pas été diffi­ de 721, can. 12. Ibid., p. 597. Les capitulaires de
cile à des hom m es rusés d ’ en im poser aux sim ples, C harlem agne et plusieurs conciles postérieurs, le
de leur persuader que, par des chants ou des paroles pénitentiel rom ain ont frappé d ’ anathèm e et ont
m agiques, on pouvait guérir les m aladies, détourner soum is à une pénitence rigoureuse, tous ceux qui
les orages, rendre la terre fertile, etc., aussi aisém ent auraient recours à la magie, de quelque espèce qu ’ elle
que l ’ on rendait dociles les serpents et autres ani ­ fût.
m aux. Il n ’ en fallut pas davantage pour établir l ’ opi ­ Ce serait une erreur flagrante de soutenir que les
nion du pouvoir surnaturel des enchanteurs. Ce pou ­ prohibitions et les censures de l ’ Église sont précisé ­
voir préternaturel a-t-il réellem ent existé? V o îc M a g i e . m ent ce qui a donné plus d ’ im portance à ces pra ­
D ans l ’ E xode.vn, vin, lorsque M oïse fit des m iracles tiques; que l'on aurait désabusé plus efficacem ent les
en É gypte, il est dit que les m agiciens de Pharaon peuples, si l ’ on avait eu recours à l ’ histoire naturelle
« firent des œ uvres sem blables par des enchantem ents et à la physique. M ais c ’ est cette étude m êm e, m al
et des pratiques secrètes. » Ces pratiques pouvaient dirigée, qui avait été la source du m al. Le polythéism e
être des m oyens naturels, des tours de m ain capables qui avait peuplé l ’ univers d ’ esprits, de génies, de dé ­
d ’ en im poser aux spectateurs. Y eut-il du surnaturel m ons, les uns bons, les autres m auvais, était né de
dans leurs opérations, rien ne nous oblige de le sup ­ faux raisonnem ents et de fausses observations de la
poser et le récit de la B ible sem ble plutôt prouver le nature; le christianism e, en établissant la croyance en
contraire. V oir Dictionnaire de la Bible, t. il, col. 597. un seul D ieu, sapait cette erreur par la base. Les su ­
T outes les superstitions étaient une conséquence perstitions auraient été plus tôt détruites, si les bar ­
naturelle du polythéism e et de l ’ idolâtrie : les philo ­ bares du N ord, tous païens, ne les avaient pas fait re ­
sophes païens en ont été infatués aussi bien que le naître dans nos contrées. La religion a plus contribué
peuple.O n adm ettait généralem ent, dans le paganism e, à déraciner les superstitions de la m agie que l ’ étude
qu'un hom m e pouvait avoir com m erce avec les génies de la physique; les sim ples sont incapables de cette
ou dém ons que l ’ on adorait com m e des dieux, et obte ­ étude, m ais ils sont très capables de croire en un seul
nir de ceux-ci des connaissances supérieures ou opérer D ieu. V oir M a g i e .
par leur recours des choses prodigieuses. Telle est la C . A n t o in e .
prem ière origine des différentes espèces de m agie. E N C R A TIT E S . — I. O rigine. II. D octrine. III.
IV . E s p è c e s . — O n a cru que par certaines for ­ O pposition à l ’ encratism e hérétique.
m ules d ’ invocation, per carmina, l ’ on pouvait faire I. O r ig i n e . — 1 ° L ’ascétisme chrétien. — L ’ ascétism e,
agir les génies, c ’ est ce que l ’ on a nom m é charmes ; les quand il est inspiré par des m otifs raisonnables et dans ·
attirer par des chants ou par le son des instrum ents le but de réfréner les passions, de m ortifier la chair,
de m usique, ce sont les enchantements; évoquer les d ’ expier le péché et de pratiquer la vertu, ne peut être
m orts et converser avec eux, c ’ est la nécromancie; que recom m andé. D e tout tem ps il a été pratiqué par
apprendre 1 ’ avenir et connaître les choses cachées, certains hom m es, m êm e en dehors du judaïsm e et du
ce sont les différentes espèces de divination (augures, christianism e. C lém ent d ’A lexandrie rappelle qu ’ avant
aruspices); envoyer des m aladies ou causer du dom ­ les encratites, les allobiens, chez les Sarm ates, n ’ ha ­
m age à ceux auxquels on veut nuire, ce sont les bitaient pas les villes, n ’ avaient ni toit ni dem eure,
maléfices; nouer les enfants et les em pêcher de croître, se revêtaient de sim ples écorces d ’ arbres, ne m angeaient
c ’ est la fascination; diriger les sorts bons ou m auvais, que des glands et des baies, ne buvaient que de l ’ eau
et les faire tom ber sur qui l ’ on veut, c ’ est ce que nous et n ’ usaient pas du m ariage, Strom., I, 15, P. G.,
nom m ons sortilèges ou sorcellerie; inspirer des pas ­ t. vin, col. 780; que les brahm anes et ceux qu ’ on appe ­
sions crim inelles aux personnes de l ’ un ou l ’ autre lait les vénérables, σεμνοί, parm i les Indiens, prati ­
sexe, ce sont les philtres, etc. T out cela dérive de quaient de sem blables m ortifications et d'autres encore.
l ’ erreur fondam entale du paganism e : l ’ existence de Strom., Ill, 7, col. 1164. E t certes, Jésus-Christ et ses
génies bons ou m auvais, sortes de divinités infé ­ apôtres ne s ’ étaient pas fait faute, com m e en té ­
rieures, pouvant agir sur les hom m es æ t se m ettre m oignent abondam m ent les Évangiles et les É pîtres,
à leur service. de recom m ander l ’ ascétism e sous de m ultiples form es.
V . C o n d a m n a t io n . — A l'époque de la prédica ­ E t les prem iers chrétiens, dociles à de tels enseigne ­
tion de l ’ Évangile, la m agic et les prestiges de toute m ents, le pratiquèrent com m e il convient, car rien
espèce étaient com m uns parm i les païens et chez les ne cadre m ieux avec les principes de la vie chrétienne,
juifs; les basilidiens et d ’ autres hérétiques en fai­ qui est une vie de m ortification.
saient profession. C onstantin, devenu chrétien, ne 2° Premiers dangers. — M ais, m algré les plus sages
défendit d ’ abord que la m agie noire et m alfaisante, réserves, des excès étaient à craindre, m êm e en cette
les enchantem ents pour nuire à quelqu ’ un; il n ’ éta ­ m atière, m êm e chez des baptisés; et surtout d ’ autres
blit aucune peine contre les pratiques destinées à m otifs que ceux d ’ une foi éclairée et d ’ une m orale
produire du bien. M ais les Pères de l ’ Eglise s ’ élevèrent bien réglée pouvaient y pousser; d ’ autres m aîtres que
fortem ent contre toute espèce de m agie. Ils firent les représentants légitim es de l ’ Église pouvaient en
voir que non seulem ent ces pratiques étaient vaines être les inspirateurs suspects. O n l ’ avait bien vu du
et absurdes, m ais que si elles produisaient quelque tem ps des apôtres, puisque saint Paul écrivait à Ti ­
effet, ce ne pouvait être que par l ’ opération du dém on ; m othée : » L ’ E sprit dit clairem ent que dans les tem ps
qu ’ y avoir recours ou y m ettre sa confiance, c ’ était un à venir, certains abandonneront la foi, pour s ’ attacher
acte d ’ idolâtrie, une espèce d ’ apostasie du christia ­ à des esprits séducteurs et à des doctrines diaboliques,
nism e. Ils recom m andèrent aux fidèles de ne point em ­ enseignées par d ’ hypocrites im posteurs qui ont la
ployer d ’ autres m oyens pour obtenir les bienfaits de m arque de flétrissure dans leur propre conscience,
D ieu, que la prière, le signe de croix, les bénédic ­ qui proscrivent le m ariage et l ’ usage d ’ alim ents que
tions de l ’ Église. Plusieurs conciles confirm èrent, par D ieu a créés afin que les fidèles et ceux qui ont connu
leurs décrets,, les leçons des Pères et prononcèrent la vérité en usent avec actions de grâces. C ar tout ce
l'excom m unication contre tous ceux qui useraient que D ieu a créé est bon, et l ’ on ne doit rien rejeter de
5 E N C R A T IT ES β

ce qui se prend avec actions de grâces, parce que tout d'encratites qu ’ ils revendiquaient, Ιγκρατεϊς d ’ après
est sanctifié par la parole de D ieu et par la prière. » saint Irénée, Conl. hær., i, 28, P. G., t. vu, col. 690,
I Tim ., IV, 1-5. O r, les esprits séducteurs et les im pos ­ έγκρατηταί d ’ après C lém ent d ’ A lexandrie, Pœd., n,
teurs hypocrites ne m anquèrent pas, surtout parm i les 2, P. G., t. vin, col. 429, ou έγκρατϊται d'après les
gnostiques. D éjà, au sein du judaïsm -, les esséniens Philosoph >umena, V III, vu, 20, loc. cit., devint le m ot
avaient fait un schism e et recrutaient m aintenant des usuel pour désigner dans un sens péjoratif ceux dont
adeptes parm i les judéochrétiens, au grand détrim ent l ’ ascétism e était regardé com m e entaché d ’ hérésie,
de l ’ unité. D ’ autre part, l ’ hypothèse prônée com m e parce qu ’ ils pratiquaient la continence par esprit
un principe certain et indiscutable que la m atière est d ’ im piété et de haine, εγκράτειαν διά δνσσεβεία; καί
d ’ essence m auvaise, que dès lors elle ne peut être φιλαπεχΟημοσΰνης καταγγείλουσι. C lém ent d'A lexan ­
l ’ œ uvre de D ieu, m ais celle d ’ un dém iurge, devait drie. Strom., Ill, 5, P. G., t. vin, col. 1144. La doc­
aboutir à des conclusions théoriques et pratiques inac ­ trine qu ’ ils professaient, c ’ est qu ’ il faut s ’ abstenir de
ceptables. C ’ est ainsi que C erdon et surtout M arcion, viande et de vin dans l ’ alim entation et de tout rapport
au ti° siècle, en firent une application im pudente et conjugal dans le m ariage. Pourquoi? Pour pratiquer
odieuse. Ils enseignaient, en effet, que le. dém iurge la m ortification. Pourquoi encore? Pour ne point par ­
n ’ est autre que le D ieu des Juifs, le Jéhovah de la ticiper à l ’ œ uvre essentiellem ent m auvaise du dé ­
B ible, adversaire du D ieu vrai et bon, et que Jésus- m iurge. Les m otifs d ’ une telle abstention et d ’ une
C hrist, le Sauveur, n ’ est venu que pour contrecarrer telle continence étaient donc suspects. Fidèles aux
l ’ œ uvre de ce dém iurge ainsi que pour rétablir les enseignem ents de saint Paul, les époux chrétiens
droits du D ieu bon. D e naïfs chrétiens se rencon ­ des prem iers tem ps savaient garder la continence
trèrent pour se laisser prendre à de telles erreurs; et sans pour quelques jours afin de vaquer plus librem ent à
tom ber tout d ’ abord dans une hérésie nettem ent ca ­ la prière;m ais les nouveaux sectaires prétendaient que
ractérisée, ce qui du reste ne pouvait guère tarder, l ’ exception devait être la règle et qu ’ une continence
ils introduisirent pratiquem ent une m anière de vivre absolue s ’ im posait à tous et toujours pour m ieux
qui, dépassant l'enseignem ent de l ’ Évangile et la com battre l ’ im pureté, et ses funestes effets. D ans ces
doctrine de l ’ Église, tendait à donner aux sim ples conditions, à quoi bon le m ariage? Il n ’ était plus un
conseils évangéliques la valeur de prescriptions ri ­ rem ède approprié à la faiblesse de l ’ hom m e contre la
goureuses, absolum ent indispensables pour s ’ assurer concupiscence ni un état naturel pour perpétuer l ’ es ­
le salut. E t c ’ est ainsi qu ’ on en vint à condam ner l ’ usage pèce hum aine; il n'y avait donc qu ’ à le condam ner
du m ariage, de la viande et du vin. et à le supprim er, ce qui devait entrainer la disparition
3° L'erreur se dessine. — A ux débuts, c ’ est l ’ auteur du genre hum ain. La conséquence était grave; c ’ était
des Philosophoumena qui l'affirm e, Philos., V III,vu, 20, du reste se heurter à la fois contre l ’ autorité de D ieu,
édit. C ruice, Paris, 1860, p. 421, nul désaccord avec auteur de l ’ union légitim e de l ’ hom m e et de la fem m e,
l ’ Église sur la question de D ieu et du C hrist, m ais contre le C hrist qui avait assisté aux noces de C ana,
une explosion d ’ orgueil : ceux qui se disaient encra- et contre saint Paul qui avait prescrit qu ’ on honorât
tites, les continents par excellence, se vantaient d ’ ob ­ le m ariage. H cb., xm , 4. R ien de plus vrai, sans doute,
server une tem pérance rigoureuse, consistant à ne m ais d ’ autres tém oignages scripturaires, où la conti­
boire que de l ’ eau, à ne se nourrir que de végétaux et nence est particulièrem ent recom m andée, étaient
à s ’ abstenir de tout rapport sexuel. Sans doute, et m is en avant pour légitim er l ’ encratism e aux dépens
d'une m anière générale, de telles pratiques pouvaient du m ariage; nous verrons plus bas lesquels et parquels
s ’ autoriser à certains égards et dans quelque m esure j procédés d ’ exégèse, quand nous rapporterons la réfu-
de la sainte É criture; et une exégèse com plaisante, I tation qu ’ en fit C lém ent d ’ A lexandrie. D u reste, l ’ Écri-
volontairem ent incom plète, par de véritables tours de ture n'était pas la seule source où ils cherchaient la
force, pouvait laisser ou faire croire à des esprits justification de leurs erreurs; il était d'autres livres
bornés, superficiels, inattentifs ou exaltés, que c ’ était où ils puisaient à pleines m ains.
là le seul vrai christianism e, la seule doctrine authen ­ 2° Autorités invoquées. — D urant le n» siècle, en
tique du salut. M ais à quelles conditions? A la condi ­ effet, parurent m aints apocryphes qui favorisaient
tion de passer sous silence ou de tenir pour non ave ­ particulièrem ent les tendances encratites au détri ­
nus les textes les plus form els et les plus contraires, m ent de la saine pratique religieuse. Les Actes de Paul,
les points fondam entaux de la m orale évangélique et bien que d ’ une doctrine opposée à la gnose, recom ­
chrétienne; à la condition de donner arbitrairem ent à m andaient la continence d ’ une m anière beaucoup
ce qui n ’ était que des conseils de perfection pour les plus accentuée que la prédication ecclésiastique, tout
âm es d ’ élite la valeur absolue et im prescriptible d ’ un com m e si elle constituait l ’ essentiel du christianism e.
devoir pour tous sans distinction. Q u ’ on louât et Les Actes de Thomas présentaient de m êm e l ’ ascétism e.
exaltât la vertu de tem pérance, de continence, rien de E t les Actes de Pierre, de Jean, em preints de docétism e,
m ieux;le C hrist et les apôtres ne l'avaient-ils pas déjà surtout ceux de Jean, offraient une tendance ascétique
fait? Il va de soi que de telles vertus s ’ im posent à tout très prononcée. « En quelque proportion, dit M ■·'’ D u ­
hom m e parce qu ’ il est pécheur et faillible; dans quelle chesne, Histoire ancienne de l’Église, 2 e édit., Paris,
m esure et à quel titre? D ’ une m anière absolue ou re ­ 1907, t. i, p. 514, que l ’ hérésie gnostique soit, en ces
lative? Com m e un devoir ou com m e un conseil? C ar écrits, com binée avec l ’ orthodoxie, une chose est sûre,
tous les hom m es ne sont pas égalem ent pécheurs; il c ’ est qu ’ ils ont tous une m êm e tendance, la tendance
en est de plus parfaits que d ’ autres. E t quelle diffé ­ encratite, opposée aux rapports sexuels, m êm e dans
rence entre le com m andem ent qui s ’ im pose à tous et le m ariage, et à l ’ usage des alim ents forts, la viande et
le sim ple conseil qui ne peut s ’ adresser qu ’ à quelques- surtout le vin. Il ne s ’ agit pas ici de renoncem ent in ­
uns, entre le devoir et la perfection ! U ne aussi im ­ dividuel, m ais de règle générale : tout chrétien doit
portante distinction aurait évité bien des m alenten ­ être ascète, continent, encratique. Ce program m e
dus, bien des excès; elle devait y couper court en tout n ’ était pas nouveau. O n l ’ affichait déjà au tem ps des
cas. M ais on la négligea et, le m ouvem ent gnostique apôtres; la prem ière É pître à Tim othée le condam ne
aidant, on vit se dessiner une doctrine qui exaltait énergiquem ent. D ès ce tem ps-là sans doute il se rat ­
outre m esure la continence, et paraître des sectaires tachait à des idées suspectes sur le créateur et la crea ­
qui se paraient du titre de continents. Q ui étaient-ils tion. A u il· siècle, ces idées s ’ exprim ent dans les di ­
et que prétendaient-ils? verses form es de la gnose et dans l ’ enseignem ent
II. D o c t r i n e . — 1° Les encratiles. — Le titre m arcionite. Ce ne fut pas, loin de là, une recom m anda ­
EN C B A T IT ES 8

tion pour l ’ ascèse, m ais plutôt une raison de la soup ­ S. Jérôm e, De viris ill., 29, P. L., t. xxm , col. 645.
çonner, m êm e quand elle pouvait paraître inoffensive. E t il form e ainsi un parti nouveau qui, pour se dis ­
Il y avait peut-être des encratites qui s ’ en tenaient a tinguer du reste des encratites, prend son nom , ce
leurs observances, m ais il est rare qu ’ on parle d ’ eux qui accuse des divergences de vues et des luttes intes ­
sans qu ’ il ne se révèle quelque accointance fâcheuse. » tines. D u reste, ces partis ne furent pas les seuls, car
C ette accointance venait précisém ent de la gnose, d ’ autres sectaires, et par exem ple, les m anichéens,
dont les infiltrations avaient pénétré les divers apo ­ prirent égalem ent le titre de continents; d ’ autres
cryphes de l ’ époque, et dont les principes s ’ étalaient encore se firent appeler apotactiques ou renonçants,
dans des traités spéciaux ou dans des ouvrages d ’ une parce qu ’ ils prétendaient avoir renoncé à tous les plai ­
portée plus générale. sirs du m onde, voir A p o t a c t i q u e s ; hydroparastates
3° Les principaux chefs. — Parm i les principaux ou aquariens, parce qu ’ ils ne se servaient que d ’ eau
théoriciens de l ’ encratism e, il faut citer, par ordre pour l ’ eucharistie, voir A o u a b i e n s ; saccophores,
chronologique, Jules C assien, le m aître docète qui parce qu ’ ils portaient com m e vêtem ent distinctif un
com posa un ouvrage spécial sur la m atière, intitulé sac. M ais tous professaient les principes généraux de
Π ερί εϋνουχία; ou Π ερί εγκράτειας , voir C a s s i e n 1, l ’ encratism e. E t c'est ainsi que, sous divers nom s, avec
puis et surtout T atien. C ’ est à T atien, en effet, que des principes com m uns et m algré la divergence des
saint Irénée rattache les encratites, ainsi qu ’ à Sa ­ détails, les encratites vécurent jusqu ’ à la fin du iv·
turnin et à M arcion. Cont. hser., i, 28, P. G., t. vu, siècle. Saint Épiphane signale, en effet, leur présence
col. 690. '['alien passe surtout pour avoir été le vrai surtout en A sie-M ineure, plus particulièrem ent dans
chef des encratites. Saint Jérôm e l ’ appelle princeps la Pisidie et la Phrygie brûlée, m ais encore dans
encralilarum. Episl., x l v ii i , 2, P. L., t. xxn, col. 494. l ’ Isauric, la Pam phylie, la Cilicie, la G alatie. Hær.,
Fit-il de tous les partisans de l ’ ascétism e outré une secte x l v ii , 1, P. G., t. x l i , col. 849, 852.
à part et l ’ organisa-t-il com m e une église? C ’ est ce qu ’ il A ux nom s de T atien et de Sévère il faut joindre
est assez difficile de prouver. B eaucoup d ’ encratites celui de D osithée, un cilicien que saint É piphane a
pourtant, em brassant sa doctrine, prirentson nom pour confondu avec un sam aritain de m êm e nom . D ’ après
se bien distinguer des autres. Toujours est-il que Tatien M acarius M agnés, en effet, Μ ακαρίου Μ αγνήτος
doit être regardé com m e l ’ un des auteurs responsables Ά ποκριτικος η Μ ονογενής , Macarii Magnetis quæ
du m ouvem ent encratite, qui se prononça dans l ’ Église supersunt ex inedito codice, édit. B londel, Paris, 1876,
à la fin du n e siècle et se poursuivit sous des nom s m ul ­ p. 151, ce D osithée, de Cilicie, dans un ouvrage en
tiples et avec des fortunes diverses jusqu ’ à la fin du huit livres com posé pour la défense de l ’ encratism e,
iv> siècle. A près avoir vaillam m ent défendu le chris ­ disait, entre autres choses, « que le m onde avait eu
tianism e sous le patronage et à l ’ exem ple de saint son com m encem ent par le m ariage, m ais qu'il aurait
Justin, il avait quitté R om e, vers 172, parce que ses sa fin par la continence. » Π condam nait donc le m a ­
principes et ses doctrines avaient déplu aux chefs de riage et il blâm ait, conform ém ent aux vues de la
l ’ Église, et se retira en O rient, soit à Édesse, soit à secte, l ’ usage de la viande et du vin. Son ouvrage est
D aphné près d ’A ntioche. Peut-être était-il tom bé perdu com m e ceux de Cassien et de T atien, dont il a
déjà dans les erreurs gnostiques du docétism e, du été question plus haut.
dualism e et d ’ un encratism e outré. En tout cas, il 4° Propagande. — La grande extension des encra ­
ne tarda pas à m ontrer qu ’ il avait subi la néfaste in ­ tites, telle que l ’ a signalée saint Épiphane pour la fin
fluence de la gnose et il se fit l ’ écho de M arcion. Com m e du IV ' siècle, tém oigne d ’ une propagande active de la
M arcion, il regarde la m atière com m e le siège du m al part de leurs différents chefs, ou tout au m oins de
et l ’ œ uvre du dém iurge; il réduit l ’ incarnation du l ’ influence et du succès de Ι ’ έγκράτεια auprès de
V erbe à une pure apparence et supprim e les généalo ­ tous ceux qui avaient un penchant pour l ’ ascétism e.
gies du C hrist dans son Diatessaron ; il voit dans l ’ union E ' il n ’ est pas étonnant que des chrétiens de bonne foi
conjugale le fruit de l ’ arbre défendu, une œ uvre sata ­ se soient laissé séduire par l ’ attrait d ’ une pratique
nique et proscrit en conséquence le m ariage: il inter ­ qui sem blait assurer le salut de l ’ âm e par la m ortifi ­
dit l ’ usage de la viande et du vin com m e trop favorables cation de la chair, sans se douter le m oins du m onde de
à l'intem pérance et à l ’ incontinence; enfin à toutes ces ce qu ’ elle cachait d ’ hétérodoxie dans le fond. Ce fut le
erreurs em pruntées il en ajoute une autre, qui lui est cas notam m ent de l ’ un des m artyrs de Lyon, en
personnelle, il nie le salut d ’ A dam ; le tout à grands 177, A lcibiade; celui-ci entendait vivre en prison
renforts de textes scripturaires. C ’ est dans un ou ­ com m e il avait vécu jusqu ’ alors, au pain et à l ’ eau.
vrage spécial qu ’ il form ula et proposa sa théorie en ­ M ais après avoir été exposé dans l ’ am phithéâtre,
cratite; il est m alheureusem ent perdu com m e celui de l ’ un de ses com pagnons, A ttale, lui fit rem arquer
Jules C assien; nous n ’ en connaissons que le titre, qu ’ en vivant de la sorte il n ’ agissait pas correctem ent
sauvé de l'oubli par C lém ent d ’ A lexandrie, Π ερί I et selon l ’ ordre; car, en n ’ usant pas des créatures de
τού κατά τά·< Σωττ,ρα καταρτισμού, De la perfection I D ieu, il devenait une cause de scandale, sem blant
selon le Sauveur, et quelques-uns des argum ents scrip ­ autoriser par là les austérités irrégulières ou super ­
turaires réfutés par l ’ auteur des Stromales. Slrom., stitieuses du m ontanism e et de l ’ encratism e. Leltr-
Ill, 12, P. G., t. vni, col. 1181 sq. V oir T a t i e n . des Eglises de Vienne et de Lyon aux Églises d’Asie et
Peu après T atien. et non pas avant, com m e le dit de Phrygie, Eusèbe, H. E., v, 30, P. G., t. xx, col. 437.
saint Épiphane, User., x l v , x l v i , x l v ii , P. G., t. x l i , : Sozom ène, H. E.,y, 11, P. G .,t. Lxvn, col. 1248, rap ­
col. 839, 893, et à sa suite saint A ugustin, Hær., xxiv, porte un cas plus singulier encore, celui d ’ un évêque
xxv, P. L.,t. x m , col. 30. qui placent les sévériens encratite, nom m é B usiris, qui confessa vaillam m ent
avant les tatianistes, ci. N icétas C honiatês, Thesau­ la foi sous Julien, survécut à ses épreuves et fit re ­
rus orthodoxs fidei, rv, 17, 18, P. G., t. cxxxrx, col. tour à la vraie foi sous Théodose. E t ce fait perm et ­
1281 sq., un certain Sévère renforce et développe trait de croire que certains encratites s ’ étaient orga ­
l ’ hérésie des encratites, en lui donnant un caractère nisés en église et avaient leur clergé dans le courant
ébionite accentué; car, s ’ il adm et la Loi, les Prophètes du rv' siècle; cela serait d ’ autant plus vraisem blable
et les Evangiles, sauf à les interpréter d ’ une façon que saint B asile signale deux autres évêques encra ­
toute particulière, ' ■ ; i-. j ’ ,τες , il rejette toutes tites, Izoin et Saturnin, adm is dans les rangs du clergé
les lettres de saint Paul et m êm e les A ctes. Eusèbe, catholique quand ils dem andèrent à rentrer dans
H . E., rv, 29. P. G., t. XX. col. 400-401 ; Théodoret, l ’ Église. Episl.. c l x x x v i i t . can. 1, P. G., t. xxxn,
Hærei. fab., i, 20, 21. P. G., t. l x x x h i , col. 369-372; col. 669. M ais si les encratites réussirent à se propager»
9 E N C R A T ITE S 10

à se m aintenir et m êm e à s ’ organiser en com m unautés, l ’ exem ple de M arcion, elle regarde D ieu com m e l ’ au ­
ce ne (ut pas faute d ’ avoir été com battus, car ils le teur du m al. Toutefois, parce qu ’ il n ’ est pas absolu
furent par la parole et par la plum e, à Lyon, à R om e, et intransigeant dans sa m anière de voir, s ’ il n ’ adm et
à A lexandrie et ailleurs, dès leur apparition et tant qu ’ en les rebaptisant les encratites, les saccophores et
qu ’ ils furent regardés com m e un danger soit pour les apotactiques, il sait qu ’ un usage contraire existe
l ’ Église, soit pour l ’ É tat, dès que l ’ É tat fut devenu ailleurs qu ’ à C ésarée, et il fait rem arquer à A m phi­
chrétien et eut adopté une politique chrétienne. lochius qu ’ il serait bon de réunir les évêques à ce sujet
III. O p p o s it io n a l ’ e n c r a t i s m e h é r é t iq u e . — pour en délibérer com m e il convient. Epist., cxcix,
1° Ceux qui le combattent. — L ’ Église veillait à l ’ inté ­ can. 47, P. G., t. xxxii, col. 732.
grité de la foi et à la pureté des pratiques religieuses; M ais, d ’ autre part, certaines pratiques, soupçon ­
aussi dès qu ’ une secte m enaçait l ’ une ou l ’ autre, la nées d ’ encratism e hétérodoxe, s ’ étaient glissées dans
dénonçait-elle com m e une nouveauté dangereuse et la vie de quelques chrétiens, et notam m ent chez des
condam nable. N ous ignorons, faute de docum ents, les m em bres du clergé. D e là des précautions prises et des
m esures prises dès la fin du n° siècle et pendant le m ® ; canons form ulés contre ces usages suspects d ’ hérésie.
nous savons du m oins que T atien, m al vu de l ’ Église C ’ est ainsi qu ’ en 314, le concile d ’ A ncyre perm et bien
rom aine, dut aller en O rient répandre sa funeste doc ­ aux prêtres et aux diacres de s ’ abstenir de viande, m ais
trine. Les hérésiologues contem porains, tém oins des à la condition d ’ en goûter tout d ’ abord. Si, la dédai­
origines et des prem ières évolutions de la secte, l ’ ins ­ gnant et se refusant m êm e à m anger des légum es cuits
crivent au catalogue des hérésies : tels, saint Irénée, avec de la viande, ils n ’ obéissent pas au présent rè ­
Cont. hær., i, 28, P. G., t. vu, col. 690-691 ; le pseudo- glem ent, ils doivent être exclus des rangs du clergé.
Tertullien, De præscript., 52, P. L., t. n, col. 72; l ’ au ­ C an. 14, Lauchert.D ie Kanones der wichtigsten allkirch-
teur des Philosophoumena, édit. C ruice, Paris, 1860, lichen Concilien, Fribourg-en-B risgau, 1896, p. 32.
p. 421. Les deux grands m aîtres du D idascalée U ne telle m esure paraîtrait excessive, s ’ il s'agissait
d ’ A lexandrie, C lém ent et O rigène, la com battent dans sim plem ent d ’ une abstinence raisonnable et parfaite ­
leurs leçons. N ous savons par Eusèbe de C ésarée, m ent conform e aux principes ascétiques de la m ortifi ­
H. E., iv, 28, P. G., t. xx, col. 400, qu ’ un certain M u- cation chrétienne; m ais la sévérité s ’ explique, parce
sanus écrivit à quelques-uns de ses frères passés à la que le canon du concile d ’ A ncyre vise un faux ascé ­
secte toute récente des encratites, dont le. chef était tism e, d ’ inspiration gnostique ou m anichéenne, com m e
T atien, pour les en détourner; et Théodoret nous ap ­ celui des encratites; ce m otif n'est pas allégué, m ais il
prend qu ’ un autre écrivain de la m êm e époque, est sous-entendu. Il est en tout cas assez clairem ent
A pollinaire, com battit les sévériens, Ilœret. jab.,i, 21, indiqué dans les Canons apostoliques. Le canon 51·
P. G., t. l x x x i i i , col. 372 ; c'est vraisem blablem ent , (50) parle, en effet, des clercs, évêques, prêtres ou
l ’ évêque d ’ I-liérapolis en Phrygie, dont Eusèbe nous diacres, qui s ’ abstiennent du m ariage, de la viande
dit qu ’ il écrivit contre les prophètes m ontanistes. et du vin, non pour un m otif légitim e d ’ ascétism e
II. E., v, 19, P. G., t. xx, col. 481. E t si l ’on pouvait bien com pris, m ais par infam ie, βδελυρίαν, c ’est-à-dire
en croire l ’ auteur du Prædestinatus, qui place les sévé ­ parce qu ’ ils oublient que tout ce que D ieu a fait est
riens avant les tatianistes, un certain Euphranon, bon, qu ’ il a créé l ’ hom m e m âle et fem elle, et parce
évêque de R hodes, aurait réfuté les sévériens, tandis qu'ils· blasphèm ent l ’ œ uvre du dém iurge. Can. aposl..
qu'un Épiphane, évêque d ’ A ncyre en G alatie, aurait can. 51 (50); Lauchert, op. cil., p. 8. O n reconnaît
com battu les tatianistes. Prædeslinatus, 24, 25, P. L., là sans peine l ’ erreur particulière des encratites. A ussi
t. l u i , col. 595. le canon 53 e (52) frappe-t-il l ’ évêque, prêtre ou diacre,
2° Mesures canoniques et législatives dont ils ont été qui, les jours de fête, refuserait de m anger de la viande
l’objet. — Q ualifiés d ’ hérétiques, les encratites, quand et de boire du vin, non pour un m otif ascétique par ­
ils voulaient se convertir, furent, de la part de l ’ Eglise. faitem ent respectable, m ais par un dégoût qui n ’ est
l ’ objet de certaines m esures disciplinaires, dont la autre que la βδελυρία, citée plus haut, βδελυσσόμενο;
prem ière était évidem m ent la renonciation à leurs er ­ χαί οΰ 8t ’ άσκησιν. L auchert, op. cil., p. 8. U n tel
reurs. M ais il en est une qui donna lieu à de vifs dé ­ clerc, est-il dit, καΟαιρείσΟω ώς κεκαντηριασμένος ττ,ν
bats au m ilieu du n i ’ siècle, celle de savoir ce que va ­ Ιδίαν συνείδησιν, καί αίτιος σκανδάλου πολλοί; γινόμενος ;
lait leur baptêm e, s ’ il fallait le considérer com m e de il est frappé pour deux m otifs : d ’ abord, parce que,
nulle valeur, et par suite s ’ il ne convenait pas avant selon le m ot de saint Paul à Tim othée, I Tim ., iv,
tout de leur conférer le baptêm e catholique. Si la ques ­ 2, il a la m arque de la flétrissure dans sa propre
tion de la nullité de leur baptêm e avait été tranchée conscience ; ensuite, parce qu ’ il est une cause de scan ­
partout d ’ une m anière uniform e, la querelle des re ­ dale pour plusieurs.
baptisants n ’ aurait certainem ent pas éclaté. V oir t. n, D e son côté, l ’ É tat, quand il devint favorable au
col. 219-233. M ais elle éclata, tranchée dans un sens christianism e, s ’ appliqua à com battre l ’ hérésie dans
par saint C yprien de C arthage et par saint Firm ilien de un but de paix religieuse et sociale. C onstantin, peu
C ésarée en C appadoce, tranchée dans un sens contraire après le concile de N icée, s ’ inspirant de cette idée, fit
par le pape Étienne et le plus grand nom bre des évê ­ une constitution contre les hérétiques. Il oublia, il est
ques. E t l ’ uniform ité était encore loin d ’ être acquise, vrai, d'y com prendre les ariens, parce qu ’ il était alors
à la fin du iv c siècle, puisque saint B asile, successeur sous l ’ influence des deux Eusèbe, et particulièrem ent
lointain de saint Firm ilien sur le siège de C ésarée, sous celle de l ’ évêque de N icom édie, m ais il cite nom ­
constate des divergences. Il rappelle, quant à lui, que m ém ent les V alentiniens, les m arcionites et les cat-i-
saint C yprien et saint Firm ilien n ’ adm ettaient les phryges, avec lesquels les encratites avaient des prin ­
encratites, les cathares et les hvdroparastates qu ’ en cipes com m uns, et leur interdit de tenir des réunions
leur conférant le baptêm e catholique, et il estim e qu ’ on ou des conventicules. Eusèbe, Vita Constantini, ni.
doit agir ainsi, m algré certaines coutum es contraires, 64, 65, P. G., t. xx, col. 1140, 1141. B eaucoup plus
bien qu ’ on ait adm is dans les rangs du clergé deux de tard, à la fin du iv° siècle, en 381 et 383, Théodose le
leurs évêques. Epist., c l x x x v h i , can. 1, P. G., t. xxxn, G rand ne se contenta pas de condam ner les m ani­
col. 669. E t si telle est sa décision, c ’ est que l ’ hérésie chéens en général, il entendit frapper tous ceux qui,
des encratites, issue du m arcionism e, abhorre le m a ­ sous divers nom s, professaient plusieurs erreurs du
riage et le vin, sous le prétexte erroné que la créature m anichéism e, et notam m ent les encratites. les npo-
de D ieu est souillée, et se vante à tort de baptiser au tactiques, les hydroparastates et les saccophor· · ui
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puisque, à n ’ étaient à vrai dire que des sectaires intolérables.
11 E N C R A TIT ES 12

Nec se, dit-il, sub simulatione jallaciœ eorum scilicet tonicienne et m ontre que cette citation est m al com ­
nominum, quibus plerique, ut cognovimus, probalæ prise. La partie irascible désigne l ’ hom m e, la partie
fidei cl propositi castioris dici ac signari volunt, ma­ concupiscible la fem m e; quiconque ne cède ni à l ’ un
ligna fraude defendant·, cum prieserlim nonnullos ex ni à l ’ autre, réalise le m ot de saint Paul : « Il n ’ y a plus
Ilis encratitas, apotaclilas, hydroparastatas vel sacco- ni hom m e, ni fem m e, » G al., in, 28, et l ’ hom m e alors
phoras nominari se velint, et varietate nominum diver­ soum et son esprit et son âm e au joug du Logos ou de
sorum vetui religiosa: professionis officia mentiantur : la raison; c ’ est le triom phe de la partie rationnelle.
eos enim omnes convenit, non professione defendi no­ Strom., III, 13, col. 1193.
minum, sed notabiles atque execrandos haberi scelere C lém ent d ’ A lexandrie com m ence sa réfutation de
sectarum. C 'est la seconde constitution de Théodose l ’ encratism e par cette observation générale : Ceux
contre les m anichéens. Codex lheodosianus, X V I, tit. v, qui, par haine, s ’ abstiennent du m ariage, aussi bien
1. 7 et 11. Λ partir du v e siècle, grâce à la législation que ceux qui, par concupiscence, abusent des plaisirs
canonique et civils, les encratites cessent de jouer un charnels, ne com ptent pas au nom bre des sauvés avec
rôle capable de troubler la paix de l'Église et de l ’ É tat. lesquels est le Seigneur. Strom., Ill, 10, col. 1172. Il
3° Réfutation spéciale dont ils sont l’objet de la part cite en suite les passages scripturaires qui légitim ent
de Clément d’Alexandrie. — Laissons de côté la ques ­ l ’ union de l ’ hom m e· et de la fem m e, en faisant rem ar ­
tion du salut d ’ A dam , à laquelle le pseudo-Tertullien quer, par l ’ enseignem ent de saint Paul, que c ’ est un
ne fait qu ’ une sim ple allusion ainsi que saint Irénée, seul et m êm e D ieu qui a parlé dans la Loi et les Pro ­
et que saint É piphane a cherché à réfuter par des ar ­ phètes, le Père qui a envoyé son Fils « pour condam ner
gum ents assez subtils, Heer., hæ r. x l v i , 3, P. G., le péché dans la chair et faire que la justice de la Loi
t. x l i , col. 840; laissons égalem ent de côté celle de soit accom plie en nous. » R om ., vin, 2-4. C ’ était ré ­
l ’ abstinence du vin, que T atien regardait com m e obli ­ futer, en passant, la distinction m arcionite de l ’ en ­
gatoire pour tous, parce que Jéhovah, dans le prophète cratism e entre D ieu et le dém iurge.
A m os, h , 12, reprochait aux enfants d ’ Israël d'avoir 11 rappelle, Strom., III, 12, col. 1177, le conseil donné
fait boire du vin aux nazaréens, cf. S. Jérôm e, In Am., par saint Paul aux époux chrétiens ; · N e vous sous ­
1. I, c. i, 12, P. L., t. xxv, col. 1010; et tenons-nous- trayez pas l ’ un à l ’ autre, si ce n ’ est d ’ un com m un ac ­
en aux argum ents scripturaires, m is en avant par les cord, pour un tem ps, afin de vaquer à la prière; puis
encratites pour justifier l ’ interdiction des rapports rem ettez-vous ensem ble de peur que Satan ne vous
conjugaux dans le m ariage, et du m ariage lui-m êm e. tente par suite de votre incontinence. » 1 Cor., vu, 5.
C ’ est surtout C lém ent d ’ A lexandrie qui perm et d ’ avoir L ’ apôtre approuve donc le m ariage, tout en recom ­
une idée de leur m éthode exégétique; sa réfutation de m andant la virginité et la continence passagère et
l ’ encratism e, bien qu ’ un peu désordonnée, est instruc ­ consentie dans le m ariage. O r, c ’ est justem ent ce
tive. passage que T atien, qui voit dans le m ariage une in ­
C lém ent d ’ A lexandrie consent d ’ abord à discuter vention du diable, interprétait sophistiquem ent pour
un passage de l’Évangile selon les Égyptiens, allégué en conclure que, lorsque les époux reviennent ensem ble,
par Jules C assien et interprété par lui dan- un sens ils retom bent sous l ’ em pire de l ’ intem pérance, de la
réaliste inacceptable, celui où le Sauveur, interrogé fornication et du diable. N ous aussi, réplique C lém ent,
par Salom é sur la question de savoir quand arriverait ibid., col. 1181, nous repoussons l ’ intem pérance, la
la fin du m onde, répond : όταν εσται τα δύο ëv, καί τό fornication et toutes les œ uvres sataniques; m ais avec
εζω ως τό ϊσω , καί τό ά'ρσεν μετά τής Οηλείας , ού'τε αρσεν l ’ apôtre nous- prétendons que l ’ usage m odéré du m a ­
ούτε θήλυ. Ce passage, ’ déjà interprété par lepseudo- riage, soit pour vaquer à la prière, soit pour procréer
C lém ent dans un sens spirituel très acceptable, Epist., des enfants, est parfaitem ent honnête; et quand
U , 12, Funk, Opera Pair, apost., Tubingue, 1881, t. i, 1 ’ apôtre dit aux époux de se rem ettre ensem ble, de
p. 158, prend, sous la plum e de C assien, la form e sui ­ peur que Satan ne les tente, c ’ est pour supprim er
vante ; όταν -ô τής αισχύνης ένδυμα πατήσητε, καί όταν toute occasion étrangère de péché et précisém ent
γένηται τα δύο εν, και το ά^ρεν μετά τής βηλείας , ούτε pour soustraire les époux à l ’ intem pérance, à la forni ­
άρρεν ούτε Ολλυ. Cassien y voyait, conform ém ent à cation et au diable.
cette parole : « Je suis venu détruire les œ uvres de la T atien abusait encore d ’ un autre passage de saint
femm e, · que le m êm e Évangile prête· au Sauveur, la Paul, que C lém ent d ’ A lexandrie a om is, m ais que
condam nation du m ariage. C lém ent d ’ A lexandrie, au saint Jérôm e a signalé. In Gal., 1. Ill, c. vi, 8, P. L.,
contraire, l ’ acceptant tel que, n ’ y voit que la con ­ t. xxvi, col. 431. O ù l ’ apôtre avait écrit : Qui seminat
dam nation des œ uvres de la cupidité ou de la concu ­ in carne sua, de carne et metet corruptionem, T atien,
piscence, έ-ιθύμ:α. Salom é insistant dit : « J ’ ai donc supprim ant sua, raisonnait ainsi : Si quis seminat
uien fait, m oi qui n ’ ai pas engendré; » et le Seigneur in carne, de carne metet corruptionem; in carne autem
de répondre : « N ourris-toi de toutes les herbes, sauf seminat qui jungitur mulieri. Ergo et qui uxore utitur
de celles qui sont am ères. · Cela prouve, dit C lém ent et seminat in carne ejus, de carne metet corruptionem.
d ’ A lexandrie, Strom., Ill, 9, P. G ., t. vni, col. 1165- D ’ un m ot saint Jérôm e perce à jour l ’ erreur de cette
1169, que la continence et le m ariage sont deux états argum entation sophistique.
qui dépendent de notre liberté. Celui qui se m arie selon T atien distinguait entre le « vieil hom m e » et le
le Logos ne com m et pas de faute, à m oins qu ’ il ne « nouveau », m ais dans un autre sens que nous, ri ­
regarde l ’ éducation des enfants com m e une chose poste C lém ent d ’ A lexandrie, col.1184. N ous lui accor ­
am ère; il en est tant à qui la privation d ’ enfants sem ble dons que le vieil hom m e peut s ’ entendre de la Loi et le
plus triste! D u reste, la procréation des enfants n ’ a nouveau de l ’ Évangile, m ais non com m e lui qui sup ­
pas à paraître chose am ere; et celui qui ne pouvant prim e la Loi en l ’ attribuant à un autre D ieu. Le Fils,
supporter l ’ isolem ent contracte m ariage, fait une chose en effet, ne parle pas autrem ent que le Père, et c ’ est
licite s ’ il en use avec tem pérance. « Q u ’ on n ’ allègue le m êm e qui est l ’ auteur de la Loi et de l ’ Évangile.
pas, disait encore C assien, que D ieu a conform é phy ­ L a Loi vit en tant que spirituelle et spirituellem ent
siologiquem ent l ’ hom m e et la fem m e pour qu ’ ils ' com prise; elle est sainte. E t quand l ’ apôtre dit que
puissent s ’ unir, car D ieu ne proclam erait pas heureux | nous som m es m orts à la loi, cela veut dire au péché,
les eunuques et le prophète n ’ aurait pas dit que l ’ eu ­ et nullem ent au m ariage, com m e le prétend T atien.
nuque n ’ est pas un arbre stérile, · Is., l v i , 3; et il cite | C ar soutenir que le m ariage, contracté com m e le veut
le passage de ï'Éoangile selon les Égyptiens. C lém ent ; la Loi, est un péché, ce serait faire de D ieu l ’ auteur du
d ’ A lexandrie s'appuie cette fois sur la division pla- | pécué. La loi est sainte, le m ariage aussi ; le m ariage
13 E N C R A TIT ES — E N C Y C L IQ U E S 14

n ’ est nullem ent une fornication. C eux qui soutiennent biography, Londres, 1877; V igoureux, Dictionnaire de la
le contraire ont déjà été repris par le Saint-Esprit Bible, t. i, col. 159-165; H auck, Realencyklopiidie fiir pro-
com m e l'a m arqué saint Paul, I Tim ., iv, 1-5. Ibid., teslantische Théologie und Kirche, 3 ’ édit., Leipzig, 1896 sq, ;
col. 1185. W etzer et W elte, Kirchenlexikon, 2* édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1880 sq. ; K raus, Real-Encyklopadie der christlichen
Les encratites ont donc tort d ’ interdire le m ariage Allerihümer; L 1. Chevalier, Répertoire, Topo-bibliographie,
ainsi que l ’ usage de la viande et du vin, Sans doute, Paris, 1905, col. 998.
l ’ apôtre a dit : « Ce qui est bien, c ’ est de ne pas m anger G. Ba b e il l e .
de viande, de ne pas boire du vin, » c ’ est-à-dire de E N C Y C L IQ U E S . — - 1. N om et définition. IL H is ­
ne rien faire » qui soit pour autrui une occasion de toire. III. A utorité.
chute, » R om ., xiv, 21, de scandale ou de faiblesse. Il I. N o m e t d é f in i t i o n . — Les encycliques (litleræ
a dit aussi que c ’ est un bien de rester com m e lui, encyclicœ) désignent, étym ologiquem ent, des lettres
sans épouse. M ais, observe C lém ent d ’ A lexandrie, circulaires, puisque leur nom vient de έγκύκλιχος , ad ­
ce sont là des conseils, non des ordres. C ar toutes les jectif grec dérivant lui-m êm e du substantif κύκλος ,
épîtres apostoliques qui recom m andent la m odération cercle. A utrefois, on désignait sous ce nom les lettres
et la continence, contiennent égalem ent de nom breux que les évêques ou les archevêques adressaient à leur
conseils relatifs au m ariage et aux enfants, et n ’ ont troupeau ou à d ’ autres évêques. O n appelle aujour ­
jam ais interdit l ’ usage honnête et m odéré du m ariage d'hui lettres pastorales les circulaires que les évêques
en laissant parfaitem ent d ’ accord la Loi et l ’ Évangile. envoient, spécialem ent pour le carêm e, à leurs diocé ­
Ibid., col. 1188. sains. M ais l ’ usage a restreint le term e d ’ encycliques
Inutile de poursuivre la réfutation des autres textes exclusivem ent à une catégorie spéciale de lettres apos ­
scripturaires allégués par T a tien. V oir Strom., III, toliques adressées par le pape à la chrétienté entière.
13-16, P. G., t. vin, col. 1192-1205. Ce qui vient d ’ être Elles diffèrent, au point de vue de leur form e technique,
dit suffit am plem ent pour m ontrer com bien T atien des constitutions dogm atiques et des décrets pontifi ­
s'abusait pour soutenir contre toute évidence une m au ­ caux, expédiés com m e bulles ou com m e brefs. V oir ces
vaise cause. C hoix de textes plus ou m oins favorables, m ots. Elles rentrent dans la catégorie des sim ples
interprétation forcée de quelques-uns, silence com plet lettres apostoliques, et elles ne s ’ en distinguent qu ’ en
ou négligence voulue quant aux passages défavorables, ce qu ’ au lieu d ’ être destinées à des particuliers ou aux
exégèse fantaisiste sur la question de l ’ encratism e, évêques et archevêques d ’ une contrée, d'un pays, elles
c ’ est ce que l ’ on peut reprocher à T atien. Il adm ettait sont adressées « aux patriarches, prim ats, arche ­
du m oins les É pîtres de saint Paul, tandis que Sévère vêques, évêques et autres ordinaires en paix et en
les rejetait. Q uelle qu ’ ait été la nuance qui distinguait com m union avec le siège apostolique ». C ependant
la doctrine de leurs chefs, les encratites, en soutenant quelques encycliques ont été envoyées aux évêques
l'abstinence de la viande et du vin dans l ’ alim entation et aux fidèles d ’ une seule contrée, par exem ple,
et des rapports conjugaux dans le m ariage, non com m e l ’ Italie. Elles sont écrites en latin et parfois elles
un m oyen de m ieux pratiquer les vertus de tem pé ­ sont accom pagnées d ’ une version italienne. O n les
rance et de continence, m ais com m e un devoir de la désigne com m e les bulles et les autres lettres aposto ­
vie chrétienne qui s ’ im pose à tous sans exception, liques par leurs prem iers m ots. Elles ne prom ulguent
dépassaient abusivem ent le cadre de la m orale évan ­ pas de définitions nouvelles, m ais traitent de sujets
gélique et tendaient à transform er le m onde en un qui intéressent l ’ Église entière. Le pape y condam ne
cloître et chaque chrétien en m oine. D e plus, cet excès parfois des erreurs et y signale des dangers que courent
de rigorism e im pliquait une m éconnaissance de la na ­ la foi et les m œ urs; il y exhorte les catholiques à
ture hum aine, s ’ inspirait de principes contraires à la la fidélité et à la constance dans la vérité et la saine
vraie foi et aboutissait à des conséquences fâcheuses· doctrine, dont il rappelle les principaux points, et il y
D e toute façon il devait être condam né. L ’ Église ne indique des rem èdes aux m aux qui existent déjà ou
pouvait pas tolérer que l ’ on réprouvât ainsi le m a ­ qui sont à redouter.
riage, car c ’ était blâm er une chose naturelle, voulue II. H i s t o i r e . — B ien que les papes aient depuis
de D ieu, sanctifiée par le C hrist et ordonnée surnatu- longtem ps l ’ habitude d ’ écrire des lettres apostoliques
rellem entpour la sanctification des époux chrétiens à la chrétienté entière, ces lettres ne portaient pas le
et pour la m ultiplication des enfants de D ieu; c ’ était nom d'encycliques. L a prem ière qui ait ce titre date
m ettre en opposition radicale l ’ Évangile et la Loi, le du début du pontificat de B enoît X IV : le 3 décem bre
C hrist et Jéhovah, le D ieu bon et le prétendu dé ­ 1740, ce pontife publiait une Epistola encyclica et
m iurge d ’ invention gnostique; c ’ était en un m ot dé ­ commonitoria ad omnes episcopos sur les devoirs de
truire la nature, l ’ économ ie et l ’ existence du chris ­ leur charge. Benedicti XIV bullarium, Prato, 1845,
tianism e. t. i, p. 3. Le prem ier extrait d ’ une encyclique, qu ’ on
I. S o u r c e s . — S. Irénée, Cont. hier., i, 28, P. G., t. vn, trouve dans 1 ’ Enchiridion de D enzinger-B annw art,
col. 690-691; Philosophoumena, V III, 16,20, édit. Cruice, n. 1475-1479, est encore d ’ une lettre de B enoît X IV ,
Paris, 1860, p. 416, 421; pseudo-Tertullien, De prtescrip- l ’ encyclique Vix pervenit, du l° r novem bre 1745, aux
lionibus, 52, P. L., t. n, col. 72; Clém ent d'A lexandrie, évêques d ’ Italie. O n lit aussi dans le m êm e recueil,
Ptedag., n, 2; Strom., I, 15; III, 5, 6, 9-18, P. G., t. vin, n. 1607. 1608, des déclarations de Léon X II sur la
col. 429, 1144, 1149, 1152, 1165-1213; V II, 17, P. G., L IX, Société biblique et des conseils aux fidèles pour l ’ ob ­
col. 533; S. Épiphane, Hier., x l v , xuvi, x l v i i , P. G., t. xui, servation des règles de l ’ index relatives à la lecture
col. 839-853 :Eusèbe. U. E., iv,28, 29, P. G., t xx.col. 400, de la B ible en langue vulgaire. Encyclique Ubi primum
401; S. Philastrius, Hier., 48, 72, P. L., L xn, col. 1164,
1182; S. A ugustin, De hier., 24, 25, P. L., t. xt.it, col. 30; du 5 m ai 1824. Les encycliques pontificales, d'abord
S. Jérôm e, De viris ill., 29, P. L., t. XXUI, col. 645; In Gai., assez rares, se sont m ultipliées de plus en plus sous les
I. III, c. vt, 8, P. L., t. xxvi, col. 431 ; Théodoret, Heeret. quatre derniers pontificats. R appelons les encycliques
/ab.. t, 20, 21, P. G., t. Lxxxin, col. 369-372. Mirari vos. Singulari nos, écrites par G régoire X V I, le
II. T r a v a u x . — Tillem ont. Mémoires pour servir à Γhis­ 15 août 1832 et le 25 juin 1834, au sujet des erreur*
toire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, de Lam ennais, D enzinger-Bannw art, Enchiridion,
t. n, p. 410-118; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés n. 1613-1617, l ’ encyclique du m êm e pontife Inter præ-
el ecclésiastiques, Paris, 1858-1863, t. vt, p. 393, 394; H ar ­
nack, Geschichte der allchrisllichen IMeralur bis Eusebius, cipuas, du 6 m ai 1844, sur les versions de l ’ É criture
Leipzig, 1893-1897: M gr D uchesne. Histoire ancienne de éditées par les Sociétés bibliques protestantes. En­
Γ Église, S'édit-, Paris, 1907, t. r,p. 510 sq. ; voir Encratites chiridion, n. 1630-1633. Le 9 novem bre 1846, Pie IX
ou Tatien dans Sm ith et W ace, Dictionary of Christian écrivait l ’ encyciique Qui pluribus contre les erreur*
15 E N C Y C LIQ U E S E N D U R C IS S EM E N T 16

d ’ H erm ès. Ibid., n. 1634-1639. Plus célèbre encore g is t è r e o r d in a i r e .


Lorsqu ’ il ne s ’ y rencontre pas,
est l'encyclique Quanta cura du m êm e pape, publiée com m e il arrive le plus souvent, les catholiques doivent
le 8 décem bre 1864, pour la répression des principales donner à l ’ enseignem ent pontifical, non pas un
erreurs m odernes. Ibid., n. 1688-1699. Léon X III a assentim ent de foi, puisque la vérité doctrinale n ’ est
écrit une série d'encycliques, qui ont eu un grand reten ­ pas définie, m ais un assentim ent religieux, qui est
tissem ent, par exem ple : Inscrutabilis, du 21 avril fondé sur l ’ autorité du gouvernem ent universel de
1878, sur les m aux des sociétés m odernes; Quod apo- l ’ Église et qui relève, d ’ une certaine m anière, de la
slolici muneris, du 28 décem bre 1878, sur le socialism e; vertu de foi. Il ne suffit pas du silence respectueux qui
Æterni Patris, du 4 août 1879, sur saint Thom as consisterait à ne pas re jeter ni critiquer l ’ enseignem ent
d ’ A quin et la philosophie scolastiqne; Arcanum donné; il faut lui accorder, qu ’ il soit négatif ou posi ­
divinæ sapientiæ, du 10 février 1880, sur le m ariage tif, respect, obéissance, et assentim ent intérieur de
chrétien et la fam ille; Diuturnum illud, du 29 juin l ’ esprit, m otivé sur l ’ autorité de l ’ Église. B ien qu ’ il
1881, sur l ’ origine du pouvoir; Immortale Dei, du ne soit pas m étaphysiquem ent certain, puisque l ’ en ­
1 er novem bre 1885, sur la constitution chrétienne seignem ent qui y est donné n ’ est pas infaillible,
des É tats; I.ibertas præstantissimum, du 20 juin 1888, cet assentim ent est cependant m oralem ent certain,
sur la liberté; Rerum novarum, du 16 m ai 1891, sur la fondé qu ’ il est sur l ’ enseignem ent de l ’ autorité com ­
question ouvrière; Providentissimus Deus, du 18 no ­ pétente en des m atières de son ressort, avec les chances
vem bre 1893, sur les études bibliques; Salis cognitum, les plus grandes de toute absence d ’ erreur. V oir
du 9 juin 1896, sur l ’ unité de l ’ Église; Mires caritatis, t. iv, col. 2209.
du 28 m ai 1902, sur la sainte eucharistie. Pie X a Kirchliches Handlexikon, M unich, 1907, t. I, p. 1310
déjà publié plusieurs encycliques : Jucunda sane, le The catholic encyclopedia, art. Encyclical, N ew Y ork,
12 m ars 1904, pour le 13« centenaire de saint G régoire s. d. (1909), t. v, p. 413-414; les recueils des lettres apos ­
le G rand; Vehementer nos, le 11 février 1906, au clergé toliques de Pie V II, de G régoire X III, de Pie X et de
et au peuple français, sur la séparation de l ’ Église et Léon X III, m entionnés t. u, col. 1249; Acta Pii X, Rome,
de J ’ É tat; Acerbo nimis, le 15 avril 1906, pour recom ­ 1909; Acta apostolicæ Sedis. Rom e, 1909, t. I, p. 333-388;
m ander la pratique du catéchism e; Pascendi domini­ 1910, t. II, p. 357-403; d'A rras. Léon XIII d'après ses
encycliques, Paris, 1902; Pégues, dans la Revue thomiste, no ­
ci gregis, le 7 septem bre 1907, sur les fausses doctrines vembre-décem bre 1904, p. 530-531 ; L. Choupin, V aleur des
des m odernistes; Communium rerum, le 21 avril 1909, décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, Paris,
sur saint A nselm e; Editæ sæpe Dei, le 26 m ai 1910, 1907, p. 24-29.
sur saint C harles B orrom ée. E. M a n g e n o t .
La secrétairerie des lettres latines et la sccrétairerie E N D U R C IS S E M E N T . — I. N otions et définitions.
des brefs aux princes ont la charge latine scribendi IL C ontroverse. III. D ém onstration. IV. O bjections.
acta summi pontificis. C onst. Sapienti consilio, du I. N o t i o n s e t d é f i n i t i o n s . — L ’ endurcisse ­
29 juin 1908, in, 5, Ada apostolicæ Sedis, 1909, t. i, m ent dont il est ici question, est l ’ obstination dans le
p. 17. .M ais le souverain pontife peut se priver du péché, c ’ est encore une disposition de la volonté par
service de ces deux offices, et Léon X III collaborait laquelle le pécheur adhère tellem ent au m al qu ’ il ne
à la rédaction de ses encycliques. veuille plus revenir au bien.
Les anglicans, à l ’ im itation des usages rom ains, ont L ’ endurcissem ent est parfait, lorsqu ’ il est incom pa ­
récem m ent repris l'ancien nom de lettres encycliques tible avec la conversion de l ’ âm e, et tel est le cas des
épiscopales pour désigner des lettres circulaires du dam nés; l ’ endurcissem ent imparfait rend sim plem ent
prim at d ’A ngleterre. La réponse des archevêques de la conversion très difficile. Sur cette terre, rem arque
C antorbéry et d'Y ork à la lettre Apostolicæ curæ de saint Thom as, le pécheur peut être obstiné, en ce
Léon X III (13 septem bre 1896), sur l ’ invalidité des sens que sa volonté est si fortem ent attachée au péché,
ordinations anglicanes, est dans le style des ency ­ qu ’ elle ne produise plus que de faibles m ouvem ents
cliques pontificales, et elle est dénom m ée par ses pre ­ vers le bien; et cependant ces bons m ouvem ents, si
m iers m ots : Sœpius officio. faibles soient-ils, sont pour lui le m oyen de se préparer
III. A u t o r i t é . — Les encycliques des papes ne à la grâce et à la conversion. Quæst. disp., De veritate,
constituent pas jusqu ’ à présent des definitions ex q. xxiv, a. 2. N ous nous occuperons uniquem ent de
cathedra d ’autorité infaillible. Le souverain pontife l ’ endurcissem ent im parfait.
pourrait cependant, s ’ il le voulait, porter des défini ­ C ette obstination dans le m al est diam étralem ent
tions solennelles dans des encycliques. L ’ usage du opposée à la grâce actuelle. C elle-ci, en effet, com prend
m agistère infaillible dans les encycliques se déterm ine, un droit jugem ent par rapport au bien honnête et une
pour les cas particuliers, d ’ après les circonstances et inclination de la volonté à réaliser ce bien, tandis que
le langage. Si elles ne sont pas des jugem ents solennels, l ’ endurcissem ent suppose le jugem ent perverti et la
puisqu ’ elles n ’ en ont ni la form e ni les conditions volonté portée au m al. N ul m ieux que Lessius, De
extérieures, elles sont, au m oins, des actes du m agis ­ perfect, div., 1. X III, η. 76. 81, n ’ a décrit l ’ endurcis ­
tère ordinaire du souverain pontife, et elles se rap ­ sem ent. Il y a d ’ abord, dit-il, l ’ aveuglem ent (excæ-
prochent des jugem ents solennels, lorsqu ’ elles portent catio), qui consiste non seulem ent dans la privation
sur des m atières qui pourraient être l ’ objet de défini ­ de la lum ière divine, m ais encore dans une perversion
tions. Sans donner un jugem ent définitif et absolu positive du jugem ent Ces deux élém ents sont néces ­
ni de définition ex cathedra, le souverain pontife, en saires pour constituer ce triste état de l ’ âm e. L ’ effet
publiant une encyclique, veut souvent pourvoir à la du prem ier est de rendre l ’ intelligence inapte à per ­
sécurité de la doctrine par une direction obligatoire. cevoir les vérités surnaturelles, ou du m oins à les
C ’ est le cas quand il condam ne des erreurs et quand il percevoir d ’ une m anière utile et efficace pour le salut.
expose l ’ enseienem ent de l ’ Église. Le pape use alors O n ne tire plus aucun fruit des serm ons, des conver ­
de son pouvoir de docteur et de pasteur de l ’ Église sations ou des lectures pieuses. L ’ effet du second
universelle, non sans doute au degré suprêm e de son élém ent est de fausser le jugem ent sur les choses
m agistère, m ais à un degré inférieur, de droit ordi ­ concernant le salut. O n tient le faux pour vrai, le
naire. Il propose à toute l ’ Église une direction et un m al pour le bien, l ’ obscurité pour lum ière, le doute
m seisnem ent qui. sans être définitifs, s ’ im posent obli- pour certitude et réciproquem ent. Il sem ble que, par
gatoirem ont à tous les catholiques. Le privilège de rapport aux choses de D ieu, l ’ optique m entale soit
l ’ infaillibilité peut se rencontrer dans ces actes du faussée.
m agistère ordinaire du souverain pontife. V oir M a ­ L ’ endurcissem ent est la conséquence fatale de l ’ a ­
17 E N D U R C IS S EM EN T 18

veuglem ent . Ce que l ’ aveuglem ent produit dans l ’ intel ­ breuses grâces, qui sont accordées aux justes ou aux
ligence et le jugem ent, l'endurcissem ent l ’ opère dans pécheurs ordinaires. C ’ est ce que le prophète Isaïe
la volonté et ses tendances. D e m êm e que la lum ière faisait rem arquer lorsque, sous la figure d'une vigne,
divine excite dans la volonté une certaine disposition il reprochait l ’ ingratitude, l'endurcissem ent du peuple
à suivre les inspirations d'en haut, à obéir à D ieu, de juif. « E t m aintenant, je vous m ontrerai ce que je
m êm e la cécité spirituelle produit l ’ endurcissem ent, ferai, m oi, à m a vigne. J ’ enlèverai sa haie, et elle sera
l'obstination dans le m al, pousse la volonté à résister au pillage, je détruirai sa m uraille et elle sera foulée
aux avertissem ents salutaires, aux appels de la grâce aux pieds. Je la rendrai déserte ; elle ne sera pas sarclée,
divine. A insi l ’ endurcissem ent consiste dans un atta ­ et elle ne sera pas labourée; les ronces et les épines
chem ent ferm e et obstiné au m al, sous une certaine s ’ élèveront et je com m anderai aux nuées de ne pas
apparence de bien; d ’ où il suit que la volonté du répandre sur elle la pluie. » Is., v, 5 sq. Cf. S. Thom as.
pécheur ne peut être ébranlée, ni par les avertisse ­ In exposit. in Is., c. v ; S. Jean C hrysostom e, In Is.,
m ents venus de l ’ extérieur, ni les inspirations inté ­ v, 5, P. G., t. l v i , col. 60.
rieures, ni par les m enaces, ni par les prom esses. Il Les secours divins refusés aux pécheurs endurcis
reste dur com ine la pierre et im pénétrable jusqu ’ à ce ne sont pas seulem ent les grâces efficaces. Sous le nom
que la divine m iséricorde brise par une grâce spéciale, de pécheurs endurcis, les Pères de l ’ Église et les théolo ­
extraordinaire, sa volonté rebelle. Cf. S. Thom as, giens désignent une catégorie particulière de pécheurs.
Sum. theol., Il» 11«, q. l x x i x , a. 3. « M alheur à vous, O r, il est certain que les pécheurs ordinaires et les
dit Isaïe, iv, 20, 21, qui appelez le m al bien et le bien, justes, au m om ent où ils tom bent dans le péché, n ’ a ­
m al ; qui donnez les ténèbres pour la lum ière, et la vaient pas la grâce efficace pour résister. A ussi, afin
lum ière pour les ténèbres; qui donnez l ’ am er pour le de conserver la distinction classique entre les pécheurs
doux et le doux pour l ’ am er. M alheur à vous qui êtes endurcis et ceux qui ne le sont pas, doit-on adm ettre
sages à vos yeux et prudents vis-à-vis de vous-m êm es. » que les prem iers, non seulem ent n ’ ont pas la grâce
Les causes de l ’ endurcissem ent sont m ultiples et efficace, m ais encore sont privés de certains secours
appartiennent à différents ordres. La cause positive spéciaux, tels que grâce im m édiatem ent suffisante,
interne n ’ est autre que l ’ hom m e lui-m êm e à qui est protection particulière de D ieu, éloignem ent des
justem ent im putable ce triste état. Par ses péchés tentations, etc. V oilà pourquoi saint Thom as, Cont.
répétés, m ultipliés, am oncelés, il contracte des habi ­ gentes, 1. Ill, c. c l x ii , après avoir établi par de nom ­
tudes m auvaises dans l ’ intelligence et la volonté; ce breuses et solides raisons que D ieu ne saurait être
sont ces dispositions vicieuses qui obscurcissent l ’ intel ­ l'auteur du péché, explique certains textes de la
ligence des vérités de la foi et endurcissent le cœ ur. sainte É criture qui sem bleraient affirm er le con­
L a lecture fréquente des m auvais journaux et revues, traire. « Ces textes, dit-il, doivent être entendus de
les conversations contre la foi rem plissent l ’ esprit telle sorte que D ieu ne donne pas à certaines personnes
de préjugés et d ’ erreur, l ’ am bition, la luxure, la cupi ­ pour éviter le péché le secours qu ’ il accorde à d ’ autres.
dité, la recherche avide des richesses abaissent la Ce secours ne com porte pas seulem ent la grâce actuelle,
volonté vers les biens de la terre et la rendent inca ­ m ais encore une protection extérieure qui écarte les
pable, sans une grâce spéciale, de secouer le joug tentations et brise l ’ effort des passions m auvaises. »
néfaste des passions et de s ’ élever vers D ieu. L a cause II. C o n t r o v e r s e . — C alvin et les calvinistes sou ­
positive externe est le dém on agissant par de m auvaises tenaient que D ieu, par un décret positif, prédestine
suggestions et instigations. N on seulem ent le dém on certaines âm es à la dam nation éternelle et par consé ­
tente par lui-m êm e, m ais encore il se sert des circon ­ quent leur refuse toute grâce. V oir t.n , col. 1406-1412.
stances et des choses extérieures. Les liaisons crim i ­ C ette doctrine est hérétique. V oir P r é d e s t in a t i o n .
nelles, les fréquentations dangereuses, les théâtres Q ue tous les pécheurs ordinaires reçoivent des
licencieux, les livres pornographiques, etc., sont grâces, avec lesquelles ils puissent se convertir, c ’ est
autant de m oyens dont se sert le tentateur pour affer ­ l ’ opinion com m une des théologiens. Perrone adm et
m ir ses victim es dans le péché, les endurcir dans le que c ’ est une doctrine catholique.
m al. Enfin, la cause externe permissive et négative de Q uant aux pécheurs endurcis, il est hors de doute
l'endurcissem ent, c ’ est D ieu; com m e nous l ’ expli­ que plusieurs d'entre eux reçoivent non seulem ent des
querons plus bas, D ieu n ’ est pas l ’ auteur, la cause grâces suffisantes, m ais encore des grâces efficaces.
positive de l ’ endurcissem ent, m ais il perm et, il n ’ em ­ C ’ est, en effet, un fait historique que certains pécheurs
pêche pas celui-ci, par cela m êm e qu'il refuse au endurcis se sont réellem ent et sincèrem ent convertis,
pécheur une grâce plus abondante, une grâce spéciale. saint Paul, saint A ugustin et d ’ autres.
D ieu, ne l ’ oublions pas, est le m aître absolu dans la Si l ’ on considère l ’ ensem ble des pécheurs endurcis,
distribution des grâces. Lorsque le secours divin est U est certain qu ’ ils ne sont pas privés des grâces de
plus faible et la volonté de l'hom m e m oins disposée à conversion, à cause de l ’ énorm ité ou de la m ultitude
correspondre à l'appel d ’ en haut, il résulte une grande de leurs péchés. O n sait, en effet, par le traité De
difficulté de suivre le m ouvem ent de la grâce, et c ’ est pænitenlia qu ’ il n ’ existe sur cette terre ni péché ni
précisém ent dans cette grande difficulté que consiste m ultitude de péchés irrém issible.
l ’ endurcissem ent. Toutefois, cette difficulté ne pro ­ D u m oins, D ieu peut-il refuser à certains pécheurs
vient pas d ’ une nécessité, m ais elle prend sa source endurcis toute grâce de conversion à cause des per ­
dans la libre volonté de l ’ hom m e. D ’ une part, en sonnes, en punition de certains péchés? Q uelques
effet, c ’ est librem ent qu ’ il s ’ est jeté parson péché dans théologiens thom istes ont soutenu cette opinion,
cette m isérable situation m orale, d ’ autre part, il aujourd ’ hui abandonnée (Bannez, Ledesm a, G odoy,
dépend de son libre arbitre de rem placer les habitudes G onet, etc.).
vicieuses par des habitudes contraires. D ans quelles lim ites D ieu donne-t-il aux pécheurs
T out pécheur n ’ est pas nécessairem ent un pécheur endurcis la grâce suffisante pour se convertir? Sans
endurci, celui-ci persiste plus longtem ps dans le péché doute, D ieu peut enlever au pécheur la vie, ou l ’ usage
et avec une résistance plus grande à son relèvem ent. de la raison. D ans ce cas, il ne saurait être question
C ’ est l ’ avis unanim e des théologiens que le pécheur de grâces suffisantes. V oilà pourquoi nous nous occu ­
ordinaire, d ’ une m anière générale, reçoit des grâces pons seulem ent du pécheur endurci vivant et jouissant
plus fréquentes et plus puissantes que le pécheur de l'usage de la raison; et nous affirm ons que la gr.ïc·
endurci. Suivant le cours ordinaire de la providence, suffisante pour se convertir ne lui fait pas défaut. Il est
l ’ endurcissem ent com porte la soustraction de nom ­ vrai qu ’ il n'a pas toujours à sa disposition la grâce
19 E N D U R C ISS E M E N T 20

pour se convertir hic et nunc, m ais, du m oins, a-t-il qui aim ez les âm es. » Sap., xi, 24, 39. « Le Seigneur
la grâce de prier et, par la prière, le m oyen de se agit patiem m ent à cause de vous, ne voulant pas
disposer à la justification. m êm e que quelques-uns périssent, m ais que tous
D ’ autre part, il arrive le plus souvent que le recourent à la pénitence. » II Pet., ni, 9. Cf. Luc.,
pécheur endurci est bien éloigné de penser aux choses v, 31 sq. ; xv, 4 sq. ; I Tim ., n, 4 sq.
du salut et de la religion, il est donc évident qu'il B ien plus, la sainte É criture invite en term es for ­
n ’ est pas à tout instant excité par la grâce à se con­ m els et pressants les pécheurs endurcis à se convertir.
vertir; m ais D ieu lui donnera en tem ps opportun « C onvertissez-vous à m es rem ontrances... Parce que
l ’ illum ination de l ’ intelligence et l ’ inspiration de la j'ai appelé et que vous avez refusé de m ’ entendre,
volonté, suffisantes pour qu ’ il puisse se convertir s ’ il que j'ai tendu m a m ain et qu ’ il n ’ y a eu personne
le veut. Le tem ps opportun, où D ieu d ’ ordinaire qui m ’ ait regardé, que vous avez m éprisé tous m es
distribue ces secours, c'est à l'occasion des grâces conseils et négligé m es réprim andes, m oi aussi, à
externes : la prédication, la m aladie, les épreuves, les votre m ort je rirai. » Prov., i, 23. « E st-ce que tu
bonnes lectures, toutes circonstances qui incitent m éprises les richesses de sa bonté, de sa patience, de sa
l ’ hom m e à la pénitence. longanim ité? Ignores-tu que la bonté de D ieu t ’ invite
O n peut citer un grand nom bre de passages de la à la pénitence? C ependant par ta dureté et ton cœ ur
sainte É criture où il est dit que D ieu endurcit les im pénitent, tu t ’ am asses un trésor de colère pour le
pécheurs. E xod.. x, 1. D ieu dit : « J ’ ai endurci le coeur jour de la colère et de la m anifestation du juste juge ­
de Pharaon et des É gyptiens, afin de faire des m iracles m ent de D ieu. » R om ., n, 4. Cf. Sap., xn, 20 sq. ; A ct.,
sur eux et d ’ apprendre aux Israélites que je suis le vu, 51.
Seigneur. » N ous lisons dans Isaïe, xxxm , 17 : « V ous 2° Argument des Pères de l’Église.— Saint A ugustin l
avez endurci notre cœ ur afin de nous ôter la crainte traite de l ’ endurcissem ent dans son traité L U I, In
de vos châtim ents. · Saint Paul conclut, R om ., ix, 18, Joa. E xpliquant ce texte de saint Jean : Propterea non
« que D ieu a pitié de qui il veut et qu ’ il endurcit poterant credere, quia iterum dixit Isaias : Excæcauil
qui il lui plaît ». S ’ il y a, disent les incrédules, un blas ­ oculos eorum et induraoil cor eorum..., Joa., xn, 39, il
phèm e terrible, c ’ est d ’ enseigner que D ieu est la cause se propose l ’ objection suivante : « S ’ ils n ’ ont pu croire,
du péché; telle est, cependant, ajoutent-ils, la doc ­ com m ent y a-t-il péché pour un hom m e de ne faire
trine de M oïse, des prophètes, de l ’ Évangile et de point ce qu'il ne peut pas faire? In Joa., tr. L U I, n. 5,
saint Paul. Il n ’ y m anque rien pour être un article de P .L .,t.xxxv, col. 1776, et il répond en ces term es : Ils
foi du christianism e, com m e l ’ a soutenu C alvin. ne pouvaient pas croire, parce que le prophète Isaïe
D ’ autre part, saint A ugustin, s'appuyant sur ces avait prédit ce résultat; m ais le prophète avait prédit
m êm es passages de l ’ É criture, sem ble adm ettre que, cet événem ent parce que D ieu l ’ avait prévu. Si vous
dans certains cas, D ieu prive le pécheur endurci de m e dem andez pourquoi ils n ’ ont pas voulu croire,
toute grâce. N e soutient-il pas contre les pélagiens je vous réponds : parce qu ’ ils ne voulaient pas, ·
que l ’ endurcissem ent des pécheurs est un acte positif n. 6. C ette im puissance à croire n ’ a rien d ’ étonnant
de la puissance de D ieu? Lorsque Julien lui répond que en ceux dont la volonté est orgueilleuse au point d ’ igno ­
les pécheurs ont été abandonnés à eux-m êm es par la rer la justice de D ieu pour [rechercher leur justice
patience divine, et non poussés au péché par sa puis ­ propre... Lors donc qu ’ il est dit, ils ne pouvaient pas,
sance, le docteur de la grâce«persiste à soutenir qu ’ il entendez : ils ne voulaient pas; de m êm e qu ’ il est dit
y a encore un acte de patience et un acte de puis ­ de D ieu, notre Seigneur : il ne peut pas se nier. Il
sance. Contra Julianum, 1. V ,c. ni, n. 13; c. iv, n. 15, Tim ., n, 13... Q ue D ieu ne puisse pas se nier, c ’ est la
P. L., t. x l iv , col. 791, 793. A ussi les théologiens de gloire de la volonté divine, que ceux-ci ne puissent pas
l'école augustinicnne adm ettent que l ’ état d ’ endurcis ­ croire, c ’ est la faute de la volonté hum aine, n. 9.
sem ent com porte une privation com plète de toute grâce » Si donc ils ne pouvaient croire, ee n ’ est pas que
de conversion. C ontre ces différents adversaires, nous l ’ hom m e ne puisse se convertir, m ais parce que l ’ ob ­
devons établir et dém ontrer la proposition suivante. stination dans leur sens propre em pêchait la croyance, »
III. D é m o n s t r a t io n . — Personne, tant qu ’ il est n. 10. Pourquoi D ieu ne leur donne-t-il pas une grâce
en vie, n ’ est endurci dans le m al au point de n ’ avoir efficace qui les aide à croire? « C ’ est, répond le saint
pas la grâce, au m oins m édiatem ent suffisante, pour docteur, à cause de la volon lé perverse de ces hom m es, »
sauver son âm e. C ette vérité catholique est fondée n. 6,7. D e tout ceci il ressort clairem ent que l ’ obstacle
sur l ’ É criture sainte, le tém oignage des Pères de à la conversion des pécheurs endurcis.ee n'est pas le
l ’ Église et la raison théologique. défaut de grâce suffisante, m ais bien la, m auvaise
1° Argument d'Écriture sainte. — « Je vis, m oi, dit volonté de ceux-ci qui résistent à la grâce.
le Seigneur D ieu; je ne veux pas la m ort de l ’ im pie, Le m êm e docteur, com m entant les paroles de saint
m ais que l'im pie se détourne de sa voie et qu ’ il vive. Paul aux R om ains, i, 28, s ’ exprim e en ces term es :
D étournez-vous, détournez-vous de vos voies très m au ­ « V oilà l ’ aveuglem ent de l ’ âm e, celui qui est affligé de
vaises et pourquoi m ourrez-vous,m aison d ’ Israël?... cette cécité, est privé de la lum ière intérieure de D ieu,
M ais si je dis à l ’ im pie : tu m ourras de m ort, et qu ’ il m ais pas entièrem ent, tant qu ’ il est en cette vie. Il
fasse pénitence de son péché..., tous les péchés qu ’ il y a, en ellct, les ténèbres extérieures, qui se rapportent
a com m is ne lui seront point im putés. » Ezech., x x x ii i , plutôt au jour du jugem ent; alors tout hom m e qui
11, 14, 16. « C onvertissez-vous et faites pénitence de aura refusé de se convertir, quand il en était tem ps
toutes vos iniquités, et l ’ iniquité ne vous sera pas à encore, se trouvera séparé totalem ent de D ieu. » In ps.
ruine. ■ Ezech.. xvm , 30. « Si vos péchés sont com m e vi, n. 8, P. L., t. xxxvi, col. 94. D e là, saint A ugustin
l ’ écarlate, com m e la neige ils deviendront, blancs, et tire cette conclusion : « Il ne faut jam ais désespérer
s ’ ils sont rouges com m e le verm illon, com m e la laine du salut du pécheur si obstiné soit-il, tant qu ’ il est
ils seront blancs. - Is., 1. 18. Ces expressions sont géné ­ en vie, et l ’ on a raison de prier pour celui dont on ne
rales, elles n ’ adm ettent aucune exception et com ­ désespère pas. s Retract., 1. I, c. xix, n. 7, P. L., t. xxxir,
prennent. par conséquent, les pécheurs endurcis. « M ais col. 616. Saint Prosper dit aussi : « D ieu ne barre
vous avez pitié de tous, parce que vous pouvez tout, jam ais la route au retour du pécheur, jam ais il ne
et vous dissim ulez les péchés des hom m es à cause du prive quelqu ’ un de la possibilité de faire le bien.
repentir. C ar vous aim ez tout ce qui est et vous ne Resp. xv ad object. Vincent., P. L., t. l i , col. 85. L ’ au ­
haïssez rien de ce que vous avez fait... V ous êtes indul ­ teur anonym e de l ’ ouvrage : De oocalione gentium dit
gent envers tous, parce que tout est à vous, Seigneur encore : « N ous croyons que le secours de la grâce n ’ est
21 E N D U R C IS S EM EN T 22

jam ais entièrem ent refusé à aucun hom m e. » L. I, un certain nom bre d ’ objections tirées de la sainte
c. xxi, P. L; t. i.i, col. 674. « Ces bienfaits, alors É criture et de saint A ugustin. V oici les principales :
m êm e qu ’ ils n ’ ont procuré aux pécheurs endurcis 1° Écriture sainte. — 1. E xod., x, 1 : « D ieu dit : j ’ ai
aucun rem ède pour leur conversion, prouvent cepen ­ endurci le cœ ur de Pharaon et des É gyptiens, afin de
dant que leur endurcissem ent ne doit pas être im ­ faire des m iracles sur eux et d ’ apprendre aux Israé ­
puté à la volonté divine, m ais à leur volonté propre. » lites que je suis le Seigneur. » C ’ est le propre non seu ­
L. II, c. xiii, P. L., t. ni, col. 698. lem ent de l ’ hébreu, m ais de toutes les langues, d ’ expri­
A u tém oignage des Pères de l ’ Église s ’ ajoute celui m er com m e cause ce qui n ’ est qu’occasion. O n dit d ’ un
des théologiens; il suffira de citer saint Thom as, le hom m e qui déplaît qu ’ il donne de l ’ hum eur, qu ’ il
prince de la théologie. « C ’ est une erreur de soutenir fait enrager; d ’ un père trop indulgent qu ’ il pervertit
qu ’ il puisse se trouver en cette vie un seul péché dont et perd ses enfants; souvent c ’ est contre leur inten ­
on ne puisse se repentir. D ’ abord parce que cela serait tion; iis n ’ en sont donc pas la cause, m ais seulem ent
la négation du libre arbitre, ensuite parce que cela l ’ occasion, de m êm e les m iracles de M oïse et les plaies
détruirait la vertu de la grâce qui peut exciter des d ’ É gypte étaient l’occasion et non la cause de l'endur ­
sentim ents de pénitence dans le cœ ur de tout pécheur, cissem ent de Pharaon. L a patience de D ieu produit
quel qu'il soit. Sum. theol., Ill*, q. i.xxxvi, a. 1. « Il souvent le m êm e effet sur les pécheurs, D ieu le pré ­
est m anifeste que l ’ hom m e n ’ est jam ais tellem ent voit, le prédit, le leur reproche; ce n ’ est donc pas lui
obstiné dans le m al qu ’ il ne puisse coopérer à son qui est la cause directe. Il pourrait l ’ em pêcher sans
relèvem ent. La passion, en effet, peut être brisée et doute, m ais l ’ excès de leur m alice n ’ est pas un titre
réform ée, les m auvaises habitudes ne corrom pent pour engager D ieu à leur donner des grâces plus fortes
jam ais totalem ent le cœ ur, la raison n ’ adhère jam ais et plus abondantes. Il les laisse donc s ’ endurcir, il
à l ’ erreur avec une pertinacité telle qu ’ elle ne ne les en em pêche point, c ’ est tout ce que signifie
puisse s ’ en déprendre par m ie étude appropriée. » l ’ expression endurcir les pécheurs.
Quasi. disp. De veritale, q. xxiv, a. 11. D onc si, dans C ’ est dans le m êm e sens qu ’ il est dit, dans les Livres
le cœ ur du pécheur endurci, « les m ouvem ents vers le saints et dans les écrits des Pères, que D ieu abandonne
bien sont affaiblis,» il n ’ en dem eure pas m oins» qu ’ il les pécheurs, qu ’ il délaisse les nations infidèles, qu ’ il
peut y donner son consentem ent s ’ il le veut. » livre les im pies à leur sens réprouvé, etc. C ela ne signi ­
Sans doute, on trouve parfois dans les écrits des fie point que D ieu les prive absolum ent de toute grâce,
Pères des expressions de ce genre : « l ’ hom m e peut m ais qu ’ il ne leur en accorde pas autant qu ’ aux justes;
tom ber dans le péché par m anque de grâce; » m ais qu ’ il ne leur donne pas autant de secours qu ’ il l ’ a
il s ’ agit — etle contexte l ’ indique — de la grâce effi ­ fait autrefois, ou qu ’ il ne leur donne pas des grâces
cace, d ’ une grâce abondante, de celle que l ’ auteur aussi fortes qu ’ il le faudrait pour vaincre efficacem ent
inconnu du D e vocatione gentium appelle misericordiam leur obstination.
specialem par opposition à benignitalem generalem, E n effet, c'est un usage, com m un dans toutes les
c ’ est-à-dire la grâce suffisante, que D ieu ne refuse à langues, d ’ exprim er en term es absolus ce qui n ’ est
personne, 1. II,c.xxv, xxxi, P. L., t. l i , c o 1. 710sq., 716. vrai que par com paraison. A insi, lorsqu ’ un père ne
3° Arguments de raison Idéologique. — 1. D ieu veut, veille plus avec autant de soin qu ’ il le faisait autre ­
d ’ une volonté positive et agissante, le salut de tous les fois, ou qu ’ il le faudrait, sur la conduite de son fils,
hom m es. I Tim ., n, 4 sq. O r, s ’ il excluait le pécheur on dit qu ’ il l ’ abandonne, qu ’ il le livre à lui-m êm e; s ’ il
endurci de toute grâce, m êm e de la grâce m édiate- tém oigne à l ’ aîné plus d ’ affection qu ’ au cadet, on dit
m ent suffisante, il n ’ aurait plus cette volonté positive que celui-ci est délaissé, négligé, pris en aversion, etc.
et agissante de sauver tous les hom m es. D e cette Ces façons de parler ne sont jam ais absolues, m ais per ­
volonté salvifique universelle de D ieu, il suit que sonne n ’ y est trom pé, parce que le sens relatif est
D ieu veut que nous priions pour tous les hom m es sans consacré par l ’ usage. O n doit raisonner de m êm e sur
exclure personne, il suit encore que D ieu accorde à les textes où il est dit que D ieu aveugle les pécheurs,
tout hom m e, et donc au pécheur endurci, la grâce de puisque l ’ É criture nous enseigne qu ’ ils sont aveuglés
la prière. C 'est ce que rem arque saint A ugustin : 11 par leur propre m alice. Sap., n, 21. « D ieu, dit encore
reste toujours au pécheur la volonté de prier, volonté saint A ugustin, aveugle et endurcit les pécheurs en
qui est un fruit de la grâce. Petraei., 1. I, c. xv, n. 4, les abandonnant, et en ne les secourant pas. » in Joa.,
P. L., t. xxxii, col. 609. tr. L U I, n. 6, P. L., t. xxxv, col. 1776. O r, nous venons
2. C ’ est pour le pécheur une obligation grave de de voir en quel sens D ieu les abandonne et ne les
faire pénitence, de se convertir, de revenir à D ieu. secourt pas.
L ’ É criture sainte est pleine des exhortations que D ieu 2. M ais il y a quelques-uns de ces passages qui
fait au pécheur de se convertir. 11 suffit de lire les textes m éritent une attention particulière. D ans Isaïe, vr, 9,
cités plus haut. D ’ autre part, nous savons par la con ­ D ieu dit au prophète : V a et dis à ce peuple : Écoutez
dam nation de l ’ hérésie de Pélage que, sans le. secours et n ’ entendez pas, voyez et gardez-vous de connaître.
de la grâce surnaturelle, l ’ hom m e est incapable d'opé ­ A veugle le cœ ur de ce peuple, appesantis ses oreilles et
rer sa conversion salutaire. Il ne peut donc se faire ferm e-lui les yeux de peur qu ’ il ne voie, n ’ entende,
que le pécheur endurci se trouve privé de toute grâce, ne com prenne et ne se convertisse et que je ne le
il ne saurait être responsable de ce triste état et jus ­ guérisse. » Isaïe n ’ avait certainem ent pas le pouvoir
ticiable de la colère divine, s ’ il n ’ avait pas le pouvoir de rendre les Juifs sourds et aveugles; m ais D ieu lui
de se convertir, et ce pouvoir suppose la grâce. ordonnait de leur reprocher leur endurcissem ent et
3. L ’ Église oblige tous les pécheurs sans exception de leur prédire ce qui arriverait. A insi, aveugle ce
à confesser une fois l ’ an leurs péchés et à recevoir la peuple signifie sim plem ent : dis-lui et reproche-lui qu’il
sainte eucharistie. M ais le pécheur, pour recevoir ces est aveugle.
deux sacrem ents, doit préalablem ent effectuer une L ’ Évangile fait plus d ’ une fois allusion à cette
conversion sincère, se repentir de scs péchés et revenir prophétie. D ans saint M atthieu, xin, 13, Jésus-Christ
à D ieu. T out cela postule le secours divin et le com ­ dit des Juifs : « Je leur parle en paraboles, parce qu ’ ils
m andem ent de l ’ Église, sous peine d ’ être im pie et regardent et ne voient pas, ils écoutent et ils n ’ en ­
sacrilège, suppose donc que le; pécheur endurci n ’ est tendent ni ne com nrennent pas. A insi s ’ accom plit
pas privé de toute grâce. en eux la prophétie d ’ Isaïe qui a dit : V ous écouterez
IV . O b j e c t i o n s . — C ontre la doctrine catholique et n ’ entendrez pas, etc. E n effet, le cœ ur de ce peuple
que nous avons exposée jusqu ’ à présent, on propose est appesanti, ils écoutent grossièrem ent, ils ferm ent
23 E N D U R C IS S EM E N T 24

les yeux de peur de voir, d ’ entendre, de com prendre, faire prendre le sens. O r, nous avons vu que dans ce
de se convertir et d ’ être guéris. » D ans saint M arc, prophète, aveugle ce peuple, signifie : déclare-lui qu'il
iv, 12, le Sauveur dit à ses disciples: « Il vous est donné est aveugle et reproche-lui son aveuglem ent.
de connaître les m ystères du royaum e de D ieu; m ais O n expliquera de la m êm e m anière A m os, i, 3;
pour ceux qui sont dehors, tout se passe en paraboles, H eb., xn, 19; II M ach., ix, 13.
afin que voyant ils ne voient pas, qu ’ écoutant ils 2° Saint Augustin. — 1. A la vérité, saint A ugus ­
n ’ entendent pas, qu ’ ils ne se convertissent pas et que tin répète en plusieurs endroits que D ieu a voulu
leurs péchés ne leur soient pas rem is. » l ’ endurcissem ent des pécheurs, m ais, par là, il entend
D ans saint Jean, xn, 39, il est dit des Juifs que, que D ieu l ’ a perm is, ne l ’ a pas em pêché. Il dit que
m algré la grandeur et la m ultitude des m iracles de Pharaon s ’ endurcit lui-m êm e, et que la patience de
Jésus-C hrist, « ils ne pouvaient pas croire, parce D ieu en fut l ’ occasion. Liber de gratia et libero arbi­
qu ’ Isaïe a dit : il a aveuglé leurs yeux et endurci leur trio, η. 45, P. L., t. x l iv , col. 906; Serni., l v i i , n. 8,
cœ ur, de peur qu ’ ils ne voient, n ’ entendent, ne se P. L., t. xxxviii, col. 390; In ps. civ, n. 17, col. 1398.
convertissent et que je ne les guérisse. » Saint Paul « D ieu, dit-il, endurcit, non en donnant de la m alice
applique encore aux Juifs cette prophétie. A ct., xvin, au pécheur, m ais en ne lui faisant pas m iséricorde.
25; R om ., xi, 8. Epist., cxciv, ad Sextum, c. ni, η. 1, P. L., t. xxxm ,
Il suffit de com parer ces divers passages pour en col. 871. » Ce n ’ est donc pas qu ’ il lui donne ce qui le
com prendre le vrai sens ; saint M atthieu s ’ est exprim é rend plus m échant, m ais c ’ est qu ’ il ne lui donne pas ce
d ’ une m anière qui ne fait aucune difficulté; m ais, qui le rend m jilleur. Ad Simplicianum, q. n, n. 15,
com m e le texte de saint M arc paraît plus obscur, les P. L., t. xn, col. 119. « C ’ est-à-dire une grâce aussi
incrédules s ’ y sont attachés, et ils en concluent que forte qu ’ il la faudrait pour vaincre son obstination
Jésus-Christ parlait exprès en paraboles, afin que les dans le m al. » In Joa., tr. L U I, n.6 sq., P. L.,t. xxxv,
Juifs n ’ y entendissent rien et refusassent de se con ­ col. 1776.
vertir. E n cela m êm e consiste l’acte de puissance que D ieu
a) 11 est clair qu ’ au lieu de lire dans le texte afin exerce pour lors; cette puissance ne brille nulle part
que, il faut traduire : de manière que : c ’ est la signifi ­ avec plus d ’ éclat que dans la distribution qu ’ elle fait
cation très ordinaire du grec tva et du latin ut et de ses grâces en telle m esure qu ’ il lui plaît. « Pélage,
cette traduction fait déjà disparaître la plus grande dit-il, nous répondra peut-être que D ieu ne force
difficulté. « Pour ceux qui sont dehors tout se passe en personne au m al, m ais qu ’ il abandonne seulem ent
paraboles, de manière que, voyant, ils ne voient ceux qui le m éritent, et il aura raison. » De natura
pas, etc. » C 'est précisém ent le m êm e sens que dans et gratia, c. xxm , n. 25, P. L., t. x l i v , col. 259. C ’ est
saint M atthieu. par ces passages qu ’ il faut expliquer ce qui paraîtrait
b) Il n ’ est pas m oins évident que des paraboles, plus dur dans d ’ autres endroits des ouvrages de ce
c'est-à-dire des com paraisons sensibles, des apologues, Père. Lorsqu ’ on objecte à saint Prosper que, selon
des façons de parler populaires et proverbiales, étaient saint A ugustin, D ieu pousse les hom m es au péché, il
la m anière d ’ instruire le plus à la portée du peuple, répond que c ’ est une calom nie. «Ce ne sont pas là, dit-
et la plus capable d'exciter son attention : non seule ­ il, les œ uvres de D ieu, m ais du diable, les pécheurs
m ent c ’ était le goût de la m éthode des anciens, et sur ­ ne reçoivent pas de D ieu l ’ augm entation de leur
tout des O rientaux, m ais c ’ est encore aujourd ’ hui iniquité, m ais ils deviennent plus m échants par
le genre d ’ instruction que le peuple saisit le m ieux. eux-m êm es. » Ad capit. Gallor., resp. 11 et sent. 11,
Ce serait donc une absurdité de supposer que Jésus- P. L., t. Li, col. 72.
C hrist s'en servait, afin de n ’ être ni écouté, ni entendu. 2. Saint A ugustin, Expositio quarumdam proposil.
c) Pourquoi était-il donné aux apôtres de connaître in Epist. ad Rom., c. l x i i , P. L., t. xxxv, col. 2080,
les m ystères du royaum e de D ieu, et pourquoi cela s ’ exprim e en ces term es au sujet de l ’ endurcisse ­
n ’ était-il pas accordé de m êm e au com m un des Juifs? m ent de Pharaon :« Le refus d ’ obéissance ne saurait
Parce que les apôtres interrogeaient leur M aître en lui être im puté, puisqu ’ un cœ ur endurci ne peut
particulier, afin d ’ apprendre de lui le vrai sens des obéir, m ais par son infidélité précédente il a m érité
paraboles; l ’ Évangile leur rend ce tém oignage. Les son état d ’ endurcissem ent, et ce péché d ’ infidélité
Juifs,au contraire, s ’ en tenaient à l'écorce du discours, lui est im puté. »
et ne se souciaient pas d ’ en savoir davantage. Loin de M ais, dans ce passage, saint A ugustin s ’ appuie sur
chercher à se m ieux instruire, ils ferm aient les yeux, une théorie erronée de 1 ’ initium fidei qu ’ il a rétractée
ils se bouchaient les oreilles, parce qu ’ ils refusaient et condam née dans la suite. Soutenant l ’ erreur des
de se convertir. T out sc passait donc en paraboles, sem ipélagicns que l’initium fidei n ’ est pas un don de
à leur égard; ils se bornaient là et n ’ allaient pas plus D ieu, m ais ce par quoi nous obtenons tous les
loin, de manière qu ’ ils écoutaient sans rien com ­ autres dons de D ieu, il enseigne dans le traité m êm e
prendre, etc. C ’ était donc un juste reproche que d ’ où est tirée l ’ objection que si les bonnes œ uvres
Jésus-Christ leur faisait, et non une tournure m ali ­ que nous faisons avec le secours divin nous sont légi ­
cieuse dont il usait à leur égard. Cf. P. Lagrange, tim em ent im putées, toutefois l ’ acte de foi doit nous
Évangile selon saint Marc. Paris. 1911. p. 95-103. être im puté à un titre spécial. Il provient, en effet,
M ais saint Jean dit qu'ils ne pouvaient pas se con ­ exclusivem ent de nous et il est le principe des autres
vertir. · Si l ’ on m e dem ande, dit à ce sujet saint actes surnaturels. O r, cette doctrine fausse, qu ’ il a
A ugustin, pourquoi ils ne le pouvaient pas, je réponds lui-m êm e form ellem ent condam née, saint A ugustin
d ’ abord, parce qu ’ ils ne. le voulaient pas. » In Joa., la con firm e par l ’ exem ple de Pharaon. O n doit im puter
tr. L U I. n. 6, P. L., t.xxxv, col. 1776. En effet, lorsque à Pharaon le prem ier péché qui a m érité son endurcis ­
nous parlons d ’ un hom m e qui a beaucoup de répu ­ sem ent. m ais non pas les péchés consécutifs à l ’ endur ­
gnance à faire une chose, nous disons qu ’ il ne peut cissem ent. Ceci doit être entendu de cette imputation
pas s’y résoudre, cela ne signifie point qu ’ il n ’ en a pas spéciale que saint A ugustin attribuait à l’initium fidei
le pouvoir. et puisque le saint docteur a reconnu, rétracté et
A la vérité, saint Jean sem ble attribuer cette incré ­ condam né son erreur sur l’initium fidei, l ’ application
dulité à D ieu lui-m êm e : Il a aveugle leurs yeuxet en­ faite à l ’ endurcissem ent de Pharaon tom be d ’ elle-
durci leur coeur, etc. M ais cet évangéliste savait que m êm e. V oir t. i, col. 2378 2380. 2407-2408.
le passage d ’ Isaïe était très connu, qu ’ il n ’ était pas Consulter les traités de la grâce A l ’article Distribution
nécessaire de copier servilem ent la lettre, pour en des grâces. C. ANTOINE.
25 ÉNÉE — E N F A N T S (D EV O IR S E N V E R S L E U R S P A R E N T S) 26

É N É E, évêque de Paris, m ort le 25 décem bre 870. La loi naturelle devait trouver son expression dans
Il était chancelier de C harles le C hauve et il avait le décalogue. Les devoirs des enfants envers leurs pa ­
été loué, pour les services rendus à l ’ Église dans cette rents sont l ’ objet du quatrièm e com m andem ent qui
charge, par les évêques de la province de Sens, Episl., est form ulé en ces term es dans la loi donnée par D ieu
xcix, P. L., t. cxix, col. 574, lorsque, en 853, il fut à M oïse : Honora patrem tuum et matrem tuam, ut
choisi pour gouverner le diocèse de Paris. Il assista à sis longævus super terram, quam Dominus Deus tuus
presque tous les synodes qui se tinrent à cette époque dabit tibi. E xod.,xx, 12. Le m êm e précepte est énoncé
dans l ’ em pire des Francs, et ce fut lui que les évêques dans le D eutéronom e, v, 16. Ce n ’ est pas sans raison
de la province de Sens, pour satisfaire aux désirs du que le texte sacré se sert de l ’ expression que la V ul­
pape N icolas I er , désignèrent pour venger l ’ Église gate traduit par honora. Scite autem in lege, lisons-
rom aine des accusations de Photius et de ses par ­ nous dans le catéchism e du concile de T rente, posita
tisans. D ans ce but, Énée com posa, en 868, un traité est honoris vox, non amoris, aut metus, etiam si vald -
Adversus Græcos, qui est un recueil de textes des amandi ac metuendi parentes sint. Etenim qui amat
Pères et des écrivains ecclésiastiques en faveur de la non semper observat et veneratur : qui metuit non semper
doctrine et des coutum es des O ccidentaux. C ette diligit : quem vero aliquis ex animo honorat, item amat
lettre fut publiée par dom d ’ A chery, Spicilegium, et veretur. Catechismus adparochos, De quarto praecepto.
13 in-4°, Paris, 1655-1677, t. vu a, p. Isq.; 3 in-fol., O n pourrait citer une foule de passages des livres
Paris, 1723, t. i, p. 113-148. Elle est reproduite dans tant de l ’ A ncien que du N ouveau T estam ent où il est
P. L., t. cxxi, col. 685-762. question des devoirs des enfants; les livres sapien ­
tiaux, entre autres, y reviennent très souvent. V oir
Fabricius, Bibliotheca latina mediœ œtatis, in-8°, 1858, t.i, Exod., xxi, 15; D ent., xxi, 18-21; xxvu, 16; Prov.,
p. 25; Histoire littéraire de la France, t. v, p. 386; dom I, 8; xv, 5; xix, 26; xxx, 17; Eccli., m , 8-18; vu,
M . Félibien, Histoire de la ville de Paris, 5 in-fol., Paris, 30; Tob., iv, 3-4; E ph., vi, 1-3; Col., m , 20. N otre-
1725, t. i, p. 95; Gallia Christiana, in-fol., Paris, 1744,
t. vu, col. 33; dom Ceillier, Histoire générale des auteurs Seigneur lui-m êm e a rappelé le quatrièm e précepte, en
ecclésiastiques, in-4°, 1754, t. xix, p. 216; H urter, Nomen­ le dégageant de certaines fausses interprétations des
clator, 3· édit., 1903, t. I, col. 786. scribes et des pharisiens. M atth., xix, 19; xv, 3-7.
B. H e u r t e b i z e . A u précepte et à l ’ exhortation les Livres saints
E N FA N TS (D e v o ir s e n v e r s l e u r s p a r e n t s ). joignent la leçon de l ’ exem ple. L ’ histoire de Cham et
— I. V ertu. IL Précepte. III. Pratique. celle d ’ A bsalom nous m ontrent com m ent sont punis
I. V e r t u . — L ’ ensem ble des devoirs des enfants les enfants qui m anquent de respect envers leurs pa ­
envers leurs parents form e l ’ objet de la piété filiale, rents, ou se révoltent contre eux. G en., rx, 22-27;
vertu qui se rattache à la justice com m e partie II R eg., xviii, 14. N ous voyons dans la G enèse le
potentielle. Cf. Thom as, Sum. theol., II» II· ', q. ci, a. prix que les anciens patriarches attachaient à la bé ­
1, 2. A ucun bien d ’ ordre purem ent naturel ne saurait nédiction paternelle, xxvu; x l v ii i . D e beaux m o ­
égaler le bienfait de l ’ existence qu ’ après D ieu nous dèles d ’ obéissance et de respect à l ’ égard des parents
devons à nos parents; voilà pourquoi la piété filiale, nous sont donnés par Isaac, Joseph, Salom on, le jeune
quel que soit son dévouem ent, est incapable d ’ acquitter Tobie, les R échabites. G en., x x ii , 2-11; x l v , 3; III
com plètem ent la dette que nous avons contractée à R eg., n, 19; Tob., v; Jer., xxxv, 1-12.
l ’ égard de nos parents. D ans la classification des ver ­ Les devoirs des enfants intéressent le législateur
tus, la piété filiale est donc rangée parm i les annexes civil par les côtés où ils touchent à l ’ ordre public. A ussi
ou parties potentielles de la justice. Parentibus, dit les codes anciens et m odernes s ’ en sont-ils occupés,
saint Thom as, non potest secundum aequalitatem et ils ont édicté diverses prescriptions qui interprètent
recompensari quod eis debetur, ut patet per Philosophum d ’ une m anière plus ou m oins heureuse le droit naturel
in VIII Ethicorum. Et sic adjungitur pietas justiliæ. et divin, notam m ent en ce qui concerne le respect et
Sum. theol., 11» 1 1»', q. l x x x , a. unicus. Sans doute, si un l ’ assistance dus aux parents. Code civil français, art.
fils sauve la vie à ses parents, il leur rend, en quelque 205 sq.
sorte, ce qu ’ il a reçu d ’ eux. C ependant, s ’ il conserve III. P r a t iq u e . — 1° Amour et respect. — Les en ­
à ses parents la vie corporelle, ce n ’ est pas à lui, à vrai fants doivent aim er sincèrem ent et du fond de leur
dire, qu ’ ils doivent l ’ existence; tandis que, sans ses cœ ur ceux à qui ils sont redevables du bienfait de la
parents, le fils n ’ aurait jam ais existé. 11 n ’ y a donc vie et de l ’ éducation. Celui qui serait assez dénaturé
pas, m êm e dans ce cas, parfaite réciprocité entre le pour souhaiter du m al à ses parents, pour leur causer
fils et les parents. Il en serait autrem ent, et m êm e on une peine injuste, pécherait contre la charité et contre
serait en droit de dire que les parents ont reçu de leur la piété filiale. M arc, Institutiones morales, R om e,
enfant plus qu ’ ils ne lui ont donné, si celui-ci leur pro ­ 1911, t. i, n. 694.
curait des biens de l ’ ordre surnaturel, si, par exem ple, A l ’ am our doit se joindre le respect extérieur.
il les éclairait des lum ières de la vraie foi, et les récon ­ C ’ est un point qui se recom m ande tout spécialem ent
ciliait avec D ieu. M arc, Institutiones morales, n. 688. à l ’ attention des prédicateurs et des catéchistes. la
La piété filiale se m anifeste, selon les circonstances, notion du respect étant, de nos jours, fort affaiblie.
par divers actes, tels que tém oignages d ’ am our et de L ’ irrévérence à l ’ égard des parents peut aller facile ­
respect, obéissance, assistance. N otons que l ’ am our m ent jusqu ’ au péché m ortel. A insi, à m oins qu ’ ils
inspiré par la piété filiale diffère de l ’ am our de charité. ne soient excusés par l ’ ignorance ou l ’ irréflexion,
La piété filiale nous fait aim er nos parents en tant que pèchent m ortellem ent ceux qui adressent à leurs pa ­
nous leur devons le bienfait de l ’ existence. Par la cha ­ rents des propos gravem ent injurieux. O n exagérerait
rité, nous aim ons le prochain, y com pris nos parents, cependant en taxant de péché m ortel celui qui, par
propter Deum, et in quantum ordinantur ad Deum. V oir étourderie, se perm ettrait de contrefaire ses parents,
t. n, col. 2256-2257. Il va sans dire que la piété fi­ ou de tenir sur leur com pte des propos un peu irré ­
liale, com m e les autres vertus m orales, peut être in­ vérencieux, surtout si c ’ était en leur absence.
form ée par la charité. Il va sans dire qu ’ ils pèchent gravem ent ceux qui
IL P r é c e p t e . — Les principaux devoirs des en ­ ont la crim inelle audace de frapper leurs parents ou
fants envers leurs parents découlent, com m e conclu ­ m êm e de lever la m ain contre eux. O n excuse cepen ­
sions im m édiates, des prem iers principes du droit dant celui qui se trouverait dans un cas de légitim· .
naturel; aussi n ’ ont-ils jam ais été com plètem ent défense, ou qui, pour donner les soins nécessaires a
ignorés, m êm e des peuples les plus barbares. des parents tom bés dans l ’ enfance ou la dém ence
21 E N F A N T S (D EV O IR S E N V E R S L E U R S P A R E N TS ) ENFER 28
serait obligé de les rudoyer un peu. « O n ne peut, dit 3° Assistance. — A ux devoirs de la piété filiale,
B erthier, excuser ceux qui, par m épris ou par m alice, dont il vient d ’ être question, il faut ajouter l ’ assis ­
frappent leurs parents ivres ou privés de raison; il tance corporelle et spirituelle. Les enfants ne doivent
en serait autrem ent si des traitem ents un peu rudes pas se décharger sur l ’ E tat ou sur les com m unes du
étaient nécessaires pour les contenir. » Abrégé de théo­ soin de leurs parents pauvres, âgés ou infirm es; c ’ est
logie dogmatique et morale, n. 2393. O n com prend que, à eux qu ’ incom be, sous ce rapport, la prem ière et
m êm e dans ces douloureuses circonstances, il faut y principale obligation. « Ils pèchent au m oins contre la
aller le plus doucem ent et le plus charitablem ent pos ­ piété, dit B erthier, ceux qui ne les visitent pas (leurs
sible. parents), ou ne les soignent pas dans leurs infirm ités
« C ’ est m anquer gravem ent au respect qu ’ on doit ou leur vieillesse, qui leur refusent les alim ents et les
à ses parents, écrit G ousset, que de leur intenter des choses nécessaires à la vie selon leur condition, qui
procès, de les poursuivre devant les tribunaux. Ce ­ n ’ ont pas soin, dans une m aladie grave, de leur faire
pendant com m e les intérêts du père et du fils sont des recevoir à tem ps les sacrem ents, qui ne leur font pas
intérêts distincts, si le père com m ettait une injustice faire des funérailles selon leur condition, qui ne prient
envers son fils, celui-ci, après avoir tenté sans succès pas pour eux après leur m ort, et ne font dire aucune
tous les m oyens de conciliation, pourrait réclam er m esse pour le repos de leur âm e. » Abrégé de théologie,
l ’ intervention du juge sans m anquer à son père. » Cours n. 2392. D e nos jours, ils sont, hélas 1 trop nom breux
de théologie morale, t. i, p. 259. ceux qui paraissent ne point se soucier des intérêts
Enfin, se rendent coupables d ’ un im pardonnable spirituels de leurs parents, et attendent le dernier
m anque d'égards les parvenus qui, par orgueil, af ­ m om ent avant de leur procurer les secours de la reli­
fectent de ne pas reconnaître des parents pauvres ou gion. C ’ est aux pasteurs des âm es à com battre éner ­
m al vêtus. O n excuse cependant celui dont les parents, giquem ent une si funeste négligence.
dit saint A lphonse, aliquo infami crimine essent no­
tati. Il en est de m êm e de ceux qui, vu certaines cir ­ O utre les auteurs cités dans le corps de l ’ article, voir
constances, ne peuvent saluer leurs parents, ou leur Sénèque, De beneflc., 1. III, c. xxxvnt; S. Basile, In
adresser la parole sans s ’ exposer à de graves inconvé ­ Hexaemeron, hom il. ix, n. 4, P. G .,t. xxix, col. 196-197 ; Bu-
nients. S. A lphonse, Theologia moralis, 1. Ill, η. 334. scus, Viridarium, Paris, 1896, t. n, p. 343-366; S. A l­
2° Obéissance. — M ais les parents ne sont pas seu ­ phonse de Lignori, Œuvres ascétiques, trad. D ujardin, t. xvi,
p. 463-177 ; Ballerini. Opus theologicum. Prato, 1890, t. ii ,
lem ent revêtus d'une dignité qui com m ande le res ­ p. 564-571; Lehm kuhl, Theologia moralis, part. I, 1. Il,
pect, ils possèdent une autorité à laquelle est due div. Ill, tr. I, c. I, § 2, 5 ’ édit., Fribourg-en-Brisgau, 1888,
l ’ obéissance. Les enfants, tant qu ’ ils restent sous la t. I, p. 467-471.
dépendance de leurs parents, sont tenus de leur obéir L. D e s b r u s .
en toutes les choses honnêtes et licites qui sont du E N FE R . Le m ot enfer vient du latin infernus, qui,
ressort de l ’ autorité paternelle. d ’ après sa racine, désigne des lieux inférieurs, bas,
L ’ objet propre et direct de l ’ autorité paternelle est souterrains. D e m êm e sens que le latin infernus,
le gouvernem ent de la m aison et l ’ éducation des en ­ sont les m ots Ilote, caverne, Hell, Hôlle, etc., des
fants. C eux qui, en cet ordre de choses, refusent de langues germ aniques. C ’ est encore une idée analogue
se conform er à la volonté de leurs parents com ­ qu ’ exprim e le grec ϊδης , de à privatif et 13 (tôetv), voir:
m ettent certainem ent un péché spécial contre l ’ obéis ­ lieu invisible, ténébreux. Cf. J. H ontheim , Hell, dans
sance. En est-il de m êm e si ce que com m andent les The catholic encyclopedic, N ew -Y ork, 1910, t. vu,
parents est déjà prescrit par la loi divine ou ecclé ­ p. 207.
siastique? U n jeune hom m e, par exem ple, m algré la L a signification prim itive de l ’ hébreu, Se’ôl, t s i 1 ,
défense de sa m ère, profère des paroles im pies ou li­ est discutée. A utrefois, en effet, on le faisait générâ-
cencieuses. L a désobéissance constitue-t-elle dans ce 1 leinent venir de Sâ'al, bs-i-'iïü, fodit, excavit, ca-
cas une circonstance qu ’ il faille nécessairem ent faire -t -T
connaître en confession? Les auteurs ne sont pas verne souterraine; ainsi G escnius, Thesaurus; Fürts,
d ’ accord à ce sujet. V oir M arc, Institutiones morales, Handworterbuch, etc. Cf. G en.,xxxvn, 35;N um .,xvi,
n. 697; Tanquerey, Synopsis theologiœ, t. ni, p. 38. 30; D cut., Χ Χ ΧΠ ,22; Job,x, 21,22; xvn, 13,16;xiv,
Les enfants doivent obéir à leurs parents en tout 21, etc. ;Ps. l x x x v , 13; cxxxvm ,8;P rov.,xv,24; A m .,
ce qui n ’ est pas contraire à la loi de D ieu, sauf toute ­ ix, 2; Is., xiv, 9; l v i i , 9; E zech., xxxi, 15; xxxn,
fois pour le choix d ’ un état de vie. La fonction d ’ édu ­ 21 : tous textes qui confirm ent cette étym ologie.
cateurs, qui est celle des parents, ne leur confère pas D ’ autres préféraient la racine Sa’al, bxcf, poposcit,
le droit de disposer d ’ une m anière absolue et irrévo ­ lieu insatiable, dévorant tous les hom m es. Prov.,
cable de la personne de leurs enfants. Post annos xxvii, 20; xxx, 16; Is., v, 14; Ps. vi, 6; l x x x i x , 49.
pubertalis, dit saint Thom as, quilibet ingenuus liber­ Cf. A . W abnitz, art. Enfer, dans Encyclopédie des
tatem habet quantum ad ea quæ pertinent ad disposi­ sciences religieuses, de Lichtenberger, Paris, 1878, t. iv,
tionem sui status, praesertim in iis qute sunt divini ob­ p.425; P. M . H etzenauer, Theologia biblica, Fribourg-
sequii. Sum. llieol., 11 “ II®, q. c l x x x iv , a. 6. en-B risgau, 1908, 1.1, p. 613. A ctuellem ent, plusieurs
C ependant, avant de faire le choix qui fixera son assyriologues préféreraient l ’ origine assyrienne, Stïàlu,
avenir, un enfant consciencieux et respectueux se qui renferm e une allusion à la divination par les
fait généralem ent un devoir de consulter ses parents. m orts ; le Se'ôl prim itivem ent aurait donc été le lieu
A m oins de circonstances exceptionnelles, on ne sau ­ des m orts ayant pouvoir de divination, puis de tous
rait approuver ceux qui se m arient sans le consente ­ les m orts. Encyclopaedia biblica, art. Sehol, Londres,
m ent de leurs parents. Q uant à ceux qui sont appe ­ 1903, t. iv, col. 4453, avec références. L a question
lés à l ’ état ecclésiastique ou religieux, il sera souvent d ’ étym ologie est im portante pour déterm iner l ’ ori ­
utile de leur rappeler que les parents, m êm e les plus gine des croyances. C ’ est ainsi que R . H . C harles,
chrétiens, peuvent se laisser aveugler par une affec ­ Eschatology, dans Encyclopaedia biblica,Londres, 1901,
tion trop naturelle, au point de faire une injuste oppo­ t. n, col. 1335 sq., exploite cette dernière étym ologie
sition à la vocation de leurs enfants. · Si, dit saint A l­ en faveur de la théorie rationaliste sur l ’ origine de
phonse, un jeune hom m e est appelé à l ’ état religieux, l ’ eschatologie juive. C ’ est à tort, car, dans la B ible,
et que ses parents s ’ y opposent, il doit préférer la jam ais, com m e le m ontrent les textes cités plus haut,
volonté de D ieu à celle de ses parents. » Pratique de on ne rencontre Se’ôl avec ce sens radical, s ’ il l ’ a
l'amour envers Jésus-Christ, c. vu. jam ais eu, et la B ible nous reporte aux origines du
29 E N F ER D A N S L ’ É C R IT U R E S A IN T E 30

peuple hébreu. C ependant, lorsque D ieu instruisit vi, 8; mort, seconde mort, R om ., vi, 21 ; A poc., n, 11 ;
son peuple, les esprits n ’ étaient pas à l ’ état de table xx, 6,14; xxi, 8; tartare, II P et.,n,4. Sur le vocabu
rase. Ils avaient les idées de leur pays d'origine et laire biblique de l ’ enfer, voir Salm ond, art. Hell, dans
la révélation divine aurait pu s ’ y grelïer, en dissipant Dictionary of the Bible, t. n, p. 343 -346.
progressivem ent les ténèbres et en projetant sur la N ous étudierons successivem ent l ’ enfer : 1° dans
vérité une plus vive lum ière. Il n ’ y aurait donc rien l ’ É criture; 2° d ’ après les Pères; 3° d'après les théo ­
d ’ étonnant que les conceptions prim itives des H ébreux logiens; 4° d ’ après les opinions erronées; 5° d ’ après
sur le séjour d ’ outre-tom be et les m ots qui les expri­ les décisions de l ’ Église; puis, nous exposerons : 6° la
m aient aient eu des rapprochem ents et la m êm e si ­ synthèse de l ’ enseignem ent théologique sur l ’ enfer.
gnification que les idées et les term es chaldéens,
A braham étant sorti d ’ U r en C haldée. I. E N F E R D A N S L ’ É C R ITU R E S A IN T E . — I. D ans
D ’ autre part, m êm e en adoptant la prem ière signi ­ l ’ A ncien T estam ent. II. D ans le N ouveau.
fication, Se’ôl (Septante : & δης ; V ulgate : infernus) ne I. D a n s l ’ A n c i e n T e s t a m e n t . — 1° Pentateuque,
signifie pas davantage enfer au sens strict, lieu de Juges, Bois. — C om m e chez tous les peuples, la
dam nation, m aisdem eure des m orts en général, justes croyance à l ’ au-delà fait partie essentielle de la re ­
et im pies. Cf. par exem ple, G en., xxxvn, 35; N um ., ligion hébraïque prim itive. C et au-delà est un lieu
xvi, 30. E t cela avec raison, car, avant l ’ ascension de et un état. Le lieu, com m e il a été expliqué plus
Jésus-C hrist, aucune âm e ne pouvait entrer au ciel; haut, est appelé Se’ôl, caverne souterraine, englou ­
on pouvait donc dire que tous les m orts étaient en tissant tous les m orts. Ce lieu est certainem ent
un m êm e lieu, loin du ciel et de la surface de la terre. distinct du tom beau. Pour sa description générale
D ans le N ouveau T estam ent, la m êm e conception ainsi que celle de l ’ état com m un de ses habitants,
du Se’ôl est gardée dans tous les textes qui décrivent voir F. V igouroux, La Bible et les découvertes modernes.
l ’ au-delà en son état prim itif, avant les changem ents 6 e édit., Paris, 1896, t. iv, p. 576-584; Diclionnaire
opérés par le C hrist. A insi dans la parabole de Lazare de la Bible de M . V igouroux, art. Enfer, t. u, col.
et du m auvais riche, celui-ci est enseveli dans 1 ’ άδης , 1792-1795; J. T ouzard, dans la Revue biblique, 1898,
celui-là est porté dans le sein d ’ A braham , les lim bes, p. 212-217.
Luc., xvi, 22, m ais les deux régions sem blent faire N ous ne nous occuperons ici que de l ’ enfer au sens
partie d ’ un m êm e lieu. V oir t. i, col. 111-115. A ct., strict, c ’ est-à-dire du lieu et de l ’ état des âm es en
n, 2 1 ; E ph., iv, 9 ; I Pet., ni. 19. C ’ est dans le m êm e sens état de péché m ortel après la m ort.
qu ’ il est parlé de la descente de Jésus-Christ aux L ’ état des âm es dans le Se’ôl fut d ’ abord chez les
enfers. L a rédem ption et l ’ ascension bouleversent H ébreux très obscur. Q ue peut, en effet, dire de cer ­
l ’ économ ie ancienne; dans le Se'ôl antique, il ne reste tain la raison sur cet état? La raison, non éclairée par
plus que les pécheurs et spécialem ent les dam nés; la révélation divine, est im puissante à le connaître
l ’ enfer des dam nés reçoit alors un nom spécial clairem ent; l ’ expérience de l ’ hum anité dans toutes
géhenne, γέεννα, d 's h ’ j , gé-hinnôm. L ’ origine du m ot les religions anciennes le m ontre bien. O r, l ’ exercice
est donc hébraïque. E n hébreu, il signifie : vallée de la raison était peut-être m oins développé chez le»
de H innôm ; pn disait aussi gé-ben-hinnôm : vallée Juifs en général que chez beaucoup d ’ autres peuples.
du fils d ’ H innom .ou encore gé-benon-hinnôm : vallée R ace toute positive et toute pratique, race très
des fils d ’ H innom . H innom doit être un nom propre, jalouse et très exclusiviste au point de vue de la natio ­
celui de quelque propriétaire ancien pas autrem ent nalité, les Juifs prim itifs n ’ étaient que très peu aptes
connu. C ette vallée était un ravin au S.-O . de Jéru ­ à réfléchir et à spéculer sur l ’ au-delà individuel. Ils
salem . Cf. H agen, Lexicon biblicum, t. n, p. 179; croyaient à l ’ autre m onde, m ais ils pensaient surtout
Dictionnaire de la Bible de M . V igoureux, art. Géen- à celui-ci pour y chercher le bonheur personnel et la
nomet Géhenne, t. n, col. 153-155; W ilke-G rim m ; sur ­ prospérité nationale. V oir en particulier cette oppo ­
tout G . W arren. Hinnom, dans Dictionary of the Bible, sition entre l ’ eschatologie individuelle et l ’ eschato ­
Édim bourg, 1902, t. il, p. 385-388. Sous les rois logie nationale, m ise en relief jusqu ’ à l ’ excès par P. J.
im pies A chaz et M anassé, IV R eg., xxm , 10; Jer., Toner, The catholic Encyclopedia, art. Eschatology,
xxxii, 35; II Par., xxxm , 6, les Juifs y avaient N ew Y ork, 1909, t. v, p. 531 ; R . H . C harles, Ency­
im m olé leurs enfants à M oloch dans les brasiers de clopedia biblica de C heyne, art. Eschatology, Londres,
T ophet. Josias rendit ce lieu im pur en y faisant jeter 1901, t. ii, p. 1335 sq.
des im m ondices de tous genres, cadavres, etc., IV R eg., L a révélation prim itive hébraïque n ’ ajouta que très
xxm , 10, et cette pratique ayant continué après lui, peu de chose aux notions im parfaites fournies par la
ce lieu devint com m e la sentine de Jérusalem ; des raison. Par suite, sous le rapport de la sanction m orale
feux y brûlaient en conséquence presque perpétuelle ­ dans leSe'ÔZ, la conscience juive fut d ’ abord très im par ­
m ent pour consum er ces pourritures. A ussi, dès le faitem ent éclairée.Elle avait un vif sentim ent de sa res ­
tem ps d ’ Isaïe, la lugubre vallée devint la figure de ponsabilité, individuelle et nationale, devant Jahv.· .
l ’ enfer, Is., l x v i , 24, et fut appelée « géhenne du feu ». Cf. G en., m , 3-19; iv, 7, 13, 23; xn sq. : histoire d· · »
Jésus-Christ n ’ a donc pas créé le m ot, ni sa signifi­ patriarches, A braham , xxiv, 40; Isaac, xxxi, 48-51:
cation infernale; il en a fait seulem ent un large usage, Jacob, X Lvn, 9, 3t; x l i x , 18; Joseph, xxxix,
parce que le ravin ténébreux et m audit, avec ses Exod., iv, 24-26; v, 21;xv,26; xvi,6-9;xvm ,16,etc..
cadavres lentem ent dévorés par les vers, ou brûlés toute la constitution théocratique d ’ Israël au point
sur des bûchers sans fin, était un em blèm e expressif de vue m oral, social, politique, économ ique m êm e,
du véritable enfer; l ’ enfer était cela, m ais pour tou ­ et toute l ’ histoire des chutes, des châtim ents et des
jours ; un ver qui ne m eurt pas, un feu qui ne s ’ éteint conversions d ’ Israël s ’ avouant coupable, digne de
pas. châtim ent, im plorant le pardon de D ieu. Ceci à
Ce lieu est encore nom m é abîme, Luc., vin, 31; l ’ encontre des idées sur l ’ am oralism e prim itif des
A pec., ix, 11 ; xx, 1, 3: fournaise de feu, M atth., xm , H ébreux, dans R . H . C harles, loc. cil., col. 1335-1343.
42. 50. etc. : feu éternel. M atth.. xvnt,8; xxv,41 ; Jude, C ependant, cette responsabilité m orale des H ébreux
7 ; étang de feu et de soufre, A poc.. xix, 20; xx, 9, 15; devant Jahvé était surtout à échéance terrestre. La
xxi, 8; ténèbres extérieures, M atth., vni, 12:xxn, 13; loi, Lev., xxvi, 14-21 ; D eut., xxvm , 15-45, énum ère
xxv, 30;cf. II Pet., il, 17: Jude, 13; lieu de tourments, toutes sortes de châtim ents pour ceux qui trans ­
Luc., xvi, 28; perdition, deslruction, M atth., vu, 13; gressent les préceptes divins, et les châtim ents v <.·.
Phil., in, 19; I Tim ., vi, 9; II Thess., i, 9; cf. G al., I tous terrestres, cf. M ilton S. T erry, Biblical Dog-
3λ E N F ER D A N S L ’ É C R ITU R E S A IN T E

malles, in-8°, Londres, 1907, p. 122 sq., et il en sidérèrent d ’ abord les m alheurs des justes. G uidés par
est ainsi dans l ’ A ncien T estam ent presque jusqu ’ à l ’ inspiration et la droiture de leur conscience, ils
D avid et aux prophètes Toutefois, pour com prendre s ’ élevèrent bientôt à la claire vérité : la justice com ­
sainem ent cette m entalité, il faut noter que ces plète pour l ’ hom m e vertueux, et ainsi digne de
sentim ents contribuèrent puissam m ent à développer bonheur, n ’ est pas ici-bas, m ais dans l ’ au-delà.
chez les Juifs un sens religieux de plus en plus 1. C ’ est la solution de Job qui pose très explici­
profond ainsi qu ’ à élever peu à peu leur sens tem ent le problèm e et dont tout le livre est occupé
m oral au-dessus d ’ un utilitarism e égoïste : les Juifs à chercher cette solution. Ses trois prem iers am is
fidèles cherchaient le bonheur tem porel, fuyaient défendent la théorie de la sanction exclusivem ent
ici-bas la vengeance divine par un fidèle service re ­ terrestre pour le péché com m e pour la vertu. Fort de
ligieux, m éritant les com plaisances de D ieu. son innocence, Job oppose le fait, son histoire, à
D e sanction m orale prim itive dans l ’ au-delà, on leurs théories*et peu à peu m onte à la vérité-principe:
peut trouver quelques prem ières traces, d ’ abord la sanction dans l ’ au-delà, d ’ abord en désir, xiv;
dans cette vague conception que le déshonneur de puis en espoir absolu, xvi, 8-xvn, 9; enfin en certi ­
la vie d ’ ici-bas, com m e l ’ honneur, spécialem ent tude, xix, 23. Job ne traite pas directem ent des pé ­
au m om ent de la m ort, suivent les hom m es dans le cheurs ni deileur châtim ent après la m ort. O n cite par ­
Se’ôl, III B eg., n, 6, 9; puis en cette autre que l ’ hom m e fois pourtant à ce sujet deux textes qui ne sem blent
libre, choisissant la vertu ou le péché, choisit aussi pas probants, xxiv, 19, la V ulgate dit de l ’ im pie :
en fait la vie ou la m ort, D eut., xxx, 15-20, expression Ad nimium calorem transeat ab aquis nivium et
confuse, qui, plus tard, sera toute spiritualisée, m ais usque ad inferos peccatum illius. Pères, théologiens,
qui, dès m aintenant, m algré certaines parties du prédicateurs ont entendu ce passage de la dam na ­
contexte, peut difficilem ent être restreinte à un sens tion éternelle, quelques-uns pour en conclure qu ’ en
uniquem ent m atériel. L ’ É pttre aux H ébreux, xi, enfer il y avait non seulem ent le supplice du
nous donne la certitude que les patriarches et tous feu, m ais aussi celui du froid. M ais le texte hébreu
les Juifs fidèles croyaient en D ieu rém unérateur. signifie sim plem ent : le Se'ôl engloutit le pécheur
B illot, De novissimis, 2° édit., B orne, 1903, p. 12-13. com m e la sécheresse et la chaleur absorbent l ’ eau des
11 n ’ en résulte pas toutefois que la m asse du peuple neiges; sanction terrestre d ’ une m ort rapide, que de
vécût beaucoup de cette foi; aussi ne se fait-elle pas fait décrit le verset suivant, surtout dans le texte
souvent jour dans son histoire. original. D e m êm e, xxxi, 12. il est dit de l ’ adultère,
O n cite souvent, en faveur de la rém unération diffé ­ ignis est usque ad perditionem devorans, c ’ est-à-
rente après la m ort, quelques textes du Pentateuque, dire jusqu ’ à la ruine totale terrestre, la perte de la
à prem ière vue assez clairs, m ais dont la signification fortune, de la fam ille, etc., com m e l ’ explique la
sem ble incertaine. Les expressions : Ibis ad paires in seconde partie du verset ; et omnia eradicans genimina
pace, G en., χνι, 15; Moriatur anima mea morte ju­ (ses possessions). Il y acependant, dans Job, deux allu ­
storum; fiant novissima mea horum similia, Num., sions possibles au véritable enfer des m échants : xx vi,
X XIII, 10, distinguent nettem ent la m ort des justes et 6, le Se'ôl est distingué de Vabaddôn, ruine, destruction,
celle des im pies; m ais cette distinction peut n ’ être ici lieu de ruine et de destruction. Cf. Prov., xv, 11 ;
encore que tem porelle, com m e dans le reste du Penta ­ Ps. l i v , 24. S ’ agit-il dans ces textes d ’ une distinction
teuque. Ces expressions peuvent équivaloir à ces locale dans le Se'ôl, d'un lieu plus abyssal (cf. Job,
autres très fréquentes dites de la m ort des patriarches xxviii, 14), plus destructeur pour les m orts, ou
à leur très grande louange : Mortuus, ou sepultus in d ’ une sim ple répétition synonym ique, appelée par le
senectute bona, plenus dierum, in pace. G en., xv, parallélism e? Cf. xxvm , 22, où perditio sem ble dé ­
15, etc. Cf. A . C ram pon, La Sainte Bible, Tournai, signer le Se'ôlsim plem ent, xxxi, 12. La signification
1894, 1.1, p. 535. Les trois blasphém ateurs, C oré, D a- sim plem ent synonym ique est donnée com m e certaine
than, A biron, avec leurs fam ilies, furent engloutis tout dans la Sainte Bible polyglotte de V igouroux, Paris,
à coup dans le Se'ôl; celui-ci n ’ est pas spécifiquem ent 1902, t. ut, p. 758, 759, note sur xxvt, 6. U ne autre
l ’ enfer des dam nés, car ces fam illes com ptaient des expression a sem blé à plusieurs, par exem ple, à
enfants innocents. N um ., χνι, 27-33. D ans le cantique H . M artin, La vie juture, note 13, p. 547, renferm er
de M oïse, D eut., xxxn, 22, ignis succensus est in jurore l ’ enseignem ent clair d ’ un enfer de dam nés. Job, xxvi,
meo et ardebit usque ad inferni novissima, signifie une 5, dit : Ecce giganles gemunt sub aquis. Ces giganles,
dévastation totale, radicale, du pays occupé par les en hébreu rephaïm, o » n d i , dont la B ible parle sou­
H ébreux infidèles à D ieu com m e l ’ explique la suite, vent, sont donnés com m e les types des im pies,
dcDOtabitque terram cum germine et montium fun­ révoltés contre D ieu et précipités dans le Se'ôl, évi ­
damenta comburet. D ’ après le contexte, par consé ­ dem m ent pour leur châtim ent. Cf. B aruch, in. 26-28;
quent,ce feu est une m étaphore exprim ant la rigueur Prov., ix, 18; xxi, 16; Is., xiv, 9; xxvi, 14, 19;
des châtim ents divins sur Israël coupable et il dé ­ Ps. l x x x v ii , 11. M ais on s ’ accorde m aintenant à tra ­
signe donc des châtim ents tem porels. duire rephaïm par les défaillis, les om bres (ou les
Finalem ent, dans le Pentateuque, et il en est de m orts), lorsqu ’ il s ’ agit du se ’ ôl. Cf. Sainte Bible poly­
m êm e dans les livres de Josué, des Juges et des B ois, glotte, note sur Job, xxvi, 5. Ce dernier verset doit
il n ’ y a aucune distinction explicite entre le sort des donc se traduire ; V oici que les m orts trem blent
justes et des im pies dans l ’ au-delà. D eux principes (devant D ieu), sous les eaux (dans le Se'ôl situé sous
im plicites y sont contenus seulem ent : celui de la la terre et les océans). Q uant aux som bres descrip ­
responsabilité individuelle devant Jahvé et celui de tions par lesquelles Job peint si vivem ent la terram
l'espérance m essianique individualisée. V oir t. n, tenebrosam et operiam mortis caligine, terram miserite
col. 2475. Ces deux principes seront féconds et contri ­ et tenebrarum, ubi umbra mortis et nullus ordo, sed
bueront à développer une eschatologie de plus en plus sempiternus horror, x, 21, 22, elles s ’ appliquent évi­
parfaite. Cf. F. V igoureux. La Bible et les découocrtes dem m ent au séjour des m orts, m algré leur pessi ­
modernes, t. rv, p. 585-592. m ism e. car Job affirm e en m êm e tem ps qu ’ il est inno ­
2° Livres moraux anciens : Job. Psaumes. Ecclesiaste, cent et qu ’ il m arche vers cet enfer.
Proverbes. — C ’ est naturellem ent le spectacle de la En résum é, Job attire l ’ attention sur les sanctions
disproportion des m iseres et des vertus ici-bas qui de l ’ au-delà. A ffirm er la récom pense des justes, c ’ est
fixa la réflexion sur les sanctions de l ’ au-delà. E ux- proclam er im plicitem ent la punition des m échants;
m êm es justes et m alh-: areux. les auteurs inspirés con ­ m ais l ’ im plicite peut rester longtem ps inaperçu.
33 E N F ER DANS L ’ É C R IT U R E S A IN T E 34

2. U ne autre affirm ation, im plicite encore, m ais grand le m al qui tom bera sur l ’ hom m e (oppresseur); »
plus claire, du châtim ent infernal se trouve dans la vin, 11, 12, jugem ent infaillible sur les pécheurs.
doctrine du jugement divin universel, exposée dans M ais s ’ agit-il de l ’ autre vie? Le contexte fait plutôt
les Psaum es, l ’ Ecclésiaste et les Proverbes. Ici encore penser à cette vie terrestre; vin, 13, parle du sort de
pourtant il faut se rappeler que les Juifs pensaient sa postérité. Le fait pourtant des im pies continuant
surtout aux sanctions d'ici-bas et la plupart des à être heureux se dresse toujours en objection, vin,
textes, parlant en général du jugem ent divin, sont à 14 ; la réponse est de nouveau d ’ abord toute terrestre,
interpréter au sens tem porel. Par exem ple, Ps. i, il faut jouir le plus possible de la vie et des biens que
5, non resurgent impii in judicio neque peccatores D ieu donne ici-bas. L ’ Ecclésiaste insiste et répète la
in concilio justorum..., iter impiorum peribit, sont des difficulté,car elle n ’ est pas résolue, ix, 1-6; m em e ré ­
m axim es générales qui, dans l ’ esprit du psalm iste, à ponse. Pour le sens de ce texte pas plus m atérialiste
en juger par le parallélism e du bonheur tout terrestre que Joa., ix, 4, voir P. M . H etzcnauer, Theologia bi-
du juste, devaient être aussi entendues de la ruine blica, t. i, p. 612-613. M ais bientôt il revient encore à
terrestre. D e m êm e, Ps. ix, 9, 18 : Ipse judicabit l ’ idée du jugem ent divin, xi, 9-10. C ette insistance
orbem terrie in æquitale·, convertantur peccatores in in­ suffirait à m ontrer que probablem ent il s ’ agit ici d ’ un
fernum, que les pécheurs retournent dans le Se’ôl; jugem ent pour l ’ autre vie, que le sentim ent de la
xxx, 18; Liv, 16, 24; l x x x i , 8 ; l x i , 13. L esps. xcv, justice im pose à l ’ Ecclésiaste, nonobstant sa philo ­
10-13; cix, 1, 6, 7, parlent d ’ un jugem ent vraim ent sophie terre à terre. C ette probabilité devient cer ­
eschatologique et universel, m ais en perspective m es ­ titude en présence des textes qui affirm ent si forte ­
sianique, regardant les nations plus directem ent que m ent l ’ im punité des m échants ici-bas. Cf. vin, 14.
les individus, et donc aussi d'ordre tem porel, du Le c. xii contient finalem ent une affirm ation directe
m oins au sens littéral direct. D ’ autres psaum es et claire du jugem ent divin en dehors de ce m onde,
parlent clairem ent du jugem ent ultraterrestre. Les et des sanctions divines ultra-terrestres, 13, 14, qui
ps. xv, 10-11; xvi, 15, développent principalem ent im pliquent l ’ enfer. V oir t. iv, col. 2023. Cf. F. V i­
la considération des espérances éternelles des justes. goureux, La Bible et les découvertes modernes, t. iv,
Enfin les ps. xxxvi, x l v ii i , l x x ii , x c i , abordent p. 592-593. R em arquons encore que le texte invoqué
directem ent le problèm e de la rétribution du m al. si souvent au sujet de l ’ enfer éternel, Eccle., xi. 3,
Les ps. xxxvi et xci renferm ent une opposition in quocumque loco ceciderit ibi erit, n'a, au sens
claire entre le sort du juste et de l ’ im pie, quelquefois littéral, qu ’ une signification purem ent m atérielle :
en form ules générales de vie, de ruine, de salut, pour dans la conduite hum aine de la vie et des affaires
les siècles des siècles, etc.. ; cependant il ne faudrait tem porelles, il faut se soum ettre aux lois phy ­
pas s ’ en tenir à l'apparence, car le contexte restreint siques, aux événem ents, réglés par la providence,
ces prom esses ou ces m enaces au sort tem porel de contre lesquels nous ne pouvons rien; il n ’ y a là
l ’ individu ou de sa postérité. V oirxxxvr,3, 9,11,18,25- aucune allusion à la m ort. Cf. H etzenauer, op. cit.,
29, 34-38. Le ps. x l v ii i signifie, d ’ après l ’ original, que t. i, p. 613.
le juste est persécuté, que les m échants triom phent, Les Proverbes sont un essai de m orale un peu ascé ­
qu ’ il ne faut pourtant pas craindre ni se scandaliser : tique. Les m otifs invoqués pour faire pratiquer la
com m e tous les hom m es, m algré leurs richesses, les vertu sont presque tous d ’ ordre tem porel. O n ren ­
m échants n ’ échapperont pas à la m ort; ils seront, contre pourtant quelques affirm ations assez claires
com m e un troupeau, poussés dans le Se’ôl. B ientôt des sanctions plus définitives de la vie future, soit
les justes m archeront sur leurs tom bes et leur ombre pour les justes, soit pour les m échants; xi, 4, il y a un
se consumera au Se’ôl sans autre demeure, 15 b. M ais jour de jugem ent inexorable de D ieu, jugem ent
pour m oi, D ieu rachètera m on âm e de la puissance individuel, car les Proverbes s ’ adressent aux âm es
du Se’ôl, car (ou quand) il m e prendra (m ’ enlèvera) individuelles; pour l ’ im pie, la m ort détruit toutes les
avec lui, 16. Il y a là une vision assez nette du ciel et espérances. Cf. x. 2, xiv, 32; xxm , 17, 18; xxiv,
de l ’ enfer; celui-ci, toutefois, est le Se’ôl, envisagé 14 ; iv, 18 ; vm , 35-36.
com m e la dem eure éternelle des m échants, après la En résum é, avant les prophètes, les H ébreux con ­
délivrance des justes. Il faut noter que ce psaum e est naissaient la vie future, m ais une vie future, à con ­
d ’ une époque assez récente et qu ’ il a été com posé ditions peu précises, plutôt tristes d ’ ailleurs et m élan ­
probablem ent sous Ézéchias. coliques. L ’ espérancedu libérateur était très éloignée;
Le ps. l x x i i pose, lui aussi, la question angoissante, seules donc, quelques âm es supérieures s ’ élevèrent
1-9; il décrit la prospérité des m échants, 10-16, le assez pour vivre réellem ent de ces perspectives loin ­
scandale de ce spectacle : pourquoi n ’ en ferais-je pas taines de délivrance m essianique; ce sont aussi ces
autant?... 17-28; la solution qu ’ il donne est celle-ci : âm es qui arrivèrent le plus vite à reconnaître un
il faut tourner sa réflexion vers le sanctuaire du Sei­ Se’ôl à sanctions m orales différentes pour les justes
gneur et prendre garde au sort final des méchants. réunis à D ieu, et pour les im pies rejetés de D ieu. Cf.
Ce sort sem ble d ’ abord être uniquem ent la m ort Ps. l x x i i . C ependant la m asse restait peu sensible
tem porelle, 18-20, m ais le psalm iste s'élève ensuite à la pensée m orne de l ’ au-delà : joie et tristesse, tout
à de teliès aspirations du bonheur éternel avec D ieu était considéré en cette vie pour soi et pour ses
auquel il oppose toujours la perte des im pies que cette descendants; religieusem ent la joie était tenue pour
m ort, cette perte tem porelle parait bien inclure dans un bien venu de D ieu et une bénédiction réservée
son esprit une autre m ort, une perte éternelle, 24-28, aux justes; la tristesse était donc une m alédiction qui
Cf. Pannier, dans le Dictionnaire de la Bible, t. v, allait norm alem ent aux im pies. M ais le fait d ’ expé ­
col. 822, 823. rience contraire à la vue théorique am ena, par une
L ’ Ecclésiaste résum e sa sagesse, xi, 1-10, dont la autre voie, à la sanction ultra-terrestre, et les solu ­
notion n ’ est pas très élevée, sans être pourtant non tions opposées de cette sanction pour les bons et pour
plus im m orale. Il faut jouir de la vie d ’ ici-bas, honnê ­ les m échants, déterm inées par un jugem ent de D ieu,
tem ent, avec m esure, en gardant le souvenir que tout ont déjà été entrevues çà et là dans les livres poétiques
est vanité, que tout bien est un don de D ieu et que et sapientiaux de l ’ ancienne alliance. V oir J. Touzard,
D ieu nous jugera. Ce jugem ent est déjà rappelé, in, dans la Revue biblique, 1898, p. 219-223.
16-17; vin, 5-6 (d'après l ’ hébreu) : « Le cœ ur du sage 3° Prophètes. — N ous ne nous occuperons que de
connaîtra le tem ps et le jugem ent; il y a, en effet, leurs affirm ations explicites au sujet du châtim ent
pour toute chose un tem ps et un jugem ent, car il est des im pies dans la vie future.
D IC T . D E T H É O L . C A T H O L . V. - 2
E N F ER D A N S L ’ É C R ITU R E S A IN T E 36

1. Avant la fin de la captivité, vni e et vil· siècles. — Y ork, 1890, le concède. Toutefois ce texte seul ne
B ien que rem plis de m enaces contre les Israélites prouve pas le réalism e des vers et du feu de cet enfer.
corrom pus et contre les païens dégradés, les petits Cf. Judith, xvi, 20, 21, répétition du texte d ’ Isaïe,
prophètes preexiliens ne font aucune m enace pour avec insistance sur l ’ éternité du supplice senti : et
l ’ au-delà. Il n ’ y a pas à s ’ en étonner, car leur point sentiant usque in sempiternum.
de vue est essentiellem ent nationaliste, et, lorsqu ’ il Pendant la période des grandes épreuves d ’ Israël,
est plus individualiste dans leurs m enaces aux Juifs tout en insistant sur l ’ eschatologie nationale, D ieu
prévaricateurs, ils s ’ adressent à un peuple si charnel com m ence à inculquer de plus en plus à son peuple
qu ’ ils ne peuvent recourir pour l ’ ébranler qu'à des le sentim ent de la responsabilité individuelle en face
prom esses ou à des m enaces tem porelles. C ependant des vérités éternelles.
Joël, ni, 1-21, sem ble annoncer vraim ent le jugem ent Jérém ie ne dit rien de certain sur l ’ enfer. D ans le
dernier « dans la vallée de Josaphat » (de D ieu qui passage, xv, 14, le feu de la colère divine n ’ est qu ’ une
juge), appelée « vallée de la décision », ni, 2, 14. m étaphore ; en xvn, 4, le prophète parle de ce m êm e feu
A près une grandiose description de ce jour terrible, de la colère divine; s ’ il ajoute qu ’ il brûlera toujours,
9-16, sans préciser autrem ent le jugem ent de condam ­ peut-être ne veut-il signifier qu ’ une ruine totale,
nation, le prophète ouvre les riantes perspectives d ’ un m ais peut-être aussi est-ce une perspective subite ­
bonheur qui n ’ aura plus de fin pour Juda purifié, m ent élargie jusqu ’ à l ’ au-delà dans un éclair passager.
restauré, le m ettant en face d ’ une désolation et d ’ un Ézéchiel, dans ses annonces prophétiques de la
châtim ent égalem ent sans doute éternels, 17-21. ruine de l ’ A ssyrie et de l ’ É gypte, fait une grandiose
Sophonie parle aussi d'un jour de jugem ent, i, 14-16, description de la descente aux enfers de tous ces
jugem ent universel des nations, i, 18, in, 8; m ais le puissants peuples que D ieu veut châtier, έν βάθει
jugem ent dernier n ’ est ici, encore plus que chez Joël, βόβροιι, χχχπ , 23; cf. 24, 30. II y a là certainem ent
qu ’ au second plan, tout au plus entrevu dans les l ’ affirm ation d ’ une sanction m orale de châtim ent
lignes du jugem ent tem porel m essianique. dans l ’ au-delà et en un lieu spécial du ie’ôl. Cf. Is.,
C ’ est aux grands prophètes que D ieu a com m encé xiv, 9-20. Ézéchiel d'ailleurs n ’ en dit pas davan ­
de découvrir vraim ent avec clarté les perspectives de tage explicitem ent. D u reste, il insiste sur le juge ­
la vie future. m ent de D ieu à l ’ égard des individus, qui seront
Isaïe, le prem ier, sem ble-t-il, a vu au fond du punis ou sauvés; et de m êm e il parle encore du ju ­
Se'61, l ’ abîm e terrible où sont torturés les dam nés, gem ent divin au point de vue m essianique de l ’ ave ­
xiv, 9-20, description de la ruine du roi de B abylone; nir d ’ Israël : seuls, les Israélites fidèles feront partie
celui-ci est précipité au séjour des m orts et dans ses du royaum e de D ieu restauré.
dernières profondeurs, pour y être l ’ opprobre des D aniel, xn, 1-2, en donnant une affirm ation précise
autres illustres crim inels;prem ière vue vague encore, de l ’ enfer éternel, ajoute un nouveau point de doc ­
xxiv décrit le jugem ent dernier; les versets 21-22 trine : la résurrection des dam nés eux-m êm es, qui se
disent que D ieu châtiera les divinités païennes (les réveilleront du som m eil de la m ort pour l ’ opprobre
dém ons cachés sous ces divinitcs)et les rois de la terre, et la honte éternelle. V oir, vu, 10 sq., l ’ annonce géné ­
qu ’ il les réunira dans l ’ abim e du Se’ôl, qu ’ ils y seront rale des jugem ents divins et de la destruction des
enferm és com m e, dans une prison et que pendant de im pies. Cf. J. Touzard, dans la Revue biblique, 1898,
longs jours, c ’ est-à-dire toujours, continuera leur p. 223-230.
châtim ent. Cf. xxvi, 14, opposé à 19. 2. Après la captivité, vi" siècle. — La courte pro ­
A u c. xxxiii, 14, il s'agit des pécheurs de Sion, qui, à phétie d ’ A ggée ne contient que des bénédictions et
la vue des châtim ents de D ieu sur A ssur, se dem andent m alédictions tem porelles.
en trem blant com m ent ils pourront habiter au m ilieu Celle de Zacharie, à portée générale, eschatologique,
de. la colère de Jahvé, feu dévorant, brasier qui ne prédit spécialem ent, v, 1-11, un jugem ent de toute
s ’ éteint pas au m ilieu de Jérusalem , résidence d ’ où il im piété et une séparation entre elle et le peuple de
juge si terriblem ent les nations l ’ une après l ’ autre. D ieu qui ne se réalisera pleinem ent que dans 1 ’ autre
Cf. D ent., iv, 24; Is., xxxi, 9. A u sens littéral, il n ’ est vie. Les c. xn-xiv, à la m anière prophétique, décrivent
donc pas question ici de l ’ enfer; cependant le sens confondus, les deux jugem ents divins, tem porel et
conséquent de ces affirm ations absolues contre les pé ­ éternel.
cheurs peut s ’ étendre jusqu ’ à ce«licu éternel»,com m e Enfin M alachie clôt la prophétie ancienne par une
traduisent les I.X X . nouvelle annonce du jugem ent universel, iv, 1-3, qui
E nfin, après avoir, com m e en un refrain m enaçant, réglera différem m ent le sort des justes et des im pies.
qui term ine les diverses sections de sa prophétie, 4° Deulérocanoniques, n ” siècle avant Jésus-Christ.
répété aux im pies que, pour eux, il n ’ y a pas de paix, — 1. La Sagesse, i-v, aborde directem ent le problèm e
absolum ent et sans restriction, x l v i ii , 22; l v i i , 21, delà destinée hum aine, i, 6,8-10, l ’ auteur pose com m e
Isaïe donne, l x v i , 15-24, la grande vision prophétique la thèse du jugem ent des im pies : D ieu sait tout et
de l ’ au-delà. C ’ est le jugem ent dernier, 16, 18. C ’ est jugera tout pour châtier tout m al. n, 1-10, par m ode
la restauration d ’ Israël pour l ’ éternité avec de nou ­ d ’ objection, il expose la solution m atérialiste · rien
veaux cieux et une nouvelle terre, 22. Ht egredientur après la m ort; personne n ’ en est revenu; le hasard
et videbunt cadavera virorum qui prævaricali sunt in règle tout. D onc m angeons, buvons, etc.; la force,
nie; vermis eorum non morietur et ignis eorum non voilà le droit : détruisons le juste notre ennem i. 21-25,
exstinguetur, et erunt usque ad satietatem visionis une prem ière brève réponse : insensés, qui ignorent
omni carni. Sur ce texte, fam eux dans toute la tra ­ la justice de D ieu et la nature de l ’ hom m e faite pour
dition chrétienne, voir K nabenbauer, In Isaiam, l ’ im m ortalité; im m ortalité heureuse pour les justes,
t. n, p. 522; C ondam in, Le livre d'Isaïe, Paris, de m ort pour les fils du diable, cause de la m ort, ni,
1905, p. 390. Les derniers m ots, d ’ après l ’ original 1-9, bonheur im m ortel des justes; 10-19, m alheur des
hébreu w n, signifient : ils seront en abom ina- im pies d ’ abord tem porel, puis fin dernière terrible,
T: t: iv, 1-7, m alheurs terrestres des im pies, honneurs de
tion à toute chair. Tous les com m entateurs s ’ ac­
cordent à y voir une affirm ation de l'enfer éternel; la vertu; 8-14 a : le sort privilégié et prédestiné du
les traits sont peut-être pris des faits historiques de juste qui m eurt jeune; 14d-18a : le m onde n ’ y com ­
G é-hinnom , m ais ils sont évidem m ent surélevés en prend rien et se m oque; 18-19 : m ais D ieu à son tour
valeur sym bolique jusqu ’ aux réalités invisibles le condam nera, iv, 20-v. 24 : le sort éternel des im pies
éternelles. C heyne, The Prophecies 0/ Isaiah, N ew - dans un tableau grandiose. D ’ abord, voici les im pies
37 E N F ER D A N S L ’ É C R IT U R E S A IN T E 38

pleins d ’ efiroi à la pensée de leurs péchés et accablés 15 sq. ; C ant., vin, 6; Eccle., ix, 10, 12; xi, 3; Job,
sous le tém oignage de leurs crim es, iv, 20; en face iv, 20; x, 20; xi, 8; xx, 18; xxi, 13; xxvi, 5; A m os,
de leurs anciens persécuteurs, les justes, debout en ix, 2; O s., xiii, 14; Is., i, 24; v, 14; xiv, 9 sq.; xxiv,
grande assurance, v, 1. A lors les décisions : les im pies, 21 sq.; xxvm , 15, 18; xxx, 33; xxxiv, 8 sq.; i.xv,
2-15, stupéfiés et épouvantés horriblem ent de ce 2 sq., 11 sq. ; H ab., n, 5; Jer., xvn, 4; ni, 39; B ar.,
changem ent de destinées, avouent leur folie et leur il, 17; m , 11; Ezech., xxvi, 19 sq.; xxxi, 15 sq. ;
culpabilité. A ux justes, au contraire, 16, 17 (V ulg.), xxxii, 27; D an., ni, 88; Sap., xvi, 13 sq. ; Eccli.,
la vie éternelle, auprès du Seigneur, dans son m agni ­ xvn, 26; xxiv, 45; l i , 5 sq. D ans tous ces textes,
fique royaum e. Enfin l'exécution de ces décisions, plus ou m oins fréquem m ent utilisés par les Pères,
déjà faite pour les justes, réalisée avec un grand éclat les théologiens anciens et m odernes, les prédica ­
contre les im pies, 18-24. D ieu s ’ arm e de zèle, de jus ­ teurs, etc., il n ’ est, au sens littéral, question que du
tice, de jugem ent et de colère, et les im pies sont châ ­ Se’ôl hébreu, ou du jugem ent divin en général, ou du
tiés terriblem ent; tout se tourne à les faire souffrir. jugem ent exercé par D ieu sur les pécheurs ici-bas.
La foudre et les traits divins vont droit à leur but. 5° Origine de la doctrine de l’enfer chez les Hébreux.
jusqu ’ à l ’ entière ruine des m échants. Ce texte est — Les rationalistes ont essayé d ’ expliquer sans sur ­
d ’ une grande précision soit sur l'enfer en général, soit naturel l ’ eschatologie individuelle des H ébreux. Les
en particulier sur la peine du sens, bien que décrite prem iers eurent recours à la théorie des em prunts
sous form e sym bolique, vr, 6-9, l ’ auteur fait enfin une faits aux G recs à l ’ époque de la dom ination grecque ou
application spéciale de ces doctrines aux puissants aux C hakléens pendant la captivité. Cf. dom C alm et,
et affirm e l ’ inégalité des peines infernales. Cf. xiv, Dictionnaire de laBiblc, 2 e édit., in-12, Toulouse, 1783,
10, 13, 31 ; xv, 8, un m ot sur la responsabilité éter ­ t. n, art. Enfer, p. 383 ; D u C lot, La sainte Bi ble vengée,
nelle du pécheur : quand on lui redem andera son âm e 2 e édit., Lyon, 1841, p. 454 sq. Leurs successeurs recu ­
qui lui avait été prêtée. lèrent la date et rapportèrent l ’ em prunt aux Égyptiens.
2. L'Ecclésiastique est un livre de m êm e genre et Les plus récents, m ieux renseignés par les découvertes
de m êm e doctrine que les Proverbes, donc à point de de N inive, attribuèrent la doctrine em pruntée aux
vue le plus souvent tem porel; cependant la préoccu ­ A ssyriens, aux B abyloniens ou aux Perses. Plusieurs
pation de la vie future y est beaucoup plus accen ­ enfin aujourd ’ hui préfèrent recourir aux sim ples lois
tuée. V oici quel est le sort des m échants, vu, 8 : tout générales de l ’ évolution religieuse. Cf. R . H . C harles,
péché sera puni : 17-19; le feu et le ver seront le châ ­ Encyclopædia biblica, art. Eschatology, t. il, col. 1335-
tim ent de l ’ im pie. C ’ est sans doute une allusion à 1372. D ’ abord, les H ébreux partagent la conception
Isaïe, l x v i , 24. Cf. vu, 40; ix, 16-17, ne pas envier le prim itive, com m une à la race sém ite, du culte des
pécheur, sciens quoniam usque ad inferos non placebit ancêtres lequel ne laisse aucune place aux idées de
impius; χιν, 2-21; xr, 28-29, les rétributions in die sanction m orale, cf. col. 1343, n. 22. Puis le jahvéism e
obitus; xv, 13 21,1a vie et la m ort sont devant l'hom m e im porte une eschatologie exclusivem ent nationale,
libre; xvm , 24. la m ort sera le tem ps de la colère et au point que Jahvé n ’ avait d ’ abord aucune juridic ­
de la sanction, lorsque D ieu détournera son visage du tion dans le ie'ûl. Ces deux conceptions de Jahvé et
pécheur; x l i , 1-18 : m ort et sanction; le verset 7 ne du Se'ôl indépendant de lui, bien que contradictoires,
nie pas le jugem ent après la m ort, m ais peut se tra ­ ont coexisté dans l ’ esprit des Israélites jusqu ’ au
duire : dans le ic’ôl. il n ’ y a pas de plainte contre la vin® siècle avant Jésus-C hrist. V oir Ps. l x x x v ii i
vie; cf. 11-13; enfin xxi, 10, stuppa collecta, synagoga (heb.), 5; xxxi, 22-23; Is., xxxvm , 18. Les anciens
peccantium cl consummatio illorum flamma ignis, via Israélites n ’ étaient scandalisés ni du bonheur des
peccantium complanata lapidibus, et in fine illorum in­ m échants, ni du m alheur des justes, Jahvé ne s ’ occu ­
feri et tenebrie et poena, βόδρος δδου, l ’ abîm e noir de pant pas des individus, m ais de la nation seule. Il
l ’ H adès. Il est difficile d ’ accorder que dans tous ces punissait les m échants ici-bas directem ent ou dans
textes il ne s ’ agit que du Sc'ôl. V oir t. iv, col. 2051. leur postérité, E xod., xx, 5; Lev., xx, 5; Jos., vin,
Cf. C ram pon, L rv; V igoureux, La sainte Bible poly­ 24; I Sam ., ni, 13; ou dans la nation. G en., xn, 17;
glotte, t. v; K nabenbauer, In Eccli. xx, 18; E xod., xli, 29; Jer., xxxi, 29. O n considérait
3. Le second livre des M achabées exprim e les m êm es com m e une m iséricorde qu ’ il fit tom ber le châtim ent
idées que D aniel. Le vieillard É léazar répondait aux sur les enfants. I (ITI)R eg., xi, 12; xxi,29. C ontre ces
tentateurs de sa fidélité: Nam etsi in præsenli tempore, théories de fatalism e et de désespérance et parallè ­
suppliciis hominum eripiar, sed manum omnipotentis lem ent au développem ent du jahvéism e en véritable
nec vivus, nec defunctus effugiam, vi, 26. Le c. vn m onothéism e, Jérém ie, après avoir adhéré aux vieilles
raconte le supplice de ces sept héros, frères de sang idées, xv, 4, com m ença une réaction individualiste
et de vertu, ainsi que de leur m ère. C ’ est la pensée et spiritualiste, xxxi, 19, 31, 34, développée par
delà vie future qui les soutient dans les tortures. En Ézéchiel, xiv, 12-20; xvm , 4-30, popularisée enfin
outre, ils ne craignent pas de m enacer leur persécu ­ par plusieurs psaum es et par les Proverbes. E t encore
teur de la géhenne éternelle pendant qu'eux se ré ­ il ne s ’ agissait d ’ abord que de rétribution terrestre :
jouiront avec D ieu; 14, à nous la résurrection, pour tout juste est ici-bas heureux, tout pécheur m alheu ­
toi, tu n ’ auras pas de résurrection pour la vie; 17, reux. Ces idées, se heurtant à une expérience con ­
des tourm ents à toi et à ta race; 19, pas d ’ im punité traire, donnent lieu à d ’ ardentes discussions. Les
devant D ieu; 31, 34-36, m enace des vengeances cé ­ uns résolvent la difficulté en ajoutant la responsa ­
lestes que le plus jeune des sept supplie D ieu de bilité nationale à la responsabilité individuelle ter ­
n ’ exécuter qu'ici-bas pour la conversion de son bour ­ restre. Ps. cix (heb.), 13; Eccli., xxm , 25; xn, 15;
reau, 37. Cf. J. T ouzard, dans la Revue biblique, 1898, x l i , 6; D an., tx, 7; Jud., vu, 28; Tob., in, 3; B aruch,
p. 230-237. i, 18-21; n, 26; ni, 8. Ézéchiel m aintient que l ’ expé ­
E n term inant, donnons, après H etzenauer, op. cil., rience de l ’ individu répond toujours à ses m érites.
t. i, p. 622, la liste des textes, qui étaient autrefois L ’ Ecclésiaste nie expressém ent toutes ces solutions
allégués pour prouver l ’ existence de l ’ enfer au sens il n'y a pas de sanction, vu, 15; π, 14; ix, 2; vin, 1"
strict et qui n ’ ont pas cette signification : N um .,xvi, les passages contradictoires, ni, 17; xt, 9, 6; xn, 14 ;
31 sq. ; D eut., iv, 23 sq. ; xxxn, 21 sq., 40 sq. ; Ps. vi, vin, 12, sont probablem ent interpolés. Job s ’ en tien!
6; x, 6; xx, 9 sq.; x l v ii i , 14 sq. ; l i v , 16; xci, 8 sq. ; aux m êm es affirm ations qu ’ Ézéchiel en principe: en
xcni, 17 ; cxxxvin, 9 ; c.xxxix, 9 sq. ; Prov., i, 26 sq. ; fait, il constate aussi les négations de l ’ Ecclésiaste
vn, 27; ix, 18; xv, 11, 24; x x i i i , 14; xxvn, 20; xxx, xxi, 1-15. A lors il en appelle, pour ici-bas, du D ier
39 E N F ER D A N S L ’ É C R IT U R E S A IN T E 40

réel au D ieu de sa foi, car il veut croire à la justice du Jahvé prim itif sans juridiction sur le Se'ôll Cela
(ici-bas); m ais son appel est finalem ent trom pé. 11 n ’ est pas du tout prouvé, au contraire; les textes très
n ’ en appelle pas réellem ent aux sanctions de la vie nom breux exprim ant la crainte et la peur de Se'ôl dans
future; cependant sa foi y aspire im plicitem ent,elle l ’ A ncicn T estam ent, non morlui laudabunt te, Do­
les suggère. Q uelques éclairs m êm e çà et là, s ’ ils sont mine, etc., etc., signifient sim plem ent qu ’ avant Jésus-
authentiques, sont très significatifs t xiv, 13-15; xix, C hrist, m êm e les âm es des saints ne pouvaient pas
25-29; cependant ils ne laissent pas de trace pro ­ encore jouir des fêtes du ciel, et ne pouvaient plus
fonde et la pensée de la vie future dans Job est plus jouir du culte et des fêtes anim ées de la liturgie juive.
une pensée qu ’ une conviction. A près Job, deux cou ­ D ’ ailleurs ces appréhensions s ’ augm entaient des in ­
rants : le m atérialism e à la suite de l ’ Ecclésiaste qui certitudes de l ’ état réel des âm es dans l ’ au-delà
aboutira au sadducéism e; le postulat de la vie future spécialem ent des âm es encore pécheresses (pour le
par la foi, à cause des difficultés de la vie m orale purgatoire), et qui ne l ’ était pas? Sur la question du
(l'im m anence chez les Juifs !...). C elui-ci se développe nationalism e et de l'individualism e, voir S. Jérôm e,
en la théorie de la résurrection qui synthétise l ’ es ­ In Ezech., xvnt, 1, P. L., t. xxv, col. 167-169, pour
chatologie individuelle et l ’ eschatologie nationaliste : concilier Ezech., xvm , et Exod., xxxiv, 5 ; la respon ­
les justes ressusciteront pour le royaum e m essia ­ sabilité nationale ne s ’ oppose pas du tout à la respon ­
nique; les m échants pour la punition. D an., xn, 2; sabilité individuelle; celle-ci a été reconnue et vécue
Is., l x v i , 24. le long de l ’ histoire hébraïque, cf. plus haut quelques
Inutile de poursuivre plus loin; la critique exerce textes pour les origines, I (III) R eg., xi, 12; xxi, 29,
ses fantaisies surtout sur les origines, et term inons en qui signifient que D ieu, par m iséricorde, ne punira
ajoutant que tout ce développem ent, d ’ après elle, est pas de suite Salom on et A chab et qu ’ il laissera m êm e
considéré non com m e autonom e, ce serait une im m ense encore la royauté à leur fils; m ais ensuite leur race
erreur, m ais com m e influencé profondém ent par B a ­ déchoira. E t dire qu ’ on veut voir dans ces textes la
bylone, la Perse, la G rèce, etc. Cf. R . H . C harles, négation de la responsabilité individuelle ! Enfin dès
A critical history of the Doctrine of a future life, l'origine Jahvé fut le D ieu des enfers, com m e le m on ­
Londres, 1899, p. 24-40, 57, 79,116,134-151. trent positivem ent les textes suivants : G en., x l i x ,
U ne réfutation com plète de ces théories appartient 18; D eut., xxxn, 22; Job, xvi, 5, etc.; plus tard, Ps.
à la critique biblique, non à la théologie. A notre point cxxxix, 8; A m os, ix, 2 etc. Cf. H etzcnauer, op. cil.,
de vue, il suffira de noter les réflexions suivantes. De attributis Dei in V. Τ ’., p. 438-464. Pour la question
La théorie rationaliste est d'abord essentiellem ent spéciale du silence relatif du Pentateuque sur la vie
basée sur un rem aniem ent chronologique et une inter ­ future (im m ortalité et sanctions) et les raisons de ce
prétation tendancielle des textes qu ’ on ne peut s ’ em ­ silence qui n ’ est pas un argum ent négatif contre
pêcher de trouver très arbitraire; on connaît le pro ­ l ’ existence de la doctrine chez les H ébreux, voir A m e
cédé : bouleversem ent des textes, d ’ où contradictions, dans le Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 461-473;
évolutions diverses de théories, au gré, ou à peu près, aussi un très bon exposé au point de vue doctrinal
des critiques. N ous n ’ adm ettons pas cette base. — En et historique dans H . M artin, op. cit., c. il, §3, p. 54 sq.
détail, notre exposé positif, toujours éclairé de la lu ­ et note vi, p. 527-533. En résum é, la sanction m orale,
m ière des contextes, a m ontré les faits, dans leur vraie norm alem ent est double : terrestre et ultra-terrestre;
objectivité, croyons-nous, et selon leur vrai dévelop ­ la sanction ultra-terrestre est par elle-m êm e obscure
pem ent historique. Ces faits et ce développem ent ont à la raison; de plus, la révélation prim itive préféra
pour nous une origine surnaturelle. D ès le principe, l ’ es ­ laisser ignorées des vérités que des hom m es charnels
chatologie infernale juive sem ontre de beaucoup supé ­ en particulier, parce qu ’ ils étaient enclins à l ’ idolâtrie,
rieure à toutes les eschatologies païennes, et son évo ­ ne pouvaient porter; voilà pourquoi les auteurs sacrés
lution m arche avec une telle.assurance vers la pleine com m encèrent à parler surtout, sinon exclusivem ent,
lum ière, contrairem ent à ce qui se passe chez les païens, de la sanction terrestre : d ’ autant plus que D ieu lui-
que là aussi l ’ intervention de D ieu est assez évidente. m êm e, s ’ accom m odant aux instincts inférieurs des
En cfïet, prem ièrem ent dans la doctrine juive, de Juifs, les conduisit en fait pendant presque toute leur
l ’ im perfection, m ais-pas d ’ erreur, pas de m ythes, pas histoire, surtout par des sanctions tem porelles plus
de panthéism e, ni de dualism e, ni de m étem psycose, ni im m édiates et plus frappantes. Pour tout dire d ’ un
de descriptions fabuleuses du royaum e infernal, etc., m ot, c ’ était la loi charnelle et de crainte, et non pas
com m e en É gypte, en A ssyrie, dans les Indes, en encore la loi spirituelle de l ’ am our. — A près l ’ origine,
G rèce et m êm e dans la Perse. D e plus, telle religion, l ’ évolution.
telle eschatologie et la religion juive diffère, on sait L ’ évolution de la doctrine infernale juive est une
com bien, de toutes les anciennes religions purem ent m arche assurée vers la pleine lum ière, sans jam ais
hum aines. L ’ hom m e est créé par D ieu et pour D ieu aucune chute dans l ’ erreur; com m e il n ’ y eut jam ais
(relation de service et m êm e d'am itié intim e avec la de fantaisie m ythologique ou de rêverie chim érique,
divinité) et D ieu-providence veille sans cesse ici-bas ainsi il n'y eut jam ais, dans l ’ enseignem ent des
et dans l ’ au-delà, sur tout l ’ ouvrage de ses m ains Livres saints, de courant m atérialiste, ou de courant
(justice, sanction, etc.). — Q uant au culte prim itif négateur des sanctions ultra-terrestres. Peu à peu le
des ancêtres, qu'on objecte ici, il faut dire que c ’ est problèm e de ces sanctions définitives se précisa de ­
un culte qui n'est pas prim itif dans la fam ille m ono ­ vant la réflexion et la révélation, sort des justes et
théiste d ’ A braham et dans sa race, m ais ce fut sim ­ sort des m échants, jusqu ’ aux sublim es explications
plem ent plus tard une grande tentation pour le peuple des deutérocanoniques, prélude de l ’ Évangile.
d ’ Israël, après son contact trop intim e avec les Égyp ­ Q uant aux influences étrangères, tout com pté, il
tiens et les C hananéens; tentation à laquelle il suc ­ sem ble assuré qu ’ elles n ’ ont pas du tout pénétré dans
com ba sans doute souvent, m ais toujours com battue la B ible. Elles ont séduit parfois telle ou telle portion
et dès l'origine par l'autorité enseignante et par les du peuple juif; par exem ple, quelques pharisiens et
prophètes. Cf. prescriptions m osaïques, Lev., xix. 28; les kabbalistes ont pris à l ’ É gypte la m étem psycose,
D eut.. xrv, 1, etc. V oir H . Lesêtre, Dictionnaire de la aux C haldéens l ’ astrologie, aux Perses le panthéism e
Bible, art. Morts (Culte des), Paris, 1908, t. rv.col. 1316. ém anatiste et les superstitions de la dém onologie;
O n ne peut changer ici, sans paralogism e un peu trop m ais ce sont erreurs condam nées ou ignorées par la
fort, le fait accidentel en principe essentiel. M ais voici B ible. T out au plus, les hagiographes ont pu prendre
la deuxièm e objection : le nationalism e exclusiviste occasion quelquefois des faussetés païennes pour pro-
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clam er plus explicitem ent la vérité, com m e D aniel à cette entrée réalisée de suite après la m ort et c ’ était
la cour de D arius affirm e l ’ inégalité éternelle contre aussi l ’ opinion générale chez les hellénistes. Le ju ­
l'éternité unique m azdéenne. daïsm e palestinien, au contraire, distinguait presque
6° La théologie juive extra-canonique du IIe siècle unanim em ent une sanction provisoire et une sanction
avant Jésus-Christ jusqu'à la fin du i°r de notre ère.— définitive après la sentence du dernier jugem ent.
Pour plus de brièveté nous suivrons un ordre systé ­ Hén.,x, 4-6, 12; xvm , 1-6. 12-16; xxi, 1-7; xxn, 1-9,
m atique. Les apocryphes juifs distinguent équivalem - 11-13; IV Esd., vu, 75-101 ; Jubilés, xxm , 31; A poc.
m ent pour les m échants après leur m ort la peine du de Baruch, 37.
dam et la peine du sens, com m e les dcutérocano- 7. Le lieu de l ’ enfer, c ’ est l ’ H adès, Ps. de Salomon,
niques, et iis décrivent ces deux peines. V oir D é m o n , iv, 9; xv, 10; Secrets d ’Hénoch, XL, 12; x l i i , 1 sq.,
t. iv, col. 328-330. ou le Se'ôl, Ilén., l x ii i , 10; xeix, 11 ; cm , 7, etc. ; Ju­
1. Le nom des dam nés est effacé du livre de vie. bilés, vu, 29; xxn, 22. Il se trouve sous terre, Secrets
Hénoch, cvm , 3; Jubilés, χχχνι,ΙΟ . Pour eux, plus d’Hénoch, xxxi, 4; Jubilés, vn, 29; Oral. Manasse,
de vie heureuse, Hén., xeix, 1 ; plus de paix, Ilén., v, ni, 17; à l ’ occident, dans les cavités d ’ une haute
4; xii, 5 sq., etc.; pas de souvenir au jour de m isé ­ m ontagne, Hén., xxn; dans un désert im m ense où
ricorde pour les justes, Ps. de Salomon, in, 11; xiv, il n ’ y a pas de terre, Hén., cvm , 3; au troisièm e
9; m ais la perdition, απώλεια, Ps. de Salomon, xv, 9, ciel au nord, en face du paradis, Secrets d’Hénoch,
10, etc.; Ilén., v,5; x, 12; xn, 6; Testament des douze x, 1; cf. IV Esd., vu, 36; Testam., Lévi, 3. Le G é-
patriarches, Lévi, 18; Juda, 25; la m ort éternelle et hinnom est l ’ enfer m êm e ou la porte de l ’ A btm e, du
sans fin, Ilén., xeix, 11; cvm , 3; Philon, De posteri­ gouffre, la gueule, de l ’ enfer, Hén., xxvn, 1, 3; l iv ,
tate Caini,39, 1.1, p. 233; De prœm. et pœn., 70, t. n, 1 sq.; l v i , 8; xc, 26; IV E sd., vu, 36, 38, 84; Apoc.
p. 419. Pour les dam nés, il vaudrait m ieux n ’ être de Baruch, x l iv , 15; Talm ud de B abylone, Erubin,îol.
jam ais nés. Ilén., xxxvm , 2; Secrets d’Hénoch, x l i , 19, 1 : « là entre deux palm iers, où l ’ on voit s ’ élever
2. Cf. Apocalypse de Baruch, xxx, 5; xxxvi, 11. de la fum ée. » Cf. T argum de Jonathan, G en., ni, 24;
2. Les châtim ents positifs de l ’ enfer sont terribles. Hénoch, xxvi, 1 ; IV Esd., n, 29.
11 y en a pour l ’ âm e, honte, terreur, crainte, désespoir, D ans l'enfer enfin il y a des régions séparées,
Ps. de Sal., n, 31; Jub., xxxvi, 10; Apoc. de Baruch, promptuaria animarum, IV E sd., iv, 41; ordinaire ­
37; Philon, De præm. et pœn., 69-71, t. ir, p. 419;Quod m ent au nom bre de deux pour la séparation des bons
deter, poliori insid., 140, t. i, p. 218. Les dam nés etdesm échants,cf. Liic., xvi,23; au nom bredequatre,
verront la félicité des justes, Ilén., cvm , 15, pour Hén., x x n u , 2; l v i ; 4 : deux pour les justes et deux
leur plus grand désespoir; ou bien, au contraire, ils pour les pécheurs dont une tem poraire avant le juge ­
disparaîtront de la vue des bons, Ilén., x l v i i i , 9; m ent, l ’ autre définitive, l ’ abîm e de feu éternel après
l iv , 1; l x , 18; l x i i , 12; l x x v i i , 3, etc.; esséniens le jugem ent. V oir les textes cités au sujet de la durée
d ’ après Josèphe, De bello judaic.o, II, vin, 11. de l ’ enfer.
M ais les théologiens juifs se com plaisent surtout 8. Pour les rapports des dam nés avec D ieu, tous
dans la description des supplices corporels de 1 ’ enfer; ces livres en indiquent quelques traits. Le IV e livre
ils y déploient leur im agination. Ilén., l u i , 3 sq. ; l v i , d ’ Esdras, m -xiv, contient eu particulier une des spé ­
1 sq., etc. ; IV M ach., ix, 9; xn, 12; xm , 14 ; Testament, culations les plus élevées de la théologie juive, sur ­
A ser, vi, 5. En particulier, ils m ettent en enfer le froid tout v ii - i x , sur la nature, les causes, les raisons de la
et la soif. Secrets d’Hénoch, x, 2; cf. Josèphe, D e bell, dam nation. Il est vrai que cet écrit a dû être rem anié
jud., Il, vin, 11 (croyancedesesséniens); m ais surtout par une m ain chrétienne.
le feu, Ilén., x, 6; xvm , 11-16; xxi, 1-6; l i v , 1, 6; 9. B ien qu ’ on l ’ ait contesté, les Juifs hellénistes
xcvin, 3; c, 9; cm , 8, etc.; Secrets d’Hénoch, x, 42; sont restés fidèles à la pensée juive sur la doctrine des
l x n i; 4; IV M ach., ix, 9 ; x, 10,15; xn, 12; IV E sd., vi, l ’ enfer. Le livre de la Sagesse et les textes de Josèphe,
1-14; vu, 36, 38; et les ténèbres, Ilén., x l v i , 6; l x i ii , De bello jud., II, vm , 11-14; Ant. jud., X V III, i, 3; de
6; cm , 8; cvm , 14; Jubilés, vu, 29; Ps. de. Salomon, Philon, indiqués plus haut, de IV M ach., le prouvent.
xiv, 9; xv, 10; Secrets d’Hénoch, x, 2. R . IL C harles, Cf. Oracles sybilllns, fragm . ni, 43, 49.
toc. cit., col. 1362, trouve dans H énoch, xct-civ, un U ne exploration détaillée dans le m aquis touflu
enfer purem ent spirituel, à cause des « esprits jetés du T alm ud serait peu utile : c ’ est un m élange d ’ opi ­
dans la fournaise de feu. » nions d ’ écoles difficile à dém êler. A u sujet de l ’ enfer,
3. Ces supplices sont proportionnés aux péchés et il y a de-ci, dc-là, com m e des poussées vers des idées
m êm e appliqués spécialem ent aux divers m em bres, conditionalistes; m ais celles-ci ne sont pas absolues;
instrum ents du m al : feu, langue, yeux, etc., soufre, ainsi l ’ école de H illel croyait à un enfer de douze
bitum e, suspension, etc. V oir surtout l’Apocalypse m ois pour les païens; m ais pour les minim (chrétiens),
d'Élie, Steindorff, Die Apokalypse des plias, dansTexte les épicuriens, etc., l ’ enfer était éternel. Cf. Salm ond,
und Unlersuchungen, Leipzig, 1899, t. xvn, fasc. 3, art. Hell, dans Dictionary oj the Bible, t. n, p. 346;
p. 30. V oir t. i, col. 1491; Revue bénédictine, 1908, R . T ravers H erford, Christianity in Talmud and Mi­
p. 149-160. drash, p. 118, 125,187, 191, 226. En enfer, il y aurait,
4. La durée del ’ enfer, c ’ est l ’ éternité. Jubilés, xxxvi, d ’ après le Zohar, du feu et de la glace; ce feu a été
10; Ps. de Salomon, n, 31, 34; ni, 11 sq.; xv, 12 sq.; créé le second jour; ailleurs, il est une des sept
IV M ac., ix, 9; xn, 12; xm , 15; Hén., x x i i , 11; xxvn, choses créées avant le m onde. O n a prétendu, d ’ après
2 ; l u i , 2, etc. ; Secrets d’Hénoch, x, 6. Cf. IV Esd., Josèphe, que les pharisiens adm ettaient la m étem ­
vn, 42-45, 105; Philon, De cherubim, 1 ; De execr., 6; psycose dès le tem ps de N otre-Seigneur; la kabbale
Josèphe, loc. cil.; Testam., Zabulon, 10; A ser, 7. fut panthéiste; les Juifs actuels, m êm e orthodoxes,
5. Q ui sont les damnés? D es anges déchus et tous les sont généralem ent universalistes. Cf. art. Judaism,
m échants, spécialem ent les Juifs apostats. Ilén., x, dans T he catholic Encyclopedia, 1910, t. vm , p. 402.
13-11; xxvn, 1: l i v , 6; xc, 24-26: Assomption de
Moïse, x, 10; IV Esd., vn, 35; Testam., Siinéon, 6; R. H .Charles, art. Eschatology, dans Encyclopaedia biblic i
de Cheyne, t. n, col. 1.355-1371 ; E. Stapfer, Les idées reli­
Zabulon, 9. Les dém ons torturent les hom m es. Ilén., gieuses en Palestine Λ l'époque de Jésus-Christ. 2r édit.. Paris,
l u i , 3, 5; l v i , 1-4; Secrets d ’Hénoch, x, 3; Testam., 1878, p. 144-149: L. A tzberger, Die christliche Eschatologie
R uben, i v , 6. in den Stadien ihrer Ojfenbarung itn Alten und .\euen Tes-
6. M om ent de l ’ entrée en enfer. D ’ après Josèphe, tamente, Fribourg-en-Brisgau, 1890. p. 136-156; J. Tnuzard.
De bello judaico, II, vm , 11, les esséniens croyaient dans la Revue biblique, 1898, p. 227-211; P. Volz, Jûdische
43 E N F ER D A N S L ’ É G R IT tiR E S A IN T E 44

Eschatologie non Daniel bis Akiha, Tubingue, 1903, p. 270- il vaut m ieux entrer borgne dans le royaum e de
292;J.-B. Frey, La théologie juive (lith.), Rom e, 1910, l'es ­ D ieu que d ’ être jeté dans la géhenne (du feu), où
chatologie définitive, i. iv. CI. W . Bousset, Die Religion des leur ver ne m eurt pas et leur feu ne s ’ éteint pas. O ui,
Judentliums im neulcslamentlichen Zeitalter, Berlin, 1903; tous seront salés par le feu com m e on sale des victim es
Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1906, t. I, p. 31-46,
49-52. V oir t. 1, col. 1480-1491. F. M artin, Le livre d’Ilénoch, avec du sel. · En face du royaum e de D ieu, où est la
Paris. 1906, p. xxxiv-xxxvn; E. Tisserant, Ascension vie, il y aura éternellem ent un enfer de feu inextin ­
d'Isale, Paris. 1909, p. 30-31; J. V iteau, Les Psaumes de guible, et de ver rongeur indestructible, supplice
Salomon, Paris, 1911, p. 56-63. éternel des dam nés. La form ule : ubi vermis eorum
non moritur el ignis non exlinguitur, est une citation
II. D a n s l e N o u v e a u T e s t a m e n t . — Saint Jean- littérale d ’ Isaïe, l x v i , 24. Cf. Eccli., vu, 19; Judith,
B aptiste, pour pousser à la pénitence, avait déjà 20, 21.
précité la colère future et le feu où sera précipité 2. Paraboles. — La seconde form e d ’ enseignem ent
l ’ arbre infructueux, et la fournaise inextinguible qui du Sauveur fut la parabole. O r, fréquem m ent sous ce
consum era la paille rejetée par le vanneur; or, celui-ci voile sym bolique, les perspectives éternelles se ca ­
va venir nettoyer parfaitem ent son aire. Luc., in, chent de façon à se révéler à qui a les yeux pour voir.
7, 9, 17; cf. M atth., ni, 10, 12; Joa., ni, 36. Plusieurs ont trait à l ’ enfer. Cf. Fillion, Commentaire
1° Jésus-Christ. — En effet, Jésus-Christ vient sur S. Matthieu, Paris, 1878, p. 257 sq. D ans une
enfin et c ’ est le grand révélateur de l ’ au-delà. Sur son prem ière série qui a pour objet le royaum e de D ieu,
existence, sur sa nature et sur ses relations avec le M atth., xiii ; M arc., iv; Luc., vm , deux nous ren ­
D ieu vivant et personnel qui est notre Père, c ’ est lui seignent sur la destinée des m échants rejetés du
qui a apporté aux hom m es la certitude et la clarté royaum e : celle de l ’ ivraie et celle du filet rem pli de
définitives. poissons bons et m auvais.
1. Exhortations. — Jésus com m ence par prêcher la Parabole de l’ivraie. M atth., xm , 24-30. U n hom m e
bonne nouvelle du royaum e qui approche, qui se n ’ avait sem é que du bon grain dans son cham p;son
réalise enfin dans l ’ hum anité; il y prépare les âm es; ennem i y sèm e de l ’ ivraie pendant la nuit. Les épis
il en prom ulgue la loi et il exhorte sans cesse à la pra ­ form és, l ’ ivraie apparaît et les serviteurs veulent aller
tique de cette loi. Il propose pour cela à ses auditeurs l ’ arracher aussitôt; m ais le propriétaire du cham p
des m otifs divers; l'un des plus souvent invoqués est préfère attendre la m oisson. A lors il dira aux m oisson ­
tiré du salut éternel qui est en jeu. Il y a, en effet, un neurs d ’ arracher d ’ abord l ’ ivraie et de la lier en gerbes
état de péché qui pour l’éternité, n ’aura pas de rémis­ pour la livrer au feu. Le Sauveur a expliqué lui-
sion, mais rendra coupable d’un crime éternel. M arc., m êm e à ses apôtres cette parabole. M atth., xm ,
ni, 29. Cf. M atth., x i i , 32; Joa., vin, 20-24, 35. E t le 37-42. L ’ hom m e qui n ’ a sem é que du bon grain,
crim e irrém issible aura son châtim ent éternel, la gé ­ c ’ est le Fils de l ’ hom m e (lui, Jésus); le cham p,
henne de feu. D ans le serm on sur la m ontagne, en c ’ est le m onde; le bon grain, ce sont les fils du
effet, le M aître recom m ande, sous peine de ce supplice royaum e;l’ ivraie,ce sont les fils du m auvais, υιοί του
terrible, lacharité fraternelle.M atth.,v, 22. Il ordonne πονηρού. Le m auvais, l ’ ennem i qui a sem é l ’ ivraie,
de m êm e la chasteté à tout prix, fallùt-il sacrifier son c ’ est le diable. La m oisson, c ’ est la consom m ation
oeil droit et sa m ain, objets de scandale, pour que le du siècle et les m oissonneurs seront les anges. V oici
corps ne soit pas jeté dans la géhenne. M atth., v, 29, m aintenant le sort des m échants : « D e m êm e qu ’ on
30. A vant de conclure cette prom ulgation de la loi rassem ble l ’ ivraie et qu ’ on la brûle au feu, ainsi fera-
nouvelle, N otre-Seigneur ouvre enfin la perspective de t-on à la consom m ation du siècle; le Fils de l ’ hom m e
deux avenirs différents: aux uns, le royaum e des enverra ses anges; ils ram asseront de son royaum e
deux, aux autres, l ’ éloignem ent de Jésus qui ne les tous les scandales et tous les ouvriers d ’ iniquité et
connaît pas. M atth., vu, 21-23. ils les précipiteront dans la fournaise de feu; là il y
A C apharnaüm où la foi du centurion excite son aura des pleurs et des grincem ents de dents. »
adm iration, il prophétise la vocation des gentils à la Cf. S. Thom as, In Matth., Opéra, Paris, 1876, t. xix,
béatitude céleste et la destinée de certains juifs aux p. 433 sq.
ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grin ­ Parabole du filet. M atth., xm , 47-50. Le filet retiré
cem ents de dents, M atth., vin, 11, 12, ibi erit fletus et plein de poissons, le pêcheur trie les bons poissons
stridor dentium. V oir D a m , t. iv, col. 22, pour l ’ expli­ qu ’ il recueille et les m auvais qu ’ il jette dehors.
cation des ténèbres extérieures; les pleurs exprim ent « A insi en sera-t-il à la fin du m onde. Les anges
la douleur; le grincem ent des dents, le désespoir et viendront et feront la séparation des justes et des
la rage. im pies et ils jetteront ceux-ci in caminum ignis.
A ux D ouze qu ’ il envoie prêcher, il enseigne à craindre Ibi erit fletus et stridor dentium. »
celui qui peut tuer l ’ âm e et le corps pour la géhenne. D ans une autre série de paraboles, voici celle du
M atth., x, 28. grand festin, Luc., xiv, 16-24, dans laquelle le M aître
M ais le résum é le plus vigoureux de ces exhor ­ déclare qu ’ aucun des invités rebelles ne goûtera à
tations m orales se trouve dans M arc, ix, 42-48. Cf. son repas, sym bole de la béatitude céleste; et puis
M atth., xviir, 8-9. Le M aître veut prém unir de nou ­ celle de Lazare, le pauvre m endiant et du m auvais
veau ses disciples contre le scandale, cette grande riche. Luc., xvi, 19-31. Le pauvre, qui avait souffert
cause de la perte des âm es : « Si ta m ain te scandalise, avec patience, étant m ort, fut porté par les anges dans
dit-il, coupe-la ; il vaut m ieux entrer m anchot dans le sein d ’ A braham ; le riche sans cœ ur m ourut, lui
la vie (éternelle) que d ’ aller avec ses deux m ains aussi, et fut enseveli (selon la ponctuation du texte
dans la géhenne, dans le feu inextinguible, où leur grec). D ans l ’ H adès, com m e il était dans les tour ­
ver ne m eurt pas et leur feu ne s ’ éteint pas. » Le m ents, il leva les yeux et vit de loin A braham et
m êm e refrain est répété après deux couplets que le pa ­ avec lui Lazare. « Père A braham , cria-t-il, aie pitié
rallélism e rend de plus en plus poignants : « E t si ton de m oi et envoie Lazare trem per l ’ extrém ité de son
pied te scandalise, coupe-le; il vaut m ieux entrer doigt dans l ’ eau pour m ’ en rafraîchir la langue,
estropié dans la vie (éternelle) que d ’ être jeté avec quia crucior in hac flamma. » A braham répond :
deux pieds dans la géhenne du feu inextinguible « M on fils, rappelle-toi que tu as eu du bonheur
(V ulg.), dans la géhenne, dans le feu inextinguible i pendant ta vie et que Lazare n ’ avait alors que des
(texte grec), où leur ver ne m eurt pas et leur feu ne m aux; m aintenant il goûte ici la consolation, et
s ’ éteint pas. E t si ton œ il te scandalise, arrache-le j toi tu es dans les tourm ents. D e plus, entre nous et
45 E N F ER D A N S L ’ É C R IT U R E S A IN T E 46

vous, a été creusé un abîm e im m ense et personne ne 1. Saint Pierre. — Les faux prophètes et les m aîtres
peut plus aller d ’ ici là-bas, ni de chez vous vers nous. » du m ensonge seront punis et vont à leur perte, dit
Ce lieu de tourm ents, où le feu torture le m auvais saint Pierre. II Pet., n, 1,3, 12, 14; m . 7, 16. D e
riche et qui est séparé du sein d ’ A braham par un m êm e que D ieu a puni les anges rebelles et leur
abîm e infranchissable, c ’ est la partie du Se'ôl réservée a réservé, après le jugem ent, les supplices de l'en ­
aux m échants, l ’ enfer éternel, vu et m anifesté par le fer, il, 4, ainsi il réserve les m échants pour les
V erbe incarné. tourm enter au jour du jugem ent,9. Le participe χολα-
Parabole des noces royales. M atth., xxn, 1-14. U n ζόμβνους est au présent et signifie que, torturés dès
convive est entré sans la robe nuptiale. Le roi le m aintenant, les pécheurs sont réservés à la fin du
condam ne à être jeté, pieds et m ains liés, dans les m onde pour un jugem ent qui ne term inera pas leurs
ténèbres extérieures, où seront les pleurs et les grin ­ supplices, m ais les consacrera au contraire et les
cem ents de dents. rendra com m e plus définitivem ent fixés. V oir t. rv,
Parabole des vierges sages et des vierges folles. col. 336. A ux faux prophètes, nuages poussés par la
M atth., xxv, l-13.Q uand les vierges folles reviennent tem pête, d ’ épaisses ténèbres sont réservées, n, 7, et
avec leurs lam pes garnies d'huile, la porte du royaum e quelques m anuscrits ajoutent : in æternum.
éternel est ferm ée. Elles frappent en vain; l ’ époux 2. Saint Jade. — Sa courte épître, qui est en étroite
leur répond qu ’ il ne les connaît pas. Elles sont donc relation avec la seconde lettre de Pierre, est dirigée
exclues du royaum e céleste. tout entière contre les im pies qui nient N otre-Sei-
Parabole des talents. M atth., xxv, 14, 30; cf. Luc., gneur Jésus-Christ. A eux, la perdition éternelle, celle
xix, 1-28. A ux bons serviteurs, qui ont fait valoir des anges déchus, réservés aux ténèbres éternelles, 6,
leurs talents, la joie du Seigneur; aux serviteurs celle de Sodom e et de G om orrhe, villes condam nées
négligents et inutiles, les ténèbres extérieures avec au feu éternel. Ce sont des astres errants, à qui est
les pleurs et les grincem ents de dents. réservée pour l ’ éternité la nuée ténébreuse, 13. V oir
Il y aura donc des réprouvés. D u nom bre seront t. iv, col. 336.
les pharisiens hypocrites qui font des païens con ­ 3. Saint Jacques. — Il m enace d ’ un jugem ent sans
vertis des fils de la géhenne. M atth., x x i i i , 15. m iséricorde celui qui n ’ a pas fait m iséricorde, n, 13.
Serpents, race de vipère, le C hrist, ém u de la perte Parce que l ’ apôtre ajoute que la m iséricorde l ’ em porte
des âm es, les anathem atise, ils n ’ échapperont pas à sur le jugem ent, il y eut autrefois une curieuse con ­
la sentence de la géhenne (condam nation à l ’ enfer). troverse sur ce texte; les uns affirm aient qu ’ en enfer
• D ans le grand discours eschatologiquc enfin, M atth., D ieu exerce une justice rigoureuse à cause de la pre ­
xxiv-xxv, en parlant de la fin du m onde, Jésus m ière partie du verset (Sylvius, E stius). D ’ autres, à
déclare que le m aître séparera le m auvais serviteur cause de la deuxièm e partie du verset, adm ettaient
des autres serviteurs qu ’ il m altraitait et lui donnera avec saint Thom as que D ieu punit en enfer citra con­
sa part avec les hypocrites, au lieu où seront les pleurs dignum. Le vrai sens est celui-ci : Il n ’ y a pas éter ­
et les grincem ents de dents, xxiv, 51. Puis, solennel­ nellem ent de pardon pour les pécheurs sans cœ ur
lem ent et sans voiles il décrit le dernier jugem ent et pour leurs frères : quant aux hom m es charitables à
la séparation définitive des bons et des m échants. leurs sem blables, ils ne craindront pas le jugem ent.
C eux-ci seront placés à gauche com m e des boucs, C ’ est au feu de la géhenne que la m auvaise langue
xxv, 33, et ils entendront leur sentence : « R etirez- prend ce feu qui enflam m e tout le cours de notre vie,
vous de m oi, m audits, au feu éternel préparé pour m . 6. Enfin les m auvais riches s ’ am assent des tré ­
le diable et ses anges, >41. Sentence sans appel, sans sors de colère pour les d erniers jours, v, 3 ; cf. i, 15 ; il,
sursis, sans fin; car aussitôt ils iront au supplice 19; iv, 4-8,12.
éternel, 46. 4. Saint Paul.— Il n ’ a pas varié dans son enseigne ­
D ans l ’ Évangile de saint Jean, les destinées de m ent sur l ’ enfer au cours de sa carrière apostolique et
l ’ hom m e sont présentées sous l ’ idée générale de vie il a toujours affirm é cet enfer éternel. U ne réfutation
éternelle ou de perte éternelle, ni, 3, 15, 16, 18, 36; détaillée des théories rationalistes nous entraînerait
vi, 40, 52, 55, 59; x, 28; xn, 25, 26, 48, 50; xvn, 2, ici trop loin. R . H . C harles, loc. cil., col. 1382 1386,
12; xvin, 9; xx, 31. C ette perdition est la peine du par exem ple, distingue quatre stades dans la pensée
dam , plus terrible que celle du feu. V oici encore des eschatologiquc de Paul, pour aboutir à une doctrine
traces certaines de la pensée de l ’ enfer éternel dans de restauration universelle, ou du m oins à la néga ­
le quatrièm e Évangile. C elui qui ne croit pas au Fils, tion de l'enfer éternel. V oir une réfutation générale
n ’ aura pas la vie éternelle, m ais la colère de. D ieu à P r é d e s t i n a t i o n et R é p r o b a t i o n . Les textes po ­
dem eurera sur lui, ni, 36. Les Juifs qui m ourront dans sitifs que nous donnerons ici suffiront à notre point
leurs péchés, ne pourront venir où il va, vin, 21-24. de vue.
Le péché rend esclave et l ’ esclave ne dem eure pas Pour consoler les chrétiens de Thessalonique
toujours com m e les fils dans la m aison, vin, 34, 35. persécutés, Paul leur annonce les futures justices: à
Les disciples, qui ne dem eureront pas attachés au eux la joie, à leurs persécuteurs l ’ enfer éternel, i, 5-9.
M aître com m e des branches au cep, seront jetés de ­ A ux G alates, l ’ apôtre alfirm e énergiquem ent que ceux
hors com m e des branches stériles; ils dessécheront, qui font les œ uvres de la chair n ’ atteindront pas le
on les recueillera pour les jeter au feu où ils brûleront, royaum e de D ieu, v, 19-21. M êm e affirm ation dans
xv, 2, 6; cf. ni, 18; v, 22-25, 29; ix, 39; xn,31,46, la I r0 lettre aux C orinthiens, vi, 9. 10. A vant de rece ­
48, etc. O n voit par là ce que vaut le jugem ent de voir l ’ eucharistie, les chrétiens doivent se juger eux-
R . H . C harles, loc. cil., col. 1318, qui a prétendu que m êm es afin de nepas être condam nés avec ce m onde,
l ’ auteur du quatrièm e Évangile était en contradiction xi, 32. Il y en a qui périssent, II C or., n, 15, 16; iv,
avec les Synoptiques au point de vue de l ’ eschatolo ­ 3; xiii, 5; et il y a deux cités irréconci'iables, vi, 14-
gie. Les Synoptiques auraient gardé la vieille eschato ­ 18. Il y a deux alternatives éternelles. R om ., n,
logie judaïque dont le quatrièm e É vangile ne parle ­ 2-12. Les œ uvres de la chair de nou eau sont exclues
rait pas pour ne rappeler que l ’ am our divin universel. de l'héritage céleste. E ph., v, 5. Ily a des réprouvés
2° Enseignement des apôtres. — Les apôtres con­ à jam ais. I Tim ., v, 6, 11-15; II T im „ n, 12-20. Il y
tinuent à enseigner im plicitem ent ou m êm e souvent a un jugem ent et une réprobation éternels. H eb., vi,
très explicitem ent la perdition éternelle des m é ­ 2, 7-9; ix, 27; x, 26-31.
chants. V oir J u g e m e n t , R é p r o b a t i o n , pour les affir ­ 5. Saint Jean. — A u voyant d« Patm os, D ieu a fait
m ations im plicites. voir aussi les deux cités de l ’ au-delà, la Jérusalem cé ­
47 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 48

leste et l ’ étang ardent des tourm ents éternels, xiv, 19; ainsi : L Pacifique possession de la foi. IL L utte
xx, 15 ; xxi, 8. A tous ceux dont les nom s ne seront pas contre l ’ hérésie. III. D ogm e défini.
écrits sur le livre de la vie, la dam nation, ni, 5 ; xx, 12- I. P a c i f iq u e p o s s e s s i o n d e l a f o i . — 1° Pères
15; xxi, 27. C ette dam nation qui est l ’ exclusion du livre apostoliques. — O n ne trouve dans leurs courts écrits
de vie, est appelée la seconde mort, n, 11; xx, 6, 14; que très peu de passages explicites sur la sanction
xxi, 8; l'exterm ination, xi, 18. C ette m ort n ’ est pas infernale. C elle-ci est évidem m ent im plicite dans les
l ’ anéantissem ent, m ais une privation de la vie divine, doctrines répétées de la vie et de la m ort éternelle.
xxi, 8, 27 ; xxn, 15, en un lieu de supplices éternels et Cf. Didaché, i, 1, les deux voies, celle de la vie et celle
horribles, dont le plus sensible est le feu. Ce lieu est le de la m ort, Funk, Patres apostolici, 2 e édit., T u-
puits de l ’ abîm e, ix, 2. 11 est préparé pour quiconque bingue, 1901, t. i,p. 2; Epist. Barnabæ, i, 18, iv, 13;
portera le caractère de la bête, xiv, 10, 11. D ieu irrité xx, 1, est enim via mortis ælernæ cum supplicio, in
contre les coupables les tourm entera dans le feu et le quasunt quæ perdunt animam hominum. Funk, p. 48,
soufre en présence des saints anges, et la fum ée de 94, et l ’ auteur énum ère ceux qui seront ainsi dam nés:
leurs tourm ents m ontera pendant tous les siècles et tous les pécheurs. Saint C lém ent parle des m audits de
les dam nés n ’ auront de repos ni jour ni nuit. A la fin D ieu et il les oppose aux bénis de D ieu. Z* Cor., xxx,
des tem ps, le diable sera jeté dans le goufre de feu 8, p. 138. Selon la II* ad Cor., qui est un vrai serm on
et de soufre avec la bête et le faux prophète, où ils y sur le salut éternel, si nous ne faisons pas la volonté
seront tourm entés jour et nuit pendant tous les du C hrist et si nous m éprisons ses com m andem ents,
siècles, xx, 9,10. A près le jugem ent, l ’ enfer et la m ort rien ne nous arrachera à l ’ éternel supplice, vi, 1,
seront jetés dans l ’ étang de feu ainsi que tous ceux p. 190; pour ceux qui n ’ auront pas gardé le sceau du
dont les nom s ne sont pas inscrits au livre de vie, 14, baptêm e, vermis eorum non morietur et ignis éorum
15; cf., xxi, 8, 27; xxn, 15. non extinguetur et erunt in visionem omni carni,
Pour résum er en quelques m ots le développem ent vil, 6, p. 192. Cf. Is., ι.χνι, 24. V oir aussi, xvn, 5,
de la doctrine de l ’ enfer dans l ’ É criture sainte, nous p. 206, postquam e mundo exivimus non amplius pos­
pouvons distinguer trois phases dans l ’ A ncien T esta ­ sumus ibi confiteri (έξομολογήσασΟαι) aut pænitentiam
m ent et trois dans le N ouveau. — 1° Pour Γ Ancien agere, vin, 3, p. 192. 193.
Testament. — 1. Des origines aux prophètes, ce sont Saint Ignace d ’ A ntioche, A d Magn., v, 1, p. 234, dit
concepts rationnels vagues sur les sanctions ultra- que deux choses sont proposées en m êm e tem ps : la
terrestres, préservés de toute erreur par l ’ E sprit vie et la m ort et que chacun ira en son propre lieu.
divin qui inspire de plus aux auteurs sacrés un vif Le châtim ent futur, c ’ est l ’ exclusion du royaum e de
sentim ent des jugem ents inéluctables de D ieu. — 2. D ieu et le feu inextinguible. Ad Eph., xvi, 1, 2,
Les prophètes ont la vision nette des sanctions elles- Funk, p. 226. Enfin, Ad Smyrn., n, p. 276, saint
m êm es avec leur durée éternelle : existence d ’ un en ­ Ignace dit des hérétiques qui prétendent que Jésus
fer de dam nation et de supplices positifs sans fin. — 3. a souffert en apparence seulem ent, qu ’ après la m ort
Les deulèrocanoniques, avec un exposé plus étendu ils seront sans corps et pareils aux dém ons, άσω-
de ces supplices et de leurs rapports avec les péchés μάτοι; κΆ δαιμονικοί;.
qui les m éritent, com m encent à étudier l ’ im portance Saint Polycarpe, Ad Phil.,y, 3, p. 302, recom m ande
vitale universelle de cette doctrine de l ’ au-delà et à la pratique de la chasteté, parce que les im pudiques
s ’ élever ainsi de plus en plus au-dessus de ce m onde seront exclus du royaum e de D ieu, v, 3 (citation de
qui passe. — 2° Pour le Nouveau Testament.— l.Dans I C or., vi, 9, 10). D ans le Martyrium S. Potycarpi
ΓÉvangile, Jésus-C hrist révèle com plètem ent la sub­ (155), l ’ Église de Sm yrne parle de ses m artyrs qui
stance de la théologie de l ’ enfer : dam , feu, inégalité, m éprisaient les tourm ents de ce m onde, se rachetant
éternité, châtim ent de tout péché m ortel après la du supplice éternel en l ’ espace d ’ une heure; le feu de
m ort. — 2. Saint Paul développe synthétiquem ent leurs cruels bourreaux leur paraissait froid, parce
l ’ eschatologie infernale, dans le cadre général de sa qu ’ ils avaient devant les yeux le feu éternel et inex ­
théologie. — 3. Saint Jean retrace la réalité très tinguible qu ’ ils fuyaient, u, 3, p. 316. A son tour,
com plète, partiellem ent très m atérielle, du lieu et Polycarpe répond au proconsul, qui le m enace de le
des supplices de cet abîm e de feu où seront dans les jeter dans un brasier : «Tu m e m enaces d ’ un feu qui
siècles des siècles tous les sectateurs de la cité du ne brûle qu ’ une heure et qui s ’ éteint peu après; tu
m al. ignores, en effet, que le feu du jugem ent futur et de
la peine éternelle est réservé aux im pies, > xi, 2, p. 326.
n. e n f e r D'a p r è s l e s p è r e s . — Pour l ’ enfer, la D es cinq visions d ’ H erm as, la troisièm e, la plus
tradition ne constitue pas de source spéciale de ré ­ im portante, représente l ’ Église sous la form e d ’ une
vélation : il n ’ y a pas de tradition purem entorale. Elle tour que les anges construisent avec des pierres
ne fait, ordinairem ent, que répéter ce qui était déjà taillées : les pécheurs, qui veulent faire pénitence
clairem ent et explicitem ent dans la sainte É criture. ne sont pas loin de la tour; s ’ ils font vraim ent péni ­
C ependant, elle fait davantage sur quelques points; tence, ils seront utilisés pour la construction, tant
elle certifie ou m êm e déterm ine le sens un peu que celle-ci durera; m ais quand la bâtisse sera
obscur ou douteux de la révélation écrite, par term inée, il n ’ y aura plus de place pour eux, et
exem ple, pour la localisation de Tenfer, la dam nation ils seront réprouvés, εκβολοι, Vis., III, v, 5; d ’ autres
des enfants, le feu, le m om ent où l ’ enfer com m ence pierres sont rejetées bien loin, ce sont les fils d ’ ini ­
pour les dam nés, la m itigation, etc. quité, dont la foi n ’ était pas sincère, n ’ ayant pas re ­
Le m agistère chrétien a surtout rem pli le rôle, au jeté toute corruption; ceux-là ne seront pas sauvés,
point de vue spéculatif, de développer la foi à l ’ enfer vi, 1. Funk, p. 442, 444. H erm as distingue ensuite
en dogm e précis, puis en théologie savante. trois catégories de pierres rejetées loin de la tour : il
La foi à l ’ enfer et à l ’ enfer éternel ayant été dès y a les croyants qui ont douté et ont pensé trouver
l ’ origine un de ces articles fondam entaux, enseignés une m eilleure vie; ils errent et ils sont m alheureux
par Jésus-Christ et ses apôtres à l ’ Église, non pas en m archant dans des lieux sans chem in ; il y a ceux
im plicitem ent, m ais très explicitem ent, le dévelop­ qui tom bent dans le feu et y brûlent: ce sont ceux qui
pem ent de la connaissance de l ’ enfer n ’ a pas passé à la fin se sont éloignés de D ieu et n ’ ont pas fait pé ­
par les trois époques ordinaires : stade im plicite, I nitence de leurs fautes; il y a enfin les catéchum ènes
discussions, foi explicite. C ependant, l ’ histoire de , que la chasteté de la vérité effraie et éloigne du bap ­
la doctrine de l ’ enfer chez les Pères peut se diviser têm e, vn, 1-3, p. 446.
49 E N FE R D ’A P R È S L E S P È R E S 50

Ici-bas, pêcheurs et justes se ressem blent com m e Tryph., 5, 80, 105, col. 488, 665, 721. En attendant
les arbres en hiver; tous sont dépouillés et ne donnent le jugem ent dernier, les âm es des m échants et des
pas signe certain de vie. Cf. Sim., III, p. 526. M ais, im pies sont dans un lieu m auvais, où elles sont pu ­
•dans l ’ autre vie, aura lieu la grande m anifestation : nies, tant que D ieu le voudra, 5, col. 488. D ’ ailleurs,
les pécheurs, bois sec et m ort, brûleront, parce qu ’ ils dès après la m ort, les pécheurs sont punis. Apol., i,
n ’ ont pas fait pénitence, et les païens, parce qu ’ ils 12, 20; Cohort. adGræcos, 35, col. 341. 357. 304. C ’ est le
n ’ ont pas connu leur créateur. Cf. Sim., IV, 4, p. 528. ■ prem ier tém oignage de la dilatio inferni, qui aura une
D ans la Sim., V I, n, 2-4, p. 546, le troupeau de la vo ­ i grande diffusion, surtout dans l ’ Églisc latine, jus-
lupté est com posé de brebis corrom pues, les unes I qu ’ au vi° siècle. Q uelques-uns ont pensé que les m ots
jusqu ’ à la m ort, c ’ est-à-dire séparées de D ieu pour I de ce texte : quamdiu eas (animas) esse et puniri Deus
toujours, les autres jusqu ’ à la perversion, m ais qui voluerit, exprim aient une idée conditionaliste et res ­
feront pénitence. M êm e enseignem ent, plus général, treignaient la durée de l ’ enfer à la libre volonté de
dans la Sim., V III : les ram eaux qui, définitivem ent, D ieu. T out au m oins, telle aurait été l ’ opinion du
après un délai de pénitence, sont restés secs, pourris, vieillard, avec qui saint Justin avait conversé. Cf.
rongés, etc., sont m orts pour D ieu à jam ais, vi, 4, H . M artin, La vie future, p. 592. M ais cette interpré ­
p.568, m ourront de m ort, vu, 3, p. 570; ils ont perdu la tation ne s ’ im pose pas, et, d ’ après le contexte, le
vie, vm , 2,3,5 ; ix, 3,4, p. 570,572 ; ils se condam neront quamdiu signifie uniquem ent que, l ’ im m ortalité étant
à la m ort, xi, 3, p. 574 sq. D e m êm e encore, certaines adm ise, ce serait un gain pour les âm es des m échants
pierres seront rejetées pour toujours de la construc ­ de périr; aussi ne m eurent-elles pas et sont-elles pu ­
tion de la tour. Sim., IX , xiv, 2, p. 604. C eux qui nies, tant qu ’ elles existent, c ’ est-à-dire toujours,
n ’ ont pas connu D ieu et ont m al agi, sont jugés leur existence étant d ’ ailleurs un effet de la volonté de
pour la m ort; ceux qui ont connu D ieu et ont m al D ieu. C ’ est ainsi que l ’ a déjà entendu M oehler, Pa-
agi, bien qu ’ ils aient vu ses m erveilles, seront punis trologiej. i, p. 264. Cf. Schw ane, Histoire des dogmes,
doublem ent et m ourront pour toujours. Sim., IX , Paris, 1903, t. i, p. 430.
xviii, 2, p. 612. Il en sera ainsi pour les sept séries b) Tatien. — Ce disciple de Justin, encore catho ­
de pécheurs, c. x ix - x x i x , p. 612-626. Enfin, dans les lique, affirm e explicitem ent les supplices éternels
derniers avis de l ’ ange d ’ H erm as, Sim., X . n, 4, d ’ ailleurs différés pour les dém ons, jusqu ’ au jour du
p. 636, ceux qui m éprisent le Seigneur et n ’ observent jugem ent. Orat. adv. Græcos, 14, P. G., t. vi, col. 838.
pas ses com m andem ents, se livrent eux-m êm es à la Il en sera de m êm e pour les hom m es, 15, col. 840.
m ort et le Seigneur donnera leurs âm es aux sup ­ c) Alhénagore. — Les chrétiens ne peuvent être
plices. les crim inels qu ’ on dit, eux qui attendent le juge ­
L ’ auteur de l'Épitrc à Diognète, pour convertir m ent sévère de D ieu et la dam nation. Legatio pro
son correspondant, invoque deux fois les sup­ Christianis, 12, P. G., t. vi, col. 916. D e m êm e, 31,
plices réservés aux pécheurs, la m ort de ceux qui col. 964, ils n ’ im itent pas les païens qui seront punis
seront condam nés au feu éternel, qui tourm entera par le supplice du feu. D ans le De resurrectione mor­
jusqu ’ à la Πη ceux qui lui ont été livrés. Funk, tuorum, 18-24, P. G., t. vi, col. 1009 sq., le philo ­
p. 408-410. Q uelques philosophes ont regardé com m e sophe athénien fait valoir, pour dém ontrer la résur ­
D ieu le feu auquel ils iront, vm , 2. p. 404. rection, la nécessité d ’ une sanction après cette vie, et
2° Les Pères apologistes. — 1. Grecs. — a) Saint pour l ’ hom m e tout entier , âm e et corps. Le pécheur,
Justin. — a. Il atteste d ’ abord, clairem ent et explici­ qui a été vicieux dans son corps, doit être puni dans
tem ent, l ’ existence et l ’ éternité du feu de l ’ enfer son corps et il serait inique et indigne du jugem ent
pour les dém ons et pour tous les hom m es pécheurs. de D ieu que les âm es seules soient châtiées pour les
Apol., i, 8, P. G., t. vi, col. 337. Ils sont punis non péchés, com m is sur terre.
pas pour m ille ans, com m e l ’ a dit Platon, m ais d ’ une d) Théophile d’Antioche, dans scs trois livres Ad
peine éternelle. Saint .Justin insiste sur le carac ­ Autolycum (169-182), parle, lui aussi, des supplices
tère m oralisateur de cette doctrine, 12, col. 341; éternels, réservés aux incrédules, 1. I, 14, P. G., t. VI,
il réitère l ’ affirm ation du feu éternel, 17, 18, col. 1045. Les écrivains païens ont volé la doctrine
col. 353.356, avec cette raison nouvelle que tous les des supplices futurs des im pies et des incrédules aux
m échants retireraient du gain, s ’ il n ’ y avait pas livres inspirés des chrétiens; elle a donc été ainsi
d ’ im m ortalité; m ais l ’ âm e survit et il y a des sup ­ prom ulguée à tous,Théophile en énum ère une dizaine;
plices éternels, 21, col. 361. Enfin, 28, col. 372, il dit et il confirm e cette doctrine par de longues citations
de Satan : εις τό πϋρ πεμφΟήσεσΟαι μετά τής αύτοϋ στρα ­ de la Sibylle et divers poètes grecs, 36-38, col. 1109 sq.
τιάς χαιτών επομένων ανθρώπων κολασόησομένονς τον άπέ- Les chrétiens ont appris que, pour éviter les supplices
ραντον αιώνα. D e m êm e, 52, col. 405. Ses affirm ations éternels, il fallait éviter tout péché, 34, col. 1108.
sont aussi claires dans Y Apol., n. Les chrétiens sont 2. Latins. — a) Minucius Félix. — Le païen Cæci-
persuadés que les m échants et les débauchés seront lius connaît la foi chrétienne sur l ’ enfer,qui est la force
tourm entés dans le feu éternel,!, col. 411, quoi qu ’ en desm arlyrs. Octavius, c. vm , P.L., t. m , col. 269sq.
pensent les pythagoriciens et les épicuriens, 2, 7, Cf. c. xi, xii, col. 277 sq.
col. 444, 456. L ’ É criture l ’ enseigne ainsi que l ’ expé ­ L ’ apologiste chrétien l ’ expose et la défend, c. xxxiv,
rience, puisque les chrétiens ont pouvoir sur les dé ­ xxxv, col. 363. Les m échants préféreraient extingui
m ons lorsqu ’ ils les m enacent du feu éternel, 8, col. 457. penitus quam ad supplicia reparari. El tamen admo­
Cf. encore Dial, eum Tryphone, 45, 81, 120, 131, 133, nentur homines doctissimorum libris et carminibus poe­
140, 141, col. 572, 668, 753, 780, 784, 796, 797 : tarum illius ignei fluminis et de stygia palude siepius
seront dam nés non seulem ent les infidèles, m ais tous ambientis ardoris qute cruciatibus æternis preeparata...
les pécheurs. La Cohortatio ad Griecos et le De mo­ tradiderunt. Et ideo apud eos etiam ipse rex Jupiter
narchia du pseudo-Justin affirm ent aussi les sup ­ per torrentes ripas et atram voraginem jurat religiose.
plices de l'enfer. Coh., 27, 28, 35; De mon., 3, 4, P. G., Destinatam enim sibi cum suis cultoribus poenam pri­
t. vi, col. 292, 304, 317 319. scius perhorrescit. Nec tormentis aut modus ullus aut
b. Q uant aux doctrines personnelles de saint Justin, terminus. Illic sapiens ignis membra urit et reficit,
il a soutenu d ’ abord certainem ent que l ’ enfer serait carpit et nutrii. C om m e les feux de la foudre et d-<
retardé jusqu ’ au jugem ent dernier; pour les dém ons, volcans brûlent et ne sont pas consum és, Ha pcena
Apol., il. 28, col. 372, à cause du genre hum ain; illud incendium non damnis ardentium pascitur sed
et. Apol., i, 8, col. 457; pour les dam nés, Dial, cum inexesa corporum laceratione nutritur. Eos autem merito
51 E N F ER D ’A P R È S LES PÈRES 52.

torqueri qui Deum nesciunt ut impios ut injustos, nisi \ 30, P.L.,t. i, col. 736 sq., décrit divers dam nés et leurs
profanus nemo deliberat. M inucius ne sait pas com m ent péchés plutôt qu ’ il n ’ analyse leurs douleurs intim es.
le feu éternel de l'enfer brûlera sans consum er. Il Les persécuteurs siccioribus quam ipsi contra Chri­
sem ble dire que le supplice du feu sera différé pour stianos sievierunt flammis insultantibus liquescentes;
les dém ons au m oins, puisqu ’ il leur est destiné et les sages coram discipulis suis una conflagrantibus eru­
qu ’ ils le prévoient; m ais son texte exprim e m agni­ bescentes; les poètes ad inopinati Christi tribunal pal­
fiquem ent la foi à l ’ enfer de feu éternel. pitantes; et le feu éternel toujours, pour le tragédien
Z>) Tertullien. — Son eschatologie est dans la note pleurnicheur, pour le com édien dissolu, pour le co ­
la plus archaïque (ou traditionnelle) et la plus réa ­ cher, in flammea rota totus ruber, pour l ’ athlète in
liste. fixeront, op. cil., p. 350. O n y trouve d ’ abord, igne jaculatus.
avec toute la force d ’ expression du fougueux génie d. L'enfer et les attributs divins. — T ertullien, Adv.
africain, la foi au feu éternel de l ’ enfer, feu très Marcion., 1. I, c. xxvi, xxvm , P. L., t. n, col. 277 sq.,
réel et très corporel, et aussi l ’ opinion d ’ une cer ­ prouve supérieurem ent contre M arcion que D ieu de ­
taine dilatio des peines infernales jusqu ’ après le juge ­ vait punir le péché dans l'autre vie. Les m arcionites
m ent, non seulem ent pour les dém ons, m ais encore ne niaient pas cependant tout châtim ent des pécheurs:
pour les dam nés. Il esquisse le prem ier les sentim ents le feu du dém iurge (distinct de D ieu) devait les sai ­
et la douleur intim e des dam nés, et ses controverses sir au dernier jour. T ertullien leur réplique que le
avec M arcion lui font éclairer quelques rapports de créateur (D ieu) leur préparera alors sulphuratiorem
l ’ enfer avec les attributs divins. eis gehennam. Plus loin une belle page de théodicée,
a. Enfer éternel et feu corporel. — Apologelicus 1. II, c. xi, xiii, xiv, col. 324-329. La crainte de
(de 197), c. x l v , x l v i i - x l i x , P. L., t. i, col. 363, l ’ enfer est nécessaire pour nous faire pratiquer la
581 sq., l ’ apologiste répète après tous ses devanciers vertu : Horremus terribiles minas creatoris, et vix a
la réponse radicale aux calom nies des païens : les chré ­ malo avellimur; quid si nihil minaretur? delicta
tiens ne peuvent être les affreux crim inels que l ’ on dit, gauderent... diabolus illuderet, etc. Si on objecte
eux qui prévoient ælcrnam pœnam..., magnitudinem que D ieu est ainsi l ’ auteur m êm e du m al, il faut
cruciatus, non diuturni, verum sempiterni. Puis, il distinguer mala delicti et mala supplicii, mata culpæ
prend l ’ offensive. Ridemur Deum prædicantes judi­ el mata pœnœ. L ’ auteur du m al du péché, c ’ est le
caturum,.. et gehennam si comminemur quæ est ignis diable; D ieu est l ’ auteur du m al de la peine, c ’ est-
arcani subterranea ad pœnam thesaurus; et pourtant à-dire de la justice, car si le supplice est m auvais
les poètes et les philosophes païens adm ettent, eux pour le crim inel, il est bon pour D ieu et la justice.
aussi, des juges infernaux et le Pyriphlegethon, ins ­ Cf. G . Esser, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn,
truits d ’ ailleurs par nos É critures. La m étem psycose 1893; E . F. Schulze, Elemenle einer Theodicee bei
est absurde. O n ne peut non plus pourtant adm ettre Tertullian, dans la Zeitschrift fur ivissench. Théologie,
des séries sans fin de résurrections, pour de nouvelles 1900, t. x l i i i ; A tzberger, Geschichte, p. 311sq.
vies terrestres et de nouvelles épreuves, car tout 3° Les Actes des martyrs des IIe et IIP siècles. — Les
doit avoir un term e et être fixé enfin dans une éternité bûchers dont ils étaient m enacés prêtaient naturel ­
infinie, ad expungendum, quod in isto ævo boni scu lem ent aux m artyrs une belle occasion de prêcher à
mali meruit et exin dependendum in immensam œler- leurs bourreaux le feu éternel, dont le souvenir faisait
nilatis perpetuitatem... profani et qui non integre ad d ’ ailleurs souvent leur force. En dehors des paroles
Deum in pœnam, æque jugis, ignis. Sur l ’ action de ce citées de saint Polycarpe, la lettre des Églises de
feu, T ertullien répète les rem arques rudim entaires Lyon et de V ienne sur leurs m artyrs de 177, n. 7, P. G.,
de VOctavius : il ne consum e pas, m ais il répare ce t. v, col. 1425, relate que B iblias avait d ’ abord aposta-
qu ’ il brûle, com m e celui de la foudre ou des volcans, sié, m ais qu ’ elle se repentit au m ilieu des tourm ents
et les dam nés ont ex ipsa natura ejus, divina scilicet, et qu ’ elle sortit com m e d ’ un profond som m eil, le sup ­
subministrationem incorruptibilitatis; longe alius est plice qu ’ elle endurait lui rappelant les tourm ents de
qui usui humano, alius qui judicio Dei apparet, sive l ’ enfer éternel. L a lettre du clergé d ’ A chaïe sur la m ort
de- cælo fulmina stringens, sive de terra per vertices de saint A ndré, P. G ., t. n, col. 1230, 1235, oppose
montium eructans, non enim, absumit quod exurit, sed les tourm ents qui finissent à ceux qui ne finissent
dum erogat reparat. V oir, en outre, de nom breuses dé ­ pas.V oir d ’ autres citations dans A tzberger, Geschichte,
clarations, sem ées çà et là, presque en tous- ses ou ­ p. 612 sq. ;Schw ane, Histoire des dogmes, t. ni, p. 286;
vrages : De testimonio animæ, 4, col. 686 ; De pænilentia, Perrone, Prælecliones theologicæ, 32 e édit.. B orne,
9,11, 12, P. L., 1.1, col. 1354 sq. ; il faut penser aux 1877, t .iv, p.243;R uinart,A c/a sincera, p. 157,267, etc.
supplices éternels, à la géhenne, au trésor du feu 4° Hérétiques des 11e et up siècles. — Ils ne nient
éternel pour s ’ encourager à subir les peines de l ’ exo- pas qu ’ il y ait dans l ’ autre vie un sort différent poul ­
m ologése, De carne Christi, 14, t. n, col. 823; De fuga ies bons et les m échants et une punition de ces der ­
in persecutione, 12; De resurrectione carnis, 35 : eum niers par le feu. M ais les gnostiques de toutes nuances
potius timendum qui corpus et animam occidat in ont eu d ’ étranges opinions sur les dam nés, sur la
gehennam, M atth., x, 28 : occidere n ’ est pas anéantir, nature et la durée du supplice de l ’ enfer.
car la géhenne a un feu éternel, t. n, col. 858 sq. ; 1. L ’cbionisme essénien, qui rem onte au n» siècle,
Scorpiace, 9; De anima, 7, prouve la corporéité de m ais dont le principal m onum ent se trouve dans les
l ’ âm e par la corporéité du feu infernal, t. n, col.697, etc. Homélies et les Recognitions pseudo-clém entines du
b. Dilation de l’enfer jusqu'après le jugement. — T er ­ m e siècle, adm et l ’ existence de l ’ enfer éternel. Tixe-
tullien l ’ enseigne et cherche à la prouver, De anima, ront, op. cil., p. 182. V oir Homil., n, 13, 28,31 ; xi, 11,
55-58, P L .,t. n,col. 795: il y a un enfer général pour 16, 26, P. G., t. n, col. 84, 96, 97, 284, 288, 293 ; Reco­
toutes les âm es, excepté pour les m artyrs; le dém on gnitions, v,2S, P. G., t. n, col. 1343. C ependant on y
n ’ a pas de plus grand souci que de nous em pêcher trouve aussi affirm é le conditionalism e ou l ’ anéantis ­
d ’ y croire. D ’ ailleurs, et supplicia jam illic et refri­ sem ent final des m échants, Homil., ni, 6, P. G .,t. n,
geria, com m e le prouve le sort différent de L azare et col. 116: per ignis supplicium finem... accipient..., ut
du m auvais riche. D ans V Apologelicum, c. x l v ii i , dixi certo tempore plurimum igne eeterno vexati exstin­
P. L., t. n, col. 591, T ertullien prouve ce délai par guentur. Non enim amplius sempiterni esse possunt,
cette raison que l ’ âm e sans le corps ne peut souffrir. postquam impie se gesserunt; 59, coi. 149, in perpetuum
G t. c. xxm , 11, col. 471 sq. post supplicia intereant. Cf. Homil., vn, 7; xvr, 10,
c. Douleurs spéciales des damnés. — De spectaculis, coi. 221, 373. B ien plus, Homil., xx, 2, 4, 9, coi. 449,
53 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 54

452,456 sq., avec l'éternité des peines pour les hom m es C hrist est, par sa m ort, le salut des uns et la dam na ­
dam nés, on voit insinuée la restauration future des tion des autres (de ses m eurtriers). D ans tous ces pas ­
dém ons. Cf. A tzberger, op. cil., p. 189 sq., 197, 513. sages, saint Irénée se dit le sim ple écho de l ’ enseigne ­
2. Les systèm es gnosliques proprem ent dits boule ­ m ent des anciens. Cf. encore 1. IV , c. xxxm , η. 1, 11,
versaient tous, de differentes m anières, l ’ eschatologie 13;c.xxxvi, n. 3-5;c. xxxix, n. 4, col. 1072, 1079sq.,
orthodoxe : sous form e panthéiste avec V alentin, 1092 sq., 1109 sq. : D ieu a préparé aux m échants qui
C arpocrale, sous form e dualiste avec Saturnin, B asi- ont abusé de la liberté de m al faire : congruentes lu­
lide, etc., ils s ’ accordaient à distinguer dans le genre mini adversantibus... tenebras,... convenientem poenam.
hum ain, d ’ après les parcelles de vie divine tom bées Ils en sont cause responsable; ceux qui fuient la lu ­
directem ent du D ieu suprêm e dans l ’ œ uvre m auvaise m ière ici-bas se plongent par le fait dans les ténè ­
du dém iurge, les pneum atiques en qui l ’ élém ent divin bres, sic æternum Dei qui fugiunt lumen, quod continet
dom ine et qui seront nécessairem ent tous sauvés;les in se omnia bona, ipsi sibi causa sunt ut œternas in­
psychiques en qui l ’ élém ent divin est en lutte avec habitent tenebras, destituti omnibus bonis, sibimelipsis
le principe m atériel m auvais et qui, seuls, sont libres causa hujusmodi habitationis facti. C ependant, XL,
de se perdre ou de sesauver(salutparticulier), d ’ après col. 1111 sq., D ieu préparc, de son côté, le feu éternel
le principe qui triom phera; enfin les hyliques, tous et les ténèbres, et il punira ceux qui se retirent delui.
m atériels, c ’ est· à-dire m auvais, tous nécessairem ent Saint Irénée accum ule de nouveau ici les textes
perdus. Le salut étant le retour au Père Suprêm e de scripturaires pour m ontrer contre M arcion que le
l ’ élém ent divin, la dam nation est d ’ abord la priva ­ m êm e D ieu récom pense les bons el condam ne les m é ­
tion de ce bonheur et puis, ordinairem ent, la des ­ chants au feu éternel. L. V, c. ix-xt, col. 1144 sq., saint
truction. A insi, d ’ après V alentin, le feu consum era un Irénée prouve ex professo par les textes de saint
jour l ’ univers m atériel avec tous les hyliques et les Paul que l ’ hom m e, esclave des œ uvres de la chair,
psychiques ayant perdu le salut. H éracléon, son dis ­ ne possédera pas le royaum e de D ieu. Finalem ent, les
ciple, pensait de m êm e. Cf. O rigènc, In Joa., torn, xiii, c. xxvi-xxxvi, résum ent l ’ eschatologie catholique.
19, P. G., t. xiv, col. 429 : S. Irénée, Contra hær., I, vu; A u c. xxvi, 2, col. 1194, il affirm e de nouveau le feu
1 1, xxix, 3, P- G., t. vu, col. 512 sq., 814. M arcion avait éternel préparé pour le diable et pour tous les apos ­
un systèm e spécial : les hom m es, créés m auvais par tats qui persévèrent dans leur apostasie; au c. xxvn,
le dém iurge, ont été rachetés par D ieu dans le C hrist· n. 2, après plusieurs textes de l ’ É criture, il approuve
C elui-ci, descendu aux enfers pour annoncer ce salut, l ’ argum ent théologique tiré du péché qui sépare de
se voit repoussé par les justes, A bel, N oé, etc., qui D ieu, col. 1196, 1197, et il déclare de nouveau que ce
croient avoir encore à faire au dém iurge trom peur et n ’ est pas D ieu qui est responsable du châtim ent, m ais
restent ainsi en enfer, pendant que les m échants, C aïn, le pécheur qui separavit semelipsum a Deo voluntaria
les sodom ites, croient et sont sauvés. Cf. S. Irénée, sententia, com m e l ’ explique N otrc-Seigneur, Joa., nr,
Cont. hær., I, xxvn, 3, P. G., t. vu, col. 669; Homil. 18 sq., qui male agit, odit lumen. Il développe cette
clement., xx, 2, 4, 9, P. G., t. n, col. 418. 452. 457. Il idée et cite l ’ A pocalypse, c. xxvin, 1, 2, col. 1197sq.;
adm ettait donc une restauration au m oins partielle du enfin c. xxxv, 2, col. 1220 sq.,il explique ce qu ’ est la
m al après la m ort. Les incrédules, à la fin des tem ps, seconde m ort : missi sunt in stagnum ignis, secundam
seront non pas jugés par le D ieu bon, cf. Tertullien, mortem. Hoc autem est quod gehenna, quod Dominus
Ado. Marcion., 1. I, c. xxvi-xxvm ; 1. II, c. xi-xiv, dixit ignem æternum.
m ais abandonnés par lui au dém iurge qui les châtiera b) Opinion sur le délai des supplices de l’enfer. —
par le feu. Cf. S. Irénée, Cont. hier., I, xxvn, 3, P. G., Elle est clairem ent enseignée par saint Irénée, 1. V ,
t. vn, col. 689. c. xxvi, 2; c. xxxi, xxxv, col. 1194 sq., 1208 sq.,
3. Le manichéisme (iii c -iv° siècles), dualiste lui 1218 sq. D ans le prem ier texte, saint Justin est loué
aussi, adm it une notion du salut très sem blable à d ’ avoir dit que le diable ignorait sa condam nation,
celle du gnosticism e : délivrance des élém ents de jusqu ’ à la révélation de Jésus-Christ. D epuis qu ’ il
lum ière qui sont dans l ’ hom m e, le reste étant aban ­ sait que le feu éternel est préparé pour lui et pour
donné aux ténèbres éternelles, d ’ où il venait. C epen ­ tous scs sectateurs, le diable s ’ est m is à blasphém er
dant l ’ hom m e est libre de réaliser cette délivrance ou D ieu, son juste juge, ce qu ’ il n ’ avait pas osé faire
non ; les incrédules et les pécheurs erreront, après leur auparavant. V oirt. iv, col. 345. Tous les hom m es, sauf
m ort, jusqu ’ à la fin du m onde, puis seront jetés dans peut-être les m artyrs que l ’ Église præmiltilad Patrem,
un enfer éternel. Cf. ’fixeront, op. cil., p. 437. 1. IV , c. xxxm , 9, col. 1078, doivent d ’ abord des ­
5° Pères controversistes des IIe et in° siècles. — Saint cendre dans l ’ hadès pour y attendre la résurrection,
Irénée et saint H ippolyte sont avec T ertullien les à l ’ exem ple du C hrist qui n ’ a pas voulu ressusciter de
principaux dont les ouvrages nous soient parvenus. la croix où il est m ort, m ais après un séjour en enfer.
1. Saint Irénée. — Il reproduit l ’ enseignem ent tra ­ Si saint Irénée affirm e que les justes ressuscités régne ­
ditionnel, énonce plusieurs bons principes de théologie ront sur terre pendant m ille ans, il» ne spécifie nulle
et adopte l ’ opinion du délai de l ’ enfer. Il est m êm e pro ­ part quel sera l ’ état des m échants depuis la prem ière
bable que celle-ci a passé par lui des m illénaristes jusqu ’ à la seconde résurrection. M ais au jugem ent
asiates, à l ’ O ccident, à T ertullien et à ceux qui les dernier, ils seront jugés et missi in stagnum ignis.
ont suivis. Cf. A tzberger, op. cil., p. 247 sq. A poc., xx, 12-14. O n peut conjecturer qu ’ avant d ’ être
o) Enfer élernel et éléments de théodicée. — Les précipités dans cet enfer de feu, les pécheurs sont,
textes très nom breux du Contra hæreses ne four ­ pour saint Irénée, dans les ténèbres et la privation de
nissent que de sim ples affirm ations, parfois avec réfé ­ D ieu (la peine du dam ), conform ém ent aux principes
rence scripturaire, 1. II, c. xxvin, n. 7; c. xxxin, exposés plus haut.
n. 5; 1. III. c. xxin, n. 3, 4; c. xxv, n. 2-5, P. G., c) Pas plus que chez saint Justin, Dial, cum Tryph.,
t. vu, col. 809, 833, 962, 968 sq. D ans sa réponse à 5, il n ’ y a pas de conditionalisme pour saint Irénée,
M arcion, il ébauche la théodicée développée par Ter- Cont. hær., 1. Il, c. xxxiv, 3, col. 836, omnia quæ fada
tullien, 1. IV, c. xxvn, n. 2-4, col. 1058 sq., et prouve sunt... perseverant quoadusque ea Deus et esse et perse­
l ’ enfer par une accum ulation des textes des Évangiles verare voluerit... Patre... donante et in sæculum sxculi
et de saint Paul. D ans le c. xxvin, il applique spécia ­ perseverantiam his qui salvi fiunt, Ps. c x i .v ii i , 5, 6;
lem ent aux hérétiques la peine éternelle dont Jésus c. xx, 4, qui autem... ingratus exstiterit factori... ipse
a m enacé les m audits, col. 1061 sq. La dam nation se privat in sæculum sæculi perseverantia. D ieu con ­
de ces im pies sert au salut des justes, com m e Jésus- serve tant qu ’ il veut ce qu ’ il a créé; il conservera les
55 E N F ER D ’A P R È S L E S P E R E S 56

âm es éternellem ent, com m e il l ’ a révélé; les justes expertes vaporis et fumi, ab isto calore mananlis et
vivront donc éternellem ent; m ais pour les m échants assurgentis. Proxima autem visione, videntes terribile
il n ’ y a pas de vie éternelle. Il ne s ’ agit évidem m ent et immodicum spectaculum ignis, horrent quasi gelu
que de la vie heureuse éternelle. Cf. 1. IV, c. iv, 5, 6, constricti propter exspectationem futuri judicii, quasi
col. 1035 sq. ; 1. V , c. iv, 1, col. 1133. modo jam supplicio affecti. Cf. A . d ’ A lès, La théologie
Enfin, il n ’ est pas question d ’ une réconciliation de S. Hippolyte, Paris, 1906, p. 200-202.
finale dans cette phrase d ’ un court fragm ent : Chri­ 6° École théologique d’Alexandrie des IIP et IVe siècles.
stus... in fine temporum venturus est ad destruendum — D es rudim ents de théodicée relative à l'enfer se
omne malurn et ad reconcilianda universa, ut omnium trouvaient déjà dans saint Irénée et dans T ertuliien;
impuritatum sit finis, P. G., t. vu, col. 1256. Il ne un autre essai, plus considérable pour la rigueur de
s ’ agit que du m onde glorifie des élus. Cf. I Cor., xv, la m éthode com m e pour l ’ efïort et l ’ extension de la
24 sq. ; Col., i, 15-20, etc. spéculation, a été tenté sur ce point par l ’ école
2. Saint Hippolyte (vers 230). Le grand exégète s ’ est d ’ A lexandrie, m ais assez m alheureusem ent.
beaucoup occupé d ’ eschatologie. — a) Éternité et feu 1. Clément d’Alexandrie. — 'fixeront, loc. cit., p. 277,
de l’enfer. — Anima peccatorum abripiuntur immatura pense que l'illustre alexandrin a été très probable ­
a facie Dei, qui eas derelicturus est in tormenti igne. m ent universaliste, précurseur et m aître en cela aussi
In Prov., xi, 30, P. G., t. x, coi. 620. Sur ces m ots : d ’ O rigène. V oici les textes donnés com m e universa ­
Oculi ipsius ut lampades ignis, D an., x, 6, il dit : listes. Strom., V II, 6, P.G., t. ix, col. 449. A ux holo ­
oportebat... ut praesignificaretur potestas Verbi judicia­ caustes païens, victim es brûlées en l ’ honneur des
lis exurens, qua impiis ignem juste immittens com buret dieux, C lém ent oppose le feu qui sanctifie (άγιάζειν),
eos. Fragm . xxv, P. G., t. x, coi. 657. Venit tandem non les chairs, m ais les âm es pécheresses, non pas un
e coelo judex judicum et comburet omnes eelerno igne feu qu ’ on tire de la pierre et qui consum e tout, m ais
puniens; servit autem ejus et prophetis et martyribus un feu prudent qui pénètre l ’ âm e, qui la traverse.
et omnibus timentibus eum dabit æternum regnum. C ette description s'entend m ieux d ’ un feu réel que
Comment, in Dan., vn, 22, P. G., t. x, coi. 685. Sur d ’ un feu m étaphorique. Q uant à la purification opérée
D an., xii, 2 : Alii in opprobrium æternum, saint par lui, elle n ’ a pas nécessairem ent lieu en enfer;
H ippolyte explique : qui cum antichrislo consentiunt C lém ent opposait aux païens un feu qui consacre,
et cum illo in poenis æternis conjecti, P. G., t. x, sanctifie des victim es agréables à D ieu; il y en a un
col. 688. Cf. In Prov., vi, 27 ; vu, 26 ; xxx, 15, 16 : tel chez les chrétiens; il ne nie pas qu ’ il y en ait un
Tria insaturabilia... ignis vero nunquam dicit : suf­ autre. C ependant, il sem ble l ’ exclure ailleurs. Slrom.,
ficit; nullatenus etiam infernus desinit a recipiendis V II, 2, col. 416. D ieu est sauveur et m aître de tous
affligendisque improborum hominum animabus; sicut les hom m es, des croyants et de ceux qui ne croient
tarlarus in tristi ac tenebroso loco reconditus. P. G., pas. L ’ hom m e, en ellet, est libre de choisir com m e il
t. x, coi. 621. veut et D ieu ne fait que persuader, sans forcer per ­
M êm e doctrine dans les ouvrages dogm atiques. De sonne à se sauver; et il a été établi que celui qui
Christo et antichrislo, 5, qui donne le plan de l ’ ou ­ choisit la vertu, obtiendra la vie éternelle, tandis que
vrage :quis..., quomodo...,ac quod iniquorum per ignem celui qui retom be dans le vice restera avec ce qu ’ il
supplicium; 64, 65 : doctrine des sanctions éternelles a choisi. D ’ ailleurs, D ieu a donne à tous la force de
après le jugem ent dernier; une judicieuse et copieuse choisir le bien, il n ’ est donc pas cause du m al et de
accum ulation des textes classiques, prophétiques, plus il a ordonné les choses pour le salut de tous.
évangéliques, apostoliques, apocalyptiques, sur l ’ en ­ M êm e les châtim ents sont cause de salut,.soit les
fer de feu éternel. P. G., t. x, col. 733, 784 sq. T out châtim ents terrestres, soit les châtim ents parfaits
cet enseignem ent se retrouve dans Philosophoumena, ultra-terrestres. S ’ agit-il ici des châtim ents de l ’ enfer
x, 9, 34, P. G., t. xvi, col. 3453; Adversus Græcos, 3 : ou du purgatoire? Le contexte nous sem ble im poser
ignis ines timui bilis..., vermis igneus non moriens, la seconde hypothèse. C lém ent ne faisant dans ce
non corpus corrumpens sed irrequieto doloret ex cor­ chapitre qu ’ établir la causalité salvifiquc universelle
pore effervescens cl ebulliens; non somnus cessatione de la volonté de D ieu antécédente.
et quietem conciliabit; non nox leniet et mulcebit dolo­ O n cite encore, 12, col. 508, le portrait du vrai
res; non mors...; non juvabit exhortatio affinium in­ gnostique dans ses rapports avec les biens et les m aux
tercessorum...; donc pas de m itigation, P. G., t. x, de ce m onde : ceux-ci, il les m éprise pour lui-m êm e;
col. 801. cependant, chez les autres, ils l ’ ém euvent; d ’ où son
b) Délai de l’enfer de feu. — A vant le jugem ent der ­ esprit de charité; bien plus, il a pitié aussi de ceux
nier les âm es des justes et des pécheurs vont toutes qui sont châtiés après la m ort et que le supplice force
dans l ’ hadès et le controvcrsiste rom ain s ’ est dem andé m algré eux à avouer leurs fautes. C ette com passion
uel était là leur état respectif. Adv. Græcos, 1, peut-être excessive s ’ applique sans doute à ceux qui
col. 796 sq. Sa réponse est une théorie singulière, sont dam nés pour toujours, com m e l ’ insinue le « m al­
bien qu ’ elle soit la conclusion logique des deux idées gré eux ».
de l ’ enfer de feu souterrain et de l ’ hadès souterrain, Plus loin, 16, col. 541, après de belles pages sur
universel et tem poraire. A u plus profond de l ’ enfer, les causes et les rem èdes des hérésies et des erreurs,
se trouve le lac terrible de feu; au-dessus, l ’ hadès : C lém ent ajoute : Peut-être quelques-uns en m ’ écou ­
receptaculum subterraneum, ténébreuse prison des tant se corrigeront-ils; sinon, ils seront certainem ent
âm es m échantes; les bons anges y distribuent tem­ châtiés par D ieu, et devront subir les adm onitions
porarias panas, secundum cujusque mores, actiones et paternelles qui précèdent le jugem ent jusqu ’ à ce que
facinora; m ais personne encore, pense l ’ auteur, sus­ la honte les am ène au repentir, afin qu'ils ne se jettent
picamur, n ’ a été jeté dans le lac de feu inextinguible pas eux-m êm es par une désobéissance cruelle dans le
et n ’ y sera jeté avant le jour du jugem ent. A lors, dernier jugem ent. Le châtim ent divin produit ce
injusti..., increduli... æterno supplicio... adjudicabun­ retour : D ieu châtie com m e un m aître ou un père
tur; m ais en attendant, pendant que les justes sont châtie les enfants pour leur utilité; il ne punit pas.
à une autre place de l ’ hadès, place lum ineuse, etc., Là-dessus observons qu'il s ’ agit toujours de la con ­
qui est le sein d ’ A braham , les pécheurs sont là vio ­ duite de D ieu à l'égard des pécheurs avant le dernier
lem m ent am enés et m aintenus par les anges tortoribus jugem ent. Par conséquent, il n ’ est pas question de
sur les confins de la géhenne. Et qui tam prope sunt l ’ absence de punition dans l ’ autre vie. D ’ ailleurs,
audiunt semper agitationem et æstum et non sont Strom., IV, 24, P G., t. vin, col. 1361-1364, où il
57 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 58

traite ex professo de la fin des peines, C lém ent déclare I prim itif, άποχατάστασις , n ’ est point la fin propre ­
que D ieu punit les péchés: il y distingue de plus les m ent dite du m onde; elle n ’ est que le term e d ’ une
hom m es incorrigibles et les guérissables : pour ceux- I époque dans l ’ évolution sans fin, dans la constante
ci, les punitions sont m édicinales, m ais il s ’ agit alors alternance de la chute et du retour à D ieu. B arden-
certainem ent des peines de cette vie. L a m êm e dis ­ hew er, Les Pères de l’Église, t. i, p. 281. Cf. H arnack,
tinction se retrouve. Shorn.. V I, 14, t. ix, col. 333 ; I, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3° édit., t. i, p. 603-
27, t.vin.col. 920;V II,2,L ix, col. 413,416. V oir t.m , 648; A tzberger, Geschichte der christlich. Eschatologie
col. 186; W . de Loss Love, Clement of Alexandria innerhalb der vornicânischen Ze.it, p. 402-411; Prat,
not an after death probalionisl or universalist, dans Origène et l'origénisme. dans les Études, t. cv, p. 592 sq. ;
Biblioth. sacra, octobre 1888. Il est donc probable H uet, Origeniana, 1. II, q. xi, P.G.,t. xvn, col. 998 sq. ;
que Strom., V III, 16, doit aussi s ’ entendre des châti­ Petau, De angelis, 1. Ill, c. vi, Dogmata theologica,
m ents d ’ ici-bas. Il pourrait, cependant, se faire que Paris, t. iv, p. 101-105; 'fixeront, Histoire des dogmes,
la redditio mali, définition de la punition, ait vrai ­ 1.1, p. 304, 306; Prat, Origène, Paris, 1907, p. 105-109.
m ent répugné un instant à la bonté idéaliste de Trois points appartiennent directem ent à notre
l ’ alexandrin. Il se pourrait aussi que le philosophe sujet.
d ’ A lexandrie ait vraim ent com m encé à platoniser «) Restauration universelle, άποζατάστασις των απάν ­
sur ce point. D ’ après Photius, Bibliotheca, cod. 109, των. — Elle est enseignée, De prine., 1. II, c. ni, n. 3,
P. G., t. cm , col. 384. dans les Hypotgposes, C lém ent 4, 7, P. G., t. xi, col. 190 sq. ; c. x, n. 5, 6, col. 237,
aurait enseigné quantité d ’ erreurs, entre autres sur 238; 1. III, c. v, n. 4 (trad, de S. Jérôm e), col. 328,
les m igrations des âm es. C ependant Photius ne relate , n. 8; c. vi, n. 3, col. 335 (trad, de S. Jérôm e); n. 6,
explicitem ent aucune erreur sur l ’ éternité de l ’ enfer. ; col. 338-340; 1. IV, n. 23, col. 391 ; m ais surtout 1. I,
Cf. Eusèbe, II. E„ 1. V 1. 14. P. G., c. xiv, t. xx, col. 549 ; c. vi, col. 166 sq., dont voici l'analyse. Le problèm e
Le N oury. P. G., t. ix, col. 1474 sq. est difficile et n ’ appartient pas aux choses, dont la
D ’ ailleurs d ’ autres textes sem blent nettem ent affir ­ définition dogm atique soit certaine. Ce n ’ est donc
m atifs au sujet de l ’ éternité de l ’ enfer. C lém ent parle qu ’ avec crainte et précaution qu ’ il faut ici s ’ avancer.
d ’ abord fréquem m ent du salut éternel qu ’ on peut La fin doit ram ener à l ’ unité et tout soum ettre au
perdre etàjainais. Slrom., 1,7; IV ,22;V II, 10, P.G ., C hrist, com m e disent l ’ apôtre et le psalm iste. Q uelle
t. vin, col. 733, 1345 sq. ; t. ix, col. 480; Exhortatio est cette soum ission? Je pense, dit O rigène, que c ’ est
adGrœcos, c. ix, t. vm , col. 184 sq. ; les pécheurs n ’ en ­ celle dont nous-m êm es désirons être soum is, à laquelle
treront pas au royaum e des cieux, et ils se réservent sont soum is les apôtres et tous les saints. L a fin, en
le supplice que D ieu a préparé au diable et à ses anges. eiïet, répond au com m encem ent. O r, dans le principe,
Il ne reste aux incrédules que le jugem ent et la con ­ tout était parfaitem ent un ; puis la variété vint avec
dam nation, et sur 1 ’ hodie du Ps. xcv, 7-11, à la suite les perfections ou les déchéances diverses. E n haut,
de saint Paul, C lém ent m ontre l ’ éternité im m uable les anges en ordres différents; puis les hom m es qui
après le choix de l’hodie d ’ ici-bas, col. 196 sq. D ans peuvent se convertir dès ici-bas; puis les dém ons irré ­
l'hom élie Quis diues salvetur, où C lém ent parle com m e m édiablem ent déchus, c ’ est-à-dire pour le m onde pré ­
docteur du peuple chrétien, il enseigne clairem ent la sent, non absolum ent, com m e on l ’ a parfois interprété.
doctrine du salut éternel, c. i, P. G., t. ix, col. 604 E n effet, ne pourrait-il pas se faire que m êm e les dé ­
sq. ; c. xxvi, col. 632; c. xxxm , col. 640, où il est dit m ons dans les siècles futurs redeviennent bons, puis ­
que la négligence du bien est punie par l ’ éternel qu ’ ils sont libres? En attendant, tous sont à leur place,
supplice du feu. Enfin, dans un fragm ent, P. G., t. ix, en sorte qu ’ ils seront rétablis en leur prem ier état,
col. 752, il déclare que les âm es des im pies sont en divers tem ps, quelques-uns à la fin des tem ps
im m ortelles et qu ’ il leur serait trop avantageux de seulem ent. A près avoir souffert de plus grands et de
ne pas être incorruptibles, car D ieu les châtie par plus graves supplices, par des degrés divers, ils re ­
le supplice éternel du feu inextinguible. Elles ne m ontent à travers les séries angéliques jusqu ’ aux
m ourront pas et n ’ auront pas de fin â leurs m aux. choses invisibles et éternelles.
E n résum é, les textes confus et équivoques qui C ette erreur n ’ est pas enseignée exclusivem ent dans
sem blent énoncer le salut de tous,doivent être expli­ le Π ερί αρχών, œ uvre de jeunesse. A près les condam ­
qués d ’ après les nom breux textes clairs et expli­ nations disciplinaires et dogm atiques de 231 et 232
cites sur le feu éternel de l ’ enfer. Cf. A tzberger, op. (synodes d ’ A lexandrie.), O rigène ne donna que quel ­
cil., p. 197 sq., 359 sq. En dehors de l ’ existence de ques explications très insuffisantes : un am i aurait
l'enfer éternel, on trouve très peu de renseignem ents indiscrètem ent publié quelques propositions pas assez
chez le contem platif alexandrin sur la nature des réfléchies; les hérétiques auraient altéré ses écrits;
peines éternelles : le plus souvent, il parle de la priva ­ voir la citation de sa lettre à ses am is d ’ A lexandrie,
tion et de l ’ union divine, m ais aussi du feu réel et dans saint Jérôm e, Apol. adv. Rufin., 1. II, n. 18, P.L.,
m atériel, constituant un supplice positif. t. xxiit, col. 442, où le salut du diable est nié par
2. Origène. — Q uelle position a-t-il prise dans la O rigène; ibid., n. 17, col. 439 sq., saint Jérôm e rejette
question des peines de l ’ autre vie? Pour l ’ ensem ble, cette interpolation des hérétiques, com m e une fable
voir O r ig è n e et O r ig é n i s m e . im possible.
D ieu, de toute éternité, a créé nécessairem ent des Les m êm es erreurs sont exposées dans les écrits
esprits,tous ceux qu ’ il peut gouverner; il les a créés postérieurs de l ’ A dam antins. De oratione, n. 27, a un
tous égaux. L ebien,ccpendant,dépenddclcur liberté; doute en faveur de la conversion du diable lui-m êm e;
aussi beaucoup sont tom bés, et pour les punir, D ieu n. 29, D ieu induit en tentation pour punir et finale ­
a créé la prison du m onde m atériel. « Ce m onde n ’ est m ent corriger, toutes les âm es sont en effet toujours
pas autre chose que le lieu de purification des esprits libres, P . G., t. xi, col. 520, 537-540. Contra Celsum
bannis du ciel... A la fin tous les esprits retournent à (vers 248), 1. V , n. 15, col. 1201 sq., pour réfuter un
D ieu; quelques-uns devront encore subir dans l ’ autre blasphèm e de Celse, prétendant que le feu de l ’ enfer
m onde une purification par le feu, m ais, finalem ent, fait de D ieu un cuisinier, O rigène se voit obligé de
tous seront sauvés et glorifiés (âm es hum aines ou dévoiler une doctrine, m oins adaptée aux sim ples qui
dém ons). A lors le m al est vaincu, le m onde sensible ont besoin de m enaces, et pour cela, voilée dans les
aura rem pli son rôle, la m atière rentrera dans le néant, É critures, m ais claire pour un esprit instruit et atten ­
l'unité prim ordiale de D ieu et de tous les êtres spi ­ tif : le feu de l ’ enfer n ’ a d ’ autre fin que de purifier les
rituels sera restaurée. M ais cette restauration de l ’ état m échants. A u 1. V I, n. 26, col. 1332, l ’ enfer m édi­
59 E N F ER D ’ A P R È S L E S PÈRES 60

cinal encore est confusém ent indiqué, parce que ce leurs, qu ’ à considérer les supplices, parfois intolé ­
n ’ est pas une doctrine à enseigner au peuple qui est rables, des feux de l ’ am our, de l ’ envie, de la haine,
à peine retenu loin du péché, par la crainte du sup ­ ou la torture du déchirem ent intim e du corps et de
plice éternel. Cf. 1. V I, n. 72:1. IV , n. 13. L. V III, n. 51, l'âm e : tout cela est purificateur. Cf. S. Jérôm e, Episl.,
52, col. 1592 sq., Celse parle des supplices éternels cxxiv, ad Avitum, loc. cil.
que les chrétiens font bien de prêcher; O rigène ne M êm e doctrine pour les dém ons. In Num., hom il.
peut repousser ni le fait, ni le com plim ent; il dit xxvii, n. 8, P. G., t. xn, col. 789. Cf. Contra Celsum,
seulem ent que Celse aurait dû donner les preuves de 1. V I, 71, P.G., t. x, col. 1405; Origeniana, 1. II, c. n,
rette éternité des supplices et que l ’ Église fait bien q. xi, n. 5.
de prêcher cette vérité au peuple; il n ’ y a pas là c) O rigène n ’ était pas à proprem ent parler uni ­
l ’om bre d ’ une rétractation, com m e on l ’ a cru parfois. versaliste; il adm ettait plutôt des variations indé­
Cf. In Jer., hom il. xvi, n. 6; xvin, 15; In Ezech., finies. Fin effet, après l ’ apocatastasis universelle, les
hom il. x,n. 3, 4, P.G., t.xin, col. 448,496 sq., 743 sq.; esprits heureux et libres, après des siècles, recom m en ­
In Matth., tom . xvn, n. 24, P. G., t. xni, col. 1548, ceront à se refroidir pour D ieu, puis à tom ber; de là,
l ’ invité sans la robe nuptiale est jeté dehors dans les nouveau m onde sensible, nouveaux supplices puri ­
ténèbres, pour qu ’ ayant enfin soif de la lum ière, il ficateurs, nouvelle apocatastasis, et ainsi sans fin,
pleure et touche D ieu qui peut le délivrer; In Luc., pendant toute ’ ’ éternité.
hom il. x x m ; In Joa., tom . x i i i , n. 58 : si les hom m es C ette doctrine suit d'abord des principes d ’ O ri­
se convertissaient à la voix de Jésus-C hrist, pourquoi gène sur la liberté essentielle des esprits et de la nature
pas les dém ons? tom . xix, n. 3, les péchés non ré- de la chute qui a occasionné notre m onde présent.
m issibles, in saxulo fuluro (M atth., xn, 32), le seront Puis, elle est affirm ée explicitem ent, De prine., i. III,
in fuluris sæculis, P. G., t. xiv, col. 552; In Episl. ad c. i, n. 21, P. G., t. xi, col. 302, dont voici la con ­
Rom., 1. V III, n. 11, P.G., t.xtv, col. 1185, de nouveau clusion : Ex quo opinamur quoniam quidem, sicut
le m ystère des feux universellem ent purificateurs, frequenter diximus, immortalis est anima et veterna
quod... perfecti... silentio tegant nec passim imperfectis quod in multis cl sine fine spatiis per immensa ct diversa
et minus capacibus proferant. Cf. Iluet, Origeniana, saecula possibile est ut vel a summo bono ad infima ma­
1. II, c. ii, q. xi, n. 16, encore d ’ autres textes, P.G., la descendat, vel ab ultimis malis ad summa bona re­
t. xvn, col. 1023. paretur. Cf. citation et traduction de S. Jérôm e, Episl.,
O n trouve çà et là, dans l ’ enseignem ent hom ilé- cxxxi, ad Avitum, P. L., t. xxn, coi. 1061; H uet, Ori­
tique populaire de l ’ alexandrin, des expressions or­ geniana, 1. II, c. ii, q. xi, n. 19, P' G., t. xvn, coi. 1029.
thodoxes : In Ps. xxxvi, hom il. ni, n. 10; hom il. v, D eux textes pourtant enseignent form ellem ent le
n. 5, 7; In Jer., hom il. xn. n. 5; hom il. xvin, n. 1, etc.; contraire de cette variabilité indéfinie. Deprinc., 1. 11 1,
m ais elles sem blent n ’ être que de vagues expressions, c. vi, n. 6, P. G., t. xi, col. 339 : In quo statu (apocata ­
com m e une citation non convaincue de la foi popu ­ stasis universelle) etiam permanere semper et immuta­
laire, m ode d ’ agir trop conform e, d ’ ailleurs, aux prin ­ biliter creatoris voluntate est credendum, fidem rei fa-
cipes d ’ O rigène, sur la façon de parler aux « im par ­ ziente sententia apostoli dicentis : domum habemus non
faits » de sa doctrine m ystérieuse. manu factam, veternam in cadis. II C or., v, 1. L ’ autre
Saint Jérôm e confirm e cette interprétation, Dial. texte est encore plus catégorique, In Epist. ad Rom.,
adv.pelag.,1,28,P. L., t. xxm , col. 522; Episl., cxxiv, tom .v, n. 10, P. G .,t. xtv, coi. 1052 sq.,où les propres
adAvilum, P.L., t. xxn, col. 1061 sq.; Liber contra théories d ’ O rigène, de liberté essentielle, de chute
Joa. Ilierosol., P. L., t. xxm , col. 368 : An Origenis toujours possible sont m ises en objection et repous ­
doctrina sil ocra qui dixit cunctas rationabiles crea­ sées par ce principe que la charité peut confirm er une
turas incorporabiles et invisibiles, si negligenliores volonté sans détruire sa liberté. Ces deux textes se ­
fuerint, paulalim ad inferiora labi cl juxta qualitates raient des rétractations. M ais, ils peuvent être aussi
colorum ad quœ defluunt, assumere sibi corpora... ætlie des interpolations de R ufin. Les textes postérieurs ne
rea,... aerea... humanis carnibus; ipsosque diemones conservent, en effet, pas trace de si form elles rétrac ­
qui proprio arbiirio cum principe suo diabolo de Dei tations. V oir, par exem ple, De princ.,1. III, c. vi, n. 7;
ministerio recesserunt si paululum resipiscere coepe­ In Epist. ad Rom., 1. V III, n. 11, P. G ., L xi, col. 340;
rint, humana carne vestiri, ut acta deinceps pænitenlia t. xiv, col. 1191. V oir, cependant, encore d ’ autres
post resurrectionem eodem circulo quo in carnem vene­ textes, In Joa., tom . xx, 19, P. G., t. xiv, col. 617;
rant revertantur ad viciniam Dei, liberati etiam aereis In Matth., tom . vit, 10, fragm., P. G., t. xvn, col. 292.
eelhereisque corporibus et tunc omnia genua curvent D e la variabilité indéfinie, O rigène exclut, de plus
Deo cselestium terrestrium et infernorum ct sil Deus certainem ent, l ’ âm e du C hrist. De princ., 1. II, c. vi,
omnia in nobis. n. 6, P.G., t. xi, col. 214. E nfin, il serait toujours
Il ne faut pas cependant oublier qu'O rigène ne vrai de dire qu ’ O rigène n ’ avait aucun scrupule à
parle le plus souvent qu ’ en form ules hypothétiques, présenter successivem ent des hypothèses contradic ­
en une m atière où il croit que rien n ’ est de foi, que toires, puisqu ’ elles n ’ étaient que des hypothèses.
la philosophie est libre de spéculer, et que l ’ univer ­ D ans la controverse origéniste, la recirculatio inde­
salité absolue de l ’ apocatastase n ’ est pas toujours finita fut une des erreurs les plus anathém atisées
claire. O rigène excepte parfois le diable ou m êm e sous le nom d ’ O rigène. Cf. Epist. pasch., de Théophile
ne parle que de certains dém ons. V oir t. iv, col. 350. d ’ A lexandrie, P. L., t. xn, col. 777-781; S. A ugustin,
b) Feu de l'enfer. — O rigène parle souvent du feu De civit. D ei, 1. X X I, c. xvn : Maxima propter alter­
purificateur, feu consum ant (les iniquités, non les nantes sine cessatione beatitudines et miserias et sta­
âm es), etc. Il exam ine la nature de ce feu. De princ., tutis sæculorum intervallis ab istis ad illas, atque ab
1. II, c. x, n. 4,5, P. G., t. xi, col. 236. Ce n ’ est pas un illis ad istas itus ac reditus interminabiles non imme­
feu m atériel dans lequel le pécheur est jeté, m ais un rito reprobavit Ecclesia. P. L., t. x l i , coi. 731.
feu qui naît dans la conscience de chacun. La m atière A vec O rigène. l ’ état de pacifique possession est
de ce feu, ce sont les péchés, com m e les nourritures term iné pour l ’ O rient.
m alsaines deviennent la m atière et la cause de la 7° Les Pères latins du IIP et du tvc siècle. — Ils ne
fièvre corporelle. L a conscience donc, sous l ’ influx font que répéter les doctrinestde T ertullien sur le feu
divin, se rappelle alors toute la honteuse histoire de corporel de l ’ enfer éternel, différé, pour la plupart
ses péchés, et propriis stimulis agitatur atque compun­ des auteurs, jusqu ’ à la fin du m onde.
gitur. Pour com prendre ce châtim ent, il n ’ y a, d ’ ail ­ 1. Saint Cyprien.— Il adm et le feu éternel de l ’ enfer,
Ό1 E N FE R D ’ A P R È S L E S P È R E S 62

Ad Demetrianum, c. χχιν, xxv, Λ L., t. iv, col. 581 sq., I 3. Lactance expose ex professo son eschatologie.
édit. H artel, 1.i, p. 368 : Cremabit additos ardens sem­ Instil, divinæ (305-310), 1. V H , c. x iv - x x v i , P. L.,
per gehenna et vivacibus flammis vorax poena; nec t. vi. D ’ abord dilution et hadès com m un aux justes
erit unde habere tormenta vel requiem possint aliquando et aux im pies, jusqu ’ au prem ier jugem ent, c. xxi,
vel finem; ce texte sem ble m êm e exclure toute m iti ­ col. 802, 803. A près la défaite de l ’ A ntéchrist, pre ­
gation : Erit tune sine fructu pœnilcnliie dolor pœnie; m ier jugem ent par le feu : tous passent par le feu
inanis ploratio et inefficax deprecatio. In «ternam bien que les justes n'en souffrent pas; les pécheurs et
poenam sero credent qui in vitam æternam credere nolue­ les im pies in easdem tenebras recondentur ad certa sup­
runt. Ici-bas, se fait la grande décision : Hic vita au/ plicia -destinati, ibid. A lors, règne m illénariste, der ­
amittitur aut tenetur. De mortalitate, c. xiv. P.L., t.iv, nière lutte, résurrection générale; les pécheurs sont
coi. 614; mori timeat, qui... gehennæ ignibus mancipa­ condam nés ad cruciatus sempiternos. E nfin, le diable
tur... Mori timeat qui ad secundam mortem de hac morte avec ses m inistres et toute la tourbe des im pies, à la
transibit. Mori timeat quem... perennibus poenis «terna face des anges et des justes perpetuo igni cremabitur
flamma torquebit. Cf. Ad Thiberilanos. 7, 10, P. 1.., in «ternum, c. xxvi, col. 814. D ans le c. xxi, col. 802.
t. iv, coi. 365, 367; Ad Fortunatum, de exhortatione L actance essaie un des prem iers d ’ expliquer la nature
martyrii, n. 3, 5, coi. 683 sq., avec citations bibliques, et l ’ action de ce feu de l ’ enfer. Le corps ressuscité ne
notam m ent celle de A poc., xiv, 10, 11. V oir aussi sera plus com m e notre chair terrestre, m ais insolu ­
une affirm ation du tartare, æterna supplicia, perpetuae bilis ac permanens in «ternum ut sufficere possit
noctis vastam æternamque caliginem, dans Epist. cleri cruciatibus et igni sempiterno cuius natura diversa
romani ad Cyprianum, n. 7, P. L., t. iv, col. 322. est ab hoc nostro, lequel a besoin d ’ alim ents. At ille di­
Saint C yprien ne parle pas du délai de l ’ enfer; ses vinus per seipsum semper vivit ac viget sine ullis ali­
textes sem blent plutôt contraires à cette opinion· mentis, nec admistum habet fumum : sed est purus
M . T unnel, Histoire de la théologie positive, p. 192, la ac liquidus et in aquœ modum fluidus. Non enim vi
voit dans Ad Demetrianum, 24; m ais on peut ne voir là aliqua sursum versus urgetur, etc. O n voit com bien
qu ’ une sim ple description du jugem ent dernier et des cette représentation du feu infernal diffère des tour ­
supplices qui le suivent, com m e dans l ’ Évangilc. billons, des flam m es ardentes, im pétueuses, fu­
Cf. A lzbergcr, op. cil., p. 538-540. m euses, etc., de la plupart des autres Pères.
Le De laude martyrii, longtem ps attribué à saint Ce feu agit aussi sur les dam nés : una cadcmque vi­
C yprien, et qui serait, peut-être, de N ovatien, ren ­ et cremabit impios et recreabit et quantum de corpo­
ferm e de belles considérations sur la vie de l ’ au-delà, ribus absumet, tantum reponet ac sibi ipse «ternum
en particulier sur l ’ enfer, c. vin, P. L., t. iv, col. 823 : pabulum subministrabit. C ette explication n ’ aura pas
Teneat cupiditas ista vivendi sed quos inexpiabili malo de fortune; l ’ incorruptibilité du corps ressuscité étant
sæviens ignis æterna scelerum ultione torquebit. Teneat généralem ent adm ise, il faudra expliquer autrem ent
cupiditas vivendi, sed quibus et mori poena esi et durare sa passibilité.
tormentum. Cf. c. v, 12 : negatores gehenna complexa Cf. 1. V II, c. v : la fin de la création de l ’ hom m e
aeternus ignis inardescet; c. xx, 21 : une description est l ’ éternité de vie heureuse ; à ceux qui refusent cette
détaillée de l ’ enfer, sœviens locus, etc., lieu de pleurs, fin, l ’ éternité des supplices; c. x, xi, l ’ éternité com m e
de flam m es, eruclanlibus flammis per horrendam sanction, récom pense ou châtim ent, col. 768, 769;
spissæ noctis caliginem sæva semper incendia camini 1. V I, c. iv, col. 644, 646, les conséquences éternelles
fumantis expirât, globus ignium arctatus obstruitur delà vied ’ ici-bas jouisseuse ou souffrante;!. II,c. xm ,
et in varios pœnæ exitus relaxatur; de supplices m ul­ mors prima et secunda, cujus non ea vis est ut injustas
tiples décrits d ’ après V irgile, plus que d ’ après la animas exstinguat omnino, sed ut puniat in «ternum.
sainte É criture : des poids écrasants, des courses pré ­ Cf. Epitome div. instil., c. r.xxn.P. L., t. vi, col. 1091.
cipitées, des chaînes, des roues, des com pagnies in­ D ans le De ira Dei, il faut noter, c.xxi, P. L., t. vu,
supportables, etc. Ibid., col. 829 sq. col. 740, cette pensée : D ieu éternel peut avoir une co ­
Le De Trinitate, qui est certainem ent de N ovatien, lère éternelle; donc ira divina in «ternum manet ad­
c. i, P. L., t. m , col. 888, contient une affirm ation versus eos qui peccant in «ternum.
de la dilatio inferni et du scheol général où les justes 4. Commodien, le prem ier poète chrétien (chrono­
et les m échants attendent, futuri fudicii praejudicia logiquem ent, entre 250et310), dans ses deux poèm es,
sentientes. M êm e doctrine dans les Tractatus édités aim e les descriptions eschatologiques; elles sont sem ­
par B atiffol, 1900, sous le nom d ’ O rigène, tr. V , blables à celles de L actance, dilation, m illénarism e,
p. 14 sq., 52. feu éternel de l ’ enfer. V oir surtout Inslr., 11,4; 39,
2. Arnobe. — O n sait que son Adversus nationes v. 8 sq.; i, 29, v. 16 sq., P. L., t. v, col. 223; Carmen
(vers 300) est une œ uvre de cathéchum ène laïc, apologeticum, v. 999 sq., 741 sq., 669 sq., édit.
polém iste sincère,m aism édiocrcthéologien. Il affirm e, D om bart, Corpus de V ienne, t. xv.
clairem ent d ’ abord, la foi au feu de l ’ enfer, 1. II, 5. Saint Victoria de Pettau, le prem ier com m en ­
n. 8,14, P. L., t. v, col. 831, 832. M ais cet enfer sem ble tateur de l ’ A pocalypse (vers 300), sur lec. i. 1 1. P. L.,
être pour lui un instrum ent d ’ anéantissem ent des t. v, col. 318, nous dit : flamma ignis...præceplaDeiquæ
m échants; A rnobe est conditionaliste, audetis ridere ministrant fustis..., incredulis incendium; col. 313 :
nos cum gehennas dicimus et inextinguibiles quosdam igneum ingredientur stagnum; c. vn,2,col. 331, d ’après
ignes, in quos animas dejici ab earum hostibus inimi­ la parabole de l ’ ivraie, le Seigneur viendra cremare
cisque cognovimus. Pourtant, Platon, lui aussi, a cru igni «terno les im pies : donc.fcu éternel de l ’enfer. A u
au Périphlégéthon ; et m êm e il croit à l'im m ortalité c. vi, 9, coi. 330, l ’ exégète sem ble adm ettre un hadès
de l ’ âm e suppliciée. En cela, il a tort : quod sit immor­ com m un jusqu ’ au jugem ent; Vallare, sous lequel
tale quod simplex, nullum posse dolorem admittere; sont les âm es des m artyrs est, en effet, non le ciel, m ais
quod autem sentiat dolorem immortalitatem habere non la terre, sub qua est infernus, région, d ’ ailleurs, remota
posse. Les âm es jetées dans les flam m es sont donc a pœnis et ignibus, lieu de repos; les im pies les y ver ­
ad nihilum redaclæ, interitionis pcrpeluie frustra­ ront; m ais, entre eux, se trouve l ’ infranchissable sé ­
tione vanescunt. L ’ & m e est, en effet, medix qualitatis, paration. Enfin, in novissimo tempore, sanctorum re-
capable de vie im m ortelle seulem ent si elle s'attache muneratio perpetua, et impiorum... ventura damnatio.
à D ieu et au C hrist, autrem ent, hæc est hominis mors En attendant, dictum est eis exspectare.
vera cum animx nescientes Deum per longissimi tem­ 6. Firmicus Maternus, De errore profanor, reli­
poris cruciatum consumentur igni fero. gionum (vers 347), c. xix, affirm e l ’ existence du feu
63 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 64

éternel de l ’ enfer. P.L., t. xn, col. 1023 sq.; c. xxvm , Saint H ilaire connaissait, certainem ent, les ou ­
col. 1041; c. xxix, col. 1043 sq. vrages d ’ O rigènequ ’ il a im itésdans ses com m entaires,
7. Sans nous attarder à glaner les affirm ations ditsaint Jérôm e, Devins, 100, P.L., t.xxm , col. 738;
toujours identiques d ’ un dogm e alors incontesté dans cependant on a vu l ’ insistance et la netteté de ses affir ­
les traités, lettres, com m entaires de M arius V icto ­ m ations sur l ’ enfer éternel et l'im m utabilité de la vo ­
rinas A fer, de Lucifer de C agliari, Pro sancto Atha- lonté après la m ort. O n pourrait donc dire que saint
nasio, 1. I, Moriendum esse pro Dei Filio, η. 7, 15-18, H ilaire est Le prem ier antiorigéniste de l ’ O ccident;
de saint Zénon de V érone, Tract., I, xn, 1-3, P. L., toutefois, il ne nom m e pas O rigène, car, jusque vers
t. xi, col. 339 sq. ; Tract., II, xxi, 3, col. 458 sq.,de saint 380, com m e en tém oignent les écrits de saint Zénon,
Pacieii de B arcelone, Exhortât, libellus, n. 11 et 12, de saint Pacien, de N icétas, etc., et le silence m êm e de
P. L., t. xm , col. 1088, et des autres adversaires de saint H ilaire, les erreurs d ’ O rigène étaient sans in ­
l'arianism e, au iv c siècle;sans nous arrêter non plus fluence en O ccident, si m êm e elles n ’ y étaient pas
aux descriptions des poètes latins chrétiens de la inconnues.
m êm e époque, A quilius Juvencus, Historia euangelica, b) Nicétas de Remesiana en Dacie, fin du tv° siècle,
1. I. v. 745 sq., 797 sq., P. L., t. xix, coi. 142, 146; rappelle que pour se fortifier contre les tentations, il
1. 111, v. 1-15, coi. 215, 216; 1. IV , v. 257-268, 284- faut penser à Jésus-Christ, juge sévère qui ælerni ignis
305, coi. 302-304, etc., nous term inerons et résum erons præparator est. De diversis appellationibus D. N.J. C.
cette époque de pacifique possession du dogm e en O cci ­ convenientibus, P. L., t. l u , col. 866. Explanatio synl·-
dent, par saint H ilaire de Poitiers et N icétas de R cm e- boli, n. 6, col. 870, D ieu fera le jugem ent universel, ut
siana ou de D acie. reddat singulis secundum opera eorum, hoc est justos
a) Saint Hilaire (γ 366), In Matth., c. v, n. 12, P.L., ad vitam æternam constituat, impios autem æternæ
t. ix, col. 949 : Igitur requies nulla gentibus (aux pœnæ subjiciat; n. 11, coi. 872, sur l ’ article vitam
païens m orts) neque mortis, ut volunt, compendio quies æternam, lecatéchète dit : impii vero et iniqui in tene­
dabitur : sed corporalis et ipsis aeternitas destinabitur bras injeri ubi erit fletus oculorum et stridor dentium.
ut ignis ælerni in ipsis sit ælerna materies et in univer­ De Spiritus Sancti potentia, n. 17, coi. 861, à propos
sis sempiternis exerceatur ultio sempiterna. Si igitur du péché contre le Saint-Esprit : Terribilis sententia!
gentibus idcirco tantum indufgetur aeternitas corporalis irremissibile dicit esse peccatum..., in perpetuas poenas
ut mox igni judicii destinentur, quam projanum est trudetur.
sanctos de gloria œternitalis ambigere, cum iniquis II. É p o q u e d e l u t t e e t d e c o n t r o v e r s e . — N ous
aeternitatis opus praestetur ad pcenam. C f.c. xxvn, n. 2, som m es parvenus au deuxièm e stade de l ’ histoire du
coi. 1059; In ps. l iv , 14,19, P. L., t. ix, coi. 354, 355; dogm e de l ’ enfer. Ce stade n ’ aurait pas dû, sem ble-
In ps. cxxil, n. 11, coi. 673; De Trinitate, I. X , t-il, exister au sujet d ’ une vérité de foi explicite et fon ­
n. 34, P. L., t. x, coi. 370-371. Saint H ilaire insiste dam entale, si claire d ’ ailleurs dans la révélation inspi ­
spécialem ent sur l ’ im m édiate condam nation des rée. La discussion se produisit sous l ’ in fluence
pécheurs à l ’ enfer, après la m ort. In ps. il, n. 48, d ’ ailleurs très lim itée du puissant génie d ’ O rigène qui
P. L., t. ix, col. 290 : In brevi... exardescit ira. Excipit troubla un instant quelques esprits, aux iv° et
enim nos statim ultor infcrnus.et decedentes de corpore, v» siècles, en O rient, aux v c et vi e , en O ccident.
si ita vixerimus,confeslim de via perimus. Testes nobis Cf. T ixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909, t. n,
euangelicus dives et pauper : quorum unum..., alium р . 195 sq., 333 sq., 429 sq. ; Prat, Origène et l’origé-
statim poenae regio suscepit. Adeo autem statim poena nisme, dans les Études, janvier 1906, t. evi, p. 13 sq.;
mortuum excepit, ut etiam fratres ejus adhuc in super­ Schw ane, Histoire des dogmes, t. ni, p. 278-302;
nis manerent. Nihil illic dilationis aut moræ est. H efele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris,
In ps. LVII, n. 4, 5, coi. 371, 372 : Neque enim sus­ 1908, t. n, p. 137 sq., 1182 sq. ; D iekam p, Die orige-
penso adhuc judicii tempore quiescere peccatores sine nistichen Slreiligkeiten im vi Jahrhunderl, in-8°, M uns ­
poena erat dignum; viventes ilaquc eos, cum pœnæ ter, 1899; B onw etsch, Origenistische Slreiligkeiten,
scilicet sensu, absorbet ignis etiam antequam resurgant. dans Realencyclopadie, 1904, t. xiv, p. 489-493.
La doctrine catholique, sur ce point, est donc clai­ t. ÉTAT DE LUTTE EN ORIENT, tlF-IV ” SIÈCLE. —
rem ent et explicitem ent énoncée en O ccident com m e 1° Première phase, 255-374. — Elle va jusqu ’ aux
en O rient, où se form a saint H ilaire. C ependant, la dernières décades du iv° siècle. A part quelques dis ­
théorie de la dilatio inferni y subsistera quelque tem ps cussions sans grand retentissem ent, O rigène règne
encore, après lui. com m e le docteur universel, près de qui tous vont
U n troisièm e point de la doctrine de l ’ évêque de s ’ instruire, en qui tout le m onde puise, en O ccident,
Poitiers, c ’ est l ’ obstination des dam nés fixés dans le d ’ ailleurs, com m e en O rient. N on pas qu ’ on adm ette
m al par l ’ état de term e. In ps. l i , n. 23, P. L., t. ix, ses erreurs, m êm e lorsqu ’ on défend sa gloire spécia ­
col. 323, la conversion des pécheurs n ’ est possible lem ent vénérée. A insi saint Pam phile dans son Apo­
qu ’ ici-bas, decedentes namque de vita simul et de jure logia pro Origene et l ’ anonym e analysé par Photius,
decedimus voluntatis. Tunc enim ex merito prœteritæ Biblioth.,in, P. G., t. cni, col. 393 sq.,essaient bien de
voluntatis lex jam constituta aut quietis aut poena·, exce ­ défendreles spéculations cschatologiques du m aître, le
dentium ex corpore suscipit voluntatem... Cessante prem ier, P. G., t. xvn, col. 608 sq., m ais sans rien
enim voluntatis libertate, etiam voluntatis si qua erit préciser. Saint G régoire le T haum aturge, disciple en ­
cessabit effectus... Interclusa est ergo libertas voluntatis. thousiaste, dans sa Metaphras. in Ecclesiast., P. G.,
Enfin, on trouve chez saint H ilaire plusieurs don ­ t. x, parle plusieurs fois, m ais en général, des peines
nées sur l ’ état du corps des dam nés.Zn ps. i,n. 14,15, de l ’ au-delà, c. ni, 17, col. 996 : Porro in inferis
col. 258-259, ils seront com m e pulvis et lutum, sans partibus supplicii barathrum vidi impios excipiens;
consistance ni solidité, protriti ut ludibrosa pœnæ mo­ с . ix, 12, coi. 1012 : ceux qui ne croient pas à l ’ enfer
bilitate jactentur, d ’ après Ps. r, 4; xvn, 43; non pas sont com m e des endorm is tout à coup saisis, qui
anéantis, ce serait un gain pour eux,subsistent autem tom bent subitem ent dans les supplices. N oter le
quia erunt pulvis. In ps. ι.χιχ, 3, col. 491, les pécheurs subito antidilationniste, ce qui est bien d ’ O rigène.
ressuscités rursum ad pœnæ... judicium in infima Cf. xi. 10; xn, 6,14, col. 1016. 1017.
terræ unde emerserant revertentur (enfer souterrain). Parm i les origénistes d ’ A lexandrie, Théognoste
In ps. cxxxi, 28 : confusione induentur, lerreni sci­ laissa sept livres d ’ H ypotyposes : deux fragm ents
licet et in dedecoris corpore resurgentes. Cf. In ps. Lil, conservés par saint A thanase, P. G., t. x, col. 240,
17, col. 334. parlent du péché irrém issible contre le Saint-Esprit :
65 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 66

inexpiabilis et citra veniam est, com m e il est dit H eb., pourtant com m e en tout le reste, il a affirm é l ’ ensei ­
vi, 4. gnem ent de la foi sur le feu éternel de l'enfer. V oir
O n ne trouve de m êm e rien de bien saillant chez InPs.XLtx, 2, 22, P. G., t. xxvn, col. 229, 236; cf. Ora­
les antiorigénistes. Saint M éthode (φ 311), évêque tio contra gentes, n. 47, P. G., t. xxv, col. 96; Vita S.
d ’ O lym pe, dans son Convivium decem virginum, orat, Antonii, n. 5, 42, P. G., t. xxvi, col. 848, 905.
ix, c. n, P.G., t. xvin, coi. 181, expose la doctrine Saint C yrille de Jérusalem est un autre tém oin de
catholique : l ’ hom m e a clé créé pour un état im m o ­ notre foi dans ses belles Catéchèses. Cal., xm , n. 38,
bile de gloire éternelle; m ais le péché l ’ a fait tom ber P. G ., t. xxxiii, col. 817; Cat., xv, n. 26, col. 908,
en sorte que in sempiternum maledicto obnoxius foret, après la fin du m onde et la résurrection, le juge ­
si la grâce et la vie chaste ne faisaient rentrer le pé ­ m ent terrible, qui fixe dans le royaum e des cieux ou
cheur dans la terre prom ise. D e m êm e, orat. x, c. iv, dans le feu éternel; Cat., xvm , n. 14 : inconvertibilité
non enim aliam postea futuram legem aut doctrinam, des dam nés; n. 19, col. 1040, la résurrection est
sed judicium et ignem. Son traité De resurrectione éternelle, le pécheur reprendra donc son corps pour
com bat les principes origénistes sur l ’ évolution, l ’ ori ­ l ’ éternité, corpus accipiet æternum, m ais un corps
gine et la destinée du péché, bien que les fragm ents capable de subir la peine de ses péchés, pour que,
conservés n ’ aient rien de spécial sur la sanction éter ­ brûlé éternellem ent dans le feu, il ne se consum e
nelle. Photius, Biblioth., cod. 234, P. G., t. xvm , jam ais. Cf. Cal., iv, n. 31; n, n. 15, 16. Enfin Cat.,
col. 296, en fait une analyse succincte; à signaler, iv, n. 1, col. 453, l ’ obstination im m uable du dém on
n. 10 : Porro eradicatum ait malæ cogitationis vilium, est très bien exprim ée.
adveniente naturali morte : nam et ideo mors peccatori Term inons par quelques voix du désert. Saint A n ­
inflicta est ut ne malum æternum foret. Ces expressions toine le G rand (j- 356) d ’ abord nous parle éloquem ­
n ’ ont certainem ent pas un sens conditionaliste com m e m ent de l ’ éternité, de l ’ im pénitcnce, des supplices
le rem arque Photius : cæterum qua ratione id intelli- et du feu de l ’ enfer dans les divers écrits qui lui sont
genduml sciendum hoc etiam ab aliis nostris Patribus attribués. D e vanitate mundi et deresurr. mortuorum,
fuisse traditum : mors certe per illud tempus quo quis P. G., t. XL, col. 961 sq. ; Serm., sect. Il, col. 965;
illa defungitur, neque accessio peccatorum (plus de nou ­ Epist., xx, col. 1055 sq., etc. La pensée du salut et du
veau péché libre et dém éritoire) neque subtractio feu éternel à éviter sem ble enfin avoir été une des
fuerit. Plus loin, η. 19, col. 324 sq., l ’ évêque de Lycie fréquentes m éditations des pénitents du désert.
soutient la nécessité pour l ’ âm e, m êm e avant la ré ­ Cf. S. A thanase, Vila S. Antonii, n. 5, 42;S.O rsiesius,
surrection, d ’ avoir un certain corps pour être passible abbé de Tabcnne, Doctrina de institut, monachorum,
et souffrir du feu : et il interprète la parabole du n. 2, 3, P. G., t. XL, col. 871; De sex cogitat, sancto­
m auvais riche et du pauvre Lazare, Luc., xvi, au rum, n. 5, col. 896; S. Isaïe, abbé, Orat., i, n. 1, P. G.,
sens réaliste. t. XL, col. 1105; Oral., n , n. 6, col. 1125; Oral., vu,
Saint Pierre d ’ A lexandrie (f 311) rappelle les sup ­ n. 2, etc.; S. M acairc d ’ A lexandrie, abbé en N itric,
plices éternels, D e pænitenlia, can. 4, P. G., t. xvm , Homil., iv, n. 23, P. G .,t. xxxiv, col. 489 sq.; Homil.,
col. 473, avec citation d ’ Isaïe, l x v i , 24. Les traités v, n. 6; xi, n. 12; xiv, 6,7, col. 505 sq., 553, 573. O n
directem ent antiorigénistes de l'évêque alexandrin voit par là que la querelle origéniste, si ardente, dans
sont m alheureusem ent presque totalem ent perdus. quelques m onastères égyptiens, ne devait pas avoir
Saint A lexandre d ’ A lexandrie (f 328), dans un pour objet principal l ’ eschatologie.
serm on De anima et corpore deque passione Domini, E n résum é donc, l ’ influence d ’ O rigène fut d ’ abord
P. G., t. xvin, col. 585 sq., enseigne l ’ enfer éternel à peu près nulle, au point de vue de l ’ éternité de
sous cette form e générale : l ’ hom m e· était im m ortel; l ’ enfer, sur l'enseignem ent catholique, m êm e en O rient
le péché précipite l ’ âm e en enfer, lieu ténébreux, où et à A lexandrie, au m « et au iv° siècle.
elle est enchaînée par le diable, n. 3, col. 590, et pour 2° Deuxième phase, 374-450. — 1. Lutte violente. —
toujours. M ais le C hrist est venu pour nous rendre la Saint Épiphane. D ans sa lutte contre l ’ origénism e(374-
vie éternelle, n. 5, col. 595. 403), la doctrine de la dam nation éternelle occupe
Saint E ustathe, évêque d ’ A ntioche (f 360), écrivit une place très restreinte. L'Ancoratus n'y fait que
un long traité sur la pythonisse d ’ E ndor et l'évocation de sim ples allusions; par exem ple, n. 22, P. G.,
de Sa ’m uel, pour attaquer O rigène et son réalism e t. x l i i i , col. 57; n. 97, col. 193. D ans le Panarion ou
sur ce point particulier en m êm e tem ps que son allégo- adversus hæreses on trouve, hæ r.L ix.n. 10, P.G.,t. x l i ,
rism e général. P. G .,t. xvin,col. 707 sq. E ntre autres col. 1033, l ’ exposé explicite de l ’ im m utabilité défini ­
argum ents contre la réalité de l'apparition de Sam uel, tive de l ’ au-delà. Le chapitre qui concerne directe ­
il fait ressortir le m ensonge de cette parole : Cras eris m ent O rigène, hæ r. l x iv , col. 1068, n ’ a rien sur la res ­
tu mecum. I R eg., xxvm , 19. Sam uel, en effet, était titution, la récirculation, etc. L ’Anacephalaiosis, 1. II,
juste, Saul im pie; au prem ier donc le sein d ’ A braham , i, n. 18, P. G., t. x l i i , col. 868, ajoute, il est vrai, que
à l ’ autre le. feu de l ’ enfer que l ’ évêque décrit longue ­ les origénistes osent soutenir que le règne du C hrist
m ent d ’ après Luc, xvi, 19 sq. A u n. 20, col. 653, il aura une fin; de m êm e, 1. III, t. x l i i , col. 885, que,
cite O rigène parlant des anges (déchus), venant trou ­ selon l ’ enseignem ent de la sainte m ère l ’ Église, cha ­
ver Sam uel dans un but de salut et il sem ble ne pas cun après la m ort recevra scion scs m érites, que
com prendre la pensée générale d ’ O rigène sur la resti ­ la dam nation sera éternelle, que les m orts ressus ­
tution des dém ons; il lui reproche, en effet, de m ettre citeront pour la vie éternelle ou pour le jugem ent
les anges (du ciel) en enfer. éternel. Cf. encore l’Exposilio fidei qui term ine le
Eusèbe de C ésarée (f vers 340) était, au contraire, Panarion, n. 18, P. G., t. x l i i , col. 817, 820. M ais
origéniste, m ais on ne lui a jam ais rien reproché en l ’ authenticité de ces textes n ’ est pas absolum ent
eschatologie. Il affirm e l ’ enfer éternel, par exem ple, certaine. Cf. Petau, De angelis, 1. Ill, c. vi, n. 6;
Præpar. evangel., 1. X I, c. xxxvm , P. G., t. xxi, B ardenhew er, op. cil., t. n, p. 133. E n tous cas,
col. 944 sq., avec Platon et les textes scripturaires saint Épiphane, dans son Epist. ad Joan. Ilierosol..
classiques; de m êm e, 1. X II, c. vi, col. 957 sq. ; c. l u , n.5,P. L., t. xxii, col. 522; P. G ., t. k l i i i , col. 385,
col. 1048 sq. ; cf. 1. V II, c. xvi, col. 556; Demonstr. traite très explicitem ent de l ’ erreur origéniste sur la
evangel., 1. Ill, c. in, P. G., t. xxn, col. 123; 1. IV , vie éternelle : audet dicere diabolum id rursum fu­
c. xiv,col. 289; In. Is.,l x v i , 24, P. G .,t. xxiv.col. 524. turum esse quod fuerat... Proh! nefas! quis tam ; ·:
Saint A thanase (f 373) fut plutôt favorable à cors et stolidus ut hoc recipiat quod... et reliqui pro­
O rigène qu ’ il tâcha d ’ excuser et de défendre; ici, phetes cohieredes fiant diaboli in regno cælorum.
D IC T . D E T H ËO L . C A TH O L. V. - 3
67 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 68

D idym e Γ A veugle (γ 395), pendant ce tem ps à s ’ est incarné pour les hom m es. Cf. n. 15, col. 785;
A lexandrie, se faisait l ’ apologiste de son m aître et Epist., de 402, n. 9-12, col. 799-800. A l’ instigation
prédécesseur au D idascalée. Sur l ’ enfer sa pensée de Théophile, en 399 ou 401, se tinrent trois synodes
n ’ est pas très claire. T ixeront, op. cil., p. 198, trouve contre l ’ origénism e à A lexandrie, à Jérusalem , en
la doctrine de D idym e « correcte » après M ingarelli, C hypre. C’Epist. synodica d ’ A lexandrie ad episcopos
Commentarius de Didymo, 1. II, c. xxn, 14, P. G., palœstinos et Cypriæ, P.L.,t. xxn, col. 762, 767, rap ­
t- xxxix, col. 201 sq. B ardy, Didyme TA veugle, in-8°, pelle l ’ horrible restitution des dém ons. C hez nous,
Paris, 1909, p. 142-143, le croit universaliste; de répondit le synode de Jérusalem , il n ’ y a pas d ’ origé-
m êm e P. B atiffol, Apocatastasis, dans Catholic ency­ nistes, ni de défenseurs de ces pestifera dogmata, tels
clopedia, t. i, p. 599-600; Lucke, Comm, prævia à que la fin du royaum e du C hrist et la restitution défi­
VEnarrat. in Episl. calh., t. xxxix, col. 1738 sq. V oici nitive du diable, soum is avec le C hrist à l ’ em pire du
les principaux textes donnés com m e orthodoxes : De Père; ceux qui croient de pareilles choses iront en
Trinitate, 1. IX, c. m , P. G., t. xxix, col. 480; c. vu, enfer avec le diable et ses anges, etc. P. L., t. xxn,
n. 7, col. 580; c. xn, col. 669; 1. III, c. x l i i , col. 989; col. 770. En som m e, de nouveau l ’ origénism e sem ble
De Spiritu Sancto, trad, de S. Jérôm e, n. 47, avoir été alors plus une sym pathie exagérée pour
L., t. Χ ΧΙΠ, col. 1074 : tradidisse eos sempiterno O rigène et une discussion de personnes qu ’ une erreur
cruciatui... ipse igitur... subjecit multiplicibus lon- eschatologique. A insi l ’ évêque Jean de Jérusalem ,
gisque cruciatibus, ut nec præsenti tempore, nec in am i d'O rigène, et qui écrivit pour se disculper et
juturo consequantur veniam peccatorum; n. 59, aussi pour disculper l ’ origénism e, n ’ a très proba ­
coi. 1082: lapsus ad prava ad adernam poenam ducit blem ent jam ais défendu aucune erreur relative à l ’ en ­
et tartarum. Cf. Contra tnanichæos, c. xv, coi. 1105. fer; saint Jérôm e ne lui reproche guère que des im pré ­
E n faveur de l ’ apocalastasis origéniste, on cite I cisions. V oir plus haut, col. 59.
Enarr. in I Pel., i, n. 12, P.G., t. xxxix, col. 1759: : 2. Hésitations et éclaircissements. — A peu près à
ce que les anges désirent voir, c ’ est le salut de la fin du l ’ époque de ces luttes violentes en É gypte et en
m onde : ou bien c ’ est la béatitude, indépendante de Syrie, ou un peu avant, l ’ origénism e se glissait pour ­
la tin du m onde, alors dicendum est et concupiscere tant, et sous form e d ’ erreur eschatologique, plus
in eum prospicere angelos qui in transgressione quadam au nord au sein de la C appadoce et y déterm inait
inventi sunt. Nam licet eorum quidam pravi sint, atta­ des fluctuations m oins violentes, m ais plus signi ­
men delenti supplicio respicientes unde ceciderunt (quod ficatives. D es trois lum ières de la C appadoce, saint
etiam studiosis hominibus compromittitur), habebunt B asile sut garder son éclat dans toute sa pureté ;
desiderium vel per fenestras ea respicere. Ce texte peut quelques-uns doutent de saint G régoire de N azianze;
s ’ entendre, com m e le note Lucke lui-m êm e, loc. cil., saint G régoire de N ysse fut certainem ent terni par
d ’ un désir inefficace sans conversion ni effet; à la l ’ erreur universaliste.
place de respicientes, c ’ est à tort, en effet, que les Saint B asile le G rand (f 379) expose avec force
anciennes éditions portaient resipiscentes; ou du notre dogm e, tout en y joignant ces descriptions im a ­
m oins on pourrait supposer que pravi signifie ici ginatives de la prédication populaire qui ne préten ­
les anges qui avaient com m is des fautes légères dent pas à la vérité des détails, m ais à celle de l ’ im ­
(opinion de D idym e), non les dam nés proprem ent pression générale. V oici d'abord la peine du dam : De
dits. Cf. M ingarelli, col. 204. Spiritu Sancio, c. xvi. n. 40, P. G., t. xxxn, col. 141:
M ais voici un autre texte plus clairem ent origé ­ les dam nés seront éloignés tout à fait du Saint-
niste, In I Pet., ni, 22, col. 1770: Subjectis sibi ange­ E sprit : cette separation est le principe radical de
lis et potestatibus et virtutibus : sicut enim homines la dam nation. Puis une description de la peine du
abstinentes a peccatis subjecti sunt, ita et superiora ra­ sens, In. Ps. xxxm, n. 4, P. G., t. xxix, col. 360 sq. :
tionalia correcta spontaneis culpis qux forsitan ha­ les m échants ressusciteront pour l ’ opprobre et la
buerunt ei subjecta sunt, completa dispensatione ha­ confusion, lorsqu ’ ils verront la turpitude et les form es
bita, pro salute cunctorum. D ’ailleurs, ajoute le honteuses de leurs péchés im prim ées en eux. E t cette
com m entateur, m êm e si on com prend dans le texte confusion éternelle est peut-être plus horrible que
de saint Pierre les anges qui n ’ ont pas péché du les ténèbres et que le feu inextinguible lui-m êm e. A u
tout, il restera vrai que tous les genoux fléchiront n. 8, une exhortation m orale : Si tu te sens porté au
devant le C hrist au ciel, sur la terre et dans péché, pense au tribunal du C hrist, au gouffre pro ­
les enfers. E st-ce là de l ’ universalism e absolu? S ’ agit- fond, aux ténèbres im pénétrables, au feu sans éclat
il des dém ons? du salut de tous absolum ent ou de qui brûle dans les ténèbres sans éclairs, aux vers veni ­
tous les anges convertis? D ’ autre part, il faut avouer m eux qui dévorent les chairs, insatiables et infligeant
que les textes orthodoxes ne sont pas d ’ une parfaite par leurs m orsures des douleurs intolérables, enfin au
clarté, quand on sait que les m ots « éternel, sem pi­ supplice le plus grave de tous, la honte et le déshon ­
ternel» chez O rigène ne signifient pas nécessairem ent neur éternels. Cf. In Ps. xxvm, 2, 7 ; Homil. tempore
l ’ éternité stricte. Cf. In. Episl. Judæ, 12, 13. Enfin, famis, η. 9, P. G., t. xxxi, col. 328; Episl., xxm , P. G.,
D idym e insiste souvent sur le caractère m édicinal t. xxxit, col. 293 sq. ; x l v i , n. 5, col. 377 sq. ; Ascelica,
des châtim ents divins. De judicio Dei, t. xxxi, col. 653 sq. Saint B asile
A A lexandrie, encore à la m êm e époque et jusqu ’ en s ’ élève directem ent contre l ’ apocatastasis dans les
399, le patriarche Théophile était origéniste. T out à Regulæ breviter tractaiie, q. c c l x v i i , ibid., col. 1264;
coup, pour des m otifs qui ne sem blent pas avoir été à la question : Si alius mullis vapulabit, alius vero
tous dignes d'un évêque, il devint violent antiorigé- paucis, quomodo dicunt quidam nullum esse poenarum
niste. D e ses luttes et de ses violences, nous n ’ avons finem? il répond que les textes affirm ant l ’ éternité
qu ’ à citer la condam nation de l ’ eschatologie origéniste de l ’ enfer sont clairs, certains, nom breux et il en cite
dans ses Epist. paschales, de 401 et 402, aux évêques quatre qui sont classiques. Puis, il indique la raison
d ’ Égypte. D ans celle de 401, n. 8. P.L., t. xxn,col.779, cachée de la négation de l'enfer : la plupart des
il déclare la restitutio diaboli, vox impia, cl les circuits hom m es prétendent que leur supplice aura une fin,
de chutes et d ’ ascensions des âm es, deliramenta, afin de pécher avec plus d ’ audace. E nsuite, il ex ­
fabulæ, impiissimum dogma, em prunté aux philo ­ pose l ’ argum ent scripturaire et théologique fonda ­
sophes, n. 9, col. 780. A u n. 10, c ’ est un impietatis m ental : Si le supplice éternel devait avoir une fin.
barathrus de dire que la restitution des dém ons se fera la vie éternelle aurait aussi une fin. E t si on ne peut
par la passion du C hrist devenu dém on, com m e il adm ettre ceci, on ne peut non plus parler de la fin
69 E N F ER D ’ A P R E S L E S P È R E S 70

du supplice éternel, car l ’ un et l'autre sont égalem ent I m onde par le feu : ce dernier baptêm e n ’ est pas seu ­
éternels. Cf. M atth., xxv, 46. En lin l ’ enfer saisit le lem ent plus cruel, il est aussi plus durable. Saint
pécheur tout de suite après la m ort. Homil., xm , G régoire ne veut pas m ettre ses adversaires en enfer;
Exhort, ad sanet. baptisma, n. 8, P. G., t. xxxi, m ais, d ’ après le ton de la discussion, il les suppose
col. 441 sq. de bonne foi, donc capables de faire l ’ expérience
Saint G régoire de N azianze (j- 389 ou 390) a-t— il été qu ’ après le péché, on peut être purifié par le feu du
du nom bre de la plupart des hom m es, trom pés par purgatoire, quidévoreles scories delà m atière com m e
les artifices du dém on et dont parle son intim e am i du foin et consum e les légers dérèglem ents de la
saint B asile, en niant l'éternité de l ’ enfer, au m oins nature viciée.
dans certains passages de ses œ uvres? T ixeront, op. Saint G régoire de N ysse (ψ après 394). — Saint
cil., p. 199; P. B atiffol, toc. cil.; Schwane, loc. cil., G erm ain de C onstantinople, au vni e siècle dans Pho-
p. 283, 278, l ’ adm ettent après Petau, op. cil., c. vir, tius, Bibliolh., cod. 233, P. G., t. cm , col. 1105, 1106;
n. 14, p. 112. Ch. Pesch, dans Theologische Zeit/ragen, N icéphore C allixtc au xiv c , H. E., xi,19,P. G., t. c x l v i ,
2 e série, p. 103 sq. ; L. B illot, De nouissimis, R om e, col. 627; récem m ent, A . V incenzi, in sancti Gregorii
1903, p. 58, le nient. Nysseni et Origenis scripta et doctrinam nova recensio,
V oici d ’ abord les textes où le saint docteur en ­ 5 in-8°, R om e, 1864-1809, t. i, c. i - i x , ont soutenu
seigne nettem ent l ’ éternité des peines. Ο ζαΖ.,χνι, in l ’ orthodoxie de G régoire de N ysse en attribuant ses
Patrem tacentem, η. 7, P. G., t. xxxv, col. 944. Les textes erronés à des interpolations, ou m êm e, le der ­
châtim ents terrestres nous sont infligés pour nous nier, en torturant ces textes pour leur donner un sens
faire éviter les supplices sans rem ède de l ’ enfer; n. 9, catholique. G énéralem ent et unanim em ent à l ’ heure
col. 946 : après le jugem ent dernier, plus de recours, actuelle on adm et un véritable fléchissem ent dans la
plus de tem ps pour am éliorer sa vie, m ais seul le pensée du m étaphysicien de C appadoce, Cf. B arden-
jugem ent terrible et juste, et puis la séparation, le hew er, LesPères del’ Église, t. n, p. 117-121 ; T ixeront,
supplice de l ’ éternelle ignom inie. Cf. Carmen, xix : op. cit., p. 199-200; Schwane, op. cil., p. 279-282,
Σχώληξ έχείβεν έσβίων αίδιώ ς ; Orat., XL, in sanctum avec réponses à V incenzi.
baptisma, n. 36, t. xxxvi, coi. 411 : le baptêm e est une C hez l ’ évêque de N ysse, il y a d ’ abord, il est vrai,
illum ination; il faut chercher la lum ière, feu purifi ­ des textes orthodoxes affirm ant l ’ éternité des peines.
cateur de cette terre. M ais il y a un autre feu, qui ne Il insiste avec énergie sur l ’ inextinguibilité du feu,
purifie pas, qui punit les crim es com m is, soit celui sur l ’ im m ortalité du ver rongeur, sur l ’ éternité de la
qui a dévoré les Sodom ites, soit celui qui est pré ­ récom pense, Orat. catech., c. XL, P. G., t. x l v , col. 105 ;
paré au diable et à ses anges, soit aussi celui qui sort dans son serm on Contra usurarios, il m enace l ’ usurier
de devant la face de D ieu et qui brûle ses ennem is, d ’ éternelle douleur, des châtim ents éternels, t. x l v i ,
soit enfin celui le plus terrible de tous, qui est joint col. 436, 452; De castigatione, ibid., col. 312, nous
au ver sans som m eil, qui est inextinguible, et qui apporte l ’ écho d ’ un gém issem ent continuel et incon­
punit éternellem ent les hom m es scélérats. Ce texte, solable durant l ’ éternité. Cf. encore Orat, adversus eos
ei apparence orthodoxe, est cependant le texte le qui differunt baptismum, P. G., t. x l v i , col. 417 sq.,
plus incrim iné de saint G régoire. C elui-ci ajoute en en notant, col. 428, que le subtil penseur adm et,
effet : à m oins toutefois que quelqu'un n ’ aim e m ieux m êm e pour les adultes, une troisièm e catégorie entre
entendre en ce lieu aussi, τούτο φιλανβρωπότερον, ce les bienheureux et les dam nés. Orat. de pauperibus
feu plus doux et plus digne du D ieu vengeur; d ’ autres amandis, ibid., col. 461 : pour les m échants le supplice
traduisent : entendre tout ceci de façon plus hum aine du feu et un supplice éternel : « tu tom beras dans le
et plus digne de D ieu. M ais reconnaître dans ces der ­ gouffre très profond et très obscur duquel ne sortira
niers m ots la négation de ce qui vient d ’ être affirm é jam ais celui qui y est une fois tom bé. » Orat., v,
avec tant de force, sem ble d ’ abord introduire dans De bealitudinibus·, De anima et resurrectione, ibid.,
la pensée du saint docteur une singulière contradic ­ col. 81, il y a deux parts dans la vie hum aine : la
tion, disent les défenseurs de son orthodoxie. D e prem ière courte, l ’ autre εις το άΐδιον, pour l ’ éternité;
plus, cette interprétation est loin de s ’ im poser. Pour et le choix est laissé à la liberté pour le bien et le m al,
Ch. Pesch, Prrelecl. theolog., t. tx, p. 310, dans ce pas ­ soit pour cette vie, soit pour les siècles sans fin ζατά
sage, il s ’ agit d ’ un doute, non sur la réalité du feu τους ατελεύτητους έχείνους αιώνας ών πέρας ή άπειρία
éternel de l ’ enfer, m ais sur le sens des textes cités, έστίν.
dont saint G régoire perm ettrait la discussion, en Pour dim inuer la valeur de ces textes, suffit-il de
sauvegardant le dogm e. U ne autre explication a été dire que pour l ’ origéniste cappadocien le m ot « éter ­
donnée en note parles éditeurs bénédictins, P. G., nel! ne signifie qu ’ une longue suite des siècles, com m e
i. xxxvi, col. 412, et elle a été développée par B illot, parlent d ’ autres textes dans les m êm es livres et
loc. cil.; gram m aticalem ent le mitior ignis ne peut traites, ταϊς μαζραϊς περιόδοις , Orat. catech., c. XXVI,
être identifié avec tous ces feux άφανιστιζής δυνάμεως ; P. G., t. x l v , col. 49; τοίς ζαΟήκουσιν χρόνοις , μακραίς
m ais, après avoir distingué deux espèces de feux, le ποτέ περιόδοις , De anima et resurect., t. x l v i , col. 72,
feu purificateur du C hrist et les divers feux vengeurs 152, 157? M ais αιώνιος άΐδιος signifient l ’ éternité
(celui de Sodom e, celui de l ’ enfer éternel, etc.), saint stricte en plusieurs passages de saint G régoire, par
1 Grégoire perm ettrait de ranger, parm i ces feux ven ­ exem ple, vie éternelle du Fils, des bienheureux. E t
deurs, le feu qui punit pour guérir, le feu des châti ­ puis resteraient les textes qui nient toute fin de sup ­
m ents terrestres ou du purgatoire en l ’ autre vie; ce plices infernaux, et peut-être n ’ est-il pas nécessaire
feu est distinct des feux purem ent vengeurs tels que de m ettre l ’ unité dans l'enseignem ent de saint G ré ­
le feu éternel, quoiqu'il puisse être rangé dans leur goire, qui hésitait, lui-m êm e, sans doute entre la
catégorie. C ette explication nous sem ble très pro ­ sim ple expression de la foi catholique et ses spécula ­
bable en soi, et en définitive l ’ orthodoxie du grand tions origénistes.
docteur de N azianze nous paraît certaine. Oral., xxx, A illeurs, il nie donc assez clairem ent l ’ éternité de
6 : la phrase Deus omnia in omnibus, illo restitutionis l ’ enfer pour affirm er l ’ apocatastase. Oral, catech.,
tempore, ne signifie pas une restitution universelle, c. xxxv, P. G., t. x l v , col. 92. T out ce que la résur ­
m ais totale des élus, com m e il ressort du contexte, rection ram ène à l ’ existence, ne revient pas à la m êm e
xxxix, 19, les novatiens refusent la pénitence aux vie. Il y a une grande différence entre ceux qui sont
tom bés. C ’ est cruauté, et s ’ ils ne veulent pas se purifiés et ceux qui ont besoin de l ’ être. C eux qui
convertir, ils seront peut-être baptisés dans l ’ autre auront été purifiés, en cette vie, retourneront à l ’ im ­
71 E N F ER D ’ A P R ÈS L E S P È R E S 72.

passible béatitude ; m ais à ceux qui ne se seront pas du que D ieu, de fait, réalise ses m enaces les plus ter ­
tout purifiés, com m e à l ’ or souillé, il est clair qu ’ il ribles; In Matth., hom il. xi, 7; hom il. xm , 5, 6, P. G.,
leur faut la fournaise dans.laquellc, après liquéfaction, t. l v i i , col. 200, 214 sq., après les preuves, il répond
le vice m élangé sera séparé, D ieu se conservant leur à l'objection : personne n ’ est revenu de l ’ enfer, en
nature purifiée pour les siècles futurs. Cf. c. vin, disant que Jésus-Christ est descendu du ciel pour
col. 36, curalio in præsenti vita, vel in lutura vita, et nous le révéler; puis en m ontrant l ’ insuffisance des
il parle de la chute générale de l ’ hum anité; c. xxvi, sanctions d ’ ici-bas; hom il. xvi, 7,8, ibid., col. 218 sq.,
col. 68, le C hrist est venu sauver, non seulem ent il dit qui seront les dam nés, tous les pécheurs;
l ’ hom m e qui avait péri, m ais encore celui qui nous hom il. xxxvi, 3, 4, ibid., col. 416 sq., existence, éter ­
avait apporté la m ort; la vie, la pureté, en effet, re ­ nité, justice de l'enfer pour un seul péché; le péché
vivifie, repurifie tout ce qu ’ elle approche de m ort et est un m al, plus grand que l ’ enfer; hom il. x l h i , 4,
de souillé; com m e le feu restitue l ’ or dans sa splen ­ 5, ibid., col. 461 sq., la fournaise de feu, l ’ horrible
deur avec de la peine et du tem ps; ainsi la vertu éternité; un discours sur l ’ enfer est attristant, m ais
divine: et le dém on m êm e ne pourra douter que tout nécessaire; hom il. xxm , 7-10, ibid., col. 317 sq.,
cela (l ’ enfer) est juste et salutaire, s ’ il vient à en com ­ peines du dam et du sens : la prem ière plus terrible
prendre le bienfait; m ais le travail est long et pé ­ que m ille géhennes, éternité. In Joa., hom il. xu, 3,
nible; à la fin tout étant purifié, et ceux qui gisent P. G., t. l ix , col. 86, résum é de la théologie de l ’ enfer.
m aintenant dans le m al ayant été rétablis dans leur D e m êm e, In Epist. ad Rom., hom il. xxv, 4-6, P. G.,
prem ier état, toute créature rendra grâce à D ieu t. l x , col. 632 sq., il résout l ’ objectinn tirée de la
d ’ une seule voix. A insi le C hrist a accom pli son bonté divine et de la justice contre l ’ éternité châtiant
œ uvre, en délivrant l ’ hom m e du péché et en guéris ­ la faute d ’ un instant; sa réponse propose l ’ exem ple
sant le vice dans son inventeur. O n trouve des textes de la justice hum aine, et prouve la nécessité m orale
aussi expressifs, De anima ei resurr., P. G., t. x l v i , de cette sanction, autrem ent Paul, N éron et le diable
col. 100, 101, 104, 105, 152, 157-160, la différence seraient heureux ensem ble; il dém ontre l ’ existence
d ’ une vie vertueuse et d ’ une vie coupable consiste de l ’ enfer, puis fait une charge à fond contre l ’ apo-
en ce que la prem ière atteint plus vite, la seconde catastasis : il n ’ y a pas d'insensé qui la puisse sou ­
plus tard à la béatitude prom ise à tous; Orat. de tenir; ceux qui l ’ affirm ent en porteront le châtim ent
mortuis, ibid., col. 524, 525,536; Contra Arium et terrible, car ils perdent les âm es, de m êm e ceux
Sabellium, P. G., t. x l v , col. 1292, 1293; De hom. qui les écoutent; m ais non, revenez à la vérité et
opif., c. xxi, P. G., t. x l iv , col. 201; Oral, quando craignez la géhenne qui est nécessaire pour vous
sibi subjecerit omnia, P.G., t. x l iv , coi. 1313 : Ali­ convertir. D e m êm e, hom il. xxxr, 4, 5, col. 673 sq.,
quando ad nihilum transibit mali natura, plene et sortie contre les universalistes et dém onstration de
perfecte deleta ex rerum essentia, divinaque et ab omni l ’ éternité et de l ’ inégalité des peines; la racine de
interitu aliena bonitas in se continebit omnem naturam l ’ incrédulité ici,c ’ est la corruption du cœ ur; il réfuta
ratione prtedilam, nullo ex iis qui a Deo jacti sunt les objections des incrédules qui se plaignent de ce que
excidente a regno Dei, quando omni vitio quod rebus D ieu ne punit pas (ici-bas) et de ce qu ’ il punit (en
fuerat immistum, tanquam aliqua materia, per ignis enfer); le lieu de l'enfer im porte peu à connaître; il
purgatorii consumpto fusionem, omne quod a Deo doit être, sim ple opinion, totalem ent en dehors du
ortum habuit tale jactum fuerit, quale erat ab initio; le m onde; il faudrait parler de l ’ enfer, partout; toutes
Christ est le prem ier; tous suivent, de plus ou m oins les peines d ’ ici-bas sont des plaisirs en com paraison
près, donec ad extremum finem mali, boni progressus de l ’ enfer; il résout l ’ objection des miséricordieux :
vitium abolendo pervenerit, etc. les incrédules seuls seront en enfer, car les chrétiens
Sur la nature du feu de l ’ enfer, saint G régoire de auront cru au Seigneur ; la foi sans les œ uvres m éritera
N ysse repousse-t-il le réalism e, De anima el resurr., une dam nation encore plus terrible : dangers des
P. G., t. x l v i , col. 67 sq. ; Oral, catech., c. x l , P. G., pensées légères et fausses sur ce sujet, résum é de
t. x l v , col. 106; Oral., ni, De resurr. Domini, P. G., preuves. In I‘m ad Cor., hom il. ix, 1-3, P. G., t. l x i ,
t. x l v i , col. 679? V oir F e u . col. 75 sq., il veut traiter ex professo l ’ im portante
Saint Jean C hrysostom e, de 375 à 404 (dernier question que tous désirent savoir : si le feu de la gé ­
exil), ne cesse de prêcher et la vérité de l ’ enfer éternel, henne aura une fin. Son éternité est affirm ée par le
jam ais peut-être, en O rient du m oins, n ’ a été incul­ C hrist et par Paul; l ’ objection tirée de la justice est
quée avec tant de force et de fréquence que par lui. résolue: il y a justice, car le pécheur persiste incorri ­
Il développe une théologie spéculative très riche à gible dans sa révolte après tant de bienfaits; ce dis ­
certains points de vue, et c ’ est évidem m ent une m ine cours est terrible, m ais nécessaire; l ’ orateur trem ble
incom parable de théologie pastorale; il fait des des ­ le prem ier; de m ultiples raisons enlèvent toute ex ­
criptions sobres de détails im aginaires et fidèles à cuse aux pécheurs; la justice hum aine agit ainsi. Si
la m éthode exégétique littérale. E nfin, il m ène une on objecte l ’ am our de D ieu, il répond que D ieu im ­
cam pagne sans trêve contre l ’ incrédulité et les opi ­ pose des préceptes faciles, toujours possibles et que
nions erronées et scandaleuses qui circulaient çà et là sa bonté offensée exige l ’ enfer; si on objecte le texte
et qui étaient contraires à l'éternité de l ’ enfer. A vec de Paul : Salvabitur quasi per ignem, il répond cpie
saint B asile, il dissipe pour l ’ O rient les dernières ce texte signifie que les actions m auvaises périront et
om bres de. l ’ origénism e universaliste et m et défini ­ le pécheur avec elles, puis il observe que le texte dit :
tivem ent en plein jour le dogm e de l ’ enfer. salvabitur, c ’ est-à-dire que le pécheur subsistera, qu ’ il
Ces idées sont sim ultaném ent traitées, ii faut donc ne sera donc pas anéanti et qu ’ il sera dans le feu;
parcourir les textes. Ad Theodor, lapsum, i, 9, 10; In IPm ad Cor., hom il. ix, ibid., col. 463 sq., nou ­
n, 3, P. G., t. x l v i i , col. 277 sq., 313, conciliation de veau serm on avec considérations habituelles; de
la violence extrêm e du supplice de l ’ enfer avec sa m êm e plus ou m oins com plètem ent In Epist. ad
durée sans fin pour le corps et pour l ’ âm e; In Epist. I Phil., hom il. ni, 4; xm , 2, P.G., t. l x i i , col. 203 sq.,
ad Thess., hom il. vin, P. G., t. l x i i , col. 441 sq., il 279, le dam , plus terrible que le feu. In Epist. IItm ad
résout cette objection : les textes scripturaires ne Thess.,hom il. n ,3 , 4; ni, 1, col. 475 sq., 479, illusion
sont que des m enaces, en répondant que c ’ est un chez beaucoup sur la terrible éternité. In I10' ad Tim.,
raisonnem ent satanique, qu ’ il réfute ensuite avec hom il. xv, 3, ibid., col. 583 sq., enfer, effet de l ’ am our
clarté, en m ultipliant les preuves positives : nécessité de D ieu qui par la crainte conduit au salut; sans les
m orale, consentem ent universel et l ’ histoire m ontre m enaces de la géhenne, nous y tom berions tous :
73 E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 74

nouvelles preuves, In Epist. ad Philem., hom il. ni, 2, récom pense éternelle aux justes. La m êm e doctrine
ibid., col. 717. E nfer et am our de D ieu : discours pour est donnée aux catholiques dans le Hæretic. fabular,
vider la question. D ieu donne par pur am our tout ce compendium, 1. V , c. xx, De judicio, P. G., t. l x x x i i i ,
qu ’ il donne et il nous a donné le surabondant;m ais le col. 517; il y aura résurrection des corps et l ’ âm e ne
plus grand don de sa bonté, c ’ est la liberté respon ­ subira pas seule les châtim ents des péchés, et ce sera,
sable; la perspective de kl sanction est nécessaire à non pas pour quelque tem ps, m ais pour les siècles
la vie hum aine; m aintenir la responsabilité m orale, infinis, puisque l ’ É criture affirm e la vie éternelle et
c ’ est donc l ’ essence m êm e de la bonté. D onc D ieu, le supplice éternel; c. vin, col. 473 sq., il m ontre la
parce qu ’ il est bon, a créé la géhenne. O bjection : il justice de l ’ enfer, spécialem ent pour les dém ons : le
n ’ a fait que des m enaces ; m ais elles seraient un vain péché est un acte libre; In Mich., v, P. G., t. l x x x i ,
fantôm e inefficace. In Epist. ad Ileb., hom il. i, n. 4, col. 1764, les dém ons, restant inguérissables, seront
col. 18 sq., feu éternel, société des dém ons, ténèbres à jam ais séparés du troupeau élu; In Is., l x v i , 20,
qui font isolem ent com plet au m ilieu de cette foule; col. 485, dans l ’ autre vie les justes et les pécheurs
plus de pitié de la part de personne; hom il. xx, 1; vivront les uns autant que les autres, car ils sont
xxvH i, 4, ibid., col. 143 sq., 196 sq. : terrible éternité. im m ortels et la punition des pécheurs est éternelle
In ps. vu, 11-12, P. G., t. l v , col. 97 sq., enfer et com m e le bonheur des justes est éternel. Il sem ble
conduite de D ieu sur ce point, preuves de son am our inutile de disculper T héodoret de « m iséricordism e »;
m iséricordieux infini; de m êm e, Ad Stagyrium, i, 3, les increduli du prem ier texte cité sont les païens
4, P. G., t. x l v ii , col. 430 sq., D ieu a perm is qu ’ il incrédules, auxquels parle l ’ évêque de C yr, m ais
y ait des dam nés pour les élus qui m éritent la gloire sans exclure évidem m ent les pécheurs chrétiens.
par la liberté victorieuse du dém on, etc. Les hom é ­ Cf. G arnier, Dissert, de fide Theodoreli, c. vi, P. G.,
lies De pænilenlia, celles In Lazarum et divitem, le De t. l x x x i v , col. 443 sq.
sacerdotio, etc., sont aussi explicites, inculquant la L ’ Église syriaque finalem ent enseigne elle aussi, au
foi, expliquant le dogm e et développant m agistra ­ iv c siècle, le dogm e catholique de fceifer éternel.
lem ent l ’ apologie. A phraate affirm e l ’ éternité de l ’ enfer, Demonst.,
A A ntioche et à C onstantinople, saint Jean C hrysos- xxii, 18; vm , 19, 20; vi, 18, Palrologia syriaca de
tom e prêche donc com m e continuellem ent l ’ enfer aux M sr G raffiti, Paris, 1894, t. i, col. 1028, 396, 400,
chrétiens de cette civilisation grecque raffinée, jouis ­ 309. Le prem ier texte dit : neque impii resipiscent
seuse et souvent corrom pue. regnumque ingredientur·, neque justi peccabunt am­
O n a cru voir l ’ opinion de la m itigation, In Epist. plius ut ad cruciatum abeant. Il adm et l ’ inégalité des
ad Philip., hom il., ni, 4; In Act. Apost., hom il. xxi, peines, les ténèbres, le feu, le ver, xxn, 22,23. Ibid.,
4. V oir M i t i g a t i o n . col. 1032, 1033.
Saint C yrille d ’ A lexandrie, neveu et successeur du Saint É phrcin enseigne aussi ces deux points de
farouche antiorigéniste Théophile, va nous faire dogm e : le second, Opera, R om e, t. ni, p. 243, 637,
constater le triom phe du dogm e de l ’ enfer à A lexandrie 638; Hymni et sermones, t. u, p. 423; le prem ier,
m êm e, dans la prem ière m oitié du v e siècle (j- 444). 11 Opera, t. ni, p. 243; Hymni et sermones, ibid. Les deux
affirm e l ’ éternité du feu et des supplices de l ’ enfer. textes, Opera, t. ni, p. 205; Carmina nisib., l ix , 8,
In ps. x, 6, P. G., t. l x i x , col. 793, il déclare que les ne nient pas l ’ éternité de l ’ enfer, m ais font sim ple ­
m échants qui sont tom bés en enfer n ’ en sortiront m ent une hypothèse im possible. Cf. T ixeront, op.
plus. In ps. xxxv, 13, col. 921; In ps. l x ii , 10, cit., p. 209, 220, 221.
col. 1125; In Is., l v , 11, l.” V , torn, vi, P.G., t. l x x , II. CONTROVERSE ORIGÉNISTE SUR L'ENFER EN OCCI­
col. 1413 : ce supplice éternel est la punition de leurs DENT. — 1° Origénisme. — A partir de 380, l'influence
fautes, et la raison de son éternité est que leur m a ­ d ’ O rigène pénètre en O ccident par saint A m broise
lice ne peut cesser. C yrille applique le texte d ’ Isaïe, qui « rem anie » ses com m entaires, dit saint Jérôm e,
l x v l , 24, littéralem ent à la prise de Jérusalem ; il Epist., x l v i i i , 7, P. L., t. xxn, col. 749; par saint
ajoute que d'autres l ’ entendent de la fin du m onde Jérôm e lui-m êm e, qui traduit les hom élies du grand
et de l ’ époque à laquelle les m échants seront jetés exégète alexandrin. M ais c ’ est surtout R ufin, par la
dans les flam m es éternelles où leur ver vivra tou ­ traduction du De principiis, en 397, qui fait connaître
jours, où le feu est inextinguible. Ibid., col. 1449. aux L atins quelques principes erronés de l ’ origé-
D ans l ’ hom il. xiv, De exitu animi et de secundo ad­ nism e. Le traducteur infidèle supprim a, en effet, les
ventu, P. G., t. l x x v i i , col. 1072 sq., il trace une vive erreurs concernant la sainte T rinité, m ais laissa
im age de l ’ éternité du feu et de Injustice de l ’ enfer, entières celles qui concernaient l ’ eschatologie. L ’ effet
de la dom ination des dém ons, des peines diverses, fut considérable et les esprits furent bientôt boule ­
dam , rem ords, désespoir, ténèbres, dans un lieu sou­ versés. Cf. T ixeront, op. cit., p. 334-336. L ’ origine du
terrain, etc., de la continuité de l ’ éternité de toutes péché, la résurrection, la conversion du dém on et la
ces peines. Sur un point, saint C yrille d ’ A lexandrie restitutio omnium in æqualem statum, te feu m éta ­
sem nle revenir en arrière, lorsque, Advers. anlhropo- phorique de l ’ enfer, voilà ce qui séduisit de très nom ­
morphitas, c. xvi, P.G., t. l x x v i , col. 1104, il affirm e breux prêtres, m oines, surtout hom m es du m onde.
le délai de l ’ enfer : avant la résurrection, il est absurde Cf. S. Jérôm e, Apol. adv. libr. Hufini, i, 6, 7, P.L.,
de croire à une rétribution des justes et des m échants. t. xxiii, col. 419 sq. ; Epist., l k h , 2; l x x x v , 3; cxxvn,
Cf. In Luc., xvi, 19, P. G., t. l x i i , col. 821 sq., m ais 9, P. L., t. xxn, col. 606, 753, 1092; InJonam, ni,
ceci peut s ’ entendre d ’ une rétribution corporelle. 6, etc. ; S. A ugustin, De civitate Dei,}. X X , c. xxn:
V oir S. C y r i l l e , t. ni, col. 2522. 1. X X I, c. IX, 2; x, 2; xvn-xxn, P. L., t. x l i , col. 694,
T héodoret de C yr, vers le m êm e tem ps enseigne le 723,725,731sq. -, Enchiridion, cxn, P. L., t. x l , col. 284.
dogm e intégral de l ’ enfer aux G recs de Syrie. A ux O utre cette influence générale sur une foule ano ­
païens d ’ abord. Grœcar. affection, curatio, c. xi, De nym e qui vraisem blablem ent ne put être qu ’ une
fine et judicio, P. G., t. l x x x i ii , col. 1093 sq. A près petite m inorité relativem ent >à la m asse catholique,
avoir exposé les opinions des philosophes, de Platon il faut rechercher si l ’ origénism e s ’ est introduit dans
surtout dont il cite longuem ent les textes sur l ’ enfer renseignem ent des docteurs et des Pères de ce tem ps,
éternel pour les « incurables », il arrive aux dogm es saint A m broise, l ’ A m brosiaster, R ufin, saint Jérôm e.
sacrés de. l ’ Évangile : le jugem ent, surtout d ’ après Pour saint A m broise, on trouvera un résum é suffisant
M atth., xxv, les sentences de condam nation au feu des divers points de sa doctrine, t. i, col. 950, 951.
et aux supplices éternels pour les incrédules et de Cf. de plusTixeront, op. cit.,p. 347,348; D . J. E . N ie-
75. E N F ER D ’A P R È S L E S P È R E S 76

derhuber, Die Eschatologie des heiligen Ambrosius, col. 360,368 sq. ; Adv. Vigilant., P. L., t. xxn, col. 603 ;
Paderborn, 1907; B illot, De novissimis, p. 58, note 1. Ad Theophil. adv. errores Joan. 1 Heros., Epist., l x x x i i ,
U ne étude détaillée des textes perm et d'affirm er que P.L., t. xxii, col. 740; Ad Pammach. et Océan, de
l ’ évêque de M ilan prêche sur l ’ enfer presque aussi error, origen., Epist.. i .x x x i v , col. 744 sq.; Epist.,
souvent et avec autant de force, sinon de talent et cxxiv , ad Avitum, col. 1061: Apol. adv. Ruf., n, 12,
de vérité intégrale, que son m odèle saint B asile ou P. L., t, xxm , col. 435 ;Dial. adv. Pelag., i, 28, ibid.,
son contem porain saint Jean C hrysostom c. col. 522. D ans ses œ uvres exégétiques, m em es affir ­
L 'A m brosiaster enseigne clairem ent l ’ éternité de m ations insistantes, In Mallh., x, 28; xn, 32; xxri,
l ’ enfer. In Episl. ad Rom., n, 4, 5, P. L., t. xvn, 11, 12; xxv, 10; xxv, 46, P. L., t. xxvi, col. 66. 81,
col. 65; In Episl. Z7 a " ad Thess., i, 6-9, col. 455. Il 161. 185, 190; In Is., v, 14-15; vi, 7, 20; xxxi, 30;
sem ble parler d ’ une restauration des anges déchus, ix, 2-4; xvn, 12, P. L., t. xxiv, col. 84, 218, 224,
In Epist. ad Eph., ni, 10, col. 382, 383; ou du m oins 354,126, 246; surtout In Jonam, ni, 6, P.L., t. xxv,
d ’ une restauration universelle des chrétiens, In Episl. col. 1141, 1142 : l ’ éternité de l ’ enfer pour le dém on
ad Rom., v, 11; In Epist. /*■» ad Cor., xv, 53; m . 10-15; est prouvée par la sainte É criture, par la-nécessité de
In Epist. II‘m ad Tim., n, 20; In Epist. ad Eph., i, la sanction m orale efficace, et par la nature du péché
10, 22, 23, col. 374,376; m ais les textes sont obscurs. et de la vertu. Quæ differentia erit inter Matrem Dei
Cf. T ixeront, op. cil., p. 340; Turm el, Histoire de la et... victimas libidinum publicarum...; si finis omnium
théologie positive, t. i, p. 187. similis est praeteritum omne pro nihilo est quia non
R ufin et saint Jérôm e ont été m êlés aux contro ­ quaerimus quid aliquando fuerimus sed quid semper
verses origénistes nées en O rient. R ufin resta attaché futuri sumus... dogma perversum σύμφραγμα diaboli­
à la m ém oire d ’ O rigène, m ais il ne défendit pas les cum. In Dan., m ,96; iv,23, 33, P. L., t. xxv, coi. 512,
erreurs origénistes pour cela. Saint Jérôm e l ’ ayant 516, 518; In Ezech., xiv, 12, 13 sq. ; xxvi, 19; xv,
suspecté sur l ’ apocatastasis, il s ’ en défend vigou ­ ibid., col. 120-121, 124, 245-246. Tous ces textes ne
reusem ent dans l’invectiva adv. Hier., 1. I, n. 10 sq., renferm ent guère que l ’ affirm ation du dogm e et pas
P. L., t. xxi, col. 547 sq. ; de m êm e dans l’Apoiog. de théologie. B ien plus, ils ne concernent presque
ad Anastasium, n. 5, ibid., col. 625, 626 : Si quis ergo tous que l'enfer des dém ons et des im pies, par oppo ­
negat diabolum adernis'ignibus mancipandum pariem sition aux chrétiens pécheurs. Saint Jérôm e, en effet,
cum ipso a-lcrni ignis accipiat ut sentiat quod negavit, aurait gardé toute sa vie cette tache d ’ origénism e
Cf. Comm, in symbol., n. 47, 48, ibid., col. 385, 386 : qui fut le miséricordisme ou le salut universel des
la restauration du diable est une hérésie; les pécheurs chrétiens. Les textes sont ceux-ci : In Is., l x v i , 24,
absque interitione sua debitas luant poenas; résurrec ­ P. L., t. xxiv, col. 678; Apol. adv. Ruf., n, 7; Adv.
tion pour l ’ im m ortalité dans la peine com m e dans le Jovin.,xt, 30; Epist., exix, 7; Dial. adv. Pelag., i, 28,
bonheur. Il n ’ y a pas de raison pour subtiliser avec P.L., t. xxm , col. 522; In Ezech., xxvi, P. L., t. xxv,
saint Jérôm e sur l ’ insuffisance prétendue de pareilles col. 245, 246. Saint Jérôm e applique à ce sujet une
déclarations. Cf. Apol. adv. Ruf., n, 6, P. L., t. xxm , distinction sur laquelle il insiste fréquem m ent, celle
col. 428; Petau, loc. cil., c. vm , n. 11, p. 117. des impii, incrédules ou apostats, et des peccatores,
Le cas de saint Jérôm e est plus com pliqué. Cf. chrétiens fidèles bien que pécheurs (coupables de
T ixeront, op. cil., p. 341-343; L. Sanders, Études sur péchés m ortels). Cf. Dial. adv. Pelag., i, 28, P. L.,
S. Jérbme, in-8°, B ruxelles, 1903, p. 345-382; Schw ane, t. xxm . col. 544 sq. A ux prem iers,l ’ enfer éternel avec
op. cil., p. 290-295; Petau, op. cil., c. vu, 9-11 ; c. vm , les dém ons; pour les seconds, la question est bien
9, 10; C h. Pesch, Theologische Ziit/ragen, 2 e série, diversem ent traitée. En effet, le prem ier texte s ’ en
p. 190 sq.; B atiffol, loc. cil.; Turm el, op. cil., p. 187. rem et d ’ abord à la science divine qui seule sait quem,
En 394, on s ’ accorde à constater un changem ent quomodo aut quamdiii debeat judicare;puïs, m aintenant
d'attitude chez l ’ exégète déjà célèbre, à 1 ’ égard l ’ éternité pour les dém ons et les im pies, hoc est a fide
d ’ O rigène et de ses erreurs. A uparavant qu ’ était-il? alienos, il déclare que les pécheurs restés chrétiens,
Sim ple adm irateur du génie d ’ A lexandrie qu ’ il quorum opera in igné probanda sunt atque purganda,
m ettait copieusem ent à contribution, citant m êm e moderatam arbitramur el mistam dementite sententiam
ses com m entaires eschatologiques erronés, ou de plus judicis. L ’ annotateur de A ligne, loc. cil., et Ch. Pesch,
partisan des idées m êm es, contenues dans ces cita ­ Præl. theol., t. ix, p. 310, 311, veulent sous-entendre
tions? Les principaux textes incrim inés sont InEpisl. «pécheurs chrétiens,supposés convertis» ; m ais, com m e
ad Eph., π, 7; iv, 16, P. L., t. xxvi, col. 463, 503; le rem arque Petau, loc. cit., il s ’ agit dans le contexte
In Eccl., i, 15, P. L., t. xxm , col. 1017, 1024; In des supplices éternels niés par les origénistes; et c ’ cst
Habac., in. 2, P. L., t. xxv, col. 1310; In Epist. ad de leur application que discute saint Jérôm e. Le
Gai., v, 22, P. L.,t. xxvi, col. 367 sq. Saint Jérôm e dialogue antipélagien sem ble im poser le m êm e sens et
lui-m êm e répondit à R ufin qui les lui jetait à la face : rejeter le m êm e sous-entendu : O rigène voulait le
ce ne sont que des citations, conform em ent à m a salut de toutes les créatures raisonnables; m ais nous
m éthode exégétique, Apol. adv. Ruf., i, 24, 26, P. L·., diabolum el satellites ejus omnesque impios et prœva-
t. xxm , col. 418; et on peut, sem ble-t-il, s ’ en tenir là, ricatores dicimus perire perpetuo, et Christianos, si in
car dans les com m entaires de la m em e époque, il a des peccato prieventi fuerint, salvandos esse post poenas.
passages très orthodoxes. Cf. In Eccl., vu, 16, P. L., A illeurs, il est vrai, l'illustre exégète envoie en enfer
t. xxm , col. 1066; n, 16;, iv, 9-12; ix, 4-6; xi, 3, avec l ’ É criture tous ceux en qui n ’ habite pas le
col. 1031, 1047,1081, 1082, 1102, qui renferm ent des C hrist, In Eccl., iv, 9, 12, P. L., t. xxm , col. 1047:
affirm ations explicites de l ’ éternité de l ’ enfer. Cf. In qui, sous le. nom chrétien, ne portent pas la robe nup ­
Epist. ad Gal., I, 8, P. L., t. xxvi, col. 319, 320. O n tiale, In Mallh., xxtt, 11,12, P. L., t. xxvt, col. 161 ;
peut adm ettre une com plaisance exagérée pour le In Is., v. 14,15, P. L., t. xxiv, col. 84. Sur In Is., xxiv,
m aître génial que fut O rigène et des citations sans 21 sq., voir M i t i g a t i o n ; pour In Is., l x v i , 24; In
correction suffisante. Eph., v. 6: Epist. ad Ανϋ.,η. 7, voir F e u . Q uelques-
E n tout cas, après l'intervention de saint É piphane uns voient une certaine dilation pour les dam nés dans
à Jérusalem , saint Jérôm e, se pose en antiorigéniste In Dan., v u , 9 ;Epist., xxxix, 3; In Luc., xvi.
ardent; il poursuit les idées et les personnes, spécia ­ La lutte violente term inée, tous les nuages ne
lem ent Jean de Jérusalem et R ufin pour celles-ci, furentpasdissipés.L ’ orthodoxie com plète dom inepar
et l'apocatastase universelle pour celles-là. Cf. Liber sentim ent traditionnel dans les auteurs secondaires,
adv. Joan. Hierosol., n. 7, 17 sq., P. L., t. xxm , saint Pacien de B arcelone, Pareen. ad pæn., 11, 12,
77 E N F ER D ’ A P R È S L E S P È R E S 78

saint Paulin de N ôle, Carmen, i, ad Deum, v. 133; ou pense que la peine des démons et des impies ne sera
Epist., XL, ad Sanct. et Amand.; Poem., xxxv, De pas éternelle, qu’elle aura une fin et qu'il se produira alors
obilu Celsi, v. 460 sq., etc.; Prudence, Hamarligenia, une άποχατάστασ ’. ν des démons et des impies, qu'il
v. 890-904, etc. C ependant on trouve clairem ent soit anathème. L ’ édit fut signé par le synode de Con ­
exprim ée une idée de m itigation dans Prudence, stantinople de 543, par tout l'O rient, par le pape V i­
Cathcmerinon, hym . v, ad incens. cer. pasch.,v. 128- gile, enfin on peut dire, grâce aux soins de Justinien,
139, et puis surtout et toujours des idées d'univer ­ partout le m onde chrétien. C ’ est bien une condam na ­
salism e restreint. Cf. O rose, De arbitr. libert., 16; tion officielle et infaillible. Le m êm e synode de 513
Commonitorium, 3; saint Jérôm e et la foule ano ­ fut probablem ent l ’ auteur des 15 anathèm es contre
nym e dont parle plusieurs fois saint A ugustin. O rigène, qu ’ on a attribués parfois au V e concile
2° Éclaircissements. — Saint A ugustin fit enfin en œ cum énique de C onstantinople (553); le 1 er , con ­
O ccident la lum ière à peu près com plète sur le dogm e, dam ne la m onstrueuse apocatastase, τερατώδη άποχ α ­
résum a l ’ apologétique et com m ença, en la poussant τά στάσιν; le 5 e , la circulation des âm es aux divers de ­
plus loin qu ’ aucun autre Père, la théologie de l ’ enfer. grés du bien et du m al; le 12 e , l ’ uuification finale
T out cela a déjà été exposé en un bon résum é, t. i, universelle dans le Logos de D ieu et de m êm e le der ­
col. 2443-2445, 2450-2452. Saint A ugustin prouve nier. D enzinger, n. 187, sq., supprim és dans la 1 0 e édit.
l ’ existence de l ’ enfer par l ’ É criture surtout et aussi Le V e concile œ cum énique condam na certainem ent
par quelques argum ents de raison; il en donne les O rigène in globo, can. 11, D enzinger-B annw art,
fins providentielles en le m ettant en rapport avec n. 223; s ’ occupa-t-il aussi des 15 anathèm es susdits?
les attributs divins; il dissipe le dernier reste d ’ uni ­ C ’ est très douteux; ils furent pourtant publiés avec
versalism e origénistc, le m iséricordism e restreint; il les actes du concile; et les trois conciles œ cum éniques
étudie la nature des peines de l ’ enfer : dam , alienatio suivants, V I e de C onstantinople, 680, V II e de N icée,
a vita Dei, et peine du sens, ver m étaphorique, feu 787, V III e de C onstantinople, 869, renouvelèrent la
réel torturant les corps et les esprits, com m ent ? condam nation d ’ O rigène en se référant au V e concile
miris tamen veris modis; graduation depuis l ’enfer des de 553. Pour plus de détails, voir O k ig è n e et O r i g é -
enfants m orts sans baptêm e jusqu ’ à celui de Satan. n is m e . M ais il faut rem arquer que la controverse ori-
Q uelques points restent indécis et obscurs chez saint géniste était alors devenue surtout cschatologique.
A ugustin : l ’ état des âm es jusqu ’ au jugem ent der ­ Il est bon d ’ observer enfin que l ’ éternité de l'enfer
nier; toute m itigation certis temporum intervallis,pas a toujours été de foi catholique explicite dans l ’ Église,
assez franchem ent repoussée, bien que non adm ise; bien que non de foi définie, avant la controverse origô-
quels péchés pourront être rem is dans l ’ autre vie, dif­ niste; l ’ apocatastase d ’ O rigène était donc hérétique,
ficillimum est invenire, periculosissimum est definire, bien qu ’ O rigène. lui-m êm e n ’ ait été sans doute que
enfer des enfants m orts sans baptêm e, etc. m atériellem ent hérétique.
III. L b DOGME DÉFINI DE I.’ ENFER ÉTERNEL. — 2° Époque de transition. — 1. En Orient. — A u
1° La définition.— Le trouble plus ou m oins général m ilieu du dernier conflit origénistc, vers 534, Énée
causé par forigénism e, était bien calm é définitive ­ de G aza publia son Theophrastus ou de l ’ im m ortalité
m ent vers le m ilieu du v« siècle. O n a cru trouver, il de l ’ âm e, si célèbre au m oyen âge. O n y trouve de
est vrai, dans le pseudo-D enys l'A réopagite, des beaux développem ents sur les sanctions m orales et
tendances universalistes, avec sa théorie m ystique du la justice de D ieu, la réfutation de la m étem psycose,
retour de toutes choses à l ’ unité, έπιστροφή; m ais spécialem ent com m e châtim ent de vies antérieures;
pour la foi des Églises, ce vague néoplatonism e ne la liberté, le péché et la providence; enfin et consé ­
tirait pas à conséquence et pouvait être com pris en quem m ent l ’ existence, et la raison des supplices
un sens orthodoxe. U n autre petit groupe d ’ origé- éternels de l ’ enfer, P. G., t. i.xxxv, col. 944; l'âm e
nistes universalistes fit plus de bruit et occasionna des m échants doit être im m ortelle pour la sanction
ainsi une définition solennelle du dogm e de l ’ enfer de ses péchés, quand elle est tom bée au fond de
éternel. Cf. l ’ ouvrage classique sur la m atière de l ’ enfer, elle n ’ en sortira jam ais. Cf. col. 984 sq. V ers
D iekam p, Die origenistichen Streitigkeiten im vi 553, Théodore, évêque de Scythopolis, écrit une lettre
Jahrlmndcrt, in-8°, M unster, 1899; Prat, Origène et touchante aux patriarches de l ’ O rient pour rétracter
l’origénisme, dans les Éludes, janvier 1906, t. cvi, publiquem ent ses opinions origénistes : préexistence
p. 13 sq. ; H efelc, Histoire des conciles, trad. Leclercq, et restitution; il les condense en 12 propositions qu ’ il
Paris, 1908, t. n, avec les notes érudites du traduc ­ anathém atise. V oir spécialem ent, P. G., t. l x x x v i ,
teur. p. 1174-1196; Schw ane, Histoire des dogmes, col. 233, 236. A ussi vigoureuse condam nation des
Paris, 1903, t. m , p. 298-302. m êm es erreurs dans le traité intitulé : Sancti Barsa-
Le conflit com m ença, vers 520, parm i quelques nuphii doctr ina circa opiniones Origenis.Evagrii et Di-
m oines de Palestine. Il y eut des violences répétées dijmi, et qui a dû sortir vers le m êm e tem ps de quelque
entre origénistes et antiorigéiïistes dans certaines m onastère palestinien, P.G., t. l x x x v i , col. 892 sq.;
lanres. D eux origénistes ayant été élus évêques, au la condam nation est à la fois dogm atique et ascétique;
m ilieu des intrigues de cour, D om itien à A ncyre et le « frère inquisiteur» qui pose des difficultés objecte
Théodore A skidas à C ésarée de C appadoce, puis le entre autres l ’ autorité de saint G régoire de N ysse.
m oine édessénien É tienne B ar Sûdaili ét an t venu dans Encore, au m ilieu du V I e siècle, Léonce de B yzance,
lescouvents palestiniens prêcherune sorte d ’ apocata- le prem ier théologien de son tem ps (M ai), réfuta aussi
stase panthéiste et d ’ absorption dans le Logos de D ieu l ’ apocatastase origéniste dans ses Scholia ou De
(secte des isochristes), les antiorigénistes effrayés sectis, act. x, n. 6, P. G., t. l x x x v i , col. 1265 sq. A la
recoururent à l ’ em pereur Justinien; Pélagc, repré- fin de ce siècle, saint Jean C lim aque prêche la m édi­
sentant du pape, et M énas, patriarche de C onstan- tation du feu éternel. Scala paradisi, grad, m , P. G.,
tinople, appuyèrent la requête et préparèrent pour t. l x x x v i i i , col. 664; grad. v, col. 764, avec, m alédic ­
l'em pereur une liste des erreurs origénistes. L à- tion de l ’ im pie doctrine d ’ O rigène; et au com m ence ­
dessus, Justinien donna son fam eux édit contre m ent du vu ’ siècle, D orothée, abbé en Palestine
Orr ne, entre 538-543, qui rejette en particulier la Doctrina, xn, 1-5, et De timoré et pœnis inferni, P. G..
théorie de (’ apocatastase et la réfute, spécialem ent t. l x x x v i i i , col. 1748 sq., fait de m êm e et donne un
par la tradition. bon résum é du dogm e de l ’ enfer et de ses supplices,
I édit se term inait par 10 anathèm es, D enzinger- avec une discussion pour savoir si les dam nes se
B annw art, n. 203 sq.; le neuvièm e dit : quiconque dit rappellent tous leurs péchés, in specie ou in indi-
79 E N F ER D ’ A P R È S L E S PÈRES 80

viduo. Parm i les quæstiones, pas toutes authen ­ pour rO ricnt. Son résum é est suffisam m ent com plet,
tiques, du zélé polém iste, A nastase le Sinaïte, fin De fide orthodoxa, 1. Il, c. iv, P. G., t. xciv, col. 877;
du vu ” siècle, la xc° expose som m airem ent l ’ état il indique d ’ abord l ’ im m utabilité de l ’ ordre ullra-
des âm es actuellem ent dans l ’ au-delà et déclare que terrestre pour les m échants; 1. IV, c. xix, xxi, il donne
le paradis ou l ’ enfer sont éternels. P. G., t. i.xxxix, les principes généraux de la perm ission du m al
col. 721. La question suivante expose la théorie de éternel; enfin le c. xxvn et dernier, col. 1228, con ­
la dilation; contre l ’ apocatastase,il rappelle les déci­ dense le dogm e de la vie future : existence pour le
sions conciliaires, Vite dux, c. v, col. 101, et fait quel ­ corps et pour l ’ âm e, pour les justes et pour les pécheurs,
ques bonnes rem arques de critique traditionnelle et en quelques lignes, le jugem ent, le feu éternel.
contre les origénistes qui invoquaient pour leur «resti ­ C ela est abondam m ent développé ailleurs. V oici
tution » les deux saints G régoire de N azianze et de d ’ abord une très copieuse théologie positive de
N ysse, c. xxn, col. 289 sq. ; la q. xxn, col. 536 sq., l ’ enfer : É criture sainte et tradition grecque, dans les
prouve par la raison, l ’ É criture et la tradition (textes Sacra parallela, litt. A , tit. xn, De impiis... et eorum
de D eny s l ’ A réopagite. des C onstitutions apostoliques, suppliciis, P. G., t. xcv, col. 1148; tit. xv, De
de saint É piphane, de saint C hrysostom e), que la resurrectione, judicio el poena ælerna, col. 1176 sq. ;
prière pour les m orts n ’ est pas pour les im pies et les litt. M , lit. tv; litt.© , tit. vt,De infernorum statu, P.G.,
pécheurs dam nés. Saint M axim e le C onfesseur, le t. xevi, col. 28; 1. il,De loco et descriptione inferni,
plus grand théologien sans doute de l ’ Église grecque P. G., t. xevi, col. 436 sq. Parali, llupefucald., lilt. A ,
au vn" siècle, a été accusé d ’ origénism e universaliste, tit. l x x i , coi. 484, des sanctions futures éternelles,
com m e son m aître préféré le pseudo-D enys. V oici récom penses et supplices; tit. l x x i i i , De terribili
quelques-uns de ses principaux textes sur la ques ­ resurrectione, col. 485 sq.; citation surtout d ’ A ntipater
tion. Quœst. ad Thalassium, q. xi, P. G., t. xc, deB ostra qui à la fin du v e sièclc avait écrit une longue
col. 292, ex professe sur l ’ enfer des dém ons : œterna réfutation de l'Apologie d ’Origène de Pam phile-
vincula : eorum voluntatis est atque animi omni ex Eusèbc. Le com pilateur de D am as condense sa
parte jugisque circa bonum motus absentia ac inertia; théologie spéculative sur l'enfer dans le Dialogue
ex qua est ut divina nunquam jucunditatis fiant com­ contra manich., P. G., t. xciv;lcs n. 33-50, col. 1540,
potes; caligo, c ’ est l ’ absence de tout bien divin en 1549, étudient avec profondeur les rapports de
eux; judicio reservati, ce sont les supplices que la l ’ enfer avec les attributs divins, prescience, justice,
sentence divine in saecula nullum unquam finem bonté; de m êm e, n. 68-75, col. 1564-1573; la théodicée
habitura, prononcera contre eux. Cf. q. l i x , l x i . chrétienne a peu ajouté depuis à ccs vigoureux déve ­
D ans Quœst. et respons., q. x, le feu purificateur est loppem ents; rem arquons seulem ent que le théologien
dit réservé aux seuls possesseurs de virtutes peccatis C hrysorrhoas, n. 75, donne, com m e dernière expli­
commistas, col. 792. D es Loci communes, le serm on cation de l ’ enfer, l ’ obstination des dam nés, ex condi­
m , P. G., t. xci, col. 956, donne une citation de
i. tione naturœ. Deus in omnes bona profundit... Post
C lém ent très explicite sur l ’ enfer éternel et sans fin; mortem vero nec conversionis, nec pænilcnliæ locus est.
cf. Scrm., xr.v, de juturo judicio; m ais surtout les Non quod Deus pænitentiam non suscipiat (neque
Epist., i, iv, v, xxiv, xi.m , P. G., t. xci, col. 364, etc., enim seipsum negare potest), nec miserationem suam
on ne peut plus explicites sur l ’ éternité de diverses abjicit, sed conditio animae est quæ converti nequeat...
peines de l ’ enfer, puissam m ent décrites, avec profon ­ Sicut enim dæmones post lapsum non resipiscunt neque
deur et com préhension, et toujours avec le terrible in etiam angeli nunc peccant, sed ulrique hoc habent ut
sempiternum, juges, semper, nunquam finis, nulla spes nulla in ipsos mutatio cadat, sic homines post obitum.
evadendi, exspectent nihil, interminabilibus in per­ Saint Jean D am ascènc n ’ a pas adm is la réalité m até ­
petuum suppliciis; VEpist., i, en particulier (sermo rielle du feu de l ’ enfer. V oir F e u . C ’ est enfin son auto ­
epistolaris), est un des plus beaux serm ons de l ’ anti­ rité, qui, par l ’ hom élie D e iis qui in fide dormierunt, à
quité sur l ’ enfer. A côté de cela, on signale quelques lui faussem ent attribuée, a fourvoyé tout le m oyen
passages am bigus, Quœst. et rcsp.,q. l x x ii i , sur ICor. âge dans la discussion de la délivrance m iraculeuse
in, 13-15, et principalem ent q. xm , qui traite direc­ des dam nés : histoire de la délivrance de T rajan par
tem ent de l ’ apocatastase de saint G régoire de N ysse. saint G régoire le G rand, etc., si bien que plus tard
L ’ Église, dit ce pa sage, P. G., t. xc, col. 845 sq., B enoît X II ne définira l ’ enfer éternel pour tous les
connaît (reconnaît) une triple apocatastase : la pre ­ hom m es m orts en péché m ortel que secundum Dei
m ière individuelle par la pratique accom plie de la ordinationem communem. V oir plus loin.
vertu; la deuxièm e, naturœ universalis, par la résur ­ 2. Époque de transition enOccidcnt. — D ans la déca ­
rection qui im m ortalisera et rendra tout incorrup dence des études qui va du m ilieu du V e siècle au
tible; la troisièm e, enfin, et c ’ est celle de G régoire de xi« siècle, se poursuivent d ’ abord quelque tem ps,
N ysse, est la restitution, qua animi vires quæ peccato bien que sur un terrain dim inué, les grandes contro ­
succubuerant, in pristinum illum restituantur in quo verses de l ’ âge précédent, en particulier celle de
conditæ erant. La résurrection, en effet, restaurera l ’ origénism e, sous form e de m iséricordism e, com m e
la nature; de m êm e les puissances de l ’ àine viciées l ’ a appelé saint A ugustin. Les « m iséricordieux » ne
devront, pendant la longue durée des siècles, perdre sontplus qu ’ une foule plusou m oins vague et anonym e.
cette vitiositas, cunctisque separatis sæculisnecrequiem C ontre eux, est écrite, vers 430. l ’ année de la m ort de
aliquam nactum. ad Deum qui fine caret venire; ainsi il saint A ugustin, l’Episl. De malis docloribus et operibus
sera clair que le créateur n ’ était pas l ’ auteur du péché. fidei et de judicio juturo, tout entière, dans C aspar!,
Le texte est obscur. E st-ce, jusqu ’ au bout, sim ple llrieje, Abhandlungen und Predigten, in-8°, C hris ­
citation de l ’ opinion de l ’ évêque de N ysse, ou doc ­ tiania, 1890, p. 67 sq. ; vigoureuse réfutation de la
trine absolue? et, dans ce dernier cas, s ’ agit-il de la théorie du salut sans les œ uvres chrétiennes, au nom
restitution universelle de tous les hom m es ou de la delà raison, πι -vi, p. 70 -74 ; de l ’ É criturc sainte, vn-xi,
restitution totale de chaque hom m e sauvé dans le sens p. 75-85; xv-xvi, p. 94-100, solution des difficultés
du Deus omnia in omnibus de saint Paul ? V u les classiques.
autres textes cités plus haut, en plus des raisons intrin ­ Saint C ésaire d ’ A rles appelle encore, fin du v e siècle,
sèques. le sens hérétique nous sem ble devoir être cer ­ les m iséricordieux multi. Serm., civ, dans les Opera
tainem ent écarté. S. Augustini, P. L., t. xxxrx, col. 1946. Sa réfuta ­
Le théologien com pilateur, saint Jean D am ascène, tion tend à expliquer le texte principal de la contro ­
au vm e siècle, résum e le développem ent du dogm e verse, I C or., ni, 11-15 : si quis su peraedificat ...salvus
81 E N F ER D ’ A P R È S L E S P È R E S 82

cril quasi per ignem; le prédicateur populaire distingue t. l , coi. 833 sq. ; de m êm e l ’ hom il. i, de V alérien
nettem ent les capitalia peccata et les minuta, seuls pu ­ de C em ehim , P. L., t. l u , coi. 691 sq. Parm i les pré ­
rifiés par le feu de l ’ au-delà;et m êm e, ce que n ’ avait dicateurs, saint Léon le G rand, Serm., vin, P. L.,
su faire saint A ugustin, il détaille assez longuem ent t. i.iv, col. 160 sq. ; Serm., xxxv, col. 252; Fauste de
ces deux espèces de péchés. Le 1. I du Prœdestinalus R iez, Serm., iv, P. L., t. l.vm , col. 876 sq. ; saint
(m ilieu du v° siècle, peut-être d ’ A rnobc le Jeune), Pierre C hrysologue, Serm., l x v i . c x x i - c x x iv , De di-
dans sa liste de 90 hérésies, inclut, au n. 13, l ’ apoca- vite et Lazaro, P. L., t. l u , col. 386, 529 sq. ; Serm.
tastase interpolée dans les livres d ’ O rigène, P. L., xcvi, De zizaniis, col. 469; le fam eux Serm ., cv, sur
t. l u i , col. 600. G ennadc de M arseille, De eccl. dog­ les fêtes du jour de l ’ an : qui jocari voluerit cum dia­
matibus, c. ix, P. L., t. i.vm , col. 983, rappcik· , lui bolo, non polerit gaudere cum Christo; saint C ésaire
aussi, la restitutio quam delirat Origenes. Enfin d ’ A rles, le grand orateur populaire de l ’ ancienne
l ’ abbé Eugippius, au com m encem ent du v i' siècle, Église latine, Serm., l .x v i i i , l x i x , l x x v i i , l x x v i ii ,
popularise les enseignem ents de saint A ugustin sur c iv , etc., P. L., t. xxxix, col. 1875 sq.; t. l x v i i ,
l ’ enfer avec ses textes, dans ses Excerpta ex operibus col. 1080.
S. Augustini, qui eurent tant de vogue au m oyen âge, Tous ces nom s sont éclipsés par saint G régoire le
C. XXXII, XCIX, CXLIt-C.I.II, CCXXVIII, P. L., t. LXII, G rand. Il dit, en effet, le dernier m ot sur les contro ­
col. 625 sq., 710, 783-801, 889. verses qui viennent de m ourir; il donne la grande
Pendant ce tem ps, les autres m aîtres de la vie im pulsion chrétienne au m oyen âge; il condense la
chrétienne continuaient à exposer le dogm e, y ajou ­ doctrine m orale des Pères pour l ’ usage des nouvelles
tant çà et là quelques réflexions personnelles, en générations; tout cela en particulier pour l ’ eschato ­
général de peu d'im portance. Salvien, dans un but logie infernale. Il réfute d ’ abord vigoureusem ent un
apologétique et pour appeler le m onde rom ain à la dernier reste d ’ origénism e : délivrance par le C hrist
pénitence, De gubernatione Dei, 1. IV. η. 8, 1. V III, des âm es qui voulurent croire en lui lors de sa des ­
η. 1, P. L., t. l u i , col. 78, 79,153; C laudien M arner! en cente aux enfers; son argum ent est tiré de l ’ absurdité
philosophie, De statu animie. 1. III, t. vin, xi, P. L., du m iséricordism e, Epist., 1. V II, epist. xv, P. L.,
t. l u i . coi. 768, 773. Fulgence de R uspe, le plus grand t. l x x v i i , col. 869; ailleurs la vraie théorie des con ­
théologien latin du vi' siècle (t 533), résum e le dogm e ditions du salut est fréquem m ent répétée, par exem ple,
de m ain de m aître. De fide aii Petrum, en particulier Dial., 1. IV , c. xxxix, P. L., t. l x x v i i , col. 396. Sur un
celui de l ’ enfer ; n. 31, P . L.. t. l x v , col. 687 sq., péché et autre point, la doctrine de l ’ enfer doit beaucoup à saint
supplice des anges in eodem instanti, feu éternel dans G régoire; en O ccident jusqu ’ à saint A ugustin et au-
lequel nec mala voluntate possint unquam carere, nec delà, jusqu ’ aux derniers auteurs ici énum érés, l ’ état
poena, sed permanente in eis injustæ aversionis malo, des dam nés im m édiatem ent après la m ort est très
permaneat etiam juslte retributionis «terna damnatio; obscurém ent exprim é lorsque des doctrines de délai
n. 33-36, enfer des hom ines dam nés : sont dam nés ne sont pas explicitem ent affirm ées; saint G régoire
tous ceux qui m eurent en état de péché m ortel, car m et fin à ces fluctuations par ses enseignem ents très
cette vie est l ’ unique épreuve m orale; obstination nets sur l ’ entrée im m édiate des dam nés en enfer
naturelle de la volonté dans le m al dans l ’ autre vie. après la m ort, Dial., 1. IV , c. xxvm , P. L., t. l x x v i i ,
in supplicio ignis telerni... nullam ulterius habebunt col. 365 : sicut electos beatitude lætificat, Ha credi ne-
requiem... bonam nullatenus habere poterunt volun­ cesse est quod a die exitus sui, ignis reprobos exurat.
tatem; cf. n. 39, 40, et parm i les Regulas fidei, n. 69, C ’ est lui aussi qui a le plus contribué à im poser à
70. sur le jugem ent de la vie éternelle, n. 79, 81, sur l ’ O ccident le réalism e du feu de l ’ enfer. Dial., 1. IV,
les damnandi, spécialem ent tous les fidèles de l ’ Église c. xxix ; Moral., 1. X V , c. xxix. Pour le reste, saint
catholique, s ’ ils sont pécheurs à la m ort. G régoire ne fait qu ’ exposer, et il le fait excellem ­
En Italie, B oèce ne s ’ occupe guère que de philo ­ m ent, le dogm e catholique; surtoutD ia/., l.IV , c. xi.ir-
sophie et n ’ aurait parlé de l ’ enfer que dans le traité : x l v , P. L., t. l x x v i i , col. 400-405 : lieu de l ’ enfer,
Prévis fidei complexio, s ’ il est authentique, P. L., pas de certitude, le plus probable, c ’ est qu ’ il est
t. l x iv , col. 337, 338; rien dans le De consolatione sub terra; inégalité des peines dans un m êm e feu;
philosophise, dont le 1. IV fait pourtant la théodicée éternité, les paroles de Jésus-C hrist ne sont pas de
du bien et du m al. U n peu plus tard, C assiodoré re ­ sim ples et vaines m enaces; justice de cette éternité,
tourne dans son De anima, c. xn, P. L., t. l x x , car le pécheur s ’ attache au péché pour l ’ éternité;
col. 1302, à la considération philosophique de l ’ enfer : D ieu bon ne se plaît pas au châtim ent, m ais à la
Dolor sine fine, poena sine requie, afflictio sine spe, justice des supplices des im pies ; utilité de l ’ enfer pour
malum incommutabile. Cf. son Expositio in Psal­ les hom m es ici-bas, et pour les élus au ciel; im m u ­
terium, In ps. ix, 16, col. 84, 85; en enfer, il n ’ y a tabilité dans le m al, d ’ où plus de pitié pour les
pas que la peine intérieure, m ais encore extrinsecus dam nés : ce sont tous textes exploités par la scolas ­
pœnale malum; In ps. l x x x v i , 13, lieu de l ’ enfer tique. Cf. c. xxxm cl xxxv, de la connaissance
sous terre, col. 615. m utuelle des dam nés; c. xxxvi : apparitions des
M ais le grand effort des m aîtres des v° et vi° siècles dam nés, col. 381-385; Moral., 1. IX , c. l x i ii - i .x v i ,
est tout tourné à la vie pratique, tout appliqué à longue description détaillée des peines positives de
faire vivre la doctrine chrétienne soit par les ascètes l ’ enfer, P. L., t. i.xxv, col. 911-916 : sobre, assez com ­
que la ruine du m onde ancien précipite nom breux plète, etc. V oir les index de M igne. C om m e idée
dans la vie religieuse, soit par le nouveau m onde en générale, il est clair que, pour le grand pape de la fin
form ation pendant et après les invasions des bar ­ du vi e siècle, il n ’ y a pas de consolation ni de bien en
bares. Le dogm e de l ’ enfer tient évidem m ent une enfer, m ais le m al et la souffrance tout seuls et à un
large place dans cette prédication. Parm i les ascètes, degré incom préhensible. V oir plus loin.
citons Jean C assien, Coll., I, c. xiv, P. L., t. xux, A près saint G régoire, com m ence l ’ époque des com ­
col. 499 sq. et passim; Julien Pom ère. De vita con­ pilateurs encyclopédistes, sim ples transm etteurs. Sur
templativa, 1. Ill, c. xn, de fuluro judicio vel telerni- l ’ enfer, on répété saint A ugustin ct saint G régoire.
tatc supplicii ac de qualilate gehennæ, P. L., t. i.ix, Inutile de relever ces travaux, qui eurent leur in ­
col. 491 sq., continuus gemitus, cruciatus «ternus, dolor fluence com m e canaux, m ais pas plus; la prédication
summus, poenalis sensus torquent animam, non extor­ continue aussi évidem m ent à secouer les consciences
quent, puniunt corpora, non finiunt; saint E ucher par la crainte de l ’ enfer. I.es écrivains s ’ occupent
de Lyon, Homil., i, ad monachos, sur l ’ enfer, P. L., surtout de quelques points de détail avec insistance :
83 E N F ER D ’ A P R È S L E S T H É O L O G IE N S 84

m itigation et suffrages, voir M i t ig a t i o n ; et m êm e, l ’ initiateur, saint Thom as conduit le traité à son achè ­
après Jean le D iacre (ix'sièclc), délivrance de l ’ enfer, vem ent; dans la synthèse théologique, nous citerons
voir plus loin; feu et ténèbres : est-ce que le feu de assez souvent le docteur angélique. A u point de vue
l'enfer éclaire, en sorte que les dam nés puissent se de la systém atisation, saint Thom as traite séparé ­
voir? est-ce qu ’ ils voient la gloire des bienheureux? m ent de l ’ enfer des anges, Sum. theol., I*, q. l x iv , et de
est-ce qu ’ ils conservent la m ém oire et la science, la l ’ enfer des hom m es, Illæ Supplem., q. i . x ix sq., tiré
raison (folie)? société des dém ons et des dam nés, hor ­ com m e l ’ on sait de I In IV Sent.,1. IV , dist. X LIV sq·
rible guerre perpétuelle, état des corps dam nés, m ala ­ C ’ est pourquoi tant de théologiens postérieurs, com ­
dies, infirm ités, laideurs, douleurs intérieures, confu ­ m entant saint Thom as, traitent surtout de l ’ enfer
sion, ennui, désespoir; com m ent l ’ enfer est une m ort dans le De angelis, par exem ple, Suarez, les Sal-
perpétuelle; réalism e ou sym bolism e du vermis, du m anticenses, B illuart, etc., de m êm e Petau; au
fletus et stridor dentium ; m odes de distribuer les peines xix° siècle, Perronc, M azzella ajoutent le De inferno
inégales d ’ après les espèces de péchés; enfin les raisons au De Deo creante, de homine. M ais, en général,
de l ’ enfer éternel : raisons de finalité; raison psycho ­ les théologiens récents ont enfin détaché en traité
logique ex aeternitate culpæ, le plus souvent. Cf. spécial tout le De novissimis, avec son De inferno,
Index, t. ccxx de M igne, col. 244-217 : nom breuses pour en faire le dernier traité delà théologie.
citations pour cette époque. Signalons seulem ent A près saint Thom as, les opinions ne diffèrent guère
quelques traités consacrés plus spécialem ent à la que sur trois points au sujet de l ’ enfer : le m ode de
théologie de l ’ enfer. S. Isidore de Séville, Sent., 1. I, l ’ action du feu de l ’ enfer, la raison de l ’ éternité du
c. x x v ii i - x x i x . De gehenna et de pcenis impiorum; supplice et de l ’ obstination des dam nés dans le m al. la
i. IIT, c. l x i i .D c exila, P. L., t. l x x x i ii , col. 597-599, m itigation, dont il sera question dans trois articles
736-738; S. Julien de Tolède (au vin 0 siècle), Pro- spéciaux. V oir F e u , M i t i g a t i o n , O b s t in a t i o n .
gnosticon luturi suculi, le prem ier traité spécial De Sur le reste de la doctrine, il n ’ y a rien de spécial à
novissimis, assez bien ordonné et assez com plet pour signaler, et, pour éviter d ’ inutiles répétitions, on
l ’ enfer, m ais peu profond; solutions surtout avec des trouvera dans la synthèse théologique les principales
textes de saint A ugustin et de saint G régoire, P. L., opinions et les principaux auteurs qui ont contribué
t. xc.vi, col. 461-524; Taion de Saragosse, dans à développer la théologie intégrale de l ’ enfer.
sa Som m e, Sent., I. V , c. xx, xxix-xxxm , P. L.,
t. l x x x , col. 974-990. IV . E N F E R D ’ A P R È S L E S O P IN IO N S E R R O N É E S . —
Il ne s ’ agit ici que des erreurs répandues dans le
III. E N F ER D ’ A P R È S L E S T H É O L O G IE N S . — O n m onde chrétien. Pour plus de sim plicité, nous les
trouve de la théologie de l ’ enfer, dans les Pères, spé ­ rangerons suivant l ’ ordre logique.
cialem ent chez saint A ugustin Jet saint G régoire le 1° Contre l'existence de l’enfer éternel. — 1. B ien
G rand; m ais elle est fragm entaire et rudim entaire que la négation de l'enfer ait été souvent, et soit
ou superficielle. En O ccident, au xn° siècle, on com ­ m aintenant de plus en plus répandue sous l ’ une ou
m ence à exam iner plus profondém ent et plus m étho ­ l ’ autre de ses form es générales, nous n ’ avons pas à
diquem ent les questions De novissimis. Cf. Schw anc, exposer ici l ’ évolution du pessim ism e absolu, ni du
op. cil., t. v, p. 221-228; T unnel, op. cil., p. 356 sq. m onism e m atérialiste, ou panthéiste, ni du scepti ­
H ugues de Saint-V ictor, le prem ier, introduit cism e subjcctiviste, phénom éniste, etc. (théories gé ­
systém atiquem ent dans sa synthèse théologique le nérales et destinées). V oir M a l . H enri M artin, op.
De in/erno. De sacram, fidei, 1. II, part. X V I, De fine cil., p. 234-287, a fait une étude développée et très
hominis, c. in-v, De pcenis animarum; De locis poena­ suggestive de ces erreurs m odernes au point de vue
rum; De qualitate tormentorum gehennalium, P. L., eschatologique. N otons seulem ent ce que K ant
t. c l x x v i , coi. 584 sq. D ’ ailleurs, à peu près rien de croyait tirer de sa raison pratique au sujet de l ’ en ­
personnel et d ’ ajouté à la tradition; à signaler quel ­ fer. C ette raison postule l ’ im m ortalité pour que
ques opinions, restes de vieilles obscurités : les dam ­ l ’ âm e (autre postulat de la raison pratique) reçoive
nati minus mali ne sont peut-être pas encore en de D ieu récom pense ou punition. M ais la question
enfer; les dém ons peuvent avoir des corps éthérés de la nature de cette sanction est puérile, car qui
pour souffrir du feu ; le théologien de Saint-V ictor fait peut penser les conditions de la liberté dans l ’ autre
en général son possible pour retenir l ’ élan de l'inves ­ vie? D ’ ailleurs, la m orale ne postule pas ici-bas
tigation rationnelle sur les peines de l ’ enfer et pour cette éternité; la crainte de persévérer dans le m em e
ram ener d ’ autres docteurs (ceux de Sainte-G eneviève état de perversité durant la vie future doit suffire
sans doute, disciples d ’ A bélard) à la simplicitas cre­ pour détourner du m al. La religion dans les limites
dendi. Cf. part. X V III, de statu futuri sæculi, c. n, de la raison, trad. T rullard, p. 101-104, 104-108, note.
in, v, vi, vin, xv, nouvelles questions sur l ’ enfer· D epuis K ant, ce qu ’ on veut, surtout, c ’ est {’autono­
Pierre L om bard reste encore, lui aussi, dans la mie absolue de l ’ hom m e en face d ’ un D ieu indif ­
ligne sim plem ent traditionnelle et com pilalrice de férent ou trop bon, ou plutôt l ’ autonom ie de l ’ hom m e
textes · Sent., 1. IV , dist. X L IV -X I.V 1 1, X L IX -L, P.L., divinisé, sans Ê tre au-dessus de lui, pour qu ’ il soit
t. cxcn, col. 945 sq. ; il est incom plet et indécis sur sans responsabilité future, sans enfer à redouter.
plusieurs questions déclarées insolubles, sur les corps O n en arrive là par le panthéism e ou l ’ idéalism e ou le
des âm es séparées, sur la m itigation,etc., com m e saint m atérialism e évolutionniste, ou par les trois à la
A ugustin. fois : c ’ est toute la philosophie m oderne incrédule
A lexandre de H alès, Summa theol., part. IV, q. xv, dans son fonds, et c ’ est la m entalité qu ’ on tend
m . iv, a. 4, § 4, rejette nettem ent toute dilation : les m aintenant à propager dans le peuple. « Le peuple
sentences, portées par D ieu au jugem ent dernier, con ­ français (les autres suivront), proclam e-t-on par ­
cernent les corps ressuscités. D e m êm e, saint B ona ­ tout, ne prie plus, ne croit plus, ne craint nul châti­
venture, InlV Sent., 1. IV, dist. X LIV , p. n, a. 1, q. i. ment, ne désire ni m êm e n ’ accepte aucune récom ­
M aisc ’ estA lbertleG rand, ZnZV Sent., I.1V, dist.X L IV , pense après la m ort, et s ’ attribue le droit d ’ user delà
qui a eu surtout le m érite de briser les vieux cadres im ­ vie en toute indépendance. » Cf. L ’Univers, 9 juin 1910.
parfaits du De inferno et de dessiner le prem ier la syn- L ’ école philosophique spiritualiste a pris, en face de
thèsecom plète de ce traité en y introduisant sa m é ­ ces négations, différentes positions : croyance de
thode rationnelle,/oc. ci/.,a. 33-42, O péra,Lyon, 1651, l ’ école écossaise et doute du déism e français qui
20 in-fol.<t. xvi, p. 855 sq. Si, sur ce point, A lbert est n ’ arriva pas à une conviction ferm e contre l ’ enfer
85 E N F ER D ’ A P R È S L E S O P IN IO N S E R R O N É E S 86

(V oltaire, D iderot, etc.), au x v i i i 0 siècle; hésitations théologique); R enouvier, La critique philosophique,


de l ’ école éclectique au xix e siècle. Finalem ent, le 31 octobre 1878, 19 janvier 1884 (sur le terrain phi ­
■spiritualism e indépendant som bra, lui aussi, dans le losophique et avec conclusion finale sceptique);
rationalism e et la négation de l ’ enfer. Cf. J. Sim on, C harles L am bert, L ’immortalité facultative, thèse ab ­
La religion naturelle, p. 333. solue. Le conditionalism e s ’ est surtout développé
2. Q uant à ceux qui croient à un certain enfer ou en A m érique: le R év. E dw . W hile, Life in Christ,
m ieux à une certaine sanction dont ils nient l ’ éter ­ N ew Y ork, 1846, en fut le principal initiateur. La secte
nité, ils rentrent dans trois catégories, selon qu ’ ils des adventistes, presque tout entière avec ses cinq
adm ettent le conditionalism e, la variabilité indéfinie ou six fractions, est conditionaliste; cependant, la
ou l ’ universalism e. fraction : Life and advent Union, ne croit qu ’ à un
«) Conditionalisme. — Selon cette conception, les som m eil sans fin pour les m échants; et la frac ­
hom m es qui, finalem ent, ne peuvent arriver à l ’ heu ­ tion : Evangelical Adventists, adm et l ’ enfer éternel.
reuse im m ortalité sont anéantis. L a vie est un don; Cf. F. P. H avey, Catholic encyclopedia, art. Adven­
un don ne s ’ im pose pas. U n don que personne ne vous tists, N ew Y ork, 1907, t. i, p. 166,167, avec biblio ­
a dem andé, vous le retirez lorsqu ’ il est m al em ployé; graphie spéciale, notam m ent Long, The end of the
m ais vous ne faites pas exprès de le m aintenir, pour Ungodly, 1886; Pile, The doctrine of conditional Im­
faire souffrir celui qui n ’ en veut pas. L'hom m e est mortality, Springfield, etc.
donc libre de se préparer une im m ortalité de bonheur, Le conditionalism e n ’ a jam ais été bien répandu
en em ployant bien, vertueusem ent, le don divin nulle part; il est plutôt traité avec m épris par ses
de la vie, ou d ’ y renoncer en renonçant à la vertu. I adversaires de tous les autres systèm es. 11 ne touche
A insi, qu ’ il fasse ce qu ’ il voudra ici-bas de crim es, pas la vraie difficulté,dit,par exem ple, Salm ond, The
d ’ im piétés, d ’ infam ies, son châtim ent sera sim plem ent Christian doctrine of immortality, É dim bourg, 1895,
l ’ anéantissem ent, le retrait du don de la vie. La vie p. 627, et il proclam e que le péché rem porte parfois sur
éternelle est conditionnelle et facultative.— C ela est l ’ hom m e et sur D ieu une telle victoire, qu ’ il ne reste à
d ’ ailleurs nécessaire, afin qué l ’ hom m e n ’ ait pas à re ­ celui-ci qu'à se débarrasser de lui par un coup de
procher, finalem ent, à D ieu de lui avoir donné la vie — m ain. Il a été caractérisé com m e la plus m alheu ­
et surtout afin qu ’ un m al relatif ne se change pas en reuse (wret ched) et la plus poltronne de toutes les
un m al absolu; l ’ enfer ne ferait, en effet, que pro ­ théories; théorie qui livre à la panique, devant une
longer le m al en face de la sainteté de D ieu, pour objection, tout sentim ent de noblesse hum aine; et,
toujours insultée. Cela est im possible : le m al doit com m e toutes les poltronneries, fait tom ber précisé ­
finir, non par la restauration universelle, théorie m ent sur l ’ objet qu ’ on fuyait.
im m orale, donc par l ’ anéantissem ent. — C ’ est enfin A joutons ici une brève réfutation directe de la
la seule conception qui s ’ accorde avec les théories théorie et des argum ents conditionalistes. E n soi,
scientifiques m odernes de l ’ âm e et de l ’ évolution de d ’ abord, D ieu n ’ est pas tenu évidem m ent d'anéantir
la vie. une liberté rebelle parce qu ’ elle est rebelle. M ais la
C ette conception, sous une form e très vague, conserver sans fin, dit-on, ce serait le m a! prolongé
sem ble avoir été assez répandue chez les peuples et devenu absolu. A bsolu, c ’ est-à-dire interm inable,
prim itifs. O n en trouve com m e des velléités dans oui; c ’ est-à-dire sans correction, sans réparation et
quelques passages des m idraschim juifs. C ’ est la adéquate et parfaite, nous le nions. L ’ enfer est la pro ­
croyance théorique, très restreinte quant à son longation du péché par la liberté elle-m êm e et non par
objet, du zoroastrism e et plus tard, en partie, du D ieu qui ne fait que prolonger sa sanction tant que
dualism e gnostique et m anichéen. O n en a cherché dure le désordre m oral à réparer. E t ainsi, il n ’ y a pas
à tort, nous l ’ avons constaté, des traces douteuses de m al absolu en enfer, m ais l'ordre absolu jusque
dans quelques écrivains ecclésiastiques de l ’ anti- dans le m al perm is. M ais la vie, objecte-t-on, est un
■quité. S. Justin, Dial, cum Tryphone, 5; S. Irénée, don gratuit, qu ’ on peut, par conséquent, refuser a
Cont. hier., II, xxxiv, 3; IV , xx, 5, 6; V , iv, 1; volonté. Ici se trouve l'erreur radicale du conditio ­
T atien, Adv. Griecos, 13. Seul, A rnobe, Adv. génies, nalism e; nous som m es des créatures, faites unique ­
n, 8, 9, 11, 19, a été un vrai conditionaliste il m ent pour le service et la gloire de D ieu : voilà la
iaut entendre aussi dans le m êm e sens divers pas ­ vérité; la liberté n ’ a là rien à accepter ou à refuser :
sages des pseudo-clém entines. Ilomil., ni, 6, 59; c ’ est l ’ obligation absolue fondam entale de tout
vu, 7; xvi, 1Ü. C ontre ce conditionalism e, d ’ ori ­ notre être. O béir, c ’ est notre bonheur dans la gloire
gine juive ou païenne gnostique, com battirent Ter- de D ieu; désobéir, c ’ est notre m alheur, toujours
tullien, Ada. aalenlin., c. xxix, xxxn; C lém ent dans la gloire de D ieu, fin inéluctable de la créature.
d ’ A lexandrie, Strom., II; O rigène,De princip., III, E t si on objecte les attributs divins de sainteté,
iv, 5; S. É piphane, Hier., hæ r. xxxi, n. 7. Cf. F. Tour- justice, am our, etc., voir plus loin la synthèse thcolo-
nebize, dans les Études, 1893, t. l x , p. 621 sq.. gique. N oter enfin que la théorie de l ’ autonom ie
O n ne trouve plus de trace du conditionalism e im m anente absolue n ’ a rien à répondre à la dernière
jusqu ’ au m ilieu du χιχ" siècle. L a plus grande par ­ objection. Cf. S. Thom as, Sum. theol., Ill® , Supplem..
tie des théologiens protestants, ayant alors adm is q. xeix, a. 1, ad 6» ” : De potentia, q. v, a. 4, ad 6 “
l'universalism e, une m inorité refusa de reconnaître (la sanction doit être positive).
la réconciliation finale de Satan et de D ieu; d ’ autre b) Variabilité indéfinie et métcmpsycosisme. — Ni
part, n ’ nsant plus défendre l ’ éternité de l ’ enfer, elle anéantissem ent, ni glorification définitive univer
se lança dans le conditionalism e. E n A llem agne, selle. La liberté est un attribut essentiel de l ’ hom m e,
R othe, N ietzsche, P litt, Doctrine évangélique, 1864, soit pour m onter soit pour descendre, pécher ou se
t. n, p. 416, où il concède que ce n'est pas une doc ­ convertir, faire le bien en ascensions et descensions
trine à enseigner au peuple. Cf. Lange, Dogmatique indéfinies. L ’ éternité sera donc une suite indéfinie
chrétienne, t. n, p. 1291. En A ngleterre, D rum m ond, de m ondes,heureux ou m alheureux, pour les hom m es
professeur d ’ histoire naturelle à G lasgow , EesÎôîsde indéfinim ent libres de m ener des vies bonnes ou m au ­
la nature dans le monde spirituel, un des plus puis ­ vaises.
sants propagateurs du conditionalism e, dans le m onde Bien que non prim itive, la conception des renais ­
protestant. E n France, Ch. B yse, Hevue chrétienne, sances ultra-terrestres a été très répandue dans le
novem bre 1892; avant lui Pelavel-O llif, Le. problème m onde païen, indien, égyptien, gréco-rom ain, sans
de Timmortalité, 2 in-8°, 1891-1892 (point de vue ] doute parce que, tout en accordant suffisam m ent
87 E N F ER D ’ A P R È S L E S O P IN IO N S ERRONÉES 88

en apparence à la sanction m orale, elle écartait rie la la plus répandue. D ans l ’ antiquité païenne, ce fut
vied'ici-bas ces responsabilités et décisionsdéfinitives l ’ affirm ation explicite du zoroastrism e. D ’ après les
si redoutables. M ais la série m étcm psycosiste abou ­ gnostiques.quoi que fissent ici-bas les pneum atiques,
tissait à l ’ universalism e ou au conditionalism e, ou ils étaient nécessairem ent sauvés. O rigène adm et­
peut-être m êm e à l ’ éternalism c en général; elle ne tait une réconciliation universelle à la fin de notre
fut affirm ée indéfinie que dans le palingénésisme m onde, l ’ apocat.astasis, quitte à faire répéter en ­
absolu gréco-rom ain, d ’ origine stoïcienne. suite de nouvelles chutes et de nouveaux m ondes.
D ans l ’ antiquité chrétienne, nous ne trouvons Les origénistes des iv e , v° et vi° siècles insistèrent
qu ’ O rigène qui ait défendu, non pas précisém ent plus sur l'universalism e de leur m aître que sur son
Γ universalism e, com m e on le répète souvent, m ais palingénésism e indéfini. V oir plus haut, col. 58, 67.
la variabilité indéfinie de toutes les intelligences L a secte des miséricordieux, en particulier, aux v 0 et
créées. V oir plus haut, col. 60. vi® siècles, affirm a sim plem ent l ’ universalism e pour
O n est revenu au xix«siècle à l ’ origénism e eschato ­ tous les chrétiens ou pour tes catholiques, ou pour
logiquc. dans le m onde des m étaphysiciens transcen- les catholiques charitables, etc. D ans le haut m oyen
dentalistes d ’ abnrd, Schelling, K rause, G oethe, H crm . âge, nous trouvons le panthéism e évolutionniste de
Fichte, etc.; cf. H enri M artin, op. cil., p. 248 sq. ; puis, J. Scot Érigène, De divisione nalurte, P. L., t. c x x ii ,
dans le m onde des utopistes, des rêveurs pseudo ­ par exem ple, 1. V , col. 1020, qui aboutit finalem ent à
scientifiques et des spirites. C itons quelques ou ­ une franche négation de l ’ enfer éternel, dans De præ-
vrages : Fourier, L'harmonie universelle, 2 in-12, Lyon, deslinalione, c. xvn, 7, ibid., col. 428 sq. ; le rationa ­
1849 (rêveries de m étem psycose sidérale, corps ter ­ liste irlandais avait déjà com m encé à n ’ interpréter
restre, corps arom al, corps com étaire par dépersonali- le supplice éternel que d ’ une sim ple privation, état
sation successive, etc.); J. Reynauà,Terre et ciel, in-8°, négatif, dit éternel par tradition, m ais en contradic ­
Paris, 1854 (discussion spéciale dans H . M artin, op. tion avec l ’ esprit panthéiste du traité. M êm e univer ­
cil., note xv, p. 562-573 ; l'auteur veut nous ram ener salism e panthéiste dans les sectes des am auriciens
au druidism e, puis à la m étem psycose indéfinie (A m aury de B ènc γ 1204, avec son disciple D avid
dans le m onde infini) ; L. Figuier, Le lendemain de la de D inan) et des albigeois pour qui l ’ unique enfer
mort ou la vie future d’après la science, in-12, Paris, était la prison du corps terrestre, punition des
1874 ; Les bonheurs d'outre-tombe (m étem psycose so ­ âm es ou anges déchus. L a R enaissance com m ença,
laire seulem ent et circulation indéfinie de te T erre xv c et xvi° siècles, le m ouvem ent général d ’ incrédu ­
au D ieu-Soleil par des corps éthérés, redescente sur lité systém atique de l ’ époque m oderne. Les protes ­
T erre, etc.); C. Flam m arion, dans ses nom breux ou ­ tants affirm èrent d ’ abord l ’ enfer et nièrent le purga ­
vrages: Lumen ou Récits de l’infini, In-8°, Paris, 1872; toire, prétendant défendre la pure doctrine contre
Vranie, Paris, 1891; Dieu dans la nature, in-8°, l ’ Église catholique, cf. C onfession d ’ A ugsbourg, I,
1866, etc. c. xvn, ; dès l ’ origine, pourtant, les anabaptistes
O n trouve des idées sem blables, quoique sous des furent universalistes; un peu plus tard, les sociniens
form es différentes, chacun ayant ses rêves, dans nièrent en D ieu toute justice vindicative, n ’ adm ettant
PelIetan,L 'i profession defoidu XIXe siècle, Paris, 1852; de lui que des peines m édicinales. A ctuellem ent,
L aurent, Éludes sur l’histoire de l’humanité, in-8°, presque toute la dogm atique protestante orthodoxe
B ruxelles, 1860 1869, tit. i-xvi; R ouzier-Joly, Les ho­ ou rationaliste a fait volte-face et ne veut plus que du
rizons du ciel; B uret, L ’esprit de vérité ou métaphy­ purgatoire. O n trouvera de nom breuses références
sique des esprits, Paris, 1856: Pezzani, La pluralité détaillées pour l ’ A llem agne dans J. K ôstlin, Apo-
des existences de l'âme, in-8°, Paris, 1864; cf. H . M ar ­ kataslasis, dans Realencyklopüdie, 1.1, p. 616-661 ; H et­
tin, op. cil., p. 272 sq. ; Th. O rtolan. Astronomie et tinger, Apologie du christianisme, les dogmes, t. n,
théologie, Paris, 1894, p. 327-343 (étude de J. R ey- p. 387, 388. C itons B engel, Schleierm acher, R ein ­
naud, L. Figuier, C. Flam m arion). hardt, M artensen, Strauss et surtout R itschl qui
C ontre le fond de ces rêves et de cette conception a com m e im posé le sentim ent universaliste, m algré
m étcm psycosiste indéfinie, il suffira d ’ observer le scepticism e de la thèse, à tout le protestantism e
que la liberté n ’ est un attribut essentiel de l'hom m e libéral. En A ngleterre, le porte-drapeau de l ’ uni ­
qu ’ en tant que faculté. La relation de cette faculté versalism e fut te chanoine anglican F. Farrar, Eter­
à ses divers objets n ’ est pas nécessairem ent toujours nal hope : five sermons preached in Westminster Abbey
identique; D ieu est libre et ne peut pécher; la liberté nov.-dec. 1877, livre qui fut très discuté et très lu.
hum aine peut donc être constituée en un état de fixité Cf. dans Contemporary review, l ’ article : The future
par rapport à certains objets sans qu ’ elle soit détruite. punishment, avril, m ai, juin 1878, décem bre 1880.
D ans l ’ autre vie, elle sera ainsi fixée dans le choix C om m e docum ent sur l'état actuel des esprits dans
de sa fin dernière concrète, D ieu ou soi; dès lors le protestantism e plus ou m oins orthodoxe, on peut
fixité m orale absolue; donc, possession ou privation voir K ôstlin, loc. cil., et M ilton S. T erry, RiblicalDog­
de D ieu, ciel ou enfer. N ous prouverons cela plus matics, in- 8°, Londres, 1907, p. 128-136; en prin ­
bas. C ontre les réincarnations spécialem ent, voir cipe, dit celui-ci, il faut savoir discerner la pure doc ­
Mé t e m ps y c o s e . trine de la rétribution m orale et de l'enfer de toutes
c) Universalisme. — T oute peine est m édicinale et les im aginations qu ’ y avait surajoutées un esprit bar ­
tem poraire; le m al doit donc finir. C ela est exigé par bare et grossier. A vec notre sens m oral plus développé,
tous les attributs divins : sagesse, justice, bonté. plus fin, plus hum ain, notre vue plus profonde sur la
D 'autre part, D ieu ne peut créer pour anéantir : ce nature intim e des choses, il faut, dans l ’ É criture,dans
serait absurde. E nfin, il est de la nature de l ’ être l ’ É vangilc m êm e, dégager l ’ idée pure de la destinée
libre de pouvoir toujours se repentir. Tous les êtres hum aine? Q uelle est-elle? Le conditionalism e? N on,
libres le feront donc un jour ou l ’ autre, après les certainem ent. A lors, l ’ universalism e?C ’ est une hypo ­
expiations nécessaires, aussi longues qu ’ on voudra, et thèse possible ; qui sait ce que D ieu fera en l ’ autre vie?
sous l ’ im pulsion des grâces triom phantes de D ieu. Q uelques textes lui sont favorables : I C or., xv, 24-
U n jour, tous les êtres libres seront saints et heureux, 28, m ais d ’ autres affirm ent assez clairem ent la fixité
et D ieu ne saura plus distinguer. Père ébloui de joie, éternelle dans le m al; en tout cas, m ieux vaut la li ­
B élial de Jésus. V . H ugo, Contemplations. berté avec péché possible, m êm e éternel, qu ’ un m onde
Parm i ceux qui croient à l'im m ortalité et ne sans liberté et sans péché. Le dernier m ot est : D ieu
veulent pas de l ’ éternité de l ’ enfer, voilà l ’ opinion peut faire cela, m ais le fera-t-il? Ignorabimus ; la
89 E N F ER D ’A P R È S L E S D É C IS IO N S D E L ’ É G L IS E 90

plus parfaite eschatologie qui ait jam ais été écrite, A m broise; H ugues de Saint-V ictor la croyait encore
c ’ est .Job. V oir les m êm es indécisions, p. 482, 483. possible, bien que m oins probable. Enfin, l ’ ensem ble
C 'est de nouveau en A m érique que l ’ universalism e des théologiens se rangea du côté de la tradition anti-
s ’ est, non pas le plus développé, m ais le m ieux organisé. dilationniste, et le concile de Florence put définir le
A ux É tats-U nis, sur la lin du x v in ' siècle, un groupe mox in infernum descendere, en 1439. D enzinger
d ’ universalistes s ’ était déjà form é en secte indépen ­ B annw art, n. 693.
dante,dont les principaux organisateurs furent John 3° Sur les damnés.— C ontre la vérité que tous les
M urray et le R év. Jam es R elly. Elle s ’ appela d ’ abord hom m es m orts en état de péché m ortel sont dam nes,
Indépendant Christian church; vers 1790, après réor ­ il faut m entionner l ’ erreur des miséricordieux en fa ­
ganisation et entente sur un credo en cinq articles, veur des chrétiens,etc.;l’ erreur contraire,qui a sur ­
elle prend le titre : Universalisl general convention. vécu jusqu'à nos jours, d ’ une m iséricorde pour les
En 1803, nouveau credo plus large en trois articles; païens adultes ni sauvés, ni damnés, c ’ est-à-dire n ’ ayant
le deuxièm e dit : Nous croyons en un seul Dieu, pas pu parvenir à la fin surnaturelle, tout en faisant
dont la nature est amour, révélé en un Seigneur Jésus- leur possible au point de vue m oral et devant ainsi
Christ par un Esprit-Saint de grâce, qui finalement parvenir à leur prétendue fin naturelle, voir plus loin ;
rétablira l’entière famille du genre humain dans la l ’ erreur d ’ une conversion possible dans l ’ au-delà, au
sainteté et le bonheur. M algré les credo, il y eut bien­ m oins pour certains pécheurs (H irschcr,-j- 1865), opi ­
tôt des divisions, à la suite d ’ un traité sur l ’ expiation nion qui était qualifiée d ’ hérétique dans un schém a
de H osea B allou : A Treatise on atonement, W inches ­ du concile du V atican, Collectio lacencis, t. vu,
ter, 1805 (réédité, ibid., 1903). V ers 1831, une frac ­ p. 750; enfin l ’ erreur, hérétique aussi, d ’ un enfer
tion s ’ appela les reslorationists. Les untversalists restreint aux seuls péchés de m alice, de révolte for ­
ont encore rem anié leur organisation et leur credo en m elle contre D ieu. Schell, Katholische Dogmalik, t.ni,
1870 et en 1899, <■ conform ém ent au développem ent p. 721.
du savoir hum ain... et de l ’ esprit libéral de notre 4» Sur le lieu de l’enfer, on ne peut appeler erronée
tem ps. » Pour être « fidèle », il suflit d ’ adm ettre, qua ­ que l'opinion des ubiquistes ou ubiquilariens, secte
trièm e principe, « la certitude d ’ une juste sanction protestante, qui m ettait l ’ enfer partout. Son prin ­
pour les péchés, » et, cinquièm e principe, « l ’ harm o ­ cipal représentant fut Jean B rentz, un des com pa ­
nie finale de toutes les âm es avec D ieu. » E n 1904, gnons de L uther et rédacteur de la Confessio tviir-
la secte com prenait 982 paroisses avec 54 619 fa ­ tembergica.
m illes; elle com pte, parm i ses m em bres, 750 clergy ­ 5° Sur la nature des peines. — Il n ’ y a pas d ’ er ­
m en ; elle possède des collèges qui sont de vraies uni ­ reur directe à propos du dam . Q uant à la peine du
versités. Cf. Elm er H cw it C apen, cx-recteur de l ’ un sens, supplice positif infligé directem ent par D ieu,
de ces collèges, Tufts coll, mass., Universalism, dans elle fut niée par J. Scot Érigène, qui n ’ adm ettait
l ’ encyclopédie The Americana, N ew -Y ork, 1904, que des peines négatives . ne pas jouir, et, en particu ­
t. xvi ; G rétillat, Exposé de théologie systématique, lier, faisait du feu de l ’ enfer un sim ple rem ords inté ­
Paris, 1890, t. iv, p. 603. rieur. Elle fut aussi niée par quelques inconnus
B ornons-nous à quelques observations directe ­ du xi» ou xn» siècle signalés par les docteurs d ’ alors,
m ent antiuniversalistes N ous avons déjà rem arqué com m e transportant toute la peine du sens dans
que la liberté hum aine peut être fixée dans le m al l ’ ordre intentionnel : rêve ou pensée de souffrir. Sur
et donc devenir incapable de se convertir; et nous le feu de l ’ enfer, voir F e u .
allons bientôt en dém ontrer le fait pour l ’ au-delà. 6° Sur la graduation des peines. — Les stoïciens,
A insi B élial restera en toute nécessité éternellem ent Jovinien au iv» siècle et puis L uther affirm èrent
dans la haine de Jésus. Ad hominem nous ajoutons l ’ égalité de tous les péchés, et, conséquem m ent, de
que, si la liberté peut toujours se convertir, elle doit tous les châtim ents dans l ’ autre vie.
pouvoir toujours aussi se pervertir; et c ’ est le palin- 7° Puisque D ieu est cause efficiente de l ’ enfer,
génésism e indéfini, ou c ’ est encore le m al gardé sans form ellem ent par justice vindicative, c ’ est donc une
fin par une liberté qui le veut ainsi. A lors que ferait erreur de nier en D ieu cette justice pure vindication
D ieu? Em brasser, m algré tout, ce B élial qui le hait, avec V asquez. V oir J u s t i c e . Il est donc faux, aussi,
pour réaliser, m algré tout, le salut universel? C ’ est de dire que D ieu ne peut infliger que des peines m édi­
absurde et B élial m êm e n ’ en voudrait pas. Forcer cinales. Il serait non m oins faux et dangereux de con­
cette liberté à se convertir? C ’ est détruire et la liberté clure de l ’ existence de l ’ enfer à l ’ idée d ’ un D ieu sans
et la notion de 1 ’ am our repentant. Surtout, D ieu est- am our et sans m iséricorde in finie ; l ’ enfer n'est, en effet ,
il tenu de donner ces grâces triom phantes à toutes qu ’ un aspect de la providence, et il n ’ en est pas le
les libertés finalem ent, quoi qu ’ elles fassent? N ous plus fondam ental ni le plus essentiel.
revenons ici à la question de l'enfer et des attributs
divins. V oir plus loin. Q uant à ce principe que toute V. E N F E R D ’ A P R È S L E S D É C ISIO N S D E L ’ É G LIS E.
peine est m édicinale, il est parfaitem ent absurde, — D ans les sym boles prim itifs de la foi, l ’ enfer était
com m e le prouvent l ’ expérience hum aine sociale quo ­ im plicitem ent enferm é dans l ’ article du jugement
tidienne et la notion m êm e de sanction punitive. Il universel, dont on précisait seulem ent la sentence
faut punir et ceux qui veulent se corriger, et ceux qui de vie éternelle. Cf. D enzinger-Bannw art, 1908, n. 2,
ne le veulent pas, et ceux m êm e qui sont déjà cor ­ 6,9,13.
rigés, car la peine est avant tout la réparation de La double sentence est précisée dans la form ule
l ’ ordre violé, et la punition du péché s ’ im pose avec dite Fides Damasi, de la fin du iv° siècle, probable ­
la m êm e nécessité absolue que la réparation de l ’ ordre m ent : aut pœnam pro peccatis æterni supplicii. Ibid.,
absolu ou divin. η. 16.
2° Sur le mode de durer de l ’ enfer, il y a eu des sys­ Le sym bole dit de saint A thanase, probablem ent
tèm es erronés de mitigations. V oir M i t i g a t io n . du V e siècle, fait un article de foi de l ’ enfer éter ­
Sur le m om ent où com m ence l ’ enfer, il faut signa ­ nel : qui vero mala in ignem æternum (ibunt). Hæc
ler l'erreur, qui serait actuellem ent une hérésie, de la est fides catholica, quam nisi quisque fideliter firmi-
dilation des peines infernales jusqu ’ à la fin du m onde. terque crediderit, salvus esse non poterit. Ibid., n. 4 .
D ans l ’ antiquité, nous avons trouvé cette erreur U ne lettre du pape saint Sim plicius (476) d.t
dans saint Justin, T atien, M inucius Félix,T crtullien, des hérétiques détachés de l ’ Église, qu ’ ils sont des ­
saint Irénée, saint H ippolyte, saint C yprien, saint tinés au feu éternel de l ’ enfer. Ibid., n. 160.
91 E N F ER (S Y N T H ÈS E D E L ’ E N SE IG N E M EN T T H É O L O G IQ U E ) 92

N ous avons vu que dans la lutte contre l ’ origé- V I. S YN TH ÈS E DE L ’ E N S E IG N E M E N T THÉOLO­


nism e, le synode de C onstantinople de 534. dont les G IQ U E SUR L ’ E N FE R . — 1. Existence. II. O rigine
canons ont été approuvés par le pape V igile et, grâce et com m encem ent. III. É ternité de l ’ enfer. IV .
à la vigilance de l ’ em pereur Justinien, ont été D am nés. V . Lieu de l ’ enfer. V I. N ature des peines
souscrits par un très grand nom bre d ’ évêques, a, de l ’ enfer. V II. Leur graduation. V III. C ause effi ­
peut-on dire, défini l ’ éternité des peines de l ’ en ­ ciente. IX . C ause finale de l ’ enfer. X . A pplications
fer : Si quis dicil aul sentit, ad tempus esse dœmo- pratiques.
num et impiorum hominum supplicium ejusque finem I. E x is t e n c e d e l ' e n f e r . — Elle est de foi dé finie,
aliquando luturum, sive restitutionem et redintegra­ ainsi qu'il résulte des décisions du m agistère ecclé ­
tionem fore dtemonum aut impiorum hominum, ana­ siastique que nous venons de citer. Elle est affirm ée
thema sit., can. 9, n. 211. Le V e concile œ cum énique, par l ’ É criture sainte, tant de l ’ A ncien que du N ou ­
II e de C onstantinople, renouvela ces condam nations veau T estam ent, et par toute la tradition catholique;
contre O rigène et ses erreurs, en particulier la mon­ les orlgénistes eux-m êm es croyaient à l'enfer et ne
struosa restitutio. C an 1, 12, 13, 14; D enzinger, se trom paient que sur sa durée.
η. 187 sq. Il en fut de m êm e dans les trois conciles 'La raison naturelle spéculative et le consente ­
oecum éniques suivants. m ent universel des peuples fournissent aussi sur ce
D ans les docum ents concernant la prédestination, point des argum ents certains. V oir S a n c t i o n (né ­
on trouve la doctrine de la non-réprobabtion anté ­ cessité de la sanction, laquelle n ’ est évidem m ent pas
cédente et l'affirm ation par concom itance des sup ­ com plète en ce m onde). P. B ernard, art. Enfer, dans Dic­
plices éternels. D enzinger-B annw art, n. 321-328. tionnaire d'apologétique, Paris, 1910, t. i, col. 1377 sq.;
Toutes ces décisions ne portent que sur l ’ existence M onsabré, Carime 1888, xciil' conférence. Enfin
et l'éternité de l ’ enfer. l ’ existence de l ’ enfer est on connexion logique avec
A u com m encem ent du xni ” siècle (1201), Inno ­ d ’ autres dogm es. C ette connexion est profonde et
cent III, dans une lettre insérée ensuite dans les universelle : tout dans le christianism e évidem m ent
D écrétales, 1. Ill, tit. x l i i , c. 3, Majores, D enzinger- tend à procurer aux hom m es le salut éternel, que
B annw art, n 410, distingue deux peines, l ’ une, pure ­ tous n ’ atteignent pas. Il y a donc des dam nés. C ontre
m ent privative, l ’ autre, positive : pœna originalis l ’ existence d ’ une punition des pécheurs après la vie,
peccati est carentia visionis Dei, actualis vero pœna il n'y a, d ’ aillours, guère d ’ opposition ni aucune diffi­
peccati est < ehennœ perpetuæ cruciatus. culté.
Le X 1I° concile œ cum énique, IV ” de L atran (1215), IL O r ig in e e t c o m m e n c e m e n t d e l ’ e n f e r . —
c. i, exposant la f . i catholique contre les albigeois, dit 1° Le feu éternel a été préparé pour le diable et ses
des réprouvés qu ’ après la résurrection générale, en anges. M atth., xxv, 41. L ’ enfer, séjour définitif des
raison de leurs m auvaises actions, ils reçoivent cum dam nés, a donc été créé d ’ abord pour les anges déchus
diabolo poenam perpetuam. D enzinger-B annw art, n. 429. avant la création des hom m es.
A u X IV» concile œ cum énique, II e de Lyon (1274), 2° Q uand com m ence l ’ enfer pour chaque dam né? —
on approuva cette profession de foi de M ichel Pour les anges déchus, le châtim ent a com m encé tout
Paléologue, qui affirm ait la disparité des peines des de suite après leur chute, au m oins quant à la peine
dam nes et l ’ entrée en enfer aussitôt après la m ort . substantielle du dam ; pour la peine du feu. il peut se
Illorum animas qui in mortali peccato vel cum solo faire que beaucoup de dém ons ne la souffrent pas, di­
originali decedunt, mox in infernum descendere, poenis rectem ent du m oins, pendant qu ’ ils sont sur terre
tamen disparibus puniendas. Ibid., n 464. à tenter les hom m es, c ’ est-à-dire jusqu ’ au jugem ent
Ce dernier enseignem ent est donné par B enoit X I I, dernier. V oir t. iv, col. 404-405.
dans sa constitution Benedictus Deus (1336), sous Pour les hom m es qui m eurent en état de péché,
form e de définition : Definimus quod secundum Dei ils vont en enfer tout de suite après leur m ort et le
ordinationem communem animæ decedentium in ac­ jugem ent particulier. C ’ est une vérité de foi définie.
tuali peccato mortali mox post mortem suam ad inferna V oir col. 91. Celle-ci a été incluse dans les profes ­
descendunt ubi poenis infernalibus cruciantur. Ibid., sions de foi im posées par U rbain V III et B enoît X IV
n. 531. V oir du m êm e pape, dans le catalogue des aux O rientaux, parce qu'il y avait encore, au m oyen
erreurs des Arméniens (1341), les art. 4 et 18, sur âge, quelques sectes orientales qui renvoyaient,
l'enfer, considéré com m e la peine du seul péché origi­ après la fin du m onde, l ’ entrée au ciel et en enfer.
nel. Ibid., n. 532, 536. V oir aussi t. n, col. 699. Cf. S. Thom as, Contra gentes, 1. IV, c. xci. D ès le
Le concile de Florence, X V IB œ cum énique, dé ­ m om ent de leur m ort, les dam nés souffrent donc,
finit, en 1439, dans les m êm es term es que le II e con ­ non seulem ent du dam , m ais de tous les supplices
cile de Lyon, l ’ entrée des pécheurs en enfer, de suite de l ’ enfer.
après la m ort, et la disparité des peines. C ette doctrine est prouvée : «) Par l’Écriture
Le concile de T rente ne donna aucune décision sainte. — Le m auvais riche est en enfer aussitôt
spéciale sur l'enfer, que les protestants du xvi» siècle après sa m ort. Luc., xvi, 25. Il est dit aussi de Ju ­
ne niaient point. Il eut cependant l ’ occasion de rap ­ das : prævaricatus est ut abiret in locum suum. A ct.,
peler la doctrine catholique sur la dam nation. i, 25. Cf. encore les textes qui affirm ent le juge ­
Cf. sess. V I, can. 25, 30, ibid., η. 835, 840. m ent de rétribution pour le m om ent de la m ort,
A signaler encore la proposition condam née par par exem ple, Eccli., xi, 28. V oir J u g e m e n t p a r ­
A lexandre V III Ibid., n. 1290. t ic u l ie r .
Le 28 août 1794, Pie V ia condam né la doctrine b) Par la tradition. — Elle est, on peut le dire, una ­
du synode janséniste de Pistoie au sujet de la peine nim e, au m oins à partir du v° siècle. V oir col. 80 sq.
éternelle dudam pour les enfants m orts sans baptêm e. Saint G régoire le G rand, Dial., 1. IV , c. xxvm , P. L.,
Ibia. n. 1526. t. l x x v i i , col.365, résum e ainsi la tradition patristique :
E nfin, le 30 avril 1890, la S. C. de la Pénitencerie Sicut electos bealitudo lœlifical, ita credi necesse est quod
a déclaré que les pénitents qui ne croient pas au feu a die exitus sui, ignis reprobos exurat.
de l ’ enfer diligenter instruendos esse et pertinac.es c) C ’ est aussi l ’ enseignem ent com m un des théo ­
non esse absolvendos. C ette décision disciplinaire logiens. Saint Thom as, Sum. theol., Illæ Suppléai.,
atteste que la croyance au feu de l ’ enfer est au q. l x ix , a. 2; Coni, gentes, 1. IV. c. xci, le résum e ainsi
inom s une opinion catholique qu ’ on ne peut rejeter ex professo. T oute chose qui tend à une fin est com m e
sans péché grave de tém érité. un poids qui y tom be dès qu ’ elle n ’ est pas em pêchée.
93 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 94

D ans les âm es, le m érite et le dém érite ont ainsi une en dehors de l ’ enfer proprem ent dit, jusqu ’ à la fin
tendance essentielle à la récom pense ou au châtim ent. du m onde. H ugues de Saint-V ictor, De sacram, fidei,
En cette vie, iis sont com m e suspendus, l ’ âm e étant 1. II, part. X V I, c. iv. La parité ainsi établie n'est
en état de voie; m ais la m ort brise leurs liens et aussi ­ qu ’ apparente; l ’ âm e juste est faite pour le ciel,m ais
tôt l ’ âm e vel in infernum immergitur vel ad cœlos evo­ ne peut y entrer sans être parfaitem ent pure, tandis
lat; la révélation est là-dessus m anifeste : unde que l ’ âm e coupable est destinée à l ’ enfer et rien n'em
contrarium pro hæresi est habendum. Le sentim ent pêche qu ’ elle y soit précipitée tout de suite après la
universel des fidèles a suivi cette doctrine des théo ­ m ort. Cf. S. Thom as, Sum. theol., 111«, Suppl., q. l x ix ,
logiens, ou plutôt du m agistère de l ’ Église. a. 7, ad 9 “ ra .
d) Par la raison thiologique. — 11 n ’ y a d ’ abord au ­ Les âm es séparées sont-elles, jusqu ’ à la résurrec ­
cune apparence de raison pour retarder le châtim ent tion, unies à quelque corps subtil, éthéré, soit en
des pécheurs. U ne fois sortis de l ’ état de voie, ils sont vertu de leur nature de substances non purem ent
dans leur éternité, fixés dans le m al et la haine de spirituelles, soit afin de pouvoir subir le supplice du
D ieu, avec une vie psychique toute nouvelle; il ne feu de l ’ enfer? O rigène, T ertullien, saint A ugustin
s'agit plus pour eux de com pter des années ou des l ’ ont pensé, ainsi que, au m oyen âge, Pierre Lom bard
siècle^, avant d ’ être châtiés éternellem ent de leurs et D ante; m ais cette opinion est certainem ent
fautes; ils sont destinés à l ’ enfer éternel et ils y fausse, fondée qu ’ elle était sur une notion im parfaite
vont tout de suite. D e plus, il n ’ y a pas de m ilieu de la substance spirituelle. V oir col. 51.
dans l ’ autre vie : ou la charité parfaite ou Vaversio III. É t e r n it é d e l ’ e n f e r . — Elle est de foi
a Deo, im m uable; donc, la peine du dam ; et c ’ est la définie. V oir les définitions citées col. 90-91, en par ­
substance de l ’ enfer; le reste ne peut que suivre natu ­ ticulier celles concernant l ’ origénism e, explicitem ent
rellem ent. E nfin, le bonheur du ciel n ’ est certai­ dirigées contre la négation de l ’ éternité de l ’ enfer.
nem ent pas différé pour les âm es pures, donc, a pari, C om m e les anciennes erreurs à ce sujet ont été
les peines pour les âm es m auvaises ne sont pas non renouvelées par plusieurs écrivains au x ix ' siècle, le
plus différées; cette parité est un principe général concile du V atican avait préparé de nouvelles défi ­
très im portant de la doctrine chrétienne des fins nitions et de nouveaux anathèm es contre elles. Col­
dernières : le ciel et l ’ enfer sont en opposition par ­ lectio lacensis, t. vu, col. 517, 567. Sicul vero Ecclesia
faite, bien que dans le m êm e ordre. catholica docet, nulla esse peccata... quorum remissio­
Prévenant une objection dialectique, saint Thom as nem homines in hac vita... obtinere non possint; ita
ajoute cette raison de convenance. I.e péché dérive sacrarum Scripturarum el sanctorum Patrum doctri­
de l ’ âm e au corps; il est donc juste que le châtim ent nal et ipsius Ecclesia: calholicæ consensui inhaerentes
suive l ’ ordre du péché, c ’ est-à-dire qu ’ il com m ence docemus el definimus post viam huius vilæ, quando
par l ’ âm e séparée et ainsi parvienne au corps, et homines jam ad terminum retributionis pervenerunt,
non pas qu ’ il attende la résurrection des corps pour ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit
atteindre l ’ âm e. sive bonum sive malum (II C or., v, 10) pro nulla lethali
c) Difficultés. — Le délai de la dam nation n ’ est culpa relictum esse locum salutaris pænitentiiv et
appuyé ni sur l ’ É criturc, ni sur la tradition, ni sur expiationis, sed cuivis peccato mortali, quo maculata
la raison théologique. N ous avons expliqué déjà le anima mox post o bitum coram sancto et justo judice Deo
sens de ces affirm ations apostoliques : in diem judicii comparuerit, poenam constitutam esse perpetuam, sicul
reservare cruciandos (cruciatos), II Pet., π, 9; Jud., 5: ipse æternus judex testatur : Vermis eorum non moritur
le jour du jugem ent sera pour les dam nés un jour de et ignis non exstinguitur. Unde tanquam hterelicam
confusion et de peine spéciale, de confirm ation plus damnamus doctrinam tum eorum qui negaverint pienas
im m uable encore dans les m êm es supplices, d ’ aug ­ damnatorum in gehenna /ore perpetuas; tum eorum
m entation enfin en quelques châtim ents secondaires, qui dixerint quædam esse peccata mortalia quorum
corps ressuscités (hom m es dam nés), prison absolue expiatio et remissio post morlem sperari possit atque
de feu (dém ons). V oir col. 46. Ce qui a am ené plu ­ ita eos qui cum hujusmodi culpæ reatu ex hac vita
sieurs anciens à adm ettre la rem ise de la dam nation decesserint, non in æternum damnari, c. xvn; et le
jusqu ’ après le jugem ent dernier, c ’ est l ’ habitude de canon 5, De gratia redemptionis, aurait défini : Si quis
l'Écriture d ’ associer, presque toujours, l ’ entrée en dixerit, etiam post mortem hominem justificari posse,
i nfer avec celui-ci : ite... in ignem æternum. M ais, aut poenas damnatorum in gehenna perpetuas futuras
com m e en m atière prophétique et eschatologique, en esse negaverit, anathema sit.
général, ce n ’ est là qu ’ un procédé descriptif, conden- L ’ éternité de l ’ enfer est, en effet, prouvée par des
s int en une seule perspective autour d ’ un point argum ents sans réplique, pour un chrétien.
central et définitif, tous les élém ents qui lui sont 1. Écriture sainte. — La plupart des textes, qui
ordonnés de quelque m anière; on dém êle ceux-ci à prouvent l ’ existence de l ’ enfer, sont explicites sur
l aide d ’ autres textes. l'éternité de cette dam nation, opposée sans cesse à la
D es tém oignages des anciens qui étaient partisans vie éternelle. Is., l x v i , 24; D an., xn, 1, 2; Judith,
d'une dilatio inferni, saint Justin. T atien, saint Irénée, xvr, 20, 21 : le feu qui brûle les dam nés est inextin ­
Tertullien. saint H ippolyte, saint C yprien. saint A m ­ guible, lever qui les ronge ne m eurt pas. M atth., ni,
broise, plus tard, com m e possibilité, H ugues de Saint- 12; M arc., ix, 42-48; Luc., xvi, 26; A poc., xiv, 11:
V ictor, on ne peut tirer aucune conclusion théolo- xx, 9-11 : l'enfer n ’ aura pas de fin, il durera pendant
gique. Ils n ’ énoncent, qu ’ une opinion, qui n ’ est pas les siècles des siècles.
reçue de tous, et ses tenants tém oignent, eux-m êm es, D ans une autre série de textes, l ’ éternité des peines
de l ’ existence de l ’ opinion contraire. D ’ ailleurs, m êm e de l ’ enfer est positivem ent affirm ée. H .T hess., r, 8;
â leur sentim ent, ce délai n ’ était que partiel et ne M atth., xxv, 41. Le m ot αιώνιος y désigne l ’ éternité
concernait que la réclusion dans l ’ étang de feu : dès proprem ent dite. V oir D a m , t. iv, col. 13; P. B ernard,
après leur m ort, les pécheurs subissaient des supplices art. Enfer, dans le Dictionnaire d’apologétique de
et la peine du dam avec le désespoir, etc. d ’ A lès, t. i, col. 1390; B illot, De novissimis, 2 e édiL.
Enfin, l ’ argum ent suivant de raison théologique R om e, 1905, p. 50 sq. En résum é la signification pré ­
n'a pas plus de valeur. Si les justes, non entièrem ent cise d ’ un m ot, qui peut en avoir plusieurs, se déter ­
purifiés, vont au purgatoire, m algré le droit qu ’ ils ont m ine par le contexte ou, pour l ’ É criture, par l ’ expli­
‘ ’/ aller au ciel, les âm es dam nées pourraient bien.au cation authentique de l ’ Église. O r, celle-ci. dans le
m oins les m oins m auvaises, souffrir quelques peines cas présent, est donnée par l ’ interprétation tradi-
95 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S EIG N EM E N T T H É O L O G IQ U E ) 96

tionnelle. Le contexte, d ’ ailleurs, n ’ a rien qui s'op ­ tionnel, on peut dire que l ’ enfer doit être éternel.
pose à prendre le m ot dans son sens naturel et il ne Ce point très im portant a été étudié par toute la
laisse aucune am biguïté. É ternel, dans les textes science chrétienne dès l ’ origine. R ésum er ce travail
cités, désigne certainem ent l ’ éternité proprem ent serait une œ uvre utile et necessaire, et surtout en
dite, pour la vie des bienheureux; donc aussi pour le faire un exam en critique com plet. V oir une esquisse
supplice des réprouvés, et non pas sim plem ent une dant l'art. En/er de P. B ernard, loc. cil. L ’ explication
très longue durée. Le contexte général évangélique rationnelle étant partie essentielle de la théologie
est aussi lum ineux : dans le N ouveau T estam ent, spéculative, et parfois la partie la plus profonde, nous
αιώνιος , appliqué au siècle futur, signifie toujours une ne pouvons nous dispenser de résum er ici la sub ­
durée sans lin. Cf. B illot, loc. cil. stance de cette affirm ation rationnelle de l ’ enfer
U ne objection contre la preuve scripturaire de éternel.
l ’ éternité de l ’ enfer a été faite par les m iséricordieux L ’ enfer est, du côté de D ieu, sanction du m al
du v c siècle. Cf. S. A ugustin, De civitate Dei, 1. X X I, m oral; du côté de l ’ hom m e, perversion continuée de
c. xxiv, 4, P. L., t. x l i , col. 739, puis par Le C lerc, sa liberté.
Bibliothèque choisie, t. ix, Tilotzonus, etc., cf. V . Pa- C om m e sanction, l ’ enfer doit être éternel. La sanc ­
tuzzi, De. luturo impiorum statu, V érone, 1748, 1. III, tion intim ée, en effet, doit d ’ abord être efficace; or,
c. ix, x : la sainte É criture prouve que D ieu a m enacé elle ne peut être efficace si elle n ’ est pas éternelle :
les pécheurs de l ’ enfer éternel, m ais non pas qu ’ il c ’ est un fait reconnu par tous, croyants et incrédules.
m ettra ses m enaces à exécution. Λ cela il faut ré ­ Cf. Lucrèce, De natura rerum, i, 108; S. Jérôm e, In
pondre que des m enaces en paroles seulem ent sont Jonam, ut, 6. Le m otif de crainte n ’ est pas le plus
indignes de D ieu et de l ’hom m e et que des m enaces noble, m ais il est bon et nécessaire toujours, M « r G ay,
à exécution incertaine seraient inefficaces et inutiles. Vie et vertus chrétiennes, t. i, tr. IV, p. 191 sq.,
L a plupart des textes, de plus ne contiennent, pas une et les seules craintes proportionnées à la psychologie
sim ple m enace, un décret purem ent com m inatoire, hum aine, ce sont les craintes éternelles. Cf. M onsabré,
m ais un décret absolu, M atth., xxv, ou des affirm a ­ Carême de 1889, xcvin· conf. ; A . N icolas, Éludes
tions narratives absolues : le décret a reçu son exé ­ philos, sur le christianisme, 1. II, c. i. La sanction
cution, l ’ enfer est un fait. Les passages qui ne con ­ appliquée, de plus, doit être proportionnée au m al
tiennent qu ’ un décret com m inatoire doivent être com m is; or, le péché m érite un châtim ent éternel.
entendus en ce sens qu ’ en cette vie le pécheur peut Ceci peut se dém ontrer de deux façons générales.
échapper à l ’a m enace de l ’ enfer par la conversion (il Le péché, disent tous les théologiens, est un m al,
en est ainsi delà m enace contre N inive), m ais que offense de D ieu, en quelque m anière vraim ent infini;
s i la m ort le surprend dans le péché, le com m ina ­ son châtim ent proportionné doit donc être, lui aussi,
toire devient décret absolu, puisque D ieu veut que en quelque m anière infini; il ne peut l ’ être en inten ­
ses m enaces se réalisent, lorsque la volonté libre des sité; il le sera, par conséquent, en durée, c'est-à-dire,
hom m es donne lieu à leur exécution. Cf. S. A ugustin, il sera éternel. Pour l ’ antécédent, voir P é c h é ; la
De fide et operibus, c. xv, n. 25, P. L., t. XL, col. 213. conséquence est claire. Le péché, à un autre point de
R ésoudre cette objection par l ’ im m utabilitéK le D ieu, vue, c ’ est le m al, le désordre. O r, jam ais le m al ne
com m e le fait M azzella, De Deo creanle, 2° édit.. R om e, peut devenir le bien, le désordre l ’ ordre; éternelle ­
1880, disp. V I, p. 896, ne suffit pas, car D ieu pou ­ m ent donc, ces deux contradictoires seront séparés,
vait ab «terno décréter la rem ise des peines dont il en eux-m êm es et dans leurs conséquences, bonheur
avait m enacé les pécheurs, et, dans l ’ hypothèse, sa et m alheur. Cf. Fonsegrive, dans la Quinzaine, 1897,
volonté dem eurait im m uable. p. 278; B ougaud, Le christianisme et les temps pré­
2. Tradition. — Tous les Pères sont unanim es, sauf sents, t. v, p. 337 ; H ettinger, A pologie, p. 392. D ’ autre
peut-être saint G régoire de N ysse, à adm ettre l ’ éter ­ part, la séparation du conditionalism e est insuffi ­
nité de l ’ enfer ; tous les écrivains et tous les fidèles ont sante, car ce serait finalem ent la victoire du m al sur
accepté constam m ent cette doctrine, sauf O rigène et le bien. Cf. Laxenaire, L ’au-delà ou la vie future d'après
les origénistes du com m encem ent du v° siècle, et la la science et d’après la foi, Paris, 1909, p. 51-55. V oir
discussion qu ’ ils ont soulevée n ’ a fait que m ettre col. 86. E nfin, la séparation de l ’ enfer tem poraire,
davantage en lum ière la clarté et la force de la foi de l ’ universalism e, en face de l ’ éternité identique ­
universelle. m ent heureuse pour le bien et pour le m al, ne serait
O n trouvera plus haut, col. 47-83, les tém oi ­ qu ’ une différence infinitésim ale, alorJ qu ’ elle doit
gnages des Pères et, en prem ière ligne, ceux qui ont être absolue. Cf. Lacordaire, Conférences de Xolre-
été rendus avant O rigène. L ’ enseignem ent est alors Dame, 1851, l x x ii 0 conf., De la sanction.
universel et explicite. Ébloui par la philosophie Il faut pourtant observer que tous ces argum ents
grecque, O rigène se laisse aller à des rêves d ’ un opti ­ prouvent le droit, non le fait, car tous les péchés
m ism e idéaliste de restauration universelle. L ’ Église m ortels, par la grâce de D ieu, n ’ iront pas en enfer
condam ne ses partisans, après que les Pères de com m e ils le m éritent. L 'enferdefait n ’ existera que s ’ il
l ’ O rient et de l ’ O ccident ont réfuté O rigène et les y a des péchés non expiés dans l ’ autre m onde et s ’ ils
origénistes. V oir col. 77-78. sont alors inexpiables. Le prem ier point est évident
Les Pères parlaient avec insistance de l ’ enfer éter ­ d ’ expérience; toute la preuve rationnelle de l ’ enfer
nel, peut-être plus que les prédicateurs m odernes. éternel se réduit donc au second problèm e indiqué
Ils prouvent de façons diverses l ’ éternité de l ’ enfer. plus haut : celui de la perversion im m uable de la
Tous font appel à l ’ É criture sainte; ils en expliquent liberté en enfer.
directem ent les textes et ils rejettent les fausses inter ­ O n peut prouver cette fixité de perversion de trois
prétations qui en étaient données. Cf. Index spécial m anières. Prem ièrem ent, en prouvant que notre vie
de M igne, P. L., t. ccxx, col. 246. Q uelques-uns invo ­ ici-bas est notre unique épreuve. Cf. F i n d e r n i è r e ,
quent la tradition (S. M éthode, S. É piphane, Justi ­ M é t e m p s y c o s e . M o r t . Le péché, deuxièm em ent,
nien); la plupart recourent aussi à la raison soit est, de soi, irréparable, et la grâce de la conversion
naturelle, soit théologique. Cf. un très court et très n ’ existe plus dans l ’ au-delà, cf. S. Thom as, Sum.
incom plet résum é, parfois discutable, dans J.T nrm el, theol., I» II® , q. l x x x v ii , a. 3; m ais cet argum ent
Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, t. i, com plexe ne vaut rien ici, car il est certain que le
p. 187-194, 250, 251. pécheur, tant qu ’ il vit, peut aim er D ieu super omnia
3. La raison. — a) A u point de] vue purem ent ra ­ et ainsi m ériter, de congruo infallibili, la rém ission
97 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 98

de son péché. L ’ âm e séparée enfin et radicalem ent, de loi et les prophètes se résum ent dans le précepte de
par sa psychologie intuitive, est à jam ais fixée dans la charité et que la charité elïective, celle qui sauve,
l ’ im m obile par rapport à sa fin dernière; la m obilité c ’ est celle qui s ’ exerce dans les œ uvres à l ’ égard du
m orale supposant essentiellem ent une psychologie prochain, faites surnaturellem ent pour D ieu. V oirt. n,
abstractive. E t là se trouve, en effet, pour saint col. 2256.
Thom as, l ’ explication dernière de l ’ enfer : l'enfer est 2. La tradition ecclésiastique, dès le principe et
éternel, non parce que D ieu punit éternellem ent, sans discontinuité, répéta les m enaces évangéliques
m ais D ieu punit éternellem ent parce que le péché et apostoliques de l ’ enfer contre tout péché, non seu ­
est éternel. Sum. theol, l a , q. l x iv , a. 2; Contra lem ent contre tout péché d ’ im piété, d ’ incrédulité ou
gentes, 1. IV, c. xcm . V oir O b s t in a t i o n . d ’ apostasie, m ais contre tous les péchés m ortels des
Le fond du problèm e de l'enfer se trouve donc dans chrétiens eux-m êm es. Les Pères apostoliques ne
la nature du péché non expié et non expiable en s ’ adressent qu ’ aux fidèles et leur pensée est claire
l ’ autre vie. « L ’ enfer, si nous l ’ entendons, disait dans l ’ enseignem ent des deux voies, via vitæ, via
B ossuet, c ’ est le péché», le péché dans l ’ état de term e. mortis. V oir col. 48. Les Pères apologistes disent que
/?) Pour la raison théologique, la connexion de l ’ enfer est préparé pour tous les .pécheurs païens et
l ’ éternité de l ’ enfer avec le dogm e révélé est pro ­ chrétiens. V oir col. 49-52. La controverse avec l ’ ori-
fonde et universelle; et l ’ existence de l ’ enfer éternel génism eet la discussion de saint A ugustin contre les
est une conclusion logique de tout l ’ ordre surnaturel. m iséricordieux confirm ent l ’ enseignem ent catholique.
La conduite de D ieu à l ’ égard de l ’ hum anité, les in­ V oir col. 64-77. A près saint A ugustin, il n ’ y eut plus
terventions répétées de révélation, de m iracles, de dans l ’ Église le m oindre dissentim ent. Les théo ­
grâces sans nom bre, de sacrem ents, d'institutions re ­ logiens qui pensèrent que les dam nés sont soulagés
ligieuses spéciales, la loi judaïque, l ’ Église avec tous par les prières qu ’ on fait pour eux, ne prétendirent
ses constitutifs surnaturels divins, enfin la direction jam ais qu ’ ils sont ainsi délivrés de leur peine.
particulière de toute l ’ histoire, selon les fins d ’ une 3. La raison reconnaît clairem ent qu ’ il en doit être
providence spéciale, supposent pour l ’ hom m e l ’ obli ­ ainsi. La vie éternelle, c ’ est l ’ am our de D ieu, la sain ­
gation m orale du salut éternel et la sanction éternelle teté béatifiée; l ’ enfer, c ’ est le rejet de D ieu, la fixa ­
pour les hom m es qui, par leur faute, n ’ ont pas fait tion dans la fin dernière désordonnée, ou le désordre
leur salut. Pourquoi, de la part de D ieu, tant de m oral radical, désordre qui résulte du choix décisif
m enaces contre les pécheurs im pénitents, tant de de la fin dernière elle-m êm e. O r, tout péché m ortel
préceptes difficiles à pratiquer, tant de sacrifices, non pardonné établit définitivem ent le pécheur dans
m êm e héroïques, im posés à l ’ hom m e pour le salut, si cet état tout de suite après la m ort. A u point de vue
quelques années de souffrances dans l ’ autre vie suf ­ surnaturel, la vie éternelle, c ’ est la grâce sancti ­
fisent à expier les plus grands crim es? Pourquoi l ’ in ­ fiante; le péché m ortel, quel qu ’ il soit, détruit cette
carnation, la rédem ption par la m ort du Fils de D ieu grâce et avec elle la vie éternelle et le droit à l ’ héri­
incarné, s ’ il ne s ’ agit que d ’ arracher l'hom m e cou ­ tage céleste. T out hom m e qui m eurt en état de péché
pable à une peine finie et passagère, si longue qu ’ on la m ortel, y restant à jam ais, ne peut obtenir la vie
suppose? Ces m ystères d ’ am our infini ne s ’ expliquent éternelle ni l ’ héritage céleste. Il est donc nécessaire ­
que si l ’ hum anité pécheresse avait besoin d ’ être ra ­ m ent destiné à l ’ enfer. M ais y aura-t-il au m oins un
chetée d ’ une peine,elle aussi infinie, c ’ est-à-dire éter ­ m ilieu après la m ort entre le ciel et l ’ enfer? Pour les
nelle. Cf. H ottinger, op. cil., p. 396: A . N icolas,© /?, cil., enfants, voir L i m b e s .
p. 472. 3° T out hom m e m ort à l ’ âge de discrétion qui ne
IV. L e s d a m n é s . — Q ui sont ceux qui sont en sera pas au ciel, sera en enfer. O n s ’ est donc de ­
enfer? — l°Les dém ons ou anges déchus. V oir t. iv, m andé si, après avoir atteint l ’ âge de raison, un
col. 104-105. — 2°Tous les hom m es m orts en état de hom m e pourrait m ourir sans avoir ni com m is de péché
péché m ortel actuel. C ’ est de foi définie, au m oins m ortel, ni fait d ’ acte de charité justifiante, ni reçu le
secundum Dei ordinationem communem. V oir col. 91, baptêm e, ne m éritant ainsi ni le ciel ni l ’ enfer.
et la proposition condam née par A lexandre V III. Q uelques-uns l ’ ont soutenu, pensant sans doute que
D enzingcr-B annw art, n. 1290. le cas se vérifierait pour beaucoup de païens en par ­
1. L ’ É criture sainte est explicite à ce sujet. N otre- ticulier. A insi' D ante, Inferno, canto iv, m et dans
Seigneur a déclaré qu ’ il fallait supprim er tout scan ­ les lim bes, avec les enfants m orts sans baptêm e, les
dale et toute cause de péché pour ne pas s ’ exposer m eilleurs païens de l ’ antiquité, A ristote, H om ère, etc.
à la géhenne du feu inextinguible. M arc., ix, 42-48. L. Picard, La transcendance de Jésus-Christ, Paris,
Le m auvais riche est en enfer, parce qu ’ il n ’ a pas fait 1905, t. i i , p. 102, 103 : « Là aussi (dans les lim bes)
un bon usage de ses richesses. Luc., xvi, 19, 25. Saint sans doute, se trouvera la m asse innom brable des
Paul a donné à trois reprises un catalogue des péchés infidèles, m orts dans l ’ infidélité; cette cohue d ’ êtres
qui m éritent l ’ enfer. I C or., vi, 9, 10: neque molles,... hum ains qui ont traversé l ’ existence, com m e des flo ­
neque fures, neque avari, neque ebriosi, neque male­ cons de neige..., ces innom brables adultes m orts après
dici, neque rapaces regnum Dei possidebunt; G al., avoir suivi autant que possible les dictées de leur
v, 19-21 : fornicatio, immunditia, impudicitia, luxuria, conscience ne seront pas dam nés. » Saint Thom as
idolorum servitus, veneficia, inimicitiae, contentiones, tient pour absolum ent im possible que des hom m es
aemulationes, iræ, dissensiones, seclæ, invidiæ, homici­ capables ’ de faire des actes libres, m oraux, ne soient
dia, ebrietates, comessationes, et his similia... regnum ni justifiés, ni personnellem ent pécheurs. Sum. theol.,
Dei non consequentur; E ph., v, 5 : omnis fornicator III® Suppl., q. l x i x , a. 7, ad 6 um ; surtout I* II®,
aut immundus, aut avarus, quod est idolorum ser­ q. l x x x i x , a. 6. La raison qu ’ il en donne est celle-ci :
vitus, non habet hereditatem in regno Christi et Dei. Cum usum rationis... habere inceperit... primum quod
A la thèse que tout péché m ortel non expié à la tunc homini cogitandum occurrit est deliberare de seipso
m ort m érite l ’ enfer, on a opposé le jugem ent dernier et si quidem seipsum ordinaverit ad debitum finem per
uniquem ent basé sur les œ uvres de m iséricorde tant gratiam consequitur remissionem originalis peccati; si
du côté des élus que du côté des réprouvés, M atth., vero non ordinet seipsum ad debitum finem secundum
xxv, 34-46; m ais cette description n ’ est pas exclusive; quod in illa ætale est capax discretionis, peccabit mor­
les œ uvres de m iséricorde accom plies ou om ises ne taliter, non faciens quod in se est. C ’ est là une obser ­
sont qu ’ un exem ple, et un exem ple bien choisi d ’ ail ­ vation très psychologique : un des prem iers actes
leurs, de la m atière du jugem ent général, puisque la libres, m oralem ent accom pli par l ’ hom m e, est natu-
D IC T . D E T H ÉO L . C A T H O L . V. - 4
99 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S EIG N EM E N T T H É O L O G IQ U E ) 100

Tellem ent de choisir son bonheur. Prenant conscience 2. Critique thcologique des faits. — Les théologiens
de soi, il veut son bonheur et il choisit parm i les biens hésitèrent d ’ abord à adm ettre toutes ces histoires,
qu ’ il connaît : il doit y avoir là et il y a de fait une lin surtout les prem ières. Cf. R obert Pullus, Sent., 1. V II,
dernière, voulue plus ou m oins confusém ent : le bien, c. xxvii, P. L., t. c l x x x v i , col. 945, cf. col. 1128,
l ’ ordre m oral et ainsi D ieu, ou soi-m êm e, recherché note de dom M athoud. Saint Thom as sem ble ad ­
définitivem ent, m algré tout, m êm e m algré l ’ ordre m ettre les faits, à cause des autorités qu ’ il ne savait
m oral à violer. Cf. S. Thom as, ibid., ad 3· ” ". D ès récuser, m ais veut aussi les faire tous rentrer dans
que l ’ hom m e en est capable, il doit donc absolum ent la seconde catégorie. Sum. theol., III» Supplem.,
accom plir le prem ier précepte essentiel de la loi natu ­ q. l x x i , a. 5, ad l “ m : Non erant finaliter in inferno
relle, aim er D ieu com m e sa fin dernière. Toutefois, cet deputati, sed secundum præsenlem propriorum meri­
argum ent, ex ratione præcepli charitalis in primo in­ torum justitiam; secundum autem superiores causas
stanti libertatis (opinion thom iste), est rejeté par plu ­ quibus praevidebantur ad vitam revocandi, erat aliter
sieurs théologiens, V asquez, Suarez, etc.,von- C h a b it é , de eis disponendum. D ’ autres, ajoute saint Thom as,
/ t. n, col. 2253 sq. ; et cependant à peu près tous adm et- n ’ adm ettent, pour les dam nés proprem ent dits (faits
' tent que D ieu par sa providence pourvoit à ce que de la prem ière catégorie), qu ’ une suspension de l ’ en ­
les enfants ne m eurent pas, après l ’ usage de la liberté fer jusqu ’ au jugem ent dernier. Jean le D iacre avait
' m orale, avant un péché m ortel ou un acte de charité adm is une libération com plète des supplices infer ­
justifiante. Très rares ont été ceux qui supposaient naux, m ais sans faire aller T rajan au ciel, ni le faire
un lieu spécial, inconnu de la tradition, pour les sortir de l ’ enfer. En tous cas, pour saint Thom as, ces
adultes, qui seraient coupables du péché originel et pécheurs qui étaient en enfer, sans être dam nés, ont
de péchés véniels seulem ent. Surtout le dogm e de la dû, pour être sauvés, revenir à la vie, à l ’ état dévoie;
nécessité de la grâce, pour éviter le péché, écarte sans on ne peut adm ettre qu ’ ils aient été justifiés en enfer,
conteste ces vies d ’ adultes sans grâces ni péché. com m e sem ble le dire pourtant le texte du pseudo-
A ctuellem ent on qualifierait donc cette opinion d ’ au Jean D am ascene. D e plus, c ’ est un m iracle qui ne
m oins tém éraire. V oir 't. iv, col. 22, 23. Cf. Pie V I, dépend que de D ieu seul et qui est tellem ent contre la
bulle Auctorem fidei, D enzinger-Bannw art, n. 1526. loi com m une, qu ’ on ne peut prier pour le dem ander.
Les propositions précédentes sont com m e des prin- Saint Thom as sauvegarde ainsi les deux vérités
; cipes abstraits. C oncrètem ent, quels sont les dam nés? catholiques : l ’ enfer est éternel; il ne faut pas prier
Il Sauf deQ udàs); A ct., i, 25; Joa., xvn, 12; M atth., pour les dam nés. Jean D iacre avait distingué entre
• xxvi, 24/lrrrfie peut dire d ’ aucune personne indivi ­ prier et pleurer pour les dam nés; saint G régoire avait
duelle, qu ’ elle est dam née. A u m oins, les dam nés sont- pleuré sur T rajan, m ais non prié pour lui. E nfin, le
ils plus nom breux, ou m oins nom breux que les élus? récit lui-m êm e de ce m iracle confirm ait ces deux
V oir É l u s (Nombre des). vérités, car D ieu aurait dit à saint G régoire : T rajan
4° M ais on fait à la doctrine de l ’ universalité de sera sauvé, lu autem posthac caveto ne mihi pro impiis
l ’ enfer pour tous les pécheurs l ’ objection que des supplex sis. E n adm ettant les explications de saint
âm es dam nées ont été délivrées de l ’ enfer. Thom as, tous les th jjglggiens posté rieurs ont reconnu
1. Les faits et les autorités. — U n écrit adm is qu ’ il ne répugne pasabsolum ent queD ieu suspende
longtem ps com m e l ’ œ uvre de saint Jean D am as- la fixation en l ’ état de term e de certaines âm es
cène, De iis qui in fide dormierunt, P. G., t. xciv, m ortes en état de péché m ortel (com m e de celles qui,
col. 247-278, rapporte que N otre-Seigneur, lorsqu ’ il m ortes en état de grâce, furent ressuscitées), pour leur
descendit aux enfers, délivra beaucoup d ’ honnêtes laisser encore durant quelque tem ps la liberté m orale
païens qui étaient m orts sans la foi et qui crurent nécessaire à leur conversion. Ces âm es ne seraient
alors à sa parole, que saint G régoire le G rand, par ses pas dam nées bien que peut-être souffrant en enfer, et
prières, délivra de l ’ enfer l ’ âm e de T rajan et que sainte ainsi il reste vrai que pour tous les dam nés l ’ enfer est
Thècle enfin délivra par le m êm e m oyen l ’ âm e d ’ une éternel. C ’ est cette possibilité qui a fait poser par
païenne nom m ée Falconilla. Jean D iacre, au ix° siècle, B enoît X II, dans sa constitution Benedictus Deus,
recueillit pour l ’ O ccidcnt cette histoire qu ’ il dit avoir D enzinger-Bannw art, n. 1336. la restriction : secun-
apprise des Églises anglaises ou saxonnes. Vita Gre­ dptjL_ Dçi^prdi nationem comjnimem,. V oir cob 91.
garii, 1. II, η. 44, P. L., t. l x x v , col. 104, 105. CE B elîarm in, - purgatorio, 1. II, c. vm , Opéra,
U ne autre série de m iracles fut colligée de la vie N aples, 1872, t. n, p. 397 sq. ; Sylvius, In Suppl..
de divers saints : m iracles de résurrection d ’ âm es q.LX xi. a. 5; Suarez, In II‘m,De mysteriis vitœ Christi,
m ortes en état de péché m ortel, m ais par grâce de disp. X L III, sect, ni, n. 10, Opera, t. xix, p. 737,
D ieu, avant d ’ être condam nées à l ’ enfer, revenant à M azzella, loc. cit., a. 5, n. 1261, p. 889, 890. V oir
la vie, pour se purifier par le baptêm e ou la confes ­ t. iv, col. 613, 614.
sion. Saint G régoire le G rand raconte un fait de ce 3. Critique historique des faits. — Les O rientaux
genre, de saint Silvère, Dial.,l. I, c. xn, P.L., t. i.xxvn, nièrent, dès le xi° siècle, l ’ authenticité de l ’ écrit
col. 212-213; Sulpice Sévère, un autre de saint M artin, attribué au D am ascene. Cf. Le Q uien, Dissert.
P. L., t. xx, col. 164; É vodius(?), un autre de saint Damasc., diss. V , P. G., t. xciv, col. 197. Ce ne fut
É t ienne, De miraculis S. Stephani, 1. I, c. xv, P. L., i que plus tard que les latins la rejetèrent avec les
t. x l i , col. 842, pour un enfant m ort sans baptêm e. histoires qu ’ elle garantissait. O n pensa d ’ abord que
Le pseudo-A m broise, Serm., x l v ii i , P. L., t. xvm , saint Jean de D am as avait vécu 200 ans avant saint
col. 727, en réalité, saint M axim e, Serm., l v i , De G régoire. M edina, In III*m, q. l u , a. 6; Joseph du
S. Agnete, P. L., t. l v ii , col. 646, rapporte encore un Saint-E sprit, au xvni° siècle encore, Cursus theolo­
autre exem ple, de sainte A gnès, en faveur du fils du gia" mystico-scholaslicœ, 5 in-fo)., Séville, 1721, t. ir,
préfet, m ort subitem ent au lupanar. Enfin, plus tard, dist. V I, q. ni, p. 154, etc. Puis après M elchior C ano,
on rapportera des m iracles sem blables de saint De locis theol., 1. X I, c. n, B ellarm in, loc. cil., aban ­
Patrice, Vie, par l ’ abbé R iguet, 1911, de saint Phi ­ donna cette attribution pour de justes argum ents de
lippe de N éri pour Paul Fabricius de la fam ille prin- critique interne (contradictions avec la doctrine cer ­
cière M assim o (résurrection, confession, m ort défini ­ taine des deux saints, cf.D c fide orthodoxa, n, 4; Mo­
tive), Vie, dans G uérin, Petits bollandistes, 26 m ai, ral., 1. X X X IV , c. xin), et surtout de critique ex ­
t. vi, p. 219, etc. Spécialem ent sur la délivrance de terne, silence absolu des O ccidentaux, Paul D iacre,
dam nés par le C hrist descendu aux enfers, voir t. iv, A nastase le B ibliothécaire, A don, le V . B ède, etc., des
col. 597-602. traditions et des archives de R om e, jusqu ’ à Jean
101 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S E IG N E M EN T T H É O L O G IQ U E ) 102

D iacre. L a dernière tentative en faveur de l ’ authen ­ 2° O ïl est l’enfer?— Ici,il n ’ y a plus rien de certain,
ticité du salut de T rajan, par C iaconio, fut m agis ­ m ais une succession d ’ hypothèses plus ou m oins
tralem ent réfutée par B ellarm in, loc. cil. A ujour ­ fondées. V oir une liste dans Suarez, loc. cit., n. 14.
d ’ hui, aucun doute n ’ est possible. Cf. B ardenhew er, p. 1058, et elle n ’ est pas com plète.
Les Pères de l’Église, Paris, 1905, t. ni, p. 90. L ’ enfer a été m is de l ’ autre côté de la terre par
Q uant à la seconde série de faits : résurrections quelques anciens; dans la vallée de Josaphat ou la
d ’ enfants ou de pécheurs, il est im possible d ’ en faire gehinnom ; en dehors de notre m onde (S. C hryso-
ici la critique détaillée; il sem ble que plusieurs stom e, In Epist. ad Rom., hom il. xxxi, P. G., t. l x .
sont certainem ent authentiques : théologiquem ent, col. 674); dans l ’ air ténébreux (S. G régoire de N ysse.
aucune raison ne s ’ y oppose. La thèse de l ’ universa ­ De anima et resurrectione, P. G., t. x l v i , col. 67):
lité de l ’ enfer pour tous les hom m es m orts en état au troisièm e ciel, en face du paradis (Secrets d’Ilénoch,
de péché est la loi générale quen ’ infirm eraientpas des voir col. 42); dans le soleil (Sw inden, théologien
exceptions très rares et souverainem ent m iracu ­ anglais,· ]· 1740); pour d ’ autres, il est dans la lune, dans
leuses. M ars, à l ’ extrêm e lim ite inférieure de l ’ univers (W iest,
V . L e l i e u d e l ' e n f e r . — Ê tre dans le lieu n ’ ap ­ Inst, theol., 1789, t. vi, p. 869). Cf. V . Patuzzi, De sede
partient directem ent qu ’ à la quantité corporelle. inferni in terris quærenda, V enise, 1763 (contreSw in-
Les substances spirituelles cependant peuvent avoir den); J. G retscr, De subterraneis animarum recepta­
un certain contact avec cette quantité, et ainsi par culis, Ingolstadt, 1595.
elle se trouver en quelque m anière dans le lieu. Les M ais en définitive ce sont opinions particulières,
dém ons et les dam nés, avant la résurrection, peuvent bien que non condam nées. Saint A ugustin disait en
donc être dans l ’ enfer com m e dans un lieu. effet, De civitate Dei, l.X X , c. xvi, P.L.,t. xi.l, col. 682 :
1° L ’enfer est un lieu déterminé. — C ’ est certissima in quæ mundi vel rerum parle futurus sit, hominum
Ecclcsiæ doctrina, dit M azzella, De Deo créante, p. 886; scire arbitror neminem, nisi forte cui spiritus ostendit.
de foi catholique, dit Suarez, De angelis, 1. V III, Saint C hrysostom e dit aussi : Ne igitur quaeramus
c. xvi, n. 2, p. 1054. ubi sil sed quomodo eam effugiamus. In Episi ad Rom.,
1. Le fondem ent de cette affirm ation se trouve dans hom il. xxxi, n. 5, P.G., t. l x , coi. 674. Enfin saint
l ’ É criture. Il n ’ y a pas de doute que pour celle-ci le G régoire le G rand : IIac de re temeredefmire non audeo.
Se'ôl en général était un lieu spécial. Cf. N um ., Dial., 1. IV, c. x l i i . O n voit siW iggers avait raison ie
χνι, 31 ; Job, x, 21, 22, et souvent ailleurs ; Ps. x l v ii i , dire que l ’ enfer au centre de la terre est de foi. Cf.
18-20; Liv, 16; l x i i , 10, etc. O r si le Se’ôl est un lieu, D ens, De novissimis, dans M igne, Theol. cursus, t. vit,
a fortiori la géhenne, celle-ci étant d ’ ailleurs com m e col. 1594. Petau lui-m êm e sem ble exagérer quan i il
localisée au fond du Se’ôl. Ezech., xxvi, 26; Is., v, 14; dit : communis, et ut apparet certissima, loc. cit., c. v.
xiv, 15; xxiv, 21, 22; Ps. x l v ii i , 15. D ans le N ou ­ n. 7; de m êm e Suarez, loc. cil., n. 17.
veau T estam ent, il suffit de m entionner M atth., xm , L ’ opinion à peu près com m une a toujours été
42, 50; Luc., vm , 31; xvi, 19, 31; A ct., i, 25; Phil., cependant que. l ’ enfer est à l ’ intérieur de la te rr .
n, 10; II Pet., n, 4; A poc., ix, 11; xx, 1; v, 3, etc. La façon de parler des saintes É critures lui est clai ­
O n peut citer aussi tous les textes qui envoient au rem ent favorable. Pour la tradition nous citerons
feu m atériel, donc, occupant un lieu. seulem ent T ertullien, De. anima, c. v; saint Irénée.
2. L a tradition catholique est unanim e. Il suffit Cont. hær., V , xxxi; saint H ippolyte, Adv. Græc
de citer saint A ugustin, Retract., II, 24; saint Jean 1 ; saint A ugustin, après avoir fait des difficultés,
C hrysostom c, llomil., x l i x , l , adpopul.·, saintC yrille In Gen., 1. X II, c. x x x i i i , xxxiv, se rétracte ainsi,
d ’ A lexandrie, In Is., 1. 1, c. vjsaint G régoire le G rand, Retract., 1. II, c. xxiv, n. 2 : magis mihi videor
Dial., 1. lV ,c. x l i i i . Le consentem ent des théologiens, docere debuisse quod sub terris sint (inferi) quam
la croyance ferm e des fidèles et de toute l ’ Église sont rationem reddere cur sub terris esse credantur sive
m anifestes. Cf. B ellarm in, De Christo, 1. IV, c. vm dicantur quasi non ita sini. Saint Jérôm e à plusieurs
sq. ; De purgatorio, 1. II, c. vi. reprises l ’ affirm e sans hésitation, par exem ple, In
3. La raison naturelle n ’ a rien à dire ici, car, com m e Epist. ad Eph., iv, 9. Saint G régoire le G rand traite
le rem arque Suarez, loc. cil., n. 10, p. 1057, cette la question ex professo, Dial., 1. IV, c. x l ii , x l i x ; cf.
localisation des supplices des dam nés ne dépend que 1. X V , c. xvii, etc., et conclut à la plus grande proba ­
de la libre volonté de D ieu. 11 y a cependant des raisons bilité de l ’ opinion com m une. D e m êm e, S. Isidore
de convenance. Celles de saint Thom as, Sum. theol., de Séville, Orig., 1. X V , c. ix ; H ugues de Saint-V ictor,
III 1 Suppl., q. l x i x , a. l.sont influencées par la phy ­ De sacram, fidei, 1. H , part. X V I, c. iv; S. Thom as,
sique ancienne des lieux naturels, ou proportionnel­ I\ï*Supplem., q. xcvn, a. 7; Suarez, loc. cit.,n. 17 sq..
lem ent convenables. Celles de Suarez, loc. cil., sont p. 1059; De purgatorio, disp. X LV, O péra, t. xxn,
basées sur sa théorie de la création des anges intra p. 879-902. Les raisons de convenance indiquées par
mundum, c ’ est-à-dire sur sa théorie de la présence ces auteurs sont les suivantes. D ’ abord, rien ne s ’ y
essentielle des anges en quelque lieu. U ne raison plus oppose : l ’ espace, le feu, etc., peuvent se trouver à
solide sera tirée de la convenance de la punition l ’ intérieur de la terre. Le m ot enfer et la croyance
par le feu corporel qui évidem m ent est localisé universelle qu'il inclut indiquent un lieu souterrain.
quelque part. A nalogie avec les désirs charnels, terrestres des
E t c ’ est ici un point où la révélation com plète la pécheurs. A nalogie de la prison ténébreuse avec l ’ état
raison. C elle-ci adm et des supplices pour les m échants, de désespoir et de m échanceté des dam nés, etc.
celle-là ajoute qu ’ ils seront infligés en un lieu spécial 3° Comment les damnés sont-ils enfermés dans l’enfer?
avec du feu horrible : cela frappe davantage les — Pour les corps des hom m es dam nés, après la ré ­
hom m es : raison de convenance pour nous. surrection, il n ’ y a pas de difficulté.
Ce lieu est unique et identique pour tous les dam nés : Pour les âm es et les dém ons, ils sont en enfer de la
cela sem ble tout naturel; c ’ est la pensée tradition ­ façon dont les substances spirituelles sont en un lieu;
nelle fondée sur la façon de parler de la révélation et là-dessus les théologiens ne s ’ accordent pas. V oir
écrite : une géhenne de feu où les im pies sont pré ­ A n g é l o l o g ie , t. i, col. 1231 sq. ; F e u d e l ’ e n f e r .
cipités com m e liés en gerbe, l ’ enfer, la géhenne, le Les dam nés peuvent-ils quitter ce lieu infernal?
lac de feu, l ’ abîm e, la prison éternelle, etc. Les dém ons, oui. V oir D é m o n s , t. iv, col. 401. Pour h
V oir plus haut, col. 90, les opinions contraires à hom m es et la question des revenants d ’ enfer. v< ·
cette doctrine du lieu spécial et déterm iné de l ’ enfer. dans A p p a r it i o n s , t. i, col. 1688-1692, les principe?
103 E N F ER (S Y N TH E S E D E L ’ E N S EIG N EM E N T T H É O L O G 1Q U E ) 104

théoriques généraux. Par la perm ission divine et reatus culpæ, la théologie de ces peines est, par toute
pour l ’ utilité des vivants, il ne répugne pas que sa nature intim e, absolum ent com m andée par la
quelque dam né apparaisse sur la terre, pour un théologie du reatus culpæ et du reatus pœnæ. V oit
instant, S. Thom as, Sum. theol., III® Supplem., Pé c h é , Pe in e .
q. l x ix , a. 3, soit dans une apparition purem ent D ans tout péché, il y a un double désordre respon ­
représentative (causée par D ieu ou les anges; nous sable (reatus culpæ) : le rejet de D ieu com m e fin der ­
ne parlons pas des trom peries du dém on), soit m êm e nière, reatus aversionis aDeo;le choix d ’ une créature
par une apparition substantielle avec un corps ap ­ à sa place, reatus conversionis ad creaturam, le tout est
parent, ou dans son cadavre, ou dans le feu, etc. une offense de D ieu. T out péché m érite un châtim ent,
Les faits d ’ ailleurs, dit J. R ibct, La mystique reatus pœ næ, car tout désordre m oral doit être réparé,
divine, t. n, p. 221, sont tellem ent m ultipliés, qu ’ il com pensé; cette com pensation réparatrice est une
serait déraisonnable de les révoquer tous en doute; privation proportionnelle du bien contre lequel on a
par exem ple, l ’ apparition de ce docteur à l'université péché. A u double reatus culpæ correspond donc pro ­
de Paris, en des circonstances si dram atiques, et qui portionnellem ent un double reatus pœnæ; pour le re ­
aurait déterm iné la conversion de saint B runo, voir jet de D ieu (péché m ortel), la privation de D ieu, le
t. π, col. 2275, et Acta sanctorum, t. l i , p. 538-595; dam; pour l ’ usage désordonné de la créature, quelque
l ’ apparition d ’ un prélat indigne et dam né à D enys le peine spéciale dans cet usage m êm e, la peine du sens.
C hartreux, Acta sanctorum, t. vin, p. 248. Cf. Lopez Q uant aux façons dont ces peines sont appliquées,
Ezquerra, Lucerna myst., tr. IV, c. xm , n. 116, pour il faut distinguer la peine concom itante : tout désordre
d ’ autres faits; J. R ibct, op. cil., c. xn, p. 225-229. m oral entraîne, en effet, de par sa nature, une peine :
La situation (situs') locale des dam nés en enfer est la privation de la beauté m orale d ’ abord et puis un
en dehors de nos connaissances et ce que les poètes, trouble dans les facultés violentées, qui, devenu con ­
les ascètes, les orateurs anciens développent à ce scient, constitue le rem ords,la honte,l ’ angoisse, etc.,
sujet est œ uvre d ’ im agination plus ou m oins droite. enfer intérieur parfois si terrible, inexorable com m e
Par exem ple, B ail, Théologie affective, Paris, 1845, un ver rongeur; et puis la peine infligée du dehors,
t. v, p. 379 sq., exam ine s ’ il vaut m ieux se représenter la seule que regarde directem ent le reatus pœnæ, celle
l ’ enfer com m e un ensem ble de lieux divers à diffé ­ que le gardien de l ’ ordre inflige au coupable. C ette
rents tourm ents ou com m e un étang unique où les peine, considérée avant la faute, est la sanction à
dam nés sont entassés l ’ un sur l ’ autre com m e des l ’ état de m enace; les peines de l ’ enfer ne sont évidem ­
poissons frits ensem ble; on trouve de sem blables m ent pas de cette espèce; considérées après la faute,
préoccupations en beaucoup d'auteurs de m édita ­ elles sont châtim ent appliqué. C elui-ci enfin est ici-
tions. Q uant aux localisations des grands poètes bas vengeur de l ’ ordre m oral et m édicinal en m êm e
chrétiens, D ante, Divine Comédie, part. I, l ’ enfer; tem ps, m ais dans l ’ autre vie, il ne pourra plus être
Le Tasse, Jérusalem délivrée, c. iv; M ilton, Paradis que purem ent vindicatif: tel est le supplice de l ’ enfer.
perdu, 1. II; K lopstock,La Messiade,c. ix, dans leurs D ans les élém ents de ce supplice, la division en
rapports avec la théologie, voir Th. O rtolan, Astro ­ peine du dam et peine du sens est faite d ’ après
nomie et théologie, Paris, 1894, p. 155-159, 171, certaines form alités des châtim ents infligés. Con
173 sq., 191. crètcm ent on a donné d ’ autres divisions. Par
A près cet exposé on gardera peut-être l ’ im pression exem ple, peines dans l ’ intelligence : cæcitas mentis;
que c ’ est trop peu de regarder com m e plus probable peines dans la volonté : obstinatio in malo; souf ­
l'opinion de l ’ enfer intra-terrestre, et queSuarez avait frances intérieures, douleur, désespoir, rem ords :
raison de la donner com m e certitude catholique. exclusio a gloria seu a beatitudine; souffrances venant
H ais il faut observer que la façon de parler au sujet de l ’ extérieur : feu, lieu, société, etc. C ’ est l ’ ordre de
des dogm es qui louchent à la cosm ologie et à l'astro ­ saint Thom as, Sum. Iheol., I “ , q. l x i v , a. 1-4, développé
nom ie. est fondée sur les apparences vulgaires et sur d ’ une façon oratoire par le P. M onsabré, Carême de
le systèm e astronom ique adm is à chaque époque. 1SS9. U ne autre division com prend les peines subjec ­
D ans la physique géocentrique, avec haut et bas tives: dépravation des facultés, intelligence et volonté;
cosm iques proprem ent dits, l ’ enfer était naturelle ­ les peines objectives : privations de D ieu et de tous
m ent conçu com m e placé en bas sous la terre, de m êm e les autres biens,objets des diverses facultés,supplices
que le ciel en haut dans l ’ em pyrée. Indépendam m ent positifs infligés par le feu, etc. Cf. encore Contra gentes,
d ’ ailleurs de cette conception scientifique regardée 1. III,c. cxLii, privation de la béatitude, des vertus, de
aujourd ’ hui com m e fausse, le langage populaire, l ’ ordre des facultés, des biens du corps et des biens de
de m êm e qu ’ il fait habiter à D ieu spécialem ent en la société.
haut, dans les cieux où se m anifestent, de la façon la Il est de fait que toutes ces peines concourent à
plus sublim e, sa gloire et sa puissance, placera natu ­ constituer le châtim ent de l ’ enfer. Les théologiens ont
rellem ent les êtres m auvais à l ’ opposé dans les ténèbres raisonné parfois longuem ent, pour faire entrer ces
de la terre. O n ne pourrait guéro-se représenter Satan divisions réelles dans la division form elle : dam et
ayant sa dem eure propre dans les splendeurs du sens; ainsi ils se sont dem andé si la tristesse de la
firm am ent. M ais ces façons m étaphoriques de parler perte de D ieu, l ’ obstination dans le m al appartien ­
n ’ ont aucune prétention scientifique et leur seule nent au dam ou au sens. Cf. Suarez, De angelis, 1. V III,
vérité absolue est une vérité m orale; saint Jean c. iv-vi, p. 972-983; Sahnanticcnses, De vitiis et
C hrysostom e, saint A ugustin, saint G régoire en peccatis, disp. X V III, dub. i, n. 4 sq.,t. vm ,p.398sq.
avaient déjà conscience. Cf. Th. O rtolan, op. cil., C om m e il a été expliqué, D a m , t. iv, col. 6, les m ots,
p. 62 sq., 122 sq.. 149 sq. : A . G ardeil, Le donné révélé peine du dam et peine du sens, peuvent prendre des
et la théologie, Paris, 1910, p. 104-106. V oir D e s c e n t e sens différents, lorsque ces peines sont m ises en rela ­
a u x e n f e r s , t. iv, col. 566, 583. C om m e le sens tion avec D ieu, avec le pécheur ou avec le péché.
m étaphorique pourtant ne s ’ im pose pas, il reste plus A joutons toutefois que l ’ essence de la peine étant
probable que le sens naturel doit être conservé. précisém ent dans la privation d ’ un bien, com m e, la
V I. N a t u r e d e s p e in e s d e l ’ e n f e r . — 1° Géné­ récom pense est dans sa possession ou sa donation,
ralités. — L ’ enfer, c ’ est le péché, non pas le reatus la douleur conséquente n ’ est pas la peine elle-m êm e,
culpæ, m ais le reatus pœnæ, ou plutôt les peines dues ni une peine spéciale, m ais un effet, com m e une pro ­
à ce reatus et appliquées enfin dans l ’ état de term e. priété qui doit se référer, reductive, à la privation qui
C om m e le reatus pœnæ dépend essentiellem ent du la cause, com m e la joie paradisiaque, à la possession
105 E N F ER (S Y N T H E S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 106

de D ieu dans la constitution de la béatitude céleste. du péché choisi. .M ais ce ne sont que connaissances
Pour étudier les peines de l ’ enfer, nous pouvons spéculatives, tournées toutes pratiquem ent non pas
recourir à deux principes : un principe de position, en am our et en joie, m ais en haine et en souffrances
les peines sont conform es à la nature du péché dans C ette lum ière, en effet, fait que la peine du dam est
l'honnne, et un principe d ’ opposition, l ’ enfer, c ’ est la im m ensém ent plus grande que la peine du sens. Elle
fin dernière m anquée, une privation qui doit se est la source de cette tem pête éternelle de rem ords,
m esurer à l ’ objet dont on est privé, le ciel. S. Tho ­ de tristesses m ortelles, de colères, de terreurs, de
m as, Compendium theologiae, c. c l x x i i - c l x x v i . désespoirs, qui sans cesse désole l ’ abîm e creuse au
2° Peine du dam , com m e peine du reatus aucrsionis cœ ur des dam nés par le départ de D ieu. Cf. Sauvé,
a Deo. — 1. Privation de Dieu et douleurs consé­ op. cil., p. 166-167.
quentes. — a) L a privation de D ieu, c ’ est le dam Pour les connaissances pratiques, jugem ents sur
proprem ent dit. V oir D a m . les choses, les événem ents, les personnes, il faut re ­
C ette privation de D ieu entraîne celle de tout don m arquer que, bien que gardant la puissance de leur
surnaturel : grâce, vertus, etc., dans une âm e toute faculté, la passion et le vice doivent, chez les grands
am énagée pour ainsi dire pour le surnaturel. C epen ­ dévoyés, la faire m al em ployer continuellem ent, au
dant il faut faire une exception pour le caractère m oins pour ce qui regarde l ’ ordre m oral et la sagesse
sacram entel du baptêm e, de la confirm ation ct de non pas m ondaine, m ais céleste. Cf. S. Thom as, De
l ’ ordre, qui dem eure dans le dam né com m e signe malo, q. xvi, a. 6, ad IS» ” , 15 “ m ; Suarez, loc. cit.,
étem el des hauteurs dont l ’ âm e est déchue par sa c. vi. Les dam nés verront-ils jam ais D ieu? N on,
faute, com m e m arque d ’ ignom inie et com m e preuve jam ais autrem ent que dans ses œ uvres. V erront-ils
d ’ une plus grande scélératesse. C ette exception est une fois au m oins Jésus-C hrist? V oir J u g e m e n t .
théologiquem ent certaine, à cause de l ’ enseignem ent V erront-ils les saints bienheureux au ciel, avant le
de l ’ Église sur la nature indélébile du caractère. V oir jugem ent? après le jugem ent? C ette question, sou ­
Ca h a c t è r e . vent discutée dans le haut m oyen âge, était un reste
b) Douleurs conséquentes. — V oir D a m , pour la dou ­ de l ’ opinion du Se'61 universel (dilatio inferni). Saint
leur en général. Pour en venir aux détails, on peut Thom as, Sum. theol., III ” Supplem., q. xc.vm , a. 9,
résum er ces souffrances, com m e l ’ a fait le P. M onsabré, spiritualise cette vision précédant le jugem ent : so­
loc. cil. Le pécheur a rejeté le souverain bien; il perd lum cognoscent eos esse in gloria quadam inæslimabili :
tout bien; c ’ est la douleur suprême, ou la conscience après le jugem ent, ils n ’ auront que la seule m ém oire
du m al total, de la perte de tout bien en perdant de cette gloire vue m aintenant ou au jugem ent. Pour
D ieu. Le péché est le rejet éternel du souverain bien les textes depuis saint A m broise jusqu'. xi iécle.
et la perte éternelle de tout bien; c ’ est le déses­ cf. A ligne, Index, P. L., t. ccxx, col. 24'.
poir suprême, douleur sans om bre d ’ espérance et 3. Perversité obstinée de la volonté. — i Obstination
de soulagem ent, douleur ainsi élevée à un autre dans le mal. — Le fait est de foi catholique; la nature
degré souverain par la certitude de cet à-jam ais de cette obstination est discutée dan- les écoles.
insondable. Toujours vouloir ce qui ne sera jam ais : V u l ’ étendue et l'im portance de la controverse,
la fin de ses m aux; toujours être privé de tout effleurée, t. rv, coi. 403, il y aura un article spécial
bien qu ’ on désire; repousser sans cesse la m ain de O b s t in a t io n d e s d a m n é s .
justice qui tourm ente toujours, vouloir ne plus b) Dépravation totale de la volonté. — E st-ce que les
être et continuer sa vie de souffrance intense pour dam nés ne peuvent en tout acte délibéré que vouloir
l ’ éternité en cet abîm e de désespoir absolu dans la le m al, n ’ agir que pour une fin m auvaise? E st-ce que
douleur absolue. Le péché est enfin le rejet volontaire ces actes de volonté pervertie sont des p écis sans
du souverain bien, d ’ où le remords suprême, lorsque être pourtant dém éritoires? E st-ce que les dam nés
trop tard le dam né est saisi du regret d ’ une telle sont continuellem ent en acte de péché, n ’ ayant plus
conduite; il voit sa faute sous la lum ière inexorable jam ais de som m eil ni de tem ps d ’ inconscience? Est-ce
de la science infuse; il voit ses conséquences; il voit que le dam né veut à ce point le m al qu ’ il haïsse
la facilité de l ’ éviter. Il voit le bonheur perdu ainsi ; D ieu et que de m êm e que tout dans le ciel est
et c ’ est pour lui le rem ords suprêm e dans le désespoir am our, tout dans l ’ enfer soit haine, haine de D ieu,
et la douleur suprêm es. Cf. Sauvé, L ’homme intime, haine des com pagnons de supplice, haine de tout,
1" édit., Paris, t. iv, p. 143-155, 167-175. haine chez tous, haine blasphém atoire? A toutes ces
2. Aveuglement de l’esprit. — V oir D é m o n s , t. iv, questions, il faut certainem ent répondr· . affirm ative ­
col. 403. C et aveuglem ent com prend la privation de m ent avec l ’ ensem ble des théologiens, m algré l ’ oppo­
toute lum ière surnaturelle venant de D ieu; m ais sition d ’ un petit nom bre. V oir D é m o n s , t iv, col. 403 ;
non de toute connaissance surnaturelle venant de O b s t i n a t io n ; Ch. Sauvé, loc. cit., p. 155-167.
l'objet révélé, Jésus-Christ, l ’ Église, etc. Les dam nés En résum é, les dam nés ont une science surém inente
croient ct craignent. Ils ne sont pas non plus privés de D ieu et du péché; ils souffrent épouvantablem ent
de leurintelligenceni de leurs habitus et connaissances de leur péché qui les prive de D ieu et ils s ’ y obstinent
naturelles de science acquise ou de science infuse; leur éternellem ent; s ’ obstiner dans la volonté d ’ un objet
m aintien découle de la nature des choses que D ieu ne m algré tout ce qu ’ il fait souffrir, c ’ est le propre de
violente pas. Cf. S. Thom as, Sum. thcol., I», q. l x i v , a. 1 ; tous les passionnés à idée fixe; en enfer, c ’ est l ’ in ­
q. l x x x i v ; III ” Suppl., q. xcvni, a. 7. Les dam nés tuition fixe, la volonté fixe, la douleur suprêm e fixe.
ont donc les connaissances qu ’ ils doivent avoir pour 3° Peines du sens ou peines du reatus conversionis.
leur état d ’ êtres m oraux châtiés; vue ineffablem ent — 1. Définition. — Ce nom , peine du sens, a été
vive et continuelle de D ieu, bien suprêm e, unique fin donné à la seconde espèce de peine des dam nés, parce
dernière, pureté infinie, là présente, m ais de présence que la principale souffrance de cette nature vient
sans union; vue im m ensém ent profonde de l ’ horreur d ’ objets m atériels sensibles. C ette peine atteint
et du désordre du péché, de leur histoire de péchés et prem ièrem ent les dém ons et les âm es séparées, et
de grâces, etc. Ils confessent ainsi que D ieu est saint, secondairem ent le corps des hom m es dam nés. La
juste, infinim ent bon et m iséricordieux, qu ’ ils sont peine du sens ne signifie donc pas une peine sensi ­
le péché justem ent puni et que le C hrist ainsi triom phe tive.
par sa justice. C ette science doit croître avec le Q uant à la chose désignée, sont peines du sens tous
degré du châtim ent à subir, celui-ci supposant une les supplices venant d ’ un objet extérieur par oppo ­
conscience plus grande du bien perdu et de l ’ abîm e sition aux douleurs intérieures analysées plus haut.
407 E N F ER (S Y N TH E S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 108

C ’ est D ieu qui inflige toujours ces supplices, car Job, xxiv, 19 : Ad nimium calorem transeat ab aquis
il est le juge qui châtie; m ais ce n ’ est plus seulem ent nivium et usque ad inferos peccatum illius, plusieurs
en se retirant et en em portant avec lui tout bien Pères ont cru au supplice de l ’ eau glacée au m oins
de perfection et de bonheur, c ’ est en faisant pâtir les pour les corps des dam nés après la résurrection, ou
Idam nés par l ’ action positive de diverses créatures, bien pour diverses catégories de dam nés, ou le plus
ses instrum ents. L ’ existen ce d ’ une certaine peine du souvent par m ode de successions de supplices, du
< sens ainsi com prise est TTum Tcerptudé théologïque feu à la glace, etc. A insi saint Jérôm e, In Matth., x, 28,
absolue. Il suffit de m entionner l'opinion singulière ae P. L., t. xxvi, col. 68; In Job, xxiv, ibid., col. 725,
D urand qui n ’ adm ettait, cependant en hésitant, que où il insinue la possibilité de ce sens dans M atth.,
la peine du dam et kl douleur qui s'ensuit; celle-ci xxii, 13; pseudo-A ugustin, De triplici habilarulo,c. n,
serait le feu de la révélation, fl ne suffit pas non plus P. L., t. XL, col. 993 (ce traité a probablem ent été
de dire avec « quelques-uns » que saint Thom as ré ­ écrit dans la G rande-B retagne, cf. dom G ougaud,
fute, De veritate, q. xxvi, n. 1; De anima, a. 21, que Les chrétientés celtiques,Paris, 1911, p.282;cf. p.285);
la peine ex rebus sensibilibus sera com m e la peine B ède, H aym on d ’ H alberstadt, H ugues de Saint-
d ’ une âm e qui a des rêves pénibles sur des choses V ictor, Innocent III, S. Pierre D am ien, etc. Saint
corporelles, ou m êm e la pensée seulem ent, la croyance Thom as se fait l ’ écho de ces pensées, In IV Sent.,
que telle chose lui fait du m al, car le rêve n ’ est I. IV , dist. L, q. n, a. 3, q. I, ad3 “ m ; cf. Sum. theol.,
pénible qu ’ à l ’ im agination et les âm es séparées n ’ ont Illæ Suppl.,q. xcvn,a. l,ad 3 un >; Quodl., V III,a. 18;
plus l ’ exercice de leur im agination; quant à la pensée Sum. theol., I “ , q. x, a. 3, ad 2" “ ; cf. Suarez, toc. cil.,
de n ’ im porte quel objet, elle n ’ est pas, par elle- 1. IV , c. xn, n. 22-30, p. 1016-1019. C ette exégèse du
m êm e, une peine, m ais une perfection; d ’ ailleurs, la texte de Job est inexacte. Il s ’ agit, en réalité, de la
croyance fausse qu ’ on pâtit d ’ une chose qui réelle ­ m ort de l ’ im pie rapide com m e l ’ absorption de l ’ eau
m ent ne fait pas pâtir, n ’ est pas adm issible chez les par une terre brûlée. L ’ opinion des glaces de l ’ en ­
dém ons ou les dam nés. Cf. Suarez, toc. cil., c. xm , fer n ’ a pas d ’ autre fondem ent; aucun autre texte
p. 1022 sq. ; Sahnanticenses, toc. cil., disp. X V III, n'en parle Jam ais Jésus-Christ, qui rappelle souvent le
dub. n, p. 408 sq. D ’ une m anière générale, il faut feu de l ’ enfer, ne fait allusion au froid de l'enfer; le
i donc adm ettre que les âm es et les dém ons en enfer stridor dentium, M atth., xxn, 13, qui a aussi été in­
! sont torturés réellem ent et physiquem ent d ’ une cer ­ terprété d ’ un effet du froid,ne signifie que la rage dé ­
taine m anière par des créatures instrum ents de D ieu; sespérée des dam nés. E nfin aucune raison théologique
et en cela consiste la peine du sens. Pour plus de dé ­ n ’ im pose cette opinion et l ’ ensem ble de la tradition
tails, voir F e u d e l ’ e n f e r . patristique et théologique la rejette.
Pourquoi ce châtim ent spécial? Saint Thom as en Vers. — L ’ opinion, qui a été toujours la plus com ­
b.
développe la raison fondam entale : Sicut recte agen­ m une et qui est aujourd ’ hui unanim e, n ’ adm et pas
tibus debentur bona, ita perverse agentibus debentur non plus le réalism e du « ver qui ne m eurt pas », dé ­
mala; sed illi qui recte agunt, in fine ab eis intento fendu par T irin, Comment, in S. Script., sur Judith,
percipiunt perfectionem et gaudium; e contrario ergo xvi, T urin, 1882, t. n, p. 597; Serarius, sur Judith,
debetur htec poma peccanti bus ul ex his in quibus sibi xvi, dans M igne, Cursus S. Script., t. xn, col. 1239-
finem constituunt, afflictionem accipiant et nocumen­ 1248; C orneille de la Pierre, In Is., l x v i , Paris,
tum. Hinc est quod divina Scriptura peccatoribus 1863, p. 767 sq. Ces com m entateurs citent diverses
comminatur non solum exclusionem a gloria, sed etiam autorités : S. B asile, S. C hrysostom e, S. Jérôm e, S. A u ­
afflictionem ex aliisrebus. Coni, gentes, I. III,c. c x l v i ; gustin, T héophylacte, M aldonat, etc. Suarez, toc. cil.,
Compendium theologice, c. c l x x ix . N o u s avons là l ’ ex ­ n. 34-35, croit cette opinion satis probabilis. M ais
plication par la cause m éritoire; voici quelle serait les autorités invoquées et l ’ exégèse réaliste adoptée
la cause form elle des peines du sens. C hez les bien · n ’ ont pas de valeur; les textes patristiques ne signi ­
heureux, les joies et les gloires secondaires venant de fient pas généralem ent ce qu ’ on leur fait dire; ainsi,
l ’ usage des créatures, en particulier dans leur corps, par exem ple, saint A ugustin, De civitate Dei, 1. X X I,
découlent par surabondance, pour ainsi dire, de la c. ix, P. L., t. x l i , col. 23. 11 rapporte trois opinions :
béatification essentielle de leur âm e; l ’ âm e divinisée réalism e du feu et du ver de l ’ enfer; sym bolism e de
voit cette divinisation se répandre en toutes ses puis ­ tous deux; réalism e du feu, sym bolism e du ver. La
sances jusque dans son corps, lui assurant par là la prem ière est possible au m oyen d'un m iracle et
possession de tous les biens secondaires dus aux quelques textes lui sont favorables, m ais on peut adop ­
enfants de D ieu. A insi, chez les dam nés, l ’ âm e privée ter aussi la troisièm e opinion : Eligat quisque quod
de D ieu voit toute participation aux biens divins se placet, aut ignem tribuere corpori, animo vermem, hoc
retirer de ses puissances et de son corps : D ieu s ’ est proprie illud tropice, aut utrumque proprie corpori ; en
retiré totalem ent du dam né; de là des privations de tous cas, Ia seconde est à rejeter. Toutefois, en ajou ­
m ultiples satisfactions secondaires; bien plus, delà tant : Ego tamen facilius est (sic) ulad corpus dicam
des révoltes de toutes les créatures contre cette utrumque pertinere quam neutrum, le saint docteur
âm e révoltée contre D ieu. El pugnabit... orbis ter­ sem ble préférer la troisièm e opinion. Il avait déjà dit,
rarum contra insensatos. Sap., v, 21. en effet, 1. X X , c. xxn, col. 694 : Alii proprie ad corpus
2. Quelles sont ces peines et comment sont-elles appli- ignem, tropice ad animam vermem, quod credibilius
quées'l — O n en distingue trois espèces : les peines esse videtur. M aldonat, de son côté, affirm e, Comment.
venant de l ’ action des créatures m atérielles, dont inivEvangelia, Lyon, 1598, sur M arc., ix, col. 819 sq. :
.la principale est le feu; la peine de la société des vermem hoc loco metaphorice intelligendum esse pro
autres dam nés, créatures spirituelles; enfin les peines damnatorum cruciatu nemini dubium est, etsi memini
diverses, privations de m ultiples satisfactions secon ­ Chrysoslomum et Theophylactum verum esse in dam­
daires. natis vermem qui eorum arrodat corpora alicubi sentire,
a) La peine du feu. — V oir F e u d e l ’ e n f e r . quo magis miror Theophylactum hoc loco utrumque
b) Peines provenant d’autres créatures matérielles.— et vermem et ignem metaphorice accipiendum putare.
Y en a-t-il? Faut-il adm ettre avec divers auteurs, Pour M aldonat, le feu et le ver ne sont que le m êm e
Pères et théologiens (nous ne parlons pas des poètes), supplice de l'âm e et du corps à la fois, exprim és de
outre le feu. de la glace, des vers réels, des océans deux façons. Ibid., col. 820.
d'im m ondices, etc.? Q uatre textes de l ’ É criture parlent de vers dans
a. Glace et eau. — Interprétant de l'enfer le texte de l ’ enfer. Is., l x v i , 24; Judith., xvi,21; E ccli., vn, 19;
109 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 110

M arc., ix, 45 sq. Le texte évangélique est évidem ­ être elle-m êm e qu ’ une torture terrible. A insi sera
m ent une citation littérale de Γ A ncien T estam ent. contrarié, dans les dam nés, ce besoin de la nature
O r, dans Judith et dans Isaïe, il ne s ’ agit que d ’ une créée, la sociabilité, ici-bas source de tant de biens et
com paraison : les ennem is de D ieu seront com m e une de joies dans une société de bons et d ’ am is, et de
arm ée de vaincus, de tués, pourrissant ou brûlés sur tant d ’ ennui et de dégoût dans une société odieuse,
le cham p de bataille et pour toujours; on ne peut dépravée. Cf. Sauvé, toc. cil., p. 192-201. O n ne peut
établir par ces textes la réalité des vers qui tourm en ­ guère raisonnablem ent douter du fait que les dam nes
teraient les dam nés en enfer, pas plus que par eux souffriront dans la société les uns des autres. L ’ enfer
seuls le réalism e du feu de l'enfer. D ans E ccli., vu, n ’ est pas une prison à régim e cellulaire individuel,
19 : vindicta carnis impii, le m ot carnis est uneaddi- quoi que prétendent quelques visions de saintes
tion de la V ulgate et saint Thom as expose d ’ ailleurs (cf. Sauvé, loc. cil., p. 202); il est un large abîm e de
les différents sens sym boliques qu ’ il peut avoir. Sum. feu, com m un aux dém ons et aux dam nés, et cette
theol., III® Suppl., q. xcvn, a. 2, ad 1 “ “ ; Quodl., V II, com m unauté les torture. Les ténèbres de l ’ enfer ne
a. 13. Pour repousser l ’ existence réelle des vers en seront donc pas si épaisses que les dam nés ne puissent
enfer, le m êm e docteur invoque cette raison théolo ­ se voir, m êm e corporellem ent, com m e le rem arquent
gique générale : Post diem judicii in mundo innovato fréquem m ent les Pères et les théologiens, S. G régoire
non remanebit aliquod animal, vel aliquod corpus mix­ te G rand, Dial., 1. IV, c. x x x ii i , P. L., t. l x x v i i ,
tum nisi corpus hominis tantum..., nec post illud tem­ col. 373; S. Julien de Tolède, Prognoslicon, 1. II,
pus sil jutura generatio et corruptio. A u m oins, au ciel c. xxiv, P. L., t. xevi, col. 486 ; S. Thom as, Sum. theol.,
et en enfer, il n ’ y aura plus de décom position ou d ’ al ­ III® Suppl.,q. xcvn, a. 3. La prédication chrétienne,
tération organique, car si les corps im m ortels des spécialem ent dans la bouche des Pères, a développé
ressuscités pouvaient être altérés, il faudrait, pour les souvent cette considération de l ’ horreur, du désordre
restaurer, ou la nutrition ou la création qui sont épouvantable, de la tyrannie haineuse de la société de
toutes deux en dehors de l ’ ordre définitif des choses. l ’ enfer,cité de la haine éternelle et universelle, où pas
Lessius ajoute, De perfectionibus divinis, 1. X III, un bon sentim ent ne s ’ élèvera jam ais pour un dam né
c. xxiv, n. 159 : lialio... est quia cum omnis morsus quelconque, où tous seront toujours dans le m ilieu
bestiarum ad dolores ac morsus ignis sit lusus vel parvi le plus abject et le plus antipathique qu ’ on puisse
momenti, non videtur operie ' pretium vilissimas be­ im aginer. O n peut concevoir des souffrances spéciales
stiolas novo miraculo jacere immortales in acerrimo résultant de la société des com plices, des corrup ­
igne, ut hominem crucient, prxserlim cum morsus ver­ teurs, des corrom pus, etc.
mium sil exiguus et molestiam potius afferat quam N ous exam inerons plus loin si la société des dém ons
acrem cruciatum. Cf. K nabenbauer, Comment, in sera, en outre, une tyrannie et une dom ination de
Mare., p. 255. Il n ’ y a donc pas, en enfer, de ver cor ­ bourreaux sur les hom m es dam nés.
porel : le vermis qui non moritur, c ’ est le rem ords de la D ’ ailleurs, nous ne pouvons concevoir com m ent
conscience qui appartient à la peine du dam , com m e s ’ exercent toutes ces relations entre substances spi ­
regret d ’ avoir perdu D ieu par sa faute, et à la peine rituelles, et dans quel degré m itigé ou exacerbé en
du sens com m e dégoût du plaisir passager créé, si nuances infinies; sur ce sujet, nihil nobis revelatum aut
vain et si déréglé, qui m érita l ’ enfer. alias certum. Suarez, loc. cit., c. xx, p. 1084. Cf.
c. Immondices, etc. — C onform ém ent à la théorie Juvencus, Ev. hist., 1. IV, v. 257-268, 281-305. P. L.,
physique ancienne, saint Thom as m aintient dans le t. xix, coi. 302-304; S. Pierre D am ien, loc. cit.
m onde supérieur purifié après la fin du m onde, tout S. A nselm e, Homil., v, in Mallh.. xvm , P. L..
ce qu ’ il y a de beau et de noble dans les élém ents t. c l v ii i , coi. 620, etc. ; M igne, Index, P. L., t. ccxx.
m atériels : quidquid vero est ignobile et fæculenlum coi. 244, 215.
in inferno projicietur ad poenam damnatorum; ut d) Privations diverses. — E n dehors de l ’ action
sicut omnis creatura erit beatis materia gaudii, ita positive des créatures m atérielles et intellectuelles,
damnatis ex omnibus creaturis tormentum accrescat, les dam nés souffrent encore, relativem ent à l ’ usage
secundum illud Sap., v : Pugnabit, etc. Hoc etiam deces créatures, de privations diverses. Ils ne reçoivent
divinæ justitiæ competit, ut sicut ab uno recedente per d ’ abord d ’ aucune d ’ elles ces innom brables satis ­
peccatum in rebus materialibus quæ sunt multæ et factions, si douces et si intenses, qui procurent ici-
varix finem suuip constituerunt, ita etiam multipliciter bas la joie secondaire de vivre. Lum ières, fraîcheurs,
et ex multis affligantur. Sum. theol., Ill ” Suppi., harm onies, air em baum é, repos et suaves sensations :
q. xcvn, a. 1, extrait de In IV Sent., 1. IV, dist. L, plus rien de cela chez tes dam nés, plus rien de tout ce
q. n, a. 3, q. i. Il nous cite à ce propos saint B asile, qu ’ ils avaient tant aim é ici-bas. Cf. les fables païennes
In ps. xxvm, P. G., t. xxix, col. 298, qui interprète d ’ Ixion, Sisyphe, T antale, etc. Par conséquent,
vox Domini intercidentis flammam ignis, dans ce sens toutes leurs facultés, sans objet et pourtant sans
que D ieu sépare dans la flam m e la propriété lum ineuse som m eil, surexcitées plutôt, sont dans un état de
pour le feu réservé au ciel et la propriété qui le rend m alaise et de privation plus ou m oins aigu, qui, devant
brûlant pour le feu enferm é en enfer. R ibet, La mys­ être éternel, est terrible.
tique divine, Paris. 1895, t. n, p. 219 sq.. rapporte des V oici les principales de ces privations : privation du
visions de saints, sur ce sujet, m ais évidem m ent elles besoin de liberté corporelle, d ’ im m ensité, de variété,
n ’ ont pas de valeur théologique. Les prédicateurs par la réclusion dans le feu de l ’ enfer, cf. Sauvé, loc.
anciens parlaient souvent du feetor infernalis. S. C hry- cit., p. 205 sq. ; sens internes liés à des im aginations et
sostom e, In Episl. ad Heb., hom il. i, n. 4, P. G., à des souvenirs qui tous sont plus ou m oins tortu ­
t. L xni, col. 18; Innocent III, De contemptu mundi, rants; sens externes blessés, suppliciés chacun dans
1. Ill, c. rv, P. L., t. ccxvn, col. 738, etc. Ils m en ­ son objet. Cf. Ch. Pesch, Prælecl. theol., t. ix.
tionnaient aussi des supplices de m arteaux et de n. 646-652.
chaînes, etc. Cf. Innocent III, ibid.; S.Pierre D am ien, e) Q uel sera donc l’état général du corps des damnés?
Serm., t.ix. P. L., t. cxr.iv, col. 838. etc. Il faut laisser D ’ abord, com m e celui de tous les ressuscités, il aura
de côté tout cela qui n ’ est pas dans la révélation. l ’ intégrité com plète, sans aucune des m utilations ou
c) La société des autres condamnés de l’enfer, dém ons difform ités introduites par l ’ action im parfaite de
et dam nés. — En raison de la dépravation indicible, de la nature (par génération, par m aladie, par m ort
l ’ état haineux, des supplices horribles des habitants prém aturée, etc.), cf. S. Thom as, Cont. gentes. 1. IV.
de l ’ enfer, leur société continuelle, éternelle, ne pourra c. l x x x i x ; Quodl., V II,a. 12; Sum. theol., Ill* Suppl.,
Ill E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S EIG N EM E N T T H É O L O G IQ Ü E ) 112

q. l x x x v i , a. 1; In IV Sent., 1. IV, dist. X LIV , q. ni, oculorum, dit saint Thom as, Coni, gentes, 1. IV , c. xc.
a. 1; il cite des opinions divergentes, qui étaient Cf. Ferrariensis, in loc.
soutenues de son tem ps par saint B onaventure, In Conclusion. — O n trouve, en résum é, chez les théo ­
IV Sent., 1. IV, dist. X LIV . Saint A ugustin avait ce ­ logiens, deux conceptions différentes de l ’ enfer.
pendant affirm é déjà l ’ intégrité de tous les corps L a prem ière, presque unanim e, résum e l ’ enfer dans
ressuscités, Epist., ccv, ad Consentiam,n. 15, P. L., la privation de D ieu et par conséquent de tout bien,
t.xxxiii,col. 947, tout en restant hésitantsur les dif ­ bien m oral, bien physique, bien de jouissance, bien
form ités et m aladies des corps des dam nés. En­ de perfection; non pas que les dam nés soient dans le
chiridion, c. l x x x v ii , x c i i , P. I.., t. XL, col. 272, 274. m al absolu, ce serait le néant; ils ont l ’ être, l ’ intelli­
L ’ opinion de saint Thom as devint com m une parm i gence avec plusieurs connaissances véritables, le
les théologiens; les poètes ont continué de parler des corps intègre et com plet;m ais ces biens physiques ne
m onstruosités corporelles des dam nés, cf. Suarez, De sont en eux que pour servir de base nécessaire à leurs
resurrect, gener, mort., sect, v, n. 8 sq., t. xix, p. 936; m aux épouvantables; ils ont le simpliciter esse
les raisons de saint Thom as sont, en effet, très (subsistentia', intelligere, vivere corporale); m ais aucun
bonnes. Ce qui sort directem ent des m ains de D ieu, bene esse, donc privation et m al total en eux, pas un
c ’ est-à-dire la nature, créée ou ressuscitée, est par ­ acte m oralem ent bon, m êm e d ’ honnêteté naturelle,
fait, com plet; et il n ’ y a pas lieu à exception dans le plus un seul bon m ouvem ent de cœ ur, de volonté, ni
cas présent : les difform ités, m aladies, m utilations de affection, ni reconnaissance, ni justice, ni droiture,
cette vie ne répondent nullem ent, en effet, aux péchés ni respect, ni obéissance, etc., rien d ’ ordonné dans les
des hom m es et D ieu n ’ en créera pas de spéciales en actes libres, le péché pur. A vec cela, la souffrance pure,
enfer où le grand supplice corporel est le feu; bien c ’ est-à-dire, non pas toute souffrance possible, m ais
plus, le châtim ent suppose plutôt des organes in­ rien que de la souffrance, sans jam ais le m oindre
tègres et en général une vie com plète. C ependant soulagem ent ou jouissance, et la souffrance dans tout
le texte invoqué autrefois, I C or., xv, 52 : et mortui l ’ être. E t pour tous il en est ainsi toujours, bien qu ’ à
resurgent incorrupti, ne prouve rien ici, car l ’ apôtre y des degrés divers.
traite de la résurrection des justes et non des dam nés. O n est arrivé à se dem ander si le dam né est à ce
V oir dans Ch. Sauvé, loc. cil., p. 184 sq., une concep ­ point plongé dans la souffrance totale que physique ­
tion un peu sem blable à celle de saintBonaventure et m ent il soit incapable d ’ aucun acte de délectation?
des anciens. O ckain, G abriel, B annez, M olina, V asquez, B illuart
Le corps intègre et com plet du dam né sera affecté ont répondu affirm ativem ent : D ieu refusant son
cependant de nom breux défauts : défauts provenant concours aux m ouvem ents naturels de joie qui naî ­
non de la nature, m ais de la volonté vicieuse : reflet traient dans un dam né, par exem ple, à la vue d ’ un
total de l ’ âm e m auvaise sur le corps par la laideur de ennem i lui aussi dans les supplices; ou le dam né
traits et d'expression repoussante; défauts radicaux n ’ étant d ’ ailleurs pas capable, vu sa douleur im m ense,
et connaturels de la pesanteur et de la passibilité, de faire attention à ces choses accidentelles. Saint
non corrigées par les qualités des corps glorieux : pas Thom as ne sem ble pas avoir refusé la possibilité de
de lum ineuse splendeur; pas de cette spiritualisation toute joie aux dam nés. Sum. theol.. I», q. l x i v , a. 3,
qui, chez les justes ressuscités, fait de la m atière ad l uœ ; In IV Senl.,1. IV , dist. X L V .q. n.a. l,ad 4 “ “ ;
l ’ instrum ent agile et prom pt de tous les désirs de Quodl., III, a. 24. Selon lui, les dam nés peuvent avoir
l ’ âm e. Cf. S.Thom as, Compendium theologice,c. c l x x v i , des m ouvem ents de joie secondaire, lorsque certaines
et loc. supra cil. de leurs volontés s ’ accom plissent. Suarez, loc. cit.,
Le corps im m ortel des dam nés sera donc à la fois c. xv, a pensé de m êm e. M ais ces m ouvem ents de
passible et incorruptible. La passibilité sem ble devoir joie ne soulagent pas le dam né; il n ’ est pas vraim ent
î ’ altérer, m ais l ’ incorruptibilité repousse toute alté ­ réjoui ni consolé, si peu que ce soit, dans scs affreux
ration. Pour expliquer la coexistence de ces deux qua ­ supplices, parce que damnati in inferno gaudent de
lités en apparence incom patibles, on ne peut recourir poenis inimicorum suorum et tamen de ipso gaudio magis
à l ’ hypothèse gratuite, sinon m êm e im possible, de dolent, Quodl., loc. cit., com m e leur intelligence voit le
Lactance. Dio. inst., 1. V II, c. xxi, P. L., t. vi, vrai, m ais en souffre plutôt que d ’ en jouir. Suarez
col. 801 sq., qui faisait détruire et refaire sans cesse ajoute m êm e qu ’ après le jugem ent dernier, cette
par le feu le corps des dam nés; faudra-t-il donc capacité de com plaisance, minima, vana, vilissima
avec saint Thom as n ’ adm ettre, m êm e pour ce corps, (de plus changée de suite en souffrance), nullam
que des passions intentionnelles, passione aninue... omnino occasionem habebit, tout étant alors con ­
suscipiendo similitudinem (intentionalem) qualitatis stitué dans l ’ im m obilité. L ’ enfer ne procurera donc
sensibilis, cf. loc. cil., et Compendium theologies, éternellem ent aux dam nés que la souffrance, sans 1
c. c l x x v i i ; ou bien peut-on trouver une passion phy ­ aucune consolation. C ’ est le sentim ent du' plus grand
sique corporelle qui ne soit ni altérable ni corrup ­ nom bre des Pères et des théologiens. Cf. S. Jérôm e,
trice? Ce problèm e de physiologie ultra-terrestre sera In Joel., n, P. L., t. xxv, col. 965; S. A ugustin, Serm.,
étudié à l ’ art. F e u d e l ’ e n f e r . L a théorie de saint xxii, 3, P. L., t. xxxvill, col. 150; De civitate Dei,
Thom as, fondée sur la physique ancienne : quiescente 1. X III, P. L., t. x l i , col. 385; S. C yrille d ’ A lexan ­
motu cæli, nulla actio vel passio poterit esse in cor­ drie. De exitu animæ, P. G., t. l x x v i i , col. 1075;
poribus, défendue par C apréolus, In IV Sent., loc. S. C hrysostom e, Ad Theod. laps., P. G., t. x l v i i ,
cit. ; Ferrariensis, In Coni, gentes, loc. cit., avait déjà col. 289.
été rejetée par Suarez, loc. cit. Les changem ents, U ne autre conception s ’ est fait jour çà et là d ’ un
actions et passions organiques, dans des corps incor ­ enfer m oins totalem ent m auvais. D ’ abord, pas de
ruptibles, ne peuvent donc être que de sim ples perversion m orale absolue; les dam nés sont en enfer
m ouvem ents physico -m écaniques, sans altération avec les sentim ents qu ’ ils avaient ici-bas, au m om ent
chim ique. V oir F e u d e l ’ e n f e r . R é s u r r e c t io n . de leur m ort : sentim ents de vertus naturelles, ou
N otons en term inant qu ’ il n ’ y aura pas de larm es autres; en tous cas. en eux pas nécessairem ent de
réelles en enfer; le fletus dont parle l ’ Évangile est blasphèm e et de haine de D ieu et de tous, de rage
m étaphorique ou ne désigne tout au plus, chez les désespérée, violente, épouvantable, etc. E t puis, pas
dam nés, après la résurrection, que les m ouvem ents de souffrance si totale : le dam , le feu à des degrés
physiologiques généraux qui produisent chez les vi­ divers, m ais pour beaucoup très légers sans doute;
vants des larm es, dolor cordis et conturbatio capitis et feu qui n'est peut-être pas m atériel; pas de m itiga-
113 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S E IG N E M E N T T H É O L O G IQ U E ) 114

tion aux degrés essentiels fixés,m ais aussi pas de cet c. xxxv, P. L., t. l x x v ii , col. 380, 381; Innocent III,
absolutism e qui ne m et partout que douleur: société, De contemptu mundi, 1. Ill, c. iv. vi, P.L.,t. c c x v i i ,
sens externes, souvenirs, etc.; il reste enfin chez les col. 738, 739; R obert Pullus, Sent., 1. V III, c. xv,
dam nés une vraie capacitédcconsolations secondaires, P. L., t. c l x x x v i , col. 983; S. Thom as, Contra y : : ..
accidentelles, réelles; « un ordre adm irable régne et 1. III, c. c x l v i. V oir aussi le beau passage de
régnera en enfer. » O n trouve généralem ent ces idées l’imitation de Jésus-Christ, 1. I, c. x x i v , n. 3. 4.
chez, les partisans de la m itigation; de plus, chez L a raison de convenance est claire. La peine du sens,
L. Picard, La transcendance de Jésus-Christ, Paris, c ’ est l ’ ordre rétabli dans l ’ abus des créatures; il faut
1905, t. n, p. 101-102. donc que la peine, instrum ent de cet ordre, aille
Le point fondam ental est ici celui du désordre chercher l ’ abus, le péché (com m e rcatus convert: -
m oral com plet des dam nés, voir col. 106; le reste nis), le désordre partout où il est pour le corriger
suit logiquem ent. Les auteurs, que scandalise l ’ enfer parfaitem ent.
traditionnel, n ’ ont pas réfléchi sur la nature de l ’ état Il y a differentes espèces de châtim ents en enfer.
de term e, sur la nature de la privation totale de D ieu Il est inutile de chercher si elles se feront sentir dans
et donc de tous ces biens créés qui n ’ étaient ici-bas les âm es et dans les divers organes par l ’ influence
que des m oyens pour aller à D ieu ; sur la nature du de créatures spéciales en des lieux divers ou plutôt
péché et de l ’ ordre de la justice divine; sur tous ces par l ’ influence « divinem ent intelligente » du m êm e
points il faut s ’ en tenir à la pensée chrétienne tradi ­ feu, instrum ent de la justice divine, suivant une
tionnelle, qui, seule, projette des lum ières sûres en pensée habituelle des Pères. Cf. S. G régoire, Moral.,
ces m atières m ystérieuses. 1. IV, c. x l i i i . C ependant, il y a un fondem ent de vé ­
V I I . G llA D U A T IO N D E S P E IN E S D E L ’ E N F E R .---- 1 ° L e rité dans les descriptions, par un certain côté théo ­
principe de l ’ inégalité des supplices infernaux a été logiques, de l ’ Enfcr de D ante A lighieri. Le poète,
suffisam m ent établi à l ’ art. D a m , t. iv, col. 16. Les dans la peinture de ses cercles de supplices de plus
textes principaux de l ’ É criture qui le prouvent sont en plus profonds vers le centre de la terre, n ’ a fait
ceux de Sap., v, 6 : potentes potenter tormenta patientur; que développer ce principe de saint Thom as : Se ­
M attii., x, 15; xi, 21-24 : terrse Sodomorum... remissius cundum diversitatem culpœ diversam sortiuntur et
erit; xxv, 14-30; L uc.,xn,47, 48 : vapulabit multis..., poenam, et ideo secundum quod gravioribus peccatis
vapulabit paucis, etc. D ’ ailleurs, d ’ après l ’ É criture, irretiuntur damnati, secundum hoc obscuriorem locum
le jugem ent et la rétribution se feront secundum et profundiorem oblinent in inferno, Sum. theol., III»
opera. M atth., xvi, 27; R om ., n, G, etc. La raison fon ­ Suppi., q. Lxtx, a. 5. et il l ’ a fait d ’ après une division
dam entale est évidente : l ’ enfer suit le péché com m e très théologique des péchés, exposée systém atiq : -
l ’ ordre à rétablir suit le désordre et se m esure évi ­ m ent, Inferno, chant xi. Cf. B erthicr, La divina Corn-
dem m ent sur lui. D onc tel péché, tel enfer; et cela media di Dante con commenti seconda la scolastica, Fri­
tant pour la peine du dam que pour les peines du sens. bourg, t. i, L ’inferno, 1909; A . M . V iol, La divine
2° C om m ent se fait cette graduation? N ous ne Comédie, sa structure théologique, dans la Revue tho­
pouvons en avoir, ici-bas, d ’ idée propre. Pour l ’ expli­ miste, 1910, p. 321 sq.
cation analogique, accessible à notre intelligence, sur 4° Gravité des peines de l’enfer. — La m esure abso ­
la peine du dam , voir D a m , t. iv, col. 16 sq. Q uant aux lue de cette gravité nous est encore inconnue. Q ui
inégalités des peines du sens, il est nécessaire d ’ abord peut apprécier ce que la ustice et la m iséricorde
de préciser les aflirm ations absolues, précédem m ent réclam ent et décident pour le parfait châtim ent d ’ un
exposées, par cette règle que ces peines existeront à péché? R elativem ent aux peines que nous connais ­
des degrés divers; ce qui dim inuera ou augm entera, sons directem ent, c ’ est-à-dire aux peines d ’ ici-bas,
suivant les cas, l ’ horreur et le supplice de la per ­ que dire de celles de l ’ enfer? La peine du dam ,m êm e
version totale, de la rage désespérée, de la haine la plus petite, dépasse im m ensém ent toutes les souf ­
blasphém atoire, du feu perpétuel, de la société affreuse, frances de ce m onde, voir D a m , t. iv, col. 9 sq. ; en est-
etc., de la souffrance pure enfin. D ieu ensuite il de m êm e de toute peine du sens? T oute peine de
doit directem ent et principalem ent intervenir en l ’ enfer dépasse-t-elle, d ’ une façon incom préhensible
tout cela, car lui seul sait et peut proportionner sans doute, toute peine terrestre, réelle et m êm e
exactem ent chaque supplice à chaque faute; l ’ action im aginable?
instrum entale des créatures est réglée par la justice Les théologiens qui, à la suite de saint Thom as,
divine, sans que nous puissions savoir si c ’ est suivant In IV Sent., 1. IV, dist. X X . q. i, a. 2, et sem ble-t-il
des lois générales ou suivant des interventions indi ­ de saint A ugustin, Inps. xxxvn, 3, P. L., t. xxxvi.
viduelles. A insi, il est vrai qu ’ au point de vue de D ieu, col. 397; de saint G régoire le. G rand, In ps. m pœnit.,
en enfer « règne et régnera un ordre adm irable. » η.Ι,Ρ. L., t. l x x i x , col. 568; de saint A nselm e, de
3° Pour parler d ’ une façon plus concrète, la gra ­ saint B ernard, etc., font à cette question une ré ­
duation de châtim ents en enfer ne sera-t-elle que ponse affirm ative m êm e pour le purgatoire, la font n
générique d ’ après la gravité du péché en tant que fortiori pour l ’ enfer. Les autres, à la suite de B ellar-
péché, ou sera-t-clle encore spécifique, des supplices inin, De purgatorio, 1. II, c. xiv. Opera, N aples. 1872,
spéciaux étant réservés aux diverses espèces de t. n, p. 402 sq.,ne se sont guère posé explicitem ent la
péchés? question. Le fait m êm e qu ’ ils ne discutent ce pointque
C ’ est la pensée traditionnelle qu ’ un voluptueux, pour le purgatoire perm et de conclure qu'ils regar ­
par exem ple, plus coupable qu ’ un avare, non seule ­ dent la chose com m e certaine pour l ’ enfer. Si ce n ’ est
m ent souffrira plus du feu que lui, m ais en souffrira pas en elle-m êm e et prise à part, au m oins dans ses
en son âm e et en son corps, d ’ une façon réservée aux circonstances d ’ éternité, de souffrance pure sans
voluptueux. La Sagesse, xi, 17, dit: Per quœ peccat quis réel soulagem ent, de support par un sujet déjà exas ­
per hæc et torquetur·, le m auvais riche de l ’ Évangile, péré et tourm enté de tous côtés, toute souffrance de
Luc., xvi, 24, dem andait une goutte d ’ eau pour sa l ’ enfer peut donc être considérée com m e appartenant
langue, une âm e séparée n ’ a pas de langue; m ais ce à un ordre qui dépasse toutes les souffrances d ’ ici-
trait n ’ était-il pas approprié par N otre-Seigneur aux bas. Il s ’ agit de tout genre de souffrance, propre aux
péchés de gourm andise de celui qui epulabatur quo­ dam nés, et non de chaque acte passager, par exem j ie.
tidie splendide? Cf. S. C yprien, Epis!., xn, ad Cornel., de vexation de la part des dém ons. O n peut noter, en
n. 3, 4, P. L., t. m , col. 825,826; S. G régoire, Moral., outre, avec saint Thom as,. Sum. theol., I “ II»,q. i . x x x v i i ,
L IX , c. l x v , P. L., t. l x x v , col. 913; Dial., 1. IV , a. 4, que si la peine du dam est d ’ une certaine façon
115 E N F ER (S Y N TH È S E D E L ’ E N S EIG N EM E N T T H É O L O G IQ U E ) 116

infinie, en tant qu ’ elle est la privation d ’ un B ien créatrice. C haque chose, d ’ après sa nature, a une
infini, im posée en punition du péché lui aussi de fin directe et im m ediate répondant totalem ent à
quelque m anière infini, la peine du sens est essentiel­ cette nature. L ’ enfer est un châtim ent; sa fin im m é ­
lem ent finie com m e le reatus conversionis. diate est donc de réparer l ’ ordre m oral détruit par
En tous cas, l ’ ensem ble de ces peines de l ’ enfer le péché. La peine du dam répare le reatus aversionis
constitue un état de douleur si épouvantable que ta du péché; les peines du sens, le reatus conversionis,
pensée en est écrasée et que le cœ ur en défaille. cl les diverses peines ou degrés de peines du sens,
V III. C a u s e e f f ic i e n t e d e l ’ e n f e r .’ — La les diverses espèces des conversiones indebilæ ad
cause efficiente, au sens large, qui a produit l ’ état de creaturam. D ieu est donc juste en créant l ’ enfer pour
choses qui exige l'enfer, c ’ est le pécheur par son péché les pécheurs car, com m e nous l'avons vu. le péché
et lui seul. Cf. S. Thom as, Sum. theol., 1 “ II®, exige l ’ enfer par m érite de sanction, en droit, dès
q. l x x x v i i , a. 1, ad 2 ” "·. qu ’ il est com m is, en fait, après la m ort lorsque ce
La vraie cause efficiente directe de la peine est droit ne peut plus être périm é par la conversion.
diverse suivant les peines. D e la peine concom i ­ La sainteté de D ieu resplendit non m oins en enfer,
tante, dépravation de la volonté, désordre des facultés, car la sainteté, c ’ est l ’ ordre m oral m aintenu par ­
rem ords, etc., la cause efficiente est encore le pé ­ fait, ou la nécessité pour tout être libre de ne glo ­
cheur lui-m êm e par son péché et la conscience de son rifier que le B ien. Par l ’ enfer, D ieu ne perm et pas
péché, D ieu n ’ en est que kl cause efficiente indirecte, que le pécheur se glorifie et jouisse de son désordre,
com m e auteur de la nature avec ses lois essentielles. du m al; ainsi est m aintenu inviolable le principe
M ais l ’ enfer consiste proprem ent dans les peines que seul le B ien est béatifiant, est bon.
du dam et du sens. D ieu en est la cause efficiente C et ordre de la justice est un ordre absolum ent
en tant qu ’ il les inflige aux pécheurs; il inflige essentiel et c ’ est une exagération de dire que l ’ enfer
la peine du dam par m ode de privation et celles du est exclusivem ent une œ uvre d ’ am our, de l ’ am our
sens par action positive, non toutefois im m édiate ­ qui voulait forcer les hom m es au salut par la crainte.
m ent, m ais m édiatem ent par l ’ interm édiaire de créa ­ Si D ieu perm ettait le péché irréparable dans l ’ éter ­
tures, ses instrum ents. Sur la nature et l'efficacité nité, il devait vouloir l ’ enfer. Cela rentre dans la
de cette action, voir F f . u d e l ’ e n f e r . nature m étaphysique des choses actuelles. Pourquoi
Les dém ons et œ s dam nés sont encore entre eux D ieu a-t-il voulu l ’ ordre actuel avec le péché et
des causes instrum entales au sens large pour le sup ­ l ’ enfer, c'est une question que nous résoudrons un
plice que leur procure leur société. Les Pères ajou ­ peu plus loin. La justice de D ieu en enfer n ’ est
taient, en outre, unanim em ent, que les dénions pourtant pas une vengeance personnelle au sens
exercent en enfer un véritable em pire de bourreaux sur strict, cette vengeance que défend l ’ Évangile. D ieu
les dam nés ; et celte affirm ation répondait à leur con ­ pardonne toujours de ce pardon qui continue à vou ­
ception du péché esclavage du dém on. Cf. J. R ivière, loir du bien, m ais il ne donne que le bien possible;
Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 375 sq. les dam nés ne veulent plus à jam ais et ne peuvent
A près la critique et la destruction de la théorie des ainsi jam ais plus recevoir la grâce; D ieu ne peut
droits du dém on sur les hom m es par saint A nselm e et la leur donner et ainsi il ne peut leur pardonner de
par A bélard, on ne cessa pas pourtant d ’ adm ettre une pardon justifiant. Cf. S. G régoire, Dial., 1. IV ,c. x l iv ,
véritable sujétion de l ’ hom m e dam né au dém on,sujé ­ P. L., t. L xxvn, col. 401.
tion existant par la perm ission de D ieu et pareille à Il est encore de l ’ ordre essentiel des choses que
celle qui m et Je crim inel au pouvoir du bourreau. toute créature soit une m anifestation de D ieu, une
Cf. S. A nselm e, Homil., v, in .Matth., xvm , P. L., participation ad extra de quelque perfection divine
t. c l v ii i , col. 620; S. Thom as, Sum. theol., III “ , qu ’ elle m anifeste ainsi ou fait connaître et aim er
q. x l v ii i , a. 4, ad 2 “ ™. C ependant le M aître des Sen ­ par les intelligences créées, procurant de la sorte la
tences, 1. IV, dist. X L V II, n. 5, P. L., t. cxcn, gloire de D ieu. L ’ enfer procure, lui aussi, cette gloire
col. 955, rapporte une opinion qui refusait au dé ­ de D ieu, car il m anifeste d ’ une m anière spéciale tous
m on, non seulem ent tout droit, m ais tout pou ­ les attributs divins : justice, sainteté, bonté, sagesse,
voir sur l ’ hom m e, au m oins après le jugem ent. libre indépendance, etc.
Saint Thom as la rappelle aussi avec. l ’ opinion 2. Ordre de l’amour ou de la surabondance de la
contraire du pouvoir diabolique éternel sur les dam ­ bonté créatrice. D ieu aurait pu ne vouloir l ’ enfer que
nés, Sum. theol., Illæ Suppl., q. i .x x x i x , a. 4; et il com m e châtim ent et ke vouloir pour tout péché m or­
déclare qu ’ il est im possible de se prononcer avec tel, com m is par les hom m es, sans s ’ y opposer par
certitude en faveur de l ’ une ou de l ’ autre. Verius aucun m oyen extraordinaire. E n fait, D ieu a voulu
tamen existimo quod sicut ordo servabitur in salvatis... déverser sur l ’ hum anité une surabondance d ’ am our,
eo quod omnes cœlcstis hierarchiæ ordines perpetui tellem ent incom préhensible qu ’ il a fallu parler des
erunt, ita servabitur ordo in pœnts, ut homines per folies de l ’ am our divin. D ans notre création, D ieu
daemones puniantur, ne totaliter divinus ordo quo est am our; le crucifix, l'eucharistie, le Sacré-Cœ ur :
angelos medios inter naturam humanam et divinam voilà ce qu ’ il faut considérer pour com prendre l ’ en ­
constituit, annulletur; nec ob hoc minuitur aliquid de fer, car, m algré cet am our, D ieu a voulu l ’ enfer. Par
daemonum pcena, quia in hoc etiam quod alios torquent suite, il est souverainem ent probable, com m e le
ipsi torquebuntur; ibidem enim miserorum societas pensent plusieurs théologiens, que D ieu ne précipite
miseriam non minuet sed augebit. pas le pécheur en enfer potir un péché m ortel isolé,
IX . C a u s e f i n a l e d e l ’ e n f e r . — N ous voici au surtout pour un péché de fragilité, m ais qu ’ il n ’ y
cœ ur de la théologie de l ’ enfer, c ’ est-à-dire de la envoie que des pécheurs invétérés. En outre, on
science de l ’ enfer au point de vue de D ieu. Si D ieu peut assurer qu ’ il distribue à tous les hom m es des
n ’ est pas m û par un bien quelconque à vouloir ce secours extraordinaires pour les aider à éviter le
qu ’ il veut, il ordonne cependant toutes ses œ uvres péché m ortel sans que nous puissions expliquer
à une fin dernière. A quelle fin, d ’ abord, a-t-il or­ quels sont ces secours. Il est donc vrai de dire que
donné l ’ enfer? E t puis, dernier pourquoi des œ uvres l ’ enfer n ’ est que la punition d ’ un m épris obstiné de
divines, quelle a été la raison form elle pour laquelle il l ’ am our divin. Cf. Lacordaire, Conférences de Notre-
a voulu l ’ enfer? Dame, 1851, l x x i i 0 conf.. De la sanction du gouver­
1° La fin de l’enfer. — 1. Ordre de la justice ou de la nement divi-n. Param our, D ieu patiente avec le pécheur
nature essentielle des choses voulues par la bonté et lui pardonne sans cesse scs crim es; par am our, il
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cherche à le sauver et à s ’ en faire aim er, et si enfin il fer, ou cet ordre de choses, com prenant le péché et
dam ne ce pécheur obstiné, c ’ est encore par am our. l ’ enfer ? E st-ce parce que c ’ est un ordre d ’ am our ex ­
Lorsque D ieu, en effet, a choisi, parm i les m ondes cellent, plus excellent que les autres ordres où n ’ en ­
possibles, le nôtre, il a voulu, en lui, le bien, et il en a trerait pas le péché, sinon tous absolum ent, ceux
perm is le m al, les péchés et l ’ enfer; m ais il n ’ a perm is du m oins qui sont de potentia ordinata? E t cette
le m al que parce qu ’ il était utile au bien, au salut des excellence provient-elle de ce que l'ordre de choses
élus. C ette utilité est double: l'enfer devait être un actuel est un ordre d ’ am our blessé par le péché,
puissant stim ulant, le seul efficace pour beaucoup, de m ais réparé par le V erbe incarné et rédem pteur et
salut et de sainteté et finalem ent pour les élus une rai ­ puis par notre am our pénitent? C 'est là une réponse
son plus grande de joie reconnaissante et d ’ am our. traditionnelle : o /elix culpa. M ais, définitivem ent, la
S. Thom as, Sum. theol., III® Suppl., q.xcix, a. 1, ad3 “ ra , question est insoluble. D ieu a choisi cet ordre où il y
4 nm . Iniqui omnes ælerno supplicio deputati sua quidem a le péché et l ’ enfer pour m anifester librem ent son
iniquitate puniuntur et tamen ad aliquid ardebunt, am our infini dans le degré que réalise le m onde créé.
scilicet ut justi omnes et in Deo videant gaudia quæ per­ X . A p p l i c a t i o n s p r a t i q u e s . — 1° E n théologie
ceperunt et in illis perspicianl supplicia quæ evase­ spéculative, une m éditation sérieuse de l ’ enfer est
runt; quatenus tanto magis in æternum divinæ graliœ nécessaire pour apprécier m oins incom plètem ent
debitores se esse cognoscant quanto in æternum mala toute la conduite de D ieu sur le m onde, pour com ­
puniri conspiciunt, quæ ejus adjutorio vicerunt. prendre spécialem ent la nature si m ystérieuse du
S. G régoire le G rand, Dial., 1. IV, c. x l iv , P. L., péché, enfin pour m ieux estim er ces attributs divins
t. L xxvii, col. 404. de sainteté et de pureté, de justice, de souveraine
N ous avons ainsi, par offensive, résolu la grande indépendance.
objection faite à l ’ éternité de l'enfer : un enfer 2» E n théologie ascétique, l ’intelligence individuelle
éternel ne peut s ’ accorder avec la bonté et la m i ­ de la doctrine de l ’enfer s ’ acquerra par le travail de
séricorde de D ieu. C om m e réponse directe il faut la raison éclairée de la foi ou par l ’ illum ination supé ­
ajouter ceci : la bonté de D ieu, c ’ est son am our rieure des dons infus d ’ intelligence, de sagesse et
faisant du bien gratuitem ent : cette bonté est de science.
m iséricorde à l ’ égard d ’ êtres m isérables. A ux dam nés La crainte de l ’ enfer étant évidem m ent inférieure
D ieu a-t-il voulu le bien, la perfection, le bonheur àl'am our, cette étude appartient de soi plutôt à la voie
et rien que cela? O ui, de volonté antécédente, c ’ est- purgative, au com m encem ent de la vie m orale et
à-dire de volonté réelle, sincère, efficace. D ieu crée ascétique. Eccli., i, 16; I Joa., iv, 18. V oir C r a i n t e
tous les hom m es pour le ciel et personne pour d e D i e u . Toutefois, il faut, à ce propos, éviter deux
l ’ enfer; si bien qu ’ il donne à tous les m oyens né ­ excès : a) de dire que les parfaits ne craignent plus
cessaires, et m êm e, de fait, surabondants, pour l ’ enfer, parce qu ’ ils sont établis dans l ’ am our, R om .,
arriver au ciel : voilà l ’ am our et la bonté de D ieu vin, 35-39, et qu ’ ils ne désirent plus le ciel étant
universels. M ais les hom m es sont libres; s ’ ils re ­ prêts, com m e disposition habituelle, à aller en enfer,
fusent d ’ aller au ciel et s ’ ils se plongent dans le voir Q u ié t i s m e ; b) de dire que les parfaits n ’ ont
m al, qu ’ y peut la bonté de D ieu? P ar m iséricorde plus à penser aux m otifs de crainte et à l ’ enfer. Si
les sauver m algré tout? M ais la m iséricorde est un parfait qu ’ on soit, on a toujours à craindre le péché
attribut tout transitoire : le m al disparaît ou devient m ortel et l ’ enfer, qui en est le châtim ent. M ’ r Ch.
irrém édiable. A lors D ieu ne devait pas créer ces G ay, Vie et vertus chrétiennes, I ro partie, t. i, p. 189-
m aux irrém édiables? Il aurait pu ne pas les créer; 198. B ien plus, une connaissance supérieure de l ’ enfer
m ais il n ’ y était pas tenu, n ’ étant pas tenu de ferm er par voie de contem plation infuse, ou m êm e de vision
son cœ ur sur tous, parce que quelques m isérables de ­ im aginaire ou intellectuelle, a été très souvent dans
vaient abuser de ses bienfaits. Bien plus, nous allons l ’ histoire de la sainteté un facteur capital de grande
le dire, c ’ est par am our plus grand que D ieu a sans sanctification. Il suffit de rappeler les visions de sainte
doute conservé le m al dans notre ordre, alors qu ’ il Thérèse et de sainte Françoise R om aine. Cf. .1. R ibet,
aurait pu le supprim er. La mystique divine, Paris, 1895, t. il, c. xn, p. 219 sq.
2° La raison formelle el dernière de l'enfer. — L a 3° Q uant aux sentim ents à avoir à l ’ égard des
raison form elle, objective et dernière des volitions dam nés, il serait d ’ abord irraisonnable autant qu'inu ­
divines, c ’ est l ’ am our de son bien infini, en tant tile de dem ander à D ieu leur délivrance ou leur sou­
que m anifesté librem ent dans la participation finie lagem ent, puisque leur sort est fixé à jam ais. V oir
du bien infini aux créatures. V oir t. n, col. 838-840. M i t i g a t i o n . E n outre, il ne faudrait pas avoir pour
D u degré dont D ieu veut par son am our subsistant eux de fausse pitié; ils ne sont pas exclusivem ent
aim er les biens lim ités il n ’ y a d ’ autre raison que le des m alheureux, ce sont des m isérables. Il n ’ y a pas
libre am our de D ieu. Il y a, en effet, un ordre essen ­ lieu de s ’ apitoyer sur leur sort qu ’ ils n ’ ont que trop
tiel que D ieu se doit de m ettre partout. M ais au- m érité par leur dépravation finale et irrém issible.
dessus de cet ordre essentiel, il y a le surabondant Cf. S. G régoire le G rand, Dial., 1. IV, c. xi.iv, P. L.,
que D ieu ne doit plus et qui ne dépend que de sa t. L xxvn, col. 404; S. Thom as, Sum. theol., III»
liberté, c ’ est-à-dire de la part d ’ am our infini qu ’ il Supplem., q. xciv, a. 2, 3. Les bienheureux n ’ ont
veut bien accorder aux créatures. D ire que D ieu pour les dam nés aucune com passion, soit antécé ­
doit le salut final à tous, c ’ est m ettre en lui une né ­ dente ou indélibérée, soit délibérée, car la vraie
cessité dans le dom aine m êm e du surabondant et com passion suppose un m al guérissable. D ieu lui-
c ’est faire im poser des lim ites à son am our créateur m êm e n ’ a plus de m iséricorde pour les dam nes, parce
par la créature m êm e et par le péché de la créature. qu'ils n ’ en veulent plus. N ous com prendrons cela dans
A vec plus d ’ am our pour telles créatures, D ieu n ’ au ­ la lum ière infinie.
rait pas fait l ’ enfer; m ais c ’ était un degré d ’ am our 4° A u point de vue pastoral, on s ’ est dem andé par ­
libre et indépendant et il ne l ’ a pas voulu. fois s ’ il était utile de prêcher l ’ enfer à notre époque,
Cf. S. Thom as, Sum. theol., I ’ II®, q. L xxxvn, a. 3; et la sagesse charnelle tend à répondre négativem ent.
q c l v ii , a. 2, ad l um . Telle est la dernière raison for ­ L a vraie sagesse traditionnelle a pensé autrem ent. Si
m elle de l ’ enfer, com m e de toutes choses. les Pères et les prédicateurs du m oyen âge. en effet,
C onnaissant l ’ im m ense am our de D ieu, on peut ce ­ ne m ultipliaient pas les instructions spéciales sur
pendant se dem ander encore pour quelle perfection l'enfer, la pensée de la géhenne avec toutes ses
spéciale supérieure ce D ieu si aim ant a voulu l ’ en ­ horreurs hantait leur esprit et s ’ exprim ait fréquem ­
119 EN FER (SY N TH ESE D E L ’ EN SEIG N EM EN T TH EO LOG IQ U E — EN G ELB ER T 120

m ent chins leurs discours. D ira-t-on qu ’ à ces époques nishment and infinitive Love, dans The Month, 1882,1. x l i v ,
barbares, il fallait des chocs violents pour ébranler | p. 1 sq., 195 sq., 305 sq. ; Ricth, D cr moderne Unglaube und
l ’ esprit des fidèles, m ais que les chrétiens m odernes die ewigen Strafen, dans Slimmen airs Maria-Laach, 1886,
t. XXXI, p.25 sq., 136 sq.; G ibbons. Our Christian heritage.
tris adoucis, très conscients de l ’ indépendance et de Baltim ore, 1889, c. XIV, p. 216 sq.: de Bonniot, Le problème
la dignité personnelles, ne veulent céder qu ’ à l ’ am our du mal; H . Brém ond, La conception catholique de l'enfer,
et n ’ aim ent pas les m enaces. O n s ’ évanouit m ain ­ 9 ' édit., Paris, 1907 ; Th. O rtolan. La fausse science con­
tenant d'effroi en entendant prêcher sur l ’ enfer ou temporaine et les mystères d’outre-tombe, 8' édit., Paris, 1900.
bien la sensibilité affolée par la peur tom be dans le 2 “ .Sur l’enfer dans ΓÉcriture sainte. — A lzberger, Die
désespoir. Il est certain qu ’ il vaut m ieux aller à Jésus christlichc Eschatologie in den Stadien Hirer Offenbarung
par l ’ am our, m ais la crainte peut conduire à l ’ am our, im Alton und Neuen Testaments, Fribourg-en-Brisgau,
1890, p.36sq.,61sq.,84sq.,97 sq., pour l ’ A ncien Testam ent,
m êm e la crainte de l ’ enfer. Il faut tem pérer la crainte p. 136-156, pour la théologie juive; p. 282-298, pour le
par l ’ am our, m ais aussi exciter l ’ am our de D ieu par N ouveau Testam ent;abondante bibliographie; S. D . F. Sal­
la crainte de ses châtim ents et éloigner du péché par m ond, Hell, dans Dictionary of the Bible, Édim bourg, 1902,
la pensée de la sanction divine de l ’ enfer. O r, cette t. π, p. 343-346; V igouroux, La Bible et les découvertes
crainte est aujourd ’ hui nécessaire com m e au tem ps de modernes, 6 e édit., Paris, 1896, t. IV, p. 517-528, 585-595;
saint C hrysostoine, de saint C ésaire, de saint Pierre A. V acant, Enfer, dans le Dictionnaire de la Bible, t. it,
D am ien, de B ourdaloue, parce que la nature hum aine col. 1792-1796; V acant, A m e, IV,destinée d'après la Bible,
est au fond toujours identique. Les prédicateurs
ibid., t. i, col. 461-473: H etzenauer, Theologia biblica, Fri-
bourg-cn-Brisgau, 1908, p. 612 sq. ; au point de vue protes ­
doivent donc om ettre seulem ent les descriptions de tant orthodoxe, A. W abnitz, Enfer, dans Γ Encyclopédie de
pure im agination. I.es données de la révélation suffi Lichtenberger, Paris, 1878, t. iv, p. 125-433, courte biblio ­
sent à faire im pression sur les âm es croyantes. M ais graphie protestante orthodoxe; au point de vue libéral,
écarter systém atiquem ent de la chaire chrétienne la M ilton S. Terry, Biblical dogmatics. Londres. 1907, p. 122-
préoccupation, qui doit être constante, des fins der ­ 136; longue bibliographie,p 583-593; au point de vue ra ­
nières et de l ’ enfer éternel, c'est ignorer radicale ­ tionaliste, Char les, Eschatology, dans Encyclopædia biblica,
m ent l ’ esprit du christianism e ou m êm e la notion Londres, 1901, t. il, col. 1335-1390, et les nom breuses théo ­
logies bibliques récentes ou les histoires de la religion juive.
de la créature, de l ’ état de voie et de l ’ état de term e, 3° Sur l’enfer dans la tradition. — A tzberger, Geschichte
puisque la vie chrétienne doit aboutir inévitablem ent dcr christlichen Eschatologie innerhalb der vornicünischen
au ciel ou à l ’ enfer. 7.eit, Fribourg-en-Brisgau, 1896; A lger, The destiny of the
soul, a critical history of the doctrine of a future life, 14' édit.,
H est im possible de dresser un catalogue com plet sur un N ew York, 1889, très riche bibliographie pour les ouvrages
sujet qui a été la préoccupation constante de l ’ esprit hu ­ anciens, exposition inexacte de la doctrine catholique;
m ain. Voici, avec les travaux signalés au cours de l'article, Charles, Critical history of the doctrine of a future life in
les principaux écrits à consulter. Israel, in Judaism and in Christianity, Londres, 1899;
I. T r a it é s g é n é r a u x . — Pour les anciens théolo ­ F. Tournebize, trois articles sur la tradition et l ’ enter,
giens, saint Thom as, puis les com m entateurs des Sentences ïcu, universalism e, conditionalisme, dans les Études,
ou de la Som me, Suarez, Sahnantieenses, etc. ; spécialem ent 15 décem bre 1893, t. L.x, p. 621 sq. : m ai, juillet 1904; Id.,
Petau, De angelis, 1. Ill, c. m -vm , d-.msDogmatatheologica, Opinions du four sur les peines d’outre-tombe, 7' édit.,
Paris. 1866, t. iv. p. 74-120: J. V . Patuzzi, De futuro im­ Paris; Turm el, Histoire de la théologie positive,Paris, 1904,
piorum statu, 1. H I, V érone, 1718; .1er. D rexclius, Æ lcrnilas t. 1, p. 187-194, 250-251, 356.
infelixsive supplicia œterna damnatorum, A nvers, 1613 (des ­ 4° Sur l'éternité de l’enfer, voir G. Cordem oy, L’éternité
criptions imaginaires épouvantables); Bœ ttcher, De in/eris des peines de l'enfer contre les sociniens, Paris, 1697; Sachs,
rebusque post mortem futuris, 1846 (riche bibliographie); Die eivige Dauer der Hôllenstrafen, Paderborn, 1900; sur le
Passaglia, De leternitale pœnarum deque igne, inferno, Rome, lieu de l'enfer, J. V. Patuzzi, De sede inferni in terris
1854. Les cours récents de théologie traitent de l ’ enfer dans quterenda dissertatio, V enise, 1763; S. G retscr, De subter­
le De novissimis. habituellem ent le dernier de leurs traités; raneis animarum receptaculis, Ingolstadt, 1595; sur les
cependant Perrone, M azzella. Einig l ’ adjoignent encore peines du sens, G utbcrlct, D ie pœna sensus, dans DerKalho-
au De Deo creante, de homine ; on pourra consulter ces divers lik, 1901, t. u, p. 305 sq., 385 sq.
auteurs, par exemple, H urter, Pesch, Jungm ann, Paquet, M . R ic h a r d .
Tanquerey Fei, Lottini, etc. ; comm e m onographies déta ­ E N G E L B E R T, théologien et historien allem and,
chées, Billot, De novissimis, Rome. 1905; D. Palm ieri, De bénédictin, né à V olckerstorff vers 1250, d ’ une fam ille
novissimis, Rome, 1908; en langue vulgaire, Souben, I.es
flnsdernières L.Labauche,L ’hom m e, Paris, 1909, IV ’ partie; noble, m ort le 12 m ai 1331. Il em brassa la vie reli­
II. M artin, La vie future d’après la foi et suivant la raison, gieuse au m onastère d ’ A dm ont en Styrie. A Prague,
3 ’ édit., Paris, 1870; Cari, Du dogme catholique sur l'enfer, il étudia la gram m aire, la logique et la physique; à
Paris, 1842; I. Bautz. D ie Hôlle, 2» édit., M ayence, 1905; Padoue, la philosophie et la théologie. En 1297, il fut
W . Schneider, Dus andere Leben, 8° édit., Paderborn, 1905; élu abbé d ’ A dm ont. Il m ourut dans une petite dé ­
I. H . O swald, Eschatologie, d. i. die lelzlen Dirige, 5 e édit., pendance de son m onastère où il aim ait à se retirer
Paderborn, 1893 Salmond, Christian doctrine of Immortality, pour se livrer plus librem ent à la prière et à l ’ étude.
5 ’ édit., Édim bourg, 1903, très com plet; O estcrly, The doc­
trine of Last Things, Londres, 1908. V oir aussiBautz, Hôlle, Il avait résigné sa charge abbatiale en 1327. Engel ­
dans Kirchenlexikon, t. vi.col. 112-124; J. H ontheim, Hell, bert a com posé un grand nom bre d'écrits (38), dont
dans The Catholic encyclopedia, N ew-Y ork.l 910, p. 207-211 ; lui-m êm e a donné l ’ énum ération dans une lettre à
P. .1. Toner, Eschatology, ibid., 1909, t. v, p. 528-534, U lrich, scholastique de V ienne : De studiis et scriptis
II. T r a v a u x s p é c i a u x . — 1° Sur l'enfer et la raison. — suis, que dom B ernard Pez publia, Thésaurus anecdo-
Trois études m agistrales : Enfer de D ' J. D. : surtout Éter­ lorum novissimus, 6 in-fol., A ugsbourg, 1721-1729,
nité de l'enfer, de A. D upont, dans le Dictionnaire apolo­ t. i a, col. 429. D ans ce m êm e recueil se trouvent
gétique de la foi catholique de Jaugey. Paris, 1890, t. 1,
col. 1062-1068, 1076-1118; Enfer de Paul Bernard, dans publiés les ouvrages suivants de l ’ abbé d ’ A dm ont : De
le m ême Dictionnaire, 4 “ édit., 1910, t, i, col. 1377- gratiis et virtutibus B. Mariæ Virginis, t. t, col. 503-
1399, avec bibliographie. V oir encore F. H ettinger, A po ­ 762; De causis longævitatis hominum ante diluvium,
logie du christianisme, 2' édit., Paris, Les dogmes, t. il, ibid., col. 439-502; Tractatus de libero arbitrio, t. iv b,
c. xv, p. 387-414; A. N icolas, Études philosophiques sur col. 119-147. D ans sa Bibliotheca ascetica antiquo-
le christianisme,7· édit., Paris. 1851, t. u. c. vin, p. 158 sq., nova, 12 in-12, R atisbonne, 1723-1740, dom B ernard
et les études générales d ’ apologie de G enoude, Exposition Pez a encore publié : Speculum virtutum ad Alber­
du dogme catholique, Paris, 1840, c, χπ. p. 251 274; de D u ttun el Ottonem duces Austriæ, t. ni, p. 3; Tractatus
Clot, La sainte Bible vengée. 2 ' édit., Lyon. 1841, t.ni, p. 154-
463; Bougaud, Lechrislianisme et les temps présents, Paris, | de providentia Dei, t. ντ, p. x l i x ; De passione Domini
1889, t. v, p. 336-361 ; dom Sinsart, Défense du dogme catho­ secundum Matlhæum, t. vu, p. 67; De statu defuncto­
lique sur Téternité des peines, Paris,1748; Clarke, Eternal pu­ rum, t. ix, p. 117. Le traité d ’ Engelbert. De ortu, pro-
121 E N G E L B ER T — E N G E L E N 122

gressu et fine Romani Imperii quem mundi finis pro­ 1607, il conquit le grade de licencié en théologie le
xime est insecuturus, édité à B âle, par G . B rusch, en jour m êm e où il avait célébré sa prem ière m esse. En
1553; M ayence, 1603; O fïenbach, 1610, revu par 1614, à son cours de philosophie il joignit celui de
A . Schott, a été reproduit dans la Maxima bibliotheca m orale, et, com m e appointem ents de cette nouvelle
Patrum, in-fol., Lyon, 1667, t. xxv, p. 362-378. fonction, il obtint, selon l'usage, à la collégiale de Saint-
Cf. E . M ichael,dans Zeitschrift fur katholische Théolo­ Pierre, ce qu ’ on appelait alors .un canonical de la se ­
gie, 1902, t. xxvi, p. 275-279. L ’ ouvrage De regimine conde fondation. D eux ans plus tard, il était proclam é
principum a été édité par J. G . Th. H uffnagl, in-4°, docteur en théologie et quittait le collège du Porc pour
B atisbonne, 1725. J. C. Peez a édité trois traités phi ­ prendre la présidence du collège de Viglius. E n 1625,
losophiques de l ’ abbé d'A dm ont : De summo bono il renonça à son cours de m orale et accepta la charge
hominis; Dialogus concupiscentia: et rationis; Utrum de lecteur en théologie à l ’ abbaye norbertine de P rc,
sapienti competat ducere uxorem? dans Opuscula philo­ aux portes de Louvain. Il avait rem pli cette tâche à la
sophica, B atisbonne, 1725. Le Tractatus de musica se satisfaction de tous pendant près de quinze ans,lors ­
trouve dans G erbert, t. n, p. 287. Les autres écrits qu'il fut appelé, en 1639, à succéder, dans la chaire
de l ’ abbé d ’ A dm ont sont jusqu ’ à ce jour dem eurés royale » de théologie, à W iggers, son ancien m aître et
m anuscrits. son am i. Ses succès et sa réputation, à partir de ce
m om ent, ne firent que se confirm er et s ’ accroître. En
D otn Bernard Pcz, Thesaurus anecdotorum novissimus, 1646, il passa de la présidence du collège de Viglius
t. i, p. l x i ; Ziegelbauer, Historia rei litteraria: ord. S. Bene­
dicti, t. lit, p. 175; t. iv. p. 32, 80,111,165,167; [doni Fran ­ à celle du collège du pape Hadrien VI. C ’ est là que,
çois,] Bibliothèque générale des écrivains de l'ordre de Saint Be­ en 1648, il apprit sa nom ination à l ’ évêché de B ure-
noit, t. i, p. 288; Fabricius, Bibliotheca latina mediae el m onde, alors vacant depuis neuf ans. M ais il m ourut
infima: latinitatis, in-S°, 1858, t. π, col. 507; Fuchs, Abi En- le 3 février de l ’ année suivante, avant d ’ avoir reçu ses
gelberg von Admont, dans Mittheilungen des hist. Vereins fur bulles de provision. Il fut inhum é dans la collégiale
Steiermark, G raz, 1862, t. xi, p. 90-130; W ichncr, Geschichte de Saint-Pierre, où il était devenu chanoine du pre ­
des Benediklinersliftes Admont, in-8 ’ , G raz, 1878, t. in, m ier rang. Sa m ort, disent les docum ents contem po ­
n. 1-30, 511-545; E. M ichael, Geschichte des deutschen Volkes,
Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. Ill, p. 218, 251, 274. 278; rains, fut le signal d ’ un deuil général dans la vieille
Kirchenlexikon, t. iv, col. 536; H urter, Nomenclator, 3 ’ édit., cité académ ique, où son caractère aim able et sa piété
1906, t. n, col. 55 -558. profonde, autant que sa science, lui avaient gagné
B. H e u r t e b i z e . toutes les sym pathies. Le docteur D ave, interprète du
E N G E LB R EC H T J e a n , luthérien, visionnaire alle ­ sentim ent universel, prononça en latin son oraison
m and, néà B runsw ick, le jour de Pâques de l ’ année funèbre. Elle a été im prim ée à Louvain; et à la fin du
1599, m ort dans la m êm e ville le 20 février 1642. petit volum e nous lisons cette épitaphe, dans le goût
Fils d ’ un tailleur et lui-m êm e m archand de draps, du tem ps :
il fut en 1622 atteint d ’ une grave m aladie pendant la ­
quelle il prétendit ensuite avoir été conduit aux portes H ic cineres, hic ossa jacent; quicum que requiris.
de l ’ enfer, en avoir été arraché par le Saint-Esprit, qui Cætera, scande polos; cætera O lympus habet
A ngelicam nequiit tum ulus concludere m entem ,
l ’ avait m ené au paradis. 11 avait reçu l ’ assurance de D ebuit in superas A ngelus ire dom os.
son salut éternel. D ès lors, il ne voulut plus avoir
d ’autre occupation que de sauver tous les hom m es. Il O utre le nom du défunt, le second distique rappelle
exhortait à la pénitence, à une foi vive qui devait se sa devise, qui était : Angelis suis Deus mandavit de te.
m anifester par des œ uvres de charité. En m êm e tem ps Théologien savant et très attaché à l ’ orthodoxie,
ii annonçait la création d ’ une nouvelle terre, d'un professeur clair et éloquent, G . van Engelen s ’ était
nouveau ciel et m ille extravagances. Il attaqua vio ­ acquis une grande autorité parm i ses élèves et ses col ­
lem m ent la conduite des m inistres luthériens, fut em ­ lègues. Il joua, dans les affaires du jansénism e naissant,
prisonné à H am bourg, puis chassé de la ville. D ès 1625, un rôle im portant, qui lui valut à la fois beaucoup de
un livre avait été publié relatant ses visions du ciel louanges de la part des catholiques et beaucoup de
et de l ’ enfer; plusieurs éditions en furent faites en des tracasseries de la part des défenseurs de VAugustinus.
langues différentes. Ses prétendues révélations furent Ceux-ci, qui ne m anquaient pas plus d ’ esprit que d ’ au ­
en outre publiées en 1638 : Chrisllicher Wunderreicher dace, l ’ accablèrent de petits écrits satiriques, où ils
Hindebrieff, avec sa vie. Ses divers ouvrages, réunis s ’ efforçaient de ridiculiser sa personne et ses idées;
en 1686, furent traduits en hollandais et parurent à ils lui suscitèrent m êm e plusieurs procès désagréables
A m sterdam en 1697 et en 1783. ct coûteux. En revanche, l ’ archiduc Léopold-G uil ­
laum e, gouverneur général des Pays-Bas catholiques,
[P.Edgard,] l.eben J. Engelbrecht's, in-8°, s. 1. ;in-8°, 1684:
A rnold, Kirchen-und Ketzerhistorie, Francfort, 1729. t. ni, le tenait en haute estim e, et c ’ est sur la recom m anda ­
p. 217; Schrôdl, dans Kirchenlexikon, t. iv, col. 537 538; tion de ce prince qu ’ il fut nom m é au siège épiscopal
Kealencgclopadie, t. v, p. 372. de H urem onde. D e plus, le nonce A ntoine B ichi en ­
B. H e u r t e b i z e . courageait ses efforts, et les papes U rbain V III et
E N G EL E N G u illa u m e v a n , que son nom latinisé Innocent X lui accordèrent tour à tour des éloges
et plus connu nous présente com m e Gulielmus ab m érités. Il n ’ était pas hom m e d ’ ailleurs à se laisser
Angelis, naquit à B ois-le-D uc, en 1583. et m ourut à rebuter par les contradictions et les difficultés, quand
Louvain, en 1649. Il tint une place m arquante parm i les intérêts de la religion lui paraissaient en jeu. Pa-
les théologiens et les polém istes de son tem ps. quot rapporte de lui un trait qui en dit long sur ce
A près de brillantes hum anités au collège de sa ville côté de son caractère. Pressé par deux évêques et par
natale, il vint à Louvain, en 1598. Il y suivit le cours d'autres prélats, sinon de se déclarer pour les nova ­
de philosophie de « la pédagogie du Porc », et, à la teurs, ce dont on le savait incapable, au m oins de
prom otion générale de 1600, il fut classé septièm e. 11 s ’ abstenir, par am our de la paix, d ’ attaquer leurs doc ­
com m ença ensuite ses études de droit, m ais y re ­ trines, il fit cette réponse : « Si vous jugez qu'un doc ­
nonça bientôt pour s ’ orienter vers la carrière ecclé ­ teur et un professeur public en théologie peut se taire
siastique. R eçu au collège du Roi, il s ’ y adonna à la lorsqu ’ il voit la foi et l ’ autorité du Saint-Siège en dan ­
théologie sous la direction du célèbre docteur Jean ger, je suis prêt à le faire, car je hais souverainem ent
M alderus jusqu ’ en 1606. A cette date, il rentra au ces disputes; m ais les choses en sont à un point où
collège du Porc, pour y enseigner, d ’ abord, le grec, et, m a conscience ne m e perm et pas de garder le silence. »
un peu plus tard, la philosophie. O rdonné prêtre en A dversaire décidé du jansénism e dès la prem ière
423 E N G EL E N E N N EM IS (A M O U R D E S) 124

heure, van Engelen n ’ avait pas toujours été l ’ antago ­ O udenhoven, Beschryvinge der sladt en Meyerye van s'Her-
niste de C orneille Jansénius. Il com battit m êm e, en logenbossche, A m sterdam , 1649; Bois-le-Duc, 1670.
1630, aux côtés du futur évêque d ’ Y pres contre les J. F o r g et .
calvinistes de H ollande. Les É tats généraux de ce
pays venaient d ’ expulser de B ois-le-D uc tout le clergé E N N E M IS (A m o u r d e s ). — I. N otion. IL O bliga ­
rom ain. Ils y avaient ensuite envoyé quatre m inistres tions pratiques.
instruits et renom m és, avec m ission d ’ agir sur la popu­ I. N o t i o n . — L ’ am our des ennem is peut être consi ­
lation, de la détacher de la vieille foi et de l ’ am ener déré com m e précepte et com m e vertu. — 1° E n tant
à l ’ Église réform ée. Ces m inistres lancèrent, le 16 m ai que précepte, il se rattache au grand com m andem ent
1630, à l ’ adresse des catholiques en général et des de l ’ am our de D ieu et du prochain. Les prescriptions
prêtres en particulier, une provocation à un débat pu ­ de la loi naturelle et de la loi positive divine qui ont
blic, qui aurait lieu en présence du m agistrat de la pour objet l'am our du prochain en général doivent
ville et dans lequel on discuterait les titres des deux s ’ entendre aussi de l ’ am our des ennem is. V oir t. n,
confessions opposées. D ’ un com m un accord, van E n ­ col. 2256-2260. Toutefois, le devoir de la charité m êm e
gelen et Jansénius relevèrent ce défi, et ils firent con ­ à l ’ égard de ceux qui nous haïssent ou nous ont fait
naître leur décision par un placard affiché à Louvain du m al, est rappelé, en term es form els, dans l ’ A ncien
le 9 jui i suivant. Ils exigeaient seulem ent que la dis ­ et surtout dans le. N ouveau T estam ent. Non oderis
pute se fit en lieu sûr pour les deux partis, que la pré ­ fratrem tuum in corde tuo,sed publice argue eum ne ha­
sidence en fût confiée à un m agistrat étranger à l ’ un beas super illo peccatum. Non quieras ultionem, neque
et à l ’ autre, que tous les arbitres fussent versés dans memor eris injuriœ civium tuorum. Lev., xix, 17.18.
les sciences théologiques, et enfin que,des deux côtés, Cum ceciderit inimicus tuus ne gaudeas, et in ruina
on fût m uni de sauf-conduits. Ces conditions n ’ ayant ejus non exultet cor tuum ; ne forte videat Dominus, et
pas été acceptées, la guerre, suivant l ’ expression de displiceat ei, et auferat ab eo iram suam. Prov., xxiv,
Paquot, au lieu de se faire oralem ent, se poursuivit 17, 18. Delinque proximo tuo nocenti te et tunc de-
par écrit. precanti tibi peccata solventur. Eccli., xxvni, 2. V oir
C ’ est à cette occasion que van Engelen :1° publia encore Prov., xx, 22 ; xxiv, 29.
un livre intitulé : Den Deckmantel des Calholycke M ais N otre-Seigneur devait prom ulguer dans toute
naems afgeruckl van de leere, die de Calvinsche Predi- sa perfection le précepte de l ’ am our envers les enne ­
canlen poogen tots’ Uerlogenbosch in te voeren. Oft m is. N on content de prohiber la haine, la vengeance,
Veriveyringe voor het Oudt Catholyck en Apostolisch les em portem ents de la colère, de faire de la réconci ­
getoove, tegen de Nieuwicheden van vier Ketlersch liation avec le prochain la condition préalable de
Woordendienaers tot s’ Uerlogenbosch (La doctrine toute offrande agréable à D ieu, M atlh., v, 21-23,
que les ministres calvinistes s'efforcent d’introduire 38, 39, il dit expressém ent qu ’ il faut aim er ses ennem is,
dans Bois-le-Duc; dépouillée du manteau du nom catho­ faire du bien à ceux qui nous haïssent, prier pour
lique, dont on la couvre; ou Défense de l'ancienne foi ceux qui nous persécutent et nous calom nient. M ath.,
catholique et apostolique contre les nouveautés de quatre v, 44; Luc., v, 27, 35. D ans le Pater, s ’ il nous fait de ­
prédicants hérétiques de celle ville), in-12, Louvain, m ander la rem ise des dettes contractées envers la jus ­
1630. Les quatre m inistres visés dans cet écrit, où le tice divine, c ’ est à condition que nous pardonnions à
calvinism e apparaît en fort m auvaise posture, sont ceux qui nous ont offensé. M atth., vi, 9-13; Luc.,
les provocateurs dont il a été question. Us s ’ appelaient xi, 4. Cf. M arc., xi, 25; Luc., vr, 32, 35. D ’ ailleurs, il
G isbert V oet, G odefroid U dcm ans, H enri van Sw al- déclare expressém ent que D ieu nous refusera son par ­
m en et Sam uel E verw yn. Us étaient réputés les plus don, si nous ne voulons pas pardonner à notre pro ­
habiles parm i leurs coreligionnaires, et ils furent très chain, qu ’ on usera à notre égard de la m esure dont nous
m êles aux polém iques religieuses de cette époque. nous serons servis pour les autres. M atth.,vi, 14,15;
M ais van Engelen en voulait surtout à V oet, plus re ­ M arc., xi, 25, 26; Luc., vi, 36-38. Il joint l ’ exem ple au
m uant que les autres, et il com posa contre lui plusieurs précepte. U ne refuse pas le baiser du traître Judas,
tracts, qui ne nous sont pas parvenus. O utre le volum e il lui donne m êm e le nom d ’ am i. M atth., xxvi, 49, 50.
désigné ci-dessus, van Engelen: 2 écrivit en latin, avec A u C alvaire, sur le point d ’ expirer, il prie pour ses
ses collègues Jean Schinkels et C hrétien B eusecum , bourreaux. Luc., xxm , 34. D ès les prem iers tem ps
une Delation des troubles excités à Louvain par l’im­ du christianism e, les fidèles se sont fait une gloire d ’ im i ­
pression de I’Augustinus de Jansénius. C ette relation ter le divin M aître. Saint Étienne prie pour ceux qui
fut envoyée, en 1641, à U rbain V III, qui, par l ’ en ­ se disposent à le lapider, A ct., vu, 59, et depuis lors
trem ise de l ’ internonce Stravius, en tém oigna aux l ’ am our des ennem is est devenu un des signes distinc ­
collaborateurs son entière satisfaction. EUe est re ­ tifs des vrais disciples de Jésus-Christ. Amicosdiligerc,
produite en grande partie dans la Disquisitio historico- dit TertuUicn, omnium est, inimicos autem solorum
theologica, per Jacobum Mombron, in-12, Cologne, Christianorum. Ad Scapulam, c. I, P. L., t. i, coi. 698.
1692. 3° G . van Engelen fut encore l ’ un des rédac ­ 2» C onsidéré com m e vertu, l ’ am our des ennem is se
teurs et signataires de la Declaratio sive Protestatio rattache à la vertu théologale de charité, ou plutôt
octo theologorum et professorum Lovaniensium, datée il est un des actes com m andés par cette vertu. Selon
du 18 juin 1642. Ces professeurs déclarent qu ’ ils ont l ’ explication de saint Thom as, Sum. theol., Il" lïæ,
voté contre la résolution prise par l ’ université de sur ­ q. xxv, a. 8, nous ne devons pas aim er nos ennem is
seoir à l ’ exécution du bref que le pape (U rbain V III) com m e tels, c ’ est-à-dire en tant qu ’ ils nous veulent du
lui avait fait rem ettre le m ois précédent. La pièce m al; ce serait approuver leurs m auvaises dispositions,
se trouve, elle aussi, accom pagnée d ’ une lettre à et se com plaire dans leur m alice. N ous som m es tenus
l ’ internonce Stravius, dans la Disquisitio de M om ­ de les aim er, parce qu ’ ils possèdent la nature hum aine,
bron. et qu ’ ils sont com m e nous capables de parvenir, avec
la grâce de D ieu, à l ’ éternelle béatitude. Inimici
autem, dit le docteur angélique, loc. cit., sunt nobis
A nt. D ave, Oratio funebris in parentalibus Gul. ab ,4η- contrarii in quantum sunt inimici : unde hoc debemus
gelis, ιη-4°, Louvain. 1649; Paquot, Mémoires pour servir
à rhistoire des Pays-Bas, Louvain, 1765, t. v; Foppens. in eis odio habere. Debet enim nobis displicere, quod
Bibliotheca Belgica, part. I, Bruxelles, 1739: V an der Aa, nobis inimici sunt. Non autem nobis sunt contrarii,
Bivgraphisch tVoordenboeclc. H aarlem . 1852, t. I: Thonissen, in quantum homines sunt, et beatitudinis capaces. Et
Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, 1878, t. vi; secundum hoc debemus cos diligere.
125 E N N E M IS (A M O U R D E S) — E N N O D IU S (S A IN T ) D E PA V IE 126

C ’ est avec raison que l ’ on attribue l ’ am our des en ­ par exem ple, pourra ne point rendre le salut à un
nem is à la vertu théologale de charité. L ’ ainour natu ­ élève qui s ’ est m al com porté, s ’ il espère de la sorte le
rel que l'hom m e porte à son sem blable peut lui ins ­ ram ener à de m eilleurs sentim ents. M ais il va de soi
pirer certains sentim ents de com m isération envers un qu ’ il ne faut recourir à ces m oyens violents que pou-
ennem i m alheureux; m ais réprim er tout sentim ent de un tem ps et avec une extrêm e réserve.
vengeance, pardonner les plus cruelles injures, c ’ est Q uant aux tém oignages spéciaux d'am itié et de
un acte héroïque inspiré par l ’ am our de D ieu. Dile­ bienveillance, les donner à ses ennem is, c ’ est aller au
ctionis inimici, dit saint Thom as, solus Deus est ratio. delà de ce qui est prescrit pour s ’ élever, à l ’ exem ple
Sum. theol., II' II· ” , q. xxvn, a. 7. C om m e on le voit des saints, jusqu ’ à la perfection de la charité : Quad
par les écrits des anciens philosophes, notam m ent de præler articulum necessitatis hujusmodi beneficia ali­
C icéron et de Sénèque, certains païens ont pratiqué quis inimicis exhibeat, pcrtinel ad perfectionem chari-
le m épris des injures; m ais ils ont à peine soupçonné talis.S. Thom as, Sum. theol., II ’ II®, q. xxv. a. 9. En
le véritable am our des ennem is. C icéron, De officiis, certains cas cependant, ces signes ou tém oignages
1. I, c. xxv; Sénèque, De ira, 1. II, c. xxxn. spéciaux peuvent devenir plus ou m oins obligatoires,
II. O b l i g a t i o n s p r a t i q u e s . — V oir t. n, col. par exem ple, s ’ ils sont nécessaires pour éviter le scan ­
2260-2261. Les devoirs que nous im pose l ’ am our des dale ou pour ram ener un pécheur à de m eilleurs senti­
ennem is sont de deux genres, d ’ ordre négatif et d ’ ordre m ents. «U n pasteur n ’ oubliera pas, écrit à ce propos
positif. D e là, d ’ abord l ’ obligation de s ’ abstenir de le cardinal G ousset, que le m oyen pour lui de se ga ­
tout sentim ent de haine, de tout désir de vengeance. gner les cœurs et de les gagner à Jésus-C hrist, c ’ est
Il ne faut cependant pas confondre la haine d ’ inim i­ de prévenir en tout ceux qui se donnent pour ses enne ­
tié qui a pour objet la personne m êm e, avec la haine m is, de leur rendre le bien pour le m al, de les bénir
d ’ abom ination qui se porte sur la m auvaise conduite lorsqu ’ ils le m audissent, et de chercher à les excuser,
et les vices du prochain. O n ne doit pas rendre le m al autant que possible, devant D ieu et devant les hom ­
pour le m al, ni m êm e se réjouir des m alheurs de son m es. » Théologie morale, t. i, p. 147.
ennem i. Il est néanm oins perm is de repousser une 11 n ’ est cependant pas contraire à la charité, pourvu
injuste agression, pourvu qu ’ on le fasse, servato mo­ que l'on ne pousse pas trop loin ses exigences, de de ­
deramine inculpatæ tutelle. De m êm e, il n ’ est pas con ­ m ander la réparation d ’ un dom m age injustem ent
traire à la charité de se réjouir d ’ une épreuve tem po ­ causé. C ertaines personnes s ’ im aginent à tort que l ’ on
relle arrivée à un ennem i, si on la considère com m e un ne peut pardonner à son ennem i, et être adm is à la
m oyen qui doit servir à sa conversion et à son salut, réception des sacrem ents sans se désister de toute
m ais, dans ce cas, il faut prendre garde à ne pas se revendication. A utre chose est de pardonner, autre
faire illusion sur la pureté de ses intentions. chose est de renoncer à ses droits.
Les devoirs d ’ ordre négatif que nous im pose l ’ am our E st-il perm is, non seulem ent d'exiger une juste
des ennem is obligent, selon l ’ expression des m ora ­ réparation, m ais encore de désirer le châtim ent de
listes, semper et pro semper. Q uant aux devoirs d'or ­ ceux qui nous ont fait du m al? Si ce désir était inspiré
dre positif, ils com prennent les signes d ’ am itié et de par le pur am our de la justice, il ne serait pas illicite;
bienveillance, que, selon les diverses circonstances, m ais, en cette m atière, on est très expose à se faire
nous devons donner m êm e à nos ennem is. A la suite illusion; aussi, d ’ après saint A lphonse, il ne faut croire
de saint Thom as, Sum. theol.. Il» II", q. xxv, a. 9, que difficilem ent ceux qui prétendent ne point garder
les auteurs distinguent entre signes communs et signes de rancune, tout en voulant que la justice suive son
spéciaux. C ertains signes peuvent être com m uns ab­ cours. E n pratique, chaque cas particulier devra être
solument, d ’ autres ne le sont que relativement. Le sont attentivem ent exam iné.
absolument ceux que tous les hom m es considérés
com m e tels se doivent entre eux; ne le sont que rela­ S. A lphonse, Theologia moralis, I. Ill, η. 29; Homo apo-
tivement ceux que l ’ on a coutum e de se donner entre slolicus, tr. IV, n. 17. Tous les m oralistes parlent de l'am our
personnes de telle ou telle condition, de concitoyen des ennem is, par exem ple, C. M are, Institutiones morales
a concitoyen, de parent à parent, de patron à ouvrier, alphonsianœ, n. 498-503. O utre les auteurs cités dans le
corps de l ’ article, voir Bossuet, Méditations sur Γ Évangile,
etc. D ’ où il suit qu ’ un signe, qui passe pour com m un Serm on sur la m ontagne, 14- jour; Bourdaloue, Sermon sur
en certains cas, peut devenir spécial ou extraordinaire le pardon des injures, prononcé le xxi ’ dimanche apres la
en d ’ autres circonstances. D ’ après Scavini, il faut en ­ Pentecôte; S. A lphonse, Œuvres ascétiques, trad. D ujardin,
tendre par signes com m uns de dilection et de bien­ t. xvi, p. 412; cardinal Bellarmin,D es sept paroles de Jésus-
veillance, ea quæ communiter omnibus exhibentur, seu Chrislsur la croix, trad. Brignon. A vignon, 1837,1. I,c. i-m :
potius quæ Christiano a quovis christiano, concivi a cardinal Bona, Principia et documenta vitæ chrislianæ,
concive, parenti a parente, pauperi a divite, superiori a c. x l i v ; W aldm ann, Die Feindesliebe in der antiken Wclt
subdito, et vicissim prœslari solent, uti sunt communes und im Chrislenthum, V ienne, 1902; Randlinger, Die Fein­
desliebe nacli dem naliirlichen und positiaen Sitlengeselz,
orationes, eleemosynæ communes. Theologia moralis Paderborn, 1906; F. Steinmüller Die Feindesliebe nach dem
universa, t. ni, n. 346. natürlichen und posiliven Sittengeselz. Fine historisch
T out hom ine, fût-il notre m ortel ennem i, a droit à elhische Abhandlung, R atisbonne, 1909.
ces signes com m uns de bienveillance. Les refuser se ­ L. D e s b r us.
rait lui faire injure, lui signifier qu ’ on ne le regarde
pas com m e son prochain. O n ne doit pas exclure ses E N N O D IU S (S aint) D E P A VIE . — I. V ie. IL Ca ­
ennem is des prières que l'on fait en général pour tous ractère. III. O uvrages.
les hom m es; s ’ ils sont pauvres, on doit leur faire l ’ au ­ I. V i e . — M agnus Felix Ennodius était originaire
m ône com m e aux autres; s ’ ils saluent ou adressent du m idi de la G aule, d ’ A rles probablem ent, et apparte ­
la parole, il faut leur répondre, etc. Ceux qui exercent nait à une fam ille considérable, encore que très appau ­
publiquem ent un m étier ou une profession ne doivent vrie; il était du m onde ou m êm e du sang des Boèce,
pas refuser de les com pter parm i leurs clients; c'est ties A vienus, des C ésaire et des A urélien d ’ A rles, des
ainsi qu'un m édecin ferait m al si, appelé par un O lybrius, etc. N é en 473, il quitta la G aule de bonne
ennem i, il ne voulait pas lui donner les secours de heure et fut élevé à M ilan. M ais, en 489, à l ’ âge de
son art. seize ans, il se trouva privé de la tante qui l ’ avait
O n adm et cependant que l ’ on peut, pour un juste recueilli à la m ort de ses parents et déjà peut-être
m otif, et non par esprit de vengeance, refuser parfois orienté vers l ’ Église; sans avoir et sans appui, D ieu,
certains signes com m uns de bienveillance. U n m aître, dit-il dans son autobiographie, lui envoya un secours
127 E N N O D IU S (S A IN T ) DE PA V IE 128

inespéré; il dem anda et obtint la m ain d ’ une jeune Sous ces oripeaux, néanm oins, sous ce vernis m y ­
fille riche, et le voilà, selon son expression, de m endiant thologique qui couvre,en la déparant,l ’œ uvred ’E nno ­
devenu roi. O n incline fort à croire qu ’ il com m ença dius, on sent percer le chrétien et l ’ hom m e d ’ Église.
par enseigner l ’ éloquence avec éclat; en tous cas, sa L ’ évêque de Pavie est un cham pion ardent de la pri ­
prose et ses vers, sous le règne de Théodoric, lui va ­ m auté du Saint-Siège; il tient que le pontife rom ain
lurent vite la célébrité. M ais le luxe et la gloire le n ’ a pas dans l ’ Église d ’ autre juge que D ieu, et que
corrom pirent bientôt: Ennodius s ’ oublia jusqu ’ à rail ­ le nom de pape, com m un prim itivem ent à tous les
ler la m isère des pauvres et à m ener lui-m êm e, ses évêques, lui doit être réservé com m e un titre d ’ hon ­
succès en poésie et en rhétorique aidant, une vie toute neur spécial. St. Léglise, Saint Ennodius et la supré ­
de vanité. U ne m aladie cruelle vint l ’ arracher à ses matie pontificale au vz» siècle, Lyon, 1890. Ennodius a
égarem ents. Ennodius, abandonné des m édecins et en outre dénoncé, Dici., vi, le danger de l ’ erreur m o-
désespérant de sa guérison, fit alors vœ u au m artyr nophysite, et on sait le rôle qu ’ il a joué dans la tenta ­
saint V ictor de se convertir, de publier la confession tive de réconciliation entre l ’ O rient et l ’ O ccident. Il
de ses fautes et de ne jam ais plus cultiver les lettres sem ble bien, quoiqu'on l ’ ait contesté, qu ’ Ennodius
profanes. Il guérit, et, pendant que sa fem m e allait se rattache plus, dans la question de la grâce, à C assien
s ’ ensevelir dans un cloître, il em brassa l ’ état ecclé ­ et à Eauste qu ’ à saint A ugustin et à saint Prosper
siastique. 11 fut ordonné diacre à Pavie vers 493, et, d ’ A quitaine; car, s ’ il croit l ’ hom m e incapable d ’ avan ­
depuis ce tem ps, sa vie est m êlée aux affaires de cer sans la grâce dans la voie de la vertu, il reconnaît
l ’ Église. à l ’ hom m e le pouvoir d ’ y entrer. O n voit par une cu ­
O n le voit, en 494, accom pagner l ’ évêque de Pavie, rieuse lettre d ’ Ennodius, iv, 8, qu ’ au com m encem ent
saint Épiphane, dans son am bassade près de G onde- du vi c siècle, la légitim ité du prêt à intérêts n ’ était
baud, roi des B urgondes. Plus tard, en 502, M axim e, pas contestée et que l'affranchissem ent dans l ’ Église
le successeur d ’ Épiphanc, em m ène son diacre avec lui était prononcé ou du m oins rédigé par l ’ évêque lui-
au IV ° concile rom ain célébré sous le pape saint m êm e, sur la sim ple dem ande du m aître de l ’ esclave.
Sym m aque, synodus Palmaris, afin de soutenir la III. O u v r a g e s . — D ans les m anuscrits on ne trouve
cause du pontife légitim e contre la faction de l ’ anti­ point les productions d ’ Ennodius rangées par groupes
pape Laurent. Les ennem is de Sym m aque s ’ étant distincts; elles s ’ y entrem êlent et s ’ y suivent, sans
élevés contre la décision conciliaire, Adversus syno­ autre ordre en général que l ’ ordre chronologique. M ais
dum absolutionis incongruæ, Ennodiusfutofilciellem ent le P. Sirm ond et presque tous les éditeurs m odernes
chargé d ’ en prendre la défense; et son apologie, Apo- après lui les ont divisées en quatre groupes : Lettres,
iogeticus pro synodo quarta Romana, lue publiquem ent Opuscules, Dictiones ou discours, Poésies.
dans un nouveau concile de l ’ an 503, approuvée de 1° Les lettres, Epistolæ ad familiares, P. L., t. l x h i ,
tous les Pères, fut insérée dans les actes de l ’ assem blée, col. 13-168, au nom bre de 297, ont été réparties par
entre les procès-verbaux de la IV e et de la V e session. le P. Sirm ond en neuf livres, selon l ’ usage qui a prévalu
H efele, Histoire des conciles, trad, franç., Paris, 1908, en pareille m atière depuis Pline le Jeune. Elles sont
t. n, p. 969. A la m ort de M axim e, Ennodius m onta adressées pour la plupart à de très hauts personnages
sur le siège de Pavie en 510 ou 511, et déploya dans dans l ’ Église ou dans l ’ É tat, et à E uprepia, sœ ur
l ’ adm inistration de son diocèse une rare vigilance avec d ’ Ennodius. N ul doute qu ’ elles nerem ontent à l ’ époque
d ’ ém inentes vertus. Telles étaient sa réputation et où l ’ auteur était diacre, et ne soient antérieures
son autorité que le pape saint H orm isdas l ’ envoya par conséquent à l ’ an 513. Écrites de ce style obscur
deux fois, en 515 et en 517, à l ’ em pereur A nastase I er , et entortillé qu ’ affectionnaient les derniers rhéteurs
pour aller com battre à C onstantinople l ’ hérésie m o- païens, infectées de m auvais goût et de recherche, ces
nophysite et travailler au rapprochem ent des Églises lettres ne laissent pas d ’ avoir une valeur historique
d ’ O rient et d ’ O ccident. La m ission d ’ Ennodius resta et de nous fournir d ’ utiles renseignem ents sur la civi­
par m alheur stérile. L ’ évêque de Pavie m ourut dans lisation de l ’ Italie au tem ps de Théodoric.
sa ville épiscopale le 17 juillet 521. O n l ’ a élevé au 2° Toutefois les 10 Opuscules d ’ Ennodius, Opuscula
rang des saints, et sa fête se célèbre au jour anniver ­ miscella, P. L., t. l x h i , col. 176 sq., excitent généra ­
saire de sa m ort. lem ent un plus vif intérêt. O n y rem arque notam ­
IL C a r a c t è r e . — R héteur et évêque, poète ou plu ­ m ent le panégyrique du roi des O strogoths, Théodo ­
tôt faiseur de vers et prosateur, Ennodius, qui fut un ric, col. 176-184, com posé en 507, à l ’ occasion sans
des lettrés les plus distingués de l ’ époque de Théodo ­ doute d ’ une fête politique, non pas, com m e on l ’ a
ric, fut aussi un partisan passionné de la vieille rhé ­ cru, pour rem ercier le prince de s ’ être déclaré contre
torique païenne. Il en adm irait naïvem ent et com ­ l ’ antipape L aurent, et qui ne laisse pas, m algré ses
plètem ent les program m es, les procédés, les thèm es graves défauts, de dénoter un talent supérieur en m êm e
d ’ ordinaire bizarres, sinon pis; ce systèm e d ’ éduca­ tem ps que de nous offrir une source historique d ’ un
tion lui sem blait nécessaire pour tout le m onde, m êm e très haut prix. C. C ipolla, Intorno al panegirico di re
pour les prêtres; et c ’ eût été, selon lui, toucher à Theodorico, Padoue, 1889. C itons encore la vigou ­
l ’ arche sainte que d ’ essayer de le réform er. Il ne faut reuse et triom phante apologie de la synodus Palmaris
donc pas s ’ étonner si l ’ on trouve, à chaque page, dans et du pape saint Sym m aque, col. 183-207, D uchesne,
la prose et les vers d ’ Ennodius, la langue et l ’ im agi- dans la Revue de philologie, 1883, p. 78-81; deux bio ­
naiion du paganism e; si les sujets que l ’ auteur se graphies de saints, la Vie de saint Épiphane, évêque
plaît à traiter, com m e ceux qui se traitaient dans les de Pavie, m ort selon toute apparence le 27 janvier
écoles, sont em pruntés souvent à l ’ ancien culte; et si 497, col. 207-240, et la Vie de saint Antoine, moine de
partout les allusions à la fable et à l ’ histoire héroïque Lérins, col. 239-246, toutes les deux pleines d'affecta ­
abondent. D u m oins quelques traits de paganism e se tion et d ’ enflure; VEugharisticum de vita sua, col. 245-
m ontrent-ils toujours à côté de sentim ents chrétiens. 250, courte autobiographie, en form e de prière, à
A insi, dans un Itinéraire en Gaule, Ennodius, après l ’ exem ple des Confessions de saint A ugustin, et dont
avoir vénéré les tom beaux des m artyrs, se m et à le P. Sirm ond a em prunté le titre au poèm e sim ilaire
com parer les A lpes au labyrinthe de C rète et à par ­ de Paulin de Pella; la Parœnesis didascalica, col. 249-
ier de D édale, de Phœ bus et du L éthé; dans un autre 256, sorte de m anuel de pédagogie, dans lequel, selon
itinéraire, les Parques figurent à côté de Jésus-C hrist. le goût du tem ps, les vers alternent avec la prose, et
Ennodius représente au v e siècle la tendance profane que l ’ auteur écrivit en 511. à la dem ande de ses deux
qui allait à copier la littérature du paganism e. jeunes am is, A m broise et B eatus.
129 E N N O D IU S (S A IN T) D E P A V IE — E N T Y C H IT E S 130

3° Les 28 Dicliones, col. 263-308, m élange bizarre la présence en eux de l ’ E sprit-Saint, » ένΟουσιαστα'.
de profane et de sacré, com prennent dix déclam a ­ γάρ καλούνται, δαίμονός τίνος ενέργειαν είσδεχόμενοι, καί
tions d'école, controversia.', sur des sujets convenus πνεύματος άγιου παρουσίαν τούτην ύπολαμβάνοντες . E t
et com m e traditionnels, cinq discours de m orale les m ontre se détournant du travail des m ains com m e
païenne, ethicæ, suasoriæ, des m odèles de serm ons, d ’ un vice, se donnant au som m eil, et prenant les
l'un, entre autres, pour l'anniversaire du sacre de fantaisies de leurs songes pour des prophéties. H. E.,
l ’ évêque de M ilan, L aurent, vers 505, etc. T out ou 1. IV , c. x, P. G., t. l x x x i i , col. 1144.
presque tout y est em preint fortem ent de pure rhéto ­ Les prem iers protestants sont restés, sur ce point,
rique, et rien n ’ y sort de l ’ ornière. fidèles à l ’ usage antique. A insi l ’ art. 8 de Sm alcalde
4° Q uant aux poésies d ’ Ennodius, col. 309-362, le dit : Præmuniamus nos adversum enthousiaslas,id est
P. Sinnond les a partagées en deux livres. Le 1. I er spiritus qui jactitant se, ante verbum et sine verbo, spi­
com prend 21 petits poèm es, presque tous de circons ­ ritum habere, et ideo Scripturam, sive vocale verbum
tance. entre autres, deux récits de voyages, un épi- judicant, flectunt et reflectunt, pro lubitu. E n vertu de
thalam e d ’ une grande variété de m ètres et d ’ un ton cette notion, la papauté est donnée com m e « un pur
peu chrétien,un panégyrique de saintÉpiphaneà l ’ oc ­ enthousiasm e », merus enthusiasmus, le pape préten ­
casion du trentièm e anniversaire de son épiscopat, dant que « tout ce qu ’ il pense et ordonne dans
en 496, douze hym nes religieuses, consacrées pour la l ’ Église est juste et bon, quand bien m êm e il déci ­
plupart à la sainte V ierge et aux saints, m ais qui, derait contrairem ent à l ’ E criture. » A dam et Ève
ce sem ble, n ’ ont pas trouvé place dans la liturgie. Le furent des « enthousiastes » au paradis terrestre, parce
1. II e contient 151 pièces,très courtes: épitaphes, ins ­ qu ’ ils se laissèrent entraîner a loin des préceptes for ­
criptions pour des églises, des baptistères, des statues, m ulés par D ieu m êm e, vers leurs opinions propres et
éloges d ’ évêques et de saints, épigram m es dont l ’ ex ­ leurs inspirations personnelles. «M êm e doctrine dans
trêm e licence rivalise parfois avec celles de M artial, etc. la Formule de concorde, part.I, c. n, a. 4, 6; part. II,
D ans tout ce fatras, il n ’ y a pas une étincelle de poésie c. il, a. 6. Libri symbolic! Ecclesiie lulheranæ, Leipzi .,
vraie. 1847, t. n, p. 34; t. ni, p. 28, 99,118.
L uther a appliqué le qualificatif d’enthousiastes
A près l'édition incom plète et sans ordre de G rynæus, aux « prophètes célestes » et autres illum inés qui se
dans les Orlhodoxographi, Bâle, 1569, p. 269-180, l'édition refusaient à suivre sa direction, aux sacram enta ire· ;.
bien m eilleure du P. Sirm ond parut en 1611, à Paris, m -8°. Sâmmtliche Werke, E rlangen, 1826 sq., t. l x i ii . p. 387.
Elle se retrouve, notam m ent, dans les Œuvres du P. Sir- M élanchthon traite de « fanatiques ■> les enthousiaste-
m ond, t. i, dans la Bibliothèque de G alland, t. xi, p. 47-
218. dans P. L., t. i . x ii i . D eux nouvelles éditions com plètes pour qui « l ’ E sprit-Saint est donné, ou est efficace. en
ont été publiées, l'une par G. H artel, Corpus script, eccl. lat., dehors de la parole de D ieu, et qui pour cette cause
V ienne, 1882, t. vi, l ’autre par Fr. Vogcl, Monumenta Ger- m éprisent le m inistère de l ’ É vangile et des sacre ­
maniœ historica. Auct. antiquiss., Berlin, 1885, t. vn. m ents. » Confess. August, var., a. 5, dans Corpus r ‘-
M , St. Léglise a entrepris de traduire en français les écrits /armatorum, t. xxvi, col. 354 sq.
d ’ Ennodius; le t. i, contenant les lettres, texte et traduc ­ A u xvni c siècle.on traita d ’ enthousiastes les m étho ­
tion, a paru, in-8°, Paris, 1906; Acta sanctorum, t. iv julii, distes dans leur ferveur prem ière. A ujourd ’ hui.encorc,
p. 271 sq. ; Histoire littéraire de la France,t. ni, p. 96; Fertig,
Ennoilius und seine Zeit (progr.), i, Passau, 1855; u et m , on donne le m êm e nom aux adhérents de ces revivais.
Landshut, 1858, 1860; C. Tanzi, l.a cronologia degli scritti qui secouent les foules protestantes, et créent parfois
di M. F. Ennodio, Trieste, 1889; M agani, Ennodio, 3 in-8", aux autorités spirituelles et tem porelles de si sérieuses
Pavie, 1886; B. H asenstal, Studien zu Ennodius (progr.), difficultés. M . A . M atter est dans la tradition des pre ­
in-S°, M unich, 1890; A. Ebert, Histoire de la littérature m iers protestants.quand il écrit : «En théologie,on :·.
du moyen âge en Occident, trad, franç., Paris, 1883, t. I, parfois appelé enthousiastes les m ystiques ou fana ­
p. 461-169; J.-J. A m père, Histoire de la France avant tiques qui se fondent sur une lum ière intérieure pour
Charlemagne, Paris. 1867, t. Il, p. 194 sq. ; Bardenhew er,
l ex Pères de Γ Eglise, nouv. trad, franç., Paris, 1905, t. m , négliger les enseignem ents de l ’ É criture sainte.» En­
p. 160-162; Realencijclopiidie, t. v, p. 393; H urter, Nomen­ cyclopédie des sciences religieuses de L ichtenberger
clator, 3· édit., 1903, 1.1, col. 480-483. t. iv, p. 435.
P. G o d e t . J. d e l a S e r v i è r e .
E N S A B A T É S . V oir V a u d o i s . E N T Y C H IT ES (E u t y c h it e s ). Le prem ier au ­
teur ecclésiastique qui nous révèle l ’ existence de ces
E N T H O U S IA S TE S . B eaucoup de protestants m o ­ sectaires, c ’ est C lém ent d ’ A lexandrie, et encore ne
dernes com prennent sous ce nom tous ceux qui, le fait-il qu ’ en passant, à l ’ endroit des Slromatcs où
dans le christianism e, furent, ou se crurent, l ’ objet de il note que, parm i les sectes, les unes tirent leur nom
faveurs particulières de D ieu, et dirigèrent leur vie, de leur fondateur, les autres de l ’ endroit où elles ont
non seulem ent d ’ après les enseignem ents, com m uns à vu le jour, com m e les pérates, de la nation à laquelle
tous les chrétiens, de l ’ É criture et de l ’ Église, m ais elles appartiennent, com m e les phrygiens, d ’ autres
d'après les inspirations m iraculeuses qu ’ ils reçurent,ou encore de leur m anière de vivre, com m e les encratites,
crurent recevoir, du ciel. Sont ainsi rangés parm i les de leurs croyances spéciales, com m e les doeètes et les
enthousiastes, dans un gracieux pêle-m êle, à la suite hém atites, de l ’ objet de leur culte, com m e les caïnites
des prophètes d ’ Israël, les apôtres et saint Paul en par ­ et les ophites, d ’ autres enfin des im piétés qu ’ elles
ticulier, tous les m ystiques de la prim itive Église, du osent perpétrer, com m e les partisans de Sim on, dits
m oyen âge et des tem ps m odernes, orthodoxes aussi enlycbites : ai 3è άφ'ων παρανόμως έπετηδευσαν τε καί
bien qu ’ hérétiques; sainte T hérèseetla B. M arguerite- έτόλμησαν, ώς των Σιμωνιανών, οι έντυχιταϊ καλούμενοι.
M arie sont des enthousiastes com m e les cam isards et Strom., V II, 17, P. G., t. ix, col. 553. E t le seul auteur
les quakers. Cf. la bibliographie et les textes cités par qui, après C lém cntd ’ A lexandrie, m entionne cette secte
K . Thiem e, art. Verziickung de la Realencyklopddiefiir pendant la période patristique, c ’ est Théodoret, qui
protestantische Théologie, t. xx, p. 586 sq. la signale parm i celles qui sont sorties « de la racine
D ’ ordinaire, le m ot est pris dans un sens péjoratif très am ère de Sim on, sllaerel. jab.,ï, 1, P. G., t. l x x x i ii .
et désigne ceux qui, sous prétexte d ’ inspirations col. 345.
directes de D ieu, se dérobent à la direction des auto ­ Selon la lecture de Potter, dans le texte et les notes
rités spirituelles. A insi Théodoret, parlant desm assa- des Slromatcs, il s ’ agit de personnages appelés ΐντυχι-
liens: - O n les appelle enthousiastes, parce que, soum is ται. Q ue peut bien signifier ce m ot? D ’ après la préci­
à l ’ influence d ’ un certain dém on, ils le prennent pour sion de C lém ent d ’ A lexandrie, ce term e ne fait pas la
D 1C T . D E T H E O L . C A TH O L . V. - 5
131 E N TY C H ITE S E N V IE 432

inoindic allusion à un personnage de la suite de Sim on, qu ’ il est, lui, m oins favorisé.U n collégien, par exem ple,
qui aurait réellem ent porté ou sym boliquem ent adopté est furieux du succès de scs condisciples, il voudrait
le nom d ’ E ntychès, et dont par ailleurs on ignore les voir échouer aux exam ens ; voilà l ’ envie dans toute
com plètem ent l'existence, m ais à une m anière cou ­ sa laideur. U n officier, sans souhaiter le m oindre m al à
pable de vivre. O r, étyinolog quem ent, il peut dériver ses cam arades, tout en se réjouissant de leur heureuse
de έντυχία, réunion, colloque fam ilier, voir ces m ots chance, ne peut s'em pêcher d ’ éprouver du dépit et de
dans H enri E stienne, Thesaurus, édit. D idot, Paris, la tristesse en constatant qu'il est m oins bien servi
1831-1864; il signifierait alors ceux qui se livrent à par les circonstances. C 'est la jalousie ou ém ulation.
des fam iliarités répréhensibles, à m oins qu ’ il n ’ y ait Ce sentim ent peut être bon ou m auvais selon la nature
là qu ’ un à peu près par allusion à la pratique obscène des choses, qui en sont l ’ objet. Potest aliquis tristari
de se livrer au prem ier venu, au hasard, au gré des de bono alterius, dit saint Thom as, non ex eo quod ipse
circonstances et sans choix préalable. M ais, au lieu habet bonum, sed ex eo quod dcesl nobis bonum illud,
de i -j tzii ou έντυχηταί, il sem ble qu ’ il convien ­ quod ipse habet. Et hoc proprie est zelus, ut Philoso­
drait de lire de préférence εύτυχιταί, de εύ, τύχη, pour phus dicit in II Rhetor. Et si iste zelus sit circa bona
signifier la bonne fortune qui faisait de chaque sec ­ honesta, laudabilis esi. Sum. theol., I “ II “ , q. xxxvi, a. 2.
taire un hom m e heureux. Pour des disciples de Sim on, V oir t. ii, coi. 2262-2263. Q uant à l ’ envie, selon l ’ ob ­
en effet, il est facile d ’ entendre en quoi ils faisaient servation faite par saint Thom as, elle ne saurait être
consister le bonheur. C ’ était un principe, chez eux, que m auvaise. A ussi, on l ’ a toujours regardée com m e
que les actes sont indifférents ou qu ’ il n ’ y a pas un vice particulièrem ent odieux, com m e un des fruits
d ’ actes m auvais; ils ne se croyaient astreints à aucune les plus détestables de l ’ égoïsm e et de l ’ orgueil. Quarto
loi et ne se privaient d ’ aucune obscénité. M ettant modo aliquis tristatur, dit encore saint Thom as, de
leur salut dans la seule foi en Sim on et en H élène, bonis alicujus, in quantum aller excedit ipsum in bonis.
ils pratiquaient effrontém ent la prom iscuité, en la Et hoc proprie est invidia. El istud semper est pravum
qualifiant de dilection parfaite et de saint des saints, ut etiam Philosophus dicit in II Rhetor., quia dolet de
par un em prunt sacrilège à la langue religieuse. Δει eo, de quo est (/audendum, scilicet de bono proximi.
μιγνυσΟαι, λέγοντες · πάσα γή γή, και ού διαφέρει ποΟ τις Sum. theol., I» II™ , q. xxxvi, a. 2. V oir la différence
σπείρει, πλήν ινα σπείρη' άλλα και μακαρίζουσιν έαυτούς entre ζήλος , l ’ ém ulation, et φθόνος , l ’ envie, dans
έπΐ τή αδιαφορώ μίξει, ταύτην είναι λέγοντες την τελείαν T rench, Synonymes du Nouveau Testament, trad,
αγάπην και το άγιον άγιων. Philosoph., V I, I, 19, édit. franç., B ruxelles, 1869, p. 99-104.
Cruice, Paris, 1860, p. 264. « Ils osaient dire, note L ’ envie a pour principale cause, un orgueil qui ne
Tillem ont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésias­ peut supporter de supérieurs ni m êm e de rivaux. D e
tique des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. n, l ’ envie à son tour, com m e d ’ une source m audite,
p. 41, que les âm es ne sont envoyées dans le corps que procède tout un m onde d ’ iniquités. A ussi est-ce avec
pour y honorer les anges, créateurs du m onde, par raison qu ’ elle est rangée parm i les péchés capitaux.
toutes sortes de crim es. O rigène les m et entre ceux L ’ envieux cherche dans le m al du prochain un adou ­
qui opposaient le D ieu de l ’ Évangile à celui de la Loi cissem ent à la coupable tristesse à laquelle il s ’ aban ­
et des Prophètes, voulant que Jésus-Christ fût le fils, donne; on ne se trom perait pas si on le com parait à
non de celui-ci, m ais d ’ un autre D ieu inconnu. » Les l ’ anim al atteint de la rage qui s ’ im agine se procurer
entychites étaient de vrais antinom istes, les pires des un soulagem ent en se jetant avec fureur sur les pas ­
hom m es, cherchant à justifier leurs désordres et leur sants. Sum. theol., Il» II “ , q. xxxvi, a. 4.
im m oralité par des m otifs d ’ ordre religieux. D e ce qui précède, il ressort évidem m ent,que l ’ envie
O n ne saurait nullem ent les confondre avec les est, de sa nature, un péché m ortel, et un péché des plus
euchites; et c ’ est à tort que C otelier a proposé de lire graves. D ’ ailleurs, saint Paul la place parm i les vices
εύ 'ίται plutôt que έντυχιταί. Pat. apost., A m sterdam , qui em pêchent d ’ entrer dans le royaum e de D ieu.
1724, t. i, p. 322, 323, n. 5; P. G., 1.1, col. 927. L a G ai., v, 21. Il arrive souvent, cependant, qu ’ elle ne
confusion a été faite par H ervet, qui a pris les en- constitue qu'un péché véniel, soit à raison de la légé
tychiles pour les euchites; et Le N ourry le souligne reté de la m atière, soit à cause du défaut de parfait
avec raison. Appar. ad Bibl. max. Patrum, Paris, consentem ent. M arc, Institutiones morales, Rom · ?.
1703-1715,1. Ill, diss. II, c. xiii, a. 3, col. 1089; P. G., 1911, n. 368.
t. ix, col. 1246. Théodoret a bien distingué les uns des II. E f f e t s . — Ces effets sont d ’ ordre physiologique
autres, car il nom m e les entychites à un endroit et et d ’ ordre m oral. C om m e toute tristesse prolongée,
consacre un article spécial aux euchites. l ’ envie exerce sur l ’ organism e une funeste influence.
Tillem ont, Mémoires paur servir àThlstoire ecclésiastique » Elle a, dit le D r C harles V idal, une action cardio-
des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. n, p. 41; Aligne, vasculairc qui se traduit par de l ’ angoisse et des
Dictionnaire des hérésies, Paris, 1847, t. 1, col. 701. troubles de la nutrition et par des lésions viscérales
G. Ba r e il l e . m acroscopiques qui laissent voir, à l ’ autopsie de
E N VIE . — I. N otion. IL E ffets. III. R em èdes. l ’ envieux, un cœ ur petit, des vaisseaux petits, des
I. N o t io n . — L ’ envie peut être considérée com m e m uscles pâles. B ref, l ’ envie produit une dim inution
passion et com m e vice. C om m e passion, elle est une de l ’ intensité de l ’ irrigation sanguine et par suite des
des form es de la tristesse, et se rapporte par consé ­ échanges; donc, un trouble profond de la nutrition
quent à l ’ appétit concupiscible. Cf. S. Thom as, Sum. générale. L a tonicité générale dim inue, le cerveau s ’ ir ­
theol., I» I I», q. xxxv. C onsidérée com m e vice, l ’ envie rite, le tube digestif digère m oins bien.C ’ est une cause
est une habitude coupable qui prédispose à voir de profonde de déliquescence organique, nuisible à tous,
m auvais œ il (invidere) le bien du prochain, et à s ’ en aux vieillards et aux chétifs surtout, que l ’ esprit po ­
affliger com m e d ’ une atteinte portée à une supério ­ pulaire a très bien observé, puisqu'il en a synthétisé
rité qiie l ’ on ne veut que pour soi. Π ne faut donc pas les conséquences dans cette expression : se dessécher
la confondre avec le sentim ent d ’ effroi et de tristesse d'envie. » Religion etmidecine, p. 140.
que l ’ on éprouve à la vue du succès des m échants, ni A u point de vue m oral, saint G régoire, cité par
m êm e avec la jalousie, en latin, zelus. D ans le langage saint Thom as, énum ère en ces term es les filles ou re ­
ordinaire, envie et jalousie sont souvent synonym es ; jetons de l ’ envie : D e invidia oritur odium, sussuralio,
ce sont, cependant, deux choses qu ’ il im porte de dis ­ detractio, exultatio in adversis proximi, et a/Pielio in
tinguer. Le jaloux ne veut pas précisém ent que le pro ­ prosperis. Sum. theol.. II» II®, q. xxxv, a. 4. Par sus­
chain soit privé de son bien; m ais il s'afflige en voyant suralio il faut entendre : oblocutio mala de proximo ad
133 E N V IE ÉON D E L ’ É T O IL E 134

tollendam amiciliam cum eo. M arc, Inslituliones mo­ exposées à se faire illusion. O n ne saurait donc y
rales, n. 369. A propos du déplaisir causé par la pros ­ revenir avec trop d ’ insistance.
périté du prochain, aijflclio in prosperis, saint Thom as
fait la rem arque suivante qui sert à m ieux préciser O utre les auteurs cités dans le corps de l ’ article, voir
S. Cypricn, Liber de zelo et liuore, P. L., t. iv, col. 637-652:
Je vrai caractère de l ’ envie : Affictio aulem in S. A ugustin, Expositio Epist. ad Gai., n. 52, P. L., t. xxxv,
prosperis proximi, uno modo est ipsa invidia : in col. 2142; S. G régoire de N ysse, De vita Moysis, P. G..
quantum scilicet aliquis tristatur de prosperis alicujus t. xi.iv, col. 321, 325; S. Jean Chrysostom e, In Joa., ho-
secundum quod habent gloriam quamdam. Alio vero m il. xxxvn, n. 3, P. G., t. Ltx, col. 210; In Epist. ad
modo est filia invidiæ, secundum quod prospera Rom., hom il. vu, n. 6, P. G., t. l x , col. 449-451 ; S. Ba ­
proximi eveniunt contra conatum invidentis, qui cona­ sile, D e invidia, xi, P. G., t. xxxi, col. 372-384; Buseus.
tur impedire. Sum. theol., Il» Ilæ , q. xxxvi, a. 4, Panarius, t. I, p. 528-548; cardinal Bona, Manuduc-
tio ad cailum, vm ; G rosse, Cours de religion, d'après
ad 3 “ m . l'ouvrage allemand du R. P. Wilmers, Paris, 1880, t. iv,
O n n ’ étonnera personne en disant que l'envie a p. 145; Laborie, Les péchés capitaux, x, xi, Paris, 1908;
joué un rôle im m ense dans l ’ histoire du m onde. Il Bouchage, Pratique des vertus, Paris, 1908, t. I, p. 472;
sem ble que ce vice, justem ent appelé un péché diabo ­ M erx, Thésaurus biblicus, Paris, 1883, p. 285-287; M arc.
lique, devrait être le triste apanage de l ’ esprit de Institutiones morales, Rom e, 1911, n. 368-369, et les autres
ténèbres; et cependant, l ’ hom m e, s ’ il n'est pas trans ­ m oralistes.
form é par la grâce, est très exposé à devenir l ’ esclave L. D e s b r u s .
de l ’ envie. Q ui pourrait com pter les calom nies, les É O N D E L ’ É T O ILE , Eons, Eudo, Euno, Emis,
rapports m alicieux, les injustes persécutions dont ce de Stella, hérétique, condam né au concile de R eim s
vice m audit a été la cause, sans parler des œ uvres (1148). Il naquit à Loudéac, d ’ après le Chronicon
utiles qu ’ il a supprim ées ou entravées? Il est, à vrai britannicum, dans Reiueil des historiens des Gaules
dire, un des pires ennem is de la religion et de la et de la France, Paris, 1781, t. xn, p. 558. Cf. A . de
société. L ’ É criture sainte nous fournit, à cet égard, la B orderie, Histoire de Bretagne, R ennes, 1905, t. m,
les exem ples les plus frappants. C ’ est par l'envie du p. 210. Il est m al connu. A prendre à la lettre la plu ­
dém on que le péché est entré dans le m onde. Invidia part des chroniqueurs qui s ’ occupent de lui, on a
diaboli mors introivit in orbem terrarum : imitantur l ’ im pression que ce fut un fou. Ils racontent que
autem illum qui sunt ex parte illius. Sap., n, 24, 25. c ’ était un ignorant qui, entendant chanter à l ’ église :
C ’ est l ’ envie qui arm e contre le juste A bel la m ain Per eum qui venturus est judicare vivos et mortuos,
du cruel C aïn. G en., iv, 3-8; I Joa., ni, 12. C ’ est sous crut que le m ot eum le désignait — G uillaum e de
l ’ em pire de la m êm e passion qu ’ É saü form e contre N ewbury (Neubrigensis),De rebus anglicis,l. I, c. χιχ,
Jacob des projets hom icides, G en., xxvu, 11; que dans Recueil des historiens des Gaules et de la France,
Joseph est vendu par ses frères, G en., xxxvn, 10-20; Paris, 1786, t. xm , p. 97, dit qu ’ on l ’ appelait ser­
que D avid est persécuté par Saül. qui avait « l ’ œ il » mone gallico Eun — donc qu ’ il devait, lui, juger les
sur lui, I R eg., xvm , 9, 29; enfin n ’ est-cc pas l ’ envie vivants et les m orts, donc qu ’ il était le fils de D ieu.
qui a excité contre N otre-Seigneur la fureur des Juifs Il publia cette découverte, recruta de nom breux
déicides? M arc., xv, 10. adhérents, m archa à leur tête, entouré de disciples
III. R e m è d e s . — D e ce qui précède, il est facile qu ’ il appelait anges, sagesse, jugem ent, etc. A près
de déduire, com m e corollaire, la m éthode à suivre pour diverses péripéties, il com parut, au concile de R eim s,
la guérison de l ’ envie, et les principaux rem èdes à devant le pape Eugène 111; il s ’ appuyait sur un bâton
em ployer. fourchu, et, com m e on lui dem anda ce que cela signi ­
L ’ envie étant une des form es de la tristesse, souvent fiait, il répondit : « C ’ est un grand m ystère. Lorsque
il sera bon de faire diversion, de procurer à l ’ envieux je tiens ce bâton les deux pointes en l ’ air, D ieu a en
quelque honnête distraction qui l ’ aide à sortir du sa puissance les deux tiers du m onde; m ais, quand
m arasm e où le jette sa noire passion. Cf. S. Thom as, je renverse les deux pointes, alors, plus riche que m on
Sum. iheol., II» II s», q. xxxvm . père, je com m ande aux deux tiers du m onde, et D ieu
L ’ envieux est un insensé qui se rend m alheureux n ’ a plus que l ’ autre tiers. » Le concile accueillit cette
en s ’ affligeant du bien d ’ autrui; il est la prem ière déclaration par un éclat de rire. Si tout cela est exact,
victim e de sa propre m alice. Pulchre quidam de neo­ Éon fut un de ces m aniaques, qui ne m anquèrent
tericis, dit saint Jérôm e, græcum versum trans/crens, pas au m oyen âge, dont la folie fut invraisem blable ­
elegiaco metro de invidia lusit, dicens : m ent contagieuse. M ais faut-il accepter ces tém oi ­
Justius invidia nihil est gure protinus ipsum gnages tels quels? Les plus détaillés, en particulier
Auctorem rodit, excruciatquc animum. celui de G uillaum e de N ew bury, se corsent de récits
C miment, in Epist. ad Gal., 1. III, c. v, P. L., t. xxvi, coi. 417. extraordinaires sur des prestiges diaboliques : Éon
aurait été entouré d ’ une lum ière fantastique, trans
Ces considérations prudem m ent développées, sont porté par l<j diable d'une province dans V autre ; il
certainem ent de nature à ram ener les envieux à des aurait nourri la foule qui le suivait dans les déserts
sentim ents plus raisonnables. de m ets abondants apparus à l ’ im proviste, qui, du
L ’ envie, est le fruit de l ’ orgueil. Pour en préserver reste, n ’ étaient pas solides, m ais aériens, etc. Cf. les
les âm es, il im porte donc de leur inculquer fortem ent quelques lignes si expressives de R obert de Torigni,
: hum ilité. A u lieu de s ’ affliger du succès d ’ autrui, dans L. D elisle, Chronique de Robert de Torigni, abbé
l'hu ibleest tout disposé à s ’ en réjouir. Il redit volon- du mont Saint-Michel, R ouen, 1872, t. i, p. 248. Les
tiers la parole de saint Jean-Baptiste : Illum oportet succès d ’ Éon parurent tellem ent disproportionnés
crescere, me aulem minui. Joa., nr. 30. avec le m érite du personnage qu ’ on voulut les expli ­
L ’ envie est opposé à la charité fraternelle. L ’ am our quer par l ’ intervention du diable. (C ette réputation
envers le prochain sera donc le grand rem ède à ce de sorcellerie s ’ est m aintenue et m êm e am plifiée
vice. C ’ est pourquoi un directeur prudent et éclairé dans la suite. Cf. P. Levot, Biographie bretonne, t. i,
rappellera souvent que l ’ am our de D ieu est insépa ­ p. 676.) Peut-être ne serait-on pas éloigné de la vérité
rable de l ’ am our du prochain, I Joa., iv, 20; qu ’ il est en supposant : 1° que la popularité dont il jouit
im possible de se sanctifier si l ’ on garde dans son était duc, pour une bonne part, aux théories d ’ ordre
cœ ur des dispositions contraires à la charité, telles pratique lancées par lui dans la circulation. « Éon.
que rancune, envie, etc. C ’ est un point très im por ­ rem arque justem ent P. Levot, Biographie bretonne,
tant, sur lequel m em e les personnes pieuses sont t. i, p. 677, n'est rien m oins que l ’ apôtre du com m u
135 ÉON D E L ’ É T O IL E 136

nism e pur au m oyen âge. Pour com prendre son rôle, hérétiques. M ais il sem ble difficile d ’ attribuer à Éon
il faut se reporter à son tem ps. 11 n ’ y avait alors au ­ et aux siens toutes ces erreurs et les argum ents subtils
cun droit qui protégeât la société. Les barons bretons que l ’ archevêque de R ouen m et dans leurs bouches,
étaient devenus de véritables brigands. D evant cette étant donné surtout que les anciens chroniqueurs
horrible anarchie, en l ’ absence de tout droit écrit et qui parlent d ’ Éon ne lui prêtent rien de pareil; ces
en action, il est probable que des m illiers d ’ hom m es hérétiques de la B retagne s ’ apparentent plutôt aux
s ’ étaient jetés dans la vie sauvage; m ais personne henriciens et aux pétrobrusiens. Cf. Histoire littéraire
n ’ avait érigé en principe ce déplorable systèm e. Éon de la France,2° édit.,Paris, 1869, p. vu, 658; H . H aupt,
le fit. Il proclam a la m axim e : « T out est à tous. » Realenctjklopüdie, Leipzig, 1878, t. v, p. 576; surtout
Q uand on invite ceux qui n ’ ont rien à se partager les Ch. M olinier, Reoue historique, Paris, 1894, t. l iv ,
biens de ceux qui possèdent, on allum e aisém ent des p. 158-161.
convoitises, et, si les circonstances s ’ y prêtent, on a Éon fut condam né à la prison par le concile de
chance d ’ être suivi. É on réussit parce que : 2° loin R eim s, et confié à la garde de l ’ archevêque de
d ’ être le fou qu ’ on se représente, il ne fut pas dépourvu R eim s, d ’après le prém ontré R obert A bolant, Recueil
de l ’ habileté nécessaire. A gissant sur des populations des historiens des Gaules et de la France, t. xm , p. 332;
frustes, farouches, d ’ une religion grossièrem ent com ­ Pierre le C hantre, P. L., t. ccv, col. 229, 545, à celle
prise. m ais de tem péram ent religieux, déclarant la de Suger, abbé de Saint-D enis, d ’ après O thon de
guerre au clergé, et, précise G uillaum e de N ew bury, Freising, De gestis Friderici imperatoris, 1. I, c. l v ,
ecclesiis maxime monasteriisqiie infestus, il songea à dans Recueil des historiens des Games et de la France,
rem placer ce qu ’ il voulait détruire et se donna har ­ t. xm , p. 658. Il m ourut peu de tem ps après. Scs par ­
dim ent pour celui que le sym bole annonçait com m e tisans s ’ étaient répandus assez vite dans diverses pro ­
le juge des vivants et des m orts. O n com prend, dès vinces, au rapport du Chronicon brilannicum, ibid.,
lors, que la m ultitude fanatisée ait été, dans ses m ains, t. xn, p. 558; O thon de Freising, ibid., t. xm , p. 658,
l ’ instrum ent docile que les textes nous m ontrent, précise que ce fut circa Briianniam et Guasco/Ham.
tandis qu'on a peine à com prendre qu ’ un aliéné ait Si ce dernier renseignem ent est exact, il est possible
créé un m ouvem ent tel que celui qu ’ il suscita et l ’ ait que le concile de R eim s ait en vue les éonites, en m êm e
dirigé avec la m aîtrise dont il fit preuve. R este à ex ­ tem ps que les henriciens et autres précuiseurs du
pliquer, dans cette hypothèse, le langage qu ’ il tint catharism e, dans son 18 ’ et dernier décret, où fi or­
au concile de R eim s; m ais ne pourrait-on pas adm ettre donne ut nullus omnino hominum hæresiarchas cl
que, se sentant perdu, il sim ula la folie devant le eorum sequaces, qui in partibusGuasconiæ aut Prouin-
concile, afin d ’ échapper à une condam nation rigou ­ ciæ vel alibi commorantur, manu teneat vel defendat.
reuse? Labbe et C ossart, Sacrosancta concilia, Paris, 1671,
Q uoi qu ’ il en soit de ces suppositions, il sem ble t. x, col. 1113. Ce qui est sûr, c ’ est que les éonites
acquis que l ’ enseignem ent d ’ É on de l ’ Étoile se réduisit furent traqués; dans le diocèse d ’ A let surtout (sans
aux points suivants : sa filiation divine, la guerre à doute A let en B retagne, et non A let en Languedoc,
l ’ Église (hiérarchie, biens des églises et des m onas ­ com m e le dit H . H aupt, Realencyklopüdie, t. v, p. 576),
tères), une sorte de com m unism e. Pierre le C hantre, ils furent irréductibles, préférant les supplices et le
Verbum abbreviatum, c. l x x v ii i , P.L., t. cev, col. 229, bûcher à la rétractation. Les historiens de l ’ inquisition
cf. col. 545, qui ne prononce pas son nom , l ’ appelle rem arquent là-dessus que, à cette date, la répression
quidam maniclueus, et R obert A bolant, dans sa conti­ de l ’ hérésie n ’ avait pas de règles fixes — tandis que
nuation de la C hronique de Sigebert de G em bloux, le novateur fut condam né à la prison, ses sectateurs
Recueil des historiens des Gaules et de la France, furent punis du bûcher — et que, d ’ autre part, « la
t. xm , p. 332, dit : de suis quosdam quidem angelos, sévérité déployée contre les disciples d ’ Eon ne pro ­
alios autem apostolos faciebat, et propriis angelorum venait pas de leurs erreurs, m ais bien des m eurtres,
seu apostolorum nominibus appellabat, quo plane pillages et incendies, dont ils s ’ étaient rendus cou ­
signo et ipsum ex manichæorum officina prodiisse pables. » Th. de C auzons, Histoire de l’inquisition en
possumus intelligere ex iis quæ dicta sunt suo loco France, Paris, 1909, t. i, p. 240, note.
de maniclueis. Faut-il en conclure qu ’ Éon fut un
I. S o u r c e s . — Les textes relatifs à Éon de l ’ Étoile se
m anichéen ou cathare? O n l ’ a dit, cf.. en particulier, trouvent dans le Recueil des historiens des Gaules et de la
I. von D ollinger, Beitrâge zur Sektengeschichte des France, Paris, 1781, t. xn, p. 558. ex chronico britannica;
Millelalters, Munich, 1890, t. i, p. 102-104, m ais sans 1786, t. ΧΙΠ, p. 97-99, ex Guillclmi Neubrigensis de rébus
fondem ent assez ferm e, car le signe qu ’ en donne anglicis. l.I,c. xix : p. 27.3,274, ex auctario Gemblacensi (ces
R obert est bien vague et incertain, et l ’ appellation textes du continuateur de Sigebcrt de G em bloux se lisent
de Pierre le C hantre, qui m anifestem ent ne connaît aussi P. L., t. cr.x col. 264, 266) : p. 291, ex Roberti de Monte
guère Éon de l ’ Étoile, s ’ explique par ce fait que, de appendice ad Sigebertum (cf. P. L., t. eux. col. 465, et L. D e ­
lisle, Chronique de Robert de Torigng, abbé du mont Saint-
son tem ps, volontiers on qualifiait de « m anichéens » Michel, Rouen, 1872, 1.I, p. 248); p. 332. ex altci lus Roberti
les obscurs hérétiques contem porains du renouveau appendice ad Sigebertum (cf. P. I„, t. eux, col. 375, c ’est le
du m anichéism e. Én dehors de son hostilité contre prém ontré R obert A bolant); p. 501, ex Bombera Waterlosii
l ’ Église, nous ne voyons pas qu ’ Éon ait eu des doc ­ chronico cameracensi; p. 658, ex Ottonis Frisingensis de
trines com m unes avec les cathares. Il en serait au ­ gestis Friderici imperatoris, 1. I, c. u v - l v ; p. 701, ex chro­
trem ent si l ’ on pouvait adm ettre avec B rial, Recueil nic.'· Albertci trium fontium monachi (cf.. sur ce passage,
des historiens des Gaules et de la France, Paris, 1808, E. V acandard, Vie de saint Bernard. Paris, 1895, t. n,
p. 233. note 2' : p. 736. ex chronico cassincnsi (reproduit dans
t. xv, p. 697; cf. H . C. Lea, Histoire de l’inquisition le t.xv.p. 425 ’. ; 1806. t. xiv, p. 22. ex Nicolai Ambianensis
au moyen âge, trad. S. R cinach, Paris, 1903, t. i, chronico; 18O8.t. xv, p. 697. lettre de l ’ archevêque de Rouen.
p. 74, que le trailé d ’ H ugues d ’ A m iens, archevêque H ugues d ’ A miens, au cardinal A lbéric d ’ O stie (c'est la dé ­
de R ouen, Contra hæreticos sui temporis. c ’ est-à-dire dicace du traité Contra hmreticos sui temporis, publié en
contre des hérétiques bretons du m ilieu du xn ’ siècle, entier dans P. /.., t. ex en. col. 1255-1298). Cf. encore Pierre
P. L., t. cxcii, col. 1255-1298, est dirigé contre Éon le Chantre. Verbum abbreviation, c. uxxvni (deux rédac ­
et ses partisans. Il est question, dans cet écrit, d ’ erreurs tions), P. I... t. ccv, col. 229. 545.
II. T r a v a u x . — .J. C. Füsslin, Kirchen und Ketzerhis-
sur le baptêm e des enfants, sur le m ariage, etc., qui torie der millleren Zeil, Francfort, 1770. t. 1. p. 235-240:
ne sont pas sans analogies avec l ’ enseignem ent ca ­ C. U . H ahn. Gesrhichte der Kelzer im Mittelaiter. Stuttgart,
thare, sans toutefois le reproduire suffisam m ent pour 1845, t. I, p. 463-165; Ch. Schm idt, Histoire et doctrine de la
qu ’ on soit autorisé à ranger parm i les cathares ces secte des cathares ou albigeois, Paris, 1849, t. I. p. 48-49;
137 É O N D E L ’ É T O IL E — ÉPHÈSE (C O N C IL E D ’ ) 138
C. J. von H efele, Conciliengeschichte, 2 ” édit.. Fribourg-en- conserve sa personnalité et qu ’ elle subsiste en elle-
Brisgau, 1886, t. v, p. 516-517; trad. D elarc, Paris, 1872, m êm e, non dans le V erbe.
t. vn, p. 310-312; I. von D ôllinger, Beitriige zur Seldenge- 2° L ’ union de la personne du V erbe et de la personne
schichte des Miltelallers, M unich, 1890, t. i, p. 102-104.
Cf. Cil. M olinier, Revue historique, Paris, 1894, t. LTV, hum aine est volontaire, c ’ est-à-dire se fait par la
p. 158-161 ; A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, Rennes, volonté, par la com pénétration am oureuse des deux,
1905, C ni, p. 210-214; H . H aupt. Realeneyklopadie de telle m anière qu ’ il n ’ y a plus qu ’ une seule person ­
Leipzig, 1875, t. v, p. 575-576; Th. de Cauzons. Histoire de nalité juridique. Il y a don m utuel de chaque personne
Γinquisition en France, Paris, 1909, L I, p. 237-240. l ’ une à l ’ autre, et com m e un prêt et un échange des
F. V e r n e t . personnalités. U ne phrase qui revient souvent dans
É P H È S E (C O N C ILE D ’ ), III ’ œ cum énique, 22 le Livre d’Héraclide est celle-ci : « La divinité se sert
juin-fin octobre 431. — I. Prélim inaires. II. H istoire. du prosôpon de l ’ hum anité et l ’ hum anité de celui de
III. A ctes. IV. Principales décisions, texte et com ­ la divinité. » C et échange des personnalités (prosôpons)
m entaire. V . Œ cum énicité du concile. V I. L égiti ­ perm et d ’ affirm er que les deux personnalités natu ­
m ité de la condam nation de N estorius. relles aboutissent à une personnalité m orale unique,
I. P r é l im in a ir e s . — Le concile d ’ Éphèse, IlP œ cu- que N estorius appelle le prosôpon d ’ union : « La divi ­
m énique, fut occasionné par la doctrine de N estorius nité se sert du prosôpon de l ’ hum anité et l'hum anité
sur le m ystère de l ’ incarnation. A peine installé sur de celui de la divinité; de cette manière nous disons
le siège de C onstantinople (10 avril 428), ce person ­ un seul prosôpon pour les deux. » Le livre d’Hêraclide,
nage, tout pénétré (tes principes de l ’ école d ’ A ntioche, p. 212-213. C ette personnalité artificielle et purem ent
et particulièrem ent des opinions théologiques de dénom inative est désignée par les term es de Fils,
Théodore de M opsueste, dont il fut très probablem ent de C hrist, de Seigneur. C ’ est pourquoi N estorius
l ’ élève, ne se contenta pas de m anifester un zèle fa ­ affirm e souvent qu ’ il n ’ y a qu ’ un seul C hrist, qu ’ un
rouche contre les hérétiques déjà condam nés. Il crut seul Fils, qu ’ un seul Seigneur; m ais chacun de ces
découvrir l ’ hérésie au sein m êm e de l ’ Église, et partit m ots éveille dans la pensée nestorienne l ’ idée des
en guerre contre l ’ appellation de Οεοτόκος , mère de deux natures-personnes, la divine et l ’ hum aine, qui
Dieu, que depuis longtem ps, pasteurs et fidèles, dem eurent distinctes et sans confusion.
savants et ignorants étaient habitués à donner à la 3° D u m om ent que la personne du V erbe, d ’ une
V ierge M arie. part, et la personne de l ’ hom m e, d ’ autre part, con ­
En attaquant cette expression « m ère de D ieu », tinuent à subsister chacune en elle-m êm e, que leur
N estorius ne faisait que suivre l ’ exem ple de Théodore union n ’ est que m orale et non physique et substan ­
de M opsueste, qui avait dit avant lui : « M arie a tielle ou hypostatique, il s ’ ensuit qu ’ on ne peut
enfanté Jésus, m ais non pas le Logos; le Logos a attribuer à D ieu le V erbe les propriétés et les actions
toujours existé; il est sans com m encem ent, quoiqu'il de la personne hum aine, et vice versa. O n ne pourra
ait habité d ’ une m anière toute particulière dans pas dire de D ieu le V erbe qu ’ il est né de la V ierge
Jesus. M arie est donc, à proprem ent parler, la m ère M arie, qu'il a souffert, qu ’ il est m ort. O n ne pourra
iiu C hrist et non pas la m ère de D ieu. O n ne peut pas appeler M arie Οεοτόκος au sens propre du m ot
rappeler m ère de D ieu que d ’ une m anière figurée et et sans faire des réserves. E n un m ot, ce que nous
parce que D ieu était d ’ une m anière toute particulière appelons fa communication des idiomes ne doit pas se
dans le C hrist. » M ansi, Concil., t. ix, col. 237; P. G., faire par rapport à D ieu le V erbe. C ette com m uni ­
t. l x v i , col. 993. Ce passage de Théodore exprim e en cation n ’ est perm ise que par rapport aux term es qui
substance toute la doctrine de N estorius, car, en ce désignent le prosôpon d ’ union, c ’ est-à-dire par rapport
qui concerne la m anière de concevoir l ’ union de la aux m ots C hrist, Fils, Seigneur. D ès lors, on pourra
nature divine et de la nature hum aine en Jésus- très bien dire que M arie est m ère du C hrist, κριστοτό-
C hrist, il n'y a point de différence entre le m aître et κος , parce que ce nom de C hrist fait penser à la fois aux
1·.· disciple. O n le savait déjà, non seulem ent par deux natures qui sont unies, à la nature divine et à
saint C yrille, m ais aussi par les hom élies, lettres et la nature hum aine, et tout naturellem ent l ’ esprit
fragm ents d ’ écrits divers qui nous restaient de N es ­ attribuera, dans ce cas, la naissance à la nature hu ­
torius et que, il y a quelques années, F. Loots avait m aine. O n affirm era aussi que la V ierge a enfanté le
publiés sous le titre : Nestoriana,Die Fragmente des Fils, le Seigneur, que le C hrist, le Seigneur, le Fils
Nestorius, H alle, 1905. O n le sait encore m ieux, depuis est D ieu et qu ’ il est hom m e, parce que chacun de ces
qu ’ on a édité un ouvrage entier de N estorius conservé term es désigne à la foi? les deux natures com plètes,
dans une traduction syriaque. C et ouvrage, intitulé : les deux personnes qui se sont fait, par l ’ union,
Le livre d’Hêraclide de Damas, a été com posé en grec m utuellem ent don de certains titres les dénom m ant
et term iné en 451, au m om ent où l ’ auteur n ’ avait plus toutes les deux, à cause de leur intim e union.
que quelques jours à vivre. Le texte de la traduction Ces idées m aîtresses de sa théorie christologique,
syriaque a été publié par P. B ed j an, Paris, 1910; N estorius les expose et les répète à satiété dans le
F. N au en a fait paraître une traduction française : Livre d’Hêraclide, et on les retrouve sans peine dans
Le livre d’Hêraclide de Damas, Paris, 1910. N estorius les autres écrits qui nous restent de lui. O n voit aisé ­
y expose et y défend longuem ent sa doctrine chris ­ m ent ce qu ’ une telle conception a de contraire au
tologique contre saint C yrille et le concile d ’ Éphèse. dogm e catholique, tel qu ’ il a été clairem ent défini
S ’ il ne faut point le croire, lorsqu ’ il proclam e son depuis, et quel danger elle présentait pour la foi, à
accord avec Flavien de C onstantinople, Le livre cause de sa subtilité et de la term inologie vague,
d'Hêraclide, trad. N au, p. 310, 326, 371, 374, et avec im précise, fallacieuse, dont elle s ’ enveloppait. N es ­
le pape saint Léon, ibid., p. 298, 302, 330, on ne torius parle souvent com m e un orthodoxe, lorsqu ’ il
peut, par contre, si on a eu la patience de lire le s'agit de l ’ union des deux natures en une personne,
Livre d"Hêraclide, qu ’ être de son avis, lorsqu ’ il affirm e m ais son orthodoxie est purem ent verbale, car il
sa solidarité doctrinale avec Théodore de M opsueste. n ’ entend pas l ’ unique prosôpon d ’ union dans le sens
Ibid., p. 291-293. Sa théorie de l ’ union des deux na ­ catholique. Saint C yrille n ’ a point faussé sa pensée
tures peut se résum er ainsi : en lui attribuant tout ce qu ’ on entend habituelle ­
1° C om m e il n ’ y a pas de nature com plète sans m ent sous le nom de nestorianism e : négation de la
personnalité (N estorius dit : sans prosôpon naturel) m aternité divine de M arie, union extrinsèque et
et que le V erbe s ’ est uni à une nature hum aine com ­ m orale, non physique, substantielle et hypostatique
plète, il s ’ ensuit qu ’ en Jésus-Christ la nature hum aine de la nature divine et de la nature hum aine dans
139 E P H ÊS E (C O N C IL E D ’ ) 140

l ’ H om m e-D ieu. L ’ évêque d ’ A lexandrie a eu la pers ­ 1047. N estorius est m enacé d ’ excom m unication et de
picacité de dém asquer une hérésie aussi subtile que déposition, si dans l ’ espace de dix jours, à dater de
dangereuse. Si quelques-unes de ces form ules ont créé la notification qui lui sera faite par C yrille de la sen ­
des difficultés aux théologiens des âges postérieurs, tence papale, il ne rétracte son erreur. C yrille sera
c ’ est que la term inologie n ’ était pas encore exacte ­ chargé de l ’ exécution de cette sentence, com m e
m ent fixée de son tem ps; c ’ est aussi que, par réaction représentant du siège apostolique.
contre la doctrine de ses adversaires, il a sem blé favo ­ Le patriarche d ’ A lexandrie ne se pressa pas de
riser le m onophysism e. V oir t. ni, col. 2509-2515. faire parvenir à N estorius les pièces venues de R om e.
C ’ est dans les derniers m ois de 428 que N estorius et Il réunit auparavant un concile à A lexandrie, qui
ses am is com m encèrent leur cam pagne contre le publia une longue lettre synodale, datée du 3 novem ­
term e de Θεοτόκος , au grand scandale du clergé et du bre 430. C ’ est un exposé m agistral de la doctrine
peuple de C onstantinople. Proclus, évêque nom m é de orthodoxe sur le m ystère de l ’ incarnation; il est
C yzique, et l ’ avocat Eusèbe, qui devint plus tard adressé à N estorius en personne et se term ine par
évêque de D orylée, élevèrent en vain la voix pour douze anathém atism es, auxquels le novateur devra
défendre la foi traditionnelle et im poser silence au souscrire, pour échapper à la condam nation qui le
novateur. C elui-ci trouva un adversaire plus redou ­ m enace. M ansi, ibid., col. 1067 sq. V oir t. ni, col.
table dans la personne de l ’ évêque d ’ A lexandrie, 2509-2511. Ces anathém atism es insistaient fortem ent
saint C yrille, qui ne tarda pas à apprendre ce qui se sur l ’ intim ité de l ’ union des deux natures divine et
passait à C onstantinople, voir Le livre d’Héraclide, hum aine dans la personne du V erbe. Les expressions
p. 92-94, et qui, sans retard, crut de son devoir de em ployées pour désigner cette union, έ'νωσις φυσική,
prém unir ses fidèles contre la nouvelle erreur dans ενωσις καθ ’ ύπόστασιν, ne déplurent pas seulem ent
l ’ hom élie pascale de 429. Homil., χνπ, P. G., t. l x x v i i , à N estorius, qui répondit aux douze anatiiém atism es
col. 773. Q uelque tem ps après, il dut longuem ent cyrilliens par douze anathém atism es de sa com po ­
exposer la foi orthodoxe aux m oines d ’ É gypte, que sition, M ansi, ibid., col. 1099; ils choquèrent aussi
la lecture des hom élies de N estorius com m ençait à les prélats form és à l ’ école d ’ A ntioche, et en parti ­
troubler. Ad monachos Ægypti, P. G., t. l x x v i i , col. culier le patriarche Jean. C elui-ci était un am i de
9 sq. ; M ansi, Concil., t. iv, col. 587 sq. D ans ces deux N estorius; aussitôt après avoir reçu la lettre que lui
docum ents, N estorius n ’ était pas nom m é, m ais en avait adressée le pape C élestin, avant m êm e que N es ­
lisant la Lettre aux moines, où ses erreurs étaient si torius eût été averti par C yrille de la décision du
m agistralem ent réfutées, il ne put s ’ em pêcher de faire concile rom ain, il avait conseillé au novateur de se
éclater sa colère contre π l ’ É gyptien ». C ’ est alors que soum ettre et d ’ accepter le Θεοτόκος , dont il justifiait
C yrille crut le m om ent venu d ’ entrer en correspon ­ l ’ orthodoxie par l ’ É criture et les Pères. M ansi, ibid.,
dance avec lui pour essayer de le ram ener dans la col. 1061. Les anathém atism es de C yrille firent éva ­
voie de la tradition catholique. D eux lettres qu ’ il nouir ces dispositions conciliantes. Jean se tourna dès
lui écrivit et qui reçurent des réponses aigres-douces, lors du côté de N estorius, qui, sans rien changer à
n ’ aboutirent à rien. M ansi, op. cit., t. iv, col. 883- son langage, déclarait que l ’ expression Θεοτόκος était
1000; Le livre d’Héraclide, p. 95-97. L ’ évêque d ’ A lex ­ à la rigueur susceptible d ’ un sens orthodoxe. D ans
andrie s ’ adressa alors à la cour im périale pour l ’ inté ­ une lettre à Firm us, archevêque de C ésarée, le pa ­
resser à la cause de l ’ orthodoxie. Il écrivit une lettre triarche d ’ A ntioche voyait dans l ’ expression ενωσις
à l'em pereur Théodose II et deux autres aux prin ­ φυσική une form ule apollinariste et m onophysite,
cesses E udoxie et Pulchérie. M ansi, ibid., col. 618- et se refusait à croire qu ’ elle fût de C yrille. M ansi,
883. E n m êm e tem ps, il avertissait plusieurs évêques op. cit., t. v, col. 756. E n m êm e tem ps, deux de ses
orientaux, et, en particulier, le vieil A cace de B érée, sufiragants, A ndré de Sam osate et Théodoret de
du péril que courait la foi. C yr, com posaient de longues réfutations des anathé ­
D ès 429, le pape C élestin I or , que N estorius avait m atism es, qu ’ ils entendaient de travers avec une
déjà essayé de prévenir en sa faveur, avait dem andé bonne foi souvent douteuse. V oir t. ni, col. 2478-
au patriarche d ’ A lexandrie des renseignem ents précis 2481; M ahé, Les anathématismes de saint Cyrille
sur la nouvelle controverse qui com m ençait à agiter d’Alexandrie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique,
les esprits en O rient. C yrille fit longtem ps attendre 1906, t. vil, p. 505-542.
sa réponse, voulant éviter toute précipitation; m ais Le 7 décem bre 430, les délégués du concile d ’ A lexan ­
lorsqu ’ il vit qu ’ il était im puissant à arrêter lui-m êm e drie, les évêques Théopem pte, D aniel, Potam on et
les progrès de la nouvelle hérésie, il écrivit à celui C om are rem irent à N estorius toutes les pièces dont
« que l'usage ancien des Églises ordonne d ’ avertir, ils étaient porteurs. L a double som m ation qui lui
quand la foi est en jeu. » M ansi, ibid., col. 1011 sq. était adressée de R om e et d ’A lexandrie ne produisit
A cette lettre, qui exposait brièvem ent l ’ histoire de aucun effet. Elle arrivait d ’ ailleurs un peu tard. U n
la controverse depuis ses débuts, étaient joints un Com­ concile œ cum énique, que ni C élestin ni C yrille n ’ a ­
monitorium résum ant et réfutant les erreurs de N es ­ vaient dem andé et dont ils se seraient sans doute bien
torius, et les écrits, lettres et traités, traduits en latin passés, venait d ’ être convoqué par les em pereurs
que C yrille avait déjà com posés sur la question. Ce Théodose II et V alentinien III. U ne lettre circulaire
fut le diacre Posidonius qui fut chargé de porter à du 19 novem bre 430, adressée à tous les m étropo ­
R om e tous ces docum ents. O n était au printem ps de litains de l ’ em pire, leur ordonnait sur un ton sévère
430. de venir à Éphèse avec quelques-uns de leurs suffra-
Sans retard, le pape C élestin réunit à R om e, au gantsles plus distingués, pour la Pentecôte de l ’ année
m ois d ’ août 430, un concile d ’ évêques occidentaux, suivante. M ansi, op. ci7.,t.iv, col. 1111 sq. Théodose II
qui exam ina le dossier envoyé par C yrille et condam na envoyait à C yrille une lettre spéciale pleine de m e ­
com m e hérétiques les opinions de N estorius. Les actes naces, qui m ontrait que N estorius avait su le m ettre
de ce concile ne nous sont pas parvenus, sauf un frag ­ de son côté. M ansi, ibid., col. 1109 sq. B ien que sim ­
m ent du discours prononcé par le pape, où l ’ expres ­ ple évêque, A ugustin d ’ H ippone reçut une invita ­
sion Θεοτόκος est approuvée, M ansi, ibid., col. 550, tion spéciale de se rendre au concile, à cause de sa
m ais nous trouvons la substance de ses décisions dans grande célébrité. O n ignorait encore à C onstantinople
les quatre lettres de C élestin datées du 11 août 430 que le grand docteur était m ort le 28 août 430. Cf.
et adressées à N estorius, à son Église, à C yrille et à la lettre de C apréolus de C arthage au concile, M ansi,
Jean d ’ A ntioche. M ansi, ibid., col. 1017, 1025, 1035, ibid., col. 1207.
141 ÉPHÊSE (C O N C IL E D ’ ) 142

B ien que non réclam ée par eux, la convocation du seize évêques et d ’ une bonne escorte aux ordres du
nouveau concile n ’ était pas une surprise pour C élestin com te Irénée, un am i fidèle, fut à Éphèse un des
et C yrille. D ans sa troisièm e lettre au pape, écrite prem iers. C yrille arriva bientôt avec cinquante
probablem ent avant qu ’ il eût appris la nouvelle de évêques, la m oitié à peu près de ses suffragants, et
sa condam nation à R om e, N estorius parlait d ’ un con ­ un cortège de valets, de m arins et de portefaix.
cile général : Placuit vero, Dca adjuvante, etiam syno­ L'évêque d ’ Éphèse, M em non, avait déjà réuni autour
dum incxcusabililer lotius orbis terrarum indicere. de lui quarante de ses suffragants et douze évêques
Loots, op. cit., p. 182; M ansi, t. v, coi. 725. 11 en de la Pam phylie. Le groupe de Juvénal de Jérusalem
parlait aussi dans sa lettre à Jean d ’ A ntioche, anté ­ et celui de Flavien de Thessalonique n ’ arrivèrent
rieure à l ’ arrivée des délégués alexandrins dans la que quelques jours après la Pentecôte. C eux de Jean
capitale. Loots, p. 185-186; M ansi, ibid., col. 754. d ’ A ntioche, « les O rientaux », com m e on les appelait,
Ce concile, c ’ était en effet lui, N estorius, qui l ’ avait se firent attendre plus longtem ps. Il leur était sans
dem andé, m ais il n'avait pas été le seul. Presque dès doute m atériellem ent im possible d ’ être là pour la
l ’ origine de la controverse, des m oines constantino- Pentecôte, m ais il parut bientôt qu ’ il y avait quelque
politains, qui avaient eu l ’ audace de dem ander à chose de calculé dans leur retard, surtout après que
N estorius des explications sur sa théologie, et qui deux suffragants d ’ A ntioche, A lexandre d ’ A pam ée et
avaient reçu pour toute réponse des coups de lanières A lexandre d ’ H iérapolis, eurent déclaré que Jean leur
plom bées sur les épaules, avaient porté plainte devant avait ordonné de dire de ne pas difîérer plus long
l ’ em pereur et réclam é un concile général par l ’ inter ­ tem ps,à cause de lui,l ’ ouverture du concile. M ansi,
m édiaire de l ’ archim andrite B asile. M ansi, t. iv, t. iv, col. 1331. O n conclut de là que le patriarche
col. 1101 sq. Jean ne voulait pas assister à la condam nation de son
L a convocation du concile exigeait évidem m ent am i N estorius, et, sur l ’ avis de C yrille, il fut décidé
la m odification de la procédure arrêtée à l ’ égard de qu ’ on com m encerait les débats, sans attendre plus
N estorius. Peu rassuré par la lettre que lui avait longtem ps.
écrite l ’ em pereur, C yrille se hâta de dem ander des 1° Ire session. — C ’ est le lundi, 22 juin, que s ’ ouvrit
instructions à R om e. N estorius devait-il paraître à la i r0 session dans la cathédrale d ’ Éphèse, placée sous
l ’ assem blée en qualité de m em bre, ou bien la sentence le vocable de la M ère de D ieu, m algré les protest i-
portée contre lui dans le délai fixé conservait-elle tions du com te C andidien et d ’ un groupe d ’ évêques,
force de loi? D ans sa réponse du 7 m ai 431, le pape qui dem andaient qu'on attendit l ’ arrivée des O rien ­
retardait l ’ effet de sa condam nation prem ière; il taux. Cf. Le livre d’Héraclide, p. 97-100. L ’ assem blée,
invitait C yrille à m ettre tout en œ uvre pour rétablir présidée par C yrille, qui tenait, disent les actes, la
la paix et gagner N estorius à la vérité. M ansi, t. iv, place de l'archevêque de R om e, M ansi, t.iv, col. 112;.
col. 1292. En m êm e tem ps, C élestin écrivait, le 15 m ai, ne com pta d ’ abord que 160 m em bres, 159 évêques et
à l ’ em pereur Théodosc, qu ’ il ne pourrait se rendre au 1 diacre, B cssula, représentant de l ’ évêque de C ar ­
concile, m ais qu'il se ferait représenter par ses légats. thage; m ais, à la fin de la session, quand il fut ques ­
M ansi, ibid., col. 1291. Les légats choisis furent les tion de souscrire la déposition de N estorius, il y eut
deux évêques A rcadius et Projectus et le prêtre Phi ­ 198 signatures. Les légats du pape n ’ avaient pas
lippe. Ils reçurent des instructions très brèves, m ais encore eu le tem ps d ’ arriver. Som m é à trois reprises
très précises : se tenir étroitem ent unis à C yrille; de com paraître, N estorius refusa. C andidien vou ­
sauvegarder la préém inence du siège apos olique lait lire la lettre de l ’ em pereur sur la convocation du
en paraissant com m e juges, non com m e controver- concile. O n refusa d ’ en entendre la lecture, et C andi ­
sistes; se faire rendre com pte de ce qui s ’ était passé, dien lut une adm onition pour avertir les évêques
s ’ ils arrivaient en retard; suivre C yrille à C onstan ­ qu'ils ne devaient rien faire avant l ’ arrivée des O rien ­
tinople, si celui-ci avait à s'y rendre. M ansi, ibid., taux. Le livre d’Héraclide, p. 100-105. O n passa outre.
col. 556. L a lettre du pape au concile n ’ étant pas m oins O n entam a alors la discussion de la question dogm a ­
affirm ative sur la prim auté rom aine et la nécessité tique. A près la lecture du sym bole de N icée, on enten ­
de se soum ettre à la décision papale contre N estorius. dit la seconde lettre de C yrille à N estorius, que tous
M ansi, ibid., col. 1283 sq. les Pères déclarèrent conform e au sym bole. C ent
A vec le pape, l ’ O ccident en m asse se déroba à vingt-six m otivèrent m êm e leur vote par de petits
l ’ ordre im périal. L ’ A frique, ravagée par les V andales, discours, qui nous sont parvenus. M ansi, ibid., col.
n ’envoya pour tout représentant que le diacre B es- 1139-1170. O n lut ensuite la réponse de N estorius
sula de C arthage. La G aule ne bougea pas. D ’ Italie, àC yrilleeton la déclara contraire au sym bole de N icée.
il n ’ y eut que les légats du pape. O n com m ençait sans puistoutcsles bouches crièrent anathèm e à l ’ hérétique,
doute à se dégoûter des éternelles disputes des O rien ­ à l ’ im pie N estorius et à ses partisans. M ansi, ibid.,
taux, et on leur laissait le soin d ’ apaiser eux-m êm es col. 1170-1178. Cf. Le livre d’Héraclide, p. 116-125.
leurs querelles. N estorius discuta longuem ent le sens de ses lettres
N i Théodose II, ni V alentinien III n ’ honorèrent et des extraits de ses livres, lus au concile. Ibid.,
l ’ assem blée de leur présence. Le com te C andidien, p. 126-236.
capitaine de la garde im périale, fut désigné pour les O n donna lecture de deux autres docum ents : la
représenter et être le protecteur du concile. D éfense lettre du pape C élestin à N estorius, lui notifiant la
lui était faite de s ’ im m iscer dans les controverses sentence du concile rom ain, et la lettre synodale du
dogm atiques. Son rôle était d ’ assurer la tranquillité concile d ’ A lexandrie ou troisièm e lettre de C yrille
et la liberté des délibérations. Pour éviter toute m ani ­ à N estorius, qui se term ine par les anathém atism es.
festation tum ultueuse, il avait ordre d ’ éloigner de C eux-ci furent donc lus très probablem ent en m êm e
la ville d ’ Éphèse les m oines et les laïques venus par tem ps que la lettre, m ais les actes ne disent nulle
pure curiosité. Il devait veiller à ce que les Pères part qu'ils aient reçu une approbation spéciale du
traitassent la question dogm atique, avant d ’ entam er concile, com m e c ’ est le cas pour la seconde lettre de
toute autre affaire. M ansi, t. iv, col. 1117 sq. C yrille à N estorius. H efele, Histoire des conciles, trad.
II. H i s t o ir e . — C onform ém ent à la lettre im pé ­ Leclercq, t. n, p. 301, note 2. O n essaya de nouveau
riale de convocation, le concile aurait dû s ’ ouvrir le d'am ener N estorius à résipiscence, m ais ce fut en
jour de la Pentecôte de l ’ année 431, c ’ est-à-dire le vain. Les dépositions de deux de ses am is intim . s
7 juin, m ais à cette date plusieurs m étropolitains furent accablantes pour lui. M ansi, col. 1182.
n ’ étaient pas encore arrivés. N estorius, accom pagnéde Sur la proposition de Flavien, évêque de Philippes,
143 É P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) 144

on lut ensuite une série de passages patristiques tou ­ pereur pour essayer de le prévenir en sa faveur et
chant l ’ union des deux natures en Jésus-C hrist. Pierre justifier sa conduite respective. M ansi, ibid., col. 1379,
d'A lexandrie, A thanase, les papes Jules 1 er et Félix I er , 1386, 1422.
Théophile d ’ A lexandrie, saintCypricn, saint A m broise, 3° 11° session. — La lettre de l'em pereur n ’ em pêcha
saint G régoire de N azianzc, saint B asile, saint G régoire pas C yrille de faire tenir une seconde session, le 10
de N ysse, A tticus de C onstantinople, A m philoque juillet, dans la dem eure épiscopale de M em non. Elle
d* Iconium vinrent successivem ent déposer contre fut m otivée par 1 ’ arrivée des trois légats du pape,
l'hérésie de N estorius. M ansi, ibid., col. 1183-1195. qui rem irent au concile une lettre du pape C élestin et
11 ne restait plus qu ’ à prononcer la sentence de dépo ­ insistèrent sur ce point que, l ’ affaire de N estorius
sition et d ’ excom m unication : « Pressés, disent les ayant déjà été réglée à R om e, le concile n ’ avait qu ’ à
Pères, par les canons et par les lettres de notre très s ’ unir à la décision papale et à la prom ulguer. Les
saint père et collègue, C élestin, évêque de R om e, nous Pères se firent lire la lettre que C élestin leur adressait
avons dû, avec larm es, en venir à cette triste sen ­ et l ’ approuvèrent en disant : « V oilà le véritable juge ­
tence : Le Seigneur Jésus-Christ qu'il a blasphém é m ent, actions de grâces au nouveau Paul, C élestin,
décide par ce saint concile que N estorius est privé de au nouveau Paul, C yrille, à C élestin, le gardien de la
la dignité épiscopale et de la com m union sacerdotale. » foi. » M ansi, t. iv, col. 1287. C onform ém ent aux ordres
M ansi, ibid., col. 1211. Cf. Le livre d'Héraclidc, p. 235- qu ’ ils avaient reçus du pape, les légats dem andèrent
236. Le peuple d ’ Éphèse, très dévot à la vierge com m unication des actes de la session, afin qu ’ ils
M arie, accueillit avec enthousiasm e la condam nation pussent les confirm er, t-/a βεόζιώσωαεν. M ansi, ibid.,
de l ’ adversaire du βεοτόζος . La ville illum ina et les col. 1289.
évêques furent conduits à leurs dem eures avec des 4° III· session. — Le lendem ain, 11 juillet, se tint
flam beaux et des cassolettes d ’ encens. Cf. Le livre la n i e session, toujours dans la m aison de M em non.
d’Héraclide, p. 236-237. Les légats du pape déclarèrent avoir lu les actes de
2° Le conciliabule des Orientaux. — Le lendem ain, la I r0 session et avoir trouvé tout à fait canonique et
23 juin, le concile notifia à N estorius, au peuple conform e à la discipline ecclésiastique la sentence
d ’ Éphèse et au clergé de C onstantinople la sentence portée contre N estorius. ils dem andèrent ensuite,
qu ’ il avait portée. M ansi, col. 1227, 1443. Le com te pour obéir aux instructions de C élestin, la lecture
C andidicn m anifesta son m écontentem ent en décla ­ publique des actes; on accéda à leur désir. Puis cha ­
rant nul tout ce qui avait été fait et en envoyant à cun d ’ eux fit un petit discours, où il approuva la con ­
l ’ em pereur un rapport hostile au concile et à ses chefs. dam nation de N estorius. Le prêtre Philippe prit le
D e son côté, N estorius écrivit aux em pereurs pour se prem ier la parole et parla en term es m agnifiques de
plaindre; dix évêques de ses am is signèrent la lettre. la prim auté de Pierre « qui continue à vivre et à juger
M ansi, col. 1231 sq. Les m em bres du concile envoyè ­ dans la personne de ses successeurs. » M ansi, ibid.,
rent aussi leur rapport à kl cour avec les actes de la col. 1295.
session. M ansi, col. 1235 sq. Ils eurent soin de rappeler A près que les trois légats curent signé les actes des
que leur sentence ne faisait que reproduire celle que trois sessions déjà tenues, le concile envoya à l ’ em ­
le pape C élestin avait déjà portée. M ansi, ibid., col. pereur une lettre souscrite, par tous les évêques pré ­
1239. Cf. Le livre d'Héraclidc, p. 106-116. Plusieurs sents, dans laquelle on déclarait que l ’ O ccident était
d ’ entre eux adressèrent au peuple des discours sur d'accord avec l ’ O rient pour condam ner N estorius,
l ’ incarnation pour entretenir ses bonnes dispositions com m e venaient de le tém oigner les légats du pape.
à l ’ égard de l ’ assem blée. M ansi, t. iv, col. 1246 sq. ; O n dem andait aussi à l ’ em pereur d ’ autoriser l ’ élec ­
t. v, col. 218 sq. tion d ’ un nouvel évêque de C onstantinople et le
C ’ est le 26 ou le 27 juin que Jean d'A ntioche arriva retour des m em bres du concile dans leur pays. M ansi,
enfin à Éphèse avec plusieurs évêques. L a dépu ­ ibid., col. 1301. U ne seconde lettre était adressée-au
tation que lui envoya aussitôt le concile fut très m al clergé et au peuple de C onstantinople. M ansi, ibid.,
accueillie et eut à souffrir les m auvais traitem ents de col. 1303.
la garde aux ordres du com te Irénée, am i de N esto ­ 5° I V° session. — La iv° session, 16 juillet, se tint,
rius. C andidien se m ontrait, de son côté, de plus en com m e la I r0 , dans l ’ église Sainte-M arie. C yrille est
plus hostile aux Pères, tandis qu ’ il entourait Jean toujours déclaré tenir la place de l ’ évêque de R om e.
d ’ A ntioche de ses prévenances. C elui-ci réunit aus ­ A près la lecture d ’ un m ém oire com posé par C yrille
sitôt dans sa m aison un conciliabule com prenant qua ­ et M em non sur le concile et le conciliabule, on envoya
rante-trois évêques, qui déposa C yrille et M em non au patriarche Jean une députation de trois évêques
et excom m unia tous leurs partisans, com m e cou ­ pour l ’ inviter à com paraître. Jean refusa toute au ­
pables d ’ hérésie arienne et apollinariste. M ansi, t. iv, dience. U ne seconde députation n ’ obtint pas plus de
col. 1259 sq. Sur N estorius on gardait le silence. C an ­ résultat. Le concile annula alors la sentence du conci ­
didien avait honoré l'assem blée de sa présence et liabule contre C yrille et M em non com m e anticano ­
avait m êm e m otivé sa sentence par son récit des nique, et l ’ on décida l ’ envoi d ’ une troisièm e délé ­
événem ents antérieurs. Le conciliabule envoya plu ­ gation auprès du patriarche Jean. M ansi, ibid., col.
sieurs lettres à la cour, au clergé, au sénat et au peuple 1305-1316.
de C onstantinople pour faire connaître sa décision, 6° V ° session. — Le lendem ain, 17 juillet, la v°
en m êm e tem ps qu ’ il som m ait les m em bres du vrai session s ’ ouvrit dans l ’ église Sainte-M arie. C om m e on
concile de se séparer de C yrille et de M em non et de l ’ avait décidé la veille, on députa à Jean troisévêques
se joindre à Jean. M ansi, ibid., col. 1270-1280; Le accom pagnés d ’ un notaire pour le som m er de com pa ­
livre d'Héraclidc, p. 237-239. raître, lui et ses am is, afin d ’ établir le bien-fondé de
Les divers rapports qu ’ i avait reçus de part et leurs accusations contre C yrille et M em non. Jean se
d ’ autre produisirent sur l ’ em pereur Théodose une déroba encore une fois. Le concile prononça alors
im pression déplorable. Sans retard, il dépêcha à l ’ excom m unication avec privation de toute juridic ­
Éphèse le m agistrat Pallade avec une lettre fort tion contre les « O rientaux » qui étaient en tout trente-
sévère, qui frappait de nullité tout ce qui s ’ était fait sept. D eux rapports, adressés l ’ un au pape, l ’ autre à
jusqu ’ alors, et interdisait aux évêques de quitter l ’ em pereur, firent connaître le résultat des deux der ­
Éphèse, avant qu ’ une enquête sur ce qui s ’ était nières sessions. M ansi, ibid., col. 1235-1338. Ces deux
passé n ’ eût été faite par ses officiers. M ansi, ibid., lettres répètent ce que le concile avait déjà dit dans la
col. 1378 sq. C hacun des deux partis écrivit à l ’ em ­ lettre du 1 er juillet adressée à l ’ em pereur, que l ’ on
145 É P H ÊS E (C O N C IL E D ’ ) 146

com ptait plusieurs pélagiens dans le cam p des O rien ­ l ’ assem blée des O rthodoxes, vers la fin d ’ octobre 431,
taux. M ansi, ibid., col. 1330, 1334, cf. col. 1426. A la Théodose II tient pour non avenue la sentence portée
tin de la lettre au pape, on annonce que les actes des par le concile contre Jean d ’ A ntioche et les siens;
O ccidentaux contre Pélage, C élcstius et leurs dis ­ m ais tout le reste est tacitem ent approuvé. M ansi,
ciples, ont été lus au concile et approuvés par lui. t. iv, col. 1465. En laissant la porte ouverte à des
M ansi, ibid., col. 1338. négociations ultérieures entre les O rthodoxes et les
7° V / “ session. — Les actes de la vi° session, qui se O rientaux,Théodose II agissait sagem ent. B ientôt,
tint dans la m aison de M em non, le 22 juillet, ne nous quand les passions irritées se furent un peu calm ées,
sont pas parvenus intégralem ent. O n se dem ande et qu ’on pût discuter à tête reposée sur le sens des
pourquoi le concile se fait lire le sym bole de N icée, form ules, on arriva à s ’ entendre, car, du point de
puis les m êm es extraits des Pères et des écrits de vue théologique, il n ’ y avait qu ’ une divergence de
N estorius qui avaient été produits à la i ro session. term inologie, et non de fond, entre la doctrine de
Tillcm ont, Mémoires pour servir à l’Iiisloire ecclésias­ saint C yrille et celle de Jean d ’ A ntioche et de la plu ­
tique, Paris, 1709, t. xiv, note 53, p. 772-773, insinue part des siens. U n sym bole d ’ union fut accepté de
que ces actes ont peut-être été bouleversés par le part et d ’ autre, en 433. Cf. Le livre d’Héraclide, p.239-
successeur de C yrille sur le siège d ’ A lexandrie, D ios- 294.
core, qui fit lire cette vi° session au B rigandage III. A c t e s . — Les nom breux docum ents relatifs
d ’ Éphèse. Q uoi qu'il en soit, il n ’ y eut de nouveau au concile d ’ Éphèse, tels qu ’ ils se présentent dans les
dans cette session que la défense faite par le concile de collections conciliaires, peuvent se répartir en trois
présenter ou de com poser une form ule de foi autre que groupes. U n prem ier groupe com prend divers écrits
celle qui avait été fixée par les Pères de N icée. M ansi, que fit éclore la controverse nestorienne, depuis ses
t. iv, col. 1361 sq. N ous exam inerons plus loin la débuts jusqu ’ en juin 431, c ’ est-à-dire jusqu ’ à l ’ ou ­
portée de cette décision, qui fut occasionnée par le verture du concile. Les lettres et les traités de saint
récit d ’ un clerc de l ’ Église de Philadelphie, C harisius, C yrille rem plissent la plus grande partie de ce rccueiL
rapportant qu ’ un certain Jacques, im bu de nesto ­ M ansi, t.iv, col.567-1122. Les actes proprem ent dits
rianism e, avait fait signer à des quartodécim ans du concile, τα πρακτικά τής συνόδου, m élangés avec
convertis une profession de foi hérétique. M ansi, les actes du conciliabule et les discours que certains
ibid., col. 1345-1362; cf. t. v, col. 606-610, 694-702. Pères tinrent au peuple d ’ Éphèse dans l ’ intervalle
8° VH· session. — D ’ après les actes, ce fut le 31 des sessions, form ent une seconde partie, où l'on
août que se tint, dans l ’ église Sainte-M arie, la vu 0 rem arque bien des lacunes. Ces lacunes sont particu ­
et dernière session; m ais beaucoup de savants, à la lièrem ent sensibles pour la vi “ session et pour ce qui
suite de G arnier, Marii Mercatoris opera, P. L., regarde l ’ activité du concile contre les pélagiens.
t. X LVin, col. 729, trouvent cette date inacceptable B eaucoup de pièces relatives aux laborieuses négo ­
et proposent de lire le 31 juillet. O n s ’ y occupa d ’ abord ciations des deux partis avec la cour im périale, après
de la requête des évêques cypriotes dem andant au la vn° session, font aussi defaut. M ansi, ibid.,
concile de sanctionner de son autorité l'indépendance col. 1023-1478. C om m e le concile d ’ Éphèse ne m it
de l ’ Église de C hypre vis-à-vis du patriarche d ’ A n ­ point fin à la querelle entre les O rthodoxes et les
tioche, qui tout récem m ent avait fait appel à l ’ auto ­ O rientaux et que les discussions théologiques se
rité séculière pour se réserver le droit d ’ ordonner le poursuivirent encore pendant plusieurs années, les
m étropolitain de l'ïle. Le concile dem anda des expli­ éditeurs des conciles ont réuni un troisièm e groupe
cations sur l ’ usage antérieur; sur celles qui lui furent de docum ents se rapportant à ces débats postérieurs.
fournies, et dans la m esure m êm e de leur conform ité M ansi, t. v, col. 1-428, 1022-1062.
à la réalité des faits,il octroya aux cypriotes l ’ auto ­ D e ces diverses pièces nous possédons l ’ original
nom ie qu ’ ils réclam aient. M ansi, t.iv,col. 1465-1470. grec, plusieurs traductions latines, quelquefois incom ­
V oir plus haut, t. n, col. 2429-2430. O n rédigea en ­ plètes, quelquefois plus riches que le texte grec et le
suite une lettre circulaire très courte, adressée à com plétant, et des fragm ents d ’ une version copte.
tous les évêques, clercs et laïques, pour notifier la Les actes grecs furent édités pour la prem ière fois
sentence d ’ excom m unication et de déposition portée par Jérôm e C om m elin, à H eidelberg, en 1591 : Ta
contre Jean d ’ A ntioche et les siens. M ansi, ibid., πρακτικά τής οίκουμενικής τρίτης συνόδου τής έν Έφέσω
col. 1470 sq. A près cette lettre viennent six canons συγκροτηθείσης ... græce nunc primum e Reuchlinianæ
soum ettant aux peines ecclésiastiques ceux qui,d ’ une bibliothecae exemplari pervetusto fideliter expressa.
m anière ou d'une autre, ont accepté ou accepteront Toutefois, ce n ’ est pas cette prem ière édition qui a
les erreurs de N estorius et du pélagien C élcstius. servi de base aux collections postérieures, m ais bien
M ansi, t. iv, col. 1471-1474. Ces canons furent signés l ’ édition rom aine de 1608 : Τών άγιων οικουμενικών
par tous les évêques. D cnys le P etit ne les inséra pas συνόδων τής καθολικής έκκλησίας άπαντα, Concilia gene­
dans sa collection latine, sans doute parce qu'ils ne ralia Ecclesiæ catholicæ, Pauli V pont. max. auctoritate
présentaient pas un intérêt général. édita, ainsi que celle de L abbc, Sacrosancta concilia
Plusieurs docum ents nous apprennent que le con ­ ad regiam editionem exacta, Paris, 1672, t. ni.
cile eut à régler certaines affaires particulières, sans U ne ancienne version latine du concile d ’ Éphèse,
qu ’ on puisse dire en quelle session cela fut fait. V oir due au traducteur des actes du V ° concile œ cum é ­
là-dessus H efele, Histoire des conciles, édit. Leclercq, nique et conservée dans plusieurs m anuscrits, fut
t. n, p. 340-342. d ’ abord publiée par A ntoine le C onte : Sanctum ma­
A près la V IP session, le concile est term iné, m ais gnum Ephesinum concilium nunc primum latine
non son histoire, qui se com plique de plus en plus. editum. Paris 1574. D eux ans plus tard, le jésuite
N ous croyons inutile de rappeler ici les longues et Théodore Peltanus édita le m êm e texte, en lui fai­
pénibles négociations que les deux partis rivaux, le sant subir des corrections d ’ après des m anuscrits
parti des O rthodoxes et celui des O rientaux, durent grecs : Sacrosancti magni et œcumenici concilii Ephesini
poursuivre avec la cour im périale, et qui aboutirent primi acta omnia, Ingolstadt, 1576. Peltanus m it le
finalem ent, après de douloureuses péripéties, au texte grec en regard de sa traduction, dans une nou ­
triom phe du vrai concile dans la principale de ses velle édition parue à H eidelberg, en 1604.
décisions : la condam nation de la doctrine de N esto ­ C ette version latine ne contenait rien que l ’ on ne
rius et sa déposition du siège de C onstantinople. V oir connût par l ’ original. Il n ’ en était pas de m êm e du
t. ni, col. 2481-2483. D ans l ’ édit de clôture, adressé à riche recueil de pièces se rapportant à la controverse
147 É P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) 148

nestorienne qu ’ un m anuscrit du M ont-C assin fournit livre d’Héraclidc de Damas, trad. N au, p. 88-290,
au m oine A ugustin C hristian Lupus, et dont celui-ci passim .
prépara l'édition, parue après sa m ort, sous le titre : IV . P r in c i p a l e s d é c i s io n s , t e x t e e t c o m m e n ­
A d Ephesinum concilium variorum Patrum epistolæ, t a i r e . — L a décision capitale du concile d ’ Éphèse fut
ex ms. cassinensis bibliothecæ codice desumptæ, item la condam nation de N estorius, à la fin de la l re ses ­
ex vaticanæ bibliothecæ ms., 2 in-4°, L ouvain, 1682. sion. M ansi, t. iv, col. 1211. C ette décision est direc ­
Ce recueil, que B aluze reproduisit dans sa Nova tem ent disciplinaire : « N estorius est privé de la
collectio conciliorum, en y faisant quelques corrections, dignité épiscopale et de la com m union sacerdotale; »
et auquel il donna le titre bizarre de Synodicon adver­ m ais elle est m otivée par des considérants dogm a ­
sus Iragœdiam Irenæi, contient des pièces nouvelles, tiques : « par l'exam en de ses lettres, de scs écrits et
dont on ne possède pas l ’ équivalent grec. L ’ édition des discours bien authentiques qu ’ il a tenus récem ­
de C hristian Lupus était d ’ ailleurs dépourvue de m ent, nous l ’ avons pris en flagrant délit d ’ enseigner
critique et incom plète. L ’ ordre des pièces était inter ­ une doctrine im pie. » N ous n ’ avons pas à com m enter
verti; plusieurs, notam m ent quarante-neuf lettres par le détail cette sentence, qui n ’ a pas été insérée
d ’ Isidore de Péluse, étaient om ises. M algré sa pro ­ dans Y Enchiridion de D enzinger-Bannw art, et qui
m esse, M ansi ne corrigea pas ces défauts dans son se trouve déjà suffisam m ent justifiée par ce que nous
édition du Synodicon, insérée dans la collection des avons dit en com m ençant de la doctrine de N esto ­
conciles, t. v, col. 733-1022. Il a fallu attendre l ’ édition rius. V oir N e s t o r iu s .
bénédictine de 1873 : Bibliotheca Cassinensis seu Les douze anathématismes de saint C yrille donnés
codicum manuscriptorum qui in tabulario Cassinensi par l’Enchiridion com m e expression de la doctrine
servantur, t. i, pour avoir tous les secrets du fam eux christologique du concile, n. 113-124, ont été suffi­
m anuscrit. L ’ auteur de la collection a vécu après sam m ent expliqués à l ’ art. C y r i l l e d 'A l e x a n d r i e ,
Justinien. V oir sur le Synodicon la longue note t. ni, col. 2509-2515; cf. coi. 2480, 2192. N ous ferons
de dom Leclercq, dans Ilefele, Histoire des conciles, seulem ent rem arquer qu ’ aucun docum ent ne perm et
t. n, p. 1312-1320. d ’ affirm er que ces anathém atism es ont reçu une appro ­
R écem m ent, L. Saltet a fait une intéressante décou ­ bation spéciale des Pères du concile. T out suppose
verte en étudiant les sources de l ’ ouvrage deT héodoret qu ’ ils furent lus à la i ro session, en m êm e tem ps que
intitulé : Έ ρανιστης . Il a établi que T héodoret dans la Lettre synodale des A lexandrins ou troisièm e lettre
son ouvrage, ainsi que le pape G élasc dans le traité de C yrille à N estorius, dont ils sont la conclusion;
De duabus naturis in Christo, ont utilisé et reproduit m ais il ne sem ble pas que les Pères y aient fait une
dans une large m esure le m ém oire doctrinal com posé attention particulière et leur aient donné des éloges
par le groupe des A ntiochiens pour com battre la sem blables à ceux qui furent prodigués à la seconde
théologie cyrillienne, aux conférences contradictoires lettre de C yrille à N estorius, qui, elle, fut officielle ­
qui devaient avoir lieu à C halcédoine, en septem bre- m ent approuvée et canonisée. Si le V e concile œ cu ­
octobre 431. Ce m ém oire, que l ’ on croyait perdu et m énique, dans sa vi° session, M ansi, t. ix, col. 327-
qui est ainsi retrouvé, en partie du m oins, est un riche 329, présente les anathématismes com m e faisant
dossier patristique divisé.en trois parties dém ontrant : partie des actes d ’ Éphèse, pars eorum quæ Ephesi
1 “ l ’ union sans confusion des deux natures; 2° le sens gesta sunt, cela ne signifie point qu ’ ils reçurent une
du verset : El Verbum caro factum est; 3° l ’ im passi ­ approbation spéciale, m ais seulem ent qu ’ ils furent
bilité de la nature divine dans le C hrist. C ’ est une lus com m e des docum ents ordinaires, auxquels on ne
réponse point par point à l ’ ouvrage de saint C yrille : trouva rien à dire au point de vue de la foi, et qui, par
Apologeticus pro xn capitibus adversus Orientales le fait m êm e, se trouvèrent tacitem ent approuvés.
episcopos. V oir Saltet, Les sources de Z ” Ερανιστης de C om m e les actes de la i r ° session contenaient les
Théodoret, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, anathématismes et qu ’ ils furent signés par tous les
1905, t. vi, p. 289-303,513-536, 741-754. m em bres du concile, les O rientaux ont pu reprocher
U rbain B ouriant a édité dans les Mémoires publiés à ces derniers d ’ avoir souscrit ces form ules, qui les
par les membres de la mission archéologique française choquaient si fort et qu ’ ils traitaient d ’ im pies et de
au Caire, 1892, t. vm , fasc. 1 er , des Fragments copies blasphém atoires. Tillem ont, Mémoires, t. xiv, p. 758-
relatifs au concile d'Éphèse. Plusieurs des fragm ents 759.
en question ont leur équivalent dans le texte grec; E n dehors des anathématismes, l’Enchiridion de
d ’ autres, notam m ent ceux qui regardent le rôle joué D enzinger-Bannw art contient trois autres docum ents
par un certain m oine V ictor, sont sûrem ent apocry ­ tirés des actes du concile ; 1° sous la rubrique : De
phes; trois ou quatre pièces nouvelles paraissent fide et traditione servanda, la décision portée à la vi°
authentiques, m ais ne présentent pas grand intérêt. session contre ceux qui altèrent le sym bole de N icée,
L a traduction française de B ouriant laisse à désirer n. 125 ; 2° sous la rubrique : Damnatio pelagianorum,
sur bien des points. K arl Plehl l ’ a critiquée d ’ une un extrait du 1 er canon, n. 126, et le 4° canon, n. 127 ;
m anière acerbe dans le Sphinx, Revue critique embras­ 3° sous le ti lre : De primatu romani pontificis, un extrait
sant le domaine entier de l’égyplologie, U psal, 1897, du discours prononcé à la ni® session par le prêtre
p. 122-154. W ilhelm K raatz a donné des fragm ents Philippe, légat du pape C élestin, n. 112. N ous expli­
coptes une traduction allem ande et une étude cri­ querons ces docum ents, après en avoir m is le texte
tique détaillée de chaque pièce. Koptische Akte zum sous les yeux du lecteur.
Ephesinischen Konzil vom Jahre 431, dans les Texte 1° Contre les falsifications du symbole de Nicée.
und Untersuchungen, II e série, Leipzig, 1904, t. xi, M ansi, t. rv, col. 1361 sq.
fasc. 2. Le russe V . B olotov a aussi publié dans la
Lecture chrétienne, 1892, p. 63 sq., une étude sur les ...ώρισεν ή άγία σύνοδος Le saint concile a décidé
fragm ents en question, et s ’ est m ontré plus sévère ετέραν πίστιν μηδέν! έξεΐναι qu ’ il n'était perm is à per ­
que K raatz sur leur authenticité. προσφέρε'.ν ηγουν συγγρά- sonne de présenter, d'écrire
N cstorius, dans son Livre d ’Heraclide, reproduit et φειν η συντιΟέναι παρά την ou de com poser une form ule
com m ente un ?ssez grand nom bre de pièces em prun ­ όρισΟεϊσαν παρά των άγιων de foi différente de celle
tées aux actes d ’ Éphèse, dont l ’ authenticité est ainsi πατέρων τών έν τή Ν ικαέων qui a été fixée par les saints
confirm ée. I) suit dans ses citations l ’ ordre m êm e des συνελΟόντων σύν άγίω Πνεύ- Pères réunis à N icée avec
actes, tels que nous les possédons actuellem ent. Il ματι... le Saint-Esprit.
n ’ apporte d ’ ailleurs aucun docum ent nouveau. Le ... Ε: φωραθεϊέν τινες , Q ue ceux que l ’ on sur-
149 É P H È SE (C O N C IL E D ’ ) 150

είτε επίσκοποι είτε κληρικοί, prendra, soit parm i les évê ­ l ’ adhésion de tous et qu ’ il est l ’ expression suffisar.:·
φρονοϋντες η διδάσκοντες ques, soit parm i les clercs, de la foi catholique, έ'χει γαρ εΰσεοώς καί άποχρώντω.-
τα Ιν τή προσκομισβειση à professer ou à enseigner εις ωφέλειαν τής ϋπ ’ ουρανόν. M ansi, t. ιν, col. 1341.
έκΰέσει παραΧ αρισίου πρεσ- la doctrine contenue dans M ais com m e certains en donnent de fausses inter ­
ουτερου περί τής ένανθρω- le sym bole présenté par le prétations, le concile a dû réunir des extraits desPèr< j
πίσεως τοϋ μονογενούς υίοΰ prêtre Charisius sur l'incar ­ qui réfutent ces interprétations et expliquent la
του ΘεοΟ, ήγουν τα μιαρά nation du Fils unique de vraie doctrine.
καί διεστραμμένα Ν εστορίου D ieu, c'est-à-dire les opi ­ O n voit, déjà par là que la form ule de foi des Pères
δόγματα... ύποκείσύωσαν τή nions détestables et per ­ de N icée dont il est question dans la décision conci
άποφάσει τής άγιας ταύτης verses de N estorius, tom ­ liaire est le sym bole nicéen proprem ent dit et non le
καί οικουμενικής συνόδου... bent sous la sentence de ce sym bole dit nicéno-constantinopolitain. Ce dernier,
saint concile œ cum énique. dont l ’ origine est fort obscure, ne paraît nulle part
dans les actes d ’ Éphèse. Saint C yrille et ses parti ­
C ette décision, que l ’ on a parfois considérée com m e sans, les O rientaux, les nestoriens parlent souvent du
le 1 er canon du concile d ’ Éphèse, H efele, Histoire sym bole de N icée, m ais il s ’ agit toujours du sym bole
des conciles, édit. Leclercq, t. n, p. 340, est célèbre de N icée proprem ent dit. Cf. Le livre d’Héraclide,
dans l ’ histoire des controverses théo logiques. D e p. 125-163. C ’ est fort gratuitem ent que M arc d ’ Éphèse,
bonne heure, presque après le concile d ’ Éphèse, les au concile de Florence, avança que les Pères, tout en
hérétiques en dénaturèrent le sens et la portée. D ès ne m entionnant que le sym bole de N icée, avaient eu
433, après l ’ acceptation du sym bole d ’ union par aussi en vue le nicéno-constantinopolitain. M ansi,
les O rientaux et par saint C yrille, on fit aux signa ­ t. xxxi, col. 533-536. C ette fiction était nécessaire
taires un procès d ’ orthodoxie, parce qu ’ ils avaient au polém iste grec pour la défense de sa thèse, m ais ce
com posé un sym bole de foi autre que celui des trois n ’ est qu ’ une fiction, qu ’ aucun historien sérieux ne
cent dix-huit Pères et avaient, par le fait m êm e, saurait prendre à son com pte. D u m om ent que le
transgressé la défense portée par le concile d ’ Éphèse. décret du concile porte sur le texte de N icée, la polé ­
C yrille releva l ’ accusation dans sa lettre à A cace de m ique des G recs contre l ’ addition du Filioque est
M élitène, M ansi, t. v, col. 316, en faisant rem arquer dénuée de tout fondem ent, car l ’ addition a été faite
que les O rientaux, par la form ule d ’ union, loin d ’ inno ­ à un sym bole autre que celui de N icée. C et autre
ver dans la foi, n ’ avaient fait qu ’ adhérer il la doctrine sym bole, antérieur au concile d ’ Éphèse, m ais non
«les Pères et avaient m is leur orthodoxie à l ’ abri de approuvé par lui, a été canonisé par le concile de
tout soupçon. B ientôt les m onophysites, D ioscore en C halcédoine. S ’ il fallait donner à la défense des Pères
tête, furent heureux d ’ en appeler à cette m êm e déci ­ d ’ Éphèse le sens rigoriste, pour ne pas dire absurde,
sion du III e concile œ cum énique,pour avoir un pré ­ des G recs schism atiques, le concile de C halcédoine
texte de rejeter la lettre dogm atique du pape saint aurait été le prem ier à violer cette défense en accep ­
Léon et la définition du concile de C halcédoine. A tant une form ule où le sym bole de N icée est sans
l ’ exem ple desnestoriens, et des O rientaux eux-m êm es doute contenu en substance, m ais où l ’ on rem arque de
avant l ’ acceptation du sym bole d ’ union,les m onophy ­ notables additions.
sites voulaient que l ’ on s ’ en tînt à la lettre de N icée, Poursuivons l ’ histoire de la vi° session. A près la
pour avoir la liberté de professer et de répandre leur lecture des textes patristiques, qu ’ on avait déjà
doctrine christologique. Les Pères de C halcédoine dé ­ entendus à la i r ° session, un certain C harisius, prêtre
m asquèrent cette tactique en donnant à la défense por ­ de l ’ Église de Philadelphie, raconta que deux prêtres
tée à Éphèsc sa véritable signification. M ansi, t. vu, de C onstantinople, A nastase et Photius, avaient donné
col. 111-114, 455-458. V oir plus haut, t. il, col. 2197. des lettres de recom m andation pour les évêques de
Eulogius d ’ A lexandrie au vi° siècle, Bibliotheca Pholii, Lydie à deux de leurs confrères, les prêtres A ntoine
cod. 230, P. G., t. cm , col. 1049, et saint M axim e le et Jacques. C eux-ci étaient partisans de l'hérésie nes-
C onfesseur au vn«, P. G., t. xci, col. 258, expliquèrent torienne. Jacques, étant venu à Philadelphie, con ­
que le concile d ’ Éphèse avait voulu interdire toute vertit quelques quartodécim ans et quelques ca ­
confession de foi contraire à la foi de N icée, m ais thares ou novatiens; m ais au lieu de leur faire signer
non proscrire les sym boles et les explications doctri ­ le sym bole de N icée, il leur avait présenté une profes ­
nales conform es aux anciennes définitions. sion de foi nestorienne, com posée par Théodore de
Plus tard, les G recs schism atiques firent du décret M opsueste. Les nouveaux convertis, qui ne se dou ­
d ’ Éphèse leur principal argum ent pour com battre taient de rien, avaient pris ce sym bole pour l ’ expres ­
l ’ addition du Filioque au sym bole. Ils en vinrent sion véritable de la foi catholique et l ’ avaient sous ­
jusqu ’ à dire, en plein concile de Florence, que les crit sans penser à m al. C harisius avait voulu inter ­
Pères d ’ Éphèse s ’ étaient interdit à eux-m êm es et venir; ou l ’ avait traité d ’ hérétique et excom m unié.
avaient interdit pour toujours à l ’ Église, m êm e réunie Son orthodoxie était cependant à l ’ abri de tout re ­
en concile œ cum énique, le droit d ’ ajouter quoi que proche, com m e en tém oignait sa profession de foi.
ce soit au sym bole. M ansi, t. xxxi, col. 519, 534, 583, C elle-ci fut lue devant le concile, qui n ’ y trouva rien
584, 603, 607, 610, 615, 626, 678, 679. U n dem i- à reprendre, bien qu ’ elle ne reproduisît point m ot à
siècle avant le schism e de Photius, Paulin d ’ A quilée m ot le texte de N icée et qu ’ on y rem arquât plusieurs
avait dém ontré, au synode du Frioul, en 796, que om issions et de notables additions, com m e la sui ­
Γ addition du Filioque au sym bole ne violait aucune vante : Et in Spiritum veritatis, Paracletum, Patri
prescription des conciles œ cum éniques. M ansi, t. xm , et Filio consubstantialem; el in sanctam catholicam
col. 833 sq. Ecclesiam; in mortuorum resurrectionem; in vitam
Ces brèves indications historiques m ontrent qu ’ il aeternam. M ansi, t. iv, coi. 1347. A la suite de la pro ­
est im portant de déterm iner d ’ une m anière précise fession de foi de C harisius, on lut le sym bole héré ­
la signification du décret conciliaire. Pour cela, il est tique, que le prêtre Jacques avait fait signer aux
nécessaire de rappeler brièvem ent l ’histoire de la quartodécim ans de Lydie.
vi 0 session. N ous avons dit déjà, col. 145, que les C ’ est alors que le concile prit la décision dont
actes de cette session nous sont parvenus incom plets, YEnchiridion de D enzinger-B annw art ne reproduit
et que l ’ ordre des pièces paraît avoir été bouleversé. qu ’ une partie. C ette décision, considérée dans son
A u début, le concile se fait lire, com m e à la F» session, ensem ble, com prend trois parties : 1° le concile porte
le sym bole de N icée. Il déclare que ce sym bole m érite d ’ abord une défense générale, de caractère à la fois
151 É P H È S E (C O N C IL E D ’ ) 152

dogm atique et disciplinaire; 2° une sentence de dépo ­ réponses opportunes à leurs innovations. » Ibid.,
sition pour les évêques et les clercs, l'anathèm e pour col. 456-457.
les laïques, sont prononcés contre ceux qui violeront V oilà qui suffit à établir que les m onophysites et
cette défense générale; 3° la sentence de déposition les G recs schism atiques ont pris le décret d ’ Éphèse
et l ’ anathèm e atteignent ceux qui adhèrent à la pro ­ à contresens dans leurs polém iques contre les catho ­
fession de foi hérétique qui a été présentée aux con ­ liques. Ce décret ne proscrit directem ent et form elle ­
vertis de la Lydie, précisém ent parce que cette pro ­ m ent que les form ules de foi opposées au sym bole de
fession de foi constitue une violation de la défense N icée. T out au plus peut-on concéder qu ’ il défend
générale, qu ’ elle a d ’ ailleurs m otivée. indirectement aux sim ples particuliers de se m êler de
La défense générale est celle-ci : « Il est défendu à com poser des sym boles de foi, à cause du péril que
qui que ce soit de présenter, d ’ écrire ou de com po ­ cette m ultiplication des form ules pourrait faire cou ­
ser une form ule de foi différente de celle des Pères rir à l ’ orthodoxie. V oulant em pêcher que ce qui s'est
de N icée. » C ’ est un décret disciplinaire, puisqu ’ il passé en Lydie, à l ’ occasion de la conversion de quel ­
s'agit d ’ une loi prohibitive; m ais ici la discipline est ques hérétiques, ne se renouvelle, le concile interdit
intim em ent liée au dogm e, car ce que le concile a de présenter, προκομίζειν ή προσφέρειν, aux convertis de
directem ent l ’ intention de défendre, c ’ est toute pro ­ l ’ infidélité, du judaïsm e ou de l ’ hérésie, un sym bole
fession de foi opposée à la doctrine de N icée. Q ue de foi opposé à celui de N icée et conseille par le fait
ce soit bien là le sens de l ’ expression έτέραν πίστιν, m êm e de s ’ en tenir à ce dernier.
c'est ce que m ontrent : 1° la gram m aire; le concile A près avoir porté le décret général, le concile en
em ploie, et à deux reprises, l'adjectif έτέραν et non fait l ’ application à un cas particulier. Le sym bole de
άλλην. "Ετερος im plique l ’ idée de dissem blance, de Théodore de M opsueste, que le prêtre Jacques a fait
contrariété, d ’ opposition ; άλλος n ’ indique habituel ­ signer aux quartodécim ans de Lydie, est le type de
lem ent que la distinction; 2° la conduite du concile ceux que le concile entend proscrire, parce qu ’ ils
d ’ Éphèse. Ce concile ne tient pas au m ot à m ot du renferm ent une doctrine contraire à la foi de N icée,
texte nicéen et ne proscrit ni les additions ortho ­ έτέραν πίστιν. Ce n ’ est pas précisém ent parce que ce
doxes ni les suppressions sans grande im portance, sym bole a été com posé par un sim ple particulier, ni
puisqu ’ il a approuvé, au m oins tacitem ent, la pro ­ parce qu ’ on l ’ a présenté à de nouveaux convertis, qu ’ il
fession de foi personnelle de C harisius. Il reconnaît est condam nable, m ais parce qu ’ on y trouve, nous dit
que le sym bole des 318 Pères peut être m al interprété le concile, « les opinions détestables et perverses de
et que, dès lors, il peut être nécessaire de rédiger des N estorius. · O n y découvre, en effet, sans peine, en le
professions de foi plus développées, pour dém asquer parcourant, la théorie nestoricnnc sur le m ode d ’ union
et réfuter ces fausses interprétations. E n fait, le con ­ des deux natures en Jésus-C hrist. Théodore a beau
cile a adm is une profession de foi autre que le sym ­ déclarer, com m e son disciple N estorius, qu ’ il n ’ adm et
bole de N icée, άλλην, m ais qui ne lui était pas opposée, pas deux fils, ni deux Seigneurs; c ’ est là une ortho ­
έτέραν, lorsqu ’ il a canonisé la seconde lettre de C yrille doxie purem ent verbale. Le dualism e hypostatique
à N estorius, qui, pour cette raison, a reçu le nom perce en plusieurs endroits de sa profession de foi,
de tome, tout com m e le concile de C halcédoine cano ­ notam m ent dans celle-ci : « Q uand nous disons un seul
nisera, quelques années plus tard, le tome de Léon; Seigneur, le Seigneur Jésus-C hrist, nous entendons
3° la conduite des conciles œ cum éniques posté ­ prem ièrem ent et principalem ent D ieu le V erbe, qui est
rieurs, qui ne se sont jam ais crus liés par le décret Fils de D ieu par nature; m ais en m êm e tem ps nous
d ’ Éphèse, pour s ’ interdire de porter de nouvelles défi ­ pensons à ce qui a été pris, à Jésus de N azareth, que
nitions opposées à des erreurs nouvelles ou d ’ accepter D ieu a oint par l ’ E sprit et la puissance, et qui parti ­
des professions de foi plus développées, et par consé ­ cipe à la filiation et à la dom ination par son adhésion,
quent autres que le sym bole de N icée. Q u ’ il suffise συνάφεια, à D ieu le V erbe; c ’ est lui que le bien­
de rappeler que le concile de C halcédoine a approuvé heureux Paul appelle le second A dam . » M ansi, t. iv,
solennellem ent la lettre dogm atique de saint Léon col. 1249. C om m e N estorius, Théodore voit dans le
et m is sur le pied d ’ égalité le sym bole de N icée et le C hrist deux personnes, la personne de D ieu le V erbe
sym bole dit nicéno-constantinopolitain, trouvé dans et la personne de Jésus de N azareth, unies d ’ une union
les actes du concile de C onstantinople de 381; que le ineffable, en vertu de laquelle Jésus de N azareth
V I e concile œ cum énique a reçu la lettre dogm atique reçoit com m unication des nom s divins de Fils et de
de saint Sophrone, rédigée sous form e de sym bole, Seigneur et peut être adoré avec le V erbe. Le concile
M ansi, t. xi, col. 461-508, et que le V II 0 a égalem ent a bien raison d ’ affirm er que la doctrine nestorienne
accepté la profession de foi de saint T araise, M ansi, se trouve exprim ée dans la profession de foi en ques ­
t. xii, col. 1122; 4° la nature m êm e du m agistère tion.
ecclésiastique, qui, étant le législateur en m atière 2° Condamnation des pélagiens. M ansi, t. iv, col.
de form ules de foi , peut choisir la form ule qui lui plaît, 1471.
lui faire subir des retouches, y ajouter, y retrancher
m êm e, pourvu que ce soit sans préjudice de la vérité C anon 1. Et τις μητρο ­ Tout m étropolitain d ’ une
révélée. C om m e le disaient les Pères de C halcédoine : πολίτης τής επαρχίας άπο- éparchie quelconque, qui,
« T oute loi défend le péché aux m échants, m ais ne στατήσας τής άγιας καί οι ­ après s ’ être séparé de ce
prive pas pour cela les juges de leur autorité. » M ansi, κουμενικής συνόδου... τά saint et œ cum énique con ­
t. vu, col. 464. Par ailleurs, c ’ est le droit im prescrip ­ Κελεστίω έφρόνησεν ή φρο ­ cile, a adopté ou adoptera
tible de l ’ Église enseignante, com m e aussi son devoir νήσει, ούτος κατά των τής à l ’ avenir les opinions de
rigoureux et perpétuel, auquel elle ne saurait renoncer, έπαρχίας επισκόπων δια- Célcstius.ne peut en aucune
d ’ opposer à de nouvelles erreurs de nouvelles défini ­ πράττεσΟαί τι ούδαμώς δύ- m anière porter de sentence
tions et explications nécessaires pour m aintenir la ναται, πάσης έκκλησιαστι- contre les évêques de son
pureté de la foi et prom ouvoir le développem ent χής κοινωνίας έντεΰΟεν ήδη éparchie, car il se trouve
légitim e du dogm e. C ’ est ce que proclam aient encore υπό τής συνόδου εκβεβλημέ ­ déjà privé par le fait m êm e
les Pères de C halcédoine : « Il est nécessaire que nous νος κα'ι άνενέργητος ύπαρ ­ de tout pouvoir et exclu
opposions une réfutation aux inventions des héré­ χω ν... par le concile de toute com ­
tiques, non que nous voulions rechercher sans cesse m union ecclésiastique.
dei nouveautés doctrinales, com m e si la foi était C anon 4. Εΐ δε τινες S'il est des clercs qui
incom plète, m ais parce que nous devons trouver des άποστατήσαιεν των χληρι- apostasient et osent pro-
153 É P H ÊS E (C O N C IL E D ’ ) 154

κών καί τολμήσαιεν ή κατ ’ fesser, soit en secret, soit libre arbitre. G arnier, Dissertatio I de hæresi et libris
Ιδιαν ή δημοσία τα Νεστορίου publiquem ent, les doctrines Nestorii, P. L., t. x l v ih , col. 1163.
η τα Κ ελεστίουφρονήσαι,κα'ι deNestoriusoudeC élestius, Plusieurs des évêques pélagiens exilés se m ontrèrent
τούτους είναι καθηρχμένους ceux-là, le saint concile les en fait les am is dévoués de N estorius durant le con ­
ΰπό τής άγιας συνόδου δε- déclare aussi déposés. cile. A plusieurs reprises, les lettres des O rthodoxes
δικαίωται. signalent des pélagiens, πείαγιανοί, κελβστιανοϊ, dans
le groupe des O rientaux. M ansi, t. iv, col. 1329.
A u m om ent où s ’ ouvre le concile d ’ Éphèse, l ’ his ­ 1424-1425, 1457. D ans la lettre écrite au pape à
toire du pélagianism e touche à sa fin. La secte a déjà l ’ issue de la v° session, les Pères déclarent « qu ’ on a
été condam née à la fois en O rient et en O ccident. Si lu au concile les pièces se rapportant à la déposition
le synode de D iospolis, en 415, a absous Pélage, des im pies pélagiens et célestiens, de C élestius, de
qui a fait sem blant de se rétracter, il a réprouvé la Pélage, de Julien, de Persidius.de Florus, de M arcellin,
doctrine pélagienne. E n 418, T héodote d ’ A ntioche d ’ O rontius et de tous ceux qui partagent leurs idées.
et Praylius de Jérusalem se sont déclarés contre l ’ hé ­ A notre tour, disent-ils, nous avons jugé que tout ce
résie, et la m êm e année, le pape Zosim e lui a donné qui a été décidé par V otre Pieté à leur sujet doit res ­
le coup de grâce par son Epistola tractatoria. D ix- ter valide et avoir force de loi; c ’ est pourquoi nous
huit évêques italiens, à la tête desquels se trouve som m es tous unanim es à les considérer com m e dépo ­
Julien d ’ Éclane, ont refusé de souscrire le docum ent sés, έδιχαιώσαμεν καί ήμείς Ισχυρά και βέδαια μένειν τα
papal. Exilés d ’ Italie par édit im périal, ils ont vaine ­ έπ ’ αυτοϊς ώρισμένα παρά τής σής θεοσεδείας ' καί σύμ-
m ent essayé de s'attirer les bonnes grâces de l ’ évêque ψηφοιπάντες έσμέν, καΟηρημένους εχοντες αυτούς . » M ansi,
de C onstantinople, A tticus (406-425). C elui-ci les a t. ιν, col. 1338. N ous n'avons m alheureusem ent pas
excom m uniés et fait expulser. Son successeur, Sisin- d ’ autre détail sur cette condam nation des pélagiens, à
nius (426-427), ne s ’ est pas m ontré plus favorable à laquelle il est ici fait allusion. Le pape C élcstin avait-
leur égard. il dem andé à ses légats de faire sanctionner par le
A l ’ avènem ent de N estorius, plusieurs des évêques concile œ cum énique les sentences portées contre les
rebelles, parm i lesquels Julien, Florus et O rontius, hérétiques en O ccident? R ien ne l ’ indique et c ’ est
reparurent à C onstantinople, et cherchèrent à gagner peu probable. Il est vraisem blable que les Pères
les bonnes grâces du nouvel élu. Ils rem plirent la ville furent am enés à s ’ occuper des pélagiens, parce que
de leurs protestations d ’ orthodoxie et de leurs plaintes plusieurs d'entre eux faisaient cause com m une avec
contre ceux qui les persécutaient. C om m e s ’ il n ’ eût N estorius.
rien su de leur passé, N estorius leur fit un accueil Le concile ne se contenta pas d ’ approuver ce q.ti
relativem ent bienveillant. Lui qui se m ontrait si avait été fait en O ccident contre la secte. Il la con ­
farouche contre tous les hérétiques, se sentait visible ­ dam na lui-m êm e positivem ent dans deux de ses c -
m ent un faible pour les disciples de C élestius et de nons, le 1 er et le 4°. Ces canons sont dogm atique-,
Pélage. Il veilla à ce que les pélagiens ne fussent pas car les peines portées contre les hérétiques sont m ol
nom m és dans l ’ édit que, sous son inspiration, l ’ em pe ­ vées par les doctrines qu ’ ils professent. Le cano i
reur Théodose II prom ulgua contre toutes les héré­ l or excom m unie, prive de juridiction et frappe d ’ in ­
sies. Puis il écrivit lettres sur lettres au pape C élcstin capacité au point de vue ecclésiastique (άνενέργητο;
pour lui dem ander des renseignem ents sur les exilés, υπάρχων) le m étropolitain qui adhère aux opinions de
que certains déclaraient hérétiques, que d ’ autres pro ­ C élestius. Les m ots εντεύθεν ήδη ύπδ τής συνόδου έκδε-
clam aient orthodoxes. Loofs, Nèstoriana, p. 165-166, βλημένος font allusion à la sentence déjà porter
170. A ce m om ent,l ’A fricain M arius M ercator se trou ­ contre les m em bres du conciliabule de Jean, à i
vait par bonheur à C onstantinople. V oyant que la v° session. V oir plus haut, col. 144. N on seulem ent
faveur dont les couvrait N estorius attirait aux héré ­ le m étropolitain en question ne peut plus exercer
tiques la sym pathie de plusieurs, il s ’ em pressa d'a ­ aucune juridiction sur ses sufi’ragants, spécialem ent
dresser à l ’ em pereur son Commonitorium super nomine le pouvoir coercitif, διαπράττεσθαίτικατατών επισκοπώ· . .
Cæleslii, dans lequel il rappela toutes les condam na ­ m ais encore il tom be sous la juridiction de ces der ­
tions des conciles et des papes contre les pélagiens. niers ainsi que sous celle des m étropolitains voisins
P. L., t. X LV iii, col. 61-108. L ’effet ne se fit pas at ­ qui sont chargés de le déposer com plètem ent de
tendre; Théodose expulsa les hérétiques de sa capitale. l ’ épiscopat. Telle est la clause finale du canon.
S ’ il faut en juger par la lettre qu'il écrivit à cette Le canon l or ne vise que les m étropolitains et ne
époqu à C élestius, Loofs, op. cit., p. 172-173, N esto ­ parle, au point de vue doctrinal, que de l ’ hérésie de
rius fut fort chagriné de la décision im périale. O n C élestius. Le canon 4« prononce la déposition de tous
peut se dem ander d ’ où lui venait cette sym pathie les clercs qui ne veulent pas se soum ettre au concile
pour la secte, vu que sa doctrine sur le péché originel et osent professer, soit en secret, soit en public, les
était irréprochable, com m e en tém oignent ses dis ­ doctrines de N estorius ou de C élestius. Les deux
cours, Loofs, op. cit., p. 255-257, 322-328, 347-350; hérésiarques sont ainsi unis dans une m êm e con ­
cf. Le livre d’Héraclide, p. 66, et com m e le reconnaît dam nation.
le pape C élestin lui-m êm e. M ansi, t. iv, coi. 1034. Ce C élestius, que le concile présente com m e le chef
La solution de l ’ énigm e se trouve sans doute dans des pélagiens, était un avocat d ’ origine noble, que
ce fait que les évêques pélagiens, pour m ieux s ’ atti ­ Pélage avait de bonne heure gagné à ses doctrines.
rer sa protection, s ’ em pressèrent, dès le début, d ’ ac­ Il fut, avant l ’ entrée en scène de Julien d ’ Éclane, le
cepter sa doctrine christologique et de rejeter avec principal théologien du pélagianism e. 11 était particu ­
lui l ’ expression Θεοτόκος . V oilà pourquoi N estorius lièrem ent connu en O rient, et surtout à Éphèse, où
encourage C élestius à supporter vaillam m ent les per ­ il s ’ était enfui après la condam nation portée contr.·
sécutions pour la vérité, à l ’ exem ple de Jean-Bap ­ lui par le concile de C arthage de 411, et où il avait
tiste, des apôtres Pierre et Paul. II voyait dans les réussi à se faire ordonner prêtre par H éraclide, prédé ­
hérétiques persécutés de précieux auxiliaires, qui cesseur de M em non. M arius M ercator, Commonil
pourraient grossir le nom bre de ses partisans au con ­ rium super nomine Cælestii, 2, P. L., t. x l v h i , col.
cile général qui allait avoir lieu. R em arquons aussi 72-73. D e là, il s ’ était rendu à C onstantinople, pu
que s ’ il rejetait la doctrine pélagienne relativem ent à R om e, où il avait réussi à surprendre pendant quel ­
à la justice originelle et au péché de nature, il paraît que tem ps la bonne foi du pape Zosim e. E nfin, <
avoir adm is les vues de C élestius sur la grâce et le l ’ avait revu à C onstantinople, au début du ponti-
155 É P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) 156

ficat de N estorius. Sur sa doctrine que le concile que le prêtre Philippe donne en quelques m ots bien
d'Éphèse condam ne dans son ensem ble, voir P é l a ­ choisis; il nous affirm e, en effet, que c ’ est de Jésus-
g ia n i s m e . C hrist que Pierre tient les privilèges de la prim auté
3° Sur la primauté du pontife romain. M ansi, t.iv , et l'allusion au texte de saint M atthieu, xV i, 18, 19,
col. 1296. est évidente. L 'institution divine de cette prim auté
est ainsi directem ent affirm ée.
Ο ύδενί αμφίβολόν έστιν, Il n ’ est douteux pour per ­ 2° Le légat n ’ est pas m oins heureux dans la m anière
μάλλον δε πάσι τοϊς αίώσιν sonne, ou plutôt c ’ est un dont il exprim e la prim auté du pontife rom ain, succes ­
έγνώσθη, δτι ό άγιος καί fait connu de tous les siècles, seur de Pierre. C 'est Pierre qui vit en lui, έν τοϊς
μακαριώτατος Π έτρος , ό que le saint et bienheureux αύτοϋ διαδό/οις ζή, et qui lui passe tous ses pouvoirs,
έξαρχος καί κεφαλή των Pierre, le prince et le chef καί δικάζει. Le pontife rom ain (car c ’ est bien de lui
αποστόλων, ό κίων τής πίσ- des apôtres, la colonne de qu ’ il s ’ agit, d ’ après la suite du discours : τούτου
τεως , ό θεμέλιος τής καθο ­ la foi, le fondem ent de τοιγαροϋν κατά τάξιν ό διάδοχος και τοποτηρητής δ άγιος
λικές Εκκλησίας , άπδ τού l ’ Église catholique, a reçu καί μακαριώτατος πάπας ημών Κ ελεστΐνος ) continue la
κυρίου ημών ’ Ιησού Χ ρισ ­ de N otre-Seigneur Jésus- personne de Pierre à travers les siècles et jusqu ’ à
τού, τού σωτήρος καί λυ- Clu-ist, le sauveur et ré ­ la fin des tem ps, έως τοϋ νϋν καί άει. Pierre ne
τρωτοΰ τού γένους τοϋ αν ­ dem pteur du genre hum ain, m eurt pas. Im possible de m ieux dire que la pri ­
θρωπίνου, τας κλεις τίς les clefs du royaum e, et m auté rom aine est de droit divin et qu ’ elle doit du ­
βασιλείας έδέξατο, και αϋτώ qu ’ à lui a été donne pouvoir rer autant que l ’ Église m ilitante. D éjà, à la fin de
δέδοται εξουσία τού δεσμεϊν de lier et de délier les pé ­ la II e session, le m êm e prêtre Philippe avait ex ­
και λύειν αμαρτίας ’ όστις chés; c ’ est lui qui, jusqu ’ à prim é d ’ une m anière non m oins énergique la pri ­
έως τού νϋν καί άει έν τοϊς m aintenant, et pour tou ­ m auté de juridiction de l ’ évêque de R om e par ces
αύτοϋ διαδόχοις καί ζή καί jours, vit et juge dans ses paroles adressées aux Pères du concile : « E n applau ­
δικάζει. successeurs. dissant aux lettres de notre bienheureux pape, mem­
bres saints, vous vous êtes unis à la tête sainte; car votre
N ous avons vu plus haut, col. 144, que les trois béatitude n'ignore pas que le bienheureux apôtre
légats du pape, A rcadius, Projectus et le prêtre Phi ­ Pierre est la tête de la société des croyants, et des
lippe,quin'avaientpuassisieràla i re session, dem an ­ apôtres eux-m êm es, τα άγια μέλη τή άγια κεφαλή ένή-
dèrent, conform ém ent aux instructions du pape νοχατε - ού γάρ αγνοεί υμών ή μακαριότης ότι ή κεφαλή
C élestin, com m unication de ce qui s ’ était fait avant όλης τής πίστεως ή καί τών αποστόλων ό μακάριος ΙΙέτρος
leur arrivée, afin de pouvoir confirm er la sentence ό απόστολος . » M ansi, t. tv, col. 1289. E ntre l ’ évêque de
portée contre N estorius. Le concile accéda à leur R om e et les autres évêques de la catholicité, il existe
désir. Ils parcoururent les actes de la I ro session, n ’ y les m êm es relations qu ’ entre la tête des m em bres
trouvèrent rien à reprendre et, au début de la m ° dans le corps, et la raison de cela est que l ’ apôtre
session, ordonnèrent de les relire en leur présence. Pierre, qui se survit dans les évêques de R om e,ses
C 'est après cette lecture que, se levant le prem ier, successeurs, a été établi chef des apôtres et de toute
le prêtre Philippe approuva la condam nation de la société des croyants.
N estorius dans un discours com m ençant par la solen ­ D ans les déclarations du légat Philippe on trouve
nelle déclaration qu ’ on vient de lire. E n la pronon ­ la substance des définitions solennelles que, quatorze
çant, le légat pontifical voulait attirer l ’ attention siècles plus tard, prononcera le concile du V atican.
des m em bres du concile sur l ’ autorité souveraine D enzinger-B annw art, Enchiridion, n. 1823, 1825.
dont il était investi com m e représentant et suppléant A ussi il n ’ est pas surprenant que ce concile ait fait
de l ’ évêque de R om e. siennes ces déclarations, en les insérant dans le c. n
Philippe proclam e com m e une chose qui n’est de la constitution Pastor ælernus. Ibid., n. 1824.
douteuse pour personne, comme un fait connu de tous Il y a lieu cependant de se dem ander quelle est la
les siècles, l ’ institution divine de la prim auté de valeur théologique de ces affirm ations dans les cir ­
juridiction de l ’ apôtre Pierre sur les autres apôtres et constances où elles furent prononcées. O n n ’ y peut
sur l ’ Église universelle, la transm issions de droit voir évidem m ent une définition proprem ent dite du
divin de cette prim auté à ses successeurs, les évêques concile d'É phèse. M ais le fait que les Pères du con ­
de R om e, et la perpétuité de cette prim auté en ces cile n ’ y trouvèrent rien à reprendre et n ’ élevèrent,
derniers. en les entendant, aucune protestation, constitue une
1° Le légat parle d ’ abord de la prim auté de Pierre, approbation tacite dont la portée doctrinale est con­
et les term es qu ’ il em ploie signifient, non une sim ple sidérable. C ’ est devant un concile œ cum énique, c ’ est-
prim auté d ’ honneur, m ais une véritable prim auté de à-dire devant les représentants officiels et les juges de
juridiction. Par rapport aux apôtres, Pierre est le la foi de l ’ Église universelle, que le prêtre Philippe
prince, le guide (princeps, ό έ'ξαρχος ) qui préside et proclam e d ’ une m anière si solennelle et presque em ­
conduit, le chef, la tête (caput, κεφαλή) qui com m ande phatique la prim auté de Pierre et celle du pontife ro ­
et donne l ’ im pulsion. Par rapport à l ’ Église univer ­ m ain. L ’ absence de quelques évêques orientaux n ’ ôle
selle, τής καθολικής εκκλησίας , si celie-ci est un édifice, point à l ’ assem blée d ’ Éphèse son caractère d ’ œ cum é-
Pierre en est le fondem ent, ό θεμέλιος ; si elle est un nicité; et d ’ ailleurs, ces absents qui ont eu entre les
royaum e, il en a reçu les clefs, τας κλεϊς τής βασιλείας m ains les actes du concile, n ’ ont jam ais protesté
έδέξατο, et personne ne peut en faire partie sans son contrôles déclarations du légat. E n n ’ élevant point la
intervention ou contre son gré; si elle est une société voix contre la doctrine exprim ée par celles-ci,l ’ Église
religieuse destinée à achem iner les âm es dans la voie universelle dans la personne deses représentants offi ­
du salut et à les délivrer du péché, c ’ est lui qui possède ciels a reconnu tacitem ent que cette doctrine était
le pouvoir souverain de lier et de délier les con ­ l ’ expression m êm e de la vérité révélée. Il n ’ y a pas
sciences, καί αύτώ δέδοται έξουσία τού δεσμεϊν καί λύειν eu, sans doute, intervention du m agistère solennel;
άμαρτίας . Par rapport à la doctrine révélée Pierre m ais le m agistère ordinaire entre ici en jeu. Il y a
est la colonne inébranlable de la foi, ό κίων τής πίστεως . eu consentem ent m oralem ent unanim e des évêques
D éjà contenue im plicitem ent dans les expressions catholiques sur un point touchant la foi. Cela cepen­
précédentes, l ’ idée de l ’ infaillibilité doctrinale appa ­ dant ne suffisait pas pour constituer une définition
raît ici plus directem ent. de foi. Cf. A .V acant, Études théologiques sur les consti­
C ’ est un com m entaire fort exact du Tu es Petrus tutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. n, p. 122.
157 É P H È S E (C O N C IL E D ’ ) 158

Ce n ’ est pas seulem ent par leur silence approba ­ une sentence et prescrit une règle,que nous n ’ avons
teur que les Pères d ’ É phèse ont rendu tém oignage fait que suivre, quand nous som m es arrivés à Éphèse. »
à la prim auté rom aine. Par leurs actes autant que M ansi, ibid., col. 1288-1289. Le concile se prêta aussi
par leurs paroles, ils ont affirm é positivem ent leur avec docilité à la dem ande des légats, quand ceux-
croyance à celte vérité, que le prêtre Philippe dé ­ ci, conform ém ent aux ordres reçus, réclam èrent les
clarait hardim ent être connue de ses contem porains actes de la i r0 session pour les confirmer en connais ­
com m e des siècles antérieurs. T oute l ’ histoire du con ­ sance de cause, ίνα (ίεβαιώσωμεν, M ansi, ibid., col.1289,
cile est un vivant com m entaire des affirm ations du et en ordonnèrent la lecture, à la m » session.
légat. A côté de ces tém oignages collectifs, on peut citer
La conduite du pape C élestin m ontre d'abord les tém oignages particuliers rendus à la prim auté
com bien était vif le sentim ent qu ’ il avait de son pou ­ rom aine par les principaux m em bres du concile et
voir prim atial. A peine a-t-il entendu parler de la m êm e par ceux du conciliabule. D ans la lettre qu ’ il
nouvelle controverse qui com m ence à agiter l ’ O ricnt, écrivit au pape C élestin pour lui dénoncer l ’ hérésie
qu ’ il dem ande des renseignem ents à l ’ évêque d ’ A ­ de N estorius, saint C yrille déclare que c ’ est la cou­
lexandrie. Q uand il les a reçus, il convoque sans tume ancienne des Églises d ’ avertir l ’ évêque de R om e,
retard son concile, tranche décisivem ent la question quand la foi est en danger; il reconnaît que le pape
dogm atique et prononce contre N estorius une sen ­ est le centre de la com m union ecclésiastique et que
tence de déposition, si dans le délai de dix jours, c ’ est à lui de décider si l ’ on doit continuer à com m u ­
l ’ hérésiarque ne s ’ est pas rétracté. Il considère sa niquer avec N estorius. M ansi, ibid., col. 1012, 1016.
sentence com m e étant celle m êm e de Jésus-C hrist : L ’ évêque d ’ A lexandrie se trouve fort honoré de tenir
Eadem hæc ad sanctos quoque fratres et coepiscopos la place de C élestin en toute cette affaire, com m e on
nostros... perscripsimus, quo nostra, imo vero divina le voit par ses lettres et par les actes du concile.
Christi Domini nostri sententia pluribus de eo sil mani­ M ansi, ibid., col. 1003, 1070, 1123, 1279, 1294, 1306.
festa. Epistola ad Cyrillum, M ansi, t. iv, coi. 1022. A la iv “ session, Juvénal de Jérusalem déclare que
C yrille, l'évêque du prem ier siège de l ’ O ricnt, est Jean d ’ A ntioche « aurait dû rendre honneur et obéis ­
chargé de veiller à son exécution, et pour cela, est sance au siège apostolique de la grande R om e... par
investi des pleins pouvoirs du pape : « L ’ autorité lequel l’usage et la tradition apostolique veulent que
de notre siège vous est com m uniquée, et vous en le siège d'Antioche lui-même soit dirigé et jugé.· M ansi.
userez à notre place pour exécuter rigoureusem ent ibid., col. 1312.
notre décret. » Ibid., col. 1019. Les O rientaux reconnaissent aussi la prim auté de
Le pape a tranché l ’ affaire sans appel; il n ’ y a l ’ évêque de R om e. Jean, leur chef, a écrit à N esto ­
pas eu besoin de l ’ intervention d ’ un concile œ cum é ­ rius, avant l ’ ouverture du concile, pour lui conseiller
nique, dont il ne voyait nullem ent la nécessité. Ce ­ de se soum ettre sans retard à la sentence du pape
pendant, quand l ’ em pereur, sollicité par N estorius, C élestin. M ansi, ibid., col. 1064. S'il a ensuite fait
convoque le concile général, C élestin y consent; m ais opposition au concile, c ’ est sans doute m oins par
il veille à ce que l ’ autorité du siège apostolique n ’ en m otif doctrinal que par froissem ent d ’ am our-propre
soit point dim inuée. Le concile n ’ aura point à repren ­ et antipathie pour C yrille. N estorius lui-m êm e ne
dre un procès déjà term iné; son rôle sera de se confor ­ paraît pas avoir nié l ’ autorité souveraine du Siège
m er à la sentence papale et de l ’ exécuter : Direximus rom ain. S ’ il ne s ’ est pas soum is, c'est parce qu ’ il
pro nostra sollicitudine sanctos fratres et consacerdotes s ’ est figuré que C élestin était m al inform é et qu ’ il
nostros (les légats)... qui iis quæ aguntur intersint, était peu capable de com prendre sa doctrine : .4 J
et quæ a nobis antea statuta sunt exsequantur. Quibus Romanum Cælestinum convertitur [Cyrillus], quippe
præstandum a vestra sanctitate non dubitamus assen­ ut ad simpliciorem quam qui posset vim dogmatum
sum. Epistola ad sanciam synodum, M ansi, t. iv, subtilius penetrare. Extrait de la Tragédie. Loots, op.
col. 1287. Les légats ne devront point com prom ettre cil., p. 204. D ans Le livre d'Héraclide, il reconnaît
la dignité qui convient au siège apostolique en se que le siège rom ain est le siège de Pierre et qu ’ il a
m êlant aux discussions com m e de sim ples évêques; la préém inence, p. 302-303.
ils devront agir en juges et ne point se laisser juger : Tous ces actes, tous ces textes, et d ’ autres encore
Et auctoritatem sedis apostolicæ custodiri debere man­ qu ’ on pourrait relever, m ontrent jusqu ’ à l ’ évidence
damus... Ad disceptationem si fuerit ventum, vos de qu'à l ’ époque du concile d ’ Éphèse la prim auté de
eorum sententiis judicare debeatis, non subire certa­ droit divin de saint Pierre et de son successeur,
men. M ansi, t. rv, coi. 556. S ’ ils arrivent en retard, l ’ évêque de R om e, ne faisait de doute pour personne,
ils s ’ inform eront de la m anière dont les choses se οϋδενί αμφίβολον.
sont passées avant leur arrivée. Ibid. V . Œ c u m é n i c i t é . — M algré certaines apparences
Le concile, pris dans son ensem ble, a accepté le contraires, le concile d ’ Éphèse réalise toutes les con ­
rôle d ’ exécuteur des volontés du pape. C ’ est forcés ditions d ’ œ cum énicité exigées par la théologie ca­
par les canons, m ais aussi par la lettre de leur très tholique.
saint père et collègue, C élestin, évêque de R om e, que O n ne peut tout d ’ abord lui refuser l ’ œ cum énicité
les Pères ont porté leur sentence contre N estorius : de convocation. La lettre circulaire des em pereurs
άναγκαίως κατεπειχθέντες άπο τε κανόνων και έκ τής έπι- Théodose II et V alentinien III appelait au concile
στολτ.ς τοΰ άγιωτάτου Πατρ'ος ημών καί συλλειτουργού Κ ε- tous les m étropolitains de l ’ em pire rom ain avec quel ­
λεστίνου τοΰ έπισκόπουτής 'Ρω μαίω ν εκκλησίας ... έπι την ques-uns de leurs suffragants. O n conviendra qu ’ une
σκυθρωπήν κατ ’ αϋτοΰ έχωρήσαμεν άπόφασιν. M ansi, t. IV, représentation de ce genre était suffisante. Le pape
col. 1211. A près avoir entendu la lecture de la lettre C élestin n ’ eut pas, sans doute, l ’ initiative du con ­
du pape où il dem andait qu ’ on s ’ en tînt à son juge ­ cile; ce n ’ est pas lui, m atériellem ent parlant, qui le
m ent, les Pères, loin d ’ être froissés de ce langage, convoqua; m ais on sait que, durant les prem iers
l'approuvent par des acclam ations unanim es : Hoc siècles, l ’ Église laissa aux em pereurs chrétiens le soin
justum judicium; novo Paulo, Cæleslino..., Cæleslino d ’ appeler les évêques en concile, par une sorte de délé ­
custodi fidei, Cæleslino cum synodo concordi, Cæleslino J gation tacite, légitim ée et m êm e rendue nécessaire
universa synodus gratias agit. M ansi, ibid., coi. 1287. ! jusqu ’ à un certain point par les circonstances. V oir
Eirm us, évêque de C ésarée de C appadoce, ajoute au ! cependant, t. in, col. 644-646, 651-652. Il faut rendre
nom de tous : « Le Saint-Siège apostolique du très saint à l ’ em pereur Théodose II cette justice que, dans les
évêque C élestin... avait déjà porté sur cette affaire i instructions données au com te C andidicn, il délim i­
159 Ê P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) 160

tait exactem ent les attributions du pouvoir séculier m atiques quelques indices de querelles personnelles
et les droits de l ’ Église. C andidien devait veiller à et quelques poussées des passions hum aines. N e re ­
l ’ ordre extérieur; il ne devait point prendre part aux gardant qu ’ aux intérêts supérieurs de la foi, il ne veut
discussions, « car à ceux qui ne sont pas évêques il condam ner que les hérétiques obstinés, et l ’ on ne
est interdit de s ’ im m iscer dans les débats ecclésias ­ saurait dire que les O rientaux, la plupart du m oins,
tiques. » M ansi, t. iv, col. 1119; Le livre d’Héraclide, sont hérétiques. 11 faut dès lors user de longanim ité
p. 101-102. à leur égard et im iter l ’ exem ple que C élestin a donné
Le pape, du reste, fut l ’ auteur de ce qu ’ on peut dans l ’ affaire des pélagiens, c ’ est-à-dire leur laisser
appeler la convocation formelle, par le fait qu ’ il ouvert le chem in du retour. Q u ’ on écrive à Jean
approuva la réunion de l ’ assem blée, s ’ y fit repré ­ d ’ A ntioche pour le ram ener et lui faire condam ner
senter par les légats et en traça le program m e. D ans l ’ hérésie : De his autem qui cum Nestorio videntur pari
une lettre à l ’ em pereur, il loue celui-ci de son zèle impietate sensisse, atque se socios ejus sceleribus addi­
pour la foi et ajoute : H inc synodo, quam esse /ussistis, derunt, quamquam legatur in eos vestra sententia,
nostram præsentiam in his quos misimus exhibemus. tamen nos quoque decernimus quod videtur. Multa per­
M ansi, ibid., col. 1291. Il trouve que l ’ initiative im pé ­ spicienda sunt in talibus causis quæ apostolica sedes
riale pourra avoir d ’ excellents résultats : Indiffi­ semper aspexit ... Antiochenum vero, si habet spem cor­
culter est ecclesiarum et catholicœ fidei speranda tran­ rectionis, epistolis a vestra fraternitate volumus conve­
quillitas, quando pro hac laborare christianissimos niri. M ansi, t. v, coi. 269. O n ne saurait trop adm irer
principes sic videmus; non est inefficax in divinis la sagesse de cette décision, dont la réconciliation
maxime causis cura regalis, quæ perlinet ad Deum. de 433 sera l ’ heureux fruit. V oir t. m , col. 457.
Epistola ad Cyrillum, M ansi, t. iv, coi. 1292. A propos de la présidence du concile, il faut rem ar ­
O n peut regretter la déplorable division qui se pro ­ quer que ce ne furent pas seulem ent les trois légats
duisit entre les partisans de saint C yrille et ceux de A rcadius, Projectus et Philippe, qui représentèrent
Jean d ’ A ntioche; m ais cette division n ’ ôte point le pape; ce fut aussi saint C yrille. B ien qu ’ on ne voie
au vrai concile l ’ œ cum énicité de célébration, car : nulle part que saint C élestin ait délégué expressé ­
1° les Pères réunis sous la présidence de saint C yrille, m ent l ’ évêque d ’ A lexandrie pour tenir sa place dans
à la i re session com m e aux suivantes, l'em portaient l ’ assem blée et la présider en son nom , les actes ré ­
de beaucoup sur les absents et les schism atiques par pètent régulièrem ent, au début des sessions, m êm e
le nom bre et la valeur représentative.Ceux-ci ne furent après l'arrivée des légats, que C yrille tient la place
jam ais qu ’ une infim e m inorité;ceux-là ont conscience de l ’ évcquc de R om e, Κ υρίλλου ’ Α λεξάνδρειάς διέποντος
de représenter la catholicité, et ils le disent haute ­ καί τον τόπον τοϋ άγιωτάτου καί όσιωτάτου επισκόπου
m ent, M ansi, t. iv, col. 1239, 1299, 1335, 1426, 1434, της 'Ρω μαίω ν ’ Εκκλησίας . M ansi, t. iv, col. 1123, 1279,
1461; 2° le pape a présidé par scs représentants le 1305,1341 ; cf. t. v, col. 602, 688; Le livre d"Héraclide,
concile des O rthodoxes; il n ’ a participé en aucune p. 117. C ’ est aussi C yrille qui signe le prem ier; les
m anière à l ’ assem blée des O rientaux; il a reconnu autres légats viennent ensuite, m ais les trois ne sous ­
que le concile qui a condam né N estorius représen ­ crivent pas toujours l ’ ûn après l ’ autre, ni dans le
tait l'univers catholique, congregatum ex omni pene m êm e ordre; le prêtre Philippe précède parfois ses
mundi parte concilium, M ansi, t. v, col. 276; 3° s'il deux collègues évêques. A la iv° session, Juvénal sous ­
y a eu quelque chose d ’ irrégulier dans la I r0 session, crit avant les légats. M ansi, t. iv, col. 335, 1329.
voir Le livre d’Héraclide, p. 98-100, cette irrégularité D ans ses lettres officielles, le concile reconnaît
a disparu par le fait que les légats du pape ont fait C yrille com m e son chef. M ansi, t. iv, col. 1462; il
lire en leur présence, à la in" session, les actes de la déclare que C yrille représente l ’ évêque de R om e et
r e, et ont tout approuvé et confirm é. les A fricains ; Nam et magnæ llomx episcopus synodo
La confirm ation papale n ’ a pas m anqué au concile simul interest et Africani per piissimum archiepis-
d ’ Éphèse. Les théologiens distinguent trois sortes de copum Cyrillum. M ansi, ibid., col. 1426.
confirm ations : la confirm ation antécédente, par la ­ Toutes ccs déclarations ne s ’ expliquent que si
quelle le pape fixe à l ’ avance au concile l ’ objet de ses l ’ on adm et que la délégation donnée par le pape à
décisions; la confirm ation concomitante, lorsque par C yrille en 430, avant qu ’ il fût question de concile
lui-m êm e ou par »es représentants attitrés le pontife général, a persévéré, tant que l ’ affaire de N estorius
rom ain participe au vote conciliaire, au m om ent où n ’ a pas été réglée. D e fait, on ne voit pas que C élestin
il se produit; la confirm ation subséquente, qui est la ait retiré à C yrille les pleins pouvoirs dont il l ’ avait
confirm ation au sens propre du m ot, et se produit précédem m ent investi; plusieurs passages de ses
après le concile. V oir t. in, col. 655-656. O n peut dire lettres insinuent plutôt le contraire. Les trois légats
que le concile d ’ Éphèse a reçu cette triple confirm a ­ reçoivent pour instruction de se tenir étroitem ent
tion. En effet : 1° le pape a chargé le concile d ’ exé ­ unis à C yrille, ad fratrem et coepiscopum nostrum con­
cuter les décisions prises par lui au concile rom ain silium vestrum omne convertite, et quidquid in e/us vide­
de 430, M ansi, t. iv, col. 1287; voir plus haut, t. ni, ritis arbitrio, facietis. M ansi, ibid., col. 556. D ans la
col. 653-654; 2° par ses légats, il a approuvé et confir ­ lettre qu ’ il lui écrivit avant le concile, le pape dit à
m é ce qui s ’ était fait à la i r0 session, c ’ est-à-dire la C yrille : Tuœ sit sanctitatis cum venerando fratrum
condam nation de l ’ hérésie, nestorienne et la dépo ­ consilio, ut orti in Ecclesia strepitus comprimantur.
sition de son auteur; 3° après le concile, il a écrit à M ansi, ibid., co). 1292. O n est sans doute étonné de
celui-ci une lettre que les historiens, beaucoup du voir les légats exiger qu ’ on relise devant eux les actes
m oins, ne paraissent pas avoir suffisam m ent rem ar ­ de la P 0 session, afin de les con firm er, ΐνα βεόαιώσωμεν ;
quée. D ans cette lettre, datée du 15 m ars 432. Cé- m ais il faut, se souvenir que le pape leur avait expres ­
lestin reconnaît que le concile a fidèlem ent exécuté sém ent donné cet ordre. M ansi, ibid., col. 556. Céles ­
ses volontés en ce qui touche N estorius : Hujusce tin trouvait la foi de C yrille irréprochable : Alexan­
tam fideliter peractæ rei vos cxecutores nobiscum vide­ drinis Ecclesiæ sacerdotis fidem et probavimus et
mus fuisse fidei defensores... obtinui quod credidi, probamus, disait-il dans sa lettre à N estorius, M ansi,
quia contra nocentes atque perversos, innocentes et t. iv, col. 1034, m ais il sem ble qu ’ il le jugeait m oins
recti adhieserunt mihi. M ansi, t. v, coi. 266, 267. apte, à cause de son caractère personnel et de ses
M ais il n'approuve pas la sentence qui a été portée dém êlés avec N estorius et l ’ em pereur, à représenter
contre Jean d'A ntioche et les siens. Il a sans doute le siège apostolique avec la sérénité et l ’ im partialité
découvert sous le zèle des Pères contre les schis ­ voulues. C ’ est pourquoi, tout en laissant le prem ier
161 É P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) 162

rôle au concile à ce légat de la foi, il lui adjoignit toties exigitur determinatio infallibilis circa facta extra
trois autres légats proprem ent dits, qui veilleraient ambitum revelationis existentia. Pula,... determinatio
à ne com prom ettre enrien la dignitédusiège de Pierre. circa hanc vel illam loquendi formam an sil idonea ad
Sur la légation de C yrille au concile d ’ Éphèse. voir exprimendum dogma; nam quid ad me si id quod infalli
la note de T illcm ont. Mémoires, t. xrv, p. 765-766. biliter sentis potes /allibiliter exprimere? Cf. J. Lebon,
C ’ est donc à tort que N estorius a reproché à saint Le monophysisme sévérien, L ouvain, 1909, p. 522-
C yrille d ’ avoir été à la fois son accusateur et son 525.
juge, d ’ avoir pris de lui-m êm e la présidence du con ­ O n rem arquera que. dans la sentence portée contre
cile et d'avoir fait l ’ évêque de R om e, tout en n ’ étant N estorius, les Pères d ’ Éphèse ont pris pour base de
que l ’ évêque d ’ A lexandrie. Le livre d‘ Héraclide, p. 106, leur jugem ent les erreurs qu ’ ils ont découvertes dans
117. ses écrits, ses lettres et ses discours, φωράσακτες αυτόν
V I. L é g i t i m i t é : d e l a c o n d a m n a t io n d e N e s ­ έκ τε τώκ επιστολών, καί έζ τών συγγραμμάτων αυτού,
t o r i u s . — Il s ’ est trouvé, au cours des siècles, des και έκ τών άρτιως παρ ’ αυτού ρηδέντων... δυσσεβώς
historiens et des théologiens qui ont avancé que la φρονούντα. M ansi, t. ιν, col. 1211. Leur intention
controverse nestoriennc n ’ avait été qu ’ une pure n ’ a pas été de se prononcer directement sur les senti ­
logom achie. N estorius, ont-ils dit, était tout aussi m ents intim es de l ’ hérésiarque. Ils l ’ ont jugé sim ple ­
orthodoxe, sinon pins que saint C yrille. Les quelques m ent d'après ses écrits.
hom élies, lettres et fragm ents que l ’ on possédait Ce ne furent pas seulem ent le pape C élestin, saint
jusqu ’ ici de N estorius suffisaient am plem ent à établir C yrille et les Pères d ’ Ephèse qui trouvèrent que N es ­
que ni C yrille ni le concile d ’ Éphèse n ’ avaient ba ­ torius enseignait l ’ hérésie. O n peut dire que les O rien ­
taillé contre une chim ère. La récente publication du taux, qui firent au concile une opposition si obstinée,
Livre d'Héraclide, en nous livrant le fond de la doc ­ en étaient aussi persuadés. Ce qui le prouve, c ’ est
trine christologique de l ’ hérésiarque, ne perm et non seulem ent le sym bole, d ’ union qu ’ ils signèrent
plus le doute sur son opposition radicale au dogm e quelque tem ps après, m ais encore le silence signifi­
catholique, et l ’ on se dem ande com m ent B éthune- catif qu ’ ils gardent sur la personne et la doctrine de
B aker, qui a utilisé l ’ ouvrage en question, a pu arri ­ N estorius dans les actes de leur conciliabule. O n y
ver à une conclusion contraire dans son livre : Nes­ voit à chaque page des accusations d ’ arianism e et
torius and his Teaching, a fresh examination of the d ’ apollinarism e ù l ’ adresse de saint C yrille, m ais
evidence; with special reference to the newly recovered aucune justification de la doctrine de N estorius. Jean
Apology of Nestorius, C am bridge, 1908. d ’ A ntioche et les siens sentaient fort bien que la posi ­
Ce qui a peut-être fait illusion à B éthune-B aker, tion doctrinale de N estorius n ’ était pas défendable.
com m e à tous ceux qui, avant lui, ont soutenu la Jean ne l ’ avait-il pas lui-m êm e invité, avant le con ­
thèse de la non-hétérodoxie de N estorius, c ’ est que cile, à se soum ettre et à accepter l ’ expression βεατόκο;?
celui-ci s ’ exprim e parfois com m e un orthodoxe; il 11 serait plus qu ’ étonnant qu'am is et ennem is se
affirm e, par exem ple, énergiquem ent la divinité du soient trom pés en cette affaire et que, resté incom pris
C hrist; il défend de dire deux Fils et deux Seigneurs; de tous ses contem porains, l'infortuné N estorius
il ne répugne pas absolum ent à adm ettre le term e n ’ ait été saisi que par quelques rares esprits, plu ­
δεοτόκος , pourvu qu ’ on ne lui attribue pas un sens sieurs siècles après sa m ort.
arien ou apollinariste et qu ’ on ne l ’ entende pas dans
le sens de m ère de la nature ou personne divine. I. S o u r c e s . — N ous avons indiqué les principales en
M ais toutes ces affirm ations se greffent sur d ’ autres parlant des actes. Signalons encore le recueil de l ’ A fri ­
cain M arius M ercator, qui lit un voyage ù Constantinople,
affirm ations hérétiques. Le C hrist nestorien, dans son au début de la controverse nestorienne, et traduisit en latin
unité de prosôpon, est un com posé de deux person ­ plusieurs docum ents em pruntés aux actes du concile
nalités distinctes et com plètes, celle du V erbe et d ’ Éphèse, M orti Mercatoris opera. édit. Baluze, Paris, 1684;
celle de l ’ hom m e, fondues dans une unité juridique édit. G arnier, Paris, 1673, reproduite dans M igne, P. L·..
et purem ent m orale. Le livre d’Héraclide, p. 83-85. t. XLVin, col. 699-1241; B aronius, Annales, an. 430,
En voulant écrire son apologie, N estorius a écrit n. 62 sq. ; an. 431, n. 7-136; Pagi, Critica, an. 430, n. 19;
sa condam nation et a justifié du m êm e coup la sen ­ an. 431, n. 6-36-, Labbc, Concilia, t. ni, col. 1-1257; t. il,
col. 1625-1628; H ardouin, Collectio concil.,t.l, col. 1271 sq.;
tence portée contre lui à Éphèse. Cf. L. Fendt, Die M ansi,Concit, t. iv, col. 567 sq.;t. v,col. 1-1062; Ch. Lenor-
Christologie des Nestorius, K em pten et M unich. m ant, Êh des sur les fragments coptes des conciles de Nicie
1910. et d’Ephèse. in-4°, Paris, 1852; F. Loots, Nestoriana, Die
Λ supposer, ce qu ’ il est bien difficile d ’ adm ettre Et a (/mente des Nestorius gesammelt, untersucht und heraus-
a près la lecture du Livre d'Héraclide, que N estorius ait gegeben. H alle, 1605; N estorius, Le livre d’Héraclide de
eu,subjectivem ent, une pensée orthodoxe.il fm drait Damas, traduit en français par I· ’ . N au, avec le concours
néanm oins reconnaître que l'expression de cette pen ­ de Bedjan et de Brièrc, suivi du texte grec des trois hom é ­
lies de N estorius sur lès tentations de N otre-Seigneur et de
sée rend le son de l ’ hérésie; et cela suffirait pour trois appendices, in-8 “ , Paris, 1910; le texte syriaque a été
légitim er sa condam nation com m e hérétique, du m o ­ édité par P. B edjan, Paris, 1910; Socrate, 1. V II,c. xxix-
m ent qu ’ il a refusé obstiném ent d ’ accenter la term i ­ xxxiv, P, G., t. Lxvn, coi. 801-817; Évagre, H. E., 1. I,
nologie que l ’ Église adoptait et voulait lui im poser. e. n-vn, P. G., t. l x x x v i , col. 2423-2444; Théodoret,
L ’ infaillibilité de l ’ Église, en effet, s ’ exerce sur le sens Haereticarum fabul. compendium, 1· IV, c. xn, P . G.,
des m ots pris en eux-m êm es et dans leur contexte, t. Lxxxni. col. 431-436: Liberatus. Breviarium causte ne·
et non sur la signification subjective que peuvent storianorum et entychianorum, c. n-ix. P· L., L l x v h i ,
arbitrairem ent leur prêter ceux qui les em ploient. col. 971-1018.
II. T r a v a u x . — .J. Brnguier. Disputatio de supposito-
Par ailleurs, c ’ est le droit du m agistère ecclésias ­ tn qua plurima hactenus inaudita de Nestorio tanquam
tique de choisir et d ’ im poser à tous les crovants les orthodoxo et de Cttrillo Alexandrino aliisque episcopis in
term es et les form ules qui lui paraissent les plus synodum coactis tanquam haereticis demonstrantur, in-8°,
aptes, vu les circonstances, à rendre l ’ idée dogm a ­ Francfort, 1615: M . T. A lbinus, Historia nestorianismi,
tique et à la préserver de toute altération. Sera héré- in-4°, Stralsund. 1655: L. A llatius, Vindiciee synodi Ephe-
tique au for externe, et justem ent considéré com m e sime et sancti Cyrilli de processione Spiritus ex Patre et
• ! celui qui refusera d ’ obéir à l ’ Église et cont inuera
Filio. Rome, 1661: G. Calixtus. Dissertatio de heeresi ne-
storian ieiusque opposito concilio Ep/ie.sino.in-4°.H elm sta<it,
d ’ em ployer une term inologie qu ’ elle condam ne : 1640; Tillem ont. Mémoires pour servir d l’histoire ecclé­
Manifestum est. dit fort bien le P. B illot, quod ad . siastique des six premiers siècles, Paris. 1709. t. xrv, p. 267-
infallibilem eorum gure fidei sunt propositionem, mut- ' 268, 747-778; M . Benzel et P. Lagerhohm. Vindiciae con·
m e r . Π Ε T H É O L . C A T H O L .
V. — 6
163 É P H ÈS E (C O N C IL E D ’ ) — É P H É S IE N S (É P IT R E AUX) 164

cilii Ephesini cecumenici tertii.in-4°, Leyde, 1738; J. Brill, ont adopté son sentim ent, et H ilgenfeld a reculé la
De synodo Ephesina, in-4°, G roningue, 1760; L. D oucin, date de la lettre jusque un peu avant 140. H itzig, en
Histoire du nestorianisme avec des remarques sur les auteurs 1870, et H . H oltzm ann, en 1872, ont prétendu qu ’ une
anciens et modernes qui en ont traité, in-4°, Paris, Chaalons, É pître prim itive de saint Paul aux C olossiens a été
1698; D oucin, Addition à l'histoire du nestorianisme où l'on
fait voir quel a été l'ancien usage de I’Église dans la condam ­ interpolée, en vue d'exposer des idées cosm ologiques,
nation des livres et ce qu’elle a exigé des fldéles ά cet égard, étrangères à la pensée de l ’ apôtre, et qu ’ elle est ainsi
in-12. Paris, 1703; C. G. H ofm an, Disputatio : controver­ devenue l ’ É pître aux Éphésiens, laquelle a servi à
siam nestorianam olim agitatam haud /uisse logomachiam, form er l ’ É pître actuelle aux C olossiens. Ils y recon ­
in-4°, Leipzig, 1725; De/ensio dissertationis de controversia naissaient donc un fond paulinien. H olstcn, K lopper,
nesioriona, in-4», Leipzig, 1730: P. E. Jablonski, Exercitatio von Soden, W eiszâcker, J. W eiss rejettent l ’ authenti ­
historico-theologica de neslorianismo, in-8°, Berlin, 1724; cité de la lettre aux Éphésiens. Jülicher garde des
Exercitatio de origine et fundamento nestorianismi, in-4°,
Francfort, 1728; Λ. G engier, Veber die Verdammung des doutes, et il conclut que si cette É pitre n ’ appartient
Nestorius, dans Tiibing. Iheolog. Quartalschrift, 1835, t, n, pas à l ’ héritage le plus sûr de saint Paul, on ne peut
p. 213-299; H efele, Konziliengeschichle. 2 ' édit., Fribourg- pas cependant la lui refuser absolum ent. Einleitung in
en-Brisgau, 1875, t. il, p. 141-288; trad. Leclercq, Paris, das Neue Testament, 3 e et 4° édit., Tubinguc ct Leipzig,
1908, t. il, p. 219-422, 1309-1320, 1375-1376; A m édée 1901, p. 115.
Thierry, Nestorius et Eutychès, Paris, 1879, p. 1-178; Les principaux argum ents des critiques contre l ’ au
A. Lnrgcnt. Saint Cyrilled’Alexandrie et le concile d’Éphèse,
dans les Éludes d’histoire ecclésiastique, Paris, 1892 (extrait thenticité de l ’ É pître aux Éphésiens sont, en dehors de
de la Revue des questions historiques, juillet 1872, t. xn, scs rapports avec la lettre aux C olossiens, les diffé­
p. 5-70); W . B right, The canons of the first four general rences de fond et de form e qu ’ elle présente avec les
councils of Niceea, Constantinople, Ephesus and Chalcedon, É pîtres authentiques de l'apôtre.
in-12, O xford, 1892; J. A. D om er, Èntwicklungsgeschichte 1. Différence de fond ou de doctrine. — C ’ est von
der I ehre von der Person Christi, in-8 0 , Stuttgart, 1853; Sodcn qui a le plus insisté sur ces différences. —
H arnack, Dogmengeschichte, 4 ” édit., 1909, t. 11, Der nesto- a) Christologie. — - Jésus-Christ tient dans cette lettre
rianische Streit, p. 339-368: F. N au, Saint Cyrille ct Nes­ une place préém inente qu'il n ’ a pas ailleurs. Sa
torius, dans la Revue de I’Orienl chrétien, 1910, t. xv,
p. 365-391; 1911, t. xvi; M . Jugie. Nestorius jugé d'après préexistence au m onde, n, 12, en D ieu, dans son con ­
le Livre d’Héraclide, dans les Échos d'Orienl, t. xiv, seil, i, 5,9,10; m , 11, est supposée. Les rapports avec
p. 65 sq. D ieu ne sont exprim és que par les deux nom s m es­
Pour une bibliographie plus com plète, voir CvntLi.E sianiques : υΙος τοϋ Οεοΰ, iv, 13, ct ήγαπημένος , I, 6,
d 'A l e x a n d r ie , t. m , col. 2522-2523, 2527; H efele, His­ dont le second n ’ est pas em ployé par saint Paul. Le
toire des conciles, édit. Leclercq, t. n, p. 234-248, 295, 379, C hrist estm isà la placedc D ieu com m e unique acteur
dans les notes au bas des pages; U. Che alier, Répertoire
des sources historiques du moyen âge, dans la Topo-biblio­ dans le m onde, v, 2,25; n, 14,16; il agit directem ent,
graphie, art. Éphèse, col. 1944-1945; dans la Bio-biblio­ ct pas D ieu, ct il se donne lui-m êm e. Il est rédem p ­
graphie, Nestorius, col. 3304. teur autrem ent que dans les É pîtres authentiques :
M . Ju g ie . l ’ œ uvre du salut est attribuée à sa résurrection, et
É P H É SIE N S (É p i t r e a u x ). — I. A uthenticité. pas à sa m ort, et tout se fait en lui dans l ’ Église. —
II. D estinataires. III. O ccasion et but. IV. Lieu et b) Église. — L a doctrine de l ’ É pître sur l ’ Église
date. V . D ivision et doctrine. est étrangère à la pensée de l ’ apôtre. C om posée de
I. A u t h e n t i c i t é . — 1° Ses adversaires et leurs argu­ juifs ct de païens, l ’ Église est essentiellem ent une;
ments. — O n dit souvent qu ’ U steri fut le prem ier à elle est une création du C hrist, et elle tient dans le
ém ettre des doutes sur l ’ authenticité de cette É pitre, m onde une grande place. L ’ auteur veut réunir en elle
Paulinischer Lehrbegriff, 1824, p. 2-3, sous l ’ influence les juifs et lespaïens, tandis que Paul est l ’ adversaire
de Schleierm acher, son m aître. L ’ É pître aux Éphésiens des juifs. L ’ Église est au-dessus des églises ou corn
n ’ est pas nom m ée par U steri et les doutes qu ’ il ém et m unautés chrétiennes, les seules que connaisse
concernent plutôt la lettre aux H ébreux. D ’ ailleurs, l ’ apôtre. E lle est un corps organique, dont le C hrist est
dans la 5 ' édition de son livre, en 1834, U steri déclara la tête. Le C hrist l ’ a aim ée et l ’ a sauvée im m édiate ­
expressém ent que les argum ents de de W ette ne-suffi- m ent, elle, et non pas les individus dont elle est com ­
saient pas à faire douter de l ’ authenticité de l ’ É pître posée. Il en est le plérôm e et il lui donne tout son
aux Éphésiens. En com parant cette lettre à celle des accroissem ent. C ette constitution de l ’ Église est un
C olossiens, dans son Einleitung in das N. T., 1826, de m ystère voulu de D ieu de toute éternité : nouvelle doc ­
W ette pensait qu ’ elle n ’ était qu ’ une am plification ora ­ trine étrangère à la pensée de saint Paul. Enfin, l ’ au ­
toire et verbeuse, sans originalité, de l ’ autre et que son teur associe les apôtres à la révélation du m ystère de la
style différait notablem ent du style de saint Paul. A foi aux païens, m , 3-9; cf. n, 20-22, alors que Paul se
chaque édition de son ouvrage, il accentua ses doutes, considère com m e l ’ apôtre des gentils à un titre spécial
et il finit par rejeter résolum ent, en 1843, l ’ authenticité et exclusif.
de cette É pitre. D ans son prem ier essai d ’ introduction 2. Différences de forme. — a) Vocabulaire. — V on
(1829), Schleierm acherprétendait que Tychique, ou un Soden a relevé dans cette É pître 75 m ots, que saint
autre disciple de saint Paul, avait écrit cette lettre Paul n ’ em ploie jam ais et dont 35 ne se retrouvent pas
d ’ après l'É pitre aux C olossiens, et que l ’ apôtre l ’ avait ailleurs dans le N ouveau T estam ent. D es m ots de pré ­
approuvée. En 1845, il déclarait que toute la position dilection de l ’ auteur : τί έπουράνιχ (5 fois em ployé),
de l ’ É pître est douteuse, et il m aintenait sa précédente διάβολος (2 fois), μεδοδει'α (2 fois), δέσμιος (2 fois), ne
hypothèse. Schrader, en 1836, partageait ces doutes. viennent jam ais sous la plum e de l'apôtre. O n y re ­
Ces critiques adm ettaient l ’ authenticité de l ’ É pître m arque un certain nom bre de liaisons de m ots que ne
aux C olossiens. A l ’ inverse, M ayerhoff (1838) et fait pas saint Paul: des expressions, rares dans les
Schneckenburger tenaient la lettre aux Éphésiens É pîtres authentiques, sont fréquentes dans celle-ci et
pour originale et celle aux Colossiens com m e un ont parfois un sens nouveau. — Z>) Style. — Il est sur ­
pastiche de la précédente. B aur, Paulus, 1840. t. it, chargé de m ots, souvent de synonym es : ce qui rend
p. 3-49, a rejeté ces deux É pîtres et y a reconnu certaines phrases presque incom préhensibles.D es idées
ï ’ œ uvre. non pas de Paul, m ais d ’ un de ses disciples différentes sont exprim ées dans la m êm e période, et
qui écrivait en l ’ an 110 ou 120 de notre ère. Il aper ­ les génitifs, dépendant les uns des autres, abondent.
cevait en elles des traces de gnosticism e et décou ­ D es prépositions, dont le rapport est difficile à décou ­
vrait dans l ’ auteur (C lém ent peut-être) un conci ­ vrir, se suiventconstam m ent : ainsi io précède 117 fo : s
liateur des partis pétrinicn et paulinien. Ses disciples κατά avec l ’ accusatif. L eur m ultiplicité rend la phrase
165 É P H É S IE N S (É P ÎT R E A U X ) 166

obscure : n, 3 (3 fois έν), 5,6 (έν, εις , διά, ε!ς , κατά, εις ), 13, com m e paroles de Paul. D ’ après les Philosophou-
7 (έν, διά, κατά), 11 (deux fois κατά), etc. Les parti ­ mena, V I, 34,35, P. G., t. xvi, col.3247, ils citaient la
cules logiques, que saint Paul em ploie couram m ent, prière, E ph., ni, 1G-18, com m e É criture, et E ph., ni, 5.
m anquent ici : αλλά ne se lit pas avant v, 17; on le avec la form ule : Καί ό απόστολο;. Ptolém ée attribuait
retrouve encore v, 24; vi, 4, et c ’ est tout; γάρ, aussi E ph., n, 15, à Paul. S. É piphane, l/æ r., xxxin.
avant v, 5, ne vient que trois fois, n, 8, 10, 14; ούν 6, P. G., t. x l i , col. 565. T héodote rapportait E ph., iv
ne se rencontre pas avant iv, 1; on le voit ensuite 24, à Paul, et E ph., vi, 22; iv, 30, à l ’ apôtre. C lém ent
six fois; άρα ούν,πλήν,νυνι δε ne sont em ployés qu ’ une d ’ A lexandrie, Excerpta Theodoti, 19, 48, 85, P. G..
fois. Les liaisons se font surtout par διό, δια τούτο, t. ix, col. 668, 681, 697. D ans la seconde m oitié du
τούτου χάριν. L 'Épître contient de longues périodes, | il 0 siècle, l ’ É pître aux Éphésiens était universellem ent
dont les m em bres sont rattachés par des relatifs et reconnue dans l ’ Église catholique pour l ’ œ uvre de
des particules, sans que l ’ ordre logique apparaisse saint Paul. En parlant des É pîtres de cet apôtre aux
clairem ent; i, 3-14,15-23; m . 1-19 constituent trois sept Églises, l ’ auteur du canon de M uratori place celle
phrases, dont la seconde n ’ est pas term inée et form e aux Éphésiens (ad Ephesius) au second rang, après la
anacoluthe; la m anière dont l ’ idée principale est dé ­ I Cor., qui est au prem ier rang. Saint Irénée rapporte
veloppée par reprises successives com plique encore E ph., v, 30, avec cette form ule d ’ introduction : Καθώς
cet enchevêtrem ent. Les parenthèses n ’ ont pas la ό μακάριο; ΙΙαύλο; φησιν έν τή προ; Έ φεσίου; έπιστολή,
m êm e raison d ’ être que dans les É pîtres authen ­ Cont. hær., V , 2, 3, P.G., t. vit, col. 1126; E ph., i, 7:
tiques : sous la plum e de l ’ apôtre, elles viennent de Quemadmodum apostolus Ephesiis ait, ibid.,\,yiv,3,
ce que l ’ écrivain passe d ’ une idée à l ’ autre; ici, elles col. 1163; et E ph., n, 2 : In Epistola quæ est ad Ephe­
résultent de l'agglutination des pensées. Le style de sios. Ibid.,'!, xxiv, 4, col. 1188. C lém ent d ’ A lexandrie,
la lettre est donc verbeux, lourd, em barrassé et en ­ après avoir cité G ai., v, 16-22; 1 C or., xi, 3, 8, 11,
chevêtré; on n ’ y reconnaît pas le style de l ’ apôtre. avec ces m ots : φησίν ό απόστολο;, ajoute : Διό και έν τή
2° Ses preuves. — 1. Preuves directes. — a) Extrin­ προς Έ φεσίου; γοάτει, avant de rapporter E ph., v,
sèques.— L ’ origine paulinienne de cette É pître a, du 21-25. Strom., IV , 8, P. G., t. vm . col. 1272, 1276. Il
côté de la tradition ecclésiastique, les plus fortes ga ­ cite encore II C or., xi, 2, sous le nom de l ’ apôtre
ranties. Les tém oignages sont anciens, nom breux et qu ’ il dil σαφέστατα ôè Έ φεσίοις γραφώ ν,ιΙ: rs le pr ssoge,
unanim es. Toujours et partout, en O rient et en O cci­ E ph., iv, 13-15. Pœd., i, 5, ibid., col. 269. A illeurs,
dent, à partir de la seconde m oitié du n c siècle, cette il introduit E ph., iv, 17-19; v, 14, par ces irots :
É pître a été expressém ent attribuée à saint Paul. En Διά τούτο ό μακάριο; Α πόστολος ’ μαρτύρομαι έν Κ υρ/ ,
dehors, en effet, des allusions, qu ’ on découvre dans φησΐ, etc. Cohort, ad gentes, ix, ibid., col. 193, 196.
les Pères apostoliques, qui sont vagues souvent et T ertullien dit à propos du titre : Ad Laodicenos, que
qui prouveraient seulem ent, contre les critiques de M arcion donnait à cette É pître : Ecclesia· quidem ve­
Tubingue, l ’ existence de cette É pître avant l ’ an 140, ritate epistolam istam ad Ephesios habentis emissam-
elle est peut-être visée directem ent par saint Ignace Adversus Marcionem,). V . c. χι,χνιι,Ρ ./.., t. n,co).500,
d ’ A ntioche, qui écrivait aux Éphésiens : « V ous êtes 512. O rigène cite E ph., i, 4, en disant : Sed et apo­
le lieu de passage de ceux qui sont enlevés à D ieu, les stolus in epistola ad Ephesios eodem sermone usus est.
co-initiés (συμμύσται) de Paul,ô; έν πάση έπιστολή μνημο ­ De principiis, m , 5, n. 4, P. G-, t. xn, coi. 328. Saint
νεύει υμών. » Ad Epii., xii, 2, Funk, Patres apostolici, C yprien cite E ph., iv, 29, en disant : Paulus ad Ephe­
Tubingue, 1901, 1. 1, p. 222. Cf. E ph., 1, 9; ill, 3. B ien sios, Testimonia, m , 13. P. L., t. iv, coi. 741, et E ph.,
que littéralem ent l ’ absenced ’ article exige la traduc ­ v, 25, 26, sous le nom du m êm e apôtre. Epist., txxvi,
tion : · dans toute lettre », com m e l ’ apôtre ne m en ­ ad Magnum, 2, P. L., t. m , col. 1140. A insi au ii°et
tionne pas les Éphésiens dans toutes ses É pîtres, il au ni° siècle, les hérétiques et les catholiques sont
sem ble plus naturel d ’ adopter le sens, reçu par beau ­ unanim es à attribuer à saint Paul la lettre aux É phé ­
coup de critiques :« dans toute sa lettre », celle qu ’ il siens. L a tradition ecclésiastique n ’ a pas varié de sen ­
vous a écrite. C ette interprétation se justifierait par tim ent, et il faut arriver à 1826 pour que des doutes
les deux passages, E ph., i, IG; m , 14, dans lesquels soient ém is pour la prem ière fois sur l ’ origine pauli ­
l ’ apôtre parle des prières qu ’ il fait pour ses lecteurs. nienne de cette É pître.
D ’ ailleurs, d ’ autres indices m ontrent que saint Ignace b) Intrinsèques. — Ces preuves sent tirées de la
a vraisem blablem ent connu cette É pître. L ’ adresse doctrine et de la langue de la lettre elle-m êm e, sans
de sa lettre. Funk, p. 212, contient des expressions com pter le tém oignage de 1 ’ auteur qui,dans l ’ adresse,
qui paraissent lui avoir été suggérées par le début de i, 1, et au cours de l ’ É pître, ni, 12;iv, 1, se donne pour
notre É pître. Les term es : μιμητά! όντες θεού, A d Eph., Paul, l ’ apôtre des gentils et le prisonnier du C hrist. —
1, p. 214, proviennent d ’ E ph., v, 1, et la phrase : Doctrine. — I es enseignem ents spécifiquem ent pau-
a.
• V ous êtes les pierres du tem ple du Père, préparées liniens des É pîtres incontestéesne m anquent pasabso-
pour l ’ édifice de D ieu le Père, » Ad Eph., ix, 1, p. 220, lum ent ici. Si, s ’ adressant à des païens,n orts par 1< urs
visent E ph., n, 20-22. V oir cependant E. von der offenses et leurs péchés, n, 1, l ’ auteur leur dit que la
G oltz, Ignatius vom Antiochien, dans Texte and Un- grâce de D ieu est le principe de leur salut, n, 6, il
tersuchunqen, Leipzig, 1894, t. xit, fasc. 3, p. 103-105. ajoute cependant que la foi est le m oyen de ce salut,
Q uand l ’ évêque d ’ A ntioche écrit à saint Polycarpe, il, 8. Cf. m . 17: vi, 23. D ’ autre part, les vérités, sur
v. 1, p. 292, de recom m ander aux frères au nom de lesquelles l ’ É pître nux Éphésiens insiste spéciale ­
lésus-C hrist d ’ aim er leurs fem m es com m e le Seigneur m ent, se retrouvent dans les lettres authentiques de
aim e l ’ Église, il vise Eph., v, 25. La panoplie chré- l ’ apôtre. A insi,le dessein éternel de D ieu de sauver les
tienne, indiquée plus loin, vi, 2. ibid., lui a été proba ­ hom m es, i, 4-11. est exposé R om ., vm , 28-30; ix,
blem ent suggérée par E ph., vi, 11, bien qu ’ une partie 8-24; xvi, 25,26; I Cor., n. 7; G ai., iv, 4,5; la réunion
te l ’ arm ure soit différente. de tous les êtres en Jésus-C hrist, i, 10, est indiquée
Q uoi qu ’ il en soit, il est certain que, vers 140, R om ., vm . 34; m . 22, 29, 30; iv, 9, 16; v, 9-11; xi,
M arcion plaçait cette É pître à son rang chronologique 28-32; I C or., xn, 27; Phil., il, 9; la conception de
dans son Ά ποστολικόν com m e étant de saint Paul, en la chair, siège des m auvais désirs et du péché, n.
' intitulant προς Λ αοδικεϊ;, com m e nous l ’ explique- 3, est énoncée équivalem m ent R om ., vin, 3; G al.,v,
ronsplus loin. Les V alentiniens en faisaient grand cas, 13, 16, 19. D ’ autres rapprochem ents peuvent encore
et au tém oignage de saint Irénée, Cont. hier.. 1, vin, être signalés : E ph., i, 16, et R om ., i. 9; E ph., i,
4, 5, P. G., t. vu. col. 531, 536, ils citaient E ph., v, 32, 20, et ï C or., xv, 25; E ph., i, 22, et I Cor-, x,v, 27;
167 É P H É S IE N S (É P ÎT R E A U X ) 168

E pli., i, 22, 23, et R om ., xn, 5; I C or., xn, 6; E ph., 9; G ai., i, 13; Phil., m , 6, ou m êm e l ’ Église idéale,
n,5, et R om ., v, 6; E ph., ni, 4, et R om ., v, 1, etc. — IC or., x, 32; xn, 28, avec des détails qui correspon
b. Langue et style. — Pour le vocabulaire, il y a, dans dent à ceux d'E ph., iv, 11. L ’ unité de l ’ Église, si
cette É pître, 22 m ots propres à saint Paul et non nettem ent affirm ée ici, est indiquée ailleurs. I Cor.,
usités dans le reste du N ouveau T estam ent : άγαθω- xn, 13; R om ., xn, 5. La relation du C hrist, tête de
σύνη, V, 9; άληθεύειν, VI, 15; άναζεφαλαιοϋσθαι, I, 10; l ’ Église, avec ce corps, E ph., i, 23; iv, 15, est expri­
ανεξιχνίαστος , ni, 8; ά.τλότης , vi, 5; αρραβών, ι, 14; m ée par la m étaphore du principe vital, qui agit dans
έπιχω ρηγία, ιν, 16; εύνοια, νι, 7; ευωδία, ν, 2; θάλπειν, l ’ Église. I C or., vi, 17; xn, 12. Le C hrist est dit la
ν,29; κάμπτειν,ιιι, 14; πεποίθησις , ni, 12; περικεφαλαία, tête de l ’ hom m e. I C or., xi, 3. Les chrétiens form ent
νι, 17; πλεονέκτης , ν, 5; ποίημα, η, 10; πρεσβεύειν, un seul corps dans le C hrist, R om ., xn, 4, 5, et sont
νι, 20; προετοιμάξειν, II, 10; προσαγωγή, II, 18; προ- le corps du C hrist. I C or., xn, 27. Le salut, que le
τίθεσθαι, ι, 9 ; υιοθεσία, ι, 5 ; ΰπερδάλλον, ι, 19 ; ιι, 7 ; C hrist a procuré aux individus par sa m ort et sa
ΰπερεζπερισσοΰ, ni, 20. La conjonction αρα ουν, que résurrection, s ’ étend à tout le corps m ystique du
saint Paul est seul à em ployer et qui se lit douze fois C hrist qui est l ’ Église com m e aux m em bres de ce
dans ses É pîtres, se rencontre n, 19. Διό, une con ­ corps. C ette constitution de l ’ Église par l ’ union des
jonction favorite de saint Paul, est em ployée cinq juifs et des païens dans le C hrist est pour saint Paul
fois ici. O n y retrouve les figures de m ots et les parti ­ un secret dessein de D ieu, conçu de toute éternité.
cularités de style de l ’ apôtre. Cf. E w ald, Die Briefe I C or., n, 7-10; R om ., xvi,25,26. L a définition nette
des Paulus an die Epheser, Kotosser und Philemon, et précise de ce m ystère est donnée seulem ent dans
Leipzig, 1905, p. 42-47. l ’ É pitre aux Éphésiens, ni, 8-11. S ’ il y est dit que
2. Preuves indirectes. — Elles consistent dans l ’ expli­ ce secret dessein a été dévoilé au m onde par les
cation des particularités de doctrine et de langue qu ’ on apôtres et les prophètes du N ouveau T estam ent, l ’ au ­
oppose à l ’ origine paulinienne de cette É pître. — a) teur revendique, com m e Paul, une connaissance spé ­
Solution des objections tirées de la doctrine. — O n a ciale de ce m ystère, qui constitue précisém ent l ’ É van ­
renoncé à voir des traces de gnosticism e dans l ’ em ploi gile dont Paul est le héraut, et pour lequel il est
des m ots « plérôm e » et « éons ». « C ’ est Paul lui-m êm e, enchaîné. L a doctrine développée dans cette É pître
non ses adversaires, qui em ploie ces term es, et cela en n'est donc pas entièrem ent nouvelle et ne form e pas
des sens différents de ceux qu ’ ils auront chez les V alen ­ disparate avec le véritable paulinism e. Fussent-ils
tiniens. Ce sont les gnostiques qui ont em prunté ces m êm e absolum ent nouveaux, ces enseignem ents ne
m ots à saint Paul, tout com m e ils ont pris à saint Jean seraient pas nécessairem ent à rejeter com m e non
ceux de Logos, Zoé, etc. · M gr D uchesne, Histoire pauliniens, à m oins de prétendre que l ’ apôtre a dû
ancienne del’Église, Paris, 1906, t. n,p. 75, note l.Les toujours répéter les m êm es vérités. N ’ ayant jam ais
doctrines sur le C hrist et l ’ Église, exposées dans cette fait un exposé com plet et systém atique de sa pensée,
É pître, ne sont pas absolum cntnouvelles relativem ent saint Paul la livre selon les circonstances et les
à celles des É pîtres authentiques de l ’ apôtre. Jésus- besoins spirituels de ses lecteurs, et il n ’ est pas néces ­
C hrist, il est vrai, occupe ici une place prédom inante saire de recourir, avec A uguste Sabatier, à un progrès,
qu ’ il n ’ a pas dans les autres lettres; m ais toutes les réel et véritable dans la doctrine apostolique. Les
attributions, m ises ici au prem ier plan, sont énoncées doctrines spéciales de l ’ É pître aux Éphésiens peuvent
ailleurs par saint Paul en term es presque identiques, donc être considérées com m e le développem ent lo ­
et, quand les expressions sont différentes, elles expri­ gique de pensées ém ises dans les lettres antérieures,
m ent les m êm es idées. L ’ apôtre adm et la préexistence et rien, de ce chef, n ’ oblige à refuser à l ’ apôtre la pa ­
du C hrist et sa filiation divine, distincte de la filiation ternité de cette lettre.
purem ent m essianique. Le participe ήγαπημένος , i, 6, i) Solution des objections tirées de la langue et du
est sans doute inusité ailleurs. O n le rapproche sou ­ style. — a. Vocabulaire. — L a liste de 75 m ots, qui
vent de l ’ adjectif verbal αγαπητός , pris substantive- I seraient des άπαξ λεγάμενα en saint Paul, doit être
m ent pour désigner le Fils bicn-aim é du Père. M ais j allégée des m ots em ployés dans les É pîtres pastorales,
ce participe pourrait avoir un autre sens, et E w ald, | si on les tient pour l ’ œ uvre de l ’ apôtre : άγαπάν,Ι Tim .,
op. cil., p. 72, l ’ explique : « celui qui est aim é de nous », Il, 14; άλυσις , II Tim ., 1, 16 ; άσωτια, T it., 1, 6; διάβολος ,
en observant que cette explication répond parfaite ­ I Tim ., ni, 6, 7; II Tim ., n, 26; ευαγγελιστής , II Tim .,
m ent à la pensée de saint Paul dans la doxologie du iv, 5; παιδεία, II Tim ., in, 16. Il faut choisir entre
début de sa lettre. Pour l ’ apôtre,le C hrist est, com m e άπελπίξειν et άπαλγεϊν, qui ne sont que deux variantes
ici, l ’ auteur de la création, I C or., vm , 6 ; le centre de du m êm e passage, É ph., iv, 19, et pas deux m ots
tout, I C or., xv, 28; le principe de la sanctification. em ployés par l ’ auteur. Ά πας , E ph., vi, 13, se trouve
I C or., xv, 45-49; R om ., vm , 18-23. Le C hrist, ayant G ai., ni, 28, d ’ après de bons docum ents; d ’ ailleurs,
reçu la plénitude de la divinité, agit com m e D ieu, dans l ’ É pître aux Éphésiens, on lit 51 fois πας , que
dans l ’ œ uvre de la création aussi bien que dans celle saint Paul em ploie constam m ent. Il faudrait retran ­
de la rédem ption; il est le centre de l ’ univers et le cher aussi de cette liste α ’ι χμαλωτεΰειν, ύψος , όργίζεσθαι,
principe m oral de la vie chrétienne com m e il a été σωτήριον, τιμάν, έπιφαΰσκειν, qui se rencontrent dans
le principe de toutes les créatures. Puisque D ieu des citations de l ’ À ncien T estam ent, si l'on ne veut
réalise en lui et par lui sa pensée éternelle, il est pas soutenir que l ’ auteur aurait dû corriger le texte
l ’ organe de l ’ action divine, et il occupe dans l ’ univers des Septante d ’ après son propre vocabulaire. O n ne
une place royale et souveraine. D ans toutes les É pî ­ peut guère citer com m e caractéristiques des term es
tres de saint Paul, la résurrection a la m êm e effica ­ pris dans leur sens usuel, com m e άνεμος , ΰδωρ, όσφύς ,
cité que la m ort du C hrist, qu'elle suit et dont elle περιξώννυμι, ύποδεϊσθαι, πλάτος (à côté de ύψος ), μέ ­
est insépara ’ ble. Q uant à l ’ Église, elle n ’ est pas com ­ γεθος , μακράν (à côté de έγγύς ), άμφότεροι, απειλή ; c ’ est
posée de juifs et de païens, com m e si ceux-ci avaient par pur hasard que saint Paul ne les a pas em ployés
part aux privilèges des juifs. Le m ur de séparation dans ses É pîtres authentiques. Il en est de m êm e pour
qui est détruit, les affranchit tous de la loi m o ­ σπίλος , ρυτίς , v, 27, et κρυφή, v, 12. Les term es spéciaux
saïque et m et les uns et les autres sous le régim e de de l ’ arm ure du chrétien, πανοπλία, θυρεός , βέλη, νι. 11;
la grâce : ce qui est du paulinism e le plus pur. Si, 13,16, tiennent au sujet traité; ces im ages m ilitaires
dans cette É pître, le m ot ’ Εκκλησία est em ployé au ont d ’ ail leurs leurs analogues. IThes.,v,8. Π άλη, E ph..
sens collectif et abstrait, on le retrouve pour désigner vi, 12, ressem ble aux com paraisons de I C or., ix, 24,25,
la réunion des com m unautés chrétiennes, I Cor., xv, ’ Phil., m , 14 ; II Tim ., iv, 7,8. O n ne peut guère com p-
169 É P H ÉS IE N S (É P ÎT R E A U X ) 170

1er non plus com m e caractéristiques les substantifs ou lettre et qu ’ il oppose au caractère colérique de saint
les verbes de cette É pître, quand saint Paul s ’ est servi Paul. En définitive, toutes les rem arques sur le voca ­
de term es dérivés de la m êm e racine. A insi άγνοια, bulaire, la gram m aire et le style de l ’ É pître aux
Eph., iv, 18, a de l ’ analogie avec αγνω σία,I C or., xv, 34, Éphésiens font ressortirdes particulari tés indéniables,
et le verbe άγνοιεϊν est em ployé au m oins 13 fois par des singularités qui se retrouvent partiellem ent dans
saint Paul; de ιηέπιβπροσκαρτε'ρησις est à rapprocher les lettres authentiques de saint Paul et qui sont ici
<le προσζαρτερεϊν, R om ., xil, 12; xm , 6; C ol., iv, 2; plus nom breuses seulem ent. E lles ne suffisent pas à
ανοιξις de άνοιγειν, C ol., IV, 3; Il C or., vi, 11; φρόνησις contrebalancer le tém oignage unanim e de la tradition,
de φρόνημα, R om ., V III, 6, 7, 27, et de φρονεϊν, fréquem ­ rapportant cette lettre à l ’ apôtre; on y reconnaît
m ent usité; χειροποίητος de αχειροποίητος , Il Cor., v, plutôt la griffe de l ’ auteur. U n faussaire, un heureux et
1; Col., Il, 11; καταρτισμός de ζατάρτισις , Il Cor., habile im itateur, s ’ il avait pu écrire cette lettre avec
xiii, 9, et de καταρτίζειν, souvent em ployé dans le des bribes de l ’ É pître aux C olossiens, n ’ aurait guère
m êm e sens; α ’ι σχρότης de αισχρολογία, Col., ni, 8, et pu la faire recevoir dans les Églises d ’ A sie com m e
de αισχρός , I Cor., xi, 6; T it., i, 11; άνανεοϋσόαι l ’ œ uvre de saint Paul. D onc, m algré les différences de
de νέον άνακαινούμενον, Col., III, 10; ποιμένες de style, la lettre aux Éphésiens est certainem ent de
ποίμνη et de ποιμαίνειν, I C or., ix, 7; πολιτεία et l ’ apôtre; les preuves d ’ authenticité l ’ em portent sur les
συμπολίτη; de πόλις , désignant une com m unauté chré ­ objections et elles sont décisives.
tienne, G ai., iv, 25,26, et de πολίτευμα et πολιτεύεσΟαι. IL D e s t in a t a i r e s . — Si l ’ on s ’ en tenait au titre :
Phil., i, 27; in, 20. Cf. Z ahn, Einleilung in das Neue προς ’ Eçsoiouç.qui rem onte certainem ent au m oinsàla
Testament, 2 e édit., Leipzig, 1900, t. i, p. 366-368. L a seconde m oitié du II e siècle, puisqu ’ il est supposé par le
liste des 75 άπαξ λεγομένα de l ’ É pître aux Éphésiens est canon de M uratori et par saint Irénée et qu ’ il est
ainsi réduite à 22. O r, les É pîtres de saint Paul les plus expressém ent m entionné par T ertullien et C lém ent
authentiques en com ptent un certain nom bre : ainsi d ’ A lexandrie, voir plus haut, si m êm e il n ’ est pas anté ­
R om ., 89, I Cor., 98, il C or., 91, G ai., 31, Phil., 38, rieur à M arcion, si l'on s ’ en tenait aussi aux m ots :
quoique ces chiffres aient probablem ent besoin d ’ être έν Εφέσω du 1 er verset, qu ’ on lit dans tous les m anus ­
rectifiés. Loin donc d ’ être un indice d'inauthenticité, crits grecs (sauf quatre), dans toutes les anciennes
les m ots nouveaux de l ’ É pître aux Éphésiens, fussent- versions et dans le plus grand nom bre des Pères, la
ils plus nom breux encore, sont plutôt une m arque question des destinataires de cette É pître ne se pose ­
d ’ authenticité, puisqu ’ on en constate dans une pro ­ rait pas, et il serait adm is sans difficulté que saint
portion plus grande sous la plum e de saint Paul. Les Paul a adressé cette lettre aux chrétiens d ’ Éphèse.
m ots de prédilection de l ’ auteur se retrouvent en partie M ais M arcion donnait à cette É pître le titre de lettre
dans saint Paul; nous avons déjà cité διάβολος ; δέσμιος aux Laodicéens, plusieurs docum ents anciens attes ­
se lit encore Philem ., 1, 9; II Tim ., i, 8, dans des tent l ’ absence des m ots : έν Έ φέσω dans le 1« verset
lettres écrites durant la captivité de Paul; ίπουράνιος et divers indices du contenu laissent supposer que
est, au m oins com m e adjectif, IC or.,xv, 40, 48,49; l ’ apôtre ne connaissait pas ses correspondants et que,
Phil., n, 10; III Tim ., iv, 18. Les liaisons de m ots, inu ­ par suite, ils n ’ étaient pas les Éphésiens que saint
sitées en saint Paul, sont pour la plupart des expres ­ Paul avait évangélisés à deux reprises, et la seconde
sions originales, qui viennent plutôt de saint Paul, fois pendant trois années consécutives. A ct., xvni,
puisqu'il y en a d ’ analogues dans ses É pîtres certaines, 19-21 ; xix, 1-xx, 1 ; cf. xx, 31. Par suite, les critiques
que d ’ un im itateur. Les particularités lexicogra- ont été am enés à se dem ander si cette lettre n ’ avait
phiques de l ’ É pître aux Éphésiens ne suffisent donc pas été adressée par l ’ apôtre aux Laodicéens plutôt
pas à en faire rejeter l'origine paulinienne. Cf. B runet, qu ’ aux Éphésiens, ou bien, com m e circulaire, à un
De l'authenticité de l’Épître aux Éphésiens, prennes phi­ certain nom bre d ’ Églises, dont Éphèse aurait été
lologiques, Lyon, 1897, p. 21-75. peut-être le centre.
b. Slgle. — O n lui reproche sa verbosité, sa lourdeur, 1° Les destinataires sont-ils les Laodicéens? — Il est
son enchevêtrem ent. La phrase de l ’ É pître est trop certain que M arcion, dans son Ά ποστολικόν, faisait
condensée et pleine d ’ idées .plutôt que chargée de m ots adresser cette lettre aux L aodicéens.Tertullien dit que
inutiles. Il y a donc abondance de choses plutôt des hérétiques intitulent ad Laodicenos la lettre que les
qu ’ accum ulation de m ots. Les épithètes nom breuses, catholiques tiennent pour écrite ad Ephesios. Adversus
les synonym es et les com plém ents m ultipliés se ren ­ Marcionem, 1. V , c. xi, P. L., t. il, col. 500. U n peu plus
contrent ici plus que dans les lettres incontestées, où loin, c. xvii, col. 512, il nom m e M arcion, vraisem bla ­
elles ne font cependant pas défaut; c'est une question blem ent le seul hérétique qu ’ il vise et il l ’ accuse d ’ avoir
de degré. D es phrases longues et dém esurées avec ana ­ interpolé le titre de la lettre que l ’ Église adm et avec
coluthe se rem arquent, ailleurs com m e ici, dans des vérité avoir été adressée ad Ephesios, non ad Laodice­
souhaits, R om ., i, 1-8; G ai., i, 1-6, dans des actions de nos. B ien que saint É piphane affirm e trois fois que
grâces. I C or., i. 4-9; Phil., i, 38. surtout dans des l ’ É pître aux Éphésiens était dans 1 ” Α ποστολικόν de
exposés doctrinaux, R om ., n, 13-16; iv, 16-22; v, M arcion en m êm e tem ps que la lettre πρός Α αοδικεϊς ou
12-21 ; G ai., n, 1-11 ; Phil., i, 26-30. L ’ absence de par ­ προς Α αοδικέας , Heer., hæ r. xi.li, η. 9,12, P. G., t. x l i ,
ticules logiques n ’ est pas aussi com plète qu ’ on le pré ­ col. 708,725,813, cependant il cite deux fois E ph., rv,5»
tend, puisqu ’ on trouve oîv 4 fois, διό 5 fois, άρα ούν com m e appartenant à l ’ É pître aux Laodicéens de
1 fois, γάρ 11 fois et ότι 13 fois. Les proportions sont M arcion. Ibid., col. 721.813. L ’ attribution de l ’ É pître
à peu près les m êm es que dans l ’ É pître aux G alates. aux Éphésiens, faite par M arcion aux Laodicéens.est
Si le style de saint Paul est vif et énergique, quand confirm ée par un prologue, d ’ origine m arcionite, com ­
l ’ apôtre argum ente, quand il attaque, quand il se dé ­ posé prim itivem ent pour l ’ É pître ad Laodicenses, m ais
fend, quand il est ém u, il estordinairem ent em barrassé m odi fié par un catholique en argum ent de l ’ É pître aux
et traînant dans les exposés dogm atiques. O r, l ’ É pître Éphésiens. D om de B ruyne, Prologues bibliques d’ori­
iu x Éphésiens est tout entière un exposé de ce genre, gine marcionite, dans la Revue bénédictine, 1907,
i.
e ton lyrique des trois prem iers chapitres, form és de p. 4-6,14,15.
bénédictions, d'actions de grâce et de prières, convient T ertullien, le principal et le plus ancien tém oin de la
au sujet, et le talent de saint Paul était assez souple destination de cette É pître aux Laodicéens. oppose à
pour adapter sa m anière d ’ écrire à ce genre de com po ­ M arcion le véritable titre ad Ephesios, adopté par
sition. Il ne se concilie guère avec le caractère flegm a ­ l ’ Église; il l ’ accuse d ’ interpolation et il déclare qu'il a
tique que von Soden reconnaît à l ’ auteur de cette fait cette interpolation pour des raisons critiques,
171 É P H É S IEN S (É P 1T R E A U X ) 172

quasi et in ipso diligentissimus explorator. Le titre reçu Marcionem, 1. IV, c. xrv, col. 389. La form ule : titulum
dans l ’ Église était donc différent de celui que M arcion interpolavit peut donc s'entendre de l ’ adresse plutôt
avait interpolé, en s ’ appuyant non pas sur une tradi ­ m êm e que du titre, car T ertullien aurait dit, en parlant
tion antérieure dont il n ’ y a pas de trace, m ais sur des du titre : titulum mutavit. L ’ écrivain africain visait
recherches personnelles et des argum ents, que Ter- donc l ’ adresse et il accusait M arcion,non pas de l ’ avoir
tullien ne rapporte pas, se contentant d ’ en indiquer supprim ée ou falsifiée, m ais seulem ent d ’ y avoir
la nature. Zahn pense que M arcion a m odifie le titre changé le nom de l ’ Église à qui la lettre était adressée.
préexistant de cette É pître d ’ après Col., iv, 16, inter ­ C ette explication est d ’ autant plus vraisem blable,
prété dans le sens d ’ une lettre écrite par saint Paul aux dit-on, qu ’ il nom m e titulus l'adresse de l ’ É pître aux
Laodicéens. Geschichte des Neulestamentlichen Kanons, G alates, où, après le salut ordinaire à toutes ses
E rlangcn et Leipzig, 1889, t. i, p. 624. H ort croit que lettres, l ’ apôtre souhaite à ses lecteurs la grâce et la
M arcion a eu à sa disposition l ’ exem plaire de la lettre paix, 1-3. T ertullien ajoute que le titre, c ’ est-à-dire
circulaire, dite aux Ephésiens, servant à l ’ Église de l ’ adresse, est com m un et identique en toutes les
Laodicée. The New Testament in the original Greek, É pîtres de saint Paul. Adversus .Marcionem, 1. V , c. v,
C am bridge et Londres, 1882, A ppendix, p. 124- col. 480. C ependant, dans le passage où il reproche à
M . H arnack vient de reprendre et de fortifier par de M arcion d ’ avoir interpolé le titre de l ’ É pître aux
nouveaux argum ents le sentim ent de quelques cri­ Éphésiens, il ajoute, pour couper court à la discussion
tiques, suivant lesquels le titre προ; Λ αοδικέα; était sur ce sujet : Nihil autem de titulis interest, cum ad
prim itif, serait venu à M arcion de la tradition, bien omnes apostolus scripserit dum ad quosdam. Ce qui
qu ’ il ait été déjà changé en celui de προς Έ φεσίους .Β ίβ l ’ intéresse, en effet, c ’ est la réfutation de l ’ opinion
Adresse des Epheserbrie/s des Paulus, dans Sitzungs- m arcionite, qui distinguait le D ieu de l ’ A ncien Tes ­
berichle der kiinigl. preussischen Akadcmie der Wissen- tam ent du D ieu du N ouveau. Il discutait les argu ­
schaften, Philos.-hist. C lasse, 1910, p. 696-709. m ents que M arcion tirait de saint Paul depuis lec. i du
T ertullien, en désignant M arcion com m e un dili- 1. V , col. 468, et il avait interrom pu incidem m ent sa
genlissimus explorator, ne le présente pas com m e un discussion pour énoncer la différence des titres de
critique corrigeant le texte pour des raisons historiques l ’ É pître aux Éphésiens. Il revient brusquem ent à son
et littéraires, m ais com m e un hérétique le m odifiant sujet principal, en disant que peu im porte,dans celte
en vue de le faire cadrer avec ses doctrines, et au controverse, les titres ad Ephesios ou ad Laodicenos.
sujet du titre il ne lui reproche que de s ’ écarter de la L ’ im portant est ce qu ’ écrit l ’ apôtrc, quels que soient
tradition ecclésiastique, la seule que T ertullien les destinataires de ses lettres, puisqu ’ il écri t pour tous
connaisse, faisant adresser cette É pître aux É phé ­ ce qu ’ il envoie à quelques-uns. O r, l ’ apôtre affirm e
siens. E n réalité, M arcion n'avait pas de m otifs certainem ent que D ieu est le D ieu du C hrist. D ans ce
dogm atiques d ’ attribuer cette lettre aux Laodicéens, contexte, le titre interpolé ne peut être l ’ adresse iden ­
et s ’ il le fait, c'est qu ’ il a appris cette attribution de la tique. E ph., i, 1, 2. où saint Paul souhaite aussi la
tradition antérieure de l ’ Eglise que T ertullien ne con ­ grâce et la paix de la part de D ieu, notre Père,et de la
naissait plus. 11 est en cela m êm e, cl in isto (la phrase part du Seigneur Jésus-Christ. Si titulus désignait, en
est ironique), un critique de tendance. Il est vraisem ­ ce cas, cette sentence faisant partie de l ’ adresse, elle
blable, en effet, que les titres des É pilres de saint Paul n ’ était pas indifférente à la discussion; elle im portait,
existaient antérieurem ent à M arcion, qui a adopté au contraire, à la réfutation de M arcion. E nfin, inter­
exactem ent ceux des É pîtres qu ’ il adm ettait, sauf à polare, sous la plum e de T ertullien, signifie changer,
corriger celui de l ’ É pître aux Éphésiens. D u titre -ρός puisqu ’ il dit un peu plus loin, c. xxi, col. 524, que
Λ ποδικέα; qu ’ accepte M arcion.il n ’ est pas prouvé ipso M arcion a été am ené à etiam numerum Epistolarum
/acto, com m e le prétend M . H arnack, que ce titre était interpolare. J ’ en conclus que T ertullien reprochait seu ­
traditionnel, puisque le tém oignage de saint Ignace lem ent à son adversaire d ’ avoir interpolé le titre en
d ’ A ntioche prouve qu ’ anlérieurem ent à M arcion on rem plaçant ad Ephesios par ad Laodicenos, et non pas
connaissait déjà la lettre de saint Paul adressée l ’ adresse. Il n ’ est donc pas prouvé que le texte prim itif
aux Éphésiens, et non aux Laodicéens. 11 faudrait de cette adresse contenait les m ots έν Λ αοδικία, com m e
dém ontrer que l ’ hérétique M arcion a été, au m ilieu du le prétend M . H arnack.
i i ° siècle, le seul dépositaire de la tradition prim itive, Ce critique avait au préalable fait ressortir les
que l ’attribution de cette lettre aux Éphésiens n ’ en rapports étroits de l ’ Église de Laodicée avec celle de
serait qu ’ une déform ation et une correction. M . H ar ­ Colosses. Laodicée est nom m ée quatre fois dans
nack essaie cette dém onstration. A vant tout exam en l ’ É pître aux C olossiens, n, 1 ; iv, 13,15,16. L ’ apôtre a
des preuves apportées, il reste que, s'il y a eu déform a ­ la m êm e sollicitude pour les Laodicéens que pour les
tion de la tradition prim itive au n° siècle, c ’ est à Colossiens. É paphras s ’ est donné beaucoup de peine
M arcion et non à la tradition ecclésiastique unanim e pour les uns et pour les autres. Saint Paul salue les
de son tem ps, que T ertullien la rapporte. frères de Laodicée et nom m ém ent N ym pha avec son
M . H arnack pense que l'attribution de cette lettre église dom estique. Il recom m ande d ’ envoyer à Lao ­
aux Laodicéens n ’ était pas seulem ent affirm ée par le dicée, pour qu ’ elle y soit lue, la lettre destinée aux
titre prim itif, m ais encore par le texte m êm e de Colossiens, qui, de leur côté, liront la lettre qui leur
l ’ É pître. Si les m ots εν Έφέσω n ’ étaient pas originaux viendra de Laodicée. Les deux Églises voisines sont
dans l ’ adresse, E ph., i, 1, com m e les cri tiques actuels le donc égalem ent dans les pensées de l ’ apôtre, qui a pour
reconnaissent sans conteste pour des raisons que nous elles deux les m êm es soucis. Puisque donc il écrit aux
rapporterons plus loin, il est vraisem blable que cette C olossiens. il serait surprenant qu ’ il n'écrive pas en
adresse contenait le nom des destinataires et qu ’ on m êm e tem ps aux Laodicéens. O r, parm i ses É pîtres,
lisait dans le texte originali· ? Λ αοδικιγ. O n pens· · géné ­ celle qui est dite aux Éphésiens ressem ble étonnam ­
ralem ent que T ertullien n ’ oppose à l'interpolation de m ent à la lettre aux C olossiens et elle lui est contem po ­
M arcion que la véritable tradition ecclésiastique du raine. Il est par suite très vraisem blable qu ’ elle ait été
titre ad Ephesios. M ais le m ot titulus a, dans la langue adressée aux Laodicéens. Elles ont toutes deux le
de l ’ A fricain, différentes significations. S ’ il a parfois m êm e porteur, qui a la m êm e m ission à rem plir dans
celle de titre d ’ un livre, par exem ple, Adversus Mar- les deux cas, E ph., vr, 21, 22; Col., iv, 7-9, et cette
ionem, 1. IV, c. n, m ;D e pudicitia, c. xx.P. L.. t. ir,
c. m ission est exprim ée presque dans les m êm es term es.
col. 363, 365, 1021, il désigne aussi une sentence, par Il y a, en outre, dans l ’ É pître aux Éphésiens une allu ­
exem ple, Beati esurientes, etc. Luc., vi, 21. Adversus sion à une autre lettre précédente. Ses lecteurs doivent
173 E P H ES IE N S (E P IT R E A U X ) 174

apprendre, eux aussi (καί ύμεϊς ), vi, 21, ce qui concerne suppression, c ’ est la condam nation portée par l ’ A po ­
Paul, ce qu ’ il fait. L ’ apôtre a les deux Églises présentes calypse, m , 14-16, vers l ’ an 94, contre l ’ Église de
en m êm e tem ps à l ’ esprit, et par suite il s'exprim e Laodicée. A ucune Église chrétienne n ’ a été décrite
d'une m anière incorrecte au point de vue littéraire, dans le N ouveau T estam ent sous d ’ aussi tristes cou ­
com m e si les lecteurs de la seconde lettre connaissaient leurs et n ’ a m érité un châtim ent aussi grave, celui
ce qu ’ il a écrit dans la prem ière. Ils ne peuvent être d ’ une condam nation absolue et entière. Son nom , par
que les chrétiens de Laodicée, auxquels il pensait en suite, devait disparaître de l ’ en-tête d ’ une É pître de
écrivant aux C olossiens. saint Paul, et il disparut, parce que l ’ Église elle-
Les faits sur lesquels s ’ appuie le raisonnem ent de m êm e était condam née à la disparition. 11 y eut
M . H arnack sont vrais, sans que néanm oins la con­ d ’ abord une lacune dans le texte, et on a com m encé
clusion qu ’ il en tire s ’ im pose. Puisque l ’ apôtre avait dès lors à considérer la lettre com m e une circulaire;
pour les Laodicécns la m êm e sollicitude que pour les m aison l ’a com blée parles m ots έν Έ φέσω, vraisem ­
C olossiens, on ne s ’ explique pas que, tandis que la blablem ent parce qu ’ Éphèse était la ville principale
prem ière contenait des enseignem ents spéciaux, répon ­ de la contrée où se constitua le recueil des lettres
dant aux besoins religieux de l ’ Église de Colosses, la de saint Paul.
seconde développe, com m e nous te m ontrerons plus C ette explication de la suppression des m ots êv
loin, un thèm e général et a une allure qui exige Λ αοδικία n ’ est pas convaincante. Il est fort contes ­
un cercle de lecteurs plus étendu que celui d ’ une table que l'état de l ’ Église de Laodicée ait été le plus
Église particulière, alors que les m êm es erreurs lam entable de toutes les com m unautés d ’ A sie. Le
devaient travailler Laodicée aussi bien que Co ­ C hrist ne lui reproche que sa tiédeur et ses illusions
losses. O n s ’ étonne de l ’ absence de la salutation de se croire riche, alors qu'elle est réellem ent m isé ­
d ’ É paphras, qui s ’ était donné tant de peine pour les rable, aveugle et nue. A poc., ni, 15-17. L ’ état de
chrétiens de Laodicée, C ol., iv, 13, et qui était alors l ’ Église de Sardes, qui est m orte, alors qu ’ elle se
auprès de l'apôtre, et de celle de Paul lui-m êm e qui croit vivante, ni, 1, 2, n ’ est pas m eilleur. D ’ ailleurs,
cependant salue les Laodicéens par l ’ interm édiaire des la condam nation n ’ est pas, com m e on le prétend,
C olossiens, iv, 15. L a lettre, écrite aux C olossiens, sera entière et absolue. La réprobation définitive n ’ est
bien envoyée à Laodicée, m ais celle qui viendra decette qu ’ une m enace dont l ’ exécution serait prochaine, s ’ il
ville n ’ était pas nécessairem ent adressée aux Laodi­ n ’ y avait pas repentir et am endem ent, m , 16. Les
céens. La préposition ëx n ’ est pas sim plem ent une pe ­ conseils opportuns, donnés, 18-20, se term inent par
tite incorrection de style, sur laquelle on ne pourrait l ’ exhortation à la pénitence et au zèle, et le châtim ent
appuyer une conclusion historique, et la lettre portée im m inent est une m arque d ’ am our. N ous ignorons
de Laodicée à C olosses est plutôt une circulaire géné ­ en quoi ce châtim ent a consisté, toutefois, il n ’ a pas
rale qu ’ une É pître spécialem ent destinée aux Laodi- entraîné la ruine de l ’ Église de Laodicée, dont l ’ exis­
céens. Tychique, son porteur, ne l ’ aurait pa„ laissée à tence est attestée au cours du n» siècle. Il n ’ y a donc
Colosses, et elle y serait revenue de Laodicée par pas eu de raison de rayer son nom , s ’ il y avait été
échange de correspondance, parce que l ’ Église de contenu, de l ’ adresse de l ’ É pître que saint Paul lui
Laodicée, la plus rapprochée de Colosses, avait besoin aurait envoyée, et tout le bel échafaudage d ’ hypo ­
d ’ enseignem ents plus particuliers que ceux que conte ­ thèses de M . H arnack s ’ écroule. Si la lettre était
nait la circulaire. L ’ allusion à la lettre aux C olossiens, originairem ent une encyclique, la lacune de l ’ adresse,
précédem m ent écrite par l ’ apôtre, s ’ explique aussi bien sans nom d ’ Église destinataire, était prim itive, com m e
dans le cas d ’ une circulaire que dans celui d ’ une lettre nous allons l'expliquer, et les m ots ëv Έ φέσω , intro ­
spéciale aux Laodicéens, et si les lecteurs, à qui duits dans la copie conservée dans la ville de ce
l ’ apôtre pensait, ignoraient l ’ existence de l ’ É pître aux nom , ont fourni l ’ occasion du titre προς Έ φεσιου;
C olossiens,Tychique, le porteur des deux, pouvait la dans le recueil des É pîtres de saint Paul.
leur apprendre et leur donner l ’ explication de και υμείς . 2° Les destinataires appartiennent-ils à un cercle
D ans la conviction qu ’ il a acquise que la lettre dite plus étendu que celui des chrétiens d’Éphéseî — O n a
aux Éphésiens était adressée aux seuls Laodicéens fait valoir en faveur de ce sentim ent l ’ absence des
et que l ’ adresse contenait prim itivem ent le nom de m ots : έν Έ φέσω dans un certain nom bre de docu ­
leur Église, M . H arnack est am ené à se dem ander m ents et les caractères intrinsèques de l ’ É pître. —
quand et pourquoi les m ots ëv Λ αοδικία ont été 1. Absence de la mention des Éphésiens dans (’adresse,
effacés et rem placés par iv Έ φέσω. Puisque les écri ­ i, 1. — Les m ots : lv Έφέσω n ’ existaient pas dans
vains ecclésiastiques de la fin du n° siècle n ’ ont pas l ’ adresse, telle que la lisaient M arcion et T ertullien.
connu la leçon έν Λ αοδικία, sa suppression doit être E n effet, com m e ce dernier argum ente contre l ’ attri ­
bien antérieure et rem onter à l ’ époque qui a suivi de bution de la lettre aux Laodicéens, du titre véritable
près la form ation du recueil des É pîtres de saint Paul. reçu dans l ’ Église, et non pas de l'adresse qui sert de
Elle a dû se produire aussi au lieu où ce recueil début à la lettre elle-m êm e, c ’ est que ni lui, ni
a été constitué et d ’ où il s ’ est répandu dans les M arcion qu ’ il réfute, ne lisaient dans cette adresse
autres Églises. Q ue saint Ignace ait connu ou pas le nom de la ville d ’ Éphèse. Si ce nom y avait été
l ’ existence d ’ une É pître aux Éphésiens, peu im porte, inséré, M arcion n ’ aurait pu changer le titre sans
car la suppression des m ots έν Λ αοδικία et le titre προς l ’ avoir supprim é dans l ’ adresse, pour faire dispa ­
Έ φεσϊους n ’ ont pas pu être faits après lés dix prem ières raître la contradiction avec le titre προ: Λ αοδιχεΐς . O r
années dn t t · siècle, quoique M arcion ait eu encore T ertullien, qui a relevé avec tant de soin les altéra ­
sous les yeux un exem plaire du texte non corrigé. La tions que M arcion avait faites au texte à coups de
suppression de la leçon originale n ’ a guère pu être canif ou d ’ autre m anière, ne lui a pas reproché cette
accidentelle, et le titre προς Έ ρεσίους est plutôt dû m utilation, m ais seulem ent la falsification du titre.
à la lecture des m ots êv Έ ρίαψ , dans l ’ adresse qu ’ à N i l'un ni l ’ autre ne lisaient donc ces m ots dans le
une pure conjecture. C ette suppression a été volon ­ texte m êm e de la lettre. D ans un fragm ent du com ­
taire et intentionnelle. Les anciens raturaient sur les m entaire perdu d ’ O rigène sur cette É pître, public par
m anuscrits ou sur les inscriptions les m ots qu ’ ils C ram er. Catena Patrum, O xford, 1844, t. vi, p. Iu2,
ne voulaient pas conserver. C ’ est une rature de ce on voit que la leçon com m entée ne contenait que ces
genre, faite aux environs de l ’ an 100, qui explique la seuls m ots : τοϊς άγίοις το:: ούσιν, puisque le com m e; -
disparition des m ots ëv Λ αοδικία dans l ’ adresse d ’ une taire prend ούσιν com m e un term e indépendant, sans
É pître de saint Paul. La cause qui a m otivé cette com plém ent de lieu, et lui donne le Sens de ôv::;,des
175 É P H É S IE N S (É P IT R E AUX) 176

saints qui passent du non-être à l ’ être par leur union avaient contenu des nom s différents (ce qui n ’ çst
avec D ieu qui se nom m e ών dans l ’ Exode. U n m a ­ pas prouvé), elles se seraient plutôt transm ises avec
nuscrit grec du x° siècle de l ’ A thos, qui reproduit le leurs leçons spéciales, ce qui n ’ a pas été constaté. La
texte suivi par O rigène, n ’ a pas les m ots : έν Έ φέσω. suppression de ces m ots ne s ’ explique pas davantage
E. von der G oltz, dans Texle und Untcrsuchungen, par la supposition qu ’ un copiste voulait par là faire
Leipzig, 1899, t. xvn, fasc. 4, p. 75. Pour prouver ressortir le caractère encyclique de la lettre, car il
contre l ’ anom éen E unom ius que le Fils de D ieu peut aurait fallu en m êm e tem ps supprim er le titre προ;
s ’ appeler ό ών, saint B asile rem arque que les chrétiens Έ φεσίους . Tous ces essais infructueux d ’ explication ont
d ’ Éphèse, au début de la lettre que saint Paul leur am ené d ’ autres critiques à conclure que ces m ots ne
écrivait, sont nom m és d ’ une m anière singulière et se trouvaient pas dans la lettre originale, qui, au lieu
unique en son genre όντας à cause de leur union avec d'être adressée aux seuls Éphésiens, était une circu ­
C elui qui est, union que leur procure l'exacte connais ­ laire, destinée à un groupe d ’ Églises d ’ A sie M ineure,
sance qu ’ ils en ont. II cite l ’ adresse en ces term es : et qu ’ ils auraient été introduits au iv e siècle, à la
τοϊς άγίοις τοϊς ούσιν xal πιστοϊς έν Χ ριστώ Ίησοΰ. Π m arge des m anuscrits, d ’ abord, com m edans le Sinaili-
déclare que ses prédécesseurs l ’ ont ainsi transm ise cus et le Vaticanus, dans le texte ensuite, pour faire
et qu ’ il l ’ a lui-m êm e trouvée telle dans les anciens concorder l ’ adresse avec le titre. D e cette sorte,
m anuscrits. Adversus Eunomium, 1. II, c. xix, P. G., l ’ adresse ressem blait à celles d'autres É pîtres, R om .,
t. XXIX. col. 612-613. L ’ appel aux anciens m anuscrits i, 7; I C or., i, 2 ; Il C or., i, 1 ; Phil., i, 1, et elle présen ­
laisse supposer que les m anuscrits récents avaient une tait un sens très intelligible, en faisant disparaître la
autre leçon, qui com prenait probablem ent les m ots leçon incom préhensible τοϊς ούσιν. Les versions onL
έν Έ φέσω. Les deux seuls m anuscrits du iv c siècle, adopté cette leçon, parce que la traduction de la
qui nous soient parvenus, κ et B , n ’ ont pas ces m ots phrase grecque sans nom de lieu était im possible.
dans le texte de prem ière m ain, m ais seulem ent à la O n a supposé que l'original laissait probablem ent
m arge et de seconde m ain. Les autres Pères grecs ne en blanc le nom des Églises, et que le porteur, en
com m entent pas non plus les m ots έν Έ φέσω , m êm e déposant la copie, l ’ ajoutait; m ais les plus anciens
lorsqu'ils les reproduisent. Cf. S. -Chrysostom e, P. G., m anuscrits, reproduisant le texte de l ’ original, n ’ a ­
t. l x i i , col. 9-10;T héodoret, P. G., t. l x x x i i , col. 509 ; vaient aucun nom d ’ Église destinataire, et les prem iers
S. Jean D am ascene, P. G., t. xcv, col. 821 ; CEcum e- com m entateurs interprétaient com m e ils pouvaient
nitis, P. G., t. cxvm , col. 1169 (qui reproduit la leçon la leçon τοϊς άγίοις τοϊς ούσιν. D ’ ailleurs, le caractère
de saint B asile) ; T héophylacte, P. G., t. cxxiv, général de l ’ É pître et l ’ absence de tout détail personnel
col. 1033. Le copiste du cursif 67 (ix«-xn"> siècle), et local confirm ent l ’ hypothèse d ’ une lettre ency ­
conservé à V ienne, en A utriche, les avait écrits; le clique, destinée à plusieurs Églises d ’ A sie, soit à
correcteur les a effacés. É phèse et aux Églises dont elle était com m e la m étro ­
L ’ om ission des m ots έν Έ φέσω a laissé des traces pole, soit aux sept Églises de l ’ A pocalypse, soit au
dans la littérature latine. L 'A m brosiaster ne com ­ cercle des com m unautés qui com prenait et entourait
m ente pas qui sunt Ephesi du texte latin. In Epist- Colosses et Laodicée, soit à toutes les Églises d ’ A sie-
ad Eph., P. L., t. xvn, col. 373. Saint Jérôm e connaît M ineurc, soit à une partie seulem ent, par exem ple,
les deux leçons grecques et les deux explications; il celles du Pont, soit m êm e à toutes les Églises conver ­
rappelle celle d ’ O rigène et il la déclare, non pas fon ­ ties de la gentilité. Cf. Ladeuze, dans la Revue bi­
dée sur un texte altéré, m ais plus curieuse qu ’ il n ’ est blique, 1902, p. 573-580.
nécessaire. Il vaut m ieux suivre l ’ autre leçon, qui est 2. Caractère général de l’Épître et absence de toute
plus sim ple et plus naturelle. In Epist. ad Eph., P. L., donnée personnelle et locale.— Saint Paul avait eu avec
t. xxvi, col. 443-444. Plusieurs com m entateurs latins les chrétiens d ’ Éphèse les rapports les plus intim es,
n ’ expliquent que la leçon : omnibus sanctis et fidelibus ayant fait de nom breuses conversions durant un pre ­
in Christo J esu. A insi pseudo-Prim asius, In Epist. ad m ier séjour de quelques sem aines parm i eux, A ct.,
Eph., P. L., t. l x v i , col. 607; Sedulius Scotus, Colle­ xviii, 19-21, et ayant organisé l ’ Église à son second
ctanea in Epist. S. Pauli, P. L., t. cm , col. 195 ; W ala- séjour, qui fut de presque trois années consécu ­
frid Slrabon, Glossa ordinaria, P. L., t. exiv, col. 588; tives. A ct., xix, 1-xx, 1. Plus tard, il m anda à M ilet
I laym on d ’ H alberstadt (ou R em y d ’ A uxerre). In les anciens de la com m unauté et leur adressa un dis ­
Epist. ad Eph., P. L., t. cxvil, col. 701; A tton de cours ém ouvant, A ct., xx, 15-38, qui tém oigne de son
V crceil, In Epist. ad Eph., P. L., t. cxxxiv, col. 547. affection profonde pour l ’ Îiglise d ’ Éphèse qu ’ il avait
A insi donc c ’ est au cours du iv° siècle seulem ent fondée, et au m om ent de la séparation qu ’ ils croyaient
que ces m ots apparaissent dans les m anuscrits et les définitive, les anciens fondirent en larm es et se je ­
com m entaires. É taient-ils prim itifs, ou bien ne sont- tèrent au cou de Paul pour l ’ em brasser. O n ne s ’ ex ­
ils qu ’ une addition? B eaucoup de critiques les tiennent plique guère, après cela, le ton grave, froid, didactique
pour originaux et expliquent leur absence dans les d'une lettre adressée aux Éphésiens par leur apôtre.
anciens docum ents, ou bien par une om ission des co ­ C elui-ci n ’ exprim e aucun souvenir personnel, ne fait
pistes, ou bien par une suppression volontaire. M ais pas la m oindre allusion à des relations antérieures,
l ’ inadvertance des copistes aurait été vite corrigée alors que le discours aux anciens est si affectueux,
par la com paraison avec d ’ autres m anuscrits, d ’ au ­ alors que, quand il écrit aux Églises qu ’ il a fondées,
tant plus que ce lapsus rendait la phrase inintelli ­ il est si prodigue d ’ effusions cordiales. É crivant à la
gible. L a suppression, attribuée à M arcion, n ’ est pas m êm e date aux C olossiens, qu ’ il n ’ avait pas conver ­
prouvée, et il est invraisem blable que, s ’ il l ’ avait tis, ni m êm e vus, il leur tém oigne une charité, Col., i, 8,
opérée, des copistes orthodoxes eussent adopté son 9,24; π, 1, dont on ne retrouve pas l'expression dans
texte tronqué. D ’ autres critiques ont supposé que la l ’ É pître aux Éphésiens. Tim othée, que les anciens
lettre de l ’ apôtre, adressée directem ent aux É phé- d ’ Éphèse avaient vu à M ilet, A ct., xx, 4, n ’ est pas
siens, contenait réellem ent les m ots έν Έ φέσω , m ais nom m é dans cette É pîtrc,alors qu ’ il est associé à saint
que Tychique, son porteur, en ayant fait prendre Paul dans l ’ expédition des lettres contem poraines aux
conie pour d ’ autres Églises, aurait rem placé le nom C olossiens, i, 1, et à Philém on, 1. A u début, au lieu de
d ’ Éphèse par celui des autres com m unautés chré ­ la salutation habituelle.il y a une longue bénédiction
tiennes. Par suite, des copistes auraient supprim é générale, qui peut convenir à tous les chrétiens, et à
les m ots prim itifs. C ette hypothèse n ’ expliquerait la fin, seul le porteur est nom m é, vi, 21,22, Tychique.
guère la suppression, car si, dès l ’ origine, les copies un A siate, et le souhait s ’ adresse à tous ceux qui
ATI É P H É S IE N S (É P IT R E A U X ) 178

aim ent Jésus-Christ, 24. Sans doute, T ychique don ­ D ès le iv° siècle, Théodore de M opsueste, adonné
nera aux destinataires des nouvelles de l ’ apôtre, m ais à l ’ explication littérale et gram m aticale de l ’ É criture,
il reçoit la m êm e m ission, et dans les m êm es term es, avait rem arqué que le contenu de l ’ É pîtrc aux É phé ­
pour les C olossiens, iv, 7, 8, ce qui n ’ em pêche pas siens ne cadrait pas avec le récit des A ctes, et il en
saint Paul d ’ ajouter de sa m ain sa salutation person ­ avait conclu que l ’ apôtre avait rédigé cette lettre
nelle, 18. L ’ É pître aux Éphésiens ne contient non plus avant d ’ avoir été à Éphèse. In Episl. ad Eph., P. G.,
aucune salutation des com pagnons de saint Paul, t. l x v i , col. 912; Tractatus in Epist. ad Eph., arg.
alors que celle aux C olossiens en a plusieurs, iv, 10-14, (sous le nom de saint H ilaire de Poitiers),dans Pitra,
qui précèdent celle de l ’ apôtre et ses recom m andations Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. i i , p. 9G -98;
pour les Laodicéens, 15-17. Les procédés épislolaires Sw ete, Theodori episcopi blopsuesteni in Epist.
sont donc très différents. Le thèm e développé peut B. Pauli commentarii, C am bridge, 1880, t. i, p. 116.
sans doute convenir à l ’ Église d ’ Éphèse, com posée de Son disciple T héodoret le réfutait bientôt par des
juifs et de païens convertis, m ais il est aussi d ’ un argum ents historiques et avec une com pétence égale à
intérêt général et il est exposé d ’ une façon générale, celle d ’ un critique m oderne. In Episl. ad Eph., P. G.,
de telle sorte que les enseignem ents sont appropriés t. l x x x i i , col. 505, 508. Le sentim ent de Théodore de
égalem ent à toutes les Églises de l ’ A sie proconsu ­ M opsueste a néanm oins été reproduit en O rient par la
laire, m êm e à celles que l'apôtre n ’ a ni fondées, ni Synopsis sacræ Scriplurœ, attribuée à saint A thanase
visitées. Toutes ces circonstances se vérifient m ieux et qui est de la fin du v c siècle, P. G., t. xxvut,
dans l ’ hypothèse d ’ une lettre circulaire que dans le col. 417, 420, et par Œ cum enius, au x° siècle, Episl.
fait d ’ une É pître adressée à une Église connue et ad Eph., P. G., t. cxvm , col. 1165, et en O ccident à
aim ée, que saint Paul n ’ avait pas revue depuis trois la fin du x n e siècle, par H ugues de Saint-V ictor, Quæst.
ans. in Epist. ad Eph., P. L., t. c l x x v , col. 567, et par
D u reste, divers passages de l ’ É pîtrc m ontrent que Pierre L om bard, In Epist. ad Eph., P. L., t. cxcit,
l ’ apôtre était com plètem ent étranger à ceux à qui il col. 169. Le diacre E uthalius disait aussi que saint
écrivait. A insi il dit : » C ’ est pourquoi, ayant entendu Paul avait envoyé cette lettre aux Éphésiens lorsqu ’ il
parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre cha ­ ne les connaissait, com m e les R om ains, que par la re ­
rité pour tous les saints, je ne cesse, m oi aussi, de nom m ée. Editio Epist. Pauli, P. G., t. l x x x v , col. 704 ;
rendre grâce pour vous », i, 15. C ’ est le langage d ’ un H . von Soden, Die Schriften des N. T., B erlin, 1902.
hom m e qui a connu par ouï-dire la foi et la charité t. i, p. 652. Cf. l ’ argum ent pseudo-euthalien de
de ses lecteurs et qui a attendu, pour leur donner place l ’ É pîtrc, col. 761, qui développe les m êm es fausses
dans ses prières, d ’ avoir entendu parler de leurs données. L ’ A m brosiaster, de son côté, a écrit : Ephe­
vertus chrétiennes. L ’ apôtre s ’ exprim e dans les m êm es sios apostolus non fundavit in fide, sed confirmavit.
term es au sujet des C olossiens, qu ’ il n ’ a jam ais vus. Gaudens in eis ad meliora scripsit. In Epist. ad Eph..
Col., i,3, 4. 11 ne connaissait donc pas davantage les P. L., t. xvn, coi. 371-373. R aban M aur copie ΓΑ ηι-
lecteurs, dont il parlait ainsi, et il ne s ’ agit ni de la brosiaster, Expositio in Epist. ad Eph., P. L., t. cxn,
persévérance des Éphésiens, ni des bonnes nouvelles I coi. 381, et A tton de V erceil sait que quelques uns
de leur piété, reçues depuis leur séparation. Plus loin, ont ce sentim ent. In Epist. ad Eph., P. L., t. exxiv.
à la fin de son exposé dogm atique, saint Paul rappelle col. 547. L ’ A m brosiaster dépendait probablem ent du
qu ’ il est l ’ apôtre des gentils et qu ’ il est prisonnier à prologue m arcionite, corrigé par un catholique : Eccle-
cause de cet apostolat, et il ajoute : « Si du m oins vous sii sunt Asiani. Hi accepto verbo veritatis perstiterunt
avez entendu parler de la charge, que la grâce de D ieu in fide. Hos conlaudat apostolus scribens eis a Horna de
m 'a accordée en vue de vous, »ιπ, 1,2. Puis, ilexplique carcere. D om de B ruyne, dans la Revue bénédictine,
longuem ent, 3-12, l ’ origine de sa vocation à l ’ apos ­ janvier 1907, p. 15. Ce prologue a été reproduit par
tolat. Les chrétiens d ’ Éphèse connaissaient assuré ­ le pseudo-E uthalius, P. G., t. l x x x v , col. 607, par
m ent la vocation spéciale de saint Paul, et il n ’ était W alafrid Strabon, Glossa ordinaria, P. L., t. exiv,
pas nécessaire de la leur décrire; un sim ple rappel col. 587, par L anfranc, Episl. b. Pauli apostoli ad Eph.,
eût suffi pour eux. L ’ explication est donnée à des P.L., t. c l , col. 287-288, et par Pierre L om bard, P. L.,
lecteurs qui pouvaient ignorer l ’ origine de cette m is ­ t. cxcii, col. 169, avec l ’ addition : per Thycicum dia­
sion et à qui il im portait de la faire connaître. A ssu ­ conem. Il a été transcrit purem ent et sim plem ent par
rém ent, la conjonction εΐγε n ’ exprim e aucundoutc sur C laude de T urin, In Epist. ad Eph., P. L., t. Civ,
le fait, dont les lecteurs auraient pu entendre parler; col. 842, par A tton de V erceil, In Epist. ad Eph.,
elle a plutôt le sens em phatique que le sens négatif. P. L., t. exxiv, col. 545-546, et par saint B runo,
N éanm oins, cette form e de langage étonne vis-à-vis In Epist. ad Eph., P. L., t. cuit, col. 315-316.
des Éphésiens, qui vraisem blablem ent connaissaient Le fond en a été adopté par saint Thom as, Epist.
tous les détails de la vocation apostolique de saint ad Eph., prol. et c. I, led. ni, Opera, Paris, 1876,
Paul, et il n ’ y avait nul besoin deles leur répéter, pas t. xxi, p. 260, 261, par D enys le C hartreux, Epist.
plus que de leur faire rem arquer que l ’ apôtre avait ad Eph., dans Opera, M ontreuil, 1901, t. xm , p. 297,
l ’ intelligence du m ystère chrétien, 4, et que son ensei­ et par A ureoli (xiv° siècle), Compendium sensus litte­
gnem ent était conform e à celui des autres apôtres, ralis totius divines Scripturæ, Q uaracchi, 1896, p. 292.
5, 6. E nfin, saint Paul term ine la description des Ce sentim ent n ’ est que l'écho inconscient de l ’ hypo ­
désordres des païens par ces m ots : « M ais, pour vous, thèse m arcionite d'une lettre par laquelle saint Paul
ce n'est point ainsi (avec ces sentim ents) que vous reprenait les Laodicéens qui avaient été prévenus
avez connu le C hrist, si du m oins vous l ’ avez entendu par de faux apôtres et qu ’ il n ’ avait pas vus.
et si vous avez été instruits en lui, » iv, 20, 21. Ici Si le caractère général de la lettre n'em pêchait pas
encore, ε'γε n ’ exprim e aucun doute sur la conversion ces com m entateurs catholiques de reconnaître dans
des destinataires de la lettre au christianism e, puisque les Éphésiens scs seuls destinataires, c ’ était par suite
l ’ apôtre n'aurait pas écrit à des païens. N éanm oins, il de l ’ erreur historique sur la non fondation de l ’ Église
reste surprenant que Paul se soit exprim é ainsi au d ’ Éphèse par saint Paul ; dans cette fausse supposition,
sujet de fidèles qu ’ il avait évangélisés et qui lui de­ ils adm ettaient facilem ent que saint Paul avait con-
vaient d ’ avoir connu Jésus-Christ et l ’ Évangile. Ces firm é dans la foi les Éphésiens qu ’ il n ’ avait pas encore
paroles conviennent m ieux à des chrétiens que l ’ apôtre vus. M ieux instruits sur la fondation de la com m u ­
n avait pas catéchisés et dont il ignorait le degré nauté chrétienne d ’ Éphèse par saint Paul, beaucoup
d ’ instruction religieuse. de critiques m odernes au xix e siècle, se ralliant à un
179 E P H ES IE N S (E P IT R E A U X ) 180

sentim ent exprim é déjà par U sher, de 1650 à 1654, concilier les pétriniens et les pauliniens, en faisant
ont déclaré que l ’ É pître dite aux Éphésiens n ’ a pas du C hrist le centre de l ’ unité dans l ’ Église. Les dis ­
été adressée aux Éphésiens. m ais que, com m e le prouve ciples de B aur ont nuancé diversem ent cette intention
son caractère général, elle était une lettre circulaire conciliatrice; la lettre était écrite ou bien pour favo ­
destinée à un certain nom bre d ’ Églises asiates, que riser les païens attaqués par les judaïsants (H ilgenfeld
l ’ apôtre ne connaissait pas pour la plupart. C ’ est et K lôpper), ou bien, au contraire, pour réprim er la
pourquoi elle ne contenait aucun détail personnel, licence des païens convertis et l ’ antinom ism e qui les
aucune salutation, et elle traitait un sujet général et poussait à rom pre avec les judéochrétiens (Pflcidcrer).
didactique, be porteur T ychique devait donner de Le but de l ’ apôtre aurait donc été indirectem ent polé ­
vive voix les explications nécessaires.C ette circulaire m ique.
devait être transm ise de Laodicée à Colosses. Col., iv, 2. D ’ autres, ne trouvant dans l ’ É pître aucune
16. C ependant ce dernier point crée une difficulté. intention polém ique, m êm e indirecte, n ’ y découvrent
Puisque l ’ É pître aux C olossiens roule sur le m êm e qu ’ un but exclusivem ent didactique, m ais en sens
thèm e, puisque Tychique, son porteur, Col., iv, 7, différents. Pour les uns, c ’ est une lettre pastorale,
aurait pu laisser à Colosses copie de la circulaire en de nature très générale, sans portée dogm atique,
rem ettant la lettre spéciale, on ne voit pas pourquoi écrite dans un but surtout pratique, pour réunir les
la circulaire aurait dû revenir de Laodicée à cette ville. juifs et les païens dans l ’ Église unique (Reuss, H oltz ­
Pourquoi aussi faire lire aux Laodicéens l ’ É pître aux m ann, von Soden). Pour A . Sabatier, le but de l ’ É pître
C olossiens? O n peut, il est vrai, supposer que, com m e est tout spéculatif : l ’ apôtre y tente un essai de m éta ­
l ’ Église de C olosses avait eu besoin d ’ une lettre spé ­ physique chrétienne, dans lequel il expose et déroule
ciale en raison des erreurs qui avaient cours chez elle le plan éternel de la rédem ption, em brassant non seu ­
et contre lesquelles elle devait être prém unie, celle lem ent la série des âges, m ais i ’ univcrs entier. L ’apôtrc
de Laodicée, éloignée de Colosses de quelques lieues Paul, 3 ’ édit., Paris, 1896, p. 247. Pour F. G odet, le
seulem ent, courait le risque de subir la prem ière le but de l ’ É pître est surtout m oral : l ’ apôtre veut
contrecoup des fausses doctrines répandues dans la engager les Églises d ’ A sie, en m ajeure partie pagano-
com m unauté voisine, et avait profit à lire, m êm e après chrétiennes, à élever leur conduite m orale à la haute
la circulaire, la lettre spéciale aux Colossiens. L ’ hypo- ; sainteté que réclam e leur dignité de m em bres du corps
thèse d ’ une lettre circulaire ne résout donc pas toutes m ystique du C hrist.
les difficultés. E lle est toutefois suffisam m ent fondée 3. Plus probablem ent, le but de l ’ apôtre était pré ­
pour se concilier non seulem ent avec l ’ origine pauli- ventif et prophylactique. B ien que l ’ É pître soit un
nicnne de l ’ É pître, m ais m êm e avec la tradition una- : exposé positif de doctrine, on sent que saint Paul veut
nim e de l ’ Église à v reconnaître une lettre aux É phé ­ barrer le chem in à des idées particulières, contraires
siens. L ’ Église d ’ Éphèse rentrait dans le cercle des à l ’ Évangile. S ’ il recom m ande l ’ unité dans la foi et
com m unautés chrétiennes auxquelles elle était des ­ la connaissance du Fils de D ieu, pour que ses lecteurs
tinée. U ne copie, au m oins, en aurait été laissée à ne soient plus des enfants, ne flottent pas à tout vent
É phèse par Tychique, et cette copie aurait servi à de doctrine par la trom perie et la ruse des hom m es,
form er le recueil com plet des É pîtres de saint Paul. iv, 13, 14, il a en vue un danger qui les m enace et
La lettre, quoique circulaire et encyclique, aurait par qu ’ il veut éloigner. Il se propose de prévenir certaines
suite passé com m e adressée aux seuls Éphésiens, et erreurs et de réagir contre elles, en exposant le plan di­
cette persuasion lui aurait fait donner le titre, qu'elle vin de la révélation. Il ne les com bat pas directem ent,
a toujours porté dans la tradition ecclésiastique, il cherche à les détruire par l ’ énoncé des vérités
d ’ É pître aux Éphésiens. chrétiennes, qui leur sont opposées. Ces erreurs sont
III. O c c a s io n e t b u t . — L ’ É pître ne nous fournit analogues, sinon m êm e identiques, à celles qu ’ il vise
aucun renseignem ent direct sur les circonstances dans expressém ent dans la lettre aux Colossiens : spécula ­
lesquelles elle a été écrite, et la tradition ecclésiastique tions sur les anges et pratiques ascétiques pour par ­
n ’ a pas suppléé à ce silence. O n est donc réduit à de venir à une sainteté supérieure. V oir t. m , col. 380-381.
sim ples conjectures, fondées tout au plus sur le carac ­ Ces fausses doctrines, qui atteindront leur plein déve ­
tère, d'ailleurs général, du contenu de la lettre, et loppem ent et leur systém atisation dans le gnosti ­
aussi sur les rapports avec l ’ É pître aux Colossiens. cism e du n fl siècle, pouvaient se répandre de Colosses
1° Occasion. — Prisonnier à R om e, saint Paul avait dans les Églises voisines. L ’ apôtre prém unit celles-ci
appris d ’ É paphras, si rem pli de sollicitude pour les contre elles par une circulaire de principes, tandis que
Églises de Colosses, de Laodicée et d ’ H iérapolis, l ’ É pître aux C olossiens était directem ent polém ique.
Col., iv, 12,13, quelle était, au point de vue religieux IV. L i e u e t d a t e . — 1° C ontem poraine des lettres
et m oral, la situation de la com m unauté de Colosses aux Colossiens et à Philém on. l ’ É pître aux Éphésiens
en particulier, et probablem ent aussi des autres com - a été écrite, com m e elles,par l ’ apôtre prisonnier pour
m unautéschrétiennes de l ’ A sie proconsulaire. Il écrivit Jésus-C hrist et enchaîné. E ph.. ni, 1; iv, 1; vi, 20;
donc une lettre spéciale aux Colossiens, sur le com pte Col., iv, 3, 10, 18; Philem ., 9. 23. Si elle est, com m e
desquels il était m ieux renseigné, voir t. ni, col. 380, on le pense généralem ent, de la m êm e époque que la
avec le billet à Philém on, et en m êm e tem ps une lettre aux Philippicns, rédigée, elle aussi, par saint
seconde lettre, plus générale, pour les Églises voisines Paul dans les fers, Phil., i, 7.13,17, elle a été, com m e
dont la situation était à peu près sem blable. cette dernière, Phil., iv, 22, com posée à R om e et. par
2» But. — Le but de l ’ apôtre répondait vraisem ­ suite, durant la prem ière captivité de l ’ apôtre en cette
blablem ent à la situation religieuse et m orale de ces ville, en 61 ou 62. D epuis D avid Schulz (18291, plu ­
Églises, telle qu ’ il la connaissait par É paphras. N ous sieurs critiques, surtout protestants, ont prétendu
ne la connaissons, nous, que par la lettre elle-m êm e, cependant que les trois É pîtres aux C olossiens, aux
et com m e elle n ’ y est pas nettem ent dessinée, les Éphésiens et à Philém on dateraient de l ’ em prisonne ­
exégètes l'ont déterm inée diversem ent et, par suite» m ent de saint Paul à C ésarée en 57-59. A ct., xxm . 35;
ont attribué à saint Paul des buts différents. xxiv, 22, 27. En quittant C ésarée pour aller en Italie,
1. C om m e le ton de la lettre est irénique, tout but l ’ apôtre avait pour com pagnons. A ct., xxvii. 2, Luc,,
directem ent polém ique doit être écarté. Com m e, nom m é Col., iv, 14; Philem ., 24, et A ristarque. m en ­
u ’ autre part, l ’ auteur s'adresse tour à tour aux païens tionné Col., IV. 10; Philem ., 24. O r, il dit qu ’ A ris-
et aux juifs convertis, selon B aur, cet auteur, qui tarque était prisonnier avec lui, Col., iv, 10; ce qui
n'était pas saint Pau), écrivait dans le dessein de ré ­ n ’ a pu se produire à C ésarée, où l ’ apôtre, enferm é au
181 É P H É S IE N S (É P IT R E A U X ) 182

prétoire d ’ A grippa, ne pouvait com m uniquer avec parallèlem ent,quoique la distinction des deux ordres
ses am is. A ct., xxiv, 23. Il paraît donc plus vraisem ­ d ’ intention et d ’ exécution soit fondée. L a form e
blable que la captivité, qui sert à dater cette É pitre, littéraire de cette longue proposition conduit à la
est celle de R om e. Les souscriptions des m anuscrits diviser en trois parties, débutant par un participe
grecs én m cent cette conclusion. Cf. H . von Soden, aoriste, 3 b, 5, 9, et décrivant parallèlem ent les bien ­
Die Sehrif’cn des N. T., B erlin. 1932. t. i. p. 3ll0. faits divins.
2° O n s ’ est dem andé laquelle des deux É pitrcs aux 1° Les bénédictions spirituelles descendues des
Colossiens et aux Éphésicns, qui se ressem blent, non cicux sur les chrétiens, unis au C hrist, sont fondées
seulem ent par un certain nom bre d ’ idées et de term es sur le plan divin du salut, conçu de toute éternité.
com m uns, m ais plus intim em ent et plus profondém ent, C onform ém ent à ce plan, D ieu avait choisi et élu
ayant m êm e contenu, m êm e plan, m êm e développe ­ les chrétiens pour être saints et sans reproche à ses
m ent, m êm e m éthode, et tendant un peu diversem ent yeux dans la charité. L ’ élection divine avait donc
au m êm e but, avait été écrite la prem ière. Les avis pour but la sainteté m orale, réelle, personnelle et
ont été partagés et on a reconnu la priorité, tantôt à positive, que les chrétiens devaient acquérir par la
l'une, tantôt à l ’ autre. D e ces deux lettres com plé ­ charité qui rend saints et sans reproche. Elle n'était
m entaires et véritables sœ urs jum elles, celle qui a pas, com m e on le pense souvent, une conséquence
été provoquée par une dém arche positive et par un de la prédestination, car le participe προορίσας n ’ est
besoin déterm iné, sem ble avoir précédé l ’ autre, qui pas subordonné au verbe έξελέζο.το et l ’ objet de la
traite du m êm e sujet, m ais qui est due à une préoccu ­ prédestination est foncièrem ent le m êm e que celui
pation plus étendue. Il y a entre elles unité d ’ inspira ­ de l ’ élection. L a prédestination pourrait donc être
tion, identité de m atière développée deux fois. Elles sim ultanée; c ’ est, au m oins, un acte parallèle à l ’ élec ­
ont été écrites dans les m êm es circonstances, et peut- tion, et un nouveau bienfait de D ieu, qui a désigné
être, à quelques jours d ’ intervalle seulem ent.V raisem ­ d ’ avance les chrétiens à être ses fils adoptifs par
blablem ent donc, l ’ É pître aux C olossiens a été rédigée Jésus-C hrist, d ’ après le bon plaisir de sa volonté,
la prem ière en vue des erreurs répandues à C olosses; parce qu ’ il l ’ a voulu, en pleine liberté et indépendance,
l ’ É pître circulaire a été com posée ensuite à un point plutôt que par bienveillance, et cela, pour la gloire
de vue plus général. L ’ apôtre, visant des situations en les unissant à celui qui les a aim és et en qui ils
presque identiques, l ’ esprit pénétré des m êm es idées, possèdent la rédem ption. L 'adoption divine les fait
les a répétées, sans chercher à varier ses expressions. passer de la condition d ’ esclaves (du péché, de la
Le Père Lem onnyer a reconnu dans cette dernière chair, de la loi) à celle de fils; elle n ’ est qu ’ im
« un décalque, m ais très libre et m agistral, de la lettre autre aspect de la vie sainte et irréprochable. Saint
aux C olossiens. · Épîtres de sainl Paul, 2 e édit., Paul affirm e l ’ élection et la prédestination des chré ­
Paris, 1905, t. n, p. 76. tiens, sans m arquer les rapports de ces deux actes
V. D i v i s i o n e t d o c t h in e . — A près l ’ adresse pro ­ du plan divin.
prem ent dite, i, 1, 2, cette lettre, com m e la plupart 2° C ette prédestination à l ’ adoption s ’ est donc
des É pîtres de saint Paul, peut se diviser, d ’ après la réalisée en Jésus, et les chrétiens qui lui sont intim e ­
nature générale du contenu,en deux parties princi ­ m ent unis, possèdent réellem ent la rédem ption, non
pales, à peu près égales : dans la prem ière, qui est pas seulem ent la délivrance du péché, m ais cette
dogm atique, i, 3-m , 21. l ’ apôtre expose, sous form e délivrance de l ’ état d ’ esclave opérée par rançon, par
d'action de grâces et de prière, les bienfaits spirituels rachat, au m oyen d ’ un prix payé (λύτρον), au prix
que D ieu a accordés aux hom m es et surtout aux du sang du C hrist versé sur la croix. Ε ’ άπολύτρωσις
gentils par Jésus-Christ, et il développe le plan divin désigne, dans une inscription de Cos, de l ’ an 53 après
du salut de l ’ hum anité par Jésus; dans la seconde, Jésus-Christ environ, la libération sacrée obtenue
qui est m orale, tv, 1-vi, 20, il indique les devoirs qui après que les prêtres ont accom pli le sacrifice néces ­
incom bent aux chrétiens, s ’ ils veulent m ener une vie saire pour l ’ avoir et le λύτρον est le prix payé pour
digne des grands bienfaits qu ’ ils ont reçus de D ieu. l ’ affranchissem ent des esclaves, parfois peut-être par
L ’ épilogue final, vi. 21-21, contient la recom m anda ­ l ’ offrande d ’ un sacri lice aux dieux. A . D eissm ann,
tion de Tychique et la salutation générale de l ’ apôtre. Licht vom Osten, Tubingue, 1908, p. 179. A ppliqué
i. d o g m a t iq u e . — La prem ière partie ne présente par analogie à l ’ œ uvre rédem ptrice du C hrist, le m ot
pas un plan bien régulier et n ’ a pas de divisions logi ­ άπολύτρωσις doit-il être pris à la lettre, dans le sens
ques bien tranchées. Toutefois, d ’ après la form e du de rançon payée, ou com m e m étaphore seulem ent,
discours, on peut distinguer trois sections, dont la qu ’ il ne faut pas presser et qui signifierait que, par
prem ière est une action de grâces, la deuxièm e une am our pour nous, Jésus, en versant son sang, a rem pli
action de grâces et une prière et la troisièm e une une condition onéreuse pour obtenir notre délivrance?
prière seulem ent. Stevens, The Theology of the New Testament, Édim -
1™ section. Actionde grâces pour les bienfaits généraux bourg, 1901, p. 412;J. R ivière, Le dogme de la ré­
de Dieu envers les chrétiens, i, 3-14. — Les com m enta ­ demption, Paris, 1905, p. 51 : F. Prat, La théologie de
teurs distribuent ordinairem ent les bienfaits divins dé ­ saint Paul, Paris, 1908, 1.1,p. 283, adoptent la seconde
crits par Paul suivant l ’ ordre chronologique, en rem on ­ explication.Le Père Lem onnyer m aintient avec raison
tant à l ’ élection et à la prédestination, et distinguent, la signification rigoureuse de rachat et de paiem ent,
dans cette section, l ’ ordre de l ’ intention de l ’ économ ie d ’ une rançon payée par la m ort expiatoire du Sau­
du salut de toute éternité, 4-6, et celui de l ’ exécution veur. Les Épîtres de saint Paul, t. n, p. 84. La condition
dans le tem ps, 7-14, ou trois bienfaits distincts,l’ élec ­ onéreuse rem plie pour obtenir notre délivrance est
tion et la prédestination par le Père, 4-6, la rédem p- la satisfaction donnée par le C hrist à la colère divine
îion par le Fils. 7-12, la sanctification et la glorifica ­ qui nous avait livrés en châtim ent de nos péchés à
tion par le Saint-E sprit. 13, 14. U n m êm e refrain : la dom ination m ortifère des puissances adverses. Col.,
• pour la gloire de D ieu », term inerait l ’ exposé de n, 14,15. E .Tobac. Le pro blême de la justification dans
chacun de ces bienfaits. M ais cette phrase répétée saint Paul, Louvain, 1908, p. 143. La rém ission,
n ’est pas un refrain, pas plus que cette autre ; « selon αφεσις , des péchés est la rem ise com plète d ’ une dette.
le bon plaisir de sa volonté », 5, 9, 11; ces phrases Cf. A . D eissm ann, Bibclsludien, M arbourg, 1895, p. 94-
ont plutôt de sim ples répétitions de pensées chères 97. N otre rédem ption et le pardon de nos fautes
à saint Paul. D ’ autre part, dans la section entière, la procèdent de l ’ im m ense am our de D ieu, qui a accepté
prédestination et la collation de la grâce sont exposées la rançon payée par son Fils et qui a répandu sur nous
183 É P H É S IE N S (É P IT R E A U X ) 18-4

sa grâce, au delà de ce qui était nécessaire, dans une dans les chrétiens eux-m êm es. Ils étaient m orts spiri ­
m esure surabondante, i, 3 b-8a. tuellem ent par leurs chutes et leurs errem ents, quand
3· · D ieu nous a donné, avec sagesse et intelligence, autrefois ils m archaient en m enant le train de vie du
la révélation du secret de sa volonté, du dessein m onde corrom pu, en subissant l ’ influence du prince
éternel selon lequel, dans son bon plaisir, il avait pro ­ des puissances de l ’ air, de cet esprit qui continue à agir
jeté en lui-m êm e de réaliser, lors de la plénitude des sur ceux qui ne croient pas à l ’ E vangile, et en accom ­
tem ps, le groupem ent, la réunion, sous un seul chef plissant les volontés de la chair. Ils étaient alors, par
ou au m oins en un seul centre d ’ unité, de toutes nature, par constitution propre, par leur condition
choses, de toutes les créatures raisonnables, célestes naturelle, plutôt que par naissance, enfants de colère,
et terrestres, dans le C hrist, sous sa sujétion et sa objets de la colère divine, com m e les païens non con ­
dom ination. O r, en ce C hrist, centre de tout, païens vertis. M ais D ieu, qui est riche en m iséricorde et
et j uifs convertis ont obtenu, en outre de la rédem ption, rem pli de com passion pour les m isérables, par la
une part d ’ héritage, le salut, y ayant été prédestinés, grande charité dont il les a aim és, alors qu ’ ils étaient
conform ém ent au dessein du créateur de toutes choses m orts, les a vivifiés tous ensem ble avec le C hrist,
et selon le plan de sa volonté, à l'honneur de sa gloire, en leur rendant la vie perdue par le péché, car c ’ est
pour que les judéochrétiens, qui avaient jadis espéré par grâce qu ’ ils ont été sauvés; il les a ressuscités
dans le C hrist, contribuent à faire proclam er et et les a fait asseoir auprès de lui dans les cieux en la
exalter sa gloire. E n lui encore, les païens convertis, personne m êm e de Jésus-C hrist, dont la résurrection
ayant entendu de la bouche des prédicateurs la parole et le triom phe son t les garan ts assurés delà résurrection
de vérité de l ’ Évangile du salut et y ayant ajouté foi, et de la gloire céleste des chrétiens; En agissant ainsi,
ont été m arqués du sceau de l ’ E sprit-Saint de la pro ­ son but était de m ontrer dans les tem ps futurs la
m esse. Ce sceau ne désigne ni le baptêm e, ni la confir ­ richesse surabondante de sa grâce par son indulgente
m ation, m ais l ’ infusion du Saint-Esprit, prom is par bonté nianifestée en Jésus-Christ. E n effet, c'est par
D ieu, dans l ’ âm e du chrétien, qui en est m arquée la grâce de D ieu que les pécheurs sont sauvés par le
com m e d ’ un sceau, et cet E sprit donné est, pour cette m oyen de la foi. Leur salut ne vient pas d ’ eux, ni de
âm e, les arrhes de l ’ héritage divin, non pas le gage, pi­ leurs œ uvres, pour que personne n ’ en conçoive de
gnus, com m e traduit la V ulgate, m ais une part de l'orgueil; c ’ est le don de D ieu. Le chrétien sauvé est
l ’ héritage, une avance sur le salut éternel assuré, sur l ’ ouvrage de D ieu, une nouvelle créature, G ai., vi, 15 ;
la rédem ption pleine et entière, sur la libération défi ­ II C or., v, 17; il l ’ est en Jésus-C hrist, par son union
nitive, réservée au peuple dont D ieu a faitsa propriété, avec lui, ct cet être nouveau est capable d ’ accom plir
et cela encore à la louange de la gloire divine, 8 6-14. les bonnes œ uvres, pour lesquelles D ieu avait m is
Cf. H . C oppieters, La doxologie de la lettre aux Éphé- d ’ avance en lui les dispositions nécessaires à leur
siens, dans la Revue biblique du l 01, janvier 1909, accom plissem ent, Π , 1-10.
p. 74-88. Les païens convertis doivent donc se souvenir tou ­
2 e section. Action de grâces à Dieu pour la foi et la jours de ce qu'ils étaient avant leur conversion : sépa ­
charité des chrétiens, et prière pour que Dieu leur fasse rés du C hrist, étrangers aux privilèges religieux de
comprendre la grandeur de leur vocation et de la gloire la nation Israélite et aux prom esses de l ’ alliance, sans
qui les attend, i, 15-n, 22. — 1° A yant donc appris la espérance du ciel et sans D ieu sur terre. M ais m ainte ­
foi et la charité de ses lecteurs, l ’ apôtre ne cesse d ’ en nant qu ’ ils sont unis au C hrist Jésus, eux qui naguère
rendre grâces à D ieu, quand il se souvient d ’ eux dans étaient loin du royaum e de D ieu en sont rapprochés
ses prières, dem andant que le Seigneur leur donne, par le sang du C hrist. Le C hrist lui-m êm e est la paix,
non pas l ’ E sprit de sagesse et de révélation, qui se parce qu ’ il a fait des juifs et des païens un seul peuple,
m ontrerait actif dans le m aintien et le développem ent ayant renversé la loi m osaïque, cette clôture qui for ­
de la foi, E. Tobac, op. cit., p. 230, m ais plutôt un m ait un m ur de séparation entre eux, ayant détruit
esprit de sagesse et de révélation, pour reconnaître la cause de leur inim itié; il l ’ a fait en abrogeant par sa
la vérité et pénétrer le m ystère de la foi, en connaissant m ort la loi qui contient des com m andem ents form ulés
D ieu d ’ une science plus parfaite, dem andant aussi que en préceptes, afin de créer des deux, juifs et païens,
le Seigneur illum ine leur intelligence, afin qu ’ ils en les unissant en lui, un hom m e nouveau, ayant un
sachent quelle espérance est attachée à leur vocation, esprit nouveau pour m archer en nouveauté de vie, par
et quelle est la surém inente grandeur de sa puissance le renouvellem ent produit en eux, cf. Trench, Syno­
à l'égard des croyants, i, 15-19 a. C ette puissance nymes du Nouveau Testament, trad, franç., B ruxelles,
s'est déployée avec l ’ énergie de toute la vigueur de 1869, p. 248-249, ct afin de les réconcilier tous deux
sa force, d ’ abord, dans la résurrection du C hrist, son par la croix, de m anière à form er un seul corps qui
association au gouvernem ent du m onde, sa dom ina ­ est l ’ Église, pour D ieu. Il a détruit par sa croix, et
tion sur toutes les puissances célestes et sur toutes les pour toujours, l ’ inim itié des juifs et des païens, et,
créatures, m ises à ses pieds, et la donation que D ieu a lorsqu ’ il est venu parm i les hom m es, il a prêché, com m e
faite de lui à l ’ Église, com m e chef souverain et su ­ une bonnenouvelle, la paix aux uns et aux autres. C et
prêm e. Ici, l ’ Église est entendue au sens collectif et enseignem ent était fondé sur ce que tous possèdent
désigne l ’ ensem ble des Églises, constituant un tout. par lui le droit d ’ aller à D ieu le Père librem ent, faci ­
O r, elle est le corps du C hrist, son chef. D e m êm e lem ent et en toute assurance com m e des fils vont à
que, dans l'hom m e, la tête dom ine et gouverne tout leur père, dans un seul et m êm e esprit. Les païens
le corps, ainsi le C hrist ressuscité et glorifié au ciel convertis ne sont donc plus des étrangers, habi ­
dom ine et gouverne l ’ Église entière, qui est son tant loin du royaum e de D ieu, ou dom iciliés dans
corps, en tous ses m em bres, en leur com m uniquant ce royaum e, sans y avoir droit de cité: ils sont des
l ’ influx vital. D e plus, l ’ Église, corps du C hrist, est concitoyens des saints ou des chrétiens, et des m em bres
son com plém ent com m e le corps com plète la tête. de la fam ille de D ieu, édifiés qu ’ ils ont été sur le
Le C hrist a beau rem plir tout de sa plénitude, il a fondem ent que form ent les apôtres et les prophètes
besoin d ’ un com plém ent pour exercer son action du N ouveau T estam ent, Jésus-Christ en personne
rédem ptrice et l ’ Église le com plète et achève son étant pierre d ’ angle de l ’ édifice entier. Ils ne sont pas
action, en étant l ’ organism e par lequel la grâce du seulem ent des enfants dans la m aison de D ieu: lors
chef se rénand dans les m em bres de ce corps m ys ­ de leur conversion, ils sont entrés dans la bâtisse de
tique, r, 19 6-23. V oir t. iv, col. 2150-2151. La puis ­ cette m aison com m e pierres, placées sur d ’ autres
sance divine a déployé ensuite l ’ énergie de sa force pierres, reposant elles-m êm es sur les apôtres et les
185 É P H É S IE N S (É P ÎT R E A U X ) 186

prophètes, fondem ent unique, pour ainsi dire, d ’ un voulu cette diversité de m inistères pour m aintenir
seul bloc, de l'édifice, Jésus étant lui-m êm e, non pas l ’ unité du corps entier et servir à l ’ avantage de tous, et
clef de voûte, m ais pierre faisant angle pour unir et de chacun de ses m em bres. C ette diversité, établie
consolider les deux m urs qui en partent. V oir F. Prat, en vue de la bonne organisation des saints dans
La théologie de saint Paul, t. i, p. 428-429. E n outre, l ’ Église, fait que l ’ œ uvre du m inistère sera parfaite ­
tout édifice (au sens partitif, sans article), c ’ est-à-dire m ent accom plie et que l ’ édifice du corps du C hrist
chaque construction particulière, toute com m unauté sera continué et progressera, jusqu ’ à ce que les chré ­
chrétienne, chaque Église, bien agencé, bien joint et tiens soient tous parvenus à l ’ unité de la foi et de la
bien lié, où chaque pièce est à sa place et bien ajustée connaissance supérieure du Fils de D ieu, à l ’ état
aux autres, grandit et se développe en tem ple saint d ’ hom m e fait, à la m esure de l ’ âge m ûr de la plénitude
en union avec le Seigneur, s ’ élève en sanctuaire consa ­ du C hrist, c ’ est-à-dire à la m aturité de la perfection
cré. Les païens convertis sont entrés, eux aussi, com m e à laquelle est arrivé le C hrist glorifié. F. Prat, op. cil.,
m atériaux, unis à d ’ autres ou ensem ble, pour form er, p. 412-413. En tendant à cet idéal et en nous en rappro ­
dans leurs propres com m unautés, une dem eure où chant, nous ne serons plus des enfants ballottés et
D ieu habite et ils la form ent par le Saint-Esprit qui flottants à tout vent de doctrine, exposés à être trom ­
les anim e, n, 11-22. pés par la tricherie des hom m es et par les ruses con­
3° section. Prière pour que les chrétiens persé- form es aux procédés artificieux de l ’ erreur; au con ­
rèrent dam leur sainte vocation, ni, 1-21. — A près une traire, attachés ferm em ent à la vérité avec charité
longue parenthèse, dans laquelle il expose qu ’ il a reçu pour nos frères, nous croîtrons à tous égards en vue
par une révélation spéciale, connaissance du m ystère d ’ être unis étroitem ent, com m e m em bres du corps
du salut, 2-6, et m ission d ’ annoncer l ’ É vangile aux de l ’ Église, au C hrist qui est la tête de ce corps et dont
gentils, 7-13, l ’ apôtre reprend sa prière interrom pue tout le corps, l ’ Église entière, est bien coordonné,
et il prie le Père universel, dont la paternité est abso ­ tous les m em bres étant à leur place naturelle et soli ­
lue, de. donner à ses lecteurs d ’ être puissam m ent affer ­ dem ent unis par les jointures de toute sorte de l ’ adm i­
m is ou fortifiés par son Saint-E sprit, relativem ent à nistration. Les m em bres étant ainsi ajustés et reliés,
ce qui constitue l ’ hom m e intérieur, dans leurs pensées le corps entier progresse suivant un m ode d ’ opération
et leurs sentim ents chrétiens, de sorte que le C hrist proportionné à la m esure de chacun pour son édifi­
habite d ’ une façon perm anente par la foi dans leurs cation propre dans la charité.
cœ urs. Il dem ande encore qu ’ étant enracinés et fondés 2° Exhortation ci ne plus vivre en païens, mais
dans la charité, ayant pris racine et fondem ent dans en chrétiens, iv, 17-v, 20. — Les païens vivent dans
l ’ am our, ils aient la force et soient capables de com ­ l ’ ignorance de D ieu et dans l ’ im pudicité. Cf. R om ., i,
prendre, d ’ accord ou unis avec tous les saints, quelle 18-32. Les chrétiens, conform ant leur vie à leur foi.
est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, doivent se dépouiller du vieil hom m e, corrom pu par
c ’ est-à-dire l ’ am pleur, l'im m ensité de cet am our de les passions trom peuses, se renouveler intérieurem ent
D ieu ou du C hrist, dans lequel ils sont enracinés et dans leurs pensées, leurs jugem ents et leurs volontés,
fondés, et de connaître l'am our du C hrist pour eux, et revêtir l ’ hom m e nouveau, non pas Jésus-C hrist,
am our qui dépasse toute connaissance. L a fin dernière m ais l'hom m e renouvelé par sa conversion qui a été
de ce don divin dem andé par saint Paul, c ’ est que les créé à l'im age de D ieu ou com m e D ieu le veut, dans
chrétiens soient rem plis de la plénitude des grâces la justice et la sainteté réelles et véritables. Par suite,
et des dons spirituels, qui provenaient de D ieu, 14-19. ils doivent éviter le m ensonge, la colère, le vol, les
V oir F. Prat, op. cil., p. 412. A celui qui peut faire paroles inconvenantes, dire la vérité et des paroles
beaucoup plus que ce que nous som m es capables de d ’ édification, pratiquer la charité fraternelle, et la
lui dem ander et m êm e de concevoir, soit la gloire qui chasteté, vivre com m e des enfants de lum ière, faire
lui est due dans l ’ Église et en Jésus-Christ pour tous un bon em ploi du tem ps, pratiquer la volonté de D ieu
les âges jusqu ’ au dernier siècle des siècles, 20, 21. et prier continuellem ent.
il. m o r a l e . — Les devoirs, qui incom bent aux 2° section. Devoirs spéciaux aux différentes condi­
chrétiens s ’ ils veulent m ener une vie digne des bien ­ tions de la société domestique, v, 21-vi, 9. — 1° Devoirs
faits qu ’ ils ont reçus de D ieu, sont com m uns à tous mutuels des époux, v, 22-24. — 1. Soum ission de la
ou spéciaux aux différentes conditions de la société fem m e à son m ari com m e au Seigneur Jésus, non
dom estique. com m e à son seigneur. R aison : le m ari est le chef de
7 rc section. Devoirs communs à tous les fidèles, iv, la fem m e com m e le C hrist est le chef de l ’ Église. Le
l-v,20. — 1° L ’unité dans la foi et la charité, iv, 1-16. — C hrist est, en outre, le sauveur de l ’ Église, son corps
C ’ est la conséquence de l ’ unité établie dans l ’ Église par m ystique, ce que le m ari n ’ est pas à l ’ égard de sa
la réconciliation des juifs et des païens. 1] faut hum ilité, fem m e. N éanm oins, de m êm e que l ’ Église est soum ise
douceur, patience,pour s ’ efforcer de garder l ’ unité de au C hrist, qu ’ ainsi les fem m es soient soum ises aussi
l ’ esprit par le lien M e la paix. Les chrétiens form ent à leur m ari en toutes choses. — 2. A m our du m ari pour
tous un seul corps, l ’ Église, ils ont un seul E sprit, qui sa fem m e. Sa m esure : com m e le C hrist a aim é l ’ Église
habite en eux et les fait m em bres vivants du corps et s ’ est livré pour elle à la m ort, afin de la sanctifier
de l ’ Église, la m êm e béatitude à espérer. Pour eux, en la purifiant dans le baptêm e pour se la présenter
il y a un seul Seigneur Jésus, chef de l ’ Église, une à lui-m êm e com m e une fiancée bien parée, sans tache,
seule foi, les m êm es vérités à croire, un seul baptêm e, ni ride, sainte et irréprochable. Sa raison : les hom m es
com m e rite d ’ initiation et bain pour laver les péchés, doivent aim er leurs fem m es, parce qu ’ elles sont leurs
un seul D ieu, Père de tous, agissant et dem eurant en propres corps; celui qui aim e sa fem m e, s ’ aim e lui-
tous, 1-6. V oir F. Prat, op. cil., t. i, p. 426-428. Tou ­ m êm e. Personne, en effet, ne hait sa chair; il la nourrit
tefois. cette unité n ’ exige pas l ’ égalité parfaite des et en prend soin com m e le C hrist fait pour l ’ Église,
<lons surnaturels et n ’ exclut pas la diversité des puisque les chrétiens, m em bres de l ’ Église, sont les
organes et des m em bres dans l ’ unique corps de l ’ Église. m em bres de son corps et sont ainsi de sa chair et de
C hacun a reçu les dons surnaturels dans la m esure ses os, ne faisant avec lui qu ’ une seule personne. C ette
suivant laquelle le C hrist les lui a répartis. Ce principe union m orale, qui fait des chrétiens et de l ’ Église le
est prouvé par le ps. l x v ii , 19, m odifié et appliqué à corps du C hrist, est aussi étroite que l ’ union physique
Jésus-C hrist, et parles faits. Jésus, en effet, a constitué de l ’ hom m e et de la fem m e, qui ne sont qu ’ une seule
lui-m êm e dans l ’ Église des apôtres, des prophètes, des chair dans l ’ acte de la génération des enfants, et elle
évangélistes, des pasteurs et des docteurs, et il a justifie ainsi la raison pour laquelle le m ari doit aim er
ύ87 É P H É S IE N S (É P 1TR E A U X ) — É P H R E M 188

sa fem m e, de m êm e que le C hrist aim e l ’ Église qui est 1 Londres, 1856; D ublin, 1860; Bisping, Erklarung der
son corps. V oir t. iv. col. 2151-2152. Ce m ystère-là, . Briefe an die Ephesier, etc., M unster, 1866; D rach,
celui de l ’ union de l ’ hom m e et de la fem m e en un seul Epitres de S. Paul. 2" édit., Paris, 1896, p. 383-423; M au-
corps, sym bole de l ’ union du C hrist et de l ’ Église, est noury. Commentaire sur Γ Épttre aux Gâtâtes, aux Éphé­
siens, etc., Paris, 1880; A. von H enle, Der Epheserbricf
un grand m ystère, un secret caché et m aintenant des heil. Anostcls Paulus, A ugsbourg, 1890; 2· édit., 1908;
dévoilé par saint Paul, grand par rapport au C hrist V an Stecnkiste. Commentarius in omnes S. Pauli epistolas.
et à l ’ Église, en tant que l ’ union conjugale sym bolise 4’ édit., Bruges, 1886, t. n, p. 1-84; Padovani, Commen­
l ’ union de Jésus-Christ et de l ’ Église en un seul corps. tarius in Epist. ad Eph., Philip, et Colos., Paris, 1892;
Le m ariage chrétien est donc un grand signe de cette A. Lem onnyer, Epitres de S. Paul, Paris, 1905, t. n.
chose sacrée, l'union du C hrist avec l ’ Église, qu ’ il p. 79 sq. ; J. Belser, Der Epheserbrief des Apostels Paulus.
représente. Q uoi qu ’ il en soit de ce m ystère, tous les Fribourg-cn-Brisgau, 1908: K . J. M illier, Des Apostels
m aris sans exception doivent aim er leurs fem m es Paulus Brief an die Epheser, G raz et V ienne. 1909. — 2. Pro­
com m e eux-m êm es, et la fem m e doit craindre son testants.— Sur ceux des χνι· ,χνη· et xvin· sièclcs.voir A b ­
m ari. — 2° Devoirs mutuels des enfants et des parents, bott. A critical and exegeticalcommenlary on the Epistles to
n i , 1-4. — 1. O béissance des enfants à leurs parents,
the Ephesians and to the Colossians, Edimbourg, s. d.,
p. xxxv-xxxvn. Les principaux du xix· et du xx· siècles
dans le Seigneur. Cela est juste et légitim e, conform e sont F. K . M eier, Commentar iiber den Brief Pauli an die
à la loi divine qui ordonne aux enfants d ’ honorer leurs Ephesier, Berlin, 1834: L. R ückert, Der Brief Pauli
parents par un com m andem ent, le prem ier du D éca ­ an die Epheser, Leipzig, 1834; Ellicott, Critical and gram­
logue, D eut., v, 16, qui soit accom pagné d ’ une pro ­ matical Commentary on Ephesians, Londres, 1855; H ar ­
m esse, celle de la félicité tem porelle et de la longévité. less, Commentar ùber den Brief Pauli an die Epheser, 1839;
2. Les pères ne doivent pas exaspérer leurs enfants 2 ’ édit., Stuttgart, 1858: J. Eadie, Commentary on the greek
par trop de rigueur, m ais les élever en les instruisant Text of the Epistles of Paul to the Ephesians, 1861 ; 3° édit..
et en les réprim andant. — 3° Devoirs mutuels des es­ Edimbourg, 1883 ; Bleek, Vorlesungen iiber die Briefe an die
claves et des maîtres, vr, 5-9. — 1. D e la part des Kolosser, den Philemon und die Epheser, Berlin, 1865;
esclaves, obéissance consciencieuse et service affec ­ A d. M onod, Explication de Γ Ep tire de saint Paul aux
tueux. — 2. D e la part des m aîtres, com m andem ent Éphésiens, Paris, 1867; H ofm ann, Der Brief Pauli an die
bienveillant sans recours à la m enace. Epheser, N ordlingen, 1870; J. A. B eet, Commentary on
La partie m orale de l ’ É pître se term ine par une the Epistles to the Ephesians, Philippians, Colossians and
Philemon, Londres, 1890; J. T. Beck, Erklarung des Briefes
exhortation générale à com battre contre le diable avec Pauli an die Epheser, G utersloh, 1891 ; K lüpper, Der Brief
l ’ arm ure du Seigneur et à prier, vi, 10-20. an die Epheser, G cettingue, 1891 ; H . O ltram arc, Commen­
I. C o m m e n t a t e u r s . — 1 ° Pires. — 1. Grecs. — S. Chry-
taire sur les Epitres de S. Paul aux Colossiens, aux Éphé­
sostom e, Ilomiliœ xxvi in Epist. ad Eph., P. G., t. Lxn, siens cl à Philéinon, 3 in-8 ” , Paris, 1891-1892; Von Soden.
col. 9-176; Théodore de M opsueste, In Epist. ad Eph. com­ DieBriefe andie Kolosser, Epheser und Philemon,Tubingue,
ment. fragmenta, P. G., t. LXVI, col. 912-921; Tractatus in 1891 ;2· édit. ,1893 ; J. M acpherson, Commentary on St.Paul’s
Epist. ad Eph., sous le nom de saint H ilaire de Poitiers, dans Epistle to the Ephesians, Edim bourg, 1892; E. H aupt, Die
Pitra,Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 96-127 ; Gefangenschaflbriefe, G œtlingue, 1897 ; A bbott, op. cit.,
Sw ete, Theodori episcopi Mopsuesteni in Epistolas B. Pauli Edim bourg, s. d. (1897) ; 2· édit., 1910; Robinson, St. Paul's
commentarii, Cam bridge, 1880, t. r, p. 112-196; Théodoret, Episilt to the Ephesians, Londres, 1903; K rukenberg,D er
Interpretatio Epist. ad Eph., P. G., t. l x x x i i , col. 505-557; Brief Pauli an dieEpheser. G utersloh, 1903; 2 ’ édit., 1909;
S.JeanD am ascène. In Epist. ad Eph.,P. G., t. xcv, col. 821- P. Ew ald, Die Briefe des Paulus an die Epheser, Kolosser
856;(Ecum enius, Epist.ad Eph.,P. G .,t.c.xvni, col. 1165- und Philemon, Leipzig, 1905; 2« édit. 1910; W estcott,
1256;Théophylacte, Epist. D. Pauliad Eph. expositio, P.G., St.Paul's Epistle to the Ephesians, Londres, 1906; Lueken,
L cxxiv, col. 1032-1137. — 2. Latins. — A m brosiaster, Der Brief an die Epheser, dans Die Schri/len des N. T.,
In Epist. B. Pauli ad Eph., P. L., t. xvn, col. 371-404; 2 ” édit., G cettingue, 1907, t. n, p. 348-372; B aljon, Commen­
Pélage (pseudo-Jérôm e), Commentarius in Epist.ad Eph., tar op de brieven van Paulus aan de Thess., Ef., Koi. en aan
P. L., t. xxx,col. 823-842; pseudo-Prim asius d ’ A drum ète, Philemon, U trecht, 1907 ; J.R utherfurd.Sl. Paul’s Epistles
Epist. B. Pauliad Eph., P. L., t. r.xvtrr, col. 607-626; Se ­ to Colossee and Laodicea, Edim bourg, 1909; G. A lexander,
dulius Scotus, Collectanea in Epist. ad Eph., P. L., t. cul, The Epistles to the Colossians and Ephesians, Londres, 1910;
col. 195-212; W alatrid Strabon, Glossa ordinaria, P. L., G. M ayer, Der Galater und Epheserbrief, G utersloh, 1911.
t exiv, col. 587-602. II. 2 h a v a u x . — H . H oltzm ann, Kritik der Epheser und
2° Du moyen âge.— H aym on d ’ H alberstadt, In Epist.ad E olosserbriefe, 1872; H ort, Prolegomena to St. Paul’s
Eph., P. L.,t.cxvn,col. 698-734; R aban M aur, Expositioin Epistle to the Bomans and the Ephesians, Londres, 1895;
Episl. ad Eph., P. L., L cxn, col. 381-478; A tton de B runet, De Γ authenticité de Γ Epitre aux Ephésiens,Preuves
V erceil, In Epist. ad Eph., P. L., t. cxxiv, col. 545-586; philologiques, Lyon, 1897. O n peut consulter aussi les in ­
H ugues de Saint-Victor, Qwestiones in Epist. ad Eph., P. L., troductions spéciales aux livres du N ouveau Testam ent des
t. Cbxxv,col. 567-576; Lanfranc, Epist. B. Pauliad Eph., catholiques Comely, Schâfer, Trenkle, Jacquier et Belser,
P. I.., t. c l , col. 287-308; H ervé. Co n-nentarius in Epist. des protestants H oltzm ann, B. W eiss, G odet, Jülicher et
Pauli, P.L.,t. cuxxxr.col. 129t-t281; S. Bruno, Expositio Zahn.comm eles dictionnaires et encyclopédies catholiques
in Epist. ad Eph., P. L., t. cent, col. 315-350; Pierre Lom ­ et protestantes de V igoureux, H erberm ann, Sm ith, H as ­
bard, Collectanea, P. L., t. exerr, co'. 169-222; S. Thom as, tings et Cheyne,
Epist. ad Eph., dans Opera, Paris, 1876, t. xxi, p. 260-343; Sur quelques points de la doctrine de cette Épître.voir
D enys le Chartreux, Enarrdio in Epist. B. Pauliad Eph., Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, G and,1884, t I,
dans Opera omnia, M ontreuil, 1901, t. xrn, p. 299-327. p. 13-24; t. n, p. 249-266 (sur l ’ Eglise et le m ariage)
3° Des temps modernes. — 1. Catholiques. — C ajetan, In J ’ ■’ Sin ar, L ie Ί heologie des heiligen Paulus, 2' édit., Fri-
Epist. Pauli, Paris, 1582,etc.; G agnée, Brevissima scholia in bourg-en-Brisgau, 1883, p. 230-z31 (sur l ’ Eglise); J. M é-
Epist. Pauli, Paris, 1543; B. Justiniani, Explorationes in ritan. 1 'ecclésiologie de ΓÉpitre aux Éphésiens, dans la
Episl. Pauli, Lyon, 1612; Estius, In Epist. B. Pauli ad Revue biblique, 1898, p. 343-369; W .-H. GriiTith Thom as,
Eph. commentarius, M ayence, 1859, t. n, p. 319-418; dans Expositor, octobre 1906, p. 318 sq. (sur l ’ Eglise):
Corneille de la Pierre, Commentarius in Epist. ad Eph., F. Prat, I a théologiedesaint Paul, Paris. 1908, t. i,p. 390 sq. ;
dans Commentaria Script, sac., Paris. 1858, t. xvin, p. 58 ’- M . Slavic. Des Ephesier-und Kolosserbriefs I.ehre über die
686 ; B.de Picquim y. Triplex expositio, Paris, 1703 ; C alm et , Person Christi und sein Heilstverk, V ienne. 1911.
Commentaire littéral, etc.. 2 e édit., Paris, 1726, . vin, E. M a n g e n o t .
p. 420-455; N oël A lexandre, Commentarius litteralis
et moralis in omnes Epist. S. Pauli, etc., Rouen, 1710; É P H R E M (Saint), surnom m é le Syrien, né vers
Schnappinger. Der Brief Pauli an die Ephesier, H eidelberg, le com m encem ent du iv« siècle, m ort le 9 juin 373,
1793 ; J. M ac Evilly, Expos it ion of the Ep istles of St. Paul,etc., est, après B ardesane et avec A phraate, le plus
189 É PH R EM (S A IN T ) 190

ancien des écrivains syriens. — I. V ie. II. Œ uvres. 1746, renferm ent les traductions grecques; les trois
III. Leur utilité. derniers, édités et traduits en latin par Pierre
I. V i e . — Sa m ère était originaire d'A m id en M éso ­ M obarak et, après la m ort de celui-ci, par
potam ie et son père de N isibe. C elui-ci était prêtre Éitienne Évode A ssém ani en 1737, 1740, 1743, con
d ’ une idole nom m ée A bnil (ou A bizal). É phrcin na ­ tiennent les textes syriaques de la bibliothèque du
quit donc à N isibe, de parents païens, fut baptisé par V atican. La traduction latine est, en général, m au ­
l ’ évêque Jacques, com posa de nom breuses poésies et vaise, car elle ne conserve ni la division des vers ou
des com m entaires de la B ible et se retira enfin à des strophes, ni le refrain, ni l ’ intonation; de plus,elle
É desse où il m ourut. N ous avons de lui plusieurs est plutôt une am ple paraphrase qui voile le texte :
biographies où il n ’ est pas facile de distinguer l ’ his ­ « O n se persuade difficilem ent que ces longues pé ­
toire de la légende. L 'une a été éditée par A ssé ­ riodes latines, em barrassées et obscures, représen ­
m ani, Bibliotheca orientalis, t. i, p. 26, et en tête de tent une poésie dont le rythm e original est si rapide
l ’ édition rom aine des œ uvres de saint É phrem ; une qu ’ on a pu dire de lui qu'il donnait des ailes à la
autre a été éditée par M gr Lam y. S. Ephræmi hymni pensée. » Cf. C. Ferry, Saint Éphrem, Paris, 1877.
et sermones, t. n,p. 5-90, et rééditééparleR . P. B edjan, p. 272-273. O verbeck a publié quelques écrits de saint
Acta martyrum et sanctorum, Paris, 1892, t. m ,p . 621- Éphrem : S. Ephræmi Syri aliorumque opera selecta.
665. L ’ n auteur nestorien nous a conservé aussi deux O xford. 1865. Les m anuscrits syriaques, récem m ent
biographies. Pairologia orientalis, t. iv, p. 293-295; acquis à Londres ou négligés pour l ’ édition rom aine,
t. v, p. 291-299. O n rapporte encore à saint Éphrem ont encore fourni m atière à M gr Lam y pour 4 in 1°.
quelques anecdotes des A pophthegm es, P. G., t. l x v , édités et traduits en latin à M alines en 1882, 1886.
col. 168, qui concernent peut-être un hom onym e,enfin 1889 et 1902. M entionnons encore les Carmina Nisi-
on com plète sa biographie à l ’ aide de traits glanés dans bena, édités et traduits en latin par B ickell, Leipzig.
ses ouvrages ou chez les auteurs grecs et syriens pos ­ 1866. V oir l ’ énum ération des anciennes éditions et
térieurs. Cf. M . A . M arin, Les vies des Pires des déserts traductions dans Fabricius et des récentes dans
d’Orient. A vignon, 1764, t. vin, p. 56-197; Fabri­ R ubens D uval, loc. cit. Ces œ uvres com prennent des
cius, Bibliotheca græca, édit. H arles, H am bourg. 1802, com m entaires de la B ible et quelques discours exége-
t. vm , p. 217-254 ;V illem ain, Tableau de l'éloquence tiques, voir Dictionnaire de la Bible, t. n, col. 1889-
chrétienne au IVe siècle, Paris, 1855, p. 234-262: R . 1891, m ais surtout des hom élies m étriques et des
D uval, La littérature syriaque, 3» édit., Paris. 1907, hym nes. Il resterait à discuter l ’ authenticité d ’ un cer ­
p. 329-335. Il sem ble certain qu ’ il était d ’ hum ble tain nom bre et à chercher dans quelle m esure certaines
extraction, qu ’ il servit chez les étrangers, que son œ uvres authentiques ont été m utilées et interpolées.
père le chassa, à l ’ occasion sans doute de sa conver ­ C ’ est ainsi qu ’ une hym ne de vingt-six strophes sur
sion, et qu ’ il s ’ attacha à Jacques de N isibe. U ne la Naissance du Christ dans la chair, éditée par M gr
légende raconte qu ’ É phrem assista au concile de Lam y, d ’ après un m anuscrit de Londres du x· siècle
N icée; une autre légende ajoute que plus tard il passa et des m anuscrits de M ossoul, t. n, col. 431, ren ­
huit ans en É gypte à com battre l ’ hérésie arienne et ferm ait déjà, au jugem ent de l ’ éditeur, deux strophes
vint à C ésarée pour y voir B asile le G rand. U ne tra ­ incom plètes, une interpolée, sept qui m anquaient
dition rapporte qu ’ après le concile de N icée, les évê ­ dans certains m anuscrits et trois qui figuraient déjà
ques ont fondé des écoles dans leurs villes épiscopales dans d ’ autres hym nes de saint É phrem . N ous avons
et que saint Éphrem a été m is à la tête de l'école trouvé, de plus, une lettre de Jacques d ’ Édesse qui
fondée par Jacques de N isibe. Cf. Patrologia orien­ citait et com m entait, au vu· siècle, six strophes de
talis, t. vu, p. 377. A près l ’occupation de N isibe par cette m êm e hym ne, et nous avons constaté que trois
les Perses, en 363, saint É phrem se serait retiré à de celles-ci m anquent totalem ent dans l ’ édition de
Édesse et y aurait dirigé l ’ école des Perses. Ibid., M gr Lam y qui nous apparaît ainsi, non seulem ent
p. 381. Les biographies syriaques attribuent aux surchargée de strophes douteuses, m ais encore tron ­
prières de saint É phrem la défaite de Sapor sous les quée de la m oitié de son contenu prim itif. Cf. Revue
m urs de N isibe, en 338; elles ajoutent que le saint, de l’Orient chrétien, t. vi (1907), p. 115-131. Les m odi­
après avoir séjourné à B eit-G arbayâ (où il avait été fications tiennent à la nature dogm atique de cette
naptisé à l ’ âge de dix-huit ans) et à A m id, arriva à hym ne qui pouvait fournir de nom breuses arm es aux
Édesse où il com m ença par être em ployé dans un orthodoxes contre les jacobites; ceux-ci, qui nous ont
bain public. U n m oine l'entendit discuter avec un transm is presque tous nos m anuscrits syriaques, n ’ ont
païen et l ’ engagea à se retirer dans la m ontagne pas craint, dans cette occurrence, de les m odifier. Car
d'É dcsse et à se m ettre sous la direction d ’ un vieil ­ la date à laquelle vivait saint É phrem , avant les
lard. É phrem le fit et com m ença à prier, à jeûner et grandes divisions de. la chrétienté, et la célébrité qu ’ il
à m éditer les divines É critures. Il se m it bientôt à a acquise, en font un Père de l ’ Église chez lequel les
com m enter les livres du Pentateuque. A l ’ im itation de diverses confessions vont puiser des arm es et l ’his ­
B ardcsane qui avait com posé des chants profanes, torien des tém oignages. Son influence a été grande
il com posa des hym nes où la m esure du vers était aussi dans l ’ Église grecque, surtout dans le m onde
basée sur le nom bre des syllabes et non sur la quan ­ ascétique, car ses ouvrages ont été traduits de bonne
tité et qui devaient être chantées dans les églises. heure en grec : saint G régoire de N ysse, m ort vers
Son testam ent, conservé en syriaque et en grec, est 400, en a déjà connu des traductions et a écrit le pané
sans doute authentique, m ais, com m e les biographies, gyriquo d ’ É phrem , et Sozom ène.au v ' siècle, raconte
fl sem ble avoir été fortem ent interpolé. Cf. R ubens sa vie et lui attribue trois cents syriades d ’ tzû»
D uval, dans le Journal asiatique, septem bre-octobre (lignes devers). H.E.. III. xvi. P. G .,t.L xvn,col. 1085.
1901, p. 234 sq. C ertains docum ents placent la m ort III. L e u r u t i l i t é . — 1° Pour l’histoire des héré­
d ’ É phrem au 18 et au 19 juin 373; il est inscrit au sies. — Les spéculations dogm atiques sont étran ­
m artyrologe rom ain au 1 er février et les Syriens gères à É phrem ; sa dialectique laisse volontiers de
célèbrent sa fête le 28 janvier. côté les discussions savantes et la m étaphysique; c ’ est
IL Œ u v r e s . — Les œ uvres de saint É phrem ont dans ses phrases incidentes, pour ainsi dire, que nous
été réunies en 6 in-fol., Sancti patris nostri Ephriem devons chercher des tém oignages pour l ’ histoire des
Syri opera omnia qute exstant grtree, syriace, latine, schism es et des dogm es. D e m êm e, ses allusions nux
R om e, typographie V aticane, 1732-1746. Les trois hérésies contem poraines sont nom breuses, m ai- ne
prem iers, édités par Joseph A ssém ani en 1732, 1733, sont pas toujours claires.
191 É P H R EM (S A IN T ) 192

Le t. n des Œ uvres syriaques, R om e, 1740, p. 437- auditoire et lui, l ’ inquiétude des dem andes et l ’ ef ­
559, renferm e cinquante-six hym nes contre les héré ­ frayante précision des réponses. Ce discours ou plutôt
tiques M arcion, B ardesane et M anès. O n est con ­ ce dram e, célèbre dans toute la chrétienté d ’ O rient,
venu de dire que ces hym nes sont dirigées contre les était, au xni· siècle, cité avec adm iration par V incent
gnostiques, m ais ce m ot doit être pris au sens large, de B eauvais et ne fut pas sans doute ignoré de D ante. »
car nous avons relevé tous les vers consacrés à B ar- V illem ain, toc. cit., p. 254-255.
desanc, Palrologia syriaca, Paris, 1907, t. n,' p. 497- Il prône l ’ invocation des saints et surtout de la
509, et m ontré que tous les textes clairs peuvent sainte V ierge; les saints dispensent leurs bienfaits
s ’ entendre des prédilections astrologiques de B ar ­ de préférence dans les endroits où leurs reliques sont
desane et de l ’ erreur qui lui en était restée de sou ­ conservées; la V ierge et son Fils « sont seuls à être
m ettre le corps au pouvoir des astres. V oir B a b d e - beaux sous tous rapports, car en toi, Seigneur, il n ’ y
s a n e , t. il, col. 390-397. En som m e, saint Éphrem a pas de tache, et en ta m ère il n ’ y a pas de péchés. »
condam nait toute étude autre que celle de la B ible M . G . B ickell conclut, de ce passage et d ’ autres ana ­
et toute inspiration puisée en dehors des Livres ins ­ logues, que le saint docteur est un tém oin du dogm e
pirés. D e là vient d ’ ailleurs le caractère uniform e, de la C onception im m aculée. Ibid., p. 28-29.
terne et dépourvu d ’ intérêt des longues poésies de M gr R ahm ani, en tête de son édition des hym nes
saint Éphrem et de ses im itateurs. C ’ est ainsi que sur la virginité, éditées déjà, m ais de m anière m oins
Jacques de Saroug, consacrant un long poèm e à « l ’ his ­ com plète, par M a r Lam y, toc. cil., t. iv, indique les
toire » de saint É phrem , croit avoir assez fait lorsqu ’ il dogm es qui se trouvent form ulés dans cet ouvrage.
a écrit quelques centaines de vers pour com parer son M entionnons la T rinité, une personne et deux natures
héros à M oïse et pour rappeler les épisodes bibliques dans le C hrist, la présence réelle dans l ’ eucharistie,
qui concernent le dernier. Cf. P. B edjan, Acta mar­ l ’ im m aculée conception, le péché originel, le libre
tyrum, Paris, 1892, t. m , p. 665-679. arbitre et son accord avec la grâce, le sacrem ent de
Signalons encore les quatre-vingt-sept hym nes confirm ation, la prim auté de Pierre, l ’ intercession
contre les investigateurs (sceptiques), R om e, 1743, des saints, le culte des im ages, la vie bienheureuse
t. in, dirigées en partie contre les ariens et les ano- dont les saints jouissent dès leur m ort. A u point de
m éens. C ertains passages sont écrits, dit Jacques vue liturgique, M f R ahm ani relève aussi les tém oi ­
d ’ Édesse, « de m anière m ystique et obscure, afin que gnages en faveur des anciens rits ecclésiastiques :
les chercheurs en soient par là m êm e plus réprim andés Fonction des autels, la conservation du saint chrêm e,
et qu ’ ils cessent leurs investigations et recherches l ’ huile des catéchum ènes, la croix plongée dans l ’ eau
envers le D ieu caché et incom préhensible, puisqu ’ ils baptism ale, les cérém onies du baptêm e solennel
ne peuvent m êm e pas com prendre des paroles écrites. » conféré le jour de Pâques, la com m union qui suit le
Revue de l’Orient chrétien, t. xiv (1909), p. 438-4-10. baptêm e, le pain eucharistique reçu dans la m ain à
O n peut glaner encore dans ces hym nes quelques la com m union, enfin les usages de s ’ abstenir de vin
détails sur les hérésies propres à Édcsse au tem ps en tem ps de jeûne et d ’ oindre les défunts avec de
de saint É phrem , par exem ple, Opera, t. n, p. 440, l ’ huile. Sancti Ephræmi hymni de virginitate, Scharfé,
sur les sabbatiens qui fêtaient le sam edi com m e le 1906, p. xii.
dim anche et qui ont choisi pour évêque une fem m e Le petit traité polém ique, attribué à Jean M aron,
nom m ée Q am sou ; sur les qouqéens — ainsi nom m és pour m ontrer que par « une nature du V erbe incar ­
de leur chef — qui form aient, avec les m arcionites, un née » les saints Pères entendent « deux natures » et
schism e de l ’ hérésie de V alentin. Cf. F. N au, Lettres com posé, sans doute.au vu ” siècle, cite cinq passages
choisies de Jacques d’Édesse, Paris, 1906, p. 85-87. de saint Éphrem pour m ontrer qu ’ il était diphysite,
2° Pour l’histoire des dogmes. — U n grand nom bre par exem ple : » tandis que son hum anité était visible
des hym nes et des discours de saint É phrem traitent en diverses actions, sa divinité apparaissait dans
des fins dernières. Le sort des âm es est fixé dès leur de rem arquables prodiges, afin que l ’ on connût qu ’ il
m ort. Les âm es non encore purifiées de tous leurs pé ­ n ’ y avait pas une nature m ais deux. Il n ’ y avait pas
chés vont au purgatoire et sont aidées par les bonnes seulem ent la nature hum ble ou la nature sublim e,
œ uvres et les prières des vivants ainsi que par le saint m ais bien les deux; l ’ hum ble et la sublim e étaient
sacrifice. Le purgatoire est interm édiaire entre le unies l ’ une à l ’ autre. » Cf. F. N au, Opuscules Maro­
paradis et la géhenne. N ulle part É phrem ne suppose nites, p» partie, Paris, 1899, p. 28-29. La dernière
que les peines de la géhenne ont une fin. Les justes phrase laisse d ’ ailleurs la question indécise, puisqu ’ elle
n ’ entreront au paradis qu ’ à la résurrection, car le ne précise pas le m ode d ’ union des natures qui peu ­
paradis n ’ adm et rien d ’ im parfait et ne peut donc pas vent être « m ises en une nature sans m élange ni con ­
recevoir l ’ âm e sans son corps. En attendant la résur ­ fusion » selon la form ule jacobite, ou « unies en une
rection, les âm es des justes, aussi bien que leurs hypostase et en une personne » selon la form ule ortho ­
corps, sont com m e plongées dans un som m eil. Lorsque doxe. A ussi diverses strophes de la m êm e pièce pou ­
le C hrist a délivré A dam et les justes, il les a laissés vaient être alléguées par les deux partis. Par exem ­
à la porte du paradis. D ’ ailleurs, pour É phrem , le ple, l ’ hym ne déjà c tée sur la nativité du Christ dans
paradis est divisé en trois régions, et · la porte » est la chair.
déjà l ’ une d ’ elles. Cf. G . B ickell, Carmina Nisibena, N ous chanterons le m ode de la naissance du premier-né.
Leipzig, 1866, p. 24-27. A u jugem ent général, les La divinité s ’ est tissé un vêtem ent dans le sein (de la
justes et les pécheurs traverseront un fleuve de feu, [V ierge).
les prem iers seront respectés et les derniers seront Elle le revêtit et naquit, elle le dépouilla de nouveau à la
brûlés. « D e toutes les inspirations qu ’ É phrem em ­ Elle le dépouilla une fois, elle le revêtit deux fois. [m ort.
pruntait au dogm e religieux, la plus puissante, com m e Elle le prit Λ gauche, elle s ’ en dépouilla,
Elle le plaça à droite.
la plus assidue, c ’ était la pensée du jugem ent dernier,
c ’ était la terreur de ce grand jour anticipée par les Π était serviteur sur la terre, il était seigneur en 'aut.
fervents scrupules du solitaire, com m e elle le serait Il hérita des profondeurs et du ciel, celui qui fut étranger
par la conscience du coupable. Sans cesse il le m êle à (ici-bas).
ses discours, à ses prières publiques. U ne de ses pré ­ Celui qu ’ ils jugèrent avec ini- ’ uité, juge avec vérité.
Celui qu ’ ils couvrirent de crachats, souilla l ’ esprit sur
dications, surtout Opera, t. n, p. 378, faisait de cette fleur face.
terrible annonce une réalité, une représentation Celui qui reçut un faible roseau était le bâton du m onde.
vivante, par le dialogue qui s'établissait entre son Celui qui vieillit s ’ appuiera sur lui.
193 É P H R EM (S A IN T ) — É P IG L É S E E U C H A R IS T IQ U E 194

Elle (la divinité) le glorifia sur la m ontagne (où) elle É P IC L É SE E U C H A R IS TIQ U E. — I. La question
[apparut au dehors. de l ’ épiclése et la form ule de consécration eucharis ­
Elle l ’ obscurcit sur le bois (où) elle était cachée en lui. tique. IL D onnées théologiques : thèse catholique sur
1) fut glorifié sur la m ontagne (où) elle m ontra sa nature,
Il prit l ’ apparencedesm orts.etm ontra(encore)sanature, la form e de l ’ eucharistie; décisions et déclarations
Celle que les animaux ne virent pas et qu ’ il est impossible de l ’ Église; argum ents de raison. III. D onnées litur ­
A ux anges de regarder. giques : les paroles de l ’ institution et l ’ épiclése dans
les diverses liturgies. IV . La form ule de consécration
C hacune de ces strophes com pte onze vers en
eucharistique d ’ après l ’ É criturc sainte : la consécra ­
syriaque, ces vers sont en général groupés deux par
deux, com m e nous l ’ avons fait, pour constituer une tion à la dernière cène. V . La form ule de consécration
eucharistique d ’ après la tradition. V I. Les diverses
phrase m étrique. C haque vers est form é ici de six
ou de sept syllabes; nous en avons beaucoup plus explications de l ’ épiclése. V IL R ésum é et conclusion.
dans la traduction parce qu ’ en syriaque il n'y a pas I. L a q u e s t i o n d e l ’ é p ic l é s e e t l a f o r m u l e d e
C O N S É C R A T IO N E U C H A R IS T IQ U E . ---- SO U S C e m o t
d ’ article et les pronom s sont de sim ples suffixes. Jean
M aron cite la troisièm e strophe en faveur des deux Épiclésc nous devons traiter la question de savoir
natures et les jacobites l ’ ont supprim ée depuis lors quelle est la form ule en vertu de laquelle s ’ opère
dans les m anuscrits. Jacques d ’ Édesse (vu 0 siècle) la consécration eucharistique, en d ’ autres term es,
com m ente d ’ abord ce texte com m e pourraient le faire quelle est la forme du sacrem ent de l ’ eucharistie.
les diphysites : Voilà ce que dit ce docteur. La divinité L aissant à l ’ auteur de l ’ art. E u c h a r is t i e la tâche
a donné au corps qu’elle s’est uni cl qu’elle a fait sien, d ’ étudier ce qui n'a été discuté qu ’ entre théologiens
les dons brillants et divins de sa nature (à elle) qui scolastiques à ce sujet, touchant, par exem ple, les
étaient au-dessus de sa nature (à lui) : d’êlre honoré m ots essentiels ou non des form ules com m uném ent
chez les gentils; d’élre consacré dans les Églises; d’élre adm ises com m e consécratoires: Hoc est corpus meum.
orné de gloire... Ce docteur montre encore deux choses, Hic est culix sanguinis mci..., nous nous bornerons
à savoir qu’autre est le corps selon sa nature et autre est à dém ontrer ici que ce sont vraim ent ces form ules
la divinité selon sa nature, et ensuite qu’à cause de leur qui constituent la forme du sacrem ent, et que ce
union véritable et indivisible chacun d'eux a pris ce n ’ est point l ’ oraison appeléeépiclèse.Pour établir cette
qui appartenait à l'autre : le corps ce qui appartenait dém onstration, nous aurons à déterm iner le véritable
àla divinité et la divinité ce qui appartenait au corps. caractère liturgique et théologique de l ’ épiclése et
M ais Jacques se prête bientôt à interprétation m ono- à donner une explication à la difficulté qu ’ elle crée
physite lorsqu ’ il sem ble attribuer « à la nature di­ sur ce point.
vine » la naissance, la souffrance et la m ort : C’est O n désigne sous le nom d ’ épiclèse eucharistique
donc avec à propos et sans être répréhensible que ce (έπίχλησις , invocation) une prière spéciale qui se trouve
saint docteur a transporté la séparation de l’âme et dans toutes les liturgies orientales et dans un bon
du corps, qui est appelée mort, d la divinité, qui forma nom bre d ’ anciennes liturgies d ’ O ccident, au canon
le corps pour lui servir de vêlement... Aussi on connaîtra de la m esse, après le récit de l ’ institution de la sainte
par là comme par beaucoup d'autres paroles de ce eucharistie. Le célébrant y invoque D ieu le Père,
docteur... que c’est la divinité qui se tissa un vêtement quelquefois le Fils, quelquefois l'un et l ’ autre, et lui
dans le sein, et le revflit et sortit à la naissance, et appa­ dem ande d ’ envoyer le Saint-E sprit (le V erbe, d ’ après
rut dans le corps en ce monde et s’en servit et parla deux ou trois form ules) sur le pain et le vin pour les
par son moyen, et opéra notre salut. C’est elle qui souf­ transform er au corps et au sang de Jésus-Christ, et
frit pour nous, fut crucifiée et mourut. Cf. F. N au, aussi pour faire que ce corps et ce sang divins pro ­
Lettres choisies de Jacques d’Édesse, Paris, 1906, p. 27- duisent leurs salutaires effets dans les com m uniants.
32. V oici, par exem ple, les deux form ules d ’ épiclèse les
N ous ne citerons pas d ’ autre exem ple des poésies plus en usage aujourd ’ hui dans l ’ Église orientale,
de saint É phrem , de leur form e, de leur fond poétique celles des deux liturgies byzantines dites de saint
et un peu flottant, ni de l ’ usage que l ’ on peut en faire B asile et de saint Jean C hrysostom e. Il faut les citer
dans l ’ histoire des dogm es, et des interprétations l ’ une et l ’ autre, car la connaissance en sera sou ­
diverses auxquelles elles peuvent servir de prétexte. vent nécessaire au cours de l ’ exposé qui va suivre. La
Les qualités poétiques : brièveté, harm onie, asso ­ liturgie de saint B asile, en usage seulem ent à certains
nance, disparaissent dans les traductions dont la jours déterm inés, fait ainsi prier le prêtre :
littérature ascétique seule pourra tirer grand profit. N ous souvenant donc,Sei­
Μ εμ.· /ηαί· /οι ούν, Δέαπο-
A ux ouvrages cités plus liant ou dans le Dictionnaire de τα, και ημείς τών σωτηρίων gneur. nous aussi, de sa sa ­
la Bible, t. n, col. 1891, ajoutons : Lamy, Le testament de αύτου παθημάτων... τα σα lutaire passion... (JUnde et
saint Éphrem le syrien, dans Compte rendu du quatrième έκ των σών σοι προσρερο- memores du canon rom ain),
Congrès international des catholiques, tenu ù Fribourg, du μεν.· « nous t ’ offrons ce qui est à
16nu 20 août 1897, i'· section,.Scïencesreiigieuses,Fribôurg, toi de ce qui est à toi... (of­
1898, p. 173-209 (étude et traduction française); Rubens
D uval, l.e testament de saint Éphrem, dans le Journal asia­ ferimus prœciaræ majestati
tique, O’série, t. xvm , septem bre-octobre 1901, p. 234- tuæ de tais donis ac datis ho­
319 (introduction, texte syriaque, traduction française et stiam puram...).
distinction des passages originaux ou interpolés): G. Car- Διά τούτο, Δέσποτα πα ­ C ’ est pourquoi, tout saint
dalii. Liber Thesauri de arte poelicn syrorum, Rome, 1875, νάγιε, καί ήμεΐς οί αμαρτω ­ Seigneur, nous aussi, qui
p. 9-13 (notice sur Éphrem et spécim ens de ses poésies); λοί καί ανάξιοι δούλοι σου som m es des pêcheurs et tes
P. Bcdjan, Histoire complète 'e Joseph par sain Éphrem, οί καταξιωβέντες λειτουργεί? indignes servi t eurs.m ai s qui
poème en douze Hures avec la translation d Constantinople,
Paris. 1891 ; une partie de ce poèm e avait déjù été éditée, τώ άγίω σουθυσιαστηρίω,... avons été acceptés pour ser ­
en 1887, par le R. P. B edjan;il sem ble provenir plutôt do Οαρρούντες προσεγγίζομε? vir A Ion saint autel,... nous
l ’ école d ’ Édesse que de saint Éphrem lui-m êm e; Rev. τώ άγί· » σου Ουσιαστηρίω nous approchons avec con ­
H enry Burgess. Select metrical Hymns and Homilies of και προθέντες τα αντίτυπα fiance de ton saint autel
Ephrem Syrus translated from the original syriae, Londres, του άγιου σώματος και et,t ’ ayant offert les ard ilty­
1853: H . G rim m c, Der Slrophenliau in den Gedichten αίματος τού Χ ριστού σου, pes du saint corps et du sang
Ephræms. Fribourg, 1893; R. D uval, N otes sur la poésie σού δεδμεΟα και σέπαρακα- de ton Christ, nous teprions
syriaque, dans le Journal asiatique, 9° série, juillet-août
λούμεν, άγιε άγιων, ευδοκία et te conjurons, ô Saint des
1897, t. x, p. 57-73.
F. Na u . τής σής αγαθότητας έλΟείν saints, par une faveur de ta

P IC T . D E T H ÉO L . C A T IIO L .
V. - 7
195 Ê P IC L ÊS E E U C H A R IS TIQ U E 196

τδ Π νεύμα σου τδ Π ανάγιον bonté, que ton Esprit-Saint έν τώ ποτηρίω τοΰτω τίμιον est dans ce calice, le pré ­
έφ ’ ημάς καί επί τα προκεί- vienne sur nous et sur ces αίμα τού Χ ριστού σου. Le cieux sang de ton C hrist. Le
μενα δώρα ταΰτα καί εύλο- oblations, qu ’ il les bénisse, diacre : Α μήν. diacre:A m en. Le prêtre:1e
γήσαι αυτά και άγιάσαι καί les sanctifie, et fasse [dejee Le prêtre continue : μετα ­ transform ant par ton Es-
άναδειξαι τον μεν άρτον pain le corps précieux de βαλών το> ΙΙνευματί σου τώ prit-Saint.Lediacre: A men,
τούτον αύτδ το τίμιον σώμα notre Seigneur, D ieu et Sau ­ Ά γίω . Le diacre : ’ Α μήν, am en, am en.
τού Κυρίου καί Θεού καί veur, Jésus-C hrist, et[de]ce αμήν, αμήν.
Σωτήρος ημών Ίησοΰ Χ ρίσ ­ calice le sang précieux de Le prêtre continue: όίστε Le prêtre : D e m anière
του, τδ δέ ποτήριον τούτο notre Seigneur, D ieu et Sau ­ γενέσΙΙαι τοίς μεταλαμ6ά- qu ’ ils soient pour les com ­
αύτδ τδ τίμιον αίμα του veur Jésus-C hrist, qui a été νουσιν εις νήψιν ψυχής , εις m uniants purification de
Κυρίου καί Θεού καί Σω ­ répandu pour la vie et le άφεσιν αμαρτιών, εις κοινω ­ l'âm e, rém ission despéchés,
τήρος ημών ’Ιησού Χ ριστού salut du m onde. νίαν τοΰ 'Α γίου σου Ιΐνεύ- accom plissem ent du royau ­
τδ έκχυΟέν υπέρ τής τού ματος , εις βασιλείας ου­ m e de D ieu, gage de con ­
κόσμου ζωής και σωτήριας . ρανών πλήροιμα, εις παρ ­ fiance devant toi, et non
Le diacre : Ά μήν, αμήν, Le diacre : A m en, am en, ρησίαν τήν πρός σέ, μή εις pas un jugem ent ou une
αμήν. am en. condam nation.
Le prêtre: ΤΙμάς δέ πάν- Le prêtre : Q uant à nous, B rightm an, op. cil., p. 386-387.
τας τούς έκ τού ένδς άρτου qui participons à un seul
pain et au calice, unis-nous N otons, ici encore, une observation utile au sujet
καί τού ποτηριού μετέχον ­ du participe aoriste μεταοαλών. C ertains auteurs, par
τας ένώσαις άλληλοις εις les uns aux autres dans la
com m union d ’ un seul Es ­ exem ple, A rcudius, A llatius, de Lugo, V asquez,
ένδς Π νεύματος αγίου κοι ­ M affei, etc., se sont basés sur cet aoriste pour nier
νωνίαν και μηδενα ημών εις prit-Saint et fais qu ’ aucun
de nous ne com m unie pour tout sim plem ent la difficulté de l ’ épiclése et adopter
κρίμα ή εις κατάκριμα ποιή- une traduction du texte grec, d ’ après laquelle le sens
σαις μετασχειν τού αγίου son jugem ent ou sa condam ­
nation au corps sacré et au de cette prière serait celui-ci : « Fais que ce pain,
σώματος καί αίματος τού corps précieux de ton C hrist, et ce qui est dans ce ca­
Χ ριστού σου, άλλ ’ "να εύ- sang de ton Christ, m ais que
nous trouvions m iséricorde lice, sang précieux de ton C hrist, que lu as changés
ρωμεν ελεον καί χάριν μετά par ton Saint-E sprit, deviennent pour les com m u­
πάντων τών αγίων... et grâce avec tous les saints...
niants purification de l ’ âm e..., etc. » La construction
B rightm an, Eastern Liturgies, O xford, 1896, p. 405-406. gram m aticale de la phrase grecque, non m oins que
A u sujet de cette oraison, notons, dès m aintenant, la com paraison de la form ule ci-dessus avec la précé ­
afin de prévenir une objection, qu ’ il n ’ y a pas à épi — dente et avec celles des autres liturgies orientales,
loguer sur le m ot άναδειξαι pour éluder ici la diffi­ interdisent absolum ent une pareille traduction. Q uant
culté créée par la dem ande de consécration que con ­ au participe aoriste, on sait que les G recs l ’ em ploient
tient la form ule, et pour ne voir dans l ’ intervention fréquem m ent avec un sens présent; ici, ce sens est
sollicitée du Saint-E sprit qu ’ une sorte d ’ ostension ou d ’ autant plus fondé, que le participe μεταβαλών est
de m anifestation, il est désorm ais bien prouvé, en évidem m ent en concordance avec l ’ im pératif aoriste
effet, que le verbe άναδειξαι, com m e son équivalent ποίησον ; or, on sait que l ’ im pératif aoriste n ’ a jam ais
όπως άποφήνη des C onstitutions apostoliques, corres ­ le sens du passé. C ucuel et R iem ann, Régies fon­
pond pour le ’sens aux expressions ποιήσαι, ποιεϊν, ποίη ­ damentales de la syntaxe grecque, p. 124, 125. A ussi
σαν, ίνα ποίηση des autres form ules d ’ épiclèse. V asquez R enaudot a-t-il pu écrire à bon droit : Quod nonnulli
reconnaît déjà, contre B cllarm in, cette identité de si ­ μεταβαλών ad prœteriti significationem referunt, ina­
gnification que C asaubon, R enaudot, D u Perron, niter prorsus et absque probabili auctoritate; nullius
Le B run, etc., ont depuis longtem ps dém ontrée. V oir ad copticas lilurgias momenti est, ut neque ad syras,
Le B run, Explication de la messe, diss. X , a. 17, jacobiticas aut melchiticas. Liturgiarum orientalium
Liège, 1778, t. v, p. 278-282. V oici, du reste, l ’ épi- collectio, Paris, 1716; 2· édit., Francfort, 1847, t. I,
clèse de la liturgie de saint Jean C hrysostom e, où il p. 231. Cf. H oppe, D ie Epiklesis der griechischen und
n ’ y a place pour aucune am biguité : orientalischen Liturgien und der rcemische Consekra-
tionskanon, SchafThouse, 1864, p. 213-214. Q u ’ on ne
Μ εμνημε ’νοι τοίνυν τής N ous souvenant donc de dise pas, d ’ ailleurs, que cette incise : « les changeant
σωτηρίου ταύτης έντολής ce comm andement salutaire par ton Saint-E sprit · est une addition récente attri ­
καί πάντων τών ύπέρ ημών (c’est-à-dire de l’ordre donné buable à l ’ opinion théologique qui prévaut au
γεγενημένων, τού σταυρού, par Jésus-Christ de renou­ jourd ’ hui dans l ’ Église orientale, car le contraire est
τού τάφου, τής τριημέρου veler la cène en mémoire de dém ontré par l ’ existence de cette m êm e incise dans
άναστάσεως , τής εις ουρα ­ lui) et de tous les événe ­ la liturgie arm énienne et dans celle de N estorius,
νούς άναβάσεως , τής έκ δε ­ m ents accom plis pour nous, l ’ une et l ’ autre directem ent apparentées dès leur ori ­
ξιών καθέδρας , τής δευτέρας de la croix.de la sépulture, gine à la liturgie byzantine. Ces deux liturgies ont
καί ένδοξου πάλιν παρου ­ de la résurrection au troi­ m êm e l ’ avantage de confirm er la signification de l ’ ao ­
σίας τα σα έκ τών σών προσ- sième jour, de l ’ ascension riste grec μεταβαλο ’>ν en le traduisant par le participe
φέρυμεν..., ετι προσφέρο- dans les cieux, de l ’ intro ­ présent -.permutans Spiritu tuo Sancio (liturgie arm é ­
μέν σοι την λογικήν ταύτην nisation (du Christ) à ta nienne), transmutante ea te et ea sanctificante per ope­
καί άνα'μακτον λατρείαν καί droite, du second et glo ­ rationem Spiritus Sancti (1 i turgie de N estorius).H oppe,
παρακαλούμέν σε καί δεό- rieux avènem ent, nous t ’ of ­ op. cil., p. 57. 66-67. avec références aux recueils de
αεθα καί ίκετεύομεν, κατά- frons encore ce sacrifice rai­ R enaudot et D aniel. Cf. B rightm an, op. cil., p. 439.
πεμψον τδ Π νεύμά σου τδ sonnable et non sanglant, L ’ exem ple des deux liturgies byzantines de saint
"Α γιον έφ ’ ήμάς καί επί τα nous te prions, te supplions B asile et de saint Jean C hrysostom e m et suffisam ­
προκείμενα δώρα ταύτα, καί et te conjurons, envoie ton m ent en évidence la difficulté suggérée par de telles
ποίησον τδν μεν άρτον τού ­ Esprit-Saint sur nous et form ules au sujet des paroles qui opèrent la consé­
τον τίμιον σώμα τού Χ ρισ ­ sur ces oblations, et fais cration. en d ’ autres term es, au sujet de la forme de
τού σου. Le diacre: Α μήν. («οίησον )[de]cc pain le corps l ’ eucharistie. A considérer le teneur de l ’ épiclése et sa
précieux de ton C hrist. Le place dans le canon de la m esse, il sem blerait, à pre ­
diacre : A m en. m ière vue, que ]a transsubstantiation n ’ a pas été ac­
Le prêtre continue : τδ δε Le prêtre : E t [de] ce qu com plie par les paroles : « Ceci est m on corps; ceci est
197 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 198

Je calice de m on sang, » déjà prononcées, m ais qu'elle vous accuse, vous G recs, d ’ attribuer la vertu con-
doit l ’ être seulem ent au m om ent où se dit cette oraison sécratoirc à d ’ autres paroles qu ’ à celles du C hrist;
ou invocation. Telle est, en effet, la croyance actuelle m ais il fallait introduire cette rem arque dans la
de l ’ Église orientale orthodoxe, qui a m is cet article chartula à cause des ignorants et pour éviter tout
au nom bre des différences dogm atiques entre elle et m alentendu. » Nec propter hoc ponitur in ilia cedula,
l ’ Église rom aine. Q ue tel ne soit pas, au contraire, ut credamus id vos non credere, sed propter rusticos.
l ’ enseignem ent de la tradition patristique et de l ’ an ­ M ansi, Concit., t. xxxi, coi. 1014. Isidore de K iev
cienne Église, nous aurons à le m ontrer dans l ’ exam en com battit l ’ idée de cette insertion en affirm ant que
que nous en ferons, en indiquant m ôm e le point précis tous les G recs, m êm e les sim ples fidèles, croyaient
à partir duquel s ’ est produite dans l ’ Église orientale à l ’ efficacité consécratoire des paroles du Sauveur :
la déviai ion dont sa doctrine présente est la consé ­ Credimus dominicam vocem esse effectricem divinorum
quence. U ne fois cette dém onstration établie, il nous munerum... Eudes ita clare tenuerunt, et ita tenebunt,
restera à concilier la tradition catholique touchant unde non est necessarium hoc poni in diffinitione.
la consécration avec le fait liturgique de l ’ épiclèse. H ardouin, Acta concit., t. ix, coi. 977. Il est vrai que
M ais avant d ’ aborder l ’ étude de la tradition et la solu ­ le m étropolite de K iev attribuait à cette affirm ation
tion de la difficulté que sem ble lui opposer la liturgie, un sens assez voisin de la théorie grecque actuelle, en
il est nécessaire d ’ exposer tout d ’ abord avec quelque considérant les paroles de l ’ institution com m e une
détail les données théologiques qui doivent servir sem ence que l ’ épiclèse vient féconder; et le cardinal
de base à la discussion, puis les notions de liturgie Jean de T orquem ada avait raison de réfuter ce point
com parée, de nature à m ettre pleinem ent en relief de vue. M ais après d ’ assez longues discussions au cours
le problèm e épiclétique; d ’ essayer, enfin, de répondre de plusieurs conférences, ies G recs firent des décla ­
à une question préalable, savoir par quelle form ule rations plus précises, telles que celle-ci, du 26 juin :
le Sauveur a consacré au cénacle. « A fin que vous soyez parfaitem ent rassurés sur notre
II. D o n n é e s t h é o i . o g iq u e s . — 1° Thèse catho ­ foi, consultez saint C hrysostom e, qui s ’ exprim e très
lique sur la forme de l’eucharistie : décisions et déclara­ clairem ent là-dessus (sur la vertu consécratoire des
tions de ΓÉglise. — La thèse catholique est celle-ci : paroles du C hrist). N ous som m es prêts, du reste, à
La form e de l ’ eucharistie est constituée par les paroles reconnaître que la consécration s ’ opère exclusive ­
de Jésus-C hrist à la dernière cène : Ceci est mon corps, m ent par les paroles du C hrist. » H ardouin, col. 978.
ceci est le calice de mon sang..., paroles que le prêtre Là-dessus, on renonça à insérer dans le décret d ’ union
répète à l ’ autel au nom et en la personne de N otre- le point relatif à la consécration et l'on se contenta
Seigneur. U ne fois ces paroles prononcées, la trans ­ de la déclaration orale solennelle, par laquelle, dans
substantiation est parfaitem ent accom plie. la séance générale du 5 juillet, B essarion, m étropolite
B ien que cette doctrine n ’ ait pas été solennelle ­ de N icée, attesta en son propre nom et au nom de
m ent définie par l ’ Église, on peut la considérer com m e tous ses com patriotes (suo ac aliorum Patrum Eccle­
définie par le m agistère ordinaire, ou tout au m oins siam Orientalem repræsentantium nomine) qu ’ ils se
com m e une vérité certaine et proche de la foi. « L a ralliaient à la doctrine des Pères de l ’ Église et spécia ­
doctrine qui fait des paroles de l ’ institution la form e lem ent de leur grand docteur saint Jean C hrysos ­
de l ’ eucharistie est tenue par l ’ enseignem ent com m un tom e, et reconnaissaient aux paroles de Jésus-Christ
pour fidei proxima. » M gr B atiffol, dans le Bulletin de « toute la vertu de la consécration. « C ette attesta ­
littérature ecclésiastique, 1899, t. i, p. 78, en note. Le tion est trop im portante, dans les circonstances où
pape Eugène IV s ’ exprim e ainsi dans le décret pro elle fut faite, pour n ’ êtrc point citée ici : Quoniam in
Armcnis : Forma huius sacramenti sunt verba Salva­ præcedenti bus congregationibus nostris inter alias diffe­
toris, quibus hoc conficit sacramentum. Nam ipsorum rentias nostras ortum est dubium de consecratione sa­
verborum virtute substantia panis in corpus Christi et cratissimi sacramenti eucharistite, et aliqui suspicati
substantia vini in sanguinem convertuntur. D enzinger- sunt nos et Ecclesiam nostram non credere illud pre­
B annw art, Enchiridion, n. 698 (593). D e sérieuses tiosissimum sacramentum per verba Salvatoris D.N.J.C.
raisons portent à croire que les m otifs allégués quel ­ confici; propter hanc causam adsumus coram Vestra
quefois par les théologiens pour dim inuer l ’ autorité du Beatitudine omnibusque aliis hic astantibus, qui pro
décret aux Arméniens en m atière de doctrine sacra- parte sancire Bornante Ecclesiae sunt, ad certificandum
m entaire, n ’ ont pas lieu de s'appliquer en ce qui con- Vestram Beatitudinem et alios Patres ct dominos hic
terne l ’ eucharistie. N ous savons, du reste, par l ’ his ­ praesentes de hac dubitatione, et dicimus breviter : nos
toire du concile de Florence, que cet enseignem ent usos fuisse Scripturis et sententiis Patrum et rationibus,
touchant la form e du sacrem ent eucharistique était spretis humanis inventis; qua quidem de re. Pater bea­
unanim em ent proclam é à cette époque, et depuis long ­ tissime, cum in omnibus aliis auctoritatibus Patrum
tem ps. Peu s ’ en fallut qu ’ on n ’ en fit une définition sanctorum usi sumus, etiam his praesenti dubitatione
de foi. H cfele. Histoire des conciles, trad. D clarc, utimur. Et quoniam ab omnibus sanctis doctoribus
t. xr. p. 451 sq. Si on ne le fit pas, ce n ’ est point, ainsi Ecclesiae, praesertim ab illo beatissimo .Joanne Chrysos-
que l ’ ont à tort affirm é R enaudot et quelques autres tomo. qui nobis notissimus est, audivimus verba domi­
après lui, parce que le concile estim ait que cette nica esse illa quie mutant et transsubstantiant panem
question ne regardait pas la foi; ce fut uniquem ent et vinum in corpus verum Christi et sanguinem; et quod
our ne pas infliger aux O rientaux — et cela sur leur illa verba divina Salvatoris omnem virtutem Iranssub-
proore dem ande — le déshonneur de laisser croire stantialionis habent, nos ipsum sanctissimum doctorem
qu ’ ils eussent jam ais eu un autre sentim ent. Le con- et illius sententiam sequimur de necessitate. M ansi,
~;le. d'ailleurs, ne prêtait point aux G recs cet autre op. cit.. coi. 1045.
sentim ent; m ais il voulait insérer dans le décret C ’ est pour avoir confondu cette déclaration solen ­
d'union la croyance catholique, afin d ’ éviter les oc ­ nelle. faite en séance plénière la veille de la clôture
casions d ’ erreur que pouvait provoquer dans les es ­ du concile, avec des attestations sem blables données
prits peu éclairés Inform ulé d'épiclèse. ne occasionem antérieurem ent, dans des séances de com m ission,
rrandi ex invocationis verbis rudes acciperent. O rsi, par un groupe de prélats orientaux, que R enaudot
{H'sertatio theologica de liturgica Spiritus invocatione, se borne, non sans une pointe de dédain, à voir dans
M ilan. 1731. p. 158. C ’ est ce qu ’ affirm ait, dans la les paroles de B essarion la pensée de cinq nu six
séance du 16 juin 1439, Eugène IV lui-m êm e : « Ce évêques grecs seulem ent. L ’ histoire authentique des
qu ’ on vient de dire ne signifie aucunem ent qu ’ on débats conciliaires leur assure une im portance beau ­
199 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 200

coup plus considérable, et fournit en m êm e tem ps la tuum in cruce, quod nunc est in cedo vivum, po st
raison pour laquelle la croyance catholique touchant VERBA CONSECRATIONIS, QUÆ SUNT « BOC EST CORPUS
la form ule de la consécration ne fut pas insérée dans m e u m », est in sacramento sub specie ct similitudine
le décret d ’ union avec les autres points de doctrine. panis. Raynaldi, Annales ecclesiastici, an. 1351, n. 11,
O n ne peut donc pas, pensons-nous, dans la question Lucques, 1750, t. xxv, p. 532; cf. M ansi, t. xxv,
qui nous occupe, jeter par-dessus bord l ’ autorité coi. 1242-1243.
du concile de Florence et de la lettre aux A rm éniens, Plus form els encore sont deux docum ents adressés
aussi facilem ent que l ’ ont fait C atherin, C hristophe de au pal riarchem elki te d ’ A ntioche, l ’ un par B enoit X III
C hefîontaines, B ossuet, R cnaudot, T outtée.L e Q uien, le 8 juillet 1729, l ’ autre par Pie V II, sous form e de
C om befls, Le B run, Schell, etc. La lettre aux A rm é ­ bref, le 8 m ai 1822. Ces deux docum ents ne se trou ­
niens n ’ a fait que prom ulguer sur ce point spécial, vant que dans des recueils spéciaux, il sera utile d ’ en
quoi qu ’ il en soit des autres, la croyance professée transcrire ici la partie principale. D ans le prem ier, il
verbalem ent à Florence com m e condition sine qua est ordonné au patriarche C yrille d ’ enseigner que la
non du décret d ’ union. L ’ on ne peut donc que s ’ éton ­ transsubstantiation s ’ accom plit non point par l ’ invo ­
ner d ’ entendre un auteur catholique contem porain cation du Saint-E sprit, m ais par les paroles de N otrc-
s ’ exprim er en ces term es : Dacche la Chiesa non ha Seigneur : Ideo Cyrillus... doceat non per invoca­
slabililo niente di positivo intorno alla parte dell’ epi- tionem Spiritus Sancti sed per verba consecrationis fieri
clesi, si protrebbe lasciare in Santa pace l’agilala ques­ transsubstantiationem. Schneem ann, Acta et decreta
tione, tanto piu chc. it canone dalla liturgia romana conciliorum recentiorum, dans Collectio lacensis,
conviene con quello della Chiesa orientale. A . C rem oni, Paris et Fribourg-en-B risgau, 1876, t. n, coi. 439,440.
Congressi di Velchrad e Vopera dell' unione delle Chiese, Cf. M ansi-Petit, t. x l v i . Le second docum ent
dans la revue Roma c l’Oriente, février 1911, t. i, interdit à qui que ce soit, sous les peines les plus
p. 241. sévères, d ’ enseigner ou de soutenir la doc trine oppo ­
Le concile de T rente, sess. xm , c.3, suppose m ani­ sée : A udor itate Dei et SS. Apostolorum Pelri ct Pauli
festem ent la m êm e croyance : Semper heee fides in ac Nostra, in virtute sanclæ obedienliæ, motu proprio
Ecclesia Dei fuit slatim post consecrationem verum et ex propria scientia ac deliberatione Nostra præci-
D. N. J. C. corpus verumque ejus sanguinem sub panis pimus omnibus et singulis fidelibus vestri ritus, cujus-
et vini specie una cum ipsius anima et divinitate exi- cumque gradus et conditionis, etiamsi episcopali, ar-
stere;sed corpus quidem sub specie panis ct sanguinem chiepiscopali et patriarchali dignitate præstent, ut non
sub vini specie EX vi v e r b o r u m . D enzinger-B annw art, audeant deinceps, sive publice, sive privatim, sive in
n. 876 (757). Q uelles sont ces paroles en vertu des­ publicis concionibus ac disputationibus, docere, de­
quelles le pain est changé au corps et le vin au sang fendere, evulgare, suadere, tueri eam opinionem, quæ
du C hrist? le concile l ’ insinue au c. I er de cette m êm e tradit ad admirabilem illam conversionem totius sub­
session, en m ontrant dans les paroles du Sauveur, stantive panis in substantiam corporis Christi ct totius
rapportées par les évangélistes,unepreuve de la pré ­ substantive vini in substantiam sanguinis ejus, neccsse
sence réelle. D enzinger, n. 874 (755). E t en dépit des esse, præter Christi verba, eam etiam ecclesiasticam
subtiles arguties de C hristophe de C hefîontaines, De precum formulam recitare, quam siepe memoravimus,
necessaria correctione theologia: scholasticæ, Paris, 1586, ac perpetuum hujus opinionis defensoribus Berœæ
fol. 33, et de Le B run, Explication de la messe, Liège, et in his vestris regionibus commoranti bus silentium
1778, t. v, p. 236-239, nous nous rallions volontiers indicimus. Quod si quis ex iis ausu temerario nostrum
au tém oignage d ’ E stius, cité par O rsi, op. cil., p. 172, hoc decretum ac ordinationem violaverint, indictumque
déclarant que si les Pères de T rente n ’ ont pas défini silentium non servaverint, non modo gravis peccati
en term es form els la doctrine catholique, ils l ’ ont du reatum incurrent, sed prælerea adversus eos Nos de­
m oins assez clairem ent indiquée et l'ont supposée cernimus, si patriarchali, archiepiscopali vel epis­
m anifestem ent. Cf. O rsi, op. cit., p. 180-184. copali dignitate prædili sint, poenam suspensionis ab
Le C atéchism e du concile de T rente form ule d ’ une exercitio pontificalium; si vero sacerdotes sint aut
m anière explicite cette doctrine : Itaque a sanctis aliis ordinibus insigniti, pœnam suspensionis ab
euangelistis Matthæo et Luca ilemque ab Apostolo doce­ omnibus suis ordinibus; si vero sint laid, poenam
mur illam esse formam : uoc e s t c o r p u s m b u m ... excommunicationis, atque ita quidem has omnes pcenas
Quæ quidem consecrationis forma, cum a Christo Domi­ decernimus, ut velimus eas ipso facio et absque alia
no servata sit, ea perpetuo catholica Ecclesia usa est. declaratione ab iis incurri, qui Nostrum hoc decre­
Calcchismus cone. Trid., part. Il, c. xx. tum non observaverint... Ibid., col. 551. Cf. M ansi-
A ces déclarations il faut ajouter les rubriques très Petit, t. x l iv , coi. 90 sq. Pour expliquer ces peines
form elles du m issel rom ain, spécialem ent De defe­ sévères, il faut sans doute rappeler que des troubles
ctibus, v, 1 : Verba autem consecrationis, quæ sunt sérieux avaient été occasionnés dans l ’ Église m elkite
iorma huius sacramenti, sunt hæc : noc e s t e n im c o r ­ par les discussions élevées à ce sujet. M ais la doc ­
pu s MEUM, et : ntc EST ENIM CALIX SANGUINIS MEI. trine im posée par le pape garde évidem m ent toute
Cf. ibid., x, 3, où il est dit que si, par quelque acci­ sa valeur, indépendam m ent de ces m esures discipli ­
dent, après la consécration, l'hostie disparaissait ou naires exigées par les circonstances.
qu ’ elle se trouvât corrom pue, et qu ’ il fallût en consa­ Enfin, dans sa condam nation de l ’ article du prince
crer une autre, on devrait recom m encer la consécra ­ M ax de Saxe, Pensées sur la question de l’union des
tion à ces paroles : Qui pridie quam pateretur. Églises, paru dans le l° r num éro de la revue Roma
O n doit, en outre, tenir com pte de plusieurs ré ­ e l’Oriente, Pie X déclare : Sed ncc ibidem intacta
ponses très expresses adressées par les papes à des relinquitur catholica doctrina de sanctissimo eucha­
patriarches orientaux. La réponse de C lém ent V I ristiae sacramento cum prtefracte docetur sententiam
(1342-1352) au catholicos des A rm éniens, outre qu ’ elle suscipit posse, quæ tenet, apud Griecos verba conse-
nous atteste la doctrine professée alors par les A r ­ craloria effectum non sortiri, nisi jam prola a oratio
m éniens, affirm e que les paroles de la consécration illa quam e p ic l e s im vocante, cum tamen compertum
sont celles du Sauveur; et cela, C lém ent V I le dé ­ sit Ecclesiie minime competere jus circa ipsam sacra­
clare, tout en connaissant bien l ’ oraison d ’ épiclèse, mentorum substantiam quidpiam innovandi. Epistola
sur laquelle il dem ande précisém ent une explication du 26 décem bre 1910, dans Acta apostolicæ Sedis,
conciliabie av<c cette croyance. Dicis te credere et 1911, t. m , p. 119.
tenere qw d corpus Christi natum de Virgine et mor­ 2° Arguments de raison en faveur de la doctrine ca-
201 É P IG LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 202
tholique. — A près ces déclarations et décisions de instant, com m e du reste tout changem ent substan ­
l ’ Église, dont l ’ im portance ne saurait échapper à au ­ tiel. Il faut écarter toute conception qui tendrait
cun théologien, et avant d ’ aborder plus en détail l ’ exa ­ à assim iler ce changem ent à une éclipse de soleil ou
m en de la question,il ne sera pas inutile de rappeler de lune, com m e si une partie du corps de N otre-
certains argum ents fournis par la raison appliquée Seigneur devenait présente à m esure que disparait
aux données dogm atiques. une partie de la substance du pain.
1. La forme de Γeucharistie doit être prononcée in Il y a donc pendant la célébration de la m esse un
persona Christi. — V oici d ’ abord le schém a du prin ­ instant précis où s ’opère le changem ent du pain et du
cipal argum ent théologique. D ’ après l ’ enseignem ent vin au corps et au sang de Jésus-C hrist, et l ’ on ne sau ­
traditionnel de l ’ Église, adm is par les dissidents rait faire un reproche aux scolastiques, com m e le font,
orientaux eux-m êm es (tels que C abasilas, Sim éon de par exem ple, C atharin, C hristophe de C hefïontaines,
Thessalonique, etc.; ci. B enjam in K rasnopevkov, No- R ichard Sim on, Fides Ecclesiæ orientalis, Paris, 1671,
vaïa Skrijal, Saint-Pétersbourg, 1908, p. 218; H alus- p. 180 sq., Le B run, op. cil., t. v, p. 224-225, 285,
cynsky, De nova illustratione epicleseos, dans Acta I d ’ avoir cherché à préciser cet instant. Ce changem ent
conventus Velehradcnsis, Prague, 1908, p. 68-69), Jésus- doit se faire au m om ent où le prêtre prononce cer ­
C hrist est à la fois le prêtre et la victim e du sacrifice taines paroles, puisqu ’ il constitue le sacrem ent de
eucharistique. O r,l ’ essence du sacrifice eucharistique l ’ eucharistie et que dans tout sacrem ent on rencontre
est constituée par la consécration des deux espèces. un élém ent verbal. L a véritable form e de l ’ eucharistie
C ’ est donc Jésus-Christ qui doit opérer cette consé ­ sera donc constituée par les paroles que le prêtre dit
cration par le m inistère du prêtre hum ain parlant au m om ent où s ’ opère le changem ent. Si le change ­
en son nom . C ette prem ière conclusion est nettem ent m ent a lieu au m om ent où le prêtre prononce les pa ­
form ulée par un grand nom bre de Pères et de doc ­ roles de l ’ institution, ces paroles constitueront la véri­
teurs. O r, parm i les diverses pièces de la liturgie eu ­ table et unique form e. M ais on ne pourra pas dire que
charistique, seules les paroles de l ’ institution peuvent la form e de l ’ eucharistie consiste à la fois et dans les
être prononcées in persona Christi. Les autres prières, paroles de l ’ institution et dans l ’ épiclèse.
y com pris l ’ épiclèsc, sont di tes par le prêtre en son nom 3. Les hypothèses possibles. — II est vrai que l'effi­
propre et au nom de l ’ Église qu ’ il représente, m ais cacité de la form e de l ’ eucharistie, com m e l ’ efficacité
non pas directem ent au nom de Jésus-Christ. Sacer­ de la form e des autres sacrem ents, pourrait être con ­
dos in missa in orationibus quidem loquitur in persona çue com m e conditionnée par certaines circonstances
Ecclesire, in cujus unitate consistit; sed in consecra­ de lieu, de m anière, de personnes. V oici les hypo ­
tione sacramenti loquitur in persona Christi, cujus thèses possibles : a) les paroles de l ’ institution seules,
vicem in hoc gerit per ordinis potestatem. S. Thom as, indépendam m ent de toute autre form ule, de tout rite
Sum. theol., III· , q. l x x x i i , a. 7, ad 3 um . Cf. In IV religieux antécédent ou subséquent, opèrent la consé­
Sent., 1. IV, dist. V III, q. n , a. 1, q. v,solut. 4, ad 4 “ m . cration (opinion de saint Thom as); à) une autre prière
C 'est donc au m oyen des paroles de l ’ institution, de la m esse, par exem ple, l ’ épiclèse, opère seule, indé ­
prononcées par le prêtre revêtant la personnalité de pendam m ent de toute autre form ule, la transsubstan ­
Jésus-C hrist, que s ’ opère la consécration. C ette se ­ tiation (doctrine de plusieurs théologiens orientaux,
conde conclusion se trouve égalem ent énoncée par non catholiques); c) l ’ efficacité des paroles de l'ins ­
un grand nom bre de Pères et de docteurs. V oir cet titution est conditionnée par une oraison qui précède
argum ent développé dans O rsi, op. cil., p. 173 sq. (théorie de C atharin pour la liturgie rom aine où il
V oir aussi B enoîlX IV . De sacrosancto missæ sacrificio, voit l ’ épiclèse dans la prière Quam oblationem); d) l ’ ef ­
I. II, c. xv, édit. A ligne, Theol. cursus completus, ficacité consécratoire de l ’ épiclèse est conditionnée
t. xxm , col. 1008 sq. par la prononciation des paroles dom inicales qui la
2. Instantanéité de la transsubstantiation. — Pour précèdent (théorie grecque, adm ise par C atharin pour
prévenir toute équivoque, il est utile de rappeler, en la liturgie orientale; C hristophe de C helTontaines,
y insistant m êm e un peu, que la transsubstantiation ne R enaudot, Le B run, T outtée, Schell, R auschcn, le
peut être qu'un acte instantané. La disparition de la prince M ax de Saxe suivent C atharin avec des nuances),
substance du pain et la présence du corps de Jésus- e) on peut concevoir une cinquièm e hypothèse, qui
C hrist sont corrélatives l ’ une de l ’ autre. A l ’ instant a été ém ise par Le Q uien et C om befis : les paroles
où la substance du pain s ’ évanouit, le corps de Jésus- du Sauveur sont bien l ’ unique form e de l ’ eucharistie,
C hrist devient présent. O r, la disparition de la sub ­ qui opère à elle seule la transsubstantiation; m ais
stance du pain ne peut pas se faire peu à peu, car cette pour être efficaces, ces paroles doivent être pro ­
substance est indivisible; une partie ne peutpas dis ­ noncées in persona Christi pendant la m esse; elles
paraître à un m om ent, et une autre partie à un autre doivent être encadrées dans l ’ ensem ble des prières
m om ent. D e m êm e, la présence du corps de N otre- liturgiques fixées par l ’ Église pour la célébration du
Seigneur dans l ’ eucharistie est quelque chose d ’ indi ­ sacrifice. C ette condition serait nécessaire, d ’ après
visible; on ne peut pas dire qu ’ il devient présent peu ces m êm es auteurs, pour que le prêtre puisse être
à peu sous l ’ espèce du pain, que telle partie de son regardé com m e agissant au nom de l ’ Église, com m e
corps est présente, alors que telle autre ne l ’ est pas ayant l ’ intention de faire ce qu ’ elle fait. U n prêtre
encore. Il est présent tout entier à un m om ent donné, qui prononcerait, en dehors de tout rite religieux, les
ou il n ’ est pas présent du tout; les parties du corps de paroles de Jésus-C hrist, déclarent-ils, ne consacrerait
Jésus-Christ sont, en effet, inséparables l ’ une de pas validem ent, m êm e en ayant l ’ intention d ’ user de
l ’ autre. D e plus, il est de foi que N otre-Seigneur est son pouvoir d ’ ordre. Le Q uien et C om befis ém ettent
présent tout entier sous la plus petite parcelle; ce qui cette opinion com m e probable. A insi, les paroles de
revient à dire que son corps eucharistique n ’ occupe l ’ institution auraient leur efficacité conditionnée,
pas de lieu, qu ’ il est présent à la m anière d ’ une sub ­ dans une certaine m esure, par l ’ ensem ble des prières
stance, d ’ un esprit. O r, la substance, l ’ esprit sont liturgiques, au m oins par celles qui précèdent le récit
quelque chose de sim ple et d ’ indivisible. Le corps de de la cène. D uns Scot, In IV Sent., 1. IV ,dist. V III,
Jésus-C hrist, en tant que présent dans l ’ eucharistie, q. il. sem ble favorable à cette opinion. O n sait que
se com porte donc com m e quelque chose d ’ indivisible. saint Thom as d ’ A quin professe l ’ opinion contraire :
Par conséquent, la disparition de la substance du pain il enseigne que si un prêtre prononçait, indépendam ­
et la présence du corps de Jésus-Christ, c ’ est-à-dire m ent de toute autre prière, seulem ent les paroles du
l acté m êm e de la transsubstantiation, s ’ opère en un C hrist, avec l ’ intention d ’ accom plir le sacrem ent, il
2U3 É P 1C LÊ S E E U C H A R IS T IQ U E 204

y aurait consécration, car l ’ intention suffirait pour sort du récit des synoptiques et de saint Paul, sont la
qu ’ on pût regarder ces paroles com m e dites ex persona form e de l ’ eucharistie, on ne pourra pas dire que
Christi. Sum. theol., III», q. l x x v h i , a. 1, ad 4 “ ” >. l ’ épiclèse, ou toute autre partie du canon, joue égale ­
Il faut rapprocher de l ’ hypothèse de Le Q uien et de m ent ce rôle.
C om befls l ’ opinion ém ise par certains liturgistes m o ­ O r, que telle ait toujours été l ’ intentiort del ’ Église,
dernes, par exem ple, H oppe, op. ci!., p. 316 sq. ; dom C a- l ’ étude de la tradition nous le m ontrera. Q uant à
brol, art. Amen du Diet, d’arehéol. chrét. et de lit., t. x, l ’ intention du C hrist, nous essayerons de la dégager,
col. 1558; le P. T hurston, dans la /tenue du clergé sinon avec une com plète évidence, du m oins avec
français, 1908, t. i .i v , p. 536, qui croient à l ’ unité de une grande probabilité, des données évangéliques
la prière sacrificielle et pensent que la consécra ­ touchant les rites accom plis à la dernière cène. M ais,
tion dépend de toute l’action. auparavant, il est nécessaire, m aintenant que nous
R ien n ’ em pêche, sem ble-t-il, un catholique d ’ accep ­ avons exposé les principales données théologiques
ter cette cinquièm e hypothèse qui, plus que celle de sur la question, d ’ aborder directem ent le problèm e
saint Thom as, tient com pte des rites et prières litur ­ soulevé par les données liturgiques concernant l ’ épi-
giques, m ais à condition de sauvegarder le principe clèse et la consécration.
de l ’ instantanéité de la transsubstantiation et la no ­ III. D o n n é e s l it u r g i q u e s : l e r é c i t d e l ’ i n s t i ­
tion de form e sacram entelle, c ’ est-à-dire de consi ­ t u t io n e t l ’ é p ic l è s e d a n s l e s d iv e r s e s l it u r g i e s .
dérer com m e le m om ent précis du m ystère celui où — O n peut affirm er, d ’ une façon générale, que toutes
sont prononcées les paroles du Sauveur. Ce principe les liturgies ont le récit de la cène et les paroles du
et cette notion sont nettem ent m is en relief par l ’ opi ­ Sauveur avant l ’ épiclèse. En outre, m algré la diffi ­
nion de saint T hom as, m ais ils peuvent aussi fort bien culté des problèm es concernant les origines litur ­
subsister avec 1 ’ autre opinion. L ’ une et l ’ autre s ’ ac ­ giques et bien que la lum ière soit encore loin d ’ être
cordent sur le point essentiel, qui est de reconnaître com plète en ces m atières fort com plexes, nous pou ­
dans les paroles de l ’ institution l ’ unique form e de vons, avec un groupe assez nom breux de liturgistes
la consécration eucharistique. « Les paroles de l ’ insti ­ (R cnaudot, H oppe, Probst, D uchesne, Funk, C agin,
tution, écrit très justem ent M gr B atiffol, sont pour C abrol, R auschen, etc.) adm ettre l ’ existence de l ’ épi ­
nous, théologiens, la form e qui consacre : elles sont clèse, à la place que nous avons dite, dans toutes les
nécessaires et elles suffisent pour opérer la conversion : liturgies anciennes d ’ O rient et d ’ O ccidcnt, au m oins
donc en bonne logique l ’ épiclèse n ’ ajoute rien à leur à partir de leur période de fixation — la prem ière
vertu, et elle ne saurait achever ce qui est déjà par ­ où nous puissions les constater — c ’ est-à-dire au
fait. A plus forte raison ne peut-on pas dire que la iv e siècle. N e pouvant donner ici au développem ent
qualité de form e s ’ étend à autre chose que la form e de ces deux propositions toute l ’ étendue qu ’ elles com ­
m êm e, c ’ est à savoir à toute la prière eucharistique porteraient, nous nous bornerons à signaler les ren ­
du canon. O n ne dira pas davantage que le m om ent seignem ents les plus utiles pour la solution du pro ­
de la consécration se règle sur l ’ intention du prêtre, blèm e théologique.
parce que la form e opère par elle-m êm e en tant qu ’ elle Le progrès accom pli par les études liturgiques per ­
est com plète, et l ’ intention du prêtre ne s ’ exerce que m et de se rendre com pte aujourd ’ hui que le canon
sur la volonté de prononcer la form e, d ’ accord avec occidental correspond exactem ent, pour la structure
l ’ Église. » B atiffol, Nouvelles éludes documentaires sur générale, à l ’ anaphore de la m esse orientale. O n re ­
la sainte eucharistie, dans la Revue du clergé français, trouve des deux côtés les m êm es élém ents : une pré­
1908, t. l v , p. 524-525. C ette doctrine ressort avec évi ­ face ou prière d ’ actions de grâces (ευχαριστία) sur les
dence de l ’ enseignem ent de saint Thom as d ’ A quin, oblations; puis, le récit delà cène rattaché à cette pré ­
dont il ne sera pas inutile de rappeler le passage sui ­ face, interrom pue un instant seulem ent par le San­
vant, qui servira de résum é : I/æc conversio (eucha­ ctus, m ais qui se poursuit en réalité, jusqu ’ à la narra ­
ristica) est instantanea : primo quidem, quia substantia tion évangélique; les derniers m ots de ce récit, en
corporis Christi, ad quam terminatur ista conversio, rappelant l ’ ordre du M aître de renouveler la cène en
non suscipit magis neque minus; secundo, quia in hac m ém oire de lui, am ènent la form ule d’anamnèse (άνά-
conversione non e*t aliquod subjectum quod successive μ.νησις .souvenir), énum érant, en relation avec l ’ eucha ­
praeparetur; tertio, quia agitur Dei virtute infinita (cu­ ristie, les m ystères de la passion, de la m ort, de la
jus est subito operari, avait dit un peu plus haut le résurrection et de l ’ ascension du Sauveur, parfois
saint docteur)... ht ideo dicendum est quod hæc con­ aussi, la nensée du second avènem ent. C ’ est alors que
versio, sicut dictum est, perficitur per verba Christi vient l’épiclèse, quofonefois introduite par la m en­
quie a sacerdote proferuntur, ita quod ultimum instans tion explicite de la Pentecôte. A ioutons. pour être
prolationis verborum est primum instans in quo est com nlet. que l ’ anam nèse ou l ’ épiclèse, d ’ ailleurs sou­
in sacramento corpus Christi; in toto autem tempore vent fondues l ’ une dans l ’ autre, exprim ent aussi ordi ­
praecedente est ibi substantia panis, cujus temporis nairem ent une offrande faite à D ieu du corps et du
non est accipere aliquod instans proxime prtecedens sang de .Jésus-Christ. N ous n ’ avons pas à nous arrê ­
ultimum, quia tempus non componitur ex instantibus ter sur chacun de ces élém ents. M ais il était néces ­
consequenter se habentibus... Et ideo est quidem dare saire de les rappeler pour bien déterm iner le cadre où
primum instans in quo est corpus Christi; non est au­ le récit de la cène et l ’ épiclèse ont leur place m arquée
tem dare ultimum instans in quo sit susblantia panis, à côté des autres pièces liturgiques.
sed est dare ultimum tempus. Et idem est in mutationi­ 1. l it u r g ie s o r ie n t a l e s . — 1° Universalité du récit
bus naturalibus... Ista conversio, sicut dictum est, fit de la cène et de l’épiclèse. — Pour le récit de la cène,
in ultimo instanti prolationis verborum; tunc enim com­ la preuve de l ’ universalité liturgique n ’ est pas à
pletur verborum significatio, quæ est efficax in sacra­ faire. Il y aura seulem ent quelques rem arques à noter,
mentorum formis. Et ideo non sequitur quod ista con­ qui viendront tout à l ’ heure avec d ’ autres observa ­
versio sil successiva. Sum. theol., '11°, q. l x x v , a. 7; tions. Q uant à l ’ épiclèse, il suffit, pour constater sa
cf. q. l x x v h i , a. 2; In IV Sent., 1. IV, dist. V III, présence dans toutes les liturgies orientales, de par
q. i i . a. 3. ad 6°™ : in ultimo prolationis instanti fit courir les recueils de R enaudot, D aniel, H am m ond,
transsu bstantiatio. R ien de plus logique que cette B rightm an. A fin de sim plifier cette dém onstration,
doctrine. Il est clair, en effet, que si les paroles de en ram enant le très grand nom bre de liturgies orien ­
l ’ institution, d ’ après l ’ intention de l ’ Église, et aussi tales à quelques types fondam entaux, contentons-
d ’ après l ’ intention m êm e du C hrist telle qu ’ elle res ­ nous de signaler le fait d ’ une épiclèse très expH cite,
205 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 2<ü>

après les paroles de l ’ institution, dans lesanaphores nacle préparé, de ton indescriptible sein, le Paraclel,
les plus anciennes : celle des C onstitutions apostoliques l ’ E sprit de la vérité, le saint, le Seigneur ct le vivi ­
ct celle de saint Jacques, représentant le type syrien fiant, qui a parlé dans la loi, les prophètes et les
d'A ntioche et de Jérusalem ; celle de saint M arc, apôtres, qui est présent partout et rem plit toutes
représentant le type alexandrin. V oici ces form ules. choses..., jette un regard sur nous et envoie sur ces
Elles tiendront lieu de toutes les autres. pains et sur ces calices ton E sprit-Saint pour qu ’ il
Les C onstitutions apostoliques font ainsi prier le les sanctifie et les consacre com m e D ieu tout-puissant
célébrant aussitôt après avoir term iné les paroles et qu ’ il fasse du pain le corps, am en, du calice le s.m g
dites par le Sauveur à la cène : « N ous souvenant de la nouvelle alliance de notre Seigneur, D ieu, San
donc de sa passion et de sa m ort, ct de son retour aux veur et Roi universel Jésus-C hrist, afin qu ’ ils soient
cieux, ct de son avènem ent à venir, dans lequel il vien ­ pour nous tous qui y participons, com m unicateurs de
dra juger les vivants et les m orts et rendre à chacun foi, de purification, de guérison, de sagesse, de sanc ­
scion ses œ uvres, nous t ’ offrons à toi, R oi et D ieu, tification... »
scion son ordre, ce pain et ce calice, te rendant grâces L 'anaphore de Sérapion de T hinuis, qui représente
par lui d'avoir daigné accepter que nous nous tenions la liturgie égyptienne du rv° siècle, a aussi son épi-
devant toi et soyons tes prêtres. E t nous te supplions cièse après le récit de la cène, avec cette particularité
de jeter un regard de bienveillance sur ces dons offerts qu ’ au lieu de solliciter l ’ intervention eucharistique
en ta présence, de les agréer en l'honneur de ton du Saint-Esprit, elle sollicite l ’ intervention du V erbe.
C hrist, ct d ’ envoyer sur ce sacrifice ton Saiiit-E sprit, M ais ce détail m is à part, son contenu est identique
le tém oin des souffrances du Seigneur Jésus, pour à celui des autres épiclèsc.s. Q u ’ on en juge : « D ieu
qu ’ il fasse [de] ce pain le corps de ton C hrist et [de] ce de vérité, vienne ton saint V erbe sur ce pain, pour
calice le sang de ton C hrist (όπως άποφήντρ τον άρτον que le pain devienne corps du V erbe, et sur ce calice,
τούτον σώμα τού Χ ριστού σου καί τό ποτήριον τούτο αίμα pour que le calice devienne sang de la V érité. E t fais
τού Χ ριστού σου), afin que les com m uniants ("να οί que tous ceux qui com m unieront reçoivent le rem ède
μεταλαβόντες ) soient afferm is pour la piété, obtiennent de vie, pour la guérison de toute infirm ité, pour se for ­
la rém ission de leurs péchés, soient délivrés du diable tifier en tout progrès et vertu, et non pour leur con ­
ct de sa trom perie, soient rem plis de l ’ E sprit-Saint dam nation, D ieu de vérité, ni leur charge ct leur con ­
(Πνεύματος άγιου πληρωΟ ώσι), deviennent dignes de fusion. » Funk, Didascalia ct constitutiones, Paderborn,
ton C hrist,obtiennentla vie étem elle... ■> B rightm an, 1906, t. π, p. 174-176.
op. cit., p. 20-21. Cf. K irch, Enchiridion fontium hi­ 2° Objections à cette universalité liturgique. — 1. Les
storice ecct. anliqute, Fribourg, 1910, n. 616. prolepses d’épiclèse. — N otons en outre, à propos des
D ans la liturgie de saint Jacques, on lit au m êm e liturgies égyptiennes, que, tout en ayant leur form ule
endroit : « N ous souvenant donc, nous aussi, pécheurs, norm ale d ’ épiclèse après les paroles de Jésus-C hrist,
de ses vivifiantes souffrances, de sa croix salutaire, elles possèdent de plus, entre le Sanctus et ces paroles,
de sa m ort et de sa sépulture, de sa résurrection une sorte de prolepse ou d ’ anticipation de l ’ épiclèse,
d ’ entre les m orts le troisièm e jour, de son ascension plus ou m oins explicite, suivant les cas. Il ne sera
aux cieux, de son intronisation à ta droite, 0 D ieu pas inutile, à raison de l'im portance de cette donnée,
Père, et de son second avènem ent glorieux et redou ­ de m ettre sous les yeux du lecteur quelques exem ples
table quand il viendra avec gloire juger vivants et de cette prolepse. V oici d ’ abord celle de la liturgie
m orts, quand il viendra rendre à chacun selon ses grecque de saint M arc; elle fait im m édiatem ent suite
œ uvres..., nous t ’ offrons, Seigneur, ce sacrifice redou ­ à la courte paraphrase du Pleni sunt cæli ct terra ter ­
table et non sanglant, te priant... de nous accorder m inant le Sanctus : · R em plissez aussi, ô D ieu, ce sa ­
les dons célestes ct éternels..., aie pitié de nous, ô crifice de la bénédiction qui vient de vous, par la des­
D ieu tout-puissant..., et envoie sur nous et sur ces cente de votre Saint-l· sprit. » B rightm an, op. cit., p. 132.
dons offerts ton E sprit le tout-saint, le seigneur et le La liturgie copte de saint C yrille exprim e, à la m im e
vivifiant..., Je consubstantiel et coéterncl, qui a place, la irrire prière avec plus d ’ insistance encore :
parlé dans la loi et les prophètes ainsi que dans le « R em plissez ce sacrifice, Seigneur, de la bénédiction
N ouveau T estam ent, qui est descendu sous form e de qui vient de vous, par la descente du Saint-Esprit sur
colom be sur N otre-Seigneur Jésus-C hrist..., qui est lui. am en; et bénissez de bénédiction, am en; et puri­
descendu sur tes saints anfitres sous form e de langues fiez de purification, am en, ces vénérables élém ents
de feu dans le cénacle de la sainte et glorieuse Sion oui sont vôtres, ofierts devant vous, ce pain < t ce ca ­
au jour de la sainte Pentecôte; ce tien E sprit tout- lice. »Γ riphtn an, op. cit., p. 176: R cnaudot. Li.urgia-
saint, envoie-le, Seigneur, sur nous et sur ces dons run> orientalium collectio, 2 e édit., Francfort. 1847,
offerts, afin que, étant descendu, nar sa sainte, bonne t. T, p. 45. D ans les deux anaphores citées, cette for
et glorieuse venue, il sanctifie et fasse [de] ce pain le m ule précède im m édiatem ent le récit de la cèn< : puis
corns saint du C hrist, am en, et [de] ce calice le san ' vient l ’ anam nèse (Vnde et memores} et à sa suite une
précieux du C hrist, am en : afin qu ’ ils soient, pour épiclèse plus com plète. l ’ épiclèse norm ale,sollicitant,
tous ceux qui y participent, rém ission des péchés, outre la transsubstantiation, la production de la giâce
vio éternelle, sanctification des âm es et des corps... » dans les com m uniants. A ces deux exem ples d ’ ; na
B rightm an, p. 53-54. phorcs à double épiclèse. il faut ajouter une autre aim
La liturgie de saint M arc s ’ exprim e dans les term es phore égyptienne, probablem ent du vr° siècle, pu ­
suivants : « A nnonçant, ô Seigneur et M aître tout- bliée parB aum stark. FineâgyptischeMess-und Toufti-
puissant, R oi céleste, la m ort de ton Fils unique, turgie vermullich des vt Jahrh., dans Oriens Chri­
notre Seigneur. D ieu et Sauveur Jésus-Christ, et con ­ stianus, 1901, t. r, p. 1-45. Cf. S. Salaville, la double
fessant sa bienheureuse résurrection d ’ entre les m orts épiclèse des anaphores égyptiennes, dans les Échos
au troisièm e jour, son ascension aux cieux et son d’Orient, 1910. t. xm . p. 133 sq.
intronisation à ta droite, ô D ieu et Père, et attendant C ette particularité des anaphores égyptiennes,
son second, terrible et redoutable avènem ent, dans déjà rem arquée par R cnaudot et H onpe. ernpêcb· de
lequel il doit juger vivants et m orts en toute justice et voirune exception à l ’ universalitéliturgique de l ’ épi ­
rendre à chacun selon scs œ uvres..., nous t ’ avons clèse, pour l ’ O rient, dans le fragm ent découvert en
oflert de tes propres dons en ta présence, nous te 1907 à D ôir B nlyzch, près d ’ A ssiout. Ce fragm ent
prions te te supplions, ô bon am i des hom m es, grec, écrit sur un papyrus du vu» ou du vin» siècle
envoie de la hauteur de ton sanctuaire, de ton taber ­ com prend la fin de la préface, le Sanctus avec la pro- ’
207 E P IC L ÉS E E U C H A R IS TIQ U E 208

lepse d ’ épiclèse, le récit de la cène et l ’ anam nèse ; m ais consécration du pain et du vin, et sous form e dépré-
la suite n ’ a pas été trouvée. Q ue cette suite renferm ât catoirc : le prêtre s ’ adresse directem ent à Jésus-
l ’ épiclèse proprem ent dite, la chose ne m e paraît pas C hrist, lui rappelant les actes accom plis par lui à la
douteuse, étant donné l ’ analogie que présente la nou ­ cène, et lui dem ande de les renouveler, m ais sans
velle anaphore avec les autres liturgies égyptiennes toutefois prononcer les paroles dites au cénacle. V u
déjà connues. V oir Échos d’Orient, novem bre 1909, l ’ im portance théologique d ’ un pareil usage, nous
t. xn, p. 329-335, où j ’ ai expose les raisons de ce juge ­ croyons utile de transcrire ici cette form ule, d ’ après
m ent, contrairem ent aux vues de dom P. de Puniet, la traduction latine du P. C haîne, op. cil., p. 6, 29-31 :
qui a public le m anuscrit de D eir B alyzeh à l ’ occa ­ Accepisti panem in manus tuas sanctas ut dares apo­
sion du C ongrès eucharistique international de W est­ stolis luis sanctis. Tu qui tunc cum gratiarum actione
m inster en 1908. V oir aussi dans le m êm e sens un benedixisti, benedic nunc hunc panem; tu qui tunc cum
article de M gr B atiffol dans la Revue du clergé fran­ benedictione fregisti, frange nunc hunc panem. Simi­
çais, 1 er décem bre 1909, p. 328-350. La seule diffé ­ liter calicem vino et aqua miscuisti ut dares apostolis
rence que présente le fragm ent de D eir B alyzeh, c ’ est tuis puris. Tu qui tunc sanclificasti, sanctifica nunc
que la prolepse de l ’ épiclèse y est plus explicite que hunc calicem; tu qui tunc priebuisti, præbe nunc hunc
dans les autres anaphorcs égyptiennes. V oici ce qu ’ on calicem; tu qui tunc conjunxisti, conjunge nunc hunc
y lit com m e paraphrase du Pleni sunt cieli : « R em - panem cum hoc calice, sint corpus tuum et sanguis
plisscz-nous, nous aussi, de la gloire qui vient de vous, tuus. C ette oraison correspond au récit de l ’ institution
et daignez envoyer votre Saint-E sprit sur ces créa ­ et elle est suivie, selon le procédé ordinaire, de l ’ épi-
tures, et faites du pain le corps de notre Seigneur et clèse. M ais cette dernière revêt, elle aussi, coqiine
Sauveur Jésus-C hrist, du calice le sang de la nouvelle d ’ ailleurs plusieurs autres du m issel éthiopien, une
alliance. C ar lui-m êm e, N otrc-Seigneur Jésus-C hrist, form e assez curieuse. N ous la donnons encore com m e
la nuit où il fut livré, prit du pain... » P. de Puniet, exem ple typique : Reveletur ostium lucis, aperiantur
Fragments inédits d’une liturgie égyptienne écrits sur porlæ gloriie, exuatur velamen a facie Patris cl descen­
papyrus, dans The Eucharistic Congress, L ondres, 1909, dat Agnus Dei, considat super hanc mensam sacerdota­
p. 382. Cf. Revue bénédictine, janvier 1909, t. xxvi, lem ante me servum tuum peccatorem praeparatam et
p. 46. mittetur « melos » (ce m ot melos doit désigner, d ’ après
2. Les lacunes de certains manuscrits liturgiques. — une explication que je dois au P. C haîne, un nom de
A insi donc, l ’ universalité liturgique de l ’ épiclèse, pierre précieuse) gladius igneus terribilis; appareat
com m e form ule venant après le récit de l'institution, super hunc panem et calicem qui franget istam obla­
est certaine pour Γ O rient. Le cardinal O rsi ne fait pas tionem. C haîne, op. cit., p. 31. N otons encore, dans
difficulté de le reconnaître, op. cil., p. 87-88. Il ajoute le m êm e ordre d ’ anom alies regrettables, que l'ana-
m êm e, et avec raison : « il faut repousser et tenir phore dite de N otre Seigneur a, dans le récit de la
pour non avenue la conjecture de certains scolas­ cène, la consécration du pain, suivant la form ule 1
tiques qui, pour se tirer plus facilem ent d ’ em barras, et la consécration du vin com m e il suit : Similiter
ont im aginé qu ’ une interversion se serait produite postquam vinum in calicem miscuisti, gratias agens be­
dans les liturgies : prim itivem ent, l ’ épiclèse aurait nedixisti et sanctificasli dedistique eis (apostolis) verum
précédé le récit de la cène; puis, un beau jour, elle se hunc sanguinem tuum qui pro peccatis nostris effusus
serait trouvée le suivre. » Ibid. L ’ universalité de l'épi— esi. Ibid., p. 29.
elèse en O rient, telle que nous l ’ avons rapidem ent in ­ Ces exem ples font bien voir, au point de vue dog ­
diquée, suffit à renverser cette hypothèse entièrem ent m atique, la nécessité d ’ un m agistère s ’ exerçant sur
gratuite. les liturgies, et le danger très grave qu ’ il y a à livrer à
O n ne saurait, d ’ autre part, prendre pour une excep ­ la fantaisie des form ules d ’ une telle im portance. M ais
tion les deux anaphorcs éthiopiennes (sur les qua ­ la date récente de. ces altérations, ainsi que leur carac ­
torze publiées par le P. C haîne), qui, d ’ après des tère local et très restreint, ne leur donne pas un grand
m anuscrits du xvn ” ou du xvm 0 siècle, n ’ ont pas de poids contre l ’ ensem ble des autres docum ents litur ­
form ule d ’ épiclèse, alors que. toutes les autres la con ­ giques beaucoup plus anciens et universellem ent ré ­
tiennent très explicitem ent après le récit de l ’ins ­ pandus. N airon et R ichard Sim on ont voulu attribuer
titution. Ce sont les anaphores dites de la sainte V ierge plus d ’ im portance à quelques m anuscrits de certaines
et de saint G régoire d ’ A lexandrie. C haîne, La consécra ­ liturgies syriaques (cinq sur plus d ’ une cinquantaine
tion et l’épiclèse dans le missel éthiopien, R om e, 1910, deces liturgies : celles qui portent les nom s de saint
p. 14-17, 22-25. O utre que l ’ âge récent des m anus ­ Pierre, du pape saint Sixte, de M athieu Pastor, de
crits en question ne peut laisser grande valeur à de Thom as d ’ H éraclée et de D enys B ar Salibi), m anu ­
tels docum ents sur le point qui nous occupe, l ’ ab ­ scrits où les paroles de N otrc-Seigneur se trouvent
sence de l ’ épiclèse dans ces deux anaphores doit être om ises. Ils en ont conclu que les jacobites, plaçant
attribuée à la trop grande liberté que les É thio ­ l ’ essentiel de la consécration dans l ’ épiclèse, n ’ avaient
piens se sont depuis longtem ps accoutum és à prendre pas fait difficulté de supprim er ou d ’ effacer les paroles
à l ’ égard des form ules les plus sacrées du canon de de l ’ institution. M ais Sim on A ssém ani, Ribliolheca
la m esse. orient., t. n, p. 199, a prouvé que, pour quelques rares
Il nous faut signaler, com m e preuves de cette m anuscrits de ces anaphores qui sont dans ce cas, il
excessive et déplorable liberté, les changem ents im ­ en est plusieurs autres qui contiennent ces paroles.
portants qu ’ ils se perm ettent dans la form ule m êm e D u reste, R enaudot et A ssém ani ont donné de cette
du récit de la cène et dans les paroles du Sauveur. om ission des explications très satisfaisantes. A cause
Ces paroles sacram entelles peuvent se ram ener, de la grande ressem blance qui règne ent re toutes les
d ’ après les divers m anuscrits du Qcddase ou m issel anaphores syriaques, certains m anuscrits renvoient
éthiopien, aux types suivants, dont quelques-uns pré ­ à d ’ autres pour plusieurs parties com m unes. II n ’ est
sentent de notables altérations.. 1. Hic panis est cor­ pas im possible que ce soit le cas ici, m ais que. pour
pus meum; 2. Hoc est corpus meum; 3. Ilic est parti­ une raison ou pour une autre, la référence ait été
ceps corporis mei ; I. Ilic calix est sanguis meus; 5. Hic om ise, soit en supposant que le prêtre savait par cœ ur
est sanguis meus; 6. Hic calix est particeps sanguinis le passage en question, soit que le copiste se proposât,
mei; 7. Hic panis (est) cibus justiliœ verus; 8. Ilic ca­ par exem ple, de l ’ ajouter après coup pour l ’ écrire, à
lix (est) potus vita’ verus. A joutons que l'anaphorc dite l ’ encre rouge. Il existe, au surplus, plusieurs com ­
de Jacques de Saroug a une form ule unique pour la m entaires de la m esse syriaque, de diverses époques.
2ü9 É P IG L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 210
attestant d ’ une m anière évidente la présence du récit transmutet el perficiat sanguinem... ipsius Domini, Ver.
de la cène et des paroles du Sauveur. D e ce nom bre bi Dei el Salvatoris Jesu Christi. R enaudot, op. cit.,
est notam m ent le com m entaire de D enys B ar Salibi, t. n, p. 263-264.
auteur du xii® siècle, dont le nom est précisém ent 4° En prenant les form ules d ’ épiclèse dans leur en ­
attaché à une des cinq liturgies ici en cause. V oir sem ble, on peut en décom poser ainsi les élém ents :
H oppe, op. cil., p. 247, n. 526, où l ’ on trouvera les a) prière sollicitant la m iséricorde et la bienveillance
références à l ’ ouvrage de R enaudot. de D ieu, inspirée par le sentim ent de l ’ indignité et
La liturgie nestorienne des apôtres A ddée et M aris de l ’ im puissance hum aine en face du m ystère eucha ­
a été souvent considérée, elle aussi, com m e m anquant ristique; b) prière pour dem ander la transsubstan ­
des paroles de l ’ institution, sous le m êm e prétexte tiation; c) prière pour que les com m uniants parti ­
que certains m anuscrits les om ettent. E t plusieurs cipent aux effets du sacrem ent et du sacrifice.
auteurs en avaient profité pour contester le caractère L 'insistance exagérée sur le prem ier élém ent a don ­
essentiel de ces paroles et reporter sur l ’ épiclèsc toute né lieu, dans plusieurs liturgies, à certaines addi ­
la vertu de la consécration. M ais les hom élies litur ­ tions, dont quelques-unes fort inintelligentes, m ais
giques de N arsès, écrivain nestoricn du v° siècle, destinées, dans l'esprit de leurs auteurs, à accentuer,
publiées par dom C onnolly, The liturgical Homilies contre la doctrine catholique, l ’ im portance de l ’ épi ­
o/ Narsai, C am bridge, 1909, qui attestent l ’ existence clèse. Tel a été le cas pour les liturgies byzantines.
d ’ un texte étroitem ent apparenté à la liturgie en V oici, en effet, sous quelle form e étrange l ’ épiclèse y
question, m entionnent form ellem ent ces paroles apparaît dans un grand nom bre d ’ exem plaires im ­
com m e renferm ées dans l ’ anaphore de la m esse et prim és : « N ous t ’ offrons ce sacrifice raisonnable et
confirm ent ainsi la tradition catholique. V oir du reste non sanglant, nous t ’ invoquons, te prions ct le sup ­
B rightm an, op. cil., p. 285, qui a très sagem ent sup ­ plions d ’ envoyer ton E sprit-Saint sur nous et sur ces
pléé à cette om ission des m anuscrits conform ém ent | dons offerts. » Le prêtre et le diacre s ’ inclinent trois
d ’ ailleurs à l ’ usage des C haldéens, intercalant le récit fois profondém ent devant l ’ autel en disant à chaque
de la cène entre le Post-Sanctus et la grande prière fois le tropaire suivant : Seigneur qui à la troisième
d'intercession. L ’ épiclèse vient ensuite à sa place nor ­ heure as envoyé ton Saint-Esprit aux apôtres, ne l'en­
m ale, quoi qu ’ en ait dit R enaudot qui, trom pé par les lève pas de nous, loi qui es bon, mais renouvelle-le en
om issions des m anuscrits, prenait cette anaphore nous qui te prions. La prem ière fois, ils ajoutent le
pour un des cas où l ’ épiclèse se trouverait avant les verset : « Crée en m oi un cœ ur pur, ô D ieu, et renou ­
paroles du Sauveur qu ’ il avait seulem ent le tort de ne velle au dedans de m oi l ’ esprit de drotiure. » A près
pas suppléer au bon endroit. R enaudot, op. cil., t. n, la seconde reprise, ils disent : « N e m e rejette pas de
p. 599. M êm e erreur dans O rsi, op. cil., p. 104. devant ta face et n ’ enlève pas de m oi ton Saint-
3° Divers éléments liturgiques de solution pour le E sprit. » A près la troisièm e, le diacre dit. au prêtre :
problème de l’épiclèse. — 11 y aurait encore bien « B énissez, Seigneur, le saint pain. » Le prêtre, faisant
d ’ autres observations à faire concernant les liturgies J alors le signe de la croix sur le pain, dit : « E t fais ce
orientales aux deux endroits du récit de l ’ institu ­ pain le corps précieux de ton C hrist. » Le diacre :
tion et de l ’ épiclèse. Pour tout résum er, nous ram ène ­ « A m en. B énissez, Seigneur, le saint calice. » Le prêtre,
rons les données liturgiques orientales aux proposi ­ faisantlesignedelacroixsurlecalice.dit: «E t ce qui
tions suivantes : est dans ce calice, le sang précieux de ton C hrist. »
1. Le récit de l ’ institution et l ’ épiclèse sont deux Le diacre : «A m en. B énissez, Seigneur, l ’ un et 1 ’ autrc. »
faits liturgiques universels en O rient. Les liturgies Le prêtre fait le signe de la croix sur les deux en disant:
éthiopiennes et la liturgie nestorienne signalées ci- « Les changeant par ton Saint-E sprit. » Le diacre :
dessus ne peuvent pas être regardées com m e des ex ­ « A m en, A m en, A m en. » Il dit. ensuite au prêtre :
ceptions ù cette universalité. « Seigneur saint, souvenez-vous de m oi qui suis un
2. L ’ ordonnance générale de cette partie de l ’ ana- pécheur. · Puis, le prêtre continue à voix basse :
phore est celle-ci préface, Sanctus, Post Sanclus ou «A fin qu ’ ils soient pour les com m uniants purifi ­
paraphrase du Sanclus, récit de l ’ institution, ana ­ cation de l ’ ftm e..., » ct le reste qui sert de finale à
m nèse (Undc et memores), épiclèse, grande intercession l ’ épiclèse.
(Memento des vivants et des m orts). C ette dernière Ces rites com pliqués sont ceux de la liturgie de
prière est la seule pièce de cet ensem ble qui occupe saint Jean C hrysostom e dans les exem plaires en
parfois une place différente : ainsi, dans la liturgie de question. Ils sont identiques dans la liturgie de saint
saint M arc, elle se trouve entre la préface et le San­ B asile, sauf les différences de form ule que présente
ctus; dans celle des apôtres A ddée et M qris, entre le celle-ci pour l ’ oraison proprem ent dited ’ épiclèse. V oici
récit de la cène cl l ’ anam nèse. sim plem ent la m anière dont on a adapté ces form ules
3. Toutes les form ules d ’ épiclèse sollicitent la trans ­ adventices aux deux parties de l ’ oraison norm ale :
substantiation. Les verbes ποιεΐν, βπσφαίνειν, άναδει- «... Seigneur, ... nous te prions d ’ envoyer ton E sprit-
xvjvas, μεταβάλλει, et leurs équivalents syriaques, Saint sur nous et sur ces dons offerts , pour les bénir,
coptes, éthiopiens, arm éniens, sont synonym es et les sanctifier et les consacrer. » Le diacre et le prêtre
exprim ent certainem ent l ’ idée de la conversion eu ­ font alors trois inclinations profondes devant l ’ au ­
charistique. S ’ il était besoin, pour confirm er cette tel, disant à chaque fois : « O D ieu, sois-m oi propice,
assertion, d ’ alléguer d ’ autres form ules, en plus de à m oi qui suis un pécheur. » Puis, ils disent à voix
celles que nous avons citées, on les trouverait en basse le tropaire et les versets com m e ci-dessus.
grand nom bre dans le recueil de R enaudot ou Suivent les bénédictions accom pagnant les paroles
dans l ’ ouvrage de H oppe. C ontentons-nous d ’ en dites sur le pain et sur le calice. A u sujet de ce der ­
indiquer un nouveau spécim en, l ’ épiclèse de la li ­ nier, rem arquons que les m êm es exem plaires ont
turgie svriaque de saint M aroutas, qui accentue la ajouté, par im itation de la liturgie de saint Jean
dem ande de transsubstantiation au point d ’ aggraver C hrysostom e, les m ots μεταβαλών αυτά τώ Π νεΰματί
encore la difficulté du problèm e éniclétique : ...Mille σου τω άγίω, les transformant par ton Saint-Esprit,
svnrr me et super oblationem istam Spiritum Sanctum..., qui n ’ ont ici aucune raison d ’ être, puisque ce sens
requiesratque super oblationes istas et eas sanctificet... est déjà contenu dans ce qui fait précisém ent la
et panem hunc simplicem transmutet atque, efficiat différence de la form ule, basilienne avec la précé ­
corpus ipsum... ipsius Verbi Dei el Salvatoris nostri dente. Le dialogue du prêtre et du diacre term iné, le
Jesu Christi..., ct vinum mistum, quod est in hoc calice, prêtre achève tout bas l ’ oraison d ’ épiclèse : < Q uant
211 É P 1G LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 212

à nous, qui participons à un seul pain et au calice, Père, adresse au C hrist l ’ oraison d ’ épiclèse, le solli­
unis-nous... «etc. citant d ’ envoyer son Saint-E sprit sur les oblations.
Par une absence regrettable de critique, les édi ­ D e m êm e dans les anaphores ét hiopicnnes des A pôtres,
tions catholiques ont adopté cette form e étrange de saint Jean C hrysostom e, de saint Épiphane.
d ’ épiclèse qui est certainem ent, de l ’ aveu m êm e des C haîne, op. cit., p. 9,19-21, 27. D ans l ’ anaphore éthio ­
orthodoxes, une altération récente. Cf. Ευχολόγιο* pienne de Jésus-C hrist, Je Fils est supplié d ’ envoyer
το μένα, édition de la Propagande, R om e, 1873, p. 64- l'Esprit-Saint ut faciat... corpus Domini nostri Jesu
65, 92-94 (cette édition n ’ est, du reste, que la repro ­ Christi. Ibid., p. 28-29. Q uelquefois la construction
duction à peu prés com plète de l ’ édition vénitienne de la phrase présente une certaine confusion : l ’ on
de 1777); A thanase de Paros, ’ Επιτομή είτε συλλογή s ’ adresse d ’ abord au Père, puis brusquem ent au Fils;
των θείων τής πίστεως δογμάτων, Leipzig, 1806, ρ. 366- par exem ple, dans l ’ anaphore éthiopienne de D ios-
367; Π ηδάλιου, édition de Z ante, 1864, p. 428-429, core. Ibid., p. 19.
n. 3;R om potès, Λ ειτουργική, A thènes, 1869, p. 248, A joutons enfin, toujours à propos du style des épi-
n. 1 ; M esoloras, ’ Εγχειρίδιου λειτουργικής , A thènes, clèses, une rem arque intéressant les théologiens :
1895, p. 170; Archieraticon, édit, officielle du Phanar, c ’ est que certaines d ’ entre elles renferm ent une série
C onstantinople, 1820. p. 7,18-19; Hieraticon,C onstan ­ plus ou m oins longue d ’ épithètes ou d ’ attributs du
tinople, 1895, p. 75-76). Cf. Manuel de liturgie grecque Saint-E sprit; pour en avoir des exem ples, le lecteur
(cours polycopié, du sém inaire Sainte-A nne à Jérusa ­ n ’ a qu ’ à se reporter aux épiclèses des liturgies de
lem ), 1902, t. n, p. 69-70, 121. saint Jacques et de saint M arc. Q uelques-unes m êm e
La com plication m êm e de ces dialogues entre le y m entionnent la procession ex Patre et Filio. V oir
diacre et le prêtre, de ces rites et de ccs form ules, par S. Salaville, Doctrina de Spiritus Sancti ex Filio pro­
rapport à la sim plicité des deux oraisons norm ales cessione in quibusdam syriacis epiclescos formulis,
telles que nous les avons citées au début de cet article, dans Slavorum litteræ lheologicæ, Prague, 1909, t. v,
suffit à trahirici la m ain d ’ un interpolateur. Si, com m e, p. 165-172.
il sem ble bien, ces interpolations doivent être attri ­ 6° A ne considérer que la teneur des textes litur
buées à la controverse entre O rientaux et O cciden ­ giques, le récit de l'institution sem blerait, à pre ­
taux au sujet de la form e de la consécration, elles ne m ière vue, n ’ avoir qu ’ une, valeur narrative, cf. H oppe,
peuvent pas rem onter au-delà du xtv° siècle. V oir op. cil., p. 225; m ais l'intention qu ’ a l ’ Église de le
P. de M eester, Les origines cl les développements du faire prononcer par le prêtre in persona Christi, c ’ est-
texte grec de la liturgie de saint Jean Clirysoslome, dans à-dire de lui donner une valeur consécratoire, appa ­
le recueil des Chrysostomica, R om e, 1908, fasc. 2, raît dans plusieurs indications, form ules et gestes
p. 340 sq. liturgiques. D es indications analogues au sujet de
N otons, en passant, que les récentes éditions non l ’ épiclèse attestent sans doute aussi l ’ im portance
catholiques de la liturgie, tout en faisant justice de de celte dernière prière. M ais celle-ci n ’ est jam ais
ces interpolations, ont m arqué d ’ une autre m anière dite in persona Christi, ce qui établit avec les paroles
la croyance orientale. U ne rubrique a été insérée à la de l ’ institution une différence essentielle.
fin de l'épiclèse, qui oblige les célébrants à faire alors 1. Le récit de la cène, ou du m oins ’ les paroles de
trois inclinations profondes : rite inouï jusque-là et l ’ institution, et l ’ épiclèse. au m oins la partie concer ­
destiné à reconnaître que la consécration vient d ’ avoir nant la dem ande de transsubstantiation, sont ordi -
lieu à ce m om ent-là seulem ent. V oir l ’ édition officielle nairem ent prononcés à haute voix. V oir H oppe, op.
du Phanar, C onstantinople, 1895, p. 76. ciL, p. 216-247. Il faut excepter cependant la liturgie
N ous devons, par contre, signaler que dans les byzantine actuelle pour l ’ épiclèse. et la liturgie arm é ­
liturgies à l ’ usage de certaines Églises orientales catho ­ nienne pour les deux form ules. La récitation silen ­
liques, notam m ent celles des M aronites, des A rm é ­ cieuse de l ’ épiclèse dans la liturgie byzantine d ’ au ­
niens, des C haldéens, l ’ on a fait subir aux form ules jourd ’ hui, tandis que les paroles du Sauveur sont
d ’ épiclèse des m odifications assez notables, en vue de dites à haute voix, sem ble plutôt défavorable à la
supprim er la dem ande de transsubstantiation et, théorie orientale m oderne, et favorable à l'efficacité
par là m êm e, la difficulté concernant la form e sacra ­ consécratoire des paroles de l ’ institution. U n décret
m entelle. Ces m odifications ont été vivem ent criti ­ de Justinien, en 564, Pargoire, L ’Église byzantine
quées par R cnaudot, op. cil., t. n, p. 601 sq., et par de 527 d 847, Paris, 1905, p. 100, avait, en effet, or­
Le B run. op. cil., t. v, p. 268. donné do dire à haute voix » la prière de la divine
5° O rdinairem ent, l'épiclèse s ’ adresse au Père et oblation », c ’ est-à-dire vraisem blablem ent la for ­
le prie d ’ envoyer le Saint-Esprit pour opérer le chan ­ m ule de la consécration. V oir H onne. op. cit., p. 223,
gem ent m iraculeux, ou encore d ’ envoyer le Saint- note 472, et les références qu ’ il indique. En 1702, le
E sprit et d ’ opérer par lui le changem ent (liturgie patriarche grec d ’ A lexandrie, G érasim e II Palladas.
arm énienne). D ansl ’ anaphore de Sérapion de Thm uis, fut blâm é sévèrem ent par G abriel III, de C onstan ­
on dem ande au Père d ’ envoyer le Logos. D ans la litur ­ tinople, d'avoir introduit sur ce point, dans son
gie copte de saint G régoire le théologien, R enaudot, Église, une grave innovation. Pour protester contre
op. cit., t. i, p. 29-31, laquelle d ’ ailleurs m et tout le la croyance catholinue attribuant l ’ efficacité consé ­
récit de l ’ institution à la deuxièm e personne dési­ cratoire aux paroles du C hrist et non à l ’ épiclèse,
gnant N otre-Seigneur, on dem ande d ’ abord à Jésus- G érasim e Π fit prononcer à voix basse le récit de la
C hrist d ’opérer la transsubstantiation, en term es qui cène et à haute voix l ’ épiclèse. G édéon, Κανονικά·
sem blent bien faire allusion à l ’ efficacité des paroles διατάξεις , C onstantinople, 1888-1889, t. I, p. 89-92;
du Sauveur qui viennent d ’ être prononcées : Tu, Domi­ t. n. p. 406-409.
ne, voce tua sola commuta hœc quæ sunt proposita; puis 2. U n grand nom bre de liturgies font faire au
on le prie d ’ envoyer le Saint-E sprit pour sanctifier et prêtre le geste des yeux levés vers le ciel; toutes lui
transform er ces oblations; enfin, l ’ on revient encore font accom plir les bénédictions sur les espèces au
à Jésus-Christ pour lui redem ander de faire du pain m om ent oïl le récit évangélique rappelle les m êm es
son corps, et du vin son sang, et facias. C om parer les gestes du Sauveur : m anière rem arquable de m ontrer
anaphores éthiopiennes de saint G régoire l ’ A rm énien que le prêtre agit véritablem ent, à ee m om ent m êm e.
et de Jacques de Sarong. C haîne, op. cit., p. 17, 29-31. in persona Christi. C ’ est là un tém oignage liturgique
D ans l ’ anaphore copte de saint B asile, R enaudot, universel, que les dissidents essaient en vain d ’ éluder.
t. i, p. 15, le prêtre, qui s ’ est adressé jusque-là au D ans certaines éditions récentes de l ’ Eucologe,
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V enise, 1851 et 1898; C onstantinople, 1895, les grecs C hrist et à la vérité historique du récit des évangé ­
ont supprim é la rubrique qui ordonnait au diacre de listes. M ais le contexte liturgique supposeautre chose.
m ontrer de la m ain droite la patène, après les pa ­ E t d ’ ailleurs, la liturgie éthiopienne,qui a été tra ­
roles : «C eci est m on corps,»et le calice après les pa ­ duite du copte, a rendu ccs passages en appliquant
roles : « C eci est le calice de m on sang...; » au bas évidem m ent cette profession de foi à la confection
de la page, une note dit que les paroles du Sauveur actuelle du m ystère eucharistique : Credimus et con­
ne s ’ appliquent pas à ce pain et à ce vin qui sont sur fidimus, et laudamus te : hoc est in veritate corpus tuum.
l'autel, m ais seulem ent au pain et au vin que le C hrist O u encore : Amen. Amen. Amen. Credimus et con­
bénit et distribua lors de la dernière cène;et que dès fidimus et laudamus te : Domine Deus noster : corpus
lors elles sont dites parle prêtre au sens purem ent tuum. O u m ieux, directem ent d ’ après l ’ éthiopien :
narratif et historique, διηγμηατικώς , et nullem ent Credimus cl certi sumus et laudamus te, Domine Deus
au sens consécratoire. M ais que valent cette sup ­ nosier; hoc est verc, et ita credimus, corpus tuum... Amen.
pression et cette dénégation devant l ’ affirm ation Vere hic est sanguis tuus, et ita credimus. R enaudot,
éclatante de toutes les liturgies anciennes? op. cit., t. i i , p. 213, 215. A l ’ épiclèse de cette m êm e
3. D ans la liturgie grecque de saint M arc, avant liturgie égyptienne de saint B asile, il n ’ y a que trois
que le prêtre prononce les paroles de Jésus-C hrist sim ples Amen : un après la dem ande générale priant
sur le pain, et de m êm e pour celles du vin, le diacre le C hrist d ’ envoyer le Saint-E sprit sur les élém ents
dit aux fidèles : Έ κτείνατε, c ’ est-à-dire probable ­ pour les sanctifier,les deux antres après la m ention de
m ent : « R edoublez votre prière en intensité et en chacune des espèces.
ferveur 1 » form ule qui m arque évidem m ent l ’ im por ­ 6. Term inons enfin cette série d ’ observations par
tance spéciale attachée à la prononciation de ces pa ­ cette rem arque, que dans toutes les liturgies, outre
roles sacrées, ainsi que, pour le noter en passant, leur l ’ épiclèse norm ale après le récit de l ’ institution et
caractère de prière et non point de sim ple récit. l ’ anam nèse, on trouve, spécialem ent parm i les prières
C f. O rsi, op. rit., p. 105 sq. d ’ offertoire ou m êm e de préparation, parm i les
4. D ans d'autres liturgies, surtout dans les sy ­ prières d ’ encensem ent, et à d ’ autres endroits encore,
riaques qui dérivent toutes de celle de saint Jacques, des oraisons plus ou m oins analogues à l ’ épiclèse.
>1 y a habituellem ent un avertissem ent solennel du Q uelques-unes sont m êm e conçues en term es iden ­
diacre au peuple, avant l ’ épiclèse, m ais n ’ indiquant tiques à ceux de l ’ épiclèse. Telle, cette oraison qui se
en aucune m anière que la consécration ait lieu à ce lit tout au début de la m esse copte de saint B asile,
m om ent et supposant plutôt, au contraire, qu ’ elle sous le titre de oratio oblationis sive proposition is
est déjà opérée, com m e l ’ insinue cette form ule : panis cl calicis : Domine Jcsu Christe, Pili anig·. -
• C om bien terrible est l ’ heure où le Saint-E sprit des ­ nite, Verbum Dei Patris, eique consubstantiale et
cend sur cette, eucharistie ! » O u encore : « Inclinez- coaeternum Spiritui Sancto; tu es panis vivus qui
vous devant. D ieu avec crainte. Faisons attention 1 » descendisti de cælo et prævenisti nos, impendisliq. ■:
5. Il y a généralem ent un Amen dit par les fidèles, animam tuam perfectam et absque, vitio, pro vita mundi:
ou tout au m oins par le clergé ou le diacre en leur nom , rogamus obsecramusque bonitatem luam, o amator ho­
en réponse à chacune des form ules : « Ceci est m on minum, ostende faciem luam super hunc panem et sup· :
corps, ceci est le calice de m on sang..., » et à l ’ épi ­ hunc calicem, quos super mensam hanc luam sacerdol
clèse. Sur la signification de ces Amen, spécialem ent lem posuimus; benedic eos γ, sanctifica eos· }· , el cons. -
de celui qui suit les paroles de Jésus-C hrist, voir O rsi, era eos f; transfer eos, ita ut panis quidem hic fiat
op. rit., p. 96 sq. ; H oppe, op. cit.. p. 211 sq. D ans cer ­ corpus tuum sanctum, et hoc mistum in hoc calice,san­
taines liturgies, par exem ple, la liturgie égyptienne guis tuus pretiosus, ut sint nobis omnibus præsidium,
de saint B asile (texte grecet texte copte), le récit de la medicina, salus animarum, corporum spiriluumque;
cène est presque à chaque instant entrecoupé d ’Amen quia tu es Deus nosier, Ubique debetur laus et potestas,
et d ’ autres form ules plus explicites de la foi des fi­ cum Patre tuo bono et Spiritu vivificante tibique
dèles. Q u ’ on en juge : Instituit nobis mysterium hoc consubstantiali... R enaudot, op. cit., t. i, p. 3,
magnum pietatis et religionis, cum statuisset tradere se cf. p. 179-181. La liturgie byzantine de saint Jean
morti nro mundi vita. Le peunle : Credimus in rei C hrysostom e possédait, au ix e siècle, com m e prière
veritate ita esse. — Le prêtre : Accepit panem in manus de prothèse, une form ule analogue qui est, ainsi que
suas sanctas, puras et immaculatas, beatas et vivifi­ la précédente, une véritable épiclèse adressée au
cantes, et aspexit in caelum ad te, o Deus, Patrem suum C hrist dès le début m êm e de la m esse : « Seigneur
et omnium Dnminum. — Le peuple : Amen. — Le notre D ieu, qui vous êtes offert vous-m êm e en agneau
prêtre : Et gratins eqit-γ.— Le peuple : Amen. — innocent pour la vie du m onde, jetez un regard sur
Le prêtre : El benedixit eum-y.— -Le peuple :Amen. nous ainsi que sur ce pain et sur ce calice, et faites-en
Le prêtre: Et sancti ficavit eumf. — Le peunle: Amen. votre corps im m aculé et votre sang précieux pour la
Suit cette rubrique : Sacerdos franget oblationem in participation de nos âm es et de nos corps. » B right-
très partes, quas ita ad se invicem adfunqet, ut quodam­ m an, op. cil., p. 309. C elte épiclèse initiale, très ex ­
modo divisæ non sint. Quæ dum faciet, digitos intra plicite, com m e on voit, et par cela m êm e infinim ent
discum deterqit, ne quid ex ablatis adhaereat (je sou ­ suggestive, a disparu des rites actuels de la prothés :
ligne ccs m ots qui supposent la consécration faite) m ais on aperçoit sans peine com bien elle m éritait
et dicet : Et freqit eum deditque discipulis et apostolis d ’ être signalée ici et com bien,par exem ple, un pareil
suis, dicens : Accipite... hoc est enim corpus meum cas d ’ épiclèse au début du service divin, et adressée
quod pro vobis frangitur et pro mullis datur in remis­ au C hrist en lui dem andant d ’ opérer la conversion
sionem peccatorum, hoc facite in meam commemora ­ des élém ents eucharistiques en son corps et en son
tionem. — I.e peuple : Amen. — Le prêtre : Similiter sang, dim inue de beaucoup la difficulté dogm atique
etiam calicem... gratias egitj·.— Le peuple: Amen.— soulevée p;tr l ’ épiclèse qui suit le récil de la cène et
Benedixit eum f. — Arnen. — Sanctificavit eum f. — le prononcé des paroles du Sauveur. V oir O rsi, op. cil.,
Arnen. — Gustavit et dedit...,dicens: Accipite, hoc facite p. 103.
in mei memoriam. Suit cette rubrique : Sacerdos cali­ A joutons qu ’ il s ’ est trouvé,en R ussie, au xvn ’ siècle,
cem in crucis formam movebit, ita tamen ut non agitet. des esprits, com m e les raskolniks A w akoum et
Puis: Populus dicet : Amen. Hoc ita est. R enaudot, op. L azare, pour enseigner que la transsubstantiation
eit.. t. i i , p. 14-15. O n dira peut-être que ces Amen ne était opérée par les prières de la prothèse. P. Sm ir ­
portent que sur la croyance à l ’ institution par Jésus- nov, art. Dogmatitcheskie spory ( Controverses dogma-
215 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 21&

tiques) dans Lopoukhinc, Pravoslavnaia bogoslovska'ia m ents de solution se retrouvent, et m ieux encore,
entsiklopedia (Encyclopédie théologique orthodoxe), dans les liturgies d ’ O ccident. Les difficultés concernant
t. iv (Saint-Pétersbourg, 1903), col. 1150 sq. l ’ épiclèse et la consécration y apparaissent, au con ­
Il y a, m êm e après l ’ épiclèse, dans toutes les litur ­ traire, m oins saillantes. Elles existent cependant
gies, des oraisons qui ne sont pas sans analogie avec chez, toutes, croyons-nous. O n se bornera ici à expo ­
elle pour le sens et où l'on dem ande encore, plus ou ser brièvem ent le fait de cette existence, en signalant
m oins explicitem ent, la sanctification des élém ents, au passage les caractères spéciaux des form ules d'épi-
leur consécration, com m e s ’ ils n ’ étaient pas déjà sanc ­ clèseoccidentales, lesquels ont d ’ ailleurs généralem ent
tifiés et consacrés. D ’ autant que ces prières sont, au une grande im portance au point de vue théologique.
surplus, accom pagnées de signes et de croix et de béné ­ Les liturgies occidentales com prennent plusieurs
dictions sur l ’ hostie et sur le calice, qui sem bleraient, groupes: ce sont les liturgies gallicane,am brosienneou
à prem ière vue, aggraver encore la difficulté. Cf. O rsi, m ilanaise,m ozarabe ou w isigothique et rom aine,pour
op. cil., p. 118 sq. ; H oppe, op. cit., p. 98 sq. Ce dernier ne citer que les principales. « M ais les nuances entre
auteur cite à ce sujet deux textes suggestifs, em ­ certains de ces di fférents types s ’ estom pent à tel point
pruntés à saint Pierre D am ien (f 1072) et à Inno ­ que l ’ on s'entend généralem ent pour ne discerner
cent III fj· 1216). B ien qu ’ ils ne visent directem ent dans toutes ces liturgies que deux usages vraim ent
que le canon rom ain, ils sont vrais de toutes les li ­ différents : l ’ usage gallican et l ’ usage rom ain. » V a-
turgies, et il ne sera pas inutile de les reproduire pour raine, L'épiclése eucharistique (thèse de Lyon), B ri ­
m ettre pleinem ent en relief la valeur de ces données guais, 1910, p. 104. Cf. D uchesne, Origines du culte
liturgiques. Le prem ier s ’ exprim e ainsi : Hic oritur non chrétien, 2° édit., Paris, 1898, p. 86. C ependant, m al­
prætereunda silentio quæslio, quare super hostiam gré cette distinction plus nette entre le type galli ­
benedictam et plenissime consecratam adhuc benedi­ can et le type rom ain, les autres groupem ents se dis ­
ctionis signum exprimitur? Immo talia sunt quiedam tinguent encore assez entre eux, pour qu ’ il y ait lieu
subjuncia in canone, quœ videntur innuere quod non­ de les exam iner un à un.
dum sit consecratio consummata. S. Pierre D am ien, 1° L ’épiclése dans les liturgies gallicane, mozarabe
Expositio canonis, n. 9, P. L., t. c x l v , coi. 885. Le et milanaise. — Pour la question qui nous occupe, la
second, Innocent III, prend à son propre com pte la conclusion la plus probable des recherches pratiquées
pensée de saint Pierre D am ien, en y ajoutant ses ré ­ à travers les textes, c ’ est qu ’ à partir d ’ une époque,
flexions personnelles : Hic oritur quæstio non præter- difficile à préciser, l ’ épiclèse y a été atténuée,déplacée
eunda silentio. Cum enim plene et perfecte sit conse­ ou m êm e supprim ée. M ais son existence antérieure
cratio celebrata (nam materia panis et vini jam transi­ n ’ en doit pas m oins, croyons-nous, être tenue pour
vit in substantiam carnis et sanguinis), quare super assurée. E lle était générale, au v» siècle, dans la litur ­
eucharistiam benedictam et plenissime consecratam gie gallicane, à laquelle se rattache la liturgie w isi ­
adhuc benedictionis signum imprimitur aut aliquod gothique ou m ozarabe, com m e dans celles de M ilan
verbum consecrationis profertur? Imo talia quædam et de R om e. Rauschen, Eucharistie und Busssakrament
subjunguntur in canone, quee videntur innuere quod in den erslen sechs Jahrhunderten der Kirehe, 2» édit.,
nondum sil consecratio consummata. Ego super hac Fribourg-en-B risgau, 1910, p. 112; trad, franc., par
qusestione vellem potius doceri quam docere, magisque D ecker et R icard, Paris, 1910, p. 108.
referre quam proferre sententiam. Verum quia nihil Pour l ’ épiclèse gallicane et m ozarabe, on trouvera
a majoribus dictum super hac re potui reperire, dicam une im posante série de form ules très explicites dans
salva fide quod sentio, sine præjudicio senlentiie me­ l ’ ouvrage de H oppe, p. 71-92. Les nom s m êm es qu ’ on
lioris. Innocent III, De mysterio missæ, 1. V , c. π , leur donnait, Post mysterium, Posl secreta, Post pridie,
P. L., t. ccxiv, coi. 887. Ces observations nous indiquent que ces oraisons occupaient, après le récit
sem blent de nature à rattacher l ’ épiclèse à un en ­ de la cène (Qui pridie), considéré com m e form ule con ­
sem ble de prières sacrificielles, échelonnées tout le sécratoire et opératrice du m ystère, une place exac ­
long de la m esse, dem andant à D ieu l ’ acceptation du tem ent correspondante à celle des épiclèses orientales
sacrifice qui va s ’ offrir ou qui est offert, prières dont dont elles reproduisent d ’ ailleurs le sens général. Il
l ’ épiclèse proprem ent dite ne serait qu ’ un cas spé ­ suffira d ’ en citer quelques exem ples, pris entre un
cial, plus précis et plus intéressant. H oppe, op. cil., grand nom bre d ’ autres. A ux m esses de M one, codex
p.267 sq.,ram ène toutes ces oraisonsà trois catégo ­ de R eichenau (ν β -νι· siècle), em pruntons la suivante
ries qu ’ il appelleépiclèses d ’ oblation ou d ’ offertoire, en lui laissant sa graphie singulière: Recolentes igitur,
épiclèses de consécration et épiclèses de fraction, selon et servantes præcepta unigeniti, depræcamur pater om ­
les trois m om ents principaux de la m esse où on les nipotens, ut his creaturis altario tuo superpositis spiri­
rencontre. Les unes et les autres constituent des pro ­ tus sanctificationis infundas.ut per transfusione ctelcstis,
lepses ou des m étalepses de la consécration; m ais adque invisibilis sacramenti, panis hic mutatur in
leur fréquence m êm e est une preuve liturgique de plus carne, et calex translatus in sanguine, sil totius (lisez
en faveur de la vertu consécratoire des seules paroles probablem ent offerentibus) gratia, sil sumentibus
de l ’ institution qui, contrairem ent à elles toutes, medicina, p. d. Les confusions gram m aticales du co ­
dem eure toujours et partout une form ule centrale piste m ises à part, le parallélism e de cette oraison
unique. avec les épiclèses orientales saute aux yeux. H oppe,
Les liturgies orientales, on le voit, si elles présentent op. cit., p. 71, note 138. fait rem arquer l ’ analogie
dans leurs épiclèses certaines difficultés spéciales, évidente entre l ’ expression creaturis... superpositis et
fournissent cependant des données suffisantes pour l ’ expression grecque προκείοεχα δώρα. Le pain et Je
nous perm ettre de résoudre, aidés des décisions de vin sont, du reste, form ellem ent m entionnés dans
l ’ Église ci-dessus m entionnées, et des tém oignages une autre épiclèse des m esses de M one, où l ’ on
de la tradition que nous exposerons ci-anrès, la diffi­ dem ande que la plénitude de la divinité et de la béné ­
culté principale : celle de savoir laquelle des deux diction de D ieu descende super hunc panem et super
form ules, des paroles de l ’ institution ou de l ’ épiclèse, hunc calicem et fiat nobis legitima eucharistia in trans­
est la forme du sacrem ent de l ’ eucharistie. L ’ ensem ble formatione corporis et sanguinis Domini... C om pa ­
de leurs données est fax ’ orable à la doctrine catho ­ rer dans le hlissale gothicum en usage dans la G aule
lique et offre m êm e m aints élém ents qui serviront de narbonnaise avant l ’ époque carolingienne. le Post
points d ’ appui à l ’ explication dernière de l ’ épiclèse. secreta de la m esse de saint Léger, où l ’ on prie ut des­
tl. l it u r g ie s o c c id e n t a l e s . — Ces m êm es élé ­ cendat hic benedictio tua super hunc pancm et calicem
217 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 218

in transformatione Spiritus tui sancti...; le Post my­ mittere nunc nobis unigenitum Filium tuum quem
sterium de l ’ A ssom ption de M arie, conçu en ces term es : inquœrenti bus sponte misisti. Quiquumsis ipse immen­
Descendat, Domine, in his sacrificiis luæ benedictionis sus et inæstimabilis, Deum quoque ex te immensum et
coæternus et cooperator Paraclitus Spiritus, ut oblatio ­ inaestimabilem genuisti, ut cujus passione redemptionem
nem, quam tibi de tua terra fructificante, porregimus, humani generis tribuisti, ejus nunc corpus tribuas ad
cælesti permuneratione (lisez permutatione), te sancti­ salutem. Per eumdern Christum Dominum nostrum, per
ficante, sumamus : ut translata fruge in corpore, calice quem hæc omnia, Domine, semper bona creas, sancti fi
in cruore, proficiat meritis quod obtulimus pro delicto. cas, vivificas, benedicis et nobis famulis tuis largiter
P. L., t. l x x ii , coi. 245. C om parez aussi, dans le Mis­ praestas ad augmentum fidei et remissionem omnium
sale Gallicanum vetus, qui représente la liturgie gal ­ peccatorum. M uratori, Liturgia Romana velus, t. i.
licane du m ilieu du vn e siècle, le Post secreta suivant p. 133. Cf. Missale Ambrosianum, M ilan, 1831.
où l'on rem arquera une épiclèse du V erbe et du Saint- p. 142-143; H oppe, op. cit., p. 92-93; D uchesne,
E sprit à la fois : Descendat, precamur, omnipotens Origines du culte chrétien, 2 e édit., Paris, 1898, p. 208,
Deus, super hæc quæ tibi offerimus, Verbum tuum note 2.
sanctum; descendat inæstimabilis gloriæ luæ Spiri­ 2° L ’épiclèse dans la liturgie romaine. — Pour ce
tus; descendat antiquæ indulgentiæ tuæ donum, ut qui regarde la liturgie rom aine, on peut répéter
fiat oblatio nostra hostia spiritalis in odorem suavi­ aujourd ’ hui encore ce qu'écrivait H oppe, op. cil.,
tatis accepta : etiam nos famulos luos per sanguinem p. 93, en 1864 : « La question de savoir si le canon de
Christi tua manus dextera invicta custodiat. Q uant la m esse rom aine contenait une épiclèse, reste jus ­
au m issel m ozarabe, il possède des Post pridie-épi- qu ’ ici une question ouverte. » A cctte époque, le m êm e
clèses en telle abondance, que la preuve est ici plus auteur répondait catégoriquem ent par l'affirm ative
éclatante encore. V oir les 38 spécim ens qu ’ en donne à une telle question, et il consacrait une bonne partie
H oppe, op. cil., p. 78-92, d ’ après l ’ édition de Lesley de son ouvrage, p. 93-210, à dém ontrer le bien-fondé
reproduite dans P. L., t. l x x x v , col. 250 sq. Il faut y ' de son opinion. A près avoir refait avec lui l ’ exam en
ajouter certains Post pridie du Liber ordinum m oza ­ des nom breux docum ents qu ’ il a réunis, je crois
rabe, édité par dom Férotin, Paris, 1904, col. 265, devoir m e rallier pleinem ent à son avis, bien que
269, 311, 370. quelques auteurs récents (P. de Puniet, Edm . B ishop,
N otons, en passant, à propos de cette exubérance B atiffol, V arainc) adoptent l'opinion contraire ou se
liturgique, que le nom bre des Post pridie, Post secreta m ontrent encore hésitants. R auschen, op. cil., 2° édit.,
ou Post mysteria est très considérable, les liturgies de p. 112, note 3; trad. D ecker et R icard, p. 1908, note 3,
type gallican ayant ce qu ’ on appelle le caractère est trop affirm atif quand il dit, avec renvoi à Funk,
embolismique, c ’ est-à-dire intercalant dans le canon Kirchengeschichlliche Abhandlungen, t. ni, p. 86, que
de la m esse des pièces de rechange pour chaque m esse. tout le m onde s ’ accorde à reconnaître l ’ existence
Il nous est resté une trace de cet usage dans nos de l ’ épiclèse rom aine. D isons du m oins que beaucoup
diverses préfaces et dans les petites variantes du de liturgistes, tant anciens que m odernes, la recon ­
Communicantes et de l’Hanc igitur pour les grandes naissent en effet.
fêtes de l ’ année. A utrefois, c ’ était, pour les liturgies L ’ épiclèse, croyons-nous, a existé autrefois dans la
en question, très différentes en cela des liturgies orien ­ liturgie rom aine, et il est possible encore aujourd ’ hui
tales, le systèm e habituel. M ais la diversité de form e d'en retrouver les traces. U ne lettre du pape saint
que, sur un tond identique, com portaient ces oraisons, G élase (492-496) à l'évêque E lpidius de V olterra
était bien plus grande que celle dont tém oigne l ’ usage atteste cette existence à la fin du v· siècle. V oici ce
actuel. N ous ne pouvons qu ’ indiquer ici cette parti ­ passage : Sacrosancta religio quæ catholica tenet
cularité, m ais nous croyons qu ’ elle est d ’ un haut disciplinam , tantam sibi reverentiam vindicat, ut ad
intérêt, à la fois liturgique et théologique, pour eam quilibet nisi pura conscientia non audeat perve ­
l ’ étude des changem ents dans l ’ épiclèse occidentale. nire. Nam quomodo ad divini mysterii consecrationem
V oir S. Salaville, L ’épiclèse dans le canon romain de la cælestis Spiritus invocatus adveniet si sacerdos, qui
messe, dans la Revue augustinienne, m ars 1*109, eum adesse deprecatur, criminosis plenus actionibus
t. xiv, p. 303-318. reprobetur? Thiel, Epislolæromanorumpontificumge-
Le lecteur aura rem arqué, je pense, la portée théo ­ nuinæ, t. i, p. 486. Cf. P. L., t. l ix , coi. 143. L a ré ­
logique du nom de Post mysterium ou de son syno ­ ponse est trop facile, qui consiste à ne voir dans ce
nym e Post secreta désignant l ’ épiclèse occidentale et texte d ’ un pape qu ’ une allusion à la liturgie orien ­
supposant déjà opéré le m ystère de la consécration tale ou à celle de V olterra, m ais non point à la litur ­
que m aintes form ules sollicitent cependant encore, gie rom aine. V araine, op. cil., p. 124-126. L a phrase
tout com m e les épiclèses orientales. O rsi, op. cit., de saint G élase nous paraît avoir une portée générale
p. 90-96, reconnaissait déjà parfaitem ent l ’ équiva ­ et tém oigner pour R om e tout autant que pour le
lence de ces form ules gallicanes et m ozarabes avec reste de la chrétienté. A illeurs encore, dans son traité
les épiclèses d ’ O rient. C ette équivalence est m êm e De duabus naturis, le m êm e auteur, au cours d ’ une
précieuse, au point de vue dogm atique et apologé ­ com paraison qu ’ il établit entre l ’ eucharistie et l ’ in ­
tique, pour réfuter l ’ exclusivism e de la théorie grecque carnation, affirm e que le pain et le vin «sont changés
touchant la forme de la consécration. en substance divine par l ’ opération du Saint-Esprit, >
A M ilan, l ’ épiclèse n ’ a disparu qu ’ au vin 0 siècle, in hanc scilicet divinam transeunt Sancto Spiritu
affirm e R auschen, op. cit. Cf. Scherm ann, dans perficiente substantiam. Thiel, op. cit., t. i, p. 77. 11
Rômische Quarlalschrift, 1903, p. 248. Q uelle form e est bien vrai qu ’ ici, argum entant contre le m ono ­
y affectait-elle? z\ défaut d ’ autres indications, voici physism e, saint G élase s ’ inspire probablem ent, dans
com m ent elle se présente dans un ancien m anuscrit l ’ ensem ble de son ouvrage, d ’ écrits orientaux. Cf.
eu IX e ou du x» siècle, à la m esse du jeudi saint. Les Saltet, Les sources de Ζ ’ Έ ρανιστης de Théodoret (extrait
paroles de l ’ institution y sont suivies im m édiatem ent de la Revue d'histoire ecclésiastique, t. vi, n. 2, 3, 4,
de la prière ci-après, où l'on n ’ aura pas de peine à L ouvain, 1905, p. 52-53). M ais cette observation ne
reconnaître l ’ anam nèse et les traces d ’ une épiclèse nous sem ble pas dim inuer la valeur de son tém oi ­
du Fils : Hæc facimus, hæc celebramus, tua, Domine, gnage.
præcepta servantes, et ad communionem invisibilem O n a cru longtem ps que l ’ épiclèse rom aine attestée
hcc ipsum, qued corpus Domini sumimus, mortem Do­ 1 par saint G élase se trouvait avant le récit de l ’ insti-
rr..ni nuntiamus. Tuum vero est, omnipotens Pater, • tution et échappait ainsi, du m oins, à la difficulté
219 É P IC LÈ S E E U C H A R IS TIQ U E 220

que présentent les autres liturgies. D ’ après cette aussi, l ’ épiclése rom aine dans les prières en question.
opinion, qui garde encore quelques partisans, voir, O rsi écrit à ce sujet, op. cil., p. 122 : Easdem esse nos
par exem ple, P. de Puniet, Fragments inédits d’une laudatæ orationis (Jube hiec perferri) atque apud
liturgie égyptienne écrits sur papyrus, dans le Congrès Græcos invocationis Spiritus Sancti notiones, lubens
eucharistique de Londres, p. 380, 390 sq., ce serait admitto, et a Cabasila non contemnendis rationibus
l ’ oraison Quam oblationem qui représenterait cette toto illo capite demonstratur.
épiclèse. M ais l'analogie générale entre le canon T out nous parait concorder à attester l ’ existence,
occidental et les anciennes anaphores d ’ O rient, voir après le récit de l ’ institution, d ’ une épiclèse rom aine
dans H oppe, op. cil., p. 119-120, le tableau des con ­ analogue pour le sens à toutes les autres, bien qu ’ assez
cordances entre la liturgie clém entine et la m esse différente dans les expressions. Toutefois il est pos ­
rom aine, les sim ilitudes rem arquables du canon sible que le canon rom ain ait possédé, com m e les
rom ain et du canon gallican ou m ozarabe (voir un anaphores égyptiennes, une double épiclèse : l ’ une
tableau de ces sim ilitudes dans m on article de la plus courte avant le récit de la cène (Quam oblatio­
Revue augttslinienne, 1909, t. xiv, p. 313-315; cf. nem); l ’ autre plus explicite, l ’ épiclése norm ale (Supra
C agin, avant-propos au t. v de la Paléographie musi­ quæ et Supplices te), après ce récit. V oir m on article :
cale, Solcsm es, 1886, p. 91-92) perm ettent d ’ affirm er, L ’épiclése dans le canon romain de la messe, dans
m algré toutes les opinions contraires, que le Supra la Revue augustinienne, 1909, t. xiv, p. 303-378. Cf.
quie et le Supplices te rogamus représentent l ’ ancienne M altzew , De vestigiis epicleseos in missa romana, dans
épiclèse rom aine, « dont la form e a été légèrem ent Acta il conventus Velehradensis, Prague, 1910, p. 135-
m odifiée pour éviter les erreurs d ’ interprétation 143. T out nous porte à conclure avec H oppe, op. cil.,
auxquelles a donné lieu l ’ épiclése dans certaines p. 208-209, à la concordance absolue du canon rom ain
liturgies. » C abrol, Diet, d’archéol. chrél. cl de lit., art. et des anaphores orientales. « L ’ acte consécratoire
Anamnèse, t. i, col. 1885. est ici com m e là, au point de vue liturgique, une
A ces raisons fondam entales il faut ajouter aussi solemnis oratio développée en un grand acte de prière
le caractère d ’ unité que présentent les form ules du et de bénédiction, en une invocation de la puissance
canon, depuis Undo et memores jusqu ’ au Memento des créatrice de D ieu, en une épiclèse du V erbe ou du
m orts : elles form ent en réalité, de l ’ avis des anciens Saint-E sprit. Le m ode de consécration ne diffère pas
liturgistes, une seule oraison : Oratio quarta illa est, substantiellem ent, ni quant au texte ni quant aux
quæ proxime post consecrationem habetur in illis rites, de celui des Églises orientales. L a chaire de
verbis : Unde et memores, Domine, etc., et extenditur Pierre a conservé intact l ’ héritage que lui a laissé le
usque ad illud : Memento etiam, Domine, nam ante prince des apôtres et, en vertu de sa prim auté, elle
(Memento') ponitur conclusio : Per Christum Domi­ scelle com m e pleinem ent catholique l ’ héritage des
num nostrum. B ellarm in, Controo., 1. II, De missa, autres Églises. » N ous faisons volontiers nôtre cette
c. xxiv, cité dans H oppe, op. cit., p. 130, note 283. conclusion, en y ajoutant seulem ent l'affirm ation
C ette unique oraison ainsi délim itée com prend les expresse de l ’ efficacité consécratoire absolue que
m em es élém ents que les prières faisant im m édiate ­ possèdent, indépendam m ent des autres prières litur ­
m ent suite aux paroles de l'institution dans les litur ­ giques, les paroles de l ’ institution constituant la foi-
gies orientales. A nam nèse (Unde et memores); offrande m ule centrale de cette euchologie eucharistique.
(Offerimus... de luis donis ac datis); prologue de l ’ épi- A joutons aussi qu ’ il faut nécessairem ent faire la part
clèse ou dem ande générale d ’ acceptation, puis épi ­ de l ’ hypothèse en ce qui concerne l ’ origine aposto ­
clèse proprem ent dite (Supra quæ et Supplices te). lique attribuée ici nettem ent par H oppe à l ’ épiclése.
H oppe m ontre longuem ent, op. cil., p. 121-201, à la N ous devons, d ’ ailleurs, dire m aintenant un m ot de
lum ière des com m entaires liturgiques et d ’ un grand cette question.
nom bre d ’ autres docum ents traditionnels, que le Signalons auparavant une dernière donnée sur
texte et lus rites de ces dernières form ules y révèlent laquelle il y aurait lieu d ’ insister beaucoup au point
une véritable épiclèse, exprim ée seulem ent en term es de vue liturgique, et qui ne laisse pas d ’ avoir aussi
plus m ystérieux que dans les autres liturgies. V oir une grande im portance théologique : c ’ cst l ’ exis ­
spécialem ent H oppe, p. 130 sq., 137, 141-142, 149, tence, dans toutes les liturgies d ’ O rient et d ’ O cci-
155, 157, 160 sq., 165, 167 sq., 176 sq., 180-187. V oir dent, pour l ’ adm inistration de tous les sacrem ents ou
aussi P. de Puniet, dans le Congrès eucharistique de m êm e des sacram entaux, d ’ épiclèscs analogues aux
Londres, p. 393, note 3, où ce critique, bien que par ­ épiclèses eucharistiques. La com paraison avec les
tisan de l ’ opinion opposée à celle de H oppe et à la épiclèses de la bénédiction de l ’ eau baptism ale ou
nôtre, cite des textes insinuant clairem ent la dem ande de la bénédiction des huiles serait particulièrem ent
de transsubstantiation contenue dans le Supplices intéressante.
rom ain. Cf. C agin, Te Deum ou illatio, Paris, 1907, in. o r ig in e s d e l ’é p ic l ë s e . — O n peut soutenir,
p. 215 -238. nous venons de le m ontrer, que l ’ épiclése existait
Q uant aux signes de croix et bénédictions qui dans toutes les liturgies au v e siècle. E st-ce à dire
accom pagnent cette oraison, nous avons vu plus qu ’ elle ait été absolum ent prim itive? C ette univer ­
haut que des esprits, tels que saint Pierre D am ien et salité m êm e porterait à le penser, et plusieurs litur ­
Innocent III, les considéraient com m e des rites épiclé- gistes l ’ ont adm is. H oppe, op. cit.; R enaudot, op.cit.,
tiques. V oir aussi A sséinani, Bibl. orient., t. n, p. 202, passim ; O rsi, op. cit., p. 88-89; C agin, op. cit., etc.
cité par H oppe, op. cil., p. 208, note 456. L a signifi­ L ’ analogie générale des anaphores suppose,en elïet,
cation de ces rites est, du reste, à ce point naturelle, un fonds com m un de la liturgie prim itive,dont l ’ épi-
qu ’ au tem ps du concile de T rente leur présence dans clèse pourrait bien avoir fait partie. Cf. C abrol, Diet,
le canon, après les paroles du Sauveur, effarouchait d’archéol. chrél. et de lit., art. Anaphora, t. i, col. 1912;
m aints théologiens, entre autres M aldonat, H oppe, Canon, t. n, col. 1900. C ependant quelques auteurs
op. cil., p. 110-111, et que plusieurs Pères du concile récents ne sont pas de cet avis. B atiffol voit dans
exprim èrent le désir de les voir supprim er : Placeret l ’ épiclése du Saint-Esprit une évolution de l ’ époque
multis quod non fierent cruces super hostiam consecra­ constantinienne. Scherm ann, B aum stark. B uchw ald,
tam, ne videretur aliquid deesse ad suam sanctificatio­ auxquels sem ble se rallier R auschen (voir les réfé ­
nem Le P lat, Monumenta..., t. v, p. 432. rences dans l ’ ouvrage de ce dernier, Eucharistie und
N icolas C abasilas et, après lui, un grand nom bre de Busssakrament, 2 e édit., 1910, p. 113), ont essayé de
liturgistes et de théologiens orientaux, voient, eux prouver qu ’ elle datait seulem ent de l ’ époque des pneu-
221 É P IC L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 222

m atom aques (fin du iv° siècle). C ette hérésie a pro ­ est postérieure aux Constitutions apostoliques. Ces
voqué sans doute l ’ addition de la série plus ou m oins dernières, on le sait, possèdent l ’ épiclése explicite
longue d ’ épithètes dont le Saint-E sprit se trouve qua ­ à double m em bre. D u reste, la dem ande de transsub ­
lifié en m ain tes liturgies, com ine celles de saint Jacques stantiation sem ble bien être déjà rattachée à l ’ épi-
et de saint M arc. M ais « l ’ existence de l ’ épiclése est clèse dans les passages cités de la D idascalie.
incontestablem ent antérieure,» C abrol, op. cil., t. i, Si l ’ on adm et, com m e y inclinent plusieurs auteurs,
col. 1913 : des textes tels que ceux de saint C yrille que la liturgie des Constitutions apostoliques, V III.
de Jérusalem , bien antérieurs aux pneum atôm aques, 5-16, appelée liturgie clém entine parce qu ’ elle est
le prouvent pérem ptoirem ent; joignez-y l ’ allusion censée transm ise par saint C lém ent de R om e, repré ­
assez claire à l ’ épiclése que fait saint B asile dans son sente la liturgie la plus voisine des tem ps aposto ­
traité De Spiritu Sancto, χχνιιι, 66, P. G., t. xxxn, liques, il paraît difficile de ne pas tenir l ’ épiclése
col. 188, dirigé précisém ent contre l ’ hérésie en ques ­ proprem ent dite pour une pièce tout à fait prim i ­
tion. Il n'y a pas à aller contre des tém oignages aussi tive.
form els : d ’ autant que l ’ épiclése du V erbe qui, au IV. FONDEMENTS SCRIPTURAIRES DE L’ÉPICLÉSE. ---
dire de ces auteurs, aurait précédé celle du Saint- Sans prétendre trancher cette délicate question d ’ ori ­
E sprit, laisse intacte la difficulté théologique, puis ­ gine liturgique, on peut trouver à l ’ épiclése certains
qu'elle a m êm e place et m êm e sens. fondem ents scripturaires. A insi H cb., ix, 14, où l'au ­
N ous ne saurions, du reste, adm ettre d'une m a ­ teur inspiré sem ble faire allusion à l ’ intervention du
nière générale cette hypothèse de l ’ antériorité de Saint-E sprit dans le sacrifice du C hrist contrastant
l ’ épiclése du V erbe et de son rem placem ent, à une de ce chef avec les sacrifices m osaïques. Il y est dit
époque donnée, par l ’ épiclése du Saint-Esprit. C ette que « le sang du C hrist qui, par ΓEsprit éternel, ôta
époque, nous venons de le voir, ne peut être celle des Π νεύματος αιωνίου, s ’ est offert lui-m êm e sans tache à
pneum atôm aques. Ce ne peut pas être davantage D ieu, purifiera notre conscience des œ uvres m ortes,
l ’ époque constantinicnne, puisque la Didascalie, qui pour servir le D ieu vivant. » O n sait que la V ulgate
date, selon Funk, de la seconde m oitié du in° siècle, porte: per Spiritum Sanctum, com m e d'ailleurs plu ­
contient des allusions assez claires à l ’ invocation eu ­ sieurs m anuscrits grecs portent άγιου au lieu de αιω ­
charistique du Saint-Esprit. O n y lit en effet •.Gratia­ νίου. Cf. L cbreton, Lcsorigincs du dogme de la Trinité,
rum actio (ευχαριστία) per Sanctum Spiritum sancti­ Paris, 1910, p. 351, note 1. Les deux leçons se ren ­
ficatur. Didascalia apost., V I,xxi, 2, édit. Funk, p. 370. contrent aussi chez les Pères qui, d ’ ailleurs, donnent
E t un peu plus loin : Dam quie secundum similitu ­ à l ’ une et à l ’ autre un sens identique. Cf. S. A m broise,
dinem regalis corporis Christi est, acceptam euchari­ De Spiritu Sancio, I, vin, 99, P.L., t. xvi, col. 728;
stiam offerte,... panem mundum prieponentcs qui per S. Jean C hrysostom e, In Heb., hom il. xv, n. 2, P. G.,
ignem /actus est et per invocationem sanctificatur. Ibid., t. l x i ii , col. 120; In Joa., hom il. l x x i v , P. G., t. l ix ,
V I, xxii, 2, p. 376. Sanctificare est visiblem ent, dans col. 402. V oici l ’ idée qui ressort de l ’ ensem ble du pas-
ces textes, synonym e de consacrer. O r, cette sanctifi­ sageauquel ce texte scripturaire estem prunté. 11 s ’ agit
cation est attribuée d ’ une part au Saint-Esprit et de faire voir la transcendance du sacrifice du C hrist
«l’autre part à une invocation, autant vaut dire à une sur les sacrifices de l ’ ancienne loi. A près l ’ avoir m on
invocation du Saint-E sprit, à une épiclèse. trée par la différence de la m atière, l ’ auteur la confirm e
O n peut se dem ander si une telle épiclèse était aussi par la différence du m ode. D ans le rituel m osaïque, le
explicite que les form ules révélées par les docum ents m ode du sacrifice, c ’ est l ’ aspersion du sang et l ’ holo ­
postérieurs. D om C agin a préparé un im portant tra ­ causte par le feu, ou d ’ autres actes égalem ent m até ­
vail sur le /Mme apostolique de l’anaphore, encore riels et grossiers. Lev., xvi, 1-34; le m ode spécial
■nédit, m ais dont les grandes lignes ont été indiquées du sacrifice du C hrist, c ’ est d ’ être offert par le m oyen
par un article de dom Souben, Le canon primitif de de l ’ E sprit éternel, de l ’ E sprit-Saint. O n voit com ­
la messe, dans les Questions ecclésiastiques de Lille, bien cette idée ressem ble à celle qui fait le fond de
avril 1909. U y ém et l ’ hypothèse que l ’ épiclése pri ­ toutes les form ules d ’ épiclèse : à savoir, l ’ interven ­
m itive, tout en ayant sa place après le récit de la tion m ystérieuse du Saint-Esprit au sacrifice du corps
cène, ne sollicitait que l'effet spirituel du sacrem ent et du sang de Jésus-C hrist, intervention à laquelle
et du sacrifice, sans m entionner la dem ande de trans ­ est souvent rattachée, de m êm e que dans ce verset
substantiation. U ne telle conclusion, si elle était de l ’ É pître aux H ébreux, la purification des con ­
prouvée, serait fort intéressante pour la théologie et sciences pour le service du D ieu vivant. Plusieurs for ­
i apologétique. O n l ’ appuie sur la Constitution ecclé­ m ules occidentales d ’ épiclèse, Missale mixtum, dans
siastique qui contient, en effet, après le récit de P. L., t. l x x x v , col. 604, 605,620, et un grand nom bre
l ’ institution et l'anam nèse, l ’ épiclése suivante : Sup- de docteurs orientaux, entre autres saint Éphrem et
:liciter oramus te ut mittas Spiritum tuum Sanctum saint Jean C hrysostom e, cf. H oppe, op. cit., p. 255 sq.,
tuper oblationes huius Ecclesiis, pariterque largiaris exprim ent une analogie sym bolique entre l ’ action du
mnibus qui sumunt de eis (ut prosit eis) ad sanctitatem, feu céleste dans certains holocaustes anciens et l ’ inter ­
ut repleantur Spiritu Sancto, et ad confirmationem fidei vention du Saint-E sprit dans le sacrifice eucharis ­
• n veritate, ut te celebrent et laudent in Filio tuo Jesu tique. La divinité de la troisièm e personne de la
Christo, in quo tibi (sit) laus et potentia in sancta T rinité y est considérée com m e un feu salutaire qui
Ecclesia et nunc et semper et in sæcula sæculorum, consum e la victim e.consom m e le sacrifice et purifie
men. Constitutiones eccl. æqyptiacæ. I(xxxi). 21. dans nos cœ urs : tout autant d ’ idées qui présentent avec
Funk, Didascalia et Constitutiones apostat., Paderborn, celles de H eb., ix, 14, un parallélism e frappant.
1906, t. n. p. 100. C ette épiclèse, on le voit, ne sup- C om parer, dans l ’ épiclése de la liturgie clém entine,
pose nullem ent que l ’ E sprit-Saint soit prié d ’ opérer l ’ attribut de «tém oin des souffrances du C hrist adonne
1 1 transsubstantiation. Ce qu ’ on dem ande, c ’ est qu ’ il au Saint-E sprit, B rightm an. op. cit., p. 21; com parer
descende sur les oblations afin de réunir par le lien aussi, dans les prières du m issel rom ain avant la
de l ’ unité tous les fidèles qui les recevront. M ais com m union du prêtre, l ’ expression : qui voluntate
ivons-nous vraim ent ici l ’ épiclése prim itive? N on, Patris, coopérante Spiritu Sancto, per mortem tuam
certainem ent. si l ’ on adm et avec Funk, qui a étudié mundum vivificasti.
le nrès la question. Dus Testament unsercs Ilerrn D e ce texte de l ’ É pître aux H ébreux il faut rappro ­
end die verwandten Schriflen, M ayence, 1901, p. 147- cher R om ., xv, 16. Saint Paul y parle de « la grâce
150, que la Constitution ecclésiastique égyptienne que D ieu m ’ a faite d ’ être m inistre de Jésus-Christ
223 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 224

pour les gentils, en m ’ acquittant du divin service ciples et leur rappeler tout ce que Jésus leur avait
de l ’ É vangilc de D ieu, afin que l ’ offrande des gentils dit. Le Paraclet illum inateur les éclaira, entre autres
soit agréée, étant sanctifiée dans le Saint-Esprit : » choses, sur son activité propre et en particulier sur
εις το είναι με λειτουργόν Χ ριστού ’ Ιησού εις τα έθνη, son intervention dans le m ystère eucharistique. Sans
ίερουργούντα τό εύαγγέλιον τον Θ εού, "να γένηται ή προσ ­ préjuger la question des origines de l ’ épiclèse, nous
φορά των εθνών εϋπρόσδϊχτος , ηλιασμένη έν Π νενματι άγίω. croyons qu ’ il n ’ est pas tém éraire de lui trouver dans
O n voit avec quelle insistance l ’ A pôtrc m arque ici le le discours de la cène un fondem ent scripturaire de
caractère sacerdotal, liturgique en quelque sorte, de nature à en souligner une fois de plus l ’ im portance
sa m ission. A ussi n ’ est-il pas étonnant que ce texte théologique. Ce discours, outre qu ’ il accentue très
biblique ait été utilisé, par exem ple, dans la liturgie nettem ent l ’ activité générale du Saint-E sprit, à côté
grecque de saint Jacques au cours d ’ une de ces orai ­ de celle du Père et du Fils, dans la nouvelle économ ie
sons d ’ offertoire que nous avons appelées des pro ­ du salut, nous sem ble, pour ainsi dire, situer spéciale ­
lepses d ’ épiclèse. B rightm an, op. cit., p. 47. Cf. H oppe, m ent son intervention dans le m ystère eucharistique
op. cit., p. 97, note 225. par rapport à la série des actes qui concourent à ce
U n autre fondem ent scripturaire de l'épiclèse con ­ m ystère. C ’ est pourquoi nous som m es porté à y voir
siste dans le discours de la cène. Joa., xv-xvn. Le le fondem ent scripturaire dont s ’ est servie la liturgie
fait de voir unie, dans ce discours d ’ adieu, la pensée antique pour situer à son tour l ’ épiclèse dans la sé ­
de la passion, de la résurrection, de l ’ ascension et de rie des faits et des form ules concourant au rite com ­
la Pentecôte, l ’ insistance de Jésus à parler de l ’ acti ­ plet du sacrifice.
vité future du Saint-E sprit, le tout en relation directe Le récit évangélique de la conception surnaturelle
avec l ’ eucharistie qui vient d ’ être instituée et avec la de Jésus en M arie de Spiritu Sancto, M aith., i, 18-20;
prière que le Sauveur recom m ande de faire « en son Luc., i, 35, constitue un fondem ent scripturaire de
nom », c ’ est-à-dire la divine liturgie, tout cela est bien l'épiclèse en vertu d ’ un raisonnem ent théologique,
de nature à porter à croire que le canon de la m esse c ’ est-à-dire à raison de l ’ analogie entre l ’ incarnation
s ’ est inspiré de ce discours. Le sacrifice de l ’ autel et la transsubstantiation, attribuées l ’ une ct l ’ autre
constitue la grande théophanie de l ’ économ ie nou ­ par appropriation au Saint-Esprit. C ette analogie
velle. A cette théophanie eucharistique, les trois posée — et c ’ est là, peut-on dire, un postulat de la
personnes divines ont leur rôle com m e dans les théo ­ doctrine catholique — est-il surprenant que les Pères
phanies évangéliques : le Père, en qui est Jésus et et les liturgies aient pris texte de ces passages évangé ­
qui est en Jésus, Jésus lui-m êm e, prêtre et victim e, liques pour en tirer de suggestives applications à
et le Saint-E sprit qui est envoyé par le Père ct qui l'intervention eucharistique de l ’ E sprit divin? O n
rend tém oignage de Jésus. E t cette théophanie constate ces applications dans m aintes form ules
eucharistique a pour but de produire entre le C hrist d ’ épiclèse. D ans les textes syriaques, en particulier,
et les disciples une union m ystérieuse dont l'union les m ots em ployés pour désigner la descente du Saint-
des trois personnes divines entre elles est le type E sprit sur les oblats cucharist iques sont les m êm es que
idéal. Q ui ne voit que ces idées générales se retrou ­ pour exprim er sa descente sur la V ierge au m om ent
vent sous diverses form es au fond de toutes les ana- de l'incarnation. Ils correspondent aux verbes grecs
phorcs et de toutes les form ules d ’ épiclèse? N otons, en έπερχομαι ct έπισκιάζω m is par l ’ Évangile sur les
passant, dans R enaudot, op. cit., t. n, p. 136,144, une lèvres de l ’ ange G abriel annonçant à M arie le com m ent
épiclèsc syriaque qui s ’ inspire visiblem ent, pour une du grand m ystère. Cf. R enaudot, op. cit., t. r, p. 224-
expression, de Joa., xvi, 14 : per illapsum Spiritus 225 ; t. n, p. 88,90-91,512,513. V oir aussi, entre autres
Sancti, qui a Filio luo accipit substantialiter. docum ents analogues, une épiclèsc du m issel m oza ­
Sans doute, des rapprochem ents de ce genre ne rabe, P. L., t. l x x x v , col. 620.
suffisent pas à lever toutes les difficultés; néanm oins, A ces fondem ents scripturaires de l ’ épiclèse, il con ­
dans des questions aussi com plexes, nous croyons vient peut-être d ’ ajouter, au m oins com m e thèm e
qu ’ ils ont quelque valeur. « Les discours du C hrist d ’ utilisation patristique, I Tim ., iv, 4, 5 : « T out ce
après la cène, a-t-on écrit avec raison, renferm ent que D ieu a créé est bon, et l ’ on ne doit rien rejeter de
toute la doctrine johannique (du Saint-Esprit) : ils ce qui se prend avec action de grâces, parce que cela
préparent l ’ ère nouvelle qui va com m encer, la vie de est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière. »
l ’ E sprit dans l ’ Église, et ils l ’ expliquent tout entière. » L a phrase de saint Paul ne saurait être restreinte à
L cbrcton, op. cil., p. 418-419. L ’ eucharistie devant signifier l ’ alim ent eucharistique. Il n ’ en est pas m oins
occuper dans l ’ économ ie nouvelle une place prépon ­ vrai que plusieurs Pères, entre autres O rigène et saint
dérante, quoi d ’ étonnant que le Sauveur, dans ses G régoire de N ysse, en ont fait directem ent l ’ applica ­
instructions suprêm es, y dévoile à ses apôtres l ’ acti ­ tion à ce dernier et ont em ployé la m êm e form ule
vité m ystérieuse du Paraclet? Sans doute, les apôtres pour désigner la prière transsubstantiatrice. P. G.,
ne com prirent pas tout de suite, dès le jeudi-saint, t. xm , col. 948-949; t. x l v , col. 97.
la portée des paroles du M aître. M ais Jésus ressus ­ R esterait à parler des term es εΰχαριστησας , εύλο-
cité leur apparut plusieurs fois, durant les quarante γήσας , em ployés par les synoptiques et par saint
jours qui précédèrent son ascension, « les entretenant Paul dans le récit de la cène, ct que plusieurs auteurs,
du royaum e de D ieu. » A ct., i, 3. Ce sim ple m ot de surtout parm i les O rientaux, ont fait valoir en faveur
saint Luc nous ouvre de larges perspectives sur les de l ’ épiclèse. N ous allons essayer d'en déterm iner la
enseignem ents com plém entaires donnés alors par le signification en exam inant, d ’ après les textes sacrés,
Sauveur à ses disciples, com m e pour réaliser ce verset de quelle m anière Jésus-Christ opéra la consécration
de son discours d ’ adieu : « J ’ ai encore beaucoup de eucharistique à la dernière cène.
choses à vous dire, m ais vous ne pouvez pas les porter IV. L a f o r m u l e d e c o n s é c r a t i o n e u c h a r i s ­
m aintenant. » Joa., xvi, 12. La tradition chrétienne t iq u e d ' a p r è s l ’ É c r i t u r e s a in t e : l a c o n s é c r a ­
prim itive a com pris parm i ces choses, dont le C hrist t i o n a l a d e r n i è r e c è n e . — C om m ent N otre-Sei-
ressuscité entretintlcs siens, des instructions spéciales gneur a-t-il accom pli, au cénacle, le soir du jeudi
sur le service eucharistique. S. Justin, Apol., I, l x v ii , 1 saint, la transform ation du pain et du vin en son corps
P.G.,t. vi, col. 432; Eusèhe, Vila Constantini, III, et en son sang? Par quels gestes ou par quelles for ­
x l i ii , P. G., t. xx, col. 1104. Cf. C lém ent de R om e, m ules?
I Cor., XL, 4-5, P. G., t. i. col. 289. Le Saint-E sprit L ’ ensem ble des théologiens et des exégètes, à quel ­
vint à la Pentecôte parachever l ’ instruction des dis ­ ques rares exceptions près, répondent que Jésus a
225 É P 1C LÊ S E E U C H A R IS T IQ U E 226

consacré en prononçant ces paroles : « Ceci est m on version assez notables au sujet des paroles que Jésus
corps, ceci est m on sang. » C ependant il n ’ y a à ce prononça sur le calice.
sujet aucune définition de foi, et plusieurs auteurs L a prem ière anom alie est celle que présente saint
tant anciens que m odernes ont attribué à ces paroles M arc, qui, à l ’ encontre des trois autres narrateurs,
une sim ple valeur déclarative : le Sauveur, avant de place la participation des convives à la coupe avant la
les proférer, aurait déjà opéré le changem ent m ira ­ form ule m êm e de la seconde consécration : « Il leur
culeux par un geste de bénédiction ou par une for ­ donna la coupe et ils en burent tous; et il leur dit :
m ule qui ne nous a pas été transm ise. Ceci est m on sang, [le sang] de l ’ alliance, répandu
D isons dès m aintenant que tout favorise l ’ opinion pour beaucoup. » L a seconde consiste dans la place,
com m une, tant dans les écrits du N ouveau T estam ent différente chez les deux prem iers synoptiques et chez
que dans les docum ents patristiques ou conciliaires. le troisièm e, qu ’ occupe la déclaration eschatologique
E t Suarez déclare avec raison que l ’ opinion contraire du C hrist : « Je ne boirai plus du produit de la vigne
m ériterait, à tout le m oins, la note de tém érité. D isp. jusqu ’ à ce que le royaum e des cieux soit venu. »
L V III, sect, i, n. 4. Saint Luc rapporte cette parole à une prem ière coupe,
1° Les récils de l'institution. — Toutefois, pour nous au début du repas; saint M atthieu et saint M arc ne
faire une opinion m otivée sur ce point, nous allons la signalent qu ’ après la consécration du calice. D e
exam iner les divers récits de l'institution de l ’ eucha ­ part et d ’ autre, une question se pose : la prem ière
ristie. Ils sont au nom bre de quatre, fournis les trois coupe de saint Luc est-elle eucharistique? Ce verset
prem iers par les Évangiles synoptiques, le quatrièm e eschatologique est-il, dans saint M atthieu et saint
par la I re É pitre de saint Paul aux C orinthiens. M arc, à sa place norm ale?
V oici ccs quatre relations. C ’ est à dessein que l ’ on La prem ière anom alie, celle qui concerne l ’ antici ­
a donné à la traduction un caractère très littéral, de pation narrative de saint M arc, a depuis longtem ps
m anière à reproduire aussi fidèlem ent que possible reçu une explication naturelle. La petite phrase du
la physionom ie du texte grec original; on ne citera deuxièm e É vangile : « et ils en burent tous, » doit
de ce dernier que les m ots nécessaires pour la discus ­ être considérée com m e « une parenthèse, am enée
sion. par le rapprochem ent naturel des idées entre la pré-

M atth., X X V I, 20, 26-29. M arc., xrv, 17, 22-25. L uc., xxil, 14-20. IC or., xt, 23-25.

20. Le soir venu,.féeus était 17. Le soir venu, Jésus vient 14. L orsque l ’ heure fut venue, 23. J'ai appris du Seigneur
à table avec les douze disciples. avec les douze. (Suit l ’ annonce il se m it à table, et les apôtres ce que je vous ai aussi en ­
(Suit l'annonce de la trahison de la trahison de Judas, au avec lui. 15. E t il leur dit : seigné, que le Seigneur Jésus,
de Judas, 21-25.) cours du repas, 18-21.) «J ’ ai ardem m ent désiré m anger la nuit où il fut livré, prit du
26. Pendant qu'ils m an ­ 22. Pendant qu ’ ils m an ­ cette pàque avec vous avant de pain, 24. et, rendant grâces
geaient, Jésus, prenant (λαβών) geaient, prenant (λαβών) du souffrir. 16. C ar, je vous le dis, (ιύχαριστήσας ), [le] rom pit et dit:
du pain et [le] bénissant (<ύλο- pain, [le] bénissant (ιύλογήσας ), je ne la m angerai plus jusqu ’à « C eci est m on corps, qui [est
γήσας ), [le] rom pit et le donnant il [le] rom pit et le leur donna ce qu ’ elle soit accom plie dans donné] pour vous. E aites cela
(5ούς ) aux disciples, dit : P re ­ et dit : « Prenez, ceci est m on le royaum e de D ieu. » 17. E t en m ém oire de m oi. » 25. [Il
nez, m angez, ceci est m on corps. corps. » 23. E t prenant (λαβών) ayant reçu (βιξάμινος ) une coupe, fit] de m êm e au«si pour la
27. E t prenant (λαβών) une une coupe, rendant grâces rendant grâces (ιύχα?ιστήσας ), il coupe, après avoir soupé, en
coupe et rendant grâces (ιύ- (ίύχαριστήσα;) il la leur donna, dit : « Prenez ceci et distribuez- disant (λίγων) : « C ette coupe
/α^στήαας ), il la leur donna en et ils en burent tous. 24. E t il le entre vous. 18. C ar je vous est la nouvelle alliance en m on
disant (λίγων) : a B uvez-en tous, leur dit : « C eci est m on sang, le dis : je ne boirai plus désor ­ sang. E aites cela, chaque fois
28. car ceci est m on sang, [le sang] de l'alliance qui est m ais du fruit de la vigne jus ­ que vous [la] boirez, en m ém oire
1 [le sang] de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup. 26. qu ’ à ce que le royaum e de uem oi. d
' répandu pour beaucoup en ré ­ E n vérité je vous le dis, je ne D ieu soit venu, i» 19. E t prenant
m ission des péchés. boirai plus du fruit de la vigne (λαβών) du pain, rendant grâces
29. Je vous le dis, je ne jusqu ’ au jour où je le boirai, (ίύχα^ιστήσας ), il [le] rom pit et
boirai plus désorm ais de ce nouveau, dans le royaum e de [le] leur donna en disant (λίγων) :
fruit de la vigne, jusqu'au jour D ieu. » « C eci est m on corps. 19 ‘ . qui
où je le boirai avec vous, nou ­ est donné; faites cela en m é ­
veau, dans le royaum e de m on m oire de m oi. » 20. [Il prit]
! Père. > de m êm e la coupe après le
souper en disant (λίγων) :
« C ette coupe [est] la nouvelle
alliance en m on sang qui est
répandu pour vous. » (Suit la
dénonciation du traître, 21-23.)

A regarder de près ccs quatre récits, on n ’ a pas de sentation de la coupe et le fait de boire, une antici ­
: vine à constater qu ’ ils form ent deux groupes paral ­ pation glissée rapidem ent et qui ne prétend pas inter ­
lèles : d ’ un côté, saint M atthieu et saint M arc ; de l ’ autre, rom pre la tram e du récit; d ’ autant que cette phrase,
saint Luc et saint Paul. Ccs deux groupes sont sub- d ’ un grec hébraïsant, peut signifier aussi bien la
'•anticllem ent concordants et paraissent indépen ­ sim ultanéité que la succession des actes. » R ivière,
dants l ’ un de l ’ autre. Histoire du dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 82.
Sans entrer dans le détail des objections rationa ­ C ’ est un sim ple artifice historique, très fréquent
listes contre l'historicité de ces docum ents, objections dans la B ible, et bien connu des com m entateurs anciens
·. ctorieusem cnt réfutées, d ’ ailleurs, par la critique qui l ’ appelaient lujsferologia. In Marco, xiv, 23, est
catholique, il nous sera utile de nous arrêter un ins ­ hyslerologia. dum ait : Et biberunt ex illo omnes, ac
tant à deux anom alies souvent signalées dans les mox consecrasse narrai. C orneille de Lapierre, In Matlh.,
récits que nous étudions. Ce sont deux cas d ’ inter- xxvi, 27, C om m entor., N aples, 1851 sq.. t. vm ,p. 379.
D IC T . D E T IIÉ O L . C A T H O L . V . - 8'
227 É P 1C L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 228

Q uant à la déclaration eschatologique, elle est pré ­ Faut-il dire que, dans le prem ier cas, il s ’ agit d ’ une
sentée « com m e un asyndeton, sans lien organique avec sim ple bénédiction, et d ’ une consécration dans le
le contexte im m édiatem ent précédent : un sim ple second cas? Pas le m oins du m onde, croyons-nous.
καί ειπεν αύτοίς (et il leur dit), qui l ’ introduit, peut M ais alors que signifie cet εύχαριστήσας ou son équi ­
parfaitem ent indiquer un com plém ent, étranger par valent εύλογήσας , et à quelle action de grâces ou à quelle
son origine aux form ules de consécration auxquelles bénédiction font allusion ces m ots?
il fait suite. » C. V an C rom brugghe, dans la Revue II est certain, d ’ après les récits évangéliques, que
d’histoire ecclésiastique de L ouvain, t. ix (1908), l ’ institution de l'eucharistie eut lieu au cours, ou plus
p. 331-332. A cette explication il convient d'en ajou ­ probablem ent, à la fin d ’ un repas du soir. B ien que les
ter une seconde, qui consiste à rétablir d ’ après saint synoptiques ne paraissent pas pouvoir s ’ expliquer
Lue l ’ ordre des faits, et à voir dans la prem ière coupe autrem ent que du repas pascal proprem ent dit, il
signalée par lui autre chose que la coupe eucharis ­ nous im porte peu ici de discuter ce point.
tique. O r, il n ’ est pas douteux que Jésus ait pratiqué, au
Sans insister ici sur les difficultés du texte sacré, cours de sa vie, les usages juifs, et notam m ent la béné ­
voici com m ent nous résum erons cette question, avec diction ou action de grâces, usitée dans les repas.
V an C rom brugghe, op. cil., contre A ndersen, Loisy, L ’ Évangile signale à plusieurs reprises la bénédiction
V iteau, B atiffol, etc., qui adm ettent que la péricope ou l ’ action de grâces jointe à la fraction du pain.
Luc., xxn, 14-20, com prend deux récits concentriques A insi dans le récit de la m ultiplication des pains, les
de la m êm e cène eucharistique. quatre évangélistes m ontrent le C hrist bénissant et
’ T out porte à croire que saint Luc a voulu rappor ­ rendant grâces avant de distribuer le pain à la foule.
ter deux cènes distinctes. L a prem ière est toute pas ­ Les synoptiques ajoutent m êm e le geste des yeux
cale, celle que Jésus a vraim ent désiré de m anger levés vers le ciel. M atth., xiv, 19; M arc., vi, 41;
avec ses disciples : au cours de ce repas rituel, Jésus Luc., ix, 16.
fait circuler une des coupes prévues par l ’ usage juif, D ans le récit de la cène, les m ots εύχαριστήσας
et à cette occasion il prononce le logion eschatolo- ou εύλογήσας doivent désigner une action analogue à
gique : « Je ne boirai plus du produit de la vigne jus- la bénédiction du pain et du vin en usage chez les
« qu ’ au jour où le royaum e de D ieu sera venu.» C ette juifs dans les repas ordinaires. Ils ne désignent donc
pâque est la pâque de l ’ ancienne alliance; elle est pas la consécration, m ais plutôt un rite préparatoire
rapportée en deux actes, précisém ent parce qu ’ elle à la consécration.
va être rem placée par les deux actes de la cène eucha ­ C ette explication se fonde, en outre, sur le sens
ristique, dont l ’ institution est exposée aux versets prim itif des verbes εύχαριστεϊν et εύλογεϊν, lequel,
19-20. » V an C rom brugghe, op cil. C ette distinction tout com m e pour l ’ hébreu barak qu ’ ils traduisent, ne
des deux cènes dans le récit de saint L uc a été sou ­ com porte en aucune façon l ’ idée de consécration. C ette
tenue aussi par A . R esch, Ausserkanonische Parallel- signification de consacrer, que les verbes εύχαριστεϊν
texte, Leipzig, 1895, t. m , p. 676. et εύλογεϊν n ’ avaient pas prim itivem ent, ne tarda
Saint M atthieu et saint M arc, eux, ne parlent que pas à leur être donnée par les auteurs chrétiens. Saint
d ’ une seule coupe, la coupe eucharistique. C om m e Paul, appliquant à l ’ eucharistie une expression juive
ils ont voulu néanm oins signaler le logion eschato- qui désignait la troisièm e coupe pascale, l ’ appelle
logiquc, ils l ’ ont rattaché à cette unique coupe. M ais le calice de bénédiction que nous bénissons, xb ποτήριον
il est visible que, dans les deux prem iers synop ­ τής εύλογίας δ εύλογούμεν, I C or., x, 16; et saint Jus ­
tiques, ce logion n ’ est pas à sa vraie place, puisqu ’ il tin dit que le pain et le vin sont eucharistiés par
y est question du fruit de la oigne, et que saint Luc la form ule de prière qui vient du C hrist, Apol., i,
a raison de le rapporter à une coupe différente de la 66. O rsi, Dissertatio theologica, p. 5 sq., cite un bon
coupe eucharistique. Cf. Panel, Préliminaires histo­ nom bre de liturgies orientales qui, com prenant l ’ ac ­
riques de la passion de Jésus, Élude critique (thèse), tion de grâces au sens de sanctification, consécration,
Lyon, 1903, p. 93-95; E. M angenot, Les Évangiles disent : gratias egit, benedixit, sanctificavit et gustavit,
synoptiques, Paris, 1911, p. 461-468. et postea dedit discipulis suis dicens : Hoc est corpus
2° Action de grâces, bénédiction et formule consé- meum. V oir aussi H oppe, op. cit., p. 296-297. La
cratoire. — O n a opposé, entre autres raisons, à la liturgie grecque de saint Jacques porte m êm e ccci :
distinction des deux cènes, l ’ une pascale et l ’ autre άναδείξας σοί τω Θ εώ καί Π ατρί, εύχαριστήσας , πλήσας
eucharistique, dans le récit de saint Luc, la présence Π νεύματος 'Α γίου, εδωκε. B rightm an, op. cit., p. 52.
— de part et d ’ autre — d'une action de grâces dési­ M ais dans les récits évangéliques de la cène les deux
gnée par le verbe εύχαριστήσας et que l ’ on ’ identifie, m ots εύχαριστήσας et εύλογήσας gardent encore exclu ­
sans plus, avec la consécration eucharistique. Telle sivem ent leur sens juif.
est l ’ argum entation de J. V iteau, qui écrit : » A u fl. 17 I! faut ajouter enfin que le participe aoriste paraît
(de S. Luc) on lit : και δεξάμενος ποτήριον εύχαριστήσας bien exprim er ici la consécution entre la bénédiction
είπεν, alors il prit une coupe, la consacra et dit... et la form ule consécratoire, et tout autant le carac ­
Au fl. 20, on lit : και τί> ποτήριον ω σαύτω ς , <7 fil la même tère secondaire de la bénédiction ou action de grâces.
chose pour la coupe. Il faut donc suppléer devant Sans doute, d ’ après la syntaxe grecque, le participe
τό ποτήριον les m êm es verbes que devant άρτον, aoriste peut s ’ em ployer pour le participe présent, par
c ’ est-à-dire καί λαβών το ποτήριον εύχαριστήσας εδωκεν attraction, lorsque le verbe principal est à l ’ indicatif
αύτοίς λέγων, il prit la coupe, la consacra et la leur aoriste. M ais cette observation gram m aticale, favorise
donna en disant... Il y aurait eu ainsi deux consécra ­ notre explication, loin de la contredire. N ous verrions
tions pour la coupe, l ’ une avant le dîner et l ’ autre volontiers l ’ application de cette règle dans le texte de
après, ce qui n ’ est ni naturel ni logique. » J. V iteau, saint M atthieu pour exprim er la concom itance de
L'évangile de l'eucharistie, dans la .Revue du clergé l ’ action de grâces avec la fraction, précédant l ’ une et
français, 1904, t. xxxix, p. 8 sq. l ’ autre l'acte de donner aux apôtres l ’ alim ent eucharis ­
Q ue cette double consécration du calice ne soit ni tique en disant la parole consécratoire ; Ceci est m on
naturelle ni logique, j ’ en conviens parfaitem ent. corps. C ’ est ainsi que la phrase du prem ier É vangile :
M ais pour adm ettre une consécration unique de la λαβών & ’ Ιησούς άρτον καί εύλογήσας εκλασεν και δούς
coupe, est-il nécessaire, com m e sem ble le croire J. τοϊς μαΟηταϊς ειπεν, M atth., xxvi, 26, pourrait se
V iteau, de donner au m ot εύχαριστήσας un sens diffé ­ traduire de la m anière suivante :« Jésus, prenant du
rent au J. 17 et au jf. 20 où il doit être suppléé? I pain et le bénissant (ou : rendant grâces), le rom pit,
229 É P IC L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 230

puis le donna aux disciples en disant : Prenez et A joutons-y l ’ opinion de saint Thom as lui-m êm e
m angez, ceci est m on corps.» 11 paraît bien difficile qui, avec plusieurs Pères anciens, avec saint B onaven ­
d ’ adm ettre la concom itance de tous ces actes, et ture et un certain nom bre d ’ autres auteurs, accep ­
bien que les auteurs sacrés n ’ en aient pas m arqué tant le sens ultérieur des m ots εύλογεϊν et εύχαριστεϊν, .i
de façon rigoureusem ent précise l ’ ordre de succes ­ pensé que le Sauveur bénit ou rendit grâces en disant
sion, la consecution de la form ule consécratoire par les paroles sacram entelles : Ceci est m on corps, ceci
rapport à la bénédiction ou action de grâces sem ble est m on sang.
indéniable. Le passage cité d ’ Innocent III exprim e une opi ­
Q uant à la form ule consécratoire elle-m êm e, voir nion reconnue par lui com m e probable, plutôt que
E u c h a r is t ie d a n s l ’ É c r it u r e . son opinion personnelle. A u chapitre indiqué de son
V oici com m ent, on pourrait résum er l ’ histoire de ouvrage sur le sacrem ent de l ’ autel, com posé, com m e
l ’ institution de l ’ eucharistie. Pendant le repas, pro ­ on sait, avant son élévation au souverain pontificat,
bablem ent au début, Jésus avait annoncé sa passion il pose nettem ent la question : quando Christus confecit
et qu'il ne m angerait plus la Pâque jusqu ’ à son accom ­ et sub qua forma? O r voici la prem ière réponse qu ’il y
plissem ent dans le royaum e de D ieu. Luc., xxn, fait : Cum ad prolationem verborum istorum : Hoc
15, 16. Ce fut vraisem blablem ent en prenant une est corpus meum, hic est sanguis meus, sacerdos con­
des coupes prescrites par le rituel juif, peut-être la ficiat, credibile judicatur quod et Christus eadem verba
prem ière, qu ’ il réitéra cette annonce, et déclara qu ’ il dicendo confecit.De sacro altaris mysterio,\. IV, c. vi,
ne boirait plus du produit de la vigne jusqu ’ à l ’ avè ­ P. L., t. ccxvii, coi. 859. C ’ est seulem ent après cette
nem ent du royaum e de D ieu. Luc., xxn, 17-18; prem ière affirm ation qu ’ il énum ère les autres opi ­
M atth., xxvi, 29; M arc., xiv, 25. A vant la fin du nions, en term inant par la phrase qu ’ on a lue plus
repas, sans que nous puissions savoir à quel m om ent haut. La form ule initiale de cette phrase : Sane dici
précis, Jésus prit du pain, le bénit en rendant grâces, potest, indique bien sa pensée, qui est sim plem ent de
c ’ est-à-dire en louant D ieu, et le rom pit; puis il le déclarer non im probable l ’ opinion qu ’ il a énoncée :
donna aux disciples en disant : « Prenez, m angez. sane dici potest quod Christus virtute divina confecit
V oici m on corps pour vous, » c ’ est-à-dire, com m e l ’ a et postea formam expressit sub qua posteri benedicerent.
traduit saint Luc : « Ceci est m on corps qui est donné Ipse namque per se virtute propria benedixit, nos
pour vous. » E t il ajouta : « Faites ceci en m ém oire autem ex illa virtute quam indidit verbis. Ce qui a.
de m oi. » A la fin du repas, sans doute au m om ent sem ble-t-il, jeté quelque incohérence dans le jugem ent
de boire la coupe qui devait clore le festin, Jésus prit d ’ Innocent III sur cette question, c ’ est d ’ avoir com ­
le calice et rendit grâces en louant D ieu; puis, faisant pris, com m e d ’ ailleurs saint T hom as, saint B onaven ­
allusion à l ’ ancienne alliance de D ieu avec Israël par ture et beaucoup d ’ autres, dans le sens de consécr .·.-
l ’ interm édiaire de M oïse, alliance consacrée par le sang tion,la bénédiction ou action de grâces préalable faite
des victim es répandu sur le peuple,E xod., xxiv,3-8; par Jésus sur le pain et le vin. Il déclare, en effet, un
cf. Zach., ix, il, et rappelant la nouvelle alliance peu plus loin en term es form els : Christus confecit
prédite par les prophètes, Jer., xxxi, 31 sq. ; Ezech., quum benedixit. Ibid-, c.xvn, col. 868. Cf. D urand de
xvi, 60 sq. ; O se., n, 20, il dit aux apôtres en leur pré ­ M ende, nationale, IV , x l i , 15; Le B run, op. cit., t. v,
sentant le calice : « B uvez-en tous, car voici le calice, p. 225.
la nouvelle alliance dans m on sang, » c ’ est-à-dire, Si la pensée d ’ Innocent III dem eure un peu indé ­
selon l ’ expression des deux prem iers synoptiques : cise, il n ’ en est pas de m êm e de quelques autres écri ­
« Ceci est m on sang, le sang de la nouvelle alliance, qui vains ecclésiastiques qui se sont nettem ent exprim és
est répandu pour vous et pour un grand nom bre en sur ce point. Saint G audence de B rescia (j-vers 4 lu)
rém ission des péchés. » Enfin il ajouta : « Faites ceci, sem ble n ’ avoir attribué aux paroles : Ceci est mon
toutes les fois que vous boirez (de ce calice), en m ém oire corps, ceci est mon sang, dans la bouche du Sauveur,
de m oi. » qu ’ une valeur purem ent déclarative: « N ous savons,
3° Les diverses opinions. — Il sera utile d ’ ajouter écrit-il, que lorsqu ’ il présenta à scs disciples le pain
un aperçu des diverses opinions ém ises au sujet de et le vin consacrés, Jésus leur dit : Ceci est m on corps,
la m anière dont Jésus-Christ a consacré au cénacle. ceci est m on sang. » Tract. II, De ratione sacramen­
Saint Thom as, à propos de l ’ objection que, dans torum, P. L., t. xx, col. 859. O n rencontrerait, sans
le récit évangélique, la bénédiction précède les paroles doute, au cours d ’ uncenquêtem éthodiqueetcom plète,
sacram entelles, signale les opinions connues de son d ’ autres textes patristiques analogues à celui-là.
tem ps. « C ertains ont dit que le C hrist, en vertu du Parm i les auteurs du m oyen âge, signalons O don
pouvoir d ’ excellence (c ’ est-à-dire d ’ un pouvoirsurém i- ou Eudes de C am brai (γ1113) et É tienne d ’ A utun
nent propre à Jésus-C hrist, en vertu duquel il peut, (•j· 1139). Le prem ier, tout en enseignant très claire ­
par exem ple, produire dans le. rite sacram entel l ’ effet m ent que la form e du sacrem ent consiste, pour nous,
•iu sacrem ent, cf. S. T hom as, III· , q. l x v i , a. 3), dans les paroles du Sauveur, Expositio in canonem
qu ’ il avait sur les sacrem ents, opéra ce sacrem ent missse, P. L., t. eux, col. 1063, croit que celui-ci a
sans aucune form e verbale, et qu ’ ensuite il prononça consacré par la bénédiction avant de prononcer la
les paroles qui devaient être désorm ais pour les autres form ule qui, sur nos autels, accom plit le m ystère.
la form e de la consécration. C ’ est ce que sem blent Accepit panem, dit-il : adhuc panem, nondum carnem...
donner à entendre les lignes suivantes d ’ Innocent III Benedixit, suum corpus fecit. Qui prius erat panis
t 1180) au 1. IV, De myster. missie, vi : « O n peut benedictione factus est caro. Modo caro, jam non panis...
• dire que le Seigneur consacra par sa vertu divine et Patet quod panis accepta benedictione est caro. Modo
« qu ’ il prononça ensuite la form e que ses disciples caro, jam non panis... Palet quod panis accepta bene­
< devaient em ployer après lui pour la consécration. » dictione factus sit corpus Christi. Non enim post bene­
If autres ont dit que labénédiction dont parle l ’ É van- dictionem dixisset : Hoc est corpus meum, nisi in
gilese lit par des paroles que nous ignorons... D ’ autres benedictione fieret corpus suum. Ibid. Cf. Le B run,
« nfin.que cette bénédiction sc fit par les m êm es paroles op. cit., t. v, p. 230-231. D ’ après É tienne d ’ A utun. !·.·-
qu ’ aujourd ’ hui, m ais que le C hrist les prononça deux paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, auraient
fois, d ’ abord secrètem ent pour consacrer, puis à d ’ abord été dites à voix basse pour opérer la consé ­
haute voix pour instruire les apôtres. » Sum. theol., cration, puis répétées à haute voix pour enseigner
ΙΠ *, q. l x x v i ii , a. 1, ad 1» “ . Cf. In IV Sent., 1. IV, aux apôtres la form ule dont iis devaient se servir.
disL V III, q. il, a. 1, q. v, ad l u “ . O u bien encore, le Seigneur a consacré par la bénè-
231 É P IC LÈ S E E U C H A R IS TIQ U E 232

diction et a ensuite prononcé les paroles en leur 1870, p. 243; J. Th. Franz, Dieeucharist. Wandlung und
donnant pour l ’ avenir la vertu du sacrem ent. Tracl. Epiklesc, W ürzbourg, 1877-1880; O sw ald,D ie Sacra-
de sacram, altaris, c. χνιι,Ρ . L., t. c l x x h , col. 1292. mentenlehre,4 e édit.,M unster, 1877, p. 463-466; G ihr,
Ces opinions sont toujours, on le voit, en fonction D os heilige hlessopfer, 2 e édit., Fribourg-cn-Brisgau,
du sens de consécration donné à tort au benedixit du 1880, p. 502 sq. ; contre W atterich, Sclianz. dansD cr
récit de la cène. C ’ est l ’ idée de l ’ épiclèse qui a poussé Kalholik, 1896-1897; Lingens, dans Zeitschrift fiir die
dans une voie analoguele dom inicain A m broise C athe ­ kalholische Théologie, 1897; Le B achelet, dans les
rin (·{■ 1553) et le franciscain C hristophe de C hefïon- Études, 1898, t. Lxxv, p. 805 sq. Cf. A . Schm id,
taines (f 1595). L ’ un et l ’ autre pensent que le Sau ­ A liarssacrament, dans Kirchenlcxikon, 2 e édit., 1882,
veur a opéré la consécration avant de prononcer les t. i, col. 603-607.
paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, soit V . L a f o r m u l e d e c o n s é c r a t i o n e u c h a r i s t iq u e

qu ’ il l ’ ait accom plie par un acte silencieux de sa toute- d ’ a p r è s L A T R A D I T I O N . - - - - Z . LA TRADITION D'ORIENT ET


puissance, soit, tout au m oins, par des paroles diffé ­ d ’o c c id e n t j u s q u ’a u vins s iè c l e . — O n peut résum er
rentes de celles-là. V oir Le B run, op. cit., t. v, p. 229- la doctrine de cette période en deux propositions :
241. V oir C h e f f o n t a i n e s . 1. La plupart des textes des trois prem iers siècles
C atharin envoya son ouvrage au concile de T rente, et plusieurs encore aux siècles suivants parlent de
m ais celui-ci ne voulut pas trancher cette question. la prière consécratoire en général, c ’ est-à-dire de ce
C ’ est ce que nous apprend Salm eron, auquel H oppe que nous appelons aujourd ’ hui le canon. C 'est certai­
a prêté à tort la m êm e opinion. Salm eron, Comment, nem ent le sens qu ’ il faut donner aux term es de prière,
in hist, evangel., t. ix, tr. X III, s ’ exprim e en ces invocation (έπίχλησις ), supplication, et autres sem ­
term es : N on dissimulabo quod in concilio Tridentino blables, où l ’ on aurait tort de voir exclusivem ent
cum quidam theologi id peterent, ul explicaretur forma l ’ épiclèse proprem ent dite. C ependant, un bon nom bre
qua Christus confecit hoc sacramentum, auditis hinc inde de ces textes indiquent déjà le rôle prépondérant
rationibus, nihil esse definiendum prudenter Patres des paroles de Jésus-Christ et leur efficacité propre.
ccnsucrunt. Le savant jésuite s ’ étend longuem ent sur 2. A partir de la seconde m oitié du m e siècle, nous
l ’ explication de C atharin; m ais il avertit, en term i ­ constatons que la consécration est attribuée à la fois à
nant, que, bien que le concile de T rente n ’ ait pas Jésus-C hrist et au Saint-Esprit, et les attestations
voulu décider de ce point, l ’ opinion la plus fondée est de l ’ épiclèse proprem ent dite com m encent. M ais des
la doctrine traditionnelle d ’ après laquelle le Sauveur affirm ations très catégoriques, tant en O rient qu ’ en
a em ployé pour consacrer la m êm e form ule que nous. O ccident, surtout à partir du iv e siècle, indiquent
Hiec idcirco tam laie a me allata sunt ad hanc firman­ que ce sont les paroles de l ’ institution qui jouent le
dam sententiam, non quod post concilii Florentini rôle de form e, et non pas l ’ épiclèse. Signalons les
decretum tam unanimiter in scholis receptum et dure ab principaux tém oignages à l ’ appui de ces deux propo ­
adversariis explicatum, tutam eam existimem, sed ut sitions.
videas quibus se tueantur rationibus et iis per te ipsum. 1° La prière consécratoire en général. — D ’ après les
facile dissolutis in ea sententia permaneas, quæ eadem docum ents des trois prem iers siècles, le rite eucharis ­
forma nos dicit consecrare qua Christus ipse conse­ tique se com pose d'une série assez longue de prières
cravit. Ibid. et d ’ actions de grâces (εύχαί και ευχαριστία! , dit
A u xix e siècle, un théologien catholique, H oppe, a saint Justin, Apol., i, 13, P. G., t. vi, col. 345,
repris la thèse de C atharin et soutenu que les paroles: précisant un peu plus Ι ’ εύχαριστία de la D idaché ct des
Ceci est mon corps, ceci est mon sang, n ’ avaient sur lettres de saint Ignace d ’ A ntioche), dont le point
les lèvres du C hrist qu ’ une valeur énonciative, bien central est le récit de la cène com prenant les paroles
qu ’ elles constituent aujourd ’ hui la form e du sacre ­ du Sauveur.
m ent. H oppe, op. cil., p. 298. T out cet ensem ble, saint Justin le désigne sous le
E nfin, d ’ après W atterich, prêtre vieux-catholique, nom de λόγος ευχής και ευχαριστίας , « la form ule de
m ort réconcilié avec l ’ Église rom aine, Jésus aurait prière et d ’ action de grâces », et sous celui de λόγος
opéré la consécration au m oyen d ’ un sim ple geste de ευχής ό παρ ’ αύτοϋ, « la form ule de prière qui vient du
bénédiction (Segensgeberde) signifié par les m ots C hrist ». Apol., I, 65-67, P. G., t. vi, col. 428-
εύλογήσας ct εύχαριστήσας . Les paroles : Ceci est mon 432; K irch, Enchiridion fontium hist. eccl. ant., F ri-
corps, ceci est mon sang, n ’ auraient fait qu ’ exprim er bourg-en-B risgau, 1910, p. 30-34. C ette form ule a
après coup la transform ation m ystérieuse déjà ac ­ pour effet d ’ « eucharistier » les élém ents, selon le
com plie. W atterich, Der Konsekrationsmomenl im term e de l'apologiste, c ’ est-à-dire de les consacrer.
heiligen Abcndmahl und seine Geschichte, H eidelberg, Την δι ’ ευχής λόγου τοΰ παρ ’ αύτοϋ εΰχαριστηΟ εϊσαν
1896. τροφήν... Ίησοϋ καί σάρκα και αίμα έδιδάχβημεν είναι :
A l ’ encontre de ces diverses opinions, les théolo ­ » eucharistiée par la form ule de prière qui vient de
giens catholiques ont, pour la plupart, après com m e lui (du C hrist), cette nourriture, d ’ après l ’ ensei­
avant le concile de T rente, considéré les paroles de gnem ent que nous avons reçu, est la chair et le sang
l ’ institution : Ceci est mon corps, ceci est le calice de de Jésus. » Ce λόγος , cette form ule, sem blable à la
mon sang com m e la form e unique avec laquelle le parole de D ieu agissant dans l ’ incarnation, opère
Sauveur lui-m êm e a consacré, ainsi que consacrèrent la transsubstantiation en vertu de la toute-puis ­
egalem ent, plus tard, les apôtres ct leurs successeurs sance divine. Il est rem arquable de constater dans
conform ém ent à l ’ ordre reçu du M aître. N om m ons, cette description, la plus ancienne de toutes, de
entre autres, B essarion, B ellarm in, B ona, A rcudius, l ’ anaphore eucharistique, la com paraison de l'in ­
A llatius, G oar, O rsi, Pierre M oubarak, ces deux der ­ carnation et de l ’ eucharistie qui restera fondam en ­
niers surtout contre T outtéc, R enaudot et Le B run, tale à travers toute la tradition. O r, dans l'exé ­
contre C atharin ct C hristophe de C heffontaines, gèse du m essage angélique de l ’ A nnonciation, saint
T ournely, Cursus theol.. De eucharistia, q. iv, a. 8; Justin attribue la conception surnaturelle du C hrist
parm i les m odernes, H enke, Die kalholische Lchre à l ’ intervention du Logos, vertu ou puissance de
über die Consecrationsworte der heiligen Eucharistie, D ieu. Apol., i, 33, col. 381. L ’ intervention eucha ­
Trêves, 1850; Franzelin, V erlage, Schw etz, 'K ôssing, ristique du Saint-E sprit ne sem ble donc pas être
H urter; spécialem ent contre H oppe, B . Thalhofer, dans la perspective de saint Justin, bien que l ’ épi ­
dans Wiener kathol. Vierteljahrschrift, 1866, p. 610; clèse pût faire partie de la liturgie qu ’ il décrit. V oir
Das Opfer des alien und neuen Blindes, R atisbonne, m on article : La liturgie décrite par saint Justin et
233 É P IG L ÉS E E U C H A R IS T IQ U E 234

l’épiclèse, dans les Échos d’Orient, 1909, t. xn, » la solennelle prière », solemnem orationem. Epist.,
p. 129 sq., 222 sq. c x l v i , ad Evangelum; In Soph., cm , P. L., t. xxn,
M êm e doctrine dans saint Irénée : m ais ici la for ­ col. 1193; t. xxv,col. 1375. Cf. S. G régoire le G rand,
m ule consécratoire est appelée « la parole de D ieu », Epist., IX, 12, P. L., t. l x v ii , col. 956, où les deux
τόν λόγον τοΰ Θ εού, et « l ’ invocation de D ieu », τήν expressions mox post precem et mox post canonem,
επίκλησιν τοΰ Θ εοΰ, ou encore « la form ule de l ’ invo ­ sont données com m e absolum ent équivalentes; Théo ­
cation », τ'ον λόγον τής έπικλήσεως . Conl. hær., I, doret de C yr (+458), Eranistes, n, P. G., t. l x x x i ii ,
χιπ, 2; IV, xviii, 4, 5; V , it, 3; P. G., t. vu, col. 168, où la form ule consécratoire est appelée
col. 580, 1028-1029, 1125-1127. Ce term e d'invoca­ » l ’ invocation sacerdotale », ιερατική έπίκλησις .
tion, qui apparaît ainsi pour la prem ière fois au Il ressort avec évidence du contexte de ces divers
h c siècle (cf. les Acta Thomæ, œ uvre gnostique de passages que de telles expressions, tout en désignant
la prem ière m oitié du i i i ° siècle, c. x l v i , édit. B on ­ la prière eucharistique prise dans son ensem ble, non
net, Leipzig, 1903, p. 116; Scheiw iler, Die Elemente seulem ent n ’ excluent pas les paroles du Sauveur, m ais
der Eucharistie in den ersten drei Jahrhunderten, au contraire les im pliquent nécessairem ent com m e
M ayence, 1903, p. 153; Struckm ann, Die Gcgenwart partie centrale de la form ule com plète. Sans doute,
Christi in der ht. Eucharistie nach den schri/tlich'en la liturgie avait déjà encadré ces paroles sacrées dans
Quellen der vornizânischen Zeil, p. 107-108), ne dé ­ un ensem ble de rites et de prières, com m e Jésus avait
signe pas, chez saint Irénée, exclusivem ent du m oins, voulu le prem ier donner pour cadre au divin banquet
l ’ épiclèse actuelle, m ais bien tout l ’ ensem ble de la le rituel pascal. M ais tandis que nous connaissons seu ­
form ule eucharistique d ’ alors, autrem ent dit toute lem ent par de vagues allusions cet encadrem ent
l ’ anaphore, tout le canon. euchologique durant les prem iers siècles, il est frap ­
C ’ est avec ce sens que le m ot revient, au n i 0 siècle, pant de constater que saint Justin et saint Irénée
sous la plum e de saint Firm ilien de C ésarée : celui-ci assignent déjà clairem ent aux paroles évangéliques
parle d ’ une pseudo-prophétesse qui contrefaisait le le rôle de form ule centrale. Le prem ier s'exprim e
rit eucharistique en em ployant à cet effet Vinvocation ainsi, im m édiatem ent après la phrase que nous avons
cl la prière ou formule accoutumée : etiam hoc frequen­ citée tout à l ’ heure : « E n effet, les apôtres, dans les
ter ausa est, ut et invocatione non contemptibili sancti­ m ém oires faits par eux et appelés É vangiles, ont
ficare se panem et eucharistiam facere simularet, et rapporté que Jésus leur donna ce com m andem ent.
sacrificium Domino non sine sacramento solilæ præ- A yant pris du pain et rendu grâces, il dit: Faites ceci
dicationis offerret. Parm i les lettres de saint C yprien, en m ém oire de m oi; ceci est m on corps. D e m êm e
Epist., l x x v , P. L., t. ni, col. 1165; cf. t. iv, col. 413. ayant pris le calice et rendu grâces, il dit : Ceci est
11 a le m êm e sens égalem ent dans un texte de saint m on sang. » Apol., i, 66. Le second écrit en term es
B asile que l ’ on objecte souvent à la doctrine catho ­ peut-être plus suggestifs encore : » N otre-Seigneur,
lique sur la form e de l'eucharistie, m ais qui nous donnant à ses disciples le com m andem ent d ’ offrir à
paraît, au contraire, lui être entièrem ent favorable. D ieu des prém ices de ses créatures, non qu ’ il en ait
A vant de citer ce texte très im portant, signalons besoin, m ais afin qu ’ eux-m êm es ne soient ni infruc ­
les expressions de signification identique em ployées tueux ni ingrats, prit le pain, qui est de la créature,
par d ’ autres auteurs des cinq prem iers siècles. et rendit grâces en disant : Ceci est m on corps. Et
Pour O rigène, In Matth., hom il. xi, 14; Conlr. Cels., pareillem ent pour le calice,qui est aussi de la m êm e
V III, xxxiii, P. G., t. xiii, col. 949; t. xi, col. 1565, créature..., il déclara que c ’ était son sang et enseigna
et pour saint G régoire de N yssc, Orat. catech., xxxvn, l ’ oblation nouvelle du N ouveau T estam ent. L ’ Église,
P. G., t. x l v , col. 96-97, c ’ est « la prière, les prières l ’ ayant reçue des apôtres, l ’ offre dans le m onde entier
et actions de grâces, la prière faite sur le pain et qui à D ieu qui nous fournit les alim ents. » Cont. hær., IV,
le sanctifie »; m ais il faut ajouter que c ’ est aussi » la xvii, 5, P. G., t. vu, col. 1023-1024.
parole de D ieu et l ’ invocation», selon la locution em ­ Saint C yprien (+258) dit form ellem ent que le prêtre
pruntée à I Tim ., iv, 5 (διά λόγου Θ εοΰ καί έντεύξεως ), tient à l ’ autel le rôle du C hrist, souverain prêtre,dont
ou sim plem ent « la parole de D ieu dite sur le pain »; il reproduit les gestes augustes : Namsi Jesus Chrislus
hâtons-nous, d ’ ailleurs, de dire que saint G régoire Dominus et Deus noster ipse est summus sacerdos Dei
de N ysse précisera tout à l ’ heure que cette pa ­ Patris, ei sacrificium Patri se ipsum primus obtulit,
role n ’ est autre que celle du C hrist : « Ceci est m on et hoc fieri in sui commemorationem priecepil, utique
corps, ceci est m on sang. » Pour Eusèbe, De laud. ille sacerdos vice Christi vere fungitur qui id quod
Constantini, c. xvi, P. G., t. xx, col. 1425-1427, ce Christus fecit imitatur, et sacrificium verum et plenum
sont ■ les prières et la m ystérieuse θεολογία», δι* ευχών tunc offert in ecclesia Deo Patri, si sic incipiat offerre
καί απορρήτου θεολογίας . Sur ce dernier m ot, dont la secundum quod ipsum Christum videat obtulisse.
signification paraît être « doxologie » ou « action Epist., l x ii i , c. xiv ; cf. ibid., c. x, P.L., t. iv, coi. 385-
de grâces à D ieu », voir C agin, Te Deum ou illatio, 386; cf. coi. 381-382, où C yprien cite tout au long
p. 324 sq. Pour saint A thanase, Serm. ad baptiz., le récit de la cène d ’ après saint Paul, pour conclure
fragm ents, P. G .,t.xxvi,col. 1325-1626;cf. t.L xxxvi, que noue avons à reproduire exactem ent la cène telle
col. 2401, ce sont « les grandes et adm irables prières que le C hrist l ’ a célébrée. Eusèbe de C ésarée, parlant
et les saintes supplications», ίκεσίαι και δεήσεις ..., αί du sacrifice institué par Jésus-C hrist, le présente
αεγάλαι εΰχαί και άγίαι ίκεσίαι, après lesquelles « le com m e l ’ effet de ce qu ’ il appelle “ les ineffables
V erbe descend sur le pain et sur le calice. » paroles du nouveau testam ent» :τά σύμβολα τών κατ'
Pour saint A m broise, c ’ est « le m ystère de la prière αυτόν απορρήτων τής καινής διαθήκης λόγων τοίς αΰτοϋ
sacrée », per sacræ orationis mysterium. De fide, IV , παρεδίδου μαθηταΐς . Demonstr. evang., vm , 2, P. G.,
x. 154, P. L., t. xvi, col. 667, « la bénédiction divine»; t. xxn, col. 629.
m ais c ’ est aussi, et d ’ une m anière très précise, « la Saint G régoire de N ysse, dans le m êm e passage
bénédiction du C hrist et la consécration par les où. après O rigène, il applique à l ’ alim ent eucharis ­
paroles du C hrist. » De mysteriis, ix, 50-54, P. L., tique ce que saint Paul, I T im ., iv, 5, disait en général
t. xvi, col. 422-424. Pour saint A ugustin, c ’ est « la de toute nourriture » sanctifiée par la parole de D ieu
prière m ystique qui consacre », prece mystica conse- et par l ’ invocation », insinue clairem ent que cette
■- dum, De Trinitate, I. Ill, c. ιν, 10, P. L., t. x l i i , form ule désigne avant tout, à ses yeux, la parole trans ­
coi. 873-874 ; pour saint Jérôm e, ce sont « les prières », form atrice du V erbe : Ceci est mon corps : « Le pain
preces quibus Christi corpus conficitur, ou encore est changé.· , aussitôt au corps par la parole, com m e
235 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 236

il a été dit par le V erbe : Ceci est mon corps, cités plus haut. E lle est aussi dans la pensée de
'0 άρτος · . ■ εύΟϋς προς τδ σώμα διά τοΰ λόγου μεταποιού ­ saint C yprien : « O n ne peut pas consacrer l ’ oblation
μενος , καθώς εΐρηται ύπδ τοϋ Λ όγου, ότι τοΰτο έστι το là où n ’ est pas l ’ E sprit-Saint, » nec oblatio sanctifi­
σώμα μου. » Oral, catech., xxxvn, P. G,, t. x l v , cari illic possit ubi Spiritus Sanctus non sil, dit
col. 97. Ce texte est d ’ autant plus im portant au point l ’ évêque de C arthage, Epist., l x iv , 4, P. L., t. iv,
de vue théologique, que l ’ on peut y voir une des pre ­ col. 392. A partir du iv c siècle, les tém oignages se
m ières affirm ations de l ’ instantanéité de la consécra ­ m ultiplient.
tion eucharistique. La m êm e idée ressort du texte a) En Orient. — E n O rient, l ’ attribution de la
classique de saint G régoire de N azianze écrivant à transsubstantiation au Saint-E sprit est attestée par
saint A m philoque :» N ’ hésite pas à prier et à inter ­ de nom breux textes au rv° siècle. Saint G régoire de
céder pour nous, lorsque par la parole tu attires le N ysse parle de « la sanctification du Saint-É sprit ” ,
Verbe, lorsque, par une. section non sanglante, tu di ­ τον αγιασμόν τον τοϋ ΙΙνεύματος , conférée au pain et au
vises le corps et le sang du Seigneur, ayant la voix vin, en vertu de laquelle ils deviennent corps et sang
pour glaive. » Epist., c l x x i , P. G., t. xxxvn, col. 280. du C hrist. De bapt. Christi, P. G., t. x l v i , col. 582.
N estorius, In IIeb., in, 1, se sert de la m êm e com pa ­ Cf. Oral, in laud, fratris Basilii, P. G., ibid., col. 805.
raison quand il dit en parlant du sacrifice de l ’ autel : M ais pour G régoire de N ysse com m e pour C yprien
1 ...Le C hrist est sym boliquem ent crucifié, égorgé par de C arthage, cette affirm ation doit se concilier avec
le glaive de la prière sacerdotale, » τή τής ιερατικής leur tém oignage concernant le récit de la cène et les
ευχής μαχαίρα σφαττόμενος . Loofs, Ncsloriana, H alle, paroles du Sauveur. A ussi bien, pour l ’ un com m e
1905, p. 241. Il n ’ est pas tém éraire de supposer que pour l ’ autre, cette « sanctification du Saint-E sprit »
ce glaive de la prière sacerdotale fait allusion aux n ’ est pas spéciale à l ’ eucharistie, bien qu ’ elle y pro ­
paroles de l ’ institution et à leur efficacité consécra ­ duise sur les élém ents un effet très différent de celui
toire. V oir aussi, pour S. G régoire de N azianze, qu ’ elle produit sur ceux des autres sacrem ents. Le
Vrai., xvni, 29, P. G., t. xxxv, col. 1020-1021. Saint-Esprit sanctifie égalem ent l ’ eau du baptêm e
Cf. C ésaire de N azianze, Dial., ni, q. c l x , P. G., et l ’ huile de la confirm ation; c ’ est m êm e à l ’ occasion
l. XXXVIII, col. 1132-1133. du baptêm e que saint G régoire de N ysse prononce
Saint B asile ne fait que confirm er ces tém oi ­ le m ot έπίκλησις , en disant que les choses au m oyen
gnages, loin d ’ y contredire, lorsque, dans son traité desquelles s'accom plit la régénération sont « la prière
De Spiritu Sancto, après avo il· posé en principe à D ieu et l ’ invocation de la grâce céleste, χάριτος
l ’ existence dans l ’ Église, de deux sources, de la foi, ουρανίας έπίκλησις , l ’ eau et la foi. » E t un peu plus
l ’ É criture et la tradition,il ajoute par m anière d ’ ap ­ bas, il m entionne encore» la prière et l ’ invocation de
plication : » Les paroles de V invocation (τα τής έπικλή- la puissance divine faite sur l ’ eau », ευχή καί δυνά-
σεως ρήματα) dans la production (έπι τή άναδείξει) du μεως θείας έπίκλησις έπι τοϋ υδατος γινόμενη. Oral, ca­
pain eucharistique et de la coupe de bénédiction, qui tech., χχχιπ, P. G., t. x l v , col. 84. Cf. ibid., xxxvi,
donc d ’ entre les saints nous les a laissées par écrit? P. G., ibid., col. 92. Ces indications sont de nature
C ar nous ne nous contentons pas de ce que rapporte à m ontrer que l ’ attribution de la consécration au
l ’ A pôtre ou l ’ É vangile, m ais nous disons avant et Saint-E sprit n ’ est pas l ’ adm ission de la prière ac­
après d ’ autres choses qui sont d ’ une grande im por ­ tuellem ent appelée épiclèse au rôle de form e. Les
tance pour le η^5ΐ0Γθ(προλέγομεν και ίπιλε ’γομεν έτερα, textes signalés visent plutôt uniquem ent à faire voir
ώς μβγάλην εχοντα προς το μυστήριβϋ τήν ίσχύν) et que dans la transform ation du pain et du vin un m iracle
nous avons reçues de la tradition non écrite. » De de la puissance divine invoquée à cet effet et spéciale ­
Spiritu Sancto, xxvu, GC, P. G., t. xxxn, col. 188. O n m ent appropriée au Saint-E sprit, bien que com m une
ne saurait affirm er, selon nous, plus clairem ent que aux trois personnes de la T rinité. N otons encore cette
l ’ anaphore (car c ’ est bien elle sans contredit que expression intéressante de saint B asile, Epist., vin,
désigne ici encore le m ot έπίκλησις ), form ule eucha ­ 2, P. G., t. xxxii, col. 249 : « Le Fils et le Saint-
ristique transm ise dans son ensem ble par l ’ enseigne ­ E sprit sont la source de toute sanctification. » La
m ent oral, a son centre naturel dans le récit évangé ­ m êm e expression se retrouve dans plusieurs liturgies
lique de l ’ institution, et donc dans les paroles m êm es orientales. B rightm an, op. cil., p. 525, note 12.
du Sauveur transm ises par les synoptiques et par Saint C yrille d ’ A lexandrie (j· 444) répète l ’ idée de
saint Paul. A u sujet du récit de la cène et de l ’ im por ­ saint C yprien touchant le sacerdoce du C hrist, en un
tance que lui donne saint B asile, cf. De baptismo, I, texte qui, déplus, m et en relief l ’ action trinitaire dans
m , 2, P. G., t. xxxi, col. 1576. Q ue diverses prières le rite eucharistique, fournissant ainsi à son tour la
encadrent ce récit avant et après, et qu ’ elles concou ­ vraie base de solution pour la question de l ’ épiclèse.
rent puissam m ent au m ystère, nous pouvons le dire « T oute grâce et tout don parfait nous vient du Père
tout com m e saint B asile; sans cesser de voir dans les par le Fils dans le Saint-Ésprit. » In Luc., xxn, 19,
paroles divines la form e essentielle et unique de la P. G., t. l x x i i , col. 908. Cf. In Matth., xxvi, 27,
consécration. Cf. O rsi, op. cit., p. 19, 72-74. ibid., col. 452; Adv. anthropomorph., Epist. ad Calostj-
N ous résoudrons tout à l ’ heure dans un sens rium, P. G., t. l x x v i , col. 1073; c. xn, ibid.,
analogue la difficulté que certains auteurs croient col. 1097, où il est affirm é que « les oblations faites
voir dans certains passages des C atéchèses de saint dans les églises sont sanctifiées, bénies et consa ­
C yrille de Jérusalem . M ais com m e celui-ci m et parti ­ crées par le C hrist; » Ad reginas de recta fide oral,
culiérem ent en relief l ’ intervention eucharistique du altera, n. 44, ibid., col. 1396.
Saint-E sprit, il nous faut auparavant indiquer les Saint Jean C hrysostom e est le plus explicite de
prem ières traces traditionnelles de cette idée et m on ­ tous les Pères orientaux au sujet de l ’ intervention
trer qu ’ elle ne contredit point, pour autant, l ’ attri ­ eucharistique du Saint-E sprit, en m êm e tem ps que
bution de la consécration aux paroles du C hrist. sur l ’ efficacité consécratoire des paroles du C hrist.
2° Attribution de la transsubstantiation à la fois Il connaît l ’ épiclèse pour l ’ avoir em ployée dans la
au Christ et au Saint-Esprit, mais en même temps liturgie quotidienne; il attribue avec insistance la
affirmations formelles de l’efficacité consécratoire des transsubstantiation et le sacrifice à la vertu invisible
paroles de l’institution. — L ’ attribution de la consé ­ du Saint-E sprit agissant par le m inistère du prêtre.
cration au Saint-E sprit paraît dans la Didascalie, V I, Desacerdot., III, ιν; V I, rv, P. G., t. x l v i h , col. 642,
xxi, 2; xxn, 2, édit. Funk, p. 370, 376, c ’ est-à-dire 681; Oral, de B. Philogonio, ibid., col. 753; De coem.
dès la seconde m oitié du in° siècle. V oir les passages et cruce, 3, P. G., t. x l i x , col. 397-398; De resurrect.
237 É P IC L È SE E U C H A R IS T IQ U E 238

mort., P. G., t. L, col. 432; Homil. in Pentec., r, P.G., orientale et occidentale actuellem ent séparées sur
t. L, col. 458-459; In Joa., hom il. x l v , P. G., t. l i x , la question qui nous occupe. D e fait, cette double
col. 253 ; In I Cor., hom il. xxiv, P. G., t. l x i , col. 204. affirm ation, si précise et si nette, de l ’ efficacité abso ­
C itons un de ces passages qui tiendra lieu de tous les lue des paroles du C hrist et de la vertu consecra ­
autres: « Q ue fais-tu, chrétien? Q uoi I au m om ent trice du Saint-Esprit, m e paraît pouvoir suffire, à
où le prêtre se tient devant l ’ autel, tendant les m ains elle seule, pour im poser et m otiver la solution catho ­
vers le ciel, appelant l'Espril-Saint pour qu’il vienne lique de l ’ épiclése.
et louche les oblations; lorsque, dans le plus profond 11 est légitim e d ’ en conclure que l ’ efficacité des
recueillem ent et le plus grand silence, l’Esprit donne paroles du Sauveur doit se concilier avec la vertu
sa vertu, lorsqu’il touche les oblations, lorsque tu vois transsubstantiatrice du Saint-E sprit, non seulem ent
l ’ A gneau im m olé et consom m é, c ’ est alors que tu dans la pensée de saint Jean C hrysostom e, m ais aussi
excites du trouble, du tum ulte, des querelles, des dans celle d ’ un grand nom bre d ’ autres écrivains orien ­
injures?...» De can. et cruce, 3. A lire de telles expres ­ taux dont nous n ’ avons que des textes attribuant,
sions,l'on pourrait être tenté de croire que saint Jean sans plus, la consécration à la troisièm e personne
C hrysostom e attribuait réellem ent la consécration de la T rinité. A insi en est-il pour saint Éplirem ,
à l ’ épiclése et non point aux paroles de l ’ institution. Adv. scrutatores, serm . x et x l , dans Opera omnia
Il n ’ en est rien cependant, puisque le m êm e docteur syr.-lat., t. m , p. 23, 72; pour Pierre d ’ A lexandrie
affirm e en term es form els et à plusieurs reprises que (t 380), dansThéodoret, II. E., iv,19, P. G., t. l x x x i i ,
le prêtre, à l ’ autel, représente le C hrist; qu ’ il répète, col. 169; pour Théophile d ’A lexandrie, Lettre pascale
au nom et en la personne du C hrist, les paroles dites de l ’ an 402 traduite par S. Jérôm e, P. L., t. xxn,
au cénacle : « Ceci est m on corps, ceci est m on sang, » col. 801 ; pour S. N il (t 430), Epist. ad Phil, schol., i,
et que ces paroles opèrent la transsubstantiation. 44, P. G., t. l x x ix , col. 104; pour S. Isidore de Péluse
« Ce n ’ est pas l ’ hom m e qui fait que les oblations (t vers 434), Epist., i, n. 109, 313, P. G., t. L xxvrn,
deviennent corps et sang du C hrist, m ais bien le col. 256, 364, cf. col. 405; pour S. Proclus de C onstan ­
C hrist lui-m êm e, crucifié pour nous. Le prêtre est tinople (t vers 447), De trad, div.liturg., P. G ., t. l x v ,
là qui le représente et prononce les paroles, m ais col. 851 ; pour Eusèbe d ’ A lexandrie (vers 560), P. G.,
la puissance et la grâce sont de D ieu. Ceci est m on t. xevi, col. 300-301 ; pour A nastase le Sinaïte (f après
corps, dit-il (le prêtre au nom du Christ). C ette pa ­ 700), Orat. de sacra synaxi, P. G., t. l x x x i x , col.
role transform e les oblations. » Τούτο μου έστι τί> 297; voir aussi Narr. Anastasii, n. xt.ni, dans
αώμα, φησί. Τούτο τό ρήμα μεταρρυθμίζει τά προχείμενα. F. N au, Le texte grec des récits utiles à l’âme, d’Anas­
De prod. Judie, hom il. i, n, n. 6, P. G., t. x l i x , tase, p. 8; pour Jean M oschus (f vers 620), Prat.
col. 380, 389. spirit., xxv, c l , P. G., t. l x x x v i i , col. 2869-2872,
Les théologiens des Églises orientales non catho ­ 3016; pour l ’ auteur des Miracula Virg. Khozib.,
liques ont cherché à épiloguer sur ce qui fait suite n. 5, dansAnalecta bollandiana. t. vn,p. 366-367, etc.
à ce texte dans l ’ hom élie en question. L ’ orateur y Les deux affirm ations parallèles, égalem ent expli ­
établit une com paraison entre la vertu de la parole : cites, de saint Jean C hrysostom e, nous perm ettent,
• C roissez et m ultipliez-vous, » dite par D ieu à l ’ ori ­ croyons-nous, de ne voir dans tous ces passages qu ’ un
gine de l ’ hum anité, et celle delà parole .« Ceci est m on des élém ents signalés par lui, la vertu du Saint-E sprit,
corps, «ditepar le C hrist au cénacle: «L aparolc: Crois- m ais sans exclure l ’ autre, à savoir l ’ efficacité des
sczet multipliez-vous,... bien qu ’ elle n ’ ait été dite qu ’ une paroles du C hrist. Elles nous autorisent à penser que,
fois, continue d ’ exercer son efficacité et vous donne en ce qui concerne la form e essentielle du sacrem ent
le pouvoir de procréer des enfants; il en est de m êm e de l ’ eucharistie, la tradition, même en Orient, est cons ­
de la parole : Ceci est mon corps. Prononcée une fois, tituée non point par deux courants parallèles (l ’ un
elle donne, et cela jusqu ’ à la fin du m onde, à tous les favorable à l ’ épiclése, l ’ autre aux paroles de l ’ insti ­
sacrifices leur existence et leur vertu. » Ibid. C epen ­ tution), m ais bien par un courant unique dont C hry ­
dant, il est facile de voir, et le contexte le m ontre sostom e nous perm et de synthétiser, coordonner et
pleinem ent, que la com paraison ne porte que sur un préciser les élém ents épars. D om T oultéc, l ’ éditeur
point, à savoir la vertu conférée à l ’ hom m e par une bénédictin des œ uvres de saint C yrille de Jérusalem ,
parole divine. M ais pour l ’ eucharistie, le C hrist répète faisait déjà une rem arque analogue, quand il écrivait :
cette parole par le prêtre : C hrysostom e vient de le Si ea tantum Chrysostomi opera haberemus, in quibus
déclarer expressém ent, et il y revient plusieurs fois solius invocationis lanquam consecrationis causse
ailleurs, prouvant ainsi prérem ptoirem ent que l ’ at ­ meminit,... nullam eum euangelicis verbis efficaciam
tribution de la consécration aux paroles du C hrist reliquisse suspicaremur. Sed his quæ diserte dicit, serm.
constitue chez lui un enseignem ent très ferm e contre XXX Deprod.Judæ,ne ita de eo sentiamus prohibemur.
lequel l ’ ingéniosité m êm e d ’ un C abasilas ou d ’ un Ileecque ostendunt utramque sententiam optime com­
M arc d ’ Éphèse est entièrem ent im puissante. Il répète, poni,... Christo et Spiritu Sancto una operantibus.
en effet, avec insistance, que la cène de l ’ autel est la De doctr. S. Cyrilli, diss. III, n. 94, P. G., t. x x x i i i ,
m êm e que celle du cénacle. « C ’ est le m êm e C hrist coi. 279.
qui fait l ’ une et l ’ autre... N e l ’ entendez-vous pas La doctrine de saint Jean C hrysostom e doit servir
parler lui-m êm e à l ’ autel par la bouche des évangé ­ à expliquer, entre autres, la pensée de saint C yrille
listes?» In Matlh., hom il. L, 3, P. G., t. l v ii i , col. 507. de Jérusalem qui, en 348, com m entant aux néophytes
' Jésus C hrist, qui opéra autrefois ces m erveilles dans les rites de la m esse, passait directem ent du Sanctus à
la cène qu ’ il fit avec ses apôtres, est le m êm e qui les la consécration par la sim ple phrase suivante où l ’ on
accom plit encore m aintenant. N ous, nous tenons lieu aurait tort, à notre, avis, de ne voir seulem ent qu ’ une
de m inistres, m ais c ’ est lui qui sanctifie les offrandes difficulté contre la thèse catholique : « A près nous être
et qui les transform e. » In Matth., hom il. l x x x i , 5, I sanctifiés nous-m êm es par ces hym nes spirituels
ibid., col. 744. > Les paroles que D ieu prononça alors (le Sanctus), nous supplions le bon D ieu d ’ envoyer le
sont les m êm es que celles que le prêtre prononce encore Saint-E sprit pour qu ’ il fasse du pain le corps du
m aintenant; l ’ oblation est donc aussi la m êm e... « C hrist et du vin le sang du C hrist. C ar absolum ent
In II Tim., hom il. n, 4, P. G., t. l x i i , col. 612. V oir tout ce que touche le Saint-E sprit, se trouve sanctifié
Échos d’Orient. 1908, t. xi, p. 101-112; 1910, t. xni, ctchangé. »Cal.,xxm, n. 7, P. G., t. xxxin, col. 1113 —
p. 321-322. où j ’ ai proposé de voir dans la doctrine 1116; K irch, Enchiridion hist., n. 481. En dépit de
ciirysostom ienne le trait d ’ union entre lesdcuxÉglises , toutes les opinions contraires, je crois que ce texte
239 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 240

n ’ a rien d ’ opposé à la doctrine catholique de la con ­ on peut dire de ces écrivains non catholiques, plus
sécration par les paroles du Sauveur et ne peut pas encore que de quelques anciens Pères : Quamquam
être apporté com m e preuve d ’ un double courant quibus in rebus aut verbis constituta sit sacramentorum
traditionnel, l ’ un favorable à ces paroles, l ’ autre à substantia, subinde non obscuris verbis declarent,
l ’ épiclèse. Le fait de ne pas signaler le récit de l ’ ins ­ aliquando tamen liberius et minus adcurale loquuntur.
titution, qui existait certainem ent dans la liturgie Op. cit., p. 147. Cf. p. 148-149.
com m entée par saint C yrille, invite naturellem ent à N éanm oins, la tradition attestée par saint Jean
penser qu ’ il est com pris dans la prière consécratoire C hrysostom e en faveur des paroles de l ’ institution se
visée ici par le catéchète. E t cette interprétation se m aintient très ferm e, en m em e tem ps que l ’ attri ­
trouve confirm ée par un passage parallèle, où la bution au Saint-E sprit, dans les principaux repré ­
transsubstantiation est attribuée à « l ’ invocation de sentants, m êm e m onophysites, de l ’ Église syrienne.
la sainte et adorable T rinité, » έπίχλησις τής άγιας καί C itons, entre autres, Jacques de Saroug (t 521),
προσκυνητής Τριάδος , Cat., χιχ, n. 7, col. 1072; tandis d ’ après B enoît A m barach, Antirrheticum secundum
qu'en un autre endroit encore elle est attribuée à adv. It. P. Lcbrunum et E. Itenaudotium, à la suite des
« l ’ invocation du Saint-E sprit, » έπίκλησις τοϋ άγιου Opera syriaca S. Ephræmi, t. n, p. 31, 46; Jacques
Π νεύματος , ce qui ne signifie pas exclusivem ent d ’ Édesse (t708), qui déclare que le prêtre prononce
l ’ épiclèse au sens actuel du m ot. Cal., xxi, 3, les paroles du Sauveur quasi ex ore Domini, M ai,
col. 1089-1092. Saint C yrille n ’ entend pas fixer le Script, vel. nova collectio, t. x b. p. 26; et surtout
m om ent précis du m ystère à l ’ épiclèseproprem ent dite. Sévère d ’ A ntioche (t 538), dont le tém oignage est
Il ne sem ble m êm e pas se poser la question de ce peut-être plus form el et plus explicite encore que
m om ent précis. Pour lui, le tem ps de la consécration celui de saint Jean C hrysostom e : « D ans la célébra ­
va du Sanctus à la fin de l ’ épiclèse, et toute cette tion de l ’ eucharistie, ce n ’ est pas le m inistre qui, usant
partie centrale de l ’ anaphore répond au nom général com m e d ’ une puissance qui lui appartiendrait en
d ’ « invocation de la sainte T rinité» ou d ’ · invocation propre, transform e le pain en le corps du C hrist et
du Saint-Esprit ». Cf. O rsi, op. cil., p. 8-12, 65-66. D es la coupe de bénédiction en son sang; m ais c ’ est la
term es identiques ou analogues sont d'ailleurs em ­ vertu divine et efficace des paroles que le Christ, auteur
ployés par le catéchète hiérosolym itain au sujet des du sacrement, a commandé de prononcer sur les élé­
autres sacrem ents, spécialem ent du baptêm e et de ments offerts. Le prêtre qui se tient à l ’ autel n ’ y rem ­
la confirm ation, ce qui est un m otif déplus de refuser à plit que la fonction d ’ un sim ple m inistre. Pronon­
ces expressions la portée exclusive que certains au ­ çant les paroles comme en la personne du Christ, et
teurs voudraient leur donner. reportant l ’ action qu ’ il accom plit au tem ps où le
C ’ est, du reste, une rem arque générale à appliquer Sauveur institua le sacrifice en présence de ses dis ­
à la plupart des écrivains ecclésiastiques que nous ciples, il dit sur le pain : Ceci est mon corps, qui est
venons de citer : le Saint-E sprit est considéré par eux donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Sur le
com m e le m inistre principal des sacrem ents, étant calice il prononce ces m ots : Ce calice est le Nouveau
le sanctificateur par excellence. M ais le C hrist n ’ est Testament en mon sang qui est répandu pour vous.
certainem ent pas exclu, pour autant, du droit au A insi donc, c ’ est le C hrist qui continue à ofirir le sacri ­
m êm e titre. Ici encore, saint Jean C hrysostom e fice, et la puissance de ses divines paroles sanctifie
tém oignerait, au besoin, pour tous les autres. Il les élém ents qui sont apportés pour être transform és
attribue, d ’ unem anière générale, au Saint-E sprit Γοίϊΐ- en son corps et en son sang. » E. B rooks, The sixl
cacité des sacrem ents, tout com m e saint C yrille de Book of the select Leiters of Severus, patriarch of An­
Jérusalem et m aints autres Pères; voir, par exem ple, tioch, Londres, 1904, t. n, p. 237-238.
outre les références indiquées au sujet de la con ­ A cette série de tém oignages form els en faveur de
sécration eucharistique : pour le baptêm e, In Joa., l'efficacité consécratoire des paroles de l ’ institution,
hoinil. xvn, 3, P. G., t. l ix , col. 111; pour la confir ­ il faut rattacher celui qu ’ un auteur du vu· siècle,
m ation, In Joa., hoinil. xiv, 2, col. 93; pour l ’ ordina ­ Jean le Sabaïte, nous a laissé dans la Vie de Barlaam
tion sacerdotale, De resurr. mort., 8, P. G., t. l , col. et Joasaph. A près avoir rappelé le récit évangélique
432. Toutefois il n ’ en affirm e pas m oins, en term es de la cène avec les paroles du Sauveur, cet écrivain
clairs, que Jésus-C hrist est le m inistre principal des ajoute : « C ’ est donc la parole m êm e de D ieu, vivante
sacrem ents. V oir notam m ent In Matth., hom il. L, et efficace, et accom plissant toutes choses par sa puis ­
3, t. l v i i i , col. 507. sance, qui, transform ant par la divine vertu les
U n siècle après saint C yrille, un prêtre de Jéru ­ oblations du pain et du vin, en fait le corps et le sang
salem , H ésychius (f après 451), en adm ettant, avec du C hrist, par la descente du Saint-E sprit, pour la
T illem ont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclé­ sanctification et l'illum ination de ceux qui com m u ­
siastique, Paris, 1709, t. xiv, p. 227-232, 744-745, nient avec ferveur. » Vita Bart, et Joasaph., c. xix,
l ’ authenticité du com m entaire sur le L évitique qui P. G .,t. xevi, col. 1032. R etenons cette courte phrase:
nous est parvenu, en latin seulem ent, sous son nom , elle sera, au dem eurant, l ’ une des form ules les plus
attribue expressém ent, en plusieurs passages, la com préhensives fournies par la tradition pour l ’ ex ­
consécration eucharistique au sacerdoce du C hrist et plication de l ’ épiclèse.
à ses paroles. P. G., t. xcm , col. 886, 1071-1072, D es textes aussi clairs et aussi catégoriques, sous
1085. la plum e d ’ écrivains aussi représentatifs que ceux
Si, parm i les écrivains des sectes non catholiques, il que nous avons signalés, nous paraissent trancher
en est peut-être, com m e le nestorien N arsès de N isibe la question historique touchant la tradition orien
(•{•502), qui paraissent à certains endroits reporter taie de la grande époque patristique.
sur l ’ épiclèse toute l ’ activité consécratrice, ils ont b) En Occident. — Pour l ’ O ccident, la chose est
ailleurs des textes presque aussi form els que les précé ­ plus aisée encore. Saint A m broise affirm e expressé ­
dents sur le sacerdoce de Jésus-Christ et la vertu des m ent que ce sont les paroles du C hrist qui opèrent la
paroles de l ’ institution. Pour N arsès, voir Homil., consécration : Quid dicimus de ipsa consecratione
xvn, Expos, myster.; Homil., xxi, De myster. Eccl. divina, ubi verba ipsa Domini Salvatoris operantur?
et de baptismo; Homil., xxxn, De eccl. et sacerdotio, Nam sacramentum istud quod accipis, Christi ser­
C onnolly, The liturgical Homilies of Narsai, dans mone conficitur... Ipse clamat Dominus Jesus : Hoc
Texts and Studies, C am bridge, 1909, t. vm , 1, p. 21- est corpus meum. Ante benedictionem verborum cicle-
23, 58, 63 sq. Selon la juste rem arque faite par O rsi, stium alia nominatur, post consecrationem corpus
241 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 242

significatur. Ipse dicit sanguinem suum. Ante conse­ R ottm anner, Histor. Jahrbuch, 1898, p. 394; voir
crationem aliud dicitur, post consecrationem sanguis A u g u s t in , l.i, col. 2306. Il y est dit : Hoc quod videtis,
nominatur. De myster., ix, 50-54, P. L., t. xvi, coi. carissimi, in mensa Domini, panis est et vinum; sed
422-424. Cf. De benedictionibus patriarch., ix, 38 : iste panis et hoc vinum a c c e d e n t e v e r b o fit corpus et
Hunc panem dedit apostolis ut dividerent populo cre­ sanguis Verbi. Puis, après une courte explication des
dentium; hodieque nobis eum, quem ipse quotidie sa­ répons précédant la préface, on ajoute : Et indc jam,
cerdos consecrat suis verbis. P. L., t. xiv, coi. 719. quæ aguntur in precibus sanctis, quas audituri estis,
Le traité De sacramentis, com pilation rédigée aux ut a c c e d e n t e v e r b o fiat corpus et sanguis Christi. Nam
environs de l ’ an 400, reproduit la m êm e doctrine avec t o l l e v e r b u m , panis est et vinum, a d d e v e r b u m , e t j a m
plus d ’ insistance encore : Sed panis iste panis est ante a l iu d e s t . Et ipsum aliud quid est? Corpus Christi ct
verba sacramentorum : ubi accesserit consecratio, de sanguis Christi. Tolle ergo verbum, panis est et vinum.
pane fit caro Christi. Hoc agitur astruamus. Quomodo ADDE VERBUM. ET FIET SACRAMENTUM. Ad hoc dicitis :
potest qui panis est corpus esse Christi? Consecratione. Arnen... Deinde dicitur oratio dominica. De sacramento
Consecratio autem quibus verbis est, cujus sermonibus? altaris ad infantes, n. 1, 3, P. L., t. x l v i , coi. 834-836.
Domini Jesu. Nam ct reliqua omnia quie dicuntur in A supposer m êm e que ce serm on ne fût pas authen ­
superioribus, a sacerdote dicuntur, laudes Deo deferun­ tique, la pensée est certainem ent augustinienne. Il
tur, oratio petitur pro populo, pro regi bus, pro eseteris : suffit, pour s'en rendre com pte, de m ettre en paral ­
ubi venitur ut conficiatur venerabile sacramentum, lèle le passage précédent avec la m axim e d ’ A ugus ­
jam non suis sermonibus utitur sacerdos, sed utitur tin concernant le baptêm e : d e t r a u e v e r b u m , el quid
sermonibus Christi. Ergo sermo Christi hoc conficit sa­ est aqua nisi aqua? Accedit verbum ad elementum, ct
cramentum... Vides ergo quam operarius sit sermo fit sacramentum, etiam ipsum lanquam visibile ver­
Christi. E t un peu plus loin l ’ auteur répète que le bum. In Joa., l x x x , 3, P. L., t. xxxv, coi. 1840.
pain et le vin deviennent corps et sang du C hrist Pour le baptêm e, il n ’ y a pas de doute que, dans l'es ­
consecratione verbi cœlestis. De sacram., IV, iv, 14- prit d ’ A ugustin, cette parole ne soit la parole évan ­
17, 19, P. L., t. xvi, p. 458-462. Cf. IV, v, 21-23, gélique : certa illa evangelica verba, sine quibus non
col. 462-464, où, avec le texte du canon, reviennent potest baptismus consecrari. De baptism, contra dona-
des affirm ations identiques. tistas, 1. V I, c. xxv, P. L., t. x l i i i , col. 21 1 : cf. 1. V I,
Sans être aussi explicite, saint A ugustin (t 430) est c. xvii : Deus adest evangelicis verbis suis... el ipse
certainem ent du m êm e sentim ent. B ien qu ’ il ne l'ait sanctificat sacramentum suum. Q u ’ il en soit de m êm e
pas dit ex pro/esso, il paraît bien avoir eu l ’ idée du pour l ’ eucharistie, et que le verbum opérateur du
m om ent précis de la consécration et fixé ce m om ent sacrem ent soit la parole évangélique de l'institution,
au prononcé des paroles du C hrist. Noster panis et cela ressort, d ’ ailleurs, non seulem ent de l'appli ­
calix non quilibet..., sed certa consecratione mysticus fit cation de la m êm e théorie sacram entaire au m ystère
nobis, non nascitur. Contra Faust.,I. XX, c. xm , P.L., de l ’ autel, m ais aussi du principe clairem ent établi que
t. x l i i , coi. 379. C ette transform ation a lieu lorsque nous devons offrir le sacrifice uniquem ent selon le
le pain « reçoit la bénédiction du C hrist » : Norunt rite prescrit par Jésus-C hrist dans le N ouveau T esta ­
fideles quid dicam, norunt Christum in fractione panis t m ent : sacrificare... illo dumtaxat ritu, quo sibi sacri­
non enim omnis panis, sed accipiens benedictionem ficari Novi Testamenti manifestatione præcepit. Cont.
Christi, fit corpus Christi. Serm., ccxxxiv, n. 2, P.L., Faust., 1. X X , c. xxi, P. L., t. x l i i , coi. 385. Cf. O rsi,
t. xxxix, coi. 1116. Je sais bien que par endroits op. cit., p. 51-56.
le docteur d ’ H ippone parle du canon en général. 11 Les écrivains des siècles suivants n ’ ont, pour rester
distingue, par exem ple, les deux catégories suivantes dans la ligne de la tradition, qu ’ à se faire les échos de
de prières à la m esse : precationes..., quas facimus in la grande voix d ’ A m broise et d ’ A ugustin. C itons seule ­
celebratione sacramentorum, antequam illud quod est in m ent quelques tém oignages, parm i les plus catégo ­
Domini mensa incipiat b e n e d ic i ; o r a t io n e s c u m b e n e ­ riques. L ’ auteur anonym e des Sermones de verbis evan-
d ic it u r e t s a n c t if ic a t u r , et ad distribuendum commi­ gelii Lucæ, édités dans les Opera S. Augustini, répète
nuitur; quam petitionem fere omnis Ecclesia dominica la pensée augustinienne du verbum transsubstantia-
oratione concludit. Epist., c x l ix , ad Paulin., 16, P. L., teur, en précisant que c ’ est la parole du C hrist· Ale-
t. xxxin, coi. 636-637. Cf. Serm., ccxxvn, in die mini sermonis mei, cum de sacramentis tractarem :
Paschie IV, P. L., t. xxxvni, coi. 1101. O u encore il lui dixi vobis quod ante verba Christi, quod offertur
arrive de désigner l ’ eucharistie par l ’ expression de panis dicatur; ubi Christi verba deprompta fuerint, jam
pain « consacré par la prière m ystique » : ...corpus non panis dicitur, sed corpus appellatur. De verb. cv.
Christi et sanguinem dicimus, sed illud tantum quod Luc., xi, 1-4, n. 3, P. L., t. xxxix, coi. 1908.
ex fructibus lerræ acceptum et p r e c e m y s t ic a c o n s e ­ M êm e netteté, m ais plus explicite encore, dans une
c r a t u m , rite sumimus... De'Trinit.,l. III, c. iv, n. 10, hom élie sur le corps et le sang du Christ — tradition ­
P. L., t. x l i i , coi. 873-874. M ais de pareilles décla ­ nellem ent attribuée, m ais à tort, à cet Eusèbc qui fut
rations, est-il besoin de le faire rem arquer, ne contre ­ évêque d ’ Éinèse en Syrie vers 340-360 — et que toutes
disent en rien les passages qui m ontrent dans « la les probabilités font considérer com m e l ’ œ uvre de
parole de D ieu », verbum Dei, la cause efficiente de l ’ évêque provençal Fauste de R iez (-j- vers 492) : ...Qui
cette « sanctification · et de cette « consécration ». auctor est muneris, ipse est etiam testis veritatis. Nam
Panis ille quem videtis in altari, s a n c t if ic a t u s p e r v e r ­ visibilis sacerdos visibiles creaturas in substantiam
p u m d e i , corpus est Christi. Calix ille, immo quod habet corporis et sanguinis sui v e r b o s u o secreta potestate
calix, SANCT1FICATUM p e r v e r b u m d e i , sanguis est convertit, ita dicens : a c c ip it e e t c o m e d it e , h o c e s t
Christi. Serm., ccxxvn, P. L., t. xxxvni coi. 1099. c o r p u s m e u m . Et sanctificatione repetita : a c c ip it e ,
E t cette « parole de D ieu » n ’ est certainem ent pas inquit, ET BIBITE, BIC EST SANGUIS MEUS. Ergo ut
l'ensem ble du canon, m ais bien une form ule très ad nutum præcipicnlis Domini repente ex nihilo
précise qui a véritablem ent le rôle de form e sacra ­ substiterunt excelsa caelorum, profunda fluctuum, vasla
m entelle, puisque, dès qu ’ elle est unie à la m atière, terrarum : ita parem potentiam, in spiritualibus sacra­
le sacrem ent est accom pli. C ’ est ce que nous lisons mentis, verbis præbet virtus et rei servii effectus. Quanta
dans le vi» des Sermones inediti, publiés sous le nom itaque et quam celebranda vis divinte benedictionis opere­
de saint A ugustin par le jésuite M ichel D enis, dont le tur... Ad cognoscendum et percipiendum sacrificium d '­
recueil, paru à V ienne en 1792, a une vraie valeur minici corporis, ipsa te roborei potentia consecratoris...
critique .M orin, dans la Revue bénédictine, 1895, p. 45; Nec dubitet quisquam primarias creaturas, nutu diri-
243 É P IC LÈ S E E U C H A R IS TIQ U E 244

rue potentite, præsentia summæ majestatis, in dominici gnage form el en faveur des paroles de l ’ institution
corporis transire posse naturam... Quando bcnedicendœ com m e form e essentielle de la consécration, n ’ en
v e r d is c æ l e s t ib u s creaturæ sacris altaribus impo ­ suppose pas m oins l ’ intervention eucharistique du
nuntur, antequam in v o c a t io n e SUI d o m in i conse­ Saint-Esprit, par la com paraison qu ’ il établit entre la
crentur, substantia illic est panis cl vini, p o s t v e r b a transsubstantiation et l ’ incarnation : Sed quid argu­
a u t e m corpus et sanguis est Christi. Quid autem mirum mentis utimur? Suis utamur exemplis, incarnationisque
est, si ea quæ verbo potuit creare, v e r b o possit creata exemplo astruamus mysterii veritatem... De mysler., rx,
convertere? Ilomit. de corp, et de sang. Domini, n. 2, 4, 53, P. L., t. xvi, coi. 424. A illeurs, il affirm e que
11, 12, dans P. L., t. xxx, dans Opera S. Hieronymi, l ’ E sprit-Saint est invoqué sur les oblations : Quo­
coi. 272-275. Sur cette hom élie, voir B atiffol, Nou­ modo igitur [Spiritus Sanctus] non omnia habet quæ
velles éludes documentaires sur la sainte eucharistie, Dei sunt, qui cum Patre el Filio a sacerdotibus in bap­
dans la Revue du clergé français, 1909, t. l x , p. 537- tismale nominatur et in oblationibus invocatur? De
540. E lle est entrée dans le recueil des xn homiliæ de Spiritu Sancto, 1. III, c. xvi, n. 112, ibid., col. 837·
Pascha attribuées à saint C ésaire d ’A rles (·[· 512) par C ’ est la vertu invisible du Saint-E sprit qui opère
plusieurs m anuscrits, m ais dont aucune n ’ est de lui. le sacrem ent de l ’ autel, déclare saint A ugustin en une
A ligne l ’ a im prim ée parm i les œ uvres de C ésaire, P. L ., form ule qui sera dans la suite fréquem m ent répétée :
t. i.xvn, col. 1052-1056, où l ’ on retrouvera les m êm es • L ’ élém ent consacré par la prière m ystique... n ’ est
textes avec quelques légères variantes. C ette hom élie, sanctifié de m anière à être un si grand sacrem ent
m ise sous le nom du pseudo-Eusèbe d ’ Ém èse, a eu une que par l ’ opération invisible de l ’ E sprit de D ieu. »
grande vogue durant tout le m oyen âge. A près avoir ... Non sanctificatur ut sit lam magnum sacramentum,
été utilisée au cours de la controverse bérengarienne, nisi operante invisibiliter Spiritu Dei. De Trinit.,
le passage cité a passé, au m oins en partie, dans 1. III, c. iv, n. 10, P. L., t. x l i i , coi. 873-874.
G raticn, I. Π , c. xxxv, De consecratione, puis dans le Saint G audence de B rescia (γ 410 ou vers 427) unit
décret d ’ Y ves de C hartres, n, 4, dans les Sentences dans un m êm e texte la m ention de l ’ activité consé-
de Pierre L om bard, IV, vm , et dans la Som m e cratricc du Fils et du Saint-E sprit, en rappelant
théologique de saint Thom as, III», q. l x x v . a. 1. d ’ ailleurs les paroles de l ’ institution : Ne terrenum
D e cette hom élie du pseudo-Eusèbe d ’ Ém èse on pules quod cæleste effectum est p e r e u m q u i t r a n s it
peut rapprocher une hom élie De corpore et sanguine IN ILLUD ET FECIT ILLUD SUUM CORPUS ET SANGUINEM...
Domini, publiée par dom M orin et attribuée par lui à υτ p e r ig n e m d iv in i s p ir it u s id effectum quod annun­
un ecclésiastique gallican du v· siècle. 11 y est affirm é tiatum est credas, quia quod accipis corpus est illius
que le C hrist est le vrai prêtre et le vrai consécra- Panis cœlestis et sanguis illius sacræ Vitis. Nam cum
teur. Ipse enim sacramenta hiec Melchisedech ordine panem consecratum et vinum discipulis suis porrigeret,
corpore suo vel sanguine consecravit, ipse qui sacerdos sic ait : Hoc est corpus meum, Hic est sanguis meus.
verus est, ipse qui pariter et sacerdos et victima : nobis Scrm., n, P. L., t. xx, coi. 858. Sans doute, le m ot
utique sacerdos et pro nobis victima. M orin, Un recueil consecratum de la dernière phrase peut faire croire
d’homélies de S. Césaire d’Arles (m anuscrit latin 2768 A que, pour saint G audence, Jésus-C hrist, au cénacle,
de la B ibliothèque nationale de Paris), dans la Revue avait opéré la consécration avant de prononcer les
bénédictine, 1899, t. xvi, p. 342-344. paroles, et que ces dernières n ’ auraient été que dé ­
La lettre à 1 ’ arChidiacre R edem ptus, attribuée à claratives du m ystère accom pli. M ais la question de
saint Isidore de Séville (]· 636), apporte plus de pré ­ la consécration sacerdotale à l ’ autel doit être dis
cision encore et form ule en réalité, sous le nom de tinguée de celle de la consécration faite par le C hrist
« substance ou essence du sacrem ent », la théorie de au cénacle, et elle l ’ a été de fait par plusieurs écri ­
la m atière et de la form e : Scias itaque eorum jam vains ecclésiastiques. N ous avons déjà cité les deux
dictis consuetudinibus (usages orientaux du pain passages où saint G élase atteste que le pain et le vin
ferm enté et de voiles de soie ) minime nos opponere sont changés en substance divine par l ’ opération du
reprehensionis obstaculum, quamdiu eas romana Saint-Esprit, D e duabus naturis, dans T hiel , Epistolæ
Ecclesia dixerit esse tolerandas, maxime cum non sint Romanorum pontificum genuinæ, t. i, p. 77; cf. P. L.,
de essentia sive substantia sacramenti. De substantia t. l ix , coi. 143, et que celui-ci est invoqué pour la
sacramenti sunt verba Dei a sacerdote in sacro prolata consécration. T hiel, op. cil., p. 486.
mysterio, scilicet : noc EST c o r p u s , panisque frumenti Saint Fulgence de R uspe (f 533) tém oigne à plu ­
et vinum cui consuevit aqua adhiberi. Epist., vn, ad sieurs reprises que la liturgie africaine de son époque
Redemptum, n. 2, P. L., t. l x x x i ii , coi. 905-906. sollicite la m ission du Saint-E sprit « pour sanctifier
N ous aurons bientôt à suivre cette doctrine s ’ affir ­ notre oblation..., pour consacrer le sacrifice du corps
m ant de plus en plus universellem ent à travers tout du C hrist. » C ette invocation du Saint-Esprit est m êm e
le m oyen âge occidental; m ais l ’ on voit dès m ainte ­ si explicite, que le saint docteur en est am ené à se
nant que l ’ ancienne tradition patristique est le ter ­ poser cette question : « Pourquoi, alors que le sacrifice
rain ferm e où elle plonge scs racines. est offert à tonte la T rinité, dem ande-t-on seulem ent
O r, en O ccident aussi bien qu ’ en O rient, l ’ activité la m ission du Saint-E sprit pour sanctifier notre
eucharistique du Saint-E sprit fait égalem ent, durant oblation? » Jam nunc etiam illa nobis est de Spiritus
cette période, l ’ objet d ’ un enseignem ent tradition ­ Sancti missione quœstio resolvenda : cur scilicet, si
nel; et les attestations form elles delà vertu des paroles omni Trinitati sacrificium offertur, ad sanctificandum
du C hrist n ’ em pêchent pas d ’ affirm er en m êm e tem ps oblationis nostræ munus Sancti Spiritus tantum missio
l ’ opération consécratrice du Saint-E sprit, ainsi que de postuletur, quasi vero, ut ita dicam, ipse Paler Deus,
m entionner, çà et là, l ’ invocation liturgique qui lui a quo Spiritus Sanctus procedit, sacrificium sibi
est adressée. O n peut voir l ’ une et l ’ autre insinuées oblatum sanctificare non potest, aut ipse Filius sancti­
dans ce reproche adressé aux donatistes par saint ficare nequeat sacrificium corporis sui, quod offerimus
O ptat de M ilève (f 388) : Quid lain sacrilegum quam nos, cum corpus suum ipse sanctificaveril, quod obtulit
altaria Dei, in quibus et nos aliquando obtulistis, ut redimeret nos; aut ita Spiritus Sanctus ad conse­
frangere, radere, removere? in quibus et vota populi et crandum Ecclesiæ sacrificium mittendus sit, tanquam
membra Christi portata sunt? quo Deus omnipotens Pater aut Filius sacrificantibus desit. Ad Monimum.
invocatus sit, quo postulatus descendit Spiritus Sanctus ? 1. II, c. vi, P. L., t. l x v , coi. 184. Cf. II, vn, coi. 186.
De schism, donat., 1. V I, 1, P. L., t. xi, coi. 1064-1065. E ntre autres m otifs qu ’ il donne de cette invocation,
Saint A m broise, dont on a lu plus haut le tém oi ­ en voici un qui m ettra bien en relief la continuité et
245 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 2-ίΰ

en m êm e tem ps la profondeur théologique de la pensée l ’ opération eucharistique du Saint-E sprit. E ssentiel ­


des Pères sur ce sujet : « Q uand donc la sainte Église, lem ent traditionnel, lui aussi, dans son enseignem ent,
qui est le corps du C hrist, pourrait-elle avec plus de il reprend à son com pte, sauf quelques légères va
raison dem ander la venue du Saint-E sprit, que pour riantes, les term es m êm es de saint A ugustin, D e Trinit.,
consacrer le sacrifice du corps du C hrist, elle qui III, iv, 10, cités plus haut '.Sacrificium dictum quasi
sait que son chef est né [par l ’ opération] du Saint- sacrum factum, quia prece mystica consecratur in
E sprit? » Quando aulem congruentius quam ad conse­ memoriam pro nobis dominicie passionis, unde hoc eo
crandum sacrificium corporis Christi sancta Ecclesia jubente corpus Christi el sanguinem dicimus, quod, dum
(quæ est corpus Christi) Spiritus Sancti deposcat adven­ sit ex frudibus terræ, s a n c t if ic a t u r e t f it s a c r a m e n ­
tum, quæ ipsum caput suum secundum carnem de t u m , OPERANTE INVISIBILITER SPIPITU DEI. Etymol.,
Spiritu Sancto noverit natum ? Sic enim angelico Maria vi, 19, P. L., t. L xxxn, coi. 255. Pareille affirm ation
informatur eloquio : Spiritus Sanctus superveniet in se retrouve dans le De eccl. officiis, 1. I, c. xvm , n. 4 :
te, et virtus Allissimi obumbrabit tibi. Ibid., II, ix, Hœc aulem (panis cl vinum) dum sunt visibilia, san­
x, xi et xn, coi. 188. Cf. Lib. VIII contra Fabianum, ctificata tamen per Spiritum Sanctum, in sacramentum
fragin. xxvm et xxix, ibid., col. 789-791, 795. V oir corporis Domini transeunt. P. L., t. i . x x x i i i , coi 755.
O rsi, op. cit., p. 122-125; H oppe, op. cit., p. 36-40. E t au c. xv du m êm e livre, la m êm e attestation se
L 'écrivain du vin 0 siècle Paul W arnefrid, connu présente, en relation directe avec le texte officiel du
sous le nom de Paul D iacre, nous a laissé une Vita canon de la m esse. Le docteur espagnol décom pose tout
de saint G régoire le G rand (f 604), où il m et sur les l ’ ensem ble de la liturgie eucharistique en sept pièces
lèvres de ce pape les paroles suivantes : Præscius principales, à chacune desquelles il donne le nom
conditor nosier infirmitatis nostræ ea poleslale, qua d’oralio. C ’ est à partir de la cinquièm e qu ’ on entre
cuncta fecit ex nihilo et corpus sibi ex carne semper dans le canon. Quinta deinde (oratio) infertur illatio
Virginis, operante Sancto Spiritu, fabricavit, panem (c ’ est la dénom ination spéciale, correspondante au
et vinum aqua mixtum, manente propria specie, in grec αναφορά, réservée en Espagne à cette partie cen ­
carnem et sanguinem suum a d c a t h o l ic a m p r e c e m ob trale de la m esse) IN s a n c t if ic a t io n e o b l a t io n is , in
reparationem nostram Spiritus sui sanctificatione qua etiam et ad Dei laudem terrestrium creaturarum
convertit. Vita Greg. papæ, c. xxm , P. L., t. l x x v , virlulumque cielesliumuniversitas provocatur et Hosanna
coi. 53. C om parer ce passage avec ceux des œ uvres de in excelsis cantatur, quod Salvatore de genere David
saint G régoire où il est fait allusion au canon de la nascente salus mundo usque ad excelsa pervenerit.
m esse et au m om ent de la consécration. C itons sa Uillatio in sanctificalione oblationis ne désigne évi ­
lettre à Jean de Syracuse : Orationem vero dominicam dem m ent pas, d ’ après le contexte, l'instant précis de
idcirco mox p o s t p b e c e m dicimus, quia mos apostolo ­ la consécration, m ais seulem ent la form ule qui lui
rum fuit ut ad ipsam solummodo orationem oblationis sert de prélude, c ’ est-à-dire la préface et le Sanctus.
hostiam consecrarent; et valde mihi inconveniens visum V oici, d ’ ailleurs, im m édiatem ent après la phrase qu ’ on
est ul p r e c e m quam scholasticus composuerat super vient de lire, plus de précision : Porro sexta (oratio)
oblationem diceremus, et ipsam traditionem quam exhinc succedit c o n f o r m a t io s a c r a m e n t i , ut oblatio
redemptor noster composuit, super ejus corpus et san­ quæ Deo offertur, s a n c t if ic a t a p e r s p ir it u m s a n c t u m ,
guinem non diceremus. Epist., 1. IX , epist. x i i ( x x v i ), CHRISTI c o r p o r i a c s a n g u in i c o n f o r m e t u r . Pour m ieux
ad Joannem Syracus·, P. L., t. l x x v i i , coi. 956-957. déterm iner ce que vise cette sixièm e form ule décorée
O n a beaucoup discuté sur le sens précis de ce texte. du titre de conformatio sacramenti, je transcris encore
Il nous suffit de dire ici, pour ne pas laisser le lecteur les lignes qui suivent im m édiatem ent et qui nous
en suspens, qu ’ il faut probablem ent voir dans le chan ­ fourniront d ’ ailleurs une nouvelle affirm ation du rôle
gem ent liturgique ici relaté l'interposition du Pater consécrateur de l ’ E sprit-Saint : Harum (c ’ est-à-dire
et de son em bolism e entre la doxologie de l ’ épiclése de ces sept oraisons) ultima est oratio qua Dominus
ou fin du canon proprem ent dit (mox post precem) nosier discipulos suos orare instituit dicens : Pater
et le rite de la fraction. C agin, Te Deum ou illatio, noster... Hæc sunt aulem septem sacrificii orationes
p. 218; Paléographie musicale, 1896, t. v, p. 80. Pour commendatae evangelica apcslolicaque doctrina, cufus
m otiver ce changem ent, outre l'origine divine de numeri instituta ratio videtur vel propter septenariam
l ’ oraison dom inicale, le saint pontife donne cette sanctæ Ecclesiæ universitatem, vel propler septiformem
autre raison : que l ’ usage des apôtres était ut ad ipsam gralite Spiritum c u j u s d o n o e a q u æ in f e r u n t u r s a n ­
solummodo orationem oblationem hostiam consecrarent. c t if ic a n t u r . Ibid., col. 752-753.
Il veut sans doute faire entendre parla que les apôtres C ’ est donc entre le Sanctus et le Pater que prend
n ’ ajoutaient que le Pater à la form ule consécratoire place ce que saint Isidore appelle la conformatio
proprem ent dite, les prières et les rites du canon étant sacramenti qui a pour effet, grâce à la sanctification
encore à l ’ état rudim entaire. V oirO rsi, op. cil., p.40- opérée par le Saint-Esprit, de « conform er l'oblation
42. D ans les Dialogues, saint G régoire fait allusion au corps et au sang du C hrist. » Le langage de saint
à l ’ instant de la consécration, sans déterm iner quel Isidore présente un parallélism e frappant avec celui
est, au juste, cet instant, dans la célébration du sa ­ que nous avons vu tenir, au iv° siècle, par saint
crifice : Quis enim fidelium habere dubium possit IN C yrille de Jérusalem . Pour l ’ un com m e pour l ’ autre,
ip s aim m o l a t io n is HORA ad sacerdotis vocem cælos du m oins à s ’ en tenir aux textes ici visés, le tem ps de
aperiri, in illo Jesu Christi mysterio angelorum cho­ la consécration va du Sanctus jusqu ’ à la fin de l ’ épi-
ros adesse, summis ima sociari, terrena cielestibus clèse, c ’ est-à-dire jusqu ’ au Pater. La différence est
iungi, unumque ex visibilibus atque invisibilibus seulem ent dans les nom s donnés à cette partie auguste
fieri?Dial., I. IV, c. L vni, P. L., t. l x x v i i , coi. 425, du sacrifice : pour le catéchète de Jérusalem , c ’ est
428. M algré cette indéterm ination, la pensée du grand « l ’ invocation de la sainte T rinité » ou encore « l'in ­
pape au sujet de la vertu consécratoire des paroles vocation du Saint-E sprit »; pour le docteur de
de l ’ institution ne peut pas faire de doute après les Séville, c ’ est la conformatio sacramenti. M ais de part et
attestations précédentes; et il est peut-être perm is d ’ autre, la vertu consécratoire du Saint E sprit est on
d ’ y voir une allusion dans l ’ expression ad sacerdotis ne peut plus nettem ent m arquée. Sans insister ici
•m. La phrase que lui prête Paul D iacre n ’ a rien sur ce rapprochem ent, il était nécessaire de le signa ­
que de très naturel, étant com plètem ent dans la ligne ler : son extrêm e im portance pour la solution théo ­
de la tradition. logique de la question de l ’ épiclése n'échappera à
Saint Isidore de Séville parle à plusieurs reprises de personne.
247 É P1C LÊ SE E U C H A R IS T IQ U E 248

N ous pourrions clore sur cet intéressant tém oignage αγίου σώματος καί αίματος τοϋ Χ ρίστου σου, nous vous
de saint Isidore l ’ exam en de la tradition patristique prions et vous supplions, ô Saint des saints, que par
occidentale. A joutons-y cependant, afin de rejoindre une faveur de votre bonté, votre E sprit-Saint vienne
com plètem ent l ’ époque où nous avons laissé la tra ­ sur nous et sur ces dons, qu'il les bénisse, les sancti ­
dition d ’ O rient et à partir de laquelle nous allons fie et fasse de ce pain le corps précieux de notre Sei ­
avoir à la reprendre, un dernier texte : celui de saint gneur, D ieu et Sauveur, Jésus-Christ, et de ce calice
B ède (f 735). V oici com m e il s ’ exprim e, dans une le sang précieux... > B rightm an, op. cit., p. 405-406.
hom élie pour le troisièm e dim anche après l'É pi ­ O r, saint Jean D am ascène, parlant du pain et du
phanie, en com m entant l'Ecce Agnus Dei, ecce qui vin consacrés, s'exprim e ainsi : « Le pain et le vin
tollit peccatu mundi ; « Il (Jésus-Christ) ne nous a pas ne sont pas le type du corps et du sang du C hrist,
seulem ent lavés de nos péchés dans son sang quand loin de là; m ais le corps m êm e du C hrist rem pli de
il l ’ a répandu pour nous sur la croix, ou quand nous la divinité, le Seigneur lui-m êm e ayant dit : Ceci est
avons été purifiés dans l ’ eau du baptêm e, le m ystère non point le type de m on corps, m ais m on corps. »
de sa sainte passion ; m ais il continue à ôter les péchés De. fide orthodoxa,\. IV, c. χ ι ι ι ,Ρ . G ., t. xciv, col. 1148.
du m onde chaque jour. O ui, chaque jour il nous lave A près cela, le D am ascène explique à sa m anière le
de nos péchés dans son sang, lorsque la m ém oire de m ot antitype de la m esse de saint B asile : « Si cer ­
sa bienheureuse passion se renouvelle à l ’ autel, lors ­ tains ont appelé le pain et le vin antitypes du corps
que par l’ineffable consécration de ΓEsprit il y a pas ­ et du sang du Seigneur, com m e l ’ a fait le théophore
sage du pain et du vin au sacrem ent de sa chair et B asile [dans sa liturgie], ils ont parlé ainsi, non après
de son sang, cum panis et oini creatura in sacramen­ la consécration, mais avant, donnant ce nom à l ’ obla ­
tum carnis et sanguinis ejus in e f f a b il i s p ir it u s tion. » Ibid., col. 1152-1153.
s a n c t if ic a t io n e transfertur, et qu ’ ainsi son corps et A insi, saint Jean D am ascène enseignerait la doc ­
son sang sont, non plus occis ou répandus par les trine de la consécration par l ’ épiclèse? s C om m ent
m ains des infidèles pour leur perdition, m ais reçus le nier? » écrit le P. Jugie. « En lisant attentivem ent
dans la bouche des fidèles pour leur salut. » Homil., tout ce chapitre où il parle de l ’ eucharistie, on voit
I. I, hom il. xiv, P. L., t. xciv, col. 75. E st-il besoin de que le saint docteur, tout en adm ettant que les pa ­
dire que pour le V énérable B ède, com m e pour saint roles du Seigneur sont une condition sine qua non de
Isidore de Séville et pour tous les autres, m algré de la transsubstantiation, dit cependant clairem ent que
si nettes affirm ations du pouvoir consécrateur du le changem ent se produit au m om ent m êm e de l ’ épi ­
Saint-Esprit, Jésus-C hrist n ’ en est pas m oins le vé ­ clèse. L 'explication qu ’ il donne du m ot antitype con ­
ritable prêtre consécrateur dont le prêtre visible n ’ est firm e d ’ une m anière évidente que telle est bien sa
que le représentant. A u-dessus de ce représentant ou véritable pensée. Il n ’ y aurait qu ’ un m oyen d ’ éta ­
plutôt en lui apparaît le grand-prêtre, « Jésus qui, sans blir le contraire, ce serait de regarder tout ce passage
nul doute, est présent sur l ’ autel pour y consacrer les com m e apocryphe et de déclarer com m e l ’ a fait
oblations. » In Luc., c. xxu, P. L., t. x c i i , col. 598. A rcudius, De concordia Ecclesiæ orientalis et occid.
Cf. Vila Bcdæ, P. L., t. xc, col. 52. in septem sacramentorum administratione, Paris, 1672,
L a conclusion qui nous paraît s ’ im poser, après p. 307, qu ’ il a été interpolé depuis l ’ origine de la
l ’ exam en que nous avons entrepris, c ’ est que pour controverse. M ais im possible de nous arrêter à cette
la tradition des sept prem iers siècles, tant orientale idée, car A llatius, De Ecclesiæ occidentalis atque orient,
qu ’ occidentale, l ’ efficacité consécratoire des paroles perpetua consensione, C ologne, 1648, col. 1225, nous
de Jésus-C hrist : Ceci est mon corps, ceci est le calice affirm e avoir vu à la bibliothèque V aticane et à la bi­
de mon sang, se concilie certainem ent avec la vertu bliothèque B arberini des m anuscrits de la Foi or­
transsubstantiatricc du Saint-E sprit.Tous les tém oins thodoxe, contem porains de saint Jean D am ascène et
de cette tradition n ’ ont pas form ulé ex professo cette portant tout le texte cité. 11 ne reste donc plus qu ’ à
conciliation. Tous ne se sont pas posé la question du faire com m e le cardinal B essarion, à s ’ étonner de
m om ent précis où se produit la consécration. M ais il l ’ horreur qu ’ avait saint Jean D am ascène pour le
ressort de l ’ ensem ble de leurs tém oignages que ce m ot antitype, à se souvenir qu ’ il était hom m e et
m om ent précis ne peut être que celui où le prêtre qu ’ il a pu se trom per, et à lui dem ander respectueu ­
prononce au nom du C hrist les paroles de l ’ institu ­ sem ent pardon com m e des fils à leur père, si, placés
tion, et non point celui de l ’ épiclèse. N ous verrons en face de deux am is, lui et la vérité, nous préférons
bientôt cette conclusion se définir de plus en plus la vérité. » L ’épiclèse et le mot antitype de la messe de
nettem ent dans l ’ Église occidentale : on en aperçoit saint Basile, dans les Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 196.
d ’ ores et déjà la com plète légitim ité. D ans l ’ Église D e ce texte très clair il faut conclure que, pour
d ’ O rient, au contraire, une déviation de la tradition le D am ascène, c ’ est l ’ épiclèse qui consacre : les
authentique s ’ est produite au vnr° siècle, qui a eu paroles de l ’ institution sont seulem ent une sem ence
dans la suite la plus m alheureuse influence. C ’ est que la vertu du Saint-E sprit vient ensuite féconder.
ce dont il nous faut m aintenant présenter l ’ exposé. Son enseignem ent, à ce sujet, est trop im portant
II. LA DOCTRINE ECCLÉSIASTIQUE ENOBIENT DEPUIS LE pour n ’ êtrc point transcrit ici en entier.
VIIIe s iè c l e . — 1° L ’opinion de saint Jean Damascène Le saint docteur vient de rappeler le récit évan ­
et son influence. — Pouravoirm éconnu, sousl ’ influcncc gélique de la cène, en paraissant bien, d ’ ailleurs, at ­
depréoccupations polém iques, l ’ em ploi très orthodoxe tribuer aux paroles du C hrist : Ceci est orpmon es...,
du m ot antitype, désignant, chez les anciens Pères, l ’ eu ­ ceci est le calice de mon sang..., la vertu de la prem ière
charistie m êm e après la consécration (antitype du corps consécration, de la consécration du cénacle. Puis il
du C hrist signifiant sacrement du corps du C hrist), ajoute : « Si la parole de D ieu est vivante et efficace;
saint Jean D am ascène (f 749) est am ené à dire que, si le Seigneur, com m e dit l ’ É criture, fait tout ce qu ’ il
si ce m ot se trouve dans la liturgie de saint B asile, c ’ est veut; s ’ il a dit : Que la lumière soit, et qu'elle ait
avant la consécration. O r, nous l ’ avons dit au dé ­ existé; Que le firmament soit, et qu ’ il ait été fait; si
but de cet article, c ’ est au com m encem ent de la for ­ les cicux ont été afferm is par sa parole, et que toute
m ule d ’ épiclèse, et donc après les paroles de l ’ ins ­ leur vertu sienne du souffle de sa bouche; si le ciel
titution, que le term e antitype se trouve dans la et la terre, l ’ eau, le feu, l ’ air et tout ce que le m onde
m esse byzantine de saint B asile. O n y lit, en effet : a de beau, a été. fait et achevé par la parole de D ieu,
c ... Après vous avoir offert les antitypes du saint corps aussi bien que l ’ hom m e, cette créature si adm i ­
cl du sang de votre Christ, προθέντες τα αντίτυπα τοΟ rable; si le V erbe de D ieu s ’ est fait hom m e parce
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qu ’ il l ’ a voulu; et s ’ il s ’ est form é un corps du sang et il s ’ exprim e ainsi : « A braham , revenant après la
pur et im m aculé de sa M ère toujours vierge, est-il défaite des rois étrangers, fut reçu par M elchisédech,
concevable qu ’ il ne puisse du pain faire son corps, et le prêtre du T rès-H aut, avec du pain et du vin.
du vin m êlé d ’ eau faire son sang ? Il dit autrefois : C ette table figurait la table des nos m ystères, com m e
Que la terre produise de l’herbe verte, et la terre, ar ­ ce prêtre représentait notre véritable pontife le
rosée par la pluie du ciel, en produit encore tous les C hrist, dont il est dit : V ous êtes prêtre d jamais,
jours par la vertu et la fécondité que lui conféra ce selon l’ordre de Melchisédech. » Ibid., col. 1149,
com m andem ent de D ieu. D ieu a dit : Ceci est mon Cf. Ilomil. in sabb. sanct., 35, P. G., t. xevi, col. 637-
corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de moi; et 640, où il est dit que le pain et le vin sont trans ­
par l ’ clfet de son com m andem ent absolu, cela s'ac ­ form és au corps et au sang du C hrist par l’invocation;
com plit tous les jours jusqu’à ce qu’il vienne, selon affirm ation à laquelle on joint une brève allusion
l ’ expression de l ’ apôtre; et, par l ’ invocation, la aux paroles de l ’ institution en ajoutant : « car il ne
vertu du Saint-Esprit, qui couvre de son om bre cette trom pe pas, celui qui en a fait la prom esse. »
nouvelle m oisson, lui est com m e une douce rosée qui Q uelle que soit la dépendance littéraire et doctri ­
la rend féconde. C ar, com m e autrefois D ieu fit toutes nale de la Lettre à Zacharie et du petit traité De cor-
choses par l'opération du Saint-Esprit, ainsi m ain ­ pore el sanguine Chrisli par rapport à saint Jean
tenant c ’ est encore la vertu du m êm e E sprit qui ac ­ D am ascêne, il est certain que le m êm e enseigne ­
com plit ce qui surpasse la nature et que la foi seule m ent y est donné, touchant l ’ opération consécra-
peut saisir. trice du Saint-Esprit. Cf. P. G., t. xcv, col. 404,409.
Comment cela se fera-t-il en moi, dit la sainte V ierge, D ans ce dernier passage, la form ule d ’ épiclèse se
puisque je ne connais point d’homme? L ’ archange trouve m êm e citée textuellem ent : « Le prêtre dit.
G abriel répond : Le Saint-Esprit descendra sur toi, com m e l ’ ange : Que TEsprit-Sainl descende et qu’il
et la vertu du Très-Haut le couvrira de son ombre. E t sanctifie ces éléments, qu’il fasse de ce pain le saint
m aintenant, si vous m e dem andez com m ent le pain corps du Christ, et de ce calice le sang précieux du
devient le corps du C hrist, et le vin m êlé d ’ eau son Christ; et par une cérém onie qui n ’ est pas naturelle,
sang, je vous dis, m oi aussi : L ’ E sprit-Saint survient m ais surnaturelle, il se fait un seul corps et non
et opère ces m erveilles qui sont au-dessus de toute deux... » N otons toutefois que, un peu plus haut,
parole et de toute pensée. O n y em ploie du pain et le m êm e auteur attribue à la vertu des paroles : Ceci
du vin, parce que D ieu sait que la faiblesse des est mon corps, la prem ière consécration du cénacle :
hom m es leur fait concevoir de l ’horreur pour les « Prenant le pain et la coupe de vin et d ’ eau, il rendit
choses qui ne leur sont pas fam ilières. A insi, selon grâces, bénit et dit : Ceci est mon corps; et par une
sa condescendance habituelle, il opère ces choses qui économ ie surnaturelle, le pain et le vin m êlé d ’ eau,
sont au-dessus de la nature, par le m oyen de celles par le moyen de sa parole, devinrent son corps et
qui sont ordinaires à la nature. E t com m e au bap ­ son sang. » Ibid., col. 408.
têm e, parce que les hom m es ont coutum e de se laver N ’ était l ’ argum ent de l’antitype, ces diverses décla ­
avec de l ’ eau, et de s ’ oindre avec de l ’ huile, D ieu a rations pourraient être susceptibles d ’ une interpré ­
uni à l ’ eau et à l ’ huile la grâce du Saint-E sprit et en tation conform e à la doctrine catholique touchant
a fait un bain de régénération; de m êm e aussi parce la forme de l ’ eucharistie, com m e nous l'avons indi ­
que les hom m es ont coutum e de m anger du pain et qué pour les écrivains antérieurs. C ’ est m êm e à ce
de boire du vin et de l ’ eau, il leur a uni sa divinité et parti que se rangent Le Q uien et C om befis dans
en a fait son corps et son sang, afin que par des leurs annotations aux passages cités du D am ascêne.
choses usuelles et conform es à la nature nous fus ­ M ais l ’ explication dainascénienne du m ot antitype
sions élevés à celles qui dépassent la nature. C ’ est donne, à tous ces passages un sens exclusif qui, cer ­
véritablem ent le corps uni à la divinité, le corps qui tainem ent, fausse la tradition. Le désir de défendre
a été pris de la V ierge : non que le corps m êm e qui contre toute interprétation sym boliste le dogm e
a été élevé en haut descende du ciel, m ais parce de la présence réelle est la m eilleure excuse du saint
que le pain et le vin sont changés au corps et au sang docteur. M ais on est bien forcé de reconnaître que,
de D ieu. Si vous m e dem andez la m anière dont cela n'étant pas infaillible, il s ’ est trom pé. Son énergie à
se fait, il vous suffit de savoir que c ’ est par l ’ E sprit- soutenir une doctrine bien traditionnelle, le réalism e
Saint, tout com m e c ’ est aussi par l ’ E sprit-Saint que eucharistique, l ’ a em pêché de voir, au m oins dans
le Seigneur s'est form é une chair à lui-m êm e et en toute sa force, une autre doctrine non m oins tradi
lui-m êm e du sang de la sainte M ère de D ieu. N ous tionneile, à savoir la vertu exclusivem ent consé ­
ne savons rien de plus, sinon que la parole de Dieu cratoire des paroles du C hrist : « A vant lui, il pou ­
est véritable, efficace et loule-puissanle, m ais que la vait y avoir... harm onie d ’ ensem ble et essentielle
m anière dont elle opère est im pénétrable. Il ne sera entre la théorie grecque et la théorie latine. A près
cependant pas hors de propos de dire que com m e lui, entre celle-ci et celle-là un fossé est creusé, dont
naturellem ent le pain, le vin et l ’ eau sont changés, par le tem ps et la logique de l ’ erreur se chargeront
le m oyen du boire et du m anger, au corps et au sang d ’ éloigner les deux bords. » V araine, op. cit., p. 58.
de celui qui m ange et qui boit, et ne deviennent pas D e fait, l ’ explication dam ascénienne du m ot
un autre corps que celui qu ’ il avait auparavant; de antitype, et, avec elle, plus ou m oins explicitem ent,
m êm e le pain, le vin et l ’ eau de l ’ oblation sont sur- l ’ affirm ation de la consécration par l ’ épiclèse, est bien
r.aturellcm ent transform és au corps et au sang du vite devenue classique dans la théologie byzantine.
C hrist par Γinvocation el la descente du Saint-Esprit, « E lle va m êm e, dit le P. Jugie, art. cit., jouer un
vt ce ne sont pas deux corps, m ais un seul et m êm e rôle tout à fait im prévu et servir aux défenseurs des
corps. · Ibid., col. 1140-1145. saintes im ages pour réfuter les iconoclastes, tout
Suit le passage déjà cité, affirm ant que l ’ eucha ­ com m e elle fournira plus tard à Jérém ie II une ré ­
ristie n ’ est pas seulem ent la figure ou le type du corps ponse com m ode aux objections des luthériens. »
du C hrist, m ais son véritable corps. E ntre ce pas ­ Les iconoclastes s ’ avisèrent de dire qu ’ il n ’ y a
sée et l ’ alinéa concernant le m ot antitype, il se qu ’ une seule véritable image du C hrist digne de nos
trouve une phrase que je tiens à transcrire parce hom m ages, l'eucharistie. S ’ il était prouvé qu ’ ils
qu ’ elle contient une attestation du sacerdoce du ém irent cette idée du vivant du docteur de D am as,
C hrist. A propos des figures de l'eucharistie, saint nous aurions là le m otif de polém ique qui suggéra
J n D am ascêne signale l ’ offrande de M elchisédech, à celui-ci son explication d ’ un term e considéré par
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lui com m e synonym e d’image. E n tout cas, le prem ier des conciles, édit. Leclercq, t. ni, p. 775 sq. Il n ’y a
docum ent qui nous signale cette idée iconom aque de de vraim ent dogm atique que Γ όρος . Il ne faudrait
l'eucharistie, seule véritable im age du C hrist, est donc pas que les orthodoxes viennent nous accuser
Γδρος ou définition form ulée par le conciliabule d ’ aller contre le V II e concile œ cum énique, parce que
iconoclaste d ’ H iéria en 753, quatre ans avant la nous n ’ adm ettons pas la doctrine exprim ée dans le
m ort de saint Jean D am ascene, arrivée en 749. passage de la réfutation que nous avons cité et qui,
V oir, au sujet de cette date, un article du P. V ailhé, il faut en convenir, est nettem ent favorable à leur
dans les Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 28-30. opinion sur la form e de l'eucharistie. C ela ne saurait
D e cette définition iconom aque on fit, au II e con ­ surprendre, quand on songe que tous les m em bres
cile de N icée (787), une longue réfutation, qui fut lue du concile, excepté les deux légats du pape, étaient
à la vi° session de la m anière suivante. G régoire, des G recs. L ’ influence de saint Jean D am ascène était
évêque de N éocésarée, lisait quelques lignes del'0 'ρος : déjà prépondérante. O n dut accepter d ’ autant plus
le diacre Jean, bientôt rem placé par le diacre E pi ­ facilem ent son interprétation du m ot antitype, qu'elle
phane, réfutait aussitôt le passage. Les deux docu ­ perm ettait de répondre à peu de frais à une objec ­
m ents réunis ne tiennent pas m oins de 160 pages tion, qu ’ on eût pu résoudre d ’ une m anière plus con ­
dans M ansi, t. xnr, col. 205-364. Q uel est l ’ auteur de form e à la vérité, puisque, quoi qu ’ en dise la réfu ­
la réfutation? O n l ’ ignore. C ertains m ettent en avant tation, beaucoup de ces trom pettes du Saint-Esprit
le nom de saint T araise, patriarche de C onstanti ­ qui sont les saints Pères ont appelé l ’ eucharistie
nople. D ’ autres, avec A llatius, y voient 1 ’ œ uvre im age, antitype du corps du Seigneur, m êm e après
d'une com m ission conciliaire. la consécration. » Échos d’Orient, t. ix, p. 197-198.
V oici tout d ’ abord un passage de Γό'ρος du Les polém istes iconophiles postérieurs au V II e con ­
conciliabule de 753, relatif à l ’ eucharistie : « Q ue cile parlent tous com m e le diacre É piphane, ex ­
ceux-là se réjouissent et tressaillent de joie qui font pliquent com m e lui le m ot antitype de la m esse de
avec une âm e très pure la vraie image de Jésus- saint B asile et tém oignent par là qu'ils croient,
Christ, qui la désirent, qui la vénèrent et qui l ’ offrent eux aussi, à la consécration par l ’ épiclèse. Saint N icé ­
pour le salut de leur âm e ct de leur corps, cette im age phore surtout est particulièrem ent explicite. Il em ­
que Jésus-Christ, notre Souverain Pontife et D ieu, prunte les expressions de saint Jean D am ascène et
donna lui-m ôm e en figure et en souvenir à ses dis ­ déclare que la transform ation eucharistique du pain
ciples au tem ps de sa passion salutaire... Il est évi ­ et du vin s ’ accom plit d'une m anière surnaturelle,
dent que [/’eucharistie] est l’image non trompeuse de grâce à l ’ épiclèse prononcée par le prêtre et à la
l'incarnation de Jésus-Christ, notre créateur et notre descente du Saint-E sprit : « car, ajoute-t-il de son
D ieu, qu ’ il nous a lui-m êm e recom m andée de sa propre fonds, c’est là ce que demande le prélre. » Antir.
propre bouche. » M ansi, Concit., t. xnr, col. 261. rhet. adv. Consl. Copron., P. G., t. c, col. 336. V ient
Le diacre É piphane répond : « N ul des apôtres ou ensuite l ’ interprétation dam ascénienne du m ot
des plus illustres Pères qui ont été les trom pettes du antitype. Cf. Antirrhet. contra Eus., c. x l v , dans
Saint-E sprit n ’ a appelé du nom d’image du corps Pitra, Spicilegium Solesmense, t. i, p. 440.
de Jésus-Christ ce sacrifice non sanglant qui s ’ opère Saint Théodore Studite (f 826) ne veut pas davan ­
en m ém oire de la passion de Jésus-Christ, notre tage entendre parler d ’ im age du corps de Jésus-
D ieu... En effet, le Seigneur ne dit pas à ses dis ­ C hrist dans l ’ eucharistie, ct il réfute de la m êm e
ciples : Prenez, m angez l'im age de m on corps... Il est m anière l ’ objection iconolaste. P. G., t. xeix, col. 340.
bien vrai que quelques Pères ont cru pouvoir nom ­ M ême tactique dans les auteurs suivants : Pierre
m er le pain et le vin antitypes, avant l’accomplisse­ le Sicilien (j· 870), P. G., t. erv, col. 1349; Théo-
ment de la consécration. D e ce nom bre a été saint phylacte (xï e siècle), In Matth., xxvi, 26; In Marc.,
E ustathe... com m e aussi le grand B asile... C elui-ci, xiv, 23; In Joa., n i , 48-52; In I Cor., xrv, 16, P. G.,
ainsi que le savent tous ceux qui célèbrent le saint t. cxxin, col. 444, 449, 1308; t. cxxiv, col. 741;
sacrifice, parle ainsi dans la prière de la divine obla ­ Sam onas de G aza (γ 1056), Dial, cum Achmed Sar­
tion : O Dieu, après vous avoir offert les antilypes du rae., P. G., t. exx, col. 824, 825, 828; Euthym e
corps et du sang de votre Christ, nous vous prions et Zigabénos ( x i i ° siècle), Panopl. dogm., tit. xxv, P. G.,
nous vous conjurons. E t ce qui suit fait bien voir t. exxx, col. 1269, 1273; et chez bien d ’ autres écri ­
encore plus clairem ent que la pensée de ce Père est vains encore. « Tous sont unanim es à rejeter le m ot
qu ’ ils sont appelés antitypes avant la consécration; antitype et à enseigner plus ou m oins explicitem ent
m ais qu ’ après la consécration ils sont appelés, ils la consécration par l ’ épiclèse. N icolas G abasilas
sont et ils sont crus proprem ent corps et sang. » n ’ aura rien à inventer pour com battre la doctrine
Ibid., col. 264. latine. Ses prédécesseurs lui fourniront des argum ents
Ce qui suit, dans la m esse de saint B asile, le m em bre tout prêts, et en particulier celui de l ’ antitype. »
de phrase contenant la m ention de l ’ antitype, c ’ est M . Jugie, loc. cil.
l ’ épiclèse. Par conséquent, d ’ après l ’ auteur ou les 2° Maintien de la tradition concernant l’efficacité
auteurs de la réfutation, c ’ est au m om ent m êm e consécratoire des paroles de Γinstitution. — 1. Chez
de l ’ épiclèse que s ’ accom plit la transsubstantiation; plusieurs écrivains grecs de l’époque byzantine. —
après les paroles de l ’ institution, le changem ent du L ’ argum entation com m une des auteurs iconophiles
pain et du vin au corps et au sang du C hrist n ’ a pas que nous venons d ’ énum érer, va directem ent à
encore eu lieu. affirm er contre le sym bolism e des iconoclastes le
« Inutile de dire, rem arque le P. Jugie, art. cit., réalism e eucharistique. L a question de la forme de
que cette longue réfutation ne constitue pas une l ’ eucharistie ne se pose pas elle-m êm e à ces esprits.
définition de foi, pas plus que les autres pièces si Ils prennent seulem ent com m e une arm e facile l ’ ex ­
nom breuses lues au m êm e concile, excepté évidem ­ plication dam ascénienne de l ’ antitype, sans songer à
m ent Γό ’ρος ou définition unanim em ent acclam ée à se dem ander si elle est dûm ent forgée du pur m étal
la vu 0 et à la vm e session et qui ne renferm e de la tradition. Le besoin de la polém ique porte leur
aucune allusion au m ot antitype. O n sait, d ’ ailleurs, réflexion sur l ’ affirm ation de la présence réelle, nul ­
que tout ce qui se fit au V II e concile ne fut point lem ent sur la déterm ination du m om ent précis où
agréé à H om e, com m e, par exem ple, la canonisation s ’ opère la consécration. A ussi bien, les deux Églises
du concile in Trullo ct les 22 canons disciplinaires d ’ O rient et d ’ O ccident ne soupçonnent m êm e pas
portés par le concile de N icée lui-m êm e. H efele, Hist. encore qu ’ elles sont en désaccord m utuel sur ce der ­
253 E P IC L ES E E U C H A R IS T IQ U E 254

nier point. N i l ’ un ni l ’ autre des deux agents princi ­ les prières actuelles de la m esse sont le résultat d ’ une
paux du schism e oriental, ni Photius ni M ichel C éru- certaine évolution liturgique, il dit : « Q uant au
laire ne songea à signaler cette doctrine com m e diver ­ pain eucharistique, nous voyons les apôtres le con­
gence entre les deux Églises. H ergenrœ ther, Photius, sacrer au sim ple prononcé de ces paroles : « Ceci
t. ni, p. 601, 769. « est le corps de N otre-Scigneur Jésus-C hrist, qui est
D ’ ailleurs, une fois term inée ou sim plem ent hors « rom pu pour vous en rém ission des péchés, » selon ce
de perspective la polém ique antiiconoclaste,l’ argu ­ qu ’ ils avaient appris du M aître; ct donc, sans toute
m ent de l ’ antitype suspend, pour ainsi dire, son la série des rites sacrés qui s ’ accom plissent m ainte ­
influence, et le sens de la véritable tradition patris- nant régulièrem ent, com posés de l ’ évocation des
tique réapparaît. Cf. O rsi, op. cit., p. 28, 83 sq. D e oracles prophétiques, des predications apostoliques
cette réapparition il ne serait pas im possible de re ­ et évangéliques, des oraisons qui précèdent et qui
trouver des vestiges jusque dans les auteurs icono- suivent. » A llatius, D e Ecclesiæ occidentalis et orient,
philes précédem m ent cités, sauf à souligner, dans perp. consens., 1. III, c. xm , n. 7, C ologne, 1618,
cette sorte de contradiction inconsciente, l ’incons ­ col. 1155-1156, 1159.
cience m êm e de la déviation infligée par eux à l ’ en ­ 2. Chez les syriens. — O utre ces tém oignages d ’ au ­
seignem ent authentique des anciens. Tel E uthym e teurs byzantins, qu ’ une recherche m éthodique pour ­
Zigabénos affirm ant, par exem ple, que « c ’ est le rait sans doute m ultiplier encore, il faut noter que
V erbe qui opère la consécration par une opération l ’ Église syrienne ne parait pas avoir subi l ’ influence
ineffable. » P. G., t. cxxix, col. 668. de saint Jean D am ascène relativem ent à la conclu ­
A u surplus, outre que nom bre d ’ auteurs byzan ­ sion tirée par lui de l ’ em ploi liturgique du m ot anti­
tins se contentent d ’ attribuer la transsubstantiation type. N ous voyons, en effet, Jean de D ara, évêque
au Saint-Esprit, sans dire si elle s ’ opère au prononcé m onophysite du ix° siècle, déclarer sans am bages
des paroles de l'institution ou à l ’ épiclèse, on trou ­ que les paroles consécratoires du corps et du sang du
verait facilem ent plusieurs textes où cette attribu ­ C hrist, cc sont les paroles rapportées par les évan ­
tion ne laisse pas d ’ aller de pair, com m e chez les gélistes et par saint Paul : « Ceci est m on corps, ceci
anciens docteurs, avec la croyance à l'efficacité des est le calice de m on sang. » Comment, in c. π eccl.
paroles du C hrist. Tel est, par exem ple, le passage hierarch. S. Dionysii, dans Petrus B enedictus, A n-
suivant de la V ie du m oine A rsène, d ’ après la recen ­ tirrhelicon alterum..., c. xi, à la fin des Opéra sgriaca
sion de Sim éon M étaphraste (x° siècle) : « Q uoique S. Ephrem, t. n, p. 48. Cf. Lam y, Dissertatio de Syro­
cc fût auparavant du pain et du vin, ils sont changés rum fide et disciplina in re eucharistica, L ouvain, 1859,
au corps m êm e et au sang du C hrist par l ’ invocation p. 36.
des prières et par la form ule sacrée, le Saint-Esprit D e m êm e D enys B ar Salibi, m étropolite jacobite
descendant sur eux : en sorte que c ’ est la chair, d ’ A m ida (γ 1171), affirm e avec insistance que le
le sang du Seigneur que nous recevons. C ’ est pour prêtre, à l ’ autel, représente le C hrist, sacerdotem loco
cette raison, ajoutent les vieillards (qui parlaient au Christi esse, spécialem ent lorsqu ’il prononce en son
m oine tenté contre la foi), que le prêtre s'écrie, con ­ nom les m ots : « Ceci est m on corps » : Porro notum
form ém ent à la parole du C hrist notre D ili dont il est eum loco Christi esse ex illo : Hoc est enim cor­
revêt la personnalité : Ceci est m on corps, ceci est pus meum. C ette répétition des paroles du C hrist
m on sang. » Tsereteli, Jiticjié vo sviatikh otsa naehëgo par le prêtre m ontre que c ’ est encore le C hrist qui
Arsénia Vélikago (Vie de saint Arsène le Grand, consacre à l ’ autel, com m e autrefois à la cène...
d ’ après trois m anuscrits grecs de la bibliothèque sy ­ Profert etiam ea verba quæ dixit Dominus noster in
nodale de M oscou), Saint-Pétersbourg, 1899, p. 18-19. cenaculo quando mysterium confecit; ut per verba illa
C ette affirm ation que les paroles de l ’ institution manifestet tunc quoque ab ipso Christo species sancti­
sont dites par le prêtre in persona Christi, se retrouve ficari quæ ponuntur super altare per voluntatem Patris
dans le traité liturgique de Théodore d'A ndéda (xi°- et operationem Spiritus ope sacerdotis qui format cruces
xii° siècle), en dépit des explications quelque peu et verba profert. Non enim qui ministrat, sed qui invo­
em barrassées que cet auteur donne de l ’ épiclèse : catur super mysteria est consecrator. C ette phrase m e
« Q uant à ce que le prêtre dit : Prenez et mangez, ceci parait une excellente form ule de solution catholique
est mon corps, ne le dit-il pas com m e de la part du pour la question de l ’ épiclèse et de la consécration.
C hrist lui-m êm e ? · P. G., t. cxi, col. 456, cf. col. 417, A ussi bien, lorsqu ’ il en vient au com m entaire de
418. l ’ épiclèse, D enys B ar Salibi se contente-t-il de dem an ­
U ne affirm ation identique du sacerdoce du C hrist ct der ° pourquoi le Saint-Esprit descend sur le pain et
de l ’ efficacité de ses paroles, est répétée à plusieurs le vin, alors que le Fils est déjà venu » les consacrer.
reprises dans le com m entaire liturgique connu sous le L a réponse qu ’ il y fait est influencée par sa doctrine
nom de saint G erm ain. P. G., t. xcvm , col. 388-389, christologique, car elle n'est autre que l ’ analogie entre
433, 436-437. O n y trouve m êm e, très clairem ent les deux m ystères de l ’ incarnation et de la transsub ­
exprim ée, la conciliation de l ’ action du C hrist avec stantiation, et nous n ’ avons pas à y insister ici. M ais
celle du Saint-E sprit, ce qui constitue, nous l ’ avons sa pensée sur le m om ent de la consécration, qui est
dit, la résultante dernière de la tradition patristique celui où le prêtre prononce les paroles du C hrist, ne
et la véritable solution catholique du problèm e de saurait faire de doute. Expositio liturgiæ, c. vi, vui.
Γ épiclèse : le C hrist est le prêtre du sacrifice; la vertu x, xiv, édit. J. Labourt, dans le Corpus scriptorum
de son sacerdoce, c ’ est le Saint-E sprit. Ibid., col. 433. Christianorum orientalium, de J.-B . C habot (Scriptores
V oir M . Jugie, D e sensu epicleseos Juxta Germanum Syri, 2° série, t. xcm ), Paris. 1903. p. 52, 61. 73,
Constantinopolilanum, dans Slavorum littera: theo­ 80, 82. Sur l ’ im portance extrêm e du tém oignage de
logica, 1908, t. iv, p. 385-391. D enys B ar Salibi au point de vue de la tradition
Jean Phournès, m oine grec du xn° siècle, apparte ­ syriaque, voir O rsi, op. cit., p. 17, 23 sq.
nant au groupe des théologiens antilatins, nous four ­ C itons enfin Ebcdjésu B ar B erika, un des derniers
nit, dans une lettre au sujet des changem ents sur ­ écrivains de la littérature syriaque nestorienne
venus dans les rites et spécialem ent dans ceux de la (f 1318), m étropolitain de N isibe, d ’ où le nom de
com m union (lettre éditée par A llatius), un tém oi ­ Ebedjesus Sobensis qu ’ on lui donne parfois, Soba
gnage intéressant dont la signification naturelle désignant cette ville. En exposant la doctrine eucha ­
< st qu ’ il voit dans les paroles de l ’ institution la form e ristique, cet auteur rappelle les paroles que le pré'.re
essentielle de l ’ eucharistie. Pour faire entendre que répète à l ’ autel : « Ceci est m on corps, ceci est m on
255 É P IC L ÊS E E U C H A R IS TIQ U E 256

sang... Faites ceci en m ém oire de m oi. » Puis, il charistie et en l ’ énonçant à la m anière précise des
ajoute : « C ’ est donc par Ce précepte du Seigneur que scolastiques. C ’ est ainsi qu ’ on peut lire dans son
le pain est changé en son corps sacré, et le vin en son Livre des questions, œ uvre d ’ ardente polém ique contre
précieux sang... Il (Jésus-C hrist) a pris pour m a ­ les catholiques, cette affirm ation sans réplique :
tière le from ent et le vin, parce qu ’ ils ont une grande Forma hujus sacramenti quoad panem est : Hoc est
alfinité avec le corps et le sang. Q uant à la form e, corpus meum. Et quoad calicem : Hic est sanguis meus
il l ’ a donnée dans sa parole vivante et dans la des ­ novi testamenti in expiationem, etc. Livre des ques­
cente du Saint-E sprit. » ... Liber Margarita’ de veri­ tions, art. de l ’ eucharistie, C onstantinople, p. 594.
tate christianæ religionis, tr. IV , De sacramentis, c. v, E t il y revient à plusieurs reprises avec insistance,
De oblatione, dans M ai, Scriptorum veterum nova col­ p. 596, 597, 610. Cf. A vedichian, op. cit., p. 344-345;
lectio, t. x, p. 333, 358-359. Ce n ’ est pas seulem ent en G alano, Conciliatio Ecclesiæ Amenas cum Romana,
vertu du com m andem ent réitéré par le C hrist de re ­ R om e, 1661, t. m . p. 549.
nouveler la cène, que s ’ accom plit la consécration : N ous aurons l ’ occasion de présenter d ’ autres
c'est par ce com m andem ent m êm e, c ’ est-à-dire par preuves du m aintien de la tradition catholique sur
ses propres paroles. Sans doute, la descente du Saint- ce point chez les A rm éniens jusqu'à une époque
E sprit est m entionnée ici com m e dans un grand relativem ent récente. M ais il nous faut m aintenant
nom bre de textes d ’ O rient ou d ’ O ccident; m ais tout revenir aux grecs pour voir l ’ opinion dam ascé-
nous induit à penser que c ’ est pour indiquer, si je puis nicnnc poussée à ses dernières conséquences, et, à
dire, le comment du m ystère, et nullem ent pour attribuer l ’ occasion des controverses avec les latins, la théorie
à l ’ épiclèse l ’ efïlcacité consécratoire déjà réalisée, de de l ’ épiclèse consécratrice se poser en divergence
l ’ aveu de notre auteur, par les paroles de l ’ institu ­ dogm atique entre l ’ Église byzantine et l ’ Église ro ­
tion. V oir Échos d’Orient, 1910, t. xm , p. 321-324. m aine.
Il n ’ est pas tém éraire d'espérer que les nom breux 3° La théorie de Cabasilas (xiv* siècle) et la contro­
m anuscrits syriaques encore inédits nous réservent verse au concile de Florence. — La question del ’ épi-
une plus am ple m oisson de tém oignages favorables clèsc ne fut pas soulevée au concile de Lyon (1274),
à la doctrine catholique sur la form e de l ’ eucharistie convoqué pour traiter de la réunion des deux Églises.
et perm ettront d ’ augm enter le groupe des auteurs très O n ne dut se m ettre à l ’ agiter qu ’ au com m encem ent
explicitem ent fidèles à la tradition représentée par du xiv» siècle, et il sem ble bien que l ’ initiative de la
saint Jean C hrysostom e et Sévère d ’ A ntioche. controverse doive être attribuée à certains latins
3. Chez les écrivains arméniens. — Ce que nous séjournant en O rient. D es m issionnaires catholiques
venons de dire des écrivains syriens peut être dit s ’ aperçurent que les grecs d ’ alors attribuaient à
aussi de m aints auteurs arm éniens. C ’ est ainsi que l ’ épiclèse la vertu consécratrice. Iis les attaquèrent
C hosrov le G rand, évêque d ’ A ntzevatziq (f 972), en aussitôt. V oir R enaudot, op. cit., t. i, p. 226. C ’ est
dépit de quelques im précisions concernant l'épi- à eux, à ces Λ ατίνοι τινες , P. G., t. c l , col. 428; t. c l v ,
clèse qui ont pu donner le change à certains au ­ col. 733, que répondent N icolas C abasilas (ψ vers
teurs (par exem ple, P. V etter, Chosroæ magni, epis­ 1363) et l ’ un de scs plus célèbres successeurs, Sim éon
copi monophysitici. Explicatio precum missas e lin­ de Thessalonique.
gua armeniaca in latinam versa, Fribourg-en-B risgau, Ces deux auteurs, qui sont d ’ ailleurs des théolo ­
1880, p. x; voir A r m é n ie , t. i, coi. 1956; F. Tourne- giens et des liturgistes rem arquables, rééditent en
bize, Histoire politique et religieuse de l’Arménie, som m e la théorie dam ascénienne, en l ’ expliquant et
Paris, 1910, p. 584), dem eure fidèle à l ’ enseignem ent en l ’ aggravant encore. Ils affirm ent — et là gît leur
de saint Jean C hrysostom e dont il cite m êm e expres ­ erreur — être en conform ité avec la tradition patris-
sém ent le passage, signalé plus haut, de la l x x x i i 0 ho ­ tique en ne reconnaissant aux paroles de l ’ institu ­
m élie In Matth., n. 5. V oir m on article, Consécra­ tion, prononcées par le prêtre, que la valeur d ’ un
tion et epielése d’après Chosrov le Grand, dans les sim ple récit. Ce récit, il est vrai, a le pouvoir consé-
Échos d’Orient, 1911, t. xiv, p. 9 sq., où j ’ ai étudié crateur conféré par le C hrist à ses prêtres, m ais
les textes à l ’ appui de cette assertion. O n trouvera ce pouvoir a besoin d ’ être fécondé par la prière de
ces textes dans l ’ édition de V etter, p. 26, 27, 28, 31, l ’ épiclèse. L ’ influence du D am ascènc est visible dans
35, 36; cf. pour l ’ épiclèse et le rôle eucharistique du cet enseignem ent que ses successeurs du xiv" et
Saint-E sprit, p. 17, 29, 35-37. du xv« siècle prétendent, à son exem ple, baser sur un
N ersès de Lainpron, au xn° siècle, suppose m ani ­ passage de saint Jean C hrysostom e, détourné par
festem ent la doctrine catholique sur la form e de eux com m e par lui de son véritable sens. Pour eux,
l ’ eucharistie, lorsque, dans son traité Du mystère de les paroles de l ’ institution et la prière qui les suit cons ­
la messe, arrivé à ces paroles qui suivent im m édi ■- tituent l ’ une et l ’ autre la form e totale, essentielle,
tem ent le récit de l ’ institution : El tua ex tuis tibi offe­ nécessaire de la consécration. M ais celle-ci n ’ est
rimus per omnia el pro omnibus, il en donne ce com ­ achevée qu'après l ’ épiclèse, et c ’ est donc, en défini ­
m entaire : Dum d e d it (sacerdos) mysterium in manus tive, l ’ épiclèse qui consacre. D e cette épiclèse, ajou ­
(Patris), et a c c e p ij ' ab illo in se rationabile sacrifi­ tent-ils, la liturgie latine n ’ est nullem ent privée :
cium, Deum suum el regem; deinde addit : quod hoc l ’ oraison Supplices te rogamus en fait fonction
munus, quod veluti nobis concorporeum et de nobis d ’ après C abasilas, tandis que pour Sim éon, c ’ est
hominem dedi libi, Domine , tua est ineffabilis genera­ l ’ oraison Quam oblationem avant le récit de la cène;
tio atque Filius. Nos autem, qui servi sumus, quam ­ de sorte que, à les entendre, ce n ’ est pas l ’ Église la ­
quam velat nostrum et de nobis istum habeamus, atta­ tine qui est opposée à leur croyance, m ais seulem ent
men Deum tibi coaequalem profitemur. El nunc nos « quelques L atins », am is de la nouveauté. N icolas
veluti tuum Filium el a te nobis datum iterum de nobis C abasilas, Liturgiœ expositio, c. xxvn-xxxir, P. G.,
damus istum libi oblationem pro omnibus et munus t. c l , col. 425-440; cf. x l v ii , x l ix , l i , col. 469. 477,
reconciliationis. A vedichian, Suile correzioni dei libri 481, 485; Sim éon de Thessalonique, Exp. de divino
ecclesiastici anneni. V enise, 1868, p. 343. templo, η. 86, 88, P. G., t. c l v , col. 733-710.
A ussi G régoire de T ahtev, célèbre controversiste A u fond, toute l ’ argum entation des deux célèbres
schism atique du xiv° siècle, attaché jusqu ’ à l ’ excès à controvcrsistes grecs ne repose que sur des m alen ­
toutes les traditions arm éniennes, avait-il pleine­ tendus. Le point de vue liturgique et le point de vue
m ent raison de pas croire aller contre elles en pro ­ théologique se trouvent confondus; dès lors, la ques ­
fessant la doctrine catholique sur la form e de l ’ eu ­ tion est m al posée; et la réponse qui y est faite, en
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dépit de l ’ apparente précision de certaines form ules, avec les latins faussent leur perspective et les em ­
ne laisse pas de présenter dans l ’ ensem ble m aints pêche de faire une sereine application de ces prin ­
élém ents contradictoires. C ’ est ainsi que l'on n ’ aurait cipes à l ’ objet du débat. Il faut dire, un peu à leur
pas de peine à découvrir dans les pages de ces deux décharge, que les latins auxquels ils répondent pa ­
auteurs byzantins tous les principes théologiques raissent bien ne s ’ être point bornés à attaquer seu ­
qui doivent logiquem ent am ener un esprit droit à la lem ent l ’ opinion théologique dérivée de saint Jean
conclusion catholique. D am ascène, m ais avoir voulu s ’ en prendre direc ­
C abasilas, par exem ple, affirm e clairem ent que c ’ est tem ent à la form ule liturgique de l ’ épiclèse. C ette
le C hrist, en la personne du prêtre, qui offre le sacri ­ exagération donne beau jeu aux deux polém istes
fice, col. 428 ; cf. col. 469, m êm e idée avec allusion aux byzantins pour bien souligner le caractère épi -
paroles de l ’ institution; et surtout col. 477, où il est clétique des divers rites sacram entels dans toutes
piquant de trouver sous la plum e de ce polém iste les liturgies. M ais la distinction, si clairem ent éta ­
antilatin des expressions et un raisonnem nt allant blie par C abasilas et d ’ une m anière équivalente par
directem ent à prouver la thèse catholique. V oici ce Sim éon, op. cit., col. 736, entre les prières dites par
passage qui réfute pérem ptoirem ent C abasilas par le prêtre en son propre nom et celles dites au nom
C abasilas lui-m êm e. O n ne saurait m ieux préciser la du C hrist, aurait dû suffire à faire une com plète m ise
distinction entre les prières dites par le prêtre en son au point. N ous constatons qu ’ elle ne l ’ a pas faite.
propre nom et les paroles prononcées au nom du Cf. H oppe, op. cit., p. 5, note 13; p. 191, note 427.
C hrist qu ’ il représente. « Q uoique ce soit lui (le Les contradictions que nous venons de signaler
C hrist) qui accom plit l ’ action sacrée, n ’ allons dans la théologie de N icolas C abasilas et de Sim éon
pas pour autant lui attribuer tout ce qui s ’ y fait ou de Thessalonique, concernant la form e de l ’ eucharis ­
s ’ y dit. L ’ acte m êm e du sacrifice et son effet, c ’ est- tie, m ontrent assez que les idées des G recs sur ce
à-dire la consécration des élém ents et la sanctification point étaient assez confuses et qu ’ ils n ’ étaient pas
des fidèles, c ’ est lui seul qui l ’ opère. M ais les prières, sans éprouver quelque em barras à concilier le sens
invocations, supplications qui encadrent ces choses obvie des paroles de l ’ institution avec leur form ule
essentielles, sont le fait du prêtre. Là c ’ est l ’ œ uvre traditionnelle de l ’ épiclèse. C et em barras éclata plus
du Seigneur; ici celle d ’ un serviteur. C elui-ci prie, visiblem ent encore au cours des discussions qui curent
celui-là réalise les prières. C ’ est le Sauveur qui donne, lieu au concile de Florence. O n y dem anda aux G recs
le prêtre se contente de rendre grâces pour les dons de s ’ expliquer sur la question de l ’ épiclèse et de la
accordés. Le prêtre présente les offrandes, le Sei­ consécration eucharistique. C ette dem ande em bar ­
gneur les reçoit. Le Seigneur, il est vrai, offre lui rassa les O rientaux, qui, raconte l ’ historien grec du
aussi, m ais il s ’ offre lui-m êm e au Père et il offre concile, D orothée, avaient décidé de ne pas soulever
ces oblations quand elles sont devenues lui-m êm e, cette question, parce qu ’ ils n ’ avaient pas sur ce sujet
quand elles ont été transform ées en son corps et en des idées bien claires. M ansi, Concit., t. xxxi.col. 1012.
son sang, c. x l ix , col. 477, cf. col. 481. Sans nier l ’ efficacité des paroles de l ’ institution,
Les théologiens catholiques ne raisonnent pas leur attachem ent à la tradition liturgique les incli­
autrem ent, nous l ’ avons vu, pour m ontrer le bien- nait à la théorie dam ascénienne. Le m étropolite
fondé de la doctrine traditionnelle sur la form e de Isidore de K iev défendit cette théorie au cours des
l ’ eucharistie. Jésus-Christ, disent-ils, est le prêtre en discussions : Dico quod credimus id quod conficit
m êm e tem ps que la victim e du sacrifice eucharis ­ mysterium esse sermonem Domini, et credimus domi­
tique. La consécration des espèces étant évidem m ent nicam vocem esse effectricem divinorum munerum; et
de l ’ essence du sacrifice, c ’ est donc Jésus-C hrist qui illa vox semper replicatur a sacerdote, et suscipit sacer­
doit l ’ opérer par le m inistère du prêtre hum ain par ­ dos quod vox illa replicata aptetur et sit eadem vox cum
lant en son nom . O r, parm i les prières qui constituent voce Domini. Et ut ita aptetur, invocatur Spiritus
la m esse, seules les paroles de l ’ institution peuvent Sanctus et supplicat sacerdos ut per virtutem Spiritus
être prononcées in persona Christi. Les autres prières, Sancti concedatur gratia, ut vox repetita efficiatur ita
dans lesquelles est com prise l ’ épiclèse, sont dites effectiva, ut verbum Dei fuit. Et ita credimus consum-
par le prêtre en son propre nom et au nom de l ’ Église mativam fieri per illam orationem sacerdotis. Et probo
qu ’ il représente, m ais non pas directem ent au nom quod dominic.æ voces habent operationem ut semina,
de Jésus-Christ. C ’ est donc par les paroles de l ’ ins ­ quia sine semine non potest effici fructus : ita in hac
titution prononcées par le prêtre revêtant la person ­ dominica voce. Tamen ubi cadit semen, eget aliis ins­
nalité de Jésus-Christ, et non point par l ’ épiclèse, trumentis, ut sacerdotis, altaris et orationum. Unde
que s ’ opère la consécration. Inconséquent avec ses credimus per hoc vobiscum esse concordes. M ansi,
principes, C abasilas n ’ en déclare pas m oins de nou ­ t. xxxi, coi. 1686-1687.
veau, quelques pages plus loin, que la transsubstan ­ C ependant, le cardinal Jean de Torquem ada insista
tiation et le sacrifice s ’ accom plissent au m om ent de pour poser la question sur son vrai terrain : Necesse
Γι -piclèse, c. l i , col. 485. est ut in nostra cedula, si debeat dari doctrina omnibus
D e m êm e Sim éon de Thessalonique, dans un des fidelibus, et maxime simplicibus, qui possent dubitare
passages où il expose de la m anière la plus explicite an alia verba sanctorum quæ apponuntur sint verba
sa théorie de l ’ épiclèse, nous fournit ccttc excellente de substantia consecrationis, vel non, quod ponalur hoc
form ule qui pourr it servir de résum é à toute la doc ­ quod verbis Salvatoris fi.1 consecratio. Nec aliquis debet
trine catholique sur cette question : « Ce n ’ est pas moveri per hoc quod quis dicit quod missale est scriptum
l ’ hom m e qui agit, m ais c ’ est le C hrist dans le Saint- manu magni Sancti. Aliud est dicere : hoc missale est
E sprit par le sacerdoce des prêtres. » De templo, unius Sancti; et aliud quod Sanctus dicit quod omnibus
n. 88, col. 737. contentis in hoc missali conficiatur corpus Christi. Non
D e m êm e encore, les autres principes de solution est credendum beatum Basilium nec alium doclorem
traditionnels et catholiques, à savoir la coopération dixisse quod aliis verbis quam Christi conficiatur cor­
eucharistique des trois personnes divines et l ’ analogie pus, quantumcumque sunt multæ orationes et preces ibi.
avec l ’ incarnation sont très nettem ent m is en relief Le pape Eugène IV paria dans le m êm e sens, et
par les deux controversistes. Pour C abasilas, voir ce. fut néanm oins après les paroles du pape qu ’ Isidore
surtout Lilurgiæ exposit., c. xxvm ; pour Sim éon, de K iev tint 1e. langage que nous avons dit. Torque-
De templo, n. 88, col. 736-737. M ais l ’ explication da- I m ada insista encore sur la vraie portée de la question
m ascénienne de l ’ antitype, ibid., et la controverse I et sur la nécessité de s ’ entendre sur une form ule pré-
D IC T . D E T H É O L . C A T H O L .
V. - 9 -
259 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 260

cise de la croyance com m une à la vertu consécratoire pelle, lui aussi, sous form e de récit (διηγηματιχώς ), les
des paroles du C hrist. Isidore lui-m êm e fut am ené paroles du Seigneur, et que lui-m êm e a donné ce
par la vigoureuse argum entation du cardinal au véri­ com m andem ent ; Prenez et mangez, Buvez-en tous,
table point de vue dogm atique, puisqu ’ il faisait par ­ Faites cela en mémoire de moi. Il ne fait aucun rite
tie de la com m ission des six orientaux qui, le 26 juin sacré de plus, m ais pense que ce récit des paroles
1439, firent devant le pape et l ’ em pereur la décla ­ suffit pour la consécration et le sacrifice. Puis, ce
ration suivante : ... Sumus parati publice confiteri pain azym e, ... il le prend par un côté quel ­
quod nos tenemus sicut vos quod in verbis s o l is conque, l ’ élève, en rom pt une parcelle et la jette dans
dominicis conficitur... le calice; le reste, il le m et dans sa bouche; et ayant
Il sem ble bien que c ’ est à la lum ineuse précision | bu de m êm e tout le calice, il dem ande le ba ser de
théologique de Torquem ada que les grecs durent paix aux diacres qui l ’ assistent, sans rien donner à
de se rendre com pte que la doctrine catholique était personne, lui qui se glorifie des paroles : Prenez et
conform e à la tradition, sans préjudice, d'ailleurs mangez, tous, Buvez-en tous. Cela ne trahit il pas une
pour l ’ usage liturgique de l ’ épiclèse. Ils s ’ en rendirent contradiction m anifeste avec les explications des
si bien com pte qu ’ ils affirm èrent n ’ avoir jam ais cru liturgies qui nous ont été transm ises, avec les paroles
autre chose et dem andèrent que cet article ne fût du Seigneur et avec les propres paroles de ces gens-là?
pas inséré dans le décret d ’ union, afin de ne pas faire E t après cela, ils auront l ’ audace de nous reprocher
penser qu ’ on en eût jam ais douté. Confessi sunt, nos usages, qui sont si conform es aux enseignem ents
auditis rationibus nostris, quod semper tenuerunt des saints, de s ’ y ingérer et de les interpréter? »
quod solis verbis dominicis conficeretur. Fuit insti­ Col. 1089. Puis il explique de la m êm e m anière que
tutum ut hoc poneretur in diffinitione. Dixerunt quod C abasilas, c ’ est-à-dire en faussant com m e lui le sens
hoc non erat necessarium ; imo si poneretur, Ecclesia obvie du passage visé, la doctrine de saint Jean
ipsorum reciperet ignominiam, ac si hactenus tenuis­ C hrysostom e, et il term ine en s ’ écriant : « Si ces
sent aliud. Unde cum semper fuerimus concordes, in raisons ne persuadent pas ces hom m es d ’ hum eur
hoc diffinitio non debet fieri nisi de dubiis... Unde querelleuse, c ’ est qu ’ ils seraient dignes de pitié pour
Sanctissimus dominus noster hoc audito obtemperavit, leur double ignorance et pour leur profond endur ­
ut non deduceretur in dubium quod numquam fuit. cissem ent. » Col. 1089.
O n accepta donc de ne pas insérer cet article dans Ces citations sont utiles à noter pour avoir une
le décret d ’ union, à condition que, avant la séance idée du chem in parcouru depuis saint Jean D am as-
où ce décret devait être prom ulgué, les grecs form u ­ cène, et m êm e depuis N icolas C abasilas ou Sim éon de
lassent, dans une assem blée générale, la profession Thessalonique. La déviation de la doctrine tradi ­
de foi énoncée par leurs six délégués en séance privée. tionnelle, longtem ps dem eurée en quelque sorte
L a condition fut réalisée par la déclaration solen ­ inconsciente, est m aintenant devenue un prétexte
nelle lue par B essarion au nom de tous les grecs à liturgique et théologique de plus pour m aintenir la
la séance plénière du 5 juillet et que nous avons citée séparation de l ’ Église byzantine, par rapport à l ’ Église
au début de cet article. Pour souligner l'im portance rom aine.
d ’ une telle déclaration, le pape se contenta d ’ ajouter C ette position une fois prise, on s ’ y tiendra géné ­
ces paroles : Intelleximus quæ per venerabilem fra­ ralem ent. N ous nous bornerons à signaler les do ­
trem nostrum Nicænum dicta sunt; et quamvis in mente cum ents officiels ou confessions de foi. La doctrine
noslra non esset aliud, tamen gratum fuit audisse de la consécration par l ’ épiclèse se trouve form ulée
quæ ore relata sunt, quia ista est doctrina S. Joannis dans les lettres du patriarche Jérém ie II aux luthé ­
Chrijsostomi et aliorum sanctorum qui præcesserunt riens allem ands (1576-1581), Resp., I, c. x, édit, de
et postea secuti sunt et hanc doctrinam secuta est et G édéon de C hypre, Leipzig, 1758, p. 49; cf. M cso-
semper sequetur Ecclesia romana, et gratum fuit audire loras, Συμβολική, A thènes, 1883, t- i, p. 147;
ut qui aliud existimassent sint certi de vestra bona dans la confession de foi de Pierre M oghila (1642),
opinione. O rsi, op. cit., p. 150-172. q. cvn, M ichalcescu, Die Bekenntnisse und die udchtig-
A insi l ’ Église grecque reconnaissait, à Florence, sten Glaubenszeugnisse der griechisch-orientalischen
la doctrine de saint Jean C hrysostom e com m e la Kirche, Leipzig, 1904, p. 72, du m oins dans la tra ­
véritable doctrine traditionnelle, à la défense de la ­ duction grecque de ce docum ent — car l ’ original latin
quelle B essarion consacre, peu après, son traité spé ­ rédigé par le célèbre m étropolite de K iev énonçait
cial De sacramento eucharistire, P. G., t. cr.xi, col. 494- nettem ent la doctrine catholique, Échos d’Orient,
525. M arc Eugenilcos, m étropolite d ’ Éphèse, paraît 1909, t. xii, p. 25; E. de H urm uzaki, Documente
avoir été le seul à protester contre cette profession de •rivitôre la isloria Romanilor, B ucarest, 1882, t. iv,
foi. Fougueux adversaire de l ’ union proclam ée à p. 668, professée alors en Petite-R ussie; dans la décla ­
Florence, il publia peu ap ès le concile un petit traité ration des G recs au m arquis de N ointel, en 1671,
contre lequel fut dirigé celui de B essarion, et dont le C ovel, Some Account of the present greek Church,
titre suffit à résum er la doctrine : Ό τι οΰ μόνον άπό p. 44; dans les actes du synode de Jérusalem , en
της φωνής τών δεσποτιχών ρημάτων «λιάζονται τα θεία 1672, M ansi, t. xxxiv, col. 1714; M ichalcescu, p. 153;
δώρα, άλλ ’ έχ τής μετά ταϋτα βνχής καί ευλογίας τοϋ dans la confession de foi de D enys IV , patriarche
ίερέως δυνάμει τοΰ άγιου Π νεύματος . Ρ. (?., t. CLX, de C onstantinople (1672), M ansi, ibid., col. 1780;
col. 1080-1089. Il y reprend contre les latins la thèse dans celle du patriarche C hrysanthe, acceptée par
de C abasilas, m ais d ’ une m anière plus exclusive le synode de C onstantinople de 1727, M ansi-Pctit,
encore et sur un ton où l ’ on ne peut s ’ em pêcher de t. xxxvn, col. 899; enfin, dans la réponse patriar ­
voir l ’ effet d ’ une évidente m auvaise foi. cale et synodale de l ’ Église de C onstantinople à
C ’ est ainsi qu ’ après avoir dit que « la parole du l ’ encvclique de Léon X III, sur l ’ union en 1894.
Seigneur n ’ opère pas sans prêtre, ni sans autel. » et C itons ce dernier docum ent pour m ontrer sous quel
que de m êm e « elle a besoin de prières, de l ’ invoca ­ angle l ’ Église orthodoxe actuelle envisage la ques ­
tion, de la bénédiction, en vertu desquelles descend tion : « L ’ Église des sept conciles oecum éniques,
le Saint-E sprit qui accom plit tous les sacrem ents, · une, sainte, catholique, et apostolique, adm ettait
col. 1088, il établit un parallèle à sa façon entre les que les oblations sacrées sont consacrées après la
rites de la m esse orientale et ceux de la m esse latine. prière d ’ invocation au Saint-Esprit, par la béné ­
La description qu ’ il fait de ces derniers donnera une diction du prêtre, com m e l ’ attestent les anciens ri ­
idée de sa sincérité : « Chez les latins, le prêtre rap ­ tuels de R om e et des G aules. M ais en cela aussi
261 É P IC LÉ S E E U C H A R IS T IQ U E 262
l ’ Église papale a innové par la suite, en adm ettant nem ent en relief cette doctrine; et ils ont été
arbitrairem ent que la consécration des oblations im ités en cela par un certain nom bre d ’ éditions pos ­
sacrées a lieu au m om ent oïl sont prononcées les pa ­ térieures, m êm e après la condam nation de l ’ opinion
roles du Seigneur : Prenez et mangez, ceci est mon catholique par le patriarche m oscovite en 1690.
corps; Buvez-en tous, ceci est mon sang. » D ans Έ ζκλη- Cf. C haron, LeX V( centenaire de S. Jean Chrysoslome,
σιαστιχή Ά λήβειχ, C onstantinople, 1895, t. xv, p. 244, p. 231, note 1; A uner et B ocian, dans les Chrysosto-
n. x. mika, R om e, 1907, p. 766-767, 931-933.
4° Persistance de la doctrine catholique en Orient La m êm e croyance était aussi professée à M oscou.
et en Russie. — 1. Dans l’Église grecque orthodoxe. — D éjà adm ise auparavant d ’ une m anière im plicite,
C ependant, en dépit de la clarté de ces docum ents en tant que contenue dans les livres liturgiques, elle
officiels, la théorie de C abasilas et de M arc d ’ Éphèse y devint, surtout au xvn· siècle, grâce à l ’ influence des
était loin d ’ être encore universellem ent reçue chez théologiens de K iev venus s ’ établir à M oscou, l ’ ob ­
les grecs au xvn e siècle. O utre un certain nom bre jet d ’ un enseignem ent form el. Les plus célèbres de
d ’ auteurs dont on pourrait citer des tém oignages ces théologiens sont Sim éon Polostkii et Sylvestre
favorables à la doctrine catholique, plusieurs des M edviédev (γ 1691). L ’ un et l ’ autre, ainsi que
réponses, officielles aussi, provoquées par le m arquis l ’ higoum ène Innocent M onastyrskii, du couvent de
de N ointel, par M . de L ilienthal ou d ’ autres person ­ Saint-C yrille à K iev, et D im itri T uptalo, plus tard
nages au sujet de la croyance eucharistique des m étropolite de R ostov.se firent les défenseurs decette
O rientaux à opposer aux protestants, se prononcent doctrine au cours des discussions très vives qui
sans arrière-pensée pour la consécration par les pa ­ s ’ élevèrent sur ce point vers la fin du xvn" siècle.
roles du C hrist. Pour ne venir qu ’ incidem m ent au Q uelle fut l ’ origine de ces discussions? Peut-être
cours des form ules visant directem ent la foi à la les corrections faites aux livres liturgiques par le
transsubstantiation, ces attestations n ’ en sont pas patriarche N icon (-J- 1681) : car on sait que les ras
m oins intéressantes ni m oins im portantes. En atten ­ kolniks ou Slaroviércs (vieux-croyants), qui se sépa
dant qu ’ elles soient publiées dans le supplém ent de rèrent à cette occasion de l ’ Égliseofficielle,défendirent,
la collection M ansi, on trouvera ces pièces, au m oins eux aussi, la doctrine catholique com m e apparte ­
ι -n traduction, dans la Perpétuité de la foi, édit. M igne, nant à l ’ ancienne foi. Le Scrijal (Loi) de N icon se
à la fin des t. i et u. B ornons-nous à signaler ici : la prononce, au contraire, pour la théorie orthodoxe. Les
profession de foi de Païsios Ligaridès, m étropolite fidèles, d'ailleurs, prenaient eux m êm es parti dans
de G aza, du 8 novem bre 1666, op. cit., t. i, col. 1211, le débat et tenaient pour les coutum es établies dans
1212; celle du synode de C hypre (avril 1668), ibid., les églises de M oscou et de K iev : inclination de tête,
col. 1241; celles du patriarche grec d ’ A ntioche, bénédiction, adoration, sonnerie des cloches, au
M acairc, du 20 octobre 1671, t. n, col. 1236, et de son m om ent des paroles de Jésus-Christ considérées
successeur N éophyte, du 3 m ai 1673. Ibid., col. 1249. com m e consécratoires. V oir L. B aurain, Noies de
2. Dans l’Église russe. — L ’ Église russe, qui théologie russe, dans la Revue auguslinienne, 1906,
aujourd ’ hui adm et la doctrine de la consécration t. ix, p. 85-89. « Les hom m es, les fem m es et les
par l ’ épiclèse, ne s ’ y est rangée qu ’ à une époque enfants, dit un chroniqueur, partout, n'im porte ou,
relativem ent récente et non sans de vives discus ­ dans les dîners, dans les cérém onies, à tem ps et à
sions. La m étropole de K iev, la m ère de toutes les contretem ps, discutaient sur le m ystère des m ys ­
Églises russes, a professé jusqu ’ au xvni 0 siècle la tères..., com m ent sont transform és le pain el le vin-
croyance catholique et enseigné que les paroles de à quel m om ent et par quelles paroles. » M ilukof,
l'institution constituent la véritable form e de l ’ eucha ­ Olcherki po istorii rousskoï koulloury, II e partie,
ristie. C ette assertion repose sur de nom breuses at- p. 165. Cf. Troudy (Travaux) de Γ A cadém ie ecclé­
: '-stations des livres liturgiques, des divers traités siastique de K iev, 1908, p. 11-13.
dogm atiques ou polém iques, des catéchism es et Ce qui contribua à augm enter l ’ acuité de la que ­
autres docum ents de ce genre jusqu ’ à l ’ époque in ­ relle, c ’ est que celle-ci n ’ était en réalité qu ’ un épi ­
diquée. sode de la lutte entre les deux civilisations qui alors
A ux conférences de Jassy (1642), il y eut de longues se disputaient la R ussie : la civilisation occidentale
•iiscussions entre K iéviens et G recs au sujet de et la civilisation byzantine. D ans l ’ espèce, les parti ­
l ’ épiclèse : les prem iers soutenant la doctrine catho- sans de la prem ière défendaient la doctrine catho ­
iique; les seconds, représentés surtout par le célèbre lique de la consécration, ceux delà seconde se ralliaient
théologien M élèce Syrigos, la théorie de C abasilas à la théorie de l ’ épiclèse qui tendait de plus en plus à
■ t de M arc d ’ Éphèse. « A la fin, pour ne pas com ­ dom iner dans l ’ Église byzantine. V oir G . M irkovitch,
prom ettre l ’ approbation du livre de M oghila qu ’ ils O vriemeni precychlcheslvlénia sv. darov (Du moment
•liaient expédier au patriarcat œ cum énique, les de la consécration des oblations saintes), V ilna, 1886,
R usses firent sem blant d ’ adm ettre les argum ents de qui a bien m ontré cet aspect spécial de l ’ antagonism e
leurs adversaires. » J. Pargoire, Mélélios Syrigos, entre les deux écoles.
ai vie et ses œuvres, dans les Échos d’Orient, 1909, La controverse s ’ aviva lorsque, le 6 m ars 1685,
’ xn, p. 25. Ce livre, qui n ’ est autre que la Confes- arrivèrent à M oscou deux m oines grecs, les deux
sion de Pierre Moghila, contenait la doctrine catho- frères Likhoudès, Joannice et Sophrone, envoyés
i que de consécration. C ’ est M élèce Syrigos qui, dans com m e professeurs par D osithée de Jérusalem , sur
traduction grecque qu ’ il en fit, m odifia ce passage la dem ande du patriarche m oscovite Joachim . Les
dans le sens de l ’ opinion contraire. M oghila et les seuls titres de quelques-uns des ouvrages d ’ attaque et
K iéviens n ’ en continuèrent pas m oins à croire et de riposte donneront une idée de l ’ âpreté que prit alors
a enseigner que la consécration était opérée par la polém ique. Les Likhoudès, après avoir com m encé
Ps paroles de Jésus-Christ. La preuve en est, entre par fournir des arm es au m oine E uthym e qui déjà
autres, dans l ’ édition du Petit catéchisme de M oghila, bataillait contre M edviédev, lancèrent l ’ AA'os ou
parue en 1645; dans un ouvrage d ’ innocent G hisel, cure opposée à la morsure des serpents venimeux. Ils
son disciple, intitulé : Miri ce Bogom tchéloviékon s ’ attirèrent la réponse intitulée : Moyen sommaire de
La paix del 'homme avec Dieu), K iev. 1644. p. 114-120; faire cesser l’aboiement furieux contre la sainte Église
ians le Vyklad de l ’ higoum ène Théodose Sapho- orientale. Les deux G recs ripostèrent par la Démons
vsvitch, 1667-1668, etc. Plusieurs des livres tralion de la vérité ou réponse au furieux aboiement et
i.turgiques, édités par M oghila, m ettent plei­ par le Dialogue d'un professeur grec avec un jésuite
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sur les divergences qui existent entre l’Église orientale pape C lém ent V I (1342-1352) attester officiellem ent
et l’Église occidentale. La 2° édition de ce dernier ou ­ la croyance des A rm éniens sur ce point. A joutons
vrage porte encore un titre batailleur : Glaive spiri­ ici quelques indications supplém entaires.
tuel pour la défense de la sainte Église orientale du Le concile de Sis, en C ilicie (1344-1345?), pour
Christ contre les contradictions et les entêtements de répondre à l ’ accusation portée contre les A rm éniens
Γ Église occidentale. à ce sujet, fait cette déclaration form elle : « Tous les
Le patriarche Joachim (1674-1691), d ’ abord favo ­ A rm éniens sans exception croient et pensent que le
rable à la doctrine catholique, puis hésitant, se lais ­ pain et le vin sont véritablem ent changés au corps
sa finalem ent gagner par les Likhoudès. A près avoir et au sang du C hrist par les paroles du C hrist. Les
sollicité et obtenu du patriarche de C onstantinople A rm éniens ne croient pas que la consécration ait
D enys ÏV, une déclaration patriarcale et synodale lieu au m om ent de l ’ épiclése; ils savent qu ’ elle a déjà
que la doctrine de la consécration par l ’ épiclése était eu lieu. » M ansi, t. xxv, col. 1242-1243. Cf. H efele,
la seule vraie et devait, par conséquent, être tenue Hist, des conciles, trad. D elarc, t. ix, p. 556; voir les
par l ’ Église russe (1689-1690), Joachim condam na, accusations auxquelles cette déclaration répond,
dans un synode tenu à M oscou (1690), les parti ­ dans D enzinger-B annw art, Enchiridion, n. 544 (1820-
sans des doctrines « latinisantes ». Son successeur 1821).
A drien, bien qu ’ il eût lui-m êm e auparavant professé Parm i les pièces recueillies par les auteurs de la
la croyance ainsi anathém atisée, ratifia cette con ­ Perpétuité de la foi, au xvn' siècle, se trouvent plu ­
dam nation. A la faveur des troubles politiques sieurs attestations de patriarches, évêques ou prêtres
qui régnaient alors en R ussie, on ajouta à ces m esures arm éniens, attestations données à R om e, à A Icp,
des m oyens violents de répression, la querelle se ter ­ au C aire, en 1668 et 1671, qui, tout en visant direc ­
m ina par le triom phe de la théorie byzantine. E lle tem ent l ’ affirm ation de la croyance à la transsubstan ­
avait coûté la vie à M edviédev (1691), la liberté tiation, tém oignent incidem m ent de la croyance
à Pierre A rtém iev et à G abriel D om etchki, tous trois des signataires à la doctrine catholique sur la form e
défenseurs de la doctrine proscrite. A drien inséra une de l ’ eucharistie. Op. cil., t. i, col. 1229-1230, 1234-
form ule de la croyance grecque dans l'office de l ’ or ­ 1235; t. n, col. 1271.
thodoxie et dans le serm ent im posé aux évêques le Enfin, dans la seconde m oitié du x v i ii · siècle, un
jour de leur sacre. « L ’ Église catholique orthodoxe, patriarche arm énien grégorien de C onstantinople,
est-il dit dans ce serm ent, croit et enseigne que la Jacques de N alian, enseignait encore la m êm e doc ­
transsubstantiation du corps et du sang du C hrist trine dans un catéchism e à l'usage des fidèles et dans
s ’ accom plit dans la divine liturgie par la descente et plusieurs autres écrits. A vedichian, op. cit., p. 345,
l ’ opération du Saint-Esprit, au m oyen de l ’ épiclése 358.
faite par l ’ évêque ou le prêtre dans sa prière à D ieu O n trouve égalem ent dans la Perpétuité de la foi des
le Père, pour qu’il /asse ce pain..., etc. » Jastrebov, attestations très explicites dans le m êm e sens · du
Leçon de théologie dogmatique sur l’eucharistie, dans patriarche des Syriens, à A lep, en date du 29 fé ­
les Troudy (T ravaux) de l ’ A cadém ie ecclésiastique vrier 1668, 1.1, col. 1235 ; des Syriens de D am as, t. n,
de K iev, janvier 1908, p. 10 sq. Cf. H oppe, op. cit., col. 1259; du patriarche des C optes, ibid., col. 1265;
p. 7, note 18. des M aronites d ’ A ntioche, le 12 juin 1673, ibid.,
A K iev, on persista quelque tem ps encore à en ­ col. 1229.
seigner la doctrine catholique à laquelle cette m étro ­ C ependant, des tentatives furent faites à plusieurs
pole était toujours restée attachée; le m étropolite reprises pour inculquer aux M elkites l ’ erreur byzan ­
G édéon T chtvertinskii la professait encore en 1701, tine. A u com m encem ent du xvin e siècle, l ’ erreur se
Schliapkine, Sv. Dimitrii Rostovskii i f go,vrémiafS.Di­ propagea assez pour qu ’ un prélat m elkite, Photius
mitri de Rostov et son temps), Saint-Pétersbourg, 1891, H abdclnour, évêque d ’ H églon et de Ptolém aïs, al ­
p. 224, note 1; m ais on en vint peu à peu, sous lât jusqu'à lancer l ’ anathèm e contre ceux qui attri ­
la pression officielle, à adopter là aussi la croyance bueraient aux paroles du Sauveur l ’ efficacité consé-
opposée. V oir C ieplak, De momento quo transsubstan- cratoirc (1716). Petrus B enedictus, Antirrhelicon
tialio in augustissimo missæ sacrificio peragitur, alterum, c. iv, dans Opera S. Ephræm syriaca, V enise,
Saint-Pétersbourg, 1901, p. 14-18, où l ’ on trouvera 1755-1756, à la fin du t. n, p. 20. C ette pénétration
des références aux principaux ouvrages russes trai ­ et cette diffusion de l ’ erreur fut arrêtée par le décret
tant de cette histoire. O n peut voir, d ’ ailleurs, dans de la Propagande, du 8 juillet 1729, approuvé par
la Perpétuité de la foi, édit. M igne, t. i, col. 1189, B enoît X III et que nous avons signalé au début de
1226, 1227, d ’ intéressantes professions de foi faites cet article.
par des R usses contre les protestants, en 1667 et M oins d ’ un siècle plus tard, l ’ erreur reparaissait
1668. La doctrine de l ’ efficacité consécratoire des en Syrie par les écrits de G erm anos A dam (f 1809),
paroles du C hrist y est affirm ée incidem m ent, m ais archevêque m elkite d ’ A lep. E lle se répandit à ce point
avec clarté. et divisa tellem ent les esprits, qu ’ il s ’ ensuivit un
Ces faits ont une portée théologique et apologé ­ schism e tem poraire. A A lep surtout, on vit se renou ­
tique qui n ’ est pas à dédaigner. Ils ont l ’ avantage veler jusque parm i les fidèles les discussions qui
d ’ accuser nettem ent la persistance de l'enseigne ­ s ’ étaient jadis produites à K iev et à M oscou. La
m ent traditionnel, et sa puissance de persuasion m ort de G erm anos A dam ne m it pas fin à ces divi ­
pour des esprits dégagés de l ’ influence byzantine. sions. Le 6 m ars 1812, la Propagande envoya en
3. Dans les autres Églises orientales. — C ’ est à cette O rient une instruction où elle exposait la doctrine de
m êm e influence qu ’ est due la pénétration plus on l ’ Église et où l ’ excom m unication était lancée contre
m oins com plète de la théorie de l ’ épiclése dans les ceux qui oseraient soutenir la doctrine opposée.
autres Églises orientales. Les A rm éniens grégoriens Enfin, le 8 m ai 1822, Pie V II défendit aux A lépins
ou non unis adoptent de nos jours l ’ opinion grecque. et à tous les catholiques orientaux de discuter cette
M ais il n ’ en a pas toujours été ainsi, et cette adop ­ question, sous peine de suspense pour les évêques
tion paraît m êm e être chez eux de date assez récente. et les prêtres, d ’ excom m unication pour les laïques,
N ous avons déjà entendu C hosrov le G rand, au encourues ipso facto. C haron, L ’Église grecque mel­
x« siècle. N ersès de Lam pron. au xn". G régoire kite catholique, dans les Écbos d’Orient, 1902, t. v,
de T ahtev. au xiv ‘ , se prononcer pour les paroles p. 340-341; 1903, t. vi, p. 300 sq. O n trouvera les
de l ’ institution, com m e form e de l ’ eucharistie, et le docum ents rom ains dans la Collectio lacensis, t. n f
265 É P IC L ÉS E E U C H A R IS T IQ U E 266

col. 439-440, 451. Cf. pour le reserit de 1729, M ansi- c. xix, De ordine missæ, P.L., t. cxn, col. 1182-1183;
Petit, t. xxxvii, col. 121 sq. A m alaircC f vers 850), De eccles. officiis, 1. Ill, c. xxiv,
Le concile m elkitc tenu à A ïn-Traz, en décem bre P. L., t. cv, col. 1140-1142 ; le concile de Q uiercy (858),
1835, can. 8, n. 8, a proclam é de nouveau la doc ­ Epist. episcoporum ad Ludov. regem German., c. xv,
trine catholique. Collectio Incensis, t. π, col. 584. Le M ansi, t. xvm b, col. 119; R atram ne de Corbie
concile du M ont L iban, de 1736, avait déjà très net ­ (f après 868), Liber de corpore ac sanguine Domini,
tem ent affirm é la croyance des M aronites, part. II, c. ix-x, xvii, X L- x l i i , P. L., t. cxxi, col. 131, 135,
c. xii, n. 8, 9, et concilié le fait de l ’ épiclèse avec l ’ effi­ 144-145; R em i d ’ A uxerre(j- 908), Expos, missæ, P. L.,
cacité des paroles du C hrist. Ibid., col. 196-197. t. ci, col. 1260; In I Cor.,c. χι,Ρ. L., t. cxvn, col. 572-
Q uant aux R uthènes, ils n'ont eu qu ’ à conserver 573.
la doctrine qui, nous l ’ avons vu, est restée généra ­ M ais les attestations les plus intéressantes et les
lem ent professée en R uthénie, m êm e par les ortho ­ plus précises sont celles de Florus de Lyon (f 859) et
doxes, jusqu ’ à la fin du x v i ii ’ siècle. Leur foi est de Paschase R adbert (f 865). Chez ces deux auteurs,
attestée par leurs conciles de 1720, tit. ni, n. 3, Col­ l ’ efficacité consécratoire des paroles de l ’ institution
lectio lacensis, t. n, col. 30, de 1838 et de 1891. et tout ensem ble la vertu transsubstantiatrice du
E n définitive, ce qui ressort de cet exposé histo ­ Saint-E sprit sont l ’ objet d ’ un enseignem ent arrêté
rique concernant la doctrine orientale au sujet de la et très précis, répété avec insistance en m aintes
consécration depuis saint Jean D am ascène, c ’ est, occasions. Il faudrait citer d ’ eux des pages en ­
croyons-nous, la continuité de la véritable tradition tières.
patristique et catholique, en dépit de la déviation que Paschase R adbert écrit : Vera utique Christi caro,
le docteur de D am as lui a fait subir pour son com pte quæ crucifixa est et sepulta, vere illius carnis sacra­
et pour celui des théologiens byzantins qui l ’ ont suivi mentum, quod per sacerdotem super altare in v e r b o
aveuglém ent. Q uel que soit le nom bre de ces der ­ CHRISTI PER SPIRITUM SA NCTUM DI VINITUS CONSECRA TUR l
niers, ils dem eurent, en som m e, des isolés au m ilieu unde ipse Dominus clamat : h o c e s t c o r p u s m e u m .
des autres O rientaux, Syriens, A rm éniens, C optes De corp, el sang. Dom., iv, 3, P. L., t. cxx, coi. 1279.
ou R usses, qui ont conservé la tradition catholique E t encore : Vere credere et indubitanter scire debemus
aussi longtem ps qu'ils ont su garder leur indépen ­ intra catholicam Ecclesiam, ubi catholica fide hoc my­
dance par rapport à l ’ Église du Phanar. O r, il est clair sterium celebratur, nihil a bono majus, nihilque a malo
que celle-ci, à partir de N icolas C abasilas et de M arc minus percipi sacerdote, nihilque aljud quam caro
d ’ Éphèse, n ’ a fait que fausser plus encore, par son Christi et sanguis, dum catholice consecratur, quia
parti pris anticatholique, la direction, déjà incon­ non in merito consecrantis, sed in v e r b o e f f i ­
sciem m ent erronée, im prim ée sur ce point à la théo ­ c it u r CREATORIS ET VIRTUTE SPIRITUS SANCTI, COTO
logie byzantine par saint Jean D am ascène. L ’ argu ­ Christi et sanguis, non alia quam quæ de Spiritu
m ent qui se dégage de ce fait nous paraît suffisant Sancto creata est, vere fide credatur et spiritali inlelli-
pour convaincre tout esprit sincère. gentia degustetur. Si enim in merito esset sacerdotis,
m. l 'e n s e ig n e m e n t e c c l é s ia s t iq u e e n o c c id e n t non ad Christum pertineret·, nunc autem sicut ipse est
d e p u is l e VIH· s iè c l e . — 1° Uniformité de la doc­ qui baptizat, ita IPSE EST QUI PER SPIRITUM SANCTUM HANC
trine traditionnelle jusqu’au rvz ’ siècle. — Isolée s u a m e f f ic it c a r n e m et transfundit vinum in sangui­
m êm e en O rient, au sens que nous venons de dire, la nem. Quis enim alius in utero creare potuerit, ut Verbum
théorie byzantine de l ’ épiclèse n ’ a point eu d ’ in ­ caro fieret? Sic itaque in hoc mysterio credendum est
fluence en O ccident jusqu ’ au xvi° siècle. C ’ est seule ­ quod EADEM VIRTUTE SPIRITUS SANCTI PER VERBUM
m ent à partir de cette époque que quelques théolo ­ c u r is t i caro ipsius et sanguis efficiatur invisibili ope­
giens latins ont soutenu, relativem ent à l'efficacité de ratione. Unde et sacerdos : Jube hæc perferri per
l ’ épiclèse pour la consécration, une opinion se rap ­ manu.-, angeli tui in sublime altare tuum in conspectu
prochant plus ou m oins de la doctrine grecque. divinee majestatis tuie; ut quid perferri illuc ea depos­
N ous avons suivi la tradition occidentale jusqu ’ au cit, nisi ut intelligalur quod in ejus sacerdotis ista
vm ’ siècle, et nous avons constaté que si la croyance fiant ... Prius autem quam corpus consecratione fiat,
à l ’ efficacité consécratoire des paroles du Sauveur y oblatio sacerdotis est, sicut ipse confitetur, vel cunctie
était générale, la croyance à l ’ intervention du Saint- familiæ offerentis eam : sed in v e r b o e t v ir t u t e
E sprit dans l ’ acte transsubstantiateur n ’ en était s p ir it u s s a n c t i nova fit creatura in corpore crea­
pas, pour autant, proscrite. La vertu invisible de toris ad noslræ reparationis salutem, xn, 1, ibid.,
l ’ E sprit-Saint opère le sacrem ent de l ’ autel : c ’ est au col. 1311-1312. Le c. xv est intitulé : Quibus
prononcé des paroles du C hrist que s ’ accom plit le verbis hoc mysterium conficitur, et Paschase y consacre
m ystère : telles sont les deux propositions que nous deux grandes pages à traiter ce sujet ex professo.
avons retrouvées à travers une longue série de tém oi ­ R ctenons-en seulem ent quelques phrases, qui achè ­
gnages divers. Il serait facile de suivre les traces de veront de m ontrer com bien est ferm e et précise
cette double donnée dans la littérature eucharistique sa doctrine sur la form e de l ’ eucharistie ct l'instant
du m oyen âge, laquelle d ’ ailleurs est, on le sait, es ­ de la transsubstantiation, en dépit de la part qu ’ il
sentiellem ent traditionnaliste et patristique. fait à l ’ intervention de l ’ E sprit-Saint exprim ée par
A la fin du vm ’ siècle, A lcuin, Disp, puerorum, l ’ épiclèse. Hoc sacramentum non meritis, non verbis
c. x, De missa, P. L., t. ci, col. 1135-1136; Liber humanis, sed procul dubio divinis efficitur et conse­
sacramentorum, col. 449, et les Livres carolins, 1. Il, cratur mandatis... Proplerea veniendum est ad verba
c. xxvii, P. L., t. xcvin, col. 1093-1095, attestent Christi et credendum quod in ejusdem verbis ista confi­
L transm ission de ce legs doctrinal. ciuntur. Reliqua vero omnia quæ sacerdos dicit aut clerus
A u ix ’ siècle, les tém oignages abondent, avec canit, nihil aliud quam laudes et gratiarum actiones
saint Paschase R adbert ct toute la pléiade de ses con ­ sunt, aut certe obsecrationes fidelium, postulationes,
tem porains : Théodulphe d ’ O rléans (821), Liber de petitiones. Verba autem Christi, sicut divina sunt, ut
ordine baptismi, P. L., t. cv, col. 239-240; A gobard nihil aliud proveniat quam quod jubent, quia ælerna
de Lyon (f 840), De privilegio ct jure sacerdotii, P. L., sunt. Puis, il rappelle ces paroles du C hrist telles
t. erv, col. 142-143; Liber contra Amalar., § 13, ibid., qu ’ elles sont au canon de la m esse, en rem arquant
eol. 347; le pape saint N icolas I er , dans sa réponse qu ’ elles n ’ ont pas seulem ent une valeur narrative,
5 /em pereur M ichel, en 860, P. L., t. exix, col. 778; m ais qu ’ elles possèdent aussi une valeur efficiente.
R aban M aur (776-856), Liber de sacris ordinibus, Scd ne forte putares quod de illo uno tantum pane
267 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 268

el in illa una hora (c ’ est-à-dire au cénacle) hoc eum ' col. 1087; dans le concile d ’ A rras de 10?5, n,De corp,
esse jusserit, secutus adjungens ait : Hoc facile in et sang. Domini, P. L., t. c x l i ii , col. 1278.
meam commemorationem. Unde /alendum quod quid­ A u xi c siècle, l ’ hérésie de B érenger provoque des
quid tunc illud fuit quod apostoli ab eo perceperunt, professions de foi très explicites où la doctrine de l ’ effi­
hoc totum est, quia id ipsum est; et si velis audire quid cacité consécratoire des paroles du C hrist et de l ’ in ­
est, Hoc est, inquit, corpus meum, xv, 1-3, ibid., tervention eucharistique du Saint-E sprit ne m anque
col. 1321-1324. pas d ’ être exprim ée. A dalbéron ou A scelin, évêque
Florus de Lyon fait preuve d'une doctrine égalem ent de Laon (f 1030), écrit à l ’ hérésiarque :... panem et
précise dans son traité liturgico-théologique de la vinum in altari Spiritus Sancti virtute per sacerdotis
m esse. E tson tém oignage, ainsi que celui de Paschase, ministerium verum corpus verumque sanguinem Christi
a d ’ autant plus de valeur qu'on peut le considérer effici. Epist., n, ad Berengar., citée par R enaudot,
com m e la résuit ante définitive de toutes les données tra ­ Lilurg. oriental., t. i, p. 330. U ne lettre d ’ Eusèbc
ditionnelles. Il com m ence par donner à l ’ ensem ble du B runon, évêque d ’ A ngers (t 1088), et une autre d ’ A del-
canon le nom d ’ oraison de consécration : Post has m annus de B rescia (vers 1061) au m êm e personnage
laudes et gratiarum actiones pro tanta gratia redemp­ reconnaissent aux paroles du C hrist répétées par le
tionis nostræ, quæ in illo divino mysterio agitur el prêtre toute la vertu de la transsubstantiation. P. I..,
commendatur, jacto totius ecclesiæ silentio, in quo t. cxLviii, col. 1203; t. c x l ii i , col. 1292. M êm e affir ­
cessante omni strepitu verborum, sola ad Deum diri­ m ation dans G uitm ond d ’ A versa (j- 1089), De corp,
gatur intentio et devotio cordium, sociatis sibi omnium el sang. Domini, P. L., t. c x l ix , col. 1480-1481 ; tandis
votis et desideriis, incipit sacerdos o r a t io n e m f u n d e r e que D urand de Troarn (γ 1088) y joint l ’ attestation
QUA IPSUM MYSTERIUM DOMINICI CORPORIS ET SANGUI­ de l ’ opération du Saint-E sprit : invisibiliter operante
NIS CONSECRATUR. ExpOS. Illissæ, LXII, P. L., t. CXIX, Spiritu Sancto..., incomprehensibili Sancti Spiritus
col. 43. .M ais ce n'est point à dire que l ’ idée d ’ un m o ­ opificio, verbis quoque mysticis sanctum Domini cor­
m ent précis de la transsubstantiation au cours de cette pus ac verus sanguis efficitur, P. I.., t. c x l ix , col.
longue prière soit étrangère à son esprit. C et instant 1379-1381. Le concile rom ain de 1079 em ploie des
est pour lui, com m e pour Paschase, celui où le prêtre expressions analogues : panem et vinum per sacræ
prononce les paroles du Sauveur. Toutefois l ’ inter ­ orationis verba el sacerdotis consecrationem, Spiritu
vention du Saint-E sprit n ’ est pas exclue; le com m en ­ Sancto invisibiliter operante, converti substantialiter
tateur la m et très nettem ent en relief dans son expli­ in corpus dominicum. D e m êm e le serm ent im posé à
cation des oraisons qui précèdent'le récit de la cène B érenger est ainsi conçu : Ego Berengarius corde credo
et de ce récit lui-m êm e. UH accepta habeas et bene­ et ore confiteor panem et vinum quæ ponuntur in altari
dicas, ac si suppliciter dicant : Petimus uthæc s p ir it u per mysterium sacræ orationis et verba nostri redemp­
ΤΠΟ SANCTIFICES ATQUE OHE TUO BENEDICAS..., XLIV, toris substantialiter converti... P. L., t. c x l v ii i , col.
ibid., col. 44. Quam oblationem tu, Deus, in omnibus... 809, 811.
Oratur omnipotens ut oblationem suis sacris altaribus C ’ est à la m êm e époque que le cardinal H um bert
impositam et tantis precibus commendatam IPSE PER dit encore, com m e plusieurs Pères anciens, que le pain
v ir t u t e m d e s c e n d e n t is s p ir it u s ita legitimam et « est fait, par l ’ invocation fidèle de la T rinité, le corps
perfectam eucharistiam efficiat, ut in omnibus sit du C hrist. » Adv. Græcorum calumnias, xxx, P. L.,
adscripla... Sit quoque e j u s d e m s p ir it u s s a n c t i o p e ­ t. c x l ii i , col. 950. Saint Fulbert de C hartres (f 1028)
r a n t e v ir t u t e rationabilis... ut... divinie benedictionis reprend la com paraison classique avec l ’ incarnation :
ineffabili potentia efficiatur corpus et sanguis uni­ Et illud de Virgine assumptum, et istud de materiali
geniti Filii Dei... Qui pridie quam pateretur, accepit et virginali creatura consecratum, unus idemque artifex
panem, etc., usque ad Hiec quotiescumque feceritis, in Spiritus invisibili operatione in substantiam veræ
mei memoriam facietis... in uis v e r b is , s in e q u ib u s carnis transfundit... Non inanis mysterii symbolum,
n u l l a l in g u a , n u l l a r e g io , n u l l a c iv it a s , id e s t sed compaginante Spiritu Sancto corpus Christi verum.
NULLA PARS ECCLESt.E CATHOLIC.E CONFICERE POTEST, Epist., i, P. L., t. c x l i , col. 202. Cf. O rsi, op. cit.,
ID EST CONSECRARE SACRAMENTUM CORPORIS ET SAN­ p. 44 sq.
GUINIS DOMINI, ipse Dominus tradidit apostolis, unde N ous pourrions arrêter là cette chaîne de tém oi ­
universalis Ecclesia jugem memoriam sui redemptoris gnages. Il sera utile cependant d ’ y ajouter encore
celebret, et apostoli generaliter omni Ecclesiæ. c b r is t i quelques anneaux, qui perm ettront de raccorder
ERGO VIRTUTE ET VERBIS SEMPER CONSECRATUR ET plus facilem ent entre elles les données théologiques
c o n s e c r a b it u r . Illius sermo est qui cælestia sacra ­ et les données liturgiques de la tradition concernant
menta sanctificat. Ille in suis sacerdotibus quotidie la consécration et l ’ épiclèse. Les textes que nous allons
loquitur. Illi /unguntur officio, ille majestate divinæ citer seront souvent une solution anticipée du pro ­
potestatis operatur... ip s e e x s p ir it u s p a r a c l it i v ir ­ blèm e épiclétique.
t u t e et cælesti benedictione sanctum corpus el san ­ A ce titre, deux extraits des œ uvres de saint Pierre
guinem suum esse perficit... Unde et Ecclesia ex tra­ D am ien (f 1072) m éritent une place à part. L ’ un m et
ditione his verbis consecrans mysterium sacri corporis vivem ent en relief l ’ action eucharistique du Saint-
et sanguinis Domini désignante; dicit Dominum dixisse E sprit : Porro de eo quod dicitur quoniam gratiam
apostolis : Accipite..., l ix - l x , ibid., col. 51-53. Si nous Sancti Spiritus indignus homo accipere nequeat, con­
ajoutons que Florus, après des déclarations aussi stat procul dubio quia corpus Domini, quod in sacris
expresses de son attachem ent à la croyance tradition ­ altaribus per sancti sacerdotis dedicatur officium, con­
nelle touchant la forme de l ’ eucharistie, ne laisse pas cepta Sancti Spiritus virtute, vivificatur et sanctifica ­
néanm oins de donner encore à l ’ oraison Supplices tur, id nos vivificare valeat et sanctificare. Sicut in ipsis
te rogamus les nom s d’oratio el oblatio sacra consecra­ venerandis missarum sacramentis dicitur : Per quem
tionis... in illa immolationis hora, l x v i , ibid., col. hiec omnia, Domine, semper bona creas, sanctificas,
58-60, nous aurons, croyons-nous, achevé de m ontrer vivificas, benedicis. Neque enim aliter vivificare posse
en Florus une preuve concrète que ces diverses affir ­ creditur nisi per Spiritum Sanctum, cum. testante Veri­
m ations, toutes traditionnelles d ’ ailleurs, sont fort tate (Joa., vi) Spiritus sit qui vivificat. Quiero ergo,
bien conciliables entre elles. cum sanctus sacerdos cieleste illud munus quod virtute
M êm es attestations dans le pseudo-AIcuin (X e - Spiritus Sancti vivificatum est et sancti ficatum atque,
X I e siècle), De divinis officiis, x l , P. L., t. ci. col. ut confidenter loquar, ejusdem divini Spiritus gratia
1256-1257, 1260, 1262-1263; Confessio fidei, IV. π, veraciter plenum, scelerato forte cuilibet porrigit, num-
269 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 276

quid propterea Spiritus Sanctus dominicum corpus i N otons aussi que c ’est à cette époque que re ­
deserit et tanquam squalorem sordidi vasis nauseatus m ontent les origines de l ’ élévation de l ’ hostie con ­
abscedit? Sed si ita est, quomodo verum est quod per sacrée. V oir É l é v a t io n , t. iv, col. 2319 sq. C ette céré ­
apostolum dicitur : quia indigne percipiens « judicium m onie a été instituée à l ’ occasion delà différence d ’ opi ­
sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus Domini *? nions sur le m om ent précis de la transsubstantiation.
I C or., xi, 29. Si enim, abscedente Spiritu, non illud D eux opinions se partageaient les esprits. Les uns
jam corpus Domini, sed simpliciter communis est panis, croyaient que la consécration du pain s ’ accom plit
non incidit in judicium qui nullum accipit sacramen­ au m om ent où le prêtre prononce sur lui les paroles
tum... Liber qui appellatur Gratissimus, c. ix, P. L., Hoc est corpus meum, et celle du vin aux paroles
t. c x l v , coi. 110. Hic est calix sanguinis mei. Les autres n ’ adm ettaient
Le second passage est em prunté au com m entaire la transsubstantiation com plète du pain et du vin
du canon de la m esse et accentue principalem ent qu ’ après la dernière form ule. La prem ière prévalut
l ’ efficacité consécratoire des paroles du C hrist, m ais et saint Thom as d ’ A quin m ontra peu après qu ’ elle
en soulignant d'une m anière très rem arquable le était postulée par la logique. In IV Sent., 1. IV,
rapport direct qu ’ ont avec la consécration toutes les dist. V III, q. n, a. 4 : Utrum forma expeclent se in
prières qui encadrent cette form ulé centrale. Cum operando.
ergo sacerdos illa Christi verba pronuntiat : Hoc esl Pour précise que fût alors la croyance à l ’ effica ­
corpus meum, Hic est sanguis meus, panis el vinum cité consécratoire des paroles du C hrist, la doctrine
in carnem cl sanguinem convellitur illa Verbi virtute de la vertu eucharistique du Saint-Esprit n ’ en con­
qua Verbum caro facium esl et habitavit in nobis, qua tinuait pas m oins à être aussi nettem ent professée.
dixit et facta sunt... Exposit. canonis missæ, n. 3, ibid., N ous avons une preuve très intéressante de ce fait
col. 881. dans le tém oignage très explicite d'une religieuse
La question du m om ent précis de la transsubstan ­ bénédictine, sainte H ildegarde (1098-1179). D ans le
tiation se pose si nettem ent à son esprit, que nous le prem ier et le principal de ses ouvrages, le Scivias,
voyons plus loin noter qu ’ elle a lieu seulem ent après écrit de 1141 à 1151, la grande m ystique, en décri ­
l'achèvem ent de la form ule énonçant le changem ent vant ses visions eucharistiques, m et très vivem ent
pour chacune des deux espèces : Hoc est corpus meum... en parallèle la transsubstantiation avec l ’ incarnation.
Quando profertur pronomen, nondum est transsub- D ans l ’ un et l ’ autre m ystère, le Saint-Esprit inter ­
stanliatio. Ibid., η. 7. col. 883. Si le m ystère est ainsi vient... Ego Paler carnem et sanguinem Filii m i
pleinem ent accom pli, pourquoi y a-t-il encore, dans p e r s a n c t if ic a t io n e m s p ir it u s s a n c t i in oblatione
la suite du canon, des form ules ou des rites à signi ­ 1 nunc glorifico... Le term e invocatio (épiclèse) revient
fication consécratoire? L a réponse de saint Pierre ί fréquem m ent. Scivias, 1. II, visio vi, η. 1, 5, 11-13,
D am ien est digne d ’ attirer l ’ attention des lilurgistes 14-15, 36, P. L., t. cxcvn, col. 514-516, 529-530. Cf.
et des théologiens. Talia sunt quædam subjuncta in H oppe, op. cit., p. 192-197.
canone, quie videntur innuere quod nondum sil conse­ N ous n'avons pas à traiter ici des discussions qui
cratio consummata... Hoc capitulum .·« Qui pridie quam s ’ élevèrent entre scolastiques au sujet de la form e de
pateretur » in fine canonis subjici debuisset, quoniam l ’ eucharistie. N otons seulem ent quelques textes
in eo consecratio consummatur; sed quoniam impedis­ curieux qui se rattachent au point de vue que nous
se! ordinem historice, q u a s i q u a d a m n e c e s s it a t e étudions.
c o m p u l s u s (sous-entendu : auctor canonis), c a p it u l u m Pierre Lom bard (j- 1161) établit clairem ent le
ILLUD QUASI COR CANONIS ITA IN MEDIO COLLOCAVIT, départ entre la form ule consécratoire, constituée
UT QUÆ SEQUUNTUR INTERLIGANTUR PR.ECEDERE,SCCUn- par les paroles de l ’ institution, et le reste des prières
dum illam figuram quæ sæpe fil, ut quæ ratione suc­ du canon :... reliqua ad laudem Dei dicuntui. Sent.,
cedunt, intellectu præcedanl. Ibid., η. 9, col. 885. 1. IV, dist. V III, 3, P. L., t. cxcn, col. 856. Cela ne
A ppliquez spécialem ent ce principe à l ’ épiclése, et l ’ em pêche pas de rapporter à la consécration l ’ oraison
vous avez la solution du problèm e fournie par saint Supplices te rogamus qui suit, et en des term es qui
Pierre D am ien, après qu ’ il en a successivem ent font tout naturellem ent songer à l ’ épiclése : Missa
présenté toutes les données. enim dicitur eo quod CÆLESTIS n u n t iu s (angelus) AD
Les deux principales de ces données, attribution CONSECRANDUM VIVIFICUM CORPUS ADVENIAT, juxta
du m ystère eucharistique aux paroles du C hrist et dictum sacerdotis : Omnipotens Deus, jube hac perferri
à la vertu du Saint-E sprit, se rencontrent,le plus sou ­ per manus sancti angeli tui in sublime altare tuum.
vent sim ultaném ent, chez les écrivains des siècles Ibid., dist. X III, 1, coi. 868.
suivants. Signalons O don de C am brai (-j- 1113), Saint Thom as d ’ A quin (f 1274) signale plusieurs
Exposit. canon, missæ, P. L., t. c l x , col. 1063; B runo fois la doctrine de l'intervention eucharistique du
d ’ A sli (ÿ 1123), In Matthæum, part. IV, c. xxvi, Saint-Esprit, à l ’ occasion d ’ un texte de saint Jean
j 104, P. I.., t. c l x v , col. 290-291 ; Sent., 1. IV , c. ix, D am ascène. C elui-ci vient en objection contre la
ibid., col. 1005-1007; H onorius d ’ A utun (f 1120), thèse, déjà préalablem ent établie, que les paroles du
Gemma animæ, 1. I, c. l u , P. L., t. C Lxxn, col. 559- C hrist constituent la form e du sacrem ent. Videtur
560; Eiicharistion, c. vi, col. 1253; É tienne d ’ A utun quod verbis prædiclis non insit aliqua vis creata ad
(ÿ 1139), Tract, de sacram, allaris, c. xin, P. L., transsubslantiationem faciendam. Damascenus enim
■ . c l x x ii , col. 1292-1293; H ildebert, évêque du M ans, dicit, 1. IV , De fide orthodoxa, c. xni, quod sola virtute
nuis archevêque de Tours (f 1133), De mysterio missæ, Spiritus Sancti fit conversio panis in corpus Christi.
P. L., t. ci.xxr, col, 1186-1187: Exposit. missæ, col. Sed virtus Spiritus Sancti non est virtus creata. Ergo
1164 1165; A lger de Liège (f vers 1132 ou 1135), nulla virtus creata inesl his verbis, per quam fiat
De sacram, corp, et sang, dominici, 1. I, c. xiv, xvi, transsubstantiatio. A la difficulté ainsi posée voici
P. L.. t. CI.XXX, col. 781, 788; R upert de D eutz i com m ent répond le saint docteur : Dicendum quod
7 1135), In Joa., 1. V I. P. I.., t. c l x ix , col. 466; In dictio exclusion adjuncta principali agenti non exclu­
F. rod., n, 10, col. 617: IV, 7. col. 704; H ugues de Saint- dit agens instrumentale. Non enim sequitur : solus
V i. ior (7 1141), Speculum de myster. Eccl., c. vu, hic faber facit cultellum, ergo martellus nihil ad hoc
P. !... t. C Lxxvn, col. 370; Sicard de C rém one (-J- 1215), operatus est. Virtus enim instrumenti non est nisi quædam
Mitrale, I. III, c. vi, P. I.., t. ccxin, col. 128-130,134 ; redundantia virtutis agentis principalis; unde in toto
D urand de M ende (f 1296), nationale divin, offic., I actio non attribuitur instrumento sed principali agenti
1. IV, c. XLIV. secundum Philosophum. Et propter hoc, ex hoc quod
271 É P IG LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E 272

dicitur quod sola virtute Spiritus Sancti fit hujusmodi incidem m ent par le docteur angélique à cette propo ­
conversio, non excluditur virtus instrumentalis, quæ est sition dogm atique de la tradition, l'on se prend à
in verbis præmissis. In IV Sent., 1. IV , dist. V III, q. n, regretter vivem ent que le prince de la spéculation
a. 3, ad l um. En d ’ autres term es, c'est bien la vertu du théologique n ’ ait pas appliqué son génie au dévelop ­
Saint-Esprit qui accom plit la transsubstantiation, pem ent de cette donnée traditionnelle. Il n ’ aurait
m ais ccttc vertu divine agit par le m oyen des paroles pas m anqué de jeter une grande lum ière sur toute la
de l ’ institution que prononce le prêtre. V oir, dans le question.
m êm e sens, Sum. theol., III», q. L xxvni, a. 4, ad 1 “ ®. L a pensée de D uns Scot (f 1308) serait intéressante
U n autre article de la Som m e nous rem et en pré ­ à rapprocher de celle de saint Thom as. Le docteur
sence de la doctrine concernant l'opération du Saint- subtil tient pour essentiels, dans la consécration du
E sprit. Saint Thom as s ’ y pose cette question : Utrum pain, ces seuls m ots : Hoc est corpus meum., In IV
malus sacerdos eucharistiam consecrare possit ? A la Sent., 1. IV, dist. V III, q. n, n. 4; et, dans la consécra ­
deuxièm e objection, il cite encore saint Jean D am as ­ tion du vin, ces autres : Hic est calix sanguinis mei.
cène, De fide orthodoxa, 1. IV , c. xm : panis et vinum Ibid., η. 6-9. Toutefois, pour que les pronom s meum
per adventum Sancti Spiritus supernaturaliter transit et mei aient une signification exacte, et afin de bien
in corpus et sanguinem Domini; puis, sous le nom de m arquer que le prêtre parle in persona Christi, il
saint G régoire, Je texte de la lettre de saint G élase à croit nécessaires les paroles du canon qui précèdent :
Elpidius : Quomodo ad divini mysterii consecrationem Qui pridie quam pateretur..., ibid., η. 4, ou autres sem ­
cælestis Spiritus invocatus adveniet, si sacerdos, qui blables. Les paroles consécratriccs ne doivent pas
eum adesse deprecatur, criminosis plenus actionibus être prononcées quasi materialiter cl dicta a Christo,
reprobetur? Le Sed contra n ’ est autre qu ’ un passage c ’ est-à-dire seulem ent avec une signification histo ­
de saint Paschase R adbert attribué par erreur à saint rique et narrative, m ais bien tanquam opération
A ugustin : Scd contra est quod Augustinus (lisez : et activa, c ’ est-à-dire en tant que douées de l ’efficacité
Paschasius) dicit in Lib. de corp. Dom., c. xn, vid. c. consécratoire. Reportata, 1. IV, n. 8, 15. V oir D u n s
l x x v i i i , q. i : Inlra Ecclesiam catholicam in mysterio S c o t , t. iv, col. 1916. C om m e le nom de Scot sera
corporis et sanguinis Domini nihil a bono majus, nihil m is en avant par plusieurs tenants occidentaux de
a malo minus perficitur sacerdote, quia non in merito théories quelque peu analogues à l ’ opinion grecque
consecrantis sed in verbo perficitur creatoris et virtute de l ’ épiclèse, il n'était pas inutile de noter sa pensée
Spiritus Sancti. Le docteur angélique n ’ a point de véritable.
peine à tirer de ce texte une com plète réponse à la A joutons que, en relation avec l ’ idée que nous
question posée et aux objections soulevées. C itons venons de lui voir ém ettre au sujet de la nécessité du
seulem ent l ’ ad 2 um , qui nous fournira encore une for ­ Qui pridie, il faisait rem arquer l ’ étroite et intim e
m ule des plus suggestives... Dicendum quod ante illa connexion qui rattache les unes aux autres les orai ­
verba (les paroles citées de saint G élase) Gregorius sons du canon de la m esse : Unde non sine causa Ec­
papa (lisez : Gelasius) præmittil : sacrosancta religio, clesia ita connexit totum canonem missœ, quod ab illo
quæ catholicam continet disciplinam, tantam sibi loco c o m m u n ic a n t e s , usque ad illum locum post conse­
reverentiam vindicat, ut ad eam quilibet nisi pura con­ crationem : Supplices te rogamus, omnipotens Deus, non
scientia non audeat pervenire. Ex quo manifeste apparet est aliqua oratio quæ non necessario conncctalur cum
ejus intentionem esse quod peccator sacerdos non debeat præcedente. In IV Sent., loc. cit. U n peu plus loin,
ad hoc sacramentum accedere. Unde per hoc quod subdit : traitant au point de vue pratique la question de
quomodo cælestis Spiritus invocatus adveniet? intelligi savoir à quelle form ule le prêtre doit fixer son inten ­
oportet quod non advenit ex merito sacerdotis, sed e x tion, le docteur subtil s ’ exprim e en ces term es : Quad
VIRTUTE CHRISTI, CUJUS VERBA PROFERT SACERDOS- ergo consilium? Dico quod sacerdos intendens facere
Ibid., ad 2 om . V oir encore l ’ art. 6 de la m êm e question, quod facit Ecclesia, legens distincte verba canonis a
où saint Thom as transcrit un autre texte, attribue principio usque ad finem, vere conficit. Nec est tutum
à saint G régoire, concernant encore l ’ opération du alicui se reputare valde peritum de scientia sua et di­
Saint-E sprit. Dicit enim Gregorius in R egistr., D ecr., cere : Volo uti præcise istis verbis pro consecratione
Multi sæcularem, I, q. i : Heu, in quam magnum sanguinis ; sed securior est simplicitas : Volo ista verba
laqueum incidunt qui divina et occulta mysteria plus proferre sub ea intentione, sub qua Christus instituit ea
ab aliis sancti ficata posse fieri credunt : cum unus esse proferenda, ut quæ ex Christi institutione sunt
idemqae Spiritus Sanctus ea mysteria occulte atque de forma, dico ut de forma, et quæ ad reverentiam,
invisibiliter operando sanctificet I ad reverentiam. Sed quid si ante omnia verba prolata
Enfin, nous ne pouvons quitter le docteur angé ­ contingeret mori sacerdotem, numquid habendus esset
lique sans signaler la division qu'il donne des prières sanguis tanquam vere consecratus? Dico hic, sicut in
du canon, laquelle devra, en fin de com pte, nous ser ­ quodam casu superius præmisso, si quis sacerdos
vir de base théologique pour une explication de inciperet sic loqui : Hoc est corpus meum, non prædi-
l ’ épiclèse. Illa autem pars [m issæ] quæ perfectionem cens verba præmissa totaliter, quod omnibus talibus
sacramenti continet, in tres dividitur, secundum tria non est adorandum nisi sub conditione si vere conse­
quæ sunt de integritate hujus sacramenti : scilicet ali­ cratum est. Opera, Paris, 1891-1895, t. xvn, p. 51-52.
quid quod est sacramentum tantum; aliquid quod est C hristophe de C heffontaines, au xvi» siècle, se ré ­
res et sacramentum; aliquid quod est res tantum. In clam e de D uns Scot et de quelques autres scolas­
IV Sent., ÏV, dist. V III, q. i i , a. 4. E t le saint docteur tiques de m êm e opinion. V oir R ichard Sim on, Fides
fait ensuite l ’ application de cette triple division aux Ecclesiæ orientalis seu Gabrielis metropolitæ Philadel-
diverses orarons qui com posent le canon. phiensis opuscula, Paris, 1671, p. 169.
O n le voit, saint Thom as nous fournit tous les élé ­ Q uoi Qu ’ il en soit de ces discussions de détail, tous
m ents de solution pour la question de l ’ épiclèse. M ais les scolastiques sont unanim es à professer que les
cette question, dans les term es où elle se pose à notre paroles de l ’ institution, dites par le prêtre in persona
esprit, lui était inconnue. A ussi se contente-t-il de Christi, constituent la form e de l ’ eucharistie. E t en
signaler la doctrine patristique de la vertu eucha­ cela ils ne font que traduire en style de l ’ école l ’ ensei­
ristique du Saint-Esprit, d ’ affirm er sa conciliation gnem ent constant de la tradition, qui va d ’ ailleurs
avec l ’ efficacité des paroles du C hrist, sans insister être canonisé, par les conciles et les docum ents pon ­
davantage et sans chercher de plus am ples explica ­ tificaux.
tions. Q uand on lit les quelques lignes consacrées E st-ce à dire que l ’ on ait, pour autant, perdu-de
273 É P IC LÈ S E E U C H A R IS T IQ U E ‘2 74

vue la doctrine de l ’ intervention eucharistique du C heffontaines ou de Penfentenyou, suivant son nom


Saint-E sprit? N ullem ent. A u surplus, outre les dis ­ breton (souvent cité sous le nom latinisé de Chri
cussions de Florence, cette doctrine trouva, dans la stophorus a Capite fontium), d ’ abord m inistre général
controverse qui s ’ ouvrit, au xvi· siècle, avec les théo ­ de son ordre, puis archevêque titulaire de C ésarée et
logiens A m broise C atharin ct C hristophe de Chef- auxiliaire de Sens (*f 1595). L 'un et l'autre se firent
fontaines, pour se continuer au xvin· , une excellente rem arquer par la hardiesse de leurs opinions théolo ­
occasion de ne point se faire oublier. N ous résum erons giques, spécialem ent en ce qui a trait à la form e
tout à l ’ heure l ’ historique de ces controverses. B or ­ de l ’ eucharistie.
nons-nous présentem ent à signaler l'affirm ation de Tous deux prennent pour point de départ le récit
l ’opération du Saint-E sprit, avec références patris- évangélique de l'institution et la m anière dont le
tiques et liturgiques, dans Petau, Theol. dogmata, C hrist a consacré au cénacle. Q uand Jésus dit les
l.X II.c. xiv,n. 11; T hom assin,Dogmatatheologica,De paroles : « Ceci est m on corps, Ceci est m on sang, ·
incarn., 1. X , c. xxi, n. 12, 13; c. xxix, n. 9-16, Paris, la consécration, déclarent-ils, avait déjà été opérép
1868, t. iv, p. 398-399, 455-458; B ossuet, Explication par la bénédiction du Sauveur. D e cette assertion
de quelques difficultés sur les prières de la messe (Paris, ils concluent que ces m êm es paroles n ’ ont, au canon
1710), vi et x l v sq., Œuvres, Paris, t. iv, p. 448 sq., de la m esse, qu ’ une valeur narrative, bien qu ’ elles
475 sq. ; M artène, De antiq. Eccl. rit., 2° édit., A n ­ soient nécessaires à cause du com m andem ent qu ’ en
vers, 1736, t. i, col. 409-414; B enoît X IV , De missæ a donné le C hrist. La vraie form e du sacrem ent est,
sacrificio, 1. II, c. x, n. 20; c. xxm , n. 16, dans le à les en croire, l ’ invocation ou épiclèse. D ans la
Cursus theologiæ de M igne, t. xxm , col. 977, 1087. m esse latine, précisent-ils, cette épiclèse est l'oraison
N otons enfin que cette pensée n ’ est pas, com m e Quam oblationem qui précède le récit de la cène;
on pourrait le croire, absente de notre m issel rom ain dans la m esse grecque, c ’ est une des oraisons qui
actuel. O n la rencontre deux fois exprim ée dans les suivent ce récit. Fit ergo nobis corpus Christi, dit
Orationes ante missam distribuées entre les sept jours C atharin, propter orationem præmissam et ex vi pacti,
de la sem aine sous le titre général de Oratio sancti et sic defenditur mos Græcorum. H oppe, op. cit.,
Ambrosii episcopi. D ans celle du dim anche on lit : p. 8-9, note 20. C atharin défendit son opinion dans
Summe Sacerdos et vere Pontifex Jesu Christe..., el deux opuscules adressés par lui au concile de T rente
qui dedisti nobis carnem tuam ad manducandum et et intitulés ; Quibus verbis Christus eucharistia: sacra­
sanguinem tuum ad bibendum, et posuisti mysterium mentum confecerit, R om e, 1552. Q uant à C hristophe
istud in v ir t u t e s p ir it u s s a n c t i t u i . C elle du de C heffontaines, son sentim ent ne diffère de celui de
vendredi est certainem ent une ancienne form ule C atharin qu ’ en ce qu ’ il adm et de la part du C hrist
d ’ épiclèse. Elle com m ence par un Memento des consécrateur, non pas seulem ent une bénédiction in­
m orts; puis, elle continue en ces term es : Pelo cle­ terne, m ais encore un acte externe, sans autre pré ­
mentiam luam, Domine, ut descendat super panem tibi cision. Il a consacré à ce sujet plusieurs traités en
sacrificandum plenitudo tuæ benedictionis et sanctifi­ français et en latin : De la vertu des paroles par les­
catio tuæ divinitatis. Descendat etiam, Domine, il l a quelles se fait la consécration du S. Sacrement de l'au­
s a n c t i s p ir it u s t u i in v is ib il is in c o m p r e h e n s i b i ­ tel, Paris, 1585; Varii tractatus et disputationes de neces­
l is q u e m a j e s t a s , sicut quondam in patrum hostias saria correctione theologiæ scholasticæ, Paris, 1586;
descendebat, QUI e t o b l a t io n e s n o s t r a s c o r p u s e t De missæ Christi ordine cl ritu. Inscrits au catalogue
s a n g u in e m t u u m e f f ic ia t , ct me indignum sacerdotem de l'index par 1’Appendix Indicis Tridenlini (voir
doceat tantum tractare mysterium. Chose curieuse, on encore, par exem ple, l ’ édition rom aine de 1841,
retrouve presque m ot pour m ot cette épiclèse dans un p. 59, 300), les traités de ces deux auteurs en ont
Post pridie gallican auquel dom C abrol reconnaît un été récem m ent effacés. O n trouvera plus de détails
cachet très ancien, m ais que, sans doute sous l ’ in fluence sur leur opinion dans R ichard Sim on, Fides F.ccle-
d ’ une préoccupation théologique, A lcuin transform a siæ orientalis, p. 166-173; Le B run, op. cit., diss. X ,
en secrète dans son M issel hebdom adaire. Cf. dom a. 17, p. 229-241. V oir t. il, col. 2352-2353.
C agin, dans la Paléographie musicale, t. v, p. 82 sq. La controverse s'engagea, assez vive, au xvni·
O n trouverait sans doute facilem ent d ’ autres cas de siècle, à l ’ occasion de certaines éditions de patristique
ce genre, vestiges plus ou m oins précis de la liturgie ou de liturgie. Pour R cnaudot (f 1720), Liturgiarum
antique. orientalium collectio, Paris, 1715-1716, passim, dom
2° La controverse de l’épiclèse en Occident, à partir Touttée (t 1718), dans sa préface aux Œ uvres de
du XVIe siècle. — C ’ est cette considération de la litur ­ saint C yrille de Jérusalem , éditées en 1720 par les
gie et de l'enseignem ent traditionnel au sujet de la soins de dom M aran, diss. III, c. xu, n. 94-97, Le
vertu consécratoire du Saint-E sprit qui a am ené, B run (f 1729), Explication de la messe, Paris 1716-
a partir du xvi· siècle, quelques théologiens occiden ­ 1726, passim, et spécialem ent diss. X , a. 17, la
taux à soutenir, relativem ent à l'efficacité de form e de l ’ eucharistie est bien dans les paroles de
l ’ épiclèse pour la consécration, une opinion se rap ­ l ’ institution, qui sont cause efficiente; m ais leur effi­
prochant plus ou m oins de la doctrine grecque. cacité est conditionnée par l ’ épiclèse ou invocation.
< )rsi, op. cit., p. n, après avoir dit qu ’ il n ’ y a rien D ans la liturgie latine, la cause im pétratoire précède
d étonnant à ce que la haine du latinism e ait inspiré (c ’ est l ’ oraison Quam oblationem); c ’ est pourquoi,
aux chrétiens leur opinion exclusive, ajoute la judi- après les paroles du Sauveur, tout le m ystère est
ieuse rem arque suivante au sujet de ces théolo ­ term iné. D ans les liturgies orientales, la cause im pé ­
giens occidentaux : Illud potius mirandum quosdam tratoire suit (épiclèse qui vient après le récit de la
c nostris in Græcorum jam pene abiisse sententiam, cène); c ’ est pourquoi la cause efficiente attend, pour
■: explosam olim communibus nostratium theologorum agir, que l ’ épiclèse soit prononcée.
rotis doctrinam, conquisitis magno studio argumentis, D ès l ’ apparition du i ” vol. de l ’ ouvrage de l ’ ora-
probabilem tandem hac nostra velate ac verisimilem torien Le B run, en 1716, la discussion com m ença.
efficere studuisse. Les Mémoires de Trévoux le critiquent en 1717. Suit
C ’ est à l ’ époque du concile de T rente que la ques- la Lettre d’un curé du diocèse de Paris touchant le sacri­
ion fut débattue par le dom inicain A m broise C atha ­ fice de la messe, Paris, 1718. Puis Réflexions sur la
rin (de son vrai nom L ancelot Politi), évêque de lettre.... dans le Journal de Trévoux, 1718, p. 213-225;
M inori, puis archevêque de C onza dans le royaum e Lettre du P. Le Rrun touchant la part qu'ont les fidèles
de N aples (f 1553), et le franciscain C hristophe de à la célébration de la m esse, Paris, 1718. Q uelques an ­
■2Ί5 É P IC L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 276

nées après, le P. B ougeant, S. .1., publie sa Réfutation elèse. Katholische Dogmalik, Paderborn, 1893, t. ni,
de la dissertation du P. Le Brun sur la forme de la con­ p. 539 sq. O n sait que la Dogmatique de Schell a été
sécration. Paris, 1727. Il y défend le sentim ent com ­ m ise à l ’ Index.
m un, que la form e de l ’ eucharistie consiste dans les T out récem m ent, enfin, un autre théologien catho ­
seules paroles de Jésus-Christ. Le B run réplique par lique, R auschen, professeur à l ’ université de B onn,
la Défense de l’ancien sentiment sur la forme de la con­ a ém is l ’ opinion suivante : dans les liturgies orientales,
sécration de l’eucharistie, Paris, 1727 : il essaie d ’ y ou bien l ’ épiclèse doit disparaître, ou bien il faut dire
m ontrer, par la tradition patristique et surtout par que la consécration n ’ est achevée qu ’ après l ’ épiclèse.
les liturgies, que l ’ invocation du Saint-E sprit est R auschen, op. cit., 2 e édit., Fribourg-cn-Brisgau,
égalem ent nécessaire pour l'accom plissem ent de la 1910, p. 126; trad, franç., par D ecker et R icard,
transsubstantiation. p. 124. M ais cette opinion est inacceptable : ou bien,
La Sorbonne en corps, ainsi que les journalistes d ’ une part, elle condam ne un fait liturgique authen ­
de Trévoux, prirent part A la controverse. Mémoires tiquem ent attesté et auquel R om e a plusieurs fois
de Trévoux, 1728, p. 564-572. La lettre (de Le B run) interdit de rien m odifier, voir Collectio lacensis, t. n,
qui découvre l’illusion des journalistes de Trévoux, etc., col. 196-197; eu bien, d ’ autre part, elle se heurte à
du 29 m ars 1728, fut im prim ée alors, m ais supprim ée l ’ idée de l'instantanéité de la transsubstantiation que
ensuite par l ’ auteur, sur le conseil de Tournély. nous avons établie au début de cet article, et aux en ­
V oir m anuscrits de la bibliothèque M azarine, n. 2146, seignem ents form ulés par les papes et les conciles.
p. 236-248, Dénonciation de la réplique du P. Le Sur ces deux questions, bien distinctes, de l ’ usage
Brun. liturgique autorisé de l ’ épiclèse, et de l ’ interprétation
La m êm e année, paraissait un ouvrage du P. H on- à lui donner conform ém ent à la doctrine catholique
gnant, S. J., Apologie des anciens docteurs de la fa­ sur la form e de l ’ eucharistie, voir O rsi, op. cit.,
culté de Paris, Claudes de Saintes et Nicolas Isam- p. 155 sq. ; Le B run, op. cit., p. 212 sq., 267-268, 284-
bert, contre une lettre du P. Le Brun, Paris, 1728. 285. L ’ épiclèse liturgique, orientale pouvant donc res ­
Le savant oratorien m ourut, le 6 janvier 1729, avant ter intacte, l ’ opinion de R auschen revient dès lors à
d ’ avoir pu publier le nouveau volum e qu ’ il avait celle de R enaudot, T outtéc et Le B run.
entrepris sur cette question. La m êm e année, le O n peut en dire autant du sentim ent exprim é par
P. B ougeant donna un second volum e, dont le titre le prince M ax de Saxe, dans son article : Pensées sur
indique bien le plan général : Traité théologique sur la question de l’union des Églises, dans Roma e l'Oriente,
la forme de la consécration de l’eucharistie, divisé en n. 1, novem bre 1910, p. 25, 26. « Puisque, dans
2 parlies : où l’on démontre, par l’unanimité des écoles, l ’ Église orientale, et d ’ après ses intentions, l ’ épiclèse,
par la tradition de l’Église latine et grecque, par ta défi­ qui suit les paroles de N otre-Seigneur, est la partie
nition de plusieurs conciles et par la pratique de l’Église principale de la consécration et sa fin, il s ’ ensuit qu ’ en
universelle, la nouveauté du sentiment des Grecs mo­ O rient les paroles produisent leur effet par l ’ épiclèse
dernes et du P. Le Brun, cl où l’on éclaircit par de nou­ et que N otrc-Seigncur est seulem ent présent lorsque
velles recherches la décision du concile de Florence et le l ’ épiclèse est term inée. » A joutons que Pie X , en con ­
vrai sens des liturgies orientales, Lyon et Paris, 1729. dam nant l ’ article signale, a spécialem ent censuré ce
Cf. Mémoires de Trévoux, 1721, p. 1447-1467, 1644- passage. V oir la L ettre pontificale aux délégués apos ­
1668; Journal des savants, janvier 1730, p. 35 sq. toliques en O rient, dans les Échos d’Orienl, janvier
D ans l ’ intervalle, l ’ anglican G rabe avait fait pa ­ 1911, t. xiv, p. 7. V oir plus haut, col. 200.
raître son traité:D e forma consecrationis eucharisticœ... Conclusion à tirer de l’étude de la tradition ecclé­
A Defence of the greek Church against the Roman in siastique. — Q ue conclure de l'exam en m éthodique
the article of the consecration of the eucharistical ele­ que nous venons d ’ entreprendre? La conclusion qui
ments, Londres, 1721. Cf. doin C abrol, Le canon ro­ s'im pose, c ’ est que la tradition ecclésiastique est, dans
main et la messe, dans la Revue des sciences philoso­ son ensem ble, nettem ent favorable à la doctrine ca­
phiques et théologiques, 1909, t. ni, p. 511. tholique de la consécration par les paroles du Sauveur,
La discussion continua encore après la m ort de tout en attestant l ’ existence de prières ou invocations
Le B run, com m e en tém oignent les ouvrages suivants : eucharistiques,notam m ent derépiclèse, et la croyance
B reyer, Nouvelle dissertation sur les paroles de la con­ à la vertu transsubstantia trice du Saint-Esprit. L ’ asso ­
sécration de la sainte eucharistie, Troyes, 1730, 1733; ciation, dans les œ uvres des grands docteurs orientaux
O rsi, O . P., Dissertatio theologica de invocatione Spiri­ et dans toute la tradition occidentale, du sacerdoce du
tus Sancti in liturgiis Graecorum et Orientalium, M ilan, C hrist et de l ’ efficacité de ses paroles, avec l ’ opé­
1731; Petrus B enedictus, Anlirrheticon alterum ad­ ration eucharistique du Saint-Esprit exprim ée par
versus Le. Brunum et Rcnaudotium, dans Opera l ’ épiclèse, dém ontre la possibilité et le fait d ’ une
S. Ephrærn syr.-lat., R om e, 1740, t. n. conciliation de données qui sem blent à prem ière vue
D ès avant que T outtéc, R enaudot et Le B run contradictoires.
eussent fait connaître leur pensée sur ce sujet, deux Il serait aisé, d ’ ailleurs, de recueillir dans les litur ­
dom inicains C om befis (j- 1679) et Le Q uicn (j- 1733) gies elles-m êm es, m aints élém ents postulant et suggé
avaient énoncé une opinion analogue. O n peut la voir rant cette conciliation. V oir H oppc, op. cit., p. 239 sq.
exprim ée dans les notes de Le Q uien au De fide ortho­ O n y trouve, par exem ple, un grand nom bre d ’ allu ­
doxa, 1. IV, c. xm , de saint Jean D am ascène, P. G., sions à ce fait que les paroles de Jésus-C hrist ne sont
t. xciv, col. 1140 sq. O n sait que l ’ édition des Opera pas un sim ple récit, m ais doivent être dites in persona
Damasceni est de 1711. Ces deux critiques, tout en Christi, et à la croyance de l ’ efficacité consécratoire de
reconnaissant com m e form e les paroles de Jésus- ces paroles. L ’ existence de form ules d ’ épiclèse, par ­
C hrist, attribuent à l ’ épiclèse et, en général, aux fois très explicites, au m om ent de l ’ offertoire ou
prières du canon, une sorte de nécessité liturgique. m êm e pendant la préparation de la m esse, voire
Telle est aussi à peu près la conclusion de IIoppc, op. aussi après l ’ épiclèse proprem ent dite, l ’ existence
cit., Schaffhousc, 1864, p. 316 sq. de ce que H oppe appelle les épiclèses d ’ oblntion
D e nos jours, Schell est allé plus loin : il n ’ a pas et de fraction, à côté des épiclèses de consécra ­
craint d ’ avancer qu ’ il y avait deux form es égalem ent tion, dim inue de beaucoup la difficulté soulevée
valables pour ]e sacrem ent de l ’ eucharistie. D ans la au prem ier abord par ces dernières. H oppe, op. cit.,
liturgie latine, la form e est constituée par les paroles p. 179, n. 408, p. 267 sq., 291 : O rsi. op. ci!., p. 102 sq.,
de l ’ institution; dans les liturgies orientales, par l ’ épi 118 sq. Enfin, la disparition ou l'atténuation de l ’ épi-
2Π . E P IC L E SE E U C H A R IS T IQ U E 278

■clèse proprem ent dite, dans les liturgies occiden ­ théologiens, tels que de Lugo, V asquez, B illuart.
tales, bien avant la séparation des deux Églises B ellarm in, Suarez, etc. Cf. H oppc, op. cit., p. 212 sq. ;
d'O rient et d ’ O ccident, prouve tout au m oins que M arkovitch, op. cil., p. 296 sq. Par l ’ épiclèse, disent
l ’ épiclèse, au sens strict du m ot, n ’ est pas nécessaire ces auteurs, on ne demande pas que le Saint-Esprit
pour la consécration. Cf. M altzew, Die Sacramenle (1er opère la transsubstantiation, mais qu'il fasse que les
orthodox kalholischcn Kirchcdes Morgenlandes, B erlin, fidèles soient vraiment le corps mystique du Christ en
1898, Introduction, p. 160-161. Les nom s de Post myste­ tirant profit du sacrem ent. Oratio illa non est ut conji­
rium, Post secreta, donnés en O ccident à l ’ oraison qui ciatur quod conjectum est, sed ut consequamur effectum
correspond à l ’ épiclèse orientale, indiquent d ’ ailleurs sacramenti : telle est la form ule par laquelle Torque ­
que le m ystère était considéré com m e accom pli au m ada résum e sa doctrine. H ardouin, Concil., t. ix,
m om ent où le prêtre récitait ces form ules. Le m êm e col. 978. Le texte m êm e de l ’ épiclèse devrait, au dire
sens est suggéré par l ’ expression mysterium fidei qui, de ces auteurs, être littéralem ent traduit en cc sens.
prim itivem ent prononcée sans doute à haute voix En renvoyant, ici encore, le lecteur aux données litur ­
par le diacre pour avertir les fidèles du m om ent de la giques fournies plus haut, bornons-nous à déclarer que
consécration, est restée enclavée dans la form e ro ­ c'est là une interprétation tout à fait contredite par
m aine de la consécration du calice com m e une per ­ la gram m aire, aussi bien pour les épiclèses grecques
pétuelle attestation de la croyance antique. D e W aal, que pour celles des autres liturgies orientales. C ’ est
Archâologische Erôrlerungen :u einigen Slacken im par cette entorse à la construction gram m aticale de
Canon der heiligen Messe. Ill, Die Worle Mysterium la form ule d ’ épiclèse, que la présente explication
fidei, dans Der Katholik, 1896, p. 392-395. diffère en réalité très notablem ent de la suivante,
Ces raisons suffiraient à exclure les opinions ex ­ bien que l ’ idée d ’ application des effets du sacrem ent
trêm es des théologiens orientaux, ainsi que celles se retrouve chez toutes deux. D e Lugo a clairem ent
des quelques théologiens d ’ O ccident qui se sont plus form ulé cette opinion, quoiqu'il s ’ efforce un peu sub
ou m oins rapprochés d'eux : C atharin, C hristophe de tilem ent d ’ y distinguer deux nuances : Sexta solutio
C heffontaines, R enaudot, Touttée, Le B run, Schell, el magis communis est ibi non peti quod ille panis fiat
etc. Elles ne peuvent plus se soutenir, après les docu ­ corpus Christi naturale sed corpus Christi mysticum;...
m ents conciliaires ct pontificaux que nous avons cités itaque debet intelligi fiat nobis corpus mysticum seu
au cours de cc travail. M ais ces opinions étant élim i­ faciat nos esse unum corpus mysticum Christi. Hanc
nées, il reste à donner à l ’ épiclèse une interprétation solutionem referi etiam ex Bessarione P. Salmeron,
autre que celle de form ule consécratoire que lui ont, et eam videtur probare·, in eademque conquiescit Sua
plus ou m oins com plètem ent, attribuée ces auteurs. rcz. Sed revera non satisfacit quia detorquet verba clara
E t ici, il y a encore place pour une grande diversité ad sensum valde improprium,el licet de corpore utrum­
d ’ opinions,au m oins en apparence, car, en réalité, on que posset tolerari, de sanguine non videtur, nisi impro
le verra, la plupart ne sc distinguent guère entre priissime, quomodo petatur calicem illum fieri sangui
elles que par de légères nuances. nem pretiosum Christi, si de vero Christi sanguine non
V I. L e s d i v e r s e s e x p l ic a t io n s d e l ’ é p ic l è s e . — loquatur. Lugo, D e venerabili euchar. sacram.,àïsp. X I,
Sans prétendre faire ici une énum ération absolu ­ sect, i, η. 9. La critique est juste. M ais voici l ’ opi ­
m ent com plète des nom breuses explications de l ’ épi- nion de Lugo lui- m êm e, où le lecteur n'aura pas de
clèse fournies depuis que la question s ’ est posée à peine à voir qu ’ elle n ’ échappe point à une critique
l ’ attention des théologiens, essayons cependant d ’ en sem blable :... A 'on peti ullo modo illum panem fieri
dresser une sorte de catalogue, afin d ’ achever l ’ orien ­ corpus, el calicem sanguinem Christi,... sed sensum
tation du lecteur dans l ’ étude du sujet. Cf. H oppe, esse illum panem, h o c e s t connus, et illum calicem,
op. cit., p. 211 sq.; M arkovitch, op. cil., p. 296 sq. h o c e s t s a n g u in e m c h iu s t i , fieri nobis in salutem et
1° Inutile de discuter longuem ent l ’ explication remissionem peccatorum; ita ut τό corpus el sanguis
donnée par certains auteurs dont parle A rcudius en non sint ex parte prædicali, sed ex parte subjecti
les critiquant, De concordia Ecclesiæ occid. et orient., seu apposilive, ul dicunt grammatici. Ibid., n. 10;
Paris, 1672, 1. III, c. xxvn, p. 255. B essarion aurait cf. n. 14.
lui-m êm e songé un m om ent à cette explication. Ibid. C om parer l ’ interprétation de Scipion M affei, Epist.
Les liturgies orientales, déclarent-ils tout unim ent, ail., contre Pfaff, dans S. Irenæi Opéra, édit. Stieren,
avaient autrefois l ’ épiclèse avant le récit de l ’ insti ­ t. n, p. 412 (cf. A llatius, loc. cil.). C et auteur cons ­
tution ct les paroles de Jésus-C hrist, com m e la litur ­ truit ainsi la form ule grecque : ...καί ποίηση τον μ=-
gie latine. N ous avons dit, en indiquant les prin­ άρτον τούτον (σώμα άγιον τού Χ ριστού σου) καί το ποτή-
cipales données liturgiques, qu'on ne pouvait pas, ριον τούτο (αΓαα τίμιον τού Χ ριστού σου), Γνα γενηται
d ’ une m anière générale, se contenter d ’ une explica ­ πάσι τοίζ έξ αυτών μετα/αμΰάνουσιν εις άφεσιν αμαρτιών.
tion aussi sim pliste. Le fait, fût-il dém ontré pour la H oppe, op. cit., p. 213-214. Les disciples de Pfaff
liturgie rom aine, ce que nous ne croyons pas, ne avaient raison de répondre à M affei : Hœc sane
saurait l ’ être pour les liturgies orientales. J ’ ai exprim é posuisse est refutasse. Disseri, apolog., dans Stieren,
ailleurs m a pensée sur le prétendu « fait nouveau » op. cil., p. 445.
< le fragm ent de D eir B alyzeh) qui a incliné des litur ­ 3° Par l ’ épiclèse on dem ande à D ieu d ’ envoyer le
gis! es ém inents, com m e dom P. de Puniet et dom Ca- Saint-E sprit non point pour opérer purem ent et
brol, art. cil., de la Revue des sciences phil. et thiol., sim plem ent le changem ent, qui a déjà eu lieu, m ais
1909, t. ni, p. 509. 516, à reprendre dans une certaine pour opérer le changem ent de manière ά ce que le sacri­
m esure cette explication. T out ce que l ’ on peut ct fice soit profitable au corps mystique du Christ, et spé ­
doit reconnaître, c ’ est l ’ existence d ’ une double épi ­ cialem ent aux com m uniants. O n dem ande que le
clèse en m aintes anaphorcs ou en m aints canons, Saint-E sprit vienne accom plir sa m ission sanctifi ­
l ’une avant le récit de l ’ institution, l'autre après ce catrice. C ’ est l ’ explication que donnèrent les A rm é ­
récit. M ais cette dernière reste toujours un fait, dont niens au synode de Sis (1344-1345). M ansi, t. xxv.
la présence à cette place exige explication. col. 1342-1343, et les G recs à Florence. M ansi, t. xxxi.
2° Explication de Jean Torquem ada au concile col. 1686-1687. B essarion la relate égalem ent dans
de Florence, d ’ A rcudius, op. cit., 1. Ill, c. xxxni, son traité, P. G., t. c l x i , col. 493sq. E lle se distingue
p. 251 sq., et d ’ A llatius, In Roberti Chreyghtoni Appa­ de la précédente en ce qu'elle ne nie pas la dem ande
ratum, exercit. xxv, p. 517; De Eccl. occid. cl orient, de transsubstantiation contenue dans l ’ épiclèse :
perp. consens., 1. III, c. xv, adoptée par beaucoup de elle se contente de l ’ interpréter dans le seps de la
279 É P IC L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 280

form ule finale. M ais précisém ent de ce chef, elle ble l ’ oblation que nous en faisons, tantôt que son
est incom plète et ne peut avoir de valeur qu ’ en se saint ange la présente à l ’ autel céleste, tantôt qu ’ il
com binant avec les opinions qui vont suivre. C ette ait pitié des vivants, tantôt que cette oblation sou ­
explication a été adoptée par un grand nom bre de lage les m orts : croyons-nous que D ieu attende à
théologiens. faire les choses à chaque endroit où on lui en parle?
4° La consécration est l ’ œ uvre com m une des trois N on, sans doute. T out cela est un effet du langage
personnes de la T rinité, com m e toute œ uvre ad extra. hum ain qui ne peut s'expliquer que par partie; et
L ’ Église, pour exprim er cette idée, après avoir rap ­ D ieu qui voit dans nos cœ urs d ’ une seule vue ce que
porté le récit de la cène et fait prononcer par le prêtre nous avons dit, ce que nous disons et ce que nous
les paroles du C lirist qui opèrent la consécration, voulons dire, écoute tout et fait tout dans les m om ents
dem ande ensuite au Père d ’ envoyer le Saint-E sprit convenables qui lui sont connus sans qu ’ il soit besoin
(le V erbe, dans certaines épiclèses) pour que celui-ci de nous m ettre en peine en quel endroit précis il le
opère aussi le changem ent. M ais dans la pensée de fait. Il suffit que nous exprim ions tout ce qui se fait
l ’ Église, cette dem ande se rapporte à l ’ instant précis par des actions et par des paroles convenables, et que
de la consécration. N e pouvant dire tout à la fois, le tout ensem ble, quoique fait et prononcé successi­
force lui est d ’ exprim er successivem ent la part prise vem ent, nous représente en unité tous les effets et
par les trois personnes à l ’ accom plissem ent du m êm e com m e toute la face du divin m ystère. » Ibid.
m ystère. Si la participation du Saint-E sprit est O n ne saurait m ieux définir ce caractère général
exprim ée en term es si clairs, c ’ est que la tradition lui des rites et des form ules liturgiques. C ependant le lec ­
attribue com m uném ent la form ation du corps eucha ­ teur ne sera pas étonné que nous trouvions à reprendre,
ristique de Jésus, tout com m e celle de son corps his ­ dans le passage qui vient d ’ être cité, cette propo ­
torique dans le sein de M arie. sition : sans qu'il soit besoin de nous mettre en peine
C ette explication, qui a le grand avantage de repo ­ en quel endroit précis il le fait. L 'instantanéité de la
ser sur une doctrine traditionnelle bien ferm e, est transsubstantiation s ’ im posant logiquem ent et la
celle, que préfère B essarion, loc. cit., et que beaucoup tradition ainsi que les décisions de l ’ Église attribuant
d ’ auteurs ont adoptée à sa suite. l ’ accom plissem ent du m ystère aux paroles du Sau­
C om binée avec la suivante, elle paraît bien la plus veur, la conclusion en découle tout naturellem ent
fondée et la seule satisfaisante. que la prolation de ces paroles constitue le m om ent
5° L ’ Église a l ’ habitude, dans ses rites et spéciale ­ précis de la consécration. L ’ inexactitude à cet égard
m ent dans l ’ adm inistration des sacrem ents, de dem an ­ constitue un des points faibles de l ’ explication de
der à plusieurs reprises ce qu ’ elle veut obtenir, m êm e B ossuet. C ’ est elle qui, un peu plus haut, lui faisait
après que le rite essentiel est accom pli et qu ’ invisi- écrire en des term es où son lucide génie se trouve
blem cnl D ieu a déjà opéré l'effet du sacrem ent. C ’ est pour une fois pris en défaut : « A insi ce sont les pa ­
ce que prouvent à l ’ évidence les rituels sacram en- roles de N otre-Seigneur qui sont, en effet, le feu céleste
taires tant d ’ O rient que d ’ O ccidcnt. L 'eucharistie qui consum e le pain et le vin : ces paroles les chan ­
ne fait pas exception. N ous ne devons donc pas nous gent en ce qu ’ elles énoncent, c'est-à-dire au corps et
étonner outre m esure de voir l ’ Église dem ander le au sang, com m e le dit expressém ent saint Jean C hry ­
changem ent du pain et du vin au corps et au sang de sostom e; et tout ce qu ’ on pourrait accorder aux
Jésus-C hrist soit avant, soit après les paroles consé- G recs m odernes, ce serait en tout cas que la prière
cratoires de l ’ institution, qui constituent le point serait nécessaire pour faire l ’ application des paroles
culm inant de l ’ action liturgique. Il y a, en réalité, de N otre-Seigneur, doctrine où je ne vois pas un si
des épiclèses analogues pour tous les sacrem ents. grand inconvénient puisqu'enfin devant ou après
« L ’ esprit des liturgies, dit B ossuet qui a excellem ­ nous faisons tous cette prière. » Ibid., x l v . E t pour
m ent exposé cette explication, déjà indiquée par expliquer cette nécessité de l ’ épiclèse, il a recours à
B essarion, et en général de toutes les consécrations, la théorie de l ’ intention de l ’ Église. « N ous pouvons
n ’ est pas de nous attacher à de certains m om ents com prendre parm i ces paroles auxquelles saint B asile
précis, m ais de nous faire considérer le total de l ’ ac ­ attribue beaucoup de force, la prière dont il s ’ agit;
tion pour en com prendre ainsi l ’ effet entier... L ’ Église et quoi qu ’ il en soit, pour en entendre la force et l ’ uti ­
ne pouvant tout dire ni expliquer toute l ’ étendue du lité, il ne faut que se souvenir d ’ une doctrine cons ­
divin m ystère en un seul endroit, divise son opéra ­ tante, m êm e dans l ’ École, qui est que dans les sacre ­
tion, quoique très sim ple en elle-m êm e, com m e en m ents, outre les paroles form elles et consécratoires,
diverses parties, avec des paroles convenables à cha ­ il faut une intention de l ’ Église pour les appliquer :
cune, afin que le tout com pose un m êm e langage intention qui ne peut m ieux être déclarée que par la
m ystique et une m êm e action m orale. C ’ est donc prière dont il s ’ agit, et qui l ’ est égalem ent, soit qu'on
pour rendre la chose plus sensible que l ’ Église parle la fasse devant com m e nous, soit qu ’ on la fasse
en chaque endroit com m e la faisant actuellem ent après avec les G recs. » Ibid.
et sans m êm e trop considérer si elle est faite, ou si N éanm oins, et en dépit de ces m anières de parler
elle peut être encore à faire; très contente que le inexactes, B ossuet paraît bien avoir entrevu, par
tout se trouve dans le total de l ’ action, et qu ’ on y m om ents, les inconvénients d ’ une pareille position.
ait à la fin l ’ explication de tout le m ystère la plus L a preuve en est, par exem ple, dans le passage sui ­
pleine, la plus vive et la plus sensible qu ’ on puisse vant, qui vient im m édiatem ent après le dernier cité
jam ais im aginer. » B ossuet, Explication de quelques et avant celui que nous avons transcrit en prem ier
difficultés sur les prières de la messe à un nouveau lieu, a Savoir m aintenant s ’ il faut croire, com m e sem ­
catholique, x l v i . blent faire les G recs d'aujourd ’ hui, que la consécra ­
E t le grand évêque signale, à titre d ’ exem ples, les tion dem eure en suspens jusqu ’ à ce qu ’ on ait fait
prières de l ’ ordination sacerdotale, de la confirm a ­ cette prière (/ ’ épiclèse), com m e étant celle qui ap ­
tion, de l ’ extrêm e-onction, où l ’ Église, « afin d ’ expli­ plique aux dons proposés les paroles de Jésus-C hrist
quer en plusieurs m anières la grande chose qui vient où consiste principalem ent et originairem ent (nous
d ’ être faite, » divise, dans ses form ules liturgiques, pouvons ajouter : uniquement) la consécration : quoi
et considère com m e inachevée l ’ action surnaturelle qu ’ en puissent dire les grecs, je ne le crois pas décidé
que D ieu a opérée en un instant. « E t pour revenir à dans leur liturgie. C ar l ’ esprit des liturgies, et en
la m esse, quand nous y dem andons à D ieu tantôt général de toutes les consécrations, etc... » Ibid.,
qu ’ il change le pain en son corps, tantôt qu ’ il ait agréa ­ XLVI.
281 É P1G L ÈSE E U C H A R IS T IQ U E 282

A ussi bien, B ossuet sem ble-t-il revenir com plète ­ exacte sur l'efficacité consécratoire, seule essentielle,
m ent sur sa prem ière pensée, et son explication défi ­ des paroles de l ’ institution, laisse encore place a
nitive tient beaucoup plus com pte, sans le dire expres ­ quelque im précision au sujet de la portée réelle des
sém ent, de l ’ instantanéité de la transsubstantiation. expressions des conciles de Florence et de Trente,
N ous croyons devoir citer en entier ces lignes sugges ­ ainsi qu ’ au sujet de la liberté concédée à l ’ opinion
tives qui contiennent à peu près tous les élém ents orientale. C ette page achèvera de m ontrer ce qu'il
de la vraie solution pour le problèm e de l ’ épiclèse, y a d ’ excellent, non m oins que ce qu ’ il y a d ’ im par ­
encore qu'on y retrouve çà et là une certaine im pré ­ fait, dans l ’ explication de l ’ épiclèse par B ossuet.
cision théologique à 1'égard de l ’ opinion grecque. « M ais pour revenir à la consécration, il y a encore
« Faites l'application de cette doctrine (concernant une preuve contre l ’ opinion des G recs m odernes dans
l’esprit des liturgies') à la prière des G recs (c’est-à-direle rit m ozarabique et dans le Sacram entaire appelé
à l’épiclèse), il n ’ y aura plus de difficulté. A près les gothique, qui assurém ent est le m êm e dont usait
paroles de N otrc-Seigneur on prie D ieu qu ’ il change l ’ Église gallicane,com m e le P. M abillon l ’ a dém ontre-
les dons en son corps et en son sang : ce peut être ou Ces deux rits si conform es entre eux sont en m êm e
l ’ application de la chose à faire, ou l ’ expression plus tem ps très conform es au rit grec; et la prière où l ’ on
particulière de la chose faite, et on ne peut conclure dem ande la descente du Saint-E sprit pour sanctifier
autre chose des term es précis de la liturgie. M ais les dons se trouve souvent après que les paroles de
dit-on, dans celle de saint B asile, qui est la plus Jésus-Christ sont proférées, m ais souvent elle se
ordinaire parm i les G recs (cette incidente est inexacte : trouve devant, souvent m êm e elle ne se trouve point
la liturgie de saint Basile est aujourd’hui réservée à du tout. Ce qui dém ontre non seulem ent que la place
un petit nombre de jours dans l’année), après les paroles en est indifférente, m ais encore qu ’ en elle-m êm e on
de Jésus-Christ, on appelle encore les dons antitypes, ne la tient pas si absolum ent nécessaire, et que les
c ’ est-à-dire figures et signes; ce qu ’ on ne fait plus paroles de Jésus-Christ qu ’ on n ’ om et jam ais et qui se
après la prière dont nous parlons. Je l ’ avoue, et sans trouvent partout m arquées si distinctem ent, sont
disputer de la signification du m ot d ’ antitype, en le les seules essentielles. D ’ où vient aussi que saint
prenant pour sim ple figure au gré des protestants, B asile, après les avoir m arquées dans le livre du Saint-
tant pis pour eux, car écoutons la liturgie : Nous E sprit com m e celles qui font le fond, se contente de
approchons, à Seigneur, de votre saint autel, et après dire des autres qu ’ on fait devant et après, qu ’ elles ont
vous avoir offert les figures (τα αντίτυπα) du sacré beaucoup de force; ce qu ’ on ne doit pas nier, puisque
corps el du sacré sang de votre Christ, nous vous prions l ’ Église orientale et l ’ occidentale s ’ en servent éga ­
que votre Esprit-Saint fasse de ce pain le propre corps lem ent.
précieux, et de ce vin le propre sang précieux de Notre- « Q ue si après toutes ces raisons et l ’ autorité de
Seigneurl O n voit donc m anifestem ent ce qui était tant de Pères grecs et latins, qui m ettent précisém ent
la figure du corps devenir et être fait le propre corps, la consécration dans les paroles divines com m e étant
c ’ est-à-dire ce qui l ’ était en signe le devenir propre ­ sorties de la bouche du Fils de D ieu, et les seul, s
m ent et en vérité, en sorte qu ’ on ne sait plus ce que toutes-puissantes, les G recs persistent encore dans le
c ’ est, ni ce que le Saint-E sprit a opéré, ni ce que les sentim ent de quelques-uns de leurs docteurs et ne
m ots signifient, si ce qu ’ on appelle le propre corps est veulent reconnaître la consécration consom m ée
encore com m e auparavant une figure. qu ’ après la prière dont nous parlons : en ce cas, que
« V ous m e répondrez que cela est clair; car, en ferons-nous, si ce n ’ est ce qu ’ on a fait à Florence, de
effet, que pouvez-vous dire autre chose? m ais que n ’ inquiéter personne pour cette doctrine, et ce qu ’on
du m oins il sera constant que ce changem ent se fait a fait à T rente, où, sans déterm iner en particulier
dans la prière (c’est-à-dire dans l’épiclèse). Point du en quoi consiste la consécration, on a seul-m ent
tout : ce n ’ est point constant, puisque nous venons déterm iné ce qui arrivait quand elle était faite? >
de voir que dans ce langage m ystique qui règne dans Ibid., L.
les liturgies, et en général dans les sacrem ents, on N ous avons dit plus haut qu ’ à Florence et à Trente
exprim e généralem ent après ce qui pourrait être fait on avait fait tout ■ autre chose que ce que dit ici B os ­
devant; ou plutôt, que pour dire tout on explique suet qui s ’ en est sans doute trop exclusivem ent tenu
successivem ent ce qui se fait peut-être tout en une à l ’ opinion de R enaudot sur ce point. Cela l ’ a m is
fois, sans s ’ enquérir des m om ents précis : et en ce cas quelque peu en contradiction avec les excellents
nous avons vu qu ’ on exprim e ce qui pouvait déjà principes précé em m ent exposés par lui, m ais dont
être fait, com m e s'il se faisait quand on l ’ énonce, afin il a le tort de tirer cette conclusion pratique : « Pour
que toutes les paroles du saint m ystère se rapportent m oi, dans les catéchism es et dans les serm ons je pro ­
entre elles, et que toute l ’ opération du Saint-E sprit poserai toujours la doctrine qui étab il la consécra ­
soit sensible. tion précisém ent dans les paroles célestes com m e
« A insi on pourrait entendre dans la liturgie des théologiquem ent très véritable, ainsi qu ’ on a fait
grecs que dès qu'on prononce les paroles de N otre- dans le C atéchism e du concile; m ais je ne crois pas
Seigneur, où l ’ on est d ’ accord que consiste principa ­ que j ’ osasse jam ais condam ner les G recs qui ne s 11
lem ent toute l ’ efficace de la consécration, encore pas encore parvenus à l ’ intelligence de cette vérité.
qu ’ on n ’ ait pas exprim é l ’ intention de les appliquer Q uoi qu ’ il en soit, il n ’ y a nul doute qu ’ il ne faille
au pain et au vin, D ieu prévient la déclaration de faire com m e on a fait au concile de Lyon, com m e on
cette intention, et c ’ est là, à m on avis, sans coinoa- I a fait au concile de Florence, et com m e on fait encore
raison le m eilleur sentim ent, pour ne pas dire qu ’ il dans toute l ’ Église, qui est de laisser chacun dans
est tout à fait certain. » Ibid., xw n. son rit, puisqu ’ on dem eure d ’ accord que les deux
Puis l ’ ém inent controversiste confirm e sa pensée rits sont anciens et entièrem ent irrépréhensibles; et
en prouvant par la liturgie orientale que la consé ­ peut-être faudrait-il encore laisser à chacun ses
cration se consom m e dans la prolation des paroles de explications, puisqu ’ on recevant les grecs, soit en
N otre-Seigneur. · C 'est là. dis-je, le m eilleur senti­ particul’ er com m e on en reçoit tous les jours, soit
m ent : tant à cause qu ’ il est plus de la dignité des m êm e en corps, on n ’ a dressé aucune form ule pour
paroles du Fils de D ieu qu ’ elles aient leur effet en ce point leur faire quitter leur sentim ent; ce qu ■·:
dès qu ’ on les profère, qu ’ à cause aussi que la liturgie a fait apparem m ent à cause des autorités que les
sem ble elle-m êm e nous conduire là... » Ibid., xi.vrn. G recs apportent pour eux, qui ne sont pas m épri ­
E t il term ine par une page qui, tout en étant très sables, m ais dans la discussion desquelles je ne crois
283 É P IC L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 284

pas que vous vouliez, m 'engager, puisque vous voyez, K ossing, Liturgische Erklârung der heiligen Messe,
sans y entrer, la parfaite uniform ité de l ’ O rient et 3° édit., R atisbonne, 1869, p. 502 sq., déclare qu ’ au ­
de l ’ O ccidcnt dans l ’ essentiel. » Ibid. cune des explications connues de lui ne le satisfait.
R enaudot parle dans le m êm e sens que B ossuet Si l ’ épiclése exprim e l ’ intention, elle devrait se for ­
et déclare que c.tt? ■ xp.ication est la seule plausible. m uler avant les paroles du C hrist. Si elle a pour but
« Les autres explic it! >ns. dit il, sans com pter qu ’ elles de dévoiler au peuple le contenu du m ystère et la
sont nouvelles et inconnues des anciens, se heurtent coopération des trois personnes divines, elle devrait
à tant d ’ inconvénients qu ’ elles ont elles-m êm es besoin être dite à haute voix. E t cet auteur ajoute : « N ous
d ’ explication. » R enaudot, op. cil., t. i, p. 238 sq.; ne som m es pas en m esure de rem placer ces explications
t. it, p. 83 sq. Seulem ent le savant liturgiste insiste, par une m eilleure. N ous croyons plutôt que l ’ épiclése
plus encore que l ’ évêque de M eaux, sur ce que nous des liturgies orientales est et dem eure une pièce
avons vu être une assez grave inexactitude théolo ­ em barrassante, tant qu ’ elle ne sera pas ou placée
gique et une inconséquence avec les principes préala- avant la consécration ou exprim ée d ’ une autre m a ­
bl m ent posés ; c ’ est à savoir la liberté pour les O rien ­ nière. » C ette façon, trop pratique, de trancher la ques ­
taux de professer cette opinion que la consécration tion a été considérée par un certain nom bre d ’ auteurs
serait, en définitive, consom m ée par l ’ épiclése. Sur catholiques com m e le seul m oyen de la résoudre.
ce point, force nous est bien de nous séparer de ces N ous avons déjà m entionné R auschen, op. cit., 2 e édit.,
deux grands esprits. N ous aurons plaisir à nous ral ­ p. 126. Il faut citer aussi, entre plusieurs autres, le
lier à eux, sous bénéfice de cette im portante réserve : théatin G alano, Conciliatio Ecclesias armense cum ro-
c ’ est-à-dire à la condition que cette uniformité de mana, R om e, 1661, t. m , p. 552 sq., vivem ent com bat­
l’Orient cl de {'Occident dans l’essentiel im plique l ’ ex ­ tu, et sur ce point avec raison, par Le B run, op. cit.,
clusion, non pas certes de la form ule liturgique appelée diss. X , a. 17, Liège, 1778, t. v, p. 212 sq.
épiclèse, laquelle est en effet ancienne et entièrem ent C ’ est sous l ’ influence de cette m êm e idée que les A r ­
irrépréhensible si elle est dûm ent interprétée, m ais de m éniens catholiques et les M aronites ont m odifié le
l ’ opinion erronée à laquelle cette form ule a donné texte deleur épiclèse, tandis que les C haldécns.Sm oli-
lieu. kow ski, Έ πίκλησι; sen de invocatione Spirilus Sancti,
Q uant à la dernière raison indiquée par B ossuet, dans Analecta ecclesiastica, R om e, 1893, t. i, p. 283,
qu ’ aucune des professions de foi exigées pour l ’ abju ­ l ’ ont reportée avant le récit de la cène. M êm e dans
ration des schism atiques d ’ O rient ne m entionne le les com m unautés orientales unies où la liturgie s ’ est
rejet de cette doctrine, on peut répondre qu ’ elles le conservée intacte, il n ’ est pas inouï de trouver des
contiennent im plicitem ent par le sim ple fait d ’ expri­ prêtres, qui, sous prétexte de couper court à toute
m er une adhésion générale aux décisions des conciles difficulté, supprim ent sim plem ent, de leur propre
œ cum éniques, spécialem ent de ceux de Florence et initiative, l ’ oraison em barrassante. Ibid. C ’ est en
de Trente. D e plus, les instructions du Saint-Siège user par trop librem ent avec une pièce liturgique
aux M elkites lors des discussions survenues parm i dont nous avons dit la haute antiquité et l ’ usage
eux sur ce point, sont d ’ une portée significative et qui constant.
n ’ échappe aujourd ’ hui à personne. A ussi la plupart des théologiens m odernes qui ont
6° Les explications énoncées sous les num éros 3°, traité la question ont-ils rejeté cette solution extrêm e
4° et 5°, déjà juxtaposées dans les écrits de B essarion, pour donner leur préférence, à celles de B essarion et
B ossuet, R enaudot, G oar, B ougeant, etc., ont été. B ossuet, c ’ est-à-dire à la coopération trinitairc et à
plus ou m oins com binées entre elles par plusieurs au ­ l ’ unité d ’ action liturgique, en accentuant davantage,
teurs m odernes. H enke, Die kalholische Lehre über du m oins plus nettem ent que ce dernier, l ’ instanta ­
die Consccralionsivorle der heiligen Eucharistie, Trêves, néité de la transsubstantiation. O rsi, op. cil., p. 126-
1850, p. 78-83, entend l ’ épiclése com m e une attesta ­ 149, est peut-être celui qui s ’ est exprim é avec le plus
tion, sous form e m ystique de prière, de l ’ intention de d ’ exactitude et de clarté. O n peut citer aussi B e ­
l ’ Église nécessaire pour la consécration. M ais au con ­ noît X IV , De missis sacrificio, 1. Π , c. xv, n. 16-23,
traire de Le B run, il regarde l ’ épiclése com m e non dans M igne, Theologiæ cursus, t. xxm , col. 1012-1016;
essentielle à la validité de la consécration : le but de Ferraris, Prompta bibliotheca, v° Eucharistia, édit.
cette prière serait de découvrir aux fidèles le contenu j M igne, Paris, 1865, t. ni, col. 788-806; O sw ald, Dic
du m ystère et d ’ accentuer l ’ idée de la coopération dogmatische Lehre von den heiligen Sakramenlen,
du Père et du Saint-E sprit avec le Fils, au nom duquel M unster, 1856, t. i, p. 464; P robst, Liturgie derersten
le prêtre consacre. drci christlichen Jahrhunderle, Tubingue, 1870,
Pour H oppe, op. cit., p. 301 sq., l ’ épiclése est, de la p 399-400; Franzelin, De SS. eucharistiis sacramento,
part de l ’ Église, une m anière liturgique d ’ exprim er thés, vu; Egger, Enchiridion tiicol. dogm. specialis,
son rôle com m e minislra Christi dans la confection 1896, p. 756 sq. ; M arkcvitch, De l’eucharistie avec
du sacrem ent, après avoir exprim é par les paroles un aperçu spécial sur l’épiclése (en croate), A gram ,
consécratoires du Sauveur son rôle com m e vicaria 1894, p. 317 ; Schanz, Die Lehre von den heiligen Sakra­
Christi. menlen der kalhol. Kirche, Fribourg-en-B risgau, 1899,
D ’ après Schecben, dan ; D er Katholik, 1866, p. .154 p. 388-397; C ieplak, op. cil., p. 62 sq., etc. M ais le tort
sq-, 688 sq., au contraire, l ’ Église form ule l ’ épiclése, de la plupart de ces auteurs est de m êler, dans leur in ­
non pas seulem ent com m e ministra Christi, m ais terprétation de l ’ épiclése, des élém ents contradictoires,
encore indépendam m ent en tant que son épouse, en défaut que déjà B essarion et B ossuet n ’ avaient pas su
invoquant par la bouche du prêtre le Saint-E sprit | com plètem ent éviter.
pour transsubstanticr le pain et ]e vin et les offrir à 7° Q uelques théologiens ont donné à leur explication
D ieu. une nuance plus personnelle. Le cardinal C ienfuegos,
Pour Franz, Die eucharistische Wandlung und Vila abscondita, R om e, 1728, p. 389, exprim e la
Epiklese der griechischen und orientalischen Liturgien, sienne en ces term es : Invocatur ergo Spiritus Sanctus
W urzbourg, 1879-1880, t. ir, p. 202, 222 sq., l ’ épi postulalurque ejus adventus, u t e f f ic ia t v iv e n s
elèse est le développem ent rituel du contenu de foi c o r p u s c h r is t i d o m in i in ac t u s e c u n d o . Ac
et de grâce de l ’ eucharistie par rapport au Saint- proinde deprecatio in liturgiis reperta non eo tendit, ut
E sprit, dans le but de glorifier le Paraclet com m e Spiritus Sanctus efficiat panem et vinum corpus et san­
consécrateur, autant que com m e dispensateur de guinem, cum supponat essentialiter conversionem mira­
toute vie de grâce bilem undique factam... Sed u t q u a s i s u s c it e t
285 É P IC L ÉS E E U C H A R IS T IQ U E 286
il l u d au t v iv if ic e t (quatenus et facit psum , récit de la cène l ’ opération consécratrice du Saint-
elicere vitee functiones...), ut vitam ipsam ad vitam revo­ E sprit sollicitée par l ’ épiclèse. Il argum ente, à ce pro ­
cet efficiatque ut perennis vitre fluxus imperio et sacra­ pos, sur ces m ots de l ’ épiclèse dans l ’ anaphore copte
tione alte repressus iterato accipiat cursum suum. de saint G régoire de N azianze : lu Domine, voce tua
Cf. M arkovitch, op. cit., p. 231-232, 307-308. sola commuta hœc quæ sunt proposita.
Il faut reconnaître que cette interprétation, toute « Voce tua : m ais cette voix vient de se faire entendre,
m ystique qu ’ elle soit, et dépendante, au reste, de la ses paroles viennent d'être articulées. D ès lors, qu ’ est-
théorie spéciale de C icnfucgos concernant le sacrifice ce à dire? Il est clair ici que la valeur théologique de
eucharistique, a des fondem ents dans la tradition, sur ­ cette expression doit être prise dans un sens rétro ­
tout dans la tradition syriaque. C ette sorte de vivi ­ grade et concom itant avec les paroles de l ’ institution.
fication ou de résurrection m ystérieuse du corps du C 'est m êm e la raison que l ’ on donne quelquefois, d ’ une
C hrist, opérée par le Saint-E sprit, se retrouve préci­ m anière générale, d ’ expressions vraim ent difficiles
sém ent comme explication de l’épiclèse liturgique, dans les épiclèses d ’ O rient. Les actes hum ains, dit-on,
chez le nestorien N arsès (f 502), Homil. in expos, ne pouvant être que discursifs, l'explication par
mgst., édit. C onnolly, p. 21 sq. ; chez Jacques de l'hom m e de tout ce qui est contenu dans l ’ unité
Saroug (·{· 521), C onnolly-Bishop, op. cit., p. 149, et sacram entelle de la consécration, ne peut se
Downside Review, novem bre 1908, décem bre 1910; développer non plus que successivem ent. Il arrivera
peut-être aussi chez saint Éphrcm , C onnolly-Bishop, ainsi que l ’ essence de l ’ acte sera déjà posée, que l ’ es ­
op. cit., p. 147-148. Seulem ent, tandis que la term ino ­ prit de l ’ hom m e, à plus forte raison, sa parole, en
logie de ces docteurs syriens dem eure assez im pré ­ seront encore à détailler tout ce que cet acte est des ­
cise quant à l ’ efficacité des paroles de l ’ institution, tiné à contenir, tout ce que le prêtre a l ’ intention qu ’ il
C ienfuegos pose en principe que ces paroles pro ­ contienne et qu ’ il contient déjà. » M ais 1 ’ autcur n'est
duisent le corps du C hrist; m ais elles le produisent à point entièrem ent satisfait de cette explication, et
l ’ état de m ort m ystique. Le but de l ’ épiclèse est de le voici ce qu ’ il ajoute : « N ous le voulons bien, c ’ est une
vivifier. Le Saint-Esprit aurait donc une opération explication de second plan partiellem ent exacte. N ous
réelle à rem plir au m om ent m êm e où il est invoqué. pensons toutefois qu ’ il ne faudrait pas insister plus
Neque (invocatur Spiritus Sanctus)... ut nihil efficiat que de raison sur cette argum entation qui cesserait
p r o t u n c : esset enim vana imploratio captio­ d ’ être juste si on la pressait trop et si on s ’ y arrêtait
nibus et sequi vocis sensibus exposita, et absque justa exclusivem ent.
causa introducta. C ienfuegos, loc. cil. La question Il y a certainem ent un autre point de vue que voici
serait de savoir en quoi consiste exactem ent cette opé ­ et qui atteint plus intim em ent les intentions, le con
ration du Saint-Esprit, que Cienfuegos appelle vivifi­ tenu objectif des form ules et des rites. Il y a vraim ent
cation du corps eucharistique du C hrist. une opération distincte et particulière attribuée au
D ’ autres auteurs en sont venus, en som m e, à y voir, Saint-E sprit dans cette partie du canon. Le propre
sous des nom s divers, l ’ idée d ’ application des effets du de la consécration, c ’ est d ’ avoir posé le m ystère, l ’ élé ­
sacrem ent ou du sacrifice. B ougeant distingue deux m ent divin du sacrifice, le principe de sanctification.
aspects de l ’ eucharistie : l ’ un incom plet ou inadéquat, Il reste à dispenser ce m ystère suivant toutes les ap ­
l ’ autre com plet ou adéquat. D ans le prem ier, dit-il, plications du culte et de sanctification auxquelles la
elle a tout ce qu'elle peut avoir d ’ essentiel; dans le m esse doit pourvoir. La sanctification des m em bres
second, tout ce qu ’ elle peut avoir de com plet et de fidèles du C hrist et leur incorporation au m ystère par
parfait. Le prem ier état est produit par les paroles du la com m union n ’ épuisent pas cette application; il y a
C hrist. M ais les O rientaux, continue B ougeant, pensent encore à réaliser extérieurem ent l ’ offrande de la vic ­
que le corps et le sang du C hrist seraient pour nous tim e, à consom m er le sacrifice.
sans utilité,si le Saint-Esprit, par sa puissance divine, C ette partie du canon serait donc, on le voit, la
ne les rendait sanctifiants. Ils l ’ invoquent donc com m e part d ’ opération attribuée au Saint-E sprit, l ’ œ uvre
si rien n ’ était fait encore, et le prient de donner au sanctificatrice, de m êm e que la partie s ’ étendant du
sacrem ent une m anière d ’ être intégrale et parfaite, Sanctus à l ’ épiclèse était celle du Fils accom plis ­
c ’ est-à-dire de lui donner tout ce qu ’ il peut avoir de sant l ’ œ uvre rédem ptrice, com m e 1 ’ εΰχαριοτίβ
perfection non en lui-m êm e, m ais par rapport à nous. jusqu ’ au Sanctus (l ’ anaphore de la cène juive) était le
En d ’ autres term es, l ’ épiclèse a pour effet non de pro ­ sacrifice de louange de l ’ ancienne loi à D ieu le Père,
duire sim plem ent le corps du C hrist, ce qui est déjà la reconnaissance de l'œ uvre créatrice et conserva ­
accom pli par les paroles de l ’ institution, m ais de le trice. Tout cela d ’ ailleurs se succède suivant une pro ­
rendre, selon les expressions de la liturgie, un corpus gression historique évidente, surtout dans les ana ­
vivificum, corpus cæleste, corpus salutare, de faire que phores non abrégées (celle de la liturgie clém entine et
le sacrem ent ait son effet com plet et que nous soient celle de saint B asile par exem ple). L ’ incarnation ar ­
appliqués les m érites de Jésus-Christ. B ougeant, rive ainsi à son rang, à sa date relative, puis l ’ insti­
Trailéthéologique sur la forme de la consécration, Lyon, tution de la cène et la consécration du corps et du
1729, p. 251-253. Cf. M arkovitch, op. cit., p. 302-303. sang du Seigneur, le précepte donné aux apôtres
B ougeant estim ait que son interprétation pouvait de perpétuer représentativem ent et efficacem ent ce
satisfaire tout hom m e im partial. O n doit dire cepen ­ qui s ’ est accom pli sous leurs yeux, enfin la résurrec ­
dant que, en dépit de la m anière ingénieuse dont tion, l ’ ascension, la pcntecôte, le second avènem ent.
il l ’ exprim e, elle retom be à peu près dans celle qui a été L ’ intervention du Saint-E sprit est appelée précisé ­
m entionnée sous le n. 2. et qui, on l ’ a vu, se heurte m ent au m om ent où le m ém orial arrive à son term e
■·. la teneur m êm e des épiclèses. C elles-ci, nous l ’ avons et s ’ arrête à la pentecôte. E t c ’ est ainsi que les choses
assez m ontré, ne dem andent pas seulem ent au Saint- s ’ étaient passées pour la prem ière fois. L ’ action sacra ­
E sprit de rendre le corps et le sang du C hrist profi ­ m entelle des apôtres n avait com m encé qu ’ à la des ­
tables aux fidèles; elles le sollicitent, en propres cente du Saint-E sprit. Le principe e la rédem ption,
term es, d'opérer la transsubstantiation. du sacrifice nouveau, de la sanctification, avait été
D om C agin a proposé récem m ent, Paléographie institué au jour de la passion, com m e il est pose dans
musicale, 1897, t. v, p. 83 sq., une explication ana- la m esse au m om ent de la consécration. Il était réserve
. eue à celle de B ougeant. Le savant bénédictin m et à la m ission tem porelle du Saint-E sprit d ’ en valider
tout d ’ abord en avant le principe d ’ unité d ’ action l ’ accom plissem ent, d'en signifier la ratification, en
: turgique et la nécessité de rapporter au m om ent du m êm e tem ps qu ’ en était inaugurée la dispensation.
287 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 288

L a confirm ation, voilà le m ot qui définiraitle m ieux bien précise confirmatio sacramenti signalée là pour
le propre de l ’ opération du Saint-E sprit dans le cas les docum ents occidentaux ne répondrait pas à la réa ­
présent, com m e c'est aussi le term e consacré pour lité, m ais conviendrait plutôt aux liturgies orientales.
désigner le sacrem ent, le sceau de la validation im ­ A ussi bien, la m eilleure explication, ct la plus na ­
prim é au chrétien déjà baptisé. En nous rappelant le turelle, nous sem ble-t-il, de cette appellation et de
sens général de l ’ intervention du Saint-E sprit dans ces textes, c ’ est la petile phrase du saint docteur espa ­
l ’ économ ie chrétienne, ces analogies nous aident à gnol où nous venons de lire: c o n f o r m a t io s a c r a m e n t i
pénétrer le caractère très effectif de ce qui lui est at ­ ut oblatio... Christi corpori c o n f o r m e t u r . L ’ expression
tribué dans l ’ épiclèse. très claire et très précise de saint Isidore de Séville nous
A u fait, il y a dans le vocubulaire gallican une ex ­ oblige à adresser à l ’ interprétation de dom Cagin la
pression singulièrem ent profonde pour désigner la m êm e critique fondam entale qu ’ à celle de B ougeant.
période du canon qui nous occupe, et cette expres ­ L a confirmatio sacrificii ou sacramenti, quelle que soit
sion rentre littéralem ent dans l ’ ordre d ’ idées exposé la haute portée liturgique et théologique prêtée à ces
présentem ent. Ce term e est celui de confirmatio sacra­ term es, ne saurait jam ais être qu ’ une explication par ­
menti. G agin, loc. cit. tielle de l ’ épiclèse, et nullem ent son explication totale.
Je dois faire rem arquer cependant que la leçon N otons, du reste, que plusieurs auteurs anciens
conformatio sacramenti paraît bien être la leçon prim i­ avaient donné une form e analogue à leur interpréta ­
tive des textes auxquels il est fait ici allusion, celle, tion. A insi Juvcnin, Commentarius historicus et dog­
par exem ple, de saint Isidore de Séville, De eccl. offi­ maticus de sacramentis, 2 ' édit., Paris, 1705, p. 157-
ciis, 1. I, c. xv, P. L., t. l x x x i ii , col. 752 : Porro sexta 165, dit qu ’ il voit dans l ’ épiclèse, avec A rcudius,
(oratio) exhinc succedit c o n f o r m a t io s a c r a m e n t i , ut stabilitatem et confirmationem rei quæ jam peracta
oblatio quæ Deo offertur, sanctificato per Spiritum supponitur.
Sanctum, Christi corpori ac sanguini c o n f o r m e t u r . Q uelques années avant dom C agin, le P. E. B ouvy
C ette rem arque faite, poursuivons l ’ exposé de l ’ in­ présentait une interprétation analogue sous une form e
terprétation de dom C agin. « O r, continue-t-il, en quoi un peu différente et basée, elle aussi, non sans ingé ­
consiste, à quels objets s ’ applique, définitivem ent, niosité ct pénétration, sur les textes liturgiques. D ans
cette action sanctificatrice particulière, cette confir­ un rapport présenté au C ongrès eucharistique de
matio sacramenti ? C ’ est ce que nous apprend avec un R eim s, en 1894, le savant assom ptioniste m ontrait
ensem ble rem arquable l ’ analyse des épiclèses de toutes com m ent, à son avis, les conceptions théologiques de
les liturgies. Il y a là un fait extrêm em ent intéressant. l ’ O rient expliquent l ’ origine de l ’ épiclèse en m êm e
C ertainem ent, nous ne voyons pas de m om ent de la tem ps que sa survivance dans la liturgie. « Le génie
m esse, après le récit de la cène, où les intentions euco- latin a toujours recherché, m êm e dans les choses di ­
logiques soient m oins abandonnées à l ’ arbitraire et vines, la netteté et la précision des form ules. D ans la
partant plus identiques dans toutes les liturgies. Il théologie sacram entaire, il a distingué la m atière et la
suffit de les lire pour constater que toutes se m euvent, form e; et pour l ’ eucharistie il a dit : le pain et le vin,
avec plus ou m oins de concision, dans les lignes que voilà la m atière; les paroles de l ’ institution, voilà la
nous allons relever. Toutes les form ules, à la vérité, ne form e. A ussitôt que cette form e a été appliquée à la
contiennent pas chacun des traits qui form ent le m atière, le m ystère est consom m é. Le pain et le vin
thèm e com m un, ni chacun de ceux qu ’ elles conservent, sont changés instantaném ent au corps et au sang du
d ’ une façon égalem ent explicite. M ais toutes en ex ­ C hrist, et il n ’ en reste que les espèces ou accidents.
prim ent ou en développent toujours tantôt l ’ un, tan ­ M atière, form e, transsubstantiatien, perm anence des
tôt l ’ autre, souvent plusieurs ct m êm e tous à la fois.» accidents, instantanéité du prodige : voilà les concep ­
Ibid. tions dom inantes de la théologie latine. Les G recs ont
E t dom C agin énum ère ici les trois idées contenues pu quelquefois se servir de ces m ots, surtout du m ot
dans les form ules d ’ épiclèse ou soudées en quelque transsubstantiation, ou de ses équivalents, qui sont
sorte avec elles : a) l ’ anam nèse (Unde et memores); com m e les m ots nécessaires du dogm e. Pour saint Jean
b) l ’ oblation (Offerimus majestati tuœ de tuis donis ac C hrysostom e, com m e pour saint Thom as d ’A quin, les
datis hostiam puram, hostiam sanctam...; c) la dem ande paroles de l ’institution, paroles du C hrist lui-m êm e,
d ’ acceptation du sacrifice avec la signification sym ­ sont seules capables de réaliser l ’ ineffable m iracle.
bolique de. cette acceptation. Ce troisièm e m em bre, au M ais en général, les théologiens orientaux ont consi ­
dire du savant bénédictin, répond à la confirmatio déré le m ystère du sacrem ent sous un autre aspect. La
sacrificii. La préoccupation plus spéciale d ’ adapter le théorie de la m atière et de la form e ne les préoccupe
sacrifice à la com m union et la pensée des effets sacra ­ pas; le m ode de présence du C hrist et toutes les diffi­
m entels, généralem ent m entionnées, form eraient la cultés d ’ ordre m étaphysique, qui ont tant exercé le
confirmatio sacramenti proprem ent dite. La prem ière génie de nos théologiens, n ’ ont guère attiré leur atten ­
serait surtout m ise en relief dans les liturgies latines; tion. Surtout, ils ne paraissent pas avoir jam ais insisté
la seconde, dans les liturgies orientales. D e ces der ­ sur l ’ instantanéité du changem ent de substance. »
nières dom C agin va jusqu ’ à dire : « C ’ est à peine si N ous ferions ici quelques réserves, si elles ne se déga ­
l ’ on peut croire qu ’ elles songent à la confirmatio sacri­ geaient déjà de l ’ exam en que nous avons présenté de la
ficii, préoccupées qu ’ elles sem blent être exclusivem ent tradition ecclésiastique et des tém oignages que nous
d ’ obtenir la confirmatio sacramenti corrélative à l ’ effet en avons cités. En tenant com pte de ce correctif, nous
sacram entel. » Ibid. continuons à transcrire l ’ exposé du P. B ouvy :
J ’ ai noté ailleurs ce qu ’ il y a de subtil dans de telles « Ils (les théologiens orientaux) ont pris Je dram e
distinctions et que, si l ’ on tient au nom de confirmatio liturgique dans son ensem ble, ils ont fait ressortir la
sacrificii ou sacramenti, l ’ une et l ’ autre idée se re ­ suite harm onieuse et progressive des rites sacrés, tous
trouvent aussi bien dans les liturgies orientales que im portants et solennels, depuis la doxologie et le com ­
dans les sacram cntaires latins. V oir m on article : m encem ent de l ’ anaphore jusqu ’ à la com m union. Il
Formules orientales analogues aux oraisons « Supra nous sem ble m êm e, après une étude attentive des
quæ ct Supplices te» du canon romain, dans la Dénué textes, qu ’ ils distinguent, dans la présence substan ­
augustinienne, m ars 1909, p. 303-318. J ’ ajouterai tielle du C hrist sur l ’ autel, deux phases successives. La
que, à s ’ en tenir aux propositions de dom C agin, les vie eucharistique du Sauveur, selon l ’ analogie de sa
textes, entre autres celui de saint Isidore de Séville, vie m ortelle, subit une m ystérieuse croissance. A près
sont loin de devenir plus clairs, puisque l ’ appellation l ’ anam nèse (l’auteur veut désigner ici par ce nom le
289 É P IG L ÈS E E U C H A R IS TIQ U E 290

récit de la cène), il est d ’ abord présent et vivant, m ais Sancto noverit natum? I bid.,c.x,co\. 188. Cf. c. xi, xn,
caché, silencieux, inconnu. Par l ’ épiclèse ou l ’ invo ­ coi. 190-192; Lib. VIII contra Fabianum, fragni.
cation au Saint-E sprit, il reçoit sa m ission divine au ­ xxvin, xxtx, ibid., col. 789-791, 795.
près des âm es. C ’ est le m om ent de sa théophanie, de C ette juxtaposition des deux idées : transsubstan ­
sa m anifestation com m e A gneau de D ieu et com m e tiation et application des effets eucharistiques ou
Fils bicn-aim é du Père, c'est l ’ heure de son ostension, sanctification du sacrifice, suffit à prouver que cette
έπίδειξις , de sa gloire, de l ’ attraction puissante qu ’ il dernière, en dépit de certaines expressions, n ’ est pas
doit exercer sur le m onde. » E. B ouvy, Les Églises donnée par saint Fulgence com m e l ’ explication totale
orientales, Traditions et liturgies eucharistiques, dans de l ’ épiclèse, m ais seulem ent com m e une explication
le Congrès eucharistique de Reims, 1894, p. 756. partielle.
B ellarm in et plusieurs autres théologiens ont aussi A ussi, le cardinal O rsi, après avoir consacré plu ­
basé leur interprétation de l ’ épiclèse sur l ’ idée de sieurs pages de son ouvrage, p. 112-125, à développer,
manifestation attachée à tort au verbe άποδεικνόναι ou avec une visible com plaisance, l ’ interprétation consis ­
άποφαίνειν. C ’est apparem m ent sur une base analogue tant à voir dans l ’ épiclèse l ’ application des effets
que repose la théorie du P. B ouvy. Signalons, parm i eucharistiques considérée com m e une sorte de com plé ­
les auteurs qui, sans avoir traité la question ex pro­ m ent à la consécration (ad integralem nempe conse­
fessore sont ralliés à cette idée de m anifestation eu­ crationem donorum, dit-il, p. 112, avec H ardouin,
charistique : H cfele, Der Protestantismus und das De sacram, altaris dissert., c. vu), se trouve-t-il
Urchristcntum, dans Tübing. Quartalschri/t, 1845, réduit à déclarer qu ’ une telle interprétation ne peut
p. 203; D aniel, Codex liturg., t. iv, p. 412. Cf. H oppe, satisfaire l'esprit. Quamquam traditam capite præce-
op. cit., p. 221, 222, qui fait rem arquer les dangereuses denti lilurgicœ Sancti Spiritus έπικλήοεως interpre­
conséquences, au point de vue des preuves de la tationem tot conjecturis et rationum momentis confirma­
croyance en la transsubstantiation, de cette fausse verim, in ea tamen, ut candide ac sincere loquar, animus
conception de à-oqiiven. R enaudot a apodictique- non adquicscit. O rsi, op. cit., p. 126.
m ent dém ontré la com plète synonym ie des verbes E t ii en donne aussitôt la raison, qui est celle que
άποφαίνειν, άναδεικνύναι, τελειοΰν, ποιεΐν, op. cit., t. I, nous avons fait ressortir au cours de cet article et qui
р . L xxxvi et 241. Cf. H oppe, op. cit., p. 26, note 51. com m ande en effet toute la question. Ut enim Renau-
V oir aussi, sur le sens précis ά ’ άναδεικνύναι, etc., ou dotius observai, in omnibus quotquot exstant apud
transsubstantier, Théodore d ’ A ndéda, P. G., t. c x l , Græcos et apud Orientales invocationis formulis, ad­
col. 453, qui l'affirm e expressém ent. ventus aut illapsus Spiritus Sancti in dona proposita < t
O n ne saurait nier que ces diverses théories : vivi ­ in eos qui eadem suscepturi sunt, adeurate distinguitur :
fication ou résurrection m ystérieuse du corps eucha ­ primus, UT DONA PROPOSITA f a c ia t c o r p u s b t s a n ­
ristique du C hrist, état eucharistique com plet et g u in e m CHRISTI; alter, UT QUI ILLORUM PARTICIPES
adéquat, confirmatio sacramenti ou sacrificii, m ani­ ERUNT, REMISSIONEM PECCATORUM CONSEQUANTUR ET
festation, ostension, théophanie eucharistique, ne v it a m æ t e r n a m . Ibid. Il n ’ a pas de peine à établir
soient, par leur élévation m êm e com m e aussi par la preuve de cette distinction des deux idées de l ’ épi ­
l ’ autorité et la com pétence des auteurs qui les pro ­ clèse, et il conclut en ccs term es : Quæ omnia satis aper­
posent, de nature à faire im pression sur l ’ esprit. Ce te demonstrare videntur lotam illam Sancti Spiritus
sont, du reste, je le répète, des explications partielle ­ apud Græcos et Orientales invocationem ad fructuosam
m ent vraies et qui ne m anquent pas de fondem ents dumtaxat sacrorum mysteriorum susceptionem trahi nisi
patristiques. inepte non posse... His itaque difficultatibus me admo­
Sur ce dernier point, qu ’ il suffise de signaler ici dum retineri sentio, ne a plerisque theologis traditam
certains textes de saint Fulgcnce. Ce docteur africain, et a me etiam variis conjecturis firmatam liturgicæ
nous l ’ avons vu, affirm e très nettem ent que le Saint- invocationis interpretationem amplectar. Est igitur alio
E sprit est invoqué pour la consécration. Ce qui ne confugiendum. Ibid., p. 131, 133.
l ’ em pêche pas d ’ assigner aussi com m e but et com m e A vant d ’ essayer, àla suite du cardinal O rsi, unesyn-
effet à cette invocation une sanctification du sacrifice, thèsede ce qu ’ il yadevrai dans chacune des interpréta ­
im pliquant surtout la diffusion de la charité dans tions que nous venons d ’ énum érer en partie, signalons,
l ’ Église et dans les âm es par l ’ eucharistie, c ’ est-à-dire, par m anière de résum é, d ’ après Franz, op. cil., t. n,
en som m e, l ’ application des effets eucharistiques. p. 191 sq., en notant d ’ un m ot les principales nuances
Parfois m êm e certaines expressions pourraient laisser d ’ opinions, les explications que nous regardons com m e
croire qu ’ à cela se réduit toute son interprétation de insuffisantes : 1. Sim ple prière de com m union, c ’ est-
l ’ épiclèse, si l ’ on ne se rappelait en quels term es for ­ à-dire dem ande d ’ application des effets eucharistiques
m els, et souvent dans le m êm e passage, ce Père attri ­ sans aucun rapport avec la consécration (Bellarm in.
bue au Saint-E sprit l ’ acte propre de la transsubstan ­ Lugo, etc.) ; pure relation au corps m ystique du C hrist,
tiation. A insi, après avoir énoncé très clairem ent, à c'est-à-dire à l ’ Église, aux âm es, et non à son corps
plusieurs reprises, cette attribution, il ne laisse pas eucharistique : autre form e de l ’ opinion précédente
d'écrire : Cum ergo Sancti Spiritus ad sanctificandum (Torqucm ada, Suarez; B essarion lui-m êm e parait avoir
totius Ecclesiæ sacrificium postulatur adventus, nihil donné un instant son adhésion à cette théorie) ; 2. In ­
aliud postulari mihi videtur, nisi ut per gratiam spiri- tention de l ’ Église, qui devrait en quelque m anière
talem in corpore Christi, quod est Ecclesia, caritatis être exprim ée sim ultaném ent au prononcé des pa ­
unitas jugiter indisrupta servetur. A.d Monimum, 1. II, roles du Sauveur (Le B run, H enke, O sw ald; on peut
с . ix. P. L., t. l x v , coi. 187. y ajouter B ossuet); 3. R evivification m ystique du
M êm e tém oignage un peu plus loin, im m édiatem ent corps du C hrist (C ienfuegos); 4. Épiclèse, cause
suivi cependant de l'appropriation de l ’ acte consécra ­ im pétrante ou im pétratoire de la consécration, tan ­
teur au Saint-E sprit et de l ’ assim ilation établie entre dis que les paroles de l ’ institution en sont la cause
la transsubstantiation et l ’ incarnation : Dum itaque efficiente (T outtée, Laem m er, et à quelques nuances
Ecclesia Spiritum Sanctum sibi cælitus postulat mitti, près, certains orientaux com m e C abasilas et Sim éon
donum sibi caritatis et unanimitatis postulat a Deo con- de Thessalonique, Isidore de K iev, M ansi, t. xxxi,
fer~i. Quando autem congruentius quam ad consecran- col. 1686-1687, etc.); 5. C aractère sacrificiel de
j sacrificium corporis Christi sancta Ecclesia (quæ l ’ épiclèse; prière de l ’ Église au Prêtre céleste et a
corpus est Christi) Spiritus Sancti deposcat adventum l ’ A nge de l ’ alliance, analogue à la prière des laïques
qpx ipsum caput suum secundum carnem de Spiritu au prêtre dans le sacrifice m osaïque (Scheebcn); on
D IC T . D E T H É O L . C A T I I O I .. V. - 10
291 É P IC L ÈS E E U C H A R IS T IQ U E 292

peut rattacher à cette idée l ’ opinion de dom C agin 2° elle est l ’ œ uvre du C hrist et de ses paroles sacrées;
(confirmatio sacramenti ou sacrificii) et celle du 3°elle est spécialem ent l ’ œ uvre de l ’ E sprit-Saint.
P. B ouvy (m anifestation eucharistique); 6. Prière A insi form ulées, ces propositions n'ont, en soi,
de l ’ Église en tant que m inistre (H oppe); 7. Prière rien que de conciliable entre elles : à la seule condition
d ’ action de grâces (Probst); 8. Extension rituelle de les appliquer toutes trois ensem ble au m êm e instant
du m om ent de la consécration pour l ’ édification du où s ’ accom plit le m ystère. C ette question de l ’ ins ­
peuple (Bessarion). tantanéité du m iracle eucharistique ne se posait
D ans cette liste d'explications insuffisantes ou in ­ pas à l ’ esprit des anciens écrivains ecclésiastiques
com plètes Franz insère en plus : celle qui considère avec la m êm e netteté qu ’ au nôtre. Q uelques-uns
l ’ épiclèse com m e une prière pour dem ander ce que l ’ ont entrevue parfois, tels saint G régoire de N ysse,
l ’ on a déjà obtenu par ailleurs (B essarion) et celle qui saint G régoire de N azianze et saint Jean C hrysos ­
la regarde com m e une expression de la foi au chan ­ tom e, et ils ont alors m is pleinem ent en relief la
gem ent substantiel (opinion qu'il attribue à B ossuet). seconde des trois propositions que nous venons d ’ énu ­
Incom plètes sans doute dans la form ule, ces deux m érer, sans préjudice de la vérité des deux autres.
explications contiennent déjà la principale part de L a tradition antérieure reçoit ainsi par eux la pré ­
l ’ interprétation totale. Il en faut dire autant de l'opi ­ cision qui lui m anquait, m ais elle n ’ en est par ail­
nion de Franz lui-m êm e : pour cet auteur, on le sait, leurs aucunem ent m odifiée.
l ’ épiclèse est le développem ent rituel du contenu de E n O rient, la précision n ’ alla pas plus loin. A u
foi et de grâce de l'eucharistie par rapport au Saint- contraire, il arriva que, m al aiguillée par des vues
E sprit, à l ’ effet de glorifier le Paraclet com m e consé- polém iques et par l ’ interprétation erronée d ’ un m ot
cratcur et aussi com m e dispensateur de toute vie de à signification très orthodoxe, le m ot antitype, la pen ­
grâce. En ajoutant à ces dernières idées l ’ analogie de sée de saint Jean D am ascène fit fausse route et en ­
la transsubstantiation avec l ’ incarnation, et donc en gagea l ’ esprit oriental dans la voie d ’ une erreur
appropriant la vertu consécratoire au Saint-E sprit dem eurée inconsciente pendant des siècles, puis pro ­
sans atténuer en rien la doctrine de la coopération des fessée com m e un dogm e opposé à la croyance catho ­
trois personnes divines, on ne sera pas loin de posséder, lique. Tandis que le génie latin, parvenu plus direc ­
croyons-nous, les principaux élém ents de la véritable tem ent à la pleine conscience de l ’ instantanéité de
solution. Ce sont ces élém ents que nous allons essayer la transsubstantiation et de l'efficacité entière des
de réunir en une rapide synthèse qui servira de con ­ paroles du Sauveur, éprouve le besoin de m arquer de
clusion à cet article. son em preinte sa théologie et sa liturgie elle-m êm e,
V II. R é s u m é e t c o n c l u s i o n ·. — L a tradition l'O rient continue à s ’ en tenir volontiers à ses for ­
est constante à nous affirm er tout à la fois l ’ efficacité m ules traditionnelles. E t le schism e étant venu depuis
consécratoire des paroles du Sauveur et le fait de des siècles éteindre en lui l ’ ardeur du travail théo ­
prières adressées par l ’ Église à D ieu, spécialem ent logique, il arrive souvent que ces form ules tradition ­
à l ’ E sprit-Saint, pour lui dem ander d ’ opérer le m ys ­ nelles ne sont plus exactem ent com pris, s par ceux-là
tère, m êm e après qu ’ ont été prononcées les paroles précisém ent qui s ’ en prétendent les défenseurs.D e là,
évangéliques. C ette double affirm ation peut, à pre ­ la part trop grande faite par eux au rôle eucharis ­
m ière vue, nous paraître étrange et contradictoire. tique de l ’ E sprit-Saint et à l ’ épiclèse, non sans détri ­
I) ne faut cependant pas trop nous en étonner. A m ent grave pour les paroles de l'institution. D e là.
l ’ époque de la form ation des liturgies anciennes et la position des dissidents orientaux par opposition
au tem ps des Pères, la m éthode serrée, précise, rigou ­ à la doctrine catholique.
reuse, de la scolastique n ’ était pas encore connue. Le L ’ étude que nous avons poursuivie à travers les
génie occidental, m oins am i du vague, s ’ est achem iné pages qui précèdent, nous perm et de légitim er entiè ­
àces précisions de la doctrine sacram entaire plus direc ­ rem ent la croyance catholique et de concilier parfai­
tem ent et plus vite que le génie oriental. Encore est-il tem ent entre elles les trois propositions énoncées
que l ’ un et l ’ autre sont dem eurés un certain tem ps ci-dessus. U nité d ’ action des trois personnes divines
au m êm e degré d ’ im précision. dans le m ystère eucharistique; sacerdoce du C hrist
N on pas, sans doute, que la doctrine catholique sur agissant par le m inistère du prêtre qui consacre en
la form e de l ’ eucharistie n ’ ait des attaches très ferm es répétant les paroles de l ’ institution; vertu transsub-
jusque dans la littérature ecclésiastique des prem iers stantiatrice du Saint-E sprit: telles sont, en définitive,
siècles : les pages précédentes auront am plem ent les trois idées fondam entales présentées par les litur ­
dém ontré le contraire. M ais les affirm ations qu ’ on en gies et par les écrivains ecclésiastiques. La prem ière
trouve dans l ’ ancienne tradition, si nom breuses et la troisièm e de ces idées sont tout naturellem ent
qu ’ elles soient, ne sont faites qu ’ en passant, et du exprim ées par des prières ou des invocations et dési ­
point de vue liturgique plutôt que du point de vue gnées par des term es analogues; la seconde, tout
théologique. Il faut en dire autant, d ’ ailleurs, des naturellem ent aussi, est exprim ée et réalisée à la fois
affirm ations concernant l ’ attribution de la transsub ­ par les paroles de Jésus-Christ : Ceci est mon corps...,
stantiation au Saint-E sprit et l ’ épiclèse. Ces tém oi ­ ceci est le calice de mon sang...; la troisièm e se trouve,
gnages, com m e ceux en faveur de l ’ efficacité des pa ­ non m oins naturellem ent, traduite par l ’ épiclèse.
roles de l ’ institution, sont inspirés par la liturgie. Cf. H oppe, op. cil., p. 306, 307, 318.
D e là leur union dans les écrits ecclésiastiques aussi S ’ il s ’ agit de déterm iner le m om ent précis de la
bien que dans la liturgie elle-m êm e. La doctrine sacra ­ transsubstantiation, une seule solution est possible :
m entaire, et spécialem ent celle qui correspond à la c ’ est de tenir, avec l ’ Église catholique, les paroles de
théorie de la m atière et de la form e, ne pouvant avoir l ’ institution pour la form e de l ’ eucharistie.
dès le. début la précision que lui a donnée peu à peu M ais si, abstraction faite de ce m om ent précis, on
la réflexion théologique, il n'y a pas à être surpris que considère la consécration eucharistique com m e une
les Pères parlent de la consécration eucharistique œ uvre de la toute-puissance divine, com m une aux
com m e en parlent les prières du canon de la m esse, trois personnes de la sainte T rinité, ainsi que toutes
c ’ est-à-dire en nous en m ontrant successivem ent les di­ les œ uvres ad extra, on n ’ aura pas de peine à com ­
vers aspects. Ces aspects peuvent se ram ener à trois prendre le langage des liturgies et des Pères relative ­
propositions : l°Ia consécration est une œ uvre delà m ent à l ’ ensem ble de l ’ eucologie eucharistique.
puissance divine; en général, et, à ce titre, elle est Enfin, la théorie théologique de l ’ appropriation
souvent considérée com m e l ’ œ uvre de D ieu le Père; donnera la raison de la vertu transsubstantiatricc du
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Saint-E sprit. C elle-ci est, en effet, une appropriation la consécration s ’ accom plit, d ’ après la doctrine catho ­
basée sur l ’ analogie de la transsubstantiation avec lique, au m om ent où le prêtre prononce les paroles
l'incarnation, sur la théorie générale de la sanctifi­ du Sauveur. R econnaître dans l ’ épiclèse l ’ expression
cation, sur la doctrine — chère surtout aux Pères très nette de cette opération divine du Saint-E sprit
orientaux — d ’ après laquelle le Saint-E sprit est con ­ n ’ est donc pas, pour autant, expliquer pourquoi la
sidéré com m e l ’ opération divine, la vertu et l ’ opération liturgie dem ande encore, après les paroles du Sauveur,
vivante du Fils, l ’ action vivante du Père par le Fils. que le Saint-E sprit vienne accom plir le m ystère de
« L ’ E sprit-Saint, dit saint C yrille d ’ A lexandrie, est la la transsubstantiation.
puissance et l ’ action naturelle de la divine sub ­ C ’ est ici qu ’ il faut faire intervenir le principe de-
stance... Il opèretoutes les œ uvres de D ieu. » Thesaur., B ossuet : « T out cela est un effet du langage hum ain
assert, xxxiv, P. G., t. l x x v , col. 580, 608. Cf. S. qui ne peut s ’ expliquer que par partie. » L ’ invocation
A thanase, Epist., i, ad Serap., n. 20, P. G., t. xxvi, du Saint-E sprit ne pouvant avoir lieu en m êm e tem ps
col. 580; S. G régoire le T haum aturge, Exposit. fidei, que la prononciation des paroles du C hrist, elle a été
P. G., t. x, col. 985; S. G régoire de N ysse, dont il placée à un autre m om ent.
sera utile de citer ici cette phrase : « Toute opération M ais du m oins ne serait-il pas plus logique que cette
qui va de D ieu à la créature, quel que soit le nom invocation fût avant la consécration et non pas après?
qu ’ on lui donne selon la diversité des concepts, part A prem ière vue, oui. E t pourtant, il y a, contre cet
du Père, passe par le Fils, et s ’ achève dans l ’ E sprit- a priori, le fait universel de l ’ épiclèse à la place que
Saint. » Epist. ad Ablabium, P. G., t. x l v , col. 125. nous avons constatée. Ce fait universel et cette place
L ’ épiclèse n ’ est-elle pas tout sim plem ent une appli­ constante doivent avoir leur raison d ’ être. C ette rai ­
cation spéciale de cette doctrine générale à la trans ­ son, il faut la chercher, croyons-nous, dans un autre
substantiation eucharistique ? La form ule de saint fait, liturgique lui aussi et d ’ inspiration profondém ent
G régoire de N ysse sem ble bien être la clé de la véri­ théologique : c ’ est l ’ existence, dans le canon de la
table explication. D u reste, certains passages de m esse, d ’une triple eucologie bien distincte : l ’ euco-
l ’ ancienne littérature chrétienne font explicitem ent logie du Père, l ’ eucologie du Fils, l ’ cucologie du
cette application de la doctrine trinitaire à l ’ eucha­ Saint-Esprit. La préface est l ’ action de grâces (Γεύχα-
ristie. V oici, par exem ple, un texte rem arquable ριστια) à D ieu le Père, la reconnaissance de l ’ œ uvre
recueilli dans le De sacramentis, com pilation des créatrice et conservatrice; la partie qui va du Sanctus
environs de l'an 400. L 'auteur vient de parler des à l ’ épiclèse est celle du Fils accom plissant l ’ œ uvre
trois sacrem ents de l ’ initiation chrétienne : baptêm e, rédem ptrice; l ’ épiclèse m arque l ’ action sanctifica ­
confirm ation, eucharistie, et il conclut en rappelant trice du Saint-E sprit, m ais surtout l ’ opération spé ­
l ’opération des trois personnes divines dans la confec ­ ciale qu ’ il vient d ’ accom plir, à la parole du Fils, dans
tion de ces sacrem ents. Ergo accepisti de sacramentis, les élém ents, com m e autrefois dans le sein de la V ierge
plenissime cognovisti omnia, quod baptizatus es in à la parole de l ’ ange et de M arie. Cf. C agin, Paléogra­
nomine Trinitatis, in o m n ib u s Qu .e e g im u s , SERVA ­ phie musicale, t. v, p. 85 sq.
TUM EST MYSTERIUM TRINITATIS. UBIQUE PATER ET T out cela, d ’ aillcurs, com m e on l'a justem ent
HLIUS ET SPIRITUS SANCTUS, UNA SANCTIFICATIO, etsi rem arqué, ibid., se succède suivant une progression
queedam vcluti specialia esse videantur.P. L., t. xvi, historique évidente. D e cette sorte, la liturgie garde
coi. 455. l'ordre logique des trois personnes divines entre elles
N ous avons indiqué, au m oins en référence, dans et l ’ ordre chronologique de leur intervention dans
notre exposé de la tradition ecclésiastique, nom bre de l ’ œ uvre de la rédem ption. Telle est, pensons-nous, la
textes analogues visant directem ent la coopération m eilleure explication de la place généralem ent réser­
des trois personnes divines dans le m ystère de la con­ vée à l ’ épiclèse dans les liturgies.
secration. A joutons-y cette phrase de l ’ anaphore C ette explication, de m êm e que les précédentes, est
syriaque de saint Jacques : Pater Domini nostri Jesu ém inem m ent traditionnelle. O n la trouve notam m ent
Christi..., qui oblationes ex donis et proventibus fru­ dans m aints com m entaires liturgiques syriaques, ainsi
ctuum tibi oblatis in odorem suavitatis dignatus es san­ que le fait justem ent rem arquer le continuateur de
ctificare et perficere per gratiam Unigeniti Filii tui ct Ferraris, Prompta bibliotheca, v° Eucharistia, édit.
per Illapsum Spiritus tui Sancti. R cnaudot, op. cit., M igne, Paris, 1865, t. ni, col. 803 : Orientales nonnulli
·.. n, p. 39. C ’ est dans ce sens que saint C yrille de Jéru- scriptores, praesertim Syri, causam quoque afferunt
.ilem peut attribuer la consécration à « l ’ invocation de ob quam invocatio Spiritus Sancti in Orientalium
la sainte ct adorable T rinité. » Cat., xvin, n. 7. C ’ est liturgiis post eucharistiae institutionis historiam et
dans ce sens qu ’ un des plus célèbres polém istes latins Christi verba collocata sit, licet per eam postuletur ut
du m oyen âge contre les O rientaux, le cardinal H um - id fiat quod divina virtute per Christi verba fieri debet.
bert, écrivait en 1054 : Taliter præparatus azymus Censent enim ibi esse posita, ut in saca liturgia divinas
Àdi invocatione totius Trinitatis fit verum el singu- personas invocando o r d o h a b e a t u r quem invicem ser­
Lzre corpus Christi... Tota beata Trinitas in conse­ vant. Hinc primum aeterni Patris ut creatoris et rerum
cratione eucharistia: cooperatur. Adv. Græcor. calum- omnium conservatoris ; deinde œlerni Filii, qui homo
aias. xxx, P. L., t. c x l i ii , col. 950. factus eucharistiam instituit, cujusque verbis a sacer­
Œ uvre com m une aux trois personnes, la trans ­ dote ejus gerente personam prolatis eucharistia conse­
substantiation n'est spécialem ent attribuée au Saint- cratur; ac postremo loco Spiritus Sancti mentio et invo­
Esprit qu ’ en vertu d ’ une appropriation qu ’ explique catio occurrit, cui secreta actio in qua — prolatione
b théologie des Pères et, en particulier, la form ule de Christi verborum — transmutantur oblata, et sacramenti
saint G régoire de N ysse touchant l ’ action divine en effectus tribuuntur.
général. N ous croyons pouvoir em ployer ici ce term e U n passage de saint C yrille d ’A lexandrie est à citer
1 appropriation, bien que la théologie des Pères grecs ici. Le saint docteur y com m ente en ces term es le
diffère, par des nuances, de celle des Pères latins sur récit évangélique de l ’ institution de l ’ eucharistie :
b question de l'appropriation en général. « Jésus rend grâces, c ’ est-à-dire qu ’ il s ’ adresse à son
R este toujours la difficulté que fait la place occupée Père en form e de prière pour se l'associer dans le don
par l ’ épiclèse dans les liturgies, après les paroles de qu ’ il va nous faire de l ’ eulogie vivifiante. C ar toute
1 institution. O pération de la puissance divine en grâce et tout don parfait descend sur nous du Père
général, opération du Père par le Fils dans le Saint- par le Fils dans le Saint-Esprit. Cet acte (du C hrist)
E sprit, ou sim plem ent opération du Saint-E sprit, était donc pour nous-m êm es un m odèle de la suppli ­
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cation que nous devons adresser au m om ent d ’ offrir stantiation et de sanctification des com m uniants, qui
le m ystère de la sainte et vivifiante oblation. C ’ est se trouvent d ’ ailleurs intim em ent unies, quoique
d ’ ailleurs ce que nous avons coutum e de faire. En distinctes entre elles, dans la liturgie et la tradition.
effet, c ’ est en adressant nos actions de grâces, en glo ­ Q u ’ on se rappelle à cet égard les textes très intéres ­
rifiant, en m êm e tem ps que D ieu le Père, le Fils avec sants de saint Fulgcnce. La théologie et la tradition
le Saint-E sprit, que nous approchons des saints au ­ se concilient ainsi de la m anière la plus naturelle. La
tels... D ieu le Père vivifie donc toutes choses par le sanctification des com m uniants est m entionnée à sa
Fils dans le Saint-Esprit. » In Luc., xxn, 19, P. G., vraie place. Q uant à la dem ande de transsubstantia ­
t. l x x ii , col. 908. Cf. In Matth., xxvi, 27, col. 452. tion, form ulée m êm e après que les paroles du C hrist
La place de l ’ épiclèse après les paroles consécra- ont opéré le m ystère, elle s ’ explique par le procédé
toires de l'institution peut donc s ’ expliquer, sans pré ­ ordinaire du style liturgique, et spécialem ent par
judice pour l ’ efficacité entière de celles-ci, par deux l ’ euchologie trinitaire bien m arquée dans le canon
m otifs : 1° par la nécessité où se trouve le langage de la m esse.
hum ain d ’ énoncer successivem ent les divers aspects T out se réduit, en som m e, à une question d ’ appro ­
de ce qui s ’ opère en un instant, cf. O rsi, op. cit., p. 142- priation et à une question de style liturgique. O n peut
146; 2° par la pensée théologique, évidente dans la dire, à propos de cette dernière, que l ’ épiclèse n ’ est pas
liturgie et chez les Pères, de m arquer, dans la contex ­ un fait isolé dans la liturgie. O n retrouve de véritables
ture m êm e du canon de la m esse, l ’ ordre logique des épiclèses dans tous les rituels, à l ’ adm inistration des
personnes divines entre elles et de leur intervention divers sacrem ents, surtout du baptêm e, de la confir ­
dans l ’ économ ie du salut. m ation et de l ’ ordre. Le m inistre y dem ande au Saint-
A insi donc, l ’ E sprit-Saint concélèbre, peut-on dire, E sprit de venir opérer les effets du sacrem ent, alors
avec le Père et le Fils au m om ent où le prêtre pro ­ m êm e que les paroles de la form e, dûm ent prononcées
nonce les paroles qui consacrent : Ceci est mon corps..., et unies à la m atière, les ont déjà produits. O n peut
ceci est le calice de mon sang... M ais, pour sauvegar ­ voir de nom breux exem ples de ce fait dans O rsi, op.
der l ’ ordre qui est le plan m êm e du canon de la m esse, cit., p. 133 sq.; R enaudot, op. cit., t. i, p. 229-232; t. n,
force est bien au langage hum ain de reporter après la p. 67, 92-93, 143; H oppe, op. cit., p. 307 sq., 314. D e
consécration l ’ énoncé de l ’ opération transsubstan- m êm e, aux offices des défunts, l ’ Église prie pour les
tiatrice du Saint-Esprit, laquelle coïncide en réalité âm es des m orts com m e si leur sort n ’ était pas encore
avec l'action consécratrice du Fils. réglé, alors que pourtant le jugem ent de D ieu a été
Seule, l ’ action sanctificatrice de la troisièm e per ­ déjà porté et exécuté. D e m êm e aussi, dans l ’ Évan-
sonne sur les fidèles par le sacrem ent est m entionnée gile, Jésus dit à l ’ hém orroïssc : « V a et sois guérie, »
à sa vraie place après la consécration. C ette action alors que cette fem m e a déjà senti sa guérison se pro ­
sanctificatrice est une explication partielle de l ’ épi ­ duire au contact de la robe du Sauveur. Cf. O rsi,
clèse, m ais elle n ’ est qu ’ une explication partielle. op. cit., p. 117.
Elle ne suffit à expliquer que les épiclèses plus ré ­ L ’ épiclèse eucharistique n ’ est qu ’ un cas particu ­
centes d ’ O ccident, gallicanes ou m ozarabes, à teneur lier de ce procédé com m un,auquel l ’ appropriation de
plus adoucie, ainsi que certaines form ules liturgiques la transsubstantiation au Saint-E sprit donne ici une
orientales qui viennent à d ’ autres endroits de la m esse spéciale im portance. Si l ’ Église rom aine a banni de
après l ’ épiclèse et auxquelles H oppe donne le nom cette form ule toute expression concernant directem ent
générique d ’ épiclèses de fraction. M ais les épiclèses la confection du sacrem ent, c ’ est pour m ieux m ettre
anciennes et proprem ent dites, ainsi que toute la en relief l ’ efficacité absolue des paroles de l ’ institu ­
tradition, attribuent au Saint-Esprit beaucoup plus tion, m ais sans détrim ent pour l'unité d ’ action des
qu ’ une sim ple action sanctificatrice sur les com m u ­ trois personnes divines et pour l ’ appropriation au
niants, beaucoup plus qu ’ une confirmatio sacramenti Saint-E sprit. Elle est donc en pleine conform ité avec
ou sacrificii, beaucoup plus qu ’ une ostension ou épi- l ’ enseignem ent de la tradition.
phanie eucharistique, quelle que soit la haute signi ­ C ’ est, en définitive, l ’ explication que donnait déjà
fication donnée à de telles expressions. d ’ une autre m anière, au xi° siècle, saint Pierre D a ­
Ce qui est attribué au Paraclet, c ’ est la confection m ien, et un peu plus tard Innocent III, qui écrivait :
m êm e du sacrem ent, c ’ est la sanctification du pain Patet ergo, quantum ad ordinem eucharistiae consecran­
et du vin, c ’ est-à-dire leur consécration. Pour avoir dae, quod capitulum istud : Qui pridie quam pateretur
parfois un peu trop laissé de côté ou cherché à atténuer in fine canonis subjici debuisset, cum in eo consecratio
cette donnée bien précise de la tradition, certains consummatur. Sed cum impedivisset ordinem hi­
théologiens catholiques se sont condam nés à ne four ­ storiae recolendae, quia quod gestum est in medio, reco­
nir que des interprétations incom plètes de l ’ épiclèse. leretur in fine, providus canonis ordinator, ut ordinem
Sur cette double idée contenue dans l ’ épiclèse : idée servaret historiae, quasi quadam necessitate compulsus,
de consécration et idée d ’ application du sacrem ent ou capitulum istud Qui pridie quam pateretur, quasi cor
du sacrifice, voir Le B run, op. cit., t. v, p. 267 sq. ; canonis in medio collocavit : UTQU.K SEQUUNTUR, in t b l -
O rsi, op. cit., p. 126, 129, 130, qui m ontre très juste ­ l ig a n t u r p r æ c b d e r e ,secundum illam figuram quasæpc
m ent que l ’ explication de l ’ épiclèse par la seule action fit ut quæ narratione succedunt, intellectu praecedant.
sanctificatrice sur les com m uniants favorise très Innocent III, De sacrificio missæ, 1. V , c. π, Quare
m al à propos les protestants. D om T outtée le décla ­ post consecrationem signa super eucharistiam fiunl,
rait aussi : Verba hæc (les paroles des épiclèses litur ­ P. L., t. ccxvii, coi. 888.
giques) detorquere ad effectus eucharistiae in nobis S ’ il fallait réduire à quelques propositions les résul­
postulandos Ecclesiam luculentissimo, antiquissimo tats de cette étude, voici com m ent on pourrait les
et constantissimo transsubstantiationis testimonio pri- énoncer : 1° La form e du sacrem ent de l ’ eucharistie
uare est. De doctrina S. Cyrilli Hieros., diss. III, consiste dans les paroles de l ’ institution prononcées
c. xii, P. G., t. xxxiii, coi. ccxxxvm . D e m êm e par le prêtre in persona Christi, et non point dans
A ssém ani appelle cette tentative d ’ explicationspecïosa l ’ épiclèse. L ’ Église orientale est en contradiction avec
expositio, sed non ad rem. Biblioth. orient., t. il, p. 201. sa tradition authentique en prétendant que c ’ est
Cf. H oppe, op. cit., p. 212-215. l ’ épiclèse qui consacre. D ’ autre part, la transsubstan ­
U ne explication légitim e et intégrale de l ’ épiclèse tiation étant un acte instantané, on ne peut pas dire
doit donc réunir ces deux idées de confection du non plus que, com m encée par les paroles du Sauveur,
sacrem ent et d ’ application de ses effets, de transsub ­ elle s ’ achève à l ’ épiclèse. 2° C ependant l ’ épiclèse ne
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peut pas être rapportée seulem ent à la sanctifica ­ plit la transsubstantiation au m om ent des paroles de
tion m orale des fidèles et à la com m union, m ais il l ’ institution, par la volonté du Père et l ’ opération du
faut la rattacher à l ’ acte m êm e de la consécration. Saint-E sprit, par l ’ interm édiaire du prêtre qui fait
3° O n doit la com prendre com m e une invocation les gestes sacrés et profère les paroles. A u ix« siècle,
du Saint-Esprit qui, à titre de concélébrant du Père Paschase R adbert nous fournit une form ule égale ­
et du Fils, opère avec eux la transsubstantiation au m ent synthétique en affirm ant que c ’ est le C hrist qui,
m om ent où le prêtre prononce les paroles évangé ­ par le Saint-E sprit, per Spiritum Sanctum, opère la
liques. 4° L ’ épiclèse est placée après ces paroles, afin consécration; que le m ystère s ’ accom plit virtute
de ne pas interrom pre l ’ exacte reproduction de la Spiritus Sancti per verbum Christi, ou encore, par une
cène du Sauveur. Placée avant, elle réduirait trop au interversion qui est ici extrêm em ent significative,
rôle secondaire les paroles de l ’ institution. D ’ autre in verbo (Christi) et virtute Spiritus Sancti. D ans la
part, une épiclèse concom itante n ’ est pas possible. prem ière m oitié du vn° siècle, Jean le Sabaïte, auteur
Elle suit donc, com m e une explication de l ’ acte déjà de la V ie grecque de B arlaam et Joasaph, nous offre
accom pli. C ’ est ainsi que, dans les livres liturgiques, une autre form ule qui a, en outre, l ’ avantage d ’ expri­
le cas n'est pas rare où l ’ Église revient à ce qui a m er aussi l'action significatricc sur les com m uniants :
déjà eu lieu et dem ande la production de tel effet « C 'est donc le V erbe lui-m êm e, vivant et agissant, et
com m e s ’ il n ’ était pas déjà obtenu. C ette loi liturgique qui opère tout par sa puissance, c ’ est lui qui fait et
se justifie d'autant m ieux ici, que son application change, par la divine énergie, le pain et le vin de
m et en relief l ’ ordre logique des trois personnes l ’ oblation en son corps et en son sang, par la descente
divines entre elles et dans l ’ économ ie du salut, et du Saint-Esprit, pour la sanctification et l'illum ination
qu ’ elle établit aussi le rapport naturel entre la con ­ de ceux qui le reçoivent avec ferveur. » E t ces diverses
sécration et la com m union. form ules vont rejoindre, à travers certaines im pré ­
N ous venons de dire qu ’ une épiclèse concom itante cisions, les déclarations de saint A m broise et de saint
n ’ est pas possible. O n en a cependant conjecturé un Jean C hrysostom e; puis, plus haut encore, les expres ­
cas. D ’ après une hypothèse de M gr de W aal, Archæolo- sions un peu plus vagues des grands docteurs cappa-
gische Erorterungen zu einigen Stücken im Canon der dociens, de saint C yrille de Jérusalem et d ’ O rigène;
heiligen Messe. IV, Die Epiklesis, dans Der Kalholik, enfin les indications de saint Justin, qui rattachent
m ai 1896, l ’ Église rom aine aurait trouvé le m oyen toute la tradition à son point de départ apostolique.
de réaliser, entre l ’ épiclèse et les paroles consécra- Ce qui ressort, en dernière analyse, de l ’ ensem ble
triccs, cette union intim e qui existe évidem m ent des docum ents, c ’ est que les paroles du C hrist con­
entre l ’ action du Fils et l ’ opération du Saint-Esprit sacrent, tandis que l ’ épiclèse nous dit le comment de
dans la transsubstantiation. Ce m oyen aurait été cette consécration, en expliquant que ce n ’ est pas une
l ’im position des m ains sur les oblations. A ujourd ’ hui œ uvre hum aine, m ais une œ uvre divinèj une œ uvre
ce geste liturgique, dont on sait la très haute signi ­ du Saint-E sprit. V oir, à ce sujet, le parallèle établi
fication en m atière sacram entelle, précède la consé ­ par saint Jean D am ascène entre le Quomodo fiel istud
cration, puisque la rubrique l ’ indique à l ’ oraison liane de l ’ incarnation et l ’ épiclèse eucharistique, De fide
igitur. Il n ’ en aurait pas été de m êm e prim itivem ent, orthodoxa, 1. IV, c. xni, P. G., t. xciv, col. 1140-1145,
au dire du savant archéologue. A u m om ent où l ’ é ­ et que nous avons cité plus haut, col. 249.
vêque prononçait les paroles consécratriccs, dit-il, En réalité, nous pouvons conclure, à la suite de
les prêtres concélébrants étendaient les m ains sur H oppe, op. cil., p. 334, en déclarant aux O rientaux :
l ’oblation,com m e à l ’ ordination sacerdotale.L ’ im po ­ entendue com m e nous croyons qu ’ elle doit l ’ être et
sition des m ains à la m esse n'est plus m aintenant com m e nous avons essayé de le dire, l ’ épiclèse, au
qu ’ une épiclèse m uette; autrefois il devait s ’ y joindre lieu de nous diviser, nous unit. E lle nous unit dans la
une prière d ’ invocation im plorant la sanctification des tradition catholique dont nous avons vu l'identité
élém ents par le Saint-E sprit, au m êm e instant où les à travers les siècles, tant en O rient qu ’ en O ccident.
paroles du C hrist prononcées par l ’ évêque opéraient E t nous pouvons term iner cette étude par la phrase
cette sanctification. M gr de W aal confirm e cette hypo­ suivante em pruntée à Photius, qui l'écrivait préci­
thèse par la disposition du presbyterium dans cer ­ sém ent à propos de l ’ eucharistie, Epist., 1. I, epist. n,
taines églises anciennes de R om e. Nicolao papæ, P. G., t. en, col. 608 : « Les diversités
« C ette considération, dit le P. Le B achelet, Consé­ liturgiques n ’ em pêchent pas, de part et d ’ autre, la ver ­
cration et épiclèse, dans les Éludes, 1898, t. i.xxv, tu déifiante du Saint-Esprit. »
p. 482, a son intérêt historique. V raie de tout point,
elle m ettrait encore plus en évidence le rôle attribué T ous les cours de théologie qui font une place à la théo ­
prim itivem ent à la coopération du Saint-Esprit dans logie positive et à l ’ Iiistoire du dogm e, parlent de l ’ épl-
la conversion eucharistique. M gr de W aal rappelle à clêse au chapitre de la form e de l ’ eucharistie. D e m êm e,
dans les anciennes encyclopédies ecclésiastiques, c ’ est à
ce sujet plusieurs textes fort explicites des Pères l ’ article Eucharistie ou â Consécration que l ’ on pourra
occidentaux. E lle pourrait m êm e contribuer à m ieux trouver la question traitée, parfois avec assez de détail.
expliquer pourquoi et dans quel sens ces Pères ont pu A insi l ’ étude insérée à ce su jet dans l ’ édition que M igne a
désigner la consécration par l ’ invocation du Saint- donnée de la Prompta bibliotheca de F erraris est une des
E sprit aussi bien que par les paroles sacram entelles, m eilleures qui aien t été publiées. O n y trouvera un bon
puisque dans cette supposition les deux ne feraient résum é de la question, avec nom bre d ’ indications utiles
qu'un seul et m êm e tout m oral. » et de références, relativem ent su rto u t aux anciens théo ­
logiens. F erraris, Prompta bibliotheca, P aris. M igne,
Il n ’ est pas besoin de cette hypothèse, nous l ’ avons 1865, v Eucharistia, t. n i, col. 788-806. P arm i les théo ­
va, pour adm ettre « ce m êm e tout m oral » qui suffit, logiens plus récents, m entionnons spécialem ent Schanz,
• n som m e, à tout expliquer. Il suffit de s ’ en tenir Die Lehre von den heiligen Sakramenten der kathol. Kirche,
aux données très ferm es de la tradition, telles que nous F ribourg-en-B risgau, 1899, p. 388-397, com m e un des plus
les avons présentées. A fin de laisser le lecteur sous clairs et des plus précis sur la question de l ’ épiclèse.
l im pression que c ’ est bien de la tradition authentique D e m êm e, les liturgistes traiten t quelquefois assez lon ­
que vient la solution que nous avons essayé d'exposer, guem ent le sujet dans leurs com m entaires sur les paroles
de la consécration et la form ule d ’ épiclèse. M entionnons
-appelons, en term inant, les principales form ules qui
ici les principaux : G oar, Εύχοΐίρβ» sive Riluale Grœcorum,
1 m arquent les principales étapes. A u xn» siècle, P aris, 1647, p. 140-14 3; M artène, De antiquis Ecclesisr
D enys B ar Salibi nous donne, en réalité, cette expli­ ritibus, 1. I, c. iv , a. 8, n. 19-22; 2 ' é d it, A nvers. 1736.
cation, quand il écrit que le C hrist, à l ’ autel, accom - * L i, col. 409-414; R enaudot et L e B run seront cités plus
299 É P IC LÈ S E E U C H A R IS TIQ U E — É P IG R A PH IE C H R É T IE N N E 300

bas com m e ay an t étudié la question plus spécialem ent 1894; W atterich (vieux-catholique m ort réconcilié avec
ex professo; J. A . A ssém ani, Codex lilurgicus Ecclesiœ uni­ l ’ É glise rom aine), Der Konsecrationsmoment im hl. Abend-
vers*, R om e. 1752 (Paris, L eipzig, 1902). t. v, p. 360-36 6; rnahl und seine Geschichte, H eidelberg. 1896; C agin. dans
D aniel. Codex lilurgicus, L eipzig, 1853, t. iv , p. 410-412; la Paléographie musicale, 1896, t. v, p. 82 sq .; Id., Te Deum
P robst. Liturgie der ersten drei chrisllichen Jahrhunderten, ou illatio, contribution à l’histoire de l’euchologie latine à
T ubingue, 1870, p. 399 sq .; Liturgie des vierten Jahrhun- propos des origines du Te Deum, S olesm es, 1906, p. 215-
derls und deren Reform, M unster, 1893, p. 24, 95, 122, 238: L ingens, Die eucharist. Consecrationsform, dans Zeit­
143, 192, 214, 261, 298, 314, 381, 402; D uchesne, Ori­ schrift fur kalholischc Théologie, Insprurk, 1897, I. p. 51-
gines du culle chrétien, 2* éd it., P aris, 1898, p. 60, 169, 106: cf. ibid., p. 372 sq., l ’ opinion d ’ un théologien ortho ­
173, 207. A joutons, com m e indication générale, que T on doxe G œ cken; L e B achelet, Consécration et épiclèse, étude
pourra trouver m aints renseignem ents dans les recueils d’histoire dogmatique cl liturgie, dans les Études, 20 m ai et
d ’ archéologie chrétienne et de liturgie, en consultant les 20 ju in 1898, t. l x x v , p. 466-491, 805-819; M altzew ,
indices alphabétiques, aux m ots Consécration, Invocation du Liturgikon, B erlin, 1892, p. 426-429; Die Sacramenle, B er ­
Saint-Esprit, Epiclèse, L es Institutiones antiquitatum Chri­ lin. 1898, p . CLX- c l x i v ; C ieplak.D e momento quo transsub-
stianarum du prêtre napolitain Sel vaggi ιψ 1772) reviennent stantiatio in augustissimo missæ sacrificio peragitur, S aint-
à deux reprises sur le sujet, et chaque fois d ’ une m anière P étersbourg, 1901 ; R enz, Die Geschichte des Messopfer-
assez étendue : 1. II, p art. II, c. n , § 2 ; 1. III, c. v in , § 5, Begriffs, F reising, 1901. passim; B uchw ald, Die Epiklese
M ayence, 1788, t. iv, p. 50-56; t. v. p. 134-143 . O n consul ­ in der rômischen Messe, dans Weidenauer Studien, V ienne,
tera avec fru it, dans le Dictionnaire d ’archéologie chrétienne 1906, p. 21-56; H aluscynskyi, De nova illustratione epi-
et de liturgie, de dom C abrol, les articles Anamnèse, Ana- cleseos ex lilurgia Ecclesiœ orientalis petita, dans Acta 1
phore, Canon, Consécration, Épiclèse, conventus Velchradensis theologorum commercii studiorum
S ignalons m ain ten an t les auteurs qui o n t traité le sujet inter Occidentem et Orientem cupidorum, P rague, 1908,
plus spécialem ent ex professo : B essarion, De sacramento p. 56-73; R iley G um m ey (anglican), The consecration of
eucharistiæ et quibus verbis Christi corpus conficiatur, traité the Eucharist, a study of the prayer of consecration in the
écrit quelques années après le concile de F lorence, en réponse communion office, L ondres et P hiladelphie, 1908, contient
â M arc d ’ É phèse, P . G., t. c l x i , col. 494-526; C atharin, en appendice une bonn e collection de tex tes; R auschen,
Quibus verbis Christus eucharistie sacramentum confecerit, Eucharistie und Busssakrament in den ersten sechs Jahr­
R om e. 1552: C hristophe de C heffontaincs, De la vertu des hunderten der Kirche, F ribourg-en-B risgau, 1908; 2 r édit.,
paroles par lesquelles se fait la consécration du S. Sacrement 1910; trad , franç. par D ecker et R icard. L ’eucharistie et
de Γautel, P aris, 1585; Id., Varii tractatus et disputationes la pénitence durant les six premiers siècles de F Église,
de necessaria correctione théologie scholastice, P aris. 1586; P aris, 1910, p. 107-130 (résum é de la question et recueil
Id., De misse Christi ordine et ritu·, A llatius, De Ecclesiœ des textes patri st iques les plus connus); H oller, dans Theol.-
occidentalis atque orientalis perpetua consensione, 1. III, prakl. Quarlalschrift, L inz, 1909, p. 622 sq.; P . de P uniet,
c. x v , n. 21 sq., C ologne, 1648, col. 1222-1240; A rcudius, Fragments inédits d'une liturgie égyptienne, dans le com pte
De concordia Ecclesiœ occidentalis et orientalis in septem rendu du XIX" Congrès eucharistique international, L ondres,
sacramentorum administratione, 1. III, c. x x v -x x x v n , 1909, p. 367-401; C onnolly, 7 he liturgical Homilies of
P aris. 1672, p. 239-316; R ichard S im on, Fides Ecclesiœ Narsai, with an appendice by Edm. Bishop, C am bridge,
orientalis seu Gabrielis Philadelphiensis opera, P aris, 1909; Ju g ie, L ’épiclése et le mot antitype de la messe de
1671, p. 143-185; B ossuet, Explication de quelques diffi­ saint Basile, dans les Échos d'Orient, 1906, t. ix , p. 193-
cultés sur les prières de la messe à un nouveau catholique, 198; B atiffol, dans la Revue du clergé français, 1 er sep ­
P aris, 1710, n. vi, x l v sq., Œuvres complètes, P aris, t. iv, tem bre et 15 décem bre 1908 , l* r décem bre 1909; S alaville,
p . -148 sq., 475 sq.; L e Q uien, dans son édition des Œ uvres série d ’ articles dans les Échos d'Orient, 1908 -1911, t. x isq .;
de sain t Jean D am ascene, P aris, 1711; P. G., t. xciv, col. dans la Revue augustinienne, t. x iv, m ars-m ai 1909;
1140 sq., en note; T outtée, De doctrina S. Cyrilli Hiero­ Id., Eucharistique ( Épiclèse), dans leDictionnaire apologétique
solymitani, diss. III, c. x n , n. 94-97, dans l’édition des de A . d ’ A lès, P aris, 1910, t. I, col. 1585-1597; C haîne,
Œ uvres de saint C yrille de Jérusalem , P aris, 1720; P. G., La consécration et l’épiclése dans le missel éthiopien (ex trait
t. x x x iii, col. 278 sq .; R enaudo t, Liturgiarum orienta­ du Bessarione), R om e, 1910; V araine, L ’épiclése eucharis ­
lium collectio, P aris, 1716; 2® éd it., F rancfort, 1847, t. i tique, élude de théologie positive et d'histoire liturgique
et il, passim; L e B run, Explication de la messe contenant (thèse), B rignais (L yon), 1910; M altzew . De vestigiis epi-
les dissertations historiques et dogmatiques sur les liturgies cleseos in lilurgia romana, dans Acta 11 conventus Vclehra-
de toutes les Églises du monde chrétien, P aris, 1716-1726 densis theologorum commercii studiorum inter Occidentem et
(ouvrage plusieurs fois réédité dans la suite), surtout Orientem cupidorum, P rague, 1910, p. 135-14 3; Sm oli-
diss. X , a. 17, L iège, 1777, t. v, p. 210-286; Id., Défense de kow ski, Έ χίχλησις seu dc invoaatione Spiritus Sancti post
l’ancien sentiment sur la forme de la consécration, P aris, î consecrationem in liturgi is orientalibus, dans les Analecta
1727 : B ougeant, Traité théologique sur la forme de la con­ ecclesiastica, R om e, 1893, t. i, p. 282 sq.. 372 sq. ; Id.,
sécration de Γeucharistie, L yon et P aris, 1729; B reyer, Quelques remarques sur la question de l'union des Églises,
Nouvelle dissertation sur les paroles de la consécration de la dans Roma e l'Orienle, janvier 1911, t i, p. 135-141;
sainte eucharistie, T royes, 1730 , 1733; O rsi, Dissertatio V araine. L*élat actuel de la controverse sur l’épiclése, dans
theologica de invocatione Spiritus Sancli in litnrgiis Graeco­ les Questions liturgiques de L ouvain, février 1911.
rum et Orientalium, M ilan, 1731; P etrus B enedictus, S. Sa l a v i i .l e .
Antirrheticon alterum adversus Lebrunum et Renando- É P IG R A PH IE C H R É T IE N N E . — I. L ’ épigraphic
tium, dans Opera S. F.phrœm syr.-lat., R om e, 1740, t. n ; chrétienne en général. II. L ’ épigraphie chrétienne
G rab? (anglican), A Defence of the greek Church against
the Roman in the article of the consecration of the eucharis- com m e lieu théologique.
tical elements, L ondres, 1721 ; B enoît X IV , De sacrosancto I. L ’ é p i g r a p h ie c h r é t ie n n e e n g é n é r a i .. —
missæ sacrificio, R om e. 1747. 1. Π . c. χφ· ; éd it. M igne, l. n o t io n s e t d iv is io n s . — 1° Notion. — L ’ épigraphic
Theotoqiœ cursus completus, t. x x n r, col. 1006-1016; H enke, chrétienne est la partie de la science archéologique
Die halholische I ehre über die Konsecralionstvorte, T rêves, qui a pour objet les inscriptions chrétiennes. Ces
1857: H oppe. Die Epiklesis der griechischen and orienta- inscriptions, appelées en grec épigraphes, ont été
lischen Liturqien und der rômische Consekrationskanon, posées régulièrem ent par des chrétiens et doivent se
SchaÎT ouse. 1861 (un des m eilleurs ouvrages sur la ques ­
tion): F ranz. Die eucharistische Wandlung und Epiklese
rapporter en quelque m anière à la religion chrétienne.
der griechischen und orie.nfalischen 1 iturgien, 2 vol.. W ürz ­ Ce rapport ou lien résulte généralem ent soit du
bourg. 1879-1880: A nonym e. Éclaircissement sur la forme texte m êm e des m onum ents, soit de l ’ endroit où on
de la consécration de Feucharistie, dans la Revue de Γ Église les a trouvées ou pour lequel elles ont été érigées, soit
gre.cque-unie. décem bre 1885, p. 179-18 2; cf. ibid., ju in enfin des signes graphiques, propres au christianism e,
1889. p. 286: M irkovitch (russe orthodoxe). O vremeni qui les accom pagnent. A insi définie, l ’ épigraphie em ­
precychtcheslvlénia sv. daron (Du moment de la consécration brasse l ’ antiquité chrétienne, le m oyen âge et les tem ps
des oblations saintes'), V ilna, 1886; P . M ichel. Question de plus récents. Ici nous n ’ envisagerons guère que les
Fépiclèse, dans les Études préparatoires au pèlerinage eucha­
ristique de Jérusalem, P aris, 1893, p. 156-17 0: M arko- m onum ents appartenant aux cinq prem iers siècles
vic, O Evkarisliyi s osobitim olnirom na Epiklezu (De de l ’ Église. N ous donnerons une certaine préférence
Feucharistie avec un aperçu spécial sur Fépiclèse), A gram , aux inscriptions trouvées à R om e, parce qu ’ elles
301 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 302

sont les plus anciennes et les plus nom breuses et sacrosanctœ vetustatis (Ingolstadt, 1534) de Pierre
parce qu ’ elles représentent la foi de cette Église d ’ où A pian et B artholom ée A m antius et dans les Inscrip­
le christianism e s ’ est répandu dans diverses régions tiones antiquæ totius orbis Romanorum, publiées
de l'O ccident. L ’ épigraphie provinciale dépend, en (2 vol., 1603), à H eidelberg, par Janus G rutcr, biblio ­
partie, de celle de la capitale. D es différences essen ­ thécaire de cette ville, com plétées en 1682 par le
tielles n'existent guère que pour l ’ O rient où le for ­ Syntagma inscript, antiquarum du m édecin Thom as
m ulaire et le style sont souvent tout autres. R einesius, et rééditées à A m sterdam , en 1707, par
2° Division. — A ucune division adéquate n ’ a été G udius, G rævius et B urm ann. D ans toutes ces collec ­
donnée jusqu ’ ici. Pour le but que nous poursuivons, tions, les inscriptions chrétiennes ne tiennent qu ’ un·
nous nous en tenons à celle du m anuel de M . K auf ­ place peu im portante.
m ann, p. 204 : inscriptions sépulcrales ou épitaphes C ependant la découverte des catacom bes en 1578
proprem ent dites, docum ents épigraphiques d'un ca ­ am ena aussi la découverte de nouvelles inscriptions
ractère plus m onum ental, textes épigraphiques sur chrétiennes. B osio en réunit un bon nom bre, m ais
des petits objets connus en archéologie sous le nom elles ne furent publiées que par Severano, en 1632, et
assez vague d' instrumentum domesticum. — 1. Il sera par son traducteur latin, P. A ringhi, en 1651. M alheu ­
surtout question dans la suite des épitaphes proprement reusem ent celles qu ’ avait collectionnées J. B. D oni
dites. — 2. La dernière catégorie em brasse les m onu ­ furent négligées par les éditeurs de ses œ uvres post ­
m ents les plus divers : lam pes, briques, tuiles, am ­ hum es, en 1731. Jacques Spon, M abillon (dans l ’ lier
phores, am poules, petits bronzes, plaquettes ou lam es Italicum), M ontfaucon etSirm ond en notèrent égale ­
de plom b, cuillers, sceaux, agrafes, anneaux, m édailles m ent un certain nom bre. N ous en trouvons aussi dans
de dévotion, am ulettes, verres à fond d ’ or, objets Fabretti et dans les Vetera monimenta de C iam pini.
d ’ ivoire, etc. — 3. Les documents épigraphiques m é ­ Pour le xvin° siècle, une seule grande collection est
ritent une m ention particulière à cause du caractère rem arquable, le Novus thesaurus veterum inscrip­
officiel dont ils sont revêtus. O n com prend sous cette tionum de L. A . M uratori (M ilan, 1739-1742), tandis
rubrique des épitaphes dans le sens plus large du m ot, que le Novissimus thesaurus de Seb. D onati (1755) ne
par exem ple, celle d ’ A sclepia sur un sarcophage salo- renferm e qu ’ une seule inscription chrétienne. D ’ autres
nitain, du iv· siècle, publiée par Jéliè dans la Horn. savants, surtout en Italie, bornèrent leurs investiga ­
Quarlalschrift, t. v (1891), p. 113 sq., 277 sq., l ’ éloge tions aux m onum ents de certaines provinces, par
m étrique attribué au pape Libère, publié par M . D e exem ple, Fr. A nt. Zaccaria, G ori et d ’ autres. Fabretti,
R ossi, Bullet., 1883, édit, franç., p. 6-62, ou d ’ autres B uonarruoti, M arc-A ntoine B oldetti, Lupi, M aran-
sem blables; ensuite des textes honorifiques, par goni com posèrent des m onographies très intéres ­
exem ple, les nom breux éloges com posés par saint D a- santes. D eux auteurs seulem ent se proposèrent de
m ase en l ’ honneur des m artyrs et des saints et placés grouper systém atiquem ent les textes chrétiens à
par lui dans plusieurs catacom bes et églises de R om e; l ’ usage des théologiens : le P. D anzetta, dont l ’ ouvrage
des inscriptions votives, dédicatoires ou autres gra ­ est resté inédit, et Z accaria, dont le livre très m é ­
vées sur des m onum ents publics, tels que les textes diocre n ’ est qu ’ une im itation de celui de son con ­
sur la statue de saint H ippolyte au L atran, l ’ inscrip ­ frère en religion.
tion en m osaïque du pape C élestin à la basilique de C ’ est le xix ’ siècle qui devait créer la science épi ­
Sainte-Sabine à R om e, les vers com posés par saint graphique chrétienne. E n 1815 m ourut M gr G aetano
Paulin de N oie pour plusieurs églises de son tem ps, M arini, l ’ auteur de Iscrizioni anliche delle ville de’ pa-
ou ceux que plusieurs archéologues attribuent à saint lazzi Albani (1785) et de GH alti e monumenti... Ar­
A m broise; des inscriptions relatant la construction, vali (1795). Ses nom breuses fiches sur les inscriptions
la dédicace, les réparations d ’ églises, d ’ autels, de chrétiennes, conservées en 31 vol. à la B ibliothèque
baptistères, etc. C 'est à cette seconde catégorie qu ’ on V aticane, servirent d ’ abord, en 1831, au cardinal
peut rattacher, sans trop d ’ inconvénients au point A . M ai pour le t. v de la Nova collectio scriptorum
■le vue logique, les inscriptions métriques, dont il sera veterum, ensuite à G .-B. D e R ossi qui allait donner
question plus loin. à l ’ épigraphie ce qui lui avait fait défaut jusqu'ici :
II. HISTOIRE OU RECUEILS ÉPlGRAPUKjUES. — L ’ épi- une base solide, des règles et des principes vraim ent
graphie chrétienne, com m e science proprem ent dite, scientifiques. D e R ossi com m ença son travail en 1842.
est de date récente. Toutefois, les com m encem ents Le i or vol. de ses Inscriptiones christianœ urbis Romse
rem ontent très haut. Ils sont à chercher dans les parut en 1861; la 1 ” partie du n “ en 1888. C elui-ci
collections de textes épigraphiques, tant chrétiens renferm e les différentes « syllogcs » ou collections dont
que profanes, dont on voulait se servir pour la com ­ nous avons parlé plus haut, jusqu ’ à Pierre Sabin; le
position de nouvelles inscriptions m étriques. Le m o ­ prem ier donne toutes les inscriptions datées trouvées
num ent le plus ancien de ce genre, le parchem in de à R om e. D ans sa préface, D e R ossi expose le plan de
Scaliger, conservé à l ’ état de fragm ent, a été rédigé son ouvrage et fournit des prolégom ènes très étendus
entre 550 et 839. Le célèbre m anuscrit d ’ Einsiedeln, sur les anciennes chronologies chrétiennes. E n 1877,
nouvellem ent édité par Lanciani et par H uelsen, date sortit de sa plum e le Museo epigra/ico Pio-Lalera-
de l ’ époque carlovingienne. Puis viennent les autres nense, étude consacrée à la belle collection du L atran.
collections publiées par D e R ossi, par exem ple, la Pa­ É galem ent riches en m atériaux sont les 3 vol. de la
latina. celle de K lostem euburg-G ôttw ei, la · sylloge » Roma sollerranea du m êm e auteur ainsi que les dif ­
de V erdun. Pendant les siècles de la R enaissance férentes années du Bullettino, continué après sa m ort
on collectionna de nouveau les m onum ents épigra ­ (1894) sous le titre de Nuovo bullettino par ses dis ­
phiques. N aturellem ent les hum anistes donnèrent ciples. Parm i ces derniers, plusieurs se sont particu ­
la préférence à ceux de l ’ antiquiié profane. Il faut lièrem ent occupés de l ’ épigraphie chrétienne dans des
nom m er, pour les xiv c et xv' siècles. Colas R ienzi, ouvrages spéciaux, par exem ple, Stevenson, A rm el-
G iovanni D ondi (vers 1375), Poggio B racciolini, lini, M arucchi, W ilpert. La continuation des Inscrip.
M afTco V egio, C yriaco de ’ Pizzicolli (C yriacus d ’ A n ­ tiones a été confiée par D e R ossi lui-m êm e à M . G atti.
cône). Felice Feliciano, G iovanni M arcanuova, G iov. D es difficultés m atérielles en ont arrêté jusqu ’ ici la
T icundo, Pietro Sabina. Plusieurs inscriptions chré- publication. Parm i les autres travaux épigraphiques
■ennes se rencontrent égalem ent à la m êm e époque parus en Italie pendant la seconde m oitié du xts*
dans les volum ineux m anuscrits de A ide M anuce, siècle, nous m entionnons celui de G azzera sur le
le Jeune, dans M artin Sanctius, dans les Inscriptiones Piém ont, du P. B ruzza sur V erceil, de Sanguinetti
303 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 304

sur la Ligurie, d ’ O rsi et de Strazzula sur la Sicile, etc. C hrist, com m e au m usée du L atran, p. vm , 7, Perret,
A illeurs, on ne resta pas en arrière. M . Le B lant op. cit., pl. 7, n. 11, m ontrent bien que ces lettres
réunit en 3 beaux vol. les textes épigraphiques des initiales se répétaient par suite d'une habitude prise
G aules, dont s ’ étaient déjà occupés, pour certaines des lapicides et qu ’ elles n ’ avaient plus d ’ autre but que
régions, C om arm ond, B oissieu et Texier. K raus, de d'attester la destination funéraire des m onum ents.
Fribourg, donna ceux des bords du R hin. L ’ épigra- V oir les études de B ecker et de G reevcn citées dans
phiste H übner publia les inscriptions d ’ Espagne et la bibliographie et dom Leclercq dans C abrol, Dic­
d ’ A ngleterre. Le sol africain a fourni dans ces der ­ tionnaire d’arch. chrét., t. r, col. 165 sq. Il en est de
nières années un nom bre considérable de m onum ents m êm e d ’ autres form ules caractéristiques assez rares
chrétiens. M . R enier en avait réuni un certain nom bre qui, non seulem ent com portent parfaitem ent une ex ­
dans ses Inscriptions romaines de l’Algérie. Les textes plication chrétienne, m ais la dem andent m êm e, soit
épigraphiques de cette province ainsi que ceux de la à cause du contexte soit à cause des sym boles qui l ’ ac ­
Tunisie sont contenus dans le Corpus inscriptionum com pagnent. Telles sont les form ules domus ælernalis
latinarum, t. vm et supplém ent. D ’ autres travaux ou οίκος αιώνιος dont nous parlerons plus loin, nemo
seront indiqués à la bibliographie. immortalis, ούδεις αθάνατος , cette dernière surtout
Les inscriptions chrétiennes écrites en langue fréquente en A sie-M ineure, D e R ossi, Bullet., 1892,
grecque furent quelque peu négligées. L a publication p. 72; i βίος ταΰτα, K irsch, Acclamationen, p. 5;
du grand Corpus inscriptionum græcarum (C. I. G.), memorise æternæ. Le B lant, Inscriptions chrétiennes,
entreprise par l ’ A cadém ie de B erlin, devait les tirer t. i, p. 19, 20. E xtrêm em ent rares sont les sigles
de cet oubli. M . A dolphe K irchhoff en réunit un très S. T. T. L. (sil tibi terra levis), qu ’ on rencontre sur
grand nom bre dans la seconde partie du iv« vol., en une pierre datée de 423 à Saint-L aurent de R om e
renvoyant pour celles qui sont déjà publiées aux vo ­ et peut-être sur un m arbre de D acie. K aufm ann,
lum es précédents. O n en trouve d ’ autres dans l ’ ou ­ Jenseitsdenkmaler, p. 226; D e R ossi, Bullet., 1892,
vrage de K aibel et de Fr. H iller de G æ rtringen. Pour p. 155. Q uant à l ’ acclam ation Ave, vale, l ’ addition
l ’ A ttique on peut toujours recourir à l ’ étude de des m ots in pace nous indique le sens chrétien qu ’ il
M . B ayet, pour l ’A sie-M ineure aux publications de faut lui donner. K irsch, op. cit., p. 4. Si sur des m o ­
L e B as et de W addington et à l ’ étude plus récente num ents postérieurs à la paix de l ’ Église on parle de
de M . C um ont dans les Mélanges de Γ École française la Lachesis acerba pour désigner la m ort, du Tartarus
de Rome (1895). Pour la Palestine, la Revue biblique ou Erebus pour m arquer l ’ enfer, du reclor Olympi
tient ses lecteurs au courant des dernières décou ­ pour indiquer le C hrist, du nemus elysium pour
vertes. Le grand Corpus inscript, græcarum Chri­ nom m er le ciel, etc., il faut bien rem arquer que ce
stianarum, tel qu ’ il a été projeté par M M . L aurent et sont là des adaptations très tardives au langage
C um ont, com blerait une lacune très sensible de notre profane, des licences poétiques facilem ent explicables
science. Cf. Atli del 11° Congresso internaz. di archeo- et em ployées à une époque où les païens entraient
logia crisliana, R om e, 1902, p. 173 sq.; Bulletin de en foule dans le christianism e, m ais où les grandes
correspondance hellénique, t. xxn, p. 410-415. vérités qu ’ elles exprim aient étaient parfaitem ent
Les inscriptions coptes sont assez nom breuses. fixées. V oir K aufm ann, Jcnseitsdenkmâler, p. 91, 92;
M alheureusem ent on n ’ en a pas encore fait un re ­ L e B lant, op. cil., p. 406, 407; Strazzula, dans Rôm.
cueil com plet. N ous signalerons, à la fin de l ’ article, Quarlaischrift, t. x (1897), p. 507-529.
les plus im portants des travaux épigraphiques les Inutile d ’ insister sur d ’ autres détails com m uns,
plus récents, qui out pour objet des questions de m ais très inoffensifs, qu ’ on rencontre encore soit dans
détail. le form ulaire soit m êm e dans la décoration graphique.
tlt. L’ÉPIGRAPHIE CHRÉTIENNE ET L’ÉPIGRAPHIE Le fait constaté et prouvé par M . Le B lant que sou ­
p r o f a n e . — N ous avons fait observer ailleurs, 1.1, vent les lapicides travaillaient d ’ après des m odèles
col. 1996, que le christianism e, sorti du judaïsm e explique beaucoup de ces analogies. Le B lant, Ma­
et répandu dans le m onde gréco-rom ain, n ’ a pas nuel d’épigraphie chrétienne, p. 60, etc. ; Revue de l’art
plus créé une épigraphie propre qu ’ un art spécial. chrétien, 1859, p. 367-379. Pour le détail, voir M artigny,
11 a vécu d ’ em prunts. Ce ne fut que peu à peu qu ’ on Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2° édit., Paris,
trouva les form ules pour exprim er les idées nouvelles. 1877, p. 366 sq.
La principale loi qu'on a toujours observée fut d ’ ex ­ E n dehors de ces points de contact avec l ’ épi-
clure tout ce qui présentait un caractère essentiel­ graphie profane, les élém ents d ’ un caractère stric ­
lem ent païen. A ussi, rencontrons-nous, dans l ’ épi- tem ent chrétien sont très nom breux, par exem ple,
graphie chrétienne, à côté d ’ élém ents com m uns, des la décoration sym bolique et les im ages bibliques,
données ayant un caractère purem ent chrétien. les acclam ations aux form ules exclusivem ent chré ­
Parm i les prem iers, on pourrait d ’ abord relever la tiennes, des expressions spéciales pour désigner des
form e de cartouche destinée à recevoir le texte épi ­ vérités eschatologiques ou d ’ autres vérités religieuses
graphique, K aufm ann, Handbuch, p. 216; Lupi, uniquem ent connues des chrétiens, etc.
Epitaphium Seueræ, pl. i, n. 5; puis la form e de stèle IV. LA TECHNIQUE OU L’ÉLÉMENT MATÉRIEL DES
ou de cippe donnée à certains m onum ents funéraires in s c r ip t io n s . — 1° Les inscriptions chrétiennes,
sur des tom bes chrétiennes en plein air, dont plusieurs com m e les profanes, peuvent se diviser en plusieurs
se trouvent au m usée du L atran, D e R ossi, Bullet., classes : les inscriptions gravées avec le ciseau, les
1877, pl. i, ni-iv, au m usée K ircher et au m usée ar ­ inscriptions écrites, les inscriptions tracées à la pointe,
chéologique de Florence. Rom. Quarlaischrift, t. xxi les inscriptions en m osaïque. D e m êm e, toutes les
(1907), p. 56; t. xxiv (1910), p. 58. A l ’ exception des m atières solides ont été plus ou m oins em ployées : la
m arbres pour les loculi, les pierres ordinaires qui re ­ pierre, en particulier le m arbre et la pierre calcaire,
çoivent une inscription ne diffèrent pas pour la form e parfois aussi le travertin, l ’ argile, les m étaux, le verre,
extérieure des m onum ents païens. Q uant au formu­ l ’ ivoire, le bois, etc.
laire épigraphique, notons d ’ abord les sigles D. M. 1. Les inscriptions gravées en creux sur la pierre,
ou D . M. S. (Dis manibus, dis manibus sacrum), en appelées tituli, sont de beaucoup les plus nom breuses
grec Θ . K . (Θεοΐς καταχΟονίοις ). L eur absence presque et les plus im portantes. A ssez souvent les carac ­
com plète pendant les deux prem iers siècles, et à tères sont rendus plus visibles par l ’ em ploi de la cou ­
partir du rv°, les changem ents qu ’ on y opère, par leur rouge dans le creux des lettres. Sur certains m o ­
exem ple, en intercalant parfois le m onogram m e du num ents on a m êm e rem arqué de la dorure dans le vide
305 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 306

des traits, par exem ple, sur l ’ épitaphe de l ’ évêque qui intéresse plus particulièrem ent l ’ archéologie.
Flavius de V erceil. G azzera, op. cit., p. 106. 2° Les inscriptions opistographes sont des pierres
2. Pour un certain nom bre d ’ inscriptions les lettres qui sont écrites sur les deux côtés. Pour gagner du
sont écrites au m inium , appliqué à l ’ aide du pinceau tem ps, ou surtout par économ ie, les chrétiens se ser ­
soit sur la brique, ce qui est généralem ent le cas, vaient parfois de m arbres portant déjà un texte soit
D e R ossi, Bullet., 1881, pl. vu, vin, soit sur des chrétien, soit païen, soit profane, et gravaient sur le
plaques de m arbre, soit sur l ’ enduit des m urs. O n revers la nouvelle inscription en tournant vers l ’ in­
les appelle du nom italien dipinti. C itons com m e plus térieur de la tom be le texte prim itif. D e R ossi, Ins­
connues l ’ inscription de Philom ène à Sainte-Priscille, cript. christ., 1.1, p. 44, n. 122; p. 117, n. 238; p. 172,
celle de la vierge A déodate à Syracuse et l ’ épitaphe n. 391 (a. 391); p. 176, n. 403 (a. 392), etc.
de Severa, illustrée par le P. L upi et conservée au ­ 3° N otons enfin pour la forme des épitaphes que les
jourd ’ hui au L atran. Nuovo bullet., 1906, p. 258; dalles plus m inces ont servi à la ferm eture des loculi;
Führer, Forschungen, p. 116. A u m êm e m usée on voit celles de R om e sont généralem ent antérieures à l ’ an
d ’ autres m onum ents dont le texte est tracé au char ­ 410. Celles qui sont plus épaisses couvraient des tom ­
bon ou à l'aide d'une autre substance noire; de m êm e beaux à ciel ouvert ou du m oins placés horizonta ­
à Sainte-Priscille. Hôm. Quarlalschrift, t. xx (1906), lem ent. Les pierres en form e de cippe ou de stèle
p. 15 sq., pl. v-vi; D e R ossi, Bullet., 1892, pl. iv. sont m oins rares en O rient qu ’ en O ccident et attestent
A Sainte-A gnès on a trouvé une m atière blanche toujours une haute antiquité. Tels sont les m onu ­
sur une brique rouge; il en est de m êm e d ’ une pierre m ents d ’ A bercius, d ’ A lexandre et d ’ autres.
du L atran. M arch!, Monumenti delle arti crisliane, V. DE LA PALÉOGRAPHIE PROPREMENT DITE. — Les
p. 112; Rôm. Quarlalschrtft, t. xix (1905), p. 142, n. 1. m onum ents chrétiens présentent à peu près la m êm e
3. Les inscriptions en mosaïque sont com posées de paléographie que les païens, sauf que ces derniers se
petits cubes de pierre ou de verre com m e les autres distinguent généralem ent par plus de régularité et
parties de cette peinture m onum entale. Elles sont d ’ art. L a capitale est l ’ écriture usuelle. M ais, dès la
rares dans les catacom bes de R om e, plus fréquentes fin du i i i c siècle en A frique, au iv° à R om e, au v·
dans les églises et aussi sur les m onum ents funéraires dans les G aules, on constate divers changem ents
d ’ A frique. B oldetti, Osservazioni, p. 547; Leclercq, qui annoncent 1 ’ écriture onciale. Les lettres A , D , E , M
dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i,col. 715- com m encent à s ’ arrondir, d'autres, com m e L, F, I, R ,
723; Revue archéologique, 4 “ série, t. iv (1904), p. 352; deviennent plus longues. Nuovo bullet., 1901, p. 240;
H übner, Inscr. Hisp. Supplem., p. 83, n. 410 (du D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, p. 173, n. 395. L a cur ­
IV e — v® siècle). sive paraît sur un m arbre de l ’ an 296. D e R ossi,
4. Les graffiti sont des inscriptions tracées à la Inscript, christ., t. i, p. 25, n. 18. C ’ est surtout d ’elle
pointe sur la chaux fraîche des loculi, sur l ’ enduit sec qu ’ on se sert dans les graffiti.
des parois ou encore, quoique plus rarem ent, sur la Pour l ’ exécution, on peut dire qu ’ en général, aux
pierre. Les prem iers, qu ’ on pourrait appeler graffiti I er et ii° siècles, les lettres sont très bien form ées; elles
sépulcraux, datent du m om ent de la sépulture, les le sont m oins bien au m e ; elles deviennent difform es
autres proviennent de pèlerins qui ont visité les cim e ­ aux iv° et v°. Les tables ajoutées aux grandes publi ­
tières et les sanctuaires chrétiens et sont faciles à cations de M M . D e R ossi, Le B lant, H übner, R oller,
distinguer des prem iers, m êm e au sim ple point de vue Perret perm ettent facilem ent de suivre cette déca ­
paléographique. Q uelques-uns portent une indica ­ dence de l ’ écriture. N aturellem ent cette règle souffre
tion chronologique, par exem ple, celui de 374, décou ­ plus d ’ une exception. L ’ uniform ité n ’ existe pas tou ­
vert à Sainte-Priscille. D e R ossi, Bullet., 1888-1889, jours. A insi, dans les inscriptions les plus anciennes,
pl. v i - v i i ; 1890, p. 72-80. A cause de l'enchevêtrem ent D e R ossi a pu distinguer deux types paléographiques
des m ots la lecture n ’ en est pas toujours facile. Pour particuliers : le type priscillien et le type ostrien.
s ’ en convaincre, il suflit de jeter un coup d ’ œ il soit U ne autre exception bien connue des archéologues
sur les graffiti de la chapelle des papes, publiés par concerne les caractères tout à fait typiques inventés
D e R ossi, Roma setter., t. ir, p. 17 sq., pl. 161, et repro ­ pour les inscriptions du pape D am ase par son secré ­
duits avec la transcription dans les m anuels de M a- taire Furius D ionysius Philocalus. Perret, op. cit.,
rucchi, p. 246, 247, de K aufm ann, p. 254, 255, du t. v, pl. 39; D e R ossi, Roma seller., t. u, pl. u; Ins-
P. X ystus, t. lia, p. 336, 337, soit sur les graffiti cripl. christ., t. i, p. 145, n. 329; Bullet., 1884-1885,
de la crypte des Saints-Pierre-et-M arcellin que nous p. 7 sq.; C arini, Epigrafia e paleographia del papa
donne le Nuovo bullettino, 1898, pl. xm -xvi. D isons Damaso, R om e, 1887 ; Le B lant, Paléographie des
dès m aintenant, pour ne pas y revenir plus loin, que inscriptions latines du iii ° siècle d la fin du vit*, dans
les graffiti ont une im portance considérable, non la Revue archéologique, III e série,L x x ix - x x x i (1896,
seulem ent au point de vue archéologique et topo ­ 1897). ]
graphique, par exem ple, pour la déterm ination des VI. DE LA LANGUE ET DE L'ORTHOGRAPEB DBS
cryptes historiques, m ais encore au point de vue in s c r ip t io n s .— l°Lestextes épigraphiques en langue
dogm atique. Ils nous attestent l ’ usage de visiter les latine sont les plus nom breux. Les textes grecs pré ­
tom beaux et de prier pour les m orts. Plusieurs d ’ entre dom inent en O rient. E n outre, l ’ É gypte en a pro ­
eux renferm ent des invocations analogues à celles duit en langue copte. Pendant les trois prem iers siècles,
que nous trouvons sur les m arbres épigraphiques : le grec a été fréquem m ent em ployé à R om e, par
invocations adressées soit à D ieu et aux saints pour exem ple, pour presque toutes les épitaphes des papes
les défunts, soit aux défunts pour les survivants. du m e siècle, parfois m êm e dans les G aules. Sur
En outre, ils prouvent que dès la plus haute anti ­ quelques m onum ents on rencontre les deux langues
quité on venait de bien loin en pèlerinage visiter les à la fois. Perret,op. cit., p). 10, n. 23;38, n. 127; Corp,
tom beaux des saints, se recom m ander à leur inter ­ insc. lat., t. v, n. 6195. A illeurs, le texte latin est
cession puissante, invoquer leurs recours pour la vie écrit en lettres grecques, par exem ple, les graffiti
et pour la m ort. V oir C o m m u n i o n d e s s a in t s , t. m , cités par D e R ossi, Bullet., édit, ital., 1863, p. 2, 3,
col. 454 sq., et S a i n t s (Culte des). C ’ est à tort qu ’ on l ’ épitaphe d ’ une certaine Severa, de l ’ année 269, D e
.< associé aux graffiti les petites inscriptions qu'on R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 18, n. 11 ; ou encore le
trouve parfois sur des m édailles, des vases, des texte suivant, publié par W ilpert, Malereien.p. 185 :
sceaux, des verres à fond d ’ or. Pour ces petits objets A €O Y C X PICTO YC Ο Μ ΝΙΠΘ ΤΕ(Ν )Ο Ο Π ΙΡΙΤ(Ο ΥΜ )
on s ’ est servi très souvent d ’ une technique spéciale TO Y(O YM ) ΡΕ φ ΡΙΓΕΡΕ(Τ). L ’ inverse est plus rare.
307 É P IG R A P H 1E C H R É T IE N N E 308

D e R ossi, Bullet., 1886, p. 68, n. 73;p.7O , n. 77. U ne valles dans le corps du m ot, par exem ple, IHS pour
seule inscription chrétienne de R om e est en carac ­ IHCOTC ou JESU S. Souvent un trait horizontal
tères hébraïques. D e R ossi, Roma setter., t. ni, p. 386. indique qu ’ il m anque des lettres. Les ligatures
2° Les textes les plus anciens sont les plus corrects. sont obtenues quand on relie tellem ent entre elles
Λ partir du IV e siècle paraissent des m ots nouveaux les lettres qui se suivent, qu ’ elles ont des traits en
em pruntés au langage populaire. A la m êm e époque, com m un (lilteræ ligatæ), par exem ple, sur le m arbre
les fautes d ’ orthographe de tout genre deviennent d ’ A bercius et les signes m onogram m atiques. A con ­
très nom breuses. T antôt la cause en est aux lapi- sulter, en dehors de l ’ excellent m anuel de M . C agnat,
cides, qui étaient des gens du peuple com m e les indications de M ow at dans le Bulletin épigra­
ceux pour qui ils travaillaient; tantôt il faut y voir phique, 1884, p. 127 sq., du P. Leclercq, dans C abrol,
l ’ ellet d'une prononciation défectueuse ou des sin ­ Dictionnaire, t. i, col. 155 sq., de K raus. Roma sot-
gularités de provincialism es. Les particularités ortho ­ terranea, 2° édit., p.614 sq.. et Real-Encyklopüdie, t. n.
graphiques, sur lesquelles nous ne pouvons nous p. 47-51, de M artigny, Dictionnaire, p. 375-378, de
étendre ici, sont indiquées dans les tables des diffé ­ K aufm ann, Handbuch, p. 199, 200.
rentes publications épigraphiques, par exem ple, dans ix. l a c h r o n o l o g ie . — L ’ im portance des textes
M uratori, Le B lant, les volum es du Corpus. Les dépend pour une large part de leur antiquité.
plus ordinaires sont réunies dans les dictionnaires Passablem ent d ’ inscriptions sont datées : la plus
de M artigny, 2° édit., p. 364, 365, et de K raus, ancienne, aujourd ’ hui au m usée du L atran, p. iv, 1,
t. il, p. 45, dans les m anuels de K aufm ann, p. 197, paraît être de l ’ an 71. R ares au ir° siècle, elles sont
et du P. X ystus, loc. cit., p. 8, 9. V oir A udollcnt, De déjà assez nom breuses au ni* ct deviennent plus
l’orthographe des lapicides carthaginois, dans Compte fréquentes dès le iv° siècle.
rendu du IV» Congrès scientifique internat, des catho­ Les m onum ents ne sont point datés partout de la
liques, Fribourg, 1898, t. vi, p. 195 sq. ; K übler, dans m êm e m anière, pas plus que chez les païens. Souvent
W olfilin, Archiv /tir lateinische Lexicographie und on ne m arquait que les consuls ordinaires qui en ­
Grammatik, t. vin (1892), fasc. 2; Le B lant, Manuel, traient en charge le 1 er janvier. D ès la fin du iv» siècle,
p. 193 sq. ; C ornoy, Le latin d’Espagne d’après les les nom s des em pereurs figurent sur certains m onu ­
inscriptions, dans le Muséon, 1902 (plusieurs ar ­ m ents. A l ’ aide des listes consulaires publiées par
ticles); Pirson, La langue des inscriptions latines de D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 587-613, et repro ­
la Gaule, dans Bibliothèque de la faculté de philos, duites par M arucchi, op. cit., p. 176-179; K aufm ann,
et lettres de l'Université de Liège, Liège, 1901, fasc. 11, Handbuch, p. 258-274; le P. X ystus, op. cil., t. π a,
p. 1-326. p. 357-392, il est facile de réduire ces indications
Vil. DE LA DIRECTION DE L’ÉCRITURE BT DE LA chronologiques aux dates de l ’ ère chrétienne. Plus
p o n c t u a t io n . — l°L a
direction de l’écriture est celle tard, on m arque aussi le nom des rois barbares. Le
des R om ains et des G recs : elle va de gauche à droite. plus ancien m onum ent est celui qui porte le nom
Les exceptions sont très rares. D es épitaphes écrites du V isigot Turism ond (451-453). Leclercq, Diction­
de droite à gauche se trouvent dans B oldetti, op. cit., naire, t. il, col. 1070. Théodoric le G rand est m en ­
p. 555, et dans Perret, op. cit., t. v, pl. 64, n. 5 (en tionné sur plusieurs m onum ents d ’ Italie. Le nom
partie). Sur les em preintes des sceaux et les m arques des papes n ’ y figure pas avant le iv° siècle, com m e
des briques, cette dernière direction est naturelle. note chronologique. Jules I° r est le prem ier que
L ’ écriture en colonne est m oins rare sur les objets nous rencontrons. V oir plus loin, col. 319. En
m inces. V oir un exem ple dans l ’ inscription dam a- 397, nous trouvons m êlé à d ’ autres notes chrono ­
sienne du pape Eusèbe, dans M arucchi, Éléments, logiques le nom d ’ un évêque Pascasio. D e R ossi,
L i, p. 227. Inscripl. christ., t. i, p. 192, n. 442. D ès le com m en ­
2° La ponctuation n ’ est pas sans valeur pour la cem ent du v° siècle, on rencontre des dates déter ­
chronologie. U n certain nom bre d ’ anciennes ins ­ m inées par les indictions. Parfois cette dernière est
criptions, ainsi que la plupart de celles des iv° ct seule em ployée. D ans ce cas, elle est pratiquem ent
v" siècles, en sont dépourvues. C ette observation sans valeur. A R om e, on avait l ’ ère de la fondation
vaut en particulier pour les m onum ents des G aules. de la ville. D ans certaines provinces on en suivait
Le point triangulaire est un indice d'une très haute d ’ autres. L ’ ère d ’ Espagne, æra hispana, en usage
antiquité. Puis vient le point rond. L a feuille de lierre, pendant des siècles dans la péninsule ibérienne, part
hedera distinguens, est fréquente au m e et encore du 1 er janvier 38 avant Jésus-C hrist (716 de la fon ­
au iv° siècle. Mon. lit., n. 3173, 3210, 3269, etc. R are ­ dation de R om e); celle de M aurétanie du 1 er janvier
m ent on a fait em ploi de l ’ astérisque, d ’ une lettre de l ’ an 40. L ’ ère phrygienne, qu ’ on rencontre, pat
de l ’ alphabet plus ou m oins bien faite (X, Ψ , T, exem ple, sur la stèle d ’ A lexandre, dont le texte n ’ est
«, o, v, couché horizontalem ent), d ’ une petite palm e, qu ’ une copie incom plète de celui d ’ A bercius, com ­
de la croix grecque. R égulièrem ent les signes de ponc ­ m ence à l ’ année 84 après Jésus-Christ. L ’ ère syrienne,
tuation ne devraient se trouver qu ’ en dedans des dite aussi d ’ A ntioche, a pour point de départ l ’ an ­
lignes pour séparer les m ots les uns des autres et née 49 avant Jésus-C hrist et ne doit pas être con­
rester à m i-hauteur; m ais l ’ exception n ’ est pas rare et fondue avec l ’ ère des Séleucides qui rem onte à l ’ an 312
la ponctuation des m onum ents chrétiens est sou ­ avant Jésus-Christ. En O rient, par exem ple, en
vent très irrégulière. Pour les indications qui pré ­ É gypte, on connaît encore une ère particulière aux
cèdent, les planches de D e R ossi, Le B lant et Perret chrétiens, l ’ ère dite des m artyrs, æra martyrum,
fournissent des' exem ples en grand nom bre; ainsi àr.n μαοτύρων, qui com m ence avec le règne du cruel
inscripl. christ., t. i, p. 38, n. 39; p. 42, n. 48; p. 61, D ioclétien, en 284. Q uant aux jours du m ois ou
n. 96; p. 87, n. 154; p. 179, n. 411, etc. de la sem aine, on suivait tout d ’ abord l ’ usage
VIII. SIGLES, ABRÉVIATIONS, LIGATURES. — Les païen. A partir du ni° siècle, on rencontre des déno ­
sigles se com posent de l ’ initiale du m ot, par m inations chrétiennes, par exem ple, dies dominica
exem ple, M .pour M A RCU S, V .C . pour vir clarissimus, à côté de dies solis, sabbatum à côté de dies Saturni-
O .M . pour DIS M A NIBU S. L ’ abréviation ordinaire est D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, p. 225, n. 529 (a. 404) ;
une réduction des m ots, soit à ses prem ières lettres p. l x x i , note 6. A peu près en m êm e tem ps on com ­
prises en groupe com pact, ce qui est le cas le plus m ence à se servir com m e dates des fêtes de m nrtvrs :
fréquent, par exem ple, DIAC. pour D IA CO N U S, C O N S, NATALE D OM NI A STERI; N A TA LE D || O M NES
pour C O NSU LE, soit à plusieurs lettres prises à inter ­ (sic) SITIRETIS (.Soteris); (NA TA L)e D OM N ES (sic)
309 É P IG R A P II1E C H R É T IEN N E 310
THE(H dæ): NATALE SA NCTI LA UREN TI; N A TA LE A ssez nom breuses aussi sont les expressions ou for ­
SA NCTI M A RCI; εορτή τής κυρίας μου Λ ουκίας . Nuovo m ules particulières aux différentes régions ou pays.
bullet., 1900, ρ. 168, 169; 1904, ρ. 96, 97; K auf ­ Pour ces détails, nous renvoyons le lecteur aux m a
m ann, Handbuch, ρ. 204; D e R ossi, Inscript, christ., nuels de Le B lant et K aufm ann, aux dictionnaires
t. i. p. 536, n. 1185; Anal, bolland., t. xxn (1903), de M artigny et K raus et aux indices des recueils
p. 492; t. xxviii (1909), p. 179; V V ilpert, La d ’ inscriptions orientales.
più antica epigrafe can data cristiana, dans Miscel­ 2° La décoration graphique. — Elle se com pose de
lanea di storia eccles., 1904, p. 91-94. signes idéographiques, de sym boles, de scènes tirées
Pour les m onum ents qui sont dépourvus de notes de la B ible, d ’ im ages faisant allusion au m étier du
chronologiques proprem ent dites, on déterm ine la défunt ou d ’ autres tracées tantôt seules, tantôt à
date approxim ativem ent à l ’ aide de certains critères, plusieurs sur les m êm es pierres.
dont voici les principaux : la form e du m onum ent, L ’ ancre est peut-être le plus ancien sym bole et se
la langue, la paléographie, la nom enclature, le for ­ m aintient assez longtem ps; de m êm e la palm e, la
m ulaire épigraphique, le systèm e d ’ ornem entation, colom be seule ou à plusieurs, le poisson, l ’ agneau,
etc. Les indications que nous donnons ici sur ce point le paon, la couronne, forante seule, avec le bon
suffiront au lecteur. Pasteur, au m ilieu de brebis et d ’ oiseaux, le navire
X. LE FORMULAIRE OU LA PHRASÉOLOGIE ÉPIGRA­ seul ou se dirigeant vers le port, le cheval, le vase
PHIQUE; LA DÉCORATION ICONOGRAPHIQUE. --- Ce Sont seul ou flanqué d ’ oiseaux qui s ’ apprêtent à s ’ y désal ­
surtout les épitaphes proprem ent dites que nous térer, le boisseau. Perret, op. cit., t. v, pl. 21, 18,
avons ici en vue. 44 et 20, 21, 70, 73, 5. 9 et 67, 16 et 41, 50, 41
1° Le formulaire épigraphique, pas plus que l ’ art et 57, 22. A la B ible sont em pruntées plus parti ­
chrétien, n ’ a été créé d ’ un coup; il s ’ est développé culièrem ent les scènes d ’ A dam et Ève à côté de
à peu près, surtout à R om e, dans cet ordre : les ins ­ l ’ arbre, N oé dans l ’ arche, M oïse et le rocher, D aniel
criptions les plus anciennes sont les plus sim ples. dans la fosse aux lions, Jonas et la baleine, l ’ adora ­
Elles donnent le nom du défunt au datif ou au nom i ­ tion des m ages, la résurrection de Lazare, le bon Pas ­
natif, ainsi qu ’ on peut le voir sur plusieurs des di- teur, la traditio legis au prince des apôtres, le ciel,
pinli, à Sain te-Priscillc. Q uant au systèm e païen d ’ ins ­ séjour de lum ière. Perret, op. cil., pl. 12, 77, 63, 12,
crire les trois nom s, il est d ’ un usage rare dans l ’ épi- 57, 12, 13, 15. 3, 24. R arem ent on voit les im ages des
graphie chrétienne et atteste une haute antiquité. princes des apôtres. Perret, op. cil., pl. 11; Nuovo
E nsuite on ajoute une pieuse acclam ation d ’ une bullet., 1901, pl. ix. Plus fréquent est le portrait du
form e très concise : pax, pax tecum, ειρήνη, ειρήνη défunt en buste. Perret, op. cil., pl. 12, 41, 44, 67. O n
σοι, in pace, Ιί ειρήνη, in Deo; ou bien un sym ­ peut y voir aussi le défunt exerçant son m étier : un
bole, com m e l ’ ancre, lé poisson, la colom be, le bon m archand de graines, le sem eur, un brodeur, le for ­
Pasteur, forante, l ’ am phore. D epuis la seconde m oitié geron frappant l ’ enclum e, l ’ enfant qui prend des
du ni» siècle on m entionne aussi la sépulture, la dépo ­ oiseaux. Perret, loc. cit., pl. 26, 52, 52; M usée du
sition : depositio, depositus, κατάβεσις . O n m arque L atran, ρ.χνι,η. 3 ;D ïc/ïon. d’arch. chrét.,t.i, col. 3145.
l ’ âge du défunt, parfois aussi, m ais encore très Souvent on se contente de tracer sur la pierre les ins ­
rarem ent, la date consulaire. O n donne au défunt trum ents du défunt, les pinceaux et com pas du déco ­
quelque épithète se rapportant à son m érite ou à son rateur, l ’ équerre, la règle et le ciseau du tailleur de
caractère. Les indications très brèves au sujet de la pa ­ pierres, le rasoir et la glace du barbier, etc. Perret,
renté avec celui qui a posé le m onum ent deviennent loc. cil., pl. 6, 47, 26. L ’ adm inistration du baptêm e
m oins rares. Les acclam ations se développent égale ­ figure sur un m arbre d ’ A quilée, les sym boles eucha ­
m ent quelque peu : Vivas in Deo; in bono; in refrige­ ristiques sur une pierre du m usée K ircher, à R om e,
rio; Deus tibi refrigeret et d ’ autres se rencontrent fré­ le jugem ent de l ’ âm e sur une autre du L atran.
quem m ent. Rom. Quarlalschrift, t. xx (1906), p. 11 sq. W ilpert, Inschriflen Aquileias, p. 39; cf. t. Il, col. 234;
Parfois, en O rient, on rencontre le titre de chrétien, Perret, loc. cit., pl. 47, 22. U n m arbre d ’ U rbino pré ­
χριστιανός . L ’ Église devenue libre, la sim plicité pri ­ sente un tom beau, un candélabre à sept branches,
m itive cesse. Souvent on exprim e la douleur causée une balance, une m aison et un poisson. D e R ossi,
aux survivants par la m ort de celui qui n ’ est plus. Inscript, christ., t. i, p. 210, n. 489; un autre, du
Les indications sur la profession soit civile soit ecclé ­ L atran, une scène cham pêtre. Perret, loc. cil., pl. 12.
siastique, rares avant 300, deviennent fréquentes. C ette décoration variée, dont le sens sym bolique sera
Les acclam ations changent aussi, du m oins en partie, expliqué à l ’ art. S y m b o l i s m e , se trouve encore ail ­
pour disparaître ensuite presque com plètem ent. U n leurs qu ’ à R om e, par exem ple, en A frique. D elattre,
peu plus tard, on rapporte la préparation de la tom be, dans les Missions catholiques, 1902, p. 357. Par
l ’ achat du loculus ou du sarcophage, le fossor qui s ’ y contre, elle est beaucoup plus rare dans les G aules et
est prêté, le prix qu ’ on a payé, l ’ endroit où se trouve presque inconnue en O rient.
la sépulture. Puis on fait encore connaître certaines Le signe graphique le plus connu est le m onogram m e
circonstances de la vie ou de la m ort du défunt. du C hrist. A vant C onstantin on le rencontre parfois
L ’ épithète sanc/us ne reçoit sa signification stricte com m e compendium scripturæou sigledu nom Χ ριστός .
qu ’ à la tin du iv" siècle. A sa place on trouve assez sou ­ A partir du règne de ce prince, il présente plusieurs
vent le m ot domnus. Anal, bolland., t. xxvm (1909), form es: celle du L abarum ψ subsiste jusqu ’ à la fin du
p. 161-200. Enfin, des form ules d ’ anathèm es contre
les violateurs des tom beaux, très rares avant Cons ­ v e siècle. Les lettres A et C0 s ’ y ajoutent fréquem m ent
tantin, surtout en O ccident, deviennent beaucoup depuis le m ilieu du iv e et se m aintiennent jusque
plus fréquentes et sont d ’ une raideur parfois éton ­ vers le m ilieu du v ’ . La croix m onogram m atique,
nante. V oir, à ce sujet, les textes nom breux publiés ou appartient à peu près à la m êm e période.
par D iehl, op. cil., p. 29-38; Realencyklonâdie fiir pro- D ès le v° siècle, la croix nue, très rare avant Cons ­
testant. Théologie und Kirche, t. x, p. 829-831 ; M ichel, tantin, paraît fréquem m ent. La crux grammata æ .
dans Dictionnaire d’archéol., t. I, col. 1932-1935. appelée aussi Svastika, se rencontre avant et après
Tel est, très som m airem ent esquissé, le dévelop ­
la paixdel ’ É glise(in c etiv o siècles).Le signe ANK
pem ent de la phraséologie funéraire. N aturellem ent,
les exceptions sont nom breuses, surtout dans les d ’ origine égyptienne, est surtout fréquent dans les
provinces plus éloignées, m oins en G aule et en A frique. contrées du N il. N otons enfin qu ’ on trouve sur
311 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 312

quelques pierres des nom s propres en form e de m ono ­ été seul faussaire. Il suffit, pour s ’ en convaincre, de
gram m es. D e R ossi, Bullet., édit, ital., 1863, p. 33 sq. ; consulter, par exem ple, H übner, Inscript. H isp., 1.1,
1887, p. 19; 1892, p. 110; Nuovo bullet., 1899, p. 29, p. 91-106 (n. l*-104*), ou les Monumenta lit., t. i,
n. 10; 1909, p. 208, n. 67; p. 211, 212, n. 73, 81; Per ­ p. ccxv.
ret, op. cit., pl. 36, n. 111; pi. 49, n. 23; pi. 57, n. 10; Q uant aux collections d ’ inscriptions chrétiennes
Bôm. Quartalschrift, t. xx (1906), p. 23; X ystus, originales, nous devons m entionner, en dehors des
Notiones archœol. christ., t. n b, p. 3-52. catacom bes où on rencontre le plus grand nom bre,
xi. in s c r ip t io n s m é t r iq u e s . — Elles sont assez les m usées du L atran et du V atican, le m usée K ir-
rares aux π» et m e siècles. C itons,com m e m onum ents cher, les m usées du C am po-santo des A llem ands, du
vraim ent im portants, le m arbre d ’ A bercius, le m onu ­ C apitole et du couvent de Saint-Paul-hors-les-m urs.
m ent d ’ A utun, l ’ inscription d ’ A gape à Sainte-Pris- V iennent ensuite les m usées de R avenne, de N aples,
cille, ainsi que celle de la m artyre Zosim a. A près de Syracuse et de Palerm e, de C arthage, du C aire,
l ’ an 300, elles deviennent plus nom breuses, surtout d ’ A lexandrie, d ’ A thènes, de Lyon, de V ienne, de
avec saint D am ase, saint A m broise et saint Paulin de Trêves, de M ayence, etc.
N oie. A u v° siècle appartiennent les inscriptions IL L ’ é p ig r a p h i e c h r é t ie n n e , l ie u t h é o l o g iq u e .
d ’ A chille, évêque de Spolète, du pape Sixte III et — T out le m onde adm et aujourd ’ hui l ’ im portance
d'autres. Saint D am ase lui-m êm e fut im ité par de l ’ épigraphie chrétienne com m e source théologique.
d ’ autres. W eym ann, dans la Beoue d’histoire et de D es inscriptions en général on a dit qu ’ elles con ­
littérature religieuses, t. r (1896), p. 58 sq. Toutefois, stituent les sources les plus sûres de l ’ antiquité qui
certaines régions, par exem ple, Syracuse et l ’ A frique, nous m ontrent les hom m es et les choses tels qu ’ ils
n'en présentent que très peu. L eur form e dénote, en étaient réellem ent et nous font connaître des situa ­
général, la décadence de la m étrique. Les règles ne sont tions dont aucun ne parle, tandis que les docum ents
pas toujours fidèlem ent observées. A u iv° et au v e écrits ont souvent été altérés par suite des copies
siècle, les quasi versus sont souvent em ployés. D e qu ’ on en a faites et m êm e parfois intentionnellem ent
R ossi, Inscript, christ., t. r, p. cxv; Borna sotterranea, corrom pus. Larfeld, Griechische Epigraphik, t. i(1908),
t. ni, p. 45-48. p. 9. O r, ceci vaut entièrem ent pour les textes épi ­
Pour le fond, il est certain, com m e l ’ ont fait rem ar ­ graphiques chrétiens,· d ’ autant plus qu ’ on n ’ y ren ­
quer M . Le B lant et d ’ autres, que des vers entiers contre nulle part ces exagérations ou faussetés dont
ou du m oins des parties de vers sont em pruntes à certains textes officiels profanes ne sont pas m êm e
d ’ anciens poètes. U ne inscription de la V illa B orghèse, exem pts. E nsuite, tous ces m onum ents dont nous
du in 0 siècle, reproduit un passage de l ’ Énéide, II, nous occupons, ont un caractère essentiellem ent reli ­
143 sq. Le vers 11° de l'inscription de l ’ évêque gieux, le grand nom bre m êm e un caractère funéraire,
A lexandre de T ipasa,en A frique, réunit deux hém is ­ c ’ est-à-dire qu ’ ils se rapportent à la sépulture et
tiches virgiliens. Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., reflètent avant tout les idées, les croyances qui ont
1.1, col. 825. Les m ots : abstulit atra dies et funere mer­ trait à la m ort, au tom beau et à l ’ éternité. D ’ autres
sit acerbo (Enéide, V I, 429; X I, 28) reviennent à croyances religieuses y sont égalem ent exprim ées,
plusieurs reprises. D e R ossi, Inscript, christ., t. i, quoique d ’ une m anière plutôt secondaire. O n y ren ­
p. ix; Le B lant, op. cit., t. n, p. 128, note 1. U ne contre aussi certaines allusions aux controverses sus ­
épitaphe gauloise term ine par le vers 57 de la citées à R om e, au m 0 siècle, au sujet de la T rinité
V e églogue. Le B lant, loc. ci/., p. 254, note 1. Le pape ou, du tem ps de D ioclétien, au sujet de la réconcilia ­
D am ase im ite fréqucm m entlepoètedeM antouc. Ihm , tion des lapsi. D e R ossi, Bullet., 1866, édil. ital.,
Damasi epigrammata, p. vm ; Storuainolo, Osserva- p.77 sq. ; 1877, édit, franç., p. 29. D u reste, l ’ hérésie
zioni leltcrariee filologichesugli epigrammi damasiani, avait égalem ent scs m onum ents. Telle épigraphe de
dans Sludi e documenti di storia e diritto, t. vu (Rom e, 318 m entionne une« synagogue des m arcionitcs»,au
1886). D ’ autres em prunts ou allusions à M énandre, à sud de D am as, Le B as et W addington, Inscripl.
V irgile et à H orace sont cités par les Monumenta lit., grecques et latines, t. ni (1870), p. 582, n. 2558; telles
n. 2788, par K irsch, Acclamationen, p. 35, note 2, et autres parlent du m anichéism e, du gnosticism e, du
K aufm ann, Jenseitsdenkmàler, p. 98. Les term es : m ontanism e. Bevue d’histoire ecclésiastique de Lou ­
Tartarus, Shjx, nemus elysium, rector Olympi, etc., vain, t. ix (1908), p. 19-20; B atiffol, La littérature
sont évidem m ent pris des auteurs classiques. Straz- grecque, Paris, 1897, p. 115; Corp. insc. lat., t. vin,
zula, dans Bom. Quarlalschri/t, t. xi (1897), p. 507 sq. n. 2272. Le donatism e a produit une épigraphie dont
La diction est assez lourde et peu naturelle, m êm e l ’ étendue et l ’ im portance nous ont été récem m ent
dans les productions de saint D am ase. Le style dénote révélées par M . M onceaux, dans la Bevue de philologie,
beaucoup de rhétorique. O n accum ule épithète sur 1909, t. xxxni, p. 112-161.
épithète et on brille bien plus par les m ots que par E n outre, ces textes se distinguent généralem ent
les pensées. N aturellem ent, la décadence s ’ accentue par un langage très clair, très sim ple, et il n ’ est pas
encore davantage aux v ” et vi e siècles où la sim pli­ rare d ’ y trouver des paroles, des form ules em pruntées
cité classique des prem iers tem ps a disparu. C ’ est un directem ent à l ’ É criture sainte, aux prières litur ­
éloge oratoire, presque une oraison funèbre qu ’ on giques, parfois m êm e aux Pères de l ’ Église.
trouve dans ces textes. D isons, à l ’ excuse de leurs N otons encore qu ’ un petit nom bre seulem ent de
auteurs, que tous n ’ appartenaient pas à la classe des ces inscriptions est dû à des personnages officiels :
savants ou des poètes. D e R ossi, Inscript. christ., t. n, com m e docum ents publics elles ont une valeur plus
p. vu sq. ; W eym an, dans Blâller filr das Gymnasial- grande. Les autres proviennent des gens du peuple,
schulwesen, M unich, t. xxxi (1895), p. 529-556. V oir, reflètent les idées du peuple, ont été posées pour être
pour ce paragraphe, D e R ossi, Inscript, christ., t. n a, lues par le peuple et form ent ainsi une véritable lit ­
p. xxxi sq. térature populaire. C om m e telles, elles sont l ’ expres ­
III. INSCRIPTIONS FALSIFIÉES; COLLECTIONS ÉPIGRA­ sion spontanée et naturelle de ce qu ’ il sent, de ce
PHIQUES. — D ans l ’ épigraphie chrétienne, com m e dans qu ’ il croit, de ce qu ’ il espère. Ici, le côté individuel,
l ’ épigraphie païenne,on rencontre des textes falsifies. subjectif, que nous trouvons si souvent dans les
Tout le m onde connaît ceux de Sainte-M artine et du docum ents, disparaît. C ’ est l ’ ensem ble du peuple
Colisée à R om e, d ’ A liscam ps dans les G aules. M a- chrétien qui se fait connaître, ce peuple qui, loin d ’ être
rucchi, Éléments, 1.1 (1900), p. 20,21 ; Leclercq, Diction­ pour nous une nation inconnue et m orte, a vécu dans
naire d’arch. chrét., t. i,col. 1212. Pirro Ligorio n ’ a pas les prem iers siècles d ’ une institution à laquelle nous
313 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 314

appartenons,que nous continuons encore aujourd ’ hui. un m arbre gaulois. L eB lant, Inscripl. chrét., 1.1, p. 450.
Pour apprécier cette valeur des m onum ents au n. 336C. Sur une pierre africaine on lit : In Deo sperabo ;
point de vue théologique, pour la déterm iner, il faut non timebo, quid michi (sic) faciat homo, ps. l v , 11.
d'abord bien connaître les textes, le form ulaire géné ­ Leclercq, Dictionnaire,X.. i, col. 713. D es citations plus
ral avec les particularités propres à certaines régions, com plètes se rencontrent en O rient, par exem ple,
en fixer l ’ âge selon les indications données. le ps. xiv sur une pierre de C hypre, du iv ” siècle.
T out cela présuppose une connaissance au m oins Bulletin de correspondance hellénique, 1896, p. 349 sq.
som m aire de l ’ épigraphie classique. 11 faut ensuite, V oir encore Corp, inscr. lal., t. vin, n. 1126, 1127:
pour bien com prendre les textes, avoir une connais ­ Rom. Quartalschrift, t. x (1896), p. 339; Analecta
sance approfondie de l ’ esprit chrétien tel que nous bolland., t. xxiv (1905), p. 121 ; pour l ’ A frique, Le-
le révèlent la littérature religieuse du tem ps et l ’ art cl.'rcq. Dictionnaire d’arch. chrét., 1.1, col. 640; pour
chrétien avec son sym bolism e. Puis il faut s ’ en servir la Syrie, Leclercq, Dictionnaire, t. i, col. 2402 sq. :
avec justesse et pour cela ne pas torturer des for ­ Revue bénédictine, t. xxn (1905), p. 431 sq.
m ules d ’ ordinaire claires et faciles à com prendre, pour Le N ouveau T estam ent est égalem ent cité. Le sa ­
y découvrir des données, des subtilités auxquelles lut de l ’ ange à M arie : ό Κύριος μετά σου, L uc., i, 28, se
personne alors n ’ a pensé, et distinguer entre les m onu ­ trouve com m e acclam ation à l ’ âm e défunte sur une
m ents qui reflètent les idées du com m un des fidèles des pierres les plus anciennes du cim etière de Saintc-
et ceux qui ont pour auteurs des personnages officiels. Priscille. D e R ossi, Bullet., 1892, p. 91, 92. L ’ ins ­
E nfin, il faut tenir com pte de l ’ âge des m onum ents. cription d ’ A bercius fait allusion à la parabole de
Ces conditions rem plies, nous verrons que · bien bon Pasteur. Joa., x, 11-16. Le Gloria in excelsis
que les pierres sépulcrales n ’ aient jam ais été dans Deo... voluntatis se rencontre en A frique, D e R ossi,
l ’ antiquité, pas plus qu ’ en aucun autre tem ps, un Bullet., 1878, édit, franç., p. 12; Leclercq, Dictionnaire
compendium du catéchism e et m oins encore de la d’archéologie chrétienne, t. i, col. 640; P. M onceaux,
théologie dogm atique, » com m e l ’ a fort bien rem arqué Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, Paris, 1901.
D e R ossi, Bullet., 1877, édit, franç., p. 28, cependant t. i, p. 155; le texte grec se lit sur des m onum ents de
on peut y trouver des indications, des allusions très la Syrie, voir plus loin; le N otre Père sur un frag ­
précieuses au sujet de la foi de nos ancêtres. Pour m ent de vase grec. Mitteilungen des Kaiserl. Deutsch.
plus de clarté, nous suivrons l ’ ordre adopté dans Archæol. Instituts (Athen. Abteil.), 1900, p. 313-324.
l ’ art. A r t c h r é t i e n p r im i t if . Les versets 37-39 de saint Jean, vu, sont en partie
1. L’ÉPIGRAPHIE CHRÉTIENNE ET LA THÉOLOGIE DOG­ gravés sur l ’ arc intérieur de la piscine baptism ale de
MATIQUE Gé n é r a l e . — 1° L ’Écriture sainte. — 1. D es Sainte-Priscille. Nuovo bullet., 1902, p. 220. Le salut
inscriptions m oins anciennes s ’ exprim ent parfois sur apostolique : H X APIC ΤΟΥ Κ Υ ΡΙΟ Υ IHCOY M C© '
les relations des deux T estam ents, par exem ple, celle YM CûN n ’ est pas inconnu dans l ’ épigraphie chré ­
que saint Paulin de N oie, vers 403, destinait à un tienne. Monumenta lit., t. i, p. cxxi.
double portique (aula) qui réunissait deux églises, sé ­ La II 0 É pître de saint Paul à Tim othée, iv, 7,
parées par un baptistère construit parSulpice Sévère, a fourni le thèm e des derniers vers de l'éloge de la
P. L., t. l x i , col. 333; L eB lant, op. cil., t. n, p. 391 : m artyre Zosim a, m orte vers 275. D e R ossi, Bullet.,
1867, édit, franç., p. 82; Leclercq, Dictionnaire d’arch.
A ula duplex tectis u t ecclesia testam entis
chrét., t. i, col. 1518; la P" de saint Pierre, iv, 4, à
U na, sed am bobus gratia fontis adest.
L ex antiqua novam firm at, veterem nova co m p let
l ’ épitaphe d ’ une vierge chrétienne. W ilpert, Jung­
In veteri spes est, in novitate fides. frauen, p. 49. Le m onogram m e constantinien flan
Sed vetus atque novum conjungit gratia C hristi : qué de l ’ alpha etde l ’ om éga depuis le m ilieu du iv e siècle,
P roptcrea m edio fons datus est spatio.
ainsi que les lettres I A ω (Jesus, A lpha, O m éga) sur
certains tituli de Sicile cités par Strazzula, op. cit..
2. E n exam inant de plus près le form ulaire épi ­ p. 94, rappellent l ’ É pître aux H ébreux, xm , 8, et
graphique, on constate facilem ent que nos pères dans
l ’ A pocalypse, xxi, 6. Cf. encore Le B lant, Inscript,
la foi ont souvent puisé dans les saints Livres. Sur chrét., t. n, p. 253 (Phil., i, 21); p. 302, 303 (ps. xxx,
un m arbre de 362, un m ari appelle sa fem m e C o s t a 15, et Luc., ΧΧΠΙ, 46); K aufm ann, Handbuch, p. 248;
s u a . D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 85, n. 151.
Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 1530,
L ’ expression est évidem m ent em pruntée à la G enèse,
1817; D elattre, Les citations bibliques dans l’épi-
n, 22. U n autre, du m ® siècle au plus tard, nous fait
graphie africaine, dans Compte rendu du III* Con­
connaître le péché d'A dam et la peine qui l ’ a suivi. grès scientifique internat, des catholiques, B ruxelles,
M usée du L atran, p. xiv, n. 7. Cf. D e R ossi, Bullet., 1895, p. 210-212.
1884-1885, p. 73 sq. Sur un troisièm e, appartenant 3. Les figures qui, dès la fin du u e siècle, accom ­
à une vierge chrétienne, on inscrit le passage du livre pagnent les inscriptions et qui représentent des évé ­
de la Sagesse, iv, 13 : et vita brevi explevit tempora nem ents bibliques nous donnent aussi des indica ­
multa. W ilpert, Jungfrauen, p. 95. Fréquem m ent tions par rapport à li divulgation du texte sacré.
on rencontre des versets, plus ou m oins com plets,
V oir, plus haut, la décoration, col. 310.
qui sont tirés des psaum es dont le chant et la récita ­ 4. Parfois le texte diffère quelque peu de celui que
tion jouaient un très grand rôle dans l ’ office litur ­ nous avons aujourd'hui et perm et certaines conclu ­
gique et dans les rites funèbres des prem iers siècles. sions par rapport aux versions alors en usage. U n graf­
V oir de W aal et W agner dans la Rômische Quartal- fito du v® siècle, découvert par M gr W ilpert, nous
schrift, t. x (1896), p. 340 sq.; t. xn(1898). p. 245 sq. ; donne le com m encem ent du ps. xxn : Dominus regit
et M ichel, Gebet und Bild in frühchristlicher Zeit. Leip ­ me et nihil mici (sic) deest, la traduction de saint Jé ­
zig, 1902, p. 33, dans J. Ficker, Studien über christliche rôm e m et le futur deerit. Nuovo bullet., 1900, p. 68:
Dcnkmâler, nouv. série, fasc. 1 er . Le verset : Exsurgat Rom. Quartalschrift, t. xxn (1908), p. 88. D ans
Deus et dissipentur inimici eius du ps. l x v ii se lit sur
une lam e de plom b opistographe du vi c siècle, trouvée H übner, Inscr. Hisp., p. 27, n. 95, nous lisons : Α ^ ’ω
à R eggio, en C alabre, Bôm. Quartalschrift, 1.1 (1887), Il CRED O Q UO D R ED EM PTO R || M EU S VIVET ET
pL 197, pl. iv; Leclercq, Dictionnaire d’a'-ch. eh'il., IN N O VISSIM O DIE || DE TERRA SU SSITA BIT PE-
t.i.col. 1802; le prem ier verset du ps.xcfsur des am u ­ LEM M EAM || ET IN CA RN E M EA V ID EBO D OM I ?
lettes et ailleurs, Leclercq, op. cit., 1.1. col. 1822; les N U M . Ces paroles sont du livre de Job, xix. 25, 26.
paroles : In pace dormiam et requiescamdu ps. iv, 9, sur m ais quelque peu m odifiées. O n peut com parer avec
315 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 316

le texte qui précède uu autre m oins ancien que 1894, p. 58. D ans T ertullien, Apologet., xxxrx, P.L.,
nous lisons dans G azzera, op. cit., p. 106, 107; M ura- t. i, col. 541, nous lisons des paroles qui reviennent
tori, op. cit., 1841, 5; 1865,1; 1899, 1; 1955, 1. Les sur un m arbre grec : μηίένα λυπήσας , μηόένα προσκροΰ-
inscriptions de la Syrie m entionnées plus haut donnent σας , à m oins d ’ y voir un em prunt à II Cor., vu, 2.
pour Luc, il, 14, le nom inatif εύόοχία au lieu du Saint A m broise,D e virginitate,}. II, c. n, n. 7, P. L.,
génitif ευδοκίας du texte ordinaire. Recherches de t. xvi, col. 220, conseille à la vierge chrétienne : Nul­
science religieuse, t. i (1910), p. 70 sq. ; Renue bé­ lum lædere, bene velle omnibus. U ne épitaphe d ’ A rles
nédictine, t. xxn (1905), p. 431. U n m arbre de Sa ­ dit du défunt Florentinus : N EQ. O PTAR E M A ­
lone porte : (e) CCI (sic) A G NU S || (d) El Q UI TO L ­ LUM STU DU IT N EC LÆ DERE Q U EM Q U A M . Le
LIT H (pec) CATUM SECULI. D e R ossi, Bullet., 1891, B lant, op. cil., t. π, p. 246 sq., n. 512. A plusieurs
p. 125. L ’ Évangile donne peccata mundi. Joa., i, 29. reprises on lit sur des m onum ents des vers de saint
D eux pierres africaines présentent, l'une la form ule Jérôm e ou de saint G régoire le G rand; saint Paulin
SA LU TIS PR IN CEPS, l ’ autre ceUe de D O M IN US de N oie, Prudence et, un peu plus tard, V enance
D EUS Q UI EST SERM O NI (serm o) et rappellent ainsi, Fortunat ne sont pas restés sans influence sur le
com m e nous l'affirm ent expressém ent Tertullien, form ulaire épigraphique. Le B lant, Épigraphie chré­
Adv. Praxeam, 5, P. L., t. n, col. 160, et V igile, tienne, p. 61-70. A insi, pour ne citer qu ’ un exem ple,
évêque de Tapse, Contra Eutychen, 1. V , c. xvi, une inscription de Saint-Pierre, à R m e, repro ­
P. L., t. l x i i , col. 146, que dans ces pays on se servait duite au vi c siècle en A frique, a été inspirée très
d ’ une version qui, dans saint Jean, avait le m ot probablem ent par les vers 249-255 du II 0 livre contre
sermo' au lieu de nerbum et dans l ’ É pitre aux H é ­ Sym m aque. P. L., t. l x , col. 198 sq. L ’ épitaphe du
breux princeps salutis au lieu de auctor salutis. D e diacre U rsinianus, de Trêves, publiée par Le B lant,
R ossi. Bullet., 1879, édit, franç., p. 163, 164. V oir Inscript, chrét., t.i,|>. 399, n. 293, rappelle un passage
encore d ’ autres m onum ents avec citations bibliques de M axim e de T urin, Homil., l x x x i , P. L., t. l v i i ,
dans D iehl, op. cil., p. 39-42. É videm m ent, la science col. 427, 428; un m arbre funéraire anglais orné du
philologique scripturaire n ’ a qu ’ à gagner à l ’ étude m onogram m e constantinien, les prem ières paroles du
com parée de ces m onum ents soit de l'O rient soit Te Deum. D e R ossi, Bullet., 1892, p. 41, 42. E nfin,
de l ’ O ccident. J. E .W alch, Observationes in Matthæum n ’ oublions pas que c ’ est l'épigraphe de la statue de
ex græris inscriptionibus, léna, 1779; G . Lefebvre, saint H ippolyte, de la prem ière m oitié du m ® siècle, qui
Fragments grecs des Évangiles sur ostraca, dans le nous donne, avec son cycle pascal, la liste de scs ou ­
Bulletin de l’institut français d’archéologie orientale, vrages, K raus, Real-Encyclopœdie, t. i, p. 661-663;
Le C aire, 1904, t. iv; G . Thiem e, D ie Inschriften A . d'A lès, La théologie de saint Hippolyte, Paris. 1906,
von Magnesia am Mâander und das N. T., G œ l- p. m sq., 151 sq. ; Ficker, Die altchrisll. Bildtvcrke,
tingue, 1906; M onceaux, /7 istoire littéraire de l’Afrique p. U 9 175, et que sur un linteau de porte, à Éphèse,
chrétienne, Paris, 1901, 1.1, p. 155-156; A . B ludau, on lisait, au m oins en partie, la correspondance apo ­
Griechische Evangelienfragmente auf Ostraka, dans Bi- cryphe entre Jésus et A bgar d ’ Édesse. Commenta­
blische Zeitschrift, 1906, t. iv, p. 386-397; J. G ensi- rius authenticus du / or Congrès d’archéol. chrétienne,
chen, De Scripturæ sacræ vestigiis in inscriptionibus R om e, 1900, p. 156, 163.
lalinis Christianis (Diss.), G reifswald, s. d. (1910). 3° L ’Église. — 1. L ’Église en général; ses carac­
Cf. Dictionnaire apologétique de d ’Alès,t. i, col. 1419- tères. — Sur les m onum ents des trois prem iers siècles,
1425. le term e ecclesia, Is.e.'kgaia, indique une com m u ­
5. C ’ est l ’ enfance de M arie, passée dans le tem ple, nauté chrétienne locale. D e R ossi, Bullet., 1864,
telle que nous la connaissons par les apocryphes édit, ital., p. 28, et ailleurs. Q uant à l ’ Église em bras ­
(Pseudo-M atthieu) que rappelle une plaque de m arbre sant l ’ universalité des fidèles, nous com plétons ici
du v° siècle, découverte à Saint-M axim in, en Pro ­ les indications données t. ni, col. 454 sq. L ’ Église est
vence, et représentant M arie orante em ployée au une vraie m ère, mater. Elle donne à ses enfants la vie
service du sanctuaire, com m e le dit l ’ inscription placée surnaturelle de la grâce com m e la m ère terrestre
au-dessus : M ARIA V IRGO || M INESTER (sic) DE || donne la vie physique du corps. Elle les conçoit de
TEM PU LO (sic) G ERO SA LE (sic). Le B lant, Sarco­ l'Esprit de D ieu dans ses chastes entrailles pour les
phages chrétiens de la Gaule, 1886, p. 148, pl. l v i i , 1 ; m ettre au m onde au m om ent du baptêm e, com m e le
Inscript, chrét., t. n, n. 542 a. dit l ’ inscription de Sixte III (432-448), à Saint-Jean
2° Les Pères. — Plusieurs form ules épigraphiques de L atran : G ENS SA CRA N DA PO LIS H IC SEM iN E
sont em pruntées à des auteurs ecclésiastiques dont N A SCITU R A LM O, QUAM FECUN DA TIS SPIR ITU S
elles confirm ent les textes. Leclercq, Dictionnaire ED IT A Q UIS... V IRG INEO FŒ TU G ENETRIX EC ­
d’arch. chrét., 1.1, col. 411 sq., voit dans les paroles :cua- CLESIA N A TO S, Q UO S SPIRA N TE D EO C ON CI ­
rum (sic) nomina scit is, qui fecit, ou bien cujus nomen PIT, A M N E PA RIT. D e R ossi, Inscript, christ.,
Deus scit, une allusion à la Passio sancti Jacobi ct Ma­ t. n α, p. 424; G risar, Analecta Romana, t. i (1899),
riani. L ’ inscription de l ’ enfant M agus.de provenance p. 106. E lle reçoit les nouveau-nés avec bonheur :
africaine, aujourd ’ hui au m usée du L atran, p. ix, n. 31, Læta novos geminis ut mater ecclesia partus excipiat
est com posée tout entière, sauf les prem iers m ots, de sinibus, quos aqua protulerit, pour les nourrir avec
textes qu ’ on rencontre dans différents ouvrages de dévouem ent du lait de la foi, ainsi que le dit l ’ épi ­
saint C yprien. Le B lant, Inscript, chrét., t. i, p. 93; taphe du pape Libère : Hæc te nascentem suscepit
C abrol, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 597, et eclesia (sic) mater || uberibus fidei nutriens devota.
surtout Revue d’histoire et de littérature religieuses, D e R ossi, Bullet., édit, franç., 1883, p. 8; 1890, p. 131;
t. xi (1906), p. 232-239; Perret, op. cit., t. v, pl. 17, B ücheler, Anthol. lat. epigr., p. 373, n. 787. E lle a donc
n. 20. Le texte des m anuscrits est corrigé par les des entrailles de m ère, pia viscera malris, com m e le
données de cette épitaphe. Le m êm e Père de l ’ Église dit le pape D am ase. Ihm , op. cil., p. 20, n. 13; p. 36,
a fourni dans son livre De habitu virginum, 22, P. L., n. 30 ; p. 42, n. 37. E n m êm e tem ps elle est vierge. Les
t. iv, col. 462, une phrase à une épitaphe d ’ A utun : fidèles de Lyon, en 177, et H égésippe, vers 180, l ’ ap ­
PER SÆ CU LU M SIN1 (sine) sai || culi (sic) COLTA- pellent μήτηρ παρθένο:, mater virgo. Eusèbe, H. E.,
CION I (contagione) || TRA N SIVIT... Le B lant, op. V , i, 45 ; IV, xxn, 4. D e m êm e, C lém ent d ’ A lexandrie,
cit., t. n, p. 603. U ne autre épitaphe, trouvée à R om e Pæd., 1. I, c. vi, P. G., t. vin, col. 300. A ussi,
en 1893, rappelle un passage de son traité D e mor­ M . D ôlger a vu, non sans raisons sérieuses, l ’ Église
tal itate,c. xxvi, P.L.. t. iv, col. 601. D e R ossi, Bullet., catholique désignée par les m ots παρθένος αγνή de
317 É P IG R A P H 1E C H R É T IEN N E 318

l ’ inscription d ’ A bercius. Rôm. Quarlalschrift, t. xxm baptistère de Sainte-Priscille. Ihm , op. cit., p. 9, n. 5;
(1909), p. 87-112 ; I Χ Θ Y C,p.87-H 2.EU e estsainte. L ’ ex p. 76, n. 72; Nuovo bullet., 1901, p. 87. C om m e M oïse,
pression sancta mater se rencontre souventau iv'siècle, il fait sortir du rocher m ystérieux qui est le C hrist
par exem ple,dansl ’ épitaphedu prêtreSisinnius,attri­ I C or., x, 4, les eaux du salut. La coupe de Podgo-
buée à saint D am ase, où on parle des pieux engage ­ ritza, aujourd ’ hui à l ’ E rm itage de Saint-Pétersbourg,
m ents ou prescriptions de cette m ère, foedera sancta: m ontre cette scène biblique; elle porte com m e texte :
malris. lhm ,op.c/Z.,p.33,n.28. D e son vivant, le pape Petrus virga perquodset (percussit), fontes ciperunt(sic)
Siricius (384-399) reçoit le titre de episcopus ecclesiæ quorere (currere). D e R ossi, Bullet., 1877, éd> . franç-,
sanctæ. M arucchi, op. cit., 1.1, p. 167. D e R om ulus de pl. ν-νι ; Le R iant, Sarcophages d'Arles, Paris, 1878.
l-'iisole.du iv e siècle,on dit:Æ C LESIÆ SA N CTÆ DIA ­ pl. xxxv.
C ON US EST O RDIN ATU S H O N OR E. D e R ossi, Bul­ V ers le m ilieu du v« siècle, N éon, évêque de R a-
let., 1883, édit. iranç.,p. 17; cf. Anal. bolland.,t. xxviri venne, fit placer sur une m osaïque les vers suivants,
(1909), p. 172, n. 3. Elle est digne de vénération, vene­ D e R ossi, Bullet., 1887, p. 24, 25 :
randa ecclesia. Anlh. lut. epigr., 705. M . D ôlger voit E uge, S im on P etre, p er quem gaudet m ens... C hristi
égalem ent l ’ Église dans la Βασίλισσα χρυσόστολος , L um en apostolicum cunctos ornare p er annos.
χρυσοπέδιλος de l ’ inscription d ’ A bercius ; il fait observer In te sancta D ei pollens eclesia (sic) fulget,
que saint Justin, Dial., 63, édit. A rcham bault, p.300, In te firm (a) suæ dom us fundam enta locavit
et H erm as, Pastor, vis. IV, 21, en parlent dans des P rincipis æ therei clarus per sæ cula natus.
term es analogues. Boni. Quarlalschrift, loc. cil., p. 169. C unctis clara tibi est virtus, censura fidesque :
Elle est universelle; com m e telle elle em brasse les B is senos in ter fratres in principe sistis;
fidèles venus du judaïsm e et du paganism e. Les deux Ipse loco legesque novæ tibi d an tu r ab alto.
m atrones qui sym bolisent l ’ Église sur la m osaïque du Q uis fera corda dom as hom inum , quis pectora m ulces
pape C élestin (422-432) à Sainte-Sabine, portent le C hristicolasque doces tu (unum ) om nes esse p er orbem .
double titre de ECLESIA EX G EN TIBUS. ECLESIA
EX C IRC UM C ISIO N E. K aufm ann, Handbuch, p. 248, M ais le plus m agnifique éloge dogm atique de Pierre
et ailleurs. Elle est appelée catholique, surtout par nous est donné dans une inscription que l ’ évêque
rapport aux sectes hérétiques ou schism atiques. D ans spolétain A chille (vers 402-418) avait placée dans
un graTito du cim etière deT hrason.de la prem ière m oi­ une église dédiée à l ’ apôtre. D e R ossi, Bu. let, 1x71,
tié du iv e siècle, un certain M acedonius s ’ intitule exor­ éd t fra ç., p,119; Inscript, christ.,t. n α,ρ. 113,114.
cista de katolica. D e m êm e, en 362, un lector au cim e ­ Q uidnam ig itu r m irum , m agno si culm ina P etro
tière de D om itille.A uoao bullet., 1908, p. 144. L ’ évêque Q uolibet ex istan t aedificata loco,
A lexandre de Tipasa, en A frique, a parcouru les C um . quæ per totum celebratur ecclesia m undum .
degrés hiérarchiques : honoribus in æclesia catholica In fundam ento fixa P etro m aneat?
functus. D e R ossi, Bullet., 1894, p. 90. Cf. Leclercq, N am que illi D eus, ipse caput qui corporis ex(s)tat,
Diclionnaire d'arch. chrél-, L n, col. 2624-2639. Elle P ro p terea P ctræ nom en habere d ed it,
»st la seule vraie Église.. A insi, au rapport de saint D icens : E sto P etru s, quoniam fundabo super te
Q uam m ihi nunc to to m olior orbe dom um ;
D am ase, saint H ippolyte, fauteur d ’ un schism e
In te per cunctas consistit ecclesia gentes;
dans la pre nière m oitié du in· siècle, n ’ est devenu
V incit et inferni carceris im perium .
un vrai m artyr du C hrist que parce qu ’ il est revenu à N am lque datis) clavibus cæ lorum claudere portas
l ’ Église catholique : Sic noster meruit confessus martyr E t reserare d ed it pro m eritis hom inum :
ut esset. Ihm , op. cit., p. 42, n. 37. C ’ est elle qui Q uæ cuinque in terris fuerit sententia P etri,
dispose des sacrements. L ’ aïeule d ’ un certain Floren ­ H æ c erit in eæ lis scripta, n o tan te D eo.
tius lui dem ande le baptêm e pour son protégé m ou ­ D ixit enim : T u es m agno m ihi nom ine P etru s,
rant : PETIVIT DE A ECLESIA (sic), UT FIDELIS DE E t tibi cæ lorum fortia claustra dedi.
SECU LO R ECESSISSET. M usée du L atran, p. ix, H ac dictiene potens terra C teloque P etrus sta t
n. 39; Mon. lit., t. i, n. 3429. D ’ après D ôlger, c ’ est A rbiter in terris, jan ito r in superis.
d ’ elle qu ’ il est dit dans l ’ inscription d ’ A bercius qu ’ elle
donne aux « am is » le poisson sym bolique, du pain La prim uté de Pierre est attachée au siège de Rome.
et du vin m élangé avec de l ’ eau. Rôm. Quartalschrift, Le séjour de l ’ apôtre et sa m ort dans cette ville sont
t. xxm (1909), p. 110-112. prouvés et présupposés par les données de l ’ épigraphie.
2. Sa hiérarchie. — L ’ Église form e un im m ense trou ­ Saint D am ase dit que les R om ains regardaient Pierre
peau gardé par le C hrist, d ’ après saint D am ase: Chris­ et Paul com m e leurs concitoyens : Roma suos potius
tus... Il numerum gregis ipse tuetur. Ihm , op. cit., p. 20, meruit defendere cives. Ihm , op. cit., p. 31, n. 26. Le
n. 13. A bercius l ’ appelle « le saint Pasteur, ποιμήν nom de Pierre, peu connu dans le m onde rom ain, se
αγνός , qui conduit les brebis aux puturages, sur lit sur un certain nom bre d ’ épitaphes dès le n· siècle
les m ontagnes et dans les plaines; » c ’ est à lui qu ’ il doit et on y voit m êm e gravée son im age. D e R ossi, Bull.,
les ■ enseignem ents fidèles, γο-μματα πιστά ». C ’ est 1884, p. 77-84; 1886, p. 37, 43, 67, 82, 97,103; Nuovo
• ncore le C hrist qui donne à l ’ Église son autorité et bullet., 1901, p. 92; 1902, p. 223, 224. A R om e ac ­
com m unique à ses sacrem ents leur efficacité. courent, dès le n 0 iècle, les fidèles de l ’ O rient. A ber ­
a) La primauté de Pierre. — D ans l ’ Église, l ’ apôtre cius y est envoyé par le souverain Pasteur et atteste
occupe une position à part. D ans une inscription de par là la prépondérance religieuse de cette Église
Saint-Pierre in cælo aureo, à Pavie, on lui fait dire : brillante, com m e le reconnaissait m êm e Salom on R ei-
...τόν θεόν λόγον θε(άσθε) χρυσώ την 6εό(γλ)μπτον πέτσαν, nach. Leclercq. Dictionnaire d’arch. chrèl., 1.1, col. 83.
έν 5 βεοηχώς ού χλον(ο)ϋμ(αι...), c ’ est-à-dire le fon ­ Souvent, au iv° siècle ct depuis, R om e reçoit le titre
dem ent inébranlable de l ’ Église, c ’ est Pierre; le de Sedes apostolica. Siège apostolique par excellence.
C hrist, V erbe de D ieu, est le fondem ent de Pierre. Ihm , op. cit., p. 58, n. 57; p. 76, n. 72; Nuovo bullei.,
D e R ossi, Inscript, christ., t. n a, p. 33. C ette position 1901, p. 87. D e son élévation sur ce Siège saint D a ­
est unique : il n ’ y a qu ’ un siège de Pierre com m e il m ase dit : Hinc mihi provecto Christus, cui summa
n ’ y a qu ’ un seul et vrai baptêm e : una Petri sedes, potestas || Sedis aposlolicæ voluit concedere honorem.
unum verumque lavacrum. Ihm , op. cit., p. 9, n. 5. C ’ est sur ce très grand siège éclairé par les splendeurs
'■.’ est lui qui est le portier du ciel, dont il a les clefs : du C hrist que le pape Libère a été élevé : Huic tantæ
Petro, cui tradita janua cæli est; cui siderei commisit sedi Christi splendore serenæ || electus fidei plenus
(Christus) limina regni, lisait-on, au iv» siècle, au summusque sacerdos... D e R ossi, Bullet., 1883, édit.
319 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 320

franç., p. 9. O ccuper ce siège, c ’ est, com m e le dit a voulu voir le nom du prem ier successeur de Pierre,
l ’ inscription du pape C élestin sur la m osaïque de et d ’ un m arbre phrygien portant l ’ inscription Μ ητ ||
Sainte-Sabine, être le prem ier évêque du m onde : ροδώρω, έπισχόπ || ω que les Mon. lit., 1.1, n. 2789. font
CULM EN A PO STO LICUM CUM C Œ LESTIN US HA ­ rem onter jusque vers l ’ an 200, les plus anciens m onu ­
B ER ET, y PRIM US ET IN TO TO FU LG ERET EPIS ­ m ents qui donnent les nom s d ’ évêques se trouvent au
C O PU S O RB E. D e R ossi, Inscript, christ.,t. ita, p. 24, cim etière de Saint-Calixte: A NTCPW C ΕΠΙ (σκοπος );
n. 27. Saint D am ase est nom m é le vicaire du C hrist, (DABIANOC £Π Ι (σχοπος ); AOYKIC (Luoius); CYTY-
antistes Christi ; Siricius est appelé magnus sacerdos, X IA NO C en ic (χοπος ): O YPBAN OC (?); Π Ο Ν ΤΙΑ-
un autre pape, pastor summus, le pape Libère, summus N O C ERIC (χοπος ); Γ(αιο)Υ £Π Ι (σκοπού); C O R ­
sacerdos. Ihm , op. cit., p. 9, n. 5; p. 96, n. 93; p. 77, N ELIU S M A RTY R EP(iscopus). Mon. lit., p. cix,
n. 73. Sur leurs épitaphes encore visibles aujourd ’ hui, note 5. D om Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i,
lespapes du m » siècle,enterrés à Saint-Calixte,portent col. 1097, place à la fin du m ® siècle une épitaphe de
le sim ple titre de έπίσχοπος , episcopus. D e R ossi, Saint-A lexandre, sur la voie N om entane: PETR U S
Romasotter., t.n, pl. ni, etc. ; Nuovo bullet., 1909, p. 35; EPISC O PUS IN PA C E...; de m êm e, D e R ossi, Bullet.,
Analecta bollandiana, 1910, p. 184 sq. C ’ est à tort 1876, édit, franç., p. 101. Fl. L atinus, de B rescia,
qu'on a voulu attribuer à ce titre le sens d ’ évêque par a vécu au in° siècle; de m êm e, Julien, évêque d ’ A icta,
excellence. Le nom de papa, réservé plus tard à en C alabre. L. Petronius D exter m eurt évêque de
l ’ évêque de R om e, se rencontre de bonne heure. A C hiusi en 322. A la m êm e époque vécut Eugcnius
la fin du m ° siècle, le diacre rom ain Severus déchire de Laodicée, d ’ abord officier, puis confessor sous
qu ’ il a fait : CUBICU LU M D UPLEX ..., IUSSU P(«) M axim in D aja, ensuite évêque pendant un quart de
P(æ) SUI M A RCELLINI. D e R ossi, Inscript, christ., siècle. Expositor, 1908, p. 389 sq., 546 sq. ; 1909,
t. i, p. cxv; Mon. lit., t. i, n. 2877. U ne fem m e de p. 307 sq.; 1910, p. 51 sq. U n m onum ent de Tipasa
Spolète est confirm ée A LIBERIO PA PA ; le calli- fait un bel éloge de l ’ évêque A lexandre : A LEX A N ­
graphe Philocalus de saint D am ase se dit DAM ASI D ER EPISC OPU (s Z) EG IBU S IPSIS ET A LTA RI­
PA PA E CU LTO R A TQ UE A M ATOR. D e R ossi, Bull., BU S N A TU S, Il Æ TA TIBU S H ON OR IB USQ UE IN
1869, édit, franç., p. 24; 1873, pl. xn; Ihm , op. cit., Æ CLESIA CATHO LICA FU NCTU S, || CA STITA TIS
p. 25, n. 18. U ne épitaphe m utilée, trouvée à R om e C USTOS, KARITATI PA CIQU E D ICA TU S, || CU IUS
en 1903, porte la m ention: SU B JU LIO A (ntistite). D O CTRIN A FLOR ET INN UM ERA PLEB S TIPA-
La form ule a une double im portance : elle prouve SEN SIS II PA UPERUM A M ATOR, Æ LEM O SIN Æ
qu ’ avant le m ilieu du iv° siècle on avait com m encé D EDITUS O M N IS, || CUI N U N QU A M FU ERE, UNDE
à dater d ’ après le gouvernem ent des papes; en outre, O PUSC Æ LESTE FECISSET, etc. U ne autre épitaphe
elle m ontre qu ’ on a eu tort de voir une protestation africaine, du iv° siècle, est ainsi libellée : ...N O B ILIS
contre le schism e de Félix et d ’ U rsicinus dans les trois A NTISTES PERPETU U (s) || Q UE PA TER || NAVI-
form ules connues jusqu ’ ici : SU B LIB E(rïo papa), G IU S PO SU IT CRISTI LE || G ISQ UE M IN ISTER.
SEDENTE PA PA LIBERIO , SU B D AM A SO EPIS- D e R ossi, Bullet., 1876, édit, franç., p. 97-121 ;
C O (po) qui n ’ ont d ’ autre signification que celle 1894, p. 90, 91 ; 1886, p. 26 sq. ; X ystus, op.cit., t. lia,
d ’ une sim ple date chronologique. Il en est de m êm e p. 180-185. Plusieurs de ces évêques étaient m ariés;
de la m ention : SA LVO SIR IC IO PA PA et SA LVO m ais nous n ’ apprenons point l ’ époque de leur m a ­
SIRICIO EPISC O PO ECCLESIAE SA NCTAE. Nuovo riage. Pelka, Ehedenkmaler, p. 77, 78. U n m onum ent
bullet., 1903, p. 316; 1904, p. 252, 28. de 491 ou 526, trouvé à Terni dans l ’ O m brie, m en ­
b) Q uant aux autres m em bres de la hiérarchie, tionne une fem m e qui reçoit le titre à’episcopa. D iehl,
l ’ épigraphie nous atteste l ’ existence des différents op. cit., p. 15, n. 65; Corp. insc. lal., t. xi, n. 4339.
degrés tels que nous les avons encore aujourd ’ hui. d) Prêtres. — Les inscriptions m entionnant des
B eaucoup de clercs restaient leur vie durant dans tel prêtres sont anciennes. L a suivante, de Sainte-
ou tel ordre inférieur, d ’ autres avançaient par degrés. D om itille, est probablem ent du n° siècle : ΦΛ· ΓΤΤΟ-
L ’ épitaphe de l ’ evêque L atinus de B rescia, qui vivait A CM A IO C Π Ρ (πρεσβύτης ) ΚΑΙ || Ο Υ Λ ΠΙ(κ) K ON KO R ­
au ni» siècle, indique m êm e les années passées dans DIA CYM B(io;). '
chaque ordre. D e R ossi, Bullet., 1876, édit, franç., D e R ossi, Bullet., 1871, édit, franç., p. 31, fait re ­
p. 104. Celle que saint D am ase fit placer à l ’ entrée m onter à peu près à la m êm e époque une autre, décou ­
des archives com m ence ainsi : Hinc puer, exceptor verte à Sainte-A gnès : AVR. H ELIO DO RVS. PRT
(notaire), lector, lenita, sacerdos. Ihm , op. cit., p. 58, (presbyter?). U n prêtre-m édecin fut enterré au
n. 57. L ’ éloge m étrique de son prédécesseur Libère m 0 siècle au plus tard dans la crypte dite de Saint-
fournit les m êm es renseignem ents. Par contre, on C orneille : A IO NY CIOY H ΙΑΤΡΟΥ II TÏRECBY TEPOY ;
trouverait, selon A rm ellini, Archeol. crist., 1898, m usée du L atran, p. x, n. lO (calque). D e R ossi, Borna
p. 539, dans un m arbre de Fiésole, du iv° siècle, un solter., t. i. pl. xxi, n. 9; Mon. lit., n. 2986.
exem ple d ’ ordinations faites per saltum. Plusieurs fois E n Phrygie, au m °siècle, A urélius D ionysius, πρεσ-
les textes épigraphiques m entionnent des clercs m a ­ δύτερος , établit de son vivant un cim etière réservé à
riés, Pclka, Altchrislliche Ehedenkmaler, p. 76-94 ; m ais tous ses frères. Mon. lit., n. 2795. D ans l ’ escalier qui
ils ne nous disent pas très clairem ent quand le m a ­ descend à la basilique de Sainte-A gnès, on lit sur un
riage a été conclu. Parm i les évêques m ariés qu ’ on m arbre du iv e -v°siècle: LOCUS V ALEN TINI PR Æ SB .
connaît, aucun n'appartient à la liste de R om e. Sur Le m odèle du prêtre nous est peint par quelques
l ’ épitapheduprêtreV alensdeV i leneuve-lez-A vignon, coups de pinceau dans l ’ inscription suivante attri ­
de 586, on lit : IVRA SA CERDO TII SERV A NS N O ­ buée à saint D am ase : Presbyter hic voluit Sisinnius
M EN QU E lUG ALIS. E st-ce un indice de la continence ponere membra, | Omnibus acceptus populis digmisque
pratiquée par le titulaire, com m e M . Le B lant l ’ a cru, sacerdos. | Q ui sciret sanctœ servare foedera matris, |
ou bien une opposition peu cachée contre le célibat, Blandus amore Dei semper qui vivere nosset | Con-
com m e l ’ adm et Leclercq? Le B lant, Inscript, chrét., tentusque suo nesciret principis aulam. Ihm . op. cit.,
t. n, p. 118, n. 597; Nouveau recueil, n. 298; Le­ p. 33, n. 28. Plusieurs fois les m onum ents font m en ­
clercq Dictionnaire d'arch. chrétienne, t. n, col. 2823- tion de prêtres m ariés. Nuovo bullet., 1902, p. 237,
2827. 238. Plus rarem ent on rencontre le nom de presby-
c) Évêques.— En dehors d ’ une épitaphe portant le tera ou presbyterissa. A rm ellini, Arch, crist., p. 396;
sim ple nom de LINU S, dans lequel M . D e R ossi, Corp. insc. lal., t. x, n. 8079; D iehl, op. cit., p. 12,
Bullet., 1864, édit. ital.. p. 50: 1876, édit, franç., p. 99, I n. 45. Le titre de prêtre-économ e, οικονόμος , qui était
321 É P I G R A P 11 1 E C H R E T IE N N E 322
spécialem ent chargé du soin des biens ecclesiastiques, de la m êm e m anière. Toutefois cette juxtaposition
se retrouve sur une pierre funéraire de Lycanie. et la fonction qu ’ il exerce — porter l ’ eucharistie aux
Cf. W . R am say, Luke the physician, Londres, 1908, fidèles — sem ble plutôt indiquer un clerc revêtu du
p. 332-410. Le titre d ’ arcliiprêtre se rencontre, au diaconat. W ilpert, dans Rôm. Quarlalschrift, t. xxit
vi c siècle, sur une stèle de B rives, sur une pierre de (1908), p. 193.
B ologne, etc. Le B lant, Nouveau recueil, p. 218, i) Les lecteurs. — C et ordre est très ancien et les
n. 222 a; Corp. insc. lat., t. xi, n. 752 (cf. t. xin, m arbres qui le m entionnent rem ontent très haut. O n
n. 1352); G . Lefebvre, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, place à la fin du n° siècle deux inscriptions rom aines
col. 2497 sq. ; Leclercq, ibid., col. 2761 sq. dont Tune, aujourd ’ hui au palais ducal d ’ U rbino, est
e) Diacres. — Les diacres sont appelés διάκονοι, ainsi libellée : CLAU DIUS ATTICA || N US LECTO R
par exem ple, Corp. insc. lai-, n. 9268 (iv c siècle), 9192; ET CLAU DIA || FELICISSIM A ||C O(n)IUX . Sur l ’ autre,
diaconi, par exem ple, Corp. insc. lat., t. in, n. 2654; encore à sa place prim itive à Sainte-A gnès, on lit :
m usée du L atran, pl. x, 15; Perret, t. v, pl. 41, n. 14; FA V OR. FA V O R (ancre) LECTO R. A rm ellini, Il cimi-
D e R ossi, Roma setter., t. m , p. 190, n. 6; levitæ, par tero di S.Agnese, p. 104, pl. xi, η. 1 ; D e R ossi, Bullet.,
exem ple, D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, p.331, n. 753; 1871, édit, franç., p. 32. D ’ autres m onum ents un peu
p. 371, n. 843; Ihm , op. cil., p. 8, n. 4; p. 28, n. 21; m oins anciens sont cités dans D e R ossi, Bullet., 1876,
p. 39, n. 34; p. 58, n. 57; parfois aussi ministri. Ihm , édit, franç., p. 104 (du m ” siècle); 1875, édit, franç.,
op. cit., p. 29, n. 23. D ans les prem ières années du p. 57; 1884-1885, p. 46; Roma setter., t. ni, p. 516;
m ' siècle, un diacre (διάκων) du nom d ’ A BIRK IO C Inscript, christ., 1.1, p. 62, n. 97 ; p. 153, n. 347; p. 224,
se fait faire une tom be à Prym nessos, en Phrygie, n.622; Rom. Quartalschrift,t.xxn(lQ08), p.162, pl.n;
pour lui, sa fem m e et ses enfants. Mon. lit., n. 4351. X ystus, op. cit., p. 198-203. Le nom grec αναγνώστη;
A Saint-Calixte, l ’ épitaphe du diacre Severus a été figure sur un m onum ent publié par B ayet, op. cit.,
placée entre 296 et 302. D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, n. 107, et Corp. insc. grœc., n. 9303.
p. cxv; B ücheler, op. cit., t. i, p. 310, n. 656. Plusieurs /) Les exorcistes. — Le nom bre de m onum ents où
autres sont encore datées et rem ontent au iv c siècle, figure ce titre est assez restreint. Celle de Celer, en ­
par exem ple, celle du diacre Fl. Julius de Salone, terré à Saint-Calixte, de M acedonius, dont le tom ­
m ort en 358. Corp. insc. lat., t. m , n. 2654. U n m arbre beau était à la catacom be de Thrason, et celle d ’ un cer ­
de Saint-C alixte appartenant à un certain R edem ptus tain H irenæ us, sont peut-être encore du ni· siècle.
nous fait connaître les occupations du lévite rom ain. D e R ossi, Bullet., 1868, édit, franç., p. 12; M arucchi,
Ihm , op. cil., p. 28, n. 31. D e m êm e, ceux de deux op. cit., t. π (1900), p. 314; Mon. lit., n. 3114. Celle
archidiacres rom ains du v° siècle — le titre archidia- de G elasius, à Sainte-D om itille, est du iv ' siècle; de
conus paraît ici pour la prem ière fois — publiés par m êm e celle de PA U LUS EX ORCISTA , à Saint-C alixte.
D e R ossi, Roma setter., t. ni, p. 239-242; Bullet., 1864, M arucchi, op. cit., t. n, p. 131; Rôm. Quarlalschrift,
edit, ital., p. 33. Cf. X ystus, op. cit., t. πα, p. 189-194. t. xn (1898), p. 281 ; Mon. lit., n. 3335. D ’ autres ont
/) Sous-diacres. — Le nom de sous-diacre, sub- été trouvées à M ilan, à C hiusi. Corp. insc. lat., t. v,
diaconus, υποδιάκονοί, est assez rare et n ’ apparaît n. 6252, 6276; t. xi,n. 2559. L ’ épitaphe rom aine d ’ un
guère avant le iv c siècle. Près du tom beau de saint Æ SSO RC ISTA (sic) BA SSLIAN U S est aujourd ’hui à
Prote, le P. M arclii, Monum. dell’ acte crist.,t. i,p. 239, V elletri. Perret, op. cit., t. v, pl. 65, n. 5.
a lu le graffito suivant : Agatio subd(iacono) || pec­ k) Les portiers. — A Trêves était enterré un cer ­
catori Il miserere d(eus). Mon. lit., n. 3457. Plusieurs tain U RSA TIU S US II TIA RIU S (sic) dont le m arbre
autres inscriptions de sous-diacres sont rapportées funéraire est aujourd ’ hui au m usée de M annheim .
par D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 324, n. 743; O n connaît égalem ent un U STEARIU S (sic) (ec)CLI-
K aibel, Insc. gr., n. 853 (N aples); Corp. insc. gr.,n. 928 SIÆ (sic) SA LO NIT(anæ ). K raus, Christi. Inschriften,
(Sm yrne); n. 9192 (Cilicie); Le B lant, Inscript, chrét., t. i, p. 84, n. 165; Corp. insc. lat., t. xm , n. 3789. La
t. 1, p. 396 sq., n. 293; X ystus, op. cit.,p. 194,195. Revue biblique, 1892, t. i, p. 563, 568, m entionne plu ­
g) Clergé inférieur. — L a distinction entre clercs sieurs portiers, θυρωροί, de l ’ église de Jérusalem .
et laïques a été accentuée par saint C lém ent, pape. Z) Les notaires (chantres) et les fossores. — Sur ur«
I Cor., 40-43. L ’ expression clerus, clergé, n ’ est pas pierre de Spolète, de 386, on nom m e unN O TA RILS
rare au iv° siècle. D e R ossi, Bullet., 1874, édit, franç., Æ CLESIÆ . D e R ossi, Bullet·, 1871, édit.franç., p. 115.
p. 155 sq. ; Ihm , op. ci‘Z.,p.46,n. 42. Le term e clericus se D ’ après Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., t. r,
lit surdes m onum ents de Sicile,deT ortone,d ’ A frique. col. 385 sq., un fragm ent de m arbre à Sainte-Priscille
Führer, Forschungen, p. 161, n. 15; Mon. lit., p. c x l ii i ; avec le m ot N OTARIO , rem onterait au m · siècle.
D e R ossi, Bullet., 1879, édit, franç., p. 164. Sur la chaux L ’ expression exceptor, dans l ’ inscription du pape
d ’ un loculus, à Sainte-D om itille, on a m êm e indiqué D am ase, désigne la m êm e fonction. Ihm , op. cit.,
le titre ou l ’ église dont le clerc dépendait : CLERICUS p. 58, n. 57 ; Nuovo bullet., 1903, p. 66, 68. Sur un m o ­
(de Fas)C IO LA. M arucchi, op. cil., t. u, p. 133. num ent de B ithynie qui, d ’ après les Mon. lit., n. 2785,
ft) Les acolytes. — Ils sont m entionnés et par le pape serait du nM n· siècle, on dit du titulaire, qu ’ il lisait
C orneille et par saint C yprien. L ’ épitaphe rom aine les É critures et chantait à l ’ église. Pour apprécier ce
de H Y A CIN TH U S A CO LITU S est probablem ent du m onum ent, il faut se rappeler que les lecteurs rem ­
m ' sièele. Mon. lit., n. 3122. U ne inscription nar- plissaient souvent cette double fonction. Le term e
bonnaise de 445 présente le m otlatin SEQ U ENS, tra ­ actuarius figure sur un titulus d ’ A quilée, Corp. insc.
duction littérale du grec. Corp. insc. lat., t. χιι,η.5336; lat., t. v, n. 1595 ; celui de cantores, sur un m onum ent
Le B lant, Inscript, chrét., t. n, p. 466, n. 617. N ous espagnol. H übner, Supplementum, p. 8, n. 304.
connaissons encore un acolyte A bundantius, du titre Les fossores figurent sur plusieurs m onum ents ro ­
de Saint-V ital (titulus Vestinæ), du v° siècle; un m ains. M usée du L atran, pl. #x, 24; Rôm. Quarlal­
autre, nom m é V ictor, de l ’ église Saint-C lém ent, du schrift, t. xn (1898), p. 351,532. L ’ inscription la plus
tv ’ siècle; un certain R om anus de Saint-L aurent, de connue est peinte en rouge sur un cartouche dans une
la m êm e époque. C abrol, Dictionnaire d’arch. chrét., chapelle du iv ' siècle, à la catacom be de D om itille :
t. t. col. 531; D e R ossi, Bullet., 1863, édit, ital., p. 16; D IO G EN ES. FO SSO R IN . PA CE . D EPO SITUS
X ystus, op. cit., p. 196-190. M ais le plus célèbre de O CTA BU . (sZc) K A LEN DA . O CTOB R IS. Perret,op.
tous serait Tarcisius, dont le pape D am ase com posa cil., t. i, pl. 30; W ilpert, Malereien, p. 522, pl. 180.
1 éloge m étrique, où, rappelant som m airem ent son D eux autres se trouvent à la catacom be O strienne:
m artyre, il le com pare à saint É tienne qui avait péri T une appartient à une fam ille de fossores. M arucchi
D IC T . D E T H EO L . C A T IIO L . V. - 11
323 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 324

op. cit., t. n, p. 279, 280. Pour la m êm e catacom be dans l ’ accom plissem ent des prescriptions de la loi
ct de la règle, » com m e le dit une épitaphe de 381.
M arini avait noté la suivante : (une pioche) || D E-
BESTUS M O N TA N A RIUS || Q U I LABORAV IT PER D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 137, n.304;W ilpert,
O M N IU M II CLIM ITERIU M (sic) M ERITUS FEC IT. op. cit., p. 84. L eur vie est donc bien m éritoire :
VITA BREV I EX PLEV IT TEM PO RA M U LT A, affirm e-
D e R ossi, Romasotter., t. ni, p. 534; Mon. lit., n. 3449.
t-on de la vierge espagnole Florentia nom m ée plus
Le collège des fossores, O M NES FO SSO R ES, est
haut. D ans l ’ église, elles sont placées tout près du
nom m é sur un m arbre de C om m odille, aujourd ’ hui
chœ ur; une barrière les sépare des autres fidèles. U ne
au m usée du L atran, p. vi, n. 26.
tablette de m arbre, trouvée en A lgérie et conservée
m) Vierges chrétiennes. — D ès lem ilieu ’ du in e siècle,
aujourd'hui au Louvre, porte l ’ inscription : B(onis)
l ’ épigraphie nous atteste l ’ existence de vierges chré ­
B(ene)— VIRG || IN U M ||C A NC (clins). Mélanges d’ar­
tiennes. W ilpert, Die gotlgeiveihten Jungfrauen,p.Q2-
chéologie et d’histoire de l’École française de Borne,
94; D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 25, n. 20. A ux
1890, p. 506. Elles sont aussi distinguées dans l ’ autre
IV e et vc siècles, leur nom bre est très considérable.
m onde. C ’ est avec le C hrist qu'elles ressusciteront...
D 'après la célèbre inscription de C lem atitis, un cou­ CHRISTUM ,CUM Q UO R ESU R GET. L eBlant, op.cit.,
vent de vierges aurait existé, au iv “ siècle, à Cologne.
t. n, p. 32, n. 392. C 'est lui qui les reçoit au ciel : TE,
K raus, op. cit., p. 143 sq. Les m onum ents renferm ent V IRG O, TU US TRAN SV EX IT AD Æ TH ERA SPO N ­
les dénom inations suivantes : virgo, virgo sacra, virgo
SU S, com m e le dit l ’ épitaphe de sainte M arcellina.
Christi, virgo devola, virgo sacrata Deo, virgo Dei,
W ilpert, op. cit., p. 79. Plus expressif encore, quoique
virgo benedicta, puella virgo, puella Deo sacra, puella
m oins ancien,est le m arbre épigraphique déjà cité de
Deo sacrata, ancilla Dei, παρθένος , παρθενεύσασα, de­ quatre vierges de V erceil. W ilpert, op. cit., p. 79.
vota Christi sanctimonialis. W ilpert, op. cit., p. 83, n) Les veuves chrétiennes. — Le plus ancien m onu ­
92, 43, 91, 77,90, 37, 87, 95, 93, 78, 38,88; D e R ossi,
m ent qui les m entionne est une épitaphe de Priscillc :
Bullet., 1863, édit. ital.,p. 77; K aufm ann, Handbuch, (Φ λαβι)Α . A PK AC. Χ ΗΡΑ . H TIC || (εφησε) N . A ITH.
p. 223; Mon. Iit., n. 2782. Pratiquem ent il est sou ­ ΠΕ (85). M HTPI. || (γλυκυ) TATH. Λ Φ ( α )ΒΙΑ. Θ £Ο -
vent im possible de dire avec certitude s ’ il s ’ agit d ’ une
ΦΙΛΑ II (Ο υγατ) H P (1 t :)O 1HCEN. D e R ossi, Bullet.,
jeune fille ordinaire ou offerte à D ieu par ses parents
1886, p. 90; K aufm ann, Handbuch, p. 224. .Sur une
ou d ’ une vierge consacrée par vœ u solennel. U ne épi ­
pierre du L atran, p. xi, n.2,on lit: O CTA V IÆ . M A-
taphe de 514, découverte à Sainte-A gnès, nom m e
TRO N Æ II VIDUÆ . D EL Parfois on les appelait dia­
une SEREN A A BBA TISSA , m orte à l ’ âge de 85 ans.
conissa. U ne épitaphe de Pavie, de 539, est ainsi
C ’ est le m onum ent le plus ancien qui m entionne
libellée: HIC IN PA CE R EQU IESC IT B(onæ) Mé­
cette dignité. Ntiovo bullet., 1901, p. 298 sq. ; Leclercq. morise) H THEOD ORA D IACO NISSA . Corp. insc. lai..
Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 1313. Sur le titre
t. v, n. 6467 ; D iehl, op.cit., p. 10, n. 35. Le term e grec
M AGNA A NCILLA D EI, donné à une religieuse du
se rencontre sur deux m arbres de Jérusalem , du
nom d ’ Eusebia, voir Le B lant, op. cil., t. n, p. 301,
v* siècle. Revue biblique, 1904. L ’ une d ’ entre elles fait
n. 545. La vierge qui se donne à D ieu conclut avec lui
clairem ent allusion à saint Paul, R om .,xvi, 1: 4- έ-,-
un m ariage m ystique. Sur une pierre de la fin du
Οάδε κΐται ή δούλη || καί νύμφη Χ ριστού || Σοφία ή διά ­
v e siècle,nous lisons: (G EORG IA )... DEUM || (e)LEG IT
κονος ή δεύτερα Φ οίβη... X ystus, op. cit., L lia, p. 209-
FELICIOR E TOR O . Le B lant, op. cit., t. n, p. 329,
213. Sur les anciens monastères d ’ É gypte qui nous
n. 560. A illeurs il est dit : (JULIA NA ) N U BIT PER
intéressent m oins directem ent et les données de l ’ épi-
SA CRA VELA D EO. D e R ossi, Inscript, christ., t. ιια,
graphie, voir Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét.,
p. 63, 92; Corp. insc. lai., t. v,n. 6734. Sur un m arbre
t. il, col. 3136.
gaulois de 450, le C hrist est appelé son époux; de
3. Son culte. — Ici il ne saurait être question ni du
m êm e sur l'épitaphe de M arcellina, sœ ur de saint
culte des saints, ni des cérém onies des sacrem ents qui
A m broise. Le B lant, op. cil., p. 32, n. 392; W ilpert,
seront traités ailleurs, ni de la disposition des églises ni
op. cil., p. 79, pl. iv, n. 3. U ne vierge espagnole, de l ’ organisation des catacom bes. Ce sont des ques
Florentina, s ’ est endorm ie IN PA CE JESU , Q UEM tions qui regardent plutôt l ’ archéologie proprem ent
D ILEX IT. H übner, op. cil., p. 7, n. 21. Le sym bole
dite et pour lesquelles l ’ épigraphie fournit d ’ am ples
extérieur est le voile; il est bénit par l ’ évêque ct fait renseignem ents. N ous ne traiterons ici que de la
essentiellem ent partie du costum e prescrit. D ’ une
liturgie en général ct des lieux de prières pour savoir
vierge m ilanaise D entcria, m orte en 409, il est dit :
quelle idée les prem iers chrétiens s ’ en faisaient.
H IC IACET... ||C U M CAPETE (sic) V ELA TO... Corp,
a) La liturgie. — D ès les prem iers tem ps, l ’ Église
insc. lat., t. v, n. 6257. Sur la pierre funéraire de procédait à l ’ enterrem ent de ses enfants en l ’ accom
quatre sœ urs vierges, de V erceil, le texte épigraphique pagnant de la récitation de prières spéciales et de
décrit ainsi l ’ entrée au ciel: INSIGN EIS (sic) A NIM O, l ’ oblation du saint sacrifice. Les form ules liturgiques
CA STA E, V ELA M IN E SA NCTO, CRIN IBU S IM PO ­
une fois déterm inées, les fidèles en firent volontiers
SITO, CO ELUM PETIERE SO R O R ES. W ilpert, op.
usage. D e là ces allusions assez nom breuses à d ’ an ­
cit., p. 21. D ans cet état on se livre à la pratique de ciennes liturgies sur les m onum ents funéraires tant
toutes sortes de vertus. C ’ est ce qu ’ atteste un m onu ­ en O rient qu ’ en O ccident. Parfois on trouve m êm e des
m ent de 381 que nous citerons bientôt. U n autre, prières gravées soit en entier soit en partie sur les
de 431, nous dit que cette vie est conform e aux vœ ux m arbres des tom beaux. V oir Le B lant, Élude sur les
qu ’ on a faits : VITAM || SU AM , PR O U T PR O PO ­
sarcophages...d'Arles, Paris, 1878, p. xxi-xxxix; Pren ­
SU ERA T H G ESSIT... TA NTU M BEA TIO R IN D NÔ tice, Fragments of an early Christian liturgy in Syrian
CO ND ED IT M EN TEM . Le B lant, op. cit., t. i, p. 89, inscriptions, dans Transactions and proceedings of the
n. 44; W ilpert, op. cit., pl. v, n. 13. La fidélité aux american philological association, B oston, t. xxxm
vœ ux nécessite des com bats souvent très durs, du­ (1902), p. 81-100, et surtout Leclercq, dans la Revue
rissima bella, contre le serpent infernal poussé par la bénédictine, t. xxn (1905), p. 429-442; K irsch, Die
peiversité et l'envie. D e R ossi, Inscript, christ., t. lia, Acclamationen·.., Cologne, 1897, p. 61 sq. L aD idaché.
p. 173;W ilpert, op. cit.,p. 39. A ussi les vierges chré ­ c. ix, renferm e une form ule doxologique en usage à
tiennes sont très estim ées. O n les com pare aux vierges la fin du I er siècle. Sur une épitaphe priscilliennc,
sages de l ’ Évangilc. Le B lant, op. cit., t. H , p. 32, certainem ent antérieure à l ’ an 250, on en lit une
n.392;G azzera,op. cil., p. 93. O n célèbre leurs vertus:
« intégrité du coups, chasteté de l ’ âm e, exactitude qui est presque identique : C Q I -ΔΟΞΑ· €N (ancre).
325 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 326

D e R ossi, Bullet., 1888-1889, p. 31 sq. D ès lem ilieu du A insi est prouvé le lien intim e entre l ’ épigraphie
ru ' siècle, on rencontre la term inaison Amen sur un et les plus anciennes liturgies, ainsi que la haute
certain nom bre d ’ épitaphes, par exem ple, à Saint- im portance de notre science pour en fixer le form u ­
C alixte : IN PA CE SPIR ITU S TU US · A M EN ; et en laire prim itif. C ar il est évident que dans ce rapproche ­
Égypte. D e Rossi, Roma solter., t. n, pl. x l i x , n. 6; m ent de form ules la priorité ne doit pas être attribuée
Leclercq,D ictionnaire, t. i,col. 1158, 1159. L a form ule aux m onum ents, m ais aux textes liturgiques qui.
μνησΟητι κύριε, qui, com m e on peut le voir égalem ent antérieurs à leur com position, rem ontent ainsi à une
dans la D idaché, com m ence ordinairem ent les com - époque d ’ autant plus reculée.
m ém oraisons liturgiques, est très com m une dans b) Les lieux de prière. — Les prem iers chrétiens
l ’ épigraphie grecque, à R om e, en Sicile, en Palestine. priaient non seulem ent à la m aison, m ais encore dans
D e R ossi, Bullet., 1877, édit, franç., p. 36; Strazzula, les sanctuaires et auprès des restes de leurs m orts.
Museum epigraphicum, p. 75, 77 ; K aufm ann, Hand- D ès le iv° siècle, les églises étaient regardées com m e
buch, p. 216. U ne épitaphe égyptienne, du m ilieu du la m aison du Seigneur, dominicum, D e R ossi, Bullet..
in ' siècle, est ainsi libellée : Κ ύριος , μνησΟίη || τής κοι- 1863, édit, ital., p. 25 sq. ; com m e un lieu de prière.
μήσεος (Α Ϊί) || Ηεοδότης || και άναπκύσεως || Μ ... Leclercq, oratorium; com m e l ’ habitation du Saint-Esprit. H (i)C
Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 1151. Par contre, D O M U S D(e)l N O S(frï), lisait-on sur le linteau de
dans l ’ épigraphie latine, la form ule Memento Domine la porte d ’ une église africaine du iv' siècle. H (i)C
est très rare. Les m ots precessit in pace se lisent à A VITATIO (= habitatio) SP(irilu)S S(an)C (f)l P(ara-
Saint-C alixte sur un m arbre du m ” siècle et sur plu ­ cleti II H (ï)C EXA UD IETU R O M NIS Q (u)l IN VO CA T
sieurs m onum ents africains du iv° siècle. D e R ossi, N OM EN D (om i)NI D (e)l O M N IPO T(enfts). Nuoro
Roma solter.,t. il, pl. x l v ii , n.44; Mon. lit.,p. cxxvm . bullet., 1899, p. 66; D iehl, op. cit., p. 22, n. 100. Le
L ’ expression analogue precessit in somno pacis se ren ­ texte suivant accom pagnait la m osaïque placée par
contre assez souvent, peu après la paix de l ’ Église, C onstantin dans l ’ abside de la basilique V aticane :
et rappelle le texte liturgique du Memento des m orts. Justitiæ sedes, fidei domus, aula pudoris... D e R ossi.
D e R ossi, loc. cil., et Bullet., 1884, p. 96-101, pl. iv, Inscript, christ., t. na, p. 21,n.l0. O n le retrouve dans
n. 1; Le B lant, Inscript, chrét., t. i, p. 384; Nuovo une église de Palestrina de la m êm e époque ct dans un
bullet., 1903, p. 68; Mon. lit., p. l x x x v ii . D u reste, sanctuaire africain. Nuovo bullet., 1899, p. 233; D e
dans le Memento en question il n ’ est presque aucun R ossi, Bullet., 1879, édit, franç., p. 165. C ’ est dans k-s
m ot qu ’ on ne rencontre sur les m arbres du m » siècle églises qu ’ on se retirait pour m éditer les saints Livres.
où on souhaite fréquem m ent aux défunts soit le V oici l ’ inscription que saint Paulin de N oie fit placer
rafraîchissem ent, refrigerium, soit la lum ière, lux, soit à gauche de l ’ abside, Epist., xxxn, P. L., t. i.xi.
la paix, pax. Parfois on les réunit com m e sur ce m arbre col. 338 :
rom ain qui porte: PRIV ATA || D ULCIS || IN R EFR I ­ Si quem sancta ten et m editandi in lege voluntas
G ERIO ET IN PA CE. Mon. lit., p. l x x x v ii . L 'accla ­ H ic p o terit residens sacris intendere libris.
m ation épigraphique IN B ON O(m » siècle)se retrouve
dans une prière liturgique publiée par M artène, De A ussi doit-on entrer à l ’ église avec des sentim ents
ont. Ecclesiæ ritibus, p. 1076, tandis que deux frag ­ qui répondent à la destination et au caractère du saint
m ents épigraphiques du m êm e siècle com parés entre lieu. A Saint-L aurent in Dainaso, on lisait au v» siècle
eux donnent une oraison de l ’ ancien office des m orts les vers suivants, D e R ossi, Inscripl. christ., t. tt.
de la liturgie rom aine : Domine, qui dedisti omnibus p. 151, n. 25; Ihm , op. cil., p. 102, n. 103 :
alcersionem (sic), suscipe animam Bonifati per santum Q uisque plena D eo m ysteria m ente requiris.
(sic) nomen tuum. D e R ossi, Bullet., 1877, édit, franç., H uc accede, dom us religiosa patet.
p. 36. H tcc su n t tecta pio sem per devota tim ori
A uditum que D eus com m odat hic precibus.
Λ partir de l ’ époque constantinienne, les données
E rgo letiferos propera com pescere sensus,
des m onum ents sont plus développées. U ne inscrip ­ Jam propera sacras læ tus adire fores...
tion syrienne de 368 présente déjà la doxologie com -
plète: ΔΟ ΞΑ Π Α ΤΡΙ ΚΑΙ Υ ΐω ΚΑΙ Α Γίω Π ΝΕΥ [|(μα) U ne inscription en m osaïque d ’ un sanctuaire de
Tl. Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., 1.1, col. 2406. M adaba, en Palestine, à peu près de la m êm e époque
La form ule ancienne : Dominus tecum, ό Κ ύριος μετά que la précédente, invitait ceux qui y entraient à
σοΰ, revient m aintenant plus souvent. Mon. lit., n. 3360, se purifier l ’ esprit, le corps et les oeuvres, afin d'offrir
>365. U ne autre : in spe resurrectionis misericordiæ à D ieu des supplications efficaces. Revue biblique, t. i
Christi, fréquente dans la V iennoise, tire son origine (1892), p. 639 sq.; D e R ossi, Bullet., 1892. p. 25.
de la liturgie grecque. Mon. lit., p. cxxvm . U ne D ’ autres, com posées par saint Paulin de N oie pour
épitaphe d ’ A lexandrie, de l ’ année 409, renferm e une la porte d ’ entrée de la basilique de saint Félix, di ­
prière liturgiquede l ’ office desm orts. D e R ossi, Bullet., saient : Pax tibi sil, quicunquc Dei penelraliaChristi
1877, édit, franç., p. 35, note 3; Leclercq, Diction­ pedore pacifico candidus ingrederis. — Quisquis ab
naire d’arch. chrét., 1.i, col. 1530. Sur celle du diacre tede Dei perfectis ordine votis | egrederis, remea cor­
Sabinus à Saint-L aurent, du com m encem ent du siècle pore, corde mane. Epist., xxxn, P. L.,t. l x i , coi. 336.
suivant, on lit la form ule : SA BIN UM || LEVITAM C ’ est pour le m êm e m otif qu ’ on dem andait aux fidèles
A N G ELICIS N UN C Q UO QU E IUN GE C H O RIS, qui de se laver à la fontaine de l’atrium, avant de pé ­
provient d'anciennes liturgies. K irsch, Acclamationen, nétrer dans l ’ église. Le sens très clair de cet usage
p. 69. U n m arbre du L atran, plus ancien que les pré ­ sanctifié par l ’ Église est indiqué par les textes épi ­
cédents, porte une prière certainem ent liturgique : graphiques que portaient plusieurs de ces fontaines
D O M IN E N E Q U A ND O A DU M BRETUR SPIRITU S ou canthares, précurseurs directs de nos bénitiers.
V ENERIS (nom de la défunle). M usée du I.atran, A C onstantinople, on voyait l ’ inscription suivant
p. xvii, n. 14; Perret, op. cit., pl. 27. n. 48. O n trouve souvent reproduite qui, lue de droite ou de gauche,
m êm e des form ules tom bées en désuétude ou du présentait le m êm e texte : Ν ΙΨΟ Ν Α ΝΟ Μ ΗΜ Α ΤΑ
m oins inconnues dans les m anuscrits arrivés jusqu ’ à M H M O N AN Ο Ψ ΙΝ, lave tes péchés, et non pas seu ­
nous, com m e celle qu ’ on peut lire sur une pierre de lem ent ton visage. D e R ossi, Bullet., 1867, édit, franç.,
C arpentras : PRÆ STA D EUS, UT Q UO RU M SEPU L ­ p. 79 sq. Sur un support de bénitier du vi e siècle,
CRA IUN XISTI FU N ER E, TA N TO EO RU M FA CIA S trouvé en Toscane, on lisait: CH RI(sfï)A NE ’ LABAisïm
ANIM AS A SPEC TU S TUI LIBERTA TE G AU DERE. M A NU S ET O RA, || UT REM ITTAN T (ur tibi peec
Le B lant, op. cit., t. n, p. 596. D e R ossi, Bullet., 1887, p. 95 sq. B ien antérieurem ent
327 É P 1 C. B A P H IE C H B É T 1 E N N E 328

Léon I e 'avait fait m ettre surlecanthare de Saint-Paul t. I, p. 271. L ’ inscription des m artyrs de M arseille,
les vers suivants : ... Unda laoat carnis maculas, sed antérieure à C onstantin, se term ine par 1 ’ acclam ation :
crimina purgat | purificatque animas mundior amne R EFRIGER ET V O S Q(ui omnia po)TEST. Le B lant,
fides. \ Quisquis suis meritis veneranda sacraria Pauli\ op. cit., t. ii, p. 305. U ne autre de Salone, de la pre ­
ingrederis supplex, ablue fonte manus. D e R ossi, Ins- m ière m oitiédu iv e siècle, renferm e l ’ expression D EU S
cript. christ., t. na, p. 80 sq., n. 13. La sainteté des O M N IPO TEN S REX. K aufm ann, Jenseitsdenkmâler,
édifices du culte ressort encore de leur consécration, p. 157. Il est appelé : βεό; ζών, sur une épitaphe de
de la déposition de reliques dans leurs autels. N ous en l ’ an 200 environ, Mon. lit., n. 2789; θεός άείζωος , D ieu
reparlerons à l ’ art. S a in t s (Culte des). N otons ici que toujours vivant, sur un m onum ent syrien antérieur à
deux inscriptions africaines, l ’ une de 359, l ’ autre de la paix del ’ Église, Leclercq, Diclionnaire, t. il, col. 618,
452, nous attestent cet usage. D e R ossi, Inscript, 619; D ieu im m ortel, αθάνατος θεός , sur un m arbre
christ., t. i. p. vi; Mélanges d’arch. et d’hisl., t. x d ’A pam ée, de 259, Leclercq, loc. cil., t. i, col. 2519;
(Rom e, 1890), p. 440 sq. le D ieu qui règne au ciel, θεόν τον έπουράνιον, sur
11. I.’ÉPIGHAPUIE CUHÉTIENNE ET LA THÉOLOGIE DOG­ un m arbre d ’ A chaïe, du m ° siècle, Leclercq, Diclion­
MA t iq u e s p é c ia l e . — 1 ° Dieu; la Trinité. — 1. Le grand naire d’arch. chrét., t. i, col. 332; le D ieu saint et
dogm e du christianism e, c’est l’unité,!’unicité deDieu. éternel, D EO SA N CTO A ETER NO , Leclercq, loc. cit.,
A u rapport de Lactande, D m . inst.,1. V , c. xi,les chré ­ col. 627; le D ieu juge, τον κριτήν θεόν, sur un m onu ­
tiens furent souvent appelés adorateurs de D ieu, cul- m ent d ’ A pam ée, du m e siècle. Mon. lit., n. 2798;
tores Dei, par les païens polythéistes qui aim aient à Leclercq, Diclionnaire, t. i, col. 2519. M ais il est bon
s ’ intituler cultores deorum. P.L., t. vi, col. 587. D ans et il aim e les hom m es, άγαΟός κα 1. φιλάνθρωπος θεός ;
l ’ épigraphie.la form ule m onothéiste in nomen ou in il ne connaît pas le péché, il est la justice et la vérité :
nomine Dei est assez fréquente, par exem ple, sur deux σΰ γαρ μόνος θεό; καί πάση; άμαρτία; έκτο; υπάρχεις ,
m arbres du m e siècle conservés au L atran,p. vin, n. 1, κα'ι ή δικαιοσύνη σου ή άλήΟεια, com m e le dit l ’ épitaphe
2. sur une brique assez ancienne, etc. D e R ossi, Bullet., de Schnoudi, de 344. K aufm ann, Jénseitsdenkmüler,
1877, édit, franç., p. 26 ; 1884, p. 37. C ’ est, com m e le fait |I p. 68 sq. Pour Justin et C lém ent d ’ A lexandrie, D ieu
observer, D e R ossi, Bullet., 1877, loc. cil.,· la form ule j est πατήρ τών πάντων. La m êm e expression se retrouve
initiale de tout acte chrétien solennel, la religion du sur un m arbre du m êm e tem ps. D e R ossi, Bullet.,
C hrist étant le culte par excellence du D ieu véri­ 1888-1889, p. 31 sq. Enfin son nom est grand et saint,
table et unique et la négation essentielle du poly ­ μέγα όνομα, SA NCTUM N O M EN . Mon. lit., n. 2798,
théism e. » O n peut dire la m êm e chose de la sim ple 10; D e R ossi, Bullet., 1877, édit, franç., p. 36.
m ention du nom de D ieu au singulier qu ’ on rencontre 2. La Trinité. — Le term e trinilas se trouve pour la
dès le II e siècle sur un nom bre très considérable de prem ière fois sur un m arbre du V atican, de l ’ an 403.
pierres. M ais les textes les plus explicites qu ’ on con ­ D e R ossi, Inscript. christ., t. i, p. 222, n. 523. La
naisse se trouvent, l ’ un dans B oldetti, l'autre au croyance au m ystère est attestée bien antérieurem ent.
m usée K ircher, à R om e. Sur le prem ier, de la prem ière D ans les m ots IN· D· D· ET· SPIR ITO (si'c)SA NTO (sic)
m oitié du III e siècle, il est dit du défunt: IN. U N U.(m ). sur l ’ épitaphe de l ’ évêque calabrais Julien, qui vivait
au m e siècle, D e R ossi voit » une invocation à la
D EU(m ). H CRED ED IT (sic). IN PA CE || ^.B oldetti, op. sainte T rinité qui doit se lire : in Deo, Domino et Spi­
cil., p. 456; D e R ossi, Bullet., 1866, édit, ital., p. 87. ritu sancto. · Bullet., 1876, édit, franç., p. 105 sq. U ne
D ans le second texte, com posé vers 200, on conjure inscription antéconstantinienne de la région d ’ A m ­
les chrétiens PER||U N U M DEUM de ne pas m olester pliatus, à Sainte-D om itille, porte avec les supplém ents
le m ort. R attachons à cela la form ule εϊ; θεός qu ’ on du m êm e archéologue le texte suivant : (lu) CUN -
rencontre souvent en É gypte et surtout en Syrie, et D IA N U S (qui credidit) || IN CRISTUM (sic) JESU (m,
qui doit tirer son origine du verset du D eutéronom e, υΐυϋ,ϊη || Patr)E ET FILIO ET ISP(irito sancto). Bul­
vi, 4, par lequel débutent les com m andem ents. Les let., 1881, édit, franç., p. 71. U ne autre de Syracuse
Juifs en faisaient usage et Jésus égalem ent. D eut., term ine par la prière : μνησΟή σου ό θεό; καί ό χριστός
vi, 9; S· Cyrille de Jérusalem , Cat.,x, 2, P. G .,t. xxxm , καί το άγειος (sic) Π νεύμα. Strazzula, op. cit., p. 192,
col. 661; M arc., xii, 29. Ci. Dictionnaire d’arch. chrél., n. 371. T outes les trois personnes sont expressém ent
t. i, col. 2402. nom m ées dans la doxologie que présente une inscrip ­
Ce seul D ieu, les m onum ents nous le font connaître tion de Syrie citée plus haut. Leclercq, Dictionnaire
davantage. Ils l ’ appellent le M aître par excellence, d’arch. chrél., t. i, col. 2406; Reçue bénédictine,
Dominus, Κ ύριο;, par exem ple, sur deux m arbres du t. xxii (1905), p. 433. Les trois personnes sont
i i i c siècle,l'un de D om itille,où il est dit: M . REST(i7)- appelées D ieu; on leur attribue des actions divines.
U TU S FECIT (h) Y POG EU (m ) SIBI ET SU IS FID EN ­ — Le Père. — U ne inscription priscilienne, probable ­
TIBU S IN D O M IN O ; l ’ autre trouvé à Porto, où l ’ on m ent du n e siècle, com m ence ainsi : DIXIT ET H OC
adresse au défunt le salut tout apostolique : έν κω PA TER O M N IPO TEN S... C ette dernière expression se
( = κυρίω) χαίρειν. D e R ossi, Bullet., 1865, édit, ital., retrouve encore sur un m onum ent de la V illa B or-
p. 95; 1869, édit, franç., p. 48; 1866, édit, ital., p. 41. ghèse, du m e siècle. D e R ossi, Bullet., 1884, édit,
C ’ est le D ieu T rès-H aut, θεός ύψιστος . Mon. lit.,η. 3304. franç., p. 72sq.; Inscript, christ., t.n a, p. ix. Peut-
Ce nom que les Juifs donnaient à Jéhovah revient être est-ce surtout à lui qu ’ il faudrait appliquer le
souvent sur les m onum ents d ’ O rient. U n m arbre titre ό πατήρ τών πάντων m entionné tantôt. O n lui rend
opistographe du m usée de B ucharest, du n e siècle (?) grâce pour les bienfaits reçus du ciel : PA TRI D EO
d ’ après Leclercq, Diclionnaire, 1.1, col. 1816, nom m e O M N IPO TENTI... O M N I(/i)O R A G RA TIA S A G IM U S,
D ieu τον θεόν ύψιστον, τον κύριον τών πνευμάτων και dit une inscription de Porto. D e R ossi, Bullet., 1866,
σαρκος πάσης . 11 est l'Ê tre suprêm e, summitas, édit, ital., p. 49. — Le Fils. — Il est D ieu com m e le
com m e 1 ’ appelle une épitaphe rom aine dum e siècle. D e Père. O n nom m e l ’ un et l'autre sur le m arbre pris-
R ossi, Borna sotter., t. m , pl. xxiv-xxv, n. 32; Bullel., cillien cité plus haut. Le Fils est le C hrist du Père. Sur
1865, édit, ital., p. 11. Il est tout-puissant: dans une in ­ une inscription publiée par D e R ossi, Bullet., 1866,
scription priscillienne du n e siècle on dem ande, UT édit, ital., p. 49,onlit:D E O PA TRI O M NIPO TENTI
D EU S O M N IPO TEN S A G APEN ( = la défunte) IN SÆ - ET X PO (C hristo) EIUS ; sur une autre on affirm e du
CULA SERV ET. U n graffito ή Sainte-B albineexprim e i
défunt : REQU IEM A CCEPIT IN D EO || PA TRE
une prière analogue : Deus omnipotens, custodi Sapri- I O STR O ET C HR ISTO EIUS. G ruter, Inscrirt.,
N
cium. D e R ossi, Bull., 1884, p. 72; Roma sollerranca, | 1052, 12; Corp. insc. lat., t. m , n. 4221. A ussi on
p.
329 E P IG R A P H IE CH R É T 1 E N N E 330

les associe dans les prières et les acclam ations pour les m ® siècle, m entionne un ange gardien des tom beaux
m orts, par exem ple, PAX D OM INI ET CH RISTI CUM Mon. lit., n. 2782; Leclercq, Dictionnaire, t.i, col. 21. ·.
FAU STINO A TTIC O; R EFR IGERET TIBI D EU S ET Sur trois autres on dit du défunt qu'il a été reçu par
C HR ISTU S; 'Α γαθή || ... χαρίσου τώ Κ υρίω || καί τώ les anges. A CCERSITU S AB A N GELIS, etc. Mon.
Χ ριστώ. Mon. lit., n. 2854; D e R ossi, Borna setter., n. 2879, 3153, 3319. Les nom s de M ichel, G abriel t
t. in, p. 308; Nuovo bullet., 1904, p. 124. Le R aphaël ne sont pas rares sur les m onum ents
C hrist est le Verbe du Père. Le titulus d ’ Euelpius, la seconde m oitié du iv e et du ve siècle. « L ’ archange
de C ésarée en M aurétanie, antérieur à C onstan ­ M ichel qui doit conduire à la lum ière, « est nom m e
tin, nom m e le chrétien CULTOR V ERBI. Mon. dans une inscription égyptienne de 409. Leclercq, Die
lit., n. 2808. Il est son « fils»; ... IN PA CE ET tionnaire d’arch. chrél., 1.1, col. 1152,1153. A la m êm e
époque appartient une pierre trouvée en A chaïe. sur
IN N O M IN E FILII EIUS. X ystus, op.cit.,t. πα,ρ. 81.
laquelle on invoque le chef de la m ilice céleste en lui
C om m e tel il est distinct du Père. U n m onum ent de
donnant le titre : άγιε και φοβερέ Μ ιχαήλ άρχάνγελείΐίο
la voie A rdéatine présente une form ule, dont le sens
Leclercq, loc. cit., t. i, col. 338. Plusieurs écrivains
patripassien est à peine caché:Q U I ET FILIUS D ICE ­
ecclésiastiques de la fin du it e et du com m encem ent du
RIS ET PA TER INV EN IR IS. D e R ossi, Bullet., 1866,
m e siècle ont attribué aux anges un corps éthérique.
édit, ital., p. 86, 95; Nuovo bullet., 1903, p. 303. Sur
E st-ce l ’ idée qu ’ on a voulu exprim er sur le m onum ent
un autre, du m 0 siècle, on lit à côté du poisson sym ­
de Julia E varista, du rti e siècle, quand on dit de la
bolique et du bon Pasteur les m ots assez étranges :
défunte : Α ΓΓΕΛ ΙΚ ΟΝ C U M A A ABOY CA ? Cf. Pctau,
D EO SA N C (fo)^ U NI. E st-ce une attestation de l'héré ­ Dogmata theolog., t. m , 1. I, c. n; D e R ossi, Inscript,
sie de N oët à R om e ? Cf. D e R ossi, loc. cil., p. 86, christ., t. πα, p. xxvm sq. Sur quelques m onum ents
87; Nuovo bullet., 1903, p. 313,314, — Le Saint-Esprit. on constate un culte de certains anges que l ’ Église
— N ous avons vu plus haut com m ent en l ’ associant n ’ a jam ais voulu recevoir. Le B lant, L ’épigrapltie
auP éreet au Fils on affirm e sa divinité. A illeursondit chrétienne en Gaule, p. 46; Leclercq. Dictionnaire
que 1 ’ E sprit-Saint est l ’ E sprit de D ieu, l ’ E sprit du d’arch. chrél., t. i, art. Anges.
Fils. Il est le principe d ’ une nouvelle vie. E n lui on 2. Le démon. — Si la leçon proposée par Lenor-
renaît dans les eaux du baptêm e; en lui on s ’ endort m ant est juste, nous trouvons le nom de Satan, Σατα ­
pour l ’ autre m onde,on revit pour l ’ éternité. U n m arbre νάς , sur une am ulette chrétienne du II e siècle (?· .
rom ain qui est peut-être encore de la fin du n e siècle Mon. lit., n. 2803. E n général, les am ulettes sont
porte: ’ Ιουλίας Εύαρέστας ...ή σαρξένΟάδε κεϊται. ψυχή assez explicites sur le dém on et sur le m al qu ’ il fait
'Λ άνακαινισβεϊσα τώ πνεύματι χριστού. D e R ossi, In­ à l ’ hom m e. M alheureusem ent le caractère de < > s
script. christ., t. i, p. cxvi. L ’ inscription d ’ E uelpius m onum ents et leur date incertaine ne nous perm ettent
déjà m entionnée appelle les chrétiens SA TO S SA N CTO pas d ’ en faire un grand usage. Cf. par exem ple.
SPIR ITU . U ne autre, com posée vers 403 par saint L eclercq, Dictionnaire, t. i,col. 1801 sq. D ans quelques
Paulin de N oie, caractérise ainsi son action dans textes dam asiens le dém on reçoit le nom de princeps
l ’ adm inistration du baptêm e, Le B lant, op. cit., t. n, mundi que lui donne l ’ É vangile. Ihm , op. cil., p. 1 ‘ ·.
p.390;P . L.,t. l x i , col. 332: n. 7; p. 36, n. 30; p. 47, n. 43, etc.U n peu plus tard.il
est appelé princeps Averni. De R ossi, Inscript.christ.,
S anctus in hune cæ lo descendit S piritus am nem
t. lia, p. 258, n. 5. L ’ épitaphe des quatre vierges chré ­
C a-lestique sacras fonte m aritat aquas.
C oncipit unda D eum sanctam que liquoribus alm is
tiennes de V erccil nom m e A N G UIS INV ISU S, A SPIS,
E d it ab æ terno sem ine progeniem . SÆ V US D RA CO , qui en veut à leur vertu. W ilpert,
•lungfrauen, p. 39.
Sur un m onum ent de M ilan on affirm e de la défunte : 3. L ’homme. — C ’ est D ieu qui le crée, com m e le
SPIRITU SA NCTO ΝΑΤΑ EST IN G LO RIA CHRISTI, ditlem arbrepriscillien du n°siècle déjàcité.D eRossi,
UT CUM BEA TIS PO SSIT SERVIRE IPSI. D e W aal, Bullet., 1888, p. 31. A la lin du iu e siècle, le diacre ro ­
It simbolo, p. 16. U ne stèle de Saint-H erm ès, conser ­ m ain Severus l ’ appelle FA CTO R ET IUD EX . D 'après
vée aujourd ’ hui au m usée K ircher, à R om e, porte : lui, c ’ est encore D ieu qui a fait naître sa sœ ur et lui a
Π ρώτο; || èv άγίω πνεύμα || τι θεού || ένΟάδε κεϊται. Elle donné les facultés de son esprit : QUAM D O M (inu)S
est du m ilieu du m ° siècle. D e R ossi, Bullet., 1877, N ASCI M IRA SA PIENTIA ET A RTE || IUSSERA T IN
édit, franç., p. 28; 1894, p. 18; Perret, op. cil., pi. 50, C A RN EM ... D e R ossi, Inscript, christ-, t. i, p. cxv.
n.29. L ’ acclam ation VIB AS.I N. SP IR ITO (sic) SA N (cto) L ’ hom m e est tiré du lim on de la terre et il y retour ­
term ine une épitaphe de Saint-C alixte, aujourd ’ hui nera. L ’ épitaphe du diacre rom ain Sabinus lui fait
au L atran, p. vin, n. 5, tandis qu ’ un autre m arbre du dire: NAM TERRAM R EPETEN S, Q UÆ N O STRA
m êm e m usée, m ais m oins ancien (vers 300), dit du PROBATU R O R IG O , || H IC TU M U LOR M UTA M EM
Seigneur : Q U IQ U E ANIM AM (Severæ) RA PUIT BRA SA BINU S H OM O . D e R ossi, Bullet., 1864, p. 33.
SPIRITU SA N CTO SU O ... D e R ossi, Inscript, christ., U n m arbre priscillien du ii e siècle y fait égalem ent
t. i, p. cxv. Enfin une épitaphe de B ordeaux, du allusion: DIXIT · ET · H OC · PA TER ■ O M NIPOTENS
iv' siècle, est surtout rem arquable par l ’ invocation CUM (pelleret Adam) || DE · TERRA · SU M PTUS ■
assez rare de la troisièm e personne de la T rinité : TERRÆ · TRAD ERIS· H U (m andus). D e R ossi, Bullet.,
AUCILIA PA SCASIA , A D IU TIT (adiuvet) (te) SPIR(i)- 1884, p. 73. Le péché originel et sa peine sont
TUS S(anctus). Le B lant, op. cit., t. n, 372, n. 583A ; encore rappelés par le dessin graphique d ’ A dam et
cf. Julian, Inscript, de Bordeaux, t. n, p. 21, 22. N o- d ’ Ève à côté de l ’ arbre et par un autre qui m ontre un
tons toutefois que les expressions: E sprit de D ieu, hom m e conduisant la charrue et une fem m e assise
E sprit du C hrist, Saint-E sprit de D ieu, peuvent devant la m aison et filant du lin. Perret, op. cil., pl.
vouloir indiquer le C hrist lui-m êm e. Plusieurs Pères 12, n. 3. L ’ hom m e est com posé d ’ un corps et d ’ une
les ont em ployées ainsi. D ans ce cas, l ’ application âm e : terrenum corpus, cælestis spiritus. Mon. lit.,
que nous venons d ’ en faire à la troisièm e personne p. c, et n. 4169; Leclercq, Dictionnaire, t. i, col. 1197,
reste au m oins douteuse. V oir à ce sujet D ôlger, dans 1498. Le titulus déjà cité de Julia E varista porte :
A ôm. Quartalschri/l, t. xxm (1909), p. 77-82; IX0Y C, ή σαρξ ενθάδε κεϊται || ψυχή δέ... αγγελικόν λαβοϋσα
p. 78 sq. σώμα || (ε) ’. ς ουράνιον χριστού || βασιλείαν μετά τών
2 ’ La création. — 1. Les anges. — Les m onum ents αγίων άνελήμφβη. Deo animam reddidit, terræ cor­
nous attestent leur existence. D e R ossi, Inscript, pus, lisons-nous sur l ’ épitaphe d'un habitant de
christ., t. i, p. 31 (a. 310). U n m arbre de M élos, du C arrhæ (1-Iaran) en M ésopotam ie, enterré à R om e
331 É P IG R A P H IE C. 11 R É T 1 E N N E 332

au iv ’ siècle. D e R ossi, Bullet., 1873, édit, franç., Jj, D e R ossi, Bull., 1877, édit.franç., ρ.174;έν J;, Bul­
p. 162 sq. Saint Pierre, Il Pet-, i, 14, appelle le corps le
tabernacle de l ’ âm e, σκήνωμα. D e m êm e une inscrip ­ let., 1888, p. 31; H4 (= Jesus Christus), Bullet.,
tion grecque du IV ’ siècle. D e R ossi, Bullet., 1890, 1888, p. 34, 35; ένΐΗ X P. Bullet., 1888, p. 35, 36.
p. 57, note 3. Le corps est fragile com m e un vase L ’ usage de la siglc I H pour IH CO Y C était connu
d ’ argile.Sur un m arbre d ’ A quilée on a tracé un hom m e dès la prem ière m oitié du n ’ siècle. Bullet., 1888,
brisant un vase. W ilpert y voit la figure du corps p. 36, 37. Il s ’ appelle encore l ’ Ichthys, IX OY C, le
hum ain, tandis que l ’ âm e est reçue au ciel. W ilpert, Poisson sym bolique, par exem ple, sur le m onum ent
inschriften Aquiîeias, p. 15 sq. Cf. Leclercq, Diction­ d'A bercius, ιχθύς ούράνιος sur la pierre d ’ A utun, ιχθύς
naire, 1.1, col. 2676. L ’ épigraphie du iv ’ siècle exprim e ζώντων sur celle de Licinia A m ias, du n ’ siècle, au ­
encore cette idée par les locutions esse incorpore,exire jourd ’ hui au m usée K ircher, Perret, op. cil., pl. 44,
de corpore, corporeos nexus rumpere, hospita caro, etc. n. 1, etc.; ιχθύς με'γ(α)ς dans un graffito à Saint-
W ilpert, Jungfrauen, p. 95, 96; Le B lant, op. cit., H ippolyte. D e R ossi, Bullet., 1882, édit, franç.,
t. i, p. 331, n. 226; D e R ossi, Inscripl. christ., t. i, p. 56. L ’ acrostiche IX OY C ( ’ Ιησούς Χ ριστός θεού υιό;
p.737, n. 303; t. na, p. 116, n. 92, etc. L ’ âm e est d ’ ori ­ σωτήρ) était certainem ent connu à peu près par ­
gine divine : cielestis spiritus. Leclercq, Dictionnaire tout dès le m ilieu du n ’ siècle, de sorte qu ’ on a pu in­
d’arch. chrét., 1. 1, col. 1197, 1498. A sa m ort, l'hom m e terpréter la form ule ci-dessus, de la m anière sui ­
doit la rem ettre à D ieu. D e là les form ules épigra ­ vante : ’ Ιησούς Χ ριστός θεού υιός σωτήρ τών ζώντων.
phiques de la lin du in ’ siècle et du iv ’ siècle : Deo ani­ 1 Rôm. Quartalschrifl, t. xxiv (1910), p. 65 sq. Sou ­
mam reddidit, spiritum reddidit ou sim plem ent red­ vent du reste, on le représente sous le sym bole si an ­
didit; την ψυχήν, το πνεύμα θεώ άποδούσα, άπέδωκεν, πα- cien et si fréquent du poisson avec ou sans le m ot
ρέδωκεν. D e R ossi, Bullet., 1873, édit, franç., p. 162 sq. ; ιχθύς , ou avec un autre nom indiquant clairem ent le
Borna seller., t. ni, pi. v, n. 2 et 3; A rm ellini, Il ci- C hrist figuré par le sym bole, par exem ple, έν θεώ
miterodi S.Agnese, pl.xiv, n.l ; Bullet., 1892, p. 79,80; (poisson); IN (poisson). Mon. lit., n. 3366, 3108.
Mon. lil.,n. 2857. E lle est spirituelle. Les term es de Cf. n. 3101, 3287, 3447; D ôlger, IX OY C, p. 158-238.
anima, spiritus, ψυχή, πνεύμα, qu ’ on rencontre si Jésus-Christ reçoit encore le titre de Pasteur. Sur
souvent dans les acclam ations du n ’ et du in ’ siècle un m arbre deSaint-H erm ès,du m ’ siècleau plustard,
l'indiquent suffisam m ent. Elle est im m ortelle. C ette
Ο πΠΗ ΓΙοιμήν τού λαού. K aufm ann, Handbuch, p. 235.
croyance n ’ était pas inconnue aux païens. H . W eil,
A bercius se dit disciple du saint Pasteur, μαθητής
L ’immortalité de l'âme chez les Grecs, dans le Journal
ποίμενος άγνού. Sur une dalle du m usée K ircher le nom
des savants, 1895, p. 213 sq., 304 sq. M ais elle est avant est gravé en m onogram m e à côté de la figure du bon
tout chrétienne et explique entre autres ces souhaits Pasteur. W ilpert, Fractio panis, Paris, 1896, p. 101. Il
de vie en D ieu, en Jésus-C hrist, que nous rencontrons, porte encore les nom s de sauveur, m aître, seigneur,
à partir du n ’ siècle, sur des épitaphes sans nom bre. roi, juge, etc. V oir plus loin col. 333, 334.
Plusieurs fois l ’ im m ortalité est catégoriquem ent affir ­ 2. Sa divinité. — La croyance à sa divinité est déjà
m ée. Mon. lil.,p. cxxxvm cxxxix: ψυχή αθάνατος , etc. attestée par ce qui précède. 11 est évident que dans
La form ule païenne nemo immortalis, ούδεϊς αθάνατος , l ’ acclam ation vivas ou vivis in nomine C(h)risti,telle
qu ’ on lit parfois sur des m arbres chrétiens, n ’ a nul ­
que nous la lisons, par exem ple, à D om itille, le nom
lem ent le sens d ’ une exhortation à profiter de la du C hrist rem place celui de D ieu. W ilpert, Malereien,
vie à la façon des gentils. Mon. lit., loc. cil.
p. 186. Sur deux pierres funéraires du L atran, p. vm ,
L ’ hom m e vertueux est le tem ple de la divinité. Ce
n. 3 et 4, on lit la double form ule : IN D (co) C RIS TO et
langage de l ’ É criture et des Pères est probablem ent
confirm é par une inscription de la fin du n i ’ siècle, IN D EO ; sur une autre, égalem ent du m ’ siècle : έν
aujourd ’ hui au L atran, et ainsi libellée : D IO NY SI
θ(ε)ω H I D e R ossi,fiom esotter.,t.n,pl.xxxi-xxxn;
VAS (= Christi). D e R ossi, Bullet., 1867, édit, Rôm. Quartalschrifl, t. xxn (1908), p. 90. U n m arbre
franç., p. 27. Saint Paulin affirm e de Sulpice Sévère : , du il ’ siècle term ine par l ’ acclam ation : ζιϊϊμεν || ένθεω
Totus et ipse (Severus) Dei templum viget, hospite I (poisson). D e R ossi, Bullet., 1890, p. 42; Leclercq, Dic­
Christo gaudentemque humili corde gerit Dominum. Le ' tionnaire, t. il, col. 2575. Le païen qui dans la prem ière
B lant, op. cit., t. n, p. 391 ; P. L., t. l x i , coi. 332. D ans m oitié du ni· siècle a tracéà la pointe dans une cham bre
l ’ inscription m étrique de sainte A gnès encore conser ­ du Palatin le crucifix blasphém atoire, dont le caractère
vée aujourd ’ hui, le pape D am ase dit que la sainte, chrétien est adm is par H arnack, Mission und Aus-
exposée aux regards du public, cacha ses m em bres de breitung des Christentums, 2 “ édit., Leipzig, 1906, t. n,
sa chevelure abondante, NE D OM INI TEM PLU M p. 36, nous atteste égalem ent que les chrétiens ado ­
FA CIES PERITURA (un œ il m ortel) V ID ERET. Ihm , raient com m e D ieuleChrist crucifié: ΑΛΕ || EA M EN O C
op. cit., p. 44, n. 40. L ’ âm e hum aine, en particulier, Il C EB ETE ( — σέβεται) || Θ ΕΟ Ν . Mon. lit., n. 3520.
a été regardée com m e une dem eure du Saint-E sprit. 3. Son humanité. — Jésus-Christ est hom m e. Le
D e là « l ’ appellation spiritus sanctus appliquée dans les C hrist des inarcionites n ’ a qu ’ un corps fantastique.
inscriptions de la plus haute antiquité à l ’ âm e des Ce n ’ est pas celui que professa, au ni· siècle, le jeune
fidèles à cause de la com m unication des dons du Sozon, dont l ’ épitaphe term ine ainsi : BE R U S · ( Verus)
Saint-Esprit. » D e R ossi, Bullet., 1877, édit, franç., jJc -ISPIRO OU M (tuum accipiat) IN PA CE · ET · PET(e)
p. 28; Inscript, christ., t. i, p. 18, n. 11 (a. 269);
p. 532, n. 1192. PR O N O BIS. D e R ossi, Bullet., 1873, édit, franç.,
p. 78, pl. vi. n. 1. Il a pris notre nature dans le sein de
3° La christologie. — V oici les données de l ’ épi ­
la V ierge. C ’ est ce qu ’ affirm erait clairem ent i ’ inscrip-
graphie à ce sujet. — 1. Noms et titres. — D ès le n ’
ion d ’ A bercius, si l'expression ή παρθένος άγνή dési­
siècle, le V erbe fait chair est appelé tantôt Jesus,
gnait sûrem ent M arie, com m e l ’ adm ettent les Mon.
’ Ιησούς , tantôt Christus, Χ ριστός , tantôt Jesus Chri­
stus, ’ Ιησούς Χ ριστός . Ces nom s sont écrits en entier ou lit., p. cxvi, cxvi, et non l ’Église, com m e le veut le
docteur D olger. Rôm. Quartalschrifl, t. xxm (1909),
en abrégé. N ous trouvons les form ules suivantes :
p. 87-112. Il en est de m êm e des sigles ΧΜ Γ, qu ’ on
V IVES IN C R HETO (Christo) sur un loculus, D e R ossi,
rencontre, au m oins une fois avant 300, s ’ il fallait
Bullet., 1873, édit, franç., p. 24; IN N O M IN E les interpréter certainement dans le sens de Χ ριστόν
I Christi), au L atran, p. vin, n. 8-11 ; Bullet., 1877, édit., Μ αρία γεννά. Le P. Leclercq est pour cette interpré ­
franç.,p. 2d',Mon. (ί(.,η. 3344,3486;έν όνόματι ’ Ιησού, tation et les m onum ents parlent assez en sa faveur
333 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 334

Revue bénédictine, t. xxn (1905), p. 439 sq. ; E . N estle, A gnès renferm e les vers suivants : TA RTA REA M SO ­
dans Berliner philologische Wochenschrift, 1906, p. 381- LUS PO TU IT Q U I (= Christus) V INCERE M O RTEM
384. V oir, à ce sujet, D ôlgcr, IX0Y C, p. 298-317. Par H IN VECTU S C OELO SO LUSQ UE IN FER R E TRIU M ­
contre, l ’ inscription dédicatoire de Sainte-M aric- PH U M II N O M EN ADAE R EFEREN S ET C OR PU S
M ajeure, com posée par Sixte III à la suite du concile ET O M NIA M EM BRA || A M O RTIS TENEB RIS ET
d ’ Éphèse, est très form elle, D e R ossi, Inscript, christ., CA ECA N O CTE LEVATA. D e R ossi, Inscript, christ.,
t. un, p. 71 : t. n a, p. 45; Ihm , op. cit., p. 87, n. 84. U n m onu ­
V irgo M aria, tibi S ix tu s nova tem p la dicavi,
m ent priscillien, du m ® siècle, déclare qu ’ au ciel
D igna salutifero m unera ventre tuo. le C hrist est assis à la droite du Père : ό θεός ό καθή-
T e G enitrix ignara viri te denique feta μενος || (ε)!ς Ο ΕΣΙΑ (sic) (= δεξιάν) τοΰ πατρός ... K auf ­
V isceribus salvis ed ita nostra salus, etc. m ann, Jenseitsdenkmâler, p. 61; D olger, IX 0Y C,
p. 344. U n m arbre du m ” siècle appelle le ciel son
Les- m onum ents renseignent peu sur la vie de royaum e où il reçoit les élus: εις ουράνιον Χ ριστού βασι ­
Jésus-C hrist. Saint D ainase m entionne la tem pête λείαν άνελήμφΟη. D e R ossi, Inscript, christ., t. i,
apaisée et les résurrections opérées par le C hrist qui p. cxvi. Il en est le régent, αρχών, le grand roi, παν-
sont une garantie de sa propre résurrection. Ihm , βασιλεύς . Corp, insc.griec., n. 8633. V oir t. m , col. 468.
op. cit., p. 13, n. 9. D e la passion on ne parle explici ­ D u ciel l ’ H om m e-D ieu viendra juger les vivants et
tem ent qu ’ au v° siècle, par exem ple, sur un m arbre les m orts. U ne inscription du pape C élestin com m ence
rom ain de 406, où on dit du défunt: R EDEM PTUS ainsi : Qui natum passumque Deum repetisse pater­
V U LN E(re Christi), et sur une pierre gauloise : HIC nas I sedes atque iterum venturum ex aethere credit,
DALM ATA CR || ISTI M O RTE RED EM || TU S. D e judicet ut vivos rediens pariterque sepultos... Ihm ,
R ossi, Inscript.christ.,t. i, p. 239, n. 563; Le B lant, op. cit., p. 94, n. 91. Le m arbre d ’ A utun l ’ appelle
op. cit., t. il, p. 198, n. 478. Par contre, on la rappelle « lum ière des défunts», φως τό θανόντων. Il est encore
graphiquem ent par les différentes form es de la croix, l ’ alpha et l ’ om éga, le com m encem ent et la fin de toutes
qui, com m e M o r W ilpert l ’ a prouvé, se rencontrent dans choses. C ’ est ce que disent clairem ent et l ’ épitaphe
les trois prem iers siècles plus souvent qu ’ on ne l ’ avait rom aine du m ® siècle, qui, à la place de l ’ acclam a ­
cru jusqu ’ ici. Sur tel m onum ent, c ’ est la croix grecque, tion IN PA CE ET C H RISTO , porte la form ule : IN
sur tel autre, la croix latine; ici, c ’ est le tau grec placé PA CE ET IN PR IN CIPIO, et le m onogram m econs ­
intentionnellem ent au m ilieu d'un nom propre; là, c ’ est tantinien flanqué de ΓΑ et de l ’ ûù qui est si frequent
l'ancre cruciform e unie au poisson ou à l ’ agneau, sym ­ à partir du m ilieu du iv° siècle. L ’ allusion au qu -
bole du C hrist, faisant ainsi m anifestem ent allusion au
triém e É vangile, vin, 25, ou à l ’ A pocalypse, i, 8. est
m ystère du C alvaire. V oir, pour le détail, W ilpert, dans m anifeste. Mon. lit., n. 3094; Revue biblique, t. iv
.Vuooo bullet., 1902, p. 5-14; D iilger. IX 9YC , p. 318- (1895), p. 164,165. Si ensuite nous lisons au cim etière
326. Le sens de ces dessins· graphiques, on le trouve de T hrasonsur un m arbre antérieur (?) à C onstantin
dans l ’ inscription que saint Paulin de N oie fit m ettre le texte suivant: M ERCU RIAN E||Q U AE VIXIT A N NIS
sous une figure sem blable dans une église: Sub cruce
sanguinea niveo stat Christus in agno. Epist., xxxn, H XXXI H Bl ω TA, l ’ auteur de cette inscription a
12, P. L., t. Lxi, coi. 339. Cf. encore Leclercq,
évidem m ent voulu dire que leC hrist, l ’ alphaet l ’ om é ­
Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 880; Nuovo
ga, est aussi la V ie. C abrol, Dictionnaire, 1.1, col. 17.11
bullet., 1899, p. 33, 34; X ystus, op. cil., t. π b,
est le principe de la vie nouvelle, surnaturelle qu ’ on
p. 25, 26, 37 sq. La passion de Jésus-C hrist est la reçoit dans le baptêm e. Mon. lit., n. 3348; Perret,
cause du salut des hom m es. D eux m onum ents op. cil., pl. 28, n. 26. 11 est l ’ objet de nos adorations
m ontrent le m onogram m e constantinien flanqué des com m e pour A lexaincnos, l ’ objet de notre foi, de notre
deux lettres A et 00. en haut la barre transversale espérance, de notre am our. V oir plus loin, col. 347.
pour indiquer la croix, le tout placé sur un serpent, L ’ objet de nos prières, m êm e quand nous nous adres ­
sym bole du dém on. Le m ot SA LVS écrit en-dessous sons aux saints, nous est accordé par lui, Christo
indique le sens de la figure. G arrucci, Storia dell’ praestante, com m e l ’ affirm e saint D am ase. Ihm , op.
arte, t. i, p. 169-173; C abrol, Dictionnaire d’arch. cil., p. 46, n. 42. N ous pouvons avoir toute confiance
chrét., t. i, col. 23. Jésus m érite donc bien le titre en lui, il voit partout et rien ne lui échappe, οφθαλμούς
de sauveur, σωτήρ, que lui donnent certains m onu ­ δς έχει μεγάλους πάντη καθορώντας , com m e dit A ber-
m ents, D olger, op. cil., p. 207 sq-, 406 sq., de σωτήρ cius; il est tout-puissant : AC || O YC || X PIC || TO YC ||
αγίων (άγιοι = les chrétiens) et de δέσποτα σώτ(ηρ) O M N II ΙΠ Ο II TC (v) C, com m e l ’ appelle un « graf ­
que lui décerne le m onum ent d ’A utun. Il est le fito » du m » siècle; il a tout pouvoir : Christus, cui
m aître, le seigneur par excellence. D e là ces summa potestas, com m e le déclare saint D am ase ; ce
acclam ations de la fin du n · et du m « siècle: pouvoir ne finit pas, car il est l'É terncl : i Θ εός , ό παν-
< Vivas in) $ D(omino) N(oslro) (an. 268); μνήσίης τοκράτωρ ό ών, || προών καί μέλλων, || ’ Ιησούς ό Χ ριστός ,
Ιησούς Κύριος τέκνον: Ζής εν θεω Κ υρείω (sic) Κ ρειστω. ύ υΙός τοΰ || Θεοΰ τού ζώντος , com m e l ’ intitule un texte
De R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 16; de W aal, Il épigraphique égyptien de 409. Ihm , op. cit., p. 58,
simbolo, p. 11; Mon. lit., n. 2962. Les chrétiens se n. 57; Mon. lit., n. 3464; Leclercq, Dictionnaire
disent volontiers ses serviteurs, par exem ple, sur l ’ in­ d’arch. chrét-, t. i, col. 1152.
scription du cathécum ène V ictor : Δούλος του κυρίου 4° Sacrements. — 1. Pour le baptême et l’eucharistie,
voir B a p t ê m e , t. n, col. 233-243, et E u c h a r is t i e
είησοΰ (= Jesus) ou sur le m arbre de V arronia d ’ a p r è s l e s m o n u m e n t s d e l ’ a n t i q u it é c hr é­
Fotina antérieur à 250: ΔΟΥ H-i $ ΛΗ ( = δούλη Ίησοΰ t ie n n e .
Χ ριστού). D e R ossi, Bullet., 1888-1889, p. 35; D ol ­ 2. La confirmation. — D ans les prem iers tem ps,
lar. IX 0YC , p. 194 sq., 376 sq. E n m ourant, Jésus le baptêm e et la confirm ation, régulièrem ent unis,
a vaincu la m ort, com m e le dit un m onum ent du com posaient le rit com plet de l ’ initiation chrétienne.
v» siècle : ... Christus, quo duce mors moritur. D e Les tém oignages de T ertullien, d'O rigène et de saint
R ossi, Inscript, christ., t. n a, p. 107, n. 55. A près C yprien ne laissent pas de doute à ce sujet. M ais
c tte victoire unique dans son genre, il est m onté com m e il y avait des exceptions à cette règle, on doit
u ciel où il ne m eurt plus jam ais. A ussi l ’ épi ­ se dem ander, si les épitaphes envisagent toujours la
graphe rom aine de M aritim a l ’ appelle παναθάνατον, confirm ation quand on y trouve les expressions reçues
tandis que l ’ inscription de C onstantina à Sainte- pour désigner le baptêm e, telles que sigillum, σφραγις .
335 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 336

νεόφυτος , νεοφώτιστος , renovatus, άνακαινισΟείς , gra­ Inscript, chrét., t. i, p. 287, 288, est parfaitem ent re ­
tiam accipere, consequi. Q uand le texte épigraphique connue par D e R ossi, Bullet., 1869, édit, franç., p. 30.
m entionne le baptêm e solennel et désigne ainsi l ’ ini ­ U n dernier texte nous est fourni par l ’ éloge du prêtre
tiation chrétienne com plète, la confirm ation doit être M aréas, m ort en 555, D e R ossi, Bullet., 1869, édit,
com prise dans ces term es. C ’ est ce que nous pouvons franç., p. 17 sq. : TUQ U E SA CER DO TES D OCUISTI
adm ettre pour un m onum ent de 463 publié par D e CHRISM A TE SA NCTO || TA NG ERE BIS N ULLUM
R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 353, n. 810, et ainsi IU DICE PO SSE D EO. N os connaissances historiques
libellé : N ATU S SEVERI N O M INE PA SCA SIU S || nous obligent à écarter l ’ idée qu ’ il pourrait s ’ agir ici
D IES PA SCALES PR ID(ie) N O N(as) A PRIL (es i)N de la répétition du sacrem ent de l ’ ordre. N ous dirons
II DIE JO BIS FL (avio) CON STAN TIN O || ET RU FO donc avec D e R ossi, Bullet., 1869, édit, franç., p. 30,
V. C. C. Q UI VIXIT II A NN ORUM V TPERC EPIT || ... 31, ou avec M . D ôlger, Rôm. Quartalschri/t, t. xix
ET ALBAS SU A S || O CTA BAS PA SCÆ AD SEPU L ­ (1905), p. 19, qu ’ il y est question d ’ une défense faite
CRU M II D EPOSU IT. Peut-être pourrait-on encore citer aux évêques ou prêtres, sacerdotes, en vertu d ’ une
les m onum ents m entionnés par Le B lant, Inscript, autorité supérieure, judice Deo, soit de réitérer le
chrét., t. t, p. 478, 479. U n texte rom ain du m c siècle, sacrem ent de confirm ation soit de le conférer, tout
publié par D e R ossi, Bullet., 1869, édit, franç., p. 30, en n ’ étant que sim ple prêtre.
et m al expliqué par K aufm ann, .lenseilsdenkmàler, 3. La pénitence. — Les péchés sont rem is par le
p. 87, porte que la défunte était ointe dans les baptêm e. U n autre m oyen, extraordinaire celui-là,
bains du Seigneur avec de l ’ huile sainte et im péris ­ pour obtenir la rém ission des péchés graves com m is
après le baptêm e, était le m artyre. Sur la tom be de
sable, A OY TPO IC X PCIZA M CNH X ? (= Χ ρίστοΰ) || saint E utychius qui avait d ’ abord renié la foi, saint
Μ Υ ΡΟ Ν Α ΦΘ ΙΤΟΝ Α ΓΝΟ Ν. Il s ’ agit d ’ une partisane D am ase plaça les vers suivants, Ihm , op. cit., p. 32,
du gnosticism e. Indirectem ent ce texte prouve en n. 27; B ücheler, op. cil., t. i, p. 149, n. 307 : ...sanctus
faveur de la confirm ation, parce que l ’ onction pra ­ laval omnia sanguis || vulnera, quæ intulerat mortis
tiquée par les gnostiques était étrangère à leur prin ­ metuenda potestas. U n autre m oyen était le pouvoir
cipe et em pruntée au rite catholique. S. Irénée, Contra des clefs s ’ étendant m êm e aux trois grands péchés
hær., 1. 1, c. xxi, n. 3, 4, P. G., t. vu, col. 661 sq. Pour canoniques. O n sait par l ’ histoire com bien les papes
d ’ autres textes l ’ application à la confirm ation est au C alixte, C orneille et d ’ autres avaient à lutter contre
m oins douteuse. Rôm. Quartalschri/t, t. xrx (1905), les rigoristes com m e T ertullien, N ovatien et leurs
p. 6-8,10-12,15,17,32. Il en est tout autrem ent d ’ une partisans. Les luttes aux environs de l ’ an 300, où
épitaphe spolétaine de 367, donnée par D e R ossi, intervenait surtout un certain H éraclius, nous sont
Bullet., 1869, édit, franç., p. 23, 24 : PIC EN TIÆ || connues par les inscriptions que saint D am ase fit
LEGITIM Æ H N EO PHY TÆ || DIE · V · KAL· SEP · || placer sur les tom bes des papes M arcel et Eusébe.
CO NSIGN ATÆ || A LIBERIO PA PA || M A RITUS... D u prem ier on dit : Veridicus rector lapsos quia crimina
PO SU IT. Ici, com m e partout ailleurs, le verbe con­ flere prædixit, miseris fuit omnibus hostis amarus,
signare est em ployé pour désigner le sacrem ent de Ihm , op. cit., p. 51, n. 48; du second : Ilcraclius ve­
confirm ation. Plus explicite encore est l ’ inscription tuit lapsos peccata dol, re, || Eusebius miseros docuit
suivante, à peu près contem poraine, qui ornait une sua crimina flere. Ihm , op. cit., p. 25, n. 18. Le schis ­
chapelle, où l ’ on confirm ait les nouveaux baptisés, m atique H éraclius niait le pouvoir de l ’ Église, m ais
infantes, D e R ossi, Bullet., 1867, édit, franç., p. 34, le pape qui enseigne la vérité, veridicus rector, m ain ­
88; 1869, édit, franç., p. 30; Inscript, christ., t. lia, tenait son droit m algré l ’ opposition qu ’ il devait ren ­
p. 139, n. 26 ; Ihm , op. cil., p. 77, n. 73 : contrer et la peine de l ’ exil qu ’ il devait endurer. —
Istric insontes cæ lcsti flum ine lotas Q uant aux autres m onum ents rares et d ’ une époque
P astoris sum m i dextera signat oves. postérieure, le m ot pænitentia qu'on y rencontre n ’ a
H uc undis generate veni, quo sanctus ad unum pas toujours la m êm e signification. L ’ expression
S piritus u t capias te sua dona vocat. pænitentiam accipere, consequi désigne très proba ­
T u, cruce suscepta, m undi v itare procellas blem ent la réception du sacrem ent. N ous avons con­
D isce, m agis m onitus h ac ratio n e loci. staté une form ule analogue pour le baptêm e, et un
passage parallèle de G régoire de Tours, Hist. Franc.,
Il y est m anifestem ent question d ’ une action sym ­
1. V I, c. xxvin, P. L., t. l x x i , col. 395, qui dit
bolique distincte du baptêm e, présupposé en m êm e
d ’ un m alade : lateris dolore detentus caput totondit
tem ps que la naissance à la vie de la grâce. C ette
action consiste dans un rit en form e de croix, dont on atque pænitentiam accipiens spiritum exhalavit, con ­
firm e peut-être notre affirm ation. Sur un m onum ent
signe le front du fidèle et qui, par la vertu du Saint-
E sprit, produit dans l ’ âm e un effet surnaturel : les d ’ A ix, de l ’ an 492, on nom m e un certain A djutor qui
PO ST A CCEPTA M PÆ N ITEN TIA M M IGRAVIT AD
dons de l ’ E sprit-Saint et surtout celui de la force
contre les tentations et les orages de la vie au m ilieu D OM INU M . Le B lant, Inscript., t. Il, p. 487, n. 623.
du m onde. U n rapprochem ent de notre texte avec la U ne épitaphe de Lyon, de l ’ année 508, porte:... VIXIT
lettre d ’ innocent I° r (402-417) à D ecentius, évêque (une certaine Susanne) A N N U S (sic) || XX PEN ITEN -
de G ubbio, P. L., t. xx, col. 554 sq., nous m ontre TIA (m ) C ON SEC UTA; || EST O BIET (sic) IN
qu ’ il s ’ agit vraim ent de la confirm ation. C onform é ­ PA CE. Le B lant, op. cit., t. i, p. 144-146, n. 66. Par
m ent aux indications du pape, l ’ évêque — le pape contre, sur d ’ autres m onum ents, où on dit du défunt
Libère et le summus pastor de R om e dans les m onu ­ qu ’ il a été pænilens, ou qu ’ il a fait pénitence, agit
m ents m entionnés — est le m inistre ordinaire du pænitentiam, pendant un certain nom bre d ’ années,
sacrem ent. S ’ il n'y est pas explicitem ent question du ce n ’ est pas le sacrem ent qu ’ on vise, m ais plutôt la
saint-chrêm e, on en parle au m oins dans l ’ inscription vie pénitente, probablem ent pratiquée dans des con ­
gnostique susdite et peut-être aussi dans un texte de ditions particulières. V oir D e R ossi, Inscript, christ.,
Tolentino, du iv° siècle, où l'on dit de deux époux : t. πα, p. 490 (an. 463); Le B lant, Inscript, chrét., t. n,
Q UO S DEI SA C ER D OS ( !) PR O BIAN US LAVIT ET p. 549, n. 663 (an. 589); p. 589, n. 697 (vi« siècle);
U N X IT. U n tém oignage plus sûr est l ’ épitaphe de H übner, Inscript. H isp., p. 9, n. 29 (an. 627); p. 10,
C lovis I° r , où l ’ on dit du défunt: M OX PU RGA TU S n. 33 (an. 578). U n m arbre de R avenne, de 523, porte à
A Q UIS ET CHRISTI FO N TE REN A TU S || FRA ­ côté du nom propre le titre de PA (e) N ITENTIA LIS.
G RA NTEM G ESSIT IN FUSO CHRISM A TE CRINEM . Faut-il y voir, avec D iehl, loc. cil., p. 11, n. 44, le
L 'authenticité de ce texte, m ise en doute parL eB Iant, prêtre pénitencier, dont nous parlent les auteurs
337 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 338

ecclésiastiques, par exem ple, C assiodore, Hist. trip., épigraphique. Pelka, op. cit., p. 41. Sur un m arbre
1. IX , c. xxxv, P. L., t. i.x, col. 1151? de la catacom be des Saints-Pierre-et-M arcellin, du
4. L ’extrême-onction. — C ontrairem ent à ce que m e siècle,un certain Prim us appelle sa Icm m ecum la-
l'on a cru, nous ne trouvons pas d ’ allusion à ce sacre ­ borona sua, collaboratrice dans le gouvernem ent de la
m ent ni dans l ’ inscription du sarcophage de Tolentino fam ille, com pagne dans le support des peines et des
où il est dit de deux époux : Q UO S DE SA CERD OS fatigues. Nuovo bullet., 1902, p. 194. La dénom ination se
PROBIA N US LAVIT ET U N XIT, et où il s ’ agit de rencontre égalem ent chez les juifs. Bullet, dell. Instil,
l ’ onction du baptêm e ou de la confirm ation, ni di Corr, arch., 1876, p. 67 ; D e R ossi, Homa setter., t. in,
dans un m arbre grec du m e siècle, cité par les Mon. p. 538. D ieu doit aussi guider les époux pendant toute
lit., n. 2780, où le m ot χριστόν est m is pour χρηστόν, la durée du m ariage. VI VATIS IN D EO ! — tel estle sou ­
ni dans une am ulette chrétienne du n® siècle qui hait que nous trouvons sur un verre à fond d'or, pro ­
d ’ après M . L enorm ant serait ainsi libellée : Έ ζορκίζω || bablem ent donné com m e cadeau à deux jeunes époux,
σε, ώ Σκταννάς ||... ϊνα μήποτε κα || ταλείπης τον τό || πον dont il représente le m ariage. A-J-W SECUN DE ET
σου... έπι τώ || τόπω τής || την έπικέχρ || ιζα : Je t ’ exor-
cise, Ô Satan..., prononcé dans la dem eure de celle sur PR OIECTA, VIVATIS IN CH RI(sZo), lisons-nous sur la
laquelle j ’ ai fait l ’ onction. Mon. lit., t. i, n. 2803. La célèbre cassette d ’ argent du cabinet B lacas, qui est de
leçon proposée par l ’ archéologue français présente la fin du iv ' siècle et qui se trouve aujourd ’ hui au
trop peu de garantie pour être reçue en toute sûreté, B ritish M useum . Pelka, loc. cit., p. 115-123, pl. i i - i v .
com m e l ’ a fait Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., C onséquem m ent ils se regardent com m e les serviteurs
t. i, col. 1795, 1796. V oir K irchhoff, Corpus inscr. de D ieu et du C hrist et, com m e Tertullien, A d uxorem,
græc., t. iv, n. 9064. 1. I, c. i, P. L., 1.1, col. 1274, à sa fem m e, ils se donne
5. Le mariage. — A u sujet de l ’ état de m ariage et m utuellem ent le titre de conservus, conserva, ou de
du sacrem ent qui l ’ inaugure, l ’ épigraphie nous fournit σΰνδουλος , par exem ple, dans plusieurs inscriptions
de nom breuses indications. C ’ est D ieu qui form e le de R om e, D e R ossi, Bullet., 1886, p. 116; de R avennc,
lien conjugal. Sur le sarcophage m entionné de Tolen ­ de Porto, D e R ossi, Bullet., 1879, édit, franç., p. 109 sq.;
tino, dont la face représente le m ariage de deux de Sicile. K aibel, Inscript, græc., n. 531. Celle de Ca ­
époux, on lit: Q UO S PA RIBU S M ERITIS lUN X IT tane se sert form ellem ent de l ’ expression CYNAOYAH
M A TRIM ON IO D ULCI O M N IPO TEN S D O M INU S. EN Χ Ρ ω (= Χ ριστώ). Cf. D olgcr, IX QY C, p. 194 sq. Se
D e R ossi, Bullet., 1869, édit, franç., p. 23; G arrucci, rapportant à l ’ Évangile de saint M atthieu, i, 18, on a
Storia dell' arte, pl. 304, n. 8. Ce lien est un. L a religion voulu voir dans l ’ expression bene convenire qu ’ on lit
du C hrist défend le concubinat. D e là, sur nos m onu ­ sur une inscription de la catacom be de Saint-H erm cs.
m ents, l ’ absence com plète des term es concubina, vers 200, un tém oignage de. fidélité dans le devoir
contubernium, contubernalis, assez fréquents dans conjugal pratiqué selon la volonté du C hrist figuré sur
l ’ épigraphie païenne. Ce lien est indissoluble. D e lapierre parlesym boiedu poisson. Toutefois un autre
R ossi, Bullet., 1866, édit, franç., p. 14 sq., cite un m arbre plus explicite qu ’ on voit au L atran. p. vin, n. 7,
fragm ent d ’ inscription de Saint-L aurent où il est sem ble s ’ v opposer : le m ari dit de sa fem m e:...Q U Æ
dit : (/ia)C SU B LEGE D EU (s nupti)S C O N SO R ­ EIUS O BSEQU IO SEM PER N O B ISC O N VEN I Γ. C ’ est
TIA VINXIT (corp)O RIB U(s) cunctis e)SSET UT donc plutôtl’ union dans le C hrist qu ’ on veut indiquer
UNA CARO. Indirectem ent ce caractère est indiqué égalem ent sur le prem ier m onum ent. Souvent les chré ­
sur un m onum ent de 362, où le m ari appelle la fem m e tiens pratiquaient la continence tantôt tem poraire tan -
sa côte : V ISCILIU S N ICENÆ COSTÆ SU Æ . V oir tôt perpétuelle. C ’ est à cette dernière qu ’ on pourrait
le com m entaire de D e R ossi, Inscript, christ., t. i, rapporter deux épitaphes, l ’ une rom aine antérieure à
p. 151. L ’ allusion à la G enèse, n, 20, est évidente. C onstantin, où l ’ on dit de la fem m e, d ’ après D e
O n sait que les m ariages entre païens et chrétiens, R ossi, Roma solter., t. i, pl. xxxi, n. 13 :... Q U (a) E
inévitables dans les prem iers siècles, étaient vus de VIXIT INLI II BATA CUM BIRG IN || IO SU O ... ; l ’ aulre
m auvais œ il par l ’ autorité ecclésiastique. Tertullien et de Salone en D alm atie, de l ’ année 378, qui fait dire
saint C yprien les blâm ent; le concile d ’ E lvire (vers 300) au m ari par rapport à son épouse T alasia : QUAM A
les défend form ellem ent. A ussi des inscriptions appar ­ PA RENTIBU S IPSIUS SU SC EPI A N NO S XVIII.
tenant à des époux de religion diverse sont très rares. Q UI (quæ) A EQ U E IN LIBA TÆ (sic) M ECUM VIXIT
C itons deux épitaphes africaines, l ’ une ayant appar ­ A N N OS XXXII U, etc. Pelka, op. cit., p. 45. D ’ autres
tenu à une chrétienne Pesccnnia Q uodvultdeus, dont m onum ents visent plutôt la continence tem poraire,
le m ari païen C. Q uintilius M arcellus est probablem ent par exem ple, un m arbre de 472 dans Le B lant, Ins­
ce consul de 226 qui l ’ année suivante devint pro ­ cript. chrét., t. il, p. 30, n. 391,pl.46,n. 275 ; Leclercq,
consul d ’ A frique; l ’ autre nom m ant une fem m e chré­ Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, col. 2492 sq. E n ­
tienne, tandis que le m ari et le fils sem blent être restés suite, depuis le m ilieu du n i 0 siècle, on insiste vo ­
païens. Corp. insc. lat., t. vin, p. 870; D e R ossi, dans lontiers sur le fait qu ’ en entrant dans le m ariage,
Spicilegium Solesmense, t. iv, p. 509; Ephemeris les deux époux, contrairem ent aux pratiques païennes,
enigr., t. vu, p. 114. L ’ Église, contrairem ent à la étaient encore vierges. C ’ est là le sens du titre de
loi civile, regardait com m e parfaitem ent valide et virginius, Virginia, que de nom breuses épitaphes
licite le m ariage entre un affranchi et une personne donnent soit au m ari, soit à la fem m e. Le m arbre
de rang sénatorial. La décision portée par le pape le plus ancien qui porte cette m ention est de l ’ an 291.
C alixte est confirm ée par plusieurs pierres funéraires D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, p. 23, n. 17; Mon. lit.,
publiées par D e R ossi, Bullet., 1866, édit, ital., n. 2873. V oir K raus, Real-Encyclopüdie, t. n, p. 956-
p. 23 sq. ; 1881, édit, franç., p. 72 sq. La valeur de l ’ un 958; Pelka, loc. cit., p. 16-19. C onvoler à de secondes
ou de l'autre de ces textes pourra être contestée. noces était m al vu : c ’ était une preuve qu ’ on n ’ était
Pelka, Allchristliche Ehedenkmâler, p. 85; Leclercq, pas suffisam m ent m aître de soi-m êm e. A ussi plusieurs
Dictionnaire, L i, col. 2879. D ans le m ariage, m ari et épitaphes insistent-elles sur le fait que telle personne
fem m e sont égaux. D éjà avant le m ilieu du iv° siècle, n ’ a été m ariée qu ’ une fois : univira, uno content :
■ n leur donne le titre, très rare sur les m onum ents marito, etc. L a corruption des m œ urs païennes nous
; dens, de compar, par exem ple, sur une pierre rom aine explique pourquoi on rencontre surtout sur les
de 349, D e R ossi, Inscript, christ., 1.1, p. 67, n. 107, ou m arbres chrétiens l ’ éloge de la chasteté conjugale.
celui de σΰνζυγος , qui rappelle l'im age du joug em ­ L ’ épouse est dite casta, castissima, casta vere casta, pu­
ployée par saint A m broise, Epist., 1. 1, l x , et un m arbre dica, pudicissima, verecunda, ou bien (au génitif) veræ
339 E 1'1 G I ί A P H lE C H R É T IE N N E 340

castitatis, summæ, egregiae castitatis, totius pudicitiae, Bullet., 1873, édit, fraç., p. 162 sq.; Inscripl-
inlxsi genialis tori /emina, etc. Pelka, op. cit., p. 27, christ., t. i, p. 80, n. 140; Führer, Sicilia solterranea,
30, 31. D ’ une épouse chrétienne de R om e on dit : p. 163, n. 6; Le B lant, op. cit., t. n, p. 487, 493; D e
... || Q U IEU S (=cu/us) FIDELITA TEM ET CASTITA - R ossi, Inscripl. christ., t. i, p. 9, n. 5; Ihm , op. cit.,
TE(m ) ET BON ITATE(m ) || O M NES V ICIN ALES p. 10, n. 7. Tous m ourront : nemo immortalis, ούδεϊς
EX PERTI SU NT. Q UÆ || A N NIS N(umero) XIII. AB ­ αθάνατος , du m oins, dans ce m onde, έν τώ κόσμω τούτω,
SEN TIA V IRG INI(f) SUI SUAM CA S || TITATEM CUS ­ com m e l ’ expliquent quelques inscriptions trouvées
TO DIV IT. D e R ossi, Homa solter., t. m , pl. xxiv- en O rient. M ais la m ort, la durée du séjour au tom ­
xxv, n. 4; Mon. lit., t. I, n. 2966. A illeurs on relève beau, l ’ adm ission au ciel dépendront delà volonté
d ’ autres vertus. A insi des m arbres nous attestent de D ieu : Dei voluntate, quando Deus voluerit, cum Deus
que, m algré les dangers sans nom bre, les fem m es permiserit, etc. L eclercq, Dictionnaired’arch, chrét., I . i,
ont suivi leurs m aris jusqu ’ au bout de leurs péré ­ col. 3115; Perret, op. cit., pl. 39, n. 131 ter; 21, n. 5.
grinations; plusieurs n ’ ont pas reculé devant les A ussi, sauf des cas particuliers justifiés par des cir­
distances très considérables pour honorer la m é ­ constances spéciales, les chrétiens évitent les m ani ­
m oire du m ari décédé à l ’ étranger. Telle une G auloise festations de douleur inconsolable, violente m êm e des
M artina, dont il est dit : V ENIT DE GALLIA PER païens.O n n ’ est pas insensible, m ais on en visage la m ort
M A NSION ES L, UT COM M EM O RA RET M EM ORIA M d'une autre m anière. IS C (b)RISTO D ATUS, écrit-on
D UL(cissi) M l M A RITI. Pelka, op. cit., p. 43. Les épi ­ sur la chaux fraîche d ’ un tom beau d'enfant m ort en
taphes font aussi m ention du bonheuretdela paix qui 348. D e R ossi, Bullet., 1879, édit, franç., p. 139. O R-
régnaient entre les epoux et de la subordination de BATI N O N SU N T, dit-on encore de parents lyonnais,
l ’ épouse : bene mecum vixil, sine ulla laesione animi, à la m ort de deux jum eaux, D ON A D ED ERE D EO.
sine ulla querela, sine ulla bilie (sic), macula, culpa, D e R ossi, loc. cit. C om m e conclusion pratique, les
discordia,controversia,etc.; N .,QU Æ BEN E V IVEN DO m onum ents présentent les exhortations suivantes :
M ARITALI CON SECU TA EST D ISCIPLIN A. Pelka, aux parents : COM PREM A TU R PECTO RUM || G E ­
op. cit., p. 42; Leclercq, Dictionn. d’arch. chrét., t. i, M ITUS. STRUA TU R FLETU S O CU LO RU M , Le B lant,
col. 1022. L a vraie épouse nous est adm irablem ent op. cit., 1.1, p. 93; au m ari et aux enfants : PA RCITE
peinte dans les lignes suivantes gravées sur une V OS LA CRIM IS. D ULCES CUM CON IU GE N A TÆ ,
tom be gauloise antérieure au v° siècle : CA STITA S, V IV ENTEM Q U E D EO CRED ITE FLERE N EFA S. D e
FIDES, CA RITAS, || PIETA S, O BSEQU IU M . || ET R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 371, n. 843; ou bien :
Q U Æ CU M Q UE D EUS || FÆ M INIS IN ESSE || PR Æ - Οανοΰσα γάρ (= la m ère) ού Οάνη μούνη || ουδέ πόσιν
CEPIT H IS O RN A TA || BON IS SO FR ON I || O LA IN προλέλοιπεν καί είλίπεν νυν ετι μάλλον || ούράνοθέν μιν
PA CE Q UIESCIT, || etc. Le B lant, Inscript, chrét., όρα και τέρπεται ήδέ φυγάσσει. B ayet, op. cit., n. 118.
t. n, p. 111, n. 438; Pelka, op. cit., p. 42. L a vraie raison nous est fournie par une épitaphe
5° L ’eschatologie. — 1. La vie humaine; la mort. — gauloise: M O RS N IH IL EST; VITAM R ESPIC E PER ­
La vie a un caractère essentiellem ent passager. Elle PETU A M . Le B lant, op. cf/., I. ι,ρ. 31, n. 12, pl. 3.
est com parée à un navire qu ’ il faut conduire au port 2. Le tombeau est la dem eure transitoire du corps.
de l ’ éternité : sur deux m onum ents du L atran, p. xiv, Il est parfois appelé domus, οίκος . B oldetti, op. cil.,
49; xvi, 63, sur l ’ épigraphe de la vierge africaine p. 463; D um ont, Mélanges, p. 337. Q uelques épi ­
C astula, sur un m arbre publié par Passionei, où le taphes de la fin du m ’ et du iv ’ siècle présentent
navire porte le nom du défunt, qui parfois y figure l ’ expression CELLA Æ TERN A et surtout D O M US
sous le sym bole de l ’ orante ou de la colom be. W ilpert, Æ TERN A,οίκο: αιώνιος , par exem ple, au L atran,p. vm ,
Jung/rauen, p. 48, 49; Passionei, Iscriz. ant., p. 125, 16; xvn, 36, en A frique, en O rient. C ette form ule, d ’ ori ­
n. 88; Perret, op. cit., pl. 32, n. 80 bis; 69, n. 7. O n la gine égyptienne, a passé aux Juifs qui l ’ ont m odifiée
com pare encore à une course, par exem ple, dans le d ’ après leurs idées religieuses. Perles, dans Monals-
dernier vers du bel éloge m étrique de la m artyre schri/l /iirGeschichte und Wissenscha/t des J udenthums
Zosim e (f 275) : nam /ide servata cursum cum pace de Frankel, t. x (1861), p. 348,349. L ’ É criture la con­
peregit. D e R ossi, Bullet., 1867, édit, franç., p. 82. naît. Sap., xn, 5; II C or., v, 1. Inoffensive com m e le
L ’ É criture aura probablem ent fourni l ’ idée de cette D.M., elle ne renferm e nullem ent un argum ent contre
im age. Ps. cxvm , 32; I Cor., ix, 24; II Tim ., iv, 7. la foi à la résurrection, ce que nous indique souvent
Le cheval, qui figure sur certaines épitaphes du le contexte. Sur un m arbre rom ain on dit que cette
in ’ siècle et qui, dans plusieurs cas, a une signi flcation domus æterna n ’est que tem poraire : IN FINEM SÆ -
certainem ent sym bolique, exprim e la m êm e pensée. CULI FELICITAS SIBI DOM UM Æ TERN AM ... PA RA ­
D e R ossi, Bullet., 1873. pl. xi; A rm ellini, Il cimitero VIT, D e R ossi, Borna sotter., t.m , p.456;et un m arbre
di Sant’ Agnese, pl. xiv, n. 1; Bôm. Quartalschri/l, de C atane com m ence ainsi : οίκος αιώνιος έν $ω . Le ­
t. xv (1898), p. 399 sq. ; C abrol, Dictionnaire d'arch.
chrét., t. i, col. 936, 937. A ussi vivre sur la terre, clercq, Dictionnaire d'arch. chrét., t. il, col. 2525.
c ’ est vivre à l ’ étranger. Corp. insc. græc., n. 9683; A ssez souvent on rencontre l ’ appellation κοιμητή ­
Mon. lit., n. 3278. La terre n ’ est qu ’ un lieu de pas ­ ριο?, surtout en M acédoine, où, dès le m ’ siècle, on
sage ; le ciel est notre patrie. Le B lant, op. cil., 1.1, p. 7. ajoute volontiers les m ots έως άναστάσεως . Corp,
La m ort, le chrétien l ’ envisage tout autrem ent que insc. græc., n. 9305-9314 ; D e R ossi, Bullet., 1890. p. 58 ;
le païen. Pour lui, m ourir, c ’ est debitum naturalem Nuovo bullet., 1900, p. 76, 77; Mélanges d’archéologie
solvere, reddere debitum vitee sux, Domino rerum et d’histoire, t. xx (1900), p. 229 sq. Le séjour au tom ­
debitum commune omnibus reddere, D e R ossi, beau est un som m eil. Joa., xi, 11 ; I Thess., iv, 13-15.
Bullet., 1882, édit, franç., p. 57; 1873, édit, franç., D e là l ’ expression εΰδειν, dormire (reposer dans le
p. 174; Inscript, christ., t. i, p. 392. n. 882; c ’ est tom beau) sur de nom breux m onum ents du iti c siècle,
esse substractum rebus humants, esse translatum de en B ithynie, à A utun et ailleurs. Mon. lit., n. 2785,
sieculo, D e R ossi, Bulle/., 1881, édit, franç., p. 169; 2826, 4278. D e là les form ules : έν ειρήνη ή κρίμηαις
Homa solter., t. m , p. 45-48; c ’ est encore decedere, αύτοΰ, Nuovo bullet., 1901, p. 244; κοίμησις έως άνα ­
exire de corpore, reddere Deo animam, terrœ στάσεως , fréquente égalem ent en M acédoine, D e
corpus, ire ad Deum, προσχωρεί? προς τον κύριον, R ossi, Bullet., 1890, p. 54, 57; Nuovo bullet., 1900,
miqrare ad Dominum, ad astra, acceptum esse p. 76, 77 ; in pace dormii, in pace Domini dormias, etc.
apud Deum, receptum esse ad Deum, cxlestia regna Nuovo bullet., 1901, p. 244; D e R ossi, Bullet., 1881,
petere, etc. W ilpert, Jung/rauen, p. 95, 96 ; D e R ossi, édit, franç., p. 72. U ne épitaphe rom aine, d u n ’ siècle.
341 É PIG R A P111E C H R É T IE N N E 342

com m ence par les m ois : D O RM ITIO NI || T. FLA . p. xxi. Les m onum ents nous disent .qu'elle s ’ opère
EVTY II C H IO ... D e R ossi, Borna sotter., t. i, p. 186; parle retour des âm es dans les corps : HIC IA CET:
Nuovo bullet., 1904, p. 156. Q uelques rares épitaphes, H INC, ANIM A IN CARNE(m ) RED EU NTE, R ESUR ­
par exem ple, au L atran, p. vm , n. 16, et au m usée G ET (I Æ TER NIS CHRISTI M U NERE DIGNA BO
K ircher, n. 59, portent la form ule SO M NU S ERNA - N IS. D e R ossi, Bullet., 1881, édit, franç., p. 21. E n
LIS. Perret, op. cil., pl. 18, n. 23; pl. 29, n. 71. C 'est vue du jugem ent, on exprim e parfois l ’ idée, le désir
encore un em prunt au form ulaire païen que déjà le de ressusciter sous le patronage des saints, par
contexte nous défend de prendre à la lettre. exem ple, ce chrétien gaulois, dont il est dit : R E ­
3. L ’âme après la mort. — Pour plusieurs catégories SU RRECTU RU S CUM SA NCTIS, ou ce chrétien espa ­
de fidèles, par exem ple, pour les m artyrs, les épi ­ gnol, dont l ’ épitaphe term ine par ces m ots : UT,
graphes affirm ent leur adm ission im m édiate au ciel. CUM FLAM M A VORAX V EN IET CO M BU RRERE
Pour d ’ autres, on est hésitant. D es écrivains ecclé ­ TERRAS II CŒ TIBUS SA N CTO RU M M ERITO SO ­
siastiques, m êm e des plus notables, adm ettent un CIA TU S RESU RG AM . H übner, Inscript. Hisp.,p. 50,
séjour interm édiaire de l'âm e, appelé parfois sein n. 158. Plusieurs fidèles partagaient l ’ idée m illénariste
d ’ A braham , qui ne prendra fin qu ’ au jugem ent. L'écho de certains Pères. L ’ inscription déjà m entionnée de
de cette croyance se retrouve, dès le m · siècle, clans l ’ évêque africain A lexandre dit du titulaire: ...HU IU S
les m onum ents, par exem ple, dans l'épitaphe de ce ANIM A REFRIG ERA T, C O RPU S H IC IN PA CE
fidèle gaulois dont il est dit :... Q UIESCIT IN PA || CE Q U IESCIT y RESU RRECTION EM EX PECTAN S FU ­
ET DIEM FU TU RI || IUDICII IN TERCED E || N TEBUS TURAM DE M O RTU IS PRIM A M || C O NSO RS UT
(sic) SA N CTIS L || ETUS SPECTIT (= exspectat), FIAT SA N CTIS IN PO SSESSION E REGN I CÆ LES
Le B lant, op. cit., t. il, p. 198, n. 478 (cf. ibid., t. n, TIS. D e R ossi, Bullet., 1894, p. 91. Ces vers rap ­
n. 402 sq.); ou bien dans les derniers vers de l ’ ins ­ pellent les vieilles liturgies ainsi que les paroles de
cription m étrique que saint Paulin de N oie com ­ Tertullien, De monogamia, c. x, P. L., t. n, col. 942 :
posa pour un certain C ynegius : (Felici merito) HIC Interim pro anima ejus (= mariti) orat (sc. uxor) el
SO CIA BITU R A NTE TRÏ (bunal | Interea) IN G REM IO refrigerium æternum adposlulet ei et in prima resur­
ABRAHAM (cum pace quiescit). D e R ossi, Bullet., rectione consortium. Le B lant, op. cil., t. n, p. 84-86.
1875, édit, franç., p. 34 ; B ücheler, op. cil., t. i, p. 323, 5. Le jugement. — O n place au in ° siècle un m arbre
n. 684. A illeurs, nous l ’ avons dit, on affirm ait caté ­ m utilé de Sainte-Agnès qui présente les m ots : ...ET IN
goriquem ent l ’ entrée im m édiate au ciel. D e R ossi, DIE (Judicii on resurrectionis a)D EA M (ad tribu iNAL
Inscript, christ., t. i, p. 9; Bullet., 1894, p. 58; Nuovo CRISTI. A rinellini, op. cit., p. 165, pl. xni, 7;M a-
bullet., 1901, p. 245, n. 23. Il y avait donc divi­ rucchi, Éléments, t. n, p. 264. Sur les épigraphes
sion et doute, com m e l ’ indiquent les m onum ents grecques on trouve l ’ expression : έν τή ζρισίμω ήμεει.
eux-m êm es. Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, Mon. lit., n. 2788. A la fin du n i' siècle, le diacre
col. 1538; Le B lant, op. cit., t. il, p. 402 sq. M ais, dès Severus se prépare un tom beau : M A N SIO N EM IN
le début du vi° siècle, l ’ épitaphe du pape Félix III PA CE Q UIETAM Q UO M EM BRA D U LCIA ... FA C ­
déclare: CERTA FID ES : lU STIS CŒ LESTIA REG N A TO RI ET lU DICI SERVET. D e R ossi, Inscripl. christ..
PA TERE. D e R ossi, Inscript, christ., t. n a, p. 126, 1.1, p. cxv. Saint Félix de N oie est plus explicite dans
n. 3. V oir, sur la question, Le B lant, loc. cit., p. 397- l ’ inscription qu ’ il com pose pour le jeune Cynegius.
411; Leclercq, dans Dictionnaire d'arch. chrét., t. i, enterré dans la basilique de Saint-Félix : (Sic et
art. Ame. Zu)TUS ERIT IUV EN IS SU B IUD ICE CH RISTO
4. La résurrection des corps. — Le séjour dans le (cum tuba Zerrï)BILIS SO NITU C O NC U SSER IT O R
tom beau n ’ est que tem poraire, com m e l ’ indiquent, BEM II (humanaque «nï)M A E RURSU M IN SUA
dès le m " siècle, les expressions épigraphiques sui ­ VASA REDIBUN T. K aufm ann, Jenseilsdenkmâler,
vantes : depositio, depositus est (voir Paul A llard, p. 70, note 1. Le juge est le C hrist lui-m êm e. Sur le
dans Les lettres chrétiennes, t. i (1880), p. 227 sq.), rôle qu ’ exerceront les saints, voir t. ni, col. 472 sq.
(inscr. d ’ A bercius), άπόίιεσις (cf. Il Pet., i, Le jugem ent sera terrible :(φο)8ερόν δίκημα τοΰ (θεόν
14), dormitio, dormitorium, dormire, κοίμησις , κοιμη ­ iv) ήμερα κρίσεως . B ayet, op. cit., n. 106. M ais le juge
τήριο· / (par opposition à domus æterna), κοιμητήριο· / est juste et il donnera à chacun selon ses œ uvres :
ίως ά· /αστάσεως , κοιμάσβαι, εΰδειν, et, un peu plus PRÆ M IA PR O M ERITIS CA PIET SU B IU DICE
tard, quiescere, quies. M ais il y a d ’ autres textes lU STO. A llegranza, De sepulchris christ., p. 25, n. 42.
plus expressifs. U ne inscription m acédonienne, du U n m arbre d ’ A ix parle d ’ un enfant placé parm i
II^-III® siècle, dit : ...6έτο σώμα δέ γαίη (= γή) || είσο- les agneaux à la droite du juge : D EX TRIS . TIBI ■
και άναστάσεως εύάγγε(λ)ο(· /) ήμαρ έικη-ε. D e R ossi, N UN C· FID E H A D SISTIT · IN · A GN IS || A CTERN U M ·
Bullet., 1890, p. 59; Mon. lit., n. 4348. L ’ épitaphe du SPER AN S... D O N UM . Le B lant, op. cil., t. n, p. 489,
diacre Severus, enterré vers 300 à Saint-Calixte, n. 624; Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i,
porte : ...C O RPU S... HIC EST SEPU LTU M , D O NEC col. 904. D ans les textes cités il est surtout question
RESU RG A T AB IPSO . D e R ossi, Inscript.christ., 1.1, du jugem ent final. Sur deux m onum ents on voit
p. cxv. Le pape D am ase term ine son inscription gravée la scène du jugem ent de l ’ âm e. Perret, op. cit..
sépulcrale par ces m ots : Post cineres Damasum faciet pl. 22, n. 28; W ilpert, Malereien, p. 410, 415. Est-ce
quiasurgere credo, Ihm, op. cit., p. 13, n. 9, et le pape le jugem ent particulier ou une réduction du juge ­
C élestin (j-432) conclut : Corporis hic tumulus : requies­ m ent dernier que nous devons y voir? C ’ est au pre ­
cunt ossa cinisque\nec perit hinc aliquid Domino, caro m ier que M s r W ilpert, loc. cit., p. 391, rapporte un
cuncta resurgit. | Terrenum nunc terra tegit, mens texte épigraphique d ’ un prêtre m ilanais, Sarm ata.
nescia mortis | Vivit et aspectu fruitur bene conscia du iv “ siècle : N AZARIU S N AM Q UE PA RITER V IC ­
Christi. Ihm , op. cit., p. 95, n. 92. TOR Q UE BEA TI I] LA TERIBU S TU TU M RED D U N T
L ’ auteur de la résurrection, le C hrist, est nom m é M ERITISQU E C OR ON AN T. || O FELIX, G EM IN O
: ar l ’ épitaphe du diacre Severus citée plus haut; de M ERU IT Q U I M A RTY RE D U CI || AD D OM INU M M E ­
m êm e par l ’ inscription d ’ un sarcophage de Tolentino LIORE VIA REQU IEM Q U E M ERERI. D e R ossl,
et par celle du pape D am ase. D e R ossi, Bullet., 1869, Inscript, chr’st., t. n a, p. 172, n. 30.
• lit. franc., p. 23. Les m onum ents de la V iennoise 6. L ’éternité. — R ien n ’ est m ieux attesté par l ’ épi-
présentent souvent les form ules : resurrecturus in graphie que la croyance à l ’ éternité. V oici plusieurs ac ­
C ~isto, in spe resurrectionis misericordia Christi, etc. clam ations etform ules, dont quelques-unes rem ontent
L eBlant, op. cit., t. n, n. 162.467-470; Nouveau recueil, au il' siècle : in alerum, εις αιώνα, in avum, vivos in
343 É P 1G R A P H IE C H R É T IE N N E 344

æternum, in levitm, semper vivas in Deum, εις άνάστασεν exem ple, sur un m arbre du L atran, p. xiv, n. 45, et sur
αιώνιον, K irsch, Acclamationen, p. 9-29; post vilain plusieurs épitaphes d ’ A quilée où le m onogram m e du
viventem, D e R ossi, Bullet., 1894, p. 93; regnat C hrist placé au-dessus m ontre bien qu'elle est cette
tempore continuo, D e R ossi, Inscript. christ., t. i, m aison, qui du reste est déterm inée davantage encore
p. 141, n. 317; vivis in nomine Christi, æterno... parm i texte épigraphique qui dit du défunt ...M ERU IT
vivit... ævo, natus in æternum. K aufm ann, Jenscils- TUA LIM INA . C HR ISTE. || A NG ELICA SQU E D O M OS
denkmâler, p. 70, 98, 224. D ’ après les épigraphes, la INTRA VIT ET A U REA REG NA . W ilpert, Malereien,
vic éternelle est une vie en D ieu, en Jésus-C hrist, dans p. 410, fig. 36; Inschri/len Aquileias, p. 41, 43,45, 54,
la Saint-Esprit : vive, vives, vivas in Deo, Mon. lit., 58; de W aal, op. cit., p. 28. A cause de ceux qui y
p. cxxvi, n. 2929, 2999; vivas in j(, in Crheto (sic), restent, ce palais est encore appelé : sedes paternæ,
sedes sanctorum, perpetua sedes. D e R ossi, Bullet., 1880,
in Domino Zesu (sic), in j; (poisson), ζώμεν έν Οεω édit, franç., p . 48,49; B ücheler, op. cil., t. il, p. 631,
(poisson), etc. Mon. lit., n. 3044, 2984, 3118, 3108, n. 1347 B ; t. i, p. 319, n. 675. Sur d ’ autres m onu ­
3366. m ents on l ’ appelle arx poli, arx ælheria poli, arx
7. Le purgatoire; l'enfer. — N ous avons exposé sublimis. Marucchi, op. cil., t. i, p. 238; D e R ossi,
ailleurs ce que disent les inscriptions sur le purga ­ Inscripl. christ., t. lia, p. 71, n. 41 ; Ihm , op. cil.,p. 68,
toire. V oir C o m m u n i o n d e s s a in t s , t. ni, col. 460 sq. n. 65.
A ucune allusion à l'enfer dans les épigraphes des L ’ art chrétien présente le bonheur du ciel sous le
trois prem iers siècles; m êm e après la paix de l ’ Église, sym bole d ’ un jardin délicieux couvert de plantes, de
la m ention en est encore bien rare. Sur un m arbre de fleurs odoriférantes, de sources d ’ eau lim pide et rafraî ­
489 les survivants se consolent ainsi sur la perte d ’ une chissante, rem pli de brebis, d ’ oiseaux. Souvent le
certaine Fabea Scerniola : ...CO N FIDIM US || TE VI ­ sym bole est réduit aux élém ents les plus sim ples. Les
V ERE SEM PER Q UEM (quam) || C O NS(to/ ïn/)ER NI m êm es élém ents reviennent gravés sur des m onum ents
SIC K R EFU GISSE M ALA. D e R ossi, Bullet., 1881, de la fin des n· , in ' et iv° siècles, par exem ple, sur
édit, franç., p. 159. Sur un autre appartenant au celui d ’ U rbica à Saint-C alixte, de M oïse au L atran, etc.
sous-diacre U rsinien de T rêves on dit du défunt : M arucchi, op. cit.,t. n, p. 167; X ystus, op. cil., t. iil>,
Q UEM N EC TA RTA RU S FU R EN S N EC PŒ N A p. 26. Les textes suivants du iv« siècle confirm ent
SÆ VA N OCEBI(I). K raus, Inschriften, t. i, p. 89, 90; ces données : ... inde per eximios paradisi regnal
Le B lant, op. cit., t. i, p. 399, n. 293. L ’ inscription odores | tempore continuo, vernant ubi gramina rivis...
de C lem atius, à C ologne, du iv c -v c siècle, renferm e une (a. 382), D e R ossi, Inscripl. christ., 1.1, p. 141, n. 317;
m enace à l ’ adresse de ceux qui ne respecteraient point Divitias, paradise, tuas flagrantia semper | gramina
le lieu de repos des vierges, com pagnes de sainte et halantes diversis floribus hortos subjectasque videt
U rsule : SCIA T SE || SEM PITER N IS TARTARI IG NI ­ nubes et sidera cæli, Le B lant, Inscr. chrét., t. ti,
BU S PU NIEN DU M . K raus, loc. cil., p. 143. U n qua ­ p. 254, n. 516; CERTU M EST IN REGN (o cælest)\
trièm e m onum ent qui m entionne l'enfer est de l ’ an (p)ER QU E AM OENA V IRETA ISTUM CUM ELECTIS
488. D iehl, op. cit., p. 26, n. 126. ERIT HABITUM (sic) PRAEM IA D IGN A, D e R ossi,
8. Le ciel et ses joies. — L ’ É criture parle de la cité Bullet., 1894, p. 24, 64; ...N O N TRISTIS EREBU S.
du ciel. M . K aufm ann, Handbuch, p. 234, est porté à N ON PA LLID A M O RTIS IM AG O, || SED R EQ UIES
voir cette Jérusalem céleste dans la πόλις έκλεζτή SECURA TENET LUD O QU EI CHO REA S || IN TER
de l ’ inscription d ’ A bercius. Jerusalem civitas, lisons- FELICES A NIM A S ET A M Œ NA PIORUM || PRAEDIA.
nous dans un grafïito tracé à la chapelle des papes D e R ossi, Bullet., 1882, édit, franç., p. 97.
par un pieux pèlerin du n i 0 siècle. Le ciel,séjour de lum ière. Le pape D am asel ’ appelle:
L ’ É criture parle souvent du royaum e des cieux. U n ælheria cæli lux, une épitaphe de 344 : τόπος φωτεινός .
m arbre rom ain, du com m encem ent du in° siècle, H im , op. cil., p. 55, η. 53; K aufm ann, Jcnseitsdenk
mâler, p. 68, 69. C ’est encore là le sens des chandeliers
le m entionne égalem ent : ουράνιον XY ( = Χ ριστοί) ||
allum és, placés à droite et à gauche de l ’ âm e-orantc
βασιλείαν μετά τών || αγίω ν; de m êm e un autre du m i ­
ou à côté du texte des pierres funéraires, par exem ple,
lieu du m c siècle : έν Θ €ΐω IH j; ΒΑΣΙΛΕ (ία). D e au L atran, p. xiv, n. 44, ou à A quilée. W ilpert.
R ossi, Inscripl. christ., t. i, p. cxvi; K aufm ann, Inschriften Aquileias, p. 46,47 ; Leclercq, Dictionnaire
Jenseilsdenkmàler, p. 85, 86 (avec la vraie leçon). A u d’arch. chrét., t. i,col. 2676. U ne épitaphe publiée dans
iv c siècle, on rencontre les dénom inations suivantes : la Bôm. Quarlalschrift, t. vi (1892), p. 377 sq., en
Supernum imperium, dans l ’ épigraphe de M arcellina, fournit une preuve m onum entale. Elle présente,
sœ ur de saint A m broise, A llcgranza, De sepulchris coupé par des sym boles, le texte suivant : ... CVIVS
Christianorum, p. 36; regnum cæleste, dans celle déjà SPIR IT VS (colom be) IN LVCE (cierge) D O M IN l(m ono-
citée de l ’ évêque A lexandre de Tipasa, D e R ossi, gram m e) SV SCEPTV S EST. Cf. D e R ossi, Inscript,
Bullet., 1894, p. 91; regna cæleslia, regna piorum, christ., t. i, p. 192, n. 442 (an. 441). L ’ auteur de cette
dans plusieurs inscriptions dam asiennes, Ihm , op. cit., lum ière céleste, c ’ estl ’ ichthys ou Poisson sym bolique,
p. 15, n. 10; p. 10, n. 7 ; p. 42, n. 37; regna superna, ' le C hrist. K aufm ann, loc. cil., p. 67; A poc., xn, 23.
fulgida, cælica, aurea, æterna imperia, dans Le B lant, ! Il éclaire non seulem ent les hom m es venant en ce
op. cit., t. il, p. 407, note 5; p. 253, n. 516; p. 390. m onde, m ais encore ceux qui m eurent et sont reçus
Le ciel est un palais, une m aison royale. U n parvis au ciel. Pcctorius d ’ A utun le nom m e : Φ ίύΟ ΤΟ
y donne accès. E ntre les rideaux placés à l ’ entrée on Θ Α Ν Ο Ν Τω Ν . Le B lant, op. cit., t. i, p. 10. C ’ est
voit l ’ intérieur où trône la divinité entourée de la cour dans le m êm e sens qu ’ il faut interpréter les form ules
céleste. La m artyre Zosim a (f 275) dem ande à y être et textes suivants : A ETERNA TIBI LVX .TIM OTHEA,
reçue : A CCIPE M E, D O M IN E, IN TUA LIM IN A, IN £ D e R ossi, Bullet.. 1892, p. 138; LVCE NOVA
C HR ISTE. D e R ossi, Bullet., 1866, édit, ital., p. 47;
FRV ERIS : LVX TIBI CHRISTVS A D EST, Le B lant,
B üchcler, op. cit., 1.1, p. 321, n. 681. Les m onum ents du
op. cil., t. i. p. 13; Corp. insc. lat., t. via, p. 389,
IV e siècle appellent ce palais regia, sublimis regia cæli,
aula Christi, siderea Omnipotentis aula. D e R ossi, In- n. 1756; A ETER NO S SO RTITA TH OR O S X PÏQV E
script. christ., t. I, p. 141, n. 317; Bullet., 1894, p. 93; PETIV IT H PERPETVA M LVCEM .N VLLA Q V AEFINE
Ihm , op. cit., p. 15, n. 10; p. 18, n. 12; p. 52, n. 49; Le TEN ETV R, sur la pierre funéraire d ’ une jeune per ­
B lant, op. cit., t. u, p. 241, n. 509. Parfois les lapicidcs sonne de V erceil. en Italie, W ilpert, Jungfraucn,
le présentent graphiquem ent à côté du texte, par p. 39: ® ac ΕΚ Φ ω το ο et ® M C X Ÿ (= Χ ριστού)
345 É P IG IIA I ’ H IE C H R É T IE N N E 346

Φ ΕΝΙ ( — φαίνει) DACIN Η Μ ΙΝ, sur deux lam pes élus. 11 en était, l ’ innocent petit enfant d ’ A quilée
orientales du iv e -v° siècle. Nuovo bullet., 1900, dont l ’ épigraphe dit : Q UEM || ELEGIT D O M (inu<-.
p. 253 sq. E n quittant la lum ière de ce m onde, on PA U SAT IN PA CE. W ilpert, Inschriflen Aquihiu.·.
ne devra donc pas s ’ écrier avec les païens : AM ISI p. 38-40. V oilà pourquoi sur un autre m onum ent on
LVCEM . Corp. insc. lat., t. vi, n. 23629. O n trou ­ dem ande pour le défunt : UT IN TER ELECTU (=ele-
vera une lum ière qui ne s ’ éteint point, Φ Ο Ο tos) RECIPIA TU R. L eBlant, op. cit., 1.1, p. 102. n. 8 ■;
Α Φ ΘΑ ΡΤΟΝ , Corp. insc. griec., n. 9870; c ’ est le C hrist, cf. Corp. insc. lat., t. v a, n. 1636. En outre, le ciel est
l ’ Ichthys sym bolique qui est seul la vraie lum ière, par une récom pense de la pratique de la vertu. Tel est le
opposition à celle dont parlent les m anichéens. sym bolism e de la couronne, portée par la colom be
K aufm ann, loc. cil., p. 67,68. Pénétré de cette lum ière, ou placée à côté ou au-dessus de l ’ âm e-orante, et
se réalise pour le bienheureux ce que dit le psaim iste : de la palm e ajoutée sim plem ent au texte. Perret,
In lumine tuo videbimus lumen. Ps. xxxv, 10.11 devient op.cit.,pl. 18, n.22; pl. 34, n. 92; pl. 73, n. 8. Les textes
pour ainsi dire une autre lum ière, com m e l ’ indique épigraphiques sont très form els à ce sujet : NAM
un m arbre du L atran, p. vm , n. 6 : Έ ρμαείσκε, φώς , IU STAE M ENTES FO V EN TUR LU CE C O ELESTI;
Il ης έν Οεώ κυρεί ]| ω Χ ρειστώ, Perret, op. cit., pl. 38, ....ET BEN E PR O M ERITIS G A UD ET SIBI PRAEM IA
η. 127, à m oins qu'on ne veuille voir dans ce dernier R EDD I; EU STACIA D EPO N EN S SEN IO TER R IS....
texte une acclam ation analogue à celle que nous avons M O RTA LIA M EM BRA SED REV EHEN S CO ELO PRO
citée plus haut. M ERITIS ANIM AM . X ystus, loc. cit., p. 29-31. V oir
L ’ épigraphie fait égalem ent allusion au banquet encore plus loin.
céleste dont parle l ’ É criture. V oir t. i, col. 2020. 9. La communion des saints. — V oir C o m m u n io n
U ne inscription grecque du iv° siècle term ine par le d e s s a in t s , t. m , col. 454-479.
souhait que le défunt soit adm is à 1 ’ agape ou banquet lit. L’ÉPIGRAPHIE CHRÉTIENNE ET LES VERTES MO­
du ciel : EIC Α ΓΑΠ ΗΝ . Nuovo bullet., 1903, p. 56; RALES. — Pour quiconque connaît la vie et les m œ urs
W ilpert, Malereien, p. 415 (fig.). D ’ autres m onu ­ païennes, le changem ent opéré par le christianism e,
m ents beaucoup plus anciens présentent des accla ­ tel que les m onum ents nous le révèlent, est plus
m ations,des form ules analogues: IN. A G APE, D e R ossi, qu ’ étonnant. — 1° Vertus chrétiennes. — 1. Lu foi.
Bullet., 1882, édit, franç., p. 130, 131 ; IN. R EFR IG E ­ — E lle form e le grand lien entre les chrétiens des dif
RIO , EN ΑΓΑΠΗ. X ystus, op. cit., t. n a, p. 128; W il­ férentes parties du inonde et en fait des « frères -.des
pert, Malereien, p. 472. U n m arbre de Saint-C alixte « am is », com m e l ’ attestent pour le 11 e et le n i' sk des
a l ’ acclam ation : πί(ε) έν θε(ώ). D e R ossi, Roma l ’ épitaphe d ’ A bercius et d ’ autres m onum ents cités
seller., t. n, p. 272, 326, pl. x l v i i - x l v ii i , n. 7. Elle fait ailleurs, t. m , col. 454 sq. C om m e objet de la foi les
évidem m ent · allusion à l ’ agapc divine, car il ne peut m onum ents m entionnent expressém ent l ’ unité de
s ’ agir ici d ’ une invitation à boire adressée aux sur ­ D ieu (voir plus haut, col. 327), la trinité des perso.· : nés.
vivants com m e c ’ est peut-être le cas pour quelques la divinité du C hrist et du Saint-E sprit, larésurrection
coupes de verre ». Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrét., des m orts, etc. D ’ une chrétienne du m « siècle enterrée
t. i, col. 832. Il en est de m êm e pour quatre autres à Saint-C alixte on dit :ή έν Θ εώκα'ι Χ ριστώ πιστευσασα;
textes, publiés par W ilpert, Malereien, p. 478. Le d ’ une vierge chrétienne du iv e siècle : ...CRED ID IT y
repas céleste est form ellem ent m entionné dans des (in Je) SU(m) )£. D e R ossi, Roma sotter., t. n, p. 302:
inscriptions m oins anciennes. Le B lant, op. cit., t. i,
p. 308, n. 212; t. n, p. 284, n. 543. W ilpert, Jungfrauen, p. 94, pl. m , n. 4. L a foi à la
D ès le iv e siècle, on rencontre une autre appellation divinité du C hrist, l ’ épitaphe du pape Libère l ’ appelle
du ciel, celle de sein de D ieu, sein d ’ A braham . Sur deux fides nictena. D e R ossi, Bullet., 1883, édit, franç., p. 9;
m onum ents rom ains on lit: IN ^ (= Chr ïsïï)G REM IUM 1890, p. 123 sq.
L a foi est une : A bercius trouve la m êm e partout.
et (...in) PA CE IN SIN O (= sinu) D EL D e R ossi, C ’ est la foi catholique, dans laquelle est m ort le Cornes
Bullet., 1873, édit, franç., p. 82. A illeurs, surtout en H erila (t 462) : IN PA CE FIDEI || CATH OLICAE.
É gypte et en O rient, on rencontre assez souvent la
D e R ossi, Inscript, christ., t. i, p. 351, n. 807; celle
form ule qui rappelle M atth., vin, 11, εις κόλπους ou
que saint H ippolyte, au m om ent d ’ aller à la m ort,
έν κόλποι; Ά οβραάμ καί ’ Ισαάκ καΐ ’ Ιακώβ. K aibel, Ins- recom m ande à ses partisans schism atiques : Fertur...
cript. griec. Siciliæ, n. 189; Le B lant, Sarcophages catholicam dixisse fidem sequerentur ut omnes. Ihm .
chrétiens de la Gaule, p. xxm ; Inscript, chrét., t. n, op. cit., p. 42, n. 37. L a foi est encore appelée sainte,
p. 325, n. 5. Sur le sens de cette locution, qui peut
sancta fides, sur un m arbre de 369, D e R ossi, Inscript,
désigner et le ciel proprem ent dit et l ’ état interm é- christ., ί.ι,ρ. 108, n. 211; précieuse, pretiosa, à cause
diaircavant larésurrection, voir L eclercq, Dictionnaire des biens qu ’ elle procure. Ihm , op. cit., p. 11, n. 7.
d’arch. chrét., t. I, col. 1522 sq. ; K aufm ann, Jenseits- Elle est nécessaire. Sans la foi catholique on ne saurait
denkmâler, p. 69, 70. être un vrai m artyr, dit saint D am ase. Ihm , op. cil.,
A u ciel on trouve donc la vie, la paix, le repos, la p. 42, n. 37. D e la m artyre Zosim a le m arbre épigra ­
joie, le bonheur, le bien-être, le rafraîchissem ent, la phique dit : NAM FID E SERVA TA CURSU M CUM
lum ière, et tout cela pour toujours : semper, in teterno, PA CE PER EGIT. D e R ossi, Bullet., 1873, édit, franç..
in tevum, εις αιώνα. D u ciel est banni tout ce qui p. 75. Sur l ’ épitaphe d ’ un certain E utychius(f 3931
pourrait porter atteinte à notre félicité : ένθα άπέδρα
on lit ces m ots : .... In (Cà)RISTUM C RED EN S
οδύνη και λύπη καί στεναγμός , com m e on peut lire sur PREM IA LUCIS H ABET. D e R ossi, Inscript, christ.,
l ’ épitaphe de Schnoudi, de l ’ an 344. K aufm ann, Jen-
1.1, p. 180, n. 412. V oir t. in, col. 456. M ais à côté de
seitsdenkmàler, p. 68 sq. T out cela nous est accordé par la foi il faut les œ uvres. Q UA E TE SEM PER D EO
D ieu, par le C hrist. W ilpert, op. cil., p. 95 ; Führer, op. D ICASTI y ...SED PR O FA CTIS AD ALTA V O CARIS,
cit., p. 163, note 7. C ’ est là le sym bolism e des colom bes dit un m onum ent de 363. D " R ossi, Inscript, christ..
qui s ’ approchent du ou d ’ un vase dont le contenu t. i, p. 88, n. 159. C ’ est la conviction qui a guidé la
m ystique est indiqué par le m êm e m onogram m e noble gauloise Eugénie dont le m onum ent funéraire
placé au-dessus. X ystus, op. cit., t. nb, p. 13, etc. Ici il dit entre autres : Q UA E M ERETIS (sic) V IVIT...
n ’ v a plus de danger pour le bienheureux : A TTICE || Q UO M ELIU S SUPERA S PO SSIT A D IRE D O M OS.
D ORM I IN PA CE || DE TUA INCOLUM ITA TE || SE ­ Q U A E... PRO VID A LAUDANDUM SEM PER ELEG IT
C U RU S... D e R ossi, Bullet., 1894, p. 58. O PU S II PA SC ER E IEIUN OS G A UD ENS FESTINA
Pour entrer au ciel, il faut être du nom bre des CUCURRIT H E(su)R IEN (s e)PU(/as), O PA RA DISE
347 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 348

TU AS II CAPTIV OS O PIBU S V IN CLIS (laxavit ini­ papes à Saint-C alixte, un pèlerin du m e siècle dem ande
quis... Il M EN S INTEN TA BO N IS TOTO CUI TEM ­ à D ieu et à ses saints : ut V ericundus cam suis be ne
PO RE VITAE II, etc. Le B lant, loc. cit., t. n, p. 284, naviget. D e R ossi, Roma setter., t. n, p. 17 ; K aufm ann,
n. 543; Leclercq, Dictionnaire d'arch, chrtt., t. n, Handbuch, p. 255. U ne épitaphe de Pozzuoli rappelle
col. 2125. l ’ histoire du prophète Sam uel : C. N ON IU S FLAVIA ­
2. L ’espérance. — C ’ est la vertu qui ressort le plus N US. Il PLV RIM IS A N NIS O RA TION IBUS PETITUS.
des textes épigraphiques. Le plus ancien signe idéo ­ N ATVS, VIXIT A N N O U N O || M(ensibus) X I; IN
graphique qu'on y rencontre, c ’ est l ’ ancre, sym bole de CU IUS H O N OREM BASILICA HAEC A PA RENTIBUS
l ’ espérance. Le C hrist est le résum é de cette espérance, A D QU ISITA H CO NTECTAQ UE EST. Corp. insc. lai.,
ή κοινή ελπίς ημών, com m e l ’ appelle saint Ignace. Ad t. x, n. 3310-3311 ; D iehl, op. cit., p. 21, n. 98. U n m o ­
Philad., xi, 2. C ’ est l ’ idée que présente dès le n° num ent grec du in'-rv ” siècle term ine par la prière du
siècle l ’ ancre jointe soit au nom du C hrist ou à son lapicide : ’Ιησού Χ ρειστέ, βοήθι τω γράψαντι πανοικί.
m onogram m e soit au Poisson sym bolique. D e R ossi, Mon. lit., n. 2782. A illeurs, nous l ’ avons vu, on de ­
Bullet., 1888, p. 31, 35; Nuovo bullet., 1902, pl. vi, m ande la rém ission des péchés, la gloire du paradis.
n. 3; W ilpert, Prinzipienfragen, p. 70, 71, pl. i. C ’ est D e R ossi, Bullet., 1894, p. 58; K aufm ann, Jenscils-
encore ce que disent les très vieilles form ules épigra ­ denkmâler, p. 68. L ’ O rient surtout est riche en invo ­
phiques: SPES IN C H RISTO , SPES IN D EO C H RIS ­ cations de tout genre. La grande qualité de la prière,
TO . SPES IN D EO ET C HR ISTO EIU S, qu ’ on ren ­ c ’ est l ’ hum ilité, com m e le m ontrent les textes épi ­
contre sur des épitaphes, des anneaux, des verres graphiques suivants : A GA TIO SU BD (iacono) PEC ­
à fond d ’ or, etc. .Mon. lit., n. 3474, 3475, 3550, 3763; CA TO RI Il M ISERERE D (eus), M archi, Monumenti,
W ilpert, loc. cit., p. 81 ct note 3. N otons encore les p. 239; EU STA THIU S H UM ILIS PECCA TO R || TU QUI
trois textes suivants: QUI IN D EO C O NFIDIT, SEM ­ LEG IS O RA PR O M E ET H A BEA S D O M IN U M PR O ­
PER VIVET A ω ; FID E IN DEU (m ) ET A M BULA, || TEC TO R EM , Mon. lit., n. 3517; Criste, in mente
SI D EU S PR O N OBIS, Q U IS A DV ERSU S N OS; UNA habeas Marcellinu(m) peccatorem. K aufm ann, lland-
SPES SA LUTIS C HR ISTUS. Q UO D U CE M O RS buch, p. 252; Ippolyte in mente (habeas) || Petr(u)m
M O RITUR. C abrol, Dictionnaire d’arch. chrét., t. i, peccatorem. Mon. lit., n. 4403. D u reste, encore
col. 648, 652; D e R ossi, Inscript, christ., t. na, p. 107, dans d ’ autres circonstances les prem iers chrétiens
n. 55. La présence, sur des pierres de schism atiques, de prenaient le titre de pécheur. D e R ossi, Bullet., 1879,
l ’ une ou de l ’ autre de ces form ules n ’ infirm e que peu édit, franç., p. 163; M arucchi, Éléments, t. i, p. 248.
leur valeur. M onceaux, dans la Revue de philologie, C ’ est ce m êm e sentim ent d ’ hum ilité qui, dès la fin
1909, t. xxxiii, p. 119-136. du II e siècle, a dû les engager à prendre, à la suite de
3. L ’amour de Dieu. — Le précepte général est l ’ apôtre, le titre de δούλος ou δούλη θεού ’ Ιησού Χ ριστού,
rappelé par une inscription africaine trouvée à Sétif : de servus ou serva. D e R ossi, Bullet., 1888, p. 34,35;
D ILIG ES D O M IN U M DEUM EX (toto corde) || TUO . 1883, édit, franç., p. 86. Souvent aussi les chrétiens
EX TO TA ANIM A TUA ET EX TO T(a fortitudine tua). portaient des nom s, tels que les païens eux-m êm es
Corp. insc. lat., t. vm , n. 8620; D iehl, op. cit., p. 39, n ’ en auraient pas donné de plus injurieux, de plus
n. 202. U ne inscription d ’ A ndance, dans la V iennoise, I abjects. M ais il est difficile de dire, pour chaque cas
en fait connaître la récom pense : M O R || TEM PER - en particulier, dans quelle m esure le sentim ent
D EDIT (sic) — il s ’ agit d ’ un diacre du nom d ’ Ém ile — d ’ hum ilité les a inspirés. Cf. K neller, dans Stimmen
VITAM IN VE II N IT, Q U IA A UCTO REM VIT || AE SO ­ aus Maria-Laach, t. l x i i (1902), p. 171-182,272-286;
LUM D ILEX IT. Le B lant, Nouveau recueil, p. 149, Le B lant, L ’épigraphie en Gaule, p. 93-96.
n. 930. D e m êm e l ’ épitaphe de la vierge espagnole R attachons à ce qui précède une double pratique
Florentia: ...O BD ORM I || V ITIN PA CE JESU , Q UEM fréquem m ent attestée surtout depuis la paix de
D ILE II XIT. H iibncr, op. cit., p. 7, n. 21 ; W ilpert, Jung- l ’ Église. D ’ abord, celle de graver des signes religieux
frauen, p. 95. Pour l’amour du prochain, voir Vertus ou sym boliques, des acclam ations pieuses, des paroles
sociales et C o m m u n io n d e s s a in t s . de l ’ É criture, des prières form elies sur les objets d ’ un
4. La crainte de Dieu; la piété. — D eux autres usage com m un, pour les sanctifier et protégeret pour
m oyens de salut. La crainte de D ieu a inspiré une vie élever l ’ âm e à D ieu, par exem ple, le m onogram m e du
sage à un m arbrier chrétien du in* siècle dont il est C hrist, le signe de la croix, le poisson sym bolique sur
dit : Ν ικόστρατος ...διά τον || φόβον τού Θ(εο)ϋ σώφρονα des briques, des am phores, des anneaux, des verres,
βίον δι II άξας ... Mon. lit., n. 2780. Sur un m arbre de des lam pes, des entrées de m aison. C abrol, Diction­
M ilan le m ari survivant dem ande pour sa fem m e : naire, t. i, col. 14, 15; Leclercq, ibid., col. 2403 sq. ;
UT PA RAD ISUM LUCIS PO S || SIT V ID ER E jetil t. n, col. 1322, etc. ; Revue bénédictine, t. xxn (1905),
m otive sa prière: PA TREM ET FILIUM TIM U IT, QUI p. 429 sq. Sur une brique rom aine on lit: θεός βοηθός .
EAM SU SCIPI lUB ENT. Corp. insc. lat.,t. v, n. 6218; Rom. Quartalschrift, t. ix (1895), p. 507. D es corna ­
D iehl, op. cit., p. 27, n. 135. U n autre de 363 présente lines du V atican et de la collection Le B lant portent
la form ule suivante : ...TU US SPIR ITU S A CA RNE le m ot ΙΧ ΘΥ Ο . qui figure fréquem m ent sur des
RECED ENS || (est sociatu)S SA N CTIS PR O M ERITIS linteaux de porte, etc. Mon. lit., n. 4380, 4381. Sur
ET O PERA TA NTA £ || (qureque Deu)W M ETUISTI. la porte d ’ entrée d ’ une m aison num idienne on
voyait ces m ots : D O M IN E, PR O TEG E N OM EN
SEM PER Q UIESC IS SECU RA... D e R ossi, op. cit., G LORIO SUM . D iehl, op. cit., p. 39, n. 200. D eux
L i, p. 88, n. 159. U n m onum ent rom ain de la fin lam pes africaines présentent l ’ exhortation : D O N A TO
du n ' siècle affirm e expressém ent d ’ une certaine (im pératif) CO R M A GISTRO V ITA (e). Nuovo bullet.,
M aritim a qu ’ elle jouit au ciel de la eom pagnie du 1902, p. 244, 245. U ne autre portait : έγώ εΐμί
Poisson sym bolique, parce que sur cette terre elle άνάστασις . Mon. lit., n. 4387. A illeurs, en Syrie, on
s ’ est laissé guider par la piété : Ευσέβεια γάρ σή παν- lisait sur les m onum ents, sur des portes de m aison
τότε σε προάγει. D e R ossi, op. cit., t. lia, p. xxvi. des textes com m e les suivants : ’ Ιχθύς αλληλούια;
5. La prière. — Les form ules de prières sans nom bre Σώσον, κύριε, τον λαόν σου; κύρ(ιος ) φυλάξη την ίσοδόν
nous sont une preuve que la prière était en grand σου κα'. τήν έξοδον άπό τού νύν καί εως τών αίωνοιν.
honneur chez nos pères dans la foi. Ici on rend grâce ’ Α μήν (Ps. CXX, 8); Κ ύριε, βοήθι τό> οίκω τούτοι και
à D ieu pour des bienfaits reçus et on lui adresse des τοΐς οίκοϋσιν έν αύτώ. ’ Α μήν; El θεός υπέρ ημών, τις ό
louanges, là on lui dem ande de nouvelles faveurs pour καθ ’ ήμών; Δόξα αύτώ πάντοτε, etc. Revue bénédictine,
soi et pour les autres. Sur la paroi de la chapelle des t. xxn (1905), p. 429 sq.; M . de V ogüé, La Syrie
34!) E P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 350

centrale, Paris, 1865 sq., p. 82, 87, etc. D ans sa salle rents: SED Q UO NIAM N U LLA M A CU LA TU S SORDE
à m anger saint A ugustin fit placer l ’ inscription sui ­ R ECESSIT, II N U LLI FLEN DU S ERIT, Q UEM PA
vante : Quisquis amat dictis absentum rodere vilam | RAD ISU S H ABET, Le B lant, op. cit., t. Π , p. ό<· 7:
liane mensam indignam noverit esse suam. D e R ossi, SPES Æ TERN A TA M EN TREBU ET (sic) SOLACIA
Inscript. christ., t. na, p. 279, n. 4. V oir encore, pour LUCTU S II Æ TATES TEN ERA S Q U (o)D PA RA DISUS
ce paragraphe, D olger, ΙΧΘΥΟ, p. 243-257, 262-350. (Λ)ΑΒΕΤ. Corp. insc. lat., t. xm b (1905), p. 483.
U ne autre pratique consistait à s ’ engager par vœ ux n. 7652; Rôm. Quarlalschrifl, t. xxiv (1910), p. 86.
à une bonne œ uvre, pour s ’ obliger davantage et être N otons pour les adultes cette belle prière qu ’ on lit
plus agréable à D ieu : un haut personnage de sur une épitaphe égyptienne d ’ un certain Schnoudi,
l ’ A frique rom aine prom et de construire une basilique m ort en 344 et différent du grand saint copte du
et rem plit sa prom esse d ’ accord avec les siens. Corp, m êm e nom (331-451) : ...παν άμάρτημα || παρ ’ αύτοί
insc. lat., t. vin, n. 9255; D lchl, op. cil., p. 21, n. 99. (le titulaire) πραχθέν λόγω, ϊργω ή κα || τά διάνοιαν, ώ;
U n fidèle d ’ A quilée contribue au pavé de l ’ église. αγαθός , καί οιλάνθοωπος Θ εός , σνγ || χώρησον ότι ούκ
Corp. insc. lut., t. v, n. 1608; D iehl, op. cit., p. 22, δστιν άνθρωπος δς ζήσε || τα: καί ούχ ’ άμαρτησει. σύ γαρ
n. 103. La lin qu ’ on se propose, c ’ est la gloire de D ieu, μόνος Θεός || καί πάσης αμαρτίας εκτός ύπάρχεις . K auf ­
l ’ honneur des saints, et surtout le salut éternel, PR O m ann, loc. cit., p. 68 sq.
SA LU TE SUA ET O M NIUM SU ORU M . Corp.insc.lat., 2° Vertus familiales. — Le m ariage chrétien, nous
t. v, n. 1600; D ichl, op. cit., p. 23, n. 108,109. l ’ avons vu, se distingue par la sainteté et la pureté de
6. La fuite du monde. — Le m onde est un obstacle l ’ union, la paix et l ’ am our m utuel des époux, la vie
à notre salut. M ieux vaut y passer le m oins longtem ps de fam ille, par l ’ am our entre les parents et les enfants.
possible, com m e cette fille dont il est dit : ...A D EO Les m anifestations en sont tellem ent m ultiples qu ’ il
BfrelVIUS VIXIT IN SEC OLO (sic), UT SAN CTIOR est inutile d ’ entrer dans des détails. Leclercq, Dic­
M IG RA RET AD (Dominum)... CUI H OSTIA EST D E- tionnaire d’arch. chrét., t.n, col. 1020-1045. N otons ici
CAT h(dicata). Corp. insc. lat., t. v, n. 8958; D iehl, un seul point : le soin de beaucoup de parents d ’ offrir
op. cit., p. 26, n. 126. Le m onde est faux. U ne cer ­ et de consacrer de bonne heur:· leurs enfants à D ieu et
taine M androsa se félicite d ’ v avoir échappé: TRAN ­ à ses saints. Saint Paulin de N oie, Poem., xxt, 66 sq.,
SEG I Il FA LSI SECU LI VITAM . D e R ossi, Inscript, 314 sq., P. L., t. i . x i , col. 574, 584, et Prudence.
christ.,t. i,p. 392, n. 882. A u m om ent de la m ort on Peristeph., u, 521-521. P. L. t. l x , col. 330. nous
quitte ses illusions : χόσιιου πλάνη· / προλιπών. K aibel, attestent cet usage qui est confirm é par les m onum ents.
Inscript. græc., n. 463. E n le fuyant on se garantit Sur un m arbre du L atran. p. vm , n. 14, on dit d ’ un
la possession du ciel, com m e le dit l ’ inscription du certain Prætextus âgé de 9 ans : N U TRICA TU S D EO,
pape C élestin à Sainte-Sabine : ... Q UI BON A V ITÆ || C RISTO(sïc), M A RTU RIBU S(sic). D e R ossi, Bullet..
PR Æ SEN TIS FU G IEN S M ERU IT SPEPA R E FU TU ­ 1877, édit, franç., p. 29.
RA M , D e R ossi, Inscript. christ., t. na, p. 24, n. 27; 3° Vertus civiques. — Les prem iers chrétiens n ’ ou ­
ou encore cette autre : Q UINTILIAN US· · · || AM ANS bliaient pas leur patrie terrestre. A bercius, au n '
CASTITA TEM || R ESPU ENS M UNDUM || R EQU IES ­ siècle,célèbre sa petite ville natale qu ’ il appelle ίχλεκτη.
C ET... Leclercq, Dictionnaire d’arch. chrél., t. n, χρηστή πόλις , et il se souvient de la caisse m unicipale,
col. 2576. E n pratique, il faut donc suivre le conseil quand il fixe l'am ende à payer par ceux qui viole ­
de saint C yprien, De habitu virginum, c. xxn, P. L., raient son tom beau. O n était bien loin de refuser par
t. iv, col. 462, qui se retrouve égalem ent sur une très principe les charges m unicipales, les places officielles.
ancienne épitaphe d ’ A utun : PER SÆ CULUM SINE L ’ épigraphie nous fournit des nom s de consuls, de
SÆ CULI CO NTAG IO NE TRAN SIV IT. Le B lant, préfets, de sénateurs, de hauts fonctionnaires à la
op. cit., t. i, p. 26; t. n, p. 603; D e R ossi, Bullet., cour, d ’ officiers supérieurs. D e R ossi, Ballet., 1888,
1892, p. 16. Cf. plus haut. p. 54; M arucchi, Éléments, t. i, p. 157,160; D e R ossi,
7. La pureté. — Elle nous assure la vie éternelle, Inscript. christ., t. I, p. 64, n. 101. U n certain
com m e l ’ indiquent plusieurs textes du iv ' siècle: Fl. U rsicianus a été M ILITA NS IN O FFICIO M A ­
INTEG ER A D QU E (sic) PIU S VITA ET C OR PO R E G ISTRI. M usée du L atran, p. xn, n. 10; Perret,
PU RU S H Æ TERN O HIC PO SITU S VIVIT C O N CO R ­ op. cit., pl. 36, n. 116; Le B lant, op. cil., t. i, p. 323,
D IUS Æ VO , K aufm ann, Jenseitsdenkmâler, p. 98; n. 223. U n curator civitatis est nom m é sur un m arbre
CASTU LA ... Il PR O PER . || A NS. K ASTITA . || TIS. SU- de B olsène de 376. Leclercq, Dictionnaire d’arch.
M E y RE. PREM I || A. DIGNA || M ERU IT || IM M A R- chrét-, t. n, col. 991. D ’ un certain Felicissim us il est
C(ess)IB H ILE(m ). CORON A(m ) Il PERSEV ER A || N TI- dit : ... M ILITAVIT A NN (os) XXXVI IN O FF(fefo)
BUS. TRIBU H ET. D EUS GR || A TIA (m). IN PA CE, VICARII INLIBATU S. Perret, op. cit., t. vi, p. 162.
W ilpert, Jungfrauen, p. 49; D A TILLÆ .. || CU IU S Les titres des (lam ines m unicipaux ou de sacerdotes
ANIM AM PR Ô CASTO SA N (c)TO (vitæ proposito) || provinciæ, titres dépouillés de toute com prom ission
N EN O (= nemo) DUBITA(Z) CŒ LUM PE(tiisse). D e avec l ’ idolâtrie, se retrouvent encore plus tard. D e
R ossi, Inscript. christ., t. i, p. 320. n. 737. L ’ ins ­ R ossi, Bullet., 1878, édit, franç., p. 28-40. « L ’ oppo ­
cription africaine d ’ Euelpius, du n i' siècle, appelle sition entre les devoirs du chrétien et ceux du
les chrétiens FR ATR ES PU R O CORDE ET SIM PLICI. citoyen paraît n ’ avoir pas été soupçonnée; on aim ait
R enier, Inscript. romaines de l’Algérie, p. 489, sa ville natale; on se plaisait à rappeler les charges
n. 4025; Mon. HL, n. 2808. qu ’ on y avait exercées; on confiait à ses archives la
8. Le péché. — II est le grand obstacle à notre salut. copie de son testam ent ; on se souvenait de son budget
U ne épitaphe rom aine nous en donne la raison : Nam qu ’ on instituait son héritier éventuel. La conserva ­
IUSTÆ mentes foventur luce cælesti. X ystus, op. cil., tion du m onum ent funéraire rentrait dans le m êm e
t. n a, p. 103. C ’ est pourquoi les enfants m orts ordre d ’ idées à peine m odifiées par le christianism e. ·
en bas âge entrent directem ent au ciel : (Euse)- V oir les preuves m onum entales données par dom
BIUS IN FAN S PER Æ TATEM SEN E( = sine)PECC A Leclercq, Dictionnaire d ’arch. chrél., t. i, col. 8θ.
(to II acc)ED EN S AD SA NCTORU M LOCUM (= le Saint.Clém ent de R om e nous avertit qu ’ on prie pour
ciel) IN PA || (ce qui) ESCIT, D e R ossi, Bullet., 1875, ceux qui détiennent le pouvoir. A u tem ps de Justi ­
edit, franç., p. 30 sq.: Nuovo bullet., 1904, p. 81; nien on pouvait lire sur l ’ architrave de la port,
M A G US, PU ER IN NO C EN S, ESSE IAM IN TER principale de Spalato :+ D EU S N OSTER + PR O ­
IN NO CENTES C Œ PISTI. M usée du L atran, p. ix, PIT IU S ESTO + H REI PU BLICÆ RO M A N Æ . D iihl,
n. 31. C ’ est là une grande consolation pour les pa ­ op. cit., p. 39, n. 199. Le prêtre Silvius édifie un
351 É P I G R A Ρ1Π E C H R É T i E N N E 352

sanctuaire et v dépose des reliques : A ED IFICAV IT Dictionnaire d’arch. chrél., t. i, col. 1295-1299; t. n,
O PU S, SA N CTO RU M PIGN ORA C O ND EN S || PRÆ - col. 1046.
SID IO M A G N O PA TRIA M PO PU LUM Q U E FIDELEM . Les relations entre les m aîtres et les serviteurs sont
A llegranza, op. cit.. p. 80; Le B lant, op. cit., t. n, inspirées par la charité. Q uelques très rares colliers
p. 221. d ’ esclaves,et l ’ une ou l ’ autre épitaphe rappellent cette
■1° Verius sociales. — La charité est le résum é des institution sociale. D e R ossi, Ballet., 1863, édit, ita).,
vertus sociales. Les chrétiens la pratiquaient dans une p. 25 sq.; 1874, édit, franç., p. 41-42; K raus, Real-
m esure inconnue jusqu ’ alors, de sorte que les païens Encyclopâdie, t. n, p. 762, 763. Si on n ’ a pas tout de
eux-m êm es en étaient dans l ’ ad«iiration. T ertullien, suite aboli l ’ esclavage, les m axim es de l ’ Évangile pé ­
Apologet., c. xxxix, P. L., 1.1, col. 534. nétraient de plus en plus dans la pratique. Par l ’ épi ­
D ’ abord vis-à-vis de leurs coreligionnaires. Sur taphe du diacre Severus (f vers 300) nous apprenons
un certain nom bre de m onum ents des trois prem iers que sa sœ ur était D ULCIS PA REN TIBU S FA M U ­
siècles, ils se donnent le nom de frères, /ralres, αδελφοί, LISQU E. D ’ un autre chrétien on dit : BLAN DU S
ou d’amis, φίλοι, par exem ple, sur celui d ’ A bercius ERAS SER VIS. Le B lant, op. cit., t. n, p. 122, 123.
du n® siècle, sur celui d ’ E uelpius du ni® et sur A illeurs, les serviteurs et esclaves partageaient la sé ­
plusieurs autres. Mon. lit., p. cxx-cxxi. A R om e, un pulture de leurs m aîtres. Parfois les serviteurs rendent
défunt interpelle ses coreligionnaires et leur donne eux-m êm es tém oignage à la grande bonté de leurs
le nom de FR ATR ES BON I. Mon. lit., n. 3446. patrons : sur un sarcophage de l ’ année 217, un cer
La com m unauté chrétienne est une église de frères, tain Prosenes, revêtu de beaucoup de dignités, est
ECCLESIA FRATRUM . Mon. lit., n. 2808. A illeurs, appelé PA TR ON US PIISSIM U S. D e R ossi, Inscript,
t. m , col. 455 sq., nous avons vu com m ent cet am our christ., t. i, p. 9, n. 5. Sur un m arbre du m ® siècle
se m anifeste en pratique. trouvé à Sainte-A gnès on lit : CAEL · PLACID O ·
C et am our, les prem iers chrétiens le pratiquaient EV OK (ato) H PLA CID A FILIA · ET || PECU LIU S · LIB.
encore vis-à-vis de ceux qui ne partageaient pas leur (=liberlus) PA TR O NO || D U LCISSIM O . Rom. Quar-
foi. A ce sujet l ’ épigraphie fournit égalem ent cer ­ talschri/l, t. xvn (1903), p. 90. U n m onum ent gaulois
taines indications bien précieuses. Souvent elle se de 501 m entionne m êm e l'affranchissem ent d ’ un
sert de form ules plus générales qui indiquent une cha ­ esclave PR O RED EM PTIO NEM (sic) A N IM A E SU AE,
rité, une am itié qui ne fait exception pour personne. c ’ est-à-dire du m aître. C ette façon d ’ agir vis-à-vis
V oici quelques textes : RUTA O M NIBUS SU BD ITA des esclaves n ’ était pas seulem ent un acte d ’ hum anité,
ET A FFA BI || LIS (n'-iii® siècle). Mon. lit., n. 3098. m ais surtout l ’ accom plissem ent du précepte évan ­
D 'un chrétien rom ain du m ® siècle on dit : TTACIN gélique et une garantie de m iséricorde de la part du
Φ ΙΛ ΟΟ KE (= * al) Ο ΥΔΕΝΙ ex© PO C ; les m êm es souverain juge. Le B lant, op. cit., t. n, p.6-8, n. 374.
form ules en grec ou en latin se retrouvent sur plu ­ P ou r la bibliographie très étendue su r l ’ inscription d ’ A ­
sieurs pierres du m ® siècle. Leclercq, Dictionnaire bercius. nous renvoyons Λ l ’ article A b e r c i u s , t. I, col. 57,
d’arch. chrit-, t. n, col. 1050. Le côté négatif de la aux indications supplém entaires du P . X ystus (S caglia),
charité est plutôt exprim é sur le m onum ent d ’ un Notiones archœologiœ christianœ, t. U b, p. 358 sq., et Λ la
certain H erm ogène : μηδί || να λύπησα;, μηδέ || va προσ- brochure d e L üdtke et N issen, DicGrabschrift des Aberkios,
κρούσας . Mon. lit., n. 3352. Puis c ’ est la charité en ­ L eipzig, 1910. L es articles de revue ne sont cités ici que
d ’ une m anière except ionelle. O bservons encore que depuis
vers les pauvres qu ’ on relève. L ’ épitaphe du lecteur
une dizaine d ’ années la Revue d ’histoire ecclésiastique de
C inam ius O pas (f 377) l ’ appelle amicus pauperum. L ouvain et la Rômische Çuartalschrift (p ar la plum e de
Le m êm e titre est donné à un hom m e de la classe ou ­ M " K irsch) rendent régulièrem ent com pte, sous une
vrière; sa fem m e est appelée amairix paupeorum (sic). ru b riq u e spéciale, des dernières publications épigra ­
D e R ossi, op. cit., t. i, p. 124, n. 262; p. 42, n. 62. Sur phiques.
d ’ autres pierres de la m êm e époque nous trouvons les A llegranza, De sepulcris Christianorum in cedibus sacris.
qualificatifs : pater pauperum (pauperorum) (cf. Job, Accedunt inscriptiones sépulcral, christ., M ilan, 1773 ; A llem er
xxix, 16), pauperibus locuples, sibi pauper, parcus etT errebasse, Inscriptions antiques et du moyen âge de Vienne
apum nulli, largus et ipse... C æsar, Observationes, en Dauphiné. 1875 sq. ; Anthologia greeca carminum Christia­
norum, par VV. C hris et M . P aranikas, L eipzig, 1871; Anlho-
p. 48, 49. Cf. Le B lant, op. cit., t. n, p. 23, n. 386; logia latina, cf. B üchcier et Ih m ; P . A pianus et B . A m an ­
p. 59, n. 407 ; p. 122, n. 450. Q uelques prêtres de tiu s, Inscriptiones sacrosancta: vetustatis, In g o lstad t.
l ’ A sie-M ineure reçoivent des éloges particuliers. 1534 ; A ring h i, Roma subterranea novissima, 2 vol., R om e,
X ystus, op. cit., t. lia, p. 270 sq. O n avait, en 1651 (1659); trad , allem ande de B aum ann, Abgebildetes,
effet, une haute idée de la charité et de l ’ efficacité unterirdisches Rom,.., A rnhcim , 1668; A rm cllini, Il cimitero
de l ’ aum ône, com m e le tém oigne cette inscription di S. Agnese sulla via Nomentana. R om e. 1880 ; Id., Gli anti­
de la fin du iv® siècle, qui se trouvait à l ’ entrée chi cimiteri .-rsitiani di Roma e d'Italic, R om e, 1893; Id ,
d'une église africaine : CLA USU LA IUSTITIA E EST : Lerioni di archeoloqia c. istiana. R om e, 1898; A tzbergcr,
IIM ARTYRIUM V O TIS O PTAR E; || H ABES ET ALIAM Geschichte dtr christlichen Eschatologie innerhalb der vor-
niriinis.'hen Zeit. F rib o u rg - e n - B risgau, 1896, p. 619-630:
SIM ILEM : AE || LEM OSIN AM V IRIBU S FA CERE. B atiffol, La littérature grecque, P aris, 1897, p. 114-124;
D e R ossi, Bullet., 1894, p. 94; D iehl, op. cit., p. 30, B ayet. De titulis Atticœ Christianis antiquissimis commen ­
n. 150. A illeurs on m entionne les soins donnés aux tatio historica et epigraphica, P aris. 1878; B ecker, Roms
captifs, par exem ple, sur le m onum ent de la gau­ altchristl. Cœmeterien. D usseldorf. 1874; Id.. D i» Inschrif-
loise E ugénie: CAPTIVO S O PIBU S V IN CLIS LAXA ­ ten der rômischen Cœmeterien, 1876; Id ., Die Darstellung
VIT IN IQ UIS. Le B lant, op. cit., t. n, p. 284, n.543; Jcsu Christi unterdem Bild? des Fisches. 2 e éd it., G era, 1876;
Id.. Die heidnische Wetheformel D M (s). D is m a n i b u s scil.
Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. n,
s a c r u m auf altchristlichenGrabsteinen, G era. 1881 ;B em as-
col. 2125. coni, Le antichi lapidi ertstiane di Como. C ôm e.l 861 :B ertoletti,
D ès l ’ origine la nouvelle religion prit soin des Spicilegio epigrafico modenese (supplém ent aux travaux de
enfants abandonnés. Nuovo bullet., 1901, p. 243, n. 14. C avedoni), M odène. 1877: B ertoli. Le antichità d'Aquileia.
A ce sujet on pourrait citer les m onum ents provenant V enise. 1739. B esnier. L es catacombes de Rome. P aris. 1909;
des plus anciennes parties de Sainte-Priscille.. Il en cf. C agnat; B eurlie,. Épitaphes d ’enfants dans Lépigraphie
résulte qu ’ on les traitait com m e scs propres enfants, chrétienne, dans Société nationale des antiquaires de France.
qu ’ on avait soin de leur éducation, de leur sépulture, Centenaire. 1804-1904, Recueil de Mémoires. P aris. 1901:
B ianchini. Demonstratio hisloriæ ecrles. quadripartita· com ­
etc. L ’ expression de la reconnaissance des alumni probatas monumentis perlinentibus ad fidem temporum et
pour les parents adoptifs revient assez fréquem m ent gestorum. R om e. 1752-1754 : B ilczew ski. Arrheologia rhrzcs-
sur les épigraphes. V oir, pour le détail, Leclercq, cianska tvobec historgi i dogmalu (L’archéologie chrétienne
353 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E

et ses rapports avec Γ histoire ecclésiastique et le dogme), 1 Inschriften der Schweiz uom iv-rx Janrhundcrt. dans Mit-
C racovie, 1890; B interim , voir P ellicia; B lam pignon, De teilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zürich, t. x x iv ,
S. Cypriano et de primœva Carthaginiensi ecclesia, P aris, 1, Z urich, 1895; E h rh ard , Zur christlichen Epigraphi .
1862; de B oissieu, Inscriptions antiques de Lyon, L yon, dans Thcologische Quartalschrifl deT ubingue. t. l x x i ( LS ‘ ·
1846-1854; B oldetti, Osseruazioni sopra i cimiteri de santi I p. 179-208 ; F ab retti, Inscriptionum antiquarum, qua <·.
martiri edantichi cristiani di Roma, R om e, 1720; B onanni ! œdibus paternis asservantur, explicatio, R om e,1699 ; 2 'cd it.,
et M irabella, Delle antiche Siracuse, 2 vol., P aïen n e, 1717; j 1702; F icker, Die altchrisllichen Bildtvcrke im christlichen
B osio, Roma sotterranea, édit. S everano, R om e, 1632; un i Museum des Laterans, L eipzig, 1890 (passim ); F leetw ood.
résum é du grand ouvrage p aru t à R om e, 1650; B ottari, Inscriptionum antiquarum sylloge, L ondres, 1691 ; F orce L a
Roma sotterranea, 3 vol., R om e. 1737, 1747, 1754; cf. Dic­ et S elctti, Iscrizioni cristiane in Milano anteriori al /x scc· .' .,
tion. d'arch. chrét., de dom C abrol, t. u , col. 1096 sq. ; B otti, C odogno, 1897; F ührer, Forschungen zur Sicilia snttcr-
L e iscrizioni cristiane d'Alessandria, dans le Bessarione, ranea, dans Abhandlungen der K. bayerischen Akadcmie
1900, fasc. 47-52 ;B ru n ati, Musœi Kircheriani inscriptiones der Wissenschaften, I C lasse, t x x , sect, m , 1897, p. 673-
ethnica et Christiana, M ilan, 1837 ; B ruzza, Iscrizioni antiche 862; F ü h rer et S chultze, Die allchristlichen Grabslatten
di Vercelli, R om e, 1874; B ücheler, Anthologia latina, pars Siziliens, dans Jahrbuch des Kaiscrl. Deutschen Archuol.
posterior : carmina latina epigraphica, L eipzig, 1895-1897 ; Instituts, v u ° supplém ent, B erlin, 1907; G arrucci. Me­
B ulic, Inscriptiones, quæ in C. R. musco archeologico Sa- langes d'épiyraphie ancienne, 2 livr., P aris, 1856, 1857;
lonitano Spalati asservantur, pars tertia (inscriptions chré ­ G azzera, Delle iscrizioni cristiane antiche del Piemonte e
tiennes), S palato, 1888; Id.» nom breux articles dans le dell’ inedita epigraje di Rustico, uescovo di Torino, T urin,
Bulled ino di archeologia e storia dalmata; B uonarruoti, 1349; Appendice, 1850; G enér, Theologia dogmalico-scholas-
Osseruazioni sopra alcuni frammenti di uasi anlichidi uetro tica... sacræantiquitatis monumentis illustrata, 6 vol., R om e,
ornali di figure, trouati ne' cimiteri di Roma, F lorence, 1716; 1767-1777; G ensichen, De Scriplurœ sacræ vestigiis in in­
B urm ann, Anthologia ueter. lutin, epigr. et poematum, scription. lut. christ. (D iss.), G reifsw ald, s. d. (1910); di
A m sterdam , 1759; C abrol, Dictionnaire d'archéologie chré­ G iovanni, L ’archeologia crisliana in sostegno della teolo-
tienne cl de liturgie, P aris, 1903 sq. ; C abrol et L eclercq, gia e dell' apologetica, dans II monitore ecclesiastico di
Monumenta Ecclesia liturgica, P aris, 1902, t. i, p. x cn - Monrcale, 1894, fasc. 9-10; G ori, Inscriptionum antiqua­
c l i i , ccn -ccx v , 1*-103 · , 154*-190*; C æ sar, Obseruationes rum Græcarum et Romanarum, quæ in urbibus Etruria ex­
ad œtatem titulorum latinorum Christianorum definiendam stant, paries 1res, F lorence, 1726-1743; Id., Xenia epigra­
spectantes, B onn, 1896; C agnat et B esnier, Reuue des pu­ phica. lén a, 1755; Id., Thesaurus ueterum diptychorum.
blications épigraphiques, dans la Reuue archéologique, 3 vol., F lorence, 1759; Id., cf. D oni; G reeven. Die Sigten
P aris, 1902 sq. ; C ardinali, Iscrizioni antiche Veliterne D. M. auf allchristlichen Grabschriften und ihre Bedeuhm
illustrate, R om e, 1823; C arton, Découvertes archéologiques R h ey d t, 1897; G regorutti, Le antiche lapidi di Aquile··:,
et épigraphiques faites en Tunisie, P aris, 1895; C astello, T rieste, 1877; Id.. Iscrizioni inedite, d an s Arche···?? jo
cf. T orrem uzza; C avedoni, Ragguaglio storico archeologico
di un antico cimitero cristiano scoperlo nette uicinanze di triestino, 1879-1880 ; G ruter, Inscriptiones antiques totius r-
Chiusi, M odène, 1852; Id., Ragguaglio storico archeologico bis Romani in corpus redactæ, 2 vol., H eidelberg. 1603;
di due antichi cimiteri cristiani della ciltà di Chiusi, M o· 2 e édit, par G ræ vius, 4 vol., A m sterdam , 1707; G sell,
déne, 1853 (1854); Id., Annotazioni al fasc. 2 del vol.iv Recherches archéologiques en Algérie, P aris, 1893; G uasco,
dei C. I. G., M odéne, 1860, etc. ; cf. C abrol, Dictionnaire. Musœi Capitolini antiquæ inscriptiones, R om e, 1775;
t. n , col. 2706 sq. ; C hurch, Zur Phraséologie der laleinis- G udius, Antiquæ inscriptiones quum græcœ tum latina·,
chen Grabinschriften, dans VArchiu fur lateinische lexico­ L eeuw arden, 1731 ; H ettn er, Die Rômischen Steindenkma.’ - r
graphie, M unich, 1901, L x n , p. 215-238; Id., Beitrage zur des Provinzialmuseums zu Trier, T rêves, 1893. p. 141-179
Sprache der lateinischen Grabinschriften, ibid., 1901; C iam - Christliche Grabdenkmaler; H iller de G æ rtringen, Inscrip­
pini, Vetera monimenta, 2 vol., R om e, 1690-1699; Corpus : tiones græcœ insularum maris Ægœi, fasc. 1 et 3, B erlin. 1895-
inscriptionum græcarum, parB œ ckh, F ranz C urtius, K irch ­ 1898; fasc. 2, éd it P laton. 1899; H übner. Inscriptiones
hoff, 4 vol., B erlin, 1825-187 7, su rto ut le fasc. 2 du Britanniœ christianæ, B erlin, 1876; Id.. Inscriptiones IIis-
t. iv, dans le N ouveau Corpus; cf. K aibel et H iller von paniœ christianæ, B erlin, 1871 ; Supplementum (ad Inscr
G æ rtringen; Corpus inscriptionum latinaram, B erlin, IIisp. christ.), B erlin, 1900; Id., Exempla script, epigraph,
1863 sq .; en particulier, t. n i (A sie, G rèce Illyrie); lat., B erlin, 1885; lacuzio (lacu tiu s), De epigrammate SS.
supplém ents, 1873 et 1899 sq. ; t. v (G aule cisalpine), 1872, Bonusœet Mennæ, R om e, 1758; Ihm , Damasi epigrammata
1877; avec supplém ent, 1884; t. v m (A frique), 1881; sup ­ (Anlhol. lalinæ supplementa, t. I), L eipzig, 1895; Id.. D ie
plém ents, 1891, 1894; t. ix (C alabre, F ouille, etc.). 1883; Epigramme des Damasus, dans Rhein. Museum, 1S95,
t. x (B ruttium , Sicile, etc.), 1883; t. x i (É m ilie, É tru - p. 200 sq. ; Jalab ert, art. Épigraphie, dans le Dictionnaire
rie. etc.), 1888; t. x n et x m (G aules, G erm anie), 1888, apologétique de la foi catholique de d ’ A lès, P aris, 1910. 1.1.
1899; t. xiv (L atium ), 1887; t. xv (R om e : Instrumentum col. 1404-1457; Id., dans Recherches de science religieuse,
domesticum), 1891, 1899; C orsini, Nolte Grœcorum, F lo- I P aris, 1910, p. 68 sq. ;1 9 1 1 ,p. 59 sq. ; Jorio,Dichiarazionedi
ronce, 1749 (avec dissertations à la suite); C rum , Coptic ; alcune iscrizioni perlin. aile catacumbe di san Gennaro,
monuments, dans le Catalogue général des antiquités égyp- ' N aples, 1839; Jullian, Inscriptions romaines de Bordeaux,
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C utnont, l es inscriptions chrétiennes de Γ Asie-Mineure, græcœ Siciliæ et Italiæ, additis græcis Galliæ, Hispaniœ,
dans Mélanges d'archéologie et d'histoire de Γ École fran­ Britanniœ, Germanise inscriptionibus, Berlin, 1S00; Kaut-
çaise de Rome. t. xv (1895), p, 245-299; D anzetta, Theo­ inann. Die sepulkralen Jenseitsdenkmaler der Antike und
logia lapidaria, id est, inscriptiones ad theologiam, disci­ des Urchri stent hums, M ayence, 1900; Id., Handbueh der
plinam et ritus perlinentes, C od. V atie. 8324 ; cf. D e R ossi. christlichen Archœolog ie, P aderb orn , 1905. p. 191-274: Id.
Inscripl. christ., t. i, p. x x i· ; D elattre, L'épigraphie chré­ Manuale di archeologia crisliana. R om e. 1908; Id.. Inscrip­
tienne à Carthage, dans Compte rendu du Congrès scienti­ tions, Early Christian, dans Catholic Encyclopedia, N ew -Y ork.
fique international des catholiques, P aris, 1891, sect. 1910, t. v m , p. 42 sq. ; K irsch, Les acclamations des épi­
Sciences religieuses, p. 134-157; Id., Musée Lavigerie de taphes chrétiennes de l'antiquité et les prières liturgiques
Saint-Louis de Carthage, Partie chrétienne, P aris, 1900; pour tes défunts, dans Compte rendu du quatrième Congrès
nom breux articles sur l ’ épigraphie chrétienne dans les
scientifique international dee catholiques, x® section. F ri ­
Missions catholiques, ]e Cosmos, la Revue tunisienne, etc.; bourg, 1898, p. 113-122; Id., Die Acclamationen und Gcbete
voir le détail dans C abrol. Diction, d'arch. chrét., t. n,
col. 2327 sq. ; D iehl. Lateinische christliche Inschriften,
der altchristlichen Grabschriften, C ologne. 1897; Id., Die
dans Weine Texte fur theolog. und pfiBolog. Vorlesungen
christliche Epigraphik und ihre Bedeutung fur die kirchen-
und Untersuchunçen, de L ietzm ann. fasc. 26-28. B onn, geschichlliche Forschung, F ribourg, 1898; K lingenberg,
1903; D ôlger. IX O Y C .D .7s Fischsymbol in frühchristlicher Die rômischen Grabdenkmaler K oins (§ 7 , L es m onum ents
Zeit. t. i, Religlonsgeschichtliche und epigraphische Unter- chrétiens), dans Jahrbuch des Vereins von Altcrthums-
sitchungen, R om e. 1910; D oni. Inscriptiones antiquæ freunden im Rheinland, t. ev in -eix (1902). p. 80 sq .;
rum natis, édit. G orius, F lorence, 1731 ; D um ont, K oum anoudis, Έ π· .γο«?αι ’ Λ ττιχής te tra o · , A thènes, 1871;
Inscriptions de Thrace, dans Archives des Missions scien­ K raus, Roma sotterranea, 2 e éd it., F ribourg-en-B risgnu,
tifiques. P aris. 1876: Id., Mélanges d'archéologie et d'épi- 1879, p. 431-485; Id., Real-Encyklopad iederchristlichen . ‘ L
graphie, édit. H om olle, P aris, 1892; E gh. Die christlichen tcrthümer, 2 vol., ibid.. 1882-1886; surtout t. ir, p. 39-5S ;
D ÎC T . Π Η T H E O L . C A TH O L V . - 12
355 É P IG R A P H IE C H R É T IE N N E 356

Id .. Die christlichen Inschriften der Rheinlande, F ribourg- 1901 sq., passim ; Id., nom breux articles épigraphiques dans
en-B risgau. 1890-18 94 (su rto u t t. i); K ü n stle,D ie alt- la Revue archéologique, 1902 sq.-.dans la Revue de philologie,
chrisllichen Inschriften Afrikas als Quelle fur christl. Ar- t. x x x iii (1909), p. 112-161 (sur l ’ épigraphie donatiste);
chüologie und Kirchengeschichte, dans Thcologlsche Quar; dans Mémoires présentés à Γ Académie des inscriptions et
talschrift de T ubingue, t. l x v i i (1885). p. 58 sq .,4 1 5 sq.- belles-lettres, t.x n (1907), p.161-339. etc.: Monumenta litur-
L e B as et W addington, Voyage archéologique en Grèce el gica, cf. C abrol et L eclercq; M orcelli. Commento αΙΓ iscri-
en Asie Mineure, IF p artie: Inscriptions grecques el la­ zione sepolc.rale della S. marlire Agape, B rescia, 1795; ld.,
tines, t. m (1870); L e B as, Inscriptions grecques el latines De stylo inscriptionum latin., R om e, 1781 ; Id., Opera epi-
recueillies en Grèce par la Commission de Morée, 3 (asc., graphica, P adoue, 1819 sq., t. i-in ; M üller, Christliche
P aris, 1835-1837; Id., Inscriptions des îles de la mer Égée, Inschriften, d an s Ia Realenzyklopadie fur protestantische
P aris, 1839; L e B lan t, Recueil des inscriptions chrétiennes Théologie und Kirche, 3 e édit., L eipzig, 1900, p. 167-183;
de la Gaule antérieures au vu P siècle, 2 vol., P aris, 1856, Id., De latinitate inscription. Galli œ Christianarum ( D iss.),
1865; Id ., Nouveau recueil des inscriptions chrétiennes de la s. d. ; M uratori, Novus thesaurus veterum inscriptionum, M i ­
Gaule, P aris, 1892: Id., Sur les graveurs des inscriptions lan, 1739-1742; N icolai, Delia basilica di San Paolo, R om e,
antiques, P aris, 1859; Id., Manuel d’épigraphie chrétienne 1815(inscr. chrét. de S aint-P aul): N orthcote, Epitaphs of
d’après les marbres de la Gaule, P aris, 1869; Id ., I.’épi- the catacombs or Christian inscriptions in Rome during the
graphie chrétienne en Gaule et dans Γ Afrique romaine, first four centuries, L ondres, 1878, la 2« édition figure
P aris, 1890; Id., Paléographie des inscriptions chrétiennes com m e supplém ent à la 2 e édit, de sa Roma sotterranea,
du ni9 siècle à la fin du vu9, dans la Revue archéologique, L ondres, 1879; O derici, Dissertaziones et adnotationes in
3· série, t. x x ix , p. 177 sq., 345 sq .; t. x x x , p. 30 sq., aliquotined. vet. inscriptionum, R om e, 1765; ld ., Sylloge
p. 171 sq . ; t. x x x i, 172 sq .; p aru séparém ent, P aris, veterum inscriptionum, R om e, 1765; O lcott, Thesaurus
1897 ; Id., 750 inscriptions de pierres gravées inédites ou peu linguæ latinæ epigraphicœ (A dictionary of the latin in­
connues, dans les Mémoires de ΓInstitut national de France, scriptions), R om e, 1904 sq. ; O livieri, Marmora Pisau­
P aris, 1898, t. x x x v i (p. 121-133, in scrip t.ch rét.); L eclercq, rensia nolis illustrata, P esaro, 1738; O rsi, plusieurs
très nom breux articles d an s leDict. d'arch. chrétienne, cl. C a- articles avec 361 inscriptions dans Notizie degli scavi, 1893,
b ro l; Id., L*Afrique chrétienne, P aris, 1904, t. i. appen ­ 1895, et dans Romische Quarlalschrifl, t. x (1896); O sann,
dice, j). 381-432; Id., Mélanges d ’épigraphie chrétienne, Sylloge inscript, antiquar. græc. cl latinar., L eipzig, 1834;
dans la Revue bénédictine, M aredsous, 1905, t. x x n , P asquini, Ragguaglio di un antico cimitero di cristiani in
p. 65-90, 429-446; t. x x m (1906), p. 87-97; L efebvre, vicinanza di Chiusi, S ienne, 1831; Id., Relazione di un
Inscriptions chrétien nesdu Musée du Caire, dans le Bul­ antico cimitero... con le iscrizione ivi trovate, M ontepulciano,
letin de l’institut français d’archéologie orientale, P aris, 1833; P assionei, Iscrizioni antiche disposte per ordine,
1903; ld., Recueil des inscriptions grecques chrétiennes L ucques, 1763; P elka, Altchrislliche Ehedenkmciler, S tras ­
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Id., H simbolo apostolico illustrato delle iscrizioni dei primi
n ’ est que la transcription du grec έπιείκεια. Il signi lie
secoli, R om e, 1896; W addington, Inscriptions grecques et la qualité de ce qui est έπιειζές , convenable, m esuré,
latines de la Syrie, 1870; cf. L e B as; W eber,D ie rômischen m odéré, équitable.
Katakomben, 3° édit., R atisbonne, 1906, p. 45-75; Id., I^s A ristote s ’ est servi de ce m ot pour désigner l ’ esprit
catacombes romaines, trad , franç., P aris. 1903; W ilm anns, de largeur qui doit faire de l ’ obéissance un acte hum ain
Exempla inscriptionum latin., B erlin, 1873; W ilpert, Prinzi- im posé à des hom m es raisonnables, faire préférer le sens
pienjragen der christlichen Archaologie, F ribourg-en-B risgau, de la loi à la lettre, l ’ équité à la stricte légalité. Il en
1889; Id., Ein Cyclus christologischer Gemalde. ibid., 1891 , a fait une description dont se sont inspirés tous les
p. 30-50; Id., Die gottgeiueihten Jungfrauen in den ersten
m oralistes chrétiens, surtout saint Thom as et Suarez,
Jahrhunderten der Kirche, ibid., 1892: Id.. Die altchristli- lorsqu ’ ils ont voulu étudier l ’ épikie. « Elle est, dit-il.
chen Inschriften Aquileias, dans Y Ephemeris Salonitana
i paru égalem ent séparém ent), Z ara.l 894, p. 37-58 ; W ithrow ,
une heureuse rectification de Injustice rigoureusem ent
The catacombs of Rome, 1890; W olter, Die rômischen légale... La loi est nécessairem ent générale, et il est
Katakomben (2 brochures), F rancfort, 1866; X anthudides, certains objets sur lesquels on ne saurait convenable ­
\s;T5tavtxat Ιπιγραφα'ι lx Κ ρήτης , A thènes, 1903, p. 49-163; m ent statuer par des dispositions générales... La kh
X ystus (le P . S isto ou X ystus S caglia), Notiones archteo· ne saisit que les cas les plus ordinaires, sans se dis ­
logiæ christianœ disciplinis theologicis coordinates, R om e, sim uler d ’ ailleurs ses propres lacunes. Elle n ’ en est pus
1909, t. n a, Epigraphia; R om e, 1910. t. n b, p. 3-52: Id., m oins bonne; les lacunes ne tiennent ni à la loi ni
Manuale di archeologia cristiana, coordinata alie discipline au législateur, m ais à la nature m êm e des choses m o ­
eheologiche, R om e, 1910; Z accaria, De veterum Christianarum rales. Lors donc que la loi est exprim ée dans un·
inscriptionum in rebus theologicis usu, X enise, 1761, repro ­ form ule générale, et qu ’ un cas exceptionnel se pré ­
duit dans M igne, Theologia cursus completus, t. v (1838),
sente, alors il est juste qu ’ on corrige la loi, dans le>
coi. 309-396; Id., Marmora Salonitana in ordinem digesta,
T urin, 1752.
détails où le législateur est en défaut, où il s ’ est
Ix?s publications périodiques qui renferm ent des articles trom pé en s ’ exprim ant d ’ une m anière trop absolue.
c r« ornant l ’ épigraphie chrétienne so n t, avec leurs dates D ans ce cas on fait ce que ferait le législateur lui-
initiales, les suivantes : Académie des inscriptions et belles- m êm e, s ’ il était là; on refait la loi com m e il l ’ aurait
359 É PI K IE 360

faite, s ’ il avait pu connaître le cas particulier dont il im praticable; la prévoyance hum aine n'em brasse pas
s ’ agit. » Éthique à Nicomaque, 1. V , c. x. les contingences infinim ent variées de nos actes; et,
L ’ épikie n'est donc pas, à proprem ent parler, l’inter­ au besoin, la sagesse défendrait d ’ en em barrasser un
prétation d ’ une loi. U ne loi a besoin d ’ être inter ­ texte de loi. S. Thom as, Sum. theol., I· Ilæ, q. xevi,
prétée quand on y trouve des m ots obscurs, des a. 6, ad 3 uln . La loi hum aine est rigide et ne se plie
dispositions am biguës; et l ’ explication sera d ’ autant pas à la diversité des circonstances.
plus vraie qu ’ elle se rapprochera davantage du texte 1. Il peut en résulter des conflits avec une loi su­
qui exprim e la volonté du législateur ; elle sauvegarde périeure, avec un intérêt plus grave : c ’ est la lutte
la, form ule tout en la rendant plus claire. C ’ est ce entre la légalité et la conscience, et il faut que la vic ­
que fait, par exem ple, la jurisprudence; elle ne s ’ écarte toire reste à celle-ci. U ne loi injuste n ’ est plus une loi;
pas de la loi; elle l ’ applique, et, en l ’ appliquant, une loi, m êm e juste en elle-m êm e, m ais qui devient
l ’explique et la précise. Ici, le cas est tout différent. m auvaise par suite des circonstances, n ’ a plus force
Il ne s ’ agit plus d'interpréter un texte obscur, m ais obligatoire; le texte rigide doit alors plier pour que
de corriger une loi défectueuse; on se dégage du texte l ’ obéissance ne devienne pas servilité: bonum est, præ-
pour saisir l ’ esprit ; on passe par-dessus la form ule termissis verbis legis, sequi id quod poscit justiliæ
qui, trop générale, deviendrait, dans une application ratio et communis utilitas. S. Thom as, Sum. theol.,
exceptionnelle, brutale ou injuste, pour aller jusqu ’ à II· II®, q. exx, a. 1. Exem ple : la loi ecclésiastique
la volonté, présum ée plus hum aine, du législateur. ordonne d ’ assister à la m esse le dim anche; l ’ obéis ­
L ’ épikie n ’ est pas non plus la dispense. Celle-ci se sance serait m auvaise si, en assistant à ia m esse, je
fait par voie d ’ autorité; elle est un acte du législateur risque de laisser m ourir sans secours un m alade: c ’ est
qui veut bien, dans un cas particulier, suspendre là une chose que l ’ Église n ’ a pas pu vouloir. Prem ière
l ’ obligation im posée par lui et tem pérer par la bonté application du principe de l ’ épikie.
les légitim es exigences de son pouvoir. D ans l ’ épikie, 2. La rigidité de la loi peut encore la m ettre en
c ’ est la conscience individuelle qui réclam e contre le conflit avec l’intérêt particulier de celui qui doit obéir,
texte, qui prétend rester libre m algré le texte ; elle de m anière à lui im poser des sacrifices dispropor ­
juge que la loi ne s ’ applique pas dans tel cas particu ­ tionnés avec le but qu ’ a voulu atteindre le légis
lier, que le législateur n ’ aurait pas voulu qu ’ elle lateur. Personne n ’ a le droit de com m ander inhumana
s'appliquât dans telles circonstances exceptionnelles, et graviora quam humana conditio patiatur vel quam
s'il les avait prévues. ratio communis boni postulet, Suarez, D e legibus, 1. V I,
O n a essayé de condenser en form ules ces descrip ­ c. vu, n. 10: ce serait un abus de pouvoir, et la loi
tions de l ’ épikie, et diverses définitions ont été pro ­ serait nulle si elle ordonnait un héroïsm e injustifié.
posées; aucune n ’ est plus concise ni plus précise que Si donc une loi, m êm e bonne en elle-m êm e, devient,
celle de Suarez, De legibus,}. II, c. xvi, n. 4 : Emen­ en un cas particulier, trop pénible à cause des cir ­
datio legis ea ex parte qua deficit propter universale; constances exceptionnelles, sans qu ’ il en résulte un
l ’ épikie est une restriction apportée à la loi dans un bien en proportion avec les sacrifices exigés, la con ­
cas particulier où elle serait im praticable dans sa te ­ science peut se dégager : le législateur n ’ a pas pu exiger
neur générale. l ’ obéissance en de telles conditions.
II. É t e n d u e e t a p p l ic a t io n s . — L ’ épikie se jus ­ 3.11 est un troisièm e cas où l ’ on peut user d ’ épikie :
tifie donc par la déficience de la loi qui, form ulée en c ’ en est l ’ application caractéristique; c ’ en serait m êm e
term es généraux et visant les cas les plus fréquents, se la seule d ’ après d ’ A nnibale, Summula theologice mo­
trouve im praticable en des circonstances exception ­ ralis, 1. 1, η. 187, et note 49, qui avoue restreindre sur
nelles. ce point la pensée d ’ A ristote, de saint Thom as et de
Elle s ’ appliquera par conséquent à toutes les lois Suarez. D ans les hypothèses précédentes, le législateur
dont la teneur est générale et à celles-là seulem ent. n ’ avait pas le droit d ’ exiger l ’ obéissance; ici, il en a le
— 1° O r la loi naturelle ne s ’ exprim e pas ainsi; ou plu ­ droit, m ais on estim e qu ’ en raison des circonstances ex ­
tôt une seule form ule la résum e, assez générale pour ceptionnelles où l ’ on se trouve, il n ’ aurait pas eu l ’ in ­
com prendre tous nos actes, assez large pour se plier tention d ’ obliger dans le cas présent, s ’ il l ’ eût prévu.
à toutes les circonstances : il faut faire le bien et éviter Ce n ’ est pas que la loi devienne m auvaise, ni qu ’ elle
le m al. Elle com m ande donc ce qui est bien, et cela im pose à proprem ent parler un héroïsm e inutile; elle
seul ; elle défend ce qui est m auvais, et cela seul. D ès se heurte seulem ent à des difficultés spéciales qui la
lors, quelles que soient les form ules dans lesquelles rendent plus dure qu ’ elle ne l ’ était dans l ’ intention
nous prétendions résum er ses principales applications, du législateur. Suarez, De legibus, 1. V I, c. vu, n. 11,
elle en reste indépendante. N ous pourrons dire: il est donne com m e exem ple la loi du jeûne: l ’ Église, en la
défendu de tuer; ce n ’ est pas ainsi que parle vrai­ portant, vise les cas ordinaires; une santé délicate,
m ent la loi naturelle, elle défend de tuer injustement, capable, à la rigueur, de supporter le jeûne, m ais qui
et ceci ne peut être perm is dans aucune circonstance; en serait sérieusem ent incom m odée, sera un m otif
si, dans un cas exceptionnel, la m ort d ’ un hom m e suffisant de s ’ exem pter de la loi. Par épikie, on pas ­
devient légitim e, la loi naturelle la perm et. L ’ excep ­ sera par-dessus le texte pour aller jusqu ’ à la volonté
tion atteint donc nos form ules; ce sont elles qui présum ée du législateur.
deficiunt propter universale; la loi naturelle, parce III. L é g i t im i t é e t c o n d it io n s . — Il est évident
qu ’ elle est divine en m êm e tem ps qu ’ hum aine, parce que l ’ épikie peut devenir une arm e redoutable contre
qu ’ elle n'a pas de m eilleure expression que la voix de la loi; une conscience m al éclairée et surtout m al
notre conscience, n ’ a pas de ces lacunes : lex natu­ disposée pourrait s ’ en servir pour se débarrasser
ralis, secundum se spectata, non præcipit actum, nisi aisém ent d ’ une loi gênante. M ais son principe m êm e
ut illum bonum esse supponit, nec prohibet, nisi prout est indiscutable, et il n ’ y aurait, pour le com battre,
supponit intrinsece malum. Suarez, De legibus, 1. II. que ceux qui ont ia superstition de la légalité. Si la
c. xvi, n. 6. conscience a le droit de se révolter contre toutes les
2° Il en va autrem ent des lois positives et en parti ­ injustices, et la liberté contre tous les abus de
culier des lois humaines. Elles ■ sont form ulées en pouvoir, si l ’ obéissance digne d ’ un hom m e n ’ est pas
term es généraux et ne peuvent l ’ être autrem ent. U n la servilité aveugle à un texte, m ais la soum ission
législateur hum ain ne peut prévoir toutes les appli­ réfléchie à une volonté, la légitim ité de l ’ épikie est
cations possibles de ra Ici, toutes les circonstances évidente. Elle laisse à l ’ initiative individuelle et à la
qui peuvent se présenter et rendre son ordonnance conscience la part qui leur revient dans l ’ obéissance;
361 É P IK IE — É P IL E P S IE 262

l ’ appliquer dans les bornes perm ises, c ’ est, suivant un D ieu. Ce sont les m êm es sentim ents qui inspirent une
m ot fam eux, sortir de la légalité pour rentrer dans décrétale d ’ A lexandre II (1061-1073), insérée aussi
le droit. A ussi saint Thom as, Sum. theol., Π " II®, au D écret de G ratien, ibid., c. i, en vue d ’ un cas
q. cxx, a. 2, ad l “ m et 2um ; in V Elhic., lect. xvi, re ­ analogue : il s ’ agissait d ’ un prêtre qui souffrait d ’ ac ­
prend-il à son com pte le m ot d ’ A ristote : l ’ épikie, c ’ est cidents épileptiques; le pape conseille, si les attaques
de la justice supérieure à la justice légale, si on entend sont fréquentes, d ’ interdire absolum ent à ce prêtre
par celle-ci l ’ obéissance aux m ots. de célébrer la m esse, non parce qu ’ une loi le décide,
M ais en m êm e tem ps que les docteurs chrétiens, m ais pour des m otifs de décence com m une et de res ­
plus soucieux qu ’ on ne le pense de sauvegarder les pect pour la sainte eucharistie : Indecens enim est
droits de la conscience et de la liberté, proclam ent ce et periculosum, ul in consecratione eucharistiæ morbo
principe, ils en énoncent les conditions. 1° La pre ­ vicius epileptico cadat. La glose sur ces divers passages
m ière qu ’ il est à peine besoin d'indiquer, c ’ est la sin­ ne m entionne pas davantage de prescriptions légales;
cérité et la bonne foi. A utrem ent, cette arm e au m a ­ tout au plus im pose-t-elle, com m e m esure de prudence,
niem ent si délicat se fausserait vite, pour le plus en cas d'épilepsie bien caractérisée, d ’ exiger le laps
grand dom m age de la loi et des consciences m êm es d ’ une année sans accidents, et ce par analogie avec
qu ’ elle doit libérer. A ussi, com m e il est difïlcile d ’ être les exigences du c. Communiter, avant de perm ettre
bon juge dans sa propre cause, pour éviter de se de nouveau la célébration des saints m ystères.
laisser inconsciem m ent im pressionner par les diffi­ A son tour, le titre De corpore vitiatis, i, 20, dans les
cultés inhérentes à toute loi, il est bon de ne rien D écrétales de G régoire IX . ne contient rien concer ­
décider, avant d ’ avoir consulté, si on le peut, un nant directem ent l ’ épilepsie.
hom m e instruit et de jugem ent sûr. D ’ A nnibale, loc. C ependant, dans une lettre à Palladius, évêque de
cit. C ’est ce que Suarez résum e dans ces m ots: Epikia Sulm ona, le pape G élase avait énoncé un principe
est actus doctrinæ ci prudenliæ. De legibus, 1. V I, c. x, d ’ où devait nécessairem ent sortir la prohibition d ’ ac­
n. 1. — 2° D u fait que la prudence s ’ im pose, il résulte cepter aux ordres les épileptiques com m e les autres
qu ’ on ne doit user d ’ épikic que si l ’ on est sûr ou à infirm es de m êm e genre : Praecepta canonum... non
peu près sûr d ’ en avoir le droit. O n acquerra cette patiuntur venire ad sacerdotium debiles corpore. D e
certitude pratique, soit sim plem ent par l ’ étude du plus, puisqu ’ on interdisait aux épileptiques déjà
cas spécial, soit en consultant les règles détaillées ordonnés la célébration de la m esse, il était logique
de la théologie m orale, les solutions des casuistes d'interdire l ’ accès aux ordres à ceux qui avaient subi
ou les décisions de la jurisprudence sur des cas ana ­ des accidents de ce genre. Ce fut le principe duquel
logues. Si un doute subsiste et qu ’ on puisse faci ­ s ’ inspira la pratique et qui aboutit à la création par
lem ent recourir au législateur ou à son représentant, la coutum e de cette irrégularité. A quelle époque re ­
la prudence et la bonne foi exigent de le faire. m onte cette coutum e, c ’ est ce qu ’ il parait im possible
de préciser dans l ’ état actuel de nos connaissances.
T ous les théologiens m oralistes parlent de l ’ épikie, dans A u point de vue de l ’ irrégularité, il faut distinguer
le traité des lois: S. T hom as, Sum. Iheol., I· II· . q. xevi,
entre l ’ épilepsie dont les accidents prem iers sont an ­
a. 6; II· II", q. cxx, a. 1 ,2 ; q. C X L vn, a. 4; In V Ethic.,
lect xvi ; S uarez, D e legibus, 1. II. c. x v i; l.V I, c.v n ;
térieurs à la puberté et ont cessé, depuis, pendant plu ­
L ehm kuhl, t. i, n . 106, 150; G énicot, 1.1, n. 113; M arc, I sieurs années, et celle dont les accidents se sont pro ­
t. i, n. 173-174 ; N oldin, t t, n. 144; B ouquillon, Theologia duits seulem ent après la puberté, surtout s ’ ils ne se
moralis fundamentalis, η. 172. sont présentés qu ’ après l ’ âge de 25 ans. D ans le pre ­
L. G o d e f r o y . m ier cas, si les accidents ne se sont pas reproduits
É P IL E P S IE . O n donne le nom d ’ épilepsie (haut depuis plusieurs années, le sujet n ’ est pas considéré
m al, m al caduc) à une névrose cérébrale chronique, com m e épileptique, ni, par suite, com m e irrégulier.
parfois héréditaire, plus ou m oins périodique, carac ­ D ans le second cas, surtout lorsque les prem iers acci ­
térisée par des attaques convulsives, quelquefois pré ­ dents épileptiques se sont produits après l ’ âge de
cédées de signes avant-coureurs, durant lesquelles le 25 ans, l ’ irrégularité parait indubitable, et la dispense
m alade est privé de connaissance et de sensibilité. nécessaire. Selon le théologien La C roix, de son tem ps,
L ’ épilepsie est un em pêchem ent aux ordres, inclus en Flandre, on ordonnait sans difficulté ceux qui
ordinairem ent dans la série des irrégularités ex defectu. depuis deux ans n ’ avaient présenté aucun accès;
Le titre d ’ irrégularité proprem ent dite ne lui est Schm alzgrueber, au contraire, tém oigne, sur le tit.
infligé par aucun texte législatif, car le c. Communi­ De corpore vitiatis, η. 11, d ’ une discipline plus sévère,
ter, dist. X X X III,que G raticn attribue au pape Pie I er, et à bon droit, car, dit-il, m êm e délivrés on n ’ est
et qui appartient, en réalité, au X I» concile de Tolède jam ais sûr de leur guérison.
(675), ne vise, com m e le can. 29 du concile d ’ Elvire Il sem ble que les tendances sévères l ’ em portaient
auquel il se réfère, que l’energumentis, qui ab erratico aussi à la S. C. du Concile : elle '. tait en général assez
spiritu exagitatur, à m oins de dire que l ’ épilepsie exigeante pour accorder la dispense, ainsi que l ’ on
• tait alors considérée com m e une conséquence de peut s ’ en convaincre en parcourant la liste des de ­
la possession diabolique. Les prem ières fois qu ’ il est m andes présentées. Cf. en particulier les causes du
vraim ent question d ’ épilepsie dans la littérature cano ­ 25 janvier 1806, Foligno: R ieti, 14 m ai 1831 ; Trêves,
nique, il s ’ agit de crises survenant après la réception 27 janvier 1866 et 11 juin 1868; 28 janvier et 20 juillet
des ordres. A insi en est-il dans le c. Nuper, cans. V II, 1878; 29 janvier 1881; 2 juin 1883 et 10 m ai 1884,
q. i i . D es clercs ayant interdit à leur évêque la célé ­ pour Pavie: 12 septem bre 1896, pour V enise: 11 août
bration de la m esse sous le prétexte d ’ accidents épi ­ 1900, pour N ancy; 26 août 1905, pour Lyon; 27 juin
leptiques, ne scandalum fidelibus videretur ingerere, 1908. pour A ci-R eale, etc. D ans tous les cas on exige
et Ecclesiam Dei... hac offensione turbare, l'évêque que les accès ne se soient pas produits depuis un tem ps
vint à R om e se plaindre du procédé au pape G élase qui dépasse une année, et que ies m édecins attestent
et protester qu ’il n ’ avait jam ais eu d ’ accidents de ce une guérison en très bonne voie.
genre. Le pape répondit en ordonnant une enquête S ’ il s ’ agit d ’ épilepsie survenant après l ’ ordination
sérieuse, car c ’ était à ses yeux chose im portante; m ais à la prêtrise. l ’ Église interdit au m alade la célébration
il n ’ invoque ni ne crée aucune loi : il donne une solu ­ de la m esse et ne lui rend la liberté de célébrer qu ’ après
tion de prudence : si l ’ évêque a subi, en effet, des acci­ attestation des m édecins que les accès ont cessé et
dents de ce genre, on continuera de lui interdire lr. ne paraissent plus à craindre.
célébration de la m esse : ainsi l ’ exige le respect dû à I Les m otifs de dispense adm is par la S. C. du C on-
363 E P IL E P S IE — E P IPH A N E (S A IN T ) 364

cilc et qu ’ adm ettra aussi sans doute la S. C. de la en Pam phylie lui avaient dem andé un exposé de
discipline des Sacrem ents appelée par la constitu ­ quelque étendue de la foi orthodoxe sur la sainte
tion Sapienti consilio, du 29 juin 1900, à lui succé ­ T rinité et en particulier sur le Saint-E sprit. Il satisfit
der en cette m atière, sont : les besoins du diocèse à ce désir en com posant, l ’ an 374, VAncoratus, P. G.,
auquel le sujet est destiné,les qualités intellectuelles, t. X Liir. col. 17 236, qui devait être pour les fidèles,
m orales et religieuses du sujet; le tout confirm é par parm i les m ouvem ents confus des controverses
une chaude recom m andation de l ’ O rdinaire. ariennes et sem iariennes, une « ancre » sûre. D ans
cet ouvrage, où il n ’ est pas rare de voir l ’ auteur
Λ consulter : les canonistes au titre De corpore uitiatis;
G asparri, Tractatus canonicus de sacra ordinatione, P aris,
s ’ écarter fort loin de son sujet, ce qui m érite une par ­
1893, n. 2 7 8 sq .;les m oralistes ou canonistes récents au ticulière attention, ce sont les deux confessions de
De irregularitatibus ; les collections de décrets de la S. C . du foi qui le term inent ct que l ’ auteur recom m ande à la
C oncile. com m unauté de Syedra pour l'adm inistration du
A . V i l l ie n . baptêm e. D ’ après les recherches de C aspari, la pre ­
É P IP H A N E (Saint). — I. V ie. II. Œ uvres. m ière confession, c. cxrx, qui est la plus courte, serait
I. V i e . — N é vers 315 à B esandouc, près d ’ E leuthé- la plus ancienne; elle aurait été introduite com m e
ropolis en Judée, É piphane s'adonna dès sa prem ière sym bole baptism al à C onstantia peu avant l ’ épis­
jeunesseà l ’ étude des sciences sacrées. Il cultiva aussi copat d ’ É piphane. La seconde, c. exx, serait d'É pi-
avec ardeur l ’ étude des langues et, au tém oignage de phane lui-m êm e, com posée pour le présent ouvrage.
saint Jérôm e, Adversus Hufinum, n, 22, P. L., t. xxm , A vec de légères m odifications, elle fut adoptée par
col. 446, 462, É piphane « le pentaglotte » possédait, le concile de C onstantinople (381) com m e sym bole
avec le grec, l ’ hébreu, le syriaque, le copte et m êm e de l ’ Église universelle et devint, plus tard, le sym ­
quelque teinture du latin. Sa form ation spirituelle bole baptism al de tout l ’ O rient. V oir t. m , col. 1229-
fut tout ascétique, com m encée par saint H ilarion, 1230. A la prière instante de deux archim andrites,
père des m oines de la Palestine, achevée par les A cace et Paul, qui avaient lu avec intérêt et avec
grands solitaires d ’ É gypte. E n É gypte, le futur héré- fruit VAncoratus, É piphane com posa, dans les années
séologue fut aussi en contact avec les gnostiques, 374-377, une exposition et une réfutation plus expli­
qui tentèrent vainem ent de le gagner à leurs rêveries. cites des systèm es hérétiques, le Panarion ou » Phar ­
Il n ’ avait guère que vingt,ans, lorsque, de retour m acie contre quatre-vingts hérésies », P. G., t. x l i ,
en Palestine, il fonda, près de son village natal, un x l i i , cité d ’ ordinaire sous le titre d ’Hæreses. L ’ au ­
couvent qu ’ il devait gouverner quelque trente ans. teur range parm i les hérésies les écoles philosophiques
E n 367, sa réputation de science et de piété le fit grecques et les partis religieux juifs, si bien qu ’ il
appeler en C hypre au siège de C onstantia, l ’ antique com pte vingt hérésies avant Jésus-C hrist. Les prin ­
Salam ine, m étropole de l ’ îlc, où il fut l ’ exem ple de cipaux garants, pour les systèm es anciens, sont saint
tous par l ’ austérité et la sainteté de sa vie, par son Justin, saint Irénée, saint H ippolyte, qu ’ en nom bre
ardeur à répandre les institutions m onastiques ct d ’ endroits il transcrit m ot à m ot. Cf. A . d ’ A lès, La
par ce zèle enflam m é pour la pureté de la foi, qui théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 72-77. Sur
form e la caractéristique de son activité, zèle que les hérésies postérieures, il a puisé à des sources très
n ’ éclairait point une connaissance profonde des diverses et son ouvrage constitue, en som m e, une
hom m es. Il avait toujours com battu avec une véhé ­ m ine historique précieuse, encore que l ’ auteur m ontre
m ence particulière l ’ origénism e, la plus dangereuse souvent un m anque de critique et une crédulité exces ­
à son avis de toutes les hérésies. Le désir d ’ en étoufler sive. Le Panarion se term ine, com m e V Ancoratus,
un des foyers principaux le ram ena, l ’ an 394, en par un résum é de la foi de l ’ Église catholique et apos ­
Palestine. Il prêcha contre O rigène et scs erreurs tolique. U n extrait de l ’ ouvrage, ’ Α νακεφαλαίωσή,
dans l ’ église du Saint-Sépulcre, en présence de P. G., t. x l i i , col. 833-886, est peut-être d ’ une autre
l ’ évêque Jean, ct sur le refus de celui-ci de condam ner m ain.
O rigène, il rom pit la com m union avec lui, suivi par 2° Écrits sur Varchéologie biblique. Lettres. Apo­
saint Jérôm e, tandis que R ufin tenait pour le parti cryphes. — U n écrit qu ’ É pipiiane com posa à C onstan ­
adverse. Il fournit un nouveau grief à l ’ évêque de tinople, l ’ an 392, à la dem ande d ’ un prêtre perse,
Jérusalem , lorsque, contre son gré, il ordonna, pour Sur les mesures et les poids, rentre dans le dom aine
la com m unauté de B ethléhem , Paulinien, le frère de l ’ introduction biblique. Son titre ne répond qu ’ à
de Jérôm e. Ce ne fut qu ’ après plusieurs années (397), la II 0 partie de l ’ ouvrage, car la I r0 traite du canon
qu ’ une réconciliation eut lieu, grâce surtout aux et des versions de l ’ A ncien T estam ent et la III° de
bons offices du patriarche d ’ A lexandrie, Théophile, la géographie de la Palestine. C ’ est, du reste, m oins
alors encore favorable à O rigène. M ais Théophile ne un travail achevé qu ’ une suite de notes et d'ébauches.
tarda pas (399) à se déclarer lui-m êm e antiorigé- D u texte grec nous ne possédons que les 24 prem iers
niste décidé. Par ses odieuses persécutions contre chapitres. P. G., t. x l i i i , col. 237-293. O n en trouve
les m oines égyptiens partisans d ’ O rigène, il se brouilla 60 de plus dans une version syriaque éditée par de
profondém ent avec saint Jean C hrysostom e et il Lagarde dans ses Symmicta, t. n (1880), p. 149-
sut, en représentant celui-ci com m e origéniste, enga ­ 216. D u traité Des douze pierreries qui ornaient le
ger É piphane dans la querelle. L 'an 402, selon la rational du grand-prêtre de l ’ ancienne alliance, dédié
chronologie la plus probable, É piphane, dans un à D iodore de T arse, nous avons deux recensions, la
synode des évêques de C hypre, condam na O rigène brève, P. G., t. x l i i i , col. 293-304, et la longue, celle-
et ses écrits, puis, poussé par Théophile, m algré son ci en latin seulem ent, col. 321-366. Ses autres ouvrages
grand âge, il partit pour C onstantinople à la pour ­ exégétiques sont perdus. Le com m entaire sur le C an ­
suite du m onstre de l ’ origénism e. Le vieillard bien tique des cantiques, depuis l ’ édition du texte grec
intentionné, m ais à courtes vues, y travailla d'abord par G iacom clli, R om e, 1772, a été rendu à son véri ­
contre saint C hrysostom e; il finit par ouvrir les table auteur. Philon de C arpasia. L ’ opuscule, en deux
yeux, déclara que Théophile avait abusé de sa sim ­ recensions, P. G., t. x l i i i , col. 393-413, 415-428, sur
plicité et se rem barqua pour l ’ îlc de C hypre. La m ort le lieu de la naissance et de la m ort des prophètes,
le surprit pendant la traversée, le 12 m ai 403. plein des choses les plus incroyables, le Physiologue
IL Œ u v r e s . — 1° Œuvres polémiques. — Ce fut ou plutôt un rem aniem ent de ce m anuel d ’ histoire
aussi le com bat contre l ’ hérésie qui exerça surtout naturelle populaire au m oyen âge, col. 517-533, sept
la plum e d ’ É piphane. Plusieurs personnes de Syedra hom élies, la dernière en latin seulem ent, col. 428-508,
365 É P IP H A N E (S A IN T) — É P IS C O PA L IE N N E (É G L ISE ) 366

et plusieurs autres écrits sont m anifestem ent apo ­ d ’ existence, l ’ établissem ent anglican se serait décom ­
cryphes. D e la vaste correspondance du saint, deux posé de bonne heure; la m oitié de ses fidèles serait
lettres ont été sauvées par la version latine, col. 379- retournée au catholicism e rom ain..., l ’ autre m oitié
392, l ’ une à Jean de Jérusalem , l ’ autre à saint Jérôm e, l ’ aurait abandonné pour le protestantism e propre ­
toutes les deux relatives à la querelle origéniste. m ent dit. » A rt. Église dans la Grande encyclopédie,
La prem ière, traduite par saint Jérôm e, se trouve t. xv, p. 631.
dans sa correspondance. Epist., l i , P. L., t. xxn, C ’ est, en effet, en G rande-Bretagne, dans les colo ­
col. 517-527. nies anglaises et aux É tats-U nis, que l ’ Église épisco-
D om Pitra a donné des fragm ents grecs d ’ une palienne a réussi à se m aintenir et à se développer,
troisièm e lettre. Analecta sacra, 1888, t. i, p. 72-73. m algré les élém ents de dissolution qu ’ elle porte en
Plus positive que spéculative, la théologie de saint elle. E n A ngleterre, elle prend le nom de Church o;
É piphane est ém inem m ent traditionnelle. Son style England. V oir A n g l i c a n i s m e , t. i, col. 1281 sq. En
est négligé, terne, très prolixe. Irlande, celui de Church of Ireland. E n Écosse où la
religion officielle est le presbytérianism e, celui de
I. É d it io n s . — L a prem ière éd itio n de sain t É piphane, Scottish (Episcopal) Church. A ux É tats-U nis depuis
qui com prenait le Panarion.le résum é, VAncoralus, le De
1785, son nom officiel est : Protestant episcopal
mensuris et ponderibus, a été publiée p ar Jean O porinus, Church, m ais en 1877, à la convention générale, la
in-fol., B âle, 1544 . L e m êm e éd iteu r av ait fait im p rim er au
m êm e lieu, l ’ année précédente, la version latin e q u ’ av ait m ajorité des ecclésiastiques présents votèrent le
faite de ces q u atre ouvrages Jam es C ornarius. L es réédi ­ changem ent de ce nom en celui de American branch
tions, faites à B âle, 1545,1 560,15 78, et à P aris, 1564, con ­ of the Church Catholic. V oir A m é r i q u e , 1.1, col. 1050,
tien n en t, en outre, le De vita prophetarum, trad u it p ar I 1074 sq.
A lban T orini et Γ Epistola ad Joannem Hierosolymitanum, D es synodes « pananglicans » réunissent de tem ps
d ’ après la version de sain t Jérôm e. L ’ édition faite à P aris à autre des représentants des diverses branches de
en l6 1 2 co n ten ait,cn p lu s,le Physiologiis en grec et en latin ,
les hom élies sur les R am eaux, sur la sépulture du C hrist.
I l ’ église épiscopalienne. Le plus récent, le plus brillant
L e jésu ite D enys P etau donna, 2 in-fol., P aris, 1622, une I aussi, s ’ est tenu à Londres du 15 au 24 juin 1908; il
éd itio n gréco-latine avec notes, qui fu t rep ro d u ite avec com pta plus de 7 000 délégués laïques ou ecclésias ­
quelques ad d itio n s, à L eipzig (C ologne, selon l ’ im prim é), tiques et 240 évêques. A la cérém onie de clôture, « ser ­
en 1682, et p ar M igne, P . G ., t. x l i - x l i ii . D indorf en fit une vice d ’ action de grâces », qui eut lieu à Saint-Paul de
nouvelle en grec seulem ent, L eipzig, 1859-1862. F . Œ hler a Londres, le 24 juin, les m étropolitains présents se
éd ité le Panarion dans Corpus hœreseologicorum, B erlin, groupèrent sur les degrés, devant le grand autel, dans
1859-1861, t. i i et m . D es ex traits sont dans D iels, Doxo-
graphi grœci, B erlin, 1879, p. 585 sq. U ne trad u ctio n l ’ ordre suivant : prem ier degré, l ’ archevêque de Can ­
allem ande de VAncoratus et de son résum é, faite par terbury; second degré, les archevêques d'Y ork et
C . W olfsgrueber, a p aru dans Bibliothek der Kirchcnvater, de D ublin, et le primus de l ’ Église épiscopalienne
K em pten, 1880. d ’ Écosse; troisièm e degré, l ’ archevêque de R uperts-
II. S o u r c e s e t t r a v a u x . — L a Vita S. Epiphanii, land, l ’ évêque président des É tats-U nis, l ’ arche ­
P. G., t. x l i , col. 23-116, qui serait des disciples du sain t, vêque de T oronto; quatrièm e degré, l ’ archevêque de
Jean et P olybe, est plus légendaire qu ’ historique. V oir B risbane, l ’ archevêque de M elbourne, l ’ archevêque
S ocrate, H. E., 1. V I, c. x, x n , xiv ; S ozom ène, H. E., 1. V I,
c. x x x ii ; I. V II, c. x x v m ; 1. V III, c. x iv , xv, P. G., t.
I de Sidney, l ’ évêque de C alcutta, l ’ archevêque des
l x v i i , col. 693, 696, 700, 701, 705, 708, 1389, 1392 , 1501, Indes occidentales. L ’ archevêque de C anterbury, qui
1504, 1552-1556; S. Jérôm e, De viris illustribus, 114; officiait, donna seul la bénédiction, reçue à genoux
Liber contra Joannem Hierosolymitanum; Apologiaadversus par les autres m étropolitains. D u 6 juillet au 5 août,
libros Ru fini, 1. II, n. 21, 22; 1. III, n. 23; Vita S. Hila- les 240 évêques présents tinrent une Conférence au
rionis, n. 1, P. L., t. x x m , col. 707,355 sq., 444-446, 474- palais de L am beth. Le congrès n ’ ém ettait pas de
475, 29; Epist., L vn, n. 2, ad Pammachium; L x x x n , ad vœ ux et se bornait à un échange de vues; les rap ­
Theophilum, P. L., t. x x u , col. 569, 736-743. ports, fort intéressants, de ses sept sections ont été
T illem o n t, Mémoires, t. x, p. 484 sq., 802 sq .; Acta
sanctorum, t. n i m ail; P. G., t. x l i , col. 115-152; G ervais, rassem blés par la Society for promoting Christian
L'histoire et la vie de saint Épiphane, P aris, 1738; B . E b er ­ knowledge, en sept vol., Londres, 1908 : Pananglican
hard, Die Beteiligung des Epiphanius an dem Streite über congress, general report. Les articles très soignés du
Origenes, in-8°, T rêves, 1859; L ipsius, Zur Quellenkritik Times, qui rendaient com pte chaque jour des séances,
des Epiphanius, V ienne, 1865; F abricius, Bibliotheca ont été réunis dans une brochure, plus abordable au
grœca, éd it. H arles, H am bourg, 1802, t. v in , p. 255 sq . ; com m un des lecteurs et m unie d ’ un utile Index : The
P. G., t. x l i , col. i-x iv ; Kirchenlexikon, t. iv, col. 713- pananglican congress, Londres, 1908.
717; Realencyclopadie, t. v, p. 417-421 ; B ardenhew er,
Patrologie, 2 e éd it., F ribourg-en-B risgau, 1901, p. 271- L a C onférence de L am beth a publié une encyclique
275; trad , franç., P aris, 1905, t. u , p. 130-136; H u rter, et des résolutions officielles, précédées des rapports
Nomenclator, 3 e éd it., Inspruck, 1903, t. I, col. 233-239. des com m issions et suivies d ’ intéressants appendices :
C. V e r s c h a f f e l . Conference of the bishops of the anglican communion,
É P IS C O P A LIE N N E (É G LIS E ). O n appelle de ce Londres, 1908.
nom une com m union chrétienne qui prétend occuper R ien ne peut m ieux donner une idée de la vitalité
une sorte de position interm édiaire entre le catholi ­ de l ’ Église épiscopalienne, de la m agnifique florai­
cism e et le protestantism e. Elle conserve de nom ­ son de ses œ uvres économ iques, charitables, éduca ­
breuses institutions catholiques, la hiérarchie entre trices, com m e aussi de son incurable faiblesse dans
autres, d ’ où le nom sous lequel elle est généralem ent le dom aine proprem ent religieux. Q u ’ il s'agisse de
désignée. En m êm e tem ps, privée d ’ une autorité spi ­ l ’ authenticité des Livres saints, de l ’ adm inistration
rituelle capable de s ’ im poser, elle a peine à se dé ­ des sacrem ents, de l ’ adm ission de tel ou tel form u ­
fendre contre les influences protestantes. La lutte laire de foi, c ’ est toujours la m êm e im puissance a
entre la « haute Église» (high Church'), plus « rom ani- réaliser cette « unité sans uniform ité » que le congrès
sante », et la « basse Église » (low Church), plus rappro ­ appelait de tous ses vœ ux. U n rédacteur de la grande
chée du protestantism e continental, apparaît à toutes revue catholique le Tablet concluait en ces term es
les époques de l ’ histoire de l ’ épiscopalism e. « Partout une étude fort sym pathique consacrée au congrès et
ailleurs qu'en A ngleterre, dit justem ent M . C. V . L an- à la conférence : « D eux cents évêques instruits, pieux,
glois, où les institutions, m êm e peu viables en prin ­ zélés à leur m anière, ont traversé m ers et terres pour
cipe, durent quand elles sont établies, quitte à se tenir une conférence, · rassem blés, nous dit-on, pour
transform er et à s ’ adapter à de nouveaux m odes « de hauts débats, groupés pour une action efficace. »
367 É P 1S C 0P A L IE N N E (É G L IS E) — E P IS C O P I U S 368

E t voilà qu ’ en vertu m êm e de leur systèm e, ils sont posa quelques-uns de ses ouvrages de polém ique rela ­
absolum ent incapables de produire avec autorité une tifs au synode de D ordrecht : V Antidotum continens
seule décision dogm atique, au sujet des controverses pressiorem declarationem propriæ ct genuinæ sententiæ
qui ruinent la paix de l ’ Église, de produire un seul quæ in synodo nationali Dordracena adserta est el sta­
canon dogm atique ou disciplinaire qui puisse être bilita; et la Confessio seu declaratio sententiæ pastorum,
im posé avec autorité à ses m em bres... Le congrès qui in foederato Belgio remonstrantes oocanlur super
nous a m ontré à l ’ évidence l ’ excellence, l ’ industrie, præcipuis articulis religionis christianæ. A ntoine de
le sens religieux profond du peuple anglican. 11 dé ­ W ale et d ’ autres professeurs de Leyde ayant publié
ouvre au m onde entier la désespérante im puissance une censure de cette confession, Episcopius y répondit
dogm atique de l ’ Église anglicane. » Tablet, 18 juillet par une Apologia. A cette querelle se rattache encore le
1908, p. 83 sq. Bodekerus ineptiens, qu ’ il écrivit plus tard contre
J ’ ai résum é en deux articles, dans les Études, les N icolas B odcker, transfuge du parti rem onstrant.
travaux du congrès ct de la conférence : Le congrès Pendant son séjour à A nvers, Épiscopius entra en
pananglican de Londres et la conférence de Lambeth, relations, ou en discussion, avec le jésuite irlandais
Études, 1908, t. cxvi, p. 721 sq. ; t. cxvn, p. 13 iq. Pierre W adding, qui lui écrivit une lettre sur la foi,
J . D E L A S e RVIÈRE. et une autre sur le culte des im ages (1620). Le
É P IS C O P A T . V oir É v ê q u e s . P. Som m ervogel n ’ en connaît pas d ’ autre édition que
celle de Lim borch, dans les Præslantium ac erudito­
E P IS C O P IU S Sim on, de son vrai nom B ishop, rum virorumEpistolæ ecclesiasticæ et thcologicæ, 2° édit.,
naquit à A m sterdam le 8 janvier 1583. Envoyé A m sterdam , 1684, p. 603-612. Q uelques-uns des re ­
aux frais de la ville com pléter ses études àLeydeen m onstrants exilés, Pierre B ertius, par exem ple, étaient
1600, il y devient m aitre-ès-arts (1606). D ans la que­ venus au catholicism e; Episcopius tenta la réfuta ­
relle entre gom aristes et arm iniens (voir A r m in iu s ), tion des lettres du P. W adding dans une Responsio, à
qui partageait alors la H ollande, il était du parti de laquelle il ajouta plus tard d ’ autres traités de contro ­
ceux-ci. A ttiré à Franeker en 1609, par la réputation verse : Labyrinthus, sive circulus pontificius; Responsio
de l ’hébraïsant Jean D rusius, il y soutint contre le ad dilemmata decem pontificii alicujus doctoris. II
m inistre Sibrandus L ubberlus des disputes à la suite passa ensuite en France, séjourna à Paris, et surtout
desquelles il quitta la ville. En 1610, il est m inistre à R ouen. A u dire de scs adversaires, Episcopius à
à B leisw iek près R otterdam . A u m ilieu de l ’ agitation Paris aurait fréquenté le P. C oton, et évité Pierre du
qui suit la m ort d'A rm inius et la rem ontrance d'U yten- M oulin; cette seconde assertion est fort vraisem ­
bogaert, Episcopius prend part aux conférences infruc ­ blable; du M oulin avait écrit une Anatomia arminia-
tueuses de la H aye (1611) et de D elft (1611), où se nismi, qui lui avait valu des É tats « leur m édaille et
rencontraient en nom bre égal les m inistres des deux deux cents écus ». Bulletin de la Société d'histoire du
partis. E n 1612, par un choix qu ’ on a im puté, soit à protestantisme français, t. vu, p. 470. M ais, à l'avène ­
la m odération du jeune rem onstrant, soit à l ’ influence m ent du stathouder Frédéric-H enri, plus clém ent que
de son parti, Episcopius est nom m é professeur à son frère, Episcopius revint à A m sterdam , com m e
Leyde pour y succéder à G om ar. Lors du synode de m inistre des rem onstrants (1626). Il se m aria l ’ année
D ordrecht, où le parti gom ariste, appuyé par M aurice suivante avec M arie Pesser, veuve d ’ H enri de N ielles.
de N assau, était m aître absolu, une assem blée de E n 1634, il fut fait recteur du collège rem onstrant
rem onstrants à R otterdam (2 décem bre 1618) avait d ’ A m sterdam . Il m ourut le 14 avril 1643. Ses oeuvres
désigné Episcopius pour y être leur porte-parole. Les ne furent éditées qu ’ en 1650 (2° édit., 1678) en 1 in-fol.,
É tats généraux avaient convoqué ce synode (auquel par Étienne de C ourcelles, gendre de R em bert Episco ­
prenaient part des A llem ands, des A nglais et desÉcos- pius, frère de Sim on.
sais) pour y m ettre lin à ces dissensions; m ais, les Episcopius fut très laborieux; il avait une corres ­
rem onstrants n ’ y furent adm is qu ’ à la xxn° session pondance très étendue, et a laissé, outre trois volum es
(6 décem bre), et n ’ étaient d ’ ailleurs autorisés qu ’ à de serm ons, des traités de controverse et des Insti­
com paraître com m e accusés. Episcopius y prit la tutions théologiques. Ce dernier ouvrage, divisé en
parole avec ferm eté; son discours, exam iné et approu ­ quatre livres, traite: de la religion naturelle; de la
vé à R otterdam , dura une heure et dem ie. Il assurait révélation faite à A braham ; de la révélation faite à
les intentions droites et la volonté pacifique des re ­ M oïse; de la révélation faite par Jésus-C hrist. D ans
m onstrants, tandis que leurs adversaires les quali­ ce dernier livre, l ’ auteur établit l ’ autorité de la sainte
fiaient d ’ hérétiques à cause des cinq articles. Ils É criture, puis exam ine ce qu ’ elle enseigne : l ’ existence
venaient devant le synode librem ent, non com m e de D ieu, ses perfections, la création, la providence
accusés; ils réprouvaient la prédestination absolue, et la rédem ption. Le P. M abillon, dans la l r0 édi ­
î.s blâm aient la division actuelle; ils réclam aient la tion du Traité des Éludes monastiques, avait donné à
tolérance m utuelle, et reconnaissaient le pouvoir du ces Institutions, non sans réserve d ’ ailleurs, un éloge
m agistrat civil dans les choses ecclésiastiques. Les que lui reprochèrent vivem ent les jansénistes. Epis ­
discussions se prolongèrent plus d ’ un m ois avec une copius a été injustem ent accusé de socinianism e par
extrêm e violence, et les députés des É tats généraux Jurieu, qui, B ayle en convient, avait falsifié deux
intervinrent à plusieurs reprises sans grand succès; textes du théologien rem onstrant. C elui-ci connais ­
les contre-rem onstrants se refusaient absolum ent à sait fort bien la sainte É criture, m ais sem ble être
entendre la réfutation de leurs propres doctrines con ­ resté étranger à l ’ antiquité ecclésiastique; il tolère
traires aux cinq articles. Le 14 janvier, à la l v i i " ses ­ quiconque adm et la sainte É criture d ’ une façon quel ­
sion, le président B ogerm an congédia les rem ons ­ conque, et il adm et des articles fondam entaux facul ­
trants par un discours passionné : « V ous êtes entrés tatifs.
ici avec un m ensonge, et c ’ est encore avec un m en ­
songe que vous sortez, etc. » Episcopius répondit : P h. L im borch. Historia ville. S. Episcopii, A m sterdam ,
« N ous nous tairons avec notre rédem pteur Jésus- 1701: Opera theologica. A m sterdam . 1650; v o ir la préface
C hrist qui jugera un jour nos fraudes et nos m en ­ d ’ É tienn e de C ourcelles: Predication van M. Simon Epis­
songes. » copius, eertijds professor der H. théologie tot Leyden, gedien
in de christelijke vergaderinge der Remonstr., A m sterdam ,
Les prédicants rem onstrants sont déposés; et com m e 1603; Acta synodi nationalis. in nomine D. N. J. C., au ­
ils se refusent à tenir com pte de cette déposition, ils ctoritate DD. Ordinum Generalium fœderati Belgii provincia­
sont bannis. Episcopius se retira à A nvers. Il y com ­ rum Dordrechli habita’, ann. 1619 et 1620, D ordrecht, 1620
3ü9 E P IS C O P IU S — E P IT R E S 370

(hostile à E piscopius, p ar exem ple, p. 65); T h. V an O ppen- cités égyptiennes,m algré leur destination éphém ère,
raaij, La doctrine de la prédestination dans Γ Église des Pays- ont été récem m ent éditées et ont excité un vif inté ­
Bas depuis l'origine jusqu’au synode national de Dordrecht rêt. M . D eissm ann, par exem ple, en a publie dix,
en 1618 et 1619, L ouvain, 1906; D u P in, Bibliothèque des Bibelstudien, M arbourg, 1905, p. 209-216, et vingt
auteurs séparés de la communion de Γ Église romaine du
xvu· siècle, t. u , p. 472-495; B ayle, Dictionnaire historique et une, Licht vom Oslen, Tubingue, 1908, p. 100-157;
et critique ;N icéron, Mémoires, t. n , p.297 ; Realencyklopadie, 2 e édit., 1909, p. 102-163. Cf. Lagrange, A travers
t. v, p. 422-424; S. Episcopius en Lyn geslacht. Navorscher, les papyrus grecs, dans Conférences de Saint-Étienne,
1. 1, p. 189 ; t. n , p. 214,285, 351 ; I.evens van Nederlandsche Paris, 1910, p. 53-88. L a distinction de la lettre et de
Mannen en Vrouwen. t. n i, p. 84; B eyerm an, S. Episcopius. l ’ épître vient de ce que la prem ière est une com m u ­
Remonstrantsche Brœderschap., t. v, p. 21 ; S chotel, S . Epis· nication intim e ct privée, nonobstant les divulga ­
copius beschuldigd dat de resurrectio S. C. alleen moralis is. tions postérieures, tandis que la seconde est une com ­
Godgeleer de Bijdragen. 1865, p. 279-662; A . H aentjens,
Simon Episcopius als apologeel v. h. remonstrantisrne in ijn position littéraire, destinée au public.
leven en merken geschetst. L eyde, 1899; J . K onijnenhurg, 2. L ’épître. — Elle n'a de com m un avec la lettre
Laudatio Simonis Episcopii, 1791 ; F red erick C alder, Me­ que la form e épistolaire; pour le reste, elle en diffère
moirs of Simon Episcopius, to which is added a brief account totalem ent. L ’ une, quel que soit son sujet, est privée,
of the synod oj Dort., L ondres, 1835. secrète; l ’ autre est destinée à la publicité, tous ont le
J. D u t i l l e u l . droit de la lire et plus elle aura de lecteurs, m ieux elle
É P ÎTR E S . Le N ouveau T estam ent contient atteindra son but, puisque son auteur a voulu inté ­
21 É pîtres : 14 de saint Paul, une de saint Jacques, resser le public. L ’ épître est un genre littéraire arti­
2 de saint Pierre, 3 de saint Jean et une de saint Jude. ficiel et artistique, com m e le dialogue, le discours, le
O n s ’ est dem andé récem m ent si elles étaient des dram e. La form e épistolaire, l'adresse, les salutations
lettres privées ou si elles rentraient dans le genre ne sont, dans l ’ épître, que purs accessoires introduits
littéraire des épîtres-traités. La question n ’ est pas pour garder les seules apparences de la lettre privée.
oiseuse; elle intéresse à la fois le critique, l ’ exégète U ne lettre est rarem ent intelligible pour les lecteurs
ct le théologien, parce qu ’ elle fournit un argum ent qui ne connaissent ni les correspondants, ni les cir
en faveur de l ’ authenticité contestée de plusieurs constances qui ont am ené la correspondance. La plu ­
lettres de saint Paul, parce qu ’ elle déterm ine exacte ­ part des épîtres se com prennent, lors m êm e qu ’ on ne
m ent le caractère littéraire ou non des écrits aposto ­ connaît ni leurs auteurs ni leurs destinataires, et ces
liques et parce qu ’ elle explique pourquoi on n ’ y trouve derniers sont souvent fictifs. L ’ épître se distingi.
pas un exposé systém atique de l ’ enseignem ent et de donc de la lettre, com m e le dialogue de la conversa
la doctrine des apôtres. 11 y a donc lieu de la traiter tion, com m e le dram e historique du récit historique.
brièvem ent ici. — I. G enre littéraire. II. Form e exté ­ L a lettre est une tranche de vie; l ’ épître, un pro ­
rieure. duit littéraire. U ne lettre publique, une lettre ouverte,
I. G e n r e l it t é r a ir e . — Les É pîtres néotes ­ com m e on dit aujourd ’ hui, n ’ a jam ais la sim plicité,
tam entaires sont-elles de sim ples lettres ou des épîtres, la naïveté, l ’ abandon et la sincérité d ’ une véritable
c ’ est-à-dire des traités rédigés sous form e épistolaire? lettre privée. Son auteur vise le public et se m et en
1° Distinction de la lettre et de l’épître au point de frais pour lui plaire ou l ’ intéresser.
vue littéraire. — 1. La lettre. — Elle n ’ a, de sa nature Toutefois, entre la lettre privée et l ’ épître traité,
et par sa destination, aucun caractère littéraire, pas il y a des interm édiaires : lettres collectives, circu ­
plus qu'un contrat, un bail, un testam ent, un journal laires, etc. L a lettre adressée à plusieurs personnes, à
intim e. Elle n'est pas écrite pour le public ni destinée une fam ille entière, à une com m unauté, à une cor ­
à la publicité. Elle n ’ est rédigée que pour les personnes poration, n ’ en est pas m oins une véritable lettre. Le
à qui elle est adressée. Sans l'éloignem ent des desti ­ nom bre des destinataires ne change pas son carac ­
nataires, elle n'aurait pas sa raison d ’ être; une com ­ tère essentiel de com m unication privée et intim e, pas
m unication, faite de vive voix, la rem placerait. Son plus que la publicité des lettres n ’ enlève leur qualité
rôle est de m ettre en relation des personnes que la d'écrit confidentiel, de m issive particulière. Cepen ­
distance sépare. E ssentiellem ent intim e, individuelle, dant, à cause de la m ultiplicité des destinataires, elle
personnelle, elle est com posée uniquem ent pour les tourne aisém ent à l ’ épître ct la circulaire se distingue
yeux de scs destinataires, qui l ’ ouvriront et la liront à peine de celle-ci. Celui qui écrit une lettre prévoit
seuls. Elle est secrète et scellée. Elle ne diffère pas de aussi parfois qu'elle sera divulguée, et sa correspon ­
la conversation; c ’ est une conversation par écrit ct dance perd ainsi quelque chose de son intim ité. Par
à distance. O n pourrait l ’ appeler, selon le m ot de contre, une épître, fût-elle adossée à un seul indi ­
M . D cissm ann, une anticipation de la conversation par vidu, reste un traité, une épître littéraire, écrite avec
téléphone. C om m e la conversation, elle est très variée la préoccupation du public et avec art. M algré les
de sujet et de ton. M ais le contenu et le ton ne con ­ rapprochem ents qui se produisent dans ces cas par ­
stituent pas la lettre. Ce qui la caractérise essentiel ­ ticuliers, les deux genres sont nettem ent tranchés:
lem ent, c ’ est qu ’ elle est une com m unication privée, la lettre est une com m unication intim e et privée,
échangée entre personnes éloignées. Par suite, elle l ’ épître, une com position destinée au public.
n'appartient pas à la littérature. O n ne sait qui l ’ a 2° Application de cette distinction aux écrits épistor
inventée; elle est très ancienne. V oir E. B eurlier, laires du Nouveau Testament. — M . D eissm ann trouve,
Lettre, dans le Dictionnaire de la Bible de M . V igou ­ dans le N ouveau T estam ent, des lettres et des épîtres.
reux, t. iv, col. 191-196. Elle a certainem ent précédé 1. Lettres. — a) Celles de saint Paul. — Les lettres
toute littérature. de saint Paul, sauf l ’ É pître aux H ébreux, qui est une
Elle ne diffère de l ’ épître ni par la longueur, car il véritable épître, sont de sim ples lettres réelles et non
y a des conversations et des lettres très longues, ni des écrits littéraires. Elles ont été écrites pour leurs
parle sujet, puisqu ’ une conversation et, par suite, une seuls destinataires ct non pour le public ni pour le
lettre peut rouler sur les quest ions les plus sérieuses, m onde chrétien postérieur. Elles n ’ ont pas seulem ent
ni par le style, certaines personnes ayant naturelle ­ les form es générales de la lettre que conservent
m ent un ton oratoire et un style châtié dans leurs de véritales épîtres: elles présentent les carac ­
conversations et dans leurs lettres les plus intim es, tères d ’ intim ité, de confidence, de naturel, de vérité,
ni par le fait qu ’ elles ne sont pas publiées, puisque d ’ aisance qui sont propres à la lettre privée. Files
des épîtres, destinées à la publicité, n ’ ont pas vu le s ’ adressent, pour la plupart, à des personnes connues,
jour et que telles lettres privées exhum ées des vieilles à des com m unautés que l ’ apôtre avait fondées ou
371 É P ITR E S 372

visitées ou à des Églises ’ sur lesquelles il avait des contem poraines, destinées à des Églises voisines, et
renseignem ents plus ou m oins étendus. Elles ont été elles restent des lettres et ne sont pas des traités sur
provoquées par des circonstances spéciales, nettem ent le m êm e sujet; un seul eût suffi. L ’ É pître aux Philip-
définies et concrètes, pour résoudre des difficultés, piens donne l ’ im pression d ’ une sim ple lettre écrite à
des cas de conscience, des points de doctrine, qui inté ­ une Église que Paul aim ait d'un am our particulier.
ressaient particulièrem ent, hic et nunc, les corres ­ La lettre aux R om ains, de prim e abord, pourrait
pondants de l ’ apôtre et l ’ apôtre lui-m êm e. Elles rem ­ passer pour une É pître proprem ent dite. C ependant
placent une conversation que l ’ éloignem ent rend saint Paul ne se propose pas de donner un com pendium
im possible. A bsent de corps, Paul est présent d ’ esprit de sa dogm atique et de sa m orale; il veut préparer
au m ilieu des com m unautés, avec qui il converse de son voyage, en exposant d ’ avance son Évangile.Q uoi-
loin. Ce ne sont pas, com m e le prétend V an M anen, que longue, sa lettre n ’ a rien du genre épistolaire, et
art. Paul, dans l’Encyclopædia biblica de C heyne, s ’il y m et m oins de sa personnalité, c ’ est qu ’ il ne con ­
Londres, 1902, t. m , col. 3626, des traités rédigés en naissait les chrétiens de R om e que par ouï-dire; il
form e de lettres, dans lesquels l ’ apôtre expose sa était cependant bien renseigné sur l ’ état de la com ­
doctrine et résout d ’ autorité des sujets de dogm e ou m unauté, et sa m issive n ’ est qu ’ une anticipation de
de m orale. Elles répondaient à des questions du m o ­ ses conversations prochaines. Les lettres pastorales,
m ent, parfois à des consultations, adressées à saint dont ne parle pas M . D eissm ann, quoiqu ’ elles soient,
Paul. S'il recom m ande un échange de ses lettres entre à un certain point de vue, des lettres d ’ adm inistra ­
deux Églises voisines, C ol.,iv, 16, ce n ’ est pas en vue tion, s ’ adressent à des particuliers, Tim othée et T ite,
de la publicité, m ais pour parer aux m êm es dangers. et sont rem plies de détails intim es et personnels.
V oir col. 179. Q uand il s ’ adresse à des Églises qu ’ il ne T outes les lettres desaintPaul sontdonc de sim ples
connaît pas, c ’ est, ou bien pour préparer sa visite lettres, sans caractère littéraire, et l ’ apôtre, en les
prochaine, com m e lorsqu ’ il écrit aux R om ains, ou écrivant, n ’ a pas été un littérateur, com posant
bien par m esure préventive, pour les m ettre en garde pour la galerie. O r, leur caractère prim itif de lettres
contre des erreurs qui les m enacent, com m e dans la garantit leur authenticité. Ce sont les produits qui
circulaire dite l ’ É pître aux Éphésiens. V oir col. 180. nous restent dé l ’ activité m issionnaire de l'apôtre
Saint Paul n ’ écrit pas pour le public chrétien de son des gentils. É crites pour des occasions particulières,
tem ps ; il s ’ adresse à une com m unauté, ou à un groupe elles contiennent le m oins possible de systém atisa ­
déterm iné d ’ Églises, ou à des particuliers. Il ne vise tion doctrinale. Œ uvres d ’ une personnalité très ar ­
pas davantage les générations chrétiennes futures, et dente, elles m anifestent la psychologie de leur auteur.
quoique le contenu de ses lettres ait servi déjà et ser ­ U n faussaire n ’ aurait pas pu les fabriquer. Saint Paul
vira toujours à l ’ instruction des chrétiens de tous les les a écrites · avec le sang de son cœ ur. » Elles nous font
tem ps, par les principes qui y sont posés et par les connaître ses pensées, ses sentim ents, son enseigne ­
vérités générales qui y sont exposées, il n ’ a eu direc ­ m ent, donné au gré des circonstances; elles ne nous
tem ent en vue que ses correspondants im m édiats, à livrent pas, com m e des É pîtres l ’ auraient fait, un
«fui il adressait de véritables lettres. Les Églises à qui systèm e théologique, ce qu ’ on a appelé le paulinism e.
elles étaient destinées les ont sans doute conservées Leur caractère de sim ples lettres rend très problé ­
pieusem ent, elles les ont com m uniquées à d ’ autres m atique ce paulinism e-là.
Églises. O n a copié, recueilli, groupé, publié, ces b) Autres lettres. — Pour M . D eissm ann, la II e et
lettres en raison de leur contenu, de leur intérêt uni ­ la III e É pître de saint Jean sont aussi de véritables
versel et durable, com m e on a assem blé et édité, dans lettres. La III e est un billet envoyé à un particulier.
l ’ antiquité profane, les lettres d ’ A ristote, d ’ Isocrate, Q uoique m oins personnelle, la 11° est aussi adressée
d ’ Épicure, de C icéron, par exem ple. Elle sont deve ­ à une particulière, fem m e ou Église. T outes deux sont
nues de la littérature sacrée et canonique. V oir C a n o n écrites dans le style des lettres m issives du tem ps.
d e s L i v r e s s a in t s , t. n,col. 1583, 1584. M ais rien ne 2. Épîtres. — Les É pîtres catholiques de saint Jac ­
m ontre que saint Paul ait prévu et voulu pour ses ques, de saint Pierre et de saint Jude sont de véri ­
lettres ces hautes destinées; il a écrit de sim ples tables É pîtres et non des lettres privées. La tradition
lettres qui, dans l ’ intention du S aint-E sprit qui ecclésiastique les a regardées com m e des circulaires,
l ’ inspirait, devaient servir à l ’ instruction et à l ’ édi ­ des encycliques, expédiées, leur nom le dit, à l ’ Église
fication de toutes les générations chrétiennes. universelle, à la catholicité entière. Leurs adresses
Leur caractère général de lettres privées apparaît indiquent d ’ ailleurs ce caractère général et universel.
plus clairem ent encore si on les exam ine chacune en O n peut donc les considérer com m e des œ uvres litté ­
particulier. Le billet à Philém on est évidem m ent une raires, traitant des sujets d ’ intérêt com m un, sans
lettre, et, selon le m ot de M . D eissm ann, il n ’ y a qu ’ un détails particuliers et personnels. La form e épistolaire
pédant, incapable de distinguer les couleurs, qui est seulem ent de style, et quels que soient leurs
puisse y découvrir un traité sur l ’ attitude du chris ­ auteurs, que ce soient les apôtres dont elles portent
tianism e en face de l ’ esclavage. Il en est de m êm e du les nom s, ou des écrivains chrétiens qui prennent ces
c. xvi de l ’ É pître aux R om ains, si on le considère nom s (voir les articles spéciaux), elles restent des
com m e une lettre de saint Paul aux É phésiens. Les écrits littéraires, rentrant dans la littérature popu ­
deux É pîtres aux C orinthiens supposent un échange laire de l ’ Église chrétienne.
de lettres entre cettecom m unauté et l ’ apôtre ; la P ’ est L ’ É pître aux H ébreux, quelque part que saint Paul
une réponse, et si la II e est pour nous difficile à com ­ ait eue à sa com position, est une É pître proprem ent
prendre, c ’ est qu ’ elle est pleine d ’ allusions à des faits dite. Elle n ’ a pas d ’ adresse et la finale, xm , 22-25,
que connaissaient bien les C orinthiens, m ais que nous n ’ est ajoutée que pour sauvegarder la form e exté ­
ne connaissons pas. Il en est de m êm e des deux É pîtres rieure de lettre. C ’ est un docum ent littéraire et non
aux Thessaloniciens. La lettre aux G alates est une une lettre privée. V oir H é b r e u x (Épilre aux).
lettre de discussion, une apologie personnelle; elle La I r0 É pître de saint Jean n ’ a rien d ’ essentielle ­
n ’ est ni un pam phlet contre les judaïsants ni un traité m ent épistolaire, ni adresse, ni salutation. O n a pu
De Lege et Euangelio. B ien qu ’ adressées à des Églises la regarder com m e la préface du quatrièm e É van ­
que Paul ne connaissait pas, les lettres aux C olossiens gile. Elle peut rentrer cependant dans le genre litté ­
et aux Éphésiens roulent sans doute sur le m êm e raire de l ’ É pître strictem ent dite, bien qu ’ elle n ’ en
thèm e et ont un ton plus im personnel que les lettres ait pas la form e extérieure.
envoyées à des destinataires connus. M ais elles sont L ’ A pocalypse, au contraire, horm is le titre et le
373 E P IT R ES — É PO U X (D E V O IR S D E S) 374

prologue, i, 1-3, serait une véritable É pître. E lle en dans les lettres chrétiennes. Saint Paul le fait précéder
a l ’ adresse, i, 4, et le souhait final, xxn, 21. Elle con ­ souvent de salutations personnelles, auxquelles sont
tient sept petites lettres aux sept Églises d ’ A sie M i ­ jointes des recom m andations, et ces salutations sont
neure, n, 1-in, 22, qui ne sont pas de véritables lettres fréquentes aussi dans les m issives ordinaires.
envoyées séparém ent aux anges ou évêques de ces B ref, les lettres apostoliques, surtout celles qui sont
Églises et réunies plus tard dans l ’ A pocalypse. Elles de véritables lettres, ont gardé, en les m odifiant un
ont fait toujours partie intégrante de l ’ É pître entière, peu,les form es extérieures, que nous ontrévélées dar. s
adressée à ces sept Églises, r, 4. C haque Église a lu les correspondances de l ’ époque les papyrus récem ­
dans l'ouvrage entier la lettre que le C hrist ressus ­ m ent exhum és. N ouvelle preuve que le N ouvea :
cité avait dictée pour elle au voyant de Patm os. D u T estam ent est bien de son tem ps et du m ilieu où il
reste, les leçons qui y étaient données intéressaient a paru.
toutes les Églises et l ’ E sprit-Saint les inspirait pour
E . Jacq u ier, Histoire des livres du Nouveau Testament,
elles toutes, n, 7,11,17,29; m , 6,13,22. Elles étaient P aris, 1903, t. i, p. 59-61 : Diclionnaire de la Bible, art.
dictées dans un but public et com m un, et elles ont Épilre, t. n , col. 1897-1898; art. Lettre, t. IV , col. 190; F .
aujourd ’ hui encore une signification m orale. Ce ne P rat, La théologie de saint Paul, 1 . 1, p. 99-101 ; A . B rassac.
sont pas de sim ples fictions, un pur procédé litté ­ Manuel biblique, 13· éd it., P aris, 1911, t. IV , p. 172-173.
raire ; ce sont des lettres du ciel. Cf. W . R am say, The E. Ma n g e n o t .
letters to the seven Churches of Asia, Londres, 1909, É P O U X (D E V O IR S d e s ). Le m ariage a été divi ­
p. 35-42; H . B. Sw etc, The Apocalypse of St. John, nem ent institué pour trois fins supérieures : perpe ­
3 ' édit., Londres, 1909, p. 4. tuer la race, donner aux enfants l ’ éducation du corps
et de l ’ âm e, assurer aux époux les avantages d ’ une
Λ . D eissm ann, Bibelstudien, M arbourg, 1895, p. 189-
252; art. Epistolary Littérature, dans Encyclopaedia biblica vie com m une, sainte, douce et durable. Tous les
d e C heyne, L ondres, 1901, t. n , col. 1323-1329; Licht vom devoirs des époux tendent à ce triple but.
Osten, T ubingue, 1908, p. 157-172; 2· édit., 1909, p . 163- N ous n ’ avons pas à envisager ici les obligations
178; W . R am say, dans Expositor, décem bre 1903, p. 418 qu ’ im posent au père et à la m ère l ’ éducation des
sq. ; The letters to the seven Churches of Asia, p. 23-34; V an enfants. V oir P a r e n t s (Devoirs des). N ous devon-
M an en ,art. Paul,§39, del’Encycloptedia biblica de C heyne, seulem ent traiter des devoirs m utuels des époux ....
L ondres, 1902, t. in , col. 3626 ; A . L em onnyer, tæs écrits
double point de vue de la perpétuité de la race et de
de saint Paul sonl-ils des lettres ou des épîtres? dans la Revue
du clergé français d u l ,r sep tem b re 1905, p. 31-46; F . P rat, la vie en com m un au foyer dom estique. La division
La théologie de saint Paul, P aris, 1908, t. I, p. 94-98,101- de ce travail est donc tout indiquée : I. A u point
102. de vue de la perpétuité de la race. II A u point de
vue de la vie com m une.
II. F o r m e e x t é r i e u r e . — Les lettres et les épîtres Le sujet est délicat : nous ne l ’ abordons qu ’ avec
du N ouveau T estam ent présentent, avec quelques les sentim ents qu ’ éprouvait saint A lphonse de Liguori :
m odifications pourtant, les form es ordinaires de la Piget me de hac maleria, quæ ianlam præ se fert
correspondance du tem ps. Elles com prennent : 1° foeditatem, ut caslas mentes ipso solo nomine pertur­
l ’ adresse; 2° l ’ entrée en m atière; 3° le corps de la bet, longiorem habere sermonem. Sed utinam non esset
lettre; 4° la finale. hæc maleria lam frequens in confessionibus excipiendis,
1 0 L ’adresse. — Elle contient : 1. le nom et les qua ­ ut non opportercl omnino confessorium plena tractatione,
lités des correspondants, par exem ple, Paul, apôtre, sed sufficeret compendio instructum esse! Ignoscat
et Tim othée, Sosthène, Silvain, frère ou serviteur de mihi propterea caslus lector, si /use de ea hic loquor,
Jésus-C hrist, ou sans titre; 2. le nom , le titre et l ’ é ­ et ad actus particulares, qui deformiorem exhibent tur­
loge des destinataires, par exem ple, aux Églises de pitudinem descendam... De matrimonio, n. 900.
G alatie, aux saints qui sont à Colosses et aux fidèles, I. D e v o ir s d e s é p o u x e n v is a g é s au p o in t de
frères dans le C hrist, ou à T im othée, m on fils bicn- — La doctrine
v u e d e l a p e r p é t u it é d e l a r a c e .
aim é; 3. le salut. Ici, le sim ple χαίρειν des lettres chrétienne au sujet du devoir conjugal se trouve
profanes est développé, sous la plum e de saint Paul, exposée tout entière par l ’ apôtre saint Paul, I Cor.,
par la form ule chrétienne : χάρις ύμιν ζάι εΙρήνη, vu, 3-5 : Uxori vir d e b it u m reddat, similiter autem
avec des term es qui indiquent plus ou m oins longue ­ et uxor viro. Mulier sui corporis potestatem non habet,
m ent la provenance de ces biens surnaturels. sed vir; similiter autem et vir sui corporis potestatem
2° L ’entrée en matière. — C om m e cela se faisait non habel, sed mulier. Nolite fraudare invicem, nisi forte
souvent dans les lettres profanes, qui débutaient par ex consensu ad tempus, ut vacetis orationi,et ilerumrever-
une prière aux dieux pour le destinataire, les apôtres, timini in idipsum, ne lentet vos Satanas propter inconti­
et saint Paul en particulier, com m encent ordinaire ­ nentiam vestram.
m ent leurs lettres par une action de grâces à D ieu ou par Le devoir conjugal réside en un acte charnel qui
une doxologie pour le rem ercier des bienfaits accor ­ unit l'hom m e et la fem m e pour assurer la continua ­
dés par lui aux correspondants. Ils y joignent naturel ­ tion de l'espèce hum aine. Conjugale debitum dicitur
lem ent l ’ éloge des destinataires ou quelques souve ­ communis ea conjugum actio, quæ generationi neces­
nirs personnels. Parfois l ’ action de grâces se continue saria est, quæque a summo rerum omnium provisor·’
par l ’ exposé du sujet, sans séparation. ad humanam societatem propagandam esi ordinata.
3° Le corps de la lettre. — Ces prélim inaires faits, Hæc autem actio sita est in carnali copula qua vir ac
on aborde le sujet, qui est traité pour lui-m êm e et de femina unum quasi corpus et una caro efficiuntur.
différentes façons. La lettre n ’ étant pas un genre Il ne nous paraît pas nécessaire de décrire les
littéraire, l ’ auteur a une très grande liberté d ’ al ­ organes qui servent à l ’ accom plissem ent de cet acte,
lure et n ’ est pas gêné par des lois protocolaires. Les qui perm ettent aux époux d ’ obéir à la fois à la loi de
questions se suivent et chaque lettre a sa m arche nature qui veut que l ’ espèce hum aine s ’ accroisse, s··
distincte. Les lettres de saint Paul, qui sont si per ­ m ultiplie et rem plisse la terre, et à la loi chrétienne
sonnelles et si vivantes, ne sont pas coulées dans un de la rédem ption qui ordonne au peuple des croyants
m oule, et leur plan varie com m e le but que se propose de s ’ accroître, de se m ultiplier et de dom iner le
leur auteur. m onde. N ous renvoyons à ce sujet le lecteur à des
4° La conclusion. — Les lettres profanes se term i ­ ouvrages techniques, de préférence au c. m du 1. 1 ■
naient par un salut final, qui était ordinairem ent un de l ’ ouvrage du docteur Surbled, La morale dans ses
souhait adressé aux dieux. Ce souhait ne fai t pas défaut rapports avec la médecine et Vhygiène. t. n. Ce chapitre
375 E PO U X (D E V O IR S D E S) 376

peut se résum er en un m ot : generatio effici non potest ou la santé corporelle, car l ’ acte, bon en soi, visant à
nisi postquam semen virile sive ad os sive communius une fin honnête, ne saurait être considéré com m e-
inlus vaginee mulieris ovulis quas ejaculatione fœcun- m auvais, et toute fin est honnête qui réalise les inten ­
dare debet admotum esi. N ous avons sim plem ent à tions qu ’ avait le créateur en instituant le m ariage.
rappeler ici les enseignem ents de la théologie en ce qui M ais l ’ acte conjugal, au contraire, est illicite, au,
concerne le licite de l’acte conjugal et son obligation. m oins véniellem ent, qui exclut positivem ent les fins
1° Le licite de l’acte conjugal considéré en lui-même, honnêtes du m ariage et poursuit la seule satisfaction
in se et ratione matrimonii finis. — Q ue l ’ acte conjugal de l ’ appétit sexuel, lequel n ’ est plus considéré com m e
soit de son essence, quand il s ’ agit d ’ époux légitim es, un m oyen, m ais com m e un but : l ’ ordre divin se trouve
honnête, louable et partant m éritoire, cela n ’ a jam ais dès lors m éconnu et les époux oublient que le m ariage
été sérieusem ent discuté par les théologiens, sinon n ’ est pas fait pour le plaisir charnel, m ais que le plai­
par quelques gnostiques encratites, voir col. 3-14, sir charnel est fait pour le m ariage. A ussi Innocent X I
puisque cet acte est le m oyen m êm e établi et a-t-il condam né (2 m ars 1679) la proposition suivante :
ordonné par D ieu pour perm ettre la propagation légi­ Opus conjugale ob solam voluptatem exercitum, omni
tim e du genre hum ain. En créant A dam , le m aître penitus caret culpa ac defectu veniali. D enzinger-
souverain créa l ’ hom m e m âle et fem elle, c ’ est-à-dire B annw art, n. 1189. Cf. V iva, Thes. damnat., in h.
l ’ espèce hum aine, chargée du développem ent indéfini loc. On ne doit pas cependant, dit saint Liguori, n. 912,
des hom m es dans le tem ps et dans l ’ im m ensité. Il considérer com m e étant en état de péché véniel ceux
suffit de relire le I er chapitre de la G enèse où le qui, soit im plicitem ent, soit explicitem ent, recher ­
créateur bénissant A dam et Ève prononça cette parole chent le plaisir en poursuivant une des fins honnêtes
si m agnifiquem ent réalisée depuis : « Croissez et m ul ­ du m ariage que nous avons indiquées. L a plupart
tipliez ! » G en., i, 28. C 'est D ieu lui-m êm e qui a des théologiens observent à ce sujet que, dans la
établi le licite de l ’ acte conjugal en prom ulguant la pratique, les confesseurs se trouvent en présence
loi de la procréation des enfants et du développe ­ d ’ époux qui, pour la plupart, accom plissent virtuel­
m ent de la fam ille. lem ent dans un but honnête l'acte conjugal et partant
M ais la naissance des enfants qui, renaissant spiri­ ne sont nullem ent coupables, dummodo copulam rite
tuellem ent par le baptêm e, pourront, suivant le habeant. A ussi estim ent-ils généralem ent que ces
catéchism e de Paris (1850), rem plir l ’ Église et le époux peuvent être laissés dans la bonne foi. T ous,
d ’ ailleurs, jugent avec le m êm e auteur, n. 913, illicite
ciel, n ’ est pas la seule fin du m ariage. Il en existe une
et m ettant en état de péché m ortel l ’ acte conjugal,
autre adm ise par les théologiens qui ajoutent, avec
lorsqu ’ il est provoqué dans une pensée qui touche à
saint A lphonse de Liguori, à la propagation du genre
l ’ adultère, par exem ple, quand l ’ un des époux a
hum ain l ’ apaisem ent de la concupiscence, remedium
l ’ intention réelle, par une sorte d ’ auto-suggestion,
concupiscenliæ. C ette fin se rattache à la prem ière et d ’ accom plir cet acte avec une autre personne que la
n ’ est cependant qu ’ une fin secondaire, car, ainsi que
personne avec laquelle il s ’ unit légitim em ent. V oir
le faisait rem arquer Μ α Γ d ’ H ulst, Sermons de Carême, A d u l t è r e , t. i, col. 464-465. Ils ne considèrent pas,
année 1894, note 8, p. 72,« si elle était principale, le d'autre part, com m e coupable d ’ un péché m ortel,
m ariage serait un m oyen bien insuffisant pour l ’ at ­ m ais com m e coupable d ’ une grave im prudence,
teindre, les satisfactions qu ’ il prom et aux sens étant puisqu'il s ’ exposerait sans aucune espèce de droit à un
interm ittentes et relativem ent rares, tandis que les danger, celui des époux qui penserait à la beauté
convoitises qu ’ il s ’ agit d ’ apaiser sont perm anentes. d ’ une autre personne que son conjoint absque affectu
Melius est nubere quam uri, dit saint Paul, m ieux vaut turpi, ut sese ad actum conjugalem excitaret. Sanchez,
se m arier que de sentir en soi le feu des passions. C ela 1. IX , dist. X V I, n. 16; Sporer, n. 505.
est vrai, m ais le m ariage ne rem édie à ce m al que dans La question de la fin du m ariage que nous traitons
une certaine m esure et laisse encore un fréquent a soulevé le cas de savoir s ’ il est perm is à un époux
exercice à la vertu de continence. » Cf. la controverse stérile, qui ne peut avoir d ’ enfants, de satisfaire au
entre les partisans de saint Thom as et ceux de saint devoir conjugal. Les théologiens reconnaissent ici le
A lphonse de Liguori dans B allerini, Opus theologicum licite de l ’ acte, car l ’ époux stérile doit répondre à la
morale. De matrimonio, c. n, et dans G ury, Theologia dem ande de son conjoint par justice et em pêcher
moralis, t. il, n. 907. Le licite de l ’ acte conjugal n ’ en son incontinence par charité, com m e il a le droit
est pas m oins certain, lorsque les époux voient en lui un de com battre sa propre incontinence. Le but qu ’il
m oyen d ’ apaiser la concupiscence, car le plaisir sen ­ poursuit est conform e aux fins du m ariage : aucune
sible que cet acte leur fait éprouver (acte en lui- loi ne s ’ oppose à l ’ accom plissem ent du devoir conju ­
m êm e d ’ ailleurs naturellem ent anim al et d ’ apparence gal, et la non-procréation peut, en ce cas, être consi ­
vile), n ’ est plus considéré par eux que com m e un sti ­ dérée com m e le résultat d ’ un accident. Les m êm es
m ulant et un aide en m êm e tem ps nécessaireà l ’ accom ­ principes sont applicables aux vieillards qui ne
plissem ent de la fin supérieure du m ariage qui est la sont pas com plètem ent im puissants : c ’ est pourquoi
procréation des enfants. E t c ’ est là précisém ent ce que l ’ Église bénit leur union. S. Liguori, n. 954.
l ’ apôtre saint Paul, tenant com pte de la situation 2° Le licite de l'acte conjugal considéré au point de
de l'hum anité déchue, indique form ellem ent : Propter vue des circonstances dans lesquelles Use produit. — 1. A u
fornicationem aulem unusquisque suam uxorem habeal point de vue personnel, trois circonstances peuvent
et unaquieque suum virum habeat. I C or., vn, 2. E t il s ’ opposer à l'acceptation de l ’ acte conjugal : le vœ u
ajoute, en term inant son m agnifique enseignem ent sur de chasteté, l ’ affinité provenant de l ’ inceste, l ’im puis ­
les devoirs réciproques des époux, ces m ots décisifs : sance physique. Il est inutile d'insister au sujet des
Melius est nubere quam uri! 9. L ’ acte conjugal est deux prem ières circonstances. V oir t. m , col. 2328;
donc licite, lorsqu ’ il répond au désir réciproque de 1.1, col. 523-524. Les théologiens déclarent que si l ’ un
l ’ un ou l'autre époux : tunc enim voluptas qua fruuntur des époux se trouve lié à l ’ un ou l ’ autre de ces points
conjuges ordinatur ad superiorem finem ab ipso Deo de vue,il ne peut,sous peinede péché grave,dem ander
intentum. C ’ est l ’ opinion de saint Liguori, n. 881 sq., l ’ accom plissem ent du devoir conjugal, m ais qu ’ il est
et son opinion est celle de la m ajeure partie des théo ­ tenu de répondre au désir de son conjoint qui n ’ a,
logiens d ’ aujourd'hui. L ’ acte conjugal est donc lui, rien perdu de son droit. Ils ajoutent que si les deux
licite toutes les fois qu ’ il s ’ accom plit dans un but époux se trouvent liés par le vœ u de chasteté ou par
honnête, tels l ’ accroissem ent de l ’ am our des époux l ’ affinité, provenant de l ’ adultère, ni l ’ un ni l ’ autre
377 É PO U X (D E V O IR S D E S) 373

ne peut accom plir l ’ acte; le vœ u et le péché le leur savoir si l ’ acte conjugal est licite quand il est accom pli
interdisent d ’ une façon form elle. L ’ alliance spiri ­ pendant la période de gestation, justem ent préoccupe
tuelle constitue-t-elle un em pêchem ent au devoir d ’ ailleurs de la crainte d'un avortem ent possible, con­
conjugal? La question est controversée. Cf. S. Liguori, sidère l ’ époux qui se livre alors à cet acte com m e
De baptismo, n. 150. Q uant à l'im puissance qui peut véniellem ent coupable, nisi adsit periculum incon­
devenir, quand elle est radicale et constante et que tinentiae vel alia causa honesta quæ alioquin sœpc <. ô · ;
l ’ acte conjugal n ’ a jam ais pu être consom m é, m êm e potest, n. 924. Si les théologiens n ’ adm ettent plus la
après une période d ’ essai loyal de trois ans, une cause doctrine ignorante des faits physiologiques qui inter ­
de nullité, elle n ’ em pêche, aucunem ent les deux époux disait l ’ acte pendant les sept prem iers jours de la con ­
de rechercher une des fins légitim es du m ariage. V oir ception (m om ent im possible à déterm iner), ils s ’ ac­
I m p u is s a n c e . C elui qui ne peut avoir des enfants doit cordent à le déconseiller au com m encem ent et à la fin
répondre à la dem ande de son conjoint par justice de la grossesse, ct ils condam nent form ellem ent son
et em pêcher son incontinence par charité. Il peut ainsi usage im m odéré dans les m ois interm édiaires, car ils
profiter de la vie com m une et user des relations voient en cette pratique, et fort justem ent,la cause la
sexuelles pour échapper à sa propre incontinence. plus fréquente des avortem ents : elle est, dit saint
2. O n peut, au sujet du licite de l ’ acte quant aux François de Sales, plus ou m oins vitupérable suivant
circonstances de position (de situ), (et l ’ on com prendra que l ’ excès est grand ou petit. Introduction à la vie
que nous nous exprim ions ici en latin) poser les trois dévote, 1. III, c. xxxix, 5. A plus forte raison, les théo ­
règles suivantes : n) Silus prorsus licitus est ille quem logiens considèrent com m e plus ou m oins gravem ent
natura ipsa docet, sic nempe ut mulier succuba sit, vir coupables, non pas en eux-m êm es, m ais à cause des
autem incubus,cum hic modus generatim aptior sil ad périls réels qu'ils peuvent faire encourir à une épouse
seminis infusionem. Ita S. Thomas et alii communiter. affaiblie, exténuée, les rapports conjugaux pendant les
Kalio est, quia cæteri silus naturas ordini nonnihil cinq ou six sem aines qui suivent l ’ accouchem ent.
adversantur, et consequenter aliquam ordinis viola­ D ’ après C apcllm ann, p. 154, ces rapports ne peuvent
tionem inferunt. — b) Nullus silus quantumvis inna- être repris durant les deux prem ières sem aines, car
luralis (sedendo, slando, vel muliere incumbente, etc.) ils causeraient à la jeune m ère un tort très grave; elle
perse nonest graviter illicitus, dummodo actus conjugalis éprouverait un dom m age m oindre pendant les quatre
satis perfici possit; ratio est quia qualiscumque situs sem aines suivantes.
inversus, dummodo perfici queat unio, generationem non T out le m onde aujourd ’ hui s'accorde à reconnaître
impedit. S. Liguori, n. 917. Il faut observer cepen ­ que l ’ acte conjugal est licite durant la période de
dant que l ’ acte accom pli en de telles circonstances l’allaitement de l ’ enfant. A ucun texte ne l ’interdit, et
expose, d ’ après les auteurs les plus com pétents, à des le tem ps est passé où les m édecins lui attribuaient un
accidents variés, quelques-uns redoutables pour les em poisonnem ent consécutif du lait de la m ère. Cf.
deux époux, et qu ’ il dim inue les chances de la procréa ­ S. Liguori, n. 911. Les rapports des époux in t<mp
tion. Il ne doit être par conséquent accom pli de cette menstrui ordinarii, sévèrem ent condam nés par la loi
m anière qu ’ en cas de nécessité. Surbled,op. cit.,p.141; m osaïque, Lev., xv, 19-20; xvin, 19; xx, 18, sont
V igouroux, Traité de médecine, t. iv,p. 65. — cjQuilibet aujourd ’hui reconnus licites par les théologiens, car la
innaturalis silus, fusta accedente causa (v. g. propter conception non seulem ent peut s'accom plir à cette
periculum abortus tempore praegnationis, vel ob viri pin­ époque, m ais elle s ’ accom plit alors plus fréquem m ent
guedinem vel curvitatem, etc.), omni culpa vacat : inter­ qu ’ à tout autre m om ent, dans les huit jours qui
dum autem situs innaturalis facilior est vel etiam solus suivent le flux catam énial et dans les huit jours qui
possibilis, et quidem major vel quaepiam facilitas vel ne­ le précèdent : ils sont donc licites per se; m ais l ’ époux
cessitas ejusmodi inordinationem, quae per se levis est, doit se souvenir que ces rapports (s ’ ils n ’ entraînent pas,
amovere potest. S. Liguori, ibid. Tous les théologiens com m e on le croyait autrefois, la lèpre, s ’ ils n ’ occa ­
sont d ’ accord, dit Tanqucrcv, en son excellent sionnent probablem ent aucun désordre chez ceux
Supplementum ad tr. de matrimonio, pour recom m an ­ que l ’ avarie n ’ a jam ais éprouvés bien qu'ils puissent
der dans la pratique aux confesseurs de ne pas adresser être chez les autres l'occasion de réveils d ’ affections
à ce sujet des questions qui, non seulem ent ne sont anciennes), ces rapports, dis-je, peuvent être, in tem­
pas nécessaires à l ’ intégrité de la confession et sont pore menstrui, préjudiciables à la santé de l ’ épouse à
par conséquent inutiles, m ais qui peuvent donner ce m om ent m oins arm ée contre les germ es m orbides
lieu à des scandales. Si le pénitent interroge le prêtre par suite des m odifications qui s ’ opèrent en elle : ils
à cet effet, celui-ci aura sim plem ent à lui répondre peuvent devenir alors la cause de m aladies redou­
que la position naturelle doit être, autant que possible, tables et longues ayant leur répercussion sur la vie
conservée. D ans le cas où le pénitent s ’ accuserait conjugale elle-m êm e. E t c ’ est pour cela que saint
d ’ en avoir choisi une autre, le confesseur devra seu ­ Liguori pense qu ’ il y a péché véniel à accom plir l ’ acte,
lem ent lui dem ander s ’ il n'a pas eu pour but en agis ­ nisi fiat ad vitanda dissidia, continentiam, cl alia simi­
sant com m e il l'a fait d ’ em pêcher la procréation. lia, η. 925. Ici encore le confesseur, dit G ury, doit
3. Q uelles sont les circonstances de temps où l ’ acte agir avec la plus grande prudence et s ’ abstenir, en pa ­
conjugal se trouve licite, celles où il devient illicite ? reille m atière, de toute question, cum nihil sit apæni-
O n peut poser en principe que l ’ acte conjugal en lui- tente necessario declarandum.
m êm e n ’ est jam ais illicite sous peine de péché grave. L ’ acte conjugal est illicite dans le tem ps où tel ou
Il n ’ existe, en effet, aucune loi qui le condam ne tel des époux se trouve atteint de m aladie et cela
parce qu ’ il se sera produit à tel ou tel m om ent, m ais toutes les fois que l ’ acte doit faire encourir au conjoint
il peut cependant, dit G ury, se faire que, par suite de un grave danger au point de vue de la santé ou de la
circonstances spéciales, rares et souvent difficiles à vie. Le corps de l ’ époux n ’ appartient pas à l'autre,
discerner, l ’ accom plissem ent du devoir conjugal de ­ ad destructionem. A ussi le docteur angélique afflrm e-
vienne l ’ occasion d'un avortem ent ou d ’ un grave t-il : Vir tenetur uxori debitum reddere in his quae ad
péril pour la santé. U n grand nom bre de théologiens, generationem prolis spectant, salva tamen prius personæ
s ’ appuyant sur l ’ absence de toute prohibition,estim ent incolumitate, Sum. theol., III “ ,q. LX iv.et l ’on peut aj< ti­
pourtant que l ’ acte est toujours licite quand il s ’ agit ter : salvo gravi contagionis periculo. C ’ est ainsi q· ::
d ’ une question de tem ps. Ce n ’ est certainem ent pas l ’ on doit considérer com m e gravem ent coupable l ’ ai te
l ’ opinion de saint Liguori, n. 924. accom pli par un époux atteint de la hideuse avarie,
C et auteur exam inant, en effet, la question de qui frappera dans la période active l ’ autre époux,
379 E PO U X (D E V O IR S D E S) 380

pourra tarir les sources de la vie, ou bien exposera lum ière de ces trois principes qui dérivent de la pro ­
l'enfant qui naîtra aux plus graves dangers,souvent à création considérée com m e fin principale du m ariage :
une m ort prém aturée, toujours à une existence m isé ­ 1. quidquid p r o est licitum; 2. quidquid c o n t r a est
rable. O n com prend que nous n ’ insistions pas; nous mortale; 3. quidquid p r æ t e r est veniale. — 1. Sont donc
renvoyons le lecteur à tous les auteurs qui ont abordé absolum ent licites tous les actes vraim ent utiles à la
ce triste et douloureux sujet. Cf. C apellm ann,p. 159; procréation de l ’ être, qui concourent à faciliter
Surblcd, op. cit., t. ni, c. xiv sq. ; H . V igouroux, op. l ’ accom plissem ent du devoir conjugal. L a raison en
cit., t. iv; D uclaux. L ’hygiène sociale, 1902; Fonssa- est que celui-là qui a le jus ad rem a droit aux
grives, Conseils aux parents el aux maîtres sur l’éduca­ m oyens nécessaires et utiles pour exercer ce droit.
tion de la pureté, p. 117, 135. Les m êm es m otifs qui G ury, n. 918. Sont par conséquent absolum ent licites
rendent ici illicite l ’ acte conjugal: le respect en parti ­ entre époux, lorsqu ’ ils tendent à accom plir l ’ acte
culier de la vie hum aine, la m enace d ’ un péril grave et conjugal et sunt vehit ejus inchoatio, oscula quœlibet
im m inent, s ’ appliquent à toutes les m aladies grave ­ honesta, aspectus, amplexus, sermones, tactus in partes
m ent contagieuses com m e la lèpre etla peste. D ans un tum honestas, tum etiam minus honestas (si tamen
cas de phtisie où le danger de contagion n ’ est pas im ­ caute fiant), ratione affectus conjugalis demonstrandi,
m inent pour les époux, où les enfants à naître seront aut amoris confovendi, etiamsi aliquando p e r a c c id e n s
peut-être m oins exposés que dans les cas précédents sequeretur involuntaria pollutio, quia omnia amoris
aux périls de l ’ atavism e (il est aujourd ’hui en effet honesta signa etiam tenera, ut media ad finem sunt
affirm é par un certain nom bre de m édecins que la tu ­ licita iis qui ex vinculo matrimonii c o r u n u m et c a r o
berculose n ’ est pas héréditaire, que si elle visite l ’ en ­ u n a fieri debent. S. Liguori, n. 934, et alii commu­
fant dès le berceau, les tout petits enfants ne l ’ ont niter. — 2. Sont véniels tous les actes qui sont inu ­
à peu près jam ais en eux), dans ce cas, les théolo ­ tiles ou indifférents à la procréation de l ’ ctre ou bien
giens adm ettent com m uném ent que l ’ acte est licite, qui ne tendent pas à renforcer l ’ am our m utuel des
m ais seulem ent ob gravem causam. N ous nous m on ­ époux. D e tels actes sont coupables, puisqu ’ ils n ’ ont
trerons plus sévères lorsque la tuberculose est avérée, d ’ autre m obile que la recherche de la volupté, et ne
reconnue, dénoncée par le m édecin, et cela dans sont licites que les actes qui tendent à une fin hon ­
l ’ intérêt du conjoint m enacé et dans l ’ intérêt de l ’ en ­ nête, m àis (exception faite, bien entendu, des actes
fant qui naîtra (à supposer m êm e que les nouvelles absolum ent obscènes) ils ne sont que véniellem ent
théories soient exactes), toujours m al arm é contre la coupables, car voluptas in istis non quæritur extra
contagion, avec de m auvaises prédispositions et dans matrimonium et aclus est natura sua ordinatus ad
les plus fâcheuses conditions de m ilieu. copulam licitam. Verum estdeesse circumstantiam finis
Il est des m aladies qui ne sont pas contagieuses,m ais debiti ex parte operantis, sed ejusmodi defectus nonnisi
qui peuvent, com m e la fièvre, les affections chroniques deordinalioncm levem inducit, et consequenter peccatum
com m unes aux organes fém inins, ou bien des souf ­ tantum veniale. Ita communiter. Cf. G ury, n. 918.
frances extrêm es, être exacerbées à la suite de l ’ acte Non peccant graviter conjuges, etsi tactibus etiam
conjugal et parfois m êm e occasionner péril de m ort, sine intentione copulæ habitis exurgat commotio spiri­
l ’ accom plissem ent du devoir conjugal est alors déclaré tuum, vel membrorum generationi inserventium aut
illicite.soit gravem ent, soitvéniellem ent. Il n ’ en est pas sequatur distillatio, quamvis hæc in solutis mortalia
de m êm e lorsque les m aladies, en elles-m êm es légères, essent : ratio, quia secluso voluntaries pollutionis aut
ne peuvent pas devenir graves à la suite des relations sodomise crimine nihil fit contra bonum matrimonii. Ita
sexuelles. L ’ acte, accom pli en état de dém ence et communiter. S. Liguori, n. 93 1 ; Sanchez, etc. Caveant
d ’ ivresse com plète, n ’ est pas défendu, m ais il n ’ y a autem, dit G ury, ne in proximum pollutionis periculum
pas non plus d ’ obligation pour le conjoint, car cet acte incidant, quod facile fiet, si motus sint valde inordinati.
engendrera souvent chez l ’ enfant qui naîtra la folie, Hinc quamvis per se loquendo non peccent mortaliter
la surdo-m utité, les graves accidents de l ’ alcoolism e ou conjuges, qui, incepta copula, ex mutuo consensu actum
de l ’ épilepsie. conjugalem non perficiunt, si /orte non adsit periculum
L ’ obligation de rendre le devoir cesse, quand une pollutionis : bene advertit S. Alphonsus, n. 918, post
épouse a des raisons de craindre qu ’ en devenant m ère Sanchez, ordinarie id esse mortale, quia ordinarie
elle ne perde la vie. S. Liguori, n. 593. E n est-il de aderit ejusmodi periculum. Enfin ne pèche pas gra ­
m êm e quand elle sait par expérience qu ’ elle m ettra vem ent, d ’ après saint Liguori, d ’ accord en ceci avec
au m onde des enfants m ort-nés? Laym an, V oit et l ’ opinion la plus com m une et la plus probable, l ’ épouse
plusieurs théologiens se prononcent pour l ’ obligation quæ seipsam tactibus excitat ad seminationem slalim
absolue; B iiluart, R odriguez, V ictoria et d ’ autres post copulam in qua vir solus seminavit : d) quia semi­
n ’ adm ettent l ’ obligation que lorsque le contraire natio mulieris perlinet ad complendum conjugalem
exposerait les époux à pécher. actum, ut proprie conjuges sint una caro; et sicut uxor
N ous en aurons fini avec le licite de l ’ acte conju ­ potest se prseparare tactibus ad copulam ita etiam perfi­
gal envisagé selon les circonstances de tem ps,lorsque cere; b) quia si mulieres post talem irritationem compes­
nous aurons rappelé avec les théologiens que le de ­ cere naturales motus tenerentur, essent jugiter magno
voir conjugal peut être accom pli les dim anches et periculo exposilœ graviter peccandi. S. Liguori, n. 919.
jours de fêtes, au tem ps du carêm e et de ΓΑ vent; Tactus turpes cum seipso exerciti ex delectatione venerea,
aucun texte ne s ’ y oppose et l ’ acte n ’ interdit en au ­ absente allero conjuge, sunlne veniales vel mortales? —
cune façon aux époux l ’ observation des fêtes de Disputant theologi. Sunt quidem peccata venialia quia ob
l ’ Église. Les textes de quelques Pères de l ’ Église, solam voluptatem fiunt; sed non mortalia si absque
qui sem blent opposés à cette opinion aujourd ’ hui proximo periculo pollutionis peraguntur. Sed qui ita
com m une, doivent être interprétés plutôt com m e sibi indulgent eo tempore quo copula maritalis haberi
des conseils à l ’ abstention durant les jours qu ’ ils in ­ nequii, facile exponuntur periculo ulterius procedendi ;
diquent. Cf. S. Liguori, n. 922, 923; 1. IV, n. 273; non ita, si iis in circumstantiis in quibus copula legi­
Sanchez, 1. IX , dist. X III; Lugo. tima exerceri potest, cum, occurrente periculo, debitum
3° Ce qui est licite ou illicite de la part des époux en petere valeant.
dehors de l’acte conjugal proprement dit. — Il est, en 3. Sont m ortels tous les actes qui vont contre la
effet, des actes præler ipsam copulationem, qui sont procréation de l ’ être et par conséquent contre la fin
en connexion étroite avec elle et dont on doit recher ­ principale du m ariage voulue par le créateur. D e
cher le licite. G ury résout toute cette question à la quelques nom s qu ’ on les appelle : adultère, poilu-
381 É PO U X (D E V O IR S D E S) 382

tion volontaire,sodom ie,onanism e,ils constituent une Il est inutile de dire que les épouses qui acceptent
violation de la loi divine ct m éritent les anathèm es que la castration dans le but de ne pas procréer(le nom bre
les théologiens n'ont cessé de proférer contre eux. en est aujourd ’ hui très rare, car les m alheureuses
l. ’ époux adultère, en effet, qui, en dehors du m a ­ qui s ’ étaient livrées à cet acte ont servi d ’ exem ples
riage, accom plit l ’ acte réservé à son conjoint .com m et salutaires), com m ettent un péché m ortel.
un double péché m ortel : l'un contre la chasteté, La pratique de la fécondation artificielle,considérée
1 autre contre la justice, car, dit saint Paul, mulier par les m édecins les plus com pétents com m e m an ­
sui corporis polestalem non habet, sed vir, etc., et le quant presque toujours d ’ indication, ne peut être
péché m ortel est triple s ’ il com m et cet acte avec un considérée com m e illicite, au dire de quelques théolo ­
autre époux dont le conjoint se trouve ainsi gra ­ giens, dummodo semen, præhabita inter conjuges legi­
vem ent lésé. V oir A d u l t è r e . Pollulio voluntaria tima copula in vagine receptum, ope syphunculi hau­
extra copulam conjugalem et quidquid proximum pollu­ riatur et in uterum injiciatur. M ais ces théologiens
tionis periculum inducere potest est peccatum omnino s ’ appuyaient sur ce que ce procédé venait en aide à la
gravius, quia pra’ler castitatem ut supra diximus liedi- nature pour la procréation de l ’ être. O n doit leur
tur jus alterius. Notandum est : hic agitur de jure quod opposer que le décret rendu par le Saint-O ffice, le
ex ipsa unitate matrimonii oritur prout a Deo sub Nova 24 m ars 1897, est form el : à cette question : « Peut-on
Lege statuta est, nec proinde alienari potest privata pratiquer la fécondation artificielle? « la S. C. a
conjuguai auctoritate. Surbled, op. cit., t. n. L a sodo ­ répondu : Non licere. V oir E m b r y o t o m i e et C é s a ­
m ie, com m e la pollution volontaire, com m e l ’ ona ­ r ie n n e (Opération).
nism e, voir ces m ots, est un péché contre nature, un N ous devons indiquer ici que l ’ épouse enceinte
péché plus grave en soi que tous les autres péchés doit, sous peine de péché plus ou m oins grave,
d ’ im pureté. Ce qui contient la vertu de donner la veiller sur tout ce qui peut — dans sa m anière de
vie, est détruit au m épris de la vie de l ’ esprit et vivre, de sacrifier à la m ode, dans ses leclures, dans
du corps dans des satisfactions plus que bestiales. les spectacles auxquels elle assiste, dans la vie m on ­
S. Thom as, Sum. theol., 11 “ II®, q. c l iv , a. 11, 12. Si daine qui la prend tout entière — éveiller en elle
les péchés d ’ adultère sont hors du m ariage, ct par consé- une ém otivité m aladive devant avoir sur le frêle
quenlégalem ent contraires au m ariage, ceux-ci en sont petit être qu ’ elle porte en son sein un reten ­
l ’ opposé direct; ils sont bien contre le m ariage; ils tissem ent, auquel bien des auteurs graves attribuent
sont incom patibles avec le bien des enfants, ils sont un grand nom bre des avortem ents avant term e si
de plus dirigés contre le bien de la foi, car ils sont la nom breux aujourd ’ hui. M ais la faute devient plus
plus grande flétrissure qu ’ on puisse infliger soit à sa grave encore lorsqu ’ il s ’ agit des avortem ents provo ­
propre personne, soit à la personne d ’ autrui; ils sont qués avant term e que certains m édecins ont préconises
opposés enfin au bien du sacrem ent en ce qu ’ ils sont com m e ne rentrant pas dans l ’ ordre des actes con ­
un obstacle à toute union sainte et conjugale et qu ’ ils dam nés par le Saint-O ffice : le m otif est le m êm e :
en rendent incapables. B runer, Theol. mor., t. n. Iis sacrifier l ’ enfant pour sauver la m ère. Le Saint-O ffice,
bouleversent, en un m ot, totalem ent l'ordre de la na ­ consulté de nouveau, n ’ a pas hésité, le 24 juillet 1895.
ture et appellent la colère de D ieu. G en., xxxvn, 2; à form ellem ent déclarer illicites de telles m anœ uvres·
xviii, 20 sq. ; xix, 15; L ev., xx, 13,15,16; K orn., i, 26, La m êm e C ongrégation, les 4 m ai 1898 et 5 m ars 1902,
27; Jude, 7; S. G régoire,Moral.,xv, 10. A ussi l ’ Église, interrogée sur le licite quoad accelerationem partus
dès l ’ origine,n ’ a-t-elle cessé de les poursuivre. Concile quæ fil quando fœtus, jam a septem mensibus concep­
d ’ E lvire,can.71 ; concile d ’ A ncyre; Pænitenliale roma- tus, extra uterum vivere potest, par l ’ archevêque de
num a Gregorio Magno, can. 1; concile de L atran Sinaloa dans le M exique, opposa à la prem ière ques ­
(1179), c. iv, x, xiii ; const, de Pie V , Horrendum tion posée en ces term es : Eritne licita partus accele­
illud scelus, etc. T out abus de ce qui ne doit servir dans ratio quoties ex mulieris arctiludine impossibilis
l ’ordre de la nature qu ’ à la transm ission de la vie, soit evaderet fœtus egressio suo naturali tempore? cette
qu ’ on ait en vue cet abus, soit qu ’ on le perm ette réponse : Partus accelerationem per se illicitam non
com m e une conséquence prévoyable d ’ un acte non jus ­ esse, dummodo perficiatur justis de causis ct eo tem-
tifié, est toujours un péché m ortel et ne peut jam ais poreacmodis quibusex ordinariis contin entibus matris
être excusé par aucun but qu ’ on se proposerait. Cf. la el vitæ consulatur. A la deuxièm e question ainsi
proposition 49, condam née par Innocent X L S ’ il est libellée : Et si mulieris arctitudo talis sil ul neque
provoqué ou accom pagné par des désirs coupables partus præmaturus possibilis censeatur,licebitne abor­
dirigés vers un objet déterm iné, il est, en outre, un tum provocare aut cæsaream suo tempore perficere
péché de m êm e espèce que l ’ acte extérieur auquel operationem? le Saint-O ffice répondit : Quoad pri­
correspond ce désir. B ulle Cælcstis pastor d ’ Innocent X I, mam partem, negative... Ad secundum vero quod spectat,
20 novem bre 1687. Les actes contre nature en fin exer­ nihil obstare quominus mulier de qua agitur, cæsareæ
cent sur les générations com m e sur les Individus la operationi suo tempore subjiciatur. La troisièm e ques ­
plus funeste influence. N ul péché ne se tourne aussi tion posée était ainsi form ulée : Estnc licita laparo-
facilem ent en habitude; il entraîne la ruine totale de tomia quando agitur de prœgnatione extra uterina, seu
la vie corporelle et spirituelle. P. Æ gid. Jais, Das de ectopicis conceptibus? La réponse fut : Necessitate
Wichtigste für Ællern,Seelsorgcr, Lehrer und Erzieher. cogente, licitam esse laparolomiam ad extrahendas e
Ceux qui consom m ent ces actes, cum effusione semi­ sinu matris ectopicos conceptus, dummodo el fœtus el
nis non in vase debito,en dehors des règles ordinaires à matris vitæ, quantum fieri potest, serio et opportune
la transm ission de la vie, se m ettent donc en état de provideatur. Cf. Ami du clergé, 1902, t. xxiv, p. 478;
péché m ortel.Tertullien, De pudicitia, c. iv, 4; R om ., Eschbach, p. 470-471 ; Acta S. Sedis, t. xxx, p. 704.
i, 24. Non sunt delicta, sed monstra. L ’ épouse peut- V oir A v o r t e m e n t .
elle coopérer à l ’ acte de sodom ie?Sanchez,!. IX , disp. 4° Obligation de l’acte conjugal. — N ous devons
X V II, n. 3, l ’ interdit, m ais d ’ autres en assez grand nous borner à poser ici les principes sous peine de nous
nom bre, avec B erardi, n. 987, et N cldin, distinguent répéter. — 1. Il y a obligation de justice grave, per se, de
• litre la coopération positive ou active et la coopéra ­ rendre le devoir conjugal au conjoint qui en dem ande
tion passive. Lorsque celle-ci a pour but d ’ em pêcher l ’ accom plissem ent serio el rationabiliter, parce que les
m très grand m al et que l'épouse non venereœ de- époux y sont tenus en vertu m êm e du contrat m atri ­
i- ' lationi inde forsan orienti consentiat, l ’ épouse peut m onial qu ’ ils ont librem ent consenti, en se donnant
alors être laissée dans la bonne foi. l ’ un à l ’ autre, corps aussi bien qu ’ ânies. I C or., vn, 3.
383 É PO U X (D E V O IR S D E S) 384

2. L ’ obligation n ’ existc aucunem ent per se de de ­ G en., n, 18. E t voici le rapport qu ’ il a établi entre
m ander le devoir conjugal, car chaque époux peut ne l ’ hom m e et la fem m e : 1° la fem m e dépend du m ari
pas user de son droit, et tous les deux peuvent en user en tant qu ’ il est le principe et le chef de la so ­
ou s ’ abstenir; m ais per accidens, il peut devenir obli ­ ciété conjugale. G en., n, 22. 2° Il doit y avoir entre
gatoire, quand il s ’ agit de satisfaire à la charité ou à eux unité, société de vie com plète. 3° Leur m utuel
toute autre vertu : par exem ple, si judicet compartem am our doit être inviolable, exclusif : union d ’ un seul
versari in periculo incontinentiæ ob verecundiam pe­ hom m e avec une seule fem m e, 24.
tendi, aut si petitio necessaria sit ad restaurandum Telle fut l ’ institution prim itive du m ariage. Le pé ­
amorem conjugalem. S. Liguori, n. 926, 929. ché ayant fait invasion dans la société conjugale, le
3. L ’ obligation de rendre le devoir cesse pour un C hrist est venu restaurer ce qui avait été détruit en
époux, quand l ’ autre, époux n ’ a plus le droit de l ’ exiger faisant du m ariage un sacrem ent et en prom ulguant
de lui · a) Si unus conjuguai adulterium commiserit; d ’ une m anière souveraine les droit? et les devoirs ré ­
b) si petens usu rationis careat, quia petitio ejus non est ciproques des époux. Ccs droits et ces devoirs
humana; c) si reddens possit rationabiliter timere résultent du caractère m êm e que ia révélation di ­
dammum vel periculum grave sanitatis, quia non cen­ vine assigne au m ariage chrétien qui est une im age
sentur conjuges se obligasse ad debitum cum tanto de l ’ alliance que Jésus-C hrist a conclue avec son
incommodo reddendum; d) si petens, ob commissum Église : Sacramentum hoc magnum est; ego autem dico,
incestum cum consanguineis alterius, in primo aut in Christo el in Ecclesia. E ph., v, 32. Il est, dit saint
secundo gradu, aut aliam ob causam, jus petendi François de Sales, honorable, à tous, en tous et en tout,
amiserit. Cf. G ury, n. 915. c'est-à-dire en toutes ses parties : à tous, car les vierges
XI résulte de ces principes, d ’ après l ’ auteur que nous m êm es le doivent honorer avec hum ilité; en tous, car
venons de citer : a) que chacun des époux est tenu à il est égalem ent saint entre, les pauvres et les riches;
observer la cohabitation, à ne pas vivre longtem ps en tout, car son origine, sa fin, ses utilités, sa form e
éloigné sans le consentem ent de l ’ autre, sauf le cas et sa m anière sont saintes.» Plût à D ieu, ajoute le saint
de nécessité, par exem ple, bonum publicum, jamilia docteur, que son fils bien-aim é fût appelé à toutes les
alenda vel tuenda, damnum ab inimicis vitandum. noces com m e il le fut à celles de C ana : le vin des con ­
Saint Liguori, n. 938, fait une obligation au m ari, solations et bénédictions n ’ y m anquerait jam ais, car
s ’ il doit prolonger son absence loin du foyer dom es ­ ce qu ’ il n ’ y en a pour l ’ ordinaire qu ’ un peu au com ­
tique ordinaire, de se faire accom pagner par sa fem m e, m encem ent, c'est d ’ autant qu ’ au lieu de N otre-Sei-
à m oins d ’ inconvénients réels, b) L'époux pèche gra ­ gneur on y fait venir A donis et V énus en lieu de
vem ent qui refuse le devoir conjugal, toutes les fois N otre-D am e. Q ui veut avoir des beaux agnelets et m ou ­
qu ’ il y a danger d ’ incontinence, ou de sévice grave chetés,com m e Jacob, il faut, com m e lui, présenteraux
de la part de son conjoint; item si neget alteri serio brebis, quand elles s ’ assem blent pour parler, des belles
petenti. Secus autem, si compars benevole remittat, aut baguettes de diverses couleurs; et qui veut avoir un
remisse petat, c) Lorsqu ’ il y a excès dans la dem ande, heureux succès, devrait en ses noces se représenter la
il n ’ y a pas péché àrefuser. Cf. S. Liguori, n. 940. d) L ’ on sainteté et dignité de ce sacrem ent; m ais au lieu de
doit considérer com m e répréhensibles les épouses qui cela il y arrive m ille dérèglem ents en passe-tem ps,
maritis suis, etiam remisse petentibus, absque sujjl- festins et paroles : ce n ’ est donc pas m erveille si les
cienli causa debitum negant; vel quæ non concedunl effets en sont déréglés. »
nisi coactæ viroque dure et contumeliose suas petiliones M ais, avant m êm e la célébration du m ariage, on
exprobant, e) L ’ obligation existe ou n ’ existe pas sui ­ doit s ’ occuper de sa préparation. Q uand ils n ’ ont
vant les conditions de santé que nous avons indiquées pas encore échangé le serm ent décisif, les futurs
plus haut, f) L ’ obligation du devoir conjugal dem eure époux, certes, n ’ ont pas d ’ obligations réciproques,
en lin, m algré la crainte éprouvée par les époux d ’ avoir m ais ils en ont à l ’ égard du m ariage lui-m êm e qui
des enfants trop nom breux : il y a, dans ce cas, des doit occuper à jam ais toute leur vie. Il y a par
inconvénients douloureux qui tiennent au m ariage conséquent pour eux un devoir de conscience
lui-m êm e, m ais ici, encore, et c ’ est ce que nous à ne pas laisser entrer en jeu, dans les pourpar ­
n ’ avons cessé de dire, on doit considérer la tin du lers qui précèdent ce grand acte, la passion et la
m ariage qui est la propagation de l ’ espèce. cupidité, ces deux filles d'un m êm e père : l ’ égoïsm e.
II. D e v o i r s d e s é p o u x e n v i s a g é s a u p o i n t d e E t, bien avant m êm e la célébration du sacrem ent, des
v u e d e l a s o c i é t é c o n j u g a l e . — V oir à l ’ article M a ­ devoirs s ’ im posent à eux ; « O vierges, dit saint Fran ­
r ia g e les diverses questions de m orale qui concernent çois de Sales, si vous prétendez au m ariage tem porel,
les biens des époux, les droits et les devoirs qui res ­ gardez donc jalousem ent votre prem ier am our pour
sortent du contrat qui les lie. R em arquons seulem ent votre prem ier m ari. Je pense que c ’ est une grande
qu ’ il y a devoir pour le m ari de s ’ intéresser au bien- trom perie de présenter, au lieu d ’ un cœ ur entier et
être tem porel de sa fem m e, et pour la fem m e de con ­ sincère, un coeur tout usé, frelaté et tracassé d ’ am our. »
tribuer de son m ieux au bien de la fam ille par ses soins Ibid., c. x l i . Les futurs époux ont donc, avant le
et sa prévoyance dans la gestion des affaires dom es ­ m ariage m êm e, des obligations réciproques et ils doi ­
tiques; notre tâche doit se borner à rappeler ici en vent se préparer sérieusem ent aux devoirs de la société
quelques traits les obligations que leur im pose la conjugale. V oir F i a n ç a il l e s . Cf. J. Fonssagrives,
société qu ’ ils form ent. Cf. S. François de Sales, Vie L ’éducation de la pureté, p. 129, 133.
dévoie, 1. III, c. xxvm . M ais le sacrem ent a été reçu avec la disposition
Le fondem ent de la société hum aine, c'est la fam ille. requise, et la société conjugale a été constituée,
E n tant que l ’ ordre surnaturel a pour point d ’ appui société de parfait am our, société d ’ union volon ­
l ’ ordre de la nature, on peut dire qu ’ une des condi ­ taire, libre, m ais absolue, entre l ’ hom m e et la fem m e,
tions du bien de la société, de quelque m anière partage de toute la vie et com m unication du droit
qu ’ on l ’ envisage, c ’ est le bon ordre de la fam ille, c'est- divin, d ’ après l ’ adm irable définition que le droit
à-dire la sanctification de l ’ ordre que D ieu, créateur et rom ain, supérieur en cela aux idées et aux m œ urs de
principe de toute vie surnaturelle, a m is en elle. Le l ’ époque, n ’ hésitait pas à donner : Nuptiæ sunl cen-
prem ier élém ent de la fam ille est le m ariage. D ieu, en junctio viri et feminæ et consortium omnis vitæ, divini
créant l ’ hom m e, l ’ a destiné à une société qui devait et humani juris communicatio. Digeste, 23, 2, De
être l ’ im age de sa vie divine, G en., i, 26, et il a voulu rit. nupl., I.
que le com m encem ent de celte vie,ce fût le m ariage. Les devoirs réciproques des époux par rapport à
385 ÉPOUX (D EV O IR S D E S) — É Q U IV O Q U E 386

la fin du m ariage que nous étudions, c ’ est-à-dire par relèvent du principe de la sainteté, une des bases sur
rapport à l ’ appui m utuel que doivent se prêter deux lesquelles le C hrist a institué la société conjugale, il
existences fondues par le m ariage en une seule, se faut joindre les devoirs répondant aux principes de
trouvent ainsi form ulés par saint Paul, dans son l ’ unité et de l ’ indissolubilité du m ariage, lesquels
É pitre aux Éphésieus, v, 25 : « M aris, aim ez vos découlaient tout naturellem ent du sacrem ent et des
fem m es com m e Jésus-Christ a aim é son Église; car rapports de Jésus-Christ avec son Église proposes
personne ne hait sa propre chair, m ais il la nourrit et com m e m odèles. V oir M a r i a g e . « Si vous voulez, ô
l ’ entretient, com m e fait le C hrist à l ’ égard de son m aris, dit encore saint François de Sales, que vos fem m es
Église, parce que nous som m es les m em bres de son soient fidèles, faites-leur en voir la leçon par votre
corps, form és de sa chair et de ses os. C ’ est pourquoi exem ple. « A vec quel front, dit saint G régoire N azian-
l ’ hom m e quittera son père et sa m ère, et il s ’ attachera «zène,voulez-vous exiger la pudicité devos fem m es si
à sa fem m e, et ils seront deux en une seule chair. » • vous vivez vous-m êm es en im pudicité? com m e leur
A utant que possible, l ’ union des époux doit donc • dem andez-vous ce que vous ne leur donnez pas? »
être parfaite com m e celle de Jésus· C hrist avec son V oulez-vous qu ’ elles soient chastes? com portez-vous
Église, et les prem iers devoirs des époux découlent chastem ent avec elles, et com m e dit saint Paul :
du grand principe de la sainteté que le C hrist sanc ­ « Q u'un chacun sache posséder son vaisseau en sancti-
tionna de son autorité. Les époux étant sanctifiés et • fication. »M aisvous,ôfem m es,desquellesl’ honneurest
com m e consacrés par l ’ union sacram entelle,leurs deux inséparablem ent conjoint avec la pudicité et honnê ­
vies doivent s ’ élever l'une par l ’ autre; leurs intelli ­ teté, conservez jalousem ent votre gloire et ne per ­
gences doivent se doubler dans un com m un effort, m ettez qu ’ aucune sorte de dissolution ternisse la blan ­
leurs volontés se com m uniquer leurs énergies pro ­ cheur de votre réputation. C raignez toutes sortes
pres, leurs caractères se discipliner par des conces ­ d ’ attaques, pour petites qu ’ elles soient : ne perm ettez
sions quotidiennes, leurs qualités natives s ’ équilibrer jam ais aucune m uguetterie autour de vous. Q uiconque
dans l ’ identité du but poursuivi qui est le perfection ­ vient louer votre beauté et votre grâce, vous doit
nem ent religieux et m oral de la société conjugale. Et être suspect... Je crois que la prem ière chose qu ’ un
ce n ’ est pas seulem ent l ’ hom m e qui est élevé par la m ari doit avoir d ’ une fem m e et que la fem m e lui doit
grâce du sacrem ent; la fem m e y participe dans une fidèlem ent garder, c ’ est l ’ oreille, afin que nul langage
égale m esure. Sans doute, il y a dans le m ariage un ou bruit n'y puisse entrer, sinon le doux et aim a ­
devoir de subordination : « L ’ hom m e est le chef de la ble grillotis des paroles chastes et pudiques..., car il
fem m e, com m e le C hrist est le chef de l ’ Église. » se faut toujours ressouvenir que l ’ on em poisonne
E ph., v, 21, 28. A lui le pouvoir, parce que toutes les les âm es par les oreilles, com m e le corps par la
saintes faiblesses qui s'appuieront sur lui — faiblesse bouche. »
de celle qu ’ il a choisie, faiblesse de l ’ enfant qui lui L ’ am our, la fidélité, le respect m utuel engendrent
naîtra — ont besoin de sa force. Il a reçu cette force toujours la confiance, et c ’ est là le dernier devoir qui
pour exercer l ’ autorité. La fem m e a reçu la faiblesse incom be aux époux: il leur im pose de com pter pour
pour exercer surtout le dévouem ent : à elle les grâces chacun d ’ eux sur la fidélité de l ’ autre; il proscrit la
pudiques, la bénignité affable, la bonté soum ise et défiance qui irrite, blesse et hum ilie; il condam ne
attentionnée... L ’ épouse, pour être subordonnée à enfin la jalousie inquiète et violente qui im plique le
l ’ époux, possède cependant, dans le m ariage, des m épris. Cf. d ’ H ulst, Carême, 1894, Sur la morale de la
droits égaux à ceux de son m ari; et, s ’ il est vrai que famille.
son corps ne lui appartient plus, l ’ apôtre ajoute bien Tous ces devoirs exigent l ’ abnégation, le dévoue­
vitequelem ariestsous ce rapport dansles m êm es con ­ m ent et le sacrifice.
ditions. I Cor., vu, 4. A insi l'épouse n ’ est plus l ’ esclave Π est question des devoirs des époux dans tous les
de l ’ hom m e, elle en est la com pagne et la sœ ur; et traités De matrimonio. V oir spécialem ent S. A lphonse de
c ’ est à la dignité et à la sainteté du sacrem ent de L iguori, Theologia moralis, 1. V I, tr. V I, c. il, dub. n ,
m ariage qu ’ elle a dû sa prem ière réhabilitation. n. 900-954, T urin. 1879, t. n , p. 662-697 ; C . M arc, Insti­
D evoir de perfectionnem ent religieux et m oral, tutiones morales alphonsianæ, p art. Ill, tr. V III, c. v u , a. 1,
devoir de subordination, devoir aussi pour les époux R om e, 1885, t. n , p. 559-578 ; P . G ury. Compendium
d ’ am our m utuel, devoir que le Saint-Esprit leur re ­ theologiæ moralis, De matrimonio, c. v n i, édit. H . D um as,
L yon, 1875, t. n , p. 405-417 ; A . B allerini, Opus theologi­
com m ande tant, en l ’ É criture, dit saint François de cum morale, De matrimonio, c. n , dub. i, n . P rato , 1892,
Sales : « O m ariés, écrit le saint docteur, ce n ’ est rien t. v i, p. 245-31 7; A . L ehm kuhl, Theologia moralis, p art. Il,
de dire : «A im ez-vous l ’ un l ’ autre de l ’ am our naturel, · I. I, tr. V III, sect iv, 5° édit., F ribourg-en-B risgau, 1888,
car les tourterelles font bien cela, ni de dire : « A im ez - t. n , p. 596-615 .
• vous d ’ un am our hum ain, «car les païens ont bien pra ­ J. F o n s s a g r iv e s .
tiqué cet am our-là; m ais je vous dis après le grand É Q U IV O Q U E . — L L ’ équivoque et le langage.
apôtre :« M aris,aim ez vos fem m es com m e Jésus-C hrist II. L ’ équivoque et la théologie dogm atique. III.
«a aim é son Église ;ô fem m es, aim ez vos m aris com m e L ’ équivoque et la théologie m orale.
« l ’ Église aim e son Sauveur. » Ce fut D ieu qui am ena I. L ’ é q u iv o q u e e t l e l a n g a g e . — Le m ot équi­
Ève à notre prem ier père A dam , et la lui donna pour voque est em ployé com m e substantif et com m e adjec ­
fem m e : c ’ est aussi D ieu, m es am is, qui, de sa m ain tif. C onsidéré com m e substantif, il sert à désigner
invisible, afait le nœ ud du sacré lien de votre m ariage, une chose qui a ou qui peut avoir deux ou plusieurs
et qui vous a donnés les uns aux autres; pourquoi ne sens, l ’ un vrai et l ’ autre faux, en un m ot, une propo ­
vous chérissez-vous d ’ un am our tout saint, tout sacré, sition à double entente. Q uant àl ’ adjectif, qui ne diflère
tout divin? Le prem ier effet de cet am our,c ’ est l ’ union en rien du substantif, il se joint égalem ent, et sans
indissolublede vos cœ urs...; or,cette union ne s ’ entend m odification, à un nom m asculin ou à un nom fém i ­
pas principalem ent du corps, du cœ ur, de l ’ affection, nin, auquel il donne la m êm e signification. N on seu ­
de l ’ am our... C onservez donc, ô m aris, un tendre, lem ent on dit d'un discours, d ’ une parole, d ’ un term e,
constant et cordial am our envers vos fem m es : pour d ’ un m ot, d ’ une expression, qu ’ ils sont équivoques;
cela, la fem m e fut tirée du côté plus proche du cœ ur m ais on le dit égalem ent d ’ une action, de la réputa ­
du prem ier hom m e, afin qu ’ elle fût aim ée de lui cor ­ tion, du m érite, de la vertu, quand on a quelque
dialem ent et tendrem ent. » Introduction à la vie dé­ raison de les suspecter. L a vertu, par exem ple, lors ­
vote, c. xxxvni. qu ’ elle n ’ est point équivoque, ne se dém ent jam ais.
A ux devoirs que nous venons d ’ énum érer et qui Il y a aussi des louanges équivoques, qui sont de fines
D IC T . D E T H É O L . C A T H O L . V . - 13
387 É Q U IV O Q U E — É R A SM E 388

railleries et autant de m anières détournées pour ren ­ N estorius et d ’ E utychès n ’ ont été bâties que sur les
dre ridicules ceux qui en sont l ’ objet. divers sens des term es : nature, personne, substance,
Le substantif équivoque a pour synonym es les m ots : hypostase; les pélagiens joua ’ ent sur le m ot grâce.
ambiguïté et double sens, dont il est séparé par des C om bien de sophism es les protestants n ’ ont-ils pas
nuances. faits sur les m ots : foi, m érite, sacrem ent, justice,
L ’ambiguïté a un sens général susceptible de diverses justification, etc.? Ils ne les ont jam ais pris dans le
Interprétations, ce qui fait qu ’ on a peine à dém êler m êm e sens que les théologiens catholiques.
la pensée de l ’ auteur, et qu ’ il est m êm e parfois im pos ­ D e nos jours, les m odernistes n ’ ont-ils pas vidé de
sible de la pénétrer com plètem ent. Le double sens a leur contenu catholique les expressions et les form ules
deux significations naturelles et convenables : par dogm atiques? N ’ ont-ils pas donné aux vérités de la
l ’ une il se présente littéralem ent pour être com pris foi une signification kantiste et iinm anentistc? Le
de tout le inonde; par l ’ autre il fait une fine allusion m odernism e n ’ est-il pas le triom phe de l ’ équivcquc?
pour n ’ être entendu que de certaines personnes. D e là on peut conclure que si Jésus-C hrist n ’ avait pas
L ’équivoque a deux sens : l ’ un naturel, qui paraît être institué un m agistère infaillible ayant l ’ autorité ct
celui qu ’ on veut faire entendre et qui est effective ­ la m ission de fixer le langage théologique, il aurait
m ent entendu de ceux qui écoutent; l ’ autre détourné, très m al pourvu à l ’ intégrité et à la perpétuité de sa
qui n ’ est com pris que de la personne qui parle, et doctrine. Ce sera la gloire de Pie X d ’ avoir dissipé
qu'on ne soupçonne pas m êm e pouvoir être celui les nuages d ’ équivoques dont s ’ enveloppait ct où
qu ’ elle a l ’ intention de faire com prendre. vivait l ’ hérésie m oderniste.
Ces trois façons de parler peuvent fournir, à l ’ oc III. L ’ é q u iv o q u e e t l a t h é o l o g ie m o r a l e . —
casion, des subterfuges adroits pour cacher sa véri ­ V oir M e n s o n g e et R e s t r i c t io n m e n t a l e .
table pensée; m ais on se sert de l ’ équivoque pour C . A n t o in e .
trom per, de l ’ am biguïté pour ne pas trop instruire, É R A S M E . — L V ie. II. Œ uvres. III. C aractère et
du double sens pour instruire avec précaution. influence.
II. L ’ é q u iv o q u e e t l a t h é o l o g ie d o g m a t i q u e . I. V i e . — D ésiré É rasm e naquit à R otterdam , le
— Se servir, de propos délibéré, de paroles équivoques 27 octobre 1464, et, selon l ’ usage des hum anistes
pour trom per celui à qui l ’ on parle, c ’ est un m ensonge contem porains, il changera son nom originaire de
évident, indigne d ’ un hom m e honnête. V ainem ent G errilG errits contre celui qui pendant longtem ps fut
quelques incrédules ont voulu soutenir que Jésus- un des plus grands nom s de l ’ E urope intellectuelle.
C hrist, lui-m êm e, a usé quelquefois d ’ équivoques Il était le fils naturel d ’ un bourgeois de G ouda en
avec ses adversaires et avec ceux dont il ne voulait H ollande, G érard, et de la fille d ’ un m édecin, M argue ­
pas satisfaire la curiosité;leur affirm ation est dem eu ­ rite, qui de son nom de fam ille s ’ appelait probable ­
rée sans fondem ent. Lorsque Jésus-C hrist dit aux m ent R oger. Janssen, L ’Allemagne et la Réforme, trad,
Juifs : « D étruisez ce tem ple et je le rebâtirai en trois franç., Paris, 1889, t. n, p. 6, note 1. G érard, qui
jours, » Joa,, n, 19, il parlait de son propre corps et voyageait alors en Italie, désespéré sans doute par
l ’ évangéliste nous le fait rem arquer. 11 est donc à la fausse nouvelle de la m ort de M arguerite, se fit
présum er qu ’ il le m ontrait par un geste qui ôtait prêtre, et plus tard, sur son lit de m ort, il confiera
l ’ équivoque, et ce fut m alicieusem ent que les Juifs la tutelle de l ’ enfant à ses trois m eilleurs am is.
l ’ accusèrent d ’ avoir parlé du tem ple de Jérusalem . É rasm e, d ’ une com plexion assez frêle, fut élevé par
Lorsque ses parents l ’ exhortèrent à se m ontrer sa m ère avec une tm dre et intelligente sollicitude. Il
à la fête des Tabernacles, il leur répondit : « A llez n ’ avait pas encore douze ans qu ’ elle le conduisit elle-
vous-m êm es à cette fête, pour m oi je n ’ y vais point, m êm e dans la célèbre école des Frères de la vie com­
parce que m on tem ps n ’ est pas encore arrivé.» Joa., mune à D eventer; là il trouva des m aîtres habiles,
vu, 8. Il ne leur dit pas : je n'irai point, m ais : je n’y Jean Synthem entre autres et A lexandre H égius, qui
vais point encore, parce que le m om ent auquel je surent l ’ apprécier et qui lui prédirent une brillante
veux y aller n ’ est point encore venu. Il n ’ y avait pas carrière littéraire; déjà, sur les bancs, H orace et Té-
là d ’ équivoque. rence étaient les livres de chevet du spirituel et la ­
C ontre les protestants, la théologie catholique sou ­ borieux écolier, qui les apprenait par cœ ur. Q uatre ans
tient que le Sauveur aurait usé d ’ une équivoque m en ­ après, la peste enlevait à É rasm e successivem ent, à
songère et qu ’ il aurait tendu un piège d ’ erreur à tous peu d ’ intervalles, sa m ère et son père. Trois ans plus
ses disciples si, en leur disant : « Prenez et m angez, tard environ, les pressantes instances de ses tuteurs
ceci est m on corps,etc. », il avait voulu seulem ent leur pour l ’ engager dans la vie m onastique, à laquelle l ’ ir ­
dire : « ceci est la figure de m on corps. » Sans doute, régularité de sa naissance leur sem blait le vouer, en
m êm e avec la plus grande attention, il est im pos ­ lui ferm ant les rangs du clergé séculier, am enèrent
sible d ’ éviter toute espèce d ’ équivoque dans le dis ­ une rupture com plète entre eux et leur indocile pu ­
cours; aucun langage hum ain ne peut être assez clair, pille. M alade, sans ressources et sans appui, le pauvre
pour ne donner lieu à aucune m éprise, m ais ici, rien jeune hom m e était réduit aux abois, lorsqu ’ il ren ­
n ’ était plus aisé que de prévenir toute erreur et de contra par hasard un de ses anciens condisciples de
parler très clairem ent. D ’ où la théologie conclut que D eventer, C ornelius V edrenus, enrôlé depuis peu
Jésus-Christ a voulu que ses paroles fussent prises à parm i les chanoines réguliers d ’ E m m aüs, non loin
la lettre et non dans un sens figuré. V oir E u c h a r is ­ de G ouda : la peinture attrayante des facilités et des
t ie d a n s l ’ É c r i t u r e . joies de l ’ étude au sein d ’ un cloître, à portée d ’ une
Par cet exem ple, et par une infinité d ’ antres, il riche bibliothèque, dans le com m erce d ’ esprits cul ­
est évident qu ’ il n ’ est aucune science dans laquelle tivés, eut raison des répugnances antim onastiques
les équivoques soient plus dangereuses et entraînent d ’ Érasm e, et, la nécessité l ’ aiguillonnant, Érasm e
de plus funestes conséquences que dans la théologie. en 1486 prit l ’ habit des augustins à Em m aüs. N éan ­
Les hérétiques et les incrédules n ’ ont presque jam ais m oins, si douce que la vie du noviciat lui soit faite, et
argum enté que sur des term es susceptibles d ’ un bien que l ’ agile curiosité de son esprit n ’ y subisse
double sens. Tous ceux qui ont nié la divinité de point d ’ entraves, la vie religieuse ne lui sourira pas.
Jésus-C hrist, se sont fondés sur ce que le m ot D ieu est Ce n ’ est pas sans de longues hésitations qu ’ il pro ­
équivoque dans la sainte É criture et ne signifie pas noncera ses vœ ux solennels ; au fond, il ne s ’ en con ­
toujours l ’ Ê tre suprêm e. Les ariens disputaient sur solera jam ais. L ’ étude acharnée des classiques païens
le double sens du m ot consubstantielles hérésies de et celle de l ’ hum aniste L aurent V alla, qui deviendra
389 É R A SM E 390

l ’ un de ses m odèles et de ses guides, rem pliront les hum aniste le pressaient avec lui de revenir en A ngle ­
cinq années de son séjour à E m m aüs. terre. É rasm e ne resta pas sourd à leurs invitations,
Q uelques opuscules de jeunesse, vers et prose, atti ­ et reçut à la cour aussi bien que dans le m onde savant
reront aussi l ’ attention sur É rasm e; et, de bonne un très cordial accueil. D ’ O xford et de C am bridge
heure, son m érite littéraire ayant vite percé, il verra on lui conféra le titre de docteur; l ’ évêque de R oches ­
s ’ouvrir devant lui les portes de son couvent, qu ’ il ter, Jean Fisher, chancelier de l'université de C am ­
tenait pour une prison; il ne sera obligé qu ’ à garder bridge, le pourvut à C am bridge de la chaire de grec
l ’ habit religieux, sauf, toutefois, à secouer cette obli­ el de théologie; pour suppléer à l ’ insuffisance de
gation. A lors com m ence la vie cosm opolite d ’ É rasm e, son traitem ent professoral, l ’ archevêque W arham lui
sans cesse en rupture de couvent, toujours en quête confiera près de C antorbéry la cure d ’ A ldington, qu ’ il
d ’ érudition et de renom m ée, de protections et de pen­ résignera d ’ ailleurs un an plus tard. É rasm e occupa
sions. C am brai fut sa prem ière étape. L ’ évêque de donc quelque tem ps sa chaire; m ais c ’ est m oins à ses
cette ville, H enri de B erghes, projetant d ’ aller à leçons publiques qu ’ à sa plum equ'il adûson influence
R om e chercher le chapeau, et sentant le besoin des prépondérante sur les études; par ses ouvrages de
services d ’ un très bon latiniste, l ’ attacha en 1491 à pédagogie, notam m ent par son livre De copia ver
sa m aison et l ’ ordonna prêtre le 25 février 1492. Le borum et rerum en 1512, il a dom iné et régenté l'A n ­
voyage de R om e n ’ eut pas lieu; m ais É rasm e ne gleterre.
laissa pas de rester auprès de l ’ évêque et de s ’ abriter A dm iré, honoré, enrichi, É rasm e néanm oins ne se
sous son puissant patronage. A vec sa perm ission, il résigna point à passer sa vie en A ngleterre. Le vent,
partit en 1496 pour Paris, où l ’ évêque lui procura le clim at, la bière, le m anque de confort, tout avait,
d'abord au collège de M ontaigu le vivre et le couvert, selon lui, sur sa gravelle un contre-coup fâcheux;
où il subvint ensuite à ses besoins en donnant des tout excitait ses déplaisirs, ses inquiétudes et ses
leçons et s ’ assura parm i ses élèves de précieuses et plaintes. Il reprit donc avec joie la route des Flandres,
durables am itiés. A près qu ’il eut quitté Paris, peu quand, vers 1516, il fut appelé avec d ’ autres savants
satisfait en som m e de son séjour, au com m encem ent à B ruxelles,à la cour du jeune roi d ’ E spagne, C h.irks
de 1497, et revu C am brai, on aperçoit É rasm e tour d'A utriche, le futur C harles-Q uint. Le prince le nom m a
à tour à O rléans, plongé dans l ’ étude de l'antiquité conseiller royal, avec une pension, quoique sans fonc ­
profane grecque et latine, puis en H ollande, puis, à tions déterm inées et sans l'obligation de la résidence.
dater de 1498, en A ngleterre. Il y fut accueilli avec C harles songeait m êm e à l ’ élever aux dignités eccle ­
em pressem ent par tout ce que l ’ A ngleterre com ptait siastiques et à le pourvoir d ’ un évêché en Sicile; m ais
d ’ hom m es distingués, par les Thom as M orus, les Fisher, É rasm e y était inhabile tant à cause de sa naissance
les W arham , les Jean C olet, les L inacre,etc.,en m êm e que de son propre fait, soit pour avoir m éconnu les
tem ps que par le prince de G alles, le futur H enri V IH , devoirs de l ’ obéissance religieuse, soit pour avoir
qui lui portera toujours une particulière sym pathie. indûm ent déposé l ’ habit de son ordre. Il recourut
R ien pourtant, ni les hom m ages des A nglais, ni donc au Saint-Siège, afin d ’ écarter les em pêchem ents
les pensions et les riches cadeaux, ni les intérêts de canoniques. Le pape Léon X accueillit sa requête
la cause de l ’ hum anism e, ne put y retenir et fixer et, par un bref du 26 janvier 1517, il chargea son
É rasm e; dès 1499, il repassa sur le continent, et nous légat en A ngleterre, A m m onius, de relever l ’ im pé ­
le retrouvons tantôt à Paris, tantôt à L ouvain, où trant des irrégularités et des censures encourues,
il refusera en 1502 une chaire à l ’ université, crainte autorisant É rasm e, en outre, à vivre désorm ais hors
que ses travaux personnels n'eussent à souffrir de du cloître et sous le costum e du clergé séculier. C ’ était
l ’ exercice d ’ une telle charge. Les rem arques de Lau ­ là un gage de la bienveillance particulière du pape;
rent V alla sur le N ouveau T estam ent, qu ’ il décou ­ c ’ était le silence im posé aux accusations que soule ­
vrit en 1504 dans un couvent de B ruxelles, et les con ­ vait le genre de vie d ’ É rasm e. Il enseigne quelque
seils d ’ un professeur de L ouvain de ses am is, le futur tem ps au Collegium trilingue, fondé à l ’ universilé de
pape A drien V I, le décideront à élargir son horizon Louvain par B usleyden. M ais la froideur ou l ’ hos i-
intellectuel : à l ’ étude passionnée des auteurs païens lité ouverte de ses collègues le dégoûtent bien vite.
il joindra désorm ais celle de la sainte É criture et des D epuis lors, on voit encore É rasm e tour à tour à
Pères de l ’ Église. Ce qui fera tom ber sur son front, B ruxelles, à A nvers, à L ouvain, à B âle et sur les
aux yeux surtout de ses contem porains, un nouveau grands chem ins, partout héroïquem ent laborieux,
et plus vif rayon de gloire. voué sans relâche à la com position de ses ouvrages
Le désir de visiter l ’ Italie et le besoin de ram asser et à la diffusion des œ uvres de l ’ antiquité. E nfin, il
l ’ argent nécessaire pour son voyage ram enèrent cherchera en 1521 un asile sûr à B âle, auprès de
Érasm e en A ngleterre, où des am is dévoués l'appe ­ son am i, le libraire Froben. Il était à l ’ apogée de
laient. Son attente n ’ y fut pas déçue; m ais, cette sa renom m ée. François I er lui offrait à Paris la di ­
fois, il y dem eura peu. E n 1506, il partira pour l ’ Italie, rection du Collège de France; l ’ archiduc Ferdinand
prendra le bonnet de docteur en théologie à T urin et d ’ A utriche, le frère de C harles-Q uint, essayait,
visitera la plupart des villes du nord et du centre de en lui prom ettant une riche pension, de l ’ attirer
la péninsule, nouant partout d ’ affectueuses relations à V ienne, pour y jeter un nouveau lustre sur la
avec les savants les plus renom m és, utilisant pour ses cour et sur l ’ université; le roi H enri V III, dans
travaux bibliothèques et m anuscrits, préparant à une lettre de sa m ain, lui rappelait sa prom esse de
V enise les célèbres éditions latines sorties des presses consacrer à l ’ A ngleterre au m oins le soir de sa
d'A lde M anuce, dirigeant et surveillant à Padoue vie; le roi de Pologne, Sigism ond, lui tém oignait les
l ’ éducation universitaire d ’ un fils naturel du roi plus grands égards; les petits princes allem ands et
d ’ Écosse, Jacques IV, déjà pourvu à vingt ans de italiens s ’ honoraient d ’ être ses correspondants. Il
l ’ archevêché de Saint-André. A R om e, enfin, où son n ’ y avait dans la chrétienté aucune réputation com ­
renom l ’ avait précédé, les tém oignages d ’ estim e et parable à celle d ’ É rasm e. Point de savant qui ne
d ’ adm iration affluèrent chez lui de toutes parts; on rêvât de faire un pèlerinage littéraire auprès de lui
1·· pressa d ’ établir sa résidence à R om e; le pape ou d ’ obtenir au m oins une de ses lettres. Les papes
Jules II lui offrit m êm e la charge de pénitencier, eux-m êm es tenaient à se m énager son am itié, et
com m e le m archepied du cardinalat. Érasm e résista Léon X acceptait avec reconnaissance la dédicace de
cependant à toutes ces avances. Le roi H enri V IH l ’ É pître aux R om ains. Érasm e, com m e V oltaire au
était m onté sur le trône en 1507, et les am is du grand xvni°siècle, a été le vrai roi intellectuel de son tem ps.
391 É R A SM E 392

C ependant, l ’ explosion de la R éform e allum ait en lutte contre L uther m êm e va com m encer. E n 1524,
A llem agne un vaste incendie, et l'origine en sem ­ É rasm e descendra non sans anxiété dans l ’ arène,
blait rem onter pour une grande part jusqu ’ à Érasm e. arm é de son traité De libero arbitrio, qui sera lu et
Le hautain m épris du m oyen âge, m étaphysique et com m enté avec passion par tous les hom m es éclairés
théologie, la guerre im placable aux abus dans l ’ Église, de l ’ Europe. A la réponse nette et irritée de L uther
les m ordantes railleries contre les m oines, les atta ­ dans le traité De servo arbitrio, É rasm e, en 1526,
ques incessantes contre la papauté rapprochaient ripostera par son Ihjperaspistes, où, faisant assaut de
en effet de L uther le prince des hum anistes, et le violence et d ’ am ertum e avec son adversaire, il rejet ­
désignaient aux soupçons, voire aux accusations tera surtout l ’ accusation de scepticism e et de m anque
des catholiques. E ntre É rasm e et L uther toutefois, d ’ esprit religieux.C e que l ’ É glise a décidé sur les points
nonobstant leurs points de contact et leurs hom m a ­ en litige, É rasm e le croit d'une ferm e foi; qu ’ im por ­
ges réciproques, il y avait, dès le début de leurs tent après tout les raisons purem ent hum aines?
relations, plus d ’ une dissidence réelle et profonde; É rasm e pense et veut toujours penser com m e l ’ Église.
il y avait entre le tem péram ent révolutionnaire de L uther le poursuivra désorm ais d ’ une haine im m or ­
l ’ un et la trem pe d ’ esprit aristocratique de l ’ autre telle; son m épris d ’ É rasm e s'affichera en toute ren ­
une vraie incom patibilité; la violence du langage contre, ses sarcasm es contre ce libre-penseur, contre
de L uther et ses excès de conduite blessaient et cet athée qui ne croit à rien et rit de tout, ne tariront
inquiétaient É rasm e, qui, de son aveu, n ’ aim ait plus. É rasm e toutefois grandira dans l ’ estim e de ses
pas le bruit. T out en lui, son esprit de m esure, ses am is. C om m e il dem andait l ’ appui de l ’ em pereur
convictions, ses intérêts personnels, l ’ em pêchait de contre les m enaces des luthériens :« G râce à toi seul,
sortir du giron de l ’ Église et d ’ em brasser le parti de lui écrivait C harles-Q uint le 13 décem bre 1527, la
L uther. A ussi proteste-t-il, dès la prem ière heure, chrétienté est arrivée à des résultats auxquels n ’ a-
de son entière soum ission à l ’ autorité de l ’ Église, et se vaient encore pu atteindre les em pereurs, les papes,
déclare-t-il catholique avant tout. M ais il recon ­ les princes, les universités, ni tous les efforts des gens
naît en m êm e tem ps la pureté des intentions de savants. » L ’ éloge est excessif; il fait voir, du m oins,
L uther, et il refuse d ’ abord de s ’ engager dans la lutte ce qu ’ É rasm e, dans la tem pête de la R éform e, avait
contre les principaux chefs de la R éform e, avec les ­ su garder de prestige et de crédit.
quels il entretient des relations am icales et dont il A u fort de cette polém ique, les travaux littéraires
estim e le talent. Il ne rêve dans l ’ Église que paix et d ’ É rasm e ne chôm aient pas. Livres de pédagogie,
concorde; la paix est com m e son m ot d ’ ordre; à ouvrages de m orale et d ’ édification, traductions de
l ’ em pereur et aux princes, au pape m êm e, aux réfor ­ quelques Pères de l ’ Église grecque, éditions d ’ au ­
m ateurs enfin, il conseille la m odération et une m u ­ teurs anciens, sacrés et profanes, É rasm e à B âle
tuelle tolérance. D ans l ’ assem blée de C ologne, au m enait tout de front. A la suite, cependant, des pro ­
m ois de décem bre 1520, il recom m ande, en présence grès de la R éform e à B âle, une véritable révolution
des légats du pape, la conciliation et la douceur, et y éclata. Les luthériens, en février 1529, occupèrent
regrette la publication de la bulle Exurge, Domine, les portes de la ville, saccagèrent les églises, brisè ­
crainte qu ’ elle n ’ envenim e la situation. Invité à la rent les autels et les statues des saints, forcèrent le
diète de W orm s, en avril 1521, il s ’ excusera de n ’ y conseil, sous le feu des canons, à proscrire à jam ais
point paraître, sur sa chétive santé et sur l ’ épidém ie la m esse du pays. É rasm e n ’ avait ni le tem péram ent
de peste qui sévissait alors; car, à ses yeux, le tem ps d ’ un dém agogue, ni le cœ ur d ’ un m artyr; il s ’ enfuit
d ’ une transaction honorable était passé; et, sans de B âle, et, descendant le R hin, se m it en sûreté dans
vouloir intervenir de sa personne dans la tragédie la ville très catholique de Fribourg-en-B risgau. A près
qui s'ouvre, il donnera dans l ’ entourage de l ’ em pe ­ un court séjour dans le palais où les m agistrats s ’ é ­
reur des assurances de sa parfaite orthodoxie et des taient em pressés de lui offrir l ’ hospitalité, il acheta
conseils de prudence. N i les avances des protestants, bientôt une m aison, et y vécut six ans, plongé, com m e
d ’ U lrich de H utten entre autres, ne l ’ avaient attiré à B âle, dans ses travaux littéraires, à la fois éditeur
dans le cam p de la R éform e ; ni les sollicitations des infatigable, traducteur, auteur élégant et fertile;
papes Léon X et A drien V I, avec lesquels il restera É rasm e n ’ a jam ais connu le repos. Invité m aintes
toujours en correspondance, ne l ’ avaient décidé à fois à retourner dans le B rabant et résolu enfin à se
guerroyer contre L uther. M ais quand L uther sera m ettre en route, il voulut revenir auparavant à B âle,
m is au ban de l'em pire et que ses ouvrages seront pour y surveiller de plus près la publication des
proscrits; quand il se sentira en butte aux défiances œ uvres com plètes d ’ O rigène. Il revint donc en cette
de L uther lui-m êm e et à la veille de perdre la protec ­ ville au m ois d ’ août 1535, et l'accueil cordial de ses
tion de la plupart des princes, il se défendra haute ­ am is lui apporta com m e les derniers sourires de la
m ent de toute connivence avec l ’ hérésie, et, scs idées fortune. D éjà, le 31 m ai 1535, une lettre extrêm e ­
com m e ses intérêts le poussant, m algré son naturel m ent élogicuse du pape Paul III, qui lui conférait
craintif, il entrera dans la lutte. Ses dém êlés avec la riche prévôté de D eventer, l ’ avait com blé de joie.
U lrich de H utten, l ’ am i de L uther et le sien, présa ­ Ses am is de R om e, et six cardinaux, parm i eux, de ­
geaient sa nouvelle attitude. Lorsqu ’ en décem bre m andaient le chapeau pour lui et com ptaient bien
1521, le m alheureux chevalier, traqué par ses enne ­ l ’ obtenir. M ais É rasm e, qui sentait la m ort venir,
m is d ’ A llem agne et réduit à la m isère, vint à B âle pria lui-m êm e ses am is de renoncer à leur projet.
relancer É rasm e, celui-ci qui trem blait pour son E n proie, depuis l ’ autom ne de 1535, à des douleurs
repos et qui, d ’ ailleurs, avait à se plaindre d ’ une arthritiques atroces et consum é par une fièvre lente,
grave indélicatesse de H utten, refusa de recevoir sa il fut réduit, l'hiver durant,à garder le lit; il ne lais ­
visite. Le fugitif, éconduit et obligé de quitter B âle, sait pas de travailler sans relâche à son édition d ’ O ri­
s ’ en vengea par un pam phlet, daté de M ulhouse en gène, en m êm e tem ps qu ’ il classait sa correspon ­
1523, Expostulatio cum Erasmo; il lui jetait à la face dance avec ses am is, qui, pour la plupart, l ’ avaient
ses illusions et ses trom peries, sa soif insatiable précédé dans la m ort et dont le souvenir lui restait
d ’ honneurs et de renom m ée, sa pusillanim ité ridicule très cher. A u m ois de m ars 1536, une dysenterie
et son égoïsm e, sa jalousie de L uther, etc. A ce pam ­ survint et l ’ em porta. Q uelques sem aines avant sa
phlet outrageux, É rasm e, sans tarder, opposa Spongia m ort, il déclarait ne vouloir ni souffrir chez lui un
Erasmi adversus adspergines Hutteni. Lorsque 1 ’ écrit hom m e affilié aux idées nouvelles, Epist., m c c x c v h ,
d ’ É rasm e parut, H utten était déjà m ort. M ais la ni m ourir à B âle, dans une ville hérétique. Epist.,
393 ÉRASM E 394

M ccxcix. C ’ est à B âle pourtant qu ’ il m ourut, dans Bibliotheca Novi Testamenti græci, B runsw ig. 1872,
la nuit du il au 12 juillet 1536, patient dans la souf ­ p. 27-44; S. B erger, La Bible au xvi» siècle, Paris,
france et résigné à la volonté de D ieu : « Seigneur, 1879, p. 4-69; E. M angenot, Les erreurs de mémoire
ayez pitié de m oi ! » avait-il dit en rendant l ’ âm e. des évangélistes d’après Érasme, dans La science
M ais l ’ im placable L uther ne voudra pas croire à catholique, 1893, t. vu, p. 193-220; A . B ludau,
la sincérité de ses dernières paroles; cet épicurien, Die beiden ersten Erasmus-ausgaben des Neuen Tes­
cet antichrétien n ’ avait pu, selon lui, m ourir en taments und ihre Gegner, dans Biblische Studien,
invoquant le C hrist. Érasm e avait-il appelé un prêtre Fribourg-en-B risgau, 1902, t. vu, fasc. 5.
catholique à son chevet ? O n l ’ ignore; on ne sait 2° D es ouvrages littéraires d ’ Érasm e se détache
pas non plus au juste pourquoi il n ’ a pas reçu les sur le prem ier plan, avec les Colloquia familiaria,
sacrem ents de l ’ Église. O n l ’ enterra, au m ilieu d ’ une 1518, ΓΈ γχώ μιον Μ ωρίας , seu laus stulliliæ, 1509 : sa­
affluence de luthériens, à la cathédrale de B âle, tire am ère et outrée, com m e Érasm e le reconnaîtra
dans l ’ ancienne chapelle de la Sainte-V ierge, et une plus tard, du m onachism e, des désordres du clergé,
inscription latine y rappelle encore en term es pom ­ de la corruption générale. L ’ œ uvre qu ’ on a pu re ­
peux les services rendus par É rasm e aux belles- garder com m e le prologue de la grande tragédie
lettres et à la théologie. théologique du xvi° siècle, Janssen, op. cil., trad,
II. Œ u v r e s . — L a Bibliotheca Erasmiana, G and, franc., t. u, p. 15, était d ’ une hardiesse inouïe. Elle
1893, ce répertoire m odèle des productions d ’ É rasm e, n ’ avait pas été destinée prim itivem ent à la publi ­
les partage en deux séries : d ’ un côté, les éditions, cité; les divers m orceaux n ’ en avaient d ’ abord
les traductions et les paraphrases publiées par l ’ éru ­ pour but que de distraire et d ’ égayer le chancelier
dit flam and; de l ’ autre, ses lettres et les ouvrages M orus dans une m aladie. L a prem ière édition de
littéraires qu ’ il a écrits, dans sa laborieuse carrière, l ’ Éloge de la folie parut à 1800 exem plaires, chiflre
sur les sujets les plus variés, pédagogie et rhéto ­ énorm e pour le tem ps, et, m oins d ’ un m ois après
rique, m orale et piété, politique courante et polé ­ la m ise en vente, il n ’ en restait plus que soixante en
m ique religieuse. librairie. M ais le com m entaire dont G érard L istrius,
1° Indépendam m ent des éditions et des versions, en 1515, accom pagnera la nouvelle édition du livre,
soit com plètes, soit partielles, d ’ auteurs païens, par sous l ’ inspiration et peut-être avec le concours
où l ’ antiquité classique se révélait aux esprits con ­ d'É rasm e qui lui prêta sa plum e, soulèvera d ’ ardentes
tem porains étonnés et charm és, la prem ière série et légitim es réclam ations. Les théologiens de Lou ­
com prend les éditions de nom bre de saints Pères vain, en 1515, crieront au scandale, et la Sorbonne,
et de quelques vieux écrivain· ecclésiastiques. C itons, six ans après la m ort d ’ É rasm e, censurera son pam ­
entre autres, l ’ édition de saint Jérôm e, pour lequel phlet. J ’ ai déjà cité le traité fam eux De libero arbi­
Érasm e a toujours eu un véritable culte, 9 in-fol., trio et l’Hyperaspistes, en deux parties, la prem ière
1516-1520, celle de saint H ilaire, B âle, 1523-1535, de m ars 1525, la deuxièm e de septem bre 1527.
celle aussi d ’ A lgcrus de Liège, qui, dans son traité É rasm e a publié, en outre, de très nom breux ou ­
de l ’ eucharistie, garantissait l ’ orthodoxie de la foi vrages, soit d ’ enseignem ent, soit d ’ éducation, soit
de son éditeur sur la transsubstantiation, et celle de théologie et de piété. Je citerai notam m ent ses
enfin du com m entaire sur les Psaum es d ’ H aym on Adagia, recueil de proverbes grecs et latins qui ira
de H alberstadt. Ces éditions patristiques étaient grossissant, Paris, 1500; son Enchiridion, 1504, où
accueillies du public d ’ alors avec une grande faveur. il se plaît à relever l'utilité des lettres pour la form a ­
Il faut pourtant reconnaître que, sauf en ce qui con ­ tion du chrétien et du théologien ; son livre De ratione
cerne le De Trinitate de saint H ilaire, 1 ’ éditeur n ’ a studii et instituendi pueros, 1512, où il s ’ élève énergi ­
guère pris la peine de consulter les m anuscrits, et quem ent contre les corrections m anuelles; son
qu ’ en tout cas, il en a très peu profité pour établir Institutio principis Christiani, qui était l ’ acquitte ­
son texte. m ent d'une dette de reconnaissance envers le futur
Les travaux scripturaires d ’ É rasm e, qui, aussi C harles-Q uint, Louvain, 1515; sa Batio perveniendi
bien, se distingue des autres hum anistes par son zèle ad veram theologiam, m anifeste théologique dans
de l ’ exégèse sacrée, publiés et dédiés successive ­ lequel É rasm e déclare une guerre à m ort aux recher ­
m ent aux papes Léon X et C lém ent V II, à l ’ em pe ­ ches oiseuses et aux procédés de l'École, 1518; son
reur C harles-Q uint, aux rois et aux grands person ­ Ciceroni anus seu de optimo dicendi genere, protes ­
nages du tem ps, parurent ensem ble à B âle, chez le tation, au nom du bon sens com m e de la foi, contre
libraire Froben, de 1523 à 1525. É rasm e a traduit et la m anie de n'em ployer aucun m ot qui ne s ’ auto ­
annoté tous les livres du N ouveau T estam ent; il les rise de C icéron, et ensem ble adjuration de ne parler
a com m entés presque tous, horm is l ’ A pocalypse. des choses chrétiennes que dans la langue du chris ­
L ’ édition érasm ienne du N ouveau T estam ent con ­ tianism e, B âle, 1530; son traité De sarcienda Ecclesiæ
tient, en face du texte grec prim itif, une traduction concordia, où il n ’ attend que d ’ un concile général
latine, écrite avec un soin particulier, et des para ­ le retour de la paix religieuse, 1533; son Ecclesiastes
phrases qui vont à éclaircir les difficultés du texte sive condonator evangelicus, cours d ’ éloque ice sacrée,
originaire. L 'ouvrage, en accroissant la renom m ée qui parut à B âle, en 1535, et dont la prem ière édi ­
d ’ É rasm e, n ’ a pas laissé de donner prise à la critique. tion, tirée à 2600 exem plaires, fut presque aussitôt
O n a reproché à l ’ éditeur, quoiqu ’ il s ’ en soit énergi ­ épuisée que publiée.
quem ent défendu dans sa dédicace au pape Léon X , Π nous reste encore d ’ É rasm e plus de 2200 lettres,
de n ’ avoir étudié pour l ’ établissem ent du texte, toutes en latin naturellem ent, et qui sont d ’ un très
ni assez de m anuscrits, ni des m anuscrits assez an ­ haut intérêt pour l ’ histoire littéraire et religieuse
ciens; on a critiqué pareillem ent le vernis par trop de l'époque. A côté des lettres de pure politesse et
classique de la version latine, qui détonne dans son des lettres envoyées périodiquem ent par É rasm e à
élégance avec la rude sim plicité de la V ulgate, et ses am is, la plupart des lettres du grand hum aniste
enfin les taches dont l ’ oeuvre est parsem ée. D u vivant roulent sur les affaires, sur les progrès de la R éform e,
d ’ É rasm e, la traduction latine a eu cinq éditions. sur les livres de ses docteurs, ou form ulent des juge ­
Π est à regretter que le succès du texte grec éras- m ents sur quelques hom m es ém inents, ou retracent
m ien, sur lequel s ’ appuient les éditions postérieures des biographies de m orts illustres. L a correspon ­
de R obert E stienne et d ’ E lzevir, ait dépassé de beau ­ dance érasm ienne a été souvent publiée à part. O n
coup celui de la polyglotte d ’ A lcala. Cf. E. R euss, rem arque, entre autres éditions, celle de N ichols
395 É R A SM E 396

2 vol., Londres, 1901, qui ne s'étend pourtant pas clrinæ,qui favorise la libertéintellectuelleetquircm é-
aux dix-huit dernières années de la vie d ’ Érasm e. die aux discordes religieuses en en supprim ant les
L ’ édition critique entreprise par P. S. A llen, Opus causes pour une large part, inspire et gouverne la
epistolarum D. Erasmi Roterodami, O xford, 1906, pensée d ’ É rasm e; elle est au centre et form e le pivot
1910, t. i et n, nécessaire pour écrire sur É rasm e la de sa théologie, qui partout en est im prégnée, sans
m onographie définitive qui nous m anque, n ’ est que la rigueur de l ’ esprit théologique en atténue les
pas encore term inée. excès et en prévienne les écarts. La philosophie, et
III. C a r a c t è r e e t i n f l u e n c e . — Le portrait spécialem ent la m étaphysique, sont la bête noire
d ’ É rasm e, qui se voit au m usée de B âle, de la m ain de d ’ É rasm e; l ’ im m ixtion de la m étaphysique d ’ A ris ­
H olbein, rend avec une fidélité rare la physionom ie tote dans la théologie chrétienne a présagé et provoqué
m orale du m odèle. O n lit sur les traits de ce visage le déclin du christianism e originaire. D e là une haine
ém acié, l ’ application invincible de l ’ hum aniste à im placable de la scolastique du m oyen âge. E t ce
l ’ étude, le talent et le flair du critique, le goût m ar ­ n ’ est pas seulem ent la sécheresse et la rudesse de la
qué de la raillerie, la prudence avisée, qui tient de la form e, les subtilités et la fureur des disputes, qui
tim idité sans doute, m ais qui n ’ exclut pas au besoin excitent l ’ aversion d ’ É rasm e; plus d ’ un théologien
la fierté et le courage. N ul reflet toutefois de géné ­ célèbre avait flagellé, avant lui, les abus et déploré
rosité d ’ âm e, d ’ enthousiasm e religieux, d ’ élans m ys ­ les lacunes d ’ une scolastique dégénérée. M ais, entre
tiques. H om m e ém inent, sinon hom m e de génie, Érasm e et la scolastique, l'opposition est foncière
É rasm e est, avant tout, un savant, le prem ier savant et irréductible; c ’ est la théologie m édiévale tout en ­
de son siècle, de l ’ aveu du siècle m êm e; c ’ est un tière, hom m es et choses, esprit et form e, m éthode et
m artyr du travail et de la science; c ’ est un vaste conclusions, qu ’ É rasm e dénonce et m audit. G énie
et puissant cerveau. M ais, chez lui, peu ou point de spéculatif, déduction logique des idées et précision
tendresse et d ’ effusions de cœ ur; le cœ ur, non sans rigoureuse des term es, ossature enfin du cadre reli ­
percer quelquefois et parler, reste d ’ ordinaire en gieux, la scolastique est aux antipodes d'É rasm e.
silence et à l ’ arrière-plan. A ussi, dans ce qu'on a dit L ’ hum aniste tient la théologie pour le sim ple exposé
de lui après sa m ort, m êm e B eatus R henanus, il n ’ y des enseignem ents divins, et du dogm e, on serait
a pas un vif m ouvem ent de cœ ur, un vrai regret tenté souvent de dire qu ’ il n ’ a cure. T out dogm a ­
d ’ am i. É rasm e a laissé nom bre d'adm irateurs, point tism e lui fait peur; la recherche de la précision doc ­
d ’ am is véritables. trinale m arque, selon lui, non pas un progrès, m ais
Prêtre sans vocation et sans piété, non sans foi, un recul. É rasm e veut que les définitions dogm a ­
il n ’ a pas été, quoi qu ’ on en ait dit, un indifférent tiques soient très rares et qu ’ on en parle le m oins
et un libre-penseur, au sens m oderne du m ot. O utre possible; il y en a déjà trop, à l ’ entendre, et, dans
que l'indifférence en m atière de religion n ’ est pas le siècle du concile de T rente, il proteste contre le
généralem ent le fait du xvr® siècle à son aurore, la besoin de définitions nouvelles. L ’ im précision, le
double tâche scripturaire et patristique dont Érasm e vague, l ’ équivoque lui sem blent au contraire l ’ idéal
s ’ est acquitté brillam m ent, aux yeux du m oins de de» la vraie théologie», delà» philosophie du C hrist».
ses contem porains, dépose contre cette accusation Il va jusqu ’ à proposer le plus sérieusem ent du m onde
tém éraire d ’ indifférence religieuse et de pur ratio ­ la revision des dogm es reçus depuis longtem ps par
nalism e. O n a vu que, nonobstant ses points de con ­ l ’ Église. Le dogm e catholique se volatilise entre ses
tact avec L uther, É rasm e s ’ était nettem ent séparé m ains. D ans son zèle de la sim plicité doctrinale et de
du fougueux réform ateur, lui avait m êm e rom pu l'ém ancipation des intelligences, É rasm e fait bon
en visière; il était, lui, dans l ’ Église, un m écontent, m arché des expressions consacrées par des conciles
il n ’ était pas un révolté; car il se défendait très haut com m e résum ant 1 ’ orthodoxie, όμοοΰσιος , ΰπόστασι;,
de m éconnaître l ’ autorité de l ’ Église, et, quelques et qui ne lui sem blent pas valoir ce qu ’ elles ont coûté;
coups de pioche qu ’ il ait sem blé donner contre le il les rejette ou les évite. Peut-être est-ce la raison
christianism e, il a toujours entendu dem eurer à tout dernière de quelques soupçons graves qui pèsent sur
prix catholique. M ais, chef incontesté des hum a ­ sa m ém oire. A insi, on l ’ a incrim iné d ’ arianism e,
nistes en E urope, É rasm e a porté dans l ’ étude de la parce qu ’ il a gém i de voir que Γόμοοΰσιο; avait
théologie les théories et les aspirations, les illusions am ené l ’ excom m unication d ’ A rius et la longue et
et les rancunes des hum anistes; il en a été, avec les douloureuse querelle arienne; de m acédonianism e,
nuances particulières de son tem péram ent intellec ­ parce qu ’ il a loué saint H ilaire de n ’ avoir pas insisté
tuel et m oral, l ’ interprète élégant et l ’ habile défen ­ en term es exprès sur la divinité du Saint-E sprit;
seur. E n m êm e tem ps donc qu ’ il s ’ est évertué à décou ­ de zw inglianism e avant la lettre, parce qu ’ il s ’ est
vrir l ’ antiquité classique et à partager la culture gardé d ’ em ployer le m ot de transsubstantiation. E n
ancienne, il a voulu retrouver le christianism e des tout cas, il faut reconnaître que sa théologie, où
prem iers tem ps et en faire revivre la sim plicité pri ­ nom bre de questions, au lieu d ’ être posées διαλεκτιχώς
m itive. C om m e il ne voit l ’ antiquité païenne qu'à à la m anière de l ’ École, exprim ent des doutes réels
travers les textes authentiques des auteurs profanes, et cachent des attaques contre la doctrine reçue, n ’ est
il dem ande surtout à l ’ É criture sainte la science de pas exem pte de contradictions, d ’ inexactitudes et
la vérité révélée; car l ’ É criture en est le dépôt prin ­ d ’ erreurs. O n peut citer, entre autres, les théories
cipal, sinon peut-être unique; l ’ É criture est la source d ’ Érasm e sur le m ariage, sur la confession, sur la
lim pide où se puise la foi du chrétien. L a tradition prim auté du Saint-Siège, sur le m onachism e, etc. A u
ne vient que loin derrière. N on assurém ent qu ’ É rasm e service de cette théologie étrangem ent élastique,
lui dénie d'une façon nette tout rôle et toute valeur, Érasm e déploie toute sa souplesse d'esprit et de style;
m ais, selon É rasm e, la tradition, dont aussi bien il ne partout il se m énage une porte de derrière; m ais
paraît pas s ’ être fait une idée juste et claire, faute de dans le fond, obstiné autant que prudent, il suit ses
la distinguer avec soin de ce qu ’ il appelle dédaigneu ­ idées jusqu ’ au bout, sans y renoncer jam ais.
sem ent les traditiunculæ hominum, roule fréquem ­ D e son vivant, É rasm e, l ’ un des hom m es les plus in ­
m ent des eaux troubles, bourbeuses, qui tém oignent telligents de son siècle, exerça en E urope une influence
de son origine hum aine et de sa nature corruptible. im m ense. C ’ était de lui surtout qu ’ on avait d ’ abord
Tenons-nous-en donc de préférence à l ’ É criture ; pour attendu la réconciliation de la scolastique et de l ’ hu ­
les esprits et les cœ urs droits, c ’ est l ’ ancre du salut. m anism e. V aine attente. Les quinze dernières années
L 'idée d ’ une sim plicité doctrinale, simplicitas do- de la vie d ’ É rasm e ont obscurci et com prom is sa
397 ÉRASM E — ÉRATH 398

renom m ée, en lui attirant à la fois les soupçons et les É R A TH (Augustin d ’ ), chanoine régulier de Saint-
colères des catholiques et des protestants. A Lou ­ A ugustin, naquit à B uchloe près d ’ A ugsbourg dans
vain, en Espagne, en France, dans la haute Italie, la Souabe, le 28 février 1648. E n 1667, il entra
les œ uvres du grand hum aniste ont été presque tou ­ chez les chanoines réguliers de Saint-A ugustin, et fit
tes proscrites par les universités pendant le xvi e son noviciat à l ’ abbaye de W ettenhausen. Il étudia
siècle; et, après que l ’ inquisition rom aine, en 1557, ensuite, à l ’ université de D illingen, et obtint le diplôm e
les eut condam nées au feu, les papes Paul IV et de docteur en théologie l ’ an 1679. Ses supérieurs lui
Sixte-Q uint, l ’ un en 1559, l ’ autre en 1590, ont inter ­ confièrent renseignem ent de la théologie et de li phi ­
dit purem ent et sim plem ent la lecture d ’ Érasm e. losophie en plusieurs collèges, en particulier à R ei-
Ce n ’ est, en France, qu ’ à dater du xvn· siècle que chersberg et à K losterneubourg. Le pape le nom m a
l'orthodoxie d ’ Érasm e trouvera des défenseurs. Les protonotaire apostolique en 1680, et l ’ em pereur
protestants, de leur côté, n ’ abjureront pas avec le d ’ A llem agne lui conféra, la m êm e année, le titre de
tem ps leurs rancunes et persisteront au contraire, com te palatin. L ’ évéque de Passau le nom m a son
m êm e de nos jours, à paraphraser le m ot de L uther : conseiller et bibliothécaire, et en 1698 lui confia le
« Érasm e est l ’ ennem i du C hrist. » D ’ ailleurs, la lan ­ gouvernem ent de l ’ abbaye de Saint-A ndré. Il ym ourut
gue m êm e dont É rasm e s ’ est servi et qu ’ on adm irait le5septem bre 1719. Le P .d ’ É rath s ’ acquit une grande
autrefois sous sa plum e, le trahit aujourd ’ hui; le réputation par sa science théologique, historique et
latin est plus que jam ais une langue m orte. O n ne juridique, et par ses efforts pour rétablir dans son
lit plus guère, aux érudits près, les ouvrages littéraires ordre les traditions augustiniennes. Il essaya aussi,
d ’ É rasm e, qu ’ on tient pour dém odés et surpassés. dans ses écrits théologiques, de concilier la prédéter ­
O n ne garde que le souvenir de ses leçons de tolé ­ m ination physique de l ’ école thom iste avec la science
rance religieuse et de ses tendances sem i-rationa ­ m oyenne des m olinistes. V oici la liste de ses ouvrages:
listes, que l ’ exem ple de son exégèse, peu soucieuse Philosophia S. Augustini, D illingen, 1678; Kurzver-
du dogm e, m ais nourrie de philologie, d ’ histoire et fasste Sprichivôrter der hl. Ordens- Stiffler, C ologne,
do belles-lettres. D ’ É rasm e, il reste surtout un 1680; Mundus symbolicus, 2 vol., C ologne, 1680,1694;
nom . Leipzig, 1707; c ’ est la traduction latine de l ’ ouvrage
É d itio n princeps des œ uvres com plètes d ’ É rasm e p ar de l ’ abbé Philippe Picinelli (1604-1686), Il mondo
B eatus R henanus. 9 in-fol., B âle, 1540-1541; édition L e simbolico, M ilan, 1653; cf. A rgelati, Bibliotheca scrip­
C lerc, 11 vol., L eyde, 1703-1706. torum mediolanensium, M ilan, 1745, t. n, col. 1075-
É ditions p artielles: Colloquia familiaria, L eipzig, 1829; 1076, et deux autres fois édité; É rath l ’ a augm enté
Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami (en cours de d ’ un volum e; Tractatus theologicus canonicus de cano­
publication), par P . S. A llen, O xford, 1906, 1910 , t. I
nicorum regularium vesti bus, Vienne, et D illingen, 1686;
(1484-1514), t. n (1514-1517): Préface de V Éloge de la
folie, p ar N isard. P aris, 1848; De libero arbitrio 5.«τρ<6ή Unio theologica, seu conciliatio prædeterminationis
sive collatio per Desiderium Erasmum, p ar J. V . W alter, physicæ, seu decreti divini intrinsece efficacis, prout
in-8», L eipzig, 1910 (éd itio n m odernisée). thomiste; docent : et decreti divini extrinsece efficacis,
D eB urigny, Vie d ’Erasme, 2 in-12, P aris. 1757; A . M üller, proul recenliores per scientiam mediam explicant, A ugs-
I. eben des Erasmus, H am bourg, 1828; D urand de L aur, bourg, 1689; Meditationes et recollectiones animæ per
Erasme, précurseur et initiateur de Γesprit moderne, 2 in-8°, decemdialia exercitia Deo suo vacaturœ, traduction
P aris, 1872; D rum m ond, Erasmus, 2 vol., L ondres, 1873;
latine augm entée d ’ un ouvrage du chanoine régulier,
G . F ougère, Érasme, étude sur sa vie et ses ouvrages, P aris,
1874; N isard, Renaissance et Réforme, P aris, 1877; de
D . B ernard T inetti, A ugsbourg, 1690; Manna ani­
N olhac, Érasme en Italie, P aris, 1888; N ève, La renais­ ma;, oder Himmelbrod der Seelen au/ jeden Tag des
sance des lettres et l'essor de l'érudition ancienne en Bel­ Jahrs, traduction allem ande d ’ un ouvrage italien
gique, L ouvain, 1893: K erker, dans Theol. Quartal- du R . P. Paul Segneri, S. J., V ienne, 1690; Leipzig,
schrift, 1859, p. 531-566 ; S tich art, Erasmus von Rotterdam 1692; Augustus Velleris aurei Ordo per emblemata,
und seine Slellung zur Kirche, L eipzig, 1870; V ischer, ectases politicas et historiam demonstratus, Passau,
Erasmtana, P rogr., B âle, 1876; Janssen, L’Allemagne et 1694; R atisbonne, 1697 ; Symbola virginea, A ugsbourg,
la Réforme, trad , franç.. P aris, 1889, t. u , p. 6-22; A ndré
M eyer, Étude critique sur les relations d" Érasme et de Luther,
1694, traduction latine de l ’ ouvrage de Picinelli,
P aris, 1909: S chlottm ann, Erasmus redivivus, 1882, Simboli verginali, publié à M ilan, en 1679; Geistliche
1886: A . R ichter, Erasmus-Sludien, D resde, 1891; Amalthea, A ugsbourg, 1695; Maxima sacrarum reli­
J. A . F roude, Life and letters of Erasmus,Londres, 1894; gionum, A ugsbourg, 1696, traduction latine de l ’ ou ­
E m erton, Erasmus, L ondres, 1899; P enningtcn, Eras­ vrage de Picinelli, Le massime dei sacri chiostri. M ilan,
mus, L ondres, 1907; C apey, Erasmus, L ondres, 1902; 1678; Commentarius theologico-juridico-historicus in
Erasmiana, publiés p ar l'u n iv ersité de G enève, G enève, regulam S. Augustini, V ienne, 1698, t. i(seul paru);
1897-190 1, t. i-rn î F . Ç . H offm ann, Essai d ’une liste
les bénédictins en dem andèrent la suppression, et le
d’ouvr. et dissert, concernant la aie et les écrits d’Érasme,
B ruxelles, 1867; G illy, Érasme de Rotterdam, A rras,
Saint-Siège invita l ’ auteur à ne pas le continuer, et àen
1879: M arseille, Érasme et Luther, leur discussion sur retirer les exem plaires m is en vente; Lumina reflexa,
le libre arbitre et la grâce. M ontauban, 1897; S tâhe- seu consensus veterum authorum cum S. Bibilis legis
lin. Briefe ans der Reformalionszeil. B âlo. t88 7 ; S eebohm , antiqua et nova, Francfort, 1702, traduction latine de
The Oxford Reformers of 1498 : J. Colet. Erasmus and l ’ ouvrage de Picinelli, Lumi e riflessi, M ilan, 1667;
Th. More, 3· éd it., 1887; L ezius, Der religiSsische Sland- Adventuale seu conciones in singulos dies adventus,
punht des Erasmus, G utersloh, 1895; H oraw itz, Erasmiana, et quadragesimalc primum et secundum italico idio-
dans les C om ptes rendus des séances de l ’ A cadém ie de
V ienne, t. x c (1878). t. x cv (1879), t. en (1882), t. cv m
mate composita, U lm , 1710, traduction latine de trois
(1884); M ax R eich, Erasmus von Rotterdam. Untersuchun- ouvrages italiens du P. Picinelli, M ilan, 1672-1674.
gen zu seinem Briefwechsel und Ixben in den Jahren 1509- Le P. D uelli cite parm i les ouvrages im prim és du
1518, T rêves. 1896; H um bert-C laude. Érasme et Luther. P. É rath trois brochures sur les controverses entre le-
Leur polémique sur le libre arbitre, P aris, 1909; P aquier, archevêques de Salzbourg, et les évêques de Pass a
L’humanisme et la Réforme, P aris, 1900: P . K alkoff. Die qui ne voulaient pas être soum is à la juridiction
Anfnnge der Gegenreformation in den Niederlanden. H alle, m étropolitaine des prem iers, Schrôdl, Geschichte des
1903. p. 65-91 ; M . S chulze, Calvins Jenseitschristenlhum
in seinem Verhaltnis zu den religiôsen Schriften des Eras­ Bisthums Passau bis zur Sâkularisation des Fürsten-
mus. B erlin, 1902; Im b art de la T our, Les origines de la thums Passau, Passau, 1879, p. 368 : 1° Succincti
Réforme. P aris. 1909, t. n : A . H um bert, I.es origines de la narratio facti et juris, quod habet Ecclesia Passaviensis
théologie moderne, P aris, 1911, t. I, p. 179-2 23. 232-238. contra Salisburgensem; 2° Succincta narratio facti el
P. G o d e t . juris iterata ac defensa pro nativa exemptione Eccle-
399 ÉRATH — ERHARD 400

siæ Passaviensis contra brevem notitiam juris mcho- avec Jean M usaus, A ndré W igand et Jean G erhard
polilici Salisburgensis in Ecclesiam Passaviensem ; d ’ Iéna. C ontre le dernier et contre l ’ anglais W illiam
3° Genuina informatio historica pro nativa exemptione A m es, il défendit les Controverses de B ellarm in, dans
Ecclesiæ Laureaco-passaviensis : contra recens scrip­ Nervi sine mole h. c. Controversiarum B. Bellarmini
tum, cui titulus : Informatio historica super jure melro- S. B. E. Card. Emmi compendium a cavillis et impo­
polilico Salisburgcnsi in Ecclesiam Passaviensem. Le sturis Guilielmi Amesi Puritani-Angli, Joannis Ger-
Saint-Siège im posa silence aux deux partis, et ces bro ­ hardi Lutherani-Jenensis,etc., vindicatum, Wurzbourg,
chures furent retirées de la circulation.Sous Je titre: 1661. E rberm ann s ’ était acquis un juste renom par la
lies Sand-Andreanæ, le P. d ’ É rath a écrit trois autres science, la force de logique et la clarté qu ’ on rem arque
brochures : 1° Dissertatio de Ollone III, imperatore dans ses publications.
augustissimo, primo fundatore canonicæ reg. S. Augu­
D e B acker-S om m ervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus,
stini canonicorum ad S. Andream cis Trasenam; t. in , col. 407-410; Kirchenlexikon, t. iv, col. 747-748;
2° Series prælatorum Ecclesiæ collegiatæ canonicorum H u rter, Nomenclator, t. iv, col. 102-103; W erner, dans
regularium Divi Augustini ad S. Andream cis Trasenam Deutsche allgemeine Biographie, t. v, p. 578; A . R àss, Die
ab anno 998 usque ad 1723; 3° Bullæ et diplomata Convertiten seit der Reformation, F ribourg, 1870, t. iv.
qutedam pontificum, imperatorum et arckiducum Au- J. B r u c k e r .
striæ pro canonia S. Andreee expedita. Ces brochures E R D O E D I (G a b riel-A n to in e , c o m te d e ), évêque
ont été insérées dans l ’ ouvrage de D uelli, t. il, p. 368- d ’ E rlau en H ongrie, m ort en 1744, fit im prim er l ’ ou ­
436. Le P. d ’ É rath est aussi l ’ auteur des ouvrages vrage suivant : Opusculum theologicum in quo quœ-
suivants qui sont dem eurés inédits : Theologia scho­ ritur an et qualiter possit princeps, magistratus, do­
lastica; Tractatus singularis ad mentem S. Augustini minus catholicus in ditione sua retinere hærelicos vel
de sacramentis; Tractatus de immaculata conceptione contra eos poenis aut exilio ad fidem catholicam am ­
B. Mariae Virginis; Philosophia erathiana; Annales plectendam cogere, in-4°, T yrnau, 1721; cet opuscule
anliquissimæ Ecclesiæ collegiatæ canonicorum regu­ a un jésuite pour auteur et il est attribué au P. Sam uel
larium ad S. Andream cis Trasenam cum historia poli­ T im on,ou au P. G abriel Szerdahclyi,ouauP.G .K api.
tica rerum austriacarum; Anticrisis pro vindicando Il fut interdit par ordre de l ’ em pereur qui en trou ­
honore ac praerogativa sacri et antiquissimi ordinis vait trop sévère la doctrine.
canonicorum regularium S. Augustini; Tractatus con­ C . S om m ervogel, Bibliothèque de la C 1 · de Jésus, in-4 “ ,
tra antilogiam Carlomæschin. t. iv (1893), col. 914; t. v u (1896), col. 1778; t v m (1898),
col. 28.
D uelli, Miscellanea, A ugsbourg et G ratz, 1724, t. II,
P réface, n. 15; Biographie universelle, P aris, 1815, t. x m ,
B. H e u r t e b i z e .
p. 235-236; Allgemeine deulsche Biographie, L eipzig, 1877, E R D T P a u lin , religieux franciscain bavarois, né le
t. vi, p. 183; H u rter, Nomenclator, t. iv, coi. 151,625. 7 juin 1737 à W ertach, m ort le 16 décem bre 1800. Il
A. P a l m ie r i . fuv professeur de théologie à l'université de Fribourg-
E R B A ns e lm e , théologien allem and, bénédictin, né cn-B risgau et s ’ efforça par son enseignem ent et par
à R avensburg le29 janvier 1688, m ort le21 m ai 1767. ses écrits de com battre les incrédules de son époque.
Il em brassa la vie religieuse en 1706 à l'abbaye Ses principaux ouvrages sont : Kurzgefasste gelehrte
d ’ O ttobeuren et enseigna la rhétorique, la philoso ­ Geschichle der christlichen Beligion,ïn-8°. A ugsbourg,
phie et la théologie aux étudiants de son m onas ­ 1784; il donna une édition latine de cet écrit : Hi­
tère. En 1720, il professait la philosophie à l ’ univer ­ storiée literariæ lheologiæ rudimenta XV III libris com­
sité de Salzbourg, et il y reçut le bonnet de docteur. prehensa, seu via ad historiam theologiæ revelatæ ad-
E n 1725, il devenait recteur du collège de Freisin- notationibus literariis instructa, 4 in-8°, A ugsbourg,
gen et y donna des leçons de droit; de là il passa à 1785 ; Versuche Uber das Hirtenaml in der Kirchc, nebst
l ’ université de Fulda où il enseigna de 1735 à 1740. der Gelehrtengeschichte der Pastoral, in-8°, A ugsbourg,
Il fut ensuite choisi com m e abbé d ’ O ttobeuren. Il a 1785; Bekenntniss des Glaubens in der wahren Kirche
com posé divers ouvrages : Scientiarum prodromus, gegen alie Verirrungen derselben bis auf unsere Zeilen
in-8 0 , Salzbourg, 1722; Forum casuum reservatorum oder hellere Ziige einer Gelehrtengeschichte der Gottesge-
seu tractatus theologico-canonicus de casibus reservatis lehrlheit, 4 in-8°, B regenz, 1785-1786; Aufangsgründe
in genere et in specie, in-8°, Freisingen, 1726; Disser­ zur allgemeinen Gelehrtengeschichte ais eine Einleitung
tatio canonico-polilica de matrimoniis coram magi­ zur sdmmtlichen Gelehrtengeschichte der Théologie,
stratu vel ministroprolestantiumconlraclis, in-4°,FuIda, A ugsbourg, 1786 ;Die naturliche Beligion sammt einer
1739; Tractatus de natura, requisitis et obligatione kurzen Geschichle derselben, A ugsbourg, 1786; Die
sponsalium tum secundum jus commune, cum ad edi­ Beligion am Ende des xviir Jahrhunderts, Saint-G all,
ctum diœcesanum Fuldense, in-4°, Fulda, 1740. 1787; Beligion und Moral der slacken Geisler, Saint-
G all, 1787 ; Audi ich will einAufkliirersein,A ugsbourg,
Z iegelbauer, Historia rei literariæ ord. S. Benedicti, t. iv,
p. 140; [doni F rançois,] Bibliothèque générale des écrivains
1791 ; Die wahren Wege zur Gliickseligkeit des Mens-
de F ordre de S. Benoit, t. i, p. 289; H u rter, Nomenclator, chen, 2 in-8°, A ugsbourg, 1793; Fragmente zur Cultur
t. ni (1895), col. 190. : der Beligion, in-8°, A ugsbourg, 1794; Versuche Uber
B. H e u r t e b i z e . moralische Denkungsart sammt Gelehrtengeschichte der
E R B E R M A N N v ît naquit à R entw einsdorf (dio­ Moral, 2 in-8°, B regenz, 1795; Das Bild der Religion
cèse de B am berg) le 25 m ai 1597 de parents für ihre Freunde und Feinde, B regenz, 1796.
luthériens; devenu catholique, il fut adm is dans la H u rter, Nomenclator, t. m (1895), coi. 250.
C om pagnie de Jésus. le 30 m ai 1620. A près de bril­ B. H e u r t e b i z e .
lantes études, il fut appliqué à l ’ enseignem ent et y E R H A R D G a s p ar, bénédictin de Saint-Em m eran
passa toute sa vie, en y ajoutant la com position d ’ ou ­ de R atisbonne, né le 3 janvier 1665, m ort le 29 m ai
vrages de controverse. Il enseigna la philosophie à 1729. Parm i les ouvrages de ce théologien on rem ar ­
W urzbourg, la théologie à M ayence et à W urzbourg; que : Dulcis memoria in sancta Evangelia, seu vita,
il dirigea pendant sept ans le sém inaire pontifical de doctrina et mysteria Jesu Christi per brevem commen­
Fulda; rappelé à l ’ université de M ayence, il m ourut tarium in sancta Evangelia, in-8°, A ugsbourg, 1715;
dans cette ville le 8 avril 1675. Il échangea un grand Habitus naturalis noviter expensus secundum antiqua
nom bre d ’ écrits polém iques avec les principaux théo ­ thomistica principia, in-4°, R atisbonne, 1718; Habi-
logiens luthériens, notam m ent avec les syncrétistes i tus supernaturalis expensus, in-4°, R atisbonne, 1718;
G eorge C alixte et H erm ann C onring de H elm stadt, et ! Amica unio theologiæ scholasticæ cum ascelica, seu
401 ERHARD - É R IG ÈN E 402

de septem perfectionibus diversis dissertationes, in-8°, clerc, laïque? N ous savons seulem ent par Prudence
R atisbonne, 1719; Institutiones de theologia positiva de Troyes, De prædestinatione contra JoannemScot.:-,
ad incendendum ss. Hierarum studium, R atisbonne, c. in, P. L.,t. cxv, col. 1043, qu ’ il était nullis eccle­
1725; Instructio et manuductio ad theologiam my­ siastica dignitatis gradibus insignitum, ce qui parait
sticam seu contemplationem et dilectionem Dei per vias exclure qu ’ il ait été constitué en dignité et m êm e, sans
planas, rectas et tutas omni Christiano qui vult pie et doute, qu ’ il ait reçu les saints ordres, m ais non qu il
perfecte vivere utilis et accomodata, in-8°, A ugsbourg, ait été sim ple clerc, contrairem ent à ce que pense
1717; Soliloquium comitis de Meternich commentario F. M onnier, De Gothescalci et Johannis Scoti Erigenæ
polemico, facili ct plano illustratum, in-8°, R atisbonne, controversia, Paris, 1853, p. 46. Par ailleurs, son rôle à
1728. la cour de C harles le C hauve et dans les controverses
religieuses de son tem ps,et l ’ étendue et le caractère de
Z iegelbaucr, Historia rei lilerariæ ord. S. Benedicti, t. n ,
p. 218; t. iv, p. 46,13 1, 149, 154; [dom F rançois,] Biblio ­
son savoir perm ettent m alaisém ent de supposer qu ’ il
thèque générale des écrivains de l'ordre de S. Benoît, t. i, ait été laïque. Cf. Saint-R ené T aillandier, Scot Éri­
p. 292; H u rler, Nomenclator, 3° éd it., Inspruck,1910, t. iv, gène, Strasbourg, 1843, p. 44-45; P. B aldini, dans
col. 1012. Rivisla storico-critica dette scienze teologiche, R om e,
B. H e u r t e b i z e . 1906, t. n, p. 417, note 1.
É R IG ÈN E ou m ieux É R IU G È N E (Jean Scot), C harles le C hauve appela Ériugène en France et le
philosophe et théologien hétérodoxe du ix c siècle. m it à la tête de l ’ école du palais. C ela dut se passer
— I. V ie. II. Œ uvres. III. D octrines. IV. Influence. avant l ’ année 847, car c ’ est à cette date que Prudence
I. V i e . — Les m anuscrits le nom m ent le plus sou ­ quitta la cour pour devenir évêque de Troyes; or,
vent Joannes Scotus (ou Scotigcna) tout court, par ­ Prudence, De prædestinatione contra Joanncm Sco-
fois Joannes Scotus lerigena, ou encore — et c ’ est tum, c. i, P.L., t. cxv, col. 1112, parle en des term es
le cas des m anuscrits les plus anciens — Joannes qui sem blent prouver qu ’ il l ’ avait connu fam ilière ­
Scotus Eriugena. Cf. C. B àum ker, dans Jahrbuch fixe m ent, et ce n'est guère qu ’ à la cour qu ’ il a pu le con­
Philosophie und speculative Théologie, Paderborn, naître de la sorte. O n se base là-dessus pour supposer
1893, t. vu, p. 346; 1894, t. vin, p. 222; L. T raube, qu ’ Ériugène était né entre 800 et 815 environ. Les
dans Monumenta Germanise historica. Poelæ latini ævi rapports furent intim es entre le roi et le m aître de
carolini, B erlin, 1896, t. ni, p. 518. L a form e Erigena l ’ école palatine. Si nous ne pouvons accepter en toute
est tardive; elle a été em ployée, peut-être pour la confiance les récits de G uillaum e de M alm esbury,
prem ière fois, par T rithèm e (Joannes de Tritlenhem), De géstis pontificum anglorum, 1. V , P. L., t. c l x x i x ,
De scriptoribus ecclesiasticis, Paris, 1494, fol. 65, col. 1652, qui m ontrent Jean Scot sous un jour plai­
verso. A ussi les récents historiens de la philosophie sant, nous pouvons en retenir que C harles le C hauve
l ’ appellent-ils Ériugène plutôt qu ’ Érigène. Les nom s le tint en haute estim e; les écrits de Scot, en particu ­
Scotus Eriuegna ou lerugena sem blent indiquer son lier ses poésies, tém oignent de relations excellentes
pays d ’ origine. Le m ot Scotia désignait, au ix« siècle, avec ce roi lettré et appréciateur des choses de l ’ esprit.
l ’ Écosse et l ’ Irlande; le m ot Eriugena ou lerugena Cf., par exem ple, les deux préfaces, en vers et en prose,
spécifierait qu ’ il est originaire de l'Irlande, soit qu'on de la traduction du pseudo-D enys l'A réopagite, P. L.,
adm ette l'étym ologie contestable de H . J. Floss, t. cxxn, col. 1029-1031. D eux grandes controverses
P. L., t. cxxn, p. xix, qui dérive lerugena de ‘ Ιερού, théologiques m arquèrent le règne de C harles le C hauve,
sous-entendu νήσου, et traduit lerugena par originaire l ’ une relative à la prédestination, l ’ autre à l ’ eucha ­
de l ’ île des Saints (c ’ est ainsi que de longue date on ristie. Jean Scot prit certainem ent part à la prem ière,
désignait l ’ Irlande), soit qu ’ on préfère l'étym ologie et très probablem ent à la seconde, vers 850. Il tra ­
donnée par L. T raube, dans Abhandlungen der phi- duisit les œ uvres du pseudo-D enys, sur l ’ invitation de
losophisch-philologischen Klasse der K. bayerischen C harles le C hauve, et com posa son principal écrit, le
Akademie der Wissenschaflen, M unich, 1892, t. xix, De divisione naturæ. Le pape N icolas I er écrivit à
p. 360, qui fait venir Eriugena du celtique (h)ériu = C harles le C hauve pour se plaindre que la traduction
Érin, Irlande. U n texte de saint Prudence, évêque de l ’ A réopagite n ’ eût pas été soum ise à son appro ­
de Troyes, dans son De prædestinatione contra Joan- bation, d ’ autant plus que le traducteur multæ scientiæ
nem Scotum,c. xiv, P. L., t. cxv, col. 1194, confirm e prædicetur olim sed non sane sapere in quibusdam fre­
cette conclusion. Prudence dit à Jean Scot : te solum quenti rumore dicatur; il dem andait que Jean Scot
omnium acutissimum Galliæ transmisit Hibernia. Il vînt se présenter devant le Saint-Siège ou que, du
n ’ y a pas à s ’ arrêter aux opinions qui placent en m oins, il fût écarté de la direction de l ’ école du palais.
Écosse, ou m êm e en A ngleterre, le berceau de Jean P. L.,t. cxxn, col. 1025-1026. Il n ’ est pas sûr que cette
Scot, et m oins encore à celle qui le fait naître en dernière phrase soit authentique; le texte de cette
O rient. Il faut se résigner à l ’ ignorance sur les lettre, tel qu ’ il se lit dans Y ves de C hartres, Decretum,
années antérieures à son séjour auprès de C harles le part. IV, c. civ, P. L., t. c l x i , c o 1. 289-290, porte que
C hauve. Ses voyages en O rient, et surtout en G rèce, le roi est invité à envoyer la traduction au pape,
à la recherche de la science, sont purem ent légen ­ quatenus, dum a nostri apostolatus judicio fuerit appro­
daires; on y a cru sur la foi d ’ un texte, plus ou m oins batum, ab omnibus incunctanter nostra auctoritate
authentique, de R oger B acon, cf. A . W ood, Historia et acceptius habeatur. Cf. S.-M . D eutsch, dans Realen-
antiquitates universitatis Oxoniensis, O xford, 1674, cyklopadie, Leipzig, 1906, t. xvm , p. 89. Trois ques ­
t. i, p. 15, qui n ’ est pas probant. Cf. P. L., t. cxxn, tions se posent à propos de la présence de Scot à
col. 14. Peut-être le frater Johannis Scotti Adelmus l ’ école du palais. L a prem ière, qui est aisée à résoudre,
fecit istam paginam, que nous lisons en tête d ’ un m a ­ est la suivante : y eut-il deux Jean Scot à la tête de
nuscrit ancien, cf. V . C ousin, Ouvrages inédits d’Abé­ l'école du palais, l ’ un du tem ps de C harlem agne, l ’ autre
lard, Paris, 1836, p. 622, s ’ applique-t-il à un frère du tem ps de C harles le C hauve? N on, il n ’ y a pas
de notre Jean Scot. Cf. J.-B . Pitra, Spicilegium Soles- eu deux Jean Scot; le dédoublem ent est dû à une con ­
mense, Paris, 1855, t. r, p. iv, xxvi. M ais c ’ est perdre fusion d ’ un anonym e cité par V incent de B eauvais et
son tem ps que de partir de là pour conjecturer, avec reproduit par tous ceux qui ont adm is cette dualité,
X . R ousselot, Éludes sur la philosophie dans le moyen par exem ple,par T rithèm e, Descriptoribus ecclesiasti­
âge. Paris, 1840, t. I, p. 41, que Jean Scot « était un cis, Paris, 1494, fol. 63, verso,etfol. 65, verso. C f.Saint-
m em bre de la fam ille d ’ A delm e, et, par conséquent, R enéT aillandicr, Scot Érigène, p. 30-32. Plus com plexe
d ’ Ina, roi des Saxons d ’ O ccident. » A -t-il été m oine, est la deuxièm e question. E lle a son point de départ dans
403 É R IG È N E 404

iine phrase d ’ un chroniqueur anonym e du xi» siècle, hagiographie, Cf. H . D elehaye, op. cit., p. 117-118;
qui, parlant des évènem ents qui s ’ étaient produits cette m ort, à son tour, aura passé pour un m artyre,
depuis le com m encem ent du règne de R obert jusqu ’ à com m e dans des légendes de saints des prem iers
la m ort de Philippe I er , s ’ exprim e ainsi : In dialectica siècles; enfin on aura fixé sa fête au 10 novem bre,
hi potentes extiterunt sophistæ : Joannes, qui eamdem jour anniversaire du m artyre d ’ un Jean Scot, évêque
artem sophisticam vocalem esse disseruit, Robertas en Esclavonie. Cf. A dam de B rêm e, Gesta pontificum
Parisiensis, Roscelinus Compendiensis, Arnulphus Hammaburgensis ecclesix, c. xxxix, c l x v i i , c c v i ,
Laudunensis. IIi Joannis fuerunt sectatores. Q uel fut P. L., t. c x l v i , col. 574, 595-596, 618; P. Piolin, Sup­
ce Jean? D u B oulay (BuZéeus), Historia universitatis plément aux Vies des Saints et spécialement aux Petits
Parisiensis, Paris, 1665, t. i, p. 443, soupçonna que ce Bollandistes, Paris, s. d., t. ni, p. 422. V oir, sur cette
fut le m édecin du roi H enri I or , Jean dit le Sourd, légende qui m ériterait une étude approfondie, quel ­
élève de Fulbert de C hartres. C ette opinion a trouvé ques indications dans M abillon, Acta sanctorum ordinis
des adhérents et, plus encore, des contradicteurs, qui sancti Benedicti, Paris, 1680, t. vi, p. 506-513; [Paris],
ont identifié ce personnage avec Jean Scot Ériugène ; dans Perpétuité de la foi de l’Église catholique sur
on ne s ’ est pas entendu davantage sur le sens des m ots : l'eucharistie, édit. M igne, Paris, 1841, t. i, col. 1139-
eamdem artem sophisticam vocalem esse disseruit. La 1150; N . A lexandre, Historia ecclesiastica, édit. M ansi,
discussion a été reprise récem m ent. A . C lerval, Les V enise, 1778, t. vi, p. 427-428.
écoles de Chartres au moyen âge du V° au xvp siècle, IL Œ u v r e s . — 1° Traductions et commentaires. —
C hartres, 1895, p. 121-124, a pris position pour Jean A la dem ande de C harles le C hauve, meo Carolo,
le Sourd, tandis que le P. M andonnet, Jean Scot disait-il, P. L., t. exxn, col. 1029, Ériugène traduisit
Èrigéne et Jean le Sourd, dans la Revue thomiste, Paris, les quatre ouvrages et les dix lettres du pseudo-D enys
1897, t. v, p. 383-394, a défendu la cause de Jean l ’ A réopagite, qu ’ il regardait, avec ses contem porains,
Scot. Le procès ne parait pas tranché d ’ une façon défi ­ com m e le disciple de saint Paul et l ’ apôtre de Paris,
nitive. Cf. U eberw eg-H cinze, Grundriss der Geschichle col. 1032. Le codex qu ’ il traduisit, et auquel il ren ­
der Philosophie der patristischen und scholastischen voyait les critiques pointilleux qui discuteraient son
Zeit, 9» édit., B erlin, 1905, p. 168-169, 181. La troi ­ œ uvre, était sans doute l ’ exem plaire offert, en 827,
sièm e question est celle-ci : jusqu ’ à quelle date Jean à Louis le D ébonnaire par une am bassade de l ’ em ­
est-il resté à l ’ école du palais? Sur ce point, et sur la pereur de C onstantinople, M ichel le B ègue. Cf.
fin de la vie de Jean Scot, les renseignem ents sûrs H . O m ont, Manuscrit des œuvres de saint Denys
font défaut. Ses poésies nous perm ettent de suivre sa l’Aréopagite envoyé de Constantinople à Louis le Dé­
trace jusqu ’ au tem ps de la m ort de C harles le C hauve bonnaire enS27, dans la Revue des études grecques, Paris,
(877), peut-être jusqu ’ en 882. L ereste nous est inconnu. 1904, t. xvii, p. 230-236. E nsuite, pour répondre
O ù l'histoire se tait, la légende prend la parole. aux désirs du m êm e C harles le C hauve, il traduisit
G uillaum e de M alm esbury, selon son habitude, en a les Ambigua de saint M axim e le C onfesseur, c ’ est-à-
ram assé et fondu ensem ble vaille que vaille les récits dire l ’ explication des passages difficiles de saint
épars et incohérents. Gesta regum anglorum, 1. II, G régoire de N azianze, d ’ autant plus qu ’ elle jetait
§ exxn; De gestis pontificum anglorum, 1. V ; Epistola souvent de la lum ière sur l ’ A réopagite. A yant bien
ad Petrum monachum de vita et scriptis Joannis Scoti, vu que l ’ obscurité était l ’ écueil à redouter dans la
P. L., t. c l x x i x , col. 1084-1085, 1652-1653, 1668, lecture de D enys, cf. col. 1032, il entreprit un com ­
1771 ; t. exxn, col. 91-92; cf. p. xxiv. Jean Scot aurait m entaire, Expositiones, de ces écrits, qui m alheureu ­
été appelé de la France en A ngleterre par le roi A lfred sem ent nous est parvenu incom plet. Les Expositiones
le G rand; il aurait enseigné au m onastère de M alm es ­ in Mysticam theologiam, P. L., t. exxu, col. 267-284,.
bury (le m onastère de G uillaum e) et aurait été tué par sont données à tort com m e l ’ œ uvre de Jean Scot.
ses élèves à coups de styles; sur son tom beau laissé Cf. S. M . D eutsch, Realencyklopâdie, t. xvm , p. 87,
sans honneurs aurait brillé une lum ière m erveilleuse, d ’ après l ’ ouvrage (russe) d ’ A . B ril lianto ff, L ’influence
et il faudrait l ’ estim er m artyr, com m e le porte son de la théologie orientale sur l’occidentale dans les œuvres
épitaphe, en quatre vers (il y est nom m é sanctus so­ de Jean Scot Érigine, Saint-Pétersbourg, 1898, p.34sq.
phista Joannes), dont G uillaum e donne le texte. La En outre (voir la bibliographie) ont été publiés par ­
légende passa de G uillaum e de M alm esbury dans une tiellem ent des com m entaires de Scot Ériugène sur
foule d ’ écrivains et m êm e dans des m artyrologes; elle M arlianus C apella, d ’ après un m anuscrit de Saint-
se lit, à la date du 10 novem bre, dans le supplém ent G erm ain-des-Prés, à Paris. R écem m ent un A m éri­
de M olanus au m artyrologe d ’ U suard, publié à A nvers, cain, E. K ennard R and, a édité avec beaucoup de soin
en 1583 (et non, com m e on l ’ a dit, dans l ’ édition du des gloses du m êm e Scot sur les Opuscula sacra de
m artyrologe rom ain publiée, à A nvers, en 1586). B oèce; à vrai dire, les m anuscrits ne désignent pas
Cf. encore A . du Saussay, Martyrologium gallicanum, Scot com m e l ’ auteur de ce com m entaire, m ais la cri­
Paris, 1636, p. 1225, et, parm i les écrivains récents, tique interne autorise à les lui attribuer. Finalem ent,
P. V ulliaud, dans Entretiens idéalistes, 25 m ars 1910, nous possédons des fragm ents d ’ un com m entaire sur
p. 130. Si vraim entl'épitaphe transcrite parG uillaum e saint Jean et une hom élie sur le prologue de cet
de M alm esbury est aussi ancienne qu ’ il le prétend, il y Évangile.
a des chances pour qu ’ elle ait fourni le point de départ 2° Autres œuvres. — N ous avons d ’ Ériugène des
de la légende; les cas sont fréquents de légendes hagio ­ œ uvres plus personnelles que les traductions ou les
graphiques dues à l ’ épigraphie. Cf. H . D elehaye, Les com m entaires. D ’ abord le De praedestinatione, qu ’ il
légendes hagiographiques, B ruxelles, 1905, p. 94-97. écrivit à la dem ande d ’ H inctnar de R eim s. Son ou ­
D ans le Johannes sophista de l ’ inscription tom bale on vrage capital est le Π ερί φύσεως μερισμού, id est de divi­
aura vu le célèbre Jean Scot É riugène; pour en venir sione naturœ libri quinque, im portant m oins encore
là — et l ’ explication qui suit est encore valable si, par son étendue que par la richesse du développem ent
loin d'avoir été causée par l'inscription, la légende lui systém atique de ses doctrines. O n peut y rattacher,
est antérieure — on l ’ aura confondu avec le Jean, en supposant qu ’ il soit authentique, un court frag ­
m oine et prêtre, que le roi A lfred fit venir de France m ent du Liber de egressu ei regressu animæ ad Deum.
et qu'il préposa à l ’ abbaye d ’E thelinge (A thelney), Il écrivit un certain nom bre de brefs poèm es, pièces
où les m oines l ’ assassinèrent, et on aura transform é d ’ occasion, la plupart adressées à C harles le C hauve :
cet assassinat en une m ort due aux poinçons à écrire il sem ble qu'Ériugène« ait, chaque année, aux prin ­
de ses élèves, usant ainsi d ’ un thèm e classique en | cipales fêtes de l ’ Église, notam m ent à Pâques, offert
405 É R IG È N E 4Û6

au m onarque un tribut de sa m use; car bon nom bre de de R atram ne, soit de Jean Scot; de Scot il i.
ses poèm es traitent ou du crucifiem ent, ou de la resur ­ le style, les procédés, la m anière, sans com pter que
rection, ou de la descente de Jésus-Christ aux enfers, les m anuscrits anciens, dont l ’ un est du ix ' ou du
ou de la fête de Pâques. Le poète ne m anque jam ais x° siècle, l'assignent à R atram ne. c) Il est possible que.
d ’ y ajouter les vœ ux et les prières qu ’ il fait pour le dans la controverse bérengarienne, on n ’ ait pas eu
roi; un de ces poèm es (DeVerbo incarnato) est un ca ­ en m ains le traité de Scot sur l ’ eucharistie et qu ’ on lui
deau de N oël. Ces poèm es ont, dans des proportions ait prêté le traité de R atram ne. Sans im poser cette
diverses, un intérêt réel...: c ’ est qu ’ en eux se reflète, conclusion, ce que nous savons de la controverse ne
quoique dans certains traits seulem ent, le systèm e l ’ exclut pas. Les passages difficiles du traité de
philosophique de l'auteur. » A . É bert, Histoire géné­ R atram ne sont susceptibles d'une interprétation
rale de la littérature du moyen âge en Occident, trad. orthodoxe, si on les place dans leur contexte; m ais on
A ym eric et C ondam in, Paris, 1884, t. n, p. 293-294. pourrait aisém ent y trouver des form ules discutables
3° Œuvres perdues et douteuses. — D iverses œ uvres et qui, surtout isolées du contexte, cadreraient assez
ont été attribuées à Ériugène, à bon droit ou fausse ­ bien avec les affirm ations de B érenger, de ses contra ­
m ent, qui n ’ ont pas été retrouvées jusqu ’ ici. Cf. dicteurs et des conciles qui le condam nèrent et, avec
H . J. Floss, P.L., t. exxn, p. xxiv-xxvn; Saint-R ené lui, l ’ écrit attribué à Scot dont B érenger se récla ­
Taillandier, Scot Érigène, p. 68-81; Th. C hristiieb, m ait. dj II ne paraît pas légitim e d ’ attribuer à Scot
Lcben und Lehre des Johannes Scotus Erigena, G otha, la paternité du De corpore et sanguine Domini qui
1860, p. 81 sq. figure dans les œ uvres de G erbert, et, m oins encore,
U ne question difficile, et encore pendante, est celle d ’ y voir la clef de toute la philosophie de Scot,
de la com position par Jean Scot Ériugène d ’ un traité com m e l ’ a fait R . A stier, dans un m ém oire lu au
sur l ’ eucharistie. D ans la controverse eucharistique C ongrès des sociétés savantes, le 4 avril 1902, et
suscitée par B érenger de Tours, il fut souvent ques ­ I analysé dans le Bulletin historique, et philologique du
tion d ’ un traité de ce genre, que tous, B érenger, ses Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris,
partisans et ses adversaires, regardaient com m e 1902, p. 154-155. L ’ auteur du m ém oire a trouvé,
l ’ œ uvre de Scot. V oir t. n, col. 729-731. O n s ’ est dans le De corpore et sanguine Domini, un extrait
dem andé s ’ il n ’ y avait pas eu là une confusion, et les du De divisione naluræ de Jean Scot; il a soutenu
opinions suivantes ont été soutenues : a) Jean Scot que le style, m élangé de citations grecques, ainsi que
écrivit, sur l ’ eucharistie, un livre m aintenant perdu; les principes qui apparaissent dans cet opuscule :
b) l ’ ouvrage écrit par Jean Scot est celui qui a été critique, idéalism e tem péré, confiance aveugle dans
publié sous le nom de R atram ne de C orbie, le De cor- les forces de la raison, sont tout à fait de Jean Scot,
pore et sanguine Domini, P. L., t. cxxi, col. 125-170; et que les théories eucharistiques développées dans cet
c) cet écrit n ’ est pas de Jean Scot, m ais bien de écrit concordent avec celles qui se lisent dans les
R atram ne; toutefois on le crut de Jean Scot pendant œ uvres de Jean Scot. Il parait, au contraire, que le
toute la controverse bérengarienne; d) Jean Scot est De corpore et sanguine Domini diffère plus, fond et
l ’ auteur du traité qu ’ on lui prêta, et ce traité nous form e, des œ uvres de Jean Scot qu ’ il ne leur ressem ­
l'avons dans le De corpore et sanguine Domini publié ble. C 'est, à tout prendre, une apologie de Paschase
sous le nom de Silvestre II (G erbert), P. L., t. cxxxix, R adbert; or, tout nous interdit, m êm e en réduisant au
col. 179-188. Sur l ’ histoire de ces opinions, voir t. n, m inim um les erreurs eucharistiques de Scot, de le
col. 730-731 ; cf. H auck, dans Realencyklopâdie, Leip ­ ranger à la suite de Paschase R adbert. Les ressem ­
zig, 1905, t. xvi, p. 467-468; S. M . D eutsch, dans blances constatées par R . A stier s ’ expliquent fort bien
Realencyklopâdie, Leipzig, 1906, t. xvin, p. 88; P. B al­ et par le tour d ’ esprit de l ’ auteur du De corpore et san­
dini, Rivista storico-critica delle scienze teologiche, guine Domini et par ce fait qu ’il a connu et utilisé
R om e, 1906, t. n, p. 418. Q ue penser de tout cela? le De divisione naluræ. Ces observations auraient une
R em arquons, d ’ abord, qu ’ il faut élim iner du débat un confirm ation im portante si l ’ on devait adm ettre,
texte publié par R avaisson, Rapports sur les biblio­ com m e le suppose H auck, dans Realencyklopâdie,
thèques des départements de l’Ouest, Paris, 1841, p. 372 Leipzig, 1906, t. xviu, p. 344, que l ’ auteur du De cor-
sq., et, d ’ après lui, par Saint-René Taillandier, Scot pore et sanguine Domini n ’ est pas G erbert, m ais un
Érigène, p. 325-327, qui ont cru pouvoir restituer à A llem and. B ref, jusqu ’ à m eilleur inform é, tout porte
Jean Scot ce fragm ent, cf. R avaisson, p. 119; Saint- à croire qu ’ Eriugène a traité de l ’ eucharistie dans un
R ené Taillandier, p. 72; com m e ce fragm ent se rap ­ ouvrage distinct de celui que nous lisons sous le nom
porte à l ’ eucharistie, s ’ il était l ’ œ uvre de Jean Scot, de R atram ne ou, du m oins, dans les parties perdues de
nous pourrions en conclure qu ’ il appartenait au livre ses com m entaires sur le pseudo-A réopagite ou sur
sur l'eucharistie dont on l ’ a dit l ’ auteur. Le m alheur saint Jean; il se peut, toutefois, que B érenger et ceux
est que R avaisson et Saint-René Taillandier, com m e qui ont com battu pour ou contre lui aient cru avoir
l ’observe H . J. Floss, P. L.,t. exxn, p. xxn. ne se sont le traité de Scot alors qu ’ ils avaient celui de R atram ne.
pas aperçus que ce fragm ent n ’ est autre chose qu ’ un 4° Chronologie des o uvres et étal du loæte.— O n n ’est
m orceau du traité connu sous le nom de R atram ne, pas en m esure d ’ établir définitivem ent la chrono ­
c. Lxxii-Lxxviir, P. L., t. cxxi, col. 159-161. a) Il logie des œ uvres de Jean Scot. Le De prædestina ­
sem ble bien que Scot ait traité ex professo de l ’ eucha ­ tione date de 851. L ’ écrit perdu sur l ’ eucharistie fut
ristie dans des pages que ne contiennent pas ses œ uvres postérieur à 851 et antérieur à 860, car il sem ble visé
actuellem ent connues. H incm ar, De prædestinatione, dans le De prædestinatione écrit par H incm ar en 860;
c. XXXI, P.L., t. exxv, col. 296 (écrit en 860), signale or, H incm ar se m ontre ém u des affirm ations de Jean
ses doctrines contraires au dogm e eucharistique, et le Scot sur l ’ eucharistie, tandis que, en 851, il avait toute
■m ine A drevald, de Fleury, contem porain de Jean confiance en lui, et lui dem andait son appui dans le
Scot, a écrit De corpore et sanguine Christi contra débat sur la prédestination. A . É bert, Histoire gén·
•æntias Joannis Scoti, P. L., t. cxxiv, col. 947-954. raie de la littérature du moyen âge en Occident, trad.
Q u ’ Ériugène ait enseigné ces « inepties » dans un traité A ym eric et C ondam in, t. rr, p. 287, pense que la tra ­
spécial, c ’ est possible et m êm e vraisem blable; à la duction du pseudo-D enys fut le prem ier ouvrage com ­
rigueur, il a pu les exposer dans la partie de ses com ­ posé par Ériugène à la cour de C harles le C hauve :
m entaires sur le pseudo-D enys ou sur l ’ Évangile de « aussi le dédie-t-il au m onarque com m e l ’ offrande
saint Jean qui est perdue, b)II n ’ est pas adm issible que d ’ un étranger nouvellem ent arrivé, advena Joannes.
le De corpore et sanguine Domini, publié sous le nom Cf. P. L., t. exxn, col. 1029. Advena désigne un étran-
407 É R IG È N E 408

gcr, quelle que soit la date de son arrivée; du reste,le sible d ’ adm ettre qu ’ il se soit form é en O ccident » et
P. Jacquin, Revue des sciences philosophiques et théolo­ supposé que « ce néoplatonicien, tout à fait incom ­
giques, K ain, 1907, t. i, p. 678-684, a dém ontré que, pris des théologiens de l ’ O ccident, était peut-être un
dans la prem ière période de son séjour en France, oriental ou tout au m oins qu'il avait fait un séjour en
au m oins jusqu ’ en 851, Scot n ’ a pas connu le pseudo- O rient, » et que par là s ’ explique sa personnalité
D enys : il a fixé aux années 858-860 la date de cette extraordinaire. Cf. G . B runhes, La foi chrétienne et la
traduction. La traduction de saint M axim e et les philosophie au temps de la renaissance carolingienne,
Expositiones sur le pseudo-Denys ont dû suivre. Les Paris, 1903, p. 199-200. N on, l'hellénism e d ’ Ériugène
Expositiones seraient postérieures au De divisione n ’ est pas si accentué, et son néoplatonism e ne nous
naturæ. Cf. H . J. Floss, P. L., t. cxxn, p. xxiv. Le est venu de l ’ O rient que par l ’ interm édiaire des livres.
De divisione naturæ sem ble avoir été achevé avant 865 ; Il put apprendre le grec en Irlande ou en A ngleterre;
Jean Scot l ’ offre à W ulfade, son « frère dans le C hrist on l ’ étudiait dans quelques m onastères de G rande-
et son collaborateur dans les études de la sagesse, » à B retagne, depuis le tem ps de Théodore de Tarse,
W ulfade « dont les exhortations et l ’ industrie l ’ ont archevêque de C antorbéry (668-690), cf. J. D râseke,
am ené à com m encer l ’ ouvrage et à le conduire à sa Johannes Scotus Erigena, p. 9, et, « longtem ps protégée
fin, » P. L., t. cxxn, col. 1022; W ulfade devint arche ­ contre les barbares par son éloignem ent m êm e,
vêque de B ourges en 865, et il est à croire qu ’ Ériugène l'Irlande avait gardé quelques dépôts de la science
lui aurait donné ce titre si la prom otion à B ourges hellénique. » E. Egger, L ’hellénisme en France, Paris,
avait eu lieu quand il lui dédiait son travail. Le com ­ 1869, t. i, p. 50. Cf. B. H auréau, Singularités histo­
m entaire sur B oèce paraît être des dernières années de riques et littéraires, Paris, 1851; M . R oger, L ’enseigne­
Scot. Cf. E. K ennard R and, Johannes Scotlus, M unich, ment des lettres classiques d’Ausone à Alcuin, Paris,
1906, p. 27. Les poésies s ’ échelonnent le long de sa 1905. Q u ’ il ait su le grec m ieux que ses contem po ­
résidence auprès de C harles le C hauve. Sur le reste, on rains, sans en excepter sans doute ses m aîtres, cela
est sans renseignem ents précis. prouve sim plem ent qu ’ il eut un esprit pénétrant
N ous n ’ avons pas, tant s ’ en faut, un texte satisfai ­ développé par un travail intense. Q uoi qu ’ il en soit,
sant des écrits d ’ Ériugène. N ous ne possédons pas le P. Jacquin, dans la Revue des sciences philoso­
tous ses ouvrages, et de plusieurs de ceux qui nous sont phiques et théologiques, K ain, 1907, t. i, p. 674-685;
parvenus, sans en excepter les œ uvres im portantes, cf. J. D râseke, dans Revue de philosophie, Paris, 1909,
par exem ple, le com m entaire sur saint Jean, des frag ­ t. ix, p. 645, note 2, a dém ontré que probablem ent
m ents seulem ent sont à notre disposition. D es décou ­ « son étude directe des auteurs grecs est postérieure à
vertes, com m e celles du com m entaire sur M artianus son arrivée en France, » p. 678; que, au m om ent où il
C apella, m alheureusem ent publié de façon partielle écrivit son De prædeslinalione (851), il était « sous
(voir à la bibliographie), et du com m entaire sur B oèce, l ’ influence presque exclusive des auteurs latins et
m ontrent quels trésors peuvent encore recéler les surtout qu ’ il n ’ utilisait pas les écrits aréopagitiques, »
bibliothèques. D ’ autre part, le texte de la dernière p. 676 ; que « les idées néoplatoniciennes qu ’ il ém et à
édition des Opera omnia, celle de H . J. Floss, P. L., cette époque sont em pruntées, dans leurs principes au
1853, t. cxxn, n ’ est pas irréprochable. L a découverte, m oins, aux ouvrages de saint A ugustin, · p. 683.
par exem ple, d ’ un m anuscrit du De divisione naturæ, L ’ initiation d ’ Ériugène à la littérature grecque se
le codex Bambergensis, presque contem porain, dans fit peu à peu ; la grande révélation lui vint du pseudo-
sa prem ière partie, d ’ Ériugène, et non utilisé par D enys. Il ne cite pas un auteur grec dans le De præ-
Floss, perm et de toucher du doigt quelques-unes des destinatione; dans le De divisione naturæ, il cite A ris ­
défectuosités de l ’ édition Floss, et donc le besoin tote, Platon, É ratosthène, C lém ent d ’ A lexandrie,
d ’ une édition scientifique. Cf. A . Schm itt, Zwei noch O rigène, saint B asile, saint Jean C hrysostom e, saint
unbcnützle Handschriflen des Johannes Scotus Erigena, É piphane, saint G régoire de N ysse, saint G régoire de
B am berg, 1900; J. D râseke, Johannes Scotus Erigena N azianze, le pseudo-D enys, saint M axim e le Confes ­
und «lessen Gewâhrsmânner inseinem Vferke De divisione seur. Cf. J. D râseke, Johannes Scotus Erigena, p. 9-10,
naturæ libri V, Leipzig, 1902, p. 3-7, 64. V oir encore 27-63, 66-67, dans Zeitschrift fiir wissenschaflliche
L. T raube dans H and, Johannes Scottus, p. x, et Théologie, Leipzig, 1903, t. x l v i , p. 563-580; 1904,
E. B [uonaiuti], dans Rivista storico-critica delle t. x l v i i , p. 121-130, 250 sq. ; dans Theologische Studien
scienze teologiehe, R om e, 1908, t. iv, p. 149. und Kriliken, G otha, 1909, p. 530-576. N ’en concluons
III. D o c t r i n e s . — r. l e s s o u r c e s . — « U ne étude ni qu ’ il a lu tous ces auteurs dans le texte original, ni
approfondie sur la philosophie de Scot reste à faire, » que ceux qu ’ il a lus dans l ’ original il les a toujours par ­
dit M . de W ulf, Histoire de la philosophie médiévale, faitem ent com pris. Les écrits de l ’ antiquité grecque
'2' édit., 1905, Louvain, p. 185; c ’ est aussi vrai de sa ne furent connus directem ent que d ’ un petit nom bre de
théologie. É tant donné l ’ état du texte de Scot, cette chrétiens occidentaux du m oyen âge, surtout du ix·
étude était et reste extrêm em ent difficile, sinon im ­ siècle. Cf. F. Picavet, Esquisse d’une histoire générale
possible. U ne des raisons pour lesquelles elle n ’ a pas et comparée des philosophies médiévales, Paris, 1905,
été poussée aussi loin qu ’ on l ’ aurait pu, c ’ est que, jus- p. 156-160; M . de W ulf, Histoire de la philosophie
«ju ’ à ces dernières années, on ne s ’ était pas suffisam ­ médiévale, 2 e édit., Louvain, 1905, p. 149-152. É riu ­
m ent préoccupé d ’ en rechercher les sources. L a con ­ gène sem ble avoir lu dans l ’ original, avec le pseudo-
naissance d ’ un auteur dem ande qu ’ on se m ette dans D enys et saint M axim e, des traités de saint Épiphane
sa perspective et dans celle de son siècle, qu ’ on se et de saint G régoire de N ysse. Ses traductions du grec
rende com pte de ce qu ’ il doit à ses devanciers, de la sont défectueuses, et, m êm e en adm ettant qu ’ il ait
m esure dans laquelle il s ’ en est servi, de la m anière eu sous les yeux des m anuscrits im parfaits, il est im pos ­
dont il les a com pris, de sa part d ’ originalité person ­ sible de lui accorder une connaissance achevée des
nelle. C ’ est ce qu ’ on a com m encé de faire, grâce prin ­ finesses de la belle langue grecque. E n som m e, il a
cipalem ent à J. D râseke. connu le Timée de Platon par l ’ interm édiaire de la
1° Sources grecques. — Ériugène est le plus grec des traduction et du com m entaire de C halcidius et aussi
écrivains latins du ix ” siècle. Il l ’ est m êm e tellem ent, par C icéron; il a été initié au néoplatonism e, non par
il se réclam e des G recs avec une telle insistance, il la lecture de Plotin, de Proclus ou de tout autre philo ­
tranche si fort sur ses contem porains par sa connais ­ sophe de cette école, m ais par celle de saint A ugus ­
sance du grec et sa culture philosophique et littéraire, tin et du pseudo-D enys. Telles sont les lim ites de son
toute im prégnée d'hellénism e, qu'on a jugé « im pos ­ hellénism e et de son néoplatonism e : loin de résulter
409 É R IG Ê N E 4i0

d ’ un contact direct avec les philosophes grecs, spé ­ II. EXPOSÉ DES DOCTE INES. — 1° La philoso­
cialem ent avec les néoplatoniciens, son systèm e pro ­ phie et la théologie, la foi et la raison. — C ette question
cède d ’ une traduction du Timce, du néoplatonism e a inspiré de bonnes pages à G . B runhes, La foi chré­
de saint A ugustin, et plus encore de celui du pseudo- tienne et la philosophie au temps de la renaissance caro­
D cnys, et du travail de son esprit subtil, élevé et puis ­ lingienne, Paris, 1903, surtout p. 51-69, 153-181; et.
sant. H . Ligeard, dans, la Revue du clergé français, l° r juil­
2° Sources latines. — Ériugène utilise, dans le De let 1910, p. 7-12. — 1. Identification entre la philoso ­
praedestinatione, saint A ugustin, cité près de soixante phie et la religion. — L a philosophie et la religion sont
fois, saint G régoire pape et saint Isidore, cités une fois une seule et m êm e chose. Conficitur... veram esse philo­
seulem ent. Cf. le P. Jacquin, dans Revue des sciences sophiam veram religionem, convertimque veram reli­
philosophiques et théologiques, t. i, p. 681. D ans le gionem esse veram philosophiam, dit-il. De praedesti­
De divisione naturæ, il cite V irgile, Pline l ’ ancien. natione, c. i, P. L., t. cxxn, coi. 358. C ette idée est le
M artianus C apella qu ’ il est le prem ier à m entionner point de départ de toute son œ uvre, et elle est sup ­
(et par l ’ interm édiaire duquel il connaît É ratosthène posée partout. T raiter de la philosophie, ce n ’ est pas
et Ptolém ée), saint H ilaire de Poitiers, B oèce (grâce à autre chose que veræ religionis, qua summa el prin­
qui il connaît le Περ'ι έρμηνείας d ’ A ristote et Pytha- cipalis omnium rerum causa, Deus, et humiliter colitur
gore), saint Jérôm e, saint A m broise, et, par-dessus et rationabiliter investigatur, regulas exponere. — 2. Com­
tous, saint A ugustin; avec C halcidius, Cicéron lui a ment on arrive ά la connaissance de Dieu. — L ’ âm e
fait connaître le Timée. Cf. J. D raseke, Johannes possède trois m ouvem ents : les sens, qui atteignent les
Scotus Erigena, p. 10-27; P. D uhem , dans la Revue phénom ènes des choses sensibles; la raison, ratio, qui
des questions scientifiques, Louvain, 1910, t. l x v ii i , connaît D ieu en tant que cause des choses sans savoir
p. 14-15. D ans le com m entaire sur B oèce, il m et à ce qu ’ il est, incognitum Deum definit secundum quod
profit, com m e toujours, surtout saint A ugustin, m ais causa omnium sit; 1 ’ intelligence, intellectus, animus,
encore saint A m broise, saint Jérôm e, saint G régoire le νοϋς des G recs, par laquelle l ’ âm e dépasse sa propre
pipe, Sédulius, C laudien M am ert, Y Histoire tripartite. nature, en s ’ élançant du point où la raison l'avait
Cf. E . K ennard R and, Johannes Scottus, p. 6. Il ne conduite, et s ’ élève jusqu ’ à D ieu, objet de cette con ­
paraît pas que Scot ait eu la connaissance de M acrobe, naissance pure qui est contem plation, vision, vision
cf. P. D uhem , p. 15-16, 36, et c ’ est abusivem ent qu ’ on intellectuelle. E t ce n ’ est pas seulem ent par la vue des
lui a attribué des extraits de M acrobe, De differentiis choses sensibles que l ’ âm e s ’ élève à D ieu invisible;
et societatibus græci lalinique verbi, qui sont im prim és elle n ’ a qu ’ à rentrer en elle-m êm e et à se considérer
ordinairem ent à la suite des ouvrages de M acrobe. attentivem ent, elle y trouvera la trinité substantielle
3° Sources hébraïques. — Ériugène a-t-il connu de la bonté divine qui in molibus humanæ naturæ recte
l'hébreu? Il sem ble ne l ’ avoir pas connu ou ne l ’ avoir eos intuenlibus arridet. Ce m oyen de parvenir à la con ­
connu que peu. « N ous trouvons chez lui une citation naissance de D ieu est le m eilleur et presque le seul,
syriaque (et il ne nous laisse pas ignorer qu ’ il l ’ em ­ et hic maximus et pene solus gradus et ad cognitionem
prunte à saint B asile), et quelques citations hébraï ­ veritatis. De divisione naturæ, 1. II, c. xxin-xxiv,
ques. Il est clair que lui qui était si fier de sa connais- xxxn, col. 572-580, 610-611. C ette intuition est le
s. m ce du grec n ’ aurait pas m anqué de se vanter de produit d ’ une faculté prem ière qui préexistait aux
sa connaissance de l ’ hébreu, si elle ne se fût réduite à données des sens et de la raison. En possession de
la connaissance de l ’ alphabet et de quelques m ots D ieu, l ’ âm e, passant de la voie ascendante à la voie
em pruntés à des auteurs grecs. Q uand il cite la B ible, descendante, enrichit la raison et les sens des lum ières
ii accepte toujours le texte des Septante, m êm e quand qu ’ elle a découvertes, c. xxiv, col. 573-574. —
celui-ci ne traduit pas exactem ent le texte hébreu; 3. L ’autorité : VÉcriture et les Pères. — C ela étant, il
i! est donc clair qu ’ il ne savait pas l ’ hébreu. » n'y a pas à opposer la foi et la raison, la raison et la
G . B runhes, La foi chrétienne et la philosophie au temps vraie autorité : vera enim auctoritas rectœ rationi non
de la renaissance carolingienne, p. 194. O n a supposé obsistit, neque recta ratio veræ auctoritati. Ambo si­
récem m ent que, plus encore que le pseudo-D enys, quidem ex uno fonte, divina videlicet sapientia, ma­
■ la cabale fut la source inspiratrice » d ’ Ériugène. « Scot nare dubium non est. A ssez com m uném ent on pense
énonce quelquefois : ut sapientes Hebraeorum tradi­ que Jean Scot donne la préém inence à la raison sur la
derunt. Le philosophe connaissait-il cette tradition par foi, et, à l ’ appui de cette opinion, on cite ce passage :
lui-m êm e? J ’ en douterai, car souvent lorsque Scot Rationem priorem esse natura... didicimus... Auctori­
dte une étym ologie tirée de l ’ hébreu, il le fait d ’ après tas siquidem ex vera ratione processit, ratio vero
saint Jérôm e ou en copiant tout sim plem ent l ’ A réo- nunquam ex auctoritate. Omnis enim auctoritas, quæ
pagite son m aître... N éanm oins, si nous ignorons d ’ où vera ratione non approbatur, infirma videtur esse.
la cabale lui était connue, c ’ est indéniable qu ’ il parle Vera autem ratio, quoniam suis virtutibus data atque
son langage, et fréquem m ent on trouve dans le De immutabilis munitur, nullius auctoritatis astipu­
divisione naturæ un sym bolism e identique au sym bo ­ latione roborari indiget. Q u ’ est-ce à dire? Q u ’É riu ­
lism e cabalistique. « P. V ulliaud, dans Entretiens gène fait peu de cas de l ’ È criture? Q u ’ il m éprise les
idéalistes, 25 m ars 1910, p. 127,128. Il y a là un filon à Pères? N on pas. C om m e l ’ a rem arqué le P. Jacquin,
exploiter,d ’ autant plus que Γ ésotérism e de la cabale a dans la Revue des sciences philosophiques et théolo­
été certainem ent propagé et plus ou m oins connu des giques, K ain, 1908, t. n, p. 747-748, ce passage du
chrétiens au ix e siècle. Cf. t. n, col. 1275, 1277. D éjà De divisione naturæ, 1. I, c. l x ix , col. 513, doit être
J. B rucker, Historia critica philosophice, Leipzig, 1743, replacé dans son contexte, c. l x i v - l x ix , col. 509-
t. in, p. 621, 622, avait rapproché, assez sottem ent du 513. Jean Scot com m ence par poser ce principe,
reste, les doctrines d ’ Ériugène de la cabale. En tout c. l x i v , col. 509 : Sacræ Scripturæ in omnibus se­
état de cause, c ’ est dépasser la m esure que de voir quenda est auctoritas, et conclut, c. l x v , col. 510 :
dans la cabale la principale source de l'ériugénism e. Hæc de sequenda auctoritate solummodo sacræ Scrip­
E t il faut noter qu ’ Ériugène professe l ’ antisém itism e, turæ in divinis maxime disputationibus sufficiunt. Pas
et m ontre, dans de réserves; la seule chose qu ’ il dem ande, c ’ est que
Judaicum pectus vitiorum plena vorago, l ’ on ne prenne pas dans un sens littéral les com parai ­
sons ou les m étaphores de l ’ È criture. Puis il traite de
:■ iernier asile du dém on vaincu par le C hrist. V ersus, la raison droite et de son accord nécessaire avec la
IL t, P. L., t. cxxii, col. 1234. véritable autorité, de la raison qui instruit les esprits
411 É R IG ÈN E 412

éclairés, de l ’ autorité qui guide les sim ples. O r, de ac venerabiliter suscipere. De divisione naturæ, 1. II,
quelle autorité s ’ agit-il? D es Pères, qui expliquent le c. xvi, coi. 548. Sur un point, im portant dans son
sens de l ’ É criture, c. l x v i i , col. 511, des Pères (ici systèm e, il s ’ exprim e de la sorte : Nihil definire
vient le passage du c. l x i x , sur l'antériorité de la præsumimus, quoniam neque divinæ historiæ neque
raison et sur l ’ infirm ité de l ’ autorité qui ne s'appuie sanctorum Patrum qui eam exposuere certam de hoc
pas sur la raison), qui, s ’ ils éclairent les sim ples sur auctoritatem habemus, atque ideo illam obscuritatem
le sens de l ’ É criture, n ’ ajoutent aucune force à la silentio honorificamus, ne forte, quæ extra nos sunt
vraie raison et qui peuvent m êm e, dans tel ou tel cas, quaerere conantes, plus cadere quam ascendere in veri­
être en désaccord aj/ec la vraie raison. D ans ce cas, tatem nobis contingat, 1. V , c. xxxi, coi. 941. A yant
ils ne constituent point la vraie autorité. Nil enim reproduit une définition de Platon, il ajoute : Sed quod
aliud mihi videtur esse vera auctoritas nisi rationis auctoritate sacræ Scripturœ sanctorumque Partum
virtute reperta veritas et a sanctis Patribus ad poste­ probare non possumus, inter cæteras naturarum specu­
ritatis utilitatem litteris commendata. A insi nous avons, lationes, quoniam temerarium est, accipere non debemus,
d ’ une part, l ’ É criture qui s ’ im pose à tous et toujours, 1. IV, c. vu, col. 762. Il dit encore : Sacræ siquidem
et, d ’ autre part, la vraie raison, et la vraie autorité Scripturæ in omnibus sequenda est auctoritas, quoniam
c ’ est-à-dire les Pères s ’ accordant avec la vraie rai ­ in ea velati quibusdam suis secretis sedibus veritas pos­
son. — 4. La « vraie raison ». — Évidem m ent, si par sidet... Siquidem de Deo nil aliud caste pieque viventibus
là Jean Scot entend la raison individuelle livrée à studioseque veritatem quaerentibus dicendum velcogilan-
elle-m êm e, à ses caprices et à sa faiblesse native, l ’ au ­ dumnisi quæ in sacra Scriptura reperiuntur...Quid cnim
torité des Pères est com prom ise sur toute la ligne et la de natura ineffabili quippiam a seipso repertum dicere
foi est ébranlée. T elle n'est pas l'idée qu ’ il s ’ en form e. præsumat præter quod illa ipsa deseipsa in suis sanctis
Le m ot » raison » ne désigne pas la pensée individuelle organis, theologis dico, modulata est. De divisione na­
abandonnée à ses forces, m ais le second stade de l ’ as ­ turæ, 1. I, c. l x i v , col. 509 (les théologiens désignent,
cension de l ’ esprit vers la vérité, les sens étant le pre ­ dans ce texte, les Pères). Cf. égalem ent 1. III, c. v,
m ier stade et l ’ intelligence le stade ultüne. L a raison col. 635. C ertes, ce langage est irréprochable. Il ne
hoc illud solummodo de Deo incognito quidem cognoscit parle pas en m oins bons term es de la nécessité de s ’ en
quod omnium quæ sunt causa sit, el quod primordiales tenir à la foi catholique, et un peu partout il y re ­
omnium causæ ab eo et in eo æternaliter condilæ sint, vient. « D ans ce livre, écrit-il en tête du De prœdesti-
earumque causarum, quantum datur ei, intellectarum natione, præf., col. 356-357, com posé par votre ordre (il
ipsi animæ, cujus motus est, cognitionem imprimit. s ’ adresse à H incm ar de R eim s et à Pardule de Laon)
De divisione naturæ, 1. Il, c. xxm , col. 576. M ais la pour attester l ’ orthodoxie de votre foi, tout ce dont
raison n ’ arrive pas à ce résultat toute seule. E lle sai ­ vous aurez reconnu la vérité, attachez-vous y et
sit la vérité divine dans des théophahies, ou m anifes ­ faites-en honneur à l ’ Église catholique; ce qui vous
tations de l ’ incom préhensible lum ière de D ieu; elle paraîtra faux, rejetez-le et pardonnez-le à notre fai­
la reçoit de l ’ intelligence, laquelle va, au-delà d ’ elle- blesse; et, si certaines opinions vous sem blent dou ­
m êm e, jusqu ’ au D ieu caché, non point par sa puissance teuses, adoptez-les néanm oins jusqu ’ à ce que l ’ auto ­
naturelle, car aucune substance créée ne peut natu ­ rité vous ordonne ou bien de les repousser, ou bien, si
rellem ent atteindre D ieu im m édiatem ent par elle- elles sont vraies, d ’ y donner à jam ais votre assenti ­
m êm e, m ais au m oyen de la grâce, hoc enim solius m ent. » Il faut lire, c. i, col. 358-359, ce qu ’ il dit du
est gratiæ, nullius vero virtutis naturæ, col. 576. La rôle des hérétiques, très utiles pour réveiller les dor ­
grâce est nécessaire à l'intelligence, qui com m unique m eurs et « stim uler les catholiques grossiers à recher ­
ses clartés à la raison. Les U iéophanies sont l ’ œ uvre cher la vérité et les catholiques spirituels à la m ettre en
de D ieu. Ex ipsa igitur sapientiæ Dei condescensione lum ière, » de telle sorte que la doctrine catholique soit
ad humanam naturam per gratiam et exaltatione ejus­ défendue contre les em bûches de l ’ hérésie, que les
dem naturæ ad ipsam sapientiam per dilectionem fit gens de bien veillent et soient prudents, et que soient
theophania. De divisione naturæ, 1. I, c. ix, coi. 449. déjouées les ruses du dém on pour rom pre l ’ unité de
C om m encée dès cette vie, la théophanie ne s ’ accom ­ la foi. V oir encore De divisione naturæ, 1. V , c. XL,
plit entièrem ent que dans la vie future où se réalise la col. 1021-1022; un passage des gloses sur B oèce, dans
perfection de la béatitude. M ais elle ne s ’ ébauche et ne R and, Johannes Scotlus, p. 80, cf. p. 24, 72, 74;
se consom m era que dans les justes, in his qui digni les textes recueillis par W . T urner, dans The irish
sunt. D ieu s ’ incline vers nous par la grâce, nous nous theological quarterly, D ublin, octobre 1910, p. 391-
élevons vers lui par l ’ am our. Cf. encore 1. II, c. xxni, 401.
col. 574, et Comment, in Evang. sec. Joannem, P. L., 2° La o nature ». — La nature, ou φύσις , est, dans
t. c x x i i , col. 334, sur les rapports entre la foi, l ’ action le langage de Scot, le nom général qui désigne tout ce
et la science. B ref, la « vraie raison », c ’ est, dans la doc ­ qui est et tout ce qui n ’ est pas, est igitur natura gene­
trine ériugéniste de la connaissance religieuse, la rale nomen, ut diximus, omnium quæ sunt et quæ non
droite raison de l'hom m e m unie du secours de la grâce sunt. De divisione naturæ, 1. I, c. i, col. 441. L a nature
divine. — 5. La foi. — E ntre la vraie raison entendue se divise en quatre espèces : 1. la nature qui crée et
de la sorte et la vraie autorité, entre la raison et la foi, qui n ’ est pas créée; 2. celle qui est créée et qui crée;
on com prend, dès lors, qu ’ un conflit soit im possible, 3. celle qui est créée et qui ne crée pas; 4. celle qui
ambo siquidem ex uno fonte, divina videlicet sapientia, n ’ est pas créée et qui ne crée pas. La prem ière, c ’ est
manare dubium non est, 1. I, c. l x v i , coi. 511. Théori­ D ieu, incréé ct créateur; la deuxièm e, cc sont les
quem ent, l ’ entente s ’ im pose. M ais que se passera-t- causes prim ordiales, les idées, par lesquelles il accom ­
il dans la pratique? A -t-on le droit de se réclam er de la plit son œ uvre; la troisièm e, c ’ est la création;la qua ­
« vraie raison » à l ’ encontre, non pas d ’ un ou de plu ­ trièm e, c ’ est D ieu encore, considéré com m e fin des
sieurs Pères dans un cas particulier, m ais des Pères choses; c ’ est D ieu en qui retournent toutes les choses
en général, à l ’ encontre de l ’ É criture, à l ’ encontre de qui procédèrent de lui. Scot consacre, quitte, du reste,
l ’ autorité de l ’ Église et de la foi catholique? Ériugène à entrem êler plus d ’ une fois les questions, aux trois
ne le pense pas. S ’ il n ’ a pas traité la question ex pro­ prem ières les livres I-III du De divisione naturæ, et à
fessores textes épars dans son œ uvre perm ettent de la quatrièm e les livres IV et V . D ans ce cadre, qu ’ il
saisir sa pensée. Il cite continuellem ent les saints a choisi, entrera tout naturellem ent l'exposé des
Pères et l ’ É criture. 11 dit : Non cnim nostrum est de questions qui appartiennent à la théologie spéciale.
intellectibus sanctorum Patrum dijudicare, sed eos pie Il com plétera l ’ analyse de ses idées relatives à la théo ­
413 É R IG ÉN E «4

logie fondam entale, qui a été présentée en traitant de sans prétendre à définir d ’ aucune façon ce queiq .
la raison et de la foi. chose de plus, 1. I, c. xiv, col. 459-462. D e m êm e. :
1. La nature qui crée et qui n ’est pas créée, ou Dieu. dix catégories d ’ A ristote ne conviennent point a
— a) La connaissance de Dieu. — Il y a deux « très D ieu, si ce n ’ est m étaphoriquem ent, 1. I, c. x n -
sublim es » parties de la théologie, nom m ées l ’ une l x x v i ii , col. 462 524. D ieu est ineffable. Il est i ■
καταφατική, l ’ autre αποφατική, par l ’ A réopagite; la préhensible. Si, dans le troisièm e stade de la connais ­
prem ière affirm e, la seconde nie, 1. I, c. xiv, col. 461. sance, l ’ intelligence, aidée de la grâce, atteint D it ..
La théologie négative, « s ’ apercevant que D ieu est d ’ une façon im m édiate et le contem ple, n ’ im aginon»
au delà de ce m onde, qu ’ il en est infinim ent distant, pas qu ’ elle contem ple l ’ essence divine en elle-m êm e;
le m aintient dans ces régions supérieures. C ’ est là elle ne voit pas D ieu en lui-m êm e, car nulle créature
sa fonction. E lle em pêche que l ’ esprit fini ne le fasse ne peut le voir ainsi, pas m êm e les justes dans le ciel
descendre de ces hauteurs, en croyant le com prendre et les anges; m ais elle le voit, com m e les anges et les
trop aisém ent; elle s ’ oppose à ce que l ’ infini perde son élus, dans des théophanies produites par D ieu en nous,
rang suprêm e, ce qui arriverait si, en voulant le dési­ qui peuvent être appelées D ieu, non enim essentia
gner, le définir, on l ’ enferm ait dans une déterm ina ­ divina Deus solummodo dicitur, sed etiam modus ille,
tion; elle nie donc qu ’ il puisse être déterm iné; elle quo se quodam modo intellectuali et rationali creatu­
nie qu ’ il soit, c ’ est-à-dire qu ’ il soit accessible à l ’ intel ­ ra, prout esi capacitas uniuscujusque, ostendit, Deus
ligence et exprim able par la parole. La théologie ssepe a sacra Scriptura vocitatur, qui modus a Cnecis
affirm ative s ’ occupe surtout de D ieu en tant qu ’ il est theophania, hoc est Dei apparitio solet appellari, et qui
cause : la cause s ’ exprim e dans ce qu ’ elle produit, sont proportionnées à la sainteté des âm es et au don de
et c ’ est parce qu ’ elle étudie les effets que cette théo ­ la grâce, 1. I, c. vu-vin, col. 446-448. La suprêm e
logie peut affirm er quelque chose sur l ’ Ê lre éternel; dém arche de l ’ intelligence, de ce m ouvem ent de l ’âm e
elle s ’ occupe du D ieu qui est une cause infinie, tan ­ purifiée par l ’ action, illum inée par la science, achevée
dis que la théologie négative s ’ occupe du D ieu qui par la théologie, est de com prendre que D ieu inconnu
est l ’ infinie substance. O r, com m e elle traite, non pas dépasse tout ce qui existe, et tout ce qu ’ on peut dire
de Ja substance, dont le propre est d ’ être caché, m ais et concevoir, et tout ce qu ’ on ne peut dire ni conce ­
de la cause dont la nature est de se révéler au dehors, voir, et qu ’ il faut nier de lui tout ce qui est et tout ce
c ’ est pour cela que ce D ieu caché, invisible, incom ­ qui n ’ est pas, et que tout ce qu ’ on dit de lui ne se dit
préhensible, lui sourit sous un tout autre aspect; que par m étaphores, I. II, c. xxm , col. 574. O n ne
et, si la prem ière effrayait notre pensée en reculant peut définir D ieu qu ’ en niant ce qu ’ il n ’ est pas, et.
son D ieu sur des hauteurs insondables, celle-ci la plus on nie ainsi, plus on affirm e. D ieu n ’ est donc
rassure, en déclarant que ce D ieu inaccessible cherche rien, c ’ est-à-dire rien de ce qui est pour nous, rien
à être cherché, qu ’ il aim e à être trouvé, qu ’ il vient de déterm iné; et cette négation est l ’ affirm ation la plus
lui-m êm e au-devant de ceux qui le poursuivent. » haute, toute déterm ination étant une négation véri ­
Saint-R ené Taillandier, Scot Érigéne, p. 97-98. Cf. table. D ieu n ’ est rien, et ce n ’ est pas là seulem ent
De divisione naturæ, 1. I, c. xiv ; 1. II, c. xxx, col. 459- une form e de notre pensée, c ’ est ainsi que D ieu se
461, 599-600. C elle-ci em ploie les term es consacrés connaît lui-m êm e,en sachant qu'il n'est rien,et que ce
par l ’ É criture, elle alim ente la vie des ignorants, elle rien est supérieur à tout. » Saint-R ené Taillandier,
fournit des arm es contre les ennem is de la foi catho ­ Scot Érigéne, p. 105-106. Cf. De divisione naturæ, 1. II,
lique, elle fournit une m atière à louer et à bénir c. xxvni-xxx, col. 586-599, surtout 587, 589, 597-
D ieu. C elle-là s ’ oppose à ce que les sim ples pensent 598, 599. O n com prend que le m aître qui développe
indignem ent au sujet de la divinité et prennent dans cette doctrine éprouve le besoin de rassurer son dis ­
un sens propre et littéral tout ce que l ’ É criture dit ciple : ne turbere, sed magis bono animo esto, 1. If,
de D ieu, 1. I, c. xin, l x v i i , l x x i i i ; 1. II, c. xxxv, c. xxviii, col. 587, et se hâte de passer de cette théo ­
col. 456, 511, 518, 614. E t, en dépit des apparences, ces logie négative à la théologie affirm ative que le dis ­
deux théologies nese contredisent pas;en disant «D ieu ciple attend avec ardeur : nunc vero de affirmativa
est vérité » ou « D ieu est sagesse », la seconde n ’ en- quid explices ardens expeclo, 1. II, c. xxx, coi. 599. La
iend pas que la substance divine est proprem ent théologie affirm ative em pêche que l ’ idée de D ieu soit
vérité ou sagesse, m ais bien qu ’ elle peut être appelée tellem ent éloignée de l ’ hom m e que toute com m unica ­
sagesse ou vérité par l ’ application m étaphorique au tion entre D ieu et l ’ hom m e soit interrom pue. E lle
créateur d ’ un nom qui convient à la créature; en prend les term es em ployés par l ’ É criture, et, aloft, que
disant « D ieu n ’ est pas vérité » ou « D ieu n ’ est pas la théologie négative les avait niés de D ieu, elle les
sagesse », la prem ière affirm e que la nature divine, affirm e : D ieu est donc vrai, bon, sage, éternel, etc.,
incom préhensible et ineffable, n ’ est pas, à proprem ent ce qui n ’ im plique pas que D ieu est réellem ent cela,
parler, vérité ou sagesse, quoiqu ’ elle puisse m étapho ­ m ais que toutes choses, ayant leur cause en D ieu,
riquem ent être appelée de la sorte, 1. I, c. xiv, col. peuvent être dites de D ieu, omnia quæ suntde ea(l ’es-
-161. — b) La nature de Dieu. — Interrogeons d ’ abord sence divine) prædicat,el ideo affirmativa dicitur, non ut
la théologie négative. A ucune parole ne peut désigner confirmet aliquid esse eorum quæ sunt, sed omnia, quæ
1 essence divine. Les m ots « bonté », « vérité », « sagesse », ab ea sunt, de ea posse praedicari suadeat, rationabiliter
etc., etc., ne sont que des m étaphores transportées de enim per causativa causale potest significari, 1. 1, c.xni,
la créature au créateur; à chacun d ’ eux, à chacune des coi. 458. Cf. c. l x v i , coi. 510 : Non autem irrationa­
idées qu ’ ils représentent, on peut opposer un term e, biliter, ut sæpe diximus, omnia, quæ a summo usque
une idée contraires, par exem ple, au bien s ’ oppose le deorsum sunt, de eo dici possunt quadam similitudine,
m al, au vrai le faux, etc. O r, il n ’ existe rien qui puisse aut dissimilitudine, aut contrarietate, aut oppositione.
être en antagonism e avec D ieu. N e disons pas qu ’ il quoniam ab ipso omnia sunt quæ de eo praedicari
est bon, vrai,sage; m ais disons qu ’ il est plus que bon, possunt, et c. l x x v i ii , coi. 524; 1. II, c. xxx, coi. 599.
plus que vrai, plus que sage; ne disons pas m êm e pro ­ L ’ É criture et la création, en ce sens, révèlent D ieu,
prem ent qu ’ il est D ieu, soit que θεός vienne de Οεορώ, et, dans la création, surtout l ’ âm e de l ’ hom m e, qui est
je vois, soit qu ’ il dérive de Οε'ω, je cours; m ais disons l ’ im age de D ieu et porte l ’ em preinte de la Trinité
qu ’ il est ύπ ερΟεός , plus que voyant,plus que courant. divine. — c) La Trinité. — A lire certains passages de
N e disons pas qu ’ il est l ’ Ê lre essentiel, m ais qu ’ il est Jean Scot, parm i ses développem ents sur la ressem ­
'".s qu ’ essentiel. O u plutôt disons qu ’ il n ’ est aucune blance entre la T rinité et l ’ âm e, 1. I, c. xxm -xxix.
j : s choses qui sont, m ais plus que les choses qui sont, col. 566-599, on croirait, par m om ents, qu'il tom be
4i5 É R 1G ÈN E 4ief

dans le rationalism e théologique, et qu ’ il ne vise à de chacune d ’ elles, toutes les trois sont présentes, 1. II,
rien m oins qu ’ à donner une explication rationnelle du c. xx-xxii, col. 554-568). Le Saint-E sprit en a fait
m ystère. M ais, d'une part, ces textes sont em pruntés, sortir les genres, les espèces, les individus à l ’ infini. Ce
çà et là, à saint A ugustin, et, d'autre part, Scot ne sont la bonté subsistante, perseipsam bonitas, l ’ essence
m anque pas de rappeler que la théologie négative subsistante, la vie subsistante, etc., principes de tout
défend de prendre à la lettre les expressions relatives ce qui existe, depuis la créature intellectuelle, qui est
au dogm e trinitaire. T out ce que nous pouvons en dire, la plus proche de D ieu, jusqu ’ au plus bas degré des
penser ou com prendre, n ’est pas la vérité, m ais ves ­ êtres, qui est la m atière, 1. II, c. xxxvt, col. 616.
tiges ou théophanies de la vérité, 1. II, c. xxxv, col. O n le voit, sans étudier ici la question des universaux,
611 : neque enim talis unitas est tr initas qualis ab ulla il professe un véritable réalism e. A illeurs, dans le
creatura potest excogitari seu intelligi, seu aliqua com m entaire sur M artianus C apella, il s ’ en est expli­
phantasia, quamvis lucidissima et verisimillima, for­ qué plus ouvertem ent, dans une glose d ’ une im por ­
mari. Iltec enim omnia fallunt, dum in eis finis con­ tance « qui sera reconnue par tous les historiens de
templationis ponitur. Siquidem plus quam unitas est la philosophie. C ’ est la profession de foi, c ’ est la con ­
et plus quam trinitas. E t cependant, la théologie affir ­ fession du plus effronté réalism e. » B. H auréau,
m ative veut parler de la réalité m ystérieuse, ut quo­ dans Notices et extraits des manuscrits de la Biblio ­
dam modo materiam habeamus laudandi eam, atque thèque impériale et autres bibliothèques, Paris, 1862,
benedicendi, sem blable aux anges qui se couvrent de t. xx, 2° partie, p. 17 (H auréau publie cette glose).
leurs ailes devant l'unité et trinité souveraine, sans Cf. son Histoire de la philosophie scolastique, Paris,
jam ais s ’ en détacher et sans jam ais se détourner de 1872, t. i, p. 172-173. Cf. toutefois R and, Johannes
la contem plation respectueuse et trem blante de ce Scottus, p. 19.
qu ’ ils ne peuvent atteindre. — d) La procession du 3. La nature qui est créée et qui ne crée pas, ou la
Saint-Esprit. — O n sait que les Pères grecs ct les Pères création. — a) La création. — Toutes choses sont donc
latins ont une m anière différente d ’ envisager les pro ­ créées dans le V erbe. C om m ent s ’ opère cette création,
cessions divines, et qu ’ ils interprètent la m êm e foi et qu'est cette création? L a T rinité créatrice, tout en
révélée avec des m ots différents sans dissentim ent précédant logiquem ent les causes prem ières, se con ­
dogm atique. Cf. F. C avallera, dans les Études, 5 m ars stitue et existe dans la création dont elle est insépa ­
1911, p. 689-691. Ériugène connaît la différence de rable. Le m onde est éternel. D ieu, c ’ est la source, les
leurs points de vue et de leurs form ules, spécialem ent causes prem ières sont le lit du fleuve, les créatures
en ce qui regarde la procession du Saint-Esprit, 1. II, sont les ondes qu ’ il roule. Ce qu ’ il y a dans la source
c. xxxi, col. 601. Peut-être m êm e, selon son habitude, passe, par les causes prem ières, à l ’ inépuisable variété
penche-t-il du côté des G recs. M ais il ne sem ble pas des êtres. T out ce qui a été créé l ’ a été par une ineffable
qu ’ on soit fondé à dire, avec Floss, P. L., t. cxxn, diffusion de l ’ Ê tre divin, quæ ineffabilis diffusio et
p. xxn, et H urter, Nomenclator literarius theologiæ facit omnia, et fit in omnibus, et omnia est, 1. Ill, c. iv,
catholicae, Inspruck, 1903, 3 “ édit., t. i, col. 790, eum col. 634. M ais ne som m es-nous pas en pleine contra ­
si non reapse inclinatione tamen mentis a Photii parti­ diction? Presque tous les Pères s ’ accordent à voir
bus stetisse. Cf. aussi A lbers-H edde, Mamie/ d’histoire dans la B ible que D ieu a tout créé de rien. C om m ent
ecclésiastique, Paris, 1908, t. i, p. 408. Ériugène dit appeler éternel ce qui a com m encé d ’ être? C om m ent
explicitem ent, 1. II, c. xxxm , col. 611 : Spiritum toutes choses sont-elles éternelles à la fois et faites de
Sanctum ex Patre et Filio vel ex Patre per Filium pro­ rien, c ’ est-à-dire existantes avant d ’ être faites? Cf.
cedere fides catholica nos praecipit confiteri. E st-il 1. III, c. v, col. 636. Ériugène répond, d ’ abord, qu ’ il
intervenu dans le débat soulevé par Photius sur le faut m aintenir l'éternité de la création, que D ieu ne
Filioque? R ien ne le prouve. D ans le com m entaire sur la précède que d'une antériorité logique, car en D ieu
B oèce, qui paraît bien son œ uvre, nous lisons un pas ­ il n ’ y a pas d ’ accidents; or, si tempore præcederct,
sage contre l ’ hérésie récente (nuper orta est) de Pho ­ accidens ei secundum tempus facere universitatem
tius, cf. R and, Johannes Scottus, p. 49; m ais tout porte foret, 1. Ill, c. vin, coi. 639. Q ue le m onde soit et
à croire que c'est une interpolation. Cf. R and, p. 1,24- éternel et créé, il ne faut pas en être surpris, puisque
26. D ieu aussi est tout à la fois éternel et créé, dem eurant
2. La nature qui est créée et qui crée, ou les causes en lui-m êm e parfait et plus que parfait, et séparé de
premières. — C ’ est ici la théorie des idées divines ou tout, et courant à travers toutes choses, faisant toutes
de l ’ éxem plarism e, exposée par Platon, reprise par choses, devenant tout en toutes choses, 1. III, c. ix,
les néoplatoniciens, saint A ugustin, le pseudo-Denys, xn, xv, col. 643, 661, 666. E ntre plusieurs textes il
et, plus tard, sous une form e m eilleure, par les sco ­ allègue Joa., i, 3, 4, soit qu ’ on lise avec saint A ugus ­
lastiques. V oir t. ni, col. 2150-2163. Scot suit l ’ A réo- tin : quod factum est in ipso vita erat, soit, ajoute-t-il,
pagite de près, non sans avoir des vues personnelles. qu'il faille lire : quod factum est in ipso, et ensuite :
T out son systèm e sur les causes prem ières et la création Vita erat, dans une autre phrase, sic enim multos
se déroule dans un com m entaire sur le com m encem ent Græcorum codices invenimus distinctos. Puis, il explique
de la G enèse, où l ’ allégorie se déploie largem ent. Ces la création ex nihilo en ce sens que D ieu était
causes prem ières, que les G recs, nous dit-il, 1. II, c. n, quand les créatures n'existaient pas, en ce que, exis ­
col. 528-529; cf. c. xxxvi, col. 615-616, nom m ent πρω ­ tant éternellem ent dans les causes prem ières et,
τότυπα, c ’ est-à-dire prem iers exem plaires, ou προο- com m e telles, connues de D ieu seul, les créatures ont
ρίσματα, c'est-à-dire prédestinations ou définitions,ou com m encé en quelque sorte quand elles ont apparu
encore θεία θελήματα, c ’ est-à-dire volontés divines, avec leurs accidents de quantité, de qualité, etc.,
ou enfin ίόέαι, c ’ est-à-dire m odèles, form es, idées, ce qu ’ elles reçoivent dans le tem ps et qui les m anifes ­
sont les essences prim ordiales, créées, avant toutes tent, 1. III, c. xv, col. 665-666 (im portant); cf. c. xvi,
choses, par et dans la cause prem ière, et par les ­ col. 669. Précisons davantage. D ans la création ex
quelles les créatures ont procédé de cette prem ière nihilo, le nihilum, c ’ est D ieu lui-m êm e, qui solus nega­
cause. La T rinité les précède, m ais seulem ent dans tione omnium quæ sunt proprie innuitur, quia super
l ’ ordre logique, et com m e la cause précède l'effet; en omne,quod dicitur et intelligitur, exaltatur, qui nullum
réalité, elles sont coéternelles au V erbe, en qui D ieu eorum quæ sunt et quæ non sunt est, qui melius nes­
éternellem ent les dépose;le Saint-Esprit les distribue, ciendo scitur, 1. Ill, c. xxn, col. 686-687. En effet,
les ordonne (toutefois, les personnes divines n ’ ont com m ent D ieu crée-t-il le m onde tout entier dans le.
qu ’ une nature qui leur est com m une et, dans l ’ œ uvre V erbe? Il voit les choses et, pour lui, voir, c ’ est crée;· .
417 É R IG ÈN E 418

O r, il ne voit pas une nature autre que la sienne; avant celle dont elle est l ’ im age, et n ’ est D ieu que :·.
la création, il n ’ y avait rien que lui-m êm e; il se voit largesse de la grâce divine. Toutes les autres diflé-
donc et il se crée lui-m êm e; la créature est éternelle rences résultent du péché, 1. II, c. xxix, col. 59'. Le
en D ieu, qui est son fondem ent nécessaire, et D ieu corps m ortel, l ’ âm e se l ’ est adjoint après le pi-ci;· .,
est créé dans la créature, car c ’ est parcllcqu ’ il devient com m e un instrum ent fabriqué, en quelque sorte, a
visible, intelligible. Non duo a seipsis distantia de­ son im age. A vant le péché, le corps de l ’ hom m e < tait
bemus intelligere Deum el creaturam; sed unutn el idip- spirituel et im m ortel, tel qu ’ il sera après la résurrec ­
sum. Nam el creatura in Deo est subsislens, el Deus in tion. Tout ce qui dem eure im m uable dans le c- rps
creatura mirabili el ineffabili modo creatur, seipsum appartient à sa condition prim itive; tout ce qui est
mani;estans,'invisibilis visibilem se faciens..., el omnia changeant et divers a été surajouté à la suite de la
creans in omnibus creat'um, et factor omnium factus in faute. Les différences innom brables dues aux com bi­
omnibus, et œlernus cœpil esse, cl immobilis movetur in naisons m ultiples des quatre élém ents, susceptibles
omnia, el fit in omnibus omnia, i. Ill, c. xvn, col. 678. d ’ accroissem ent et de dim inution, form ent le corps
A diverses reprises, dans le dialogue, le disciple a poussé m atériel, vêtem ent du corps spirituel, intérieur, pri ­
des cris d ’ effroi, et le m aître lui-m êm e a connu le sai ­ m itif, form e identique, universelle, com m une à tous.
sissem ent du vertige.il déclare que, pour s ’ élever à ces 1. II, c. xxix: 1. IV , c. xn, col. 598, 800-801. Il s ’ ensuit
hauteurs, il faut un esprit pur et dégagé des im aginations qu ’ avant le péché la génération hum aine n ’ existait
terrestres et la grâce que le C hrist est venu nous rendre pas, pas plus qu ’ elle n ’ existe parm i les anges, 1. IV ,
par son incarnation. Ces idées, Ériugène les expose c. xn, col. 799. La distinction des sexes n ’ existait pas
peu ou prou dans tous ses écrits. Cf., par exem ple, davantage, com m e elle n ’ existera pas dans le ciel,
un long passage du com m entaire sur l ’ Évangile de 1. II, c. v; 1. IV , c. ix, xn, xiv, xvi,xxni, col. 522-533,
saint Jean, publié par B. H auréau, dans Notices et 777, 799, 807, 817, 846-848; cf. Comment, in Evang.
extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, sec. Joannem, col. 310. A vant le péché, l ’ hom m e avait
Paris, 1906, t. xxxvm , 2« partie, p. 412-413 (texte naturellem ent tout pouvoir et toute science, 1. IV,
m eilleur que celui de P. L., t. cxxn, publié d ’ après e. ix, col. 777-778. — d) La chute. — Par le péché
R avaisson). — b) La création inférieure. — D eux l ’ hom m e fut incapable de retourner à D ieu et d ’ y
points seulem ent sont à noter. Scot explique par ram ener la création. Le péché a sa cause dans l ’ ai-:·
l ’ allégorie les six jours de la création. Il ne dissim ule de la liberté de l ’ hom m e, liberté qu ’ il n ’ a point per ­
pas que saint B asile prend à la lettre des passages de due par sa chute, 1. V , c. xxxvi, col. 975. Ct.De pru de­
ce récit; m ais il pense que B asile deiferum, superna stinatione, c. v i - v i i , col. 380-385; Expositiones super
gratia illuminatum, parlant homiliariter à son peuple, Hierarchiam cæleslem sancti Dionysii, c. vm , col. 20-1.
a voulu se m ettre à la portée de ses auditeurs et leur E ntre la création et la chute il n ’ y eut pas d ’ interv. Ile.
a exposé com m e créé successivem ent ce que D ieu avait Ce m om ent quç nous plaçons avant la chute, et que
fait en une fois et sim ultaném ent. D e m êm e M oïse, ne nous nom m ons innocence, paradis, n ’ a pas existé,
pouvant raconter à la foiset sim ultaném ent ce que D ieu n ’ estqu ’ un m om ent logique. Si un seul instant l'hom m e
avait réalisé du coup, a distribué en six jours l ’ œ uvre avait été dans le paradis, il serait nécessairem ent
divine, 1. III, c. xxxi, col. 708-709. T out en allégo- arrivé à la perfection, et, ayant goûté la perfeci ion,
risant avec intem pérance, Scot étale ses connaissances il n ’ aurait pu la perdre. Le paradis n ’ est autre chose
scientifiques. Sa physique n ’ est pas sans intérêt, cf. que la nature hum aine. A u lieu de se tourner vers
P. D uhem , dans la Bevue des questions scientifiques, D ieu, l'hom m e s ’ est tourné vers lui-m êm e; c ’ est le
Louvain, 1910, t. l x v ii i , p. 23-30, et son astronom ie péché d ’ orgueil, et c'est la chute, 1. II, c. xxv; 1. IV ,
est extrêm em ent rem arquable. « Le philosophe de c. xx, xxiii, col. 582, 838, 818. Q uant aux causes de
C harles le C hauve va bien plus loin que les sages de l ’ abus du libre arbitre, Ériugéne proteste qu ’ elles
l ’ antiquité dont il s ’ inspirait; ce ne sont pas seule ­ lui échappent : causas autem illicites abusionis atque
m ent, selon lui, V énus et M ercure qui accom plissent perversæ cupiditatis si quis vult invenire, sollicitus
leurs révolutions autour du soleil; ce sont aussi M ars quieratf ego autem securus sum, incunctanter per­
et Jupiter; seules, les étoiles fixes, Saturne, le soleil spiciens, quod nemo eas potest reperire, 1. V , c. xxxvi,
et la lune tournent autour de la terre. Sauf en ce qui coi. 976. Cf. J. B ach, DieDogmengeschichte des Millel-
concerne Saturne, c ’ est le systèm e de Tycho-B rahé allers, V ienne, 1874, 1.1, p. 280, note. C ’est que le m al
que nous voyons s ’ introduire ainsi en l ’ astronom ie n ’ a pas de cause; le m al, en tant que m al, n ’ est rien,
m édiévale, et cela avant la fin du ix« siècle. Jusqu ’ à 1. IV , c. xvi ; 1. V , c. χχχι, χχχγι, col. 828, 944, 976.
Tycho-B rahé aucun astronom e ne poussera, dans La source du m al est donc, com m e le m al qui n ’est
cette voie, aussi loin que Jean Scot Ériugéne. » rien, quelque chose aussi qui n ’ est pas, savoir une
P. D uhem , p. 35-36. Sur la question-des antipodes, cf. absence de la volonté, une défection, une désertion,
R and, .Johannes Scollus, p. 19-23. — c) L ’homme. — un dérèglem ent de la raison.
E ntre le m onde intellectuel, qui s ’ épanouit dans le plus 4. La nature qui n ’est pas créée et qui ne crée pas, ou
sublim e des anges, el le m onde sensible, qui descend Dieu considéré comme la fin des choses. — Ériugéne se
jusqu ’ à la plus infim e des créatures sans raison, il y déclare tellem ent terrifié par la difficulté du sujet qu ’il
a la nature hum aine, qui tient de l ’ un et de l ’ autre, lui sem ble quitter une m er sûre et sans naufrages
1. I, c. iv, v, coi. 443-445. L'hom m e doit se définir pour entrer dans un océan périlleux où se brisent les
nbn pas : « un anim al raisonnable », m ais : notio quæ- vaisseaux, 1. IV , c. Il, col. 743-744. — a) Dieu fin de la
dam intellectualis in mente divina ælernaliler facta; création. — Les flots des créatures, sortis de D ieu et
cette définition ne s ’ arrête pas aux accidents, elle va s ’ épanchant par le lit des causes prem ières, iterum
droit à la substance, et la saisit en D ieu, 1. IV, c. vu, per sacratissimos naturæ poros occultissimo meatu ad
col. 768. C entre de la création, résum é de l ’ univers, fontem suum redeunt, 1. Ill, c. iv, col. 632. Cf. 1. Ill,
l ’ hom m e en est le m édiateur et le sauveur, humana c. xix, col. 683 : (Deus) in omnia proveniens facit
siquidem natura in universitate lotius condita natura omnia, el fit in omnibus omnia, et in scipsum redit,
tota est, quoniam in ipsa omnis crealura constituta est, revocans in se omnia, et, dum in omnibus fit, super
et in ipsa copulata est, et in ipsum reversura, et per ipsum omnia esse non desinit. Toutes choses, dans la nature,
salvanda, 1. IV , c. v, coi. 760. Son âm e est l ’ im age de retournent vers leur point de départ. Principe et fin
la Trinité. La seule ditlérence est que la T rinité divine sont les aspects différents d ’ une m êm e idée, et le m ot
est incréée et qu ’ elle est D ieu par l ’ excellence rie son τέλος les exprim e l ’ un et l'autre. Le principe et la fin
essence, tandis que la trinilé de l ’ âm e est créée par de l ’ hom m e, c ’ est sa cause, c ’ est D ieu. C ’ est vers D ieu
D IC T . D E T H Ê O L . C A T H O L . V . - 14
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et en D ieu qu ’ il retournera, 1. V , c. in-vn, col. 865- C hrist, non plus m atériel m ais spirituel, put appa ­
876. Les étapes de ce retour seront les suivantes : raître véritablem ent aux apôtres après la résurrection,
la dissolution du corps m atériel, sa résurrection, sa étant le m êm e corps qui était né de M arie et avait
transfiguration en un corps spirituel, le retour de souffert sur la croix, m ais de m ortel devenu im m or ­
l ’ hom m e dans les causes prem ières, le m ouvem ent de tel, d ’ anim al spirituel et de terrestre céleste. Toutefois,
la nature hum aine et des causes prem ières en D ieu, la phrase d ’ H incm ar contre la doctrine eucharistique
eril enim Deus omnia in omnibus, quando nihil erit de Scot, le traité d ’ A drevald contre ses « inep ­
nisi solus Deus — ce qui ne veut pas dire que la sub­ ties » — selon la rem arque de J. Schwane, Dogmen-
stance des choses créées périra, m ais qu ’ elle sera chan ­ geschichle, t. ni, Dogmengeschichte der millleren Zeil,
gée en m ieux, par son retour inefïable à son état pri ­ Fribourg-en-B risgau, 1882, p. 633; trad. A . D egert,
m itif; car, si omne quod pure inlelligit efficitur unum Paris, 1903, t. v, p. 468, A drevald attache une parti ­
cum eo quod inlclligitur, quid mirum si nostra natura, culière im portance à ce que ceux qui com m unient
quando Deum facie ad faciem contemplatura sit, in his indignem ent reçoivent égalem ent le corps du C hrist —
qui digni sunt, quantum ei datur contemplari, in nubi­ le rôle qu ’ on lui attribue dans la controverse béren-
bus thcoriæ ascensura, unum cum ipso el in ipso fieri garienne, obligent à adm ettre que l'enseignem ent de
possit? 1. V , c. vin, coi. 876. Ce retour de la création Scot sur l ’ eucharistie ne fut pas irréprochable et que,
en D ieu devait se faire par le m oyen de l'hom m e; en tout au m oins, il se servit de form ules am biguës et
péchant, l ’ hom m e est devenu incapable de rem plir dangereuses. — d)La prédestination. — Scot ne touche
son rôle de m édiateur, de sauveur. M ais le C hrist guère à la prédestination dans le De divisione naturæ.
vient prendre sa place; D ieu revêtu, de la nature Le traité que, à la dem ande d ’ H incm ar, il consacra
hum aine, il ram ènera à D ieu et l ’ hum anité et la créa ­ à cette question, s ’ insère aisém ent dans le systèm e
tion tout entière qui est enferm ée dans l ’ hom m e, 1. IV, que le De divisione naturæ développe. G otescalc avait
c. xx, col. 836. — b) L ’œuvre du Christ. — La doctrine adm is une double prédestination des élus au bonheur
rédem ptrice d ’ Ériugène est une des parties les m eil ­ éternel et des réprouvés à la dam nation. Ce fut le point
leures de sa théologie. Ce serait aller un peu loin que de de départ de discussions où s ’ engagèrent presque tous
dire, avec J. R ivière, Le dogme de la rédemption, Paris, les théologiens du tem ps. Jean Scot chercha le prin ­
1905, p. 287, qu ’ elle «n ’ est pas viciée par l ’ hétérodoxie cipe de solution de la controverse dans la distinction
trop fréquente de l ’ auteur ; »cf. les réserves d ’ E. B [uo- entre la théologie négative et la théologie affirm a ­
naiuli], dans Rivista slorico-critica delle scienze teolo- tive. « A tous ces esprits confiants aveuglém ent dans
giche, R om e, 1908, t. iv, p. 148, note 1, qui signale les leurs form ules » il venait dire, « avec les néoplato ­
attaches de cette doctrine avec la théorie de la réinté ­ niciens, que tous les vocables que nous em ployons en
gration finale de tous les hom m es. M ais il est incon ­ parlant de D ieu n ’ ont forcém ent qu ’ une valeur m éta ­
testable que la sotériologie ériugéniste .« présente, tant phorique... Si donc le langage hum ain est obligé de
dans sa conception que dans son développem ent, un parler de prescience et ensuite de prédestination, ce ne
caractère de puissance et de grandeur trop rares parm i sont pourtant pas deux actions distinctes dans la
ses contem porains, » R ivière, p. 287; cf., p. 448-449, réalité de D ieu, et finalem ent la prédestination, c ’ est
les vues d ’ Ériugène dans la question des droits du D ieu m êm e. » G . B runhes, La foi chrétienne et la phi­
dém on. — c) L ’eucharistie. — Le som m eil d ’ A dam | losophie au temps de la renaissance carolingienne, p. 155.
et la création d ’ È ve sont, pour Ériugène, com m e pour Le langage autorise à dire que la prescience divine
saint A ugustin, l ’ im age de la m ort du C hrist et de la em brasse les biens et les m aux, tandis que la prédes ­
naissance de l ’ Église : mortuo Christo percutitur latus tination ne s ’ étend qu ’ aux biens. M ais c ’ est là une
ut profluant sacramenta quibus formatur Ecclesia, san­ pure m anière de parler; prescience et prédestination
guis enim esi in consecrationem calicis, aqua vero in s ’ identifient avec la substance divine une. Il n ’ y a
consecrationem baptismatis, 1. IV, c. xx, coi. 836. Si donc qu ’ une prédestination, rien ne pouvant être
nous possédions son écrit sur l ’ eucharistie, nous double en D ieu, et c'est la prédestination des justes.
saurions la m anière dont il entendait cette conse­ Il ne saurait y avoir une prédestination ad pœnam;
cratio calicis. Les quelques passages de ses œ uvres qui pas plus que le péché, qui est une sim ple négation,
se réfèrent à l ’ eucharistie, Exposit. sup. Hierarchiam la peine du péché n ’ est quelque chose de réellem ent
cælcstem, c. i; Comment, in Evang. sec. Joannem, fragm . existant; c ’ est sim plem ent le déplaisir du pécheur qui
i; De divisione naluræ, 1. V , c. xx, xxxvm , col. 140, n ’ a pu atteindre son but, l ’ absence de la béatitude
311, 894, 993, et que S. M . D eutsch, Realency- ardem m ent désirée, m ais en vain. Le péché se punit
klopâdie, t. xvm , p. 88, considère com m e exprim ant lui-m êm e; le pécheur se prépare lui-m êm e sa m isère.
une présence purem ent sym bolique du C hrist dans Si Ériugène a le m érite de m aintenir, contre G otes ­
l ’ eucharistie, « conform ém ent à la m anière de voir de calc, que D ieu veut le salut de tous, qu ’ il ne pré ­
l ’ A réopagite, » ne sont peut-être pas aussi nets et pro ­ destine pas les réprouvés au châtim ent sans qu ’ il y
bants que cela. Celui qui est le plus conform e à la ait de leur faute, que le péché provient de la liberté de
m anière de voir de l ’ A réopagite, col. 140; cf. la note l ’ hom m e, il a le tort de rejeter toute distinction vir ­
de Floss, col. 141-142, m ontre que Scot voit dans tuelle entre les attributs divins et de ne pas recon ­
l ’ eucharistie plus qu ’ un m ém orial, plus qu ’ un sym ­ naître que le péché peut être prévu par D ieu et le châ ­
bole, puisqu ’ il dit : inque nostræ naturæ interiora tim ent du péché prévu et prédestiné, que la peine,
viscera sumimus ad noslram salutem, et spirituale tout en ayant un caractère négatif en tant que pri ­
incrementum, et ineffabilem deificalionem. A u besoin, vation de D ieu, est form ellem ent la m anifestation de
les autres passages pourraient s ’ entendre bien, dans la justice divine. Çà et là, dans ce traité, pointent
le sens indiqué par Floss, p. xxri. V oir aussi t. n, d ’ autres erreurs qui s ’ épanouiront en frondaisons
col. 735, et tenir com pte des textes cités par J. B ach, luxuriantes dans le De divisione naluræ. Il est faux
Die Dogmengeschichte des Millelaltcrs, t. i, p. 311. cependant, quoi qu ’ on en ait dit, cf., par exem ple,
L ’ ubiquité m êm e que Jean Scot prête au corps glo ­ Saint-René Taillandier, Scot Érigéne, p. 52, qu ’ il y
rifié du C hrist, De divisione naturæ, I. V , c. xxxvm , affirm e la fin des peines de l ’ enfer. Il déclare, au con ­
col. 992, 994, ne serait pas un obstacle absolu à la traire, qu ’ elles seront éternelles, et les fait consister
présence réelle, puisqu ’ il adm et que, à l ’ instar des dans l ’ absence de la béatitude, et dans le tourm ent du
anges qui, tout en n ’ ayant pas des corps m atériels feu, qui ne sera autre que le feu qui est le quatrièm e
m ais spirituels, apparaissent aux sens hum ains, nec élém ent du m onde, ila videlicet ut idem ipse ignis omnibus
tamen phantastice sed veraciter, le corps glorifié du corporibus fiai gloria quo damnandis animabus inlrinse-
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eus iniquitate propria extrinsecus cumulabitur poma, sans y ternir sa lum ière, elle n ’ est pas obscurcie par
c. χνι, xvii, xix, col. 417, 426, 436-437. — e) Le retour les ténèbres des pécheurs; les fautes de l ’ individu ne
en Dieu. — D issolution des corps, résurrection, trans ­ l ’ entachent pas, et pareillem ent elle n ’ est pas atteint· ·
figuration du corps en esprit, de l ’ esprit dans les causes par les peines infligées à ces fautes; D ieu m aintiendra
prem ières, des causes prem ières en D ieu, tels seront dans la pureté la nature, qui est son œ uvre et qui ne
les degrés de l ’ ascension de l ’ hom m e et, en lui, de la peut être un m al; il laissera s ’ accom plir la punition
création entière. Le C hrist s ’ est revêtu de la nature de la volonté déréglée du pécheur, c ’ est-à-dire de ce
hum aine, parce qu'elle résum e et renferm e toute la qui n ’ est rien, quoniam in numero eorum quæ a con­
création, et afin de rapporter à son Père la création ditore omnium substituta sunt non sunt, 1. V , c. xxxi.
sauvée et purifiée. Ce n ’ est pas le m onde, tel qu ’ il est col. 942, 948. En som m e, le m al sera détruit dans la
aujourd ’ hui, qui revivra en D ieu; celui-là disparaîtra. nature hum aine, m ais le souvenir du m al restera tou ­
T out ce qui a été fait dans le tem ps et dans l ’ espace jours, et, par là, le châtim ent, dans la conscience des
doit périr. C ’ est ainsi que disparaîtra la distinction im pies, 1. V , c. xxxi, col. 948. Il n ’ est donc pas exact
des sexes. M ais la substance des choses ne périra de dire, com m e on le fait parfois, qu ’ Ériugène supprim e
point. C ’ est dans ses causes que le m onde subsiste finalem ent l ’ éternité des peines. Sa pensée se déve ­
véritablem ent; les corps que nous voyons ne sont loppe du chapitre xxvii au chapitre xxxm ; tel texte
qu ’ une om bre de cette substance qui est dans les isolé pourrait laisser des doutes, m ais l ’ ensem ble des
causes prem ières. Les substances sont dem eurées développem ents et la m arche des idées ne perm ettent
dans les causes, et les causes dans le V erbe; c ’ est dans pas l ’ indécision : la nature, telle qu ’ il l ’ explique, échap ­
ces substances et dans ces causes que le m onde ressus ­ pera au m al et à ses suites; les m échants seront tou ­
citera, et, transfiguré, retournera à D ieu. De divisione jours punis. Tout cela est bien m ystérieux; al si, in lus
naturœ, 1. V , c. vii-vm , xiv, xvii-xvm , xx, xxin- omnibus, non solum humana, verum etiam angelica de­
xxv, col. 874-881, 885-887, 888-890, 892-897, 899-910. ficit ratio et intelligentia, patiens esto, divinæque virtuti
Faut-il en conclure que l ’ individualité hum aine s ’ é ­ incomprehensibili locum da camque silentio honorifica,
vanouira, confondue avec D ieu et absorbée en lui? 1. V , c. xxxni, coi. 950.
N on. L ’ air subsiste quand il devient tout lum ineux; III. APPRÉCIATION. — 1° L ’hétérodoxie d’Ériugène.
le fer subsiste quand, plongé dans le feu, il sem ble de — 1. Est-il hérétique, rationaliste?— Le rationalism e de
la flam m e; à s ’ élever aux form es supérieures les form es Scot est presque un des lieux com m uns de l ’ histoire
inférieures ne sont pas détruites, m ais elles sont sau ­ de la philosophie. B . H auréau, Histoire de la philoso­
vées et elles ont plus de subsistance en devenant une phie scolastique, Paris, 1872, 1.1, p. 153,154, l ’ appelle
m êm e chose avec elles, L V , c. vm , col. 879. D es na ­ « un très libre penseur..., dont le nom doit être inscrit
tures différentes peuvent s'unir sans se confondre; les le prem ier sur le m artyrologe de la philosophie m o-
facultés de notre âm e, les lam pes placées dans une derne, » et déclare, Notices et extraits des manuscrits
église, les voix qui form ent un chœ ur, produisent, de la Bibliothèque impériale et autres bibliolhèques,Paris,
sans se confondre, de l ’ unité, 1. V , c. ix-xm , col. 881- t. xx, 2° partie, p. 18, que, i avant d ’être chrétien,
885, et c. xx, col. 893-894 : universalis creatura creatori il est libre penseur, il est philosophe. » Ce jugem ent a
adunabitur, et erit in ipso et cum ipso unum. Et hic fait loi; il se trouve, sous des form es diverses, dans
est /inis omnium visibilium et invisibilium, quoniam une foule de livres. O n le base,«quand on prend la
omnia visibilia in intelligibilia, et intelligibilia in peine de le m otiver, sur les textes où Scot confond la
ipsum Deum transibunt mirabili et ineffabili aduna- philosophie et la religion et accorde à la raison le
tione, non autem, ut sæpe diximus, essentiarum kiut prim at sur l ’ autorité. Q ue penser de cette m anière de
substantiarum confusione aut interitu. — f) La vie voir? R em arquons, d ’ abord, que ni Scot ni personne
future. — L ’ hum anité tout entière doit retourner en au m oyen âge n ’ a été, au sens strict du m ot, l ’ apôtre
D ieu. Nonne consequens erit nullam æternam mortem de la libre-pensée; et lui,et ceux qui ontspéculéle plus
miseries, nullam impiorum poenam remansuram? se aventureusem ent, acceptaient la foi et entendaient lui
dem ande Ériugène, L V , c. xxvn, coi. 921. Π répond rester fidèles, sauf à l ’ interpréter de façon inexacte.
qu ’ en effet le m al, que D ieu n ’ a pas fait, et le châti ­ CL G aum e,La Dévolution, t. vin, Le rationalisme, Paris,
m ent du m al seront abolis et effacés de la création, 1857, p. 27; R and, Johannes Scotlus, p. 23. A cela
qu ’ il s ’ agisse du dém on ou de l ’ hom m e coupable, 1. V , s ’ ajoute que les textes qu ’ on allègue ne prouvent pas
c. xxvn-xxvni, col. 921-935. S ’ il en est ainsi, qu ’ est-ce qu ’ il ait été rationaliste. Sans doute il assim ile la phi ­
que les supplices dont parie l ’ É criture? Pour le com ­ losophie et la religion; il ne songe pas à voir en elles
prendre, il im porte de se débarrasser des grossières deux disciplines hétérogènes et distinctes com m e nous
idées du peuple : ni il n ’ y aura des châtim ents m até ­ som m es habitués à les considérer. M ais Scot, s ’ il a
riels, ni un endroit, situé sous la terre, où ces tourm ents insisté plus qu ’ aucun autre de ses contem porains sur
seront infligés. Le supplice sera dans les consciences. cette conception philosophico-religieuse, ne l ’ a pas
L 'hum anité tout entière retournera dans son état inventée; « elle se présente à nous com m e une forme
prim itif. C ’est là le paradis. Tous réunis dans le para ­ de pensée, héritée des âges précédents, et s ’ im posant
dis. les élus y seront en pensée, proches du C hrist par m êm e à leur insu, dans toutes les m anifestati, · de
l'am our, bienheureux, déifiés, sans pouvoir toutefois leur activité, aux esprits de ce tem ps; là où elle n ’ est
s ’ élever jusqu ’ à D ieu et devenir une m êm e chose pas clairem ent exprim ée et facilem ent saisissable...,
avec D ieu, car cela le C hrist, tête de l ’ Église, se l ’ est elle se retrouve toujours à l ’ état diffus, pour ainsi
réservé, 1. V , c. xxv, col. 911, pendant que les réprou ­ dire.» G . B runhes, L a foi chrétienne et la philosophie au
vés se sentiront loin de lui par leur pensée m auvaise. temps de la renaissance carolingienne, p. 57. Cf. toute la
Se rendre com pte qu ’ ils sont loin du C hrist, loin de Il ’ partie de cet ouvrage,p. 49-100, et, pour la période
D ieu, c ’ est le jugem ent. D em eurer loin de lui par la postérieure, G . R obert, Les écoles et l’enseignement de
pensée et par la direction de ses actes, c ’ est l ’ enfer. la théologie pendant la première moitié du su - siecle,
Les descriptions d ’ un enfer m atériel qu ’ on trouve Paris, 1909, p. 182-185. La confusion était fâcheuse,
dans les Pères ne sont que des m anières de s ’ expri­ elle eut des résultats regrettables, elle en e..t tout par ­
m er qui s ’ im posaient à eux, afin d ’ avoir prise sur des ticulièrem ent dans l ’ œ uvre de Jean Scot; m ais il est
auditeurs charnels,!. V ,c.xxxvn, col. 986. O r, les sup ­ im possible de'la taxer de rationalism e au sens cou ­
plices des im pies n ’ em pêcheront pas le retour de l ’ hu ­ rant de ce term e. D e m êm e qu ’ il ne distingue point
m anité en D ieu. L ’ hum anité lota in omnibus est et entre l ’ objet de la philosophie et celui de la foi, il ne
Iota insingulis; com m e le soleil traverse les souillures distingue pas non plus « entre le travail de la raison
423 É R IG È N E 424

pure et le rôle de la volonté d ’ une part, non plus exem ple, l ’ exposé de ses doctrines par C. Schm idt,
qu ’ entre l ’ œ uvre de l ’ hom m e et celle de D ieu; l ’ âm e Précis de l'histoire de l’Église d’Occidenl pendant le
tout entière, collaborant avec la grâce divine, s ’ élève moyen âge, Paris, 1885, p. 68-71, ou par A .W eber, His­
dans la connaissance religieuse qui est à la fois la con ­ toire de la philosophie européenne, 7 e édit., Paris, 1905,
naissance philosophique. » G . B runhes, op. cil., p. 173. p. 205-211, tendant à dém ontrer qu ’ elles procèdent
E n cela encore, il se conform ait à ses devanciers. de l'ém anatism e de l ’ école d'A lexandrie. B. H auréau,
C ’ était une habitude ancienne de considérer la nature dans Notices et extraits des manuscrits de la Biblio­
de l ’ hom m e, non pas telle qu ’ elle est par ses principes thèque nationale, Paris, 1906, t. xxxvin, 2° partie,
constitutifs, m ais telle qu ’ elle sortit des m ains de p. 413, souligne de la sorte un passage de Scot : « Il
D ieu, revêtue de la justice originelle et enrichie de n ’ est guère possible de se dire plus résolum ent et plus
la grâce, et d ’ envisager le travail com m un de ces naïvem ent panthéiste. » D ans Notices et extraits des
agents divers : intelligence et volonté de l ’ hom m e, manuscrits delà Bibliothèque, impériale et autres biblio­
grâce divine, dans leur unité vivante, sans se préoc ­ thèques, Paris, 1862, t. xx, 2° partie, p. 18, il avait
cuper beaucoup des forces de la nature hum aine écrit : « Le réalism e vraim ent panthéiste de Jean
livrée à elle-m êm e. Toutefois Scot, tout en étudiant Scot... vient directem ent d'A lexandrie..., de Proclus, »
d ’ ordinaire l ’ hom m e concret, historique, tel que et, dans son Histoire de la philosophie scolastique,
D ieu le créa, m uni de la nature et doté de la grâce, Paris, 1872, 1.1, p. 151, il l'avait nom m é : « cet autre
ne m éconnaît pas la différence entre l ’ ordre naturel Proclus, à peine chrétien ». Il serait facile d ’ apporter
et l ’ ordre surnaturel et ne conteste pas, quoi qu ’ en des citations de ce genre sans nom bre. A prem ière
dise Schwane, Dogmengeschichte, t. ni, p. 441 ; trad. vue, ce langage paraît justifié. Les form ules d'appa ­
A . D egert.t. v,p. 168, «l ’ absolue nécessité de la grâce | rence pantheistique abondent dans les œ uvres de Scot.
pour cette élévation de l'hom m e à l ’ état surnaturel. » , Il dit et redit, de m ille façons, que toutes choses
Pour s ’ en convaincre, il suffira de citer, entre plusieurs sortent de D ieu, qu'elles sont dans les idées divines,
autres, ce passage du De divisione naturae, 1. V , c. χχπι, que les idées sont en D ieu, tirées de D ieu, et D ieu
col. 904, où, ayant dit que la déification n ’ est donnée m êm e, qu ’ elles sont dans le V erbe et engendrées avec
qu ’ à la nature hum aine et à la nature angélique, et, lui, que D ieu est l ’ être de toutes choses, que toutes
dans ces natures, aux bons seulem ent, il poursuit : choses, issues de D ieu, retourneront en lui. N ’ cst-ce
donumgratiæ neque intra terminos conditae naturae con­ point l ’ expression franche du plus rigoureux pan ­
tinetur, neque secundum naturalem virtutem operatur, théism e? Q uand on y regarde de près, on conçoit des
sed supcressenlialitcr ct ultra omnes creatas naturales doutes. O n se rend com pte, d ’ abord, que ces form ules,
rationes effectus suos peragit. N ous avons vu, par et d ’ autres sem blables, sans en excepter les plus har ­
ailleurs, que les textes de Scot sur le rôle de l ’ auto ­ dies, il les em prunte, pour la plupart, à des écrivains
rité et de la raison n ’ ont pas une portée rationaliste, orthodoxes, surtout au pseudo-A réopagite, et que des
et qu ’ il parle en chrétien convaincu de la nécessité, écrivains ’ orthodoxes les ont em ployées après lui.
d ’ adhérer à la foi catholique. Il se croit si bien le défen ­ V oir t. ni, col. 2074-2075, 2153-2163; t. iv, col. 434,
seur de la foi qu ’ il m ultiplie les invectives contre 1118-1127, 1161-1162, 1191 1192, 1195; P. R ousselot,
G ottschalk « l ’ hérétique » et ce qu ’ il appelle secta Pour I'histoire de IJimour au moyen âge, M unster, 1908,
diabolici dogmatis, tkrtes, il a confiance dans la rai­ p. 33. D arboy, Œuvres de saint Dcnys l’Aréopagile tra­
son, c ’ est un esprit audacieux et, com m e s ’ exprim e duites du grec, Paris, 1845, p. c x l v i i , a ém is cette idée
Saint-R ené Taillandier, Scot Érigène, p. 65, « auda ­ banale, m ais trop souvent tom bée dans l ’ oubli, que
cieux naturellem ent, par la seule pente de son génie. » les propositions d ’ Ériugène, « com m e celles de D enys,
Il tient en haute estim e la dialectique, venue de D ieu, com m e celles de tous les livres et de tous les hom m es,
pense-t-il, cf. G . R obert, Les écoles et l'enseignement ne doivent pas être appréciées isolém ent et en dehors
de la théologie pendant la première moitié du XIIe siècle, du systèm e total dont elles font partie, et où elles
p. 91 ; il en use et en abuse. En tête de son De præ­ trouvent leur signification définitive et leur valeur
destinatione, par exem ple, il inscrit ces paroles provo ­ com plète. » A être replacées dans l ’ensem ble du systè ­
cantes, c. I, col. 357: Quadrivio regularum totius philo­ m e ériugéniste, ces form ules donnent-elles l ’ im pres ­
sophiae quatuor omnem quaestionem solvi, qu ’ il atténue, sion de contenir le panthéism e? Saint-R ené T aillan ­
dès ce prem ier chapitre, col. 358, en disant qu ’ il va dier, dont le livre est ancien et présente des lacunes,
détruire les dogm es des hérétiques veris rationibus m ais qui a traité de Scot d ’ une m anière si intelli­
sanctorumque Patrum auctoritate, et, dans tout le gente. ne le pense pas. Scot Érigène, p. 188-200, 208-
traité,en se servant des Pères et de l ’ É criture; m ais 216, 238-241. Q uand Scot parle de l ’ union dernière
ses adversaires, Prudence de Troyes, De prædestina­ avec D ieu, il s ’ applique « à m aintenir la perm anence de
tione contra Joannem Scotum, c. r, et recapitulatio, la personne hum aine... O n a pu rem arquer les com ­
P. L., t. cxv, col. 1011-1015, 1352-1353, et Florus de paraisons qu ’ il em ploie pour faire com prendre cette
Lyon. Liber adversus Joannem Scotum, c. I, P. L., ineffable union, ces com paraisons du fer qui dispa ­
t. cxxix, col. 104, ne voient pas ces atténuations ou raît dans la flam m e, de l ’ air qui disparaît et pourtant
les estim ent insuffisantes, et lui reprochent d ’ accorder subsiste toujours dans la lueur du soleil qui l ’ inonde...
trop aux philosophes au détrim ent de ce qui est dû à Lorsque..., dans son langage hardi, il parle de la
l ’ Écriture et aux Pères. La critique n ’ est pas sans fon ­ processio des êtres hors de D ieu..., il proclam e le prin ­
dem ent. Scot interprète à sa façon et tire à soi l ’ Écri ­ cipe chrétien de la volonté divine... ; dans cette volonté
ture; il allégorise avec une audace que rien n'arrête. il voit la bonté, l ’ am our...; le créateur, dans sa bonté,
Sous prétexte que l ’ Écriture et les Pères s ’ accom m o ­ appelle lem onde du néant à l ’ existence... Enfin, quand
dent à l ’ intelligence grossière des lecteurs ou des audi ­ il m ontre ce D ieu, ce courant de l'être et de la vie, tra ­
teurs,il se débarrasse plus d ’ une fois des textes qui le versant toutes choses, anim ant, soutenant, enve ­
gênent. E t il tom be dans de nom breuses et de lour­ loppant tout, il rappelle sans cesse que jam ais il n ’ y
des erreurs. Scot est hétérodoxe. M ais il n ’ a pas sou ­ a de confusion entre le créateur et la créature, » p. 191.
tenu avec obstination des erreurs condam nées par 192. Scot professe le réalism e et n ’ évite pas tous les
l ’ Église; il n ’ est pas hérétique. Cf. W . Turner, W as écarts du réalism e; quand il affirm e que toute l ’ hum a ­
John the Scot a heretic? dans The irish theological nité retournera en D ieu, parce que la nature hum aine
quarterly, octobre 1910, p. 391-401. est une, sim ple, indivisible, et qu ’ il est im possible de
2. Est-il panthéiste?— Q ue Jean Scot soit panthéiste, faire deux parts en elle, d ’ un côté les élus, de l ’ autre
c ’ est une chose assez com m uném ent adm ise. V oir,par les m audits, il sem ble bien proche du panthéism e.
425 É R IG È N E 426

M ais voici qu ’ il précise que ce qu ’ il appelle la nature m ais qui les dénature et, par m om ents, laisse plan· .»
hum aine, ce quelque chose d ’ universel qu ’ il y a dans de l ’ indécision sur leur existence. V oir P. L., t. exxn.
l ’hom m e, qui est com m un à tous les hom m es, qui est col. 51-88, un exposé détaillé, m ais où tout n ’ est r -
un, sim ple, indécom posable, « ne se confond pas avec incontestable, des erreurs d ’ Ériugène.
l'individu de m anière à abolir toute distinction de per ­ 2° Les mérites d’Ériugène. — Ériugène est un puis ­
sonne au sein de la substance unique..., il proclam e sant esprit. B. H auréau, Histoire de la philosophie
très clairem ent la distinction de l ’ universel et du par ­ scolastique, Paris, 1872, t. i, p. 150, et dans
ticulier, du genre et de l ’ individu, de l ’ hum anité et de et extraits des manuscrits de la Bibliothèque imper
l ’ hom m e; il reconnaît des peines pour les m échants et autres bibliothèques, Paris, 1862, t. xx, 2 peril .
et des récom penses pour les justes, bien que d ’ ailleurs p. 7, l ’ appelle un « hom m e extraordinaire ». D arboy,
chez les uns et chez les autres l ’ universel ne souffre Œuvres de saint Denys l’Aréopagitc traduites du grec,
pas, n ’ éprouve ni joie ni douleur, et dem eure parfai­ Paris, 1845, p. c x l iv , le com pare à « une pyram ide,
tem ent im m uable. » Saint-R ené Taillandier, p. 215. chargée de caractères hiéroglyphiques », placée · au
N ’ oublions pas l ’ insistance avec laquelle il affirm e seuil du m oyen âge », et A . W eber, Histoire de la phi­
et défend la liberté hum aine, dont le panthéism e ne losophie européenne, 7° édit., Paris, 1905, p. 205, » à ces
saurait s ’ accom m oder. Plus encore que les textes cônes volcaniques, ém ergeant tout d ’ un coup d'une
relatifs à D ieu et à la création, la théorie d ’ Ériugène plaine absolum ent uniform e ». Ces com paraisons quel ­
sur la théologie affirm ative et la théologie négative que peu em phatiques ont, du m oins, ceci de vrai
exclut le panthéism e. La théologie affirm ative s ’ oc ­ qu ’ Ériugène tranche parm i ses contem porains. Il est le
cupe de D ieu en tant que cause; elle le voit donc penseur le plus original de son tem ps. Le P. Jacquin,
tout près de nous, présent et agissant en toutes choses, dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques,
confondu presque avec son œ uvre. M ais cette théo ­ K ain,1907, t.i,p. 685, a bien m arqué l ’ im portance du
logie n ’ exprim e pas la réalité véritable. L a théologie De divisione naluræ en le qualifiant de la sorte : «œ uvre
négative nous apprend qu ’ en réalité D ieu est incon ­ contestable sans doute, m ais vigoureuse, au dem eu ­
naissable, si élevé au-dessus de nous, si distant, qu ’ il rant la seule synthèse philosophique et théologique du
est, à proprem ent parler, inaccessible, que toutes nos haut m oyen âge ». Ériugène n ’ est pas, tant s'en faut,
paroles n ’ exprim ent l ’ ineffable d ’ aucune m anière, que un philosophe irréprochable; il a pressenti les des ­
tout l ’ élan de notre pensée ne l ’ atteint d ’ aucune façon. tinées de la philosophie, et, non point par ses exem ples,
N ous som m es aussi loin que possible du panthéism e. m ais par l ’ élan qu ’ il a donné, par l ’ am pleur de ses ex ­
D ieu apparaît tellem ent transcendant que la con ­ positions, par certains côtés de sa m éthode, par la
clusion devrait être qu ’ il n ’ existe pas pour nous. A vec puissance deses constructions spéculatives, il .. pré ­
cela, il faut reconnaître que le systèm e de Scot se ludé aux travaux des grands scolastiques. « Les deux
hérisse de form ules incohérentes et contradictoires, directions de la philosophie du m oyen âge, la scolas ­
que la pensée est obscure, sinueuse, em broussaillée, tique et le m ysticism e,se rattachent à lui, » dit Saint-
que souvent on se croirait en route vers un panthéism e R ené Taillandier, Scot Érigène, p. 202, la scolastique
r idical ou m êm e en plein panthéism e. M ais, quelles dans le sens restreint que nous venons d ’ indiquer, le
que soient les am biguïtés ou les défaillances de détail, m ysticism e en ce qu ’ il a com m e révélé l'œ uvre du
il ne sem ble pas que le fond du systèm e soit du pan ­ pseudo-D enys, qui devait avoir une influence consi ­
théism e. Cf. G . B runhes, La /oi chrétienne et la philo­ dérable sur la pensée du m oyen âge. Sur l ’ usage de
sophie au temps de la renaissance carolingienne, p. 170- la traduction du pseudo-D enys au m oyen âge, spécia­
171. lem ent par saint Thom as, cf. B.-M . de R ossi (deRubeis),
3. L ’agnoslicisme. — C ’ est ici l ’ erreur fondam entale dans P.G., t. ni. col· 72-75. M ystique et philosophe,
d ’ Ériugène, celle, sans doute, qui explique les autres il a dévié; m ais il a m ontré la route à de plus sages
et d'où elles proviennent. E ntre la théologie négative que lui. Ce n'est pas seulem ent à la connaissance
et la théologie affirm ative il coupe les ponts. N ous ne du pseudo-A réopagite qu'il initie le m oyen âge, c ’ est,
savons rien de D ieu. N on seulem ent nos m ots hum ains un peu, à celle des Pères grecs et, en général, de la
n'exprim ent pas toute la réalité divine, ils ne l ’ expri­ culture hellénique. Très intelligent, très ouvert, il
m ent aucunem ent. Ils sont purem ent m étaphoriques. connaît tout ce qu ’ on peut savoir de son tem ps, il
Us sont com m odes, ils sont utiles, ils em pêchent la avance sur ses contem porains et m êm e, parfois, sur
pensée de D ieu de se volatiliser dans notre esprit, les siècles qui vont suivre; de l ’ avis d ’ un juge aussi
ils aident aux exigences de la vie religieuse, ils ali ­ éclairé que P. D uhem , en astronom ie il arrive, com m e
m entent la piété, ils fournissent un m oyen de défense d ’ un bond, au systèm e de Tycho-B rahé. E n outre, il
contre l ’ hérésie; m ais c ’ est tout. Ériugène n ’ a aucune a du style. « C ’ est un lettré dont certaines pages,
notion de l ’ analogie telle que l ’ expliquera saint Tho ­ par la facilité et l ’ am pleur, rappellent Cicéron et sont
rn. K, et les passages où le pseudo-A réopagite chris ­ plus nourries que les m eilleures des hum anistes de
tianise les théories néoplatoniciennes et leur enlève la R enaissance, » d ’ après F. Picavet, dans Séances
leur caractère agnostique il ne paraît pas les avoir et travaux de l’Académie des sciences morales et poli­
aperçus. Q ès lors, les form ules dogm atiques ne peu­ tiques. Compte rendu, Paris, 1896, t. c x l v , p. 658-659,
vent être un frein à l ’ ardeur de spéculer ; leur relati- cf. p. 663-664; Esquisse d’une histoire générale et com­
vi-m e foncier m et à l ’ aise. Il n ’ y a pas de raison pour parée des philosophies médiévales, Paris, 1905, p. 144,
ne pas pratiquer une exégèse aventureuse, pour ne cf. p. 147. Parler d ’ hum anism e, c ’ est beaucoup dire,
p is donner une explication philosophique des dogm es quand il s ’ agit d ’ un écrivain du ix° siècle. Cf. R and,
■-hr. tiens.Sous prétexte quela théologie négative con- Johannes Scottus, p. 6, 16. M aïs incontestablem ent il
stitue une sauvegarde respectueuse pour le dogm e, et y a, dans l ’ œ uvre d ’ Ériugène, de la vie, de la ferm eté,
que l ’ Écriture et les Pères, s ’ adressant à des esprits et, çà et là, de l'éclat, de la fraîcheur, de la poésie; au
-- < c iers, ont adopté un langage grossier com m e eux, cours du dialogue entre le m aître et le disciple, fré ­
- -affine sans contrainte, on subtilise tranquillem ent, quem m ent le ton s ’ élève, l ’ ém otion apparaît, et il
n va de l ’ avant avec audace. D e là toutes les erreurs n ’ est pas rare que la spéculation aride se transform e
d ’ Ériugène, depuis sa prétention — qui est com m une en une ardente prière. N otons enfin qu ’ Ériugène a
à tous les agnostiques décidés à rester chrétiens, et enrichi le vocabulaire philosophique et théologique.
qui a reparu dans le m odernism e — à atteindre D ieu Tons les m ots qu ’ il a créés n ’ ont point p:#u de bonne
d une façon im m édiate, jusqu ’ à cette explication des frappe. Q uand, par exem ple, il nous dit. De divisione
peines éternelles qui ne les supprim e pas .entièrem ent naluræ, 1. III. c. xvi. P. L.. t. exxn, col. 668, que les
427 É R IG É N E 428

anges sont quasi eggigi, c ’ est-à-dire auprès de D ieu, ter qu ’ avec les réserves qui précèdent cette phrase
eggis siquidem græce dicitur juxta, la trou ­ d ’ É. G ebhart, L'Italie mystique, 1890, p. 57 : « Les
vaille n ’ est pas heureuse et le m ot est m al venu. M ais deux grandes directions de la vie intellectuelle partent
d ’ autres vocables, forgés par lui, ont eu plus de réus ­ l ’ une de saint A ugustin, l ’ autre de Scot Érigène. »
site. C. H uit, Le platonisme au moyen âge, dans les IV. I n f l u e n c e . — 1° Les contemporains. — N ous
Annales de philosophie chrétienne, Paris, 1889, nouv. avons vu que le pape N icolas 1« dem anda à C harles
série, t. xxi, p. 38, note 3, relève, d ’ après Eucken, le C hauve que la traduction de l ’ A réopagite par Jean
« parm i ses créations, existentia, supermundanus, Scot Êriugène fût soum ise au Saint Siège, d ’ autant
supernaluralis, intuitus rationis, et, parm i les expres ­ plus que l ’ auteur passait pour un hom m e de grande
sions propres à son systèm e, explicatio, processio, science, sed non sane sapere in quibusdam frequenti
convolutio, etc. » rumore dicatur. Sur quoi portaient ces rum eurs? Le
3° Êriugène est-il le « père de la scolastique » ? — pape avait-il des échos de la poésie d ’ Ériugène inju ­
C ’ est là une de ces form ules qui se répètent couram ­ rieuse pour R om e et les papes, qui term ine la traduc ­
m ent et qui dem andent à être bien com prises. D ’ abord, tion du pseudo-D enys, P. L., t. cxxn, col. 1194?
il faudrait s'entendre sur la notion de la philosophie C ’ est douteux. Il est plus probable que N icolas I· '
scolastique. Si l ’ on n ’ identifie pas la philosophie sco ­ avait entendu parler des théories d ’ Ériugène sur
lastique et la philosophie m édiévale, si, conform ém ent l ’ eucharistie ou sur la prédestination. Il est sûr que
à la thèse brillam m ent soutenue par M . de W ulf, on ces théories lui valurent des attaques de ses contem ­
adm et que la philosophie scolastique est « une syn­ porains. A drevald, m oine de Fleury, écrivit contre ses
thèse où toutes les questions que se pose la philoso­ « inepties » eucharistiques; ses doctrines en m atière
phie sont traitées, où toutes les réponses sont harm o ­ de prédestination furent vivem ent com battues par
nisées, se tiennent et se com m andent, » Êriugène, loin Florus et saint R em i de Lyon, par saint Prudence de
d ’ être le père de la scolastique, doit être appelé « le Troyes, par H incm ar, et son traité De priedestina-
père des antiscolastiques. Sa philosophie contient tione fut condam né par les conciles de V gjence(855)et
en germ e toutes les tendances qui, jusqu ’ à la fin du de Langres (859). Très durs pour Êriugène, le concile
X II· siècle, viendront enrayer la doctrine scolastique. » de V alence, can. 6, stigm atisait ineptas quaestiun­
M . de W ulf, Histoire de la philosophie médiévale, culas et aniles pene fabulas Scotorumque pultes puritati
2 e édit., Louvain, 1905, p. 127, 160, cf. p. 179; et fidei nauseam inferentes, Labbe et C ossart, Sacro­
Introduction à la philosophie néo-scolastique, Louvain, sancta concilia, Paris, 1671, t. vm , col. 138; cf Bos ­
1904, p. 33, 60-61, 73, 95. Se refuse-t-on à accepter la suet, Relation sur le quiétisme, xi, 10, dans Œuvres,
thèse de M . de W ulf, com m e l ’ a fait le P. Jacquin, édit. L âchât, Paris, 1864, t. xx, p. 170, et celui de
dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1904, Langres, can. 4, le déclarait non seulem ent étranger à
t. v, p. 429-431; cf. la réponse de M . de W ulf, p. 716- la théologie, m ais tout à fait ignorant de cette philo ­
720, et la réplique du P. Jacquin, p. 720-724? Ce n ’ est sophie qui lui valait les éloges arrogants de certains,
qu ’ en usant de distinctions qu ’ il sera légitim e de qua ­ ut arroganter a quibusdam factatur. Labbe et C ossart,
lifier Êriugène de père de la scolastique. Il l ’ est en ce col. 690. Sur toute cette question du prédestinia-
sens que, le prem ier des écrivains du m oyen âge, il nism e, voir 1.1, col. 2527-2530. Ces derniers m ots prou ­
a attribué à la philosophie cette im portance que les vent que Scot avait des adm irateurs. N ous som m es
scolastiques lui reconnaîtront. Il a indiqué une direc ­ m oins renseignés sur eux que nous ne le souhaite ­
tion dans laquelle tous les scolastiques se sont engagés. rions. N ous savons que de R om e, et du voisinage de
A ussi est-il naturel que les historiens de la philosophie ce N icolas I er qui se m ontra ém u de la traduction de
datent de lui les com m encem ents de la scolastique. Cf. l ’ A réopagite, vint, à cause de cette m êm e traduction,
U eberw eg-H einze, Grundriss der Geschichte der Philo­ à C harles le C hauve une lettre très louangeuse pour
sophie der patristischen und scholastischen Zeit, p. 161 ; Jean Scot. L ’ auteur en était A nastase le bibliothé ­
C. B âum ker, Die europâische Philosophie des Mittel- caire. Il y disait : Mirandum est quomodo vir ille bar­
alters, dans Allgemeine Geschichte der Philosophie (Die barus, qui, in finibus mundi positus, quanto ab homini­
Kultur der Wissenschaft), B erlin, 1909; M . G rabm ann, bus conversatione, tanto credi potuit alterius linguæ
Die Geschichte der scholastischen Methode, Fribourg- dictione longinquus, talia intellectu caperq in aliam-
en-B risgau, 1909, 1.1. Il ne l ’ est pas par une influence que linguam transferre valuerit : Joannem innuo Sco-
doctrinale directe. Son systèm e reste en dehors tigenam, virum quem auditu comperi per omnia san­
du grand courant de la pensée du m oyen âge. Il a ctum. Sed hoc operatus est ille artifex Spiritus qui nunc
rendu des services par sa traduction du pseudo- ardentem pariter et loquentem fecit. P. L., t. cxxn,
A réopagite; ses idées personnelles n ’ ont eu qu ’ une col. 1027-1028. C harles le C hauve paraît être resté
action restreinte ou néfaste. Il y a plus : si inférieurs fidèle à Jean Scot. I leiric d ’ A uxerre, né en 841, m ort
qu ’ ils lui fussent, si m édiocres qu ’ aient été les résul­ vers 877, se rattache à l ’ école philosophique de Scot.
tats de leur activité intellectuelle, quelques-uns des « D ’ après une tradition, peu certaine, il est vrai, du
contem porains d ’ Ériugène, un R aban M aur, un x “ siècle, H eiric aurait été l ’ élève de l ’ Irlandais Elias,
A lcuin, un Prudence de Troyes, furent en avance sur évêque d ’ A ngoulêm e, lequel, toujours d ’ après cette
lui; pendant qu ’ il m aintenait la confusion entre la tradition, aurait eu lui-m êm e Êriugène pour m aître.
philosophie et la théologie, eux, à travers les incer ­ C ette tradition n ’ est point invraisem blable en tant
titudes et les m aladresses d ’ une spéculation inexpéri­ qu ’ H eiric se m ontre effectivem ent très versé dans la
m entée, distinguaient entre les connaissances dues à philosophie de Jean Scot. » A . É bert, flistoire générale
la raison naturelle et celles qui proviennent de la révé ­ de la littérature du moyen âge en Occident, trad. A ym eric
lation divine, inaugurant de la sorte une nouvelle et et C ondam in, t. n, p. 315, cf. p. 319-320. « D ans un
féconde période et préludant à des progrès qui devaient texte depuis longtem ps célèbre, m ais qui a été em ­
s ’ affirm er m agnifiquem ent dans l ’ œ uvre de saint prunté, com m e on le sait,par H auréau, à Jean Scot,
Thom as d ’ A quin. Cf. W . Turner, Erigena and Aquinas, H eiric exprim e, en term es énergiques et convaincus,
dans The catholic University bulletin, W ashington, une doctrine qui est l ’ antécédent du Cogito, ergo sum. >
1897, t. in, p. 340-344. A ce point de vue. Scot « a été F. Picavet, Esquisse d’une histoire générale et com­
en retard sur son tem ps et son m ilieu. » G . B runhes, parée des philosophies médiévales, p. 184. H eiric s ’ ins ­
La foi chrétÇnne el la philosophie au temps de la renais­ pire tout particulièrem ent de Scot, dans ses gloses sur
sance carolingienne, p. 181. Én toute hypothèse, m êm e M artianus C apella. Cf. R and, Johannes Scottus, p. 15-
en lui faisant la part très large, on ne saurait accep ­ 18, 83-84. Enfin nous savons que l ’ école palatine, du
4'29 É R IG È N E 430

tem ps de Jean Scot, com pta parm i ses élèves cet H éri- Ériugène. V oir t. iv, col. 1169. B ernard de C hartres
froid de C hartres, qui devint évêque d ’ A uxerre en 88>7, professe une sorte de panthéism e qui s ’ apparente avec
et y encouragea les études. Cf. A . C lerval, Les écoles les théories de Scot. Ses disciples, B ernard Sylvestris,
de Chartres au moyen âge, C hartres, 1895, p. 15. où de Tours — s'il est vraim ent un personnage dis ­
2° La suite du moyen âge. — La question de l ’ in ­ tinct de B ernard de C hartres — et G ilbert de la Por-
fluence doctrinale de Jean Scot dans la suite du m oyen rée (-|- 1154), continuent la tradition, et il faut en dire
âge a attiré, ces derniers tem ps, l ’ attention des histo ­ autant d ’ un autre disciple de B ernard, T hierry de
riens de la philosophie. E lle a sérieusem ent progressé; C hartres (f 1148), qui « prépare son com patriote
m ais il reste beaucoup à faire avant d ’ aboutir à des A m aury de C hartres. » A . C lerval, Les écoles de Char­
conclusions com plètes. Les résultats ,des récentes tres au moyen âge, p. 259. A m aury de C hartres, ou de
études ont été présentés par le P. Jacquin, dans la B ène, transporta, en les aggravant, les idées de ScoJ
Revue des sciences philosophiques et théologiques, K ain, du terrain de la m étaphysique sur celui de la m orale.
1907, t. i, p. 749-753; 1908, t. n, p. 768; 1910, t. iv, Les docum ents m ettent en lum ière le rapport d ’ A m au-
p. 104-106. D eux faits dom inent cette histoire : la ry avec Ériugène. A m aury fut condam né au concile de
condam nation du traité de Scot sur l ’ eucharistie aux L atran (1215), après l ’ avoir été au concile de Paris
conciles de R om e (1050), de V erceil (1050) et de Paris (1210). Le concile de L atran se borne à réprouver ses
(1051), et la condam nation du De divisione naturæ par erreurs, sans les indiquer. Le cardinal H enri de Suse
le pape H onorius Ill (23 janvier 1225). L'influence de (Hostiensis), m ort en 1271, Lectura sive apparatus
Scot s ’ exerça, durant cette période, et sur les ortho ­ super quinque libris Decretalium, R om e, 1512, fol. 5, et
doxes et sur les hétérodoxes. Parm i les orthodoxes, il dans D enifle-Châlelain, Chartularium universitatis
y a lieu de citer R em i d ’ A uxerre (f vers 908), qui l'uti ­ Parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 107, note 1, dit :
lise plusieurs fois dans son com m entaire sur M artia- Impii Almarici dogma istud colligitur in libro magistri
nus C apella (voir, pour toute cette question, à la Joannis Scoti, qui dicitur peri physion, i. e. de natura.
bibliographie); G erbert (γ 1003) ou l ’ auteur, quel qu ’ il Quem secutus est ille Almaricus de quo hic loquimur.
soit, du De corpore el sanguine Domini publié sous son Il ajoute que le livre de Scot avait été condam né, à
nom , qui reproduit un passage du De divisione natu­ Paris, per magistros, et que ses erreurs avaient été
ræ; Fulbert de C hartres (ψ 1029), qui s ’ inspire de lui exposées, par O don, cardinal-évêque de Frascati
dans son enseignem ent; le m ystérieux personnage (tusculanus), a quo et habemus hanc doctrinam. O don
connu sous le nom d ’ H onorius A ugustodunensis avait été chancelier de l ’ université de Paris. Les trois
(d ’ A utun ?), qui, vers le m ilieu du xn* siècle, vulga ­ articles m entionnées par H enri de Suse, à savoir ç:; d
rise les idées du De divisione naturæ; H ugues de Saint- omnia sunt Deus; quod primordiales cause, que vocan­
V ictor(-|· 1141), qui m et largem ent Scot à profit; Isaac tur ydee, i. e. forma sive exemplar, creant et creantur;
de Stella (fvers 1169), qui a des expressions d ’ origine quod post consummationem seculi erit adunatio sexuum
ériugéniste; A lain de L ille (f 1202), qui, dans ses sive non erit distinctio sexus, se lisent dans le De divi­
divers ouvrages, sem ble dépendre de lui; G arnier de sione naturæ. V oir t. i, coi. 937-939; cf. C. V . H ahn,
R ochefort (j- après 1200), qui nom m e Scot dans un de Geschichle der Kelzer im Mitlelalter, Stuttgart, 1850,
ses serm ons; H élinand (-j- 1229), qui cite la Hiérarchie t. in, p. 194-199; W . Preger, Geschichte der deuts-
céleste du pseudo-D enys d ’après la traduction de Jean chen Mystik im Mitlelalter, Leipzig, 1874, t. i, p. 166-
Scot. Les centres d ’ influence paraissent avoir été 168, 179-184; H . D elacroix, Essai sur le mysticisme
A uxerre (H eiric, H érifroid, R em i), C hartres, peut-être spéculatif au XI v0 siècle, Paris, 1899, p. 32-38. O n a
l ’ ordre de C îteaux. Il est intéressant de constater qu ’ à rem arqué que le titre du livre de D avid de D inan
Ériugène se rattache toute une lignée d ’ une ortho ­ (ou D înant) qui fut condam né avec A m aury, le De
doxie incontestable, où se distingue surtout l ’ adm i­ tomis, ou « D es divisions », rappelle celui du principal
rable H ugues de Saint-V ictor. M ais ce serait exagérer écrit d ’ Ériugène. V oir t. iv, col. 158, cf. col. 159, et
que de prétendre, avec Saint-René Taillandier, Scot XV. Preger, p. 185, 187. Q ue ce soit indûm ent ou non,
Érigéne, p. 225, cf. p. 216-226, que Jean Scot est que ce soit ou non en com prenant bien Ériugène, cf.
• l ’ aïeul légitim e » de tous les m ystiques « réguliers » Saint-R ené Taillandier, Scot Érigéne, p. 238, il n ’ est
du m oyen âge, depuis saint B ernard jusqu ’ à G erson, donc pas douteux que le panthéism e d ’ A m aury et de
en passant par R ichard de Saint-V ictor et saint B ona ­ D avid n ’ ait été rattaché à l ’ auteur du De divisione
venture. Saint A nselm e, quoi qu ’ on en ait dit, tout en naturæ. E t nous savons, par une bulle d ’ H onorius III
se rencontrant avec Scot « pour certaines idées déta ­ (23 janvier 1225), P. L., t. cxxn, col. 439-440, et
chées et pour l ’ allure m êm e de la recherche, est bien D enifle-C l.âlelain, Chartularium universitatis Pari­
éloigné de le suivre. » J. D râseke, Sur la question des siensis, t. i, p. 106-107, adressée aux archevêques et
sources d’Anselme, dans la Revue de philosophie, Paris, évêques ad quos lilteræ istœ pervenerint, et spéciale ­
1909, t. ix, p. 645. Les hétérodoxes, de-leur côté, trou ­ m ent à ceux d ’ A ngleterre, que le De divisione notu-
vèrent leur com pte dans les écrits de Scot. Q uoi qu ’ il ræ fut condam né, à Paris ou à Sens, dans un concile
faille penser de l ’ orthodoxie de Scot lui-m êm e, il est tenu par l ’ archevêque de Sens et ses sufïragants, que
facile de tirer de ses œ uvres les pires erreurs. O n n ’ y ce livre était possédé in nonnullis monasteriis ct aliis
m anqua point. C ’ est ce que rem arque A lbéric des locis, et claustrales nonnulli et viri scholastici, novi
Trois-Fontaines, à propos des am airiciens : qui verba tamen forte plus quam expediat amatores, se studiosius
(le De divisione naturæ) bene forsitan suo tempore lectione occupant dicti libri, gloriosum reputantes ignotas
prolata et antiquis simpliciter intellecta, male inlelli- proferre sententias. Le pape leur ordonnait de recueillir
gendo, pervertebant et ex eis suam hæresim confirma­ tous les exem plaires de ce livre et de lui envoyer,
bant, dans Monumenta Germanise historica, Scriptores, si secure fieri possil, tout ce qu ’ on aurait trouvé,
H anovre, 1874, t. xxin, p. 915. Jean Scot était en solemniler comburendum, sinon, de le brûlereux-m êm es
honneur dans le m ilieu chartrain. B érenger de Tours, publiquem ent. Joachim de Flore, condam né au con ­
élevé de Fulbert, se réclam a continuellem ent de lui cile de L atran, en m êm e tem ps qu'A m aury et D avid,
dans la controverse sur l ’ eucharistie, pendant que les m ais pour ses erreurs trinitaires, non pour sa théorie
adversaires de B érenger protestaient contre le crédit des trois règnes — celui du Père dans l ’ A ncien T esta ­
qu ’ il accordait à Scot, et que les conciles de R om e et m ent, celui du Fils dans le N ouveau T estam ent, celui
de V erceil et celui de Paris condam naient le livre de du Saint-E sprit dans un âge nouveau et définitif,
Scot. V oir t. n, col. 724. A bélard prit pour base de sa qui allait com m encer, et qui durerait jusqu'à la fin
doctrine sur D ieu le sym bolism e agnostique de Scot des tem ps — par laquelle il se rapproche des rim ai-
431 E R IG ÈN E 432

riciens,sans toutefois avoir été en relations avec eux, aux enseignem ents ériugénistes. Cf. Schlüter dans
Joachim de Flore dépendrait, ainsi qu ’ A m aury, de P. L., t. cxxn, col. 111. R écem m ent, P. V ulliaud
Scot Ériugène dans cette conception des trois âges esquissait une apologie d ’ Ériugène; il concluait, En­
ou des (rois révélations successives, d'après É. G eb ­ tretiens idéalistes, 25 m ars 1910, p. 129-130 : « Je
hart, L ’Ilalid mystique, Paris, 1890, p. 57 62. Cf. n ’ hésite pas à déclarer, pour m a part, que, si on
Moines et papes, Paris, 1896, p. 15. A vrai dire, les avait pris cet hom m e ém inent pour m aître, la face du
textes allégués n ’ établissent guère cette dépendance; m onde intellectuel changeait', » et, après avoir rappelé
tout ce qu ’ on peut accorder,c ’ est que les idées de Scot que son nom figura dans certains m artyrologes et qu ’ il
sur la troisièm e révélation, celle du Parade!, qui aura en a disparu, il disait que cette auréole supprim ée
lieu dans l ’ Église du ciel et qui est donnée d ’ avance un « l ’ adm iration la lui rend. » O n aura noté, au passage,
peu aux purs, nunc ex parte inchoata in primitiis les ressem blan'ces entre l ’ éringénism e et le m odernism e
contemplationis, Expositiones super Hicrarchiam ciele- condam né par l ’ encyclique Pascendi. D ans l ’ un et
stemS. Dionysii, 1. Π , prol., P. L., t. cxxn, col. 266, l ’ autre systèm e, l ’ agnosticism e est le point de départ.
travaillées, élargies et transposées, ont pu devenir T out en déniant à la raison le pouvoir de rien connaître
les rêves dangereux d ’ A m aury de C hartres ou de de la nature de D ieu, le m odernism e, com m e Ériugène,
Joachim de Flore. O n pourrait encore « attribuer à enseigne que l'âm e atteint D ieu d ’ une façon im m é ­
l ’ influence du néoplatonism e, rem is en vigueur par diate. Com m e Ériugène encore, le m odernism e se
Scot, et répandu par des théologiens qui s ’ inspirent plaît dans des form ules qui, si elles ne sont pas fran ­
de lui com m e A m aury de B ène », sauf peut-être à le chem ent panthéistes, ont souvent une saveur de pan ­
dénaturer, les nom breuses hérésies panthéistes du théism e et sont capables de faire soupçonner de pan ­
m oyen âge, sans en excepter les plus im m orales. A ce théism e ceux qui les em ploient. Enfin, Ériugène n ’ a
point de vue, la philosophie d ’ Ériugène «agit puissam ­ pas professé en propres term es l ’ êvolutionism e dog ­
m ent sur la conscience religieuse. Les sectes igno ­ m atique; m ais, en fait, de son agnosticism e il a tiré
rantes souvent ne surent pas -d ’ où leur venaient les le relativism e des form ules dogm atiques, et, par la
idées autour desquelles elles se ralliaient. L ’ historien m anière dont il a expliqué certains dogm es, par
doit en signaler l ’ origine, » dit H . D elacroix, Essai sur exem ple, celui des peines de la vie future, il a m ontré
le mysticisme spéculalij en Allemagne au χιν° siècle, que, pour lui, les form ules dogm atiques sont purem ent
p. 31, qui, pour ce m otif, consacre à bon droit à É riu ­ sym boliques, que, pendant que le vulgaire les prend
gène le ï" r chapitre de son livre. Jusqu ’ à un certain telles quelles, le savant a le droit de les entendre dans
point, toute l ’ hétérodoxie du m oyen âge procède, un sens raffiné, sous réserve du respect social qui leur
directem ent ou par des voies détournées, de Jean Scot est dû, pour autant que l ’ Église les aura jugées aptes
Ériugène. D e m êm e que de Joachim de Flore, pieux, à traduire la conscience com m une et jusqu ’ à ce qu ’ elle
candide et saint, dévoué de cœ ur à l ’ Église, m ais tém é ­ ait réform é ce jugem ent. C ’ était frayer les voies à
raire et courant les plus périlleuses aventures sans se l ’ êvolutionism e m oderniste. T ant il est vrai que le
douter du danger, sortit le joachiinism e hérétique et m odernism e n ’ est pas nécessairem ent chose m oderne !
poussant jusqu ’ au délire la haine contre l ’ Église, de I. Œ u v r e s . — L a trad u ctio n du psoudo-D enys a été
m êm e d ’ Ériugène,quelque sincèrequesem bleavoir été publiée d ’ abord par M arsile F icin , S trasbourg, 1503; la
son désir de garder la foi catholique, sont venues, dans 1 '· édition du De prœdestinatione par le janséniste M auguin.
une certaine m esure, la plupart des hérésies m édié ­ Veterum auctorum qui nono sœculo de priedestinatione et
vales, en telle sorte que, si l'on identifiait la philoso ­ gratia scripserunt opera el fragmenta, P aris, 1650, t. i,
p.103 sq.; la 1 " édition du De divisione naluræ et de la tra ­
phie scolastique avec la philosophie orthodoxe, É riu ­
duction de saint M axim e par T hom as G ale (Galœus), O x ­
gène devrait être proclam é le « père de l ’ antiscolas ­ ford, 1681 ;la 1 " édition de l ’ hom élie sur le prologuede sain t
tique ». Jean , des fragm ents du com m entaire sur sain t Jean , et de
3° Les temps modernes. — D ans cette période, nous quelques poésies, p ar R avaisson, dans Rapports sur les bi­
avons à enregistrer une nouvelle condam nation de bliothèques des départements de l'O uest,P aris, 1841, p.372 sq.
Jean Scot par l ’ Église. L ’ A nglais Thom as G ale (G «- (Saint-R ené T aillandier, Scot Erigène, S trasbourg, 1813,
lœus) ayant publié, en 1681, à O xford, une édition du p. 299-32-1, 329-331, a réédité cos tex tes; nous avons vu
que le fragm ent sur l'eucharistie, attrib u é à S cot p ar R a ­
De divisione naluræ et de la traduction des Ambigua vaisson et par S aint-R ené T aillandier, fait p artie du traité
de saint M axim e, celle édition fut m ise à l ’ index, par d eR atram n e); la prem ière édition des Expositiones super
un décret du 3 avril 1685, inséré dans toutes les édi ­ lerarchiam cœlestem sancti Dionysii, p ar H . J. Floss,
tions de l’index librorum prohibitorum, et m aintenu P. L., t. cx x n , 1853 (nous avons vu que les Expositiones
dans l ’ édition nouvelle publiée par ordre de Léon X III, seu glosste in Mysticam theologiam.publiées égalem ent par
R om e, 1900, p. 123. U n grand nom bre de philosophes F loss, ne sont pas de Jean S cot). E n m êm e tem ps F loss a
hétérodoxes, surtout parm i les panthéistes, ont publié les œ uvres entières de Jean S cot alors connues, c ’ est-
à-dire toutes les œ uvres qui viennent d 'être indiquées,
exposé des idées qui rappellent çà et là celles de Scot,
ainsi qu'un fragm ent du l iber de egressu et regressu ani­
m ais sans qu ’ ils paraissent avoir subi son influence mas ad Deum,édité d'abord par C .G reith , Spicilegium Vati­
directe. B. H auréau, Histoire de la philosophie scolas­ canum, F rauenfeld, 1838, p. 80 sq., et quelques poésies
tique, Paris, 1872, t. i, p. 151. lui attribue «la gloire éditées p ar A . M ai, Classicorum auctorum e codicibus Vati­
d ’ avoir, au ix° siècle,devancé B runo, Ύ οηΐηϊ, Spinosa, canis editorum,Rome, 1834,t. v, p. 426 sq. N ous avons vu que
Schelling et H egel, les plus résolus, les plus tém éraires l'édition F loss, très précieuse, n'est p o in t p arfaite.L e tex te
des logiciens. » CL, en ce qui regarde H egel et Schel ­ est à am éliorer et à com pléter. J. D râseke, Johannes Scolus
ling, Saint-René Taillandier, Scot Érigène, p. 265-276. Erigena, L eipzig, 1902. p. 29-32, n donné un fragm ent du
De divisione naturœ, d'après un m anuscrit m eilleur que ceux
D es catholiques ont cru pouvoir établir la parfaite que F loss a utilisés. L . T raube, dans Monumenta Germa ­
orthodoxie de Scot Ériugène : tels F. A . Stauden- nite historica. Poelte latini æoi carolini, B erlin, 1896 , t. n i,
m aier, Johannes Scolus Erigena und die Wissenschaft p. 527-556, a donné une excellente édition des poésies.
seiner Zeit, Francfort-sur-le-M ain, 1834,et C. B. Schlü- B . H auréau, dans Nolices el extraits des manuscrits de la
ler, dans la préface de son édition du De divisione Bibliothèque impériale el autres bibliothèques, P aris, 1862,
naluræ, M unster, 1838, laquelle préface est reproduite t. x x , 2° p artie, p. 8-39, a publié du com m entaire d 'É riu -
gènê sur M artianus C apella les gloses sur le IV ' livre, c'est-
dans P. L., t. cxxn, col. .101-126. II y a plus : des
à-d ire sur la dialectique, et, dans Nolices et extraits des
catholiques, non pas toujours d ’ une doctrine très sûre manuscrits de la Bibliothèque nationale, P aris, 1906,
(voir, pour B aader, t. n, col. 1), tels que Frédéric t. x x x v in .2 ’ p artie,p . 412-413, un tex te m eilleur que celu
de Schlegel et François de B aader, ont regretté que de F loss d ’ un fragm ent de l ’ hom élie su r léprologue <!<■ sain t
la scolastique ne se soit pas attachée de plus près Joan. E . K ennard Rand. Johannes Scottiis.dans Qm llen und
433 É R IG È N E E li M EN G A U D 434

Untersuchungen zur luteinischcn Philologie des Mittcl- L xvn, 506-51 3; Histoire littéraire de la France, P aris. 1740,
alters de L . T raube, M unich, 1906, t. i, 2 e cahier, p. 30- t. v, p. 416-129: N . A lexandre. Historia ecclesiastica, édit.
80, a publié une très bonne édition du com m entaired ’ É riu- M ansi, V enise, 1778, t. vi, p. 425-42 8; F . A . S taudenm aier,
gène sur B oèce. Johannes Scotus Erigena und die Wissenschaft seiner Zeil,
II. S o u r c e s . — 1° Les condamnations de Γ Église. — F rancfort-sur-le-M ain, 1834, t. i (seul p aru ); anonym e.
L ettre de N icolas I er sur la traduction du pseudo-D cnys De Johanne Scoto Erigena commentatio, B onn, 1835, et
(861), P . /.., t. cx x n , col. 1025-1026, et, avec une v arian te dans P . L., t. cx x n , col. 1-88; X . R ousselot, Éludes sur
im portante, dans Y ves de C hartres, Decretum, p art. IV , la philosophie dans le moyen âge, P aris, 1840, t. i, p. 13-15,
c. civ, P . Z.., t. c l x i , col. 289-290; cl. t. ex ix , col. 1119; 28-75, 84-88, 213-21 7; S aint-R ené T aillandier, Scot Éri-
t. cx x iv , col. 1025-1026. C ondam nation des doctrines sur gène et la philosophie scolastique, S trasbourg, 1843, et dans
la prédestination par les conciles de V alence (855) et de Dictionnaire des sciences philosophiques, P aris, 1875. p. 460-
L angres (859), L abbe et C ossart, Sacrosancta concilia, 463; H . R itter, Geschichte der Philosophie, H am bourg,
P aris, 1671, t. v u , col. 138, 690; D enzinger-B annw art, 1844, t. vn, p. 206-296; F . M onnier, De Golhescalci et
Enchiridion, n. 325. N ous n ’avons pas les actes des conciles Johann is Scoti Erigenæ controversia, P aris, 1853; T .C hrist-
de R om e (1050), de V erceil (1050) et de P aris (1051), qui lieb, Leben und Lehre des Johannes Scotus Erigena, G otha,
condam nèrent le livre de S cot sur l ’ eucharistie; ces con ­ 1860; J. H uber, Johannes Scotus Erigena, M unich. 1861;
dam nations nous sont connues par B érenger et les écri ­ A . S tock), Geschichte der Philosophie des Millelalters,
vains qui co m b attiren t contre lui. L abbe et C ossart, Sacro ­ M ayence, 1864, t. i, p. 31-128; B . H auréau, Histoire de la
sancta concilia, P aris, 1671, t. ix , col. 1052-1063. L a philosophie scolastique, P aris, 1872, t. I, p. 148-175. et
cond am nation du De divisione naturæ p ar le concile de la Commentaire de Jean Scot Érigène sur Martianus Capella,
province de S ens nous est connue par la bulle d ’ H ono ­ dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque
ri us III (1225), qui se lit dans P . L.» t. cx x n , col. 439- impériale et autres bibliothèques, P aris, 1862, t. xx, 2· par ­
440; P . P ressu tti. Regesta Honorii papæ III, R om e, 1895, tie, p. 1-39; J. B ach, Die Dogmengeschichle des Mitlelal-
t. n , p. 300; D éni Île-C hâtelain, Chartularium universita ­ ters, V ienne, 1874, t. n , p. 231-232, 264-314; H . R euter,
tis Parisiensis, P aris, 1889, t. i, p. 106-107, et qui Geschichte der religiôsen Aufklarung im Millclaller, B erlin.
porte une ’ condam nation solennelle contre ce livre. 1875, t. i, p. 51-64, 277-279; A . E b ert, Allgemeine Ges-
V oir toutes les éditions de Γ Index librorum prohibitorum, chichle der Literatur des Miltelallers im Abcndlande, L eip ­
à p artir du 3 avril 1685, d ate du décret de la m ise à l ’ in ­ zig, 1880, t. n , p. 257-267 ; trad. J. A yrneric et J. C onda-
dex de l ’ édition de Scot par G ale. — 2° Les adversaires de m in, P aris, 1884, t. n , p. 285-295; A . C lerval, Les écoles de
Jeun Scot. — D ans la controverse sur la prédestination, Chartres au moyen âge du v® au rv/· siècle, C hartres. 1895:
sain t P rudence de T royes, De prædeslinulione contra F . P icavet, Les discussions sur la liberté au temps de Gotts­
Joannem Scotum, P. L., t. cxv, col. 1009-1366; F lorus de chalk, de Raban Maur, d’Hincmar et de Jean Seal, dans
L yon, Adversus Joannis Scoli Erigenæ erroneas definitiones JSéances et travaux de ΓAcadémie des sciences morales et
liber, P. L., t. ex ix , col. 101-250; sain t R em i de L yon, De politiques. Compte rendu, P aris, 1896, t. c x l v , p. 644-66· .».
tribus epistolis liber, c. x x x i x - x l , col. 1051-1055 (il y cite, reproduit dans Esquisse d'une histoire générale et compar-·
col. 1052, un fragm ent de la lettre de P ardule de L aon des philosophies médiévales, P aris, 1905, p. 136-150; B nl-
d isan t qu ’ il a dem andé à S cot d ’ écrire sur la prédestina ­ liantoff, Vlijanie voslotschnago bogoslovia na sapadvoje
tio n ); H incm ar de R eim s. De prædestinatione posterior tv'proisuedeniach Joannes Scotus Erigena (L*influence de la
dissertatio, c. x x xi, P . L., t. ex x v , col. 296-297. D ans la théologie orientale sur l'occidentale dans les œuvre, de
controverse eucha ristique,au ix e siècle, A drevald de F leury, Jean Scot Érigène}, S aint-Pétersbourg, 1898; H . D ela ­
De corpore et sanguine Christi contra ineptias Joannis Scoti, croix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au
P. L., t. cx x iv , col. 947-951, et, au xi« siècle, les adver ­ xiv· siècle, P aris, 1899, p. 19-39; J. D rüsekc, Johannes
saires de B érenger de T ours: voir, pour la bibliographie, t.n , Scotus Erigena und dessen Geivahrsmanner in seinem Werke
col. 740-741 ; les principaux textes sont groupés dans L abbe De divisione naturæ libri V ,L eipzig, 1902, et divers articles
et C ossart, Sacrosancta concilia, P aris, 1671, t. ix, col. de revue qu ’ il indique dans \a Revue de philosophie,P aris,
1052-1062. — 3° Les admirateurs et les disciples de Jean 1909, t. ix, p. 638, n o te; 643, n o te; 645, note 2; G . B runhes,
Scot. — L ettre d ’ A nastase le bibliothécaire, P. I., t. cx xix, La foi chrétienne et la philosophie au temps de la renaissance
col. 739-7 41, et t. cx x n , col. 1025-1030; sain t H oirie carolingienne, P aris, 1903; U eberw eg-H einze, Grundriss
d ’ A uxerre, cf. R and, Johannes Scott us, p. 15-18, 83-84; der Geschichte der Philosophie der palristischen und scho-
R em i d ’ A uxerre, cf. U eberw eg-H einze, Grundriss der laslischen Zeit, 9° éd it., B erlin, 1905, p. 160-17 0; M . de
Geschichte der Philosophie der palristischen und scholaslis- W ulf, Histoire de la philosophie médiévale, 2® éd it., L ouvain,
chen Zeil, 9· éd it., B erlin, 1905, p. 173-175 (H eiric et 1905, p. 179-18 5; S. M . D eutsch, dans Realencyklopadic,
R em i), et R and, Johannes Scollus, p. 85-106 (publie, p. 99- L eipzig, 1906. t. x v n i. p. 86-100; P . B aldini, Scoto
106, des fragm ents des gloses de R em i sur B oèce); G crbert, Erigena e la filosofia religiosa nel ix secolo, dans Rivista
ou l ’ auteur, quel qu ’ il soit, du De corpore et sanguine Domini, delle scienze leologiche. R om e, 1906, t. n , p. 413-431;
P. L., t. cx x x ix , col. 179-188, em prunte, c. v u , col. 185, E . K ennard Rand, Johannes Scollus,M unich. 1906; leP. Jac ­
un passage au De divisione naturæ, P. L., t. cx x n , col. quin, Le néoplatonisme de Jean Scot; Le rationalisme de
749; F ulbert de C hartres, cf. A . C lerval, Les écoles de Char­ Jean Scot ; L'influence doctrinale de Jean Scot au début du
tres au moyen âge, p. 118-119; B érenger de T ours, voir xnp siècle, dans la Revue des sciences philosophiques et théo­
t. n,col.729-730, 740; H onorius A ugustodunensis(d ’ A utun?) logiques, K ain.1907 ,1908.1910, t. i.p . 674-685; t. il, p. 747-
vulgarise le De divisione naturæ dans sa Clavis physicœ 7 4 8 ;t. iv, p. 104-106; M . G rabm ann. Die. Geschichte der scho-
(ouvrage inédit); cf. .J. A . E ndres, Honorius Augustodu- lastischen Methode nach den gedrucklen und ungedrucklen
nensis. K em pten. 1906, p. 64 sq.; et, dans son De scripto­ Quellen, t. I, Die scholastische Methode von ihren ersten
ribus ecclesiasticis, 1. Ill, c. x n , P . L., t. c l x x i i , col. 222, Anfüngen in der Vaterlileralur bis zum Beginn des xir
place .Jean S cot environ trois siècles av an t sa d ate véri ­ Jahrhunderts, F ribourg-cn-B risgau, 1909; J. V erw eyen,
table; H ugues de S aint-V ictor utilise S cot dans ses Com­ Das Problem der W illensfreiheit in der Scholastik auf Grund
mentariorum in Hierarchiam cœlestem sancti Dionysii der Quellen dargestelll und krilisch geivürdigl, H eidelberg,
Areopagilæ libri X, P. L., t. c l x x v , col. 923-1154, et d it 1909; P . D uhem , La physique néoplatonicienne au moyen
de lui. Eruditionis didascalicæ, I. III, c. n , P . Z.., t. c l x x v i , âge,dans la Revue des questions scientifiques,Louvain, 1910,
col. 765 : Theologus apud Græcos Linus fuit, apud Latinos t. l x v t i i , p. 12-36; P . V ulliaud, Scot Érigène. dans Les
Varro, et nostri temporis Joannes Scotus; A lain de L ille, entretiens idéalistes, P aris, 25 m ars 1910, p. 113-130;
P. L., t. c.cx, s ’ inspire de S cot; cf. M . B aum gartner, Die L . G ougaud, Z>?s chrétientés celtiques, P aris, 1911, p. 247-
Philosophie des Alanus de Insulis im Zusammenhange mit 249, 280-281, 289-292. V oir, en outre, les au tres travaux
den Anschauungcn des 12 Jahrhanderts dur geste Ht, M unster, m entionnés au cours de cet article, et ceux qui sont indi ­
1896; de m êm e Isaac de S tella, Epistola de anima, P. L., qués par U l. C hevalier. Répertoire des sources historiques
t. cx civ , col. 1875-1890; G arnier de R ochefort. Sermo ιχ du moyen âge. Bio-bibliographie, 2* éd it., P aris, 1903-
in lie Epiphaniæ. P. L., t. ccv, col. 627. — N ous avons 1904, col. 2491-2492; par U eberw eg-H einze, Grundriss der
v u les textes d ’ A lbéric des T rois-Fontaines, du cardinal Geschichte der Philosophie der patrislischen und scholaslis-
H enri dcS usc,de G uillaum e de M alm esbury, etc. C f. encore, chen Zeit, p. 161-16 2; par S. M . D eutsch, dans Realenqj-
p«-tir la suite, les Testimonia reproduits de l ’ édition de klopadie, t. x v m , p. 86-87.
G ale, P . L., t. cx x n , col. 89-94; cf. p. x x iv -x x v n . F. Ve r n e t .
III. T r a v a u x . — M abillon, Acta sanctorum ordinis E R M E N G A U D , abbé de Saint-Gilles de N îm es de
sancti Benedicti. P aris, 1680, t. vi, p. x l i v - x t .v i i i . t.xiv- 1179 à 1195 environ, com posa contre les vaudois un
435 E R M EN G A U D E R R EU R D O C T R IN A L E 436

traité qui a pour titre : Opusculum contra heereticos quo intcllcc us rem attingit; de sorte que, dans l ’ hypo ­
qui dicunt et credunt mundum istumet omnia visibilia thèse se vérifiera toujours la vérité com plète en tant
non esse a Deo facta sed a diabolo. Il fut édité par que vérité form elle. L ’ erreur, au contraire, aura lieu,
G retscr dans son ouvrage : Trias scriptorum adversus lorsque l ’ intelligence créera entre le sujet et l ’ attribut
W aldensium sectam. Ebraudus Bethunensis, Bernardus un rapport qui ne sera pas exact. Cf. G inebra, Ele-
abbas Fontis Calidi, Emengaudus, in-4°, Ingolstadt, mentos de filosofta, Santiago de C hili, 1887, p. 57.
1614. Il est reproduit dans P. L., t. cciv, col. 1235- O n distingue trois sortes de vérités : la vérité lo­
1272. gique, celle que nous avons définie plus haut et qui
consiste dans l ’ accord de la pensée avec son objet; la
F abricius, Bibliotheca latina niediæ letalis, in -8 “ , 1858, vérité m étaphysique, qui peut être considérée par
t. H , p. 518; Gallia Christiana, in-fol., P aris, 1739, t. vi,
col. 489; Histoire littéraire de la France, in-4°, P aris, 1820,
rapport à l'intelligence divine, et par rapport à l ’ in­
t. xv, p. 38; G eillier, Histoire des auteurs ecclésiastiques, telligence créée. En regard de l ’ intelligence divine,
t. x iv, p. 807-808; H u rter, Nomenclator, 3" éd it., Inspruck, les choses sont dites vraies, sous la relation de cognos ­
1906, t Π , col. 175. cibilité en tant qu ’ elles sont conform es à l ’ intelli­
B. H e u r t e b iz e . gence divine qui les connaît toutes actuellem ent, et
E R M IT E S . V oir A n a c h o r è t e s , t. i, col. 1134 sq. sous la relation de dépendance dans l'ordre idéal,
en tant qu ’ elles sont ce qu'elles sont, c ’ est-à-dire en
E R R E U R . 11 sera successivem ent question : 1° de tant qu'elles possèdent leur être créé à l ’ im age de cet
l ’ erreur doctrinale; 2° de l ’ erreur qui est un em pê ­ exem plaire prem ier et parfait qui est l ’ intelligence
chem ent de m ariage. divine : c ’ est ainsi que saint A ugustin a pu dire que
« la vérité est ce qui est. » Soliloq., 1. II, c. vi, n. 10.
I. e r r e u r d o c t r i n a l e . — I. A u point de vue Cf. S. Thom as, Quurst. disp., De veritate, q. i, a. 10.
philosophique. II. A u point de vue de la foi. III. A u E n regard de l ’ intelligence créée, les êtres sont dits
point de vue des contrats. vrais, sous la relation de sim ple cognoscibilité, c ’ est-
I. L ’ e r r e u r a u p o i n t d e v u e p h il o s o p h i q u e . à-dire par rapport à l'intelligence spéculative, en tant
— 1° Définition. — L ’ erreur et la vérité sont qu ’ ils possèdent une aptitude à être connus de cette
deux contraires ainsi que l ’ explique saint Thom as, m êm e intelligence : ainsi, nous disons d ’ une m atière
Sum. theol., 1«, q. xvn, a. 4 ; Utrum verum et /alsum que c ’ est de l ’ or vrai, si elle contient tous les élém ents
sinl contraria.’ Hespondeo quod verum et /alsum oppo­ qu ’ elle doit contenir pour être de l ’ or et être connue
nuntur ut contraria et non sicut affirmatio et negatio, com m e telle par notre intelligence. Sous la relation de
ut quidam dixerunt. 11 faut donc d ’ après l'adage : dépendance dans l ’ ordre idéal, c ’ est-à-dire par rapport
contrariorum eadem est ratio, chercher la définition de à l ’ intelligence pratique, les choses artificielles sont
l ’ erreur dans la définition m êm e de la vérité. O r, la vraies en tant qu ’ elles se rapportent à l ’ intelligence
vérité se définit com m uném ent : » l ’ équation ou l ’ ac ­ créée qui les a conçues, com m e à leur exem plaire secon ­
cord entre la pensée et son objet. » En conséquence, daire. O n distingue enfin la vérité m orale, ou véra ­
l ’ erreur peut se définir : « le désaccord positif entre cité,qui n ’ est pas autre chose que l ’ accord de la parole
la pensée et son objet. » N ous disons : « désaccord avec la pensée, ou encore la conform ité des actions
positif » afin de distinguer l ’ erreur de la sim ple igno ­ m orales avec le dictam en de la conscience.
rance. En effet, l ’ ignorance n ’ est qu ’ un désaccord O r, on peut se dem ander si la fausseté, ou l'erreur,
négatif, c ’ est-à-dire un défaut d ’ accord entre la pensée qui, com m e nous l ’ avons observé, est l ’ opposé de la
et son objet. « A utre chose est une lacune dans la re ­ vérité, existe, com m e celle-ci, au triple point de vue
présentation intellectuelle et dans le jugem ent sur logique, m étaphysique et m oral. A u point de vue
cet objet — ce qui constitue l ’ ignorance — et autre logique, l ’ erreur, nous l ’ avons dit,se définit:«le désac ­
chose est une représentation qui diffère de l ’ objet et cord de la pensée avec son objet », et nous entrerons
qu ’ on juge toutefois être sem blable à l'objet, ce qui bientôt plus avant dans son analyse. A u point de vue
constitue l ’ erreur ou la fausse science. » C astelein, m oral, l ’ erreur se rencontre égalem ent : c ’ est le m en ­
Cours de philosophie. Logique, B ruxelles, 1901, songe, qui peut se définir : « le désaccord de la parole
p. 229sq. L ’ erreur et l ’ ignorance supposent toutes deux avec la pensée », ou encore, la difform ité de nos actions
un défaut de connaissance : m ais l ’ erreur est un juge ­ m orales, en regard du dictam en de la conscience. V oir
m ent faux, et affirm e ce qui n ’ est pas ou bien nie ce M e n s o n g e . M ais, au point de vue m étaphysique,
qui est. tandis que l ’ ignorance s ’ abstient de toute affir ­ l'erreur n ’ existe pas, à proprem ent parler ou selon la
m ation. Cf. Jaffré, Cours de philosophie, Lyon, 1878, nature des choses, et aucun être ne peut être dit faux
p. 75. par lui-m êm e. E n effet, si nous considérons les choses
O n ne saurait donc adm ettre la définition de l ’ er ­ par rapport à l ’ intelligence divine, nous voyons que
reur donnée par Cousin, Fragments philosophiques, toutes sont ontologiquem ent vraies, parce que toutes
Préface : « L ’ erreur est une vérité incom plète, » car il sont conform es à l ’ intelligence divine, qui, en tant
n ’ y a pas de m oyen term e entre l ’ équation de l ’ intel ­ qu ’ infinie, les connaît com m e elles existent et com m e
ligence avec son objet, en quoi consiste la vérité, et elles peuvent être. En outre, toutes les choses, réelles
le désaccord de l ’ intelligence avec son objet, en quoi ou sim plem ent possibles, sont une im itation de la
consiste l ’ erreur; sicut verum consistit in adæquatione divine essence et existent dans l ’ intelligence divine,
rei et intellectus, ita /alsum consistit in eorum inadte- com m e dans leur exem plaire parfait. La fausseté ou
qualione. S. Thom as, Qurest. disp., De veritate, q. iv, l'erreur ontologique serait donc un défaut de confor ­
a. 10. Sans doute, la vérité peut être dite incom plète m ité avec les idées divines. M ais ce défaut de confor ­
en tant que l ’ intelligence hum aine n ’ épuise point m ité prouverait, en D ieu, ou un défaut de sagesse,
toute la cognoscibilité de son objet : en effet, cette en tant qu ’ il n'aurait pas su réaliser ses idées, ou un
connaissance com préhensive n ’ est pas donnée aux défaut de puissance, en tant qu ’ il n ’ aurait pu réaliser
créatures et reste l ’ apanage exclusif de l ’ intelligence ce qu'il connaissait. O n objectera qu ’ il existe, dans
divine. C ependant cette vérité incom plète ne saurait la nature, des m onstres qui ne peuvent être dits en
être confondue avec l ’ erreur. Pour que la vérité existe, harm onie avec les idées divines : il suffit de répondre
il n ’ est pas nécessaire que l ’ accord soit établi entre que ces m onstres ne rentrent point directem ent dans
l ’ intelligence et son objet, épuisé sous tous ses rapports le plan de l ’ intelligence divine, m ais procèdent d ’ un
de cognoscibilité. m ais considéré seulem ent sous le défaut des causes secondes; d ’ ailleurs, ces m onstres,
rapport qui est visé par l ’ intelligence sub eo respectu en tant qu ’ ils représentent, en eux-m êm es, une réalité.
437 E R R E U R D O C T R IN A L E 438

répondent parfaitem ent aux idées divines, encore quteralur jalsilas, ubi primo veritas invenitur, hoc <·.'
qu'ils ne répondent point aux idées d ’ une chose par ­ in intellectu. E n effet, Ia vérité ne peut se concevoir
faite, m ais seulem ent aux idées d'une chose im par ­ que par rapport à l ’ intelligence, de m êm e que la bon: ■
faite, dont l ’ anom alie résulte de l ’ obstacle m êm e qui ne peut exister que par rapport à la volonté. Il découle
intervient par le fait des causes secondes. Cf. W illem s, de là que le sujet propre et direct, proprium et per >■.
Institutiones philosophiae, Trêves, 1906, p. 445. M ais de la vérité, et conséquem m ent de l ’ erreur, n ’ est pa?
que dire du m al m oral ou du péché ? V oir ce m ot. Il autre que l ’ intelligence. Le sujet prem ier de la vérité
ne sem ble pas que l'intelligence divine puisse en être sera donc l ’ intelligence divine, dont les idées exem ­
l ’ exem plaire auquel il soit rapporté. N ous répondrons plaires sont le m odèle parfait d'après lequel toute?
qu ’ il faut distinguer deux choses dans le péché : ce choses existent. M ais, dans ce sujet prem ier,nous ne
qui, en lui-m êm e,est être et réalité,c ’ est-à-dire l ’ acte saurions rencontrer l ’ erreur, puisque celle-ci ne peut
physique,et le défaut lui-m êm e; or,le péché, en tant procéder du fait des causes secondes qui viennent
qu ’ il est une réalité, doit être dit conform e aux idées déranger le plan de l ’ intelligence divine. Cf. S. Tho ­
divines, et rentre ainsi dans la vérité ontologique; au m as, loc. cil. Q uant au sujet secondaire de la vérité,
contraire, en tant qu ’ il est form ellem ent un défaut, accessible celui-ci à l ’ erreur, il faut le trouver dans
il n ’ est pas m êm e un être, puisque le défaut est la l'intelligence hum aine, qui, connaissant dans les
privation de l ’ être; or, s ’ il n ’ est pas un être, il n'est choses les idées exem plaires de l ’ intelligence divine,
pas étonnant qu ’ il ne possède point la propriété de cherche à s ’ y conform er, et, parfois, se m et en oppo ­
l ’ être qui est la vérité; que si le péché est envisagé, sition avec elles. E n outre, d ’ une m anière analogue,
dans sa totalité, en tant qu ’ acte hum ain pris avec son analogica ratione, les choses elles-m êm es, qui sont
défaut, nous accordons que la vérité ne lui appartient ainsi connues par l ’ intelligence, peuvent être dites
pas, et c ’ est pour cela que dans la sainte Écriture, sujet de la vérité, et aussi de l ’ erreur, en tant qu ’ elles
Ps. iv, 3, le péché est appelé un « m ensonge », tandis constituent l ’ objet m atériel de nos connaissances;
que faire la vérité est la m êm e chose que bien agir. m ais, com m e le fait observer saint Thom as, loc. cit.,
En outre, au péché s ’ applique l ’ observation que nous ce n ’ est toujours que par rapport à l ’ intelligence que
avons déjà faite, à savoir, qu ’ il est connu actuelle ­ les choses peuvent être dites vraies ou fausses, en
m ent par l ’ intelligence divine, et qu ’ à ce titre il sorte que, si aucune intelligence n'existait, aucune
peut être dit « vrai ». vérité, ni aucune erreur, ne serait possible. A insi donc,
Si m aintenant nous exam inons les choses par rap ­ la vérité subjective, et l ’ erreur égalem ent, se trouve
port à l ’ intelligence créée, nous nous plaçons ou bien dans l ’ intelligence, com m e dans sa cause principale,
au point de vue de l ’ intelligence spéculative, ou bien et dans les actes de l ’ intelligence, com m e dans sa
au point de vue de l ’ intelligence pratique. Si nous cause instrum entale. O r, ces actes de l ’ intelligence
envisageons les choses au point de vue de l'intelli­ sont au nom bre de deux, à savoir : 1 ° l'idée ou la repre ­
gence spéculative, toutes doivent être dites vraies sentation ; 2° le jugem ent, car, en som m e, le raisonne ­
par elles-m êm es, per se, car toute chose possède, en m ent et le syllogism e rentrent dans le jugem ent.
elle-m êm e, une réalité, qui fait qu ’ elle peut être con ­ N ous allons donc nous dem ander si ces deux actes de
nue et m ise ainsi en harm onie avec l'intelligence créée; l ’ intelligence peuvent constituer le sujet de l ’ erreur.
en outre, si l ’ intelligence créée leur est appliquée d ’ une L ’ erreur logique consiste, nous l ’ avons dit, dans le
m anière régulière, les choses peuvent y provoquer la désaccord de l'intelligence avec son objet. O r,ce désac ­
connaissance d ’ elles-m êm es. C ependant, accidentelle ­ cord peut être négatif, si la connaissance de l ’ intelli­
m ent, per accidens, les choses peuvent être dites gence n ’ em brasse pas tout son objet, ou positif, si la
fausses, en tant qu'elles peuvent être l ’ occasion d'une connaissance attribue à son objet une chose qui ne lui
erreur pour l ’ esprit, soit à cause d ’ une sim ilitude convient pas. M ais il va sans dire que nous ne voulons
(c ’ est ainsi que l ’ étain peut se confondre avec l ’ ar ­ point parler ici de l'erreur négative, qui se rencontre,
gent, et être appelé un « faux argent »), soit à cause de en effet, dans toute connaissance hum aine; et c ’ est
la trom perie des hom m es (fausse m onnaie), soit déno- seulem ent de 1 ’ erreur positive qu ’ il peut être question·
m inativem ent (attributive, ex falsitate logica : faux A son tour, l ’ erreur positive est parfaite ou impar­
dieux, fausse religion). Par rapport à l ’ intelligence faite : la prem ière attribue à l ’ objet m atériel ce qui
pratique, les choses peuvent être dites ontologique ­ ne lui appartient pas; d ’ où il suit que la connais ­
m ent fausses, si elles ne sont pas conform es à la règle sance est alors subjectivem ent et objectivem ent
m orale d ’ après laquelle elles devaient être faites. erronée; la seconde n ’ attribue rien à l ’ objet m atériel
C ependant il est évident que les choses sont dites ni ne nie rien de lui; et, dans ce cas, la connaissance est
fausses par rapport à notre intelligence, non pour la seulem ent erronée subjectivem ent, n ’ étant que l ’ effet
réalité propre qu'elles possèdent, m ais plutôt pour ce ou la cause m atérielle d ’ un faux jugem ent.
qu ’ elles ne sont pas, et pour la réalité qu ’ elles devraient T out d ’ abord, la vérité logique, et conséquem m ent
posséder ou qu ’ elles paraissent avoir; c'est ainsi que aussi l'erreur, ne peut exister parfaitem ent que dans
l ’ étain peut être dit un faux argent, sans être pour cela le jugem ent. En effet, l'intelligence atteint proprem ent
un faux étain. En outre, la fausseté n ’ est pas inhé ­ et parfaitem ent la vérité lorsque non seulem ent elle
rente aux choses com m e un élém ent positif, m ais elle est conform e avec son objet, m ais encore lorsqu ’ elle
est plutôt la négation ou la privation d ’ une perfec ­ connaît que son concept est en harm onie avec la chose
tion, c ’ est-à-dire un sim ple être de raison, ens ratio­ qu ’ il représente. O r, l ’ intelligence ne peut réaliser ce
nis. Cf. W illem s, op. cit., p. 446. but qu ’ autant qu ’ elle affirm e le rapport d ’ identité de
M ais revenons à l’erreur logique, qui est en som m e la chose avec sa représentation elle-m êm e. M ais l ’ acte
l ’ erreur proprement dite, et poussons plus avant son par lequel une idée est ainsi rapportée à son objet est
analyse, en étudiant d ’ abord quel en est le sujet. précisém ent un jugem ent. 11 n ’ y a donc à propre ­
2° Sujet de l'erreur. — É tant donné que la vérité m ent parler de vérité ou d ’ erreur que dans le juge ­
et l ’ erreur sont contraires, et que les contraires visent m ent. L ’ idée, prise en elle-m êm e, ne peut ainsi être
toujours le m êm e sujet, il s ’ ensuit que nous devons ni vraie ni fausse : elle ne devient vraie ou fausse que
rechercher le sujet de l ’ erreur dans le sujet m êm e de lorsque l ’ intelligence la rapporte à un objet avec lequel
la vérité, c ’ est-à-dire, avant tout, dans l ’ intelligence. elle s ’ accorde ou ne s ’ accorde pas, c ’ est-à-dire. · r
Tel est le principe général établi par saint Thom as, Sum. som m e, lorsque l ’ esprit form e un jugem ent.
theol-, I*, q. xvn, a. 1 : Cum verum et falsum opponantur, C ependant la vérité logique se trouve dans la
opposita autem sunt circa idem, necesse est ut ibi prius sim ple idée, de quelque m anière, c ’ est-à-dire d ’ une
439 E R R EU R D O C TR IN A LE 440

m anière im parfaite, en sorte que l ’ intelligence, par désaccord, et elle se trouve dans le jugem ent. » C aste-
cet acte de la pensée, puisse atteindre la vérité, sans lein, op. cil., p. 232. O bservons toutefois qu ’ en disant
pour cela connaître son objet, en tant qu ’ il est vrai. que l ’ erreur est dans le jugem ent seul, nous opposons
En effet, l'idée, par elle-m êm e, représente l ’ essence des au jugem ent l ’ idée, m ais non le raisonnem ent, qui
choses; d ’ où il résulte qu ’ elle doit être conform e avec n ’ est pas autre chose qu ’ un ensem ble de jugem ents.
cette essence m êm e, c ’ est-à-dire qu ’ elle possède, en E n outre, nous n ’ entendons point dire que le jugem ent
quelque sorte, la vérité. M ais, com m e par l ’ idée seule soit par lui-m êm e, et par sa nature, sujet de l ’ erreur,
l ’ intelligence ne connaît pas sa convenance avec son car, autrem ent, il faudrait conclure que l ’ intelli­
objet, il s ’ ensuit que la vérité logique ne saurait appar ­ gence se trom perait vis-à-vis de son objet propre et
tenir proprem ent et parfaitem ent à cette sim ple form el qui doit toujours être la vérité, ou au m oins
représentation, sans qu ’ intervienne Pacte? du juge ­ l ’ apparence de la vérité; et il faudrait ainsi supposer
m ent. un désordre essentiel dans la nature hum aine. Si donc
Toutefois, si, dans un certain sens, la vérité se ren ­ le jugem ent devient sujet de l ’ erreur, c ’ est seule ­
contre dans la sim ple appréhension de l ’ esprit, ou m ent par accident et en vertu d ’ une cause étrangère
dans l ’ idée, l'erreur n ’ y existe point par elle-m êm e, à l ’ intelligence qui fait que celle-ci croit voir la vérité
per se, ou directem ent. C ar aucune faculté ne peut se là où elle n ’ est qu ’ apparente et n ’ existe pas en réa ­
trom per touchant son objet propre; m ais l ’ intelli­ lité. Cf. W illem s, op. cit., p. 116 sq. N ous verrons
gence, par la sim ple idée, perçoit l ’ essence des choses, plus loin quelles sont les causes qui peuvent influencer
ce qui constitue d ’ ailleurs son objet propre. 11 faut ainsi notre esprit, au point de l ’ induire en erreur et de
donc conclure que l ’ idée, prise en elle-m êm e, n ’ est provoquer des jugem ents erronés.
pas accessible à l ’ erreur, et qu ’ on doit réprouver 3° Degrés. — L ’ erreur, ainsi que la vérité, peut être
l ’ opinion de ceux qui, avec le philosophe Larom iguière, exam inée dans son objet form el et dans son objet
Leçons de philosophie, Paris, 1835, leçon x, t. n, p. 298, m atériel. L ’ objet formel de la vérité et de l ’ erreur est
pensent que les idées sont tantôt vraies et tantôt ce qui la constitue dans son caractère propre et dis ­
fausses. M aissi nous disons que l ’ idée, par elle-m êm e et tinctif d ’ être ou vérité ou erreur. O r, le propre de la
par sa nature, ne peut être sujet de l ’ erreur, nous ne vérité est d ’ être un accord, une équation entre la
nions pas qu ’ accidentellem ent, per accidens, elle ne pensée et son objet, tandis que le propre de l ’ erreur
soit parfois erronée, en raison m êm e d ’ un jugem ent est d ’ être un défaut d ’ équation, un désaccord positif
qui s ’ y trouve accidentellem ent im pliqué. O r, cela entre la pensée et son objet. L ’ objet matériel de la
peut avoir lieu 'de deux m anières : d ’ abord, d ’ une vérité et de l ’ erreur, c ’ est toute l ’ extension des notes
façon occasionnelle, lorsque l ’ idée devient l ’ occasion que l ’ esprit perçoit, et sur lesquelles porte cette
d ’ un jugem ent faux; c ’ est ainsi que l ’ idée d ’ un cen ­ équation ou ce désaccord. En outre, la vérité et
taure peut fournir l ’ occasion de ce jugem ent : les l ’ erreur peuvent être considérées subjectivement, c ’ est-
centaures existent; ensuite, d ’ une façon présupposée, à-dire en raison de la ferm eté plus ou m oins grande
en tant que l ’ idée apparaît com m e le fruit d ’ un juge ­ de l ’ assentim ent vrai ou erroné de l ’ intelligence.
m ent faux qui a été porté antérieurem ent, et qu ’ elle ' Ces rem arques prélim inaires étant faites, nous
peut égalem ent devenir la cause m atérielle d ’ un juge ­ disons que la vérité n ’ adm et pas de degrés dans son
m ent erroné subséquent. — Ce que nous avons dit de objet form el, parce que l ’ équation qui la constitue
l ’ idée, peut égalem ent se dire de la sensation : une sen ­ est indivisible, m ais elle adm et des degrés dans son
sation, en effet, ne saurait être erronée par elle-m êm e; objet m atériel, parce que, dans l ’ acte de sa percep ­
elle est nécessairem ent ce qu ’ elle doit être, étant tion, l ’ intelligence peut se m ettre en équation et en
donnés l ’ action de l ’ objet extérieur et l ’ état de nos accord avec plus ou m oins de notes de son objet, selon
organes; l ’ erreur ne peut donc résider que dans l ’ inter ­ le degré m êm e de sa com préhension; enfin la vérité,
prétation de la sensation,.ce qui, en définitive, est un subjectivem ent prise, adm et, elle aussi, des degrés
jugem ent. En outre, la sensation peut être dite erronée selon le m ode divers dont elle existe dans les différents
d ’ une m anière accidentelle, per accidens, en tant qu ’ elle actes de l ’ esprit qui sont la sim ple appréhension ou
peut servir d ’ occasion à un jugem ent faux : telle est, l ’ idée, le jugem ent et le raisonnem ent,car, tandis que
par exem ple, la vue d ’ un bâton droit qui, im m ergé la vérité logique n ’ existe qu ’ im parfaitem ent dans
partiellem ent dans l ’ eau, donne l ’ illusion d ’ être l ’ idée, elle existe d ’ une m anière parfaite dans le juge ­
brisé; encore que cette sensation soit vraie, puisque m ent et le raisonnem ent. Q uant à l ’ erreur, elle a des
l ’ objet auquel elle se trouve rapportée est bien l ’ appa ­ degrés dans son objet m atériel et dans son objet for ­
rence d ’ un bâton brisé, elle peut induire l ’ intelli ­ m el, ainsi que subjectivem ent prise. En effet, tout
gence à juger faussem ent que le bâton est en réalité d ’ abord, l ’ erreur a des degrés dans son étendue, c ’ est-
divisé en deux parties. à-dire qu ’ elle peut affecter plus ou m oins de notes de
A insi donc, le véritable sujet de l ’ erreur est le juge ­ l ’ objet qui est connu ; elle a égalem ent des degrés dans
m ent; et l ’ erreur peut se définir d ’ une m anière plus son intensité, c ’ est-à-dire que. par rapport aux m êm es
précise : « un désaccord positif entre nos jugem ents et idées, elle peut être plus ou m oins grande ou in ­
leur objet ». E n effet, le jugem ent suppose essentielle ­ tense, el le désaccord positif de l ’ esprit peut cons ­
m ent la com paraison d ’ un sujet avec un attribut, tituer un éloignem ent plus ou m oins grand de l ’ équa ­
desquels il affirm e la convenance ou l ’ opposition; or, tion elle-m êm e qui est la vérité : par exem ple,
en établissant cette com paraison, ou, pour m ieux dire de Pierre qu ’ il est un être sans raison, ou bien
dire avec saint Thom as, en « com posant » ou en « divi­ qu ’ il est sim plem ent m alade, etc. Enfin l ’ erreur, sub-
sant » le sujet et l ’ attribut, l ’ esprit peut facilem ent se jectivem ent prise, com porte aussi des degrés selon que
trom per et conclure à une affirm ation erronée. Loc. l ’ assentim ent faux de l ’ intelligence est plus ou m oins
cit., a. 3. A ussi bien » l ’ expérience atteste que nous ferm e, et qu ’ ainsi l ’ erreur est plus ou m oins difficile
nous trom pons de trois m anières sur la réalité ou la à guérir, par exem ple, en raison de la vivacité de
vérité des choses : 1 ° en attribuant à un sujet une l ’ esprit, du caractère, des m otifs ou des circonstances.
note qu ’ il n ’ a pas; ou 2° en niant de lui une note qu ’ il Cf. C astelein, op. cit., p. 241; W illem s, op. cil.,
a; ou enfin 3° en transportant à l ’ ordre réel le sujet p. 119 sq.
lui-m êm e, quand celui-ci n ’ existe que dans l ’ ordre 4° Différentes espèces. — D ans l ’ acte du jugem ent et
idéal. O r, dans ces trois cas, il y a désaccord entre la dans le raisonnem ent, l ’ erreur peut provenir du fond ou
pensée et son objet, et ce désaccord se vérifie dans un de la forme. L ’ erreur vient du fond lui-m êm e, lors ­
jugem ent. D onc l ’ erreur est constituée par un pareil qu ’ on prend pour vraies et pour certaines des pré ­
441 E R R EU R D O C T R IN A L E 442

m isses qui sont erronées ou douteuses; elle vient, d ’ une chose à une autre, à cause d ’ une certaine res ­
au contraire, de la form e, lorsque, d'une m anière sem blance accidentelle, et m algré une différence
consciente ou inconsciente, on tire des prém isses une essentielle.
conclusion qui n ’ en devrait pas découler logiquem ent. Les sophism es de déduction sont, pour ne citer que
D ans le prem ier cas, le nom propre du faux raisonne ­ les principaux, le sophisme de conversion, le sophisme
m ent est celui d’argument erroné. D ans le second cas, d'opposition, la pétition de principe, l'ignorance de la
le faux raisonnem ent est un paralogisme, ou encore question, et le sophisme de l’accident. Le sophisme de
un sophisme. Le paralogism e, à le prendre rigoureu ­ conversion le plus fréquent consiste à convertir sim ­
sem ent, est un faux raisonnem ent dont nous som m es plem ent une proposition universelle affirm ative : par
nous-m êm es les dupes et avec lequel nous restons dans exem ple, tous les hom m es sont m ortels, donc tous
la bonne foi, tandis que le sophism e suppose, dans ceux qui sont m ortels sont des hom m es. Le sophisme
son acception usuelle, la m auvaise foi et l'intention d’opposition le plus fréquent se vérifie lorsqu'on con ­
de trom per. M ais, le plus souvent, on donne indiffé ­ clut de la fausseté d ’ une proposition à la vérité d ’ une
rem m ent les nom s de faux argum ent ou de sophism e- proposition contraire : par exem ple, il est faux que
à tout raisonnem ent qui ne conclut pas logiquem ent à tout hom m e soit m enteur, donc aucun hom m e n'est
une proposition soit certaine, soit probable, et con ­ m enteur. La pétition de principe a lieu quand on pose
nue com m e telle. com m e certain ce qui est précisém ent en question, et
O n rejettera d ’ abord la division des sophism es que ce qu ’ il s ’ agit de dém ontrer : par exem ple, l'aim ant
proposent certains logiciens en sophismes du cœur et attire l ’ acier parce qu ’ il a une vertu attractive. A la
sophismes de l’esprit. C ar « tout sophism e, s ’ il est un pétition de principe se rattache le cercle vicieux qui
raisonnem ent et non une sim ple affirm ation sans consiste à prouver une proposition par une autre,
preuve m êm e apparente, est un sophism e de l ’ esprit, laquelle ne peut elle-m êm e se prouver que par la pre ­
que la cause prem ière en soit d ’ ailleurs dans l ’ esprit m ière. L ’ignorance de la question consiste à prouver
ou dans le cœ ur. » E. B oirac, Cours de philosophie, autre chose que ce qui est en question; autrem ent dit,
Paris, 1907, p. 473. ce sophism e déplace la question en prouvant une pro ­
O r, on peut distinguer les sophism es en deux position autre que celle qu ’ il s ’ agit de dém ontrer. Le
grandes classes, d ’ après l ’ ancienne logique, à savoir : sophisme de l’accident consiste à passer de l ’ accident
les sophism es de diction et les sophism es de pensée, à l ’ absolu ; et par ce sophism e on attribue à une chose,
selon que l ’ erreur du raisonnem ent vient des m ots absolum ent et sans restriction, une qualité qui ne lui
qui l ’ exprim ent, ou des idées et des jugem ents dont est qu ’ accidentelle.
il se com pose. Tels sont les principaux sophism es, dont Stuart
Les principaux sophism es de m ots sont l’équivoque M ill a proposé une classification, en les appelant
et l’amphibologie. L ’ équivoque provient de l ’ am bi­ sophismes d’inférence. Il les distingue d ’ autres sophis ­
guïté des term es, et consiste à prendre le m êm e m ot m es qu ’ il appelle sophismes d’inspection, ou sophism es
dans des sens différents. V oir col. 386. L ’ am phi­ a priori, et auxquels nous donnerons sim plem ent le
bologie résulte de l'am biguïté des constructions gram ­ vieux nom de préjugés. Il faut entendre par là cer ­
m aticales, et introduit une confusion dans la propo ­ taines m axim es courantes généralem ent acceptées
sition elle-m êm e. Parm i les sophism es de diction on com m e des dogm es que l ’ on ne discute plus, dont, par
peut ranger égalem ent le sophism e dit passage du suite, on ne se défie plus, et qui n ’ en sont pourtant pas
sens divisé au sens composé et vice versa, fallacia m oins des assertions erronées, ou, pour le m oins,équi ­
compositionis et divisionis, qui consiste à attribuer voques. » Cf. M ercier, Cours Se philosophie, Louvain,
sim ultaném ent à une chose des propriétés qu ’ elle 1902, 1.1, n. 141. O r, il existe des préjugés dans tous les
ne peut avoir que sim ultaném ent, ou, au contraire, dom aines : les uns sont spéculatifs, les autres pra ­
rapporter à une époque différente des choses qui ne tiques; les uns se rapportent à la vie individuelle,
sont vraies que réunies et considérées ensem ble; le d ’ autres à la fam ille, et d ’ autres à la société; les uns
sophism e de l'étymologie, qui consiste à raisonner des se rencontrent dans les sciences, d ’ autres en philo ­
choses selon l ’ étym ologie des nom s, com m e si ces sophie, et d ’ autres en religion.
nom s étaient nécessairem ent l ’ expression exacte de B acon, Novum organum, 1. I, 38-70, énum ère à sa
la nature des choses; le sophism e de l’abstraction façon les préjugés et les erreurs qui en résultent.
réalisée, qui consiste à prendre pour des être concrets Selon lui, ce sont des « fantôm es », ou des « idoles »,
les qualités et relations des choses; et le sophism e auxquels on sacrifie la vérité, et il les divise en quatre
de distinctions verbales, qui consiste à distinguer des classes : fantôm es de la tribu; fantôm es de la caverne;
choses en réalité identiques, m ais vis-à-vis desquelles fantôm es du forum ; fantôm es du théâtre. Les fantô ­
le langage possède plusieurs term es distincts pour les m es de la tribu com prennent les erreurs qui ont leur
exprim er. source dans la faiblesse de la nature hum aine en géné ­
Les sophism es de pensée peuvent égalem ent être ral. Les fantôm es de la caverne désignent les erreurs
divisés en deux classes : les sopliism es d ’induction qui sont propres à chaque hom m e en particulier, et
et les sophism es de déduction. qui proviennent de son éducation, de ses habitudes et
Les sophism es d ’ induction sont au nom bre de trois, des circonstances. Les fantôm es du forum em brassent
à savoir : 1° le dénombrement imparfait; 2° l’igno­ les erreurs qui naissent des relations des hom m es entre
rance de la cause; 3° la fausse analogie. Le sophisme eux, et particulièrem ent des langues m al établies ou
du dénombrement imparfait, enumeratio imperfecta, m al com prises. Les fantôm es du théâtre s ’ étendent
ou encore, sophism e de « l ’ induction par sim ple énu ­ aux erreurs d ’ école et aux fausses doctrines ensei ­
m ération », a lieu lorsqu ’ on attribue à tous les m em ­ gnées dans les sciences ou la philosophie. C ette divi ­
bres d'un corps les qualités ou les défauts observés sion des préjugés, on le voit, est assez originale, m ais
dans un petit nom bre. Le sophisme de l’ignorance de reste vague et peu précise. Cf. Jaffré, op. cit.. p. 76.
la cause, non causa pro causa, consiste à prendre pour V oici, en som m e, les principaux préjugés qui inté ­
cause ce qui n ’ est pas cause, m ais seulem ent, un anté ­ ressent plus spécialem ent le dom aine de la philoso ­
cédent plus ou m oins constant; il se vérifie donc lors ­ phie : 1° Poser en principe que l ’ ordre logique doit
qu ’ on rattache un fait à un autre fait qui, encore qu'il correspondre à l ’ ordre ontologique, « les idées aux cho ­
l'iit précédé, ne l ’ a cependant pas produit. Post hoc, ses ». C ’ est là un dogm e préconçu dont le panthéism e
ergo propter hoc; ceci est venu après cela, donc cela a fait son point d ’ appui 2° R ejeter com m e faux ce
a produit ceci. La fausse analogie consiste à conclure qui parait inconcevable ou m êm e sim plem ent inima-
443 E R R EU R D O C TR IN A L E 444

ginable. C ’ est en vertu de ce préjugé que l ’ on niait une foule de représentations erronées; c ’ est ce qui
jadis l ’ existence des antipodes. 3° C onfondre ce qui explique l ’ hallucination, ou l ’ im pression de réalité
paraît inexplicable avec ce qui est faux ou absurde. produite par nos rêves, alors que le pouvoir d ’ inhibi­
C ’ est sur une confusion de ce genre que se basent les tion de la raison se trouve paralysé. T elle est la cause
rationalistes pour rejeter les m ystères. 4° R épudier accidentelle, m édiate et occasionnelle, de l ’ erreur. Ce
a priori un ou plusieurs m oyens de connaître, et décla ­ n ’ est d ’ abord pas une cause essentielle, ni nécessi ­
rer alors inconnaissable, d ’ une m anière absolue, ce tante, car, autrem ent, il faudrait reconnaître un
qui échappe au seul m oyen de connaissance que l ’ on désordre essentiel dans la nature hum aine, qui doit,
a arbitrairem ent réservé. C ’ est ainsi que les rationa ­ en effet, subordonner, com m e des instrum ents, les
listes répudient par une fin de non-recevoir arbitraire facultés inférieures aux facultés supérieures, et il
toute révélation surnaturelle, com m e si l'évidence faudrait nier que l ’ intelligence soit, par sa nature et
intrinsèque, que la nature a m ise à la portée de notre par son essence, ordonnée à la vérité, qui est son objet
raison lim itée, était le seul m oyen de connaître la propre. Ensuite, cette cause d'erreur est seulem ent
vérité. 5° D ans la philosophie de la nature se rencon ­ m édiate, car, nous l ’ avons dit, l ’ erreur ne se rencontre
trent égalem ent beaucoup de préjugés très répandus : form ellem ent que dans le jugem ent, et, seul, un acte
par exem ple celui-ci : « la nature procède toujours par du jugem ent peut en être la cause im m édiate. E nfin,
les voies les plus courtes » 6° Enfin dans l ’ ordre poli­ cette cause est sim plem ent une cause occasionnelle,
tique et social existent égalem ent m ille préjugés, entre parce que « si cette tendance à form er, à associer et à
autres ceux qui ont été introduits par le « contrat objectiver nos idées d ’ une m anière parfois irrégulière,
social » de Jean-Jacques R ousseau et par la R évolution était pour le jugem ent une cause effective ou absolu ­
française : par exem ple, les suivants : l ’ hom m e naît m ent déterm inante d ’ erreur, il faudrait adm ettre que
naturellem ent bon; ou encore, l ’ hom m e a droit à une l ’ erreur, autant que la vérité, serait l ’ objet propre de
liberté illim itée, et, par conséquent, l ’ autorité est l ’ intelligence; car l ’ acte propre de l'intelligence dans
l ’ ennem ie de la liberté, etc. Cf. M ercier, op. cit., p. 141.
la poursuite de son objet propre est le jugem ent, et,
5° Causes. — O n peut distinguer deux sortes de dans l'hypothèse faite, ce jugem ent pourrait être abso ­
causes qui peuvent concourir à la genèse de l ’ erreur : lum ent déterm iné à prendre l'erreur pour la vérité. »
l ’ une m édiale et occasionnelle, dans la prem ière phase C astelein, op. cit., p. 233.
de l ’ erreur, c ’ est-à-dire avant le jugem ent, et l ’ autre La cause immédiate et formelle de l'erreur existe
im m édiate et form elle qui se rencontre dans le juge ­ donc dans le jugement, car,seul,le jugem ent lui donne
m ent lui-m êm e. sa form e propre qui est la fausse interprétation d ’ une
Si nous considérons l ’ erreur dans son origine m é ­ idée ou d ’ une sensation et le désaccord positif entre
diate, ou dans sa prem ière phase, avant le jugem ent, la pensée et son objet. Toutefois le jugem ent ne sait
où elle a son siège et sa form e propre, nous ne lui décou ­ rait être déterm iné à l ’ erreur d ’ une m anière nécessaire,
vrons pas une cause essentielle, m ais seulem ent une c ’ est-à-dire par sa nature et par les conditions essen ­
occasion accidentelle. C ’ est une tendance de notre tielles de son acte, car l ’ intelligence étant faite pour le
esprit à former, à associer, ou à objectiver nos idées vrai, son acte norm al et régulier, qui est le jugem ent,
sous des influences troublantes. Il existe, en effet, dans doit la conduire au vrai. L ’ erreur ne peut donc être
l ’ esprit, une tendance, ou une influence désordonnée, qu ’ accidentelle dans l ’ acte du jugem ent. E lle pro ­
qui le prédispose à associer ou à objectiver nos idées vient d ’ un m ode vicieux qui affecte l ’ exercice du juge ­
dans des conditions vicieuses, c ’ est-à-dire dans des m ent et qui n'est pas autre qu ’ une précipitation à
conditions où ces idées ne seront pas form ées, asso ­ interpréter les idées, ou les sensations, sans les avoir
ciées ou objectivées selon la réalité m êm e des choses suffisam m ent contrôlées, dans leur origine et dans
représentées par ces idées. N otre intelligence obéit à leurs divers élém ents. O r, cette précipitation du juge
cette tendance dès que les im ages dont les idées sont m ent dérive d ’ une influence de la volonté. E n effet,
tirées, ou les souvenirs d ’ idées antérieures, atteignent lorsque des idées, ou des sensations, se présentent à
un degré suffisant de vivacité. O r, cette vivacité dans son regard, l 'intelligence est excitée et inclinée à les
les représentations sensibles ou intellectuelles, isolées juger, en vertu de cette loi que toute faculté tend à
ou associées, ne peut pas correspondre à la réalité des entrer en acte quand l ’ objet de son acte est présent.
choses ainsi représentées. C ar l ’ intuition, soit sensible, O r » cette excitation peut être in fluencée par la volonté,
soit intellectuelle, des choses peut se faire sous des et cela de deux façons que bien des philosophes ne
influences troublantes, aussi bien internes qu ’ externes, distinguent pas suffisam m ent. D ’ abord, par le pou ­
en raison du vice accidentel.du m ilieu, ou du m anque voir qu ’ exerce la volonté libre sur notre attention :
d ’ attention de nos facultés qui s ’ appliquent trop elle peut diriger notre attention, l ’ accentuer, la pro ­
incom plètem ent à leur objet, en sorte que la prem ière longer, la détourner sur d ’ autres aspects ou d ’ autres
im pression des choses, ou le travail de l ’ im agination idées, et ainsi elle prédispose notre intelligence à
qui en groupe les im ages, ou le travail de l ’ intelli ­ juger m al des idées im parfaitem ent considérées. Pas ­
gence qui form e et en considère les idées, ne peut cal a très bien m is en relief ce pouvoir direct de la
s ’ accom plir d ’ une façon norm ale. D e là, un trouble liberté sur l ’ attention, et, par là, son pouvoir indirect
qui retarde et entrave le jugem ent; de là, une form a ­ sur nos jugem ents. E nsuite la volonté peut, dans
tion vicieuse de nos idées, prem iers élém ents de nos l ’ ordre des idées qui lui présentent son bien réel ou
jugem ents; de là, enfin, une prem ière cause d ’ erreur. apparent, stim uler plus énergiquem ent l'intelligence
En outre, notre tendance spontanée à associer soit les dans son acte d ’ adhésion et-rendre celui-ci plus intense
im ages, soit les idées, com m e elles se présentent en et plus résolu. » C astelein, op. cit., p. 231. A insi donc
bloc, ou encore à les associer d ’ une m an 1ère qui réponde la cause im m édiate de l ’ erreur est le jugement volon­
à nos passions ou à l ’ influence d ’ idées antérieures, tairement précipité, ou, du m oins, que la volonté a
peut am ener des associations d ’ idées qui ne sont point laissé se précipiter, alors qu ’ elle pouvait, à un certain
conform es aux relations réelles des choses. Enfin, toute m om ent, l ’ em pêcher ou le corriger, par un acte d ’ inhi­
représentation vive, dans l ’ intelligence ou m êm e dans bition, ou d ’ exam en, de la raison réfléchie. Toutes les
l ’ im agination, tend par sa nature à s ’ objectiver; si causes particulières qu ’ on assigne ordinairem ent à
donc une telle tendance n ’ est pas corrigée ou arrêtée l ’ erreur n ’ influent vraim ent que par l'interm édiaire
par une représentation d ’ idée ou d'im age contraire, i de cette cause générale, à savoir, de cette précipitation
ou par un jugem ent de la raison, que l ’ on peut appeler volontaire du jugem ent. T<dle est l’ignorance, qui, sans
< pouvoir ou acte d ’ inhibition », il pourra en résulter être l ’ erreur, est bien le cham p où germ e l'erreur, pré ­
445 E R R EU R D O C T R IN A L E 446

cisém ent parce qu ’ on n ’ en prend pas conscience, m ais en quelques m ots vigoureux les causes de l ’ erreur, et,
qu ’ on veut juger quand m êm e, alors qu'on ne sait pas par là m êm e, en vertu du principe que les contraires
ou qu ’ on ne sait qu ’ im parfaitem ent. Tels sont les sens se guérissent par les contraires, il en suggère les
qui nous transm ettent souvent des im pressions plus rem èdes : « L a cause de m al juger, dit-il, est l ’ incon-
ou m oins altérées par les conditions du m ilieu exté ­ sidération qu ’ on appelle autrem ent la précipitation.
rieur ou par l ’ état de nos organes. Telle est surtout Précipiter son jugem ent, c'est juger avant d ’ avoir
l'imagination, ouvrière infatigable d'erreur qu'on a connu. C ela nous arrive ou par orgueil, ou par im pa ­
appelée la « folle du logis ». Telle est aussi la parole de tience, ou par prévention. »
nos sem blables qui peut nous suggérer et nous incul­ II. A u p o in t d e v u e d e l a f o i . — A ce point de
quer des idées fausses. Telle encore l’habitude qui, en vue, l ’ erreur peut s ’ entendre dans un sens général, de
reproduisant sans cesse les m êm es sensations ou les toute doctrine en désaccord avec les vérités de la foi,
m êm es idées, finit par leur com m uniquer la force de et elle com prend ainsi égalem ent les thèses hérétiques,
s'im poser à 1 ’ esprit, etc. O r, ces diverses causes ne les thèses proches de l ’ hérésie, et m êm e les thèses
deviennent, en definitive, des sources d ’ erreur, qu ’ au- sim plem ent tém éraires, ou bien, dans un sens spécial,
tant que l ’ esprit ne réfléchit pas et que la volonté com m e censure théologique particulière, voir C e n ­
l ’ incline à juger d ’ une façon anorm ale qui ne répond s u r e , et elle désigne l ’ erreur proprem ent dite, ou les
pas à la réalité des choses. thèses erronées, et les thèsps proches de l'erreur.
C ette intervention nécessaire de la volonté dans L ’ hérésiè est une erreur libre et obstinée contre la
la genèse du jugem ent erroné dém ontre assez l ’ in ­ foi, chez celui qui avait déjà reçu le bienfait de la
fluence que peuvent égalem ent exercer nos disposi­ foi. A ussi bien, l ’ hérésie se consom m e d ’ abord dans
tions morales pour nous détourner de la vérité. V oici l ’ intelligence, et elle est, en conséquence, une véri ­
com m ent Stuart M ill, Logique, 1. V , c. i, a. 3, explique table « erreur », m ais sa cause form elle réside dans la
le rôle que jouent parfois les dispositions m orales à volonté, et c ’ est un acte de cette faculté qui constitue
propos de l ’ erreur : « Les sources d ’ erreur m orales sa m alice, en sorte que c ’ est une erreur « libre · , ou
peuvent être rapportées à deux classes principales : m ieux délibérée; enfin « l ’ obstination » dans l ’ erreur
l ’ indifférence pour l ’ acquisition de la vérité et les est un élém ent nécessaire de l ’ hérésie, et c ’ est m êm e
inclinations, dont la plus com m une est celle qui nous ce qui en fait la m alice spécifique. Il faut, en outre,
fait abonder dans le sens de nos désirs, quoique nous pour qu ’ il y ait hérésie proprem ent dite, que l ’ erreur
soyons presque autant portés à accueillir indûm ent soit contraire directem ent et im m édiatem ent à une
une conclusion désagréable, si elle est de nature à vérité révélée, et proposée d ’ une m anière certaine par
m ettre en branle une passion forte. Les personnes l ’ Église, com m e objet de foi. V oir H é r é s i e .
d ’un caractère craintif et tim ide sont les plus disposées « L ’ erreur » strictem ent dite, ou la thèse < erronée >,
à croire les choses les plus propres à les alarm er. est opposée à une vérité qui n ’ est pas form ellem ent
C 'est m êm e une loi psychologique, déduisible des lois révélée, en elle-m êm e, m ais qui est conclue évidem ­
plus générales et de la constitution m orale de l ’ hom m e, m ent d ’ un dogm e par la raison, en sorte qu ’ elle se
qu ’ une forte passion nous rend plus crédules à l'égard trouve contraire au dogm e seulem ent d ’ une façon
de l ’ existence des objets capables de l ’ exciter. M ais m édiate, à savoir, par l ’ interm édiaire d ’ une autre vé ­
les causes m orales des opinions, quoique les plus puis ­ rité légitim em ent déduite d ’ une vérité révélée. Faisons
santes de toutes chez la plupart des hom m es, ne sont d ’ ailleurs observer que celui qui soutient une thèse
que des causes éloignées : elles n ’ agissent pas direc ­ erronée est égalem ent dit « suspect d'hérésie · et est
tem ent, m ais par l ’ interm édiaire des causes intellec ­ présum é lui-m êm e hérétique. Cf. I.chm kuhl, Theologia
tuelles, avec lesquelles elles sont dans ce m êm e rap ­ moralis, Fribourg en B risgau, 1910, t. i, n. 417.
port qu ’ en m édecine les causes prédisposantes avec La proposition est « proche de l ’ hérésie », si le dogm e
les causes excitantes, etc. » lui-m êm e auquel elle est dite contraire n'est pas
6° Remèdes. — U n principe qui découle de tout ce absolum ent hors de doute, parce que la définition de
que nous avons dit, c ’ est que l ’ erreur n ’ est pas une l ’ Église n ’ est pas tout à fait évidente, ou si celte oppo ­
nécessité physique pour notre intelligence et qu ’on sition avec le dogm e n ’ est pas pleinem ent m anifeste,
peut ainsi, à la rigueur, toujours Waiter. C ependant ou encore, si la vérité qu ’ elle com bat est seulem ent
nous ne nions point que l ’ erreur ne soit parfois mora- « proche de la foi ». Bien plus, on n ’ a pas coutum e de
!■ ment nécessaire, c ’ est-à-dire qu ’ elle ne puisse, en cer- censurer une proposition de cette note de « proche
tains cas, être difficilem ent évitée, et cela en raison de de l ’ hérésie », si déjà elle n ’ est pas en m êm e tem ps
i éducation ou du genre de vie qui em pêchent beau ­ et d ’ une m anière certaine « erronée » au sens expliqué
coup d ’ hom m es de réfléchir et de s ’ appliquer les re ­ plus haut.
m èdes qui s ’ im posent. U ne thèse est dite « proche de l ’ erreur », si elle est
Q uels sont ces rem èdes de l ’ erreur? S ’ il s ’ agit des opposée à une vérité qui, avec une grande probabilité,
préjugés, le rem ède sera l'étude sérieuse, car l ’ étude est conclue d ’ une doctrine révélée.
chasse l'ignorance qui est la source de nom breux juge ­ Enfin, la proposition est « tém éraire », si elle est
m ents précipités et préconçus. S ’ il s ’ agit des sophismes contraire à l ’ enseignem ent com m uném ent reçu dans
proprem ent dits, le préservatif sera la connaissance et l ’ Église, sans qu ’ elle s ’ appuie d ’ ailleurs sur des argu ­
l'usage des m éthodes rationnelles de la logique : on m ents sérieux.
s ’habituera à définir et à m ettre les raisonnem ents III. A u p o in t d e v u e d e s c o n t r a t s . — L ’ erreur
en form e, car la définition m et de la clarté dans les peut affecter plus ou m oins le consentem ent dans les
idées, et la m éthode syllogistique produit l ’ ordre dans contrats selon qu ’ elle atteint directem ent la sub­
l ’ esprit. S ’ il s ’ agit enfin des erreurs en général, il stance du contrat lui-m êm e, ou, ce qui revient au
faudra s ’ accoutum er à suspendre son jugem ent, tant m êm e, rejaillit sur la substance du contrat, ou bien,
qu ’ on n ’ aura pas suffisam m ent exam iné et trouvé les porte seulem ent sur des accidents; selon qu ’ elle est
preuves; se tenir en garde contre l ’ influence de l ’ au ­ antécédente, incidente ou concom itante; enfin, scion
torité, de l ’ habitude, de l ’ im agination, des passions, qu ’ elle est sim ple, ou qu ’ elle procède du dol et do la
en un m ot, de toutes les causes déterm inantes de fraude.
1 erreur; enfin, s ’ exercer à ne juger et raisonner que L ’ erreur porte sur la substance du contrat, ou rejail ­
des choses parfaitem ent connues, en réservant tou ­ lit sur la substance du contrat, lorsqu ’ elle vise l ’ objet
jours m e part suffisante à l ’ inconnu. m êm e du contrat ou sa nature; lorsqu ’ elle intéresse
B ossuet, Connaissance de Dieu, c. i, n. 16, résum e l ’ espèci du contrat, par exem ple, donation au lieu de
447 ER R EU R D O C TR IN A LE — ER REU R , EM PÊC H EM EN T DE M A R IA G E 448

vente; enfin, lorsqu ’ elle porte sur une qualité de la la chose elle-m êm e, et ensuite, de façon seulem ent se ­
chose, qui est voulue avant tout, et m êm e plutôt que condaire, la quantité, par exem ple : tel terrain, situé
la chose elle-m êm e, prise dans sa nature. L ’ erreur à tel endroit, et m esurant 1000 m ètres carrés; dans
peut être, en outre, antécédente et donner cause au ce cas, l ’ erreur sur la quantité ne change rien au con ­
contrat; ou bien elle peut n ’ être qu ’ incidente; ou, trat, en sorte que toute la chose est due, m algré que
enfin, si la volonté se com porte indifférem m ent tou ­ la quantité puisse être supérieure à la désignation; ou
chant l ’ objet du contrat, à propos duquel il y a eu bien la chose a été désignée d ’ une m anière taxative,
erreur, celle-ci est dite sim plem ent concom itante. c ’ est-à-dire d ’ abord la quantité, et ensuite la chose
Enfin, l ’ erreur peut se com pliquer, dans son origine, elle-m êm e, par exem ple, 1000 m ètres carrés de ter ­
de dol ou de fraude, de la part d ’ un des contractants; rain; et, dans ce cas, l ’ erreur sur la quantité m odifie
ou bien elle peut exister sans qu ’ il y ait eu aucune l ’ obligation du contrat, en sorte que l ’excédent en
fraude chez l'un ou l ’ autre contractant. plus de la quantité désignée n'est pas dû, à m oins que
O r : 1° toute erreur portant directem ent sur la d ’ après les circonstances il n'en appert autrem ent de
substance, ou rejaillissant sur la substance du contrat, l ’ intention du contractant. Cf. Lehm kuhl, op. cil.,
rend invalide le contrat lui-m êm e; en effet, le consente ­ n. 1263,1279; M arc, Institutiones morales alphonsianæ,
m ent m anque alors directem ent son objet, et fait ainsi R om e, 1904, t. i, n. 1047.
com plètem ent défaut; peu im porte d ’ ailleurs que, si
l ’ erreur avait été connue, le consentem ent aurait eu S. T hom as, Sum. theol., I· , q. x v n ; B ossuet, Traité de
lieu quand m êm e, car, dans les contrats, il faut tou ­ la connaissance de Dieu, c. 1, n. 16; S tu art M ill, Logique,
1. V , c. 1, a. 3; Jaffré, Cours de philosophie, L yon. 1878,
jours considérer ce qui est fait et non ce qui aurait
p. 75 sq.; G inebra, Elementos de ftlosofia, S antiago de C hili.
été fait. 2° L ’ erreur qui ne rejaillit pas sur la sub ­ 1887, p. 57; C astelein, Cours de philosophie, logique,
stance du contrat, m ais donne pourtant cause à B ruxelles. 1901, p. 229, 231, 232, 241; M ercier, Cours de
celui-ci, rend invalides, ou au m oins résiliables au for philosophie, L ouvain, 1902, t. i, n. 141; W illem s, Institu­
de la conscience, les contrats gratuits, m ais non les tiones philosophia·. T rêves, 1906, p. 119 sq., 445 sq. ; B oi-
contrats onéreux, pour lesquels il faut sim plem ent rac. Cours de philosophie, P aris, 1907, p. 473.
se conform er aux dispositions des lois positives. Cf. L essius, De justitia et jure, I. II, c. x v n , n. 29, 33; d ’ A n ­
nibale, Summula theologüe moralis, R om e, 1896, p art. I,
Lessius, De justitia et jure, 1. II, c. xvn, n. 33. La
η. 48 sq.; Ε . B erardi. Praxis confessoriorum, F aenza, t. n ,
raison est que, dans les contrats gratuits, une erreur η. 520; C lém ent M arc, Institutiones morales alphonsianæ,
antécédente peut plus facilem ent affecter la substance R om e, 1904, 1 .i, n. 1046 sq .; L ehm kuhl. Theologia moralis,
du consentem ent, puisque alors l ’ objet lui-m êine est F ribourg-en-B risgau, 1910, 1.1, n. 417,12 61 sq., 1279.
supposé venir de la seule libéralité du contractant. A u E. Va l t o n .
contraire, dans les contrats onéreux, où la part d'obli ­ il. e r r e u r , e mp ê c h e me n t DE ma r ia g e . — I. L ’ em ­
gation est la m êm e de chaque côté, il est juste que, pêchem ent d ’ erreur en général. IL L ’ em pêchem ent
pour l ’ erreur d ’ une partie, l ’ autre partie ne supporte d ’ erreur à propos de la condition servile.
pas le dom m age de la nullité du contrat. Toutefois, I. L ’ e m p ê c h e m e n t d ’ e r r e u h e n g é n é r a l . —
d ’ après Lessius, loc. cit., la partie qui est dans l ’ erreur 1° Notions préliminaires. — L 'erreur, nous l ’ avons
ne serait pas tenue, au for de la conscience, à l'accom ­ dit, col. 435, est une fausse science, falsa rei appre­
plissem ent du contrat si la chose était encore intacte, hensio, et réside dans l'intelligence, com m e dans son
pourvu qu ’ elle com pensât vis-à-vis de l ’ autre partie sujet, qui se form e de la chose une idée, ou m ieux,
conl raclante le dom m age qui pourrait en résulter. un jugem ent inexact, tandis que l ’ ignorance est un
E n outre, si l'erreur qui a donné cause au contrat défaut de science, et ne com porte aucune idée positive
procédait du dol ou de la ’ fraude de la part d ’ un des touchant son objet.
contractants, le contrat lui-m êm e serait résiliable aux O r, outre les divisions de l ’ erreur, que nous avons
dépens du fraudeur. Cf. Lessius, loc. cit., n. 29. signalées à propos des contrats en général, à savoir :
3° L ’ erreur qui ne rejaillit pas sur la substance du l ’ erreur substantielle, qui affecte la substance m êm e
contrat, ni ne donne cause au contrat, ne rend ni du contrat ou l'objet essentiel du consentem ent, et
invalide ni résiliable le contrat lui-m êm e. l ’ erreur accidentelle qui porte seulem ent sur des acci ­
M ais que dire en particulier de l ’ erreur touchant la dents, 1 ’ erreur antécédente ou celle qui donne cause
personne avec laquelle s ’ effectue le contrat, ou bien au contrat, et l ’ erreur sim plem ent incidente, ou conco ­
touchant le m otif du contrat, ou enfin, touchant la m itante, voir col. 146, nous observerons, à propos du
déterm ination de la chose dans le contrat? 1. Si l ’ er ­ contrat de m ariage, trois grandes classes d ’ erreur, à
reur porte sur la personne elle-m êm e avec laquelle savoir : l ’ erreur de fait, qui peut porter sur la personne
s ’ effectue le contrat, elle doit être, en principe, tenue elle-m êm e, ou sur ses qualités; l ’ erreur de droit, qui
pour substantielle dans les contrats gratuits, m ais non peut porter sur l ’ objet form el du m ariage et le droit
dans les contrats onéreux, à m oins que la personne ne m utuel que se donnent les époux touchant les rela ­
constitue la m atière m êm e du contrat, com m e nous tions charnelles, ou bien sur les propriétés essen ­
le verrons bientôt à propos du m ariage. A ’ oir E r r e u r , tielles du contrat m atrim onial, telles que son indis ­
e m p ê c h e m e n t i>E m a r i a g e . 2. Si l'erreur vise le solubilité ou son unité qui com prend égalem ent la
m otif du contrat, ou bien ce m otif se trouve seu ­ fidélité conjugale; et l'erreur, tantôt de droit, tantôt
lem ent im pulsif, et alors l ’ erreur ne fait rien au con ­ de fait, touchant la validité du m ariage lui-m êm e,
trat si ce n ’ est pour le contrat gratuit qu ’ elle peut c ’ est-à-dirc quand l ’ un des contractants juge que son
rendre résiliable; ou bien le m otif est vraim ent déter ­ m ariage est nul à cause d ’ un em pêchem ent qu ’ il
m inant et final, et, dans ce cas, l'erreur rend invalide suppose exister alors qu ’ il n ’ en est rien en réalité.
ou résiliable le contrat, m êm e onéreux, pourvu toute ­ M ais, avant d ’ étudier l ’ em pêchem ent d ’ erreur dans
fois que le m otif en question ait été m anifesté à l ’ autre le m ariage proprem ent dit, nous allons exam iner les
partie contractante. 3. Si l ’ erreur porte sur la déter ­ effets de l ’ erreur dans les fiançailles.
m ination ou la désignation qui a été faite de la chose 2° L'erreur dans les fiançailles. — Si l'erreur porte
dans le contrat, ou bien l ’ erreur concerne la qualité, et sur la personne elle-m êm e, ou sur sa condition ser ­
alors le contrat n ’ est pas invalide, à m oins que l ’ er ­ vile, ou bien sur une qualité de la personne qui aurait
reur ne rejaillisse sur la substance; ou bien l ’ erreur été recherchée par le contractant com m e une con ­
vise la quantité, et, de nouveau, il faut distinguer dition sine qua non, ou enfin sur une qualité qui rejail ­
deux cas : ou la chose a été désignée d ’ une m anière lirait sur la substance du contrat, en sorte que l ’ erreur
purem ent dém onstrative, c ’ est-à-dire, en prem ier lieu, se transform erait en une erreur sur la personne, dans
449 E R R EU R , E M PÊC H E M EN T D E M A R IA G E 450

tous ces divers cas, il faudrait conclure à l ’ invalidité pour que puisse cesser l ’ obligation des fiançailles et
des fiançailles. C ar toutes ces erreurs constituent un il suffit parfois d ’ un soupçon sérieusem ent probable
em pêchem ent dirim ant pour le m ariage lui-m êm e, ou fondé pour obtenir la résiliation du contrat. Cf.
donc, cela vaut à plus forte raison des fiançailles. S. A lphonse deL iguori, Theologia moralis, R atisbonne.
M ais, hors les cas sus-m entionnés, l'erreur touchant 1847, 1. V I, n. 865, 878; D e A ngelis, Prælectiones
la qualité de la personne ne peut avoir pour effet de juris canonici, R om e, 1885, 1. IV, tit. ι, n. 6; G; -
rendre invalides les fiançailles, soit que cette erreur parri, De matrimonio, Paris, 1904, t. i, n. 139 sq.
ait été sim plem ent concom itante, soit qu ’ elle ait 3° L ’erreur au sujet du mariage. — 1. L ’erreur
donné cause au contrat, soit m êm e qu ’ elle ait procédé fait. — L ’ erreur de fait peut exister, dans le m ariage,
du dol et de la m auvaise foi de l ’ un des contractants, avons-nous dit, ou bien touchant la personne, ou
car étant donné m êm e que, si elle avait connu la bien touchant la qualité.
vérité, la partie intéressée n ’ aurait pas consenti au a) L ’ erreur touchant la personne, soit qu ’elle soit
contrat des fiançailles, en fait, pourtant, elle a donné antécédente ou concom itante, invincible ou vincible,
son consentem ent, et, dans les contrats, nous l ’ avons rend le m ariage invalide, pour défaut de consente ­
déjà observé, il ne faut pas considérer ce que le contrac ­ m ent, et elle doit ainsi être tenue pour substantielle.
tant aurait fait, dans telle ou telle hypo thèse, m ais bien E n effet, la substance du m ariage com porte une per ­
ce qu ’ il a fait en réalité. sonne présente et déterm inée. D ’ où il suit que celui
C ependant, faut-il adm ettre, dans l ’ espèce, un cas qui contracte m ariage avec M arthe, croyant que c ’ est
de résiliation pour le contrat des fiançailles? Tous les M arie, n ’ a vraim ent pas l ’ intention de contracter
auteurs reconnaissent que l ’ erreur sur la qualité de avec la prem ière, et ne contracte pas en réalité, encore
la personne, si elle a véritablem ent donné cause au que, s ’ il avait connu la vérité, il n ’ en aurait pas m oins
contrat, encore qu'elle n'invalide point, dès le prin ­ contracté. Cf. S. Thom as, In IV Sent., I. IV, dist.
cipe, les fiançailles, peut être, pour la partie qui en X X X , q. i, a. 2; Sanchez, De matrimonio, N urem ­
est la victim e, une cause légitim e de solliciter la rési ­ berg, 1706, 1. V II, dist. X V III, n. 12; Pirhing, Jus
liation de l ’ engagem ent, une fois que la vérité lui est canonicum, D illingen, 1722, 1. IV, tit. i, n. 160; Sch-
apparue. A u contraire, si ladite erreur a été sim ple ­ m ier, Jurisprudentia canonico-cioilis, Salzbourg, 1716.
m ent concom itante, en sorte que, nonobstant la 1. IV , part. III, c. n, n. 166; Schm alzgrueber, Spon­
vérité connue, la partie intéressée aurait donné quand salia et matrimonium, Ingolstadt, 1726, 1. IV, tit. i,
m êm e son consentem ent, les fiançailles restent ferm es η. 440. N otons, en passant, qu ’ il n ’ en va pas ainsi pour
et ne peuvent être résiliées. O bservons d ’ ailleurs que, les autres sacrem ents, par exem ple, le baptêm e et
m êm e dans le prem ier cas, si la partie contractante la confirm ation, qui ne sont pas invalides à cause
qui a été victim e de l ’ erreur se trouve exonérée de son d ’ une erreur touchant la personne, car ces sacrem er.· s
obligation, elle ne perd pas, pour cela, le droit de m ain ­ opèrent leur effet sur la personne présente, quelle
tenir son consentem ent. M ais toute la difficulté con ­ qu ’ elle soit; et, dans l ’ espèce, ils ne seraient invalides
siste à savoir dans quel cas l ’ erreur sur la qualité de qu ’ autant que l ’ intention du m inistre porterait expres ­
la personne doit être regardée com m e donnant cause sém ent sur telle personne plutôt que telle autre, au
au contrat, et quand est-ce que la partie victim e de quel cas le m inistre pourrait com m ettre une faute
l ’ erreur se trouve ou non dans cette disposition que, grave. Cf. G asparri, op. cit., t. n, n. 890; Lehm kuhl,
m êm e si elle avait connu la vérité, elle aurait donné Theologia moralis, t. n, n. 38.
son consentem ent. O r, nous n ’ avons pas d ’ abord à à) L ’ erreur touchant la qualité de lapersonne,encore
exam iner la question au point de vue du for interne, que cette erreur soit antécédente ou donne cause
où la solution ne peut dépendre que de la conscience; au contrat, bien plus, qu ’ elle provienne du dol ou de
et, pour ce qui est du for externe, la chose doit être la m auvaise foi de la partie contractante, ne rend
laissée à la prudence du juge, auquel il appartient de point, par elle-m êm e et en principe, le m ariage inva ­
peser les diverses circonstances pour voir s ’ il peut, avec lide. Tel est l ’ enseignem ent com m un des canonistes.
une probabilité suffisante, s'en rem ettre à la décla ­ Cf. Sanchez, loc. cil., n. 18; Pirhing, loc. cit., n. 162;
ration de la partie intéressée. A titre d ’ exem ple, on Schm alzgrueber, loc. cit., n. 447 sq.; W iestner, Insti­
peut indiquer, avec la plupart des canonistes, quel ­ tutiones canonicæ, M unich, 1706, 1. IV, tit. i, n. 215;
ques cas où l ’ erreur sur la qualité peut être tenue Pichler, Jus canonicum, V enise, 1758, 1. IV , tit. i,
com m e ayant donné cause au contrat. A insi quand le n. 105. La raison est que l'erreur en question n ’ em ­
fiancé pense que sa future est vierge, alors qu ’ elle a pêche point le volontaire quant à sa substance, m ais
déjà été corrom pue, m êm e par violence, son erreur seulem ent de quelque m anière, à savoir, touchant les
peut être regardée, en principe, com m e ayant donné accidents de la personne; aussi bien le consentem ent
cause au contrat, et il a le droit d ’ en solliciter la rési ­ substantiel reste-t-il intact, touchant la personne
liation, car on ne doit pas présum er qu ’ il ait voulu se elle-m êm e qui constitue l'objet essentiel du contrat.
fiancer avec une personne déjà possédée par un autre. D ’ ailleurs, si l ’ erreur touchant les qualités de la per ­
O n ne devrait cependant pas en dire autant de la sonne devait violer radicalem ent le consentem ent
fem m e, si son fiancé avait déjà péché avant les fian ­ m atrim onial, il faudrait résilier la plupart des contrats
çailles, et son erreur, si elle existait, devrait être tenue m atrim oniaux, au grand dom m age de l ’ ordre public,
pour sim plem ent concom itante, à m oins que l ’ hom m e car il existe peu de m ariages où ne se glisse quelque
n'ait déjà eu des enfants d ’ une autre fem m e, ou qu ’ il erreur accidentelle de ce genre.
n ’ait entretenu des relations de concubinage avec Toutefois, nous avons dit que l ’ erreur touchant la
elle, ou qu ’ il ne soit vraim ent de m œ urs perdues, qualité de la personne ne rendait point le m ariage
car alors on pourrait présum er qu ’ une fiancée honnête invalide, « par elle-m êm e et en principe · . E n effet, i)
:·. ’aurait point voulu s ’ unir à un tel hom m e. D e m êm e, se rencontre deux cas où cette erreur peut vicier le
si une partie contractante avait pensé se fiancer avec consentem ent m atrim onial, à savoir : a. Si le contrac ­
une personne de convictions religieuses, ou bien elle- tant vient à lier son consentem ent, d'une m anière
m êm e serait établie dans ces convictions, et alors son actuelle ou sünplem ent virtuelle, extérieurem ent
erreur pourrait être considérée com m e ayant donné ou intérieurem ent, à telle ou telle qualité de la per ­
cause au contrat ; ou bien, au contraire, elle serait éga- sonne avec laquelle il contracte, com m e à une con­
lem ent antireligieuse, et, dans ce cas, il faudrait exa ­ dition proprem ent dite et sine qua non, exprim ée par
m iner la question de plus près, etc. C ependant, une les particules · si, pourvu que, à m oins que · . M ais,
certitude absolue de l ’ erreur ne saurait être requise au for externe, il est nécessaire de prouver, avant de

D IC T . D E T H ÉO L . C A T H O L . V . - 45
451 E R R EU R , E M PÊ C H EM E N T D E M A R IA G E 452

prononcer la nullité du m ariage pour cause d ’ erreur, 3. L ’erreur touchant la validité du mariage. — C ette
que la dite qualité a été vraim ent recherchée par le erreur se vérifie lorsque les deux parties contractantes,
contractant com m e une condition sans laquelle il ou l ’ une d ’ elles seulem ent, croient qu ’ il existe quelque
n ’ aurait point donné son consentem ent. Cf. Lehm - em pêchem ent dirim ant, et que le m ariage est inva ­
kuhl, op. cil., n. 961. b. Si l ’ erreur touchant la qualité lide, alors qu ’ en fait, aucun obstacle juridique ne
rejaillit sur la personne elle-m êm e,car alors elle équi ­ s ’ oppose à la validité du contrat. O r, doit-on dire
vaut à une erreur touchant la personne. M ais le point qu ’ une telle erreur exclut le consentem ent m atrim o ­
difficile est de fixer quand est-ce que l ’ erreur sur la nial véritable? C ertains auteurs pensent que dans le
qualité rejaillit sur la personne. E n effet, le droit cano ­ cas où le contractant est de m auvaise foi, le consente ­
nique ne déterm ine aucune qualité qui puisse rejaillir m ent m atrim onial ne peut être réel, encore qu ’ en fait
ainsi sur la personne, si ce n ’ est celle de la condition il n ’ existe aucun em pêchem ent; et ils appliquent ce
servile, dont nous parlerons plus loin. C ’ est pourquoi principe m êm e lorsqu ’ il s ’ agit sim plem ent d ’ un em pê ­
les juristes discutent longuem ent sur ce thèm e. chem ent de droit ecclésiastique. L a raison, d ’ après
Cf. Sanchez, loc. cit., n. 26 sq. ; Pichler, loc. cit., n. 105. eux, est que le volontaire ne peut avoir pour objet une
C ependant on peut dire, avec l ’ opinion la plus com ­ chose im possible; et, dans la pensée des contractants,
m une, que l'erreur touchant la qualité doit être regar ­ le m ariage en question apparaît juridiquem ent im pos ­
dée com m e rejaillissant sur lapersonne si cette qualité sible. Cf. Perrone, De matrimonio chrisliano, R om e,
constituait, dans l ’ esprit du contractant, la déterm i ­ 1858, 1. II, a. 1; G iovine, De dispensationibus matri­
nation ou la désignation individuelle de la personne, monialibus, N aples, 1866, t. n, 327, n. 3; G ury, Theo­
par ailleurs inconnue, par exem ple, si quelqu ’ un vou ­ logia moralis, R om e, 1864, t. π, η. 895. C elte opinion
lait contracter avec la fille aînée qu ’ il ne connaîtrait ne nous paraît pas recevable, car rien n ’ em pêche que
que sous ce qualificatif, et qujon lui présentât la la partie contractante, nonobstant son faux jugem ent
cadette, le m ariage devrait être tenu pour invalide. touchant l ’ existence d ’ un em pêchem ent dirim ant,
Cf. S. Thom as, op. cit., dist. X X X ,q. i,a. 2, ad 3 Ü "; ne donne un véritable consentem ent m atrim onial, et
B angen, De sponsalibus cl matrimonio, M unich, 1860, ne veuille, dans sa pensée, s ’ obliger par rapport au
tit. i, p. 84 sq. ; Santi, Prielecliones juris canonici, droit conjugal, soit qu ’ elle fasse alors abstraction de
R atisbonne, 1898, 1. IV, tit. i, n. 137; Feije, De impe­ la loi de l ’ em pêchem ent, soit que par quelque raison,
dimentis et dispensationibus matrimonialibus, Louvain, absurde sans doute, elle cherche à s ’ en excuser, soit
1893, n. 112; Sebastianelli, De re matrimoniali, R om e, qu ’ elle espère pour l ’ avenir obtenir un arrangem ent de
1897, n. 47; G asparri, loc. cil., n. 896 sq. M ais il faut sa situation, etc. Jÿailleurs, une réponse de la S. C. de
rem arquer que si, dans le cas précité, l ’ intention du la Propagande au vicaire apostolique de C onstanti ­
contractant ne s ’ était pas principalem ent dirigé sur nople, du 1«' octobre 1785, vient confirm er cette inter ­
la personne précisém ent en tant que fille aînée, l ’ erreur prétation : à propos de ceux qui avaient bien la volonté
ne devrait plus être regardée com m e substantielle. de prendre une véritable épouse, m ais qui se trouvaient
A ussi bien convient-il de donner, avec d ’ autres au ­ dans l ’ erreur en pensant qu ’ il ne suffisait pas, pour la
teurs, cette règle com plém entaire : que l ’ erreur tou ­ validité de leur m ariage, de se présenter devant un
chant la qualité de la personne rejaillit sur la personne juge turc, étant toutefois dans la disposition de con ­
elle-m êm e lorsque la qualité en question se trouve tracter un vrai m ariage, au cas où ils auraient appris
recherchée com m e la fin du m ariage, et que le contrat que leur dém arche était efficace, la S. C. répondit que
m atrim onial est l ’ unique m oyen de réaliser cette fin, les m ariages en question devaient être tenus pour
c ’ est-à-dire d ’ obtenir la susdite qualité. Cf. G obât, valides, pourvu qu ’ il n ’ y eût point d ’ autre em pêche ­
Theolog. experiment., t. rx, n. 113, cité par Pichler, loc. m ent canonique; ajoutant que, dans le cas exposé, on
cil.,et Bangen,Zoc. cil.,p. 85; L ehinkuhl, loc. ct'Z.,n.963. ne pouvait douter de l ’ existence du consentem ent
2. L ’erreur de droit. — L ’ erreur de droit, soit qu ’ elle vrai, légitim e, interne et réciproque des contractants.
porte sur l ’ essence et l ’ objet form el du m ariage, soit En outre, le pape B oniface V III reconnaît que les
qu ’ elle vise une propriété essentielle du m ariage, ou m ariages nuis à cause d ’ un em pêchem ent dirim ant
encore son caractère sacram entel, ne doit pas être venant de l ’ inhabilité des personnes, par exem ple, en
tenue pour une erreur substantielle et ne rend pas raison de la consanguinité, de l ’ affinité, de l ’ im puis ­
invalide le contrat m atrim onial, à m oins que celui sance, du vœ u, pourvu que la nullité ne découlât
qui tient cette erreur n ’ ait l ’ intention positive de con ­ point d ’ un défaut de consentem ent, peuvent produire
tracter d ’ après son concept erroné, par exem ple, tou ­ un effet juridique spécial qui est l ’ em pêchem ent d ’ hon ­
chant le divorce, ou, autrem ent dit, ne soum ette son nêteté publique. Sexte, tit. De sponsalibus, c. un.
consentem ent à cette idée fausse com m e à une condi ­ A insi donc B oniface V IH adm et la possibilité du con ­
tion proprem ent dite; en effet, si cette intention con ­ trat et du consentem ent m atrim onial en dépit des
traire et positive n ’ y vient faire obstacle, il sufiit que em pêchem ents en question existant d ’ ailleurs réelle
le contractant ait la volonté générale de contracter un m ent. A plus forte raison doit-on conclure à la possi ­
m ariage véritable, com m e D ieu l ’ a institué, ou m êm e bilité d ’ un véritable consentem ent m atrim onial, si
sim plem ent, un m ariage conform e à celui que les lesdits em pêchem ents ne sont que putatifs, et si le
autres ont coutum e de contracter; et on doit dire que contractant croit faussem ent à leur existence. N otons
cette volonté générale a pour vertu de rem édier à d ’ ailleurs que, d ’ après le style canonique, B oniface
l ’ erreur privée,en question, et de l ’ absorber en quelque V III entend par le term e général de sponsalibus aussi
sorte. E n particulier, pour ce qui regarde 1 ’ erreur à bien le m ariage proprem ent dit, sponsalia de prtesenli,
propos du droit m utuel que doivent se donner les que les fiançailles, sponsalia de futuro. A joutons enfin
époux touchant les relations charnelles, elle ne saurait que notre sentim ent, dans la question présente, se
être présum ée, au for externe, lorsque les époux ont trouve corroboré par la pratique de l ’ Église qui. plus
atteint l ’ âge de la puberté, et la preuve ne pourrait d ’ une fois, dispense de l ’ obligation de renouveler le
être que difficilem ent établie, d ’ autant plus que la consentem ent, et accorde la sanatio in radice en faveur
nature se charge ordinairem ent elle-m êm e d ’ enseigner de ceux m êm e qui ont contracté de m auvaise foi un
ces choses. Cf. B enoît X IV , De synodo diœcesana, m ariage invalide à cause d ’ un em pêchem ent réel
R om e, 1750,1. X III, c. xxn, n. 7; D écrets de la S. C. de droit ecclésiastique, reconnaissant ainsi que le
de la Propagande, en 1852, et du Saint-O ffice, en prem ier consentem ent a été un véritable consentem ent
1868,1892; D e B ecker, De sponsalibus et matrimonio, m atrim onial; donc, a fortiori, s ’ il s ’ agit de quelque
B ruxelles, 1903, p. 57 sq. em pêchem ent qui n ’ existe que dans la pensée erronée
453 E R R E U R . E M P Ê C H EM EN T D E M A R IA G E 454

du contractant. O r, toutes ces raisons trouvent éga ­ m ariage avec l ’ autre partie, qu ’ elle croit être libre,
lem ent leur application à propos des em pêchem ents alors qu ’ en réalité elle est esclave et dans une condi
dirim ants de droit divin, si du m oins ils sont sim ple ­ tion servile. O r, sous le nom de « condition servile »,
m ent putatifs; car, là encore, rien ne s'oppose à ce il faut entendre l ’ esclavage proprem ent dit, où les
que le contractant qui, par erreur, croit à l ’ existence sujets sont réputés de sim ples choses, mancipia, qui
d'un em pêchem ent de ce genre n ’ ém ette un vrai con ­ peuvent être vendues ou louées par leurs m aîtres,
sentem ent m atrim onial. A ussi bien trouvons-nous à form e d ’ esclavage très en vigueur chez les peuples an ­
l'appui de cette doctrine une décision de la S. C. du ciens, par exem ple, chez les R om ains, m ais qui n ’ existe
C oncile, in Singruensi, 9 septem bre 1752, qui, au sujet plus guère aujourd ’ hui, à l'exception de certains
d'un individu ayant contracté m ariage, en pensant pays infidèles. A ussi bien ne pourrait-on appliquer ce
que sa prem ière épouse vivait encore, alors qu'en qualificatif aux sim ples serviteurs dom estiques,
réalité elle était déjà m orte, répondit que le m ariage famuli domestici, ni à ceux qui sont attachés à la
en question était valide. D oit-on aller plus loin et glèbe, servi glebie addicti, tels qu ’ on les rencontrait,
adm ettre la possibilité d ’ un consentem ent m atrim o ­ il y a quelques années, dans l ’ em pire russe,et qu ’ on les
nial véritable, quoique juridiquem ent inefficace, m êm e retrouve, aujourd ’ hui encore, groupés autour de cer ­
lorsque l ’ em pêchem ent de droit divin existe en réa ­ taines · haciendas » m exicaines, ni m êm e aux m al­
lité? La question est très discutée, tout en restant heureux, servi pœnæ, qui sont condam nés à la prison
d'ailleurs purem ent théorique, car, en pratique, les perpétuelle ou aux travaux forcés. En effet, le droit
m ariages contractés dans ces conditions ne peuvent ne s ’ est occupé que des « esclaves » de la prem ière caté ­
bénéficier de la dispense in radice, ainsi que l ’ a for ­ gorie à propos du m ariage.
m ellem ent décrété le Saint-O ffice le 2 m ars 1904. O r, 2° Histoire. — D ans le droit hébraïque, la condition
en dépit de cette décision, et pour les raisons données servile ne constituait pas un em pêchem ent de m ariage,
plus haut, dont la portée est générale (voir spéciale ­ et les esclaves hébreux pouvaient licitem ent et vali-
m ent la décrétale citée de B oniface V III), certains dem ent contracter soit entre eux, soit m êm e avec des
canonistes font rem arquer que, m êm e dans le cas en hébreux qui étaient libres. B ien plus, si le m aître don ­
question, rien ne s ’ oppose à ce que le contractant ne nait sa fille en m ariage à l ’ esclave, ou bien s ’ il perm et­
donne un consentem ent m atrim onial proprem ent dit, tait à son esclave de contracter avec une personne
physiquem ent, ou m ieux, psychologiquem ent parlant, libre, il le délivrait lui-m êm e par le fait m êm e. D ans
quoique ce consentem ent ne puisse constituer un le droit romain d’avanl Justinien, on ne reconnaissait
m ariage véritable, tom bant lui-m êm e sur une m atière aucun m ariage légitim e d ’ esclaves, ni m êm e le concu­
inapte, au point de vue juridique. Pour ce qui con ­ binatus; seul était adm ise l ’ union dite contubernium,
cerne l ’ objection tirée du décret du Saint-O ffice, G as- qui restait d ’ airleurs tout entière soum ise à la volonté
parri, loc. cit., n. 907, observe que ce décret n ’ est pas du m aître. En outre, les unions des ingenui de quelque
absolum ent pérem ptoire, et qu ’ il est perm is de dire condition avec les esclaves étaient proscrites par
que si la S. C. n ’ adm et pas, dans l ’ espèce, la possibilité des lois sévères. D ans le droit des Germains, l ’ esclave
de revalider le m ariage sans le renouvellem ent du ne jouissait pas de la personnalité juridique, il était
consentem ent, par exem ple, lorsqu ’ il s ’ agit d ’ un m êm e réputé une sim ple chose, mancipium, en sorte
m ariage invalide dès le principe à cause d ’ un em pê ­ qu ’ aucun m ariage légitim e ne pouvait avoir lieu entre
chem ent de lien qui a fini ensuite par disparaître, un esclave et une personne libre. Toutefois les lois des
c ’ est précisém ent à cause de la controverse des doc ­ G erm ains adm ettaient une certaine union naturelle
teurs touchant la possibilité du consentem ent m atri ­ des esclaves entre eux, lilem, aldionem. L ’ancien droit
m onial dans le cas d ’ un em pêchem ent de droit divin; ecclésiastique travailla peu à peu à extirper la plaie
qu ’ en outre, m êm e si le Saint-O ffice avait voulu sociale de l ’ esclavage, et à rétablir les principes fon ­
fonder son décret sur la raison tirée de l ’ im possibilité dam entaux du droit naturel. D éjà, en effet, au ni·
d'un consentem ent m atrim onial véritable, dans siècle, le pape saint C alixte déclara form ellem ent la
l'hypothèse, il faudrait en conclure que, sans doute, le validité et la licéité du m ariage des m atrones avec les
decret lui-m êm e serait obligatoire, m ais non l ’ argu ­ esclaves, nonobstant les dispositions du droit im pé ­
m ent qui aurait pu m otiver la décision des cardinaux, rial. C ependant, jusqu ’ au vin 0 siècle, l ’ Église, par
surtout si cet argum ent n ’ a pas été exprim é ou n ’ a prudence, réclam a le consentem ent du m aître pour
pas été le seul invoqué. que le m ariage des esclaves fût valide. E nfin, au xn·
L ’ em pêchem ent d ’ erreur, qui rend invalide le siècle, le pape A drien IV décréta que les esclaves pou ­
m ariage, découle du droit naturel, com m e il appert vaient licitem ent et validem ent contracter m ariage,
clairem ent, car si le consentem ent véritable et déli ­ m êm e à l ’ insu et contre le gré de leurs m aîtres, tout
béré est requis par droit naturel com m e l ’ élém ent en n ’ étant point pour cela ém ancipés de la servitude :
constitutif du contrat m atrim onial, il s'ensuit que Inter servos non debent matrimonia mullatenus pro­
l'erreur qui s ’ oppose à son ém ission, est elle-m êm e hiberi. Etsi dominis contradicentibus et invitis con­
contraire au droit naturel. tracta fuerint nulla ratione propter hoc sunt ecclesiastico
Dans le droit civil français, l'erreur touchant la per ­ judicio dissolvenda. Debita tamen consueta officia
sonne physique ou civile constitue un em pêchem ent servilia non ex hoc minus sunt propriis dominis exhi­
dirim ant et rend le m ariage nul, d ’ une nullité rela ­ benda, 1. IV, tit. De conjugio servorum, c. i. D e là,
tive, c'est-à-dire qui s ’ appuie sur le bien privé, en une seule exception fut retenue des dispositions du
sorte qu ’ elle puisse être invoquée seulem ent par cer ­ droit civil à propos du m ariage des esclaves, à savoir :
taines personnes et être com pensée avec le tem ps. le cas d ’ erreur chez la partie libre touchant la condi ­
• Lorsqu ’ il y a eu erreur dans la personne, le m ariage tion servile de 1 ’ autre partie contractante : non nega­
ne peut être attaqué que par celui des deux époux tur ingenuam posse nubere servo, sed dicitur quod st
qui a été induit en erreur. » Code civil, a. 180. Cf. nescitur esse servilis conditionis, libere potest dimitti,
B audry-Lacantinerie, Précis de droit civil, Paris, 1899, cum servitus ejus fuerit deprehensa. D écret de G ratien,
t. i, n. 592 sq. caus. X X IX , q. n. Cf. G iraldi, Expositio juris pon­
II. L ’ e m p ê c h e m e n t d ’ e r r e u r t o u c h a n t l a c o n - tificii, R om e, 1830, part. I, sect. 700.
niTioN s e r v il e . — 1° Définition. — L ’ erreur au sujet 3° L ’empêchement matrimonial. — L ’ erreur touchant
de la condition servile se rapporte à l'erreur touchant la condition servile constitue un em pêchem ent m atri ­
la qualité de la personne, voir plus haut, et consiste m onial dirim ant, ainsi qu ’ il ressort du c.n. Proposuit,
en ce que l ’ une des parties, libre d ’ ailleurs, contracte du tit. ix, De conjugio servorum, 1. IV des D écré-
455 E R R EU R , E M PÊ C H EM E N T D E M A R IA G E — E S C H A T O L O G IE 456

teles : Mandamus, quatenus, si constiterit, quod idem L ehm kuhl, Theologia moralis, F ribourg-en-B risgau, 1910,
vir praefatam mulierem, postquam eam audivit esse (,π ,η .9 6 1 sq.
Ju stin ien , Digest., V , iv, 1 ; Institut., I, n i, 2 ; C ode civil,
ancillam, carnaliter cognovit, ipsum monitione prie-
a. 180; B audry-L acantinerie, Précis de droit civil, P aris,
missa compellatis, ut eam sicut uxorem maritali 1899, t. I, n. 592 sq.; F reisen, Geschichte des canonischen
affectu pertractet. Si vero aliter fuerit, et sententiam Eherechts, P aderborn, 1893, p. 276 sq. ; B ouly de L csdain,
divortii proferri contingat, mulieri pecuniam, quam D es nullités de mariage en droit romain et en droit français,
præfato viro pro dole concessit, restitui faciatis. O r, pour P aris, 1890, p. 106.
que se vérifie l ’ em pêchem ent de condition servile, il E. V A LT O N .
faut : 1. qu'il s ’ agisse d ’ un cas d ’ esclavage proprem ent E S C H A TO L O G IE . Ce nom , form é des deux m ots
dit, chez l ’ un des contractants, au sens précis du m ot grecs, τα έσχατα, les dernières choses, et λογο;, science,
que nous avons défini plus haut; 2. que l ’ autre partie discours, est souvent em ployé de nos jours dans
soit au contraire vraim ent libre, car, si les deux con ­ toutes les langues pour désigner l ’ ensem ble des idées
tractants partageaient la m êm e condition servile, le que les différents peuples ont eues sur les choses
m ariage serait certainem ent valide; 3. que la partie finales. A insi, on parle couram m ent de l ’ eschatologie
libre, au m om ent du contrat, ignore réellem ent la des Égyptiens, des B abyloniens, des Perses, des
condition servile de son conjoint, et ém ette ainsi son G recs, des R om ains, etc., et on entend par là leurs
consentem ent sous l ’ influence de cette erreur. idées sur l ’ im m ortalité de l ’ âine, la vie dans l ’ au-
D e là il appert clairem ent que l ’ em pêchem ent d ’ er ­ delà de ce m onde, la récom pense des bons et la puni ­
reur touchant la condition servile est de droit ecclé­ tion des m échants.
siastique, en sorte qu ’ il ne peut exister que vis-à-vis Ce m êm e term e est em ployé aussi, depuis quelques
de personnes baptisées. A ussi bien ne pourrait-on années, surtout en A llem agne et en A ngleterre, pour
conclure que le susdit em pêchem ent découle du droit désigner la partie de la théologie systém atique, qui
naturel, car la condition servile est une qualité pure ­ considère les fins dernières. Il sert de titre à des
m ent accidentelle qui ne saurait exclure absolum ent traités, qui sont les équivalents du traité De novis­
les élém ents essentiels du contrat m atrim onial. En simis, des quatre principales fins dernières : la m ort,
outre, l ’ Église a attaché un em pêchem ent dirim ant le jugem ent, le ciel et l ’ enfer. A insi entendu, ce nom
à cette qualité, c ’ est sans doute pour de graves m otifs, peut s ’ expliquer non seulem ent par la nature des
à savoir, afin que la partie libre ne contracte point, choses qu ’ il désigne et que signifie son étym ologie
sous l ’ influence de l ’ ignoranceet del ’ erreur, un m ariage grecque, περί τών εσχάτων λόγος , traité des choses
dans lequel il y aurait une telle inégalité de conditions, finales, m ais encore par l ’ enseignem ent de l ’ Ecclé-
et duquel pourraient surgir tant de difficultés, spé ­ siastique, qui parle plusieurs fois, dans la version
cialem ent pour l ’ accom plissem ent des fins m atrim o ­ grecque, des έσχατα, c ’ est-à-dire de la m ort et du
niales; m ais elle a voulu en rem ettre le sort définitif au jugem ent de D ieu après cette vie, vu, 36 (V ulg., 40);
libre consentem ent de la partie libre : et c ’ est pour xxvin, 6; xxxviii, 20 (V ulg., 21). D ans le prem ier
cette raison que l'em pêchem ent en question peut être et le troisièm e de ces passages, le m ot έσχατα est la
levé, sans dispense particulière, sim plem ent en vertu traduction d ’ nnrm usité dans le texte hébreu récem ­
de la ratification du consentem ent de la part du con ­ m ent retrouvé.
tractant qui a été victim e de l ’ erreur. Cf. Feije, op. Toutefois, les traités théologiques d ’ eschatologie
cit., n. 122 sq. em brassent une m atière un peu plus vaste que les
Corpus juris canonici, éd it. R ich ter, L eipzig, 1839; traités anciens De novissimis, et ils com prennent les
D écret de G ratien, caus. X X IX , q. ir; D écrétales de G ré ­ choses finales qui concernent l ’ individu ou l ’ univers
goire IX , 1. IV , tit. i, D e sponsalibus et matrimonio ; tit. ιχ, créé, sous les deux divisions d ’ eschatologie indivi ­
D e conjugio servorum; S exte, fit. D e sponsalibus, c. un.; duelle ou d ’ eschatologie générale, universelle ou
Acta Sanctæ Sedis, passim . cosm ique. L ’ eschatologie individuelle, qui regarde le
B enoit X IV , De synodo diœcesana, 1. X III, c. x x n , n. 7 ; sort final de chaque individu, traite : 1° de la m ort;
S. T hom as, In IV Sent., 1. IV , d ist. X X X , q. i; S anchez, 2° du jugem ent particulier; 3° du purgatoire; 4° du
D e matrimonio, N urem berg, 1706, 1. V II, disp. X V III,
n. 12, 18, 26: S chm alzgrueber, In Decretales Gregarii IX,
ciel; 5° de l'enfer. L ’ eschatologie générale, qui com ­
Ingolstadt, 1726, 1. IV , tit. i, ix ; P irh in g , Jus canonicum, prend tous les évènem ents futurs de la fin des tem ps,
D illingen, 1722, 1. IV , tit. I, ix ; W iestner, Institutiones traite : 1° de la fin du m onde et du second avènem ent
canonicæ, M unich, 1706,1. IV , tit. I, ix ; P ichler, Jus cano­ du Sauveur; 2° de la résurrection des m orts; 3° du
nicum, V enise, 1758, 1. IV , tit. I, ix ; S chm icr, Jurispru­ jugem ent universel. Tous ces sujets ont eu déjà ou
dentia canonico-civilis, S alzbourg, 1716, 1. IV , p art. III, auront, dans ce dictionnaire, des articles spéciaux.
c. n , n. 166 sq. ; Z ecli, D e jure rerum ecclesiasticarum,
C ’ est pourquoi nous n ’ en parlerons pas ici et nous nous
Ingolstadt, 1758 ,1. IV , § 311 ; G iraldi, Expositio juris pon­
tificii, R om e, 1830, p art. I, sect. 700; G iovine, De dispen­ bornons pour le m om ent à définir le nom Eschato­
sationibus matrimonialibus, N aples, 1866, t. i, p. n , logie, qui n ’ a pas encore généralem ent reçu droit de
in ; t. π , § 1327; D e A ngelis, Praelectiones juris canonist?" cité dans la théologie française. 11 a cependant déjà
R om e, 1885,1. IV , tit. i, ix ; S an ti, Praelectiones juris cano­ été em ployé par M . J. Turm el, Histoire de la théologie
nici, R atisbonne, 1898 (édit. L eitner), 1. IV , tit. I, ix ; positive depuis l’origine jusqu'au concile de Trente,
F eije, D e impedimentis et dispensationibus matrimonia­ Paris, 1904, p. 179, 250, 356, 485; par M . Labauche,
libus, L ouvain, 1893, η. 105 sq.; B angen, De sponsalibus Leçons de théologie dogmatique, Dogmatique spéciale.
et matrimonio, M unich, 1860 , tit. π , p. 84 sq. : M ansella,
D e impedimentis matrimonium dirimentibus ac de processu
L ’homme, Paris, 1908, p. 336-410. O n com m ence à
judiciali, R om e, 1881, p. 3 sq. ; G asparri, Tractatus cano­ parler couram m ent de l ’ eschatologie de l ’ A ncien et
nicus de matrimonio, P aris, 1904, t. i, n. 67, 139; t. n , du N ouveau T estam ent, de Jésus et des apôtres, de
n. 888 sq .; S ebastianelli, Praelectiones juris canonici. De tel ou tel Père ou théologien. V oir, par exem ple,
re matrimoniali, R om e, 1897, n. 47 sq.; W ernz, Jus Decre­ J. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1905, t. i,
talium, R om e, 1900, 1. IV , n. 242 sq. ; D e B ecker, D e spon­ p. 43, 51, 73, 93, etc.; 1909, t. n, p. 195, 333, 429;
salibus et matrimonio, B ruxelles, 1903, p. 57 sq.; Ju sto A . d ’ A lès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906,
D onoso, Instituciones de derecho canonico, F ribourg-en-
B risgau, 1909, n. 242; P errone, D e matrimonio Christiano,
p. 175-206.
R om e, 1858, passim ; G ury, Theologia moralis, R om e, 1864 , H . O sw ald, Eschatologie, 5 ' édit., P aderborn, 1893;
t. it, η. 895 sq.; d'A nnibale, Summula theologiae moralis, L . A tzberger, Die christliche Eschatologie in den Stadien
R om e, 1896, p art. Ill, § 444; C l. M arc, Institutiones mo­ Hirer Ojfenbarung imAlten und Neuen Testamentc, F ribourg-
rales alphonsianee, R om e, 1904, t. n , n. 1999 sq.; E . B e ­ en-B risgau, 1890. Introduction, p. 1-13; Id., Geschichte
rardi, Praxis confessariorum, F aenza, 1899, t. rv, n. 774; der chrtstltchen Eschatologie inncrhalb der vornicànischen
457 E S C H A T O LO G IE — E SC L A V A G E 458

/<■<(,.F ribourg-en-B risgau, 1896, p. 1-39; Encyclopédie des V erberat, atque habiter faciem lin it, au d it am icas.
sciences religieuses de L ichtenberger, P aris, 1878, t. rv, A ut latum pictæ vestis considerat aurum
p. 486-500; Realencyclopiidie fur protestanlische Théologie E t cœ d it; longi relegit transversa diurni,
und Kirche de H auck, L eipzig, 1898, t. v, p. 490-495 ; B t cœ dit... Juvénal, v l 480.
The catholic encyclopedia, N ew -Y ork, 1909, t. v, p . 528- P one crucem servo. — M eruit quo crim ine servus
534. V oir plus h au t, col. 119. S upplicium ? quis testis ad est? quis d etulit? A udi;
E. M a n g e n o t . N ulla unquam de m orte hom inis cu n ctatio longa est.
E S C L A V A G E . — I. Esclavage dans l ’ antiquité O dem ens ! ita servus hom o est? nil fecerit, esto :
gréco-rom aine. II. Esclavage aux prem iers siècles de H oc volo, sic jubeo, sit pro ratio n e voluntas !
l ’ Église III. Le servage. IV . L ’ esclavage sous les Ju v én al, v i, 205.
m usulm ans. V . L ’ esclavage en A m érique. V I. L ’ es ­ N oli m initari : scio crucem futuram m ihi sepulcrum :
clavage selon les théologiens. V II. C onclusions. Ibi m ei su n t m ajores siti : p ater, avos, proavos, abavos.
P laute, Miles gloriosus, n , 4, 372 :
I. E s c l a v a g e d a n s l ’ a n t iq u i t é g r é c o - r o m a in e .
— Il n'y a lieu de considérer ici que l ’ esclavage du S énèque d it aussi : Virga murmur omne compescitur;
m onde gréco-rom ain que le christianism e a trouvé
et ne fortuita quidem verberibus excepta sunt ; tussis, sternu­
tamentum, singultus; magno malo ulla voce interpellatum
devant lui. Tous les textes ont été diligem m ent silentium luitur. Epist., x l v h . C ode ju stin ien, V II, vi, 3 :
recueillis dans l ’ ouvrage m agistral de H . W allon, His­ S i quis servum suum ægritudine periclitantem a sua domo
toire de l’esclavage dans l’antiquité, 2° édit., 3 in-8°, publice egerit, neque ipse eum procurans, neque alii eum
1879 (refonte dernière d'un m ém oire couronné en commendans, cum erat ei libera facultas...
1839 par l ’ A cadém ie des sciences m orales et poli ­ D ans une notable partie de l ’ Italie, les esclaves tra ­
tiques). Le livre de M . Paul A llard, Les esclaves chré­ vaillent enchaînés : vincti, compediti, alligati, ferratile
tiens, reprend cette m êm e question, au point de vue genus. A partir de la conquête de l ’ Italie, pour la cul­
spécial de la transform ation opérée par le christia ­ ture des terres, puis pour les industries, on enferm e
nism e. V oir du m êm e auteur l ’ art. Esclavage, dans le la nuit, parfois nuit et jour,lesesclaves dans les ergas-
Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 4° édit., tules, prisons souvent souterraines. Dictionnaire des
Paris, 1910, t. i, col. 1457-1522. Q uiconque a tant antiquités grecques et romaines, art. Ergastule. Ces er-
soit peu approché ces questions est forcém ent tribu ­ gastules étaient parfois rem plis de voyageurs arrêtés
taire de pareils ouvrages. et détournés : Rapti per agros viatores sine discri­
1° Faits. — Le nom bre des esclaves assurém ent était mine, liberi servique ergastulis possessorum suppri­
très considérable. A thènes com ptait 20000 citoyens, mebantur, Suétone, D. Octavius Augustus, 32, ou bien
10000 m étèques et 400000 esclaves, C orinthe en on recrutait leur population par de véritables guet-
com ptait 460 000, et Égine 470 000. V oir W allon, 1.1, apens. Socrate, H. E., 1. V , c. xvin, P. G., L txvn,
p. 220-286. A D clos, d ’ ailleurs grand m arché d ’ escla ­ col. 611. Les esclaves que l ’ on vendait étaient exposés
ves, il s ’ en vendit jusqu ’ à 10 000 en un jour. M om m sen, sur la catasta. O utre les divers supplices que les
Romische Geschichte, t. n, p. 75. Les évaluations don ­ esclaves pouvaient encourir, on m arquait au fer chaud
nées pour R om e sont fort variables, et oscillent entre les fugitifs. O n a trouvé, à B rindisi, au cou d'un sque ­
un m illion et 200000. Friedlander, t. i, p. 53-60; lette un collier de chien avec l ’ inscription : Fugi.tene
D obschütz, Urchristliche Gemeinden, p. 267. A thé ­ me. A C hieti, on a recueilli des compedes aux chevilles
née, vi, 104, observe qu ’ un seul R om ain peut avoir à d ’ un squelette.
son service 10000 ou 20000 esclaves. Pline, H. N., Les dangers m oraux de l ’ esclavage n ’ étaient pas
xxxm , 135, cite un affranchi (m ort en 8 avant Jésus- m oins grands. C odethéodosien, X V , vin, 2 : Lenones
C hrist) qui laissa 4116 esclaves. Les victoires des R o ­ patres et dominos qui suis filiis vel ancillis peccandi
m ains avaient am ené à R om e des foules d ’ esclaves : necessitatem imponunt. Ibid., ix, 24 : Parentum seepe
Paul-É m ileavait vendu 150 000 Épirotes, M arius après custodiæ nutricum fabulis et pravis suasionibus delu­
A ix 80000 T eutons, après V erceil 20 000 C im bres, duntur. Plaute, Pseudolus, i, v. 30 :
C ésar, après la conquête des G aules, plus d ’ un m il­
lion. V oir dans M arquardt, La vie privée des Romains, ...M eus hic est quidem servos P seudolus;
trad. V . H enry, 1892, t. i, p. 160 sq., les m ultiples H ic m ihi conrum pit filium , scelerum caput.
em plois de la familia rustica et de la familia urbana. T ertullien rapporte une histoire terrible arrivée
La dure condition de l'esclave est affirm ée par Fusciano praefecto urbis : Cum infantes vestros alienee
nom bre de textes devenus classiques. T acite, Ann., misericordiae exponitis, aut in adoptionem melioribus
xiv, 44 : Poslquam vero nationes in familiis habemus. parentibus, obliviscimini, quanta materia incesti
U n des 400 esclaves de Pedanius Secundus ayant tué subministratur, quanta occasio casibus aperitur, etc.
son m aître, m algré l ’ opposition du peuple, le sénat Adv. nationes, 1. I, c. xvi, P. L-, t. i, coi. 581-582.
décide : vetere ex more, familiam omnem, quæ sub eodem 2° Les idées. — Le m épris de l ’ antiquité pour l ’ es ­
tecto mansitaverat, ad supplicium agi oporteret. Le dis ­ clave est exprim é par le nom m êm e qu ’ elle lui donne :
cours de C assius à ce sujet est fort instructif. L ’ in­ < Il n ’ est pas douteux que le grec άνδράποδον (esclave)
scription d ’ A ncyre en G alatie (relative à la guerre de n ’ ait été form é par opposition à τετράποδον, · dit le
Sextus Pom pée. 38-36 avant Jésus-C hrist) portait : traducteur de M arquardt, La vie privée, t. i, p. 195,
Marc pacavi a prædonibus. Eo bello servorum, qui note. H om ère avait form ulé catégoriquem ent la rai­
fugerant a dominis suis et arma contra rem publicam son de ce m épris, Odys., xvn, 322-323 :
ceperant, triginta fere millia capta dominis ad supplicium ήμισυ γάρ τ ’αρετής άποαίνυται εύρύοπα Ζευς
sumendum tradidi, M om m sen, Res gestx divi Augus'i, άνέρος , εύτ ’ αν μιν κατά δούλίον ήμαρ έλησιν.
B erlin, 1883, p.. l x x x x , et A ppien ajoute, De bello
civili, v. 131, que six m ille esclaves, dont on a ’ avait D ans le De legibus de Platon, A thénée, après avoir
point trouvé les m aîtres, furent crucifiés, chacug dans rappelé plusieurs défections en m asse d ’ esclaves, con ­
la ville d ’ où ils avaient fui. Q uelques vers des poètes clut qu ’ il faut éviter de réunir trop d ’ esclaves d ’ une
exprim ent la dure situation des esclaves : m êm e nation ; et aussi qu'il les faut bien form er. Par
égard pour eux? Pas uniquem ent, et beaucoup plus
Jan ito r, indignum ! d u ra religate catena. O vide, A m .,I,
dans son propre intérêt : τρέφειν δ ’ αύτοϋς op· .:· .;. .-
T u ta sit ornatrix : odi, quæ sauciat ora [vi, 1. μόνον εκείνων ενεκα, πλέον δε αυτών προτιμώντας . De le­
U nguibus, et rap ta bracchia figitacu. O vide, Am.,in , 239. gibus, νι, édit. D idot, p. 368.
...H ic frangit ferulas, rubet ille flagello, L a pensée d ’ A ristote, m algré ses hésitations, est
H ic scutica. S unt quæ to rto rib us annu a præ stent; nettem ent esclavagiste : · Celui qui, nar une loi de
459 E SC LA V A G E 460

nature, ne s ’ appartient pas à lui-m êm e, m ais qui, tout m ais Sparlien nous a dit les antécédents d ’ H adrien :
en étant hom m e, appartient à un autre, celui-là est Corrupisse eum Trajani libertos, curasse delicatos,
naturellem ent esclave... Q uand on est inférieur à eosdemque sepelisse per ea tempora, quibus in aula
ses sem blables autant que le corps l'est à l ’ âm e, la familiarior fuit, opinio mulla firmavit. E t à propos de
brute à l ’ hom m e; et c ’ est la condition de tous ceux la m ort de son favori A ntinoé,un historien écrivait :
chez qui l ’ em ploi des forces corporelles est le seul et « L'affection d ’ H adrien était un scandale, et sa dou ­
le m eilleur parti à tirer de leur être, on est esclave par leur fut une honte. » D uruy, Hist, des Romains, t. v,
nature. Pour ces hom m es-là, ainsi que pour les autres p. 92. T rajan, lui aussi, adonné au vice grec, D uruy,
êtres dont nous venons de parler, le m ieux est de se Hist, des Romains, t. iv, p. 776, note 1, donnait en
soum ettre à l ’ autorité d ’ un m aître. .. L ’ utilité des ani ­ spectacle au peuple, durant les 123 jours de fête qui
m aux privés et celle des esclaves sont à peu près les suivent son retour de D acie, innumerabiles gladia­
m êm es... Q uoi qu ’ il en puisse être, il est évident que tores. E t s ’ il y a, dans les lois de cette période im pé ­
les uns sont naturellem ent libres et les autres natu ­ riale, trace indéniable de préoccupations étrangères
rellem ent esclaves, et que, pour ces derniers, l ’ escla ­ aux âges précédents, Dig., I, vi, 1; V II, i, 15; X V III,
vage est utile autant qu ’ il est juste. D u reste, on nie ­ i,42; X L , iv, 4 : humanitatis intuitu; X L V III.vm , 2;
rait difficilem ent que l ’ opinion contraire ne renferm e X I.V III, xvm , 1; Code Justinien, II, xn, 10; IV ,
aussi quelque vérité... O n est m aître, non point parce l v i , 2, etc., on songe m algré soi au : Quid leges sine
qu ’ on sait com m ander, m ais parce qu ’ on a certaine moribus? C laude affranchit l'esclave m alade que son
nature; on est esclave ou hom m e libre par des distinc ­ m aître rejette; c'est lort bien, m ais où va habiter cet
tions pareilles. » Politique, trad. B arthélem y Saint- affranchi? Julien Γ A postat cherche à se procurer les
H ilaire, 1. I, c. n, p. 16-23. Cf. ibid., p. 43, 45, 93. V oir m anuscrits de l'évêque d ’ A lexandrie : « use auprès
aussi De cura rei familiaris, i, 5, des conseils d ’ une d ’ eux de tous les m oyens, de tous les serm ents; ne
sagesse hum aine pour assurer un rendem ent m axim um te lasse point de m ettre les esclaves à la torture. »
des esclaves. Œuvres, trad. T albot, 1863, p. 396. U n auteur m oderne,
O n retrouve, dans C aton l'A ncien, cette m êm e après avoir rappelé les condai»>nations form ulées
m orale, d ’ où l ’ intérêt bannit certaines injustices; contre l ’ esclavage par C icéron, Sénèque et Lucien,
m ais l'attention du vieux censeur à n'acheter que ajoute : « 11 sem blerait donc qu ’ il n ’ y eût qu ’ un pas à
des esclaves jeunes, et qu ’ il fût encore possible de faire pour affirm er la nécessité de m ettre fin à un vice
dresser : ώνούμενο; μάλιστα τούς μικρού; καί δυναμένου; social si contraire à la nature et à l ’ hum anité. C epen ­
ετι τροφήν καί παίδευσιν ώ ; σκυλάζα; ή πώλοο; ένεγζεΐν, dant, ni les philosophes, ni les m oralistes ne fran ­
son attention à préférer les esclaves endorm is com m e chirent ce pas; ils restèrent toujours, par rapport à
instrum ents plus m aniables, à les m aintenir divisés : la pratique, à la distance qui sépare une sentence phi ­
άει δε τινα σιάσιν εχειν τού; δούλους έμηχανατο καί δια ­ losophique d ’ une conclusion juridique. » Ch. G uigne-
φοράν προ; άλλήλους , ϋπονοών την όμόνοιαν καί δεδοικώς , bert, Terlullien, p. 370.
la précision enfin avec laquelle il com binait quelque 3° Les lois. — A ux yeux de la loi, l ’esclave est
latitude et plus de rigueur, en vue d'un plus grand absolum ent dénué de droits. M arquardt, La vie privée
rendem ent : tout cela est étranger à toute espèce d'hu ­ des Romains, 1.1, p. 209. C ’ est l ’axiom e : Servile caput
m anité. Plutarque, Cato Major, xxi. nullum jus habet. Dig., IV , v, 3, 1. U lpien : Quod atti­
D e cette âpreté au gain et de ce m épris tranquille, net ad jus civile, servi pro nullis habentur ; non tamen
il ne pouvait résulter aucune confiance m utuelle, et jure naturali, quia, quod ad jus naluraie attinet, om­
et la m axim e de Cicéron form ulerait assez bien la rela ­ nes homines lequales sunt. Dig.,L, xvn, 32. G aius, i,
tion des m aîtres et des esclaves entre eux : Quem 52 : In potestate itaque 'sunt servi dominorum. Quie
metuit; quis, odit quem odit, periisse cupit. De officiis, quidem potestas juris gentium est; nam apud omnes
ii. Pline le Jeune, après avoir raconté l ’ assassinat de peraeque gentes animadvertere possumus dominis in
M acedo, exprim e une inquiétude naturelle chez les servos vitie necisque potestatem esse; el quodeumque.
m aîtres : nec est, quod quisquam possit esse securus. per servum adquirilur, id domino adquirilur. G aius,
Epist., m , 14. n, 13 : Corporales hae sunt qure tangi possunt, vetui
Sous l ’ influence des philosophes stoïciens, on trouve fundus, homo, vestis, aurum, argentum, et denique
l ’ expression d ’ autres idées. Sénèque a écrit le plus alite res innumerabiles. Dig., V I, i, 15, 3. Si servus
éloquent peut-être de ces plaidoyers d'une sagesse petitus vel animal aliud...
toute hum aine : com m unauté de nature, origine for ­ Pas de justœ nuptiæ, m ais seulem ent le contu­
tuite de l ’ esclavage, injustice des traitem ents prodi ­ bernium que le m aître pouvait dissoudre à son gré. U n
gués aux esclaves, véritable esclavage des hom m es reserit d ’ A ntonin le Pieux, cité par le D igeste, indique
libres asservis à un vice, tout est exprim é avec relief : que l ’ intérêt pourra inspirer aux m aîtres une cer ­
Send sunt ? immo homines. Servi sunt ? immo contu­ taine hum anité : Dominorum quidem potestatem in
bernales. Servi sunt? immo conservi; si cogitaveris suos servos illibatam esse oportet..., sed dominorum
tantiimdcm in utrosque licere fortunæ....... Nes is qua interest, ne auxilium contra saevitiam, vel famem, vel
letate Hecuba servire cœperit... Nulla servitus tur­ intolerabilem injuriam denegetur his qui juste depre­
pior est quam voluntaria... Epist., xi.vn. Cf. D ion cantur. A ucun droit certain ni à la vie, ni à l ’hon ­
C hrysostom e, Orat., xv; M acrobe, Saturnales, i, 11; neur, ni à la vie de fam ille. L ’ usage, dont on cite des
ce dernier reproduit littéralem ent plusieurs phrases exem ples sous l ’ em pire, d ’ introduire dans son testa ­
de Sénèque et ajoute force exem ples de grandeur m ent une clause expresse pour interdire de séparer de
m orale chez des esclaves. leurs fem m es les esclaves m ariés : Omnibus autem
L'idée d ’ une égalité réelle de tous les hom m es était libertis meis... contubernales suas, item filios, filias
chère aux stoïciens; il n ’ y a de servitude déshono ­ lego, Scevola, Dig., X X X II, ι, 41, 2, indique assez
rante que la servitude volontaire des passions. Il M e que jusqu ’ alors la pratique contraire avait prévalu.
peut très bien concéder une efficacité relative de ces M ais quel ensem ble de m enaces contient la loi contre
nouvelles m anières de voir; m ais à juger les philo ­ les esclaves? T acite, Ann., xm, 32 : Factum est et
sophes par les tém oignages qui ém anent d ’ eux-m êm es, S. C., ultioni juxta et securitati, ut si quis a suis servis
on voit com bien leur action est im parfaite. É pictète interfectus esset, ii quoque qui testamento manumissi
juge son œ uvre en pessim iste, et Lucien ne voit dans sub eodem tecto mansissent, inter servos supplicia pen­
la plupart des philosophes qu ’ une m atière à raillerie. derent. Dig., X I, iv, 5, à propos des esclaves fugitifs :
H adrien défend de tuer volontairem ent un esclave; Nam Divus Pius rescripsit, omnimodo eos dominis suis
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reddere ...quoniam interdum... in arenam se dare ses serviteurs, M atth., xvm , 23-35; un autre ton;
mallent. Dig., X X IX , v, 1. Ulpianus : Cum aliter à un serviteur le soin de la m aison, M atth.. xxiv.
nulla domus tuta esse possit, nisi periculo capitis sui, 45-51 ; Luc., xn, 42-48; on donne à chaque servi: ir
custodiam domini, tam ab domesticis quam ab extra­ des talents à faire fructifier, M atth., xxv, 15-3
neis præstare serui cogantur, ideo S. C. introducta sunt, M arc., xm , 34-36; Luc., xix, 12-27; et plus que tra ­
de publica quæstione a /amilia necatorum habenda. ies autres, le tableau du serviteur inutile: Quis
Code justinien, IV, x l v i i , 5 (G ordien) : Ea quidem vestrum habens servum arantem aut pascentem, qui
mancipia quorum venditio eam legem acceperit : Ne regresso de agro dicat illi : Stalim transi, recumbe. Et
ad libertatem perducantur, etiamsi manumittantur, non dicat ei : Para quod canem, et præcinge :■.
nancisci libertatem non possunt. Dig., X LV I1I, v i i i , 11, ministra mihi donec manducem et bibam, et post Im :
2 : Post legem Petroniam (a. u. c. 813) et Senatus C. ad tu manducabis et bibes ? Numquid gratiam habet ser­
eam legem pertinentia, dominis potestas ablata est ad vo illi, quia fecit quæ ei imperaverat? Non puto. Sic t
bestias depugnandas suo arbitrio servos tradere; oblato vos...L uc.,xvn,7-10. M ais,onl ’ afaitrem arquer,N otr -
tamen judici servo, si justa sit domini querela, sic Seigneur ici se contente de décrire ce qu ’ ont vu tous
pœnæ tradetur. ses contem porains; sa description n ’ a ni sentim enta ­
A ssurém ent, l ’ usage avait aequis à plusieurs sortes lité ni exagération des m isères de l ’ esclave (Jülicher);
d ’ esclaves une sorte d ’ indépendance; le pécule leur il ne m oralise pas sur ce fait; ou plutôt de ce fait, il
était concédé; c ’ était une m anière d ’ affiner leur esprit tire une m orale plus élevée : Sic et vos... Soit le sabbat,
pratique; d ’ ailleurs, ne servait-il pas le plus souvent à dans les synagogues, soit en toute autre circonstance,
racheter la liberté? les services rendus par plusieurs, des esclaves ont entendu ces enseignem ents; il est pos ­
un reste ineffaçable de rectitude hum aine tem péraient sible que des esclaves aient été bénéficiaires des divins
dans certaines régions, ou dans certaines fam illes, la m iracles; nous ne pouvons dire quelle était la condi ­
condition des esclaves. « En fait, le sort de l ’ esclave tion du serviteur du centurion que saint Luc, vu, 2,
rom ain n ’ était point par trop dur. » G . M ay, Été- | appelle δούλος , et saint M atthieu, vm , 5, irai:; ni
menls de droit romain, p. 51. M ais les jugem ents d'en ­ non plus si M alchus était à proprem ent parler esclave.
sem ble des liistoriens les m ieux inform és restent bien M arc., xiv, 47; Joa., xvm , 10.
tristes : « M algré tout, l'om bre au tableau est déci- | L'ensem ble de la prédication évangélique, s
dém ent la plus forte. » M arquardt, La vie privée, t. i, com battre directem ent l ’ institution de l'esclav; . .
p. 212. « C elui-là peut sonder l ’ océan d ’ am ertum es et contenait les principes qui devaient la ruiner. Les
de m isères, que nous découvre ce prolétariat le plus m enaces contenues dans saint Luc, vm , 24 : V e-a.: -
m alheureux de tous, qui ose plonger ses regards vers tamen, væ vobis divitibus, quia habetis consolation■
ces profondeurs ; il sem ble bien que com parées à toutes vestram; le parallèle rappelé au m auvais riche. I.
les souffrances de l ’ esclavage rom ain, les souffrances xvn, 25 : Recordare quia recepisti bona in cita t::
des nègres toutes réunies ne form eraient qu ’ une et Lazarus similiter mata; la règle qui servira au
goutte. » M om m sen, Romische Geschichte, t. n, p. 77. gem ent dernier, M atth., xxv, 40 : Quamdiu fecist <
II. L ’ e s c l a v a g e a u x p r e m i e r s s i è c l e s d u c h r is ­ uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis; les
t ia n i s m e . — 1° D ’après les écrits apostoliques. — préceptes d ’hum ilité et de charité, les seuls pour les ­
Les différents m ots em ployés par l ’ Évangile distin ­ quels N otre-Seigneur en appelle à son exem ple,
guent nettem ent les serviteurs esclaves, δούλοι, des M atth., xi, 29; Joa.,xm , 14-15 :~Nam et Filius homi­
autres salariés, μισθωτοί, μίσθιοι, εργαται. M ais l ’ ac ­ nis non venit ut ministraretur ei, sed ut ministraret,
ception équivoque du m ot servus em ployé par la M are., x, 45; la loi form elle de la charité : Omnia er. ■
V ulgate, ou des équivalents dans les traductions de quæcumque vultis ut faciant vobis homines, et vos
langue vulgaire, suivant la rem arque de D eissm ann, facite illis. Hæc est enim lex el prophetæ, M attii., vu,
Licht vom Osten, Tubingue, 1908, p. 232, a affaibli les 12; cf. Luc., vu, 31 : autant de paroles divines que le
idées éveillées par le texte évangélique. La notion pré ­ m aître chrétien ne pouvait écouter sans que son com ­
cise que le m ot désignait aux contem porains nous m andem ent se tem père aussitôt de justice, de bonté
échappe d ’ autant plus qu ’ il y avait collusion entre la et de respect.
pratique juive de l ’ esclavage et les coutum es des gen ­ D ans les écrits apostoliques, les textes form elle ­
tils, sans doute très diverses les unes des autres. U n m ent adressés ou form ellem ent relatifs aux esclaves
m ot difficile de saint M atthieu, xxiv, 51, καί διχοτο- ’ sont déjà fréquents. Saint Paul pose l ’ antithèse absolue
μήσει αύτό, a fait beaucoup écrire. Sous l ’ influence I de ce qu ’ avait énoncé A ristote, G ai., m , 28 : Non est
des m œ urs païennes, il est possible que les châtim ents Judæus neque Græcus; non est servus neque liber : non
les plus rigoureux aient eu lieu en Palestine, du m oins est masculus, neque femina. Omnes enim vos unum
chez des m aîtres païens. D ’ ailleurs, ici, c ’ est le châti ­ estis tn Christo. A ssurém ent ces distinctions exté ­
m ent éternel qui est désigné. Fonck, Die Parabeln des rieures ne sont pas abolies; m ais l ’ âm e hum aine a une
lierrn, t. i p. 499. destinée qui les dépasse, et qu ’ elle peut rem plir dans
Il n ’ y a rien dans l ’ Évangile qui vise directem ent tous les cadres de vie. Les devoirs réciproques des ser ­
la question de l ’ esclavage; m ais on y trouve tout ce viteurs et des m aîtres sont form ulés d'une façon bien
qui devait en adoucir l ’ am ertum e et en transfigurer la nouvelle· C ol., m , 9-11, 22-iv, 1. M êm es recom m an ­
sujétion. N otre-Seigneur Jésus-Christ a pris la form e dations dictées par le m êm e point de vue de la fin
d ’ esclave, à la ressem blance des hom m es : dépen ­ dernière. E ph., vi, 5-9. A ux esclaves, sans doute
dance totale, résultant, non plus d ’ une situation juri ­ nom breux dans les prem ières com m unautés, l ’ apôtre
dique, m ais d ’ une relation de nature. L ibrem ent, il indique la nécessité qu ’ il y a pour eux de donner bon
donne à son Père le service qui est la fin de toute exem ple, et il les exhorte à ne pas oublier leur dépen ­
existence hum aine. D u reste, sa naissance et sa m ort dance vis-à-vis de m aîtres chrétiens com m e eux.
sont telles qu ’ elles peuvent inspirer com passion aux I Tim ., vi, 1-2; T it., n, 9-10.
plus infortunés, et de sa vie, la plus grande partie de U n texte a fait parfois difficulté. I C or., vn, 2â-
beaucoup est consacrée aux œ uvres serviles. Les pa ­ 23 : Unusquisque in qua vocatione vocatus est, in ■ · ·■ pt · ·
roles du divin M aître auront la m êm e action indirecte, maneat. Servus vocatus es? non sit libi curæ; sed et ·
m ais efficace. A plusieurs'' reprises, N otre-Seigneur potes fieri liber, magis utere. Qui enim Domine tocatu·
part du fait du service fidèle attendu ou exigé des est servus, libertus est Domini; similiter qui liber vo­
esclaves, pour rappeler aux hom m es ce qu ’ u fortiori catus est, servus est Christi. Pretio empti estis— Le
ils doivent à D ieu. U n m aître fait rendre com pte à magis utere du verset 21 a fort exercé les interprètes ;
463 E SC L A V A G E 464

• M ets plutôt à profit cette circonstance d ’ avoir été charger de cet affranchissem ent. Acta S. Pionii et
appelé étant esclave, et reste volontiers dans cette soc., n. 9, rachat de sainte Sabine que sa m aîtresse
condition qui est une école d ’ hum ilité et de patience.» avait fait enchaîner et reléguer dans les m ontagnes.
D ’ autres : Si cependant tu peux devenir libre, profite Les textes suivants, antérieurs à la paix de l ’ Église,
de l ’ occasion qui s ’ oftre à toi. La prem ière interpré ­ font connaître les sentim ents et la pratique des pre ­
tation paraît plus conform e à la pensée générale de m iers chrétiens dans cette question. Saint C lém ent,
l ’ apôtre, 17-20, et à la lettre m êm e du texte. D e plus, I Cor., l v , 2, Funk, Patres apostolici, 2 e édit., t. i,
elle s ’ accorde m ieux avec le verset suivant. «C ram pon. p. 168 : « N ous connaissons beaucoup des nôtres qui
Saint Jean C hrysostom e l ’ interprète ainsi, P. G .,t. l x i , se sont livrés aux fers pour racheter leurs frères.
col. 156 : Ταΰτα εις την πιστιν ούδέν συντελεί, φησί- μή B eaucoup se sont réduits eux-m êm es en servitude,
τοίνυν φιλονείκει μηδέ δορυβοΰ; ή γάρ πίστις πάντα εξέ ­ et du prix qu ’ ils avaient reçu ont nourri leurs frères. »
βαλε ταϋτα. Ces distinctions n ’ ont rien à faire avec Saint Ignace avait écrit, A d PoZz/c., iv, 3, Funk, ibid.,
la foi, dit l ’ apôtre : point de contention, point de t. i, p. 290 : « N e m éprise pas les serviteurs et les ser ­
trouble; pour la foi, tout cela ne com pte pas. V oir vantes; eux non plus n'ont pas à s'enorgueillir; pour
J.-A . M onod, Saint Paul et l’esclavage, Toulouse, la gloire de D ieu qu'ils servent davantage, afin de
1866; F. G odet, Commentaire sur la première Épître trouver auprès de D ieu une m eilleure liberté. Q u ’ ils
aux Corinthiens, N euchâtel, 1886, t. i, p. 325-334; ne désirent point être affranchis aux frais de la com ­
M gr Le C am us, L ’œuvre des apôtres, Paris, 1905, t. m , m unauté, dans la crainte de devenir par là esclaves de
p. 95-96; C. T oussaint, Épîtres de saint Paul, Paris, leur am our-propre. «D ans le Pas/eizrd ’ H crm as, ΛΖα//(Ζ.,
1910, t. i, p. 317-318; J. W eiss, Der erste Korinlher- V III, 10, Funk, ibid., t. i, p. 494, on lit : « Écoute
brief, G œ ttingue, 1910, p. 187-191. Saint Paul nom m e ce dont il ne faut pas s ’ abstenir, m ais ce qu ’ il faut
en passant, I Tim ., i, 10, les plagiaires, c ’ est-à-dire faire... racheter les serviteurs de D ieu dans la néces ­
ceux qui volaient des hom m es libres pour en faire sité? »Cf. Sim., I, vin, Funk, ibid., p. 520. L ’Apolo­
des esclaves, parm i les différentes espèces d ’ im pies, gie d ’ A ristide dans le tableau qu ’ elle fait des m œ urs
pécheurs et scélérats, contre lesquels la loi a été des chrétiens, xv, édit. R obinson, p. 111, sans m en ­
instituée. L ’ É pître de l'apôtre à Philém on, si brève tionner les esclaves,perm et de conclure qu ’ ils sont trai ­
qu ’ elle soit, est des plus significatives : là se m ontre cet tés avec une nuance de bonté. T atien exprim e l ’ in ­
esprit du christianism e qui « sans m odifier les condi­ différence recom m andée par saint Paul : « Si je suis
tions extérieures de la vie, en a pénétré toutes les esclave, je supporte la servitude, si je suis libre, je ne
relations d ’ un esprit nouveau » (D obschütz). I. ’ apôtre m ’ enorgueillis pas de m a condition. » Adv. Græcos, xi,
plaide avec une délicatesse tout apostolique en édit. Schw artz, p. 11-12. L ’ É pître à B arnabé, xix,
faveur d ’ O nésim e esclave, naguère encore païen, et 7, Funk,t. i,p . 92, fait au m aître cette recom m anda ­
qui avait abusé de la bonté de son m aître. La loi don ­ tion : « N e com m ande pas avec dureté à ton esclave
nait à Philém on tous les droits; les fugitifs rendus au ni à ta servante qui espèrent dans le m êm e D ieu, de
m aître étaient d ’ ordinaire si m altraités que beaucoup peur qu ’ ils ne craignent plus ce D ieu qui est au-
s ’ offraient aux com bats du cirque; m ais, celui qui dessus de tous, et qui n ’ est pas venu appeler les
écrit en faveur d ’ O nésim e, aurait droit de com m ander, hom m es suivant leur condition, m ais ceux que
8, et aim e m ieux intercéder; c ’ est Paul, aujourd ’ hui l ’ E sprit a préparés. »
vieillard, et actuellem ent prisonnier de Jésus-C hrist, M inucius Félix lui fait écho : Omnes tamen pari sorte
9; et il intercède pour un converti, pour un enfant de nascimur, sola virtute distinguimur, c. xxxvii, P. L.,
sa captivité, 10. Le coupable est renvoyé à son m aî ­ t. in, coi. 354. L ’ É pître à D iognète nous fournit ce
tre, pour lui procurer l ’ utilité que son nom prom et, trait qui form ulerait bien la conduite des chrétiens
et qu ’ il a déjà réalisée en faveur de saint Paul; il est dans toute cette m atière : « Ils obéissent aux lois éta ­
renvoyé pour laisser à Philém on le m érite et la joie blies, m ais leur vie dépasse toutes les lois, » v, 10,
de le bien traiter. Ses torts sont rappelés par deux Funk, t. i, p. 398. Les apocryphes de différentes épo ­
litotes : O nésim e est fugitif, forsitan enim ideo discessit ques m entionnent les esclaves sans que ces citations
ad horam a te, 15; peut-être O nésim e a-t-il volé, si soient toujours bien caractéristiques. D ans les Acta
autem aliquid nocuit tibi aut debet, 18. M ais l ’ apôtre, Pétri et Andreæ, édit. B onnet, p. 126, O nésiphore
en concluant, interpose encore l ’ am our qu'on lui porte, affranchit ses esclaves, dans l ’ intention d ’ obtenir le
si ergo habes me socium, suscipe illum sicut me, 17 : pouvoir de faire un m iracle, com m e saint Pierre vient
et l ’ autorité dont il jouit, lui qui avait am ené Philé ­ d ’ en faire un sous ses yeux. D ans les Acta Thomæ,
m on à la vraie foi : Confidens in obedientia tua scripsi édit. Lipsius, p. 101, lorsque H ireos converti revient,
tibi : sciens quoniam et super id quod dico, facies, 19, ceux qui l ’ attendaient furent surpris de ce qu ’ il n ’ é ­
21. V oir F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, tait plus entouré, com m e naguère, de tout un cor ­
1908, t. I, p. 384-389. tège, m ais deux esclaves seulem ent l ’ accom pagnaient.
Saint Pierre parle un m êm e langage aux esclaves, Saint Irénée, Cont. hær., IV , xxi, 3, P. G., t. vu,
tout en prévoyant que leurs m aîtres pourront être col. 1046, rappelle que devant la rédem ption, il n ’ y a
fâcheux et leurs souffrances injustes, I Pet., n, 18, point de différence parm i les hom m es : significans
19 : quia sic est voluntas Dei, ut benefacientes obmu­ quoniam secundum carnem ex liberis et ex servis, Chri­
tescere laciatis imprudentium hominum ignorantiam : stus statueret filios Dei, similiter omnibus dans munus
quasi liberi, et non quasi velamen habentes malitite Spiritus vivificantis nos. D ans le Π Ι° livre du Péda­
libertatem, sed. sicut servi Dei. gogue, à plusieurs reprises, C lém ent d ’ A lexandrie
2° Des temps apostoliques au III· siècle. — D ans les donne les règles et les m otifs d ’ une conduite toute
tem ps qui suivent l ’ âge apostolique, les textes qui chrétienne vis-à-vis des esclaves. Il consacre un long
font m ention des esclaves nous m ontrent l ’ action du chapitre à blâm er ex professo le grand nom bre d ’ es ­
christianism e fidèle à cette prem ière im pulsion donnée claves. P. G., t. vin, col. 592. Il y revient plus loin, et
par les textes des apôtres. Il n ’ est pas absolum ent indique com m ent réduire ce grand nom bre, col 609:
question de réclam er une ém ancipation des esclaves. « Il faut aussi rejeter... cette foule de serviteurs. D u
D obschütz, Die urchristliche Gemeinden, 1902, p. 89. Pédagogue nous recevons une belle et vénérable es ­
M ais il y eut sans doute des ca^ particuliers da^s corte, l ’ activité personnelle et la m odération des
lesquels la servitude plus rigoureuse ou plus dange ­ désirs. » A ussi blâm e-t-il l ’ usage des litières, col. 650,
reuse, ou un m otif spécial de rachat, déterm inèrent et recom m ande-t-il d ’ em pêcher toute m anière d ’ être
un chrétien ou la com m unauté des fidèles à se inconvenante chez les esclaves, car il rappelle le pro-
465 E SC LA V A G E 466

verbe : Ο ία γάρ δέσποινα, τοιάδε χ'ά χύων. V oici du cheveux pour ne point paraître en deuil : Ha
reste l ’ explication, col. 672 : « Il faut se servir des ser ­ et elisam Felicitatem cum vidisset, accessit, et manum
viteurs com m e de soi-m êm e; ils sont hom m es com m e ei tradidit, et sublevavit illam. Et ambae pariter stete­
nous; si vous y prenez garde, D ieu est le m êm e pour runt,et populi duritia devicta, revocatae sunt in portam
les hom m es libres et pour les esclaves. M êm e origine Sanevivariam. Acta, xx.
donc, et à l ’ occasion valeur m orale égale. » Strom., Sainte Potam ienne d ’ A lexandrie est l ’ une des plus
IV, 8, ibid., col. 1277 : « Eussent-ils à souffrir soit du illustres esclaves qui ont subi le m artyre pour la con ­
m ari, soit du m aître, l ’ épouse et l ’ esclave sont capa ­ servation de leur virginité. Palladius, Hist, lai s tara. 3.
bles de philosopher. » D 'ailleurs, la vraie servitude, P. G., t. xxxiv, col. 1012. D u tem ps de la persécution
l ’ É criture l'a dit, c'est le péché. Strom., IV , 3, col. 1225. de M axim in, Potam ienne, vierge très belle, était
E t Strom., Ill, 5, col. 1148 : « N ’ appelez donc pas l ’ esclave d ’ un hom m e débauché. Son m aître, m algré
liberté l ’ asservissem ent au plaisir. N ous avons appris d ’ instantes sollicitations et diverses prom esses, n ’ avait
cette liberté, dont le Seigneur seul nous peut grati ­ pu la trom per. D énoncée au juge, elle est m enacée
fier, en nous affranchissant des plaisirs, des désirs et d ’ être plongée dans la poix bouillante, et elle s ’ y
des passions. » O rigèue rapporte en quels term es plonge sans crainte, « afin que tu constates quelle force
Celse reprochait aux prem iers chrétiens le nom bre m ’ a donnée le C hrist que tu ignores. » L a vierge et
d ’ esclaves qu ’ ils com ptaient parm i eux. Cont. Cels., m artyre de N icom édie, sainte D ula, m érite dans les
m , 44 : < Si quelqu ’ un est ignorant, faible d ’ esprit, m artyrologes un éloge analogue : Hæc fuit ancilla
sans savoir ou naïf, qu ’ il vienne avec confiance. C ar en cujusdam militis paganorum, quam cum illam cognos­
avouant bien que ceux-là sont dignes de leur D ieu, ils cere vellet, ipsaque omnino recusaret, dicens Christiana
m ontrent qu ’ ils ne veulent et ne peuvent se faire obéir lege adulterium esse prohibitum; cum ipsam chrislia
que des sots, des hom m es de rien, insignifiants, que nam audivisset, ab eodem domino suo pro fide et casti­
des esclaves, des fem m es et des enfants. » P. G., t. xi, tate occisa est. Acta sanctorum, t. m m artii, p. 554.
col. 976-977. D ’ ailleurs, les philosophes ne font-ils
T outes les références sur cette question se tro u v ero n t
pas philosopher leurs esclaves? Les chrétiens veulent dans P aul A llard, L es esclaves chrétiens, 1. II, c. in . Les
m ontrer à leur serviteur, com m ent en ayant une âm e esclaves martyrs·, fam ille d ’esclaves victim es d · leur m aître,
libre, ils peuvent être ennoblis par la religion. Cont. sain te Z oé et ses com pagnons, Acta sanctorum, t. i m ail,
Cels., m , 54, ibid., col. 992. p. 739; esclave victim e de sa m altresse, sain te M atrona.
3° Les martyrs. — A près les écrits des prem iers Acta sanctorum, t. n m artis, p. 396; esclaves cherchant
apologistes, il faut interroger les actes des m artyrs, à convertir la fam ille de leur m aître persécuteur, .4
car le m artyre surtout a réhabilité les esclaves; la S . Fructuosi,n.5 ; esclaves converties p ar leurs m aîtresses:
M aura p ar sain te F usca; Acta sanctorum, t. n fe b re r:.
fraternité de souffrances et d ’ espérances, plus que p. 647; les saintes D igna, E unonüa, E u tro p ia, p ar sainte
toute autre chose, a rapproché les rangs. Les textes A fra, la courtisane convertie. Passio sancta· A/ræ, η. 4;
authentiques et ceux d ’ une époque postérieure, m aître et esclave m artyrs, sain t Ju lien et sain t C ronion,
donnent la m êm e im pression. E usèbe, H. E., v i, 41, P. G., t. x x , col. 610: m artyrs
O n sait la réponse de sainte A gathe, Acta sanctorum, in d iq u an t le christianism e com m e leur condition : sain t
t. i februarii, p. 621 : Quintianus dixit : Si ingenua D idym e et sain t T héodore, Acta sanctorum, t. in aprilis,
et et illustris, cur moribus servie personam induisti? p. 573. M œ hler rem arque, Gesamm. Schri/t, t. n , p. 87,
que bien des souffrances précédaient pour un esclave la
Agatha dixit : Recte tu quidem; nam ancilla sum procédure qui com m ençait le m artyre.
Christi, proptereaque servam me profiteor.
U n des com pagnons du m artyre de saint Justin, 4° Transformation. — Il faut indiquer quelques ja ­
E velpistus, C appadocien, à la question : Tu vero lons dans cette transform ation de l ’ état des esclaves.
quisnam es ? répond : Servus quidem Caesaris sum; Le paganism e les avait bannis de ses sacerdoces,
sed chrislianus a Christo ipso libertate donatus. Acta relégués dans les collegia tenuiorum; il les avait igno ­
S. Justini, n. 3. D e m êm e, saint M axim e d ’ A sie, vers rés dans son culte. C hrétiens, les esclaves jouissent,
250 : Proconsul dixit ad eum : quis vocaris ? Respondit : parm i les autres chrétiens, d ’ une égalité parfaite quant
Maximus dicor. Proconsul dixit : cujus conditionis es? à la religion : ils reçoivent les m êm es sacrem ents, et
Maximus dixit : Ingenuus natus, servus vero Christi. bien que certaines pratiques chrétiennes ou certains
Acta, n. 1. Eusèbe rapporte que les m esures de persé ­ sacrem ents rom pent les habitudes païennes, l ’ Église
cution com prenaient expressém ent les esclaves com m e leur assure ces avantages. Il y a, du reste, une hié ­
les autres. De martyr. Palestinæ, c. ix, P. G., t. xx, rarchie chrétienne et une vie consacrée à D ieu dont la
col. 1492. Il fallait forcer à sacrifier et à faire des servitude n ’ écarte pas. Enfin, dans la vie chrétienne
libations les hom m es et les fem m es, les esclaves et les courante, il y a action réciproque des m aîtres et des
enfants. La lettre des Églises de Lyon et de V ienne esclaves les uns sur les autres, et les profits sont aussi
rappelle l ’ héroïsm e de sainte B landine et la charité de m utuels; les Pères insistent sur la responsabilité des
sa m aîtresse. P. G., t. xx, col. 416 : « B landine, par m aîtres, et parlent clairem ent des dangers courus par
laquelle le C hrist a m ontré que ce qui est, pour les les esclaves. M ais tout cela insensiblem ent est d ’ une
hom m es, vil, sans éclat et m éprisable, est honoré par efficacité surprenante; le jour vient où, il faut le
lui d ’ une grande gloire, en raison de l'am our qui est reconnaître, la civilisation a une face chrétienne.
tém oigné au C hrist,» et B landine épuise la rage des Les principes établis si nettem ent par les apôtres
persécuteurs, tandis que les chrétiens la suivent du ont été fidèlem ent suivis; si, dans la rigueur du droit,
regard... « nous trem blions tous, et sa m aîtresse sui ­ l ’ esclave aurait dû avoir, pour passer au christia ­
vant la chair aussi. » A près sainte B landine, la plus nism e, l ’ autorisation de son m aître, il sem ble que ce
illustre esclave m artyre est assurém ent sainte Féli ­ droit soit tom bé en désuétude, ou que les esclaves
cité, dont les actes, m ém oires des m artyrs term inés chrétiens se soient le plus souvent affranchis de cette
par les tém oins, ont un caractère spécial d ’ authenti ­ obligation. L ’ Église parm i ses enfants ne connaît que
cité. O n se rappelle que cette esclave était asÿéz in ­ des égaux. Saint Jean C hrysostom e, Homil. de re-
struite de sa religion pour faire la sublim e réponse: surr., n. 3, P. G., t. L, col. 437 :« M ais ô divine grâce !
Modo ego patior. Acta, xv. O n sait aussi que sainte N on seulem ent par la grâce de D ieu, il y a m êm e hon ­
Perpétue, renversée dans< l ’ arène par une- vache neur dans l ’ église pour tous les deux, m ais sou· . le
furieuse lâchée à la fois sur la m atrone et sur l ’ es ­ pauvre l ’ em porte en piété sur le riche. D ieu ne t:·.':
clave. après avoir ram ené ses vêtem ents, pudoris point acception de personnes, et pour l ’ Église, il n ’ y
potius memor quam doloris, et après avoir renoué ses a ni hom m e libre, ni esclave. »
4βΊ E SC LA V A G E 468

Saint G régoire de N azianze, dans le très célèbre : reillem ent, si le m aître a un esclave fidèle, sans renon ­
discours x l , In s. baptisma, exalte la noblesse con ­ cer à son service, qu ’ il l ’ aim e com m e un fils et com m e
férée par ce sacrem ent, n. 27, P. G., t. xxxvi, un frère à cause de leur com m une foi. Cf. V II, xm .
col. 396-397 : « N e regarde pas com m e indigne de toi Ce rapprochem ent entre m aître et esclave n ’ était
d ’ être baptisé, avec les pauvres, ô riche, ô patricien, pas arrêté par la m ort; celle-ci reléguait l ’ esclave
avec des hom m es vils, ô m aître, avec celui qui fut païen loin de son m aître, dans le columbarium, et
jusqu'ici ton esclave. Tu ne t ’ hum ilieras pas autant notait en détail l ’ infériorité de sa condition; chez les
que le C hrist, au nom duquel tu es aujourd ’ hui bap ­ chrétiens, esclaves et m aîtres étaient placés côte à
tisé. et qui pour toi a pris m êm e la form e d ’ esclave. côte, et les inscriptions oublient ces différences ter ­
En ce jour tu es transform é; les caractères anciens restres. V oir É p i g r a p i ii e , col. 352.
disparaissent; une seule m arque est im posée à tous : Le m ariage, sacrem ent de l ’ Église catholique,
Jésus-Christ. » rencontre la législation rom aine, très insuffisante pour
Les Constitutions apostoliques, 1. II, c. l v ii , repro ­ la dignité de la fam ille chrétienne. Le m ariage est
duisant, d ’ ailleurs, la D idascalie, indiquent en détail la indissoluble, I C or., vu, 10-11; m ais, à l ’ esclave, la
place qu ’ il faut donner à chacun dans l ’ église : les loi rom aine ne concède que le contubernium : jam ais,
jeunes gens s ’ assiéront, s ’ il y a place; les vieillards il n ’ a autorité sur sa fem m e ni sur ses enfants, car il
seront assis, etc.; m ais elles ne m entionnent pas n ’ a pas droit au conjugium. Q uelques aspirations à
de place spéciale pour les esclaves.Funk, Didascalia cette liberté se trouvent dans les m onum ents païens;
et Constitutiones, 1905, t. i, p. 160, 161. Ils étaient m ais le Code y devait rester sourd encore bien long ­
donc parm i les autres, et les esclaves donnaient aux tem ps. Pour la loi rom aine, l ’ infidélité de l ’ époux
hom m es libres le baiser de paix, το έν ζυριω Les n ’ était pas un délit; le com m erce d ’ une m atrone avec
m êm es Constitutions dem andent seulem ent que dans son esclave avait lieu im puném ent, saint Justin cite
l ’ adm ission des esclaves on procède avec discerne ­ une fem m e libre qui, avant sa conversion, vivait m al
m ent, 1. V III, c. xxxir, Funk, t. i, p. 534 : « Si cet es ­ avec ses esclaves, et dont le m ari, indifférent à scs
clave appartient à un fidèle, qu ’ on dem ande à son désordres, ne supporta point la nouvelle foi, Apol.,
m aître s ’ il lui donne un bon tém oignage. Si non, i., n. 2, P. G., t. vi, col. 444; la séparation d ’ t'.ne
qu ’ on l ’ écarte jusqu ’ à ce que le m aître le juge digne. fam ille d ’ esclaves n ’ avait pas d ’ im portance. M ais à
Si oui, qu ’ on l ’ accepte. S ’ agit il de l ’ es Jave d ’ un païen, ces qualifications inégales, les Pères ont opposé le
on lui apprendra à contenter son m aître, afin de ne com m andem ent de D ieu uniform e.
point faire blasphém er la religion. » La prière et la La loi rom aine adm et le concubinatus, sorte de
liturgie, telle que nous la décrivent les Con Ululions m ariage m organatique entre un hom m e libre et une
apostoliqu s, étaient com m unes aux esclaves et aux fem m e esclave, m ais l ’ absence d ’ effets civils pour
m aîtres; com m un aussi ce chant des psaum es, qui cette union n ’ em pêche point l ’ Église de la valider.
donne, com m e dit saint Jean C hrysostom e, la vraie E t voici le cas presque sym étrique : les patriciennes au
intelligence du passé et de l ’ avenir. In ps. cxxxtv, m » siècle se trouvèrent beaucoup plus nom breuses
1, P.G., t. l v , col. 388. L ’ assem blée des fidèles, en dans le christianism e que les patriciens, trop souvent
recom m andant à D ieu les différents états des chré­ rattachés au paganism e par quelque dignité ou céré ­
tiens, m entionnait les esclaves, ύπερ των έν πιχρα m onie. La m ésalliance leur eût fait perdre le titre séna ­
δουλεία καταπονούμενων δεηΟώμεν, l.V II, C. X, 15, Funk, torial de clarissim e; d ’ autre part, l ’ union avec un
t. i, p. 490, 491; cf. V III, xn, 45. C ’ est en vue de la affranchi ou un esclave était nulle devant la loi ro ­
prière et de l ’ instruction religieuse que dans le tra ­ m aine. M ais le pape saint C alixte n ’ hésita pas à
vail des esclaves on prévoit et on réglem ente quelque reconnaître la validité de ce m ariage, com m e en té ­
relâche : Q ue les esclaves travaillent cinq jours : le m oignent les Philosophoumena, IX , 12, P. G., t. xvi,
sam edi et le dim anche, qu ’ ils aient le loisir de venir à col. 3380. A insi, partout où elle avait accès, la reli ­
l ’ église pour y apprendre la religion. La sem aine gion élargissaitla situation del ’ esclave; sa législation à
sainte et la suivante, que les esclaves chôm ent. La elle pénétrait dans le bloc juridique païen, com m e ces
prem ière est celle de la passion, l ’ autre celle de la ré ­ plantes qui finissent par faire éclater les pierres. Les
surrection. E t ils ont besoin d ’ apprendre qui est m ort, esprits changent avant m êm e que les lois se m odi ­
qui est ressuscité, qui a perm is cette m ort, qui a res ­ fient; quel païen eût parlé de l ’ am our d ’ un esclave
suscité, » 1. V IH , c. xxxin, Funk, t. I, p. 538, 539. avec cette réserve et cette délicatesse que nous trou ­
U n autre texte des Constitutions apostoliques, 1. IV , vons dans H erm as, au début de son Pasteur?
c. vt, 4, Funk, t. r, p. 225, m entionne, parm i ceux dont Les relations sont encore m odifiées par le fait de
il faut refuser les offrandes, ceux qui font souffrir leurs la hiérarchie ecclésiastique. Q ue les esclaves y aient
esclaves, c ’ est-à-dire de coups, de la faim ou de m au ­ été nom breux, on le croit aisém ent en se rappelant
vais traitem ents. E t un peu plus loin, 1. IV , c. ix, le Non multi sapientes. I C or., i, 26. Plus d ’ une fois,
Funk, p. 230, 231, répétant la Didascalie, les Consti­ les <t églises dom estiques » ne furent-elles pas confiées
tutio is indiquent un des em plois à faire de la richesse : à quelqu ’ un des esclaves? O nésim e, le client de
« Servez-vous (de l ’ argent) pour le rachat des saints, l ’ apôtre, a été évêque. Plusieurs parm i les prem iers
délivrez des esclaves, des prisonniers, des captifs. » papes sem blent avoir des nom s d ’ esclaves : É variste,
U n passage des C > istitutio is a lostoliqu s·, I. IV, c. xn, A nicet. Les esclaves, souvent m édecins dans les plus
est explicitem ent consacré aux relations des m aîtres grandes m aisons, pouvaient avec le sacerdoce rendre
et des serviteurs; c ’ est l ’ écho très net des préceptes de les plus signalés services. L ’ élévation au pontificat
saint Paul : Q ue dire des esclaves sinon que l ’ es ­ de saint C alixte est significative. L ’ auteur des Philo­
clave, avec la crainte de D ieu, ait de la bienveillance sophoumena, qui l ’ a poursuivi de tant d ’ accusations,
envers son m aître, quand m êm e ce m aître serait ne suscite pas la m oindre difficulté relativem ent à
im pie ou m échant; m ais qu ’ il ne s ’ unisse pas à lui la condition de C alixte qui avait été esclave et fugitif.
dans son culte. Q ue le m aître aim e son esclave; m al­ Plus tard, Jean de Jérusalem voudra, de cette éléva ­
gré leur inégalité, qu ’ il le juge son sem blable, puisqu ’ il tion d ’ un esclave à la cléricature, faire un reproche
est hom m e com m e lui. C elui qui a un m aître fidèle, à saint Jérôm e: celui-ci répond ad hominem : E servo
sans m anquer à son service, doit l ’ aim er, com m c ’ Shn clericum factum criminatur, cum et ipse nonnullos hu­
m aître, com m e son frère dans la foi, com m e son père. juscemodi clericos habeat. Epist., l x x x i i , n. 6, P. I..,
Q u ’ il ne serve point pour être vu, m ais par dévoue ­ t. xxn, coi. 739.
m ent, sachant que D ieu récom pensera sa peine. Pa- D ès qu ’ un esclave était généreusem ent chrétien,

r
469 E SC LA V A G E 470
l ’ honneur de ce nom tel que l ’ avaient prévu les apôtres, Cf. S. A m broise, De Abraham, n, 28, P. L.. t. xiv,
frappait les yeux les plus prévenus. Saint Jean C hry- col. 468, et la bulle In supremo apostolalus de G ré ­
sostom e en fait la rem arque : « S'ils voient un esclave goire X V I, au début.
plülosopher dans leC hrist.et m ontrer plus de m aîtrise 5° La prédication des Pères. — D ans la prédication
de soi que n ’ en ont m ontré leurs philosophes, et servir des Pères, relevons quelques traits historiques pou-
avec beaucoup de convenance et de dévouem ent, ils m ieux connaître l ’ esclavage, et quelques conseils
adm ireront en toute façon la force de la doctrine. Les d ’ après lesquels nous pourrons nous représenter ce
païens ne jugent pas des dogm es d ’ après leurs énon ­ m ilieu.
cés, m ais par la pratique et par la vie. Q ue les fem m es Le m aintien et l ’ usage de l ’ esclavage ne consti­
et les esclaves, par leurs vertus dom estiques, leur ser ­ tuent aucune difficulté de principe. L ’ achat d ’ un
vent donc de m aîtres. · In TU., hom il. iv, n. 3, P. G., esclave est un de ces cas où les Constitutions apos­
t. L xn, col. 685. 11 y revient encore plus loin, et par toliques, 1. II, c. l x i i , Funk, t. i, p. 179, perm ettent
l ’ exem ple de Joseph, qui s ’ était concilié la grâce du d ’ aller au m arché. Q ui ne se rappelle saint G régoire
geôlier, puis de l ’ Égyptien son m aître, il indique que le G rand passant auprès des esclaves anglo-saxons?
la vertu des esclaves adoucit et captive les m aîtres, E t cet esclavage, tel que les Pères le représentent
col. 688. incidem m ent, est encore un service bien astreignant.
La com pénétration de la vie dom estique les rend Saint Pierre C hrysologue décrit le travail de l ’ es ­
d ’ ailleurs égalem ent puissants pour le m al, et saint clave, en com m entant la parabole du serviteur inu ­
Jean C hrysostom e dépeint fort vivem ent com m ent, en tile : Servus apponit domino suo cibos multiplices,
cas de jalousie des époux, les esclaves savent enve ­ arte tota totius soporis conditos; ipse autem semico­
nim er la plaie. De virgin., n. 52, P. G., t. x l v ii i , ctam, nec salitam forsitan comulam gustaturus; porri­
col. 575. A vec l ’ esprit chrétien, les effets du rappro ­ gens crebra pocula, variat calices, vina mutat; ad lon­
chem ent des m aîtres et des esclaves sont tout autres. gissimi convivii fabulas longiores stat fixus, stat moveri
Le chrétien ne peut pas ne pas penser à N otre-Sei­ nescius, stat cujus lacessere non licet servituti. Et cum
gneur, à ses abaissem ents et à son universelle charité. dominus jam partem noctis in somno deducit, peragit
Saint Justin le rem arquait déjà,Dial.cum. Tryph.,134, in quiete, servus colligit, curat, accurat, ponit, componit,
P. G., t. vi, col. 788: « Jésus-Christ s ’ est fait esclave reponit, et sic in rebus necessariis immoratur, ut nihil
jusqu ’ à l ’ esclavage de la croix, pour les hom m es de sibi, aut parum nodis ad escam reservet el soporem.
toute race, divers et d ’ apparence variée, par le sang Homil., c l x i , P. L., t. l i i , col. 624.
et le m ystère de sa croix, il les a rachetés. » D es âm es E t saint A ugustin, pour faire sentir ce qu ’ est la
ont com pris et pratiqué ces leçons, et les esclaves crainte servile, recourait à des souvenirs sans doute
alors n ’ étaient plus à plaindre. D e sainte Paule, très présents à ses auditeurs, Serm., c l x i , n. 9, P. 1. .
saint Jérôm e écrit : De proximis el familiola, quam in t. xxxviii, col. 883: Timet servus offendere domina ’
utroque sexu deservis el ancillis in fratres sororesque suum, ne jubeat eum verberari, jubeat in comped-s
mutaverat, P. L., L xxn, col. 879, et après la m ort mitti, jubeat carcere includi, jubeat eum pistrino eor,-
de Léa, le m êm e docteur rapporte : Humilitatis fuit teri. Tertullien faisait allusion à ce que l ’ on avait sous
tantæ, tamque subjectæ, ut quondam domina plurimo­ les yeux, quand il disait : Oro te, si famulum tuum
rum ancilla omnium pularelur : nisi quod eo Christi libertate mutaveris, quia eadem caro atque anima per­
magis esset ancilla, dum domina hominum non putatur. manebunt, quæ flagellis et compedibus, cl stigmatibus,
P. L., t. xxii, col. 426. Les récents biographes de obnoxias retro fuerant. De ressurr. carnis, 57, P. L.,
sainte M élanie ont rendu populaire la libéralité de cette t. i, col. 879.
sainte fam ille. Cf. G oyau, Sainte Mélanie, p. 90 sq. Saint Jean C hrysostom e, com m entant l ’ É pître à
Lactance indique qu ’ il y a parm i les chrétiens une Philém on, prend ses auditeurs à tém oin de la colère
richesse et une grandeur invisibles : Dicet aliquis : des m aîtres contre les esclaves fugitifs : « V ous con ­
nonne sunt apud vos, alii pauperes, alii divites; alii naissez la fureur des m aîtres contre les esclaves fugi­
servi, alii domini? nonne aliquid inter singulos inte­ tifs; et surtout, s ’ ils fuient après avoir volé, quand
rest? nihil; nec alia causa est,cur nobis invicem fra­ bien m êm e ce seraient d ’ excellents m aîtres, com bien
trum nomen impertiamus, nisi quia pares esse nos s ’ avive cette colère. » In Epist. ad Phil m., hom il. n,
credimus... Cum igitur et liberi servis, et divites paupe­ P. G., t. l x i i , col. 710. Le m êm e docteur nous indique
ribus humilitate animi pares simus, apud Deum tamen que de son tem ps les esclaves, dans le cas d ’ adultère
virtute discernimur? Divin, inst., 1. V , c. xvi, P. L., d ’ une m atrone, partageaient le sort de la coupable.
t. vi, col. 600-601. Lucien est d ’ accord avec l ’ apolo ­ In ps. x l ix , n. 8, P. G., t. l v , col. 253.
giste : « E nsuite leur prem ier législateur leur a per ­ M ais, en retour, n ’ est-ce pas à une pensée com m une
suadé qu ’ ils étaient tous frères... Ils m éprisent donc au plus grand nom bre que fait appel saint Jean C hry ­
tout, et regardent leurs biens com m e com m uns. » sostom e pour m ontrer la convenance d ’ une récom ­
De morte Peregrini, 13. pense en l ’ autre vie : « Q uand m êm e tu serais absolu ­
L ’ enseignem ent m êm e des seuls points essentiels m ent cruel et inhum ain, et plus farouche que les
de la religion am enait cette transform ation d ’ idées fauves, tu ne voudrais pas à la m ort laisser sans
et cette unification que Léon X III décrivait avec pré ­ récom pense l ’ esclave qui t ’ a été fidèle, m ais tu lui
cision dans l ’ encyclique In plurimis : Principio enim donnes la liberté, et tu lui laisses un don... M ais si toi,
solertissima cura Ecclesiæ in eo versata est, ut populus si m échant, tu es ainsi bon et hum ain pour un es ­
Christianus de hac etiam magni ponderis re sinceram clave, la bonté infinie de D ieu... » P. G., t. l v h ,
Christi et apostolorum doctrinam acciperet probeque col. 215. Cf. P. L., t. x x j c v ii i , col. 145.
teneret. Jam nunc per Adamum novum qui est Chri­ La recom m andation revient fréquem m ent chez les
stus, communionem fraternam el hominis cum homine Pères de traiter les esclaves avec bonté et com pas ­
et gentis cum gente intercedere; ipsis, sicut unam sion. « Q u ’ il y ait réciprocité de service et de subor ­
eamdemque, intra natures fines, originem, sic supra dination; de la sorte, il n ’ y aura pas esclavage. Q ue
naturam, originem unam eamdemque esse salutis et l ’ un ne prenne pas la place d ’ hom m e libre; l ’ autre,
fidei : omnes eequabtliter in adoptionem Dei et Patris le rôle d ’ esclave; m ais il est m ieux que m aîtres et
ratos, quippe quos eosdem ipse pretio magno una esclaves se servent m utuellem ent; bien m ieux vaut
redemerit : ejusdem corporis membra omnes, omnesque être esclave de la sorte que m aître dans les conditions
ejusdem participes menses divines : omnibus grattes opposées. » S. Jean C hrysostom e, In Epist. ad Eph.,
munera, omnibus item munera viles immortalis patere. hom il. xix, n. 5, P. G., t. L xn, col. 134. V oir le beau
471 E SC LA V A G E 472

passage du m êm e Père, In I Cor., hom il. x l , n. 5, es, et quasi Domino servitutem debes, et quasi redemp­
P. G., t. l x i , col. 354, l ’ idéal est d ’ apprendre un m étier tori. S. A m broise, De Jacob et vita beata, 1. I, c. m ,
aux esclaves, puis de les affranchir. E t à propos de n.12, P. L., t. xiv, coi. 603, 604. L a vraie servi­
l ’ É pître à Philém on, la tendresse de l ’ apôtre lui sug ­ tude à craindre, c ’ est le péché et, sur ce thèm e, les
gère irrésistiblem ent ces réflexions : « Si donc Paul n ’ a Pères sont inépuisables. Saint A m broise analyse très
pas eu honte d ’ appeler un esclave son enfant, ses en ­ finem ent les diverses passions : mullosque servulos
trailles, son frère, son am i, com m ent pourrions-nous esse dominis liberiores, si in servitute positi a servili­
en rougir? M ais que dis-je, Paul? Si le m aître de Paul bus putent operibus abstinendum. Servile est omne
ne rougit pas d ’ appeler nos esclaves ses frères, com ­ peccatum, libera innocentia..., quomodo enim non ser­
m ent serions-nous honteux de le faire? In Epist. ad ous omnis avarus, qui pro exiguo pecuniæ lucello se
Philem., hom il. n, n. 3, P. G., t. l x ii , col. 711. V oir ipsum auctionatur? Timet omnia ne congesta amit­
plus haut, col. 352, quels étaient, d ’ après l ’ épi — tat, qui non utenda congessit, majore periculo serva
graphie, les rapports des m aîtres et des esclaves. turus quo majora quæsivit. De Joseph, c. iv, n. 20,
Les Pères ne se lassent pas de m ontrer que la divine P. L., t. xiv, coi. 649. Cf. De Jacob, 1. II, c. in,
personne du Sauveur jette sur cette question une coi. 619; De Nabuthe, 28, coi. 739. « Q ui est esclave,
nouvelle lum ière. Les apôtres, dira saint G régoire de sinon celui qui com m et le péché? L 'autre esclavage
N azianze, sont les serviteurs de celui qui s ’ est fait vient des bouleversem ents; m ais l ’ esclavage du pé ­
serviteur pour nous. Orat., xxxn, 18, P. G., t. xxxvi, ché fait le discernem ent des âm es; car, dans le prin ­
col. 196. E t nous som m es tous les disciples de ce M aître cipe, c ’ est de là qu ’ il est venu. » S. Jean C hrysostom e,
qui s ’ est anéanti jusqu ’ à la form e d ’ esclave. Orat., De Lazaro, c. vi, n. 6, P. G., t. x l v i i i , col. 1037,
xxiv, 2, P. G., t. xxxv, col. 1172. Saint C yrille de et un peu plus loin, n. 8, col. 1037 : « Esclavage et
Jérusalem : celui qui a pris la form e d ’ esclave ne liberté sont des m ots. Esclave, qu ’ est-ce à dire? un
m éprise pas les esclaves. Cat., xv, n. 23, P. G., m ot. C om bien de m aîtres enivrés gisent sur leurs
t. xxxiii, col. 901. C 'est encore l ’ exem ple de saint lits, et les esclaves sobres sont là debout. Q ui appel­
Paul et le ministraverunt manus istæ que saint Jean lerai-je esclave? L ’ ivrogne ou le tem pérant? L ’ es ­
C lirysostom e oppose à ceux qui ont de nom breux clave d ’ un hom m e ou le captif d'une passion? L ’ un
esclaves:» Pourquoi avoir beaucoup d ’ esclaves? C 'est a l ’ esclavage au dehors; l ’ autre a sa chaîne au dedans.
l'utilité seule qu ’ il faut envisager dans le vêtem ent et A quoi bon posséder les biens extérieurs, si on ne
dans la nourriture, et aussi pour les esclaves. A quoi s ’ appartient pas à soi-m êm e? » M êm e idée dans saint
servent-ils donc? A rien. Il suffirait d ’ un esclave pour H ilaire : Ceterum conditionem corporis religiosœ ani­
un m aître, ou m êm e d ’ un esclave pour deux ou trois mes generositas despicit. Officium quidem durum, ta­
m aîtres. C ela paraît rigoureux; m ais pense à ceux qui men homini non omnino miserabile, quia serviatur a
n ’ ont pas m êm e un esclave. » Homil., x l , in I Cor., servis; at vero animæ captivitas quam infelix est. In
n. 5, P. G., t. l x i , col. 353. D ans l ’ apostrophe à l ’ Église ps. cxxv, n. 4, P. L., t. ix, coi. 687, cf. coi. 771.
à la fin du I er livre du De moribus Ecclesiœ, saint L ’ idée est plus am plem ent exprim ée par saint Jean
A ugustin dit : Tu dominis servos, non tam conditionis C hrysostom e : «L ’ esclavage est un m ot; celui-là est
necessitate quam officii delectatione doces adhrerere. Tu esclave qui com m et le péché; et parce que Jésus-
dominos servis, summi Dei communis domini conside­ C hrist par sa venue a détruit l ’ esclavage, et ne l ’ a
ratione placabiles,et ad consulendum quam coercendum laissé être qu ’ un m ot, et que m êm e il a élim iné ce
propensiores facis. P. L., t. xxxn, coi. 1136. Le m êm e m ot, écoutez l'apôtre : ceux qui ont des m aîtres
saint A ugustin, sur le ps. cxxiv, n. 7 : Ecce non fecit fidèles, qu ’ ils ne les m éprisent pas parce qu ’ ils sont
de servis liberos, sed de malis servis, bonos servos. leurs frères. V oyez com m e la vertu entrant au m onde
Quantum debent divites Christo, qui illis componit a rapproché jusqu ’ à la fraternité ceux qui, aupara ­
domum! ut si ibi fuit servus infidelis, convertet illum vant, portaient le nom d ’ esclaves. » In Gen., c. ix,
Christus, et non ei dicat : dimitte dominum tuum; jam hom il. xxix, n. 7, P. G., t. l u i , col. 270. « Le C hrist
cognovisti eum qui verus dominus : ille forte impius ne laisse pas l ’ esclave être esclave, ni l ’ hom m e qui
est et indignus, tu jam fidelis et justus; indignum est est réduit à la servitude. V oilà qui est adm irable.
ut justus et fidelis serviat iniquo et infideli. Non hoc C om m ent donc un esclave dem eurant esclave peut-
ei dixit, sed magis : et ut corroboraret servum, hoc dixit : il être libre? Q uand il est débarrassé des passions et
Exemplo meo servi; prior servivi iniquis... Ecce servii des m aladies de l ’ âm e, quand il m éprise les richesses,
melior deteriori, sed ad tempus. P. L., t. xxxvn, la colère et les autres convoitises... E t au contraire,
coi. 1653-1654. quand un hom m e libre devient-il esclave? Q uand il
L a leçon m orale revient sans cesse; le vrai service, s ’ assujettit pour les hom m es à quelque m auvaise
c ’ est celui de D ieu, et tout hom m e y est tenu. Servum servitude, soit cupidité, soit am our des richesses ou
si haberes, velles ut serviret tibi servus tuus; servi tu de la puissance. » E t le docteur conclut un peu plus
meliori domino Deo tuo. Servum tuum non tu fecisti, loin : « V oilà le christianism e : dans l ’ esclavage, il
et te et servum tuum ille fecit; vis ut tibi serviat cum quo confère la liberté. E t com m e un corps invulnérable
factus es et non vis ei servire a quo factus es. Ergo cum se m ontre tel quand il reçoit un trait sans rien souf ­
vis ut serviat tibi servus tuus homo, et tu non vts frir, ainsi l ’ hom m e, vraim ent libre, se m ontre libre,
servire domino Deo tuo, facis Deo quod tu pati non vis. lorsque, ayant des m aîtres, il n ’ est pas asservi. A ussi
P. L., t. x x x v i ii , coi. 87. Redde quod exigis... Amas le christianism e ne défend pas de rester esclave. »
servum qui fideliter cuslodit aurum tuum: noli con­ In I ad Cor., hom il. ix.n. 4, 5, P. G., t. l x i , col. 156-
temnere dominum qui misericorditer custodit cor tuum. 157. Cf. P. G., t. xxxvn, col. 260; t. x l i v , col. 266.
Serm., xxxvi, n. 8, P. L., t. x x x v i i i , coi. 219. L ’ histoire du patriarche Joseph était des plus ins ­
L a vraie condition de l ’ hom m e, quelles que puis ­ tructives pour les esclaves : ses infortunes et sa vertu
sent être les apparences, c ’ est la servitude, et elle étaient des exem ples des m ieux appropriés à leurs
repose sur un double titre : Nam et ille qui quasi servus épreuves. Cf. De Joseph, iv, 21, P. L., t. xrv,
redemptus est, libertatem habet, et iste qui quasi liber col. 650; In ps. cxxvti, n. 1, P. G., t. l v , col. 366;
vocatus est, bonum est illi ut servum Christi se esse Oral., xxxiii, n. 10, P. G., L xxxvi, col. 228.
cognoscat, sub quo servitus tuta et libertas secura... E m pruntons enfin aux Pères ces dernières cita ­
Revera enim omnes Christi liberti sumus, nemo liber... tions, qui traduisent si bien la philosophie du chris ­
Nescis quod te Adse atque Evœ culpa mancipaverit ser- tianism e, si propre à assagir le m aître et à relever
oiluli... Servus es qui creatus es, servus es qui redemptus l ’ esclave. Homil., xxn, in Eph., n. 1, P. G., t. l x i i ,
473 E SC LA V A G E 474

col. 155, sur le Subjecti invicem de l ’ apôtre, saint affranchit ce dernier. Ibid., V II, vi, 3. D e m êm e !<·
C hrysostom e dit : « Ce n ’ est point là bassesse, m ais service rendu par la dénonciation du faux m onnaye
la vraie noblesse : savoir s ’ hum ilier, être m odéré, Code théodosien, IX , xxi, 2, du déserteur, ibid!.,
céder à autrui. » E t saint A m broise à C onstantius, V II, xvin, 4, du ravisseur, ibid., IX , xxiv, est récom ­
évêque nouvellem ent élu : Servos quoque dominus pensé par l ’ affranchissem ent.
jure servitii subditos habeat pro moderamine coerci­ Plusieurs lois écartent le danger de perversion, c*.
tionis, quasia nimæ consortes. Paterfamilias enimit dici­ redoutent pour la foi de l ’ esclave la présence d ’ ur.
tur, ut quasi filios regat; quoniam et ipse Dei servus m aître juif. L'esclave chrétien acheté ou circoncis p. r
est, et patrem appellat dominum cæli, moderatorem un juif est libéré. Le m aître juif qui a circoncis l ’ es ­
potestatum omnium. Epist., n, 31, P. L., t. xvi, clave est puni de m ort. Les juifs ne peuvent avoir
coi. 887. Cf. P. L., t. xiv, coi. 311, la servitude dans d ’ esclaves chrétiens que s ’ ils leur laissent pratiquer
un esprit de charité est une bénédiction. E t en com ­ leur religion. L ’ esclave qui dénonce le fait de la servi­
m entant les béatitudes, saint Jean C hrysostom e : tude d ’ un chrétien chez des juifs, sera lui-m êm e
« Q ue tu sois esclave, ou pauvre, ou m endiant, rien affranchi. Les prescriptions se renouvellent : Nefas
ne t ’ em pêchera d ’ être heureux, si tu cherches cette enim æstimamus religiosissimos famulos impiisimo-
vertu d ’ hum ilité. » P. G., t. L vn, col. 225. Cf. P. L., rum emptorum inquinari dominio. Code justinien,
t. xxxviii, col. 393 : Pater noster... hoc dicit servus, X V I, ix.
hoc dicit dominus ejus. Si le danger m enace les m œ urs, les lois se font ri ­
La transform ation des conditions économ iques, goureuses. Si quelqu ’ un vend pour la prostitution :
dont C iccotti soutient l ’ influence dans son travail sur feminas, quæ se venerationi christianæ legis sanctis­
le déclin de l ’ esclavage antique, avait déjà été signa ­ simas dignoscuntur, tout ecclésiastique et tout fidèle
lée et ram enée à sa juste valeur, dans Paul A llard, peut les racheter. Code théodosien, X V , vin, 1. L 'ac ­
Les esclaves chrétiens, p. 490. trice qui devient chrétienne est libérée : melior vivendi
La législation des em pereurs chrétiens se m odifie usus vinculo naturalis conditionis evolvit. Ibid., X V ,
en faveur des esclaves. Le dim anche, les procès et vu, 4.
toutes les affaires chôm eront pour qu ’ on puisse af ­ C ontre ces dangers, héritage du paganism e, les nou ­
franchir. Code justinien, III, xn, 2. C ar, disait déjà velles lois se font intransigeantes. Le plagiaire ne sera
C onstantin en 321, gratum et jucundum est, eo die, plus condam né aux m ines; s ’ il est esclave, il sera je λ
quæ sunt maxime votiva, compleri. Code théodosien, aux bêtes; s ’ il est libre, in ludum detur gladiator: r-.
n, 8. T antôt cette sym pathie pour l ’ esclave, ce désir ut, antequam aliquid faciat, quo se defendere possi!.
de sa liberté et de son bien inspirent le retrait d ’ an ­ gladio consumatur. Ibid., IX , xvin. Le ravisseur,
ciennes lois; tantôt elles font édicter des peines plus fût-ce d ’ une esclave, est puni de m ort. Code justinien.
rigoureuses. L'affranchissem ent accordé par les tes ­ IX , xiii. Q uant au péché contre nature : hujusv :
tam ents n'est plus restreint à certaines lim ites lege scelus spectante populo flammis vindicibus expiabit.-!.
Furia Canisia de cetero cessante. Code justinien, V II, Code théodosien, IX , vu, 6. Cf. 3. Les m aîtres qui
ni. Les m ineurs, eux aussi, pourront affranchir, va­ forcent les esclaves à la prostitution encourent l'exil
cante lege quæ hoc primitus prohibebat. N ov., C X IX , 2. ou le travail des m ines : minor poena est, quant si
Tous les enfants peuvent succéder; ils pourront donc præceplo lenonis cogatur quispiam coitionis ferre sordes
tous affranchir; un droit vaut l ’ autre : maxime pro quas nolit. Ibid., X V , vin, 2. Si un hom m e veut pros
libertate quam /overe et tueri Romanis legibus et præ- tituer mancipia tam aliena quam propria, ces infor ­
cipue nostro nomini peculiare est. Code justinien, tunés seront m is en liberté, et le leno gravissime ver
V II, xv, 1. L 'héritier ne peut retarder un affranchis ­ beratus hujus urbis finibus... ad exemplum omnium
sem ent accordé par testam ent : cum satis impium emendationemque pellatur. N ov. deThéodosc, X V III. La
atque absurdum sit; heredes testatoris differre volun­ fem m e libre qui se livre à un de ses esclaves, est
tatem, maxime cum ad libertatem respiciat. Code jus ­ punie de m ort. Code justinien, IX , ix, 1. Q uant aux
tinien, V II, iv, 15. E t si l ’ héritier m eurt avant d ’ avoir esclaves qui ont favorisé les désordres d ’ une jeune
affranchi, suivant le testam ent, un esclave à son choix, fille libre, elles auront ce châtim ent : ut eis meatus
tous seront affranchis. Ibid., V II, iv, 16. oris et faucium, qui nefaria hortamenta protulerit,
C ’ est sous l ’ inspiration de ce m êm e désir que le liquentis plumbi ingestione claudatur. Code théodo ­
Code préfère la sentence d ’ U lpien : Ulpiani sententia sien, IX , xxiv, 1. Il est défendu d ’ avoir des esclaves
admodum placuit, maxime propter libertates ne depe­ joueuses de flûte. Ibid., X V , vu, 10. C onstantin se
reant. Ibid., V II, π, 15. E t d ’ ailleurs, c ’ est une ten ­ prononce m êm e contre les gladiateurs : Cruenla spe
dance générale : Nobis autem omne extat judicium clacula in otio civili et domestica quiete non placent.
subsistere libertates atque valere, et in nostra florere et Ibid., X V , xn, 1. Il en flétrit le nom : gladiatoris
augeri republica. N ov., L X X V III, 4. A ucunelongueur delestando nomine, ibid., X V , xn, 2; m ais ces répro ­
de tem ps, fût-ce soixante ans, ne peut prescrire contre bations devaient encore rester stériles. Les lois de
la liberté : libertatis jura minime mutilari oportere emendatione servorum restent sévères; m ais déjà le
congruit œquilati. Code justinien, V II, xxn, 3. Plus m aître peut être accusé d ’ hom icide (319). Ibid., IX ,
d ’ergnstules: les évêques les feront évacuer : Ipsisqui xn, 1, 2. U n peu plus tard sous le consulat de M ero-
custodiuntur, Dei amicissimorum loci episcoporum pro­ baude(383),il n ’ est plus possible d ’ accuser un esclave
videntia a detenlione remissis. Ibid., I, rv, 23. Plus de sans s ’ exposer soi-m êm e à quelque peine. Ibid., IX ,
servitus pœnæ. N ov., X X II, 8. Neque enim mutamus i, 14.
nos formam liberam in servilem statum; qui etiam L ’ une des réform es de C onstantin intéressait un
dudum servientium manumissores esse jestinavimus. très grand nom bre d ’ esclaves : désorm ais les fam illes
Pour réclam er la liberté, l ’ esclave n ’ a plus besoin de ne seront plus séparées : ut integra apud possessorem
l ’ assistance d ’ un adsertor. Code justinien, V II, xvn, 1. unumquemque servorum agnatio permaneret. Quis enim
Les enfants trouvés, les expositi, seront libres, ibid., ferat, liberos a parentibus, a fratribus sorores, a viris
I, iv, 24; et le sentim ent qui les a fait recueillir : vo­ conjuges separari? Code théodosien, II, xxv. E t Jus
luntas misericordiœ arnica, ibid., V III, l u , 2, doit jus ­ tinien, apprenant que dans les provinces de M éso
qu ’ au bout rester désintéressé : ne videantur quasi potam ie et d ’ O shroène, il y a encore de ces sépa ­
mercimonio contracto ita pietatis officium gerere. Ibid., rations, proscrit absolum ent cette pratique nostris
V III, L II, 3. plane temporibus indignum. N ov., C LV II.
L a m aladie,lorsque le m aître abandonne l ’ esclave, Toutes ces m esures ont une saveur chrétienne;
475 E SC L A V A G E 476

d ’ ailleurs le m otif de foi qui les a dictées s ’ affirm e à t. ix, coi. 1227. Les difficultés pratiques pouvaient être
plusieurs reprises : Perfectis nobis omnibus bonis a considérables; saint B asile s'en préoccupe. Reg. fusius
magno Deo datis, existimavimus oportere et ipsas servo­ tract., xi, P. G., t. xxxi, col. 948. Il y a des cas où,
rum libertates... eis omnino puras et infucatas et per­ devant la m auvaise volonté du m aître, il faudra pré
fectas efficere. N ov., L X X V IIII. Les affranchissem ents parer l'esclave à la patience; d ’ autres fois, celui qui
peuvent se faire à l ’ Église; ils y auront pleine valeur aura reçu ce fugitif devra obéir àD ieu plutôt qu ’ aux
juridique, et l ’ on ne doute pas que l ’ esprit chrétien hom m es. O u conçoit l ’ influence que devait avoir
choisira ce procédé : Qui religiosa mente in ecclesiæ gre­ l ’ exem ple de cette vie que riches et pauvres venaient
mio servulis suis meritam concesserint libertatem... partager pour servir D ieu. Joseph de M aistre l ’ a ex ­
Code théodosien, IV , vn, 1. (U n texte de 316, porte prim é en term es forts et exacts :· Q u'est-ce que l ’ étal
déjà : /amdudum placuit, ut in Ecclesia catholica liber­ religieux dans les contrées catholiques? C ’ est l ’ escla ­
tatem domini suis /amulis præstare possint. Code Jus ­ vage ennobli... A u lieu d ’ avilir l ’ hom m e, le vœ u de
tinien, I, xm , 1.) Les condam nés au cirque ou aux religion le sanctifie. A u lieu de l ’ asservir aux vices
m ines ne seront plus m arqués : quo fades quæ ad si­ d ’ autruj, il l ’ en affranchit. E n le soum ettant à une
militudinem pulchritudinis cælestiscst figurata, minime personne de choix, il le déclare libre envers les autres
maculetur. Code théodosien, IX , XL, 2. A ussi com ­ avec qui il n ’ aura plus rien à dém êler. » Du pape,
prend-on sans peine que ces lois indiquent com m e Lyon, 1884, p. 346. O n a revu depuis ce qu ’ avaient
m otif d'affranchissem ent, l ’ élévation à l ’ épiscopat. vu les âges passés. M . A . Cochin écrit, en parlant de
A ssurém ent, l ’ esclavage n ’ est pas aboli; m ais l ’ estim e l ’ ÎIe de la R éunion : « Les filles de M arie sont un ordre
due à l ’ âm e im m ortelle, et surtout baptisée, s ’ étend fondé depuis 1848; les sœ urs sont blanches ou noires,
jusqu ’ à l ’ esclave; et de ces préoccupations, inouïes ct l ’ on a vu d ’ anciennes esclaves devenues supé ­
jusque-là chez le législateur, c ’ est un résum é bien rieures des filles de leurs anciennes m aîtresses. » De
elliptique que de se borner à dire, com m e l ’ ont fait l’abolition de l'esclavage, t. i, p. 320.
nom bre de jurisconsultes : « Les em pereurs chrétiens 3. Q uant au m ariage, le droit canon s ’ occupe à plu
n ’ apportèrent aucun adoucissem ent nouveau au soit, sieurs reprises de la condition servile. Elle annule un
des esclaves. » G . M ay, Éléments de droit romain, m ariage contracté sans connaître cet état; elle le
p. 53. Cf. Ch. M aynz, Droit romain, t. m , p. 11-1. iaisse valide, si cette condition était connue des con ­
En regard de ces détails de législation civile, il tractants, 1. IV, tit. ix. H adrien IV proclam e de nou ­
faut noter brièvem ent, sauf à anticiper un peu sur veau la valeur du m ariage contracté contre le gré
l ’ ordre chronologique, com m ent fut assuré aux es ­ du m aître, m ais l ’ esclave continuera à servir celui-
claves l ’ accès aux plus grands faits de la vie ou de la ci. Q. il, c. 29, les m êm es décisions sont énoncées.
société chrétienne : l ’ ordination sacerdotale, l ’ entrée S ’ il y a eu partiellem ent quelques décisions de con ­
dans la vie religieuse, le m ariage. ciles exigeant le consentem ent des m aîtres, on en
1. La condition servile est une irrégularité vis-à-vis conçoit le but : prévenir toute contrainte de séparation
de l ’ ordination sacerdotale. D ist. L1V, c. 21, S. Léon; après le m ariage. V oir col. 453-455.
dist. LIV , c. 12, S. G élase; G régoire IX , Décrétales, III. L e s e r v a g e . — E ntre l ’ esclavage et la liberté,
l. I, tiL xvm , c. i. A l'insu de leurs m aîtres, les escla ­ la prem ière étape fut le colonat, et la seconde le ser ­
ves ne peuvent être ordonnés. Si les m aîtres consen ­ vage. · Οη conçoit assez qu ’ il est im possible de dater
tent, il y a affranchissem ent ipso facto. Si l ’ ordination les phases d ’ une pareille transform ation, dont A ug.
a lieu à l ’ insu ou contre le gré du m aître, l ’ évêque, ou Thierry affirm ait : « La réduction de l ’ esclavage an ­
ceux qui l ’ ont renseigné, doivent rem placer le nou ­ tique au servage de la glèbe, très avancée au ix° siècle,
veau prêtre par deux esclaves. D ist. LIV , c. 19. Si s ’ acheva au x°. Le point de départ avait été le colo­
l ’ évêque a été trom pé par l'esclave; à ce dernier de se nat : un esclave, un hom m e libre, un barbare ac ­
faire rem placer, ou il sera déposé, s ’ il n ’ est que diacre. cueilli par l ’ É tat, étaient fixés au sol et donnaient,
S ’ il est prêtre, il com pensera son m aître, à tout le com m e redevance, une part des fruits de leur travail.
m oins en étant à son service spirituel. L ’ irruption des barbares, la com pénétration des cou ­
2. La N ovelle V , 2, qui règle l ’ accès à la vie reli ­ tum es de provenance diverse, l ’ élaboration du m onde
gieuse, suscite m oins de difficultés, eo quod omnes féodal avaient successivem ent m odifié cet état. Q uelle
similiter divina susceperit gratia. H om m es libres ou part a prise l ’ Église à ce m ouvem ent?
esclaves sont astreints seulem ent à trois ans d ’ essai. 1° Les conciles. — Les m esures édictées par les
Sive servi, penitus non inquietari, migrantes ad com­ conciles nous perm ettent de m ieux connaître celle
munem omnium (dicimus autem cælestem) dominum, société. R igueurs d ’ un paganism e encore récent : con ­
et arripiantur in libertatem, bl am si multis casibus ex cile d ’ E lvire (305), c. 5 : Si qua domina, furore zeli
lege hoc fit et talis quædam libertas datur, quomodo non accensa, flagris verberaverit ancillam suam, ita ut in
prævalebit divina gratia talibus eos absolvere vinculis ? tertiam diem animam cum cruciatu effundat..., sept ans
Si le m aître réclam e l ’ esclave en prétextant qu ’ il a de pénitence, si l ’ hom icide est volontaire; cinq ans,
volé, ou le fait est vrai, et alors qu ’ il reprenne son si c'est par im prudence. Le christianism e ne consti­
esclave après avoir juré de ne point le m altraiter; ou tue pas par lui-m êm e un affranchissem ent : concile de
le fait est inexact, et dès lors que le fugitif ne soit G angres (324 ?), c. 3 : Si quis servum prœtextu divini
plus inquiété. Si l ’ esclave fuit le m onastère et cherche cultus debeat dominum contemnere proprium, ut disce­
à vivre ailleurs, son ancien m aître peut le reprendre : dat ab ejus obsequio, nec ei cum benevolentia et omni
non enim injuriam patietur tantum ad verum servitium honore deserviat, anathema sit. N écessité d ’ opposer
tractus, quantum ipse injuriatus est Dei culturam refu­ une peine canonique à l'hom icide arbitraire com m is
giens. sur un esclave : concile d ’A gde (506), c. 62 : Si quis
Le seul fait du séjour au m onastère dans le dessein servum proprium sine conscientia judicis occiderit, ex­
d ’ y entrer suspend la servitude. Code justinien, I, communicatione vel pænilentia biennii reatum sangui­
m , 38. U n concile de R om e, sous saint G régoire le nis emundabit. R enouvelé par le concile d ’ Épaon (517).
G rand, constate le grand nom bre des candidats à la c. 34, et par le concile de W orm s (868), c. 38. La li ­
vie religieuse, et établit sagem ent une probation pour berté accordée est m aintenue parla loi ecclésiastique:
établir la sincérité de leurs désirs. D ’ opposition systé ­ concile d ’ O rléans (549), c. 7 : ... quia plurimorum
m atique, il ne peut pas être question : si veto festi­ suggestione comperimus, eos qui in ecclesiis juxta
nantes ab omnipotentis Dei servitio incaute retinemus, patrioticam consuetudinem a servitio fuerint absoluti,
illi invenimur negare quædam qui dedit omnia. M ansi, pro libilo quorumcumque iterum ad servilium revocari
4ΠΊ E SC LA V A G E 478

impium esse tractavimus, ut quod in ecclesia Dei chissem ents seront révoqués par le successeur. Concile
consideratione a vinculo servitutis absolvitur, irritum de Tolède (633), c. 67; du m êm e lieu (638), c. 9; de
habeatur. C oncile d ’ A rles (452), c. 33 : Si quis per R eim s (630), c. 13. M ais les évêques sont obligés d ’ aver ­
testamentum manumissum in servitute, vel obsequio, vel tir les affranchis à la m ort du prélat qui leur donna
in colonaria conditione impremere lentaverit, animad ­ la liberté, de présenter leurs lettres d ’ aflram
versione ecclesiastica coerceatur. C. 34 : Si quis in m ent, afin qu ’ ils ne soient point joués par la cupidi:;
ecclesia manumissum crediderit ingrati titulo revo­ des clercs.
candum, non aliter liceat, nisi eum gestis apud acta Là où la vente est concédée, elle ne se fera qu ’ en
municipum reum esse ante probaverit. Cf. concile présence d'arbitres qualifiés. De mancipiis, ut non
d ’ O range (441), c. 7; d ’ A gde (506), c. 29; de Lyon vendantur, nisi in præsentia episcopi vel comitis, aut
(566), c. 3; de R eim s (625), c. 17. L ’ Église défend les in præsentia archidiaconi aut centenarii. C apitul., v,
causes de ceux qui ont été affranchis devant elle. 203. U n concile de Londres en 1102, c. 27, est, sem ble-
C oncile de M âcon (585), c. 7; de R eim s (630), c. 17. t-il, le dernier qui ait à rappeler cette règle : A 'e quis
Le droit d'asile des églises sera respecté par les m aîtres illud nefarium negotium, quo hactenus in Anglia
ainsi que les serm ents de pardon qu ’ ils auront pro ­ solebant homines sicut bruta animalia venumdari,
noncés; on ne perm ettra pas aux esclaves de se sous ­ deinceps nullatenus facere præsumat.
traire à leurs m aîtres. C oncile d ’ O rléans (511), c. 3; Q ue prouvent cee textes dont l ’ efficacité est incer­
V» du m êm e lieu (549), c. 22; de R eim s (630), c. 27 : taine? Prouvent-ils que l ’ Église a légiféré pour pro ­
Si quis fugitivum ab Ecclesia absque sacramento quo clam er une liberté civile dont personne n ’ entrevoyait
ei jurandum est, ut de vita, tormento et truncatione l ’ idée, et dont l ’ exercice eût été bientôt com prom is;
securus exeat, qualicumque occasione abstraxerit, ou à tout le m oins qu ’ elle s ’ est préoccupée d ’ utiliser
communione privetur. Similiter, si quis jus sacramenti son influence dans ce sens? A ssurém ent non: m ais ils
præstitum violaverit, communione privetur. Ille vero prouvent, au m ilieu d ’ une législation civile incom ­
qui sanctæ Ecclesiæ beneficio liberatur a morte, non plète (et confiée, à quelles m ains, le plus souvent!),
prius egrediendi accipiat libertatem, quam prenden­ le souci constant de donner à tous les asservissem ents
tium. se pro scelere esse facturum promittat, et quod assez de latitude pour que les serfs puissent être fidèles
ipsi canonice imponetur, impleturum. à leur devoir de chrétien, et d'anim er le plus possible
O n réprouve de la part des prêtres toute enquête toutes les relations des hom m es de cet esprit de cha
d ’autorité privée parm i leurs serfs; s ’ ils font appliquer rité, qui était le com m andem ent nouveau et le signe
la torture, ils sont déposés et excom m uniés, concile de auquel on devait reconnaître les disciples de Jésus-
M érida (666), c. 15; s ’ ils ordonnent une m utilation, C hrist.
ils sont déposés, em prisonnés et excom m uniés jus ­ 2° Les faits. — Il est juste de recourir à la corres ­
qu ’ à la m ort. C oncile de Tolède, X i (675), c. 6. L ’ asser ­ pondance de saint G régoire le G rand. L ’ étendue de
vissem ent aux juifs est repoussé à plusieurs reprises. ses dom aines, son application très précise à leur ges ­
C oncile d ’ O rléans (541), c. 30, 31; de M âcon (581), tion, ont fait de ce saint si providentiellem ent donne
c. 16 : Nefas est, ut quos Christus Dominus sanguinis à l ’ Église, le prototype de ce que devait être l ’ adm inis ­
sui effusione redemit, persecutorum vinculis maneant tration ecclésiastique, chez ceux-là du m oins qui
irretiti; de Tolède (589). e. 11; de R eim s (630), c. 11; seraient fidèles à l ’ esprit de leur vocation : une sagesse
de Tolède X (657), c. 7; d ’ O rléans (538), e. 13 : les tem pérée par la charité : sicque patrimoniales utilitates
chrétiens forcés à judaïser seront rachetés suivant une peragat, ut a benignitate justitiæ non recedat. Reg., i,
justa taxatio. D ans les fam illes de serfs, appartenant 55, P. L., t. L xxvn, col. 517. Il rejetait tout ce que
à l ’ Église, on aura à cœ ur de faciliter l ’ accès du sacer ­ l ’ équité n'approuvait pas pleinem ent : nos sacculum
doce à ceux qui le m ériteraient. C oncile de Tolède Ecclesiæ ex lucris turpibus nolumus inquinari. Reg.,
(655), c. 11 : Qui ex familiis ecclesiæ servituri devo- I 1, 44, col. 502. Si des esclaves fuient leurs m aîtres, se
cantur in clerum, ab episcopis suis libertatis necesse proclam ent serfs d ’ église, et sont acceptés par les
est percipiant donum; et si honestx vitee claruerunt adm inistrateurs ecclésiastiques, mihi tantum displi­
meritis, tunc demum majoribus fungantur olflciis. Cf. cet, quaidum a veritatis judicio abhorret. Reg., i, 36.
concile de M érida (666), c. 18. O n n ’ ordonnera pas col. 490. E t dans un cas contraire : Durum est ut si
de serfs sans donner au m aître une com pensation. alii pro mercede sua libertates tribuunt, ab Ecclesia quam
Concile de Tolède (400), c. 10; d ’ O rléans (511), c. 8. tueri has oportuerat, revocentur. Reg., i, 55, coi. 517.
Ceux que l ’ évêque a affranchis sint liberi, et tamen a Il écrit pour la liberté d'un esclave, Reg., vm , 21;
patrocinio Ecclesiæ tam ipsi quam ab eis progeniti m ais, sans pharisaïsm e, il accepte un jeune esclave
non recedant, concile de Tolède (589), c. 6 ; de Paris qu ’ on lui a légué, et l ’ envoie à un évêque de ses am is :
(615), c. 5 : Liberti quorumcumque ingenuorum a sa­ Prælerea quidam moriens unum mihi puerulum dimisit:
cerdoti bus defensentur. de cujus anima cogitans, eum dulcedini vestræ trans­
Le serf que son m aître fait travailler le dim anche misi, ut in ejus vivat in hac terra servitio, per quem
est affranchi, concile anglo-saxon (692), c. 3; d ’ Éauze ad libertatem cæli valeat pertingere. Epist., 1. V II,
(551), c. 6 : Id intuitu pietatis et fustiliæ convenit epist. xxx, P.L., t. L xxvn,col. 887. 11 faut entendre
observari, ut familiæ Dei leviorem quam privatorum en fin le classique prélude de la liberté accordée à M on ­
servi opere teneantur. Le rachat des captifs est ardem ­ tanus et à Thom as : Cum redemptor noster totius condi­
m ent recom m andé : Pietatis est maximæ et religionis tor creaturæ, ad hoc propitiatus humanam voluerit car­
intuitus, ut captivitatis vinculum omnino a Christianis nem assumere, ut, divinitatis suœ gratia, dirupto quo
redimatur. S. G régoire, Epist., 1. V I, epist. xxxv; tenebamur capti vinculo servitutis, prislinæ nos re­
1. V II, epist. xiv; concile de Lyon (583), c. 20; de stituerit libertati, salubriter agitur si homines quos ab
M âcon (585), c. 6; de R eim s (625), c. 22; de C halon initio natura liberos protulit, et jus gentium jugo
(650), c. 9. Les m aîtres dont les serfs auraient cher ­ substituit servitutis, in ea qua nati fuerant, manumit­
ché asile dans l ’ église ne pourront pas im puném ent tentis beneficio, libertate reddantur. Atque ideo, pie­
essayer de se com penser en prenant les serfs des tatis intuitu et hujus rei consideratione permoti, etc.
prêtres. C oncile d ’ O range (441), c. 6; d ’ A rles (452), Epist., 1. V I, epist. xn, P. L.,t. l x x v i i , coi. 803.
c. 32. Encore ici, saint G régoire le G rand a parlé pour
Le bien d ’ église est inaliénable; et par conséquent, tout le m oyen âge; ces préam bules, trop fréquem ­
un évêque ne pourra affranchir les serfs d ’ une église m ent regardés com m e phraséologie conventionnelle,
sans fournir à celle-ci com pensation; sinon, les affran ­ restent com m e les considérants de ces jugem ents;
4M E SC LA V A G E 480

ils laissent discerner l'im pulsion prem ière qui anim e me, sed etiam aliqua jure hereditario mihi concessa
le tout : et ce sera toujours la foi. eidem Domino Deo offero, sanclisque ejus apostolis
D ans les saints, évêques ou autres, ces sentim ents Petro et Paulo et ad locum Cluniacum... Dono autem
d'esprit chrétien ont eu une vigueur et une délica ­ hæc pro redemptione animæ meæ, omniumque parentum
tesse qui a dépassé la pratique ordinaire assurém ent, meorum. Charles de Cluny, t. ni, p. 280, n. 2085. Cf.
m ais qu ’ il est cependant tout à fait juste de relever, n. 2173. R otfrcdus se donne, lui et son fils, à l ’ abbaye :
à l'honneur de la religion qui les a inspirés. 11 suffit Christi amore præventus, a negociis sæcularibus memet-
de rappeler com m ent saint Paulin parle de son ser ­ ipsum abstrahere cupiens, el in Dei servitio deinceps
viteur V ictor, Epist., x x i i i , P. L., t. l x i , col. 259 : occupare vitam meam sub regulari norma desiderans.
Servivit ergo mihi : servivit, inquam; et væ mihi misero, Ibid., t. iv, p. 278, n. 3109.
quod passus sum; servivit et peccatori qui non serviebat La m anière dont les serfs étaient traités par l ’ Église
peccato. m ontre un allégem ent du servage, m énagé lentem ent
La charité envers les captifs a été une caractéris ­ et sans heurt, m ais réel. Les serfs de l ’ Église travail­
tique com m une à tous les saints qui ont assisté aux laient pour eux la m oitié des jours ouvrables, et c ’ était
guerres des tem ps m érovingiens, ou qui ont rencontré vraim ent une situation privilégiée. Le Polyptyque de
les derniers trafiquants d ’ esclaves qu'ait connus l ’ abbé de Saint-G crm ain-des-Prés, Irm inon, en 826,
l ’ O ccident. Il faut au m oins citer les nom s de saint fait connaître quelques détails de cette vie, et perm et
C ésaire d ’ A rles, de saint É piphane de Pavie, de saint à Paul A llard de conclure : « Le serf des grandes
A m and, de saint R iquier, de saint Philibert, abbé de abbayes de cette époque ne diffère de l ’ hom m e libre
Jum ièges, de saint A vit de V ienne, de saint Lézin que par sa résidence forcée à la cam pagne. » Esclaves,
d ’ A ngers. Fortunat signale la charité de l ’ évêque de serfs, mainmortables, p. 161.
B ordeaux, Léontius, de l ’ évêque de M ayence, Sido ­ Si la defensio de ceux qui avaient été affranchis,
nius, de l ’ évêque de Périgueux, C ronopus. Saint C ésaire m êm e par des laïques, était souvent confiée à l ’ Église,
a donné la raison de ces libéralités : « Je voudrais bien si ces cas étaient évoqués devant la juridiction de
savoir ce que diraient ceux qui m e critiquent, s ’ ils l ’ Église, c ’ était honneur et profit pour elle sans doute,
étaient à la place des captifs que je rachète. D ieu, qui m ais c ’ était aussi sécurité pour l ’ affranchi. « Les
s ’ est donné lui-m êm e pour prix de la rédem ption des hom m es qui se donnent librem ent à un saint, ceux qui,
hom m es, ne m ’ en voudra pas de racheter des captifs contraints de se vendre, souhaitent lui appartenir, ont
avec le m étal de son autel. » M alnory, S. Césaire pu prendre cette décision pour des m otifs religieux,
d’Arles, p. 97. Saint G erm ain de Paris, au dire de m ais sans doute la protection qu ’ assurent les églises
Fortunat, a été l ’ un des plus m agnifiques : Quanta à leur familia dans une époque d ’ insécurité, a exercé
enim fuerit redemptionis effusio nullatenus explica­ aussi sur eux quelque attrait. » Lesne, Histoire de la
bitur, vel loco, vel numero. Unde sunt contiguæ gentes propriété ecclésiastique en France, p. 251.
in testimonium, Hispanus, Scotus, IFasco, Saxo, V oir cet ouvrage, I. IV , c. x x , La familia des églises et
Burgundio, cum ad nomen Beati concurrerent undique des monastères, pour ram èn era leur ju ste valeur quelques
liberandi jugo servitii. P. L., t. l x x ii , coi. 76. difficultés élevées p ar M . M arcel F ournier, dans la Benne
D e sainte B athilde, jadis vendue com m e esclave, historique, t. x x i, 1 .Les affranchissements du v a au xni· siècle;
son biographe nous rapporte : Et illud commemoran­ influence de l’Église, de la royauté et des particuliers sur la
dum est, quia ad mercedis ejus cumulum pertinet, quod condition des affranchis. P lusieurs propositions de ce travail
sont exagérées; il sem ble, p ar exem ple, que la note 1 de
captivos homines Christianos ire prohibuit : dalas- la page 75 au rait dû d isp araître à la lecture du contexte de
que praeceptiones per singulas regiones, ut nullus sain t É loi : N ote : P. L., t. l x x x v i i , col. G 18 : Accipit
Francorum captivum hominem chrislianum penitus plane Deus pecuniam et eleemosynis delectatur. C ette idée
transmitteret. Sed magis et ipsa, dato pretio, captivos exprim ée d ’ une façon à la fois naïve et grossière se rap ­
plurimos redimere præcepil, et liberos relaxavit. P. L., proche certainem ent des coutum es païennes. C ontexte :
t. l x x x v ii , coi. 671. V oir, sur ce point spécial du Accipit plane Deus pecuniam, et eleemosynis delectatur, ea
rachat des captifs, le chapitre très docum enté de tamen ratione ut unusquisque peccator, quando offert Deo
pecuniam, offerat illi et animam suam.
l ’ Histoire de la propriété ecclésiastique en France, par
M . Lesne, op. cit., p. 357-369. Le nom d ’ esclave a été attribué au grand nom bre
L ’ (franchissem ent, très fréquem m ent, était ins ­de Slaves, huit cent m ille, dit-on, réduits en servi­
piré par une pensée chrétienne. O n en trouve plusieurs tude par H enri l ’ O iselcur au x° siècle. A vant cette
exem ples dans le Form ulaire de M arculfe, P. L., t. époque, en France, on ne voyait plus que passer des
l x x x v ii , col. 747 : qui debitum sibi nexum relaxat m archands d ’ esclaves, quelquefois des V énitiens, et
servitium, mercedem apud Dominum sibi retribuere plus souvent des juifs, qui vendaient aux m ahom étans
confidat. Igitur ego in Dei nomine ille, et conjux mea des enfants m utilés. Em pêchés d ’ avoir des esclaves
illa, pro remedio animæ nostrae vel retributione aeterna, chrétiens, les juifs achetaient parm i les tribus non
n, 32;cf. i, 39; ti,31,52. D ans D u C ange, v° .Manu­ converties de Sarm ates, et les am enaient aux ports
missio, plusieurs exem ples, entre autres : Piissimus de la M éditerranée pour les faire passer chez les
Dominus Noster Jesus Christus salutem humani Turcs. Les esclaves se faisaient baptiser, et alors les
generis paterno amore desiderans inter alia prrecepta évêques les rachetaient. Plusieurs fois les juifs firent
quae fidelibus suis dedit, ut ælernæ vitae gaudia possint arriver leurs plaintes à la cour, disant que le clergé
adipisci, præcepil eis debitores suos a debilis illorum dépassait ses droits, tandis que l ’ évêque de Lyon,
absolvere, quo ipsi ante summum judicem suorum com­ saint A gobard, prenait la défense des nouveaux con-
missorum veniam securi valeant expectore. Tantae igitur [ vertis.
auctoritatis praeconio compulsa, t. iv, p. 460. Le m êm e A u début du xn° siècle, une lettre de Pascal II
sentim ent d ’ espérance chrétienne inspire un acte (pour confirm er le droit accordé par Louis V I aux
sym étrique : celui par lequel des hom m es libres se serfs de l ’ Église de Paris de rendre tém oignage en jus ­
donnent au service d ’ une abbaye ou d ’ une église. O n tice, m êm e contre les hom m es libres) contient ce
en trouve, par exem ple, dans le cartulaire de Cluny: m em bre de phrase : pro eo quod ipsius ecclesiæ famuli,
Quisquis ad patriam supernam ire desiderat, omni­ qui apud vos servi vulgo improprie nuncupantur.
genis nisi dus debet hyma relinquere, ei omni sagacitate O n voudrait savoir si les réserves du pape portent
bonis operibus insistere. Unde ego Roclenus omnipo­ sur le droit, ou sur le fait, ou sur les deux.
tentem Deum placatum habere desiderans, et in ejus A u début de son histoire, G uibert de N ogent cons
obsequiis continuatim permanere exoptans, non solum tate qu ’ en O rient il y a des esclaves, ce qui ne se voit
481 E SC L A V A G E 482

pas en O ccident : Taceo quoque contra consuetudinem desquels s ’ em ploie le pape saint Pie V , par l ’ entre­
lalinam, marium, /eminarumque, dignitatis etiam m ise du roi C harles IX . A N icosie (1570), une fem m e
christianæ personas, indifferenter emi, ac quasi bruta grecque ou vénitienne fit sauter les galères où se
animalia distrahi, el longius a patria ad crudeli­ trouvait plus d ’ un m illier de fem m es destin-.es à
tatis augmentum, ut gentilium fiant mancipia, venden ­ l ’ esclavage. H am m er, t. n, p. 183. A près : prise le
das emitti. Gesta Dei per Francos, 1. I, c. n, P. L., Fam agouste et le supplice de son héroïque défenseur
t. c l v i , coi. 688. O n a rem arqué d ’ autre part, dans M arc-A ntoine B ragadino (15 août 1571), la peau de
les serm ons et les épîtres du xn· siècle, un silence ce dernier fut exposée dans le bagne à la vue des
significatif; les œ uvres d ’ affranchissem ent, si exaltées esclaves chrétiens. H am m er, t. Π , p. 189. C ette
précédem m ent et recom m andées d ’ une façon si pres­ année-là m êm e, à Lépante, la flotte victorieuse déli­
sante, n ’ y reparaissent jam ais plus : il n ’ y en a plus à vrait 15000 chrétiens, condam nés à ram er sur les
réaliser. Biol,De l’abolition de l’esclavage ancien, p. 325. galères. H am m er, t. n, p. 189. C ette victoire était
Il faut pourtant signaler une lettre d ’ Innocent IV , trop tôt suivie de la défaite du roi Sébastien à A lcazar-
du l or octobre 1246 : Nonnulli mercatores Januenses, K ébir (1578). Les débris de l ’ arm ée portugaise y
Pisani et Veneti de parti bus Constantinopolitanis furent faits prisonniers.
navigantes in regnum Hierosolymitanum quamplures Les bagnes se trouvent à C onstantinople : quatre
Griecos, Bulgares, Ruthenos el Blacos Christianos lam ou cinq m ille esclaves servant sur les vaisseaux et
mares quam feminas secum in navibus detulerunt eosque les galères- ou enferm és dans le bagne du grand Sei ­
venales quibuslibet etiain Sarace is exponunt, ita quod gneur. 4 m ars 1714, le P. Tarillon à Pontchartrain,
mulli de talibus delinentur a suis emptoribus tanquam Lettres édifiantes, Levant, t. i. p. 4. A N égrepont, la
servi,... (au patriarche de Jérusalem ). Potthast, Relation du P. Fleuriau(1695) com pte 5 ou 600 esclaves
n. 12283. G ênes et V enise, d ’ ailleurs, ne se privèrent latins, C arayon, t. xi, p. 205; à A lger, dit le P. D an,
pas de continuer ce com merce. on peut com pter 25000 esclaves; à Tunis, 7000; à
IV. E s c l a v a g e s o u s l e s m u s u l m a n s . — 1° Les faits. Salé, 1500; à Tripoli, 4 à 500. Hist, de la Barbarie,
— D epuis les croisades jusqu ’ à la prise de C onstan ­ p. 318. Le P. H érault, dans sa supplique de 1644,
tinople, on ne trouve guère trace de la piraterie qui parle de 2000 captifs français parm i 30 ou 4''000 de
désolera les âges suivants. A partir de 1453, l'effort diverses nations. D eslandres, Ordre des trinitaires, t. n,
de pénétration turque, soit dans la H ongrie, soit p. 271. « Il y en a eu jusque 5 ou 6000 à Fez. > D an,
dans l ’ A rchipel, et en m êm e tem ps la constitution p. 249. « D ans la ville de M aroc on a com pté autrefois
de principautés m aritim es sur le littoral d ’ A frique jusque 5 à 6 000, quand les rois d ’ Espagne et de I -r.u-
m ultiplient les victim es; après les batailles, après le gal faisaient la guerre en ce pays-là. > IbiL.r . 282. V u
siège des villes, il y a des troupes de chrétiens réduits voyageur écrit quarante ans plus tard : ■ Il y a dans
en esclavage. Cf. Léonard de Cliio, tém oin du siège Tunis treize bagnes,... et il peut y avoir, à ce que rr
de C onstantinople, dans B zovius, an. 1453, n. 7, et le dit plusieurs esclaves, 10 ou 12000 esclaves. ■
cardinal Isidore, tém oin lui aussi. Ibid., n. 5. Isidore deM. Thévenot,tanl en Europe qu’en Asieet en A -..u:.
lui-m êm e, déguisé, avait été réduit en esclavage et 1689, p. 889.
vendu; il fut assez heureux pour s ’ enfuir. Le chiffre des captifs ne peut donc être connu que
Les années suivantes voient les contingents de par des données sans précision m athém atique. CL
captifs se succéder, et suivant l ’ expression de C am ­ Revue historique, t. xxvn, p. 1.
pana, légat de Paul II à R atisbonne, videbunt miseri, 2° Intervention de l’Église. — La prem ière inter ­
videbunt conservos, propinquos suos, superioris anni vention de l ’ Église est la lettre par laquelle Inno ­
prædam. B zovius, an. 1471, n. 3. cent III annonce et recom m ande au m iram olin du
Solim an II adressait à V illiers de l ’ Isle-A dam , M aroc la prem ière expédition des Pères trinitaires.
devant R hodes, la som m ation suivante : « E t si vous Reg., n,3, p. 2, 214,544 : Inter opera misericordiae quæ
ne voulez vous rendre, com m e dit est, vous ferons Jesus Christus Dominus Noster fidelibus suis in Ecan-
esclaux et m ourir de m ale m ort, m oyennant la volonté gelio commendavit, non minimum locum obtinet redemp­
divine, com m e avons fait à beaucoup d ’ autres. » tio captivorum. D es trinitaires fondés en 1198 par
C harrière, Négociations, t. i, p. 92. saint Jean de M atha et saint Félix de V alois, ou de
E n H ongrie, « les enlèvem ents de jeunes gens et l ’ ordre de N otre-D am e de la M erci fondé en 1223 par
d ’ enfants étaient chose ordinaire. Les archives des saint Pierre N olasque avec saint R aym ond de Penna-
com itats sont rem plies de pièces qui attestent ce fait. fort, il n ’ y a pas lieu de traiter ici. V oir les articles
Le peuple m usulm an de Stam boul ayant hérité des spéciaux.
goûts du peuple du B as-Em pire, on lui donnait le Parm i les papes qui im itèrent la sollicitude d ’ inno ­
spectacle de prisonniers hongrois et bosniaques forcés cent III, N icolas V , après la prise de C onstantinople,
de com battre com m e des gladiateurs. » Sayous, Hist, fut un des plus actifs, com m e en font foi les lettres de
gin. des Hongrois, t. n, p. 100, 119. Philelphe. B zovius, an. 1453, p. 41. Les différents
A près la prise de Tunis, l ’ em pereur écrit à son ordres religieux,com m e ils avaient fourni leur contin ­
am bassadeur en France (24 juillet 1535) : « E t nous gent à l ’ esclavage, le fournirent à la rédem ption. Il
avons fait m ectre en liberté de dix-huit à vingt m ille faut citer, parm i les dom inicains, É tienne de Lusi ­
des dits captifz, tant de nos subjeetz que aultres de gnan, qui, après le siège de Fam agouste, et A nge
diverses nations chrestiennes, qu ’ avoient été détenuz, C alepino, qui, après le siège de N icosie,vinrent àCons-
et aucungs plusieurs années esclaves, enchaynez et tantinople et y travaillèrent à la libération des chré­
enferrez es dites prisons, fosses et caves et aultrem ent, tiens. Parm i les franciscains, le capucin, confesseur de
durem ent, inhum ainem ent et très cruellem ent en don Juan d ’ A utriche, qui, esclave lui-m êm e, aban ­
très grosse pitié et extrêm e m isère. · Papiers de donna sa rançon pour assurer aux autres esclaves la
Granvelle, t. u, p. 366. suprêm e consolation d ’ un cim etière chrétien. Parm i
A la prise de Tunis, B arberousse avait im m édia­ les jésuites, le P. M ariano M anieri, qui fit en B arbarie
tem ent riposté par la prise de M ahon, et il avait fait treize voyages, dont un de quatre ans, et le P. Jules
à M ajorque 7500 prisonniers. H am m er, t. n, p. 33. M ancinelli, apôtre volontaire des pays m ahom étans,
En 1560, après la prise de D scherbe, le gouverneur don et qui alla à A lger et à C onstantinople, et avait
A lvaro est m ené au bagne à C onstantinople, avec les fondé à Palerm e une confrérie de la rédem ption. Les
autres esclaves. A près la prise de Scio en 1566, on voit disciples de saint V incent de Paul occupent dans cette
faire un grand nom bre de prisonniers à la délivrance histoire la place la plus glorieuse.
D IC T . D E T H ÉO L . C A TH O L. V . — 16
483 E SC L A V A G E 484

Louis G uérin, envoyé en 1645 par saint V incent «L eroi tue à coups de fusil ceux qui ne travaillent
de Paul, et Jean le V acher, qui devait être m is à la pas à sa fantaisie. » Cf. Relation de Constantinople,
bouched ’ un canon avec vingt-deux chrétiens, enl682, 1695, dans C arayon, t. xi, p. 248. V oir D an, Hist,
avec eux le frère B arreau et le frère Francillon furent de Barbarie, 1. V , où sont décrites les peines et les
très zélés, soit qu ’ il s ’ agisse de procurer la délivrance m isères que les Turcs et les B arbares font endurer
des captifs, soit qu ’ il s ’ agisse d ’ assurer leurs intérêts aux chrétiens qu ’ ils tiennent esclaves.
spirituels. D ansles instructions données par les supé ­ La relation de 1662 explique les m auvais traite ­
rieurs à ceux qui passaient en B arbarie, revient ce m ents : « O n leur donne la falaque, ayant la tête contre
m otif : « C et em ploi est un des plus charitables que terre, et recevans sur leurs pieds élevés en haut, et
l ’ on puisse faire sur la terre. Pour s'en acquitter digne ­ passez dans les trous d ’ un m orceau de bois des cen ­
m ent, ils doivent avoir une pleine dévotion au m ys ­ taines de coups de bâton, ou de cordes poissées, ou
tère de l ’ incarnation, par lequel N otre-Seigneur est de nerfs de bœ uf. » Le miroir de la charité, p. 65.
descendu sur la terre pour nous tirer de l ’ esclavage où Sur l ’ extrêm e m isère des esclaves, et sur le danger
l ’ esprit m alin nous tenait captifs. » Mém. de la congr. très prochain d ’ apostasie, tous les tém oignages,
de la Mission, t. n, p. 274. L ’ Église ne parle pas autre ­ quelles qu'en soient la date et la provenance, son!
m ent dans l ’ oraison de saint Pierre N olasque : Deus unanim es. « M . le V acher dit avec raison qu ’ il voit
qui in ture caritatis exemplum... dans chaque m em bre de cette Église toutes les m isères
M êm e esprit de foi chez les laïques. D ans la dona ­ qu ’ on trouve dans tous les povres ensem ble de la
tion du 20 m ai 1647, faite par la duchesse d ’ A iguillon chrétienté, puisqu ’ il n ’ y en a point qui soient si m al
pour « entretenir à A lger, Tunis et autres lieux de nourris, si m al vêtus, si m al couchés, si m al traités,
B arbarie, où il y a des chrétiens esclaves, un prêtre de et par dessus cela, tous dans une tentation conti ­
la ditte m ission, » on indiquait ce qui avait inspiré nuelle de se faire Turcs com m e le seul m oyen qu'ils
cette aum ônerie des esclaves : « A yant m adite D am e ont de s ’ affranchir. M ais les filles, fem m es et enfants
D uchesse désiré la présente donation à l ’ intention souffrent encore davantage que les autres, car on ne
d ’ honorer N otre-Seigneur Jésus-Christ étant venu en les sollicite jam ais, on les bat sans cesse dans les
la terre pour tirer les hom m es hors de la m isère du com m encem ents qu ’ ils sont achetés. · Relation, 1671,
péché et les réconcilier à D ieu son Père, les ayant M azarine, m s. A . 15 450, n. 14. Cf. D eslandres, L ’ordre
rachetés par son sang et par sa m ort. » Mém. de la des trinitaires, t. n, p. 348, n. 243; M ouette, Rela­
Mission, t. n, p. 148. tion, p. 63; Mém. de la Mission, t. n, p. 27.
La relation de 1671 cite un Espagnol, don Louis Le P. R obert Saulger, de C onstantinople, le 20 m ars
de Pedrola, qui, ayant réalisé sa fortune, vint lui- 1664 : ■ N ous allons, tous les dim anches, au grand
m êm e à A lger avec 16 000 livres pour racheter des bagne du grand seigneur, qui est le lieu où il tient ses
captifs. U n bourgeois de Paris, qui ne voulait pas être esclaves, qui m ontent au nom bre de 2000. L ’ on y
connu, donna à M .V incent une som m e de 30 000 livres, voit de toutes sortes de nations, m ais particulière ­
pour être placées en rentes sur l ’ hôtel de ville, et m ent des Français... O n ne peut s ’ im aginer le bien
dont le revenu devait être em ployé à l ’ assistance et que l ’ on fait de m aintenir dans la foi ces pauvres
rédem ption des esclaves chrétiens. M aynard, Vie de esclaves,qui ne sont m alheureux que pour être chré­
S. Vincent de Paul, t. r, p. 424. tiens. » C arayon, t. xi, p. 100.
Parm i les personnages les plus célèbres qui con ­ O n conçoit aisém ent le danger m oral que signalait
nurent cette servitude chez les Turcs, on relève, dans M . le V acher; les Mémoires de la Mission contiennent
les illustres captifs du P. D an, deux généraux des tri- à plusieurs reprises le récit du m artyre ou des tour ­
nitaires : R obert G aguin et N icole; un général des m ents encourus par ces esclaves qui voulaient garder
m inim es : François Presto. -Tous ces nom s disparais ­ leur foi ou leur vertu: A ntonin de la Paix, t. n, p. 20;
sent devant celui de saint V incent de Paul, captif de deux adolescents, t. n, p. 84; un jeune M arseillais de
1605 à 1607. Plusieurs de ses prêtres furent eux aussi treize ans, t. π, p. 26; un enfant de huit ans, t. n.
m is à la chaîne : Jean le V acher à plusieurs reprises, p. 161 ; Pierre B orguny, t. n, p. 167. M aynard en a
et M . Poissant en 1741. cité plusieurs à la fin du i° r vol.de laV ïe de S. Vincent
3° La captivité. — Toutes les relations ont décrit de Paul. Cf. la relation de 1671.
la vente qui suivait l'arrivée du captif. « Leur pro- O n com prend aussi que sous des épreuves si cruelles
cédeure à nostre vente, dit saint V incent de Paul, nom bre de courages aient fléchi. Il y avait des défec ­
feust qu ’ après qu ’ ils nous eurent despouillez tout tions m isérables. La relation de 1724 cite un faux
nuds, ils nous baillèrent à chascun une paire de béquillard qui se dit guéri par M ahom et et apostasie.
brayes, un hocqueton de lin, avec une bonete, nous Les ordres religieux, qui,à cette m êm e époque,avaient
prom enèrent par la ville de Thunis..., les m archands com pté en Europe nom bre d'apostats, en avaient
nous vindrent visiter tout de m esm e que l ’ on faict aussi parm i les esclaves. Sur les renégats, voir His­
à l ’ achat d ’ un cheval ou d ’ un bœ uf, nous faisant toire générale, t. iv, p. 752, 820; P. D an, Histoire de
ouvrir la bouche pour visiter nos dents, palpant nos Barbarie, 1. IV, où sont com prises plusieurs parti ­
costes, sondant nos playes, et nous faisant chem iner cularités touchant le renégat
le pas, troter et courir, puis tenir des fardeaux, et V is-à-vis des chrétiens, les renégats tém oignaient
puis luter pour voir la force d ’ un chacun, et m ile d ’ une anim osité particulière. A un chrétien qui lui
autres sortes de brutalitez » (24 juillet 1667). M aynard, en faisait reproche, un renégat espagnol répondait :
V ie, t. i, p. 38. «O r, ces esclaves de l ’ É tat ou des par ­ « D epuis qu ’ il avait renié le M aître, il ne se souciait
ticuliers étaient réduits à un sort horrible ; travaux plus des serviteurs. » Relation de 1724, p. 255. B eau
excessifs, nourriture insuffisante, court som m eil dans coup d ’ entre eux étaient com m e celui qu ’ avait connu
d ’ affreux bouges; injures et châtim ents abom inables, le P. D an : « l ’ âm e toujours géhennée de la faute qu ’ îl
voilà pour le corps; im possible de dire les tortures de avait faite, et un extrêm e désir de se sauver en terre
l ’ âm e, les outrages à la vertu, et les persécutions de chrétiens, à la prem ière com m odité qui s ’ en pré ­
infligées à la foi. » Mém. de la Mission, t. Il, p. 14. senterait. » Hist, de Barbarie, p. 446.
U n captif, le sieur M ouette, affirm e : «J ’ ai vu surtout 4° Fidélités. — En dehors des m artyrs, nom bre de
dans Salé des esclaves attachés à la charrue avec chrétiens étaient fidèles, et plusieurs des apostats
des ânes ou des m ules, et contraints par la faim de se repentaient. M . G uérin écrivait en 1646 : « C epen ­
m anger de l ’ orge avec ces anim aux. » Relation, 1683, dant ces pauvres esclaves souffrent leurs m aux avec
p. 116. La Relation des Pères de la Merci, 1724, dit : une patience incroyable; ils bénissent D ieu parm i
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toutes les cruautés qu ’on exerce sur eux; et je puis pauvres captifs offrent leurs oraisons pour tous leurs
dire avec vérité que nos Français l ’ em portent en bonté bienfaiteurs, qu ’ ils reconnaissent pour la plupart être
et en vertu sur les autres nations. » Mém. de la Mis­ en France ou venir de France. » Mém. de la M
sion, t. m , p. 27; cf. t. it, p. 67; Hist, de Barbarie, t. n, p. 19.
p. 484. D ’ aucuns trouvaient en B arbarie un relève ­ Q uelle procession que celle de la Fête-D ieu au
m ent providentiel. Saint A lphonse R odriguez avait bagne I Ibid., t. u, p. 19. M ais, écrit la Relation des
annoncé un voyage d ’ or à Jérôm e Lopez, religieux Missions de Grèce (1695) : « Il faudrait voir com m e
sur le point d ’ abandonner sa vocation et que sa cap ­ nous avec quelle patience et quelle conform ité à la
tivité chez les m usulm ans rem it dans la ferveur. volonté divine quelques-uns d ’ eux, d ’ une vie très
Les prêtres réduits en esclavage avaient ordinai ­ innocente, supportent la pesanteur de leurs chaînes,
rem ent une liberté presque com plète, et pouvaient dont ils se délivreraient aisém ent en renonçant à la
en user pour le m inistère. Le dévouem ent des m ission ­ religion. Enfin il faudrait être spectateurs, com m e
naires ravissait saint V incent de Paul. Il écrivait à nous, de la précieuse m ort de certains esclaves. ·
propos de M . le V acher : « A vec quelle catholicité et Relation du P. Th.-Ch. Fleuriau. Documents inédits
sollicitude il soutient ces pauvres esclaves... prêcher, concernant la Compagnie de Jésus, publiés par le
confesser, catéchiser continuellem ent depuis 4 h. 1/2 P. A ug. C arayon, Poitiers, 1864, t. xi, p. 250. Cf.
<lu m atin jusqu ’ à 10 h., et depuis 2 h. de l ’ après-m idi t. xi, p, 237, 238, la m ort du Toulousain B iennès et
jusqu ’ à la nuit; le reste du tem ps, c ’ est l ’ office et du V énitien M arc-A ntoine D elfin.
la visite des m alades. V oilà un véritable m issionnaire. » Saint V incent de Paul écrivait alors : « E t quand il
Mém. de la Mission, t. n, p. 55. n ’ arriverait d ’ autre bien de ces stations que de faire
Le P. Jacques C ached, jésuite, à C onstantinople, voir à cette terre m audite la beauté de notre sainte
pénètre, la nuit seulem ent, à fond de cale, pour y assis ­ religion, en y envoyant des hom m es qui traversent
ter les galériens décim és par une épidém ie : « D es les m ers, qui quittent volontairem ent leur pays et
cinquante-deux esclaves que je confessai et com m u ­ leurs com m odités, et qui s ’ exposent à m ille outrages
niai, douze étaient m alades, et trois m oururent avant pour la consolation de leurs frères affligés, j ’ estim e
que je fusse sorti. » Leltres édifiantes, Levant, 1707, que les hom m es et l ’ argent seraient bien em ployés >
t. i. (5 avril 1658). M aynard, Vie, t. n, p. 466.
E n 1641, m eurt à A lger le P. A ngeli, carm e : il avait V . E s c l a v a g e e n A m é r i q u e . — 1° Contes·· : : · s
reçu l ’ argent de sa rançon, l ’ avait distribué en au ­ faites par les souverains pontifes à propos des p - ■·
m ônes, et persévérait dans une servitude volontaire, nouvellement découverts. — En 1434, Eugène IV défend
estim é et écouté de tous com m e un saint. D ’ A randa, qu ’ on dem ande aux habitants des C anaries, jam
p. 10-20, 289 sq. Philippe le V acher, les deux tiers conversi et in posterum convertendi, rien autre chose
de l ’ année, passait la nuit presque sans som m eil, allant que les im pôts réguliers. R aynaldi, an. 1434, n. 2!.
confesser de bagne en bagne. Mémoires de la Mis­ E n 1436, bref du m êm e Eugène IV Fernando epis­
sion, t. n, p. 165. copo Robicensi et Canariensi. Il lui concède des res ­
Le P. H olderm an, jésuite français à C onstantino ­ sources ad hoc quod ipsarum insularum habitatores
ple, écrit com m ent il pouvait la nuit se faire accepter cl incolæ, in artificibus el ministerialibus operibus,
dans une soute : il y faisait une sorte de chapelle, etiam pro ipsius fidei exaltatione, necnon christianæ
y consolait et confessait les galériens déchaînés à professionis corroboratione instrui possent. R ayualdi,
tour de rôle : c ’ étaient des confessions de 10, 20, 30 an. 1436, n. 25. La m êm e année,à propos d ’ habitants
ou 40 ans, et la nuit ne suffisait pas pour tous ceux des C anaries réduits en esclavage : nonnulli christiani
qui le désiraient. V ers deux ou trois heures du m atin, (quod dolenter referimus) diversis confictis coloribus et
il disait la sainte m esse. Indianische Geschichte, t. rv, captatis occasionibus... nonnullos, jam tunc baptisma­
part. X X X I», p. 114, vers 1740. Cf. l ’ épître dédicatoire tis unda renatos et alios... secum captivos, etiam ad
des Lettres édifiantes, 1726, t. xvn. N i les esclaves, ni partes Cismarinas duxerunt, le pape défend de rien
les Turcs m êm es n ’ étaient indifférents à ces exem ples. faire ou de rien perm ettre de sem blable; en outre :
Pour les Turcs qui visitent l ’ hôpital d ’ A lger, dit le quos servituti subditos habent, pristinee restituant liber­
P. de M onroy, c ’ est « une m erveille bien étrange de tati, ac totaliter liberos perpetuo esse... dimittant, sous
voir que les esclaves chrétiens aient un tel établis ­ peine d ’ excom m unication ipso facto. R aynaldi,
sem ent dans leur ville d ’ A lger, et qu ’ entre eux il n ’ y an. 1436, n. 26.
ait rien de pareil pour leurs m alades, j D an, Hist, de En 1443, Eugène IV, par la constitution Cum
Barbarie, p. 509. A la m ort du P. H érault, les chré ­ dudurn, reconnaissait que les conquêtes du roi de Por­
tiens esclaves obtiennent des Turcs trois jours de re ­ tugal ne pouvaient porter préjudice à ce qui, précé ­
pos afin de pouvoir prier pour lui. D eslandres, L ’ordre dem m ent, aurait été conquis par le roi de C astille et
des trinitaires, t. i, p. 404. de Léon. R aynaldi, an. 1443, n. 12.
En 1657, les esclaves apportent leur pécule pour Le 16 juin 1452, le pape N icolas V , par le bref
délivrer le lazariste B arreau des exactions du pacha. Divino amore communiti, perm et au roi A lphonse de
U ne lettre de saint V incent de Paul fait allusion à Portugal : ...regna, ducatus, comitatus, principatus,
plusieurs captifs délivrés, venus à Saint-L azare, pour aliaque dominia, terras, loca, illas, castra... per eosdem
entrer com m e frères dans la congrégation de la M is ­ Saracenos, paganos, infideles et Christi inimicos
sion. Le Miroir de la charité (1663) rapporte ce qui detenta et possessa,... invadendi, conquirendi, expug­
s ’ était passé à l ’ arrivée des Pères de la M erci : « Enfin nandi et subjugandi, iliorumque personas in perpe­
quelques captifs charitables ne venaient rien dem an ­ tuam servitulem redigendi... plenam et liberam aucto­
der pour eux; m ais ils se rendaient solliciteurs des ritate apostolica tenore praesentium concedimus facul­
autres, accom pagnant des aveugles, des sourds, des tatem... R aynaldi, an. 1453, n. 11.
boiteux, des estropiats, et priant que puisque l ’ on E n 1454, dans la constitution Romanus pontifex,
les pouvait acheter à bon m arché on ne les laissât où le pape félicite le Portugal de l ’ extension donnée
pas périr dans la m isère, » p. 61. au catholicism e par les découvertes de l ’ infant H enri.
Les cinq hôpitaux d ’ A lger, ceux aussi de T unis, de N icolas V raconte, sans le m oindre m ot d ’ approbati· n
’ ■ 'équinez et de C euta, faisaient l ’ adm iration des Turcs ou de blâm e, qu ’ en fait, un certain nom bre de noirs,
eux m êm es. par suite de l ’ occupation ou en vertu d ’ un achat, ont
M . G uérin écrivait à saint V incent de Paul que été esclaves, et que plusieurs m êm e se sont convertis :
c ’ était une joie « de voir avec quelle affection ces Exinde quoque mulli Ghinei et alii Nigri vi capti,
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quidam etiam, non prohibitarum rerum permutatione, ce que peut être cette donation, De fide, disp. X V III,
seu alio legitimo contractu emptionis, ad dictum sunt sect, i, n. 7 : Potest pontifex inter principes, seu reges
regem transmissi, quorum inibi in copioso numero ad temporales, distribuere provincias, et regna infidelium,
catholicam fidem conversi exstiterunt. Pour assurer au non ut illas suo arbitrio occupare possent, hoc enim
Portugal, contre l ’ envie possible d ’ autres Européens, tgrannicum esset, ut infra dicam : sed ut prædicatores
ces conquêtes d ’ ailleurs légitim es, puisque la conces ­ Evangelii ad illos mittendos procurent, et sua potestate
sion precedente les avait approuvées, le pape lui re ­ illos tueantur, etiam justum bellum indicendo, si ratio
connaît dans ces régions le bon droit de ces conquêtes et justa causa id postulet. E t après avoir cité l ’exem ple
et le m onopole du com m erce. R aynaldi, an. 1454, d ’ A lexandre V I : ratio omnium est, quia ita expedit,
n. 8, 9; Bullarium romanum, t. ni, p. 70. Les conces ­ ut hæc res, quæ in Ecclesia gravissima est, ordinale
sions de N icolas V ont été ratifiées par C alixte III. fiat.
Sixte IV, en 1476, excom m unie ceux qui réduisaient en G régoire de V alentia dit form ellem ent qu ’ il n ’ y a pas
esclavage les néophytes de ces contrées. R aynaldi, d ’ autre sens possible : Alexander VI (si in eo facto
an. 1476, n. 21. particulari, ad reges illos tantum et ad illas insulas
L a bulle célébré d ’ A lexandre V I, Inter cetera, est pertinente non erravit), solum concessit illis regibus
du 4 m ai 1493. C ette bulle adressée aux souverains jus quoddam superintendentiœ et patrocinii in infide­
d ’ Espagne, Ferdinand et Isabelle, les félicite de s ’ être les illos, postquam debito modo ad fidem essent con­
rem is, après la conquête de G renade, à prom ouvoir la versi. Nec enim potuit infideles illos dominio suo pri­
découverte de pays nouveaux : découvertes qui ont vare propterea solum quod essent infideles, t. in, disp.
et doivent avoir pour but principal l ’ extension de la I, q. xx, a. 7, ad 2 “ m . Saint Pie V , dans une lettre à
foi catholique, et qui viennent dans le voyage de Philippe II, dans Laderchi, an. 1568, n. 206, exprim e
C hristophe C olom b de réussir si m erveilleusem ent. à plusieurs reprises la m êm e idée : Propagationi s.
Pour assurer le fruit de ces explorations, le pape dé ­ fidei, et animarum saluti intenti sint; quarum et rerum
cide : tout ce qui est à l ’ ouest d ’ un m éridien tracé à causa, ea orbis terrarum pars, ab initio ipsis majoribus
cent lieues des îles A çores, sauf le cas de possession tuis concessa fuit. D onc ce docum ent investit les Espa ­
par un prince chrétien, est donné à l ’ Espagne : omnes gnols de la m ission de favoriser l ’ évangélisation de
insulas et terras firmas inventas et inveniendas, detectas ces pays; en retour, à l ’ exclusion des autres princes
et detegendas, ...auctoritate omnipotentis Dei nobis in b. chrétiens, ils auront le droit de se procurer, par les
Petro concessa ac vicariatus Jesu Christi, qua fungimur voies légitim es, l'autorité que les circonstances com ­
in terris, cum omnibus illarum dominiis, civitatibus, porteront, et ils pourront avoir à exercer une sorte de
castris, locis et villis, juribusque et jurisdictionibus ac tutelle ou de curatelle vis-à-vis des peuples sauvages.
pertinentiis universis, vobis... donamus, concedimus, L ’ esclavage au m épris de la justice ou sans respect
assignamus, vosque... illarum dominos cum plena, libera des baptisés, les papes le réprouvent; l ’ esclavage, tel
et omnimoda potestate, auctoritate et jurisdictione fa­ que les lois civiles le réglem entent alors,et fondé sur
cimus. R aynaldi, an. 1493, n. 19. un titre légitim e, les papes ne font pas difficulté de
E n 1497, A lexandre V I, au roi Em m anuel de Portu ­ le perm ettre.
gal : ...de civitatibus castris, locis, terris et dominiis 2° Conquête. — H errera a reproduit une form ule qui
infidelium, quæ tibi ditionique tuæ subjici et quæ te som m ait les Indiens de reconnaître et la foi catholique
In dominum cognoscere seu tribulum solvere velle et l ’ autorité du roi d ’ Espagne : « M oi, A lphonse de
contigerit... libere donamus, concedimus et assignamus... O jeda, serviteur des très hauts et puissants rois de
districtius inhibentes quibusque regibus, principibus et C astille et de Léon..., je vous notifie et déclare, dans
dominis temporalibus, quibus jus quæsitum non foret, la form e la plus sim ple dont je suis capable, que D ieu
ne se contra sic se tibi subjicere volentes quovis modo N otre-Seigncur, qui est unique et éternel, a créé le
opponere... præsumant. R aynaldi, an. 1497, n. 33. ciel et la terre, et un hom m e et une fem m e, desquels
La bulle d'A lexandre V I, Inter cetera, et ses expres ­ vous et m oi, et tous les hom m es... D ieu N otre-Sei-
sions donamus ont été vivem ent attaquées. « Il inves ­ gneur a confié la conduite de tous ces peuples à un
tit libéralem ent la couronne de C astille des pays dont, hom m e appelé saint Pierre qu ’ il a constitué chef et
bien loin d ’ avoir la possession, il n ’ avait pas m êm e la souverain de toute la race hum aine... U n de ces pon ­
connaissance. » R obertson, Histoire de l’Amérique, tifes, com m e m aître de l ’ univers, a fait donation de
trad. Eidous, M aestricht, 1777. t. i, p. 199. ces îles et de la terre ferm e, de la m er O céane, aux rois
En réalité, la C astille et le Portugal, qui s ’ étaient catholiques de C astille... Si vous ne vous soum ettez
disputé C olom b, avaient rem is au pape l ’ arbitrage de point..., j ’ entrerai.avec l ’ aide de D ieu, dans votre pays
leurs rivalités coloniales. Pour décider le différend par force, je vous ferai la guerre à outrance, je vous
pacifiquem ent, et pour assurer la prédication de contraindrai à obéir à ’ l ’ Église et au roi, je prendrai
l ’ Évangile, le pape intervint avec son autorité apos ­ vos fem m es et vos enfants, je les réduirai en escla ­
tolique. C elle-ci est m entionnée, non pour indiquer vage... » H errera, D ec. I, 1. V II, c. xiv; R obertson,
une prétention de suzeraineté, m ais pour énoncer Histoire de l’Amérique, t. n, p. 27-30.
le titre et l ’ autorité de l ’ arbitre choisi par des rois T out autre était l ’ opuscule écrit en 1535 par Las
chrétiens. Le pape donne une sorte de brevet d ’ inven ­ C asas, De unico vocationis modo (1535); on doit ins ­
tion; sur ces terres encore im parfaitem ent connues, truire les infidèles, y était-il dit, et toute guerre entre ­
les Espagnols ont voulu s ’ assurer une légitim e souve ­ prise contre eux en tant que tels est injuste. « La pro ­
raineté; si ces régions sont vacantes, l ’ Espagnol y est clam ation d'O jedo, rem arque H ergenrother, n ’ était en
prem ier occupant; si elles sont habitées, l ’ Espagnol, aucune façon pièce officielle pontificale; elle était
à l ’ exclusion des autres princes chrétiens, peut cher ­ une invention de fonctionnaires ou d ’ aventuriers. >
cher à s ’ y établir, par une convention avec les indi ­ H ergenrother, Katholische Kirche und christlicher
gènes par exem ple. D ans tous les cas, il doit faire Staat, p. 343. E n fait, des instructions données à
le nécessaire pour assurer l ’ évangélisation. Pedrarias en 1514, et reproduites aussi par H errera,
A insi l ’ explique B ellarm in, De rom. pont., 1. IV , sont m oins grandiloquentes et plus précises. H errera,
c. n ; Non... ut reges illi proficiscerentur ad debellandos D ec. 1, 1. X , c. xvn.
reges infideles novi orbis, et eorum regna occupanda, Las C asas, le tém oin le plus autorisé, dans sa Rela­
sed solum ut eo adducerent fidei christianæ prædicatores tion des cruautés commises par les Espagnols conqué­
et protegerent, ac defenderent cum ipsos prædicatores, rants de l’Amérique, m ontre à n ’ en pas douter que si
tum Christianos ab eis conversos. Suarez explique aussi cette form ule a été parfois em ployée, c ’ était le dé-
489 E SC LA V A G E 4& 0

cor catholique d ’ une scène totalem ent étrangère au ceux de leurs com pagnons dont ils part ; s
catholicism e; bien plus, ces scènes excluent non pas chaînes. O n voyait alors les cruels Espagn is s en
seulem ent l ’ esprit, m ais l ’ apparence m êm e lointaine débarrasser en leur coupant la tête qui t< m t ait à un
d ’ une propagande du catholicism e. « Ce qu ’ on a voulu côté et le corps de l ’ autre. » Ibid., p. 33, ci. :· .
appeler la conquête, m ais qui n ’ a été qu ’ un tem ps 37. A ux îles Lueayes, les Espagnols tirent :
d ’ invasions et de violences plus contraires aux lois Indiens, à force de les faire plonger pi r :.... · ■-
de D ieu, de la nature et m êm e des hom m es, que celles cher des huîtres perlières : « Ils les traitaient .. .
qui ont signalé la cruauté des Turcs lorsqu ’ ils ont tant de dureté qu ’ ils m ouraient très prom pt».:::. :
voulu tourner leurs arm es contre les chrétiens. · Las en perdant leur sang par la bouche parce qu'on ne
C asas, Œuvres, t. r, p. 37. leur donnait pas le tem ps de rem plir d ’ air leur poi ­
H atney, le cacique qui répondait ne pas vouloir trine. » Ibid., p. 73. Le V énézuéla a été dépeuplé p-r
aller au ciel s ’ il y pouvait retrouver des Espagnols, les A llem ands, luthériens, rem arque Las Casas :
H atney disait aux C ubains, à l ’ arrivée des conqué ­ « leurs m oyens furent si atroces que les Espagnols
rants : « Ils adorent un D ieu qu ’ ils appellent O r. Ils parurent des gens de bien à côté de ces nouveaux
ont vu qu ’ il était parm i nous, et ils veulent nous spéculateurs. » Ibid., p. 75, 78. M arcos de N iso, fran ­
détruire pour en avoir seuls la possession. » Ibid., ciscain au Pérou, a déposé : ■ J ’ ai vu des Espagnols
p. 23. A Panuco, dans la N ouvelle-E spagne,«le visi ­ lâcher des chiens sur les habitants pour les faire m et­
teur ordonne aux Indiens de lui apporter les objets tre en pièces et fatiguer ces anim aux à cet infâm e
de leur culte, et ils s ’ em pressèrent d ’ obéir ; m ais lors ­ exercice. J ’ ai vu brûler tant de m aisons et de villes
qu ’ il vit que ces idoles n ’ étaient que de cuivre, il fit qu ’ il m e serait im possible d ’ en dire le nom bre. J'ai
dire aux caciques qu ’ ils eussent à les racheter, et à les vu les Espagnols prendre par les bras les enfants à
payer en or. Ces seigneurs obéirent, et le com m is­ la m am elle, et les lancer aussi loin qu ’ ils pouvaient
saire parut satislait de cette m esure, quoique ces peu ­ com m e des pierres. » Ibid., p. 89. V oir les citations
ples continuassent d ’ adorer les m êm es dieux. » Ibid., des m ss. de Las C asas, sur les suicides collectifs des
p. 52. D ans le Y ucatan, « 30 soldats espagnols dont Indiens, dans G am s, D ie Kirchengeschichte vonSpanien,
12 à pied et 18 à cheval arrivèrent, apportant avec eux t. ni, p. 108, 109.
un grand nom bre d ’ idoles; leur com m andant dit au La conquête s ’ est donc faite d ’ une façon arbitraire,
cacique qu ’ il venait les vendre, et qu ’ il recevrait en inhum aine, sans égard à aucune loi, et très indé­
paiem ent des Indiens m âles dont il avait besoin pour pendam m ent de toute décision d ’ Église. Las Cas s
son service. » Ibid., p. 58. Cf. p. 180, achat d ’ idoles nous fait connaître de plus que le pouvoir central ne
im posé à des Indiens baptisés. « N on seulem ent ils peut pas être rendu responsable de tout ce qui s'v»t
nel ’ (la religion) enseignent pas aux Indiens, m ais ils passé dans les colonies. D ans la N ouvelle-G renade.
em pêchent par tous les m oyens indirects possibles que « un E spagnol, nom m é gouverneur par S. M ., n ’ a pu
les m issionnaires rem plissent ce m inistère im portant, cependant entrer en fonctions, » parce que l ’autorité
parce qu ’ils sont persuadés que la prédication de royale a échoué devant la force du m onstre qui gou ­
l ’ Évangile et l ’ enseignem ent du catéchism e em pê ­ vernait le pays avec le titre de « conquérant ». Ibid.,
cheraient bientôt le pillage de l ’ or, des perles et des p. 93. « Parm i les hom m es chargés de gouverner ce
pierres précieuses. » Ibid.pp. 101. « L ’ avarice des Es ­ pays, les uns sont devenus traîtres et rebelles, les
pagnols a été si loin lorsqu ’ ils ont voulu jouir du tra ­ autres, tout en protestant qu ’ ils sont soum is au
vail des Indiens, qu ’ ils ont em pêché les religieux de m onarque et lui obéissent, se com portent com m e de
les réunir dans les églises, sous prétexte qu ’ il en résul ­ véritables tyrans dans leurs districts; il y en a qui
tait un dom m age considérable pour leurs intérêts, » affichent la m odération, m ais qui pillent avec adresse
ibid., p. 173, et Las C asas cite un Espagnol qui, à et secrètem ent. » Ibid., p. 105.
coups de bâton, venait chercher au catéchism e ses Ce que dit Las C asas peut d ’ ailleurs être vérifié
cinquante esclaves. directem ent : « Ce que voulaient Ferdinand et Isa ­
Las C asas énum ère encore nom bre de faits qui belle, c ’ est que l ’ on fît des chrétiens de leurs sujets
m ontrent non pas l'excès de zèle, m ais l ’ absence de indiens. Les esclaves envoyés en Espagne par C olom b,
toute conscience : Les Espagnols, dit-il, « pariaient parm i eux des fem m es et des enfants, furent réexpé ­
à qui couperait le m ieux un hom m e en deux d ’ un diés à Espanola. La royauté se déclara la protectrice
coup de taille... Ils attachaient à de longues fourches des indigènes. Le clergé espagnol obéit à l ’ im pulsion
treize hom m es à la fois, puis allum aient du feu sous donnée par les rois. O n ne lui a pas toujours rendu
leurs pieds, et les brûlaient tout vivants en disant pleine justice à cet égard. La preuve de ces assertions
par le plus horrible sacrilège, qu ’ ils les offraient en est dans la série des lois espagnoles consacrées au trai ­
sacrifice à D ieu, en l ’ honneur de Jésus-C hrist et des tem ent des indigènes. » Lavisse et R anibaud, Hist,
douze apôtres. » Ibid., p. 22. « J ’ ai vu m ourir de générale, t. iv, p. 916. Cf. après les édits de 150o.
faim dans l ’ île (de C uba) en trois ou quatre m ois plus 1528, 1531, les ordonnances de 1542 qui déclarent
de 7 000 enfants dont les pères et les m ères avaient les Indiens libres et vassaux du roi, a. 7. Il y a défense
été attachés aux travaux des m ines. » Ibid., p. 25. absolue de les asservir, a. 20. T out Indien dont l ’ escla ­
« Le fr. François de San-Rom an, religieux francis ­ vage n ’ a pas un titre légal est libéré sans enquête,
cain, ayant accom pagné dans l ’ intérieur un capitaine a. 22. Cf. Solorzano, De jure Indiarum, 1. II, c. il.
que le gouverneur y envoyait, vit périr plus de 40 000 η. 1, 5; 1. III, c. vi, n. 29, 30, 31, 32, 34; c. vu.
Indiens, brûlés, égorgés, pendus, dévorés par des n. 113. T out cela se résum e dans le principe énonce
chiens, ou détruits de quelque autre m anière. Les au V I e livre de la Recopilacion de Leyes, où il est
bourreaux ne donnaient d ’ autres m otifs de ces épou ­ dit des Indiens : ils sont naturellem ent libres com m e
vantables exécutions que le refus supposé que fai­ les Espagnols eux-m êm es.
saient leurs victim es d ’ apporter tout l ’ or qu ’ elles 3® Établissement de l’esclavage. — Les textes
avaient caché. » Ibid., p. 27. « Les satellites attachaient abondent contre l ’ esclavage, et pourtant l ’ esclavage
ensem ble ces m alheureux esclaves, les chargeaient a persisté. C om m ent cela s ’ est-il pu faire? Par
de fardeaux de 3 ou 4 arrobes (75 à 100 livres), leur des institutions d ’ abord m al définies, m ais qui
refusaient la nourriture la plus indispensable, et les pouvaient rapidem ent m ener au plus dur esclavage ;
accablaient de coups s ’ ils n ’ avançaient pas assez vite : par l ’ introduction des nègres, déjà antérieurem ent
les Indiens, pliant sous le poids, fondaient en larm es victim es de la traite, et substitués aux Indiens; par
lorsque l ’ épuisem ent les m ettait hors d ’ état de suivre I l ’ intérêt des colons et des gouvernem ents.
491 E SC LA V A G E 492

1. Les lois laissaient place à des abus qui élaienl résistaient à la pénétration espagnole. Le testam ent
l’esclavage même. — a) Les com m endes ou repar- d ’ Isabelle (1504) ne sem ble pas les exclure des voies
timienlos étaient la concession faite à un Espagnol de douceur. E n 1513, on accorde qu ’ ils seront m arqués
d ’ une partie de la colonie : du terrain et des habi ­ au fer rouge; en 1523, un texte legal définit le C araïbe;
tants; c ’ était la subdélégation d ’ un particulier à les plaintes se renouvellent contre eux en 1525, et
cette donation faite par les papes aux rois d ’ Espagne; cette clause des C araïbes perm ettait en pratique d ’ as­
m ais ici la m ission de faire pénétrer le christianism e servir qui l ’ on voulait.
était reléguée à l ’ arrière-plan, ou était élim inée. Las 2. L ’introduction des nègres déjà antérieurement
C asas en était profondém ent blessé, car c ’ était « le réduits en servitude. — Q ue l ’ esclavage des nègres et
m oyen le plus injuste de faire rem plir l ’ engagem ent m êm e la traite aient été pratiqués,m ais avec réserve,
qu ’ ils avaient contracté pour le salut éternel des In ­ par les Espagnols et les Portugais, avant la découverte
diens, en l'im posant d'une m anière frauduleuse à des de l ’ A m érique, cf. Civiltà catlolica, V I ’ série, t. v,
laïques ignorants et féroces, qu ’ il investissait en m êm e р . 154 sq., où on cite les relations des voyageurs :
tem ps du droit de les traiter en esclaves et de les L anzarote, A nt. C onsalvo, G om ez Perez, U sodim ore
em ployer à leur service. » Las C asas, t i, 2« Mém., et C a-da-M osto. Ce dernier, de son voyage de 1455,
p. 182. a rapporté « un certain nom bre de têtes », et il a vu
Ces com m endes auraient pu faire échapper à l'es ­ au fort d ’ A rguin un trafic de 7 à 800 hom m es; de son
clavage, si précisém ent elles n ’ étaient devenues un voyage de 1463, il rapporte : « nom bre de nègres »;
esclavage m al déguisé. D ès les jours de C olom b, le l ’ historien B arros qui signale déjà une vente
m al avait com m encé; pour ram ener à lui R oldan d ’ hom m es « troco d ’ alm as · en 1441, D ec. I, 1. II,
et d ’ autres aventuriers, il leur concède le servage с . il, et qui loue Jean II d ’ avoir donné la G uinée au
dom estique des Indiens. Puis les seigneurs d ’ Espagne, Portugal pour son service public et privé, D ec. I,
ceux-là m êm e qui n'ont jam ais été en A m érique, 1. III, c. n; l ’ historien N uftez rapporte qu ’ A lonzo
reçoivent ces com m endes; les conseillers du roi en Fernandez de Lugo a fait saisir à Ténériffe 400 hom ­
sont pourvus. E t dès 1512 est donnée à M ontesino m es pour les vendre com m e esclaves à C adix et à
cette réponse incohérente : les Indiens sont libres, et Séville. Ferdinand les fait m ettre en liberté. Le gou ­
les repartimientos peuvent continuer. Las C asas don ­ verneur des C anaries, D . Pedro de V era, condam ne
nera plus tard cette dém onstration de la liberté des légalem ent à l ’ esclavage des hom m es d ’ ailleurs com ­
Indiens : En sorte qu ’ ils relèvent de quatre m aîtres : plètem ent innocents. D ès qu ’ il est averti,le roi les fait
de V . M ., de leur cacique, de celui qui les tient en m ettre en liberté, 1. I, c. xn-xv.
com m ende, et de son ferm ier. O vando, en 1503, em ­ L ’ im portation des noirs n ’ était donc ni une idée,
barque 40000 Indiens des L ucayes; et il explique ni une pratique nouvelle; et quand on a vu les Indiens
au roi : c ’ est parce que nous n'avons pas de m is ­ dépérir dans la culture de l ’ A m érique trop pénible
sionnaires à leur envoyer. En 1532, à M exico, on pour eux, il n ’ est pas étonnant qu ’ on ait songé à
défend aux ecclésiastiques de gérer des com m endes : am ener des nègres. Las C asas n ’ a donc pas form ulé
m esure heureuse, puisqu'elle assurait la liberté de la proposition; et d'ailleurs peu im porte.
leur m inistère; m ais m esure qui laissait la place à E n 1511, le développem ent de la culture du sucre
des m ains m oins délicates. Les efforts de Las C asas fait chercher com m ent on pourra introduire beaucoup
avaient abouti aux lois de 1542 qui décidaient de nègres de G uinée. H errera, D ec. I, 1. IX , c. v.
l ’ extinction progressive ou im m édiate des com m endes : X im énès seul, dans ses ordonnances de 1516, s ’ est
ces lois ne furent pas appliquées; m ais à partir de absolum ent opposé à aucun passage de ce genre.
1542, il y a détente : les travaux sont volontaires M ais il m ourut peu après.
et rém unérés. Les jésuites du B résil n ’ ont jam ais Las C asas et les hiéronym ites, arbitres entre les
voulu accepter de com m endes. dom inicains et les franciscains, pensèrent à déter ­
A vendano, qui écrivait vers le m ilieu du xvn ’ m iner une ém igration de laboureurs espagnols et à
siècle, donne de la com m ende une définition qui eût perm ettre l ’ im portation des nègres, avantageuse au
été m ensongère dans le siècle précédent : Commenda trésor, aux colonies, aux naturels. Presque aussitôt,
dicitur jus ad tributum Indorum, ratione siquidem Saint-Dom ingue, Porto-Rico, C uba et la Jam aïque
illorum talia tributa recipientibus commendati sunt, ut dem andent 4 000 nègres, et pour une som m e de
ipsorum defensioni, instructioni et temporali et spiri­ 25000 ducats cette im portation est afferm ée aux
tuali projectui curam debent sollicitam adhibere. G énois pour huit ans. Ce que sera par la suite cet
Thes. Indicus, 1. I, tit. vn, c. i. Les com m endes dis ­ esclavage, on le verra plus loin.
parurent au début du xvtn ’ siècle; les nègres seuls 3. L ’intérêt des particuliers et des gouvernements
restèrent esclaves. contribua singulièrem ent à leur faire ferm er les yeux
b) La mita était une des form es du servicio per­ sur les injustices m anifestes de l ’ esclavage des Indiens
sonal. Solorzano, 1. Π , p. 1, 5, définit les milayos, ou des nègres.
homines qui per vices ad serviendum mutantur. Π Les particuliers tout d ’ abord ne cherchaient que le
s ’ agissait surtout du travail des m ines, parfois, dit profit im m édiat. D ans la pratique, d ’ ailleurs, et Las
Solorzano, à cent m illes de distance, et si m eurtrier C asas nous l ’ a déjà m ontré, le roi d ’ Espagne n ’ avait
que parfois à peine 1 /10 revenait. Le P. M otolinîa qu ’ une puissance nom inale en A m érique; et abolir
parle en 1542 d'un chem in de m ines jonché de ca ­ l ’ esclavage était renverser le systèm e colonial. Les
davres. L a m ita fut supprim ée en 1670. M elchior com m endes étaient le dédom m agem ent convoité
de Linan, archevêque de Lim a, et vice-roi du Pérou, d ’ expéditions dangereuses et de l ’ expatriation.
la rétablit en 1682, en disant que les Indiens aux E t toute enquête, seul m oyen qui parût logique de
m ines com m ettent beaucoup m oins de péchés qu ’ en connaître l ’ état de chacun, était d ’ avance suspecte
liberté. et viciée. Sous Jean V I, 2000 esclaves furent appelés
c) Les C araïbes, proclam és aptes à l ’ esclavage, à un interrogatoire de ce genre : 700 seulem ent se
offraient un prétexte à bien des violations de la loi. présentèrent et tous avouèrent être esclaves. C arel,
Q u ’ eux-m êm es pussent être réduits en servitude, on Vie de Viei/ra, p. 239.
pouvait alors le soutenir; la lettre du dom inicain A près les particuliers, les fonctionnaires eux aussi
Thom as O rtiz, M orelli, Fasti novi orbis, p. 134, en intéressés. A u chef de son escorte qui capture des
tém oignait suffisam m ent. Il était d ’ abord convenu Indiens, V ieyra oppose les décrets royaux. Le soldat
que ces C araïbes cannibales seraient asservis, s ’ ils riposta : Si vous avez vos instructions, j ’ ai aussi les
493 E SC L A V A G E 494

m iennes, et de plus j ’ ai des arm es. C arel, Vie de Vieyra, duit et répand la bulle Veritas ipsa. M écontent du
p. 154. T oute expédition devait avoir deux m ission ­ gouverneur Pedro de A lvaredo, après un chapitre
naires pour juger les cas d ’ esclavage; le plus souvent, dom inicain tenu à M exico (1539), Las C asas avec
assure V ieyra, il n'y en avait pas, et les interprètes deux autres dom inicains va en Europe. Il y obtient
trahissaient les Indiens. Ibid., p. 234. O n peut cons ­ une série d ’ ordonnances favorables pourjV era-Paz :
tater la m êm e chose, dit Las C asas, « par les infor ­ cinq ans durant, aucun laïque espagnol, sans l ’ aveu
m ations reçues dans les procès intentés contre des des dom inicains, ne pourra y entrer. Las C asas écrit
vice-rois et des gouverneurs qui tous ont été des vo ­ alors La destruccion de las Indias, im prim é seulem ent
leurs, des m eurtriers, des m échants, et les plus m auvais douze ans plus tard, réquisitoire form idable. Il écrit
des chrétiens, à l ’ exception de... » (il en nom m e trois). aussi alors les Vingt raisons pour l’abolilion des
Œuores, t. n, p. 12. commendes. E n 1543, Las C asas, évêque de C hiapa,
Q uant aux gouvernem ents, les conseillers des rois, revient en A m érique avec 14 dom inicains : il annonce
souvent pourvus de com m endes, n ’ étaient guère à refus des sacrem ents et d ’ absolution à quiconque
m êm e de leur parler de désintéressem ent. E t puis, la est infidèle aux nouvelles ordonnances. Las C asas
raison d ’ É tat? D ès l ’ abord, les com m endes avaient profita d ’ un synode tenu à M exico, et obtint du vice-
été légitim ées m oyennant un deini-écu payé à la cou ­ roi qu ’ il laisse discuter ces questions par les théolo ­
ronne par tête d ’ Indien. Plus tard, A vendano rap ­ giens. Les dom inicains déclarent regarder l'affran ­
porte, 1. I, p. 1, 12, que Philippe IV avait prom is chissem ent des esclaves com m e obligatoire.
d ’ abandonner les m ines d ’ argent aussitôt que la guerre B ien des traits se retrouvent et dans l ’ histoire des
ne consum erait plus scs ressources. Enfin l ’ A m érique dom inicains et dans celle des jésuites : bannissem ent :
était fort loin, et l ’ asiento était fort lucratif. Thom as de Saint-M artin, O . P., président de la cour
4° Attitude des hommes d’Église vis-à-ois de cette de justice de H aïti (vers 1625), doit résilier son em ploi
conquête. Cf. M argraf, Kirche und Sklauerei, ù qui et passer au Pérou. A drien de U feldo, dom inicain
nous avons em prunté un grand nom bre de ces lui aussi, s ’ oppose à la m ita ; il est déporté de Panam a
détails. — 1. Les religieux. — Les différents ordres au Pérou (1633). En 1661, lors du soulèvem ent qui
religieux, chacun suivant les circonstances où il a éclate à Saint-Louis contre les jésuites, soulèvem ent
été placé, ont résisté à la pratique et aux idées des auquel le gouverneur s ’ est associé, V ieyra et ses
conquérants espagnols. frères enchaînés sont envoyés à Lisbonne. D évoue ­
Les dom inicains ont la prem ière place dans l ’ ordre m ent com plet : B arthélem y de V argas, O . P. (·[· 1598),
chronologique : la plus im portante aussi, surtout avec se jette aux genoux d ’ un Espagnol qui m altraitait
Las C asas, le défenseur des Indiens. D ès i ’ avent de un Indien. V aldivieso, O . P. et évêque de N icaragua,
1510, à Saint-D om ingue, A ntoine de M ontesino, avait à lutter contre les fils de R odrigue de C ontre ­
porte-parole de tous ses frères et surtout de son prieur ras; il les m enace de censures, et les excom m unie;
Pierre de C ordova, attaque la pratique des com m endes ils viennent l ’ assassiner dans sa m aison (26 février
et déclare ses auteurs responsables, coupables de 1549); le P. M aceta, S. J., suivant un convoi d ’ indiens
péché m ortel et indignes des sacrem ents, sauf am en ­ enlevés, sait persuader à un des officiers de lui aban ­
dem ent. O n exige de lui une rétractation; m ais, au donner sa part d ’ esclaves; le P. Suarez offre sa vie
lieu de la donner, il confirm e ses prem ières décla ­ pour qu ’ on relâche les Indiens.
rations. D e M adrid lui vient l ’ ordre de se taire : il D ’ autres nom s m ériteraient encore d ’ être cités
se rend en Espagne. Son prieur l ’ y suit bientôt, sans parm i les dom inicains : A lfonso de N oregna refusait
rien obtenir; les autres dom inicains de Saint-D om ingue les sacrem ents aux esclavagistes. G arcia de Toledo
vont chercher des m issions m oins contrariées sur la avait inspiré au vice-roi du Pérou, son cousin,de très
côte de C um ana; le rapt de quelques Indiens, com m is sages ordonnances; A ngulo avait obtenu une défense
par les Espagnols, et que les Pères ne purent faire expresse d ’ extorquer aux Indiens des services gra ­
réparer m algré leurs efforts, leur coûte la vie. tuits; C asillas avait déterm iné une sécession à l ’ inté ­
Las C asas, né à Séville (1474), n ’ était pas encore rieur des indigènes et des m issionnaires. C asillas avait
dom inicain, lorsqu ’ il vint en Espagne en 1516. Prêtre dit naguère ces m ots qui résum ent bien le rôle de
depuis six ans, il avait passé deux années à Saint- son ordre : « N ous som m es venus pour travailler à
D om ingue, et depuis était conseiller du gouverneur à l ’ instruction et à la conversion des sauvages, et pour
Cuba. L ’ appui des dom inicains, M atienzo, confes ­ leur assurer la liberté qu ’ on leur ravit. » Les violences,
seur du roi,et D iégo de D aeza,archevêque de Séville, prêtées au dom inicain V alverde par R obertson, His­
ne lui fit pas défaut. D ans un conseil, présidé par toire de l’Amérique, t. m,p. 300 sq.,ne concordent pas
X im énès (le roi Ferdinand venait de m ourir et C har ­ avec le récit du com pagnon et secrétaire de Pizarres
les V était encore en Flandre), on convient d ’ un X eres, dans sa Verdadera relation de la Conquisla del
systèm e d ’ une sorte de réductions, que d ’ ailleurs les Peru.
intéressés em pêchèrent de s ’ établir. Ce serait vers Les jésuites étaient arrivés au B résil en 1549, quatre
ce tem ps que Las C asas, d ’ après H errera, aurait, en m issionnaires conduits par N obrega. D ès l ’ abord ils
proposant l ’ em ploi des nègres, déterm iné une recru ­ refusèrent les sacrem ents à quiconque détenait des
descence de la traite. C ’ est alors du m oins (en 1520) indigènes dans l ’ esclavage et dans le concubinage.
qu ’ eut lieu la conférence de Las C asas avec Q ue ­ U n des prem iers gouverneurs, M em de Sa, qui avait
vedo. A la fin de l ’ année. Las C asas ayant gagné bien voulu faire les Exercices de saint Ignace, était disposé
des sym pathies à sa cause, s ’ em barque pour l ’ A m é ­ à appliquer les ordonnances de 1550 et 1556, qui
rique avec 200 cultivateurs ém igrants. En 1522, il se déclaraient les Indiens libres.L 'enquête fut som m aire,
fait dom inicain. Il parcourt le M exique et le Pérou et il fallut parfois se contenter d ’ un serm ent que les
avec deux dom inicains, B ernardino de M inaya et m aîtres faisaient prêter à leurs Indiens, .«tlirm ant
Pedro de A ngulo, avec assez de bonheur pour que qu ’ ils avaient été légalem ent asservis. Sous le roi
ies soldats refusent d ’ obéir au gouverneur R odrigo Sébastien (1557-1578), on organise une com m ission
<le C ontreras, qui voulait asservir les Indiens. M en ­ pour la vérification des titres de l ’ esclavage; une
doza, vice-roi du M exique, anim é par Las C asas, se visite aura lieu trois fois par an; toute vente a besoin
prononce contre l ’ esclavage. Las C asas se rend alors d ’ une perm ission expresse; le sort des fugitifs est
chez les Indiens du T uzutlan et en deux ans (1537- déterm iné; le m ariage des nègres avec les Indiennes,
1539), de ces pays que les Espagnols avaient appelés véritable élève d ’ esclaves, est prohibé.
T ierra de guerra, il fait la V era-Paz. En 1537, il tra ­ Les réductions du Paraguay voyaient alors la trans-
495 E SC LA V A G E 49G

form ation de peuplades sauvages par un esprit plei ­ dam né publiquem ent par l ’ évêque, et bientôt cassé
nem ent chrétien. Tandis qu ’ ils se retiraient dans le par le roi[j(vers 1415). L ’ évêque r suivant, D . Fernand,
territoire de G uaranis qui leur était concédé, on cher ­ déclare que soit avant, soit après la conversion, il
chait encore à capturer quelques Indiens; des Espa ­ est défendu d ’ asservir les naturels (vers 1431).
gnols viennent déguisés en m issionnaires pour atti ­ Le gouverneur de la plus grande des C anaries,
rer les Indiens dans des pièges; des peuplades brési­ D . Pedro de la V era, veut asservir des innocents;
liennes, vers 1630, font irruption sur les réductions, et l ’ évêque Fra M ichel de la C erda (W adding, an.
enlèvent à la fois 1500 Indiens (2 m illions en 130 ans). 1486, p. 23, l ’ appelle M ichel Lopre de la Sorva) lui
Les Pères M acetta et M ansilla furent, eux aussi, em m e ­ résiste;m enacé de m ort, il passe en Espagne et y ob ­
nés en captivité, puis relâchés. tient raison contre le gouverneur (vers 1486):
Il restait à recourir à l ’ ém igration en m asse, pour E n 1495, 500 C araïbes sont envoyés d ’ H aïti à
se retirer à l ’ intérieur, com m e l ’ avaient déjà fait les Séville; au m om ent de les vendre, on doute de la
dom inicains : voyage si pénible qu ’ il y succom ba des licéité de cette opération; c ’ est l ’ influence de l ’ arche ­
m illiers d ’ indiens. Le P. de M ontoya se rend à M adrid vêque de G renade, Fra H ernando de T alavera, con­
pour plaider la cause des réductions : l ’ affranchisse ­ fesseur de la reine, qui a déterm iné ce revirem ent, au
m ent des Indiens fut ordonné; la désobéissance pas ­ sentim ent de H um boldt. L'archevêque de Tolède,
sait pour crim e de haute trahison et ressortissait à T avera, préside en 1529 une assem blée qui propose
l ’ inquisition. Les habitants des réductions relevaient la suppression des com m endes et de l ’ esclavage. Sébas ­
im m édiatem ent de la couronne. E n m êm e tem ps le tien R am irez, évêque de Saint-D om ingue, depuis
P. D ias Jano rapportait de R om e la bulle Commissum 1527, préside dans cette île la cour de justice. Il est
d ’ U rbain V III. A cette nouvelle, un soulèvem ent nom m é en 1530 président de la cour de justice de
éclate à R io-de-Janeiro, où le collège des jésuites M exico. Il est décidé que les Indiens ne pour ­
est assiégé; une autre sédition a lieu à Saint-V in ­ raient plus vendre leurs enfants, que les esclaves
cent; à San-Paulo, on expulse les Pères; à B ahia, ne pourraient plus être exportés, qu ’ on enverrait
on foule aux pieds le vicaire général qui proclam ait des visiteurs. D ans ses prédications, R am irez affirm e
le bref, et le Père supérieur des jésuites qui s ’ avance, qu ’ il y a péché m ortel à m altraiter les Indiens.
le ciboire en m ain, ne parvient pas à rétablir l ’ ordre. R am irez préfère les affranchir tous au lieu de recher ­
A ntoine V ieyra connut de m eilleurs succès. Le pre ­ cher quels d ’ entre eux ont été faits légitim em ent
m ier dim anche de carêm e 1652, il prêche et traite la esclaves. E n 1532, R am irez passe en Espagne, com m e
question de l ’ esclavage; le soir m êm e, il la reprend à évêque de C uenca et m em bre du C onseil des Indes.
nouveau devant une assem blée des principaux de la Le franciscain Jean de Zum arraga, protecteur des
ville, et l ’ on convient qu ’ un tribunal, form é de deux Indiens, évêque de M exico durant vingt ans (1528-
com m issaires (l'un pour les Portugais, l ’ autre pour les 1548), écrit à C harles V (27 août 1529) pour dénoncer
Indiens), réglera les litiges. Le tribunal fonctionna l ’ esclavage m al déguisé (com m endes à perpétuité)
réellem ent. M ais bientôt V ieyra constatait la dupli ­ auquel le tribunal de N uno de G uzm an condam nait
cité du gouverneur lui-m êm e; après son serm on aux les Indiens. En novem bre et décem bre 1530, N uno
poissons avec ses allégories fines et désolées, il part à de G uzm an fait m arquer au fer 1000 esclaves, et les
Lisbonne et pénètre jusqu ’ à Jean IV . C et em pire du fait vendre 5 pesetas l ’ un, parce qu ’ ils n ’ ont pas
B résil, lui déclare-t-il, a un péché originel : l ’ escla ­ voulu faire la paix avec lui. Peu après, Zum arraga
vage des Indiens. D e B arro, t. n, p. 82. O n sait quels est préposé à la m arque : il prononce toujours en
accents déchirants le zèle inspirait à V ieyra : « A h I i faveur de la liberté des Indiens, dès qu ’ il y a le
richesses, opulence du M aragnon ! tant de beaux j m oindre doute.
m anteaux, tant de belles m antilles, sion les pressait, L a lettre de Jean G arcès, évêque de T lascala,
si on les tordait, que de sang n ’ en ferait-on pas sor ­ adressée au pape en 1536, est grave en elle-m êm e,
tir? » V ieyra, Sermons, t. n, p. 51. D ans le serm on et a déterm iné l ’ intervention de Paul III. E lle m on ­
sur le R osaire, t. vi, p. 532 : « E n punition des tre par plusieurs faits les dispositions excellentes des
esclavages d ’ A frique, D ieu a fait retom ber sous le Indiens, christignorum décréta non hauriunt modo,
joug des infidèles' M ina, l ’ île Saint-Thom as, A ngola sed exhauriunt ac veluti ebibunt : citius hi et ala­
et le B enguela. E n punition des esclavages d ’ A sie, crius articulorum fidei seriem et consuetas orationes
D ieu a fait retom ber sous le joug des infidèles M alaca, quam Hispanorum infantes ediscunt, et tenent quid­
C eylan, O rm uz, M ascate et Cochin. En punition des quid a nostris traditur. Solorzano, De Indiarum
esclavages d ’ A m érique, D ieu a fait tom ber sous le jure, 1. II, c. vm , n. 57. Il réclam e la liberté de la
joug de nos ennem is B ahia, le M aragnon, et tout le m ission.
Pernainbouc... » Cf. encore Sermons, t. r, p. 287. A C arthagène, l ’ évêque Tom as de Toro, dom ini ­
Le décret d ’ avril 1653 accorde que le supérieur de cain, depuis 1534 s ’ oppose au gouverneur H érédia :
la m ission tranchera les cas douteux; il y aura perpé ­ ses plaintes, ses supplications, ses censures sont inu ­
tuité pour les prisonniers de guerre; l ’ esclavage ne tiles; il réclam e en Espagne, et m eurt en recom m an ­
durera que cinq ans pour ceux qui ont été achetés des dant au clergé le dévouem ent pour les Indiens. Tom as
Indiens. Le succès fut bien court ; un soulèvem ent à de Toro était successeur d ’ un autre dom inicain, Jérôm e
B elem en 1658 est suivi d ’ un autre à Saint-Louis en de Loaysa, devenu prem ier archevêque de Lim a
1661. V ieyra et 32 autres jésuites sont em barqués de (t 1575 après 36 ans d ’ épiscopat); lui aussi avait
force pour le Portugal, et suivant l ’ expression du réclam é la faveur royale pour aider à la conversion des
grand orateur : bannis dans leur patrie. E n 1680, Indiens. E n 1570, il avait approuvé la reprise du tra ­
l'esclavage est supprim é, horm is le cas de guerre; et vail des m ines; m ieux renseigné, il en fait rétractation
cette m êm e année l ’ influence des jésuites est réta ­ à son lit de m ort et la fait faire auprès du roi.
blie. Les réclam ations reparaissent encore périodi ­ L ’ évêque de G uatem ala, M arroquin, assiste à la
quem ent jusqu ’ à la loi de 1755, qui libère absolu ­ m ort A lvarado, et lui prescrit com m e prem ier article
m ent les Indiens du B résil. de son testam ent la liberté de ses esclaves m ariés et
2. Les évêques. — Les évêques des C anaries ont les de leurs fam illes, « parce qu ’ au jugem ent del ’ évêque,
prem iers occasion de se prononcer. U n franciscain, Fra il était certain qu ’ ils n ’ étaient pas esclaves. » A ussi
M endo, résiste au gouverneur M aciotto de B éthen- le vieux soldat affranchit-il ses esclaves de m ines;
eourt qui avait réduit des indigènes en esclavage et il laissa une som m e pour racheter des prisonniers et
les voulait vendre en E spagne; le gouverneur est con ­ abandonna ses com m endes au roi (1542). L ’ évêque de
497 E SC L A V A G E

Sainte-M arthe écrivait au roi d ’ Espagne (20 m ars 1541) C onseil des Indes refuse de laisser im pr: π - ■ --
que sa part de l ’im pôt, prélevé sur l ’ esclavage, était vrage; les universités d ’ A lcala et de Salam .m cue le
bien m al acquise. Juan R am irez, O . P., évêque de rejettent aussi. L ’ auteur s ’ adresse à R om e qui laisse
G uatem ala'(1600-1609),'étant encore sim ple religieux, paraître l ’ ouvrage que Sepulveda avait présente
avait refusé l ’ absolution à qui ne voulait pas affran ­ com m e une apologie personnelle.
chir les esclaves de ses com m endes. Il s ’ en explique E n 1550, discussion entre Las C asas et Sepulveda
devant un synode dont les m em bres déclarèrent à V alladolid, et dont le confesseur de C harles-Q m nt.
qu ’ il n ’ y avait, vu les circonstances, qu ’ à pleurer et D om inique de Soto. a laissé un com pte rendu analy ­
qu ’ à prier, qu ’ on pouvait obtenir de bonnes ordon ­ tique. V oir L lorcnte, t. i, 4· m ém oire. Las C asas
nances, m ais qu ’ elles n ’ étaientiexécutées par personne. sem blait l'em porter, quand le franciscain B ernardino
Les évêques trouvent sa thèse extrêm e : la chaire A revalo vint au secours de Sepulveda, et entraîna le
est interdite à R am irez; il passe en Espagne en jugem ent de l ’ assem blée. Sepulveda signalait ces
1595, s ’ y adresse à Philippe II, puis au C onseil des quatre m otifs : les désordres des Indiens; leur incapa ­
Indes. Q uatre ans plus tard sont rendues des ordon ­ cité à se conduire eux-m êm es; une plus grande faci ­
nances, favorables aux Indiens : il est défendu de les lité à les form er à la religion; un juste châtim ent.
faire travailler gratuitem ent. Le prince royal Philippe em pêcha l ’ entrée en A m é ­
A rias de U garte, archevêque de Santa-Fé, signait rique du livre de Sepulveda. Las C asas obtint que le
Fernando Indio arzobispo de Santa-Fé; il cherche à retour des com m endes à la couronne fût décidé en
faire prévaloir des règlem ents plus doux auprès du principe et progressivem ent réalise (ce qui arriva
gouverneur du roi Philippe III et du pape. A N ica­ sous C harles IV en 1718).
ragua, l ’ évêque D iégo A lvarez O sorio défend la /) En 1564, au conseil de conscience du Portugal,
iberté des Indiens contre le gouverneur R odrigo de fut proposée cette question : vu la fam ine, les Indiens
C ontreras. Les synodes m ultipliés de Lim a sont dus se vendent ou vendent leurs enfants, ou sont vendus
à l ’ archevêque saint Torribio et trahissent ses préoc ­ par d ’ autres Indiens : que penser de cette pratique?
cupations. Le conseil répondit : En cas d ’ extrêm e nécessité, il est
Il y avait des prélats d ’ une autre sorte : on a vu la perm is à un hom m e de se vendre, lui et ses enfants.
faiblesse de l ’ archevêque de Lim a, M elchior de 4. Quelles ont été les décisions des papes? — Le
Linan. « O n vit m êm e, raconte Las C asas, un évêque 29 m ai 1537, lettre de Paul III au cardinal de Tolède :
nom m é pour ces contrées charger aussi ses dom es ­ Attendentes Indos ipsos, licet extra gremium Ecclesiæ
tiques de recevoir pour lui une partie de ce qu ’ on existant, non tamen sua libertate, aut rerum suarum
appelait les dépouilles de la guerre, qui consistaient dominio privatos, vel privandos esse, cum homines,
en or, pierres et perles précieuses, » t. i, p. 29. ideoque fidei et salutis capaces sint, non servitute delen­
3. Les hommes d’Église appetis aux conseils de dos, sed praedicationibus et exemplis ad vitam invitan­
l’État. — a) En 1511, avec A ntoine de M ontesino se dos fore. Il excom m unie latœ sententiæ ceux qui veu­
rend à M adrid un franciscain A ntonio deEspinal. Soit lent præfatos Indos quomodolibet in servitutem redi­
force de la coutum e, soit instinct pour prendre une gere aut eos bonis suis spoliare.
position sym étrique à celle des dom inicains, Espinal Le 2 juin de la m êm e année, bulle de Paul III Veri­
soutient dans un conseil de cabinet qu ’ à m oins d'un tas ipsa. Tous les hom m es sont appelés au salut, et
esclavage de deux ou trois générations, les Indiens cependant plusieurs asservissent et m altraitent au
ne se civiliseront pas. Le roi soutient, au contraire, la dernier point les Indiens. Le pape déclare : prædictos
liberté des Indiens. En 1513, à la junte de B urgos, Indos el omnes alias gentes ad notitiam Christianorum
les dom inicains M atienzo et A lphonse de B ustillo in posterum deventuras, licet extra fidem Christi exi­
n ’ obtiennent pas la suppression, m ais seulem ent la stant, sua libertate el dominio hujusmodi uti et potiri
réduction du travail des Indiens. et gaudere libere et licite posse, nec in servitutem redigi
b) E n 1518, les prédicateurs de la cour, gagnés à debere. Le principe posé et la form ule m êm e em ployée
Las C asas, sont décidés à faire des rem ontrances constituent une revendication pour la liberté des
publiques, m êm e au roi. Ils s'en expliquent au Con ­ nègres com m e des Indiens. Saint Pie V , en plusieurs
seil, m algré les hostilités de l ’ évêque de B urgos; ils lettres datées de 1567, R aynaldi-L aderchi, an. 1567,
attaquent le systèm e des com m endes : ni la prudence ή. 254, recom m ande égalem ent qu ’ on traite les Indiens
hum aine, ni le service du roi, ni le droit civil ou cano ­ avec égards : ipsi vero neophyti benigne admodum et
nique, ni les règles de la m orale, ni la volonté de D ieu liberaliler tractandi erunt, honoribus afficiendi, et ad
et de son Église ne s ’ en peuvent accorder. T ravailler munera civilia atque officia publica assumendi (au
les trois quarts de l ’ année pour le roi, ou pour d ’ autres, vice-roi Luis de A thaide); cf. ibid., au cardinal
quelle liberté est-ce là? Q uant au contrôle, il faudrait H enri, à l ’ évêque de M exico, au vice-roi m arquis
pouvoir en charger des anges. Ils accordent un travail Falices.
m odéré dans les m ines, à condition que les Indiens En 1568, diverses lettres dans le m êm e but; au
pussent vivre librem ent dans leurs villages. C onseil des Indes: ut sicut jugum Christi suave el leve
c) C harles V assiste à la discussion de Las C asas est, ita regis quoque Christiani imperium clemens esse
avec Q uevedo, évêque de D arien, qui dit les Indiens sentiant. R aynaldi-L aderchi, an. 1568, n. 206. En
nés pour la servitude. Las C asas et avec lui un fran ­ 1569, n. 341, à V asconcellos, vice-roi du B résil.
ciscain répondent très vigoureusem ent. E n 1523, à U rbain V III dans le bref Commissum (22 avril 1689)
la junte de B arcelone, les religieux dem andent et au collecteur de la C ham bre apostolique en Portu ­
obtiennent qu'on bornât l ’ esclavage aux chrétiens gal : Districtius inhibeas, ne de cælero, Indos in servi­
faits prisonniers de guerre dans les soulèvem ents. tutem redigere, vendere, emere, commutare, vel donare
d) Le Confesonario, approuvé par huit des m eil­ prædictos, ab uxoribus et filiis suis separare, re i
leurs théologiens dom inicains et par le conseil de et bonis suis spoliare, ad alia loca deducere, et
M exico, prescrivait la question ; A vez-vous des transmittere aut quoquomodo libertate privare, in
Indiens pour esclaves? Si oui : prom esse d ’ affranchis ­ vitute retinere, necnon prœdicla agentibus consilium,
sem ent, ou refus d ’ absolution. auxilium, favorem et operam quocumque praetextu et
e) Jean G inez Sepulveda avait écrit dans son Démo­ quaesito colore praestare, aut id ac licitum praedi - :■
crates secundus, sive de justis belli causis, que la con ­ seu docere alios quomodolibet praemissis cooperar,
quête et l'évangélisation à m ain arm ée des Indiens audeant seu praesumant.
étaient perm ises et, dans certains cas, requises. Le Le clergé recruté pour ces expéditions coloniales à
499 E SC LA V A G E 500

la fin du xv e siècle et au xvi e siècle était ce que l ’ on gorge, sans façon pour les sujets m édiocres, le plus
peut supposer, d ’ après l'état général de l ’ Église- souvent pour faire de la peine à leurs m aîtres, étant
Pie II s ’ en plaint déjà, à propos de la G uinée : Latius prévenus qu ’ après la m ort ils retournent dans leurs
divinus cultus e/fioruisset in iis oris, si sacerdotes ad pais, et ils sont tellem ent frappés de cette folle im agi ­
animarum potius lucra quam ad humana commoda nation qu ’ il est im possible de la leur ôter de la tête. »
fuissent intenti. R aynaldi, an. 1462, n. 42. Le prem ier L abat, t. i, p. 446. Ils cherchent l ’ oubli dans l ’ usage
évêque du B résil, Pedro Fernandez Sardinho, en 1552, de l ’ eau-de-vie : « la consom m ation qui s ’ en fait passe
doit soutenir une lutte violente contre son clergé, qui l ’ im agination; tout le m onde en veut boire; le prix
publiquem ent déclarait l ’ esclavage perm is. Cf. V ieyra, est la dernière chose de quoi on s ’ inform e. » L abat,
Sermons, t i, p. 314-315. t. ni, p. 515.
5° Après la conquête et jusqu'à l’abolition. — 1. Lois 3. Action de l’Église. — Les conciles n ’ avaient pas
civiles, asientos et Code noir. — Les asientos, ou m ono ­ om is de rappeler aux m aîtres de nègres leurs devoirs.
poles pour l ’ im portation des nègres dans les colonies Le I er concile de Lim a, en 1582, act. n, can. 36, rap ­
espagnoles, se succédèrent presque sans interruption. pelle leur indépendance relativem ent au m ariage :
L 'E spagne en conclut de 1517 à 1580, de 1595 à Serai Æthiopes neque contrahere matrimonia, neque
1639, de 1662 à 1696. E n 1696, l'asiento est conclu avec contradis uti a suis dominis prohibeantur..., non enim
une com pagnie portugaise qui se charge de fournir debet lex matrimonii naturalis per legem servitutis hu­
dix m ille tonnes de nègres. D e 1702 à 1712, la France maine derogari. Cf. can. 20. L a nécessité de les faire
se charge de fournir 'ces pièces d ’ Inde». D e 1713 jus ­ instruire est plusieurs fois inculquée. Le V II e synode
qu ’ à 1734, c ’ est l ’ A ngleterre qui fournit « le bois de Lim a, en 1592, can. 9 : curent quod singulis diebus
d ’ ébène »; elle conclut un arrangem ent si avantageux doctrinam sigillatim doceantur. Le V III e de 1594,
qu ’ elle faillit déclarer la guerre en 1743, parce que can. 5 : per singulos dies ad ecclesiam instruendos
l ’ Espagne refusait le renouvellem ent de ce traité. accedere facient. C elui de 1582, act. II, can. 7, défend
A . C ochin, Abolition de l’esclavage, L u, p. 282-289. d ’ accom pagner, m êm e com m e aum ôniers, les expé ­
Q uel a été à peu près le nom bre des victim es de la ditions de conquête; eau. 43: Caveant scolæ occasione,
traite? Les auteurs les plus sérieux sont d ’ accord pour ne illorum servitute atque operis abutantur, neve eos
évaluer à 40 m illions le nom bre d'A fricains transportés pabulatum lignatumque millant; act. V , can. 4 : ut
en A m érique en trois siècles, et à plus de 20 % le Indi politice vivere instituantur. Le concile de M exico,
nom bre des m orts pendant la traversée. Ibid., p. 74. en 1585, 1. Ill, tit. n, De adminislr. sacram., can. 3,
Le Code noir, paru en 1685, et œ uvre de C olbert ordonne de ne pas priver de la sainte eucharistie,
(m ort deux ans plus tôt), énonce sans hésitation des Indos el servos, qui tanquam parvuli recens in Chri­
sanctions rigoureuses parfois jusqu ’ à la barbarie. stiana fide nati, lam salutari indigent alimento.
V illault de B ellefond rapporte que chez les nègres on C oncile de Lim a de 1594, can. 4, on faisait parfois les
appliquait aux fugitifs les peines que le Code noir reparlimienlos avant la m esse; aussi les Indiens n ’ y
contient pour ce m êm e délit : l re fois, on coupe l ’ o ­ venaient plus.
reille; une 2 e , le jarret; une 3 e , peine de m ort. Il A C arthagène, véritable entrepôt de nègres, se sont
n ’ appartenait pas à des chrétiens de rien em prunter distingués par leur charité apostolique envers les
à ces lois barbares. M ais le Code noir contient une nègres : le P. A lphonse de Sandoval, S. J., qui en
législation qui n ’ est pas indifférente à l ’ âm e et "λ sept ans baptisa 30000 nègres; saint Pierre C laver.qui
l ’honneur de l ’ esclave...; » il faut reconnaître que la s ’ adonna pendant trente-neuf ans à ce m inistère.
loi, ici, est infinim ent au-dessus des m œ urs, » écrit Il avait signé sa form ule de profession : Pierre, esclave
H . M artin, Hist. de France, t. xm , p. 556. C ’ est que la des negres pour toujours. L ’ Église a dit dans la bulle
loi s'inspirait de la civilisation chrétienne de la m étro ­ de sa canonisation s ’ il avait tenu parole : Qua in re
pole et que les m œ urs étaient le plus souvent celles des quantum virlute atque incredibili rerum gestarum tum
m auvais riches. arduitate tum amplitudine praestiterit, vix dici potest...
2. La pratique de la traite. — Les m oralistes en ont hominum ejus generis ter centum millia eoque amplius
appris des tém oins quelques détails. En A frique, rap ­ sua manu sacro baptismate abluisse... Accedebat...
porte M olina, voici com m ent les négriers pressaient non modo virtutum omnium cumulus, sed etiam tanta
les retardataires : Ferlur enim praescindi interdum supernorum charismatum copia, quanta paucis etiam
btacchium unius, morluumque relinqui; eo vero tan- Sanctis obtigit.
quam flagello, alios perculi atque agi. D isp. X XX V. Le P. L abat tém oigne du m auvais exem ple donné
η. 18. R ebello parle de la traversée : in navigatione, par les Européens établis en A m érique : « Les E uro ­
ipsa sæpe major pars eorum misere perit : ...cavernis péens ne leur donnent pas une grande estim e de notre
navium crudeliter reclusi, suomel paedore suffocati religion, parce qu ’ il n ’ y a rien au m onde de plus affreux
intereunt; quo circa refert Thomas Mercado (1. II, que la vie qu ’ ils y m ènent. Il ne faut pas croire que
De conte., c. xx) ex 400 una cl eadem nocte plus quam ce que je dis ici ne regarde que les A nglais, H ollan ­
130 suo irdob rabill odore inter cavernas unius navis dais, ou autres peuples séparés de l ’ Église catholique.
suffocatos fuisse, et cum vlginli tantum ad Indias occi­ Les catholiques qu ’ on appelle R om ains n ’ ont rien à
dentis mercatorem quemdam suum amicum pervenisse. reprocher aux autres sur cet article, quoiqu ’ ils aient
Opus de obligationibus justiliæ, q. x, n. 17. infinim ent à se reprocher eux-m êm es. » Voyage aux
O ù et com m ent se trouvaient ces m alheureux nègres, îles de l'Amérique, t. rv, p. 126. Le m êm e auteur
un dom inicain, habitant l'A m érique, l ’ écrivait à la tém oigne cependant en plusieurs endroits du soin
fin du xvii· siècle : les petits rois envoient les m ar ­ donné à l ’ instruction religieuse des nègres.
chands européens dans les villages de leurs voisins, En 1683, au nom d'Innocent X et de tout le sacré
et m êm e dans ceux de leur dépendance pendant la collège, le cardinal Cibo se plaint aux capucins, m is ­
nuit, oùils enlèvent tout ce qu ’ ils attrapent d'hom m es, sionnaires à la côte d ’ A ngola, de voir la traite sub ­
de fem m es, d ’ enfants, et les conduisent au vaisseau sister; que pouvaient les m issionnaires ? Les négriers
ou com ptoir du m archand à qui on les doit livrer, qui anglais et hollandais leur étaient hostiles, les gouver ­
les m arque aussitôt avec un fer chaud, et ne m anque nem ents catholiques s ’ inspiraient plus de vues poli ­
pas de les m ettre aux fers. L abat, O . P., Nouveau tiques ou philosophiques que d ’ esprit chrétien: les
voyage aux îles de l’Amérique, t. iv, p. 116. prêtres, em ployés par les C om pagnies coloniales,
En A m érique, quelques-uns des nègres, dira le n ’ étaient le plus souvent que des gvrovagues ou des
P. L abat, « se désespèrent, se pendent, se coupent la fugitifs.
501 E SC LA V A G E 502

En 1741, B enoît X IV , dans sa bulle Immensa, se | à B altim ore encore, le concile pourra dire
plaint au roi de Portugal de ce qu ’ on ose encore : qui d'ailleurs caractérisent le rôle de l ’ Église cans
miseras Indos non solum luce fidei < arentes, oerum toute cette question de l ’ esclavage : Quanis enim
etiam sacro regenerationis lavacro ablutos... aut inser- Ecclesia, ut hisloria testatur, lotum genus pauperum
vitutem redigere, aut veluti mancipia aliis vendere· E t et operariorum semper complexa sit, et m ca_-
le pape term ine parles sanctions les plus vigoureuses servilute conjuncta efficaciler mitigarit, quoad hæ: 1er.
contre ceux qui, pratiquem ent ou doctrinalem ent, ejus auctoritate inter Europæ populos exstinct ? es',
favoriseront cet esclavage. Q uant à l ’ esclavage des eadem tamen, neque constitutum turbavit ordinem,
nègres, nous voyons et par les relations du P. L abat neque, humanitatis prseceptis quibusdam ducto.
et par l ’ histoire du P. L avalette que l ’ usage en était publicæ pacem labefactavit. C oncile de B altim ore, 1858.
général. dans Collectio lacensis, t. m , p. 1202.
6° Dernière période. — 1. En Amérique. — O n sait 2. En Afrique. — M algré quelques difficultés sus ­
quels événem ents m arquèrent pour les noirs la fin du citées par le droit de visite, les puissances avaient
xviii 0 siècle : la tentative de Perm ; puis l ’ obstina ­ conclu un accord pour organiser des croisières sur les
tion de W ilberforce qui m et son concours politique au côtes d ’ A frique; m ais au cours du xix° siècle, voya ­
prix d ’ une satisfaction en cette m atière. D ’ ailleurs, on geurs et m issionnaires ont à m aintes reprises exprim é
a fait observer qu ’ après l ’ indépendance de l ’ A m érique, leur scepticism e sur l ’ efficacité, et parfois sur la sincé
le sacrifice était plus aisé. La traite du reste (lord rité de ce contrôle.
C astlereagh l ’ a avoué au Parlem ent le 9 février 1818), H . L am bert, consul de France à A den, estim ait
se faisait en grande partie sous les pavillons de qu ’ entre les ports de la m er R ouge, de Zanguebar, du
l'Espagne et du Portugal, m ais avec des fonds an ­ golfe d ’ A den et du golfe Persique, il passait 40000
glais et avec des navires construits à Londres ou à esclaves par an. Tour du monde, 1862, t. n, p. 70.
Liverpool. H . W heaton, Histoire des progrès du droit D ’ après C harnay, le com m andant de croisière au canal
des gens, Leipzig, 1865, t. n, p. 288. de M ozam bique venait de céder son poste com m e
M ais la sincérité réelle de la plupart des hom m es une entreprise, 200000 francs. Tour du monde, 1864.
d ’ É tat n ’ est pas en cause; et Léon Χ ΙΠ a rendu un t. n, p. 228. D ’ après le cardinal M assaïa (capucin,
tém oignage élogieux à l ’ A ngleterre, lorsqu ’ il écrivait m issionnaire abyssin de 1846 à 1881, exilé à sept
(17 octobre 1888) au cardinal d ’ A lger : Apud Bri­ reprises) : « Les bâtim ents de ronde de ces m êm es
tannos de mancipiis Æthiopum diu multumque meritos. puissances qui faisaient le plus de bruit contre la
La C onvention avait décrété, le 4 février 1794, sur traite, tandis qu ’ aujourd ’ hui ils séquestraient une
les instances de l ’ abbé G régoire, l ’ abolition de l ’ escla ­ barque négrière, passaient dem ain auprès d ’ un grand
vage, m ais les guerres anglaises em pêchèrent ce dé ­ m arché d ’ esclaves sans rien dire. » Mes 35 années de
cret d'être m is en exécution. Le 20 m ai 1802, Bo ­ mission dans la Haute Éthiopie, p. 163. Portal au
naparte rétablit l ’ esclavage et la traite des nègres. m arquis de Salisbury, 2 juillet 1887, Bl. B. slave Trade.
Le Saint-Siège s ’ était efforcé au C ongrès de V ienne C .5428, p. 132 : « O n est généralem ent d ’ avis que l ’ im ­
de faire adopter une résolution précise. Successive ­ portation d ’ esclaves noirs en Turquie s ’ est accrue d ’ une
m ent les différentes puissances prirent des m esures m anière sensible. » D es atrocités de la traite, tous
positives. G régoire X V I, dans la bulle In supremo étaient d ’ accord. D avid et Ch. Livingstone : « Il n ’ y a
du 3 décem bre 1839, se prononçait catégoriquem ent pas un dixièm e des victim es de la traite qui arrive
contre toute espèce de servitude ou de com m erce des à l ’ esclavage. » Tour du monde, 1866, 1.1, p. 166. Cf.
nègres. Lettres de Gordon à sa sœur, Paris, p. 280, 303.
D ans cette question de l ’ esclavage et de l ’ éducation Le cas d ’ anthropophagie est signalé à des dates plus
religieuse et m orale des noirs, le gouvernem ent de récentes. « Le besoin de la chair hum aine est chez plu ­
Louis-Philippe a m ontré un peu de cet esprit chré ­ sieurs peuplades une véritable passion. M es enfants
tien qu ’ il bannissait soigneusem ent de ses conseils rachetés m ’ont affirm é qu ’ il y avait dans l ’ intérieur
ordinaires. L ’ ordonnance du 18 m ai 1846 édicte de des terres des chefs puissants qui ne se nourrissaient
sages m esures sur l ’ instruction chrétienne aux colo ­ que d ’ enfants de dix à seize ans. » P. A llaire, m is ­
nies ; les pouvoirs publics y facilitèrent l ’ établisse ­ sionnaire au C ongo, Correspondant, 25 janvier 1896. D e
m ent des frères de Ploërm el et des sœ urs de Saint- la traite en général, telle qu'il l ’ avait vu pratiquer en
Joseph de C luny. Parm i ceux qui ont tenu la plus A frique, Livingstone a écrit : «A parler en toute fran ­
grande place dans ces débats, plusieurs étaient notoi ­ chise, le sujet ne perm et pas qu ’ on exagère; am plifier
rem ent inspirés par leur foi chrétienne : le duc de les m aux de l'affreux com m erce est tout sim plem ent
B roglie, président de la com m ission sous Louis- im possible. » Dernier journal, t. n, p. 251.
Philippe, H enri W allon, historien de l ’ esclavage T ant de razzias ont un débouché dans le seul m onde
antique et secrétaire de la com m ission, qui en 1848 m usulm an; c ’ est vers la Turquie, le M aroc, l ’ A rabie
proclam a l ’ abolition de l ’ esclavage dans les colonies et la Perse que convergent tous ces convois. Le m aho-
françaises. m étanism e avec son im m oralité entretient l ’ escla ­
La guerre des É tats-U nis suivit bientôt. L ’ hum a ­ vage. V oir La traite des esclaves en Afrique, renseigne-
nitarism e des belligérants était de fraîche date; on a menls et documents, B ruxelles, 1890.
> tabli que les É tats du N ord anti-esclavagistes avaient D ans un Mémoire publié par les Missions catholi­
une espèce de m onopole de la traite, et qu'ils le répri­ ques, 20 septem bre, 5, 12 et 19 octobre, et 2 novem bre
m aient par d ’ im aginaires croisières. C arlier, L ’escla- 1888, le cardinal Lavigerie écrivait : « L ’ extension de
vage dans ses rapports avec l'union américaine, Paris ce fléau est duc. originairem ent, aux traditions des
J 862, p. 214-227. peuples m usulm ans du nord de l ’ A frique, de ceux de
A u m ilieu des agitations et du fracas de cette ém an ­ l'Égypte et de la T urquie d ’ A sie. Les m ahom étans ne
cipation l ’ Église avait travaillé d ’ une m anière efficace peuvent pas, pour des raisons de débauche, d'épuise ­
et suave à élever les noirs, et pour que la stabilité et m ent ou de paresse, se passer d ’ esclaves qui leur infu ­
la dignité du m ariage chrétien leur donnent la vie de sent des forces et un sang nouveau. » Cf. Annales z·.
fam ille, le synode de B altim ore réduisait au strict la Propagation de la foi, juin 1881, lettre du cardi ­
m inim um les notions religieuses dont la possession est nal; Missions catholiques, 1888, p. 460, les tém oi ­
requise pour accéder au sacrem ent. Synode de B alti ­ gnages des protestants N achtigal et Schw einfuith ; la
m ore, 1791, Collectio lacensis, t. ni, p. 4. lettre du cardinal à L ’Indépendance belge, dan*
D ans l ’ agitation qui précéda la guerre de sécession, M as B aunard, Le cardinal Lavigerie, t. n, p. 463.
503 E SC L A V A G E 504

A u Congrès de B erlin (1878), il n ’ avait pas été ques ­ C hacun de ces élém ents peut se diversifier : l ’ obli­
tion de l ’ esclavage : l ’ A ngleterre, liée à la Turquie par gation peut être absolue et absorber toute l ’ activité
un traité secret, s ’ y opposa absolum ent. Revue des de l ’ esclave, ou lui en laisser une partie; la per ­
deux mondes, 15 novem bre 1889. pétuité peut exclure ou com porter l ’ espoir d ’ un
L a C onférence de B erlin (1885) avait bien énoncé, affranchissem ent plus ou m oins facile; le m aître peut
pour toutes les puissances, l ’ engagem ent de « con ­ être hum ain ou cruel, respecter ou enfreindre les lois
courir à la suppression de l ’ esclavage et surtout à la naturelles ou divines; le traitem ent peut être conve ­
traite des noirs. > « M ais, poursuit le cardinal L avi- nable ou barbare.
gerie, trois ans plus tard, jusqu'ici ces engagem ents La question qui se pose ici est d ’ ordre purem ent
n ’ ont pas été tenus. · Missions catholiques, 1888, p. 521. spéculatif. L ’ esclavage, pris en lui-m êm e, et dégagé
En 1888, tandis que de concert avec le pape des atrocités dont l ’ histoire l ’ a vu si souvent com pli ­
Léon X III, l ’ em pereur dom Pedro préparait l ’ ém an ­ qué, peut-il être juste dans son exercice, dans son
cipation des nègres du B résil, le cardinal Lavigerie origine?
signalait à R om e les horreurs de la traite africaine. L ’ esclavage est contraire à la dignité hum aine : la
L ’ encyclique In plurimis fit écho à ces plaintes, et personnalité inam issiblc de l ’ hom m e ne perm et pas
recom m anda au m onde chrétien la libération de ces qu ’ il soit traité com m e une chose : Dijjert autem
pauvres noirs. Q uelques jours après, le cardinal pré ­ homo ab aliis irrationabilibus creaturis in hoc quod
sentait au Saint-Père un pèlerinage africain, où se est suorum actuum dominus. S. Thom as, Sum. theol.,
trouvaient des esclaves rachetés : Léon X III investit I* II®, q. i, a. 1. E t com m ent serait-il com patible
alors l ’ archevêque de C arthage de la m ission d ’ aller avec « cette fraternité qui unit tous les hom m es, tous
susciter dans le m onde chrétien un effort qui em pê ­ provenant d ’ une m êm e origine, tous sauvés par une
chât ces atrocités de se prolonger. Ce voyage eut trois m êm e rédem ption, tous appelés à un m êm e bonheur
stations inoubliables : le l° r juillet à Saint-Sulpice, éternel? » Léon X III, Ad singulos calh. orbis episc.,
pour ce discours qui souleva la France; le 31 juillet 20 novem bre 1890.
à Loudres entre le cardinal M anning et lord G ranville; L ’ esclavage est funeste à l ’ âm e hum aine : tant de
le 15 août à B ruxelles, à Saintq-G udule. souffrances et de fatigues ém oussent, étouffent et
C ette com m otion, soigneusem ent observée par les ravalent les aspirations de l ’ âm e : durissima servi­
gouvernem ents jaloux de leurs influences respec­ tute qua detinebantur innumeri homines in animarum
tives, déterm ina des pourparlers diplom atiques qui suarum perniciem, concile de la R ochelle, en 1853,
■aboutirent à la C onférence de B ruxelles (8 novem bre c. vi, η. 1, Collectio lacensis, t. iv, p. 658, et l ’ on sait
1889). Le cardinal en déclarait l ’ œ uvre < très satis ­ que l ’ esclavage est peut-être encore plus pernicieux
faisante, très belle ». Ceux qui sont étrangers à la pour les m aîtres.
diplom atie ont pourtant peine à saisir la connexion L ’ esclavage dispute, com prom et ou dénie des droits
logique de plusieurs articles. A rt. 8. « L ’ expérience inaliénables à la vie, à l ’ intégrité du corps et de l ’ âm e,
de toutes les nations qui ont des rapports avec à une véritable liberté de la conscience, à l ’ existence et
l ’ A frique, ayant dém ontré le rôle pernicieux et prépon ­ à la stabilité de la fam ille. C 'est dans cette com pres ­
dérant des arm es à feu dans les opérations de traite, sion et dans cette restriction de la vie m orale qu ’ ap ­
et dans les guerres intestines entre tribus indigènes, paraît proprem ent son danger. Il dim inue ou sup ­
et cette m êm e expérience ayant prouvé m anifeste ­ prim e l ’ atm osphère m orale dont l'âm e a besoin.
m ent que la conservation des populations africaines, M ais, d ’ autre part, l ’ idée d ’ un perpetuus famulatus,
dont les puissances ont la volonté expresse de sauve ­ pro perpetuis alimentis, spontané ou contraint, si tou ­
garder l ’ existence, est une im possibilité radicale, si tefois les droits inaliénables de l ’ hom m e sont saufs
des m esures restrictives du com m erce des arm es à com m e dans un vasselage interprété avec une béni ­
feu et des m unitions ne sont établies. » A rt. 10 : « Les gnité chrétienne, cette idée, dis-je, n ’ est pas inadm is ­
gouvernem ents prendront toutes les m esures qu ’ ils ju ­ sible.
geront nécessaires pour s ’ assurer del ’ exécution aussi Tel est, dans sa substance, l ’ enseignem ent des au ­
com plète que possible des dispositions relatives à teurs catholiques contem porains : Th. M eyer, S. J.,
l ’ im portation, à la vente et au transport des arm es. » Institutiones juris naturalis, Jus naturœ speciale,
L ’ opinion publique dénonçait aussi l ’ im portation th. xxi, Fribourg-cn-B risgau, 1900, p. 118; Ferretti,
des boissons spiritueuses. U n délégué des É tats- S. J., Institutiones philosophise moralis, R om e, 1891,
U nis fit cette rem arque qu ’ il « im porte surtout de t. m , p. 155 ; C athrein, S. J., Philosophia moralis, Fri-
s ’ opposer à l ’ im portation des alcools im purs. » Le bourg-en-Brisgau,1895, p. 317 ;Schiffini, Disputationes
protocole porte, c. vi, art. 91 : « ...C haque puissance philosophice moralis, T urin, 1891, t. i i , p. 302;B ensa,
déterm inera les lim ites de la zone de prohibition des Juris naturalis universi summa, Paris, 1855, t. n,
boissons alcooliques dans ses possessions ou protec ­ p. 49: G ury, Compendium theologiæ moralis, 13° édit.,
torats... » O n a expliqué com m ent les dispositions Prato, 1898, t. i, p. 494; M are, Institutiones morales
excellentes qui s ’ annonçaient, s ’ étaient finalem ent tra ­ alphonsianæ, 10 e édit., R om e, 1900, t. i, p. 550;
duites en blancs-seings donnés aux intéressés : B irm in ­ H aine-Bund, Theologice moralis elementa, 5° édit.,
gham fabriquait des fusils; A ngola et H am bourg fa ­ Paris, 1906, t. vi, p. 15.
briquaient de l ’ alcool. Correspondant.25 juillet 1890. M ais, on l ’ a dit, c ’ est une discussion spéculative
V I. L ’ e s c l a v a g e s e l o n l e s t h é o l o g ie n s . — La et rétrospective : Cum quæstio de dominio servorum
critique a rejeté l ’ étym ologie traditionnelle du m ot proprie dictorum... non sit nobis nisi quæstio merce
servus, W allon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, eruditionis, remittimus ad theologos. Legi possunt
t. i, p. xvni (il propose le grec ερω, εϊρω, d ’ où le Lessius, etc. W affelaert, De virtutibus cardinalibus,
latin sera, en français lier), autorisée par le Code et De justitia, B ruges, 1885, t. i, p. 111-112.
auparavant répétée en plusieurs reprises par saint 1° Raison d’être de l’esclavage suivant les saints
A ugustin. Code justinien, 1. I, tit. v, 4 : Servi ex eo Pères. — A u jugem ent des Pères, la servitude n ’ est
appellati sunt, quod imperatores captivos vendere, ac pas naturelle à l ’ hom m e. Saint G régoire de N azianze
per hoc servare, nec occidere solent. L ’ esclave est celui le fait rem arquer à un hom m e dont le m érite n ’ éga ­
qui est tout entier sous la puissance d ’ un m aître lait pas la naissance : Tous nous som m es d ’ une
(L ittré). L ’ esclavage contient l ’ idée d ’ une obligation m êm e argile, la race d'un m êm e père. C ’ est la tyran ­
perpétuelle, en vertu de laquelle un hom m e travaille nie qui a divisé les m ortels en deux classes; ce n ’ est
pour un m aître, qui se charge de sa subsistance pas la nature. Pour m oi est esclave tout m échant;
505 E SC L A V A G E 506

tout hom m e vertueux est libre.» Poem, moral., xxvi, m aine (car je sais que beaucoup posent ces questi·
27-29, P. G., t. xxxvii, col.853. et voudraient en apprendre quelque chose), je ·.
Saint A ugustin, parlant des patriarches, fait ces vous le dire : L ’ avarice a produit l ’esclavage, et i v-
réflexions, P. L., t. xxxiv, col. 589-590 : « Q ue les vie, et la cupidité. N oén ’ avait pas d ’ esclave, ni A : , .
troupeaux soient asservis à l'hom m e, que l ’ hom m e ni Seth, ni les autres de ce tem ps. C ’ est le pèche qui ■
régisse les troupeaux, voilà une juste sujétion et un fait cela, c'est l ’ outrage aux parents, et apres um
juste gouvernem ent... Servum autem hominem homini, réflexion m orale : qui outrage son père n ’ est plus „■
vel iniquitas vel adversitas fecit : iniquitas quidem, la fam ille, et a fortiori qui outrage D ieu..., il conti
sicut dictum est. Maledictus Chanaan, erit servus fra­ nue : E nsuite les guerres et les batailles ont don::· .·
tribus suis (Gen., ix, 25): adversitas vero sicut accidit des prisonniers. A braham , dira-t-on, a eu des esclave'
ipsi Joseph, ut venditus a fratribus servus alienigenae M ais il ne les a pas traités com m e des esclaves.
fieret (G en., xxxvn, 28, 36). Puis après avoir rap ­ Le saint docteur reprend autre part plus à fond tout
pelé l ’ étym ologie : servus quia servatus, est etiam le problèm e. In Genesim, serra, iv, P. G., t. l i v .
ordo naturalis in hominibus, ut serviant feminæ col. 593. D ieu a entouré notre nature déchue de plu ­
viris et filii parentibus; quia et illic hæc justitia est ut sieurs servitudes com m e d ’ autant de liens. L a prem ière
infirmior ratio serviat fortiori. Hæc igitur in domina­ est celle qui soum et la fem m e à son époux, sans doute
tionibus et servitutibus clara justitia est, ut qui excel­ de providentielles affections la tem pèrent; m ais c ’ est
lunt ratione, excellant dominatione : quod cum in hoc le péché qui a établi la nature de la servitude. U ne
sæculo per iniquitatem hominum perturbatur, vel per seconde servitude plus lourde a aussi dans le péché
naturarum carnalium diversitatem, ferunt justi tempo­ son principe et son occasion; suit l ’ histoire de C ham :
ralem perversitatem, in fine habituri ordinalissimam il a perdu par la m alice de sa volonté la prérogative
et sempiternam felicitatem. A insi, aux yeux du saint de sa nature. Il est encore une troisièm e servitude
docteur, l ’ esclavage causé par un désordre peut encore plus pesante vis-à-vis de ceux qui gouvernent Cf.
présenter quelque apparence de bien relatif; m ais il S. A ugustin, De Genesi ad litter., xi, 38, P. L., t. xxxrv,
ne garantit pas cette m édiocre consolation et en indi ­ col. 450.
que de plus certaines. Saint Isidore, P. L., t. l x x x i i , col. 199, transm et
E t c ’ est en définitive l'unique réponse, celle que la tradition qu ’ il a reçue : Jus naturale est commune
V ieyra, dans le serm on sur le R osaire, exposera en ces omnium nationum, et quod ubique instinctu natura:,
apostrophes brûlantes : « ...V otre ordre religieux à non constitutum a lege habeatur, ut... communis
vous, c ’ est celui des captifs sans rédem ption... votre omnium possessio, et omnium una libertas. Jus gen­
pauvreté est plus extrêm e que celle des frères m ineurs, tium est... captivitates, servitutes. Elym., v, 4, 6.
et votre obéissance plus étroite que celle des frères 2° Les scolastiques et les moralistes. — Les docteurs
m inim es. V os abstinences m éritent plutôt le nom de scolastiques et à leur suite les m oralistes ont traité
faim que de jeûne..., votre règle est à la fois une et ces questions, et nous ram ènerons à trois chefs les
m ultiple, parce que c'est la volonté et toutes les notions doctrinales qu ’ ils discutent : origine de l ’ es ­
volontés de vos m aîtres..., in hoc vocati estis, quia el clavage; légitim ité; obligations.
( hristus passus est; et le but, la fin, c ’ est l ’ héritage du 1. Origine. — C ’ est un châtim ent, répond saint
ciel pour récom pense. » V ieyra, Sermons, trad. Poiret, Thom as; c'est une peine, c ’ est une volonté de la loi
1875, t. vi, p. 521-522. D e m êm e, saint A ugustin, D e positive, com prim ant la m alice des uns, suppléant la
civitate Dei, 1. I, c. xiv, P. L., t. x u , col. 28 : Chri­ faiblesse des autres, un arrangem ent que, som m e
stiani etiam captivi ducti sunt. Hoc sane miserrimum toute, les hom m es ont trouvé expédient. In IV Sent.,
est, si aliquo duci potuerunt ubi Deum suum non 1. IV , dist. X X X V I, a. 1, ad 2 um : Servitus est contra
invenerunt. primam intentionem naturæ, sed non contra secundam,
Saint A ugustin dit encore dans un passage célèbre quia naturalis ratio ad hoc inclinai, et hoc appetit
de la Cité de Dieu. 1. X IX , c. xv, P. L., t. x l i , natura, ut quilibet sit bonus : sed ex quo aliquis peccat,
col. 643 : Dominetur piscium. Rationalem factum ad natura etiam inclinat ut ex peccato poenam reportet; el
imaginem suam noluit nisi irrationalibus dominari : sic servitus in poenam peccati in traducta est. Ibid.,
’ ■m hominem homini, sed hominem pecori. Conditio ad 3 “ m . Servitus, quæ est quædarh poena determinata,
quippe servitutis jure intelligitur imposita peccatori. est de jure positivo, et a naturali proficiscitur, sicut de­
Proinde nusquam Scripturarum legimus servum, ante­ terminatum ab indeterminato. Sum. theol., I*, q. xevi,
quam hoc vocabulo Noe justus peccatum filii vindicaret a. 4, après avoir dit que l ’ esclavage n ’ eût pas existé
(G en., ix, 23). Nomen itaque istud culpa meruit, non dans l ’ état d ’ innocence : liber est causa sui, servus au­
natura... (Ici revient encore l ’ étym ologie connue)... tem ordinatur ad alium. Et quia unicuique est appeti­
Prima ergo servitutis causa peccatum est, ut homo bile proprium bonum, et per consequens contristabile est
homini conditionis vinculo subderetur : quod non fit unicuique quod illud bonum quod deberet esse suum
nisi Deo judicante, apud quem non est iniquitas, el cedat alteri tantum. Il» II', q. l v i i , a. 3, ad 2 “ “ :
novit diversas poenas meritis distribuere delinquen­ Hunc hominem esse servum, absolute considerando,
tium...Verum et poenalis servitus ea lege ordinatur, quæ j magis quam alium non habet rationem naturalem, sed
naturalem ordinem conservari jubet perturbari vetat : solum secundum aliquam utilitatem consequentem, in
quia si contra eam legem non esset factum, nihil esset quantum utile est huic quod regatur a sapientiori, et illi
pœnali servitute coercendum. quod ab hoc juvetur, ut dicitur in 1 Polit, cap. V, circa
Saint Jean C hrysostom e, ou l ’ auteur de l ’ hom élie finem. I» Ilæ, q. χα ν, a. 5, ad 3 “ “ : Distinctio
u législateur, dans les œ uvres de ce saint docteur, possessionum et servitus non sunt inductee a natura,
’ . G .,t. l v i , col. 401, répète une explication analogue, sed per hominum rationem ad utilitatem humanae
près avoir cité le m ot de saint Paul : In Christo vitee.
Jesu... neque servus, neque liber : « V ous rem arquez Saint B onaventure répond : l ’ esclavage n est pas
l ’ égalité d ’ honneur ?... Jésus-Christ ram ène la nature naturel à l ’ hom m e;iln ’ estnaturelqu ’ àrhom m edich· :
à son antique bonté. Lorsque A dam fut créé, il n ’ y l ’ esclavage a pour origine de fait, la guerre ; en prin ­
avait ni G rec, ni B arbare, ni esclave, ni hom m e libre. cipe, le péché. A près avoir expliqué, In IV Sent.,
Ce n'est point la nature qui a créé l ’ esclavage, m ais 1. Il, dist. X L IV , a. 2, q. n, que certaines choses sont
l ’ arbitraire. » E t sur l ’ É pître aux Éphésiens, P. G., de dictamine naluræ simpliciter, d ’ autres de dictam ne
t. i.xii, col. 157 : Si quelqu ’ un dem ande d ’ où vient naluræ secundum statum naturæ instilutæ, d ’ autres
l'esclavage, et com m ent il est entré dans la vie hu ­ enfin de dictamine naturæ secundum statum naluræ
507 E SC LA V A G E 508

lapsæ, il ajoute : Sic omnes homines esse servos Dei n. 1, avant de discuter le cas particulier de la traite
diclat natura secundum omnem statum; hominem vero des nègres, em prunte une réponse aux principes géné ­
adaequari homini, didat secundum statum suæ primæ raux que nous avons déjà rencontrés : Despondetur
conditionis; hominem autem homini subjiei, et homi­ natura esse liberos negative, id est, non esse natura ser­
nem homini famulari, didat secundum status cor­ vos, quo pacto supra, omnia esse communia jure natu­
ruptionis, ut mali compescantur et boni defendantur, rali dicebamus, unde sicut rerum dominium, sine
Nisi enim essent hujusmodi dominia coercentia malos, præjudicio juris naturalis potuit introduci, sic etiam
propter corruptionem quæ est in natura, unus alterum servitus; quod si contra naturam servitus dicitur, ex eo
opprimeret, et communiter homines vivere non possent. est, quod sit contra primam naturæ intentionem, qua-
Non autem sic esset, si homo permansisset in statu cupit ut omnes homines sint boni, atque adeo liberi :
innocentiae; quilibet enim in gradu et statu suo mane­ secundum tamen intentionem secundam fuit, ut suppo­
ret. Opera. Q uaracchi, t. n , p. 1009, n. 4. sita culpa, servitus in pœnam jure gentium introdu­
E t dans l ’ article suivant, q. i, il ajoute : Unde d ceretur.
servitus introducta fuit in hoc, quod unus alterum vicit 2. Légitimité de Γesclavage. — E lle ne peut venir que
et servituti suæ addixit, ut non liceat facere contrarium de la légitim ité des titres invoqués : nous rapporterons
ejus quod ipse mandaverit. Cum igitur triplex sil d ’ abord sur ce point les réponses générales des doc ­
servitus, una habet ortum ab altera : nam non esset teurs; puis nous les suivrons dans leurs discussions
servitus pœnæ, nisi præcessisset servitus culpæ; nec relatives à l ’ esclavage des nègres.
servitus conditionis subsequeretur, nisi illa duplex A . Les différents titres m is en avant sont: la guerre,
praecederet. O r, ajoute-t-il, les chrétiens sont toujours une juste condam nation, la vente et l ’ achat, la nais ­
capables de la servitiis culpæ,ils sont toujours astreints sance.
à la servitus pœnæ; de là vient que la servitus condi­ a. La guerre. — Et primo de jure gentium, sunt
tionis subsiste, et ideo non solum secundum humanam captivitates et servitutes, ut dicitur, c. Jus gentium.
institutionem, sed etiam secundum divinam dispensa­ Unde dicit glossa quod si bellum est justum, captus in
tionem inter Christianos sunt reges et principes, domini eo servus efficitur capientis, S. A ntonin, Summa theo­
et servi. Ibid., p. 1011. logica, part. Ill, tit. in, c. vi, n. 4, m ais il ajoute
Saint A ntonin, Summa theologica, part. H I, tit. qu ’ entre chrétiens non servatur hoc de facto, ut capti
m , c. vi, De multiplici servitute, distingue d ’ abord une servi efficiantur capientium, et qu'il est d ’ usage de leur
triple servitude : numinis, criminis et hominis. D ans faire payer une rançon.
cette dernière, il distingue encore : la subordination, D ans le cas d ’ une guerre juste, Sanchez, Consilia
la vassalité et la servitude véritable : dicitur servus moralia, 1. I, dub. in, adm et aussi ce titre de l ’ escla ­
proprie et stricte, qui non est sut juris. E t il continue : vage; Lessius, De justitia et jure, 1. Il, c. v, dub. iv;
Hæc servitus est introducta secundum Ilaijmundum, Lugo, De justitia et jure, disp. V I, sect, π, l ’ adm et,
non solum de jure gentium, et confirmata per jus cano­ m êm e pour les enfants; M olina, De justitia et jure.
nicum,et jus civile, sed etiam inchoata per jus divinum, tr. II, disp. X X X III, n. 1, s ’ en réfère à l ’ usage pour
scilicet quando Noe maledixit Cham filium, ubi dicit adm ettre que les enfants soient aussi sujets à l ’ asser ­
Ambrosius : Antequam inveniretur vinum manebat vissem ent. Il réserve, au contraire, le droit des chré ­
omnibus inconcussa libertas. Nesciebat homo a con­ tiens : consuetudo quippe præscripta, atque adeo jits
sorte naluræ suæ obsequia servitutis exigere. Non est inter Christianos, ut servituti non subjiciantur.
esset hodie servitus si ebrietas non fuisset. Puis, il énu ­ b. Une juste condamnation. — T antôt cette con­
m ère les différents titres qui am ènent la servitude. dam nation est statuée par le droit canon : en cas de
L a discussion de Lessius, De justitia et jure, 1. Il, rapt, par exem ple, ou bien dans cet autre cas : qui
c. iv, dub. ix : Utrum homo cadat sub dominium defert Saracenis arma, vel lignamina, vel favent eis
alterius hominis? est fort sage. N on, dit-il, cela ne se contra Christianos, si capiantur tales Christiani effi­
peut pas, de jure naluræ, quia omnes homines naturæ ciuntur servi capientium eos etiam Christianorum, ut
conditione sunt pares, cum sint ejusdem naturæ, ex extra de Judaeis, ita quorumdam. U n troisièm e délit
eodem parente, et ad eumdern finem conditi, et quamvis puni par le droit canon de cette m êm e peine est celui-
quidam a natura sint magis apti... Il reconnaît du ci : Si existens in sacris contrahit matrimonium, uxor
reste que, par le droit des gens, potest quis effici servus, ejus si hoc novit, si libera est, redigenda est in servi­
idque mullis modis. A vant de discuter ces titres de tutem, dist.X X X II, Eas qui.Et filiiqui inde nati-essent,
servitude, il se pose l'objection : c ’ est pourtant contre debent etiam fieri servi ecclesiæ, 15, q. vm , Cum multæ.
nature: il répond dans une m êm e idée que ses devan ­ Saint A ntonin, qui rapporte ces trois causes de con­
ciers: O ui, contra primævam naturæ intentionem, sicut dam nation, en ajoute une autre tirée du droit civil :
uti pharmacis et cruciatibus aficere hominem. l'ingratitude d ’ un affranchi envers celui qui l ’ a libéré.
M olina, D e justitia el jure, tr. II, disp. X X X II, dis ­ Summa, part. Ill, tit. m , c. vi, n. 4. M olina, tr. II,
tingue une servitude naturelle, sorte d ’ infériorité disp. X X X III, n. 2, rapporte les m êm es causes.
pratique non ad aliud quam ut in ipsorummel proprium Lessius, 1. II, c. v, dub. iv, et Lugo, disp. V I, sect,
bonum ab istis (sapientioribus sc.) regantur et guber­ π, adm ettent aussi qu ’ une juste condam nation puisse
nentur, et la servitude civile et légale qu ’ il reconnaît entraîner l ’ esclavage.
n ’ être pas de droit naturel : supervenientibus circum ­ c. La vente et l’achat. — D e cette vente, saint A nto ­
stantiis, quibus commerita est, licite ac juste fuisse de nin, Summa, part. Ill, tit. m , c. vi, n. 5, se borne à
jure gentium introductam, contra id quod, spectata rappeler les conditions d ’ après le droit canon : m ajo ­
sola prima rerum constitutione, natura rerum postu­ rité de celui qui est vendu, réalité de son bénéfice,
labat. connaissance précise de son état par ceux qui concluent
Lugo, De justitia et jure, disp. V I, sect, n, An et l ’ achat. U n hom m e m arié peut aussi se vendre contre
quomodo possit unus homo acquirere dominium alte­ le gré de sa fem m e, et non réciproquem ent, sans que
rius hominis ? répond : esse quidem non contra d ’ ailleurs le m ariage soit dissous.
prohibitionem, sed præler intentionem naturæ, quæ ex M olina, tr. Il, disp. X X X III, n. 3, adm et : stando
se intendebat omnium libertatem et ingenuitatem : in solo jure naturali, posse eam {libertatem) alienare,
propter bella tamen injusta et peccata aliasque mise­ seque in servitutem redigere. E t il apporte en preuves
rias introductam fuisse servitutem, ad majora mala l ’ exem ple de saint Paulin, et le texte de l ’ Exode.
arcenda. xxi. Cf. disp. X X X V , n. 10. D ’ après lui, te) est le droit
E t R ebello, Opus de obligationibus justiliæ, q. xx, naturel dont le droit im périal a précisé certains détails,
S09 E SC LA V A G E 510

et dans certaines conditions de nécessité, les parents Sanchez, Consilia, 1. I, dub. iv, n. 2, est du
peuvent vendre leurs enfants. avis : ces guerres sont injustes, elles ne sont que ie
Lugo n ’ adm et pas que l ’ exem ple de saint Paulin razzias à la veille de la vente. O nt-ils resiste aux p-e
prouve la légitim ité de cette vente; m ais il la justifie dicateurs de telle sorte que pour défendre ou vence*
par le raisonnem ent suivant, disp. V f, sect, Il, n. 14 : les m issionnaires, leurs com patriotes aient pu i.- -. .-
Kalio item a priori esse potest, quod serous constituitur venir? Pas davantage.
per hoc, quod omnes suas operas et obsequia domino A vendano, tit. i, c. xi, n. 98, 100, rapporte les et n
obliget per totam vitam; sicut ergo potest aliquis anti­ cessions de C alixte III et de N icolas V dont il rap ­
cipata mercede accepta, obligare se ad serviendum per proche les deux lettres de Paul III. II ajoute : Débet
annum, et tenetur ex justitia ad reddendum obsequium lationem quidem et servitutem concedunt priores, see
promissum; cur non poterit se obligare ad obsequia per juxta juris formam rationabiliter temperandam·. jurie
longius tempus et per tolam vitam exhibenda, qua obli­ inquam naturalis, et gentium, et Christiana consuetu­
gatione posita serous appellatur? dine regulalam. Si ita resistunt ul vita privari possint,
Lessius, 1. II, c. v, dub. iv, dit qu ’ un hom m e peut merito et servi possunt fieri... Q uelle sera cette resis ­
ainsi se constituer esclave, et qu ’ un père peut aussi y tance? attenta debet et Christianis pectoribus digna
réduire son fils m ineur. consideratione pensari. D ’ailleurs, la concession faite
Sanchez, Consilia moralia, 1. I, dub. m , adm et aussi aux rois catholiques ne com prend en aucune façon
cette double possibilité, car, à ses yeux, s ’ il n ’ y a point le personale Indorum dominium; celui-ci ne peut
dom m age d ’ un tiers, la nécessité d ’ éviter la m ort et donc nisi per summam injuriam usurpari. E t la loi
le fait que l'hom m e est m aître de sa liberté, légiti ­ espagnole, interprétée de bonne foi, ne com portait
m eraient cette pratique. pas non plus ces conséquences.
d. La naissance. — Saint A ntonin se rapporte à Q uant aux jugem ents, qu ’ attendre de la justice des
saint Thom as, lequel base sa décision sur ce prin ­ noirs? Il n'est pas insolite, rapporte M olina, que pour
cipe : quod secundum leges civiles parius sequitur ven­ le vol d ’ une poule,Je délinquant et sa fam ille entière
irem, et il exam ine différentes hypothèses, em prun ­ soient condam nés à la m ort ou à la vente. II y a des
tées à une jurisprudence trop archaïque pour nous sentences tyranniques qui réduisent des fam illes à la
retenir. M olina, tr. II, disp. X X X III, n. 4; Lessius, servitude : tel est le cas de cet enfant dont le frère
1. II, c. v, dub. iv, adm ettent la valeur de ce titre. avait regardé une des fem m es du prince; si quel ­
Lugo, disp. V I, sect n, n. 16-18, le trouve difficile qu ’ un prend une des plum es des paons du prince; si
à justifier, et conclut qu ’ il y a là une déterm ination quelqu ’ un touche à ses palm iers; si quelqu ’ un m eurt
du droit naturel par la loi positive. avec une dette, si légère soit-elle, disp. X X X IV .
B. Q ue valent ces titres, dans le cas particulier des V oici ce qu ’ il perm et plus loin, disp. X X X V , n. 8 : en
nègres? Les auteurs, qui ont traité cette m atière le G uinée, on peut acheter quiconque est réduit en ser ­
plus en détail, sont M olina, R ebello et A vendano dans vitude pour un délit personnel (non les fils ou les
son Thesaurus Indicus. parents), si ce délit en Europe eût m érité les galères
M olina pose un principe général, disp. X X X III, à perpétuité, peine assurém ent plus lourde que l ’es ­
n. 28 : in Æthiopia, et in aliis similibus locis, stan­ clavage.
dum est juri naturali, nisi forte eo in loco jus aliquod L a vente sera dans bien des cas l ’ injustice la plus
peculiare sit ea in parte. M ais, précisém ent, ce sont ces m anifeste. U n voyageur du xvi e siècle, Édouard
circonstances locales qui rendent très difficile l ’ appli ­ Lopez, a vu les nègres, spécialem ent épris de la chair
cation équitable des principes généraux. Pour son du chien, donner pour un chien de m édiocre grandeur
com pte, facta diligenti inquisitione, disp. X X X IV , 22 esclaves, estim és 10 ducats par tête. Vera descriptio
après avoir interrogé et m issionnaires et m archands, il regni Africani quod tam ab incolis quam Lusitanis
est fort em barrassé. Cum res de qua agitur, slatim in Congas appellatur per Philippum Pigafeltam, olim
aliquibus ut dura, periculisque plena sese offerat, ex Edoardi Lopez acroamatis lingua Halica excerpta,
neque desint scriptores qui eam tanquam injustam letha- nunc Latino sermone donata ab Aug. Cassiod. Reinio,
lis culpæ damnent, limoratosque multos hodie con­ Francfort, 1598, p. 17.
scientia propria pungat, disp. X X X V , 2. Il faudrait Il est avéré, rappelle M olina, disp. X X X IV , que
donc, ul rumores injustitiae, scandalumque. si quod des hom m es vendent leurs fem m es ou leurs enfants
est, cesset, qu ’ il y ait une sentence m ûrem ent pesée pour avoir une sonnette ou un m iroir, pour une dem i
et officiellem ent prononcée. aune d ’ étoffe rouge, verte ou bleue, pour un objet de
A vendano juge de m êm e la question : Rem hanc cuivre. Encore, avoue R ebello, q. x, n. 1, arrive-t-il
adeo esse Christianis conscientiis periculosam, ut si qu ’ avec ces friperies, on les attire jusqu ’ aux navires,
ad regulas juslitiæ aptari debeat, vix aliquid occurrat, et là on les em barque de vive force. Eux-m êm es se
quo possit plena securitas in hujusmodi contractu vendent entre eux pour des peaux d ’ éléphants, ou des
reperiri. Thes. Indicus, tit. ix, c. xn, n. 180. E t pré ­ dents de panthères, qu ’ ils portent ensuite au cou.
cisém ent il avait exprim é le doute qu ’ on pût am éliorer M olina, disp. X X X V ,n. 12. Si invraisem blables que
cette situation : cum ad assecurationem hujusmodi paraissent ces m archés, M olina avoue que pour le
sententiarum theologi, et utinam inempti, succurrant, m om ent, interim dum aliud non mihi elucet, il ne les
tit v, c. xvm , η. 145. condam nerait pas de ce chef, dum modo juxta valorem
Y a-t-il eu des guerres qui aient pu légitim er l ’ es ­ lestimationemve tam mancipiorum quam mercium in
clavage? D e guerre proprem ent dite, non, ou peu s ’ en eo loco, commutatio fiat.
faut. Lors de la guerre contre les C afres, rem arque E n cas de fam ine, pense M olina, disp. X X X V .
M olina, après le m artyre du P. Sylveira et le m assacre n. 9, il est perm is d ’ acheter pour des vivres ceux qui
de la m ission, la guerre était juste, et des esclaves veulent positivem ent se vendre; il n ’ est pas perm is
purent y être faits justem ent. H ors ce cas, il n ’ y a pas de vendre les enfants, si ce n ’ est dans l'extrêm e
eu de guerre entre noirs et Portugais. M ais il y a tou ­ nécessité. E t si cela avait lieu, M olina, d ’ accord avec
jours guerre entre les noirs qui épient l'arrivée des les confesseurs les plus sages de ce pays, con se *
Portugais pour échanger leurs captifs contre des m ar ­ ou im poserait d ’ affranchir rapidem ent ces enfant 1
chandises, disp. X X X IV . S ’ il s ’ agit d ’ esclaves achetés ou de les traiter en véritables dom estiques.
pendant les guerres entre noirs -.Debeat sibi persuadere, U n concile des Indes, et les rois du Portugal, disp.
id plurimum sine justo titulo in servitutem esse redacta. X X X IV , n. 19, défendent aux infidèles d ’ avoir dés
Cf. quelques exem ples, disp. X X X V , n. 17. esclaves de G am baye, vendus lors des fam ines et sou ­
51! E SC LA V A G E 512

vent volés; et s'ils arrivent en terre portugaise, on veulent point exam iner d ’ où viennent leurs esclaves,
les rachète d ’ olïice pour un juste prix; m ais, les qu ’ ils renoncent à leur com m erce : Cum confiteantur
Portugais, en ce qui les concerne, sont parfois m oins Ælhiopes vendere quam plurimos prædicto modo injuste
délicats. A les en croire, disp. X X X IV , n. 6, il est in seruos. D ans un com m erce avec des hom m es qui
rarem ent certain que tels ou tels esclaves aient été ont la réputation fondée d ’ être des voleurs, on ne
volés, et voici d ’ ailleurs de nouveaux prétextes : Si peut pas acquérir de bonne foi.
nous ne les achetons pas, et au prix que donneraient D e la part de ceux qui ont droit et devoir d ’ in­
les cannibales, on les tuera sous nos yeux. Puis il tervenir, il y a un silence et des procédés qui feraient
est im possible d ’ acheter injustem ent, puisqu ’ il y a croire à une tolérance significative. R ebello, q. x, n.4,
toujours un interprète noir. Puis, som m e toute, les affirm e qu ’ un particulier peut, en achetant des es ­
noirs vivent aussi plus confortablem ent. Puis, ils claves, procéder de très bonne foi, puisque nec ad
peuvent par là se convertir. eum spectet inquisitio tituli talis servitutis, sed ad
Il est m anifeste qu ’ on pourrait les acheter pour les regem regisque ministros, qui istud commercium per­
soustraire aux cannibales. Q ue dire de leur conver ­ mittunt, el inde recipiunt tributum. Cf. n. 15.
sion facilitée? O r, cette conversion hypothétique, D e cette connivence du pouvoir public, A vendano
M olina le m ontre bien, ne saurait justifier la conduite cherche à scruter les m otifs, tit. rx, c. xn, n. 196 :
des m archands, disp. X X X V , concl. 5. O n ne les con ­ Princeps ergo permittit quia illi de manifesta inju­
vertit pas en A frique : et le fait de les convertir en stitia non constat; rationes habet ut permittat, majorum
A m érique ne saurait perm ettre de les faire esclaves damnorum evitandorum causa. Il rem arque d ’ ailleurs
en A frique, contre toute justice. D e la foi, assure que les m archands ont parfois des auxiliaires inat ­
R ebello, q. x, n. 15, les m archands n ’ ont cure, et il tendus, tit. v, c. xvm , n. 145.
en cite un exem ple typique. Ibid., n. 13. L ’ évêque D ’ après M olina, le roi, les gouverneurs, les évêques
du C ap-V ert, Pierre B randano, affirm ait que dans la du C ap-V ert et de l ’ île Saint-Thom as, les confesseurs,
G uinée inférieure, partie de son diocèse, sur 3 000 m ar ­ singulos in suo gradu et ordine teneri curare, ut res
chands, il n ’ y en avait pas 200 qui se confessent au hæc examinetur, et statuatur quid liceat, et quid non
tem ps du carêm e. N otez encore que, si la conversion liceat, et ut injustitiœ in posterum resecentur : nisi eis
a lieu, le nègre aussitôt baptisé est déporté; quelle aliquid quod me lateat, in facto ipso innotescat, aut
com paraison avec les M aures, car ceux-ci libèrent principia alia eis eluceant, quse ego ignorem, disp.
un esclave passé au C oran. A vendano, tit ix, c. xn, X X X V , n. 16. M olina rappelle encore que le conseil
n. 191, refuse égalem ent de regarder com m e une com ­ de conscience avait tracé au roi de Portugal ce qu ’ il
pensation l ’ avantage qui pourrait s ’ ensuivre pour la pouvait faire; si ces règles avaient été suivies, il n ’ y
foi; car, c ’ est tout à fait en dehors de la volonté aurait eu aucune injustice, disp. X X X IV , n. 9.
des m archands unde si scirenl eos quos asportant, T out cela est si incertain que des interprétations
Christianos minime futuros, similiter asportarent. Ce opposées résultent d ’ exposés analogues. Y a-t-il eu
qu ’ il prouve d ’ ailleurs en rappelant, n. 197, que bonne foi jusqu ’ ici? R ebello répond : oui, hactenus
quelques années plus tôt les Portugais ont enlevé et regulariter excusatos fuisse credendum est propter
vendu au B résil les habitants du Paraguay. ignorantiam fraudis, n. 42. M olina répond ; je crois que
A près cette discussion que faut-il conclure? a) Il non ; negotiationem hanc... injustam, iniquamque
sem ble qu ’ il y ait une présom ption générale contre la esse, omnesque qui illam exercent tethaliler peccare,
légitim ité de tous ces esclavages. Comosus fons, dit esseque in statu retenue damnationis, nisi quem invin­
M olina, après l ’ exam en des différentes hj'pothèses. cibilis ignorantia excuset, in qua neminem eorum
R ebello, q. x, n. 8, juge injuste et letaliter illicita le esse affirmare auderem, disp. X X X IV , n. 16.
com m erce des m archands portugais, appelés Tango- C. Les conclusions pratiques. — L ’ acheteur a pro ­
m aos ou Pom beiros, et qui opèrent en G uinée, en cède de bonne foi; s ’ il vient à douter, et ne peut éclair ­
C afrerie, dans le royaum e d ’ A ngola. Verisimilius cir le problèm e, il peut garder l ’ esclave; si les recher ­
prœsumi debet ejusmodi mancipia... comparari in ches aboutissent à prouver que celui-ci a été volé, il
ulraque Guinea tolaque .Ethiopia per injustitiam majori faut l'affranchir, et lui rendre la valeur de son tra ­
ex parte ab ipsismet incolis. vail.
Sanchez donne le m êm e verdict : Le m arché pour ­ L ’ acheteur avait une conscience incertaine : il doit
rait être licite, si on y procédait après tous les exam ens réparer, arbitrio prudentis, proportionnellem ent au
et avec toute la circonspection désirable. Tout au tort causé par sa négligence.
plus, les acquéreurs font-ils quelques interrogations L ’ acheteur était de m auvaise foi : il a péché gra ­
générales, et une protestation som m aire que les nègres vem ent, et s ’ il n ’ a rien surgi qui l ’ ait justifié après
ont été pris dans une guerre juste et qu ’ ils sont légi ­ coup, il doit affranchir l ’ esclave (R ebello, M olina).
tim em ent esclaves. C ’ est offrir aux nègres une garantie Celui qui a acheté un seul esclave doit chercher
dérisoire. Le com m erce, dit-il encore, qui consiste à en savoir la provenance. Si plusieurs acquéreurs
à prendre esclaves des nègres en A frique et à les ven ­ l ’ ont précédé, la vérification est im possible; qu ’ il
dre dans nos colonies est illicite, est péché m ortel. garde l ’ esclave. Si l ’ acheteur est en Portugal, qu ’ il
Il ajoute deux com paraisons. Si un navire est notoi ­ s ’ en repose sur la responsabilité du gouvernem ent et
rem ent chargé de m archandises volées, on ne peut en garde l ’ esclave (Sanchez, M olina).
acheter. Si des revendeurs d ’ habits prennent des Q ue feront les confesseurs, là où on leur dira :
vêtem ents qu ’ ils ont lieu de croire volés, nous leur Sans esclaves, plus de culture, plus de troupeaux. Si
disons de restituer. O r ici est publica oox et fama a les pénitents sont de m auvaise foi, im possible de les
fide dignis orta, quod magna pars horum Æthiopum absoudre; s ’ ils sont dans le doute, il faut leur déclarer
sint injuste capti. E t en outre : cum possessio liber­ directem ent ce qui en est; s ’ ils sont dans la bonne foi
tatis sit naturalissima el magis antiqua in homine... et si l ’ on craint une faute form elle, dissim uler. A ven ­
potius est priesumendum pro libertate illorum, dum non dano, tit. r, c. xi, n. 122.
constat contrarium. Sanchez ajoute : telle est l ’ opinion R ien ne peint m ieux les com plications et l ’ obscu ­
que tiennent d ’ excellents m aîtres de Salam anque, rité de la question que l ’ em barras d ’ A vendano, lors ­
Séville, Lisbonne, et apud Mexicanam prooinciam qu ’ il doit donner son dernier avis, tit. ix, c. xn,
tenuere non pauci, neque parum docti recentiores n. 203. A près avoir redressé, point par point, ce qui,
magistri de hac re consulti: dans les discussions si copieuses et si ferm es de Sanchez
M olina n ’ est pas m oins ferm e. Si les m archands ne et deM olir.a, pouvait tant soit peu paraître favorable
513 E SC L A V A G E 514

à l ’ esclavage, il conclut : Dico : Emptio dicta in Indiis juif ou païen vient à se convertir; en cas de c : : ■
et Europa justificari potest aliqualiter : l°quia doctores nation m éritée, en cas de vente par l ’ autorit
aliqui, licet eorum quidam inconsequentcr ad suam nelle, la fuite n ’ est pas approuvée, nisi servitu^ :
ipsorum doctrinam, eam non esse aperte damnabilem sit valde calamitosa. En cas de guerre, les captif' : ■.
a/firmant et illi favent...; 2° quia ita est communi vent rejoindre les leurs.
praxi receptum quæ omnes status complectitur : epis­ Sanchez, Consilia, 1. I, dub. vi, n. 7, perm et aussi
copos, religiosos, sine ullo in hac parte scrupulo proce­ la fuite, partout où ils voudront, aux prisonniers ·
dentes; 3° quia rex non solum permittit, sed et ipse guerre, à m oins qu ’ ils ne se soient engagés à ne r
emit et vendit, cujus exemplum sequi integrum est vas- fuir; ceux qui se sont vendus eux-m êm es ou l ’ont etc
salis, cum in eo debeant justitiæ exemplaria prælu- par leurs parents, ne peuvent pas s'échapper.
cere; 4° quia episcopi contra jurantes mancipia M olina, disp. X X X V II, et Lugo, disp. II. sect. ni.
excommunicationes fulminant ad dominorum instan­ donnent les m êm es réponses, à très peu de chose près.
tiam, eorum certum jus reputantes; 5° quia cum man­ 2. Domaine. — Lugo, disp. II, sect. Il, pose la que'-
cipia ista videantur ad serviendum nata, ut multi tion : Utrum servus habere possit dominium aliquarum
expendunt, non videtur circa illa, eodem quo circa rerum et imprimis circa bona corporis? D ’ après Iui,
alios, exactissimo jure agendum, sed minore titulo...; le m aître injuste à l ’ égard de son serviteur, in bonis
6° quia pro Indiis adeo sunt necessarii, ut sine illis corporis vel famæ, est tenu à restituer. C elui qui a
stare Respublica ista nequeat. blessé le serviteur d ’ un tiers peut être tenu à répara ­
Toutes ces raisons, celles du m oins qui ont quelque tion envers le tiers, et envers l ’ esclave.
valeur, ont trouvé leur réponse dans les précédentes Selon Sanchez, 1. I, dub. i, régulièrem ent tout ce
paroles d ’ A vendano, et le docteur term ine en excusant qu ’ acquiert un esclave, peu im porte l ’ origine de son
ses contradictions a nobis dicta, deservire præterea acquisition, est au m aître. Multi jurisperiti docti a me
poterunt, ut mancipiorum istorum domini humanius consulti hoc ipsum asseveraverunt. Sauf, s ’ il y a con ­
cum ipsis agant scientes jus dominii quod in ipsos se vention avec le m aître, volonté form elle du donateur,
habere existimant, esse adeo dubium, ut opus sit in re titre personnel : fruit du pécule ou jeu, industrie ou
ista, ne lumen veritatis obsistat, clausis fere oculis économ ie propres.
ambulare. Adaperiat illos utinam Deus, quos avaritia Lessius, 1. II, c. ni, dub. ix, cum sint ejus con­
excæcare solet, crudelis Erinnys, in iis qui et emunt ditionis ut non acquirant sibi, acquirunt nobis.
prius dura passos, postmodum duriora. Ibid., n. 205. 3. Affranchissement. — Lugo, disp. V I, sect, tv,
N ous aim ons m ieux les paroles de V ieyra, dans son ne veut pas seulem ent que les esclaves puissent fuir,
second serm on pour le 1 er dim anche de carêm e (1653) : si a domino ad turpia compellantur, il les tient pour
« A près avoir étudié le cas avec toute la diligence pos ­ affranchis.
sible, et avoir suivi, dans vos intérêts, les opinions les Suivant M olina, disp. X X X V III, tout excès de
plus larges, · il propose ceci : 1° V ous avez chez vous rigueur d ’ un m aître est une faute et doit avoir sa
des esclaves, par héritage ou autrem ent, vous n'avez com pensation; laquelle parfois ne pourra être m oin ­
aucun droit de les garder; s ’ ils veulent librem ent dre que la liberté. Cf. disp. X X X IX .
rester chez vous, m ais com m e dom estiques, soit. D ’ un affranchissem ent systém atique, Sanchez est
2° Les Indiens établis sur les dom aines royaux tra ­ le seul qui discute l ’ idée, 1. I, dub. x : An sit opus
vaillent six m ois pour les habitants. Soit encore, à pium concedere servis libertatem? Respondetur quod
condition qu ’ ils soient rétribués. 3° V ous allez en licet jura faveant libertati, at cum omnes fere servi
enlever de force dans l ’ intérieur des terres, vous pou ­ hodie stolidi ac improbi sint, nec pia, nec utilis est,
vez uniquem ent acheter ceux qui sont déjà sous la nisi forte servi sint boni, et industria sua facile alimenta
m ain des cannibales, ou les prisonniers d ’ une guerre quœrere possint, aliter enim fiunt otiosi, et fures, et
juste, c ’ est-à-dire reconnue telle par les tribunaux in carceribus et furcis vitam finiunt.
civils et ecclésiastiques. V ieyra, Sermons, t. n, p. Pour le m ariage, les m oralistes sont fidèles à la
53-55. doctrine de l ’ Église : les esclaves, disent-ils, dominis
B ientôt le bref Commissum nobis d ’ U rbain V IH invitis contrahere possunt, et ab Ecclesia protegentur.
s ’ exprim ait avec une netteté qui aurait dû, sem ble- M olina, disp. X X X V III, n. 4.
t-il, unifier davantage les réponses des m oralistes. 4° A u x v i i c siècle, les Salm anticenses (1631) ne
I) défend : quoquo modo libertate privare, in servitute traitent cette question de l ’ esclavage qu ’ en quelques
retinere, necnon preedicta agentibus, consilium, favo­ lignes, Cursus theol. mor., tr. X II, De justitia, c. n,
rem et operam quocumque prætextu, et quœsilo colore, p. v, n. 41, nullus tamen est servus a natura, sed est
præstare, aut id licitum prtedicare seu docere (22 avril servitus poena peccati... Cum hoc tamen stat quod jure
1639). gentium sit introductum... Non tamen habet in servo
M olina, disp. X X X V , n. 19, ém ettait le vœ u qu ’ il dominus dominium absolutissimum ad omnes usus,
y ait nom bre de m issionnaires. Il y aurait alors un sicut habet in equo.
effort d ’ ensem ble de tous les gens de bien, en faveur B ossuet, rencontrant incidem m ent l ’ idée d ’ escla ­
de ces m alheureux, et on ne les eût laissés en escla ­ vage, V e Avertissement, 50, s ’ exprim e avec toute la
vage que s ’ il y en avait eu une raison plus claire que netteté que pouvait m ontrer un esprit du xvii' siè ­
le jour. Tum quod libertatis causæ, quippe quæ piissi- cle pénétré d ’ idées plus absolutistes que chrétiennes :
ma est per se sit suffragandum, et aussi en raison de « L ’ origine de la servitude vient des lois d ’ une juste
l ’ efficacité devant les hom m es et devant D ieu d ’ un guerre. D e condam ner cet état, ce serait entrer dans
pareil procédé. les sentim ents que M . Jurieu lui-m êm e appelle outrés
3° Droits reconnus. — Sous ce titre, nous relevons c ’ est-à-dire dans les sentim ents de ceux qui trouvent
ce que disaient les m oralistes sur les obligations des toute guerre injuste; ce serait non seulem ent con ­
esclaves, sur le dom aine qu ’ ils pouvaient avoir, sur dam ner le droit des gens où la servitude est adm ise,
leur affranchissem ent. com m e il paraît par toutes les lois; m ais ce serait con ­
1. Obligations. — A la question : l ’ esclave peut-il dam ner le Saint-Esprit, qui ordonne aux esclaves,par
fuir 9 Lessius répond, 1. II, c. v, dub. v, en distinguant la bouche de saint Paul, de dem eurer en leur état, ct
trois cas : En cas de capture injuste, la fuite et n ’ oblige point leurs m aîtres à les affranchir.
la com pensation sont légitim es; en cas de m auvais O n propose en Sorbonne (le P. L abat rapporte le
traitem ents ou d ’ excitation au m al, la fuite est per ­ texte dans son récit de 1698, sans spécifier si le cas
m ise; de m êm e si le serviteur infidèle d ’ un m aître est actuel ou un peu antérieur) les cas suivants, qui
D IC T . D E T H EO L . C X T H O L . V. - 17
515 E SC L A V A G E 51Q

ne visaient que les injustices les plus évidentes de la la pensée est celle qu ’ ont exprim ée saint B onaventure
traite : 1. Si les m archands qui vont en A frique pour et d ’ autres docteurs; m ais elle a ici le tour excessif,
acheter des esclaves, ou les com m is qui dem eurent si caractéristique de l ’ auteur; et elle provoque l ’ objec ­
dans les com ptoirs peuvent acheter des gens qu'ils tion form ulée par A uguste C ochin ; « Le m échant, c ’ est
savent avoir été dérobés, attendu que ce qui nous le m aître. »
paraît un désordre est une coutum e reçue par ces M oehler reprend avec précision la pensée fondam en ­
peuples et autorisée par leurs rois. 2. Si les habitants tale exprim ée par les Pères : « L ’ hom m e, dès là qu ’ il
de l ’ A m érique, à qui ces m archands les apportent, avait refusé à D ieu d ’ obéir, était devenu son propre
peuvent acheter indifférem m ent tous les nègres m aître, et aussi son propre esclave; accoutum é à cette
qu ’ on leur présente, sans s ’ inform er s ’ ils ont été volés, sorte de servitude, il ne trouvait plus dans un autre
ou s ’ ils ont été vendus pour une raison légitim e. esclavage rien de trop révoltant. Ce que dit le sage
3. A quelle réparation les uns et les autres sont est bien vrai : Q uiconque est son m aître, est disciple
obligés quand ils connaissent avoir acheté des nègres d ’ un sot, m ais· il est aussi exact d ’ ajouter : quiconque
qui ont été dérobés. obéit à soi-m êm e est serf d ’ un aveugle despote.
■· La décision, ajoute le dom inicain, qu ’ un de nos Privé de sa plus haute dignité : le service du bien et
religieux apporte sur ces trois articles n ’ a pas été la liberté des enfants de D ieu, hors d ’ état de se dissi ­
reçue aux Iles. O n y a trouvé des difficultés insur ­ m uler, com bien il a perdu de sa grandeur, il se résout
m ontables, et nos habitants disaient que les docteurs à envisager une nouvelle dim inution. E t ce n ’ était
qu ’ on avait consultés n ’ avaient ni habitation aux point là le seul achem inem ent à l ’ esclavage. Tandis que
Iles, ni intérêt dans les C om pagnies et qu ’ ils auraient l ’ union entre D ieu et l ’hom m e s ’ était changée en
décidé tout autrem ent, s ’ ils eussent été dans l ’ un de lutte, des convoitises sans nom bre s ’ étaient éveillées
ces cas. » L abat, O . P., Nouveau voyage aux Isles de dans l'hom m e; d ’ où parm i les hom m es entre eux
l’Amérique, 1724, t. iv, p. 119. Cf. les réponses de d ’ inévitables com pétitions term inées par de vérita ­
la S. C. du Saint-O ffice, le 20 m ars 1686, n. 2100, bles com bats : le seul term e possible était l ’ asservis ­
ct le 12 septem bre 1776. n. 2101, dans B ucceroni, En­ sem ent com plet de l ’ un des deux. » Gesammelte
chiridion morale, 4° édit., R om e, 1905, p. 105, 106. Schriften, R atisbonne, 1840, t. n, p. 56-57.
B illuart s ’ exprim e com m e B ossuet, Cursus theol. V IL C o n c l u s i o n s . — Exam inons, à la lum ière de
universalis, W urzbourg, 1758, t. n, p. 261 : Servitus ces faits, les griefs que l ’ on form ule ordinairem ent
nullo jure prohibetur. Non naturali, quia... homo, contre l ’ Église.
habet dominium utile sui corporis... Non divino, ut 1 ° L ’ Église, au tem ps m êm e des apôtres, ni des em ­
palet ex Vetere Testamento... et ex Novo... Non humano pereurs chrétiens, n'a pas aboli l ’ esclavage.
ut patet ex variis utriusque juris locis... Nunc jure « C ’ eût été une révolution sociale, à peine réali ­
novo disponente, nulla amplius admittitur servitus sable dans le m ilieu chrétien, tout circonscrit qu ’ il
inter chrislianos. Excipe regiones Americanas, in qui­ fût : im possible aux yeux des m aîtres, dont la fortune
bus Europæi habent adhuc Africanos servos. consistait surtout en esclaves; im possible pour les
Saint A lphonse de L iguori, sansexam inerla question, esclaves, ainsi privés pour la plupart des m oyens de
décide incidem m ent, 1. Ill, tr. V , dub. i, n. 525, qu ’ un subsistance qu ’ ils recevaient de leurs m aîtres, » écrit
chrétien captif chez les Turcs peut y prendre de quoi le protestant D obschütz, Die urchristlichen Gemein-
se racheter. E t m êm e un chrétien quelconque peut den, 1902, p. 89. C om parer avec Léon X III, ency ­
prendre chez les Turcs, car c ’ est la volonté présum ée I clique In plurimis, 1888 : ad manumissionem liberta­
des princes chrétiens, lesquels ont assurém ent le I temque curandam servorum noluit properare (Ecclesia),
droit de dépouiller les Turcs de tout ce qu ’ils ont pris quod nisi tumultuose, et cum suo ipsorum damno
aux chrétiens. reique publicæ detrimento fieri profecto non poterat.
D ans le cours du xvin 0 siècle, l ’ opinion générale Si saint Pierre avait recom m encé la tentative de
se fait m oins affirm ative. Le chanoine Savary des Spartacus, on ne voit pas ce que les esclaves y auraient
B ruslons, reprenant l ’ouvrage de son frère, écrit gagné, et d ’ ailleurs saint Pierre n ’ avait pas m ission
dans le Dictionnaire universel du commerce, Copen ­ pour cela. Saint Jean C hrysostom e l'a fait rem arquer :
hague, 1761, t. m , p. 1096 : » Il est difficile de jus ­ « C ar beaucoup se seraient crus obligés de blasphém er
tifier tout à fait le com m erce des nègres; cependant, et de dire : le christianism e est venu en ce m onde
il est vrai que com m e ces m isérables esclaves trouvent tout détruire, puisqu ’ on enlève aux m aîtres jusqu ’ à
ordinairem ent leur salut dans la perte de leur liberté, leurs esclaves. » Homil. in Philem., prol., P. G.,
et la raison de l ’ instruction chrétienne qu ’ on leur L l x i i , col. 704.
donne, jointe au besoin indispensable qu ’ on a d ’ eux 2° L ’ Église, non seulem ent n ’ a pas aboli l ’ escla ­
pour les cultures des sucres, des tabacs, des indi ­ vage, m ais ne l ’ a m êm e pas condam né.
gos, etc., adoucissent ce qui paraît d ’ inhum ain dans L ’ Église a fait m ieux que condam ner l ’ esclavage,
un négoce où des hom m es sont les m archands d ’ au ­ elle lui a pour ainsi dire ôté son venin; d'un m aître
tres hom m es, et les achètent de m êm e que des bestiaux juste, chaste, et doux — et la loi de l ’ Église n ’ oblige
pour cultiver leurs terres. » pas à m oins que cela — l ’ esclave n ’ a guère à craindre;
Le Diclionnaire de théologie de B ergier, t. iv, au chez l ’ esclave, elle a éveillé cette pensée de foi qu ’ à
m ot Nègres, après avoir renversé tous les prétextes la place m êm e où il se trouvait, il pouvait servir sur ­
en faveur de la traite, ajoute : i R éfuter de m auvaises tout D ieu lui-m êm e. Saüit Paul l ’ avait assez dit :
raisons, ce n ’ est point entreprendre de décider abso ­ A gobard le répétait encore au ix° siècle : Licet peccatis
lum ent une question : lorsqu ’ on en apportera de m eil­ exigentibus, fustissimo et occultissimo ejus judicio,
leures, nous nous y rendrons volontiers. Les gou ­ alii diversis honoribus sublimati, alii servitutis jugo
vernem ents les plus équitables, les plus sages, sont depressi sunt, ita tamen a servis corporale ministe­
souvent forcés de tolérer des abus, lorsqu ’ ils sont uni ­ rium dominis exhiberi ordinaverit, ut interiorem homi­
versellem ent établis, com m e l ’ usure, la prostitution, nem ad imaginem suam conditum, nulli hominum, nulli
les pilleries des traitants, l ’ insolence des nobles, etc. angelorum, nulli omnino creaturte, sed sibi soli voluerit
C om m ent lutter contre le torrent des m œ urs, lorsqu ’ il esse subjectum. P. L., t. civ, coi. 177. Si 1 ’ esclavage
entraîne généralem ent tous les états de la société? » a été injuste, le reproche concerne la loi civile qui l ’ a
Il suffit de rappeler le com te de M aistre, Du pape, établi, et l ’ Église n'est intervenue que pour aider les
1. III, c. il :« L ’ hom m e, en général, s ’ il est réduit à hom m es à ne pas léser la stricte justice en appliquant
lui-m êm e, est trop m échant pour être libre. » A u fond, la loi civile.
517 E SC L A V A G E 518

3°A utre form e de la m êm e objection: « Il eût donc esprits et les coutum es restent barbares. > AU
sem blé naturel que le christianism e se préoccupât du 2 m ai 1891. L ’ É glisea sanctifié les relation.- ιύ - :·
de faire cesser cette affreuse inégalité. Il eût pu la proques des m aîtres et des esclaves; les m aîtres
condam ner com m e il condam nait l ’ idolâtrie ou la m andent et les esclaves obéissent.parce que D ieu,
fornication, et en im poser l ’ abandon à ses fidèles, a sera le juge des uns et des autres, l ’ a ainsi u· term ine
Ch. G uignebert, Terlullien, p. 372. et D ieu fait hom m e a pris la form e d ’ esclave. En outre.
O utre que ces deux com paraisons ne sont pas jus ­ la dignité hum aine n ’ est plus l ’ épanouissem ent dur.*
tes en droit, il avait été répondu longtem ps d ’ avance : personnalité qui veut dom iner et jouir;c ’ est 1 .·.· ·
« l ’ Église chrétienne... a laissé subsister l ’ esclavage, plissem ent de la loi de D ieu qui ordonne le bien. < let te
dont la base est si profondém ent inique, m ais dont le idée nouvelle, au lieu de susciter l ’ indiscipline et 1
tem ps avait fait une sorte de droit sur lequel les socié ­ révolte, tend à introduire une charité qui dépas-e c-
tés reposaient, et qui ne fût pas tom bé sans que tout que faisaient espérer les conditions de chaque époque.
tom bât avec lui;... seulem ent, le christianism e jette 6° L ’ abolition de l ’ esclavage am éricain est « le term e
dans un coin le germ e d ’ un ordre nouveau, il le dé ­ du développem ent de la culture germ anique et pro ­
veloppe, il le fait grandir, il donne en petit le m odèle testante en opposition à la culture rom aine catholi ­
sur lequel les grandes sociétés doivent se façonner un que. » D obschütz, dans la Realencyklopadie, t. xvnr,
jour. » C ham pagny, Les Antonins, t. n, p. 132. p. 433. A ux prem iers tem ps de cet esclavage, ni ce
•1° M ais peut-on dire que l ’ Église a posé les principes que Las C asas rapporte des luthériens, ni les souve ­
qui devaient affranchir les esclaves,alors que l'affran ­ nirs de H aw kins (auquel É lisabeth avait octroyé de
chissem ent a tant tardé? Il a tardé, non par la faute graver au-dessus de ses arm es le buste d ’ un nègre
du christianism e, m ais par la faute des chrétiens, et garrotté) ne justifient cette assertion;ni non plus les
aussi des influences qui ont entravé l ’ action du chris ­ paroles de L uther dans son Écrit contre les hordes
tianism e. N om bre d ’ évêques féodaux n ’ ont pas eu homicides et pillardes des paysans : « D e m êm e que
grand zèle pour l ’ am élioration du sort des serfs? C ’ est l ’ âne doit être étrillé, le peuple doit être m até : D ieu
possible;inais l ’ Église les a subis bien plus qu ’ elle ne le sait bien; aussi a-t-il m is entre les m ains de l ’ auto ­
les a choisis. Les évêques dans l ’ A m érique du xvn' rité, non la queue d ’ un renard, m ais un glaive. >
siècle ont été insuffisants dans la défense des nègres? Cf. Janssen, t. n, p. 565-570. L ’ avidité avec laquelle
C ’ est vrai : m ais les papes n ’ ont pas m anqué de dire l ’ A ngleterre a retenu la traite, l ’ opportunité du
avec ferm eté ce qu ’ il fallait faire, et si ces évêques m om ent où elle a proposé l ’ abolition, les intérêts plu ­
avaient été m oins choisis par la cour,et davantage par sieurs fois d ’ accord avec les principes, tout cela (en
l ’ Église, ils auraient été plus fidèles. écartant m êm e le souvenir des peuplades indiennes
5° L ’ histoire de l ’ esclavage reste une page triste dans systém atiquem ent détruites) n ’ établit pas victorieu ­
l ’ histoire de l ’ Église. sem ent la proposition de D obschütz; l ’ Église, est-il
Sur ce point, com m e sur tous les autres de la m orale besoin de le rappeler, n ’ a im porté nulle part des
chrétienne, il n ’ y en eut que peu qui prirent la voie alcools ou des arm es à feu. Sans nier l'intervention
étroite; sur ce point, com m e sur tous les autres, il se ­ déterm inée et efficace de quelques hom m es d ’ É tat
rait injuste d ’ estim er la vertu de l ’ Église d ’ après ceux anglais, on accorderait plutôt aux théories rationa ­
qui agirent contrairem ent à scs principes. T out com pte listes une ardeur spéciale à com battre l ’ esclavage.
fait, du m onde occidental, constitué en société chré ­ Logiquem ent, le systèm e m ène là ; une hum anité,
tienne, l ’ esclavage avait disparu; l ’ esclavage chez les rêvée indépendante et sans lendem ain, veut jouir.
M aures a trouve pour sa consolation les ordres des Pratiquem ent, les philosophes païens, ceux-là m êm e
trinitaires et de la M erci : « il se trouva des hom m es qui avaient entrevu et loué la grandeur m orale du
dans l ’ Église pour faire ce m étier pendant six cents rachat et de l ’ affranchissem ent des esclaves, sem blent
ans. » C ochin, L ’abolition de l’esclavage, t. il, p. 439. s ’ en être tenus à la spéculation. Les philosophes
E n A m érique,les nègres ont trouvé des m issionnaires m odernes les plus sensibles, B ernardin de Saint-
d ’ une générosité égale à leurs épreuves. B eaucoup de Pierre, un planteur, R aynal, Frédéric II et C atherine,
m aîtres ontété barbares; m ais ceux-là appartenaient qui avaient plus de serfs et plus durem ent traités
à l ’ Église com m e le bois m ort appartient à un arbre; que n ’ en avait l ’ abbaye de Saint- C Iaude.se sont bien
et s ’ ils n ’ ontpas fait honneur àl ’ Église, leurs esclaves, gardés de réduire en pratique leurs systèm es. E t
vraim ent chrétiens, ont parfois glorieusem ent servi peut-être il appartiendrait à ceux qui voient la légis ­
cette m êm e Église. Le P. du Jarric cite des Indiens lation contem poraine s ’ em ployer contre la traite des
chrétiens de la côte de la Pêcherie, qui avaient fui blanches de n ’ adresser à l ’ Église que des reproches
leurs m aîtres portugais, et qui, par l ’ entrem ise de m odestes. Parlant du m ouvem ent général anti-cscla-
saint François-X avier, retournèrent à leur ancien vagiste de 1888, le cardinal Lavigerie écrivait : « ...Je
état : · aym ant m ieux perdre leur liberté, pour ser ­ constate qu ’ en fait, au 1 er janvier 1888, ni la philoso ­
vir D ieu avec plus de liberté. » Histoire des choses plus phie, ni l ’ économ ie politique, ni les assem blées, ni
mémorables advenues tant ez Indes Orientales, etc., B or ­ les gouvernem ents n ’ avaient pris en m ain, d ’ une
deaux, 1608, 1.1, p. 204. Le P. Fr. H éard, supérieur de la m anière pratique, la cause de l ’ esclavage africain, et
m ission dcsA ntilles(-j- 1663), affirm ait avoir vu nom bre que, depuis le m ois de m ai de la m êm e année, cette
de ses chrétiens s ’ exposer à m ille cruautés plutôt que cause s ’ agite dans tous les esprits et dans tous les
de consentir à l ’ offense de D ieu. A ug. C ochin a cœ urs. Q ue s ’ est-il donc passé entre ces deux dates?
cité cette lettre du préfet apostolique de la G uyane Sim plem ent ce fait, que le souverain pontife faisant
en 1848 : « Q uelques jeunes noirs de la ville sont venus écho aux longs cris de douleur de l ’ A frique intérieure,
m e prier de dire une m esse pour leur obtenir la grâce a jeté lui-m êm e un cri puissant qui a réveillé le m onde
de ne pas abuser de la liberté, » Abolition de l’escla­ chrétien. » Lettre sur l’esclavage a/ricain, dans les Mi­
vage, t. i, p. 311, et cet autre trait : « O n a vu des noirs sions catholiques, 19 octobre 1888, p. 496. D ans cette
fatigués, vieux, certains d ’ être punis le lendem ain, dernière phase de la lutte contre l ’ esclavage, la vol n
faire une lieue à pied, la nuit, trois fois par sem aine, la plus logique, l ’ aum ône la plus généreuse et la plus
pour se rendre au catéchism e. » Ibid., t. i, p. 298. E t constante, ne se sont rencontrées que dans l ’ Église.
la rem arque de Léon X III reste vraie : « L ’ action de E n 1888, Léon X III donnait pour ces œ uvres d ’ A fri ­
l ’ Église,éducatrice et m oralisatrice par excellence, est que 300 000 francs. Le 24 m ai 1888, dans une audience
indispensable...; il serait vain d ’ abolir la traite, les où il avait devant lui des esclaves rachetés, il recom ­
m archés, et la condition servile elle-m êm e, si les m andait à tous les m issionnaires de consacrer toutes
519 E SC L A V A G E — E SC O B A R Y M E N D O Z A 520

leurs forces, leur vie m êm e à cette œ uvre sublim e de P aris, 1683; C arayon, S. J., Documents inédits concernant
rédem ption. A ces m issionnaires noire recom m an ­ la Compagnie de Jésus, t. x i, Mission ά Constantinople
dons aussi de racheter autant d ’ esclaves qu ’ il leur ct dans le Levant, P oitiers, 1864; Relation de ce qui s'est
sera possible, ou du m oins de leur procurer tous les passé dans les trois voyages que les religieux de Γ ordre de
N.-D. de la Mercy ont faits dans les États du Roy de
soulagem ents de la plus tendre charité de pères et Maroc pour la rédemption des captifs en 1704, 1708, 1712,
d ’ apôtres. » p ar un des P ères députés pour la rédem ption, de la con ­
D ans son encyclique In plurimis, le m êm e pape grégation de P aris du m êm e ordre, P aris, chez A ntoine
avait expliqué cette sollicitude de l ’ Église : Addecet U rbain C oustelier, 1724; Mémoires de la congrégation
igitur, et est plane muneris aposlolici, ea omnia foveri de la Mission, P aris (1864), t. n , m .
a Nobis impcnseque provehi, unde homines tum sin­ 2° Travaux.— M aynard, Vie de S. Vincent de Paul, t. i;
guli tum fure sociati habere queant præsidia ad multi­ Revue historique, M.de Grammont; Éludes algériennes, La
course, l'esclavage el la rédemption ά Alger, t. x x v , x x v i,
plices miserias levandas, quæ, tanquam corruptæ arbo­ x x v n ; P aul D eslandres, L'ordre des trinitaircs pour le
ris fructus, ex culpa primi parentis profluxere : ea rachat des captifs, 2 in-8°, P aris, T oulouse, 1903; de
quippe præsidia, quocumque in genere sunt, non modo H am m er, Histoire de Γempire ottoman, depuis son origine
ad cultum et humanitatem valde possunt, sed etiam jusqu'à nos jours, trad . D ochez, 2 in-8°, P aris, 1884.
apte conducunt ad eam rerum ex integro renovationem, P our V , L as-C asas, Œuvres, éditées p ar L lorente, 2 vol.,
quam redemptor hominum Jesus Christus spectavit P aris, 1822; M argraf, Kirche und Sklaverei seit der Ent-
et voluit. deckung Amerika's, T ubingue, 1865; R obertson, Histoire
de ΓAmérique, trad . E udois, 5 vol.; H elps, The Spanish
V oir les articles spéciaux du Dictionnaire apologétique conquest and colonization, 1855; C harlevoix, S. J., Histoire
de la foi catholique (P. A llard), et de la Realencyklopadie de Saint-Domingue, 2 vol.; Id., Histoire du Paraguay,
(von D obschütz), ainsi que les articles Affranchissement 6 vol., P aris, 1757 ; L ab at, Ο . P ., Nouveau voyage aux isles
de dom L eclercq, dans le Dictionnaire d'archéologie, t. i, de Γ Amérique, -! vol., L a H aye, 1724; Id., Voyage du chevalier
col. 551-576, et d ’ A . R astoul, dans le Dictionnaire d*his­ des Marchais en Guinée, 4 vol., 1730; T ouron, O . P ., His­
toire et de géographie ecclésiastiques, t. i, col. 681-684. toire générale des Antilles; H ergenrother, Kalholische
P our I et II, H . W allon, Histoire de Γesclavage dans Kirche und chrislllcher Staat; C arol, Vieira, sa vie et ses
l'antiquité, 2 e éd it., 3 vol., 1879; P aul A llard, Les esclaves œuvres, P aris, 1879; G am s, Die Kirchengeschichte von
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Kirche, M ünchen- G ladbach, 1910; É douard B iot, De t. v i ; S chœ lchcr, Abolition de Γesclavage, 1840; A ugustin
Γabolition de l'esclavage ancien en Occident, P aris, 1840; C ochin, L'abolition de l'esclavage, 2 vol., P aris, 1861; C ar ­
Mœhïer,Gesammelte Schriften,t.n, Bruchstücke aus der Ge- lier, L'esclavage dans ses rapports avec l'union américaine,
schichle der Aufhebung der Sklaverei ; B alm ès, Le protestan­ P aris, 1862; B aunard, Vie du cardinal Lavigerie, 2 vol.;
tisme comparé au catholicisme, P aris, 1842, t.i; Jentsch,D ze cardinal L avigerie, Œuvres choisies, 2 vol.; Bulletin du
Sklaverei bei den antiken Dichtern, 1900; T roplong, L'in­ mouvement anti-esclavagiste. L a plupart des vies des m ission ­
fluence du christianisme sur le droit des Romains, 3 e édit., naires du X IX e siècle en A frique : cardinal P itra, V ie du
1868; C h. S chm idt, Essai historique sur la société civile dans vén. Libermann; G aillard, V ie de la vén. Mère Jayvouhcy;
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Armenpflege, F rib o urg -en -B risg au , 1884; D ollinger, Hei- 1890.
denthum und Judenthum, 1857, p. 673-693, 705-721; Chris­ P our V I. P arm i les auteurs indiqués, surtout : M olina,
ten/hum und Kirche, 1868: C iccotti, Le déclin de Γesclavage D e fustilia et jure; R ebello, Opus de obligationibus justitiae,
antique, trad . P lato n , 1910; Z ahn, Sklaverei und Christen- religionis et caritatis, L yon, 1608; A vendano, Thesaurus
thum in der allen Welt, 1879; D obschütz, Die urchrisllichen Indicus, A nvers, 1668; S olorzano, Disputationum de jure
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P aris, 1892; O zanam , La civilisation au v® siècle, 13 e leçon. jure, 1. II, c. iv, dub. ix , etc.; L ugo, De justitia el jure, disp.
P o u r III, P aul A llard, Esclaves, serfs, mainmortables, Ill, sect, n , n i: disp. V I, sect. 11, 4.
2 e éd it., 1894 ; Id., Origines du servage, dans la Revue des ques­ J. D u t i l l e u l .
tions historiques, janvier, av ril et ju illet 1911 ; Y anoski, De 1 . E S C O B A R (A ntoine de) Y M E N D O Z A , im m or ­
Vabolition de l'esclavage ancien au moyen âge et sa transforma­ talise com m e on sait par les Provinciales, était né à
tion en servitude de glèbe, P aris, 1860; Lesne, Histoire de la V alladolid en 1589 et entré dans la C om pagnie de
propriété ecclésiastique en France, P aris, 1910; F ustel de
C oulanges, L'invasion germanique, p. 81-146, I^s origines Jésus en 1604; il m ourut dans sa ville natale à l ’ âge
du système féodal; M . F ournier, L es affranchissements du de 80 ans, le 4 juillet 1669. Q uelque longue qu ’ ait été
ve au xHie siècle, dans la Revue historique, 1881, t. l x x i ; Sée, sa vie, on a peine à com prendre qu ’ elle ait suffi à tous
Les classes serviles en Champagne, ibid., t. L viet l v i i ; L éon les travaux qu ’ il em brassa. Il fut surtout prédicateur,
V erriest, Le servage dans le comté de Hainaut, 1910; S anti, et se fit entendre avec succès de toutes sortes d ’ au ­
Prælectiones furis canonici, 1. 1, tit. χν πι, 1898, 1.1, p. 192sq. ; ditoires, cultivés ou populaires. Ses biographes ont
Jean G uiraud, Histoire partiale, histoire vraie, P aris, 1911.
rem arqué qu ’ il prêcha cinquante carêm es, sans se dis ­
P our IV . — 1° Sources. — P . D an, Histoire de Barbarie,
1649; Id., Les captifs illustres, ou Histoire générale contenant
penser du jeûne, jusqu ’ à la dernière année, où la vieil­
les cruautés exercées contre les chrétiens, par les Turcs, par lesse et l ’ infirm ité l ’ obligèrent à se relâcher de cette
les Persans, par les Maures, par les Barbares el autres rigueur : preuve qu ’ il n ’ avait pas pour lui-m êm e les
Mahométans, qui est un récit de la vie et des faits plus mémo­ m énagem ents excessifs qu ’ on l ’ accusait d'autoriser
rables de quelques hommes notables pris par ces infidelles, pour les autres. 11 donna, d ’ ailleurs, constam m ent
B ibliothèque M azarine, m s. 1956; Relation delà captivité l ’ exem ple de la régularité et de toutes les vertus reli­
et liberté du Sr Emmanuel de Aranda, mené esclave ά Alger gieuses et sacerdotales. Très occupé, en dehors de ses
en l'an 1640 et mis en liberté en Van 1642, B ruxelles, fréquentes prédications, par le m inistère de la confes ­
1656; miroir de la charité chrétienne ou Relation du
voyage que les religieux de Γordre de N.-D. de la Merci du sion et par les œ uvres de m iséricorde envers les m al­
royaume de France ont fait Γannée dernière, 1662, en la heureux, il trouva encore du tem ps pour une intense
ville d'Alger, d'où ils ont ramené environ une centaine de activité d ’ écrivain. La plupart de ses publications
chrétiens esclaves, A ix, 1663; Relation véritable contenant visent l ’ utilité des prédicateurs et ont pour but de
le rachat de plusieurs captifs qui étaient détenus à rançon leur ouvrir la source où s ’ alim entait sa propre prédi­
dans la ville d'Alger (1671), B ibliothèque M azarine, m s. cation, c ’ est-à-dire l ’ É criture sainte. Son prem ier
A 15450, n. 14; Relation de la captivité du Sr Mouette
ouvrage, en ce genre, est un com m entaire sur le vi e cha ­
dans le royaume de Fez et de Maroc, où il a demeuré pen­
dant onze ans, où Γοη voit les persécutions qui y sont i pitre de l ’ Évangile de saint Jean, in-fol., V alladolid.
arrivées aux chrétiens captifs, sous les règnes de Mouley- | 1624. Il a ensuite expliqué les évangiles de l ’ année
Archy et de Mouley-Sémeni son successeur, régnant au­ liturgique en 12 in-fol., auxquels il a donné le titre
jourd'hui, et les travaux ordinaires auxquels on les occupe, général Lignum vitæ : six traitent de la vie, des
521 E SC O B A R Y M E N D O ZA — E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R E S DE 522

m iracles et des discours du C hrist; les six autres casuistique en général : la m orale s ’ en trouvera ; h ier.
contiennent des « panégyriques m oraux » de la V ierge si les chrétiens pratiquaient tous les dev. 1rs que .e
et des saints. Ces volum es ont paru à Lyon de 1642 à jésuite espagnol déclare certains et incontestal»le>:s iis
1648. D e 1652 à 1667. il publia égalem ent à Lyon, en prenaient ensuite plus à leur aise avec les <>im et­
en 8 in-fol., un com m entaire littéral et m oral de tions qu ’ il déclare douteuses on pourrait facilem ,,-· ,
l'A ncien et du N ouveau T estam ent. U n volum e le leur passer.
de Sermones vespei finales, qu ’ il donna in-4°, à
D e B acker-Som m ervogel, Bibliothèque de .’a C - P
Lyon, en 1652, expose des textes choisis de l ’ É cri- Jésus, t. III, col. 436-445; A ntonio, Bibliotheca
ture. Enfin, l ’ année m êm e de sa m ort, parut encore nova, t. i; Réponse au livre intitulé : Extraits des A sse-::
de lui In Canticum commentarius sive de Marite ..., in-4», [Paris,] 1763-1765, I" p art., p. 41, 141.
Deiparæ elogiis, in-fol., Lyon, 1669. Q uoique faites en Π Ι» p art., su ite, p. l ix - i . x ; M aynard, L es Provin,·:
vue de la prédication, ces publications n'ont paslaissé et leur réfutation, 2 in-8°, P aris, 1851; [T erw ecorex. S. J..]
que de servir la saine exégèse. O n devine la conscience La vérité sur le P. Escobar, dans les Précis historiques. 1860.
avec laquelle Escobar recherchait le sens littéral du p, 31-46; D r K arl W eiss, P. Antonio de Escobar ij Mendoza
texte sacré, en lisant son De sacræ Scripturæ stylo et als Morallheotog in Pascals Beleuchtung und im Lichle der
Wahrheit ouf Grund der Quellen, in-8°, K lagenfurt, 1908;
obscuritate præloquium, que le savant P. Tournem ine 2· édit., 1911. C L M . R eichm ann, S. J., Escobar und seine
a jugé digne de reproduction dans le supplém ent de Misshandlung durch Pascal, dans Stimmen aus Maria-Laach,
son édition des com m entaires de M énochius. M ais 1909, t. L .xxvi, p. 523-538.
c ’ est surtout dans le dom aine de la théologie m orale J. B r u c k e r .
qu ’ Escobar a trouvé la célébrité. Ce qu ’ il produisit 2. E S C O B A R D E L C A R R O (Jean), jurisconsulte
d ’ abord sur ce terrain est » une petite som m e de cas de , espagnol du x v ii ” siècle, né à Fuente de C antos au
conscience », com m e il définit lui-m êinc cet ouvrage, diocèse de Séville et m ort à M adrid, avait été profes ­
qui parut en espagnol, à V alladolid, sous le titre : seur de droit au collège et université de Sainte-M arie
Examen de Confessores y practica de Penilenlcs (ou de Jésus à Séville, puis inquisiteur en différentes villes
Examen y Practica de confessores y penitentes) en todas et enfin procureur fiscal des causes religieuses à la
las materias de la theologia moral, in-12. C et exam en Suprêm e Inquisition. Il a publié plusieurs ouvrages
avait eu en Espagne 37 éditions, quand Escobar le fit ou traités : 1° Tractatus bipartitus de puritate et
paraître à Lyon, en 1644, m is en latin et « enrichi nobilitate probanda secundum statuta S. Officii Inqui­
d ’additions », sous le titre : Liber theologiæ moralis sitionis, S. Ecclesiæ Toletanæ, collegiorum aliarumque
viginti quatuor Societatis Jesu doctoribus reseratus..., communitatum Hispaniæ ad explicationem regiæ prag-
in-8°. Ce n ’ était encore qu'un abrégé très som m aire. maticie sanctionis Philippi IV, etc., in-fol., Lyon,
Enfin, de 1652 à 1663, il publia, toujours à Lyon, les 1637 ; 2° Tractatus tres selectissimi et absolutissimi : 1",
7 in-fol. de sa grande m orale : Universæ theologiæ De utroque foro, où il prouve qu ’ il n ’ y a pas de diffé ­
moralis receptiores absque lite sententiæ necnon proble- rence, sinon par accident, entre le for de la conscience
maticæ disquisitiones, sive quod frequentius, doclo- et le for extérieur; 2 “ ’ , De confessoriis sollicitantibus
ribus consentientibus, asserendum eligitur, et quod, pænitentes ad venerea, etc. ; 3 “ ’ , De horis canonicis et
dissentientibus, plerumque in utrumvis probabile appo­ distributionibus quotidianis, 2 in-fol., C ordoue, 1642;
nitur. C ’ est le Liber theologiæ moralis qui a fourni à 3° Antilogia adversus D. Franciscum de Amaya pro
Pascal presque toute la m atière de ses plaisanteries et vero intellectu Statuti majoris collegii Conchensis.
de ses accusations contre Escobar. Il est seul cité N . A ntonio, Bibliotheca hispana nova, M adrid, 1783,
avant la vm ® lettre où la « grande Théologie m orale » t. i, p. 684-685; H u rter, Nomenclator, 3 ' éd it., Inspruck,
n ’ est que m entionnée; un seul extrait de celle-ci est 1907, t. m , coi. 1172.
donné et c ’ est dans la xm 8 Provinciale. Pascal aurait E. Ma n g e n o t .
eu cependant tout le tem ps de consulter au m oins les E S D R A S E T N É H É M IE (L i v r e s d e ). En hébreu,
deux prem iers des sept volum es, car ils parurent à 'Ezra', auquel on ajoute Nebemayâh. D ans les Sep ­
Lyon en 1652 et 1655, et la v» lettre où Escobar est tante : εσδρας , com prenant les deux livres, le second
m is pour la prem ière fois en scène est datée du 20 portant l ’ inscription λόγο: Νεεμ,ία υΙού Χ ελχεια ou
m ars 1656. La « m orale sévère », qu ’ ils prétendaient Ά χαλία. D ans la V ulgate : Liber primus Esdræ, liber
défendre, faisait un devoir à l ’ écrivain janséniste, ou Nehemiæ qui et Esdræ secundus dicitur.
du m oins à ceux qui lui fournissaient les textes, de Plusieurs raisons im posent la réunion en un seu
chercher les vrais sentim ents du jésuite, non pas seule ­ article des questions relatives à ces deux livres. Les
m ent dans un abrégé oùsouvent ils dem eurent presque problèm es d ’ ordre littéraire et historique qu ’ ils
forcém ent obscurs, m ais encore dans le grand ou ­ soulèvent en grand nom bre ne peuvent être traités
vrage où ils sont largem ent développés et accom ­ séparém ent, et leur histoire nous apprend leur unité
pagnés des raisons qui les m otivent. Les deux pre ­ prim itive.
m iers volum es auraient déjà pu suffire pour épargner D ans la B ible hébraïque, Josèphe ne connaît qu ’ un
à Pascal la plupart des interprétations injustes dont seul livre d ’ Esdras, com prenant celui de N éhém ie,
il s ’ est rendu coupable à l ’ égard d ’ Escobar. Ce n ’ est puisque, de M oïse à A rtaxerxès I er , il com pte treize
paS que tout soit irréprochable chez ce dernier, m em e livres historiques seulem ent. Cont. Apion., i< 8. Le
dans sa grande théologie. O n n ’ écrit pas tant de gros Talm ud, dans l ’ énum ération des livres transm is par
volum es sans y com m ettre quelques inexactitudes, les docteurs, m entionne le seul Esdras, écrit par le
surtout quand on n ’ a pas eu, pour les com poser, le personnage du m êm e nom , qui continua les généa ­
calm e et les loisirs à volonté, m ais seulem ent ce qu ’ en logies des C hroniques jusqu ’ à son tem ps. Baba
laissait un m inistère très actif de prédication et de bathra, fol. 14a-15t>. Les m assorètes ne pensent :
direction. A ussi, m algré la réelle pénétration avec autrem ent et com ptent, pour le livre d ’ Esdras. ·
laquelle d'ordinaire il discute les opinions et fait son versets dont le m ilieu se trouve N eh., in, 32. Ei
choix, Escobar a eu le tort parfois d ’ adopter ou de un certain nom bre de m anuscrits hébreux trans ­
traiter trop favorablem ent des opinions singulières crivent le livre de N éhém ie com m e la seconde : -
ou m êm e réprouvées plus tard parle Saint-Siège. M ais d ’ Esdras, parfois sans laisser aucun intervalle
sa doctrine est loin de tendre, com m e Pascal a essayé les deux écrits. D e R ossi, Variæ lectiones Ve.'- .s
de le faire croire, à corrom pre toute la m orale chré ­ Testamenti, Parm e, 1788, t. iv, p. 157. Ce n ’est qu'a a
tienne. O n peut dire, au contraire, en appliquant à xvi e siècle que s ’ introduisit dans la B ible juive la
Escobar un m ot de saint A lphonse de Liguori sur la pratique de la division en deux livres.
523 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) 524

D ans la version des Septante, la séparation n ’ est que postérieure à l ’ exil, m ais tandis que ces traces sont
peut-être pas non plus originale, de très anciens particulièrem ent m arquées et nom breuses dans l ’ une
m anuscrits, tels que le Vaticanus, ['Alexandrinus et le de ces parties, dans l ’ autre, celle des M ém oires, ceux
Sinailicus,reproduisent sous le m êm e titre Εσδρας B de N éhém ie surtout, l ’ hébreu est plus facile et plus
les deux livres réunis; Εσδρας A contenant l ’ écrit naturel, le vocabulaire m oins riche en m ots et expres ­
apocryphe appelé troisièm e livre d'E sdras. Sw cte, sions de basse époque et la syntaxe plus classique. Les
The Old Testament in Greek, C am bridge, 1896, t. II. M ém oires d ’ Esdras ne se distinguent pas aussi nette ­
D ans l ’ Église chrétienne on a connu et parfois m ent du reste du livre, peut-être parce que le rédac ­
adopté l ’ usage juif. O rigène, qui distingue les deux teur en a pris plus à son aise dans leur transcription,
livres, n ’ ignore pas leur réunion en un seul dans la ou bien parce que ce dernier et l ’ auteur des M ém oires
B ible hébraïque. Eusèbe, H. E., si, 25, P. G., t. xx, par leur com m unauté d'origine et de fonctions étaient
col. 581. Saint Jérôm e écrit à Paulin : Ezras et Nee- plus fam iliarisés avec les choses du tem ple et de son
mias... in unum volumen coarclantur. Epist., l u i , ad culte, dont ils parlent dans les m êm es term es. D river,
Paulinum, n. 7, P. L., t. xx, col. 548; Præf. in lib. Introduction to the literature of the Old Testament,
Esdr., P. L., t. xxviii, col. 1403. La m êm e affirm ation Édim bourg, 1898, p. 553. A côté des aram aïsm es il
se retrouve chez de nom breux écrivains grecs et latins. faut signaler l ’ introduction, facile à com prendre, de
V igouroux, Dictionnaire de la Bible, t. n, col. 1934. m ots d ’ origine assyro-babylonienne et persane. R yle,
C ertains canons latins de la B ible ne m entionnent The books of Ezra and Nehemiah, 1893, p. i.tx, dans
qu ’ un seul livre d ’ Esdras, ainsi le catalogue du codex Cambridge Bible for schools and colleges. V oir encore,
Claromontanus, du codex Amiatinus, d ’ un m anuscrit sur le texte hébreu, B obm e, Ueber den Text des
■de B obbio, publié par M abillon, Musteum italicum, Bûches Nehemias, Stettin, 1871; C heyne, From Isaiuh
Paris, 1687, t. i, p. 397. D ans plusieurs m anuscrits to Ezra, dans American Journal of Théologie, juillet
de la V ulgate, Esdras et N éhém ie sont divisés com m e 1901, p. 433-441; P. R iessler, Der Urtext der Bûcher
un seul tout, en soixante-cinq, trente-six ou trente- Esdras und Nehemias, dans Biblische Zeitschrift, 1906,
huit chapitres. S. B erger, Histoire de la Vulgate pen­ t. iv, p. 113-118.
dant les premiers siècles du moyen âge, Paris, 1893, 2° Texte araméen. — D es docum ents officiels,
p. 349. L ’ ancienne V ulgate latine com prenait peut- Esd., iv, 8-22; v, 6-17; vi,6-12; vu, 12-26; le récit de
être les deux livres réunis. Loisy, Histoire du canon de la reconstruction du tem ple, iv, 23-vi, 18, nous sont
J’Ancien Testament, Paris, 1892, p. 92. parvenus en aram éen, sous la form e du dialecte
Sur l ’ origine de la division en deux livres, les pré ­ occidental, celui de la B ible et des targum s. L ’ ara-
cisions m anquent, on ne saurait l ’ attribuer à la diffi­ m éen d ’ Esdras sem ble toutefois appartenir à une
culté de transcrire l ’ ouvrage sur un seul volum e; la époque plus ancienne que celui de D aniel et se rap ­
raison qui peut valoir pour Sam uel, les R ois, les procher davantage de la langue des docum ents récem ­
C hroniques, n ’ existe pas pour Esdras-N éhém ie, qui, m ent découverts à A ssouan et É léphantine. Sayce
m êm e additionnés, ne dépassent pas l ’ étendue de et Cow ley, Aramaic papyri discovered at Assuan,
l ’ une ou l ’ autre m oitié de ces livres. La suscription 1906; Sachau, Drei aramaischc Papyrusurkunden
qui m arque le com m encem ent du N éhém ie actuel aus Elephantine, B erlin, 1907.
a pu être prise pour le titre d ’ un livre nouveau. Les ressem blances sont nom breuses et frappantes;
L. G autier, Introduction à l’Ancien Testament, Lau ­ cependant ces papyrus, tous datés du v c siècle avant
sanne, 1906, t. π, p. 380. C ’ est à A lexandrie que la Jésus-Christ, apparaissent com m e quelque peu plus
•division aurait été introduite pour la prem ière fois anciens que les docum ents aram éens d ’ E sdras dans
dans le texte. O rigène dans Eusèbe, H. E., vi, 25, P. G., leur état actuel; c ’ est ce que prouve surtout l ’ em ploi
t. xx, col. 581. Q ue cette division ne soit pas origi ­ de z au lieu de d, dans les pronom s dém onstratifs
nale, les tém oignages ci-dessus rapportés l ’ indiquent et relatifs et aussi l'em ploi norm al du suffixe en Mm
suffisam m ent, com m e d ’ ailleurs l ’ histoire de la com ­ (hum) au lieu de hôn. Lagrange, Les nouveaux papy­
position dulivre. V oir plus loin. — I. T exte et versions. rus d’Éléphantine, dans la Bevue biblique, 1908, p. 337.
II. C anonicité. III. M ode de com position. IV. D ate de « D es m orceaux (de la partie aram éenne d ’ Esdras)
com position. V . A uteur. V I. B ut. V IL V aleur histo ­ rem ontent certainem ent à l ’ époque perse et la com ­
rique. V III. C hronologie. IX . C om m entaires. paraison avec les papyrus d ’ É léphantine ne perm et
L T e x t e e t v e r s i o n s . — t. t e x t e .— Le texte ori- guère de faire descendre l ’ ensem ble plus bas que
■ginal des livres d ’ Esdras et de N éhém ie nous est par ­ l ’ époque alexandrine. » J.-B. C habot, Les langues et les
venu, partie en hébreu, partie en aram éen. littératures araméennes, Paris, 1910, p. 10.
1° Texte hébreu. — D ans l ’ ensem ble, ce texte, tel A l ’ encontre de la m ajorité, des critiques, Torrey
que nous l ’ avons, est dans un état assez défectueux, date les parties aram éennes d ’ Esdras du n® ou
surtout en ce qui concerne les nom bres, les listes et n i' siècle avant Jésus-Christ, se refusant à y recon ­
l ’ ordre des passages vraisem blablem ent bouleversé. naître une langue plus ancienne que dans D aniel.
A . K losterm ann, art. Esra und Nehemia, dans Ezra Studies, C hicago, 1910, p. 161-166.
Bealencyclopadic fïir proleslantische Théologie und É d itio n s spéciales de la portion aram éenne : K . M arti,
Kirclte, Leipzig, 1898, t. v, p. 514-515, et les com m en ­ Kurzgefasste Grammatik der bibliseh-aramaischen Sprache,
tateurs. B erlin, 1896; H . S track, Grammatik des biblisch-aramais-
É d itio n s critiques. — S. B aer, Libri Danielis, Esdræ et clien, 5 “ éd it., L eipzig, 1911 ; T orrey, op. cit., p. 184-207.
Nehemiæ, L eipzig, 1882; H . G uthe et L . W . B atten,
The Books of Ezra and N e/iernïa/i, L eipzig, 1901, dans L ’ état de conservation des passages aram éens est
l ’ édition polychrom e de P . H au p t, The sacred books of dans l'ensem ble très satisfaisant; on y rencontre un
the Old Testament·, M . L ohr, Libri Danielis, Esrte et Nehe­ certain nom bre de m ots étrangers, perses, baby ­
miæ, L eipzig, 1906, ή p art et dans K ittel, Biblia sacra, loniens, grecs. Cf. Torrey, op. cil., p. 166-177; Tony
L eipzig, 1905-1906, p. 1185-1221.
A ndré, Aramé.en d’Esdras, G enève, 1895.
A u point de vue de la langue, il y a lieu de distinguer IL VEnsiONS. — 1° Grecques. — 1. Celle des Septante.
entre les différents élém ents constitutifs du livre; — Le livre d ’ Esdras-N éhém ie a probablem ent été
d ’ un côté, les M ém oires d ’ Esdras et de N éhém ie, de traduit en grec à la m êm e époque que le livre des
l ’ autre, la partie narrative leur servant en quelque Paralipom ènes, c ’ est-à-dire au plus tard avant le
sorte de cadre. Sans doute, partout on retrouve des m ilieu du i i ° siècle avant notre ère, si Eupolem us qui
traces de décadence, com m unes à la littérature hébraï ­ se servait de la version grecque des C hroniques est
525 E SD R A S E T N E H E M IE (L IV R E S D E ) 526

bien le m êm e que celui m entionné, I M ach., vin, 17. dans Tübinger Theologische Qv - ·■■
H . B. Sw ete, Introduction to the Old Testament in p. 263 sq. La faveur dont avait joui cet : —
Greek, C am bridge, 1900, p. 24-25. O ù trouver actuel ­ parm i les juifs de langue grecque, la grande r
lem ent cette version des Septante? E st-ce dans 1 ” Έ σ- blance qu ’ il gardait avec les livres reçus part· > cor -
δρας B ou dans 1 ” Έ σδρας A de nos m anuscrits grecs? m e canoniques rendent com pte de cette attitu:· ..
Problèm e analogue à celui que présentent les deux autorisée encore par son adm ission dans les Hrxar ,
versions de D aniel. d ’ O rigène. H ow orth, The Hexapla and the Τφ ■:
D ’ après le plus grand nom bre de critiques, "Εσδρας B of Origen, and the light they throw on the ba >ks
serait la véritable traduction des Septante, en confor ­ Esdras A and B, dans Proc, of the Soc. of Bib. - 7
m ité étroite avec le texte m assorétiquc, sans aucune 1902, p. 147-171. Enfin sa désignation d ” E- t
prétention de style; Έ σδρας A , ou l'apocryphe, ou ("Εσδρα; B : Esdras-N éhém ie), et la place qui lui
encore le 111° livre d'E sdras, serait, ou une sim ple faite, encore qu ’ assez rarem ent, dans les catalog ’ : <
com pilation du grec des Septante, rédigée à l ’ inten ­ de livres sacrés, m ontrent que plus qu ’ aucun autre
tion de lecteurs grecs, rebutés par le littéralism e étroit apocryphe il était estim é; il ne fallut rien m oins que
de la version canonique (K eil, Schürcr, B issell), ou l ’ autorité de saint Jérôm e pour im poser son rejet «le
bien le rem aniem ent d ’ une version grecque anté ­ la tradition latine : Nec quemquam moveal, écrit-il
rieure, m ais com plètem ent indépendante de celle des dans sa préface au livre d ’ Esdras-N éhém ie, quod unus
Septante (Ew ald). Pour d ’ autres, l ’ apocryphe repré ­ a nobis liber editus est, nec apocryphorum tertii et
senterait une traduction plus ancienne et m eilleure quarti somniis delectetur; quia et apud Hebræos Esdræ
que celle reproduite dans les livres canoniques, qui, Nehemiæque sermones in unum volumen coarctantur,
elle, ne serait autre que l ’ œ uvre de Théodotion. C ette et quæ non habentur apud illos, nec de viginti quatuor
hypothèse, déjà ém ise par plusieurs auteurs depuis le senibus sunt, procul abjicienda. P. L., t. xxvm , coi.
XVII e siècle (G rotius, W histon, Pohim ann, Lagarde), a 1403. Saint Jérôm e cependant n'innovait pas en se
été exposée à nouveau par H oworth d ’ abord dans une prononçant aussi form ellem ent contre le III e livre
série d ’ articles de VAcademy de 1893, The real cha­ d ’ Esdras (H ow orth, The modem Boman Canon and
racter and the importance of the first book of Esdras, the book of Esdras A , dans The Journal oj theological
et The true Septuagint Version of Chronicles-Ezra- studies, 1906, p. 343-351), et par la désignation d ’ Es ­
Nehemiah, puis plus longuem ent dans Proceedings dras I et II il n ’ entendait pas autre chose qu ’ O rigéne
of the Society of Biblical archæology, 1901-1902. et les conciles africains qui y reconnaissaient E sdras
Le principal argum ent invoqué en faveur de l ’ hypo­ et N éhém ie selon le texte m assorétiquc et non Esdr s
thèse était l ’ existence de nom breuses traces d ’ origine A et B des m anuscrits grecs. H . Pope, The third
tardive relevées dans la version grecque canonique, book of Esdras and the Tridentine canon, ibid., 19"7,
com parée surtout à celle de l ’ apocryphe qui repré ­ p. 218-232.
senterait la véritable version des Septante, supplantée M algré cet ensem ble d ’ argum ents apportés par in
par celle de Théodotion dans le recueil des Livres critique et l ’ histoire des textes, la thèse favorable a
sacrés. Torrey prétend ajouter à la dém onstration une l'apocryphe n ’ est cependant pas parvenue à s ’ im ­
nouvelle preuve, et cette fois décisive, en retrouvant poser à la m ajorité des critiques; ceux-ci, dit la Reçue
dans le texte grec canonique du groupe Paralipo- biblique dans la recension du livre de Torrey, Es i
m ènes-Esdras-Néhém ie un trait caractéristique de Studies, 1910, p. 623, » l ’ ont considérée à peu pr-.s
la m anière de traduire de Théodotion, à savoir la unanim em ent com m e un paradoxe;» ils continuent à
sim ple transcription en caractères grecs des m ots hé ­ regarder le III e livre d ’ Esdras com m e d ’ époque
breux difficiles ou douteux. Op.cit.,p. 70-77. Cf. Field, tardive, à cause de sa grande ressem blance avec le
Origenis Hexapla quæ supersunt, O xford, 1875, t. i, grec d ’ E sther et du II e livre des M achabées, à cause
p. xn sq. La thèse de l ’ antériorité et de la supé ­ aussi du caractère de com pilation de certains passages,
riorité de la version ό ’ ” Εσδρα; A sur celle ά ’ Έ σδρας B m anifestem ent em pruntes aux livres canoniques, par
étend ses conclusions au texte inassorétique lui- exem ple, le décret de D arius, III E sd., iv, 47 sq. Cf.
m êm e, qui serait m oins rapproché de la form e origi­ Fischer, Das apocryphe und das kanonische Esrabuch,
nale du livre que l ’ apocryphe; « s ’ il y avait, dit dans Biblische Zeitschrift, 1904, p. 351-354. D es dis ­
H ow orth, un des deux livres à rejeter com m e apo­ cussions à ce sujet il faut retenir que l ’ apocryphe
cryphe, c ’ est E zra (le canonique) et non E sdras (le offrant une version indépendante de celle des Sep ­
III e ) qui devrait l ’ être. » Academy, 1893, p. 14. Jahn, tante, fait qui paraît bien établi, pourra être utile ­
Die Bûcher Esra (A und B) und Nchemja, Leyde, m ent consulté pour la critique textuelle, et aussi
1909, p. m ; R iessler, Der lextkrilische Werl des dritlen pour l ’ étude littéraire et historique, en raison des in ­
Esdrasbuchcs, dans Biblische Zeitschrift, 1907, p. 146- dications qu ’ on peut en tirer sur l ’ origine de nos
.158 ; Theis, Geschichtliche und literarkrilische Fragen livres canoniques et leur chronologie.
in Esra 1-VI, M unster en W estphalie, 1910, p. 6-34, S ur le III e livre d ’ E sdras, voir pour le tex te, S w ete,
ces deux derniers catholiques, se sont ralliés à la thèse The Old Testament in Greek, C am bridge, 1896, t. n . p. 129-
de l'antériorité et de la supériorité d ” 'Eoôpai A . 161 ; et pour les problèm es qu ’ il soulève, indépendam m ent
A ux argum ents tirés de l ’ étude et de la com pa ­ des trav au x ci-dessus m entionnés, B atiffol, Esdras (Troi­
raison des textes, s ’ en ajoutent d ’ autres fournis par sième livre d ’ 1, dans V igoureux, Dictionnaire de la Bible,
l ’ histoire de ces m êm es textes. D ans la Synagogue, t. n , col. 1943-1945; T hackeray. First book of Esdras, dans
H astings, Dictionary of the Bible, t. i, p. 758-763 ; W . .1.
dans l ’ Église prim itive jusqu ’ à saint Jérôm e, grand
M oldton, Uebcr die Ueberlieferung und den textkritisehen
était le crédit du livre que nous appelons apocryphe. Wert des dritten Esrabuches, dans Zeitschrift fiir alllesla-
Josèphe, dans son grand ouvrage sur les Antiquités mentliche Wissenschafl, 1899,p . 209 sq.;1900,p. I sq.: V '
juives, le prend pour guide sans égard pour le livre Ezra (the greek}, dans C heyne, Encyclopaedia bill::.
canonique, ce qui prouve la considération dont jouis ­ t. n , p. 1488-1494; T . A ndré, Les apocryphes de T in· ·
sait alors le III e livre d ’ Esdras. Cf. H olscher, D ie Testament, F lorence, 1903 , p. 132-146, 190-195; S chur
Quellen des Josephus fiir die Zeit nom Exil bis zum Geschichte des iiidischcn Volkes im Zeitaller Jesu Chri·· .
L eipzig, 1901 -1909, t. in , p. 444-449, avec une abondante
jiidischen Krieg, Leipzig, 1904. D ans l ’ Église grecque bibliographie; E d. B ayer, Das drille Buch Esdras und :
aussi bien que dans l ’ Église latine, les Pères le citent Verhallnis zu den Büchern Ezra-bîehcmia, F ribourg-er.
fréquem m ent et l ’ em ploient com m e un livre cano ­ B risgau, 1911, dans Biblische Stndien, t. x v i. Iase. 1;
nique; nom breuses références dans Pohim ann, Ueber P . R iessler, Der texlkrilische Werl des dritten Esdrasbu:'
das Ansehen des apokryphischen dritten Bûches Esras, dans Biblische Zeitschrift, 1907, t. v , p. 146-153.
527 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) 528

L a version des Septante, dont les trois principaux om issions caractéristiques se trouve celle du nom
m anuscrits Vaticanus, Alexandrinus et Sinaiticus, d ’ E sdras, alors que Zorobabel et N éhém ie sont cé ­
m algré leurs divergences, dérivent d ’ un m êm e texte lébrés, l ’ un pour avoir rebâti la m aison de D ieu,
prim itif, est caractérisée par sa docilité à la lettre l ’ autre pour avoir relevé les m urs de la ville, x l i x ,
hébraïque et son indifférence aux exigences de l ’ oreille 11-13. C ette om ission n'im plique pas nécessairem ent
grecque, aussi com prend-on aisém ent les essais de l ’ ignorance du personnage non plus que du livre
correction dont elle fut l ’ objet, entre autres, la recen ­ d ’ E sdras, puisque allusion est faite aux événem ents
sion de Lucien, et les additions au Sinaiticus, prove ­ qui y sont rapportés, m ais « le rôle historique d ’ E sdras
nant, d ’ après la souscription de N éhém ie et d ’ E sther, n ’ avait pas jusqu ’ alors été exagéré par la légende,
d ’ un très vieil exem plaire signé de Pam phile, qui et la figure de N éhém ie dom inait encore celle du
l ’ aurait corrigé d ’ après le texte m êm e d ’ O rigène dans fam eux scribe dans le souvenir traditionnel. » Loisy,
les H exaples. K losterm ann, op. cit., p. 510; Torrey, Histoire du canon de l’Ancien Testament, Paris, 1890,
op. cit., p. 105-113. p. 44.
O n ne saurait retrouver dans « les épîtres des rois
É d itio n critiq u e des S eptante : S w ete, The Old Testa­ touchant les offrandes », II M ach., n, 13, une désigna ­
ment in Greek, t. n , p. 162-212; pour les m anuscrits et les tion du livre d ’ Esdras, · il s'agit plutôt d'une collec ­
différentes éditions, cf. S w ete, Introduction to the Old Tes­
tament in Greek, C am bridge, 1900, p. 122-195. É d itio n de tion de lettres ém anées des rois de Perse, collection
la recension de L ucien : L agarde, Librorum Veteris Testa­ d ’ un caractère purem ent profane, m ais très utile à
menti canonicorum pars prior grtece, G œ ttingue, 1883. un gouverneur de province tel que N éhém ie, et où
l ’ auteur d ’ Esdras a pu prendre des docum ents épisto-
2. Autres versions grecques.— D e la version de Théo- laires qu'il a insérés dans son livre. » Ibid., p. 45.
dotion, les H exaples n ’ offrent aucun texte, cf. Field, Si l ’ A ncien T estam ent n ’ offre aucun tém oignage
op.cit., sans doute, diront les partisans de l ’ apocryphe, relatif aux livres d ’ Esdras-N éhém ie, la tradition juive
parce qu ’ il faut chercher l'œ uvre de ce traducteur en revanche est unanim e à l'inscrire au catalogue des
dans le grec canonique. D ’ A quila et de Sym m aque Livres saints. Josèphe a connu tous les livres du canon
aucune trace certaine n ’ a été jusqu ’ à présent retrou ­ hébreu, Esdras-N éhém ie doit se trouver parm i les
vée. treize livres des prophètes. Cont. Apion-, i, 8. M ais
2° Versions syriaques.— D ès le iv c siècle, ces livres, était-ce bien notre livre canonique qu ’ avait en vue
qui ne faisaient pas prim itivem ent partie de la Pes- l ’ historien juif? Pohlm ann, Tüb. theol. Quartal-
chito, étaient traduits en syriaque, ainsi qu ’ il résulte schrift, 1859, p. 258-262, ne le pense pas;ce serait plu ­
des citations faites par A phraate et saint Éphrem . tôt l ’ apocryphe à cause de l ’ usage constant qu ’ il
E n 616-617, Paul de Telia traduisit en syriaque la fait de ce dernier dans son livre des Antiquités judaï­
version grecque de l ’ A ncien T estam ent, sur l ’ édition ques, xi, 1-5. Cf. Theis, op. cil., p. 14-15. Le Talm ud,
des H exaples, d ’ où le nom de syro-hexaplaire. Le Baba balhra, fol. 14i>-15a, énum ère parm i les derniers
littéralism e, qui est une des caractéristiques de cette prophètes Esdras, N éhém ie, les C hroniques ; cette place
version, la rend très utile pour la critique du texte assez singulière donnée à E sdras avant les C hroniques
alexandrin; m alheureusem ent, le codex de M asius dont il est la continuation, indiquerait peut-être que
(A ndré M aes) qui contenait Esdras et N éhém ie a ce dernier livre n ’ aurait pas été adm is d ’ aussi bonne
disparu. D ans une C haîne du B ritish M useum , on en heure que le précédent au canon juif. R yle, Ezra
retrouve des passages. J. G w ynn, Remnants of the and Nehemiah, C am bridge, 1893, p. xv; Loisy, op. cit.,
later syriac versions of the Bible, part. II, Old Testa­ p. 40.
ment, Londres et O xford, 1909. Cf. Sw ete, Inlrod., 2° Dans l’Église chrétienne. — D ans les livres du
p. 113. La version syriaque que nous possédons serait N ouveau T estam ent on ne trouve aucune allusion à
d ’ époque tardive, et le plus souvent une sim ple para ­ Esdras-N éhém ie. La tradition chrétienne, sauf à l ’ école
phrase de l ’ hébreu, influencée par le texte des Sep ­ d ’A ntioche, n ’ a jam ais ém is le m oindre doute au sujet
tante. K losterm ann, op. cit., p. 504-507. D ’ après de leur canonicité, elle leur a quelquefois adjoint l ’ apo ­
Torrey, la Peschito n ’ aurait pas com pris E sdras- cryphe, m ais saint Jérôm e l ’ a rappelée à la pureté de
N éhém ie. la tradition juive. N e l ’ aurait-il pas, au contraire, fait
3° Versions latines.— Pour les anciennes versions dévier de la voie jusqu ’ alors suivie, en substituant à
latines, voir V olkm ar, Esdras propheta, ex duobus E sdras I et II, équivalents d ’ E sdras A et B , Esdras I
manuscriplis Italæ, Tubingue, 1863. Saint Jérôm e et II réduits au texte m assorétique? H o w orth, dans
fit sa version vers 394 d ’ après l ’ hébreu, m ais sans Journal of theological studies, 1906, p. 350-351. I.es
négliger d ’ avoir recours aux anciennes traductions Pères du concile de Florence, suivis par ceux de T rente
grecques entre lesquelles il sut habilem ent choisir, et du V atican, se seraient m épris sur le sens donné
tout en restant sous l ’ influence de ses m aîtres juifs. par les conciles africains aux m ots : Hesdrœ libri duo
K losterm ann, op. cit., p. 513-514. (can. 36 du concile d'H ippone, en 393); pour eux,
4° Version éthiopienne. — Le livre d ’ Esdras, traduit com m e pour les Pères ayant échappé à l ’ influence de
sur le grec, a été édité par A . D illm ann, B erlin, 1894, saint Jérôm e, ces m ots désignaient Esdras A et B
t. v, Libri apocryphi. des bibles grecques. O utre l ’ invraisem blance d ’ une
5° Version gothique. — V oir E . Launer, Die got. pareille ignorance de la part des Pères du concile de
Nehemiafragmente, Sprottau, 1903. Florence, parm i lesquels siégeait le savant cardinal
6° Version arabe. — T ardive et de peu d ’ utilité B essarion, il est faux que la tradition antérieure à saint
pour la critique textuelle, surtout dans le livre de Jérôm e et particulièrem ent celle de l ’ A frique du iv'
N éhém ie,la version arabe se ressent de l ’ influence des siècle ait donné à l ’ expression Hesdrœ libri duo le
Septante et de la traduction syriaque. K losterm ann, sens prétendu. L ’ auteur du Prologus galeatus connaît,
op. cil., p. 501-503; S. R œ diger, De origine et indole d ’ après des m anuscrits grecs et latins plus anciens
arab. lib. V. T., H alle, 1829, p. 78 sq. que le Vaticanus, 1 ’ Alexandrinus et le Sinaiticus, la
Les livres d ’ E sdras et de N éhém ie, pas plus que division en deux livres de l ’ unique Esdras hébreu,
celui de D aniel, n ’ eurent probablem ent de targum ; P. L., t. xxvin, col. 554, on ne saurait donc lui en
II. C a n o n i c i t é . — 1° Dans le judaïsme. — Le livre attribuer l ’ origine (H ow orth). O rigène connaît déjà
de l ’ Ecclésiastique, com posé vers 180 avant notre cette division; à plusieurs reprises il se réfère au
ère, fait l ’ éloge des ancêtres d ’ Israël, cf. x l i v - x l ix , I1 L livre d ’ Esdras, dans son com m entaire de saint
d ’ après les anciens écrits bibliques. E ntre autres M atthieu, tom . xv, 5, et dans celui du C antique des
529 E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R E S D E ) 530

cantiques, 1. IV, P. G., t. xm , col. 1264, 196. Q u ’ en ­ s ’ était présenté dans un contexte antéri·
tend-il par II e livre d ’ Esdras, Esdras B ou notre i pour Zorobabel, Esd., n, 2, pour A ssuérus. D arius.
N éhém ie actuel (les passages cités en proviennent)? Esd., iv, 5, 6; enfin le style et le vocabulaire sensi ­
11 nous donne lui-m êm e la réponse dans le canon qui blem ent différents selon les passages. Il s ’ agit d..nc
se trouve dans le com m entaire du ps. i : le onzièm e d ’ une com pilation d ’ élém ents d ’ origine et de nature
livre selon les H ébreux, y est-il dit, est Esdras I et II, diverses. D ans les grandes lignes du m oins il est .-se :
qui n ’ en form ent qu ’ un seul, appelé E zra. P. G., facile de les distinguer les uns des autres.
t. xn, col. 1084. Les Pères des conciles africains I. MÉMOIRES D’ESDRAS ET DE NÉHÉMIE.--- D es port: ns
ignoraient-ils ce canon d ’ O rigène, c ’ est peu probable, considérables de l ’ un et l ’ autre livre se présentent sou>
et s ’ ils avaient voulu, com m e c ’ est vraisem blable form e de récits personnels, le scribe et le gouverneur
pour les dcutérocanoniques, protester contre l ’ Esdras nous rapportent eux-m êm es la part qu ’ ils ont prise
1 et II de saint Jérôm e, ils auraient indiqué claire ­ à l'œ uvre de restauration d ’ Israël; tels sont les pas ­
m ent qu ’ ils entendaient par Hesdrœ libri duo, E sdras sages : Esd., vu, 27-ix, 15; N eh., t-vii, 73 a; xn,
A et B , des bibles grecques. Cf. Pope, The third book 27-43; xm , 4-31 (quelques divergences parm i les cri­
o/ Esdras and the Tridentine canon, dans Journal tiques dans la délim itation de ces passages). Ce n ’ est
of theological studies, 1907, p. 218-232. là évidem m ent qu ’ une partie de leurs M ém oires,
L ’ om ission d'E sdras dans le seul canon de M om m ­ celle que le com pilateur a jugée nécessaire à son but;
sen n ’ est que le fait d ’ une distraction du scribe, car la c ’ est ainsi que le récit d ’ Esdras apparaît privé de son
liste qui, d ’ après l ’ indication finale, devrait contenir com m encem ent et de sa fin ; celui de N éhém ie s ’ ouvre
vingt-quatre livres n ’ en eom pte que vingt-trois. Cf, ex abrupto, et il est facile d ’ y constater des lacunes;
V igouroux, Dictionnaire de la Bible, t. n, col. 152. des gloses aussi pourraient être relevées çà et là.
C ependant, dans l ’ Église syrienne, les C hroniques, Cf. B ertholet, Die Bûcher Esra und Nehemia, Tu-
Esdras et N éhém ie avec E sther, ne faisaient pas pri ­ bingue et Leipzig, 1902, p. xiv.
m itivem ent partie du canon de l ’ A ncien T estam ent. A ces passages reproduits intégralem ent, on en
Ils n ’ étaient pas traduits dans la Pcschito, m ais ils ajoute quelques autres égalem ent extraits des M ém oi ­
l'étaient toutefois au iv° siècle; dans les anciens res, m ais en partie rem aniés, pas assez cependant
m anuscrits, ces livres sont distincts des protocano ­ pour ne pas trahir leur origine. Esd., vu, 1-10, qui
niques. W right, Syriac literature, 2° édit., Londres, n ’ est pas l ’ œ uvre du scribe (om ission de ses ancêtres
1894, p. 4-5; R . D uval, La littérature syriaque, Paris, im m édiats dans sa généalogie), est vraisem blablem ent
1899, p. 38. un résum é du récit fait par Esdras lui-m êm e en tête
L ’ école d ’ A ntioche ne les adm ettait pas non plus. de ses M ém oires pour leur servir d ’ introduction. Cf. les
D iodore de Tarse ne les cite jam ais. Saint C hrysos ­ expressions des versets 6 et 9 et celles des versets 27
tom e n'y fait allusion qu ’ une fois. A u tém oignage et 28. Le c. x, qui se distingue des précédents par
de Léonce de B yzance, P. G., t. l x x x v i , col. 1366, l ’ em ploi de la troisièm e personne et un récit parfois
Théodore de M opsueste les excluait expressém ent du m oins circonstancié (en particulier 16-17), pour ­
canon biblique, ainsi que les Paralipom ènes, m ais rait bien lui aussi n ’ être qu ’ un résum é des M ém oires
Théodoret les y adm ettait. O n ignore les raisons pour d ’ Esdras. Faut-il encore les chercher dans le livre de
lesquelles Théodore ne les adm ettait pas au nom bre N éhém ie auxe. vin et ix, à cause de la grande ressem ­
des livres canoniques. L. D ennefeld, Der altlestament- blance de la prière des lévites, N eh., ix, avec celle
liche Kanon der antiochenischen Schute, dans Biblische d ’ Esdras, Esd., ix, et de certaines expressions déjà
Studien, Fribourg-en-B risgau, 1909, t. xiv, fasc. 4, rencontrées sous la plum e du scribe? Q uelques cri­
p. 49-51 ; L. Pirot, L ’oeuvre exégétique de Théodore tiques le prétendent, Ew ald, B ertheau, Schrader,
de Mopsueste (lithog.), B ourges, 1911, p. 121 sq. B ertholet, G autier. D ’ autres expliquent ces ressem ­
Junilius, écho de Théodore de M opsueste, exclut blances par l ’ identité du sujet et par l ’ em ploi, régu ­
encore le I er livre d ’ Esdras (y com pris N éhém ie) du lier déjà du tem ps d ’ Esdras, de quelques tournures
nom bre des livres historiques divins et des É critures fréquentes chez le C hronistc. D river, Introduction,
canoniques de l ’ A ncien T estam ent, instituta regularia p. 550-551. D ’ autres rattachent ces chapitres à l ’ œ uvre
divinæ legis, 1. 1, c. ni, dans K ihn, Theodor von personnelle de N éhém ie. V an H oonacker, Nouvelles
Mopsuestia und Junilius A/ricanus als Exegeten, études sur la restauration juive après l’exil de Babylone,
Fribourg-en-B risgau, 1880, p. 472. Paris et Louvain, 1896, p. 259-263. B ertholet et G au ­
Ce sont les seules voix discordantes que l ’ on entende tier font de m êm e pour N eh., x, xt, 3-24 Pour les
au m ilieu du concert de la tradition ecclésiastique sur particularités du style des M ém oires, voir D river
la canonicité des livres d ’ Esdras et de N éhém ie. op. cit., p. 553; M angenot, art. Néhémie, dans V igou ­
III. M o d e d e c o m p o s it io n . — Les livres d ’ Esdras- roux, Diet, de la Bible, t. iv, col. 1575-1576.
N éhém ie racontent quelques événem ents im portants II. d o c u m e n t s a r a m é e n s . — L a correspondance
de l ’ histoire de la restauration juive après la captivité, de R éhum avec A rtaxerxès au sujet de la reconstruc ­
laissant de longues périodes, de 516 à 458, ou m êm e tion des m urs, E sd., iv, 8-23, la correspondance de
445, par exem ple, sans aucun renseignem ent. L a sim ple T hathanaï avec D arius au sujet de la reconstruction
lecture y fait découvrir un ensem ble de traits qui du tem ple, E sd., v, 6-vi, 12, le décret d ’ A rtaxerxès
sont déjà une indication sur la m anière dont l'ou ­ en faveur d ’ Esdras, E sd., vu, 12-26, enfin le récit
vrage a été com posé; voici les principaux : le brusque qui relie ces docum ents, lettres de gouverneurs et
passage d ’ un sujet à un autre sans transition : Esd., réponses des rois, tout est écrit en aram éen. Sans nous
n, 1; v, 1; N eh., i, 1; vu, 73; xn, 27; xm , 14; ou prononcer ici sur l ’origine prim itive de ces docum ents,
à l ’ aide de form ules aussi vagues que : après ces disons que l ’ auteur d ’ Esdras-N éhém ie les a em prun ­
événem ents (passés quelque 60 ou 70 ans plus tôt), tés, selon l ’ hypothèse la plus vraisem blable et reçue
quand ces choses furent achevées, Esd., vu, 1; ix, par le plus grand nom bre, à un ouvrage historique
1 ; l ’ em ploi interm ittent de la prem ière personne rédigé en aram éen, dont il tire librem ent plusieurs
sans aucun m ot d ’ explication; l ’ insertion de deux passages répondant à son but, lui-m êm e connaissant
fragm ents considérables rédigés en aram éen, Esd., d ’ ailleurs assez d ’ aram éen pour relier ces extraits
tv, 8-vi, 18; vu, 12-26; l'insertion de listes sans par quelque transition dans la m êm e langue, et
rapport im m édiat avec le contexte, N eh., vu, 6-73; pour rem anier quelque peu le texte prim itif. D ’ après
xi. 3-36; xn, 1-26; la m ention de personnages im por­ H ow orlh, Transactions oj the ninth Congress οι Orien­
tants sans autre explication com m e si déjà leur nom talists, 1893, p. 68-85, cette source aram éenne ne
531 E S D R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) 532

serait autre que les έπιστολα'ι . βασιλέων περί αναθεμάτων trois ou quatre ’ générations après Eliasib, le contem ­
de II M aeli., i i , 13. porain de N éhém ie, N eh., xm , 4. 28; Josèphe,
in. i .is t e s .— Les deux livres renferm ent un certain Ant. jud., X I, vu, 2; vin, 2, fait de Jedda le contem ­
nom bre de listes com prenant pour la plupart l ’ énu ­ porain d ’ A lexandre le G rand; de plus l ’ expression
m ération de ceux qui participèrent à l'œuvre, de la « aux jours de Jeddoa » indique elle-m êm e un tem ps
restauration juive : nom s de ceux qui revinrent de assez reculé dans la pensée de celui qui l ’em ploie.
B abylone ίι Jérusalem , d ’ abord avec Zorobabcl, D arius le Perse, m entionné N eh., xn, 22, est, selon
Esd., n, 1-70; N eh., vu, 6-73 a, puis avec Esdras, toute probabilité, D arius C odom an, qui régna de 335
E sd., vm , 1-14; nom s de ceux qui prirent des fem m es à 330. Sans doute, il reste possible que ces passages
étrangères, Esd., x, 18-44; de ceux qui reconstrui ­ soient des gloses ajoutées par quelque scribe à un
sirent les m urs de Jérusalem , N eh., ni; de ceux qui livre ayant déjà reçu sa form e définitive, V igoureux,
apposèrent leur sceau à l ’ alliance du peuple avec son Manuel biblique, Paris, 1899, t. n, n. 519, m ais ces
D ieu, N eh., x, 1-27; de ceux qui s ’ établirent à Jéru ­ constatations s ’ ajoutent à d'autres qui ont décide
salem et dans les autres villes, N eh., xi, 3-30; enfin bon nom bre de critiques, m êm e catholiques, à repor ­
liste des prêtres et des lévites. N eh., xn, 1-26. La ter la date de com position d ’ Esdras-N éhém ie après
nature m êm e de ces listes et la façon dont elles sont l ’ époque où vivaient les deux principaux personnages
introduites dans le texte perm ettent de croire qu ’ elles du livre. A insi le rédacteur sem ble si éloigné du tem ps
sont tirées de docum ents officiels, les Juifs, en effet, dont il se fait l'historien, qu ’ il passe sous silence des
ayant l ’ habitude d ’ établir et de conserver les listes des périodes considérables, Esd., vu, 1, et cela sans
nom s im portants et de dresser des généalogies, rem arquer pareille lacune. Pour lui, les jours de
N eh., vu, 5; le choix en a été dicté ici par le souci de N éhém ie, 445 et années suivantes, apparaissent dans
justifier les droits politiques et religieux des vrais un passé déjà lointain, presque autant que ceux de
Juifs, ceux qui étaient revenus de l ’ exil et leurs des ­ Zorobabel, un siècle plus tôt. N eh., xn, 46. L ’ expres ­
cendants. A rem arquer l ’ identité de la liste Esd., n, sion, si fréquente sous sa plum e, de « roi de Perse · ,
et celle N eh., vu, 1-73 a, m algré de nom breuses Esd., i, 1,2, 8; ni, 7; iv, 3,5,7, 24 ; vu, 1, se com prend
variantes, analogues à celles que l ’ on rencontre dans à une époque où la suprém atie persane n ’ était plus;
tous les m orceaux reproduits à différents endroits auparavant, en effet, elle aurait été superflue et
de la B ible; il noter aussi les abréviations et les m odi ­ d'ailleurs tout à fait contraire à l ’ usage, com m e le
fications dont ces listes ont été l ’ objet, cf. N eh., ix,et prouvent de nom breux passages des M ém oires, où
I Par., ix, et la tendance du rédacteur à réduire les l ’ on dit sim plem ent « le roi », E sd., vu, 27, 28; vm ,
énum érations. 22,25, 36; N eh., i, 11 ; n, 1 sq.; v,4,14 ; vi, 7, etc., et les
iv. œ u v r e ou r é d a c t e u r .— T out ce qui n ’ a pas titres donnés aux A chém énides dans les docum ents
été com pris sous les titres précédents n ’ est pas né ­ officiels : le grand roi, le roi des rois ou le roi. D river,
cessairem ent l ’ œ uvre personnelle du rédacteur; m ais op. cit., p. 546, en note. Cf. aussi A ggée, i, 1,15, et
ici, il devient plus difficile d ’ indiquer l ’origine de ses Zacharie, vu, 1. Les difficultés et invraisem blances
inform ations. Esd., i, 13 a, est la répétition de II Par., chronologiques supposent, elles aussi, un rédacteur
xxxvi, 22-23; l'édit de C yrus, Esd., i, 2-4, suppose un très éloigné des événem ents dont la succession lui
original plus ou m oins rem anié et traduit en langage échappe; enfin la déterm ination de l ’ auteur corrobo ­
juif; Esd., i, 5-11, est l ’ œ uvre du rédacteur plus rera encore la conclusion qui se dégage de cet ensem ble
préoccupé d ’ énum érer les objets du culte et les dons de rem arques et qui nous fait descendre aux années
reçus pour le service du tem ple que de narrer l ’ his ­ d ’ A lexandre. K aulen, Einleitung in die heilige Schri/t,
toire du retour. A ce c. i ressem ble pour la form e Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 212; Peit, Disloire des
littéraire c. in, 1-rv, 5, que l ’ on peut ainsi attribuer à libres de l’Ancien Testament, Paris, 1902, t. n,
la m em e m ain ; noter en particulier les expressions : p. 377 ; G igot, Special introduction to the study o/ the
offrir, hom m es de D ieu, selon ce qui est écrit dans la Old Testament,New Y ork, 1903, t. i, p. 333; U olzhey,
loi de M oïse, ni, 2. D river, op. cit., p. 547. A la fin Die Bûcher Esra und Nehemia, M unich, 1902, p. 62-64 ;
des docum ents aram éens, le rédacteur reparaît pour Fischer, op. cit., p. 1. Cf. M angcnot, art. Néhémic,
raconter com m ent, après l ’ achèvem ent du tem ple, du Diet, de la Bible, t. iv, col. 1577-1578.
la célébration de la Pâque s ’ est accom plie exactem ent V . A u t e u r . — A qui faut-il attribuer la rédaction
selon les prescriptions de la loi. Esd., vi, 19-22. D ans d ’ Esdras-N éhém ie? A en croire la tradition juive, le
le livre de N éhém ie, l ’ œ uvre du rédacteur apparaît rédacteur définitif serait Esdras : « Esdras, est-il dit
m oindre encore, pour ceux toutefois qui ne se re ­ dans le T alm ud, Baba bathra, fol. 15 a, écrivit son
fusent pas à trouver trace des M ém oires d ’ Esdras livre et continua les généalogies des C hroniques jus ­
ou de N éhém ie dans les c.vm sq.O npeutlui attribuer qu'à son tem ps. » Le sens de ce tém oignage a été
xn, 10, 11, 22-26, nous faisant descendre à une discuté; s'agit-il de notre prem ier livre canonique
époque plus récente que celle du gouverneur de Jé ­ d ’ Esdras, ou de l ’ ouvrage unique com prenant aussi
rusalem , ainsi que xn, 44-xni, 3, parlant des jours N éhém ie? D es écrivains juifs, pour concilier l ’ affirm a ­
de ce dernier, com m e d ’ un passé déjà lointain. D e tion talm udique et le titre du second livre: Paroles de
lui encore la disposition des différentes parties d ’ Es ­ N éhém ie, fils de H acalias, ont restreint l ’ attribution
dras-Néhém ie. disposition qui soulève tant de pro ­ au prem ier livre. W ogue, Histoire de la Bible et de
blèm es historiques et chronologiques. D river, op. cit., l’exégèse biblique, Paris, 1881, p. 80-82. H ypothèse
p. 544-554; Siegfried, Esra, Nehemia und Esther, assez peu vraisem blable, étant donné l ’ unité prim i ­
G œ ttingue, 1901, p. 7-12; B ertholet, op. cit., p. xm - tive des deux livres et le caractère d'addition tardive
xiv; Fischer, Die clu-onologischen Fragen in den du titre de N éhém ie. G igot, op. cit., p. 330-331. La
Büchern Esra-Nehemia, dans Biblische Studien, tradition chrétienne et, selon quelques-uns, la tradi ­
Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. vin, fasc. 3, p. 1-19. tion juive (Talm ud, loc. cil.),ont attribué le plus sou ­
IV. D a t e d e c o m p o s it io n . — A quelle époque ces vent les deux livres aux deux personnages dont ils
élém ents de provenance aussi diverse ont-ils été portent les nom s. V igoureux, Manuel biblique, t. n,
réunis? D ’ un certain nom bre d ’ indices relevés çà et n. 515, 519. L ’ existence de docum ents de prove ­
là se dégage la conclusion d ’ une rédaction assez tar ­ nance diverse ne contredirait pas l ’ opinion tradition ­
dive, postérieure à la dom ination persane. D ans nelle, les deux héros de la restauration juive les ayant
N eh., xn, 10,11, 22, la généalogie des grands-prêtres eux-m êm es insérés dans leur œ uvre; quant aux
se poursuit jusqu ’ à Jeddoa ou Jedda, c ’ est-à-dire traces de rédaction tardive, clics ne sauraient non plus
533 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) >34
soulever de sérieuses difficultés, n ’ étant pour la plu ­ ' place. Cf. II Par., xxxvi, 23, et Esd.,
part que des m ots ou des phrases interpolés par des I op. cit., p. 5-6. Ce brusque arrêt du récit .-.
scribes ou ajoutés lors d ’ une revision de l ’ ouvrage. C hroniques s'explique par le fait d ’ une · -· .· .· .-.
C ependant quelques objections restent sans réponse plus ou m oins heureuse dans un ouvragi c ruprer-u
satisfaisante. Si E sdras est l ’ auteur du livre auquel la suite des événem ents qui.ont précédé et suivi la
il donne son nom , pourquoi cet arrêt si brusque du captivité. La m êm e conclusion nous est fournie par le
récit quelque tem ps à peine après l ’ arrivée du scribe III e livre d ’ E sdras; la narration s ’ y poursuit s-,n?
à Jérusalem , pourquoi ce silence absolu sur de longues interruption depuis II Par., xxv, jusqu'à V
années après 516, alors que les événem ents de cette vm , 13, m algré quelques lacunes et additions, ι
période ne lui étaient certes pas inconnus et que leur surtout sans reproduire deux fois l ’ édit liber.· ’ ·;··.:
exposé eût aidé à m ieux com prendre sa m ission? D ans de C yrus, com m e le fait notre texte canonique ;
le cas de N éhém ie, la question la plus difficile à ré ­ traducteur ignorait donc la division tripartite actuelle,
soudre est celle de la différence très sensible entre considérant nos trois livres com m e un ouvrage unique·
les m orceaux certainem ent authentiques et le reste L ’ unité d ’ origine est d ’ ailleurs généralem ent adm ise.
du livre, sans parler des expressions déjà signalées, K aulen, K iel, H avernick, Lesêtre, V igoureux l ’ ac­
m anifestem ent d'époque plus récente. ceptent, m ais en tenant E sdras pour l ’ auteur.
Tout s ’ explique, disent le plus grand nom bre des Pour quelles raisons se serait faite la séparation
critiques, si les livres sont regardés com m e l ’ œ uvre entre les différentes parties de cet ouvrage historique?
d ’ un com pilateur ou dernier rédacteur qui n'est ni La place d ’ Esdras-N éhém ie dans le canon juif, avant
Esdras, ni N éhém ie, ni un de leurs contem porains, les C hroniques suggère une réponse. La section de la
m ais bien l ’ auteur m êm e des Paralipom ènes, qui, en B ible hébraïque, appelée les Prophètes, laissait le
toute hypothèse, n ’ écrivait pas avant le iv e siècle. récit de l ’ histoire d ’ Israël au m ilieu de la captivité,
M angenot, art. Paralipomènes, dans V igoureux,D /c/. II R eg., xxv, 27, pour le continuer, c ’ est-à-dire ra ­
de la Bible, t. iv, col. 2140-2141. V oici les raisons conter le retour de l ’ exil, la reconstruction du tem ple
invocpiées en faveur de la com m unauté d'origine des et des m urs de la ville, la dernière partie de l ’ œ uvre
C hroniques, E sdras et N éhém ie : le caractère général de du C hroniste, c ’ est-à-dire Esdras-N éhém ie, était
ces écrits est le m êm e;com posés en grande partie de tout indiquée, donnant la suite désirée sans repro ­
docum ents plus anciens, ils sont des com pilations duire le récit d ’ événem ents déjà relatés dans Sam uel
plutôt que des œ uvres originales; la ressem blance dans et les R ois. Plus tard seulem ent, la prem ière partie du
la m anière de com poser l'ensem ble se retrouve dans livre ainsi divisé aurait pris place au canon hébreu,
de nom breux détails : dans tous trois, il est facile de parallèlem ent à l ’ histoire prophétique allant du livre
rem arquer une préférence nettem ent accusée pour les de la G enèse à celui des R ois. R euss, Chronique eccle­
statistiques et les généalogies. E sd., i, 9-11; vu, 1-6; siastique de Jérusalem, Paris, 1878, p. 12-13, dans la
vin, 1-14, 18-20; x, 20-44; N eh., ni, vn, 6-73 a; Bible, t. vi; R yle, op. cil., p. l x v ; G igot, op. ciL,
x, 1-27; xi, 3-36; xn, 1-26; I Par., les prem iers cha ­ p. 328-229.
pitres; la m êm e précision se retrouve dans le détail V I. B u t . — Il ne s ’ agit pas du but poursuivi par
îles prescriptions cultuelles, dont l ’ observance s ’ im pose Esdras ou N éhém ie en écrivant leurs M ém oires, dont
rigoureusem ent, Esd., ni, 1-7, 8-13; vi, 15-18, 19-22; l ’ état fragm entaire actuel ne perm et pas d ’ ailleurs
vin, 35; x, 1-14; N eh., vn, 73-vm , 12, 13-18; ix, 1-5, un jugem ent sur l’ œ uvre prim itive; ce qu ’ on peut en
38; x, 29-39; xn, 27,43; I Par., xm , xv, χνι; II Par., dire néanm oins, d ’ après les extraits parvenus jusqu ’ à
v-vn, xxix-xxxi; le nom des lévites et des autres nous, c ’ est que leurs auteurs se proposaient, non pas
serviteurs du tem ple revient souvent sous .la plum e de com poser une sorte d ’ autobiograpliie, m ais d ’ indi ­
de l ’ auteur de l ’ un ou l ’ autre livre, plus de soixante quer la part prise par chacun d ’ eux dans la restaura ­
fois dans Esdras-N éhém ie et cent fois environ dans tion juive, après la captivité, l ’ un dans le rétablisse ­
les C hroniques, et ce qui rend le rapprochem ent si ­ m ent et la réorganisation du culte à Jérusalem ,
gnificatif, c'est que les lévites, par exem ple, n ’ appa ­ l ’ autre dans l'achèvem ent des m urs de la ville et la
raissent que deux fois dans Sam uel, I Sam ., vi, 15; repopulation de l ’ ancienne capitale du royaum e de
IlSam ., xv, 24, R yle, op. cit., p. xxvn; les chanteurs Juda. Il s ’ agit du rédacteur ou com pilateur, du Chro ­
du tem ple, si souvent m entionnés dans Esdras-N éhé ­ niste. Il est certain tout d ’ abord qu ’ il ne veut pas nous
m ie, Esd., n, 41, 65, 70; vu, 7...; N eh., vu, 1. 11; raconter l ’ histoire du judaïsm e depuis la captivité
x, 28,39; xi, 22, et non m oins dans les Paralipom ènes, jusqu ’ à N éhém ie ; sans doute ces deux term es m arquent
le sont à peine ailleurs, de m êm e encore pour les le com m encem ent et la fin de son récit, m ais les
portiers. Esd., n, 42, 70; N eh., x, 28; I Par., xxvi· lacunes considérables de ce récit m êm e, et surtout son
Le vocabulaire et le style n ’ offrent pas m oins de res ­ point de vue très exclusif m ontrent que la com posi ­
sem blance que les sujets traités; quelques exem ples tion d ’ une telle histoire ne rentrait pas dans les in­
de m ots et expressions caractéristiques : chefs de tentions de son auteur. L ’ absence de tout événem ent
fam ille, Esd., i, 5; n, 68; ni, 12; iv, 2, 3; N eh., vn, de l ’ histoire strictem ent profane, l ’ attention tou ­
70, 71; vm , 13; xi, 13, et plus de vingt fois dans les jours concentrée autour du tem ple, du culte et des
Paralipom ènes; la m aison de D ieu, Esd., i, 4; ni, 8; prescriptions légales font du livre Esdras-N éhém ie.
vi, 22; N eh., vin, 16; xi, 16; xn, 40; xm , 7, et plus com m e d ’ ailleurs des Paralipom ènes, un récit avant
de trente fois dans les Paralipom ènes (ailleurs m aison tout religieux, une histoire du tem ple, de sa recon —
de Jahvé); les peuples des pays, de ces contrées, truction, et de la vie religieuse dont il est le centre;
E sd., m , 3; ix, 2, 7, 11; N eh., ix, 30; x, 28; et Par., le relèvem ent des m urs de la cité sainte, n ’ est raconté
plus de douze fois, etc. G . R yle, op. cil., p. xxvm - que parce qu ’ il doit contribuer à la sauvegarde du
xxix; D river, op. cit., p. 535-540; H astings, Dictio­ tem ple et de son peuple de fidèles.
nary ol the Bible, t. i, p. 389-391. Si tant d ’ im portance s'attache, à la m aison de D ieu,
Il n ’ y a pas seulem ent com m unauté d ’ origine entre c ’ est qu ’ elle est la condition nécessaire de l ’ unit-
les C hroniques et Esdras-N éhém ie, m ais encore unité nationale et religieuse. C ette idée de l ’ unité est chère
prim itive. Celle-ci se déduit de la façon dont se ter ­ au rédacteur, c'est elle qui lui fait choisir l ’ histoire
m ine le prem ier de ces livres; le y. 21 du c. xxxvi, de l ’ exclusion des ennem is d ’ Israël s ’ ofïrant à parti ­
qui en est la fin réelle, n ’ est pas une conclusion ; quel ­ ciper à la reconstruction du tem ple. Esd., iv, et dans
que scribe l ’ ayant bien com pris y a ajouté les versets les M ém oires de N éhém ie le récit des difficultés du
du début d ’ E sdras, eux-m êm es inachevés à cette gouverneur avec les Sam aritains, ceux-ci, en effet,
535 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) 536

ne sauraient prétendre aux droits et privilèges de la 1894; trad, allem ande : Die Wiedcrherstellung Israels
com m unauté juive: ceux-là seuls le peuvent qui sont in der persisch. Periode, par B asedow , H eidelberg.
les véritables descendants des exilés revenus de la 1895. D ans le m êm e sens, avec des nuances diverses,
captivité, aussi des listes généalogiques sont-elles M arquart, W ildeboer, C heyne. T out en rejetant
soigneusem ent établies pour m aintenir dans sa pu ­ la thèse de K osters, W ellhausen lui concédait la pré ­
reté cette descendance. T out ce qui la com prom et ­ sence en Palestine, lors de la restauration, d ’ une
trait est crim inel, telles sont les unions d ’ Israélites bonne partie de l ’ ancienne population et, plus encore
avec les fem m es étrangères; elles sont rigoureuse ­ que le critique hollandais, m ettait en doute l ’ authen ­
m ent interdites et ceux qui avaient pris des com ­ ticité des docum ents aram éens, Esd., i v - v i . Die
pagnes parm i les filles des peuples du pays sont énu ­ Rückkehr der Juden ans dem babylonischen Exil, dans
m érés. Esd., x, 18-44. Gôllinger Gelehrlen Anzcigen, 1895. C ette défiance
En sauvegardant ainsi l ’ unité et la pureté de la vis-à-vis des docum ents aram éens, K uenen et Stade
race et de la religion, l ’ Israélite se conform e non l ’ avaient déjà éprouvée et N ôldeke ne voyait dans
seulem ent à la loi reçue de Jahvé, m ais encore aux le décret d ’A rtaxerxès, Esd., vu, que pure fiction.
ordres des rois de Perse. Esdras, à la tête du m ouve ­ C ontre cette tendance des critiques, abandonnant
m ent de réform e religieuse, est l ’ envoyé d ’ A rtaxerxès, l ’ une après l ’ autre les différentes parties d ’ Esdras
il en a reçu plein pouvoir pour im poser à tous ses com m e non historiques, E d. M eyer réagit vigoureuse ­
com patriotes tout ce qui est selon la loi du D ieu m ent dans son ouvrage : Die Entstehung des Juden-
du ciel, et pour sévir im pitoyablem ent contre quicon ­ tums, H alle, 1896, brillant plaidoyer en faveur des
que oserait contrevenir aux ordres de Jahvé qui sont docum ents conservés dans le livre d ’ Esdras. W ellhau-
aussi ceux du grand roi. E sd., vu, 23, 26. Q ue les sen en essaya une réfutation, ne voulant voir dans
Sam aritains et autres adversaires des Juifs ne s ’ auto ­ les prétendus docum ents qu ’ une form e dram atique
risent pas de l ’ appui et de l ’ approbation des m aîtres d'exposé. Gott. Gel. Anz., 1897, p. 89-97. Cf. la réponse
de la Perse pour em pêcher la restauration d ’ Israël, d ’ E d. M eyer, Julius Wellhausen und meine Schrift
leur opposition est illégitim e, le bon droit est du côté « Die Entstehung des Judentums », H alle, 1897.
des Juifs, le rédacteur tient à le dém ontrer, de là R enan, dans son Histoire du peuple d’Israël,
l ’ insertion dans son récit des docum ents aram éens. Paris, 1893, t. iv, p. 99, note 2, écrivait : « T out en
H olzhey, op. cit., p. 9-10; Fischer, op. cit., p. 1-3. Ces considérant les M ém oires d ’ Esdras com m e une œ uvre
idées m aîtresses, dont il est facile de suivre la tram e artificielle, il est perm is d ’ en retenir quelques traits
à travers les différentes parties des livres d ’ Esdras et que le faussaire aurait em pruntés à une tradition
de N éhém ie, en m aintiennent l'unité m algré leur ca ­ sérieuse ou aux données historiques générales du
ractère de com pilation. tem ps. » Ce n ’ était cependant pas l ’ opinion générale ­
V II. V a l e u r h i s t o r iq u e . — La conception tra ­ m ent reçue parm i les critiques sur la valeur des
ditionnelle, qui voit dans Esdras-N éhém ie l'histoire M ém oires d ’ Esdras, lorsque Torrey entreprit de dé ­
des com m encem ents de la com m unauté juive après m ontrer que ces M ém oires attribués au scribe Esdras,
l ’ exil ct date les événem ents selon l'ordre chronolo ­ ainsi qu ’ une partie de ceux m êm es de N éhém ie,
gique qui leur y est assigné, a eu à subir depuis un n ’ étaient que j'œ uvre du C hroniste, par conséquent
dem i-siècle de nom breuses contradictions : les grandes sans valeur historique. The composition and historical
lignes de cette histoire ont été bouleversées, la véra ­ Value of Esra-Nehemia, G iessen, 1896, supplém ent à
cité des docum ents qui perm ettaient de l ’ établir a la Zeitschrift fur die altleslamentliche Wissenschafl. Le
été niée ou tout au m oins très suspectée, la chrono ­ succès fut m édiocre et à quelques rares expressions
logie a été déclarée incom patible avec la suite réelle près, H . P. Sm ith, Old Testament History, Édim bourg,
des faits : en un m ot, si l ’ on excepte les M ém oires de 1903, p. 390; Foster K ent, Israel’s historical and
N éhém ie, rien dans les deux livres qui n ’ ait été m is biographical narratives. N ew Y ork, 1905, p. 29-34,
en question. Il im porte donc, après un rapide coup dans The Students Old Testament; G . Jahn, Die Biicher
d ’ œ il sur l ’ état de la critique historique, de m ontrer Esra und Nehemja, Leyde, 1909, p. i - v i , les critiques
ce que l ’ historien d'Israël peut encore dem ander à ces continuèrent à considérer les M émoires d ’ Esdras et
livres de notre B ible, quels m atériaux il peut y puiser de N éhém ie com m e des docum ents de grande valeur
et dans quel ordre les agencer pour restituer à cette historique. Cf. Torrey, Ezra studies, C hicago, 1910,
période si intéressante de la vie du peuple hébreu, sa p. vu-vin.
physionom ie originale. 11 y a donc lieu d ’ établir le caractère de véracité
D ès 1867, Schrader, Die Douer des ziueilcn Tem- de textes si im portants et si contestés.
pelbaues, dans Thcologische Studien und Kritiken, 1° Mémoires de Néhémie. — Tous s ’ accordent à
p. 460-504, se refusait à adm ettre l ’ essai de recons ­ reconnaître leur authenticité (m êm e Torrey et Jahn,
truction du tem ple, dans la deuxièm e année du retour, au m oins pour une partie). « D ans ses derniers jours,
pour la raison qu ’ on n ’ en trouve aucune trace avant dit R enan, il (N éhém ie) écrivit son autobiographie,
la deuxièm e année de D arius, ni dans l ’ extrait ara- et ce curieux docum ent, un des plus précieux de la
m éen du c. v d ’ Esdras, ni dans les prophètes contem ­ littérature hébraïque, nous a été transm is avec de
porains, A ggée ct Zacharie; l ’ origine de cette erreur légères altérations provenant du com pilateur des
chronologique serait à rechercher dans l ’ hypothèse qui C hroniques. Peu d'écrits portent un cachet aussi per ­
regardait les exilés com m e anim és d ’ un zèle très sonnel. » Op. cit., p. 93. Ces M ém oires sont, en effet,
ardent et trop dévoués à la cause de l ’ ancienne « d ’ une authenticité indiscutable et respirent une
religion pour laisser passer une quinzaine d ’ années sincérité d ’ accent qui rend très sym pathique un écri ­
avant d ’ entreprendre la reconstruction du sanctuaire vain racontant avec sim plicité ce qu ’ il a fait. » M an-
national. K osters s'en est pris à l ’ ensem ble de l'his ­ genot, art. Néhémie, dans le Diet, de la Bible, t. iv,
toire traditionnelle; d'après lui, le récit du retour col. 1578.
sous C yrus ne serait qu ’ une invention tardive et ten ­ 2° Mémoires d’Esdras. — L a question n ’ est plus
dancieuse, la reconstruction du tem ple serait l ’ œ uvre aussi sim ple. Sans doute beaucoup, le plus grand
des Israélites restés dans le pays, ayant à leur tète nom bre y voient com m e dans les précédents un écrit
Zorobabel et Josué; l ’ unique retour serait celui authentique, m ais l ’ affirm ation a besoin d ’ être prou ­
d ’ Esdras, encore faudrait-il le placer pendant le vée. Les principales raisons pour lesquelles certains
deuxièm e séjour de N éhém ie à Jérusalem , vers 432. critiques (voir plus haut) croient devoir refuser la
Hel Herstel van Israel in hel perzischc tijdrak, I.eydc, com position des M ém oires à Esdras sont les sui ­
537 E S D R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E)

vantes : Le vocabulaire et la syntaxe sont ceux du surtout chez les prophètes,m aints passage'
•com pilateur dont la m anière d ’ écrire bien caracté ­ form e de m ém oires; n ’ est-ce pas le cas suri
risée se retrouve non seulem ent dans quelques par ­ le livre d ’ Ézéchiel?
ties des livres d ’ Esdras-N éhém ie, m ais surtout dans 3° Documents araméens.— Ils sont très im port
Esd., vii-x, et N eh., viii-x, passages précisém ent pour l'histoire de la restauration juive si leur · .. -
regardés com m e extraits de l ’ œ uvre personnelle du docum entaire, objet de nom breuses discussion', peu:
scribe. Torrey, Ezra Studies, p. 240-248. Toute l ’ his ­ être établie. Tandis que K osters, W ellhausen. Ί -r-
toire du rôle d ’ Esdras est fort im probable : les cir ­ H . P. Sm ith, etc., leur refusent à peu près ■
constances rendaient difficile, pour ne pas dire im ­ caractère historique, la m ajorité des critiques, · ■ ■
possible, l ’ application des m esures que pourtant il en y reconnaissant la trace de quelques m odifications
serait parvenu à im poser, le silence de N éhém ie d ’ ail­ introduites par les rédacteurs juifs, en m aintien· ,
leurs au sujet d ’ E sdras est bien significatif,non m oins l ’ authenticité. B eaucoup se sont ralliés à la thèse
que celui du fils de Sirach ct de l ’ auteur du II e livre d ’ Ed. M eyer qui voit dans les docum ents conserves
des M achabées, pour lesquels N éhém ie apparaît le au livre d ’ Esdras les copies des originaux eux-m êm es,
seul et véritable cham pion du judaïsm e à cette ainsi C ornill, Siegfried, B ertholet, G uthe, B udde.
époque. Eccli., x l ix , 12 sq.; il M ach., i, 10 sq. Les D e ces textes, les uns, Esd., i v - v i , faisaient partie
prétendus M ém oires d ’ Esdras ne renferm eraient en d ’ une histoire écrite en aram éen, les autres, Esd.,
conséquence qu ’ une légende inventée de toutes pièces vu, des M ém oires, tous par conséquent, en passant
par la réaction sacerdotale et lévitique qui se pro ­ ainsi par plusieurs m ains,ont été exposés à quelques
duisit après la m ort de N éhém ie; il ne convenait pas, rem aniem ents que la critique sait distinguer sans
en effet, de laisser à un héros laïque toute la gloire de renoncer à l'authenticité. Pas de difficulté non plus
la restauration juive, on lui donna donc un collègue du fait de la rédaction de ces docum ents en aram éen,
de l'ordre sacerdotal avec un rôle parallèle au sien puisque c ’ était la langue officielle des A chém énides
et des M ém oires analogues; le légendaire Esdras de dans leurs relations avec les provinces de l ’ O uest. Le
la littérature apocryphe et talm udique fait ainsi son persan, en effet, ne pouvait convenir pour les com ­
apparition dans les livres canoniques. m unications à faire aux sujets de ces régions dont il
L ’ argum ent tiré du vocabulaire et du style, rédùit im portait d ’ em prunter la langue : l ’ aram éen. Ce souci
à de plus m odestes et plus justes proportions, n ’ oblige de se m ettre à la portée des différents peuples de
nullem ent à renoncer à l ’ authenticité des M ém oires l ’ im m ense em pire se retrouve jusque dans les ins ­
d ’ Esdras. U n exam en attentif des m ots et expres ­ criptions royales: certaines sont accom pagnées de
sions prétendus caractéristiques du C hroniste m ontre traduction dans les langues de B abylone et de Suse,
que, pour une part, il s ’ en trouve dans d ’ autres d ’ autres le sont d'une version hiéroglyphique (ins ­
écrivains post-exiliques, et que pour une autre, ceux cription du canal de Suez), d ’ autres d ’ un texte grec.
rencontrés en fait dans les M ém oires et les Parali- M eyer, op. cit., p. 9-10. D epuis longtem ps, d ’ ailleurs,
pom ènes seulem ent, quelques-uns sont dus à la m ise l ’ aram éen s'im posait com m e la langue des relations
en œ uvre des M ém oires par le C hroniste, quelques entre les provinces de l ’ O uest. II R eg., xvm , 26.
autres s ’ expliquent par la com m une origine des deux « Q uand la dom ination persane succéda à la chal-
auteurs. Il y a plus, bien des expressions caractéris ­ déenne (538), l ’ aram éen ne perdit rien de son im por­
tiques du C hroniste sont absentes des M ém oires, sur ­ tance, il dem eura la langue officielle de l ’ em pire dans
tout des prières, Esd., ix, 6-15, ct N eh.,ix, 6-38; on toutes les provinces occidentales : on le retrouve sur
y retrouve plutôt l ’ influence du D eutéronone, celle- les m onnaies de l ’ A sie-M ineure, sur les papyrus et
ci com plètem ent étrangère aux Paralipom ènes. G . A . les stèles de l ’ É gypte, dans les édits et la correspon ­
Sm ith, Ezra and Nehemiah, dans Expositor, juillet dance des satrapes ct m êm e du grand roi. «M aspero,
1906, p. 5-6; Joh. G eissler, Die lillerarischen Bezie- Histoire ancienne des peuples de l’Orient, Paris, 1904,
hungen der Ezramemorien insbes. zur Chronik und p. 776. Pour les relations avec l ’ É gypte elle m êm e,
den hexateuchischen Quellschriften, C hem nitz, 1899. en effet, l ’ aram éen s ’ était im posé. Corpus inscriptio­
Q uant aux difficultés d ’ ordre historique, elles sont num semiticarum, Paris, t. n, n. 138, 144, 146, 147 :
réelles sans doute, m ais plusieurs tiennent à la chro ­ C lerm ont-G anneau, Origine perse des monuments
nologie actuelle du livre, et si l ’ ordre de succession araméens d’Ègypte, 1880. R ien donc que de très
N éhém ie-Esdras, proposé par quelques critiques, est vraisem blable dans la rédaction en langue aram éenne
le véritable, bien des prétendues invraisem blances de de ces docum ents du livre d ’ Esdras, dont le carac ­
la m ission d ’ Esdras disparaissent de ce fait. V oir plus tère officiel est m anifeste. D ’ après Ed. M eyer, op.
loin. L ’ om ission du nom du scribe dans le catalogue cit., p. 21 sq., ce serait des traductions officielles,
des personnages qui ont illustré l ’ histoire d ’ Israël est reconnaissables à l ’ em ploi de m ots, d'expressions et
certes étrange, ne peut-elle pas s ’ expliquer dans une de constructions d ’ origine persane; Frankel et Lohr
certaine m esure par l ’ im portance, dans l ’ œ uvre de ont com battu cette hypothèse, Zeitschrift für die alt-
la restauration juive, du rôle de N éhém ie que n ’ avait testamentliche Wissenschaft, 1900.
pas encore relégué au second plan la légende d ’ Es ­ C om m ent ces docum ents ont-ils pu parvenir jus ­
dras? D em eurât-elle d ’ ailleurs inexpliquée, elle ne qu ’ à l ’ auteur juif qui le prem ier les a utilisés? La des ­
saurait prévaloir contre les bonnes raisons qui tination de plusieurs d ’ entre eux en faisait des écrits
m ilitent en faveur de l ’ authenticité des M ém oires. publics; ce sont, en eflct, des ordonnances aux ins ­
Faire du C hroniste l ’ auteur de récits si riches en tructions desquelles devaient se conform er tous les
détails, en incidents, c ’ est ne pas tenir com pte de sa Juifs; favorables ou non à leur cause, elles devaient
m anière d ’ écrire qui laisse si peu de place à l ’ invention, leur être m anifestées, et celles qui portaient m ention
c ’ est oublier que l ’ Esdras des M ém oires est avant tout de privilèges octroyés avaient leur place m arqute
un scribe versé dans la Loi de M oïse, tandis que dans les archives du tem ple. La découverte de 1 ins ­
l ’ Esdras qu ’ aurait im aginé le com pilateur aurait été cription de G adata, contenant une décision du roi et s
avant tout prêtre, com m e il apparaît dans quelques rois, D arius, fils d ’ H ystaspe,en faveur des serviteurs
passages rem aniés ou ajoutés. N otons enfin que les du sanctuaire d ’ A pollon en conflit avec le f<>r.> ::· .η-
M ém oires n ’ étaient pas un genre littéraire inconnu en naire royal G adata, est venue confirm er ces conclu ­
Israël au v e et au iv e siècle; sans parler de ceux de sions sur la réalité historique, le caractère public
N éhém ie dont nous fixerons la date, on peut retrouver et la conservation par les intéressés de ces sortes de
dans les écrits com posés pendant ou avant l ’ exil, rescrits. Bulletin de correspondance hellénique, t. xm ,
539 E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R E S D E) 540

p. 529; Ed. M eyer, op. cit., p. 19-21. Pour ce qui est pôts de l ’ autre côté du fleuve, n ’ a pas lieu d ’ étonner,
des lettres de gouverneurs aux rois de Perse et de leurs lorsque l ’ on sait son attitude nettem ent favorable aux
réponses, il est plus difficile d ’ en établir le caractère cultes étrangers aussi bien en A sie-M ineure qu ’ en
public, encore que l ’ on puisse dire que la plainte de Égypte. Inscriptions de G adata et de U zahor; dans
R éhum , par exem ple, n'était pas seulem ent form ulée cette dernière N tariuth (D arius) donne des ordres afin
dans l ’ intérêt, m ais au nom des habitants de la Pales ­ tpie le nom de tous les dieux, leurs tem ples, leurs
tine, qui pouvaient ainsi en connaître le texte. M eyer, revenus et leurs fêtes soient conservés à jam ais,
op. cit., p. 19. Peut-être ont-elles été connues par B rugsch, Geschichte Ægyptens, 1877, p. 748-751;
quelque juif bien placé à la cour des rois de Perse, H érodote, vi, 97, rapporte que D atis, général de
com m e D aniel ou N éhém ie, pour rechercher dans les l ’ arm ée perse, épargna les habitants de D élos, ayant
archives royales les pièces intéressant l ’ histoire reçu l ’ ordre de son roi D arius de ne faire aucun m al
d ’ Israël, et intervenir au besoin en faveur de ses aux hom m es du pays qui a vu naître A pollon et D iane.
com patriotes; ainsi le prêtre U zal.ior usa de son L ’ expression D ieu du ciel, 9, 10, n ’ est pas à rejeter,
influence à la cour persane au bénéfice des Égyptiens. elle n ’ effarouchait pas l ’ esprit de tolérance des rois
C heyne, Das religiose Leben derJuden nach déni Exil, de Perse, elle correspondait à celle em ployée dans la
trad, allem ande par Stocks, G iessen, 1899, p. 41 sq. dem ande de T hathanaï, E sd., v, 11, et était d ’ ailleurs
Le texte arainéen qui relie les différents docum ents fréquem m ent usitée dans la désignation des divinités
autorise l ’ hypothèse de leur prem ière m ise en œ uvre syriennes. B ertholct, op. cil., p. 27. Le supplice réservé
par un juif vivant à la cour des A chém énides, l ’ ara- aux transgresseurs de l ’ordre royal, Esd., v, 11, est
m éen étant, en effet, la seule langue susceptible d ’ être m anifestem ent d ’ origine persane. H érodote, m , 159.
com prise par des lecteurs juifs et perses; de plus, Cf. Schrader, Die Keilinschri/ten und das Aile Testa­
quelques passages indiquent que la com position ne ment, 2° édit., B erlin, p. 378, 616. Enfin, la m enace du
se fit pas en Palestine. E sd., iv, 23; v, 5. ÿ. 12, qui sem ble viser le roi lui-m êm e, y a fait voir
A ces considérations générales on peut en ajouter une glose de l'époque du persécuteur A ntiochus
quelques autres, plus spéciales, corroborant la valeur Épiphane, il s ’ agit tout sim plem ent des voisins
de chacune des pièces conservées en aram éen. d ’ Israël, avertis de n ’ avoir plus à s ’ opposer, com m e
1. Échange de lettres entre le gouverneur Réhum et par le passé, à la reconstruction du tem ple, sous peine
Artaxerxès. — L ’ attitude du roi, opposé ici aux pro ­ des plus sévères châtim ents.
jets des Juifs,paraît en contradiction avec les autori ­ 3. Lcrescril d’Artaxerxès. E sd., vu, 11-26. — « Le roi
sations données à Esdras. E sd., vu, 12 sq. Si l ’ on re ­ n ’ y parle pas com m e un fidèle de Z arathustra, m ais
m arque que, dans le prem ier cas, il est question delà com m e un croyant Israélite. » K ucnen, Einleitung,
reconstruction des m urs de la ville, et dans le second, t. n, p. 166. A cause de la couleur juive de ce passage,
de la restauration du culte, on ne trouvera plus beaucoup, en effet, refusent d ’ y voir un docum ent
m atière à contradiction, m oins encore si, com m e le authentique, K osters, C heyne, C ornill, W ellhausen,
veulent quelques-uns, la lettre, E sd., iv, 18-22, est Torrey, Jahn. L ’ énum ération des anim aux du sacri ­
d'A rtaxerxès I er , et le firm an, Esd., vn, 12-26, d ’ A r- fice, 17, des différentes classes de serviteurs du
taxerxès IL La prétendue couleur judaïsante de cer ­ tem ple, 24, le ton général que pourrait revendiquer
tains passages exaltant l ’ antique gloire de Jérusalem un adorateur de Jahvé, tout cela dénoncerait un
n ’ est en réalité qu'un m oyen habile ou de faire croire rédacteur juif, le com pilateur lui-m êm e. Q uelques-
au danger ou de rehausser l ’ éclat des victoires rem ­ uns ont supposé, et non sans vraisem blance, que les
portées jadis par les ancêtres du roi. M êm e habi ­ term es m êm es du décret avaient été inspirés par
leté dans le choix des prétextes invoqués contre les Esdras, à qui serait due la précision nécessaire dans
Juifs, à savoir, leur refus de payer l ’ im pôt et le tribut, les ordres relatifs à la réorganisation du culte, M eyer,
une fois qu ’ ils se sentiraient à l ’ abri derrière leurs N ikel, B ertholet; le texte original serait l ’ aram éen,
m urailles reconstruites. E sd., iv, 15, 19, 20. destiné qu ’ il était aux com patriotes d ’ E sdras auprès
2. Échange de lettres entre le gouverneur Thathanaï desquels il fallait l ’ accréditer. N ikel, Die Wiedcr-
et Darius. Esd., v, 6-vi, 12. — L a lettre de T hathanaï herstellung des jüdischen Gemeinivesens nach déni
(Sisinnès selon 111 Esd., vi, 3) au roi D arius n ’ offre babylonischen Exil, Fribourg-en-Brisgau, 1900, p. 170.
pas de difficulté, si nous laissons de côté la question D ’ autres voient dans les traits spécifiquem ent juifs
de l ’ essai de reconstruction du tem ple, m entionnée l ’ œ uvre du C hroniste, rem aniant un docum ent dont
au c. m . V oir plus loin. Incertain de la légitim ité de la valeur historique n ’ en dem eure pas m oins; on peut
l ’ œ uvre entreprise par les Juifs, le gouverneur ainsi l ’ établir : un décret royal était nécessaire à
inform e son souverain dans une lettre où l ’ influence Esdras pour entreprendre son œ uvre, il a trouvé sans
de la langue persane ne serait pas étrangère. M eyer, doute une place dans les M ém oires; le cas est tout à
op. cil., p. 29, 43. Si K osters refuse l'authenticité à fait analogue à celui de N éhém ie sollicitant avant son
ce docum ent, c ’ est qu ’ il nie, sans raisons suffisantes, retour des lettres pour les gouverneurs de l ’ autre côté
voir plus loin, le retour sous C yrus et la prem ière ten ­ du fleuve. N eh., n, 7. Le zèle pour l ’ accom plissem ent
tative de reconstruction. La réponse de D arius, fils de la loi de Jahvé s ’ accorde bien avec la politique des
d ’ H ystaspe, est précédée d ’ un extrait de l'autori­ rois païens en général, dont le panthéon était hos ­
sation donnée jadis par C yrus. Cf. Esd., i. Le fait de pitalier pour toutes sortes de divinités et avec celle
la découverte de ce texte à E cbatane, résidence d ’ été des rois de Perse en particulier, cf. inscriptions de
des rois de Perse, est une preuve de la véracité du C yrus, de G adata...; et n ’ est-ce pas le fait d ’ un habile
récit, un faussaire d ’ époque tardive aurait, en effet, politique que d ’ im poser en m êm e tem ps le respect des
placé cette découverte à B abylone ou du m oins à lois religieuses et des lois civiles?quiconque n ’ obser ­
Suse. M eyer, op. cil., p. 47-48. Q uant à la teneur du vera pas la loi de son D ieu et la loi du roi, qu ’ il soit
décret de D arius, elle est tout à fait conform e à ce que fait de lui exacte justice, 26. Le titre de roi des rois
nous savons de ce roi. Pour lui, une fois le texte de la donné à A rtaxerxès est un des titres em ployés dans
décision de C yrus retrouvée, la chose était jugée. les inscriptions royales, le com pilateur aurait écrit
Com m e dans l ’ inscription de G adata, il s ’ en rapporte roi de Perse. Enfin ce que le souverain avait entendu
à la m anière de voir de ses ancêtres : άγνοών έμών προ ­ raconter par Esdras, vm , 22, était bien fait pour le
γόνων εις τον θεόν..., et la part qu ’ il prend dans la décider à la bienveillance; le D ieu du ciel, à Jérusalem ,
construction du tem ple et la célébration quotidienne était en effet un D ieu puissant qu ’ il convenait d ’ hono-
du culte, toutes deux assurées par la perception d ’ im ­ rer en favorisant son culte afin que « sa colère ne vienne
54ί E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R ES D E )

pas sur le royaum e, sur le roi et sur ses ills, » vu, ble des rapatriés, on n ’ arrive pas à la prêter,
23. M eyer, op. cil., p. 60-70; Fischer, op. cit., p. 6-9. proportion avec le nom bre des Juifs parti- itr !
4. Les listes. — Les listes nom breuses de nom s pro ­ en exil. V an H oonacker, Nouvelles éludes, p. : - ■
pres, qui se rencontrent dans Esdras-N éhém ie com m e Sm end, Die Listen der Bûcher Esdras und Λ · .
dans les Paralipom ènes, étaient exposées de la part de B âle, 1881; Sellin, Studien zur Entstchuncs :■·< ■’ ~:t
ecteurs ou de copistes négligents ou trop zélés à subir der jüdisch. Gemeinde nach d. babyl. Exil. Leinzic.
m aintes m odifications. M ais dans l ’ ensem ble leur au 1901, p. 104-115; M eyer, op. cit., p. 190-198; K -ter-,
thenticité ne peut être sérieusem ent contestée. K os ­ op. cit., p. 29-42; N ike], op. cit., p. 71-80.
ters, Torrey, M arquart n ’ accordent pourtant aucun 5. Œuvre du rédacteur. — a) Édit de Cyrus et ret
crédit à la liste d ’ Esdras, n;N eh.,vu. Ce serait, d ’ après des exilés sous Sassabasar (hébreu : Sêibassa ■. Q ue
eux, une pièce dont le cadre historique doit être l ’ édit de C yrus, Esd., i, 2-4, ne soit pas un extrait
cherché à l ’ époque d ’ E sdras et de N éhém ie, renfer ­ littéral de l ’ original, c ’ est ce qu ’ indique le titre de roi
m ant «les nom s de tous ceux qui, à Jérusalem com m e de Perse donné au libérateur; qu ’ il ne soit pas digne
hors de la ville, appartenaient à la com m unauté de foi, c ’ est ce qu ’ on ne saurait dém ontrer: quelque-
juive nouvellem ent établie ·> après le retour d ’ Esdras. rem arques confirm eront sa valeur historique. Le
K osters, op. cit., p. 102. S ’ il en était vraim ent ainsi, début : « A insi parle » est celui qu ’ on pouvait attendre
ne devrait-on pas tout d ’ abord retrouver dans cette d ’ un docum ent ém anant de la cour persane. Cf. la
liste le nom d ’ E sdras, qui n ’ y figure pas, non plus grande inscription de D arius, V igouroux, op. cit.,
d'ailleurs que celui de plusieurs fam illes, D avid, 1.1, p. 163; H alévy, Cyrus et le retour de l’exil, dans la
Sechenias, Joab, Selom ith, revenues de B abylone Bevue des études juives, juillet 1880. L ’ expression :
en m êm e tem ps que le scribe? E sd., vin, 3, 5, 9, 10. D ieu m ’ a donné tous les royaum es de la terre, n ’ est
D e nom breux indices, au contraire, dénoncent une pas sans analogie non plus dans les inscriptions
redaction de très peu postérieure au retour de l ’ exil; royales. La double autorisation de revenir à Jéru ­
le titre de la liste dans les deux passages; le point de salem et d ’ y reconstruire le tem ple rentre dans les
départ de certaines fam illes, 59; le caractère provi ­ m esures générales prises parC yrus; habile politique, il
soire de la situation, insinué au y. 63; la m ention des rendait à la liberté tous ceux que B abylone avait
bêtes de som m e et l ’ im portance attachée à ce détail, assujettis, s ’ en faisant par là des am is et des alliés :
66-67; les m esures prises, 59, 63, tout à fait de cir ­ « J ’ ai fait retourner tous les peuples dans leur patrie, »
constance, lors de l ’ établissem ent dans le pays, de dit-il lui-m êm e dans une inscription découverte en
colons nouvellem ent arrivés; l ’ offrande d ’ ornem ents 1879. H alévy, loc. cil.; V igouroux, op. cit., t. iv, p.
sacerdotaux sans doute pour restaurer le culte, rien 404-419. Sans doute, Juda n ’ y est pas m entionné, non
de tel parm i les trésors qu ’ Esdras rapporte avec lui à plus que son dieu Jahvé, m ais l ’ attitude de C yrus
Jérusalem , ni parm i les dons que le peuple s ’ engage vis-à-vis des divinités étrangères nous rend très vrai­
à fournir sous la direction de N éhém ie, car alors le sem blable sa bienveillance pour le dieu des Israéliteset
culte était réorganisé. Q uant au désaccord entre le son peuple : « Puissent tous les dieux que j ’ ai ram enés
chiffre total des ém igrants, 42 360, le m êm e aux dans leur ville, dit C yrus dans la m êm e inscription,
trois endroits, E sd., n, 64; N eh., vu, 66; III Esd., puissent-ils tous les jours devant Bel et N abu dem an ­
41 (42340), et la som m e obtenue en additionnant les der la prolongation de m es jours et m ’ exprim er leur
chiffres indiqués pour les différentes fam illes 31089, bienveillance... » Cf. V an H oonacker, Notes sur les
N eh., 29818, E sd. ,30141, IIIEsd., il s ’ explique par le lignes 30 sq. de l’inscription du cylindre de Cyrus, dans
m auvais état de conservation du texte, par les om is ­ les Mélanges Charles de Harlez, 1896, p. 325 sq.
sions des nom s de fam ille, par les fausses transcrip ­ D e l ’ authenticité de l ’ édit de C yrus ne découle pas
tions de chiffres, c ’ est ainsi que la fam ille de M egbis, nécessairem ent la vérité du retour im m édiat des
m entionnée dans Esd., u, 30, est absente dans N eh., exilés. Pour la nier, on s ’ appuie surtout sur l ’ attitude
et que la différence des nom bres donnés dans les listes des prophètes A ggée et Zacharie, qui « ne font jam ais
d'E sd. et de N éh. pour la fam ille d ’ A zgad est de allusion à un événem ent aussi considérable que celui
1100. Le chiffre total des rapatriés resterait, dit-on, du retour de li. captivité; ils supposent toujours, au
beaucoup trop considérable et hors de proportion contraire, avoir affaire aux restes de la nation, que la
avec celui des captifs, déportés en B abylonie. U n déportation chaldéenne n avait pas atteints; ils sup ­
sim ple coup d ’ œ il sur les derniers tem ps de l ’histoire de posent que la Gola, la com m unauté m orale des exilés,
Juda prouve qu ’ il n ’ en est rien. L a double déporta ­ vit encore dispersée loin du territoire. Les prem ières
tion, qui eut lieu sous les règnes de Joachin, 597, et de colonies de rapatriés n ’ auraient été am enées que bien
Sédécias, 586, avait enlevé non seulem ent la partie plus tard par Esdras. E sd., vu sq. » E t voici com ­
la plus influente de la population, m ais aussi la plus m ent, d ’ après K osters, on aurait daté du règne de
considérable. IV R eg., xxiv-xxv. Le texte de Jérém ie, C yrus le retour : la lecture des prophéties du D eutéro-
u i, 28-30, n ’ y contredit pas. V an H oonacker,N ouoeZZes Isaïe, où C yrus est désigné com m e l ’ instrum ent dont
éludes sur la restauration juive après l’exil de Baby­ Jahvé devait se servir, fit naître après coup la per ­
lone, p. 47-57. La relation de la cam pagne de Senna- suasion qu ’ en effet c ’ était à C yrus que Jérusalem
chérib contre Ézéchias, roi de Juda, donne une idée était redevable de son tem ple rebâti, et qu ’ aussitôt
de l ’ im portance de ces déportations : 200150 hom m es après sa conquête, le vainqueur de B abylone avait
petits et grands, hom m es et fem m es... furent par m oi envoyé en Judée un officier du nom de Sassabasar
em m enés de chez eux com m e butin. Inscription du avec m ission de relever de ses ruines le sanctuaire
cylindre hexagonal, dit de Taylor, publié dans R aw ­ de Jahvé. L ’ existence dans la section aram éenne,
linson, The cuneiform inscriptions oj the Western Asia, Esd., v-vi, des restes de deux docum ents, dont l ’ un
t. i, pl. 37-42; cf. V igouroux, La Bible et les décou­ aurait com plètem ent ignoré une part quelconque,
vertes modernes, Paris, 1896, t. iv, p. 28. Le nom bre des prise par C yrus dans la reconstruction du
déportés, déjà élevé en 586, l ’ était encore davantage justifierait encore cette reconstruction de riii-toirr.
à l ’ avènem ent de C yrus ; les Juifs, véritables colons, Cf. V an H oonacker, Nouvelles éludes, p. 18-31 ; Les
m enant sur la terre étrangère une existence très sup ­ douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 539-54". S. ies
portable, n ’ avaient pu m anquer de s ’ accroître, Jer., prophètes A ggée et Zacharie appellent leurs com pa ­
xxix, 4-7, et ainsi, m êm e en ne com ptant que des triotes le reste du peuple ou de ce peuple, A gg., i, 12,
hom m es dans le nom bre de 42360 selon la m anière 14; π, 2; cf. Zach., vm , 6, 11,12, ils n ’ entendent pas
israéiite, ce qui peut faire 150 à 200000 pour l ’ ensem ­ pour cela désigner uniquem ent ceux que la dépor ­
543 E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R E S D E) 544

tation chaldéenne de 586 avait épargnés et laissés dans Q uant à la contradiction entre Esd., ni et v, elle
le pays, car lesJudéens em m enés en captivité, et ceux n ’ existe pas. La lettre adressée à D arius sait que
qui, plus tard, revinrent de l ’ exil, étaient, eux aussi, Sassabasar, au com m encem ent du règne de C yrus,
un reste, le reste du peuple d ’ autrefois, aussi bien et est venu à Jérusalem poser les fondem ents du tem ple,
au m êm e titre que ceux restés dans le pays; dans les v, 16; la donnée de v, 1-2, au sujet de la construction
anciens prophètes, l'expression s ’ em ployait cou ­ du tem ple à la voix des prophètes A ggée et Zacharie
ram m ent pour désigner le peuple de l ’ avenir renou ­ n ’ est pas incom patible avec la supposition qu ’ il
velé par l ’ épreuve. V an H oonackcr, Nouvelles études, s ’ agit « de la reprise des travaux, de la construction
р . 67-68. O n peut trouver d ’ ailleurs dans A ggée une de l'édifice lui-m êm e sur les assises déjà existantes,
allusion au retour qui suivit de très près la chute bien que sans doute détériorées et à rem ettre en état
de B abylone : tous les m aux qui ont frappé récem m ent après quinze ans d ’ interruption. » Le ÿ. 1 d ’ ailleurs
Je peuple sont survenus, dit Jahvé, « à cause de m a n'est pas le début du récit, ce début se trouve au
m aison qui est en ruines tandis que vous vous em pres ­ verset précédent, iv, 24, lui-m êm e à rattacher direc ­
siez chacun pour sa m aison, » A gg., i, 9, reprochant tem ent à iv, 1-5, dont il continue la narration inter ­
par là aux Juifs leur attitude, durant les dernières rom pue par l ’ insertion indue de iv, 6-24, relatif à
années écoulées, pendant lesquelles ils auraient été l ’ affaire de la reconstruction des m urs.
plus préoccupés de bâtir et d ’ installer définitivem ent e tém oignage d ’ A ggée et de Zacharie, souvent
l.
leur propre dem eure que de reconstruire le tem ple; invoqué contre le caractère historique d ’ Esd., m
n ’ est-ce pas la situation d ’ une population nouvelle, ne lui est pas contraire. A u ÿ. 2 du c. i d ’ A ggée, la
établie depuis peu dans le pays? Pour le prophète parole du peuple : « le tem ps n ’ est pas encore venu
Zacharie, « loin de ne faire aucune allusion au retour de bâtir la m aison de Jahvé, » peut s ’ entendre de la
de la captivité, il atteste de la m anière la plus form elle reprise des travaux, interrom pus à la suite des m enées
qu ’ à son époque le grand événem ent venait de s ’ ac ­ hostiles des populations rivales d'alentour, qui avaient
com plir. T oute la prophétie de Zacharie le suppose. provoqué un revirem ent dans les dispositions du roi,
A ux c. vu-vin, il est proclam é que le tem ps de l ’ épreu ­ d ’ abord favorables aux Juifs. L ’ occasion de repren
ve est fini pour le peuple juif; les jours de pénitence, dre l ’ œ uvre ainsi restée inachevée ne se présente que
y com pris celui qui célébrait le souvenir de la disper ­ lors de l ’ avènem ent de D arius, fils d ’ H ystaspe, grâce,
sion de la nation, sont changés en jours de fête 1 A ux en particulier, aux guerres qui se déchaînèrent et
с . l-vi, le prophète célèbre la délivrance du peuple naturellem ent détournèrent l ’ attention de Jérusalem ;
dans une série de visions prophétiques..., cette déli­ les circonstances se prêtaient alors à m erveille à
vrance est un fait actuel, aussi bien que celui de la l ’ accom plissem ent de la grande entreprise, « le m om ent
reconstruction du tem ple, aussi bien que celui du était bien choisi quand A ggée se leva pour reprocher
châtim ent de B abylone. Enfin au c. vi, 9-15, Zacharie à ses com patriotes leurs longs retards et stim uler
affirm e en term es explicites que la G ola, les Juifs leur zèle. » V an H oonacker, Les douze petits prophètes,
revenus de B abylone sont établis en Judée. » V an p. 546. « Le jour de la fondation du tem ple, » A gg.,
H oonacker, Nouvelles éludes, p. 87-88. Cf. son com ­ n, 15-19, s ’ entend, dans la pensée du prophète,
m entaire de Zacharie. d ’ un term e fixé à distance dans le passé pour servir
b) Reconstruction du temple. E sd., ni- iv, 5. — L a de point de départ à la considération des épreuves
seconde année du retour, Zorobabel, Josué et leurs endurées depuis lors; c ’ est ce que prouve l ’ em ploi de
-com pagnons com m encèrent les travaux du nouveau la particule p -, lemin, qui jam ais* ne sert à intro ­
tem ple, les fondem ents en furent posés et solennelle ­ duire, dans l ’ ordre de l ’ espace ou dans celui du tem ps,
m ent inaugurés, ni, 1-8. A près avoir refusé le concours un term e a quo considéré com m e présent, relative ­
« des ennem is de Juda et de B enjam in », les rapatriés m ent au sujet qui a la parole ou qui tient la plum e. »
furent em pêchés par les intrigues de ces derniers de Ibid., p. 573.
•continuer les travaux qui ne purent être repris qu ’ en R ien non plus à conclure contre la véracité d ’ Esd.,
la seconde année de D arius, iv, 1-5, 24. C ette représen ­ m ,d ’ après Zach., i, 16; vi, 12; iv, 9, ce dernier passage
tation des prem iers tem ps du retour est-elle exacte, plaidant plutôt en faveur d ’ une fondation du tem ple
n ’ est-elle pas plutôt une invention tendancieuse du antérieure à la deuxièm e année de D arius. A u c.vm , 9,
•Chroniste, contredite par le récit aram éen d ’ Esd., le prophète ne suppose pas com m e date de la fondation
v-vi, et surtout par A ggée et Zacharie? du tem ple l ’ époque du com m encem ent de son m inis ­
N otons d ’ abord le caractère de parfaite vraisem ­ tère; sans doute « les form ules : ces jours-ci, le jour
blance intrinsèque qui distingue le récit en question. où le temple a été fondé, désignent le tem ps actuel
Si les exilés sont revenus en Judée, c ’ était pour en opposition avec le temps des pères auxquels les an ­
réédifier le tem ple de leur dieu. L 'autel qu ’ ils avaient ciens prophètes avaient fait entendre leurs prom esses
élevé sur le lieu saint et auquel A ggée fait incidem ­ relatives à une restauration future; » m ais « on doit
m ent une vague allusion, n, 14, les dons que le reconnaître que les paroles de Zacharie gardent leur
peuple et ses chefs s ’ étaient em pressés d ’ offrir tém oi ­ signification pleine et entière dans la supposition que
gnent du zèle dont les com pagnons de Zorobabel le tem ple avait été fondé dès la seconde année du
étaient anim és pour la restauration im m édiate du retour des captifs. » Ibid., p. 644.
culte. Le but assigné à l ’ expédition des ém igrants L'identification des faits rapportés aux c. m et v
était, d ’ après l ’ édit, conform e en cela aux données des d ’ Esdras, form ant un double récit d ’ un m êm e événe ­
inscriptions de C yrus, le relèvem ent des m urs du m ent : la reconstruction du sanctuaire sous D arius,
tem ple; aussi l ’ em pressem ent des Juifs rapatriés à supprim erait, si elle était suffisam m ent dém ontrée,
l ’ entreprendre est-il très naturel. Le rôle hostile attri ­ toute difficulté. Cf. III Esd., v, 1-6, 46 sq. Theis,
bué aux populations sem i-païennes d ’ alentour porte, Geschichtliche und literarkritische Fragen in Esra.i-n,
lui aussi, la m arque de l ’ histoire; la m ention d ’ A sar- p. 68-82.
haddon, iv, 2, « com m e auteur de la colonisation de V III. C h r o n o l o g ie . — Le com pilateur des livres
la Palestine, est en harm onie avec les renseignem ents d ’ Esdras-N éhém ie nous a donc laissé un ensem ble de
fournis par les inscriptions et ne peut avoir été sug ­ docum ents dont la valeur en perm et l ’ em ploi dim s la
gérée au narrateur que par des tém oignages précis et reconstitution de l ’ histoire post-exilienne, non sans
sûrs touchant les faits qu ’ il raconte. » V an H oonacker, essayer toutefois d ’ établir au préalable parm i ces docu ­
Les douze petits prophètes, p. 544. Cf. Nouvelles études, m ents un ordre chronologique. Il est bien évident,
p. 138 150. en effet, que la suite des événem ents, telle qu ’ elle appa ­
545 E SD R A S E T N É H É M IE (L IV R E S D E)

raît dans la distribution actuelle du livre, ne saurait I le laps de tem ps qu'elle doit couvrir, · ayant ■. . être
répondre tout à fait à la réalité. La constatation du om is à cause de la ressem blance des nom s. L.
fait est particulièrem ent facile pour les c. i v - v i d ’ E s ­ Les nouveaux papyrus d’Éléphantine, dans la · · · .· ■
dras. Les prem iers versets 1-5 racontent les difficultés biblique, 1908, p. 343. Q uoi qu ’ il en soit, ce raj r -
suscitées aux Juifs par leurs adversaires dans la recon ­ chem ent entre N éhém ie et le père ou le grand ; :■:
struction du tem ple sous C yrus, et l ’ im possibilité de Jehokhanân, m entionné dans le docum ent •- ■• τ.-
reprendre l ’ œ uvre, interrom pue à la suite de ces diffi­ de 406, confirm e la conclusion précédem m ent obtenue:
cultés, avant le règne de D arius I er (521); les versets N éhém ie, gouverneur de Jérusalem la 20' annve
suivants 6-23 relatent de nouvelles intrigues auprès de d ’ A rtaxerxès I er , 445. A cette époque, « la m aisor de
X erxès (Assuérus) (485-465) et d ’ A rtaxerxès (465-424) D ieu » était déjà relevée de ses ruines, N eh., vi, : .
dans le but d'em pêcher le relèvem ent des m urs de Jéru ­ 11; xiii, 4 sq., elle l ’ avait été sous le grand-prêtre
salem ; avec iv, 24, reprend le récit de la construction Josué, grand-père d ’ Éliasib, N eh., xn, 10, le contem ­
du tem ple, la seconde année de D arius (520); la sixièm e porain de N éhém ie; ainsi donc le D arius qui perm it la
année de ce roi, tout est term iné grâce aux ordres de reconstruction du tem ple et en vit l ’ achèvem ent la
C yrus, de D arius et d ’ A rtaxerxès, vi, 14. Il y a donc sixièm e année de son règne, est D arius I", fils d ’ H ys-
erreur ou sur les nom s des rois sous lesquels se dérou­ taspe, 521-485, contrairem ent à l ’ opinion de H ane-
lent ces événem ents ou sur la suite de ces m êm es berg, Im bert, H ow orth, qui tiennent pour D arius II,
événem ents. L ’ histoire des m issions d ’ Esdras et de 423-405. La m ention d ’ A rtaxerxès (I), E sd., vi,
N éhém ie soulève de nom breuses difficultés, provenant 14, pourrait faire difficulté, si elle n ’ était une glose
sans doute d ’ erreurs chronologiques dans la disposition (Siegfried, B erthelet), ou plutôt une écriture fautive
actuelle des récits : quels furent les rapports des deux d ’ un copiste m aladroit. Theis, op. cit., p. 37-39. O n
personnages, pourquoi les M ém oires de l ’ un gardent- ne saurait non plus objecter la m ention de X erxès
ils le plus profond silence sur l ’ œ uvre de l ’ autre, etc.? (485-465) et d ’ A rtaxerxès (465-424) au c. iv d ’ Esd.,
La chronologie toute différente du IIP livre d ’ E sdras 6-23; de l ’ avis de la grande m ajorité des critiques, ce
vient encore com pliquer les problèm es. B ayer, Das passage où il s ’ agit du relèvem ent des m urs de Jéru ­
drille Buch Esdras, p. 96-109. salem est hors de sa place naturelle et interrom pt
1° Les rois Darius et Artaxerxès. — A vant m êm e violem m ent le récit de la construction du tem ple,
d ’ aborder l ’ étude des rapports chronologiques des E sd., m , iv, 1-5, 24, v, vi; il est à placer im m édiate ­
différentes parties d ’ Esdras-N éhém ie, il im porte de m ent avant les M ém oires de N éhém ie et ainsi le
préciser à quels personnages exactem ent correspon ­ D arius du c. v est le m êm e que celui de rv, 1-5, à
dent les nom s des rois de Perse m entionnés à plusieurs savoir D arius I er . A l ’ encontre de l'opinion com m une,
reprises, car cela encore a été l ’ objet de nom breuses Theis voit, dans les versets 6-23 du c. rv, le récit ds
discussions et exige avant toute autre question une la construction du tem ple; les nom s de X erxès et
solution. A quel D arius, à quel A rtaxerxès faut-il d ’ A rtaxerxès. qui pourraient faire difficulté, sont à
rapporter les événem ents où se trouvent m êlés leurs rejeter, le dernier com m e une glose très tardive, le
nom s ? Plusieurs rois, en effet, de la dynastie des prem ier pour faire place à celui de C yrus, nom donné
A cném énides ont porté ces nom s et le texte biblique, parfois à l ’ A chém énide qui régna de 485 à 465, ce qui
en les citant, n ’ ajoute aucune m ention qui perm ette am ena la confusion entre lui et C yrus le libérateur.
de distinguer les personnages du m êm e nom auxquels Josèphe, Ant. jud., X I, vi, 1; Theis, op.cil., p. 39-55.
ils doivent être attribués. 2° Sassabasar-Zorobabel. — Ces prem iers jalons
La m ission de N éhém ie se poursuit sous le règne d ’ un chronologiques posés : D arius I er (521-485) le contem ­
roi du nom d ’ A rtaxerxès. E st-ce A rtaxerxès I er porain de la reconstruction du tem ple, èt A rtaxerxès
(465-424) ou A rtaxerxès II (405-358)? L ’ interpréta ­ I er (465-424) le contem porain de N éhém ie, il reste à
tion traditionnelle, adoptée par la m ajorité des cri ­ déterm iner l ’ ordre de succession des événem ents.
tiques, en fait le prem ier des rois de ce nom , la décou ­ C om m ent, dès le début, se représenter l ’ histoire du
verte de papyrus aram éens à É léphantine lui a donné retour et des prem ières tentatives de restauration?
pleinem ent raison. Ed. Sachau, Drei aramaische D eux nom s dom inent tous les autres, ceux de Sassa-
Papyrusurkunden aus Elephantine, B erlin, 1907. V oici basar (Scheschbassar), le prince de Juda, venu à
com m ent : Le prem ier de ces docum ents aram éens, Jérusalem pour rebâtir le sanctuaire de Jalivé, et de
daté de l ’ an 17 du roi D arius (le II e du nom ), c ’ est- Zorobabel, revenu en Judée à la tête des ém igrants;
à-dire de 406, fait m ention d ’ une lettre envoyée au l ’ ordonnance du récit est telle qu ’ on s ’ est posé la
nom de la com m unauté juive, résidant à Éléphan ­ question de l ’ identité ou de la distinction des person ­
tine, à D elaiah et C hem aliah, fils de Sanaballat, gou ­ nages ainsi désignés. Pour l'identité, on produit les
verneur de Sainarie; or, ce dernier personnage n ’ est raisons suivantes : tous deux sont princes de Juda,
autre que le Sanaballat qui est à la tête des ennem is de l'un parce qu ’ il en a expressém ent le titre, Esd., i,
N éhém ie pour l ’ em pêcher de m ener à bonne fin la 8, l ’ autre parce qu ’ il est petit-fils du roi Jéchonias,
reconstruction des m urs de Jérusalem , N eh., ni, 33- I Par., ni, 18-19; Sassabasar est présenté com m e
34; iv, 1-2 (d ’ après la V ulgate, iv, 1-2, 7-8), la le chef des ém igrants, envoyé par C yrus: Zorobabel
20 e année d ’ A rtaxerxès; donc l'A rtaxerxès dont la apparaît à la tête des caravanes de rapatriés, Esd.,
20 e année m arque le com m encem ent des événem ents il, 1; il est l ’ organisateur de la com m unauté, n, 63,
où se trouvent m êlés N éhém ie et Sanaballat, le père le représentant de l ’ autorité dans ses rapports avec
des destinataires de la lettre, ne saurait être qu ’ A rta- les populations d'alentour, iv, 2 sq.; à l ’ un et à l ’autre
xerxès I er (465-420), et ainsi le débutde la m ission de est attribuée la pose des fondem ents du tem ple, v,
N éhém ie est fixé à 445. Le m êm e papyrus cite encore 16; ni; Zach., iv, 9; Sassabasar a reçu de C yrus le
uneautre lettre envoyée à Jehokhanân, le grand-prêtre, titre de peha, gouverneur, Esd., v, 14, en l ’ an 2 de
et à ses confrères les prêtres de Jérusalem . Lors de son D arius: Zorobabel est lui aussi gouverneur. A ;.-.. i,
prem ier séjour dans la capitale de Juda, N éhém ie s ’ y 1, et il l ’ est depuis un certain tem ps déjà, puisque ni
rencontra avec Éliasib, le grand-prêtre, N eh., xm , le satrape T hathanaï, ni le roi D arius ne sem blent
4. qui était le père, N eh., xn, 22, ou plus probablem ent le connaître. Esd., v, 10. V an H oonacker, Les
le grand-père de Jehokhanân (Johanan), car Éliasib petits prophètes, p. 543. L ’ usage de deux nom s pour un
engendra Joïada, qui engendra Jonathan, N eh., seul personnage s ’ expliquerait ainsi Sassab; - - :· · .
xn, 10, le m êm e que Jehokhanân, ou peut-être son le nom babylonien du prince juif; · Scham asch ou
fils, · un anneau de cette généalogie, trop courte pour Sin protège le fils ou le prince · en est le sens exigé
D 1C T . E T H E O L . C A TH O L V. -
547 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R E S D E ) 548

par les m ots qui le com posent : Scham asch-bal (ou encore relevés de leurs ruines; n ’ cst-il pas, dès lors,
bil)-usur, ou bien d ’ après la form e du nom dans la extraordinaire de voir E sdras ne point partager les
B ible grecque :Sin-bal-u.sur; ce nom ne lui a donc pas préoccupations de ses com patriotes sur la recon ­
été donné par ses com patriotes, qui, on le com prend, struction de l ’ enceinte, Esd., iv, 11-22, ne faisant
le désignaient sous un autre nom , celui de Zorobabel, aucune dem ande, aucune tentative à ce sujet?
dont l ’ étym ologie reste incertaine. Fischer, op. cil., D ’ autre part, dans la confession des infidélités du
p. 2-1-30. C ontre cette identité plusieurs objections peuple, E sd., ix, 9, l ’ allusion aux m urs en Juda et à
ont été form ulées : la dualité m êm e des nom s, un Jérusalem , qu ’ on l ’ entende au propre ou au figuré,
passage d ’ Esd., v, 2, où, après m ention de Zorobabel ne se conçoit guère que dans l ’ hypothèse d ’ une res ­
il est parlé de Sassabasar, 14, com m e d ’ un personnage tauration déjà faite de l'enceinte de la ville, dans
différent, un autre, I Par., ni, 18 sq., où Zorobabel, l ’ hypothèse donc de la venue et de l'œ uvre de N éhé ­
est distingué par sa généalogie m êm e de Sennéser, m ie, antérieures à celles d ’ Esdras. — R epeupler
le m êm e, croit-on, que Sassabasar. Elles ne paraissent Jérusalem fut une partie de la tâche du gouverneur
pas insolubles. V an H oonacker, Zorobabel et le second envoyé en 445, N eh., xi, 1-2; or, Esdras aurait trouvé,
temple, G and et Leipzig, 1892 (extrait du Muséon, quelques années plus tôt, une ville habitée : les chefs
1891); Notes sur Γhistoire de la restauration juive, dans de fam illes sacerdotales, lévitiques et laïques y rési­
la Revue biblique, 1901, p. 7-10; Dictionnaire de la daient, une foule im m ense s ’ y rencontrait à l ’ heure
Bible, art. Sassabasar. du sacrifice du soir, Esd., vin, 29; x, 1 ; n ’ est-ce pas
La chronologie des événem ents, rapportés aux c. m — que N éhém ie avait déjà rendu à la capitale ses m urs,
vi, est suffisam m ent établie par ce qui a été dit plus ses m aisons et ses habitants? Cf. Eccli., x l i x , 13. —
haut sur la valeur historique de ces récits. L 'état lam entable dans lequel se trouvait le culte, au
3° Esdras-Néhémie ou Néhémie-Esdras. — A u c. vu m ilieu du v “ siècle, tém oin le prophète M alachie et
com m encent les M émoires d ’ Esdras et aussi la ques ­ les réform es entreprises par N éhém ie, N eh., x, 32sq.,
tion des rapports de leur auteur avec N éhém ie. Si ne se com prendraient pas après la m ission d ’ Esdras,
l ’ ordre des faits répond à celui des docum ents, Esdras chargé de présents par le roi et ses m inistres,
est venu à Jérusalem la 7 e année d ’ A rtaxerxès I or , com blé de faveurs et de privilèges pour le tem ple et
13 ans avant N éhém ie; c ’ est l ’ opinion traditionnelle. le service divin, Esd., vu; ou bien il faudrait conclure
D ans un m ém oire dont le titre énonce la thèse : à un échec com plet et rapide de la restauration du
Néhémie et Esdras, nouvelle hypothèse sur la chrono­ culte, échec invraisem blable si l ’ on rem arque que
logie de l’époque de la restauration juive, Louvain, cette partie des M ém oires d ’ Esdras, vu, 12-28, a dû
1890, V an H oonacker a cru pouvoir l ’ abandonner, être écrite en m êm e tem ps que l ’ ensem ble, c ’ est-à-
m aintenant la 20 e année d ’ A rtaxerxès I er , 445, pour dire quelques années au m oins après le retour du
le retour de N éhém ie, m ais faisant descendre celui scribe, alors que l ’ insuccès aurait dû lui faire taire
d ’ Esdras à la 7 e année d ’ A rtaxerxès II, en 398, d ’ ac­ la relation d ’ espérances si prom ptem ent déçues.
cord sur ce dernier point avec de Saulcy, Étude chro­ E sd., vu, 27. — La désorganisation de la com m u ­
nologique des livres d’Esdras et de Néhémie, Paris, nauté juive, résultant de l ’ invasion et de la prépon ­
1868; H avet, La modernité des prophètes, dans la dérance des élém ents étrangers, au m om ent de
Revue des deux mondes, 1889, t. xciv, p. 799; Im bert, l ’ arrivée du nouveau gouverneur de Jérusalem ,
Le temple rebâti par Zorobabel, dans le Muséon, 1888- N eh., prem iers chapitres, ne se conçoit pas davantage
1889. A l ’ appui de la « nouvelle hypothèse », et en « com m e suite im m édiate à la m ission officielle et à
réponse aux contradicteurs, parurent successivem ent : l ’ œ uvre d ’ Esdras. E sd., vn-x. » — L ’ attitude des deux
Néhémie en l’an 20 d’Artaxerxès I, Esdras en l'an 7 personnages dans la question des m ariages m ixtes
d’Artaxerxès II, réponse à un mémoire d’A. Kuenen, « constitue à elle seule une preuve sans réplique, que
G and et Leipzig, 1892 ; Nouvelles éludes sur la restau­ les faits racontés, Esd., vn-x, arrivèrent à une époque
ration juive après l’exil de Babylone, p. 151-310; plus récente » que ceux racontés, N eh., i sq. A son
Notes sur l’histoire de la restauration juive après prem ier séjour, N éhém ie, qui ne m anque aucune
l’exil, dans la Revue biblique, 1901, p. 5-26, 175-199. occasion de condam ner les agissem ents blâm ables
Si la m ajorité des critiques ne s'est pas ralliée aux dont il est tém oin, n ’ a pas un m ot pour désapprouver
conclusions de ces travaux, auxquels J. W ellhausen, ces m ariages, il en parle d ’ une façon qui ne perm et
A . K uenen, J. N ikel, J. Fischer, entre autres, n ’ ont pas de croire qu ’ ils fussent alors défendus. N eh.,
pas m énagé leurs attaques, d ’ autres en reconnaissent vi, 17-19. Plus tard seulem ent, dans l ’ assem blée
le bien-fondé, du m oins en ce qui regarde l ’ antériorité générale, tenue après la reconstruction du m ur, on
de la prem ière m ission de N éhém ie sur celle d ’ E sdras; étendit à tous les étrangers la loi deutéronom ique,
ainsi \V. H . K osters, T. K . C heyne, M eignan, Lagrange, portant défense des m ariages entre Juifs et C ananéens,
Pelt, G igot. V oici d ’ ailleurs les principaux argum ents N eh., x, 30; aussi venant pour la seconde fois à Jéru ­
invoqués par V an H oonacker. A la nouvelle des m al­ salem , N éhém ie blâm a et punit sévèrem ent les vio ­
heurs de Jérusalem , N éhém ie dem ande au roi l ’ auto ­ lateurs de l ’ engagem ent, alors contracté, relative ­
risation de retourner dans la ville de ses pères pour en m ent aux m ariages m ixtes. N eh., xm , 23-29. A ux
relever les m urs, N eh., n, 5 ; ni lui, ni le roi ne sem blent 1 prem iers tem ps d ’ Esdras, de telles unions ne sont pas
soupçonner l ’ existence en Judée d ’ un dignitaire juif, rares, m ais on les tient pour contraires à la Loi,
chargé de pleins pouvoirs pour l ’ adm inistration des et du consentem ent unanim e de la com m unauté,
affaires, et qui, par conséquent, aurait été tout désigné elles doivent être rom pues, celles-là m êm e contrac ­
pour l ’ œ uvre dont N éhém ie sollicite l ’ entreprise. A tées depuis longtem ps. E sd., x. C ette réform e radi ­
Jérusalem , m êm e ignorance, les étrangers, alors tout- cale opérée par le scribe n ’ apparaît-elle pas com m e
puissants, n ’ y connaissant point d ’ hom m e capable de l'aboutissant de la cam pagne com m encée par N é ­
• procurer le bien des enfants d'Israël. » N eh., il, hém ie? — L a situation respective des deux person ­
10. — D ans le récit de ses débuts dans la capitale de nages dans la grande assem blée de Jérusalem , N eh.,
Juda, N éhém ie ne fait aucune allusion à Esdras, pas vm sq., n ’ est pas m oins significative. Le rôle d ’ E s ­
m êm e au c. m ,où il donne les nom s de ses coopérateurs, dras, si on laisse de côté la glose : καί et-εν ’’ Εσίρα:
silence qui paraît bien incom patible avec la nom ina ­ de la version grecque, N eh., ix, 6, et l ’ interpolation
tion d ’ E sdras quelques années auparavant au titre probable de vm , 9, portant m ention du scribe et des
d ’ adm inistrateur en chef de toutes les affaires juives. lévites, se ram ène à la sim ple lecture de la Loi. Tout
— En 458, les m urs de la ville sainte n ’ étaient pas autre est le rôle de N éhém ie : à lui il faut faire rem on ­
549 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R ES DE)

ter la convocation de l ’ assem blée, N eh., v, 7, à lui en dées. Op. cit., p. 76-87. « L a succession des fails. : ..
revient la présidence, vm , 9, à lui encore incom be qu ’ elle se présente dans le récit actuel,est ....
le souci d ’ assurer la fidèle observation des résolutions et le déplacem ent exige des prétendue' alter ·.. ...
prises, xm , 8 sq., son nom enfin est en tête de la liste du texte ou se fonde surdes hypothèses gratuite,. ·
des fam illes signataires de l ’ alliance conclue entre M angenot, art. Néhémie, dans le Dictionnaire de ώ
D ieu et son peuple, x, 2, celui d'E sdras n ’ y ligure pas. Bible, t. iv, col. 1572. Cf. V an H oonacker, Λ
— E sdras paraît ainsi à ses débuts âgé de 25 à 30 ans, études, p. 204-254. Le récit de la dédicace des m ur',
et, si l ’ on date l ’ assem blée des années 442-440 au plus N eh., xn, 27-46, n ’ est pas à reporter avant la de>ig
tôt, il s ’ ensuivra qu ’ en la 7° année d ’ A rtaxerxès II tion des habitants de Jérusalem , xi, N ikel. : .
ou 398 il avait aux environs de 70 ans, âge qui répond p. 196-218; la dédicace a fort bien pu suivre les refer ­
bien au portrait que nous tracent du scribe les c. ix-x m es religieuses et civiles.
d ’ Esdras. — Le grand-prêtre, contem porain des IX . E n s e i g n e m e n t s d o c t r in a u x e t m o r a u x . — La
deux séjours de N éliém ie à Jérusalem , est Éliasib période correspondant aux livres d ’ Esdras-N éhém ie
dont le petit-fils Johanan, N eh., xn, 22, se rencontre est très im portante au point de vue de l ’ histoire reli ­
avec Esdras. E sd., x, 6. — Enfin, les données de gieuse d ’ Israël, c ’ est celle des origines du judaïsm e:
l ’ histoire profane sem blent, elles aussi, favorables à plusieurs problèm es intéressants s ’ y rattachent,
l ’ hypothèse. L ’ année 458 m arque dans l ’ histoire de entre autres celui de l ’ influence des religions de la
la Perse une période désastreuse; les défaites écra ­ Perse et de B abylone sur la religion de Jahvé, et
santes essuyées par les arm ées du grand roi sur m er celui de la déterm ination du code de lois prom ulgué
et en É gypte ne pouvaient perm ettre à A rtaxerxès solennellem ent par Esdras. N eh., vm . L ’ étude de
I e ' de renvoyer dans sa patrie le scribe Esdras, chargé ces problèm es ne saurait rentrer dans le cadre de cet
de trésors pour le tem ple, et autorisé à réclam er des article; nous indiquerons seulem ent les quelques
subsides aux caisses publiques. L a 7 e année d ’ A rtaxer ­ données religieuses relevées dans les livres d ’ Esdras-
xès II, c'est-à-dire l ’ époque à laquelle ce roi venait de N éhém ie.
triom pher de la révolte de C yrus le Jeune.se prête au 1° Dieu. — La toute-puissance de Jahvé se tra ­
contraire parfaitem ent à l'histoire du retour d ’ Esdras, duit dans les titres qui accom pagnent son nom :
et ainsi il n ’ est plus nécessaire d ’ attribuer au m êm e le grand D ieu, N eh., vin, 6; Esd., v, 8; le D ieu du
roi, d ’ abord l'édit d'Esd., vu, 12-26, com blant les ciel, grand et redoutable, N eh., i, 5; le créateur du
Juifs de faveurs, puis celui d ’ E sd., iv, 8-23, où ils ciel et de la terre, dont le nom est au-dessus de toute
sont très m al traités et enfin la m ission de N éhém ie. louange, N eh., ix, 6. Son autorité dépasse les lim ites
V an H oonacker, dans la Revue biblique, 1901, p. 175- d ’ Israël; N abuchodonosor et C yrus ne sont que des
199; Lagrange, ibid., 1894, p. 561-585; cf. 1895, instrum ents au service de sa volonté pour la ruine ou
p. 186-202; 1908, p. 343, notel. V oir aussi les raisons la délivrance de son peuple, E sd., v, 11 ; i, 1 ; les étran ­
données par R iessler pour dater le retour de N éhém ie gers, d ’ ailleurs, et les rois vainqueurs eux-m êm es lui
de 538 ct celui d ’ Esdras de 523. Ueber Nehemias und rendent hom piage : « Jahvé, le D ieu du ciel, m ’ a
Esdras, dans Biblische Zeitschrift, 1903, p. 232-245; donné, dit C yrus, tous les royaum es de la terre, et il
1904, p. 15-27, 145-153; Warm ivirkte Nehemias? m ’ a com m andé de lui bâtir une m aison à Jérusalem . >
dans Theol. Quarlaischrift, 1910, t. xen, p. 1-6. E sd.,i,2. D arius n ’ ignore pas la souveraineté et l ’au ­
Ces argum ents ont-ils assez de poids pour autoriser torité du D ieu d ’ Israël, qu ’ on ne saurait im puném ent
une m odification si considérable dans l ’ histoire tradi ­ m éconnaître. Esd., vi, 12. Sa justice, en effet, se
tionnelle de la restauration juive et dans la disposition m anifeste dans le châtim ent de celui qui m anque à
des livres qui la racontent? B eaucoup se refusent à sa parole, N eh., v, 13, et dans la fidélité avec laquelle
l ’ adm ettre. Ils insistent sur la nature propre de la il tient lui-m êm e sa propre parole. N eh., ix, 8.
m ission rem plie par Esdras et N éhém ie, l ’ une avant C réateur du ciel et de la terre, m aître des em pires,
tout politique, l ’ autre avant tout religieuse, et cette Jahvé est aussi le D ieu d ’ Israël, Esd., i, 3; iv, 1; v, 1;
distinction répondrait à bien des objections. Lesêtrc, vi, 21-22; résidant à Jérusalem , Esd., i, 3; n, 68; ses
ari. Artaxerxès II, dans le Dictionnaire de la Bible, interventions en faveur de son peuple ont été innom ­
t. i, col. 1042-1043. Ils rem arquent dans des textes brables dans le passé, N eh., ix, 7 sq., elles continuent,
relatant des faits, passés du tem ps de N éhém ie ou Esdras, N éhém ie, tous les Juifs se sentent protégés
avant lui, des allusions au retour d ’ E sdras, par exem ­ par la m ain bienfaisante de leur D ieu, E sd., vu, 9-10,
ple, dans la lettre de R ehum et Sainsai, E sd., iv, 12; 28; vin, 18, 31; N eh., u, 8, 18; avec lui son peuple
dans la liste des collaborateurs de N éhém ie ils relèvent n'a rien à craindre de ses ennem is, N eh., iv, 14;
les nom s de personnages revenus avec Esdras, entre Jahvé lui-m êm e com battra, N eh., iv, 20, pour anéan ­
autres H asabias, N eh., m , 17, et Esd., vin, 19, H attus, tir leurs desseins. N eh., iv, 15. C ependant, à cause des
N eh., m , 10, et E sd., vin, 2, M elchias, N eh., ni, 11, iniquités d ’ Israël, il l ’ a livré à l ’ étranger, E sd., ix,
et Esd., x, 31, etc. Ils ne trouvent l ’ explication du 7-13, car c'est un D ieu juste, m ais non m oins m iséri ­
rôle d ’ Esdras aux côtés de N éhém ie dans l ’ assem blée cordieux et clém ent, N eh., ix, 31; il ne l ’ a pas aban ­
du c. vm de N eh., et de la dem ande du peuple au donné, Esd., ix, 9; il en a sauvegardé quelques-uns,
scribe de produire la Loi, que dans l ’ hypothèse d ’ une les épargnant plus que ne m éritaient leurs iniquités,
m ission spéciale confiée à E sdras par le grand roi, Esd., ix, 13; sa m iséricorde pour Israël subsiste à
et d'une partie de cette m ission déjà réalisée. Esd., jam ais, E sd., m , 11; il est lent à la colère et riche en
vn-x. J. N ikel, Die Wiederherstetlung des füdischen bonté. N eh., ix, 17.
Gemeinwesens nach dem babylonischen Exil, p. 151 sq. ; 2° Les devoirs d’Israël envers Dieu. — 1. La fidélité.
Fischer, Die chronologischen Fragen, p. 69-83. Cf. — L a com m unauté juive doit reconnaître son D ieu
V an H oonacker, dans la Revue biblique, 1901, p. 5-26. par le culte exclusif qu ’ elle lui rendra, rien de ce qui
La chronologie des différents événem ents de l ’ his ­ pourrait lui porter atteinte ne doit être toléré. Le-
toire de N éhém ie ne va pas non plus sans quelque rapatriés avaient rapporté de l ’ exil l ’ horreur
difficulté. A quel m om ent placer les réform es reli ­ toute im m ixtion étrangère dans leur religion, tandis
gieuses relatées aux c. vm -x? L ’ opinion de Schlatter, | que ceux qui étaient restés en Juda, par leurs allm m -
qui les reporte au tem ps de Zorobabel, Zur Topogra- | avec leurs voisins, avaient com prom is la pureté du
phie und Geschichte Palaslinas, Stuttgart, 1893, p. 405, | culte; désorm ais tout contact avec les non-Juifs devra
et celle de K osters, qui les fait descendre jusqu ’ au être évité, à ces derniers il n ’ appartient pas de con­
second gouvernem ent de N éhém ie, ne sont pas ion- | courir à la construction de la m aison de D ieu, nous
551 E SD R A S E T N É H ÉM IE (L IV R ES D E) 552

la bâtirons nous seuls à Jahvé, le D ieu d ’ Israël, «disent 1 Vollslandiges Bibelwerk fiir die Gemeinde, Leipzig,
Zorobabel, Josué et les chefs de fam ille. E sd., iv, 1865, t. i, fasc. 3; F. C. K eil, Biblischer Commentar
3. Ceux qui ont pris des fem m es étrangères devront les liber die nachexilischen Geschichlsbücher : Chronik, Esra,
renvoyer et des m esures rigoureuses sont adoptées Nehemia und Esther, Leipzig, 1870; G . R aw linson,
pour garantir la pureté du judaïsm e, représentée Ezra, Nehemiah, Londres, 1873; H . J. M atthew s,
par ceux qui revinrent de la captivité. Esd., x. Les Commentary on Ezra and Nehemiah, édité par
difficultés nom breuses, conséquence de cette attitude | R . Saadjah, O xford, 1882; F.W . Schultz, Die Biicher
intransigeante vis-à-vis de l ’ étranger, n ’ arrêtent point Esra, Nehemia und Esther, B ielefeld ct Leipzig, 1876,
le zèle des réform ateurs, ils ne failliront point à leur dans J. P. Lange, Theol. homilet. Bibelwerk; S. CEttli
m ission, les pressantes exhortations d ’ A ggée et de et J. M einhold, Chronik, Esra und Nehemia, M unich,
Zacharie feront aboutir, m algré tout, la reconstruction 1889, dans Zockler-Strack, Kurzgef. Kommentar;
du tem ple, l ’ énergie et la persévérance d ’ Esdras et de W . A deney, Ezra, Nehemiah and Esther, Londres,
N éhém ie assureront une observation plus stricte de 1893 ; H . E. R yle, The books of Ezra and Nehemiah,
la Loi. La réorganisation du culte y contribuera pour C am bridge, 1893, dans Cambridge Bible for schools;
sa bonne part. R euss, Chronique ecclésiastique de Jérusalem, Paris,
2. Le culte. — Les différentes catégories de m inis ­ 1878, dans la Bible, t. vi; FI. G uthe et L. W . B atten,
tres, prêtres, lévites, chantres, portiers, nathinéens, The books of Ezra and Nehemiah, Leipzig, 1901, dans
ont toutes leurs fonctions spéciales; pour les prêtres, l ’ édition polychrom e de P. H aupt; D . C. Siegfried,
leur origine doit être rigoureusem ent établie d'après Esra, Nehemia und Esther, G œ ttingue, 1901, dans
les registres généalogiques, sous peine d ’ être rejetés N owack, Handkommentar zum A. T.; A. B erthelet,
du sacerdoce com m e im purs. Esd., n, 62; N eh., vu, Die Biicher Esra und Nehemia, Tubingue et Leipzig,
61. Les fêtes sont célébrées solennellem ent, fête de la 1902, dans K . M arti, Kurzer Iland-Commentar zum
D édicace et des Tabernacles, néom énies, sabbats; tous A. T.; Jahn.D ïc Biicher Esra (A und B) und Nehemja,
doivent s ’ im poser l ’ obligation de payer un tiers de Leyde, 1909 ; T. W . D avies, Ezra, Nehemiah and Esther,
sicle chaque année pour le service de la m aison de dans The Century Bible, Londres, 1910; H . E. R yle,
D ieu, pour les pains de proposition, le sacrifice per ­ Ezra and Nehemiah, C am bridge, 1911. Parm i les catho ­
pétuel, les choses consacrées et les sacrifices d'expia ­ liques, V atable, dans le Cursus completus de M igne,
tion. N eh., x, 32, 33. t.xn ; B .N eteler, Die BiicherEsdrasNehemias undEsther
A ux sacrifices du tem ple, aux purifications légales, aus dem Vrtext übersetzt und erklârl, M unster, 1877;
le fidèle adorateur de Jahvé joint la prière, le jeûne, 1908; C lair, Esdras etNehemias, Paris, 1882; Fillion, Le
l ’ hum ble aveu de ses iniquités, N eh., i, 4, 6, 7; ix, Hure d’Esdras, Le livre de Néhémie, dans la Sainte Bible
2, 3; il sait que les ordonnances de son D ieu font vivre commentée, Paris, 1891, t. ni; M . Seisenberg, Esdras,
ceux qui les m ettent en pratique, et que la souffrance Nehemias und Esther, V ienne, 1901, dans Kurzgef.
est une expiation. N eh., ix, 29, 32. La confiance en wissenschafll. Commentar zu den heil. Schrift. des A . T.
D ieu, la générosité, le désintéressem ent sont autant
F . V igouroux, Manuel biblique, 12 “ éd it., P aris, 1906,
de titres à la faveur divine, le gouverneur de Jéru ­ t. n , p. 158-168; R . C om ely, Introductio specialis in histo ­
salem les revendique dans l ’ accom plissem ent de son ricos V. T. libros, P aris, 1887, p. 351-370; F . E . G igot,
œ uvre. N eh., vi, 9; xm , 14, 22, 31. Cf. Sm end, Lehr- Special Introduction, N ew -Y ork, C incinnati, C hicago, 1903,
buch der alttestamentlichen Religionsgeschichte, Fri­ t. i, p. 3 1 7 -3 3 6 ; H . C ornill, Einleitung in das Aile Tes­
bourg, 1899, p. 332-341. tament, 3 “ éd it., F rib o u rg -en -B risg au et L eipzig, 1896,
3° La Loi. — L ’ expression authentique des ordres p. 128-136; D river, Introduction to the literature of the Old
d ’ en haut se trouve dans la Loi de M oïse; elle est la Testament, E dim bourg, 1898, p. 540-554; trad. R o thstein ,
B erlin, 1896, p. 576-592; H . S track, Einleitung in das Allé
règle qui s ’ im pose à tous pour garantir la fidélité à Testament, 6 ’ éd it., M unich, 1906, p. 164-16 6; G . W ilde-
Jahvé, aussi est-elle lue à tous pour être entendue et bocr, Die Literatur des Allen Testaments, trad , allem ande,
com prise de tous. N eh., vin. Il ne s ’ agit en aucune 2 ’ édit., G œ ttingue, 1906, p. 404-420; L . G autier, Introduc­
façon, dans ce passage, « de la prem ière prom ulgation tion à ΓAncien Testament, L ausanne, 1906, t. n , p. 380-400;
d ’ un code quelconque. N on seulem ent Esdras, qui A . H . S ayce, Introduction to the books of Ezra, Nehemiah
devait atteindre l ’ apogée de sa carrière une quaran ­ and Esther, L ondres, 1885: 5 “ éd it., 1909; en général, les
introductions à l ’ A ncien T estam ent. F . V igouroux, Dic­
taine d ’ années plus tard, ne pouvait être investi,
tionnaire de la Bible, art. Esdras (Premier livre <T), t. n ,
lors du prem ier séjour de N éhém ie à Jérusalem , d ’ une col. 1929-194 3; Néhémie(Liure de), t. iv , col. 1565-1579;
autorité suffisante, pour paraître en prom ulgateur de H astings, A Dictionary of the Bible, art. Ezra and Nehe­
lois, m ais la teneur m êm e du récit de N eh., vin, pro ­ miah, t. i, p. 821-824; C heyne, Encyclopaedia biblica, art.
teste contre l ’ abus qu ’ on en a fait. Il n ’ est décrit ici Ezra-Nehemiah, t. n , col. 1478-1488; The catholic encyclo­
autre chose qu'une lecture solennelle du livre de la pedia, t. v, p. 535-538; H auck, Realencyclopiidie, art. Ezra
Loi, en conform ité avec les usages traditionnels dans und Nehemia, t. v, p. 500-523 ; Nehemia, t. x in , p. 700-705.
A ajo u ter aux ouvrages signalés au com s de l ’ article,
les assem blées juives. » V an H oonacker, Les douze pour la critiq u e littéraire : W inckler, dans A llorientalische
petits prophètes, p. 699-700. Forschungen, 2" série, t. n i, 2 ,p . 458-489; N estle, Esdrana,
X . C o m m e n t a i r e s . — N i les Pères grecs ni les Pères dans Marginalien und Materialien, T ubingue, 1893, p. 23-31 ;
latins n ’ ont com m enté les livres d ’ Esdras-N éhém ie. pour la critiq u e historique : M argraf, Zur Aufhellung der
Le V énérable B ède le prem ier l ’ a fait dans l ’ ouvrage nachexilischen Chronologie, dans Tüb. theol. Quarlalschrift,
intitulé : In Esdram et Nehemiam prophetas allegorica 1870; N oldeke, Aufsiitzc zur persischen Geschichte, L eipzig,
1887; R oscnzw eig, Das Jahrhundert nach dem babijlonischen
expositio, P. L., t. xci, col. 807-924. Peu étudiés
durant le m oyen âge, Esdras et N éhém ie ont été
Exil, B erlin, 1885; C h. H uyghe, La chronologie des livres
d'Esdras et de Néhémie, dans la Revue des questions histo­
l ’ objet de quelques com m entaires spéciaux, citons riques, 1893, p. 5-48; K uencn ,Die Chronologie der persischen
entre autres à partir du xvi° siècle : Sanchez, Commen­ Periode in der jüdischen Geschichte, dans Gesammelte Abhand-
tarius in libros Ruth, Esdræ, Nehemiæ, Lyon, 1628; lungen, F ribourg, 1894, p. 211: M arquait, Die Organisa­
A. C rom m ius, In Job..., Esdram, Nehemiam, Louvain, tion der jüdisch. Gemeinde nach dem sogenannlen Exil, dans
1632; N . Lom bard, In Nehemiam et Esdram, com­ Fundamente israelii. und iüd. Geschichte, G œ ttingue, 1896,
p. 28-68; W inckler, Die Zeit der Herstellung Judas, dans
mentarius litteralis, moralis, allegoricus, Paris, 1643;
Allorient. Forschungen, 2 e série, t. n , 1, p. 210-227; Nehe­
L. M auschberger, In libros Paralipomenorum, Esdræ, mias Reform, p. 228-236; Die. Zeil von Ezras Ankunft in
Tobiæ, O lm utz, 1758; E. B ertheau, Die Bûcher Jerusalem, p. 241-244; Jam p el, DicWiederherstellung Israels
Ezra, Nehemia undEsther, Leipzig, 1862; réédité par tinter den Achameniden, dans Monalschrifl fiir Geschichte und
V . R yssel 1887 ; A d. K am phausen, dans Ch. J. B unsen, Wissenschafl des Judentums. t. xvt.i et X L V tt; H . J. B orn-
553 E S PA G N E (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X '4

stein , Neu au/ge/undene chronologischc Daten auf der Epoche une sorte de stoïcism e, la plus voisine du chri-:
Ezras und Nehemias (en hébreu), dans festschrift Harkaoys, nism e.
S ain t-P étersb o u rg , 1908, p. 6 3 -1 0 4 ; G . K lam eth, Ezras
La conquête rom aine, plus vigoureuse que la :
Leben und Wirken, V ienne, 1909; Vom Ausbau des ziveilen tration sém itique des C arthaginois, im posa a ces ; -
Tempels bis zum Mauerbau Nehemias (progr.), 1909-1910.
L es histoires d 'Israël de S tade, W ellhausen, C ornill, G uthe. plades indom ptables une unité superficielle.
Espagne plus encore qu ’ ailleurs, prépara le
A. Cl a m e r . au christianism e.
E S P A G N E (É G LIS E D ’ ). U n prem ier article sera T out de suite, le christianism e com prit i :i: . · r-
consacré à l ’ exposé de l ’ état religieux actuel de cette tance d ’ une telle conquête, com m e en ten
Église, et un second aux publications des sciences ferm e propos de saint Paul d ’ aller évangéliser 1 Es ­
sacrées en Espagne. pagne, R om ., xv, 24, 28; tout de suite aussi l ’ Esp. - -
m it ses vertus au service du christianism e, com m e ■ ·.
I. ESPAG NE (É G L IS E D ’ ), ÉTAT R E L IG IE U X . — tém oignent scs m artyrs, le diacre V incent, Léocadie
L ’ Église d ’ Espagne m érite d ’ être étudiée avec quel ­ (Tolède), Servand et G erm ain de Saragosse (Cadix >,
que détail, à divers titres. D ’ abord, pour la grandeur O ronceet V ictor (G crona), C ucufas (B arcelone), Justus
de son passé et pour le rôle considérable qu ’ elle a el Pastor (Alcala), A cisclus, Faustus, Janvier, M ar ­
joué dans l ’ action catholique à travers les siècles. C et tial, Zœ llus (Cordoue), Eulalie (M erida), les innom ­
article étant consacré à la situation contem poraine, brables m artyrs · de Saragosse au com m encem ent du
nous nous bornerons à rappeler, par une rapide iv°siècle, et, antérieurem ent, deux soldats m is à m ort
esquisse historique ce qui, du passé, est rigoureuse ­ à C alahorra, H ém éthérius et C helidonius, antérieure ­
m ent nécessaire à l ’ intelligence du présent. M ais m ent encore sous la persécution de D èce, Fructueux,
l ’ état actuel de l ’ Église d ’ Espagne n ’ est pas m oins évêque de Tarragone, et. ses com pagnons, A ugure et
digne d ’ attention que sa glorieuse tradition : il offre Euloge. A l ’ intérieur, l ’ Église s ’ organise activem ent:
le spectacle d ’ une crise religieuse, nationale, sociale et conciles d ’ Illiberis (E lyire, G renade), 306, voir t. iv
politique, qui, pour être en général m al connue et col. 2378-2397, de Saragosse, 380, 1 er concile de Tolède,
m al appréciée, n ’ en a pas m oins une im portance de 400. D ès 306 nous voyons, au concile, les évêques de
prem ier ordre dans le m onde contem porain. Enfin, Léon, de Saragosse, de M erida, de Faro et d ’ E vora,
la solution de cette crise historique n ’ intéresse pas les évêques (ou représentants) de C arthagêne, G ua-
seulem ent une des plus belles provinces du catholi ­ dix, C astulo, M entesa, U rci, Tolède, Salavia, Lorca,
cism e : les nouvelles nations latines de l ’ A m érique, B asti, C ordoue, Séville, M artos, Ipagrum , Illiberis
politiquem ent libérées de l ’ Espagne, s ’ ouvrent chaque (G renade), M alaga, etc.; « treize autres églises au
jour davantage à son influence m orale; de la valeur m oins » (corn Leclercq) sont représentées. A l ’ exté ­
du catholicism e en Espagne dépendra pour une bonne rieur, l ’ Espagne fait déjà sentir une puissante influence
part la qualité de la civilisation dans ce N ouveau dans l ’ Église universelle; O sius de C ordoue préside
M onde. le concile de N icée; l ’ Espagnol Théodose régularise la
N ous devons dire tout de suite que la docum enta ­ politique que C onstantin avait inaugurée.
tion n ’ est pas aujourd ’ hui en rapport avec l ’ im por ­ 2° L ’ écroulem ent de l ’ em pire rom ain am ena en
tance d ’ un tel sujet, et c ’ est sans doute un des signes Espagne divers peuples barbares, Suèves, qui ont
de la crise actuelle. Il n ’ existe pas de publication m arqué leur influence en G alice, V andales, qui pas ­
d ’ ensem ble; il existe peu de publications partielles sèrent en A frique après avoir laissé leur nom à l ’ A n ­
traitant de questions im portantes. En revanche, dalousie, et surtout les G oths, ariens; ainsi, en m êm e
l ’ obligeance est extrêm e chez les m em bres du clergé tem ps qu ’ elle retrouvait une possibilité d ’ indépen ­
pour renseigner; m ais cette obligeance elle-m êm e est dance nationale, l ’ Espagne perdait cette unité poli ­
quelque peu gênée par le m anque de docum ents précis, tique et adm inistrative qui en est la condition et le
en particulier de statistiques. Enfin, le régionalism e, ressort m oral et relig eux qui la m aintient. M ais les
si accusé en Espagne, rend ici particulièrem ent im pru ­ W isigoths,toujours sensibles au prestige de R om e et
dentes les généralisations et illusoires les m oyennes. bientôt conscients de leur faiblesse, restaurèrent dans
Puisse cet essai, forcém ent incom plet, susciter du une large m esure les lois rom aines et se convertirent
m om s, en donnant un aperçu de la grandeur du sujet, au catholicism e (H erm énégilde, fils du roi Léovigilde,
les collaborations m ultiples qui, seules, pourront se convertit, 579, et subit le m artyre, 585, m ais son
édifier un m onum ent digne de l ’ Église d ’ Espagne ! — frère R eccarède, qui succède à Léovigilde, se convertit
I. A perçu historique du rôle de l ’ Église d ’ Espagne. en 587 et entraîne la conversion de son peuple). M ais la
II. C om position actuelle. III. L ’ Église d ’ Espagne royauté w isigothique, partie de la persécution, ne peut
et la nation espagnole. IV . L ’ Église et l ’ É tat espa ­ s ’ arrêter à l ’ alliance avec l ’ Église catholique et se
gnol. V. L ’ Église d ’ Espagne et la société espagnole. surbordonne à elle, m êm e dans l ’ adm inistration du
V I. L ’ Église d ’ Espagne et l ’ Église universelle. tem porel:1a réalité du gouvernem ent passe à l ’ Église
I. A p e r ç u h is t o r iq u e d u r ô l e d e l ’ É g l is e qui agit surtout par les conciles de T olède;T olède est
d ’ E s p a g n e . — O n peut, pour plus de clarté, distin ­ à la fois m étropole religieuse et capitale politique, le
guer quatre périodes dans l ’ histoire religieuse de gouvernem ent espagnol prend, pour très longtem ps,
l ’ Espagne : 1° la période prim itive et l ’ établissem ent le caractère d ’ une théocratie; m ais l ’ esprit ingouver ­
du christianism e; 2° le m oyen âge et la form ation nable de la population, ravivé par l ’ individualism e
d ’ une unité nationale chrétienne; 3° l ’ èrc de l ’ abso ­ barbare, n ’ est pas pour cela foncièrem ent m odifie;
lutism e, des conquistadors et de la politique catho ­ l ’ absolutism e des rois est une apparence beaucoi
lique; 4° l ’ ère du régalism e et de la révolution. Indi­ plus qu ’ une réalité et «les conciles deT olède donnèrent
quons les caractères généraux de chacune de ces à l ’ Espagne le m odèle deson régim e parlem entaire. <-e
périodes. beaucoup le plus ancien du m onde > (lord A cb
1° L ’ Espagne prim itive présente déjà certains L ’ invasion arabo -berbère, com m encée en 71 ’. .
traits que l ’ histoire n ’ a point effacés; ses habitants, am ena en Espagne avec un nouvel afflux s
les Ibères, ont le m êm e esprit d ’ indépendance, le (A rabes) un élém ent capable d ’ une très brillante ci ­
m êm e patriotism e local que les tribus de l ’ A frique du vilisation, qui d ’ ailleurs s ’ est développée sur le sol
N ord; m élangés aux C eltes,ils ont produit une race l ’ Espagne et n ’ y a point été im portée par la conquête,
de com battants adm irables; la rude école de la guerre pas plus qu ’ elle n'en a été exportée à la suite de ia
et la rudesse de leur clim at ont développé chez eux reconquête ; — d ’ autre part, cette reconquête, corn-
555 E SPA G N E (É G L ISE D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 556

m encée dans le N ord presque aussitôt après la pre ­ geante politique catholique avait été une pure ren ­
m ière invasion, a substitué à l ’ unité adm inistrative contre, et que, bien loin que cette politique eût été la
et gouvernem entale de l ’ époque w isigothique une unité condition préalable de cette grandeur, celle-ci seule
nationale et patriotique, plus profonde E t cela, sans avait perm is de soutenir aussi longtem ps des entre ­
aucune intolérance religieuse; selon la parole de l'érudit prises aussi im prudentes et aussi contraires à la fois
H . Ch. Lea, adversaire de l ’ Église catnolique,l ’ Espagne aux traditions et aux intérêts nationaux. O n ne jus ­
est alors la nation « la plus tolérante du m onde ». Les | tifie nullem ent, m ais on explique ainsi en quelque
rapports et les échanges de toute nature entre les deux m esure la réaction par laquelle le régalisme retourna
populations au cours de cette longue croisade (triom ­ les institutions du pouvoir absolu contre le clergé ou
phante dès la fin du xm · siècle, parachevée à la fin contre les directions de l ’ Église. Sous ce rapport,
du xv°) expliquent seuls la richesse et la grandeur la politique royale est un achem inem ent à la poli ­
du génie espagnol, tel qu ’ il se m anifestera à l ’ Europe tique de la révolution qui, par suite de la faiblesse et
au xvi° siècle. des fautes personnelles de plusieurs rois, allait, au
A insi le christianism e, après avoir, en dépit de la cours du xix° siècle, collaborer violem m ent avec la
géographie, donné à l ’ Espagne une unité, a fait d ’ elle dynastie à la liquidation du passé.
une patrie. Le souvenir si proche de tant d ’ épreuves inouïes ne
3° En m êm e tem ps que la nation espagnole, ache ­ doit pas em pêcher de voir ce qu ’ il y a d ’ im périssable
vant la reconquête, devenait m aîtresse de sa destinée, dans l ’ œ uvre de l ’ Espagne catholique et de discerner
ses conquistadors découvraient les N ouveaux-M on ­ dès m aintenant que cette œ uvre est loin d ’ être achevée
des; au lieu de poursuivre, par lentes et dures étapes, ou léguée à d ’ autres. A insi, l ’ Espagne a pu perdre ses
Γ Islam en A frique, elle christianisa les A m ériques colonies et les richesses qu ’ elle en tirait, m ais selon
et en tira d ’ énorm es richesses qui furent à l ’ intérieur la pensée des prem iers conquistadors, de la grande
un instrum ent d ’ absolutism e, à l ’ extérieur un instru ­ Isabelle, de Las C asas, ces pays sont de grands pays
m ent d ’ hégém onie. Par m alheur, une dynastie étran ­ chrétiens où la race conquérante et la race conquise
gère détourna au profit de ses am bitions le m agni­ se sont associées (ce que nulle autre nation, dans les
fique effort de la nation. D ’ un côté s ’ épanouissait une tem ps m odernes, n ’ a encore réalisé). Enfin, l ’ Espagne
adm irable civilisation chrétienne, dans l ’ art, dans la est prête à reprendre dans le m onde sa m ission histo ­
littérature, dans les sciences m orales, dans la théo­ rique dès que l ’ ère des révolutions sera définitivem ent
logie et dans la m ystique, et des héros, aidés de quel ­ close; elle paraît l ’ être depuis 1875; il dépend du
ques com pagnons conquéraient des em pires au catho ­ patriotism e de tous les partis, de leur clairvoyance et
licism e que la R éform e allait entam er en Europe : de leur esprit de justice qu ’ elle le soit tout à fait.
« autant qu ’il est perm is à l ’ hom m e d'apprécier par V oilà pourquoi l ’ im portance est si grande d ’ étudier la
la m arche des événem ents les voies de la divine pro ­ situation actuelle, l ’ action et les ressources spiri­
vidence, c ’ est vraim ent par un dessein de D ieu que tuelles de l ’ Église d ’ Espagne qui a fait la nation et
sem ble être né cet hom m e (C olom b]... pour réparer les lui a donné sa vitalité, et qui ne pourrait laisser
désastres qui seraient infligés par l'Europe au nom quelque crédit aux erreurs révolutionnaires que par
catholique. » Léon X III, Quarto abeunte sœculo, 26 ses propres im prudences.
juillet 1892. En m êm e tem ps, des conquistadors du
m onde m oral, les jésuites, très espagnols et très m o ­ 11 a paru (1910) une traduction espagnole de VHistoire
dernes, allaient arrêter en Europe m êm e les ravages
ancienne de Γ Église, de M gr D uchesne, augm entée d ’ une
étude sur les origines chrétiennes do l ’ E spagne, qui n ’ est
de la R éform e et com m encer la reconquête catho ­ pas de M gr D uchesne; dom L eclercq, /.'Espagne chrétienne,
lique. P aris, 1906; M artin H um e, Spanish People, L ondres;
M ais, d ’ un autre côté, la m aison d ’ A utriche sacri ­ R afael A ltam ira y C revca, Historia de Espana g de la
fiait l ’ évangélisation des colonies à leur exploita ­ civilization espanola, B arcelone, t. i, 2 ” éd it., 1909; t. n ,
tion et em ployait leurs ressources à une politique 1902; t. m , 1906; t. iv (1700-1808), 1911 ; H . C h. L ea, .1 his-
catholique qui com prom ettait le catholicism e aux torg 0/ the Inquisition o/ Spain, 4 in-8°, L ondres ct N ew
Y ork, 1907; J. P . O liveira M artius, Historia da tivilisaçao
yeux des nations que leurs intérêts opposaient à iberica, 5 ’ éd it., L isbonne, 1909; D esdevises du D ezert,
l ’ Espagne, et qui allait jusqu ’ aux conflits violents avec L’Espagne de l'ancien régime, P aris, 1897, t. n : M artin
la papauté; en m êm e tem ps elle faisait dégénérer, en H um e, Modem Spain. N ous ne pouvons donner ici que des
opprim ant les consciences, l ’ inquisition espagnole indications très générales. Il n ’ existe m alheureusem ent pas
organisée au tem ps des rois catholiques Ferdinand une bonn e histoire, claire et im partiale, de l ’ É glise d ’ E s ­
et Isabelle, pour réagir contre une longue anarchie et pagne. P our l ’ histoire actuelle de l ’ É glise en E spagne, signa ­
contre des dangers réels m ais m enaçant la nation plus lons particulièrem ent l ’ excellente chronique hebdom adaire
rédigée par M âxim o [M . A ngel S alcedo] dans la lectura
que sa religion. A lors seulem ent se m anifestèrent dominical, revue illustrée dirigée par les jésuites, M adrid,
l ’absolutism e et l ’ intolérance, qui ne sont nullem ent 1911,18 ’ année.
dans la tradition nationale de l ’ Espagne, qui n ’ ont été
pour rien dans sa grandeur et qui sont la principale II. C o m p o s i t i o n a c t u e l l e d e l ’ É g l i s e d ’ E s p a g n e .
raison de ses épreuves. — 1° Clergé séculier. — Le concordat de 1851 a divisé
Ces causes de ruine, si puissantes qu ’ elles fussent, l ’ Espagne en neuf archevêchés, m étropoles d ’ autant
ne pouvaient produire en un court délai leurs consé ­ de provinces ecclésiastiques, et 46 évêchés suffra-
quences extrêm es, ct la forte sève de l'E spagne chré­ gants. Ces évêchés et archevêchés sont divisés en
tienne était loin d ’ être épuisée. A ussi, dans cette 16361 paroisses, groupées en 1000 archiprêtrés.
période, l ’ Espagne joue-t elle un rôle à la fois très L ’ art. 5 du concordat est ainsi conçu : « Confor ­
national et très universel, très brillant et très influent m ém ent aux puissantes raisons de nécessité et de
dans le catholicism e : le concile de T rente perm et convenance qui le réclam ent pour la plus grande com ­
d ’ apprécier la valeur universelle de sa théologie. m odité et utilité spirituelle des fidèles, on fera une
4° A près les douloureuses étapes d ’ un siècle de déca ­ nouvelle division de délim itation des diocèses dans
dence (le xvii°), la néfaste m aison d ’ A utriche, épuisée, toute la Péninsule et les îles adjacentes. En consé ­
céda à une dynastie française, avec sa place, la tâche quence, on conservera les sièges m étropolitains ac­
de réparer ses énorm es fautes. La fierté nationale, tuels de Tolède, B urgos, G renade, Saint-Jacques de
soum ise à de dures épreuves au cours de cette œ uvre C om postelle, Séville, Tarragone, V alence et Sara-
de réparation, avait peine à concevoir que la coïn ­ gosse, et on élèvera à ce rang le siège suffragant de
cidence de la grandeur nationale et de l'intransi ­ V alladolid.
557 E S P A G N E (E G LIS E D ’ ), E T A T R E L IG IE U X 558

C U R E S.

C H E F -L IE U D U D IO C È S E

et U R B A IN E S .
TO TA L.
NO M BRE D A R C H IP R É T R E S . R U R A LES.

De termino. De ascenso. De entrada


2« ela-ss. ).. classe. 2o classe. jrt classe-
Tolède....................................... 52 247 61 1 2 363
M adrid, 18 ............................................ 60 90 53 13 16 232
C iudad- R eal, 1 1 .................................. 17 17 26 22 1 2 85
C oria. 11 ............................................... 18 25 26 32 7 17 125
C uenca, 12 ............................................ 26 81 160 9 50 405
Plasencia, 12 ........................................ 14 34 110 8 166
Sigüenza, 18 ......................................... 27 36 159 92 26 46 386
Tarragone ............................... 18 60 60 7 5 150
B arcelone, 10 ........................................ 42 108 63 6 5 224
G erona, G ............................................ 35 43 68 98 75 54 373
L erida, 1 7 ............................................ 21 62 82 70 22 257
U rgcl, 19............................................... 62 60 123 150 395
T ortosa, 11....................................... . 15 25 45 63 2 3 176
V ich, 10 ................................................ 21 56 85 56 33 251'
Solsona*, 11 ......................................... 15 31 87 19 152

Séville, 23 ............................................ 36 67 45 127 6 281


B adajoz, 1 4 ......................................... 20 56 55 5 14 150
C adiz, 16 ............................................... 6 16 3 2 5 32
C ordoue, 1 7 ........................................ 41 23 58 1 1 125
C anaries, 5 ........................................... 16 13 4 5 4 42
T enerife · , 9 ......................................... 9 9 13 28 59

Valence, 2 5 ..................................... ... 52 69 80 112 313


M ajorque, 8 ........................................ 21 18 6 5 9 59
M inorque, 1 ........................................ 0 6 2 14
O rihuela, 1 1 ........................................ 12 12 12 21 3 60
Segorbe, 6 ............................................ 13 14 16 20 5 68

Grenade, 16 ........................................ 41 60 54 7 1 168


A lm eria, 7 ............................................ 13 36 38 3 110
C artagène-M urcie, 19 ......................... 32 29 24 41 126·
Jaen, 12 ............................................... 26 54 39 2 4 125
M alaga, 16 ........................................... 39 57 29 8 133 ’
G uadix, 5 ........................................ 7 18 27 10 62

Saint-Jacques de Compostrllr, 36. 29 68 681 17 798


Lugo. 40 ............................................... 15 18 127 329 20 15 524
M ondonedo, 18 .................................... 9 98 41 161 1 4 317
O viedo, 63 ............................................ 96 192 482 96 98 961
O rense, 30 ............................................ 59 118 296 59 61 593
T uy, 1 4 ................................................ 26 37 158 16 30

Burgos, M ................................. 25 38 71 398 313 210 1055


C alahorra® , 19 ..................................... 18 64 152 73 51 358
Léon, 38 ........................................ 24 355 193 166 810 ’
O sm a, 2 8 ............................................ 12 36 233 24 37 312·
Palencia. 2 2 ........................................ 21 71 141 55 41 332»
Santander, 26 ................................... 42 85 212 42 44 425
V itoria, 40 ................................. 23 69 266 246 104 708'°

Valladolid, 9 ..................................... 19 17 15 29 13 93
A storga. 28 ...................................... * . 12 136 178 46 107 479
A vila, 22 ............................................... 41 67 88 99 15 27 340 “
Ségovie. 16 ........................................... 10 28 226 4 11 279
Salam anque, 19 .................................... 18 23 34 170 13 21 282
Z am ora, 1 3 ......................................... 26 53 1:4 26 29 268
C iudad-R odrigo 12 .......................... 19 29 54 4 8 105

Saragosse, 15 ..................................... 12 33 84 202 331


H uesca, 14 ............................................ 17 31 53 67 8 176
.laca, 8 .................................................. 10 30 22 58 33 153
Pam pelune ' 3 , 20 ................................. 18 49 199 196 100 522
11 23 59 11 15 119
18 55 2 2 82
B arbastro t4 , 4 ................................. ... 5 15 104 13 16 153

1 11 y a en outre 28 curés auxiliaires. — 4 D oit être réuni à V ieil. 2 D oit être réuni à celui des C anaries. — *Er. vutre.
82 curés auxiliaires. — 'E n outre, 1 2 curés auxiliaires. — "C e siège doit être transféré à Logroffo. — ’ En outre. 11 auxiliaires.
S
B · " " S -----

— · En ..utre, "auxiliaires. — ’ En outre, 36 auxiliaires. — '° En outre, 52 auxiliaires. — 11 En outre, 139 curés auxiliaires — “ : ■
être uni à Salam anque. — 13 D oit être réuni à T udela. — '* D oit_étre uni à H uesca. — L es chiffres donnés ici sont em pruntés au
livre de l'abbé Sendra y D om enech (voir bibliographie): on trouvera parfois des chiffres un peu différents dans l ’ A nou ir? : · .-
tifteat eatlioliqae. nais l'A nnuaire parait avoir confondu dans certains cas le nom bre des paroisses et celui des édifices censurés
au culte. C es chiffres sont d'ailleurs susceptibles de quelques variations, m ais ils suffisent, répélons-le. à faire connaître la na ure
et l ’ im portance respective des divers diocèses.
559 E S P A G N E (É G L ISE D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 560

D e m êm e, seront m aintenus les diocèses suffra- à part; l ’ évêque confère le titre d ’ archiprêtrc aux
gants d ’ A lm eria, A storga, A vila, B adajoz, B arce ­ ecclésiastiques qui ont m érité sa confiance, et qui
lone, C adiz, C alahorra, C anaries, C artagena, C ordoue, peuvent fort bien ne pas être titulaires de la paroisse
C oria, C uenca, G erona, G uadix, H uesca, Jaen, Jaca, qui, pour son im portance ou son illustration, sert à
Léon, Lerida, Lugo, M alaga, M ajorque, M inorque, désigner l ’ archiprêtré.
M ondonedo, O rensc, O rihuela, O sm a, O viedo, Palen ­ V oici, par provinces ecclésiastiques et par diocèses,
cia, Pam plona, Plasencia, Salam anca, Santander, quelle est la répartition des paroisses. V oir tableau,
Segorbe, Segovia, Sigüenza, Tarazona, Tcruel, Tor- col. 557-558.
losa, T uy, U rgel, V ich et Zam ora. Il faut m ettre un peu à part du clergé paroissial les
Le diocèse d ’ A lbarracin sera uni à celui de Teruel, chapitres. Sans doute, les chanoines sont le clergé des
celui de B arbastro à celui de H uesca, celui de C euta à églises cathédrales et collégiales, m ais un clergé spé ­
celui de C adiz, celui de C iudad-R odrigo à celui de cialisé, un peu diflérent de l ’ autre par ses occupa ­
Salam anca, celui d ’ Ibiza à celui de M ajorque, celui tions com m e par sa situation sociale.
de Solsona à celui de V ich, celui de Tenerife à celui L ’ art. 13 du concordat de 1851 s ’ exprim e ainsi :
des C anaries, celui de Tudela à celui de Pam plona. I « Le chapitre des églises cathédrales se com posera du
Les prélats des sièges auxquels on en réunit d'autres doyen qui occupera toujours la prem ière stalle après
ajouteront au titre d ’ évêque de l ’ Église qu ’ ils diri­ celle de l'évêque, de quatre dignitaires, à savoir :
geaient celui de l ’ Église unie. l ’ archiprêtré, l ’ archidiacre, le chantre et l ’ écolâtre, et
Seront érigés de nouveaux sièges suffragants à en outre de celle de trésorier dans les églises m étro ­
C iudad-R eal, M adrid et V itoria. politaines, de quatre chanoines, de officio (chargée
Le siège épiscopal de C alahorra et la C alzada sera d ’ une fonction spéciale] : le m agistral, le doctoral, le
transféré à Logroiio, celui de O rihuela à A licante, celui lectoral et le pénitencier, et du nom bre de chanoines
de Segorbe à C astellon de la Plana, quand, dans ces de gratia fixé à l ’ art. 17. L ’ église de Tolède aura deux
villes, tout sera disposé, et le transfert jugé opportun dignitaires de plus... »
après consultation des prélats et chapitres respectifs. A rt. 16. O utre les dignitaires et chanoines qui,
Là où l ’ am élioration du service d ’ un diocèse récla ­ exclusivem ent, com posent le chapitre, il y aura dans
m era un évêque auxiliaire, on pourvoira à cette néces ­ les églises cathédrales des bénéficiés ou chapelains
sité dans la form e canonique accoutum ée. assistants...
D e m êm e on établira des vicaires généraux... là Les dignitaires et chanoines, com m e les bénéficiés
où on le croira nécessaire. A C euta et à Tenerife se ­ ou chapelains, quoique, pour la m eilleure adm inis ­
ront dès m aintenant établis des évêques auxiliaires. tration de leurs cathédrales respectives, ils soient
Les réunions et transferts décidés par le concordat divisés en prêtres, diacres et sous-diacres, devront être
n ’ ont pas encore été tous accom plis. tous prêtres,... et ceux qui ne le seraient pas en pre ­
Les provinces ecclésiastiques sont réparties de la nant possession de leurs bénéfices devront le devenir
m anière suivante : dans l ’ année.
Tolède............. C oria. C uenca, C iudad-R eal, M adrid, A rt. 17. Le nom bre de chanoines et bénéficiés dans
P lasencia, Sigüenza. les églises m étropolitaines sera le suivant : les églises
Tarragane . . . B arcelone, G erona. L erida. S olsona, de Tolède, Séville et Saragosse auront 28 chanoines;
T ortosa. U rgel, V ich. Tolède aura 24 bénéficiés, Séville 22, Saragosse 28.
Séville............. B adajoz, C adiz, C anaries, C ordoue, Les églises de Tarragonc, V alence et Saint-Jac ­
T enerife. ques de C om postelle auront 26 chanoines et 20 béné-
Valence............ M ajorque, M inorque, O rihuela, Se- ■ ficiés. Les églises de B urgos, G renade et V alladolid
gorbe.
auront 24 chanoines et 20 bénéficiés.
Grenade............ A lm eria, C artagena, G uadix, Jaen ,
M alaga. Les églises suffragantes auront respectivem ent... etc.
Saint-Jacques de L ugo, M ondonedo, O viedo, O rense, V oici, en fait, et sous form e de tableau, quelle était
Compostelle.... T uy. en 1901 la com position des chapitres et le nom bre des
Hurgos............. C alahorra, L éon, O sm a, P alencia, S an ­ bénéficiés. V oir tableau, col. 561-562.
tander, V itoria. Il faut citer, en outre, un certain nom bre de cha ­
Valladolid. . . . A storga, A vila, C iudad-R odrigo, Se ­ pitres de collégiales dont les principales sont, d ’ après
govia, S alam anca, Z am ora.
l ’ art. 21 du concordat :
Saragosse. . . . B arbastro, H uesca, Jaca, P am pelune,
T eruel. C b in « in e R B o ie fid é s

A lcala de H en arcs (diocèse de M adrid) 10 8


O n peut donner quelque idée de l ’ im portance rela ­ Jerez de la F rontera ( — Séville) 10 6
tive des divers diocèses en indiquant le nom bre des S acro M onte (à G renade m êm e) . . . 6
paroisses qu'ils contiennent. Ces paroisses se divisent N . D . de C ovadonga (diocèse d ’ O viedo) 10 6
en deux grandes catégories : les paroisses urbaines et L ogrofto 1 ( — C alahorra) 10 6
S aint-Isidore (à L éon m êm e) . . . . 10 G
les paroisses rurales, m ais ces dénom inations sont con ­ L oria (diocèse d ’ O sm a) . . 10 G
ventionnelles ; d ’ après l ’ abbé Sendra y D om enech, sont L a G ranja ( — Segovia) . . 10 G
urbaines les paroisses qui com ptent plus de 50 fidèles. A lbarracdin ( — T eruei) . . 10 6
Les paroisses urbaines sont elles-m êm es subdivi ­
1 L ogroào d o it d ’ ailleurs rem placer C alahorra com m e
sées en trois catégories : 1° paroisses de entrada, par où siège de l ’ évêché.
les prêtres entrent dans le m inistère des âm es; ce sont
donc, parm i ces paroisses, les paroisses de début; on Q uelques chiffres m anquent à ce tableau; d ’ autres
y distingue trois classes; 2° les paroisses de ascenso, peuvent se trouver aujourd ’ hui légèrem ent inexacts;
ou d'avancem ent, où l ’ on distingue deux classes; ce qui apparaît, c'est que l ’ ensem ble des chanoines et
3° les paroisses de termino, ou de term e, où l ’ on dis ­ bénéficiers form e un groupe d ’ environ 2000 ecclésias ­
tingue encore plusieurs classes, la m ieux rétribuée tiques, qui ne se confond pas com plètem ent avec le
étant très peu nom breuse. reste du clergé séculier,qui,nous le verrons,se distin ­
Les paroisses rurales se divisent en deux classes : gue par sa haute culture, m ais dont l ’ action, gênée par
1° paroisses com ptant m oins de 25 fidèles; 2° de 25 à ses fonctions m êm es, ne répond pas à cette haute cul
50 fidèles. ture et au travail dépensé pour l ’ acquérir. 11 y a de ce
Toutes ces paroisses sont groupées en archiprêtrés. côté de belles forces non encore pleinem ent utilisées.
M ais les archiprêtrés ne constituent pas une catégorie 2° Clergé régulier. — D ’ après le recensem ent de
561 E S P A G N E (É G L IS E D ’ ), ÉTAT R E L IG IEU X

D IG N IT A IR E S . ni nom . B É N É F IC IÉ S . N G M T U M S. C B R O tlD . m inock

Tolède................. 8 20 20 St.-JacqucsdcGomjwstcdle. 6 20 3D
M adrid .................. o 15 20 L u g o ..................................... n 13 14
C iudad-R eal .......................... · 5 11 M ondonedo ............................ 5 11 12
C oria ............................ 5 11 O v ied o ................................. 6· 15 16
C uenca ................................. 5 13 15 O rense .................................... 5 11 12
P lasencia .................. 5 11 12 T uy ......................................... 5 11 12
Sigüenza ................................. 5 11 12
Burgos .......................... 6 18 20
Tarragone ........... 6 20 20 C alahorra ............................. 5 13 14
B arcelone ............... 5 15 16 L éon ....................................... 5 15 16
G eiona ..................... 5 11 12 O sm a .................................... 5 11 12
L erida ................................. 5 11 12 Palencia ................................. 5 13 14
T o rto sa .................. 5 11 12 S antander ............................. 5 13 14
V ich ............................. 5 11 12 V itoria .................................... 5 11 12
Solsona 1 ................................. 1 10 6
Valladolid...................... 6 18 20
Seville.......................... 7 22 22 A storga ................................. 5 11 12
B adajoz ................................. 5 13 14 A v ila ..................................... 5 11 12
C adiz ..................................... 5 15 16 S egovia ................................. 5 11 12
C ordoue ................................. 5 15 16 S alam anque .......................... 5 13 14
C anaries .............. . . 5 11 12 Z am ora ................................. 5 11 12
T enerife ................................. 5 11 12 C iudad-R odrigo* .................. 1 10 6

Valence.......................... 6 20 20 Saragosse....................... 7 3 24 28
M ajorque ................................ 5 11 12 H uesca ................................. 5 11 12
M inorque ................................ 5 11 12 Jaca ........................................ □ 11 12
Segorbe ................................. 5 11 12 Pam pelune * .......................... 5 13 14
T aragona .............................. 5 11 12
Grenade......................... 6 17 20 T eruel..................................... 5 11 12
A lm eria .................................. 5 11 12 B arbastro 8 .......................... 1 10 6
C artagêne-M urcie ............... 5 13 14
Jaen ........................................ 5 13
M alaga ................................... 5 18 16
G uadix ............................ 5 11 12 1 A rem arquer ce chiffre; le chapitre d O viedo a un dignitaire de ,
plus que les chap itres de m êm e classe : c ’ est l ’ abbé de C ovadonga.
«C e chapitre doit deven ir chapitre collégial, quand le diocèse
sera effectivem ent supprim é.
1 L e chapitre de ce diocèse qui doit être uni à celui du dio- 3 II v a un arch iprêtre pour chacune des deux cathédrales.
cèse de V ich, est com posé com m e un chapitre collégial. V oir ‘ D oit être réuni à T udela, qui possède une collégiale.
plus loin. • D éjà organisé com m e une collégiale, doit être uni à H uesca. i

1900, il y aurait eu à cette date,en Espagne, 12 142 reli ­ (évêque de Jaca), El Derecho espanol en sus relaciones con
gieux et 42596 religieuses, soit, au total. 54738 régu ­ la lylesia, M adrid, 1909 (abondante bibliographie!: on
trouvera d ’ assez nom breux renseignem ents statistiq u es,
liers, sur 18753206 habitants.
biographiques et parfois historiques dans l'Annuaire ponti­
D ’ après le Statesman's Year Book, il y aurait eu en fical catholique de M gr B attan d ier, 13' année, P aris, 1910:
Espagne, en 1907, 50 670 religieux sur 19 712 285 Jo aq u in B ui trago y H ernândez, Las ordenes religiosas y
habitants, soit 26 religieux sur 10000 habitants (la los Religiosos, 1901 ; M àxim o[M . S alcedo J, F i anticléricalisme
proportion serait en B elgique de 52 (1907), en France ' y las ordenes religiosas en Espana. M adrid,1908; R . P . E ste ­
de 47 (1901, avant la persécution), en A ngleterre et ban S acres!, O . P ., Catecismo doctrinal y apologetico sobre
G alles de 30 (1908), en Irlande de 27 (1908), en A lle ­ el Estado religioso, M adrid, 1909 (assez nom breuses statis ­
tiques); Ordo divini o/ficii... in dicecesi malritensi-complu-
m agne de 29 (1905), plus forte dans toutes ces nations
lensi, 1910; Relacion de las coinunidades de religiosas exis-
qu ’ en Espagne. tentes en la diocesis de Madrid-Alcala, 1910; Del excesiin
La différence entre les deux chiffres que nous avons desarrollo de las ordenes religiosas en Espaiïa. M adrid. 1910.
cités m ontre la difficulté d ’ établir une statistique rigou ­
reusem ent exacte; car, s ’ il est naturel que le chiffre III. L ’ É g l i s e d ’ E s f a g n e e t l a n a t i o n e s p a ­
ait varié de 1900 à 1907, il paraît peu vraisem blable, g n o l e . — A près avoir constaté le rôle prim ordial
à la suite de l ’ entrée en Espagne d ’ assez nom breuses joué par l ’ Église dans la form ation et dans l'unifica ­
congrégations françaises, que cette variation ait été tion nationales de l ’ Espagne, il im porte de se dem an ­
une dim inution. Q uoi qu ’ il en soit, il y a lieu d'ad ­ der si, actuellem ent, la nation et l ’ Église d ’ Espagne
m ettre qu ’ il y a en Espagne un peu plus de 50000 ré ­ continuent à coïncider.
guliers, dont plus des trois quarts sont des fem m es. E t d ’ abord, quel est le nom bre des catholiques, et
3° Catholiques pratiquants. — Les élém ents que nous quelle proportion représentent-ils dans la popui; -
venons de passer en revue représentent la partie tion ? D ’ après le recensem ent de 1900 (un nouveau
ecclésiastique de l ’ Église, et la partie dont il est rela ­ recensem ent vient d ’ être fait, fin 1910). le cierge ca ­
tivem ent aisé de connaître l ’ altitude et les sentim ents. tholique séculier com pte 33403 m em bres, le ck:_> -
Il est infinim ent plus difficile de connaître le nom ­ autres cultes en com pte 106. D ’ après ces ternies -
bre des laïques qui sont catholiques réellem ent et non com paraison précis, m ais illusoires, les dissidents -
pas seulem ent à l ’ état civil et d ’ apprécier les rapports seraient m êm e pas, en Espagne, un sur trois ·
du clergé et des laïques. E t ici se pose naturellem ent habitants, et il resterait vrai de dire que l ’ Esp:
la question des rapports de l ’ Église avec la nation. une nation catholique, sans restriction.
F rancisco de P aula S endra y D om énech, Geogrtffta L'hétérodoxie n ’ a jam ais eu grand succès en E spa ­
eclesiaslica de Espaiïa, V alladolid, 1901 ; M gr L ôpez P elàez gne. Le protestantism e, en particulier, y a fait peu
563 E S P A G N E (É G L IS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 564

d ’adeptes, m algré les efforts tentés au xvi e siècle. V oir L'élém ent juif a eu, historiquem ent, un rôle infi­
Realencyklopâdie fur protestantischc Théologie und nim ent plus considérable que l ’ élém ent protestant;
Ki.che, 3 e édit., Leipzig, 1906, t. xvm , p. 580-587. il n ’ est pas im portant à l ’ heure actuelle; peut-être
Pourtant, sous le règne d'Isabelle II, il y eut une pro ­ pourrait-il le. redevenir. Les juifs furent expul ­
pagande assez active (particulièrem ent de 1834 à sés d ’ Espagne en 1492. L ’ édit fut m aintenu, et, au
1839, de 1840 à 1849, de 1854 à 1856); les Sociétés xvi° siècle, rigoureusem ent appliqué. L ’ invasion fran ­
bibliques répandirent de nom breux exem plaires de çaise, sous N apoléon, rouvrit l ’ Espagne aux juifs, puis
l ’ É criture sainte; après le quaker B orrow vinrent les Ferdinand V II la leur ferm a. La proclam ation delà
m issionnaires m éthodistes du D r R ulc; ils firent peu de liberté des cultes en 1869 favorisa leur retour; la trans ­
conversions. M enendez y Pelayo cite un ancien fran ­ form ation de la liberté en tolérance (constit. de 1876)
ciscain devenu protestant, D . Juan C alderon, et un le ralentit. D ans ces dernières années, un assez grand
quaker espagnol, D . L. de U soz y R io. A près la révo ­ nom bre de juifs (qui, souvent, descendent de juifs
lution de 1868 la propagande reprit, surtout en A nda ­ espagnols expulsés) sont rentrés en Espagne. V oir
lousie; « il n ’ y eut pas un coin de l ’ Espagne où ne L ’Espagne et les juifs marocains, par J. C ausse, dans
vint alors un pasteur protestant ou un distributeur de le Journal des Débats, 14 octobre 1907. M ais, à sup ­
B ibles » (M enendez y Pelayo). O n prenait les B ibles, poser que l ’ élém ent Israélite doive reprendre quelque
on ne les lisait pas. Les auteurs les m oins bienveil ­ influence en Espagne, il ne peut être question évidem ­
lants pour l ’ Église rom aine constatent le peu de suc ­ m ent d ’ une influence religieuse.
cès des protestants; tel H ubbard, Histoire contempo ­ Il en est autrem ent des sectes ou des partis anti ­
raine de l'Espagne, t. vi, p. 227-229; l ’ auteur était en chrétiens; par m alheur, si l ’on peut signaler l ’ im por ­
Espagne au m om ent de la révolution. « O n ne peut tance de ceux-ci, il est im possible m êm e de la m esurer
disconvenir que la sim plicité du culte protestant ne superficiellem ent à l ’ aide de statistiques et de chiffres;
convient guère aux populations m éridionales...; le un auteur espagnol, N icolâs D iaz y Pérez, franc-m açon,
tem ple paraîtra toujours m esquin en face des belles a publié, sur un ton d'ailleurs assez m odéré, un livre
cathédrales élevées par la foi du m oyen âge. sur La Francmasoneria espanola, M adrid, 1894. Il éva ­
E t pourtant, c ’ est tout à fait au m idi, parm i les lue à cette date le nom bre des francs-m açons à 64900,
caractères les plus im pressionnables, sous le beau ciel dont 2200 fem m es. Ces chiffres sont incontrôlables.
d ’ A ndalousie, que le protestantism e a fait le plus de Ce qui n ’ est pas douteux, m alheureusem ent, c ’ est
prosélytes... N ous l ’ attribuons pour notre part à la que, en fait, actuellem ent, une partie des libéraux et
présence de riches fam illes protestantes établies à la totalité des radicaux et des républicains et sans
Jerez, à C adiz et à M alaga. Elles exercent autour doute aussi des socialistes, non seulem ent n ’ est pas
d'elles un rayonnem ent d ’ autant plus étendu qu ’ elles catholique, m ais est plus ou m oins violem m ent hos ­
disposent de plus de capitaux, à côté d ’ A ndalous tile à l ’ Église catholique. O r voici, d ’ après la Croix
toujours im prévoyants et pauvres com m e Job. » du 8 m ai 1910, la statistique des députés aux C ortès:
• Les m inces résultats de la propagande protestante, conservateurs, 108; libéraux, 226; républicains, 39;
dit de son côté H . Ch. Lea, depuis l ’ époque de G eorge solidaristes catalans, 7; carlistes, 8; intégristes, 3;
B orrow jusqu ’ à celle du pasteur Flicdner, m ontre com ­ catholiques, 2; socialiste, 1 ; indépendants, 3.
bien peu le catholicism e a à craindre de tels crtorts En som m e, et sans pouvoir préciser où se fait dans
chez un peuple qui, s'il abandonne la foi de ses pères, le parti libéral, qui est com plexe, la dém arcation entre
est bien plus disposé à chercher un refuge dans la les catholiques et leurs ennem is, il est du m oins cer ­
négation de la religion que dans l ’ hérésie. » A history of tain qu ’ une partie im portante de la nation est prati ­
the Inquisition of Spain, t. iv, p. 471. Frederick quem ent en dehors du catholicism e. L ’ Église catho ­
Fliedner (f le 25 avril 1901) est un A llem and qui lique n ’ est plus, en fait, au sens plein du m ot, une
fonda en Éspagne des centres d ’ éducation et une m ai­ Église nationale.
son d ’ édition (1873). C elle-ci publie une Reuista cris- Tel est le fait brutal. N ous avons à nous dem ander
tiana. V oir Le Christianisme au xx· siècle des 22 et | com m ent l ’ Église m aintient dans une certaine m esure
29 m ai 1908. U ne Église du R édem pteur, à M adrid, son caractère national, et par où elle le perd.
est la plus ancienne des congrégations évangéliques Par l ’ enseignem ent. l ’ Église séculière et régulière
existant actuellem ent en Espagne. Elle a été fondée joue un rôle im portant dans la vie nationale. Le rôle
le 24 janvier 1869 par D . A ntonio C arrasco et D. Fran ­ des réguliers est particulièrem ent actif, en Espagne et
cisco de R uet. La revue citée signale la récente fonda ­ dans les pays de civilisation espagnole. La Junie cen­
tion, par l ’ évêque C abrera, d ’ une chapelle reform ée à trale d’action catholique vient de publier (juin 1911)
V alence et la propagande de l ’ U nion chrétienne des . une brochure docum entaire sur les services rendus
jeunes gens à M adrid. En 1908, a dû avoir lieu une dans le m onde à l ’ Espagne par scs ordres religieux.
assem blée générale de l ’ Église évangélique espagnole. V oir aussi Del excesioo desarrollo de las ordenes
En 19'16, elle avait 20 com m unautés indépendantes religiosas en Espana, M adrid, 1910. En voici des
dans les grandes villes et 30 stations de prédication. exem ples : Les jésuites espagnols ont, en Espagne,
L ’ Église espagnole réformée a adopté la confession de 18 collèges, en A m érique 12, aux Philippines 1 ; la
foi anglicane. Elle com pte dix églises et elle est gou ­ m oyenne des élèves de chacun de ces collèges est de
vernée par un évêque. Les m éthodistes ont aussi un 150 internes et 175 externes. Ils ont, en Espagne,
petit nom bre de com m unautés surtout à l ’ est, à B ar ­ 2 sém inaires, en A m érique 4, aux Philippines 2.
celone et dans les îles B aléares. Les baptistes ont Les Escolapios (Frères des Écoles chrétiennes)
quelques églises dans les grandes villes, notam m ent avaient (en 1903) :
à M adrid et à V alence. Les frères de Plym outh ont de
nom breuses stations dans le nord-ouest de l ’ Espagne. N O M BRE NOMBRE
n ombr e
V oir Realencyclopiidie, t. xvm , p. 578-579. 11 est bien
N O M BR E
P R O V IN C E S
de D E X T ER N E S
I» I N T E R N E S 1’ E X T E R N E S .
digne de rem arque que ce m ouvem ent, d ’ ailleurs peu C O LLEG ES· s u r v e illé s .

étendu, conserve l'air de quelque chose d ’ étranger,


m êm e lorsqu ’ il finit par être dirigé par des Espagnols. C atalogne . . 21 490 (?) 2196 4353
V oir Th. M c C rie, History of the progress and suppres­ V alence . . . 6 194 181 2 739
sion of the Reformation in Spain, Édim bourg, 1829; A ragon. . . . 14 223 728 3337
C astille. . . . 15 769 1104 4562
Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1870, t. iv,
p. 524-528, 531-532, 536.
565 E S P A G N E (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IEU X

D epuis 1903, il y a eu certainem ent une augm en ­ Par ailleurs. l ’ Église a perdu une partie des ekr
tation, parfois considérable, du nom bre des élèves. qui faisaient d ’ elle une Église nationale (avec les .
Les religieuses Escolapias ont, en Espagne (d ’ après tages, m ais aussi avec les inconvénients ie cette
une lettre du 3 avril 1909), 22 collèges, avec 515 sœ urs situation). E t d ’ abord, elle a perdu ses biens fonciers
et 5080 élèves. La tendance à la sécularisation est d ’ n il., urs rt
Les dom inicains espagnols soutiennent l ’ université ancienne en Espagne, m ais elle n ’ a prévalu <iu t-
de M anille,avec les facultés dethéologieetdroitcanon, tir du xvin ” siècle. Les jésuites en furent li s pria teres
philosophie et lettres,pharm acie,m édecine et carrière victim es, en 1767. A près les jésuites, les autre- ■ - ire-
d ’ ingénieur. En 1908, il y avait660élèves im m atriculés. religieux furent atteints; sous le roi Joseph, le- ■ · - -
A cette université se rattache une série de collèges du 4 décem bre 1808, des 27 avril et 18 juin 18"o abo­
et d ’ écoles dirigés, quelques-uns par des dom inicains, lirent tous les ordres et confisquèrent leurs proprii tes.
et tous par des religieux; on y instruit plus de 2000 A près la R estauration, qui ne releva pas toutes les
élèves. Pour le détail, voir l ’ A ppendice du Calecismo ruines faites, la naissance du carlism e vint com pli ­
doctrinal y apologetico sobre dei eslado religioso, par le que les questions religieuses et com prom ettre à son
P. Fr. Esteban Sacrest, O . P., M adrid, 1909. tour le clergé séculier; en 1834, furent confisqués les
En Espagne, ils dirigent les collèges de C uevas, biens du clergé carliste; en 1837, tous les biens duclergé
O viedo, Santa M aria de N leva, Segovia et V ergara. furent confisqués et les dîm esfurent supprim ées. M êm e
Les dom inicains espagnols ont dans leur province au point de vue financier, l ’ opération fut m auvaise
de C astille les collèges d'enseignem ent secondaire pour l ’ É tat; en 1840, les biens du clergé séculier furent
de H uelva, V al de D on Juan et Léon qui com pren ­ restitués. Presque aussitôt une nouvelle convulsion
nent chacun douze pères et une m oyenne de 70 élèves. révolutionnaire am ena le rem placem ent au pouvoir
Les collèges de Lianes (O viedo), U cles, T alavera de la des m odérés par les progressistes, la confiscation des
R eina, T apia, Santander, avec une m oyenne de 15 à m aisons religieuses situées dans le territoire occupé
18 pères,avaient une m oyenne de 110 élèves. D ans leur par les cailistes, la vente des églises conventuelles non
province de M adrid, ils avaient en 1909 les collèges indispensables au culte, la protestation du Saint-Siège,
de l ’ Escorial (Réal Colegio de Al/onso XII, 17 pères, et, par contre-coup (2 septem bre 1840), la séculari­
180 élèves), de M aria C ristina (18 pères, 100 élèves), sation des biens m êm es du clergé séculier.
de G uernica (15-110), de R onda (11-100), de Palm a En 1844, les m odérés revinrent au pouvoir; des
(13-100), de Portugalete (5-200). Les salésiens avaient négociations com m encèrent qui devaient aboutir
(en 1909), en Espagne, 26 collèges et 11120 élèves (sur au concordat de 1851, m ais les biens de l ’ Église (sauf
154 collèges et 48755 élèves dans le m onde). une très petite part) ne lui revinrent pas sous form e
Les dom inicaines du P. Coll avaient des collèges et foncière, m ais sous form e d ’ un budget d ’ É tat. Pour
écoles dans les provinces de B arcelone (63 collèges et cette raison, et com m e il était arrivé en France sous la
écoles, 100 élèves en m oyenne), G erona (25-95), T ara- R évolution, l ’ Église s ’ est trouvée en Espagne déna ­
gona (3-80), V alence(16-150), A lbacete(l-150), A sturies tionalisée dans une certaine m esure.
(7-200), soit environ 12000 élèves. D ’ autres dom ini ­ M ais il y a lieu de faire une distinction entre ie clergé
caines ont encore des collèges ou écoles à B arcelone, régulier et le clergé séculier.
B elchite, G erona, G renade, H uesca (école norm ale), Le clergé régulier a été étroitem ent associé à
M adrid, Palm a, Pam plona, V ich, V illala.Saragosse.etc. l ’ œ uvre nationale grandiose que les Espagnols ont
Les sœ urs carm élites de la charité ont aussi nom bre accom plie au delà des m ers. La perte de la plus grande
d ’ écoles, auxquelles sont joints assez souvent des éta ­ partie de l ’ em pire espagnol dans la prem ière m oitié du
blissem ents charitables. En voici le tableau : xix° siècle, puis de C uba et des Philippines en 1898,
ont fait refluer en partie ce clergé loin de son cham p
d ’ activité propre, et l ’ ont m is ainsi dans une situa ­
’/ 5 w « 1 w « a a tion un peu fausse. Les effets de la persécution en
S o «ci
82
a « ι/ i 2 ’
Z =
X 3 l < B France o; t égalem ent refoulé en Espagne un assez
P R O V IN C E S .
l 'i C 1 J H
Z * '·** * ■ 4
grand nom bre d ’ instituts religieux qui n ’ avaient pas
été fondés spécialem ent pour les besoins du pays. D e
là, l ’ acuité de la question des ordres religieux, que les
A lava ................. 3 44 98 327 263 6 anticléricaux utilisent com m e un prétexte.
A licante . . . . 4 41 8 784 109
20
L ’ Église séculière reste plus exactem ent nationale:
B adajoz .............. 2 30 151 16 150
B arcelone. . . 25 402 52 2 818 2038
dans la m esure légitim e, elle adapte ses cadres m êm es
2123
C éceres. . . . . o 25 61 320 116 96 à l ’ organisation nationale; c ’ est ainsi que le concor ­
C adix .................. 4 46 25 814 364 166 dat de 1851 a rem anié les circonscriptions épisco ­
C artagena. . . . 1 10 60 65 56 pales, et que le récent diocèse de la capitale tend à
C astellos . . . . 20 45 112 214 95 devenir réellem ent le chef de l ’ Église d ’ Espagne. Il
C ordoue .............. 1 15 98 246 est excellent pour la bonne harm onie qu ’ un centre
G uadalajara. . . 1 5 96
37
ecclésiastique corresponde au principal centre intel­
G erona ............... 8 77 1 780 1 184 495
G uîpuscoa . . . 1 19 74 127
lectuel et adm inistratif de la nation. O n sait que M a-
105 33
Jaen ................... 2 23 42 346 81 150
i drid est une capitale assez artificielle, et il n ’ est pas
L éon .................. 2 29 50 236 196 étonnant qu ’ elle n ’ ait point été, dans la vieille Espagne
L érid a ............... 9 63 1 747 602 560 chrétienne, une m étropole religieuse. C ependant, en
Logrono .............. 1 13 5 348 338 403 fait, le pouvoir civil a réussi à y établir une capitule,
M adrid ............... 2 32 84 260 36 270 et le concordat de 1851 y a établi en principe un
O rense ............... 1 15 39 254 211
17
siège épiscopal; l ’ érection eut lieu réellem ei.t en 1
O viedo ............... 2 14 210 50
Pam pelune. 1 13 140
! accom plie par la bulle Romani pontifices (~ m ai 18-8-t · :
100 160
Pontevedra. . . 1 13 19 177 29 70
le chapitre cathédral fut constitué le 24 novem bre -
Santander. . . . 2 22 36 233 110 la m êm e année. Le siège a eu depuis lors cinq l :_-
S éville ............... 2 31 27 744 70 laires : M gr Izquierdo, grand am i de C aste!. -, e:
T aragona. . . . 8 70 15 815 781 221 fut assassiné par un prêtre (l ’ assassin, dit- <··
V alence .............. 5 80 177 1 047 1 604 335 fou; peut-être aussi céda-t-il à un m ouvem ent de
V izcaya ............... 3 27 19 344 182 59 haine contre le réform ateur énergique qu ’ et ..·? M —
Izquierdo), M gr Sancha, depuis archevêque deT-.leCe.
567 ESPAGNE (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 568

M gr Cos, depuis archevêque de V alladolid, M gr G ui- col. 591. Le service delà m esse,les ornem ents sacerdo ­
sasola, actuellem ent archevêque de V alence, M gr Sal ­ taux présentent de m enues différences avec ce qui se
vador y B arrera, titulaire actuel. C ’ est à M gr G uisa- voit chez nous. V oir, par exem ple, abbé C arouge,
sola, alors évêque de M adrid, que Pie X a adressé la Pèlerinages en Espagne d en Portugal, Troyes, 1903,
lettre Inlcr catholicos sur l ’ union des catholiques p. 13 sq. et passim . Les enterrem ents non plus ne se
d ’ Espagne. L ’ évêque actuel a pris une série de m esures célèbrent pas de la m êm e m anière. Ibid., p. 21-22.
excellentes pour la restauration de la vie paroissiale. La célèbre bulle de la croisade, qui est renouvelée
A M adrid s ’ est fondée, en 1908, une université catho ­ tous les six ans,dispense,m oyennant une légère aum ô ­
lique pour être le principal centre d ’ études ecclésias ­ ne, les Espagnols du jeûne, sauf le m ercredi des Cen ­
tiques en Espagne. L à, ont leur centre beaucoup dres, les vendredis de carêm e, les quatre derniers
d ’ institutions catholiques sociales; là, se publie le jours de la sem aine sainte, et les vigiles de N oël, de la
plus lu des journaux catholiques, V Universo, etc. Pentecôte, de l ’ A ssom ption et de la Saint-Pierre.
V oici quelques renseignem ents, statistiques et N om bre de cérém onies populaires et poétiques,
autres, sur cet im portant diocèse. M adrid com pte m alheureusem ent en voie de disparaître, se célèbrent
30 paroisses, auxquelles sont attachés 362 prêtres encore, surtout dans les paroisses rurales.
(en 1910); il y a en outre 81 églises non paroissiales M . M énendez y P elayo, Historia de los Heterodozos espa-
ou chapelles, m oins im portantes pour la plupart et ùoles, 3 vol., M adrid; M cyrick, The Church in Spain, L on ­
desservies par 255 ecclésiastiques (pour une population dres, 1892; H . C h. L ea, Esquisse d'une histoire de la main ­
qui dépasse un dem i-m illion d ’ habitants). morte, P aris, 1901; N icolas D iaz y P érez, La Francmasone-
Le sém inaire conciliaire, voir col. 569, est rem ar ­ ria espanola, M adrid, 1894; A n. L eroy-B eaulieu, Israël
quablem ent organisé, surtout pour les études sociales. chez les nations, 5 ” éd it., P aris, 1893, p. 90, 94, 156-157.
275; M o rel-Fatio , Études sur l'Espagne, 3" série, P aris,
Le clergé du diocèse a fondé une caisse de retraites et
1904, p. 438 sq.
une association de secours m utuels, institutions parti ­ S ur les coutum es religieuses de diverses provinces et
culièrem ent opportunes en Espagne, com m e nous le sur l ’ esprit religieux de l ’ E spagne, on trouvera des rensei ­
verrons plus loin. gnem ents abondants dans la littératu re,en particulier chez
En résum é, le caractère national que l ’ histoire a les rom anciers, dans les guides, dans les récits do voyages
im prim é à l ’ Église d ’ Espagne lui a valu certains dan ­ et surtout de pèlerinages. C itons : A l. de L aborde, lliné-
gers et certaines forces ; il ne disparaît pas, il s ’ élargit. naire descriptif de ΓEspagne, 5 vol., P aris, 1808; R ené
Le caractère national d ’ une Église peut se traduire B azin, Terre d ’Espagne, P aris, 1895; abbé C arouge, Pèle­
dans les coutum es proprem ent dites, et aussi dans les
rinages en Espagne et en Portugal, T royes, 1903; A ngel
G anivet, Idearium Espanol, M adrid, 1896; 2 ’ édit., 1905;
institutions ecclésiastiques. M . de U nam uno, M i religion, M adrid. 1910; Id., En Torno
Les coutum es particulières qui donnent à la piété al casticismo (articles publiés dans l.a Espaila moderna,
d ’ un pays toute sa saveur et toute sa profondeur sont M adrid, m ars, avril, m ai 1895); M enendez y P alayo, His­
très nom breuses en Espagne, où' il faudrait, du reste, toria de las ideas estéticas en Espana, M adrid V oir enfin
distinguer plusieurs légions. En particulier, l ’ esprit sur les coutum es religieuses populaires la précieuse col ­
religieux s ’ est beaucoup m ieux m aintenu dans le lection du l.àbaro journal q u o tid ien de S alam anque
(14" année, 1910), et de la Semana catolica du m êm e dio ­
N ord que dans le Sud; et, d ’ autre part, dans les pro ­
cèse.
vinces basques et en N avarre, il est plus qu ’ ailleurs
m êlé de passions politiques. Il y aurait à faire, dans IV . L ’ É g l is e d ’ E s p a g n e e t l ’ É t a t e s p a g n o l . —
cet ordre d ’ idées, toute une géographie religieuse des L ’ Église d ’ Espagne, qui n ’ est plus, en fait, au sens
régions de l ’ Espagne. com plet du m ot, une Église nationale, est encore,
N ous devons enfin m entionner parm i les vestiges strictem ent parlant, une Église d ’ É tat : et ainsi sa
conservés du glorieux passé de l ’ Église d ’ Espagne la situation légale ne traduit plus exactem ent sa situa ­
liturgie m ozarabe et la juridiction des ordres m ili­ tion réelle.
taires : ici et là, reste le souvenir de la croisade où L ’ art. 11 de la constitution (de 1876) s ’ exprim e
l'Espagne prit conscience de sa nationalité. La liturgie ainsi : « La religion catholique, apostolique et rom aine
rom aine a prévalu en Espagne, non sans quelque est celle de l ’ É tat. La nation s ’ oblige à m aintenir le
peine.au xi° siècle. Le grand cardinal X im énès voulut culte et ses m inistres. N ul ne sera inquiété sur le
qu ’ à Tolède, dans une chapelle de la cathédrale, le territoire espagnol pour scs opinions religieuses ni
rite m ozarabe fût conservé; il fit réim prim er, au com ­ pour l ’ exercice de son culte particulier, sauf le respect
m encem ent du xvi c siècle, le m issel et le bréviaire dû à la m orale chrétienne. N e seront perm ises, toute ­
m ozarabes. U ne nouvelle édition du m issel a été fois, com m e cérém onies et m anifestations publiques,
donnée à H om e en 1755 par un jésuite écossais, le que celles de la religion de l ’ É tat. »
P. Lesley; on trouvera la m esse m ozarabe, P. L., C et article est conform e au concordat de 1851 ; m ais
t. l x x ii . A Salam anque égalem ent est une chapelle on n ’ en saurait dire autant de toute la constitution
où, en certaines solennités,se célèbre le rite m ozarabe. de 1876. E t, quoique ce concordat régisse encore, en
D ifférente de la liturgie m ozarabe est l ’ancienne litur ­ théorie, les rapports de l ’ Église et de l ’ É tat, son esprit
gie tolétane, que nous fait connaître le Liber comicus, n ’ est plus observé et beaucoup de scs dispositions se
édité par dom G erm ain M orin. M arec sous, 1893. trouvent im plicitem ent abrogées. 11 faut, d ’ ailleurs,
Le concordat de 1851, pour éviter les inconvénients reconnaître qu ’ à l ’ époque m êm e où il fut conclu, il
de la dissém ination des territoires qui relèvent des ne reflétait pas l ’ état réel de l'esprit public en Espagne.
quatre ordres m ilitaires, leur a constitué un territoire Lorsque l ’ Espagne était une théocratie, ou, plus
d ’ une seule pièce où le grand-m aître conserve sa juri ­ tard, lorsque ses rois ne faisaient que trop sentir leur
diction. « Le nouveau territoire s ’ appellera Prieuré influence politique dans le catholicism e, il n ’ y avait
des ordres m ilitaires et le prieur aura rang épiscopal pas lieu à concordat. O n peut considérer com m e le
avec un titre d ’ Église in parlibus » (art. 9). prem ier concordat la Concordia Facheneti (1640), appe ­
Le souvenir vivant de la vieille Espagne de la lée ainsi du nom du nonce qui le conclut, et qui traite
croisade se retrouve encore dans les m esses m ilitaires seulem ent des bénéfices et de la nonciature. A près la
et plus spécialem ent dans les m esses de cam pagne guerre de la succession d ’ Espagne, qui avait inter ­
qui se célèbrent en plein air; à l'élévation, la m usique rom pu les com m unications entre les deux pouvoirs, un
m ilitaire joue l ’ hym ne royal. concordat fut conclu, en 1717. m ais il ne fut pas
Il n'y a pas en Espagne com m e en France de pre publié. N ouveau concordat en 1737, incom plet, et qui
m ières com m unions solennelles. V oir sur ce point ne satisfit point les conseillers de Philippe V .
569 ESPAGNE (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 570

Par le concordat de 1753, B enoît X IV renonça à une les diocèses où ils ne se trouvent point établi- > ■
partie de ses droits pécuniaires, laissa au roi la pré ­ verrons, en parlant des études ecdésiastiq .e-,
sentation de tous les évêques, et conserva la collation l ’ É tat n ’ a pas rem pli le rôle que l ’ Église lui laissai· ,
de 52 bénéfices seulem ent. ainsi, et qu ’ elle a elle-m êm e repris.
A u tem ps de la prem ière guerre carliste, G régoire Enfin, le concordat charge encore l ’ É tat ie -
X V I ayant com m encé par ne pas reconnaître Isabelle pager les ordres religieux. A rt. 29. A fin q le.
II et par refuser de confirm er les nom inations faites toute la Péninsule, il y ait le nom bre suffisant ■:·
aux évêchés par ce gouvernem ent, les relations furent très et ouvriers de l ’ Évangiic dont puissent -■■ -· .-. ·
rom pues, en 1836, et, quand elles reprirent, plus de les prélats pour faire des m issions dans les n;· . er-
la m oitié des sièges épiscopaux étaient vacants. C ’ est lieux de leurs diocèses, aider les cures, soigner 1· ·
après la chute d ’ E sparlero, en 1811, que reparut m alades, et accom plir d ’ autres œ uvres de charit< ■
l'idée d ’ un concordat. Le gouvernem ent com m ença à d'utilité publique, le gouvernem ent de S. M ., qui >>
négocier à la fin de 1843; il réclam ait d ’ abord la propose d ’ am éliorer en tem ps opportun les college-
reconnaissance d'Isabelle II et il offrait en revanche de m issions pour les pays d ’ outre-m er, prendra san-
d ’ arrêter la vente des biens ecclésiastiques, sécula ­ retard les dispositions convenables pour que soient
risés depuis 1836. U n convenio fut conclu à R om e établies là où il sera nécessaire, après consultation des
le 27 avril 1845, m ais le gouvernem ent, par crainte prélats diocésains, des m aisons et congrégations reli­
de l'opinion publique, n ’ osa le ratifier. D e 1846 à gieuses de saint V incent de Paul, de saint Philippe
1851, les négociations se poursuivirent, cl les deux de N éri et d ’ un autre ordre, parm i ceux qu ’ approuve
pouvoirs se rapprochèrent. M êm e, en 1848, le gou ­ le saint-siège, établissem ents qui serviront en m ême
vernem ent espagnol vint au secours de Pie IX , et, tem ps aux ecclésiastiques de lieux de retraite pour les
chevaleresquem ent, suspendit alors ses revendica ­ exercices spirituels et autres pratiques de piété.
tions. E t art. 30 : « Pour qu ’ il y ait aussi des m aisons reli ­
Le concordai fut signé à M adrid le 16 m ars 1851; gieuses de fem m es dans lesquelles pourront obéir à
il devait être com plété par le « C onvenio additionnel » leur vocation celles qui seront appelées à la vie con ­
signé à R om e le 25 août 1859. Il réagit contre toute tem plative et à la vie active pour l ’ assistance aux
une série de lois révolutionnaires ou libérales pro ­ m alades, renseignem ent des filles et autres œ uvres
m ulguées depuis N apoléon I er jusqu ’ au m ilieu du et occupations aussi pieuses qu ’ utiles à la population,
XIX" siècle. on conservera l ’ institut des Filles de la C harité sous
Selon l ’ art. 1 er , « la religion catholique, aposto ­ la direction des prêtres de saint V incent de Paul, et
lique et rom aine,qui,à l ’ exclusion de tout autre culte, le gouvernem ent s ’ efforcera d ’ en assurer le dévelop ­
continue d ’ être l ’ unique religion de la nation espa­ pem ent. O n conservera égalem ent les m aisons de reli­
gnole, se conservera toujours dans les dom aines de gieuses qui, à la vie contem plative joignent l ’ éduca ­
S. M . C atholique, avec tous les droits et prérogatives tion et l ’ enseignem ent des filles ou d ’ autres œ uvres
dont elle doit jouir selon la loi de D ieu et les dispo ­ charitables. »
sitions des saints canons. » D epuis lors, loin de procurer la diffusion d ’ aucune
A rt. 2. « En conséquence, l ’ instruction dans les uni ­ congrégation, le gouvernem ent, chaque fois qu ’ il a été
versités, collèges, sém inaires et écoles publiques et occupé par les libéraux, a m ontré une tendance à les
privées de tou* ordre sera entièrem ent conform e à la dim inuer, et cette tendance sem ble devenir de plus,
doctrine de cette m êm e religion catholique; ce pour en plus forte.
quoi on n ’ opposera aucun obstacle aux évêques et Le concordat règle enfin les traitem ents des évê ­
autres prélats diocésains chargés par leur m inistère ques, des curés et des chanoines, les dotations des sém i ­
de veiller sur la pureté de la doctrine, de la foi et des naires, etc. E t il ajoute, art. 36 :«Les dotations fixées
m œ urs et sur l ’ éducation religieuse de la jeunesse, dans les articles ci-dessus pour les dépenses du culte
dans l ’ exercice de celte charge, m êm e dans les écoles et du clergé s ’ entendront sans préjudice de l ’ augm en ­
publiques. » tation dont elles pourront bénéficier quand les cir ­
Le concordat fixe ensuite le nom bre et la répartition constances le perm ettront. » M êm e, dans certains cas
des diocèses, en tenant com pte de certaines m odifica ­ où, im m édiatem ent, les dotations prévues seraient
tions plus ou m oins anciennes des circonstances : le m anifestem ent insuffisantes, « le gouvernem ent de
signe le plus notable en est l ’ érection à M adrid d ’ un S. M . y pourvoira convenablem ent. ·
siège épiscopal, lequel a pris im m édiatem ent une Il est très im portant d ’ observer ici que la dotation
très gra ’nde im portance. du clergé est seulem ent une com pensation des biens
V iennent ensuite les règles relatives aux chapitres. de l ’ Église sécularisés; cette com pensation est
C ’ est le roi qui doit nom m er tous les doyens, et la incom plète, les biens déjà vendus par l ’ É tat à l ’ époque
m oitié des chanoines (les chanoines de officio m is à du concordat n ’ ayant pas été restitués. A rt. 42 :
part; voir plus loin, sur les diverses catégories de « Cela posé, et tenant com pte de l ’ utilité que doit pro ­
chanoines). Par décret royal du 6 décem bre 1888, curer à la religion ce Convenio, le Saint-Père, sur la
d ’ accord avec le Saint-Siège, le gouvernem ent royal a dem ande de S. M . C atholique, et pour aider à la paci­
consenti à ce que la m oitié des canonicats de gratia fication publique, décrète et déclare que ceux qui,
auxquels il nom m ait auparavant fussent m is au con­ au cours des événem ents passés, ont acheté sur les
cours: c ’ est à la fois une pensée très juste et un nouvel dom aines de l ’ Église des biens ecclésiastiques, confor ­
indice de la distinction toujours plus nette entre le m ém ent aux dispositions légales alors en vigueur,...
dom aine de l ’ Église et celui de l ’ É tat. ne seront inquiétés en aucun tem ps. · Les biens de
Le gouvernem ent a aussi un rôle dans la diffusion l ’ Église se sont par là trouvés notablem ent dim inués,
des études ecclésiastiques. A rt. 28. « Le gouvernem ent et, contrairem ent à un préjugé très répandu, le cierge
de S. M . C atholique, sans préjudice de l ’ établissem ent, d ’ Espagne (nous le m ontrerons plus loin) est en gen·.
au m om ent opportun,m oyennant accord avec le Saint- ral fort pauvre : une partie des reproches qu ’ on lui
Siège et aussitôt que les circonstances le perm et­ adresse souvent tom berait si l ’ on tenait com pte
tront, des sém inaires généraux où on donnera l ’ exten ­ cette circonstance.
sion convenable aux études ecclésiastiques, adoptera A ussi, les biens du clergé, qui étaient autref- - : -r
de son côté les dispositions opportunes pour que se lui une garantie d'indépendance, transform es en une
créent sans retard des sém inaires conciliaires [ainsi | dotation de l ’ É tat, donnent à l ’É tat un m oyen de peser
appelés com m e conform es au concile de Trente] dans I sur lui, m oyen d ’ autant plus efficace que les biens
571 ESPAGNE (É G L ISE D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 572

restitués ont été presque intégralem ent convertis en tions que l ’ Église condam ne au nom de la liberté et
titres de rente sur l ’ É tat. de la m oralité; La loi civile, au contraire de la loi ca ­
Le clergé se trouve donc exposé et au contre-coup nonique, adm et la rupture des fiançailles sans raison,
des difficultés financières que rencontre l ’ É tat, et à m oyennant une indem nité, etc.
la m auvaise volonté d ’ un des partis qui alternent au Il y a plus; l ’ art. 42 du Code civil (rédigé de 1881
pouvoir. D e là résulte qu ’ une dim inution du budget à 1888) porte : « La loi reconnaît deux form es de m a ­
des cultes est beaucoup plus probable que l'augm en ­ riage, le m ariage canonique, que doivent contracter
tation éventuelle dont il est question à l'art. 36 du tous ceux qui professent la religion catholique, et le
concordat. m ariage civil, qui se célébrera de la m anière fixée par
Enfin, le concordat de 1851 confirm e les concor ­ le présent Code. » C ette rédaction est am biguë : pour
dats précédents, en particulier celui de 1753; le qu ’ un catholique cesse d ’ être considéré com m e tel,
gouvernem ent royal conserve donc, entre autres pré ­ faut-il qu ’ il abjure, ou suffit-il qu ’ il réclam e une for ­
rogatives, celle de nom m er les évêques : pratique ex ­ m e de m ariage que l ’ Église réprouve? V oir t. iv, col.
cellente si l ’ art. 11 de la constitution, qui considère 1427-1428. La Heal orden (sorte de décret m inisté ­
la religion catholique com m e religion nationale, cor ­ riel) du 27 août 1906 avait adm is cette seconde inter ­
respondait à la réalité; m ais, loin qu ’ il en soit ainsi, prétation; elle a été annulée, com m e contraire à la
le gouvernem ent peut être exercé par des anticléri ­ constitution, par une autre Real orden du 28 février
caux. 1907. M ais une législation qui adm et le m ariage civil
O n voit que, au total, le situation d ’ Église d ’ É tat est-elle bien d ’ accord avec les prem iers articles du con ­
com porte pour le catholicism e en Espagne des incon ­ cordat et avec l ’ art. 11 de la constitution? U ne Real
vénients autant que des avantages. E t ces inconvé ­ orden du 15 décem bre 1792 faisait célébrer devant le
nients sont de plus en plus sensibles. Si, dès le 25 août curé m êm e les m ariages des dissidents en stipulant
1857, un Convenio signé par le cardinal A ntonelli et que ceux-ci ne renonçaient point par là à leur religion.
l ’ am bassadeur extraordinaire D . A ntonio de los R ios O n voit le chem in parcouru. D u m oins, le m ariage
y R osas, est venu corroborer le concordat de 1851, civil est-il indissoluble.
c ’ est que déjà une partie des droits reconnus à l ’ Église E n m atière de testam ents, le prêtre n ’ a plus aucune
par celui-ci avaient été m éconnus ou-contestés; en fonction spéciale, tout le contrôle est passé peu à
particulier, une loi du 1« m ai 1855 avait aliéné de peu à la justice laïque. Le confesseur, ni son église ou
nouveau des biens ecclésiastiques. son ordre ne peuvent rien recevoir en vertu d ’ un tes ­
En réalité, le concordat de 1851 est, en m êm e tem ps tam ent rédigé pendant la dernière m aladie du péni­
qu'un traité solennel entre l ’ Église et l ’ Espagne, un tent.
épisode de l ’ histoire intérieure de ce pays et des luttes Le Code pénal, qui date de 1870, époque révo ­
des partis adverses; il n ’ a pu arrêter une évolution que lutionnaire et anticléricale, est, plus constam m ent
les oscillations de la politique n ’ em pêchent pas de que le Code civil, en désaccord avec la lettre et l ’ esprit
discerner clairem ent, qui rem onte loin, et qui conti­ du concordat. Il ne nom m e pas une fois la religion
nuera longtem ps encore. Les sym ptôm es en sont m ul ­ catholique. Par contre, il punit sévèrem ent (bannisse­
tiples; en voici quelques exem ples. m ent tem poraire) le prêtre qui a com m uniqué des
Les prem iers articles du concordat de 1851 et l'art. instructions pontificales aux fidèles sans le placet du
11 de la constitution reconnaissent à l ’ Église des gouvernem ent; les fidèles qui se conform ent aux ins ­
droits très étendus et tout à fait conform es à la situa ­ tructions reçues dans ces conditions sont passibles de
tion idéale d ’ une Église nationale et d ’ une Église la prison. Le 3 juin 1867, à la suite d'une bulle du
d ’ É tat; quand il s'est agi de prêter serm ent à la cons ­ 2 m ai réduisant le nom bre des jours fériés en Espagne,
titution, le gouvernem ent a déclaré que le serm ent le gouvernem ent obligeait ceux qui voulaient tra ­
n'im pliquait rien de contraire aux lois de D ieu et de vailler ces jours-là à dem ander la perm ission de l ’ au ­
l ’ Église; sur cette déclaration, la nonciature a auto ­ torité ecclésiastique; le Code de 1870 interdit de
risé le clergé à prêter serm ent. M ais, par exem ple, m olester celui qui veut travailler les jours de fête reli­
l ’ art. 13 de la constitution autorise la liberté de la gieuse. N ous verrons qu'il y a eu depuis lors une loi
presse, condam née par le Syllabus, prop. 79; la loi sur sur le repos hebdom adaire.
la presse de 1879 interdisait bien les attaques contre Les anciennes lois, et m êm e les Codes de 1822 et de
la religion de l ’ É tat, m ais la loi du 26 juillet 1883, 1848 châtiaient le blasphèm e. Le Code actuel ne
actuellem ent en vigueur, ne les interdit plus. spécifie rien pour l'injure contre D ieu. M ais le blas­
Sont sénateurs, de droit, le patriarche des Indes et phèm e public, proféré en dérision d ’ une croyance ou
les archevêques; peuvent l ’ être, par nom ination d'un culte, est puni par le tribunal suprêm e com m e
royale ou par élection d'un des grands corps de l ’ É tat contraire aux articles du Code qui prohibent l ’ outrage
(A cadém ies royales, U niversités, Sociétés écono ­ au m inistère d ’ un culte en fonctions, le trouble apporté
m iques) : les archevêques, évêques et chapitres de cha ­ à une cérém onie, le sarcasm e public contre un dogm e
cune des neuf provinces ecclésiastiques, m ais selon ou des rites ayant des prosélytes en Espagne. Le jour ­
des règlem ents qui se trouvent exclure les évêques, naliste auteur d ’ un article injurieux et celui m êm e
et, dans certaines conditions, les prêtres; en revanche, qui le reproduit sont passibles des peines fixées par
et m algré le suffrage universel institué en 1890, les le code (am ende et prison). En revanche, la jurispru ­
prêtres ne peuvent être élus ni députés, ni conseillers dence ne considère pas com m e punissable la néga ­
m unicipaux (loi du 8 août 1907). tion des dogm es, m êm e en term es excessifs, pourvu
L ’ Église a longtem ps eu seule l ’ adm inistration et qu ’ elle ne soit pas m êlée d ’ insulte; elle autorise toute
la juridiction de tout ce qui concerne le m ariage. Il discussion sur le terrain philosophique et rationnel.
y a aujourd ’ hui un registre civil des m ariages et celui E st punissable de prison et d ’ am ende celui qui, par
qui se m arie doit aviser par écrit, au m oins vingt- violence, détourne un citoyen de son culte, ou, inver ­
quatre heures à l ’ avance, le juge m unicipal, qui assis ­ sem ent, l ’ oblige à prendre part à un culte qui n ’ est
tera à la cérém onie ou enverra un délégué; le juge pas le sien.
inscrit sur son registre le m ariage qui n'em porte ses Le Code pénal fixe une peine de 1 à 10 jours de pri ­
eflets civils qu ’ à partir de l ’ inscription. Sur bien des son et de 5 à 50 pesetas pour celui qui trouble un culte.
points, la législation m atrim oniale de l ’ É tat et celle La jurisprudence adm et assez généralem ent qu ’ on
de l ’ Église ne concordent plus; par exem ple, l ’ É tat doit se découvrir devant une procession ou devant un
m et au m ariage des officiers et des soldats des condi­ enterrem ent accom pagné de la croix. M ais actuelle ­
573 E S P A G N E (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 574

m ent ces délits ne sont pas poursuivis.Les règlem ents truction publique (l ’ évêque de M adrid fait, ·.·
m ilitaires décident que les troupes s ’ agenouillent et partie du conseil supérieur), m ais l ’ É tat a !.
se découvrent sur le passage du saint-sacrem ent. pole des exam ens et des diplôm es, et il exige c· .-'
Les offenses à la pudeur et aux bonnes m œ urs sont titres des religieux enseignants, m êm e des fri
passibles d ’ arrestation et de réprim ande publique. écoles chrétiennes ou Escolapios (1 " juillet ■ ■ _
Les dispositions sur les écrits et gravures contraires Il est évident que le m onopole de l ’ É tat n ’ aur.· g
à la m orale et sur la police des spectacles ne sont guère inconvénient pour une Église d'Étal qui serait !·
appliquées avec vigilance. telle en réalité; m ais précisém ent il n ’ en est :
Le Code pénal ne distingue pas des autres le vol ainsi. E n vain, le concordat stipule que l ’ enseigne ­
com m is dans un lieu sacré; m ais il y a là une circons ­ m ent sera conform e à la doctrine chrétienne; et ;
tance aggravante et, quand les objets dérobés étaient loi sur l ’ instruction publique autorise les prélats ■
destinés au culte, le tribunal applique le m axim um de porter plainte entre les m ains des autorités. En r· -
la peine (déportation à perpétuité). lité, loin de contrôler l ’ enseignem ent de l ’ É tat, l ’ É-
L a jurisprudence range les évêques parm i les auto ­ glise est m enacée dans celui qu'elle donne elle-m êm e,
rités garanties contre l ’ injure par des pénalités spé ­ d ’ autant plus que cet enseignem ent est donné surtout
ciales. par des congréganistes. O r, de l ’ enseignem ent dépend
Le Code m ontre pour les duellistes une indulgence pour beaucoup l ’ attitude des générations nouvelles.
que l ’ Église ne ratifie pas. II n ’ est donc pas probable, dans les circonstances
La juridiction des tribunaux ecclésiastiques ne actuelles, que cessent d ’ agir les causes qui accusent
porte plus que sur les causes relatives aux sacrem ents les inconvénients plutôt que les avantages inhérents
(divorce, nullité de m ariage); encore les incidents à la situation d ’ une Église d ’ É tat.
d ’ ordre tem porel qui se rattachent à ces causes sont- Le caractère national de l ’ Église d ’ Espagne, quoi ­
ils réglés par la juridiction civile. Les em piétem ents qu ’ il ait été surtout accentué dans le passé, et son
des tribunaux ecclésiastiques sont déférés aux tri­ caractère d ’ Église d ’ É tat, quoiqu'il soit, pour une
bunaux civils; ceux du tribunal de la R ote le sont à bonne part, plus théorique que réel, expliquent cette
la Cour suprêm e. La C our suprêm e a adm is (22 juil­ très im portante conséquence : que, en Espagne, les
let 1899) que les tribunaux ecclésiastiques ne doivent questions de politique extérieure, et beaucoup plus
user que d'arm es purem ent spirituelles et non de péna ­ encore les questions de politique intérieure,sont m êlées
lités proprem ent dites. intim em ent aux questions religieuses. N on pas sim ­
En m atière fiscale, le clergé n ’ a plus que des im m u ­ plem ent en ce sens, vrai partout, qu ’ il n ’ est point de
nités insignifiantes. grande question où la religion ne soit intéressée, m ais
M algré le Syllabus, prop. 32, il est soum is au service aussi en ce sens plus particulier, et fâcheux, que, a
m ilitaire (à 1 exception des religieux enseignants et de priori, les partis politiques, com m e tels,ont une solu ­
diverses congrégations, d ’ ailleurs im portantes, récol ­ tion prête sur tous les problèm es religieux, sans faire
lets, auguslins, dom inicains, franciscains, jésuites, car ­ la distinction in dubiis, libertas.
m es, trinitaircs, prêtres de saint V incent de Paul, etc., D e m êm e que la politique extérieure de l ’ Espagne
la loi espagnole adm et le rem placem ent, m ais les ecclé ­ s ’ est donnée longtem ps pour la politique catholique, de
siastiques sont, en général, trop pauvres pour s ’ exo ­ m êm e il y a un parti politique en Espagne qui se donne
nérer. pour seul catholique.
En m atière d ’ instruction publique, les droits et D ans un cas com m e dans l ’ autre, c ’ est la conclu ­
prérogatives de l ’ Église ont été m oins réduits, non pas sion, non de toute l ’ histoire de l ’ Espagne, m ais de son
tant parce qu ’ ils sont reconnus que parce que l ’ É tat histoire moderne, depuis l ’ époque de la R enaissance.
assum erait de lourdes charges financières en les lui C ’ est une conclusion rigoureuse :
retirant. C ela posé, la tendance est ici exactem ent la L e p arti catholique national, plus connu sous le nom
m êm e que dans les autres services publics. d'intégriste, en raison de l ’ intransigeance avec laquelle il a
D ’ après l ’ art. 92 de la loi sur l ’ instruction publique, toujours soutenu la vérité et lu lté contre toutes les variétés
les livres qui traitent de religion ct de m orale ne peu ­ du libéralism e, depuis la plus sauvage jusqu ’ à la plus dou ­
cereuse ct la plus hypocrite, naquit à la vie com m e parti
vent servir de texte dans les écoles sans autorisation
de ce nom l ’ an 1888, en rédigeant son célèbre manifeste de
des évêques. Le règlem ent des écoles du 28 novem bre Burgos com m e program m e...
1838, prorogé par décret royal du 25 août 1857, déclare ...N ou s som m es catholiques, nous som m es E spagnols,
(cf. la loi Falloux) que le prem ier rang appartient, dans et nous ne voulons être rien autre.
les études, à l ’ instruction m orale et religieuse, à la ­ N ous aim ons D ieu par-dessus toute chose... ct après
quelle sera consacrée une leçon quotidienne de doc­ D ieu ct son É glise, nous aim ons l'E spagne, parce qu'elle
trine et d ’ histoire sainte; il doit y avoir tous les trois est la p atrie que N otre-S eigneur nous a donnée et parce
qu'elle a toujours été la nation la plus chrétienne de la
jours un quart d ’ heure d ’ explication de la B ible, et,
terre...
l ’ après-m idi dit sam edi, catéchism e; les classes com ­ N ous voulons l ’ u n ité catholique avec ses conséquences,
m encent par une prière et, le sam edi, par l ’ évangile et qu ’ aucun crim e ne soit plus abom iné ct plus rigou ­
du lendem ain et la récitation du rosaire. M ais ces dis ­ reusem ent puni que l'hérésie, l ’ apostasie, les attaques
positions sont loin d ’ être exactem ent appliquées. contre la religion, la rébellion contre D ieu ct son É glise...
L ’ Église peut veiller sur les écoles, qui sont sous l ’ ins ­ N ous voulons donner à D ieu ce qui est à D ieu et à C ésar
pection im m édiate du curé (règlem ent du 28 novem ­ ce qui est à C ésar; m ais nous voulons que C ésar s'hum ilie
bre 1838). Le m aître conduira les enfants à la m esse devant D ieu ,q u e l ’ É glise et l ’ É tat vivent unis, le pouv oir
tem porel étan t subordonné au pouvoir sp iritu el com m e le
paroissiale. U ne Heal orden du 19 décem bre 1885, une corps l ’ est à l ’ âm e...
autre du 10 février 1890 ont dispensé les m aîtres de N ous tenons pour abom inables la liberté de conscience,
cette obligation. Le règlem ent des exam ens des m aî­ la liberté de pensée, la liberté des cultes et toutes les liber ­
tres de l ’ enseignem ent prim aire, le 15 juin 1864, exi ­ tés de perdition avec lesquelles les im itateu rs de L ucifer
geait des candidats une bonne conduite m orale et reli ­ bouleversent, corrom pent et d étru isen t les nations; de
gieuse; aujourd ’ hui on dem ande sim plem ent un casier to u te l'énergie de nos âm es et jusqu'à notre dernier soupir,
judiciaire net. Les aum ôniers des lycées, supprim és nous voulons com battre le libéralism e, le progrès et la ci· , i-
lisation m oderne..., et nous croyons que le libéralism e pr -
par la révolution de 1868, ont été rétablis le 25 jan ­ fessé par des catholiques qui veulent unir la lum ière et i, ,
vier 1895, m ais un Décret royal du 16 août 1901 rend ténèbres, Jésus et B élial, est, par son hypocrisie et sa per ­
l ’ enseignem ent religieux facultatif. fidie, plus dangereux ct plus terrible que celui des ennem is
Le clergé est représenté dans les com m issions d ’ins ­ à découvert...
E S PA G N E (É G LISE - D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 576
[E n politique] N ous com m ençons par déclarer que notre p. 73. D ans to u te cette p artie, nous avons beaucoup em ­
systèm e est radicalem ent opposé à to u t ce qui constitue prunté à l ’ excellent ouvrage, déjà cité, de M gr L opez.
l ’ essence et la form e du systèm e actuel... Pelaez, (voir la bibliographie!. P aul H enry, Cosas de Espana,
A ngers, 1907; A ntoni M a A lcover, Conducta politica que
Ces form ules sont extraites du Credo politico-reli­ s*imposa avuy an-els catôlichs, B arcelone, 1907 ; Esquema o
gieux, dû au fondateur du parti intégriste, R am on bosque/o del programa integrista, D urango, 1909; M axim o
N occdal, com plété et publié, le 8 septem bre 1909, par F ilibero, I.eôn XIII, los carlistas y la monarquia liberal,
le successeur de ce dernier com m e chef reconnu du 2 vol.. V alence, 1894; A ndres M anjôn, l.as escuelas laïcas,
parti, Juan de O lazabal. B arcelone, 1910; M . A rboleya M artinez, Sobre el tradicio-
Elles sont conform es à l ’esprit des prem iers arti ­ nalismo politico, M adrid, 1910; Id., El clero y la Prensa
(préface de M 1 ’ V aldes, évêque de S alam anque), S ala ­
cles du concordat de 1851. M ais ce concordat lui-m êm e
m anque, 1908.
enregistre des concessions des deux pouvoirs ; pour la
tranquillité publique, qui im porte au bien des âm es, V. L ’ É g l is e d ’ E s p a g n e e t l a s o c i é t é e s p a g n o l e .
l ’ Église, désintéressée au m ilieu du xix e siècle com m e — S ’ il dépend d ’ un parti m om entaném ent au pouvoir
elle l ’ avait été au com m encem ent et le fut encore à de com prom ettre brusquem ent la situation légale de
la fin, renonce à revendiquer ses biens aliénés, et, sur l ’ Église dans l ’ É tat, il dépend beaucoup m oins de lui
divers points, fait confiance au gouvernem ent, en de dim inuer son prestige et son action sociale. M ais ce
tenant com pte des difficultés du tem ps, financières n ’ est pas seulem ent par le souci de sa propre défense
ou autres. Les intégristes, qui considèrent les carlistes que l ’ Église se tourne de plus en plus vers les œ uvres
com m e entachés de libéralism e, et, dans une large sociales; elle a pour cela une autre raison plus grande
m esure, les carlistes eux-m êm es, en tém oignant une ct plus belle : c'est que nulle part au monde, le rôle
hostilité irréductible et violente à la m onarchie res ­ social, qui est dévolu à l ’ Église, n ’ est plus propre ­
taurée en 1875, risquent, pour la logique de leurs idées m ent sien et plus décisif pour la santé nationale qu ’en
et de leur histoire, de com prom ettre gravem ent la paix Espagne. C ’ est là le résultat d ’ une très longue histoire
publique. C 'est ce que Léon X III a dû rappeler, pour qui a partout m is l ’ Église aux postes d ’ honneur et qui,
les uns et les autres, dans son allocution aux pèlerins d ’ autre part, a laissé l ’ É tat pauvre en ressources et
espagnols, du 18 avril 1894 : dépourvu de beaucoup d ’ institutions qui ne s ’ im pro ­
visent pas : cela, en présence de m aux plus profonds
...Pour que N os soins et N os efforts soient couronnés
du succès tan t désiré, il est nécessaire que tous les catho ­ que dans aucune autre grande nation.
liques d ’ E spagne, sans exception, se persuadent que le bien Ce n'est pas ici le lieu d ’ exposer l ’ ensem ble de cir ­
suprêm e de la religion réclam e ct exige de leur p art l ’ union constances sociales qui font que ce pays « vit sous la
ct la concorde. m enace continuelle d ’ une révolution » (Angel M ar-
Il faut qu ’ ils fassent trêve aux passions politiques qui les vaud). N ous renvoyons ceux qui n ’ adm ettraient pas
déchirent ct les divisent... l ’ acuité et l ’ urgence du problèm e social en Espagne au
C ’ est aussi leur devoir d ’ être soum is aux pouvo irs cons ­
livre très docum enté et tout récent de M . A . M ar-
titu és,etN o us vous le dem andons à d ’ au tan t m eilleur d ro it
q u ’ à la tête de votre noble nation est une reine illustre
vaud, La question sociale en Espagne, Paris, 1910.
dont vous avez pu adm irer la piété et le dévouem ent envers 1° Pauvreté du clergé. — M ais, pour apprécier la
l ’ É glise... P our ces hautes qualités, elle N ous est chère et valeur de ce que l ’ Église a fait et de ce qu ’ elle est en
N ous lui avons donné des tém oignages publies de N os train de réaliser, il faut connaître l ’ obstacle énorm e
sentim ents paternels, particulièrem ent en ten an t sur les qui ralentit son vaillant apostolat : c ’ est sa pauvreté.
fonts baptism aux son auguste fils, en qui N ous vous sou ­ L ’ Église d ’ Espagne a été très riche; les églises possè ­
haitons de voir l ’ h éritier des royales qualités,de la piété et
dent encore des trésors artistiques inestim ables; m ais
de la vertu de sa m ère. C f. la lettre du souverain pontife
aux évêques d ’ E spagne, 1 " décem bre 1894.
le clergé espagnol, surtout la plus essentielle partie du
clergé, le clergé séculier, est en général très pauvre.
La date (1909) du m anifeste intégriste que nous V érité souvent m éconnue !
avons cité prouve que le pressant appel du pape, con ­ Si les archevêques,les évêques et les chanoines sont
form e à la doctrine et à la tradition de l ’ Église, n ’ a pas convenablem ent dotés, il n ’ en est pas ainsi de l ’ im ­
encore com plètem ent prévalu sur les entraînem ents m ense m ajorité des prêtres. L'archevêque de Tolède
de l ’ histoire et libéré l ’ Église, en Espagne, de toutes touche 160000 réaux (un réal vaut environ 0 fr. 25);
les servitudes du passé. Il n ’ a point cependant été les archevêques de Séville et de V alence, 150 000 réaux;
sans résultat; le très petit nom bre des intégristes, les ceux de G renade et de Saint-Jacques de C om postelle,
concessions que, à la différence de ceux-ci, les carlistes 140000; ceux de B urgos, Tarragona, V alladolid et
font aux aspirations légitim es de la société m oderne, Tarazona, 130000; les évê ues de B arcelone et de
en sont l ’ indice. 11 n ’ en reste pas m oins vrai que ce M adrid, 110000; ceux de C adiz, C artagena, C ordoue
parti, sinon par son im portance réelle, du m oins par et M alaga, 100000; viennent ensuite, avec 90000,
sa courageuse intransigeance qui surexcite l ’ intran ­ les évêques d ’ A lm eria, A vila, B adajoz, des C anaries,
sigeance adverse, contribue à com prom ettre l ’ Église de C uenca, G erona, H ucsca, Jaen, Léon, Lérida, Lugo,
dans des querelles politiques dont elle devrait être M ayorque, O rense, O viedo, Palencia, Pam plona,
aujourd'hui dégagée. Il suffît qu ’ un parti, qui dim inue Salam anca, Santander, Segovia, Teruel et Zam ora;
en nom bre et en influence, associe le catholicism e à avec 80000 ceux d ’ A storga, C alahorra, C iudad-Real,
son idéal politique pour que d ’ autres partis, qui crois ­ C oria, G uadix, Jaca, M inorque, M ondofiedo, O ri-
sent en nom bre et en im portance, considèrent la guerre huela, O sm a, Plasencia, Segorbe, Sigiienza, Tara ­
à l ’ Église com m e l ’ accom pagnem ent nécessaire d ’ un zona, Tortosa, T uy, U rgel, V ich, Tenerife et V itoria.
idéal politique opposé. Les cardinaux touchent, en outre, 20000 réaux.
N ous avons jusqu ’ ici vu l ’ Église d ’ Espagne dim i­ E t, pour frais extraordinaires d ’ adm inistration et de
nuée ou tout au m oins m ise en péril; nous allons voir déplacem ent, les m étropolitains touchent de 20 000
m aintenant, en étudiant les autres aspects de son acti ­ à 30000, les sufïragants de 16 000 à 20 000 réaux.
vité, quelles.garanties de vitalité et de développem ent Les chanoines aussi sont convenablem ent dotés. Le
dem eurent en elle. doyen de Tolède a 24 000 réaux; ceux des chapitres
m étropolitains, 20000; ceux des chapitres des églises
O n trouvera le tex te latin et espagnol du concordat dans
la Colecciôn de los tralados, conoenios, y documentas inter- suffragantes, 18000; les abbés des collégiales, 15000;
nacionales celebrados par nuestros gobiernos con los estados les chanoines ont 14 000 réaux dans les m étropoles,
extranjeros desde el reinado de Isabela II hasta nuestros 12000 dans les évêchés, 6600 dans les collégiales; les
dias..., par le m arquis de O livari, M adrid, 1893, t. 11, dignitaires et les chanoines de o//icio ont, en outre,
577 E SPA G N E (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X

2000 réaux; les bénéficiers des m étropoles ont 8000


réaux, ceux des églises suffragantes, 6 000, et ceux des P E T IT D É J E U N E R . D É JE U N E R . D ÎN E R
collégiales, 3000.
Ici, nous arrivons aux petits traitem ents; encore
convient-il d ’observer, pour les chanoines proprem ent 3 pastilles 1 V iande. . . 0.30 V iande ou
dits, qu ’ ils sont dans l ’ Église une petite m inorité et de chocolat. 0,24 Pain . . . . 0,20 m orue. . . Ο Λ>
qu ’ ils sont, par la nature m êm e de leurs fonctions, un l petit pain. 0,10 Pois, lard, Pom m es de
légum es. . 0,35 terre. . . 0.15
peu en m arge de l ’ action sociale, du m oins, généra ­ H uile. . . . 0 3
U n œ uf. . . 0,13
lem ent parlant. Par exem ple, le R . P. Francisco Pain . . . . 0 3 ·
M orân, S. J., chanoine de G oria (1911), est professeur V inaigre et
d ’ économ ie sociale, et le concours pour le cano ­ sel ............... û,»<
nical (sur le régim e des concours, voir plus loin), C harbon . . 0.5»
com portait une com position sur les questions B rasier. . . 0.1· »
sociales. Pétrole et
bougies . . 0.20 '
L ’ action sociale, dans un pays en très grande m ajo ­
rité agricole, souffrant d ’ une crise qui est surtout une
crise agraire, relève particulièrem ent du clergé parois ­ 1. Pastillas: ce sont plutôt des tablettes.
sial rural.
Les paroisses sont divisées en paroisses urbaines
et rurales, m ais c ’ est là une dénom ination adm inis ­ c Soit un total de 3,02 pesetas par jour. li reste donc
trative qui ne correspond pas à la réalité, la paroisse à ce « prolétaire en soutane » 48 centim es pour subve ­
étant urbaine dès qu ’ elle com pte plus de 50 parois ­ nir aux m ille choses nécessaires dans une m aison, si
siens. Les curés des paroisses urbaines touchent de m isérable soit-elle. »
3000 à 10000 réaux; ceux des paroisses rurales com ­ U n grand journal catholique (et alfonsiste, fidèle
m encent à 2 200. aux directions de Léon X III), 1 ’ Universo, dans une
En réalité, les traitem ents du clergé paroissial série d ’ articles publiés de juillet à octobre 1907, et
des cam pagnes vont de 550 francs environ à 840 , réunis depuis en volum e, attribuait, entre autres
(m êm e dans les villes, le chiffre de 10 000 réaux, c ’ est- causes,à l ’ appauvrissem ent de l ’ Église et du clergé
à-dire 2 500 francs, est extrêm em ent rare). D e ces une certaine décadence de la vie paroissiale, déca ­
som m es, il faut déduire : 1° une retenue obligatoire dence d ’ autant plus déplorable que la paroisse est le
de 14 0/0 (quelque chose com m e le don gratuit de véritable centre de l ’ action sociale du clergé, com m e
notre clergé sous l ’ ancien régim e; c ’ est le descuento); elle est celui de la vie religieuse du pays.
2° les frais d ’ enregistrem ent; 3° les frais de voyage Il n ’ est pas douteux qu ’ un des m oyens les plus effi­
pour aller toucher le traitem ent à la ’ capitale du dio ­ caces pour le gouvernem ent d ’ assainir la situation
cèse ou de la circonscription ecclésiastique; 4° l ’ im pôt sociale du pays, en donnant à l ’ Église les m oyens do
personnel m ajoré de 50 0 /0; 5° la contribution m uni ­ prom ouvoir l ’ intérêt général plus encore que le sien
cipale; 6° les droits d ’ octroi; (ces droits viennent propre, et d ’ am éliorer ainsi les rapports de l ’ Église
d ’ être abolis par une loi (juin 1911), m ais ils sont et de l ’ É tat, serait de relever la situation m atérielle
rem placés par un im pôt sur ies loyers); 7° les pres ­ du clergé.
tations personnelles. R este, au bout du com pte, de 2° Œuvres sociales. — Il faut voir m aintenant com ­
1 franc à 1 fr. 75 par jour. Le casuel ne dépasse pas, m ent, m algré des circonstances si défavorables, le
dans les m eilleurs m ois, une dizaine de francs; les clergé espagnol a com m encé de réaliser l ’ œ uvre so ­
m esses avec honoraires (un franc en m oyenne) ne ciale qui lui est réservée.
peuvent guère être célébrées que pendant un tiers de Les vertus du terroir, dont la floraison est parti ­
l ’ année, le reste étant occupé par les cérém onies pa ­ culièrem ent belle chez lui, lui ont perm is, en effet, de
roissiales et par des m esses pour les pauvres. R em ar ­ retirer du m oins tous les avantages spirituels de cette
quons que, pour arriver à cette situation, le prêtre a pauvreté qui lim ite sa bienfaisance; son esprit chré ­
dû faire des études longues et coûteuses. S ’ il n ’ a ni tien et dém ocratique, d'une dém ocratie anterieure et
fem m e ni enfants à nourrir, il a souvent à sa charge supérieure aux théories m odernes, se trouve d ’ avance
ses parents âgés. Chez les libéraux m êm e, beau ­ adapté aux circonstances sociales actuelles. Le beau
coup reconnaissent l ’ insuffisance des traitem ents. livre du P. Palau, Le catholique d’aclion, exprim e
Sans doute, le pays n ’ est pas riche, et c ’ est pour ­ avec force ces dispositions du catholicism e espagnol.
quoi les chanoines peuvent être rangés dans la classe Le prom oteur du m ouvem ent social catholique
aisée, m ais il n ’ en est pas ainsi des prêtres dont la « paraît avoir été un jésuite de V alence, le Père V i-
situation est vraim ent précaire. U n exem ple rendra cent, qui, avant m êm e le com te de M un et le m ar ­
plus sensible cette situation. Il est em prunté à une en ­ quis de la Tour du Pin en France, fonda, dès 1861, un
quête faite il y a quelques années dans un journal de cercle catholique d ’ouvriers à M anresa » (A . M ar ­
M adrid, et citée par M . A . M arvaud, p. 12-13 : c D ans vaud). M ais c ’ est depuis l ’ encyclique Rerum novarum
un m isérable appartem ent de trois pièces habite un (1891) que le m ouvem ent catholique social a toute sa
chapelain, en com pagnie de ses vieux parents. Q uatre grandeur. D e nom breux ecclésiastiques, séculier· - et
chaises et un fauteuil. Sur les m urs, des im ages gros ­ réguliers, com m e le P. V icent lui-m êm e, toujours
sières de saints : souvenirs répartis gratis en souvenir actif, et de nom breux laïques, com m e M . Severino
de m orts. — Q uelles sont vos ressources? — R ien de A znar, y collaborent avec une adm irable activité.
fixe. M ais, depuis quelques m ois, je reçois quatorze D es sem aines sociales se sont réunies à M adrid
réaux (3 fr. 50) par jour pour des m esses. V oici m es (1906), V alence (1907), Séville (1908), Saint-Jacques
notes... U ne série de feuilles détachées, avec des chiffres de C om postelle (1909); celle de 1910 a eu lieu à B arce ­
de 5, 3 et 2 pesetas. D u 1« au 17 août, une série de lone.
zéros. — O ui, dit le prêtre tristem ent, dix-sept jours D es revues, dont plusieurs sont rem arquablem ent
sans officier, parce que j ’ étais m alade... Partant, rédigées, répandent les enseignem ents du c4h
pas de salaire. Il fallut nous défaire d ’une partie cism e social. Les deux plus im portantes sont La z-zz
du m obilier, vendre la com m ode et le fauteuil. social, de M adrid, qui en est à sa 5 e année, et la Ri: : r
« Le m odeste budget de ce pauvre chapelain s ’ éta ­ social hispano-americana, de B arcelone, qui en es t à
blit com m e suit : sa 9° année (1910).
O IC T . D E T H É O L . C A T IIO L . V . - 19
579 E S PA G N E (É G L ISE D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 580

Les catholiques sociaux consacrent surtout leurs déconcertaient les m anifestationsdesonparticularism e.


efforts à la question essentielle, la question agraire, Si les intérêts, nous l ’ avons dit, rendent hostiles à
m ais ils ne négligent pas les ouvriers des villes et la ce m ouvem ent un certain nom bre de grands proprié ­
question industrielle si aiguë en B iscaye et surtout taires catholiques, du m oins, dans le dom aine social,
en C atalogne; ils rencontrent, sur ce point, une hos ­ les divisions politiques entre catholiques n ’ ont plus
tilité violente des socialistes; m ais le socialism e, qui d ’ effet. Le principal chef laïque parm i les catholiques so ­
ne convient nullem ent au tem péram ent espagnol et ciaux est un carliste, S. A znar. Le program m e intégriste
qui n ’ a pour lui à aucun degré le prestige traditionnel se réclam e des enseignem ents de Léon X III et réclam e
qui est la grande force du catholicism e, serait com plè ­ la reconstitution du régim e des associations « en har ­
tem ent im puissant dès m aintenant s'il n ’ avait l ’ appui m onie, bien entendu, avec les nécessités qui se font
de l ’ anticléricalism e politique. sentir de nos jours. » Sur ce dom aine encore, le clergé
Les catholiques ont fondé à B arcelone une Action séculier et les congrégations rivalisent de dévouem ent;
sociale populaire, qui est dirigée par le P. Palau, S. J., en particulier, l ’ action des jésuites est considérable.
et qui a créé un Bureau central du travail. E n Bis ­ Sur ce dom aine collaborent catholiques et libéraux,
caye, la Société de Saint-Vincent-de-Paul a fondé des et m êm e, à l'occasion, catholiques et socialistes. U ne
sociétés de secours m utuels, des écoles et cours du des institutions les plus efficaces d ’ am élioration sociale
soir, des unions professionnelles, des B ourses du tra ­ en Espagne : l’institut de réformes sociales, se rattache
vail, des caisses d ’ épargne. D ’ après V Annuaire ponti­ à une initiative du m inistre libéral M oret en 1883, a été
fical catholique, les recettes des C onférences de Saint- constitué officiellem ent en 1903 par le m inistre con ­
V incent de Paul en Espagne, en 1906, ont été de servateur Silvela, et a été organisé principalem ent
7-11456 francs (pour la m êm e année : France et par M . D ato, catholique conservateur, et par M . C ana-
colonies : 2060 000; H ollande, 1 945 000; E tats-U nis lejas, radical, qui est considéré com m e un des prin­
et colonies, 1 635 000; A llem agne, 910 000; A utriche- cipaux leaders de l ’ anticléricalism e. A ctuellem ent
H ongrie, 906 000). « on y trouve des républicains, com m e le président
A V alence d'abord, puis à M adrid depuis 1896, actuel..., et des conservateurs, des catholiques et des
fonctionne un Conseil national des coopératives catho­ libres-penseurs » (A. M arvaud). Les socialistes ont
liques ouvrières, qui unifie l ’action des conseils dio ­ soutenu le m inistère conservateur de M . M aura pour
césains actuellem ent au nom bre de 26 : A storga, l ’ application de la loi sur le repos hebdom adaire et la
B arcelone, B urgos, C adix, C iudad-Real, G erona, ferm eture des cabarets le dim anche, et il leur est,
H uesca, Léon, M adrid, O rense, O sm a, Palencia, paraît-il, arrivé d ’ incliner leur bannière rouge devant
Pam pelune, Salam anque, Santander, Saint-Jacques de l ’ évêque d ’ A storga au cri de « V ive le protecteur de
C om postelle, Séville, Soria, Saragosse, Tarragone, la classe· ouvrière ! »
Tortosa, Tuy, V alencia, V alladolid, V itoria et V ich. Enfin, les catholiques sociaux d ’ Espagne sont en
« Le Conscjo nacional a pris une part active à relations suivies avec ceux des autres nations catho ­
l ’ œ uvre de législation sociale réalisée ces dernières liques ; ils écrivent dans leurs revues et leur ouvrent
années : le gouvernem ent lui a dem andé son avis les leurs; ils vont com pléter à l ’ étranger leur éduca ­
sur tous les projets de loi im portants, et il a pris lui- tion sociologique. Ils sont tout prêts à obéir au m ou ­
m êm e l ’initiative de nouvelles propositions et de vem ent qui sem ble devoir faire des Sem aines sociales
réform es...; on lui doit la création de la Banque popu­ une vraie institution internationale; ils sentent très
laire de Léon XIII, fondée au capital 2500000 pese ­ vivem ent ce qu ’ ils pourraient tirer de force pour leur
tas en vue de venir en aide aux petits artisans et aux œ uvre nationale de la solidarité catholique plus inti­
petits cultivateurs m om entaném ent dans la gêne... La m em ent pratiquée, ils ont conscience de ce qu ’ ils
B anque populaire de Léon X III a consenti, en 1906, pourraient infuser à l ’ œ uvre com m une d ’ esprit dém o ­
26 prêts pour une valeur de 92 547 pesetas; en 1907, cratique et chrétien, d ’ expérience clairvoyante des
39 prêts pour une valeur de 157 455 p.» (A . M arvaud). besoins spirituels et m atériels des classes sacrifiées.
D ans les cam pagnes, et nous avons dit pourquoi, 3° Œuvres charitables. — A côté des œ uvres sociales
l ’ œ uvre sociale du catholicism e est plus considérable proprem ent dites, les œ uvres de charité au sens parti ­
encore que dans les villes. U ne loi sur les syndicats culier du m ot, m ais qui resteront longtem ps im por ­
agricoles a été votée en 1906 grâce aux catholiques tantes dans un pays pauvre com m e l'Espagne, absor ­
principalem ent; depuis cette loi, les syndicats se sont bent une grande part du revenu des ecclésiastiques
m ultipliés surtout dans le N ord. « La N avarre vient séculiers qui ont des revenus im portants (les évêques
au prem ier rang, avec plus de 50 syndicats et une cen ­ et les chanoines), et surtout s ’ offrent à l ’ activité du
taine de caisses rurales, pour 250 com m unes environ » clergé régulier qui dispose en général de plus de res ­
(A. M arvaud). D ’ après la Paz Social (m ai 1907), il y sources que le clergé séculier. Par leur nature m êm e,
avait au prem ier janvier 1909, dans toute l ’ Espagne, les œ uvres delà charité chrétienne échappent en grande
373 caisses rurales catholiques, et sans doute cette partie à la statistique; voici cependant quelques
statistique est-elle au-dessous de la réalité. Presque indications, em pruntées au P. Sacrest, op. cil.
tous les sém inaires ont des chaires de sociologie; dans E n 1909, les frères de Saint-Jean-de-D ieu avaient
certaines se font des conférences publiques. en Espagne des m aisons .
Si certaines divergences peuvent se produire entre A • P O U R
10 50K BR 8

les catholiques sur la solution des problèm es sociaux D E

(par exem ple, sur le caractère confessionnel ou neutre C iem pozuelos F ous 1120
des syndicats), si m êm e (divergence plus profonde, B arcelona E nfants m alades pauvres 300
Séville V ieillards incurables 63
m ais nécessaire) l ’ Église m ilitante, en rappelant coura ­ G renade E nfants m alades pauvres 70
geusem ent les conséquences sociales de la doctrine V alence — 120
chrétienne, rencontre quelque m auvaise volonté chez S aragosse F ous (hospiceprovincial) 268
certains conservateurs catholiques, il n ’ en reste pas P alencia — 110
m oins vrai dans l ’ ensem ble que, dans la m esure où elle G ibraltar O rphelins pauvres 30
se consacre à son œ uvre sociale, l ’ Église d ’ Espagne M adrid E nfants m alades pauvres 50
M adri d ( C arabanchel É pileptiques 150
efface, par surcroît, bien des divisions artificielles dues A lto)
aux circonstances politiques, corrige bien des préven- ■ S aint-B andilio F ous 1000
tiens chez ses ennem is, établit des liens très étroits M ondragon — 160
entre elle et les catholiques de l ’ étranger, que parfois I P am plona F ous (hospice provincial) 200
5S1 E SPA G N E (É G L IS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 582

Les sœ urs de Saint-Jean-de-D ieu ont des m aisons : sur le m ouvem ent catholique social en E spagne et snr
l ’ esprit populaire et apostolique du clergé >. S ur ce :ar
A P O U R
lt \O H B K K tère populaire, voir encore G auguin. Un - ■ r· ...- .
D E dans la Revue du clergé français, 1 " novem bre 1898-L A c­
M adrid F olles 700 tio n populaire a publié (Actes sociaux, n. '·■■' s .· . titre
M adrid P etites orphelines 70 deA ctes épiscopaux, Espagne, des ex traits fort intéressants
B arcelone Folles 650 au p o in t de vue social. F erm in H ernandez Iguesias.
M alaga —. 50 beneficentia en Espana, 2 vol., M adrid, 1876, en p articu lier,
S anta A queda — 300 t n , p. 789 sq.
P alencia —. 100
P am p lon a 1 — 100 V I. L ’ É g l i s e d ’ E s p a g n e e t l ’ É g l is e v n i v e b -
1. Établissem ent subventionné par la D éputation pro ­ s e l l e . — Si la doctrine catholique est toujours et
vinciale de la N avarre. : partout sem blable à elle-m êm e, les nations qui i;>. pro ­
fessent ont, chacune, leur tem péram ent et leur his ­
Ces assistées sont soignées par 447 sœ urs réparties toire; ce tem péram ent et cette histoire peuvent être
dans les sept établissem ents. en harm onie avec le catholicism e ou lui opposer, par ­
A M adrid seulem ent les sœ urs de la charité, répar ­ fois, des forces antagonistes.
ties en 27 m aisons, et au nom bre de plus de 700, assis ­ N ous avons vu com m ent, par son action sociale,
tent des m illiers d ’ indigents. faisant face à des problèm es qui se posent à peu près
Les Hermanitas de los ancianos desamparados de m êm e dim s toutes les grandes nations, l ’ Église
(petites sœ urs des vieillards abandonnés) espagnoles d ’ Espagne, tout en utilisant les opportunités qu ’ elle
avaient (en 1908), dans les diverses provinces d ’ Espa ­ doit à sa m agnifique histoire, corrige aussi ce qu ’ elle
gne, 128 m aisons et hospitalisaient 4641 personnes. avait conservé de particularism e com m e Église natio ­
Les petites sœ urs des pauvres (françaises) ont (en nale et com m e Église d ’ É tat. Encore le problèm e
Espagne et Portugal) 52 m aisons, 5 500 sœ urs, social, pour universel qu ’ il soit, l ’ intéresse-t-il en tant
45 000 assistés. Les Terciarias trinitarias ont à M adrid, qu ’il se pose en Espagne. Il nous reste donc à voir
B arcelone, Séville, Santander et V illanueva de San- l ’ Église d ’ Espagne dans ses relations avec la grande
tajider 600 hospitalisés. com m union catholique.
Les Hermanns Carmelitas de la Caridad ont : C ’ est par l ’ éducation chrétienne que s ’ affirm e l ’ uni ­
versalité qui doit dom iner les contingences du tem ps
N O M BR E N O M B R E N O M B R E
N O M B R E
d ’ a s s is t é e s
et du lieu; et nous devons exam iner successivem ent
P R O V IN C E S . de de D H O S P I-
dans l ’ instruction religieuse du clergé et celle des fidèles.
SΠURS-
M A IS O N S - T A L IS É E S
l ’a n n é e . 1° Instruction, du clergé. — Les sém inaires, dont
un certain nom bre étaient très anciens en Espagne,
A licante . . . 2 30 164 917 avaient été réglem entés par les II e , IV e et V I e con ­
B arcelone. . . 14 168 554 238 ciles de Tolède, et c ’ est conform ém ent au concile de
C adiz ............... 4 39 20 497 T rente, sess. xxm , c. xvin, que le concordat de
C artagena. . . 1 10 75 1851 prévoit l ’ érection d ’ un sém inaire par diocèse.
C astellon . . . 1 15 2
G erona. . . . 6 37 388
Sém inaires et universités ensem ble donnaient aux
L erida . . . . 5 37 3 67 études ecclésiastiques un niveau élevé. La révolu ­
Logrono . . . 2 17 1 32 tion de 1868 alla jusqu ’ à supprim er la théologie des
M adrid. . . . 1 24 14 universités que la théologie avait fondées, com m e
T arragona . . 4 30 79 16 l'observe justem ent M gr l ’ évêque de Jaca (décret du
V alence. . . 3 51 938 76 19 octobre 1868). Le décret du 20 octobre 1868 déclara
V izcaya. . . . 1 4 9 les ordinaires libres d ’ organiser com m e ils l ’ entendraient
les études théologiques dans les sém inaires.
Signalons com m e une œ uvre très originale d ’ apos ­ A la suite du concordat,le gouvernem ent, d ’ accord
tolat proprem ent dit et d ’ apostolat social, celle que avec le Saint-Siège, avait par décret royal du 21 m ai
poursuit dans une région particulièrem ent déshé ­ f852 laissé aux évêques la nom ination des recteurs et
ritée, celle des H urdes, M gr Jarrin, évêque de Pla- i professeurs de sém inaires; le 31 août, il avait auto ­
risé les sém inaires à recevoir autant d ’ externes qu ’ ils
sencia.
voudraient, et le 28 septem bre, une Cédule royale don ­
S everino A znar, El catolicismo social en Espana ; P . A nto ­ nait le Plan d’études pour tes séminaires conciliaires.
nio V icent, Socialismo y Anarquismo, 1893 ; A ngel M arvaud, « Le clergé espagnol,écrit Léon X III dans la L ettre
La question sociale en Espagne, P aris, 1910; La paz social, apostolique N on mediocri, 25 octobre 1893, a brillé
revue m ensuelle publiée à M adrid depuis 1907 , dirigée par longtem ps d'une vive lum ière dans les sciences di ­
S everino A znar Jusqu ’ à janvier 1910 (com pris), puis par
E n riq ue R eig ; Revista social hispano arnericana, B arce ­
vines et dans les belles-lettres ; grâce à ses talents il
lone, 1910, 9° année; Revista calôlica de cucstiones sociales, a contribué grandem ent à la grandeur de la foi chré­
M adrid, 1910, 16· année; Anales dei Instituto national de tienne et au renom de sa patrie...
Prevision, M adrid, n. 1, ju in 1909; n. 2, octobre 1909; Il n ’ est pas étonnant, d ’ ailleurs, que l ’ Espagne ait
n. 3, jan v ier 1910; El pueblo obtero, periodico quincenal, vu naître tant de si grands hom m es; en effet, sans
V alence, 1910, 7· année; M iguel S astre, Las huelgas, parler de la vigueur naturelle des esprits, on y trou ­
V alence, 1908 (et une série d ’ études du m êm e au teu r sur vait des secours et des instrum ents de toute sorte,
les grèves de B arcelone); R ivas M oreno, La mutualidad y
excellem m ent disposés pour am ener les études à la
los asalariados. V alence, 1909; E nrique Reig, Présenté y par­
venir economico de la Iglesia espanola ; M gr L opez P elaez, perfection. Il suffit de rappeler les grandes univer ­
El presupuesto dei clero, M adrid, 1910; G abriel P alau, S. J-, sités d ’ A lcala et de Salam anque qui, sous la vigi­
trad . fr. p ar L ouis L ebesson et P aul Ju ry , Le catholique lante direction de l ’ Église, furent les m agnifiques asiles
d'action ; Historia de la fundacion del Monlc-Pio y mulua- de la sagesse chrétienne. A ce souvenir se joint tout
lidad del clero de la diocesis de Madrid-Alcala, M adrid, 1908; naturellem ent celui des collèges qui reçurent en fouie
Cronica del Congreso national de Hurdanofllos celebrado en des ecclésiastiques distingués par leur talent et
Plasencia (juin 1908), P lasencia. P endant quelque tem ps par leur am our de la science. M ais est venue la
a paru une revue spécialem ent consacrée à Las Hurdes
11903-1908), P lasencia; Jav ier V ales F ailde, Un sociolôgo
tem pête révolutionnaire. « A insi disparurent les uni-
ptirpurado, M adrid, 1909 (cette brochure, consacrée au versités catholiques et leurs collèges; ainsi di=r;ru-
cardinal S ancha, contient de très précieux renseignem ents rent aussi les sém inaires eux-m êm es... Le Saint-Siège
583 E S P A G N E (É G L ISE D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 584

intervint en tem ps utile, et, avec l ’ accord du pou ­ la fois en théologie, en droit canon et en philoso ­
voir civil, m it beaucoup de zèle à réorganiser les phie, dont 8 autres avaient deux doctorats et 5 autres
affaires ecclésiastiques, que l ’ époque précédente avait un doctorat. O n voit quelle influence doit exercer
bouleversées. Toutefois, les principaux objets de scs le collège Saint-Joseph sur les études ecclésiastiques
soins furent les sém inaires diocésains... » en Espagne.
N ous avons cité plus haut l ’ art. 28 du concordat, M ais il m anquait l ’ interm édiaire nécessaire entre
par lequel le gouvernem ent prom et l ’ érection de sém i ­ ce collège et les sém inaires, puisque les séminaires
naires conciliaires dans les diocèses qui en m anquent généraux prévus par le concordat n ’ avaient point été
encore, et, « aussitôt que les circonstances le perm et­ institués. D es décrets royaux du 21 m ai 1852 et du
tront, de sém inaires généraux. » 27 novem bre 1876 avaient désigné, en attendant,
L a collaboration de l ’ É tat ayant m anqué, l ’ Église divers sém inaires pour conférer les grades m ajeurs.
dut assurer elle-m êm e com plètem ent le soin d ’ am é ­ Ce n ’ était qu ’ un expédient. La S. C. des É tudes (30
liorer les études ecclésiastiques. « B eaucoup d ’ obs ­ juin 1896) publia une instruction qui érigeait en uni ­
tacles, dit Léon X III, ont em pêché et em pêchent versités pontificales d ’ études ecclésiastiques (en se
encore aujourd ’ hui qu ’ en fait ces conditions soient conform ant à la bulle Quod divinæ sopientiœ), les cinq
réalisées. A insi, m aintenant que n ’ existe plus l ’ appui sém inaires où se conféraient les grades m ajeurs, et,
des universités, on doit regretter beaucoup de ces dès l ’ année suivante, tous les sém inaires m étropoli­
secours sans lesquels un clerc peut difficilem ent tains. Les élèves y reçoivent la licence en théologie
aspirer à l ’ honneur d ’ une science com plète et pro ­ au bout de 4 ans et la licence en droit canonique au
fonde. » bout de 2 ans ; les élèves des autres sém inaires doivent
O r, à R om e, centre de la foi catholique, existent y venir un an pour la licence, et un an encore pour le
déjà beaucoup d ’institutions destinées à prom ouvoir doctorat. V oir S. C. des É tudes, 11 juillet 1899; 21 m ars
les études ecclésiastiques dans les grandes nations ca ­ 1900. O n voit, dans tout ce processus, sur un point
tholiques; par m alheur, il y avait peu d ’ élèves espa ­ particulier, im nouvel exem ple de la séparation tou ­
gnols. « N ous avons form é le projet, dit le souverain jours plus nette entre l ’ Église et l ’ É tat; ajoutons que
pontife,de faire en sorte que le collège rom ain des clercs la révolution a supprim é (21 octobre 1868) la vali­
espagnols, fondé naguère, grâce au zèle éclairé de dité académ ique auparavant reconnue (décrets
pieux prêtres, non seulem ent dem eure florissant, royaux 21 m ai 1852, 10 septem bre et 6 octobre 1866)
m ais encore devienne de jour en jour plus prospère. I aux études d ’ enseignem ent secondaire et de droit
11 N ous plaît donc que tous les sujets de la Péninsule canonique faites dans les sém inaires.
ibérique et des îles voisines soum ises au R oi catho ­ V oici la liste des sém inaires, avec, pour la plupart,
lique, qui seront rassem blés dans ce collège, soient la date de leur fondation, et le nom de leur patron.
placés sous N otre autorité, que, m enant une vie com ­ Les sém inaires m étropolitains ou universités ponti ­
m une,... ils se livrent aux études qui élèvent d ’ une ficales, et le sém inaire de Salam anque, dirigé par les
façon excellente le cœ ur et l ’ esprit. » jésuites, confèrent les grades m ajeurs dans les facultés
Léon X III, en m êm e tem ps,m ettait à la disposition ecclésiastiques (licence et doctorat); les autres con ­
du collège espagnol, provisoirem ent le palais A lfieri, fèrent les grades m ineurs. (V oir ci-contre, col. 585-
puis, aussitôt am énagé, le palais A ltem ps et il dési ­ 586.)
gnait les archevêques de Tolède et de Séville pour A la collégiale du Sacro M onte, à G renade, est uni
traiter désorm ais avec le Saint-Siège de tout ce qui le collège-sém inaire de Sairft-Denis l'A réopagite, où
concerne ce collège. les chanoines sont professeurs.
Q uelques chiffres donneront une idée plus précise de Tels sont les cadres de l ’ enseignem ent ecclésias ­
l ’im portance de cette fondation. tique. Q u ’ est cet enseignem ent lui-m êm e? Lorsque
Pendant l ’ année scolaire 1906-1907 (la 15° depuis la l ’ archevêque de B urgos, cardinal A guirre, depuis
fondation), le personnel du Collège hispanique de archevêque de Tolède et prim at d'Espagne, sollici­
Saint-Joseph com prenait 18 personnes (recteur, vice- tait du souverain pontife, en 1896, l ’ érection d ’ une
recteur, professeurs, confesseurs, etc.); les élèves université pontificale à B urgos, il alléguait la néces ­
étaient au nom bre de 11 de la province de B urgos, sité d ’ adapter l ’ enseignem ent ecclésiastique aux con ­
9 de celle de Saragosse, 7 de Saint-Jacques de Com - ditions du tem ps présent. V oir Canonica erectio el
postelle, 7 de G renade, 6 de Séville, 20 de Tarragone, constitutio facultatum sacræ theologize, furis canonici
12 de Tolède, 15 de V alence, 12 de V alladolid. Soit, au et philosophise scholasticte in seminario Burgensi,
total 99 élèves, ainsi répartis : faculté de théologie 55 ; B urgos, 1897. Il s ’ agissait, sans dim inuer la part
faculté de droit canon 15; faculté de philosophie 29. accordée à là théologie positive, de cultiver d'autres
D ans cette m êm e année, 7 élèves reçurent à l ’ uni ­ sciences ecclésiastiques autrefois trop négligées.
versité grégorienne, en théologie, le titre de docteur, Il y avait, en effet, un com plém ent indispensable
101e titre delicencié, 271e titre de bachelier. E ndroit à apporter aux études faites dans les sém inaires
canon, 11 le titre de docteur, 10 celui de licencié, conciliaires. Ces sém inaires ont deux grandes caté ­
14 celui de bachelier, et en philosophie, 3 le titre de gories d ’ élèves; les uns suivent la carrera breve, ou
docteur, 4 celui de licencié, 8 celui de bachelier. menor, les autres la carrera lata ou mayor, m ais la dis ­
D ix obtinrent le titre de docteur à l ’ A cadém ie tinction tend à s ’ effacer. La carrera breve com prend,
rom aine de Saint-Tiiam as d ’ A quin. Enfin, nom bre de en général, 4 années de latin et de belles-lettres :
récom penses ont été obtenues par les élèves espagnols Humanidades, deux de philosophie, avec quelques
dans les concours, en particulier de l ’ université grégo ­ notions de sciences m athém atiques, physiques et
rienne (pour l ’ É criture sainte, la théologie dogm a ­ naturelles, deux de théologie dogm atique et m orale,
tique, l ’ hébreu, l'arabe, la théologie m orale, l ’ histoire « je devrais dire plutôt : deux années de m orale, car,
ecclésiastique, l ’ archéologie sacrée, le droit canoni­ pour le dogm e, on se contente d ’ un enseignem ent aussi
que, le droit public ecclésiastique, la philosophie, élém entaire et abrégé que possible » (dom J. L. Pier-
l ’ astronom ie, l ’ éthique et le droit naturel, l ’histoire dait). L a m orale est étudiée dans le Compendium de
de la philosophie, la m étaphysique, la physique et la G ury, d ’ une m anière qui fait beaucoup travailler la
chim ie, la physiologie, la m écanique, la logique, les m ém oire. Q uoique les élèves de la carrera menor se
m athém atiques, la littérature espagnole, le grec, le destinent en général aux charges les plus m odestes,
français, l ’ anglais, l ’ italien). En l'année 1905-1906 ont grâce au régim e des concours ils peuvent ensuite, en
quitté le collège 20 élèves, dont 4 étaient docteurs à travaillant, l ’ em porter sur ceux de la carrera mayor.
585 E S PA G N E (E G L IS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 586

SÉ M IN A IRE S

D A T E D E L 'É R E C T IO N . PA T R O N D U S É M IN A IR E

Tolède................................. l"octobre 1847 Saint Ildefonse.


M adrid ............................................ Saint D am ase *.
C iudad-R eal ............................. Saint T hom as de V illeneuve.
C oria ............................................... D epuis 1819 à C oria, de 1603 Saint Pierre.
à 1819 à C aceres.
C uenca ............................................ 1592 Saint Julien.
P lasencia ........................................ 1672 Im m aculée C onception.
S igüenza ........................................ 1651 Saint B arthélem y.
Tarragone............................ 1572 Saint Paul et sainte T écla.
B arcelone ..................................... N otre-D am e de M ontealegre et saint T hom as.
G erona ............................................ 1798
L erida ............................................. 1592 D eux sections : saint T hom as, saint L ouis.
T ortosa ........................................... 1544«
V ich ............................................... 1635 L a Sainte Fam ille.
Solsona ............................................ 1846
Séville.................................. 1842 ’ · Saint Isidore et saint François-X avier.
B adajoz ........................................... 1644 Saint A ntonin.
C adix ........................................... 4589 Saint B arthélem y.
C ordoue ........................................ 1583 Saint Pélage.
C anaries ........................................ P urisim a C oncepcion.
T en erife ........................................

Valence.................... , . . . 1831 Im m aculée C onception et saint T hom as de V illanueva


M ajorque .................................... ... 1700 Saint P ierre.
M inorque ................................. . . Purisim a C oncepcion et archange saint M ichel.
Segorbe ................................ » . 1771
Grenade............................... Saint C ecilio.
A lm eria . . . ... 1610 Saint Indalecio.
C artagène M urcio ......................... *
Jaen ............................................... 1660* Saint Philippe de N éri.
M alaga ............... ...................... 1597 Saint Sébastien et saint T hom as d ’ A quin.
G uadix ............................................ 1595 Saint T orquato.

Saint-Jacques de Compostelie 1829


L ugo ............................................ 1590 Saint L aurent.
M ondofiedo ................................. 1572 Sainte C atherine.
O viedo ............................................ 1851
O rense ............................................ 1803 Saint Fernando.
T uy .............................................. 1850 Saint François d ’A ssise.

Burgos................................. 1513 Saint Jérôm e.


C alahorra" . .... 1776
L éon® ........................................... 1606 Saint Froilân.
O sm a ............................................ 1583 Saint D om inique.
P alen cia ........................................ 1584 Saint Joseph.
S antander .......................................
V itoria ........................................... Sainte Prudence et saint Ignace.

Valladolid ........... 1598


A storga ........................................... 1766 Purisim a C oncepcion et saint T oribio.
A vila ............................................... Saint M illan.
Segovia ........................................... 1781 Saint Frutos et saint Ildefonse.
Salam anque .................................... 1778 Saint C harles.
Z am ora .................. ............... 1797 Saint A tilano.
C iudad-R odrigo ............................. 1769
Saragossa ........... 1788 Saint V alero et saint B raulio.
H uesca ............................................ 1580 L a Sainte C roix.
Ja c a ............................................... 1851
P am pelune . . . .................. 1777 Saint M ichel archange.
T aragona ........................................ 1593 Saint G audioso.
T eru el ............................................ 1777 Saint T hom as d ’ A quin.
B arbastro ........................................

1. O n a. en outre, érigé à M adrid une grande université catholique.


2. A cette date, était destiné à l'éducation des m orisques, et n ’ est sém inaire en réalité que depu is 1824.
3. É tait auparavant à San L ucar de B arram eda.
4. É tait alors installé à B aeza et a m aintenant une section à Jaen.
5. C e sém inaire a une section à C alahorra et une autre à L a C alzada.
6. 11 y a, en outre, dans ce diocèse un sém inaire sous l'invocation de saint M atthieu, fondé en 1737 à V alderas. par un évêque !
d'A m érique.
587 E S P A G N E (É G LIS E D ’ ), E T A T R E L IG IE U X 588

La carrera mayor com prend aussi quatre années de heures. L a surveillance est vigilante, la correction
latin et d ’ hum anités; les élèves font ensuite trois an ­ im partiale(les copies ne portent pas les nom s des can ­
nées de philosophie, avec des m athém atiques et des didats, m ais des devises); les m em bres du jury, choi ­
sciences, puis quatre années de dogm atique, de m orale sis par l ’ évêque,trois au m oins, cinq au plus, m ettent
et de sciences auxiliaires. huit à dix m ois à corriger les épreuves. Les candidats
Q uand l ’ élève veut se préparer aux grades acadé ­ approuvés présentent une liste de trois paroisses
m iques, il consacre deux années supplém entaires aux qu ’ ilspeuvent désirer, et l ’ évêque établit pour chaque
plus hauts problèm es du dogm e et de la m orale. A paroisse une liste de trois candidats, qui est soum ise
la fin de la 5° année on est adm is à concourir pour la au roi : le gouvernem ent choisit toujours celui qui est
licence et à la fin de la 6°, pour le doctorat. Les grades nom m é le prem ier,et l ’ évêque dresse les listes en con ­
sont conférés à la suite d ’ un exam en qui com prend science .-les candidats ont d ’ ailleurs le droit d'appel.
écrit et oral. L ’ approbation du pouvoir civil est donnée par une
A près la carrière de la théologie, certains élèves cédule royale que le m inistre de la justice expédie
suivent celle du droit canonique. O n a pu voir, parce à l ’ évêché; alors la collation a lieu, à l ’ évêché, par
que nous avons dit des rapports de l ’ É gliseet del ’ É tat, l ’ im position du bonnet, et l ’ archiprêtre installe le
quelle place tient ce droit dans la vie publique et dans nouveau titulaire dans sa paroisse où il est désorm ais
la vie privée. La l ro année, les élèves étudient la théo ­ inam ovible.
rie et l ’ histoire du droit public de l ’ Église; la 2°, ils O n voit que ce régim e a de très grands avantages.
expliquent les D écrétales, III 0 , IV ° et V ° livres; C ’ est encore lui qui conserve aux chapitres le prestige
la 3°, ils préparent les exam ens de licence et de doc ­ et la réalité qu ’ ils ont ailleurs en partie perdus.
torat. U n certain nom bre entrent dans le m inistère Les chapitres com prennent, outre les dignitaires,
avant d ’ avoir term iné la préparation. M ais « le nom bre et presque au m êm e rang que ceux-ci, des chanoines
des gradués est, proportion gardée, beaucoup plus d'office (dont le canonical com porte une fonction
considérable dans le clergé espagnol que dans le clergé spéciale en plus des charges com m unes à tout le cha ­
français » (dom Pierdait). pitre); ils existaient déjà en Espagne avant que le
Ce qui m aintient à ce niveau les études ecclésias ­ concile de T rente en instituât dans toutes les cathé ­
tiques, et principalem ent la théologie, c ’ est que pres­ drales ; le concile prescrit deux de ces prébendes : la
que tous les canonicats et toutes les cures s ’ obtiennent théologale et la pénitencerie ; le titulaire de la pre ­
au concours. Sur ce point, l ’ Espagne est restée spé ­ m ière doit faire chaque année un certain nom bre de
cialem ent fidèle aux prescriptions de l ’ Église. Le con ­ leçons publiques d ’ É criture sainte; à certains jours et
cours est le procédé norm al d ’ obtention des bénéfices. 1 heures fixés, le pénitencier doit confesser. E n E spa-
Concile de T rente, sess. X X IV , c. xvin. Saint Pie V , I gne,on a appelé lectoral le théologal et on a institué
par constitution spéciale (en date du 15 des calendes J deux autres prébendes d ’ office : la doctorale et la
d ’ avril 1566), annule les collations faites par un autre m agistrale^ le doctoral est le canoniste du chapitre;
procédé et fixe les conditions du droit d ’ appel. Clé ­ il est gradué en droit canonique et possède une grande
m ent X I fixa la m éthode à suivre,et B enoît X IV , en I influence; parfois, il enseigne le droit ecclésiastique
m êm e tem ps qu ’ il réglem entait l ’ abus des appels, au sém inaire;le m agistral doit être gradué en théo ­
prescrivit de tenir com pte du caractère des candidats logie, et prêche à certains jours déterm inés.
et des services déjà rendus. Les autres canonicats sont dits canonicats de grâce;
Il y a, en Espagne, deux sortes de concours, l ’ une ils sont conférés à la volonté du collateur.
pour l ’ obtention des cures et églises paroissiales, l ’ au ­ L ’ art. 18 du concordat de 1851 s ’ exprim e ainsi :
tre pqur les canonicats et offices capitulaires. « A la place des 52 bénéfices stipulés dans le concor ­
Le concours pour les cures n ’ a pas lieu strictem ent dat de 1753, sont réservés à la nom ination de Sa Sain ­
com m e le veut le concile de T rente, chaque fois qu ’ une teté la dignité de chantre de toutes les Églises m étro ­
vacance se produit : il y a trop de cures et trop de politaines et dans les Églises suffragantes d ’ A storga,
vacances possibles : on attend qu ’ il y en ait un cer ­ A vila, B adajoz, B arcelone, C adiz, C iudad-Real,
tain nom bre; par exem ple, à B urgos, on a attendu de C uenca, G uadix, H uesca, Jaen, Lugo, M alaga, M on-
1892 à 1900, puis de 1900 à 1908; c ’ est l ’ évêque qui donedo, O rihuela, O viedo, Plasencia, Salam anca,
juge de l ’ opportunité; dans l ’ intervalle, il confie les Santander, Sigiienza, T uy, V itoria et Zam ora, dans
cures à des économes ou desservants. les autres sièges suffragants un canonical de gratia...
La convocation des candidats est faite par acte « A la dignité du décanat, il sera toujours pourvu par
officiel de l ’ évêché; nous avons vu qu ’ un laïque peut Sa M ajesté, dans toutes les Églises et quel que soit
concourir, à condition de se faire ordonner dans l ’ an ­ le tem ps de la vacance. Les canonicats de offteio seront
née, s ’ il obtient un bénéfice. Les prêtres d'autres dio ­ pourvus par les prélats et les chapitres à lasuite d ’ un
cèses, avec le consentem ent de leur ordinaire,les régu- | concours. Les autres dignités et canonicats seront
liers, avec un induit apostolique qui les habilite pour pourvus alternativem ent par S. M . et les archevê ­
l ’ obtention d ’ un bénéfice curial, peuvent aussi con ­ ques et évêques respectifs. » [N ous avons vu que, sur
courir. Les candidats sont toujours très nom breux ce dernier point, le gouvernem ent a abandonné une
(à B urgos, en 1900, près de 600, environ la m oitié du partie de ses prérogatives.]
clergé du diocèse). Le concours est obligatoire, dans les collégiales,
Le prem ier jour de l ’ exam en, les candidats ont à pour l ’ abbé et pour les deux chanoines d ’ ofi'ce et pour
répondre à deux questions de théologie dogm atique et la m oitié des bénéficiés (la m oitié plus un s ’ ils sont en
à six questions de théologie m orale [trois de m orale nom bre im pair). Il est évident qu'on tient com pte
générale : actes hum ains, conscience, lois, péchés, i des aptitudes spéciales, pour les fonctions spéciales
vertus et vices; et trois de m orale spéciale : D éca ­ com m e celle de sous-chantre et de ténor.
logue, com m andem ents de l ’ Église, justice, contrats, Lorsqu ’ il y a une vacance, l ’ évêque la déclare offi­
sacrem ents, etc.]; en outre, un cas de conscience ciellem ent ouvertejon peutconcourir de tous les dio ­
est éclairci. Le second jour les candidats ont à tra- ! cèses et il n ’ est pas nécessaire d ’ avoir été ordonné. Le
duire en langue castillane un paragraphe du Caté­ concours varie selon la charge à pourvoir. C ependant
chisme du concile de Trente et à com poser sur le sujet un il y a une épreuve essentielle, toujours la m êm e; un
serm on en castillan. Ils n ’ont aucun livre à leur dis- I enfant de chœ ur plonge un couteau à papier trois fois
position, et il y a des peines sévères pour ceux qui dans le livre des Sentences de Pierre Lom bard, le can ­
m ontrent trop d ’ ignorance. C haque séance dure cinq | didat choisit une thèse dans l'unedes trois pages ainsi
589 E S P A G N E (É G LIS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 590

désignées et il a 24heures pour en préparer l ’ exposé; Il y a donc lieu d ’ espérer que l'instruction c:s
il travaille dans unecellule du sém inaire, où un ser ­ fidèles se fera plus com plète; il res ’ e b .··..·■ .
viteur lui apporte les livres qu ’ il réclam e. L ’ exposi ­ de ce côté. N on qu'ils reçoivent, par aill, - - -
tion dure une heure, et l ’ argum entation une heure (le tions hostiles à la doctrine catholique; il n y y... -
tout en latin); ce sont deux candidats concurrents Espagne d ’ hostilité entre les instituteurs · ■. .
qui font les objections. Le candidat doit, en outre; qui ont généralem ent m êm e origine et m êm : :
prononcer un serm on d ’ une heure en castillan; le texte tion intellectuelle. D ’ ailleurs, les prêtres y-uv-r.;
en est pris dans le catéchism e de saint PieV et la pré ­ être m aîtres d ’ école, professeurs dans le- > .·■·,■■ r. --
paration dure égalem ent 24 heures. Ces deux épreuves m ales (décret royal du 30 m ars 1849; règlem ent la
sont com m unes; pour les canonicats d'office il y a 15 m ai 1849) et inspecteurs de renseignem ent ri-
une épreuve écrite spéciale et supplém entaire. m aire (décret royal du 21 août 1885). D e m êm e, les
Les concurrents sont en général cinq ou six. U n fonctions de chanoine sont com patibles avec celles de
décretroyal de 1888 organise le tribunal; l ’ évêque est professeur, m ais le traitem ent de professeur est alors
président de droit, assisté, dans les cathédrales, du réduit de m oitié. M ais, s'il n ’ y a point d ’ antagonism e
doyen et de trois chanoines, et, dans les collégiales, entre les deux enseignem ents, il faut signaler un danger
de l ’ abbé et d ’ un chanoine. qui résulte de la com m unauté m êm e d ’ origine entre
Les candidats approuvés sont soum is à un vote de les prêtres et les m aîtres de l ’ enseignem ent prim aire :
tout le chapitre. O r, selon l ’ art. 14 du concordat de l ’ É tat, en am éliorant peu à peu le sort de ces derniers,
1851, « dans les élections ou nom inations qui regar ­ se trouve dim inuer le nom bre des vocations ecclé ­
dent le chapitre, le prélat aura trois, quatre ou cinq siastiques.
voix sejon que le nom bre des chanoines sera de 16, de Parm i les tentatives faites pour élever le niveau de
20 ou de plus de 20. » l ’ instruction religieuse dans le peuple, citons celle
Lorsque les candidats ont été approuvés,on dresse, dont l ’ initiative est due au grand évêque de Sala ­
com m e pour les cures, des listes de trois pour chaque m anque, le P. C am ara; il y a à Salam anque une Société
poste vacant. éditoriale de bonnes lectures, qui publie un journal quo ­
Les avantages des concours sont incontestables; tidien, une Semana calolica, et une Feuille du diman­
grâce à eux les candidats les plus intelligents et les che, distribuée gratuitem ent pour répandre la connais ­
plus travailleurs parviennent aux plus hautes charges sance de l ’ Évangile. U ne feuille analogue est publiée
de l ’ Église, et y parviennent relativem ent jeunes. à Plasencia et dans quelques autres diocèses.
M ais l ’ enseignem ent des m atières sur lesquelles 3° Relations de l’Église espagnole avec les autres
portent ces concours n ’ est point assez renouvelé; Églises. — Ce n ’ est pas seulem ent avec R om e que
nous avons vu Léon X III exprim er le regret de la l ’ Espagne est en relations de plus en plus étroites
collaboration des universités, et le cardinal arche ­ suivies, c ’ est aussi avec la nation voisine, la France,
vêque de B urgos réclam er une place plus im portante que, par l ’ échange des idées et des m éthodes, elle
pour les sciences sacrées autres que la théologie. élargit ce qu ’ il peut y avoir parfois de trop particu-
M êm e les études théologiques, dont l ’ essor a été si lariste dans son catholicism e. Sans doute, depuis deux
brillant depuis X im énès, souffrent d ’ une certaine sé ­ siècles, la France a, en Espagne, une réputation
cheresse; l ’ im portance de la production scientifique d ’ irreligion (d ’ ailleurs fort exagérée) qui ralentit un
n ’ est pas en rapport avec la som m e des efforts dé ­ peu le com m erce spirituel si nécessaire aux deux na ­
pensés; les Espagnols, dont l ’ influence théologique tions; toutefois, par suite du voisinage, les influences
a encore été prépondérante au concile du V atican, réciproques sont plus réelles, plus profondes qu ’ il ne
estim ent en général un peu superficiels au point de sem ble au prem ier abord. Sans doute, l'exode des reli ­
vue théologique les travaux français, et ils sont restés gieux chassés de France· ne paraît pas avoir actuelle ­
absolum ent indem nes de toute infiltration m oder ­ m ent, en Espagne, des conséquences analogues à
niste. Peut-être y aurait-il avantage pour l ’ Espagne celles qu ’ eut en A ngleterre l ’ exode des prêtres fran ­
com m e pour la France à ce que le m ouvem ent des çais chassés par la R évolution. M ais, beaucoup des
études religieuses dans les deux pays, I ’ un trop hardi, m em bres les plus distingués du clergé espagnol par ­
l ’ autre trop im m obile, se com binât. lent et tout au m oins lisent le français. Enfin, il n ’ y a
En particulier, si l ’ éducation essentiellem ent théo ­ pas de preuve plus belle et plus forte de cette influence
logique assure parfaitem ent la pureté de la foi dans française que l ’ œ uvre de Saint-Louis-des-Français
le clergé, cette m êm e éducation le rend peu apte à qui existe à M adrid depuis le com m encem en! du
se faire entendre des fidèles : des plus hum bles, parce xvn® siècle (1613). C ’ était, essentiellem ent, un hôpital
qu'il est trop abstrait, des autres, parce qu ’ il ne se fondé pour les Français sous l ’ invocation de saint
rencontre guère avec leurs préoccupations. Louis; le recteur-adm inistrateur devait toujours être
2° Instruction religieuse des fidèles. — Incontesta ­ un Français, et l ’ établissem ent était placé sous le
blem ent, l ’ instruction religieuse est peu répandue dans patronage des rois de France et d ’ E spagne; l ’ adm inis­
le peuple; les catéchism es m anquent, ou sont défec ­ tration était confiée à un recteur et à un vicaire, assis ­
tueux. E t le défaut d ’ instruction religieuse se traduit tés par un conseil de quatre députés, choisis parm i les
par le déclin de la vie paroissiale, à laquelle s ’ est trop m em bres les plus honorables de la colonie française.
souvent substituée une sorte d ’ agitation politico- E n m ai 1876, la situation de l ’ établissem ent a été
religieuse. définitivem ent réglée par une convention entre
M ais déjà d ’ énergiques efforts sont faits pour cor ­ France et l ’ Espagne. Il est stipulé : « 1° que l'établi --
riger ces inconvénients, dus en grande partie aux cir ­ sem ent de Saint-Louis appartient à la France, sous
constances. II est certain,par exem ple, que la grande le haut patronage du gouvernem ent français et du
pauvreté du clergé espagnol explique, pour une bonne roi d ’ Espagne. Tout ce qui touche à l ’ adm inistrati i
part, l ’ incuriosité qu ’ on peut lui reprocher : il n ’ est tem porelle ne relève que du gouvernem ent f r ·...■ ..
m atériellem ent pas à m êm e d ’ acheter livres et revues. La juridiction spirituelle appartient au grand-.m ::. -
N om breux sont les jeunes prêtres d ’ âm e généreuse qui nier du roi d ’ Espagne. La nom ination du rect eur-aùm l-
ne dem andent qu ’ à se dévouer et à travailler sous nistrateur, qui sera toujours un Français. : :
toutes les form es de l ’ apostolat chrétien; il ne faut au gouvernem ent français, m ais doit être soum ise
pas oublier que le plus grand peut-être des apologistes l ’ agrém ent du roi d ’ Espagne... -
de la prem ière m oitié du xix® siècle est un Espagnol, L ’ œ uvre com prend actuellem ent un hôpital, une
B alm ès. église et un externat de jeunes filles, dirigé par les
591 ESPAGNE (ÉG L IS E D ’ ), É T A T R E L IG IE U X 592

sœ urs de Saint-V incent-de-Paul. « L ’ hôpital renferm e pagne y répande son influence m orale. O r, son action
une quarantaine de lits dont la m oitié est réservée est dans une certaine m esure paralysée, par le m êm e
gratuitem ent aux m alades français, sans distinction défaut de culture générale, et, en particulier, de cul ­
de religion; l ’ autre m oitié, égalem ent gratuite, est ture religieuse, dont elle souffre chez elle. Les religieux
affectée à des vieillards, hom m es et fem m es, et à espagnols, nous venons de le voir, agissent dans
quelques orphelines dont les parents sont m orts à F A m érique latine, m ais leur action est lim itée et spé ­
l ’ hôpital. L ’ asile des fem m es a été inauguré en 1893, ciale, et, par exem ple, le grand dévouem ent que sup ­
celui des hom m es en 1897. U n refuge est annexé à posent les œ uvres charitables ne se traduit pas par
l ’ hôpital, où peuvent rester trois jours et trois nuits une influence proprem ent dite. O r, il y a bien actuel ­
les Français m alheureux de passage à M adrid. » A lem ent une im portante ém igration d ’ Espagne dans
l ’ église, « les offices des dim anches et des fêtes, les l ’ A m érique latine, m ais cette ém igration, sans enri­
stations du carêm e et du m ois de M arie se font à la chir le catholicism e dans l ’ A m érique du Sud, l ’ appau ­
m anière française et rappellent à nos com patriotes le vrit en Espagne. Faute d'instruction religieuse solide,
souvenir de l ’ église du pays... » Q uant au collège de l ’ ém igrant pauvre, soustrait à sa tradition et à ses
jeunes filles, il a des élèves dont le nom bre va crois ­ institutions, abandonne la foi, et lorsque, enrichi, il
sant avec la réputation. Les cours s ’ y font en fran ­ écrit aux siens ou leur envoie des brochures de pro ­
çais. C ’ est ici qu ’ est sensible l ’ influence religieuse de pagande ou revient parm i eux, il les fait, lui qui a
la France, représentée par les sœ urs de Saint-V incent- réussi, douter de la valeur de leur croyance. A insi le
de-Paul et parles lazaristes. Les élèves distinguées qui grand problèm e de l ’ instruction religieuse du peuple
sortent de plus en plus nom breuses de cette m aison nous apparaît partout urgent ; et nulle part l ’ urgence
transm ettent à leur fam ille et à leur société beaucoup n ’ est plus sensible qu ’ ici, puisque l ’ Église d ’ Espagne
de la noble culture chrétienne et française qu'elles ont sc trouve retardée dans la m ission m agnifique qui lui
reçue là. Ce sont nos vénérables prêtres de la M ission incom be, et à l ’ accom plissem ent de laquelle doivent
oui ont ainsi introduit en Espagne, il y a une quin ­ collaborer les prêtres et les fidèles, l ’ Église et la
zaine d ’ années, notre usage de la prem ière com m u ­ nation· .
nion solennelle, usage auparavant inconnu, m ais dont • Ce n ’ est, d ’ ailleurs, qu ’ une question de tem ps (m ais
les Espagnols ont tout de suite apprécié la grandeur le tem ps est bien précieux, quand il s ’ agit du salut des
religieuse. âm es) et déjà, dans le dom aine social où elle est
A son tour, la catholique Espagne rayonne sur m ieux organisée, l ’ Église d ’Espagne a com m encé sa
l ’ étranger. Le C ongrès eucharistique de 1911 s ’ est m ission. C 'est ainsi que l ’ A ction sociale populaire, di­
tenu à M adrid (juin) avec un grand éclat et un grand rigée par le P. Palau, com prend dans son cham p d'ac ­
succès. N ous avons signalé le grand rôle théologique tion, avec l ’ Espagne, les républiques espagnoles du
de l ’ Espagne dans l ’ histoire; peut-être a-t-elle donné N ouveau-M onde. La revue publiée par VAction sociale
de ce côté tout ce qu ’ elle devait donner au catholi ­ populaire s ’ intitule : Revisla social Ibero-Americana;
cism e; m ais, à la différence de sa théologie, sa m ys ­ l ’ office du travail de l ’ A ction sociale populaire publie
tique est encore très incom plètem ent connue et ré ­ de son côté une revue hebdom adaire, El social, égale ­
serve des trésors spirituels du plus haut prix pour m ent consacrée aux choses d ’ Espagne et d ’ A m érique.
notre époque. E n France, en particulier, on com ­ D e m êm e, la Revisla calolica de cuesliones sociales suit
m ence à traduire et à étudier ces œ uvres capitales. de près les efforts faits en A m érique; et l ’ excellente
L ’ influence espagnole s ’ exerce encore grâce aux Paz social nous donne m aint tém oignage de l ’ am pleur
religieux, en des pays beaucoup plus lointains. N ous de l ’ œ uvre com m encée; voir, par exem ple, Paz social
avons vu que les dom inicains espagnols, par exem ­ d ’ août 1907, un article de Severino A znar, sur l'œ uvre
ple, soutiennent l ’ université de M anille; cette uni ­ sociale d ’ un prêtre aragonais qui s ’ est trouvé devenir
versité avait, en 1908, 660 élèves inscrits. Les dom i ­ titula ”ïrc d ’ une paroisse m exicaine; le Congrès catho ­
nicains ont plusieurs sém inaires dans l ’ A m érique lique national de la R épublique argentine en 1907 m et
latine; il y en a à Fribourg (Suisse), à la M inerve à l ’ ordre du jour « l ’ organisation ouvrière », les » cour
(à R om e), à l ’ École biblique de Jérusalem , etc. Les sociaux », les « cercles d ’ études sociales », etc.; le
augustins ont des collèges aux Philippines et dans IV® Congrès catholique national du M exique, tenu à
l ’ A m érique du Sud (en 1907, environ 80 Pères dans O axaca en 1909, nous m ontre les œ uvres sociales catho ­
l'Am érique du Sud, à Lim a, A yacucho, Cuzco, dans liques florissantes (cercle ouvrier, caisse de secours
les É tats de Sao-Paulo, M anaos (sém inaire), à B uenos- m utuels, caisse d ’ épargne, etc.). Ce qui pénètre ainsi,
A yres, à Panam a, etc.). Les salésiens avaient égale ­ grâce surtout à l ’ Espagne dans l ’ A m érique latine,
m ent de nom breux établissem ents en A m érique. Les c ’ est la pensée com m une des catholiques sociaux de
frères de Saint-Jean-de-D ieu avaient des établisse ­ toute l'Europe; car les chefs du m ouvem ent espagnol
m ents à Zelhal (Portugal, asile de fous), G ualajara sont rem arquablem ent instruits de ce qui se fait et se
(M exique, hôpital), Zapopan (M exique, asile de publie en France, en Italie, en B elgique, en A lle ­
fous), etc. Les Hermanilas de los ancianos desampa- m agne, en A utriche, etc., l ’ effort le plus m éthodique et
rados avaient (en 1908) des établissem ents à C uba, le plus com plet pour faire fructifier ainsi dans les pays
Porto-Rico, au M exique, au Pérou et en C olom bie de civilisation espagnole toute la doctrine sociale et
(en tout, 16 m aisons, 222 sœ urs et 1012 assistés). toute l ’ expérience sociale du catholicism e est sans
Com m e on le voit, et rien n ’ est plus naturel, c ’ est doute celui de M . Severino A znar qui vient de lancer
surtout dans l ’ A m érique latine que l ’ influence espa ­ (1910) une bibliothèque où seront traduites en espa ­
gnole se fait sentir; et il y a là un m onde assez vaste gnol toutes les œ uvres im portantes publiées dans les
pour occuper l ’ activité spirituelle d ’ une grande nation. grandes nations catholiques sur le catholicism e social.
L ’ influence de l'E spagne peut être d ’ autant plus pro ­
fonde que cette nation, seule jusqu ’ ici des grands D om J.-L . P ierd ait, p rieur à l ’ abbaye de S ilos, i.e régime
peuples colonisateurs m odernes, a su créer au delà des du concours dans les diocèses d'Espagne, dans la Revue du
m ers une civilisation à laquelle participent et les an ­ clergé français, t. x x v , p. 55, 612; nous avons beaucoup
em prunté à cette excellente étude; Canonica erectio et
ciens habitants du pays et les conquérants. Il n ’ y a
constitutio facultatum sacræ theologiæ, furis canonici el
pas eu là substitution d ’ un peuple chrétien à des philosophia: scholastica: in seminario Burgensi, B urgos,
peuples païens, m ais bien réellem ent conversion d ’ une 1897; Pontificium collegium hispanicum Sancti Joseph in
race. A ujourd ’hui que ce nouveau m onde est en plein urbe anno scholastico 1006-1007, R om e, 1906; L . T ubeuf,
essor m atériel, il im porte plus que jam ais que l ’ Es ­ recteur de S aint-L ouis des F rançais, Œuvre de Saint-
593 E SPA G N E (EG L IS E D ’ ), L E S S C IE N C E S SA C R E E S 594

Louis-des-Ftançais ù Madrid. Résumé historique de la fon­ I de Tolède, dont il fut l ’ âm e, de leur donner u.-.e l:d ;
dation. Situation actuelle; N . R oure, La vida y las obras de ' organisation; de les élever et de les instruire dans ies
Balmés, M adrid ct G erona, 1910 (avec une bibliographie); sciences divines et dans les sciences hum aines, et i!
A . L ugan, Balmés, P aris, 1911. L es principales revues
ecclésiastiques sont la Ciudad de Dios, publiée par les
devint ainsi le père et le prom oteur d ’ un grand m ou ­
nugustins d'E spagne; Espana y America, publiée p ar les vem ent scientifique. Il ne se contenta pas d ’un ensei ­
augustius des P hilippines; Esludios franciscanos, publiés gnem ent oral, il com posa encore des ouvre.· - ency ­
A B arcelone; Razon y fé, publiée p ar les jésuites. D epuis clopédiques, dont le plus célèbre est celui des E: - -
un an, les dom inicains espagnols publient aussi une revue, logics. Il form a ainsi d ’ illustres disciples qui, à leur
bien docum entée. A joutons la R enne de clergé espagnol, qui tour, créèrent ou vivifièrent de nouvelles écoles et
paraît à V alladolid, et (non spécialem ent catholique) la leur donnèrent une im pulsion telle qu ’ elles survé ­
Cultura cspaiiola, qui a m alheureusem ent cessé sa publica ­ curent aux invasions m usulm anes plusieurs fois sécu ­
tion en 1910.
O n trouvera une abondante bibliographie dans le Di- laires. Le m ouvem ent isidorien se perpétua surtout
ccionario general de bibliografia cspaiiola de D . D ionisio dans les écoles de Séville, Tolède et Saragosse où brû ­
H idalgo, 7 vol., M adrid. 1802-1882; le v u · vol., qui contient lèrent les Ildephonse, les Julien, les B raulion, les
l'index, a 76 pages consacrées A la théologie; le d ro it canon, Tajon, etc. B ref, Isidore fut pour l ’ Espagne ce que
l'histoire, etc., sont com pris dans les sections juridi ­ furent à cette m êm e époque ou un peu plus tard,
ques, etc. P our la période récente, voir les bibliographies de C assiodore et Boèce pour l ’ Italie, B ède pour l ’ A ngle ­
la Cultura cspaiiola, m éthodiques et bien faites.
terre, A lcuin et M am ert C laudien pour la France et
Conclusion. — N ous pouvons m aintenant apprécier l ’ A llem agne, et il doit être rangé parm i les grands
sans injustice l'état de l ’ Église d ’ Espagne. D ans ce instituteurs de l ’ O ccident.
pays où rien n ’ est m édiocre, ce sont souvent les défauts Les invasions des disciples du C oran paralysèrent
qui apparaissent d ’ abord à l ’ observateur; et l ’ on n ’ a ce beau m ouvem ent. Le clergé fit de grands efforts
pas m anqué, m êm e Chez les catholiques, d ’ adresser pour conserver la tradition scientifique; m ais que
plus d ’ un reproche à l ’ Église d ’ Espagne. Si, pris en pouvait la m eilleure bonne volonté au m ilieu de tant
eux-m êm es, les défauts signalés sont souvent exacts, de ruines et de tant de calam ités ! N éanm oins les
ce qui l ’ est m oins, c ’ est l ’ explication qu ’ on en donne; études ne furent pas abandonnées ; ct c ’ est en Espagne
et surtout on oublie trop de m ontrer les im m enses que le fam eux G erbert vint se faire initier aux secrets
qualités qui les com pensent. de la science. Par ailleurs, la vie intellectuelle prit un
U ne longue suite de désastres nationaux ont accablé grand développem ent chez les m usulm ans de C or-
cette Église nationale; un siècle de révolutions a doue, ct les catholiques espagnols ne furent pas sans
désem paré cette Église d ’ É tat;tant de catastrophes subir l ’ influence de leurs dom inateurs. A ussi,à m esure
l ’ ont laissée pauvre et par suite l ’ ont gênée dans son qu ’ ils réussirent à se libérer du joug étranger, ils
apostolat pour l ’ am élioration sociale,et,m ais surtout, établirent partout des écoles qui furent le berceau des
l ’ ont privée de participer suffisam m ent aux très brillantes universités de l ’ âge d ’ or. Plusieurs de ces
grands progrès de la culture en notre tem ps. écoles com m encèrent à avoir une certaine im portance
E n revanche, ce m êm e passé qui l ’ a grevée de si dès le xrit° et le xiv e siècle; au xv e siècle, l ’ univer ­
lourdes charges lui a laissé, aussi, un prestige, et un sité de Salam anque tenait un rang à part, et sa répu ­
rang que l ’ É tat m êm e ne peut pas lui ravir, tel enfin tation com m ençait à s ’ étendre au delà de ia Pénin ­
qu ’ un échec définitif pour l ’ Église serait un échec défi ­ sule.
nitif pour la nation : cette solidarité, qui doit être D urant la dernière période du m oyen âge, l ’ Espagne
sentie de m ieux en m ieux, est un principe de force donna le jour à un hom m e de génie, R aym ond L ulle,
incom parable. L ’ Église d ’ Èspagne a pour elle une cet hom m e prodigieux qui a créé de toutes pièces une
population (surtout rurale) naturellem ent disposée philosophie nouvelle, et qui à lui seul représente tout
à la pratique de quelques-unes des vertus les plus un m ouvem ent. D oué de vues larges et élevées, ce
nobles, les plus essentielles du christianism e; elle a philosophe osa prétendre convertir tout un m onde
pour elle une arm ée de prêtres pour qui l ’ habitude du au m oyen d ’ une science m erveilleuse dont il était
sacrifice est une seconde nature et qui sont adm irables l ’ auteur. 11 laissa après lui des disciples enthousiastes
de sens dém ocratique et chrétien; elle a des évêques qui perpétuèrent sa doctrine. C eux-ci firent entendre
jeunes, actifs, populaires, qui sont de véritables chefs; leur voix dans plusieurs universités et répandirent
elle peut com pter sur la m eilleure partie de son clergé les enseignem ents de leur m aître dans la C atalogne,
séculier pour faire rayonner au dehors le plus pur de l ’ A ragon et le royaum e de V alence. A u com m ence ­
son génie religieux. m ent du xvi° siècle, le grand X im énès avait form é
A ujourd ’ hui que l ’ ère des révolutions est sans le projet d ’ établir des chaires pour expliquer le lul-
doute close, il n ’y a pas de raison pour qu ’ elle ne re ­ lism e dans toutes les universités de la Péninsule.
prenne pas, à bref délai, le rôle si glorieux qu ’ elle a D e nos jours, Lulle a encore des disciples et sa doc ­
longtem ps joué dans le passé, et pour lequel toute trine continue à être enseignée et défendue par des
son histoire la désigne. hom m es de profond savoir.
M . Le g e n d r e . A u cours de cette m êm e période, l ’ Espagne com pte,
II. ESPAG NE (É G L IS E D '). LES S C IE N C E S SA­ en outre, des écrivains qui ne sont pas sans m érite.
C R É E S .— I. M oyen âge. II. Tem ps m odernes· aperçu A u xni e siècle, saint R aym ond de Pennafort laissa
général. III. T ravaux scripturaires. IV. Théologie des travaux de prem ier ordre sur le droit canon et
dogm atique et polém ique. V . Théologie m orale et la m orale. A u com m encem ent du xtv· siècle, le fran ­
casuistique. V I. Théologie ascétique et m ystique. ciscain A ntoine A ndrea, aragonais, un des plus fidèles
I. M o y e n a g e . — D ès l ’ aurore du m oyen âge les disciples de Scot, écrivit d ’ excellents com m entaires
sciences sacrées sem blent vouloir prendre un essor sur les Sentences de Pierre Lom bard. V ers l ’ an 14OT.
m erveilleux. R am enée de l ’ arianism e au catholi ­ le Père François X im énès, égalem ent franciscain et
cism e par le soin de ses grands évêques, l ’ Église d ’ Es ­ patriarche de Jérusalem , com posait un grand nom bre
pagne aura son docteur et son guide dans la personne d'ouvrages qui curent, plus tard, l ’ honneur d<· nom ­
de saint Isidore de Séville. Isidore naquit à C artha- breuses éditions. A u xv e siècle, le dom inicain Jean de
géne dans la seconde m oitié du vi° siècle. Form é à Torquem ada écrivit un traité de l ’ Église fort rem ar ­
l ’ école de saint Léandre, son frère, il travailla d ’ abord quable, pendant qu ’ A lphonse T ostat, évêque d ’A vila,
a.'ec lui à ram ener les G oths à la religion catholique. se faisait un nom célèbre parm i les com m entateurs de
Il entreprit ensuite surtout par les célèbres conciles l ’ É criture sainte. D ’ une fécondité prodigieuse, il
595 E S P A G N E (É G LIS E D ’ ), L ES SC IE N C E S S A C R É E S 596

écrivit 27 in-folio, dont 24 de com m entaires. N ous m ontre bien qu ’ ils n ’ ont pas tout à fait to rt O n doit
pourrions augm enter notre énum ération; m ais nous désirer qu ’ au lieu de se contenter d ’ enregistrer, dans
avons hâte de passer à l ’ âge d ’ or de la science espa ­ leurs m anuels, les découvertes m odernes, ils enri ­
gnole. chissent l ’ héritage de leurs pères de leurs travaux per ­
II. T e m p s m o d e r n e s : a p e r ç u g é n é r a l . — En sonnels. Ils sem blent cependant se décider à prendre
m êm e tem ps qu ’ elle voyait le N ouveau M onde offrir davantage contact avec les autres centres intellec ­
un cham p Im m ense à son activité, l'Espagne achevait tuels de l ’ E urope; m ais ils sont encore à l ’ arrière-plan
de se libérer du joug des M aures, et reconstituait son du m ouvem ent scientifique contem porain.
unité nationale. Ses généraux lui conquéraient des III. T r a v a u x s c r i p t u r a ir e s . — A ux prem iers
royaum es et ses unions lui donnaient des em pires. jours du xvi° siècle, le cardinal franciscain X im énès
L ’ Espagne se plaçait au prem ier plan des nations de Cisneros conçut le plan de sa célèbre Polyglotte,
européennes par l ’ abondance de ses richesses, par la ct il le fit m ettre à exécution par les prem iers savants
puissance de ses arm ées et par l ’ étendue de ses pos­ de l ’ époque, dans l ’ université naissante d ’ A lcala. C et
sessions. ouvrage est le plus im portant qui ait été écrit par les
E lle ne se contenta pas de cette grandeur m até ­ Espagnols sur nos saints Livres; d ’ abord, parce qu'il
rielle; elle eut encore l ’ am bition de se placer au pre ­ est conçu d ’ après les véritables m éthodes d ’ études
m ier rang dans les sciences et dans les arts. Ce fut le scripturaires; ensuite, parce qu ’ il donne à ces études
rêve d ’ Isabelle la C atholique et surtout du géant que leur véritable orientation, désirée depuis si longtem ps
fut X im énès. D evenu archevêque de Tolède et prim at par le frère m ineur R oger B acon; enfin, parce qu ’ il
d ’ Espagne, ce franciscain conçut le vaste dessein de I im prim e à cette orientation un m ouvem ent décisif
doter son pays d ’ un centre intellectuel capable de et irrésistible. Il fait honneur non seulem ent au grand
rivaliser avec la célèbre université de Paris qui, depuis hom m e qui l ’ a conçu et à l ’ Espagne qui nous l ’ a donné,
plus de trois siècles, détenait le sceptre. D ans ce but m ais encore à tout le m onde chrétien qui en a hérité.
il créa A lcala. Il le fit avec tant de sagesse et une D e m êm e que, par la fondation d ’ A lcala, X im énès
telle hauteur de vues que, dès son origine, cette école m érite le nom de créateur du grand m ouvem ent théo­
put disputer la palm e aux centres intellectuels les logique espagnol, il a droit, pour sa Polyglotte, au
plus puissants de l'E urope. C ette fondation donna aux titre glorieux de restaurateur des études scriptu ­
sciences ecclésiastiques en Espagne une im pulsion raires dans l ’ Église de D ieu.
irrésistible, et c ’ est avec justice que X im énès est regar ­ X im énès ne se contenta pas de tracer les grandes
dé com m e le véritable créateur du grand m ouvem ent lignes de l ’ orientation nouvelle, il voulut encore
théologique espagnol. assurer le succès de sa m éthode et la rendre durable
' La création d'A lcala stim ula le zèle de l ’ université par l ’ enseignem ent des langues orientales. Il y réus­
de Salam anque qui prétendait garder le prem ier rang sit parfaitem ent, car les théologiens d ’ A lcala ne se
en Espagne; et les deux illustres rivales, égalem ent croyaient vraim ent dignes de ce nom que s ’ils pou ­
célèbres par le talent des m aîtres et par l ’ enthou ­ vaient lire la B ible dans le texte original. C elui qui
siasm e des disciples, devinrent deux pépinières de entra le m ieux dans les vues de X im énès fut le célè ­
docteurs en toutes les form es du savoir ecclésiastique. bre B enoit A rias M ontanus. É levé à A lcala, il y acquit
L ’ Espagne vit se développer sim ultaném ent le dogm e, une érudition im m ense, et quand Philippe II voulut
la m orale, l ’ ascétism e, la m ystique, l ’ exégèse, le droit éditer la nouvelle Polyglotte d ’ A nvers, A rias M onta ­
canon, tous professés par des hom m es de prem ière nus se trouva tout préparé pour exécuter cette entre ­
valeur. L ’ essor fut incom parable, et il atteignit son prise difficile et porter à une plus grande perfection
apogée à la fin du xvi e siècle et au com m encem ent du l ’ œ uvre du cardinal. Ce qui surtout lui assigne un
XVII e . rang à part, c ’ est un précieux ouvrage en neuf livres
Q uand les erreurs du protestantism e eurent fait sur les antiquités juives, dans lequel il crée une
naître de nouveaux problèm es dans la m orale com m e nouvelle science. L ’ école d ’A lcala produisit un
dans le dogm e, les savants espagnols se trouvèrent autre ouvrage non m oins estim é par la plum e de
aptes à les élucider dans un sens toujours orthodoxe; Louis de Tena, docteur et professeur dans cette
et la foi de la Péninsule ne put pas être entam ée. m êm e université. Il est intitulé : Isagoge lotius Scrip-
Sans doute, la préservation de la contagion fut due en turæ.
grande partie à une Inquisition sévère; m ais la science G râce à l ’ étude des langues, les Espagnols m irent
des théologiens y eut aussi une large part. O n sait le au jour des com m entaires fort rem arquables et très
rôle im portant que jouèrent les savants de Salam anque nom breux; nous ne citerons que les plus im portants.
et d ’ A lcala dans les solennelles assises que l ’ Église Parm i ces com m entateurs, les uns, com m e Jean M ariana
enseignante tint à T rente pour arrêter la contagion et Em m anuel Sa, ont interprété presque toute l ’ É cri-
et s ’ opposer à ses ravages. ture; les autres se sont bornés à l ’ A ncien ou au N ou ­
A vec le xvn» siècle, l ’ Espagne savante déclina len ­ veau Testam ent. Les com m entaires des jésuites G as ­
tem ent. Sa prodigieuse vitalité s ’ affaiblit, et les par Sanchez, François de R ibera, Jean de Pineda,
sciences ecclésiastiques perdirent de leur vigueur. Les ceux du bénédictin Joseph de la C erda, du cistercien
écrivains de la seconde partie du xvu e siècle et ceux C yprien de la H uerga, de l ’ augustin Louis de Léon et
du xvm e sont généralem ent inférieurs aux prem iers. du dom inicain Thom as de M alvenda sont fort estim és.
Sans doute, les énorm es in-folio ne sont pas rares R om e etl ’ Italie doivent à l ’ Espagne plusieurs de leurs
alors; m ais ils ne portent plus le cachet personnel m eilleurs exégètes. Il suffit de nom m er les trois
im prim é en ceux de l ’ époque précédente. Si la doc ­ jésuites François T olet, B enoît Pereira et A lphonse
trine reste pure, intègre et sans m élange, elle n'est Salm eron, dont les travaux sont de prem ière valeur.
plus exposée que par des docteurs de second ou de Par ses com m entaires sur les quatre Évangiles, le
troisièm e ordre. L ’ Espagne intellectuelle ne va bien­ P. Jean M aldonat, jésuite, occupe un rang hors pair
tôt plus vivre que de son glorieux passé. entre tous les exégètes espagnols.
D urant le xix° siècle, l ’ organisation des concours Tous ces écrivains sont de l ’ âge d ’ or de l ’ Espagne.
em pêche le haut clergé d ’ oublier les sciences sacrées; O n trouve encore des com m entateurs au xvn e et au
c ’ est toujours le m êm e enseignem ent qui persiste. x v i ii 0 siècle; m ais leur valeur va en dim inuant; et
Les Espagnols d ’ aujourd ’ hui cherchent encore la théo ­ aujourd'hui la science scripturaire souhaite d ’ avoir
logie dans leurs auteurs de l ’ âge d ’ or. Le rôle bril ­ un autre X im énès qui lui redonne la vie et le m ouve ­
lant qu ’ ils ont joué naguère au concile du V atican m ent. N ous devons signaler pourtant l ’ ouvrage du
597 E S PA G N E (E G LIS E D ’ ), L E S S C IE N C E S S A C R E E S

P. M urillo, jésuite, sur l ’ Évangile de saint Jean, paru dans celui de Saint-D iego,à A lcala, et plus tard car.s
ces dernières années, qui n ’ est pas sans m érite. le couvent de Saragosse s ’ élaborèrent des ouvrages
IV. T h é o l o g i e d o g m a t iq u e e t p o l é m iq u e . — scotistes célèbres. Plusieurs com m entèrent les livre
A u xiv" et au xv' siècle, trois grandes doctrines se des Sentences ad mentem Scoti; d ’ autres com m enter· ?: t
partageaient la vie théologique dans l ’ université de directem ent l’Opus Oxoniense du docteur sub· :;:
Paris : le thom ism e, le scotism e et le nom inalism e. d'autres encore com posèrent des traités ou des cours
C hacune avait ses partisans et ses défenseurs com m e com plets de théologie selon la pensée du m êm e <·.··:-
aussi ses contradicteurs et ses adversaires. Ces m êm es teur. Pour ne pas sortir des lim ites que nous n
doctrines devinrent le fond de tout l ’ enseignem ent som m es tracées, nous nous contenterons de f· -
théologique des universités espagnoles. D ès le com ­ une liste de théologiens qui nous ont laissé des ou ­
m encem ent du xv" siècle, le scotism e et le thom ism e vrages entièrem ent scotistes. Ce sont d ’ abord les
furent enseignés dans des chaires publiques à Sala ­ Pères François H errera, Jean de O vando, M atthieu
m anque et vers la fin du siècle on y érigea des chaires de Sousa, Jean de R ada, qui écrivaient à Sala ­
pour l ’ enseignem ent du nom inalism e. En créant m anque vers 1600. Puis viennent les Pères Jean M eri-
i ’ université d ’ A lcala, X im énès y établit des chaires nero, Pierre d ’ U rbina, François Félix, C hristophe
pour les trois grands systèm es, et ces chaires subsis ­ D elgadillo, François del C astillo V elasco, Jean
tèrent durant l ’ âge d ’ or de la théologie espagnole, M ufioz, M ichel de V illaverde, François D iaz, Jean
de telle sorte qu'on doit dire que l ’ Espagne donna Sendin et Jean B ernique, de l ’ école d ’ A lcala, entre
asile à la théologie de Paris. 1630 et 1680. Enfin, les Pères H yacinthe H ernandez,
Le nom inalism e, après avoir régné à Paris près de de la Torre, Jean Perez Lopez, A ntoine Lopez, A ntoine
deux cents ans, avait fait son entrée en Espagne avec C astel, Thom as Francès de U rutigoyti et Jérôm e de
l ’ augustin François de C ordoue et M artin Siliceo L orte,leur succédèrent à Saragosse vers la fin du xvn"
devenu plus tard cardinal et prim at d ’ Espagne. M ais siècle. A tous ces auteurs viennent se joindre, des
il était sans chef, ou plutôt son véritable chef, celui différentes provinces, les Pères B iaise de B enjum ea,
qu ’ on a appelé à juste titre le prince des nom inaux, Thom as Llam azarès, Thom as de Saint-Joseph,
G uillaum e d ’ O ckam , n ’ a pas l ’ autorité que donne une G régoire R uiz, A lphonse B rizefio, D am ien G iner,
vie irréprochable. Il lui m anque l ’ auréole dont sont Jean de l ’ incarnation, Jérôm e T am arit, Jean de
entourés l ’ angélique docteur et le vénérable D uns Iribarne, François de O vando. Plusieurs de ces écri ­
Scot; bien plus, il porte à jam ais une tache indé ­ vains ont une très grande valeur, com m e H errera,
lébile que lui a im prim ée sa révolte contre Jean X X II. M erinero, del C astillo; et la com paraison que Jean de
E t dès lors on n ’ aim e pas, à juste titre, à se m ettre R ada établit entre les doctrines thom iste et scotiste
sous sa tutelle et se proclam er son disciple. Les quatre dans ses 4 in-folio, lui a m érité une réputation univer ­
m aîtres du nom inalism e : D urand, A uriol, G régoire de selle; nous n ’ en voulons pas d ’ autre preuve que les
B im ini et G abriel B iel, n ’ ont pas la valeur de chefs m ultiples éditions qu'on en fit coup sur coup à Sala­
véritables. Par ailleurs, le nom inalism e n ’ a pas un m anque, 1599, à V enise, 1599 et 1616, à C ologne,
ordre religieux pour le soutenir et le défendre ; aussi, 1616 et 1620, et à Paris chez A rnauld L ittat.
après avoir fait une entrée brillante dans la Pénin ­ L a série des scotistes se continue durant le xvtn-
sule, il ne tarda pas à s ’ effacer com m e systèm e. Les siècle et elle est dès lors augm entée par un certain
théologiens puisèrent abondam m ent dans ses trésors; nom bre d ’ auteurs étrangers à l ’ ordre de saint Fran ­
ce fut souvent sans avertir. Plusieurs s ’ enrichirent çois.
de ses dépouilles, m ais ils préférèrent s ’ en attribuer la Le thom ism e qui, à Paris, avait été m is en infé ­
propriété à eux-m êm es. Il reste vrai de dire qu'il y a riorité par les nom inalistes durant de si longues
chez les théologiens espagnols beaucoup plus de pages années, prit sa revanche au xvi" siècle. Salam anque
nom inalistes qu'on ne le croirait à prem ière vue , no tam - fut le berceau de cette puissante restauration, et le
m ent chez les écrivains de la C om pagnie de Jésus : dom inicain François V ittoria le prom oteur principal
M olina, V asquez, Suarez, A rriaga, etc. E t Eusèbe de ce grand m ouvem ent. V ittoria prit pour texte de
A m ort a pu écrire, au xvin" siècle, que l'école des ses leçons la Som m e m êm e de saint T hom as; et sa
jésuites n ’ est autre que l ’ école nom inaliste elle- m éthode eut un tel succès qu ’ elle fut d ’ abord adoptée
m êm e. par ses nom breux disciples et ensuite par toutes les
Le scotism e avait un chef, et un chef vénérable. universités. C ’ est à juste titre qu'on peut appeler ce
Il inspirait plus de sym pathie et plus de respect; les docte théologien le restaurateur du thom ism e. La
franciscains, frères de D uns Scot, étaient là pour le m éthode dut son succès à la hauteur de vues du Père
défendre et le propager. X im énès l ’ avait m is au pre ­ V ittoria qui ne craignit pas de jeter par-dessus bord
m ier rang à A lcala. M alheureusem ent pour l ’ école certaines thèses plutôt com prom ettantes pour le
scotiste, six ans après la m ort du grand cardinal, thom ism e en général. Ce qui lui donna un avenir
l ’ordre de saint François renonça à l ’ enseignem ent assuré, ce fut l ’ application intelligente qu ’ en firent
public; dès lors les chaires de Scot furent confiées à toute une pléiade d ’ esprits d ’ élite. Q uels nom s, en
des m aîtres qui se soucièrent peu de la gloire du doc ­ effet, que ceux de Soto, C ano, M edina, B aùez, A lva ­
teur subtil, et qui préféraient s ’ approprier ses doc ­ rez, Ledesm a, Lorca, Jean de Saint-Thom as, V alentia,
trines sans m êm e le nom m er, com m e le faisait très T olet, M olina, Suarez, V asquez, etc. ! SurlesSalm anti-
justem ent rem arquer le P. D elgadillo dans sa pré ­ censes, voir t. rr, col. 1785-1786.
face au traité des anges. Ce fut un m alheur pour M ais ce qui contribua le plus puissam m ent à don ­
l'école scotiste, car les frères m ineurs avaient alors des ner à saint Thom as une autorité et un prestige qu ’ il
m aîtres qui ne le cédaient eu rien aux plus illustres n ’ avait pas jusqu ’ alors, ce fut l ’ acte par lequel le
de l ’ époque; et sans nul doute l ’ école du docteur dom inicain, devenu pape sous le nom de Pie V . ran ­
subtil aurait brillé d ’ un éclat incom parable. Il suf ­ gea le puissant chef d ’ école parm i les docteurs d:
fit de rappeler les nom s de C arvajal, C astro, M ichel l ’ Église. C et acte eut une portée considérable: il
de M édina, O rantes, V éga, C orduba, A nglès, etc., rattacha au thom ism e les ordres religieux qui se t: u-
tous théologiens de prem ière force. vaient sans chef véritable, en m êm e tem ps que la
Il ne faudrait pas croire cependant que le docteur grande m ajorité du clergé séculier.
subtil m anquât de partisans. Il eut de brillants repré ­ C ependant, il se produisit alors deux courants
sentants surtout dans les cloîtres franciscains. D ans parm i ceux qui se disaient thom istes. Il y eut les tâ. -
le grand couvent de Saint-François, à Salam anque, m istes authentiques qui se recrutèrent surt _·. parm i
599 E S PA G N E (É G LIS E D ’ ), L E S S C IE N C E S S A C R É E S bOO

les dom inicains, et les thom istes non authentiques qui catholiques et non-catholiques. E lle n ’ est possible
se recrutèrent en dehors de leurs rangs, principalem ent et ne peut se développer que si les deux adversaires
citez les jésuites. Les Pères de la C om pagnie avaient jouissent d ’ une certaine liberté de fait, qui leur perm et
adopté saint Thom as pour la théologie. M ais les esprits d ’ exposer les raisons ou sem blants de raisons en fa ­
d ’ élite qui entrèrent dans l ’ ordre nouvellem ent établi veur de leurs théories respectives. En Espagne, l'inqui­
ne voulurent pas se laisser em prisonner dans un sys ­ sition supprim ait la controverse. O n ne dem andait
tèm e. Ils consentirent bien à interpréter saint Tho ­ pas aux hérétiques de prouver ce qu ’ ils avançaient,
m as, à intituler leurs ouvrages : com m entaires de on leur enlevait le droit d ’ être : on les supprim ait.
saint Thom as; m ais ils entendirent, qui plus qui m oins, ’C ’ était le droit de la vérité de garder ses positions et
le com m enter avec indépendance. Suivant une m éthode de ne pas perm ettre à l ’ erreur de la supplanter. C epen ­
plutôt éclectique, ils se perm irent de corriger, de m odi ­ dant, com m e la couronne d ’ Espagne s ’ étendait sur les
fier et de transform er les doctrines du m aître. Les provinces du N ord infestées par les hérésies de
thom istes authentiques protestèrent contre cette L uther et de C alvin, les théologiens espagnols portè ­
interprétation, ce fut en vain. Ceux de Salam anque rent leur attention sur les erreurs nouvelles, et ils
voulurent, en 1627, proscrire les doctrines opposées fournirent des arm es pour les com battre très utile ­
à celle de saint Thom as. M ais ces m esures d ’ ostra ­ m ent, dans les traités qu ’ ils leur opposèrent.
cism e ne firent que donner plus de vogue aux doctrines Celui de tous les Espagnols qui m érite d ’ être placé
com battues,<et. durant le xvii' et le xvin ” siècles, les au prem ier rang à ce point de vue est le savant fran ­
enseignem ents de Suarez, qui étaient spécialem ent ciscain A lphonse de C astro. Son ouvrage contre les
visés, trouvèrent dans les universités de la Pénin ­ hérétiques est absolum ent classique et le m eilleur
sule des partisans qui les exposèrent et les défendirent dans ce genre. Il a m érité d ’ être édité successivem ent
non sans éclat. à Paris en 1534, 1565, 1571 et 1578, à Lyon en 1541
Q uand nous disons que les théologiens espagnols et 1546, à V enise en 1546, à A nvers en 1568, à M adrid
reproduisent les doctrines des xin® et xiv° siècles, en 1773. Son autre ouvrage intitulé : De justa haere­
nous ne prétendons pas leur enlever tout m érite ticorum punitione a eu huit éditions, à Salam anque en
personnel. Il est juste de reconnaître que les prem iers 1547 et 1557, à Lyon en 1556, à Paris en 1565,1571 et
m aîtres de l ’ âge d ’ or réform èrent la scolastique et 1578, à A nvers en 1568, à M adrid en 1773. Son traité :
la ram enèrent à la puissante m éthode des docteurs De poiestale legis poenalis, divisé en deux livres, a
d ’ autrefois. X im énès avait attiré l ’ attention des obtenu sept éditions : à Salam anque en 1550 et 1551,
théologiens sur la valeur de la preuve scripturaire. à Lyon en 1556, à Paris en 1565, 1571 et 1578, à
A lphonse de C astro avait réfuté les hérétiques à la M adrid en 1773. V oir 1.1, col. 905-906.
m anière des m aîtres; bien plus, dans son prem ier C astro avait com battu tous les hérétiques anciens
livre, il avait fixé les lieux théologiques propres à ou m odernes. Plusieurs s ’ attaquèrent à toutes les
la polém ique en général. U n troisièm e franciscain, le hérésies protestantes, d ’ autres se contentèrent de
P. Louis C arvajol, avait com posé un traité, im prim é sim ples questions particulières. Le franciscain Fran ­
à C ologne, en 1545, pour réform er la théologie. Les çois O rantes, disciple de C astro, com posa un ouvrage
dom inicains François V ittoria et D om inique Soto, intitulé : De locis theologicis contra Calvinum. U n autre
les franciscains A ndré V éga et M ichel de M édine franciscain, M ichel de M édine, qu ’ un évêque de T rente
avaient écrit des ouvrages tout à fait classiques, et appelait l ’ H ercule de la théologie, écrivit un traité
en tout conform es aux vrais principes d ’ une sam e fort savant : De recia in Deum fuie et un traité extrê ­
et substantielle théologie. M ais ce sera la gloire du m em ent érudit sur le célibat. A ntoine de C ordoue,
dom inicain M elchior Cano d ’ avoir réuni dans son égalem ent franciscain et disciple de C astro et de
im m ortel ouvrage : De locis theologicis, l ’ ensem ble M édina, com posa plusieurs traités contre les protes ­
des lois et des principes capables de m aintenir la tants, qui furent édités plusieurs fois à Tolède, à
théologie dans sa véritable voie. D ans cet ouvrage, il V enise, à R om e et à Ingolstadt; l ’ ensem ble est inti­
a tracé des règles propres à guider le théologien, à tulé : Quaestionarium theologicum. Le jésuite V alen ­
lui perm ettre d ’ apprécier à leur juste valeur les tia se rendit fort célèbre com m e controversiste. Il
preuves théologiques; bref, cet ouvrage est devenu un alla enseigner à Ingolstadt et eut de brillants disci ­
chapitre capital de la théologie, et il a exercé une ples; les grands controversistes allem ands furent
im m ense influence sur tous les théologiens posté ­ form és à son école. U n autre jésuite, le P. François
rieurs. V oir t. n, col. 1537-1540. de la Torre, m érite, lui aussi, une place d ’honneur
Les théologiens espagnols n ’ ont pas seulem ent parm i les adversaires de la R éform e. N ous devrions
réform é la théologie en la ram enant à ses vraies encore signaler le bénédictin A ntoine Pérez, le cis ­
sources, ils ont encore travaillé à élucider toutes tercien Pierre de Lorca, le dom inicain Pierre Soto
les questions nouvelles soulevées par la prétendue et bien d ’ autres; m ais nous devons nous borner.
R éform e. A u concile de T rente, ce furent deux Ces quelques détails suffisent pour m ontrer que la
Espagnols : le dom inicain Soto et le franciscain polém ique ne fut pas négligée dans la catholique
V éga, qui jouèrent le rôle principal dans les Espagne.
questions si difficiles de îa justification. L ’ ouvrage V . T h é o l o g i e m o k a l e e t c a s u i s t i q u e . — Les
de ce dernier sur la justification m érita d ’ être im ­ scolastiques du m oyen âge ne séparaient pas la m orale
prim é à V enise en 1546 et 1548, à A lcala en 1564, à du dogm e; les deux parties de la théologie étaient
C ologne en 1572, à A schaffenbourg en 1621, à Colo ­ exposées dans les quatre livres des Sentences qui ser ­
gne en 1685; et le P. C anisius, ne trouvant rien de virent de texte durant trois siècles. D ogm e, m orale,
m ieux à opposer aux protestants, en fit faire une casuistique étaient com pris dans cet ouvrage unique.
édition en 1572. Les questions de la grâce et du libre A u xiv c siècle, on com m ença déjà à écrire des Som m es
arbitre furent poussées avec une grande vigueur devant de m orale et des Som m es de cas de conscience. Les
la congrégation De auxiliis, et, quoiqu ’ on n ’ ait pas plus célèbres sont celles des franciscains A stesan, A nge
résolu le problèm e, il faut avouer que la discussion C lavasio et du dom inicain saint A ntonin. V oir leurs
a projeté sur lui beaucoup de lum ière. Le prédéter- articles. C ependant on n'avait pas encore une théo ­
m inism e, le m olinism e, le congruism e n ’ ont pas été rie organique de la m orale.
érigés en systèm es sans un grand effort intellec ­ Ce fut un Espagnol, B arthélem y de M édine, de
tuel et sans une puissance peu com m une. l ’ ordre de saint D om inique, qui, le prem ier, traita
L a polém ique naît du heurt des doctrines entre systém atiquem ent du probabilism e dans son com -
601 E S PA G N E (É G L ISE D ’ ), L E S S C IE N C E S S A C R É E S :

m entaire de la Som m e de saint Thom as; il fut suivi suistes, il faut encore ranger le jésuite Jean A n -
dans cette voie par tous ses confrères de Salam anque. les Institutiones morales, publiées à R om e en : - .
Le P. V asquez introduisit le probabilism e dans les furent depuis souvent rééditées en France, en
écoles de la C om pagnie de Jésus et fut suivi par la et en A llem agne. V oir t. r, col. 2653.
grande m ajorité de ses confrères. Plus tard, un jésuite D ans la seconde partie du x v ir siècle, il y eut ■·.-·.■
espagnol, le P. Thyrsus G onzalez, devenu général des casuistes fam eux. Q u ’ il m e suffise de nom m e.·
de son ordre, essaya d ’ im poser le probabiliorism e à capucin M artin de Torrecilla dont les as\- eta
ses confrères, m ais sa tentative resta infructueuse. très recherchés par ses com patriotes et qui s la;-·
N ous devons dire,à la louange des m oralistes espa ­ à lui seul toute une bibliothèque de m orale. I
gnols, qu ’ ils sont généralem ent m odérés. Les dom ini­ œ uvres d ’ un autre capucin, le P. Jacques de O· .*· ·;,
cains V ittoria, Soto. M edina, B aiiez, A lvarez, Jean form ent à elles seules une véritable encyclort :
de Saint-Thom as, Ledesm a, les jésuites V asquez, com m e le dit très justem ent le P. Torrecilla. ’
Suarez, V alentia, T olet, Sanchez, C astropalao, de éditions répétées qui en ont été faites m ont-· ·
Lugo, les franciscains C orduba, A nglès, V illalobos, en quelle estim e ces œ uvres étaient tenues dans ’.
Em m anuel R odriguez, les capucins Torrecilla et Péninsule.
C orella, le carm e Lezana et les Salm anticenses, le V I. T h é o l o g i e a s c é t i q u e e t m y s t iq u e . —
cistercien Lorca, l ’ augustinien B arbosa, sont tous L ’ Espagne est par excellence au xvi° siècle la terre
des m oralistes m odérés et de grande valeur. Cepen ­ classique de la théologie ascétique et m ystique. D.
dant quelques-uns abondèrent dans le sens d ’ un que X im énès eut installé son im prim erie à A lcala,
laxism e com prom ettant pour la m orale chrétienne. il se préoccupa de faire éditer à ses frais plusieurs
D e ce nom bre fut le cistercien Jean C aram uel que saint ouvrages italiens ou allem ands pour apprendre
Liguori appelle le prince des laxistes. V oir t. n, col. aux Espagnols cette partie de la science sacrée. Il
1709-1712. Par contre, nous ne connaissons guère fit successivem ent paraître en castillan ou en latin
de rigoristes en Espagne. Chose digne de rem arque, les lettres de sainte C atherine de Sienne, les œ uvres
les dom inicains espagnols sontm odérés,alors que ceux de sainte A ngèle de Foligno et de la B. M echtilde.
des autres nations ont plutôt une tendance au rigo ­ l ’ Échelle de saint Jean C lim aque, les règles de vie de
rism e; il suffit de nom m er N oël A lexandre, C onten- saint V incent Ferrier et de sainte C laire, les m édi­
son, V incent B aronius, B illuart et V incent Patuzzi. tations sur la vie de Jésus-Christ de Ludolphc le
Ce dernier se posa en adversaire de saint A lphonse I C hartreux. Tous ces écrits furent lus avidem ent
de Liguori. pas les Espagnols.
N ous ne pouvons entrer dans les détails. Q u ’ il nous C eux-ci ne tardèrent pas à com poser eux-m êm es
suffise de dire que la m orale s ’ est surtout organisée des ouvrages analogues. Les franciscains A lphc· .:
dans les tem ps m odernes et que les Espagnols y ont de M adrid, A ntoine de G uevera et surtout François
contribué pour une large part. C ’ est l ’ Espagne qui a I d'O ssuna firent paraître des traités ascétiques c
fourni le plus grand nom bre de m oralistes de valeur I grande valeur qui m éritèrent un grand nom bre d ’ édi-
et elle com pte dans ses rangs plusieurs princes de I tions et furent traduits en plusieurs langues. Le troi ­
la m orale. Le cardinal de Lugo n ’ a pas été sur ­ sièm e Abécédaire de ce dernier fut plus tard l ’ ouvrage
passé. préféré de sainte Thérèse, ainsi que peuvent en tém oi ­
La casuistique n ’ est que l ’ application pratique des gner les innom brables annotations qu ’ elle m it en
principes de la m orale aux divers cas particuliers et m arge de l ’ exem plaire à son usage, et que l ’ on con ­
concrets qui se présentent dans la vie de l'hom m e. serve com m e une relique de la sainte. C ’ est là, d ’ après
N ous devons ici dire un m ot de la casuistique en Espa ­ le P. A ntoine de Saint-G eorges, carm e, qu'elle apprit
gne. O utre ses canonistes et ses m oralistes qui sont l ’ oraison de quiétude.
tous plus ou m oins casuistes, l ’ Espagne a eu ses Le dom inicain Louis de G renade exprim e, dans une
casuistes proprem ent dits. N ous devons nom m er langue m erveilleuse dont il a le secret, une doctrine
d'abord le franciscain A ntoine de C urara qui écrivit pure, abondante et tout à fait adm irable; il n ’ a pa
un m anuel des confesseurs et des pénitents. Cet été surpassé. N ous ne connaissons rien de plus déli­
ouvrage, im prim é à Tolède en 1554, acquit une très cieux que les m éditations sur l ’ am our de D ieu du
grande célébrité par les com m entaires qu'en fit le franciscain D iego d ’ E stella. Son ouvrage sur la vanit
fam eux M artin de A spilcueta N avarro, une des plus du m onde ainsi que le traité du règne de D ieu, de son
éclatantes lum ières du droit canon en Espagne. Cet confrère en religion le P. Jean des A nges, sont d ’ une
ouvrage eut un très grand nom bre d ’ éditions. Q uelques grande richesse de pensée, d ’ im agination et de senti ­
années plus tard, le célèbre franciscain A ntoine de m ent. L ’ Échelle de la vie spirituelle du P. D iego M urillo
C ordoue.qui était consulté de toute l ’ Espagne com m e et l ’ ouvrage de la perfection chrétienne du jésuite
un oracle sur toutes les questions de m orale, fit R odriguez sont des m anuels classiques par excel­
paraître en langue espagnole une Som m e de cas de lence.
conscience. E lle eut un bon nom bre d'éditions, entreau- Les œ uvres de Jean d ’ A vila, du chartreux A ntoine
tres celle de Tolède 1583, celle d ’ A lcala 1592, etc.: de M olina, de l ’ augustin A lphonse de H orozco, du
elle parut aussi en italien en 1599. V oir t. n, col. jésuite Louis du Pont, qui respirent une piété et une
1872. onction m erveilleuse, nous font passer de l ’ ascétism e
En 1622, un autre franciscain, le P. H enri de V illa­ à la m ystique proprem ent dite. Il suffit de nom m er
lobos, après avoir enseigné la m orale à Salam anque Pierre d ’ A lcantara, Jean de la C roix, Jérôm e G ratien
pendant 30 ans, fit paraître une Som m e de théologie et la séraphique Thérèse pour évoquer le souvenir de
m orale et canonique qui eut 11 éditions en 10 ans, et ce qu ’ il y a de plus élevé dans la m ystique chrétienne.
qui m érita d ’ être traduite en latin, en italien et en L a sainte du C arm el a traité des états m ystiques
français. En 1601, le P. Em m anuel R odriguez égale ­ avec une m éthode parfaite. E lle a synthétisé dans s -
m ent franciscain, professeur de théologie à Sala ­ œ uvre tout le m ouvem ent m ystique du x w siècle.
m anque, c unposa, entre autres ouvrages, une Som m e B eaucoup lui ont com m uniqué leurs lum ières: les
de cas de conscience qui parut dans cette ville en i carm es, les jésuites, les franciscains, les deim nic^m s
1604, 1607 et 1616, à B arcelone en 1616, à M adrid et | et le clergé séculier ont influencé sa direction. EL-:
ailleurs. E lle fut traduite en latin et parut à D ouai a su profiter de tous et rester elle-m êm e, et elle s e st
en 1614, à Cologne en 1620, à V enise en 1622; elle fut, ainsi placée au prem ier rang des auteurs m ystiques-
en outre, traduite en italien. Parm i les grands ca ­ V oir t. i, col. 2050. Tous les auteurs ênum eres
603 ESPAGNE (É G L ISE D ’ ), L ES S C IE N C E S S A C R É E S — E S P E N C E 604

dessus ont écrit au xvi' siècle. V oir t. i, col. 2053. Il n ’ était pas encore docteur. Il soutint ses thèses
D urant les siècles postérieurs, l ’ Espagne a encore l ’ année suivante et eut pour partenaire en cet exa ­
eu des écrivains de très grande valeur dans cette m en D enys B richanteau. Les troubles que suscitait
science. Tels sont Jean de Palafox, évêque d ’ O sm a, alors la diffusion des idées protestantes ne devaient
le jésui te Eusèbe de N ierem berg, le franciscain A ntoine pas l'épargner. Il avait grand renom de prédicateur.
A rbiol, etc. M ais nous ne pouvons pas nous étendre. E n 1543, pendant la station quadragésim ale qu ’ il
11 ne nous est pas perm is cependant de passer sous donnait à Saint-M erry, il critiqua assez vivem ent
silence la Cité mystique de Dieu, écrite par la vénérable les ouvrages d ’ hagiographie populaire, en particulier
M arie d'A gréda. A ttaqué par les uns avec une pas ­ la Légende dorée. A ccusé, pour ce fait, d ’ hétéro ­
sion m anifeste, défendu par les autres avec une cons ­ doxie, il dut se laver de ce soupçon devant la faculté
tance inlassable, cet ouvrage a eu une m ultitude de théologie. Ses explications furent acceptées. II
d ’ éditions, et ce qu ’ on a écrit à son sujet form e toute continua, en effet, ses prédications en m êm e tem ps
une bibliothèque. O n y a m êlé des questions de poli ­ que ses travaux théologiques. Le m s. fonds français
tique et des querelles d ’ école. Sans vouloir nous occu ­ n. Î5d de la B ibliothèque nationale renferm e une
per des débats soulevés au xvn® siècle, 11 nous suf ­ série de serm ons qu ’ il prêcha en 1557 et qui se rappor ­
fit de dire qu ’ un grand nom bre de théologiens et des tent aux controverses du tem ps.
m eilleurs ont jugé que cet im portant ouvrage pouvait M ais ses relations avec C harles de Lorraine l ’ avaient
grandem ent profiter aux âm es. V oir t. i, col. 627- m is en relief. A ussi, en 1544, François I or le convo ­
631. quait-il au colloque de M elun qui, sous la présidence
P. D o m in iq u e de C aylus. de Pierre C hastellain, évêque de M âcon, devait pré ­
E S P A R ZA A R T IED A (M artin d ’ ), com pté par parer le program m e du futur concile. Si nous l ’ en
saint A lphonse de Liguori parm i les docteurs proba ­ croyons hii-m êm e, il y joua un rôle très im portant
bilistes graves, naquit à Escaroz (N avarre) en 1606, E n tout cas, lorsque H enri II décida, en 1547, d ’ en ­
entra dans la C om pagnie de Jésus en 1621, enseigna voyer, .com m e am bassadeurs au concile, C laude
la théologie à V alladolid, à Salam anque et à R om e. d ’ U rfé et M ichel de L ’ H ospital, il leur adjoignit
Théologien du P. général O liva et censeur général d'Espence avec le titre de théologien du roi. La dis ­
des livres, il fut un des cinq prem iers exam inateurs de persion des Pères hâta son retour en France. L'année
l ’ ouvrage du P. Thyrse G onzalez contre le probabi ­ suivante, il publiait ses deux prem iers ouvrages :
lism e; on lui attribue la rédaction du jugem ent | T Institulion du prince chrestien, dédié à H enri II, et le
défavorable qu ’ ils rendirent le 18 juin 1674. Ce juge ­ Traicté contre l'erreur vieil et nouveau des prédes­
m ent a été publié par C oncina, Difesa della C“ di 1 tinez. D ans ce dernier, il attaquait les théories calvi­
Gesù, V enise, 1767, t. n, p. 31. E sparza publia son nistes surtout sous la form e que leur avait donnée
cours de théologie, d ’ abord par parties, sous le titre : Théodore de B èze. En 1550, il traduisait de saint
Quiestiones disputandae, en 9 in-12,Rom e, 1655-1660; A nselm e le Sermon sur l’évangile des deux sœurs.
clans la 3» édition, il en a form é 2 in-fol., intitulés : C harles de Lorraine l ’ appelait, en 1555, à la com m is ­
Cursus theologicus... juxta methodum quæ in scholis sion qui, sur la dem ande de saint Ignace, devait se
Societatis Jesu communiter traditur annis quaternis, prononcer sur l ’ adm ission de la C om pagnie de Jésus
Lyon, 1666. Il a repris à part et spécialem ent développé en France. La m êm e année, il accom pagnait son pro ­
la question du probabilism e dans Appendix ad quae­ tecteur à R om e. Il y rendit com pte de sa foi au pape
stionem de usu licito opinionis probabilis continens res­ Paul IV , auquel il plut et qui, m êm e, m anifesta
ponsionem ad quædam recentiorum argumenta, in-4°, l ’ intention de le créer cardinal.
R om e, 1669; aussi reproduit dans l ’ Apologeticus L a m ort de H enri II, dont il se plaint de n ’ avoir
du P. H onoré Fabri, Lyon, 1670. E sparza com bat pas été apprécié, et les troubles religieux qui la sui ­
vivem ent le tutiorism e et le probabiliorism e; m ais son virent, lui perm irent de m anifester à nouveau son
probabilism e ressem ble à ï'équiprobabilisme de saint activité théologique. Il prit part aux É tats d ’ O rléans
A lphonse, car, d ’ après lui, on ne peut regarder com m e | de 1560 qui s ’ occupèrent, sans succès d ’ ailleurs, de
probable, ni suivre, une opinion qui est notablement et la réform e de l ’ Église. Il y tint une attitude m oyenne
évidemment m oins fondée que sa contradictoire. Ce qui com m ença à lui attirer des attaques de la pa-t
théologien a aussi publié un petit écrit sur la concep ­ des catholiques intransigeants. A u colloque de Poissy,
tion de la V ierge, Immaculata Conceptio Beatæ où il voulut garder la m êm e figure de m odéré, tout
Mariæ Virginis, deducia ex origine peccati origi­ en repoussant et réfutant les théories des m inistres
nalis, R om e, 1655. Il m ourufà R om e le 21 avril 1689. protestants, il excita de plus en plus les défiances.
D e B acker-S om m ervogel, Bibliothèque de la C· de Jésus,
O n lui attribua alors un traité anonym e sur le culte
t. n i, col. 449-152; H u rter, Nomenclator, t. iv , col. 358-359; des im ages, qui sem blait trop se rapprocher des néga ­
D ollingcr-R euscli, Geschichte der Moralstreitigkeiten, t. i, tions calvinistes. Il s ’ en défendit. La reprise du con ­
p. 46, 90-92, 123-124; R cusch, Der Index, t n ,p . 233. cile de T rente ram enait l ’ attention des théologiens
J. B r u c k e r . sur les questions qui devaient y être traitées. L ’ une
E S P È C E H U M A IN E . V oir H o m m e . d ’ entre elles intéressait surtout la France : celle de la
discipline m atrim oniale. C ’ est à ce sujet que d ’ E s-
E S PÈ C ES S A C R A M E N TE LL E S . V oir E u c i ia - pence consacra en 1561 tout un traité, le De clande­
BI s t iq u e s (A c c id e n t s ). stinis matrimoniis. Il y soutenait la théorie française,
qui ne devait pas prévaloir au concile, de la nullité
E S PE N C E (C la u d o T o g n ie l d ’ ) O U d ’ E PE N S E, des m ariages contractés par les fils de fam ille sans le
en latin Espencæus, d ’ une fam ille originaire du vil- ] consentem ent de leurs parents. N ’ ayant pu, pour
lage de ce nom (M arne, arr. de Sainte-M énehould), ’ raison de santé, suivre le cardinal de Lorraine à
naquit à C hâlons-sur-M arne en 1511. 11 fit ses études T rente, il resta en correspondance étroite avec les
à Paris, au collège de C alvi, puis à celui de B eauvais, théologiens qui s ’ y étaient rendus, en particulier avec
enfin au collège de N avarre, dont il devint l ’ un des C laude de Sainctes. Il publie alors une série de ser ­
régents les plus appréciés. Il y trouva com m e condis ­ m ons en latin qui se rapportent aux controverses du
ciple C harles de Lorraine, le futur cardinal, avec lequel tem ps, De silentio el unitate Ecclesiæ, De vi verbi Dei
il noua d ’ intim es relations. Le succès de son ensei ­ in sacris mysteriis (1561). Il s'adonne aussi à la poésie
gnem ent fut tel que l ’ université le choisit pour recteur sacrée et im prim e son Sacrarum Heroidum liber, où
en 1540. M ais il resta très peu de tem ps en charge. il m et en scène les personnages de l ’ Évangile. M ais ses
'605 E S P EN C E ESPERANCE 606

ouvrages les plus im portants de cette époque sont ses xn, 22; Judith, ix, 17. D ans l ’ A ncien Testam ent, on
com m entaires sur les É pîtres de saint Paul à Tim o ­ espère beaucoup plus souvent les biens tem porels que
thée (1564) et à T ite (1568). Il y ajoute de nom breuses la béatitude éternelle. M ais D ieu ayant prom is à son
et savantes dissertations sur les points particuliers peuple des biens tem porels com m e sanction de la
de doctrine qui prêtent à discussion. E n 1565, il loi m osaïque, c ’ était un acte religieux que d ’ espérer
donne un traité De continentia, dans lequel il défend de sa m ain les biens prom is, la délivrance et la pros ­
les vœ ux religieux contre les attaques des protestants. périté d ’ Israël.
Enfin il com pose son ouvrage le plus im portant au 2. Nouveau Testament. — a) Évangiles. — Ici, les
point de vue dogm atique, le De eucharistia ejusque biens tem porels s ’ effacent devant les biens spirituels
adoratione libri quinque, com plété par le Libellus de et célestes que Jésus présente au désir et ? Γ espé ­
privata et publica missa, qui ne furent publiés qu ’après rance : Sï scires donum Dei... Joa., iv, 10. Π fait esp,
sa m ort en 1573. rer la descente du Saint-Esprit, sa perpétuelle assis ­
Ces travaux purem ent théologiques ne l ’ avaient tance jusqu ’ à la fin des siècles, la résurrection de L
pas éloigné de la chaire sacrée. E n 1560, il pronon ­ chair, et surtout la vie éternelle, objet suprêm e de
çait à Saint-G erm ain -Γ A uxerrois l ’ oraison funèbre l ’ espérance religieuse, plus voilé dans l ’ A ncien Tes ­
du chancelier O livier et celle de M arie, reine d ’ Écosse. tam ent, dévoilé dans le N ouveau. O n a dit que nos
Il publiait en français, deux ans plus tard, une série Évangiles ne contiennent ni le nom d ’ espérance, ni,
de serm ons sur les questions discutées avec les pro ­ au sens religieux, le verbe « espérer ». H astings, A
testants, spécialem ent sur les traditions hum aines et Dictionary of Christ and the Gospels, Edim bourg,
les traditions ecclésiastiques. Il traduisait quelques 1906, 1.1, p. 747. M ais, qu ’ im porte le m ot, si en réalité
discours de Théodoret et de saint Jean C hrysostom e, Jésus fait souvent appel à l ’ espérance religieuse, en
de G régoire Palam as, archevêque de Thessalonique, présentant les objets qui l ’ excitent? S ’ il rem place le
et la C hronique de H aim o d ’ H alberstadt. Il conti­ verbe « espérer » par des équivalents, par la négation
nuait ses conférences contradictoires avec les m inis ­ du contraire « ne pas craindre »; par exem ple :
tres calvinistes et en rendait com pte dans une série « Cherchez le royaum e de D ieu... Ne craignez point,
d ’ ouvrages : le Traicli touchant la vertu de la parole petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous don ­
/le Dieu (1567), la Continuation de la tierce conférence [ ner le royaum e, » Luc., xn, 31, 32? S ’ il rem place le
avec les ministres, \’Apologie des deux conférences avec term e abstrait par le geste expressif, com m e dans
les ministres (1568) et enfin la Conférence de l’efficace cette phrase ; « Q uand ces choses com m enceront à
de la parole de Dieu (1570). Tous ces ouvrages donnent arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que
une idée très précise des questions qui faisaient alors votre délivrance approche, » Luc., xxi, 28 ? La tète,
l ’ objet du débat entre les catholiques et les protes ­ abattue par la tristesse ou le découragem ent, est
tants. D ’ Espence y garde une très grande m odéra ­ relevée par l ’ espérance. E nfin, Jésus recom m ande
tion dans la form e et, à plusieurs reprises, s ’ y vante souvent, m êm e sous la form e abstraite si on y tient, la
d ’ être un « m oyenneur », ennem i de toute exagé ­ confiance, cet élém ent le plus caractéristique de l'es ­
ration. C ela ne l ’ em pêcha point d ’ être violem m ent pérance. V oir plus loin.
attaqué par les m inistres et calom nié par Théodore b) Épttres. — Soit parce que le nom d ’ espérance
de Bèze lui-m êm e. C ’ est dans une studieuse retraite (εΐ.πι;) se trouve chez saint Pierre, et en bonne
qu ’ il m ourut, le 4 octobre 1571. Son testam ent, publié place, I Pet., i, 3, 21; m , 15, soit surtout à cause de
par Launoi, révèle une grande foi et une inépuisable la tendance générale de son enseignem ent, il a pu être
charité. Son am i G énébrard donna, en 1619, une édition nom m é l'apôtre de l ’ espérance. — O n pourrait dire de
com plète de ses œ uvres latines. saint Paul qu ’ il en est le théologien. C 'est lui qui
présente aux fidèles la célèbre triade, foi, espérance et
D e T hou, t. x vi, année 1555; N icéron, t. x v n ; L aunoi, charité. I Thess., v, 8, etc. E t bien qu ’ il insiste davan ­
Regii Navame gymnasii Parisiensis historia ; de B arthé ­ tage sur la foi et sur la charité, il pose dans ses Épîtres
lem y, Étude biographique sur Claude d'Espence, C hàlons,
1853; F éret, La faculté de théologie de Paris, époque moderne, les fondem ents révélés d ’ une théorie de l ’ espérance.
t. i, p. 227-240; t. n , p. 101-118, H u rter, Nomenclator, V oir surtout R om ., v, 2-5; vin, 18-25; I Cor., xni, 13.
t. m , col. 17-19. N ous y reviendrons plus bas.
A. Hu m b e r t . 2° L'espérance chez les Pères.— D ans leurs hom élies,
E S PÉ R A N C E . — I. Sources théologiques d ’ une ils prêchent l ’ espérance, et encore en passant, et
théorie de l ’ espérance. H . A nalyse de l ’ espérance n ’ ont pas de traité didactique. Le texte le plus im ­
d ’ après le langage et le sens com m un. III. L ’ espérance l portant pour la théorie de l ’ espérance est ce passage
com m e principe d ’ action; espérance et patience. de saint A ugustin :« Peut-on espérer un objet sans le
IV. A spect intellectuel de l ’ espérance. V . L ’ espé ­ croire? M ais on peut croire un objet sans l ’ espérer; car
rance com m e acte affectif, analyse plus approfon ­ tout fidèle croit les peines des im pies et ne les espère
die. V I. M atière de l ’ espérance chrétienne. V II. M otif pas. «A insi, tout acte de l ’ espérance chrétienne présup ­
de l ’ espérance chrétienne; trois principaux systèm es. pose un acte de foi; m ais l'acte de foi n ’ entrainc pas né ­
V III. C om m ent l ’ espérance est une vertu théologale. cessairem ent un acte d ’ espérance. La foi, ajoute-t-il. a
IX . V aleur m orale de l ’ espérance chrétienne et de son un objet plus vaste : « La foi s ’ étend aux m aux com m e
m otif intéressé. X . N écessité de l ’ espérance. aux biens; car on croit des biens et des m aux. La foi
L S o u r c e s t h é o l o g iq u e s d ’ u n e t h é o r ie d e l ’ e s ­ s ’ étend au passé, au présent et à l ’ avenir; nous croyons
p é r a n c e . — 1° L ’espérance dans l’Écriture.— 1. An­ que le C hrist est m ort, c ’ est du passé; nous croyons
cien Testament. — L ’ espérance religieuse y tient une qu ’ il est assis à la droite du Père, c ’ est du présent;
grande place. « Espérer en D ieu » ou « se confier en nous croyons qu ’ il viendra nous juger, c ’ est de
lui », est souvent lié à son attribut de puissance, de l ’ avenir. D e m êm e, la foi se porte sur des choses
force : « Jéhovah, en toi j ’ ai placé m on refuge... Tu qui nous concernent, et aussi sur des objets qu
es m on rocher, m a forteresse... C ’ est en Jéhovah que nous sont étrangers : tout fidèle croit avoir eu un
je m e confie. » Ps. xxxi (xxx), 2-7. Cf. Is., xxvi, 4. com m encem ent de son existence, et n'avoir pas .·
Souvent aussi, à son attribut de bonté, de m iséricorde éternel; il en croit autant des autres personnes et iu
qui le porte à nous secourir : « Je m e confie dans la m onde créé; et, parm i les vérités religieuses que : ;
bonté de D ieu éternellem ent et à jam ais... E t j ’ es ­ croyons, plusieurs se réfèrent non seulem ent aux autre s
pérerai en ton nom , car il est bon, en présence de tes hom m es, m ais encore aux anges. A u contraire. l ’ rsr-r-
fidèles. »Ps. l u ( l i ), 10, ll;cf.x n ,6 ; xxxni, 9; Sap., rance ne se porte que sur un bien, et sur un bien futur.
607 E S P ÉR A N C E 608

et sur le bien personnel de celui qui espère. En som m e, D e peflseverantiæ m une ­ Q uant au don de persévé ­
la foi et l ’ espérance or.t une différence non seulem ent re... nem o sibi certi ali ­ ran ce...,q u e personne ne.se
nom inale, m ais réelle aux yeux de la raison. Q uant à quid absoluta certitu d in e prom ette quelque chose de
polliceatur, tam etsi in D ei certain d'une certitu d e ab ­
l’invisibilité de l’objet, elle est com m une à la foi et solue, bien que tous doivent
auxilio firm issim am spem
à l ’ espérance. D ans l ’ É pître aux H ébreux..., la foi collocare et reponere om nes av o ir une espérance très fer ­
est appelée une conviction des choses que l ’ on ne debent. Sess. V I, c. Χ Π Ι, D en ­ m e dans le secours de D ieu.
voit pas... L ’ apôtre dit de m êm e au sujet de l ’ espé ­ zinger, n. 80G (689).
rance : Q uand on voit (le bien présent), on ne l ’ es ­
père plus. Nous espérons ce que nous ne voyons pas. N ous parlerons plus bas de la ferm eté ou certitude
R om ., vm , 24. » Enchiridion de fide, spe et caritate, de l ’ espérance.
c. vm , P. L., t. XL, col. 234. 3. A illeurs, après avoir parlé de la contrition « que
Le saint docteur achève en m ontrant les trois la charité rend parfaite », et qui,sur-le-cham p, récon ­
vertus inséparablem ent unies dans le juste : « L ’ apôtre cilie avec D ieu, le concile fait la déclaration sui ­
recom m ande la foi anim ée par la charité, G ai., v, 6, vante sur la contrition im parfaite ou attrition, m oti ­
qui ne peut être sans l ’ espérance. D onc, pas d ’ am our vée par la crainte de l ’ enfer :
sans espérance, pas d ’ espérance sans am our, et ni Illam contritionem im ­ C ette attritio n, si elle
l ’ un ni l ’ autre sans la fol. · Ibid., col. 235. M ais, de ces perfectam ..., si voluntatem exclut la volonté de pécher,
paroles, les jansénistes ont m ai conclu que dans le peccandi excludat cum spe et si elle est accom pagnée
pécheur l ’ espérance ne peut se trouver sans la charité veniæ , declarat... donum de l'espérance du pardon, le
par'aite; A ugustin lui-m êm e dit plus bas au c. cxvn : D ei esse et S p iritu s S ancti concile déclare... qu ’ elle est
« Q uoiqu ’ on ne puisse espérer sans aim er, il peut ar ­ im pulsum , non adhu c q u i ­ un don de D ieu et une im ­
river qu ’on n ’ aiine pas un m oyen nécessaire à la dem in hab itantis, sed tan ­ pulsion du S ain t-E sp rit, qui
fin qu ’ on espère. A insi, l ’ on espérera la vie éter- tum m oventis, quo pæ nitens n 'h ab ite pas encore l ’ âm e,
ad ju tu s viam sibi ad ju sti ­ m ais déjà l'actionne, et aide
• nelle, (qui ne l ’ aim erait pas?) m ais on n ’ aim era pas la tiam p arat. Sess. X IV , c. iv , ainsi le p én iten t à se dispo ­
justice sans laquelle personne ne peut y parvenir. » D enzinger, n. 898 (778). ser à la justification.
Ibid., col. 286. L ’ espérance théologale, d ’ après lui,
inclut donc un certain am our de D ieu, m ais elle n ’ a pas N ous voyons ici la séparabilité de l ’ espérance et de
toujours avec elle cet am our parfait et conform e aux la charité: un pécheur qui n ’ a pas encore fait l ’ acte de ’
volontés et aux com m andem ents de celui qu ’ on aim e, charité, et en qui l ’ E sprit-Saint n ’ habite pas encore,
qui à l ’ instant m êm e change le pécheur en juste. peut faire utilem ent un acte d ’ espérance. — Ce qui ré ­
A insi, saint A ugustin· explique suffisam m ent cette sulte aussi de la condam nation de la 57 e proposition de
inséparabilité des trois vertus, dont il sem ble avoir Q uesnel : « Il n ’ y a pas d ’espérance en D ieu, où il n ’ y a
em prunté le principe à saint Zenon de V érone, qui pas am our de D ieu. » D enzinger, n. 1407 (1272). Par
le prem ier a fait un essai de théorie de l ’ espérance. am our de D ieu, Q uesnel entendait l ’ am our parfait
Zénon dit que « si on leur refuse la charité, la foi et ou charité théologale.
l ’ espérance cesseront. » Tract., II, de spe, fide et 4. Le concile de T rente définit que :
caritate, n. 1, P. L., t. xi, col. 269. M ais, com m e In ipsa justificatione cum D ans la justification elle-
le rem arquent les frères B allerini dans une disserta ­ rem issione peccatorum hæ c m êm e, avec la rém ission
tion sur la doctrine de saint Zénon, P.L., iW d.,col.l28, om nia sim ul infusa accipit des péchés, l ’ hom m e reçoit
l ’ évêque de V érone prend ici la charité dans un sens hom o..., fidem , spem et ca ­ toutes ces choses infuses en
très large, puisqu ’ il l ’ attribue à tous les hom m es, m êm e ritatem . Sess. V I, c. v n , m êm e tem p s...,la fo i, l’espé­
à ceux qui n ’ ont pas la foi, et qu ’ il en retrouve l ’ im age D enzinger, n. 800 (682). rance et la chari té.
jusque chez les anim aux. Il veut dire sim plem ent
que l ’ espérance inclut un certain am our, com m e le Le m ot d'espérance ne peut ici, com m e dans les
dira aussi saint A m broise : « Celui qui espère, ne textes précédents, signifier un acte. Q ue serait cet
désire-t-il pas et n ’ aim e-t-il pas ce qu ’ il espère? » acte? U ne disposition à la justification? M ais ici, il
Serm.,m,inps.cxvui, n.3, P. L., t.xv.col. 1321. Saint n ’ est plus question des dispositions à la justification,
A ugustin n ’ est donc pas le prem ier à avoir pris le m ot com m e au chapitre précédent, m ais de la « justifica ­
de « charité » dans un sens souvent très large, ce qui tion elle-m êm e ». S ’ agirait-il de nouveaux actes Λ faire
a jeté tant d ’ obscurité sur sa doctrine de la charité, et au m om ent m êm e de la justification? M ais l ’ Église ne
a donné occasion à plus d ’ une erreur janséniste. nous dit pas de refaire au m om ent de la justification
V oir A u g u s t i n , t. i, col. 2436. les actes préparatoires faits un certain tem ps aupa ­
3° L'espérance dans les documents de l’Église. — ravant; au contraire, elle baptise ou absout le m ori­
V oici les principaux, d ’ autres seront ajoutés au cours bond inconscient, en vertu des seules dispositions an ­
de cet article. térieures, sans aucun acte présent. Force est donc
1. Le concile de Trente, énum érant les divers d ’ entendre ici le m ot espérance non pas d ’ un acte passa ­
actes par lesquels les pécheurs, avec le secours de la ger (auquel, d ’ ailleurs, ne conviendrait guère le m ot
grâce, se disposent à la réconciliation avec D ieu, infusa), m ais d ’un principe perm anent de cet acte,
à la « justification », décrit ainsi l ’ acte d ’ espérance, d ’ une « vertu infuse », qui n ’ est pas nécessairem ent
avec l ’ objet spécial qu ’ il a dans ce cas particulier : en acte au m om ent où on la reçoit, r Ce n ’ est pas sim ­
... A d considerandam D ei P ar la considération de la plem ent une fiction logique, une sorte de catégorie,
m isericordiam se conver ­ m isérico rd ed cD icu ,ils sont une form ule abstraite où nous recueillerions et enre ­
tendo, in spem eriguntur anim és, encouragés à l'espé ­ gistrerions nos actes d ’ espoir. N ous n ’ espérons pas
fidentes D eum sibi propter rance, ay an t confiance que seulem ent par des opérations isolées, nous espérons
C hristum propitium fore. D ieu leur sera propice à par une puissance habituelle et féconde, d ’ où ém anent
Sess. V I, c. vi, D enzinger- cause d u C hrist. en leur tem ps les m ouvem ents successifs m ais non
B annw art, n. 798 (680).
continus, qui s ’ appellent actes d ’ espérance. » J. D i-
A insi, l ’ espérance s ’ élance vers un bien futur et diot, Morale surnaturelle spéciale. Paris, 1897, p. 311.
personnel (ici, le pardon). Elle a pour élém ents, soit N otre interprétation de ce passage du concile de
cet effort courageux (eriguntur) que les théologiens T rente est prouvée aussi par VHistoire du concile,
appellent erectio animi, soit la confiance (fidentes). de Pallavicini, 1. V III, c. xiv, n. 3.
2. D ans la m êm e session, parlant non plus des II. A n a l y s e d e l ’e s p é b a n c e d ’a p r è s l e l a n ­
pécheurs, m ais des justes, le concile ajoute : gage E T L E S E N S C O M M U N , T E L L E Q U E L ’A D O N N É E
609 ESPÉRANCE 610

T h o m a s . — L ’ É criture, et à sa suite la tradi ­


s a in t dans son Dictionnaire, et il cite M “ · de Sévigné :
tion. em ployant le langage usuel pour se faire com ­ » J ’ espère que Pauline se porte bien. ·
prendre, a dû entendre com m e tout le m onde les Remarques sur la 3e condition. — Si l ’incertitude
m ots · espérer, espérance », sauf quelques différences peut suppléer le lointain de l ’ avenir, cette deuxiem e
qui pourront résulter de la surém inence de l ’ espérance condition de l ’ objet, elle peut aussi suppléer la diffi­
chrétienne, et qui viendront perfectionner, sans la dé ­ culté (arduitas), qui est la troisièm e. Tendre
truire, la notion générale à établir d ’ abord. O r, si vous l ’ incertain m algré son incertitude,voilà une difficulté
passez en revue les circonstances diverses où le lan ­ suffisante pour que se produise l ’ acte qu ’ on nom m e
gage hum ain parle d ’ espérance, cette induction vous «espérer ». N e dit-on pas couram m ent que l ’ on espere
m ontrera que l ’ objet ou événem ent « espéré » réunit un événem ent (par exem ple de gagner à la loterie >,
toujours quaire conditions, com m e l ’ a si bien rem ar ­ quoiqu ’ il n ’ y ait là, pour celui qui espère, aucun ellort
qué saint Thom as. Il est, ou, du m oins, on le croit : à faire, aucune difficulté particulière à vaincre, horm is
le découragem ent qui peut naître de l ’ incertitude?
1» Un bien... P ar là l ’ espérance diffère de la crain te, qui a
pour objet un m al. — 2° Futur. C ar l ’ espérance ne roule pas
E t inversem ent que l ’ objet soit tout à fait certain,
sur un bien présent que déjà l ’ on possède : et par là elle on ne dira plus qu ’ on espère. O n ne dira pas : « J ’ es ­
diffère de la joie, qui n aît d ’ un bien présent et possédé. — père que l ’ éclipse annoncée aura lieu, » on dira seu ­
3° D'acquisition dijficilc. Q uand (au contraire) il s ’ ag it de lem ent, d ’ un m ot plus général : « J ’ attends l ’ éclipse
quelque chose de peu de valeur, qu ’ on p eu t se procurer à annoncée. » U n catholique croit que, s ’ il m eurt en
l'in stan t (on peut d ire q u ’ on le désire), on ne d it pas qu ’ on état de grâce, il sera sauvé; il ne peut pas croire de
l ’ espère. P ar là l ’ espérance diffère du désir (quelconque).
foi divine qu ’ il m ourra en état de grâce, parce que
— 4° D ’acquisition possible. O n n ’ espère pas non plus ce
que l ’ on cro it im possible; et par là l ’ espérance diffère du
cet événem ent n ’ est ni révélé ni certain; m ais préci­
désespoir. Sum. theol., I· II*, q. x l , a. 1. sém ent à cause de cette incertitude, il peut l’espérer.
Cf. A rriaga,Disp, theol. in /·■» 17-, A nvers, 1644, p. 338.
A chacune de ces nuances de l’objet espéré, ré ­ Ce rôle im portant de l ’ incertitude dans l ’ espérance
pondent autant de nuances dans l’acte qui espère. avait été rem arqué par Sénèque : Spes incerti boni
Secundum diversas rationes objecti apprehensi, subse­ nomen est, Episl., x, et par saint Thom as : « U n bien
quuntur diversi motus in vi appetiliva. S. Thom as, dont nous possédons déjà la cause inévitable (c ’ est-à-
ibid., a. 2. Parce que l ’ objet paraît un bien, nous dire qui la produira infailliblem ent), n ’ a pas relative ­
l'aim ons. Parce que nous ne le possédons pas encore, m ent à nous cette condition de difficulté : si quelqu ’ un
notre am our prend la form e spéciale du désir. Parce désire un objet et peut avec son argent se le pro ­
qu ’ il est difficile à acquérir (arduum), notre désir, curer aussitôt, il ne serait pas correct de dire qu ’ il
quand il est assez fort pour persister, s ’ élance vers l ’ espère. » Sum. theol., I· 11», q. i.xvn, a. 4, ad 3· “ . E t,
lui m algré les difficultés, et se nuance d ’ un certain quand il énum ère les conditions de l ’ objet espéré, saint
courage (erectio animi). Parce que son acquisition Thom as se garde bien d ’ exiger qu ’ il soit d ’ acquisi ­
nous naraît néanm oins possible, notre courageux désir tion certaine, m ais se contente de dem ander qu ’ il
se teinte de confiance. O n peut sans doute désirer soit d ’ acquisition possible, probable. Les protestants
l ’ im possible, m ais ce désir, non accom pagné de con ­ qui ont voulu en ce point opposer l ’ espérance reli­
fiance, n ’ est pas l ’ espoir; on peut m êm e s ’ élancer gieuse à l ’ espérance vulgaire seront réfutés plus loin.
contre l ’ obstacle avec le « courage du désespoir », m ais A propos de la nuance de courage (erectio animi) qui,
cette sorte de courage ne peut évidem m ent entrer dans l ’ acte d ’ espérer, répond à cette troisièm e condi ­
dans l ’ espérance : la confiance est donc un quatrièm e tion, on pourrait objecter que nous confondons la
élém ent qui s ’ im pose. E n résum é, amour, désir, cou­ vertu d ’ espérance avec la vertu de force à laquelle
rage, confiance, voilà ce que renferm e, dans son com ­ le courage appartient. O n peut répondre : a) Le m u ­
plet développem ent, l ’ acte qu ’ on nom m e « espérance ». rage de l ’ espérance est tout affectif, non encore effectif :
Remarques sur la 2e condition. — L ’ objet espéré a l ’ espérance s ’ élance vers l ’ objet m algré les obstacles,
pour condition d ’ être futur, non pas en ce sens positif , m ais en désir seulem ent. La vertu de force passe à
qu ’ il sera de fait, souvent l ’ avenir ne répond pas à ! l ’ exécution, attaque réellem ent les obstacles qui
nos espérances; m ais en ce sens négatif qu ’ il n ’est pas j barrent le passage, b) L a difficulté requise pour espé ­
présent pour nous. Pour nous : car, fût-il déjà présent, i rer n ’ est souvent, nous l ’ avons vu, que l'incertitude
il suffît à l ’ espérance qu ’ il ne soit pas connu com m e tel, j de l ’ objet; nous n ’ avons alors d ’ autre effort à faire
ct qu ’ ainsi sa présence soit pour nous com m e si elle que contre notre propre découragem ent; ainsi nous
n ’ était pas encore. U ne m ère qui attend le retour de espérons qu ’ il fera beau, que la navigation sera heu ­
son fils en voyage, continuera à espérer, quoiqu ’ il reuse, quoique nous n ’ y puissions rien. La force lutte
soit déjà revenu à son insu. M êm e, lorsqu ’ une vague contre des difficultés extérieures, sur lesquelles elle a
rum eur lui fera soupçonner ce retour, elle espérera : une prise et qu ’ elle peut vaincre par ses efforts,
il n ’ y a pas encore possession parfaite de l ’ objet aim é, c) La vertu de force vise uniquem ent à perfectionner
il n ’ y a pas encore cette joie qui succède au désir l ’ activité personnelle; l ’ espérance peut très bien s'ap ­
et fait cesser l ’ espérance; car la possession parfaite puyer sur le secours d ’ autrui. C ’ est de D ieu, et non pas
suppose la certitude de la présence, la conscience de nos propres forces, que l ’ espérance chrétienne at ­
de l ’ union avec l ’ objet. V oir S. Thom as, Sum. theol., tend la victoire sur des difficultés insurm ontables
I ’ II», q. xxxn, a. 1, 2; H aunold, Theologia, In ­ sans la grâce. Spes, secundum quod est virtus theologi­
golstadt, 1670, p. 421. ca, dit saint Thom as, respicit arduum alterius auxilio
D e là vient qu ’ une âm e réconciliée avec D ieu, assequendum. Sum. theol., II» II», q. xvn, a. 5, ad 4= = .
m ais qui ne le sait pas avec certitude (c ’ est le cas Objectum spei est arduum consequendum, non autem
ordinaire), peut espérer, peut avoir confiance qu ’ elle arduum faciendum. Quæst.disp.,De potentia, q. vi,a. 9
est en état de grâce, que ses péchés lui ont été par- ad 11 “ “ .
donnés. A insi l ’ espérance, la confiance peuvent aussi Confirmation de notre analyse par quelques passa
se porter sur le présent ou m êm e sur le passé, à con ­ ges de l’Écriture. — Saint Paul assigne à l'esperance.
dition que l ’ événem ent heureux ne soit pas connu pour objet, un bien «que nous ne voyons pas R om .,
avec certitude. — C onséquence gram m aticale : quoi vni, 24, 25. La vue suppose un objet pri sent. · ’
qu ’ en disent certains gram m airiens, on peut, après tain : en excluant la vue, l ’ apôtre exclut donc del ob ­
le verbe « espérer », m ettre le présent et le passé, jet espéré la présence et la possession, peut-être aussi
auand il n ’ y a pas de certitude. C ’ est l ’ avis de L ittré ■ a certitude; et l ’ espérance im plique un désir.
P IC T . D E T H É O L . C A T IIO L . V . - 20
611 E S P ÉR A N C E 61'J

Le psalm iste nous signale ce ferm e courage, autre pense y est attachée. » H eb., x, 32-36. Cet appel à
élém ent de l ’ espérance : « A yez courage, et que votre l ’ espérance se com plète alors par l ’ éloge de la foi, qui
•cœur s'afferm isse, vous tous qui espérez en Jéhovah. » l ’ excite en lui m ontrant le ciel. E ntre autres exem ples
Ps. xxx, 25. Le nom d ’ereclio animi, que les théolo ­ de foi et d ’ espérance réunies, nous voyons A braham ,
giens donnent à ce courage, se rattache à notre V ul­ s'exilant de son pays, aller sur la prom esse de D ieu
gate; Judith dit aux anciens du peuple : « R elevez dans une terre inconnue, vivre sous la tente, incom ­
leurs cœ urs par vos paroles, «corda erigite, vm , 21. m ode et frêle dem eure. « C ’ est qu ’ il attendait la ville
A illeurs, le m êm e sentim ent est exprim é par son effet solidem ent bâtie dont D ieu est l ’ architecte et le cons ­
organique, par une tension des nerfs et des m uscles tructeur. » Ibid., xi, 10. C om m e lui vécurent ses des ­
que la crainte et le découragem ent ont am ollis : Remis­ cendants. « C ’ est dans la foi que ces patriarches sont
sas manus, et soluta genua erigite, H eb., xn, 12; c ’ est m orts, sans avoir reçu l'elfet des prom esses; m ais ils
une citation d ’ Isaïe, xxxv, 3 : « Fortifiez les m ains l ’ ont vu et salué de loin, confessant qu ’ ilsétaientétran-
défaillantes, et afferm issez les geneux qui chancellent I gers et voyageurs sur la terré... Ils auraient pu retour ­
D ites à ceux qui ont le cœ ur troublé : Prenez courage, ner dans leur pays; m ais ils aspiraient à une patrie
ne craignez point 1 » m eilleure, à la patrie du ciel, » xi, 8-16, cf. 26, 35.
L a confiance, ce dernier élém ent, est souvent dem an ­ Le stoïcism e, lui aussi, a fait de la patience, ainsi
dée par Jésus. M atth., ix, 2; M arc., vi, 50, etc. Elle que du détachem ent, sa leçon favorite : sustine et
est rattachée à l ’ espérance par saint Paul. II C or., i, abstine. M ais de parti pris, il n ’ a pas voulu l ’ appuyer
O, 10; cf. H eb., n i, 6. D ans la V ulgate, sperare et confi­ sur l ’ espérance; et c ’ est un des points où l ’ on
dere sont souvent pris l ’ un pour l ’ autre, ce qui sup ­ voit com bien il diffère du christianism e, m algré une
pose une identité au m oins partielle. A insi cet axiom e, apparente ressem blance. C 'est que cet ascétism e étroit
que l ’ espérance en D ieu ne fait jam ais rougir celui qui et glacé com prim ait égalem ent tous les m ouvem ents
a espéré, spes non confundit, R om ., v, 2 ; cf. Ps. xxi, 6 ; de l ’ âm e, au lieu d ’ utiliser, com m e le christianism e,
xxx, 2; Eccli., 11,11, etc., est égalem ent rendu en rem ­ ses nobles élans. Se rendre insensible à la douleur,
plaçant sperare par confidere : Non est confusio confi­ m êm e à celle d ’ autrui; tuer en soi toute passion,
dentibus in te. D an., ni, 40; cf. Ps. xxiv, 2. N ous don ­ toute espérance, toute aspiration ardente, c ’ était
nerons plus loin une analyse approfondie de cette l ’ infaillible m oyen de ne sentir aucune poignante
confiance, com m e aussi de l’amour qui est à la base douleur, aucun aiguillon de désir inassouvi, et d ’ arri ­
de l ’ espérance. ver ainsi à un bonheur négatif, à une sorte de nirvana
III. L ’ e s p é r a n c e c o m m e p r in c i p e d ’ a c t io n ; égoïste, but suprêm e de la vie; c ’ était ce que l ’ on appe ­
e s p é r a n c e e t p a t i e n c e . — N ous plaçons ici cette lait chercher le bonheur dans la vertu. Sénèque com ­
considération com m e facile, avant d ’ entrer dans de m ente et adm ire ce paradoxe d ’ un stoïcien grec sur le
plus subtiles questions. Si la patience aida à la conti­ rem ède de la crainte : « Tu cesseras de craindre, quand
nuation et à la durée de l ’ espérance, per patientiam tu auras cessé d ’ espérer. «Sénèque observe que « ces
expectamus, R om ., vm , 25, en retour, l ’ espérance aide affections, quoique si dissem blables, m archent de com ­
à patienter, à résister, à lutter; c ’ est une influence pagnie : après l ’ espérance, la crainte. Q uoi d ’ étonnant?
réciproque. Toutes deux supposentl'âm e com m e en suspens,toutes
C ourageuse en son désir, sereine en son courage, deux ont la sollicitude de l ’ avenir. M ais, ce qui sur ­
l ’ espérance est un principe d ’ action. Elle soutient tout les fait naître, c ’ est que, sans nous borner au
l ’ âm e dans les tristesses et les com bats de la vie, lui présent, nous portons au loin nos pensées. A insi,
fait prendre patience dans la fatigue et l ’ insuccès. ■ la prévoyance, l'un des plus grands biens de l ’ hom m e,
M êm e quand elle n ’ est fondée que sur une illusion, on s ’ est tournée en m al. L ’ anim al fuit le danger qu ’ il voit;
•observe son heureuse influence : ce qui a souvent porté le danger passé, il est. tranquille : nous, l ’ avenir nous
les hum ains à réhabiliter les illusions, faute de m ieux. torture en m êm e tem ps que le passé.... Les m isères
« L ’ illusion féconde, » dit A . C hénier dans la Jeune du présent ne nous suffisent pas. » Epist., v. C onclu ­
■captive... E t tandis que les D anaides se lassent dans sion pratique : si nous voulons être heureux, com m e
leur tâche folle, la jeune Espérance, au dire de Sully- la bête, ne pensons jam ais à l ’ avenir. V raim ent on a
Prudhonm ie, « chante et leur rend la force et la per ­ eu tort d ’ im aginer Sénèque à l ’ école de saint Paul.
sévérance, » disant toujours : « M es sœ urs, si nous IV. A s p e c t i n t e l l e c t u e l d e l ’ e s p é r a n c e . —
recom m encions? » 1° Préambule intellectuel de l’espérance; ses rapports
Q ue sera-ce, quand l ’ espérance sera basée non sur avec la foi. — Pour que les quatre conditions de
une illusion fragile,m ais sur une raisonnable et invin- I l ’ objet, énum érées par saint Thom as, voir plus haut,
cible foi? quand cette foi lui m ontrera au loin un bien col. 609, puissent influer sur l ’ acte affectif et volon ­
infini, le vrai bonheur auquel l ’ âm e aspire, et, dès taire de désir et d ’ espérance, il faut qu ’ elles soient
m aintenant, le secours divin pour y arriver, ce secours perçues : nil votitum quin prœcognilnm. D onc, néces ­
si puissant, si bon, auquel s ’ appuie notre faiblesse? sité d ’ un préam bule intellectuel, d ’ un jugem ent com ­
A ussi, l ’ apôtre regarde-t-il « l ’ espérance du salut · plexe que l ’ on pourrait appeler « de spérabilité », par
com m e une pièce essentielle de l ’ arm ure du chrétien analogie avec le « jugem ent de crédibilité » dans la foi.
pour les grandes luttes, avec la foi et la charité. ’ V oir C r é d i b i l it é .
I Thess., v, 8. É num érant ailleurs ces trois vertus, il Les trois prem ières conditions sont généralem ent
désigne l ’ espérance par ces m ots sustinentia spei, I faciles à constater. Prenons pour exem ple le succès
pour m ontrer que l ’ espérance chrétienne nous fait final d ’ une entreprise qui nous attire. Q ue ce succès
tout supporter avec patience. Ibid., 1, 3. soit un bien, nous n ’ en doutons pas; qu ’ il ne. soit pas
M ais c ’ est surtout l ’ É pitre aux H ébreux, soutenant présent encore, qu ’ il soit sujet à des difficultés, tout
les prem iers chrétiens contre un retour de persécution, cela n ’ est que trop évident M ais ce succès est-il pos­
qui signale l ’ espérance com m e un puissant ressort de sible, probable? C 'est ici le point qui décidera de l ’ es ­
patienceetd ’ action. «R appelez-vous cespreiniers jours, pérance, et où sont nécessaires les réflexions et les
où, nouveaux baptisés, vous avez soutenu un grand calculs. « Q uel roi, au m om ent d ’ en venir aux arm es
com bat de soulïrances... V ous aviez un soin com pa ­ avec un autre roi, ne com m ence pas à calculer à son aise
tissant des prisonniers, vous acceptiez avec joie le s’il peut, avec dix m ille hom m es, faire face à un enne ­
pillage de vos biens, sachant qu ’ il vous restait une m i qui vient l ’ attaquer avec vingt m ille? » Luc.,
richesse m eilleure et qui durera toujours. N e laissez xiv, 31.
donc pas tom ber votre confiance; une grande récom ­ èr.rri, l ’ espérance, pour être possible dem ande
613 ESPÉRANCE 614

avant tout un jugement de possibilité sur son objet : n ’ est pas certaine : m ais elle est possible, ce qui · ... ’
et, pour être prudente, elle exige que ce jugem ent au jugem ent de possibilité, préam bule suffisant de
soit fondé sur une preuve sérieuse. Saint Thom as l ’ a l ’ espérance. E t puis, je m e rejette du côté de la m isé ­
très bien vu, et observe que, dans l ’ espérance théolo ­ ricorde infinie de D ieu, des dons ineffables qu ’ il m ’a
gale, c ’ est la foi, autre vertu théologale, qui doit porter déjà faits, en m e donnant son Fils, etc., R om ., vm , 32.
ce jugem ent de possibilité. « L ’ objet de 1 ’ espérance, de la puissance de sa grâce qui triom phe de nos fa ­
dit-il, est un bien futur, difficile, m ais possible à ob ­ blesses, du don de persévérance accordé à la prière
tenir. A insi, pour que l ’ on espère, il faut que Vobjet A lors, sous l ’ influence de ces vues de foi, m on désir du
soit proposé comme possible. O r, l ’ objet de l ’ espé ­ salut se nuance de cette confiance qui calm e le trout :e
rance (chrétienne) est la béatitude éternelle et le se ­ et les angoisses exagérées de la crainte et qui n ’ a ; s
cours divin... L ’ un et l ’ autre nous sont proposés par besoin pour cela de la certitude de l ’ événem ent, i
la foi, qui nous fait connaître que nous pouvons parve ­ m êm e de sa très grande probabilité.
nir à la vie éternelle, et que le secours divin nous a M ais, dira-t-on, un sim ple jugem ent de possibili'.·
été préparé pour cela... Il est donc m anifeste que la foi ne nous avance guère. Le chrétien m êm e qui dose-
précède l ’ espérance. » Sum. theol., 11 “ Ilæ, q. xvn, père de son salut peut en reconnaître pourtant la pos ­
a. 7. sibilité : car, perdant l ’ espérance, il ne perd pas néces
C ’ est en ce sens que la foi est appelée le fondem ent sairem ent la foi, et il peut continuer à adm ettre les
de l ’ espérance, H cb., xi, 1; aujourd ’ hui des protes ­ prom esses et la grâce de D ieu, qui rendent le salut
tants m êm es inclinent à traduire ύποστάσις , par fon­ possible. C om m ent un jugem ent, com patible avec le
dement, soutien. Cf. H astings, Dictionary of the Bible, désespoir, peut-il servir de base suffisante à l ’ espé ­
art. Hope, t. n, col. 412. C ’ est en ce sens que la foi rance? O u bien, quelle m odification ce jugem ent de
est le fondem ent et la racine de tout le processus de la possibilité subit-il dans le désespéré? — Réponse.— Il
justification. Concile de T rente, sess. vi, c. vi et vm . peut se faire, c ’ est vrai, que le désespéré adm ette
V oir Foi. Les païens, n ’ ayant pas la foi, ne pouvaient spéculativement son salut com m e possible. M ais, sou­
avoir l ’ espérance. E ph., n, 12. La foi,pour fender l ’ es ­ vent il en vient m al à propos à s ’ im aginer que, de fuit,
pérance, nous fait reconnaître, d ’ une part, les attri ­ il ne sera pas sauvé; ce jugem ent sur le fait détruit
buts divins de toute-puissance, de m iséricordieuse pratiquement le jugem ent de possibilité. « C ar, en
bonté, de fidélité aux prom esses ; de l ’ autre, les pro ­ m atière d ’ espérance, rem arque Théophile R aynaud,
m esses divines contenues de fait dans la révélation la conviction que l ’ événem ent n ’ aura pas lieu, d ’ où
que D ieu a bien voulu nous donner. Les prem ières qu ’ elle vienne, équivaut (pratiquem ent) à un juge ­
vérités sont nécessaires, les secondes contingentes. m ent sur son im possibilité : jugem ent qui, com m e
Toutes nous sont présentées par la foi avec une cer ­ on sait, est un obstacle absolu à l ’ espérance. » O pe.'a,
titude souveraine, et servent de base solide au <> ju ­ Lyon, 1665, t. m , p. 488. D ’ autres fois, le désespoir
gem ent de possibilité » antérieur à l'espérance. peut venir d'une exigence déraisonnable : on vou ­
M ais la foi, n ’ ayant pour objet que ce qui est révélé, drait à tout prix avoir la certitude de son salut,
ne peut projeter sa certitude spéciale sur le fait déter ­ quand on n'en peut avoir que la probabilité; la vo ­
m iné de notre salut personnel, parce que ce fait n ’ a lonté a le tort de se buter; et, sans perdre une estim e
pas été révélé. L a foi affirm e bien cette proposition toute spéculative pour le bien désiré, on arrive, à cause
conditionnelle : « Je serai sauvé, si je ne m anque de son incertitude, à en faire pratiquem ent peu de cas,
à aucune condition du salut, telle, par exem ple, que et à le négliger com plètem ent, en quoi consiste pro ­
la persévérance finale. » M ais elle n'affirm e pas, pure ­ prem ent le désespoir. « A lors, nous ne voulons plus
m ent et sim plem ent, d ’ une m anière déterm inée et em ployer aucun m oyen pour l ’ obtenir. T ant que nous
absolue : « Je serai sauvé. · E t cependant, c ’ est bien som m es disposés à em ployer encore quelque m oyen,
ce salut personnel, pris d ’ une m anière absolue et déter ­ ce n ’ est pas le com plet désespoir. » H aunold, Theologia,
m inée, que l ’ espérance doit avoir pour objet · j ’ espère p. 422.
m on salut, purem ent et sim plem ent. C om m e objet, C oncluons que le jugem ent de possibilité est un
l ’ espérance dépasse donc la foi. C onséquence : le terrain suffisant pour faire germ er l ’ espérance, en y
préam bule intellectuel de l ’ espérance ne consistera pas ajoutant, toutefois, cette condition négative, qu ’ il n ’y
en un sim ple acte de foi, m ais sera plus com plexe. ait pas alors dans l ’ esprit une idée arrêtée que l ’ événe ­
V oici, à peu près dans tout son développem ent expli­ m ent n ’ aura pas lieu (ou une exigence déraisonnable
cite, la série d ’ actes qui se dérouleront dans l ’ intel­ de certitude). T anner, Theologia scholastica, Ingol ­
ligence du chrétien, du m oins si son esprit est cultivé stadt, 1627, p. 516. Q ue notre jugem ent sur l ’ événe ­
et exigeant, et doit répondre aux objections du décou ­ m ent dépasse souvent ce m inim um , qu ’ il affirm e
ragem ent : (à tort ou à raison) une très grande probabilité, une
Q uoique m on salut soit un bien surnaturel, où m a certitude m orale de notre salut, soit : m ais ce n ’ est
nature ne peut atteindre, la révélation m e dit que pas là une condition requise pour l ’ espérance chré ­
D ieu a prom is à tous les hom m es cette béatitude tienne, et ce n ’ est qu ’ une conjecture hum aine et
surnaturelle, I Tim ., n, 4, et il est fidèle en ses pro ­ faillible, qui ne repose pas sur la révélation, et ne doit
m esses : donc, m on salut est pratiquem ent possible. pas se confondre avec la certitude souveraine de la
O n peut m ’ objecter que la prom esse du salut est foi.
seulem ent conditionnelle, et qu ’ ainsi tout dem eure en 2° Intellectualisme à éviter. — Le préam bule intel ­
suspens. M ais si la prom esse du salut est condition ­ lectuel, du m oins dans son m inim um , est absolum ent
nelle, la prom esse du secours de la grâce ne l ’ est pas : nécessaire à 1 ’ espérance. 11 lui est tellem ent enchaîné,
je suis sûr d ’ avoir en toute hypothèse le secours divin que parfois, passant aisém ent d ’ un bout de la chaîne
suffisant pour pouvoir m e sauver. O n peut m ’ objecter à l ’ autre, et les confondant entre eux, nous appelons
encore les tentations terribles qui viendront m 'assail­ < espérance » ce jugem ent lui-m êm e, cette previsi· /-
lir. M ais, là aussi, le secours divin ne m anquera pas. de l ’ avenir, com m e si « espérer » était un acte int-rilec
I C or., x, 13. O n peut m ’ objecter enfin que le secours tuel. « Q u ’ espérez-vous de cette dém arche î ■ c ’ st
de la grâce dem ande m a coopération pour arriver dire que pensez-vous de son utilité, de son résultatf
au but; que cette coopération n ’ est pas certaine « U n événem ent inespéré, » c ’ est-à-dire im prévu.
com m e le secours lui-m êm e, et qu ’ elle finira par m an ­ « Il a peu d ’ espoir qu ’ il retrouve son argent, > c ’ est-a-
quer, vu la faiblesse et la m obilité de m a volonté. Je dire peu de probabilité. Ces abus de langage ont décr a-
suis bien forcé d ’ avouer que m a coopération future certé quelques théologiens peu connus, qui ont : is
615 E S P ÉR A N C E GIG

l ’ espérance pour un acte de connaissance, tandis que le ne regarder qu ’ un côté de la question, est légitim e,
sentim ent com m un de l ’ Écolc la m et dans la partie quand il s ’ agit non pas d ’ un acte intellectuel, d ’ un
affective. Écoutons, là-dessus, saint B onaventure : jugem ent spéculatif à porter sur le fait futur, juge ­
• E spérer, disent-ils, c ’ est croire ferm em ent qu ’ on ob ­ m ent qui, certes, devrait tenir com pte de tous les élé ­
tiendra quelque chose. O ui, au sens large, « espérer · m ents de la question, m ais d ’ un acte de désir et de
signifie une assez ferm e croyance, qu ’ un bien sera volonté. O n ne dem ande pas à l ’ am our d ’ être im par ­
obtenu par nous-m êm es ou par autrui; ainsi, voyant tial ct d ’ apporter des preuves. V ous avez le droit,
un enfant de bon caractère, on « espère » qu ’ il sera un par exem ple, de préférer votre patrie à toutes les
jour un excellent hom m e. A lors « espérer » équivaut à autres, c ’ est-à-dire de l ’ aim er davantage. M ais si
estim er probable, ce qui est bien un acte intellectuel. vous venez à transform er cette préférence toute affec ­
M ais, l ’ acception est im propre. » /n IV Sent., 1. III, tive en préférence intellectuelle, si, par jugem ent,
dist. X X V I, a. 2, q. v, ad3 “ ” , Opera, Q uaracchi, 1889, vous considérez votre patrie com m e étant objecti ­
t. m , p. 580. vem ent au-dessus de toutes les autres, c ’ est alors
Si l ’ espérance théologale était réellem ent un acte qu ’ on peut vous reprocher le m anque de preuves ct
intellectuel, elle ferait double em ploi avec la foi, qui d ’ im partialité. D e m êm e, en face des difficultés, vous
suflit par elle seule à fonder, aussi solidem ent que faire pouvez grandir à volonté votre courage et votre con ­
se peut, la prévision de notre salut. O n ne verrait fiance, comme si vous étiez sûr du succès; on ne peut
donc pas pourquoi D ieu nous a donné deux vertus in ­ vous reprocher cet optim ism e du cœ ur, il est peut-être
fuses différentes, la foi et l ’ espérance; c ’ est la rem arque héroïque. M ais, si vous passez de là à l'optim ism e
de saint Thom as. In IV Sent., 1. Ill, dist X X V I, q. it, du jugem ent, si, d ’ après la vivacité, de vos im pressions,
a. 4. Encore si cette espérance prétendue intellec ­ vous prétendez prédire la réussite com m e certaine, on
tuelle pouvait ajouter à la foi quelque perfection ap ­ pourra vous traiter non pas de héros, m ais de naïf.
partenant à l ’ ordre de la connaissance. M ais elle A insi, pour l ’ espérance chrétienne : nous avons le
n ’ ajoute ni plus de certitude du salut, nous venons droit d ’ en faire croître la force et la ferm eté, non pas
de le voir, ni plus de clarté de vision; saint Paul nous seulem ent par un surplus de preuves, m ais aussi en
dit que celui qui espère ne voit pas l ’ objet espéré. nous absorbant dans la pensée des attributs divins qui
H orn., vm , 24. Il faut donc, avec l ’ unanim ité m orale m ontrent, soit l ’ excellence de la possession de D ieu,
des théologiens,m aintenir cette différence fondam en ­ soit la possibilité de l ’ atteindre, et en laissant dans
tale entre la foi et l ’ espérance, que la prem ière, bien l ’ om bre, pour le m om ent,les raisons de craindre notre
qu ’ aidée par la volonté, est dans l'intelligence, tandis défaut de coopération à la grâce. O ublions-nous nous-
que la seconde, bien qu ’ aidée par l ’ intelligence, est m êm es, et notre espérance grandira. Ce procédé ne
dans la volonté. V oir Foi. saurait être trop recom m andé aux âm es craintives,
Le protestantism e a beaucoup contribué à brouiller tourm entées par l ’ incertitude du pardon de leurs
ces deux notions, à confondre ces deux vertus. O n fautes, ou de leur persévérance et de leur salut. Ce
écrit encore aujourd ’ hui : « L ’ espérance est le visage qu ’ il leur faut, ce n'est pas un raisonnem ent introu ­
de la foi tourné vers l ’ avenir... Elle n ’ est pas quelque vable qui rende certain ce qui reste incertain · c ’ est la
chose de surajouté à la foi. L'espérance est foi, et la distraction, l'oubli des sujets de crainte, les paroles
foi est une assurance et une certitude de ce que l'on et les lectures qui portent à la confiance. M ais si nous
espère. H eb., xi, 1. L a charité est aussi espérance, voulions transporter dans l ’ ordre intellectuel ce pro ­
puisqu ’ il est dit qu ’ elle espère tout. I Cor., xm , 7. » cédé unilatéral et partial, et déclarer qu'il n'y a
H erzog -H auck, Realencyklopâdie fiir protestantische rien à craindre de notre faiblesse, qu'elle est dans
Théologie, 1900, t. vin, p. 233. Sans doute la foi sou ­ l'affaire du salut une quantité négligeable, nous sor ­
tient l ’ espérance; et la charité régnant dans un cœ ur tirions de nos droits et de la vérité.
pousse à pratiquer toutes les vertus, et, en ce sens, 3° Certitude de l’espérance. — Ce que nous venons
saint Paul dit que la charité souffre tout patiem m ent, de dire peut servir à m ontrer le vice du systèm e de
qu ’ elle croit, qu ’ elle espère. M ais ces liaisons étroites L uther. Encore m oine, agité par les anxiétés de sa
entre les vertus ne détruisent pas leur individualité conscience, il cherche le repos dans la confiance du
propre, et n ’ en font pas une seule chose, quand saint pardon. M ais, en sim pliste et en outrancier qu ’ il est,
Paul, avec insistance, en com pte plusieurs. I Cor., il veut faire de cette confiance le tout de l ’ âm e, ex ­
xm , 13. A u reste, d ’ autres protestants m odernes clure tout ce qui devrait l ’ accom pagner et la m ettre
distinguent un peu m ieux l ’ espérance de la foi : « O n au point, la crainte salutaire, les bonnes œ uvres, la
peut définir l ’ espérance, le désir d ’ un bien futur, ac ­ contrition des péchés, le sacrem ent de pénitence,
com pagné de la foi en sa réalisation. · H astings, Dic­ toutes choses qu ’ il finira par attaquer ouvertem ent
tionary of the Bible, 1899, t. n, col. 412. com m e inutiles et nuisibles. Pour exalter ainsi la
U ne autre espèce d ’ intellectualism e m oins radical, confiance aux dépens de tout le reste, il arrive à lui
m ais qu ’ il faut fuir aussi dans la théorie de l'espérance, donner des proportions dém esurées; et, com m e il
serait de vouloir établir une équation parfaite entre la confond, par un fâcheux intellectualism e, avec le
la probabilité plus ou m oins grande qui nous apparaît jugem ent qui la précède et la conditionne, il veut
en faveur de l ’ événem ent futur, et la force ou l ’ inten ­ que ce jugem ent sur le pardon divin n ’ en exprim e
sité plus ou m oins grande de l ’ espérance : com m e si pas seulem ent la possibilité, la probabilité bien grande,
l ’ accroissem ent de cette force ne pouvait venir que m ais l ’ absolue certitude. D ’ après lui, nous devons
d'une conclusion m ieux prouvée. Il faut un préam ­ croire com m e article de foi que nos péchés nous sont
bule intellectuel, nous l ’ accordons : il faut arriver pardonnés. C 'est m êm e l ’ unique article im portant
à ce jugem ent pratique que nous pouvons prudem ­ à croire pour que D ieu nous pardonne, en effet, et
m ent nous livrer à l ’ espérance. M ais, une fois cette nous sauve : c ’ est la « foi justifiante », qui tient lieu de
condition posée, la force du désir, la force du cou ­ tout.
rage et de la confiance ne dépendra pas uniquem ent N ous n ’ avons pas à relever ce que cette théorie
de la perfection intellectuelle de nos raisonnem ents, a de com prom ettant pour le vrai concept de la foi.
de l ’ étude com plète que nous aurons faite de la ques ­ V oir Foi. N ous ne la jugeons ici que dans son rapport
tion. C ette force peut s ’ augm enter autrem ent, par avec le préam bule intellectuel de l ’ espérance, et nous
exem ple, de ce fait, que je m ’ absorbe dans la contem ­ disons : Q uand il s ’ agit d ’ un jugem ent absolum ent
plation des raisons d'espérer, sans regarder atten ­ certain, il faut des preuves proportionnées : où sont-
tivem ent les raisons de craindre. E t cette m éthode, de elles ? Il est certain, dites-vous, il est de foi divine
617 E S PÉ R A N C E 618

que D ieu m e pardonne en ce m om ent. E st-ce qu ’ il Q uant à l ’ explication positive de cette fom j e
vous le dit? Le concluez-vous d ’ une révélation géné ­ théologique, saint B onaventure nous avertit qu tse
rale et conditionnelle, qui vous m ontre le pardon n ’ est pas facile. L a difficulté V 'ent de ce que i e-; -
attaché à certaines conditions de votre part ? Êtes- rance en général est regardée plutôt com m e ayant
vous sûr de réaliser ces conditions? O u bien, le con ­ un objet incertain, voir plus haut, col. 61". et de e
cluez-vous de quelques ém otions qui peuvent n ’ avoir que l ’ espérance chrétienne elle-m êm e, d ’ après la doc ­
d ’ autre origine qu ’ une excitation nerveuse. Il ne vous trine de l ’ Église, a un objet incertain, ie pardon et e
reste qu ’ à recourir à cet illum inism e qui, à toutes les salut de celui qui espère. D e plus, tout le m onde en ­
époques, a sévi parm i les protestants. A ujourd ’ hui tend par « certitude » une perfection purem ent intel ­
encore, dans plusieurs sectes, chaque fidèle doit avoir lectuelle; or, l ’ espérance n ’ est pas un acte intellec ­
son grand jour de conversion, où D ieu est censé lui tuel m ais affectif, voir plus haut, col. 615; com m ent
apparaître, lui certifier son pardon ou son salut. donc peut-elle être certaine? Il y a deux réponses à
W illiam Jam es, dans son livre des Variétés de l'expé­ cette difficulté, deux explications de cette - certi ­
rience religieuse, en donne de curieux exem ples. Cf· tude de l ’ espérance ». Elles ne se contredisent point
Éludes du 20 octobre 1907, p. 214 sq. d ’ ailleurs, et peuvent s ’ additionner.
Le concile de T rente a donc sauvesardé le bon sens La première explication, qui nous parait la m eil ­
aussi bien que la foi, par cette définition : leure, c ’ est qu ’ il y a une certaine analogie entre la
N em ini fiduciam et certi ­ O n ne d o it pas d ire que les certitude proprem ent dite et certaines qualités de l'es ­
tudinem rem issionis pecca ­ péchés sont pardonnés A q u i ­ pérance, com m e la ferm eté du courage en face des
torum suorum jactanti et in conque vante sa confiance difficultés et dans ce courage, la sérénité, la sécurité,
ea sola quiescenti peccata et la certitu d e de la rém is ­ le calm e de la confiance. V oir plus haut, col. 609. La
d im itti vel dim issa esse d i ­ sion de ses péchés et se re ­ certitude n ’ a-t-elle pas, elle aussi, sa ferm eté opposée
cendum est... V ana hæ c et pose uniquem ent là-dessus...
au doute? C om m e repos de l ’ intelligence dans le vrai,
ab om ni p ietate rem ota fi ­ C ette confiance est vaine et
ducia. Sed neque illud asse ­ bien loin de la piété. 11 ne
n ’ a-t-elle pas sa tranquillité, sa sécurité? L ’ analogie
rendum est oportere eos,qui faut pas d ire non plus que est incontestable. O r, si l ’ on peut, à cause d ’ une pa ­
vere ju stificati sunt, absque les vrais justes doivent se reille analogie, transporter A un de nos cinq sens les
ulla om nino d u b itatio n e persuader sans le m oindre m ots qui ne conviennent proprem ent qu ’ à un autre,
apud sem etipsos statuere se d o u te , qu' i 1s sont j u st i fiés..., et parler de la » gam m e des couleur», de la blancheur
esse justificatos... quasi qui com m e si , en dehors de cette de la voix ». etc., on pourra aussi transporter le nom
hoc non cred it, de D ei pro ­ persuasion, on d o u tait des
de · certitude » d ’ une faculté à l ’ autre, de l ’ intelligence
m issis deque m ortis et re ­ prom esses de D ieu et de Γ ef ­
surrectionis C hristi efllcacia ficacité de la m ort et de la ré ­
à la volonté, pour signifier la sereine ferm eté d ’ un
d u b itet. N am , sicut nem o surrection du C hrist. C ar, si m ouvem ent affectif. Le chrétien qui espère n ’ a pas
pius de D ei m isericordia, de l'on ne p eu t sans im piété de son salut la certitude proprem ent dite, qui chasse
C hristi m erito deque sacra ­ douter de la m iséricorde de de l ’ esprit la trépidation du doute : m ais il a quelque
m entorum v irtu te et effica ­ D ieu,du m érite d u C h rist et chose d ’ analogue, le courage tranquille et confiant
cia d u b itare debet : sic qui ­ de la v ertu des sacrem ents, qui chasse de la partie affective le trouble, la trépi ­
libet, dum seipsum suam que on peut toujours, quand on
dation de la terreur, l ’ abattem ent du désespoir. Son
propriam infirm itatem et se regarde soi-m êm e et sa
indispositionem respicit, de propre faiblesse et son peu
intelligence peut douter quand il considère sa fai­
sua g ratia form idare et ti ­ de disposition, craindre et blesse, son courage ne chancelle pas.
m ere potest, cum nullus scire redouter de n 'être pas en C ette explication est indiquée par saint Thom as,
valeat certitu d in e fidei, cui état de grâce, personne ne quand il nous dit que la certitude est prem ièrem ent
non potest subesse falsum , pouvant savoir d ’ une certi ­ et proprem ent dans la connaissance, m ais qu ’ elle
se gratiam D ei esse conse ­ tu d e infaillible de foi, qu'il peut se trouver ailleurs per similitudinem; que J la
cutum . Sess. V I, c. ix , D cn- est en grâce avec D ieu.
zinger, n. 802 (684).
certitude de la foi est intellectuelle, m ais la C ertitude
de l ’ espérance est affective »: qu ’ à la certitude de la
A ux yeux du sim ple bon sens, quand il s ’ agit d'un foi s ’ oppose le doute, à la certitude de l ’ espérance, la
jugem ent certain, il faut tenir com pte de tous les défiance ou l ’ hésitation. · In IV Sent., I. III, dist.
élém ents de la question. Le fait de m on pardon ne X X V I, q. m , a. 4. Saint B onaventure ajoute; · Q uoi­
dépend pas seulem ent des prom esses de D ieu et des que ces deux certitudes soient différentes, cependant
m érites du C hrist, m ais aussi des obstacles que je elles ont ceci de com m un, qu'elles ont chacune une
puis y m ettre, de la valeur réelle de m a foi et de m es certaine fermeté. La foi afferm it l'intelligence contre
autres dispositions, ce qu ’ il m ’ est difficile d ’ apprécier. l ’ incrédulité; l ’ espérance afferm it la partie affective
A fortiori pour m on avenir et m on salut : je ne puis contre la défiance... c ’ est une certaine adhésion vi ­
savoir avec certitude si m a coopération à la grâce ne rile. » In IV Sent., 1. Ill, dist. X X V I, a. 1, q. v. « La
m anquera pas un jour. A ussi, le concile ajoute : certitude de l ’ espérance, disent les Salm anticenses,
Si quis m agnum usque in S iquelqu ’ u n d itq u 'ilau ra
consiste dans la ferm eté et la déterm ination de la
finem perseverantiæ donum certainem ent, d 'u n e certi ­ volonté à atteindre le salut, et non dans la déterm ina ­
se certo h ab itu ru m absoluta tu d e absolue et infaillible, tion d ’ un jugem ent énonçant qu'on sera sauvé. La
et infallibili certitu d in e d i ­ ce grand don de la persévé ­ perte du salut, qui arrive à plusieurs de ceux qui l ’ ont
xerit, nisi hoc ex speciali rance finale, hors le cas ex ­ espéré, convaincrait de fausseté un tel jugem ent s ’ il
revelatione d id icerit, ana ­ ceptionnel d ’ une révélation avait précédé, m ais elle n ’ em pêche nullem ent la dé ­
them a sit. Sess. V I, can. 16, particulière, q u 'il so it ana ­ term ination et la ferm eté de cœ ur, tant que dure
D enzinger, n. 826 (708). C f. thèm e.
can. 15.
l ’ espérance (ainsi, le m alheur final ne prouve nulle ­
m ent qu ’ on n ’ ait pas véritablem ent espéré, ni qu'on
Ces définitions m ettent au point la form ule deve ­ ait espéré sans m otif, ou sans ferm eté) ». D isp. II, n. 33.
nue com m une parm i les théologiens : « L ’ espérance est Seulem ent, après cette explication, on peu'. ■
certaine. » Elles nous disent au m oins dans quel sens dem ander si les anciens théologiens n ’ auraient pas
il ne faut pas la prendre : aucun jugem ent absolu ­ m ieux fait de parler d ’ espérance · ferm e », expres ­
m ent certain sur le fait de notre salut personnel ne sion plus générale et convenant aussi à la v o l -·.· .
doit être exigé pour l ’ espérance ou la confiance, de plutôt que d ’ espérance « certaine ·. expressi m - - .--
quelque m anière que ce soit; soit que l ’ on confonde un vée à l ’ intelligence. Q ue voulez-vous? C om m entant ie
tel jugem ent avec l ’ espérance ou la confiance, soit texte du M aître des Sentences, ils y prenaient la defi­
que l ’ on en fasse seulem ent un préam bule nécessaire. nition de l ’ espérance. E t le Lom bard, qui ne sem ble
619 E S P ÉR A N C E 620

pas avoir eu de l ’ espérance une notion bien appro ­ leur faute; et, dans ceux-là m êm es où elle se rencon ­
fondie, et ne la touche qu ’ en passant, leur offrait cette trera un jour, elle n ’ est pas révélée, et, par suite, ne
définition : « L ’ espérance est une attente certaine peut être l ’ objet de foi infaillible et divine. D e là, à
de la future béatitude, » etc. S. B onaventure, Opera, côté d ’ une possibilité d ’ espérer, une possibilité de
Q uaracchi, t. ni, p. 553. Il avait pour lui un m ot de craindre. S'il est essentiel à l'espérance de supprim er
saint A ugustin sur « l ’ espérance certaine ». E t puis, les anxiétés troublantes, les terreurs exagérées et
les grands docteurs de la scolastique ne pouvaient nuisibles, il ne lui est nullem ent essentiel de sup ­
prévoir l ’ abus que feraient un jour les protestants prim er toute crainte. E t si l ’ on est libre, pour m ieux
de cette certitude de l ’ espérance ou de la confiance. espérer, de s ’ absorber dans la contem plation des pro ­
Ce qui est rem arquable, c ’ est que le principal texte m esses divines et des divins attributs qui les carac ­
scripturaire apporté pour la « certitude » de l ’ espé ­ térisent, en oubliant pour le m om ent sa propre fai­
rance, ne dit rien de plus que la « ferm eté » en général. blesse, voir plus haut, col. 614, on est libre aussi de
C ’ estle texte qui a donné à l ’ art chrétien le pittoresque considérer, à d ’ autres m om ents, cette faiblesse hu ­
em blèm e de cette vertu, une ancre de navire : « L ’ es ­ m aine qui peut tout perdre, et de redouter les sanc ­
pérance, qui est pour notre âm e une ancre sûre et tions que D ieu a voulu joindre à sa loi, apparem m ent
ferm e. » H eb., vi, 19. L a ferm eté de l ’ ancre qui pour qu'elles nous servent quelquefois à nous éloigner
s ’ agrippe au fond des eaux n ’ est pas forcée de signi­ du m al par une crainte salutaire. C ’ est ce qu ’ indiquait
fier quelque chose d ’ intellectuel, et peut aussi bien plus haut le concile de T rente. V oir col. 617. L ’ espé ­
sym boliser le désir courageux du ciel, qui dans les rance et la crainte, bien qu ’ elles fassent sur l ’ âm e
grandes épreuves em pêche la volonté de se laisser en ­ des im pressions contraires, pensent se coordonner au
traîner à la dérive, la tranquille confiance qui fixe m êm e but : la crainte peut s ’ em ployer à rendre plus
ses inquiétudes. Ce qui est non m oins rem arquable, sûre l ’ acquisition de l ’ objet espéré. « Poursuivre un
c ’ est que le concile de T rente évite le m ot de « cer ­ bien com m e fait l'espérance, fuir un m al com m e fait
titude » pour em ployer le m ot plus vague de « fer ­ la crainte, voilà qui paraît opposé, dit G uillaum e
m eté », firmissimam spem. V oir plus haut, col. 608. d ’ A uvergne, et cependant, on n ’ a pas l ’ un sans l ’ autre.
L ’ Église n ’ a pas autrem ent défini cette qualité de Personne n ’ arrive au bonheur des divines prom esses
l ’ espérance chrétienne. sans échapper au m alheur des divines m enaces... D e
L a seconde explication, qui est très répandue, prend plus, la crainte est un rem ède contre la présom ption ;
la certitude au sens propre du m ot : seulem ent, elle ce contrepoids, ce régulateur retient l ’ espoir et le pré ­
n ’ en fait pas une qualité intrinsèque de l ’ espérance, serve d ’ une élévation ruineuse. » De moribus, c. ni,
m ais une pure dénom ination qui lui vient de l ’ acte de Opera, Paris, 1674, p. 196.
foi précédent, en qui réside la certitude. D e m êm e que E n som m e, l ’ incertitude de notre salut m et notre
nous appelons « volontaire » un m ouvem ent du corps âm e entre deux courants contraires d ’ espérance et
fait sous l'influence d'un acte de la volonté, ainsi, de crainte, auxquels elle peut se livrer successive ­
sem ble-t-il, nous pouvons dénom m er « certain » un m ent. Ces deux courants se tem pèrent l ’ un par l ’ autre :
m ouvem ent de la volonté fait sous l ’ influence d'un l ’ espérance retient la crainte dans de justes bornes,
jugem ent certain de la foi. pour qu ’ elle n ’ am ène pas le trouble ou le désespoir;
C 'est l'explication de saint Thom as, dans Π» Ilæ , la crainte em pêche l'espérance de dégénérer en pré ­
q. XVIII, a. 4. A illeurs, il explique de m êm e com m ent som ption et en laisser-aller. Suivant qu ’ une âm e
le nom de fiducia vient de fides, quoique la confiance, fait prédom iner dans sa vie norm ale l ’ un de ces deux
fiducia, soit dans la volonté ct non dans l ’ intelligence : . courants, ou fait prédom iner sur tous les deux le m o ­
« D e cette croyance, fides, qui précède, dans l ’ intelli — | tif de la chanté parfaite, U y a lieu de distinguer avec
gence, le m ouvem ent qui suit dans l ’ appétit, reçoit les Pères différentes catégories de chrétiens.
le nom de fiducia. Le m ouvem ent appétitif reçoit une L uther et C alvin, parce qu ’ ils voyaient dans la con ­
dénom ination tirée de la connaissance qui précède, fiance l ’ unique m oyen de salut dont on ne saurait
com m e un effet tire son nom de sa cause plus connue abuser, et qu ’ ils y faisaient entrer la certitude ab ­
que lui . ear la force qui connaît saisit m ieux son acte solue du salut personnel, sont arrivés logiquem ent à
propre que celui de la force appétitive. » A perçu pro ­ condam ner la crainte. Sur la légitim ité et futilité de
fond qu ’ indique en passant le grand docteur. Il est la crainte de l ’ enfer, voir C r a i n t e , A t t r i t io n .
naturel que notre force de connaître, en se réfléchis ­ Q uand saint Paul dit que l ’ espérance ne fera pas
sant sur elle-m êm e, voie m ieux ce qui se passe en elle, honte, οΰ -χαταισχύνει, spes non confundit, R om ., v,
ce qui sort d ’ elle, et au contraire analyse m oins bien ce 5, faut-il en conclure que l ’ événem ent espéré, le sa ­
qui est le fait d ’ une autre force. D e là, sans doute, la lut, arrivera infailliblem ent?N on; m ais lors m êm e que
précision que m et notre raison dans l ’ analyse de ses le chrétien qui a espéré sera couvert de confusion à
opérations logiques, et le vague qu'elle rencontre cause des péchés qui l'auront perdu, il restera vrai que
dans l ’ analyse de ce qui est sentim ent, am our, vo ­ son espérance surnaturelle ne lui fera pas de honte.
lonté. D e là aussi cette tendance ultra-intellectualiste Q uand est-ce que l ’ espérance fait rougir? Q uand elle
dont doivent se défier le psychologue et le théologien, a été futile, m al fondée, im prudente; quand elle a
et qui consiste à transposer dans l ’ ordre intellectuel, désiré un faux bonheur, poursuivi com m e but de la
pour les analyser plus facilem ent, des actes purem ent vie un vain fantôm e; quand elle s ’ est fiée, pour at ­
affectifs; c ’ est ce qui est arrivé à l ’ espérance elle- teindre son but, à des secours débiles, à des pro ­
m êm e. V oir plus haut, col. 614 sq. m esses trom peuses. Si telle est l ’ espérance du m ondain
4° Conciliation de l'espérance avec la crainte salu­ et de l ’ im pie, Jer., xvn, 5 sq.; Sap., v, 15,16, ce n ’ est
taire. — Les auteurs nom breux qui donnent cette pas le cas de l ’ espérance surnaturelle, prudente, bien
seconde explication font rem arquer avec raison que m otivée, poursuivant le seul vrai bonheur, avec l ’ aide
l ’ espérance est « certaine du côté de D ieu, incertaine puissante de la grâce divine. Il n ’ y a pas à rougir d ’ un
du côté de l'hom m e, » en d ’ autres term es, que le juge ­ tel acte, quoi qu ’ il advienne. Cf. R ipalda, De spe,
m ent infaillible de la foi, d ’ où l ’ expérience tire cette dist. X X V , n. 68, Paris, t. vin, p. 135.
dénom ination de certitude, porte uniquem ent sur les V . L ’e s p é h a n c e c o m m e a c t e a f f e c t i f ; a n a l y s e
prom esses divines, sur les attributs divins , toutes p l u s a p p r o f o n d ie . — 1° Théorie de l’amour; nature
choses inébranlables qui ne peuvent faire défaut, de l’amour qui est ά la base de l’espérance. V oir plus
H eb., vi, 17, 18, m ais qu ’ il ne porte pas sur la persé ­ haut, col. 609. — C ’ est un am our intéressé, en ce sens
vérante coopération des hom m es, qui peut m anquer par que celui qui espère aim e un bien pour soi, et cherche
621 E S P ÉR A N C E 622

son intérêt personnel. I.e langage usuel attache cette ces paroles de saint Thom as : « L ’ essence du bien ce ré ­
idée au m ot « espérance » et, c ’ est ainsi qu ’ « espérer » siste en ce qu ’ un objet réponde à l ’ appétit, sif u-.-ti-
. est pris dans ce texte où Jésus prêche le désintéresse- bile. » Sum. theol., I», q. v, a. 1. ■ L ’ objet qui m eut la
I m ent : « A im ez, vos ennem is, faites du bien et prêtez volonté, c'est le bien convenable connu, lx m le·.
ι sans rien espérer en retour. » Luc., vi, 35. Saint A u ­ q. vi, a. 1. V oir B i e n , t. n, col. 836.
gustin, dans le passage de son Enchiridion que nous Le sujet rencontrant ainsi le bien par la conn is-
avons cité, est form el : « L ’ espérance ne porte que sance, s ’ y com plaira. « L ’ am our n ’ est que la com ­
sur un bien, et sur un bien futur et sur le bien per­ plaisance dans un bien... L ’ am our im plique une com ­
sonnel de celui qui espère. «V oir col. 606. Saint Thom as plaisance de celui qui aim e en ce qu ’ il aim e. · Siur.
l'affirm e clairem ent, nous le verrons bientôt. Saint theol., I» llæ, q. xxv, a. 2; q. xxvn, a. 1. C ette c· m -
François de Sales dit de l ’ espérance théologale : plaisanceest un acte si sim ple qu ’ on ne peut le r< < ■ : ire
■ L ’ am our que nous pratiquons en l ’ espérance, Théo- en élém ents, l ’ analyser, quoique l ’ expérience nous en
tim e, va certes à D ieu, m ais il retourne à nous; il a donne une idée claire. Saint Thom as cherche à la dé ­
son regard en la divine B onté,m ais il a de l ’ égard à crire par « une sorte d ’ adaptation · vitale, « une sorte
notre utilité... E t partant, cet am our est vraim ent de consonance », le sujet se sentant com m e à l ’ unisson
am our, m ais amour de convoitise el intéressé. » Traité de l ’ objet. Sum. theol., I» fl® q. xxvi, a. 2; q. xxrx,
de l’amour de Dieu, I. II, c. xvxi,fEm >res, A nnecy, 1894, a. 1. L ’ am ourpeut s ’ arrêtera cet acte incom plet: m ais
t. iv, p. 143. C ’ est bien ainsi,d ’ ailleurs, que les fidèles il peut aussi .aller plus loin, com m e nous allons voir.
pratiquent l ’ espérance chrétienne. Enfin, la condam ­ Jusqu ’ ici, l ’ am our ne supposait que deux term es :
nation des propositions de Fénelon ajoute à tout cet le sujet qui aim e, le bien où il se com plaît. D ans son
ensem ble de preuves le suffrage de l ’ Église. V oir plus plein développem ent, il en aura trois, suivant cette
loin, col. 662. autre définition de raint Thom as em pnm tée à A ris ­
Pour se rendre bien com pte de cet am our intéressé tote : Amare nihil aliud est quant'velle 'bonum 'alicui.
il faut rem onter à la théorie générale de l ’ am our, telle Sum. theol., I». q. xx, a. 2. V oilà les truis term es : une
que l ’ établit saint Thom as; nous résum ons ici cette volonté qui aim e, et deux objets diversem ent atteints
théorie, qui n ’ est pas donnée ailleurs dans ce dic ­ par son acte unique, à savoir, un bien qui est direc
tionnaire. tem ent voulu (finis qui), et une personne à l ’ avan ­
A vant tout le saint docteur rem arque en nous, tage de laquelle ce bien est voulu (Unis cui, ou sub/ec-
com m e en tout être, des inclinations naturelles et né ­ tum cui). J ’entends voulu d ’une m anière réfléchie et
cessaires vers certaines fins proportionnées à notre libre, car c ’ est l ’ acte libre qui nous intéresse au point
nature : atteindre ces fins, c ’ est notre bien. « Le bien de vue m oral qui nous occupe. C ’ est ce dernier term e
de chacun, c ’ est ce qui répond à sa nature et lui est qui m anquait à la sim ple com plaisance : grâce à une
proportionné. » Sum. theol., I» II®, q. xxvn, a. 1. abstraction facile, on se passionnait pour un bien (le
Ecoutons un de ses com m entateurs : « D ’ où vient savant pour la science) sans le rapporter à l ’ intérêt de
que tous les êtres ont des inclinations particulières et personne. Ce bien, m aintenant, on le dirige vers
différentes, sinon parce qu ’ ils ont des fins particu ­ l ’ intérêt de quelqu ’ un. C ’ est à une personne qu ’ aboutit
lières auxquelles ces inclinations, qui sont com m e ainsi l ’ am our dans son plein développem ent.
leur poids et leur am our, les déterm inent infaillible ­ Q uelle sera cette personne? La nôtre, ou celle d ’ au ­
m ent? Sans cette déterm ination, ce rapport et cette trui : et de là deux espèces d ’ am our. Supposons, par
convenance, tous les êtres dem eureraient com m e en exem ple, que nous ayons rem arqué en quelqu'un une
suspens, et ils ne pourraient se tourner d ’ un côté grande générosité de cœ ur. La sim ple com plaisance
plutôt que de l'autre. · M assoulié, O . P., Traité de que nous avons prise d ’ abord dans ccttc aim able qua ­
l’amour de Dieu, part. I, c. nr, B ruxelles, 1866, p. 36. lité, peut aboutir ensuite à l ’ un ou à l ’ autre de ces deux
Ces inclinations perm anentes, racines de l ’ am our, notre actes.
conscience ne les atteint qu ’ indirectem ent par leurs 1. A m our intéressé. — V oyant que nous pouvons
effets, leurs actes; nous som m es obligés de nous les profiter de cette générosité d ’ autrui, nous la tournons
figurer à l ’ im age de ces actes, m ieux connus de à notre profit, nous la voulons pour nous m êm es. A lors
nous; aussi les appelons-nous des appétits, des c ’ est la m êm e personne (er/o) qui est le sujet voulant
am ours. « La correspondance naturelle (connatu rali­ et le sujet à qui le bien est voulu. Q uant à celui dont
tas) qu ’ il y a entre le sujet et le term e de sa tendance nous aim ons la générosité, il est aim é, sans doute,
peut être appelée un am our naturel. » Sum. theol., I» à cause de l ’ intim e union entre lui et sa qualité qu ’ on
11«, q. xxvi, a. 1. « N aturel » évoque ici l ’ idée d ’ in- aim e, m ais aim é d ’ un am our de C onvoitise, amore
néité et de nécessité. — Ces inclinations naturelles, concupiscentia!. « A m our intéressé · , pouvons-nous
bien que perfectionnant le sujet, vont à divers objets. dire en français, pour être com pris de tout le m onde.
Elles ne peuvent se résum er toutes dans l ’ am our de É vitons seulem ent d'attacher à ce m ot quelque chose
soi; m ais, à côté de l ’ am our de soi, il y a l ’ am our na ­ d ’ essentiellem ent odieux; ce serait préjuger la ques-
turel de l ’ ordre et de la justice, l ’ am our naturel de I tion. Ce sens péjoratif ne se rencontre pas toujours
D ieu, etc. V oir A p p é t i t , 1.1, col. 1692, 1693, 1696. en notre langue : par exem ple, quand nous disons à
Q uant à l ’ am our proprem ent dit, qui est un acte quelqu ’ un que nous lui faisons une visite intéressée,
véritable dont nous avons conscience, il ne com ­ et nous avons entendu saint François de Sales appeler
m encera qu ’ à la rencontre d ’ un sujet capable de con ­ l ’ am our surnaturel d ’ espérance « am our de convoi ­
naître et d ’ aim er, avec un objet bon, c ’ est-à-dire ré ­ tise et intéressé ».
pondant à quelqu ’ une de ses inclinations innées. Le 2. A m our désintéressé. — Si cette qualité d ’ un
bien, en effet, ne dépend pas sim plem ent d ’ un ca ­ autre, cette générosité, par exem ple, nous pénétré
price actuel qui jugerait bon n ’ im porte quoi. Le bien, jusqu ’ à nous enthousiasm er pour lui, jusqu ’ à conce ­
c ’ est ce qui correspond aux tendances m esurées à voir pour lui ce m ystérieux élém ent de l ’ am our qui
la nature de l ’ être par la sagesse du créateur; et si, échappe à l ’ analyse, et que saint Thom as appelle unio
com m e il arrive dans l ’ hom m e, ces inclinations m ul ­ affectus, Sum. theol., 1 “ II», q. xxvn, a. 2, nous en
tiples peuvent se trouver en conflit les unes avec les viendrons à considérer sa générosité non pas com m e
autres, le bien réel et m oral sera dans leur subordina ­ utile à nous-m êm es, m ais com m e bonne et glorieuse
tion, dans le sacrifice de l ’ une à l ’ autre, accom pli à celui qui en est ennobli et em belli. A lors, nous la
par la liberté hum aine, d ’ après l ’ ordre objectif m ani­ voudrons pour lui, nous souhaiterons qu ’il la garde tou ­
festé. à la raison. C 'est en ce sens qu ’ il faut entendre jours, nous désirerons d ’ autres biens encore à la per ­
G23 E S PE R A N C E 624

sonne aim ée, bonitas ejus (vel aera, vel æslimuta) pro­ car « l ’ am our nous fait songer à l ’ objet aim é, avec
vocat amorem, quo ei volumus et bonum conservari une intensité qui nous détourne d ’ autres pensées, »
quod habet, et addi quod non habet, et ad hoc operamur. soit par l ’ affection et la volonté, car la volonté fait en
Sum. theol., I», q. xx, a. 2. C ’ est l ’am our désintéressé, quelque m anière sortir de soi pour aller chercher au
où la personne à qui on veut le bien est différente de dehors, et se porter vers un autre. » O r, c ’ est dans le
la personne qui aime. Les scolastiques le nom m ent seul am our désintéressé que s ’ accom plit franchem ent
« am our de bienveillance », ou plutôt « am our d ’ am i et pleinem ent cette « sortie de soi », au jugem ent
tié ». C ette dernière appellation part de ce principe, du saint docteur : « D ans l ’ am our de convoitise, celui
que toute am itié digne de ce nom postule le désin ­ qui aim e est d ’ une certaine façon transporté hors de
téressem ent au m oins dans une certaine m esure, soi, en ce sens que, non content de jouir du bien qu ’ il
com m e le dit le bon sens, et saint Thom as avec lui : a en lui, il cherche au dehors. M ais, com m e c ’ est pour
«M êm e dans l ’ am itié hum aine, le véritable am i cherche lui-m êm e qu ’ il cherche ce bien extérieur à lui, il ne sort
plus le bien de son am i que le plaisir de sa présence. » pas franchem ent de lui-m êm e : une telle affection,
In IV Sent., 1. Ill, dist. X X X V , q. i, a. 1, sol. 2«. en définitive, se replie sur lui, et s ’ y renferm e. A u
« L ’ am itié ne ram ène pas à soi le bien qu ’ elle désire contraire, dans l ’ am our d ’ am itié, on sort vraim ent
à autrui; car nous aim ons nos am is, quand m êm e de soi par l ’ affection; car c ’ est à l ’ am i qu ’ on veut du
nous ne devrions rien en retirer. » llrid., dist. X X IX , bien, c ’ est à lui qu ’ on s ’ efforce de procurer ce bien,
q. i, a. 3, ad 2 um . «L ’ am itié dite d ’ intérêt et celle dite c ’ est pour lui qu ’ on en a soin et souci. » Sum. theol.,
de plaisir, par le seul fait que, tout en voulant du bi»n I» II® , q. xxviii, a. 3.
à l ’ am i, elles rapportent ultérieurem ent ce bien au Objection. — C ette « sortie de soi » né donnerait
plaisirou au profit de celui qui aim e, tournent à l ’ am our de la valeur à l ’ acte qu ’ autant que le moi serait essen ­
de convoitise, et pour autant s ’ écartent de la véritable tiellem ent m auvais : ce qui n ’ est pas. — Uéponse.—
am itié. » Sum. theol., 1 “ II*. q. xxvi, a. 4, ad 3 um . Ces Le moi n ’ est pas essentiellem ent m auvais, m ais il est
textes condam nent d ’ avance la triste théorie deL a R o ­ encom brant. L ’ am our de soi, dans l ’ hom m e, dégé ­
chefoucauld : « Ce que les hom m es ont nom m é am itié nère trop facilem ent en égoïsm e destructif de tout
n ’ est qu ’ une société, qu ’ un m énagem ent réciproque autre am our. C ontre ce danger il fallait le spécial
d ’ intérêts et qu'un échange de bons offices; ce n ’ est entraînem ent du cœ ur qu ’ est l ’ am our désintéressé;
enfin qu ’ un com m erce où l ’ am our-propre se propose il fallait, sinon la haine de soi, du m oins l ’ oubli m om en ­
toujours quelque chose à gagner. » Maximes, L X X X III. tané. O n ne sort donc de soi-m êm e que pour m ieux
2° Espérance et charité; leur différence. — C ’ est en s ’ unir avec d ’ autres, avec D ieu. A ussi, saint Thom as
com parant l ’ espérance avec les deux autres vertus joint-il ces deux qualités de l ’ am our : il est « ex ­
théologales, que l ’ on arrive surtout à en préciser la tatique », c ’ est-à-dire qu ’ il fait sortir de soi, et il est
notion. En la com parant avec la foi, nous avons cons ­ « unitif »; extatique pour être unitif, pour faire m ieux
taté que l ’ espérance est un acte affectif et volontaire, « adhérer ». Ibid., a. 1-3. La valeur m orale de l ’ am our
et qu ’ elle présuppose un acte intellectuel de foi, ce désintéressé ne vient donc pas sim plem ent de l ’ oubli
qui explique pourquoi l ’ É criture la nom m e après la de soi, qui n ’ est qu ’ un m oyen de plus grande union
foi, et la fonde sur la foi. V oir plus haut, col. 615. avec une autre personne, m ais aussi et surtout de la
M ais si l'espérance est un acte affectif et volontaire, valeur m orale de cette union, qui vaut ce que vaut
si elle im plique un am our de D ieu, ne risque-t-elle pas la personne à qui l ’ on s ’ unit. Subordonner toute sa
de se confondre avec la charité? E t cependant, elles vie à qui ne justifierait pas un pareil am our, et cela
doivent rester réellem ent distinctes, d ’ après les docu ­ au prix de tous les sacrifices, serait une fausse cheva ­
m ents positifs. V oir plus haut, col. 608. É tablir ra ­ lerie. M ais quand il s ’ agit de s ’ oublier et de se sacri­
tionnellem ent leur distinction, voilà le problèm e qui fier pour m ieux s ’ unir à D ieu, com m e dans la cha ­
s ’ im pose au théologien. rité théologale, alors l ’ am our désintéressé apparaît
Saint Thom as l ’ a résolu par la distinction célèbre dans toute son excellence. — Il n ’ y a donc aucune
de l ’ am our intéressé et de l ’ am our désintéressé, ou, connexion nécessaire entre la doctrine du désintéres ­
en term es scolastiques, de l ’ am our de concupiscence sem ent et une fausse théorie sur la dégradation de la
et de l ’ am our d ’ am itié, telle que nous venons de l ’ ex ­ nature hum aine. Cf. Études du 20 avril 1911, p. 193 sq.
pliquer avec lui. A l ’ un appartient l ’ espérance, à V oir C h a r i t é , t. ni, col. 2227.
l ’ autre la charité. « Il y a, dit-il, un am our parfait 2. I.a distinction réelle de la charité et de l’espérance
et un am our im parfait. Le parfait consiste à aim er trouve en m êm e tem ps son explication facile dans ces
quelqu ’ un pour lui-même, c ’ est-à-dire à vouloir du deux espèces d ’ am our de D ieu, qui par leur profonde
bien à quelqu ’ un pour lui-m êm e, comme un ami différence justifient l ’ infusion de deux vertus surna ­
aime son ami. L ’ im parfait consiste à aim er un ob ­ turelles, distinctes et inégales com m e ces deux am ours.
jet, non pour lui, m ais pour que ce bien nous revienne L ’ une aim e D ieu en tant que bon et profitable pour
à nous-mêmes, com m e on aim e une chose que l ’ on con- nous (bonté relative); l'autre aim e D ieu en tant que
voile (concupiscit). O r, le prem ier am our appartient bon en lui-m êm e et à lui-m êm e (bonté que, par
à la charité, qui s ’ attache à D ieu pour lui-même; m ais opposition à l ’ autre, on est convenu d ’ appeler
l'espérance appartient au second am our : car qui ­ absolue). E t qu ’on n ’objecte pas que, tout en
conque espère, a l ’ intention d ’ obtenir quelque chose D ieu étant infinim ent parfait, ces deux bontés
pour soi. » Sum. theol., Π* II®, q. xvn, a. 8. sont égalem ent parfaites, et par suite, les actes
C ette différence rationnelle ainsi posée entre les qu ’ elles spécifient, égalem ent parfaits. C ’ est vrai que
deux vertus rend com pte de toutes les données de la l'objet divin est toujours aussi parfait; m ais, en
révélation, c ’ est-à-dire de la supériorité de la cha ­ m orale, la spécification ne vient pas seulem ent de
rité sur l'espérance, major autem horum est caritas, de l ’ objet; elle peut venir aussi de certaines circons­
leur distinction réelle, tria hæc, de l ’ ordre dans lequel tances : telle, dans l'am our, cette circonstance qu ’on
elles sont énum érées, spes, caritas. I Cor., xm , 13. veut le bien à un autre, ou à soi-m êm e (ce que l ’ on
1. La supériorité de la charité sur l’espérance trouve peut aussi considérer com m e une sorte de fin, finis
son explication facile dans la supériorité de l ’ am our eut). C ette circonstance, com m e nous l ’ avons expli­
désintéressé sur l ’ am our intéressé, reconnue de tout le qué, introduit une différence notable dans l ’ union du
m onde, et dont saint Thom as donne cette raison pro ­ cœ ur avec D ieu, et sur cette différence est basée la
fonde. Il est de la nature de l ’ am our en général, dit-il, diversité spécifique de l ’ am our désintéressé de cha ­
de nous faire sortir de nous m êm es, soit par la pensée, rité et de l ’ am our intéressé d ’ espérance. Q u ’ au point
625 ESPERAΛCE

de vue purem ent physique, on réduise ces deux am ours n ’ est qu ’ une préparation à l ’ am our d ’ am itié, et -
à un seul, nous n'y voyons pas d ’ inconvénient. Q u ’ on Thom as conclut : Spes et timor ducunt ad
affirm e que saint Thom as a ram ené cette dualité per modum dispositionis cujusdam. Ibid., ad 3- .
à l ’ unité physique, et qu ’ on s ’ efforce de le prouver par O n voit dans quel sens saint Thom as prend
de hautes considérations, en partant d'une interpré ­ form ules, dont a parfois abusé contre l ’ am our <i. -
tation de sa m étaphysique, com m e l ’ a fait avec érudi­ téressc : « Si, par im possible, D ieu n ’ était pas le 1 ·.·. .
tion M . Pierre R ousselot, nous l ’ adm ettons volontiers. de l ’ hom m e, l ’ hom m e n ’ aurait pas de raison de 1 <
Pour l'histoire du problème de l’amour au moyen âge, m er. » II* II® , q. xxvi, a. 13, ad 3 “ “ . « Person
M unster, 1908, dans les Beitrâge zur Gcschiehte der Phi­ n ’ irait à lui, s ’ il n ’ espérait de lui quelque rém un· r. -
losophie des Miltelalters, t. vi. Toujours nous restera- tion. » Comment, in Heb., xi, 6. V oir C h a r i
t-il ce que saint Thom as appelle deux espèces morales, col. 2220, 2223.
irréductibles l ’ une à l ’ autre dans l ’ ordre m oral, secun­ 3° Théories fausses ou incomplètes sur la differ :
dum speciem moris, secundum conditiones morales. de l’espérance et de la charité. — A insi, la différence
Sum. theol.. I· IP , q. i, a. 3, ad 3 “ ">; q. xvin. a. 7, fondam entale assignée par saint Thom as, que l'es ­
ad l um . E t cela nous suffit dans la question toute m o ­ pérance appartient à l'am our intéressé, la charité à
rale de la valeur des diverses form es de l ’ am our. l ’ am our désintéressé, rend com pte (com m e il la
3. L ’ ordre dans lequel sont énum érées les deux ver ­ m ontré lui-m êm e) de toutes les données de la reve ­
tus dans la révélation, spes, caritas, ne va évidem m ent lation sur les rapports de ces deux vertus. Il n ’ en est
pas du plus parfait au m oins parfait, puisque la pas de m êm e des autres différences, que certains théo ­
charité est donnée com m e la plus parfaite des vertus, logiens ont voulu substituer à celle-là.
m ais au contraire du m oins parfait au plus parfait; Q uelques-uns, s ’ em parant d ’ un m ot de saint Tho ­
c ’ est l ’ ordre de genèse et de développem ent, ordo m as dans son com m entaire sur les Sentences, 1. III.
secundum viam generationis, dans lequel 1 ’ im parfait dist. X X V I, q. n, a. 3, sol. 1», ad 4 um , disent : la
précède le parfait. Sum. theol., Il* II® , q. xvu, a. 8. charité a pour objet un bien considéré sim plem ent
L ’ espérance qui vient d ’ abord, est nécessaire au déve ­ com m e bien, bonum simpliciter', l ’ espérance a pour
loppem ent de la charité; et saint Thom as en trouve objet le m êm e bien considéré com m e difficile, ut -si
l ’ explication dans ce fait, que le m otif intéressé est le arduum el difficile. Saint Thom as n ’ ertend pas don ­
prem ier qui agisse sur nous, et que le m otif désinté ­ ner ici la différence unique ou principale entre les deux
ressé a m oins de prise, et a besoin d ’ être introduit peu vertus, ou du m oins il a ensuite corrigé sa m anière de
à peu. Le m otif intéressé sert d ’ abord à nous purifier voir, dans les endroits de la Som m e que nous avons
du péché et à préparer les voies : « C om m e on est cités. « D e plus, si l ’ espérance se distinguait ainsi de l.i
introduit à l ’ am our de D ieu par le seul fait qu ’ on charité, il faudrait que la charité précédât l ’ espérance,
cesse de l ’ offenser, grâce à la crainte des peines..., ainsi car on com m ence par aim er un bien sim plem ent <
Vespérance sert d ’ introduction à la charité,en ce sens lui-m êm e avant de l ’ aim er (ou de le chercher), com m e
que celui qui espère la récom pense que D ieu lui difficile (ou m algré la difficulté). * A versa, général dis
donnera est poussé à l ’ aim er et à garder ses com m an ­ clercs réguliers m ineurs,D e fide, spe et caritate, V enise.
dem ents. » Ibid. La base de cette théorie est un fait 1660, p. 318.
psychologique indéniable, que les positivistes de nos D ’ autres ont représenté la charité com m e plus
jours ont exprim é par « le passage de l'égoïsm e à l ’ al ­ simple, elle aim e; l ’ espérance com m e plus complex·
truism e. » Saint Thom as l ’ a em prunté soit à la doc­ elle ajoute â cet am our le désir, le courageux m épris
trine de saint B ernard sur les quatre degrés ou les des difficultés et la confiance. M ais alors l'espérance
quatre étapes de l ’ am our de D ieu, Liber de diligendo aurait tout ce qu ’ a la charité, et quelque chose de plus :
Deo, c. vm -x, P. L., t. c l x x x i i , col. 987 sq., soit à com m ent s ’ accorderait-on avec cette donnée de la révé ­
cette parole d'A ristote : « Les sentim ents d ’ affection lation, que « la charité est plus grande »?
qu ’ on a pour scs am is, et qui constituent les vraies D ’ autres s ’ appuient sur ces paroles de saint T ho ­
am itiés, sem blent tirer leur origine de ceux qu ’ on a m as : Idem bonum est objectum caritatis et spei : sed
pour soi-m êm e. » Morale. à Nicomaque, 1. IX , c. iv, caritas imported unionem ad illud bonum, spes autem
trad. B arthélem y Saint-H ilaire, 1856. t. n, p. 382. distantiam quamdam ab eo. Et inde est quod caritas
M ais le saint docteur ne veut pas qu ’ on entende cela non respicit illud bonum ut arduum, sicut spes : quad
com m e si l ’ égoïsm e était, non seulem ent le point de enim jam unitum est, non habet rationem ardui. Et cx
départ, m ais aussi le point d ’ arrivée et la lin suprêm e hoc apparet quod caritas est perfectior spe. Sum. theol.,
de toutes nos affections : « L ’ affection que l'on a pour 11 “ II® , q. xxiii, a. 6, ad 3 “ m . C ette différence, assi ­
un autre, dit-il, est venue de l ’ am our de soi, non pas gnée ici par le saint docteur,m ontre pourquoi la vertu
comme d’une cause finale, m ais com m e d ’ une chose qui infuse d ’ espérance ne pourra subsister au ciel : parce
précède dans la genèse de cette affection, in via qu ’ elle tend essentiellem ent à un objet « distant ,
generationis. D e m êm e que chacun se connaît avant D ieu n ’ étant présent à nos facultés que par la vision
de connaître les autres et de connaître D ieu, de m êm e intuitive. R om ., vm , 24; II C or., v, 6, 7, 8; cf. I Cor.,
l ’ am our que chacun a pour soi, précède l ’ am our qu ’ il a xiii, 8, 10, 12, 13. A u ciel cette · distance » finira. La
pour un autre, dans l ’ ordre génétique. » In IV Sent., charité, elle, subsistera avec la vision intuitive de
I. Ill, dist. X X IX ,q. i,a. 3, ad 3 “ “ . V ient un m om ent D ieu, n ’ étant pas liée à la « distance ■ de son objet. E t
où « ce n ’ est plus à cause de ses bienfaits que nous cette différence suffit au but que se propose ici saint
aim ons l ’ am i, m ais à cause de sa vertu. » Su;n. theol., Thom as, de m ontrer que la charité est plus parfaite.
11 “ II*, q. xxvii, a. 3. S ’ attacher à lui pour qu ’ il M ais si nous regardons l ’ espérance et la charité seule ­
nous fît du bien, c ’ était le m otif intéressé; m ais s ’ at ­ m ent en cette m e (et nous avons le droit de le faire,
tacher à lui parce qu ’ il nous a fait du bien et nous puisque c ’ est ici seulem ent qu ’ elles existent toutes k -
a ainsi m ontré sa vertu-, c ’ est le m otif désintéressé de deux),cette différence n'est pas la principale entre :·. -
la reconnaissance, bien voisine du plus noble am our. deux vertus infuses. C ar la charité n ’y a pas davan
L a générosité appelle la générosité; les bienfaits tage que l ’ espérance, cette union (unionem ad i.
reçus nous révèlent la bonté de son cœ ur, avec bonum..., quod jam unitum est...), cette presence de
cette vivacité spéciale de l ’ expérience personnelle : son objet, qui ne peut être que par la vision intui· ..· .
com m ent ne pas nous enthousiasm er des belles quali­ O n dira que la charité aim e ce divin objet en.Iais-m t
tés de ce cœ ur, indépendam m ent de notre profit à abstraction de son absence. M ais on ne voit pas bien
nous? A insi, la recherche intéressée des bienfaits ce qu ’ une sim ple abstraction peut lui conférer de supe-
627 ESPÉRANCE 628

riorité réelle. D e plus, celle abstraction n'existe pas m ière plus obscure présage la lum ière plus vive... La
dans tous les actes de la charité. E lle peut très bien crainte n ’ est pas autre chose qu ’ une tristesse avant
désirer D ieu (ce qui suppose l ’ idée de l'absence), dési ­ la tristesse, com m e l ’ espérance une joie avant la joie :
rer sa gloire, etc. C ar, d ’ après les principes de saint car ce que la crainte est à la douleur, l ’ espérance l'est
Thom as, et de tous les scolastiques, habitus virtutis à la joie. » De nominum mutatione, Londres, 1742, t. i,
idem est, qui inclinat ad diligendum, et desiderandum p. 602. Presque au m êm e tem ps où Philon parlait
bonum dilectum, et gaudendum de eo. Sum. theol., ainsi, saint Paul signalait aussi la joie de 1 ’ espérance,
11 “ II», q. xxvrii, a. 1; cf. q. xxix, a. -1. E t en vertu τί; έλπίδι χαίροντε;, spe gaudentes. R om ., xn, 12.
des m êm es principes, à la vertu d'espérance appar ­ O n pourrait dire de cette joie de l ’ espérance chré ­
tiendra non seulem ent le désir de D ieu absent, m ais tienne, si recom m andée par l'apôtre, qu ’ elle est le
aussi l ’ am our qui fait abstraction de cette absence, principal bonheur de cette vie; et voici la preuve
ainsi que nous l ’ expliquerons plus loin. V oir col. 632. qu'en donne le cardinal Pallavicini, S. J. Le présent
Il faut donc toujours en revenir à la différence fon ­ n ’ est qu ’ un instant, qui, nous échappant aussitôt, n ’ a
dam entale assignée par saint Thom as, Sum. theol., pas grande valeur pour nous si nous ne le regardons
II» II···, q. xvn, a. 8. Seule elle résout toutes les diffi ­ dans ses rapports avec l'avenir. A insi, quand nous
cultés. D e nos jours, Schiffini a eu tort de l'aban ­ cherchons à nous délivrer du tourm ent de la douleur,
donner. De. virtutibus infusis, Fribourg-en-Rrisgau, ce n ’ est pas pour le présent, car, au m om ent présent, il
1904, p. 383. nous est im possible de ne pas la sentir : m ais c ’ est
4° Espérance et joie. — L ’ espérance suppose tout pour l'avenir. 11 en est de m êm e des plaisirs; c ’ est vers
d ’ abord un amour, dont nous venons d ’ exam iner la l ’ avenir que l'âm e hum aine s ’ élance constam m ent,
nature; et cet am our, portant sur un objet absent, en quête de bonheur. Sa principale joie ici-bas naîtra
prend la form e d ’ un désir. M ais, du m om ent qu ’ on dé ­ donc de la prévision d ’ un long avenir de bonheur,
sire un objet, la question se pose : « Puis-je l ’obtenir? » et encore plus, d ’ un éternel avenir de bonheur. C ette
Si la réponse est affirm ative, c ’ est ce que nous avons prévision, sans doute, appartient au présent, ainsi que
nom m é le « jugem ent de possibilité ». V oir plus haut, la joie qu ’ elle excite; m ais elle n ’ a de valeur que par sa
col. 613. Ce jugem ent,surtout quand il est bien fondé connexion avec un bien futur, com m e un m oyen n ’ a
— com m e dans l ’ espérance chrétienne où il est fondé de valeur que par sa connexion avec la fin. Disputa­
sur une foi très certaine — dem eurera-t-il sans aucun tiones in /·“ 1 Lyon, 1653, 1.1, p. 53.
contre-coup affectif, sans aucune répercussion ém o ­ 5° Nature de la confiance. — La confiance est sou ­
tionnelle? N on. Q uand on désire vivem ent, et qu ’ au vent confondue,par un abus de langage,aveclepréam ­
lieu de l ’ im possibil té qui sem blait d ’ abord s ’ im poser, bule intellectuel qu ’ elle suppose, avec la prévision de
on voit apparaître la possibilité sérieuse et pratique, l ’ heureux événem ent. M ais nous savons déjà que
la probabilité d ’ atteindre l ’ objet tant désiré, com ­ l ’ espérance est dans la partie affective·, donc, la con ­
m ent ne pas s ’ en réjouir? Le désir, qui suppose l ’ ab ­ fiance aussi, puisqu ’ elle est partiellem ent identifiée
sence, résulte de l ’ objet aim é, non encore possédé : avec l ’ espérance, cet acte si com plexe. V oir plus haut,
la joie, qui suppose la présence, résulte de la possi ­ col. 609. Q ue peut bien être la confiance com m e acte
bilité d ’ atteindre cet objet, du secours que déjà affectif? Essayons cette difficile analyse. U n acte af ­
nous possédons pour cela. Lancés par le désir vers fectif , s ’ il se rapporte au bien et non pas au m al, s ’ il
une fin aim ée, nous nous réjouissons d ’ avoir en est un am our et non pas une haine, devra rentrer dans
m ains les m oyens de l ’ obtenir. C ette joie, d ’ abord une de ces trois catégories : sim ple am our, désir, joie;
spontanée, peut, à la réflexion,être librem ent acceptée, on ne peut concevoir autre chose. D ans laquelle ren ­
librem ent entretenue, en m aintenant l'attention sur trera la confiance? Ce ne peut être dans le désir : l'idée
les prom esses et les secours qui la font naître; tandis de confiance n ’ est certainem ent pas celle d ’ un désir;
que nous pourrions, si nous voulions, la rem placer par d ’ ailleurs, la confiance suppose l ’ espérance déjà com ­
la tristesse qu ’ éveillerait un regard trop fixé sur les m encée par un désir; pourquoi viendrait-elle ajouter
difficultés, les obstacles et l'incertitude de l'heureux un désir nouveau? R este donc qu ’ elle soit une joie
événem ent. ou un am our, ou peut-être les deux à la fois.
Saint Thom as a bien m ontré que cette joie ou Pallavicini, que nous citions tout à l ’ heure, a pro ­
délectation » propre à l ’ espérance vient du jugem ent posé d ’ identifier la confiance avec cette joie de l ’ espé ­
de possibilité. Ce n'est pas seulem ent le plaisir de sai ­ rance que tout le m onde adm et, et dont parle saint
sir par la pensée et l ’ affection un objet lointain qu ’ on Paul. Leur origine n ’ est-elle pas la m êm e d'après
aim e : c ’ est surtout le plaisir de constater qu ’ on peut les analyses de saint Thom as, c ’ est-à-dire ce · juge ­
l ’ obtenir. Delectatio spei, in qua non solum est delec­ m ent de possibilité », source de confiance et de joie?
tabilis conjunctio secundum apprehensionem, sed etiam Pourquoi la joie de l ’ espérance — ce qui sim plifierait
secundum facultatem vel possibilitatem adipiscendi les choses — ne serait-elle pas précisém ent cette con ­
bonum quod delectat. Sum. theol., 1« II® , q. xxxn, a. 3. fiance sereine, qui chasse la tristesse du découra ­
C ’ est ce qui rend l ’ espérance essentiellem ent joyeuse, gem ent et les anxiétés de la crainte? E t pourquoi la
plus douce que le sim ple désir et que le souvenir du confiance — ce qui en donnerait enfin une explication
bonheur passé, où l'on trouve le prem ier plaisir, m ais claire — ne serait-elle pas précisém ent cette joie
non pas le second qui est le principal. Ibid. d ’ avoir les m oyens d ’ acquérir l ’ objet désiré? L ’ espé ­
D éjà Philcn, le juif d ’ A lexandrie, avait poétique ­ rance est donc, d ’ après Pallavicini, une affection
m ent décrit cette joie de l ’ espérance, avant-goût de m ixte, ajoutant au désir d ’ un objet la joie qui naît de
la joie que donne la possession de l ’ objet : « N e vois-tu la possibilité de l ’ acquérir; et cette explication plaît
pas le jeune oiseau, avant sa conquête de l ’ air, aim er par sa sim plicité m êm e. Assertiones lheologicœ, R om e,
à battre de l ’ aile el à sautiller gaîm ent, com m e pour 1649, 1. Ill, De fide, spe et caritate. V iva, S. J, repro ­
annoncer l ’ espérance de prendre son vol ?... .Ainsi, duit la m êm e théorie. Cursus theol., part. IV. p. 121.
notre âm e, dans l ’ espoir d ’ un bien, se réjouit d'avance; C ette théorie, cependant, ne résout pas com plète ­
c ’ est, pour ainsi dire, l ’ allégresse avant l ’ allégresse... m ent le problèm e. Elle pourrait suffire, dans tous les
R egarde la vigne, com m e elle est gracieusem ent parée cas où la possibilité d ’ acquérir l ’ objet désiré dérive
de jeunes pousses, de ram eaux et de pam pres verts; soit d'une chance probable (par exem ple, gagner à la
ils disent assez, dans leur m uet langage, la joie qui pré ­ loterie), soit de nos propres forces, non sans quelque
cède l ’ arrivée du fruit. A vant le lever du soleil, voici m élange de hasard (par exem ple, gagner à un jeu
le sourire de l ’ aurore; la clarté prédit la clarté, la lu ­ d ’ adresse). M ais de ce groupe de faits, il y a lieu de dis ­
629 ESPÉRANCE 630

tinguer un autre groupe, où l ’ analyse delà confiance D ieu. L ’ É criture elle-m êm e nous m ontre tous ces di
ne peut pas être absolum ent identique. C 'est lorsque vers élém ents de la confiance en D ieu. — Elle r<
la possibilité d ’ acquérir l ’ objet désiré dépend néces ­ prouve la présom ption ou confiance exclusive dans les
sairem ent du secours d'un autre.·, l'espérance chré ­ forces hum aines, com m e opposée à l ’ espérance reli
tienne rentre précisém ent dans ce cas. A rriaga, S. J., gieuse : « C eux-ci m ettent leur confiance dans leurs
a eu le m érite de signaler cette vérité, qu ’ une analyse chars, ceux-là dans leurs chevaux; nous, nous invo
plus approfondie de l ’ espérance et de la confiance ne quons le nom de notre D ieu. »Ps. xx(xix), s. « Maudit
peut pas être la m êm e dans ces deux groupes dif ­ soit l ’ hom m e qui se confie en l ’ hom m e... B éni soit
férents de faits. Cursus theol., A nvers, 1644. t. nr, l ’ hom m e qui se confie en Jéhovah. · Jer., xvi, 5,
p. 339. 7. Elle m ontre l ’ âm e s ’ abandonnant à D ieu, se re
Q uand la possibilité d ’ acquérir l ’ objet dépend du posant sur lui: abandon de l ’ enfant entre les m ains de-
secours d’un autre, de sa puissance et de sa bonté, la son père, abandon fait d ’ hum ilité et d ’ am our R epose
confiance devient un acte affectif bien plus com pliqué, toi sur Jéhovah, et il te soutiendra. » Ps. l v ( l iv ), 23.
parce qu'une autre personne entre ici en jeu, c'est-à- • D échargez-vous sur lui de toutes vos sollicitudes,
dire un bienfaiteur. L aconfiancealors,outrela/oiedont car lui-m êm e prend soin de vous. » I Pet., v, 7. Elle
parlait Pailavicini, renferm e un commencement d'amour rattache explicitem ent cet abandon à «l ’ espérance»,
pour la personne de ce bienfaiteur secourable, com m e à la «confiance ». « O ui,ô m on âm e, à D ieu abandonne-
l'a si bien observé saint Thom as : · L ’ espérance peut toi en paix, car de lui vient m on espérance... E n tout
regarder deux choses. Elle regarde com m e son objet tem ps, ô peuple, confie-toi en lui. » Ps. l x i i ( l x i ), 6,
le bien qu ’ elle espère. M ais com m e ce bien est difficile Elle indique l'amour du bienfaiteur secourable, im ­
ct possible, et com m e dans certains eas il nous devient pliqué dans cette confiance . « Je t’aime, Jéhovah, ma
possible non par nous-m êm es, m ais par le secours force. : Jéhovah, m on rocher, m a forteresse, m on libé ­
d'autrui, l ’ espérance regarde aussi cc secours qui nous rateur. » Ps. xviii (xvn), 2,3. Elle signale la foie, carac
le rend possible.— En tant qu ’ elle regarde l ’ objet es ­ tère général de la confiance : « A lors se réjouiront tous
péré, l ’ espérance dérive de l ’ am our (d ’ un prem ier ceux qui se confient en toi; ils seront dans une per
am our qui est à sa base) : on n ’ espère qu ’ un bien dé ­ pétuelle allégresse, et tu les protégeras. » Ps. v, 12.
siré et aim é. M ais, en tant qu ’ elle regarde la personne, O n voit com bien le concept de confiance, quand il
grâce à laquelle l ’ acquisition d'un bien nous devient s ’ agit de l ’ espérance religieuse, est com plexe, im por
possible, l ’ am our (un second am our) dérive de l ’ es ­ tant et riche. Ce n ’ était pas toutefois une raison pour
pérance. C ar, dès que nous espérons acquérir des biens L uther de réduire à ce concept toute la vie spiritm ileet
par quelqu ’ un, nous allons à lui com m e à notre bien, tout l ’essentiel de la religion.
et ainsi nous commençons à l'aimer. » Sum. theol., V I. M a t i è r e d e l ' e s p é r a n c e c h r é t i e n n e . —
I·· Il», q. XL, a. 7. A m our intéressé d ’ abord, et ren ­ j 1 ° Son objet matériel en général. — C om m e nous l ’ avons
trant par là dans l ’ espérance : puis vient peu à peu vu, l ’ acte d ’ espérance théologale reproduit les élé ­
l ’ am our désintéressé, voir plus haut, col. 622 sq. D éplus, m ents qui entrent dans la com position de tout autre
si le secours que nous attendons d ’ un autre est si im ­ espoir. La différence essentielle est ici du côté de
portant, si au-dessus de nos forces, qu ’ il éclipse ou l’objet, qui est D ieu lui-m êm e; d ’ un si sublim e objet
sem ble presque éclipser notre part d ’ action (et tel est doit forcém ent rejaillir sur tous les élém ents de l'acte
le cas du secours divin dans l'espérance chrétienne, où une excellence plus haute : le désir, par exem ple,
il s ’ agit d ’ obtenir un bien surnaturel), alors la joie devra se proportionner à un objet placé infinim ent
d'un tel secours, l’amour d ’ un tel bienfaiteur, s ’ accom ­ au-dessus de tous les autres; m ais, enfin, ces élém ents
pagne d ’ un hum ble sentim ent de nous-m êm es, d ’ une seront toujours de l ’ am our intéressé, du désir, du
défiance de nos propres forces qui est une sorte d’aban­ courage et de la confiance, el par là il y aura resscm
don. Le m alade, convaincu de son im puissance, s ’ aban ­ blance avec tout autre espoir. V oir plus haut, col. 6o8,
donne à la m ain puissante et bonne qui vient le gué ­ 622sq. C ’ est donc l’objet qui donnera à l ’ acte religieux
rir. C ette défiance de nous-m êm es est bien quelque son caractère spécial, et qui distinguera de toute
chose de négatif, m ais c ’ est l ’ oinbre qui fait valoir la autre espérance celle que le théologien doit étudier.
lum ière, c ’ est la suppression d ’ un grand obstacle au Exam inons d'abord l’objet matériel, plus facile à déter ­
côté positif de la confiance. « Q uand je suis faible, m iner, et sur lequel les théologiens sont d ’ accoid.
dit l ’ apôtre, c ’ est alors que je suis fort. » II Cor., L 'objet m atériel, ou m atière de l ’ espérance, ce sont
xn, 10. Le m anque de m oyens hum ains invite l ’ âm e les choses espérées. A prem ière vue, leur cham p est
à se tourner vers D ieu avec confiance, et à obtenir im m ense. V oyez, dans l'A ncien T estam ent, com bien
par cette confiance la force divine. A vec cette force, de prospérités tem porelles espérait l ’ âm e religieuse,
tous les grands objets poursuivis par l ’ apôtre de ­ pour elle-m êm e, pour sa fam ille, pour sa patrie, sur
viennent possibles, et par conséquent objets d ’ espé ­ la foi des prom esses divines; ajoutez l ’ espérance de
rance : « Je puis tout en celui qui m e fortifie. » Phil., dons spirituels et m oraux, l ’ espérance de la venue du
iv, 13. I.à encore, la liberté hum aine doit coopérer à M essie, et de son royaum e plus ou m oins vaguem ent
la grâce : il faut choisir entre cette hum ble défiance de conçu. E t l ’ espérance ne s'arrête pas à la lim ite de
soi, et une orgueilleuse présom ption qui aisém ent nous cette vie. « Sur la tom be, dit Schiller, l ’ espérance
em pêcherait de dem ander du secours, de tendre la croit encore. » E t c ’ est seulem ent sur la porte de l ’ en ­
m ain. Par là, l ’ espérance chrétienne, avec la prière fer que D ante a pu lire : « V ous qui entrez, laissez toute
qu ’ elle inspirera, est foncièrem ent antipélagienne, et espérance. »
reconnaît pratiquem ent la nécessité de la grâce. La m atière de l ’ espérance chrétienne est aussi éten ­
V oilà, dans son plein développem ent, la notion de la due que celle de la prière, suivant la rem arque de
confiance. Q ue les derniers élém ents que nous venons saint A ugustin. Ces deux actes religieux se corres­
d ’ énum érer soient réellem ent com pris dans l ’ espérance pondent : l ’ un produit l ’ autre, l ’ espérance fait pner.
théologale, nous pouvons le déduire de l ’ enseigne ­ O r la prière, d ’ après les données de la révélation, que
m ent com m un des théologiens et des catéchism es, qui, dem ande-t-elle à D ieu? D es biens étem els, des biens
lorsqu ’ ils assignent les vices directem ent opposés à spirituels en cette vie, et m êm e des biens tem porels.
la vertu d ’ espérance, à côté du désespoir m ettent tou ­ V oyez, par exem ple, les diverses dem andes de l e· rai­
jours la présom ption; ct l ’ une des form es de la pré ­ son dom inicale. S. A ugustin, Enchiridion, c. cxrv, cxv,
som ption, la pire peut-être, est d ’ attendre de ses P. L., t. XL. col. 285.
propres forces ce qu ’ on ne devrait attendre que dte 2° Son objet matériel principal, ou « <f attribution ·.
631 E S P ÉR A N C E G32

— D ans cette foule d ’ objets à espérer, il y a com m e I résulte de la nature m êm e des choses. D e m êm e le
une hiérarchie. A u som m et, l ’ objet principal : c ’ est fidèle qui espère de la bonté de D ieu une grâce parti ­
D ieu à posséder dans la béatitude, dans la gloire éter ­ culière ou m êm e un bien tem porel, n ’ a pas besoin de
nelle. A insi, dans la révélation plus parfaite, du N ou ­ songer à tout instant à la béatitude céleste, et de lui
veau T estam ent, quand il est question de l'espérance, rapporter cet objet : par sa nature m êm e, il s ’ y
ce grand objet est-il d ’ ordinaire seul présenté; non pas rapporte d ’ une certaine m anière, directem ent ou in ­
qu ’ il soit le seul, m ais parce qu'il dom ine tous les directem ent, et fait ainsi partie du dom aine de l ’ espé ­
autres. « L ’ espérance de la gloire. » Col., i,27.«L ’ espé ­ rance chrétienne. Cf. C hr. Pcsch, Prælectiones theo-
rance de la gloire des enfants de D ieu, » R om ., v, 2. logicœ, t. vm , n. 483.
« L ’ espérance du salut. » I Thess., v, 8. « D ans l ’ espé ­ A insi l ’ objet d ’ attribution n ’ est pas seulem ent
rance de la vie éternelle, que nous a prom ise le D ieu un objet matériel principal : puisqu ’ il peut servir
qui ne m ent pas. » T it., i, 2; cf. n, 13; m , 7. « A yant à spécifier la science ou la vertu, à en déterm iner le
confiance d ’ entrer dans le saint des saints par le sang dom aine ct le caractère, puisqu ’ il est, pour les objets
du C hrist, ... gardons inébranlable la confession de secondaires et purem ent m atériels, la seule raison de
notre espérance. » H eb., x, 19,23. « Par la régénération, leur introduction dans cette science ou dans cette
D ieu a m is en nous une vive espérance... pour l ’ héri­ vertu, il a droit au titre d ’ objet formel; l ’ objet form el
tage incorruptible et indestructible qui vous est gardé étant par définition celui qui déterm ine les objets
dans les cieux. » I Pet., i, 3, 4. « N ous le verrons tel m atériels, ct qui donne à tout l ’ ensem ble unité et
qu ’ il est; quiconque a cette espérance, se sanctifie. » caractère spécial.
I Joa., m , 3. « Si nous espérons recevoir du C hrist V oilà donc l'espérance chrétienne assez bien carac ­
des biens dans cette vie seulem ent, nous som m es les térisée déjà, et reconnaissable aux fidèles, quoi qu'il
plus m isérables de tous les hom m es. » I Cor., xv, 19. en soit des subtilités où nous allons nous engager.
L ’ espérance de ce grano objet entraîne avec elle, V IL M o t i f d e l ’ e s p é r a n c e c h r é t i e n n e . — N ous
nécessairem ent, l ’ espérance de plusieurs objets secon ­ entrons dans une controverse singulièrem ent diffi ­
daires; qui désire efficacem ent une fin désire, par une cile, qui touche à des questions psychologiques fort
suite nécessaire, le. m oyens d ’ y parvenir. Les m oyens délicates. R appelons d ’ abord les notions indispen ­
directs de parvenir au salut, ce sont les grâces m ultiples, sables.
sans lesquelles nous ne pouvons être sauvés; ainsi C haque vertu a com m e un ressort essentiel qui
dans l ’ oraison dom inicale sont énum érés le pardon fonctionne dans chacun de scs actes : c ’ est son
des péchés, la protection contre les tentations; saint « m otif » (de moveo, motum), c ’ est-à-dire l ’ objet spé ­
Pierre, com m e objet de l ’ espérance chrétienne, ne cial qui m eut, qui m et en m ouvem ent la faculté. Si
propose pas seulem ent la gloire céleste, m ais encore la vertu est intellectuelle, le m otif sera une raison qui
la grâce. I Pet., i, 13. Q uant aux biens tem porels, agit sur l'intelligence : ainsi, le m otif de la foi chré ­
leur nature les rend quotidiennem ent l ’ objet d ’ une tienne sera l'infaillible autorité du tém oignage divin.
espérance toute profane et toute m ondaine; ils ne V oir For. Si la vertu est affective, le m otif ne sera plus
pourront donc entrer dans le dom aine propre de un rayonnem ent du vrai, m ais un rayonnem ent du
l ’ espérance religieuse qu ’ en une certaine m esure, ct bien qui (à travers l ’ intelligence cependant) attirera la
à un point de vue spécial : par exem ple, com m e volonté; ce sera un idéal particulier de bonté m orale,
soutiens nécessaires de nos forces, et m oyens indirects propre à chaque vertu; ainsi la m iséricorde est attirée
de pouvoir travailler pour la vie future, et de pouvoir par l ’ idéal du soulagem ent des m isères, la justice par
la m ériter. D ’ ailleurs, le N ouveau T estam ent n ’ a plus l ’ idéal du respect de tous les droits des autres, la tem ­
les prom esses tem porelles de la loi m osaïque, et les pérance par l ’ idéal d ’ une subordination de la m atière à
rem place par l ’ abondance des prom esses spirituelles. l ’ esprit, de l ’ hom m e anim al à l ’ hom m e raisonnable.
C oncluons, avec saint Thom as, que « l ’ espérance C et idéal, ce m otif propre, donne à chaque vertu son
regarde principalem ent la béatitude éternelle, puis espèce, son unité, son degré spécifique de valeur
secondairem ent, et par rapport à cette béatitude, les m orale dans la hiérarchie des vertus; il est pour elle
autres choses dem andées à D ieu. » Sum. theol., II· II®, la raison d ’ atteindre les » objets m atériels » qui cons ­
q. xvii, a. 2, ad 2 “ ·". tituent son dom aine. Il peut donc s ’ appeler « objet
D ans une science, un art ou une vertu, quand on a form el »; et m êm e ce nom , que nous venons de rencon ­
ainsi toute une hiérarchie d ’ objets subordonnés à un trer sur notre chem in, lui est plus ordinairem ent
seul d ’ entre eux, celui-ci est appelé en langage sco ­ réservé. A bon droit cependant, nom bre de théolo ­
lastique « objet d ’ attribution », et sert à distinguer de giens préfèrent distinguer deux « objets form els »
toute autre, à « spécifier » cette science, cet art ou pour chacune des vertus théologales : objectum for­
cette vertu. A u lieu d ’ un fouillis incohérent où se male quod, c ’ est l'objet d’attribution, voir plus haut,
perdrait l ’ esprit, cette subordination des objets col. 631; objectum formale quo, c ’ est le motif. L ’ un et
établit l ’ ordre, l ’ unité, la physionom ie spéciale de l'autre, quoique d'une façon différente, contribuent
chaque science. L ’ étude des objets secondaires n ’ est à spécialiser, à caractériser la vertu.
introduite dans une science qu ’ en tant qu ’ elle sert à D e plus, il est telle condition générale à laquelle sont
m ieux connaître l ’ objet principal. La botanique, la soum is tous les objets m atériels d ’ une vertu, et qui
chim ie et la physique ne sont pas de la m édecine : sert à leur délim itation, sans pourtant se confondre
cependant, com m e la connaissance des propriétés de avec le motif. « Il ne faut pas, dit Théophile R aynaud,
certaines plantes, de certains m inéraux, de certains prendre pour des m otifs de l ’ affection d ’ espérance
phénom ènes physiques, sert à la guérison des m aladies, toutes ces circonstances, requises dans la chose
objet principal de la m édecine, il s'ensuit que le futur espérée. Elles doivent s ’ y rencontrer, parce qu'il est
m édecin devra faire des excursions dans ces diverses de l ’ essence de cette affection que son m otif soit
sciences en vue de son objet à lui, et en rapporter des appliqué à une m atière revêtue de ces conditions;
subsides au point de vue m édical; il y aura ainsi, m ais elles ne sont pas (toutes) des m otifs. » Opera,
com m e parties secondaires de la m édecine, une bota ­ Lyon, 1665, t. m , p. 489. Schiffini fait la m êm e
nique m édicale, une chim ie m édicale, une physique réflexion. De virtutibus, p. 10, 180. Par exem ple, une
m édicale. Q uand il étudiera l ’ une de ces parties, il des conditions générales que doit revêtir tout objet
ne pensera pas à chaque instant à la guérison des d ’ espérance, c ’ est d ’ être difficile à acquérir. C ette
m aladies; cette perpétuelle intention de l ’ étudiant difficulté, arduitas, parce qu ’ elle sert à déterm iner la
n ’ est pas nécessaire pour établir une subordination qui m atière de l ’ espérance, à délim iter son dom aine, est
633 ESPÉRANCE 634

appelée par plusieurs théologiens « raison form elle », c ’ est le secours divin : c ’ est donc un m otif :·. notre
ou m êm e considérée com m e faisant partie de Γ « objet espérance. — L ’ É criture nous fait arriver à
form el » de l ’ espérance. M ais alors Γ « objet form el» conclusion : ne parle-t-elle pas sans cesse du sec ■
est pris dans un troisièm e sens, distinct du m otif, divin, de la puissance et de la bonté de D ieu quand
car la difficulté ne peut certainem ent pas faire partie elle excite à espérer? V oir plus haut, col. <k>5-6
du «m otif». Le m otif (expression très nette, que nous E t saint Thom as ne dit-il pas : « D e m êm e que i objet
préférons pour cela) attire la volonté : or la difficulté form el de la foi (ici, son m otif) est la vérité prem iere,
d ’ atteindre l ’ objet désiré n ’ attire pas, elle repousserait qui sert com m e de m oyen par lequel l'intelligence
plutôt. Le m otif agit, est la cause de l ’ acte : or la dif ­ adhère aux vérités qui sont l'objet m atériel de ia foi
ficulté n ’ agit pas, ne cause pas l ’ acte d ’ espérance, elle de m êm e l ’ objet form el de l ’ espérance est le secours
est seulem ent pour celui qui désire un bien l’occasion, de la puissance et de la m iséricorde divine, à cause
s'il le veut,de m ontrer un certain courage en continuant duquel ce m ouvem ent de l ’ âm e, que l ’ on appelle
de désirer ce bien malgré les difficultés: alors son désir espérance, tend aux biens espérés, qui sont l ’ objet
est dit « efficace », et c ’ est l'espèce de désir qu ’ il faut m atériel. » Quœst. de virtutibus, q. iv, a. 1.
dans l ’ espérance. S ’il le ueul, ai-je dit : car en pareil 2. Côté négatif ou exclusif. — N on seulem ent « espé ­
cas on peut aussi, et plus aisém ent, sc laisser repousser rer » est plus que « désirer », m ais du concept d ’ espé ­
et décourager par la ditliculté; et c ’ est là qu ’ apparait rance il faut exclure le désir. Il est vrai, l ’ espérance
le plus clairem ent la liberté de l ’ acte d ’ espérance, qui, suppose le désir d ’ un bien, et dans ce désir un am our
pour être vertueux et m éritoire, doit être libre. La de convoitise (ou am our intéressé); m ais ce n ’ est là
difficulté n ’ est donc pas un principe d ’ action, com m e qu ’ un pur présupposé, une sorte de préface qui reste
le m otif : elle est indifférente à occasionner l ’ élan en dehors de l ’ espérance. O n peut entendre ainsi saint
courageux de l ’ espérance, ou le lâche abattem ent du Thom as, quand il dit que « l ’ espérance (théologale!
désespoir. ■ Le bien ardu ou difficile, dit saint Tho ­ appartient à l ’ am our de convoitise : » il ne dit pas
m as, a d ’ une part une raison pour que l ’ on tende à qu ’ elle soit un am our. V oir col. 623. A illeurs, il dit
lui en tant que bien, ce qui appartient à l ’ espérance, clairem ent que « l ’ espérance présuppose le désir ■ (il
m ais d ’ autre part une raison pour que l ’ on s ’ éloigne est vrai qu ’ il s ’ agit là de l ’ espérance com m e passion).
de lui en tant que difficile, ce qui appartient au déses ­ Sum. theol., 1 “ Ilæ, q. x l , a. 1. Preuves rationnelles ;
poir. » Sum. theol., 1 “ II*, q. xxm , a. 2. Tous les théo ­ U n m êm e acte ne peut être dans deux facultés diffé ­
logiens reconnaissent aujourd ’ hui que la difficulté ne rentes; or le désir est dans l ’ appétit concupiscible.
ligure pas dans l ’ espérance com m e m otif; et si quel­ l ’ espérance dans l ’ appétit irascible; l ’ acte d ’ espé ­
ques anciens scolastiques, com m e H enri de G and, ont rance ne peut donc renferm er le désir. Il vaudra donc
eu vraim ent l ’ opinion contraire,elle est définitivem ent m ieux dire avec saint B onaventure, que la foi, rési­
abandonnée. dant dans l ’ intelligence, atteint D ieu com m e vrai;
M ais en dehors de ce point, l ’ accord est loin d ’ être la charité, résidant dans l'appétit concupiscible,
fait. L a question du m otif de l ’ espérance chrétienne l ’ atteint com m e bien; l ’ espérance, résidant dans
a fait éclore quantité de théories; c ’ est par ving ­ l ’ appétit irascible, l ’ atteint com m e difficile (arduum,
taines qu ’ il faudrait les com pter 1 Effrayés de cet ad quod se erigit); ou m ieux encore, qu ’elle l ’atteint
apparent chaos, les auteurs qui traitent de l ’ espérance com m e puissance auxiliatrice, en qui elle se confie.
(traité assez, souvent sacrifié) se bornent volontiers à D e plus, le m otif de l ’ espérance, c ’ est ce qui répond à
donner ici leur opinion particulière, et passent. Ceux la question : « Pourquoi espérez-vous? · O r,dem andez
qui ont cité les diverses opinions l ’ ont ordinairem ent d ’ abord à un m alade : pourquoi désirez-vous votre gué ­
fait sans ordre et sans exactitude, m êlant m al à propos rison? il répondra : parce que la santé est un grand
l ’ objet d ’ attribution et le m otif, présentant incom ­ bien. D em andez.-lui ensuite : pourquoi l’espérez-vous ?
plètem ent la pensée de plusieurs théologiens, et sur ­ Il ne parlera plus d ’ un bien qu ’ il aim e, m ais des
tout de saint Thom as. Essayons de débrouiller cet secours d ’ un habile m édecin, et de tout ce qui rend sa
écheveau; la question en vaut la peine; au fond, c ’ est guérison possible et probable. A insi, nous prenons sur
la nature m êm e de l ’ acte et de la vertu d ’ espérance le fait l ’ opposition entre le désir et l'espérance et la
qui est en jeu. diversité de leurs m otifs spécifiques : l ’ un n ’ est pas
L a m ultiplicité des théories peut d ’ ailleurs se réduire l ’ autre. R éduisons donc l ’ espérance à l’eredio animi
à trois systèm es principaux, com m e on l'a parfois et à la confiance; et son m otif, à la puissance auxi ­
rem arqué. V oir M arin, Theologia, V enise, 1720, t. n, liatrice de D ieu, qui suffit à les exciter.
p. 447. E t nous verrons que les trois systèm es ont Tel est le prem ier systèm e, défendu au x i i i ’ siècle
chacun approfondi avec sagacité un côté de la question par saint B onaventure contre certains docteurs qu ’ il
très com plexe. Par là ils sc font équilibre, ils se com ­ ne nom m e pas. In IV Sent., 1. Ill, dist. X X V I, a. 2»
plètent m utuellem ent dans ce qu ’ ils ont de positif, en q. iv, Q uaracchi, 1887, t. ni, p. 576. Pour saint Tho ­
sorte qu'on peut dégager de l ’ ensem ble une théorie m as, c'est très douteux, com m e nous verrons. Les tho ­
satisfaisante de l ’ espérance et de son m otif. m istes des derniers siècles se sont presque tous ralliés,
1" SYSTÈME. MOTIF DE L'ESPÉRANCE : LE SECOURS à ce prem ier systèm e. Cf. Jean de Saint-Thom as.
DIVIN, OU DIEU COMME PUISSANCE AUXILIATRICE. — In II™ IIX, dist. IV, a. 1, Paris, 1886, t. vu, p. 330 sq. ;
1° Exposé et prennes. — 1. Côté positif du système. — les théologiens deSalam anque, De spe, disp. I, n. 50,51,
■ Espérer » est plus que « désirer ». C ’ est l ’ âm e s ’ éle ­ Paris, 1879, t. xi, p. 473 sq.; B illuart, De spe, a. 2.
vant contre les difficultés avec la confiance d ’ arriver à sect, n, A rras, 1868, t. ni, p. 451. E n dehors de l ’ école
ce qu ’ elle désire. V oir plus haut, col. 609. I.e m otif du thom iste, quelques autres, com m e V asquez, In D-,
désir, c ’ est la bonté ou convenance de l'objet; le m otif disp. L X X X IV , c. i, et surtout In /// “ , dist. X L III,
de la confiance, c ’ est la possibilité d ’ acquérir l'objet. c. n.L ugo, que l ’ on cite quelquefois pour ce systèm e,
V oir plus haut, col. 612, 628. O r ce n ’ est pas la bonté ; et sans aucune référence, n ’ a rien de sem blable dans
d une chose qui la rend possible, qui lui donne plus ses ouvrages édités, où il ne touche m êm e pas la ques ­
de chances de se réaliser: nous ne le savons que trop,le tion. E nfin, de nos jours, Schiffini, De virtutibus.
m al arrive plus facilem ent que le bien. Il faut donc, p. 360, 377 sq.
pour exciter la confiance, des considérations nouvelles, Ce systèm e adm et nom bre de variantes : -
un m otif indépendant de celui du désir. D ans l ’ espé ­ qu ’ on sem ble faire entrer dans le m otif la difficulté,
rance chrétienne, ce qui excite la confiance en m ontrant arduum, ou qu ’on l ’ en exclut, ce qui est l ’ordinaire;
la possibilité d ’ atteindre la fin surnaturelle désirée, b) suivant que ce m ot vague « le secours divin » est
635 E S PE R A N C E 636

entendu de la grâce considérée en nous, ou seulem ent, n ’ est pas une lutte effective contre les difficultés
de D ieu venant à notre secours, Deus ut auxiliator; présentes; elle appartiendrait à la vertu de force.
c) reste encore à déterm iner quel attribut divin agit V oir col. 610. Ce ne peut être qu ’ une sim ple affection
ici com m e m otif propre et essentiel de confiance. Les à l ’ occasion des difficultés futures, un m ouvem ent
uns nom m ent la seule toute-puissance, d ’ autres la ; affectif de l ’ âm e. Q uel m ouvem ent? Ce ne peut être
m iséricorde, la bonté, benignitas, la libéralité,d ’ autres, un m ouvem ent vers ces difficultés, am our, désir : qui
la fidélité aux prom esses données; d ’ autres groupent espère n ’ aim e pas les obstacles au bien qu ’ il espère, ne
ensem ble tous ces attributs, ou quelques-uns d ’ entre I les désire pas. Ce n ’ est pas non plus un m ouvem ent
eux. pour s ’ éloigner de ces difficultés, haine, fuite: un tel
2° Critique du système. — La partie positive est en m ouvem ent n ’ a rien de courageux, et caractérise
parfaite conform ité avec l ’ É criture, la tradition et j plutôt le découragem ent que l ’ espérance. A lors?
la doctrine de saint Thom as. La partie exclusive, au T out m ouvem ent affectif de la volonté ne rentre-t-il
contraire, nous sem ble n ’ avoir que de faibles preuves, pas dans l ’ am our ou la haine, le désir ou la fuite? Con ­
et de grands inconvénients. cluons que 1’erectio animi ne peut se com prendre sépa ­
1. Faibles preuves. — Telle est celle que l ’ on tire de rém ent, m ais seulem ent com m e une m odalité du désir,
la distinction réelle des deux appétits, concupiscible avec lequel elle ne constitue, m êm e physiquem ent,
et irascible. C ette distinction péripatéticienne peut qu ’ un seul acte. Tandis que la force, l ’ audace envi ­
s ’ adm ettre quand U s ’ agit de l ’ appétit organique et sagent directem ent les difficultés, l ’ espérance ne les
inférieur, et c ’ est là que les scolastiques l ’ ont adm ise. regarde qu ’ indirecteinent, il faut donc bien qu ’ elle
V oir A p p é t i t , 1.1, col. 1695. M ais elle est hors de pro ­ ait dans le m êm e acte un objet direct, qui est l ’ objet
pos quand il s ’ agit de la volonté libre, qui est parfai ­ I désiré. » Tendre à l ’ objet désiré m algré les difficultés
tem ent une et n'a pas de raison de se dédoubler; Scot prévues, » voilà la form ule de l ’ espérance : m ais alors
l ’ a bien prouvé. In IV Sent., 1. II, dist. X X V I, Paris, c ’ est un am our, un désir. C oninck, De actibus superna-
t. xv, p. 326 sq. O r, l ’ espérance théologale n ’ est pas une turalibus, p. 370; V iva, Cursus theol., part. IV, p. 125.
passion de l ’ appétit inférieur, com m e cette espérance b) O n n ’ explique pas davantage la confiance. Sans
dont on peut trouver l ’ ébauche dans les anim aux doute nous pouvons accorder que la confiance soit un
m êm es, ct que saint Thom as m et dans l ’ irascible. acte physiquem ent distinct du désir de l ’ objet, quoique
Sum. theol., I» II», q. x l , a. 1, 3. C ’ est un m ouvem ent form ant avec lui un tout m oral. Q u ’ on en fasse donc
qui, par son objet spirituel et sa qualité d ’ acte de un acte à part : m ais c ’ est à la condition de l ’ expliquer
vertu, ne peut être que dans la volonté : «L ’ espérance par quelque élém ent affectif connu, par une joie de la
est dans l ’ appétit supérieur ou "volonté, et non pas possibilité d ’ atteindre l ’ objet désiré, par un com m en ­
dans l ’ appétit inférieur auquel appartient l ’ irascible, * cem ent d'amour envers la personne qui nous prom et
dit saint Thom as, II» II® , q. xvin, a. 1. A insi, le désir son secours (quand il y en a une). V oir col. 628-629. O r,
et les autres élém ents de l ’ espérance théologale (voir ces explications sont interdites au prem ier systèm e,
plus haut, col. 6u9), étant dans la m êm e faculté, n ’ ont puisqu ’ il prétend vider l ’ espérance de tout am our, de
rien qui les em pêche de constituer un seul acte : soit toute joie, sous prétexte que ces affections douces
que cet acte soit physiquem ent unique, soit plutôt « appartiennent au concupiscible, et non à l ’ irascible. ■
qu ’ il se com pose d'actes physiquem ent distincts, A lors, pour expliquer la confiance il a uniquem ent
m ais form ant un tout m oral par la tendance à une recours à des term es m étaphoriques et vagues, pat-
m êm e fin prochaine. V oir coi. 628. L ’ autre preuve exem ple, · s'appuyer sur le secours divin, sur les pro ­
ne vaut guère m ieux. Q uand on fait successivem ent m esses divines. » M ais pour une âm e, qu ’ est-ce que
ces deux questions : Pourquoi désirez-vous tel événe­ « s ’ appuyer », sinon un am our ou une joie? A m oins
m ent? Pourquoi l’espérez-vous ? opposant ainsi au genre que «s ’ appuyer sur les prom esses » ne soit croire fer­
désir l’espèce espérance — par cette opposition m êm e m em ent aux prom esses, et fonder surcettefoi la bonne
on am ène l ’ auditeur à répondre à la seconde question opinion de son propre salut : m ais alors la confiance
par le seul élém ent différentiel de l ’ espérance, avec son serait un acte intellectuel et non affectif, ce que les
m otif correspondant. D e m êm e, dem andez, successi­ théologiens rejettent d ’ un com m un accord. V oir
vem ent à quelqu ’ un : Pourquoi l ’ hom m e est-il un ani ­ col. 615.
m al? Pourquoi est-il un hom m e?A la prem ière question V oici un spécim en de ces explications vagues :
il devra répondre par la vie organique ct sensitive, à la » Il n ’ est pas nécessaire, dit B illuart, que l’objectum
seconde, par la raison : m ais celte seconde réponse ne formate quo (le m otif) de l'espérance, qui est la toute-
prouve pas que l ’ essence de l ’ hom m e soit uniquem ent puissance venant à notre secours, soit atteint par
la raison, et qu ’ il y ait en lui une différence sans genre. nous com m e un bien; car cette toute-puissance n ’ est
D e plus, quand on dem ande : Pourquoi espérez- pas l ’ objet que nous espérons, m ais celui sur lequel
vous cet heureux événem ent? la question, telle que l ’ espérance s’appuie, pour surm onter les difficultés;
tout le m onde l ’ entend, revient uniquem ent à ceci : on peut l ’ appeler un bien ut quo, et non ut quod. »
« Q uelles chances croyez-vous avoir en faveur de cet Loc. cit. M ais com m ent un m otif pourrait-il agir sur
événem ent? » Ce qui nous intéresse dans l ’ espérance la volonté, si ce n ’ est en se présentant à elle com m e
d ’ un autre, c ’ est la question objective et intellectuelle un bien, en se laissant atteindre par elle com m e
de savoir si l ’ événem ent arrivera de fait, et quelles un bien? « Il y a une opinion, dit judicieusem ent
preuves il apporte pour confirm er sa prévision. Il A ntoine Pérez, S. J., qui, après avoir distingué
n ’ est donc pas étonnant que la réponse s ’ accom m ode deux élém ents dans l ’ espérance, l ’ objet espéré et le
au sens très lim ité de l ’ interrogation; ce qui m ontre personnage puissant de qui l ’ on espère, concède que
la fausseté du principe invoqué : « O n aura le m otif nous aim ons le prem ier, et, quant au second, prétend
(com plet) de l'espérance par la réponse à la question : que nous ne l ’ aim ons ni Je haïssons, m ais que nous
Pourquoi espérez-vous? « l'atteignons par la volonté d ’ une m anière toute parti ­
2. Inconvénients de cette exclusion. — a) U ne fois le culière à l ’ espérance... M ais ’ il est incom préhensible
désir exclu de l ’ espérance, le courage en face des diffi ­ que la volonté atteigne un objet sans l ’ aim er ou le
cultés, erectio animi, ne peut plus être une sim ple haïr, puisque l ’ objet de la volonté est le bien ou le
nuance de ce désir, une efficacité particulière de ce m al. » In II‘m part. S. 'I homæ, Lyon, 1669, p. 272.
désir : il faut que ce soit dans la volonté un acte à Saint B onaventure distingue deux actes insépa ­
part, se suffisant à lui-m êm e, et com m ençant l ’ espé ­ rables dans l ’ espérance, confidere, exspectare : Je pre'
rance. O r cet acte à part est incom préhensible. Ce m ier, «qui est le principe et l ’ origine de l ’ autre, ·
637 E S P ÉR A N C E 63S

regarde la personne en qui l ’ on espère; le second, qui ' à la justification, ne signale-t-il pas, après la foi. .
suit, regarde l ’ objet espéré. Loc. cil., q. iv, p. 577. acte de charité avant l ’ espérance. Sess. V I. c. .
Exam inons m aintenant le second, exspectare. Si cet D enzinger, n. 798 (680)? Enfin, faire entrer l ’ am our
acte n'est pas purem ent intellectuel, que peut-il être I de concupiscence dans la charité, c ’ est aflaibür ■
qu'un am our, qu ’ un désir? C ’ est ce qu ’ avoue en défi­ caractère désintéressé de cette vertu, si generalem *
nitive le saint docteur, lorsqu ’ il est pressé par un ad ­ adm is com m e trait caractéristique. V oir col. 623 s-:
versaire qui voudrait faire de cet exspectare un acte A ussi B olgeni, qui va jusqu ’ il réduire la charité à n-
purem ent intellectuel : « C ette attente, lui répond-il, am our intéressé, se m ontra-t-il partisan du 1 ' =- ·
m êm e dans l ’ im m obilité du corps, est une. sollicitude tèine sur le m otif de l ’ espérance. Delta carit· . Rom ·
de l ’ âm e : celui qui attend desire l ’ arrivée de la per ­ 1788, t. i, p. 135. Sur la réfutation de B olgeni, v
sonne qu ’ il aim e. D ans la définition de l ’ espérance (par C h a r it é , col. 2220. Q uant à B illuart, ce n ’ est pas 1.
le M aître des Sentences), il s ’ agit d ’ une attente non seule tendance vers les doctrines jansénistes qu ’ or.
pas corporelle, m ais m entale, laquelle est une aspi­ pourrait relever dans ses écrits.
ration, une tension vers la fin à atteindre, » quædam Les autres théologiens thom istes ont fort bien vu ce
inhiatio et protensio respectu finis assequendi. Loc. danger; et pour l ’ éviter, ils enlèvent à la charité, aussi
cit., dub. n, circa litteram Magistri, p. 583. A insi le bien qu ’ à l'espérance, ce désir de D ieu, béatitude sur ­
prem ier systèm e, sous la form e spéciale que lui donne naturelle, dans le cas du pécheur. M ais alors il faut
saint B onaventure, ne peut éviter le désir, et finit par le qu ’ ils nient arbitrairem ent le caractère théologal decet
m ettre dans le dernier acte qui, d ’ après le M aître des acte; de plus ils sont très em barrassés pour assigner la
Sentences, est la définition m êm e de l ’ espérance. vertu m orale à laquelle il appartiendrait. « A cette
c) Ce qui est com m un à tous les partisans du sys ­ difficulté (de Suarez), dit Jean de Saint-T hom as, il
tèm e, c ’ est de faire du désir un sim ple préliminaire de est étonnant de voir com bien de diverses m anières de
l ’ espérance chrétienne. C onsidérons cet acte qu ’ on répondre sont m ises en circulation. » Cursus theologi
relègue ainsi dans le vestibule de l ’ espérance, et eus, Paris, t. vu, p. 333. La seule qui le satisfasse, c ’est
dem andons-nous à quelle vertu il appartiendra. Ce de rattacher ce désir de la possession de D ieu au pias
désir de D ieu, renferm ant un am our de D ieu, n ’ est-il credulitatis affectus qui est le com m encem ent de la
pas l ’ acte surnaturel d ’ une vertu théologale, puis ­ foi; m ais quelle raison solide de confondre ces de.r.
qu'il a pour objet la possession surnaturelle de D ieu, actes en une m êm e vertu? Les Salm anticenses com ­
la fin surnaturelle, et qu ’ il atteint im m édiatem ent m encent par nier qu ’ il faille une vertu infuse pour
D ieu présenté par la foiîSi cet acte ne procède pas de produire le désir en question, parce qu ’ il n ’ a rien d·
la vertu infuse d'espérance, il faudra donc qu ’ il pro ­ difficile : com m e s ’ il n ’ était pas difficile à l'hom m e '
cède de la vertu infuse de charité; il n ’ y a pas de qua ­ tendre librem ent à la béatitude surnaturelle plutôt
trièm e vertu théologale; ainsi raisonne Suarez, De qu ’ à tous les faux bonheurs qui, si facilem ent, le s —
spe, dist I, sect, m , η. 14, Opera, Paris, 1858, L xn, duisentl E t d ’ ailleurs la difficulté n ’ est pas la seu
p. 607. E t c ’ est bien à la charité que saint B onaven ­ raison de l ’ infusion des vertus. Les m êm es théologie is
ture l ’ attribue; à la charité, selon lui, appartient tout de Salam anque nous concèdent ensuite que ce désir de
am our de D ieu; aussi bien l ’ am our de convoitise D ieu pourrait être un acte secondaire de la vertu
base de l ’ espérance, que l ’ am our d ’ am itié. V oir C h a ­ d ’ espérance. Puis ils se ravisent, et donnent com m e
r i t é , t. n, col. 2222. Parm i les thom istes, B illuart attri ­ m eilleure la solution de Jean de Saint-Thom as. Enfin,
bue aussi à la charité cet am our et ce désir de D ieu. sentant le faible de cette solution, ils recourent, pour
C ’ est faire de la charité un prélim inaire nécessaire de produire cet acte, à un habitus imperfectus qui ne
l ’ espérance; et com m e on peut lui objecter que le serait pas une vertu, et qui serait accolé à la vertu
pécheur, qui doit faire un acte surnaturel d ’ espérance, d ’ espérance : « Les théologiens, disent-ils, n'en ont
n ’ a pas la vertu infuse de charité, B illuart répond que jam ais parlé, c ’ est vrai, m ais ils ne l'ont pas nié non
cette vertu est alors rem placée par une grâce actuelle plus, et on ne-voit pas de preuve que la chose soit in:
pour produire le m êm e am our. De spe, a. 2, sect, n, possible. » Cursus theol., Paris, t. xi, p. 468. N e serait il
t. ni, p. 451. pas plus sim ple de ne pas laisser ce désir de D ieu à la
M ais ces explications ont un grave danger : celui porte de l ’ espérance, et de l ’ y faire entrer?
d ’ enlever aux pécheurs, m êm e repentants, tant qu ’ ils IIe SYSTEME. MOTIF DE L'ESPÉRANCE : DIEU C'·'SI­
ne s ’ élèvent pas à l ’ acte de charité, tant qu ’ ils n'ont DÉRÉ COMME NOTRE RIEN ET COMME PLISSA V< X AIS.1-
que l ’ attrition qui leur est plus facile - - de leur enle ­ L1 a t r ic e . — 1° Exposé et preuves. — Ce systèm e a
ver, dis-je, toute possibilité de faire un acte d ’ espé ­ une partie com m une avec le précédent, D ieu com m e
rance. E t pourtant l ’ espérance leur est recom m andée, puissance auxiliatrice. Il en diffère, en ce qu ’ il restitue
elle est m êm e exigée avec l ’ attrition par le concile de à l ’ espérance l ’ am our ou désir, que le précédent en
T rente. V oir plus haut, col. 608. E t l ’ Église a cou- voulait détacher com m e une sim ple condition préa ­
dam né cette proposition (57 e ). de Q uesnel : « O ù il lable: ainsi l ’ espérance redevient avant tout un am our
n ’ y a pas am our de D ieu, il n ’ y a pas espérance en de D ieu, un désir de la possession de D ieu. — Preuves
D ieu. » Je l ’ avoue, tandis que le janséniste Q uesnel de ce systèm e. Pour la partie com m une avec le pré ­
par « am our de D ieu » entend exclusivem ent la charité cédent, voir le côté positif de celui-ci, col. 633. Pour
parfaite, saint B onaventure prend soin de nous la partie opposée, les preuves du second sont conte ­
avertir que cet am our de charité, qu ’ il »xige de tous nues dans la critique que nous avons donnée du pre ­
com m e base de l ’ espérance, n ’ est pas nécessairem ent m ier.
la charité parfaite, et que dans le pécheur c ’ est un E n som m e, le second systèm e garde ce que le
am our ünparfait, avec lequel l ’ état du pécheur est prem ier a de positif, et laisse ce qu ’ il a d ’ exclusif.
com patible- In IV Sent., 1. Ili, dist. X X V I, a. 2, Le résultat est un acte d'espérance plus com plexe,
q. ni, ad 2" “ , 3 “ m , Q uaracchi,p. 574. M ais cette néces ­ auquel répond nécessairem ent aussi un m otif plus-
saire im perfection de la charité, toutes les fois que com plexe. A l ’ am our de concupiscence, r?.
dans le pécheur elle est censée précéder l ’ espérance, sous form e de désir vers la béatitude surnaturefie.
est adm ise ici pour le besoin de la cause. D ’ ailleurs, répondra com m e m otif D ieu en tant que notre bien.
l ’ acte de charité, parfait ou non, reste dans ce sys- bonus nobis, ce qu ’ on appelle souvent la bonté de
tèm eun préam bule de l ’ espérance, aussi nécessaire que D ieu relative à nous. A la confiance, ou, si l ’ on veut, a
l ’ acte de foi : pourquoi donc alors le concile de T rente, Verectio animi et à la fiducia, répondra la puissance
énum érant dans leur ordre les dispositions du pécheur auxiliatrice de D ieu, qui est déjà par elle-m êm e un
639 E S P ÉR A N C E 640

m otif com plexe, un groupe d ’ attributs divins, toute- Synopsis cursus theol., n. 310 sq., D ouai, 1706, p. 285;
puissance, m iséricorde, etc.; sur l ’ explication de ce M ayr, Theologia scholasl., Ingolstadt, 1732, t. i b,
groupem ent, le deuxièm e systèm e, com m e le prem ier, p. 206 : lesW irceburgenses, Paris, 1852, t. iv, p. 206, ce
adm et des variantes. systèm e y est appelé communior jam theologorum sen­
Saint Thom as ne favorise-t-il pas cette conception tentia; V iva, etc. E t de nos jours le cardinal M azzella,
plus large et plus com préhensive de l ’ acte d ’ espé ­ De virtutibus infusis, prop, x l v , R om e, 1879, p. 632;
rance et de son m otif? Lui-m êm e en indique les quatre B illot,D e virlut. infusis,R om e, 1901, p. 353; C h.Pesch,
élém ents. V oir plus haut, col. 609. Si parfois, selon Prœlectiones dogmalicœ, 3 e édit., Fribourg-en-Brisgau,
les besoins du m om ent, il ne m entionne que la puis ­ 1910, t. vin, p. 232 sq.
sance auxiliatrice com m e m otif de l ’ espérance, ail­ 2° Critique. — U ne distinction qui n ’ a pas été assez
leurs il se com plète, en affirm ant que l ’ espérance est faite nous sem ble ici capitale pour le jugem ent à
elle-m êm e une tendance au bien com m e bien, que le porter sur le second systèm e.
bien l ’ attire, et, par conséquent, est son m otif : Spes Si l ’ on dem ande le m otif de l’acte, et de l ’ acte com ­
est moins in bonum secundum rationem boni, quod de plet et parfait d ’ espérance, à cette question très pré ­
sua ratione est allractivum. Sum. theol., I» Π ” , q. xxv, cise, ce systèm e sem ble être le seul qui donne une ré ­
a. 3. Pour lui, la confiance (à laquelle répond com m e ponse satisfaisante. Il part de l ’ analyse la plus exacte
m otif la puissance auxiliatrice) n ’ est pas toute l ’ espé ­ de cet acte com plexe, en y joignant ce sage principe :
rance; elle en est com m e un < m ode », un élém ent « Pour déterm iner tous les élém ents du m otif total de
surajouté à un autre plus fondam ental. Fidueia im­ l ’ acte, tenir com pte de tous les élém ents essentiels de
portât quoddam robur spei, proveniens ex aliqua con­ cet acte. » Systèm e m oyen et conciliateur, il réunit ce
sideratione, quæ facit vehementem opinionem de bono que les autres ont de solide et de positif, et évite ce
assequendo. II» II· », q. cxxix, a. 6. Fiducia importat qu ’ ils ont d ’ outrancier et d ’ exclusif.
quemdam modum spei : est enim fiducia spes roborata ex M ais, si l ’ on dem ande le m otif de la vertu infuse
aliqua firma opinione. Loc. cit., ad 3 “ ™. Enfin, il énu­ d ’ espérance, à cette question plus générale il sem ble
m ère deux objets form els de l ’ acte d'espérance : Spes qu ’ on peut avantageusem ent donner une réponse
facit tendere in Deum sicut in quoddam bonum finale m oins com pliquée, dans le sens du troisièm e systèm e
adipiscendum, el sicut in quoddam adjutorium efficax qu ’ il nous reste à discuter. Ce systèm e est une réac ­
ad subveniendum. Sed caritas proprie facit tendere in tion extrêm e contre le prem ier; ou, si l ’ on veut, le
Deum uniendo affectum hominis Deo, ut scilicet homo prem ier est une réaction extrêm e contre celui-ci. D e
non sibi vivat, sed Deo. 11 “ II® , q. xvn, a. 6, ad 3 “ m . part et d ’ autre, on a dû être influencé par le m êm e
Ce dernier passage dem ande à être soigneusem ent désir de sim plification, le m êm e besoin d ’ unité, si na ­
pesé dans tous ses term es. Spes facit tendere in Deum, turel à l ’ hom m e; on a cherché à exprim er par un seul
etc. C ’ est donc bien l ’ espérance elle-m êm e, et non la m ot le m otif de l ’ espérance, et on a rejeté en bloc
charité ou une autre vertu précédant l ’ espérance, qui l ’ opinion de l ’ adversaire, au lieu d ’ y prendre ce
« fait tendre à D ieu com m e à un bien : » voilà déjà qu ’ il y avait de bon.
saint Thom as contraire au prem ier systèm e. Sicut in 111' SYSTÈME. MOTIF DE L'ESPÉRANCE : DIEU CONSI­
quoddam bonum finale... Il n ’ est donc pas question ici DÉRÉ c o m m e NOTRE r ie n . — 1° Exposé et preuves. —
de D ieu com m e objet purem ent m atériel, m ais form el 1. Côté positif du système. — Le désir de posséder
et spécifique, car d ’ après les principes du saint doc ­ D ieu par la béatitude surnaturelle dérive nécessaire ­
teur, « la diversité des fins diversifie les vertus. » I ” II®, m ent d ’ une vertu théologale, et ne peut dériver que
q. Liv, a. 2, ad 3 “ ®. D e plus, la fin attire la volonté, de l ’ espérance; ce n ’ est donc pas un acte prélim inaire à
et est de sa nature un motif. M ais D ieu, fin dernière, l ’ espérance, c ’ est l ’ acte d ’ espérance lui-m êm e. V oir
peut être envisagé de deux façons : fin à obtenir plus haut, col. 635. D ’ autre part, ce désir est inté ­
pour l ’ hom m e, fin suprêm e, à glorifier et. à aim er ressé. V oir col. 620 sq. Il a donc pour motif la bonté
pour elle-m êm e jusqu ’ à l ’ oubli de soi. L ’ espérance relative de D ieu, D ieu considéré com m e notre propre
tend à D ieu de la prem ière m anière, d ’ après saint bien.
Thom as : sicut in bonurn finale adipiscendum; la cha ­ 2. Côté exclusif. — L ’ espérance n ’ a pas d ’ autre
rité. de la seconde : ut homo non sibi vivat, sed Deo. m otif. C elui-là suffit, en effet, à la différencier de la
V oir ci-dessus, col. 623. Le cardinal C ajetan, dans charité, voir col. 624; et les autres différences que l ’ on a
son com m entaire sur ce passage, a vu dans ces pa ­ voulu im aginer entre ces deux vertus, ne suffisent pas,
roles la différence essentielle des deux vertus : « La col. 626 sq. Les attributs divins de toute-puissance,
charité, conclut-il, se porte vers la fin dernière (D ieu) de m iséricorde,de fidélité aux prom esses données, dont
à cause d ’ elle-m êm e, l ’ espérance vers la fin dernière on a voulu faire des m otifs de l ’ espérance, ne servent
com m e nôtre. » «La foi, dit-il encore, se distingue des de m otifs qu'au préam bule intellectuel de l ’ espérance;
deux autres com m e le vrai se distingue du bien : l ’ es ­ ils servent uniquem ent à fonder le « jugem ent de
pérance se distingue de la charité com m e notre bien possibilité », cette condition préalable (l ’ objet devant
du biendeDieu. » S.Thom as,O pera,Rom e,1895, t. vin, être jugé possible, pour être espéré). Suarez, loc. cit.,
p. 132. G et illustre thom iste n ’ est donc point partisan sect, m , n. 3, p. 604; Y sam bert, In IF* IF, Paris,
du prem ier systèm e, auquel plus tard les thom istes 1648, p. 186. Ces attributs divins, quelle que soit leur
en général se sont rattachés. Bafiez non plus, sem ble- nécessaire influence sur le jugem ent de possibilité,
t-il; il esquisserait plutôt le second, autant qu ’ on en restent donc extra lineam spei. Lahousse, De virtu­
peut juger par ses explications trop brèves : Objectum tibus theologicis, B ruges, 1900, p. 348. Le secours divin
spei est ipse Deus... sub ratione formali misericordiœ est, de plus, nécessaire pour collaborer avec nous,
auxilialricis et bonitatis beatificantis. In IFm IF, pour exécuter ce que nous avons désiré et espéré;
D ouai, 1615, p. 311. m ais cette exécution vient après coup, et reste en
Le second systèm e a été clairem ent proposé par dehors de l ’ espérance qui n ’ est qu ’ un m ouvem ent
R ipalda, De fide, spe et caritate, dist. X X III, n. 63 sq., affectif. A insi saint Thom as ne voit-il dans le secours
66 sq., Opéra, Paris, 1873, t. vin, p. 110. Il s ’ est fort divin qu ’ une cause efficiente : Bonum, quod aliquis
répandu parm i les théologiens de la C om pagnie de sperat oblinendum, habet rationem causæ finalis;
Jésus dans la seconde m oitié du xvn· siècle, et sur ­ auxilium autem, per quod aliquis sperat illud bonum
tout au xvni· et au xix«. V oici quelques nom s : O xéa, oblinere, habet rationem causæ efficientis... Spes autem
De spe et caritate, Saragossc, 1662, p. 38,54; H aunold, respicit beatitudinem œlernam sicut finem ultimum,
Theol. speculativa, Ingolstadt, 1670, p. 422; Plate!, divinum autem auxilium sicut primam causam indu-
641 ESPÉRANCE 642

cenlem ad bealitudinem, II· II ” , q. xvn, a. 4. O r, le V iva, voir col. 628, c ’ est une affection m ixte : au désir
motif, seule cause dont il soit m aintenant question, du bien absent vient s'ajouter la joie de sentir ” -
n'est pas une cause efficiente et productrice de la béa ­ sente la possibilité de l ’ obtenir, et m êm e un c : -
titude, m ais une cause finale, agissant sur notre m encem ent d ’ am our pour celui qui, par son sec -
volonté par l ’ interm édiaire de la connaissance ; le et ses prom esses, constitue déjà cette possibilité.
secours divin n ’ est donc pas un motif de l ’ espérance, O n peut adm ettre cette assertion de M astrius : ■ Espé ­
d ’ après saint Thom as lui-m êm e. O n ajoute enfin, sur rer n ’ est que désirer d ’ une certaine m anière speciaie. ■
la vertu infuse d ’ espérance, des considérations que M ais cette « m anière spéciale · consiste précisém ent
nous donnerons plus loin. à joindre au désir un autre acte affectif, qui n ’ est pas
Ce systèm e doit son origine à D uns Scot; pour lui, un désir, et qui fait un tout m oral avec lui; et c ’ est
l ’ espérance n'est qu ’ un désir de D ieu en tant que bon cet autre acte, élém ent essentiel de l ’ acte com plet
pour nous. In IV Sent., I. Ill, dist. X X V I, Opera, d ’ espérance, que la puissance auxiliatrice de D ieu doit
Paris, 1894, t. xv, p. 331. L ’ espérance r.e se distingue absolum ent servir de m otif, dans l ’ espérance chré ­
de la charité que com m e l ’ am our de convoitise se tienne.
distingue de l ’ am our d ’ am itié, p. 310. V oir D u n s Q uand saint Thom as traite de « cause efficiente ·
S c o t , t. iv, col. 1907. C ’ est bien ainsi que l ’ ont en ­ le secours divin, il le considère en action, collaborant
tendu les scotistes, com m e M astrius, Disp, theologicee, avec nous après l ’ espérance pour nous faire atteindre
in IV Sent., V enise, 1675, p. 398; Frassen, Scotus le but espéré; m ais cela n ’ em pêche nullem ent de le
academicus, Paris, 1676, t. m , p. 765. Suarez a suivi considérer aussi avant l ’ action, nous apparaissant déjà
et développé ce systèm e : Dico rationem formalem com m e assuré et provoquant ainsi un m ouvem ent de
objecti spei esse Deum, ut est summum bonum nostrum confiance, voilà la causalité propre du m otif · . Ces
et in hoc differre ab objecto formali caritatis...; non deux espèces de causalité se concilient pariai em ent
posse recte assignari in objectum hujus oirlutis for­ et qui affirm e l ’ une ne nie pas l ’ autre. U n bon m éde ­
male omnipotentiam Dei. De spe, dist. I, sect, ni, cin, pour un m alade, est à la fois une cause efficiente
n. 20, 21, Opera, Paris, 1858, t xn, p. 609. Suarez de sa guérison et un m otif de l ’ espérer. Cf. B iliuart,
a été suivi par un certain nom bre de théologiens loc. cil., les Salm anticenses, t. xi, p. 481.
de son ordre, surtout dans la prem ière m oitié du A insi les défenseurs du troisièm e systèm e, quand il
xvn· siècle, com m e C oninck, De actibus supernatu- s ’ agit de l ’ acte d ’ espérance et de son m otif com plet,
ralibus, etc., A nvers, 1623, p. 372; A rriaga, Disput. n ’ apportent pas de bonnes preuves pour leur sim pli­
thcologicæ, A nvers, 1649, t. v, p. 381, où il atteste fication exagérée. D ’ autre part, ils ne sont pas d ’ ac­
que cette opinion est com m une de son tem ps; O viédo, cord là-dessus avec les docum ents de la révélation,
De fide, spe et caritate, Lyon, 1651, p. 206. D 'autres com m e aussi avec les form ules dont se servent les
théologiens donnèrent leur adhésion au systèm e de fidèles pour faire cet acte, et qu ’ on trouve dans tous
Scot et de Suarez, com m e les docteurs de Sorbonne les catéchism es et autres livres à leur usage.
Y sam bert, loc. cit.,et G randin, Opera theologica, Paris, 2. En tant qu’il veut assigner le motif de la vertu
1710, t. ni, p. 156. D e nos jours, sem ble-t il, L a- infuse d’espérance, le systèm e nous parait, au contraire,
housse, S. J. ; loc. cil. très acceptable; voici pourquoi. L ’ acte d ’ espérance,
2° Critique du système. — N ous partirons de la le seul appelé de ce nom par l ’ usage com m un, étant
distinction entre l’acte parfait d ’ espérance, et la vertu très com plexe, voir col. 609, il a forcém ent aussi un
d ’ espérance, com m e dim s le systèm e précédent. m otif total com posé de plusieurs m otifs partiels,
1. En tant qu’il prétend assigner le motif defracte com m e l'a bien établi le second systèm e. Le chré ­
parfait d’espérance, le systèm e de Scot et de Suarez est tien com m ence par aim er la béatitude surnaturelle
très défectueux par son côté exclusif. Le côté positif est et la désirer, c ’ esl com m e le prem ier acte du dram e.
bon : on prouve bien que l ’ acte d ’ espérance est tout Il continue à la désirer m algré les difficultés prévues,
d ’ abord un am our de convoitise, un désir de posséder c ’ est le second acte : désir efficace. Il se dem ande alors
D ieu, voir la critique que nous avons faite du pre ­ s ’ il a vraim ent et pratiquem ent la possibilité de
m ier systèm e, et qui procède de Suarez; on assigne l ’ atteindre; et, constatant cette possibilité grâce à la
bien le m otif qui répond à cet am our de convoitise. puissance auxiliatrice de D ieu, il s ’ en réjouit, il com ­
M ais quand on veut ensuite s ’ en tenir à ce seul m otif, m ence à aim er D ieu, non seulem ent com m e bien
et exclure la puissance auxiliatrice, on m éconnaît suprêm e, m ais encore com m e prêt à lui donner un
ces m agnifiques attributs de toute-puissance, de m isé ­ tel secours; il s ’ abandonne à sa bonté, en un m ot
ricorde, de fidélité, que l ’ É criture et la tradition il a confiance en'lui, c ’ est le troisièm e acte. V oir col.
nous présentent si souvent com m e des m otifs d ’ espé ­ 628. M ais de cette succession d'actes divers, quoique
rer. Pour les écarter, on dit qu'ils ne servent de m otif reliés entre eux, résulte la possibilité d ’ un fractionne ­
qu ’ à un acte intellectuel préalable, le jugem ent de m ent. Le dram e ne va pas toujours jusqu ’ au bout;
possibilité. .M ais le jugem ent de possibilité n ’ ayant il peut rester incom plet; l ’ hom m e peut s ’ arrêter à
d ’ autre but que d ’ obtenir en nous cet élém ent affectif l ’ am our ou au désir. Son intelligence abstractive
essentiel qu ’ on nom m e la confiance, il est clair que pourra parfois ne considérer que la bonté relative de
les attributs en question, présentés à l'intelligence, l ’ objet, m otif fondam ental de l ’ acte; la question de
ne produisent pas seulem ent, ce jugem ent, m ais, à difficulté, ou celle de possibilité pratique, ne se posera
travers ce jugem ent, excitent la volonté elle-m êm e, m êm e pas, et par suite, il fera abstraction de la puis ­
l ’ attirent à un m ouvem ent de confiance, et sont à ce sance auxiliatrice, m otif subsidiaire. La volonté dé ­
titre un m otif partiel de l ’ acte com plet d ’ espérance. pendant de la connaissance qui l ’ éclaire, et ne subis ­
Cf. O xéa, loc. cit., p. 39, 40. sant l ’ influence d'un m otif que s ’ il est connu, aim era
M ais en quoi consistera le m ouvem ent affectif déri ­ D ieu surnaturellem ent d ’ un am our de convoitise
vant de ces attributs divins à travers le jugem ent de sous l ’ influence de la grâce, ou désirera le p·
possibilité? dem ande M astrius. « La possibilité de elle s ’ arrêtera là. O r, cet acte, surnaturel et the-
l ’ événem ent futur, dit-il, est une chose présente; de sa nature, n ’ a pas d ’ autre vertu théoloca · :■ u-
nous pouvons donc nous en réjouir, m ais non pas la le produire, que la vertu d ’ espérance. V oir critique du
désirer. O r, l ’ espérance n est que le désir d ’ une chose prem ier systèm e, col. 635. L a vertu d ’ espera-.c· u-_-a
absente. ■ Loc. cit., n. -157. O n ne saurait m ieux m on ­ donc un acte com plet et un acte incom p Ici. Lt m otif
trer le vice originel du systèm e : trop sim plifier l ’ acte du prem ier sera la bonté relative de D ieu avec sa
d ’ espérance. C om m e nous le disions avec Pallavicini et puissance auxiliatrice; le m otif du second sera la
D IC T . D E T H EO L . C A T H 0L . IV . - 21
643 E S P ÉR A N C E 644

bonté relative de D ieu sans la puissance auxiliatrice. m une, produit la crainte salutaire et l ’ attrition qui en
Seule la bonté relative sera le m otif général, qui ne découle. Ejusmodi rationis est, quod homo cupiat bo­
fera jam ais défaut dans aucun acte de la vertu, qu'il num suum, et quod timeat eo privari. II» II® , q. xix,
soit com plet ou incom plet, qu ’ il porte sur la fin der ­ a. 6. La m eilleure m anière de tout concilier, c ’ est de
nière (objet d ’ attribution, voir col. 631), ou sur les dire que les actes d ’ une vertu infuse ont tous la m êm e
biens subordonnes; tout cela est désiré com m e bon et espèce physique, parce qu ’ ils procèdent du m êm e prin ­
utile pour nous. M ais quand on parle du m otif d ’ une cipe; m ais que pourtant ils peuvent se subdiviser en
vertu, on parle d ’ un ressort qui ne peut m anquer dans diverses espèces morales. Actus qui secundum substan­
aucun de ses actes; ainsi V auctoritas Dei revelantis est tiam suam est in una specie nalurie (espèce physique),
m otif de la foi, et se retrouve absolum ent dans tous secundum conditiones morales supervenientes ad duas
ses actes. D ans l ’ espérance, il n ’ y a que la bonté rela ­ species referri potest. 1 “ II®. q. xvm , a. 7, ad 1 “ »'. A vec
tive de D ieu qui joue cc rôle universel ; disons donc un ém inent théologien, A dam T anner, S. J., qui in ­
que c ’ est le seul m otif rie la vertu. Par là nous avons dique notre distinction entre l’acte ordinairem ent
une sim plification, et qui est suffisam m ent fondée; signifié par le m ot d ’ espérance, et la vertu, concluons
nous pouvons, avec Scot et Suarez, distinguer l ’ espé ­ donc que « s ’ il s ’ agit de la vertu d ’ espérance en gé ­
rance et la charité par la distinction très sim ple et néral,l ’ objet form el (ou m otif) ne peut être que D ieu
très profonde que tous les théologiens reconnaissent considéré com m e notre bonheur, com m e notre souve ­
entre l ’ am our de concupiscence et l ’ am our d ’ am itié. rain bien, aim able d'un am our de concupiscence. »
C ette distinction des deux vertus est donnée par saint Theologia scholastica, Ingolstadt, 1627, t. m , p. 541.
Thom as, et rend com pte de toutes les données de la A utre objection. Si la différence entre l ’ espérance
révélation, voir col. 615, tandis que les autres diffé ­ et la charité peut se ram ener à celle de l ’ am our de
rences cherchées entre les deux vertus sont plus ou concupiscence (intéressé) et de l ’ am our d ’ am itié
m oins insuffisantes. V oir col. 626 sq. Elle est donnée par (désintéressé), à laquelle de ces vertus doit-on attri ­
saint François de Sales, par C ajetan, voir col. 621,639, buer le désir courageux de procurer la gloire de D ieu
et beaucoup d ’ autres théologiens. m algré les obstacles, avec confiance d ’ y arriver par
R este à répondre à quelques difficultés. E t d ’ abord le secours divin? D ’ une part, il y a là tous les élé ­
est-elle légitim e, cette distinction que, pour appré ­ m ents de l ’ acte vulgairem ent appelé « espérance ».
cier lé second et le troisièm e systèm es, nous avons D ’ autre part, l ’ am our y est désintéressé. — Réponse.
faite entre le m otif de l ’ espérance-acte, et le m otif — C et acte doit être produit par la vertu infuse de
de l ’ espérance-vertu ? N ’ est-ce pas un axiom e en théo- charité, puisqu ’ il en a le m otif général. C om m e l ’ ob ­
l logie, que chaque vertu nous est connue par son acte, serve C ajetan, la « charité veut à D ieu sa gloire et son
) et que le m otif de~Tactc est aussi le m otif de la vertu? règne sur la terre., non seulem ent en s ’ y com plaisant,
\ — Réponse. — C et axiom e scolastique n ’ a qu ’ une m ais aussi en désirant qu ’ ils soient réalisés, et aug­
vérité approxim ative. Il serait rigoureusem ent vrai m entés. Elle s ’ efforce de les procurer tant qu ’ elle peut,
d ’ une vertu qui n ’ aurait à tout point de vue q u'une elle se réjouit de leur réalisation, s ’ attriste de leur
seule espèce d ’ actes. M ais cette conception de la dim inution ou la craint, et est courageuse contre ceux
vertu est trop bornée et trop pauvre pour les vertus qui y font obstacle, · etc. In ID m II*, q. xxm , a. 1,
infuses, sortes de facultés surnaturelles greffées sur dans S. Thom as, Opera, R om e, t. vin, p. 164. C ’ est
nos facultés naturelles, et s ’ étendant à des actes de aussi la charité qui nous fera espérer d ’ une m anière
diverses classes, entre lesquels on peut voir à un désintéressée un bien pour le prochain; par la vertu
certain point de vue, des différences d ’ espèce. Cf. d ’ espérance on n ’ espère, en effet, que pour soi, suivant
Lugo, De fide, dist. I, n. 236. — N ’ y a-t-il pas une le principe de saint A ugustin, voir col. 606, et de saint
différence spécifique entre aim er et détester? E t Thom as : Spes dicitur proprie respectu alicujus quod
cependant tous les théologiens adm ettent qu ’ une expecialur ab ipso speranle habendum. Sum. theol.,
seule et m êm e vertu infuse aim e le bien qui est son III», q. vu, a. 4.
m otif, et déteste le m al opposé; de là vient qu ’ un M ais, dira-l-on, si la charité peut avec confiance
m êm e péché, d ’ intem pérance, par exem ple, peut être espérer pour D ieu une gloire extérieure; si, d ’ autre
détesté par la vertu de tem pérance sous son propre part, l ’ espérance, par un acte incom plet, peut aim er
m otif, par la vertu d'espérance parce que ce péché et désirer D ieu sans l ’ espérer au sens ordinaire du
prive de la béatitude éternelle, par la vertu de charité m ot; si ces deux vertus ne se distinguent entre elles
parce qu ’ il déplaît à D ieu aim e d ’ un am our d'am itié. que com m e deux am ours d ’ espèce différente : pour ­
A insi l ’ acte de pénitence, qui est génériquem ent la quoi la seconde vertu théologale est-elle appelée espé ­
détestation du péché, se diversifie spécifiquem ent sui ­ rance plutôt qu ’ am our, pourquoi la troisièm e est-elle
vant les m otifs des différentes vertus qui peuvent appelée am our (αγαπη, caritas) plutôt qu ’ espérance. —
égalem ent le produire : c ’ est ainsi que l ’ on aura deux Réponse. — U ne vertu ayant plusieurs classes d ’ actes
espèces de contrition, la contrition parfaite avec le tire forcém ent son nom d ’ une seule de ces classes, qui
m otif de la charité, et la contrition im parfaite elle- prim e à un certain point de vue. O r « l ’ am itié pour
m êm e, qui se subdivisera d ’ après les m otifs des dif ­ D ieu, dit Suarez, est cc qu ’ il y a de prem ier et de prin ­
férentes vertus qui la produiront. — A utre exem ple. cipal dans la vertu de charité : de là son nom . Q u ’ elle
N ’ y a-t-il pas une différence d ’ espèce entre l ’ acte produise parfois un acte de désir ou d ’ espoir, c ’ est
d ’ am our, celui de désir et celui de joie? E t cependant pour elle quelque chose de m oins fréquent que l'am our,
il est reconnu qu ’ une seule et m êm e vertu aime le bien et pour ainsi dire, d ’ accidentel... A u contraire, pour
spécial qui est son m otif, le désire quand il est absent, la vertu d ’ espérance, l ’ acte non seulem ent le plus dif
se réjouit quand il est présent : habitus virtutis idemest, ficile, m ais que D ieu avait principalem ent en vue
qui inclinat ad diligendum, et desiderandum bonum en nous donnant cette vertu, c ’ est le désir efficace (et
dilectum, et gaudendum de eo. S. Thom as, Sum. confiant) de la béatitude absente, m algré tant
theol., Π» II®, q. xxvm , a. 4; cf. q. xxix, a. 4. N ’ y a- d'obstacles et de difficultés; de là le nom d ’ espérance,
t-i) pas une différence spécifique entre la tristesse et la bien qu ’ elle ait d ’ autres actes avec celui-là. » D isp. I,
joie, entre l ’ espérance et la crainte? E t cependant la sect, ni, η. 18, t. xn, p. 609. E n effet, dans la grande
vertu de charité, d ’ après saint Thom as, produit un im perfection de la vie présente, l ’ intérêt propre, qui
acte de tristesse com m e un acte de joie, II». II® , distingue la seconde vertu théologale, est le seul res ­
q. xxvm , a. 1, ad 2 um ; III», q. l x x x v , a. 2, ad l uni. sort capable d ’ agir fréquem m ent et puissam m ent sur
E t la vertu infuse d ’ espérance, d ’ après l ’ opinion com ­ la m ultitude des chrétiens, et de les pousser à travers
645 E S P ÉR A N C E 646

tant de difficultés vers la fin surnaturelle. La seconde relle; car son am our désintéressé,ou « am our d ’ aï- ·.
vertu est donc, avant tout, un instrum ent de lutte est élevé à une hauteur sublim e par le fait que D ieu
courageuse et de m arche confiante vers le grand but, s'est fait notre am i par la fam ilière com m unication
ce que rend bien le nom d ’ « espérance · , tel qu ’ on des biens surnaturels et surtout du plus grand de tous,
l ’ entend com m uném ent. C ’ est aussi une raison de ne la vision intuitive, qui nous fait participer ■ son pro ­
pas adm ettre la persistance de cette vertu infuse quand pre bonheur, et nous assim ile à lui. I Joa., m . 2.
on est arrivé au term e, quoi qu ’ en ait pensé Suarez. Par cette véritable am itié due à la com m unication de
V ÎII. C o m m e n t l ' e s p é r a n c e e s t u n e v e r t u la fin surnaturelle, et qui nous perm et d ’ aim er D ieu
t h é o l o g a l e . — O n nom m e « vertu théologale » celle com m e un am i aim e son am i, la charité theol se
qui a im m édiatem ent D ieu pour objet. L ’ espérance distingue essentiellem ent de cet am our désintéresse
est théologale, et m êm e à double titre : de l ’ hom m e à l ’ égard de D ieu, que l ’ on conçoit (com m e
1° Elle espère Dieu. — D ieu à posséder par la vision acte passager) m êm e en dehors de toute élévation et
intuitive ou béatitude surnaturelle, voilà l ’ objet prin ­ dans l ’ ordre purem ent naturel. C ’ est en ce sens que
cipal de ses désirs (objet d ’ attribution). V oir col. 631. notre vertu de charité se rapporte à D ieu « com m e
D ans cette béatitude qu'on espère, D ieu est appelé objet de la béatitude » surnaturelle. Cf. Thom as, Sum.
la béatitude objective », la possession de D ieu qui theol., Π · II ” , q. xxiv, a. 2, ad 2 “ “ . In quantum est
est quelque chose de fini, est appelée « la béatitude bonum beatificans universaliter omnes supernaturalt
form elle ». Ces deux élém ents constituent par leur beatitudine, sic diligitur dilectione caritatis. I· , q. l x ,
union nécessaire une seule béatitude, où D ieu est a. 5. ad 4 “ m . Form ules qui ont parfois été m al inter
désiré im m édiatem ent, ainsi que l'adm ettent com m u ­ prêtées com m e si la charité était un am our intéressé,
ném ent les théologiens contre D urand de Saint- ou considérait dans tous ses actes la béatitude sur ­
Pourçain. naturelle; il n ’ est ici question que d ’ un rapport objec ­
C ette béatitude pourrait être désirée, com m e glo ­ tif qui existe (que nous y pensions ou non) entre la
rieuse à D ieu, com m e bien de D ieu, ce serait alors le gracieuse com m unication de la béatitude surnatu ­
m otif désintéressé de la charité. Pour que le désir de relle et notre état d ’ am itié avec D ieu : communicatio
la béatitude soit un acte de la vertu d ’ espérance, il beatitudinis æternœ,super quam hæc amicitia fundatur
faut (ce qui est d'ailleurs ordinaire parm i les fidèles) II" II", q. ΧΧΙΠ, a. 5. O bservons d ’ ailleurs que chez,
que la béatitude soit désirée com m e avantageuse pour saint Thom as et les scolastiques, le nom de · charité >
nous, com m e notre bien, qu ’ elle tom be en un m ot s ’ étend parfois à tout l ’ état d ’ am itié avec D ieu :
sous le m otif intéressé de 1 ’ espérance. « la charité ne signifie pas seulem ent l ’ am our de
2° Elle espère en Dieu. — L ’ espérance, au m oins dans D ieu (acte ou vertu), m ais aussi une certaine am itié
ses actes parfaits, dans ceux qui font m ieux voir avec lui, laquelle ajoute, en plus de cet am our, une
toute sa valeur, revêt un caractère de courage et de réciprocité d ’ am our entre les am is, avec une com m u­
confiance, directem ent produit par la considération nication des biens. » I» II ” , q. l x v , a. 5. V oir C h a ­
d ’ un D ieu secourable en qui elle espère. C ette puis ­ r it é , t. n. col. 2225. Sans doute, D ieu sera aim é
sance auxiliatrice, présente à l ’ intelligence, agit direc ­ com m e un am i nous com m uniquant ses biens surna ­
tem ent sur la volonté com m e stim ulant, com m e m otif. turels, dans les actes de charité les plus explicites et
V oir col. 633. O n ne peut, d ’ ailleurs, assigner aucun les plus intim es; m ais ce serait trop restreindre les
autre m otif plus im m édiat de cette confiance, que les actes de cette vertu, que d ’ exiger en chacun d ’ eux
attributs divins de toute-puissance, de m iséricorde, etc. cette considération, m oins à la portée des fidèles; il
A insi l ’ espérance, en tant que confiance, atteint D ieu suffit qu ’ objectivem ent la vertu de charité fasse
im m édiatem ent, elle est vertu théologale » à un nou ­ partie d ’ un état d ’ am itié avec D ieu, et que cet état
veau titre. postule com m e son fondem ent la com m unication de
Ces deux titres sont réunis par saint Thom as, et la béatitude surnaturelle.
il en conclut que 1 ’ espérance est une vertu théologale. 2. La souveraine appréciation de l’objet, dans les
Sum. Iheol., Il» II", q. xvir, a. 5. Sur le prem ier, cf. vertus théologales et en particulier dans l’espérance. —
11 P, q. vu, a. 4. A propos de ce prem ier titre, rem ar ­ L 'objet de ces vertus étant D ieu lui-m êm e, doit être
quons : par elles préféré à toutes choses, com m e il le m érite;
1. La théorie de saint Thomas qui rattache à la béati­ cette préférence est une rem arquable propriété des
tude surnaturelle les trois vertus théologales et leur vertus théologales; on la signale surtout dans la cha ­
infusion. I» II ” , q. l x i i , a. 1, 3. — Q uelle est la m atière rité, m ais elle ne lui est pas exclusivem ent réservée;
principale de la foi? Les m ystères, que nous péné ­ saint Thom as la signale dans la foi : De ratione fidei est,
trerons un jour par la vision intuitive; et, parm i eux, ut Veritas prima omnibus præfcralur, II· II ” , q. v,
cette vision elle-m êm e, autour de laquelle se grou ­ a. 4, ad 2 “ “ ; on y adhère plus qu ’ à tout le reste, super
pent tous les autres m ystères. Par cet objet d'attri ­ omnia, com m e dit saint B onaventure. In IV Sent.,
bution qui la spécifie, la foi théologale se distingue 1. Ill, dist. X X III, a. 2, q. i, ad 4 “ “ . « Préférer » se
essentiellem ent d ’ une sorte de foi que nous aurions dit parfois (en latin surtout) d ’ un sim ple jugem ent
eue, si D ieu, sans nous élever à la fin surnaturelle, de l ’ esprit qui m et un objet au-dessus d ’ un autre,
nous avait révélé des vérités non m ystérieuses, com m e estim ant plus grande sa valeur objective et réelle.
des lois positives venant déterm iner le vague de la « Préférer » ajoute très souvent un acte de la volonté,
loi naturelle, les cérém onies d ’ un culte, etc. Q uelle est une résolution d ’ avoir l ’ un plutôt que l ’ autre, dans
la m atière principale de l ’ espérance? L a m êm e béati ­ le cas où l ’ on ne pourrait les avoir tous deux à la fois,
tude surnaturelle, voir col. 631, non plus com m e objet dans le cas de conflit; car c'est ainsi que la volonté ['ré ­
d'adhésion intellectuelle, m ais com m e objet de désir. fère. C ette préférence de la volonté est absolum ent
P arcet objet qui la spécifie,l ’ espérance théologale se nécessaire, au m oins à l'espérance et à la charité, qui
distingue essentiellem ent de ce désir naturel de D ieu, sont des actes purem ent affectifs et volontaires; Je
de cette soif de l ’ infini, qui serait au fond de la nature super omnia ne saurait s ’ y borner à un sim ple juge ­
hum aine, lors m êm e que D ieu ne nous aurait pas m ent de préférence, sorte de préam bule intellec ­
élevés à la fin surnaturelle; com m e aussi de cette ' tuel; le super omnia sera une libre résolution de sacri ­
confiance qui alors m êm e aurait pu appuyer l ’ hom m e fier, en cas de conflit, tout ce qui serait contraire à
sur la toute-puissance et la m iséricorde de D ieu, et l ’ objet de la vertu, tout ce qui serait incom patible
l ’ aurait naturellem ent porté à prier son M aître. La avec sa conservation par nous.
charité théologale se rattache aussi à la fin surnatu ­ O n doit considérer com m e élém ent de l ’ acte theolo-
Gil E S P ÉR A N C E 648

gal ce ferm e propos, qu ’ il soit renouvelé dans l ’ acte nécessaires à la conversion ne sont pas refusées
m êm e ou qu ’ il y persévère virtuellem ent en vertu d ’ un m êm e au pécheur qui a retardé sa pénitence. Il peut
acte qui a précédé. Il affecte d ’ une m odalité spéciale donc, à la rigueur, faire ce raisonnem ent : « Plus
l ’ am our d ’ espérance, com m e aussi l ’ am our de cha ­ tard je puis et je veux m e convertir; je ne renonce
rité; par lui l ’ ainour de D ieu devient, com m e disent donc pas à m on bonheur éternel. » D ’ autre part, la
les théologiens, amor appreliative summus. Seulem ent crainte des surprises de la m ort tend à le détourner de
ce super omnia, cette souveraineté de préférence, se ce calcul com m e dangereux.
diversifiera dans l ’ espérance et la charité, suivant la Ici apparaît de nouveau la supériorité de la charité
diversité fondam entale et la valeur inégale des deux sur l ’ espérance, I Cor., xm , 13; non seulem ent
am ours de convoitise et d ’ am itié. V oir col. 623. com m e noblesse de m otif et union plus parfaite avec
D ans l ’ espérance, où nous aim ons D ieu com m e notre D ieu, voir col. 623 sq., m ais encore com m e efficacité
bonheur, nous préférons ce bonheur ineffable et néces ­ d ’ influence sur toute la vie m orale. Q uand on aim e
saire. ce « salut », m algré son éloignem ent, son m ys ­ D ieu pour lui-m êm e com m e un am i, et que cet am our
tère et son incert itude relative, à tous les faux bonheurs est suffisam m ent m aitre de l ’ âm e, un nouveau prin ­
de la vie présente; en dépit de toutes leurs séductions, cipe vient com battre ces tristes calculs, outre leur
nous ne voulons pas renoncer pour eux à notre bon ­ danger pour nous. « O ui, dira la charité, l ’ affection
heur éternel. En dépit aussi de toutes les difficultés qui gardée pour un tem ps au péché m ortel te laisserait
tendent à nous décourager, nous ne renonçons pas à encore des chances de salut; elle ne détruirait absolu ­
ce bonheur, appuyés que nous som m es sur le secours m ent ni l ’ objet spécifique de ton espérance, la béati ­
divin, que nous préférons à toutes les forces purem ent tude céleste, ni l ’ espérance elle-m êm e : m ais, ce qui te
hum aines, et à tous les secours trom peurs. Préférer au touche plus que ton propre bonheur, elle irait abso ­
secours de la grâce nos forces naturelles serait la lum ent contre la volonté du céleste am i, elle le peine ­
présom ption, funeste à l'espérance théologale; renon ­ rait et le crucifierait de nouveau, H eb., vi, 6, elle pro ­
cer au ciel à cause des difficultés serait le désespoir, longerait un état d ’ inim itié avec D ieu : c ’ en est assez
égalem ent destructeur de l'espérance; tant que nous pour n ’ en vouloir à aucun prix. » A insi le m otif désin ­
ne renonçons pas au ciel, ni par conséquent aux téressé de la charité, s ’ il a cet inconvénient pratique
m oyens de l'acquérir, tels que le pardon et le secours que le com m un des chrétiens en est m oins touché, a
divin, l ’ espérance vit encore. Elle se propose de faire, cet im m ense avantage d ’ exclure le péché d ’ une m anière
avec l ’ aide de la grâce, tous les sacrifices nécessaires plus radicale; sa chaîne d ’ or peut rattacher à D ieu
au salut : de les faire, sinon m aintenant, du m oins plus puissam m ent que tous les autres liens. Cf. R om .,
plus tard; ce m inim um peut suffire à l'espérance théo ­ vin, 35. A insi la charité est incom patible avec tout
logale, nous le savons par les docum ents positifs : car péché m ortel quel qu ’ il soit, parce que tout péché
le pécheur, qui ne se sent pas encore le courage de faire m ortel rom pt l'am itié avec D ieu; et le ferm e propos
les sacrifices nécessaires pour se réconcilier aussitôt de ne com m ettre, dès m aintenant,aucun péché grave,
avec D ieu, peut cependant faire un véritable acte d ’ observer tous les com m andem ents, bien qu ’ il ne soit
d ’ espérance. V oir ci-dessus, col. 607, 637. Le déses ­ pas essentiel à l ’ acte parfait d'espérance, est essentiel
poir ne détruit donc l ’ espérance que parce qu ’ il à l ’ acte parfait de charité. A insi la charité, com m e une
renonce com plètem ent au travail du salut, non seule ­ reine, com m ande des actes à toutes les autres vertus,
m ent pour le présent, m ais encore pour l ’ avenir. , I Cor., xm , 4 sq., et par là devient < la plénitude de la
A insi la doctrine catholique reconnaît dans le pécheur | loi ». R om ., xm , 10. « Si vous m 'aim ez, gardez m es
non seulem ent la possibilité de la foi, m ais encore celle i com m andem ents... Celui qui a m es com m andem ents
de l ’ espérance salutaire avec son super omnia, et par , et qui les garde, c ’ est celui-là qui m ’ aim e. » Joa.,
suite, la possibilité de la prière surnaturelle, qui est un i xiv, 15, 21. V oir C h a r it é , t. n, col. 2234.
f uit de cette espérance, et qui lui obtient des grâces Ces considérations confirm ent deux propositions
de conversion. C ette doctrine est consolante; elle que nous avons énoncées plus haut : 1. Q uand il
n ’ éteint pas la m èche qui fum e encore; elle encourage s ’ agit de distinguer la charité et l ’ espérance, la diffé ­
I s prem iers essais de retour, les velléités m êm es, et rence vraim ent fondam entale est celle de l ’ am our
perm et, avec le secours de la grâce, une disposition ; désintéressé et de l ’ am our intéressé. V oir col. 623.
graduelle de la volonté au pardon divin. 2. L ’ espérance préfère D ieu à tout, m ais à son point
Souvent, il est vrai, le m otif intéressé de l ’ espérance de vue particulier, in sua linea; le super omnia essen ­
ou de la crainte, grâce aux prédications, aux m édi ­ tiel à l ’ espérance est différent de celui qui est essentiel
tations sur les fins dernières, et surtout à l ’ action de la à la charité, et lui est très inférieur. E t l ’ on voit ce
grâce, agira de façon si intense, qu ’ il am ènera le qu ’ il faut penser de ces deux assertions de Schiffini :
pécheur à faire sur-le-cham p tous les sacrifices, à l ’ am our de concupiscence n ’ aim e en aucun sens D ieu
renoncer dès m aintenant à tout péché m ortel,à toute par-dessus tout, et donc ne peut être un acte théolo­
occasion de pécher à laquelle il faut renoncer pour gal. De virtutibus, p. 396. Si l ’ espérance théologale
que le ferm e propos soit sincère. Il ne voudra plus était un am our de D ieu et avait pour objet sa bonté
rem ettre sa conversion à un avenir incertain; il vou ­ relative à nous, y adhérant par-dessus tout, il fau ­
dra ne rien négliger, ne rien retarder. C ’ est alors que drait dire d ’ elle, com m e de la charité, qu ’ elle est
1 ’ attrition, en « excluant la volonté de pécher », incom patible avec tout péché m ortel, ce qui est
atteindra le point d ’ efficacité nécessaire pour obtenir faux, p. 384. V oir Ch. Pesch, Prælecliones lheol.,
le pardon en vertu du sacrem ent de pénitence. V oir 3° édit., t. vin, n. 496, p. 235.
col. 608, et A t t r i t i o n . M ais ce ferm e propos d'éviter IX. V a l e u r m o r a l e d e l ’ e s p é r a n c e c h r é t ie n n e ;
tout péché m ortel, quoique souvent produit par le s o n a p o l o g ie À t r a v e r s l e s s i è c l e s . — C ette ques ­
m otif de l ’ espérance ou de la crainte, n ’ est pas essen ­ tion est la principale au point de vue de l ’ apologétique
tiel à l ’ espérance théologale; l ’ acte d ’ espérance peut et de l ’ histoire des dogm es. A diverses époques et
se trouver dans le pécheur qui n ’ a pas encore ce ferm e encore de nos jours, on a dénié à l ’ espérance chré ­
propos, qui reste attaché à sa m auvaise habitude, ou tienne sa valeur m orale à cause de l ’ am our intéressé
à l ’ occasion du péché. E t la raison en est que le péché qu'elle im plique; on l'a blâm ée soit parce qu ’ elle ose
m ortel présent ne détruit pas absolum ent, m ais condi ­ adresser un tel am our à D ieu lui-m êm e, soit parce
tionnellem ent, la future béatitude : il privera de la qu ’ elle subordonne la pratique de la vertu à la récom ­
fin dernière, si avant la m ort il n ’ est pas effacé par pense, c ’ est-à-dire à notre propre intérêt.D ’ autres, au
la pénitence. Platel, loc. cit., n. 319. D e plus, les grâoes contraire, ont exagéré la valeur m orale de cet am our
649 ESPÉRANCE 650

intéresse,au point de n ’ en pas reconnaître d ’ autre en seconds, l ’ espérance, dans les troisièm es la charit ­
nous à l ’ égard de D ieu. A près avoir rapporté ce que ies trois états d ’ esprit, dont on nous parle, s des
dit à ce sujet l ’ ancienne tradition des Pères, nous états prédom inants, m ais non pas exclusifs.
aborderons les développem ents de la théologie catho ­ A u point de vue de la tradition catholique, ce qu.
lique, et nous noterons, en citant les docum ents augm ente beaucoup la valeur de cette théorie lar;-
ecclésiastiques, l ’ attitude de l ’ Église en face des erreurs et com préhensive des docteurs cappadociens, c est
qui ont attaqué l ’ espérance. L ’ histoire de cette grande d ’ abord que nous ne voyons aucun autre Père qui la
et difficile question n ’ a pas encore été faite : nous rejette, aucune controverse à ce sujet; c ’ est ensuite
voudrions l ’ esquisser à grands traits; chem in faisant, que nous la retrouvons positivem ent adoptée par
nous ferons rem arquer les réponses données à toutes d ’ autres Pères après eux, en O rient et en O ccident.
les principales objections. Q uelques exem ples : C assien m et cette triple division
1° L ’ancienne tradition. — 1. En Orient. — A u dans la bouche de l ’ abbé C hérém on, Coll., X I,c. vi sq..
iv e siècle, nous y trouvons nettem ent affirm ée la P. L., t. xi.ix, col. 852 sq. ; S. Jean C lim aque,
légitim ité du m otif intéressé et celle du m otif désin ­ Scala paradisi, 1 “ * gradus, P. G., t. ixxxvni, col.
téressé, avec leur inégale valeur. C ’ est une tradition 638; S. M axim e abbé, Myslagogia, c. xxiv, P. G.,
recueillie par les grands docteurs cappadociens, et t. xci, col. 710; S. B ède, In Luc., c. xv, P. L., t. xcu,
qu ’ on pourrait reprendre de plus haut, par exem ple, col. 524; Eadm er, Liber de S. Anselmi similitudinibus
chez C lém ent d'A lexandrie. Strom., IV , c. xxn, c. c.i.xix, P. L., t. eux, col. 693.
P. G., t. vm , col. 1346, 1347; cf. vin, col. 1270; 2. En Occident. — C ’ est surtout saint A ugustin
V II, c. xn, xiii, P. G., t. ix, col. 507, 516; voir dont il faut étudier ici la doctrine, soit parce que les
Freppel, Clément d’Alexandrie, xxx» leçon, p. 457- L atins l ’ ont beaucoup suivi, soit parce que sa théorie
461. C ette ancienne tradition, les trois docteurs sur ce point n ’ est pas des plus claires, et la preuve eu
cappadociens la m ettent vivem ent en lum ière, en est qu ’ on l'a prise dans deux sens diam étralem en
énum érant trois catégories d ’ élus, ou de chrétiens qui opposés et égalem ent faux, com m e l ’ observe le P. Por-
font leur salut. talié. V oir A u g u s t i n , 1.1, col. 2437.
■ Parm i ceux qui sont sauvés, dit saint G régoire Saint A ugustin s ’ est attaché à relever et à inculquer
de N azianze, je sais qu ’ il y a trois classes : les esclaves, l ’ am our d ’ espérance, par lequel nous cherchons en
les m cicenaircs et les enfants. Si tu es esclave, crains D ieu notre bonheur. Il l ’ a appelé un am our pur
les coups; si tu es m ercenaire, regarde ce que tu chaste, un am our de D ieu pour lui-même, par opposi­
recevras en récom pense; si tu es plus que tout cela, tion à l ’ am our qui n'aim erait D ieu que pour obtenir
si tu es fils, respecte D ieu com m e ton père; fais le de lui les biens de cette vie, com m e l'aim aient les
bien parce que c ’ est bien d ’ obéir à ton père, ne dût-il Juifs « charnels ». C ette opposition est très fréquente
rien t ’ en revenir : ta récom pense m êm e, c ’ est de lui chez lui, soit que ses diocésains d ’ H ippone eussent
faire plaisir. » Or., x l , n. 13, P. G., t. xxxvi, col. 373. une dévotion trop sem blable à celle de ces Juifs, soit
Saint B asile voit aussi trois états d'âm e, διαθέσεις , pour toute autre raison. Il leur dit, par exem ple : « Le
qui poussent à obéir à D ieu : « O u bien par crainte du cœ ur est pur devant D ieu, quand il cherche D ieu, à
châtim ent nous fuyons le m al, c ’ est l ’ état d ’ esprit cause de D ieu, Deum propter Deum. · O n a faussem ent
servile, ou, cherchant le gain qui provient de la ré ­ cru qu ’ il parlait ici du m otif absolum ent désintéressé
com pense, nous accom plissons les com m andem ents de la charité, et qu ’ il donnait au Deus amatus propter
en vue de notre propre utilité, et en cela nous ressem ­ se le m êm e sens que les théologiens m odernes. Lisez
blons aux m ercenaires; ou bien nous obéissons en ce qui suit : · Le cœ ur des fidèles lui parle ainsi : Je
vue du bien lui-m êm e, et par am our pour le légis ­ m e rassasierai, non pas des viandes de l ’ É gypte, ni
lateur, joyeux de pouvoir servir un D ieu si glorieux des m elons et des oignons... qu ’ une génération per ­
et si bon, et nous som m es ainsi dans l ’ esprit filial. » verse préférait m êm e au pain descendu du ciel, ni
llegulæ fusius tractatæ, prooemium, P. G., L xxxi, m êm e de la m anne visible; m ais je m e rassasierai,
col. 896. quand votre gloire m e sera m anifestée. Ps. xvi, 15.
• L a plus parfaite m anière de se sauver, dit enfin V oilà l ’ héritage du N ouveau T estam ent... M ais cette
saint G régoire de N ysse, c ’ est par la charité. Q uelques- génération perverse, m êm e lorsqu ’ elle sem blait
uns se sauvent par la crainte, am enés par la m enace chercher D ieu, l ’ aim ait par des paroles m ensongères,
de l'enfer à se séparer du m al. D ’ autres se rangent à et son cœ ur n ’ était pas droit devant D ieu, puisque son
la vertu par l ’ espérance de la récom pense réservée am our portait plutôt sur ces choses, en vue desquelles
aux justes; ce n ’ est pas la charité, m ais l'attente elle cherchait le secours de D ieu. »Enarr. in ps.LXXvn,
de la rém unération qui les fait s ’ attacher au bien. » n. 21, P. L., t. xxxvi, col. 996. E t ailleurs : A im ons-le
Homil., i, in Cantica, P. G., L x l i v , col. 765. gratuitem ent. Q u ’ est-ce à dire? A im ons-le pour iui-
C ette m anière de parler, pour accentuer le contraste même, et non pour autre chose. Si tu sers D ieu, pour
et frapper les esprits, force évidem m ent la note. qu ’ il te donne quelque autre chose, tu ne l ’ aim es plus
Tous ces élus ne sont-ils pas « des fils », puisque, d ’ après gratuitem ent. Tu rougirais si ta fem m e t ’ aim ait à
la doctrine m êm e de ces Pères, on ne peut être sauvé cause de tes richesses, » etc. In ps. Lin,n.10, col. 626.
sans être fils adoptif de D ieu? M ais parce que l ’ esprit C et am our < gratuit » (on dirait aujourd ’ hui désin ­
filial apparaît parfaitem ent dans les troisièm es, on téressé) n ’ em pêche nullem ent de chercher D ieu
leur réserve par excellence le nom de « fils ». D e m êm e, com m e utile pour nous : « N ’ attendons pas de lui
on ne doit pas entendre la division en ce sens extrêm e, autre chose que lui-m êm e, qui est notre souveraine
que les deux prem ières classes se sauvent sans faire utilité et notre salut : c ’ est ainsi que nous l ’ aim on-
pendant une longue vie aucun acte de charité, et que gratuitem ent, selon cette parole de l ’ É criture : 11
l ’ acte de charité soit réservé à une élite : ce serait m ’ est bon de m ’ attacher à D ieu. » De Genesi ad litt.
contredire la doctrine de ces Pères sur le précepte 1. V III, c. xi, P. L., t. xxxiv, col. 382. Pour d'autres
universel de la charité. Ce n ’ est qu ’ accidentellem ent exem ples, voir A u g u s t in , t. i, col. 2436, 2437.
qu ’ un adulte converti et régénéré par le sacrem ent A insi quand il parle d ’ am our pur, d ’ am our gratuit,
de baptêm e ou de pénitence avec la seule attrition, d'am our de D ieu pour D ieu, d ’ ordinaire il oppose au
puis surpris par la m ort, pourrait être sauvé sans l ’ acte plus grossier intérêt un am our relativement désinté ­
de charité. C oncluons qu ’ il faut entendre cette triple ressé. E n prêchant ce désintéressem ent .· .
division en un sens large, en ce sens que dans les fondam ental il relève déjà les âm es au-dessus de-
prem iers, plus fréquente est la crainte, dans les choses de la terre, il les oriente vers leur fin derute-
651 E S P ÉR A N C E 652

M ais il ne ïaul pas dire, avec Bolgeni et quelques col. 332. « La volonté, dit-il ailleurs, a deux aptitudes
autres, qu ’ A ugustin ne connaît pas d'autre désin ­ ou affections : l ’ une à vouloir sa com m odité, l ’ autre
téressem ent que celui-là; que c ’ est là l ’ am our le plus à vouloir la rectitude, » etc. De concordia prœscien-
sublim e, celui qui caractérise la charité théologale; tiæ, etc., q. ni, c. xi, col. 536. Le saint docteur est
que chez A ugustin, l ’ expression propter Deum n ’ a loin de regarder com m e im m oral tout acte libre dont
jam ais un sens plus élevé. Le sens plus élevé est du le m otif est intéressé : « C ette volonté, qui consiste
m oins esquissé dans un livre fait pour tous les chré ­ à vouloir son intérêt (commodum), n ’ est pas toujours
tiens, où il veut qu'en définitive l'am our que nous m auvaise, niais seulem ent quand elle cède à la chair
avons pour nous-m êm es soit rapporté à D ieu, et que en révolte contre l ’ esprit ! » Loc. cit., col. 537.
nous nous aim ions propter Deum : « C ar l ’ hom m e est A u xn e siècle, A bélard, appuyé sur le Caritas non
m eilleur lorsqu ’ il est tout entier attaché au B ien im ­ quœril quæ sua sunt et d'autres textes, fait du com plet
m uable et resserré en lui, que lorsqu ’ il desserre ce désintéressem ent la caractéristique de l ’ acte de cha ­
lien, m êm e pour faire un retour sur soi... Il faut qu'il rité. Les auteurs de VHistoire littéraire de la France,
rapporte tout l ’ am our de soi et du prochain à cet tout en reconnaissant que cette doctrine n ’ est pas de
am our de D ieu, qui ne souffre pas qu ’ on détourne celles qui ont été condam nées dans ses écrits, la re ­
rien de son cours. » De doctrina Christiana, 1. I, c. xxn, gardent com m e singulière, t. xn, p. 86. Leur jugem ent
P. L., t. xxxiv, col. 26, 27, V oir C h a r it é , t. n, est en général assez dur pour ce puissant esprit sou
col. 2221. D e plus, saint A ugustin s ’ est dem andé si vent dévoyé. V oir A b é l a r d , t. i, col. 41. M ais ici,
l ’ hom m e, en aim ant D ieu, pouvait s ’ oublier lui-m êm e. c ’ est vraim ent dépasser les bornes et craindre le
S ’ il ne le peut pas d ’ une m anière perm anente, il le quiétism e où il n ’ est pas à craindre. V oir Éludes du
peut du m oins par m om ents, par éclairs; et le saint 20 m ai 1911, p. 499. L a doctrine d ’ A bélard continue
docteur veut que nous y tendions dans la m esure du en ce point la tradition des Pères grecs. « L ’ hom m e qui
possible : Amandus est Deus ita ut, si fieri potest, aim e D ieu, dit-il, doit com pter sur une m agnifique
nos ipsos obliviscamur. Serm., cxi.ii, c. ni, P. L., récom pense d ’ un tel am our. Toutefois ce n ’ est point
t. xxxvn i, col. 779. D écrivant « l ’ holocauste spiri­ par cette intention qu ’ il agit si son am our est parfait,
tuel », il s ’ écrie :« Q ue tout m on cœ ur soit brûlé de autrem ent il se chercherait lui-m êm e, et serait com m e
la flam m e de votre am our : que rien en m oi ne m e soit un m ercenaire, bien que dans les choses spirituelles.
laissé, pas m êm e un regard sur m oi. » In ps. cxxxvn, Ce ne serait pas la charité, si nous aim ions D ieu plutôt
n. 2, P. L., t. xxxvii, col. 1775. D es textes com m e à cause de nous qu ’ à cause de lui, c ’ est-à-dire pour
ceux-là m ontrent que saint A ugustin a com pris le notre utilité, pour la félicité céleste que nous espérons
désintéressem ent complet de l'acte de charité; ils de lui, .ettant en nous la fin de notre intention et
servent aussi à m ettre au point les passages où il I non pas dans le C hrist. » Expositio in Epist. ad Rom.,
sem ble dire que l ’ hom m e ne peut faire aucun acte vu, 13, P. L., t. c l x x v i ii , col. 891. Il reconnaît à
libre sans avoir sa propre béatitude com m e m otif,et l ’ espérance chrétienne ce désintéressem ent partiel
à justifier les interprétations adoucies qu ’ en ont qui la relève sans doute : « V ous m e direz que D ieu se
données les scolastiques. V oir Études du 20 m ai 1911, donne en récom pense lui-m êm e, et non pas des
p. 486-489. biens étrangers, com m e l ’ observe saint A ugustin;
E ntre les Pères grecs ct saint A ugustin, il n ’ y a qu ’ en le servant pour la béatitude, c ’ est donc vrai­
donc pas de différence essentielle. L ’ O cciaent,com m e m ent pour lui-m êm e que nous agissons, d ’ un am our
l ’ O rient, reconnaît deux form es légitim es de l ’ am our pur et sincère. » M ais ce dem i-désintérisssem ent de
de D ieu : l ’ am our intéressé ou m ercenaire (relevé l ’ espérance ne suffit pas à la charité, A bélard en fait
pourtant par un rem arquable com m encem ent de la rem arque : « N oüs aim erons D ieu purem ent pour
désintéressem ent qui le purifie), qui caractérise l ’ es ­ lui-m êm e, si nous agissons seulem ent pour lui, non
pérance chrétienne; l ’ am our pleinem ent désintéressé pour notre utilité; si nous ne regardons pas ce qu ’ il
avec son esprit filial, qui caractérise la charité. N ous nous donne, m ais ce qu ’ il est en lui-m êm e... Tel est
avouons toutefois que le style spécial de saint A ugus ­ le véritable am our d ’ un père pour son fils ou d'une
tin rend sa pensée difficile à saisii, qu ’ il a fourni à plu ­ chaste épouse pour son m ari ; la personne qu ’ ils aim ent,
sieurs de ses disciples,à travers les âges, une occasion lors m êm e qu ’ elle leur est. inutile, est aim ée davan ­
de se trom per; soit parce qu ’ il gratifie l ’ am our sem i- tage que d ’ autres plus utiles; et tout ce qu'elle leur
désintéressé, celui de l ’ espérance, des m êm es quali­ fait souffrir ne dim inue pas leur am our... Puissions-
fications que l ’ usage a, plus tard,réservées à la charité nous avoir pour D ieu une affection aussi pure, etl ’ aim er
et qu ’ elle m érite à plus juste titre, « am our gratuit, plutôt parce qu'il est bon en lui-m êm e, que parce
am our pur, am our de D ieu pour lui-m êm e; » soit à qu ’ il nous est utile ! » A propos de ce texte du psal-
cause de sa célèbre antithèse frai et uti, où le m ot m iste : « C ’ est à cause de la récom pense que j'ai incline
frui, à prem ière vue, signifie spécifiquem ent un am our m on cœ ur à observer vos lois, » A bélard ne blâm e
de convoitise, m ais en réalité pour A ugustin signifie pas cet am our intéressé, m ais il le m ontre com m e
d ’ une m anière plus générale l ’ am our que l'on a pour une prem ière étape aidant l ’ âm e à M onter plus haut;
la fin, pour D ieu, par opposition à l ’ am our que l ’ on D avid a a com m encé par l ’ espérance et le désir de la
a pour un pur moyen, uti, voir A u g s t in , t. i, col. récom pense, » nour arriver à la charité. Loc. cit.,
2433; soit parce qu ’ il étend souvent le sens du m ot col. 893. N ous ne lui reprocherons pas non plus de nous
caritas à toute affection suffisam m ent honnête, sur ­ m ontrer dans le C hrist, à notre égard, le m odèle de
tout si die p?ovient de la grâce. Ibid., col. 2435, l'am our désintéressé, col. 891. M êm e en regardant
2436. sa nature divine, on peut y trouver le désintéressem ent
2° La théologie scolastique à partir de ses origines, en ce sens que D ieu nous aim e sans avoir besoin de
jusqu’à la fin du χιπ° siècle. — Saint A nselm e oppose I nous. M ais ailleurs, dans ses théories sur la T rinité,
nettem ent, dans les actes de la créature raisonnable, A bélard est allé trop loin : il sem ble n ’ avoir adm is
le m otif intéressé et le m otif désintéressé. L ’ ange, i en D ieu qu ’ un am our désintéressé pour sa créature:
au m om ent de sa chute, dit-il, « n ’ a pu vouloir que il n ’ a pas com pris la perfection infinie de l ’ am our que
l ’ une de ces deux choses, la justice ou l ’ intérêt D ieu a pour lui-m êm e ni com m ent. cent r e de toutes
propre, justitiam aut commodum, car c ’ est de nos i choses, il est juste et nécessaire quil lasse tout
intérêts qu ’ est com posée la béatitude que désire converger vers soi. Loc. cit., col. 1299. Cf. Pierre
toute nature raisonnable, » ex commodis constat R ousselot, Pour l’histoire du problème de l’amour
beatitudo. De casu diaboli, c. iv, P. L., t. c l v ii i , au moyen âge, M unster. 1908, dans les Beilrâge zur
653 E S P ÉR A N C E

Geschichte der Philosophie des Millelalters du docteur latérales et partielles » qui ne peuvent · rendre c -
B aeum ker, t. vi, p. 59 sq. V oilà donc une exagération de tout le donné traditionnel. » Op. cil., p. 45.
d'A bélard en faveur de l ’ am our désintéressé. Saint B ernard, vers la m êm e époque, écrit sa lettre
H ugues de Saint-Victor, lui, a exagéré dans l ’ autre aux chartreux sur la charité (en 1125, d ’ après M -
sens. Son point de départ n ’ est point blâm able : dis ­ billon), ct son Liber de diligendo Deo (112«». où d ’ ail ­
ciple de saint A ugustin, il a voulu en suivre jusqu ’ à leurs cette lettre est reproduite à la (in, à partir du
la term inologie. « C ’ est un am our gratuit, dit-il avec c. xn. B ien qu ’ am i de H ugues de Saint-V ictor, il a
son m aître, que de vouloir posséder D ieu lui-m êm e, une idée tout autre du désintéressem ent de la chariu .
ct de ne chercher rien d ’ autre que lui... Si vous aim ez N on seulem ent il reprend la traditionnelle énum érati· · !:
quelque chose (quelque bien tem porel) à sa place, des trois classes de chrétiens : « Tel loue D ieu parc· ;
vous êtes un m ercenaire. · M êm e pour la béatitude qu ’ il est puissant, tel autre parce qu'il est bon, «
céleste, H ugues signale avec perspicacité une façon bonus, tel autre parce qu ’ il est absolum ent bon,
illégitim e de la rechercher dans notre intérêt : « Si I simpliciter bonus. Le prem ier est un esclave et craint
vous vous représentez la vie éternelle com m e un bien pour soi; le second est un m ercenaire et convoite pour
distinct de D ieu, et si vous servez D ieu seulem ent soi; le troisièm e, un fils et il honore son père. A in>i
pour arriver à ce bien-là, ce n ’ est pas une m anière celui qui craint et celui qui convoite agissent pour
pure de le servir, ni un am our gratuit. Les fils de eux-m êm es : seule, la charité qui est dans les fils, ne
Zébédée, qui dem andaient à être assis à sa droite et cherche pas ses propres intérêts, qua· sua sunt (I Cor.,
à sa gauche dans son royaum e, concevaient quelque xiii, 5, texte cité dans le m êm e sens par A bélard). »
chose d ’ étranger à lui... Ils pensaient qu ’ il faut servir Il sem ble m êm e exagérer, quand il ajoute que la
D ieu pour quelque chose qui n ’ est pas lui; ils ne crainte et l ’ am our de convoitise « peuvent bien chan ­
com prenaient pas qu ’ il est le bien seul aim able pour ger le visage ou l ’ action, m ais non l ’affection; » que
lui-m êm e, et que tout ce qui est aim é en dehors de lui ces sentim ents « ne convertissent pas l ’ âm e. · De dili­
doit être aim é à cause de lui. » De sacramentis, 1. II, gendo Deo, c. xn, P. L., t. c i . x x x i i , col. 995. L ’an ­
part. X III, c. vin, P. L., t. c l x x v i , col. 534. M ais si cienne tradition, au contraire, adm ettait la conver ­
A ugustin insiste sur ce dem i-désintéressem ent de sion et le salut dans ces deux prem iers états, non,
l ’ am our d ’ espérance, il adm et aussi, nous l ’ avons vu, l ’ avons vu. Peut-être la différence vient-elle de ce quv
un désintéressem ent plus com plet, où, sans retour sur les anciens Pères appelaient esclave ou m ercenaire de
nous-m êm es, nous voulons à D ieu son bien et sa D ieu, sans attacher à ces nom s un sens m auvais, 1
gloire; s ’ il en parle m oins souvent, il ne le com bat chrétien chez qui prédom ine habituellem ent la re ­
jam ais. A u contraire, et ici com m ence la déviation, cherche légitim e de son intérêt, bien qu ’ il s ’ élève
H ugues de Saint-V ictor attaque vivem ent, com m e dé ­ parfois à l ’ acte de charité ordonné à tous, tandis
raisonnable, cet acte de désintéressem ent total: «Q uoi que saint B ernard considère sous ces m êm es nom s ur
donc ! s ’ écrie-t-il, le précepte d ’ aim er D ieu veut-il dire, vie d ’ où l ’ acte de charité serait com plètem ent ban:
selon toi, que tu doives lui faire ou lu: désirer du bien? D ans la prem ière partie de son beau livre, c. i-xi,
N e veut-il pas dire, plutôt, que tu dois le désirer, lui saint B ernard donne avant tout une idée d ’ ensem ble
qui est ton bien? Tu ne l ’ aim es pas pou- son bien à de l ’ am our que nous devons avoir pour D ieu, et de nos
lui, m ais pour ton bien à toi... C ar si tu prétends l ’ aim er m otifs de l ’ aim er. C ’ est dire qu ’ il fait la synthèse de
pour son bien, quel bien peux-tu lui donner? T u dis: l ’ am our de charité et de l ’ am our d ’ espérance, et joint
si je ne peux lui donner, du m oins, je peux lui désirer ensem ble le m otif désintéressé et le m otif intéresse.
du bien ; m a puissance est bornée, m ais m on am our I Il exprim e ces m otifs dans la term inologie de saint
est riche; ce que je ne puis pas faire, je puis le A nselm e (justitiam, aut commodum, voir col. 651). Il
vouloir; je lui donnerais si je pouvais, m ais je fais faut aim er D ieu, sive quia nihil justius, sive quia nil
ce que je puis. » E t H ugues de répondre : » Q ic /ructuosius... Suo merito..., nostro commodo. B ossuet
peux-tu désirer à celui qui a tout?... Ta piété est su ­ a bien vu ici sa pensée, et qu ’ il la tenait de saint
perflue; aie plutôt pitié de toi-m êm e. L ai, il a suffi­ A nselm e. Préface sur l’instruction pastorale, etc., n. 33,
sam m ent. Celui qui est parfait, veux-tu le rendre Œuvres, L xix, p. 204. Q uand saint B ernard ajoute
m eilleur? » Op. cil., c. vu, col. 533. R éponse dure et que D ieu seul est la cause d ’ aim er D ieu, qu ’ il faut
peu solide. N ous ne prétendons pas ajouter à D ieu une aim er D ieu pour lui-même, ·■ il ne prend pas cette for ­
perfection intrinsèque, ce qui serait absurde: m ais nous m ule com m e les théologiens qui plus tard l ’ont res ­
voulons lui offrir une gloire extrinsèque, un culte treinte à l ’ am our de charité : il suit le style de saint
affectif, dont il n ’ a pas besoin, m ais qu ’ il est juste de A ugustin, plus obscur pour nous, et voit le propter
lui rendre, et qui est com pris dans la plénitude Ipsum réalisé à sa m anière dans l ’ am our d ’ espérance,
d ’ am our qu ’ il a com m andée : Diliges Dominum ex donc réalisé dans chacun des deux am ours : Ob du­
loto corde. E t puis ces actes d ’ am our désintéressé ne plicem causam Deum dixerim propter seipsum diligen­
consistent pas seulem ent, com m e H ugues le suppose, dum : sive quia nihil justius sive quia nil fructuosius
à désirer à D ieu quelque chose qui n ’ existe pas diligi potest. Loc. cit., coi. 975. Il développe cette divi­
encore, m ais aussi à nous réjouir, à cause de lui, de sion : 1. M otif absolum ent désintéressé. Saint B ernard
ce qu ’ il est, de ce qu ’ il a, à dire amen à ses perfections le m ontre d ’ abord dans l ’ am our du C hrist pour nous,
infinies. — H ugues de Saint-V ictor conclut d ’ une afin de nous engager à im iter cette charité : « Il s ’ est
m anière bien étroite : « Q u ’ est-ce qu ’ aim er, sinon con ­ donné lui-m êm e à nous qui ne le m éritions pas..., bien
voiter, concupiscere, et vouloir posséder et jouir; si on digne de recevoir de nous am our pour am our... Il nous
n ’ apas(ce qu ’ on aune), vouloir l ’ obtenir; si on l ’ a, a aim és gratuitem ent, nous ses ennem is... O r il n ’ est
vouloir le garder? » A cela il sem ble réduire l ’ acte de pas de plus grand am our que de donner sa vie pour ses
charité théologale. E t B ossuet, après avoir longuem ent ennem is. » D ’ aucuns s ’ étonneront de le voir, dans les
cité ce passage, ajoute : « O n connaît la doctrine de chapitres suivants, énum érer longuem ent les bien ­
saint A ugustin à ce discoursd ’ un deses enfants, d ’ un faits de D ieu envers nous, pour nous exciter à l ’ aim er
de ses religieux, d ’ un de ses disciples. » Instruction cette considération convient-elle au m otif désinteress<
sur les étals d’oraison, additions et corrections, n. 8, dont il s ’ agit présentem ent? N e fait-elle pas appel
édit. L âchât, t. xvm , p. 670,673. 11 faudrait au m oins à notre intérêt? D istinguons entre le bien qu ’ on peut
distinguer ici ce qui est conform e à saint A ugustin, nous faire et celui qu'on nous a fait. Si nous nous
et ce qui s ’ en écarte. M . R ousselot a judicieusem ent attachons à quelqu ’ un pour le bien que nous en .
rangé la solution de H ugues - parm i les théories uni- 1 rons, c ’ est le m otif intéressé; m ais si n us nous atta-
655 ESPÉRANCE 656

chons à lui parce qu ’ il nous a fait du bien, c ’ est la Saint B onaventure, qui a suivi le m êm e m alheureux
reconnaissance, ou pour parler avec saint A nselm e systèm e sur l ’ espérance, ainsi que nous l ’ avons vu, ne
et saint B ernard » la justice », vertu dont le m otif s ’ est pas laissé entraîner par là à rejeter l ’ am our
est désintéressé et qui, quand elle s ’ adresse à D ieu, intéressé, base de l ’ espérance. 11 s ’ en est tiré en attri ­
est bien voisine de la charité théologale. La reconnais ­ buant à la seule charité les deux am ours de D ieu,
sance nous fait rendre am our pour am our, délicatesse celui d ’ am itié et celui de convoitise. V oir C h a r it é ,
de sentim ent pour délicatesse de sentim ent. E t puis, t. n, col. 2222. Q uels que soient les inconvénients
le bienfaiteur, par ses bienfaits, nous révèle la géné ­ de cette opinion pour la distinction de la charité et
rosité de son cœ ur : cette expérience personnelle et de l ’ espérance, le saint docteur, plus sage qu ’ A lbert
prenante nous am ène aisém ent à l ’ aim er indépen ­ le G rand, est resté fidèle à la tradition sur la légitim ité
dam m ent de tout profit personnel. Les ascètes et nom ­ et la surnaturalité des deux am ours.
bre de théologiens s ’ accordent à voir dans la considé ­ A près les divers tâtonnem ents de la scolastique
ration des bienfaits divins, un puissant stim ulant de prim itive, quelques-uns défendant trop exclusive ­
l ’ am our de charité, voir C h a r it é , t. u, col. 2223, m ent l ’ am our intéressé, com m e H ugues de Saint-
dans les bienfaits de la rédem ption surtout, sur les ­ V ictor, d ’ autres trop exclusivem ent l ’ am our désinté ­
quels insiste le saint docteur. V oir C. Pesch, Prœlec- ressé, com m e A bélard et surtout A lbert le G rand,
tiones, t. vin, n. 563, 564. — 2. M otif de notre intérêt, nous arrivons à saint Thom as, dont la sagesse accou ­
c. vu, col. 984 sq. Saint B ernard ne m anque pas, avec tum ée a su éviter les excès contraires et m aintenir
saint A ugustin, de relever le dem i-désintéressem ent avec le grand courant de la tradition les deux form es
de l ’ espérance chrétienne, voir col. 650, qui perm et louables et surnaturelles de l ’ am our de D ieu, l ’ intéres ­
à cette vertu d ’ être un véritable am our de D ieu, sée et la désintéressée, l ’ une appartenant à l ’ espérance,
quoique m oins parfait. l ’ autre à la charité. La pénétration de son génie,
N ous avouons que la pensée du saint docteur de aidée des fines observations d ’ A ristote, inconnues à
C lairvaux est un peu obscure, à cause de sa form e saint B ernard ct à son siècle, lui ont servi à confirm er
oratoire, du style augustinien et de la liberté avec les données de la tradition et à leur ajouter une pré ­
laquelle il passe, sans avertir le lecteur, d ’ un degré cision adm irable. M ais la doctrine de saint Thom as a
du désintéressem ent à l ’ autre, et de l ’ am our d ’ espé ­ déjà été présentée ci-dessus, col. 621 sq.
rance à celui de charité; choses qui d'aillcurs se com ­ D ans l'im possibilité de nous arrêter plus longtem ps
plètent et ne se contredisent pas. C ette obscurité sur les célèbres docteurs du xm » siècle, contentons
explique com m ent B ossuet et Fénelon l ’ ont chacun nous de rappeler que Scot s ’ accorde avec saint Thom as
tiré à soi; m ais elle ne va pas jusqu ’ au m anque de et la tradition sur la valeur des deux form es de
cohérence ni jusqu'à « l ’ illogism e » que M . R ousselot l'am our de D ieu, et qu ’ il en a m êm e tiré la différence
a cru voir dans la pensée de saint B ernard. Op. cil., de l ’ espérance et de la charité, ce qui caractérise son
p. 49, 52. Q uant à la théorie de la genèse de l ’ am our systèm e. V oir col. 641.
divin ou de ses quatre degrés, déjà développée dans 3° Après le xui‘ siècle jusqu’au protestantisme. —
la lettre aux chartreux et reprise dans le livre De A cette époque inférieure de la scolastique, nous
diligendo Deo, en affirm ant de nouveau les deux voyons, sur la question qui nous occupe, apparaître
form es de l ’ am our divin, elle m ontre com m ent la des erreurs contre lesquelles réclam eront soit les
form e intéressée, prem ière dans l ’ ordre du développe ­ théologiens, soit l ’ É glise elle-m êm e. U n fait assez
m ent, est une étape nécessaire pour arriver à la form e curieux n ’ a pas été noté, c'est que ces erreurs se pro ­
com plètem ent désintéressée et plus parfaite. C ette duisent toutes dans un m êm e sens : l ’ exagération du
théorie fondée sur l ’ expérience reste donc dans les désintéressem ent. E st-ce influence de la chevalerie,
lignes traditionnelles, et a inspiré saint Thom as. V oir alors si brillante, et de la littérature chevaleresque?
col. 622 sq. Cf. Études du 20 avril 1911, p. 187 sq. E st-ce raffinem ent du m ysticism e alors en honneur?
A u xui° siècle, A lbert le G rand m et vivem ent en Q uoi qu'il en soit,désorm ais,l’ apologétique catholique
lum ière l ’ am our pleinem ent désintéressé com m e ca ­ devra défendre laform e intéressée de i ’ am ourde D ieu,
ractéristique de la charité théologale. « La charité et la vertu d ’ espérance; et cela continuera plus tard,
envers D ieu, dit-il, est vraie et parfaite quand l ’ âm e avec le protestantism e, le jansénism e et le quiétism e.
se déverse en D ieu, ardem m ent et de toutes ses forces, D onnons quelques exem ples, tous datés du xiv' siècle.
ne cherchant en lui aucun intérêt passager ou éternel..., C ’ est d'abord m aître E ckart, ce scolastique doublé
car l ’ âm e délicate a com m e en abom ination d ’ aim er d ’ un m ystique, dont l'influence a été grande en A lle ­
D ieu par m anière d ’ intérêt ou de récom pense. Pareil ­ m agne. V oir E c k a r t , on y trouvera, t. iv, col. 2062,
lem ent D ieu se déverse dans l ’ âm e de l ’ hom m e sans sa 8 e proposition condam née com m e hérétique, où
en espérer aucune utilité. » Paradisus animie, c. i, il veut qu ’ on renonce à tout intérêt, m êm e à celui de la
Opéra, Paris, 1898, t. xxxvn, p. 449. B ossuet lui- récom pense céleste. D enzinger, n. 508 (435).
m êm e adm et cette définition de la charité. Œuvres, E n E spagne, nous voyons l ’ archevêque de T arra-
édit. L âchât, t. xix, p. 270. M ais A lbert ajoute gone condam ner cette assertion de B éranger de M ont-
aussitôt une critique injuste de l'am our intéressé et faucon, autour duquel com m ençait à se faire un m ou ­
prend l ’ extrêm e opposé à H ugues de Saint-V ictor : vem ent de fidèles : « T out le bien doit être fait par
• C elui qui aim e D ieu pour sa bonté relative (quia pur am our de D ieu, » et non dans un autre but, ni
sibi bonus est), et principalem ent pour que D ieu lui dans l ’ espérance de la récom pense éternelle. D ans
com m unique sa béatitude, est convaincu d'avoir un 1 Eymei'.c,Directorium inquisitorum, R om e, 1585, p. 223.
am our naturel et im parfait... L ’ am our naturel ne N ous om ettons com m e douteux ce qu ’ Eym eric dit
m érite de D ieu aucune louange, car il se retourne dans le m êm e sens sur R aym ond Lulle.
toujours sur lui-m êm e, et cherche son propre intérêt... En France, c ’ est le subtil et aventureux D urand de
(D ieu apprécie) seulem ent l ’ am our gratuit, qui a Saint-Pourçain. Sans nier la légitim ité de l'am our de
toujours pour objet une autre personne.» Com m e s ’ il soi et de son intérêt, sans enlever cet am our à la vertu
n ’ y avait pas un surnaturel et louable aniour d ’ espé ­ d ’ espérance, il com prom et du m oins dans celle-ci
rance, avec retour sur soi et recherche de son intérêt ! son caractère de vertu théologale, voir col. 645, en
11 est vrai qu ’ A lbert sem ble ne m ettre aucun am our lui assignant pour objet im m édiat non pas D ieu, la
dans l'espérance chrétienne, loc. cit., p. 478, en quoi « béatitude objective », m ais seulem ent l ’ acte par lequel
il se m ontre précurseur du prem ier systèm e critiqué nous posséderons au ciel et nous goûterons D ieu, ce
plus haut. V oir col. 633 sq. que les théologiens appellent la béatitude form elle ».
657 E S P ÉR A N C E 658

E t la prem ière raison qu ’ il en donne est celle-ci : intéressé pour D ieu, Jansénius reprend l ’ idée de
« L ’ espérance appartient à l ’ am our de convoitise, par D urand après une définition assez exacte des deux
lequel nous voulons un bien pour nous. M ais D ieu am ours : Amor concupiscentia: quidquid appetierit id
lui-m êm e ne peut pas être l ’ objet prochain et im m édiat ultimo appetit propter se tanquam finem cui ultimo
de notre am our de convoitise, car D ieu doit être aim é totum cedat : amor benevolentix seu caritatis quidquid
pour lui-m êine et d ’ un am our d ’ am itié. C et objet appetierit, aut speraverit, aut adeptus fuerit, id totum
(im m édiat de l ’ espérance) sera donc quelque autre quasi oblitus sui in hoc ipsum velat finem cui retor.::··,
chose, et ne peut être que notre future béatitude » quem ista benevolentia! caritate dilexerit, ii ne veut pas
(en tant que distincte de D ieu). In IV Sent., 1. III, que le prem ier de ces am ours puisse s'adresser à D ieu
dist. X XV I, q.n, Paris, 1550, fol.224. C ette assertion, Concupiscentia, respectu Dei, amor vitiosus est. Ce serait
que D ieu lui-m êm e ne peut être l ’ objet direct d ’ un nous aim er nous-m êm es et non pas D ieu; ce sen it
am our de convoitise, les docteurs des âges suivants nous faire nous-m êm es fin dernière. Augustinus, t. ni.
la rejetteront d ’ un com m un accord. C apréolus, ce De gratia Christi, 1. V , c. ix, R ouen, 1643, p. 222, 223.
« prince des thom istes », répondra à D urand, au début Jansénius, en cela différent des protestants, perm et
du XV· siècle : « D ieu peut être aim é d ’ un double que nous tendions à la béatitude céleste, m ême-
am our, l ’ un im parfait, qu'on nom m e am our de convoi ­ considérée com m e récom pense; m ais toujours par
tise, l ’ autre parfait, qu ’ on nom m e am our d ’ am itié. le m otif désintéressé, en la considérant com m e un
A ucun des deux n ’ est péché, m ais au contraire acte m oyen suprêm e de glorifier D ieu. «La vision deD ieu...
bon et licite. » In IV Sent., 1. Ill, dist. X X V I, q. i, ne doit pas être aim ée par un chrétien d ’ une autre
a. 3, Opera, T ours, 1904, t. v, p. 343. U n siècle plus tard, espèce d ’ am our; et dans tous les ouvrages d ’ A ugustin
C ajetan réfutera de m êm e l ’ argum ent de D urand : com m e dans les saintes É critures, il n ’ y a pas trace
D ieu, pris en lui-m êm e, doit être aim é surtout d ’ un de cette idée qu ’ on doive désirer son salut en vertu
am our d ’ am itié, m ais non pas de ce seul am our : car il d ’ un am our différent de la charité véritable. » Loc. cit.,
peut être aim é aussi d ’ un am our de concupiscence. » c. x, p. 224. E t Jansénius d ’ accum uler les propter
/n II‘m II*, q. xvn, a. 5; dans la grande édition de Deum et les gratis amare, fam iliers à A ugustin, pour
saint Thom as, R om e, 1895, t. vin, p. 130. A insi nous exiger au nom du m aître un seul am our de D ieu,
retrouvons, toujours m aintenue dans l ’ Église, la celui qui est absolum ent désintéressé. Pauvre exé ­
solide position de la tradition antique sur les deux gèse ; car A ugustin, par ces form ules, entendait le plus
form es de l ’ am our de D ieu. C 'est à peine si D enys le souvent, nous l ’ avons vu, le dem i-désintéressem en:
C hartreux, au xv' siècle, s ’ en écarte par des expres ­ qui se trouve dans l ’ am our de concupiscence à l ’ égard
sions un peu fortes en faveur du désintéressem ent de D ieu. V oir col. 650.
absolu; pour lui, au fond, l ’ espérance théologale reste A insi le jansénism e perm ettait de tendre à la béa ­
intéressée, sinon principalem ent, du m oins secondaire ­ titude, m ais à condition que le m otif intéressé (qui
m ent, tendit (in D eum ) non principaliter intuitu com­ se présente naturellem ent alors) fût librem ent re ­
modi. In IVSent., 1. Ill,dist. X X V I, O pera, T ournai, poussé, ou du m oins qu ’ il ne restât jam ais seul, et
1901, t. ΧΧΙΠ, p. 454. fût toujours accom pagné et dom iné par le m >tif de
1° Depuis la Réforme jusqu’à la fin du XVIR siècle : la charité parfaite. L ’ Église a condam né cette doctrine.
protestantisme et jansénisme. — 1. Protestantisme. — 10. In ten tio , qua quis de ­ L ’ in ten tio n p ar laquelle
Il sem ble que le protestantism e naissant aurait dû se testatu r m alum et prose ­ on déteste un m al ou l ’ on
renferm er, à l ’ égard de D ieu,dans un am our intéressé. q u itu r bonum m ere u t cæ - cherche un bien seulem ent
Luther n ’ a-t-il pas réduit la foi justifiante, c ’ est-à-dire, lestem obti n eat gloriam , non p o u ro b ten irla gloirecéleste.
pour lui, l ’ essentiel de la religion, à une joyeuse con­ est recta nec D eo placens. n ’ est ni d ro ite ni agréable à
fiance du pardon de ses péchés, laquelle enferm e toute D ieu.
13. Q uisquis etiam æ ter- Q uiconque sert D ieu en
la religion dans un cercle d ’ intérêt personnel? V oir nas m ercedis in tu itu D eo fa ­ vue d ’ une récom pense m êm e
L u t h e k . E t pourtant, soit souvenir de m aître E ckart m ulatur, caritate si carue- étem elle, s ’ il n ’ y jo in t pas
ou d ’ autres m ystiques, soit m anie d ’ attaquer les doc ­ rit, v itio non caret, quoties (le m o tif de) la charité, fait
trines de l ’ Église, L uther rejette illogiquem ent les in tu itu b catitu d in is ope ­ un acte vicieux, toutes les
m otifs intéressés. Il faut que le concile de Trente ratu r. D enzinger, n. 1300 fois qu ’ il ag it en vue de cette
prenne contre lui la défense de l'attrit ion qui considère (1167), 1303. b éatitu d e.P ro p o sitio n s jan ­
dans le péché « sa laideur et sa honte, et com m ent il sénistes, condam nées p ar
A lexandre V III.
fait perdre l ’ éternel bonheur et encourir la dam nation
éternelle. » Sess. xiv, can. 5, D enzinger, n. 915 Q uand il exigeait de tout chrétien un acte de charité
(793). Il faut qu ’ on défende contre lui l'espérance du en quelque sorte perpétuel et m êlé à tout, le jansé ­
bonheur céleste et le souci des bonnes œ uvres pour nism e n ’ avait pas le sens de la réalité. A vec une
l ’ obtenir. intelligence faible com m e la nôtre dans les choses spi ­
Si quis d ix erit justifica ­ Si quelqu ’ un d it que le rituelles et divines, qui ne peut sans cesse penser à
tum peccare, dum in tu itu ju ste pèche, lorsqu ’ il fait D ieu, et qui, lorsqu ’ elle pense à lui, le considère tantôt
æ ternæ m ercedis bene ορο ­ une bonne œ uvre en vue à un point de vue, tantôt à un autre, n ’ est-ce pas
ί i tur, anathem a sit. S ess.V I, de réternellc récom pense, une nécessité que le chrétien, à certains m om ents,
can. 31, D enzinger. n. 84 ’ qu ’ il so it anathèm e. voie D ieu com m e son bien personnel (car il l ’ est véri ­
(723); eti can. 26.
tablem ent), et l ’ aim e alors d ’ un am our intéressé,
Toutefois l ’ idée fondam entale de L uther et de plus à la portée du com m un des fidèles? E t quel
C alvin était m oins le triom phe du désintéressem ent m al peut-il y avoir là, si d ’ ailleurs,à un autre m om ent
absolu, que la négation de nos m érites en vue de relever ; de sa vie, il tâche d'aim er D ieu d ’ un am our désintéressé
le seul m érite du C hrist. Parce que mérite et récom­ et plus parfait, qui finalem ent com plétera tout, et
pense sont des term es qui se correspondent, l ’ horreur ■ rapportera tout l ’hom m e à la gloire de D ieu, com m e
qu ’ ils avaient pour le souci des œ uvres m éritoires au dernier m ot de toutes choses? E t peut-on raison­
retom bait sur le souci de la récom pense. A u reste, nablem ent exiger davantage?
leur triste cam pagne contre les m érites et les bonnes M ais, disent les jansénistes, celui qui ibéit - la loi
œ uvres n ’ appartient pas à notre sujet. V oir M é r i t e . de D ieu uniquem ent par le m otif de la récom pense,
Cf. Études du 5 m ai 1911, p. 354-355. celui-là, par une conséquence nécessaire, n ebéirs ’
2. Jansénisme. — N ous n ’ entrerons pas dans l ’ en ­ pas, s ’ il n ’ y avait pas de récom pense, ce qui es:
sem ble de ses doctrines.V oir J a n s é n is m e . Sur l ’ am our im m oral. — Réponse. — L a conséquence n ’ est nulle-
659 E S P ER A N C E 660

m ent rigoureuse. Il n ’ obéirait pas. » Q u ’ en savez- fin, en la jouissance de laquelle consiste notre bon ­
vous? Il lui arriverait peut-être d ’ obéir pour un autre heur. » Traité de l’amour de Dieu, 1. II, c. xvn, Œuvres,
motif, aidé de la grâce; il lui arriverait peut-être aussi A nnecy, 1894, t. iv, p. 143. E t tandis que nous ne
de ne pas obéir, m ais, m êm e en ce cas, vous ne pouvez m ettons pas en nous, m ais en lui, la qualité de sou-
pas lui im puter ce qu ’ il ferait dans d ’ autres circons ­ I verain bien; tandis que nous avouons notre indigence,
tances qui ne se réaliseront jam ais. Les m érites et les le vide de notre cœ ur et sa perfection infinie qui vient
dém érites conditionnels qui seraient et qui ne sont le com bler, d ’ autre part nous ne l ’ exploitons pas,
pas, n ’ ont aucune valeur réelle, et ne peuvent changer com m e l ’ hom m e exploite l ’ hom m e, car il ne perd rien,
en rien la m oralité de quelqu ’ un; déjà saint A ug as- il ne peut rien perdre en se com m uniquant à nous,
tin le rem arque contre les sem i-pélagiens. Si l ’ on au contraire cette com m unication lui est glorieuse.
disait : « D ans l ’ hypothèse im possible où D ieu ne ré ­ La gloire de D ieu résulte donc de l ’ am our intéressé
com penserait pas le bien, je voudrais faire le m al, » lui-m êm e, quoiqu ’ elle n ’ entre pas com m e motif
ce souhait positif du m al, cette disposition d ’ âm e se ­ dans cet am our.
rait im m orale; m ais vous avez tort de la supposer en U ne solution encore plus profonde de cette diffi­
celui qui agit en vue de la récom pense, et dont la culté, et qui m arque la dernière étape dans l ’ apologie
pensée ne va pas plus loin.. Q uand par hasard cette de l ’ espérance, c ’ est celle que. peu après saint François
question se poserait devant lui ; « Q ue voudrais-tu de Sales, donnait un disciple de Lessius, C oninck,
faire dans cette hypothèse im possible ?» il n ’ est, nulle S. J. V ous objectez que, dans l ’ am our intéressé, je
m ent obligé d ’ yrépondre; il ale droit de négliger un m e prends m oi-m êm e com m e fin dernière. M ais non...
cas chim érique et de passer sim plem ent à une autre Q u ’ est-ce que la fin dernière, au sens propre du m ot?
occupation d ’ esprit. Theologia Wirceburgensis, Paris, C ’ est un bien dont on conçoit les qualités surém inen ­
1852, t. iv, n. 260, p. 221. tes, auquel on attribue la suprêm e excellence, pour s ’y
L ’ am our de soi, auquel le jansénism e faisait une com plaire com m e dans le souverain bien; vers lequel,
guerre exagérée, peut donner lieu à l ’ égoïsm e et à bien en conséquence, on dirige tous les autres biens, com m e
des abus : m ais en soi, il est nécessaire et légitim e. choses inferieures et subordonnées. Pour que l ’ objec ­
Si le renoncem ent et le désintéressem ent nous sont tion eût quelque valeur, il faudrait donc que le point
nécessaires, ce n'est pas que le m oi soit essentiellem ent de départ de m on am our intéressé fût la considéra ­
m auvais et haïssable,c ’ est pour com battre ces abus, tion de la suprêm e excellence de m a personne, de
pour enlever les obstacles, pour obtenir une plus m es qualités surém inentes, pour arriver à m e com -
intim e union avec D ieu. V oir col. 624. — Sur la répro ■ plaire en m oi com m e en une sorte de divinité, et
balion de tout am our-propre dans les écrits ascétiques partant à m ’ apprécier plus que tout, plus que D ieu
et m ystiques, voir C h a r it é , t. n, col. 2221. lui-m êm e. M ais cette m onstruosité n ’ a pas lieu dans
E n fin,l ’ objection la plus subtile est celle de D urand, 1 l ’ espérance chrétienne; et pour couper l ’ objection
reprise par Jansénius : aim er D ieu d ’ un am our intéressé dans sa racine, il suffit de m ontrer que nous pouvons
pour nous-m êm es, est indigne de lui; c ’ est le trans ­ nous aim er, que nous avons coutum e de nous aim er
form e· en pur m oyen et faire de nous-m êm es notre sans aucune considération de notre excellence et de nos
fin dernière. La réponse à cette objection avait été qualités personnelles, et donc, a fortiori, sans les conce ­
déjà donnée par C ajetan. L'espérance, par le fait voir com m e surém inentes; et voici la preuve: « N ous
qu ’ elle désire D ieu, non com m e un bien quelconque, aim ons les autres, dit C oninck, et nous nous aim on.·
m ais com m e l ’ unique béatitude et le dernier term e nous-m êm es, m ais d ’ une m anière bien différente.
de nos aspirations, le désire com m e fin et non com m e Jam ais nous n ’ aim ons réellem ent les autres, sans avoir
m oyen. Je ne m e constitue pas m oi-m êm e com m e la saisi en eux quelque qualité aim able, vraie ou appa ­
fin de D ieu : je veux pour m oi une fin vers laquelle | rente, qui nous les fait juger dignes d ’ être aim és. »
il m ’ a lui-m êm e orienté, et qui n ’ est autre que lui- E ntre tant de niH IierFiTHonim es, qui, vus dans l ’ ab ­
m êm e. Possum concupiscere mihi finem ultimum strait, ont tous avec nous un m êm e rapport, il faut
absquederegatione illius finis : quæ interveniret, si ipse bien une raison sufflsantç_dc l ’ am itié, se it pure, soil
finis ordinaretur in me... ut in finem. Aliud est ergo int resséë; qtfiFnous contractons avec quelques-uns :
concupiscere hoc mihi; et aliud concupiscere hoc propter cette raison, ce sont certaines qualités perçues qui,
me. Loc. cit., p. 129. Saint François de Sales déve ­ dans cette im m ense indéterm ination, fixent notre
loppe adm irablem ent cette réponse, citons-en quelques choix . E t suivant que nous les jugeons, par leurs qua­
lignes : « C ’ est chose bien diverse de dire : j ’ aim e D ieu lités, plus ou m oins dignes d ’ am our, nous les aim ons
pour m oi, et dire : j ’ aim e D ieu pour l ’ am our de m oi. plus ou m oins, l ’ expérience en fait foi.-M ais quand il
C ar quand je dis : j ’ aim e D ieu pour m oi, c ’ est com m e s ’ agit de nous-m êm es, nous som m es naturellem ent
si je disais : j ’ aim e avoir D ieu, j ’ aim e que D ieu soit enclins à nous aim er; aussi n ’ est-il pas besoin de con ­
à m oi, qu ’ il soit m on souverain bien, qui est une sainte stater en nous une qualité qui nous rende aim ables à
affection de l ’ Épouse céleste... M ais dire : j ’ aim e D ieu nous-m êm es : en dehors de toute sem blable consta ­
pour l ’ am our de m oi-m êm e, c ’ est com m e qui dirait : tation, une im pétuosité naturelle nous porte à nous
l ’ am our que je m e porte est la fin pour laquelle j'aim e aim er et à nous vouloir toute espèce de biens,par cela
D ieu, en sorte que l ’ am our de D ieu soit dépendant, seul que c ’ est notre bien. » De moralitale, namra, etc.,
subalterne et inférieur à l ’ am our-propre que nous actuum supernaluralium, dist. X IX , n. 6 sq., A nvers,
avons envers nous-m êm es, qui est une im piété non 1623, p. 365. E st-ce à dire que cette « im pétuosité ·
pareille. » E t plus bas : « N ous nous aim ons ensem - est absolum ent aveugle, qu ’ aucune bonté perçue en
blem ent avec D ieu par cet am our (d ’ espérance), nous, aucune ratio boni, ne m eut alors notre volonté?
m ais non pas nous préférant ou égalant à lui en cet Ce serait contre la nature de cette faculté, qui n ’ est
am our... Q uand nous aim ons D ieu com m e notre m ue que par un bien. C oninck veut dire seulem ent
souverain bien, nous l ’ aim ons pour une qualité par que pour s ’ aim er on n'a pas besoin de saisir en soi des
laquelle nous ne le rapportons pas à nous, m ais nous qualités particulières, une excellence spéciale : il
à lui...,il ne dépend pas de nous, m ais nous de lui... suffit de concevoir vaguem ent cette bonté générale,
Il exerce envers nous son affluence de bonté, et nous par laquelle tout être est bon à lui-m êm e, de m êm e que
pratiquons notre indigence et disette; de sorte que, tout être est lui-m êm e et non pas un autre; par là
aim er D ieu en titre de souverain bien, c ’ est l'aim er tom be l ’ objection de Théophile R aynaud contre cette
en titre honorable et respectueux, par lequel nous théorie. Opera Lyon, 1652, t. ni, p. 425. E t cette
l ’ avouons être notre perfection, notre repos et notre bonté générale se trouvera dans les êtres les plus dis-
661 ESPÉRANCE 662

graciés de la nature, les plus crim inels, dans les dam ­ condam nées par Innocent X I en 1687, deux se rappor ­
nés qui ne cessent pas de s'aim er. — D e ces principes tent directem ent à notre sujet :
C oninck tire les conséquences suivantes. Q uand, par
7. N on debet anim a co ­ L ’ âm e (dans la voie in ­
un am our désintéressé, je souhaite un bien à un am i, g itare nec de præ m io, nec térieure) ne d o it penser ni
le m otif de m on acte, c ’ est la bonne qualité, la per ­ de punitione, nec de para ­ à la récom pense, n i à la
fection que j ’ ai constatée en lui et qui est le fonde ­ diso, nec de inferno, nec de punition, ni au paradis, n:
m ent de cette am itié ; la preuve, c ’ est que je ne fais m orte, nec de æ ternitate. à l ’ enfer, ni à la m ort, ni .·
pas le m êm e souhait pour d ’ autres, quoique je sache D enzinger. n. 1227 11094). l ’ éternité.
que ce bien leur serait tout aussi utile qu ’ à cet am i, 12. Q ui suum liberum ar ­ C elui qui a donn é à D ieu
bitrium D eo donavit, de son libre arb itre ne doit
ou m êm e davantage; et de m êm e, le m otif de m on
nulla re debet curam ha ­ avoir souci de rien , n i de
am our désintéressé pour D ieu, ce sont les perfections bere, nec de inferno nec dc l ’ enfer ni du p arad is; il ne
divines, ce qu ’ on appelle la bonté absolue de D ieu. paradiso; nec debet deside ­ d o it pas désirer sa propre
Q uand je m e désire un bien à m oi-m êm e, il n ’ y a pas rium habere propriæ perfe ­ perfection, ni les vertus, ni
d ’ autre perfection contem plée et aim ée que celle de ctionis nec v irtu tu m nec sa propre sain teté, ni son
ce bien : c ’ est donc elle qui donne à l ’ acte son m otif propriæ san ctitatis nec pro ­ propre salut, d o n t il d o it
spécifique, et qui en déterm ine la valeur m orale, priæ salutis, cujus spem purifier l ’ espérance (ou «per ­
purgare debet. D enzinger, dre l ’ espérance », trad , de
suivant que ce bien est d ’ une bonté réelle ou appa ­
n. 1232. F énelon, t. n , p. 233).
rente, qu ’ il est perm is ou défendu, qu ’ il est suprêm e
ou qu ’ il ne l ’ est pas; quand je veux pour m oi-m êm e La 7 e proposition a été appréciée ainsi par les
D ieu, souverain bien, il n ’ y a pas d ’ autre perfection théologiens qualificateurs : male sonans, scandalosa
contem plée et aim ée que celle de D ieu, et le m otif et hæresim sapiens. « Les docteurs m êm es de la m ys ­
unique qui spécifie l'acte, c ’ est la bonté relative de tique, dit le cardinal G cnnari, conseillent la m éditation
D ieu, par laquelle il est m a béatitude et m a fin. des lins dernières, m êm e à ceux qui sont favorisés
A insi, pour des raisons différentes, la perfection divine de dons surnaturels et qui sont parvenus à la plus
se trouve être l ’ unique et im m édiat m otif des deux haute contem plation : et cela pour qu ’ ils ne soient
am ours.de celui d ’ espérance com m e de celui decharité, pas tentés d ’ orgueil, ou exposés au danger de tom ber. ·
les deux vertus sont vraim ent théologales; et dans E t il cite le chapitre xv de l ’ autobiogiaphie de
les deux nous nous subordonnons à la perfection sainte Thérèse. Del falso misticismo, 2 e édit., R om e.
divine, et nous l'apprécions par-dessus tout, quoique 1907, p. 25. La 12° proposition a été qualifiée ainsi :
plus parfaitem ent dans la charité. Sur l ’ appréciation Hæresim sapiens, damnata in concilio Viennensi ini- r
souveraine de D ieu dans les deux vertus, voir col. 624. errores Beguardorum, errore 6°, et in cone. Tridentii ·.
C ette appréciation souveraine du finis qui n ’ a pas à sess. VI, can. 26 el 31... Sur la proposition analogue des
souffrir de ce que, dans l ’ am our d ’ espérance, m a propre B éguards, prop. 6°, condam née au concile de V ienne,
personne est l ’ unique finis cui, ou de ce que cette voir B é g u a r d s , t. n, col 532. Q uant aux canons du
sorte d ’ am our m ’ est plus facile que l ’ autre, plus fré ­ concile de T rente, sur l ’ erreur analogue des protes ­
quent, plus intense : ces avantages de l ’ am our intéressé tants, nous en avons parlé, col. 607-608.
ne tiennent pas à une haute idée que je m e fais de O n trouvera les raisons de rejeter la doctrine de
m on excellence, m ais à l ’ union plus étroite que j ’ ai M olinos dans la critique que nous ferons de celle de
avec m oi-m êm e. Unicuique ad seipsum est unitas, Fénelon.
quæ est polior unione ad alium, dit saint Thom as. 2. Fénelon et l’espérance. — Plusieurs de ses 23 pro ­
Sum. theol., Il* II® , q. xxv, a. I. positions, condam nées par Innocent X II, en 1699, se
A peine cette belle théorie de C oninck eut-elle paru, rapportent directem ent à notre sujet : nous les don ­
qu ’ elle fut approuvée par Lugo et R ipalda, qui tous nons dans le texte original français, Œuvres de Féne­
deux prétendirent l ’ avoir déjà enseignée. Lugo, lon, édit. Leroux-G aum e, t. ni, p. 106, ou Œuvres de
De pænitentia, dist. III, n. 38 sq., V enise, 1718, Bossuet, édit. L âchât, t. xx, p. 474. Pour le texte latin,
p. 18; R ipalda, De virtutibus, dist. X X III, sect, vin, voir D enzinger, n. 1327 (1193). Si l ’ on veut retrouver
Opera, Paris, 1873, t. vin, p. 113. Elle fut suivie les propositions dans le livre m êm e d ’ où elles sont
par H aunold, loc. cit., p. 426; Pallavicini, etc. extraites avec leur contexte, voir Explication des
5° Fin du xvue siècle : le quiétisme de Molinos et le maximes des saints sur la vie intérieure, édition cri­
semiquiélisme de Fénelon. — N ous avons vu le jansé ­ tique, par A lbert C hérel, Paris, 1911 ; on trouvera,
nism e rejeter absolum ent l ’ am our de convoitise pour p. 87, 88, la liste des références.
D ieu, propre à l'espérance, et exiger de tous les fidèles (U*J>roposilion. Il y a u n état habituel d ’am our de
dans tons leurs actes l'ainour désintéressé de la charité. D iéii, qui est une charité pure et sans aucun m élange du
Le quiétism e ne va pas si loin : c ’ est seulem ent aux m otif de l ’ in térêt propre. N i la crainte des châtim ents, ni
âm es plus parfaites qu ’ il im pose un continuel exercice leudésir des récom penses n ’ ont plus de p art à cet am our, ..
du pur am our, c'est seulem ent chez elles qu ’ il regarde (2 a j?rop. D ans l ’état de la vie contem plative ou u n itiv e, on
tout am our intéressé com m e hors de saison. D e ces perd to u t m otif Intéressé de crainte et d ’ espérance...
Æ yprop. D ans l ’ état de la sain te indifférence,l ’ âm e n ’ a plus
âm es, M olinos élim ine la pratique de l ’ espérance de désirs volontaires et délibérés pour son in térêt, excepté
théologale, tout sim plem ent; Fénelon veut la garder, dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlem ent à toute
m ais en « l'épurant », position plus com pliquée, sa grâce (cf. 5 ’ prop.)...^»)prop. E n cet état, on ne veut
qui l ’ am ène à fausser la notion m êm e de l ’ espé ­ plus le salut com m e salut propre, com m e délivrance éter ­
rance chrétienne, et à attaquer ainsi m algré lui cette nelle, com m e récom pense de nos m érites, com m e le plus
vertu, dont il voulait respecter l ’ usage chez les grand de tous nos in térêts m ais on Je veut, d ’ une volonté
pleine, com m e la gloire et le bon p laisir de D ieu, com m e une
parfaits.
chose qu ’ il veut, et qu ’ il veut que nous voulions pour lui —
N ous n ’ entrerons pas dans l ’ histoire du quiétism e, 11 : prop. E n cet état (d ’ épreuve) une âm e perd to u te espé ­
ni dans la réfutation de celles de ses erreurs qui ne rance pour son propre in térêt : m ais elle ne perd jam ais
touchent pas directem ent à l ’ espérance, com m e dans la p artie supérieure, c ’ est-à-dire dans ses actes directs
l ’ annihilation des facultés et la non-résistance aux et intim es, l ’ espépm ce parfaite qui est le désir désir.t· n-sse
tentations de la chair, dans M olinos: une certaine des prom esses...(23ÿprop. L e p u r am our fait lui · · . : u t
direction des âm es éprouvées, dans Fénelon; la m é ­ la v ie intérieure, et d ev ien t alors l ’ unique principe et
l ’ unique m otif de to us les actes délibérés et m éritoires.
thode de contem plation dans l ’ un et dans l ’ autre.
V oir Q u ié t i s m e , M o l i n o s , F é n e l o n . L a controverse de Fénelon avec B ossuet avait
1. Molinos et l’espérance. — D e ses 68 propositions, porté d ’ abord sur la direction des âm es contem p latives
6G3 E S P ÉR A N C E 664

ou éprouvées, et les articles d ’ Issy, auxquels aboutit de celui qui aim e. N on; jam ais n ’ a é.té réprouvé
la prem ière phase de la discussion, roulent presque l’acte de très pur am our envers D ieu, si fam ilier aux
uniquem ent là-dessus, voir ces articles, signés par âm es saiqtes; ce qui a été condam né, c ’ est seulem ent
les deux adversaires, dans les œ uvres de B ossuet, qu ’ il y ait un état habituel et perm anent, dans lequel
t. xviii, p. 362, ou de Fénelon, t. n, p. 226. M ais bien ­ l ’ âm e pieuse élim ine tous les actes qui visent son bien
tôt, le nouvel archevêque de C am brai s ’ efïorce de propre et, par suite, tous les actes d ’ espérance.
reléguer au second plan ces questions de voies extraor ­ Cela ressort de la teneur m êm e de la proposition et du
dinaires et de direction ; il voudrait concentrer le débat tém oignage des consulteurs de la cause. » TheoL
sur la question dogm atique de la charité, dont B ossuet schol., t. i, De caritate, a. 2, Ingolstadt, 1732, p. 210.
lui sem ble fausser la notion. V oir Éludes du 20 m ai Cf. V irgile Sedlm ayr, O . S. B ., Reflexio critica (sur le
1911, p. 184 sq. A u m om ent où son livre est déféré livre d ’A m ort), Salzbourg, 1749, p. 1-8. M ais plus
ù R om e, il voudrait tout réduire à deux points, que im portant encore est le tém oignage de B enoît X IV .
nous appellerons ses deux thèses fondam entales : « Je Il s ’ agissait d ’ une cause de béatification et de l ’ exa ­
ne veux que deux choses qui com posent m a doctrine. m en des écrits d ’ un saint personnage; on y avait
La prem ière, c ’ est que la charité est un am our de D ieu trouvé, dans toute leur force, les form ules du pur
pour lui-m êm e, indépendam m ent du m otif de la béa ­ am our. B enoît X IV , alors cardinal et consulté sur
titude qu'on trouve en lui. La seconde est que dans la l ’ affaire, nous résum e ainsi la décision finale de la
vie des âm es les plus parfaites, c ’ est la charité qui S. C. : « A ttendu que le point litigieux entre l ’ arche ­
prévient toutes les autres vertus, qui les anim e et qui vêque de C am brai et l ’ évêque de M eaux, qui a été
en com m ande les actes pour les rapporter à sa fin, en décidé ici par le pape Innocent X II, ne concerne
sor'.e que le juste de cet état exerce alors d ’ ordinaire pas l’acte d ’ am our, m ais l’état habituel d ’ am our, com m e
l’espérance et toutes les autres vertus avec tout le il résulte clairem ent des term es m êm es de la propo ­
désintéressem ent de Jacharitém êm e quien com m ande sition...; attendu que dans l ’ ouvrage que nous exa ­
l ’ exercice. » Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à un m inons, au contraire, il n ’ est pas question d ’ état
de scs amis, lettre i re , Œuvres, t. n, p. 283. habituel, m ais seulem ent d ’ acte d ’ am our; il a plu à
Pour aider à l ’ interprétation exacte, soit de la la S. C ongrégation de répondre que la doctrine du
pensée de Fénelon sur l ’ espérance, soit de celle de serviteur de D ieu n ’ a rien de com m un avec la doctrine
l ’ Église qui l ’ a condam né, nous exam inerons les points condam née de l ’ archevêque de C am brai; d ’ autant
suivants. plus que le serviteur de D ieu, si l ’ on se réfère à tout
a) Qu’entendait Fénelon par le « pur amour »? — le contextedeses écrits, exprim e souvent son espérance
C ette expression, que nous trouvons ci-dessus dans et son grand désir de jouir de D ieu. » B enoît X IV ,
la 23 e proposition, est expliquée dans la l r0 : « U ne De beatif.et canonizations, 1. II, c. xxxi, n. 10, Opera,
charité pure et sans aucun m élange de l ’ intérêt pro ­ Prato, 1839, t. n, p. 291.
pre. n M ais le « pur am our » peut se considérer, soit c) En quoi la condamnation des propositions ci-dessus
com m e un acte passager, soit com m e un état habituel. nous instruit-elle sur l’espérance théologale? — D es
Com m e acte, c ’ est un am our de D ieu où l ’ on oublie term es m êm es et des explications que nous venons
m om entaném ent son propre intérêt; et nous avons de citer, il résulte que l ’ É glise réprouve un état de
m ontré par divers textes, de Pères et de scolastiques, perfection d ’ où serait volontairem ent et définitive ­
qu ’ un tel am our est très adm issible. C ’ est en ce pre ­ m ent exclu tout acte d ’ espérance, com m e la con ­
m ier sens que Fénelon appelle sa doctrine sur l ’ acte dam nation de M olinos l ’ avait déjà m ontré; sous aucun
de charité com m e amour pur et sans intérêt propre... prétexte les âm es devenues plus parfaites ne peuvent
un sentim ent qui est devenu le plus com m un dans ensuite se dispenser du précepte de l ’ espérance donné
toutes les écoles, » t. i, p. 29. Com m e étal, le « pur à tous les chrétiens. — 2° « Espérance » et « m otif
am our », c ’ est le règne de la charité dans les âm es intéressé » vont ensem ble (prop. 2°, 6°). E t quand
plus parfaites, entendu sans m élange d ’ actes intéres ­ Fénelon, en cela différent de M olinos, veut garder
sés, du m oins délibérés. C ’ est le sens qu ’ a le « pur l ’ exercice m êm e fréquent de l ’ espérance théologale
am our » dans la 23 e proposition; c ’ est la seconde thèse et le concilier avec son état de pur am our, en disant
fondam entale de Fénelon. que · l ’ espérance parfaite est le désir désintéressé
b) En quel sens V Église a-t-elle condamné le » pur des prom esses, » l ’ Église n ’ accepte pas une pareille
amour» et les propositions que nous avons citées? — notion de l ’ espérance (prop. 11°); son jugem ent
Elle n ’ a pas condam né le pur am our com m e acte, ruine pour jam ais la conception d ’ une espérance désin ­
m ais seulem ent com m e état; des deux thèses fonda­ téressée com m e la charité elle-m êm e, et éclaire la
m entales de Fénelon, les condam nations ’ ne se réfèrent distinction des deux vertus.
pas à la prem ière, m ais à la seconde. Peu après la d) Quelle idée se faisait Fénelon de la vertu d’espé­
décision de R om e, de graves théologiens le notaient rance? — Il a été am ené à en changer plusieurs fois,
déjà. M assoulié, O . P., un des qualificateurs du Saint- parce que, voulant chez les parfaits deux choses
O fllce qui avaient le plus sévèrem ent jugé le livre de inconciliables, l ’ état de pur am our et le plein exercice
Fénelon, adm et d ’ ailleurs le pur am our com m e acte : de l ’ espérance théologale, il a successivem ent essayé
« Les actes, dit-il, ont bien m oins d ’ étendue que les quatre systèm es de conciliation, dont la réfutation
habitudes, et ils peuvent se porter à un objet particu ­ jette un grand jour sur la nature et la nécessité de
lier (auquel on ne pourrait se porter habituellem ent). l ’ espérance, c ’ est pourquoi nous la donnons ici, d ’ au ­
A insi il arrive quelquefois qu ’ une âm e, ou dans son tant plus qu ’ on ne la trouverait pas ailleurs.
oraison ou dans un transport d ’ am our, ne regardant J or système de conciliation entre l ’ espérance et le
et n ’ âim ant que la bonté de D ieu en elle-m êm e, ne désintéressem ent des parfaits : deux espérances sur ­
songe en ce m om ent ni à son intérêt, ni à sa béatitude, naturelles, l ’ une intéressée, l ’ autre désintéressée.
ni à la possession du souverain bien com m e possession C ette prem ière idée de Fénelon est consignée dans
propre et qui doit la rendre heureuse. » Traité de un opuscule de lui, conservé à Saint-Sulpice et jusqu ’ à
l'amour de Dieu, 1703, part. II e , c. xm , B ruxelles, présent inédit. C ’ est une Explication des articles
1866, p. 296. A ntoine M ayr, S. J. : « Q uelqu ’ un a d’Issy, qui est com m e une prem ière esquisse du livre
sem blé dire que la prem ière proposition (de Fénelon) des Maximes des saints. A propos du 1 er article d ’ Issy,
aurait été condam née parce qu ’ elle établissait un il dit ; « J ’ avoue qu ’ on a de la peine à accorder l ’ es ­
am our de pure charité sans aucun m élange du m otif pérance avec le pur am our, si on n ’ a point d ’ autres
de l ’intérêt propre, sans aucun retour sur l ’ intérêt idées de l ’ espérance que celle qui nous est donnée par
665 ESPÉRANCE 666

saint Thom as, et après lui par la plupart des scolas ­ que l ’ espérance intéressée. » Loc. cit., p. 104. Ce « quel ­
tiques. Ils veulent que l ’ espérance soit un désir d ’ obte ­ que chose de plus parfait » que l ’ espérance form elle
nir pour soi, de la bonté de D ieu, un bien difficile et ne peut être que l ’ acte de charité, et de fait, plusieurs
douteux à acquérir. C om m e ils disent qu ’ espérer, théologiens sem blent dire parfois, com m e Fénelon,
c ’ est désirer pour soi, ils attachent l ’ espérance à que cet acte « renferm e ém inem m ent » celui d ’ espe-
l ’ am our intéressé qu ’ ils appellent am our de concupis ­ rance, c ’ est-à-dire qu'il en a toute la perfection sous
cence, et ils l ’ excluent du parfait am our, qui est le une form e supérieure. Pourquoi donc ne pourrai ’,
désintéressé, et auquel ils donnent le nom de charité pas se substituer à l ’ acte qu ’ il renferm e ém inem m ent,
ou d ’ am our d ’ am itié... J ’ aim erais m ieux changer la et par cette substitution accom plir très suffisam m ent
définition de l ’ espérance, que saint Thom as n ’ a peut- le précepte de l ’ espérance? La charité n ’ est-elle pas la
être fondée que sur les idées philosophiques d ’ A ris ­ reine des vertus?
tote. N e peut-on pas supposer qu ’ il y a deux espérances Inconvénients du 2esystème. — a) D e ce que la charité
com m e deux am ours, et que 1 ’ espérance intéressée est plus parfaite, il ne s ’ ensuit pas qu ’ elle puisse rem ­
répondant à l ’ am our de concupiscence, l ’ espérance placer l ’ espérance, qui atteint la fin dernière à un
désintéressée répond à l ’ am our d'am itié. O n pourrait autre point de vue, en tant qu ’ elle est notre bonheur.
m êm e définir l ’ espérance désintéressée un désir N otre orientation vers la fin dernière doit être com ­
des biens éternies en tant que difficiles et douteux à plète, et aux deux points de vue différents, suivant
acquérir, m ais un désir excité par le seul bon plaisir cette form ule de T rente: « Les justes..., avec ce m o
de D ieu et pour sa pure gloire... Par là, on peut conci­ tif principal que D ieu soit glorifié regardent aussi
lier, ce m e sem ble, la charité pure avec l ’ espérance. la récom pense éternelle. » Sess. vi, c. 11, D enzinger,
Je puis attendre et désirer le royaum e de D ieu, c ’ est- n. 804 (687). D ’ ailleurs l ’ espérance, parce qu ’ intéressée,
à-dire l ’ espérer, avec autant de désintéressem ent nous est utile et nécessaire, et la charité toute seule
pour m oi que pour un autre. Je le désire en m oi, ne peut répondre à cette nécessité; quelle que soit sa
m ais non pas pour m oi. » Passage cité par M . l ’ abbé perfection, elle ne renferm e donc pas en elle tout ce
Paquier, Qu’est-ce que le quiétisme? Paris, 1910, p. 101. qu ’ il y a de bon et d ’ utile dans l ’ espérance. E t cette
Inconvénients du lQt système. — a) Il attaque saint nécessité de l ’ am our intéressé s ’ étend m êm e aux plus
Thom as et les scolastiques. — b) Il établit deux espé ­ parfaits. N e nous exagérons pas la perfection de cette
rances théologales, l ’ une intéressée, l'autre désinté ­ vie : c ’ est une perfection enfantine, en com paraison
ressée. Elles doivent différer spécifiquem ent, puisque de la vie future, qui sera pour nous la perfection
d ’ après l ’ École, et plus encore d ’ après Fénelon, le virile et com plète; cette antithèse de T enfant et ie
m otif désintéressé change la valeur m orale de l'acte l ’ hom m e nous est donnée par saint Paul. I Cor., x:::.
et élève son rang dans la hiérarchie des vertus. M ais 11. Les plus grands saints, ici-bas, com m ettent ■:· -
com m ent ce dualism e pourra-t-il s ’ accorder avec fautes vénielles, c ’ est un dogm e de notre foi; à Hr·.·
l ’ É criture et la tradition, qui n ’ ont jam ais reconnu leurs vies, ils ont parfois des « sécheresses ■· où le m otif
qu ’ une seule espérance surnaturelle, et trois vertus de la gloire de D ieu parle faiblem ent à leur cœ ur, des
théologales seulem ent ? — c) La seconde espérance, la tentations violentes et prolongées, où il leur faut,
désintéressée, est inutile, puisque son acte est déjà pour ne pas succom ber aux choses de la terre, faire
produit par la vertu de charité. La charité, en effet, appel au m otif intéressé de l ’ autre vie : au m ilieu
peut non seulem ent aim er D ieu, m ais aussi le désirer. du silence ou du m urm ure affaibli du pur am our, voila
V oir col. 627. D ésirer D ieu à cause de « son seul une voix vibrante, un secours nouveau, approprie
bon plaisir et pour sa pure gloire », c ’ est le m otif m êm e à l'extrêm e péril; car il faut alors quelque chose qui
de la charité. O n ne peut donc com prendre que D ieu nous prenne par les entrailles, par cet am our de nous-
ait inutilem ent donné à l'hom m e deux vertus infuses, m êm es, si fortem ent enraciné en nous et que D ieu n ’ a
espérance et charité, pour faire l'ouvrage d ’ une seule, pas dédaigné d ’ élever à l ’ ordre surnaturel par la vertu
avec le m êm e m otif. — d) D e m êm e que D ieu dem ande infuse d ’ espérance. A ctes d ’ espérance, actes m êm e
de tous les chrétiens, quel que soit leur développem ent de crainte, le concile de T rente, avec saint Paul,
intellectuel et leur science, la m êm e espèce de foi, la les dem ande aux âm es plus parfaites. Sess. vi, c. 13.
foi sim ple des enfants, de m êm e il fallait qu ’ il ordonnât D enzinger, n. 806 (689). O n voit pourquoi D ieu a rendu
à tous, quel que fût leur état de piété et de perfection, général le précepte de l ’ espérance. — 6) La charité
la m êm e espérance, l ’ espérance naïve des m ultitudes, est la reine des vertus, m ais la gloire d ’ une reine n ’ est
qui surnaturalise la tendance à notre bonheur. A insi pas de vivre solitaire, ni de régner dans le désert; une
le précepte est le m êm e pour tous; ainsi il n ’ y a pas reine dem ande un cortège et D ieu a donné à la charité,
deux castes, les brahm es de l'intelligence ou de la . pour l ’ accom pagner, les autres vertus théologales et
piété, et les parias; m ais un peuple de frères, où tous m orales; à la charité de les diriger vers sa fin suprêm e,
com m unient aux m êm es vertus surnaturelles, com m e m ais sans leur enlever toute individualité et toute
aux m êm es sacrem ents. E t quand on considère le autonom ie. Si la charité devait agir seule dans l ’ état
danger et les ravages de l ’ orgueil, on voit qu ’ il fallait des plus parfaits, pourquoi ces autres vertus surnatu ­
cette égalité devant la loi de foi, d ’ espérance et relles, infuses au baptêm e, que D ieu a destinées sur ­
d ’ am our, pour retenir les intellectuels et les m ystiques tout à ces âm es plus saintes, et qu ’ il conserve et
dans une salutaire hum ilité. augm ente en elles? Nobilissimus omnium virtutum
2° système. — L ’ espérance théologale reste sim ple ­ comitatus, quie in animam cum gratia divinitus in­
m ent intéressée, m ais com m e elle est renfermée émi­ funduntur. C atéchism e du concile de T rente, part. Il .
nemment dans l ’ acte de charité, celui-ci peut satis ­ c. n. — c) Enfin, Fénelon ne pouvait s ’ arrêter à une
faire, chez les parfaits, non seulem ent au précepte de la solution aussi radicale, puisqu ’ il avait signé le prem ier
charité, m ais en m êm e tem ps au précepte de l ’ espé ­ article d ’ Issy : · T out chrétien, en tout état, quoique non
rance. — Ce systèm e est seulem ent insinué en passant, en tout m om ent, est obligé de conserver l ’ exercice de ­
dans le docum ent déjà cité, par Fénelon qui sentait là foi, de l ’ espérance et de la charité, et d ’ en produire
lui-m êm e les inconvénients du prem ier : « Il n ’ est pas des actes com m e de trois vertus distinguées · :
question de disputer des m ots, et je laisse volontiers tinctes). » Œuvres, t. il, p. 226. A ussi dut-il cherch:.-
l ’ École décider sur les term es. M ais enfin, ce désir quelque autre systèm e; les deux précédents, nous
(désintéressé) est ou une espérance form elle ou quel­ en avons la preuve, ont passé dans son esprit, m ais :
que chose de plus parfait qui la renferme éminemment, n ’ a pas osé les lancer dans le public.
el qui satisfait encore plus parfaitement au précepte 3e système.— L a charité, chez les âm es plus parfaites
667 E S P ÉR A N C E 668

com m ande l ’ acte d ’ espérance, et, par là m êm e, le rend que « la charité spécifie » en ce sens que l ’ acte d ’ espé ­
désintéressé, d ’ intéressé qu ’ il était en soi. — Ce sys ­ rance lui-m êm e, outre son m otif essentiel, est dirigé
tèm e, plus m odéré, au lieu d ’ attaquer saint Thom as vers la gloire de D ieu par l ’ acte de charité qui le
et l ’ École, reconnaît avec eux que l ’ espérance est par com m ande. C ’ est pour lui une nouvelle fin surajoutée,
elle-m êm e intéressée et cherche à utiliser la théorie une fin extrinsèque, élém ent qui en m orale contribue
scolastique de l'imperium carilalis, com m e aussi à à la spécification de l ’ acte, tellem ent qu ’ un acte bon
s'autoriser du 13 e article d ’ Issy, où il était dit : « D ans peut devenir m auvais par une fin surajoutée, ou, au
la vie et dans l ’ oraison la plus parfaite, tous ces actes contraire, acquérir une nouvelle et spéciale bonté.
(des différentes vertus) sont unis dans la seule charité, II y a alors deux fins subordonnées, deux form es
en tant qu ’ elle anim e toutes les vertus, et en com ­ subordonnées si l ’ on com pare les fins à des form es;
m ande l ’ exercice, selon ce que dit saint Paul. La d ’ où l ’ on peut dire, avec saint Thom as, que l ’ acte
charité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, est formellement un acte de charité, que la charité est
elle soutient tout. I Cor., xm , 7.» C et article avait été la forme de toutes les vertus auxquelles elle donne
ajouté au projet prim itif sur la dem ande de Fénelon. la dernière fin. Sum. theol., I* Ilæ, q. xnr, a. 1;
Œuvres, t. n, p. 226. Fénelon arbore ce systèm e dans II» II ” , q. xxni, a. 8. D ’ autre part, cette fin sura ­
ses deux Lettres d un de ses amis, m anifestes lancés joutée à l ’ acte par la charité, n ’ est relativem ent à
au m om ent où son livre est déféré à R om e. N ous lui qu'une fin extrinsèque et accidentelle (finis ope­
avons cité la prem ière, voir col. 663. D ans la seconde, rantis), sur laquelle la fin intrinsèque, le m otif essen ­
il donne com m e point essentiel de sa doctrine « l ’ état tiel de l'acte, doit prévaloir com m e spécification;
habituel où toutes les vertus sont désintéressées, étant aussi l'acte reste-t-il avant tout un acte d ’ espérance,
unies dans la seule charité qui les anim e et les com ­ un acte intéressé; com m andé par la charité, il n ’ est
m ande, · t. n, p. 285. Ce systèm e est égalem ent intro ­ pas transform é par elle en acte désintéressé, il n ’ est
duit com m e explication et correctif dans la seconde | pas « épuré » par elle; Fénelon s ’ efforce en vain d·
édition du livre des Maximes, préparée par Fénelon, conclure cela de ces textes, sous prétexte que, d ’ aprée
m ais restée inédite, et que vient de publier M . C hérel, j saint Thom as, la charité donne à l ’ acte qu ’ elle com ­
Paris, 1911, p. 33,126,306. m ande, sa form e, son espèce, L n, p. 349. M ais la
Inconvénients du 3 e système. — a) C om m ent l ’ acte question est très com plexe; il n ’ est donc pas étonnant
d ’ espérance, qu ’ on reconnaît com m e intéressé en que Fénelon, confondant deux cas psychologiques qui
soi, peut-il perdre cette propriété essentielle par le ont une certaine analogie, ait pris du prem ier, le dé ­
sim ple fait accidentel qu ’ un acte de charité l ’ a précédé sintéressem ent absolu de l ’ acte, et du second, la
et com m andé? D e m êm e que la charité ne perd pas conservation de l ’ acte d ’ espérance com m e vertu
son désintéressem ent essentiel, du seul fait qu ’ elle distincte avec son m otif propre, et qu ’ il ait voulu
est com m andée par l ’ espérance, par exem ple, si un réunir en un seul et m êm e cas deux propriétés qu ’ un
chrétien à l ’ article de la m ort, sans prêtre, se com ­ acte ne peut posséder à la fois. En réalité, c ’ est dans
m ande à lui-m êm e, par un désir intéressé de son salut, le premier cas que Fénelon sc place pratiquem ent,
un acte de charité parfaite com m e m oyen de se ré ­ il ne laisse donc plus à l ’ acte le m otif propre et in ­
concilier avec D ieu et se sauver, de m êm e l ’ espé ­ téressé de l ’ espérance. M ais il prétend le lui laisser,
rance ne perd pas de son caractère intéressé, du fait sous prétexte que c'est notre salut, notre bien que nous
qu ’ elle est précédée et com m andée par un acte de pur voulons alors, pour la seule gloire de D ieu. Ce sont,
am our; chacun des deux actes, gardant son m otif dit-il, « des actes de vraie espérance... Ils ont l ’ objet
distinct, garde sa physionom ie propre, d ’ autant plus form el, qui est le bonum mihi : par là ils ont un m otif
qu ’ ils se com plètent et ne se détruisent pas. — b) Si qu ’ on peut en un sens nom m er intéressé... C ’ est un
vous supposez que, sous l ’ inlluence de la charité, vrai m otif, et c ’ est dans un sens un m otif d ’ intérêt
l ’ acte devient désintéressé, ce n ’ est plus un acte propre, et m êm e du plus grand de tous les intérêts, »
d ’ espérance « com m e vertu distincte », et le 1 er ar- I t. n, p. 258. Il ne voit pas que notre salut, notre béa ­
tide d ’ Issy n ’ est plus observé. Ce qui a trom pé titude, n ’ est pas un m otif, m ais un objet m atériel
Fénelon, c ’ est que la charité avec son m otif peut que nous pouvons désirer pour des m otifs bien diffé ­
intervenir de deux façons très différentes dans le do ­ rents, et que lui-m êm e ne désire plus que pour le
m aine d ’ une autre vertu, au tém oignage de l ’ expé ­ m otif désintéressé de la charité. L ’ évêque de C hartres
rience. Dans le premier cas, elle ne conserve de l ’ autre lui en fait très bien la rem arque : « Q uoique le bonum
vertu que l ’ objet m atériel, et substitue son m otif mihi dem eure com m e objet, il n ’ y dem eure pas com m e
au m otif propre de cette autre vertu : ainsi on peut m otif, c ’ est-à-dire raison qui m eut; parce que, com m e
payer ses dettes, non pour le m otif propre de la il est dit après, p. 45 (du livre des Maximes), on le veut
justice auquel on ne pense m êm e pas, m ais unique ­ par pure conformité ά la volonté de Dieu, c ’ est-à-dire
m ent pour faire plaisir à D ieu (m otif de la charité); que la conform ité à sa volonté est la seule raison qui
on peut désirer le ciel non pour le m otif intéressé de m euve : « Je ne le veux pas par ce m otif précis qu ’ il
l ’ espérance, m ais uniquem ent pour ne plus offenser » est m on bien; m ais je le veux par pure confor-
D ieu et lui rendre là-haut une plus grande gloire. « m ité à la volonté de D ieu. » Loc. cit., p. 268. V oir
A lors il ne reste plus qu'un acte de charité, car l ’ autre Études du 20 juin 1911, p. 745-753.
vertu ne peut réellem ent agir où n'intervient pas son 4e système, dernière évolution des idées de Fénelon
m otif spécifique et son m otif ne peut intervenir où sur l ’ espérance : l ’ espérance intéressée, apanage du
il n'est pas perçu : un m otif ne peut nous m ouvoir com m un des fidèles, se com pose en réalité d ’ un
qu ’ à travers la connaissance que nous en avons. m élange de surnaturel et de naturel; le naturel,
D ans le second cas, qui est l’imperium caritatis tel que c ’ est la tendance à « l'intérêt propre »; purifiez l ’ es ­
le considèrent les scolastiques, il y a deux actes succes ­ pérance surnaturelle de cet élém ent étranger, vous
sifs et distincts, le prem ier de charité (actus imperans), l ’ aurez telle qu ’ elle est en elle-m êm e, c ’ est-à-dire
le second d ’ espérance (actus imperatus), chacun avec absolum ent désintéressée, ainsi chez les parfaits.
son m otif propre, donc le prem ier désintéressé, le O n voit que cette nouvelle conception est opposée à
second intéressé. O n peut dire, il est vrai, dans les la précédente, qui reconnaissait l'espérance surna ­
deux cas, que « la charité spécifie » l ’ acte de désirer, turelle com m e intéressée en soi, avec l ’ École.
d ’ espérer;dans le prem ier cas, c ’ est clair, iln ’ yaqu ’ un U ne prem ière ébauche du systèm e, em pruntée à
m otif, qui est celui de la charité, et qui rend l'acte une phrase de saint B ernard, donne à cet élém ent
désintéressé; dans le second cas, on oeut dire encore naturel le nom de cupidité soumise. « N ’ est il pas vrai,
G69 ESPÉRANCE 670

dit Fénelon, qu ’ on n ’ a jam ais eu d ’ autre idée de l'in ­ s ’ il évite certains inconvénients du prem ier, c ’ est
térêt propre, que celle d ’ une cupidité ou am our par ­ pour tom ber dans un pire, dans un rigorism e d ’ autant
ticulier de nous-m êm es, par lequel nous nous désirons plus fâcheux qu ’ il atteint non seulem ent les parfaits,
le bien autrem ent qu'à notre prochain, en sorte que m ais encore tous les fidèles. Tandis que le prem ier
cet am our ne vient point du pur zèle pour la gloire systèm e adm ettait deux espérances surnaturelles et
de D ieu, m ais qu ’ il est tout au plus soum is à l ’ ordre? conduisant au salut, l ’ une désintéressée à l ’ usage des
C 'est ce que saint JB ernard nom m e cupidité soum ise, parfaits, l ’ autre intéressée à l ’ usage du com m un des
cupiditas quæ a superveniente caritate ordinatur. » fidèles, qui pouvaient ainsi plus facilem ent accom plir
Vingt questions proposées ά M. de Meaux, n. 3, t. n, le précepte divin et produire l ’ acte surnaturel d ’ espé ­
p. 275; cf. n. 15-19. C ette « cupidité soum ise » fournit rance, nécessaire à la justification et au salut, le qua ­
aussi des corrections et additions à la seconde édition trièm e relègue l ’ espérance intéressée parm i les actes
du livre des Maximes. V oir C hérel, op. cil., p. 35. purement naturels, qui ne peuvent servir ni de m érite
M ais bientôt, le systèm e reçoit son plein développe ­ pour le juste, ni de disposition à la justification pour
m ent dans l ’ Instruction pastorale de l’archevêque de le pécheur. Il faudra donc que tous les pécheurs,
Cambrai sur le livre intitulé : Explication des maximes au tribunal de la pénitence, quand ils voudront join ­
des saints. A ussi, B ossuet l ’ appelle-t-il « le nouveau dre à l ’ attrition cette spes venue que dem ande
systèm e de l ’ Instruction pastorale. » Le m ot de le concile de T rente, passent par une espérance
» cupidité soum ise » y est rem placé par l ’ expression désintéressée qui leur est bien plus difficile et qui leur
plus claire d ’ « am our naturel de soi ». O n entend enlève ainsi le bénéfice de l ’ attrition. V oir Α ττηιτιοχ.
par là un acte « délibéré », tendant à 1 ’ « intérêt pro ­ Q uant aux justes ordinaires, qui espèrent la béatitude
pre », im parfait, quoique « innocent » et licite, « affec ­ dans leur propre intérêt et non pour la gloire de D ieu,
tion m ercenaire » et « espérance naturelle », m élangée com m e il arrive parm i les chrétiens, ils n ’ auront,par
aux actes surnaturels d ’ espérance, sans les altérer un tel acte, aucun m érite pour le ciel. C ’ est restreindre
en eux-m êm es, m ais non sans dim inuer la perfection beaucoup la possibilité du m érite et m êm e du salut,
de la volonté. « C et am our naturel dont je parle, est pour le com m un des fidèles. U n théologien a-t-il le
bon quand il est réglé par la droite raison et conform e droit de faire de telles restrictions en vertu de sa pro ­
à l ’ ordre. Il est néanm oins une im perfection dans pre autorité?
les chrétiens, quoiqu'il soit réglé par l ’ ordre, ou pour Ici, Fénelon lâche de renforcer son autorité par celle
m ieux dire, c ’ est une m oindre perfection, parce des Pères. Ce n ’ est pas qu ’ il puisse trouver expressé ­
qu ’ elle dem eure dans l ’ ordre naturel et inférieur au m ent chez l ’ un d ’ eux son « am our naturel ; m ais il
surnaturel. » Instr, pastorale, n. 3, t. n, p. 289. « C ette tâche de m ontrer qu ’ ils ont dû avoir cette idée. Le
affection m ercenaire, sans entrer ni influer positive ­ point de départ de son raisonnem ent, c ’ est la doctrin·
m ent dans ces actes surnaturels, dim inue la perfec ­ des grands docteurs cappadociens, suivie par d'autres
tion de la volonté, » n. G. < Les justes m ercenaires, Pères, « sur les esclaves, les m ercenaires et les fils ·.
dont parlent les Pères, ont deux espérances : la sur ­ V oir col. 649. Fénelon cherche à prouver que ces Pères
naturelle, sans laquelle ils ne seraient pas justes; et la ont voulu,com m e lui, élim iner de la catégorie la plu-
naturelle, qui les rend encore m ercenaires, lorsqu ’ elle parfaite (les « fils ») cet « am our naturel » dont, par
agit fréquem m ent en eux, au lieu qu ’ elle n ’ agit plus suite, ils adm ettent ailleurs l ’ existence. E t la preuve,
d ’ ordinaire dans les justes parfaits, que les Pères c ’ est qu ’ ils n'ont pu vouloir élim iner autre chose.
nom m ent les enfants, » n. 30, p. 304. Fénelon pen­ C itons un ou deux exem ples de ce raisonnem ent vingt
sait ainsi tout concilier : d ’ une part, laisser au com ­ fois répété : ce qui est exclu par les Pères « com m e une
m un des fidèles le m otif intéressé, puisqu ’ il est légi ­ im perfection, ne peut venix· de la grâce et du Saint-
tim e et nécessaire pour les soutenir ; de l ’ autre, élim iner E sprit : donc il est naturel. ·■ Instruet, pastorale.
de chez les parfaits la tendance intéressée, élim ina ­ n. 41, L n, p. 313. C ’ est supposer faussem ent qu ’ il ne
tion plus acceptable dès lors qu'il s ’ agit d ’ un acte peut y avoir d ’ acte surnaturel im parfait, quelagrâcene
libre, sur lequel la volonté a prise, et d ’ un acte naturel peut rien faire d ’ im parfait; ce que B ossuet réfute
qui ne tom be pas sous le précepte divin de l ’ espérance ainsi : « Si ce qui vient de la grâce n’a rien d'imparfait,
surnaturelle. donc la crainte de la peine n ’ est pas im parfaite, ou
Inconvénients du 1° système. — a) Par le fait qu'il la grâce ne la fait pas. Si rattachement qu’on exclut
enlève à l ’ espérance surnaturelle toute recherche de à titre d’imperfection n’est pas du Saint-Esprit, donc
l ’ intérêt propre, m ein'e réglée et légitim e, il attaque la cette crainte, que l ’ on bannit quand on est parfait.
notion com m une de l'espérance théologale, telle que I Joa., rv, 18, ne vient pas de son im pulsion, contre
l ’ ont donnée saint A nselm e, saint B ernard, saint la définition expresse du concile de T rente (voir col.
Thom as, saint François de Sales et les théologiens, 608); donc la grâce ne fait pas les com m encem ents a
com m e le m ontre, au long, B ossuet dans sa Préface cause qu ’ ils sont im parfaits, et il n ’ est plus de la
sur l’instruction pastorale donnée à Cambrai, Œuvres, foi qu ’ elle fait tout jusqu'à la prem ière pensée...;
L xxx. — à) Par ce nouveau systèm e, Fénelon se prive donc, tout ce qui se dissipe com m e im parfait dans la
d ’ une explication et d'une atténuation qui lui avait perfection de la vie future, I Cor., xm , 10, n ’ est pas
souvent servi de réponse aux critiques. Je ne dispense de D ieu (surnaturellem ent) : la foi n ’ en est pas,
pas les parfaits, disaifcjL de tout acte d ’ espérance inté ­ non plus que l ’ espérance. O n oublie jusqu ’ aux pre ­
ressée,je parle d ’ un fetat )de pur am our qui soit «habi ­ m iers principes de la théologie. » Préface sur l’instruc­
tuel, m ais non variable », qui adm ette des exceptions tion pastorale, n. 74, t. xix, p. 239. — Fénelon disait
au désintéressem ent absolu, surtout dans certaines encore : « E n quoi consiste cette affection im parfaite
tentations où il est bon de recourir au m otif intéressé et retranchée (par les Pères)? Encore une fois, ce ne
de l ’ espérance et de la crainte. Fort bien, m ais m ain ­ peut être l ’ espérance surnaturelle... Ce ne peut point
tenant que l ’ acte intéressé est devenu purem ent aussi être la fréquence des actes d ’ espérance; car le
naturel, qu'i l n'accom piit p as le précep te de l ’ espc rance fréquent exercice d ’ une vertu théologale ne peut
et reste en dehors de tout m érite, jiourquoi les par ­ jam ais être une im perfection... Ce qui est retranchi
faits s ’ y croiraient-ils obligés, pourquoi ne cherche ­ ne peut donc être qu ’ un désir naturel, hum ain et
raient-ils pas à l ’ élim iner absolum ent, et à se fixer délibéré de la béatitude, qu ’ une affection m ercenaire
dans un état invariable de pur am our? ou intéressée, qui loin d'entrer dans l ’ act des: · . once
c) Ce quatrièm e systèm e ressem ble au prem ier en ce surnaturelle, et de lui être essentielle, ne au
qu ’ il adm et deux espérances. V oir col. 665. M ais contraire qu ’ en dim inuer la perfection dans une
671 E S P ÉR A N C E 672

âm e. · Instr. pastor., n. 23, t. n, p. 301. B ossuet ré ­ vertus, col. 624 sq. A insi, en B elgique. H enri de Saint-
pond : « Le fréquent exercice d’une vertu théologale, Ignace, dans un livre d ’ ailleurs m is à l ’ index : « Ccr-
qui, de sa nature, est im parfaite, peut bien être une tainsm ystiques,dit-il,et avec eux les quiétistesetbeau-
imperfection, en ce qii ’ elle occupe la place de la plus coup de scolastiques, appellent amour d’espérance,
parfaite vertu, qui est la charité... N ous pourrions l ’ am our de D ieu, considéré com m e notre souverain
dire sans crainte que c ’ est une perfection d ’ exercer bien, am our m oins parfait (pensent-ils) que l ’ am our
plutôt et plus souvent la charité que l ’ espérance, et de D ieu,considéré en lui-m êm e com m e souverainem ent
que c ’ est une im perfection d ’ exercer plutôt et plus bon et parfait, et seul ce second am our est appelé
souvent l ’ espérance seule que la charité. » Loc. cit., par eux amour de charité. Ils m ettent donc la perfec ­
n. 84, p. 248. E t c ’ est bien ainsi, par la prédom inance tion de l ’ am our en ce que D ieu soit aim é com m e par ­
•de tel ou tel acte surnaturel dans la vie, que les Pères fait en soi, sans retour sur nous-m êm es. M ais l ’ am our
ont dû distinguer les « m ercenaires » des » vrais fils ». de D ieu com m e notre bien, est un vrai am our de
V oir col. 650. La vertu infuse d ’ espérance étant plus charité... E t il faut l ’ adm ettre, si l ’ on veut détruire
im parfaite, on peut sans faire injure aux dons de D ieu radicalem ent le quiétism e et le sem i-quiétism e. »
restreindre son activité pour laisser dom iner la charité, Ethica amoris, Liège, 1709, t. n, p. 216. D ans ce qui
en attendant qu ’ au ciel la prem ière disparaisse tout suit, il attaque saint François de Sales.
à fait devant la seconde. A insi, à l ’ im age de la vie E n Italie, B olgeni, S. J., après la suppression de
naturelle, la vie surnaturelle a son développem ent son ordre, reprend la m êm e idée, sous l ’ influence
>et sa variété dans les divers sujets, et une fonction de préoccupations anti-jansénistes; il attaque la possi ­
■d ’ ordre inférieur est relativem ent sacrifiée parfois bilité d ’ un acte désintéressé dans l'hom m e, et fait de
à une fonction d ’ordre supérieur. — Fénelon objectera la charité « un am our de concupiscence ». Della carità,
■que la charité est une am itié avec D ieu, et que, d ’ après R om e, 1788, t. i, p. 3. V oir C h a r it é , t. n, col. 2220.
saint Thom as, l ’ am itié augm ente plutôt l ’ espérance, E n France, au m êm e tem ps, le P. G rou, ancien jé ­
de amicis maxime speramus. Sum. theol., Il* II æ , suite, signale des interprétations exagérées de la
q. xvii, a. 8; cf. Instruct, pastor., η. 3, p. 288. M ais condam nation de Fénelon. « C om m e ce sujet, le plus
saint Thom as ne peut vouloir dire que l ’ am itié, essen ­ relevé de toute la vie intérieure, a fait beaucoup de
tiellem ent désintéressée d ’ après lui (voir col. 623), bruit vers le com m encem ent de ce siècle, et que d ’ une
m ultiplie entre am is les actes intéressés, parm i condam nation très juste, beaucoup de gens ont pris
lesquels il range l ’ espérance dans cet article m êm e occasion de se prévenir contre des choses entendues
que l ’ on objecte. Il veut dire seulem ent que, lorsqu ’ il de peu de personnes, j'ai cru devoir m ’ en expliquer
nous arrive d ’ espérer d ’ un am i un service utile pour en peu de m ots. » Maximes spirituelles, 23 e m axim e,
nous, nous l'espérons avec une bien plus grande Paris, 1789, p. 382. Cf. Études du 20 m ai 1911, p. 489-
.confiance de lui que d ’ un autre, un am i ne refusant 492.
rien à son am i. C ’ est en ce sens que notre am itié Il serait curieux, d ’ autre part.de suivre le quiétism e
envers D ieu, au dire du saint docteur, rend notre se survivant au xvin e siècle, dans des m ilieux qui
espérance en lui plus parfaite; ce n ’ est pas qu ’ elle échappent plus ou m oins à l'influence de l ’ Église.
en rende nécessairem ent les actes plus fréquents. M . Jules Lem aître le signale dans M m · de W arens et
Par cette analyse, on voit aussi que Fénelon, du dans J.-J. R ousseau. Fénelon, 9«· conférence, 12 e édit.,
m oins sur la question de l ’ espérance, n ’ a pu arriver, p. 270. O n le retrouverait alors dans certaines sectes
m algré ses recherches théologiques en tout sens et m éthodistes, où les livres de M mo G uyon sont encore
son génie si fertile et si souple, à justifier son livre, en honneur aujourd ’ hui.
ce qui est pour la condam nation rom aine une écla ­ 7° x/x· ’ siècle; attaques du rationalisme et du kantisme
tante justification. contre l’espérance chrétienne et son caractère intéressé. —
6° xvitt* siècle. — Si cette controverse célèbre, A la suite de Port-R oyal et surtout de /K ant/ le ratio ­
grâce au jugem ent qui l ’ a suivie, a m is en lum ière, nalism e m oderne a d ’ ordinaire proclam é, en m orale,
entre autres choses, la nature et la nécessité de l ’ espé ­ un désintéressem ent exagéré; en France, ces idées
rance, elle a donné occasion,chez certains théologiens ont été vulgarisées par l ’ enseignem ent universitaire.
et pour un tem ps, à une réaction exagérée contre U n exem ple : « La loi m orale, dit Paul Janet, a ce
le quiétism e, ce qui les a am enés à sacrifier la charité caractère de dem ander à être accom plie par respect
à l ’ espérance, l ’ am our désintéressé à l ’ am our intéressé, pour elle-m êm e, et c ’ est là ce que l ’ on appelle le
conform ém ent d ’ ailleurs à certaines idées philosophi­ devoir. T oute autre raison d ’ accom plir la loi, hors
ques en vogue au xvm “ siècle. Q uelques-uns ont pris celle-là, est une m anière de violer la loi... O n dira
à tort la condam nation de Fénelon com m e si elle que sans récom penses et peines, la loi sera inefficace.
im pliquait la canonisation des idées de B ossuet sur Je réponds : elle sera ce qu ’ elle sera : m ais si, pour la
la tendance perpétuelle au bonheur, et sur la recherche rendre efficace, vous en détruisez l ’ essence, vous
de son propre intérêt,fournissant à tout acte de cha ­ la rendez bien plus inefficace car vous la rendez nulle. »
rité un m otif secondaire. A insi, en A llem agne,Eusèbe Éléments de morale, rédigés conform ém ent aux pro ­
A m ort conclut avec B ossuet: In omni vero actu cari­ gram m es officiels de 1882, Paris, 1882, p. 147. D epuis
tatis includituretiamamor concupiscentia. D ans Theolo­ lors nous avons fait du chem in, l ’ im pératif catégo ­
gia eclectica. tr. De caritate, q. n ; et dans Idea divini rique de K ant ne satisfait plus les esprits, on en est à
amoris, R atisbonne, 1739, p. 5. En France, le P. de chercher une m orale pour les écoles, et on la cherchera
C aussade, S. J., se croit obligé, par le goût du tem ps, longtem ps. M ais l ’ objection reste : la m orale chré
à partir de la « doctrine de M . de M eaux », et pour tienne a pour but le plaisir et l ’ intérêt ; c ’ est une form e
défendre l ’ am our désintéressé, passe par le systèm e raffinée de l ’ épicurism e, c ’ est une m orale d ’ usurier,
de B ossuet sur l ’ acte de charité. Instructions spiri­ c ’ est un m arché avec D ieu, où l ’ on échange les actes
tuelles en forme de dialogue sur les divers états d’oraison de vertu contre bonne récom pense. D ans cette objec ­
suivant la doctrine de M. de Meaux, Perpignan, 1741, tion, il y a, d ’ abord, ignorance de ce qu ’ enseigne
p. 133-138. Cf. B rem ond, Apologie pour Fénelon, réellem ent la doctrine catholique, ensuite, ignorance
p. 437-441, 450, 451. de la nature hum aine.
D ’ autres vont plus loin que B ossuet, et réduisent 1. On prêle ά la doctrine catholique ce qu’elle ne dit
'im plem ent la charité à cet am our de convoitise qui pas.— a) La doctrine catholique ne soutient pas la mo
caractérise l ’ espérance; c ’ est détruire la distinction raie du plaisir. — A u contraire, elle proclam e l’ im m o ­
que nous avons m ise avec saint Thom as entre les deux ralité d ’ un hom m e qui ferait du plaisir en général
673 E S P ÉR A N C E 674

l ’ unique fin de son existence, lors m êm e que parm i où Ton s ’ oublie pour D ieu. Q uant aux vertus m orales
les plaisirs il choisirait le plus pur, celui qui naît puisqu ’ elles sont aim ables pour elles-mêmes, com m e
de la possession de D ieu, d ’ autant plus que ce serait vient de nous le dire saint Thom as, la théologie ca
faire de D ieu un pur m oyen. « L ’ âm e qui n ’ aijnerait tholique adm et qu ’ on puisse agir souvent par am our
D ieu que pour l ’ am our d ’ elle-m êm e, établies t la de la vertu, du bien m oral, sans porter plus loin son
fin de l ’ am our qu ’ elle porte à D ieu en sa propre contuqo- regard, sans songer à la récom pense, que d ’ ailleurs
dité, hélas! elle com m ettrait un extrêm e sacrilège. on m érite très bien sans y penser. Je paie m es dette-
S. François de Sales, loc. cit. Si le bonheur (béatitude) par honnêteté, par probité, par respect des droite
est par les théologiens souvent appelé fin dernière, ’autrui, sans autre m otif présent à m a pensée ; c <·-·.
cela ne fait pas que le plaisir soit la fin dernière de un" acte de justice, qui est certainem ent bon dev. : ·
l ’ hom m e, car le plaisir n ’ est pas toute la béatitude, ni D ieu, et peut m êm e être le fruit d ’ une vertu surna ­
son élém ent principal. L a béatitude, que désire turelle. L a doctrine catholique ne dit pas que dans
l ’ espérance chrétienne, se com pose indivisiblem ent de tous nos actes libres nous devions considérer com m e
D ieu lui-m êm e (« béatitude objective»), et de la pos ­ fin notre bonheur. V oir Éludes du20m ai 1911, p. 486 sq.
session de D ieu (« béatitude form elle ») ou subjective. Par là encore,l’ eudém onism e, tel quel ’ entend l ’ Église,
E t cette béatitude subjective elle-m êm e ne peut se en laissant une place au désintéressem ent, diffère de
réduire au plaisir; c ’ est avant tout le suprêm e déve ­ la m orale du plaisir et de l ’ intérêt.
loppem ent de l ’ hom m e dans sa nature spirituelle, par 2. On méconnaît la nature humaine. — L a tendance
la vision intuitive de D ieu, par la perfection de l ’ am our au bonheur, bien qu ’ elle n ’ apparaisse pas dans
de D ieu, par l ’ heureuse im puissance de pécher désor ­ tous nos actes, est pour l ’ hum anité un ressort puis ­
m ais; c ’ est, par m anière de com plém ent secondaire, le sant, naturel et nécessaire : de là, l ’ inanité de tous les
plaisir qui résulte de cet état et de ces opérations si systèm es de m orale qui ne font pas au bonheur sa
parfaites;car tout plaisir n ’ est pas m auvais;d ’ un objet part. Le kantism e, par exem ple, nous im pose l ’ im pé ­
honnête résulte un plaisir honnête. M ais le plaisir, ratif du devoir, tom bé on ne sait d ’ où, peut être
m êm e honnête, n ’ est pas ce que l ’ espérance chrétienne siniple préjugé subjectif, et com m ande des vertus
désire par-dessus tout : de m êm e que dans l ’ordre pénibles, sans concilier ces sacrifices avec la tendance
naturel des choses le plaisir n ’ est qu ’ une conséquence au bonheur que l ’ hom m e pourtant constate en hi
de la perfection de l ’ action et de la perfection de et dont il aperçoit la légitim ité. Sans cette concilia ­
l ’ agent, de m êm e, dans notre désir de la béatitude tion, le devoir ne restera-t-il pas un pur problèm e?
form elle, nous désirons principalem ent la perfection E t les passions, qui ont hâte de s ’ en affranchir, ne
surnaturelle de notre être et de ses opérations, et par s ’ autoriseront-elles pas de cette antinom ie troublante
voie de conséquence le plaisir qui en suivra. N ous du devoir et du bonheur? L ’ im pératif catégorique,
désirons le plaisir avec le reste, m ais nous ne faisons dem andant un im possible, un illégitim e abandon du
pas du plaisir le m otif calculé de désirer le reste. bonheur a-t-il vraim ent force de loi? E t ne devrait-on
Cf. S. Thom as, Sum. theol., I ’ II® , q. n, a. 6; q. iv, pas consulter les possibilités et les tendances de le
a. 1, 2. Q uant au sentim ent de plaisir qui souvent nature hum aine, quand on veut lui fabriquer une
accom pagne et facilite nos actes, s'il n ’ entre pas dans m orale? C ’ est ce qu ’ avoue Paul Janet lui-m êm e, que
un calcul, il n ’ altère pas le m otif de l ’ acte libre. nous citions tout à l ’ heure : « fl s ’ agit, en m orale,
b) La doctrine catholique ne soutient donc pas la de l ’hom m e réel et non d ’ un hom m e fictif et im agi ­
morale de l'intérêt ou m orale utilitaire, qui rem pla ­ naire. O n ne peut im poser à un être une loi qui ne
çant la recherche plus spontanée du plaisir par un serait pas conform e à sa nature : ce qui doit être doit
savant calcul des plaisirs et des peines, au fond ne avoir une certaine proportion avec ce qui peut
diffère pas de la m orale du plaisir, puisqu ’ elle le con ­ être. L ’ hom m e n ’ est ni ange ni bête, a dit Pascal; et
serve com m e fin dernière et ne fait que m ieux calculer souvent qui veut faire l ’ ange fait la bête. ■ Loc. cit.,
les m oyens. Le but suprêm e de la vie poursuivi par p. 7. Les anges de K ant ne volent que d ’ une aile;
l ’ utilitarism e, suivant la form ule de B entham , son lui-m êm e en gém it, et va jusqu ’ à dire qu ’ il n ’ a peut-
chef, c ’ est « le m axim um de plaisir avec le m inim um être pas existé une seule bonne action depuis le com ­
de douleur; » pour y arriver la vertu est recom m andée, m encem ent du m onde, bonne suivant la form ule de
m ais prise com m e un pur m oyen, et subordonnée à son systèm e.
une fin indigne d ’ elle, d ’ autant plus que le plaisir R em arquons, en finissant, que ce systèm e de
cherché par les utilitaires n ’ est pas celui du ciel, m ais K ant suppose nécessairem ent la réfutation de la
celui de la terre. La théologie catholique, au contraire, m orale du bonheur, de l ’ eudém onism e péripatéticien,
sans com pter qu'elle n ’ adm et pas un plaisir quelcon ­ et qu'il ne l’a pas réfutée au jugem ent d ’ un historien
que, ne fait pas de la vertu un pur m oyen d'arriver delaphilosoplüe tel qu ’ U eberw eg. Geschichte, 9' édit.,
au ciel et reconnaît qu ’ on peut l ’ aim er pour elle-m êm e ; p. 349. V oir A ug. V alensin et les auteurs qu ’ il cite,
suivant le style des anciens, elle n ’ en fait pas seule ­ dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique,
m ent un bien utile, m ais un bien honnête. Quædam, art. Criticisme kantien, col. 755.
dit saintThom as en parlant des vertus, appetuntur et L ’ Église catholique, elle, a proclam é au concile
propter se, in quantum habent in seipsis aliquam ra­ de T rente et dans la condam nation de Jansénius.
tionem bonitatis, etiamsi nihil aliud boni per ea nobis ce grand principe : « D ieu n ’ ordonne pas l ’ im possible.
accideret; el tamen sunt appetibilia propter aliud D enzinger, n. 804 (686), 1092 (966). E t pour que la
in quantum scilicet perducunt nos in aliquod bonum loi m orale soit possible et pratique, elle tient com pte
perfectius... Et hoc sufficit ad rationem honesti. Sum. de la tendance au bonheur, et rattache la béatitude
theol., 11 “ II® , q. c x l v , a. 1, ad l u “ . A insi pour future à l ’ observation de la loi. Si l ’ hom m e peut agir
nous,autant que pour les rationalistes et les kantistes, parfois par pur am our de la vertu sans m otif ulté ­
le bien est bien.indépendam m ent de toutes ses consé ­ rieur, il faut aussi qu ’ il pratique les vertus en vue
quences agréables ou désagréables. U ne action n ’ est de la récom pense céleste. E t il n ’ y a rien en cela qui
pas bonne uniquem ent parce qu ’ elle est récom pensée, dégrade les actes de vertu. Q u ’ est-ce que la vertu, A
m ais récom pensée parce qu ’ elle est bonne, c ’ est-à-dire pratique du devoir? C ’ est la réalisation bien im par ­
honnête et vertueuse. faite, bien passagère, de l ’ ordre m or.ii en m oi. Si
c) La doctrine catholique n ’oblige pas à faire toutes j ’ aim e vraim ent cet ordre, je ne puis m ’ arrêter to u ­
ses actions en vue de la récompense céleste. — N ous jours à son ébauche, je dois aspirer à sa rêausâtion
l ’ avons déjà constaté pour l ’ acte de charité théologale plus parfaite. O r, la béatitude, telle que la propose La
D IC T . D E T B Ê O L . C A TH O L.
675 E S P ÉR A N C E — E S P R IT-S A IN T 676

doctrine catholique, c ’ est avant tout, com m e nous le H I. T h é o l o g i e n s . — H ugues de S aint-V ictor ou un dis ­
disions, la perfection m orale de l ’ hom m e réalisée d ’ une ciple d ’ A bélard (voir A b é l a r d , 1.1, col. 53), Summa Sen­
m anière surém inente, continue, éternelle; c ’ est ce tentiarum, tr. I, c. n , P. L., t. c l x x v i , col. 43-44 (source du
L om bard); P ierre L om bard, Sent., 1. H L d ist. X X V I,
règne de la justice, dont parlait K ant lui-m êm e. P. L., t. ex en , col. 811-812; S. T hom as, Sum. theol., I· II· ,
Subordonner les actes de vertu à la béatitude, c ’ est q. x l ; H * H ", q. x v n -x x ii; Quæst. disp., De virtutibus,
donc subordonner le m oins au plus, la perfection q. iv . De spe; S . B onaventure, In IV Sent.. 1. III, d ist
com m encée à la perfection accom plie, ce qui est dans X X V I, Q uaracchi, 1887, t. n i, p. 553 sq. — L es autres
l ’ ordre. Les partisans de l ’ im m anence ne peuvent se com m entateurs du L om bard sur le m êm e endroit des S en ­
plaindre de l ’ eudém onism e ainsi entendu : quoi de plus tences, surtout S cot, P aris, 1894, t. xv, p. 320 sq . ; D urand
im m anent, de m oins étranger à l ’ hom m e, que le su ­ de S aint-Pourçain, C apréolus, D enys le C hartreux, col.
656-657. — L es com m entateurs de la Somme d e S. T hom as,
prêm e développem ent de son être? Les rationalistes su rto u t In IP- II·, q. x v i i sq., particulièrem ent ; chez
qui fondent la vie m orale de l ’ hom m e sur le respect les dom inicains C ajetan, dans leur édition de sain t T hom as
de sa propre personne ne peuvent se plaindre d'une en cours de publication, R om e, 1895, t. v in , p. 125 sq.;
doctrine qui prend pour but de la vie la dignité de la B aiiez, In II·· II·, D ouai, 1615, p. 307 sq . : Jean de S aint-
personne hum aine portée un jour au plus haut degré T hom as, B illuart, voir col. 634. C hez les carm es : les Sal-
de son évolution. A insi la doctrine catholique contient m anticcnscs. P aris. 1879. t. x i, p. 440. C hez les docteurs de
en elle cette vérité dont quelques rayons brillent à tra ­ S orbonne : Y sam bert, G randin, voir col. 641. C hez les
jésuites : S uarez, In II·· II·, tr. De spe, P aris, 1858, t. x n .
vers les systèm es.
p. 597 sq.; T anner, Theol. scholast., Ingolstadt, 1627, t. xn,
X . N é c e s s i t é d e l ’ e s p é r a n c e . — 1° Nécessité p. 537; C oninck, A rriaga, O viedo, voir col, 641; R ipalda,
de moyen. — L ’ acte d ’ espérance est une disposition P alla vicini, H aunold, P latel, V iva et autres, voir col. 639 sq.
absolum ent nécessaire à la justification de l'adulte. — L es com m entateurs franciscains de S cot, surtout
Le concile de T rente exige 1 ’ « espérance du pardon » L ychetus et P oncius dans la nouvelle éd it, de S cot, toc. cil..
pour que le sacrem ent avec l ’ attrition puisse purifier et plus tard M astrius, F rassen, v o ir col. 641. — Théologiens
le pécheur. V oir col. G08. La charité parfaite, qui peut plus récents : P errone, De virtutibus ftdci, spei et caritatis,
p art. II, T urin, 1867, p. 155 sq.; M azzella. De virtutibus
justifier en dehors du sacrem ent, présuppose l ’ espé- infusis, R om e, 1879, p. 611 sq. ; Jules D ldiot, Morale sur­
rance com m e disposition. Voix· col. 60S. naturelle spéciale. Vertus théologales, c. n , P aris et L ille,
2° Nécessité de précepte. — Le précepte divin de 1897, p. 279 sq. ; L ahousse, De uirt. theologicis, disp. Ill,
l ’ espérance ne nous oblige évidem m ent pas à faire B ruges, 1900, p. 337 sq.; B illot, De virt. infusis, Rome.
à chaque instant des actes de cette vertu ; les préceptes 1901, p. 3-15 sq. ; S chifîlni. De uirt. infusis, F ribourg-en-
positifs n'obligent pas pro semper. L a difficulté est donc B risgau, 1904, p. 349 sq .; C . P esch, Prœlcctiones dogma-
de préciser cette obligation autant qu ’ on le peut. ticæ, 3 ” édit., t. v in , tr. III, F ribouxg-en-B risgau. 1910,
p. 220 sq. L es auteurs de théologie m orale, à la su ite de
1. Y a-t-il certains m om ents déterm inés de la vie S. A lphonse de L iguori, Theologia moralis, 1. Π , tr. H ,
où l ’ obligation soit urgente? Pour les trois vertus R om e, 1905, t. i, p. 313-314.
théologales ensem ble, la théologie m orale exam ine IV . A u t e u r s m y s t i q u e s o u a s c é t i q u e s . — S. F rançois
deux m om ents déterm inés : début de la vie m orale, de S ales, Traité de l'amour de Dieu, 1. II, c. x v -x v n , Œuvres.
article de l a m or t. C ette question ayant été déjà A nnecy, 1894, t. iv , p. 136 sq.; P h ilip p e do la S ainte-
traitée à propos de la charité avec d ’ abondantes T rin ité, carm e, Summa theologiæ mysticœ, p art. I, tr. II,
références, nous n ’ y reviendrons pas. V oir C h a r it é , disc. III, a. 8-10; p art. Ill, tr. H , disc. I, a. 2, L yon, 1656.
p. 101 sq., 372, 373; M assoulié, O . P ., Traité de l'amour de
L n, col. 2253 sq. X Dieu (apologie de l’am our intéressé et de l’ espérance contre
2. E n dehors de ces deux époques extrêm e^de la vie le quiétism e et le sem i-quiétism e, B ruxelles, 1886, surtout
m orale, le précepte divin de l ’ espérance oblige-t-il p. 91-176; V incent C alatayud.deT O ratoire de S. P hilippe.
directem ent au m oins quelquefois pendant la vie, et Divus Thomas... tenebras, mysticam theologiam obscurare
peut-on fixer un m inim um ? La réponse est à peu pires la molientes, angelice dissipans. V alence, 1732, t. iv , surtout
m êm e que pour l ’ acte de charité. V oir C h a r it é , t. il, p. 78-92, 644-672; t. v, p. 163-1 74, 314-317; le cardinal
col. 2255. G ennari,D el falso misticismo (Molinos et F énelon), 2" édit.,
R om e, 1907.
Toutefois, quand il s'agit de l ’ espérance, en la disant
obligatoire on ne veut pas dire qu ’ il faille absolum ent S. H a r e n t .
en faire un acte explicite et form el. Il y a un acte E S P R IT -S A IN T. N ous étudierons successive ­
parfait d'espéranceTfiéeR Îgale contenu au m oins m ent : 1° sa divinité; 2° sa procession du Père et du
im plicitem ent dans toute prièrgjjar laquelle nous Fils.
d em andons à D ieu~ âVéc confîânce/poûr nous'C t' dans
notreT ntérêtTlâvie éternelleètT e secours de la grâce I. e s p r i t - s a i n t , s a d iv in it é . — I. D ’ après
pour y arriver; et l'on sait que la prière, dont la l ’ É criture. II. D ’ après les Pères. III. D ’ après les
confiance est une condition essentielle, est regardée conciles. IV . D ’ après les théologiens.
elle-m êm e par la doctrine catholique com m e néces ­ I. D ’ a p b ê s l ’ E c r i t u r e . — 1° Divers sens du mol
saire et non m oins obligatoire que l ’ espérance. V oir «esprit s. — Le mot esprit, spiritus,-misoy-a, nn, offre
P r iè r e . Il suffira donc d ’ accom plir le précepte de la plusieurs sens que nous trouvons énum érés dans le
I prière pour satisfaire en m êm e tem ps à celui de l'es ­ Liber de definitionibus, classé parm i les œ uvres apo ­
pérance. cryphes de saint A thanasc, et dans le De fide orthodoxa
de saint Jean D am ascène. D ’ après le prem ier écrit, le
I. L ’ e s p é r a n c e d ’ a p r è s l a b i b l e . — V oir P . R enard,
m ot πνεύμα peut s'entendre de l ’ âm e, des anges, du
art. Espérance, dans le Dictionnaire de la Bible de M . V igou ­
reux, t. n , col. 1965; K aulen, art. Hoffnung, dans le Kir- vent,et aussi de l ’ intelligence hum aine. P. G .,t.xxvin,
chenlexikon de W etzer et W elte, 2 “ éd it., t. vi, p. 148 sq. — col. 536. D ’ après saint Jean D am ascène, πνεύμα dé ­
Auteurs protestants : I. S. B anks, art. Hope, dans le Dictio­ signe d ’ abord le Saint-E sprit; il indique aussi les
nary of the Bible de H astings, t. n , p. 413; C . G rierson, puissances du Saint E sprit, le bon ange, le dém on,
a rt Hope, dans le Dictionary of Christ and the Gospels de l ’ âm e, l ’ intelligence, le vent, l ’ air. De fide orthodoxa,
H astings, t. I, p. 747; B uchrucker, art. Hoffnung, dans 1. I, c. xm , P. G., t. xerv, col. 857-859.
la Bealencyklopiidie fiir protestantische Theoloyie de H erzog-
H auck, t. v n i, p. 233; Jean M onod, art. Espérance, dans
L ’ auteur du Liber de definitionibus fait dériver le
l ’ Encyclopédie des sciences religieuses de L ichtenberger, m ot grec πνεύμα de παν νεύμα, toute sorte de m ou ­
f. iv, p. 537 sq.
vem ent, tout ce qui s ’ agite et se m eut, P. G., t. xxvin,
II. P è r e s d e l ’ É g l i s e . — C ités col. 607-608 ,649-651 col. 536, et puisque la troisièm e personne de la sainte
C f. Suicer, Thesaurus e Patribus grœcis...,3° édit., U trecht, T rinité pousse la volonté de l ’ hom m e, sonde ses secrè ­
1746, art. ’ Ελπίς , 1 . 1, col. 1094 . tes pensées, est la source des m ouvem ents de la vie
677 E S P R IT-S A IN T

surnaturelle, elle m érite la dénom ination de Saint- naturel pour désigner le m onde visible et les êtres qui
E sprit. Ibid., col. 784. M ais, d ’ après la juste rem arque en font partie; 5° un sens surnaturel pour énoncer
de Suicer, Thesaurus, t. n, col. 764, cette étym ologie l ’ être de D ieu, sa vie, ses attributs, son action sur
exprim e plutôt une allusion, une adaptation au Saint- l ’ âm e hum aine. C ette variété de significations, observe
E sprit, que la racine d ’ où dérive le m ot πνεύμα. C elui-ci le P. de R égnon, devait nécessairem ent causer bien
est un dérivé du verbe πνέω: il s ’ ensuit donc que sa si ­ des em barras aux docteurs de l ’ Église dans eurs
gnification vulgaire et prim itive, soit chez les auteurs discussions avec les hérétiques. C ar, d ’ un côtr. ils
classiques, soit chez les auteurs inspirés, est souffle, devaient légitim er l'em ploi qu ’ ils faisaient d ■? certains
vent P. de R égnon, t. ni, p. 226; Lcchler, L i, p. 91; textes scripturaires pourm ontrer la divinité du S ûnt-
N ôsgen, 1.1, p. 17. E sprit, et, d ’ un autre côté, ils avaient à écart. - les
C ette signification de vent est attribuée au m ot textes qui avaient rapport à quelque créature, t. in,
πνεύμα dans plusieurs textes de l ’ É criture sainte; p. 288.
selon Théodoret, Quæsl. in Gen., q. vm , P. G., t. l x x x , Toutefois le m ot esprit, dans la sainte É criture, a
col. 89, il a ce sens m êm e dans le fam eux texte de la une autre signification, à laquelle, rem arque D idym e
G enèse, i, 2; cf. pseudo- A thanase, Quæsl. XLVitr in d ’ A lexandrie, on n ’ arrive pas au m oyen de la philo ­
V. T., P. G., t. xxviii, col. 729, et d ’ après saint Jean sophie. Liber de Spiritu Sancto, n. 2, P. G., t. xxxix,
C hrysostom e, il en est de m êm e dans le texte de saint col. 1033M 034. O n y trouve m entionné souvent l ’ es ­
Jean,ni, 8. InJoa., hom il. xxvi, P. G .,t. i.ix,col. 152; prit de D ieu : om b» nri ; l ’ esprit du Seigneur : m ro
In Episl. I ad Cor., c. xxix, P. G., t. l x i , col. 246.
V oir aussi Job, i, 19; Is., xxvn, 8. D ieu est appelé par nr>; l ’ esprit saint : «rijs nn. Faut-il entendre ces
A m os χτιζών πνεύμα, créateur des vents, iv, 13. Le expressions dans un sens absolum ent allégorique,
m ot πνεύμα désigne aussi le souffle de la personne dans le sens de m anifestations de la grâce et puissance
vivante, en particulier le souffle de la bouche de de D ieu, ce qui, parfois, n ’ est pas contraire à la vérité?
D ieu, Ps. xxxm , 6; D ieu exterm ine l ’ im pie par le B erti, De theologicis disciplinis, t. vn, c. xiv, B as-
souffle de sa bouche. II Thess., n, 8. sano, 1792, t. n, p. 50. O u m êm e faut-il y voir la déno ­
D e ce sens prim itif, le m ot πνεύμα a passé à la dési­ m ination d ’ une personne réelle, qui participe à l ’ être
gnation des forces spirituelles et des substances im m a ­ et à la vie de D ieu? D idym e, op. cit., n. 4, col. 1035.
térielles. N ous le trouvons tout d ’ abord em ployé dans L a tradition des Pères et la théologie chrétienne sont
le sens de principe de la vie com m une à tous les êtres unanim es à reconnaître que l ’ A ncien et le N ouveau
anim és, principe général, distinct du principe de la T estam ent, le prem ier par des allusions voilées. le
vie spécifique de l ’ hom m e, l ’ âm e, ψυχή. Le déluge second par des assertions explicites, affirm ent l ’ exis ­
détruit toute chair ayant le souffle de la vie. G en., tence d ’ une personne distincte, de la très sainte-
vi, 17; vn, 15. Il exprim e tout ce qui est opposé à la T rinité,et que cette personne est désignée le plus sou
m atière : celle-ci est inerte, tandis que l ’ esprit est vent par la dénom ination de Saint-Esprit.
la source de la vie. G en., vt, 3; Trochon, Introduc­
S uicer, Thesaurus ecclesiasticus, t. n , col. 763-780: Schen-
tion générale à l’Écriture sainte, Paris, 1894, t. n, kel, Bibel-Lexikon, L eipzig, 1869, p. 367-369; G rim m ,
p. 678. Lexicon grœco-latinuni in libros Novi Testamenti, L eipzig.
Π désigne l ’ âm e hum aine, qui vivifie le corps, 1879, p. 361: C rem er, Biblisch-theologisches Wôrterbuch
G en., vi, 3; de H um m elauer, Commentarius inGenesim, der neutestamentlichen Gracitàl, Gotha, 1895, p. 829-847:
Paris, 1895, p. 215; ou l ’ âm e séparée du corps, H eb., P . de R égnon, Etudes de théologie positive sur la sainte
xii, 23; la partie rationnelle de la nature hum aine, la Trinité, P aris, t. n i, p . 2 8 7 -3 0 2 ; L echler, Die biblische
pensée qui s ’ élève à la connaissance des choses divines Lehre von heiligen Geiste, G utersloh, 1899, t. i; N ôsgen.
Der heilige Geist, sein Wesen, und die Art seines Wirktns,
et éternelles, H eb., iv, 12; les tendances, les inchna ­ B erlin, 1905, t. i; B row n, A hebrew and english lexicon
tions, les passions, les affections de notre nature, nos o/ the Old Testament, O xford, 1906, p. 224-226; H agen,
sentim ents. C ’ est ainsi que les hom m es ont l'esprit de Lexicon biblicum, P aris, 1911, t. m , p. 1056 -1060.
colère, Job, iv, 9; l ’ esprit de sagesse, Exod., xxvm , 2° Le Saint-Esprit dans l’Ancien Testament. — 1.
3; l ’ esprit d ’ intelligence et de savoir, Exod., xxxi, Remarques préliminaires. — A vant d'aborder la doc ­
3 ; l ’ esprit de jalousie. N um ., v, 14 ; Eccle., vn, 9. trine de l ’ A ncien T estam ent sur la réalité, la divinité
Le sens de πνεύμα ne reste pas enferm é dans les et la personnalité du Saint-E sprit, il est utile de
lim ites de l'ordre naturel. Il désigne le m onde angé ­ rem arquer : a) que le V ieux Testam ent est une pré ­
lique, le règne des esprits créés par D ieu pour rem plir paration à la révélation pleine et entière du N ouveau.
ses volontés. D ieu est appelé le D ieu des esprits, Il ne faut donc pas s ’ étonner de ce que l ’ énonciation
N um ., xvi, 22; de H um m elauer, Commentarius in des m ystères touchant la vie intim e de D ieu n ’ y soit
Numéros, Paris, 1899, p. 135-136; il fit les anges « des pas précise et n'y soit pas clairem ent développée.
esprits », en leur donnant la nature im m atérielle. A ux justes et aux prophètes de l ’ ancienne loi. D ieu
Ps. cm , 4. Le m ot « esprits » désigne les anges bons et parle par figures et en énigm es. Par leur entrem ise il
le sanges m auvais, Jud.,ix,23; de H um m elauer, Com ­ donne au peuple juif la préface du livre de la révéla ­
mentarius in libros Judicum, Paris, 1888, p. 190; un tion chrétienne. L a plénitude des tem ps n ’ était pas
fantôm e, un revenant. Luc., xxiv, 37. arrivée pour que fût donnée une connaissance plus
A ppliqué à D ieu, il désigne l ’ être de D ieu, l ’ acte très approfondie des m ystères de D ieu, G ai., iv, 3, et en
pur de son existence, et il établit une antithèse entre particulier, au sujet du Saint-E sprit, l ’ A ncien Testa ­
l ’ être divin et la m atière. D ieu est esprit, Is., iv, 24; m ent est réellem ent un livre couvert d ’ un voile. 11
les attributs divins, la toute-puissance, Luc., I, 35; Cor., in, 14. V oir Scheeben, La dogmatique, trad,
sa sagesse et sa beauté, Job, xxv:, 13; de H um m elauer, franç., Paris,· 1880, L n, p. 532; Franzelin, 'tra­
Commentarius in libros Judicum, p. 78; l ’ action de ctatus de Deo trino, R om e, 1895, p. 97-98.
D ieu sur l ’ hom m e, action qui est la source de l ’ esprit b) Il est avéré aussi que l’ A ncien T estam ent est
prophétique, Ezech., xxxvi, 26; l ’ inspiration divine. bien plus clair et explicite à l ’ égard du Fiis qu .
Ezech., xiii, 12-14. l ’ égard du Saint-Esprit C 'est pour cela que ies théo ­
En résum é, le m ot esprit a : 1° un sens physique qui logiens qui traitent du Saint-Esprit, ou bien passent
exprim e des phénom ènes naturels; 2° un sens physio ­ sous silence, com m e dépourvus d ’ autorite, les · · — si ­
logique, qui désignp la vie et ses m anifestations; 3° un gnages de l ’ A ncien T estam ent, ou bien ne ca­
sens psychologique, qui exprim e l ’ âm e hum aine, ses nent qu ’ une im portance secondaire. « La raison, dit
puissances, ses affections, sa vie; 4° un sens prêter- I Scheeben .pour laquelle la personne du Fils ressort aussi
679 E S PR IT-S A IN T 680

distinctem ent, c ’ est que l ’ A ncien T estam ent tout en ­ Saint-Esprit, ou quand il se rapporte à des créatures
tier n ’ était qu ’ une préparation, une annonce de la ou à des forces naturelles et surnaturelles. Lorsqu ’ il
m ission et de la m anifestation du Fils dans l ’ incarna ­ est précédé de l ’ article, ou encore lorsqu ’ il est déter ­
tion; la personne du Saint-E sprit, au contraire, se m iné (esprit de D ieu, du Père, du C hrist, esprit saint),
m ontre m oins visiblem ent, parce que sa m ission et sa il convient au Saint-E sprit. "Ο λως άνευ τοϋ άρθρου, ή
m anifestation supposent celle du Fils, et que leur τής προειρημένης προσθήκης , ούκ άν είη σημαινόμενον τό
annonce devait naturellem ent être proclam ée par le πνεύμα το άγιον. Cf. S. A thanase, Epist., I, ad Se­
Fils de D ieu incarné. » Op. cit., t. il, p. 533. rapionem, n. 4, P. G., t. xxvi, coi. 537; D idym e
c) Il y a des exégètes protestants, et m êm e catho ­ d ’ A lexandrie, De Spiritu Sancto, n. 3, P. G.,
liques, qui déclarent que l ’ A ncien T estam ent ne fournit t. xxxix, coi. 1035.
pas de preuves directes, d ’ indications précises et 3. La personne du Saint-Esprit dans l’Ancien Testa­
détaillées sur le Saint-E sprit; voire m êm e qu ’ on n ’ y ment peut être considérée comme une personne divine. —
découvre pas la m oindre trace de sa personnalité, La divinité du Saint-E sprit, dit saint A thanase, nous
que tout ce qui y est dit de l'esprit de D ieu, doit est prouvée par le tém oignage des deux Testam ents.
s ’ entendre de D ieu lui-m êm e; que l ’ esprit de D ieu Epist., i, ad Serapionem, n. 7, P. G., t. xxvi, col. 548.
n ’ est pas une personne distincte, subsistant dans Les Pères de l ’ Église, soucieux de m ontrer la conti­
l'essence divine, m ais l ’ être im m atériel et invisible de nuité de la révélation chrétienne, de surprendre, dans
D ieu, son énergie vitale, son action sur les hom m es l ’ A ncien T estam ent, l ’ affirm ation tim ide des vérités
pris individuellem ent ou socialem ent. Schenkel, déclarées et énoncées clairem ent dans le N ouveau,
Ili bel-Lexicon, t. n, p. 218; H astings, A dictionary of ont, de bonne heure, recueilli les textes qui, dans
the Bible, Edim bourg, 1899, t. n, p. 403; D river, The l ’ ancienne loi, sem blent se rapporter au Saint-Esprit.
book of Genesis, Londres, 1904, p. 4; Dictionnaire U n recueil de ces textes a été inséré par saint A tha ­
de la Bible, Paris, 1899, t. n, col. 1967. M ais il y a aussi nase dans la prem ière É pître à Sérapion, n. 5, P. G.,
d ’ autres exégètes, qui croient découvrir dans l ’ A ncien L xxvi, col. 537-541. D ’ après la théologie chrétienne,
Testam ent de nom breux tém oignages explicites et de l ’ A ncien T estam ent professe la foi en la divinité du
nom breuses preuves directes de la personnalité et de Saint-E sprit pour les raisons suivantes : a) parce qu ’ il
la divinité du Saint-Esprit. M ac Ilhany arrive jusqu'à échange le nom de Jéhovah avec celui du Saint-
soutenir que 81 textes de l ’ A ncien T estam ent, où il E sprit; dans les m êm es circonstances, il attribue au
est question de l ’ E sprit de D ieu, se rapportent direc ­ second la m êm e action qu'il avait attribuée aupa ­
tem ent au Saint-E sprit : tous les autres indirectem ent : ravant au prem ier. « L ’esprit de Jéhovah a parlé par
la révélation de l ’ A ncien T estam ent au sujet du Saint- m oi, et sa parole est sur m es lèvres : le D ieu d ’ Israël a
E sprit ne serait donc pas m oins affirm ative que celle parlé.» II Sam ., xxm ,2,3. Q uelquefois c ’ est Jéhovah
du N ouveau. Revue biblique, t. xi (1902), p. 301. O n qui parle par la bouche des prophètes, N um ., xn, 6;
peut tenir un juste m ilieu entre ces deux opinions Ps. l x x x v , 9; Is., i, 2, 10; c ’ est encore l ’ esprit de
divergentes. Il est hors de doute que les textes de Jéhovah qui est sur les prophètes, Is., l x i , 1, qui est
l ’ A ncien T estam ent, m êm e ceux que les théologiens l ’ auteur de leurs visions, Ezech., xi, 24, et la source de
citent de préférence, peuvent s ’ entendre d ’ une vertu, leur science surnaturelle. D an., iv, 6. C ’ est Jéhovah
d ’ une force divine, ne déterm inent pas d ’ une m anière qui conduit Israël à travers le désert, D eut., xxxn, 12,
absolue la subsistance du Saint-E sprit. B ien plus, du qui le guide dans le pays aride et crevassé, dans le
tem ps d e saint G régoire de N azianze, les ennem is du pays desséché, où règne l ’ om bre de la m ort, où nul
Sain t-E sprit déclaraient qu ’ on ne parlait pas de lui dans hom m e ne passe et personne n ’ habite, Jer., il, 6;
la révélation. Or., xxxi, P. G ., t. xxxvi, col. 133. Il ne m ais c'est aussi l ’ E sprit-Saint qui a fendu les eaux de
faut pas oublier, toutefois, que les textes de l ’ A ncien la m er R ouge, qui a fait m archer le peuple d ’ Israël
T estam ent peuvent être interprétés à la lum ière du à travers les abîm es et l ’ a conduit au repos. Is.,
N ouveau et de la doctrine de l ’ Église, et ils l ’ ont été Lxin, 10-14. Les Israélites tentèrent D ieu dans le
ainsi par les Pères; leur obscurité n ’ oblige donc pas à désert, en dem andant de la nourriture suivant leur
souscrire aux conclusions des exégètes rationalistes, convoitise, et parlèrent contre D ieu, Ps. l x x v i ii ,
qui écartent le Saint-Esprit du contenu de l ’ ancienne 17-18; m ais leur révolte attrista aussi l ’ Esprit-Saint.
révélation. Is., l x i h , 10. L ’ E sprit de Jéhovah, au m êm e titre que
Ccs trois rem arques posées, nous disons que l ’ A n- Jéhovah, est l ’ inspirateur de la conduite des juges
cien T estam ent renferm e des linéam ents des trois d ’ Israël. Jud.,m , 10; x i, 29; xm , 24,25. Puisque donc
affirm ations de la foi catholique au sujet du Saint- D ieu le Seigneur et l ’ E sprit du Seigneur accom plis ­
E sprit : a) il y a en D ieu une troisièm e personne; sent les m êm es actions d ’ ordre surnaturel, la nature
b) cette personne a la nature divine; c) elle est dis ­ divine de Jéhovah appartient aussi à l ’ E sprit de Jého ­
tincte du Père et du Fils. vah. K lee, Katholische Dogmatik, M ayence, 1844, t. i,
2. Il y a en Dieu une troisième personne. — O n parle p. 171-172.
souvent dans l ’ A ncien T estam ent de l’Esprit de Dieu, b) L ’ acte de la création n ’ est que la m anifestation
de l’Esprit du Seigneur, de l’Esprit-Saint. Cet esprit est d ’ une puissance divine. O r, l ’ acte de la création est
parfois m entionné avec D ieu. « Le Seigneur Jéhovah attribué au Saint-E sprit aussi bien qu ’ au Père. D onc,
m ’ envoie avec son esprit. » Is., x l v ih , 16. D ans ces le Saint-E sprit révèle dans le m onde sa puissance
paroles qui, au sens m ystique, d ’ après les Pères, sont divine, c ’ est-à-dire sa nature divine. Pour prouver
prononcées par le M essie, l ’ E sprit de D ieu indique une l ’ action créatrice du Saint-E sprit, on a invoqué tout
personne ayant la nature divine, et ne pouvant pas, d ’ abord le texte de la G enèse : L ’ esprit de D ieu se
cependant, se confondre avec le Seigneur Jéhovah. m ouvait au-dessus des eaux, i, 2, qui, d ’ après saint
H einrich, Dogmatische Théologie, M ayence, 1885, t. iv, A ugustin, désigne la puissance créatrice de D ieu.
p. 122-124. M ais le texte hébreu s ’ entend seulem ent Cf. Ps. xxxn, 6; W itasse, Tractatus de sancta Tri­
de l ’ esprit prophétique com m uniqué par D ieu. nitate, dans Theologiæ cursus completus de M igne,
J. K nabenbauer, Commentarius in Isaiam prophetam, t. vin, col. 500-504. C ’ est l ’ E sprit de D ieu qui crée les
Paris, 1887, t. n, p. 223-225. A . C ondam in, Le livre hom m es et leur donne la vie. Job, xxxin, 4; H ein ­
d'Isaïe, Paris, 1905, p. 293-294, l'entend m êm e de rich, t. iv, p. 119. E t non seulem ent il a créé les cieux
C yrus, envoyé par D ieu avec son ardeur guerrière. et les astres, Ps. xxxnr, 6, m ais il est la source de la
Les Pères donnent une règle pour discerner dans vie. Sans lui, toute chair expirerait à l ’ instant, et
l ’ A ncien Testam ent quand le m ot « esprit » désigne le l ’ hom m e retournerait en poussière. Job, xxxiv, 14,15.
681 E S P R IT-S A IN T

Ces textes, qu ’ on pourrait m ultiplier, m ontrent donc 26. L ’ E sprit de D ieu, se répandant sur toute chair,
que, d ’ après l ’ A ncien T estam ent, dans l ’ ordre naturel, produit une floraison adm irable de charism es surna ­
le Saint-E sprit est créateur au m êm e titre que le turels, Joël, n, 28-29; il tourne les cœ urs des habitants
Père et le Fils, c ’ est-à-dire qu ’ il participe à l ’ être de Jérusalem vers celui qu ’ ils auront transpire,. Zach-,
divin. C ependant, les textes cités ne conviennent pal xn, 9,10. Le Saint-E sprit est donc associe à l ’ œ uvre
explicitem ent à une personne distincte deD ieu;ils ne de la rédem ption. Les écrivains inspirés de l ’ A ncien
se rapportent qu ’ à l ’ esprit de D ieu lui-m êm e. C ’ est T estam ent ne se bornent pas à prédire les , pisodes
seulem ent à la lum ière du N ouveau T estam ent que sanglants de la vie du C hrist : ils prédisent aussi
les Pères et les théologiens leur ont donné une signi ­ l ’ épanouissem ent de la vie surnaturelle dans les âm es,
fication qu'il* n ’ ont pas par eux-m êm es. et attribuent à l ’ E sprit de D ieu cette œ uvre de sanc ­
c) L 'E sprit-Saint est divin; il appartient à D ieu et il tification et d ’ élévation. M êm e les auteurs Inspires du
peut être dit D ieu si l ’ A ncien T estam ent lui applique N ouveau T estam ent en ont appelé à l ’ A ncien,à propos
les attributs de D ieu. O r, tous les attributs de D ieu lui du Sai.it-E sprit, par exem ple, à la prophétie de Joël,
sont appliqués. D oncl ’ E sprit-Saint est de D ieu,sinon il, 28, 29, pour affirm er l ’ action du Saint-Esprit sur
D ieu m êm e. Il est éternel. Si les prem iers versets de l ’ Église prim itive. Ces auteurs reconnaissent donc
la G enèse l ’ associent à D ieu dans l ’ œ uvre de la création im plicitem ent que l ’ A ncien T estam ent, qui rend
du m onde, il a précédé le tem ps et il est éternel. Il est tém oignage au Fils,rend aussi tém oignage à l ’ E sprit-
im m ense, parce qu ’ il rem plit tout, contient tout.Sap., Saint.
i. 7, atteint tout d ’ une extrém ité du m onde à l ’ autre, /) D ’ après la théologie chrétienne, les textes les plus
vm , 1 ; il est dans tous les êtres, xn, 1. Cf. Ps. cxxxix, clairs de l ’ A ncien T estam ent sur le Saint-E sprit se
7-10. Il est om niscient, parce qu ’ il est le véritable trouvent dans le livre de la Sagesse. L ’ E sprit-Saint
scrutateur des cœ urs, et il entend tout ce qui est dit. y est représenté com m e l ’ éducateur des hom m es,
Sap., i, 6, 7. fuyant l ’ astuce, s ’ éloignant des pensées dépourvues
d) Le Saint-E sprit n ’ est pas seulem ent puissant, d ’ intelligence, se retirant de l ’ âm e à l'approche de
d ’ une puissance divine dans l ’ ordre naturel. Il est aussi l ’ iniquité, aim ant les hom m es et ne laissant pas
le principe, l ’ auteur, la source de la vie surnaturelle. im puni le blasphém ateur pour ses d ’ scours im pies.
Il fortifie les hom m es, il les rem plit de force pour Sap., i, 5, 6. Le c. vu énum ère les perfections de
qu ’ ils accom plissent le bien; il leur donne l ’ intelli ­ l ’ E sprit de D ieu, intelligent, saint, unique, m ultiple,
gence. Job, xxxn, 8. C ’ est un esprit de sagesse et d ’ in ­ im m atériel, actif, pénétrant,sans souillure, infaillible,
telligence, de conseil et de force, Is., xi, 2, un esprit im passible, aim ant le bien, sagace, ne connaissant
qui repose sur le M essie pour porter la bonne nouvelle pas d ’ obstacles, bienfaisant, bon pour les hom m es,
aux m alheureux, panse ceux qui ont le cœ ur brisé, im m uable, assuré, tout-puissant, surveillant tout,
annonce aux captifs la liberté, aux prisonniers le pénétrant tous les esprits, les intelligents, les purs
retour à la lum ière, et console tous les affligés. Is., et les plus subtils. Sap., vu, 22, 23. D ’ après quelques
l x i , 1, 2. Les justes de l'ancienne loi l ’ invoquent. exégètes, ces textes de la Sagesse contiennent l ’ex ­
Ils dem andent à D ieu qu ’ il ne leur retire pas cet pression aussi form elle que possible de la divinité
E sprit-Saint, E sprit de bonne volonté, Ps. l i , 13-14, du Saint-Esprit. Lesêtre, Le livre de la Sagesse, Paris,
esprit qui les conduit dans la voie droite. Ps. eu, 1896, p. 67. L ’ esprit de sagesse n ’ est pas dans ce
10. C et esprit exerce tout particulièrem ent son livre une abstraction, une personnification oratoire.
influence sur le peuple élu. N um ., xi, 17. Il répand les Il a les attributs de la divinité. O n énum ère ses per ­
bénédictions de D ieu sur la postérité de Jacob. Is., fections avec une clarté et une am pleur inaccoutum ées.
x l i v , 3. Il rem plit de sagesse, d ’ intelligence et de Ibid., p. 20; R . C ornely, Commentarius in librum
savoir B éseléel, fils d ’ U ri, Exod., xxxv, 30, les pro ­ Sapientiæ, Paris, 1910, p. 280-288. D ’ autres cependant
phètes, les héros d ’ Israël, tels que Josué, N um ., considèrent cette sagesse com m e un attribut de
xxvn, 18; D eut., xxxiv, 9; O thoniel, Jud., ni, 10; D ieu com m un aux trois personnes divines. C orneille
Jephté, xi, 29; Sam son, xm , 25; xrv, 6, 19; xv, 14; de la Pierre, Commentarius in Sapientiam, V enise,
D avid. II Sam ., xxm , 2. B eaucoup de ces textes, 1761, p. 650. Q uoi qu ’ il en soit, il est certain que les
nous le répétons, signifient la force de D ieu. Spiritus Pères de l ’ Église, en particulier saint G régoire de
Domini, dit le P. K nabenbauer, ipsum dicit Deum, N azianze, Orat., xxxi, n. 29, P. G., t. xxxvi, col. 167,
quatenus vi ac virtute sua et luce hominis mentem et saint A ugustin, Epist., c l x ix , ad Evodium, c. n,
animumque pervadit et penetrat, hominis sibi reddit n. 7, P. L., t. xxxnt, col. 744, attribuaient ces textes
subservientes et hominem ipsum ad majora et actiones au Saint-Esprit. Saint A m broise y voit une preuve de
intelligenda et penetranda evehit. Commentarius in la divinité du Saint-E sprit : Sicut Pater et Filius ita
Isaiam prophetam, Paris, 1887, t. i, p. 270. M ais et Spiritus immaculatas est et omnipotens, quia græce
l'exégèse des Pères les entend du Saint-E sprit. Les Pères παντοδύναμον, παντεπίσχοπον Salomon dixit, eo quod
en appellent au tém oignage du N ouveau Testam ent. omnipotens et speculator sit omnium, sicut lectum esse
« Ce n ’ est pas par une volonté d ’ hom m e qu ’ une pro ­ in libro Sapientiæ supra est demonstratum. De Spiritu
phétie a jam ais été apportée, m ais c ’ est poussés par Sancto, 1. III, c. xxni, n. 169, P.L., t. xvr, coi. 815-
l ’ E sprit-Saint que les saints hom m es de D ieu ont 816. Cf. c. xviii, n. 135, coi. 808. R em arquons que
parlé. » II Pet., i, 21. L ’ E sprit donc, qui inspire les quelques-unes des épithètes, énum érées ipar le livre
prophètes, qui donne sa lum ière aux chefs du peuple de la Sagesse, peuvent aussi s ’ entendre de la sagesse
élu, qui répand ses grâces et ses dons, n ’ est pas une créée, qui est objectivem ent et subjectivem ent une
personnification sym bolique de la force de D ieu, im age de la 'Sagesse incréée. H einrich, L iv, p. 124-
m ais une personne réellem ent subsistante qui parti ­ 125; Schell, t. n, p. 46-47.
cipe à la nature divine. Schell, Kalholische Dog- 4. Le Saint-Esprit apparaît parfois dans l’Ancien
malik, Paderborn, 1890, t. n, p. 46; H einrich, t. iv, Testament comme une personne distincte du Père et
p. 122. du Fils.— Le livre de la Sagesse affirm e que dans la
e) L ’ E sprit du Seigneur, dans les prophéties m es ­ Sagesse habite, dem eure l ’ Esprit-SainL O r, cette
sianiques, repose avant tout sur celui en qui D ieu se Sagesse incréée, d ’ après la doctrine com m une des
com plaît et qui répandra la justice parm i les nations. Pères et des théologiens,est plus ou m oins nettem ent
Ps. x m , 1; l i x , 21. L a rédem ption est l ’ effusion de une hypostase divine, le V erbe de D ieu. H anrkâ,
la grâce de l ’ esprit de D ieu dans les âm es; effusion qui t. iv, p. 25-114. Il doit donc y avoir une reistioa
engendre un esprit nouveau. Ezech., xi, 19; xxxvi, intim e entre la Sagesse divine et l ’ E sprit qui vit en
G83 E S PR IT -S A IN T 684

elle. C ette relation ne peut être que l ’ identité de na ­ cipe à la divinité du Père et du V erbe de D ieu. Epist.,
ture. Schell rem arque que l ’ E sprit, qui vit dans la i, ad Serapionem, n. 33, P. G., t. xxvi, col.· 607.
Sagesse et qui établit sa com m union avec les âm es, M ais le N ouveau T estam ent contient, sur la divinité
ne peut jaillir que de la Sagesse elle-m êm e, parce que et la personnalité du Saint-Esprit, des tém oignages
la Sagesse divine ne peut rien avoir en elle qui ne lui beaucoup plus explicites que ceux du V ieux Testa ­
appartienne. La Sagesse ne pourrait pas prendre m ent. Ces tém oignages n ’ ont passansdoute la valeur
possession des âm es et être acceptée par celles-ci, si d ’ une révélation de tout point nouvelle, n ’ introduisent
l ’ E sprit qui est en elle n ’ avait pas jailli d ’ elle-m êm e, pas dans l ’ histoire de la vraie religion un élém ent es ­
n ’ était pas une ém anation de son être, t. n, p. 47. sentiellem ent nouveau. A plusieurs reprises, en effet,
La Sagesse donc et l ’ E sprit de la Sagesse représen ­ l ’ autorité de l ’ A ncien T estam ent est invoquée pour
tent, dans ce livre de l ’ A ncien T estam ent, deux rendre tém oignage à la personne divine du Saint-
personnes distinctes, où l ’ identité de la nature divine E sprit; m ais, dans le N ouveau T estam ent, nous
n ’ absorbe pas la personnalité distincte dans l ’ une et som m es bien loin des om bres, des incertitudes, des
dans l ’ autre. E t si le Saint-E sprit est distinct de la term es am bigus de l ’ A ncien. L ’ E sprit-Saint y rayonne,
Sagesse incréée, il est aussi distinct de D ieu le Père, pour ainsi dire, dans la pleine lum ière de la divinité.
qui l ’ envoie, qui l ’ associe à son V erbe dans l ’ œ uvre de D ans le N ouveau T estam ent, nous trouvons à
la création. Par la parole de Jéhovah, les cieux ont été plusieurs reprises les expressions de Paraclel, Esprit
faits, et toute leur arm ée par le souffle de sa bouche. de Dieu, Esprit du Père, Esprit du Seigneur, Esprit
Ps. xxxm , 6. Ce texte, pris au sens littéral, signifie de Dieu et du Christ, Esprit du Fils de Dieu, Esprit-
que D ieu crée par la toute-puissance et la sagesse Saint, Esprit de vérité, etc. C et E sprit nous est révélé
infinie de sa volonté; m ais les Pères et les théologiens com m e agissant dans l ’ ordre surnaturel et dans
y voient une allusion au m ystère de la sainte T rinité, l ’ ordre naturel. Les textes qui se rapportent à sa vie
à la distinction des trois personnes en D ieu : quamvis et à son action m ettent en évidence qu ’ il n ’ est pas
autem per verbum Domini et spiritum oris ejus, dit uniquem ent l ’ être divin dans son ineffable unité
B ellarm in, possit imperium Domini simpliciter accipi, et identité de nature, ni l ’ action de D ieu, l'influence
tamen sine dubio Spiritus Sanctus insinuare voluit divine sur le m onde des êtres créés, ni la grâce dans
per hæc verba mysterium sanctissimas Trinitatis, l ’ ordre surnaturel, ni la ressem blance m orale de la
quod tempore Novi Testamenti revelandum erat. créature avec D ieu. H einrich, t. iv, p. 235. D ans le
In Psalmos, Ps. xxxii, 6; H einrich, t. iv, p. 115. j N ouveau T estam ent, l'Esprit-Saint se révèle au cœ ur
N ous croyons inutile de citer ici les autres textes, et à la pensée chrétienne com m e une troisièm e per ­
où la théologie chrétienne découvre des allusions sonne divine, consubstantielle au Père et au Fils;
au Saint-Esprit. C eux que nous avons rapportés suffi­ subsistant avec le Père et le Fils dans la m êm e unité
sent à m ontrer que la subsistance de la troisièm e de l ’ être divin, dans la participation pleine, entière,
personne en D ieu n ’ était pas du tout inconnue aux absolue des m êm es attributs divins; en d'autres
Juifs, au m oins de quelques-uns, aux approches de la term es, la théologie du N ouveau T estam ent nous
révélation chrétienne. C ette connaissance a été sans affirm e de la m anière la plus explicite et la plus
doute tardive, restreinte et progressive. D ’ abord, absolue la divinité et la personnalité du Saint-E sprit.
obscure et am biguë, elle s ’ est éclaircie graduellem ent; 1. Divinité du Saint-Espril. — Les textes du N ou ­
elle est devenue plus com m une, ct les Juifs étaient veau T estam ent, qui prouvent la divinité du Saint-
ainsi préparés à la révélation com plète du N ouveau E sprit peuvent se ram ener à quatre classes : a) ceux
T estam ent; ils ne pouvaient pas considérer com m e qui m ontrent le Saint-E sprit agissant com m e D ieu
une nouveauté doctrinale l ’ enseignem ent plus clair et I dans la vie de Jésus et des apôtres; b) ceux qui
plus parfait du C hrist sur l ’ E sprit de D ieu et sur ses m ontrent le Saint-E sprit agissant com m e D ieu
œ uvres. dans l ’ Église prim itive et dans la propagation de
l ’ É vangile; c) ceux qui m ontrent le Saint-Esprit
H . W endt, Die Begrijfe Fleisch und Geist im biblischen
agissant com m e D ieu dans l'ordre surnaturel par
Sprachgebrauch, G otha, 1878; H . G unkel, Die Wirkungen l'élévation des âm es à l ’ état de grâce et la distribution
des hl. Geisles nach der populdren Anschauung der apos-
tolischen Zeit und der Lehre des Apostels Paulus,G œ ttingue, de ses charism es; d) ceux qui appliquent au Saint-
1899; J. F . W ood, The Spirit of God in biblical literature, E sprit les attributs de D ieu.
L ondres, 1904; Le Saint-Espril dans ΓAncien Testament, a) Textes qui montrent le Saint-Esprit agissant
dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, P aris, 1901 , j comme Dieu dans la vie de Jésus et des apôtres. —
p. 163-16 7; L . H ackspill, Etude sur le milieu religieux et D ans une phrase d ’ une concision adm irable, saint
intellectuel du Nouveau Testament, § 4, Le Saint-Esprit, G régoire deN azianze décrit l ’ action constante et variée
dans la Bevue biblique, 1902, t. x i, p. 66-71 ; M . H etze-
nauer. Theologia biblica, F ribourg-en-B risgau, 1908, t. i,
du Saint-E sprit dans la vie de Jésus. Le Sauveur
p. 481-482; J. L ebreton, Les origines du dogme de la Tri­ naît, il annonce sa naissance; le Sauveur est baptisé,
nité, P aris, 1910, p. 100-110. — S ur la doctrine du S aint- il lui rend tém oignage; le Sauveur est tenté, il l'er-
E sp rit dans la littératu re ju iv e extracanonique, qui sert rache à !a tentation; le Sauveur opère des m iracles,
d ’ interm édiaire en tre les linéam ents de l ’ A ncien T esta ­ il le pousse à agir; le Sauveur m onte au ciel, il lui
m ent et la révélation d u N ouveau, voir E . T isserant, succède. Π accom plit toutes ces m erveilles parce qu ’ il
Ascension d'Isaïe, P aris, 1909, p . 13-15; J. L ebreton, est D ieu. Orat., xxxi, n. 29, P. G., t. xxxvi, col. 159.
op. cit., p. 137-143. C f. F . W eber, Jüdisclie Théologie auf
Grund des Talmud und verivandter Schri/ten, 2 e édit., Les Synoptiques et l ’ É vangile de saint Jean attestent
L eipzig, 1897, p. 190-194. bien des fois l ’ intervention surnaturelle du Saint-
E sprit dans la vie de Jésus. Les auteurs inspirés lui
3° La divinité et la personnalité du Saint-Esprit attribuent des œ uvres qui supposent en lui la pleine
d’après le Nouveau Testament. — Saint C yrille de participation de l ’ être divin. Ils rappellent qu ’ il a été
Jérusalem rem arque que, lorsqu ’ il est question du l ’ inspirateur des prophéties m essianiques, qu ’ il a
Saint-Esprit, il ne faut pas séparer l ’ A ncien Testa ­ poussé les hom m es de D ieu à parler du C hrist, Il Pet.,
m ent du N ouveau, il ne faut pas croire que la doctrine r, 21; à raconter au préalable les épisodes de sa pas ­
contenue dans les deux T estam ents ne soit pas la sion et de sa vie, A ct., i, 16; le soulèvem ent des rois
m êm e. Cal., xvi, P. G., t. xxxm , col. 920-921. L ’ un de la terre contre sa céleste royauté. A ct., 1,26, 27.
et l ’ autre, déclare saint A thanase, nous attestent avec L ’ E sprit donc, écrit D idym e l ’ A veugle, qui a parlé
une m erveilleuse concordance que le Saint-Esprit par la bouche de saint Paul, qui a engagé l ’ apôtre à
n ’ est pas une créature, m ais une hypostase qui parti ­ écrire, ne diffère point de celui qui, par la bouche des
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prophètes, a annoncé l ’ avènem ent du C hrist. Liber de est appelé à exercer sa m ission sublim e de prophet .
Spiritu Sancto, η. 3, P. G., t. xxxix, col. 1035. C ’ est de prêtre, de roi d ’ Israël. Sw ete, p. 46. Π se prépare à
l ’ E sprit-Saint qui prépare tout pour la venue du V erbe racheter le genre hum ain, et le Saint-Esprit est er.core
fait chair. S. B asile, Liber de Spiritu Sancio, η. 39, en lui et avec lui dans cette courte période de prepara ­
P. G., t. xxxii, col. 140. Il rem plit Jean, dès le sein de tion. C ’ est l ’ E sprit qui le conduit dans le desert, pour
sa m ère, Luc., i, 16; É lisabeth, i, 41, et Zacharie, qu ’il y soit tenté par le diable. M atth., vi. 1 : M are
i, 67, sont rem plis du m êm e E sprit et cette action l, 12; Luc., iv, 1. Sous l'action puissante du Sr>: :
du Saint-E sprit produit les m êm es m erveilles que l ’ on E sprit, après avoir confondu le tentateur, il retourne
adm ire dans les hom m es de D ieu de l ’ ancienne loi. dans la G alilée, et com m ence à répandre la parc ;
Zacharie parie sous l ’ influence du Saint-Esprit le de D ieu, Luc,, iv, 14-15, et à annoncer la justice
m êm e langage que les prophètes d ’ Israël tenaient nations. M atth., xn, 18. Le Saint-Esprit a été :■
à l ’ égard du C hrist. C 'est aussi l ’ E sprit-Saint qui des ­ à Jésus sans m esure, Joa., ni, 34; et le C hrist est
cend sur Sim éon, repose en lui, le pousse à se rendre l ’ oint du Saint-Esprit. A ct., x, 38. Il chasse les dem ons
au tem ple pour y contem pler, avant sa m ort pro ­ par l ’ E sprit de D ieu, M atth., xn, 28; ou par le doi_t
chaine, celui qu ’ il appelle le salut, la lum ière des de D ieu. Luc., xt, 20. D ans cette expression, le
nations, un signe en butte à la contradiction, une doigt de D ieu », D idym e voit une preuve de la divinité
pierre d ’ achoppem ent pour bien des Juifs obstinés du Saint-E sprit : Digitus Dei est Spiritus Sanctus. Si
à ne pas le reconnaître com m e D ieu. Luc., n, 25-35. ergo conjunctus est digitus manui, et manus ei cujus
L'expression rempli du Saint- Esprit, qu ’ on trouve manus est, et digitus sine dubio ad ejus substantiam
plusieurs fois sous la plum e de saint Luc, rappelle refertur, cujus digitus est. P. G., t. xxxix, coi. 1051.
les expressions sem blables de l ’ A ncien T estam ent. C ’ est par le Saint-E sprit qu ’ en tressaillant de joie,
Exod., xxvm , 3; xxxv, 31. Sw ete, p. 13. D idym e et en bénissant le Père, Luc., x, 21, Jésus se prépare à
y voit une preuve de la divinité du Saint-Esprit. s ’ offrir lui-m êm e à D ieu com m e victim e sans tache,
Celui-ci rem plit toutes les créatures, répand, dans H eb., ix, 14, qu ’ il s ’ im m ole pour le salut du genre
le fond le plus intim e de leur être, la sagesse, la science, hum ain. Les textes que nous avons cités jusqu ’ ici
la foi, les autres vertus. 11 s ’ ensuit donc que sa na ­ nous révèlent que, dans la vie de Jésus, le Saint-E s ­
ture n ’ est pas identique à la nature des êtres créés, prit intervient com m e personne distincte du Père et
autrem ent il ne pourrait pas les rem plir. P. G., du Fils, com m e principe actif, doué d'une puissance
t. xxxix, col. 1040. Le C hrist a besoin d ’ un précur ­ surnaturelle et divine.
seur. L ’ E sprit-Saint le choisit dans la personne de M ais l ’ œ uvre de Jésus ne s ’ arrête pas à sa m ort.
Jean; il lui donne la force et la sagesse pour qu'il Il laisse des continuateurs de sa m ission, et cette m is ­
prépare la voie de D ieu, M atth., xi, 10; M arc., i, 2; sion est si difficile, qu ’ ils ne pourraient pas l ’ aborder
pour qu ’ il l ’ annonce com m e un m essage céleste. et la conduire à bonne fin sans l ’ aide, l ’ assistance et
Sw ete, p. 21. la force de D ieu. Le rôle de continuer sur la terre
L ’ E sprit-S aint se révèle dans la conception, la l'œ uvre de Jésus-Christ est attribué à l ’ assistance du
naissance, les prem ières années de la vie de Jésus, et Saint-Esprit qui est l ’ esprit du C hrist, parce que. dit
il déploie, dans cette intervention surnaturelle, la saint B asile, il a, avec le C hrist, identité de nature.
toute-puissance de la nature divine. Il descend sur Liber de Spiritu Sancio, η. 46, P. G., t. xxxn, col. 152.
M arie, Luc., i, 35, et M arie conçoit Jésus èx Π νεύματος Jésus prom et à ses apôtres de leur envoyer son esprit;
άγιον. M atth., i, 18. C ’ est la vertu créatrice du Saint- il prie pour que cet E sprit de vérité dem eure tou ­
E sprit, écrit D idym e, qui a form é le corps de Jésus jours avec eux. Joa., xiv, 16. Il leur déclare qu ’ il est
dans le sein de M arie. P. G., t. xxxix, col. 1060. bon qu ’ il s ’ en aille, parce que, s ’ il ne s ’ en va pas, le
Ce qui est form é en M arie, dit l ’ ange du Seigneur à consolateur ne viendra pas en eux; s ’ il s ’ en va, il
Joseph, est l ’ ouvrage du Saint-E sprit. M atth., i, 20. l ’ enverra. Joa., xvt, 7; xxiv, 49. Il leur recom m ande
D ans l ’A ncien T estam ent, Sara, qui n ’ était plus en de ne pas s ’ éloigner de Jérusalem , m ais d ’attendre
âge de concevoir, en reçut la vertu par sa foi. H eb., l ’ E sprit que le Père leur a prom is. A ct., i, 4. Il souille
xi, 11. D ans le N ouveau T estam ent, M arie, l ’ hum ble sur eux et les apôtres reçoivent le S aint-E sprit,
servante du Seigneur, conçoit aussi l ’ être saint en Joa., xx, 22, qui est l ’ organe de la révélation divine,
vertu de la puissance surnaturelle de l ’ E spritde D ieu. parce que c ’ est par lui que D ieu a révélé ses vérités.
Luc., i, 35; M arc., i, 24; Joa., vi, 69. Sw ete, p. 28. I Cor., n, 10.
Jésus com m ence sa vie publique, et le Saint-E sprit D ans l ’ œ uvre de la rédem ption, le Saint-E sprit
le suit pas à pas dans sa carrière m ortelle. Il est bap ­ est chargé d ’ ouvrir aux hom m es les trésors de la
tisé par saint Jean et le Saint-E sprit lui donne un grâce divine, d ’ aguerrir la m ilice du C hrist, pour
tém oignage éclatant de sa divinité. Les cieux s ’ ou ­ qu ’ elle établisse le royaum e de D ieu sur la terre.
vrent et il descend sous une form e corporelle, sous L ’ E sprit-Saint est appelé à guider les apôtres dans
la form e d ’ une colom be, et repose sur le Fils bicn-aim é toute la vérité. Il ne parlera pas de lui-m êm e, m ais
du Père. M atth., m , 16; M arc., i, 10; Luc., ni, 22; il dira tout ce qu ’ il aura entendu et annoncera les
Joa., i, 32. E t le précurseur, qui a été tém oin de ces choses à venir. Joa., xvi, 13. Il leur enseignera toutes
m erveilles, déclare qu ’ il baptise dans l ’ eau, tandis que choses et leur rappellera tous les enseignem ents de
le C hrist, le Fils de D ieu, baptisera dans le Saint- Jésus. Joa., xiv, 26. Il glorifierale Fils de D ieu,parce
E sprit. Joa., i, 33. Le Saint-E sprit descend sur le qu'il recevra de ce qui est à lui, et il l ’ annoncera.
C hrist pour m anifester au m onde que le C hrist possède Joa., xvi, 7, 8. Il annoncera la vérité de D ieu, e; en
la plénitude des grâces, K nabenbauer, Commenta­ m êm e tem ps, il convaincra le m onde au sujet du pêche
rius in Evangelium secundum Johannem, Paris, 1898, de la justice et du jugem ent. E t les apôtres, sous
p. 104; qu ’ il apporte la paix au m onde, id., Commen­ l ’ influence 'le cet esprit de D ieu, n ’ auront plus rien a
tarius in Evangelium secund'im Matlhæum, Paris, craindre de la part des hom m es. Ils rendront t·. . -
1892, t. i, p. 140-141 ; qu ’ il com m ence à rem plir ses gnage à Jésus, m êm e devant les gentils. Si or. . -
fonctions de pontife suprêm e. E t de m êm e que la livre, ce n ’ est pas eux-m êm es qui parleront, r:_ ;
conception du C hrist a été le com m encem ent de sa l ’ E sprit du Père qui parlera par leur i-oucb-. >L -
carrière m ortelle, aussi par le baptêm e qui ouvre les x, 19-20; M arc., xm , 11. S i doncl ’ Espr:'. du î -- : --
cieux et fait reposer sur le C hrist le Saint-Esprit, par les apôtres et enseigne la sagesse. c'est-a-iir-
no«s avons, pour ainsi dire, l ’inauguration officielle V erbe de D ieu, l ’ E sprit-Saint possédé la m ême nature
de l ’ œ uvre m essianique par le Saint-Esprit. Le C hrist que le Père et le Fils : S ’ ergo Spiritus Putrzs .O -r-.tur
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in apostolis, docens eos quæ debeant respondere, et tisé l ’ eunuque de C andace, vin, 39. H envoie Paul,
quæ docentur a Spiritu sapientia est, quam non pos­ rem pli de sa grâce, prêcher le C hrist, et souffrir pour
sumus aliam prælcr Filium inlelligere, liquido apparet lui. A ct., ix, 17; xm , 2. Il trace m êm e l ’ itinéraire
ejusdem naturæ Spiritum esse cum Filio, et cum Patre des apôtres. C 'est lui qui em pêche Paul et Tim othée
cajas Spiritus est. P. G., t. xxxix, coi. 1051. Ils se ­ d ’ annoncer la parole de D ieu dans l ’ A sie, et de pé ­
ront traînés devant les juges, m ais l ’ E sprit leur en ­ nétrer en B ithynie. A ct., xvr, 6, 7. Les apôtres se
seignera ce qu ’ il faudra dire. Luc., xn, 12. L ’ E sprit- dispersent dans l ’ univers entier, grâce aux indications
Saint est donc le m aître surnaturel des apôtres. N i du Saint-Esprit. I Pet., i, 11. C ’ est par l ’ assistance
l ’ astuce, ni la violence des hom m es ne pourront du Saint-E sprit que l ’ Église voit s ’ élargir ses fron ­
résister aux paroles qu ’ il m ettra sur leurs lèvres. tières. A ct., ix, 31. Elle se développe. L ’ E sprit-Saint
L ’ éloquence du Saint-E sprit sera donc une éloquence est là pour conseiller les apôtres, pour leur dicter ses
divine, qui révélera l ’ origine divine de celui qui en est décisions. A ct., xv, 28. Elle a besoin d ’ une autorité,
la source. d ’ une hiérarchie. Le Saint-Esprit y établit les évêques
Z>) Textes1qui montrent que le Saint-Esprit se révèle pour paître le troupeau des fidèles. A ct., xx, 28. Sous
Dieu parson action dans T histoire de l’Église primitive. la conduite de leurs évêques, les fidèles progressent
— C ette histoire n ’ est autre que l ’ éclosion, l ’ épanouis ­ dans les voies de D ieu, form ent une dem eure où D ieu
sem ent des dons, des grâces, de la puissance surna ­ habite. E ph., n, 22. D ieu donne le Saint-E sprit à ceux
turelle de l ’ E sprit du Seigneur. Le Saint-E sprit y qui lui sont dociles. A ct., v,32. E ts ’ il y a des hom m es
intervient à chaque instant pour afferm ir le corps qui n ’ ont pas le bonheur d ’ être les tem ples vivants de
m ystique du C hrist, pour répandre les vérités que D ieu, c ’ est qu ’ ils ont résisté au Saint-Esprit. A ct., vu,
le Fils a révélées, pour transform er les apôtres en 51. En reniant le Saint-Esprit, rem arque justem ent
hérauts de la bonne nouvelle. Le Saint-E sprit, dit saint A lhanase, ils ont renié le Fils, et ceux qui re ­
saint B asile, influe d ’ une m anière évidente et indé ­ nient le Fils n ’ ont point de Père, c ’ est-à-dire renient
niable sur l ’ organisation et l ’ adm inistration de la très sainte T rinité. Epist., i, ad Serapionem, n. 11,
l ’ É glise.L iâer de Spiritu Sancto, η. 39, P. G., t. xxxn, P. G., t. xxvi, col. 533.
col. 141. Pierre est rem pli de l ’ E sprit de D ieu, A ct., rv, Toutes ces m erveilles que le Saint-E sprit accom ­
8, ainsi que saint É tienne, v, 5. C ’ est l ’ E sprit de D ieu plit dans l ’ Église prim itive, tous ces dons et ces grâces
qui rem plit les apôtres et les pousse à annoncer la surnaturelles qu ’ il répand dans les âm es des prem iers
parole de D ieu avec assurance. A ct., iv, 31. E t cet chrétiens, des prem iers apôtres et disciples du C hrist,
E sprit qui se répand dans les âm es, qui s ’ y établit, ne peuvent dériver que d'une source divine. E t si
y habite, les rem plit de D ieu, produit en elles un m er ­ le Saint-E sprit est cette source, nous som m es en droit
veilleux épanouissem ent de vie surnaturelle. Il les de conclure qu ’ il participe à la nature divine.
enrichit de ses dons variés et m ultiples. Il se m a ­ c) Textes qui révèlent le Saint-Esprit comme l’auteur
nifeste à chacune d ’ elles pour l ’ utilité com m une. Il se de l’œuvre de la sanctification, le distributeur de ta
donne aux uns par une parole de sagesse, aux autres grâce habituelle et des grâces actuelles. — H einrich,
par une parole de connaissance. C ’ est lui qui accorde t. iv, p. 234. C ’ est surtout dans l ’ Évangile de saint
les dons de la foi, des guérisons, des m iracles, des pro ­ Jean que le Saint-E sprit apparaît com m e le principe de
phéties, du discernem ent des esprits, de la diversité la régénération spirituelle de l ’ hom m e. Sw ete, p. 130-
des langues, de leur interprétation. Il est pleinem ent 131. Il sanctifie les âm es : il est, dit saint B asile, un
libre dans la distribution de ces dons. I Cor., xn, 7- ( principe actif de sainteté, et c ’ est pour cela qu'il n ’ a
11. G râce à son influence et à sa lum ière surnaturelle, ; pas la m êm e nature que les créatures qui sont sancti ­
l ’ esprit de prophétie se m anifeste dans l ’ Église pri- j fiées, m ais ne sanctifient pas. Liber de Spiritu Sancto,
m itive. Poussés par le Saint-E sprit, A gabus annonce [ η. 48, P. G ., t. xxxn, col. 156. Il vivifie les âm es, ce qui
qu ’ il y aura une grande fam ine sur toute la terre, | est l ’ œ uvre de la m ajesté divine, déclare saint A m ­
A ct., xi, 28; les disciples de Paul disent à l ’ apôtre, broise: Vivificare quis abnuat esse majestatis æternæ.De
qui séjournait à T yr, de ne point m onter à Jérusalem . Sancto Spiritu, 1. II, c. iv, n. 29, P. L., t. xvi, coi. 749.
A ct., xxi, 4. Le Saint-Esprit révèle à saint Paul qu ’ il Il est l ’ auteur de cette naissance spirituelle, qui est
aura à subir les chaînes et les persécutions. A ct., xx, donnée par le baptêm e, d ’ après la doctrine évangé ­
22,23. C ’ est le Saint-Esprit qui sépare Paul et B arnabé lique: Sancti Spiritus opus, dit saint A m broise, est re­
de l ’ Église d ’ A ntioche et les envoie à Séleucie, xm , 2-4. generatio ista præstantior : et novi hujus hominis,
C 'est le Saint-E sprit qui descend sur les disciples de qui creatur ad imaginem Dei, auctor est Spiritus. Ibid.,
saint Paul à Éphèse et leur donne le pouvoir de pro ­ 1. II, c. vu, η. 66, col. 757. V oir t. ni, col. 975-1015.
phétiser et de parler les langues. A ct., xix, 6. N ous som m es faibles dans l ’ œ uvre de notre salut;
Le Saint-Esprit enseigne aux apôtres et aux pre ­ m ais l ’ E sprit-Saint prie pour nous par des gém isse ­
m iers chrétiens les profondeurs des m ystères divins. m ents ineffables. Il est le principe de notre force
Personne ne connaît ce qui est en D ieu si ce n ’ est dans l ’ ordre surnaturel. Il vient en aide à notre fai ­
l ’ E sprit de D ieu. » D onc, explique saint A m broise, blesse, parce que nous ignorons ce que nous devons,
le Saint-Esprit a la m êm e science, c ’ est-à-dire la selon nos besoins, dem ander à D ieu dans nos prières.
m êm e nature que le Père et le Fils. De Sancto Spiritu, R om ., vm , 26. Il est le principe en nous de 1 ’ am our
1. Il, c. xi, η. 125, P. L., t. xvi, col. 769. C ’ est grâce à de D ieu. C et am our est répandu dans nos cœ urs par
cet E sprit que les apôtres et leurs disciples connais ­ l ’ E sprit de D ieu qui nous a été donné. R om ., v, 5.
sent les choses de D ieu, I Cor., n, 10-12; que saint Par le Saint-E sprit nous som m es délivrés de l ’ escla ­
Paul approfondit les m ystères du C hrist, Eph., ni, vage : nous devenons libres en D ieu. « L à où est
3-5; qu ’ Étienne parle et personne ne peut répondre l ’ esprit du Seigneur, là est la liberté. » II Cor., ni, 17.
aux argum ents victorieux de sa sagesse. A ct., vi, 10. L ’ E sprit-Saint nous élève à la gloire des enfants de
C ’ est l ’ E sprit-Saint qui révèle à Pierre ce qu ’ il faut D ieu. Tous ceux qui sent conduits par l ’ esprit de D ieu
dire et entreprendre pour recevoir les gentils dans le sont fils de D ieu. « V ous n'avez point reçu un esprit
sein de l ’ Église. A ct., x, 12, 20. C ’ est l ’ E sprit qui des ­ de servitude pour être encore dans la crainte. M ais vous
cend sur les prem iers gentils convertis, et leur com ­ avez reçu un esprit d ’ adoption en qui nous crions :
m unique le pouvoir de parler les langues, x, 44-47; Abba Pater. Cet esprit lui-m êm e rend tém oignage
xv, 8. C ’ est l ’ E sprit qui veille à la propagation de à notre esprit que nous som m es enfants de D ieu. »
l ’ É vangile et couronne de succès leurs labeurs apos ­ R om ., vm , 14-16. C ette paternité adoptive de D ieu
toliques. Il enlève Philippe, après que celui-ci a bap ­ fait de nous les tem ples de la divinité. L ’ E sprit-Saint
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habite en nous. I Cor., ni, 16. N otre corps est le tem ­ Le Saint-Esprit possède la science de D ieu. Ces*, un
ple du Saint-E sprit, que nous avons reçu de D ieu. . E sprit de vérité que le m onde ne peut recevoir. ; ârce
I Cor., vi, 19. N ous som m es les tem ples du D ieu vivant, qu ’ il ne le voit point et ne le connaît pas. Joa.. xiv,
II Cor., vi, 16, ce qui prouve, écrit D idym e, que le 17. Personne ne connaît ce qui est en D ieu, si ce n ·.
Saint-Esprit n ’ est pas une créature : Cum ergo Spiri­ l ’ E sprit de D ieu. I Cor., n, 11. Il est donc, com m e Je
tus Sanctus similiter ut Pater et Filius mentem et in­ Fils, dans le sein du Père. Joa-, t, 18. Saint A m broise.
teriorem hominem inhabitare doceatur, non dicam inep­ De Spiritu Sancto, 1. I, col. 711; D idym e, n. 31. c
tum, sed impium eum dicere creaturam. Op. cit., n. 25, 1061; Suarez, De Trinilate, 1. II, c. v, n. 4-6, ' .
coi. 1055. Paris, 1856, t. i, p. 585-586. L a science qu ’ il y puise
Le Saint-E sprit nous unit au C hrist. Celui qui n ’ a est la science du Fils, et avec le Fils, il com m unique
pas l ’ esprit du C hrist ne lui appartient pas. R om ., aux hom m es cette science divine. « Le N ouveau Tes ­
vin, 9-11. Cet esprit, qui est pour nous les arrhes tam ent, dit Scheeben, attribue au Saint-Esprit la
de 1 ’ héritage céleste, nous a m arqués de son sceau, connaissance originaire et la com m unication de tou-
E ph., i, 13, 14, pour le jour de la rédem ption, iv, 30, les m ystères contenus en D ieu, et surtout de toute
c ’ est-à-dire, explique D idym e, que cette com m unica ­ vérité divine. O r, com m e les apôtres lui im putent
tion du Saint-E sprit nous rend des hom m es spiri ­ cette connaissance parce qu ’ il habite dans le sein de
tuels et saints. Op. cil., n. 5, col. 1057. Son habitation D ieu, il s ’ ensuit que la connaissance des m ystères
dans notre âm e est féconde suivant l ’ ordre surnaturel. fournit un double argum ent en faveur de la divinité
N ous recevons ses fruits, la charité, la joie, la paix, du Saint-E sprit; elle prouve qu ’ il est dans la créa ­
la patience, la m ansuétude, la bonté, la fidélité, la ture com m e D ieu seul peut y être, et qu ’ il est en
douceur, la tem pérance. G ai., vi, 22, 23. Il sera un D ieu d ’ une m anière qui n ’ appartient qu ’ à D ieu
jour l ’ auteur de notre résurrection. Si l ’ esprit de celui m êm e. » La dogmatique, t. u, n. 778, p. 522.
qui a ressuscité Jésus d ’ entre les m orts habite en nous, Le Saint-E sprit se révèle aussi, dans ses œ uvres,
celui qui a ressuscité le C hrist d ’ entre les m orts rendra com m e investi de la toute-puissance divine. C ette
aussi la vie à nos corps m ortels, à cause de son esprit toute-puissance éclate dans les épisodes nom breux
qui habite en nous. R om ., vin, 11. E t de m êm e qu ’ il de son intervention pour préparer, parfaire et conti­
sera l ’ auteur de notre résurrection, de m êm e sera-t-il nuer l ’ œ uvre rédem ptrice du C hrist sur la terre. Π
l ’ auteur de notre salut. Il faut renaître de l ’ eau et inspire les prophètes, il distribue les grâces de D ieu,
de l ’ esprit pour entrer dans le royaum e des cieux. » il habite dans les âm es, il gouverne l ’ Église, il sanc ­
Joa., ni, 5; M atth.,ni, 11. D ieu nous a sauvés par le tifie, il justifie, il juge, il ouvre aux élus le royaum e
bain de la régénération et en nous renouvelant par des cieux. E t dans l ’ ordre surnaturel, nous ne voyons
le Saint-E sprit qu ’ il a répandu sur nous largem ent. pas de bornes à sa puissance; sa volonté, qui est la
T it., ni, 5. N ous avons été lavés, sanctifiés, justifiés, volonté divine, est pleinem ent libre. Π distribue les
au nom du Seigneur Jésus-Christ et par l ’ esprit de dons com m e il lui plaît, I Cor., xn, 11, c ’ est-a-dire
notre D ieu. I Cor., vi, 11. il possède essentiellem ent la sainteté et la gloire divine
D e ces textes nous pouvons conclure avec saint qu ’ il com m unique à la créature, il possède cette sim ­
A thanase, que de m êm e que la grâce provient du plicité et cette im m ensité par laquelle D ieu seul a le
Père par le Fils, de m êm e la com m unication de la grâce privilège d'une habitation active au sein de la crea ­
à nos âm es se fait dans le Saint-Esprit. Epist., i, ture. Scheeben, t. n, p. 519-520. Π est donc réelle ­
ad Serapionem, n. 31, col. 600. Par cette com m unica ­ m ent de Dieu, I Cor., n, 12, et s ’ il est de D ieu, s ’ il
tion de la grâce, par cette charité dont le Saint-Esprit jaillit de la nature divine, si son être est l ’ être de D ieu,
est la source, notre âm e entre en possession de tous il ne peut pas, dit saint A thanase, être rangé au nom bre
les principes de la vie surnaturelle et divine. E t si le des créatures. Epist., i, ad Serapionem, n. 22, col. 581.
Saint-Esprit nous est révélé dans le N ouveau Testa ­ 2. Personnalité du Saint-Esprit. — La plupart des
m ent com m e l'auteur de cette vie, nous pouvons textes que nous avons cités pour prouver la divinité
alllrm er que le N ouveau T estam ent atteste sa divi­ du Saint-Esprit, prouvent aussi sa personnalité. E n
nité. G aum e, Traité du Saint-Esprit, t. n, p. 252. effet, le Saint-E sprit, de m êm e que le Père et le Fils,
d) Textes qui appliquent au Saint-Esprit des attri­ y est représenté com m e le principe d ’ une série d ’ actes,
buts divins. — L a divinité du Saint-E sprit est attes ­ qui supposent en lui la nature divine. Il est donc dis ­
tée par ces textes du N ouveau T estam ent, où il appa ­ tinct du Père et du Fils, en tant qu ’ il est un support
raît com m e D ieu par son intelligence et sa volonté. personnel de la vie divine, et identique avec le Père
T out d ’ abord, le N ouveau T estam ent attribue au Saint- et le Fils, en tant qu'il est l ’ être divin par sa nature,
E sprit la dignité divine, identifie le Saint-E sprit avec en tant qu ’ il est un seul D ieu avec le Père et le Fils.
la nature divine. T out blasphèm e et tout péché sera Les textes les plus explicites en faveur de la per ­
rem is aux hom m es, m ais le blasphèm e contre l ’ E sprit sonnalité du Saint-E sprit sont ceux qui fournissent à
ne leur sera pas rem is. M atth., xn, 31. Il y a dans le la théologie catholique la preuve la plus convaincante
m onde des personnes qui m entent au Saint-Esprit, de la procession du Saint-E sprit du Père et du Fils.
A ct., v, 3; qui le tentent, v, 9. Ce m ensonge au Saint- En effet, si le Saint-E sprit procède du Père et du Fils,
E sprit est une offense im m édiate à la divinité, parce sa personnalité n ’ est pas la personnalité du Père et du
que ceux qui m entent au Saint-E sprit ne m entent Fils, parce qu ’ il y a opposition entre le principe actif
pas aux hom m es, m ais à D ieu. A ct., v, 3,4. Les Pères et le term e d ’ une procession. C om m e ces textes seront
sont unanim es à voir dans ce texte une preuve de la l ’ objet d ’ un com m entaire plus étendu, lorsque nous
divinité du Saint-E sprit : Si enim qui Domino men- réfuterons les théories photiennes, nous nous bornons
tilur, mentitur Spiritui Sancio, et qui Spiritui Sancto à donner ici une partie seulem ent des preuves en fa ­
mentitur, mentitur Deo; nulli dubium est consortium veur de la personnalité divine du Saint-E sprit.
Spiritus Sancti esse cum Deo. D idym e, op. cit., n. 18, a) Les textes du N ouveau T estam ent certifient
coi. 1050. Si les péchés contre le Saint-Esprit, déclare d ’ abord que le Saint-E sprit est expressém ent désigne
saint B asile, ont la m êm e gravité que les péchés contre com m e form ant une autre personne en face des deux
D ieu, le Saint-E sprit participe aussi à la nature autres. La personnalité du Saint-Esprit résulte donc
divine. Liber de Spiritu Sancto, η. 12, P. G., t. x x x ii , des nom breux textes qui énoncent dai-tineEt L
col. 117. E t saint A m broise : Sicut una dignitas, sic trinité-des personnes en D ieu. V n des plus explx-tes
una injuria. De Spiritu Sancto, 1. 1, c. πι,Ρ . £.,t. χνι, I est la form ule du baptêm e : « A llez donc, er.ss.g~ez
col. 717. Petau, D e Trinitate, 1. Il, c. xin, t. n, p. 483. I toutes les nations, les baptisant au nom du P âe et
691 E S P R IT -S A IN T 692

du Fils, et du Saint-E sprit. » M atth., xxvm , 19. C ’ est theologicus de variis Spiritus Sancti appellationibus, M agde<
donc au nom des trois personnes que le baptêm e est bourg, 1753; Id., D e Spiritu Sancto et Christo para ­
conféré et que ses effets surnaturels se réalisent. Ces cletis, H alle, 1790; D es C otes, Der hi. Geist, Oder das gate
trois personnes sont par conséquent divines, dis ­ Princip nach neulestamenllischen Begriffen, F rancfort, 1797 ;
W eber, Doctrina biblica de natura Spiritus Sancti, H alle,
tinctes, égales en puissance et en dignité. Elles ne 1825; F ritzsche, D e Spiritu Sancto : commentarius exege-
tonnent qu ’ une seule nature divine indivisible, et ticus cl dogmaticus, H alle, 1840: B use, D e nominibus Spiri­
l ’ unité de cette nature est clairem ent exprim ée par tus Sancti œternis : tractatus dogmaticus, M ayence, 1843;
le singulier in nomine. Scheeben, t. n, n. 721, p. 488. K lee, Katholische Dogmatik, M ayence. 1844, t. I, p. 164-
Très personas quidem significavit, écrit saint A m broise, 172; H aré, The mission of the Comforter, B oston, 185-1;
sed unum Trinitatis nomen asseruit. Unus ilaqucDeus, K uhn, Katholische Dogmatik, T ubingue. 1857 , t. n , p. 78-
82; K elly, Lectures on the New Testament of the holy Spirit,
unum nomen, una majestas. De institutione virginis, L ondres, 1868; V an O osterzee, The theology of the New
c. x, n. 67, 68, P. L., t. xvi, coi. 322. Testament, L ondres, 1870; R euss, Histoire de la théologie
Z>) La personnalité divine du Saint-E sprit résulte chrétienne au siècle apostolique, 3 ' éd it., S trasbourg, 1864,
aussi des textes qui décrivent le Saint-E sprit com m e t. n , p. 524-538 (dans sain t Jean ); Im m er, Théologie
ayant avec les autres personnes divines, des rapports des Neuen Testaments, B erne, 1877, p. 190-21 1; G unkel,
qu ’ une personne peut seule avoir avec d ’ autres, com m e Die Wirkungen des hl. Geistes nac der populiiren An-
recevoir, donner, être envoyé. Scheeben, t. n, n. 766, schauung der apostolischen Zeit, und nach der Lehre des
p. 516. D e m êm e que le Fils envoyé du Père est à Apostels Paulus, G œ ttingue. 1888, 1899; H einrich, Dog-
matische Théologie, M ayence, 1885, t. IV , p. 228-24 9;
l'égard du Père une autre personne envoyée; de m êm e S cheeben, La dogmatique, trad , franç., P aris, 1880, t. ri,
le Saint-E sprit, à l ’ égard du Père et du Fils, est une p. 513-53 2; S chell, Katlioiische Dogmatik, P aderborn, 1890,
autre personne donnée, envoyée. Il est le consolateur t. n , p. 45-52; F ranzelin. Tractatus ue Trinitate, R om e,
que le Fils enverra auprès du Père, l ’ esprit de vérité 1895, p. 3-106; L echler, D ie biblische Lehre von hl. Geiste,
qui procède du Père, Joa., xv, 26; esprit consolateur G utersloh, 1899, t. i; 1902, t. n (philosophique et dog ­
qui vient seulem ent si le Fils l ’ envoie. Joa., xvi, 7. m atique); 1904, t. n r(m oral); P iccirelli, DeDeo uno et trino,
N aples, 1902, p. 1214-122 5; M . G oguel, La notion johanni-
Jésus prie le Père, et il donne aux apôtres un autre que de l’esprit et ses antécédents historiques, P aris, 1902;
consolateur pour qu ’ il dem eure toujours avec eux. B . W eiss, Lehrbuch der biblischen Théologie des Neuen Tes­
Joa., xiv, 16. U n autre Paraclet, écrit D idym e, pour taments, S tu ttg art, 1903, p. 654-658; E . S okolow ski, Die
exprim er non pas la différence de nature, m ais la diver ­ Begriffe Geist unit Leben bei Paulus, G œ ttingue, 1903;
sité des opérations, n. 27, col. 1058. U n autre Para- Irving. T he Spirit of God in biblical Littérature : a Study in
clct, explique saint A m broise, pour indiquer que le the history of religion, L ondres, 1904; N ôsgen, D er heilige
Fils est distinct du Saint-E sprit, pour éviter la confu ­ Geist: seinWesen und die Art seines Wirkens, B erlin, 1905;
Id., Das Wirken des hl. Geisles an den einzelnen Glaubigen
sion sabellienne des personnes divines : Bene dixit und in der Kirche, B erlin, 1907: T erry, B iblical dogmatics:
alium, ne ipsum Filium, ipsum Spiritum intelligeres : an exposition of the principal doctrines of the holy Scriptures,
unitas enim nominis est,nonFiliiSpirilusquesabclliana L ondres, 1907, p. 485-508; Le Saint-Esprit dans le Nouveau
confusio. Op. cil., 1. I, c. χπι, η. 136, col. 736. Testament, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1907,
c) Enfin Jésus-Christ affirm e que le Saint-E sprit p. 113-119; W instanley, Spirit in the .Veu> Testament.
recevra de ce qui est à lui. Joa., xvr, 15. Le Saint-Es ­ .in enquiry into the use of the word κνιΐμκ in all passages,
prit se trouve donc à l ’ égard du Fils, dans le m êm e and a survey of the evidences concerning the holy Spirit,
C am bridge, 1908; P rat, La théologie de saint Paul, P aris,
rapport que le Fils à l ’ égard du Père. O r, le Fils, un
1 9 0 8, 1. 1, p. 330-331 ; A rnal, L a notion de l'esprit : sa genèse
avec le Père pour ce qui concerne l ’ être divin, ?st et son évolution dans la théologie chrétienne, P aris, 1908;
distinct de lui pour ce qui concerne sa personnalité H . B . S w ete, The holy Spirit in the New Testament, L ondres,
de Fils. D onc, le Saint-E sprit, un avec le Père et le 1909; S cott-M oncrief!, St. John apostle, evangelist and
Fils pour ce qui concerne la nature divine, se dis ­ prophet, L ondres, 1909; L ebreton, Ixs origines du dogme de
tingue du Père et du Fils pour ce qui concerne sa la Trinité, P aris. 1910, p. 251-259, 283-288, 325-3 44, 371-
personnalité. Le Père est le Seigneur des Seigneurs, .373,418-429; S w ete, The holy Spirit in the New Testament:
qui seul possède l ’ im m ortalité, qui habite une lu­ of primitive Christian teaching, L ondres, 1910; P . C accia,
dans la Scuola cattolica, m ai 1911. P arm i ces ouvrages,
m ière inaccessible, que nul hom m e n ’ a vu ni ne peut les plus im p o rtan ts au p o in t de vue exégétique sont
voir. I Tim ., vi, 16. Le Fils est celui qui a habité parm i ceux de N ôsgen et de S w ete : au p o in t de vue philoso ­
nous, Joa., i, 14, pour glorifier le Père. Le Saint- phique, les trois volum es de L echler: au p o in t de vue
E sprit est celui qui rendra tém oignage au C hrist, théologique, ceux de F ranzelin, H einrich et L ebreton. L e
Joa., xv, 6, et qui le glorifiera. Joa., xvi, 13. t. n du Traité du Saint-Esprit, par M gr G aum e, 3» éd it.,
P aris, 1890 , est plus oratoire et ascétique que théologique.
S. A thanase, Epistolæ ad Serapionem, i-iv , P . G., t. x x v i, II. D ’ a p r è s l e s P è r e s d e l ’ É g l i s e . — 1° Pères
col. 525-676; S. B asile, Contra Eunoniium, 1. V , P . G., apostoliques. — Les Pères apostoliques ne sont pas
t. x x ix , col. 709-774; Liber de Spiritu Sancio, P. G., des théologiens dans le sens strict du m ot. Ils sont
t. x x x n , col. 67-218; S. G régoire de N azianze, O ral., x x x i
(theologica v), P . G., t. x x x v i, col. 133-172; S. C yrille de de sim ples tém oins de la foi chrétienne en D ieu.
Jéru salem , Cat.,x v r et x v n , P . G., t. x x x in , col. 917-1012; Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1905, t. r,
D idym e d ’ A lexandrie. De Spiritu Sancto, P. G., t. x x x ix , p. 115-116. Le but qu ’ ils se proposent, lorsqu ’ ils
col. 1033-1086; S. A m broise, De Spiritu Sancio libri 1res, traitent des vérités chrétiennes, est avant tout m o ­
P. L., t. x v i, col. 703-816; Opusculum presbyteri Simonis ral. Sans doute, ils exposent fidèlem ent la doctrine
Dalmatæ ex civitate Pharensi, in qua tractatur de baptis­ prêchée au m onde par Jésus-Christ et ses apôtres;
male Spiritus Sancti el virtute ejus, super Evangelio Johan- m ais, Spécialem ent lorsqu ’ il est question du dogm e
nis, V enise, 1477; D raccnites, Von dem heiligen Geist Jesu
Christi, L ubeck. 1548; O w en, Π· αυμβτ<Α<,γία, or a dis­ de la sainte T rinité, ils n ’ ont pas la précision des
course concerning the holy Spirit, wherein an account is term es scolastiques, ils n ’ exprim ent pas le dogm e
given of his name, L ondres, 1674 ; H autccour et V itringa, avec la m êm e clarté et la m êm e exactitude que ceux
Dissertatio theologica de usu notionis Spiritus Sancti qui­ qui les ont suivis. Scheeben, La dogmatique, t. il,
busdam in locis saerte Scripturae, F raneker, 1713; F rise, D e n. 832, p. 561-562.
eo quod stylo Scripturœ dicendum est de internis bonis moti­ T out en ayant des affirm ations nettes et décisives
bus a Spiritu Sancto excitatis, specialim iis qui prœcedunl sur la divinité et la personnalité du Saint-Esprit,
fidem, A ltdorf, 1723; A lberti, Locorum, quæ characterem les Pères apostoliques em ploient des expressions obs ­
Spiritus Sancti hypostaticum vindicant meditatio, H alle,
1727; W erner, Falsa Judæorum opjnio de Spiritu Sancto, cures, des term es am bigus qui laissent planer le doute
S targardiæ , 1730; A nsaldi, D e baptismate in Spiritu Sancio sur le véritable sens de leur enseignem ent. E n géné ­
el igni commentarius, M ilan, 1752; K n -p p , Commentarius ral, avant le concile de N icce, les Pères et les écri-
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vains ecclésiastiques ne donnent pas au Saint-E sprit seule vocation dans le C hrist? » Ibid., x l v i . 5,6. p. .
le nom de Dieu ; m ais ils professent sa divinité d ’ une E t plus loin : « J ’ en prends à tém oin le D ieu qui
m anière claire et évidente, puisqu ’ ils lui attribuent le Seigneur Jésus, ct l ’ E sprit-Saint, qui vivent _
l ’ inspiration prophétique, la sanctification des âm es, aussi, tous trois foi ct espérance des élus. . Γ: _ .
la création; puisqu ’ ils l ’ adorent et le glorifient com m e l v i ii , 2, p. 174. R ien de plus explicite que ces deux d- .--
D ieu au m êm e titre que le Père et le Fils. Cf. H eur- niers textes pour m ontrer que saint C lém ent affirm e
tier, Le dogme de la Trinité dans l'Épître de saint la divinité du Saint-Esprit. C elui-ci y est represent-
Clément de Rome et le Pasteur d’Hermas, Lyon, 1900, com m e l ’ auteur et le distributeur de i.i lirâce.
p. 64. Il n ’ est donc pas étonnant que, pour ce qui C lém ent déclare que les trois personnes divines sent
concerne la divinité du Saint-Esprit, les Pères du des réalités vivantes et distinctes; qu ’ elles sont
iv° siècle, par exem ple, saint B asile, en appellent fondem ent de la foi et de l ’ espérance des élus: que
à la tradition de l ’ ancienne Église. Liber de Spiritu le Fils ct le Saint-E sprit partagent avec le Pere 12
Sancto, c. x, n. 24; c. xxix, n. 72-73, P. G., t. xxxn, gloire d ’ être l ’ objet et le principe de notre foi. H eur-
col. 111, 201. O n ne saurait, en effet, concevoir qu'un tier, op. cit., p. 26-27.
dogm e, qui est le fondem ent de toute la théologie Les lettres de saint Ignace ne passent pas sous
du christianism e, n ’ ait pas été connu par les tém oins silence la personne du Saint-E sprit, bien que le
les plus anciens de la tradition chrétienne, ou m êm e saint évêque vise surtout à défendre et à exposer la
qu ’ il ait été connu d ’ une m anière im parfaite. H ein ­ doctrine catholique du V erbe contre les aberrations
rich, Théologie, t. n, p. 266-268. L a form ule du bap ­ gnostiques. H einrich, op. cit., L n, p. 257-258. Le
têm e est une preuve évidente que, dans l ’ ancienne Saint-Ésprit est présenté par lui com m e D ieu. Il par ­
Église, les docteurs aussi bien que les fidèles croyaient ticipe à l ’ om niscience divine. Il ne se trom pe pas parce
explicitem ent au Saint-Esprit, com m e personne di ­ qu’il est de Dieu; il sait d ’ où il vient et où il va, et il
vine. H arnack, Dogmengeschichte, t. n, p. 273. Les connaît les choses cachées. Ad Phil.,1, Funk, op. cit.,
term es am bigus qu ’ on rencontre donc chez les Pères L i, p. 270. Cf. Joa., ni, 8; I C or., n, 10. D ’ autres
apostoliques dans l ’ exposé de la doctrine du Saint- textes distinguent le Saint-E sprit du Père et du Fils,
E sprit, ne sont pas un signe qu ’ ils ignoraient une tout en affirm ant qu ’ il est égal au Père et au Fils
vérité essentielle de la révélation chrétienne, m ais par la participation de la m êm e nature divine, et
c ’ est la suite de l ’ absence d'une term inologie précise qu ’ il est associé à l ’ un et à l ’ autre dans les opérations
et de l ’ im perfection des form ules exprim ant un des divines. Ad Magn., xm , 1, Funk, t. 1, p. 240. L ’ n
dogm es les plus élevés du christianism e. texte qui ne laisse aucun doute sur la personnalité
N otre but n ’ est donc pas d ’ analyser et de com ­ divine du Saint-E sprit est contenu dans la lettre
m enter les textes des Pères apostoliques, qui se rap ­ aux Éphésiens, ix, 1 ; Ετοιμασμένοι εις oixcè-. — '.
portent à la personnalité ct à la divinité du Saint- Π ατρός , άναφερόμενοι εις τα ύφη διά της μηχανή; ί -τ:'.
E sprit. Il nous suffira de m ontrer que, m êm e dans la Χ ριστού, δς έστιν σταυρός , σχοινίω χρώμενοι τώ Π -.ι-.-ατ
littérature chrétienne prim itive, m algré l'im per ­ τώ Ά γίω . Funk, 1. 1, ρ. 220. Les chrétiens y sont con ­
fection des form ules et des term es théologiques, le sidérés com m e les pierres du tem pledu Père,des pierres
Saint-Esprit est exalté com m e D ieu, et proposé à préparées pour élever l ’ édifice de D ieu le Père, soule ­
l ’ adoration des fidèles com m e personne distincte du vées en haut par la croix, qui est l ’ outil de Jésus-
Père et du Fils. C hrist, au m oyen d ’ une corde, qui est le Saint-Esprit.
D ans la prem ière É pître de saint C lém ent de R om e, Le Saint-E sprit est ici sans conteste l ’ auteur de L
dont l ’ authenticité ne soulève aucun doute, on trouve grâce et de la régénération. Il vient du ciel avec les
exprim ée clairem ent la doctrine du Saint-Esprit, liens de l ’ am our de D ieu et de la grâce, et relie les
telle qu ’ elle est consignée dans les Évangiles. Le Saint- âm es à D ieu, tandis qu ’ il est lié au C hrist. Sans cet:
E sprit est, d ’ après saint C lém ent, la source de l ’ ins ­ corde, qui est le Saint-E sprit, personne n ’ est à m êm e
piration prophétique; le véritable auteur des Écri ­ de sortir de l ’ abîm e du péché et de renaître à une vû
tures saintes : Έ νκεκύφατε εις τάς ίερας Γραφάς ... τάς nouvelle. N irschl, Die Théologie des hl. Ignatius, des
διά τού Π νεύματος τοϋ άγιου. I* Cor., x l v , 2, Funk, Apostelschiilers, M ayence, 1880, p. 12. Les fidèles,
Patres apostolici, Tubingue, 1901, L i, p. 156. G râce selon saint Ignace, doivent être soum is aux inspira ­
à l ’ inspiration du Saint-Esprit, les prophètes ont pu tions dù Père, du Fils et du Saint-E sprit Ad Magn.,
annoncer d ’ avance les épisodes les plus saillants de xm , 2, Funk, 1 1, p. 240. U s doivent adhérer à la hié ­
la vie du C hrist : il est donc l ’ auteur des prophéties rarchie, évêques, prêtres et diacres, que le Saint
m essianiques. Ibid., xvt, 2, p. 118. C ’ est lui qui parle E sprit confirm e dans la stabilité. Ad Philad., tit..
dans les saintes É critures : λέγει γάρ το ΙΙνεΟμα το Funk, t. i, p. 264. Le Saint-E sprit est donc le prin ­
"Α γιον, xm , 1, ρ. 116; c ’ est par lui que les prophètes cipe de la vie surnaturelle que le V erbe de D ieu ré ­
sont inspirés, lorsqu ’ ils prêchent la pénitence. Ibid., pand dans l ’ Église et la source de la sanctification.
vin, 1, p. 108. Il s ’ ensuit qu ’ il a la nature divine, et que sa divinité
M ais son rôle ne se borne pas aux justes de l ’ an ­ ressort clairem ent des lettres de saint Ignace. D reher,
cienne loi. Il répand aussi la plénitude de sa grâce Sancfi Ignaiii episcopi Antiochensis de Christo L·.·
sur les disciples du C hrist : πλήρη Π νεύματος άγιου doctrina, Sigm aringen, 1877, p. 16.
έκχυσις έπΐ πάντα; έγίνετο. Ibid., ιι, 2, ρ. 100. Π a L a lettre de saint Polycarpe aux Philippiens ne
donné aux apôtres l ’ énergie et la confiance pour contient aucune allusion au Saint-E sprit. M ais dans
prêcher la bonne nouvelle dans le m onde entier. Ibid., sa confession de foi, qui nous a été conservée dans
x l i i , 3, p. 152. C ’ est par lui que Jésus-C hrist nous les A ctes de son m artyre, le saint exalte le Saint-
appelle à jouir des fruits de la rédem ption : διά τοΰ E sprit à l ’ égal du Père et du Fils : · Je vous glontle.
Π νεύματος 'Α γίου προσκαλείται ήμδς . Ibid., XXII, 1, ô Seigneur D ieu tout-puissant, par Jésus-Chris:. votre
ρ. 130. C ’ est à lui que revient la m ission de sanctifier Fils bien-aim é, pontife éternel et céleste, par i·.· ...
les âm es. Ibid., xm , 3, p. 116. Saint C lém ent m et avec lui et avec le Saint-E sprit nous chantons ta
le Saint-Esprit sur le m êm e rang que le Père et le gloire. » Martyrium S. Polycarpi, xrv, 3; xxn.
Fils; c ’ est dire qu ’ il professe ouvertem ent sa divi ­ Funk, L i, p. 332, 340.
nité. « Pourquoi donc, écrit-il, y a-t-il entre vous La doctrine d ’ H ennas sur le Saint-Espr.· s·. :
discordes, colères, divisions, schism es et guerres?... obscure, et les érudits, qui ont essaye de i -cJ — -
N ’ avons-nous pas un seul D ieu, et un seul C hrist, et ont abouti à des conclusions absolûm es! divrigrstrt
un seul Esprit de grâce, répandu sur nous, et une H erm as sem ble affirm er que le Fils est le Saint-É sp.-.t .
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'Ο δέ υιός το Π νεΰμα το αγτόν έστιν, Sim., V , ν, 2, très sainte T rinité; il est l ’ égal du Père et du Fils, et
Funk, t. i, p. 538. Q uel est le sens qu ’il faut attri ­ il participe à la m êm e gloire que le Père et le Fils. Les
buer à ce passage ? Schliem ann, D orner, H ellw eg, Pères apostoliques professent donc les points les plus
H agem ann, Zahn tiennent que, d ’ après H erm as, essentiels de la doctrine catholique touchant le Saint-
le Fils de D ieu, paru dans le C hrist, est distinct E sprit.
du Saint-Esprit. Par contre, B aur, Schwegler, 2° Les Pères apologistes el controoersistes du 11° el du
K ayser, Lipsius, N itzsch, H arnack, etc., sont d ’ avis lit* siècle. — 1. Remarques préliminaires. — A ux prises
qu ’ H erm as ne connaît pas un Fils de D ieu distinct avec le polythéism e païen ou les hérésies antitrini-
du Saint-Esprit. Le Fils de D ieu s ’ identifie avec le taires, les Pères et les écrivains ecclésiastiques du
Saint-Esprit, et le C hrist est tout sim plem ent un n ' et du m » siècle s ’ efforçaient d ’ écarter de leur ensei ­
hom m e inspiré par D ieu. L ink, Christi Person und gnem ent les conceptions extrêm es du dogm e de la
Werk im Hirten des Hermas unlersuchl, W arbourg, très sainte Trinité, d ’ éviter le double écueil du m onar-
1886, p. 1-3. M algré les interprétations contradic ­ cliianism e et du trithéism e ou dithéism e. C ontre le
toires de sa doctrine, on ne saurait révoquer en doute prem ier, qui insistait sur l ’ unité de D ieu, jusqu ’ à sa ­
qu ’ H erm as approprie au Saint-E sprit les attributs crifier la personnalité distincte du Fils et du Saint-
divins, c ’ est-à-dire qu ’ il professe sa divinité. Le Saint- E sprit, la théologie anténicéenne affirm ait la distinc ­
E sprit est, pour lui, le sanctificateur des âm es. tion réelle des trois personnes divines; contre les
< D ans les âm es douces et pénitentes, il exulte com m e théories trithéistes ou dithéistes, elle revendiquait
s ’ il habitait une m aison spacieuse et il se réjouit avec l ’ unité de l ’ essence divine, indivisible en elle-m êm e,
celui qui lui sert de tem ple. » Mand., V , 1 ; X , 2, 4, bien que possédée en com m un par les trois hypostases
Fu.ik, t i, p. 482, 500. Il est l ’ auteur des prophéties. divines. M ais la tâche de ces Pères et de ces écrivains
D oux et tranquille est celui que le Saint-E sprit ins ­ n ’ était pas facile, parce que, au point de vue théolo ­
pire : il ne parle pas à tout venant, m ais seulem ent gique, ils n ’ étaient pas assez outillés pour repousser
quand D ieu veut. Mand., X I, 8, Funk.t. i, p. 506. les attaques des adversaires de la vérité chrétienne.
Il est éternel, parce qu ’ il existe avant le tem ps : Τό Leur foi était, sans doute, com m e nous l ’ avons déjà
Π νεϋμα τό άγιον τό προόν. Sim., V , vi, 5, Funk, L i, rem arqué pour les Pères apostoliques, l ’ écho fidèle
p. 540. Il est créateur : Τό κτίσαν πάσαν τήν κτίσιν. de la tradition, une foi à l ’ abri du m oindre soupçon et
Le Saint-E sprit participe donc à la nature divine. exem pte de la plus petite tache. M ais les expressions
H erm as le reconnaît aussi com m e personne dis ­ et les hnages qu ’ ils em ployaient pour élucider le
tincte du Père. E n effet, le Père a fait habiter l ’ E sprit m ystère de la très sainte T rinité n ’ exprim aient pas,
dans une chair, choisie par lui-m êm e. Sim., V , vi, 5, d ’ une façon absolum ent claire, un dogm e connu et
Funk, t. i, p. 540. E t cette chair, dans laquelle ha ­ professé de la m anière la plus explicite par les fidèles,
bitait le Saint-E sprit, a bien servi l ’ E sprit en toute et plus encore par les docteurs de l ’ Église. N ous ne
pureté et sainteté, sans le souiller à jam ais. Si le devons donc pas nous attendre à trouver, dans les
Saint-E sprit habite dans le C hrist, il s ’ ensuit, évi ­ m onum ents littéraires de la théologie anténicéenne, un
dem m ent, qu ’ il est aussi distinct du C hrist. Link, traité en bonne et due form e sur la personne du
op. cil., p. 12. Il n ’ est pas une force im personnelle, Saint-Esprit et son action dans l ’ ordre surnaturel.
parce qu ’ il est le principe d ’ actions qui supposent Bien plus, il n ’ y aurait pas d ’ exagération de notre part
nécessairem ent une personnalité. A vant l ’ incarnation à affirm er que, dans les ouvrages antérieurs au concile
du Fils, il a été la source de toute sainteté et l ’ inspi ­ de N icée, le savant catholique, tout en y puisant la
rateur des prophètes. Lorsque le Fils s ’ est fait chair, véritable doctrine de l ’ Église sur le Saint-Esprit, ren ­
il a habité en lui, il a com m uniqué une vie nouvelle contre des passages où la divinité et la personnalité
à ceux qui reconnaissent en lui le Fils de D ieu. H eur- distincte de la troisièm e personne ne sont pas énoncées
tier, op. cil., p. 46-61. H erm as déclare à plusieurs avec la sûreté et la plénitude qu ’ il eût fallu. Il n ’ est
reprises que c ’ est le Père qui a établi le Saint-Esprit donc pas étonnant qu ’ une critique m al avisée ou auda ­
dans la sainte hum anité de Jésus : Τό Π νεύμα, cieuse et l ’ exégèse rationaliste du protestantism e se
δς i Θεός κατώκισεν έν τή σαρκι ταύτη, Mand., Ill, 1, soient parfois évertuées à ranger les Pères du n “ et
Funk, 1. 1, p. 473; . τό Π νεϋμα τοΰ Θεοΰ τό δοβέν εις την du n i' siècle au nom bre des pneum atom aques et à
σάρκα ταύτην. Mand., X , 2, 6, Funk, p. 502. D ’ ail­ tirer de leurs écrits la preuve de la négation du
leurs, H erm as lui-m êm e m entionne clairem ent l ’ E s ­ Saint-Esprit dans l ’ Église prim itive.
prit de D ieu, com m e distinct du Fils de D ieu. Le P. Petau ne se faisait pas scrupule de reprocher
Sim., IX , xxiv, 4, Funk t. i, p. 620. à ces Pères l ’ usage de term es dangereux, qui révéle ­
Les passages cités jusqu ’ ici n ’ aplanissent pas les raient chez eux, surtout à l ’ égard du Saint-E sprit,
difficultés que soulèvent d ’ autres textes, où H ennas une certaine ignorance du m ystère de la sainte Tri­
sem ble identifier le Saint-Esprit avec le Fils et l ’ ar ­ nité : Ut erant tempora, nondum mysterio illo satis
change M ichel. M ais il nous suffit d ’ avoir m ontré qu ’ il liquido cognito, nonnulla periculose dicta jecerunt. De
ne m anque pas, dans le Pasteur d ’ H erm as, de tém oi ­ Trinitate, 1. I. c. ni, n. 1, t. n, p. 291-292. Ces at ­
gnages explicites sur la divinité et la personnalité du taques contre l ’ orthodoxie des Pères anténicéens ont
Saint-Esprit. été repoussées par le théologien anglican, G eorges B ull,
L ’ É pître de B arnabé, i, 3, Funk, t. i, p. 38, et dans son ouvrage : Defensio fidei biicenæ, O xford,
la Doctrine des douze apôtres, W ohlem berg, Die Lehre 1685. D ans sa préface aux livres De Trinitate, le P. Pe ­
der zutolj Aposlel in ihrem Verhallniss zum neutesta- tau lui-m êm e s ’ est vu obligé de m itiger la rigueur ex ­
menttichen Schri/llum, E rlangen, 1888, p. 8-10, m en ­ cessive de ses jugem ents et de rétracter en partie ses
tionnent aussi le Saint-E sprit com m e source de la critiques injustes sur la doctrine trinitaire de la théo ­
grâce et de l ’ inspiration prophétique. M ais cette logie anténicéenne. Præfatio, c. ni, t. n, p. 266-271.
sim ple m ention n ’ a pas assez de valeur doctrinale La critique rationaliste, au contraire, n ’ a point
pour occuper l ’ attention des théologiens. cessé d ’ attaquer la continuité de la tradition des
E n résum é, la divinité et la personnalité du Saint- Pères touchant le Saint-Esprit. D ’ après H arnack, les
E sprit sont attestées parles m onum ents prim itifs de apologistes chrétiens du n ' siècle et les Pères du
la littérature chrétienne. Le Saint-E sprit s ’ y révèle n i' siècle ignorent la personne du Saint-E sprit, ne
avec les attributs de D ieu, c ’ est-à-dire com m e D ieu ; font aucune distinction entre le V erbe et le Saint-
on lui approprie des actes divins et on établit une dis ­ E sprit, ne reconnaissent en D :eu que deux hypo ­
tinction réelle entre lui et les autres personnes de la stases. Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3' éd ;t., L i,
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p. 449. A vec une grande érudition patristique, N ôsgen inexactitudes dogm atiques touchant le Saint-Es; -
s ’ est essayé à dém ontrer que la thèse de H arnack D ans ce cas, les affirm ations erronées d'un Per· ;.
est bien fondée; que des textes nom breux, puisés déré com m e docteur particulier, n ’ infirm er, t pas
dans les écrits de saint Justin, d ’ A thénagore, de Théo ­ tradition com m une des autres Pères. M ais il faut,
phile d ’ A ntioche, de C lém ent d ’ A lexandrie, d ’ Irénée, rem arque Franzelin, que ces affirm ations -.-renées
ne laissent pas le m oindre doute sur l ’ identification soient clairem ent énoncées, de telle sorte que le doute
du V erbe avec le Saint-Esprit par la théologie anté- sur leur authenticité ou leur véritable portée ne soit
nicéenne. Geschichle der Lehre vom heiligen Geisle, pas adm issible. Op. cit., p. 148-149.
G utersloh. 1899, p. 8-26. Les théologiens du m oder ­ d) Il ne faut pas oublier que, pour ce qui concert e
nism e reprochent aux Pères anténicéens des tendances le Saint-Esprit, à côté de term es vagues et obscur;
prononcées vers le sabellianism e ou le dithéism e; et d ’ expressions inexactes, la théologie anténicéenr e
eurs écrits identifient Je Saint-Esprit avec le Fils, contient des affirm ations nettes et précises de la vraie
ou le représentent com m e un attribut divin, une force doctrine catholique. Les données des Pères, puise· ; s
im personnel e de la divinité. D upin, dans la Revue dans la tradition, sont justes et exactes; les théories
d'histoire et de littérature religieuses, t. xi (1906), et les raisonnem ents qu ’ ils bâtissent sur la philosophie
p. 355. La théologie anténicéenne, déclare cet écrivain, platonicienne et philonienne ne sont pas toujours
ne connaît que le V erbe, fils de D ieu en réduction. heureuses. Tixeront, La théologie anténicéenne, Paris.
Elle aurait donc dO renoncer à la form ule trinitaire 1905, p. 233. En pareil cas, les passages obscurs d ’ un
et à la personne du Saint-E sprit, m ais parce que la Père touchant le Saint-Esprit doivent être expliqués à
liturgie, le sym bole, la foi du peuple tém oignaient la lum ière des passages clairs et explicites du m êm e
contre les conclusions logiques de leur spéculation Père. Ce que prescrit une saine critique, dit M gr Frep-
doctrinale, les théologiens de l ’ époque laissèrent sub ­ pel, c ’ est de constater le fond de la croyance des
sister l ’ appellation de Saint-Esprit. Ibid., p. 356. La passages d ’ une clarté irrécusable, puis d ’ expliquer
personne du Saint-E sprit, dans la théologie chrétienne, , par eux ce qui est m oins form el ou plus enveloppé.
est le produit logique des infiltrations platoniciennes Saint Justin, Paris, 1869, p. 366.
et philoniennes dans la doctrine des Pères anténicéens e) Les om bres qui enveloppent la personne du
concernant le m ystère de la sainte T rinité. M orin, Saint-E sprit dans la théologie anténicéenne se dis ­
Vérités d’hier, Paris. 1906, p. 221. sipent aisém ent, si l ’ on étudie soigneusem ent latenr.i-
A ces attaques contre la continuité de la tradition nologie trinitaire des trois prem iers siècles, si l ’ on fixe
patristique touchant la divinité et la personnalité surtout les divers sens du m ot esprit chez le m êm e
distincte du Saint-E sprit, nous répondons en affir ­ Père, qui le prend tantôt pour désigner l ’ essence di­
m ant que, m algré ses lacunes, ses obscurités, l ’ im pré ­ vine, tantôt une hypostase divine. V oir Franzeim ,
cision de ses term es et de ses form ules, la théologie an ­ p. 151-186; Schell, t.’ n, p. 298-300.
ténicéenne, par la bouché des apologistes chrétiens du f) Enfin, il est utile de rappeler que quelques écrits
n e siècle et des Pères et écrivains du ni» siècle, recon ­ des Pères ont subi les interpolations des hérétique· : et
naît le Saint-E sprit com m e une personne divine, égale les altérations involontaires de copistes ignorant· .
en dignité au Père et au Fils, m ais réellem ent dis ­ C ’ est aux hérétiques et aux copistes, ou m êm e à la
tincte du Père et du Fils par "hypostase. Toutefois, sim plicité de leurs auteurs que saint Jérôm e attribue
avant d ’ aborder la dém onstration directe de cette les expressions dangereuses qu ’ on rencontre çà et là
thèse, il est utile de faire les rem arques suivantes : dans les écrits des Pères antém eéens et qui ont servi
«) Il faut distinguer avec soin ce qui fait le fond, de prélude ou de prétexte à l ’ arianism e : Fieri potest,
la substance du dogm e, des im ages, des expressions ut simpliciter erraverint, vel a librariis imperitis eorum
sous lesquelles ce dogm e est énoncé ou expliqué. La paulatim scripta corrupta sint; vel certe antequam in
théologie anténicéenne, dans ses représentants les plus Alexandria quasi daemonium meridianum Arius nasce­
illustres, ne s ’ est point trom pée au sujet de la divinité retur, innocenter quædam et minus caute locuti sunt, et
et de la personnalité du Saint-E sprit, m ais m anquant quæ non possunt perversorum hominum calumnias decli­
d ’ expressions précises et de form ules rigoureuses, dans nare. Apol. adversus libros Rufini, 1. Π , c. xvn,
l ’ exposé de la doctrine trinitaire, e'ie s ’ est servie de P. L., t. xxiii, coi. 440.
term es équivoques, que les hérétiques ont exploités 2. Les apologistes grecs du il· siècle. — a) La
pour la diffusion de leurs erreurs. théologie du Saint-Esprit est à pe-ne ébauchée dans
Z>) La doctrine com m une des théologiens catholiques les œ uvres du plus célèbre des apologistes grecs du
est que les Pères et écrivains du n® et du n i' siècle, n ' siècle, saint Justin m artyr. C ependant, on y ren ­
aussi bien que les Pères et écrivains des siècles posté ­ contre à plusieurs reprises des textes qui affirm ent
rieurs, ont eu la conviction nette et arrêtée de la divi­ expressém ent la divinité et la personnalité du Saint-
nité et de la personnalité du Saint-Esprit. O n nesaurait, E sprit. O n form ulait contre les chrétiens le reproche
en effet, adm ettre que ces Pères, dans leur ensem ble, d ’ athéism e. Saint Justin repousse cette calom nie.
aient eu une idée vague et confuse de la troisièm e « N ous ne som m es pas des athées, déclare-t-il, nous
personne divine, et par suite une idée vague et confuse qui reconnaissons en Jésus-C hrist le Fils de D ieu et
de la sainte Trinité, d ’ un dogm e fondam ental de la foi l ’ honorons en seconde ligne, et honorons aussi en troi ­
chrétienne. U ne telle supposition, rem arque Scheeben, sièm e ligne l ’ esprit prophétique, ΠνεΟμά τε προφητηώ· .
t. il, n. 832. p. 561, est inacceptable a priori, puisque è'i τρίτη τάξει ...τιμώμεν. » Apol., I, 13, P. G., t. νι,
la personne du Saint-E sprit est expressém ent m en ­ col. 348. Ce passage est d ’ une clarté frappante en
tionnée dans l ’ É criture, dans la form ule du baptêm e, ce qui concerne la divinité et la personnalité du Saint-
dans les sym boles de foi, dans les doxologies de l ’ Église, E sprit, adoré com m e troisièm e personne div ne à Fécal
dans les prières et les confessions des m artyrs. Il s ’ en ­ du Père et du Fils. C ependant, la critique rationaliste
suit donc que les passages et term es obscurs des Pères y a vu une profession explicite de subordinatianism e
anténicéens touchant le Saint-Esprit ont besoin d ’ être entre les trois personnes divines et a reproche à sa · :
com pris et Interprétés dans le sens que leur attachent Justin de considérer le Saint-Esprit com m e inferie ■
les Pères qui, au concile de N icée ou après ce concile, au Père et au Fils. Le reproche est injuste. L · ·
en ont appelé à leur tém oignage pour com battre les de saint Justin est très claire, et ses express; ; -- s
pneum atom aques. Franzelin, op. cit., p. 146-147. pas inexactes. Le Saint-E sprit est le trois- - ccc ■
c) Il y a lieu d ’ adm ettre que dans les m onum ents l ’ ordre d ’ origine, dans l ’ ordre des relations divines, m ais
de la théologie anténicéenne on rencontre çà et là des le rang qu ’ il occupe n ’ em porte pas une infériorité de
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nature. Saint Justin reconnaît form ellem ent la com ­ ne saurait donc, pour un m anque de précision dans
m unauté d ’ essence entre les trois personnes divines. les term es, m ettre Justin au nom bre des pneum ato-
« C om m e le Fils est engendré par le Père, et que le m aques.
Saint-E sprit procède du Père et du Fils,, il est tout na ­ Il est bien vrai que les écrits de saint Justin ne nous
turel de nom m er les trois personnes dans l ’ ordre indi ­ fournissent pas assez de détails sur la nature et
qué par saint Justin. Préférerait-on que l'apologiste l ’ œ uvre du Saint-Esprit. M ais il était loin de la pensée
eût placé le Fils ou le Saint-E sprit en prem ier lieu, et du saint d ’ éclaircir la doctrine trinitaire. Son but
e Père en dernier? U ne pareille term inologie renver ­ était avant tout pratique. IJ voulait seulem ent ré ­
serait le langage reçu, et blesserait m êm e le dogm e. soudre les objections des païens contre le christia ­
Les deux processions divines exigent nécessairem ent nism e et am ener ses adversaires à une connaissance
qu ’ on fasse précéder la personne qui procède de celle plus exacte de la doctrine du C hrist. C ’ est ce qui
dont elle procède. » Freppel, Saint Justin, p. 363. le fait insister de préférence sur les vérités de la reli­
Cf. K uhn, Katholische Dogmatik, Tubingue, 1857, t. π, gion naturelle, tandis qu ’ à l ’ égard des vérités de la
p. 123. religion chrétienne, il s'en tient à la tradition de
D ans un autre passage, saint Justin revient sur le l ’ Église et m entionne, sans les approfondir, les m ys ­
culte d ’ adoration et de vénération que ’ es chrétiens tères chrétiens. Sa m éthode a été généralem ent suivie
rendent au Saint-Esprit à l ’ égal du Père et du Fils : par les autres apologistes. Feder, p. 123; H einrich,
Π νεύμα τε το προφητικόν σεόόμεθα ζα; προσζυνονμεν. t. iv, p. 268-272; Thom assin, De S. Trinitate, c. xi.n,
Apol., I, 6, col. 336, 337. Il rappelle les bienfaits Dogmata theologica, Paris, 1868, t. v, p. 581-585;
du Saint-Esprit. L ’ âm e est régénérée par les eaux B ardenhew er, Geschichte der altkirchlichen Litterator,
du baptêm e au nom du Père, du Fils et du Saint- t. i, p. 235.
Esprit. Apol., I, 61, col. 420. D ans la cène eucha ­ b) La Legatio pro Christianis d ’ A thénagore renferm e
ristique, on rend gloire au Père, au Fils et au aussi les affirm ations les plus explicites de la foi de la
Saint-Esprit. Ibid., 67, col. 422. Il serait donc divinité et de la personnalité du Saint-Esprit. D e
absurde de soupçonner saint Justin d ’ attaches au m êm e que saint Justin, A thénagore repousse l ’ accu ­
dithéism e. sation d ’ athéism e portée contre les chrétiens par les
C ependant, nous le reconnaissons, pour ce qui con ­ païens et s ’ écrie : « Q ui ne sera pas étonné qu ’ on nous
cerne le Saint-Esprit, quelques textes de saint Justin fasse passer pour athées, nous qui reconnaissons
n ’ ont pas toute la netteté désirable. Saint Justin ad ­ D ieu le Père, D ieu le Fils et le Saint-Esprit, nous qui
m et que D ieu, par son esprit prophétique, a révélé voyons leur puissance dans l'union, et leur distinc ­
les choses futures, la conception virginale du C hrist : tion dans l ’ ordre. » 10, P. G., t. vi, col. 909. «O n ne
διά τού προφητικού Π νεύματος . Ibid., 33, col. 381. M ais saurait rien désirer de plus explicite, rem arque
il affirm e aussi que cet esprit qui a parlé par la M gr Freppel, que cette profession de foi, dont il
bouche des prophètes est le V erbe de D ieu : ό λόγος serait difficile de dépasser la rigueur. » Les apologistes
C'A τών προφητών προειπών τα μέλλοντα, ibid., 10, chrétiens au n ' siècle, Paris, 1870, p. 153. A thénagore
col. 461 ; et ce qui est plus fort encore que l ’ esprit, y enseigne expressém ent la com m unauté de l ’ être
la force qui ém ane de D ieu n ’ est autre que le V erbe divin entre le Père, le Fils et le Saint-E sprit et la dis ­
de D ieu : Tô πνεύμα ούν καί την δύναμιν τού θεού ούδέν tinction réelle de celui-ci des deux autres personnes
άλλο νοησαι θέμις , η τον λόγον. Ibid., 33, col. 381. Π divines. D ans un autre passage, non m oins explicite,
sem blerait donc, d ’ après ces textes, que le Fils et le il affirm e que la vie future consiste à connaître D ieu
Saint-E sprit ne seraient en réa ’ ité qu ’ une seule et et son V erbe, à savoir ce que c ’ est que l ’ Esprit, et
m êm e personne divine et que, partant, les théories quelle est la nature de l ’ union du Saint-E sprit avec le
trinitaires de saint Justin ne pourraient échapper au Père et le Fils, et en quoi diffèrent les trois personnes
reproche de dithéism e. Schm idt, De quœstione num divines. 12, col. 913. A thénagore adm et donc que le
antiquissimi scriptores inter Λ όγον και πνεύμα άγιον ali­ Saint-E sprit est uni au Père et au Fils, ce qui ne peut
quid fecerunt discriminis, Strasbourg, 1836, p. 10 ; G eor- s ’ entendre que de la participation à l ’ unique et indi­
gii, Untersuchung über die Lettre von heiligen Geist bei visible être divin ; il adm et aussi qu ’ il est distinct du
Justin dem Mârtyrer, W urtem berg, 1838; D upin, Père et du Fils, ce qui ne peut se rapporter qu ’ à la
loc. cit., p. 354-355. M ais nous ne devons pas oublier distinction hypostatique.
les textes explicites, où Justin établit form ellem ent la La clarté de ces affirm ations dissipe les doutes que
personnalité distincte du Saint-E sprit. Il s ’ ensuit donc pourraient soulever quelques passages du m êm e apo­
que le passage où il paraît contredire sa profession ou ­ logiste, où il déclare que le Saint-E sprit, qui agit dans
verte de la personnalité du Saint-Esprit est suscep ­ les hom m es inspirés, est une ém anation de D ieu,
tible d ’ une interprétation catholique. Justin attribue qu ’ il découle de lui et retourne à lui par réflexion,
l ’ inspiration prophétique tantôt au Père, tantôt au com m e le rayon du soleil, 10, col. 909; que le Fils est
Fils et au Saint-Esprit, parce que cette inspiration dans le Père, et le Père dans le Fils, par l ’ unité et la
n'est pas une action hypostatique du Saint-E sprit (les vertu de l ’ esprit. Ibid. Les difficultés qu ’ on pourrait
théologiens enseignent qu ’ elle lui est sim plem ent tirer de ces textes ne sauraient prévaloir contre les
appropriée), m ais une action com m une aux trois per ­ autres textes form els, où, à côté du Père et du Fils,
sonnes divines. K uhn, op. cit., p. 295; O tto, De Justini A thénagore nom m e le Saint-Esprit com m e troi ­
martyris scriptis et doctrina, léna, 1841, p. 137, 138; sièm e personne divine. Tixeront, op. cit., p. 239. D ans
Feder, Justins des Mârlyrers Lehre von Jesus Christus, la théologie d ’ A thénagore, le Saint-Esprit n ’ est pas
Fribourg-en-Brisgau, 1906, p. 121. Saint Justin déclare présenté com m e une force qui ém ane de D ieu ct
aussi que l ’ esprit de D ieu est le V erbe. L ’ expression retourne à D ieu. A thénagore dit expressém ent que le
n ’ est pas nouvelle. Saint Paul a dit que l ’ E sprit est le christianism e croit en D ieu le Père, dans le Fils de
Seigneur. II Cor., in, 17. V oir J. Lebreton, Les ori­ D ieu, le V erbe divin, et dans le Saint-E sprit, et que
gines du dogme de la Trinité, p. 490-494. Saint Ignace ces trois personnes divines sont unies selon la puis ­
d ’ A ntioche, saint C lém ent de R om e, Tertullien em ­ sance, c ’ est-à-dire selon l ’ être divin auquel on at ­
ploient la m êm e expression. Feder, p. 120. Le sens du tribue aussi l ’ épithète d ’ esprit. 10, col. 909. La pensée,
m ot esprit, nous l ’ avons rem arqué, est vague, flot­ verbe ou sagesse, dérive du Père, aussi bien que le
tant. Il désigne souvent, dans l ’ ancienne littérature Saint-E sprit, qui procède du Père com m e la lum ière
chrétienne, la nature divine, les dons de D ieu, le jaillit de la flam m e. 24, col. 945. O n pourrait, à la
C hrist en tant que personne divine. O tto, p. 137. O n rigueur, ergoter sur les expressions ct les im ages dont
701 E S P R IT-S A IN T

A thénagore se sert pour élucider les rapports du Père 3. Les Pères et écrivains ecclésiastiques du ir >: :
et du Saint-E sprit; m ais il est bien difficile de nier HP siècle. — « L ’ enseignem ent d ’ Irénee sur le Saint-
qu ’ il ait reconnu le Saint-E sprit com m e personne E sprit, dit B euzart, est indécis et flottant, com part
divine réellem ent distincte du Père et du Fils. H ein ­ à la doctrine des âges suivants. Essai sur la tteoto-
rich, t. iv, p. 272-274; Thom assin, t. v, p. 585-586; gie d’Irénée, Paris, 1908, p. 54. C ependant, saint B a ­
Franzelin, p. 137-138. sile range Irénée parm i les tém oins autorisés de la
c) Saint Théophile, évêque d ’ A ntioche, voit dans tradition catholique, touchant le Saint-Esprit, L :■·
les trois prem iers jours de la création le sym bole, de Spiritu Sancto, χχιχ, 82, P. G., t. xxxn, cob 2 !.
l ’ im age des trois personnes divines, τύποι είσιν τής Τριά- et Théodoret aussi invoque son autorité. Dialogus. :.
δ'ος τού Θ εού, καί του Λ όγου αύτοϋ, καί τής σοφίας αύτοΰ. P. G., t. l x x x i i i , col. 84, 85. N ôsgen lui-m êm e ;
Ad Autolycum, 1. II, 15, P. G., t. vi, col. 1077. D ans forcé d ’ adm ettre que le grand évêque de Lyon .
la T rinité (Théophile a été le prem ier à em ployer le m arqué avec une suffisante clarté la consubstantia ­
term e de Τριάς ), D ieu a été le créateur de l ’ univers par lité divine du Saint-Esprit avec le Père et le Fils. O:
son verbeet sa sagesse. L. 1,7, col. 1036.C ’ estàson verbe cit., p. 16. Saint Irénée pose en principe que l’ Église.
et à sa sagesse qu ’ il a adressé les paroles : Créons gardienne infaillible de la révélation chrétienne, a
l’homme. L. II, 18, col. 1081. Lors de la création du reçu des apôtres et de leurs disciples une foi intègre.
m onde, il n'y avait en D ieu que sa sagesse et son saint En vertu de cette foi, elle croit « au Saint-Esprit, le ­
V erbe, qui a toujours été avec lui, L. II, 10, col. 1065. quel a prédit par les prophètes l ’ économ ie disâne et
A vec sa sagesse D ieu a engendré le V erbe caché en lui, l ’ avènem ent de Jésus-C hrist notre Seigneur. » Cont.
1. II, 10, col. 1064, en le produisant hors de son sein hier., I, x, 1, P. G., t. vu, col. 549. Le Saint-Esprit est
avant la création de l ’ univers. la sagesse de D ieu, la figuratio Patris (d ’ après dom
Théophile affirm e donc avec assurance la divinité M assuet, le term e figuratio se rapporte au Fils). Les
du Saint-E sprit, créateu'· avec le Père et le Fils, et chœ urs angéliques lui sont soum is. Ibid., IV, vit, 4,
en m êm e tem ps sa personnalité distincte du Père et col. 993. Il est à côté du Père et du Fils dans l ’ œ uvre
du Fils. Il faut avouer, cependant, que sa term ino ­ de la création : Spiritu nutriente et augente. Ibid., V .
logie n ’ est pas précise. Il aflirm e que le V erbe, étant xxxviii, 3, col. 1108. Il est auprès du Père avant
l ’ E sprit de D ieu, et principe et sagesse, descendit sur tout être créé, avant que l ’ univers fût tiré du néant,
les prophètes. L. II, 10, col. 1064. Il sem blerait donc ante omnem constitutionem. Ibid., IV , xx, 3, col. 1033.
confondre le V erbe avec le Saint-Esprit. M ais les pas ­ C ’ est lui qui fait connaître les décisions du Père et
sages que nous avons cités plus haut nous autorisent, du Fils et qui ouvre les intelligences à la lum ière
contre les assertions de D upin, loc. cil., p. 357, à don ­ de la vérité. Ibid., IV, xxxm , 7, col. 1077. L ’ ordre
ner à ses expressions inexactes un sens catholique. et l ’ harm onie qui régnent dans l'univers so:
L ’ évêque d ’ A ntioche envisage la sagesse com m e un l ’ œ uvre de D ieu, qui est uni avec son V erbe et sa
attribut essentiel de la divinité; en ce sens, le V erbe Sagesse : unus Deus qui Verbo et Sapientia fecit et ap­
de D ieu aussi bien que l ’ E sprit-Saint, est la sagesse tavit omnia. Ibid., IV, xx, 4, coi. 1034. C ependant,
divine. Freppel, Les apologistes chrétiens, p. 289-290; soit le V erbe, soit la Sagesse, ne sont pas disti.·· ..·
H einrich, p. 276. M êm e le P. Petau penche à croire du Père quant à la nature divine. D ieu, en effet,
que le saint évêque confond le Saint-Espr t avec le a créé le ciel et la terre par lui-m êm e, c ’ est-à-dire
V erbe. L. I. c. ni, n. 6, p. 299. M ais puisque Théo ­ par son V erbe et sa Sagesse. Ibid., II, xxx, 9,
phile m entionne les trois term es Θ εός , λόγος , σοφία, col. 822. Il n ’ y a donc qu ’ un seul D ieu, qu ’ un seul
1. 1, 7; 1. II, 18, col. 1036,1081. com m e constituant Fils, qu ’ un seul E sprit, qu'un seul salut pour ceux
une trinité, 1. II, 15, col. 1077, la supposition du qui croient en lui. Ibid., IV , vi, 6, col. 990. Le V erbe
docte théologien n ’ est pas fondée. et la Sagesse, le Fils et l ’ E sprit sont toujours avec
d) Les théories trinitaires de T atien sont très em ­ D ieu; c ’ est par eux et en eux qu ’ il a créé toutes
brouillées et confuses, ce qui leur a valu les critiques choses en pleine liberté. Ibid., IV , xx, 1, col. 1032.
les plus sévères du P. Petau. C ependant, dans son Le Fils et le Saint-Esprit sont appelés les mains par
Oratio adversus græcos, il parle plusieurs fois de la per ­ lesquelles D ieu a créé et form é l ’hom m e : per manus
sonne du Saint-E sprit, com m e auteur de la sanctifi ­ enim Patris, id est, per Filium et Spiritum Sanctum,
cation des âm es. 11 affirm e que le V erbe envoie le fit homo. Ibid., IV , præf., 4, col.975; IV , xx, 1; V , vi,
Saint-Esprit habiter dans les âm es des justes. C ’ est I 1, col. 1032, 1137.
l ’ E sprit-Saint qui soulève ces âm es vers D ieu, xin, D e ces textes il ressort clairem ent qu ’ Irénée m arque
P. G., t. vi, col. 833, qui rem plit de sa grâce les avec la plus grande netteté la consubstantialité di­
hom m es fidèles à l ’ accom plissem ent de leurs devoirs vine du Saint-E sprit. Il est vrai, com m e l ’ a rem arque
religieux. Il ne repose pas dans toutes les âm es, m ais dom M assuet, que le saint évêque ne donne pas au
uniquem ent dans celles qui ont été jugées dignes de Saint-E sprit le nom de D ieu, et en parle rarem ent,
ses charism es. L ’ hom m e est un tem ple et D ieu y ha ­ Diss., III, de Irenœi doctrina, P. G., L vn, col. 312 :
bite par le m oyen du Saint-E sprit, xvi. col. 841-842. dans ses controverses avec les sectes gnostiques,
Toutes les âm es doivent s'efforcer de s ’ unir au Saint- saint Irénée porte de préférence son attention sur le
E sprit, et celles qui le m éprisent se rangent parm i les V erbe divin. V oir Tixeront, op. cit., p. 254. Toutefois,
ennem is de D ieu, xv, col. 840. Steuer, Die Gottes und il reconnaît d ’ une m anière form elle que le Saint-
Logos Lehre des Talion, Leipzig, 1893, p. 67, 68. Chez E sprit possède entièrem ent la nature divine. E n effet,
T atien, nous avons donc l ’ affirm ation de la divinité il le m et sur le m êm e rang que le Père et le Fils: i;
du Saint-E sprit, considéré com m e auteur de la grâce, déclare qu ’ il est dans le Père ante omnem constitu­
et, en m êm e tem ps, l ’ affirm ation de sa personnalité, tionem; qu ’il est éternel, άένναον, à la différence du
puisqu'il est envoyé par le V erbe, et c ’ est par lui que souffle de la vie qui, dans l'hom m e, est tem poraire,
le Père habite dans les âm es. πνό-ο ζωής πρόσκαιρος , V , xn, 2, col. 1152; il le repré ­
En résum é, bien que dans leurs polém iques avec sente com m e créateur, com m e source de - la vie di ’. r
les païens les apologistes chrétiens du n ’ siècle n ’ aient pour ceux qui le reçoivent, ό λαδόμενος τό
pas donné un exposé com plet de la doctrine trini- πνεύμα, εύρήσει τήν ζωήν. Ibid., col. 1153. Π yroclarce
taire, ils ont affirm é, néanm oins, à plusieurs reprises, donc, d ’ une m anière très expressive, que le S_.· ■·-
et avec une grande clarté, la divinité et la personna ­ E sprit possède, en com m un avec le Père et Je Fil-
lité du Saint-E sprit, et ils ont continué, sur ce point l ’ unique essence divine et qu ’ il la possédé com m e hy-
la tradition de l ’ âge apostolique. ! postase distincte du Père et· du Fils, parce qu ’ il est
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un des trois term es de la T rinité. Ibid., I, x, 1; doxie, lorsqu ’ il affirm e que le Saint-E sprit conduit
IV, vu, 4; xx, 1, col. 550, 993, 1032, 1033. les âm es au Fils. N ’ est-ce pas, en effet, par la grâce
M ais saint Irénée n ’ est pas seulem ent un tém oin du Saint-E sprit que les âm es se tournent, s ’ orientent
de la divinité et de la personnalité du Saint-E sprit. Π vers le Fils pour y recueillir les fruits de la rédem p ­
s ’ attache à faire ressortir plus soigneusem ent que ses tion? E t n ’ est-ce pas aussi par les m érites du C hrist,
devanciers le rôle surnaturel du Saint-Esprit dans que les âm es rem plies du Saint-E sprit se reposent dans
l ’ Église, à décrire son influence, son action sur les le sein du Père? V oir M aran, Divinitas Domini nostri
âm es dans l ’ œ uvre de la rédem ption, et, de la sorte, il Jesu Christi manifesta in Scripturis et traditione,
m et en un relief plus accentué sa divinité. Il est donc Paris, 1746, iv, 9, 5, p. 420-422; Franzelin, op. cit.,
bien juste de considérer le saint évêque de ' Lyon p. 136, 137. M algré donc quelques term es incorrects,
com m e le précurseur de ces théologiens, qui ont eu à saint Irénée déclare de la m anière la plus expressive
cœ ur d'enrichir, par la spéculation personnelle,la théo ­ qu ’ il y a identité de nature et égalité de gloire et d ’ hon ­
logie du Saint-Esprit, d ’ y apporter de nouvelles don ­ neur entre le Saint-E sprit et la prem ière et la seconde
nées par l ’ étude plus approfondie des textes scrip ­ personne de la Trinité, et que la personnalité du Saint-
turaires. Le Saint-E spr't, dit Irénée, a été le héraut de E sprit est distincte de celle du Père et du Fils.
D ieu dans l ’ A ncien et le N ouveau T estam ent. Les L a doctrine de C lém ent d ’ A lexandrie sur le Saint-
prophètes d ’ Israël ont annoncé ce que le Saint-Esprit E sprit n ’ a pas été développée avec am pleur; elle nous
leur suggérait, IV , xx, 8, col. 1038, puisqu ’ il est la offre des textes peu nom breux et peu expressifs.
source de toute inspiration prophétique. Ibid., 3, C lém ent professe ouvertem ent la trinité des personnes
col. 1034. Ce m êm e E sprit qui, par la bouche des an ­ divines dans l ’ unité d ’ essence : il la nom m e expres ­
ciens prophètes, a annoncé l ’ avènem ent du C hrist, sém ent την αγίαν Τριάδα. Strom., V , 14, P. G., t. ix,
a révélé aussi aux apôtres que la plénitude des tem ps col. 156. Le Saint-Ésprit est le troisièm e term e de
était arrivée, que le règne de D ieu était proche. III, cette Trinité. H n ’ y a qu ’ un seul D ieu de l ’ univers,
xxi, 4, col. 950. Il a répandu sur les prem iers disciples et un seul V erbe, et un seul E sprit, qui est partout :
du C hrist ces charism es surnaturels, dont il est la τδ πνεύμα το άγιον εν ν.α.\ ζ'ο αυτό πανταχού. Pæd., I,
source. III, xvn, 1, col. 929. Ρ. G., t. vin, col. 300. Π affirm e donc l ’ubiquité du
Le Saint-Esprit n ’ est pas seulem ent , avec le V erbe, Saint-Esprit. H rend aussi au Saint-Esprit la m êm e
l ’ auteur des saintes É critures. II, xxvin, 2, col. 805. gloire, le m êm e honneur qui est dû au Père et au
Par rapport à l ’ Église il est un gage d ’ incorruptibi­ Fils. Ibid., I, 6; III, 12, col. 300, 680, 681. Le véri ­
lité, un m aître infaillible. G râce à son assistance, table gnostique, le sage par excellence, est le disciple
l ’ Église est à l ’ abri de l ’ erreur. Ill, xxiv, 1, col. 266; du Saint-Esprit. Strom., V , 4, P. G., t. ix, col. 44. Le
V , xx, 1, col. 1177. Le Saint-Esprit est là où se trouve , Saint-E sprit joue un rôle im portant dans l ’ œ uvre de
l ’ Église, et l ’ Église et toutes les grâces d ’ en-haut sont la sanctification des âm es: il établit sa dem eure dans
là où se trouve le Saint-E sprit... qui est la vérité. III, les justes qui ont la vertu de la foi : τώ πέπιστευχότι
xxiv, 1; V , XX, 1, col. 966, 1177. προσεπιπνεϊσΟ αι το άγιον Π νεύμα φαμεν. Strom., V , 13,
D ans l ’ œ uvre de notre salut éternel, le Saint- t. ix, col. 129. Il s ’ y établit par la foi : το άγιον Π νεύ ­
E sprit est la scala ascensionis ad Deum. Ill, xxiv, 1, μα ταύτη (la foi) πώς μεταφυτεύεται, V I, 15, col. 344;
col. 966. Irénée pose com m e principe que nous ne il les sanctifie par sa présence en leur donnant
som m es pas à m êm e de nous sauver sans l ’ aide du son onction. Ibid., vm , 11, col. 489; Pæd., Il, 8,
Saint-E sprit : άνευ Π νεύματος Θεοϋ σωβήναι ού δυνά- t. vm , col. 472. V oir C l é m e n t d ’ A l e x a n d r i e , t. m ,
μεΟα. V , ιχ, 3, col. 1145. C ’ est l ’ E sprit qui nous col. 159, 160. C lém ent d ’ A lexandrie tém oigne donc de
conduit vers le Fils, qui prépare l ’hom m e à aller sa croyance en la divinité du Saint-E sprit. V oir M aran,
au Fils, de m êm e que c ’ est le Fils qui nous conduit op. cit., rv, 10, 5, p. 428.
au Père, qui nous élève vers le Père. IV, xx, 5; L a doctrine d ’ O rigène sur le Saint-Esprit, et en
V , xxxvi, 2, col. 1035, 1223. L ’ E sprit-Saint est le général sur la T rinité, a été, de son vivant m êm e,
paraclet, qui nous unit à D ieu. L ’ eau vive, que N otre- l ’ objet de longues controverses. Elle a eu ses adver ­
Seigneur donna à la Sam aritaine, et qu ’ il reçut du saires irréconciliables et ses défenseurs passionnés.
Père, a été donnée à tous ceux qui participent Saint É piphane lui est décidém ent hostile. Π appelle
du C hrist, lorsqu ’ il a envoyé le Saint-E sprit par toute O rigène le père d ’ A rius, Epist. ad Joannem Hieros.,
la terre. III, xvn, 2, col. 929, 930. Le Saint-E sprit est P. G., t. X Lin, col. 383, et lui reproche d ’ avoir placé le
donc le principe, la source de la vie surnaturelle, èt Saint-E sprit dans un rang inférieur à celui du Fils,
l ’ œ uvre rédem ptrice du C hrist tend précisém ent à d ’ avoir enseigné que le Saint-E sprit ne voit pas le
donner aux âm es la possession de cet esprit divin qui Fils, de m êm e que le Fils ne voit pas le Père, ούτε το
est le panis immortalitatis. IV , χχχνπι, 1, col. 1106. Π νεύμα τον υιόν δύναται θεάσασύαι. Ibid., rv, col. 384;
L ’ E sprit-Saint est un esprit vivifiant, un esprit qui Hier., l x i v , 4, P. G., t. x l i , col. 1076. Les origé-
conduit les âm es à la connaissance de la vérité divine. nistes, au dire de saint É piphane, tirèrent les der ­
IV, xxxni, 7, col. 1077. Les âm es qui se laissent do ­ nières conséquence du principe erroné de leur m aître
m iner par cet E sprit sont appelées à la vie de la résur ­ et rabaissèrent le Saint-E sprit au niveau des créa ­
rection, III, xvn, 2, col. 930, et rendent gloire au tures : χτίσμα καί τό "Α γιον Π νεύμα εϊσηγούμενοι. Αηα-
Père. IV, xx, 3, col. 1034. cephalæosis, Ρ. G., t. x l i i , col. 86ο. Saint Jérôm e
Les nom breux textes que nous avons puisés dans renchérit sur ces accusations. A l ’ en croire, O rigène
le Contra hœreses m ettent en évidence que saint Iré­ aurait enseigné form ellem ent que le Saint-É sprit est
née attribue au Saint-E sprit une personnalité dis ­ inférieur au Fils et que sa sphère d ’ activité est plus
tincte de celle du Père et du Fils. V oir B euzart, p. 51- restreinte que celle du Père et du Fils, parce qu ’ elle
53. C ’ est donc à tort qu ’ on a voulu découvrir des traces se borne seulem ent aux âm es justes. La puissance du
de subordinatianism e dans les rares passages, où le Père serait plus grande et plus étendue que celle du
saint évêque déclare que le V erbe et le Saint-E sprit Fils, et la puissance du Fils, à son tour, serait plus
servent le Père; que le Saint-E sprit conduit les âm es grande et plus étendue que celle du Saint-Esprit.
au Fils et le Fils au Père. Pour saint Irénée, la nature Epist., cxxrv, ad Avitum, 2, P. L., t. xxn,
du Saint-E sprit ne diffère point de celle du Père, et col. 1061. N ous ne saurions soupçonner saint Jérôm e,
les anges qui servent le Père servent aussi le Saint- qu ’ on a justem ent appelé un ardent chercheur d’hé­
E sprit. D om M assuet, Diss., III, col. 308. D e m êm e résies, d ’ avoir à bon escient falsifié et corrom pu le
saint Irénée reste dans l ’ orbite de la plus pure ortho ­ texte d ’ O rigène pour ayoir gain de cause dans ses
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violentes querelles avec R ufin. D ’ ailleurs, le texte m ent et la base de la théologie trinitaire. La pre ­
auquel il fait allusion nous a été conservé dans l ’ ori ­ dication apostolique affirm e aussi que le Saint-Esprit
ginal grec par Justinien, qui, lui aussi, attribue à est un; qu ’ il se révèle, sans se dédoubler, dans Γ A n ­
O rigène les m êm es erreurs. Liber adversus Origenem, cien et le N ouveau T estam ent; qu ’ il été la source
P. G., t. l x x x v i , col. 981. de l ’ inspiration prophétique pour tous les justes, pour
Q uelle est la valeur de ces accusations si graves et les prophètes de la loi m osaïque, aussi bien que
devons-nous y prêter foi? La réponse n ’ est pas aisée, pour les apôtres. Ibid., col. 118.
puisque le dernier m ot sur l ’ orthodoxie d ’ O rigène n ’ a M ais à côté de cet élém ent traditionnel, il y a,
pas encore été dit. Il faut noter cependant que des toujours d ’ après O rigène, un ensem ble de doctrines
Pères, dont la doctrine trinitaire est au-dessus de qu ’ on peut tirer des vérités de la prédication aposto ­
tout soupçon, jugent avec une grande bienveillance le lique par voie de conséquence. Les apôtres, en eilet.
prétendu précurseur d ’ A rius. Saint A thanase s ’ appuie n ’ ont pas déclaré si le Saint-Esprit est engendré ou non
sur l ’ autorité d ’ O rigène pour com battre les ariens, De (factus an infectus, d ’ après saint Jérôm e), c ’ est-à-dire
decretis Nicænæ synodi, xxvi, P. G., t. xxv, col. 465, s ’ il procède du Père par voie de génération, com m e
et le P. Petau, m algré ses antipathies pour O rigène, le V erbe. E n ce qui concerne ces questions, il faut
est forcé d ’ avouer que l ’ autorité du saint docteur est approfondir par une recherche savante et perspicace
ici d'un grand poids, 1. I, c. rv, 6, p. 304. Saint B asile les textes de l ’ É criture sainte, et dem ander à la raison
cite O rigène parm i les théologiens qui, bien qu ’ ils éclairée par la foi la solution des difficultés qu ’ elles
n ’ exposent pas toujours la saine doctrine, toutefois, soulèvent.
suivant les données de la tradition, ont pieusem ent D ’ un côté donc, O rigène, en traitant du Saint-
disserté du Saint-Esprit, τας ευσεβείς φωνάς άφήχε περί E sprit, exprim e la foi de l ’ Église reçue par le m oyen
τού Π νεύματος . Liber de Spiritu Sancio, c. xxix, 73, de la tradition; de l ’ autre, il fait part à scs lecteurs
P. G., t. xxxn, col. 264. Le tém oignage de Photius, des fruits de ses m éditations philosophiques sur le
dont on est unanim e à reconnaître la prodigieuse éru ­ m ystère de la Trinité, des théories, où l ’ on ne saurait
dition, est encore plus décisif : « O rigène n ’ a point voir l ’ enseignem ent officiel de l ’ Église, m ais ses con ­
erré sur la sainte T rinité; m ais en voulant com battre clusions personnelles. D ans le prem ier cas, il est réel ­
l ’ hérésie de Sabellius, qui alors faisait beaucoup de lem ent un tém oin de la tradition : sa doctrine est
m al, et défendre la trinité des personnes, leur distinc ­ irréprochable; ses idées, form ulées avec précision,
tion m anifeste et m ultiple, il a dépassé la juste m e ­ échappent aux traits de la critique. D ans le second
sure. » Bibliotheca, cod. 117, P. G., t. an , col. 395. cas, il est un docteur particulier, qui parfois se laisse
Q uoi qu ’ il en soit de ces avis contradictoires, pour aller à la dérive dans son exégèse allégorique, ou dans
ce qui concerne la doctrine du Saint-E sprit, nous son dilettantism e philosophique, et, par inadvertance
croyons qu ’ O rigène l ’ a exposée avec beaucoup de ou par l ’ em ploi d ’ expressions obscures et dangereuses,
clarté, et qu ’ en l ’ exposant, il a été fidèle à la vraie donne prise aux accusations de ses adversaires.
tradition de l ’ Église, qui affirm e la consubstantia ­ Saint A thanase et saint B asile m ettent en évidence
lité divine et la personnalité distincte du Saint-Esprit. ce double rôle d ’ O rigène dans sa carrière littéraire.
M ais pour bien saisir sa véritable pensée, pour m ontrer Le prem ier en appelle à son tém oignage, seulem ent
que, m êm e dans ses expressions les plus audacieuses lorsqu ’ il affirme el définit avec confiance, c ’ est-à-dire
et les plus dures, il n ’ a pas d ’ attaches aux hérésies lorsqu ’ il propose la doctrine contenue dans la pré ­
antitrinitaires et qu ’ il a sauvegardé la nature divine dication de l ’ Église. Le second déclare qu ’ O rigène
du Saint-Esprit, il faut interpréter sa doctrine à la professe la saine doctrine de l ’ Église sur le Saint-
lum ière des principes qu ’ il s ’ est posé à lui-m êm e dans E sprit, toutes les fois qu ’ il s ’ en tient avec respect et
ses recherches théologiques. fidélité à la tradition : reverilus consuetudinis robur.
O rigène soutient la nécessité de s ’ en tenir à la pré ­ Ces rem arques posées, il est utile tout d ’ abord d ’ ana ­
dication ecclésiastique, servetur ecclesiastica preedicatio, lyser les textes où O rigène parle suivant les données
transm ise par les apôtres suivant l ’ ordre de succes ­ de la tradition. Il pense que la subsistance du Saint-
sion, et telle qu ’ elle est dem eurée jusqu ’ à nos jours E sprit en D ieu est une vérité que nous aurions tou ­
dans les Églises. Il ne faut adm ettre com m e vrai que jours ignorée, si la révélation d ’ en-haut ne nous l ’ avait
ce qui ne s ’ éloigne en rien de la tradition ecclésias ­ enseignée. Les philosophes, les savants n'ont pas
tique ou apostolique. De principiis, præf., 2, P. G .,t. xi, soupçonné, dans l'être divin, un troisièm e term e, le
col. 116. Il y a donc des points im m uables, intan ­ Saint-Esprit, distinct du Père et du Logos. L a con ­
gibles dans la doctrine du christianism e, des vérités naissance du Saint-Esprit, soutient O rigène, nous est
que les apôtres ont énoncées clairem ent, parce qu ’ ils venue par la loi, les prophètes et la révélation chré ­
les ont jugées nécessaires pour tous, m êm e pour les tienne. De principiis, I, m , 1, col. 147· O rigène n ’ igno ­
pigriores erga inquisitionem divines scientiæ. Ibid., 3, rait pas sans doute que la philosophie grecque avait
col. 116. C ependant, sur d ’ autres points, ils ont bien eu l ’ intuition lointaine de la T rinité, et, partant, de
dit ce qui est, m ais en passant sous silence le com ­ l ’ E sprit de D ieu. M ais cette vague connaissance n ’ était
m ent et le pourquoi, sans doute afin de fournir à ceux pas, à son avis, le produit du travail spéculatif de la
qui viendraient après eux l ’ occasion d ’ exercer leur pensée hum aine. La théorie du logos chez Platon et
esprit. Ibid., 3, col. 116, 117. O rigène établit donc ses disciples était plus un larcin qu ’ un em prunt fait
une distinction bien m arquée entre l ’ objet nécessaire à la révélation m osaïque, où l ’ école platonicienne
de la croyance, l ’ élém ent révélé et traditionnel de la avait puisé sa connaissance rudim entaire de la Trinité.
foi, et les questions secondaires, l ’ élém ent spéculatif L ’ école platonicienne com ptait dans ses rangs les /ures
et individuel abandonné au libre travail de la pen­ Hebræorum (l’ épithète est de C lém ent d'A lexandrie)
sée hum aine. C ette distinction, il nous en avertit, il qui, dans les Livres saints, ravissaient les données
l ’ applique à la théologie du Saint-Esprit. les plus élevées de leur théodicée et de leur éthique.
La prédication apostolique enseigne que le Saint- Le tém oignage de l ’ É criture sainte sur le Saint-
E sprit est associé au Père et au Fils dans l ’ égalité de E sprit est m ultiple et varié' De principiis I. :::.
nature et dans le droit à la m êm e adoration : honore col. 147. L ’ A ncien T estam ent ne le passe r as s·: _ ;
ac dignitate Patri ac Filio sociatum tradiderunt. Ibid., silence; dans le N ouveau, il est souvent q.· .· -· .:.-.
4, col. 117. N ous avons ici la profession explicite de lui. et puisque le Saint-Esprit est fauteur d-s ù · τ· -
la divinité et de la personnalité du Saint-E sprit, et inspirés, ibid., præf., 8; I, m , 1, col. 11-. i- . 14·
cette profession est, com m e O rigène la qualifie, l ’ élé- il y a lieu de dire qu ’ il révéle lui-m ém e au m : c-_e sa
D IC T . D E T H É O L . C A TH O L . V . — 23
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divine personnalité. L a révélation nous apprend qu ’ il sence du Saint-Esprit suffit pour effacer toute im pu ­
n ’ y a qu ’ un seul E sprit-Saint : Duos Spiritus Sanctos reté spirituelle, pour rem ettre les péchés. In Lev.,
nunquam cognovimus ab aliquo prædicari. Ibid., II, hom il. π, 2, col. 414.
vu, 1, col. 216. C ’ est cet E sprit qui a ouvert l ’ intelli­ Le Saint-E sprit est donc la source de la sanctifi ­
gence des anciens prophètes à la vision de l ’ avenir et cation. In Epist. ad Rom., x, 11, t. xrv, col. 1268. Π
a révélé les desseins de D ieu aux prophètes de la loi est l ’ auteur de la grâce, de cette grâce qui com m u ­
de grâce. Ibid. Toutes les fois que l ’ É criture sainte nique aux âm es la saüiteté de D ieu. De prine., I, m ,
m entionne l ’ E sprit sine adjectione, on peut être assuré 8, t. xi, col. 154. Par la participation du Saint-Esprit,
qu'il y a là une allusion à l ’ E sprit de D ieu. Ibid., I, dans lequel omnis est natura donorum, ibid., II, vu, 3,
3, 4, col. 148, 149. C et E sprit de D ieu, qui est iden ­ col. 217, l ’ âm e devient sainte et spirituelle. C ette
tique à l ’ E sprit du C hrist, se nom m e le Saint-Esprit participation du Saint-E sprit n ’ est autre que la parti ­
ou l'esprit principal, parce qu ’ il tient le sceptre, la cipation sim ultanée du Père et du Fils, c ’ est-à-dire
suprém atie dans la hiérarchie des esprits. In Epist. que l ’ œ uvre de la sanctification, appropriée au Saint-
ad Rom., xn, 1, P. G., t. xrv, col. 1103. M ais il n ’ est E sprit, appartient à la Trinité. Ibid., IV, 32, col. 406.
pas une créature; il n'est pas l ’ œ uvre de la puissance Le Saint-Esprit répand dans les âm es la surabon ­
créatrice du Père. Le doute n ’ est guère possible sur dance de la charité, par laquelle on s ’ élève en quelque
ce point. Les Livres saints ne contiennent la m oindre sorte à la participation de la nature divine. In Epist.
allusion à la nature créée du Saint-Esprit. De prin­ cd Rom., iv, 9, t. xrv, col. 997. G râce au Saint-Esprit,
cipiis, I, in, 3, P. G., t. xi, col. 148. O n ne saurait l ’ âm e chrétienne, éclairée de la lum ièr d ’ en-haut,
dire qu ’ il est un corps, qui se partage en fragm ents éblouie par la connaissance des m ystères ineffables
pour se distribuer aux âm es justes. L ’ E sprit-Saint de la foi, tressaille d ’ une joie toute surnaturelle et
est une force sanctifiante, ibid., I, i, 3, col. 122, une céleste. De princ., IL vn, 4, t. xi, col. 218. C ’ est par
subsistance spirituelle, intellectuelle : subsistentia est le Saint-Esprit, uni au Père et au Fils, que l ’ hom m e
intellectualis et proprie subsislil et exstat. Ibid., col. 123. régénéré est m is au nom bre des élus. Le salut est
M ais cette subsistance spirituelle possède en com ­ une œ uvre divine, une œ uvre qui appartient à la
m un avec le Père et le Fils les attributs divins. A sainte Trinité prise dans son intégrité, parce qu ’ on ne
l ’ égal du Fils, il a la science de D ieu le Père, il pénètre saurait posséder le Père et le Fils sans le Saint-Esprit.
les abîm es de la sagesse de D ieu : Spiritus Sanctus, De princ., I, ni, 5, 8, t. xi, col. 150, 157.
qui solus scrutatur etiam alta Dei, revelat Deum cui O rigène reconnaît form ellem ent l ’ éternité du Saint-
vult. Ibid., 3, 4, col. 148, 149. O n ne peut pas suppo ­ Esprit. Le Saint-E sprit renouvelle les âm es, m ais
ser, déclare O rigènc, qu ’ il y ait eu un instant où le lui-m êm e n ’ est pa. en D ieu un être nouveau, un être
Saint-Esprit n ’ ait pas eu la science de D ieu, où la révé ­ créé dans le tem ps : ipse enim Spiritus est in lege, ipse
lation du Fils lui ait donné cette science. Il s ’ en ­ in Euangelio, ipse semper cum Patre et Filio est, et
suivrait, en effet, que le Saint-E sprit aurait passé de semper est, et erat, el erit, sicut Pater et Filius. Non
J ’ état d ’ ignorance à l ’ état de science, et une pareille ergo ipse novus est, sed credentes innovat. In Epist.
assertion serait im pie et absurde. Ibid., 3, 4, col. 149. ad Rom., vi, 7; vn, 13, t. xiv, col. 1076, 1141. M ais,
O n ne saurait dire non plus qu ’ il est devenu E sprit- bien qu ’ éternel, il se révèle par degrés aux hom m es :
Saint après avoir eu la science de D ieu, autrem ent, il præcipuus Spiritus Sancti adventus ad homines post as­
n ’ aurait pas toujours été le troisièm e term e consub ­ censionem Christi in cælos magis quam ante adventum
stantiel de la Trinité. Ibid. ejus declaratur. De princ., II, vn, 2, t. xi, coi. 216. II
Le Saint-E sprit est donc consubstantiel au Père et s ’ est révélé par ses œ uvres, par l ’ effusion de ses cha ­
au Fils. Il em brasse dans toute sa plénitude la science rism es, qui, très abondante durant la prédication du
de D ieu, et, par conséquent, il em brasse aussi toute la C hrist, s ’ est augm entée après l ’ ascension et s ’ évanouit
plénitude de l ’ être divin. O rigène insiste plusieurs presque à l ’ âge d ’ O rigène. Contra Celsum, 1, 46; V II, 8,
fois sur ce fait que le Fils et le Saint-E sprit seuls ont P. G., t. xi, col. 745, 1432. M ais cette interm ittence de
la science de D ieu, In Joa., torn, n, 23, P. G., t. xiv, son action dans le m onde n ’ enlève rien à la splendeur
col. 162; que cette science est identique dans le Fils et à la gloire de sa divinité. Il n ’ y a qu ’ un seul D ieu
et dans le Saint-Esprit, In Epist. ad Rom., ix, 13, qui m érite toute adoration, et ce D ieu est en trois
col. 2201,2202; que l ’ un et l ’ autre em fassent toute la personnes divines, Père, Fils et Saint-Esprit. In Epist.
volonté du Père. In Joa., torn, xm , 36, col. 462. C ette ad Rom., i, 16, t. xiv, col. 864.
com préhension parfaite de la divinité, cette posses ­ Ces textes nom breux sont le plus éloquent plai ­
sion absolue de la science et de la volonté de D ieu de doyer en faveur de l ’ orthodoxie de la doctrine d ’ O ri­
la part du Saint-E sprit, ne serait nullem ent possible, gène sur la divinité du Saint-Esprit. O n pourrait ob ­
si le Saint-Esprit lui-m êm e n ’ était pas D ieu. Le raison­ jecter qu ’ ils ont été tirés en grande partie du De
nem ent théologique d ’ O rigène conclut donc à la con ­ principiis, dont nous n ’ avons plus, m alheureusem ent,
substantialité divine du Saint-Esprit. le texte original grec ni la version latine littérale de
Le Saint-E sprit participe aussi aux autres attri ­ saint Jérôm e. La version de R ufin, que nous possé ­
buts divins. Il y a, dit O rigène, une bonté essentielle dons encore, fait naître à bon droit le soupçon d ’ infi ­
dont la sainte T rinité est la source unique. De princi­ délité. D ans la préface de cette version, R ufin déclare
piis, I, vi, 2, col. 166. O r, cett unique bonté substan ­ franchem ent avoir om is les passages contraires aux
tielle est inhérente au Saint-E sprit aussi bien qu ’ au idées exprim ées par O rigène en d ’ autres endroits;
Père et au Fils. D e m êm e, il y a une sainteté substan ­ d ’ avoir, en un m ot, rem anié le texte pour le rendre
tielle, essentielle, qui est propre à D ieu. C ette sain ­ plus conform e à la saine doctrine de l ’ Église. P. G.,
teté sans tache, nous la trouvons aussi dans le Saint- t. xi, coi. 112, 113. M ais il n ’ a pas faussé toute la pen ­
E sprit : Natura Spiritus Sancti quæ sancta est non sée d ’ O rigène dans les deux chapitres du De principiis,
recipit pollutionem : naturaliter enim, vel substantialiter I, 3; II, 7, t. xi, col. 145-157, 215-218, où il a traité
sancta est. Ibid., Ι,νιιι, 3, col.178. Le Saint-Esprit n ’est ex professo de la personne du Saint-Esprit. Il ne l’ a
pas un être sanctifié. Sà sainteté n ’ a pas une origine pas faussée non plus dans les autres écrits d ’ O ri ­
tem poraire ou extrinsèque. C ’ est une sainteté ad inlra, gène, qui nous ont fourni de nom breux passages, d ’ où
une sainteté éternelle, sans com m encem ent, tandis il résulte que le célèbre A lexandrin a toujours affirm é
que la sainteté des créatures est une sainteté qui dé ­ avec la plus grande énergie et netteté la consubstan ­
coule du Saint-Esprit, com m e de sa source. In Num., tialité divine du Saint-Esprit. E t en présence de ces
hom il. xi, 8, P. G., t. xn, col. 653. L a sim ple pré ­ textes qui tém oignent si ouvertem ent en faveur de
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l'orthodoxie d ’ O rigène, il serait injuste de prendre tout, em brasse tous les êtres, en tirant de lui-m êm e
prétexte de quelques expressions dures et incorrectes l ’ être qu ’ il com m unique à chacun. Inférieur au Père,
pour lui im puter la négation de la divinité du Saint- le Fils étend son action seulem ent aux substances ra ­
E sprit. « Sans doute, rem arque avec raison M o r Frcp- tionnelles, car il est le second après le Pc-re. M oin ire
pel, il est facile de bâtir tout un systèm e d ’ accusations encore, le Saint-E sprit n ’ étend son action que sur les
sur l ’ em ploi plus ou m oins discret d ’ un term e, dont la saints. A insi la puissance du Père est plus grande que
signification n ’ était pas bien arrêtée; m ais l ’ équité celle du Fils et du Saint-E sprit; celle du Fi ses*.
dem ande que l ’ on recherche avant tout l ’ idée exprim ée rieure à celle du Saint-E sprit, et celle du Saint-
par le m ot. » Origine, Paris, 1875, t. i, p. 261. E sprit, supérieure à celle des autres saints. ; De princ-,
L a théologie trinitaire d ’ O rigène reconnaît form el ­ I, in, 5, P. G., t. xn, col. 151. Le texte grec de ce pas ­
lem ent la consubstantialité divine du Saint-Esprit, sage dangereux nous a été conservé par Justinien.
com m e nous l ’ avons vu, et en m êm e tem ps afïlrm e Saint Jérôm e l ’ exploite pour attaquer violem m ent
d ’ une m anière si explicite sa personnalité distincte, O rigène, en l ’ accusant d ’ avoir supposé en D ieu trois
qu ’ il est im possible de biaiser à ce sujet. D uchesne, puissances inégales et élevé le Fils en dignité au-dessus
Histoire ancienne de l’Église, Paris, 1908, t. i, p. 354. du Saint-Esprit. La m eilleure réponse à cette accu ­
Le célèbre écrivain revient m aintes fois sur le Saint- sation nous a été donnée par O rigène lui-m êm e; il
E sprit com m e troisièm e term e de la Trinité, com m e s ’ explique clairem ent sur le sens qu ’ il convient de
hypostase divine distincte des hypostases du Père et donner à ce passage; il sem ble avoir prévu les objec ­
du Fils. Il associe son nom à celui du Père et du Fils. tions de ses adversaires et il les a résolues d ’ avance.
De prine., I, ni, 2, P. G., t. xi, col. 147. Il m arque bien V oici avec quelle abondance il développe et éclaircit
la distinction réelle entre les hypostases, tout en fai­ sa pensée : D e ce que nous avons dit que le Saint-
sant ressortir vivem ent leur divine consubstantialité. E sprit est accordé seulem ent aux justes, et que les
In Gen., n, 5, P. G., t. xn, col. 171 ; In Lev., v, 2, bienfaits et les opérations du Père et du Fils atteignent
col. 450; In Exod., v, 3, t. xm , col. 328; In Matth., les bons et les m échants, les justes et les injustes,
X li, 42, col. 1081. Τρία Κ ύριος ό θεός ημών εστιν* ο! qu’on ne pense point que par là nous mettions le Saint-
γάρ τρεις τό εν είσιν. « Le Seigneur notre D ieu est Esprit au-dessus du Père et du Fils, ou que nous lui
trois personnes : les trois personnes sont un seul assignions une plus grande dignité. C ette conséquence
D ieu. » Selecta in Ps., ps. cxxn, 2, P. G., t. xn, est absurde : car nous n ’ avons voulu parler que du
col. 1633. O rigène se plaît à m ultiplier ses actes caractère propre de la grâce et de l ’ opération du Saint-
d ’ adhésion à cette form ule. « Je crois, dit-il, au Père, E sprit. D ans la Trinité, rien n ’ est plus ou m oins grand,
au Fils et au Saint-Esprit, et cette foi est com ­ puisque la source de la divinité tient toutes choses
m une à tous les m em bres de l ’ Église de D ieu. » In dans son verbe et sa raison, et qu ’ il sanctifie par le
Lev., v, 3, P. G., t. xn, coi. 452; In Num., i, 3; souffle de sa bouche tout ce qui est digne de sanctifi­
xn, 1, col. 389, 659. O n ne saurait avoir la connais­ cation. Ibid., I, m , 7, col. 153. E t peu après, O rigène
sance de la sainte Trinité, si l ’ on n ’ y voyait le Saint- revient sur cette explication si précise et déclare ex ­
E sprit. Homil., iv, in ps. xxxvt, ibid., col. 1350. Les pressém ent qu ’ il n ’ y a pas de division dans la Trinité,
Juifs assoiffés allaient s ’ abreuver à l ’ unique source de que ce qui est appelé le don de l ’ E sprit est m anifesté
D ieu; m ais parce qu ’ ils n ’ avaient point soif du C hrist par le Fils et opéré par D ieu le Père. Ibid., 7. col. 154.
,et du Saint-E sprit, leur soif du Père ne put être étan ­ O rigène m arque donc bien la signification des term es
chée. In Jer., hom il. xvm , P. G., t. xm , col. 481. La qu ’ il em ploie et en fixe avec une grande clarté le sens
clarté de ces passages nous dispense de tout com m en ­ et la portée théologique. L ’ action appropriée au
taire. En ce qui concerne le dogm e de la consubstan ­ Saint-E sprit est m oins étendue que les actions appro ­
tialité divine et de la personnalité distincte du Saint- priées au Père et au Fils, m ais cette appropriation
E sprit, O rigène m érite l ’ éloge que lui décerne dom n ’ im plique pas une diversité de nature entre les trois
M aran : Ad dogmata quod allinet, a fidei regula in hypostases divines, parce que dans la T rinité rien n ’est
Ecclesia fixa et stabilita, vel lalum unguem recedere plus ou m oins grand. O rigène, du reste, parle le vrai
ipsi religio fuit. Op. cit., p. 129. langage de la théologie chrétienne, lorsqu ’ il indique
M ais si la doctrine d ’ O rigène sur le Saint-Esprit est des sphères d ’ activité plus ou m oins restreintes à ces
irréprochable, que deviennent les accusations d ’ héré ­ actions appropriées. « Envisagé com m e le principe de
sie portées contre lui par saint Épiphane et saint Jé ­ la justification ou com m e la vertu sanctifiante, le
rôm e? Ces deux.docteurs auraient-ils sciem m ent ca­ Saint-E sprit n ’ habite certainem ent que dans les âm es
lom nié le grand exégète d ’ A lexandrie et noirci sa des justes. D e m êm e, les créatures raisonnables sont
m ém oire? Il faut écarter de pareils soupçons. Il y a, les seules qui participent au Fils en tant que V erbe ou
personne ne le conteste, dans les écrits d ’ O rigène des raison étem elle. A u contraire, le Père, en vertu de cette
hardiesses de pensées et des incorrections de langage, fonction particulière de créateur ou de principe uni ­
qui sem blent, de prim e abord, justifier la réproba ­ versel des choses, étend son action à tous les êtres tant
tion de docteurs à l ’ hum eur âpre et agressive, tels irraisonnables que doués de raison. · Freppel, Origène,
qu ’ Épiphane et Jérôm e. O rigène cherchait à se frayer t. i, p. 286, 287. N ous pouvons donc conclure, avec
des voies nouvelles dans le cham p de la spéculation le P. de R égnon, que ce m agnifique passage proteste
théologique, à donner une nouvelle am pleur à la théo ­ contre les fausses interprétations de la doctrine d ’ O ri ­
logie trinitaire, et quelque grande que fût la recti ­ gène. Op. cit., t. m , n. 379-381.
tude de ses intentions, il n ’ était pas à m êm e de U n texte plus difficile à interpréter dans le sens
com bler toutes les lacunes d ’ une term inologie im pré ­ catholique est contenu dans le Commentaire de ΓÉvan­
cise et flottante, ou de fixer la doctrine du Saint- gile de saint Jean, xm , P. G., t. xiv, col. 411. O rigène
E sprit avec la rigueur des form ules sanctionnées dans sem ble y adm ettre que le Père est de beaucoup supé ­
les conciles des âges suivants. M ais ces hardiesses de rieur en dignité et en excellence au Saint-E sprit :
pensée et de langage, surtout si on ne les détache pas ύπερεσχομένου τοσούτου ή καϊ π>.έον ί"ό τού Ιίατρος ,
du contexte, loin de porter atteinte à l ’ enseignem ent οσω υπερέχει αύτος καί το άγιον Π νεύμα τύ . ι -
traditionnel de l ’ Église, révèlent chez leur auteur un των τυχόντων. Pour bien entendre ce passase. 2 faut
esprit vaste, qui ne recule pas devant les problèm es avoir présent à l ’ esprit qu ’ O rigène considère tonjeers
les plus ardus de la spéculation théologique. le Père com m e la source de la divinité, com m e > ra ­
O n reproche à O rigène d ’ avoir subordonné le Saint- cine d ’ où germ ent le Fils et le Saint-Esprit. E - --
E sprit au Père et au Fils. « Le Père, dit-il, contenant à cette relation divine de la paternité, qui suppose,
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dans ie Père, une priorité d ’ origine, O rigène conclut vin), ils constituent un seul D ieu : καί όσον μέν κατά
que ïe Fils et le Saint-Esprit dem eurent subordonnés δύναμιν, εις έστι Θεός . Q uant à leur économie (ce m ot,
au Père quant à l’origine, que le Père est plus grand qu ’ on pourrait traduire avec Tertullien par numerus
que le Fils et le Saint-E sprit, parce qu ’ il leur com m u ­ et dispositio Trinitatis, Adversus Praxeam, m , P. L.,
nique l ’ être divin. Freppel, op. cil., t. r, p. 273. Est-ce t. II, coi. 180, n ’ a pas ici le sens d’incarnation, que lui
que cette conclusion s ’ écarte de l ’ enseignem ent tradi ­ donne D upin), ce D ieu unique se révèle com m e trois :
tionnel de l ’ Église? N on, assurém ent. M êm e après le κατά την οικονομίαν, τριχής ή έπίδειξις . Ibid., νπι,
concile de N icée, les Pères qui ont traité du Saint- col. 815. Le concours harm onieux de l ’ économ ie
E sprit d ’ une m anière irréprochable au point de vue (oeconomia consensionis) consiste en ceci, qu ’ il y a un
de l ’ orthodoxie de la doctrine (il suffît de citer saint seul D ieu, une seule nature divine; et que, dans cette
B asile et saint G régoire de N ysse), enseignent que le unique nature divine, le Père com m ande, le Fils ac ­
Père est plus grand que le Fils et le Saint-Esprit, en ce com plit les ordres du Père, le Saint-E sprit illum ine,
qu ’ il en est Γάρχή, 1 ’ αΐτία. B ardy, Didyme l’Aveugle, instruit les fidèles. Ibid., xrv, col. 821. N ous ne pou ­
Paris, 1910, p. 1Ô4. O rigène se com m ente lui-m êm e vons pas concevoir D ieu sans croire en m êm e tem ps
dans cet autre passage : < Il convient de placer la bonté au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Ibid., xrv, col. 821.
principielle (αρχική) en D ieu le Père, de qui le Le Père est super omnia, le Fils per omnia, le Saint-
Fils est né et de qui l ’ E sprit-Saint procède. Sans nul E sprit in omnibus. Ibid., xix, col. 821 : Ad Eph., rv,
doute, l ’ un et l ’ autre reproduisent en eux la substance 6. Le Père est l ’ expression de la volonté divine, le
de la bonté contenue dans la source, d ’ où est né le Fils de la puissance créatrice, le Saint-E sprit de la
Fils et d ’ où dérive le Saint-Esprit. prine., I, n, 13, m anifestation de D ieu dans le m onde. Ibid. L ’ Église
P. G., t. xi, col. 144. du C hrist, qui reconnaît donc trois personnes en D ieu,
R ien donc n ’ est plus loin de la pensée d ’ O rigène rend gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Ibid.,
qu'une subordination essentielle du Saint-E sprit au xviii, col. 829.
Père et au Fils. Pour écarter celle-ci, il m ultiplie à 11 n ’ est point besoin d ’ insister sur la valeur dém ons ­
dessein ses affirm ations explicites de la consubstan ­ trative de ces textes. Chez H ippoiyte, le parallélism e
tialité divine des trois hypostases en D ieu. Il serait des trois personnes divines revient plusieurs fois et
puéril aussi de voir du subordinatianism e dans l ’ appel ­ avec la plus grande netteté. Les textes qui précèdent
lation de vicaire de Jésus-Christ, qu ’ O rigène donne m ettent en évidence qu ’ il affirm e la consubstantialité
au Saint-E sprit. In Luc., hom il. xxn, P. G., t. xm , du Saint-Esprit, participant à l ’ être et aux attributs
col. 1857. O rigène n ’ a pas été le seul à l ’ em ployer. divins. Le Saint-Esprit est aussi l ’ auteur de la régé ­
N ous la trouvons aussi chez Tertullien. De præscr., nération surnaturelle des âm es : ήμεϊς τυχόντες την διά
xxvin, P. L., t. n, col. 40. Prise dans son véritable τού άγιου Π νεύματος άναγέννησιν. De Christo el Anti-
sens, elle n ’ a rien de contraire à la foi catholique. chrislo, in, P. G., t. i, coi. 732. Il est la source de
A près la m ort de Jésus, le Saint-E sprit continue son l ’ inspiration prophétique. Il a été donné à l ’ Église et,
œ uvre auprès des apôtres. L 'appellation de vicarius par les apôtres, à ceux qui professent la véritable foi.
Christi, appliquée au Saint-E sprit, trouve ainsi sa jus ­ Philosophoumena, I, P. G., t. xvi, col. 3020. II est
tification dans les textes nom breux du N ouveau associé au C hrist dont il est la force. De Christo et An-
T estam ent, où il est dit que le Saint-Esprit parlera tichristo, rv, P. G., t. x, col. 732; Lum per, De vita ei
aux apôtres, les guidera dans toute la vérité, leur rap ­ scriptis S. Hippolyti, P. G., t. x, col. 362. 363.
pellera les enseignem ents de Jésus. Joa., xiv, 16, 26; U n serm on sur l ’ Épiphanie, λόγος εις τα αγία
xvi, 13. V oir Eléonsky, La doctrine d’Origène sur la di­ δεοφάνεια, inséré sous le nom d ’ H ippolyte dans la
vinité du Fils de Dieu et du Saint-Esprit el sur leurs P. G., renferm e un m agnifique passage où, à l ’ aide
relations avec le Père (en russe), Saint-Pétersbourg, des textes de l ’ É criture sainte, on décrit le rôle et
1879, p. 153-158; Laforge, Origine : controverses aux­ l ’ action du Saint-E sprit dans l ’ œ uvre de la création
quelles sa théologie a donné lieu, Sens, 1905, p. 80-83. et de la rédem ption. C om m e on a de bonnes raisons
La conclusion qu ’ on peut tirer de l ’ exam en de la pour contester l ’ authenticité de cette pièce, nous
théologie trinitaire d ’ O rigène est qu ’ il faut considérer nous abstenons d ’ en tirer parti, d ’ autant plus que
celui-ci com m e un tém oin rem arquable de la divi ­ l ’ orthodoxie de la doctrine d ’ H ippolyte sur le Saint-
nité et de la personnalité du Saint-E sprit, bien avant E sprit ressort clairem ent des textes cités plus haut.
que les conciles œ cum éniques eussent form ulé avec V oir d ’ A lès, La théologie de saint Hippolyte, Paris,
précision l ’ enseignem ent traditionnel de l ’ Église sur 1906, p. 30, 31.
la sainte Trinité. Il y a cependant un passage qui, par l ’ étrangeté de
Saint H ippolyte est rangé par H arnack au nom bre ses expressions, est de nature à éveiller des soupçons
des anciens Pères qui n ’ ont pas reconnu la person ­ sur la croyance de saint H ippolyte à la personnalité du
nalité divine du Saint-Esprit. Dogmengeschichte, t. i, Saint-Esprit. V oici, en effet, ce que nous lisons dans
p. 537. C ette accusation nous sem ble injuste. B ien que son traité contre N oët : « Je ne dis pas qu ’ il y a deux
la personne du Saint-E sprit reste très effacée dans dieux, m ais un seul, et deux personnes, et une seule
l ’ œ uvre d ’ H ippolyte, nous y trouvons cependant les économ ie, la grâce du Saint-Esprit. U n seul Père, deux
élém ents nécessaires pour en déduire qu ’ il croit au personnes, puisqu ’ il y a le Fils et une troisièm e chose,
Saint-Esprit et qu ’ il l ’ associe au Père et au Logos. le Saint-E sprit, » xrv, P. G., t. x, col. 821. La m anière
V oir D upin, loc. cil., p. 359. « N ous croyons au Père, dont H ippolyte s ’ exprim e dut choquer m êm e scs con ­
dit-il dans son traité contre N oët; nous glorifions le tem porains, car il nous raconte que le pape C allixte
Fils; nous recevons en nous le Saint-Esprit. » Contra (217-222) l ’ accusait de dithéism e. Philosophoumena,
hœresim Noeti, ix, P. G., t. x, col. 317. Le Saint-Esprit,' IX , P. G., t. xvi, col. 3383. Le P. de R égnon a essayé
aussi bien que le V erbe, participe à cette puissance de donner à ce texte com prom ettant une interpréta ­
(être divin) qui est tout entière dans le Père : Δύνα- tion conform e à la doctrine catholique. D u tem ps de
μις γαρ μία ή έζ τού παντός - το δε παν Π ατήρ, έξ ου saint H ippolyte, le m ot πρόσωπον signifiait un person ­
δύναμις λόγος . Ibid., xi, col. 817. N ous som m es obligés nage de théâtre, ou une personne hum aine, tandis que
de croire en D ieu, le Père tout-puissant, en Jésus- le m ot πνεύμα indiquait une chose plutôt qu ’ un in­
C hrist, le Fils de D ieu... et au Saint-Esprit, c ’ est-à- dividu hum ain. Le passage en question doit donc
dire aux trois term es de la sainte Trinité : και τούτους s ’ entendre com m e s ’ il avait dit dans notre langage ac­
«ϊναι ούτως τρία. Ibid., vm , col. 815. Ils sont trois tuel : « D es trois personnes divines, deux nous sont
term es, m ais si on considère leur puissance (être di ­ représentées par la révélation com m e des personnes
713 E S P R IT -S A IN T 714

hum aines, et la troisièm e com m e une chose. » Op. cil., être ram enée à l ’ unité. Ibid., Π faut croire en D ieu,
t. ni, p. 164, 165. C ette explication, fort ingénieuse le Père tout-puissant, et en Jésus-Chris:, son fi <. et
sans doute, nous paraît trop forcée pour être acceptée. au Saint-Esprit. Ibid., col. 111. Le S. .
A notre avis, H ippolyte est incorrect dans ses expres ­ donc, dans la théologie de D enys de R om e. le n-.érm
sions; m ais l ’ im précision de ses concepts n ’ im plique rang que le Père et le Fils. Il participe à la m onarchie
pas la négation d ’ une vérité de foi qu ’ il a clairem ent divine, sans cesser pour cela d ’ être le troisièm e :enne
form ulée dans ses écrits. Les controverses trinitaires de la Trinité. Tixeront, op. cil., p. 410.
du i i ° et du m ° siècle touchaient surtout aux rela ­ 4. Pères et écrivains latins. — d) Tertullien est < ie
tions m utuelles du Père et du Fils. H ippolyte concen ­ grand artisan qui, le prem ier, a donné son · et
trait donc son attention sur ce point et ne faisait son cachet propres à la théologie latine. > T ix-r -t,
qu ’ effleurer les questions relatives au Saint-Esprit. La op. cil., p. 329. Il est le créateur de la ter:: : ....
théologie trinitaire n ’ étant pas précisée à l ’ époque line pour l ’ exposition scientifique du dogm e de la
où il vivait, il a pu em ployer des term es obscurs, T rinité, ou, du m oins, un de ceux qui ont le plus con ­
dont on a abusé pour lui reprocher de n ’ avoir pas évité tribué à la fixer. Freppel, Tertullien, Paris, 1871, L n,
l ’ écueil du subordinatianism e. Tixeront, op. cil., p. 300. La doctrine de Tertullien sur la consubstantia ­
p. 325; M aran, op. cil., I. IV .c.xin, p. 456-458; K uhn, lité et la personnalité divine du Saint-Esprit a été
op. cil., p. 261-262; D upin, loc. cil., p. 359. développée dans son traité contre P.-axéas, un héré ­
Saint G régoire le T haum aturge est l ’ auteur d ’ une tique qui réduisait les trois personnes divines à la
exposition de la foi, ’ΈζΟεσις πιστεως , dont l ’ au ­ triple m anifestation d ’ une seule et unique personne.
thenticité n ’ est aujourd ’ hui C ontestée par personne. T oute la théologie trinitaire de Tertullien appuie
H arnack. Dogmengeschichte, t. i, p. 751 ; R yssel, Gre­ avec force sur deux concepts, le concept de la monar­
gorius Thaumaturgus, sein Leben und seine Schriften, chie, qui établit en D ieu l ’ unité indivisible de la nature,
Leipzig, 1880, p. 31-33. N ous y trouvons for ­ et le concept de l’économie, qui organise, pour ainsi
m ulée avec netteté la doctrine de la consubstan ­ dire, en D ieu des degrés distincts, qui distribue l ’ être
tialité et de la personnalité divine du Saint- divin à des personnes distinctes, qui, d ’ après la défini ­
Esprit. Le Saint-E sprit y est présenté com m e rece ­ tion de Tertullien lui-m êm e, unitatem in trinitate dispo­
vant de D ieu son être divin. II s ’ est révélé au nit, Adversus Praxeam, π, P. L., t. n, coi. 180, pose en
m onde par le Fils; il est l ’ im age parfaite du Fils par ­ D ieu le nom bre et la disposition. Ibid., ni, col. 180.
fait; il est la vie et la cause des êtres vivants; une Sur la valeur et la signification du term e économie
source sainte, la sainteté m êm e, le dispensateur de la chez Tertullien, voir Thom assin, op. cit., c. xxxvn,
sanctification. C ’ est en lui que D ieu le Père se m ani ­ 9, t. v, p. 158; K uhn, op. cit., t. n, p. 179,180: Ρορον,
feste. La Trinité divine est parfaite. Il n ’ y a rien de Tertullien, sa théorie de la science chrétienne et tes
créé ni de subordonné en elle, ni de surajouté, com m e principes fondamentaux de sa théologie, K iev, 1880,
si, n ’ existant pas d ’ abord, il lui était survenu dans la p. 158.
suite. Le Fils n ’ a jam ais m anqué au Père, ni l ’ E sprit Le Saint-E sprit fait partie de la m onarchie divine.
au Fils. La sainte T rinité est toujours im m uable et Tertullien le répète sans se lasser, toutes les fois qu ’ il
inaltérable. H ahn, Bibliothek der Symbole und Glau- est question, dans ses écrits, du dogm e de la '1 rinité.
bensregeln der allen Kirche, B reslau, 1897, p. 253-254. Il donne à l ’ E sprit-Saint le nom de D ieu : Ubi Dais,
Ce texte est assez clair pour n ’ avoir pa. besoin de ibidem et alumna eius, patientia scilicet; cum ergo Spi­
com m entaire. B ull, op. cil., I. Il, c. xn, p. 151-157. ritus Dei descendit, individua patientia comitatur eum.
Saint B asile reproche à saint D enys d ’ A lexandrie De patientia, xv, P. L., t. i, coi. 1384. D ieu donc et
d ’ avoir enseigné sur le Saint-Esprit une doctrine blâ ­ l ’ E sprit de D ieu sont identiques. « Il y a deux dieux...;
m able et défectueuse; περί τοϋ Π νεύματος άφήκε φωνάς jam ais une telle parole ne sortira de notre bouche :
ήκιστα πρέπουσας τώ Π νεύματι, Epist., I. I, epist. IX, non pas que le Père ne soit D ieu, que le Fils ne soit
Ρ. G., t. xxxn, col. 269, c ’ est-à-dire d ’ avoir affirm é D ieu, que le Saint-E sprit ne soit D ieu, que chacun
que le Saint-E sprit n ’ est qu ’ une créature. Il l ’ excuse d ’ eux ne soit D ieu; m ais en distinguant les per ­
cependant. Le saint évêque d'A lexandrie com bat­ sonnes, nous ne divisons pas une substance identique
tait les sabellicns qui infestaient son diocèse, et sa dans les trois. » Adversus Praxeam, xm , col. 193. La
droiture d ’ intention n ’ est pas en jeu. Liber de Spiritu doctrine qui reconnaît en D ieu trois personnes dis ­
Sancto, xxix, 72, P. G., t. xxxn, col. 201. Saint tinctes rem onte aux origines m êm es de la tradition
A thanase a défendu l ’ orthodoxie de son m aître, que chrétienne, aux sources de l ’ Évangile : elle est plus
les ariens se plaisaient à présenter com m e un pré ­ ancienne que les plus anciens hérétiques. Ibid., n,
curseur de leur hérésie. De sententia Dionysii, I, col. 180. Π y a en D ieu unité de substance, m ais le
P. G., t. xxv, col. 480. Saint B asile lui-m êm e ne paraît dogm e de l ’ économie considère com m e troisièm e term e
pas très convaincu du faux enseignem ent de D enys, en D ieu le Saint-Esprit. Ibid., n, col. 180. Tertullien
car il le cite trois fois com m e tém oin de la divinité du m arque bien la nature de cette distinction, qui n ’ im ­
Saint-Esprit. E n effet, D enys d ’ A lexandrie condam ne plique pas une diversité ou une division de la sub ­
ceux qui divisent en D ieu les trois personnesdivines : il stance divine : « Les term es de la T rinité sont trois,non
associe le Saint-E sprit à la gloire et à la puissance pas en nature, m ais en ordre; non pas en substance,
du Père et du Fils. Le Saint-E sprit n ’ est donc pas une m ais en form e; non pas en puissance, m ais en pro ­
créature, m ais une personne divine. P. G., t. xxxn, priété. Tous trois ont une seule substance, une seule
col. 201. Cf. M aran, op. cit., 1. IV, c. xxm , 1, 2, p. 544, nature, une seule puissance, parce qu'il n'y a qu ’ un
345; B ull, op. cit., 1. Il, c. x i,l, p. 141,142; Tixeront, seul D ieu à qui l ’ on doit rapporter ces degrés, ces
op. cil., p. 143. form es et ces propriétés sous les nom s de Père, de
Saint D enys rom ain était G rec d ’ origine et écrivait Fils et de Saint-Ésprit. » Ibid., n, col. 180. L a ter ­
en grec. N ous avons de lui un fragm ent d ’ une lettre où m inologie de Tertullien frappe ici par sa nouveauté et
il réfutait tes sabelliens. A propos du Saint-Esprit, nous sa précision. Le latin étranger à la pensée chrétien: e
y trouvons correctem ent exprim ée la doctrine tradi ­ est plié aux idées les plus élevées du dogm e
tionnelle de l ’ Église. Le saint y déclare que l ’ É criture taire. Tertullien appelle le Saint-Esprit e:.-.r ■■.·· . ‘ -rszn-
révèle la T rinité, m ais que cette Trinité ne doit pas tiæ Patris, ibid., ni, col. 181; il proteste ç. Π r:
s ’ entendre com m e s ’ il y avait trois dieux différents. s ’ est jam ais avisé de le séparer du Père et : F ix .
P. L., t. rv, col. 112. Il ne faut pas diviser en trois col. 187; il déclare que le nom de D ieu iui
dieux l ’ adm irable ét divine m onade. La T rinité doit au m êm e titre qu ’ au Père et au Fils. xm . coi. 193. Le
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Père et le Fils font deux ; ils font m êm e trois avec qu ’ il a légué à la postérité une quantité de m ots, dont
le Saint-Esprit, eu égard à l’économie qui introduit le se sont servis les théologiens des âges suivants pour
nom bre, xm , col. 193. Le Saint-E sprit, en tant développer la théologie trinitaire. T unnel, Tertullien,
qu ’ il participe à la nature divine, prend part avec le Paris, 1905, p. xxv. Toutefois, il a si souvent et si
Père et le Fils à l ’ œ uvre de la création, qui appartient clairem ent affirm é la divinité et la personnalité du
à l ’ unité de la Trinité, xn, coi. 191. Toute la vérité Saint-Esprit, que des faiblesses de détail ou des ex ­
réside dans le Père, dans le Fils et dans le Saint- pressions très dures ne sauraient servir de prétexte à
E sprit, selon l ’ économ ie de la foi chrétienne. « Croire l ’ accuser de subordinatianism e. A . d ’ A lès, op. cil.,
en un seul D ieu sans adm ettre dans l ’ unité divine р . 103; Freppel, op. cil., t. n, p. 312; C hternov, Ter­
le Fils et, après lui, le Saint-Esprit, c ’ est n ’ avoir tullien, prêtre de Carthage : essai sur son œuvre scien­
que la foi des Juifs... Q uelles seraient l ’ œ uvre tifique et littéraire, K oursk, 1889, p. 258-276.
de l ’ Évangile et la substance du N ouveau T esta ­ b) Saint C yprien a été plus hom m e d ’ action que
m ent, si depuis lors il n'y avait pas d ’ obligation théologien. A ce dernier titre, il a concentré toute son
de croire que D ieu est un en trois personnes, le attention sur la doctrine de l ’ Église et l ’ invalidité du
Père, le Fils et le Saint-Esprit? » xxx, col. 220. baptêm e conféré par les hérétiques. Ses données trini-
N ous pourrions m ultiplier les textes de Γ Adversus taires, très rares d ’ ailleurs, n ’ apportent rien de nou ­
Praxeam, où la divinité du Saint-E sprit, la sainteté es­ veau à la théologie du Saint-E sprit. Il se borne à des
sentielle, Liber de monogamia, in, t. n, col. 983; la vis allusions au rôle du Saint-E sprit dans la régénération
vicaria Christi, De presser., xm , t. n, col. 31, est af ­ des âm es par le baptêm e. Le Saint-Esprit est insépa ­
firm ée de la m anière la plus explicite. M ais ceux qu ’ on rable de la vraie Église. L ’ Église est une, de m êm e que
vient de lire dém ontrent jusqu ’ à l ’ évidence l ’ ortho-, le Saint-Esprit est un; par conséquent, le baptêm e,
doxie de la doctrine de Tertullien. dont la validité se rattache à l ’ im ité de l ’ Église et du
C et écrivain ne se borne pas à reconnaître form elle ­ Saint-E sprit, n ’ est pas valide si les hérétiques le con ­
m ent la nature divine du Saint-Esprit. Il affirm e aussi féraient, parce qu ’ on ne peut pas le séparer de l ’ Église
contre le m odalisine de Praxéas sa personnalité dis ­ et du Saint-E sprit. Epist. ad Pompeium, n. 4, P. L.,
tincte. Pour désigner celle-ci, il em prunte au droit t. m , col. 1177. Par le baptêm e, le Saint-E sprit des ­
rom ain le term e juridique de personne; il fait usage cend sur tous les fidèles, Epist. ad Jubaianum, ix,
d ’ autres m ots, tels que modulus, species, forma, gradus. P. L., t. m , col. 1160, et par le baptêm e ceux-ci sont
Ce dernier m ol, d ’ après B ull, indique l ’ ordre des à m êm e de le recevoir. Epist., l x ii i , n. 8, P. L., t. iv,
relations, quo Pater a se existai, Filius a Patre imme­ col. 391. Ces textes, nous l ’ avons rem arqué plus haut,
diate prodeat, Sanctus vero Spiritus a Patre per Filium n ’ ajoutent rien à la théologie trinitaire du in° siècle;
procedat. Op. cil., 1. II, c. vn, n. 6, p. 96. Le Saint- ils insinuent cependant que saint C yprien reconnaît
E sprit est la personne qui occupe en D ieu le troisièm e la personnalité divine du Saint-E sprit. M aran, 1. IV,
rang (personnel). Adversus Praxeam, ni, t. n, col. 181. с . xvin, n. 4, p. 513.
Il est le troisièm e après D ieu et le Fils, com m e le troi ­ c) L a doctrine de Lactance sur la T rinité n ’ est pas
sièm e par rapport à la source est le ruisseau qui sert sûre. Rhetor erat ille, non theologus, dit de lui B ull, et
du fleuve et le troisièm e par rapport au soleil est la son jugem ent n ’ est pas erroné. Lactance songe trop à
lum ière qu ’ envoie le rayon. Ibid., vin, col. 187. la tournure classique de ses phrases, m ais il ne pos ­
L ’ E sprit-Saint est le troisièm e degré en D ieu, ix, sède pas une connaissance approfondie des m ys ­
col. 188; le troisièm e nom de la divinité, le troisièm e tères chrétiens. Saint Jérôm e le prend vivem ent à
degré de la m ajesté divine, xxx, col. 219, 220. Il y partie. A l'entendre, il aurait surtout m ontré son igno ­
a un Saint-E sprit qui parle, un Père auquel il parle, rance de la théologie dans son exposé de la doctrine
un Fils duquel il parle. Le Saint-E sprit se distingue du Saint-Esprit. A u m épris de la tradition, il aurait
donc réellem ent de la personne à laquelle il parle et de nié la consubstantialité divine du Saint-E sprit; il
la personne dont il parle. D e m êm e, le Saint-E sprit aurait identifié le Saint-E sprit avec le Père et le Fils
qui est envoyé se distingue de celui qui l ’ envoie. et attribué à ces deux personnes divines l ’ œ uvre de
C haque personne a une propriété relative qui la con ­ la sanctification. Le Saint-E sprit n ’ aurait eu qu ’ une
stitue dans son individualité personnelle, xi, col. 191. subsistance nom inale. Epist., l x x x i ii , ad Pamma-
Il est donc juste de dire, avec Tixeront, que l'en ­ chium, n. 7, P. L., t. x x i i , col. 748. En d ’ autres
seignem ent de Tertullien sur le Saint-E sprit est de term es, d ’ après saint Jérôm e, Lactance aurait en ­
tout point rem arquable. Op. cit., p. 338. Petau cepen ­ seigné le m odalism e trinitaire. In Epist. ad Gai.,
dant penche à croire que Tertullien s ’ est trom pé sur 1. II, civ, P. L., t. xxvi, col. 399. La pièce in ­
la Trinité, 1. I, c. xiv, n. 3-6, p. 370-372. H arnack crim inée par saint Jérôm e com m e renferm ant cette
découvre chez lui les vestiges du subordinatianism e le fausse doctrine serait la lettre de Lactance à D ém é-
plus m arqué. Dogmengeschichte, t. i, p. 532. O n pour ­ trien. C ette pièce, m alheureusem ent, nous ne la pos ­
rait, en efiet, trouver une saveur subordinatienne sédons plus, ce qui nous em pêche de contrôler la jus ­
dans quelques expressions im propres ou très dures tesse des accusations portées contre Lactance. Celui-ci
de Tertullien. A . d ’ A lès, La théologie de Tertullien, parle à plusieurs reprises du Saint-E sprit dans les
Paris, 1905, p. 101. Tertullien appelle le Saint- Divinæ institutiones. C ’ est l ’ E sprit-Saint qui m anifeste
E sprit et le V erbe portiones Dei, moduli. Ibid., χχνι, aux hom m es les secrets desseins du Père sur le Fils,
t. ii, col. 213. Ces term es ne diffèrent point, quant à iv, 14; P. L., t. vi, col. 489, et qui parle aux pro ­
la signification, des m ots persona, xi, col. 190; xn, phètes. Ibid., xvm , col. 509. Il a été l ’ auteur de la con ­
col. 191; xvin, col. 200; xxi, col. 204; species, vin, ception virginale du C hrist, 12, col.478;il est descendu
col. 186; xm , col. 194; gradus, π, col. 180. ils ne sup ­ sur le C hrist en form e de colom be, 15, col. 491.
prim ent pas en D ieu la distinctio personalis, xv, Ces passages, à vrai dire, ne contiennent pas l ’ affir-
col. 196. Vox moduli el portionis, observe Thom assin, m ation de la divinité du Saint-E sprit, m ais ils laissent
potest offendicula esse, sed ea vel condonanda est homini voir que Lactance établit une distinction personnelle
tam multa alia constaniissime edenti consubstantia­ entre le Père et les deux autres term es de la Trinité
litatis argumenta, vel ad hoc trahenda ut non sonent nisi et qu ’ il considère le Saint-E sprit com m e le héraut de
derivationem a Patre, c. xxxvn, n. 4, p. 554; xxxviii, D ieu auprès des hom m es. Il peut se faire donc que
9, p. 557, 558; Scheeben, La dogmatique, η. 839, t. π, saint Jérôm e ait exagéré, ce dont il est coutum ier, la
p. 568. M ais nous ne devons pas oublier que Tcrtul- portée de quelques expressions obscures de Lactance
jien a forgé la term inologie latine de la sainte Trinité, sur le Saint-E sprit. C ’ est le sentim ent de M aran :
ΊΠ E S P R IT -SA IN T 718

Videtur sanctus Hieronymus ob studium fidei, quo totus gique qui bégayait avec Irénée, O rigène et Tertuiiie-..
flagrabat, nimis severum se Lactantio animadversorem Ils ont traduit en form ules précises les données d: la
priebuisse. Op. cit., 1. IV, c. xxn, p. 543. tradition sur le Saint-Esprit, en en retranchant e;
U n rapide coup d ’ œ il sur la théologie trinitaire anté ­ term es am bigus et flottants. Ils ont apporté aux pro ­
nicéenne atteste donc que la tradition chrétienne blèm es les plus ardus de la théologie du Sam t-Es; “ ·.
touchant la divinité et la personnalité du Saint- des solutions qui ont perm is à l ’ Église de
E sprit était déjà fixée dans la littérature patristique fendre le dogm e trinitaire.
des ii°et in°siècles, qu ’ elle s ’ est m aintenue intègre au 1. Saint A thanase ouvre la série des théologiens
m ilieu des controverses trinitaires qui aboutissaient Saint-Esprit au rv c siècle. Sa doctrine sur le Saint-
à l'arianism e ou au m acédonianism e. L ’ indigence du E sprit est développée avec am pleur dans les lettres
langage théologique, les tâtonnem ents de la pensée m ,iv,àSérapion,évêquede Thm uis.Sérapion lui av.-.it
chrétienne qui travaillait à élargir ses horizons, à écrit précédem m ent en lui donnant des détails - r
puiser quelquefois dans la spéculation les annes pour l ’ apparition d ’ une nouvelle secte issue de l ’ arianism e,
abattre ses adversaires, ne réussirent ni à l ’ effacer ni secte qui rabaissait le Saint-E sprit au niveau des
à l ’ altérer. Les Pères et écrivains anténicéens ont pu créatures. Epist., i, ad Serapionem, 1, P. G., t. xzxvi,
faillir dans l ’ exposé de leurs théories trinitaires; col. 532. La doctrine de saint A thanase sur l ’ Esprit-
m ais leur langage a toujours été ferm e et constant, Saint est résum ée dans le Liber de Trinitate et Spiritu
toutes les fois qu ’ il s ’ est agi d ’ affirm er la consubstan ­ Sancto, dont on ne possède qu ’ une version latine.
tialité des trois personnes divines, de revendiquer poul ­ M ais nous ne tiendrons pas com pte de ce petit ouvrage,
ie Saint-E sprit la possession pleine et absolue de l ’ être qui est classé parm i les écrits douteux du saint doc ­
divin, le droit aux m êm es honneurs et à la m êm e ado­ teur.
ration que le Père et le Fils. Pour confirm er la divinité du V erbe, définie par le
3° Les Pères grecs du ive siècle. — A u iv° siècle, concile de N icée, saint A thanase dém ontre aussi la
la théologie trinitaire, suivant les lignes m arquées par vérité de la croyance chrétienne sur la divinité du
la tradition, atteint son com plet et parfait dévelop ­ Saint-Esprit. Π la dém ontre contre les attaques d ’ une
pem ent. L a doctrine du Saint-Esprit, de m êm e que secte nouvelle, qu ’ il désigne sous le nom de secte des
celle du V erbe, se condense en des form ules qui la pré ­ tropiques, τροπικοί, Epist., i, ad Serapionem, 17,
cisent et lui perm ettent de repousser viotorieusem ent col. 572. L ’ hérésie des tropiques n ’ est autre, dit saint
toutes les attaques. C ’ est le siècle, com m e on l ’ a dit, A thanase, que le fruit d'une ignorance grossière. Ces
des grandes hérésies, m ais en m êm e tem ps le siècle hérétiques altéraient le véritable sens de l ’ É criture
des grands docteurs. O n connaît les belles paroles de sainte et regardaient com m e des τρόπο: ou m éta ­
saint A ugustin sur le développem ent du dogm e: Multa phores les passages scripturaires ou le Saint-Esprit
quippe ad fidem catholicam perlinentia dum haereti­ est m entionné. Ibid., 21, col. 580. V oir O '....· · ...
corum callida inquietudine exagitantur, ut adversus eos Saint Athanase, 1908, p. 23. Ils répandaient sur le
defendi possint, et considerantur diligentius, el intelli- Saint-E sprit des théories absurdes, qui étaient ce ­
guntur clarius, et instantius priedicanlur. De civitate pendant en parfait rapport avec l ’ im piété arienne.
Dei, 1. X V I, c. n, 1, P. L., t. x l i , coi. 477. Ces paroles Ibid., 32, col. 605. O n a identifié ces sectaires avec
s ’ appliquent très bien au développem ent de la doc ­ les sem i-ariens; m ais ce n ’ est là qu ’ une sim ple pré ­
trine du Saint-Esprit. Les hérésies lui donnèrent l ’ es­ som ption. R ien ne s ’ oppose à ce qu ’ on considère les
sor et poussèrent la pensée chrétienne à le poursuivre tropiques com m e une secte à part. C yrille (Lopatine),
avec succès. L ’ arianism e s ’ attaquait surtout à la divi ­ Lu doctrine de saint Athanase le Grand sur la sainte
nité du V erbe, m ais, par un enchaînem ent logique, Trinité (en russe), K azan, 1894, p. 197.
il aboutissait aussi à la négation de la consubstantia ­ Pour com battre la nouvelle hérésie, saint A thanase
lité divine du Saint-E sprit. U n fragm ent de la Thalie, puise ses argum ents à deux sources différentes : à
conservé par saint A thanase, nous apprend que, l ’ É criture sainte expliquée au sens catholique et à la
d ’ après l ’ hérésiarque alexandrin, la personne du tradition des apôtres, telle qu ’ elle est transm ise par
Saint-Esprit ne possédait pas la m êm e nature que le l ’ enseignem ent des Pères. Ces sources ne répandent pas
Père. De synodis Arimini el Seleuciæ, xv, P. G., leurs eaux hors de l ’ enceinte de l ’ Église. Ibid., 33,
t. xxvi, col. 708. A rius, qui donnait au V erbe une na ­ col. 605. A plusieurs reprises, le saint docteur proteste
ture créée, m ettait aussi le Saint-Esprit au nom bre des qu ’ il s ’ en tiendra à ces deux sources, qu ’ il est tém é ­
créatures. V oir T ixeront, Histoire des dogmes, Paris, raire de sonder les m ystères de la vie intim e de D ieu,
1909, t. n, p. 28. L ’ hérésie m acédonienne, et en géné ­ que la science de la T rinité ne repose pas sur des syllo ­
ral les hérésies πνευματομαχοΟντες , pour adopter l ’ ex ­ gism es hum ains, m ais sur l ’ autorité de la foi d ’ une in­
pression de saint A thanase, dérivent en droite ligne telligence pieuse et circonspecte. Ibid., 20. col. 577.
de l ’ arianism e. L a philosophie n ’ est pas appelée par lui à projeter sa
E n présence de la double négation de la divinité lum ière sur le dogm e.
du V erbe et du Saint-E sprit, les Pères du iv° siècle, Les prem ières preuves de la divinité du Saint-
sans m éconnaître l ’ incom préhensibilité du dogm e de E sprit, dans la prem ière lettre à Sérapion, sont des
la T rinité, jugèrent néanm oins qu ’ il fallait dem ander, preuves scripturaires. A thanase y réunit un grand
soit à l ’ É criture sainte, soit à la raison éclairée par la nom bre de textes de l ’ A ncien et du N ouveau Tes ­
foi, les arm es nécessaires à la défense de la tradition tam ent, 5, 7, 8, col. 541-548, 548-552. Il donne une
dogm atique. Ils recueillirent donc et soum irent à une règle facile pour discerner dans l ’ É criture sainte les
étude approfondie les textes scripturaires qui se rap ­ passages qui se rapportent au Saint-E sprit. < Si
portent au Saint-E sprit; ils donnèrent à leur term i ­ quelque part on trouve l ’ E sprit-Saint appelé sim ple ­
nologie une form e plus nette et plus arrêtée: ils discu ­ m ent esprit, sans additions com m e de Dieu, G en.,
tèrent en théologiens sur la nature du Saint-E sprit. Ils. i, 2; Jud., xv, 14; M atth., xn, 28; du Père, M atth..
livrèrent ainsi à la postérité tous les m atériaux pour x, 20; de moi, Gen., vi, 3; du Christ, R om ., vni.
asseoir sur des bases solides la théologie du Saint- 9; du Fils, G ai., iv, 6, ou m êm e sans article, il ~
E sprit. pas question de l ’ E sprit-Saint. · Epi·!·. t. ad S-.-o-
Les Pères du rv° siècle continuent assurém ent la tra ­ pionem, 4, col. 53, 536. M ais le langage le .a ;
dition prim itive de l ’ Église touchant la divinité et la É criture n ’ est pas toujours clair et Je sens d_ — >t
personnalité du Saint-Esprit. M ais il y a, chez eux, un esprit est m ultiple : les hérétiques peuvent d ?r. - faci ­
élém ent nouveau, l ’ élém ent de la spéculation théolo ­ lem ent abuser de ces textes pour supprim er en
719 E S P R IT -SA IN T 720

D ieu la troisièm e personne. D ans ce verset d ’ A m os : pas être étranger à la nature divine, il ne doit pas être
Me voici affermissant le tonnerre, et créant l’esprit, et m is au nom bre des créatures. Ibid., 17, col. 569.
annonçant aux hommes son Christ, iv, 13, les tropiques L ’ union la plus parfaite et l ’ unité absolue existent dans
voyaient une preuve de la nature créée du Saint- la sainte Trinité. U n grand nom bre de textes, réunis,
E sprit. Ce texte, déclare saint A thanase, ne doit Epist., i, ad Serapionem, 19, m ontrent que les actes
pas s ’ entendre du Saint-Esprit. II se rapporte à appropriés à une personne divine s ’ approprient aussi
l ’ esprit de l ’ hom m e renouvelé, purifié par les grâces aux autres personnes. Le Père accom plit les oeuvres
de ia rédem ption. Epist., i, ad Serapionem, 9, col. 552. appropriées au Fils, et le Fils les œ uvres appropriées
U n texte de saint Paul : Je te conjure devant Dieu, au Saint-Esprit. Le Saint-E sprit participe donc à la
devant le Christ Jésus et devant les anges élus, I Tim ., nature divine du Père et du Fils, puisqu ’ on ne sau ­
v, 21, fournissait aux tropiques un prétexte pour rait approprier aux créatures les actes qui dérivent
m ettre le Saint-E sprit au nom bre des anges. Les d ’ une puissance divine. Ibid., 20, col. 576-580. L ’ E sprit
anges, eji effet, y sont nom m és après le C hrist. est l ’ im age du Fils. O r, les tropiques confessent que
« Si cette interprétation est exacte, dit ironique ­ le Fils n ’ est pas une créature. D onc le Saint-E sprit
m ent saint A thanase, nous pourrions aussi déclarer n ’ est pas une créature. Ibid., col. 577. Celui qui pos ­
que le Fils est.un hom m e. N e lisons-nous pas, en effet, sède le Saint-E sprit possède le Fils, et, le possédant,
dans l'É vangile de saint Luc, qu ’ il y avait dans une il est le tem ple de D ieu : or, le Fils n ’ est pas une créa ­
ville un juge qui ne craignait point D ieu et ne se ture par cela m êm e qu ’ il est dans la form e du Père.
souciait pas de l ’ hom m e? xvin, 2. L ’homme y est Episl., in, ad Serapionem, 3, col. 629. D onc le Saint-
nom m é après D ieu, donc, il est le Fils, suivant l ’ exé ­ E sprit n ’ est pas une créature, car le Fils est en lui, et
gèse des tropiques. » Ibid., 14, col. 565. lui-m êm e est dans le Fils.
M ais saint A thanase ne s ’ en tient pas au seul tém oi ­ U ne autre série d'argum ents se rapporte à la na ­
gnage de la révélation. Les textes de l ’ É criture sainte ture angélique; le saint docteur y a recours pour dé ­
ouvrent un vaste cham p à ses spéculations théolo­ m ontrer contre les tropiques que le Saint-Esprit ne
giques. L a divinité du Saint-E sprit, il la dém ontre doit pas être m is au nom bre des anges. L ’ argum en ­
par une triple série d ’ argum ents qui se rapportent à tation de saint A thanase, toute nourrie de textes
la nature divine, à la nature angélique et à l ’ action que scripturaires, est très vigoureuse. Il dem ande à ses
le Saint-Esprit exerce sur les âm es chrétiennes. M ais, adversaires ^ ’ ils sont à m êm e de produire des pas ­
il ne peut pas l ’ oublier, c ’ est toujours à la révélation sages de l ’ É criture sainte, où il soit dit que le Saint-
qu ’ il dem ande les preuves de ce qu ’ il avance. E sprit est un ange. L ’ É criture sainte ne renferm e pas
Tout d ’ abord, il dém ontre la divinité du Saint-Es ­ de. textes pareils. Le Saint-E sprit n ’ y a jam ais été assi ­
prit en invoquant l ’ autorité des textes scripturaires qui m ilé aux anges. La sainte T rinité est indivisible et unie
supposent nécessairem ent dans la troisièm e personne en elle-m êm e; si l ’ on m entionne le Père,la pensée se
la nature divine. Les tropiques, rem arque-t-il, re ­ rapporte im m édiatem ent au V erbe et à l ’ E sprit qui est
poussent toute accointance avec l ’ arianism e : ils ad ­ dans le Fils. Si l ’ on nom m e le Fils, le Père est aussi
m ettent la divinité du V erbe et se bornent à nier la dans le Fils, et l ’ E sprit n'est pas hors du V erbe. Les
divinité du Saint-E sprit. C ’ est un défaut de logique, anges, au contraire, sont hors du Père et du V erbe. Il
déclare le saint docteur : par rapport au Fils, le Saint- serait donc absurde d ’ attribuer au Saint-E sprit la na ­
E sprit est dans la m êm e relation d ’ ordre et de nature ture angélique. Epist., i, ad Serapionem, 14, col. 565.
que le Fils par rapport au Père. D onc, si l ’ E sprit du U ne troisièm e série d ’ argum ents touche aux rap ­
Fils est une créature, il faut, pour être conséquent, ports du Saint-E sprit avec les âm es chrétiennes.
affirm er que le V erbe du Père est, lui aussi, une créa ­ A u tém oignage des auteurs inspirés, le Saint-Esprit
ture. Episl., i, ad Serapionem, 21, col. 580. Le Saint- répand sa grâce sur ces âm es. Il n ’ a donc pas une na ­
E sprit vient de D ieu. O r, ce qui est de D ieu ne peut ture créée. N ous nous renouvelons dans le Saint-
dériver du néant, ni être créé; autrem ent, D ieu lui- E sprit. O r, si le Saint-E sprit nous renouvelle, si ce
m êm e, qui est la source du Saint-Esprit, serait aussi renouvellem ent répond, en quelque sorte, à une nou ­
une créature. D onc, le Saint-E sprit possède la nature velle création, le Saint-Esprit, qui en est l ’ auteur, ne
divine. Ibid., 22, col. 582. Le Saint-E sprit participe saurait être ni renouvelé ni créé, c ’ est-à-dire ne sau ­
aux attributs qui ne conviennent pas aux créatures. rait être une créature. Ibid., 9, col. 553. Le Saint-
Il est im m uable, incorruptible, tandis que les anges E sprit est le sanctificateur des âm es, la source de la
eux-m êm es déchurent de leur gloire, ce qui atteste sanctification; les créatures, au contraire, sont sanc ­
leur corruptibilité. D onc le Saint-E sprit est D ieu. tifiées et renouvelées. Il s ’ ensuit donc que le Saint-
Ibid., 26, col. 589-593. Le Saint-Esprit est im m ense, E sprit, qui n ’ est point sanctifié par un autre et ne
éternel; il rem plit l ’ univers entier, il est dans tous reçoit pas la sainteté en participation, ne peut appar ­
les êtres. Sap., xn, 1. O r, ni l ’ im m ensité ni l ’ éter ­ tenir à la classe des êtres sanctifiés par un autre.
nité n ’ appartiennent aux créatures, pas m êm e aux Ibid., 23, col. 584. L ’ E sprit-Saint est un esprit vivifi-
anges. Le Saint-E sprit participe donc à la nature cateur; les créatures, au contraire, sont vivifiées par
divine. Ibid., col. 592. Le Saint-E sprit est créateur lui. Il n'appartient donc pas aux êtres auxquels il
au m êm e titre que le Père et le Fils. Ps. xxxm , 6. com m unique la vie. Le Saint-Esprit est appelé le
M ais l ’ acte de la création suppose en celui qui en est chrêm e, le sceau qui dans le inonde oint et scelle toutes
l ’ auteur la nature divine. Le Saint-E sprit possède les créatures. Le sceau n ’ a pas la m êm e nature que
donc la nature divine du Père et du Fils. Episl., m , les choses scellées, ni le chrêm e la m êm e que les choses
ad Serapionem, 4, col. 632. Le Saint-E sprit est asso ­ ointes. Le Saint-E sprit n ’ est donc pas une créature.
cié à la gloire du Père et du Fils, qui, de l ’ aveu des Il nous fait participer à la nature de D ieu. O r, s ’ il
tropiques, participent à la nature divine. O r, il était une créature, il ne pourrait pas produire en nous
serait absurde, si le Saint-E sprit était une créa ­ celte participation, parce qu ’ une nature créée ne peut
ture, d ’ attribuer la m êm e gloire à ceux qui diffèrent pas donner ce qui lui est infinim ent supérieur et que,
de nature et ne se ressem blent en rien. Le Saint- par conséquent, elle n ’ a pas. Le Saint-E sprit n ’ est
E sprit doit donc être assim ilé au Père et au Fils, donc pas une créature.
quant à la possession de la nature divine. Episl., Soit donc que l ’ on considère la nature divine, soit
i, ad Serapionem, 9, col. 552. R ien d ’ étranger ne se que l ’ on considère la nature angélique ou l ’ action de
m êle à la nature divine de la Trinité. D onc, si ce Saint- la grâce du Saint-E sprit sur les âm es, on est forcé, à
E sprit est le troisièm e term e de cette Trinité, il ne doit m oins de tom ber dans l ’ absurde ou de rejeter les té-
721 E S P R IT -S A IN T 722

m oignages les plus éclatants de l ’ É criture sainte, de trois personnes, » 10, P. G., t. xxvi, col. P F
reconnaître au Saint-Esprit la possession pleine et en ­ quons toutefois que l ’ authenticité de ce livre · st
tière de la nature divine. D ans la Trinité, c ’ est-à-dire contestée et qu ’ on lui donne pour auteur A pollinaire de
dans le Père, dans le Fils et aussi dans l ’ E sprit, il n ’ y Laodicée. B ardenhew er, Patrologie, Fribourg-en-
a, déclare saint A thanase, qu ’ une seule nature divine. B risgau, 1901, p. 212; Lopatine, p. 221-223.
Episl., rv, ad Serapionem, ni, coi. 641. L a pensée de saint A thanase sur la divinité et la
Enfin, une quatrièm e série d ’ argum ents est puisée consubstantialité du Saint-E sprit est nettem ent for ­
aux sources de la tradition. Saint A thanase déclare m ulée dans les textes précédem m ent cités. H y
qu ’ il est utile, pour élucider la· doctrine du Saint- sans doute, quelques passages obscurs dans les i livres
E sprit, d ’ interroger l ’ ancienne tradition, de consulter du saint docteur. V oir N ôsgen, p. 46. 47. M . - s
la foi catholique, donnée par le Seigneur, prêchée par passages, tous susceptibles d ’ un sens catholique. ne
les apôtres, gardée par les Pères de l ’ Église. Epist., i, donnent pas le droit de lui reprocher d ’ avoir iaissé
ad Serapionem, n. 28, P. G., t. xxvr, col. 594, 595. dans l ’ om bre la personnalité du Saint-E sprit. H ar ­
O n perd le droit de se dire chrétien, si l ’ on renonce à nack, Dogmengeschichte, t. n, p. 277, 278. O n pourra
la foi prêchée par l ’ Église, et cette foi enseigne que bien dire que la théologie trinitaire d ’ A thanase n ’ est
la T rinité sainte et parfaite est dans le Père, le Fils pas de tout point achevée, Tixeront, op. cit., t. n,
et le Saint-Esprit. 11 y a un seul D ieu, qui est au- p. 74, 75, 'm ais on doit aussi reconnaître que saint
dessus de tous com m e Père, par tous par le V erbe, en A thanase a été un vaillant défenseur de la doctrine
tous dans le Saint-E sprit : l ’ E sprit-Saint est réel; traditionnelle de l ’ Église sur le Saint-E sprit, et que,
il existe et subsiste réellem ent, υπάρχει καί νφέστηκεν le prem ier, il l ’ a établie sur de solides bases tliéolo-
αληθώς . Ibid., col. 596. giques.
Q ue la tradition affirm e la divinité du Saint-E sprit, 2. Saint C yrille de Jérusalem consacre deux catéchèses
on peut aisém ent le déduire de la form ule du baptêm e. à l ’ étude de la théologie du Saint-Esprit, la xvi e et
Si le Saint-E sprit était une créature, le baptêm e la x v i i ” . P. G., t. xxxiii, col. 917-1012. M ais, avec
serait conféré au nom d ’ une créature, et il en lui nous sortons du dom aine de la théologie dogm a ­
résulterait que la T rinité ne serait plus entièrem ent tique, pour entrer dans le dom aine de la théologie
divine. C ette conséquence est absurde, puisque la foi affective et m ystique. O n sait le but que saint C yrille
présente la Trinité com m e indivisible. Si l'on rabais ­ se propose dans ses catéchèses. Il veut expliquer
sait le Saint-E sprit au rang des créatures, on n ’ aurait aux catéchum ènes, d ’ une m anière claire et concise,
plus ni le Père, ni le Fils, ni une seule foi, ni un les vérités les plus im portantes de la doctrine catho ­
seul baptêm e. Ibid., n. 29, 30, col. 596-600. Le baptêm e lique. Pour rem plir sa tâche, il rem onte aux sources
conféré au seul nom du Père, ou au seul nom du les plus pures de la tradition. Les deux catéchèses
Fils, ne donne pas la grâce du sacrem ent. Ibid., xvi et xvn renferm ent une esquisse historique de la
n. 29, col. 598. révélation et de la m anifestation du Saint-E sprit dans
La doctrine des Pères concorde parfaitem ent avec le m onde. Le Saint-E sprit apparaît préparant le ter ­
les tém oignages de l ’ É criture et la foi de l ’ Église catho ­ rain à l ’ incarnation du V erbe, et, l'œ uvre de la rédem p ­
lique. Ibid., n. 32, col. 605. L ’ E sprit-Saint n ’ est pas tion achevée, continuant son rôle de sanctificateur des
seulem ent consubstantiel au Père et au Fils, il est âm es, de distributeur de la grâce dans l ’ Église chré ­
aussi une personne distincte du Père et du Fils; il tienne. T out d ’ abord, saint C yrille s ’ efforce de pré ­
existe et subsiste. Ibid., n. 28, col. 596. La Trinité m unir les âm es chrétiennes contre les hérétiques, an ­
existe de toute éternité, et dans la T rinité nous avons ciens et nouveaux, qui blasphèm ent le Saint-Esprit.
le Père, le Fils et le Saint-E sprit com m e personnes Le prem ier pneum atom aque est Sim on le M agicien.
distinctes. Epist., ni, ad Serapionem, n. 7, col. 636. Cal., xvi, 6, col. 925. Les gnostiques et les V alenti ­
C elui qui croit au Père, croit au Fils et au Saint- niens aiguisèrent aussi leurs traits contre le Saint-
E sprit. Ibid., n. 6, col. 636. E sprit. D ’ autres im aginèrent deux esprits du Seigneur,
La personnalité du Saint-E sprit est bien m ise en l ’ un pour l ’ A ncien T estam ent, l ’ autre pour le N ou ­
lum ière, lorsque saint A thanase réfute les tropiques veau. Ibid., col. 925. M arcion prêchait le trithéism e et
qui faisaient cette objection : « Si le Saint-Esprit n ’ est lançait contre le Saint-Esprit des blasphèm es qu'il
pas une créature, nous aurions un autre Fils de D ieu, répugne de rapporter. Ibid., 7, col. 928. Les cata-
ce qui ferait deux frères en D ieu, le V erbe et le Saint- phrygiens étaient aussi des pneum atom aques. M ontan
E sprit. » Episl., iv, ad Serapionem, n. 1, col. 637. En se croyait le Paraclet annoncé par le Seigneur. Ibid.,
réponse, le saint docteur déclare que le Saint-E sprit 8, col. 928. M anès, qui personnifiait les horreurs de
est à l ’ égard du Fils dans la m êm e relation d'ordre et toutes les hérésies, suivait l ’ exem ple de M ontan.
de nature que le Fils l ’ est à l ’ égard du Père. Epist., i, Ibid., 9, col. 930. Sabellius reniait la trinité des per ­
ad Serapionem, n. 21, col. 580. Si le Fils est donc une sonnes en D ieu et réduisait le Saint-E sprit à une sim ­
personne distincte du Père, le Saint-E sprit est aussi ple m odalité d; la nature divine. A rius séparait les
distinct du Fils et en m êm e tem ps du Père. L ’ Écri ­ trois personnes en D ieu et m ettait le Saint-E sprit
ture sainte ne donne jam ais au Saint-Esprit le nom de au nom bre des créatures. Ibid., 4, col. 921. C ontre
Fils : il y est désigné sous les nom s d ’ Esprit-Saint ou toutes ces hérésies, l ’ Église catholique élève la voix
d ’ E sprit de D ieu. D e m êm e, le Fils n'y est jam ais pour déclarer qu ’ il y a un seul E sprit de D ieu, un seul
désigné sous le nom de Saint-E sprit. Epist., iv, ad Paraclet; que cet E sprit possède la puissance suprêm e
Serapionem, n. 3, col. 641. L ’ Église professe sa de la divinité; qu ’ il est quelque chose de divin, d ’ im pé ­
croyance au Père, au Fils et au Saint-E sprit : au Père, nétrable aux regards hum ains; qu ’ il est une personne
qu ’ il serait absurde d ’ appeler Fils; au Fils, qu ’ il serait vivante, une nature intelligente, le sanctificateur des
absurde d ’ appeler Père; à l ’ E sprit, qui n ’ a ni le nom êtres créés; qu ’ il inonde les âm es de sa lum ière céleste;
de Père, ni celui de Fils. C ette foi de l ’ Église n ’ est pas qu ’ il parle par les prophètes de l ’ A ncien T estam ent et
sujette à des variations. Le Père est toujours Père; le les apôtres du N ouveau, fl y a un seul D ieu et Seigne ur
Fils est toujours Fils; l ’ E sprit est toujours E sprit, et de l ’ ancienne loi et de la loi de grâce; il y a un seul riis,
il ne saurait être appelé autrem ent. Ibid., n. 6, 7, annoncé dans les prophéties de l ’ A ncien T estam ent,
col. 645, 648. apparu au m onde dans le N ouveau; il y a un ses!
Le traité De incarnatione et contra arianos renferm e E sprit qui a prophétisé la venue du C hrist. et qui,
un texte très explicite sur la personnalité du Saint- après l ’ incarnation, est descendu sur le C hrist et .'a
E sprit ; « Il y a une seule divinité, un seul D ieu en révélé au genre hum ain. lbi<L, m , coL 92Û. C ette aro-
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fession de foi de C yrille résum e, il va sans dire, l ’ en ­ les soixante-dix anciens d ’ Israël, que M oïse avait
seignem ent traditionnel de l ’ Église sur le Saint- assem blés dans sa tente à Thabéera. N um ., xi, 24,
E sprit. 25. D ans cette histoire biblique du Saint-É sprit, il
En continuant l ’ exposé de sa doctrine, le saint doc ­ s ’ attache de préférence à décrire son rôle dans la vie
teur déclare vouloir s ’ en tenir uniquem ent aux du C hrist et des personnages m arquants de l ’ Évan-
données de l ’ É criture sainte, la seule source qui, sans gile. Il décrit ensuite l ’ action du Saint-E sprit dans la
danger, abreuve les âm es. Ibid., 1, col. 917. Les hypo ­ sanctification des âm es. L ’ E sprit de D ieu se répand
thèses et l ’ éloquence des raisonneurs égarent l'esprit dans les âm es, les encourage, les fortifie, les aide à
chrétien. Cal., iv, 17, P. G ., t. xxxni, col. 476, 477. acquérir les vertus chrétiennes, efface leurs péchés,
Il faut dire, sur le Saint-Esprit,ce que le Saint-E sprit com m unique aux m artyrs la force et la constance au
a dit de lui-m êm e. Les questions oiseuses ont besoin m ilieu des supplices. Cal., xvi, 16, 20-22, col. 940,
d ’ être écartées de la théologie. Cal., xvi, 2, col. 920. 941, 948, 949. Il est le soutien et le docteur de l ’ Église.
Il est plus utile pour les âm es chrétiennes de boire Ibid., 14, col. 937. Il distribue à chacun la grâce com m e
aux vases que l ’ Église considère com m e lui apparte ­ il le veut, et l ’ âm e pécheresse, devenue par la péni ­
nant et d ’ étancher sa soif avec l ’ eau qui jaillit de ses tence digne du Saint-E sprit, produit des grappes de
sources. Ibid., 9, col. 932; xvn, 1, col. 968, 969. justice. Ibid., 12, col. 933.
Pour le salut de l ’ âm e, il suffit de. croire qu'il y a D e tout ce qui précède, il résulte que le Saint-
un D ieu, un Fils et un Saint-Esprit. Cal., xvi, 24, E sprit, présenté par Cyrille com m e le principe de
col. 963. L ’ Église catholique prêche l ’ existence d ’ un toutes ces actions dans l ’ ordre surnaturel, est réel ­
seul Paraclet, qui a parlé par la bouche des pro ­ lem ent distinct du Père et du Fils.
phètes. Cal., xvn, 3, col. 972. Il n ’ y a pas de différence 3. Saint B asile m arque un progrès considérable dans
entre les dons du Père, du Fils et du Saint-E sprit, la théologie trinitaire. Il se tient toujours dans les
car H y a un seul salut, une seule puissance, une seule lim ites de la tradition, m ais il com prend que le débor ­
foi, un seul D ieu Père, un seul Fils unique, un seul dem ent de l ’ arianism e et des sectes pneum atom aques
E sprit-Saint Paraclet. Cal., xvi, 24, col. 953. exige une plus rigoureuse explication du dogm e
Saint C yrille prouve la divinité du Saint-Esprit par trinitaire, une term inologie théologique plus précise,
les attributs divins que lui reconnaît l ’ É criture sainte. une définition plus exacte des term es qui servent à
Il faut croire par rapport au Saint-E sprit ce qu ’ on désigner les relations réciproques entre les trois per ­
croit par rapport au Père et au Fils. Ibid., iv, 16, sonnes divines. A thanase et les Pères du concile de
col. 473. Le Saint-E sprit a une nature sim ple, indi ­ N icée confondent les term es d ’ ουσία et ά ’ ύπόστασις .
visible, πολυδύναμος , xvi, 30, col. 960; xvn, 2, 15, Saint B asile fixe la valeur respective de ces deux m ots
col. 970, 973. Il pénètre tout; il connaît les abîm es de et réfute ainsi plus aisém ent les raisonnem ents cap ­
•a science de D ieu, il participe avec le Fils à la divi ­ tieux de ses adversaires. Les Pères de N icée, déclare-
nité du Père, τής Οεότητος τής πατρικής έστι συν τώ t-il, n ’ ont pas touché à la question du Saint-E sprit,
Π νεύματι τώ άγίω κοινωνος ό υιός ό μονογενής . Ibid., parce qu ’ il n ’ y avait pas encore de controverses sur
νι, 6, col. 548. A ucune créature, quelque élevée et la troisièm e personne divine et que l ’ on n ’ avait pas
agréable qu ’ elle soit aux yeux de D ieu, ne peut encore à ce sujet tendu des em bûches à la piété des
rivaliser en perfection avec le Saint-E sprit. Les fidèles. M ais le m auvais grain sem é par A rius ne
anges les plus élevés dans la hiérarchie céleste ne peu­ tarda pas à produire ses fruits de perdition et les
vent soutenir la com paraison avec lui, Cat., xvi, 2, im pies se prirent à blasphém er contre le Saint-Esprit.
3, col. 952, qui est le héraut de D ieu dans l ’ A ncien et Il est donc nécessaire de frapper d ’ anathèm e ceux qui
le N ouveau T estam ent. Cal., rv, 16, col. 476; xxxvni, abaissent le Saint-Esprit au rang des créatures, en
17, col. 1012. l ’ arrachant à la divinité; ceux qui refusent à sa nature
Q ue le Saint-Esprit participe à la nature divine, la sainteté du Père et du Fils. C ontre l ’ hérésie, l ’ Église
saint C yrille le déduit de ce qu ’ il égale en honneur et professe que le Saint-E sprit dérive de D ieu άκτίστως
en dignité le Père et le Fils. Cal., iv, 16, col. 476. La (sans création) et qu ’ il n ’ appartient pas aux arm ées des
gloire du Père et du Fils est une et identique avec esprits qui servent D ieu. Epist., exxv, 3, P. G.,
celle du Saint-E sprit. Cal., νι, 1, col. 540. Les cieux t. xxxn, col. 549; il, 159, 258, col. 620, 949.
contem plent la gloire du Saint-Esprit, qui est tou ­ Les sources principales de la doctrine de saint
jours présent au Père et au Fils. Procal., 16, col. 357; B asile sur le Saint-E sprit sont le 1. III Contra Euno-
Cat., xvi, 4, col. 921. mium, P. G., t. xxix, col. 653-670; l ’Homélie contre
La form ule du baptêm e donne encore à C yrille les sabelliens, Arius el les anoméens, P. G., t. xxxi,
une preuve évidente de la croyance traditionnelle de col. 609-617, et le Liber de Spirilu Sancto, P. G.,
l ’ Église à la divinité du Saint-E sprit. Le Saint-E sprit, t. xxxn, col. 67-218. Les 1. IV et V Contra Eunomium
dit-il, est inclus dans la T rinité au m om ent du bap ­ traitent aussi du Saint-Esprit. M ais on est d ’ accord à
têm e. Cal., X vi, 4, col. 921. C ’ est pour cela qu ’ il rejeter leur authenticité. O n les attribue à A pollinaire
devient, avec le Père et le Fils, notre espérance. Ibid., de Laodicée, ou avec plus de probabilité à D idym e
24, col. 953. l ’ A veugle. B ardy, Didyme, p. 23-28.
La personnalité divine du Saint-E sprit est aussi D ans ces écrits, B asile réfute vigoureusem ent
m ise en relief par C yrille. Le Saint-E sprit subsiste, Eunom ius, qui, de ce que l ’ E sprit-Saint est troisièm e
ύφεστώς ; il est toujours présent au Père et au Fils; en ordre et en dignité, concluait qu ’ il est aussi troi ­
c ’ est une hypostase (ένυπόστατον), qui parle, agit, sièm e par nature. Contra Eunomium, 1. III, 1, coi.
organise (οίκονομεϊ), sanctifie. Cal., xvn, 5, col. 973, 653. Saint B asiie répond que le Saint-Esprit participe
976. O n le désigne sous plusieurs nom s, Cal., xvn, à l ’ unité de la m êm e nature divine que le Père et le
4, 5, col. 972-976, m ais il est toujours le m êm e Fils, et il le prouve par l ’ Écriture, les anciens Pères de
É sprit m algré ces appellations diverses. Ibid., 2, l ’ Église, ibid., 1, col. 653, et la tradition écrite et orale
col. 969. Il est l ’ unique E sprit de D ieu, Cal., xvi, du christianism e. Liber de Spiritu Sancio, χχιχ, 71,
3, col. 920; un E sprit qui ne se dédouble pas dans les P. G., t. xxxn, col. 200. Saint B asile déclare qu ’ il
deux Testam ents. Cal., xvn, 5 col. 976. M ais dans les n ’ est pas un novateur. Loin de lui la pensée de forger
deux T estam ents, il est le principe d ’ une série d ’ actes de nouvelles doctrines ou des term es m arqués au coin
qui révèlent en lui une personnalité distincte. Pour de la nouveauté. Il établit ses affirm ations sur la
confirm er cette assertion, saint C yrille passe en revue croyance universelle du m onde chrétien, sur ces
es œ uvres du Saint-E sprit, depuis qu ’ il descendit sur saints qu ’ on vénère com m e les colonnes de l ’ Église
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et que l ’ E sprit-Saint a rem plis de science et de vertu. Le Saint-Esprit est donc D ieu. Saint B asile pose -e
Ibid., 75, col. 208. principe : l ’ identité d ’ opérations chez le Père, le Fils
Saint B asile prouve d ’ abord la consubstantialité et le Saint-Esprit révèle clairem ent l ’ invariabilité,
divine du Saint-Esprit. Le nom m êm e d ’ E sprit-Saint l ’ identité de leur nature. Epist., n, 139. 7. coi. 693.
révèle sa nature, divine; une nature im m ense, Le Saint-E sprit apparaît dans la révélation com m e le
im m uable, éternelle, toute-puissante; une nature coopérateur du Père et du Fils, Con- ’ro Ε : κ γ .; χ -
qui est l ’ origine de la sanctification et la lum ière 1. Ill, 4, col. 664; son action est liée à Faction ju Pere
de l ’ intelligence. Liber de Spiritu Sancio, ιχ, 22, et du Fils; elle est inséparable, άχώριστον, de Faction
col. 107. Saint B asile aborde im m édiatem ent la pre ­ du Père et du Fils. N ous savons, en effet, que le Saint-
m ière objection d ’ Eunom ius. Je concède, déclare-t-il, E sprit est créateur com m e le Père et le Fils. C - .· .
que le Saint-Esprit est troisièm e en rang et en di ­ Eunomium, 1. III, 4, col. 661. D ans l ’ acte de la crea ­
gnité. S ’ ensuit-il qu ’ il est aussi inférieur en nature? tion, le Père com m ande, le Fils crée, le Saint-Esprit
N on, assurém ent. Le Fils est second en ordre et en perfectionne et confirm e. L ’ action de confirm er
dignité, par rapport au Père, et cependant, la m êm e indique dans le Saint-Esprit l ’ im m ortalité, la perpé ­
nature divine subsiste dans le Père et dans le Fils : tuité dans le bien. Liber de Spiritu Sancto, xvi, 38,
ή Οεότης έν έκατέρω μία. Contra Eunomium, 1. Ill, col. 136. L iidentité des opérations divines prouve
1, col. 656. Le m êm e raisonnem ent s ’ applique au donc la divinité du Saint-E sprit. Epist., u, 139, 6,
Saint-Esprit. Il n ’ est pas étranger à la nature divine. col. 693.
Les anges appartiennent à des hiérarchies diverses; M ais c ’ est surtout par son action dans l ’ ordre sur ­
m ais ils ne diffèrent pas quant à la nature. D e m êm e naturel que le Saint-E sprit révèle sa nature divine.
le Saint-Esprit, inférieur, dit-on, au Père et au Fils T out d ’ abord, s ’ il est le sanctificateur, il se distingue
en rang et en dignité, n ’ est que troisièm e par rapport de la créature qui est un être sanctifié. Le Saint-E sprit
à la nature. N ulle part l ’ É criture ne confirm e sur ce est la sanctification, αγιασμός . Conlra Eunomium,
point l ’ im piété eunom éenne. Ibid., 2, col. 657, 660. 1. III, 2, 6, col. 660, 668. Sa nature est la sainteté;
E lle donne au Père et au Fils le nom d ’ E sprit, Joa., il est la source de la sainteté; il est saint par nature.
iv, 24, et au Saint-Esprit le nom de Seigneur. C ette Ibid., col. 660; Epist., u, 105, col. 513. Il est donc
com m unauté de nom s suppose nécessairem ent l ’ iden ­ égal, en nature, au Père et au Fils. Contra Eunomium,
tité, la com m unauté de nature dans les trois per ­ 1. III, 3, 6, col. 661, 668; Liber de Spiritu Sancio,
sonnes divines, την οίκείωσιν τής φύσεως . Contra Eu­ xvi, 38, col. 138. Tandis que la sainteté de la créature
nomium, 1. Ill, 3, col. 661; Liber de Spiritu Sancto, vient du dehors, la sainteté du Saint-Esprit est 1*
xxi, 52, col. 164. L ’ É criture ne se borne pas à com plém ent nécessaire de la nature divine. Liber de
affirm er la com m unauté de nom s; elle affirm e aussi Spiritu Sancto, xix, 48, col. 156.
la com m unauté de nature. L ’ E sprit-Saint vient de E n vertu de sa sainteté essentielle, l ’ E sprit-Saint
D ieu, έκ τοΟ Θεοϋ είναι λέγεται, Liber de Spiritu habite en nous. Il nous transform e en tem ples de D ieu,
Sancto, xvill, 46, col. 152; την ΰπαρξιν έκ Θεοϋ εχον. et si nous som m es tels, le Saint-Esprit est D ieu.
Epist., ιι, 105, t. χχχπ, col. 513. S ’ il en est ainsi, il Epist., i, 8, 11, col. 214. M ais le Saint-E sprit ne se
participe à la nature divine. Liber de Spiritu Sancto, borne pas à habiter en nous. Il renouvelle l ’ âm e
xviii, 46, col. 152. tout entière, et ce renouvellem ent est une seconde
Les Livres saints donnent au Saint-E sprit les attri ­ création. Il ressuscite le pécheur à la vie de l ’ esprit.
buts de D ieu. D onc le Saint-E sprit est D ieu. Le Saint- Liber de Spiritu Sancto, xix, 49, col. 157. II répand ses
E sprit est la bonté essentielle. Contra Eunomium, L U I, charism es, il est le doigt de D ieu par les m iracles qu'il
3, col. 661. Il est bon com m e le Père et le Fils, c ’ est- opère, Epist., i, 8, 11, col. 265; il élève les cœ urs,
à-dire son essence est la bonté m êm e, ουσίαν έχον soutient les infirm es, conduit les âm es dans les voies
τήν αγαθότητα, Liber de Spiritu Sancio, xix, 48, col. de la perfection. Liber de Spiritu Sancto, ix, 23, coL
156; φύσει έστλν αγαθόν. Contra Eunomium, 1. Ill, 109. Toutes ces opérations divines attribuées au
2, col. 660. Sa nature est sim ple, et à cause de sa sim ­ Saint-E sprit m anifestent qu ’ il est D ieu. Si la créa ­
plicité elle est consubstantielle au Père et au Fils. ture, dit saint B asile, est dans un état servile par rap ­
Epist., i, 8, n. 10, col. 264. Le Saint-Esprit est im ­ port au créateur; si la sainteté de la créature est
m ense, Contra Eunomium, 1. III, 4, col. 661; éternel; adventice, il s'ensuit que la créature peut tom ber
il a toujours été présent au Père et au Fils, ην μεν γάρ, dans le péché. O r, le Saint-E sprit est saint par son
καί προήν, καί συμπαρήν τώ Π ατρί καί τώ υίώ προ των essence. D onc il n ’ est pas une créature. S ’ il n ’ est pas
αιώνων. Liber de Spiritu Sancto, xix, 49, col. 156. S ’ il une créature, il est consubstantiel à D ieu. Epist., i,
n ’ était pas éternel, il faudrait en m êm e tem ps 8, 10, col. 261. Les relations m utuelles entre ie Père
adm ettre et nier l ’ éternité de la sainte T rinité; deux et le Fils donnent à saint B asile des argum ents en
personnes y seraient éternelles, et la troisièm e aurait faveur de la divinité du Saint-Esprit, qui est une
été créée dans le tem ps, il s ’ ensuivrait que le baptêm e exigence nécessaire de la T rinité divine. Saint B asile,
serait im parfait et im parfaite la confession de foi. com m e saint A thanase, pose ce principe : ce qu ’ est
Contra sabellianos, 5, P. G., t. xxxi, col. 609. Le le Fils par rapport au Père, le Saint-E sprit l ’ est par
Saint-Esprit est om niscient. Il possède les trésors de rapport au Fils. Liber de Spiritu Sancto, xvn, 43,
la science divine, trésors qu ’ il distribue généreuse ­ col. 148. O n ne saurait concevoir le Père sans le Fils
m ent à tous. Contra Eunomium, 1. III, 4, col. 664; et le Fils sans le Saint-Esprit. Epist., i, 38, 4, col. 332.
Liber de Spiritu Sancto, xxrv, 56, col. 172. Il est Le Fils ne m anque jam ais au Père, ni le Saint-E sprit
l'esprit de vérité et connaît les m ystères de D ieu. au Fils. Contra sabellianos, 4, P. G., t. xxxi, col. 609.
In Is., v, 176, P. G., t. xxx, col. 416. M ais connaissant C elui qui sépare le Fils du Saint-E sprit foule aux pieds
tout, il est incom préhensible com m e le Père et le la tradition, l ’ enseignem ent du C hrist, la doctrine
Fils. Liber de Spiritu Sancio, xxn, 53, col. 165. II est révélée. Ibid., 6, col. 612; Liber de Spiritu S>-..·.··.·.
incréé et incom préhensible com m e le Père et le Fils. xn, 27, col. 116. Si donc le Saint-Esprit est uni au
Epist., i, 38, 3, col. 328. La jouissance de ces attributs Fils et le Fils au Père, le Saint-Esprit lui-m êm e est
divins m ontre clairem ent que la nature du Saint- uni au Père, et cette union ne peut être ç_ .r- -
E sprit n ’ est pas étrangère à la nature divine. Contra de nature. Liber de Spiritu Sancto, xvn. 43, coL 148.
Eunomium, 1. III, 4, col. 664. Si on enlevait la divinité au Saint-Esprit, il ' au irait
Il y a des opérations divines qui sont attribuées au rom pre tout lien entre les trois personnes divines.
Saint-E sprit au m êm e titre qu ’ au Père et au Fils. Epist., u, 189, 5, col. 689. D ans ia T rinité, en e5et,
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on conserve la raison de l ’ unité, Contra Eunomium, une définition exacte de l ’ hypostase, « qui n ’ est pas
I. Ill, 6, col. 668; la T rinité n ’ adm et pas de division la notion indéfinie de la substance ne trouvant aucun
de nature, elle est l ’ essence com m une de trois incor ­ siège fixe, à cause de la généralité de la chose signi ­
porels parfaits. Contra sabellianos, 4, 5, col. 609. fiée, m ais bien ce qui restreint et circonscrit dans un
Il faut donc croire que le Père est D ieu, que le Fils est certain être, par des particularités apparentes, le
D ieu et que le Saint-E sprit est D ieu. Epist., i, 8, 2, 3, com m un et l ’ indéterm iné. · Epist., i, 38, 3, col. 328.
col. 248, 252. La distinction entre l ’ essence et l ’ hypostase, saint
La tradition corrobore aussi la croyance révélée B asile l ’ applique au Saint-Esprit. Il y a, dans la Tri ­
de la divinité du Saint-Esprit. Saint B asile parle de nité, une distinction qui em pêche au m oins La confu ­
la tradition du baptêm e. Contra Eunomium, 1. III, 5, sion des propriétés personnelles. Ibid., col. 329. Le
col. 669. Le baptêm e est conféré au nom des trois Saint-E sprit est uni au Père et au Fils κατά τήν φύσιν,
personnes divines. Ibid., 5, col. 666. M ais le baptêm e m ais il est distinct du Père et du Fils κατά την τάξιν,
conféré dans l ’ E sprit-Saint est valide aussi. A ct., ibid., 4, col. 332, car la com m unauté d ’ essence
i, 5. Si donc le baptêm e dans le Saint-E sprit a la n ’ efface pas les propriétés personnelles. Le Saint-
m êm e efficacité que le baptêm e conféré au nom des E sprit est unique, μοναδικόν. Il est uni au Père et au
trois personnes divines, il faut en conclure que le Fils κατά το κοινόν τής φύσεως , m ais, en tant que per ­
Saint-E sprit possède la nature divine dû Père et du sonne, il est distinct et singulier. Liber de Spiritu
Fils. Sancio, xvin, 45, col. 152. Il y a, entre les personnes
Il doit y avoir une raison en vertu de laquelle le nom divines, une com m unauté ineffable et incom préhen ­
du Saint-E sprit a été adjoint au nom du Père et du sible, κοινωνία, et une distinction, διάκρισις . Epist., i,
Fils dans la form ule du baptêm e. Si cette raison n ’ est 38, 4, col. 332. E t de m êm e que le Fils est distinct
pas la com m unauté de nature entre les trois per ­ du Père, ainsi le Saint-Esprit l ’ est du Fils. Ibid.,
sonnes divines, la form ule serait inexplicable. Liber xvn, 43, col. 148. Le Saint-E sprit est donc parfait;
de Spiritu Sancto, x, 24, col. 112. E t la m ention du il a la plénitude et l ’intégrité de l ’ être; il n ’ est pas la
Saint-Esprit est tellem ent nécessaire que, si on sépa ­ portion d ’ un autre. Contra sabellianos, 4, P. G.,
rait le Saint-E sprit du Père et du Fils, le baptêm e t. xxxi, col. 609; Scherm ann, op. cit., p. 93-95.
serait par cela m êm e inutile, invalide, et on ferait O n a reproché à saint B asile de n ’ avoir pas déclaré
naufrage dans la foi. II y a, en effet, un lien indisso ­ nettem ent la divinité du Saint-Esprit, surtout lors ­
luble entre la foi et le baptêm e. Le baptêm e suppose qu ’ il fallait, pour ferm er la bouche aux m acédonines,
la foi et la foi trouve son achèvem ent dans le exprim er sa pensée sans équivoque. D e son vivant
baptêm e, parce que, de m êm e que nous croyons au m êm e, saint B asile a essuyé les attaques ue ses adver ­
Père, au Fils et au Saint-Esprit, de m êm e nous saires, qui l ’ accusaient de pusillanim ité, de ruse, à
som m es baptisés au nom du Père, du Fils et du l ’ égard des pneum atom aques. S. G régoire de N azianze,
Saint-Esprit. Liber de Spiritu Sancto, χιι, 28, col. Epist., l v t ii , P. G., t. xxxvii, col. 116. M ais il a ex ­
117. posé lui-m êm e les raisons qui l ’ engagèrent à ne pas
Le tém oignage de la tradition se traduit encore donner ouvertem ent au Saint-E sprit le nom de D ieu.
dans la gloire que la chrétienté rend au Saint-Esprit. Ses réticences écartaient le danger de scandale
« Il a paru bon à nos pères, dit saint B asile, de ne pas pour les fidèles, plus attachés aux m ots qu ’ à la doc ­
recevoir en silence le bienfait de la lum ière du soir, trine, et enlevaient aux hérétiques l ’ occasion de sus ­
m ais de rendre grâces aussitôt qu ’ elle brille. Q uel est citer des troubles religieux en C appadoce. D ans sa
l ’ auteur de la prière qu ’ on récite en action de grâces lettre aux prêtres de Tarse, il leur recom m ande de
lorsqu ’ on allum e les lam pes, nous ne le savons pas. tenir com pte des exigences des fidèles chaque fois qu ’ il
M ais le peuple prononce cette antique form ule, que n ’ en résulterait pour eux aucun détrim ent spiri­
personne n'a jam ais taxée d ’ im piété : Louange au tuel. Pour réduire le nom bre des hérétiques, il con ­
Père, au Fils et au Saint-Esprit. Q ui connaît l ’ hym ne seille de recevoir dans la com m union de l ’ Église ceux
d ’ A thénogène, légué par ce m artyr à ses disciples qui reconnaissent que le Saint-E sprit n ’ est pas une
lorsqu ’ il m ontait sur le bûcher, sait ce que les m artyrs créature. Il suffît qu'on proclam e son adhésion à la
ont pensé du Saint-E sprit. » Liber de Spiritu Sancto, foi du concile de N icée, pour être considéré com m e
xxix, 73, col. 205. N ous rendons gloire au Père, au catholique. Le tem ps viendra, dit-il, oû la grâce de
Fils et au Saint-Esprit, dit B asile, parce que nous D ieu poussera les âm es à professer explicitem ent la
som m es convaincus que le Saint-E sprit n ’ est pas divinité du Saint-E sprit et à accueillir avec recon ­
étranger au Père et au Fils par sa nature. Epist., naissance les explications des théologiens. Epist., u,
n, 159, 2, col. 621. Cf. Scholl, Die Lehre des heiligen 113, col. 525, 528. Le silence de saint B asile a donc
Basilius von der Gnade, Fribourg, 1881, p. 160-169; pour cause la prudence et la charité vis-à-vis des ad ­
Scherm ann, Die Gottheit des heiligen Geistes, p. 91- versaires. Saint G régoire de N azianze justifie la con ­
105. duite de celui qu ’ il appelle une lum ière de la vérité,
La personnalité du Saint-E sprit est affirm ée par et il atteste que les hérétiques attendaient avec im ­
saint B asile avec toute ia rigueur des term es théolo ­ patience que saint B asile donnât au Saint-E sprit le
giques. N ous distinguons, dit-il, entre l'essence et nom de D ieu. Ils en auraient profité pour exciter des
l ’ hypostase. L ’ essence est un nom com m un, un nom troubles, le chasser de son siège épiscopal et y établir
qui s ’ attribue à la fois à plusieurs êtres. Liber de Spi­ un des leurs. Pour déjouer leurs intrigues, le saint doc ­
ritu Sancio, xvn, 41, col. 144. M ais l ’ essence a des teur s ’ avisa de les com battre par des argum ents, qui
notes caractéristiques, des form es spécifiques, des les enserraient com m e dans un cercle de fer et les obli ­
propriétés individuelles, des m arques particulières, geaient à adm ettre la divinité du Saint-Esprit. Il
ιδιότητες , χαρακτήρες , μορφαί, γνωρίσματα. Ibid., xiv, tenait plus à les convaincre par de bonnes raisons de
45, col. 149; Epist., i, 38, 3, col. 328; Tixeront, la vérité de la doctrine catholique, qu ’ à les éloigner
op. cit., t. n, p. 77. Les ιδιότητες distinguent, sans par l ’ usage d ’ un m ot qu ’ ils détestaient. S. G régoire de
la diviser, l ’ essence qui est com m une : διαιροϋσι μεν N azianze, Orat., x l i ii , 68, P. G., t. xxxvi, col. 588;
το κοινόν τοΐς ίδιάζουσι χαρακτήρσι... τό δε όμοφυές τής Epist., Lvni, t. xxxvn, col. 116. Il valait m ieux, à
ουσίας ού διακύπτουσιν. Contra Eunomium, 1. II, 28, son avis, attendre le tem ps opportun pour dire la vé ­
col. 637. E ntre l ’ essence et l ’ hypostase il y a la m êm e rité que de com prom ettre cette vérité par des affir ­
différence qu ’ entre ce qui est com m un et ce qui est m ations très explicites. Epist., nvin, col. 116. M ais
singulier. Epist., n, 236,6, col. 884. Saint B asile donne la prudence, qui lui suggérait cette ligne de conduite
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ne l ’ em pêchait pas de saisir les bonnes occasions d ’ ex ­ ne rien hasarder, parce que, disaient-ils, l ’ É criture
prim er sa foi en la divinité du Saint-Esprit. Il ne ces ­ sainte garde le silence sur le Saint-E sprit. Ces der ­
sait d'affirm er et de prêcher qu ’ il fallait adorer le niers s ’ abstenaient de tout acte de vénération à
Saint-Esprit, parce qu ’ il était consubstantiel au Père l ’ égard du Saint-E sprit : les autres,qui croyaient à sa
et au Fils. Ses hésitations et ses réticences ne donnent divinité, n ’ étaient pas d ’ acccrd sur le culte à lui
donc pas le droit de conclure que sa foi en la divinité rendre. Les uns l ’ adoraient, com m e le prescrit i Église,
du Saint-E sprit fût chancelante. D es textes nom ­ à l ’ égal du Père et du Fils : d ’ autres ne craignaient
breux ne laissent pas le m oindre doute sur sa parfaite pas de l ’ appeler D ieu; d ’ autres enfin s ’ égaraient
orthodoxie. S. G régoire de N azianze, Oral., x l i h , 69, dans les fausses théories du trithéism e. im acir..de.-.:
P. G., t. xxxvi, col. 589; P. G., t. xxxn, col. 23-31. en D ieu un prem ier term e, infini par essence et puis ­
V oir plus haut, t. n. col. 454. sance, un second term e, infini seulem ent par puis
4. Saint G régoire de N azianze renonce à la pru ­ sance, et un troisièm e term e, circonscrit par le pre ­
dence et à la réserve qui s ’ im posaient à saint B asile, m ier et le second. D ieu, à leur avis, se com posait
et prêche ouvertem ent la divinité du Saint-Esprit. Il d ’ un démiurge, d'un collaborateur, σύνεργο;, et d ’ un
laisse m êm e supposer, en des term es couverts, que son m inistre, λειτουργικός , ou exécuteur des ordres di ­
zèle à proclam er la nature divine du Saint-E sprit vins. Ibid., 5, col. 137. O n com ptait m êm e,parm i les
l ’ avait forcé à quitter sa ville épiscopale et à se séparer auditeurs de saint G régoire de N azianze, des per ­
des Pères du I “ r concile de C onstantinople (381). sonnes qui n ’ avaient jam ais entendu parler du Saint-
D e nouveaux troubles m enaçaient l ’ Église, et beau ­ E sprit, qui le traitaient de D ieu étranger et non
coup des Pères du concile étaient d ’ avis qu ’ il fallait scriptural, ξένον τινά θεόν καί παρέγγραπτον. Ibid., 3,
ajourner la définition dogm atique de la divinité de la col. 136. È t ceux-ci poussaient l ’ audace jusqu ’ à
troisièm e personne. Saint G régoire, au contraire, lancer l ’ épithète de trithéiste aux défenseurs de la
croyait que le dogm e trinitaire avait atteint son plein divinité du Saint-Esprit. Ibid., 13, col. 148; H er ­
épanouissem ent et qu ’ il était tem ps, par des form ules genrother, p. 206-208.
précises, de réduire au silence les m acédoniens et les C ontre ces blasphém ateurs et m échants servi­
eunom iens. Palm ieri, Theologia dogmatica ortho­ teurs de l ’ E sprit de D ieu, Orat., x l i , 6, P. G., t. xxxvi,
doxa, Florence, 1911, t. i, p. 356-357. col. 437, saint G régoire de N azianze déclare que la
II distingue plusieurs étapes dans la révélation de la théologie chrétienne reconnaît form ellem ent la divi ­
T rinité : « L ’ A ncien T estam ent annonce clairem ent nité du Saint-E sprit et que la négation de cette divi ­
le Père et obscurém ent le Fils. Le N ouveau T estam ent nité est un horrible blasphèm e. Oral., xxxiv, 11,
a m anifesté le Fils, m ais n ’ a fait qu ’ indiquer la divi ­ col. 252. L a sainte É criture confirm e de la m anière la
nité du Saint-Esprit. A présent, l ’ E sprit est parm i plus explicite la divinité du Saint-E sprit com m e as­
nous et se m ontre dans toute sa splendeur. Il n ’ eût pas socié au C hrist dans l ’ œ uvre de la rédem ption. Les
été prudent,avant qu ’ on reconnût la divinité du Père, nom s et les qualités que lui donnent les auteurs ins ­
de prêcher ouvertem ent la divinité du Fils, et tant pirés offrent d ’ éclatants tém oignages de sa divinité.
que celle du Fils n ’ eût pas été acceptée, d ’ im poser L ’ E sprit-Saint est l ’ esprit de D ieu, l ’ esprit du C hrist,
le Saint-Esprit, si j ’ ose m 'exprim er ainsi. » Oral., la pensée du C hrist, l ’ esprit du Seigneur, le Seigneur
xxxi, 26, P. G., t. xxxvi, col. 101 ; Carm., i, 3, lui-m êm e; l ’ esprit d ’ adoption, de vérité, de liberté;
v. 25-35, P. G., t. xxxvn, col. 410. O n a voulu à l ’ esprit de sagesse, de prudence, de conseil, de force,
toute force voir dans ce texte une preuve à l ’ appui de science, de piété, de crainte de D ieu, l ’ esprit qui
du développem ent substantiel du dogm e trinitaire. rem plit tout par son essence, qui renferm e tout, m ais
M ais il suffit de rem arquer qu ’ à plusieurs reprises que l ’ univers ne saurait ni rem plir, ni renferm er, un
saint G régoire de N azianze dem ande à la tradition de esprit bon, droit, principiel, le sanctificateur par na ­
confirm er par son tém oignage la divinité du Saint- ture, celui qui m esure tout sans se laisser m esurer,
E sprit. Il ne parle donc pas d ’ un progrès substantiel, qui donne aux créatures sans en rien recevoir, un es ­
m ais de la profession plus explicite d ’ une vérité de prit qui nous est donné en héritage, le doigt de D ieu,
foi qui était connue et affirm ée par la tradition apos ­ celui qui a créé l ’ univers et opère une nouvelle créa ­
tolique et anténicéenne. Les controverses christolo- tion par la résurrection et le baptêm e, l ’ esprit qui con ­
giques, en développant adm irablem ent la théologie naît tout, qui enseigne, qui conduit dans la voie droite,
du V erbe, avaient fourni aux pasteurs de l ’ Église les qui parle, qui envoie, qui sépare, l ’ esprit qui apporte
arm es pour blesser à m ort l ’ arianism e; de m êm e, à la lum ière et la vie, qui est vie et lum ière lui-m êm e,
l ’ époque de saint G régoire de N azianze, les luttes qui élève des tem ples, déifie, perfectionne, l ’ esprit
théologiques, soulevées par les pneum atom aques, qui n ’ est pas circonscrit par le lieu et le tem ps.
avaient donné un m agnifique essor à la théologie du Oral., xxxi, 29, col. 165, 168. B ref, l ’ É criture sainte
Saint-E sprit, et i> ne fallait plus avoir de m énage ­ attribue au Saint-Esprit toutes les perfections di ­
m ents vis-à-vis des hérétiques. P. de R égnon, op. cit., vines qu'elle reconnaît au Père et au Fils. Ibid.,
t. ni, p. 117-120; H ergenrother, Die Lehre von der col. 165. Elle reconnaît donc la divinité du Saint-
gôlllichen Dreieinigkeit nach dem hl. Gregor von Na- E sprit. Ibid., 30, col. 168.
zian:, R atisbonne, 1850, p. 204. La spéculation théologique, fondée sur les tém oi ­
La théologie du Saint-Esprit est traitée avec am ­ gnages de l ’ É criture sainte, confirm e aussi la divinité
pleur par saint G régoire dans le v« de ses discours du Saint-Esprit. N ous ne saurions concevoir le Saint-
théologiques, consacrés à l ’ exposé et à la défense du E sprit que com m e substance ou com m e accident. Si
dogm e trinitaire. Le saint· docteur rappelle les ori ­ nous le concevions com m e accident, il ne serait pas
gines anciennes de l ’ hérésie des pneum atom aques, capable d ’ agir, de parler, d ’ entendre, de s ’ attrister.
qui rem onte bien avant le iv° siècle, puisque les sad- Le Saint-Esprit est donc une substance. M ais une
ducéens niaient l ’ existence du Saint-Esprit. Orat., substance a la nature divine ou la nature créée. Si la
xxxi, 5, col. 137. A u iv “ siècle, faute de définitions substance du Saint-Esprit était une creature, com ­
précises, on ne savait pas encore, dans certains m i ­ m ent croirions-nous en lui?... Ce n ’ est pas la m êm e
lieux, à quoi s ’ en tenir sur la nature de la troisièm e chose, en effet, de croire en quelque chose que de
personne. Les uns considéraient celle-ci com m e une croire à quelque chose. O n peut croire une chose
force im personnelle de D ieu, ένέργειαν; d ’ autres créée; on ne croit qu'à la divinité. Le Saint-E sprit est
la rangeaient au nom bre des créatures; d ’ autres doue D ieu. Oral., xxxi, 6, col. 140. D est D ieu, parce
croyaient à sa divinité; d ’ autres encore préféraient quai est placé entre .deux personnes divm.es .
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8, col. 141 ; parce qu ’ il est consubstantiel au Père et 5. D ans l ’ exposé de la théologie du Saint-Esprit,
au Fils, ibid., 10, col. 144; Oral., xxxiv, 10, col. 252; saint G régoire de N ysse m arche sur les traces de son
parce qu ’ il a les attributs.de D ieu. Il est incréé, éter ­ frère saint B asile, dont il a été le disciple. M ais il
nel, Oral., x l i , 7, col. 437; im m ense, tout-puissant. donne à cette théologie l ’ em preinte de son génie philo ­
Carm., i, 30, v. 22, 23, P. G., t. xxxvn, col. 509. Il sophique : il établit la théorie rationnelle des m ys ­
est divin, θειον πνεύμα, il est l ’ égal de D ieu, όμοίθεος , tères, il y ajoute une spéculation théologique origi ­
ibid., i, 3, v. 3, col. 408: il est D ieu, © εός . Ibid., N, nale, à laquelle on reproche un platonism e exagéré.
4. Il est saint, ou, pour m ieux dire, la sainteté m êm e, P. de R égnon, op. cil., t. ni, p. 37 ; Tixeront, op. cil.,
une sainteté qui n ’ a point de degrés, et qui exclut p. 86. Son originalité consiste à chercher, dans la na ­
tout com m encem ent. Oral., xxv, 16, P. G., t. xxxv, ture m êm e de D ieu, la raison d ’ être du Saint-Esprit.
col. 1221. Il est bon, puisqu ’ il découle d ’ une bonté Si l ’ È criture sainte atteste la divinité du Saint-
essentielle, έν Π νεύμα έξ άγαθοϊο θεού θεός , Carm., ι, E sprit, la vie intim e de la divinité nous apprend que
1, ν. 35, P. G., t. xxxvn, ccL 401. Le Saint-E sprit D ieu ne saurait exister sans son Esprit. L a théolo ­
participe donc à la nature divine. Oral., xxv, 15, gie donc de saint G régoire de N ysse m arque un réel
P. G., t. xxxv, col. 1220; x l i , 9, t. xxxvi, col. 441. progrès sur celle de ses devanciers, en tant qu ’ elle
Toutes les fois qu ’ il parle de la T rinité, saint G ré ­ déduit l ’ existence du Saint-E sprit de la vie intérieure
goire de N azianze ne se lasse pas de proclam er l ’ unité de l ’ être divin, qui n ’ aurait sa plénitude absolue,
num érique de la substance divine et la distinction s ’ il n ’ y avait en lui que le Père et le Fils. V oir N esm ié-
réelle des trois hypostases divines. U n seul D ieu en lov, Le système dogmatique de saint Grégoire de Nysse
trois splendeurs gouverne l ’ univers. Carm., i, 3, 43, (en russe), K azan, 1887, p. 282.
coL 411. U ne seule nature est constituée en trois per ­ D ans son livre De Spiritu Sancto adversus pneuma-
sonnes. Ibid., 71, col. 413. L a Trinité dérive de tomachos macedonianos, P. G., t. x l v , col. 1301-1334,
l ’ unité et l ’ unité résulte de la Trinité. Ibid., 60, G régoire de N ysse réfute les m acédoniens, qui gaspil­
col. 413. C hacune des trois personnes divines est D ieu. laient leur tem ps à chercher dans le plus profond de
Ibid., 75, col. 413. Les trois personnes ne sont qu ’ une la m er la perle précieuse cachée sur leur sein. De eo
seule force, une seule pensée, une seule gloire, une quod sil ad imaginem Dei, P. G., t. x l i v , col. 1340.
seule royauté. Ibid., 87, 88, col. 415; Carm., n, 29, D ans les douze livres Contra Eunomium, P. G., t. x l v ,
col. 524. E n trois lum ières il n ’ y a qu ’ une seule lu ­ col. 243-1122, il aborde plusieurs fois les questions
m ière, un seul D ieu. Oral., xxxi, 3, col. 136. Les trois dogm atiques relatives au Saint-E sprit, m ais toute
personnes en D ieu sont distinctes par le nom bre, m ais son attention se concentre sur le V erbe. La lutte entre
unies par la divinité. Oral., xxxiv, 16, col. 236. les orthodoxes et les pneum atom aques, déclare-t-il,
Le culte qu ’ on rend au Saint-E sprit dans l ’ Église consiste à savoir si le Saint-E sprit est une créature ou
est aussi pour saint G régoire de N azianze un tém oi ­ s ’ il est D ieu, s ’ il est incréé, com m e l ’ Église l ’ a toujours
gnage en faveur de sa divinité. Le Saint-E sprit nous cru et enseigné. Contra Eunomium, L I, col. 305.
déifie dans le baptêm e. N ous devons donc l ’ adorer; et L ’ Église professe donc ouvertem ent la foi à la divi ­
si nous l ’ adorons, com m ent n ’ est-il pas D ieu? Ibid., nité du Saint-E sprit; elle affirm e que le Saint-E sprit
28, col. 165. Si le Saint-E sprit n ’ était pas D ieu, le bap ­ n ’ est pas créé, parce qu ’ il est la bonté par essence,
têm e serait inutile, invalide. Oral., xxxvn, 18, col. 304. parce qu ’ il gouverne les créatures, exerce son auto ­
N ous devons donc adorer le Saint-E sprit avec le Père rité sur elles, ouvre à la science de D ieu les intelli­
et le Fils com m e une seule divinité, une seule puis ­ gences créées. De fide ad Simplicium, P. G., t. x l v ,
sance. Orat., v, 22, P. G., t. xxxv, col. 22; xx, col. 141-144. Le dogm e, proposé par l ’ Église aux fi­
col. 1072; xxxi, 32, t. xxxvi, col. 172. C eux qui ne dèles, nous oblige à croire que, hors la distinction des
veulent pas reconnaître le Saint-E sprit com m e D ieu hypostases, tout est possédé en com m un par les trois
sont des apostats, Carm.,t, 1, 36, col. 401 ; l ’ Église les a personnes divines, essence, puissance, bonté, gloire.
rejetés de son sein. Epist., n, P. G., t. xxxvn, col. 196. Contra Eunomium, 1. II, col. 559. Les eunom iens donc,
La personnalité du Saint-E sprit est nettem ent for ­ qui repoussent l ’ enseignem ent de l ’ Église sur le Saint-
m ulée dans le passage suivant, qui expose adm irable ­ E sprit, sont des adeptes de la synagogue. Ibid., 1. 1,
m ent la doctrine catholique de la T rinité : « U ne seule col. 305.
divinité et puissance qu ’ on trouve unie en trois choses, M ais où l ’ Église a-t-elle puisé sa croyance à la divi­
non d ’ essence et denature différentes,non augm entées nité du Saint-E sprit? D ans la sainte É criture, ré ­
par quelque addition, non am oindries par quelque pond avec assurance G régoire de N ysse. L a sainte
soustraction, égales sous tous les rapports, les m êm es É criture reconnaît form ellem ent, contre les Juifs,
dans tous les sens..., l ’ union infinie de trois infinis; que le V erbe et le Saint-E sprit participent à la toute-
D ieu, si on le considère chacun en soi, en tant que puissance essentielle de D ieu, à son action créatrice,
Père, Fils et Saint-Esprit, de sorte que chacun con ­ à son im m ensité. Oral, cat., 4, P. G., t. x l v , col. 20.
serve son caractère personnel. D ieu tous trois, quand Toute l ’ È criture inspirée par D ieu atteste que le
on les considère ensem ble. » Oral., x l , 41, col. 417. Le Saint-E sprit est D ieu. Contra Eunomium, 1. II,
Saint-Esprit a toujours été en D ieu, dès le com m en ­ col. 553. E lle attribue au Saint-E sprit l ’ incorrupti ­
cem ent, et il a été com m e le troisièm e term e de la bilité, la bonté essentielle, la sagesse infinie. Ibid.,
Trinité. Oral., xxxi, 4, col. 137. D e m êm e que le Fils 1. II, col. 559. Saint G régoire rappelle les attributs di ­
n ’ est pas « le Père », bien qu ’ il soit ce qui est le Père, vins que la sainte É criture reconnaît au Saint-Esprit.
ainsi le Saint-E sprit n ’ est pas le Fils, bien qu ’ il soit ce L ’ E sprit de D ieu est saint par nature, κατά φύσ-.ν,
qui est le Fils. Ces trois term es ne font qu ’ un seul com m e le Père et le Fils. Il vivifie, il est incorruptible,
être, si on considère leur divinité, et cet être unique im m uable, éternel, juste, sage, droit, bon, puissant;
est en trois, si on tient com pte des propriétés per ­ il gouverne, il distribue les dons de la grâce; il existe
sonnelles. Ibid., 9, col. 144. La foi catholique se tient partout, il se trouve en tout; il rem plit l ’ univers, il
à égale distance de l ’ hérésie sabellienne, qui confond règne dans le ciel, il est répandu dans les puissances
les personnes en D ieu, et de l ’ hérésie arienne, qui d ’ en haut; il rem plit les êtres, chacun selon sa capa ­
sépare l ’ indivisible nature divine. Ibid., 30, col. 162. cité, et néanm oins il est toujours pleinem ent en lui-
Les vrais chrétiens distinguent les propriétés person ­ m êm e; il dem eure avec les saints, sans se séparer de la
nelles sans détruire l ’ unité divine. Orat., xx, 5, sainte Trinité. Il pénètre les secrets de D ieu, il reçoit
col. 1072. Ils adorent un seul D ieu en trois persoim es toujours du Fils, il est envoyé par le Fils, auquel il est
distinctes. Ibid., 6, 7, col. 1072, 1073. joint de toute éternité. Il glorifie, m ais sa gloire est en
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lui-m êm e, parce que celui qui donne la gloire aux révélation, il s ’ efforce d ’ indiquer les raisons qui la
autres possède une gloire bien plus grande. Si donc la rendent nécessaire. L a négation du Saint-Esprit ren ­
m ajesté du Saint-E sprit est si sublim e, pourquoi s'in ­ drait im parfaite la vie de D ieu, c ’ est-à-dire équivau ­
surger contre son culte et son adoration? Pourquoi drait à la négation de D ieu lui-m êm e.
lui refuser le nom de D ieu? Adversus macedonianos, La com m unauté d ’ attributs et d ’ opérations entre
22, 23, P. G., t. x l v , col. 1328, 1329. L ’ É criture dé ­ les trois personnes divines est une autre preuve de la
clare que le Saint-Esprit est D ieu. Ibid., 3, col. 1304. divinité du Saint-E sprit. Il suffit de prononcer le nom
Et nous qui croyons à l ’ autorité de l ’ É criture, nous d ’ E sprit de D ieu, pour conclure qu ’ il est D ieu. Le eo
devons soutenir que, par rapport à la divinité, le quid sit ad imaginem Dei, P. G., t. x l i v , coi. 1341.
Saint-E sprit ne diffère point du Père et du Fils. N ous découvrons dans le Père, le Fils et le Suini-
Ibid., 2, col. 1304. E sprit la m êm e puissance, la m êm e volonté, lu m ême
D eux textes scripturaires donnent m atière à une intelligence. Ibid., col. 1344. L ’ E sprit-Saint accom plit
dém onstration originale de la divinité du Saint-Esprit. les m êm es œ uvres que le Père et le Fils. Contra Euno­
Le prem ier est tiré du Pater : « Q ue votre règne ar ­ mium, 1. II, col. 564. Toutes les opérations ad extra
rive. » M atth., vi, 10. Le second est une ancienne va ­ dérivent du Père, passent par le Fils, s ’ achèvent dans
riante du m êm e texte, d ’ après l ’ Évangile de saint Luc : le Saint-Esprit. M ais les trois personnes divines ne sont
έλΟέτω τδ "Α γιον Π νεύμα σοϋ έφ ’ ήμά;, καί καΟαρισάτω pas trois D ieux. Quod non sunl 1res dii, P. G., t. x l v ,
ημάς . En com m entant ce passage, le saint docteur col. 125, 128. Le Saint-E sprit est créateur com m e le
déclare que le Saint-E sprit est le royaum e de D ieu. Père et le Fils. Adversus macedonianos, 13, cnl. 1317.
De oratione dominica, 3, P. G., t. x l i v , col. 1157. Il est inséparable du Père et du Fils par rapport à la
S ’ il est le royaum e de D ieu, il est séparé des créa ­ gloire, à la m agnificence, à la toute-puissance. Ibid.,
tures, m ais en m êm e tem ps il est inséparable de 14, col. 1317. C ’ est pour cela que nous rendons au
celui à qui est le royaum e. Le roi de cc royaum e est Saint-E sprit les m êm es louanges, la m êm e vénération
le Père; le Saint-Esprit est donc inséparable du qu ’ au Père et au Fils. Ibid., 8, col. 1309. Saint G ré ­
Père, à la grandeur et à la m ajesté duquel il parti ­ goire appuie avec force sur cette inséparabilité des
cipe. M ais D ieu n ’ est pas inactif ad intra. Il en ­ personnes divines dans leurs opérations pour conclure
gendre de toute éternité son Fils unique. Le Saint- que le Saint-E sprit est D ieu. Le Père ne fait rien sans
E sprit donne au Fils la couronne de sa gloire royale. le Fils, ni le Fils sans le Saint-E sprit. De eo quid sit
Par rapport au Père, il est le royaum e; par rapport ad imaginem Dei, 44, P. G., t. x l i v , col. 1344. S ’ il y a
au Fils, il est le chrêm e de l ’ onct ’ on. Il est cette huile donc identité d ’ opérations entre les trois personnes
d ’ allégresse, Ps. x l v , 8, dont D ieu se sert pour oindre divines, le Saint-Esprit n ’ est pas étranger à la nature
§on divin Fils. Adversus Apollinarem, 52, P. G., t. x l v , du Père et du Fils. Contra Eunomium, 1. II, col. 564.
col. 1249. Il s ’ ensuit que le Fils de D ieu, en tant qu ’ il Saint G régoire de N ysse m et en relief les consé ­
est consubstantiel au Père, participe à la m ajesté quences absurdes et ridicules auxquelles aboutis ­
royale du Père; en tant qu ’ il participe à cette m ajesté, saient les m acédoniens et les eunom iens. Ils soute ­
il est oint avec le chrêm e du Saint-Esprit. La gloire naient que le Saint-E sprit est une créature et
de la royauté divine qu ’ il reçoit en partage s ’ appelle cependant ils le rattachaient à la nature incréée de
sym boliquem ent onction. Ibid., 53, col. 1252. D ieu. Si l ’ être du Saint-E sprit était créé, ne serait-
O n ne saurait donc séparer la gloire du Saint-Esprit il pas absurde de l ’ élever à la hauteur incom m ensu ­
de la gloire du Père et du Fils. Le Père a toujours rable de D ieu, Adversus macedonianos, 18, col. 1324;
sa gloire qui a précédé les siècles; la gloire du Père est d ’ attribuer à une créature la sanctification des âm es,
le Fils éternel et la gloire du Fils est le Saint-Esprit, une œ uvre qui appartient uniquem ent à D ieu? De
qu ’ on ne saurait séparer du Père et du Fils. Contra orat, dominica, P. G., t. x l i v , col. 1160. Si nous
Eunomium, 1. I, col. 372. Le Fils est glorifié par l ’ Es ­ voyons deux feux qui produisent le m êm e effet, qui
prit; le Père est glorifié par le Fils, et ce Fils unique brûlent tous deux, nous disons que leur nature est
de D ieu est aussi la gloire de l ’ Esprit. identique. D e m êm e, si dans l ’ ordre surnaturel le
O n serait tenté de croire que saint G régoire de Saint-E sprit déploie la m êm e activité que le Fils,
N ysse donne aux m ots royaume et onction une valeur nous devons en conclure que leur nature est iden ­
sym bolique. M ais il proteste lui-m êm e avec énergie tique. Le Saint-Esprit participe donc à la nature di ­
contre cette fausse interprétation de sa théorie. Le vine. Contra Eunomium, 1. Il, col. 489.
chrêm e, dit-il, n ’ est pas étranger à la nature de celui La foi catholique à la sainte T rinité ne saurait se
qui est roi. Le règne de D ieu, qui est le Saint-Esprit, concevoir sans la foi au Saint-Esprit. Si le Saint-
est un règne vivant, substantiel, personnel. Adversus E sprit existe, il ne peut être séparé du Fils par rap ­
macedonianos, 16, col. 1320-1321. Il ne faut concevoir port à son origine étem elle et à sa nature. Ibid., I. I,
aucun intervalle entre le roi et la royauté, ni entre la col. 369. C om m e le Saint-E sprit est joint au Père et
Sagesse et l ’ E sprit de sagesse, ni entre la V érité et tire de lui son être, sans que son existence soit pos ­
l ’ Esprit de vérité, ni entre la Puissance et l ’ Esprit térieure; ainsi en est-il à son tour du Saint-E sprit par
de puissance. Contra Eunomium, 1. II, col. 469. Les rapport au Fils. Ibid., col. 464. La foi catholique dé ­
dénom inations de règne et de chrêm e, données au fend d ’ établir la plus petite différence de nature entre
Saint-Esprit, n ’ autorisent donc pas à conclure que le les trois personnes divines. Ibid., I. I, col. 320. Si nous
Saint-E sprit entre dans la Trinité com m e un élém ent ne pouvons pas m êm e dire : « Jésus est le Seigneur, ·
étranger et extérieur. Adversus macedonianos, 16, sans le Saint-Esprit, il est évident que le Saint-E sprit
col. 1320, 1321. Elles le révèlent, au contraire, com m e de toute éternité est joint à la T rinité parfaite. Adver­
D ieu. D e m êm e que l ’ esprit hum ain qui est dans sus macedonianos, 12, col. 1316. E t celui qui refuse
l ’ hom m e et l ’ hom m e lui-m êm e ne font qu ’ un seul au Saint-Esprit la nature divine et repousse la foi
hom m e, ainsi l ’ E sprit de D ieu qui est en D ieu et D ieu catholique, est pire que les infidèles et il outrage ie
lui-m êm e sont un seul D ieu. Contra Eunomium, 1. Il, nom de chrétien; le chrétien, en effet, croit à la divi­
col. 564-565. E t de m êm e que le Fils est uni au Père, nité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ib:E. 15.
ainsi le Saint-Esprit est uni au Fils. Ibid., 1. I, col. 464. col. 1320. Si nous enlevons le Saint-Esprit à l'être
L a théorie de saint G régoire de N ysse est donc un vin, nous n ’ avons plus un D ieu m ort, m ais peur ainsi
essai d ’ explication théologique de la divinité du dire le cadavre d ’ un D ieu. De eo quid sil ref — -
Saint-E sprit. Le saint docteur adm et l ’ incom préhen ­ Dei, 44, col. 1340. Le Saint-E sprit est donc <■
sibilité du dogm e trinitaire; m ais, à la lum ière de la de la création; il est une nature increee. De fiée ai
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Simplicium, col. 144. Le fait m êm e qu ’ il est associé E sprit dans ses discours sur la T rinité, P. G., t. x l v ii i ,
au Père et au Fils dans la form ule du baptêm e at ­ col. 1087-1096, et sur la Pentecôte, P. G., t. l , col. 453-
teste que Jésus-C hrist l'a présenté com m e participant 470. O n lui attribue d ’ autres hom élies sur la Pente ­
à la nature divine. Contra Eunomium, 1. I, col. 349. côte, P. G., t. l u , col. 803-814, et un serm on sur le
La personnalité du Saint-Esprit est aussi nette ­ Saint-Esprit, ibid-., col. 813-826, m ais ces pièces ne
m ent affirm ée par saint G régoire de N ysse. Il est bien sont pas de lui.
vrai, déclarc-t-il, que l ’ unité divine n ’ adm et pas de Saint Jean C hrysostom e appelle les pneum ato-
division, Oral, calech., m , col. 17; que les personnes m aques des hérétiques m audits par D ieu, De sancta
de la T rinité sont un 'seul D ieu. Contra Eunomium, Trinitate, P. G., t. x l v ii i , col. 1087, qui m éritent les
1. II, col. 533. M ais nous devons en D ieu distinguer anathèm es de l ’ Église, ibid., col. 1096, blasphèm ent
entre la nature divine et les personnes divines. A D ieu, ne se soucient guère des bienfaits qu ’ ils en ont
cause de cette distinction, D ieu est à la fois un et m ul ­ reçus et m éprisent m êm e le salut de leur âm e. De
tiple, un par l ’ essence, m ultiple par les propriétés sancta Pentecoste, n, P. G., t. L, col. 463.
personnelles, qui distinguent le Père, le Fils et le C ontre leur im piété, la sainte É criture atteste que
Saint-Esprit. Ibid., 1. II, col. 469. Les propriétés per ­ le Saint-Esprit est D ieu, parce qu ’ elle le désigne sous
sonnelles établissent en D ieu une réelle distinction. les dénom inations d ’ E sprit de D ieu, du C hrist, de vé ­
Ibid., 1. II, col. 472. Le Saint-Esprit ne diffère point du rité, de consolation. Ibid., col. 1094. Elle lui attribue
Père et du Fils selon la nature, m ais selon l ’ hypo- une science parfaite, car il pénètre tout, m êm e les
stase. Ibid., col. 472. Il est joint au Père et au Fils par profondeurs de D ieu, I Cor., n, 10, ibid., col. 466;
la possession com m une de la m êm e essence incréée, De fide et lege naturæ, ibid., col. 1096. Le Saint-
m ais il est distinct du Père et du Fils par sa pro ­ E sprit est im m ense, d ’ après l ’ É criture, et l ’ im m en ­
priété constitutive. Ibid., 1. I, col. 336. Le Saint-Esprit sité ne convient qu ’ à D ieu. Homil., xxx, in Joa., 2,
est associé en tout au Père et au Fils, il en est distinct P. G., t. l i x , col. 474. L ’ A ncien T estam ent l ’ a révélé,
dans l ’ ordre de la T rinité et dans la personnalité. Ad­ bien que d ’ une m anière im parfaite, D an., xm , 45;
versus macedonianos, 14, col. 1317. il y a été m entionné plusieurs fois et annoncé com m e
Les textes nom breux que nous ont fournis les écrits D ieu avec le Père et le Fils. De sancta Trinitate, P. G.,
de saint B asile, de saint G régoire de N azianze et de t. x l v ii i , col. 1088.
saint G régoire de N ysse, m ontrent jusqu ’ à l ’ évidence Les pneum atôm aques le rangent au nom bre des
que les trois C appadociens ont affirm é de la m anière la êtres créés, parce qu ’ on lit dans les A ctes des apôtres:
plus énergique l ’ unité de la substance divine et la Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous, xv, 28. Ils
réelle distinction des personnes divines, c ’ est-à-dire en ont déduit qu ’ il a, com m e les apôtres, la nature
qu ’ ils ont affirm é en m êm e tem ps la divinité et la per ­ hum aine. M ais nous lisons aussi dans l ’ Exodc que le
sonnalité du Saint-Esprit. O n ne saurait donc décou ­ peuple d ’ Israël crut à Jéhovah et à M oïse, xiv, 31.
vrir avec N ôsgen chez ces trois docteurs les traces du S ’ ensuivrait-il peut-être que D ieu et M oïse parti ­
subordinatianism e et du sabellianism e. Op. cil., cipent à la m êm e nature? Les cent hom m es qui sui ­
p. 56-58. La doctrine des C appadociens est d ’ vne clarté virent G édéon contre les M adianites s ’ écrièrent :
qui écarte tout soupçon. N ôsgen cite à l ’ appui de ses Épée pour Jéhovah el pour Gédéon. Jud., vu. 20.
accusations le texte suivant de saint G régoire de S ’ ensuivrait-il peut-être que G édéon soit par nature
N ysse : « D ’ une part, la raison de principe distingue l ’ égal de Jéhovah? Il serait absurde de le supposer.
les personnes de la sainte Trinité, par la distinction L ’ interprétation des pneum atôm aques est donc fausse.
qui se trouve entre « être principe » et « être du prin­ De fide el lege naturæ, P. G., t. x l v ii i , col. 1086. Il est
cipe »; d ’ autre part, la nature divine est, suivant vrai que saint Paul déclare qu ’ il y a un seul D ieu, le
toute considération, indivisible et identique à elle- Père, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, et qu ’ il passe
m êm e. V oilà pourquoi l ’ on doit affirm er d ’ une m a ­ sous silence le Saint-E sprit. I Cor., vm , 6. M ais il ne
nière absolue qu ’ il n'y a qu ’ une seule divinité, qu ’ un m otionne pas le Saint-E sprit pour ne pas donner à
D ieu unique, et prendre au singulier tous les nom s croire aux néophytes que la religion chrétienne soit un
divins. » Quod non sunt très dit, P. G., t. x l v , col. 136. polythéism e m asqué. Les prophètes n ’ ont pas agi
.M ais on voit bien que, dans ce passage, le saint doc ­ autrem ent. Ils n ’ ont pas exprim é ouvertem ent la
teur insiste sur l ’ unité de la nature divine sans rejeter divinité du C hrist pour ne pas exposer les Juifs incon ­
pour cela la distinction des personnes. Il proteste, en stants à concevoir des doutes sur l ’ unité de D ieu.
effet, contre ceux qui l ’ accusaient de confondre les Homil., xx, in ad Cor., 3, P. G., t. l x i , col. 164,
notions de personnes dans l ’ identité de nature. Ibid., 165.
col. 133. « O n prétendra peut-être, dit-il, que notre La théologie, se fondant sur l ’ autorité de la sainte
défense de l ’ unité de la nature divine nous conduit à Écriture, enseigne la divinité du Saint-Esprit. « La
adm ettre en D ieu un m élange et une confusion de théologie trinitaire, dit le saint docteur, reconnaît dans
personnes. Ce serait une calom nie : car, tout en sou ­ le Saint-Esprit la nature incréée de D ieu, la dignité de
tenant l ’ identité de nature, nous ne nions pas qu ’ il y D ieu, sa gloire incom préhensible, un pouvoir qui est
ait une différence entre le principe et celui qui dérive com m un au Père et au Fils. » De fide et lege naturæ,
du principe. » Ibid., col. 133. P. G., t. x l v ii i , col. 1088. La foi révèle le Saint-
6. La théologie trinitaire de saint Jean C hrysostom e E sprit com m e D ieu. De sancta Pentecoste, il, P. G.,
est .à peine ébauchée. N e nous étonnons donc pas t.L , col. 466. Le Saint-Esprit est D ieu, ibid., i, col. 456;
qu ’ elle n ’ offre rien de particulier, rien d ’ original. Le il participe à l ’ essence de D ieu, In Ps. x l iv , 3, P. G.,
saint docteur s ’ en tient aux form ules universellem ent t. l v , col. 187; la nature du Fils est identique à la
reçues dans l ’ Église. Il est le tém oin de la tradition qui nature du Saint-Esprit. Homil., xxxi, in Acta apost..
reconnaît trois personnes distinctes dans l ’ unité num é ­ 2, P. G., t. l x , col. 230. La substance du Saint-Esprit
rique de la nature divine, m ais il n ’ engage, qu ’ en pas ­ est la substance royale du Seigneur : c ’ est pour cela
sant, la lutte doctrinale avec les hérésies antitrini- qu ’ il nous console. Homil., xxix, in P m ad Cor., 4,
taires. Il se préoccupe constam m ent de rappeler à ses P. G., t. l x i , col. 246. La nature du Saint-E sprit est
auditeurs que l ’œ il créé est im puissant à sonder les identique aussi à la nature du Père. Homil., xxx, in
abîm es des m ystères de D ieu : pour ce qui concerne la //am ad Cor., 2, P. G., t. l x i , col. 607. Par cette iden ­
vie intim e de D ieu, nous devons nous borner aux don ­ tité de nature, le Saint-E sprit a la m êm e volonté, que
nées de la révélation. le Père et le Fils- Homil., l x x v i i i , in Joa., 3, P. G.,
Il traite avec plus d ’ am pleur de la nature du Saint- t. l i x , col. 425. L a puissance du Saint-Esprit est la
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puissance du Seigneur, parce que la gloire du règne du Père et s ’ il reçoit du Fils, il n ’ est pas étranger _ .u
de la T rinité est indivisible. De fide el lege naturœ, nature de D ieu. Ibid., col. 1094.
{·. G., t. x l v ii i , col. 1086. Saint Paul donne au Saint- M ais, bien qu ’ il participe à la nature divine, le
E sprit la m êm e puissance qu ’ il attribue au Père, Saint-E sprit ne cesse pas d ’ être une personne dis ­
I Cor., xn, 6, et cela se com prend, parce que, là où il tincte, In Ps. xi.iv, 3, P. G., t. l v . col. 1-7. - -
n ’ y a qu ’ une essence, il y a aussi un seul pouvoir; personnes divines ne doivent pas être cor,!■■■■..·
la dignité est la m êm e, l ’ autorité est une et identique. elles restent distinctes, bien qu ’ inséparables de la
De sancta Pentecoste, n, P. G., t. l , col. 464. sainte T rinité. Homil., xm , in Epist. a.: Rem.. -,
E t cette puissance de l ’ E sprit est si grande que rien P. G., t. l x , col. 519. Ce qui appartient à la T:
ne pourrait s ’ y opposer, ou em pêcher qu'elle s ’ accom ­ n ’ adm et pas de division. Si le Fils se com m unique,
plisse, Homil., xxvi, in Joa., 2, P. G., t. l i x , col. 155, l ’ E sprit aussi. La grâce qui est répandue dans les
car ce que fait le Père est fait aussi par le Saint- âm es vient du Père, du Fils et du Saint-Espnt. M ais
E sprit. Homil., xxn, in Acta apost., 2, P. G., t. l x , cette indivisibilité de nature n ’ aboutit pas à la con­
col. 173; xi, 2, col. 96. fusion des personnes. Il faut sauvegarder en m êm e
En vertu de cette puissance divine, le Saint-E sprit tem ps l ’ unité de nature et la distinction des proprié ­
prend part avec le Père et le Fils à l ’ œ uvre de la ré ­ tés personnelles. Homil., xxx, in II*<* ad Cor.. 2,
dem ption. De sancta Pentecoste, i, P. G., t. l , coi. 456. P. G., t. l x i , col. 608.
Son action s ’ étend partout. U ne seule goutte du 7. Saint É piphane fait ressortir l ’ im portance et la va ­
Saint-Esprit, ή pavi; τοΟ Π νεύματος , suffit à rem plir leur docum entaire de la tradition que l ’ Église a reçue
l ’ univers, In Ps. x l iv , 3, P. G., t. l v , col. 186; et qu ’ elle transm et. Il y a un lien de continuité entre
Homil., xxv, in Joa., 2, P. G., t. l i x , col. 151 ; et à l ’ ancienne et la nouvelle croyance, et l ’ autorité de
vivifier les âm es. Adversus Judæos, v, P. G., t. x l v ii i , l ’ Église établit ce qui est conform e à la véritable tra ­
col. 204. dition et ce qui s ’ en écarte. O n a besoin de tradition
M ais sa puissance se révèle surtout dans l ’ ordre dans l ’ Église, car tout n ’ est pas contenu dans l ’ Écri-
surnaturel. C ’ est lui qui a parlé par les prophètes, ture sainte. Hær., l x i , 6, P. G., t. x l i , col. 1048. D e
Homil., x, in Gen., 3, P. G., t. u n , col. 85; xx, 1, tout tem ps, l ’ Église a réduit au silence les hérétiques
col. 166, 167; qui a inspiré les prophètes de l ’ A ncien et et conservé la foi prêchée par les apôtres. Ancora/us,
du N ouveau T estam ent. In. Ps. cxv, 2, P. G., t. l v , 82, 118, P. G., t. x l i ii , col. 172, 232; Expositio fidei,
col. 321 ; Homil., x l i , in Matth., t. l v i i , coi. 449. Il 2, 6, P. G., t. x l ii , col. 777, 784. Ce sera donc à lÉcri-
est l ’ auteur de la grâce, Adversus Judæos, v, P. G., ture et à la tradition que saint É piphane dem andera
t. x l v ii i , col. 903; il distribue les dons de D ieu. De la vraie doctrine de l ’ Eglise touchant le Saint-E sprit.
sancta Pentecoste, i, P. G., t. l , col. 456. C ’ est de lui Il rem arque d'abord qu ’ il n ’ y a pas de confusion
seul que nous recevons la foi. De verbis apostoli : Ha­ dans la Trinité, com m e le prétend A rius. Hær.. l x h ,
bentes eurpdem spiritum, ι, 4, P. G., t. l i , col. 276. P. G., t. x l i , col. 1053. A la suite des ariens, les sem i-
Sans le Saint-E sprit, nous ne pourrions nous délivrer ariens, «des cérastes à une seule com e sur la tête. = Hær.
de nos péchés, De sancta Pentecoste, i, col. 458, car l x x iv , 14, col. 501, corrom pent la croyance catho ­
c ’ est le Saint-E sprit qui efface nos im puretés, trans ­ lique au Saint-E sprit. Ils soutiennent que le Saint-
form e la nature hum aine en nature angélique et lui E sprit est une créature, tandis que l ’ É criture le glo ­
donne dans le bien la consistance de l ’ acier. Ibid., n, rifie com m e D ieu. E n effet, elle parle de l ’ E sprit-
coi. 464, 465. Sans l ’ E sprit, nous ne pourrions invo ­ Saint com m e de l ’ E sprit de D ieu, de l ’ E sprit du C hrist ;
quer le C hrist, acquérir la science et la sagesse divine. elle déclare que le Saint-Esprit est égal à la divinité.
Sans le Saint-E sprit, il n ’ y aurait pas de pasteurs Hær., l x h , col. 1056. Le saint docteur apporte une
dans l ’ Église, ni de cène eucharistique. B ref, sans série de textes qui m ettent en relief la divinité du
le Saint-Esprit, l ’ Église elle-m êm e ne saurait exis ­ Saint-Esprit. O n lit dans Isaïe : « J'ai m is m on E sprit
ter, et si elle existe, c ’ est un signe certain que le Saint- sur lui, » x m , 1. D ieu révèle ainsi la nature réelle ­
E sprit y est. Ibid., col. 458. m ent divine du Saint-E sprit. Hær., l x x iv , 13, col. 500.
Le Saint-E sprit dem eure dans lésâm es justes;parsa « L ’ esprit du Seigneur, de Jéhovah est sur m oi, > dit
grâce il les rend insensibles aux attaques du dém on, Jésus-Christ par la bouche du m êm e prophète, l x i . 1.
qui ne réussit guère à les ébranler, De verbis apo­ Le Saint-Esprit n ’ est donc pas étranger à la nature
stoli : Habentes eumdem spiritum, P. G., t. l i , coi .276; divine. Les textes de saint M atthieu : < L ’ E sprit du
il les conduit dans les sentiers de la vie éternelle, Père parie en vous, » x, 20, et de saint Jean : « R ece ­
In Ps. XLix, 3, P. G., t. l v , col. 186; il les éclaire ’ vez. l ’ E sprit-Saint, » xx, 22, m ontrent que le Saint-
In Ps. cxv, 2, ibid., col. 322; il les inonde de sa E sprit participe à la vie ineffable de la divinité, t ::
grâce, Homil., l x x x i i , in Matth., 5, P. G., t. l v i ii , autre texte de saint Jean : « L e Père vous donnera un
col. 744; il est com m e une source qui les rafraîchit par autre consolateur, » xrv, 15, déclare ouvertem ent que
des jets continus, Homil., l i , in Joa., 1, P. G., t. l i x , le Saint-E sprit est égal et consubstantiel au Père et au
col. 284, et les dons, les grâces qu ’ il répand appar ­ Fils. Ibid., 13, col. 500. D e ce que le Saint-E sprit com ­
tiennent au m êm e titre au Père et au Fils. Homil., m ande aux prophètes et aux docteurs de l ’ Église
xxix, in ad Cor., 3, P. G., t. l x i , col. 244. d ’ A ntioche de séparer Paul et B am abé pour l ’ œ uvre
Le Saint-E sprit nous introduit dans l ’ Église par le de D ieu, A ct., xm , 2, nous pouvons conclure que le
baptêm e. S ’ il n ’ était pas D ieu, il n ’ aurait pas dû être Saint-E sprit n ’ a pas une nature de serviteur, m ais la
nom m é dans la form ule baptism ale. Il serait absurde nature divine. Saint Paul enseigne que le Saint-
d ’ invoquer la créature pour ressusciter à la vie de la E sprit habite en nous et que sa présence dans notre
grâce. De sancta Trinitate, P. G., t. x l v ii i , col. 1089. âm e nous transform e en tem ples de D ieu. I Cor., m .
Son nom dans la form ule du baptêm e révèle qu'il est 16, 17. Si donc le Saint-E sprit est le tem ple de D ie ...
égal au Père et au Fils en honneur, en m ajesté et en com m ent oserions-nous l'exclure de la vie de D u
dignité,D e sancta Pentecoste, π, P.G.,t. L,col. 466; il at ­ L a com m unauté d ’ essence se trouve donc dans les
teste que le Saint-Esprit agit com m e le Père dans trois personnes divines.
l ’ œ uvre de la sanctification. Homil., l x x v i i i , in Joa., O n pourrait aussi tirer de l ’ É critare une fouie de-
3, P. G., t. l ix , col. 424. N ous devons donc adorer le tém oignages, qui prouvent la divinité du Suint-
Saint-E sprit com m e D ieu, D e sancta Trinitate. P. G., Esprit, Hær., l x x i v . 14. col. 501, par exe — ;
t. x l v ii i . col. 1096, parce qu ’ il est consubstantiel au textes qui présentent le Père. le Fds et S uit-E sprn
Père et au Fils. ibid., col. 1094; parce que, s ’ il procède com m e le principe des m êm es action «. Le Q ir -·. t
D IC T . Π Ε T H ÉO L . C A T H O L . T . — 24
739 E S P K ΓΙ'-S A IN T 740

envoyé, l ’ E sprit aussi. Le C hrist parle, guérit, sanc ­ objections des eunom iens et des m acédoniens, qui
tifie, baptise. Ibid., 5, col. 481. L ’ E sprit aussi. Saint faussent le véritable sens de la parole de D ieu et
Épiphane recueille dans l ’ É criture une riche m ois rangent le Saint-Esprit au nom bre des créatures.
son de textes, ibid., 5, 6, col. 481-487, pour dém ontrer Le II 0 et le III ” livre De Trinilale et le Liber de Spiri­
que le Saint-E sprit est associé aux opérations du Père tu Sancio, que nous possédons dans la version latine de
et du Fils, et de ces textes il déduit la preuve de sa di ­ I saint Jérôm e, contiennent une si riche m oisson de
vinité. Si, en effet, les opérations du Saint-E sprit textes scripturaires, une telle abondance de données
découlent de la puissance divine, qui est celle du Père théologiques touchant la divinité du Saint-E sprit,
et du Fils, il est évident qu ’ il est consubstantiel au qu ’ il ne serait pas exagéré de considérer ces ouvrages
Père et au Fils. Ibid., 11, col. 426. com m e les sources les plus im portantes de la théologie
Le concept catholique de· ’ l'unité et de la trinité du Saint-E sprit. L ’ O rient et l ’ O ccident y ont puisé à
de D ieu oblige aussi, par des raisons théologiques, à pleines m ains. Le traité du Saint-E sprit par saint A m ­
reconnaître la divinité du Saint-Esprit. Le consen ­ broise, à entendre saint Jérôm e, contiendrait de nom ­
tem ent universel de l ’ Église proclam e l ’ unité de D ieu. breux em prunts au Liber de Spirilu Sancto de D idym e.
« N ous prêchons la m onarchie dans le christianism e, R ufin, Apologia in Hieronymum, n, 25, P. L., t. xxi,
nous croy'ons à l ’ unité divine dans la T rinité, à la divi­ col. 604. Saint Jérôm e parle de ce livre com m e d ’ un
nité unique du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » ouvrage adm irable par l ’ éclat de la pensée et la sim pli ­
Hær., l x i i , 2, col. 1053. Saint Épiphane ne se lasse cité du langage. P. G., t. xxxix, col. 1034. E t c ’ est
pas de répéter que le Saint-E sprit n ’ est pas étranger I grâce à la version de saint Jérôm e que la théologie
au Père et au Fils, quant à sa nature; qu ’il est de la trinitaire de D idym e a exercé une influence considé ­
m êm e nature, de la m êm e divinité, ibid., col. 1053, rable sur la théologie occidentale. D e R égnon, op. cil.,
1060; Hær., l x x iv , 11, col. 496; que dans le Père et le t. m , p. 52.
Fils il n ’ y a rien qui diffère du Saint-Esprit, Hær., D idym e prend la défense du Saint-E sprit contre
l x ix , 45, P. G., t. x l ii , col. 272; que le Père, le Fils et les ariens et les m acédoniens. De Trinitate, i, 17, P. G.,
le Saint-E sprit sont une seule divinité, Hær., l x ii , 8, t. xxxix, col. 341. Il leur en veut surtout de leur achar ­
col. 1061; l x x i v , 33, 75, col. 253, 328; que le Saint- nem ent à fausser le sens des textes de l ’ É criture. Ibid.,
E sprit est coéternel au Père et au Fils, Hær., l x x i v , n, 2, col. 461. 11 n ’ épargne pas non plus les eunom iens,
59, col. 301; qu'il est vraim ent D ieu, Ancor., 3, P. G., qui appellent à leur aide la philosophie d ’ A ristote et
t. X Lin, col. 20, 21 ; que la divinité lui est inhérente, qui, par de captieux raisonnem ents, altèrent la vérité
ibid., 8, col. 29; qu ’ il n ’ est pas com posé, κατά catholique, ibid., n, 4, col. 479, rejettent l ’ enseigne ­
σύνβίσιν, m ais qu ’ il est de la m êm e nature que le Père m ent de la saine théologie, ibid., u, 5, col. 491, forgent
et le Fils, ibid., 8, col. 29; qu ’ il est toujours avec des théories que le Saint-Esprit n ’ a pas révélées et que
le Père et le Fils, Hær., l x i i , col. 1053; toujours la tradition ancienne ne confirm e nullem ent. De Spi­
associé au Père et au Fils, Hær., l x i x , col. 292; rilu Sancto, 1, P. G., t. xxxix, col. 1033.
qu ’ il est de D ieu et en D ieu, Hær., l x x i v , 11, Les efforts des ennem is du Saint-Esprit n ’ abou
col. 496; qu ’ il est le lien de la Trinité. Hær., l x ii , tissent à rien, parce que l ’ É criture donne au Saint-
col. 1056; l x ix , 52, col. 281. A vec le Père et le Fils, il E sprit des qualités et des opérations qui supposent
a créé tous les êtres, m êm e l ’ hom m e, Hær., l x i x , 52, nécessairem ent en lui la nature divine, qui écartent de
col. 281, m ais il n ’ a été ni créé, ni engendré, Hær., cette nature le D ieu étranger, dont il est question
l x x iv , 12, col. 497, parce qu ’ il n ’ y a rien de créé dans dans le D eutéronom e, xxxn, 12, c ’ est-à-dire la na ­
la Trinité, Ancoralus, 7, col. 28; parce qu ’ il ne peut ture créée. M ais la preuve de la divinité du Saint-
y avoir à la fois en D ieu une nature incréée et une E sprit ne doit pas faire oublier que le m ystère de la
nature créée, ibid., 8, col. 32; parce que le plus par ­ T rinité est incom préhensible. De Trinilale, i, 15,
fait accord règne dans la Trinité. Hær., l x x i v , 10, col. 313. Il ne faut pas s ’ enquérir de la m anière dont
col. 493. L ’ Église de D ieu n ’ adore jam ais la créature, les hypostases divines subsistent en D ieu de toute
Hær., l x ix , 36, col. 257; elle ne peut pas surtout éternité, ibid., n, 1, col. 448, car le dogm e trinitaire
adorer com m e créature celui qui est la source de la surpasse toute connaissance hum aine et angélique.
sainteté et le sceau de la grâce. Hær., l x x i v , 12, Ibid., n, 4, col. 481.
col. 497. L ’ É criture ne laisse pas le m oindre doute sur la réa ­
Saint Épiphane affirm e aussi e?:plicitem ent que le lité et la divinité du Saint-E sprit. L ’ A ncien et le
Saint-E sprit est une personne réellem ent distincte du N ouveau T estam ent le représentent dans la splen ­
Père et du Fils. Il répétera souvent que, dans la sainte deur de sa divinité. Ibid., i, 15, col. 314. Les auteurs
T rinité,il n ’ y a pas de confusion entre les personnes, inspirés le révèlent com m e participant à la nature su ­
Hær., l x i i , 5, 7, col. 1057, 1060; l x i x , 33, col. 253: que blim e de D ieu. Ibid., n. 1, col. 453; De Spiritu Sancio,
si rien ne saurait rom pre l ’ unité de l ’ essence divine, 43, col. 1071. C ’ est à l ’ É criture qu ’ il faut dem ander
rien aussi ne saurait confondre les personnes divines. les arm es pour com battre les pneum atom aques. De
Le Père est parfait, le Fils est parfait, le Saint-Esprit Trinitate, i, 17, col. 341. L ’ apôtre saint Paul term ine
est parfait. Hær., l x x i v , 12, col. 497; Ancoralus, 7, sa II e lettre aux C orinthiens par cette invocation :
col. 28. Le Saint-E sprit est une personne subsistante, « Q ue la grâce de N otre-Seigneur Jésus-Christ, l ’ am our
Hær., l x i i , 6, col. 1057; il est unique com m e personne de D ieu et la com m unication du Saint-Esprit soient
distincte, de m êm e qu ’ il n ’ y a qu ’ un seul Père et avec vous tous, » xni, 13 : cette invocation atteste
un seul Fils. Hær., l x x iv , 11, col. 496. La form ule l ’ égalité parfaite des hypostases divines. De Trinitate,
préférée de saint Épiphane est celle-ci : τρία τέλεια, μία i, 18, col. 349. Lorsque le m êm e apôtre affirm e que le
Οεότης . Ibid., 14, col. 501 ; Hær., l x ix , 33, 45, 55, Saint-Esprit répartit ses dons selon sa volonté, H eb.,
col. 253, 272, 288. Le Saint-F.sprit est au m ilieu du n, 4, il révèle sa toute-puissance divine. Ibid., col. 349.
Père et du Fils, dérivant du Père et du Fils. Ancora- I Le texte de la I ” É pître aux C orinthiens : « Le m êm e
lus, 7, col. 28. Il est donc, en tant que pci sonne divine, E sprit produit tous les dons, les distribuant à chacun
réellem ent distinct du Père et du Fils. en particulier, com m e il lui plaît, » xn, 11, confirm e
8. O n a justem ent rem arqué que D idym e l ’ A veugle | la consubstantialité divine du Saint-E sprit. Ibid., 19,
est avant tout le théologien de la Trinité. B ardy, 1 col. 368. C ette consubstantialité résulte aussi des
Didyme l’Aveugle, p. 58. Il serait plus juste de dire textes qui m ontrent le Saint-Esprit parlant com m e
qu ’ il est avant tout le théologien du Saint-Esprit. Par le Fils, M atth., x, 20; vivant en nous com m e D ieu,
son étonnante érudition scripturaire, il pulvérise les G ai., v, 25; nous donnant la loi qui nous affranchit
741 E S P R IT -SA IN T 742

en Jésus-Christ, R om ., vin, 2; nous com m uniquant ί connaissance, m êm e si elle appartient au nom bre des
la science surnaturelle de D ieu. I C or., n, 14. élus. Le Saint-Esprit, au contraire, . ; i-.;.
La dém onstration scripturaire de la divinité du connaît ce qui est en D ieu. Ibid., coi. 541. La creature
Saint-Esprit est, chez D idym e, d ’ une richesse in­ ne voit pas D ieu le Père en lui-m êm e, car la nature
croyable. Il suffit, pour s ’ en convaincre, de parcourir divine ne peut être com prise par la nature hum aine.
les c. x x i - x x v i du I er livre De Trinitate, et les c. n Le Saint-E sprit, au contraire, voit et connaît D ieu
et ni du 11° livre, col. 364-394, 453-479. Les textes s ’ y en lui-m êm e, et il le voit par l ’ identité de -ature
am oncellent, bien souvent d ’ une m anière désor ­ divine. Ibid., col. 544. L a créature n ’ est pas associée a
donnée. Parfois, ils sont entassés sans explication; D ieu, parce qu ’ il n ’ y a rien de com m un entre L crea-
parfois, ils sont suivis de com m entaires très concis, qui teur et la créature. Le Saint-Esprit, au contraire,
se résum ent dans l ’ affirm ation de la divinité du Saint- est associé au Père ct au Fils dans la form uL !.. bap ­
E sprit. La partie la plus im portante de cette théo ­ têm e. Ibid., col. 548. L a créature ne saurait avoir les
logie scripturaire com prend les textes dont le sens a m êm es nom s que D ieu, ni la m êm e nature; m ais le
été faussé par les hérétiques. Ces textes sont l ’ objet Saint-Esprit est désigné sous des nom s qui appar ­
de longues explications dans le III e livre De Trinitate, tiennent à D ieu. Il a donc la m êm e nature. Ibid.,
d nous n ’ exagérons pas en disant que D idym e y a col. 552.
répondu d'avance aux objections scripturaires des L a nature divine du Saint-Esprit est révélée par
sociniens du xvï® siècle. ses opérations divines. Ibid., 11, 7, col. 560. Le Saint-
Le c. vi du II e livre De Trinitate contient une dé­ E sprit vivifie : une vie substantielle, une vertu sanc ­
m onstration très étendue de la divinité du Saint- tifiante qui n ’ a ni com m encem ent ni fin suppose la na ­
E sprit. L ’ argum entation est très sim ple, m ais très ture divine. Ibid., col. 561. Le Saint-E sprit ressuscite
persuasive. Les m acédoniens soutiennent que le les âm es m ortes par le péché et les élève vers le ciel,
Saint-E sprit est une créature. Pour les réfuter, D i­ ibid., col. 564; il rem et les péchés, ibid., col. 578; il
dym e se livre à une étude com parative des propriétés viendra juger les hom m es, ibid., col. 596; il ouvre les
du Saint-Esprit et des propriétés des créatures. Il cieux; il connaît les choses futures, ibid., col. 597;
lui est facile de dém ontrer que tout ce qui est dans le il distribue librem ent et à son gré les dons surnatu ­
Saint-Esprit, soit com m e qualité, soit com m e opé ­ rels, ibid., vin, col. 600; il établit les prophètes et
ration, est m arqué au coin de la divinité. L ’ É criture les pasteurs dans l ’ Église, ibid., col. 621 : il pro ­
est toujours à la base de cette argum entation serrée m ulgue des lois dans l ’ ordre surnaturel. Toutes ces
qui force les m acédoniens dans leurs derniers retran ­ opérations du Saint-Esprit sont attribuées au Père.
chem ents. Si donc, de ce que le Père est réellem ent D ieu, il s ’en ­
Les créatures ont com m encé à exister; le Saint- suit que ses opérations sont divines, de m êm e, si les
E sprit n ’ a pas de com m encem ent, vi, 2, col. 508. Les opérations du Saint-Esprit ne diffèrent pas de celles
créatures ne rem plissent pas l ’ univers, ne le con ­ du Père, il s ’ ensuit que le Saint-Esprit est réellem ent
tiennent pas; le Saint-Esprit, au contraire, contient D ieu. Ibid., vn, col. 572.
tous les êtres. Les créatures sont soum ises à la corrup ­ N ous pourrions continuer cette longue énum éra ­
tion, aux changem ents; le Saint-Esprit, au contraire, tion de preuves scripturaires et théologiques de la
est incorruptible et im m uable. O r, ce qui est incorrup ­ divinité du Saint-Esprit. M ais ce que nous avons dit
tible et im m uable n ’ a ni com m encem ent ni fin; cela est suffit à m ontrer en D idym e un défenseur érudit et
éternel. Ce qui est éternel est le créateur, non pas une convaincu de la doctrine catholique. Il a bien raison
créature. Ibid., col. 513. La créature n ’ a pas l ’ éternité de dire Par le tém oignage de textes sublim es et di­
parfaite et absolue, et si elle est im m ortelle, cette im ­ vins, nous avons dém ontré que de toute éternité le
m ortalité est un don de D ieu. Le Saint-E sprit, au con ­ Saint-Esprit a jailli d ’ une nature unique et divine;
traire, possède l ’ éternité par sa nature. Ibid., col. 516. qu ’ il est, quant à son essence et puissance, infini et
La créature raisonnable penche vers la vérité ou vers incorruptible, com m e le Père et le Fils; que le Père,
le vice, tandis que le Saint-E sprit est la perfection ab ­ en nous le donnant com m e Saint-E sprit, affirm e sa
solue. Il ne diffère donc en rien du Père et du Fils. consubstantialité et sa nature divine incréée. Les
Ibid., col. 524. La créature est sanctifiée et justifiée Livres saints, sans exception, m ontrent l ’ unité de la
par D ieu, qui est saint par sa nature. Le Saint-Esprit nature divine et placent le Saint-E sprit à côté du Fils,
justifie et sanctifie, et 11 distribue les dons surna ­ décrivent ses opérations divines, l ’ appellent l ’ Esprit-
turels. Il est donc consubstantiel au Père, ύμοούσιον Saint par excellence, l ’ E sprit de D ieu qui vient de
? ■ Οεώ Ιίατρί. Ibid., col. 524. La créature ne peut D ieu, l ’ E sprit de vérité, l ’ E sprit divin, le souffle du
pas être reçue par une âm e raisonnable de m anière T out-Puissant. Ces tém oignages de l ’ É criture suf ­
a y habiter, tandis que le Saint-E sprit se com m u ­ fisent pour ferm er la bouche aux hérétiques. M ais
nique substantiellem ent com m e le Père et le Fils. l ’ É criture ne s'arrête pas à ces tém oignages. Elle nous
La créature a une bonté relative, tandis que la bonté fait connaître que le Saint-E sprit nous déifie, nous
du Saint-Esprit n ’ a pas de bornes. Ibid., col. 532. délivre, nous ressuscite, efface nos péchés, nous com ­
La créature est dans un état servile, car elle n ’ est m unique la sagesse, nous sanctifie, rem plit l ’ uni ­
pas libre d ’ elle-m êm e et ne peut donner la liberté vers, inspire les prophètes et les apôtres, les envoie
ix autres. Ibid., col. 537. L a créature ne com m ande com m e Seigneur, est glorifié avec le Père et le Fils.
paj par elle-m êm e, tandis que le Saint-Esprit com ­ C om m ent donc ne serait-il pas D ieu celui qui nous
m ande aux prophètes et aux apôtres. Ibid., col. 537. déifie, ne serait-il pas Seigneur celui qui nous accorde
La créature reçoit sa force et sa puissance de D ieu, la liberté...? Ce qui sépare le Saint-E sprit des crea ­
une force lim itée, qu ’ elle ne peut pas com m uniquer tures n ’ appartient qu ’ à D ieu. D ieu n ’ est pas un être
aux autres, tandis que le Saint-Esprit fortifie les créa ­ créé. Le Saint-Esprit donc est D ieu. - Ibid., n, 25,
tures par sa force invincible. La créature est portée col. 748, 749. Q uant à la personnalité divine du
au m ensonge, tandis que le Saint-Esprit est l ’ E sprit de Saint-Esprit, D idym e em ploie souvent la form ule :
vérité. Ibid., col. 540. La créature n ’ a rien qui lui μία ουσία, τρεις ύποστάσε:;, une form ule dont ia pa ­
donne le droit de s ’ appeler la vérité divine; le Saint- ternité lui est attribuée à tort par Leipoidt. D id çs»
Esprit, au contraire, s ’ appelle la vérité com m e le der Blinde von Alexandrien. Leipzig. ’. -05. p. 135-
Père et le Fils, parce qu ’ il est de la m êm e et unique 131. Les nom breux passages qui contiennent cette
divinité que le Père et le Fils, col. 541. La créature ne form ule, ou des expressions êquiva 1er s, sont a la ­
connaît pas ce qui est à D ieu et ne peut tendre à cette qués par B ardy, op. cil., p. 75. L ’ insista& re εν z
743 E S P R IT -S A IN T 744

laquelle D idym e parle de l ’ unité de D ieu, dans le serm . x l u , p.75. Le nom bre trine des personnes n ’ in ­
traité De Trinitate, ne lui fait pas oublier la distinc ­ troduit pas en D ieu la pluralité, la m ultitude; la
tion réelle des personnes. Les hypostases divines divinité n ’ exclut pas la m ultiplicité des personnes.
ne se confondent pas, bien qu ’ elles soient dans un Ibid., serm . l x x ii i , p. 137. D ans la Trinité, le Fils se
accord unique et parfait quant à la divinité. De Tri­ réjouit de la gloire du Père et l ’ E sprit de celle du Fils
nitate, m , 2, col. 788; B ardy, op. cit., p. 93-104. bien-aim é. Le Père com m ande, le Fils exécute, le
4° Pères syriens. — N ous nous bornons à recueillir Saint-E sprit achève; la m êm e divinité est dans lés
les tém oignages des deux écrivains syriens les plus trois personnes divines, car l ’ ordre parfait de la T ri­
célèbres du iv e siècle, A phraate et É phrem . Le prem ier nité n ’ adm et aucune confusion. Ibid., serm . n, p. 194,
est l ’ auteur de vingt-trois Démonstrations que l ’ on 195. La nature, les propriétés, les opérations du Saint-
s ’ accorde à placer entre 337 et 345. Il y est question E sprit sont décrites en des term es poétiques dans
à plusieurs reprises du Saint-Esprit. A phraate puise l ’ hym ne De defunctis et de Trinitate. Le Saint-Esprit
ses données dans l ’ É criture, qui contient la vraie doc ­ participe à la gloire du Père et du Fils : il viendra avéc
trine, Dem., xxn, 26, dans G ralTin, Palrologia syriaca- eux ressusciter les m orts. Hymni et sermones, édit.
Paris, 1894, t. i, col. 1046, doctrine révélée par le Lam y, M alines, 1884, t. n, col. 242. Π est saint; il est
Saint-Esprit, vn, 10, col. 327, c ’ est-à-dire par la im pénétrable à l ’ intelligence hum aine, ibid., 10,
bouche du D ieu vivant, vm , 25, col. 406. Les rensei ­ coi. 242; il est un consolateur éternel, un principe de
gnem ents d ’ A phraate sur le Saint-E sprit se trouvent perfection ; il a la volonté divine du Père et du Fils. Ibid.,
réunis dans la Démonstration, vi, 12-18, col. 286-310. 12, col. 244. Π répand sur les âm es la rosée de la
A phraate professe tout d ’ abord l ’ unité de D ieu, qui m iséricorde céleste, ibid., 14, col. 244; il reçoit les
a envoyé son E sprit sur les prophètes. C ette croyance prières des justes, ibid., 15,17, col. 244, 246; il est avec
à l ’ unité divine est celle de l ’ Église, i, 19, col. 43. M ais le prêtre à l ’ autel, lorsqu ’ on l ’ invoque dans le saint
le D ieu unique est en trois personnes. Il y a un seul sacrifice, ibid., 16, col. 244; il réveille ceux qui dorm ent
D ieu, un seul C hrist, un seul Esprit. Il serait contraire du som m eil de la m ort, pour leur rendre ce qui est dû
à la foi d ’ augm enter le nom bre des personnes, xxm , à leurs œ uvres, ibid., 18, col. 246, et placer les justes à
60, Paris, 1907, t. n, col. 123. Il faut rendre à ces trois la droite du Père. Ibid., 23, col. 248. Il a constitue le
personnes divines la m êm e gloire; il faut glorifier les Fils com m e le m ur de l ’ Église, par laquelle nous
trois nom s, qu ’ il serait im pie de séparer au m om ent som m es sauvés, ibid., 22, col. 246, et il achève le m ys ­
du baptêm e. Ibid., 61, 63, col. 127, 134. Les pro ­ tère de notre salut. Ibid., 19, col. 246. Il est incréé et
phètes ont reçu le Saint-E sprit. Ibid., vi, 12, 15, consubstantiel au Père et au Fils. In adventum Domini,
col. 287, 298. Il a parlé par la bouche de Jacob, de Opera omnia græce, R om e. 1746, t. in, p. 137. Il pro ­
Joseph, de M oïse, de D avid, d ’ Élie et d ’ Élisée. Ibid., cède du Père et il reste sur le C hrist par essence. In
xxi, 21, col. 983-986. C et E sprit qui est étem el et Isaiam, l x i , 1, édit. Lam y, M alines, 1886, t. n,
céleste, ibid., vi, 14, col. 294; qui, toujours devant col. 180. Il est l ’ inspirateur des prophètes. De nativi­
D ieu, en contem ple le visage, ibid., 16, col. 298, nous le tate Domini,7Opera (syriace), R om e, 1740, t. π, p. 396.
possédons en nous-m êm es. Ibid., xxm , 53, col. 106. Il habite dans les cœ urs purs et les sanctifie. De virgi­
Jésus-Christ l ’ a introduit dans nos cœ urs. Ibid., 52. nitate, Opera (græce), t. m , p. 74. Il sanctifie l’ Église.
col. 99. N ous le recevons dans le baptêm e, dans la prê ­ De pænitentia, ibid., p. 166. II est une source vivi­
trise. Ibid., vi, 14, col. 291. Il distribue la grâce, ibid., fiante. De virginitate, t. ni, p. 74. Saint' Éphrem com ­
xiv, 47, col. 715, 718, et il exerce un rôle prépondérant pare le Père au soleil, le Fils à la lum ière, le Saint-
dans la vie surnaturelle. Sans lui, nous serions plongés E sprit à la chaleur. D ieu est un, m ais son unité n ’ ex ­
dans la plus affreuse m isère spirituelle. Ibid., vi, 18, clut pas la bonté. C ’ est un m ystère que D ieu soit à la
col. 307. Il est dans notre âm e, et pour peu qu ’ il s ’ en fois un et m ultiple, un et trois, trois personnes et un
éloigne, Satan rôde autour d ’ elle, pour l ’ enchaîner à D ieu. Les trois personnes divines se distinguent entre
son trône. Ibid., vi, 17, col. 302. Q uand un hom m e elles, m ais leur cohésion est si grande que le soleil d ’ où
est sur le point de m ourir, il retourne au C hrist, le jaillit la lum ière et la lum ière elle-m êm e ont le m êm e
Saint-Esprit annonce au C hrist si cet hom m e a bien nom de soleil. Adversus scrutatores, s.erm. l x x ii i , t. ni,
agi durant sa vie et ne l ’ a pas con tristé. Ibid., vi, col. 295. p. 137. Ce passage prouve en m êm e tem ps la divinité
Cf. D uval, La littérature syriaque, Paris, 1900, p. 228. et la personnalité du Saint-Esprit. La distinction
N ous devons donc vénérer le Saint-Esprit, qui est la personnelle du Saint-E sprit se déduit aussi du prin ­
source de la grâce. Ibid., vi, 1, col. 242. N ous devons cipe posé par le saint docteur, que les propriétés per ­
adorer D ieu com m e Père, et le Saint-Esprit com m e sonnelles distinguent les personnes. Ibid., p. 181. Le
m ère. Ibid., xvm , 10, col. 832. Pour expliquer cette Père est une personne, le Fils est une personne, le
dernière expression, rem arquons, en passant, que le Saint-Esprit est une personne. D e m êm e que la dis ­
m ot syriaque qui désigne le Saint-Esprit est du genre tinction des personnes n ’ enlève pas la com m unauté de
fém inin. Tixeront, op. cil-, t. n, col. 204. nature entre les trois personnes divines, ainsi la com ­
Pour A phraate, le Saint-Esprit est D ieu par nature, m unauté de nature ne confond pas les propriétés per ­
puisqu ’ il possède les attributs divins et qu ’ il accom ­ sonnelles. Ibid., π, p. 194,195. L ’ Église syriaque donc,
plit les opérations divines; il est aussi une hypostase par la bouche de ses docteurs, atteste la croyance ca­
réellem ent distincte du Père et du Fils. Parisot, Pré­ tholique à la divinité et à la personnalité du Saint-
lace aux écrits d ’ A phraate, c. m , t. i, p. l u . Esprit.
Saint Éphrem est le principal docteur de l ’ Église 5° Pères latins. — L a doctrine trinitaire des Pères
syrienne. 11 puise sa doctrine dans l ’ Écriture et dans la latins ne différait pas de celle des Pères grecs. Le siège
tradition. Son enseignem ent sur la personne du Saint- de R om e et les sièges orientaux opposaient aux
E sprit est de tout point orthodoxe. Il pose en prin ­ m êm es hérésies les m êm es tém oignages de la révéla ­
cipe que nous devons croire en un seul D ieu et en trois tion et de la tradition. L ’ arianism e et le m acédonia-
personnes divines, à l ’ unité de la substance divine et nistne, com battus en O rient, subissaient aussi en
à la distinction réelle des personnes : nous devons O ccident les plus rudes défaites, et la théologie du
croire,parce que notre connaissance du m ystère iiicotn- Saint-Esprit, créée chez les grecs par A thanase, at ­
préhensible de la Trinité dérive uniquem ent de D ieu. teignait chez les latins, grâce au génie d ’ A ugustin,
Adversus scrutatores, serm . XL, Opera omnia sy- les som m ets les plus élevés de la spéculation.
riace, R om e, 1743, 1.1, p. 73. C ’ est la foi qui nous N otre but n ’ est pas de recueillir, chez tous les écri ­
révèle la subsistance du Saint-Esprit en D ieu. Ibid., vains ecclésiastiques latins du iv» siècle, les preuves
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de la divinité et de la personnalité du Saint-Esprit. doit pas, donc, en être séparé dans la natur. ;
N ous nous bornerons à interroger seulem ent les grands fectum enim est nobis lotum, si aliquid desit I■
docteurs dont les nom s dom inent l ’ histoire de la théo ­ Trinitate, n, 29, coi. 69. Le Père et le Fils serakr.t
logie trinitaire latine de ce siècle, c ’ est-à-dire H ilaire, im parfaits, si le Saint-Esprit ne faisait pas partie de
A m broise, Jérôm e, A ugustin. Leurs écrits nous ap ­ la Trinité.
prendront que l ’ O ccidcnt ne s ’ est pas laissé devancer Le Saint-E sprit n ’ em prunte rien aux creatur· .· -
parl ’ O rient pour ce qui concerne le culte et la profes ­ neque enim de creaturis sumebat Spiritus Sanctus.
sion de la divinité du Saint-Esprit. Dei Spiritus est. Ibid., ιχ, 73, col. 340. Car, si :e Fils
1. Saint H ilaire de Poitiers a été surnom m é le et le Saint-Esprit reçoivent de ce qui est .iu P ère,
saint A thanase de l ’ O ccident. Com m e Tertullien, il si tout ce qui est au Père appartient en m êm e ■ : . s
s ’ est heurté aux graves difficultés d ’ une langue qui au Fils et au Saint-E sprit, nous devons r< c .
n ’ était pas encore assez façonnée ct élaborée pour ex ­ l ’ identité de la nature du Père ct de la nature Fits
prim er la doctrine trinitaire. M ais quelles que soient et du Saint-E sprit. Ibid., col. 340.
les im perfections de son style théologique, son ensei­ C ’ est surtout vers la fin du traité De Trinitate que
gnem ent ne laisse pas subsister le m oindre doute sur i saint H ilaire, dans une ém ouvante invocation, et
son orthodoxie. Il m ontre d ’ abord que la raison est im ­ j d ’ un style anim é,proclam e ladivinité du Saint-Esprit:
puissante à com prendre et à expliquer le m ystère de la Neque, quia te solum innascibilem, et unigenitum ex te
trinité divine. La connaissance de ce m ystère est natum sciens, genitum tamen Spiritum Sanctum di­
venue de la foi seule. De Trinitate, i, 12, P. L., t. x, cturus sim, dicam unquam creatum. Nulla te, nisi res tua
col. 33. L a foi rejette les captieux raisonnem ents de penetrat; nec profundum immensæ majestatis tuæ. pere­
la philosophie et les questions oiseuses. Ibid., i, 13, grinis atque alienæ a te virtutis causa metitur. Tuum
col. 34. L a prédication des prophètes et des apôtres est quidquid te init : neque alienum a te est, quidquid
est la seule source de la véritable doctrine catholique. virtute scrutantis inest. De Trinitate, xn, 55, coi. 469.
Ibid., r, 17, col. 37. La connaissance de D ieu vient Le saint docteur déclare donc qu ’ il ne donnera jam ais
de D ieu lui-m êm e. Ibid., i, 18; vi, 8, col. 38, 162. I au Saint-Esprit les nom s des créatures, et il en in ­
Saint H ilaire puise donc sa doctrine trinitaire aux dique les m otifs. Le Saint-Esprit possède l ’ être di-
sources de la révélation et de la tradition, et il ex ­ I vin; donc il est infini. Le Saint-E sprit sonde les
plique lui-m êm eles causes de l ’ obscurité de son style : abîm es de la science de D ieu; il est donc om niscie:. L
Cum de naturis cælestibus sermo esi, illa ipsa quæ sensu Saint H ilaire trouve aussi un argum ent en faveur de
mentium continentur, usu communi et natures et ser­ la divinité du Saint-Esprit dans la form ule du bap ­
monis sunt eloquenda, non utique dignitati Dei congrua, têm e, ibid., n, 1, col. 50, d ’ autant plus que cette
sed ingenii nostri imbecillitati necessaria. Ibid., iv, 2, forma fidei certa est. Ibid., n, 5, col. 53, 54. Les opéra ­
coi. 97. O n ne peut pas énoncer aisém ent par la pa ­ tions que l ’ É criture attribue au Saint-E sprit con ­
role les m ystères de D ieu, pas plus que les percevoir firm ent aussi sa divinité. Il répand sa lum ière sur les
avec les sens, ou les com prendre avec l ’ intelligence. patriarches, les prophètes, les apôtres, les fidèles.
Ibid., x, 53, col. 385. Saint H ilaire avoue que la théo ­ Ibid., n, 32, col. 73; In ps. exx, 6; cxxxvui. 1,
logie du Saint-E sprit n'est pas claire : il l ’ aborde à P. L., t. ix, col. 656, 792. Il instruit, enseigne, s.e.c-
regret, pour rem plir son devoir de pasteur à l ’ égard tifie, De synodis, 11, P. L., L x, col. 489, parce qu ’il
d ’ âm es qui lui dem andent à être instruites : De Sancto possède la science de D ieu. De Trinitate, n, 35, col. 75.
Spiritu nec tacere oportet, nec loqui necesse est : sed si­ Il habite en nous, en tant qu ’ E sprit de D ieu, ibid.,
leri a nobis, eorum causa qui nesciunt, non potest. vin, 26, col. 255, et nous l ’ adorons com m e D ieu.
Ibid., i i , 29, coi. 69. Ce sont les hérésies antitrinitaires Ibid., n, 31, col. 72.
qui l ’ obligent à rom pre le silence. Ibid., u, 3, col. 52. L ’ E sprit-Saint, tout en ayant la nature divine en
L'arianism e divise l ’ être divin en trois substances di ­ com m un avec le Père et le Fils, est distinct du Père
verses et ébranle la chrétienté. Ibid., vu, 3, 6, col. 159, et du Fils, car il n ’est pas innascible com m e le Père.
160. D ’ autres ne veulent pas adm ettre l’usum (com ­ De synodis, 53, col. 519. Il n ’ est pas le Fils non plus.
m unauté de nature) du Saint-E sprit avec le Père et E n effet, Jésus-C hrist prie le Père pour qu ’ il envoie
le Fils, et ne reconnaissent pas le Fils com m e la source un autre Paraclet. Il y a donc une distinction entre
du Saint-Esprit. Ibid., n, 4, col. 53. M ais l ’ Église n ’ a cleui qui prie pour qu ’ on envoie, et celui qui est en ­
rien à craindre pour la pureté de sa doctrine. Il y a voyé : Eo quod alium Paracletum mittendum a Patre sit
chez elle autant de rem èdes qu ’ il y a de m aladies dans precaturus, differentiam missi rogantisque signified.
le m onde chrétien, et autant de vraies doctrines qu ’ il Ibid., 54, col. 519. Le Saint-E sprit est donc une per ­
v a, chez les hérétiques, de fausses théories. Ibid., sonne réelle de la sainte Trinité.
i, 22, col. 64. 65. Ces passages m ettent en pleine lum ière l ’ orthodoxie
Ces théories, saint H ilaire déclare vouloir les écar ­ de la doctrine de saint H ilaire sur le Saint-E sprit.
ter. Elles relèguent le Saint-E sprit au rang des créa ­ Son style, il est vrai, étonne parfois, m ais si on pénètre
tures, ibid., i, 36, col. 48, m ais la foi enseigne que le plus intim em ent la pensée du saint docteur, on se con ­
Saint-E sprit est D ieu. Le Père, le Fils et le Saint- vainc qu ’ elle ne diffère aucunem ent de l'enseignem ent
E sprit ne sont pas trois dieux divers : la foi prêche catholique. Il donne au m ot esprit plusieurs sens; il
I im ité de la nature divine. De synodis, 56, P. L., t. x, l ’ applique tantôt au Père, tantôt au Fils et au Saint-
col. 512. L ’ E sprit-Saint est à la fois l ’ E sprit du C hrist E sprit. De Trinitate, π, 30, 31; vni, 21, 23, col. 71. 72,
et l ’ E sprit de D ieu, ce qui prouve qu ’ il a la nature 252, 253. Il n ’ appelle jam ais le Saint-Esprit D ieu,
du C hrist et de D ieu. De Trinitalg, vin, 26, col. 255. m ais donum, ibid., π, 1, 29, 3, col. 51, 70, 73, munus,
L ’ E sprit est la chose de la nature (res naturæ) du Fils, usum in munere. Ibid., π, 1, col. 51. Ce silence, re ­
et aussi la res naturæ du Père. Ibid., vni, 26, col. 255. m arque B eck, ne doit pas nous im pressionner. Die
II est inhérent à D ieu. Ibid., vin, 27, col. 256. Le m ys ­ Trinitâtslehre des hl. Hilarius von Poitiers, M ayence,
tère de la Trinité ne se conçoit pas sans l ’ unité divine 1903, p. 253. D ieu est avant tout un être personnel,
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. In Matth., xm , 6, tandis que le Saint-Esprit est l ’ être du Père. :·. l_ na ­
P. L., L ix, col. 994, 995. D ans le Père, le Fils et le ture du Père, res naturæ, sa propriété, quelque chose
Saint-Esprit omnia tinum sunt, ibid., col. 995, c ’ est-à- qui appartient à D ieu. Le saint docteur expfiqne M -
dire qu ’ il y a entre eux égalité de nature, de perfec ­ m êm e la différence entre la nature et la chose de ia na ­
tion, de dignité. Le Saint-E sprit est joint au Père et ture : Non idem est nalura quod naturæ res. «icat aM
au Fils dans la confession de la foi chrétienne. H ne idem est homo, et quod hominis est. i n n , 22,
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col. 252, 253. Le Père est la nature principielle, la doctrina Christiana, iv, 46, P. L., t. xxxrv, col. 111.
source prim ordiale; le Saint-Esprit est la nature com ­ La doctrine de saint A m broise sur le Saint-Esprit
m uniquée, c'est-à-dire l ’ être qui appartient à D ieu est résum ée dans ce passage du De Spiritu Sancto :
le Père com m e à sa source. O n pourra ergoter sur les Habet consortium regni cum Patre et Filio etiam Spi­
dénom inations em ployées par saint H ilaire, m ais ou ritus Sanctus, qui unius naturas, unius dominationis,
est forcé de reconnaître qu ’ elles n ’ im pliquent pas la unius etiam potestatis est, m , 20, 158, P. L., t. xvi,
négation de la divinité du Saint-Esprit. L ’ em ploi du col. 847. C ette consubstantialité divine du Saint-
m ot usus par saint H ilaire a été. en eiTet, justifié par E sprit, saint A m broise la dém ontre contre les ariens.
saint A ugustin : Est autem ineffabilis quidam com­ Ibid., ni, 170, col. 850. La T rinité, dit-il, ne peut pas
plexus Patris et imaginis qui non est sine perfruitione, se concevoir sans une triple sagesse, c ’ est-à-dire sans
sine charilate, sine gaudio. Illa ergo dilectio, dele­ le Père, le Fils et le Saint-E sprit. In Luc., prolog.,
ctatio, felicitas, vel beatitude, si tamen aliqua humana 5, P. L., t. xv, col. 1610. L ’ être divin est sim ple.
voce digne dicitur, usus ab illo (H ilaire) appellata est Il n ’ y a donc en D ieu qu ’ une seule substance divine,
breviter, el est in Trinitate Spiritus Sanctus non genitus, la substance de la sainte Trinité. C ette substance
sed genitoris genitique suavitas. De Trinitate, vi, 11, est exem pte de toute com position et de tout m é ­
P. L., L x l h , col. 932. U n autre texte de saint H i ­ lange créé. De Abraham, n, P. L., t. xiv, coi. 58.
laire paraît de prim e abord révoquer en doute la con ­ O n lit dans les A ctes des apôtres, x, 38, que D ieu
substantialité divine du Saint-Esprit : Connominato a oint de l ’ E sprit-Saint Jésus de N azareth. Le nom
Spiritu, id est, Paracleto, consonantiœ potius quam du Saint-Esprit est donc m entionné ‘ avec ceux de
essenlite per similitudinem substantiæ prsedicare con­ D ieu et du C hrist. De Spiritu Sancto, i, 3, 44, col. 743.
venit unitatem. De synodis, 53, col. 505. M ais saint Le Saint-E sprit rend tém oignage au C hrist. Joa., xv,
B onaventure m et en relief la vraie signification du 26. Il connaît donc tout ce qui est au Fils, et sa
m ot consonantia, tel qu ’ il a été entendu par saint science est égale à la science du Père. Ibid., i, 3, 48,
H ilaire : Sicut per Patris el Filii nomen innuitur unitas col. 744. Il n ’ y aura pas de pardon pour celui qui
naturic, quia Filius esi connaluralis Patri, ita per Spiri­ aura blasphém é contre l ’ E sprit-Saint. Luc., xn, 10.
tum Sanctum qui est amor, datur inlelligi unitas conso- Si le blasphèm e contre le Saint-E sprit est si grave,
nanliæ. Et ideo verbum non habel calumniam, et propter quomodo inter creaturas audet quisquam Spirilum
hoc ipsum dixerunt; el hoc vult dicere Hilarius, cum computare? Ibid., i, 3, 53, col. 716. D ieu répand son
dicti, quod potius consonantias quam essenliœ; non E sprit sur toute chair. C ette effusion du Saint-Esprit,
quia utrumque non sil verum, sed quia hoc esi expres­ qui jette des torrents de lum ière dans les cœ urs, n'est-
sius, el minorem habel calumniam. In IV Sent., 1. I, elle pas une preuve que le Saint-E sprit n ’ est pas une
dist. X X X I, part. II. dub. vm , Opera omnia, Q uarac- substance créée? Ibid., i, 8, 92, col. 756. Le Saint-
chi, 1883, t. i, p. 552. C ’ est donc à tort qu ’ Érasm e E sprit est de D ieu le Père. C ’ est pour cela qu ’ il pos ­
a accusé saint H ilaire d ’ avoir hésité dans l ’ affirm ation sède la science de D ieu. O r, ce qui est de D ieu est
de la divinité du Saint-Esprit. V oir Præfat. in libros D ieu lui-m êm e. D onc le Saint-E sprit est D ieu. In
de Trinilale, 14, 18, P. L., t. x. col. 15-17. Epist. ad Dom., xi, P. L., t. xvn, col. 163.
2. Par la précision des term es, l ’ abondance des La divinité du Saint-E sprit est confirm ée aussi
textes scripturaires, la richesse des tém oignages, par le fait qu ’ il a les m êm es nom s et les m êm es opé ­
la doctrine de saint A m broise sur la divinité du Saint- rations que le Père et le Fils. L ’ Esprit-Saint, que le
E sprit écarte le m oindre soupçon contre son or­ Père envoie, vient au nom du Fils. Joa., xrv, 26.
thodoxie. Elle est puisée directem ent aux sources C elui donc qui vient au nom du Fils vient aussi au
grecques. O n connaît le trait caustique de saint Jé ­ nom du Père, parce que le Père et le Fils n ’ ont qu ’ un
rôm e dans la préface à la version latine du traité du seul nom . Il s ’ ensuit que le nom du Père et du Fils et
Saint-Esprit par D idym e : Malui alieni operis inter­ du Saint-E sprit est un seul, parce qu ’ il n ’ y a pas sous
pres exislere, quam informis cornicula alienis me colo­ le ciel un autre nom , qui ait été donné aux hom m es,
ribus adornare. P. L., t. xxxix, col. 1032. La corneille par lequel nous devons être sauvés, A ct., iv, 12. De
informe de saint Jérôm e, au dire de R ufin, serait Spiritu Sancio, i, 13, 134, col. 766. D e m êm e, toute
saint A m broise. Apologia in Hieronymum, n, 25, opération divine attribuée au Père, au Fils et au
P. L., t. xxr, col. 604; B ardy, Didyme l'Aveugle, p. 20. Saint-Esprit, se rapporte non seulem ent au Saint-
N pus ne garantissons pas l ’ authenticité de l ’ insinua ­ E sprit, m ais aussi au Père et au Fils; non seulem ent
tion de R ufin. M ais s ’ il est vrai qu ’ A m broise a ex ­ au Père, m ais aussi au Fils et au Saint-Esprit. Ibid., i,
ploité les œ uvres de D idym e, il n ’ en est pas m oins 3, 40, col. 742. Idem esi Dcus qui operatur omnia in
vrai qu ’ il ne m érite pas l ’ épithète m alveillante de omnibus; ul scias quia non est discretio operationis in­
saint Jérôm e. Il s ’ est inspiré des autres Pères grecs. ter Deum Patrem et Spirilum Sanctum, quando ea quæ
B asile, A thanase, G régoire de N ysse, autant que de operatur Spiritus, operatur et Pater Deus. Ibid., n, 12,
D idym e; il leur a em prunté bien souvent des argu ­ 139, col. 804. L ’ E sprit est le doigt de D ieu. Luc., xi,
m ents pérem ptoires pour prouver la divinité du 20. R ien de plus explicite que cette dénom ination pour
Saint-Esprit, m ais il n ’ est pas un plagiaire. Il convien ­ signifier l'unité de la divinité et de l ’ opération, unité,
drait plutôt de le com parer à l ’ abeille qui recueille quæ secundum divinitatem est Patris et Filii el
le suc des fleurs les plus parfum ées pour en form er un Spiritus Sancti. Ibid., π, 3, 12, col. 812; Expositio
m iel exquis. C ertainem ent, saint A m broise a profité, in Luc., vin, 93, P. L., t. xv, col. 1811.
en bon théologien, des recherches et des travaux de ses La nature des opérations du Saint-E sprit est telle
devanciers, m ais son étude de la théologie trinitaire qu ’ elle surpasse tçute puissance hum aine et créée.
grecque n ’ a pas été superficielle. Il leur a pris ce qui Le Saint-E sprit rem et les péchés: or, cette préro ­
était le plus utile à son but, et il l ’ a exposé et élaboré gative n ’ appartient qu ’ à D ieu. De Spiritu Sancto, i,
d ’ une m anière tout à fait personnelle et dans un style 10, 12, col. 760, 761. Les péchés sont rem is au nom du
clair et lim pide. Son Traité du Saint-Esprit m érite Père, du Fils et du Saint-E sprit : Isti (homines) roganl,
bien les éloges que lui décerne saint A ugustin : Sanctus divinitas donat. Ibid., ni, 18, 137, col. 843. Le Saint-
Ambrosius cum agat rem magnam de Spiritu Sancto, ut E sprit sanctifie les anges, les hom m es; non habet igitur
eum Patri et Filio demonstret æqualem, submisso ta­ consortium crealuræ. Ibid., i, 7, 83, col. 753. Il sanc ­
men dicendi genere utitur; quoniam res suscepta non tifie au m êm e titre que le Père et le Fils. Ibid., m , 25,
ornamenta verborum, aut ad flectendos animos commo­ col. 815. Le Père est saint, le Fils est saint, le Saint-
tionis affectum, sed rerum documenta desiderat. De E sprit est saint. M ais nous n ’ avons pas trois saints,
749 E S P R IT-S A IN T

parce que nous croyons en un seul D ieu saint. Ibid., firm e de la m anière la plus explicite que le S.-J-t-
n. 16,109, col. 836. Le Saint-Esprit nous parle et nous E sprit ne doit pas se confondre avec !e Père et i·:
vivifie com m e le Père et le Fils. O r l ’ acte de vivifier Fils : Non confusus eum Patre et Filio Spiritus San­
est un acte divin, et dans cet acte, il y a l ’ unité des ctus, verum et a Patre distinctus et a Filio. Ii t . : 9,
trois personnes divines. Ibid., τι, 12, 130; 4, 29, 31, 106, coi. 759. Π est distinet parce que, dsp-v ’ Écri ­
col. 802, 780. Le Saint-Esprit est l ’ auteur de la régéné ­ ture, il y a distinction entre le C hrist Parac? t et >
ration spirituelle, ibid., n, 7, 66, col. 788, et de la Saint-Esprit Paraclet. Ibid., i, 13, 137. coi. 766. La
grâce, et ubi gratia est, ibi species divinitatis apparet. foi catholique croit à un seul D ieu, à un seul .r
Ibid., ι, 14, 148, col. 768. Le Saint· E sprit nous octroie et à un seul Saint-Esprit. Ibid., n, 15, 107. ■
la vie éternelle. Ibid., n, 3, 27, col. 779. Il habite en C ette riche m oisson de textes m ontr. ·. -
nous com m e dans un tem ple, c ’ est-à-dire qu ’ il y ha ­ quelle clarté le saint docteur a joint son t· < ••..-.re
bite com m e D ieu, et avec lui le Père et le Fils, per à la tradition chrétienne touchant le Saint-E sprit.
naturæ ejusdem unitatem. Ibid., m . 12, 91, 92, col. 831, G râce à lui, la théologie latine du Saint-Esprit ;·. r "
832; In Epist. I ad Cor., i, 3, P. I.., t. xvn, col. 211. une plus grande précision de term es et un carnet. -
Le Saint-E sprit donc, par rapport au Père et au Fils, plus synthétique.
est d ’ une seule substance, d ’ une seule et m êm e clarté 3. Saint Jérôm e n ’ a publié, sur la théologie du
et gloire. Ibid., i, 16,160, col. 771. Il est inséparable Saint-Esprit, aucune étude personnelle. Turm el. Sain
du Père et du Fils. Saint A m broise revient souvent Jérôme, Paris, p. 161. La m eilleure preuve qu ’ il a lais ­
sur cette pensée : Spiritus Sanctus non separatur a sée de l ’ orthodoxie d< son enseignem ent est la version
Patre, non separatur a Filio, ibid.,ι, 11, 120, col. 763; latine du Traité du Saint-Esprit par D idym e l ’ A veuele.
Impossibile esi a Patre Deo vel Filium vel Spiritum « C elui qui le lira, dit-il, reconnaîtra les larcins des
Sanctum separari, ibid., n, 7, 69, coi. 789; Manet cum latins, et m éprisera les ruisseaux, lorsqu ’ il aura com ­
Patre et Filio Spiritus Sanctus, ibid., m , 12, 92, m encé de puiser aux sources, s P. L., t xxxiv,
coi. 832; n, 8, 82, coi. 792; Patri et Filio et Spiritui col. 1033.
Sancto est individua inseparabilisque communio. Ibid., O n peut tout de m êm e glaner dans ses lettres et ses
m , 3, col. 812. écrits exégétiques plusieurs textes, qui m ontrent com ­
Le Saint-E sprit est, com m e le Père et le Fils, la bien le saint docteur a été fidèle à suivre les traces de
source de la bonté. Ibid., i, 5, 69, col. 750. Il est bon, D idym e. Q uelques passages scripturaires touchant ’ a
non parce qu ’ il acquiert la bonté, m ais parce qu ’ il divinité du Saint-Esprit ont été réunis par lui dans le
la donne. Ibid., 74. col. 751. La sanctification appar ­ Commentaire sur Isaïe, xvi, 57, P. L., L xxxiv.
tient à titre égal aux trois personnes divines. Ibid., col. 579. Saint Jérôm e prouve la divinité d.: ' . -
n, 2, 25, col. 779. E sprit par ce fait.quel ’ È criture luiattribue ce qui <. :
Le Saint-Esprit est im m ense, infini. Ibid., i, 7, 82, attribué au Père et au Fils. In Epist. ad Epi:., n.
col. 753. Il rem plit l ’ univers entier, com m e il convient P. L., t. xxvi, col. 521. Si le Saint-E sprit crée et i
à la m ajesté de D ieu, ibid., i, 7, 85, col. 654; il est ville, il est D ieu. A propos du texte de la G er.ése. i. 2 :
éternel, ibid., i, 8, 98, col. 757 ; il est la sagesse incréée, « L ’ E sprit de D ieu se m ouvait sur les eaux. , il ?· ..· :
ibid., 97, col. 757; son conseil est le conseil du Père et Hoc dicitur de Spiritu Sancto qui et ipse vilificator
du Fils. Ibid., n, 2, 20, col. 778. Le Père, le Fils et le omnium a principio dicitur. Si autem vilificator, conse­
Saint-E sprit participent donc à la m êm e nature et quenter et conditor. Quod si conditor, et Deus. Liber
à la m êm e science divine. Ibid., n, 11, 125, col. 801. hebraicarum quæslionum in Genesim, t. xxm , coi. 987,
Le Saint-E sprit est créateur : xVon creatura Spiritus, 988. Le Saint-Esprit est de la m êm e nature que le
sed creator; qui aulem creator, non utique creatura. Père et le Fils, In Is., xvn, 63, P. L., t. xxiv, col. 640,
Ibid., π, 5, 41; in, 18, 140, col. 782, 843. Il nous rend parce qu ’ il contient tout, Epist., xcvin, 13, P. L.,
participants de la nature divine, II Pet., i, 4, ce qui t. xxn, col. 801, 802; parce qu'il rem et les pèches,
prouve qu ’ il ne faut pas le séparer du Père et du FÛs. et qu ’ il est associé au Père et au Fils dans le baptêm e.
Ibid., i, 6, 80, col. 752. Il n ’ y a pas de différence entre Dialogus contra luciferianos, 6, P. L., t xxm , col. 169.
le Père et le Fils quant à la volonté. Ibid., i, 7, 89, Les ariens donc et les sem iariens,qui nient la divinité
col. 755. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la m êm e du Saint-Esprit, corrom pent la vraie doctrine de
volonté, ibid., n, 10, 101; 12, 142, col. 796, 805: una l ’ Église. Contra Johannem Hierosolymitanum, 17,
Trinitatis voluntas est. Apologia prophelæ David, xiv, P. L., t. xxm , col. 385. Le Saint-E sprit est en D ieu
71, P. L., t. xiv,col. 921. Il est adoré au m êm e titre com m e personne divine. L ’ Évangile déclare explici ­
que 'e Père. DeSpiritu Sancto, ni, 11, 72, 81, col. 826, tem ent qu ’ il est distinct du Fils. M atth., xn, 32.
829. Le Saint-Esprit n ’ est donc pas une créature : In Epist. ad Gai., n, 3, P. L., t. xxvi, col. 399. D ans
Subter creatura omnis, super divinitas Patris et Filii et la Trinité, il y a la distinction des personnes ctj ’ unité
Spiritus Sancti. Illa servit, hæc regnat : illa subjacet, de substance : Quæ quidem personæ, cum vocabulis
ista dominatur; illa opus, hæc auctor est operis : illa personisque dissentiant, substantia naturaque sociata
adorat omnes, hæc adoratur ab omnibus. Ibid., i, 3, 46, sunt. Ibid., n, 3, coi. 400.
coi. 744. Il serait im pie de m anquer do vénération au 4. Π n ’ est presque pas besoin de recueillirles tém oi ­
Père ou au Fils ou au Saint-E sprit, parce que la sub ­ gnages d ’ A ugustin, pour m ettre en pleine lum ière sa
stance du Saint-E sprit ne diffère pas de celle du croyance orthodoxe sur la divinité du Saint-Esprit.
Père et du Fils, Enarrat, in ps. l x i , 8, P. L., t. xrv, S ’ il y a un écrivain qui m érite par excellence la déno ­
col. 1227 : parce que, sans le Saint-E sprit, nous ne se ­ m ination de docteur de la T rinité, c ’ est sans conteste
rions pas m êm e chrétiens. Le baptêm e, en effet, ne A ugustin. « En lui se résum e et sur lui se ferm e l'ar.ti-
serait pas valide sans la m ention du Saint-E sprit : quité chrétienne latine, dont la pensée a trouvé dans
Plenum est baptisma, si Patrem et Filium Spirilumque son œ uvre son expression la plus précise: m ais avec
Sanctum fatearis. Si unum neges, totum subrues. Ibid., lui aussi com m ence à poindre la ’ théologie du m over,
i, 3, 42: 13, 132, col. 743, 765. L a doctrine catholique âge, qu ’ il a préparée et dont les germ es e x -· "
de la T rinité évite donc à la fois la confusion sabel- déjà dans scs écrits. «Tixeront, op. cit.. L n.
lienne et la division arienne. Ibid., 11,12,142, col. 805. Les textes qui m ontrent chez A ug -.κ· m >
M ais le Saint-Esprit, tout en étant D ieu, ne cesse stantialité divine du Saint-E sprit ont été recxiéïTis -;r
pas d'être une personne distincte. Il est jouit, copu­ grande partie par G angauf, Des N. Augustinus speru-
latus, au Père et au Fils, m ais il est unique com m e lative Lehre von Golt dem Dreieinigen. A usslxw rg.
E sprit. Ibid., i, 4, 55, col. 747. Saint A m broise af ­ 1865, p. 390-428. L eur autorité est déesive pour le
751 E S PR IT -S A IN T 752

sujet qui uous occupe, parce que, m algré l ’ originalité aussi grands que le Père seul. Ibid., vi, 7, 9 10, col.
et le caractère personnel de sa spéculation théolo- 922, 930.
gique, saint A ugustin rem onte toujours aux sources les L a divinité du Saint-E sprit paraît aussi évidente
plus pures de la foi et de la tradition catholique. Il par les attributs divins que la sainte Écriture lui
dem eure fidèle à sa m axim e : Qui credit, accedit; qui donne. Le Saint-E sprit est im m uable, parce que sa
negat, recedit. In Joa., tr. X L V III, 3, P. L., t. xxxv, nature est divine. De moribus Ecclesiæ catholicæ, i,
col. 1741. La divinité du Saint-E sprit, il la défend 13, 23, P. L., t. xxxn, col. 1321. Il est un esprit créa ­
contre les objections des sadducéens, d ’ A rius, d ’ Euno- teur qui façonne l ’ univers selon le plan divin. De
m ius, de M acédonius, qui l ’ appellent créature; contre Genesi ad litteram, iv, 15, P. L., t. xxxiv, col. 226;
les photiniens, qui attribuent seulem ent au Père une Contra Maximinum, n, 17, 2, t x l i i , col. 783. Sa puis ­
personnalité divine; contre les m anichéens, les cata- sance créatrice est attestée par l ’ É criture, qui l ’ ap ­
phrygiens et les donatistes. Serm., l x x i , in, 5, ,P. L., pelle le doigt de Dieu. De catechizandis rudibus, xx,
t. xxxvtn, col. 447; Epist., c l x x x iv bis, 11, 48, 35, P. L., t. x l , col. 335, 336; Conf., xm, 9, t xxxn,
t. xxxm , col. 814; In Epist. ad Rom., 15, t. xxxv, col. 848; De octo Dulcitii quaestionibus, iv, 2, 3, t. XL,
col. 2099; De hæresibus, 26, t. x m . col. 30. col. 166, 167. Il est l ’ auteur de la sanctification. C ’ est
Il attaque d ’ abord les ariens sur le terrain doctri ­ pour cela qu ’ il s ’ appelle. E sprit-Saint. Serin., vm , 13,
nal. Il en appelle au tém oignage de ses devanciers, P. L., t. xxxvrn, col.72. Il nous transform e en tem ples
qui ont traité avec am pleur la théologie du Saint- de D ieu, et il ne saurait réaliser cette transform ation
Esprit, et il recueille les pièces qui s ’ y rapportent, s ’ il n ’ était pas D ieu lui-m êm e. Episl., rv, 4, 21,
pièces qui établissent énergiquem ent la divinité du t. xxxm , col. 1046; Collatio cum Maximino, 14,
Saint-Esprit. De Trinitate, i, 7, 13, P. L., t. x l i i , t. x l i i , col. 722;. Contra Maximinum, 11, col. 752.
col. 827. A ux négations de l ’ hérésie, il oppose la m agni­ Il rem et les péchés en vertu de cette puissance sancti ­
fique confession de foi de l ’ Église catholique : Est ficatrice qui lui est com m une avec le Père et le Fils.
utique in Trinitate Spiritus Sanclus, quem Patri et Serm., l x x i , 15, 25, t. xxxvrn, col. 458. L ’ E criture
Filio consubstantialem et coœlernum fides catholica con­ et la foi traditionnelle de l ’ Église présentent donc le
fitetur. In Joa., tr. L X X IV .l, P.L.,t. xxxv, coi. 1826. Saint-Esprit com m e le com plém ent nécessaire de la
Discamus intetligere unitatem Patris el Filii et Spiri­ Trinité. Enchiridion, l v i , 15, t. x l , col. 258. Il s ’ en ­
tus Sancti : ut quod de une solo Deo dictum luerit, non suit que les trois personnes sont un seul D ieu : IIœc
continuo prohibeamur de Filio, vel de Spiritu Sancto tria unus Deus. Sermo ad catechumenos, vi, 7, t. x l ,
inlelligere : quia Paler quidem non esi Filius, el Filius col. 684. Trinitas unus Deus est. Contra Maximinum, ιι,
non est Paler, et Spiritus utriusque non est Paler aut Fi- 23, 2, t. x l ii , col. 798; De Trinitate, vn, 2, 6, ibid.,
ius el Spiritus Sanctus, unus solus et verus est Dominus col. 939.
Deus. Epist., ccxxxvm , 3, 20, P. L., t. x x x ii i , L a personnalité divine du Saint-Esprit est reconnue
coi. 1046. par A ugustin com m e un dogm e de la foi catholique :
Saint A ugustin déterm ine et précise le sens du m ot Fides nostra et catholica Ecclesia prædicat... Trini­
esprit dans l ’ É criture et dans le langage philoso ­ tatem quamvis servata singularum proprietate el sub­
phique. De diversis quæs/ionibus ad Simplicianum, stantia personarum, tamen non esse tres Deos, sed unum
n, 5, P. L., t. x l , col. 132-134; De anima et ejus ori­ Deum. In Sancto Spiritu Patris Filiique communitas,
gine, i, 14, 18-23, t. X Liv, col. 484-487. Π réunit in Iribus œqualitas. Serm., l x x i , 12, 19, t. xxxvm ,
quelques textes scripturaires sur la divinité du Saint- coi. 454. Il déclare ne pas savoir, vu l ’ incom préhensi ­
E sprit. Quæstiones in Heptateuchum. Il croit inutile bilité du m ystère, la raison intim e pour laquelle on
d ’ en donner un plus grand nom bre, parce que toute ne peut appeler Père ou Fils le Saint-E sprit. D e fide et
l ’ É criture clamat Spiritum Sanctum esse Deum, De symbolo, ix, 19, t. x l , col. 191. » N ous croyons, dit-il,
Trinitate, vn, 2, 6, t. x l i i , col. 938, 939, et il réfute au Saint-Esprit qui procède du Père, sans être le Fils;
vigoureusem ent les objections scripturaires des ariens. qui reste sur le Fils, sans être le Père du Fils ; qui
Contra sermonem arianorum, 21-23, t. x l ii , col. 698-703. reçoit du Fils sans être le Fils du Fils. Il est l ’ E sprit
L ’ argum entation de saint A ugustin repose tout du Père et du Fils, l ’ E sprit-Saint, D ieu lui-m êm e...
particulièrem ent sur l ’ inséparabilité des trois per ­ U n seul Père D ieu, un seul Fils D ieu, un seul E sprit
sonnes divines dans leur vie im m anente et dans leurs D ieu. E t cependant le Père, le Fils et le Saint-E sprit
opérations ad extra. O n ne peut nom m er le Père et ne sont pas trois D ieux, m ais un seul D ieu. Π ne suit
le Fils, sans que la pensée se reporte au Saint-Esprit. pas de cette unité divine que le Père soit le m êm e que
In Joa., tr. IX , 7, t. xxxv, col. 1461. L ’ opération de la le Fils, que le Fils soit le m êm e que le Père, ou que
Trinité est indivisible. Serm., l x x i , 16, 26, t. xxxvrn, le Saint-Esprit soit le m êm e que le Père ct le Fils.
col. 459. Le Saint-Esprit est à la fois l ’ E sprit du Père Le Père est le Père du Fils, le Fils est le Fils du Père,
et du Fils, consubstantiel et coéternel à tous deux, et le Saint-E sprit est l ’ E sprit du Père et du Fils.
De civitate Dei, xi, 24, P. L., t. x l i , col. 337 ; il est la C hacune des trois personnes est D ieu, et la T rinité elle-
sainteté substantielle et consubstantielle du Père et du m êm e, un seul D ieu. » Serm., ccxrv, 10, t. xxxvrn,
Fils. Ibid., col. 338. L ’ unité divine est inséparable col. 1071. Toute personne divine est D ieu tout-
dans les trois personnes de laTrinité: in tribus insepa­ puissant; m ais les trois personnes ne sont pas trois
rabilis unitas. Ibid., col. 337. Les trois personnes sont D ieux. De civitate Dei, xi, 24, t. x l i , col. 337. N ous ado­
un seul D ieu, un seul tout-puissant Collatio cum rons la T rinité parce que le Père n ’ est pas Fils, le
Maximino, 11, P. L., t. x l i i , col. 714. Le Saint-Esprit Fils n ’ est pas Père; le Saint-Esprit n ’ est ni Père, ni
ne peut se séparer du Père et du Fils. De Trinitate, i, Fils. Collatio cum Maximino, 11, L x l i i , col. 744.
8, 18, t. x l i i , col. 832. T out ce qu ’ a le Père, le Fils et Crede istos 1res, et in suis singulis personis 1res esse,
le Saint-Esprit le possèdent au m êm e degré. Le Saint- et tamen simul non 1res Dominos Deos, sed unum Domi­
E sprit ne diffère pas du Père et du Fils quant à la no ­ num Deum esse. Ibid., 26, coi. 742. V oilà la form ule
blesse et à la m ajesté. Ibid., n, 4, 6, col. 848. C ette qui résum e toute la théologie trinitaire de saint A u ­
inséparabilité prouve que le Saint-Ésprit est abso ­ gustin. Ceux qui la rejettent n ’ ont pas le Saint-
lum ent égal au Père et au Fils, ibid., vi, 5, 7, col. 927, E sprit et, partant, restent hors de l ’ Église qui croit
928; qu ’ il est com m un au Père et au Fils, et que cette au Saint-Esprit. Epist., c l x x x iv , 11, 50, t. xxxm ,
com m unauté est consubstantielle et éternelle. Ibid., col. 815. Ils a se rangent du côté des hérétiques et
col. 928. Le Père seul est aussi grand que le Fils seul des schism atiques. Serm., l x x i , 19, 32, t. xxxvin,
ou le Saint-E sprit seul ; le Fils et le Saint-Esprit sont col. 462, 463.
753 E S P R IT -S A IN T 754

Conclusion. — N ous avons suivi pas à pas la tra ­ ouvrages suivants : 1° Pères apostolique . — O k .

dition chrétienne des quatre prem iers siècles du chris ­ L'Épîlre de Clément de Rome, M ontauban. 1SO 4: G re-gz.
tianism e. A côté des affirm ations nettes et précises de St. Clément, bishop of Rome, L ondres, 1899; H eartier,
la divinité et de la personnalité du Saint-E sprit, nous
Le dogme de la Trinité dans VÉpitre de saint CUrnerd de
Rome et le Pasteur d'Hermas, L yon, 19u0; D Dix
avons constaté aussi les tâtonnem ents, les im précisions Gottheit Jesu Christi bei Clemens von R om , dans ·.*
de langage, les essais tim ides des Pères et des écrivains fur katholische Théologie, 1902, t. x x v i, p. 701-728: G r -■· .
qui travaillaient à expliquer la vie divine et le carac ­ De leer van den h. Clemens Romanus over der Aller?*·.?
tère personnel du Saint-Esprit. M ais ces lacunes, qui Drievuldigheid en de verlossing, Sludicn. 1905. t. .
sont inévitables dans le travail de la pensée hum aine, p . 259-262, 329-352; M ontagne, La doctrine de saint f..:" · .
n ’ enlèvent rien à l ’ énonciation sim ple et authentique de Rome sur la personne et l'œuvre du Christ, dans la rù
du dogm e de la consubstantialité et de la personna ­
thomiste, 1906, t. x iv, p. 145-166; P riselkov, Obnr.t
poslanii Sv. Klimenta k. korinlhianam (Aperçu sur li Itizre
lité divines du Saint-E sprit, dogm e qui a été transm is de saint Clément aux Corinthiens), S aint-P étersbourg, 1888.
par le canal de la tradition. C ette tradition a été con ­ p. 120-128; Z ahn, Ignatius von Antiochien, G otha. 1S73;
stante, ininterrom pue du i or au rv ? siècle. Il n ’ est pas D reher, Sancti Ignatiy episcopi Antiocheni de Christo De
nécessaire de consulter les tém oins qui sont venus doctrina, S igm aringen, 1877; N irschl, Die Théologie des hl.
dans les âges suivants. A u rv® siècle, la tradition Ignatius ans seinen Briefen dargeslellt, M ayence, 1880:
chrétienne a trouvé les form ules et les term es qui V on dor G oltz, Ignatius von Antiochien, als Christ und Theo
exprim ent sa croyance, et la théologie trinitaire a loge, L eipzig, 1894; B ruston, Ignace d'Antioche, ses épttres.
sa vie, sa théologie, P aris, 1897; A . D ., Podlinnost poslanii,
atteint son plein épanouissem ent. A vec A thanase en sv. Ignatiia Bogonoslza I utchenie ego o lilzie lisusa Khrisla
O rient et A ugustin en O ccident, elle est à m êm e de (L'authenticité des épttres de saint Ignace et sa doctrine sur
résister à tous les assauts; elle a des arm es pour la personne de Jésus-Christ), dans Lectures de la société des
abattre toutes les hérésies, des lum ières pour dissiper amateurs du progrès spirituel, 1873, 1.1, p. 753-775; K iküm .
toutes les ténèbres d ’erreur, des réponses pour ré ­ Glaubenslehre und Orthodoxie des Pastor Herma, C lèves,
soudre toutes les objections. Les pneum atom aques 1863; L ipsius, Der Ilirte de? Hermas und der Montanismus
perdent du terrain. L ’ éloquence, la logique, l ’ érudi­ in Rom, dans Zeitschrift fur wissenschaftliche Théologie,
1865, t. v in , p. 266-30 8; 1866, t. ix , p. 27-81, 182-218;
tion scripturaire des Pères leur ferm e la bouche, et R am bouillet, L'orthodoxie du livre du Pasteur d'Hamas,
lorsque le concile de C onstantinoplc.cn 381. les aura P aris, 1880; L ink, Christi Person und Week im Hirten les
anathém atisés, la tradition catholique n ’ aura plus Hermas, M arbourg, 1886; R ibagnac, La christologie du
rien à redouter. Les Pères du iv® siècle l ’ avaient m ise Pasteur d'Ilermas, P aris, 1887; S cherer, Zur Christologie
en pleine lum ière. Ils avaient exprim é la théologie du des Hermas, dans Der Katholik, 1905, t. x x x n , p. 321-331 ;
Saint-E sprit en des form ules précises, et ccs form ules, A dam , Die Lehre von dem hl. Geiste bei Hermas und Ter-
ratifiées par les conciles, com m entées par les théolo ­ tullian, dans Theologische Quartalschrifl de T ubingue. 1. · ·.
t. L xxxvin, p. 36-61 ; G usev, Sv. Hermas i egv kniga Pc.::
giens, rappelleront de tout tem ps aux fidèles qu ’ on (Saint Hermas et son livre le Pasteur), Pravoslavngi 5 v -
cesse d ’ être chrétien si on n ’ adore pas le Saint-E sprit siednik, 1896, t. i, p. 76-142; B raunsbergcr, Der Ap ■
com m e D ieu et com m e troisièm e personne distincte Barnabas, sein Leben und der ihm beigclegle Briefe, M ayence,
du Père et du Fils. 1876; L'épître de Barnabé, L ouvain, 1900; T aylor, A n
essay on the theology of the Didache, C am bridge, 1889: Jne-
L a doctrine des P ères de l ’ É glise sur le S aint-E sprit a quier, La doctrine des douze apôtres et ses enseignements,
été exposée avec beaucoup d ’ érudition théologique par P aris, 1891 ; B iesenthal, Die urchrislliche Kirche in Lehre
le P . P etau , De Trinitate, préface, 1. I, III, IV , Dogmata und Leben nach der Διδαχή τ«ν δώριζα Ά ποστόλο-, Insterburg,
theologica, t. n , p. 253-278, 501-685; t. n i, p. 1-168; le j 1893.
P . T hom assin, Tractatus de Trinitate, Dogmata theologica, 2° Apologistes. — S chm itt, Die Apologie der drei ersten
t. v, p. 288-628; le cardinal F ranzelin, De Deo trino, p. 106- | Jahrhunderte in hislorisch-syslematischer Darstellung,
186; le P . de R égnon, Études de théologie positive sur la M ayence, 1890; Z ahn, Die apologelischen Grundgedanken
sainte Trinité, P aris, t. m ; H einrich, Dogmatischc Théo­ in der Lilleratur der ersten drei Jahrhunderte systematised
logie, M ayence, 1885, t. rv, p. 250-309; S cheeben, Im dog- 1 dargeslellt, W urzbourg, 1890; D uncker, Die Logoslehre
matique, trad , franç., P aris, 1880, t. n , p. 551-579; N ôs- Justins des Mürtyrers, G œ ttingue, 1848; W aubert de
gen, Geschichte der Lehre vom heiligen Geiste, G utersloh, I P uiseau, Die Christologie van Justinus Martyr, L eyde,
1899, p. 4-95. 1864; W eizsâcker, Dic Théologie des Mürtyrers Justinus,
D es données générales sur la théologie trinitaire, et, par 1 dans Jahrbücher fur deulsche Théologie, 1867, L x n , p. 60-
conséquent, sur le S aint-E sprit, sont contenues dans les 119; P aul, Ueber die Logoslehre bei Justinus Martyr, dans
ouvrages suivants : Z iegler, Geschichtsentivickelung des Jahrbücher fur protestantische Théologie, 1886, t. x n ,
Dogma nom heiligen Geiste, G œ ttingue, 1791; B aur, Die p. 661-690; 1890 , t. x v i, p. 550-578; 1891 , t. x v n , p. 124-
christliche Lehre von der Dreieinigkeit und Menschwerdung 148; C ram er, Wat leerl Justinus aangaandehet ;. .·< ·
Gotles in ihrer geschichtlichen Entwickelnng, T ubingue, 1841 ; bestaan van den heiligen Geest, dans Theologische -,
M eyer, Die Lehre von der Trinilal in ihrer historischen 1893, p. 17-35; L eblanc, Le logos de saint Justin, dans les
Entwickelnng, H am bourg, 1844; D orner, Entwickelungs- Annales de philosophie chrétienne, 1904, t. c x l v i h , p. 1 j 1 -
geschichte der Lehre von der Person Christi, in den ersten 197; L ogothétes, Ή βιολογία Ά βτ,ναγόρ-; .. L eipzig, 1893;
vier Jahrhunderten, S tu ttg art, 1845; H ilgenfeld, Die aposto- P fattiscb, Der Einfluss Platos auf die Thcologie Justins
lischen Vater : Untersuchungen Uber Inhall und Ursprung des Mürtyrers, P aderborn, 1910; B arner, Die Lehre des
der unter ihren Namen erhallencn Schriften, H alle, 1853; Athenagoras von Gotles Einheit und Dreieinigkeit, L eipzig,
S tôckl, Die Lehre der vorniciinischen Kirchenvater von der 1903; K aravanghéles, ΊΙ t u ç i Θ » ο 3 διδασχαλί» -
gôttlichen Trinilat, E ich stad t, 1861 ; S negirev, Utchenie o χέω ;, L eipzig, 1891 ; G ross, DieGolleslehre des Theophilus non
itzie lisusa Khrislovv trekh pervykh viekakh khristianstva Antiochia, C hem nitz, 1896; C lausen, Die Théologie des Theo­
(La doctrine sur la personne de Jésus-Christ pendant les philus von Antiochien, dans Zeitschrift für wissenschaklic'.e
trois premiers siècles du christianisme), K azan, 1871; D o ­ Théologie, 1902, t. x l v , p. 81-141, 195-213; Pom rr.rich.
naldson, The apostolical Fathers : a critical account of their Des ApologetenTheophilus von A ntiochia Gottes und !.· ·■:■ < λ .re
genuine writings and of (heir doctrines, L ondres, 1874; dargeslellt unter Berücksichtigung des Athenaçor.: a :
S prinzl, Die Théologie der aposlolischen Vater, V ienne, 1880; E rlangen, 1904; S teuer, Die Gotles und Ijoffo^lchre des Tatiaa
D uchesne, I xs témoins anténicéens du dogme de la Trinité, mit ihren Beruhrungen in der griechischen Philosophie, L-e.p-
A m iens, 1883; S eitz, D ie Apologie des Christenlums bei den zig, 1893.
Griechen des iv und v Jahrhunderts, W urzbourg, 1895; 3° Pères du m· et du /v* siècle. — D encker. De-- 1
W einel, Wirkungen des Geistes und der Geisler im nacha- Irendus Christologie, im Zusanunenhange mil deiser. : -
postolischen Zeitaller bis auf 1rendus, F ribourg, 1899; logischen und anthropologischen G ro arfH rm A ry o ieS .
S cherm ann, Die Gottheit des hl. Geistes nach den griechis- G œ ttingue, 1843; C ourdaveaux. Ir·née A Lr: -e
chen Vdtern des vierten Jahrhunderts, F ribourg, 1901; de Γhistoire des religions. 1890. L XXL, p. 1 0 -1 7 5 :
V ôlter, Die aposlolischen Vüter neu untersucht, L eyde, 1904. Die Gotteslehre des Iren ans, L eipzig. 18 Ί : G c** .
D es données plus spéciales se rencontrent dans les litcheskaia sistema sv. Ireneia Lion^ka^ s .m s
755 E S P R IT -S A IN T '56

cheskimi utcheniami ir vieka (Le système dogmatique de tate, dans Biserica ortodoxa româna, 1904, p . 1145-1156:1905,
saint Irénée de Lyon dans ses relations avec les doctrines p. 893-899: D raeseke, Neuplalonisches in der Gregorios von
gnostiques du tp siècle), Pravoslavny Sobésiednik, 1874, Nazianz Trinilalslehre, dans Byzantinische Zeitschrift,
t. n , p. 181-235; t. n i, p. 3-55; N ikolsky, Sv. Irinei Lions- 1906, t. xv, p. 141-160; V inogradov, Dogmatilcheskoe
kii v borbie s gnostilzizmom (Saint Irènèe de Lyon et sa lutte utchenie sv. Grigoriia Bogoslova (La doctrine dogmatique
avec le gnosticisme), Khristianskoe Tchlenie, 1880, t. i, de saint Grégoire le Théologien), K asan, 1877 ; D iekam p,
p. 254-310; 1881, t. 1, p. 53-101, 232-253, 509-538; A . D u- Die Gotleslehre des hi. Gregor von Nyssa, M unster, 1896;
tourcq, Saint Irènèe, P aris, 1905; L æ m nier, Clementis N esm iélov, Dogmatitcheskaia sistema sv. Grigoriia Nisskago
Alexandrini de λόγψ doctrina, L eipzig, 1855; G ass, De Dei (Le système dogmatique de saint Grégoire de Nysse), K asan-
indole et attributis Origenes quid docuerit inquiritur, B ros- 1 1887: F ârster, Chrysostomus in seinem Verhiillniss zur
iau, 1838; F ischer, Commentatio de Origcnis theologia. antiochenischen Schule, G otha, 1889; L eipoldt, Didymus
H alle, 1846; H arrer, Die TrinilStslehre des Kirchenlehrers der Blinde von Alexandrien, L eipzig, 1905; B ardy, Didyme
Origenes, R atisbonne, 1858: S chultz, Die Christologie des ΓAveugle, P aris, 1910; L am y ’, Sainl Êphrern, dans L'uni­
Origenes, dans Jahrbiicher fur protestantische Théologie, versité catholique, 1890, t. m , p. 321-349; t. iv, p. 161,
1875, t. i, p. 193-247, 369-424; E leonsky, Utchenie Origena 190; E irainer, Der hl. Ephram der Syrer. Eine dogmenyes-
o bojestvie Syna bojia i Dukha Sa. i ob otnochenii ikh Λ chichtliche Abhandlung, K em pten, 1889; S chw en, Afrahat,
Bogu Otlzu (La doctrine dOrigcnc sur la divinité du Fils seine Person und sein Verstandniss des Chrislentums,·
de Dieu et du Saint-Esprit, et sur leurs relations avec Dieu B erlin, 1907; B eck, Die Trinilâtslehre des hl. Hilarius von
le Père), S aint-P étersbourg, 1879; B olotov, Utchénie Poitiers, M ayence, 1903; O rlov, Trinitarnyia vozzrieniia
Origena o su. Troilzie (La doctrine d’Origène sur la sainte sv. Ilariia Pildauiiskago (Les théories trinilaires de saint
Trinité), S aint-Pétersbourg , 1880; F . P rat, Origène, le Hilaire de Poitiers), S ergiev P osad, 1908; P rim er, Die
théologien et Γ exégète, P aris, 1907, p. 29-67, 169-173; Théologie des hi. Ambrosius, E ich stâd t, 1862; A dam ov,
D ôllinger, Hippolytus und Kallistus, R atisbonne, 1853, Utchenie o Troitzie sv. Amvrosii Mediolanskago (La doctrine
p. 338-358; S jôhlm , Hippolytus och modalismen, L und, sur la Trinité de saint Ambroise de Milan), Bogoslovsky
1899; D râseke, Noetos und Nœtianer in des Hippolytos Viestnik, 1910, t. n , p. 462-481; t. n i, p. 266-281: J. T ur ­
Refutatio, dans Zeitschrift fiïr wissenschaflliche Théologie, m el, Saint Jérôme, P aris, 1906, p. 161 sq.; D om er, Augus ­
1903 , t. x l v i , p . 213-232; R yssel, Gregorius Thaumaturgns : tinus. Sein theologisches System und seine religions-philo-
sein Lehcn und seine Schriften, L eipzig, 1880; D ittrich, sophische Anschauung, B erlin, 1873; G angaul, Des hl.
Dionysius der Grosse aon Alexandrien, F ribourg, 1867 ; Augustinus spekulativc Lehre von Gott dem Dreieinigen,
V inogradov, Bogoslouskaia dieialelnost sv.Dionisiia Aleksan- , A ugsbourg, 1865: O strooum ov, Analogii i ikh znatchenie
driiskago (L'œuvre théologique de Denys d’Alexandrie), | pri vyiasnenii idcheniia o sv. Troilzie po sudu blaj. Avgus­
Khristianskoe Tchlenie, 1884, t. i, p. 8-54; D rujinine, | tina (L’analogie et sa valeur dans Téclaircissement du dogme
Jizn i trudy sa. Dionisiia Veliltago, episkopa Aleksandriis- de la sainte Trinité, d'après saint Augustin), K asan, 190L
kago (La aie et les écrits de saint Denys le Grand, éuéque I
d’Alexandrie), K azan, 1890; H agem ann, Die rômische | III. D ’ a p r è s l e s c o n c i l e s . — Les conciles n ’ ont
Kirche und ihr Einfluss au/ Disziplin und Dogma in den rien innové au sujet de la croyance catholique au
ersten drei Jahrhundcrlen, F ribourg, 1864, p. 142-275, 432- dogm e trinitaire. Ils ont pris, pour ainsi dire, le m até ­
453; S tier, Die Gotles und Logos-Lehre Tertullians, G œ ttin-
riel inform e de cette croyance, l ’ ont élaboré avec
gue, 1899; M acholz, Spuren trinilariseher Denkweise im
A bendlande seit TertuÜian, léna, 1902; W arlield, Ter- l ’ assistance du Saint-E sprit, l ’ ont fixé dans des for ­
lullian and the beginnings of the doctrine of the Trinity, dans m ules précises qui ne laissent pas d ’ échappatoires
T ile princeion theological review, 1906, I. tv, p. 1-36, 145- aux fausses conclusions des hérétiques. Ces form ules,
167; P opov, Tcrlullian, ego teoriia khristianskago znaniia, i ces term es précis ne se trouvent pas, sans doute, dans
osnovnyia natchala ego bogosloviia (Terlullien, sa théorie de la révélation écrite ou dans la tradition orale. M ais il
la connaissance chrétienne et tes principes fondamentaux de ne faut pas blâm er la pensée chrétienne de s ’ être
sa théologie), K iev, 1880; G hternov, Tertullian, presviler form é un langage qui a donné à la théologie un carac ­
karthagenskii : otcherk utcheno-literaturnoi dieialelnosti ego
(Terlullien, prêtre de Carthage : essai sur son œuvre scienti­ tère scientifique. Les conciles, com m e il a été dit au
fique et littéraire), K ursk, 1889; J. T urm el, Terlullien, P aris, concile de C halcédoine, n ’ ont pas eu le but de présenter
1905, p. 224 sq. ; G oetz, Das Christentum Cyprians, G iessen, , un nouvel alim ent à la piété chrétienne, m ais de cher­
1896; O verlach, Die Théologie des Laktantius, S chw erin, ■ cher des rem èdes salutaires contre ceux qui ont
l»o8 ; V oigt, Die Lehre des Athanasius von Alexandrien, Oder innové dans le trésor des dogm es. M ansi, Concil.,
die kirchliche Dogmatik des vierlen Jahrhunderts, B rêm e, t. vn, col. 456, 457. Il n ’ est donc pas étonnant de
1861 ; V ernet, Essai sur ία doctrine christologique d'Atha-
constater, dans les définitions de conciles, un progrès
nase le Grand, G enève, 1879; L auchert, Die Lehre des hl. relativem ent à l ’ énonciation claire et explicite de la
Athanasius des Grossen, L eipzig, 1895: H oss, Studien über
dus Schriftlum und die Théologie des Athanasius, F ribourg, divinité et de la personnalité du Saint-Esprit. Ce
1899; C avallera, Sainl Athanase, P aris, 1908; C yrille L opa- progrès est intim em ent lié à la naissance et au déve ­
tin c, L'tchenie su. Athanasiia Vclikago 0 sviatoi Troilzie loppem ent des hérésies antitrinitaires, parce que,
sravnitelno s utcheniem o torn je predmetie v tri peruye vieka dit saint G régoire le G rand, sancta Ecclesia subtilius
(La doctrine de saint Athanase le Grand sur la sainte Trinité in sua semper eruditione instruitur, dum luerelicorum
comparée avec la doctrine des trois premiers siècles sur le quæstionibus impugnatur. Epist., vni, 2, P. L.,
même sujet), K azan, 1894; B lagorazum ov, Sv. Athanasii
Aleksandriisky : ego jizn, utelieno-lileralurnaia i polemiko- t. Lxxvii, coi. 906. Lorsque, ces hérésies s ’ attaquaient
dogmatitcheskàia dieiatelnosl (Saint Athanase d'Alexandrie, à la personne du V erbe, les conciles ont travaillé au
sa vie, son œuvre scientifique et littéraire, polémique et dogma­ développem ent de la doctrine christologique. M ais,
tique), K ichinev, 1895 ; M arquardt, .S ’. CyrilliHierosolgmitani lorsque les eunom iens et les m acédoniens tournèrent
de contentionibus et placitis arianorum sententia, B rauns- leurs arm es contre la divinité du Saint-E sprit, la
berg, 1881; M ader, Der hl. Cyrillus, Bischoj von Jerusalem, théologie du Saint-Esprit attira, nécessairem ent,
in seinem Lében und seinen Schrifien, E insiedeln, 1891; l ’ attention des conci es. Le sym bole de N icée se borne
K lose, Busilius der Grosse nach seinem l.eben und seiner
Lehre, S tralsund, 1835; Scholl, Die Lehre des hl. Basi- à professer la sim ple croyance catholique au Saint-
lius ran der Gnade, F ribourg, 1881 ; A llard, Saint Basile, E sprit : Π ιστεύομεν... είς το άγιον Π νεύμα. Il ne fait
P aris, 1899; S passky, Komu prinadlejat tchetverlaia i pia- que répéter la form ule insérée dans l ’ ancienne profes ­
taia knigi sv. Basiliia velikago protiv Evnomiia (A qui sion de foi de l ’ Église rom aine. Les Pères du concile
appartiennent le quatrième et le cinquième livres de sainl Basile ne voulurent pas adopter la form ule plus étendue
le Grand contre Eunomius), Bogoslovskii Viestnik, 1900, | proposée par Eusèbe de C ésarée : « N ous croyons
t. n i, p. 79-106; L ebedev, Sv. Vasilii Velikii : otcherk
que chacun des trois est et subsiste : le Père vraim ent
jizni i trudov ego (Saint Basile le Grand : essai sur sa vie et com m e Père, le Fils vraim ent com m e Fils, le Saint-
ses écrits), S aint-P étersbourg, 1902; H ergenrother, Die
Lehre von der gôttlichen Dreieinigkeit nach dem heiligen E sprit vraim ent com m e Saint-Esprit. » H cfele, His­
Gregor von Nazianz, dem Theologen, R atisbonne, 1850; toire des conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 437.
P opescu, Invitature sf. Grigore de Nazianz, despre Trini­ Il suffira de m entionner les anathèm es dont le
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I er concile de Sirm ium (351-352) frappa les sabelliens Le concile d ’ Iconium , tenu en 376, déclare, dans
et les photiniens. H efele, op. cit., t. i, p. 859, 860. sa lettre synodale, que le concile de "Le· .·.· n ..
Ce concile, com m e on sait, était com posé de sem i- touché à la question du Saint-Esprit, m ais 'il ;
ariens. M ais, en 362, saint A thanase réunit à A lexan ­ bien laissé voir ce qu ’ il en pensait. Ce que r. ;·■..<
drie un synode de 21 évêques. Ce synode eut à s ’ occu ­ croyons du Père, nous devons le croire aussi du Fil ­
per du Saint-Esprit contre les ariens et les m acé ­ et du Saint-E sprit. La nature de la Trinité est divit .
doniens, qui le rabaissaient au rang des créatures. Il n ’ y a pas en elle m élange de la nature cr< · .-. M ar. .
D ans leur épître synodale, les m em bres de ce concile Concil., t. m , col. 506. Les personnes divines «?.-· .
déclarent qu ’ il ne faut pas diviser la sainte Trinité, réellem ent distinctes, m ais leur nature n'est ;r_-
ni adm ettre rien de créé en elle. M ansi, Concit., t. ni, divisée. Si nous séparons le Saint-E sprit de la
col. 348. L ’ E sprit-Saint est de m êm e substance et divine, nous le rabaissons au rang des créatures. Et
divinité que le Père et le Fils, et dans la T rinité, il dans ce cas, ne serait-il pas absurde de le m entionn :
n ’ y a absolum en t rien de créé, rien de plus puissant ou dans la form ule du baptêm e? N ous ne prêchons pas
de m oins puissant. R ufin, H. E., i, 29, P. L., t. xxi, trois principes, dit le concile, ni trois dieux : nous e
col. 499. O n doit détester ceux qui aflublent le Saint- prêchons pas trois natures différentes. N ous recon ­
E sprit d ’ une nature créée. M ansi, Concit., t. ni, col. 356. naissons, sans doute, le Père com m e cause efficiente de
L e Saint-E sprit n ’ est pas étranger à la nature divine. toutes les créatures, m ais nous ne nions aucune des
Ibid., col. 349: H efele, op. cit., t. i, p. 965. hypostases. Ibid., col. 507. D ans nos prières litur ­
Le concile d ' Illyrie, tenu en 375, exprim a nette ­ giques, nous rendons la m êm e gloire au Père, au Fils
m ent sa foi à la consubstantialité divine de la sainte et au Saint-Esprit. Ibid., col. 507; H efele, op. cit.,
T rinité. M ansi, Concit., t. ni, col. 385. Le Saint- 1.1, p. 983.
E sprit est inséparable du Père et du Fils quant à la D ans la Regula fidei, attribuée au concile qui aurait
divinité : ceux qui rejettent sa divine consubstan ­ été tenu à Tolède en 447, m ais qui est l ’ œ uvre privée
tialité, l ’ Église les frappe d ’ anathèm e. Ibid., col. 385. de Pastor, évêque de G alice, voir K ünstie, Anli-
Les ariens sont hérétiques, parce qu ’ ils nient que le priscilliana, Fribourg-en-B risgau, 1895, p. 30-35, on
Fils et le Saint-E sprit dérivent de la substance du établit nettem ent contre les priscillianistes la person ­
Père. La m êm e gloire doit être rendue au Père, au nalité divine du Saint-Esprit. O n y prononça l'ana ­
Fils et au Saint-E sprit. Ibid., col. 385. thèm e contre ceux qui croient que le Paraclet est
Plusieurs conciles tenus à R om e, sous le pontificat identique au Père ou au Fils. M ansi, Concil.. t. m .
de saint D am ase (366-384), déterm inent avec plus col. 1002, 1161; H efele, op. cil., t. u. p. 485. La p- -
de précision la doctrine catholique sur le Saint- fession de foi attribuée au X I e concile de Tolède ■ " .
Esprit. Le I e ' de ces conciles, tenu probablem ent en m ais qui, pour K ünstie, serait une Expositio fid·::·:
369, proclam a que le Père, le Fils et le Saint-Esprit théologien espagnol du v® siècle, AnUpriscilliana. p. ~a .
participaient à la m êm e substance divine. M ansi, déclare que le Saint-E sprit participe à la m êm e sub ­
Concit., t. in, col. 443; H efele, op. cil., L i, p. 980. stance, nature, m ajesté et puissance du Père et
U n autre concile tenu en 374, sur les instances des Fils, M ansi, Concil., t. xi, col. 132; qu ’ il est envoy., pa ­
évêques orientaux, anatliém atisa les erreurs d'A pol ­ le Père et le Fils, m ais qu ’ il ne leur est pas inferieur.
linaire de Laodicée et d ’ E ustathe de Sébaste. Ses ana ­ ibid., col. 133; qu ’il y a trois personnes en D ieu,
thèm es frappent ceux qui rangent le Saint-Esprit m ais une seule nature com m une à toutes les trois :
au nom bre des créatures; qui refusent d ’ adm ettre qu ’ il y a un Père, un Fils et un Saint-Esprit, m ais non
qu ’ il voit et connaît tout, qu ’ il a pris part à la créa ­ trois D ieux : Non enim ipse est Pater qui Filius; ncc
tion de l ’ univers, qu ’ il participe avec le Père et le ipse Filius qui Pater; nec Spiritus Sanctus ipse, oui
Fils à la m êm e divinité, puissance, m ajesté, gloire, est vel Pater; vel Filius; cum tamen ipsum sit Pater
dom ination, volonté, et au m êm e royaum e; qu'il doit quod Filius; ipsum Filius quod Pater; ipsum Pater ci
être adoré par toute créature. O n renonce au chris ­ Filius quod Spiritus Sanctus, id est, natura unus Deus...
tianism e pour s'inscrire au nom bre des Juifs si on Paler et Filius et Spiritus Sanctus substantia unum
croit à un D ieu unique de m anière à supprim er la sunt : personas enim distinguimus, non deitatem sepa­
distinction des personnes divines. M ansi, Concil., ramus. Ibid., col. 134. C ette profession de foi a . :
t. m , col. 477; H efele, op. cit., 1.1. p. 981. Le concile renouvelée au concile de Tolède de 688, M ansi. ' ..
établit en ces term es la foi catholique touchant le L xn, col. 11-12, et avec plus d'am pleur au concile de
Saint-E sprit : Hæc est salus Christianorum ut cre­ 693 : « N ous confessons la divinité et la toute-puissance
dentes Trinitati, id est, Patri et Filio et Spiritui Sancio, du Père, du Fils et du Saint-E sprit. M ais nous ne
in eam veram, solam, unam divinila em, et potentiam, croyons pas en trois D ieux ou en trois tout-puissants.
et substantiam ejusdem hæc sine dubio credamus. A ppuyés sur la vérité inébranlable de la foi, nous
M ansi, Concil., t. ni, coi. 484. Le Saint-E sprit n ’ est croyons en un seul D ieu de m êm e nature, essence,
pas un D ieu inengendré ou engendré; il n ’ a pas été toute-puissance et m ajesté. · M ansi, Concil., t. xn.
fait ou créé; il est l ’ E spritdu Père et du Fils, coéternel col. 65. Le Père n ’ a jam ais été sans le Saint-E sprit,
au Père et au Fils. Ibid., col. 484. Le Père, le Fils et Π n ’ y a rien ni de plus grand, ni de plus petit dans
le Saint-Esprit constituent la T rinité sainte, la pléni­ la sainte T rinité. Le Père est parfait, le Fils est parfait,
tude entière de la nature divine. Le Père est D ieu, le Saint-E sprit est parfait. Le Père est im m uable, le
le Fils est D ieu, le Saint-Esprit est D ieu. Ces trois Fils est im m uable, le Saint-E sprit est im m uable.
sont un seul D ieu : une seule puissance en trois formœ. Ibid., col. 65. N ous devons croire en un seul D ieu, en
Ibid., col. 485. L a condam nation, prononcée par ce un seul Père inséparable du Fils et du Saint-Esprit.
concile contre les pneum atôm aques, fut renouvelée La volonté du Père, du Fils et du Saint-Esprit est
par un 111° concile, tenu en 376. M ansi, Concil., t. m , une et identique. A u point de vue des relations.
col. 485; H efele, op. cil., t. i, p. 984. U n IV e concile Père, qui a relation avec le Fils, n ’ est pas le Fils.et
tenu en 380, prononça une série d ’ anathèm es contre Saint-Esprit n ’ est ni le Père ni le Fils. Ibid.. : . ·".
les sabelliens, les ariens, les m acédoniens, les photi ­ H efele, op. cit., L n, p. 582-586.
niens, les m arcelliens, les apollinaristes. Π proclam a D ’ autres conciles du x r et du xn* siècle :
que le Saint-Esprit n ’ est pas une créature. Il a tou ­ sur la divinité du Saint-Esprit contre les _·.. :
jours subsisté avec le Père et le Fils; il est vere ac du nom inalism e ou d ’ un trithéism e déguisé. L= :
proprie sicut et Filius de divina subsistentia. M ansi, cile de Soissons de 1092 condam nait :es erreurs le
Concil., L m , col. 486,487 ; H efele, op. cil., 1.1, p. 989. R oscelin de C om pïègne, qui réduisait . ■ >:
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à une sim ple abstraction et considérait les trois per ­ duisent à la connaissance de D ieu, com m e l ’ effet con ­
sonnes divines com m e trois choses (1res res') distinctes. duit à la connaissance de la cause. Ce que la raison
Stôckl, Geschichte der Philosophie des Mittelallers, naturelle peut connaître de D ieu, c ’ est uniquem ent ce
M ayence, 1864, t- i, p. 138, 139; H efele, op. cit., qui lui appartient nécessairem ent, com m e au principe
t. v, p. 353-354. Le concile de Soissons de 1121 et le des êtres, com m e au créateur. M ais la puissance créa ­
concile de Sens de 1140 condam nèrent A bélard, qui trice est com m une à toute la T rinité. Elle appartient
faisait du Saint-E sprit un sim ple attribut de la divi ­ à l ’ unité de l ’ essence divine, et non à la pluralité des
nité, la bonté divine. V oir t. i, col. 44, 46; Stôckl, personnes. La raison naturelle peut donc seulem ent
op. cil., t. i, p. 235-239; Schw ane, Dogmengeschichle connaître en D ieu ce qui a rapport à l ’ unité de nature,
der mitlleren Zeil, Fribourg, 1882, p. 156-157 ; H efele, et non ce qui a rapport à la distinction des personnes. »
Conciliengeschichte, t. v, p. 358-363; M ansi, Concil., Sum. lheol., I", q. xxxn, a. 1. La raison ne nous m ontre
t. xxi, col. 265, 559-563. Le concile de R eim s en donc pas D ieu com m e principe de ses opérations
1148 proclam a la divinité et la personnalité du Saint- ad intra. L ’ essence divine est im pénétrable à nos
E sprit contre G ilbert de la Porrée, pour lequel cha ­ regards. Ibid., I", q. xn, a. 4; Franzelin, De Deo uno,
cune des trois personnes en D ieu ne représentait pas R om e, 1876, p. 181-182. Si donc nous ne pouvons
la totalité absolue de l ’ essence divine : il fallait les avoir la connaissance naturelle de la vie intim e de
trois ensem ble pour avoir l'être divin. Stôckl, op. D ieu, si le m ystère de la T rinité touche aux profon ­
cit., L i, p. 285; H efele, op. cit., t. v, p. 519-525. Cum deurs les plus intim es de l ’ être divin, nous devons
de tribus personis loquimur, dit le concile, Pâtre, et affirm er que la théologie naturelle, laissée à ses propres
Filio, el Spiritu Sancio, ipsas unum Deum, unam forces, ne peut pas prouver la subsistance du Saint-
divinam substantiam esse fatemur. Et e Converso cum E sprit en D ieu. « Personne ne connaît le Fils, si ce
de uno Deo, uno divina substantia loquimur, ipsum n ’ est le Père, et personne ne connaît le Père, si ce n ’ est
unum Deum, unam divinam substantiam esse tres per­ le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. » M atth.,
sonas confitemur. M ansi, Concil., t. xxi, coi. 713. xi, 27. L a connaissance des personnes divines ne nous
Le IV e concile du L atran (X II 0 œ cum énique), est donnée que par la révélation. V oir R uiz, Commen­
tenu en 1215, condam na les théories trinitaires de taria de Trinitate, disp. X L I, sect, n, Lyon, 1625,
l ’ abbé Joachim de Flore, qui, partant du principe : p. 373. De mysterio Trinitatis, dit saint Jérôm e, recta
Essentia genuit essentiam, aboutissait au trithéism e. confessio est ignoratio scientiae. In Is., xviii, P. L.,
Stôckl, loc. cil., p. 289; Schw ane, loc. cit., p. 161, 162. t. XXIV, col. 627. Les anges et les hom m es, déclare
A vec une rigoureuse précision de term es, le concile saint C yrille, ignorent le m ystère de la Trinité. Cal.,
affirm e la consubstantialité divine du Saint-Esprit : vi, 6, P. G., t. ΧΧΧΙΠ, col. 548. La com préhension de
Firmiter credimus el simpliciter confitemur, quod unus la T rinité, d ’ après saint B asile, dépasse la portée de
solus est verus Deus, ælernus et immensus... Pater, el toute nature intelligente créée. Adversus Eunomium,
Filius, et Spiritus Sanctus : 1res quidem personœ, sed i, 14, P. G., t. xxix, col. 544; Piccirelli, De Deo uno el
una essentia, substantia, seu natura simplex omnino. trino, N aples, 1902, p. 1124-1139.
M ansi, Concil., t. xxn, coi. 981, 982. La prolixe pro ­ 2° Après que la révélation a révélé le mystère de la
fession de foi de ce concile contient l ’ exposé le plus Trinité, la raison peut expliquer en quelque manière
précis de la théologie du Saint-E sprit. Cf. D enzinger- comment la subsistance personnelle du Sainl-Espril en
B annw art, Enchiridion, n. 428. Dieu est nécessaire. — E lle peut l ’ expliquer unique ­
IV. D ’ a p r è s l e s t h é o l o g ie n s . — L a preuve théo ­ m ent par voie d ’ analogies et de com paraisons. « Le
logique de la divinité et de la personnalité du Saint- chrétien, dit saint A nselm e, qui garde sans hésitation
E sprit est intim em ent liée à la preuve théologique de la foi, croyant ce qu ’ elle dit, l ’ aim ant, la pratiquant,
la T rinité divine, et exige, au préalable, une étude peut, avec hum ilité, chercher, la raison de ce qu ’ il
sérieuse des processions et des relations divines. N ous croit. » De fide Trinitatis, 2, P. L., t. c l v ii i , col. 263.
ne pouvons donc que l ’ effleurer, et nous nous bornons « Pour construire une théorie de la T rinité, on est
aux rem arques suivantes : tenu de com m encer par affirm er tout ce que l ’ Église
1° La théologie naturelle ne donne aucune preuve, enseigne. O n doit, en outre, chercher dans la révéla ­
ni directe ni indirecte, ni immédiate ni médiate de la tion m êm e les données qui dirigent les concepts. M ais
divinité el de la personnalité distincte du Saint-Esprit. on reste libre de choisir parm i ces données ce qu ’ on
— Les théologiens qui se sont flattés de déduire la veut adm ettre à la base de son œ uvre, et d ’ adopter
subsistance du Saint-E sprit en D ieu par des raisons pour l ’ édifice telle form e de philosophie que l ’ on pré ­
nécessaires (rationes necessaries, probaliones neces- férera. » D e R égnon, op. cit., t. n, p. 123.
sariæ), cf. S. A nselm e, Monologium, l x i v , P. L., 3° Le principe dont il faut procéder par voie d’ana­
t. CLvni, col. 213, n ’ ont abouti qu ’ à m ettre en pleine logie pour démontrer qu’il y a, au point de vue naturel,
lum ière l ’ im puissance radicale de la raison à dém ontrer des raisons de convenance qui portent à admettre en
le m ystère de la Trinité. L ’ assertion d ’ A bélard, que Dieu le Sainl-Espril comme troisième terme consub­
par le voûç du m onde Platon entendait le Saint- stantiel de la Trinité, est le principe de la fécondité de
E sprit. est sim plem ent fantaisiste. En effet, pour con ­ la vie divine. — La théologie naturelle prouve que
naître la subsistance du Saint-Esprit en D ieu, nous D ieu est vivant. Celui qui donne la vie aux êtres créés
devrions connaître les m ystères de la vie intim e de ne peut m anquer d ’ une perfection qui découle de
D ieu, nous devrions pénétrer l ’ essence divine, saisir lui com m e de sa source. D ieu n ’ est pas seulem ent
l ’ infini dans sa réalité objective, m esurer l ’ im m ensité vivant. Il est la vie m êm e. S ’ il est la vie, cette vie doit
de D ieu avec notre intelligence créée. C ette hypo ­ être féconde, agissante. C ette fécondité divine se
thèse est absurde. La théologie naturelle enseigne que révèle dans les êtres créés, dans l ’ univers visible. M ais
nous n ’ avons pas l ’ intuition im m édiate de D ieu. N ous ces tém oignages visibles de la vie divine ne suffisent
nous élevons à la connaissance naturelle de D ieu par pas à la perfection infinie de D ieu. N ous ne pouvons
les créatures. M ais les créatures révèlent D ieu en tant concevoir la vie divine com m e bornée aux seules
qu ’ il est le principe de l ’ ordre naturel; elles révèlent opérations ad extra, de m êm e que nous ne saurions
les attributs qui appartiennent à l ’ essence divine; concevoir notre vie hum aine réduite à l ’ exercice, au
elles révèlent D ieu en tant qu ’ il est créateur, im m ense, m ouvem ent de nos m em bres. Il y a dans l ’ hom m e,
infini, tout-puissant. « Les hom m es, dit saint Thom as, qui est l ’ im age de D ieu, une vie intérieure, la vie de
ne parviennent à la connaissance de D ieu que par . ’ intelligence et de la volonté, et des opérations
la connaissance des créatures. C ar les créatures con ­ im m anentes qui découlent de ces deux puissances.
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O r, pourrions-nous ne pas adm ettre en D ieu cette logie posilivesur lasainle Trinité, 2· série (consacrée ex . --
vie intérieure qu ’ il a donnée à l ’ hom m e, ne pas adm et­ vem ent à l ’ étude des théories scolastiques de la sainte
tre que l'essence divine est à la fois intelligence et Trinité); Piccirelli, DeDeo uno et trino, p. 1120-1142.1257-
volonté? E t si D ieu est intelligence et volonté, ne 1262.
som m es-nous pas forcés d ’ adm ettre que cette intel­ II. L A P R O C E S S IO N D U S A IN T -E S P R IT D U P È R E E T
ligence et cette volonté, qui s ’ identifient avec l ’ unique D U F IL S . — Il n ’ est pas nécessaire de prouver que le
essence divine, sont toujours en acte, c ’ est-à-dire ne Saint-E sprit procède du Père. C ette vérité <ie foi est
passent jam ais de la puissance à l ’ acte? contenue de la m anière la plus explicite dans i ’ Écri-
Si D ieu est intelligence, cette intelligence divine ture sainte. Le Saint-Esprit παρά τού ΙΙατρό: b-· .·
connaît non seulem ent ce qui est hors de la vie intim e ρεύεται. Joa., xv, 26. Si le Père est le principe, la
de D ieu, m ais aussi ce qui est en D ieu de toute éter ­ source de la divinité, source primordiale, si le Saint-
nité, c ’ est-à-dire D ieu se connaît lui-m êm e. Si D ieu est E sprit est une personne distincte du Père, une per ­
volonté, cette volonté n ’ aim e pas seulem ent les créa ­ sonne qui participe à l ’ essence du Père, il est évident
tures où brille un rayon de la bonté infinie, m ais que le Père com m unique, son essence au Saint-Esprit,
aussi la bonté infinie de l ’ être divin, c ’ est-à-dire D ieu c ’ est-à-dire que le Saint-Esprit procède du Père.
s ’ aim e lui-m êm e. N ous som m es donc am enés à penser M ais procède-t-il en m êm e tem ps du Fils? A ce sujet,
que l ’ essence divine, sous des relations différentes, est dé longues discussions théologiques se sont produites
à la fois le principe de l ’ intellection divine et le term e et les Eglises orthodoxes se sont séparées de la com m u ­
de cette intellection; de m êm e, elle est le principe de nion de l ’ Église rom aine. L ’ Église rom aine croit que
la volition divine et le term e de cette volition; nous leSaint-E sprit procède du Fils aus'i bier, que du Père.
pouvons donc conclure que toute l ’ évolution de la vie C ette vérité de foi n ’ est pas adm ise par les Églises
divine repose sur ces deux actes : connaître et aimer. d ’ O rient. N ous n ’ aborderons pas ici l ’ histoire de la
Les deux term es de l ’ intellection et de la volition controverse théologique entre les grecs et les latins
divine ne diffèrent pas de l ’ essence divine. S ’ ils en au sujet du m ot Filioque. N ous ne m ontrerons pas
différaient, D ieu ne serait plus l ’ être d ’ une sim pli ­ non plus la légitim ité de l ’ insertion du Filioque au
cité absolue. Pour les produire, D ieu passerait de la sym bole de N icée. V oir F i l i o q u e . N o u s nous pro ­
puissance à l ’ acte, c ’ est-à-dire il ne serait plus l ’ acte posons seulem ent de m ettre en relief la vérité de
très pur. » A im er e t com prendre en D ieu, dit saint renseignem ent dogm atique de l ’ Église rom aine tou ­
Thom as, cfest D ieu lui-m êm e. D ieu ne s ’ aim e pas lui- chant la procession du Saint-E sprit du Fils, en prou ­
m êm e par quelque chose qui survient à son essence, vant qu ’ elle est appuyée : 1° sur l ’ É criture sainte;
m ais selon son essence. Puisque donc il s ’ aim e lui- 2° sur la tradition des Pères; 3° sur les conciles;
m êm e parce qu ’ il est en lui-m êm e com m e l ’ objet aim é 4° sui la spéculation théologique. Il en ressortira
dans celui qui aim e, D ieu aim é n ’ est pas en D ieu ai ­ qu ’ elle appartient au trésor des dogm es de l ’ Église
m ant d ’ une m anière accidentelle, com m e les choses catholique.
aim ées sont en nous qui les aim ons. M ais D ieu est en I. D ’ a p r è s l ’ É c r i t u r e s a in t e . — 1 ° L ’ É criture dé ­
lui-m êm e com m e l ’ être aim é dans l ’ être aim ant clare que le Saint-E sprit est l ’ E sprit du Père, M atth.,
substantiellem ent. Le Saint-Esprit n ’ est donc pas x,20,et qu ’ il est en m êm e tem psl ’ Esprit du Fils. G ai.,
un accident dans la nature divine : il subsiste dans iv, 6; l ’ E sprit du C hrist, R om ., vin, 9; 1 E sprit de
l ’ essence divine com m e le Père et le Fils. » Compen­ Jésus-C hrist. Phil., i, 19. Ces textes affirm ent donc
dium theologiæ, x l v ii i . que les rapports du Saint-E sprit vis-à-vis du Fils ne
M ais la volonté ne peut rien aim er qui n ’ ait été diffèrent pas des rapports vis-à-vis du Père. Le Saint-
auparavant conçu et connu par l ’ intelligence. H s ’ en ­ E sprit est distinct à la fois du Père et du Fils, puis ­
suit que l ’ acte de l ’ intelligence a une priorité logique qu ’ il est l ’ E sprit du Père et du Fils. C ette distinc ­
en D ieu sur l ’ acte de la volonté; c ’ est-à-dire le term e tion ne découle pas de l ’ essence divine qui est
de l ’ intelligence divine, que l ’ É criture appelle le V erbe com m une aux trois personnes divines. Elle reposedonc
de D ieu,a une priorité logique surleterm e de la volonté sur l ’ opposition des relations divines. Si le Saint-
divine, que la m êm e É criture nom m e le Saint-Esprit. E sprit est l ’ E sprit du Père, parce qu ’ il procède du
Le Saint-E sprit est donc réellem ent le troisièm e dans Père, il est aussil’ E sprit du Fils, parce qu ’ il proce ie
ordre des relations divines. E t, puisqu ’ il y a une du Fils. Si l ’ on n ’ adm ettait pas que le Saint-Esprit
distinction entre les actes de vouloir et de connaître, procède du Fils, la dénom ination d ’ E sprit du Fils
parce qu ’on ne peut dire que D ieu veut par son in­ donnée au Saint-Esprit serait fausse; bien plus. le
telligence, ni qu ’ il connaît par sa volonté, les term es Saint-E sprit s ’ identifierait avec le Fils. Les personnes
de l ’ intelligence et de la volonté divine ne peuvent pas divines, en effet, ne sc distinguent que par leur ori ­
se confondre, le Saint-E sprit se distingue du V erbe; gine. R atram ne de Corbie explique ainsi les textes
l ’ E sprit et le V erbe à la fois se distinguent du prin ­ précédem m ent cités : « L ’ apôtre n a pas dit : Dieu a
cipe de l ’ intellection et de la volition divine. D e R é ­ envoyé son Esprit. M êm e s ’ il avait dit cela, il n ’ aurait
gnon, op. cit., t. n, p. 196-197. C ette théorie ration ­ pas exclu le Fils, parce que le Fils aussi est D ieu, de
nelle de la T rinité a été développée par saint A ugustin, m êm e que le Père est D ieu, et l ’ un et l ’ autre ne son.
saint A nselm e et saint Thom as d ’ A quin. Elle nous pas deux dieux, m ais un seul D ieu, car la substance
aide, sans doute, com m e dit saint A ugustin, à voir par joint ce que la personne sépare. M ais, pour écarter
l’ intelligence ce que nous croyons : Desideravi intel­ toute objection, saint PauLinsiste sur la personne d ” .
lectu videre quod credidi, De Trinitate, xv, 28, 51, Fils. Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit du Fils.
P. L., t. x l i i , coi. 1098, m ais elle n ’ ouvre pas le m ys ­ Est-ce que l ’ E sprit du Fils est autre que l ’ Esprit
tère à notre raison, ni ne m ontre pourquoi les term es du Père? Si l ’ E sprit du Père et l ’ E sprit du Fils n.
des opérations ad intra de la T rinité doivent être per ­ sont qu ’ un seul et m êm e E sprit, il est évident çn.
sonnels. Si donc la révélation n ’ était pas venue dissi ­ l ’ E sprit-Saint procède à la fois du Père et du Fils
per la nuit de notre intelligence, nous n ’ aurions jam ais O n ne dit pas que l ’ E sprit du Fils soit appelé
su que le Saint-Esprit subsiste en D ieu com m e troi ­ parce qu ’ il est inférieur au Fils. H s ’ ensuit dore que
sièm e personne divine. le Saint-Esprit est dit l ’ E sprit du Fil». r -
Scheeben, La dogmatique, t. n, p. 624-668; Id., Die procède du Fils, de m êm e qu ’ on dit l ’ Esprit Pere
Mgsterien des Chrislentums, Fribourg, 1898, p. 19-134; parce qu ’ il procède du Père... B est dit Γ E sprit tu
H einrich, Dogmatische Théologie, t. iv, p. 454-558; Fran- C hrist, parce qu ’ il procède du Chr:»L S ire ;r:<.
zefin, De Deo trino, p. 235-411 ; de Régnon, Études de théo­ dait pas du C hrist, il ne serait pas FEsp-nt du Christ.
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Il procède donc du C hrist, non pas en ce sens qu ’ il Père, et ni Père ni F il ., celui qui est l ’ E sprit du Père
soit soum is au C hrist, détaché du C hrist com m e une et du Fils. Par ces dénom inations, on entend que les
portion de son être, m ais en ce sens qu ’ il dérive personnes divines ont des relations m utuelles; m ais
substantiellem ent de la substance du Fils. » Contra on ne désigne pas par elles la substance qui est une.
græcorum opposita, i, 4, 7, P. L., t. cxxi, col. 232, Parce que, si on dit Père, il y a un Fils dont il est
238. E t plus loin : « Le Saint-E sprit est l ’ E sprit du Père; si on dit Fils, il y a un Père dont il est Fils;
Père, parce qu ’ il procède du Père. Il est donc l ’ E sprit s ’ il y a un E sprit, il y a aussi celui qui le produit (spi­
du Fils, parce qu ’ il procède du Fils. C at nous n ’ avons rans). Epist., ccxxxvni, 14, 15, P. J.., t. xxxm ,
pas deux esprits, m ais un seul esprit. L ’ E sprit du col. 1043. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire
Père n ’ est pas autre que 1 E sprit du Fils, m ais il est que le Saint-E sprit ne procède pas du Fils. C ar ce
le m êm e pour le Père ct le Fils. Il procède donc du n ’ est pas en vain qu ’ il est appelé l ’ E sprit du Père et
Père et du Fils. » Ibid., n, 4, col. 254. du Fils. De Trinilate, iv, 20, 29, P. L., t. x l ii , col. 908.
C ette interprétation est confirm ée par le tém oi ­ V oir aussi ibid., v, 11, 12; xv, 26, 47, col. 919, 1094;
gnage des Pères qui, de ces dénom inations du Saint- Contra Maximinum, n, 14, 1, ibid., col. 771.
E sprit, concluent à sa procession du Fils, d ’ autant que D ans sa Mystagogie, Photius s ’ acharne à m ontrer
le m ot E sprit, lorsqu ’ il se rapporte au Père et au Fils, que la théologie latine se trom pe, en tirant des textes
a un sens passif et signifie le term e de la spiration du cités un argum ent en faveur de la procession du
Père et du Fils, spiratum. Scheeben, La dogmatique, Saint-Esprit ex Filio. L ’ E sprit-Saint est nom m é
t. n, n 1016, p. 684, 685; Franzelin, De Deo trino, I l ’ E sprit du Fils, parce qu ’ il est consubstantiel au
p. 365, 419. « Le Saint-E sprit, rem arque le cardinal Fils, parce qu ’ il partage avec le Fils la m êm e nature,
B essarion, est un nom relatif. Il se rapporte à celui gloire, dignité et m ajesté. Myslagogia, 51, P. G.,
qui est principe de spiration : il est l ’ esprit de celui t. en, col. 329. L ’ E sprit, dit M acaire B oulgakov,
duquel il dérive par voie de spiration. Personne m étropolite de M oscou, est appelé l ’ E sprit du Père,
n ’ ignore, en effet, que les nom s des personnes divines parce qu ’ il est consubstantiel au Père et qu ’ il en est
sont des nom s relatifs. Le nom hypostatique de l ’ Es- inséparable, soit aussi peut-être parce qu ’ il procède
prit de D ieu est donc celui d ’ E sprit, de m êm e que les de lui. M ais il est appelé l ’ E sprit du Fils uniquem ent
nom s de Père et Fils sont hypostatiques par rapport parce que, consubstantiel avec lui et toujours insé ­
au Père et au Fils. Il n ’ exprim e pas l ’ essence, m ais parable de lui, il dem eure constam m ent avec lui, et
la personne. D e m êm e donc que nous n ’ osons pas dire la parole de D ieu ne nous autorise point à croire qu ’ il
le Fils de l ’ E sprit, parce que le Fils est un nom relatif soit aussi désigné com m e procédant aussi du Fils.
qui se rapporte au Père, et nous ne le disons pas, de Théologie dogmatique orthodoxe (en russe), Saint-
crainte qu ’ on ne croie que l ’ E sprit soit le Père du Pétersbourg, 1895, t. i, p. 281. Il cite,à l ’ appui de son
Fils, ainsi le nom d ’ E sprit, qui est relatif et qui se interprétation, plusieurs textes, en particulier, un
rapporte au principe de spiration, est le term e de la texte de saint C yrille d ’ A lexandrie, où l ’ on affirm e que
spiration de celui dont il est dit l ’ E sprit. » Oratio le Saint-Esprit est l ’ E sprit du C hrist parce qu ’ il y a
dogmatica, 6, P. G., t. c l x i , col. 570. Cf. G eorges de identité de nature et de gloire entre le C hrist et le
Trébizonde, De processione Sancti Spiritius ad Cre- Saint-E sprit. De Trinitate, dial, vu, P. G., t. l x x v ,
enses, 3, 4, ibid., col. 832, 833; C onstantin M éliténiot, col. 1121. V oir M alinovsky, Théologie dogmatique
Oral., i, De process. Spiritus Sancti, 37, P. G., t. c x l i , orthodoxe (en russe), C barkov, 1895, t. i, p. 326.
col. 1121-1124; D ém étrius C ydonius, De processione N ous croyons avoir déjà répondu à l ’ objection de
Sancti Spiritus, 10, P. G., t. ci.rv, col. 913; Id., Epist. M acaire. Le m ot E sprit a un sens passif, spiratum, et
ad Barlaamum, P. G., t. eu, col. 1285, 1286; C alécas, s ’ il est appliqué en ce sens au Père, nous devons lui
Contra græcos, i, P. G., t. cui, col. 56, 57; H ugues attacher le m êm e sens, lorsqu ’ il est attribué au Fils.
E therianus, De hœresibus quas grœci in latinos C ar l ’ É criture ne spécifie pas que le Saint-E sprit est
deoolnunt, n, 19, P. L., t. ccrr, col. 329, 330. l ’ E sprit du Fils d ’ une m anière différ. nte de celle don!
Les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est il est l ’ E sprit du Père. Le Saint-Fsprit est, sans doute,
l ’ E sprit du Fils, parce qu ’ il est le term e de la spiration consubstantiel au Père, m ais puisqu ’ il procède du
du Fiis. « L ’ E sprit, dit saint A thanase, est le souffle et Père, il est appelé l ’ E sprit du Père. Le Saint-E sprit est
la bonne odeur du Fils. » Epist. ad Serapionem, i, 23; aussi consubstantiel au Fils, m ais puisqu ’ il est l ’ Esprit
ni, 3, P. G., t xxvi, col. 584, 585, 628, 629. du Fils, il s ’ ensuit qu ’ il procède du Fils. S ’ il n ’ en pro ­
L ’ E sprit n ’ est pas engendré par le Fils, parce qu ’ il cédait pas, il n ’ y aurait plus, entre le Fils ct le Saint·
n ’ est pas son V erbe. M ais nous savons par l ’ É criture E sprit, cette opposition de relation d ’ origine qui dis ­
qu ’ il est le term e de la spiration du Fils de D ieu et tingue le Fils du Saint-E sprit; en d ’ autres term es, le
que le Fils est la source du Saint-E sprit. De Trinitate Saint-E sprit serait identique avec le Fils. Les Pères de
et Spiritu Sancio, 19, ibid., col. 1212,1213. L ’ E sprit est l ’ Église adm ettent bien la consubstantialité divine
propre au Fils selon la substance. Epist., i, ad Sera­ du Père, du Fils et du Saint-E sprit, m ais ils déclarent
pionem, 25, ibid., col. 588, 589. L ’ auteur du V “ livre que la substance du Saint-Esprit est donnée au Saint-
contre Eunom ius, attribué à saint B asile, dit : « L ’ apô ­ É sprit par le Fils : Neque alia substantia est Spiritus
tre m anifeste que le Saint-Esprit rayonne par le Sancti præter id quod datur ei a Filio. D idym e, Lit er
Fils, parce qu ’ il l'appelle l ’ E sprit du Fils au m êm e de Spiritu Sancto, P. G., t. xxxix, coi. 1065, 1066;
titre que l ’ E sprit de D ieu, r Adversus Eunomium, G eorges Pachym ère, De processione Spiritus Sancti,
1. V , P. G., t. xxix, col. 733. Jésus-C hrist appelle le P. G., t. cxi.iv, col. 928; Franzelin, Examen doctrinæ
Saint-E sprit, E sprit de vérité, c'est-à-dire l ’ E sprit qui Makarii, Prato, 1894, p. 60; Id., D e Deo trino, p. 419-
est à lui. E n effet, le Saint-E sprit n ’ est pas étranger à 421. D e m êm e que Père et Fils, rem arque G eorges
la substance du Fils, mais procide physiquement d’elle. de Trébizonde, sont des nom s qui désignent la subsis ­
Il est le Fils m êm e au point de vue de l ’ identité de tance hypostatique, ainsi Saint-E sprit est un nom
nature, bien qu ’ il subsiste personnellem ent. In Joa., hypostatique, qui désigne la subsistance personnelle
x, 16, P. G., t. l x x i v , col. 444. Le Saint-E sprit est de la troisièm e personne divine. Le Saint-Esprit, qui
l ’ E sprit propre du Fils, parce qu ’ il existe dans le Fils est l ’ E sprit du Père et du Fils, procède donc du Père
et procède par le Fils. Ibid., col. 444. N otre foi, dit et du Fils. Op. cil., c. π, P. G., t. c l x i , col. 833.
saint A ugustin, nous oblige à croire au Père, au Fils Les théologiens orthodoxes affirm ent que, dans le
ct au Saint-E sprit, un seul D ieu. N ous ne pouvons texte de saint Paul aux G alates, il n ’ est pas question
pas appeler Père celui qui est Fils, ni Fils celui qui est I du Saint-E sprit com m e hypostase divine, m ais des
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dons de la grâce qu ’ il répand dans les cœ urs des m êm e unité,leSaint E sprit k-reçoit de lui. b .A m i raise.
fidèles. M acaire, op. cil., t. i, p. 281, 282. Les Pères De Spiritu Sancto, π, 134, P. L., L xvi. coi. 803. H
de l ’ Église ont bien déclaré, et cela suffît pour ren ­ reçoit du Fils, dit saint H ilaire, celui qui est en· , oye
verser l ’ argum ent de M acaire, qu ’ il est toujours ques ­ par le Fils et procède du Père. Q ue s ’ il n y a pas de
tion du Saint-Esprit, toutes les fois que l ’ É criture dit différence entre recevoir du Fils et procéder du père,
l’Esprit du Père, l’Esprit du Fils. Ces dénom inations ce serait la m êm e chose, que recevoir du Fils et - ■ -
désignent le Saint-Esprit com m e personne divine. voir du Père. C ar le Seigneur lui-m êm e nous .di: : E
S. A thanase, Epist., i, ad Serapionem, 4, P. G., reçoit de m oi. Ce qu ’ il recevra, que ce soit la
t. xxvi, col. 536, 537. Saint B asile déclare que l ’ E sprit ou la vertu, ou la doctrine, le Fils deciare q 1 .
du C hrist est inséparable du C hrist : s ’ il en est insé ­ recevra de lui. De Trinitate, vin, 20, P. L.. L x
parable, il n ’ est pas un don. Epist., xxxvin, 4, P. G., 251 La m êm e doctrine est enseignée par ies Pères
t. xxxn, col. 329. Cf. M axim e, Quæstiones ad Thalas­ grecs. V oir S. C yrille de Jérusalem , Cat., xvi, 21. <.·.
sium, 63, P. G., t. xc, col. 672; Franzelin, De Deo t. xxxtn, col. 952; S. É piphane, Ancoratus. 73.
trino, p. 424, 425; R olling, Pneumalologic, G utersloh, P. G., t. xun, col. 137, 153; Id., Hær., l x x iv , 4. P. G..
1894, p. 320-323; Sw ete, The Holy Spirit in the New t. x l i i , col. 430; S. C yrille d ’ A lexandrie, in Joa.. xn.
Tes ament, p. 204-206; H einrich, Dogmatische Théo­ 15, 26, P. G., t. l x x i v , col. 427.
logie, t. iv, p. 243-244. Photius a consacré les § 20-30 de sa Mystagogie à
2° L ’ Évangile de saint Jean renferm e un autre torturer le sens si clair de ce texte pour en tircrunecon-
texte décisif pour la question qui nous occupe. Le clusion qui, rem arque justem ent le P. de R égnon,
voici : « Le Saint-E sprit ne parlera pas de lui-m êm e, op. cit., t. ni, p. 253, rom pt avec toute l ’ ancienne
m ais il dira tout ce qu ’ il aura entendu et il vous exégèse. P. G., t. en, col. 297-312. Γ) affirm e que, dans
annoncera les choses à venir. C elui-ci m e glorifiera, le texte έζ τού έρ,οϋ λήψεται, on sous-entend le m ot
parce qu’il recevra de ce qui est ά moi, et il vous l ’ an ­ Π ατρός . Le sens du texte serait alors : Il recevra de
noncera. Tout ce que le Père a, est à moi. C ’ est pour cela mon Père, P. G., t. en. col. 312. C ette interprétation
que j ’ ai dit qu ’ il recevra de ce qui est à m oi et qu ’ il est acceptée m êm e de nos jours par les théologiens or­
vous l'annoncera. » xvi, 13-15. Le sens de ce texte est thodoxes. Il n ’ a pas été difficile à la théologie catho ­
si clair, son affirm ation de 1* procession du Saint- lique de m ontrer com bien elle est fausse. Saint Jean
Esprit du Fils est si évidente que, pour en am oin ­ C hrj'sostom e explique le sens du παρ ’ έμοϋ. Il recevra
drir la portée, Photius a eu recours à a chicane et à de ma science. In Joa., hom il. L xxvm , 2, P. G., L ux,
une exégèse bizarre. Le Père donne au Fils et le Fils col. 423. Le Saint-E sprit reçoit donc du Fils la science
com m unique à l ’ E sprit, explique saint C yrille dé qui est au Fils. M anuel Calécas, Adversus Græcos. i,
Jérusalem . En effet, ce n ’ est pas m oi, c ’ est Jésus lui- P. G ., t. CLii, col. 59. a bien m is en relief qu ’au point
m êm e qui a dit du Saint-Esprit : H recevra de moi de vue gram m atical, l ’ adjectif possessif i·^·. ne
Cal., xvi, 24, P. G., t xxxin, col- 952 peut pas Stre du genre m asculin. Π est du neutre,
Le Saint-Esprit ne parle pas de lui-m êm e, c'est-à- et, par conséquent, il ne se rapporte pas au Père.
dire la sagesse qu ’ il possède n'est pas une sagesse prin- Si le Saint-Esprit reçoit du Fils, si tout ce qui est
cipielle, m ais une sagesse com m uniquée. Q uelle est la au Père est com m un aussi au Fils, il est évident
nature de cette sagesse? D evons-nous dire que réelle ­ que le Fils est un seul D ieu avec le Père et que le
m ent le Saint-E sprit est plongé dans l ’ ignorance et qu ’ il Saint-Esprit dérive, vrai D ieu, de l ’ essence du Père
doit être éclairé par le Fils? Si nous répondions affir ­ et du Fils. Ce texte donc : Il recevra de moi, ou ne
m ativem ent, le Saint-Esprit ne serait plus D ieu. N ous signifie rien, ou ne signifie pas ce qu ’ on voudrait
devons donc reconnaître que le Fils transm et au qu ’ il signifie. Ibid.,i, col. 159. Cf. H ugues Etherianus,
Saint-Esprit la .agesse divine, que cette sagesse est op. cil., n, 18, P. L., t. en, col. 325-328; B essarion, De
identique avec l ’ essence divine; en d ’ autres term es, processione Spiritus Sancti ad Lascarin, P. G., t c l x i
que le Fils transm et au Saint-E sprit la divinité qu ’ il col. 381; Petau, De Trinitate, vu 9, 11, t. m , p. 330,
reçoit du Père. C ar on dit aussi du C hrist qu ’ il révèle 331; Sw ete, op. cit., p. 163-164.
au m onde ce qu ’ il a entendu du Père. Joa., vm . 26; Les théologiens orthodoxes chicanent sur le tem ps
ce que le Père lui a enseigné, ibid., 28, que sa doc ­ futur du verbe recevoir. « Si l ’ expression : D recevra de
trine n ’ est pas à lui, ibid., vu, 16: que c ’ est ’ e Père ce qui est à m oi, signifie : C ’ est de m oi qu ’ il tient
qui a révélé ce qu ’ il doit dire et enseigner. Ibid., xn, l ’ éternité d ’ existence, de m oi qu ’ il procède, pourquoi
49, Puisque ces textes m ontrent que le Fils reçoit du le verbe recevra est-il au futur, ainsi que celui qui le
Père la sagesse divine, identique avec l ’ essence divine, précède im m édiatem ent, glorifiera^ - M acaire, op. cit.,
le texte sem blable qui se rapporte au Saint-E sprit t. i, p. 279. L ’ objection a été déjà réfutée par saint
affirm e que le Saint-E sprit reçoit du Fils la sagesse A ugustin : Nec moveat quod verbum futuri temporis
divine, identique avec l ’ essence divine. Franzelin, positum est... Illa quippe audientia sempiterna est,
De Deo trino, p. 413. Saint Fulgence donne un beau quia sempiterna scien ia. In eo autem quod sempiternum
com m entaire de ce texte pour prouver que le Saint- est sine initio et sine fine, cujuslibet temporis verbum
E sprit procède ab utroque : De Filio ergo accepit, et ponatur, sive præteriti, sive præsentis, sive futuri, non
omnia quæ habet Pater, Filii sunt quæ Spiritus San­ mendaciter ponitur. In Joa., tr.X C IX .5. P. L ..t.xxxv.
ctus accenil, quia non de solo Patre, nec de solo Filio, coi. 1888: Id.. Contra sermonem arianorum. 24, P. !...
sed simul de utroque procedit. In illa natura ubi est t. x l i i , coi. 700: G eorges de Trébizonde, op. cit., 4.
summa et vera simplicitas, in eo Filius videt quod P. G., t. CLi, coi. 833. Les opérations im m anentes de la
Paler facit, et Spiritus Sanctus audit quod cum Patre divinité sont éternelles en elles-m êm es, dans la vie
Filius dicit, quia communione naturalis essenliæ et intim o de D ieu, m ais elles peuvent avoir une relation
Filius de Patre natus existit, et Spiri us Sanctus de à un term e extérieur. Si on le considère en lui-m êm e,
Patre Filioque procedit. Hoc est igitur Spiritui Sancto l ’ acte im m anent par lequel le Saint-Esprit reçoit
audire, quod est de natura Patris Filiique procedere. Père et du Fils l ’ essence divine est éternel. M ats, t
Contra Fabianum, xxv, P. L., t. l x v , coi. 781. considère cet acte en tant qu ’ il se r · -,
Les Pères sont unanim es à tirer de ce texte la preuve tem poraire et extérieur, il n ’ est pas <·.>■-· ’ '
de la procession du Saint-E sprit du Fils. Il recevra de parle de lui au passé ou au futur.L ’ acte · :· creai. : ’
m oi, dit T ertullien. com m e lui-m êm e il reçoit de ce est étem el de la part de D ieu, parte q > D ·. n est
qui est au Père. Adversus Praxeam, 25. P. L., t. n, toujours en acte; m ais il est tem poraire par m --· -*
col. 211. Ce qu ’ il a reçu par l ’ unité de nature, par la term e extérieur qui est créé dans le tem ps ' - sse-
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la com m unication de l ’ essence divine au Saint-Esprit Le Saint-Esprit, argum ente G eorges de Trébizonde.
par le Fils est éternelle; m ais le rôle que, par cette est envoyé par le Père et le Fils. Il s'ensuit que l ’ E sprit-
com m unication, le Saint-Esprit exerce dans l ’ œ uvre Saint procède du Père et du Fils, parce que l ’ E sprit-
de la rédem ption est tem poraire. Franzelin, De Deo Saint procède de ceux qui l ’ envoient. Ceux qui m ettent
trino, p. 418, 419. en D ieu des progressions tem porelles tom bent dans
N ous pouvons donc résum er l'argum ent qui nous l ’ erreur. Ils exprim ent ce qui est éternel par ce qui est
est fourni par le texte : Il recevra de moi, en ce syllo ­ tem poraire. M ais, dans la sainte T rinité, il y a seu ­
gism e : T out ce qui estai; Père, excepté la paternité, lem ent l ’ ordre d ’ origine. O n ne peut pas concevoir
est au Fils. M ais la propriété de produire le Saint- qu ’ une personne divine soit supérieure en dignité et
E sprit n ’ est pas la paternité, c ’ est-à-dire n ’ est pas la une autre inférieure. A cause de l ’ ordre d'origine, nous
propriété hypostatique du Père. D onc, si le Père a la lisons dans l ’ É criture sainte que le Père n ’ est pas
propriété de produire le Saint-E sprit, le Fils l ’ a aussi. envoyé par le Fils et que le Fils n ’ est pas envoyé par
En d ’ autres term es, si le Saint-Esprit reçoit du Père, le Saint-Esprit, excepté le cas où il est question de
il reçoit aussi du Fils. S. A thanase, Episl., i, ad l'hum anité sainte du Fils. Op. cil., P. G., t. ci.xi,
Serapionem, 20, P. G., t. xxvi, col, 580. L a théo ­ col. 832. R atram ne de Corbie rem arque justem ent que
logie orthodoxe accepte la m ajeure du syllogism e, la théorie grecque des m issions conduit en dernière
M acaire, op. cil., t. i, p. 280; m ais elle refuse d ’ en analyse à l ’ arianism e, à la différence de nature entre
accepter la conclusion. O n oublie que, par rapport les personnes divines : Aut ergo missionem hanc
au Fils, la propriété personnelle du Père est celle confitemini missionem, aut, quod est impium, obse­
d ’ engendrer; que, par rapport au Père, la propriété quium. Op. cit., i, 3, P. L., t. cxxi, col. 229. Cf. S.
personnelle du Fils est celle d ’ être engendré. Il y a Thom as, Sum. theol., I a , q. χι,πι, a. 1 ; Contra gentiles,
une réelle opposition entre la paternité et la filiation, 1. IV c. xxiv; Contra errores grrecorum, n, 2; G eorges
et le Fils, en tant que Fils, ne peut pas avoir ce qui M étochite, Contra Manuelem Cretensem, 9, P. G.,
est au Père en tant que Père. M ais la spiration du t. c x l i , col. 1333-1337; H einrich, op. cit., t. iv, p. 244-
Saint-Esprit ne s ’ oppose ni à la paternité ni à la 246; Franzelin, De Deo trino, p. 432-438; K olling,
filiation. E lle est donc com m une au Père et au Fils. op. cit., p. 311-316.
3° Il y a dans l ’ Évangile de saint Jean plusieurs Photius et les théologiens orthodoxes s ’ efforcent
textes qui se rapportent à la m ission du Saint-Esprit d ’ am oindrir la valeur dém onstrative des textes où il
par le Fils. « Je prierai le Père, et il vous donnera un est question de l ’ envoi du Saint-Esprit par le Fils.
autre consolateur, » xrv, 16. Je vous enverrai le Amphiloch., q. CLXX xvni, 2, P. G., t. ci. col. 909-912.
consolateur d ’ auprès du Père. » xv, 26. « Si je m 'en « C ette idée, dit M acaire, que, dans le m ystère de la
vais, je vous enverrai le consolateur, » xvi. 7. Cf. Luc., sainte T rinité, l ’ envoi d ’ une personne par une autre
XXIV, 49; A ct., π, 33; T it., m , 6. Ces textes prouvent suppose nécessairem ent que la seconde procède de la
qu ’ il y a une m ission du Saint-Esprit et que le prin ­ prem ière, cette idée-là, loin d ’ avoir le m oindre fon ­
cipe de cette m ission est le Fils. La théologie ortho ­ dem ent dans ia sainte É criture, est tout à fait en
doxe n ’ hésite pas à le reconnaître. M ais est-ce que opposition avec elle, car l ’ É criture dit que m êm e le
cette m ission com porte la dépendance de celui qui Fils est envoyé par le Saint-Esprit et non point par
est envoyé vis-à-vis de celui qui envoie? La théologie le Père, dans Is., x l v ii i , 16; l x i , 1; Luc., iv, 18.
orthodoxe, de m êm e que la théologie catholique, Op. cit., t. i, p. 273, 274. Cf. Innocent, Théologie
répond négativem ent à cette question. L a parfaite polémique (en russe), K azan, 1859, t. n, p. 31-34;
égalité des personnes divines ne com porte pa£ qu ’ il y M alinovsky, op. cil., p. 324, 325; A ndroutzos, Δοκί­
ait une différence de pouvoir, une supériorité et une μων συμβολικής ίξ έπόψεως όρ&οδύξου, A thènes, 1901,
infériorité de nature entre celle qui envoie et celle qui p. 132; R hosi, Σύστημα δογματικής τής ορθοδόξου
est envoyée. ’ Εκκλησίας , A thènes, 1903, ρ. 255; Procopovitch,
M ais cette m ission divine, faut-il l ’ entendre d ’ une Tractatus de processione Spiritus Sancti, G otha, 1772
m ission tem porelle, c ’ est-à-dire d ’ une m ission qui p. 15, 16.
n ’ im plique pas une priorité d ’ origine de la part de L ’ objection orthodoxe n ’ est pas difficile à résoudre.
celui qi i envoie, ou m êm e est-elle un corollaire, une L a m ission du Filsncprésente pas les m êm escaractères
conséquence nécessaire de la procession d ’ origine, de que la m ission du Saint-E sprit.Cette différence dépend
telle m anière que, celle-ci exclue, la m ission ne soit de ce que le Saint-E sprit a l ’ unique nature divine,
plus possible? La réponse que la théologie catho ­ tandis que la personne divine du Fils incarné a la
lique donne à cette question diffère de la réponse que double nature divine et hum aine.C es deux natures ne
lui donne la théologie orthodoxe. se confondent pas et, partant, clics autorisent, à
La théologie catholique soutient que la procession l'égard du Fils, l ’ em ploi réciproque de dénom inations
éternelle est le fondem ent nécessaire de la m ission du qui se rapportent à la nature divine ou à la nature
Saint-Esprit, que le concept de procession n ’ est pas hum aine. E u égard à sa double nature, nous pouvons
inséparable du concept de m ission, m ais que le con ­ considérer le Fils, ou com m e V erbe de D ieu que le
cept de m ission présuppose nécessairem ent une pro ­ Père engendre de toute éternité, ou com m e V erbe
cession divine, sans laquelle il n ’ y aurait plus d ’ égalité revêtu de notre chair. S. A ugustin, De Trinitate, iv,
parfaite entre les personnes divines. Toute m ission, 20, 27, P. L., t. x l .i i , col. 906. D ans le prem ier cas, il
en effet, em porte une distinction réelle entre celui qui est évident que le Fils ne peut pas êtreenvoyé par le
envoie et celui qui est envoyé. Le Fils, qui envoie le Saint-E sprit : ab illo mittitur de quo natum est. Ibid.,
Saint-E sprit, se distingue donc réellem ent du Saint- col. 907. C ette m ission du V erbe qui se prépare à
E sprit, qu ’ il envoie et qu ’ il répand sur les apôtres. O r l ’ œ uvre de la rédem ption, m ais qui ne s ’ est pas encore
la m ission, de la part de celui qui envoie, suppose une incarné, ne suppose pas une supériorité m orale de la
supériorité m orale ou une priorité d ’ origine. Il serait prem ière personne sur la seconde, parce qu ’ il y a la
im pie de parler d'une supériorité m orale du Fils par plus parfaite égalité entre les personnes divines. Le
rapport au Saint-Esprit, car, alors, 1e. Sam t-Esprit Saint-Esprit est donc envoyé par le Père uniquem ent
serait inférieur en perfection au Fils, et. partant, parce qu ’ il y a, de la part du Père, une priorité logique
n ’ aurait pas la nature divine du Fils. La m ission du d ’ origine. M ais le V erbe de D ieu s ’ est fait chair, et
Saint-Esprit par le Fils im plique donc, dans le Fils, par rapport à sa nature hum aine, il est devenu obéis ­
une priorité d ’ origine, la procession divine de celui sant jusqu ’ à la m ort : le C hrist est soum is au vouloir de
qui envoie. D ieu. Par son hum anité, le V erbe incarné est envoyé
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par le Père et le Saint-E sprit, non pas en vertu de la Fils est envoyé par le Père et le Saint-E sprit. ■ ■ -.
priorité d ’ origine du Père, m ais en vertu de cette Fabianum, xxix, P. L., t. l x v , col. 797.
autorité suprêm e que la nature divine exerce sur la 4° A près sa résurrection, Jésus-Christ se m anifesta
nature hum aine. Q uant à son hum anité, le V erbe à ses apôtres, souffla sur eux ct leur lit : - î ■ ■· ;
fait chair est inférieur, non seulem ent à la prem ière et l ’ E sprit-Saint. » Joa., xx, 22. Ce texte est : · r>ar
à la troisièm e personnes, m ais en quelque sorte à lui- les théologiens catholiques à l ’ appui de la -:· · .·
m êm e, en tant qu ’ il est une hypostase divine. Il s ’ en ­ catholique du Filioque. H einrich, op. cit., t. ;■ .
suit donc que le Père et le Saint-E sprit envoient le Le m étropolite M acaire affirm e que )..· F r ■
Fils, en tant que celui-ci s ’ est revêtu de la nature l ’ Église n ’ y ont jam ais trouvé l ’ idée de la processi.;,
hum aine et que, par cette nature hum aine, il diffère du éternelle du Saint-Esprit. Op. cit., t i, p. 283. <.·
Père et du Saint-E sprit. D ans un sens m oins rigou ­ pourrait, à la rigueur, considérer ce texte c· · : :
reux, on pourrait dire aussi qu ’ il est envoyé par lui- n ’ exprim ant pas clairem ent la procession du Saint-
m êm e, car la nature hum aine qu ’ il a adoptée est sou ­ E sprit du Fils; m ais il est absolum ent faux que : -
m ise à la nature divine. B ref, par sa participation à Pères ne lui aient pas attaché le sens que la théolog
l ’ unité de la nature divine, le Saint-E sprit est envoyé catholique lui donne. « Pourquoi ne croyons-nous
par le Père et le Fils, parce qu ’ il procède éternelle ­ pas, dit saint A ugustin, que le Saint-E sprit procède
m ent du Père et du Fils. M ais le Fils peut être con ­ du Fils, étant donné que le Saint-Esprit est l ’ E sprit
sidéré ou com m e V erbe de D ieu qui participe à la du Fils? Si le Saint-E sprit ne procédait pas du Fils,
nature divine com m uniquée par le Père de toute avant sa résurrection, Jésus-Christ, en se m ontrent à
éternité, ou com m e V erbe fait chair. D ans le prem ier scs disciples, n ’ aurait pas soufflé sur eux et ne leur
cas, la m ission du V erbe est réservée exclusivem ent aurait pas dit : « R ecevez le Saint-Esprit. · L 'action de
au Père, et le fondem ent de cette m ission est la géné ­ souffler ne signifie pas autre chose que la processio:
ration éternelle. D ans le second cas, la m ission du du Saint-E sprit du Fils. » In Joa., tr. X C IX , 7, P. L..
V erbe appartient aux trois personnes divines, au L xxxv, col. 1889. Par conséquent, ce texte est de­
Père et au Saint-E sprit dans un sens rigoureux, au monstratio per congruam significationem, non tantum
Fils dans un sens m oins rigoureux. Lorsque la théo ­ a Patre, sed el a Filio procedere Spiritum Sanctum. De
logie orthodoxe objecte que l ’ E sprit-Saint envoie le Trinitate, rv, 20, 29, P. L.. t. x l ii , coi. 96S; xv, 26.
Fils, nous répondons qu'il l ’ envoie en tant que le 45, coi. 1093: Contra Maximinum, n. 14. 1. ::
Fils s ’ est fait hom m e. coi. 770. Cf. S. Fulgence, De fide ad Petrum, ta, 52,
Le texte d ’ Isaïe : Le Seigneur Jéhovah m ’envoie avec P. L., L l x v , coi. 696 ; S. A thanase, De incarnatione
son Esprit, x l v ii i , 16, de l ’ aveu des exégètes ortho ­ et contra arianos, 9, P. G., t. xxvi,coL 997; Franzeiir,
doxes, se rapporte à Isaïe lui-m êm e. Commentaire sur Examen Macarii, p. 62-66.
le livre d’Isaïe (en russe), Khristianskoe Tchtenie, 1893, 5° O n lit dans l ’ É vangile de saint Jean : < L ’ E sprit de
t. i, p. 765, 766. V oir K nabenbauer, Commentarius in vérité qui procède du Père, » xv, 26. Ce texte est < · .
isaiam prophetam, Paris, 1887, t. n, p. 223-225. Isaïe par Photius com m e un dard acéré et inévitable contre les
est le type du M essie, en tant que le M essie descend latins. Myslagogia, 2, P. G., t. en, col. 280. Le Saint-
sur la terre pour rem plir sa m ission divine, c ’ est-à- E sprit procède du Père, objectent les théologiens
dire le type du V erbe fait chair. Il ne répugne donc orthodoxes; donc il ne procède pas du Fils. E t bien
pas d ’ adm ettre que, d ’ après ce texte, le V erbe fait souvent, ils ne se bornent pas à cette fausse déduction.
chair soit envoyé par le Saint-Esprit Franzclin L ’ Évangile de saint Jean déclare que le Saint-E sprit
Examen Macarii, p. 30. D e m êm e, le texte d ’ Isaïe : procède du Père. La théologie orthodoxe n ’ hésite pas
L ’ E sprit du Seigneur est sur m oi : il m ’ a oint pour à ajouter au texte un m ot qui tranche nettem ent la
porter la bonne nouvelle aux m alheureux, l x i , 1; question en sa faveur. A u lieu de lire : ’ Ex -.où τιαττ. ;
cf. Luc., iv, 18, se rapporte, d ’ après les Pères, à la εκπορεύεται, elle lit : έκ τοΰ πατρδς μόνου. M esoloras,
nature hum aine du C hrist. C ’ est l ’ onction de l ’ hum a ­ Συμβολική τής ορθοδόξου ανατολικής ’ Εκκλησίας , A thènes,
nité sainte du Sauveur, dit saint G régoire de N azianze. 1901, t. Ι, p. 120; Σύντομος άπαρι’Ομησις και ανατροπή
Orat., xxx, 21, P. G., t xxxvi, col. 132. Elle s ’ accom ­ των καινοτομιών τής παπικής ’ Εκκλησίας , C onstanti ­
plit dans la nature hum aine que le V erbe a adoptée nople, 1900, ρ. 5. Les controversistes latins ont
pour nous racheter. S. C yrille d ’ A lexandrie, De recta m aintes fois reproché aux grecs leur acharnem ent
fide ad reginas, 13, P. G., t. l x x v i , col. 1220; S. Jean contre l ’ insertion du Filioque dans le sym bole de
D am ascène, De fide orthodoxa, ιν, 6, P. G., t. xciv, N icée, tandis qu ’ ils ne se faisaient pas scrupule,
col. 1112; Schanz, Commentar iiber das Evangelium pour les besoins de leur cause, d ’ altérer le texte de
des hl. Lukas, Tubingue, 1883, p. 185; K nabenbauer, saint Jean. Pierre C hrysolan, Oratio de Spiritu
Commentarium in Evangelium secundum Lucam, Sancto, i, 6, P. G., L cxxvn, col. 915; A llatius, Έ γ-
Paris, 1896, p. 185; Palm ieri, La missione dette divine χειρίδιον περί τής έκπορεύσεως τοΰ αγίου Π νεύματος .
persone e la processione dello Spirilo Santo, R om e, R om e, 1658, ρ. 16.
1900, p. 24-29. T out d ’ abord, la théologie orthodoxe se livre à de
N ous pouvons donc conclure par les belles paroles longs com m entaires sur ce texte pour prouver que le
de saint Fulgence : « Le Fils est envoyé par le Père, Saint-E sprit procède du Père. C ette dém onstration
m ais le Père n ’ est pas envoyé par le Fils, parce que le est de tout point inutile, puisque la théologie latine
Fils est né du Père, non pas le Père du Fils. Pareille ­ est absolum ent du m êm e avis. M ais est-il vrai que
m ent, nous lisons dans l ’ É criture sainte que le Saint- ce texte exclut aussi la procession divine du Saint-
E sprit est envoyé par le Père et le Fils, parce qu ’ il E sprit du Fils? L a théologie orthodoxe répond affir ­
procède du Père et du Fils. M ais, puisque l ’ É criture m ativem ent, parce que la spiration est une pro ­
sainte donne plusieurs sens au m ot mission, dans le priété personnelle exclusive du Père. > Q uand on dit
m ystère de l ’ incarnation, le Fils est présenté com m e que le Père engendre le Fils et fait procéder le Sain:
envoyé non seulem ent par le Père, m ais aussi par le E sprit, on parle proprem ent du Père com m e ayant un
Saint-Esprit, parce que le m édiateur entre D ieu et attribut personnel qui le distingue du Fils et c-
les hom m es, Jésus-Christ, hom m e lui-m êm e, est le Saint-Esprit. Par conséquent aussi, lorsqu il est 1 :
produit de l ’ opération divine de toute la T rinité. II que le Saint-Esprit procède du Père, sous le nom
y a une différence entre la m anière dont le Saint- Père, on ne saurait com prendre en m êm e tem ps i-r
E sprit, qui procède naturaliter du Père et du Fils, est Fils, qui est un avec le Père par essence et noa p cct
envoyé par le Père et le Fils, et la m anière dont le en personnalité. · M acaire, op. ciL, L i, p. 271. Ci.
D IC I. D E T H É O L . C A T H O L . V. — S
Tl\ E S P R IT-;S A 1N T 772

M alinovsky, op. cil., 1. i, p. 326; Prokopovitcb, op. cit., attribue cette spiration au Père. E nsuite, il doit être
p. 27-29; Innocent, op. cil., t. π, p. 36-37. O n voit bien expliqué à la lum ière d ’ autres textes qui déc'arent que
que la théologie orthodoxe confond ici deux notions le Père et le Fils sont un, Joa., x, 30; que tout ce que
différentes des attributs personnels divins. L a pater ­ le Père a, est au Fils. Joa., xvi, 15; xvn, 10; M atth.,
nité est, sans doute, un attribut personnel qui dis ­ xi, 17. Le Père a donc donné au Fils tout ce qui est à
tingue le Père du Fils; la spiration est aussi un attri ­ lui, hors la paternité. T out est com m un entre le Père
but personnel qui distingue le Père du Saint-E sprit. et le Fils, déclare saint A thanase, excepté que le Père
Sur ces deux points, il y a parfait accord entre théo ­ n ’ est pas le Fils et le Fils n ’ est pas le Père. Oral., ni,
logiens catholiques et théologiens orthodoxes. M ais contra arianos, 4, P. G., t. xxvi, col. 328. L a m êm e
est-ce que la spiration active, l ’ attribut personnel qui doctrine est énoncée par saiht C yrille d ’ A lexandrie.
distingue le Père du Saint-E sprit est com m une, en Thesaurus, xiv, P. G., t. l x x v , col. 244; Apologeticus
m êm e tem ps,au Fils,etdistingue-t-elle le Fils du Saint- pro duodecim capitibus, ix, t. l x x v i , col. 357. Cf.
E sprit? C ’ est ici qu'il y a divergence de doctrine entre C ostanzi, Opuscula ad revocandos ad sanctam matrem
le catholicism e et l ’ orthodoxie. Par la spiration active, catholicam Ecclesiam dissidentes græcos, R om e, 1807,
le Père n ’ a aucune relation d ’ origine à l ’ égard du Fils, t. i, p. 10-12.
c ’ est-à-dire que, par la spiration, il ne se distingue pas O n pourrait, à la rigueur, se dem ander pourquoi
du Fils. O r, tout est com m un entre les personnes Jésus-Christ, « après avoir parlé si clairem ent de lui-
divines, hors les relations d ’ origine. Si le Fils n ’ est donc m êm e et attribué à lui-m êm e ainsi qu ’ au Père l ’ envoi
pas opposé au Père par la spiration active, cette spi ­ du Saint-Esprit, n ’ a pas dit égalem ent de la proces ­
ration, qui est dans le Père com m e dans sa source pri ­ sion . Le Saint-E sprit procède de nous. » M acaire, op.
m ordiale, est com m une aussi au Fils. D e m êm e que cit., p. 272. M arc d ’ Éphèse posait cette question aux
le Père et le Fils, qui se distinguent entre eux par les Pères du concile de Florence. M ansi, Concit., t. xxxi,
seules relations de paternité et de filiation, parti ­ col. 848. Il est inutile de rem arquer qu ’ un théologien
cipent à la m êm e essence et aux m êm es attributs n ’ a pas le droit de dem ander à D ieu com pte des expres ­
divins, ils participent aussi à la m êm e spiration sions qu'il em ploie pour révéler les m ystères de la vie
active du Saint-Esprit, à une spiration qui n ’ établit divine. Si la question, posée par les théologiens
pas entre eux l ’ opposition des relations d ’ origine. orthodoxes, était légitim e, ne pourrions-nous pas
Franzelin, Examen Macarii, p. 14-18. aussi dem ander pourquoi l ’ É criture sainte n ’ a pas
« Si l ’ on adm et, insistent les théologiens orthodoxes, em ployé le m ot consubstantiel, qui aurait épargné à
que l ’ expression : procède du Père suppose, loin de l ’ Église toutes les calam ités de l ’ arianism e? D ieu est
l ’ exclure, l ’ idée que le Saint-E sprit procède égale ­ le m aître absolu de ses actes et de sa science, et nous
m ent du Fils, le Fils étant un par essence avec le n ’ avons aucun droit de lui faire des rem ontrances, de
Père, on devra pareillem ent adm ettre que ces paroles ; ce qu ’ il n ’ a pas dissipé tous les brouillards de notre
engendré par le Père, n ’ excluent point, m ais supposent raison par un ens< ignem ent plus explicite des vérités
que le Fils est aussi engendré par le Saint-E sprit, révélées. M ais, s ’ il y a dans l ’ É criture des textes qui
l ’ E sprit n ’ étant un qu ’ avec le Père. » M acaire, op. cit., concluent nécessairem ent à la procession ab utroque,
t. i, p. 271, 272. Cf. Procopovitch, op. cil., p. 33. le silence d ’ un autre texte n ’ autorise pas à rejeter
L ’ hypothèse est absurde, m êm e en vertu des prin ­ cette conclusion. S. A nselm e, De processione Spiritus
cipes de la théologie orthodoxe. En effet, la théo ­ Sancti, xx, P. L., t. c l v ii i , col. 314.
logie orthodoxe, aussi bien que la théologie catho ­ D ’ ailleurs, saint A ugustin a prévenu et réfuté l ’ ob ­
lique, adm et qu ’ il y a un ordre d ’ origine entre les jection photienne. « Le Fils, en parlant du Saint-E sprit,
trois personnes divines. L a troisièm e personne ne peut dit qu ’ il procède du Père, parce que le Père est l ’ au ­
être m entionnée au rang de la seconde, ni la seconde teur (la source primordiale) de cette procession. Il a
au rang de la troisièm e. C et ordre nécessaire n ’ est pas engendré un fils, et en - ’ engendrant, il a fait en sorte
attesté seulem ent par l ’ É criture dans la form ule du que le Saint-Esprit procède m êm e du Fils. » Contra
baptêm e, ou par la tradition des Pères. L a raison Maximinum, n, 14, 1, P. L., t. χι,π, col. 770. Si le
éclairée par la foi m ontre qu ’ il est nécessaire. Le Père Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi le
est la prem ière personne, parce qu ’ il est la source Fils a-t-il dit : Il procède du Père? Il l ’ a fait, parce
prim ordiale de la divinité; le Fils est la seconde per ­ qu ’ il a coutum e de rapporter au Père ce qui est à lui,
sonne, parce qu ’ il est le term e consubstantiel de parce qu ’il est lui-m êm e du Père. Celui qui donne au
l'intellection divine, qui, en D ieu, a une priorité Fils l ’ être divin, lui donne aussi d'être le principe de
logique sur l ’ acte de la volonté. Le Saint-E sprit est la spiration du Saint-E sprit. In Joa., tr. X C IX , 8,
le troisièm e, parce qu ’ il est le term e de l ’ acte de la P.L., t. xxxv, col. 1889,1890. Le Saint-E sprit est m en ­
volonté. C et ordre est nécessaire. Si l ’ on suppose, en tionné com m e procédant du Père sansqu ’ on m entionne
effet, que le Saint-E sprit pourrait prendre le rang de le Fils, parce que le Père principaliter est l ’ auteur de
la seconde personne, il faudrait aussi supposer que cette procession; m ais cela n'im plique pas que le
l ’ acte de la volonté qui tend vers le bien précède Saint-Esprit ne procède pas du Fils. De Trinitate, xv,
l ’ acte de l ’ intelligence qui connaît le bien, c ’ est-à- 17, 29, P. L., t. xui, col 1081. M êm e, si on disait que
dire, puisqu'il est question de D ieu, que la volonté le Saint-E sprit procède du Père seul, le Fils ne serait
divine agit sans sagesse. N ous pouvons donc dire que pas exclu de cette procession. C ar, pour ce qui con ­
le Père et le Fils produisent le Saint-E sprit, parce cerne la production du Saint-Esprit, le Père et le Fils
qu ’ ils précèdent le Saint-E sprit en vertu d ’ une prio ­ ne s ’ opposent pas. Ils s ’ opposent seulem ent en tant
rité logique de l ’ acte de l ’ intelligence divine sur la que l ’ un est Père et l ’ autre est Fils. S. Thom as, Sum.
volonté divine. M ais nous ne pouvons pas dire theol., I», q. xxxvi, a. 2, ad 1 “ ™ ; Pierre C hrysolan,
que le Père et le Saint-E sprit engendrent le V erbe, op. cil., 1, 6, 8, P. G., t. c x x v i i , col. 912, 915-919;
parce que le Saint-E sprit, qui est nécessairem ent troi ­ G eorges M étochite, op. cit., 19, P. G., t. c x l i , col.
sièm e dans l ’ ordre des relations divines, ne peut pas 1368-1372; B lem m ydes.D e processione Spiritus Sancti.
devenir le second. Franzelin, Examen Macarii, p. 20, orat, ι, 19-21, P. G., t. cxrii, col. 553-556; H ugues
21. E therianus, op. cil., π, 15, P. L., t. ccn, col. 315-319;
Le texte de saint Jean : a Paire procedit, contient Franzelin, Examen Macarii, p. 22-24; C ostanzi, op.
donc une preuve im plicite de la procession du Saint- cit., p. 12-14; H einrich, op. cil., t. iv, p. 241-243.
E sprit du Fils. T out d ’ abord, il n ’ exclut pas le Fils Conclusion. — Ce que nous avons dit jusqu'ici m et
de la spiration du Saint-E sprit par cela m êm e qu'il en relief la fausseté de l ’ assertion suivante du m étro-
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polite M acaire : « La sainte É criture enseigne bien clai­ logie anténicéenne. S. B asile, Epist., exxv. 3; c x l .
rem ent et m êm e littéralem ent que le Saint-Esprit pro ­ ci-ix, 2, P. G., t. ΧΧΧΠ, col. 549, 589, 62 m ; S. G regoire
cède du Père, m ais elle n ’ enseigne point, ni selon la de N azianze, Epist., n, ad Cledonium icn), P. G.,
lettre, ni m êm e selon 1 esprit, qu ’ il procède égalem ent t. xxxvn, col. 193.
du Fils. » Op. cil., p. 283. Les textes que nous avons Les Pères et écrivains du n· et du m - siècle glo ­
cités plus haut m ontrent, au contraire., que la pro rifient le Saint-E sprit avec le Père et le Fils, c- . r--.t
cession du Saint-E sprit du Fils est une conséquence que le Saint-E sprit procède du Père et reçoit du FU s.
logique de la doctrine révélée sur la sainte T rinité. Si qu'il est envoyé par le Père et le Fils. Ces affirm ations
on adm et cette doctrine, on ne peut pas ne pas ad ­ insinuent, en quelque sorte, que le Saint-Est rit pro ­
m ettre les conséquences légitim es qui en découlent; cède du Fils, m ais elles n ’ ont pas la valeur d ’ un tém oi ­
en d ’ autres term es, si le Saint-E sprit ne procédait pas gnage pérem ptoire en faveur de la procession du Saint-
du Fils, il n ’ aurait pas tout ce qu ’ a le Père, hors la E sprit ab utroque. Ce dogm e de l ’ Église catholique a
paternité; il serait et ne serait pas la seconde personne; suivi, à travers les siècles, leslois du progrès dogm a ­
il ne se distinguerait pas du Fils. Il n ’ est donc pas tique, telles qu ’ elles sont form ulées par saint V incent
étonnant que M gr Sylvestre M alévansky, un des de Lérins : Ut quod antea simpliciter credebatur, hoc
m eilleurs théologiens russes m odernes, ait préféré ne idem postea diligentius crederetur; quod antea lentius
pas attaquer le dogm e latin sur le terrain scripturaire, prædicabatur, hoc idem postea instantius prtedicarelur;
jugeant qu ’ il était inutile de com m enter les textes qui quod antea securius colebatur, hoc idem postea sollici­
attestent la procession du Saint-E sprit du Père. Essai tius excoleretur. Commonitorium, xxni, P. L., t. L,
de théologie dogmatique orthodoxe (en russe), K iev, coi. 669.
1892, L n, p. 437. A l ’ appui de la doctrine catholique du Filioque,
II. D ’ a p r è s l e s P è r e s . — 1° Anténicéens. — D y a quelques théologiens catholiques invoquent l'autorité
des théologiens latins qui, dans les écrits des Pères de saint Justin, qui m entionne le Saint-Esprit com m e
apostoliques, découvrent les traces du Filioque,ta doc ­ l ’ E sprit du C lirist, Dial, cum Tryphone, 87, P. G.,
trine catholique de la procession du Saint-Esprit du t. vi, col. 684; C ostanzi, op. cil., 1.1, p. 44; et A théna-
Fils. R uiz, op. cit., diss. L X V II, sect, vi, 1, p. 574. Sans gore, dont on cite les deux textes suivants : « Le Père
doute, ces Pères m entionnent le Saint-E sprit com m e est dans le Fils, et le Fils dans le Père, par l’unité et
troisièm e personne de laT rinité;ils l ’ appellentl ’ E sprit la vertu du Saint-Esprit. » Legat, pro Christianis, x,
du C hrist; ils déclarent que le Saint-E sprit provient P. G., t. vi, col. 909. Le Saint-E sprit jaillit de D ieu
de D ieu. D e telles assertions, rem arque Sprinzl, insi ­ (απόρροια) com m e la lum ière de la flam m e. Ibid.,
nuent la doctrine catholique du Filioque, Die Théo­ xxrv, col. 945; C ostanzi, op. cil., p. 44-45. D est évi ­
logie der apostolischen Vâler, V ienne, 1880, p. 288, dent que ces passages n ’ autorisent pas à en tirer un
m ais elles ne l ’ énoncent pas d ’ une m anière précise, argum ent en faveur du dogm e catholique, de m êm e
décisive. que les passages de Justin et d ’ A thénagore, cités par
C ela ne doit pas nous étonner, car la doctrine offi­ Zoernikav, op. cit., p. 7-9, ne disent absolum ent rien
cielle de l ’ Église catholique, développée par le tra ­ contre le Filioque.
vail de la pensée chrétienne, est beaucoup plus claire O rigène est le prem ier parm i les écrivains ecclésias ­
et plus explicite que la théologie de l ’ âge apostolique. tiques grecs qui, avec une suffisante clarté, énonce la
Les Pères apostoliques énoncent les elementa fidei : procession divine du Saint-Esprit du Fils. D ans son
l ’ Église m édite sur ces prem iers principes et en tire com m entaire de ce texte de saint Jean : Tout par lui a
les conséquences. Sprinzl, op. cit., p. 287. Le silence des été fait, i, 3, il se pose la question suivante : « Est-ce
Pères apostoliques sur la procession du Saint-E sprit que le Saint-Esprit aussi a été l ’ œ uvre du Fils? Ceux
du Fils, aussi bien que sur la procession du Saint- qui ne reculent pas devant cette conclusion sont forcés
E sprit du Père, n'im plique donc pas la négation ou d ’ adm ettre que le V erbe est plus ancien que le Saint-
l ’ ignorance d ’ un dogm e qui découle de ce que l ’ Écri- E sprit. M ais ceux qui croient à la vérité de l ’ Évangile
ture affirm e des relations m utuelles entre les trois per ­ reconnaissent que le Saint-E sprit n ’ a pas été fait ni
sonnes divines. engendré. Pour ce qui nous concerne, déclare O rigène,
D ’ ailleurs, il est inutile d ’ en appeler à ces Pères nous croyons à l ’ existence de trois personnes divines,
pour réfuter les théologiens orthodoxes. C eux-ci, en le Père, le Fils et le Saint-Esprit N ous som m es per ­
effet, reconnaissent aujourd ’ hui que leurs écrits ne suadés que le Père seul n ’ a pas été engendré. Le Saint-
renferm ent aucun tém oignage contre la prétendue E sprit n'est pas dit le Fils de D ieu, parce que le seul
fausseté de la doctrine catholique du Filioque. Fils unique, dès le com m encem ent, est fils par nature.
K okhom sky, La doctrine de l’ancienne Église sur la Le Saint-E sprit paraît avoir besoin du Fils, parce que
procession du Saint-Esprit (en russe), Saint-Péters ­ le Fils com m unique à l ’ hypostase du Saint-E sprit non
bourg, 1875, p. 3. N ous disons aujourd ’ hui, parce que seulem ent l ’ être, m ais aussi la sagésse, l ’ intelligence,
le fam eux Zoernikav citait parm i les adversaires du la justice. » In Joa., n, 6, P. G., t xiv, col. 128, 129.
Filioque saint M arc l ’ évangéliste et les apôtres saint Le Saint-Esprit doit donc au Fils ce qu ’ il est, c ’ est-à-
Jacques et saint A ndré. Π ερί τής έκπορεύσεως τοΟ αγίου dire son être et ses attributs divins. C ette com m uni ­
Ιΐνεύματος , Saint-Pétersbourg, 1797, 1. 1, ρ. 2-7. cation de l ’ être divin par le Fils au Saint-Esprit n ’est
Q uant aux Pères et écrivains ecclésiastiques du n° autre que la spiration active du Saint-Esprit de la part
et du m® siècle, ils se bornent, en général, à des allu ­ du Fils, spiration qui im plique la procession divine du
sions im précises touchant la procession du Saint-Es ­ Saint-Esprit du Fils. V oir Franzelin, De Deo trino,
prit du Fils. La raison de cette réserve, nous l'avons p. 446, 447.
indiquée plus haut. L a théologie anténicécnne visait La m êm e doctrine est form ulée par O rigène dans
presque exclusivem ent à la défense du V erbe et lais ­ son com m entaire sur l ’ É pître aux R om ains. Le Saint-
sait dans l ’ oinbre la personne du Saint-E sprit. Q uant E sprit est l ’ E sprit du C hrist, parce que i Évangile
à cette troisièm e personne, elle se bornait à la sim ple affirm e qu ’ il procède du Père et qu ’ il reçoit du Fils.
énonciation de la foi catholique, telle qu ’ elle est expri­ Si le Saint-Esprit reçoit du Fils, si ce qui est au Füs
m ée par l ’ È criture. Franzelin, De Deo trino, p. 444. est en m êm e tem ps au Père, si le Père et le Füs sont
Les Pères du iv° siècle sont unanim es à adm ettre très étroitem ent unis, l ’ E sprit de D ieu et E spr.t du
qu ’ avant le concile de N icée, les hérétiques ne s ’ étaient C hrist ne form ent, en réalité, qu ’ un seul et m êm e
pas attaqués à la personne du Saint-E sprit, ce qui E sprit, in Epist. ad Rom., vi, 13, P. G-, t. xrv .
explique le peu de place qu ’ il occupe dans la théo ­ 1098.
775 E S PR IT -S A IN T 776

Pour O rigène donc, le Saint-Esprit est l ’ E sprit du voie et du Fils qui le porte. S.A thanase, Desententia
Père, parce qu'il procède du Père, et il est l ’ E sprit du Dionysii, 17, P. G., t. xxv, col. 505. O n pourra objecter
Fils, parce qu ’ il reçoit du Fils; en d ’ autres ternies, la que l ’ expression em ployée par saint D cnys n ’ est pas
locution a Patre procedit est l ’ équivalent de la locution assez théologique; m ais elle m et bien en relief la
de meo accipiet. Le Saint-E sprit est l ’ E sprit du Père, dépendance du Saint-E sprit par rapport au Père et
parce que l ’ être divin du Saint-E sprit procède du au Fils. C ette dépendance, exprim ée d ’ une m anière
Père, et il est l ’ E sprit du Fils, parce qu ’ il reçoit du énergique par les m ots έν -/ερσίν, ne peut se rapporter
Fils le m êm e être divin que le Père lui com m unique. qu ’ à la seule relation d'origine. Toute autre inter ­
Les dénom inations d ’ E sprit du Père et d ’ E sprit du prétation aurait com m e conséquence nécessaire, la
Fils, O rigène les attribue donc à la m êm e cause, à la négation de la divinité du Saint-E sprit.
com m unication de l ’ être divin au Saint-Esprit par Saint G régoire le T haum aturge qualifie le C hrist
D ieu le Père et D ieu le Fils. V incenzi, De processione com m e μόνος έκ μόνου, solus ex solo Deo, d ’ après la
Spiritus Sancti ex Paire Filioque, R om e, 1878, p. 9,10. version de R ufin. H ahn, Bibliolhek der Symbole, p. 254.
Les écrivains orthodoxes eux-m êm es ne peuvent Le Saint-E sprit est présenté par lui com m e tenant sa
pas ne pas reconnaître que la doctrine d ’ O rigène est substance de D ieu, com m e ayant apparu par le Fils :
conform e de tout point à la doctrine catholique. ôt ’ Υ ίοϋ πεφηνός , ibid., p. 254-255; com m e n ’ ayant
• D ’ après O rigène, rem arque Eléonsky, la dépendance jam ais m anqué ni au Père ni au Fils. Ibid., p. 255 ;
du Saint-Esprit du Fils n ’ est pas sem blable à celle des P. G., t. x, col. 988. Le cardinal Franzelin m et bien
créatures. Le Saint-Esprit serait soum is au Fils au en relief la force théologique du verbe grec φαίνεσΟ»!,
m êm e titre que les créatures dans le seul cas où il que Zoernikav, op. cit., t. i, p. 13, entend dans le sens
serait une créature. M ais O rigène repousse énergi ­ de la sim ple m ission tem porelle. D ans le langage des
quem ent cette hypothèse. La dépendance du Saint- Pères, ce verbe, attribué au Fils, signifie sa généra ­
E sprit à l ’ égard du Père et du Fils est donc de m êm e tion éternelle de la part du Père, c ’ est-à-dire une opé ­
nature que la dépendance du Fils à l ’ égard du Père. ration im m anente de la divinité. Il a donc la m êm e
La dépendance du Saint-E sprit par rapport au Fils, signification lorsqu ’ il est attribué au Saint-Esprit. D u
aussi bien que par rapport au Père, est uniquem ent reste, m êm e si ce verbe exprim ait la seule m ission
une dépendance qui concerne l ’ existence (l ’ origine). » extérieure et tem porelle du Saint-Esprit, qui, par le
Op. cit., p. 167. « O rigène déclare que le Saint-Esprit, Fils, selon saint G régoire le T haum aturge, se serait
en tant qu ’ il est la troisièm e personne de la T rinité, m anifesté aux hom m es, il prouverait toujours en
doit se distinguer de la seconde personne par le m ode faveur du Filioque. La m ission tem porelle, en effet,
de son origine du Père. C ette distinction n ’ est autre présuppose nécessairem ent la m ission éternelle, et le
que la procession du Saint-E sprit du Père par le Fils, Fils ne pourrait pas envoyer le Saint-E sprit dans le
parce que, si l ’ on disait que le Saint-Esprit procède tem ps, s ’ il n ’ était pas avec le Père le principe éternel de
im m édiatem ent du Père, il s'ensuivrait qu ’ il ne se dis ­ la procession du Saint-E sprit. V oir Franzelin, De Deo
tinguerait plus du Fils, parce que le Fils procède im m é ­ trino, p. 448, 449.
diatem ent de l ’ essence du Père. » Ibid., p. 165. Le Parm i les écrivains latins, Tertullien déclare nette ­
théologien russe ajoute que la doctrine d ’ O rigène sur m ent que le Saint-E sprit dérive du Père par le Fils :
ce point ne diffère pas de la doctrine enseignée par Spiritum non aliunde puto quam a Paire per Filium.
saint G régoire de N ysse, Contra Eunomium, i, P. G., Adversus Praxeam, rv, P. L., c. n, col. 159. Le troi ­
t. x l v , col. 336; saint É piphane, Ancoralus, 8, P. G., sièm e dans la T rinité est l ’ E sprit qui procède de D ieu
L x l ih , col. 29, 32; et saint A ugustin, De Trinitate, xv, et du Fils, com m e le troisièm e par rapport à la racine
27, P. L., t. xi.li, col. 1080. Il aurait pu ajouter encore est le fruit qui sort de l ’ arbre. Ibid., vm , col. 163. La
qu ’ elle s ’ accorde parfaitem ent avec la doctrine de la connexion du Père dans le Fils et du Fils dans le Père
théologie catholique, qui contient que le Saint-Esprit form e trois personnes inséparables, procédant l ’ une
ne se distinguerait plus réellem e t du Fils, s'il ne pro ­ de l ’ autre de m anière que ces trois sont une seule et
cédait pas du Fils, ou, selon la form ule grecque équi ­ m êm e chose, m ais non pas un seul. Ibid., xxv, col.
valente, s ’ il ne procédait pas du Père par le Fils. Le 188. Tertullien affirm e donc que l ’ E sprit procède du
tém oignage d ’ O rigène en faveur du Filioque est donc Père, qui est la source de la divinité,et du Fils : ou, ce
si évident que K okhom sky arrive à dire qu ’ il a été le qui a la m êm e signification, qu ’ il procède du Père par
prem ier à fausser l ’ enseignem ent de l ’ Évangile sur la le Fils. Fre pel, Tertullien, t. n, p. 318. Pour ce qui
procession du Saint-Esprit, à inventer la form ule tout concerne la form ule exprim ant laprocession du Saint-
à fait nouvelle de la procession du Saint-Esprit du E sprit, T ertullien se rapproche des grecs, et e.i parti ­
Père par le Fils, et qu ’ il a obligé l ’ Église universelle à culier d ’ O rigène. D ’ A lès, La théologie de Terlullien,
définir avec la plus grande clarté la procession du p. 96.
Saint-E sprit du Père seul. Op. cil., p. 4. Les quelques tém oignages que nous avons glanés
N ous croyons inutile de prendre en considération les dans la théologie anténicéenne attestent donc que le
textes d ’ O rigène apportés par Zoernikav, op. cit., dogm e exprim é par le Filioque, loin d ’ être rejeté ou
p. 10-12, com m e contraires à la procession du Saint- tout à fait ignoré par la tradition chrétienne du n° et
E sprit ab utroque. Ces textes déclarent que le Père est I du m 0 siècle, com m ence à s ’ y dessiner avec une cer ­
la source d ’ où naît le Fils et procède le Saint-E sprit. taine clarté.
O r, la théologie catholique ne nie pas que le Père soit | 2° Les Pères grecs du ιν* siècle. — C ’ est surtout aux
la source prim ordiale des seconde et troisièm e per- I Pères du iv° siècle que nous devons dem ander ce
sonnes divines. M ais la question qui nous occupe qu ’ il faut croire touchant la procession du Saint-Es ­
consiste à savoir si, par rapport au Saint-Esprit, le prit ab utroque, car le iv° siècle a été l ’ âge d ’ or de la
Fils est avec le Père le principe, la source de la pro ­ théologie du Saint-Esprit. L ’ autorité de ces Pères est
cession divine du Saint-Esprit, et les passages cités invoquée, tout particulièrem ent, par les adversaires
plus haut m ontrent clairem ent qu ’ O rigène attribue du Filioque. Zoernikav leur consacre une bonne partie
au Père et au Fils la production du Saint-Esprit. de son indigeste com pilation sur la procession du
L a doctrine d ’ O rigène sur la procession du Saint- Saint-E sprit, op. cit., p. 16-76, et les théologiens
E sprit est affirm ée aussi par ses disciples, D enys orthodoxes qui l ’ ont suivi, tels que Prokopovitch,
d ’ A lexandrie et G régoire le Thaum aturge. Le pre ­ M acaire, Sylvestre, M alinovsky, m archent fidèle ­
m ier déclare que le Saint-Esprit est dans les m ains du m ent sur ses traces. Π est bien regrettable que, dans
Père et du Fils, qu ’ il est inséparable du Père qui l ’ en ­ cette polém ique à coup de tém oignages et de textes.
τη E S P R IT -SA IN T 778

Zoem ikav et ses continuateurs n ’ aient pas hésité à parce qu ’ il est le propre fruit de la substance di Pere.
enfreindre bien souvent les règles les plus élém entaires n ’ est pas une créature, m ais s ’ il est consubstai t-ci _ j
de la loyauté, à tronquer ou m odifier, pour les besoins Père, de m êm e l ’ E sprit-Saint n ’ est pas une creature
de leur cause, les textes gênants des Pères. V oir (il serait im pie de le dire), à cause de ce qu'il a en
Læ m m er, Scriptorum Græciæ orthodoxie bibliotheca propre par rapport au Fils, parce qu il est donne à
selecta, Fribourg, 1864, L i, p. 17-76. M ais ces m oyens tous par le Fils et que ce qu ’ il possède lui vient du
de com bat ne sont plus à la m ode et, d ’ ailleurs, les Fils. » Epist., m , ad Serapionem, 1, co.. ■ _■ Et
nom breuses éditions critiques des Pères que nous la raison pour laquelle le Saint-Esprit est le ; : : r- t.
possédons aujourd ’ hui n ’ en perm ettent plus l'usage. Fils, ou n ’ est pas en dehors de la nature du F . . ?. : : .
Les théologiens orthodoxes rangent en plusieurs 4, col. 461, est que le Fils a reçu du Père tout ce - ·:
classes les passages des Pères qui touchent à la proces ­ Père possède, excepté le caractère personnel du Père
sion du Saint-Esprit. M ais nous n'avons pas besoin de D ans l ’ E sprit, nous trouvons donc tous les biens ju
les suivre dans leurs classifications, de recueillir, à Père par le Fils, de telle m anière que l ’ E sprit appar-
leur exem ple, les textes qui prouvent la procession du tient aussi au Fils. Epist., m , 1; iv, 3, ad Serapionem,
Saint-Esprit du Père, ou la m ission, éternelle ou tem ­ col. 628, 641. Le Saint-E sprit est donc le propre
porelle, peu im porte, du Saint-E sprit par le Fils. du Fils, Ιδιον του Υ ιοί), c ’ est-à-dire qu ’ il est dans
N ous nous proposons seulem ent de consulter la tra ­ l ’ être intim e du Fils, il est dans une dépendance
dition chrétienne du rv° siècle, de lui dem ander si étroite vis-à-vis du Fils. V oir T ixeront, op. cil., t. n,
réellem ent elle ignore le dogm e exprim é par le Filio- p. 74. C ette théorie de saint A thanase, qui a été re ­
que, si elle l ’ anathém atise com m e une nouveauté héré ­ prise et développée par saint B asile et saint C yrille
tique, si elle se prononce ouvertem ent, les théologiens d ’ A lexandrie, de R égnon, op. cit., t. ni, p. 146-149,
orthodoxes l ’ affirm ent, en faveur de la procession du établit donc entre le Fils et le Saint-E sprit cette
Saint-Esprit du Père seul. N ous laisserons autant que union spéciale, cette relation réciproque que nous con ­
possible les Pères eux-m êm es expliquer leur pensée. statons entre le Père et le Fils.O r, le Fils est uni sans
1. Saint A thanase n ’ a pas passé sous silence la con ­ doute au Père par l ’ identité de substance, m ais la
troverse du m ode d ’ origine du Saint-E sprit. Sa doc ­ raison pour laquelle il est le propre du Père n ’ est pas
trine sur ce point est d ’ une im portance extrêm e,parce cette identité, qui fait des trois personnes divines un
qu ’ elle est le substratum de la théologie trinitaire du seul D ieu. Le Fils est donc le propre du Père, parce
iv e siècle. N ous pouvons la résum er en quelques points qu ’ il dépend étroitem ent du Père quant à la com m u ­
principaux, a) Saint A thanase établit d ’ abord un paral ­ nication de la substance divine qu'il reçoit du Père,
lélism e entre les rapportsdu Père etdu Filsd ’ une part, parce qu ’ il est par rapport au Père le term e d une
et du Fils et du Saint-E sprit d ’ autre part. « Le Saint- génération divine. D e m êm e, le Saint-E sprit est donc
E sprit, dit-il, est en m êm e relation d ’ ordre et de na ­ le propre du Fils, parce qu ’ il dépend étroitem ei t lu
ture avec le Fils, que le Fils avec le Père. » Epist., i, Fils quant à la com m unication de la substance div ne,
ad Serapionem, 21, P. G., t. xxvi, col. 580. C ontre les qu ’ il reçoit du Fils, parce qu ’ il est le term e d ‘ ui.< pro ­
pneum atôm aques, il prouve que le Saint-E sprit est cession divine, dont le principe est à la fois le Père
D ieu parce qu'il est dans le V erbe com m e dans son (primordialiter) et le Fils. R em arquons que cette
principe, de m êm e que le V erbe est dans le Père théorie de saint A thanase fait le Saint-Esprit plus
com m e dans sa cause : « Telle nous avons connu la proche du Fils que du Père. « E n faisant rentrer le
propriété du Fils par rapport au Père, telle nous trou ­ Saint-Esprit dans la substance du Fils, saint A tha ­
verons la propriété de l ’ E sprit par rapport au Fils. » nase prétend par là m êm e le faire aussi rentrer dans la
Epist., ni, ad Serapionem, i,col. 625. O r, quelle est la substance du Père et établir que, pour trouver la
propriété par laquelle le Fils se rapporte au Père? source originaire du Saint-E sprit, il ne faut pas s ’ ar ­
N ous ne pouvons supposer que ce soit l ’ identité de rêter au Fils, m ais rem onter jusqu ’ au Père lui-m êm e. »
la substance divine, com m une au Père et au Fils, D e R égnon, op. cit., t. in, p. 13. c). Le Saint-E sprit
parce que le Père et le Fils sont un quant à l ’ essence est uni au Père. Epist., i, ad Serapionem, 31, col. 601.
et qu ’ on ne peut pas, à ce point de vue, parler d ’ une C ette union spéciale rend le Saint-Esprit inséparable
propriété par laquelle le Fils se rapporte au Père. Il du Fils. « Puisqu ’ il y a dans la sainte T rinité, l'union
reste donc que la propriété à laquelle fait allusion et l ’ unité, qui pourrait jam ais séparer le Fils du Père,
saint A thanase est la relation d ’ origine qui intervient et 1 ’ E sprit du Fils, ou m êm e du Père? · Epist., i. ad
entre le Père et le Fils, relation qui distingue la per ­ Serapionem, 20, col. 577. Il y a donc entre le Fils et le
sonne du Père, en tant qu ’ elle engendre, de la per ­ Saint-E sprit une union spéciale correspondant a
sonne du Fils en tant qu ’ elle est engendrée. Si la rela ­ l ’ union spéciale du Fils avec le Père. Le Fils est insé ­
tion d ’ origine est la propriété par laquelle le Père se parable du Père, parce que la propriété personnelle du
distingue du Fils et le Fils se rapporte au Père, en Père suppose nécessairem ent la propriété person ­
vertu du parallélism e établi par le saint docteur, nous nelle de Fils, c ’ est-à-dire le term e opposé à la pater ­
pouvons dire aussi que la propriété par laquelle le nité. O r le parallélism e, établi par saint A thanase,
Saint-E sprit se rapporte au Fils et se distingue du nous autorise à appliquer le m êm e raisonnem ent au
Fils est une relation d ’ origine qui consiste en ce que Saint-E sprit. Le Saint-E sprit est inséparable du Fils,
le Fils est avec le Père le principe de la production du parce que, en tant que spiratum, il est le term e d ’ une
Saint-Esprit et le Saint-E sprit le term e de cette pro ­ spiration, dont le principe, d ’ après saint A thanase, est
duction. b) Saint A thanase déclare m aintes fois que le Fils avec le Père. Saint B asile et saint G régoire de
le Saint-Esprit, en tant qu ’ il est l ’ E sprit du C hrist, N azianze ont développé sur ce point la pensée de saint
Epist., i, ad Serapionem, 2, col. 557, est le propre de A thanase. D e R égnon, op. cit., t. ni, p. 139-142. : > Le
la substance du Fils, de m êm e que le Fils est le propre Saint-E sprit est l ’ im age personnelle du V erbe. < Le
de la substance du Père. Ibid., 21, col. 580. <t Si le Fils, Fils est dans l ’ E sprit com m e dans sa propre in age. Le
parce qu ’ il est du Père, est le propre de sa substance, Saint-E sprit est appelé, et il est réellem ent l'im age du
c ’ est une nécessité que l ’ E sprit, qui est dit être de Fils. » Epist., i, ad Serapionem, 20, 24, «A 577, 58S-
D ieu, soit aussi en substance le propre du Fils. » Ibid., O r, il est évidentqu ’ il ne peut pas être l ’ im age :. F . ..-
25, col. 588, 589. « Partout, dans l ’ É criture sainte, nous en tant qu ’ il participe à la m êm e esser.ee divîre. E
trouvons que le Saint-E sprit, qui est appelé l ’ E sprit est donc l ’ im age du Fils en tant que le Fils est u - - per ­
du Fils, s ’ appelle aussi l ’ E sprit de D ieu. Si donc le Fils, sonne distincte.de m êm e que le Fils est l ’ im age eu
à cause de ce qu ’ il a en propre par rapport au Père, et Père en tant que le Père est une perso nne c.S — sete
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Le m ot d ’ im age, appliqué au Saint-E sprit, entraîne la déduit en m êm e tem ps de sa consubstantialité avec


donc une certaine dépendance du Saint-E sprit par le Fils. Il rappelle la dénom ination scripturaire d ’ Es-
rapport au Fils. C ette dépendance, nous n ’ avons pas prit du C hrist, dénom ination qui ne peut s ’ entendre
besoin de l ’ expliquer, ne peut être qu ’ une dépendance que de l ’ origine éternelle du Saint-E sprit du V erbe. Si
d ’ origine, e) « Le Père nous donne le Saint-E sprit l ’ on adm ettait, en effet, qu ’ il n ’ y a aucune relation
par l ’ entrem ise du Fils.» Epist., rv, ad Serapionem, 6> d ’ origine entre le Fils et le Saint-Esprit et que la seule
col. 645. Il produit la sanctification par le Fils dans consubstantialité explique la dénom ination d ’ E sprit
l ’ E sprit-Saint. C ar, de m êm e que le Fils est unique, du C hrist, pourquoi ne pas appeler aussi le C hrist
ainsi le Saint-Esprit, qui est donné et envoyé par le l ’ E sprit du Saint-E sprit? K ranich, » op. cil., p. 43-45.
Fils, est unique. Epist., i, ad Serapionem, 20, col. 577, b) La dépendance étroite du Saint-E sprit par rap-
580. Ce texte contient l ’ argum ent et la form ule du j port au Père et au Fils quant à l ’origine est nettem ent
Filioque. Le Fils envoie, donne le Saint-E sprit. C ette ! form ulée dans ce passage: « C elui qui pense au Père,en
m ission tem porelle,nous l ’ avons dém ontré, présuppose m êm e tem ps qu ’ il le conçoit, em brasse le Fils dans le
a procession éternelle de celui qui est envoyé de la m êm e concept. C elui qui pense au Fils ne sépare pas
part de celui qui envoie. Le Saint-E sprit procède donc l ’ E sprit du Fils, m ais il lui conserve son rang d ’ ordre
du Fils, ou, selon la conception grecque, du Père par et il exprim e en m êm e tem ps sa foi dans cette nature
le Fils. /) Les attributs divins, selon saint A thanase, qui est une et la m êm e dans les trois. C elui qui nom m e
sont com m uniqués au Saint-Esprit par le Fils : « Le l ’ E sprit seul em brasse dans sa confession celui dont
Saint-Esprit est im m uable, parce qu ’ il participe à il est l ’ E sprit; or, c ’ est l ’ E sprit du C hrist et il procède
l'im m utabilité du Fils. Il dem eure toujours im m uable du Père, com m e dit saint Paul. C ’ est com m e une
avec le Fils, parce qu ’ il est l ’ im age du V erbe et le chaîne, de sorte que celui qui en tient une extrém ité
propre du Père. » Epist., i, ad Serapionem, 26, col. 592. tient par là m êm e l ’ autre extrém ité. D e m êm e, celui
O r, les attributs divins s'identifient avec l ’ essence qui attire l ’ E sprit, selon le prophète, attire en m êm e
divine. Si donc le Fils com m unique au Saint-E sprit tem ps le Père et le Fils. E t celui qui aura em brassé
les attributs divins, il lui com m unique l ’ essence. R e ­ J réellem ent le Fils tiendra d ’ un côté le Père, de l ’ autre
m arquons en passant que le saint docteur donne une l ’ E sprit qui lui est propre. C ar on ne peut séparer du
force équivalente, une égale valeur aux expressions Père celui qui est toujours dans le Père et l ’ on ne peut
image du Fils et propre du Γ-ère. arracher à son propre esprit celui qui opère tout dans
2. Saint C yrille de Jérusalem n ’ approfondit pas les cet esprit, c ’ est-à-dire on ne peut concevoir le Fils
relations entre le Fils et le Saint-E sprit. Il ne dit du sans le Père, ou le Fils séparé du Saint-Esprit. » Epist.,
Saint-Esprit que ce qui se trouve dans les Écritures. xxxvm , 4, P. G., L xxxn, col. 332. D ans ce texte,
Si quelque chose ne s ’ y trouve pas, il ne faut pas le le saintdocteurétablitun parallélism e entre les expres ­
scruter curieusem ent. Cat., xvi, 2, P. G., t. xxxrn, sions τοϋ Χ ριστού το πνεύμα et το πνεύμα έκ τού Θ εού.
col. 920. C ependant, ses C atéchèses contiennent deux Le Saint-Esprit est l ’ E sprit venant de D ieu le Père,
textes qui exprim ent clairem ent la procession du parce qu ’ il procède du Père, et l ’ expression esprit du
Saint-E sprit ab utroque. « D e m êm e, dit-il, que le Père Christ répond à l ’ expression esprit procédant du Père,
donne au Fils, ainsi le Fils com m unique au Saint- quant aux rapports du Saint-E sprit vis-à-vis du Fils.
E sprit. » Cat., xvi, 24, P. G., t. xxxm , col. 952. Le 1 Le Saint-Esprit est donc appelé l ’ E sprit du C hrist
Saint-E sprit est vivant et subsistant. Il est toujours ι parce qu ’ il procède du C hrist. R em arquons aussi que,
présent au Père et au Fils : il n ’ est pas prononcé com m e dans ce texte, le Saint-Esprit est appelé, com m e chez
une parole par la bouche ou les lèvres du Père ou du saint A thanase, le propre du Fils, ίδιον, de m êm e qu ’ il
Fils; il n ’ est pas un souille qui se disperse dans l ’ air, est l ’ esprit propre du Père. O r, cette désignation à
m ais il est une hypostase divine. Cal., xvn, 5, col. 976. l ’ égard du Père, dans la théologie trinitaire du
Ces passages ne dem andent pas de longues explica ­ iv c siècle, signifie que le Père est le principe de la
tions. Saint C yrille adm et que le Père com m unique au spiration du Saint-Esprit. V oir Petau, De Trinitate,
Fils son essence divine, que cette m êm e essence est vu, 4, 8, op. cit., Paris, 1865, t. ni, p. 291, 292. Elle a
com m uniquée par le Fils au Saint-E sprit et que le donc la m êm e signification à l ’ égard du Fils. H ergen ­
Saint-Esprit, en tant que personne, se rapporte au rother, Die Lehre der goltlichen Dreieinigkeit, p. 234.
Père et au Fils. H ergenrother rem arque aussi, avec raison, que
3. La procession du Saint-E sprit ab utroque résulte l ’ exem ple de la chaîne, apporté par saint B asile et
aussi des principes que saint B asile établit dans sa saint G régoire de N azianze, offre un argum ent sérieux
théologie trinitaire. Les textes nom breux, où le saint contre les théories photiennes. Le Saint-E sprit est
docteur reconnaît la dépendance d'origine du Fils vis- au bout de cette chaîne, m ais, pour y parvenir,
à-vis du Saint-Esprit, sont réunis et com m entés dans nous passons à travers le V erbe. Si le Saint-E sprit
l ’ ouvrage de K ranich, Der ht. Basilius in seiner Stel- ί n ’ avait aucune relation à l ’ égard du Fils, la continuité
lung zum Filioque, B raunsberg, 1882, p. 39-81. N ous de la chaîne serait brisée. Ibid., p. 231 : K ranich, p. 48.
nous bornons à citer les plus convaincants, a) « Je sais O n a donc bien raison de déduire de ce texte une liai ­
que le Saint-Esprit est avec le Fils, m ais je n ’ ai pas son essentielle entre l ’ ordre intim e des processions
appris qu ’ il soit appelé le Fils. Je com prends que son divines et les relations extérieures des divines per ­
union avec le Père consiste en ce qu ’ il pr cède du sonnes. D e R égnon, op. cit., t. m , p. 31.
Père; je com prends aussi qu ’ il est uni avec le Fils c) D ans la m êm e lettre de saint B asile, on lit un texte
parce que l ’ É criture sainte m ’ atteste que celui qui ne qui confirm e adm irablem ent la doctrine catholique du
possède pas l ’ E sprit du C hrist n ’ est pas au C hrist. Filioque : « D u Père procède le Fils, par lequel sont
R om ., vin, 9. S ’ il n ’ était pas uni au C hrist, com m ent toutes choses et avec qui,toujours, le Saint-E sprit est
pourrait-il unir avec le C hrist? M ais, j ’ entends aussi inséparablem ent connu, puisqu ’ on ne peut pas penser
qu ’ il est appelé l ’esprit de vérité. O r, la vérité est le au Fils sans être illum iné par l ’ E sprit. A insi, d ’ une
Seigneur. M ais, si j ’ entends encore qu ’ il est l ’ esprit part, le Saint-Esprit, source de tous les biens distri ­
d ’ adoption, je m e rappelle aussi l ’ unité qu ’ il a avec le bués aux créatures, est attaché au Fils avec lequel il
Père et le Fils par rapport à la nature. Homil. contra est conçu inséparablem ent; d'autre part, son être est
sabellianos, 6, P. G., t. xxxi, col. 642. Le saint docteur suspendu au Père dont il procède. Par conséquent, la
s ’ attache ici à défendre contre les sabelliens la divi ­ notion caractéristique de sa propriété personnelle est
nité du Saint-E sprit. C ette divinité, il la prouve par d ’ être m anifesté après le Fils et avec lui et de subsister
la procession divine du Saint-E sprit du Père; m ais il en procédant du Père. Q uant au Fils qui m anifeste par
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soi-m êm e et avec soi-m êm l ’ E sprit procédant, du dent qu ’ il y a danger à séparer de D ieu l ’ E sprit? 1. a-
Père, seul il rayonne de la lum ière innascible com m e pôtre les unit toujours, disant tantôt l ’ E sprit du CLrist,
Fils unique : c ’ est là sa notion propre qui le distingue tantôt l ’ E sprit de D ieu... D e m êm e, le Seigneur 1 ap ­
du Père et du Saint-Esprit et qui le signifie person ­ pelle l ’ E sprit de vérité et il enseigne qu'il procède du
nellem ent. Q uant au D ieu suprêm e, la notion ém inente Père. M ais cet hom m e, pour avilir la gloire de X otre-
de son hypostase est que seul il est Père et qu ’ il ne Seigneur Jésus-Christ, sépare du Pêrt l ’ E sprit et . at ­
procède d ’ aucun principe. » Epist., xxxvm , 4, P. G., tribue au Fils d ’ une m anière difiêrente pour rabaisser
t. xxxn, col. 329, 332. Saint B asile cherche, dans ce sa gloire. Sans doute par dérision. · Adxrsus Euno-
texte, la raison de la subsistance divine du Saint-Fs- mium, 1. II, 34, P. G., t. xxix, col. 652. La doctrine
prit et il la découvre en ce qu'il procède du Père et en catholique du Filioque ressort clairem ent de ce texte.
ce que le Fils m anifeste le Saint-E sprit avec soi ct après Il est évident tout d ’ abord que, dans ce passage, sain*
soi : Ôc ’ έαυτοΰ καί μεΟ ’ έαυτοΰ γνωρίζων. Le Saint- B asile a en vue la procession éternelle du Saint-E spra.
E sprit se m anifeste donc par le Fils. Q uel est le carac ­ parce que son argum entation vise à en défendre,contre
tère de cette m anifestation? Si cette m anifestation Eunom ius,la divinité. C et hérétique séparait le Saint-
distingue réellem ent le Saint-E sprit du Fils, elle est E sprit du Père et lui donnait pour unique cause ie
une propriété personnelle, γνωριστικόν σημείου, qui Fils. Il en faisait aussi une créature ct il aboutissait à
distingue le Fils du Saint-Esprit, une m anifestation la négation de la divinité du Fils. Pour Eunom ius, le
qui a lieu dans le sein m êm e de la divinité. Si c ’ était Père est le principe de tous les êtres, excepté le Saint-
une m anifestation extérieure du Saint-E sprit par le E sprit; ie Fils est le principe de celui-ci. Ce n ’ est pas à
Fils, elle ne serait plus une marque personnelle qui tort donc que saint B asile lui reproche le dualism e de
distingue le Fils du Saint-Esprit. D ’ ailleurs, le M anès et de M arcion. Pour le réfuter, le saint docteur
verbe γνωριζεϊν, chez les Pères,indique une m anifesta ­ com m ence par rétablir l ’ unité et l ’ identité des opéra ­
tion ou procession éternelle. Franzelin, Examen Maca- tions divines ad extra du Père et du Fils. Si le Père crée,
rii, p. 14 -142. M ais, en supposant m êm e qu ’ il ne le Fils ne dem eure pas étranger à cette création, parce
désigne ici qu ’ une m anifestation extérieure et tem ­ que tout ce que le Père possède, il le com m unique au
porelle, celle-ci ne pourrait pas être un principe de Fils. Le Père et le Fils participent donc à la m êm e es ­
distinctio i entre le Fils et le Saint-E sprit, si elle n ’ é ­ sence et opération divine. A l ’ égard du Saint-E sprit,
tait pas la conséquence d'une m anifestation ou pro ­ saint B asile applique le m êm e raisonnem ent. D e m êm e
cession ad intra. K ranich, p. 50. L'expression μεθ ’ έαυ- que le Père seul n ’ est pas le principe de l ’ acte de la crea ­
τοδ est aussi très exacte au point de vue théo ­ tion, parce que le Fils participe à son être et, par con ­
logique. Le Saint-Esprit se m anifeste après le Fils. séquent, à son opération ad extra, ainsi le Fils n ïst
Bien des fois, saint B asile fait allusion à un ordre de pas le seul et unique principe du Saint-Esprit, parce
rang dans les personnes divines : ακολουθία κατά τάξιν. qu ’ il possède tout ce qui est au Père, excepté la pater ­
Cet ordre nous a été révélé dans la form ule du bap ­ nité, le Père possède aussi tout ce qui est au Fiis, ex ­
têm e. Liber de Spiritu Sancto, χνιπ, 47, P. G., cepté la filiation. Saint B asile renverse donc la form ule
t. xxxn, col. 153. Le Saint-E sprit est troisièm e dans latine a Paire Filioque, observe le P. de R égnon, pour
cet ordre d ’ origine, et c ’ est pour cela que saint B asile lui substituer, quant au sens, la form ule a Filio Patre­
déclare qu'il se m anifeste après le Fils. L a m ention de que. L ’ E sprit appartient au Père et au Fils, et le saint
l ’ ordre éternel d ’ origine du Saint-Esprit, après la for ­ docteur m et bien en relief qu ’ il n ’ appartient pas au
m ule δι ’ έαυτοΰ, laisse bien voir que cette form ule se Fils d ’ une m anière différente de celle dont il appar ­
rapporte à la procession éternelle du Saint-Esprit du tient au Père. C ’ est-à-dire, s ’ il procède du Père parce
Fils et non pas à une m ission tem porelle. que le Père lui com m unique l ’ être divin, il procède du
Ces explications données, on ne saurait que s ’ éton ­ Fils par la m êm e raison. C ette identité de procession
ner de voir ce texte rangé par Zoernikav, op. cit., 1.1, est prouvée par l ’ équivalence des dénom inations scrip ­
p. 27-28; M acaire, op. cit., t. i. p. 314; Sylvestre, op. turaires d ’ E sprit du C hrist et d ’ E sprit de D ieu.
cit., t. n, p. 447, 448, au nom bre des passages qui con ­ M ais saint B asile ne se borne pas à attester l ’ ori ­
tiennent la négation im plicite du Filioque. Ces théolo- gine divine du Saint-Esprit du Père et du Fils. Il tient
giensdéclarentquesaintBasileyprésentelePèrecom m e aussi à déclarer que cette spiration n ’ est pas double.
la source, la cause du Saint-E sprit, ce que personne Ce qui provient du Fils im plique une relation à la
ne conteste. M ais ils ne tiennent pas com pte de ce que cause prem ière. Le Fils n ’ est pas de lui-n tm e la
saint B asile affirm e que le Fils m anifeste l ’ E sprit, et source du Saint-Esprit. Il y a le Dieu de toutes choses, le
puisqu'il parle uniquem ent des processions divines, Père, qui est la source, πηγή, la racine, ρ· .;α, de la divi ­
cette m anifestation du Saint-E sprit par le Fils est nité. Homil. contra sabellianos, 7, P. G., t. xxxi, col.
aussi une m anifestation ad intra, une opération im m a ­ 616. C 'est de cette source prim ordiale, de cette cause
nente et éternelle. prem ière et principielle, πρώτη αιτία, πρωκαταρκτ· .ζή
d) Le II 0 livre contre E unom ius offre, sur le sujet αιτία, D e Spiritu Sancto, χνι, 38, P. G., L xxxn,
qui nous occupe, un texte frappant : « A qui n ’ appa- coi. 136, que le Fils Reçoit l ’ être divin et qu'il le com ­
raît-il pas évident qu ’ aucune opération du Fils ne doit m unique au Saint-Esprit. Toutes les fois donc que
être séparée du Père et qu ’ il n'y a rien absolum ent qui saint B asile affirm e que le Saint-Esprit est la source et
soit au Fils et dem eure étranger au Père? C ar il est la racine du Père et du Fils, il ne s ’ ensuit pas, com m e
écrit : Omnia mea tua sunt, et tua mea. C om m ent donc le prétend M gr Sylvestre, qu ’ il nie la procession du
Eunom ius rapporte-t-il au Fils seul la cause de l ’ E sprit Saint-E sprit du Fils, op. cit., t. n, p. 438, car le Père
et, pour calom nier la nature de celui-ci, fait-il appel à est d ’ une m anière distincte la source du Fils et du
la puissance créatrice de celui-là? Si donc Eunom ius, Saint-Esprit. Il est la source du Fils im m édiatem ent,
pour soutenir son systèm e, supprim e deux principes δ: ’ έαυτοΰ; il est la source du Saint-E sprit par -e
contraires l ’un à l ’ autre, qu ’ il soit anathèm e avec V erbe, διά τού Λ όγου. La théorie de saint B asile, que
M anès et M arcion. S ’ il reconnaît qu ’ il n ’ y a qu ’ une le Père est la cause suprêm e du Saint-E sprit z-.z
seule source des êtres, qu ’ il confesse que provenir du Λ όγου, exprim e clairem ent que le Père et le F - scat
Fils im porte une relation à la cause prem ière. C ’ est un seul et m êm e principe de la spiration d _ ’ -Es ­
ainsi que nous qui croyons que toutes choses ont été prit.
am enées à l ’ existence par le V erbe de D ieu, nous ne e) E ntre le Père et le Fils d ’ une part. I Fus et ie
nions pas pour cela que la cause de toutes choses ne Saint-Esprit de l ’ autre, saint B asile êtai-iit k psrC e-
soit le D ieu suprêm e. C om m ent donc n ’ est-il pas évi ­ lism e qui revient si fréquem m e- ’ •’ ■-s -s écrits de
783 E S P R IT -S A IN T 784

saint A thanase : Le Saint-E sprit est au Fils ce qu ’ est nom bre qui ne perm ettent pas de douter de la doctrine
le Fils au Père : ώς εχει ό Ί ’ ίός προς τον Πατε'ρα, ού'τω de saint B asile touchant le Filioque.
προς τόν Υιόν τό Π νεύμα. De Spiritu Sancio, xvn, 43, 4. La doctrine de saint G régoire de N ysse sur la pro ­
P. G., t. xxxii, col. 148. Ce parallélism e, nous l ’ avons cession du Saint-Esprit ab utroque ne diffère point de
dit plus haut, est une affirm ation im plicite du Filioque. celle de son frère saint B asile. V oici un prem ier texte :
K ranich, op. cit., p. 55-58. « D ’ une part, il est im possible, suivant l ’ apôtre, de
f) A m aintes reprises, le saint docteur em ploie la for ­ recevoir vraim ent le Seigneur sinon dans le Saint-
m ule : Spiritus a Patre per Filium. « Il y a un seul E sprit; d ’ autre part, c ’ est par le Seigneur, qui est le
E sprit-Saint joint à un seul Père par un seul Fils, et principe de toutes choses, que nous trouvons le principe
par lui m êm e com plétant la glorieuse et bienheureuse surém inent qui est le D ieu suprêm e, puisqu ’ il est im ­
T rinité. » De Spiritu Sancto, χνιπ, 45, P. G., t. xxxn, possible de connaître l ’ archétype de tout bien, autre ­
col. 152. « La voie pour connaître D ieu va de l ’ unique m ent que lorsqu ’ il apparaît dans l ’ im age de l ’ invisible.
E sprit par l ’ unique Fils vers l'unique Père. E t réci ­ Si m aintenant, com m e dans la course double, nous
proquem ent, la bonté naturelle et la sanctification revenons sur nos pas après avoir touché le but; si,
naturelle et la m ajesté royale passent du Père par le partant du som m et de la divine connaissance, c ’ est-à-
Fils vers l ’ E sprit. » Ibid., 47, col. 153. Ces deux pas ­ dire du D ieu suprêm e, nous faisons courir notre pensée
sages, on le voit bien, se rapportent aux processions par la voie continue des caractères propres, nous par ­
im m anentes en D ieu et m ontrent que le Saint-Esprit venons du Père par le Fils au Saint-Esprit : έκ τοΰ
procède du Fils aussi bien que du Père. [Ιατρός διά τοΰ Υ ίοϋ πρός το Π νεύμα άναχωροϋμεν. En
g) U n texte fam eux et très explicite sur le Filioque effet, après nous être d ’ abord bien établis dans la
est contenu au com m encem ent du 1. III e contre Euno- considération de la lum ière innasciblc, com m e dans un
m ius : « D e m êm e que le Fils, quant à l ’ ordre, est le point de départ, nous concevons ensuite par voie de
second après le Père, parce qu ’ il en dérive, et aussi par continuité la lum ière qui en jaillit, com m e le rayon
dignité, parce que, en tant que Père, il est son prin ­ coexistant au soleil. » Contra Eunomium, i, P. G.,
cipe et sa cause, et que c ’ est par lui qu ’ on s ’ ouvre la t. x l v , col. 416. En continuant ses explications sur les
voie vers D ieu et vers le Père; m ais il n ’ est nullem ent processions divines, saint G régoire de N ysse consi ­
le second par nature, parce que la divinité est com ­ dère le Père com m e un soleil innascible, le Fils com m e
m une au Père et au Fils, aussi le Saint-Esprit n ’ est pas un autre soleil brillant avec le prem ier, identique au
étranger à la nature du Fils, bien qu ’ il soit le second prem ier en toutes choses, le Saint-Esprit com m e une
après le Fils par ordre et dignité. » Centra Eunomium, lum ière identique, qui n ’ est séparée par aucun inter ­
1. III, 1, P. G., t. xxix, col. 656. D ans les anciens valle du tem ps de la lum ière engendrée. C ette lum ière
m anuscrits, au tém oignage de V ekkos, ce texte se qui est le Saint-Esprit brille par la lum ière engendrée
poursuivait ainsi : « Il est en dignité le second après le quiest le V erbe : βι ’ αύτοΰ μεν έζ/άμπονίεΐΐε tire la cause
Fils, parce qu ’ il tient de lui l ’ être, et il reçoit de lui, et de sa subsistance de la lum ière prototype et elle est
nous l ’ annonce,et dépend absolum ent de cette cause.» nom m ée après le Père et le Fils et elle conduit les âm es
M arc d ’ Éphèse, au concile de Florence, rejeta avec éclairées pai· la grâce à la lum ière qui est dans le Père
acharnem ent l ’ authenticité de ce passage. V oir sess. et le Fils.
X X et X X I, M ansi, Concil., t. xxxi, col. 768-818. C ette doctrine de saint G régoire de N ysse concorde
C elle-ci cependant a été reconnue par H ugues E the- parfaitem ent avec l ’ enseignem ent de saint B asile.
rianus,D e hæresibus græcorum, ni, 13-18, P. L., t. ccn, Contra Eunomium, 1. II, 25, P. G., t. xxix, col. 629.
col. 406-410; Joan V ekkos, qui lui consacre une lon ­ N ous avons d ’ abord la cause suprêm e, la cause pri ­
gue dissertation : Adversus eos qui asserunt magni m ordiale de la substance du Fils et du Saint-E sprit.
Basilii dictum, quo affirmatur in Filio esse Spiritum N ous avons ensuite un soleil sem blable au Père, du ­
Sanctum, et repetitur in illius oratione adulteratum esse. quel il se distingue parce qu ’ il n ’ est pas innascible.
De processione Spiritus Sancti, P. G., t. c x l i , col. 157- L ’ E sprit-Saint est la lum ière qui jaillit à la fois du
212. V oir aussi Ad Sugdrte episcopum Theodorum, n, soleil innasciblc et du soleil engendré. C elte lum ière est
1-6, ibid., col. 309-320; De unione Ecclesiarum, 59, nécessairem ent la troisièm e dans l'ordre des proces ­
ibid., col. 136; Epigraphes, i, ibid., col. 613-616; M a ­ sions divines; elle est à la fois opposée au Père et au
nuel C alécas, Adversus græcos, i, P. G., t. c l i i , col. Fils, parce qu ’ elle conduit au Père et au Fils. Pour ce
53-55. B essarion en a fait l ’ objet d ’ un long com m en ­ qui concerne la com m unication de l ’ essence divine, le
taire, De processione Spiritus Sancti ad Lascarin, Fils est donc l ’ interm édiaire entre le Père et le Saint-
P. G., t. c l x i , col. 329-337. L ’ authenticité a été adm ise E sprit, et la form ule du saint docteur : έκ τοΰ Π ατρός
et revendiquée par V allée, Dissertatio qua expenditur διά τοΰ Υ ίοϋ πρός τό Π νεύμα exprim e la procession du
celebris locus S. Basilii Magni de processione Spiritus Saint-E sprit ab utroque. V oir V ekkos, De unione
Sancti a Patre Filioque, Paris, 1721; M aran, Disser­ Ecclesiarum, 20, P. G., t. c x l i , col. 60, 61. Le rôle
tatio de pluribus rebus ad doctrinam S. Basilii perlinen­ d ’ interm édiaire du Fils entre le Père et le Saint-
tibus, iv, P. G., t. x x x ii , col. 33-40; D onati, De pro­ E sprit explique pourquoi, d ’ après saint G régoire de
cessione Spiritus Sancti contra græcum schisma, dans N ysse, le Fils est glorifié par l ’ E sprit et le Père est glo ­
M ai, Scriptorum veterum nova collectio, R om e, 1833, rifié par le Fils : le Fils reçoit la glorification parie Père
t. vu, p. 110-111; Le Q uien, Dissertationes damasce- et il est la glorification du Saint-E sprit; et pourquoi
nicæ, I, 54-55, P. G., t. xciv, col. 250-252; Petau, De nous devons glori fier le Fils par le m oyen de l ’ E sprit et
Trinitate, vn, 3, 14, 18, t.m , p. 327, 329. M ais les édi ­ le Père par le m oyen du Fils. Adversus macedonianos,
teurs bénédictins de saint B asile en doutent et se bor ­ 22, P. G., t. x l v , col. 1329. R em arquons en dernier
nent à insérer le passage dans une note (79). P. G., lieu que, dans le langage des Pères, le verbe έκλάμπειν,
t. xxix, col. 655. Il va sans dire que tous les théolo ­ attribué aux personnes divines, signifie les proces ­
giens orthodoxes considèrent ce passage com m e inter ­ sions éternelles. V ekkos, De unione Ecclesiarum, 32,
polé. Zoernikav, dans une longue dissertation, accuse P. G., t. c x l i , col. 89, 92.
les latins de l ’ avoir fabriqué. Op. cit., 1.1, p. 233-261. D ans un autre passage, la procession du Saint-
Le m étropolite M acaire est du m êm e avis et blâm e le E sprit du Fils est prouvée par les liens qui unissent
P. Perrone de s ’ y être appuyé. Op. cit., 1.1, p. 330-331. le Père au Fils, par le parallélism e entre le Père et le
N ous n ’ avons pas ici à prendre part à ces débats. Fils d ’ une part, le Fils et le Saint-Esprit d ’ autre part :
M ais en supposant m êm e que ce fam eux passage soit » Com m e le Fils est joint au Père et tire de lui son
apocryphe, il y a néanm oins des textes en assez grand être, sans que son existence soit postérieure, ainsi en
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est-il à son tour du Saint-Esprit, par rapport au Fils, tinguer l ’ être divin du Fils de sa vie divine. F r ce
qui précède l ’ hypostase de l ’ E sprit par la seule raison qui concerne l ’ être, il est im m édiatem ent un __ 1- · .-
de causalité (έπινοία μόνη κατά τον τής αιτίας λόγον), sans duquel il procède; m ais ayant reçu l ’ être. . :
qu ’ il y ait place à des intervalles de tem ps dans cette rait guère subsister, s ’ il n ’ avait pas des relations in ­
vie éternelle. A insi donc, si l ’ on excepte la raison de térieures et vitales avec la cause suprén e de sa sub ­
causalité (του λόγου τής αιτίας ), il n ’ y a rien qui puisse stance,et c ’ est pour cela qu ’ il a desrelaticr.s étem eües
distinguer (les personnes) dans la sainte T rinité. » avec le Père par le m oyen du Fils. · p. _·;· ’· > tîe
Conlra Eunomium, i, P. G., t. x l v , col. 464. La interprétation de la pensée de saint G rèce -·. fan ­
relation d ’ origine distingue donc le Fils du Père et taisiste et arbitraire. Le saint docteur établit
le Saint-Esprit du Père ct du Fils. Il est évident que Saint-E sprit procède du Père par le Fils. O r. · τ Fus.
le Saint-E sprit se rapporte au Père par la raison de par rapport au Saint-E sprit, est un principe qv: pro ­
causalité, c ’ est-à-dire par la relation d ’ origine. O r, cède im m édiatem ent du principe suprêm e. Or: r.e peut
saint G régoire établit la m êm e raison de causalité donc pas dire que le Père soit un principe im m édiat
entre le Fils et le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit se du Saint-Esprit par rapport à l ’ être, parce que cette
distingue donc du Fils par la m êm e raison qui com m unication de l ’ être divin au Saint-E sprit est
le distingue du Père, c ’ est-à-dire parce qu ’ il en faite par l ’ interm édiaire du Fils. En outre, d ’ après
dérive. N esm iélov, le Saint-Esprit vit par le Fils. Il dépend
U n troisièm e texte de saint G régoire de N ysse donc du Fils quant à sa vie. M ais la vie divine est
prouve la procession du Saint-E sprit du Fils par l ’ ordre 1 ’ ètre divin lui-m êm e. Si le Saint-E sprit vit donc
d ’ origine. « Il n ’ y a aucune diflérence de nature dans par le Fils, il subsiste aussi par le Fils, car sa dépen ­
la sainte T rinité, m ais un ordre de personnes vérita ­ dance par rapport à la vie entraîne une dépendance
blem ent subsistantes. C ’ est l ’ ordre fourni par l ’ É van- par rapport à l ’ être. Selon saint G régoire de N ysse,
gile, suivant lequel la foi partant du Père aboutit par le Saint-Esprit se distingue du Père et du Fils parce
l ’ interm édiaire du Fils au Saint-Esprit (διά μέσον τον qu ’ il est produit par le Père et le Fils · par le Père, en
Γίοΰ). Puisque le Fils possède tout ce qui est du Père tant que principe suprêm e, par le Fils, en tant que le
et que tout ce qui constitue la bonté du Fils est Fils procède im m édiatem ent du principe suprêm e
contem plé dans l ’ E sprit, on ne peut trouver dans la et est un avec lui, excepté la paternité.
sainte T rinité aucune différence de sublim ité et de Q ue telle soit la pensée de saint G régoire de N ysse,
gloire. Il convient donc de concevoir la puissance, H oll lui-m êm e, dont la critique négative range
partantdu Père, passant parie Fils (St’ Γιον προϊοΰσαν) saint B asile parm i les adversaires du Filioqu' Je recon ­
et retournant dans le Saint-Esprit. » Episl. ad Hera- naît. Amphilochius von Ikonium in seinem Veri nis
clianum,P.G., t. x l v i , col. 1092, 1093. Le Fils est pré ­ zu den grossen Kappadoziern, Tubingue, 1904, p. 140-
senté de nouveau com m e l ’ interm édiaire entre le Père 142, 213-215.
et le Saint-Esprit : l ’ essence divine (δύναμις ) est com ­ Les théologiens cathol iques citent aussi de saint G ré ­
m uniquée par le Père au Fils, parce que le Père com m u­ goire de N ysse un fragm ent d ’ un serm on in orationem
nique au Fils tout ce qu ’ il possède, avant de le com ­ dominicam, qui exprim e nettem ent la procession ab
m uniquer au Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est donc le utroque. Ce fragm ent, inséré par Le Q uien dans ses
term e d ’ une procession qui a pour principe le Père et Dissertationes damascenicæ, I, 47, P. G., t. xerv,
le Fils. R em arquons aussi que le verbe προιέναι, de col 240-241; t. x l v i , col. 11.»9, a été publié inté ­
m êm e que les verbes περανέναι, έκπορεΰεσθαι, πηγάζειν, gralem ent par le cardinal M ai. Nova veterum Patrum
προχεΐσβαι, désigne en D ieu les processions divines. bibliotheca, R om e, 1847, t. rv, p. 40-43. La no ­
G eorges M étocliite, Contra Manuelem Cretensem, 13, tion de la sainte T rinité, lit-on dans ce fragm ent,
P. G., t. c x l i , col. 1349-1357; V ekkos, De unione est une. E lle exclut la confusion des propriétés per ­
Ecclesiarum, 11, 41, ibid., col. 13-17, 48-57; Petau, sonnelles et leur changem ent. O n doit aflirm er la
De Trinitate, vu, 18, 7-8, t. ni, p. 411-413. com m unauté de nature entre les personnes divines et
Saint G régoire de N ysse ne se borne pas à attribuer en m êm e tem ps conserver intacte la distinction incom ­
au PL-re et au Fils la spiration du Saint-Esprit. Il m unicable des personnes. D e m êm e que n ’ avoir pas
m arque aussi que le Père et le Fils produisent le Saint- de cause est le propre du Père, qui n ’ appartient ni
E sprit d ’ une m anière distincte:· La différence entre au Fils, ni au Saint-Esprit, ainsi en avoir un. est la
être cause et être causé est la seule chose qui distingue propriété distinctive du Fils et du Saint-E sprit, et
entre elles les personnes divines, la foi nous appre ­ celle-ci ne doit pas être attribuée au Père. C ar le F: is
nant qu ’ il y a un principe et ce qui procède du prin ­ engendré provient du Père, d ’ après le tém oignage de
cipe. E n outre, dans ce qui procède du principe, nous l ’ É criture sainte, m ais le Saint-Esprit est dit provenir
concevons une nouvelle distinction, à savoir, pro ­ du Père et il est déclaré être du Fils : και έκ τού Π α ­
céder im m édiatem ent du principe (προσεχώς έκ τον τμός λέγεται καί έκ τού Π ού είναι προσμαρτυρείται. » Les
πρώτου) et procéder de celui qui procède im m édiate ­ écrivains orthodoxes ne reconnaissent pas l ’ authenti­
m ent du principe (δια τον προσεχώς έκ τον πρώτου). D e cité de ce texte. Zoernikav, p. 265-267. V ekkos le cite,
cette sorte, le nom de Fils unique dem eure sans am ­ De processione Spiritus Sancti, 7, P. G., L exu,
biguïté au Fils, et cependant sans conteste l ’ E sprit col. 213-224. M anuel C alécas affirm e que la préposition
procède du Père, la m itoyenneté duFils(r, τον Γίοΰ μεσι­ èxse trouvait dans les m anuscrits les plus anciens et
τεία) lui gardant sa propriété de Fils unique et ne pri ­ que des m ains audacieuses l ’ avaient supprim ée. Ad­
vant pas l ’ E sprit de sa relation naturelle au Père. > versus græcos, i i , P. G-, t. c l i i , col. 70. V oir D onati,
Quod non sinl très dii, ad Ablabium, P. G., t. x l v , op. cit., iv, 13-14, p. 157-158; Franzelin. D e Dec trino.
col. 133. La m êm e doc! rine est exposée dans le Contra p. 479-480, et surtout M ai, De sancti Gregorii Nÿ-sse.-i
Eunomium, i, ibid., col. 336. Ce texte d ’une clarté fragmento in ejus editionibus desiderato, deque par­
frappante sem ble obscur et indéterm iné à la théologie ticula dogmatica l·/. contra schismaticos corruptores in
orthodoxe. N esm iélov, Le système dogmatique de saint ejusdem textum restituta, Nova veterum Patrurr.
Grégoire de Nysse, K azan, 1887, p. 289. L ’ écrivain theca, t. rv, p. 40-51; Laem m er, op. cit.. L i. p. 38-45.
russe que nous venons de citer est forcé d ’ adm ettre Ce passage serait interpolé, d ’ après Le
que, d ’ après ce texte, le Saint-Esprit ne dérive pas tationes damascenicæ, I, 47, P. G., L xerv. ce . -P: ;
du Père par voie de génération : il procède du Père et Petau, De Trinitate, vn, 3. 12-13. L m , p. 281, 282,
se m anifeste par le Fils. » Pour bien com prendre la et H oll, qui accuse les latins de l ’ avoir fais .· . C-p. czi.
doctrine du saint docteur, dit-il, nous devons dis ­ p. 215. M ais,quoi qu ’ il en soit de l ’ anthent-r-te i-. ce
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texte, la pensée du saint docteur est clairem ent ex ­ M acaire, op. cil., t. i, p. 314-315, et Sylvestre,
prim ée dans les passages cités plus haut. op. cii., t. n, p. 441, 442, citent de saint G régoire,
O n donne com m e contraires à la procession du Saint- com m e contraires au Filioque, deux textes où il af ­
E sprit ab ulroque deux passages de saint G régoire de firm e que le propre du Fils et du Saint-Esprit est de
N ysse. D ans le prem ier, il est dit que c ’ est une seule procéder. Oral., xxv, 16, P. G., t. xxxv, col. 1221, et
et m êm e personne qui engendre le Fils et fait procéder queeequiestau Filscst auSaint-E cprit, sauf la qualité
le Saint-E sprit. De communibus notionibus, P. G., du Fils. Oral., xxxrv, 10, P. G., t. xxxvi, col. 252. Le
t. x l v , col. 179-180; M acaire, op. cil., t. i, p. 315; prem ier texte, il est inutile de le faire rem arquer, ne
Sylvestre, op. cit., t. n, p. 439. M ais ce texte n ’ a rien de contient aucune allusion aux personnes qui sont le
contraire à la doctrine catholique, car le Père dem eure principe de la spiration du Saint-E sprit Le second,
toujours la cause prim ordiale du Fils et du Saint- au contraire, est favorable au Filioque. Saint G régoire
E sprit par le Fils. Franzelin, Examen Macarii, p. 145. déclare qu ’ au Fils appartient tout ce qu ’ a le Père,
D ans le second, il est dit que le Saint-Esprit, par sa excepté être cause, πλήν τής αιτίας . Le m ot αιτία du
propriété personnelle (έν τω ίδιάζοντι), procède du Père Saint docteur répond à la προκαταρκτική αιτία de saint
autrem ent que le Fils et qu ’ il est m anifesté par le B asile. Il indique sim plem ent que le Père est une
Fils : δι ’ αΰτοΰ του Γιου πεφηνέναι. Contra Eunomium,!, cause et un principe sans principe, m ais il ne i.ie pas
P. G., t. x l v , coL 336. M ais il est évident que ce que le Fils soit avec le Père le principe d ’ une spi ­
texte affirm e explicitem ent la procession ab utroque. ration divine. Franzelin, Examen Macarii, p. 159,
En effet, le Saint-E sprit a un caractère personnel 160. Q uant aux nom breux textes de saint G régoire
(ίδιάζον) qui le distingue du Père et du Fils. Il le dis ­ que Zoernikav am oncelle contre le Filioque, op. cil.,
tingue du Père, parce que le propre du Saint-Esprit à 1.1, p. 40-50, ou ils traitent de la distinction entre les
l ’ égard au Père est de ne pas procéder du Père par trois personnes divines, ou m êm e ils déclarent que
voie de génération com m e le Fils; il le distingue du le Saint-Esprit provient du Père com m e de la cause
Fils, parce que le propre du Saint-E sprit par rapport prim ordiale. Il n ’ y a rien, dans ces passages, qui
au Fils est d ’ être m anifesté par le Fils. C ette m ani­ contredise à la procession du Saint-Esprit ab ulroque.
festation, com m e l ’ indique le verbe πεφηνέναι, est 6. Saint É piphane ne se borne pas à tém oigner en
une m anifestation éternelle, qui correspond à la pro ­ faveur de la procession du Saint-Esprit du Père par le
cession éternelle du Saint-E sprit du Fils. V ekkos, Fils. Il adopte aussi la form ule qui est l ’ équivalent de
Ad Theodorum Sugdeæ, i, 7, P. G., t. c x l i , col. 301. la form ule latine : a Paire Filioque. 11 établit que le
5. Saint G régoire de N azianze dem eure A dèle aux Saint-E sprit procède du Père et reçoit du Fils, scrute
principes de saint A thanase et de saint B asile, prin ­ les profondeurs de D ieu et annonce celles du Fils.
cipes qui aboutissent à la conséquence logique de Ancoratus, 7, P. G., t. x l i ii , col. 23; Hær., hæ r. l x i x ,
la procession ab utroque. Il distingue ainsi les pro ­ 59; l x x iv , 10, P. G., t. x l i i , col. 301, 493. Il est l ’ E s ­
priétés personnelles des trois hypostases divines : le prit du Père et l ’ E sprit du Fils, non par com position
Père est άναρχος , le Fils αρχή, le Saint-E sprit μετά com m e en nous l ’ âm e et le corps, m ais il est au m ilieu
τής άρχής . Oral., x l i i , 15, P. G., t. xxxvi, col. 476. du Père et du Fils, sortant du Père et du Fils. έν
T out ce qui est au Père, le Fils le possède; tout ce μέσω ΙΙατρός καί Υ ίοΰ, έκ τοΰ ΙΙατρός καί τοΰ Γίοϋ. Α η-
qui est au Fils, l ’ E sprit l ’ a aussi. Orat., xxxiv, 10; coralus, 8, 71, col. 29,148. Le Saint-E sprit est éternel,
x l i , 9, P. G., t. xxxvi, col. 252, 441. T out ce qu ’ a le non engendré, non créé. Il n ’ est ni frère, ni oncle, ni
Père est du Fils. T out ce qui est au Fils est de aïeul, ni neveu, m ais de la substance identique du
l ’ E sprit, excepté la filiation et l'incarnation. Oral., Père et du Fils, έκ τής αυτής ουσίας ΙΙατρός καί Γίοΰ.
xxxiv, 10, col. 252. La form ule de saint G régoire Hær., hæ r. l x x i v , 12, P. G., t. x l h , col. 497. « Il
de N azianze est : U n seul D ieu par le Fils engendré faut croire du C hrist qu ’ il provient du Père, D ieu
aboutissant à un seul E sprit. Exhort, ad virgi­ provenant de D ieu, et de l ’ E sprit qu ’ il provient du
nes, Carmina, i, 3, P. G., t. xxxvn, col. 632, V oir C hrist, ou m ieux de tous les deux, car le C hrist a dit :
aussi Oral., xxxi, 4; xxxm , 17; XL, 42; x l i , 9, Qui a Patre procedit, et ailleurs, De mco accipiel. »
col. 137, 236, 420, 441. Il fait cette belle com paraison, Ancoratus, 67, col. 137. D ieu nom m e Fils celui qui tire
pour expliquer les processions divines : « U ne source, de lui son origine et Saint-Esprit celui qui procède
une fontaine et un fleuve, voilà peut-être ce qui peut des deux : τό παρ ’ άμφοτέροιν. Le Saint-E sprit est
représenter le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En effet, l ’ E sprit de vérité, la troisièm e lum ière du Père et du
ces trois choses ne sont pas séparées dans le tem ps; Fils : φώς τρίτον παρά ΙΙατρος και Υ ίοΰ. Ancoratus, 71,
elles form ent ensem ble un m êm e contenu, bien qu ’ on col. 148; Scherm ann, p. 240-242. La m êm e doctrine
puisse les distinguer par leurs caractères, » Oral., est form ulée à la fin de l ’ Ancoratus. Le Saint-E sprit y
xxxi, 31,32, P. G., t. xxxvi, col. 109. Saint G régoire est m entionné com m e procédant du Père et recevant
de N azianze établit donc une relation de continuité du Fils : έκ τοΰ ΙΙατρος εκπορευόμενου καί έκ τοΰ Γίοΰ
entre les personnes divines. Le Père est la source, λαμβανόμενον. H ahn, op. cil., ρ. 136: P. G., t. x u n ,
όφβαλμός , qui verse l ’ eau dans la fontaine, πηγή, col. 236.
d ’ où sort le fleuve, ποταμός . L ’ être divin de la A près ces tém oignages si explicites au double point
source passe à la fontaine, et de la fontaine au de vue de la pensée et de l ’ expression, il est bien
fleuve. D ’ après la théorie photienne, nous n ’ avons étrange que les théologiens orthodoxes fassent de
pas de fontaine : nous avons deux fleuves qui jail ­ saint É piphane un adversaire du Filioque. Zoernikav,
lissent de la m êm e source, suivent deux voies diver ­ op. cil., t. i, p. 50-59, cite un grand nom bre de textes
gentes et ne se rencontrent pas. d ’ É piphane où il est dit que le Saint-E sprit pro ­
L a m êm e conclusion favorable au Filioque découle cède du Père. D ans une note sur les élucubrations
d ’ un autre texte du saint docteur : Le Père est le de Zoernikav, ibid., p. 59-60, Eugène B ulgarie am on ­
soleil, le Fils le rayon, le Saint-Esprit la lum ière. La celle les passages où le saint docteur proclam e que le
théorie photienne supprim e le rayon. Le Fils et le Saint-E sprit procède du Père et reçoit du Fils, pour
Saint-Esprit sont deux lum ières identiques. En quoi en conclure qu ’ il procède du Père seul, parce que de
se distinguent-elles, puisqu ’ elles procèdent du m êm e meo accipiel se rapporte à la m ission tem porelle. M a ­
soleil? La théologie orthodoxe esquive toujours la caire, op. cit., t. i, p. 315, cite d ’ abord un texte de
réponse à cette question, parce qu ’ elle aboutit logi ­ ΓAncoratus, où les m ots μόνον τό μόνον Π νεΰμα sont
quem ent à l ’ identiflcation du Fils avec le Saint- traduits com m e s ’ il y avait μόνον έκ μόνου Π νεύμα.
E sprit. Fianzelin, Examen Macarii, p. 151, 152. R em ar-
789 E S P R IT SA IN T 79ύ

quons cependant que les éditeurs latins des écrits j autorisé du Filioque au rv* siècle. Les polém istes
de saint É piphane tiennent com m e probable cette catholiques qui ont réfuté avec le pius d'érudition les
leçon du texte. Ancoralus, 2, col. 20. L ’ autre texte théories photiennes, le citent souvent et lui em prun ­
m entionne le Saint-E sprit com m e procédant du Père. tent beaucoup de textes favorables a la doctrice ro ­
Hær., hæ r. l x x v i , 8, P. G., t. x l ii , col. 566. S ’en ­ m aine. V ekkos, De processione Spiritus Saadi, xn.
suit-il qu ’ il ne procède pas du Fils? Saint Épiphane 1-12, P. G., t. c x l i i , coL 249-261. A llatius lui consacre
lui-m êm e répond m aintes lois, en déclarant que le une bonne partie de son ouvrage : V ir i ; .< -
Saint-Esprit procède du Père et du Fils,:· , άγιον ΙΙνεϋ- Ephesinæ et S. Cyrilli de processione ex Paire et r ■·-
μα -as ’ άμφοτερων. Hær., hæ r. l x x i v , 7, P. G., t. l u , Spiritus Sancti, R om e, 1661. Le saint docteur
col. 488. ‘ com battre le nestorianism e, qui faisait d> Q irist u t
7. Les écrits théologiques de D idyine d ’ A lexandrie hom m e sanctifié par la descente du Saint-Esprit sur
contiennent quelques textes en faveur du Filioque. lui, par l ’ effusion de la grâce du Saint-E sprit d ’ ans s -
D idym e com m ence par établir que le Père est la racine âm e. Pour réfuter N estorius, saint C yrille s ’ attache a
de la divinité, que le Fils est engendré et que l ’ E sprit- m ettre en lum ière les relations réciproques entre ie
Saint procède. De Trinilale, i, 36, P. G., t. xxxix, Fils et le Saint-E sprit, à prouver que, suivant ces rela ­
col. 441. A près avoir cité le texte : Non loquelur a tions, ce n ’est pas le Fils qui dépend du Saint-E sprit,
semetipso, il en donne le com m entaire suivant : Hoc m ais le Saint-Esprit du Fils. Il développe avec am ­
esl, no i sine me, el sine meo el Palris arbitrio, quia in­ pleur la théologie de ses devanciers du iv e siècle, en
separabilis a mea el Palris voluntate, quia non ex se est, particulier de saint A thanase et de saint B asile, et il
sed ex Paire el me est, hoc enim ipsum quoi subsislil aboutit à cette conclusion, que le Saint-E sprit pro ­
et loquitur, a Paire el me UH esl. De Spirilu Sanclo, 34, cède du Fils quant à son origine.
ibid., col. 1063, 1064. Ce texte est d ’une clarté frap ­ a) T out d ’abord, il affirm e m aintes fois que le Saint-
pante. L ’ E sprit doit sa subsistance au Père et au E sprit est le propre du Fils : Ιδιον τού Π ού. « Le
Fils. O n pourrait objecter que le texte latin que nous Saint-Esprit est la puissance du Fils. · Adversus Ne-
citons ne reproduit pas peut-être la véritable ensée storium, rv, 1, P. G., t. l x x v i , col. 176. Le C hrist pos ­
de D idym e. M ais les violentes récrim inations de sède le Saint-E sprit non par participation, m ais
saint Jérôm e, le traducteur du De Spiritu Sancto, com m e son bien propre dont il peut disposer, parce
contre R ufin qui s ’ était plu, dans ses versions des que son E sprit est de chez lui, et par lui. C ’est pour
écrits d ’ O rigène, à en corriger les sentences erronées, cela que, projetant l ’ E sprit de sa propre plénitude
écartent de lui tout soupçon d ’ avoir interpolé le traité com m e le Père lui-m êm e, il le donne sans m esure à
de D idym e pour l ’ adapter aux conceptions théolo ­ ceux qui sont dignes de le recevoir. Ibid., col. 173.
giques latines, d ’ autant plus qu'il n ’ y avait alors au ­ Saint Jean l ’ évangéliste atteste partout, dans son
cune raison d ’ agir ainsi. Évangile, que l ’ E sprit est le propre du Fils et qu il
D ans le Liber de Spiritu Sancto, D idym e reconnaît jaillit du Fils quant à sa nature; il n ’ est donc pas pos ­
form ellem ent que la personne divine qui reçoit d ’ une sible de concevoir le Logos sans son propre E spr it. In
autre ne reçoit que la substance divine; la personne Joa., i i , P. G., t. l x x ii i , col. 209. En parlant de l'Es-
qui reçoit subsiste par la personne qui lui donne : prit, Jésus l ’ appelle sien. Ibid., x, col. 421. Le Saint-
Neque enim quid aliud est Filius, exceptis his quæ E sprit est l ’ E sprit propre du Fils, et com m e tel il est
ei dantur a Patre, neque alia substantia est Spiritus en lui, et provient de lui. In Joel., u, 35, P. G., t. l x x i ,
Sancti, præter id quod datur ei a Filio, 37, coi. 1065, col. 377. D ans son ix e anathématisme contre N estorius,
1066. E t plus loin : Licet a Patre procedat Spiritus C yrilleappelle aussi le Saint-Esprit l ’ E sprit propre du
veritatis el det illi Deus Spiritum Sanctum petentibus se, Fils. P. G., t. l x x v i , col. 308; H efele-Leclercq, op.
tamen quia omnia quæ habet Pater, mea sunt, et ipse cit., t. u, p. 275. E t com m e Théodoret de C yr chicanait
Spiritus Palris meus est, et de meo accipiet. Ibid., 38, sur cette dénom ination, le saint docteur, au concile
col. 1066. D ans le m êm e traité, nous avons un texte d ’ Éphèse, insista avec énergie sur sa légitim ité : « Le
très explicite : « Il n ’ est pas possible que le Saint- V erbe unique de D ieu fait hom m e dem eure D ieu. Il
E sprit, qui est l ’ E sprit de vérité et l ’ E sprit de sagesse, est ce qu'est le Père, excepté la seule paternité, et il
entende, lorsque le Fils parle, des choses qu ’ il ignore, a com m e son propre bien le Saint-Esprit. » Explicatio
puisqu'il est lui-m êm e ce qui est proféré par le Fils, duodecim capitum, P. G., t. l x x v i , col. 308. Cl. In Joa.,
c'est-à-dire procédant de la vérité, consolateur de x, P. G., t. l x x iv , col. 301, 444; Thésaurus, xxxrv,
cons dateur, D ieu de D ieu, esprit de vérité par pro ­ P. G., t. l x x v , col. 600, 608; De Trinitate, dial, vn,
cession.» IM d.,36, col. 1064,1065; De Trinitate, n, 19, ibid., col. 1093, 1120.
col. 549. C ’ est l ’ Église qui allirm e que le Saint-Esprit S ’ il est donc l ’ E sprit propre du Fils, c ’ est au Fils a
est du Père et du Fils : τό άγιον 1 1 νεύμα Π ατρός xai exercer son influence sur lui, et cette influence ne peut
Π ου τυγχάιζη . Fragmenta in Actus apostolorum, P. G., s ’ exercer s ’ il ne dérive pas du Fils.
t. xxxix, col. 1660. &) Le Saint-Esprit n ’ est pas étranger au Fils, ou
La com paraison vulgaire m êm e dont il se sert, plutôt à la nature du Fils. « B ien que le Saint-E sprit
pour décrire les relations réciproques entre les per ­ soit dans sa propre hypostase, en tant qu ’ il est E sprit,
sonnes divines, insinue la doctrine du Filioque. Le et qu ’ il n ’ est pas le Fils, cependant, il n ’ est pas étran ­
Fils est appelé la m ain droite, le bras du Père : le ger au Fils. C ar il s ’ appelle l ’ E sprit de vérité. O r, le
Saint-E sprit est nom m é le doigt de D ieu, à cause de sa C hrist est la vérité. Il est épanché donc par le C hrist
conjonction naturelle avec le Père et le Fils. De Spi­ aussi bien que par le Père. E t, puisqu ’ il est l ’ Esprit de
ritu Sancto, 21, col. 1051. C ’ est donc par le V erbe, la celui qui est la vertu et la sagesse du Père, c'est-à-dire
m ain, que le Saint-E sprit,le doigt, est conjoint au Père du Fils, l ’ E sprit lui-m êm e est la sagesse et la v t rtu. ·
dans l ’ unité de nature. Scherm ann, op. cil., p. 218- Epist. Cyrilli ad Nestorium (xm ). P. G., L txxvn.
223; B ardy, Didyme ΓAveugle, p. 98. col. 117. R em arquons qu ’ au lieu dhxr-.rs η . · , le
Zoernikav cite quelques textes de D idym e com m e saint docteur fait usage du verbe r.·.·. >:zr
contraires au Filioque. Op. cil., t. i, p. 23-24. M ais désigner l ’ origine du Saint-E sprit de la part d t F · rt et
ces passages affirm ent sim plem ent la procession du du Fils. M ais il tient lui-m êm e à avertir qut- ce serbe
Saint-E sprit du Père, sans nier, pour cela, la proces- a le m êm e sens que le verbe e- Ei l v.
cion du Saint-E sprit du Fils. P. G., t. Lxxvn, col. 316. Si donc ie verbe r: _.zz-
8. Saint C yrille d ’ A lexandrie est considéré à bon par rapport au Père signifie que ie Pere est e r .-sxipe
droit com m e le défenseur le plus éloquent et le plus d ’ une génération ou procession divine, le m ~~je vert· :
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par rapport au Fils ne peut pas ne pas avoir la m êm e Fils, m ais il procède physiquem ent d ’ elle, il n ’ est rien
signification. Il s ’ ensuit que, dans le langage théo ­ autre chose que lui sous le rapport de l ’ identité de
logique de saint C yrille, dire que le Saint-Esprit nature, bien qu ’ il subsiste personnellem ent. » In Joa.,.
προχεϊται παρά τοΰ Τίοΰ, c ’ est la m êm e chose que dé ­ x, P. G., t. l x x i v , col. 444. « Jésus appelle le Paraclet :
clarer : le Saint-Esprit procède du Fils. E sprit de vérité, c ’ est-à-dire son esprit à lui-m êm e, et
c) Saint C yrille em ploie l ’ ancienne form ule grecque en m êm e tem ps il dit qu ’ il procède du Père. A insi, de
qui fait du Fils l ’ interm édiaire entre le Père et le m êm e que l ’ E sprit est physiquem ent le propre du Fils,
Saint-Esprit quant aux opérations divines. C ontre N es ­ qu ’ il existe en lui, qu ’ il provient de lui, il est de m êm e
torius. qui sem ble séparer en D ieu les opérations des l ’ esprit du Père. » Ibid., y, col. 417. Spiritus Filii est,
trois personnes divines, il s ’ écrie : « Q uelle insanité. rem arque A llatius, quemadmodum et Patris est : Spi­
T out a été fait par le Père au m oyen du Fils dans ritus ita profunditur ac progreditur per Filium, uli
l ’ E sprit. » Adversus Nes'orium, iv, 2, P. G., t. l x x v i , effunditur et progreditur a Patre : et quia est secundum
col. 180. Toutes choses proviennent du Père par naturam Patris ex Patre suam existentiam habet, et
le Fils dans l ’ E sprit. Thésaurus, xxxiv, P. G., requali eodemque modo, cum sit naturaliter Filii, exi­
t. l x x v , col. 580. L ’ E sprit n ’ est pas une créature, lui stentiam habet per Filium. Si paritas et æqualilas est
en qui D ieu opère tout par le Fils. Ibid., col. 617. Si Patris et Filii in effluxu Spiritus, quomodocumque illa
le Saint-Esprit dépend donc du Fils quant aux opé ­ sit, cum a Patre exeat essentialiter, et procedat in hypo­
rations divines, il en dépend aussi quant à son origine. stasi, essentialiter etiamexislit et procedit inhypostasi per
d) II désigne le Saint-E sprit com m e l ’ im age du Fils, Filium el ex Filio. Vindiciæ synodi Ephesinæ, p. 196,
en tant qu ’ il est le reflet essentiel du Fils. « Saint Paul 197.
appelle céleste N otre-Seigneur Jésus-Christ dont nous f) La com m unauté de nature entre le Père et le
portons l ’ im age, à savoir, l ’ E sprit-Saint et vérificateur Fils, excepté les relations d ’ origine, explique la pro ­
qui habite en nous. » Thésaurus, xxxm , col. 569, cession du Saint-Esprit ab utroque. Puisque le Fils
572. C ette raison d ’ im age, d ’ après saint C yrille, est reçoit tout ce qui est au Père, hors la paternité, le
unepreuvede la divinité du Saint-Esprit. » D ’ une part, Saint-Esprit est dans le Fils de la m êm e m anière qu ’ il
parce que le Fils est la très exacte im age du Père, celui est dans le Père. « Il faut croire ferm em ent que le Fils,
qui reçoit le Fils possède le Père; d ’ autre part et par ayant com m unication substantielle des biens naturels
une raison analogue, celui qui reçoit l ’im age du Fils, du Père, possède l ’ E sprit de la m êm e m anière qu ’ on le
c ’ est-à-dire l ’ E sprit, possède par lui com plètem ent le conçoit dans le Père... com m e chacun de nous contient
Fils et le Père qui est en lui. Si donc l ’ E sprit est appelé en soi-m êm e son propre souffle et le répand au dehors,
l'im age du Fils, il faut l ’ appeler D ieu et pas autre ­ du plus intim e de ses entrailles. C ’ est pourquoi il fit
m ent. » Ibid., col. 572. Q ue l ’ E sprit soit la véritable une insufflation corporelle, m ontrant que, com m e le
sim ilitude du Fils,saint C yrille le déduit du texte de souffle sort corporellem ent d ’ une bouche hum aine,
saint Paul : Quos præscivit et prædeslinavit conformes ainsi jaillit de la nature divine par un m ode divin l ’ Es-
fieri imaginis Filii sui, hos et oocaoit, De Trinitate, prit qui procède de lui. » In Joa., ix, P. G., t. l x x iv ,
dial, vu, P. G., t. l x x v , coi. 1089, et parce qu ’ il est la col. 257. V oir A llatius, Vindiciæ synodi Ephesinæ,
sim ilitude du Fils, il nous rend sem blables à D ieu. p. 82.
Le Sauveur, en introduisant le Saint-E sprit lui-m êm e g) Il em ploie la com paraison de D idym e pour m on ­
dans les âm es fidèles, les réform e par lui et en lui à trer la dépendance d ’ origine du Saint-E sprit du Fils :
l ’ im age prim itive, c ’ est-à-dire qu ’ il leur com m unique « Le C hrist appelle doigt de D ieu le Saint-E sprit, qui,
sa propre form e, ou, si l ’ on veut, leur donne sa propre en quelque sorte, bourgeonne de la nature divine et y
ressem blance par la sanctification... C ar, d ’ une part, dem eure suspendu com m e le doigt par rapport à la
l ’em preinte véritable et aussi parfaite en ressem blance m ain hum aine. C ar les saintes É critures appellent le
qu ’ on peut la concevoir est le Fils lui-m êm e; d ’ autre Fils bras et m ain de D ieu. D onc, com m e le bras est
part, la sim ilitude pure et naturelle du Fils est l ’ E sprit, naturellem ent coadapté à tout le corps, opérant tout
de sorte que, prenant sa form e par la sanctification, ce qui plaît à la pensée, et qu ’ il a l ’ habitude d ’ ordre en
nous som m es configurés à la form e m êm e de D ieu. se servant pour cela du doigt, ainsi nous concevons,
Ibid., col. 1089. Cf. Joseph de M éthone, De Spiritu d ’ une part, le V erbe de D ieu, com m e surgissant de
Sancio, P. G., t. c l ix , col. 1177. Si Filius, rem arque D ieu et en D ieu, et pour ainsi dire, bourgeonnant en
H ugues E therianus, quia imago Patris exislit, ex ipso D ieu, et, d ’ autre part, l ’ E sprit procédant naturelle ­
esse habet; manifestum quod Spiritus imago Filii cum m ent et substantiellem ent du Père dans le Fils, qui
sit, ex ipso esse habet. De hieresibus græcorum, n, 7, opère par lui toutes les onctions sanctifiantes. Par
P. L., t. ecu, col. 202, 203. V oir B ilz, Die Trinitats- conséquent, il est évident que le Saint-E sprit n ’ est pas
lehre des hl. Johannes von Damaskus, Paderborn, 1909, étranger à la nature divine, m ais procède d ’ elle et
p. 129-133. dem eure en elle naturellem ent; puisque le doigt cor ­
O r, de m êm e que les Pères disent que le Fils est porel est dans la m ain et de m êm e nature qu ’ elle et
l ’im age du Père parce qu ’ il provient du Père, ainsi qu ’ à son tour, la m ain est dans le corps, non com m e
lorsqu ’ ils disent que le Saint-Esprit est l ’ im age du une substance étrangère, m ais com m e se rapportant
Fils, ils signifient qu ’ il provient du Fils. à lui. » Thesaurus, xxxi, P. G., t. l x x v , col. 576, 571.
e) Les locutions scripturaires : Esprit du Fils, Esprit La vie donc, et par conséquent l ’ être du Saint-E sprit,
de vérité autorisent saint C yrille à en déduire la pro ­ ne procède pas im m édiatem ent du corps, m ais par le
cession du Saint-E sprit du Fils, procession essen ­ m oyen du bras (le V erbe).
tielle, qu ’ il appelle physique.· Jésus-Christ dit : Lorsque h) Enfin, il y a, dans les écrits de saint C yrille, un
viendra l’Esprit de vérité... Noyer, com m e ce discours grand nom bre de textes où il em ploie, à côté de la
éveille la pensée, adm irez le choix des m ots. Il avait form ule grecque : Le Saint-Esprit procède du Père
dit d ’ abord qu ’ il leur enverrait le Paraclet : ici, il le par le Fils, In Joa., P. G., t. l x x i v , col. 449, 709, les
nom m e esprit de vérité, c ’ est-à-dire son propre esprit, form ules latines : Le Saint-Esprit procède du Père et
puisque lui-m êm e est la vérité. Pour que ses disciples du Fils, des deux, ou par les deux. De recta fide, 21,
apprissent qu ’ ils ne recevraient pas la visite d ’ une P. G., t. l x x v i , col. 1408; Thesaurus, xxxiv, P. G.,
vertu étrangère, m ais qu ’ il se donnerait lui-m êm e t. l x x v , col. 585.
d ’ une autre m anière, il appelle le Paraclet E sprit de « Puisque, d ’ une part, le Saint-Esprit, venant en
vérité, c ’ est-à-dire son propre E sprit. En effet, le nous, nous rend conform es à D ieu et puisque, d ’ autre
Saint-Esprit n ’ est point étranger à la substance du part, il procède du Père et du Fils, il est évident qu ’ il
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■est de la substance divine, provenant substantiel­ Theodoretum, P. G., t. l x x v i , col. 433. Th >ior t s
lem ent d ’ elle et en elle. » Thesaurus, xxxiv, P. G., vanta d ’ avoir poussé C yrille à reconnaître t · - ■ -
t. i.xxv, col. 585. A plusieurs reprises, le saint doc ­ son erreur. Epist. ad Johannem A n
teur déclare que le Saint-Esprit procède de la m êm e t. L xxxin, col. 1484, 1485. Il est utile de rem arquer
façon du Père et du Fils. In Joel., P. G., t. l x x i , col. qu ’ A llatius et C otelier n ’ adm ettent pas .
377; In Joa., x, P. G., t. l x x iv , col. 417; De Trini­ de cette pièce. Ibid., col. 1483, note 21 -
tate, dial, vi, P. G., t. l x x v , col. 1009; Epist., xvti, nie C yrille, parce que celui-ci a toujours - ..:· - _
P. G., t. l x x v ii , col. 117. doctrine énoncée dans ses anathém atisn · ■ -
E t parce qu'il procède du Père et du Fils, il est catio duodecim capitum, P. G., t. l x x v i . c o L 308, 309 :
envoyé par le Père et le Fils. Adversus Nestorium, iv, Apologeticus pro XII capitibus contra Orientales. p. ·...
P. G., t. l x x v i , col. 173. La procession divine du t. l x x v ii , col. 356-360. V oir H ugues E therianus.
Saint-Esprit du Fils est la cause par laquelle le Fils op. cil., i, 2, P. L., t. ecu, col. 236; Bessari· · . .· ’ ■:'-
envoie le Saint-Esprit. De recta fide ad Theodosium, ratio aliquorum quæ in oratione dogmatica pro ur;-:
37, P. G., t. l x x v i , col. 1188-1189. continentur, P. G., t. c l x i , col. 611-614: G arnier, De
La doctrine de saint C yrille sur la procession du fide Theodoreli, diss. III, 3-27, P. G., L l x x x i v , col.
Saint-E sprit ab utroque est donc exprim ée avec une 395-401; A llatius, Vindicia synodi Ephesinæ, p. 31-
telle clarté qu ’ il ne serait pas hasardé de dire que le 51; Franzelin, De Deo trino, p. 476-477.
saint docteur prévoit et réfute d ’ avance les objections 9. L ’ autorité de saint M axim e est bien souvent in ­
photiennes, lorsqu ’ il soutient l ’ identité absolue des voquée par les théologiens orthodoxes contre la pro ­
deux form ules : procedit ab utroque et procedit a Paire cession du Saint-E sprit ab utroque. I) est vrai que le
per Filium. « L ’ E sprit est l ’ E sprit de D ieu, et en m êm e saint docteur ne traite qu ’ en passant les questions rela ­
tem ps l ’ E sprit du Fils, sortant substantiellem ent de tives au Saint-E sprit; cependant on rencontre dans
tous les deux à la fois, c ’ est-à-dire épanché du Père ses écrits quelques textes, où le Fils est présenté com m e
par le Fils : το ούσιωδώς εξ άμφοΐν, ηγουν έκ Π ατρός , la source du Saint-Esprit. « D e m êm e que le Saint-
δι ’ ΓΙοΰ προχεόμονον Π νεύμα. De adoratione in Spiritu E sprit par sa nature et substantiellem ent est l ’ Esprit
et veritate, P. G., t. l x v ii i , coi. 148. de D ieu le Père, ainsi il est l ’ E sprit du Fils, puisqu ’ il
Ces textes d ’ une clarté si frappante n ’ em pêchent procède substantiellem ent du Père par le Fils engen ­
pas Zoernikav de consacrer une longue dissertation à dré et cela d ’ une façon ineffable. » Quæstiones ad Tha-
prouver que saint C yrille se range du côté des Orien­ lassium, q. l x h i , P. G., t. xc, col. 672. Le cardin.
taux. Op. cit., 1.1, p. 76-91. D ans les passages qu ’ il cite, B essarion com pare ce texte à un passage de sa.r t
on déclare sim plem ent que le Père est la source pri ­ B asile qui exprim e la m êm e pensée et il dém ontre que
m ordiale du Fils et du Saint-E sprit, ou m êm e on la préposition διά signifie la cause interm édiaire
affirm e que le Saint-Esprit procède à la fois du Père et par laquelle on agit. Oratio dogmatica pro unione, 6,
du Fils. Les théologiens orthodoxes m odernes se sont P. G., t. c l x i , coi. 570, 571. D ans un autre em iroit.
m ontrés à certains égards plus prudents. M acaire saint M axim e se dem ande pourquoi on ne peut pas
n ’ allègue contre le Filioque que le seul endroit où dire le Père de l ’ E sprit, ou le C hrist de l ’ E sprit,
saint C yrille com pare le Saint-E sprit au doigt de la com m e, à l ’ égard du Père et du Fils, on dit égalem ent
m ain. M ais il ne le cite pas exactem ent et, par sur ­ l ’ E sprit de D ieu et l ’ E sprit du C hrist. Il répond en ces
croît. il en donne une version fausse. O p. cit., 1.1, p. 315; term es : « D e m êm e que l ’ intelligence, νοϋς , est prin ­
Franzelin, Examen Macarii, p. 154-157. M gr Sylvestre cipe du V erbe, ainsi est-elle principe de l ’ E sprit, m ais
s ’ abstient de citer saint C yrille parm i les adversaires par l'interm édiaire du V erbe: διά μέσου δέ τού Λ όγου.·
directs du Filioque. Quæstiones et dubia, xxxiv, P. G., t. xc, coi. 813.
Le différend entre C yrille et Théodoret au sujet de Il y a un texte, cependant, de saint M axim e qui a
ix" anathémalisme fournit aussi à la théologie ortho ­ donné lieu à bien des controverses et que les polé ­
doxe un argum ent contre le dogm e latin. Théodoret de m istes grecs opposent toujours aux théologiens catho ­
C yr accuse saint C yrille d ’ apollinarism e pour avoir liques. D ans une lettre à M arin, prêtre de C hypre, d
soutenu que le Saint-E sprit est le propre du Fils. raconte que les m onothélites reprochaient aux ro­
P. G., t. l x x v i , col. 353. « S ’ il dit que l ’ E sprit est le m ains leur croyance à la procession du Saint-E sprit :
propre du Fils, en tant qu ’ il est consubstantiel et qu ’ il Père et du Fils. Pour se disculper, les rom ains pré ­
procède du Père, nous le confessons avec lui et nous sentèrent des textes de Pères latins et du com m en ­
tenons cette phrase pour orthodoxe. M ais s ’ il prétend taire de C yrille d ’ A lexandrie sur l ’ Évangile de saint
qu ’ il en est ainsi, parce que l ’ E sprit tient son exis­ Jean. Par ces tém oignages, ils déclarent qu ’ ils ne
tence ou du Fils, ou par le Fils, nous rejetons cette font pas du Fils le principe du Saint-Esprit, car iis
phrase com m e blasphém atoire et com m e im pie. C ar savaient que l'unique principe du Fils et de l ’ E sprit est
nous avons foi au Seigneur, qui a dit : Spiritum qui a le Père, de l ’ un par génération, et de l ’ autre par pro ­
Patre procedit, et au divin Paul qui a dit égalem ent : cession. M ais leur but était de m ontrer que l ’ E sprit
Nos autem non spiritum mundi accepimus, sed Spi­ provient du Père par le Fils et d ’ établir par là m êm e
ritum qui ex Deo est. » S. C yrille, Apologeticum contra l ’ unité de l ’ essence et l ’ égalité parfaite. Epist.
Theodoretum, P. G., t. l x x v i , col. 432. Il suffit de lire Marinum, P. G., L xci, col. 133,136. En peu de m ots,
sans préjugés ce passage de Théodoret pour se con ­ le cardinal B essarion explique le sens de ce passage :
vaincre d ’ abord qu ’ il attribue à saint C yrille une héré ­ « Saint M axim e a parlé de la sorte pour éviter qu ’ on
sie que celui ne s ’ est jam ais avisé de prendre sous sa ne voie dans le Fils le principe prim ordial du Saint-
tutelle et ensuite qu ’ il n ’ a pas nié la procession du E sprit, com m e s ’ il ne tenait pas du Père la vertu sui ­
Saint-E sprit ab utroque. Théodoret reproche à C yrille vant laquelle le Saint-Esprit procède de lui. » Ora .
la négation de la consubstantialité des trois personnes dogmatica, 6, P. G., t. c l x , col. 584. V oir V eki.os.
divines, et de la procession du Saint-Esprit du Père. De depositione sua, orat. n, 7, P. G., L cxi_. coi. 98i> .
C yrille lui répond que toute son œ uvre théologique G eorges M étochite, Conlra Manuelem Cretensem, ibid..
atteste avec com bien d ’ énergie il a défendu les points col. 1401; Franzelin, De Deo trino, p. 49Ô -494.
doctrinaux qu ’ on lui reproche d ’ avoir m éconnus. Il 10. L ’ autorité de saint Jean D am ascene est d ’ une
proteste ensuite contre les fausses assertions de Théo ­ extrêm e im portance dans la question qui nous ·-< — -
doret et déclare avec force que le Saint-E sprit est le E n effet, pour ce qui concerne la théolos- tnnitare,
propre du Fils aussi bien que du Père et que le Père et il est l ’ écho fidèle de la tradition r atristique du rv»
le Fils opèrent par le Saint-Esprit. Apologelicus contra siècle.E spritém inem m entsynthétique.iÎ r.ec erchepes
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à sc frayer des voies nouvelles dans le dom aine de la Fils pour origine, puisqu ’ il est le souffle de la bouche du
spéculation théologique, car ce dom aine a été savam ­ Père, m anifestant le Logos. De hymno trisagio, P. G.,
m ent exploré par les Pères. M ais ceux-ci ont dispersé t. xcv, col. 60. Ces derniers textes, d ’ après la théologie
les résultats de leurs spéculations dans un grand nom ­ orthodoxe, contiennent la condam nation pérem ptoire
bre d ’ écrits, et le m érite de saint Jean D am ascène est du dogm e latin. « D ans ses lignes générales et dans ses
précisém ent de les avoir recueillis, coordonnés dans traits particuliers, la doctrine de saint Jean D am as ­
les quatre livres De fide orthodoxa qui, durant des cène sur la procession du Saint-E sprit est conform e à
siècles, a été l ’ unique m anuel de théologie des écoles l ’ enseignem ent de l ’ Église orthodoxe, et exclut le
orthodoxes. Filioque. C ’ est une doctrine qui professe toujours la
La doctrine de saint Jean D am ascène sur la proces ­ procession du Saint-Esprit du Père seul. E n parlant
sion du Saint-E sprit com prend deux séries de textes. des rapports entre le Père et le Saint-Esprit, le saint
11 y a des textes qui déclarent explicitem ent que le docteur déclare que ces rapports exprim ent un état de
Saint-E sprit procède du Père par le Fils; il y en a I dépendance du Saint-E sprit vis-à-vis du Père, consi ­
d ’ autres qui sem blent insinuer que le Saint-E sprit pro ­ dèrent le Père com m e la cause de l ’ être du Saint-Es ­
cède du Père seul. prit. La procession du Saint-Esprit du Fils est ouver ­
Exam inons d ’ abord les textes de la prem ière série. tem ent niée par saint Jean D am ascène, qui n ’ adm et
Saint Jean D am ascène décrit les notes caractéristiques pas que le Saint-E sprit reçoive son être du Fils. La
des trois personnes divines. Le Père est le νοΰς , l ’ abîm e relation éternelle du Saint-Esprit au Fils est autre
du Logos, le générateur du Logos, et par le Logos le que la relation éternelle du Saint-E sprit au Père. La
producteur de l ’ E sprit. Le Fils est la seule puissance prem ière n ’ est pas une relation de dépendance quant à
du Père et la vertu prim ordiale de toute création. l ’ origine, m ais une relation d ’ unité éternelle dans l ’ être,
Q uant au Saint-Esprit, il est la puissance m anifesta- ou dans la substance éternelle. E n d ’ autres term es, le
trice du Père m anifestant le secret de la divinité, puis ­ Saint-E sprit procède du Père au m êm e m om ent où le
sance procédant du Père et du Fils. Le Père estl ’ odrtov, Fils est engendré. » B ogorodsky, La doctrine de saint
le principc;le Fils est le term eengendré,aÎ-ia?ôv γεννη- Jean Damascène sur la procession du Saint-Esprit,
τόν; le Saint-E sprit est le term e procédant, αίτιατόν Saint-Pétersbourg, 1879, p. 158.
έζπορεντό· ?. Le Père est la source et le principe L a m anière dont le saint docteur s ’ exprim e parut
du Fils et du Saint-Esprit, Père du Fils seul et prola- si étrange aux docteurs latins du m oyen âge qu ’ ils
teur du Saint-E sprit. Le Fils est le Logos, la sa ­ n ’ hésitèrent pas à la considérer com m e entachée
gesse, la puissance, l ’ im age, la splendeur, le caractère d ’ hérésie. Saint Thom as d ’ A quin reproche à saint
du Père, tenant son origine du Père. Le Saint-E sprit Jean D am ascène des tendances nestoriennes. Il l ’ ex ­
n ’ est pas Fils du Père. Il est l ’ E sprit du Père, com m e cuse cependant, parce qu ’ il ne nie pas form ellem ent la
procédant du Père, car il n ’ y a aucun m ouvem ent sans procession du Saint-E sprit du Fils. Sum. theol., I»,
l ’ E sprit. 11 est en m êm e tem ps l ’ E sprit du Fils, non q. xxxvr, a. 2. C ette m êm e raison est donnée par saint
pas qu ’ il tire du Fils son origine, m ais parce qu ’ il pro ­ B onaventure pour écarter du saint docteur le soup ­
cède du Père par le Fils. C ar, seul, le Père est le prin ­ çon d ’ hérésie. In IV Sent., 1. I, dist. II, q. i, a. 1. A lla-
cipe. De fide orlhodoxa, i, 12, P. G., t. xciv, col. 848, tius rem arque que l ’ ignorance de la term inologie
849. Le saint docteur déclare que le Père ne peut pas théologique des grecs a suggéré ces critiques sévères.
être άλογος , sans logos : il y a donc un V erbe, qui est Vita Georgii Cyprii, n, 6, P. G., t. c x l ii , col. 117, 118.
sa sagesse et sa puissance. O r, le V erbe, la parole, n ’ est E n effet, les polém istes latins, qui étaient versés dans
pas dépourvu de souffle (πνεύμα). Le V erbe a donc la connaissance des Pères grecs, pouvaient dire de
un esprit. Ibid., i, 6, col. 804, 848. Le V erbe n ’ a jam ais saint Jean D am ascène ce que disait de lui, au xn 6 siè ­
m anqué au Père, ni l ’ E sprit au V erbe. Ibid., i, 7, col. cle, H ugues E therianus : Non discordat hic sanctus a
805. Le Fils est l ’ im age du Père et l ’ E sprit du Fils, latina veritate : hoc ad consuetudinem Ecclesiæ græco-
par le m oyen duquel le C hrist habitant dans l'hom m e rum referendo, quæ non esse Spiritum ex Filio confitetur
donne à celui-ci d ’ être l'im age de D ieu. Ibid., 13, col. usque in hodiernum. De hæresibus græcorum, ni, 21,
656. Cf. de R égnon, op. cil., t. ni, p. 155-158. Le Saint- P. L., t. ccn, col. 394. E t au concile de Florence, le
E sprit tire son origine du Père, procédant par le cardinal B essarion n'hésitait pas à affirm er que les
V erbe, m ais non par filiation. De hymno trisagio, P. G., passages cités plus haut de saint Jean D am ascène
t. xcv, col. 60. apportaient de nouvelles preuves en faveur de la doc ­
M ais à côté de ces textes, il y en a d ’ autres qui sem ­ trine catholique.
blent exclure le Fils de la spiration du Saint-E sprit. Pour bien saisir la véritable pensée du saint docteur,
« N ous ne disons pas que le Père tire son origine de nous devons répondre à deux questions : a) Est-ce que
quelqu ’ un. M ais nous disons qu ’ il est Père du Fils. la formule a Patre per Filium s'oppose, pour ce qui con­
N ous ne disons pas que le Fils soit principe du Père; cerne le Fils, à. la formule a Pâtre Filioque? b) Est-ce
m ais nous disons qu ’ il tire son origine du Père et qu ’ il qu’il est conforme à la saine théologie catholique d’a­
est le Fils du Père. Q uant au Saint-E sprit, nous disons vancer que le Père seul est la cause, le principe du Saint-
qu ’ il tire son origine du Père et nous le nom m ons l ’ Es- Esprit?
prit du Père. Nous ne disons pas que l’Esprit tire son a) Q uant à la prem ière question, il est hors de doute
origine du Fils, m ais nous le nom m ons l ’ E sprit du Fils. que, chez les Pères grecs,la form ule Patre per Filium
...D e plus, nous confessons que c'est par le Fils qu ’ il est em ployée à côté de la form ule a Paire Filioque
a été m anifesté et qu'il nous est com m uniqué. » De (D idym e, saint É piphane, saint C yrille d ’ A lexandrie).
fide orthodoxa, i, 8, P. G., t. xciv, col. 832, 833. E t E t si quelques polém istes grecs ont affirm é arbitraire ­
ailleurs : « Le Saint-E sprit n ’ est pas Fils du Père. Il m ent que saint C yrille s ’ est laissé influencer, en l ’ em ­
est l ’ E sprit du Père en tant qu ’ il procède du Père, car ployant, par les écrits de saint A ugustin, cette échap ­
il n ’ y a aucun élan sans l ’ E sprit. Il est aussi l ’ E sprit du patoire serait ridicule à l ’ égard de D idym e et de saint
Fils, non pas com m e d ’ un principe originaire, m ais en Épipha,ne. A llatius, Vindiciæ synodi Ephesinæ, p. 608,
tant que par lui il procède du Père. E n effet, le seul 609. Les théologiens orthodoxes contestent l ’ identité
principe est le Père. » Ibid., i, 12, col. 849. N ous avons de signification des deux form ules et appuient leur
un seul D ieu, le Père, son V erbe et son E sprit. Le V erbe négation sur l ’ autorité de saint Jean D am ascène.
est subsistant, engendré : c ’ est pour cela qu ’ il est Fils. B ogorodsky, qui a le m ieux résum é, sur ce point, l ’ ar ­
Le Saint-E sprit est subsistant, procédant et projeté. gum entation de la théologie orthodoxe, déclare que la
Son origine est le Père; il est du Fils, m ais il n'a pas le I form ule a Patre per Filium exprim e la sim ultanéité de
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la génération du V erbe et de la procession du Saint- com préhensive chez les grecs, plus im précise chez les
E sprit par D ieu le Père. Op. cil., p. 43, 44. Lorsque latins. « Les latins, rem arque le cardinalBessarion.se
saint Jean D am ascêne affirm e que le Père produit le sont attachés de préférence à m arquer l'identité de
Saint-Esprit, δ< ’ Γιου, il nous m ontre qu ’ il produit le la puissance productrice du Saint-Esprit dans le Pire
Saint-Esprit au m êm e m om ent où il engendre le et le Fils, en d ’ autres term es, l ’ unité de la spiration
V erbe, et il le produit de telle m anière que le Saint- divine. Les grecs, à leur tour, ont eu à cœ ur de bien
E sprit dem eure dans le V erbe engendré. Ibid., p. 45, m ettre en relief l ’ ordre suivant lequel le Saint-E sprit
46. C ette interprétation, dit-il, est coniirm ée par des procède du Père et du Fils. La préposition -du indi ­
textes très explicites de saint Jean D am ascêne. En que que, par rapport à la procession du Saint-E sprit,
elïet, le saint docteur déclare que le Père engendre le le Fils est le coopérateur du Père, et non réciproque ­
Fils et produit le Saint-Esprit en'm êm e tem ps, άμα, m ent. Pour donner un exem ple, toutes les créatures
De fide orthodoxa, i, 8, col. 824; il déclare que le Père, proviennent du Fils, έκ τοϋ Y loû, m ais les Pères grecs
par la m êm e force, vertu, produit le Fils et le Saint- n ’ em ploient pas cette expression. Ils préfèrent la for ­
E sprit. Exposilio fidei, P. G., t. xcv, col. 421, 422. m ule διά τοΰ Γ!οΰ. Ils visent l ’ ordre avant tout, et cet
Ces textes, nous n ’ avons pas besoin de le dire, ne ordre est bien établi par la préposition διά. >De proces­
nous donnent pas la vraie signification de la form ule a sione Spirilus Sancti, P. G., t. ci.xi, col. 400.
Patre per Filium. Si l ’ interprétation orthodoxe était Loin donc d ’ exclure la form ule latine, la form ule
vraie, il aurait suffi de dire que le Saint-E sprit pro ­ grecque δια τοϋ Γιου la com plète, ainsi que le
cède du Père, de m êm e que le Fils est engendré par le rem arque Scheeben, « parce qu ’ elle présente le Père et
Père. M ais en disant que le Saint-Esprit procède du le Fils com m e deux principes agissant l ’ un dans l ’ au ­
Père par le Fils, les Pères grecs m arquent bien que le tre et non à côté l ’ un de l ’ autre ou séparés. E lle fait
Fils n ’ est pas étranger à la procession du Saint-Esprit. ressortir la position spéciale qu ’ occupent le Père et
Les latins sont d ’ accord avec les grecs lorsque ceux-ci le Fils à l ’ égard du Saint-Esprit. Le Fils ne paraît que
déclarent que la préposition διά, per, n ’ exprim e pas une com m e principium de principio, tandis que le Père
priorité de tem ps dans l'ordre des processions divines; figure com m e principe sans principe et produit le
m ais ils n ’ adm ettent pas avec eux que cette préposi ­ Saint-E sprit com m e principium principii. Ce que la
tion exclut m êm e une priorité logique. Supprim er cette form ule ex Patre el Filio ne contient que m atérielle ­
priorité, ce serait supprim er l ’ ordre des processions m ent et ce que les latins ont dû com pléter par ces
divines, 1 ’ ακολουΟία κατά τάξιν de saint B asile, et iden ­ m ots : tanquam ab uno principio, et licet pariter ab
tifier le Père avec le Fils. Si on refusait d ’ adm ettre cette utroque, a Paire principaliter,elle le dit d ’elle-m êm e. ·
priorité logique, on ne com prendrait plus cette m i­ La dogmatique, n. 876, L n, p. 594. Cf. B ilz, op. cit.,
toyenneté du Fils entre le Père et le Saipt-Esprit, p. 164-166, 168-171.
par laquelle le Saint-Esprit procède bien du Père, b) Ces explications données, nous pouvons répondre
m ais par l ’ entrem ise du Fils. à la deuxièm e question et com prendre pourquoi les
Les théologiens orthodoxes donnent à la préposition Pères grecs, et saint Jean D am ascêne en particulier,
διά le sens de simul. C ’ est là une interprétation arbi ­ réservent exclusivem ent au Père les épithètes d ’ eiria.
traire. L a préposition διά indique la cause, l ’ instru ­ άρχή, πηγή. « N ous avons, dit saint Jean D am ascêne,
m ent par lequel on opère. Έ κ et διά, d ’ après les un seul principe, une seule cause physique du Fils et
Pères grecs, ont la m êm e signification. Par Dieu et du Saint-Esprit. » Dialogus contra manicheeos, 4, P. G.,
de Dieu ne diffèrent pas, quant au sens, dit saint t. xciv, col. 1512. Le Fils et le Saint-E sprit se rappor ­
B asile. De Spirilu Sancto, v, P. G., L xxxn, col. 77-86. tent au Père com m e à leur cause. De hymno trisagio, 7,
A llatius cite de nom breux textes des Pères qui affir ­ P. G., t. xcv, col. 40. D ’ après les théologiens ortho ­
m ent cette identité de signification entre les deux pré ­ doxes, ces textes prouveraient que le Fils et le Saint-
positions. Vindiciæ synodi Ephesinæ, p. 381-391. V oir E sprit dépendent du Père quant à leur origine et que
H ugues E therianus, De hæresibus græcorum, ni, 20, l ’ opération im m anente qui com m unique l ’ être au
P. L., t. ecu, col. 389-393; Joseph de M éthone, Refu­ Saint-E sprit s ’ attribue au Père seul. B ogorodsky, op.
tatio Marci Ephesini, P. G., t. eux, col. 1072-1073; cil., p. 123, 124. C ette conclusion est absolum ent
ld., De Spirilu Sanclo, ibid., col. 1123-1134. « Si la for ­ fausse et elle trouve sa m eilleure réfutation dans l ’em ­
m ule per Filium, argum ente A llatius, ne signifiait pas ploi, fait par saint Jean D am ascêne, de la form ule
ex Filio, il y aurait un intervalle de tem ps entre les grecque a Paire per Filium. Les théologiens ortho ­
processions divines. A m oins d ’ être hérétique, per ­ doxes ne veulent pas entendre parler d ’ une cause pri­
sonne ne nie que le Fils et le Saint-E sprit proviennent mordiale. M ais cette expression n ’ est pas latine par son
en m êm e tem ps du Père. Les saints Pères ont fait origine. N ous la trouvons em ployée par saint B asile :
usage de la form ule per Filium non pas pour établir προκαταρκτική αίτια, de m êm e que nous trouvons
entre le Fils et le Saint-Esprit un intervalle de tem ps, chez les Pères grecs du rv' siècle que le Père est un
m ais pour exprim er la m itoyenneté essentielle du Fils principe sans principe. Saint Jean D am ascêne donne
dans la subsistance du Saint-Esprit par le Père. O n aux m ots grecs πηγή, άρχή, αίτιον, le m êm e sens qu ’ ils
n ’ offense donc pas la piété si on affirm e que le Saint- ont dans la théologie grecque du rv« siècle. Les grecs,
E sprit procède du Père en m êm e tem ps que le Fils, déclare-t-il, ne disent pas que le Saint-E sprit soit du
parce que le Fils est en m êm e tem ps que le Père, bien Fils, c ’ est-à-dire n ’ em ploient pas cette m anière de
qu ’ il dérive du Père. Le Fils subsiste simul avec le s ’ exprim er. M ais, ajoute-t-il, le Saint-E sprit est l'E s-
Père et procède du Père, de m êm e l ’ E sprit subsiste prit du Fils, c ’ est-à-dire il dépend du Fils quant à son
simul avec le Fils et il est du Père par le Fils, sans inter ­ origine. En d ’ autres term es, il ne renonce pas à la ter ­
valle de tem ps. Le Fils est simul avec le Père et ce ­ m inologie traditionnelle grecque, m ais il ne nie pas la
pendant il présuppose le Père par la relation d ’ origine, dépendance d ’ origine du Saint-E sprit par rapport an
parce qu ’ il provient du Père. D e m êm e le Saint-E sprit Fils. B ilz, op. cil., p. 158, 159.
est simul avec le Fils en sortant du Père, et cependant Com m e cause prim ordiale des processions divines,
il présuppose le Fils par la relation d ’ origine, parce Père est réellem ent le seul principe, la seule cause du
que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils.· Vin­ Fils et du Saint-Esprit, de m êm e qu ’ il est appelé la
diciæ synodi ephesinæ, p. 391, 392. seule αιτία de la création, bien que le Fils et le Saint-
Π n ’ y a donc pas de différence, quant au sens, entre E sprit y coopèrent, com m e une seule cause avec lut
les deux form ules grecque et latine. Elles exprim ent D e ce que nous avons dit, il résulte que le langage
le m êm e concept, m ais d ’ une m anière diverse, plus théologique de saint Jean D am ascêne est exact et
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n ’ im plique pas la négation du Filioque. N ous pouvons ciles et enfin parce qu ’ ils sont apocryphes et inter ­
bien dire, avec N icéphore B lem m ydes, que le Père est polés. G régoire M am m as, Apologia contra Ephesii con­
la seule cause, μό·<ος αίτιος , de la procession du fessionem, P. G., t. CLXjCol.69. B essarion n ’hésitait pas
Saint-E sprit et que le Fils n ’ est pas la cause princi- à qualifier d'absurde et ridicule cette échappatoire des
pielle, αίτιον αρχικόν. De processione Spiritus Sancti, théologiens de B yzance,serrés de près par les théolo ­
orat, i, 23, P. G., t. c x l ii , coi. 557. Cf. Joseph de giens latins. M ansi, Concil., t. xxxi, col. 960. Pho­
M éthone, Refutatio Marci Ephesini, P. G., t. ci.ix, tius, rem arque justem ent A llatius, lalinorum vehemens
coi. 1085. Paler una est causa, dit A llatius, tum Filio, accusator nusquam id tacuisset, si expositione vel unius
tum Spiritui Sancto : ea ratione quod in Patre, velut in codicis confirmare potuisset, romanos dicta de proces­
fonte, qui non est ex alio, virtus reperitur spirativa. sione Spiritus Sancti in Augustini vel aliorum Patrum
Hæc utique una et eadem Filio eliam inest : sed a Patre codicibus inseruisse. El tamen per illa tempora pleraque
communicata. Hinc Spiritus Sanctus suam habet exi- Augustini et aliorum in Oriente prostabant tum græce,
stentiam ex Paire, lanquam ex fonte : quo eam modo non tum latine. Hottingerus fraudis et imposluræ manifeste
habet ex Filio. At quoniam in Filio spirativa virtus convictus, R om e, 1661, p. 308,309. Cf. De Ecclesiœocci­
inest a Patre communicata : ideo per Filium et ex Filio dentalis atque orientalis perpetua consensione, C ologne,
Spiritus Sanctus emanare dicitur, non dicitur esse. Vita 1648, col. 886-902.
Georgii Cyprii, diss. II, 5, P. G., t. c x l ii , coi. 116; D e nos jours, les théologiens orthodoxes recon ­
Id., Εγχειρίδιο· /, p. 180-184. naissent que « saint A ugustin, saint Fulgcnce et quel ­
L a raison de cause prim ordiale n ’ exclut donc pas, ques autres écrivains latins au v ” et au vi° siècle ont
d ’ après les principes théologiques des Pères grecs, qu ’ il pu croire en réalité que le Saint-E sprit procédait du
y ait un coopérateur de cette cause, principe unique Père et du Fils, m ais ils n ’ exprim aient qu'une opi ­
avec elle du Saint-E sprit. M ais, tout en reconnaissant nion particulière, non pas la doctrine officielle de
la participation du Fils à la spiration du Saint-Esprit l ’ Église. » M acaire, op. cil., t. i, p. 341.B ieiiaev cite
de la part du Père, l ’ ancienne théologie grecque ne saint Paulin, évêque de N oie, et saint Léon le G rand
dit pas que le Fils est 1 ’ αΐτία du Saint-E sprit pour parm i les défenseurs de la procession du Saint-Esprit
éviter qu ’ on pût croire que le Fils soit un principe ab utroque. De l’union des Églises (en russe), Saint-
substantiellem ent distinct du Père, qui est le prin ­ Pétersbourg, 1897, p. 74. M gr Sylvestre avoue que
cipe prim ordial des processions divines. Scheeben, cette procession a été exposée de la m anière la plus
op. cil., n. 880, p. 597. N ous pouvons donc conclure explicite par saint A ugustin. Le Filioque serait, à son
avec le cardinal B essarion : » Si les latins, les Pères avis, une théorie augustinienne. Op. cil., t. n, p. 546,
occidentaux et un bon nom bre d ’ orientaux disent que 547, 549. K atansky partage l ’ opinion de ce savant
leSaint-E sprit βχΙέκΠατρός και Γίού, ils ne prétendent théologien russe. La procession du Saint-Esprit, dans
pas que le Fils soit cause prim ordiale, m ais ils Khristianskoe Tchtenie, 1893, t. i, p. 401-425. Il suffi­
affirm ent l ’ identité de vertu. Q uant au D am ascène, rait de ces aveux pour nous dispenser de citer ici, à
visant surtout l ’ ordre, il écarte la cause prim ordiale, l ’ appui du dogm e latin, les textes des docteurs et écri ­
en tant qu ’ elle est signifiée par εκ, et il em ploie διά vains de l ’ O ccident. M ais il est utile de les recueillir,
lorsqu ’ il dit que le Saint-Esprit procède δια τον YioO parce que la théologie orthodoxe recule au rv° siècle
έκ Π ατρος . M ais par cette form ule qui signale l ’ ordre les origines du conflit doctrinal entre grecs et latins et
entre le Père et le Fils, il ne prétend pas nier l ’ éga ­ s ’ efforce d ’ établir une opposition form elle entre les
lité ou l ’ identité de la vertu de tous les deux. » De anciens docteurs de l ’ Église latine et ceux del ’ Église
processione Spiritus Sancti, P. G., t. c l x i , col. 400. grecque. Il est vrai, sans doute, que les Pères latins
Cf. V ckkos, De processione Spiritus Sancti, 17, P. G., professent plus explicitem ent que les Pères grecs la
t. c x l i , col. 268, 269;Id., In Camateri animadversiones, procession du Saint-E sprit ab utroque, m ais la form ule
134-142, ibid., col. 581-597; Id., In tomum Cyprii cl ex Patre Filioque qu ’ ils em ploient est grecque d ’ origine,
novas ejusdem hæreses, orat, i, 7-10, ibid., col. 873- et on saitque, pour ce qui concerne le Saint-E sprit,les
880; Id.,D e depositione sua, orat, n, 20, ibid., col. 996- Pères grecs ont été les m aîtres des Pères latins.
997; C onstantin M éliténiot, De processione Sancti P. de R égnon, op. cit., t. m , p. 99.
Spiritus, orat, n, 36, ibid., col. 12-14-1248; M anuel 1. Les tém oignages de saint H ilaire touchant le
C alécas, Adversus græcos, 1. Ill, P. G., t. c l i i , col. 159- Filioque ne sont pas très nom breux, m ais ils ont le
163; G eorges de Trébizonde, De processione Spiritus m érite d ’ être très explicites. Le saint docteur affirm e
Sancti, 13, P. G., t. c l x i , col. 792, 793; A llatius, De que le Père et le Fils sont les auteurs du Saint-Esprit :
perpetua consensione, n, 2, 7-12, col. 492-517; V incenzi, Spiritus Sanctus, Patre et Filio auctoribus, confitendus
op.cil., p. 64-71; de R égnon, op. cit., t. m , p. 193-202; est. De Trinitate, n, 29, P. L., t. x, coi. 69. Pour le
B ilz, op. cit., p. 164-175. prouver, il cite les textes scripturaires qui nous pré ­
3° Les Pères latins. — « Lequel de nos saints et glo ­ sentent le Saint-E sprit com m e l ’ E sprit de D ieu et
rieux Pères, dit Photius dans la Myslagogie, a jam ais l ’ E sprit du Fils ou du C hrist. R om ., vni, 9, 11; G ai.,
enseigné que le Saint-Esprit procède du Fils? » n. 5, iv, 6; E ph.,iv, 30; I C or.,n, 12. Le Saint-E sprit est
P. G., t. en, col. 284. Il faisait allusion sans doute aux l ’ E sprit de celui per quem omnia et de celui ex quo om ­
Pères grecs, lorsqu'il lançait cette audacieuse asser ­ nia. De Trinitate, xn, 55, col. 469. L ’ E sprit-Saint pro ­
tion. N ous avons vu qu ’ elle est dém entie par les tém oi ­ vient du Père et est envoyé par le Fils; il provient du
gnages nom breux de la théologie trinitaire grecque du Père par le Fils unique. Ibid., 57, col. 472. H ilaire
iv° et du v° siècle. M ais Photius n ’ a pas été si affirm a ­ explique pourquoi la m ission suppose l ’ origine éter ­
tif au sujet des Pères latins. Π a reconnu que les plus nel e de la personne envoyée de la part de la personne
illustres docteurs de l ’ Église latine, tels que Jérôm e, qui envoie. Advocatus veniet, et hunc mittet Filius a
A ugustin, A m broise, n ’ ont pas anathém atisé le Paire, et Spiritus verilalis est qui a Patre procedit. Qui
Filioque. M ais « qui nous assure, dit-il, qu ’ après une mittit potestatem suam in eo quod mittit ostendit. Ibid.,
si longue série de siècles, leurs écrits n ’ aient pas été vin, 19, col. 250. Ce pouvoir ne peut pas s ’ entendre
interpolés et altérés? » Myslagogia, 71, 78, 81, col. 352, en ce sens que le Saint-E sprit dépende du Fils com m e
360, 365. M arc d ’ Éphèse répétait les m êm es accusa ­ une nature inférieure dépend d ’ une nature supérieure.
tions et déclarait qu ’ il ne fallait pas en appeler à l ’ auto ­ Le Saint-E sprit dépend donc du Fils uniquem ent par
rité des Pères latins pour résoudre la controverse du son origine du Fils.
Filioque, parce que les écrits de ces Pères n ’ ont pas été D ’ après saint H ilaire, D ieu n ’ a pas laissé les hom ­
traduits en grec, n ’ ont pas été approuvés par les con ­ m es dans l ’ incertitude touchant la question si le
801 E S P R IT -S A IN T

Saint-E sprit procède du Père ou du Fils. L ’ É criture trinitaire de saint A ugustin, à un ensem ble .’ <- ■ .
enseigne que l ’ E sprit-Saint reçoit du Fils : « E t je m e lations qui tendent, autant qu'il est donne a s force-
dem ande, dit le saint docteur, si ce n ’ est pas la m êm e intellectuelles, à éclairer le m ystère de la saint, T ri­
chose,recevoir du Fils et procéder du Père. C ar, si on nité. De Trinilale, n, 5, 8, P. L., t. xiai, col. s-j
croit qu ’ il y a une différence entre recevoir du Fils et I M ais on se trom perait fort si de ces spéculations, qui
procéder du Père, on sera au m oins forcé de croire que par nécessité logique aboutissent au Fi.'ioçue. or ·. : u-
m êm e recevoir du Père et recevoir du Fils sont une lait déduire que le dogm e latin est une opinion théolo-
seule et m êm e chose. Ce que le Saint-E sprit recevra, gique de saint A ugustin. Le saint docteur eu
que ce soit la puissance, ou la vertu, ou la doctrine, le bien, dans la contem plation de la T rinité, le ~
Fils déclare que le Saint-E sprit le recevra de lui, et il des recherches personnelles, où il est obligé p·:r . r r.—
déclare en m êm e tem ps qu ’ il recevra aussi du Père. densa et opaca viam carpere, ibid., π, 3, 6, col. 823. et le
En effet, lorsqu ’ il affirm e qu'il possède tout ce qui est dom aine de la foi im m uable, du dogm e révélé. La pro ­
au Père, il affirm e qu ’ il recevra de ce qui est à lui, et il cession du Saint-E sprit <ab utroque n ’ est pas pour lui
affirm e aussi que tout ce qu ’ on recevra du Père, on le une question de libre discussion : elle appartient au
recevra aussi de lui, parce que tout ce qui est au IXre trésor de la foi, et de m êm e qu ’ on doit croire que le
lui appartient. Ce qui est donné par le Père est donc Fils est engendré par le Père, on doit croire aussi que
attribué au Fils, com m e étant donné par le Fils, et ce le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils.
que l ’ E sprit de vérité recevra du Père, le Fils déclare » La doctrine de la foi catholique touchant la T ri­
qu ’ il le recevra de lui-m êm e. » De Trinilale, vin, 20, nité est que le Saint-E sprit est à la fois l ’ E sprit du Père
col. 250, 252. Le dogm e de la procession du Saint- et du Fils. » Ibid., n, 4, 7, col. 824; Epist., ccxxxvin,
E sprit ab utroque est contenu d ’ une m anière expli­ n, 14, P. L., t. xxxiii, col. 1043. C ’ est sur les données
cite dans l ’ argum ent suivant : Quidquid Spiritus San­ I révélées que la théologie fonde cette profession de foi
ctus accipiet, a Filio accipiet ille mittendus, quia Filii trinitaire : Pater principium non de principio; Filius
sunt universa quæ Patris sunt. Ibid., col. 252. Cf. ix, principium de principio, sed utrumque simul, non duo,
31, 73, col. 305, 340; B eck, Die Trinitàtslehre des hl. sed unum principium. Nec Spirilum Sanctum ab utro-
Hilarius von Poitiers, p. 243-246. j que procedentem negabo esse principium. Contra Maxi­
2. U n contem porain de saint H ilaire, V ictorin minum, xvn, 4, P. L., x l ii , col. 784, 785. 11 faut bien
l ’A fricain, dont la term inologie trinitaire laisse à se garder cependant de croire que la profession de la
désirer, voir de R égnon, op. cil., 1.1, p. 236-241, affirm e foi catholique sur les processions divines rende clairs
a plusieurs reprises la dépendance du Saint-Esprit du les m ystères de la vie intim e de D ieu. N ous avons une
Fils par rapport à l ’ origine. « Jésus dit : Si je ne m ’ en insurm ontable difficulté à com prendre les textes qui
vais pas, le Paraclet ne viendra pas sur vous. Il y a se rapportent à la procession divine du Saint-Esprit.
donc deux personnes, le Saint-E sprit qui provient du In Joa., tr. X C IX , 1, P. L., t. xxxv, col. 1886; nous
Fils et le Fils qui provient conralionaliler du Père. » ne som m es pas à m êm e de saisir la différence entre
Adversus Arium, i, 12, P. L., t. vin, col. 1046. « N ous naître et procéder en D ieu, et il serait tém éraire de
avons d ’ abord la vie, et de celui qui est la vie, jaillit chercher à rendre claire notre ignorance. Ibid., 4, col.
l ’ intelligence. O rle C hrist est la vie, et l ’ E sprit l'in ­ 1888. M axim in, évêque arien, lui posait cette objec ­
telligence. L ’ E sprit reçoit donc du C hrist, le C hrist du tion: «Le Fils est de la substance du Père;le Saint-Es ­
Père, et par conséquent aussi l ’ E sprit du Père.» Ibid., prit aussi. Pourquoi n ’ avons-nous donc pas un seul
14, col. 1048. Le Saint-E sprit parle par le Fils, a Filio Fils? » Q ue tu com prennes ou non, lui répond saint
loquitur, ibid., 55, col. 1082; c ’ est l ’ E sprit provenant A ugustin, voici m on explication. Le Fils provient du
du C hrist, a CIrrislo Spiritus, ibid., 15, col. 1049; il Père et le Saint-Esprit aussi : le Fils est engendré et le
reçoit tout ce qu ’ il a du Fils de D ieu, a Dei Filio Saint-E sprit procède. Par conséquent, le Fils est le
omnia habet. Ibid., 16, col. 1050. Ces passages ne lais ­ Fils du Père qui l ’ a engendré, le Saint-E sprit est
sent aucun doute sur la pensée de V ictorin. Le Saint- l ’ E sprit de l ’ un et de l ’ autre, quoniam de utroque pro­
E sprit ne procède pas im m édiatem ent du Père. La cedit. Le Père est l'auteur de la procession du Saint-
vie divine, l ’ être divin passent en lui par l ’ interm é ­ E sprit, parce qu ’ il a engendré un tel Fils, et en l ’ en ­
diaire du Fils. gendrant il lui a donné aussi le pouvoir de produire le
3. Saint A m broise explique aussi d ’ une m anière Saint-E sprit : gignendo ei dedit ut eliam de ipso proce­
favorable au Filioque le texte de meo accipiet. « Ce que dere! Spiritus Sanctus. Contra Maximinum, xrv, 1,
le Fils a reçu par l ’ unité de nature, par la m êm e unité P. L., t. x l i i , col. 770, 771 ; De fide et symbolo, rx, 19.
le Saint-Esprit le reçoit du Fils. » De Spiritu Sancio, P. L., t. XL, col. 191.
n, 12,134, P. L., t. xvi, col. 803. V oici encore un autre A u point de vue de la spéculation théologique, saint
texte plus explicite : Sicut Pater fons vilæ est, ita eliam A ugustin ne cesse de répéter que le Saint-E sprit est
Filium plcrique fontem vilæ memorarunt significatum; l ’ E sprit du Père et du Fils, de tous les deux : Spiritus
eo quod, apud te, inquit, Deus omnipotens, Filius tuus Sanctus non est unius eorum Spiritus, sed amborum.
fons vilæ sit, hoc est, fons vilæ Spiritus Sancti. Ibid., i, In Joa., tr. X CIX , 6, P. L., t. xxxv, col. 1888; Contra
15, 152, col. 769. E t dans le m êm e livre : Spiritus quo­ Maximinum, xiv, 1, P. L., t. x l i i , col. 770; De Trini­
que Sanctus, cum procedit a Patre et Filio, nonseparatur tate, xv, 26, 45, ibid., col. 1092. Il est l ’ esprit des deux,
a Patre, non separatur a Filio. Ibid., i, 11, 120, col. parce qu ’ il est l ’ am our, la dilection m utuelle du Père et
762, 763. Il est vrai que ce dernier texte se rapporte à du Fils, societas dilectionis, De Trinitate, rv, 9, 12, col.
la m ission tem porelle du Saint-Esprit,m ais celle-ci ne 896; unitas, sanctitas, caritas amborum, ibid., vi, 5, 7,
saurait se concevoir sans la procession éternelle. R e ­ col. 928; communis charitas Patris el Filii, ibid., xv,
m arquons que saint A m broise em ploie la m êm e expres ­ 17, 27, col. 1080; communio quælam consubstantialis
sion que saint A thanase : Le Fils est la source de la vie du Patris et Filii, ibid., 27, 50, col. 1097; communitas
Saint-Esprit. S ’il est la source de la vie du Saint- Patris et Filii, Serm., l x x i , 12, 18, P. L., t. xxxvn i,
E sprit, il est aussi la source (avec le Père) de son être. col. 454; a Patre bono et Filio bono effusa bonitas. >N i,
4. Les textes de saint A ugustin sur la procession du col. 454; societas Pairis et Filii. Ibid., . 33, eoi. 463.
Saint-Esprit ab utroque sont si nom breux que, pour 464. Saint A ugustin conçoit donc le Saint-E sprit
éviter des redites, il faut se borner à citer les plus im - com m e l ’ am our m utuel du Père et du Fils, il le cc>nsî-
I ortants. Ces textes n ’ exposent pasunsim ple axiom e et ère com m e le lien qui unit le Père et le Fils, ce q à
ne sont pas sim plem ent l ’ énonciation d ’ une vérité tirée l ’ am ène à proclam er la dépendance d ’ origine du Sain.-
de l ’ É criture sainte. Ils se rattachent à tout le systèm e I E sprit du Père et du Fils.
D IC T . D E T H EO L . C A T H O L . V . — 26
803 E S P R IT -SA IN T 804

C ette théorie du Saint-E sprit qui procède du Père et de principe qui l ’ ait engendré, ou de qui il procède.
du Fils, parce qu'il est l ’ am our consubstantiel du Père Par conséquent, du seul Père on dit qu ’ il n ’ est pas
et du Fils, est appuyée par saint A ugustin sur de nom ­ envoyé. » Contra sermonem arianorum, P. L., t. x m ,
breux passages du N ouveau T estam ent. Il faut croire col. 686. Si le Saint-E sprit est envoyé par le Fils, il se
à la procession du Saint-Esprit ab utroque, parce que rapporte au Père et au Fils, com m e l ’ E sprit de tous
l ’ É criture affirm e que le Saint-Esprit est l ’ E sprit du les deux, Epist., ccxxxvin, 15, P. L., t. xxxm , col.
Père et du Fils. « Le Fils est le Fils du seul Père; le 1044; De Trinitate, iv, 20, 29, P. L., t. x l h , col. 208,
Père est le Père du seul Fils; le Saint-Esprit n ’ est pas nous devons en conclure quod a Patre procedit et Filio.
l ’ E sprit d ’ un seul, m ais de tous les deux. N ous devons Ibid., col. 908; In Joa., tr. X C IX , 6, col. 1889.
donc croire que le Saint-Esprit procède du Père et du A l ’ exem ple des Pères grecs, tout en affirm ant la
Fils. > In Joa., tr. X C IX , 6, P. L., t. xxxv, col. 1888, procession du Saint-Esprit du Fils, saint A ugustin pro ­
1889. Cf. D e civitate Dei, xi, 24, P. L., t. xi.i, col. 337; clam e que le Père est la cause prim ordiale de cette
Serm., ccxiv, 10, P. L., t. xxxvin, col. 1071. procession, que le Saint-E sprit procède principaliler
Il est l ’ E sprit du Fils, parce qu ’ il ne parle pas de du Père. « J ’ ai ajouté principalement, dit-il, parce que
lui-m êm e, m ais il annonce ce qu'il entend de la part du le Saint-E sprit procède aussi du Fils. M ais le Père
Fils : A ô illo audivit, audit et audiet a quo est : ab illo est lui a donné cela m êm e, non com m e à quelqu ’ un exis
a quo procedit. In Joa., tr. X C IX , 5, col. 1888. Inde tant déjà et ne possédant pas encore ce pouvoir, m ais
audit, unde procedit. Contra sermonem arianorum, com m e tout ce qu ’ il a donné au V erbe Fils unique,
xxni, 20, P. L., t. x l h , col. 700. c ’ est-à-dire par l ’ acte m êm e de la génération. Il l ’ a
Le Saint-Esprit est l ’ E sprit du Fils, parce qu ’ il pos ­ donc tellem ent engendré, que du Fils aussi procède le
sède tout ce qui est au Père et par conséquent reçoit la don com m un et que le Saint-Esprit est à la fois l ’ E s ­
vie du Père. « Le Saint-E sprit ne procède pas du Père prit de tous les deux. » De Trinitate, xv, 17, 29, col.
dans le Fils, et du Fils dans le m onde pour le sanctifier. 1081. Spiritus Sanctus principaliter de illo procedit de
Il procède en m êm e tem ps de l ’ un et de l ’ autre : simul quo naius est Filius et cum quo Uli conununis est idem
de utroque procedit, bien que le Père ait accordé au Spiritus. Serm., l x x i , 16, 26, P. L., t. xxxvn», col.
Fils que le Sunt-Esprit procède de lui, com m e il pro ­ 459.
cède de soi-m êm e. C ar nous ne pouvons pas affirm er Enfin, saint A ugustin prévoit et réfute à plusieurs
que le Saint-E sprit ne soit pas la vie, puisque le Père reprises l ’ objection qui, depuis Photius,est ressassée
est la vie et que le Fils est la vie. M ais puisque le Père par tous les théologiens orthodoxes : Si le Sainl-Espril
possède la vie en soi-m êm e, il a aussi accordé au Fils procède du Fils aussi bien que du Père, nous aurions
d ’ avoir la vie en lui-m êm e, et il est la cause qui fait que deux principes distincts dans la Sainte Trinité. « Le
la vie du Saint-E sprit procède du Fils, com m e elle pro ­ Père et le Fils, répond saint A ugustin, ne sont pas
cède de lui-m êm e. » In Joa., tr. X CIX , 9, col. 1890. Ce deux principes du Saint-Esprit, m ais un seul principe.
texte a été inséré dans le X V e livre De Trinitate, 27, D e m êm e que le Père et le Fils sont un seul D ieu et
48, P. L., t. x m , col. 1095. Si le Père n ’ avait pas donné par rapport aux créatures un seul créateur et un seul
au Fils une partie de ce qu'il possède, Jésus-C hrist Seigneur, ainsi,par rapport au Saint-Esprit,ils ne sont
nous aurait trom pés en disant que tout ce qu ’ a lePère qu ’ un seul principe et, par rapport à la création,le
est à lui. Le Père a donc donné au Fils d ’ être le prin ­ Père, le Fils et le Saint-E sprit ne sont qu ’ un seul créa ­
cipe de la vie du Saint-Esprit. Contra Maximinum, teur et un seul Seigneur. » De Trinitate, v, 13, 14, col.
xrv, 7, 9, col. 774, 776. Si quidquid habet, de Paire 920; Enarralio in ps. ιί χ , 13, P. L., t. xxxvn, col.
habet Filius, de Patre habet utique, ut et de illo procedat 1457.
Spiritus Sanctus. De Trinitate, xv, 26, 47, P. L., C ette riche m oisson de textes, auxquels on pourrait
t. x l i i , coi. 1094; Contra sermonem arianorum, xxxrv, en ajouter beaucoup d ’ autres,nous dispense de prendre
32, ibid., col. 706; Collatio cum Maximino, 11,13, ibid., au sérieux les objections de Zoernikav, qui range saint
col. 714, 716, 717. A ugustin au nom bre des adversaires du dogm e latin.
Le Saint-E sprit procède du Fils, parce que le Fils le Op. cit., p. 357-375.
donne aux apôtres : Accipite Spiritum Sanctum. « Pour ­ 5. U n fidèle disciple de saint A ugustin, saint Ful-
quoi ne devrions-nous pas croire que le Saint-Esprit gence de R uspe, n ’ est pas m oins explicite que son m aî­
procède du Fils, puisqu'il est l ’ E sprit du Fils? S'il ne tre, touchant la procession du Saint-E sprit du Fils.
procédait pas du Fils, après sa résurrection, il n ’ aurait C ette procession est pour lui une vérité de la foi catho ­
pas apparu aux apôtres et ne leur aurait pas dit, lique, une vérité que nous devons professer avec la plus
soufflant sur eux : Recevez l’Esprit-Saint. Joa., xx, 22. grande ferm eté : Firmissime lene et nullatenus dubites
C ette action de souiller nous indique que le Saint-Es ­ eumdem Spiritum Sanctum, qui Patris et Filii unus
prit procède du Fils. » In Joa., tr. X CIX , 7, P. L., Spiritus est, de Patre et Filio procedere. De fide ad
t. xxxv, col. 1889. Par ce souffle, il m ontrait ouverte ­ Petrum, 9, 52, P. L., t. l x v , coi. 696. E lle s ’ appuie sur
m ent ce qu ’ il donnai, par sa spiration.dans esecretde les tém oignages de l ’ É criture : Is., xi, 4; Joa., xiv, 6;
la vie divine : aperte ostendebat flando, quod spirando xv, 26; II Thés., n, 8; A poc., i, 16. E lle appartient au
dabat occulte. Contra Maximinum, xiv, 1, P L., trésor de la foi, et ce qui est contraire à ce trésor doit
t. x l i i , coi. 770. Lorsque le Fils dit que l ’ E sprit pro ­ être évité com m e la peste : tanquam pestem juge. Ibid.,
cède du Père, il déclare aussi qu'il procède de utroque. 44, 85, col. 705. L ’ E sprit-Saint procède du Père et du
C ar il dit aussi : Recevez le Saint-Esprit. De Trinitate, Fils, et ce serait une folie, dementis est dicere, que de
xv, 26, 45, ibid., col. 1093. nier cette vérité. De Trinitate, n, ibid., col. 499. Le
Il procède du Fils, parce qu ’ il est donné, envoyé par Saint-E sprit ne procède pas du Père seul, ni du Fils
le Fils aussi bien que par le Père : missus ab utroque. seul; il procède de utroque, Contra Fabianum, xxvu,
Serm., ccxn, 1, P. L., t. xxxvni, col. 1059. E n tant ibid., col. 783; il procède naturellement du Fils. Ibid.,
qu ’ il est accordé aux apôtres com m e un don de D ieu, xxix, col. 797. Totus de Patre.procedit et Filio. Epist.
il présuppose son origine du Père et du Fils, De Trini­ ad Ferrandum, 28, ibid., col. 418. Il procède du Père
tate, v, 15, 16, col. 921, sempiterne Spiritus donum, qui engendre et du Fils engendré; il n ’ est pas né du
temporaliter aulem donatum. Ibid., col. 922; xv, 13, Père, et il n ’ a pas engendré le Fils, sed a Paire Filioquc
36, col. 1086. processit. De incarnatione Filii, 3, 4, ibid., col. 575. E t
L a m ission tem porelle ne peut se concevoir sans la le Fils est l ’ auteur du Saint-E sprit avec le Père, parce
procession éternelle. « D u Père seul on lit qu ’ il n ’ est qu ’ il est en tout sem blable au Père, Contra Fabianum,
pas envoyé, parce aue le Père seul n ’ a nas de cause, xvni, col. 770, 771 ; parce que le Saint-Esprit reçoit de
805 E S P R IT -S A IN T Sû6

lui et entend de lui : hoc est Spiritui Sancio audire, v, P. L., t. l x i v , coi. 1254. Le Saint-E sprit est 1 E sprit
quod est de natura Patris Filiique procedere. Ibid., xxv, du Père et du Fils : le Père et le Fils ont à l'égard du
coi. 780, 781; xxvn, 781-784. S ’ il est envoyé par le Saint-E sprit la m êm e relation. Ibid., vi, coL 1255
Père et le Fils, nous pouvons dire qu ’ il procède du 15. A gnel de R avenne affirm e que le Fils provient
Père ct du Fils : Spiritus Sanctus a Patre et Filio legitur du Père et que le Saint-E sprit ex Pâtre et F: .· -.··■·.··-·.· .
missus, quia a Patre Filioque procedit. Ibid., xxix, coi. qu ’ il est la vertu procédant du Père et du Fils. De
797. Le Saint-E sprit se rapporte donc au Père et au ratione fidei ad Armenium, P. L., L l x v u i . c o L 3S3.
Fils. Epist. ad Ferrandum, 9, col. 400. Le Père est 16. Saint G régoire le G rand fournit un bon nor -te
l ’ auteur (cause prim ordiale) du Fils et du Saint-Es ­ de textes, où il est question de la procession su >
prit, m ais le Saint-Esprit procède toujours du Père et E sprit du Fils. Le Saint-Esprit est l ’ E sprit
du Fils : de Paire Filioque procedil. Contra Fabianum, Moral., xxx, 4, P. L., t. l x x v i , col. 534; Jésus-Christ
xxxv, coi. 824. Il est aisé de voir par ces passages que répand dans le cœ ur de ses disciples le Saint-Est rit,
saint Fulgence.à la fin du v e siécle,parlait exactem ent qui a se procedit. Ibid., i, 22, P. L., t. ixxv, coL 541.
le langage théologique de l ’ Église rom aine de nos Le Saint-Esprit profertur per substantiam ex Christo.
jours. N ’ est-il donc pas étrange de rejeter le Filioque Ibid., n, 56, 92, col. 599. Il procède du Père et reçoit
com m e une nouveauté de la scolastique latine? du Fils. Ibid.., v, 36, 65, col. 715. Le saint pape définir
6. Saint Euchcr de Lyon enseigne,au v c siècle,que le en ces term es la m issioi. du Saint-E sprit : Missio Spi­
Saint-Esprit procède du Père et du Fils, velut quædam ritus Sancti processio est qua de Patre procedit et Filio.
Patris Filiique concordia. Instructiones ad Solonium, Homil. in Evang., n, 26, 2, P. L., t. l x x v i , coi. 1198.
i, P. L., t. L, coi. 774. Le 1. II des D ialogues du saint docteur renferm e un
7. D ’ après saint Léon le G rand, le Saint-Esprit est texte très explicite : Paracletus Spirilus a Paire semper
com m un au Père et au Fils. Serm., l x x v , 3, P. L., procedit et Filio. Dial., n, 38, P. L . , t. l x x v i , col. 204. O n
t. Liv, col. 402. Il est l ’ E sprit du Père et du Fils. Serm., sait que cet ouvrage a été traduit en grec par saint
l x x v i , 2, col. 404. D ans les m anuels de théologie ca ­ Zacharie, pape. D ans la version grecque, les m ots pro­
tholique, on cite un autre passage très explicite, tiré cedit et Filio ont été rem placés par les m ots : iv τ ι ’ ΐώ
de la lettre xv" de saint Léon ad Turribium Asturicen- διαμένει. Ibid., col. 203. Jean D iacre accuse les grecs
sem : Spiritus qui de ulroque processit, 1, ibid., col. 681. d ’ avoir supprim é ce tém oignage : Astuta græccmm
M ais il est à peu près sûr aujourd ’ hui que cette pièce perversitas, in commemoratione Spiritus Sancti Patre
est apocryphe et qu ’ elle a été fabriquée en Espagne en procedentis, nomen Filii suaptim radens abstulit. V ita
563. K ünstle, Anlipriscilliana, p. 117-126. S. Gregorii Magni, iv, 75, P. L., L l x x v , c o L 225;
8. D ans le 1. I, De ecclesiasticis dogmatibus, G ennade t. Lxxvii, coi. 145, 146.
de M arseille déclare que le Saint-E sprit n ’ est pas le 17. L a divinité, déclare C assiodore, appartient au
Fils, parce qu ’ il n ’ est pas engendré; qu ’ il n ’ est pas le Père, qui, dès le com m encem ent, avant les siècles, a
Père, parce qu ’ il n ’ est pas inengendré; qu ’ il n ’ est pas engendré le Fils; elle appartient au Fils, qui a été en ­
une créature, parce qu ’ il n ’ a pas été tiré du néant. Il gendré par le Père, naturaliter·, elle appartient ..u
procède de D ieu le Père et de D ieu le Fils : ex Saint-Esprit, quod a Paire et Filio procedit. Expositio
Deo Paire, et Deo Filio Deus procedens. P. L., t. l v i ii , in ps. L, P. L., t. l x x , col. 366, 367.
col. 981. 18. D ’ aprèssaint Isidore de Séville,le Saint-Esprit est
9. Saint A vit, évêque de V ienne en D auphiné, a appelé D ieu, quia ex Patre Filioque procedit et substan­
écrit un ouvrage De dioinilale Spiritus Sancti, dont tiam eorum habet. Elym., vu, 3, 1, P. L., L l x x x i i ,
quelques fragm ents sont insérés dans la P. L. Ils se col. 268. Ce texte a été inséré par saint Ildefonse de
rapportent à la procession du Saint-Esprit. Nos dici­ Tolède dans son Liber de cognitione baptismi, 55, P. L.,
mus, déclare le saint évêque, Spiritum Sanctum a t. xevi, col. 134.
Filio et Patre procedere. L a foi catholique enseigne Conclusion. — Les textes que nous avons cités m on ­
cette procession. Le Saint-E sprit est l ’ E sprit du Père trent à l ’ évidence que, depuis T ertullien jusqu ’ à la fin
et du Fils : c ’ est pour cela qu ’ il est envoyé par le Père du vn° siècle, la théologie latine n ’ a point subi de
et le Fils. P. L., t. l i x , col. 385, 386. V oir t. i, col. variations dans sa croyance à la procession du Saint-
2642. E sprit du Fils. C ette procession n ’ a pas été pour elle
10. D ans un de ses poèm es à saint Félix de N oie, une opinion théologique, qui soulevait les discussions
saint Paulin, évêque de la m êm e ville, affirm e que des théologiens. Ses docteurs les plus illustres en par ­
Jésus-Christ répand ses dons célestes, le Saint-Esprit lent com m e d ’ une vérité de la foi catholique, la théo-
qui procède du Fils unique et du Père : Spiritum ab lo ‘ie trinitaire grecque du iv- siècle leur fournissait les
unigena sanctum, et Patre procedentem. Carmen, xxvn, argum ents pour arriver à cette conclusion. C ette iden ­
93, P. L., t. l x i , col. 650. tité de doctrine entre les Pères grecs et les Pères latins
11. Paschase diacre (vi« siècle) est l ’ auteur d ’ un nous perm et d ’ affirm er le caractère dogm atique de
traité sur le Saint-Esprit, où il écrit : Spiritus Sanctus la procession du Saint-E sprit ab utroque. Il faut se
et Patris cl Filii esse Spirilus declaratur, et merito pro­ rappeler, dit le cardinal B essarion, que les Pères ne
cedere ex utroque dignoscitur. Dc Spiritu Sancio, i, 0, professent pas es opinions discordantes. L ’ unifor ­
P. L., t. l x h , coi. 21; 8, coi. 17. Le Père par le Fils m ité de doctrine est nécessaire pour le bien de
répand l ’effusion du Saint-Esprit, qui est envoyé par l ’ Église, et nous ne serions plus chrétiens, nous ne
le Père et le Fils et procède de la substance de tous les pourrions plus sauvegarder les principes de la fi i ca ­
deux. Ibid., 11, 12, col. 22, 23. tholique, s ’ il y avait désaccord entre les Pères. Les
12. D ans le traité sur la T rinité de V igile de Tapse, Pères latins professentde la m anière a plus claire et la
on affirm e l ’ équivalence des deux passages scriptu ­ p'us explicite que le Saint-E sprit procède du Fils et
raires : De Patre procedil, et De meo accipiet. De Tri­ qu ’ il a, com m e principe unique, le Père et le F is Les
nitate, i, P. L., t. l x ii , col. 244. Pères orientaux aussi bien que les occidet t --
13. D ans une lettre de saint H orm isdas, pape, à tiennent la m êm e doctrine, car ils prof - ■.
l'em pereur Justin, le Saint-E sprit estdit procéder du Saint-E sprit procède du Père parle Fils.qu · -cede
Père ct du Fils sub una substantia deitatis. Epist., du Père et du Fils et de tous les deux. E u dts^r.t cela,
L xxix, ad Justinum, P. L., t. l x i i i , coi. 514. ils sont donc d ’ accord avec les Pères latins ct ils ex ­
14. D ans son livre sur la T rinité, B oèce écrit: lia prim ent la m êm e vérité, parce que les unset les autres
cogitemus processisse quidem ex Deo Patre Filium parlent sous l ’ inspiration d'un seul et m êm e Esprit-
Deum et ex ulrisque Spiritum Sanctum. De Trinitate, O ral. dogmatica, tx, P. G., L c l x i , coL 606, 607.
807 E S P R IT-S A IN T 808

Ce qui résulte du tém oignage de ces Pères est avant œ cum éniques ont été unanim es îi affirm er que le Saint-
tout l ’ ancienneté du dogm e latin. Les théologiens E sprit procède du Père seul. De processione Spiritus
orthodoxes paraissent l ’ oublier, lorsqu ’ ils appellent Sancti, P. G., t. c l v ii i , col. 957. N il D am ylas, M ichel
le Filioque une nouveauté hérétique : καινοτομία B alsam on, Joseph B ryennios sont du m êm e avis. A lla-
αιρετική. Palm ieri, Theologia dogmatica orthodoxa, tius, De perpetua consensione, col. 917-919. E t les théo ­
Florence, 1911, t. t, p. 340. E t toutefois cette nouveauté logiens gréco-russes de nos jours, à quelque exception
était com m une en O rient et en O ccident plusieurs siè ­ près, suivent leur exem ple. « Tous les conciles œ cum é ­
cles avant que Photius prît à cœ ur d ’ inform er le niques, déclare M acaire, ont unanim em ent reconnu
m onde grec que l ’ Église latine était déchue de la vraie que le Saint-E sprit procède seulem ent du Père. » Op.
foi catholique. E t il faut ajouter qu ’ elle n ’ avait pas cil., 11, p. 288. Cf. C hrysostom e (protosyncelle), Περί
soulevé de protestations de la théologie trinitaire grec ­ Εκκλησίας , A thènes, 1896, t. il, p. 372-376. La m êm e
que depuis le iv e jusqu ’ au vin ’ siècle. Pour la rejeter, assertion est invariablem ent répétée dans les lettres
les théologiens grecs qui vécurent avant Photius, de encycliques des patriarches de C onstantinople, toutes
m êm e que ses partisans, auraient dû renier les textes les fois qu ’ ils touchent aux nouveautés latines. « La doc ­
explicites des Pères, qui, d ’ après N ealy, sont fa orables trine que le Saint-E sprit procède du Père et du Fils,
aux L atins, A history of the holy eastern Church, Lon ­ dit A nthim e V I, est contraire à la confession univer ­
dres, 1850, t. ii, p. 1131, et en m êm e tem ps condam ner selle de l ’ Église catholique, selon le tém oignage des
les principes théologiques des Pères grecs du iv«siècle. sept conciles œ cum éniques, qui ont établi que le
Il existe, nous le reconnaissons, une m anière diffé ­ Saint-E sprit procède du Père. » Lettre encyclique de
rente de s ’ exprim er entre les Pères grecs et latins au 1848, n i , 5, dans Petit-M ansi, Concil., Paris, 1909,
sujet de la procession du Saint-Esprit. Par consé ­ t. XL, col. 381. V oir aussi la Lettre encyclique d ’ A n-
quent, une étude approfondie de la controverse théo ­ tliim e V II, C onstantinople, 1895, p. 7.
logique du Filioque exige au préalable une connais­ Il n ’ est pas difficile de m ontrer que cet appel aux
sance exacte de la term inologie trinitaire grecque. La conciles œ cum éniques, pour écarter de la théologie
pensée des Pères grecs du iv° siècle gagnerait à être chrétienne la doctrine exprim ée par le Filioque, est
développée à la lum ière des principes qui sont la base tout à fait arbitraire. La théologie catholique prouve
de leur théologie trinitaire. M ais une étude pareille en effet : 1° que les conciles œ cum éniques n ’ ont jam ais
n ’ entre pas dans le cadre d'un article du Dictionnaire, enseigné que le Saint-E sprit procède du Père seul;
et d ’ ailleurs, elle serait plus à sa place dans un travail 2° que plusieurs conciles œ cum éniques et particuliers
scientifique sur la T rinité. N ous nous som m es donc ont enseigné que le Saint-E sprit procède à la fois du
borné à suivre la m éthode des adversaires du Filioque, Père et du Fils.
et les tém oignages que nous avons puisés dans les écrits 1° Les conciles œcuméniques n’ont jamais enseigné
des Pères suffisent largem ent à m ontrer que l ’ Église que le Saint-Esprit procède dit Père seul. — Les théo ­
latine n ’ a point innové, en définissant que le Saint- logiens orthodoxes invoquent, contre le dogm e latin,
E sprit procède à la fois du Père et du Fils. 1 ’ autorité de ces conciles qui, dans leurs professions
de foi, déclarent que le Saint-E sprit procède du Père.
T héodulphe d ’ O rléans (ix« siècle) a été le prem ier à re ­
cueillir les tex tes des P ères grecs et latins favorables au ί
O r, aucun théologien latin ne conteste la vérité de
dogm e catholique d u Filioque. De Spiritu Sancio, P. I.t, cette procession. M ais, com m e le rem arquait H ugues
t. cv , col. 239-276. U ne riche m oisson des tex tes des P ères E therianus au xn° siècle, il y a une différence entre
grecs et de quelques P ères latins est contenue dans deux procéder du Père et procéder du Père seul, et pour
écrits du patriarche V ekkos : Refutationes adversus Andro­ résoudre la controverse du Filioque en faveur des
nici Camateri super scripto traditis tesliinoniis de Spiritu grecs.il faudrait prouver que, réellem ent,les conciles
Sancio animadversiones, P. G., t. CX LI, coi. 395-61 2; Epigra­ ont enseigné la procession du Père seul. De hæresibus
pher sive prarscriptiones in dicta ac sententias sanctorum græcorum, u, 16, P. L., t. ccn, col. 321. C ette dém ons ­
Patrum a se collectas de processione Spiritus Sancti, ibid.,
col. 613-724. V oir P etau , De Trinitate, νπ , 3-18, Dogmata tration n ’ est guère possible, et nous som m es heureux
theologica, P aris, 1865, t. n i, p. 274-414; T hom assin, Dog­ de constater que les m eilleurs théologiens russes de
mata theologica, De Trinitate, 29-31, P aris, 1868, t. v, p. 480- nos jours, M gr Sylvestre par exem ple, n ’ y ont pas
510; K lee, Kalhotische Dogmatik, M ayence, 1844 , 1.1, p. 177- recours.
185; F ranzelin, De Deo Irino, R om e, 1895, p. 444-482; H ein ­ Le I er concile œ cum énique proclam e que le Fils
rich, Dogmatische Théologie, M ayence, 1885, t. iv, p. 389- engendré du Père est D ieu et que le Saint-Esprit, pro ­
415; de R égnon, Études de théologie positive sur la sainte
Trinité, P aris, t. n i, p. 3-283 (nous lui avons em prunté la cédant έζ αυτού τού Π ατρός , participe aussi à la nature
traduction française de plusieurs textes des P ères). P our les divine. D ’ après les théologiens orthodoxes, l ’ expres ­
théologiens orthodoxes, l ’ arsenal des textes contraires au sion έξ αύτοϋ τού Π ατρός est équivalente à l ’ expression
Filioque est l'ouvrage de Z oernikav, tradu it en grec et έκ μόνου τού Π ατρός . M acaire, op. cit., t. I, p. 288;
annoté p ar E ugène R oulgaris : π,ρΐ vijç Ιχπο^ιύσιω; το5 άγιον C hrysostom e, op cit., t. n, p. 372. U ne telle exégèse,
Π νιύ|ΐ*ιος 1* μόνου τοδ Π ατρός , S aint-Pétersbourg, 1797, t.· 1, il n ’ est pas besoin de le dire, est fantaisiste au plus
p. 1-397. V oir aussi P rokopovitch, Tractatus de processione haut point et change la signification des m ots. R ap ­
Spiritus Sancti, G otha, 1772, p . 39-151 ; M acaire, Pravos- pelons aussi que le concile de N icée n ’ a touché
lavno-dogmatitcheskoe bogoslovie, S aint-Pétersbourg, 1895,
t. i, p. 302-34 3; S ylvestre,Opyt pravoslavnagodogmatitches-
aucunem ent aux questions théologiques concernant
kago bogosloviia, K iev, 1892, t. n , p. 438-489. le Saint-E sprit, car il visait uniquem ent à m ettre
en lum ière la consubstantialité divine des trois
III. D ’ a p r è s l e s c o n c il e s . — D ans sa Mysta- personnes en D ieu.
gogle, 5, Photius s ’ évertue à représenter la procession Ce que nous disons du concile de N icée s ’ applique
du Saint-Esprit du Fils com m e une opinion hérétique aussi au II» et au III e conciles, qui confirm ent la pro ­
anathém atisée par les sept' conciles œ cum éniques. Le fession de foi nicéenne. O n a tort surtout d ’ en appeler
I er et le 11° conciles, dit-il, ont défini que le Saint- au III e concile, qui sanctionna le triom phe décisif de
E sprit procède du Père; le III e accepta cette défini ­ la doctrine théologique de saint C yrille d ’ A lexandrie,
tion; le IV e la confirm a; le V e la fit sienne; le V I e la qui approuva leix e anathém atism e du m êm e docteur,
publia;! l ’ universentier;le V II°lasanctionnasolennel- où il est dit que le Saint-E sprit est le propre du Fils.
lem ent. P. G., t. eu, col. 285. Les polém istes grecs, qui V oir A llatius, Vindiciœ synodi Ephesinæ,p. 644, 645;
partagèrent sa haine contre les latins, en appelèrent, Lépicier, De Spiritus Sancti a Filio processione, R om e,
com m e lui, aux conciles œ cum éniques pour com battre 1898, p. 8-11.
le dogm e latin. M ichel G lycas déclare que les conciles , Le IV e et le V e conciles proclam ent la perpétuité et
809 E S P R IT -S A IN T

l ’ inviolabilité du sym bole de N icée et de C onstanti ­ 1.1, p. 292, il n ’ y a pas de raison de d· clarer que
nople, m ais ils ne condam nent pas la procession du très conciles postérieurs, convoqués dans la m êm e
Saint-E sprit ab utroque. Le V I 0 déclare que le Saint- ville, ne sont pas légitim es, parce qu ’ ils définissent que
E sprit procède du Père, et le V II e professe la m êm e le Saint-E sprit procède aussi du Fils. Pour faire rejete r
croyance. notre conclusion, il faudrait dém ontrer que le s · :· ts
Il en résulte de la m anière la plus lum ineuse que les de ces derniers conciles contredisent les decrets des
conciles œ cum éniques ne donnent aucun appui aux conciles antérieurs, ce qui est inadm issible r-our .e
attaques de la théologie orthodoxe contre le Filioque. Filioque, car, nous l ’ avons dit, aucun concile grec -
Il est surtout rem arquable que le V I» et le V il» con ­ condam né ou anathém atisé.
ciles ne font pas la m oindre allusion m alveillante à une A u concile de Florence, les théologiens latirs
doctrine bien connue déjà et répandue dans la théolo ­ appuyaient le Filioque sur l ’ autorité des conciles ·
gie occidentale. Ils dem eurent fidèles sans doute à la ticuliers de Tolède, m ais M arc d ’ Éphèse répondait qu I
form ule scripturaire : Ex Patre procedit, m ais ils n ’ y ignorait ces conciles et qu ’ il ne croyait pas à leur
ajoutent rien, de peur de soulever de nouvelles dissen ­ authenticité. M ansi, Concil., t. xxxi, col. 1653. li y
sions, de nouvelles luttes intestines dans l ’ Église a, en effet, une série de conciles tenus à Tolède, qui,
d ’ O rient, ravagée par tant de schism es et d ’ hérésies. ou bien proposèrent ouvertem ent com m e vérité dog ­
C ette fidélité à la doctrine des sym boles de N icée et de m atique la procession du Saint-E sprit du Fils, ou
C onstantinople, ce respect de l ’ ancienne form ule ne bien m êm e, insérèrent le Filioque dans le sym bole. O n
signifient pas, cependant, que la procession ex Patre cite tout d ’ abord un concile tenu à Tolède l'an 400,
exclut la procession ex Ftlio. sous la présidence de Patronus, archevêque de cette
A propos du V 1» concile, il est utile de rappeler un ville. H efele, op. cil., trad. Leclercq, t. n, p. 122,123.
détail que les théologiens orthodoxes préfèrent passer D ans sa profession de foi, il aurait déclaré que l ’ E sprit
sous silence. En présence des envoyés du Saint-Siège, Paraclet n'est ni le Père ni le Fils, m ais qu ’ il procède
les Pères de ce concile lurent et approuvèrent la pro ­ du Père et du Fils. M ansi, Conci/., t. ni, coL 1003. U n
fession de foi de saint Taraise, patriarche de Cons ­ autre concile, tenu en 633, déclare dans sa profession
tantinople : « Je crois au Saint-E sprit, Seigneur et de foi que le Saint-E sprit n ’ est ni créé ni engendré,
viviflcateur, procédant du Père par le Fils. » M ansi, m ais procède du Père et du Fils. M ansi, Concil., t. x,
Concil., t. xn, col. 1122. O n ne lit nulle part, dans les col. 615. U ne affirm ation plus explicite et plus ttieolo
actes de ce concile, que la form ule em ployée par le gique de la procession du Saint-Esprit du Fih est
saint patriarche causât de l ’ étonnem ent ou provoquât renferm ée encoreZans la profession de foi du corn . le
les protestations des Pères. E t cependant cette for ­ Tolède de 675. La voici : Spiritum quoque Sanctum
m ule exprim e la doctrine contenue dans le Filioque. ...credimus esse... non genitum vel creation, sed ab
Les polém istes gréco-catholiques y ont vu un tém oi ­ utrisque procedentem, amborum Spiritum. Hic r-tei
gnage favorable à la doctrine de l ’ Eglise rom aine. V oir Spiritus Sanctus nec ingenitus, nec genitus creditin’· :
V ekkos, Ad Theodorum Sugdeæ, i, 8, P. G., t. c x l i , nec aut si ingenitum dixerimus, duos patres dicamus,
col. 304; Epigraphæ, i, ibid., col. 628; De depositione aut si genitum, duos filios priedicare monstremur:
sua, orat. n, 26, ibid., col. 1008; C onstantin M élité- tamen nec Patris lantum, sed simul Palris et Filii Sp i ■ -
niot, De processione Spiritus Sancti, i, 24, P. G., tus dicitur. Nec enim de Patre procedit in Filium, m ■ ie
t cxu, col. 1077 ; C alécas, Adversus græcos, i, P. G., Filio procedit ad sanctificandam creaturam, sed simul
L cnn, col. 26. O n est donc en droit de dire que le ab utrisque processisse monstratur; quia caritas, sive
dogm e latin n ’ est pas une nouveauté et que les conciles sanctitas amborum agnoscitur. M ansi, Concil., t. xi,
œ cum éniques ont affirm é la procession du Saint- coi. 133. D ’ autres conciles, tenus dans la m êm e ville
E sprit du Père sans nier cependant sa procession du en 653, M ansi, L x, coi. 1210; en 681, ibid., t. xi, coL
Fils. 1027; en 683, ibid., t. xi, coi. 1062; en 694, ibid., t. xn,
O n pourrait tout au plus objecter que le concile coi. 96, insérèrent dans le sym bole l ’ addition du
d ’ Éphèse défend de rien ajouter au sym bole. O n répon ­ Filioque. R em arquons toutefois que l ’autorité de ces
dra à cette objection à l ’ article F i l i o q u e . Pour le m o ­ oucilcs, au m oins des plus anciens, a été ébranlée de
m ent, il suffit de rappeler que l ’ Église est toujours une nos jours, et par de bonnes raisons. Le I" concile de
société vivante et qu ’ elle n ’ a jam ais renoncé et ne l ’ an 400 n ’ a pas eu lieu probablem ent, puisque sa règle
renoncera pas à sa m ission de garder intact le trésor de foi aurait seulem ent été envoyée à saint Leon le
de la divine révélation. Si donc elle juge utile, pour la G rand, qui fut élu pape en 440. K . K ûnstle, Antipris-
sauvegarde de ce trésor, d ’ insérer dans le sym bole de cilliana, p. 67-70; E . M angenot, L ’origine espagnol' du
nouvelles explications de la foi, elle n ’ innove en rien, Filioque, dans la Revue de l'Orient chrétien, 1906, t. xi,
m ais elle continue l ’ œ uvre des anciens conciles et elle p. 93. D e m êm e le concile de 447, d ’ après dom M orin,
exerce un droit que personne ne saurait lui contester n ’ aurait aucun fondem ent historique. Pastor et Sya-
sans renier en m êm e tem ps sa divinité. V oir Franzelin, grius, deux écrivains inconnus du v* siècle, dans la
Examen Macarii, p. 78; Palm ieri, La processione dello Revue bénédictine, 1893, L x, p. 387; K ûnstle, Anti-
Spirito Sancto : l’esegesi ed i concilii, R om e, 1901, p. 14- priscilliana, p. 40-44. L a profession de foi du concile
25. de l ’ an 400 aurait été com posée par Pastor, évêque de
2° Plusieurs conciles, œcuméniques ou particuliers, G alice, en 433. Π y a cependant des érudits qui attri ­
ont défini comme vérité de foi catholique la procession du buent cette profession au concile de Tolède de l ’ an
Saint-Esprit ex Filio. — Ces conciles, il est vrai, n ’ ont 447. M erkle, Das Filioque auf dem Toletanum ill,
pas été convoqués en O rient. Il n ’ en faut pas con ­ dans Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1893.
clure qu ’ils soient sans autorité. Il y a des conciles p. 408-429. Enfin la profession de foi du concile de
tenus en O rient et auxquels les O ccidentaux n ’ ont Tolède tenu en 630, profession qui em prunte quelque
pris presque aucune part, et cependant l ’ Église latine phrases au sym bole Qufrumque, n ’ appartiendrait pas
a accepté leurs décrets. Pourquoi donc l ’ Église grecque à ce concile, d ’après K ûnstle, Antipris·:iHiana. p. 7·.·.
devrait-elle m éconnaître l ’ autorité des conciles tenus 73, m ais elle reproduirait une f nnule bien ancienne,
en O ccident» si elle n ’ a rien à objecter à la légitim ité datée probablem ent de l ’ an 400. E . M angenot. . .
de leur convocation? Si la théologie orthodoxe adm et p. 98; Leclercq, dans H efele, op. cit., L m , p. 125
que les conciles tenus à R om e sous le pape saint D a ­ 1261. N ous n ’ avons pas à discuter ici les opinions
m ase sont légitim es, parce qu ’ ils affirm ent que le ém ises par ces savants. M ais il est avéré que. des
Saint-E sprit est de l ’ essence du Père, M acaire, op. ciL, com m encem ent du v» siècle, la form ule ex Paire FLn -
811 E S P R IT-S A IN T 812

que était regardée en Espagne com m e une vérité de la procedere : sive etiam temerario ausu asserere quod Spiri­
foi catholique et qu ’ elle avait sa place dans les sym ­ tus Sanctus ex Patre et Filio tanquam ex duobus prin­
boles. V oir la Fides Damasi, dans K ünstle, Antipris- cipiis, el non tanquam ex uno procedat. Constitutio
cilliana, p. 47-48; la Fides Phœbadii, ibid., p. 55; une Gregarii X, M ansi, Concil., t. xxiv, coi. 81; D en ­
Expositio fidei, du v° ou du vi° siècle, ibid., p. 90; la zinger-B annw art, n. 460.
Fides Isatis ex Judieo, ibid.,-p. 94-95; l ’ exposition de Le concile de Florence (1439), tenu sous Eugène IV,
la foi du pseudo-G ennade, ibid., p. 103, et celle qui est après de longues discussions sur le Filioque, am ène les
attribuée à saint G régoire le G rand. Ibid., p. 113. E t prélats les plus illustres de l ’ Église grecque à recon ­
les conciles particuliers de Tolède et d ’ autres villes naître la vérité du dogm e latin. Le Décret d’union
espagnoles, par exem ple, de M érida, en 666, M ansi, d ’ Eugène IV pour les grecs définit et propose la pro ­
Concil., t. xi, col. 77; et de B raga, en 675, ibid., col. cession du Saint-E sprit du Père et du Fils com m e une
154, en sanctionnant des form ules com posées par des vérité de foi catholique : In nomine sanclæ Trinitatis,
docteurs particuliers, leur donnaient une valeur offi­ Patris et Filii et Spir lus Sancti, hoc sacro approbante
cielle, l ’ autorité d ’ une doctrine que l ’ Église reconnaît universali Florentino concilio, diffinimus, ul hæc fidei
com m e sienne. veritas ab omnibus Christianis credatur et suscipiatur
D ’ autres conciles particuliers, tenus hors d ’ Espa ­ sicque omnes profiteantur. Quod Spiritus Sanctus ex
gne, se prononcent aussi nettem ent pour le Filioque. Patre et Filio aeternaliter est, et essentiam suam suum ­
Le concile de H eathfield en A ngleterre, convoqué en que esse subsistens habet ex Patre, simul et Filio, el ex
680 par Théodore, archevêque de C antorbéry, déclare utroque reternaliler tanquam ab uno principio et unica
reconnaître que le Saint-E sprit procède du Père et du spiratione procedit. Declarantes, quod id quod sancti
Fils d ’ une m anière ineffable, sicut praedicaverunt sancti doctores et patres dicunt, ex Patre per Filium procedere
apostoli el prophetic cl doclores. M ansi, Concil., t. xi, Spiritum Sanctum ad hanc inielligentiam tendit, ut
col. 77; H efele, op. cil., trad. Leclercq, t. ni, p. 476. Le per hoc significetur Filium quoque esse secundum
concile de Frioul, tenu en 796, sous Paulin, patriarche greeeos quidem causam, secundum latinos vero prin­
d'A quilée, proclam e que la relation du Saint-E sprit cipium subsistentiae Spiritus Sancti, sicut et Patrem; el
avec le Père doit être sem blable à la relation du Saint- quoniam omnia quæ Patris sunt, Paler ipse unigenito
E sprit avec le Fils et il insère le Filioque dans le sym ­ Filio suo gignendo dedit, prieter esse Patrem : hoc ipsum,
bole. M ansi, Concil., t. xni, col. 843; H efele, op. cit., quod Spiritus Sanctus procedit ex Filio, ipse Filius a
t. ni, p. 1094. Le concile de W orm s, qui réunit,en 868, Patre aeternaliter habei, a quo etiam aeternaliter genitus
les évêques allem ands, traite au long contre les grecs est. M ansi, Concil., t. xxxi, coi. 1030,1031; D enzinger-
la procession du Saint-E sprit et invoque tout particu ­ B annw art, n. 691.
lièrem ent l ’autorité de saint A ugustin. V oici de quelle A côté des conciles qui affirm ent que le Saint-E sprit
m anière il exprim e sa croyance au Filioque : Spiritum procède du Père, il y a donc des conciles qui procla ­
Sanctum credimus nec genitum vel creatum, sed a Paire m ent ouvertem ent que le Saint-Esprit procède du Père
Filioque procedentem, amb rum Spiritum. Nec enim et du Fils. Ce que les prem iers affirm ent d'une m anière
procedit de Paire in Filium, nec de Filio lanium procedit im plicite, car la procession du Saint-Esprit du Père ne
ad sanctificandam creaturam, sed ab utrisque procedere saurait se concevoir si le Saint-E sprit ne procédail pas
monstratur, quia charilas sive sanclilas amborum esse en m êm e tem ps du Fils, d ’ autres conciles le profes ­
agnoscitur. Et nec Patris lanium, nec Filii lanium, sed sent explicitem ent. La théologie orthodoxe n ’ oppose
simul Patris ei Filii Spiritus dicitur. In relativis vero à l ’ autorité de ces conciles que le tém oignage de Pho ­
personarum nominibus, Pater ad Filium, Filius ad tius et de ses disciples. Point n ’ est besoin de m ontrer
Patrem, Spiritus Sanctus ad utrasque refertur. M ansi, que l ’ autorité d ’ un hom m e fort érudit, voire m êm e de
Concil., t. xv, coi. 868; H efele, op. cit., t. iv, p. 459- toute une école théologique, ne saurait prévaloir contre
460. Le concile de B ari, tenu en 1097, et dont les actes les décisions prom ulguées et sanctionnées par des con ­
ne nous sont pas parvenus, consacre de longues dis ­ ciles généraux et particuliers, et, disons-le, par des
cussions à la controverse du Filioque. Saint A nselm e y conciles où les grecs ont eu le loisir d ’ exposer leurs
m et en pleine lum ière la vérité du dogm e latin, et le principes théologiques, de défendre avec acharnem ent
eoncile anathém atise l ’ erreur de Photius. le sentim ent de Photius, d'am onceler les objections les
A près ces conciles particuliers, nous avons trois con ­ plus variées contre la doctrine catholique du Filioque.
ciles œ cum éniques qui proclam ent la procession du La théologie orthodoxe pourrait se plaindre seule ­
Saint-E sprit ab utroque. Le IV » concile de L atran, m ent de ceci, que la définition d ’ un dogm e, qui découle
tenu en 1215, sous Innocent X II,dans le can. l,De file logiquem ent des principes de la théologie trinitaire
catholica, déclare : Pater a nullo, Filius autem a solo grecque, leur soit venue des conciles d ’ O ccident. M ais
Patre ac Spiritus Sanctus ab utroque pariter, absque on est heureux de constater que les O rientaux, et en
initio semper et fine. M ansi, Concil., t. x x i i , coi. 981, particulier le cardinal B essarion, ont puissam m ent
982; D enzinger-B annw art, Enchiridion, n. 428. Le contribué à cette définition. E t en supposant m êm e que
11° concile de Lyon, tenu en 1274 sous G régoire X , les grecs n ’ eussent pris aucune part à cette œ uvre du
exprim e en term es énergiques la croyance de l ’ Église m agistère infaillible de l ’ Église catholique, les conciles
catholique au Filioque : Fideli ac devota professione latins, qui ont défini et enseigné la procession du Saint-
fatemur, quod Spiritus Sanctus aeternaliter ex Patre et E sprit ab utroque, ne m ériteraient que la reconnais ­
Filio, non tanquam ex duobus principiis, sed tanquam sance du inonde chrétien. « La profession de cet article,
ex uno principio, non duabus spirationibus, sed unica rem arque justem ent saint B onaventure, est venue par
spiratione procedit. Hoc professa est hactenus, prsedi- l ’ Église des latins et elle résulte d ’ une triple cause,
cavil et docuit; hoc firmiter tenet, praedicat, profitetur savoir : vérité de la foi, nécessité du danger, autorité
et docet sacrosancta romana Ecclesia, mater omnium de l ’ Église. La foi dictait cet article; il était à craindre
fidelium el magistra : hoc habet orthodoxorum Patrum qu'on ne le niât, et les grecs étaient tom bés dans cette
atque doctorum latinorum pariler et grtecorum incom­ erreur; l ’ Église avait l ’ autorité et, par conséquent,
mutabilis et vera sentenlia. Sed quia nonnulli propter devait la définir sans retard. » In IV Sent., 1. I,
irrefragabi is prœmissæ ignorantiam veritatis, in dist. X I, a. 1, q. i.
errores varios sunt prolapsi, nos hujusmodi erroribus IV . D ’ a p r è s l e s t h é o l o g ie n s . — 1° Arguments
viam praecludere cupientes, sacro approbanti concilio, positifs. — La procession du Saint-E sprit du Fils
damnamus el reprobamus omnes qui negare praesump­ résulte aussi des considérations spéculatives que les
serint aeternaliter Spiritum Sanctum ex Patre et Filio théologiens ont faites sur le m ystère de la T rinité.
813 E S P R IT -SA IN T 814

Il y a, en effet, un certain nom bre de principes com ­ E sprit; m ais le Fils en naissant reçoit du Père toutes
m uns à la théologie trinitaire grecque et latine, prin ­ ses perfections et ses énergies divines, hors la seule
cipes qu ’ on ne saurait répudier sans bouleverser en paternité; le Fils donc reçoit du Père la nature divine,
m êm e tem ps l'économ ie divine de la sainte T rinité. et avec elle l ’ énergie spiratrice du Saint-E sprit et, par
D e ces principes, par une série de déductions rigou ­ conséquent, il est avec le Père le principe du Saint-
reuses, la spéculation théologique établit que le Saint- E sprit. » La force dém onstrative de cet argum ent est
E sprit procède du Père et du Fils. R ejeter cette con ­ telle que plusieurs théologiens russes de notre tem ps
clusion après avoir accepté les principes d ’ où elle a été ont été obligés d ’ avouer que, au point de s ue de b spé ­
déduite, ce serait ou renier les principes eux-m êm es, ou culation théologique,le Filioque renferm e une ; arceile
violer les lois im m uables de la pensée, les règles les de vérité. K ireev, A propo de la question :
plus élém entaires de la logique. tique, dans Bogoslovsky Viestnik, Serghiévo. 1897. t. t,
D ’ après la théologie grecque et latine,le Saint-E s ­ p. 326; Livansky, L ’archiprêtre Janychev et ..elle
prit est la troisièm e personne de la sainte T rinité. Il crise doctrinale de Γ Église russe, Fribourg, 1888, p. rv-
procède donc du Père ayant engendré le Fils ; il s ’ en ­ v. Cf. Palm ieri, La consustanzialita divina e la pro­
suit que le Fils a sur le Saint-E sprit une priorité d ’ ori ­ cessione dello Spirito Sardo, R om e, 1900, p. 9.
gine. C ette priorité n ’ entraîne pas avec elle une prio­ 2° Solution des objections. — L a Mystagogie de Pho-
rité chronologique, car les processions divines s ’ accom ­ tius renferm e de nom breuses objections théologiques
plissent toutes dans le perpetuum num de l ’ éternité. contre la procession du Saint-Esprit ab utroque. Photius
Si le Saint-E sprit procède donc du Père ayant engen ­ y déploie en pure perte toute la souplesse de son es ­
dré le Fils, dans l ’ ordre des processions divines, il prit dialectique. Ses objections, ainsi que celles de
présuppose à la fois le Père et le Fils. Jean Phournès, N icolas de. M éthone, Théophylacte de
M ais il y a un autre principe com m un à la théologie B ulgarie, ont été vigoureusem ent réfutées par Jean
trinitaire de l ’ O rient et de l ’ O ccident. Saint A tha ­ V ekkos, De unione Ecclesiarum, 35-68, F. G., t exu,
nase déclare qu ’ on attribue au Fils tout ce qu ’ on attri ­ col. 94-156. Elles ont été reprises, de nos jours, par le
bue au Père, excepté la paternité. Oral., in, contra m étropolite M acaire, op. cil., t. i, p. 343-347, et le doc ­
arianos, 3, 4, P. G., t. xxvi, col. 328. L a m êm e doc ­ teur G ousev, de l ’ A cadém ie ecclésiastique de K azan,
trine est exposée par les Pères grecs du iv» siècle, en Une apologie jésuitique de la doctrine du Filioque, M os ­
particulier par saint B asile. De fide, 2, P. G., t. xxxr, cou, 1900.
p. 4G5, 468. C ette doctrine des Pères grecs est con ­ La théologie orthodoxe reproche d ’ abord à la
densée dans la form ule suivante : Tout est commun aux théologie latine des tendances rationalistes. D ’ après
personnes divines, excepté s’il y a opposition de rela­ G ousev, les argum ents théologiques latins qui éta-
tions personnelles. O r, l ’ E sprit-Saint, en tant qu ’ il est blissent le Filioque se conform ent aux lois de la pensée
troisièm e personne, présuppose le Père et le Fils, et hum aine et aux principes de la logique et de l ’onto ­
entre le Père et le Fils tout est com m un, hors les rela ­ logie, m ais ils ne répondent pas aux tém oignages de
tions opposées de paternité et de filiation. Si cela est l ’ É criture sainte et de la tradition. Op. cit., p. 10. Si
vrai, nous devons nécessairem ent adm ettre que le pou ­ nous com prenons bien la portée de ce reproche et si
voir de produire le Saint-Esprit anpartient en m êm e nous en tirons les conséquences, la contradiction serait
tem ps au Père et au Fils, parce que ce pouvoir ne s ’ op ­ possible entre les vérités de l ’ ordre surnaturel et les
pose ni à la paternité r.i à la filiation. Saint Thom as vérités de l ’ ordre naturel; une proposition pourrait
résum e ainsi cet argum ent : Pater et Filius in omnibus être conform e aux lois de la dialectique et, en m êm e
unum sunt, in quibus non distinguit inter eos relationis tem ps, contraire à la révélation divine. Il va sans dire
oppositio. Unde cum in hoc, quod est esse principium | que cet axiom e ruine de fond en com ble la base sur
Spiritus Sancti, non opponantur relative, sequitur quod laquelle repose l ’ apologétique du christianism e. La
Pater et Filius sunt unum principium Spiritus Sancti. théologie orthodoxe, aussi bien que la théologie catho ­
Sum. theol., I “ , q. xxxvr, a. 4. Ce qui ne sépare pas le lique, soutient cette thèse, que D ieu, com m e vérité
Père et le Fils, argum ente G régoire M am m as, est essentielle, est la source de toute vérité, et que la
com m un au Père et au Fils; m ais la spiration du Saint- vérité créée découle de D ieu. Il n ’ y a donc pas de con ­
E sprit ne sépare pas le Père et le Fils. E lle appartient tradiction possible entre cette vérité et la vérité
donc au Père et au Fils. Ad imperatorem Trapezuntis, incréée, car, si elle était possible,D ieu lui-m êm e serait
6, P. G., t. c l x , col. 213. à la fois le principe de la vérité et le principe de l'er ­
En d ’ autres term es, à la lum ière de la révélation, reur.
nous posons une distinction réelle entre les relations La théologie catholique, à l ’ égard du Filioque,
personnelles en D ieu, nous adm ettons entre les per ­ n ’ innove pas dans le dom aine de l ’ apologétique tra ­
sonnes divines une priorité et postériorité d ’ origine. ditionnelle; elle n ’ est pas asservie, com m e le prétend
Sans cet ordre des processions divines, sans cette G ousev, aux sophism es captieux d'un rationalism e
άχολουΟία κατά τάξιν, nous ne pourrions plus parler sut generis. Op. cil., p. 10. Les Pères de l ’ Église ont été
d ’ une seconde et d ’ une troisièm e personnes en D ieu. les prem iers à donner l ’ exem ple d ’ élargir les horizons
L ’ unité de D ieu serait sauvegardée, m ais la distinction de la pensée chrétienne dans l ’ étude du m ystère de la
réelle des hypostases divines s ’ évanouirait. Si cet T rinité. La nécessité d ’ en appeler à la raison, à la
ordre d ’ origine est donc nécessaire, le Fils, en tant qu ’ il logique, pour m ontrer, en partant de principes révé­
est la seconde personne, ne saurait être la troisièm e; lés, que la procession du Saint-E sprit est exigée par
le Saint-E sprit, en tant qu ’ il est la troisièm e, ne sau ­ l ’ économ ie divine de la sainte T rinité, n ’ est donc pas
rait être la seconde. E t si le Saint-E sprit est néces ­ le produit du rationalism e théologique de l ’ Église
sairem ent le troisièm e dans l'ordre d'origine, il est évi ­ latine. La théologie latine a m arché sur les traces
dent qu ’ il dépend, quant à son origine, de la seconde des Pères et, en m êm e tem ps, a dû suivre l'exem ple
personne, de m êm e que le fruit, pour donner un exem ­ de Photius,qui, le prem ier,a transporte la controverse
ple que les Pères grecs citent com m uném ent, dépend du Filioque sur le terrain rationnel. La V y: - , e.en
à la fois de la racine et de la branche. effet, est toute tissée d ’ argum ents théologiques et de
La théologie orthodoxe n ’ a jam ais su répondre à cet subtilités dialectiques, H ergenrother. 1 ·.
argum ent qui se résum e dans le syllogism e suivant : p. 400, et c ’ est pour réfuter ses sophism es que U
« D ’ après l ’ ordre d ’ origine, énoncé com m e nécessaire théologie latine s ’ est placée sur le m êm e terrain..
dans l ’ É criture sainte et la tradition, la génération du D ’ ailleurs, s ’ il est perm is aux théologiens · ■•.-•noioxes
V erbe précède logiquem ent la procession du Saint- de com battre le Filioque par des raisons t..· . '■-ig-·
815 E S P R IT -S A IN T 816

sans encourir le reproche de rationalism e, ne serait-il de cette génération ; le Père par la spiration active se
pas injuste de chicaner les latins uniquem ent parce distingue aussi du Saint-Esprit, qui est le term e im m a ­
qu ’ ils appuient sur les m êm es raisons leur croyance nent de cette spiration. C ette distinction établie, nous
dogm atique? nous posons cette question : Est-ce que le Père se dis ­
O n objecte que, par le Filioque, la théologie latine tingue du Fils par la spiration active dont le term e est
confond en D ieu les notions et les propriétés person ­ le Saint-Esprit? Lorsque nous disons que le Père
nelles. Si le Fils, dit la théologie orthodoxe, possède engendre le Fils, nous concevons dans le Père l ’ essence
tout ce qui est au Père et pour cela produit le Saint- divine marquée hypostatiquem ent par la relation de
E sprit avec le Père, nous devrions en conclure que le paternité qui est le principe d ’ une réelle distinction
Fils participe aussi à l ’ innascibilité du Père, parce qu ’ il entre le Père et le Fils. Lorsque nous disons que le Père
est consubstantiel au Père. produit le Saint-Esprit, nous concevons l ’ essence du
L a théologie catholique ne pose aucun principe qui Père déjà marquée hypostatiquem ent par la relation de
aboutisse à ces absurdes conséquences. D ’ après son paternité, puisque dans l ’ ordre d ’ origine la spiration
enseignem ent, la seule consubstantialité divine n ’ ex ­ vient après la génération. M ais en m êm e tem ps nous
plique pas la dépendance du Saint-Esprit vis-à-vis du attribuons au Père une opération im m anente, en vertu
Fils quant à l ’ origine. L ’ essence divine, considérée en de laquelle il ne s ’ oppose pas au Fils, il ne se distingue
elle-m êm e, simpliciter, absolute, diraient les scolasti ­ pas du Fils, parce que seules la paternité et la filiation
ques, n ’ engendre pas ni n ’ est engendrée : elleest une et sont les propriétés constitutives de la prem ière et de
indivisible. M ais cette essence, en tant qu ’ elle est rela ­ I la seconde personne.
tive, c ’ est-à-dire en tant qu ’ elle subsiste hypostati- Lorsque nous disons que le Père produit le Saint-
quernent par une relation personnelle, est le principe E sprit, nous déclarons qu ’ il est le principe d ’ une opé ­
ou le term e d'une opération vitale im m anente. L ’ es- ration im m anente, qui pose une distinction entre le
sen e divine, entant qu ’ elle est marquée (nous tradui­ Père et le Saint-E sprit, non pas entre le Père et le Fils.
sons ainsi le m ot scolastique connotala) par la raison I Le Fils peut et doit donc participer à cette opération.
form elle de filiation, estengendrée; lam êm e essence, en E t nous exprim ons cette participation, lorsque nous
tant qu ’ elle est marquée par la raison form elle de spi- déclarons que le Saint-E sprit procède du Fils aussi
ration passive (έκπόρευσ-.ς ), procède. L a consubstan ­ bien que du Père. Le sophism e de la théologie ortho ­
tialité divine n ’ est donc pas le principe des processions doxe aurait une valeur dém onstrative, si on pouvait
divines. Ce principe nous est donné, si on peut s ’ expri­ dém ontrer que la spiration active soit une propriété
m er ainsi, par l ’ essence personnifiée. I personnelle qui oppose le Père au Fils, et en vertu de
La théologie orthodoxe distingue avec la théologie cette opposition em pêche le Père de la com m uniquer
latine la com m unauté d ’ essence et la distinction de au Fils. M ais cette dém onstration n ’ est guère possible,
subsistance hypostatique. In sancta Trinitate omnia parce que la théologie orthodoxe adm et que les seules
sunt singulis subsistentiis seu personis communia, propriétés personnelles de paternité et de filiation
exceptis solis subsistendi modis. Nam in sancla Trini­ distinguent le Père et le Fils.
tate quidquid est, aut substantia est, aut subsistentia. U ne autre objection de la théologie orthodoxe est
Necesse ergo est, ut quæcumque de Deo dicuntur, vel ainsi conçue : « Si le Fils est le principe de la spiration
dicantur ratione substantiis, el hoc erit omnibus personis du Saint-Esprit, parce qu ’ il possède tout ce que le Père
commune, vel ratione subsistentiis, el hoc erit uni tantum possède, le Saint-Esprit aussi, qui possède tout ce qui
proprium personee. Procopovitch, op. cit., p. 153. M ais ‘ est au Père, excepté l ’innascibilité, et qui ne se dis ­
en réalité elle n ’ établit qu ’ une seule et m êm e relation tingue pas du Père par la paternité, participe à la géné ­
personnelle entre le Père et le Fils d ’ une part, le Père ration du Fils. » G hrysostom e, op. cit., t. ir, p. 368. Ce
et le Saint-Esprit de l'autre, et supprim e ainsi la dis ­ sophism e repose sur la négation de l ’ ordre des proces ­
tinction réelle entre le Fils et le Saint-Esprit. En effet, sions divines. L a foi nous enseigne que le Père im m ua ­
les théologiens orthodoxes déclarent que, si le Fils est ble est la prem ière personne, le Fils la seconde, le Saint-
avec le Père le principe du Saint-E sprit, il serait le Père E sprit la troisièm e. La tradition desPères est unanim e
du Saint-Esprit, ce qui ferait en D ieu une double rela ­ 1 à représenter cet ordre d ’ origine com m e innasci-
tion de paternité. Cela signifie que la paternité divine, I ble. M ais en disant que le Saint-Esprit pourrait être
dont le term e opposé est le Fils engendré, ne se dis ­ avec le Père le principe de la génération du Fils, nous
tingue pas de la spiration active, à laquelle s ’ oppose le bouleverserions, nous établirions que le Saint-Esprit
com m e term e le Saint-Esprit. Le Saint-E sprit, qui ne - est la troisièm e personne et qu ’ il serait en m êm e tem ps
se rapporte pas au Père com m e term e de la paternité la seconde, parce qu'il serait avec le Père le principe du
divine, serait ainsi le term e essentiel de cette m êm e Fils. Il ne répugne pas que le Fils soit avec le Père le
paternité. E t en étant le term e de la m êm e relation per ­ principe de la spiration du Saint-E sprit, parce qu ’ il
sonnelle du Fils, il s ’ identifierait avec le Fils, parce ne répugne pas que la seconde personne dans l ’ ordre
que le Fils ne peut ne pas être le term e de la paternité d ’ origine com m unique son être participé à la troisièm e
divine. Si dicatur,remarque le cardinal H engenrôther, personne. M ais il répugne que la seconde personne
Spiritus Sanclus ex Paire ut Paire procedere, jam Spi­ dérive en m êm e tem ps de la prem ière et de la troi ­
ritus diceretur Filius, ac Filii prærogativa destitueretur. sièm e, parce que, dans ce cas, le Saint-E sprit serait la
Quod si dicatur procedere ex Patre, quatenus est Deus seconde personne et le Fils la troisièm e.
vel quatenus esi spirator, quum hic nulla relativa oppo­ Pour échapper à l ’ argum entation de la théologie
sitio habeatur ad Filium, Filius nequit excludi. Ratio­ latine, quelques théologiens orthodoxes vont jusqu ’ à
cinantur theologi. Spiritus Sanclus procedit ex Patre, nier l ’ im m utabilité de l ’ ordre des processions divines :
aut quatenus est Pater, aut quatenus est Deus. Si prius, • Est-ce vrai, dit le docteur G ousev, qu ’ il y a un ordre
Spiritus Sanctus nec ssario erit Filius, quod contra d ’ origine entre les trois personnes en D ieu? O n trouve,
revelationem·, si posterius, tunc procedit etiam ex Filio, dans l ’ É criture sainte, des textes qui n ’ exprim ent pas
quia nullum signum concipi polest quo Pater sit Deus, cet ordre avec précision. Par exem ple, la II e É pître
quo Filius æque non sit Deus. Proinde aut duo Filii ex aux C orinthiens se term ine par ces m ots : Que la grâce
2'rinitale, aut processio Spiritus Sancti etiam a Filio de Noire-Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la
rata est. Animadversiones, P. G., t. cil, coi. 478, 479. communication du Saint-Esprit soit avec vous. En pro ­
Pour réfuter l ’ objection photienne.il suffit d ’ exposer fessant la foi à la sainte T rinité, nous em ployons à
clairem ent la doctrine catholique. Le Père par la géné ­ l ’ égard du Père, du Fils et du Saint-E sprit les déno ­
ration se distingue duFils,qui est le term e im m anent m inations de prem ière, seconde et troisièm e personnes.
817 E S PR IT-S A IN T 818

M ais s ’ ensuit-il qu ’ il faille adm ettre entre les personnes 3° Conclusion. — Le m étropolite M acaire term ine
divines cet ordo consequentiæ'l Pour être acceptable, ainsi son réquisitoire contre la croyance dnrnn
une telle déduction aurait besoin de s'appuyer sur de l ’ Église latine : « A l ’ égard de la procession du Sain t-
l ’ É criture sainteet la tradition ecclésiastique. E tcepen- E sprit.la doctrine de l ’ E glised ’ O ccident a ;·:■·_.· base,
dant, ces sources de la foi chrétienne ne contiennent pas non la parole de D ieu, m ais seulem ent une fausse m ter-
la plus petite allusion à un ordre quelconque de suc ­ prétation de quelques-uns de ses passages; non ;es
cession entre la naissance du Fi It et la procession du anciens sym boles de l ’ Église et les conciles œ cum é ­
Saint-Esprit. » Op. cil., p. 12. Le docteur G ousev ne niques, m ais seulem ent quelques petits conciles - : -
parle pas ici d ’ une succession chronologique, m ais vinciàux, tenus en Espagne depuis le v siecle. et ··.
d ’ une succession logique. Il sem ble oublier ou ignorer concile d'A ix-la-Chapelle, réuni au com m encem ent du
que cet ordre d ’ origine, révoqué en doute par la ix° siècle; non la doctrine unanim e des saints Père s -,
théologie orthodoxe, est fixé dans la form ule du docteurs de l ’ Église, m ais seulem ent une fausse inter ­
baptêm e et dans les prières liturgiques; que toute la prétation de leur doctrine, ou des altérations, voire d·. s
théologie grecque, depuis ses origines jusqu ’ à Photius, interpolations faites à leurs tém oignages, et un pet t
considère le Saint-E sprit com m e la troisièm e personne nom bre d ’ expressions de certains docteurs au v et du
en D ieu ; que, d ’ après saint Irénée, per Spiritum quidem vi° siècle, d ’ une authenticité égalem ent douteuse;
ad Filium, per Filium autem ascendimus ad Patrem. Cont, enfin leur doctrine paraît contradictoire ct peu fondée,
hær., v, 36, 2, P. G., t. vn, coi. 1223. O n ne dira jam ais m êm e au tribunal de la raison. » Op. cit., p. 347, 348.
dans la théologie chrétienne que le Saint-E sprit est la Les textes que nous avons cités, les argum ents que
seconde personne de la T rinité et le Fils la troisièm e. nous avons exposés donnent la m eilleure réponse à
D ’ après le m êm e théologien, les dénom inations de ces attaques inspirées plus par la m auvaise foi que par
Père, Fils et Saint-E sprit « ne nous m anifestent pas en l ’ ignorance. L a négation du dogm e latin, nous l ’ avons
quoi consiste essentiellem ent la paternité, la génération vu en exam inant la doctrine du docteur G ousev, sup­
et la procession en D ieu, ou quelle est la différence prim e la pluralité des personnes en D ieu et réduit
entre la procession et la génération. Les termes de Père, celles-ci à de sim ples m odalités de l ’ être divin. N ous
Fils cl Saint-Esprit signifient seulement l’ordre de la n ’ avons pas à insister sur ce point et nous renvoyons à
manifestation aux hommes des personnes de la sainte la Dogmatique de Scheeben où il est prouvé que l ’ er ­
Trinité. » Op. cil., p. 13. S ’ il en est ainsi, nous devons en reur de la théologie orthodoxe bouleverse et m orcelle
conclureque la distinction entre les personnes divines la T rinité dans ses détails, trouble et dénature l'um té
n ’ existe pas en D ieu, m ais dans le inonde extérieur; de la T rinité dans son ensem ble. T. n, n. 888-8?
que D ieu s ’ appelle Père, Fils et Saint-Esprit unique ­ p. 603-605.
m ent pareequ ’ il se révèle au genre hum ain à différentes R em arquons en passant que la théologie latine ne
époques. O r, une relation ad extra ne peut pas être le prétend pas im poser à la théologie grecque ses for ­
principe d ’ une distinction réelle dans l ’ être divin. Le m ules, sa term inologie. Pourvu qu'on croie que le Fi's
Père, le Fils et le Saint-E sprit ne seraient donc pas participe avec le Père à la procession du Saint-Esprit,
trois hypostases distinctes, m ais trois m odes d ’ exis ­ elle n ’ exige pas que l'on adopte la form ule a Pair-
tence du D ieu unique, et nous tom berions en plein Filioque au lieu de la form ule a Patre per Filium; elle
sabellianism e. Si la théologie orthodoxe professe la pourrait m êm e tolérer que l ’ on dise que le Saint-Esprit
distinction hypostatique des trois personnes divinds, ce procède d ’ une seule cause prim ordiale, du Père. La
n ’ est pas hors de D ieu qu ’ elle doit chercher la cause de différence de langage entre grecs et latins a poussé les
cette distinction. C ette cause doit être éternelle et théologiens à chercher une voie irénique pour apaiser
intrinsèque, car, si elle était tem porelle ct extérieure, la controverse du Filioque. U n théologien ruthène du
les personnes divines elles-m êm es seraient produites xviii 0 siècle conseillait aux latins de laisser de côté
dans le tem ps, c ’ est-à-dire ne seraient pas consubstan ­ les questions com pliquées de la scolastique, qui, à
tielles au Père. son avis, envenim ent le différend, et à déclarer sim ­
U ne autre objection, qui depuis Photius revient plem ent que le Saint-E sprit procède de la substance
invariablem ent dans tous les m anuels de théologie du Père et du Fils. Les grecs ne pourraient rejeter cett-
orthodoxe, est la suivante:» Si le Saint-Esprit pro ­ form ule sans nier la consubstantialité divine. Di···..--
cède du Père et du Fils, il faut adm ettre en D ieu deux tatio dogmatica de processione Spiritus Sancti in sens::
principes. » ï.ous avons cité plus haut les textes des catholicæ Ecclesiæ, Leipzig, 1787. U n savant bollar,-
conciles de Lyon et de Florence qui établissent sur ce diste est d ’ avis que les grecs ne rejettent pas ia
point la doctrine de l ’ Église catholique. Les conciles ne croyance dogm atique du Filioque, m ais qu'ils donnent
font que sanctionner la doctrine de saint A ugustin, De aux m ots principe, cause, auteur, un sens plus déter ­
Trinitate, v, 14,15, P. L., t. x l i i , col. 920, 921 ; Contra m iné, plus restreint. Pour eux, le Père est le seul prin ­
Maximinum, n, 17,4, ibid., col. 784,785; de R atram ne cipe du Saint-Esprit, en ce sens cependant qu ’ il est le
de C orbie, Contra græcarum opposita, ni, 4, P. L., principe prim itif, le principe sans principe,la source de
t. cxxi, col. 293, 294; d ’ Énée de Paris, Liber adversus la divinité : « Toute la contestation du Filioque sem ble
græcos, 47, ibid., col. 710. Saint A nselm e répond adm i ­ donc se réduire à une dispute de m ots. Les russes
rablem ent à cette objection : Le Saint-E sprit procède appellent seulem ent cause la source prim ordiale de la
du Père et du Fils, non pas de hoc unde duo sunt, m ais divinité. Les latins ne refusent pas de reconnaître
de hoc in quo unum sun!. Lorsque nous disons que D ieu cette origo principalis, cette source prem ière, ils l ’ éta ­
est le principe de la création, nous savons bien que le blissent m êm e dans toutes leurs théologies, m ais quan
Père, le Fils et le Saint-Esprit produisent ensem ble les ils parlent du principe du Saint-E sprit,ils parlent du
êtres créés, m ais ils ne sont pas trois principes dis ­ principe de production qui est l ’ essence divine dans .·.
tincts, trois créateurs. C ar ils créent per hoc in quo Père et dans le Fils, et de la faculté qu'ils ont de pro ­
unum sunt, non per hoc in quo 1res sunt. De processione duire l ’ E sprit-Saint. » Essai de la conciliation sur <
Spiritus Sancti, χνιπ, P.L., t. cvui, col. 311, 312. La dogme de la procession du Saint-Esprit, Paris. 1?57,
théologie catholique déclare que le Père et le Fils p. 345.
sont le principe unique du Saint-Esprit, parce que la L a pratique de l ’ Église rom aine sem ble confirm er
force spirative qui produit le Saint-E sprit est unique, cette opinion. Elle dem ande sim plem ent aux ortho ­
com m une au Père et au Fils. L ’ unité de cette force doxes de reconnaître que le Fils part:· · pe avec le Père
dépend de ce qu ’ elle ne produit pas une opposition de à la procession du Saint-Esprit, m ais en tenant
relations personnelles entre le Père et le Fils. com pte de la différence de term inologie entre grecs et
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latins, elle leur perm et de réciter le sym bole sans l ’ ad ­ τον άρχιεπίσχοπον Μ εδιολάνων περί τής του παναγίου Π νεύματος ίχποριύ-
dition du Filioque. D ans la bulle Ètsi pastoralis du σεως , ibid., ρ. 84-99; Id., ’ Α ντίρρησις χατά των προλεχΦέντων τω
Μ εδιολάνων, cod. mosq., 238, fol. 52-58; cf. V ladim ir, op. cit.,
26 m ai 1V42, B enoît X IV déclare que les grecs, elsi p. 311; Id., Λόγος άντιρρητιχδς πρδς τά γρααέντα παρά το0 των Μ εδιο-
teneantur credere etiam a Filio Spiritum Sanctum pro­ λάνων, cod. mosq., 240, 250, fol. 153-167, 132-138; cf. V la ­
cedere, non tamen, tenentur in symbolo pronuntiare. dim ir, p. 317, 338; T héodore C ouropalate, Λόγος περί τών
V oir de M eester, Éludes sur la théologie orthodoxe, άζυμων xat περί τής λεγάμενης παρά 'Ρωμαίοι; του Π νεύματος έχ τοΰ Γιου
M aredsous, 1911, p. 41, 42. C ette tolérance n ’ im plique έχπορεύσεως , cod. mosq., 239, fol. 40-48 ; voir aussi cod., 240,250 ;
pas la négation de la procession du Saint-E sprit du cf.V ladim ir, op. cit., p. 311, 316, 341; N icétas S eides, Λόγος
Fils; elle n ’ est qu ’ un acte de sagesse, de prévoyance πρδς ‘ Ρωμαίους , οτι έχ το3 Π ατρδς μόνου, ούχι δε χαί έχ του Γίο3, ώς
αυτοί λέγουσιν, έχπορεύεται τδ άγιον Π νεΰμα, COd. mosq.. 240, fol.
et de charité pour hâter la paix et le rétablissem ent
204-221 ; aussi cod. 250; cf. V ladim ir, op. cit., p. 317, 338;
de l ’ unité ecclésiastique dans le m onde chrétien. Id., Πρδς Λ ατίνους περί γενεσεως τοδ ’ Α δάμ, τής Εύας , του ΣήΟ, χαί
περί το5 χατ ’ είχόνα χαι χαΟ ’ όμοίωσιν, ήτοι περί τής άγιας Τριάοος χαι
I. B i b l i o g r a p h i e h i s t o r i q u e . — P faff, Historia succincta περί τής έχπορεύσεως τοΟ αγίου Π νεύματος , COd. Bai'OCC., 131, fol. 382;
controversiae dc processione Spiritus Sancti a Paire Filioque, cf. C oxe, Catalogi codicum manuscriplorum bibliothecae
T ubingue, 1749; W alch, Historia controversiae grœcorum bodleianœ, O xford, 1853, col. 228; M ichel G lykas, ’Επιστολή
lalinorumque de processione Spiritus Sancti, léna, 1751 ; Μ αξίμω τ<3 Σμινιώτη, ότι έχ μόνου του Π ατρδς , ού μή χαι έχ του Γιοΰ τδ
P rokopovitch, Historia de ortu et progressu controversial Π νεύμα τδ άγιον έχπορεύεται, χαι ότι ού ταύτδ άποστολή >αί έχπόρευσις ,
grœcos inter el latinos de processione Spiritus Sancti, dans cod. nanian., cx i, fol. 89; cf. Grœci codices manuscripti apud
Tractatus de processione Spiritus Sancti, G otha, 1777, p. 1- Nantes asservati,B ologne, 1784, p. 218 ; T héodore P rodrom e,
128; E ugène B oulgaris a donné une traduction grecque de ce Περί τής το·3 άγιου Π νεύματος έχπορεύσεως ; cf. P apadim itrÎU ,
travail, qui a été insérée par É lie T antalides dans Π απιστιχοι Theodor Prodrom, O dessa, 1905, p. 267; B asile d ’ A chrida*
έλεγχοι, C onstantinople, 1850, t. n , p. 63-172; A m aduzzi, Διάλεξις μετά τίνος Λατίνου παρά τοΰ ’ Ρώμης πεμρΟέντος πρδς τδν βασιλέα
P réface à l ’ édition des oeuvres com plètes de D ém étrius Μ ανουήλ τδν πορφυρογέννητου ; cf. S chm idt, Des Basilius ans Achri-
P épanos, Opera, R om e, 1781, t. i, p. v - x l h i ; W erner, Ge­ da Erzbischofs von Thessalonich, bisher unedierleDialoge; ein
schichte der apologetischcn und polemischen. Literatur der Beitrag zur Geschichte des griechischen Schismas,M unich, 1901 ;
christlichen Théologie, S chaffhouse, 1864, t. n i, p. 1-82; N icolas M ouzalon patriarche de C onstantinople, H ept τής έχπο-
D ém étracopoulos, ’ Ορθόδοξος ’ Ελλάς ήτοι περί τών ’ Ελλήνων τών ρ«ύσιως του άγιου Π νεύματος , cod. UlOSq., 239, fol. 102-10 4; ci. V la ­
γραίάντων χατά Λ ατίνων, L eipzig, 1872; E hrhard, dans K rum - dim ir, op. cit., 1.1, p. 313; N icolas de M éthone, Π ρδς τδν μέγαν
hacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, M unich, δομέοτιχον έρωτήσα/τα περ·. τοΰ αγίου Π νεύματος έπιδημήσαι χαι ένοιχήσαι
1897, p. 73-122. τοΐς άποστολοις , dans D ém étracopoulos, Έ χχλησιαστιχή βιδλιοΟήχη,
II. A u t e u r s g r e c s q u i o n t c o m b a t t u l e F i l i o q u e . — t. I, ρ. 199-218; id ., Κ εφαλαιώδεις ελεγχοι παρά Λ ατίνοι; χαινοιρανοδς
1° jx· siècle. — P hotius, Λόγος περί τής το3 άγίου. Π νεύματος δόγματος , το5 οτι τδ Π νεύμα τδ άγιον έχ το3 Π ατρδς χαι του Γιου έχκο-
μυσταγωγίας ; c ’ est l ’ arsenal de la polém ique grecque contre ριύεται, ibid., ρ. 359-380; Id., Πρδς τούς Λ ατίνους περί το3 άγίου
les latin s; cet ouvrage a été édité en grec par le cardinal Πνεύματος οτ» εχ του Π ατρδς ού μήν χαι έχ το3 Γεοΰ έχτορεύεται, édit.
H ergenrother, Liber de Spiritus Sancti mystagogia notis C onstantin S im onides, ’ Ορθοδόξων ’ Ελλήνων Ο ιολορχαΐ γραφαί τεσ-
variis illustratus ac theologicae crisi subjectus, R atisbonne, σαοες , L ondres, 1858 , ρ. 1-39; A ndronic C am atéros, Δ άλεξις
1857, p. 3-110; P. G., t. cil, coi. 280-392 (en grec et en το3 Οεοσόφου μεγάλου βασιλεως χαι των τή, πρεσβυτέρας ’ Ρώμης σοτωτάτων
lai in); l ’ éditeur y a ajouté une réfutation très érudite, In καρδιναλίων περί τής τοΰ παναγίου Π νεύματος έχ μόνου του Π ατρδς έχπο-
Pholii librum de Spiritus Sancti mystagogia animadversiones ρεύσ.ως , cod- monadi., 229, fol. 7 ; cf. H ard t, Catalogus codicum
historicae el theologicœ ad operis illustrationem refutationem· manuscriplorum bibltethecæ regiœ Bavaricæ, M unich, 1806,
que pertinentes, op. cit, p. 123-337; P. G., t. cir, coi. 399- t. IT, p. 491 ; Id , ΙΙροοδιαΛ αλία πρδς τούς έχ τ >5 Π ατρδς χαι του Γίοδ
542; P hotius a traité aussi de la procession du S aint-Esprit τδ πανάγιον Π νεύμα εχπορεύσΟαι, ibid., fol. 27 J cf. Il 3 rd t, p. 492;
dans les écrits suivants : Epistola encyclica ad archiépis­ D im itrios T ornikios, Περί τής εχπορευσεω; του άγιου Π νεύματος , COd.
copales thronos per Orientem oblinentes, 8-23, P. G., t. en , par 's., 2830. n. 15; cf. Codices manuscripti bibliothecae regiœ,
col. 725-732; Επιστολή πρδς τδν Α χυληια; μητροπολίτην, dans V a ­ 1740, t. n , p. 558; voir H ergenrother, Photius, t. m , p. 730-
lette, 'Βπεστολαι Φ ωτίου, L ondres, 1864 , p. 181-200; l ’ éditeur 843; W ill, Acta et scripta quæ de controversiis Ecclesiœ grœcœ
cite les diverses éditions de cette lettre, p. 1 81-182; Contra et lalinœ sœculo undecimo composita exstant, L eipzig, 1861;
veteris Romœ asseclas libellus ostendens Spiritum Sanctum P alm ieri, Le divergenze dommatiche, etc., epoca di Michele
ex solo Patre procedere, non vero etiam ex Filio, H ergenro ­ Ccrutario, dans Bessarione, 3« série, 1911, t. v in , p. 161-
th er, Photii Mystagogia, p. 113-12 0; P. G., t. en , coi. 392- 178;B réhicr, Le schisme oriental du xi9 siècle, P an s, 1899.
398;ce p etit résum é de la Myslagogie est attrib u é Λ P hotius, 3° χιι/Λ siècle. — N icolas d 'O lran te, Σύνο|*ις σύν θι<3 έχ τών χατά
m ais il ne lui ap p artien t p as; N icélas de B yzance, Capita πλάτος δογματισΟί-ντων περί τής το3 άγιου Π νεύματος έχπορεύσεως , τών έχ
syllogistica... contra eos, qui impie ac sacrilege in divino των θείων χαί ιερών Γραφών xat παρά τ«ν άγιων χαί ύεοόρων Πατέρων
symbolo orthodoxa’ Christianorum fidei addunt et dicunt et δονματισβέντων, dans A rsène (évêque), Tri zapisi o sobesie-
sentiunt de sanctissimo et vivifico divino Spiritu : Et in Spi­ dovantiakh Grekovs Latinianami, N ijny-N ovgorod, 1896,
ritum Sanctum Dominum vivificantem, qui ex Patre et Filio p. 7-23; N icétas de M aronée, Περί τής έχπορεύσεως του άγιου Πνεύ ­
procedit, et non : ex Patre solo, dans E ustratios A rgentis, ματος , Ρ. G., t. cx x x ix , col. 165-221; le cardinal H ergenro ­
HtO.cov χαλούμε,ον ’ ΡαντίσμοΟ στηλίτευσις , L eipzig, 1758, p. 230- th er n 'a publié que des fragm ents des six dialogues dont
248; en grec et en latin, p ar H ergenrother, Monumenta l ’ ouvrage entier se com pose; celui-ci se trouve dans le
græca ad Photium ejusque historiam perlinentia, R atisbonne, cod. Val. græc., 1115; voir, sur l’au teu r, P etit, Les évêques
1869, p. 84-138; voir H ergenrother, Photius, Patriarch von de Thessalonique, dans les Échos d'Orient, 1901, t. v, p. 28,
Constantinopel, R atisbonne, 1869, t. n i, p. 15-1-170; P al­ note 46; N icétas C honiates, θησαυρδς τής ορθοδοξίας ; le 1. X X I
m ieri, Le divergenze dommatiche Ira le due Chiese di Oriente traite de la procession du S aint-E sprit, m ais il n ’ a pas été
e dl Occidente, dans Bessarione, 3° série, 1910, t. v in , p. 1-12. inséré dans la P. G.; on le trouve dans le cod. I aur., 24,
2° Λ β -.ν/ι β siècle. — S isinnios, patriarche de C onstantinople plut., ix, B andini, Catalogus codicum grœcorum bibliothecae
(995-998), Έ γχύχλιος επιστολή πρδς τους τής ’ Ανατολής άρχιερατιχούς laurentianœ, F lorence, 1768, t. n , p. 431 ; M axim e dc C ons ­
θρόνους , περί τής έχπορεύσεως του άγιου Π νεύματος , cod. mosq., CCL- tantinople (1215), *Έχθεσες τής ορθοδόξου πιστεως περί τής έχπορεύ ­
fol. 266-270; voir V ladim ir, Sistemalitcheskoe opisanie ru- σεως τοϋ άγιου Π νεύματος χατά Λ ατίνων, cod. par., 1324, Catalogus
kopisei moskovskoi sinodalnoi biblioteki, M oscou, 1894, t. i, codicum bibliothecae regiœ, t. n , p. 289, n. 15; G erm ain II de
p. 339; cette lettre est 1 ’ Epistola encyclica de P h o tiu s; S i- C onstantinople (1222-1240), Α πάντησες πρδς τήν ομολογίαν τής πισ ­
sinniosn ’ a faitq u ela signer de son n o m ; N icétas P ectoratus, τέ»; τοδ πάπα Γρηγορίου πρδ; τούς ύπ ’ έχείνου σταλέντας Φ ρεμενουρίου;
Κ ατά Λ ατίνων έν oT; βλασυημουσιν εις τδ Π νεύμα τδ άγιον, COd. Vat. grœc.f χαί λοιπούς περί τής έχπορεύσεως τοΠ άγίου Π νεύματος , dans Χ ρο/ΐχδν
680, fol. 407 ; M ichel P scllos, Πρδς τδν αύτοχράτορα Μ ιχαήλ κεφάλαια Γεωργίου Φ ραντιζή... έπιμελεία Καρόλου *Α λτερ, V ienne, 1796,
Οεολογιχά ϊνδιχα, dansD osithée, Τόμος Α γάπης , Jassy, 1698, p . 490- ρ. 140-149; T héodore L ascaris, Λόγος άπολογητιχδς πρδ; τδν έπί-
493; Jean P houm es, Ά ντιρρητιχή άπολογία πρδς τά λε/Οέντα παράτοΟ σχοπον Κ ορώνη; ’ Ιωάννην χατά τών Ιταλώ ν, ήγουν χατά τών Λ ατίνων,
Μ εδιολάνων περί τής το3 άγιου Π νεύματος έχπορεύσεως , dans D em ctraC O - περί του Π νεύματος του άγίου, dans S w ete, Theodori T .ascaris
poulos, Έ χχλησιασ-ιχή βι$λιο9ήχη, L eipzig, 1866, t. i, p. 36-47 ; oratio apologetica de processione Spiritus Sancti, L ondres,
E vsrate de N icée, Λόγος πρδς τους λέγοντας άτι έχ του Π ατρδς χαί 1875; G eorges A cropolite, Λόγοι περί τής έχπορεύσεως του άγίου
έχ τοΰ Γιο3 τδ Π νεϋμα τδ ανιόν έχπορεύεται, χατασχιυάζων οτι έχ τοΰ Π νεύματος πρδς τους Λ ατίνους , dans D ém étracopoulos, Έ χχλησιασ-
Π ατρδς διά το·3 Γ ’ οδ, ούχι δε χαί έχ τοδ Γιο5 τδ Π νεΰμα τδ άγιον τιχή βιβλιοΟήχη, 1 . 1, ρ. 395-418; le second, dans le cod. mosq.,
ίχπορεύται, ibid., ρ. 47-84; Id., *ΕχΟεσις τής γεγονυίας διαλέξιως πρδς 240, fol. 197-204; V ladim ir, op. cit., p. 317; M athieu A ngé-
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iOS P anarétos, θω μά Λ ατίνου φιλοσόφου» πως Ιν τοΤς θείοις ληπτίον voir P alm ieri, Dositeo, patriarca greco di Gen:sz^~ c. · ca ­
άν <ιν -ήν ίκπόρευσιν τοΰ άγιου Π νεύματος ' Αντίθεσις , COd. nan. CX X X , rence, 1909, p. 49-51; S yinéon de T hessalom qur. . ira
fol. 1-7; ‘ Α πόδειξις εις οσα πίπτουσιν ίξ Ανάγκης οι Λ ατίνοι τά άτοπα hœreses, 32, P. G., t. c l v, col. 157-176; Joseph B o m h d o s ,
λεγοντες τδ Π νιΰμα τδ άγιον και ίχ τοΰ Γίοΰ ίχπορεύεσθαι, ibid., 'Ο μιλίαι διάφοροι, Opera, édit. B oulgaris, L eipzig. 1768, t. z,
fol. 46-52; 'Ρήσεις γράφικαι... εις Ανατροπήν μεν καί αισχύνην τοΰ p. i-406; pour les au tres opuscules du m êm e auteur to u ­
πονηροΰ Βεκχου, σύστασιν δ» τοΰ όρθοΰ δόγματος , ibid., fol. 65-115 chant la procession du S aint-E sprit, voir plus .aut. t. u .
(recueil de tex tes des P ères contre V ekkos), Codices na- col. 1160; M acaire M akres, Πρδς Λ ατίνε.:, τ τ
niani, B ologne, 1784, p. 299-305; H iérothée (hiérom oine), τοΰ Γίοΰ τδ Π νεΰμα τδ άγιον ίχποριύισία· ., ούτε ά αγχπΤ-. — . _
Λόγος πρδς τους συχοφαντοΰντας αύτδν άτι τι τής θεότητος την φύσιν γεω- καινοτομία τής ορθοδόξου πίστεως , dans D osithée, r- . t- : ,
μετριχαις γραμμαίς έσχημάτισε, χα'ι τδν Π ατέρα τοΰ Π νεύματος «ρηχέ, Jassy, 1694, p. 412-420 ; N icolas S chlengias, Π t-. τ · ;
χαιτον Γίδν ώσαύχως του Π νεύματος , COd. MOTC., 153; Id., 'Ο μιλία: τοΰ άγίου Π νεύματος , cod. paris., 1295, n. 35, Catalogus <.
κατά Λατίνων, διαλογιχον φίρουσα τδν χαρακτήρα, Αντιθέτους εχουσα τδν bibliothecæ regiæ, t. il, p. 279; M athieu (m oine · , : : ;
τι Λουχάν χαΐ τδν Νήφωνα, cod. laurent., 19, plut, v u , B andini, ριϋσεως τοΰ άγιου Π νεύματος , COd. paris., 1115, Π . 6, C a/iir-oui.etc ,
t. Il, p. 262; G régoire de C hypre, Έ κθεσις του τόμου τής πίστεως p. 218,219; T héodose (m oine), Περί τής ίχ-τ,-.ι.-ί ; - : ;
χατά τοΰ Βίκκου, Ρ · G., t. C X LII, col. 233-246; Id., Περ· . τής Π νεύματος , cod. paris. 1303, n. 7, ibid., p. 281 ; M arc d ’ É phèse,
ίχπορεύσιως τοΰ άγιου Π νεύματος , ibid., col. 269-300; G eorges P a- Συλλογιστικά κεφάλαια νζ ’ πρδς Λ ατίνους περί τής ίχποριύσεως τ . .
chym èrc, Περί τής Ιχπορεύσιως του άγίου Π νεύματος πρδς τούς λέγον ­ Π νεύματος , Z oernikav, op. cit., t. n , p. 710-741 ; P. G., t. c l x i ,
τας , &τι διά τοΰτο λέγεται Π νεύμα Γιου, διά τδ δμοούσιον, ή διά τδ COl. 11-244; ld ., Συλλογή χρήσεων γραφικών, δτι ίχ μόνου Πάτρας
χορηγιίσθαε ύπ* αύτοΰ τοίς Αξίοις , Ρ · G., t. CX LII1, Col. 924- εκπορεύεται τδ Π νεΰμα τδ άγιον, ούχι δε και ίχ τοΰ 1 ιοΰ, COd. mosq-,
929; cet opuscule est regardé p ar A llatius com m e favo ­ 240, fol. 76-88, V ladim ir, op. cit., p. 316; Id., Π ερί τής ίχπ .-.ιν-
rable au x latins; G ennade de B ulgarie, Σύνταγμα 1χ δια- σιως τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. VÎndob., 280, L am becius, op. CÎt.,
φόρων χρήσεων Αναντίρρητων τής θιίας Γραφής , τής τεπαλαιάς χαι τής t. V , col. 467, 468; Id., Λ ατίνος ή περί τής ίν τ«ΰ συμβόλω πρ-.ττ.-.νης ,
νιας Ανατρίπον και καταδάλλον την λατινικήν δόξαν, COd. barOC., 10, cod. monach., 256, fol. 287-2 90, H ardt, op. cit., t. m , p. 85;
fol. 26-66, C oxe, op. cit., t. I, col. 16; M anuel M oschopu los, T héodore A gallianos, ’ Ανασκευή τής ύπίρ τής δόξης Λατίνων τ -ΐ ίευ
Διάλεξες πρδς Λ ατίνους , COd. bciFOC., 68, H . 32, fol. 94-98, COXC, τοΰ Ά ργυροπούλου, dans D osithée, Τόμος ’ Α γάπης , ρ. 333-367 ;
t. I, col. 105. P. G., t. CLV U I, col. 1011-1051 ; Id., Συλλογή ix των άγιων άτε
4° xiv9 siècle. — N icéphore C hhoum nos, Επιτάφιος είς τδν πρδς τά δογματικά κεφάλαια (τοΰ άγίου Μ αξίμου) σύμφωνα οντα καετο-.ς
μακάριον χαι άγιωτατον μητροπολίτην Φ ιλαδελφίας θεόληπτου ίν ω διά λοιποίς άγίοις , άντιπαριξιταζομίνη ή των Λατίνων δόξα ούχ «υΐισχεται σύμ ­
βραχέων ελεγχος χαι τοΰ λατίνιχοΰ περί τής τοΰ παναγίου Π νεύματος εχπο- φωνος αύτοίς , Αλλά μάλλον παντοία αιρε'σει σύμφωνος , dans D osithée,
ριύσεως δόγματος , dans B oissonade, Anecdota grœca, P aris, Τόμος Κ αταλλαγής , ρ. 432-439; G eorges G ém isthe P léthon,
1833, t. V , p. 183-239; ld ., 'Α νασκευή τοΰ δόγματος τ«ν Λατίνων Π ερί τής ίκποριύσεως τοΰ άγίου Π νεύματος , ότι εκ μόνου ιϊατφες
περί τής ίχπορεύσιως τοΰ αγίου Π νεύματος , COd. par. 2105, Π. 16, εκπορεύεται, dans D osithée, Τόμος 'Α γάπης , Ρ· 316-320; Ρ. G-,
Catalogus codicum bibliothccæ regiæ, t. n , p. 445; M axim e t. CLX , col. 975-98 0; G ennadius S cholarius, Έ χ-ι.τ.ς τ.:'. πή;
P lanudes, Π ερί Τής ιχπορεύσεως τοΰ αγίου Π νεύματος χατά Λ ατίνων, τοΰ άγίου Π νεύματος ύποστάσιως δόξης , και τοΰ Αρχείου xn χελ*γ»υ·
Ρ. G., t. (X X I, col. 309-317; Λ όγο; τής πίστεως , COd. VÎndob., μενού τής ’ Εκκλησίας φρονήματος , dans D osithée, Του-.; -·- =-ης <
269, L am bccius, Commentaria de bibliotheca cœsarea vin· ρ. 252-291; Id., Κ ατά τής προσθήκης ήν έν τβ συυζό / τής - στε»ς
dobonensi, V ienne, 1778, t. v, col. 446; M athieu B lastares, προσε'Οηκαν οί Λ ατίνοι, ibid., ρ. 291-307 ; Id., Περί τής ίχ- ;ι ^σε»ς
Π ερί τής Ιχπορεύσεως τοΰ άγιου Π νεύματος , édité p ar A rséne (évê- τοΰ άγίου Π νεύματος τώ μεγάλω Δοΰκι, S im onides, op. Cit-, ρ. 53-
que), À Toscou, 1891 ; voir Vizantiiskij Vremennik, 1903, t. x, 72; Id., Π ρδς Λ ατίνους , cod. mosq., 249, fol. 269-2 74, V ladi ­
p. 685-687; B arlaam de C alabre, Π ερί τής ίχπορεύσεως τοΰ άγίου m ir, op. cit., p. 335; Διάλογος κατά Λατίνων περί τής : . -ri*^
Π νεύματος (vingt brochures inédites : on en trouve les titres τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. paris., 1218, Π . 29, Catalogus, etC -,
dans D ém étracopoulos, ’ Ορθόδοξος 'Ελλάς , p. 73-75), cod. ρ. 257 ; M ichel A postolis, Προσφώνημα εις τδν βασιλέα Κ ω νσττ.πϊν;-,
mosq., 251, fol. 254-416, V ladim ir, op. cit., p. 344, 345; cod. άμα δε και ομολογία τής αύτοΰ πίστεως , ίν η λέγει, οτι τδ Π νεΰμα · Λ
Vat. græc., 1106,11 10; M ichel B ryennios, Περί τής Ιχπορεύσεως άγιον ίκπορεύεται ίκ τοΰ Π ατρός , ού {%<ν ουν ίξ Γιοΰ κατά τδν λογτν τής
τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. pOFÎS., 1267, Π . 19, CatalogilS COdlCUIIl Α λήθειας , dans D ém étracopoulos, Έ θνιχδν ήμερολόγιο· ., A thènes,
bibliothecæ regiæ, t. n , p. 269; N ü C abasilas, Λ όγοι πέντε περί 1870, ρ. 355-359; Jean M oschos, 'Α πάντησες πρδς τούς λιγ-.»τας
τής ίχπορεύσιως τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. mosq., 252, fol. 104- οτι εκ τοΰ Γιοΰ τδ Π νεΰμα τδ άγιον εκπορεύεται, COd. eSCOF. y. ΙΠ ,
146, V ladim ir, op. C i/., p. 346; Λ όγοι Λ ατίνων, εξ δν οιονται διιχ- 18, fol. 1-32, M iller, Catalogue des manuscrits grecs de la
νύναι, τδ Π νεΰμα τδ άγιον χαι ίχ τοΰ Γίοΰ Ιχπορευόμενον, COd. VÎndob., bibliothèque de VEscurial, P aris, 1848, p. 290.
260, L am becius, op. cil., t. v, n. 5, col. 378, 379; Id., Λ ύ- 6° xvie-xx9 siècle. — M anuel le P éloponnésien, 'Α πολογία
σις των προτάσεων των Λ ατίνων, ίξ δν συνάγει· / οιονται τδ Π νεύμα τδ χοι Ανατροπή των κεφαλαίων τοΰ Φραγκίσκου εκ τοΰ τάγματος τ· ν Κ ηρύχν»,
άγιον ούχ ίχ τοΰ Γίοΰ ίχπορεύεσθαι, ibid., Col. 379, 380; Ι)βΓΠ β- M oscou, 1889; Ρ. G., t. c x l , col. 469-481; voir aussi G é-
tracopoulos, op. cit., p. 78-80; G régoire P alam as, ΕΙς τάς déon, Συμβολαι εις την ιστορίαν των μεταξύ τίν Έ κχλττ σχετι· -.· ,
παρά τοΰ Βέχχου ύπερ Λ ατίνων ίπι ταίς συλλιγείσαις παρ αύτοΰ γρα- dans 'Εκκλησιαστική Α λήθεια, 1889, t. IX , ρ. 236-240; Id.. Εις δ.--
φιχαίς χρήσεσιν Α ντεπιγραφαί, Ρ. G., t. CLX I, col. 244-309; Id., συλλογισμούς λατινικούς Αποδειχνύντας καί εκ τοΰ Γίοΰ τδ Π : - ix, C&d.
Λόγοι άποδειχτιχοι δύο, C onstantinople, 1627, L egrand, Biblio- mosq., 243, fol. 79-82, V ladim ir, op. cit., p. 323; P achom k»
graphie hellénique du xvn* siècle, t. I, p. 237 ; Id., "Ο τι Λατίνο» R ousanos, Πρδς Λ ατίνους , cod. nan., 125, fol. 140-142; Id , Α ττ-
ίγοντες χαΐ ίξ Γίοΰ τδ Π νεΰμα, ούχ εχουσι διαφυγείν τους ίγχαλοΰντας λογία διαλεκτική πρδς Λ ατίνους , ibid., fol. 142-145, Grscci codices
αυτούς , ίτι τοΰ ίνδς Π νεύματος δύο λέγουσιν Αρχάς , xat δ. τούς βιο ­ apud Nanios asservati, p. 259; T heophane É léavourkos N o
λογικούς συλλογισμούς άποδειχτιχούς μάλλον δει χαλείν, ή διαλεκτικούς , taras, Διαίρεσις μετά συλλογισμών βιολογικήν κατά τχ. ; ■
cod. coisl. C ., M ontfaucon, Bibliotheca coisliniana, P aris, ήμ«»ν θεοσοφίαν τής πίστεως , COd. mosq., 244, fol. 13-29, V ladi ­
1715, p. 171; P apam ikhaïl, Ό άγιος Γρηγόριος Π αλαμάς , A lexan ­ m ir, op. cit., p. 325; G eorges C alyvas, Έ ρυτοτ-.χ:· τ. ;, I,
drie, 1911, p. 182-18 4; A rséne S tudite, Μ αρτυρία: περί τής Περί τής ίκπορεύσεως τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. VÎndob., 289, fol- 17,
ιχπορεύσεως τοΰ άγιου Π νεύματος , COd. paris. 1258, n. 1, CatalogilS L am becius, t. v, col. 497; L éonce (m oine). Quid de Spi­
codicum bibliotheca regiæ, t. n , p. 266; Id., Σχόλια Αντιρρητικά ritus Sancti processione grœci quidam hodie sentiunt. F ranc ­
περί τής ίχποριύσεως τοΰ άγίου Π νεύματος , COd. paris., 1303, il. 3, fo rt, 1591 ; M éléce P ig h as, ’ Ορθόδοξος χριστιανός δ:α>-,;-.ς , V iina,
ibid., p. 281 ; N icolas C abasilas, θεολογία περί τής άγίας Τριάδος , 1596, L egrand, Bibliographie grecque du xv· et du xn 9 siècle,
cod. vindob., 232, n. 4, L am becius, op. cit., t. v, col. 141 ; t. Il, p. 115-119; ld., Λόγος περί τοΰ τίς ίστ·.ν ή Α ληΙης χκίοϊετή
T h'-ophane de N icée, Κ ατά Λατίνων, cod. baroc., 193, n. 3, 4, ’ Εκκλησία, dans D osithée, Τόμος χαράς , Ρ· 553-609; G abriel
C oxe, op. cit., col. 328, 329; D ém étrius C hrysoloras, Διά ­ S évère, *Εκθισις κατά τών Αμαθώς λεγόντων, χαι παροόμω ς δ ·-
λογος Αναιρετικός τοΰ λόγου Sv «γράφε Δημήτριος ό Κυδώνης χατά τοΰ των, 5τι ήμεις οι τής Ανατολικής 'Εκκλησίας γνήσιο >αι όρθοδ-.ς ι τπ ’■· ;
Μ ακαρίου Θεσσαλονίκης χ. Νείλου τοΰ Κ αδάσιλα, cod. laurent., 12, ίσμεν σχημάτικοι παρά τής άγίας x<u καθόλου Εκχλν,τιχς . C onstanti ­
plut. V , B andini, op. cit., t. Il, p. 32; ld-, Λόγος συνοπτικός άφ ’ nople, 1627, L egrand, Bibliographie hellénique du - ’ sieck.
ûv ίποίησενό άγιος Ν είλος Αρχιεπίσκοπος Θ εσσαλονίκης , ου xat τάς λύσεις t. i,p . 242; M argounios, Πο?ί -.ή;
χαι τάς των εναντίων ίνστάσεις και τους συλλογισμούς αύτοίς σχήμασιν cod. hicrosol., 216, fol. 1-126, 200-248; voir P apad >· ---.
άποδειχ-/ύς ίν συντόμω, cod. mosq., 243, fol. 95 — 112, V ladim ir, op. K éram evs, 'Ιεροσολνμ· .τ:χη ι.ελ Arxx., S a in t - -r 1 > · :
cit., p. 323. t. i, p. 296, 297; Id., B tftfa · κ · ;· ι
5° XV e siècle. — N il D am ylas, 'Επιστολή τθ εύλαδεστάτω iv έχπορ-.ύσιως , cod. mosq., 244, fol. 29-84, W cp n .
Χ ριστβ πατρ: χαι Αδιλσω σοφΛ τι χαι λογιωτατω κυρίω Μ αξίμω, N ijny- p. 325; N athanael C hykas(?), K »s«ic τ . r- , -
N ovgorod, 1895 (édit. A rsène, évêque); ce traité com prend οποία λογιάζουσι νά Α ποδιίς ωσι πώς τδ t» σ- . r- : —χ
les q u atre brochures données sous des titres différents par xat ίχ τοΰ Γίοΰ χαι πρδς ταΰτα λΰστες τώ» Î ϊ . . -κ; κπκύχς
D ém étracopoulos, op. cit., p. 88; M acaire D osithée, d ’ A n- Αναιρούσε τά οσα οι Λ ατίνο: λίγονσνν, cod. hieT'SS. »Ο ύΟ -
Cyre, Κ ατά Α ατί*ων, Τόμος K απαλλαγής , Jassy, 1692, p. 1-205; stantinople), 94, fol. 1-47; voir P apadopcolo-K er^nevs,
823 E S P R IT -S A IN T 824

Ίιροσολυμιτική βιβλιοθήκη, S aint-P étersbourg, 1892, t. iv, p. 97; O iskojdenii Sviatogo Dukha (Sur la procession du Saint-
G eorgius C risanius, Bibliotheca schismaticorum universa Esprit), K iev, 1832; S erge (archim andrite), Ob iskhoidenii
omnes schismaticorum libros hactenus impressos, duobus sviatogo Dukha, dans Pribavleniia aux versions russes des
tomis comprehendens : primum quidem a duodecim aucto­ œuvres des Pères, 1859 , t. x v n i, p. 4 1 7 -5 2 1 ; Innocent,
ribus tribus linguis, grœce antique, grœce moderne et mos- Bogoslovie oblichitelnoe, K azan, 1859 ,1.1, p. 19-118; P rokhor
covitice composita et in pluribus codicibus impressa, nunc P ropokov itch, Lettres sur les causes de la séparation de
aulem verbatim reddita et confutata, R om e, 1656, cod. 1597, ΓÉglise occidentale de Γ Église orientale, S aint-P étersbourg,
Biblioth. Casan.; on y trouve les ouvrages suivants tra ­ 1862; V ladim ir, La controverse sur la procession du Saint-
duits en latin : M axim e le G rec, Oratio contra latinos Esprit, dans Pravoslavnoe Obozrienie, 18G 7, t. x x iv , p. 317-
quod non liceat apponere, sive auferre quidquam in divino 330; Le dogme de la procession du Saint-Esprit dans Γ Église
fidei symbolo, fol. 53-133; M eletios, patriarche d ’ A lexan ­ gréco-uniale, dans Kholmskii greko-uniatskii miesiatzeslov
drie, Demonstratio ex theologicis scripturis et ex universalibus (1871), V arsovie, 1870, p. 60-67; K raïnsky, Le catholicisme
doctoribus, quod Spiritus Sanctus ex solo Patre procedat, et (Γaprès les sources catholiques, K iev, 1873, p. 91-126; K o-
non etiam ex Filio, prout nonnulli a sua superbia decepti com­ khom sky, La doctrine de Γancienne Église sur la procession
miniscuntur, fol. 153-216; M axim e M argunius, Enchiri- du Saint-Esprit, S aint-Pétersbourg, 1875; S adov, Bessarion
dium de processione Spiritus Sancti in forma epistolæ, fol. de Nicéc, S aint-P étersbourg, 1883, p. 42-105, 123-182;
217-224; Id., Colloquium de processione Spiritus Sancti, N ekrasov, La doctrine de saint Jean Damascènc sur les re­
sive orthodoxus et latinus, fol. 225-318; C oresios, Collo­ lations personnelles entre le Fils et le Saint-Esprit, 1883, t. i,
quium cum quodam fratre de processione Spiritus Sancti, p. 217-234, 307-326; B utkevitch, Un nouvel attentat des
fol. 145-464; G abriel S évère, Expositio adversus illos qui jésuites contre l'orthodoxie : réfutation de Γ ouvrage de Serge
imperite asserunt et perverse docent quod nos orientalis Astachkov sur la procession du Saint-Esprit, dans Viera t
Ecclesiae genus et orthodoxi filii simus schismatici, seu sepa­ Razum, 1887, 1.1, p. 299-316,577-603,653-690; t. n , p. 101-
rati a sancta universali Ecclesia, fol. 570-66 9; si nous ne nous 124, 579-606; A ntoine (archim andrite), Une nouvelle in­
trom pons pas, l ’ auteur de ce recueil est le célèbre m ission ­ trigue jésuitique à propos de Γouvrage d’Astachkov sur la
naire serbo-croate du x v n c siècle, G eorges K rijanitch; procession du Saint-Esprit, S aint-Pétersbourg, 1888; T roft-
M axim e le P éloponnésien, Έ γχιιρίδιον κατά τοϋ σχίσματος t w v zky, Contribution à l'histoire de ta controverse sur la proces­
παχιστ«>, B ucharest, 1690; C oressios, Έ γχιιρίδιον xtf ’c τής Ixxo ” sion du Saint-Esprit, S aint-Pétersbourg, 1889; K atansky,
ριύσιως τοδ αγίου Π υιύματος , dans D osithée, Τόμος Κ αταλλαγής , La procession du Saint-Esprit, S aint-P étersbourg, 1893;
.lossy, 1694, ρ. 296-412; Id., Διάλιξις μ«ά τίνος τ«ν Φράρων, v o ir Khristianskoe Tchtenie, 1893, t. n , p. 401-425 ; G ousev,
C onstantinople, 1Q 27, L egrand, op. cit., t. i, p. 241 ; Id., Une apologie jésuitique du Filioque, M oscou, 1900; Id-,
Διάλογοι πιρι του χαναγίου καί ζωαρχιχοδ Π νεύματος , COd. hiCTOSol., Thèses sur le Filioque, dans Pravoslavny Sobesiednik, 1901 ,
450, fol. 2-82; P apadopoulo - K éram evs, Ίιροσολ. βιβλιοθήκη, t. i, p. 3-39; P érov, Manuel de théologie polémique, T oula,
t. i, p .4 2 9 ; D osithée de Jérusalem , Τόμος Κ αταλλαγής , Jassy, 1905, p. 31-41 ; P hilarète, Théologie dogmatique orthodoxe,
1692, p. 439-441; Id., Τόμος Ά γάαης , Jassy, 1698, p. 316- 1882, S aint-P étersbourg, t. i, p. 94-110; M acaire, Théologie
320, 378-387; Id., Τόμος χαράς , R im m ic, 1705; Id., ’ Ιστορία dogmatique orthodoxe, S aint-Pétersbourg, 1895, t. i, p. 267-
xipi τών iv Ί:ροσολύμο»ς κατριαρχιυσάντω· /, B ucharest, 1715, p. 478- 348; S ylvestre, Essai de théologie dogmatique orthodoxe,
497, 755-77 5; C hristophore E m borokom ites, ’ Εγχειρίδιου r«p» K iev, t. n , p. 430-59 9; M alinovsky, Théologie dogmatique
τής ίχπορόσιω ς του αγίου Π νεύματος , B ucharest, 1728; C onstantin orthodoxe, K harkov, 1895, t. i, p. 316-333; Encyclopédie
de M OSCOU, Π ερί τής ίκχοριύσεως του άγιου Π νεύματος , etc., M OSCOU, théologique orthodoxe, t. v, col. 73-82.
1746; T antalides, Π απιστικοί Γλεγχοε, C onstantinople, 1850, IV . Th é o l o g ie n s g r ec s e t l a t in s f a v o r a bl es a u

1 . 1, p. 174-297; The Filioque and the American Church, dans Fil io q u e . — Epistola ad Leonem III papam a Smaragdo
The orthodox catholic review, L ondres, 1867, 1.1, p. 246-252; abbate edita, P. L., t. x cv m , coi. 923-929; voir M ai, De Spi­
The procession of the Holy Ghost, ibid., 1876, t. iv , p. 264- ritus Sancti processione a Patre Filioque opuscula duo, dans
270;L am pryllos, La mystification fatale ou élucidation d ’une Scriptorum veterum nova collectio, R om e, 1833, t. v n , p. 241-
page (Γ histoire ecclésiastique, A thènes, 1883; C hrysostom e 245; A lcuin, Libellus de processione Spiritus Sancti ad
(protosyneelle), Π<ρΐ ’ Εκκλησίας , A thènes, 1896, t. n , p. 301- Caro'um Magnum, P. L., t. ci, coi. 63-82; T héodulphe
4 0 0 ; B oulgaris, θιολογιχόν, V enise, 1872, p. 281-319; R hosi, d ’ O rléans, De Spiritu Sancto, P. L., t. cv, coi. 239-276;
Σύστημα δογματικής τής ορθοδόξου καθολικής ’ Εκκλησίας , A thènes, R atram ne de C orbie, Contra græcorum opposita romanam
1903, t. I, p. 253 - 287; A ndroûtsos, Δογματική τής ορθοδόξου Ecclesiam infamantium, P. L., t. cx x i, coi. 225-304; É née
Ανατολικής ’ Εκκλησίας , A thènes, 1907, ρ. 79-86; Id., Δοκιμίου de P aris, Liber adversus objectiones græcorum, P. L.,
συμβολικής εξ ίχόύεως ορθοδόξου, A thènes, 1901, ρ. 127" 134; t. cxxi, coi. 685-721 ; S. P ierre D am ien, Opusculum
M esoloras, Συμβολική τής ορθοδόξου Ανατολικής ’ Εκκλησίας , A thènes, (X X X V III) contra errorem græcorum de processione Spi­
1901, ρ. 113-129. P our une bibliographie plus com plète, voir ritus Sancti, P. L., t. c x l v , coi. 633-64 2; S. A nselm e de
D ém étracopoulos, E h rh ard; M eyer, Die lheologische I.itera ­ C antorbéry, De processione Spiritus Sancti contra grœcos
tur der griechischen Kirche im sechzehten Jahrhundert, L eipzig, P. L., t. C LV in, coi. 285-326; P ierre C hrysolanus, Oratio ad
1899, et les ouvrages cités dans P alm ieri, Theologia dogma­ Alexium Comnenum de processione Spiritus Sancti, P. G.,
tica orthodoxa, 1.1, p. 765, note 1. t. cx x v n , coi. 909-920; R upert de D eutz, De operibus Spi­
III. O u v r a g e s r u s s e s . — P our l ’ ancienne polém ique ritus Sancti, 1. I, 3-6, 28, P. L., t. c l x v i i , coi. 1573-1576,
russe touchant le Filioque, voir P opov, Aperçu historique et 1599-1600; Id., De glorificatione Trinitatis et processione
littéraire sur les écrits polémiques des anciens russes contre Spiritus Sancti, P. L., t. c l x i x , coi. 1-201; A nselm e de
les latins, M oscou, 1875; P avlov, Essais critiques sur Γhis­ H avelberg, Dialogi (n). De processione Spiritus Sancti :
toire de la très ancienne polémique gréco-russe contre les la­ utrum secundum grœcos a Patre tantum procedat, an secun­
tins, S aint-P étersbourg, 1878; Pamiatniki polemitcheskoi dum latinos a Patre simul et Filio, P. L., t. c l x x x , coi.
literatury v zapadnoi Rusi (Monuments de la littérature polé­ 1163-1210; R ichard de S aint- V ictor, De Trinitate, 1. V I,
mique dans la Russie occidentale), dans Russkaia istorit- P. L., t. exevi, coi. 967-992; H ugues E thcrianus, De hœre-
cheskaia biblioteca, S aint-P étersbourg, 1878, t. iv ; 1882, sibus quas grœci in latinos devolvunt, P. L., t. ccn , coi. 233-
t. v n ; 1903, t. xix ; B arlaam Jasinsky, La vraie et ancienne 396; P antaléon, Tractatus contra errores græcorum, P. G.,
foi de la sainte Église orientale touchant la procession du t. cxL , coi. 487-510; voir P alm ieri, dans Bessarione, 3 e série,
Saint-Esprit (inédit), voir Theologia dogmatica orthodoxa, 1911, t. v m , p. 308: N icéphore B lem m ydes, Oratio demon ­
t. i, p. 793-794; L azar B aranovitch, La nouvelle mesure de strans sanctorum Patrum testimoniis per Filium et ex Filio
l'ancienne foi pour mesurer la procession du Saint-Esprit, Spiritum Sanctum dici, P. G., t. c x l i i , coi. 535-56 5; Id.,
N ovgorod en L ithuanie, 1676; Jean G alatovsky, L ’ancienne Oratio de nonnullis dogmaticis quœstionibus ad Theodorum
Église orientale qui montre à ΓÉglise romaine comment le Ducam Lascarim, ibid., coi. 565-584; Id., Έ κ τής τ<3ν κατ ’ αύ-Λχ
Saint-Esprit procède du Père seul, non pas du Fils, ibid., διηγήσιως , dans D em etraC O pO llloS, ’ Εκκλησιαστική βιβλιοθήκη,
1678; A dam Z oernikav, Tractatus theologici orthodoxi de t. ι, ρ. 380-395; (les théologiens orthodoxes citent N icé ­
processione Spiritus Sancti a solo Patre, K œ nigsberg, 1774; phore B lem m ydes com m e contraire au Filioque ; voirB oulga-
cet ouvrage, qui est l ’ arsenal de la théologie polém ique or ­ rÎS, Ά υάκ^ισις χ«ρι Ν ικητόρου του Βλτμμΰδου, dans Tà πα^αλοχόμινα
thodoxe, a été trad u it en grec et annoté p ar E ugène B oul- de Joseph B ryennios, L eipzig, 1784 , t. n i, p. 307-40 5 ; H ei ­
garis, S aint-Pétersbourg, 1797 ; trad u it en russe p ar D avido ­ senberg, Nicephori Blemmydæ curriculum vitæ et carmina,
vitch, S aint-P étersbourg, 1902; voir P alm ieri, Nomenclator L eipzig, 1896, p. x x x v i - l i v ; Id., De fide, P. G., t. c x l i i ,
litterarius theologiæ orthodoxes russicœ ac græcœ recentioris, col. 585-606; S. T hom as d ’ A quin, Contra errores græcorum ad
P rague, 1910, t. i, p. 10-13; P rokopovitch, Tractatus de Urbanum IV,dansL ’ccelli,Sancti Thomæ Aquinatis in Scrip
processione Spiritus Sancti, G otha, 1772; T ikhom irov luram sacram expositiones et opuscula, R om e, 1880, p. 449-481 »
825 E S P R IT -S A IN T

Id., Declaratio quonuhdam articulorum contra græcos, arrne- 1583; Id., Capita quibus græct et ruthent a latinis γ *:.
noset saracenos, ibid., p. 492-49 3; Anonymi liber de fide fidei dissenserunt, P osen, 1585; G rysaldus, A fafk
sanctissimas Trinitatis ex diversis auctoritatibus sanctorum græcos, dans Decisiones fidei catholica·, V enise, 1587. f .. _ ■
Patrum græcorum contra græcos, ibid., p. 361-42 0; voir 347 , 348; H unnius, Disputatio de Spiritus Sancti
sur ces écrits : B ernard de R ubeis, Dissertationes criticæ ejusque a Patre et Filio processione, M arbourg. 158S; · -
in sanctum Thomam Aquinatem, χνιι,2-3, dans Opera omnia, largus, De admiranda et œterna Spiritus San z r> ■■■.. - ·
R om e, 1882, t. i, p. ccx x v -x x v n ; V ekkos, De unione F rancfort, 1592; B ohem ius, Commentatio de æterntz S p r
Ecclesiarum, P. G., t. c x l i , col. 15-157; Id., De proces­ Sancti a Patre et Filio processione, W ittem berg. 1 6o4: Ia ­
sione Spiritus Sancti, ibid., col. 157-309; Id., Ad Sugdeœ sius, Disputationes catholicas in quibus præcipux
episcopum Theodorum, ibid.,col. 289-337; Id., Ad Constan­ quorumdam opiniones orthodoxe: fidei adversæ rejiciuntur,
tinum, ibid., col. 337-39 6; Id., Refutationes adversus An­ B ologne, 1607, p. 1-55; S palchaver. Trias con-r -
dronici Camateri super scripto traditis testimoniis de Spi­ theologicarum de Spiritu Sancto, R ostock, 1616; S carpan
ritu Sancio animadversiones, ibid., col. 396-61 3; Id., De œterna Spiritus Sancti processione, dans Septiformis p?.-·
Epigraphs· sive præscriptiones in dicta ac sententias san­ tractatio Spiritus Sancti processionem œternam, ad omn:..
ctorum Patrum a se collectas de processione Spiritus opera externa, concursum, missiones visibiles, gratiarum -
Sancti, ibid., col. 613-724; Id., Refutatio libri Photiide pro­ fluxus, in ipsum peccata, universam denique ejus nature^
cessione Spiritus Sancti, ibid., col. 728-864; Id., In tomum operationesque complectens, V érone, 1625, t. i, p. 1-22; A r ..
Cyprii et novas ejusdem hœreses, ibid., col. 864-925; Id., dius, Opuscula aurea theologica circa processionem Spin:
Oratio apologetica, ibid., col. 969-1009; C onstantin M elitc- Sancti, R om e, 1630; C atum syritus, Vera utriusque Ecclesia
niot, De ecclesiastica unione lalinorum et græcorum et de concordia circa processionem Spiritus Sancti, V enise, 16?.3 ;
processione Spiritus Sancti, ibid., col. 1032-1273; G eorges A llatius, De Ecclesiæ occidentalis atque orientalis perpetui
M étochite, Refutatio trium capitum a Maximo Planude consensione, C ologne, 1648; Grœcia orthodoxa, R om e, 1652,
monacho editorum, P. G., t. c x l i , col. 1276-1305; Id., t. i; 1659, t. n ; Id., De processione Spiritus Sancti enchi­
Contra Manuelem Cretensem, ibid., col. 1308-140 5; Id., ridion (en grec m oderne), R om e, 1658; Id., Johannes Hot-
Excerpta ex libris IV et V de processione Spiritus Sancti, tingerus fraudis et imposturœ manifeste convictus, R om e,
ibid., col. 1405-1420; B arlaam de C alabre, De primatu 1661; Vindiciœ synodi eplies i nœ et sancti Cyrilli de proces­
Ecclesiæ romanæ et de processione Spiritus Sancti pro sione ex Paire cl Filio Spiritus Sancti, R om e, 1661 ; Id., In
latinis, P. G., t. c l i , col. 1255-1280; Id., Responsio ad Roberli Creyghtoni apparatum, versionem et notas ad histo­
Demetrii Thessalonicensis epistolam de processione Spiritus riam concilii fiorenlini, R om e, 1665; C undisius, Repetii,
Sancti, ibid., col. 1301-1309; Id., Probatio per sacram orlhodoxœ docirinæ de processione Spiritus Sancti, L eipzig
Scripturam quod Spiritus Sanctus et a Filio est, quemadmo­ 1641 ; F erchius, De personis producentibus Spiritum Sanetur? ,
dum et ex Patre, ibid., col. 1314-1330; D em etrius C ydon ius, F rancfort, 1646; R ueschm an, De Spiritus Sancti divinitate
De processione Spiritus Sancti ad eos qui dicunt Filium Dei ejusque œterna processione a Paire et Filio, H elm sl ait. 1647
non esse ex substantia Patris, P. G., t. c l i v , col. 863-958; C ichocki (C ichovius), Colloquium kioviense de processior.·
Id., Epistola ad Barlaamum, episcopum Gyracensem, in qua Spiritus Sancti a Filio inter Innocentium Gizel et Nicolaum
ponens omnia dubia sua de processione Spiritus Sancti petit Cichovium, C racovie, 1649; Tribunal sanctorum Patmn
ab eo doceri, quibus modis adductus sit credere Spiritum orientalium et occidentalium ab orientalibus summe laud:·
Sanctum et ex Filio procedere, P. G., t. c l i , col. 1283-1301; torum, ad quod duas de processione Spiritus Sancti a J ; -
Id., Σύγγραμμα Ript τ^ς Ιχ-β^τύσιως το5 άγιου Π νίύματο;, cod. vin- et Filio, cl de prœeminenlia romanorum pontificum expen­
dob„ 261, fol. 1-210; cf. L am becius, op. cit., t. v, col. 384; ld., dendas, C racovie, s. d .; M eisner, Dissertatio de proce-< ·
Κατά, των συγγραμμάτων του Κ αβάσιλα iv τοΤ; ίχιΐνος ώς ώή$η, Ιτ.ι- Spiritus Sancti, W ittem berg, 1653; R ichard, Ta? . τ· -: —
λάδιτο τοδ άγιου θω μά του *Α γχίνου, ibid., fol. 210-268; cf. I.aillbc- τιως τξ; ίω μαιχ^ς ‘ Εχχλησίας ιΐς την διαφέντ<υσιν τξς όρβοδσς ία;, P aris;
cius,col. 384-385; P hilippe de F era, De processione Spiritus N éophyte R hodinos, Epistola ad Johannem presbyterun
Sancti contra græcos; voir Q uétif-E chard, Scriptores ordinis Paramythiensem qua probat romanum pontificem non tantun
prædicalorum, P aris, 1719, t. i,p . 646, 647; M anuel C alécas, latinos sed eliam græcos ut suas oves quærere : tum demum
Contra græcorum errores, 1. I, 2-3, P.G., t. c l i i , col. 17-136; agit de processione Spiritus Sancti (en grec m oderne), R om e .
M axim e C hrysoberges, Oratio de processione Spiritus Sancti, 1659; D annhav erus, Siylus vindex œternæ Spiritus Sancti a
P. G., t. c l ï v , col. 1217-1229; Jean A rgyropoulos, Scriptum Patre et Filio processionis, internœ immanentis emanationis,
brevissimum de processione Spiritus Sancti in quo habetur a vera religione, hactenus creditœ ac necessario credenda·,
explanatio decreti facti in synodo florentina, P. G., t. c l v j i i , S trasbourg, 1663; B oym , L'ancienne foi, où Γοη démontre
col. 992-1008; G ennadius S cholarius (?), Expositio pro sancta aux schismatiques la primauté de saint Pierre et des pont:,
el cecumenica synodo florentina quæ legitime congregata est, romains el la procession du Saint-Esprit du Fils (en polonais ,
et defensio quinque capitum quæ in decreto ejus continentur, L em berg, 1668; H aberkornius, Dissertatio de procession-
P. G., t. C Lix, col. 1109-1190; M anuel C lirysoloras, De pro­ Spiritus Sancti a Paire et Filio, G iessen, 1672; T héophile
cessione Spiritus Sancti contra græcos, cod. paris. 1300, Cata­ R utka, Defensio S. orlhodoxœ orientalis Ecclesiæ conir.i
logus bibliothecæ regiæ, t. n , p. 279; Isaïe de C hypre, hæreticos processionem Spiritus Sancti a Filio negantes ex
Epistola ad Nicolaum Schlengiam de processione Spiritus SS. Patribus, potissimum grœcis deducta, ac connss:
Sancti, P. G., t. c l v i i i , col. 972-976; Joseph de M é- præsentis Ecclesiæ roxolanæ firmata, P osen, 1678: en ρ· »Ι· -
thone, Disceptatio pro concilio florentine, P. G., t. c l i x , nais, ibid., 1678; Id., Ix nouvel Goliath percé par s :i pr : ·■
col. 960-1392; Id., Refutatio Marci Ephesini, ibid., glaive, ou l'archimandrite Joannice Galatoivski et son ouvra^
col. 1023-1094; G régoire M am m as, Apologia contra Ephesii contre la procession du Saint-Esprit, L ublin, 1689; voir
confessionem, P. G., t. c l x , col. 13-109; Responsio ad epis­ P alm ieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t. i, p. 794; Id .
tolam Marci Ephesii ex variis sanctorum sententiis, ibid., Orator ad Ecclesiam orientalem, D. Aurelius Augustinus, cun
col. 112-204; Id., Ad imperatorem Trapezuntis, ibid., col· Spiritu Sancto a Filio procedente, pro eodem Spiritu a græcL·
205-218; B essarion, Responsio ad Ephesii capita, P. G., recipiendo, introducitur, K alisz, 1690; en polonais. 1692;
t. C LX i, col. 137-241; Id., Apologia inscriptionum Vecci, Id., L*étendard de Γ union et de la paix ou ΓEsprit-Saint pro ­
ibid., col. 241-31 0; Id., Refutatio syllogismorum Maximi cédant du Fils, d'après les livres ecclésiastiques slaves ten
Planudæ de processione Spiritus Sancti contra latinos, ibid., polonais), L ublin, 1691 ; Id., Le tribunal des saints Pères, etc.,
col. 309-317; Id., Ad Alexium Lascarin Philanthropinum de version polonaise de l ’ ouvrage du P . C ickocki, L em berg.
processione Spiritus Sancti, ibid., col. 321-40 5; Id., Epistola 1698; Id., S. Cyrillus, patriarcha Alexandrina*, Spiritus
generalis, ibid., col. 449-480; Id., Oratio dogmatica pro Sancti a Filio procedentis de cœlo datus propugnator, et
unione, ibid., col. 543-612; G eorges de T rébizonde, Ad negantium Spiritus Sancti a Filio processionem ante tempus,
Johannem Cuboclesium de processione Spiritus Sancti, ibid., et tamen in tempore acerrimus expugnator, L ublin. 1692
col. 769-828; Id., De processione Spiritus Sancti et de una en polonais, 1697; Id., Angelicus doctor, D. 7 hom as Açu:- zs
sancta catholica Ecclesia, ibid., col. 829-86 8; cardinal C esarini, expulsi ab Ecclesia grœca Spiritus Sancti a Filio
De inserenda in symbolum particula Filioque : dissertatio procedentis ad camdem contra calumniatorem Joann i
ά,ίχδοτο; habita in concilio fiorentino, édit. A ndosilla, F lorence, laloivski restitutor el reductor, L ublin, 1694; Id . . z
1762; D onatus, D e processione Spiritus Sancti contra græcum Esprit procédant du Fils, dialogue, L em berg, 16. <7; E str e
schisma, dans M ai, Scriptorum veterum nova collectio, R om e, cher le cite com m e une traduction de fo urrag e d u P .N au ,
1833, v u , p. 5-162; P ossevin, Interrogationes et respon­ Vera effigies, etc., Polnische Bibliographie des xr-χτπ Jahr-
siones de processione Spiritus Sancti a Patre et Filio, de­ hunderts, C racovie, 1883, p. 441 : N au, Ecclesiæ romanæ græ-
sumptae ac breviore et dilucidiore ordine digestæ, ex libro Gen­ cæque vera effigies, P aris, 1680. p 16-87 ; H acki. Quæ-
nadii Scholarii patriarchœ Cons tant inopolitan i, Ingolstadt, stiunculæ super dialogum primum de processione Spintui
827 E S P R IT -SA IN T 828

Sancti a solo Patre jormalæ el resolutœ a quodam latino- du patriarche grec de Constantinople, R om e, 1896, p. 25-39;
romano, 1682; C om m ène P apadopoulos, Promotiones my- B aur, Argumenta contra orientalem Ecclesiam ejusque syno-
stagogicœ, P adoue, 1696; N agel, De processione Spiritus dalem encyclicam anni 1895, luspruck, 1897 , p. 33-42; L épi-
Sancti, K œ nigsbcrg, 1698; W egner, Dissertatio de pro­ cier,D e Spiritus Sancti a Filio processione historica disqui­
cessione Spiritus Sancti a Filio, K œ nigsbcrg, 1705; S an ­ sitio, R om e, 1898; B réhier, Le schisme oriental du xP siècle,
der, De processione Spiritus Sancti, W ittem berg, 1703; P aris, 1899, p. 131-146; P alunko, Bralski razgovor o grekom
P faff, Theses de processione Spiritus Sancti a Patre et Filio, odijeljenju, A gram , 1899, p. 27-77 ; P alm ieri, La consustan-
T ubingue, 1705; A ndruzzi, Consensus græcorum latino- zialità divina e la processione dello Spirito Santo, dans Bessa-
runique Patrum de processione Spiritus Sancti e Filio, R om e, rione, 1900, t. v n , p. 201-224; ld ., La missione delle divine
1716; É tienne de A ltim ura (L e Q uien), Panoplia contra persone e la processione dello Spirilo Santo, ibid.,1900, t. νιιι,
schisma græcorum, P aris, 1718, p. 223-261 ; P eichich, Spe­ p. 193-228; Id., La processione dello Spirilo Santo : lesegesi
culum veritatis inter orientalem et occidentalem Ecclesiam ed i concilii, ibid., 2° série, 1901, t. i, p. 3-13, 145-157; Id.,
refulgens, V enise, 1725, p. 194-212; B reno, Manuale mis- L’argomento ontologico del Filioque c le obbiezioni di un
sionariorum orientalium, V enise, 1726, t. i, p. 86-99; L am pe, teologo russo, ibid., 1902, t. n , p. 137-155, 273-278; t. n i,
De œterna ac naturali Spiritus Sancti a Patre et Filio proces­ p. 1-21 ; Id., Il progresso dommatico nel concetto callolico,
sione, dans Dissertationes philologico-theologicæ, A m ster ­ F lorence, 1910 , p. 165-172; Id., Theologia dogmatica ortho­
dam , 1737, t. n , p. 194-224; Id., Examen prœcipuorum in doxa, F lorence, 1911 , t. i, p. 335-351, 373-400; S nopek,
doctrina de processione Spirit·’? Sancti errorum, ibid., Stadie Cyrillo melhodejske, B runn, 1906, p. 57-156; Id.,
p. 224-24 0; Id., De relationibus ceconomicis Spiritus Sancti Constanlin-Cyrill, a Melhodej, slovansli apostole, O lm utz,
ad Patrem et Filium, ibid., p. 241-28 6; M affei, Leonis 1908, p. 82-104; Id., Methodius orthodoxus fuit, dans Slavo-
Sapientis homilia nunc primum vulgata ejusdemque quæ rum liilerœ theologicæ, 1908, t. iv, p. 354-36 3; Id., Konstan-
pholiana est, confutatio, P adoue, 1751 ; P. G., t. cv n , coi. linus-Cyrillus und Methodius, die Slavenaposlel, K rem sier.
133-15 7; B ernard de R ubeis, De prœciouis Georgii seu 1911, p. 156-203, 286-312; S paldak, Duch sv. i pusobenim
Gregorii Cyprii gestis; deque processione Spiritus Sancti a svym vychazi od Otce skrze Syna, dans Casopis katolickeho
Paire et a Filio, seu per Filium, dans Georgii Cyprii vita, duchovenslva, 1906, t. x l v i i , p. 643-64 6; M anuel de C astro,
V enise, 1753; P. G., t. c x l i i , coi, 47-220; T ipaldi, La guida Valor del conocido argumento de santo Tornas para probar
ulla vera Chiesa di Gesti Cristo, proposta principalmente ai la proces ion del Espiritu Santo del H ijo, dans Revista
.segnaci di Fozio, in cui si trattano i due punli capitali dello eclesiaslica, V alladolid, 1908, t. x x n , p. 556-562; t. x x m ,
scisma, R om e, 1754, t. n ; F rantz, Super formulis grœco­ p. 171-178; Jugie, Le passage des Dialogues de saint Gré­
rum et latinorum de confitenda Spiritus Sancti processione, goire relatif à la procession du Saint-Esprit, dans les Échos
P rague, 1.757; A ntoine K anislich, Kamen pravi smutnyc (ΓOrient, 1908, t. xi, p. 321-331; S alaville, Docirinade Spi­
velike illiti pocetak i uzrok istiniti raslcvlyenya cerkve is- ritus Sancti ex Filio processione in quibusdam syriacis epi-
tocne od zapadne (La. pierre véritable du grand scandale, ou cleseos formulis aliisque documentis ipsas illustrantibus, dans
l'origine et la véritable cause de la séparation de l’Église Slavorum litteras theologicas, 1909, t. v, p. 165-172; de M ees-
orientale de ΓÉglise occidentale), E ssekin, 1780; P epanos, ter, Études sur la théologie orthodoxe, M aredsous,1911, p. 33-
De processione Spiritus Sancti etiam ex Filio, Opera, édit. 47 ; A proposito di un testo inedito riguardante la questione
A m aduzzi, R om e, 1781 , t. i, p. 102-617; C ostanzi, Opus­ dogmatica salia processione dello Spirito Santo, dans Roma
cula ad revocandos ad sanctam matrem catholicam aposloli- e ΓOriente, G rotiaferrata, 1911, t. n , p. 89-99.
cam Ecclesiam græcos el ruthenos, R om e, 1807, t. i, p. 1- E nfin, sur l ’ ensem ble de P article : Opusculum presbyteri
102;R ozaven, L'Église catholique justifiée contre les attaques Simonis Dahnatœ, ex civitate pharensi in quo tractatur de
d'un écrivain qui se dit orthodoxe, P aris, 1822, p. 1-14; baptismo Spiritus Sancti et virtute ejus super Euangelio
A vedichian, Dissertazione sopra la processione dello Spirito Johannis, V enise, 1477; D rakonites, Von dem heiligen Geist
Santo dal Padre e dal Figliuolo, V enise, 1824; P itzipios, Jesus Christi, L ubeck, 1548; G arcæ us, Confessio pia et
L'Église orientale, R om e, 1855, t. i, p. 54-64; N é ve. De orthodoxa de Spiritu Sancto, B autzen, 1565; L ugtenius, De
Γinvocation du Saint-Esprit dans la liturgie arménienne, missione Spiritus Sancti, A nvers, 1565; G ræ cius, De persona
L ouvain, 1862; V an der M œ ren, De processione Spiritus et officio Spiritus Sancti, H eidelberg, 1606; A m broise de
Sancti, L ouvain, 1864; P anfilo d a M agliano, Im Chiesa P enalosa, Opus egregium de Christi et Spiritus Sancti divi­
greca e la processione elerna dello Spirilo Santo dal Padre e nitate, necnon sanclœ Trinitatis mysterio contra Judæos,
dal Figliuolo, R om e, 1870; S w ete, On the history of (he Photinum, Socinum, Eniedinum, aliosque veteres et novos
doctrine of the procession of the Holy Spirit, from the apostolic arianos, V ienne, 1635, p. 227-251, 634-658; D orscheus,
age to the death of Charlemagne, C am bridge, 1876; Jirak , Dissertatio de sancti Dei Spiritus divina persona, S trasbourg,
Filioque, dans Sbornik velchradsky, P rague, 1881, t. n , p. 220- 1636; R cinecius, De Spiritu Sancio, W ittem berg, 1636
265; La procession du Saini-Esprit, dans la Revue des Églises P ikelius, Veritas catholica qua tres divinæ personae Paler,
d'Orient, 1885, t. i, p. 177-179; 1887, t. in , p. 465-467; La Filius, et Spiritus Sanctus in una essentia contra obstinatos
procession du Saint-Esprit ιΓaprès la synagogue, ibid., 1886, judæos, arianos ac anabaptistas ex hebrœo textu Veteris
t. ii, p. 209-211; La procession du Saint-Esprit d'après saint Testamenti declarantur, V ilna, 1642; R ehfeld, De Spiritu
Anselme, ibid., p. 241-214; Marc d’Éphèse et les saints Pères, sanctificatore, E rfu h rt, 1645; N icolai, Pentecostalia, hoc est,
ibid., 1887, t. in , p. 449-45 2; La procession du Saint- de Spiritu Sancto, D antzig, 1648; M aresius; De personalitate
Esprit d'après saint Athanase, ibid., p. 481-18 4; La proces­ adeoque divinitate Spiritus Sancti contra socinianos, G ro-
sion du Saint-Esprit d'après saint Basile, ibid., p. 497-500; ningue, 1650; G aselius, Pneumatologiœ sacræ disputationes,
La procession du Saint-Esprit d’après saint Cyrille de Jéru­ A llenbourg, 1653; M olanus,D e personalitate Spiritus Sancti,
salem, ibid., p. 513-51 1; La procession du Saint-Esprit léna, 1660; S andius, Problema paradoxum de Spiritu Sancto,
d'après ΓApocalypse, ibid., p. 530-531 ; Doctrine de Γ ancienne an non per illum sanctorum angelorum genus inlelligi pos­
Église syrienne sur la procession du Saint-Esprit, ibid., 1888, sit, una cum refutatione opinionis socinianorum. Spiritum
t. iv, p. 177-179; Doctrine de saint Thomas d'Aquin sur la Sanctum personam esse negantium, C ologne, 1678 ;W ittichius,
procession du Saint-Esprit, ibid., 1889, t. v, p. 263-26 6; La Causa Spiritus Sancti personœ divinæ, ejusdem cum Patre a
procession du Saint-Esprit d'après saint Augustin, ibid., Filio essentiœ, L eyde, 1678; Id., Causa Spiritus Sancti
1890, t. vi, p. 531-533; A stachkov (Jerebtzov), Iskhozdenic victrix, L eydc, 1682; T hiling, De Sandio illiusque sententia
svialogo Dukha (La procession du Saint-Esprit), F ribourg, Spiritum Sanctum esse genus angelorum, H am bourg, 1700;
1886; le protoïerevs A . L ébédev a essayé de réfuter cet W uerffel, De peccato in Spiritum S anctum , G reifensee, 1704;
ouvrage dans le Strannik de S aint-Pétersbourg, 1887, t. n , Id.. De Spiritu Sancio, ibid., 1714; S tryck, De Spiritus Sancti
p. 605-620; t. n i, p. 158-179, 352-365; voir P alm ieri, La nonnulla ex prioribus novem Proverbiorum Salomonis capi­
Chiesa russa, F lorence, 1908, p. 645; L ivansky (Jerebtzov), tibus, H alle, 1704; W eisius, Exercitationes theologicae de
Les relations du Saint-Esprit avec le Fils de Dieu : le pro­ mnemonico Spiritus Sancti officio, L eipzig, 1711; O learius,
toïerevs Janychev et la nouvelle crise doctrinale de Γ Église Dissertationes theologicæ de Spiritus Sancti cum Patre et
russe (en russe), F ribourg, 1889; L am y, S. Ephræmi Syri Filio adoratione et glorificatione, L eipzig, 1711 ; H afcrung et
hymnt et sermones, M alines, 1889, t. n , col. 353-35 6; t. ni, G œ ttlng, Dissertatio theologica de apodixi Spiritus Sancti,
col. 211-24 1; G aum e, Traité du Saint-Esprit, P aris, 1890, W ittem berg, 1718; W eise et P air, Dissertatio theologica de
t. n , p. 56-87; H ow ard, The schisma between the oriental and habitatione Spiritus Sancti in credentibus, H elm stadt, 1718;
iverstern Churches, with special reference to the addition of the K ellnerus, Tractatus theologicus de advocatione, auxilio cl
Filioque to the creed, L ondres, 1892; R olling, Pneumatologic gemitu Spiritus Sancti, léna, 1720; F echtius, Theorema
Oder die Lehre des hl. Geisles, G utersloh, 1894, p. 268-323; theologicum de approximations Spiritus Sancti substantiali,
B randi, D e l'union des Églises : réponse ά la lettre encyclique R ostock, 1719; H ottinger, Dissertatio theologica de comma-
829 E S P R IT -S A IN T — E S S A R T S

nione Spiritus Sancli electos el redemptos regenerantis, obsi­ t. xn,col. 1665, etThéodoret, Hieret. m . 2, F. '
gnantis el confirmantis, Z urich, 1723-1724; P utnoki, De t. l x x x i ii , col. 401, reconnaissent indem ne d'erreur
Spirilu Sancto, B rêm e, 1728; W eissenborn, Dissertatio relativem ent à la T rinité, professaient avec Proem -
theologica de gratia Spiritus Sancti, léna, 1729; W alch, De l ’ enseignem ent de l ’ Église sur l ’ existeno des tr ûs f ■»-
velenun symbolorum in articulo de Spiritu Sancto discre­ sonnes divines; les autres, avec A eschine, sTuîsem : ï. -
pant ia,léna, 1730; Id., *Ι· Λ«γχ«; Spiritus Sancli, léna, 1733;
Z eibich, Schediasma theologicum de Spiritus Sancti, blem ent à la suite de l ’ Épigone des Ph.d s r - ·
W ittem berg, 1733; L am pe, De nomine Spiritus Sancti, dans et du Praxéas pris à parti par Tertullien. -i tant est
Dissertationes phüologico-theologicœ, A m sterdam , 1737 ; t. n , que ce soient là deux hom m es distincts, c.,r I j ·.· R ··■·::.
p. 101-109; Id., De personalitate Spiritus Sancti et elenchus Ballet. di arch, crist., 1866, p. 69; R enan. Marc-Aarüe,
eorum qui Spiritum Sanctum personam esse negant, ibid., p. 230, et M gr D uchesne, Hist. eccl.Qilh.). 188»· .
p. 109-150; Id., De deitate Spiritus Sancli, ibid., p. 151-194;
n ’ y voient qu ’ un seul et m êm e personnage, se pronon ­
Id., De apparitionibus Spiritus Sancli, ibid., p. 322-35 4;
P feiffer, De divinitate Spiritus Sancli, léna, 1740; A nsaldi,
cèrent pour ce qu ’ on appelait la monarchie, c'e-t-.--
De baptismate in Spiritu Sancto et igni commentarius, M ilan, dire en faveur de l ’ unité de D ieu, m ais au détrim ent
1752; M eene, Die personliche Fürssprache deshl. Geistes fiir de ce que Tertullien appelait l’économie, c ’ est-à-dire
dieGliiubigen, H elm stadt, 1754; B ecker, Personalitas Spiri­ de la distinction des personnes divines, ce qui et ·.
tus Sancti contra perversam pseudonymi Theodori Klema déjà le m odalism e qu ’ allait professer Sabellius. En· .,
Scrinturæ interpretationem, R ostock, 1765; Id., A n Tellerus, le Père, le V erbe et le Saint-E sprit, ils n ’ adm ettaient
nisi negata vera Spiritus Sancti deitate, de illo adorando, qu ’ une sim ple distinction nom inale; car, pour l< ■■
speciale Spiritus Sancli mandatum postulare queat, R ostock, esquinètes, c ’ était le m êm e être divin qui s ’ était m uni
1766; P (eiffcr, Nova methodus deitatem Spiritus Sancti absque
rationibus probantibus cognoscendi, E rlangen, 1766; S trauss, festé com m e Père dans l ’ A ncien T estam ent, com m e
De divinitate Spiritus Sancti. léna, 1768; P auli, De opere Fils en Jésus-C hrist, et com m e Saint-E sprit dans les
Spiritus Sancli salutari, W ittem berg, 1781 ; R osenm uller, effusions m erveilleuses de l ’ alliance nouvelle ou dans
Observationes nonnullœ ad historiam dogmatis de Spiritu la personne de M ontan.
Sancto perlinentes, E rlangen, 1782; S torr, Doctrina de Spiri­ 11 est à rem arquer que ni saint É piphane, ni saint
tus Sancli in mentibus nostris efficientia momento suo ponde­ Philastrius, pas plus du reste que l ’ auteur des Philo-
rata, T ubingue, 1788; R ink,D e Π /ΐύματι άγίψ in mente Christi, sophoumena, Tertullien et Eusèbe, avant eux,ne par ­
R ostock, 1789; S teinm etz, Schriftmüssige Betrachtung von
der Versiegelung der Glàubigen mit dem hl. Geiste, O els, lent des esquinètes com m e d'une hérésie à part. Saint
1790; B erlin, 1881; F rancke, Doctrina de operationibus Pacien, en tout cas, a tort de ranger Praxéas parm i les
Spiritus Sancti, K iel, 1810; F aber, .4 practical treatise on m aîtres descataphrygiens,caril ne futpas m ontanist· .· .
the ordinary operations of the Holy Spirit, L ondres, 1823; m ais il dut exercer une certaine influence sur le m ont,
H inton, The work of the Holy Spirit in the conversion, L on ­ niste A eschine et ses partisans. Saint B asile, a
dres, 1830; S taudenm eicr, Der Pragmalismus der Geistes- fln du iv° siècle, rejetait le baptêm e des m ontaniste-.
gaben oder das Wirken des goltlichen Geistes in Menschen und tout en rem arquant qu ’ ils n ’ étaient hérétiques sur e
in der Menschheit, T ubingue, 1835; O lboeter,Z >e quœstione dogm e trinitaire qu ’ à raison de leurs blasphèm es contre
cur Spiritus Sanctus hodie in Ecclesia non edat miracula,
B erlin, 1836; W inslow , The inquirer directed to an experi­
le Saint-Esprit. Episl., c l x x x v ii i , can. 1, P . G.,
mental and practical view of the work of the Holy Spirit, t. xxxn, col. 665.
L ondres, 1840; S teinler, Verhandeling over de meriting Théodoret, au siècle suivant, précise que quelques-
van den heiligen Geest, G ravenhage, 1844; K ahnis, De uns d ’ entre eux, qu ’ il ne désigne point par un nom
Spiritus Sancli persona, B reslau, 1845; P annier, Le témoi­ particulier, m ais qui n ’ étaient autres que les esqui ­
gnage du Saint-Esprit : essai sur Γ histoire du dogme dans nètes, étaient tom bés dans l ’ erreur de Sabellius, parce
la théologie réformée, P aris, 1893; Œ ttingen, Das gottliche qu ’ ils niaient l ’ existence des trois hypostases divines
Noch nicht : ein B'eilrag zur I.ehre von hl. Geiste, E rlangen, sim ultanées et affirm aient que le Père, le Fils et le
1895; K lett, Das Wirken des hl. Geistes in den Glàubigen
unserer Tage, im Vergleich zu seiner Wirksamkeit in den Saint-E sprit n ’ étaient que trois nom s différents d ’ une
Gemeinden der Apostel, B arm en, 1895; D eutz, Der hl. seule et m êm e personne divine. Hærcl. fab., ni, 2, P. G.,
Geist : dogmatisch-asketische Erwagungen iïber sein Wesen t, L xxxni, col. 404. A vrai dire, les esquinètes parta ­
und seine Wirksamkeit in der Kirelie und in der Seele der gèrent l ’ erreur de Praxéas et furent ainsi les avant-
Glàubigen, D ulm en, 1896; Schell, Das Problem des Geistes coureurs des sabelliens. Pendant les discussions du
mil besonderer Würdigung des dreieinigen Gollesbegriffs in iv° siècle, on attribua leur erreur aux m ontanistes en
der biblischen Schôpfungsidec, W urzbourg, 1898; S purgeon, général sans autre précision, et c ’ est ce qui explique
Goll der hi. Geist nach seinem Wesen und Wirken darge- ce qu ’ affirm ent Socrate, H. E., i, 23, et Sozom ene,
stellt, C assel, 1900; S tosch, Die Wirksamkeit des hl. Geistes
in der apostolischen Zeit und in der Gegenwarl, G utersloh, H. E., in, 18, P. G., t. L xvn, col. 144, 980, que .e-
1900; B ohn, Die Lehre vom hi. Geist, B erlin, 1908; C accia, ariens aient pu accuser les défenseurs du consubstan ­
La divina personalila dello Spirito Santo specialmente da 1 tiel de suivre les dogm es de M ontan et de Sabellius.
Cor., n, 6-16, dans Scuola cailolica, M ilan, 1911, t. xx, Q uant au silence des auteurs sur la secte des esquinètes
p. 66-73, 183-191, 324-333, 483-19 0; t. x x i, p. 170-180 , proprem ent dits, il s ’ explique soit par le peu d'im por ­
532-540. tance du rôle qu ’ ils jouèrent dans le parti m ontaniste
A . P a l m ie r i . et dans le m ouvem ent m odaliste, soit surtout par
E S Q U IN È T E S (E S Q U IN 1T E S ). Partisans du l ’ attention qu ’ on prêta de préférence au m ontanism e
m ontaniste A eschine. D ’ après le pseudo-Tertullien, et au sabellianism e en général.
Præscr., 52, P. L., t. n, col. 72, une scission s ’ était
P seudo-T ertullien, D e præscriptionibus, 52, P. L., t. n .
opérée, dès les débuts,parm i les disciples de M ontan.
col. 72; T illem ont, Mémoires pour servir d Γhistoire eecte-
Tous, il est vrai, s ’ accordaient à dire que les apôtres siasliquc des six premiers siècles, P aris. 1701-1709, t, n .
avaient bien reçu le Saint-Esprit, m ais non le Paraclet, p. 445; t. iv, p. 237; M igne, Dictionnaire des heresies. P aris,
et que le Paraclet, parlant par la bouche de M ontan, 1 8 4 7 , 1.1, col. 677.
avait enseigné plus et m ieux que le C hrist dans G . Ba h e il l î.
l ’ Évangile; m ais les uns s'étaient ralliés à Proclus, '1. E S SA R TS (A lexis des), théologien jan-
tandis que les autres avaient suivi A eschine. En quoi né à Paris en 1687, m ort dans cette ville le 12 n :
différaient-ils? C ’ est ce que ne dit pas le pseudo- 1774. 11 appartenait à une fam ille fort zelee pour :.
Tertullien, m ais c ’ est ce qui ressort de la controverse défense des doctrines jansénistes. Tous ses frere-
trinitaire qui éclata à la fin du n° siècle et au com ­ em brassèrent l ’ état ecclésiastique; m ais A ls e u .
m encem ent du n i c . Les uns, à l ’ exem ple de M ontan consentit à recevoir le sacerdoce. L eur m aison e u :
lui-m êm e, que saint Épiphane, Hier., x l v ii i , 1, P.G., ouverte à tous les réfugiés de la province et la se
t. x u , col. 856, saint Philastrius, Hær., 42, P. L., tenaient les réunions des chefs du parti. A lexis des
331 E S S iïR TS — ESSENCE 832

E ssarts contribua à la création des Nouvelles ecclé­ de la philosophie, les différentes notions déjà exposées
siastiques. Il fut un des plus ardents partisans du ou qui restent encore à exposer sur l ’ essence. —
figurism e. Ses principaux écrits sont : De l’avènement I. Étym ologie et définition. H . Point de vue philo ­
d’Élie où l’on montre la certitude de cet avènement, et ce sophique. III. A pplications dogm atiques. IV. D iffé ­
qui doit le précéder, l’accompagner et le suivre, in-12, rents systèm es théologiques par rapport à l ’ essence
1734; Sentiment de saint Thomas sur la crainte, in-4°, et à l ’ existence.
1735; Doctrine de saint Thomas sur l’objet et la dis­ I. É t y m o l o g i e e t d é f i n i t io n . — Le term e essentia
tinction des vertus théologales, in-4°, 1735 ; Défense est corrélatif au term e esse : ab eo quod est esse dicta
du sentiment des saints Pères sur le retour futur est essentia, S. A ugustin, De Trinitate, 1. V , c. n, n. 3,
d’Élie et sur la véritable intelligence des Écritures, P. L., t. x l i i , col. 912; il est un des élém ents qui
3 in-12, 1737-1740; Examen du sentiment des saints entrent dans le concept d ’ être.
Pères et des anciens Juifs sur la durée des siècles, in- L ’ idée d ’ être est l ’ idée la plus générale que l ’ on
12, Paris, 1739; Difficultés proposées au sujet d’un puisse rencontrer : elle s ’ applique aux réalités objec ­
éclaircissement sur les vertus théologales, in-12, 1741 ; tives com m e aux sim ples concepts : êtres réels et êtres
Défense de l’écrit intitulé: Doctrine de saint Thomas, de raison. Toute notion, sans en excepter aucune,
contre l’auteur des Nouveaux éclaircissements, in-4°, pas m êm e la notion d'un D ieu infini, doit se résoudre
1743; Réponse à l’examen intitulé : Doctrine de saint en dernière analyse dans l ’ idée d ’ être; d ’ où im possi ­
Thomas, in-4°, 1744; Dissertation où Ton prouve que bilité d ’ obtenir cette idée par voie d ’ abstraction.
saint Paul, dans le septième chapitre de la première E t puisqu ’ elle s ’ applique à D ieu com m e aux créa ­
aux Corinthiens, n’enseigne pas que le mariage puisse tures, ce n ’ est pas à proprem ent parler une idée
être rompu lorsqu’une des parties embrasse la religion générique, m ais une notion transcendentale. D ieu ne
chrétienne, in-12, Paris, 1758 : cet ouvrage.qui ne fui peut être dans un genre. A consulter S. Thom as,
pas approuvé par le plus grana nom bre des théolo ­ Sum. theol., I», q. m , a. 5; Metaph., I. IX , lect. i;
giens jansénistes, a été condam né par décret du Saint- Cont. gent., 1. I, c. xxv; Quodl., Il, a. 3; De veritate,
O ffice, le 6 septem bre 1759. q. i, a. 1. L ’ idée de tel ou tel être en particulier ne
Q uérard, La France littéraire, t. n, p. 505; Picot, Mémoires peut s'obtenir qu ’ en exprim ant avec plus de préci ­
pour servir à Γhistoire ecclésiastique du xvrn” siècle, in-8°, sion ce qui est contenu confusém ent dans l ’ idée d ’ être
1855, t. IV, p. 439. en général. De verilat', q.i,a. 1. O r, l'idée d ’ être, c ’ est
B. H e ü r t e b iz e . l'idée de « ce dont la perfection est d ’ exister, de m êm e
2 . E S S A R T S (Jean-B aptiste P oncet des), théolo ­ que la perfection du vivant est de vivre. » Opusc.
gien janséniste, frère du précédent, né à Paris le de nat. gen., c. i. Il s ’ agit de la perfection d ’ un acte
9 février 1681, m ort dans cette ville le 23 décem bre immédiatement proportionné à la nature dont il est
1762. C om m e ses frères, il em brassa l ’ état ecclésias ­ l ’ acte : un être, c ’ est donc une chose en tant qu ’ elle
tique, m ais dem eura diacre, se refusant toujours à possède une existence proportionnée à sa nature,
recevoir le sacerdoce. Il en appela de la bulle Unige­ ens importat rem cui competit hujusmodi esse, Quodl.,
nitus, com m e tous les m em bres de sa fam ille, et en H , 3; si l ’ essence est logique, l'existence proportionnée
1724 se rendit en H ollande afin 'le s ’ y rencontrer avec sera une existence idéale; si l ’ essence est réelle, l ’ exis­
Q uesnel. Il y revint en 1726, y passa plusieurs années tence sera réelle aussi.
et y acheta des m aisons pour les réfugiés jansénistes. L ’ idée d ’ un être renferm e donc une espèce de pro ­
M algré ses aum ônes, il s ’ y fit des ennem is par là portion, établie, selon notre m anière de concevoir,
grande influence qu ’ il avait prise sur l'archevêque entre son essence et son existence. O n exam inera
B archm ann. A la m ort de ce dernier, il dut revenir plus loin brièvem ent le fondem ent ontologique de cette
en France, où il prit une part active aux discussions proportion : il suffit m aintenant, pour expliquer le
sur les convulsions. E n 1751, il retourna en H ollande, concept d'essence, de la constater telle qu ’ elle se pré ­
y dem eura quatre années et, après avoir dépensé sente dans le concept d ’ être. L ’ essence est donc le
toute sa fortune pour soutenir l ’ Église de ce pays, prem ier term e de cette proportion : c ’ est le m ode selon
revint m ourir à Paris. Ses principaux écrits, qui se lequel convient à l ’ être son existence, en entendant
rapportent tous aux questions soulevées par la secte ici le term e m ode dans la plus large acception pos ­
janséniste, sont : Apologie de S. Paul contre l’apolo ­ sible; et dans les êtres créés, c'est donc ce qui les
giste de Charlotte, in-4°, 1731; Lettres sur Tœuvre des déterm ine suivant leurs différentes espèces. S. Tho ­
convulsions, in-4°, 1737; Lettres sur l’écrit intitulé : m as, De ente et essentia, c. i.
Vains efforts des Mélangistes ou Discernants dans L ’ idée d'essence, ainsi liée intim em ent à l ’ idée
l’œuvre des convulsions, in-4°, 1738; Lettres où Ton d ’ être, participe de son analogie, voir A n a l o g ie ,
continue de relever les calomnies de l’auteur des Vains L i, col. 1143; or, l ’ idée d ’ être com porte une double
efforts, in-4°, 1740; La possibilité du mélange dans analogie, analogie dite d’attribution, analogie dite de
les œuvres surnaturelles du genre merveilleux, in-4°; proportionnalité. D ’ attribution, d ’ abord, en ce que
Illusion faite au public par la fausse description que D ieu seul possède par lui-m êm e l ’ être, et que les
M. de Monlgeron a faite de l’état présent des convul­ autres êtres ne sont dits tels que parce qu ’ ils tiennent
sionnaires, in-4 0 , 1749; De l’autorité des miracles et leur être de D ieu ; ou bien encore, en ce qu'aux sub ­
de l’usage qu’on en doit faire, in-4 °, 1749; Éclaircisse­ stances seules convient l ’ être absolum ent, les accidents
ments sur les dispenses de la loi de Dieu, in-4°, 1749; n ’ ayant d ’ être que par rapport à la substance. D e
Traité du pouvoir des démons et des guérisons opérées proportionnalité, ensuite, en ce que la convenance de
sur les païens, in-4°; Recueil de plusieurs histoires la proportion qui existe entre l ’ essence ct l ’ existence
très autorisées qui font voir l’étendue du pouvoir du reste la m êm e chez tous les êtres, bien que les term es
démon dans l’ordre surnaturel, in-4°, 1749; Obser­ de cette proportion soient différents. S. Thom as,
vations sur le bref du pape Benoît XIV au grand Ethic., 1. I, lect. vu; De veritate, q. n, a. 11. Le con
inquisiteur d’Espagne, 1749. cept d ’ essence participera de cette double analogie;
Q uérard, La France littéraire, t.n,p. 505; Picot, Mémoi­ il conviendra per prius à D ieu, per posterius aux créa ­
res pour servir ά Thistoire ecclésiastique du xvni· stècle, tures; d ’ abord, à la substance, ensuite aux accidents.
1855, in-8°, t. iv, p. 439. D e plus, étant ordonné toujours à celui d ’ existence,
B. He ü r t e b iz e . il participe à l ’ analogie de proportionnalité du con ­
E S SE N C E . C et article n ’ a pas d ’ autre but que de cept d ’ être.
coordonner, en rappelant les principes fondam entaux | D ’ autres term es sont synonym es d ’ essence. L ’ es-
833 ESSENCE

scnce répond à la question quid esi? A ussi l ’ appelle- V asquez, disp. L X , c. il, 3, vont jusqu ’ à dire -u.-
t-on quiddilas ou encore quod quid erat esse rei. A u point D ieu ne peut les connaître autrem ent; les autres, avec
de vue de la réalité objective, ce sera la res ipsa, S. Tho ­ Suarez, De divina substantia,\. Ill, c. n; et .V ehiph.,
m as, InIV Sent., 1. II, dist. X X X V II, q. I, a. 1; ou disp. X X X , sect, xv, com prenant le danger d
encore, parce que nous la considérons com m e reçue pareille théorie, accordent que D ieu les voit et en
dans un individu, on l ’ appellera forma, com m e si eux-m êm es et dans son essence.
elle n ’ était qu ’ une partie de cet individu, la partie Le m olinism e n ’ est pas lié à cette thèse, pleine
form elle et perfective, De spir. créât., q. n, a. 2; à d ’ obscurité, et qui ne parvient pas à expliquer ce que
cette réalité objective correspondent les concepts de sont, indépendam m ent de l ’ essence divine, les essences
definitio rei, ratio rei. Si on l ’ envisage com m e prin ­ possibles in scipsis. M olina, In Sum., I· . q. x:v,
cipe d ’ action, elle prend le nom de natura. S. Tho ­ a. 5, 6, et Lessius, De per/, div., 1. V I, c. i, n. 4. re ­
m as, De ente et essentia, c. i. naissent explicitem ent que la form ule donnée par
II. P o in t d e v u e p h il o s o p h i q u e . — t. e s s e n c e s saint Thom as, Sum. theol., I», q. xiv, a. 5, est la seule
p o s s ib l e s . — E ntre le néant et l ’ être réel, il y a bonne. Les thom istes tiennent unanim em ent, ave.:
place pour l ’ être possible. D e là, la nécessité de le docteur angélique, que les essences possibles dé; ■
poser le problèm e philosophique des essences pos ­ dent fondam entalem ent de l ’ essence divine considé ­
sibles. O n le résum era ici très brièvem ent, et dans la rée en elle-m êm e, et form ellem ent de l ’ intelligence
m esure où il peut servir à la théologie. divine concevant cette essence com m e im itable ad
U ne essence est dite possible, lorsqu ’ elle est apte extra. L ’ essence divine étant l ’ être subsistant par soi.
à l’existence; cette aptitude est double, intrinsèque et d ’ où dérive tout autre être, est le fondem ent, ou, si
ou extrinsèque; intrinsèque ou absolue, lorsqu ’ en elle- l ’ on veut, la cause exem plaire, voir C r é a t io n , t. ni,
m êm e elle ne renferm e aucune répugnance dans ses col. 2085, virtuelle et radicale de toutes choses. L ’ intel ­
élém ents, Sum. theol., I “ , q. xxv, a. 3; extrinsèque ou ligence divine donne les form es particulières à ce fon ­
relative, par rapport à la cause capable de laréaliser dem ent et devient ainsi, par les idées archétypes,
secundum aliquam potentiam, dit saint Thom as. Ibid., l ’ exem plaire form el et im m édiat de toutes les essences
ad 4 UI". Si cette cause est D ieu, la chose à réaliser est possibles. V oir C r é a t i o n , t. ni, col. 2155.
métaphysiquement possible; si cette chose ne dépasse n. e s s e n c e s miELi.ES. — D ans les essences réelles,
pas l ’ effet propre à une cause seconde d ’ ordre phy ­ il faut considérer d ’ abord l ’ essence incréée, ensuite
sique, elle est physiquement possible; s ’ il vient s ’ ajou ­ l ’ essence créée. Le term e d ’ essence est em ploye i< i
ter à celte possibilité des raisons d ’ ordre m oral qui analogiquem ent : l ’ essence incréée a l ’ existence r< -
facilitent sa réalisation, elle est moralement possible. elle-m êm e; l ’ essence créée ne la possède que par part;
Ce fut l ’ erreur de D escartes de n ’ attribuer aux essences cipation.
possibles qu ’ une possibilité extrinsèque, dépendant 1° L ’ essence incréée a déjà été envisagée ici a plu ­
de la volonté de D ieu. V oir D e s c a r t e s , t. iv, col. sieurs reprises. V oir, en particulier, A s é i t é , L i,
546. C ette erreur fut égalem ent le fait de Sylvestre col. 2077; A t t r ib u t s d iv in s , t. i, col. 2223, et sur ­
M aurus, Quaestiones philosophiae, t. I, q. x l v i i , et, tout, D i e u , sa nature d'après la Bible, t. iv, col. 948;
avant lui, de H enri de G and, cité et réfuté par S cot sa nature d’après les Pères, col. 1023; sa nature d’après
In IV Sent., 1. I, dist. X L III. les scolastiques, col. 1152. O n n ’insistera cependant
Q uel est 1 ’ « être » de cette essence, possible intrin ­ jam ais assez sur ce point, c ’ est que l ’ essence de D ieu
sèquem ent en m êm e tem ps qu ’ extrinsèquem ent? est d ’ exister. C ’ est cette vérité sublime que D ieu
Il y a, sur ce point, deux courants dans la philosophie révéla à M oïse au pied de l ’ H oreb. E xod., m , 2-15.
chrétienne, justifiés par des préoccupations théolo ­ Cf. S. Thom as, Cont. gent., 1. I, c. xxn. E n D ieu, non
giques relatives à la science divine. V oir ce m ot. seulem ent l ’ essence est identique à l ’ existence, m ais
Les uns attribuent aux possibles une existence en le concept d ’ essence renferm e l ’ existence : il est
dehors de D ieu, les autres nient absolum ent qu ’ il l ’ esse subsistens. V oir del Prado, La vérité fondamen­
puisse en être ainsi. La prem ière thèse com porte des tale de la philosophie chrétienne, dans la Revue tho­
nuances. A vec H enri de G and, cité par Scot, les pos­ miste, 1910, p. 209. C ette vérité fondam entale justifie
sibles ont un être actuel d ’ essence, par opposition à la m anière de parler des théologiens : Deus est sua
l ’ être actuel d ’ existence. Scot, In IV Sent., 1. I, essentia; Deus est suum esse,‘Deus est esse per essrnffum ,
dist. X X X V I, com bat cette opinion et lui substitue, S. Thom as, Quodl., II, a. 3; Deus est actus purissimus.
loc. cit., n. 16, la théorie de l ’ esse diminutum. C et être Elle est le dernier concept auquel nous puissions nous
dim inué ne possède aucune actualité d ’ essence ou arrêter en scrutant l ’ essence divine, autant que notre
d ’ existence, c ’ est le term e intelligible de la connais ­ intelligence peut le faire. E t voilà pourquoi Fesse
sance divine, distinct de l ’ intelligence de D ieu et pro ­ subsistens sem ble être, d ’ après saint Thom as lui-m êm e,
duit par elle. La théorie d ’ H enri de G and est une le « constitutif m étaphysique » de l ’ essence divine,
erreur form elle renouvelée des conceptions plato ­ voir Sum. theol., I· , q. iv, a. 2, ad 3° “ ; q. x i i i , a. 11;
niciennes : elle détruit le concept intégral de la créa ­ In Sent., 1. I, dist. V III, q. i, a. 1, 8; De potentia,
tion, qui suppose les idées de toutes choses préexis ­ q. vu, a. 2, ad 9" “ , m oins bien dénom m é 1 ’ « attribut
tant dans l ’ intelligence créatrice, voir C r é a t io n , t. m , prim aire » de D ieu. Cf. Petau, Theolog. dogm. De Deo
col. 2036, m ais qui ne supporte pas la préexistence, Deique proprietatibus, 1. I, c. vi. O n a vu, t. i, coL
sous quelque form e que ce soit, des essences créées, 2228 sq., les opinions de l ’ école nom inaliste, de l ’ école
en dehors de D ieu. Celle de D uns Scot est susceptible scotiste et de certains thom istes à ce sujet. O n ne peut
d une interprétation bénigne, si le term e de la con ­ nier cependant que l ’ opinion de G onet et de B illuart,
naissance divine n ’ est pas conçu com m e réellement plaçant l ’ essence m étaphysique de D ieu dans Fin-
distinct de l ’ intelligence de D ieu. V oir D u n s S c o t , tellectualité divine actuelle, se rapproche davantage
t. rv, col. 1879. U ne troisièm e form e de cette m êm e de la conception aristotélicienne. V oir R avaissori,
thèse a été reprise par certains partisans de la science Essai sur la Métaphysique d’Aristote, Pxris. 1837,
m oyenne qui, ne voulant pas faire dépendre de t. i, part. Ill, 1. III, c. m , p. 581.
D ieu la déterm ination des possibles et des futuribles, Ce fut l ’ erreur de G ilbert de la Porret et de ceux qci
et, par là, pensant sauvegarder la liberté hum aine, le suivirent de considérer l ’ essence divine ·· — · _- .·
envisagèrent ces possibles et futuribles com m e form e distincte de l ’ être de D ieu. V oir D i e u . t. rv,
existant in scipsis. Ils sont ainsi, en eux-m êm es, col. 1116; A s é i t é , t. r, col. 1238. La doctrine ruflw
le m oyen de la connaissance divine. Les uns, avec lique est enseignée par le concile de R eim s, 1148
D IC T . D E T H É O L C A T H O L . V.
835 E S S EN C E 836

D enzinger-Bannw art, n. 389; par le IV ° concile de prédicam entaie, se divisent en essences spirituelles
L atran, can. Firmiter, D enzinger-B annw art, n. 428, et essences com posées de m atière et de form e.
et par le concile du V atican, sess. III, c. i, D en ­ 1. Essences spirituelles. — L a question a été déjà
zinger-B annw art, n. 1782. longuem ent exposée à tous les points de vue. V oir
Les erreurs ou plutôt les façons de parler inexactes A n g e , L i, col. 1190, 1195-1200, 1225, 1230-1233,
de certains Pères relativem ent à l ’ essence divine ont été 1268; D é m o n , L iv, col. 402, 408; C a j e t a n , t. u,
signalées. V oir D i e u , L iv, col. 1023. col. 1321,1325; F o r m e .
N otre connaissance de l ’ essence divine ne peut être 2. Essences composées. — D ans les êtres corporels,
qu ’ im parfaite et analogique : telle est la doctrine des l ’ essence ne peut être que com posée d ’ élém ents
Pères, voir D i e u , t. iv, col. 1134 sq., et de tous les jouant le rôle de principes form el et m atériel. D ans le
théologiens catholiques. N ous parvenons à cette con ­ systèm e péripatéticien, adapté par saint Thom as à
naissance de plusieurs m anières : les scolastiques ont la pliilosophie.chrétienne, ces élém ents sont la m atière
exposé leur doctrine à ce sujet. V oir D i e u , t. iv, col. prem ière, et la form e substantielle, cette dernière
1157 sq. O n doit d ’ abord déterm iner une m éthode donnant au com posé sa déterm ination ad esse laie vel
double : m éthode déductive et m éthode inductive; laie. B ien que l’ âm e hum aine soit une form e subsi ­
la m éthode inductive, à son tour, procède par voie stante, c ’ est-à-dire possédant, indépendam m ent de la
d'affirm ation, de négation et d ’ ém inence. Tous ces m atière, une existence propre, elle n ’ est pas une
points de vue ont été discutés en détail. V oir spécia ­ essence. Elle n ’ est qu'une partie de l ’ essence hum aine,
lem ent A t t r ib u t s d iv in s , t. i, col. 2226; D i e u , car son être possède une habitude intrinsèque au corps
t. iv, col. 1158; É m i n e n c e (Méthode d'), t. iv, col. qu ’ elle doit inform er : elle ne subsiste donc pas com ­
2420. B ien que notre connaissance de l ’ essence divine plète dans son espèce. S. Thom as, Sum. theol., I “ ,
procède de la connaissance des attributs, nous con ­ q. l x x v , a. 2, ad 1"· “ ; De anima, a. 1, ad 1 “ “ . V oir
cevons l ’ essence divine com m e distincte de ses attri ­ F o r m e . Il n ’ y a donc pas lieu de distinguer, dans
buts. O n a expliqué en quel sens il faut entendre cette notre étude, l ’ essence hum aine des autres essences
distinction. V oir A t t r i b u t s d iv in s , L i, col. 2230; com posées.
D i e u , L rv, col. 1170. Ce qu ’ il im porte d ’ établir présentem ent, en dehors
Si le concept d ’ essence renferm e, en D ieu, l ’ exis ­ de toute préoccupation de systèm e philosophique
tence, la réalité de cette essence n ’ est pas cependant particulier, c ’ est la réalité physique de l ’ essence créée
une vérité évidente par rapport à nous. Pour qu ’ il en com posée par rapport à l ’ être tout entier dont elle
soit ainsi, il faudrait que nous ayons une connais­ déterm ine l ’ espèce. Ce sont les seules essences que nous
sance im m édiate de l ’ essence divine, alors que nous puissions atteindre : elles doivent donc être pour nous
n ’ en avons qu ’ une connaissance m édiate et analo ­ le point de départ des spéculations dogm atiques dont
gique. C ’ est la raison pour laquelle l ’ argum ent a il faudra s ’ occuper tout à l'heure.
priori de l’ existence de D ieu ne sem ble pas devoir être L ’ essence, telle que nous la concevons par notre
retenu com m e concluant. V oir A b s t r a i t e (Connais­ intelligence, n ’ existe pas dans la réalité des choses, eu
sance', t. i, col. 281 ; A n s e l m e (Argument de saint), égard à notre mode de la concevoir. 11 est vrai que
t. i, col. 1358; D i e u , t. iv,col. 889, et O n t o l o g is m e . l ’ objet de notre intelligence, c ’ est l ’ essence des êtres
2° L ’essence créée se retrouve à la fois dans la sub ­ visibles; m ais l ’ objet propre de notre intelligence est
stance prédicam entaie et dans les neuf autres prédi- l'universel et non le singulier : il faut donc que l'es ­
cam ents où se répartissent les accidents physiques. sence soit abstraite de toutes les conditions indivi ­
V oir A c c i d e n t s , t. i, col. 302. C ’ est là une vérité phi ­ duelles qui l ’ entourent dans la réalité physique. Par
losophique évidente. L ’ essence déterm ine les êtres se ­ cette abstraction, qui s ’ opère sur les représentations
lon leurs différentes espèces, voir S. Thom as D< enleet de la connaissance sensible, l ’ intelligence form e l ’ uni
essentia, c. i ; or, l ’ être se trouve dans les dix catégories versel diced, ou matériel ou métaphysique, dont la
d ’ A ristote; donc l ’ essence aussi se retrouve dans toutes portée objective est de nous représenter la chose qui
les réalités, substances et accidents, que com portent existe en soi, quoiqu ’ il ne nous la représente pas
ces catégories. M ais ici, il faudra encore se souvenir de selon le mode de son existence réelle. La m êm e opé­
l ’ analogie de l ’ être qui se constate égalem ent par ration se renouvelant plusieurs fois, l ’ intelligence
rapport à l ’ essence. S ’ il s ’ agit de la substance, l ’ essence applique l ’ essence abstraite (m étaphysique ou réelle)
lui appartiendra absolument, voir A b s o l u m e n t , à tous les êtres sem blables, en lui donnant une
L i, col. 135; s ’ il s ’ agit des accidents, l ’ essence leur extension form ellem ent universelle. C ’ est alors l ’ es ­
appartiendra relativement, secundum quid, c ’ est-à- sence logique ou intentionnelle qui, devant s ’ ap ­
dire en fonction de la substance, dans laquelle et par pliquer uniform ém ent à tous les êtres sem blables,
laquelle les accidents existent. R appelons-nous, en n ’ existe que dans notre esprit et fonde les notions
effet, que ces term es, essence, existence, sont corré ­ de genre, d ’ espèce et de différence. Sans appar ­
latifs; la proportion de l ’ essence à l ’ existence doit se tenir à l ’ essence, le propre, qui en découle nécessaire ­
retrouver partout où l ’ être se retrouve lui-m êm e. m ent, peut être appelé « essentiel », par opposition à
V oir S. Thom as, De ente et essentia, c. u, vu. l ’ accident logique. V oir S. Thom as, De veritate, q. xx,
Ces quelques notes suffisent pour expliquer la a. 2, ad 4 “ m ; A c c id e n t , 1.1, col. 302. O n pourra lire
m anière d ’ attribuer le qualificatif essentiel à des avec profit, sur cette m atière, la belle thèse de M . D e-
réalités physiquem ent accidentelles. Les accidents hove, Essai critique sur le réalisme thomiste comparé
ont leur essence : à ce titre, ils peuvent essentiellem ent à l’idéalisme kantien, Lille, 1907, c. i, u, vu. N ous
différer entre eux; c'est ainsi que saint Thom as, n ’ avons pas à revenir ici sur le fond de la querelle des
Sam. lheol., 1« II», q. nrv, a. 2, affirm e que l ’ acte de universaux : il suffit de résum er la position adoptée
foi naturelle et l ’ acte de foi surnaturelle diffèrent par les philosophes catholiques à la suite de saint
secandum naturam. D ifférence essentielle n ’est syno ­ Thom as, Sum. theol., I», q. l x x x v , a. 1, 2; De anima,
nym e de différence substantielle que lorsque le term e a. 2, ad 8 um ; Com. in lib. de anima, 1. II, lect. xu.
essence est pris absolum ent, c ’ est-à-dire en tant qu ’ il O bjectivem ent, il n ’ existe pas d ’ universels com m e
convient à la catégorie de substance. Il faut d ’ ail­ universels; il n ’ y a que des individus, et, par consé ­
leurs signaler que cette m anière de parler se rapporte quent, des essences avec leurs notes individuelles.
plutôt à l ’ essence considérée dans ses relations avec N éanm oins, à cause de l ’ identité de ces essences dans
notre connaissance. V oir plus loin. leurs élém ents spécifiques, on peut dire en quelque
Les essences créées, se rapportant à la substance sorte que les êtres qui les possèdent sont coessentiels.
837 ESSENCE 838

V oir C o n s u b s t a n t i e l , t. ni, col. 1606; D ehove, Tem­ pem ent de ces indications dans B illot. De De ..
perati realismi xn sac. antecessores, Lille, 1908. trino, R om e, 1910, q. xxix; De Verbo incarnate, q. tu.
Q uoi qu ’ aient pu affirm er certains com m entateurs § 2, et dans Labauche, Leçons de théologie AtfntaÜqpe,
de saint Thom as, C ajetan, Comment, in opusc. De Paris, 1911, t. I, p. 5.
ente el essentia; Tolet, In I“m, q. ni, a. 3, dub. ni; III. pnOPlitÉTÉs DES e s s e n c e s . — Les essences des
A rcangelus M ercenarius a M ontesancto, Dilucida- choses sont im m uables, indivisibles, éterneiies néces ­
liones in Aristotelem, c. xi, cites par de M aria, Philo­ saires. — 1 “ Immuables, parce que changer an élé ­
sophia peripaletico-scholastica, R om e, 1892, t. i, m ent de l ’ essence des choses, c'est changer cette
р . 499, saint Thom as n ’ a jam ais distingué réellement essence elle-m êm e, c'est la détruire. O r, s i. est t-:-s-
l ’ essence physique de ses notes individuelles. U ne sible de détruire un être créé, et. par là, de détruire
pareille théorie introduirait un sectionnem ent im pos ­ son essence physique, il est im possible de d< truire les
sible à concevoir dans la réalité des êtres : que nous élém ents m étaphysiques de cette essence, qui de::.eu ­
concevions l ’ individu par m anière de sujet recevant rent toujours les m êm es, indépendam m ent des êtres
sa spécification de l ’ essence et donnant à celle-ci dans lesquels ils trouvent leur réalisation concrète.
l ’ individualité, soit; que cette conception suppose — 2° Indivisibles, en ce sens que toute essence
une distinction réelle, objective, on ne peut le soute ­ sim ple ou com posée ne peut se voir retrancher un
nir. V oir S. Thom as, Cont. gent., 1. I, c. xxvi ; R em er, élém ent, sans disparaître par le fait m êm e. C ’ est la
Summa prælectionum philosophia scholastica, R om e, conséquence im m édiate de la propriété précédente.
1895, t. i, p. 116; B illot,D e Verbo incarnato, R om e, V oir S. Thom as, De polenlia, q. vu, a. 6; In Metaph.,
1895, p. 51. 1. V III, lect. ni. — 3° Éternelles, non pas au sens
L ’ essence est réelle par le fait de son existence, soit propre du term e éternel, voir É t e r n it é , m ais éter ­
que l ’ on conçoive cette existence com m e réellem ent nelles négativement, parce que dans l ’ état d ’ abstrac ­
distincte de l'essence, com m e l ’ acte de la puissance; tion et de pure intelligibilité, les essences des êtres
soit qu ’ on en fasse sim plem ent l ’ actualité m êm e de ne sont point m esurées par le tem ps. Il a été toujours
l ’ essence réalisée, en n ’ établissant entre elles qu ’ une vrai, il sera toujours vrai que les principes de l ’ essence
distinction de raison. hum aine sont l ’ âm e et le corps. Il faut ajouter que
L ’ essence physique, réalisée dans les individus, cette éternité négative suppose une éternité positi·. e
s'identifie-t-elle avec le suppôt, la personne? Il est en D ieu qui possède de toute éternité les idées des
évident que, laissés à la seule raison hum aine, nous ne choses. — 4° Nécessaires, dans leur être intelligible,
parviendrons jam ais à résoudre cette question. C ’ est et non dans leur existence réalisée. R éalisées, lescssen-
la révélation des m ystères de la trinité et de l ’ incar ­ ces des choses sont contingentes com m e tout être
nation qui a apporté la lum ière sur ce sujet. D ans qui n ’ est pas D ieu. D ans leur être intelligible, elles
l ’ ordre naturel, il eût paru évident que l ’ essence et sont nécessaires parce que leurs élém ents se convien ­
la substance ainsi que le suppôt et, dans les êtres doués nent absolum ent. V oir ce qui a été dit plus haut,
de raison, la personne, étaient la m êm e chose. V oir col. 833, de la possibilité intrinsèque, et D e 5(pria,
C o n s u b s t a n t i e l , t. ni, col. 1605. A la lum ière de la op. cit., Onlologia, tr. III, q. n, a. 4, 5.
révélation, il faut m odifier cette prem ière im pres ­ III. A p p l ic a t io n s d o g m a t iq u e s . — Le dogm e
sion. s'est em paré de la notion d ’ essence pour traduire les
A ristote, Melaph., 1. V , text. 15; De pradicam., réalités m ystérieuses de la trinité et de l ’ incarnation.
с . i, distingue deux sortes d ’ essences, l ’ essence ou O n ne rappellera ici que ce qui concerne strictem ent
substance prem ière et seconde. V oir S. Thom as, le term e essence, en signalant ce qui en a déjà été dit
De potentia, q. ix, a. 1. La substance (essence) seconde ailleurs. Le reste sera traité aux articles spéciaux,
n ’ est autre que l ’ essence dépouillée de ses principes H y p o s t a t iq u e (U nion), P e r s o n n e , T r in it é . O n
individuels; elle s ’ identifie avec l ’ essence générique term inera en indiquant les autres applications de
ou spécifique; la substance (essence) prem ière est ce m êm e term e essence dans le dogm e catholique.
la substance individuée. l ’ essence physique. M ais il y I. ESSENCE DANS LE DOGME DE LA TEINITÉ. — Pour
a deux sortes d ’ individualités: l ’ individualité relative, exprim er la divinité identique dans les trois person-
et l ’ individualité absolue. L ’ individualité absolue seule nes,le m ot essence, en grec ούσία,ΑιΙ tout indique, des
engendre l ’ incom m unicabilité. A vrai dire, l ’ individu les prem iers essais d ’ exposition du dogm e catholique.
parfait, par là m êm e qu ’ il est individu, possède l ’ in ­ M ais il faut se rappeler que, nature ..m ent, tout
com m unicabilité, car tout individu existe en soi et essence, dans l ’ ordre des réalités, existe conn.iturel-
par soi, ct, par conséquent, ne peut naturellem ent lem ent par son existence propre, bien qu ’ on puisse
exister par une autre existence que celle qui lui est lui concevoir un autre m ode surnaturel d ’ exister. De ­
proportionnée. M ais l ’ individualité désigne l ’ essence là, l ’ em ploi du m ot substance, com m e synonym e
seule et ne s ’ étend à l ’ existence que par voie de consé ­ i d ’ essence, en tant que celle-ci slat sub esse proprio.
quence. V oir De potentia, q. vu, a. 2, ad 9 ” m . L ’ in­ O n indiquera au m ot S u b s t a n c e com m ent, bien que
com m unicabilité, au conti-aire, em brasse la nature subsistant en soi, l ’ essence divine est com m unicable
individuée et l ’ existence. O n peut donc concevoir un aux trois personnes.
m ode surnaturel d ’ être, où la nature individuée n ’ aura Fidèles à cette conception m étaphysique, les grecs
point l ’ incom m unicabilité, parce qu ’ elle existera en em ployèrent indifférem m ent, dès l'origine, les m ots
vertu de l ’ existence divine, et non de sa propre exis­ ούσία et ζπόοτασις , que les latins ont traduits
tence. L ’ incom m unicabilité seule fait l'individualité d ’ abord par substantia. N ous en avons plusieurs exem ­
absolue. ples dans des textes conciliaires. V oir l ’ an;. ’ ..em e
La personne, l ’ hypostase — c ’ est-à-dire la sub ­ qui suit le sym bole de N icée, A r ia n i s m e , t. i. col.
stance possédant l ’ individualité absolue — ajoutent 1796 ; D enzinger-Bannw art, n. 54; ou encore 1;· . lé ­
donc à l ’ essence individuée l’ incom m unicabilité. sion de foi préparée au concile de Sardiqu· o.-ii et
Peu im porte présentem ent de déterm iner com m ent que Théodoret, II. E., 1. II, c. vi, P. G., L i.xxrn.
les théologiens expliquent cette incom m unicabilité : col. 1012, nous a conservée, proclam ant z Ls.
d nous suffit de préciser la différence que le dogm e ύπόστασιν, ην αύτοι oi αίρετιχοί ούοια· ' τ.ζο-.ι- :· ;... τ..
nous.oblige à établir entre l ’ essence individuée et la του Π ατρός χαι τοΰ Τίού χαί τοΰ άγιου Π r. -ΐτο:. D e
personne. C ette précision nous perm ettra d ’ étudier cette identification dérivèrent beaucoup de m ales
tout à l ’ heure les applications aux dogm es catho ­ tendus : la dénonciation faite de D enys d ’ A h ... xm i
liques de la notion d ’ essence. O n trouvera le dévelop ­ au pape saint D enys, à propos de sa lettre a A m ur
839 E S S EN C E 840

nius et E uphranor, en avait été une prem ière preuve, L a doctrine de saint B asile a été exposée déjà. V oir
longtem ps avant le concile de N icée. V oir D uchesne, B a s il e (Saint), t. n, col. 451. C hose curieuse, c ’ est de
Histoire ancienne de l’Église, 4« édit., 1.i, p. 485. O n sa lettre à son frère G régoire sur la différence entre
y a fait allusion ici m êm e. V oir D e n y s d ’ A l e x a n d r i e , l ’ essence et l ’ hypostase, qu ’ est tirée l ’ objection. O n
t. iv, col. 426; C o n s u b s t a n t ie l , t. ni, col. 1611. La y apprend que les hom m es sont όμοούσιοι, consub ­
com m unicabilité de l ’ essence aux personnes divines stantiels entre eux, et que, cependant, ils ont des pro ­
devait, en effet, entraîner le choix d ’ un nouveau priétés distinctives qui les individualisent. Puis, on
m ot pour désigner exclusivem ent ce que les latins est invité à éclairer par ce fait le m ystère de la Tri ­
appelaient persona, πρόσωπο· ?. L ’ histoire de l ’ aria ­ nité. « C ette différence que tu as rem arquée chez nous
nism e, voir en particulier A r ia n i s m e , 1.1, col. 1825, [ entre l ’ essence et l ’ hypostase, transporte-la dans la
a déjà fait connaître les vicissitudes des term es ουσία, divinité et tu ne te trom peras pas. » Epist., xxxvrn,
ύπόστασις et πρόσωπο· ?. Le m ot essentia, ούσία, est P. G., t. xxxn, col. 328. D ’ ailleurs, dans le De Spiritu
d ’ un usage postérieur. V oir D uchesne, Histoire an­ Sancto, c. xxxvrn, saint B asile attribue au Père le
cienne de l’Église, 2 e édit., Paris, 1907, t. n, p. 219. com m andem ent, au Fils l ’ exécution, au Saint-Esprit
Le term e resta toujours clair; il n ’ en fut pas de m êm e l ’ achèvem ent des choses; d ’ où il suit que l ’ identité
des autres term es, en particulier de ύπόστασις , qui d ’ action et, partant, de nature des personnes est
finit par désigner la personne. Les équivoques ne ignorée. P. G., t. xxxn, col. 136.
prirent fin qu ’ au concile d ’ A lexandrie, en 362, voir La réponse est facile. Il s ’ agit, dans la pensée du
A l e x a n d r i e (.Conciles d’), t. i, col. 802; A r ia n i s m e , saint docteur, d ’ une-com paraison évidem m ent im par-
t. r, col. 1801, 1832, sans que la term inologie soit ! faite entre la nature hum aine et la nature divine,
encore com plètem ent arrêtée. V oir A t ii a n a s e (Saint), I et l ’ on ne doit pas oublier que le m ot όμοοΰσιοι
L i, col. 2172. Saint B asile, pour préciser cette ter ­ peut s ’ em ployer en deux sens différents, voir C o n ­
m inologie, écrivit une lettre sur la différence entre s u b s t a n t i e l , t. in, col. 1606, l ’ un qui signifie sem ­
l ’ essence et l ’ hypostase. Epist., xxxvu r, P. G., blable en nature, l ’ autre, identique par nature. Cf.
t. xxxn, col. 325-340. O n trouvera sa doctrine expo ­ Petau, De Trinitate, 1. V II, c. x, n. 12. Sans doute, la
sée, B a s il e (Saint), t. u, col. 453; D i e u , t. iv, considération de l ’ essence et de l ’ hypostase dans les
col. 1082. Saint Jérôm e doutait encore si hypostase choses créées doit nous faire entrevoir la différence
était synonym e d ’ essence: il interroge à ce sujet le qui sépare la nature de la personne de D ieu. M ais il
pape D am ase. Epist., xv, P. L., t. xxn, col. 356. s ’ en faut de beaucoup que nous devions la com prendre
E n résum é, le term e essence n ’ a jam ais varié dans de la m êm e façon; bien au contraire, saint B asile
sa signification ; aussi n ’ avons-nous pas à nous préoc ­ nous défend de nous en tenir là : « Il n ’ est pas perm is,
cuper ici davantage des variations que l'on peut con ­ dit-il, d ’ arrêter notre intelligence à une notion cer ­
stater dans la signification d ’ autres term es qui lui taine et définie, parce que cette essence divine dépasse
furent d ’ abord synonym es. O n trouvera plus tard notre m ode de concevoir les choses. » Epist., x x x v i ii ,
tous les renseignem ents historiques à cet égard, aux n. 3, P. G., t. xxxn, col. 328. La suite du texte m on ­
articles H y p o s t a s e et N a t u r e , qui com pléteront tre bien que B asile fait porter la distinction num é-
A r ia n i s m e . [ rique en D ieu uniquem ent sur les « propriétés » (c ’ est-
L ’ unité d ’ essence dans la trinité des personnes est à-dire les relations), et non pas sur l ’ essence com m une
affirm ée dans le sym bole des apôtres, credo in Deum, aux trois personnes; car il explique longuem ent
et plus expressém ent dans ses form es orientales, εις qu ’ en raison de cette identité d ’ essence, « celui qui
ενα Θ εόν, εις άληβίνον μόνον ; dans les sym boles d ’ É pi- conçoit le Père conçoit et le Père... et le Fils; celui
phane, D enzinger-Bannw art, n. 13, d ’ A thanasc, qui conçoit le Fils, ne sépare point l ’ E sprit du Fils,
n. 39, et dans les form ules antipriscilliennes, n. 15, m ais s'il exprim e l ’ un après l ’ autre, c ’ est suivant
17, 19, dans le sym bole de N icée, n. 54; par le pape I l ’ ordre des origines et non pas par distinction de
saint D am ase, n. 82, par le 11° concile œ cum énique nature, puisque tous trois sont réunis dans la m êm e
de C onstantinople, n. 213, par Jean III contre les nature. » Ibid., col. 332. A ux textes déjà rapportés
priscillianistes, n. 231, par le I er concile de L atran, dans l ’ art. B a s il e (Saint) on peut ajouter, pour se
n. 254, par le X I e concile de Tolède, n. 275, par saint convaincre de la légitim ité de cette exposition, la
Léon IX , n. 343, etc. xxiv° hom élie contre les sabelliens, A rius et les
C ette unité d ’ essence en trois personnes est une anom éens. V oici un passage significatif, d'après Les
unité numérique et non spécifique : par là, les trois Pères de l’Église de B ardenhew cr, trad, franç., Paris,
personnes divines sont coessentielles, c ’ est-à-dire 1899, t. n, p. 82 : « N ’ allez pas asseoir votre doctrine
consubstantielles. V oir C o n s u b s t a n t i e l , t. m , col. im pie sur la séparation des personnes. C ar, bien que
1612. num ériquem ent il y en ait deux (saint B asile parle du
N ous n ’ avons pas à revenir sur les preuves scrip ­ Père et du Fils), il n'y a qu’une seule nature, et parler
turaires et patristiques de cette unité de l ’ essence de leur dualité, ce n ’ est pas affirm er leur séparation.
divine dans la trinité des personnes. Le fondem ent Il n ’ y a qu ’ un D ieu, lequel est Père; il n ’ y a qu ’ un
scripturaire en a été étudié ailleurs. V oir D i e u , t. iv, D ieu, lequel est Fils; il n'y a pas deux dieux, puisque
col. 963. La tradition, exprim ée par les Pères, a été le Fils possède avec le Père une nature identique, car
exposée, col. 1023 sq., conjointem ent avec leurs idées je ne vois pas deux divinités, l ’ une dans le Père, l ’ autre
sur l ’ essence divine envisagée au point de vue pure ­ dans le Fils, ni deux différentes natures dans les deux
m ent rationnel. personnes. A ussi, pour apercevoir nettem ent la dis ­
Il sem ble cependant qu ’ on doive com pléter ici un tinction des personnes, com ptez à part le Père et à
point qui n ’ a pas été élucidé. Il s ’ agit du reproche part le Fils; m ais, crainte de donner dans le poly ­
adressé à certains Pères que l'on accuse de n ’ adm ettre théism e, confessez en ces deux personnes une seule
en D ieu qu'une unité d ’ essence spécifique. G unther, et même essence. » P. G., t. xxxi, col. 604-605.
Propiedeutica ad specul. theol., t. il, p. 365, a renou ­ Enfin, l'attribution du com m andem ent au Père,
velé sur cc point les ineptes attaques d ’ anciens théo ­ de l ’ exécution au Fils et du perfectionnem ent des
logiens, aujourd ’ hui oubliés. V oir les références dans choses à l ’ E sprit-Saint n ’ indique nullem ent trois
Franzelin. De Deo trino, R om e, 1874, th. ix. La Revue actions différentes. N ous retom bons ici dans l ’ objec ­
d’histoire il de littérature religieuses, t. vi, p. 531, les tion vulgaire, exposée et résolue à l ’ art. A p p r o p r i a ­
a reprises pour son ce npte. O n incrim ine particu ­ t io n , t. i, col. 1708.
lièrem ent saint B asile et saint G régoire de N ysse. Q uant à saint G régoire de N ysse, les principaux
841 E S S EN C E 842

textes incrim inés sont les suivants : « A vant tout, De Deo trino, R om e, 1874, th. xi; stir la légitim ité le
nous tenons pour un abus véritable l ’ usage de dési ­ ces interprétations au point de vue théologique.
gner, avec le nom m êm e de la nature au pluriel, ceux B illot, De immutabilitate traditionis, 2* édit.. R om e.
qui, par nature, ne sont pas distincts et de parler de 1907, c. n. Cf. B ossuet, Avertissements aux ; ntestar
plusieurs hom m es. Il y en a, certes, beaucoup qui par ­ sixième avertissement sur les lettres de Juriru. !
ticipent à la nature... M ais il n ’ y a, au fond, qu ’ un point de vue historique est traité par M gr C·;.-.
seul hom m e, parce que, nous l ’ avons dit, le term e hiac, Histoire du dogme catholique pendant ’·
d ’ hom m e, loin de s ’ appliquer aux individus, désigne premiers siècles de l’Église, 2° édit., Paris. i'· · ·
la nature com m une du genre hum ain... Il vaudrait par le P. de R égnon, Éludes de théologie pasüwe,
m ille fois m ieux corriger l ’ inexactitude de notre lan ­ Paris, 1892. M gr D uchesne a égalem ent pubiu
gue et ne plus étendre le nom de la nature à une foule brochure sur Les témoins antênicéens du dogme de l -
d ’ individus que de porter, avec nos habitudes de lan ­ Trinité, A m iens, 1883, et abordé la m êm e questi τ
gage, l ’ erreur dont nous som m es ici victim es, dans le dans le c. xvn du t. i de son Histoire ancienne »
dom aine de la théologie. » Tractatus quod non sint l’Église, 4 e édit., Paris, 1908. Toutes les assertions de
ires dii ad Ablabium, P. G., t x l v , coi. 117-120. C ette M gr D uchesne ne sont pas indiscutables. O n trouve
unité de la nature hum aine, G régoire la transporte égalem ent cette question exposée dans Tixeront.
dans la divinité : « N ous ne disons pas que Pierre, 1 Histoire des dogmes, Paris, 1909, I, La théologie anté-
Paul et B arnabé form ent trois essences ou substances, nicéenne, c. v-vm , et elle le sera tout au long dans le
m ais une seule. A insi, en affirm ant une seule substance t. n des Origines du dogme de la Trinité de M . Lebre-
divine, à laquelle participent le Père, le Fils et le ton. O n consultera aussi avec profit Schw ane, Histoire
Saint-Esprit, nous disons logiquem ent qu ’ il n ’ y a des dogmes, trad. D egert, Paris, 1903, t. i; Sem eria,
qu ’ un D ieu. » Π ερί κοινών ίννοιών, P.G., t. x l v , col. 17. Dogma, gerarchia e culto nella Chiesa primitiva, R om e,
V oici la réponse : G régoire de N ysse est im bu, 1902, trad. R icherm oz, Paris, 1906; surtout Petau,
com m e plusieurs Pères grecs, des doctrines du réa ­ De Trinitate, 1. I, c. m -v, et B ardenhewer, Les Pères
lism e extrêm e néo-platonicien : il affirm e l ’ unité num é ­ de l’Église, trad, franç., t. i.
rique et non spécifique de l ’ essence, jusque dans les L ’ identité de l'essence divine dans les trois personnes
creatures, confondant com m e le dit excellem m ent se trouve encore affirm ée dans le dogm e de la divinité
B ardenhew er, op. cit., t. n, p. 117, « l ’ idée abstraite, de l ’ E sprit-Saint. V oir E s p r it -S a in t , col. 692 su. O n
qui ne s ’ accom m ode sans doute pas du pluriel, et l ’ idée se reportera à ce qui est dit dans A t h a n a s e (Saint),
concrète, qui, au contraire, l ’ exige. » V oir K raus, L i, col. 2173; B a s il e (Saint), t. n, col. -154; Cv; i l l s
Histoire de l’Eglise, trad. G odet et V erschaffel, Paris, d ’ A l e x a n d r i e (Saint), t. m , col. 2505; A r ia n i s m e ,
1896, t. n, p. 223 sq. ■t, l, col. 1844; A n o m é e n s , t. I, col. 1324 ; C o n s u b s t a n ­
Saint Jean D am ascène a un texte analogue, D e fide t i e l , t. m , col. 1613; M a c é d o n i e n s .
orthodoxa, 1. Ill, c. vi, P.G., t. xerv, col. 1001. Petau, Enfin, l ’ étude du m ot essence dans le m ystère de
a son sujet, donne l ’ explication suivante : Hic locus la sainte T rinité com porterait encore l ’ exposition i?
Damasceni insignis est ad illam quam dixi, græcorum l ’ em ploi des term es essentiels en D ieu. O n voudra bien
intelligendam opinionem; qui et rationem continet, quæ se reporter à A b s t r a it s o u C o n c r e t s (Termes), t. i,
hoc persuasit ipsis, naturam generalem esse aliquid, col. 283-284, où la question est exposée com plètem ent.
non singularem. Veriti sunt enim, ne, si suam in uno- V oir égalem ent D i e u , t. iv, col. 1085.
quoque individuo substantiam et essentiam agnosce­ Π. ESSENCE DANS LE DOGME DE L’INCARNATION. —
rent, ut quot singularia sunt, totidem sint ούσίαι, jam Ici, le term e essence a une double application, essence
homines singuli non ομοούσιοι solum, sed etiam divine et essence humaine, qui subsistent intactes et
ϊτεοοοΰσιοι inter se dicerentur; quod et specie eædem, el com plètes dans l ’ union hypostatique. L ’ essence
■ umero diversre in ipsis constituerentur ούσίαι. Hoc hum aine n ’ est pas une personne en Jésus-C hrist,
vero si in hominibus concederent, etiam in Deum rati parce qu ’ il lui m anque l ’ incom m unicabilité, étant
sunt oportere transferri; quandoquidem ad declaran ­ unie hypostatiquem ent à la deuxièm e personne de l.i
dum Trinitatis mysterium, ejusque tribus in personis T rinité. M ais com m e, dans l ’ incarnation, les deux
unitatem substantiæ, usu tritum, et commodissimum essences nous sont connues par leurs opération- i
exi mplum de hominum natura capi consueverat. Quare étudie plutôt sous l ’ aspect de nature. Les Père-
negandum hoc potius arbitrati sunt, plures in homi­ et latins, les conciles, les papes ont ordinairem ent
nibus singulis ούσίας esse, quam hoc, committendum, em ployé les m ots de φύσι; et de natura. C ’ est pour ­
ut idem et affirmari de Deo merito posset, quod de quoi la question de l ’ essence divine et de l ’ essence
hominibus faterentur. De Trinitate, 1. IV, c. ix, n. 13. hum aine en Jésus-Christ se trouve reportée au m ot
C ’ est donc, par une fausse coriception philosophique, Na t u r e .
l ’ identité de nature, l ’ unité num érique d ’ essence que Il est à noter cependant que le m ot ουσία n ’ est
G régoire de N ysse veut sauvegarder avant tout. pas absolum ent inusité chez les grecs en parlant
L orthodoxie de saint G régoire de N ysse sur le m ystère de N otre-Seigneur. A thanase et C yrille d ’ A lexandrie
de la sainte T rinité reste intacte. Cf. B ardenhew er, parlent parfois d ’ une union ουσιώδη, essentielle, c ’ est-
:■:. cit., t. n, p. 117-118. à-dire substantielle, en opposition avec . ’ union pure ­
Plus sérieuse est l'objection tirée des Pères anté- m ent accidentelle des nestoriens. Il faut l ’ interpréter
niceens : nom bre de leurs expressions sem blent attri ­ com m e Γενωσις φυσική. V oir A t h a n a s e , L i , col. 2170;
buer au V erbe et à l ’ E sprit-Saint m ie essence infé ­ C y r i l l e d ’ A l e x a n d r i e , t. ni, coL 2492.
rieure à celle du Père. M ais ici la difficulté vise plutôt lit. AUTRES APPLICATIONS DOGMATIQUES. — Nc-US
la question du Logos divin; nous nous contentons avons vu que l ’ essence déterm ine chaque être cans
donc <le la signaler, en renvoyant à l ’ art. L o g o s et aux son espèce particulière. Toute réalité a donc une
différents articles concernant les Pères incrim inés, essence. A ussi nous retrouvons souvent, en théologie,
c ’ est-à-dire D e n y s d ’ A l e x a n d r i e , L iv, col. 426; le term e essence em ployé pour signifier lelém ent
M e t h o d i u s ; A t h é n a g o r e , t. i,col. 2210; H i p p o l y t e spécifique d ’ une réalité dont la foi nous oblige _ ad ­
(Saint); I r é n é e (Saint); O r ig è n e ; T e r t u l l i e n ; C l é ­ m ettre l ’ existence.
m e n t d ’ A l e x a n d r i e , t. m , col. 158; T a t i e n ; T h é o ­ V oici les principales applications du m ot essence
p h i l e d ’ A n t io c h e . Tous leurs textes ne sont pas sus ­ aux différents points du dogm e catholique, en 4 eh .-s
ceptibles d ’ une interprétation orthodoxe. Là où cette des m ystères de la trinité et de l'incarnation.
interprétation était possible, Franzelin l ’ a tentée, voir 1° Ordre naturel : essence angélique, purem ait spî-
843 ESSENC E 844

rituelle, voir plus haut, col. 836, et A n g e s , 1.i, réfé ­ de l ’ acte et de la puissance, telle que l ’ envisage le
rences déjà indiquées; âm e hum aine, d ’ essence spiri­ systèm e aristotélicien, en considérant l'essence et
tuelle, voir A m e , 1.1, col. 1021 ; âm e hum aine, essen ­ l ’ existence com m e deux réalités non absolues, m ais
tiellem ent form e du corps, voir F o r m e . transcendentalem ent ordonnées l'une à l ’ autre, com m e
2° Ordre surnaturel : objet surnaturel, par essence, la puissance l ’ est à l'acte et réciproquem ent. A insi
D ieu, com m e dans la vision béatifique, voir I n t u i ­ com prises, elles ne peuvent être réalisées l ’ une sans
t iv e (Vision); essence de la grâce sanctifiante.de la l ’ autre; à plus forte raison, ne peuvent-elles être,
grâce actuelle, voir G r a c e , et C o n c o u r s d iv in , m êm e par la puissance de D ieu, séparées; m ais elles
t. ni, col. 781; essence ou nature des vertus infuses; sont distinctes réellem ent, com m e l'acte l ’ est de la
et, dans la vertu de foi, essence de l ’ acte de foi, sim ple puissance. D istüictes réellem ent ne veut donc pas
ou com plexe, dont les propriétés essentielles sont dire séparables, m ais sim plem ent ordonnées dans le
l ’ obscurité, la liberté, la certitude, voir ces m ots; rapport d ’ acte à puissance ou de puissance à cet acte.
essence de la charité. V oir C h a r it é , t. n, col. 2218. E t pour faire saisir d'un m ot leur pensée, les défen ­
Par rapport à la foi, on étudie égalem ent les articles seurs de ce systèm e, pour bien m ontrer que ni
de foi prétendus essentiels ou fondam entaux. V oir l ’ essence ni l ’ existence, quoique réellem ent distinctes,
A r t i c l e s f o n d a m e n t a u x , t. i, col. 2025. L ’ ordre ne sont des êtres com plets, leur appliquent à chacune
surnature] nous conduit aussi à rechercher l ’ essence le term e expressif d’ens ut quo. L ’ existence est le
du péché, m ortel, véniel, originel. V oir P é c h é et principe qui pose l ’ essence dans son actualité, m ais
C o n c u p i s c e n c e , t. ni, col. 806. Les fins dernières « de m êm e que nous ne pouvons pas dire que la course
rappellent la distinction entre la béatitude essentielle elle-m êm e court, de m êm e nous ne pouvons dire
et la gloire accidentelle des élus, voir B é a t it u d e , que l ’ existence existe. » S. Thom as, In lib. Boetii de
t. n, col. 497, com plété par I n t u it i v e (V ision); hebdomadibus, lect. n.
entre les peines essentielles et les peines accidentelles 2° solution.— A l ’ opposé, on peut considérer l ’ essence
des dam nés. V oir D a m . t. iv, col. 6; et M i t ig a t i o n et l ’ existence com m e des entités qui, si elles étaient
DES PEINES DE L'ENFER. distinctes réellem ent l ’ une de l ’ autre, posséderaient,
3» Parallèles à l ’ ordre surnaturel, les moyens de chacune en particulier, une réalité propre. D ès lors,
salut présentent plusieurs aspects où le term e essence dit-on, qu'il s ’ agit d ’ une distinction réelle, il faut
reçoit une signification dogm atique. L ’ Église, voir qu ’ elle porte sur des réalités; or, toute réalité est
É g l i s e , t. iv, col. 2135, est essentiellem ent une société telle par des principes qui lui sont intrinsèques et
parfaite et suprêm e. L ’ essence de ses sacrem ents non en vertu d ’ un principe étranger : « Il s ’ agit, dit
renferm e deux parties, m atière et form e. V oir S a c r e ­ Suarez, Melaph., disp. X X X I, sect, i, n. 13, d ’ une
m e n t s et F o r m e . Son sacrifice com porte une partie com paraison entre l ’ existence actuelle et l'essence
principale, la consécration, qui en form e l ’ essence. actuellement existante : en ce sens, il ne peut y avoir
V oir È p i c l ê s e , col. 194, et M e s s e . qu ’ une sim ple distinction de raison entre l ’ un et
Ici encore, essence a com m e synonym e nature, et l ’ autre, car l ’ essence prise abstraitem ent et considé ­
l ’ on em ploie souvent indifférem m ent l'un et l ’ autre rée dans sa puissance (c ’ est-à-dire l ’ essence logique),
term e. se distingue de l ’ existence actuelle com m e le non-
IV. D i f f é r e n t s s y s t è m e s t h é o l o g iq u e s p a r être de l ’ être. E t je crois, ajoute le grand théologien,
r a p p o r t a l ’ e s s e n c e e t a l ' e x i s t e n c e . — C ’ est que cette doctrine ainsi entendue est de tous points
m aintenant le m om ent d ’ étudier le fondem ent onto ­ la vraie. En voici le fondem ent en quelques m ots : une
logique du rapport entre l'essence et l ’ existence des chose ne peut être constituée form ellem ent et intrin ­
êtres créés. Ici, nous quittons le terrain dogm atique sèquem ent dans l ’ état d ’ être actuel et réel par une
pour entrer dans le dom aine des systèm es. N éanm oins, chose distincte d ’ elle-m êm e, parce que, par le fait
com m e on le verra tout à l ’ heure, la question de l ’ es ­ m êm e qu ’ une chose est distincte d ’ une autre, com m e
sence et de l ’ existence est trop im portante, eu égard un être d ’ un autre être, chacune a déjà par soi d ’ être
à la direction qu ’ elle im prim e aux différents systèm es une réalité distincte de l ’ autre. »
théologiques, pour qu'on puisse la négliger. N ous exa ­ L a prem ière opinion paraît être celle d ’ A ristote,
m inerons brièvem ent : 1° com m ent se pose le pro ­ Poster. Analyt., 1. II, text. 7; D e generatione, 1. Il,
blèm e: 2° les deux attitudes possibles; 3° les consé ­ tex t 2, et d la plupart de ses com m entateurs
quences dans l ’ édifice des systèm es théologiques; arabes, A vicenne, A lfarage, A lgazel, Them istius. O n
4° les conséquences spéciales dans l ’ exposé des dogm es l ’ attribue égalem ent à juste titre aux néoplatoni­
de l ’ incarnation et de la trinité; 5° la pensée de saint ciens, spécialem ent à Plotin, à Porphyre et au
Thom as à cet égard. pseudo-D enys. V oir St. Schindele, Aseilat Gottes,
I. COMMENT SE POSE LE PBOBLËME. --- N O U S a v o n s Essentia und Existentia in Neoplatonismus, dans
vuplus haut, col. 834. quedans tout être créé, le concept Philosophisches .Jahrbuch, 1909, t. xxn, p. 166.
de l ’ essence est difiérent de celui de l ’ existence, tandis G uillaum e d ’ A uvergne, A lexandre de H alès, saint
qu ’ en D ieu l ’ essence renferm e l ’ existence : son essence B onaventure et A lbert le G rand l ’ auraient enseignée
est d ’ exister. C ette différence repose-t-elle sur un fon ­ avant saint Thom as. Revue thomiste, 1911, p. 445-
dem ent réel? Le m ot fondem ent réel peut être com ­ 457. Saint Thom as, dit-on, a égalem ent enseigné la
pris de deux façons. U nanim em ent, les m étaphysi­ distinction réelle de l ’ essence et de l ’ existence et
ciens adm ettront un fondem ent réel, en ce sens que l ’ a défendue contre les averroïstes parisiens. Cf. M an-
l ’ essence physique, dans sa réalité, ajoute des élé ­ donnet, Revue thomiste, 1910, p. 742 sq. O n verra
m ents à ceux que représente à notre intelligence l ’ es ­ plus loin ce qu ’ il faut penser de cette affirm ation.
sence m étaphysique ou spécifique : et c ’ est par le Ce ne sont pas seulem ent quelques néothom istes, voir
fait de l ’ existence que ces élém ents, les notes indivi ­ D i e u , t rv, col. 889, qui adm ettent la thèse de la
duelles, sont surajoutés. M ais ce fondem ent réel com ­ distinction réelle de l ’ essence et de l ’ existence; c ’ est
porte-t-il; en outre, une distinction réelle entre l ’ entité toute l ’ école thom iste, depuis les grands com m enta ­
de l ’ essence et l ’ actualité de l ’ existence? Tel est le teurs de saint Thom as, C apr olus.C ajetan, Silvestre de
problèm e qui se pose. Ferrare, jusqu ’ aux théologiens contem porains, sus ­
ii . l e s d e u x a t t it u d e s p o s s ib l e s . — H y a deux cités dans le cam p thom iste par le renouveau des
façons de l ’ envisager, et, partant, deux solutions à y études scolastiques. C ette unanim ité est si parfaite
apporter. que l ’ on est aujourd ’ hui étonné de rencontrer un tho ­
lte solution. — O n peut appliquer ici Ja théorie m iste de haute m arque, le P. Lepidi, Philosophia
845 ESSENCE 846

Christiana, t. n, p. 170, faire exception à la règle, > raison plausible pour différencier l ’être fini de l'être
sinon dans l'exposé de sa doctrine, du m oins dans les infini : fini com m e infini sont actes purs, au m oins
concessions consenties aux adversaires. lorsqu ’ il s ’ agit des créatures spirituelles. Si l'on veut
L ’ opinion opposée, celle des tenants de la sim ple affirm er que l ’ être fini est tel parce que créé, et par là
distinction de raison, form ulée déjà au x i i i » siècle, contingent et dépendant, sans adm ettre la distinction
voir les références, D i e u , t. iv, col. 89u, a toujours eu réelle, on fait tout sim plem ent ou une tautologie ou
des représentants dont les nom s font autorité dans une pétition de principe. V oir del Prado, La iriié
la science théologique. D uns Scot, voir L rv, col. fondamentale de la philosophie chrétienne, dans la
1890, en est un des prem iers défenseurs; cf. S. B el ­ Revue thomiste, 1910.
m ond, Essenza ed exislenza sec. Duns Scot, dans Ri- N ous irons plus loin encore. Ce point de vue général
vista di filoso/la nco-scolastica, 1910, n. 3; m ais il était se com plète d ’ autres conséquences que ne peuvent évi ­
réservé à Suarez de la débarrasser des subtilités ter les partisans de l ’ identité de l ’ essence et de l'exis ­
scotistes et de lui donner sa form e définitive, telle tence dans les êtres créés. Les thom istes soutiennent,
qu ’ on l ’ a rapportée plus haut. Le nom et l ’ autorité de d ’ une m anière constante, leur conception de l ’ acte et
Suarez n ’ ont pas étésans faire im pression sur beaucoup de la puissance dans la thèse de l ’ hylém orpliism e
de théologiens de la C om pagnie de Jésus. Il serait com m e explication m étaphysique des essences cor ­
injuste cependant de dire que l ’ opinion de Suarez soit porelles : m atière et form e sont Iranscendentalem ent
universellem ent adoptée dans l ’ illustre C om pagnie : ordonnées l ’ une à l ’ autre, pour com poser la substance
Fonseca, Metaph., 1. IV, c. v, q. 4; les théologiens de des corps. M ais m atière et form e sont des réalités,
C oïm bre, Physic., I. I, c. ix, q. vi, a. 2; Pallavicini, et, qui plus est, des réalités distinctes. E n vertu du
De Deo, c. n i; Sylvestre M aurus, Quæst. phil., t. n, principe énoncé plus haut, Suarez et ses partisans sont
q. vi, et de nos jours, le P. L iberatore, Metaph. obligés d ’ adm ettre que « la m atière prem ière a en soi
yen., c. i, a. 3; le P. de San, Cosmol., c. vi; le P. Ter ­ et par soi une réalité, c ’ est-à-dire une actualité
rien, De unione hypostatica; Je p . M athiusi, Rivisla a d’existence distincte de l’existence de la form e, quoi ­
filosofia neo-scolastica, avril 1911; et les professeurs qu'elle ne l ’ ait qu'en dépendance de la form e. · D isp.
actuels du Collège rom ain, en particulier, le P. B illot, X III, sect, iv, n. 13. C ette interprétation rappelle la
De Verbo incarnato, c. n, q. n, § 1 ; le P. de M aria, théorie de Scot, In IV Sent., 1. Ill, dist. V I, q. i;
op. cit., tr. II, q. i, a. 4 ; le P. R em er, op. cit., Metaph. le docteur subtil distingue dans toute essence un acte
yen., q. i, § 3, ont soutenu ou soutiennent encore la double, l ’ un form el, l ’ autre qu ’ il appelle entitatif,
distinction réelle de l ’ essence et de l ’ existence dans et il enseigne que la m atière a par elle-m êm e cet acte
les êtres créés. entitatif, m ais non pas l ’ acte form el. E t Suarez, disp.
Sans rechercher où se trouve la vérité, nous devons X III, sect, v, n. 2, adoptant cette m anière de voir,
ici nous occuper, au point de vue théologique, des con ­ ajoute : « S ’ il est juste, au point de vue physique,
séquences que l ’ une et l ’ autre attitude entraînent d ’ appeler la m atière une pure puissance, au point de
dans l ’ exposé rationnel des dogm es. vue m étaphysique on doit dire qu’elle est composée
lit. CONSÉQUENCES DANS L'ÉDIFICE DES SYSTÈMES d’un acte et d’une puissance proportionnés entre eux :
t u é o l o g iq u e s .
— C ertains théologiens, le P. Lepidi metaphysice concedi debet materiam componi ex actu
entre autres, op. cit., pensent qu ’ on ne doit pas atta ­ et potentia sibi proportionalis, id est ex... essentia et
cher une grande im portance à la distinction réelle exislenlia. » M ais alors, on est acculé à une contradic ­
de l ’ essence et de l ’ existence dans les êtres créés. Il est tion : cet acte et cette puissance sont-ils réellem ent
perm is d ’ avoir un sentim ent opposé. Silvestre M aurus, distincts l ’ un de l ’ autre? Si non, com m ent dire qu ’ une
loc. cil., a exprim é, sem ble-t-il, la vérité en alllrm ant puissance est en m êm e tem ps acte, et pourquoi, en
que cette distinction est tellem ent capitale dans la vertu du m êm e principe, n ’ identifiera-t-on pas la
théologie thom iste qu'elle sert de base à toute la m atière et la form e? Si oui, la question de la réalité
doctrine de l'infinité et des perfections divines, d ’ une de la puissance se trouve posée à nouveau, et la solu ­
part, de la lim itation et des im perfections des créa ­ tion reculée à l ’ infini. O ù s'arrêter?
tures, d ’ autre part. M ais, de plus, la form e est réellem ent distincte de
Si l ’ on adm et la théorie de l ’ acte et de la puissance, j la m atière; il faudra donc, eu égard à l'identité de
l ’ acte spécifiant la puissance, la puissance lim itant l ’ essence et de l ’ existence, distinguer réellem ent une
l ’ acte, on conçoit que D ieu soit l ’ être infini, parce existence de la form e et une existence de la m atière.
qu ’ acte pur : il n ’ est, en effet, lim ité par aucune puis ­ Suarez ne reculera pas devant une conséquence aussi
sance. M ais les esprits créés sont actes purs, eux aussi : logique : « L ’ existence est com posée com m e Γ essence.
si leur existence n ’ est pas reçue dans leur essence, 1 A ussi, sans aucune contradiction ni répugnance,
com m e un acte dans sa puissance, il n ’ y a pas, philo ­ D ieu peut conserver la form e sans la m atière, et la
sophiquem ent parlant, de lim itation à leur assigner. m atière sans la form e. · D isp. X V , sect, ix, n. 5.
Tel est le raisonnem ent de saint Thom as lui-m êm e, En ce cas, s ’ il y a deux existences dans l ’ ordre de
De ente el essentia, c. v : « Si l ’ on suppose une chose qui l ’ essence, com m ent sauvegardera-t-on l ’ unité sub ­
soit son existence, cette existence ne pourra recevoir stantielle? L a question se pose surtout à propos du
aucune addition différentielle du côté de la form e, corps hum ain inform é par une âm e spirituelle qui
parce qu'elle ne serait plus seidem ent l ’ existence, jouit de son existence propre. Sans doute, Suarez,
m ais l'existence et, en plus, une form e quelconque; Metaph., tr. Ill, 1. I, c. xn, n. 18, répondra que ma­
m oins encore pourra-t-elle recevoir aucune addition teriae dicitur {anima) dare esse, quatenus in suo esse
du côté de la m atière, parce qu ’ alors elle ne serait plus conservai, et qu ’ il suffit, pour garder l ’ union substan ­
une existence subsistante, m ais m atérielle : d ’ où il tielle, ut sinl aplæ ad constituendum unum, pos-
résulte que la chose qui est son existence ne peut être sintque recte conveni ad eumdem finem. Loc. ei!., n. 19.
qu ’ une... II faut donc, dans tout être autre Ique D ieu], M ais il est facile de constater que ces explications
qu ’ autre chose soit l ’ existence, autre chose l'essence; ne résolvent pas com plètem ent la difficulté. Lqueiie
et c'est pourquoi, dans ics intelligences séparées, n ’ existe plus dans la théorie thom iste de l'existence
l ’ exisience est différente de la form e; aussi l ’ on distincte et inform ant de son acte unique es.s-n-
dit que cette intelligence est une form e et une exis ­ tiellem ent sim ple toutes les parties essentielles de
tence. · V oilà le point précis où apparaît, aussi claire l ’ être. Cf. S. Thom as, In lib. Boel. de
que possible, l ’ im portance extrêm e de la distinction lect. n.
réelle de l ’ essence et de l ’ existence. Sans elle, pas de Ces spéculations philosophiques n ’ aurâieat guère
847 E S S EN C E 848

d ’ intérêt pour le théologien si elles ne com portaient nature hum aine; m ais il a toute l ’ essence hum aine,
des conséquences dans l'exposé rationnel de nos dog ­ parce qu ’ il possède un corps individué, inform é
m es. Ces conséquences ne sont pas sans im portance. d ’ une âm e individuée par rapport à ce corps. L ’ expli­
O n a vu plus haut com m ent la distinction réelle de cation est si claire que le P. B illot n ’ hésite pas à décla ­
l ’ essence et de l ’ existence rendait philosophiquem ent · rer qu ’ à défaut de preuves rationnelles apodictiques,
com pte de la différence du fini et de l ’infini, et à cette sim plicité et cette facilité d'exposition du dogm e
quelles difficultés se heurtait l ’ opinion opposée. V oici, catholique prouveraient suffisam m ent la distinction
avant d ’ envisager les conséquences dans 1 exposé des I réelle de l ’ essence et de l ’ existence. De Verbo incar­
dogm es de l ’ incarnation et de la trinité, trois autres nato, R om e, 1895, p. 63. Le P. Terrien, op. cil., p. 181,
conséquences d ’ ordre secondaire, m ais, néanm oins, n'a pas de peine à dém ontrer que, seule, la théorie
suffisam m ent graves pour devoir attirer l ’ attention thom iste concorde avec la tradition des Pères.
du théologien. D ans l ’ hypothèse suarézienne, nous nous trouvons
l°Le concile de V ienne, voir D enzinger-B annw art, en face de deux natures individuées et possédant leur
n. 481, nous oblige à adm ettre que l ’ âm e intellective existence propre. Pourquoi ces deux natures ne sont-
est essentiellem ent la form e du corps. L ’ exposé philo ­ elles pas deux personnes? La réponse à cette ques ­
sophique de ce dogm e ne souffre aucune difficulté dans tion est si peu facile à donner qu ’ elle provoque chez
l ’ opinion de la distinction réelle de l ’ essence et de les partisans de l ’ identité de l ’ essence et de l ’ exis­
l ’ existence. L ’ âm e, bien qu ’ ayant son existence pro ­ tence un double courant d ’ explications. Les uns, avec
pre, la com m unique au corps dont elle devient im m é ­ Suarez, vont chercher dans un m ode substantiel,
diatem ent la form e, et vis-à-vis duquel elle se trouve distinct de l ’ essence, et qu ’ ils appellent la subsistance,
ainsi en relation transcendantale d ’ acte à puissance. Si disp. X X X IV , sect, rv, n. 23, la raison dernière de
la m atière a son existence propre, com m e l ’ affirm e la personnalité. L a subsistance m anque à la nature
Suarez, indépendam m ent de la form e, com m ent l ’ exis ­ hum aine, et, par là, elle n ’ est point personne. O utre
tence, com plète par hypothèse, de la form e pourra- que cette explication sem ble bien am enée pour les
t-elle s ’ unir à l ’ existence de la m atière et form er besoins de la cause, elle laisse intacte la difficulté
ï’unum per se que suppose la définition conciliaire? de l ’ unité parfaite de l ’ H om m e-D ieu, les deux natures
2° D ans le dogm e de l ’ eucharistie, la personne tout dem eurant avec leur existence propre, com plètes
entière de Jésus-C hrist se trouve, par voie de con ­ et term inées chacune dans leur espèce. Les autres,
com itance, sous les espèces consacrées. D ans le sys ­ avec le jésuite Tiphaine, De hypostasi et persona,
tèm e thom iste, l'existence divine soutient et la nature c. xxxvi, n. 6, renouvellent la thèse de Scot, In IV
divine, avec laquelle elle s ’ identifie, et la nature Sent., 1. Ill, dist. I; la nature hum aine en.Jésus-
hum aine, qui se trouve, d ’ une façon surnaturelle, C hrist n ’ est pas une personne, parce qu ’ elle n ’ est pas
actualisée par cette existence divine. D ès que le corps indépendante, parce qu ’ elle ne form e pas une personne
du C hrist se trouve sacram entellem ent présent, l ’ unité en soi, étant unie à la nature divine. C ’ est une affir ­
d ’ existence fait que, par voie de concom itance natu­ m ation dont certains peuvent, à la rigueur, se con ­
relle, toute la personne du C hrist est aussi présente. tenter : des théologiens de valeur com m e Franzelin,
D ans l ’ hypothèse de Suarez, l ’ existence hum aine est De Verbo incarnato, thés, xxix, l ’ ont adoptée; est-ce
distincte de l ’ existence divine : la concom itance bien une explication?
naturelle ne peut plus exister; il faut recourir à un 2° Trinité. — Les conséquences sont ici m oins
] .-cte librem ent voulu par D ieu. De eucharistia, disp. im m édiates. Elles sont réelles cependant, et plus
.X L V III, sect. n. graves peut-être au point de vue apologétique.
3° D ans l ’ explication du concours divin, selon O n connaît l ’ objection tirée du principe d ’ iden ­
l ’ hypothèse thom iste, l ’ acte et la puissance se com ­ tité : deux choses identiques à une troisièm e sont
plètent pour form er non seulem ent toute essence, identiques entre elles. O r, les personnes divines sont
m ais tout principe d ’ action. C elui-ci ne peut agir identiques à l ’ essence; donc.
qu ’ autant qu ’ il est en acte : omne agens in quantum Saint Thom as, Sum. theol., I ” , q. xxvni, a. 3,
est in actu agit et il reste un, quoique com posé d ’acte ad 1 “ " ’ , fait rem arquer que l'identité des personnes,
et de puissance, parce que puissance et acte se com ­ et de l ’ essence est purem ent m atérielle en D ieu, le
plètent et dem eurent dans un état de subordination. concept de la relation, laquelle constitue la personne,
D ieu peut m ettre en acte la volonté : la volition sera étant totalem ent différent du concept de sa réalité.
toujours un acte vital. Partant de ce principe, il m ontre, loc. cil., que,
C ette explication est im possible dans l ’ hypothèse logiquement, l’ objection ne peut conclure. A uriol, cité
où se place Suarez, parce que toute m otion serait par C apréolus, In IV Sent., 1. I, dist. II, q. ni, trans ­
conçue com m e une entité distincte dans sa réalité de porta l'objection du terrain logique sur le terrain
la puissance qu ’ elle ccom pagne. Ce serait une qua­ ontologique. C apréolus, loc. cit., l ’ a réfuté am ple ­
lité morte. Il n ’ y a plus possibilité d ’ union des prin- | m ent. V oir Pègues, Commentaire littéral de la Somme
cipes, il ne peut y avoir que juxtaposition ou m ieux théologique, Toulouse, 1908, t. n, p. 106 sq. Il est
coordination. Logiquem ent, les thom istes aboutissent inutile de nous attarder davantage à ces réfutations,
à la théorie de la prém otion divine, agissant efficienter qui n ’ ont qu ’ un rapport lointain avec la question de
dans la volonté um aine; instinctivem ent, tous les l ’ essence et de l ’ existence.
négateurs de la distinction réelle doivent parler du M ais, pour la théorie de Suarez, il n ’ en est plus de
concours simultané de D ieu. D e là, divergence totale m êm e. Suarez, avons-nous vu, pour nier la distinc ­
de vues, dans le traité de la grâce et dans la m anière tion réelle de l ’ essence et de l ’ existence, part de ce
de com prendre l ’ inspiration. principe que « toute chose ne peut être constituée
IV. DOGMES DE L’INCARNATION ET DE LA TRINITÉ. formellement dans sa raison d'être réel et actuel par
— 1° Incarnation. — D ans l ’ hypothèse thom iste, une chose distincte d ’ elle-m êm e. » L ’ essence actua ­
l ’ exposé de la distinction des natures en Jésus-Christ lisée est son existence. En vertu de ce principe, le
et de l’ unité de personne devient d ’ une clarté m er ­ concept de la relation divine ne distinguera plus la
veilleuse. Jésus-Christ n ’ a pas la personne hu ­ relation, qui, com m e telle, constitue la personne, de
m aine, parce qu ’ il n'a pas l ’ existence naturellem ent sa réalité, qui est la réalité m êm e de l ’ essence divine.
proportionnée à l'essence d ’ hom m e, et que cette L ’ identité entre personne et essence deviendra une
existence est, pour ainsi dire, suppléée par l'exis­ identité form elle, et Suarez ne sera plus en droit, dans
tence m êm e de la personne divine qui assum e la une pareille hypothèse, de répondre avec saint Tho-
849 E S S EN C E — ESTHER (L IV R E D ’)

m as que l ’ objection des adversaires ne conclut pas I De veritate fundamentali philosophise ehrtstia-x.
logiquem ent, parce qu ’ elle identifie, en leur appli­ centia, 1899; de M aria, S. J., op. ciL, OnÜtfia,
quant un concept identique, des réalités qui, bien t. n, q. i, a. 5. Gf. B aeum ker, Witelo, Ein Philosoph und
qu ’ identiques, diflèrent entre elles selon leurs concepts. Naturforscher des xm Jahrhund- ris. M unster, 19 '.
A ux objections d'A uriol, il n ’ opposera en som m e p. 337. V oir encoreM . Piccirelli^Disçm sitiwm rf bçp
qu ’ une fin de non-recevoir : le principe d'identité ne theologica, critica de distinctione actuaire interes -
doit pas s’appliquer en Dieu 1 « E xtrém ité déplo ­ tiam existentiamque creati entis intercedente,<x pesa :
rable, » dit le P. Pègues, loc. cit., et qu ’ accepte néan ­ de mente angelici doctor is circa eamdem yuæstier -.
m oins après Suarez, De Trinitate, 1. IV, c. ni, n. 7, N aples, 1906; R . H ourcade, Essence et ■:::
M olina, In Sum. theol., I 1 , q. xxix, a. 2, disp. Π . d’après un livre récent (Piccirellî), dans le Lt."· -
V. QUELLE EST LA PENSÉE DE SAINT THOMAS? — de littérature ecclésiastique, 1908, p. 24-31, 5"
Les textes de saint Thom as, rapportés plus haut, 90-99.
sem blent bien indiquer la pensée du docteur angé ­ A . M ic h e l .
lique. E S T C O U R T E dqard-E dm ond, théologien m i ­
O n a soulevé la question historique de l ’ apparition, né le 7 février 1816, m ort à Leam ington le 16 avril
dans le cham p de l ’ enseignem ent scolastique, de l ’ opi ­ 1884. Fils d ’ un m inistre anglican, il étudia â Ex ter
nion affirm ant la distinction réelle. Ici m êm e, le College d ’ O xford, et y subit l ’ influence de N ewm an.
P. C hossat, voir D i e u , t. iv, col. 1180, estim e que le Il entra dans le clergé anglican et était m inistre de
prem ier scolastique dont un historien, dans l ’ état C irenc.ester quand, en 1845, il fut reçu dans l ’ Église
actuel de nos connaissances, puisse dire sans contro ­ catholique. Trois ans plus tard, il était ordonné
verse qu ’ il ait adm is cette distinction, est G illes de prêtre par M gr U llathorne, qui, dans la suite, le créa
R om e, quelques années après la m ort de saint Tho ­ chanoine de la cathédrale de B irm ingham . 11 com posa
m as. Le P. G ardeil et le P. M andonnet, Revue thomiste, les ouvrages suivants : The dogmatic teaching of the
1910, p. 527; Revue des sciences philosophiques cl théo­ book of common prayer on the subject of the holy eit-
logiques, 1910, p. 480, sont d ’ une opinion opposée. charisl, in-8°, Londres, 1868; The questionof anglican
Jean de la R ochelle, avant 1245, enseignait déjà, en ordinations discussed... With an appendix of original
effet, la distinction réelle. V oir M anser, Die Realdis- documents and fac-similés, in-8°, Londres, 1873.
tinclio von Wescnheil und Exislenz bel Johannes von J. G illow, Bibliographical dictionary of theenglish . nho-
Rupella, Revue thomiste, janvier 1911, p. 742. lics, in-8 0 , Londres, t. n, p. 179.
A vant Jean de la R ochelle, on cite égalem ent B. H e u b t e b i z e .
G uillaum e d ’ A uvergne. V oir D enille, Archiv, t. n, E S TH E R (L IV R E D ’ ). B ible hébraïque : E -.
p. 486; Schindele, Zur Geschichte der Vntcrscheidung du nom de l ’ héroïne célébrée dans ce livre. Le 8 ’
von Wcsenheit und Dasein, M unich, 1900. Kefoûbim, s écrits » ou « hagiographes (le 9*. se, ci
La pensée de saint Thom as d ’ A quin est contro ­ Baba Bathra, 14 5-15 a), et com pté aussi le 1'· ' parm i
versée. M ais est-elle bien discutable? T out en lais ­ les kejoubim ’àhârônim, < derniers » ou < postérieur- :
sant à l ’ opinion adverse la liberté de s ’ exprim er, le 5 e et dernier des Megillô(, « rouleaux ■ (liturgiques .
nous pensons que saint Thom as est un partisan résolu — B ible grecque : ΕΣΘ 1ΙΡ, livre « erratique dans les
de la distinction réelle. listes des Pères et les m anuscrits, « suivant quelque ­
Le prem ier argum ent sur lequel se fonde notre sen ­ fois les livres poétiques, quelquefois les prophètes,
tim ent, ce sont les textes de saint Thom as lui-m êm e. quelquefois les histoires;» parfois le dernier de tous:
O n pourra consulter Sum. theol., I», q. vu, a. 1; O rigène, saint É piphane, le Dialogus Timolhæi et
q. L, a. 2; q. l x v i , a. 1; Cont. gent., 1. I, c. xxv; i. II, Aquilœ, saint Jean D am ascène, et, chez ce dernier
c. l u , l iv ; De potentia, q. i, a. 2; q. iv, a. 1 ; De spir. Père, qui suit saint É piphane, De mens, et pond., 4,
creat., a. 1, 2; In IV Sent., I. II, dist. III, q. i, a. 1 ; P. G., t. x l i ii , col. 244, m is hors catégorie avec let il
dist. X II, q. i, u : Quodl., Ill, a. 1 ; De ente ct essentia, E sdras com ptés pour un : άλλα: δύο; allant fréquem ­
c. v. Trois textes enseignent explicitem ent la distinc ­ m ent de com pagnie (tenu ou non pour canonique)
tion réelle : In lib. Boelii de hebdom., 1. II : Est consi­ avec Tobie et Judith. H . B . Sw ete, A n tnZrorfnrtron
derandum quod sicut esse et quod est differunt in to the Old Testament in Greek. C am bridge. 19' '2. p. 22 S-
simplicibus secundum intentionem, ita in compositis 229, 201-210, 230. — B ible latine : Esther (codex
differunlreaViler... Hoc autem simplex unum et sublime Claromontanus : Ester); plus souvent Hester. L 'ordre
est ipse Deus; In IV Sent., i. I, dist. X IX , q. i i , actuel des livres de laBible latine (Étienne Langt· -r lui
a. 2 : Actus mensuratur ævo, scilicet ipsum esse ievi- donne place tout à la fin des livres historiques, . . . »
terni differt et eo cujus est actus re quidem; De veri­ Tobie ct Judith, im m édiatem ent avant les livres sa ­
tate, q. xxvn, a. 1, ad 8 “ ™ : Omne quod est in genere pientiaux. L'influence du canon hébraïque palesti ­
substantiae est compositum reali compositione, eo quod nien, qui agit sur saint Jérôm e, Prologus galeatus, P. L..
id quod est in praedicamento substantiae est in suo esse t. xxvii, col. 554, et les Pères grecs précédem m ent
subsistens, et oportet quod esse suum sil aliud quam cités, com m e aussi, par l ’ interm édiaire de l ’ auteur
ipsum. de la V ulgate, sur quelques B ibles espagnoles des
Le second argum ent en faveur de notre m anière de plus anciennes : codex Toletanus, B ibles d ’ A Icaia,
voir, ce sont les aveux des tenants de la non-distinc ­ et les B ibles de Théodulfe, fit parfois qu ’ E sther se
tion réelle : ils reconnaissent expressém ent que saint détacha, com m e protocanonique, de ses deux acolytes
Thom as leur est opposé. V oir Pereira, De communibus habituels, auxquels le fiaient déjà les interprètes au ­
rerum naturalium principiis, 1. V I, q. iv, c. xiv; torisés de l ’ ordre ancien, de la vieille Italique : G élnse.
card. Tolet, In Sum. theol., I", q. m , a. 3; Tlphaine, C assiodore, Isidore, pour laisser les -- deux Sapiences .
De hypostasi, c. x l i i , n. 18. A u c. vi, ce dernier auteur (Eccli., Sap.) ouvrir ct com m ander la série des dea-
fait à ce sujet une déclaration si expresse qu ’ elle i térocanoniques. H . B. Sw ete, op. cit.. p. 210-214;
m ériterait d ’ être rapportée, si elle n ’ était offensante ' Sam . B erger, Histoire de la Vulgate pendant le s prem
pour ses adversaires. Enfin, il y a surtout l ’ aveu de | siècles du moyen âge, Paris, 1893, p. 302-3'U . 3313
Scot, In IV Sent., 1. Ill, dist. V I, q. i, et de Suarez, — 1. T exte et versions. IL C anonicité. IIL C aractère
disp. X X X I, I. I, n. 3. Il ne sem ble donc pas que, sur historique. IV. C aractère religieux et m oral· V . A
la question de savoir quelle fut l'opinion de saint teur et date. V I. Enseignem ents doctrinaux. V IL
Thom as en la m atière, il puisse y avoir encore le C om m entateurs.
m oindre doute. O n pourra consulter del Prado, O . P., 1 I. T e x t e e t v e r s io n s . — i. t e x t e . — Le texte ori-
851 ESTH ER (LIV R E D ’ ) 852

ginal du livre d ’ E sther se présente à nous sous une « apportée » en É gypte par « D osithée, lequel se disait
double form e : en partie de langue hébraïque (texte prêtre et lévite, et son fils Ptolém ée » la « quatrièm e
m assorétique), en partie de langue grecque (additions année du règne de Ptolém ée et de C léopâtre. » D es
dites des Septante : songe de M ardochée, avant i, 1 quatre Ptolém ées, rois d ’ É gypte, qui eurent tous
(édition de Sw ete, A , 1-17; V ulg., xi, 2-xn, 6); édit quatre pour fem m e une C léopâtre, Ptolém ée É pi-
d ’ A rtaxcrcès, entre m , 13 et 1-1 (Sw ete, B. 1-7; V ulg., phane (205-181), Ptolém ée Philom étor (181-146),
xm , 1-7); prière de M ardochée, prière d ’ E sther, Ptolém ée Physcon (É vergète II, 170-146-117). Pto ­
après iv, 17, et avant v(Sw ete, G , 1-11 et 12-30; V ulg., lém ée Soter II (L athyre, 117-81), le second, Philo ­
xm , 8-18, et xiv, 1-19); E sther au-devant du roi, à m étor, fut tenu d ’ abord par les critiques pour le prince
la suite, avant v, 3, développem ent de v, 1-2 (Swete, visé dans la souscription. Fritzsche, op. cil., p. 73;
D , 1-16; V ulg., xv, 4-19); nouvel édit d ’ A rtaxerxès, C om ely, op. cit., p. 418 sq. M ais Ptolém ée V III La ­
après vm , 12, développem ent de 13 (Sw ete, E , 1-24; thyre réunit ensuite les suffrages com m e le seul des
V ulg., xvi, 1-24); explication du songe de M ardo ­ quatre qui se trouva m arié à une C léopâtre « la qua ­
chée, après x, 3 (Sw ete, F, 1-10; V ulg., x, 4-13); trièm e année de son règne. » N œ ldeke, op. cit.,p. 128;
post-scriptum , après l'addition précédente (Swete, Jacob, Das Buch Esther bei den LXX, dans Zeitschrift
F, 11; V ulg.,xi, l);glose, dans rv, 8 (Vulg., xv, 2-3). fur die altieslam. Wissenschaft, 1890, t. x, p. 274 sq.;
1° Texte massorétique. — L ’ hébreu, com m e celui de C ornill, Einleitung in das A. T., T ubingue, 1896,
l ’ Ecclésiaste et des C hroniques, est de l ’ époque grec ­ p. 263; R yssel, loc. cit., p. 212.
que (m ots aram cens, persans; locutions m ischniquos; Q uoi qu ’ il en soit, la version grecque du livre
syntaxe altérée). Ce texte s ’ est bien conservé. G . Jahn, d ’ E sther· était donc en circulation vers la fin du
Das Buch Esther nach der Septuaginta hergestellt..., n° siècle avant notre ère. Elle contenait alors presque
Leyde, 1901, a voulu prouver que l ’ hébreu du livre certainem ent les additions. M oins certaine est son
m assorétique est altéré et glosé et que la version grec ­ exécution « à Jérusalem » : elle reflète trop clairem ent
que des Septante représente le vrai texte; m ais la le m ilieu égyptien dans son parler grec alexandrin.
reconstitution essayée n ’ a pas fourni la preuve de Jacob, loc. cit., p. 274 sq.
la thèse. b) Les recensions sont celle du texte reçu des
Septante et celle de Lucien. L a prem ière, fondée sur
É ditions critiques : S. B aer, Quinque volumina, L eipzig, les m anuscrits A (Alexandrinus), B ( Vaticanus),
1886, p. 32-41; notes de la M assore, p. 70-78; F r. B uhl,
S (Sinaiticus), respecte dans l ’ ensem ble l ’ original
Esther, dans Biblia hebraica, éd it. R · . K ittel, L eipzig, 1909,
p. 1148 -1159, ap p arat critiq u e au bas des pages; P. H au p t,
hébreu, sauf intercalation, çà et là, de quelques
The book of Esther. C hicago, 1911. phrases : i, 7; n, 18; ni, 20; iv, 1; spécialem ent
v, 1-2. L ’ autre, sans être, com m e l'ont cru U ssher
2° Texte grec des additions. — Π doit être original et Fritzsche, une seconde traduction du livre hébreu
plutôt que traduit d ’ un texte hébreu ou aram éen : d ’ E sther, est un rem aniem ent si énergique du texte
il renferm e des expressions qu ’ il est im possible de grec reçu,rem aniem ent pour lequel fut utilisée vraisem ­
traduire en ces deux idiom es; les hébraïsm es qu ’ on blablem ent la version d ’ A quila, qu ’ elle ne contient
y trouve, dans une grécité d ’ ailleurs très pure, seraient plus de la prem ière recension que des m orceaux.
attribuables à la nationalité de l'auteur, juif helléniste; C om m e pour la partie traduite de l ’ hébreu, Lucien a
le style de ces m orceaux diffère de celui de la traduc ­ abrégé, surtout,le texte des additions, n ’ ajoutant que
tion de la partie hébraïque. quelques m ots pour plus de clarté : Sw ete, A , 1;
C, 16, 24, etc. Langen, Die beiden griechischen Texte
V oir F ritzsche, Kurzgejassles exegelisches Handbuch
tu den Apokrgphen des A. T., L eip zig , 1851, t. i, p. 71; des Bûches Esther, dans Theol. Quartalschrifl, 1860,
Jellinek, Bel ha-XIidrasch, 1873, t. v, p. v m ; B issel, The p. 262 sq., avait soutenu que Josèphe, Ant. jud., X I,
apocrypha of the Old Testament..., N ew Y ork, 1880, p. 199; connut cette seconde recension et que celle-ci ne
F uller, dans les Apocrypha de W ace, L ondres, 1888, t. I, pouvait donc être de Lucien (y 311-312); m ais les
p. 361 sq. ; S chürer, dans Realencyclopadie de H auck, analogies de Josèphe. avec Lucien ne sont que for ­
L eipzig, 1896, 1. 1, p. 638; Geschichle des jiidischen Volkes..., tuites (le texte des L X X dont il fit usage contenait
L eipzig, 1898, t. in , p. 330; R yssel, dans D ie Apokryphen...,
des variantes que Lucien introduisit dans sa re ­
de K autzsch, L eipzig, 1900, 1 . 1, p. 196.
cension); en réalité, Josèphe se trouve en relation
N œ ldeke, Histoire littéraire de l’Ancien Testament, plus étroite avec le texte reçu qu ’ avec celui de Lucien :
trad, franç., Paris, 1873, p. 129, distinguait dans Ant. jud.,VX., vi, 4, et E sth.,n, 21-23; IX , vi, 7,etE sth.,
les additions une catégorie d ’ origine hébraïque possible iv, 5. V oir Jacob, op. cit., p. 258 sq. ; R yssel, loc.
et une autre dont l ’ original est sûrem ent grec. cit., p.197 sq.; A ndré, Les apocryphes de l’Anc. Test.,
Florence, 1903, p. 206 sq.
P our l ’ existence d ’ originauxsém itiques : J.-B . D e R ossi,
Specimen variarum lectionum sacri textus et Chaldaica É d itio n s : de la prem ière recension (m ss A , B , S, N
Eslheris additamenta, R om e, 1782, p. 115-136; avec édition (Basilianusl, 55, 93 b, 108 a, 249 (H olm es-P arsons), etc.);
chaldaîquc d ’ après un m anuscrit ap p arten an t à P ie V I, toutes les éditions de A , B , S, des L X X , et les suivantes.
tbid., p. 138-161; J. A . N ickes, De Eslheræ libro, R om e, D e la recension de L ucien (m ss 19, 93 a, 108 b) : U ssher,
1856, 1.1, p. 11-17; S cholz, Kommentar Uber das B. Esther..., De grœca Septuaginta interpretum versione syntagma,
W urzbourg, 1892, p. X X I sq .; L angen, Die deulerokano- cum libri Eslheræ editione origenica et vetere grœca altera,
nischen Slückc des B. Esther, F ribourg-en-B risgau, 1862; L ondres, 1655; L eipzig, 1696; F ritzsche, ’ E«w .o. Duplicem
K aulen, Einleitung in die heiligen Schrifl .4. und N. T. s., libri textum... emendavit... et edidit, Z urich, 1848, et dans
F ribourg-cn-B risgau,1899,§270sq.;R . C om ely, Introductio Libri apocryphi Vet. Test, grœce, L eipzig, 1871 ; de L agarde,
specialis in historicos V. T. libros, P aris, 1897, p· 419 sq. Librorum Vet. Test, canonicorum pars prior grœce, G œ ttingue,
1883; A . S cholz, Commentar Uber das B. Esther mit scinen
C om m e et avec la traduction grecque de la partie Zushtzen..., W urzbourg ct V ienne. 1892, p. u -xcix (quatre
hébraïque du livre d ’ E sther, le texte des additions colonnes : tex tes grecs, tex te de Josèphe. tex te hébreu en
trad uction allem ande); F . F ield, Origenis Hexaplorum
existe en double recension, celle du texte reçu (L X X )
quæ supersunt, O xford, 1 8 7 5 , 1.1, p. 791-806.
et celle de Lucien. V oir plus loin.
n. v e r s io n s . — 1° V ersions immédiates. — 1. Ver­ 2. Autres versions grecques. — Il ne reste rien des
sion des Septante. — a) La traduction du livre hébreu, versions grecques d ’ A quila, de Sym m aque et de
si l ’ on en croit le post-scriptum (addition) du livre grec, Théodotion sur le livre d ’ E sther, si m êm e elles ont
fut exécutée « par (un certain) Lysim aque, fils de existé.
Ptolém ée, de ceux (qui habitaient) à Jérusalem , » et 3. Targums. — Il y a deux principaux targum s ou
853 ESTH ER (LIV R E D ’ ) 854

traductions aram éennes du livre hébreu d ’ E sther. 11549)·, dom C alm et av ait reçu d e dom M artians;.· — ‘
Le prem ier (rischon), achevé vers i ’ an 700 de notre copie de ce m anuscrit de C orbie, et il en a publié
ques v arian tes dans son Commentaire litleral sur le
ère, n ’ ajoute à l ’ original que quelques m ots et de
d ’ E sth er; S. B erger, Histoire de la Vulgate, p. 22, 62, 1
petites phrases pour la clarté. Le second (scheni) signale le livre d ’ E sth er selon le tex te de F ancienne
renferm e de plus longs développem ents légendaires parm i d ’ au tres livres du tex te de la V ulgate dans les
et peu cohérents entre eux ; il est un peu plus récent m anuscrits suivants : codex Complutensi in i,-.. - F :2-
que le prem ier (vers 800 au plus tôt). d ’ A lcala), m s. 356 de L yon ( spécim en dans B erç-r.
Notices cl extraits des manuscrits de la Bibl··'..,. -
V oir, pour le targum I, P osner, Das Targum Rischon
ct autres bibliothèques, t. x x x iv , 2* p artie, p. 145-117 : _
zu dem biblischen Buche Esther, B reslau, 1896; pour le à p art, p. 31-33), m ss 6225, 6239 de M unich, m s. n. .
targum 11, J. R eiss, dans Monatsschri/t fiir Geschichle und
du M ont-C assin, m s. de B obbio (A m bros. E, 26 in/.), m s.
Wissenschajt des Judentums, 1876, p. 161 sq., 276 sq., de C arcassonne (perdu).
398 sq . ; 1881, p. 473-177; P . C assel, A us J,iteratur und
Geschichle, L eipzig, 1885; S. G elbhaus, Das Targum 2. Autres versions. — Syro-hexaplaire. — Le livre
scheni zum Buche Esther, F rancfort-sur-le-M ein, 1893; d ’ E sther figurait dans le m anuscrit de cette version
W . B âcher, Zur jiidisch-persischen Lileralur, dans Jewisch
quarterly reaiew, t. x v i, p. 525 sq. (second targum d ’E s ­ signalé par M asius (f 1573), à qui il appartenaiL
ther). Ce m anuscrit est aujourd ’ hui égaré. — Arabe; —
É ditions : du targum I, dans les P olyglottes d ’ A nvers et Celle qui est publiée dans les Polyglottes de Paris
de P aris, avec trad uction latine. L a P olyglotte de L ondres et de Londres a été faite sur les Septante. — Armi­
donn e un tex te am plifié, publié déjà dans la B ible rabbi- nienne. — A m sterdam , 1666; C onstantinople, 1705;
nique de B om berg, 1518. T ayler a trad u it ce tex te en latin , V enise (J. Zohrab), 1805; Pères m échitaristes, 1859-
le nom m ant targum prias, avec le targum II, voir ci-après.
1860. — Coptes. — D ’ E sther nous n ’ avons dans la
D e L agarde, dans Hagiographa chaldaice, L eipzig, 1873, a
rep ro d u it l ’ édition de B om berg. — D u targum II: d e L a- sahidique que rv, 3-4, 6-12 (m s. B ritish M useum ,
garde, loc. cit., p. 223 sq. ; L . M unir, Targum scheni zum addit. 17183). — Éthiopienne. — A . D illm ann avait
Buche Esther, B erlin, 1876; P . C assel, Ziveites Targum zum annoncé la publication du livre d ’ E sther en éthiopien;
Buche Esther, 1878, tex te et trad , allem ande ; M oritz D avid, faute de ressources, il n ’ a pu tenir sa prom esse. La
Das Targum scheni zum Buche Esther, B erlin, 1898 (la B ibliothèque nationale de Paris n ’ a aucun m anuscrit
m eilleure). T raduction latine sans les tex tes aram éens, de la version éthiopienne d ’ E sther. — Géorgienne. —
T ayler, Targum prius ac posterius in Esther..., L ondres,
M oscou, 1743; Saint-Pétersbourg, 1816, ISIS. —
1655.
Slavonne. — E sther traduit de l ’ hébreu.
Il existe aussi en aram éen une paraphrase de la II. C a n o n ic it é . — 1. CHEZ LES JUIFS. — Si le
prière d ’ E sther (addition) dans le Songe de Mar- livre d ’ E sther fut écrit dans les derniers tem ps de
dochée (x« siècle). Cf. R yssel, loc. cit., p. 195 sq. l ’ em pire persan, l'om ission d ’ E sther et de M ardo-
4. Version syriaque. — La Peschito ne contenait chée, faite par l ’ auteur de l ’ Ecclésiastique, vers
pas prim itivem ent le livre d ’ E sther, pas plus que les l ’ an 180 (ou 145) avant notre ère, dans le catalogue
deutérocanoniques. Ce livre m anque m êm e en entier des personnages qui ont illustré l ’ histoire d'Israël.
dans les m anuscrits de la recension orientale ou nes- Eccli., x l i v , 10 sq., ne prouve pas la non-canonicite
torienne. Les deutérocanoniques ont été traduits en absolue de ce livre, m ais seulem ent qu ’ il n ’ etait pas
syriaque d ’ après le grec au rv° siècle. Ils ont été connu de l ’ auteur, ou qu ’ il n ’ était pas encore canoni ­
édités dans la Polyglotte de Londres et par P. de que. Les centaines de prescriptions que l ’ on trouve
Lagarde, Leipzig, 1861. dans la M ischna et les deux Talm uds, relativem ent à
5. Les m anuscrits hébreux 116, 117, 118 et 127 de la transcription et à la lecture du petit « rouleau »
la B ibliothèque nationale contiennent, jointe au d ’ E sther, com m e à la célébration de la fête des Purim.
texte hébreu, une traduction persane d ’ E sther parm i prescriptions qui rem ontent au com m encem ent de
d ’ autres livres de l ’ A ncien Testam ent. notre ère, l ’ im portance extrêm e que l ’ on attache, h
6. Vulgate latine. — Saint Jérôm e traduisit en latin cette époque, à la lecture m êm e de ce rouleau, la fai­
le livre « com m e il est dans l ’ hébreu, » verbum e verbo. sant passer avant l ’ étude de la loi et le service de
Prsej. in lib. Esther, P. L., L xxvni, col. 1433 sq. A ce l ’ autel, attestent à leur m anière la canonicité. Talm ud
prem ier travail il ajouta la traduction latine des de Jérusalem , traité Megillah, i, 1-5, trad. Schw ab,
additions, selon qu ’ il les trouva» dans l ’ édition cou ­ Paris, 1883, t. vr, p. 198-208; T ahnud de B abvlone.
rante (in editione vulgata) » de la B ible grecque. V ulg., Megillah, la, 3b 5 b, 166, etc. Selon N eteler, Comtr.
avant x, 4. Π les traduisit fort librem ent et d ’ après zu Esra, JSehemia und Esther, M unster. 1878, et quel­
la recension du codex Alexandrinus, les » m arquant ques autres, Josèphe, qui place les ordonnateurs du
d ’ un obèle. » Ibid. canon, Esdras et N éhém ie, au tem ps de X erxès. Ant.
2° Versions dérivées. — 1. Ancienne latine. — Son jud., X I, v, a placé le livre d ’ E sther au tem ps
texte n'est pas une traduction, m ais un sim ple résum é d ’ A rtaxerxès. « successeur de X erxès », Cont. Apion.,
de tout le livre d ’ après une recension grecque proche I, vin, pour m arquer sa non-canonicité, « les écrits
parente de celles des m anuscrits Alexandrinus et parus depuis les jours d ’ A rtaxerxès ne jouissant
Vaticanus, avec des rem aniem ents et des enrichisse ­ pas du m êm e crédit que ceux qui les ont précédés; ·
m ents qui font les additions plus longues que dans le cf. aussi Ant. jud., X I, vi. M ais le contraire est
grec. La langue en est rude et grossière. V oir Fritzsche, aussi logique, sinon plus : Josèphe, identifiant
Handbuch, p. 75; Jacob, op.cit., p. 249 sq. l ’ A ssuérus du livre d ’ E sther avec A rtaxerxes et
Les trois prem iers chapitres de cet ancien texte l ’ A rtaxerxès du livre d ’ Esdras avec X erxès père de
latin ont été édités par Tom m asi, Sacrorum Bibito ­ celui-ci, et tenant E sther pour canonique, se voit
rum juxta editionem seu LX X interpretum seu b. Hie­ forcé, ce livre étant le plus récent de la serie, d'■■tendre
ronymi veteres tituli, R om e, 1688, part. I, p. 92-93; la suite des écrits prophétiques (canoniques, » jus ­
Opera omnia, édit. V ezzosi, R om e, 1747, t. ia, p. 138- qu ’ aux jours d ’ A rtaxerxès. » Π n ’ est point cfiL du
141, d ’ après le m anuscrit, aujourd'hui perdu, de la reste, que Josèphe tînt Esdras pour Ford- nr.ate'ar
V allicellane, B. 7. B ianchini les a réédités, Vindiciæ canon. Il est vrai qu ’ un m em bre infiuent de ûc·
canonicarum Scripturarum vet. lat. edit., R om e, 1740, de Jam nia (Jabné), R . Josué, entendit exc.-re
p. ccxcrv-ccxcix. E sther du canon, et qu ’ un peu plus tard. R-
É ditions : P . S abatier l ’ a publiée, Bibliorum sacrorum lall- et R . Juda, celui-ci rapportant les paroles du prem ier,
r.se oersiones antiquæ..., R eim s, 1753, t. 1. p. 796-825, prétendirent que ce livre « ne souillait pas les m ains »
d ’ après le m anuscrit de C orbie (B ibliothèque nationale, (n ’ était pgs saint et sacré); m ais le m êm e R . Sam uel
855 E S TH E R (L IV R E D ’) 856

enseignait aussi qu ’ E sther était « inspiré », avec cette Calai, libror. Eccl., A ssém ani, Bibl. or., t. ni, p. 5 sq. ;
restriction, toutefois, que l ’ inspiration dans le présent du 60° canon de Laodicée, M ansi, Concil., t. il, col.
cas était pour la « lecture », non pour Γ « écriture » : 574, et du 85° canon des apôtres, P. G., t. cxxxvn,
en d'autres term es — ainsi l ’ ont com pris, du reste, col. 211, pour les Églises grecque et orientale; d ’ H i-
les com m entateurs du Talm ud ( Yoma, 29 a) — laire de Poitiers, In psalm., prol., 15, P. L., t. ix,
que le livre, tout inspiré qu ’ il fût et bon à lire dans col. 241; d ’ A ugustin, De doct. christ., n, 13, P. L.,
l ’ assem blée, ne devait néanm oins pas être répandu t. xxxiv, col. 41 ; d ’ innocent I er , Epist.adExsuperium,
dans le public par voie de transcription. T alm ud de P. L., t. xx, col. 501 ; du décret de G élase, i, 3, Preus-
B abylone, Megillah, 7 a. U n autre passage de ce chcn, Analecta, 1893, p. 148; de C assiodore, De inst.
Talm ud, ibid., et le passage sim ilaire du Talm ud div. lilt., 12-14, P. L., t. l x x , col. 1123-1126; d ’ Isi­
de Jérusalem , Megillah, i, 5, trad. Schw ab, Paris, 1883, dore de Séville, De offic. ecclesiast., i, 12; Etym., vi, 1;
t. vi, p. 206-207, bien que non liistoriques, paraissent Lib. prœm., P. L., t. l x x x i i i , col. 746; t. l x x x i i ,
indiquer aussi une hésitation de la part des rabbis col. 229; t. l x x x i i i , col. 158; du m anuscrit de Saint-
touchant la réception d ’ E sther dans le canon; m ais G all (M om m sen), Preuschen, op. cil., p. 138; du codex
ils constatent en m êm e tem ps que l ’ adm ission du Claromontanus, ibid., p. 143; du Liber sacramentorum
livre et la célébration de la fête des Purim , sur de B obbio, Sw ete, Introduction, p. 213; du concile
laquelle insiste le Talm ud de Jérusalem , furent jus ­ de C arthage, P. L., t. l x v ii , coi. 170,191, pour l ’ Église
tifiées par une interprétation d ’ Exode, xvn, 14, latine, m entionnent ΈσΟ ήρ, Hester (Est(lï)er). Les
inspirée de D ieu, le » livre » dont il est parlé en ce m anuscrits grecs et latins (principaux : Vaticanus,
verset de la Loi faisant allusion à la megillah d ’ Esther, Sinaiticus, Alexandrinus, Basiliano-Venelus, Amiati-
un des hagiographes. A ussi peu im portant, et surtout nus, B ibles alcuiniennes, espagnoles et théodulfiennes)
aussi peu concluant pour la non-canonicité, du côté affirm ent encore jusqu'au xn» siècle la canonicité
juif, le passage talm udique, Sanhédrin, 100 a, où du livre dont les fragm ents additionnels seront seuls
R . Juda paraît traiter E sther de livre « épicurien »; désorm ais quelque peu contestés avant la définition
car l ’ épithète, d ’ après le contexte bien com pris, s ’ ap ­ de Trente.
plique non à ce livre, m ais aux deux disciples du rabbi, 2° Doutes élevés sur la canonicité du liare tout entier
Lévi bar Sam uel et H una bar C hija, lesquels avaient ou des seuls fragments additionnels, et explication
tenu sur le « rouleau » d ’ E sther un propos digne d ’ être de ces doutes. — V ers l ’ an 170 de notre ère, M éliton,
ainsi qualifié; ainsi interprétèrent le passage tous évêque de Sardes, dressant une liste des livres du
les com m entateurs du Talm ud, en particulier R aschi canon hébreu, om et d ’ y faire figurer E sther. Eusèbe,
et Sam uel Edels. L ’ om ission d ’ E sther dans la liste H. E., iv, 26, P. G., t. xx, col. 397. C ette om ission,
des livres canoniques de l ’ A ncien Testam ent, fournie si elle ne s ’ explique pas par la chute du m ot ΈσΟήρ dans
par des docteurs juifs à M éliton de Sardes (voir plus la copie, K eil, Einleitung, 1872, p. 649, provient de
loin), ne prouve pas non plus qu ’ à Jérusalem quelque ce que les consulteurs de M éliton, voir plus haut,
synagogue n ’ adm ettait pas ce livre; car les nom s peut-être judéo-chrétiens, rejetaient le livre à cause
grecs donnés par M éliton à quelques-uns des livres des additions qu ’ il renferm ait et qui n ’ étaient point
bibliques, com m e l ’ ordre dans lequel il les présente à reçues des Juifs palestiniens. Saint A thanase, non
O nésim e, décèlent la B ible grecque, ou des Septante, plus, n ’ a pas fait figurer E sther parm i les livres canoni­
et donnent plutôt à penser que M éliton eut affaire ques; il le place m êm e parm i les βιβλία ού χανονιζόμενα.
ici à des judéo-chrétiens. V oir H . E. R yle, The Canon Epist. fest., xxxix, P. G., t. xxvi, col. 1437. Saint
of the Old Testament, Londres, 1909, p. 149 sq., Jérôm e tient les additions de Vcditio vulgata pour
210 sq., 214 sq.; W ildeboer, De la formation du canon des « pièces m al cousues », des développem ents ou
de l’Ancien Testament (trad, du hollandais), Lau ­ « exercices scolaires » qu ’ il m et en appendice de sa
sanne et Paris, 1902, p. 48 sq., 54 sq., 103, 105; traduction de l ’ hébreu. Præf. in lib. Esther, P. L.,
Sigm und Jam pel, Das Buch Esther, Francfort-sur-le- t. xxviii, col. 1433. M ais il n ’ est pas m oins vrai
M ein, 1907, p. 7 sq., 11 sq., 15 sq., 43 sq. qu ’ A thanase considère ce livre com m e renferm ant la
n. c h e z l e s c h r é t ie n s . — 1° Témoignages enfaveur » doctrine de piété »; qu ’ il l ’ assim ile à ce point de vue
de la canonicité du liare dans sa recension grecque. — à d ’ autres βιβλία ού χανονιζόμενα cités pourtant par
S'il n ’ y a dans les livres du N ouveau T estam ent lui com m e É criture (Sap., Eccli., Tobie, Judith);
aucune citation d ’ E sther, en revanche C lém ent de qu ’ il l ’ oppose avec ceux-là aux απόκρυφα. Ibid., et
de R om e analyse le livre grec, m ontrant l ’ héroïne Preuschen, Analecta, p. 146. Q u ’ E sther ait été rangé
sauvant le peuple, « rendue forte διά τής χάριτος par l ’ évêque d ’ A lexandrie au nom bre de ces livres
τον Οεοϋ. » / Cor., ι.ν, H em m er et Lejay, Textes » désignés par les pères pour être lus aux convertis, »
et documents, t. x, p. 110 sq. C lém ent d ’A jexandrie m algré la tradition qui le recevait au rang des cano ­
analyse aussi des fragm ents du m êm e livre. Strom., niques, probablem ent faut-il en chercher le m otif
IV, xix, P. G., t. vin, col. 1330. O rigène le cite com m e dans une interprétation exagérée de la notation
É criture (Esth., c, 1, 14 V ulg., xm , 8; xiv, 3), De d ’ O rigène, qui m arqua d ’ un obèle les additions de la
orat., 14, P. G., t xi, col. 461, et l ’ adm et au nom bre recension grecque, m algré qu ’ il les citât lui-m êm e
des « livres testam entaires (ένδιαΟήζους ) », tels que com m e É criture, voir plus haut, col. 855, appré ­
les ont transm is les H ébreux. Eusèbe, H. E., | ciation qui put conduire les docteurs alexandrins à
1. V I, c. xxv, 1, 2; H em m er et Lejay, Textes, t. xrv, I suspecter le livre tout entier. C ette interprétation,
p. 222 sq. R ufin reçoit Hester dans la recension des | qui fut certainem ent professée par saint Jérôm e,
Septante, Apol., n, 33, P. L., t. xxi, col. 611, et le Epist., evi, ad Sun. et Fret., 7, P. L., t. xxn, col. 840,
place parm i les livres « inspirés ». Comm, in symb. ce qui explique son quasi-dédain des fragm ents
apost., 36-38, ibid., col. 373. Les catalogues de carac ­ additionnels, peut expliquer aussi l ’ exclusion d ’ E sther
tère officiel ou officieux de C yrille de Jérusalem , du catalogue poétique de saint G régoire de N azianze,
Cal., iv. 35, P. G., t. xxxni, col. 496 sq.; d ’ Épiphane, Carm. de gen. libr. inspir. Scripturie, P. G., t. xxxvn,
Hær., vin, 6, P. G., t. x l i , col. 413; D e pond, et mens., col. 472, et le doute élevé sur ce livre par le catalogue
4, P. G., t. X Lin, col. 244; 23, ibid., col. 277; de la de saint A m philoque. Carm. ad Seleucum, ibid.,
Σύνοψι; έν έπιτόμω, Lagarde, Septuaginta- Studien, col. 1593. Se rangeant à l ’ opinion de son m aître Théo ­
Π , ρ. 60 sq.; du Dialogus Timothœi et Aquilœ, Sw ete, dore de M opsueste, Junilius, Dr inst. rcg. div. legis,
Introduction, p. 206; de Jean D am ascene, De fide i, 3, dans K ihn, Theodor von Mopsueslia und Junilius
orthod., iv, 17, P. G. t. xciv, col. 1180; d ’ Ebedjesù, · Africanus als Exegeten, Fribourg-cn-B risgau, 1880,
85; E S TH ER (L IV R E D ’ )

p. 472, 480, ne reconnaît à Hester qu ’ une autorité i que cette dernière ait pu charm er, à cet âge.A ssuèrus
m oyenne en tant que « plusieurs » seulem ent l ’ ajoutent i par sa beauté? — 5. La parenté d ’ E sther et du juif
aux livres historiques canoniques avec Par., Job, M ardochée étant bien connue du roi et des gens de La
Tob., Judith, M ac. : opinion toute personnelle, sans cour, n, 8, 11, 22; iv, 4-7, com m ent cette reine put-
attache aux idées sur les Livres saints qui avaient elle dissim uler son origine et sa nationalité? C om m ent,
cours au v° siècle en O rient et en O ccident. D é ­ du reste, une reine pourrait-elle garder un tel secret?
pendent sim plem ent d ’ A thanase : le catalogue de (D e W ette-Schrader, R euss, B leek, D river». —
N icéphore, P. G., t. c, col. 1056; la Synopse du 6. E st-il vraisem blable que, pour se présenter au roi
pseudo-A thanase, P. G., t. xxvm , col. 283; de Jé ­ son époux sans avoir été m andée, une reine encoure
rôm e : W alafrid Strabon, qui ne com m enta point la m ort, et qu ’ E sther ait pu croire, pour avoir été
les fragm ents; R upert de D eutz, D e victor, verbi Dei, délaissée trente jours durant, ne devoir pas être
vm , 1, P. L., t. c l x ix , col. 1379, quine reconnaît «vé ­ m andée durant onze m ois, iv, 10 sq.? — 7. Π est
rité d ’ É criture » qu ’ à la partie hébraïque; N icolas de im possible que le roi de Perse ait voué à la m ort tout
Lyre, qui néglige aussi de com m enter les additions; un peuple sans plus d ’ explications que celles fournies
D enys le C hartreux, Enarratio in librum Esther, dans par A m an, ni, 8 sq. — 8. Il n ’ est pas croyable qu ’ A m an
Opera omnia, M ontreuil, 1898, t. v, p. 173, et C ajetan, ait divulgué dans toutes les provinces de l'em pire
Commentarii, t. n, p. 400; de Théodore de M opsucste : ses intentions hom icides à 1 ’ égard des Juifs, onze
Léonce de B yzance, De sectis, act. Π , 1-4, P. G., m ois avant le jour fixé pour leur exécution, et que
t. l x x x v i , col. 1200; N otker, De interpretibus div. les Juifs soient supposés avoir dû attendre la m ort
Script., c. m , P. L., t. cxxxi, col. 997. D epuis le dans l'inaction com plète (Bleek-W ellhausen). — 9.
concile de T rente qui reçoit E sther au « catalogue Plus incroyable encore que, deux jours durant, la
des saints Livres · — tout entier, com m e le contient population de tout un em pire se soit laissé décim er
l'ancienne V ulgate latine — seuls parm i les catholiques, par une poignée d ’ im m igrants étrangers, et que
Sixte de Sienne, Bibliotheca sancta, 44, etEllies D upin, 75000 hom m es aient ainsi péri sans secours ou ven ­
Bibliothèque des auteurs ecclés., t. I, p. 127-130; geance, sans qu ’ un seul ait succom bé du côté des
Dissert, prélim. ou protég. sur la Bible, t. i, p. 52-53, agresseurs (Bleek-W ellhausen).
ont souscrit encore au jugem ent de saint Jérôm e. 2° Eu égard aux difficultés historiques soulevées
Cf. J. Langen, D ie deuterocanonischen Stückedes Bûches par le récit. — 1. 11 est surprenant que ni les histoires,
Esther, Fribourg-en-B risgau, 1862, p. 3-11; V ieusse, ou sources historiques, grecques et persanes, ni les
La Bible mutilée par les protestants, p. 203 210. livres hébreux d ’ E sdras et de N éhém ie, qui traitent
L uther rejeta le livre entier d ’ E sther, lui trouvant pourtant de faits concernant le peuple juif arrivés
couleur trop judaïsante et païenne, et le jugeant digne sous les A chém énides, ni les livres de l'Ecclésiastique
plus que tout autre d ’ être m is hors du canon. Tis- et le I er des M aehabées ne font lam oindre allusi
chreden, dans Werlte, Erlangen, t. ι.χπ, p. 131; D e l ’ extrêm e danger couru par les Juifs au tem ps de
servo arbitrio, ibid., t. vu, p. 195. Ses prem iers dis ­ X erxès (A ssuérus), non plus qu ’ à l ’ intervention si
ciples se contentèrent de rejeter seulem ent les frag ­ opportune et si efficace d ’ E sther et de M ardochée en
m ents additionnels. B eaucoup d ’ auteurs critiques, cette conjoncture. — 2. Les données géographiques
enfin, ont regardé ce livre com m e indigne de figurer du livre concernant l ’ em pire perse sont en contra ­
dans le recueil sacré, à raison de son caractère estim é diction avec l ’ histoire : il parie de 127 régions, alors
profane, haineux et cruel. V oir ci-après. O n sait qu ’ H érodote, sous A rtaxerxès, ne connaît pas plus de
que l ’ Église anglicane fait usage de nom bre de deu- 20 satrapies. — 3. Les m œ urs de la cour qu ’ il décrit
térocanoniques, voir W . H . D aubney, The use of ne correspondent point non plus à la réalité historique.
the apocrypha in the Christian Church, Londres, 1900, — 4. C ontrairem ent à ce qu ’ il avance, les renseigne ­
p. 50 sq. ; une collecte de Prayer book fait allusion à m ents que nous tenons des classiques nous apprennent
E st., xiv, 16 (V ulg.); les Homilies, p. 291, citent les que, seule, une fem m e issue des A chém énides pouvait
additions com m e « Scripture ». D aubney, p. 66, 68. être élevée au rang de reine ; et précisém ent, les auteurs
III. C a r a c t è r e h is t o r iq u e . — La critique m o ­ anciens indiquent A m estris com m e fem m e d ’A ssuérus
derne a contesté et nié le caractère historique du livre (X erxès) pour l ’ époque où est censée régner E sther. —
d ’ E sther pour de m ultiples raisons ayant rapport aux 5. N ous savons enfin positivem ent par l ’ histoire que,
invraisem blances et im possibilités que renferm erait le durant la dom ination persane tout entière, les JuiL
récit, com m e aussi aux difficultés historiques qu ’ il purent vivre en paix partout dans les lim ites de l ’em ­
soulève. Le livre d ’ E sther serait un rom an im aginé pire.
pour rendre raison de la fête des Purim et de son 3° Eu égard à l’origine plus probablement étrangère
institution; et l ’ origine de cette fête devrait, par suite, de la fêle des Purim. — La fête des Purim , ou des
être cherchée ailleurs que dans le corps des faits im a ­ sorts, se justifiant par le contenu du livre d ’E sther.
ginaires du conte juif. O n exposera ici la thèse critique, in, 7 ; ix, 24,26,28-32, m ais l ’ historicité de ce contenu
puis la réfutation qu ’ en ont donnée les auteurs et se trouvant ainsi révoquée en doute, il ne restait plu-
savants catholiques. aux critiques d ’ autre m oyen d ’ expliquer la fête célé ­
I. EXPOSÉ DE LA THÈSE CRITIQUE) DE LA NON-HISTORI- brée par tous les Juifs à l ’ époque de Josèphe, Ant.
c it é nu l iv r e d ’e s t h e h . — l°Eu égard aux invraisem ­ jud., X I, vi, 13, et de l ’ auteur du II e livre des M acha-
blances et impossibilités du récit. — 1. Il est inouï dans bées, xv, 36-37, que d ’ en chercher l ’ origine dans u
l'histoire qu ’ un festin tel que celui d ’ A ssuérus, i, 3-4, des événem ents historiques dont on n'avait ;
ait pu durer une dem i-année, 180 jours (D avidson). m ém oire au tem ps où fut com posé le livre, ou dont la
— 2. Il est incroyable qu ’ une reine, V asthi, ait refusé, nature païenne et étrangère, n'osant être avouée,exi ­
com m e il est dit, i, 12, d'obtem pérer à l ’ ordre du roi, geait qu ’ elle fût dissim ulée sous le rom an juif d ’ E sther.
son m ari. — 3. Il est contradictoire qu'A ssuérus N om breuses sont les hypothèses ém ises par lé-
ait pris conseil des sages, i, 13 sq., pour répudier savants : 1. Les Perses fêtaient en m ars le couve,
V asthi et se soit dispensé de cette consultation cou­ an. C ’ était chez eux la fête du printem ps : iis faisaient
tum ière aux rois de Perse, dans leurs aflaires, à l ’ oc ­ ripaille, s ’ envoyaient m utuellem ent des presents et
casion de l'édit de persécution, ni, 13. — 4. D ’ après distribuaient de l ’ argent aux pauvres. CL E sth.. rx.
π, 6, au m om ent où com m encent à se dérouler les 17,19, 22. C ette fête, qui s'appelait Xauroz, fut adop ­
événem ents rapportés dans le livre, M ardochée aurait tée par les Juifs vivant dans l ’ em pire perse et par eux
eu pour le m oins 120 ans et E sther 90; est-il adm issible gardée toujours. N e pouvant l'abolir, les rabbinû
859 E S TH E R (L IV R E D ’ ) 860

pour lui prêter un caractère juif, com posèrent le gèse m oderne » du livre d ’ E sther, sont nées d ’ autres
livre d ’ E sther (Zunz). hypothèses qui, la reproduisant en gros, en ont laissé
2. Les Purim sont sim plem ent la quatrièm e des cinq tom ber toutefois m aint détail qu ’ elles s ’ efforcent de
fêtes du vin que l ’ on célébrait à A thènes, la fête de suppléer par des élém ents non plus em pruntés à
l ’ ouverture des fûts, suivie im m édiatem ent de celle l ’ assyriologie, il est vrai, m ais toujours étrangers à
des pots (pithoigies et choès), les ll°et 12 e jours de l ’histoire juive.
février (anthestérion), où l ’ on s ’ offrait des pots pleins 5. L ’ em prunt des Purim s ’ est fait du Phourdigan
de vin et d ’ autres présents : purim serait un plu ­ persan et du Zagm ug babylonien à la fois, par l ’ inter ­
riel de l ’ hébreu pûrâh, « pressoir »; cf. pârûr, «pot» m édiaire de la fête persane des Sacées, au cours
(G raetz). de laquelle on couronnait un esclave. Cf. le triom phe
3. Ils sont identiques au Phourdigan (Jarvardigân) de M ardochée, vr (M eissner).
des Perses, fête des m orts, des m ânes tutélaires : far- 6. La fête juive que veut expliquer le livre d ’ E sther
oar = jramihri, « gardien, protecteur », φουρόαια, φου- a supplanté graduellem ent la fête de N icanor, I M ac.,
ραία (recens, de Lucien), φρουραία (Josèphe, Ant. jud., vu, 40, 45, 49; II M ac., xv, 36; Josèphe, Ant. jud.,
X I, vi, 13), φρουρά; (Swete, F, 11 et texte reçu), φρουριμ i X II, x, 5, qui tom bait le 13 adar et que l'on célébrait
(Sinailicus), purim (Lagarde et beaucoup d ’ autres). aussi à Jérusalem le 14 du m êm e m ois. Cf. E st., ix,
4. Ils correspondent « au m oins en partie » à la fête 17, 18. C ependant, derrière la légende d ’ E sther, se
babylonienne du nouvel an (sum érien : zag-muk; cachent et le début des contes des M ille et une nuits
assyrien : réS Satti), fête du dieu principal M arduk, qui (voir l ’ hypothèse suivante); et le grand récit baby ­
se célébrait le prem ier jour du m ois de nisan (équi ­ lonien de la création (enuma eliS) où M arduk com bat
noxe du printem ps). C ette fête durait plusieurs jours. la déesse T iam at et la m et à m ort (M ardochée contre
A u cours des huitièm e-onzièm e jours, les réjouissances A m an); et le m ythe de la descente d ’ Istar aux
redoublaient, car c ’ était l ’ époque où les dieux étaient enfers où la déesse de l ’ am our délivre son am ant
censés déterm iner, dans la « cham bre du destin » et T am m uz (E sther sauvant M ardochée et son peuple)
sous la présidence de M arduk, les sorts de la nouvelle (E rbt, R euss).
année, et se donner à cette occasion un grand festin 7. Il existe un parallèle frappant entre les deux
(puhru, d ’ où le vocable hébreu : pûr, pûrim). Les élé ­ prem iers chapitres d ’ E sther et le rom an des M ille et
m ents narratifs du livre d ’ E sther, com m e les nom s des une nuits où, com m e dans le livre hébreu, le roi fait
principaux personnages qu ’ il m et en scène, seraient m ourir sa prem ière fem m e et se fait présenter journel ­
em pruntés à la m ythologie chaldéo-élam ite : M ardo- lem ent une autre fem m e qu ’il envoie à la m ort le
chée correspond au dieu babylonien Marduk; E sther m atin suivant, jusqu ’ à ce qu ’ enfln la belle Shéhérazade
à la déesse chaldéenne Istar; A m an, le favori déchu, fixe son cœ ur et, pour sauver les filles de son peuple,
c ’ est le dieu élam ite Human, U man; W aSti, la reine devient son épouse. Cf. E sth., τ, n (de G oeje).
répudiée, c ’ est la déesse susienne MaStî (WaSti). U n 8. L ’ hypothèse la plus osée est la suivante : « Purim
parti vainqueur, contre un parti vaincu; la B aby ­ est dérivé de l ’ ancien persan parti, équivalent du
lonie de la légende (épopée de GilgameS) ou l ’ A ssyrie védique pûrti, « portion ». Pûrim, « portions, dons »
de l'histoire (derniers tem ps, A ssourbanabal), contre (héb. manôth, E sth., ix, 19, 22), correspond au latin
l ’ Élain. A u fond, cependant, les élém ents recueillis strenæ, français étrennes. L ’ interprétation de yémè
et groupés d ’ un m ythe naturiste : « A m an se voit Pûrim (Esth., ix, 26) par «jours des sorts » est une éty ­
dépossédé par M ardochée, son adversaire, com m e m ologie populaire subsidiaire suggérée par le m ot
W asti par E sther. Le tem ps du règne d ’ A m an est, hébreu « portion » pris dans le sens de « sort, destinée »
d ’ après i, 4, à prendre pour 180 jours, à savoir la (cf.Ps.xvi,5, où manûh, « part »,fait parallélism e avec
m oitié de l ’ année, après laquelle il est pendu, genre de gûral, « lot », part échue au sort). Le livre d ’E sther,
m ort caractéristique d'un héros solaire. W aisti, dont tout com m e le livre de Judith, est une légende festale
la beauté se trouve particulièrem ent m ise en relief en rapport avec la fête des Purim ; il n ’ est pas un
dans i, 11, se refuse à paraître devant le roi et corres ­ livre historique, ou une nouvelle historique, m ais
pond à ce point de vue à i ’ Istar virginale, la κόρη, une pure fiction. Les événem ents et incidents qui y
l ’ IStar du m onde souterrain. C onséquem m ent, A m an sont relatés ont été suggérés à son auteur par les souf ­
et W aSti représentent, dans le m ythe form ant le frances des Juifs durant la persécution syrienne et
fond (de cette histoire), la m oitié ténébreuse, hiver ­ par l ’ éclatante victoire qu ’ ils rem portèrent sur N ica ­
nale, de l ’ année, le tem ps où règne T iam at; tandis nor, le 13 d ’ adar, 161 avant Jésus-C hrist. N icanor
qu ’ au contraire M ardochée et E sther, (E sther) dont est le prototype d ’ A m an, et les honneurs départis
la beauté se trouve égalem ent m ise en vedette, à M ardochée correspondent aux distinctions conférées
figurent la m oitié estivale de l ’ année, le tem ps où au grand-prêtre m achabéen Jonathan, le plus jeune
régnent proprem ent M arduk et IStar. Le roi, en tant frère et le successeur de Juda M achabée. Les nom s
qu ’ originairem ent summus deus, form e l ’ élém ent d ’ A m an et de W aSti sont susiens ou élam ites, tandis
constant nécessaire à la résolution de ces antithèses. que M ardochée et E sther correspondent aux baby ­
C ’ est pourquoi d ’ abord il est avec W aSti, en atten ­ loniens M arduk et Istar. L ’ antagonism e entre A m an
dant qu ’ il épouse E sther. Particulièrem ent digne et W asti, d ’ une part, et M ardochée et E sther, de l ’ autre,
d ’ attention, eu égard à l ’ originelle filiation m ytholo ­ peut avoir été suggéré par une ancienne légende fes ­
gique, est encore le rapport de parenté qui unit E sther tale babylonienne célébrant la victoire rem portée
et M ardochée. D ’ après n, 7, 15, E sther est la cou ­ par le dieu principal de B abylone sur la principale
sine de M ardochée, la fille du frère du père (de ce divinité des E lam ites; et ce peut être, en dernière ana ­
dernier). O r, à ce rapport de parenté correspond le lyse, un m ythe naturiste sym bolisant la victoire des
rapport de parenté d ’ IStar à M arduk dans la m ytho ­ dieux du printem ps sur les géants glaciaux de l ’ hiver
logie babylonienne. Là, en effet, Istar et M arduk qui haïssent la lum ière du soleil et com plotent sans
peuvent être tenus pour cousins, soit que l ’ on table cesse de ram ener l ’ hiver sur la terre... M ardochée. le
sur Istar fille d ’ A nu (dieu du ciel) et sur M arduk dieu du soleil printanier, triom pha du géant hivernal
fils d ’ É a (dieu des eaux, frère d ’ A nu), soit que l ’ on A m an...,et l'hiver des épreuves juives se changea en
tienne E tar fille de Sin (dieu lune), auquel cas M ar ­ un brillant été, grâce au soleil de Juda M achabée »
duk pourrait être pensé fils de Sam aS (le soleil) » (P. H aupt).
(Zim m ern, Jensen, Jerem ias, W inckler). D avidson, Introduction to the Old Testament, Londres,
D e cette quatrièm e hypothèse, « le centre de l ’ exé- | 1862-1863, t. n, p. 157 sq.; de W elte-Schrader, Einlet-
861 E S TH ER (L IV R E D ’)

lung in das A. Testament, B erlin, 1869, p. 398; R euss, m ois de séjour dans le harem royal, n ’ avait pas encore
Geschichte des .4. 7'., L eipzig, p. 584 sq., et dans S chenkel, vu le visage de son m ari. Cf. aussi H érodote, i, 99 : n:,
Bibellexicon, t. u , p. 199 sq .; B leek-W ellhausen, Einleitung 18,140. E sther, enfin, pouvait bien douter de son em ­
in das A. T., B erlin, 1893, p 299 sq.; D river, Introduction pire sur le cœ ur d ’ A ssuérus (X erxés), vu que cinq
to the literature of the Old Test., É dim bourg, 1897, p. 182 sq.;
N œ ldeke, histoire littéraire de t'Ancien Testament, trad . années s ’ étaient écoulées déjà depuis son entrée a ....
D erenbourg et S oury, P aris, 1873. p. 121 sq.; Z unz, dans cour, n, 15, au m om ent où A m an fom entait le m as ­
Zeitschrift der deutschen morgenlhndischen Gesellschaft, sacre des Juifs, m , 7-12. — 7. Le caractère d A ss:;
t. x x v n , p. 684 sq.; G raetz, dans Monatsschrift fur Ges­ rus, bien com pris, d ’ une part et, de l'autre, l'état r,- ..
chichte und W issenschaft des Judentluims, 1886, p. 125 sq., ethnographique et politique, de l ’ ancien em pire per--:
473 sq.,521 sq. ; d e L agarde, Purim, G œ ttingue, 1887 ;Z im - rendent raison des agissem ents cruels d ’A m an et du
niern, dans Zeitschrift fiir allies tam. W issenschaft, 1901,
m onarque vis-à-vis de tout un peuple disperse dans
p. 157 sq., et dans S chrader, Die Keilinschriflen und das
Alte T estam en/,B erlin, 1903, p. 514 sq.: Jensen, dans W ilde- cet em pire. — a) Q uoi d ’ étonnant à ce qu ’ un prince
boer, Die fiinf Megillot, T ubingue, F ribuurg-cn-B risgau et faible, entêté, présom ptueux, lâche, jouet de ses
L eipzig, 1898 (lettre Λ l ’ auteur,novem bre 1896), p . 173 sq .; fem m es et de ses favoris, cruel à ses proches, inhum ain
Jerem ias, Das Altc Testament im I.ichte des Allen Orients, envers ses am is et dévoués serviteurs, tel enfin que
L eipzig, 1906, p. 551 (sim ple renvoi au su iv an t); W inckler, l ’ histoire nous dépeint X erxès (H érodote, vin, 35,
Altorienlalische Forschungen, L eipzig, 1902, 3 e série, t. i, 38-39, 101-104, 114, 118, 209-231, 238; ix, 111-113),
p. 1 sq.; M eissner, dans Zeitschrift der deutsch.morgenland.
ait accordé, dans un m om ent d ’ hum eur, à un grand-
Gesellschaft, 1896 , p. 296 sq. ; E rb t, Die Purimsage, B erlin,
1900; ct. R cuss, op. cit., p. 586; D e G oeje, dans De Gids,
vizir (m inistre auquel de plus courageux que lui ne
• L e guide », septem bre 1886, article reproduit dans savaient résister, H érodote, ni, 120) et sous le sceau
VEncgclopadia britannica, 1888, t. x x n i (Thousand and d ’ une prom esse irréfragable, l ’ autorisation d ’ exter ­
one nights); cf. Reuue biblique, P aris, 1909, p. 7 sq.; m iner tous les Juifs établis dans l ’ em pire? — b) Le
P . H au p t, Purim, L eipzig, 1906 (contient dans les Notas m inistre, du reste,sut dépeindre à son m aître,sous des
une bibliographie com plète de la question). couleurs propres à exciter la jalousie et la cruauté
II. RÉFUTATION DE LA THÈSE CRITIQUE DE LA NON- de celui-ci,le peuple condam né. A m an représente les
HISTORICITÉ d u l iv r e d ’b s t b b r . — 1° Eu égard aux Juifs com m e une horde dissém inée dans tout le
prétendues invraisemblances et impossibilités du récit. royaum e, gens faisant bande à part, rebelles aux usa ­
— 1. L ’ idée d ’ un festin qui aurait duré une dem i- ges de la nation et aux ordres du roi, m , 8. O r. a
année est née d ’ une fausse interprétation d ’ E sth., i, cette époque, nous le savons par les auteurs anciens
3-10. Le seul festin que donna X erxès (A ssucrus) fut (cf. H érodote, i, 125; X énophon, Ctjropcdie,!,2,5). des
d'une durée de sept jours, sans plus, ÿ. 5. Le ÿ. 3, bandes de nom ades parcouraient l ’ em pire, pillant et
où l ’ auteur annonce le festin, se réfère de lui-m êm e j ravageant, tirant m êm e un tribut sur le G rand
au y. 5, où le festin se donne. Le t. 4 se rapporte R oi. E t nous savons aussi quels étaient l ’ intolér.
uniquem ent au déploiem ent de m agnificence dont le I et le fanatism e de X erxès relativem ent aux relisions
m onarque crut bon d ’ éblouir ses satrapes arrivant I étrangères à la sienne. Strabon, vu, 38; xrv; xvi.
successivem ent, 180 jours durant, des extrém ités les [ 1, 5; A rrien, m , 16; vu, 17: D iodore de Sicile, i, 58,4;
plus éloignées de l ’ em pire, prélim inairem ent au festin π, 9; xvii, 112; H érodote, i, 183, 187; ni, 16, etc.;
qui réunit tout le m onde : « princes et serviteurs » il, 110; vi, 101; vm , 33, 53; X énophon, Cijrop., rv,
(y. 3), « grands et petits » (y. 5). — 2. Le refus de 5, 17; vni, 5, 26. — 8. L ’ inconstance de la faveur
W asthi a son pendant dans H érodote, i, 8-12, où le roi royale à l ’ égard des m inistres devait inciter A m an
de Lydie, C andaule, ne réussit pas davantage à laisser à rendre im possible un retour du m onarque perse sur
voir à son hôte G ygès la beauté de sa fem m e. — 3. La sa décision. Les favoris, à la cour de Suse, payaient
m êm e opposition qui se rem arque entre les deux fa ­ de leur vie de tels retours. Spiegel, op. cil., t. n, p. 325.
çons d ’ agir d ’ A ssuérus envers son conseil, dans E sth., V oilà sans doute pourquoi A m an se hâte de faire pro ­
i, 13; in, 13, se rencontre aussi dans H érodote, ni, m ulguer l ’ édit onze m ois avant son exécution. E t que
31. au sujet de C am byse. Les rois perses jouissaient pouvaient faire les Juifs, que se lam enter, prier et
d ’ un pouvoir absolu que ne contredit nullem ent la attendre? Ils ne pouvaient que succom ber, quels
coutum e où ils étaient de consulter les sages, occa ­ que pussent être leurs m oyens de résistance, n ’ ayant
sionnellem ent ct pour la form e. Cf. Spiegel, Era- [ pas la faveur des gouverneurs royaux; ils ne pouvaient
nisclie Allerthumsknnde, t. n, p. 326. — 4. Les m ots sortir du territoire de l’ em pire sans abandonner le
■ qui avait été em m ené de Jérusalem parm i les captifs biens nécessaires à leur existence et sans tom ber
déportés avec Jéchonias, roi de Juda, par N abucho- aux m ains de peuples plus barbares encore que fis
donosor, » se rapportent, non à M ardochée, m ais à Perses. — 9. Les Juifs, · dispersés · dans l'em pir· .
K isch, bisaïeul de celui-ci; et cette interprétation du étaient loin de n ’ êtrc qu ’ une poignée d ’ im m igrants.
texte n ’ a rien de forcé. — 5. Les liens de parenté | Les rois assyriens et chaldéens les avaient transportes
qui unissaient E sther à M ardochée étaient sans i pour coloniser les parties de leur em pire dépeuplées
doute connus du roi et des gens de la cour (Esth.-il, par les guerres, ou sans population productive. Ces
•S, 11, 22; iv, 4-5), et c ’ est bien eu égard il E sther que colons possédaient des localités entières. Cf. Esd., n:
M ardochée put occuper au palais une situation qui Je N eh., vu. Ils eurent à se défendre contre leurs enne ­
m it à m êm e de com m uniquer avec elle et de décoti- m is im m édiats, contre les populations à eux hostiles
vrirla conspiration(il, 11-12; cf. L X X , ir, 17, 19sq.); j qui les entouraient, et contre elles seulem ent, non
m ais que le roi ait ignoré d ’ abord (n, 10, 20; ni, 4) contre tout l ’ em pire. Le nom bre de leurs victim es
leur nationalité n ’ a rien d ’ invraisem blable, ni par rap ­ (75000) n ’ a rien d ’ excessif, étant donnée l ’ im m ense
port à E sther, qui ne fut qu ’ une fem m e légitim e de | étendue des contrées où ils étaient établis. Il n ’ est
second rang, com m e il y en avait beaucoup, m êm e j point dit au livre d ’ E sther que nul d'entre eux ne
d ’ étrangères, dans toutes les cours royales (voir plus succom ba dans la lutte: tx, 16, insinue plutôt le -
loin); ni par rapport à M ardochée, qui n ’ eut affaire traire en rapportant qu ’ ils furent attaques et durent
d ’ abord qu ’ à E sther au palais. — 6. L ’ inaccessibilité « défendre leur vie ».
d ’ A ssuérus, qui ne se com prendrait pas, en effet, vis- 2° Eu égard aux difficultés historiques soldâtes per
à-vis d ’ une reine de prem ier rang, s ’ explique d ’ une ! le récit. — 1. L ’objection tirée du silence des iutenrs
reine de rang inférieur, com m e était E sther. H érodote, anciens sur les événem ents rapportés au livre d ’E sther
ni, 68 sq., nous rapporte de Phédym e, fem m e légi ­ n ’ a de force qu ’ autant que ces auteurs nous rensei ­
tim e du faux Sm erdis, que cette reine, après plusieurs I gneraient abondam m ent sur l ’ époque où ces tràe-
863 E S TH E R (L IV R E D ’ ) 864

m ents arrivèrent. O r, l ’ histoire ancienne est partout harem correspondait fidèlem ent à ce que le livre
silencieuse précisém ent à partir de l ’ an 479, 7° du d ’ E sther nous raconte de celui d ’ A ssuérus. D iodore
règne de X erxès, m om ent où s ’ ouvre notre récit de Sicile, n, 220; Plutarque, Artax., 27; H érodote,
d ’ E sther. Justin, D iodore, Thucydide ne s ’ intéressent m , 69. O n a des exem ples de fem m es élevées par le
qu ’ à la partie occidentale de l ’ em pire perse, non à la G rand R oi au rang d ’ épouses légitim es, à la cour de
Perse elle-m êm e. Il ne nous est rien parvenu des Perse, en dépit de la reine principale. H érodote, i, 135 ;
ouvrages de C haron de Lam psaque, d ’ A ntiochus ni, 1, 31, 67, 88; vu, 2, 7, 61. 82, etc.; Plutarque,
de Syracuse, qui écrivirent sur cette époque. N ous ibid.; Strabon, xi, 526; xv, 733. Le récit biblique des
n ’ avons de C tésias que de m aigres fragm ents. H érodote, épousailles d ’ E sther concorde, ensuite, avec l'histoire
non plus n'a que de m inces récits sur les quatorze de la m anière suivante : A ssuérus (X erxès) m onte sur
dernières années de X erxès. Les annales de la cour le trône vers 485 et soum et l ’ É gypte. E sth., i, 1 ; H éro ­
do Perse, E st., n, 13; x, 2, que C tésias avait utilisées, dote, vu, 2, 4. La troisièm e année de son règne, il tient
sont perdues; tout fut brûlé par A lexandre, Pline, un grand conseil préparatoire à la seconde guerre
Hist, nat., i, 6, 21; Strabon, i, 15, et par A rdes- m édique. E sth., i, 2-10; H érodote, vn, 10, 61-99.
chyr I° r B abegan. Spiegel, op. cit., t. ιπ,ρ. 193,771. Le A u cours du grand banquet donné par lui à la suite
peu que l ’ histoire nous apprend sur la fin du règne de ce conseil, il répudieW asthi, sa favorite du moment,
de X érxès confirm e pourtant les· données générales E sth., i,9 sq., laquelle festoyait à côté com m e concu ­
du livre d ’ E sther, en nous m ontrant le m onarque bine et, à ce titre seulem ent, pouvait être appelée en
éloigné des soucis de la politique, adonné seulem ent présence des hôtes, convives du roi. H érodote, v, 18.
aux intrigues du harem . V oir plus loin. Le silence du A ssuérus (X erxès), vaincu par les G recs, revient de
livre d ’ E sdras ne prouve rien non plus contre ( ’ his ­ Sardes à Suse au cours de l ’ été de l ’ an 479 (la 6° de
toricité d ’ E sther, parce que l ’ énorm e lacune de 57 ans son règne), où il ne s ’ occupe plus que d ’ intrigues de
qu ’ il com porte entre la 6° année du règne de D arius! ” , harem . H érodote, ix, 108 sq. L ’ année suivante, la
c. vi, et la 7° d ’ A rtaxerxès, c. vn, em brasse tout le 7 e de son règne, E sth., n, 15, il « pense à W asthi » et à
règne de X erxès, sauf c. iv, 6, et que ni ce livre ni la décision qu ’ il avait prise à son sujet, et la rem place
celui de N éhém ie n ’ ont pour but de nous raconter ce par E sther dans les conditions bien connues. Celle-ci
qui se passait à la cour de Susc en dehors des faits : est « reine », bien que de second rang, et reine légitim e,
qui pouvaient intéresser la Palestine, que m êm e, portant la couronne, E sth., n, 17 ; cf. X énophon, Cyrop.,
loin de tout dire sur ce pays, ils om ettent beaucoup vin, 3,13; H érodote, vm , 18; Josèphe, Ant. jud., X X ,
d ’ événem ents historiques auxquels il fut ou dut être m , 3, A m estris dem eurant la reine de sang royal.
m êlé. Cf. H érodote, n, 104; ni, 5-7; vu, 63, 89; 5. N on seulem ent les Juifs furent inquiétés sous la
Josèphe, Cont. Apion., i, 22; Strabon, vn, 58; N eh., dom ination persane de la m anière rapportée au livre
ix, 37. Si le livre de l ’ Ecclésiastique ne dit rien d ’ E sther, m ais encore et bien longtem ps, sous
d ’ E sther, c ’ est que le récit n ’ en était pas encore com ­ A rtaban,roi des Parlhes, com m e le rapporte Josèphe,
posé probablem ent. V oir plus loin. D u reste, l ’ Ecclé- Ant. jud., X V II, 9. Cf. Sanhédrin, 98; Jonw, 10.
tfiastique ne dit rien non plus d ’ Esdras, de D aniel. 3 U Eu égard à l’origine de la fêle des Purim. —
III M ach.,vi, 19, reste aussi m uet sur E sther et M ar- 1. L 'identification de la fête des Purim avec le
dochée. L a non-m ention de la fête des Purim par N auroz persan souffre difficulté : a) au point de vue de
I M ach.,iv, 38, ne prouve pas plus que celle de cette l ’ étym ologie : Purim n ’ a pu sortir de Nauroz; b) au
m êm e fêle par Josèphe, Ant. jud.,X II, x, 5, à l'occa ­ point de vue de la correspondance des deux solen ­
sion de I M ach., iv, 38, bien qu ’ il en traite longuem ent nités, soit quant à leur durée, soit quant à la distinc ­
ailleurs. Puis la fête des Purim pouvait n'avoir point tion des villes ferm ées ou ouvertes, E sth., ix, 17 sq.,
pénétré encore en Palestine au m om ent où I M ach. dont il n ’ est point question chez les Perses; c) au point
fut com posé. de vue du m otif pour lequel les Juifs auraient em ­
2. Loin de se trouver en contradiction avec l ’ his ­ prunté à un peuple étranger une fête du printem ps,
toire, les données géographiques du livre d ’ E sther quand ils en avaient une déjà, la Pâque; d) au point de
sont plutôt confirm ées par elle. Les 127 provinces vue de la coutum e festale signalée dans E sth., ix, 19,
d ’ E sth., i, 1, ne sont en réalité que 127 villes avec leur 22 : clic n ’ était point, chez les Perses, propre au seul
banlieue im m édiate, cf. (niedinalt) Esd., n,l ; N eh., i, N auroz, m ais com m une à toutes les fêtes, Spiegel,
3; vu, 6; xi, 3, et ne doivent pas être identifiées avec op. tit., t. ni, p. 577; et elle a pu chez eux trouver
des satrapies. H érodote, du reste, ni, 89, partage la son origine dans l ’ im itation de la coutum e juive.
satrapie en six ou sept provinces. 2. L ’ em prunt fait auxG recs d ’ une fête dionysiaque,
3. Les « lits d ’ or et d ’ argent » d ’ E sth., i, 6, à la cour telle que celle des pithoigies et choès par les Juifs
de Suse, ne sont point une donnée grecque (G raetz), m êm e hellénisants des tem ps postm achabéens.ne se
m ais aussi persane qu ’ assyro-babylonienne. Cf. H é ­ conçoit pas, car c ’ est l ’ époque précisém ent où l ’ on
rodote, ix, 82; i, 18, 98; Polybe, x, 27. La rem ise retranchait de la vie juive tout ce qui pouvait rap ­
de l ’ anneau royal à un favori, E sth., ni, 10; vin, 2, peler les m œ urs et la religion grecques. D e plus, il
trouve confirm ation dans H érodote, ni, 128; cf. Spie- I est absolum ent fantaisiste de rapprocher pûr, pûrim,
gel, op. cit., t. ni, p. 607; A ssuérus tendant le sceptre « sort », de pûrâh, « pressoir »; et ce rapprochem ent
à E sther, v, 2; vm , 4, dans Josèphe, Ant. jud., dût-il s ’ im poser, ce n ’ est pas à la quatrièm e diony ­
X I, vi, 9; cf. N iebuhr, Reisebeschreibung, t. i, pl. siaque qu'il faudrait com parer les Purim , m ais à celle
xxiv. L a sainteté du nom bre sept chez les Perses et du m ois de janvier (gam elion), la troisièm e, celle
le rôle qu ’ il jouait dans leurs arrangem ents fam iliaux des lénées (ληνό;); m ais alors les dates festales ne
ou entreprises sociales, E sth., i, 10,14 ; n, 9, sontattestés concordent plus.
par l ’ histoire. H érodote, ni, 84; cf. Esd., vn, 4. 3. Le Phourdigan perse n ’ est attesté qu ’ au vi ” siè ­
4. Il est vrai que seule une fem m e de la race aclié- cle de notre ère par le B yzantin M énandre le Protec ­
m énide pouvait être élevée au rang de reine, H érodote, tor, dans le seul fragm ent qui nous reste de son His­
ni, 31, 83, 84, 88; Plutarque, Artaxerxès, 27, et toire; et encore n ’ est-il pas prouvé que la fête célé ­
qu ’ A m estris, fille d'O tanès, fut reine légitim e durant brée en 565-566 à Nisibe, à laquelle prit partC hosroès,
toute l ’ époque présum ée d ’ E sther. H érodote, ix, roi des Perses, selon M énandre, soit une fête persane.
108-113. M ais il faut aussi observer d ’ abord que les C ette fête, du reste, se célôbrait en hiver, tandis que
rois de Perse avaient de nom breuses fem m es de les Juifs fêtaient les Purim au printem ps. Puis le
second rang, et qu ’ à cet égard l ’ ordonnance du Phourdigan, fête des m orts, com portait m oins de
865 E S TH E R ([L IV R E D ’ )

réjouissances profanes, Spiegel, op. cil., t. m , p. 577, Enfin, les Sacées étaient solennisees le 16
que n ’ en supposent les Purim . E nfin, l'hypothèse ne c'est pourquoi les Purim du 15 adar n ’ ont rien
peut qu ’ être bien fragile qui ne s ’ appuie en dernière com m un avec elles » (S. Jam pel).
analyse que sur la variante φουρδαια de la recension 6. « Il est purem ent arbitraire de place- au 1 ;
de Lucien, E sth., ix, 26, alors que le m êm e recenseur adar une fête du jour de N icanor; car le ! - et le li
donne partout ailleurs la form e φρουρά:. livres des M achabées, com m e aussi J<-·.· ; ne. n
4. « La fête des Purim ne peut avoir rien de com m un rapportent sans équivoque que,dans la vi lie de ’ · r
avec le Zagm ug babylonien (la fête du nouvel an), salem , ladite fête a été placée au 13 adar exclus;· , e-
qui se trouve souvent m entionné dans la littérature m ent... Supposer pourtant que les 14 et 15
cunéiform e dès les tem ps les plus anciens jusqu'aux auraient été auparavant consacrés à des fêtes
néo-babyloniens, parce que : a) une fête du nouvel considération de la légende d ’ E sther est im po«ii
an (ass., bab. en nisan) ne peut être transférée au der ­ et cela au regard de l ’ histoire religieuse..., car il · - ;
nier m ois de l ’ année (héb. en adar, E sth., rx, 17 sq.); tout à fait inim aginable qu ’ Israël se soit trouvé
parce que : b) une fête du nouvel an ne peut perdre posé en tous pays à fêter ces deux jours sur le f .
son caractère com m e tel dans le cours du tem ps; d ’ un rom an absolum ent ignoré jusqu ’ alors... La c : -
parce que : c) le Zagm ug qui a consisté essentielle ­ paraison du récit d ’ E sther avec les poèm es babylo ­
m ent en sacrifices et en offrandes religieuses, Keilin- niens de la création et de la descente d ’ Istar aux enfers
scliri/tliche Bibliothek, t. n,p. 73; t.n i, 2, p. 27, ne peut ne repose en dernière analyse que sur la sim ilitude
avoir été converti, sans plus, en fête carnavalesque; j des nom s M arduk-M ardochée, IStar-Estlier... Le reste
parce que : d) le Zagm ug avait lieu dans les dix pre- I n ’ est que boiteux » (S. Jam pel).
m iers jours du m ois, et non au 14 et au 15, com m e j 7. B eaucoup de m anuscrits du rom an des M ille et
les Purim , et parce que : e) l ’ assem blée du Zagm ug une nuits ne possèdent pas l ’ introduction qui parait
se tenait, d ’ après les inscriptions, sous la présidence, tantressem bleràEstli.,i,ii. L ’ ensem bledescontesdai.s
non de M arduk, m ais de N ébo. Si, plus tardivem ent, sa form e actuelle ne rem onte pas au delà du xv* sie
M arduk dut présider à son tour, il n ’ est pas, lui qui cle de notre ère et les prem ières traces au delà du x'.
fixait les sorts d ’ autrui, à identifier avec M ardochée A ussi presque tous les spécialistes voient-ils dans
dont le sort fut fixé par A m an. Le Zagm ug, enfin, l ’ épisode de-Shéhérazade un em prunt au livre d E
n ’ a rien à faire avec lêtar, tandis que, dans le cas du ther, cf. B rockehnann, Geschichle der arabisch· -
livre d ’ E sthcr, E sther joue le prem ier rôle. C ette der ­ Lileratur, t. n, p. 61, d ’ autant qu'une source persane
nière considération a m êm e induit les auteurs (Jen ­ du récit d ’ E sther n ’ a jam ais pu être pr :
sen, Zim m ern) à laisser tom ber l ’ hypothèse Zagm ug. jour.
C ’ est pourquoi ils ont cherché à identifier les Purlm 8. A la bien étudier, l ’ hypothèse de P. H aupt r -t
avec la fête bien connue d ’ IStar = Sirius. Die Keilin- qu ’ une com binaison de celles qui ont été ext
schriflen und das A. Test., p. 517. Seulem ent, il est critiquées en 6 e et en 4 e lieu. Elle fléchit so:> Ici
notoire que cette fête d ’ IStar = Sirius avait toujours des m êm es incertitudes, des m êm es à-peu-pres et
lieu au m ois d ’ ab (juillet)... H orm is le rapport étym o ­ m êm es fantaisies qui ont fait s ’ écrouler ceiie — .
logique réel entre les nom s M ardochée et M arduk,
P .-E . F aivre, /.e livre d ’Esther et la fête des Pourim. M ·
E sther et IStar, l ’ hypothèse assyriologique n ’ a rien
tau b an, 1893; V igouroux, L es Livres saints et la < ·
de vraisem blable. Cc rapport philologique ne prouve rationaliste. P aris, 1902. t. iv, p. 597 sq.; C om ely. Intro­
toutefois pas le m oins du m onde la parenté des types, ductio specialis, P aris, 1897, t. i, p. 425 sq.; S igm und
surtout que de tels nom s étaient très com m uns à Jam pel, Das Buch Esther au/ seine Geschichtlichheit krili.'c à
l ’ époque néo-babylonienne et persane » (S. Jam pel). untersuchl, F ranciort-sur-le-M ain, 1907, p. 95 sq.; G igot.
Pour la suite de l ’ hypothèse, il n'est point du tout Special introduction to the study of the Old Testament,
acquis et certain que Human (Uman), bien que ce N ew -Y ork, C incinnati, C hicago, 1903, t. i, p. 360 -■ :
nom entre com m e com posant dans celui de dieux et E m m anuel C osquin, L e prologue-cadre des Mille et une
de rois élam ites, soit lui-m êm e le nom d ’ un dieu,
nuits. Les légendes perses et le livre d’Esther. dans la Berne
biblique, P aris, 1909, p. 7 sq.. 161 sq .; P . H au p t. Purin ,
du grand dieu élam ite, B illerbcck, Susa, Leipzig, L eipzig et B altim ore, 1906. a fait la critiq u e de la plup.·
1893, p. 174; que WaSti (MaSti) soit une bonne lec ­ des hypothèses antérieures à la sienne.
ture du nom élam ite de la déesse susienne que l ’ on
veut trouver derrière celui de la répudiée d ’ A ssuérus : L ’ auteur du livre d ’ E sther s ’ étant m ontré, com m e
beaucoup d ’ assyriologues lisent Barti (Sayce, W eiss ­ on l ’ a vu, bien au fait des m œ urs et des institut:· r
bach, H om m el); que, dans la m ythologie babylo ­ persanes, beaucoup de critiques contem porains en
nienne, le cousinage de M arduk et d ’ IStar soit bien ont conclu que « le récit ne peut être soupçonne
établi, puisqu ’ à l ’ époque néo-babylonienne les deux raisonnablem ent n ’ avoir pas un fondem ent substan ­
sont époux. R eisner, Sumerisch-babylon. Hymmen, tiellem ent historique. » V oir F. V igoureux, La Bible
B erlin, 1896, n. 8, revers, 1. 8. L ’ épopée de G ilgam éS et les découvertes modernes, 6 e édiL, Paris, 1896, L rv,
est loin de concorder dans l ’ essentiel m êm e avec le p. 621-670; D ieulafoy, Le livre d’Esther et le palais
récit d ’ E sther : là, le héros chaldéen lutte contre d’Assuérus, Paris, 1888; L ’acropole de Suse, Paris.
IStar dont le roi d ’ Élam garde et protège le tem ple, 1892, p. 360-389. a II renferm erait pourtant des don ­
tablette iv, col. v, 1-6; tab. v, col. i a, 1 sq.; tab. vi; nées qui ne sont pas strictem ent historiques. Les ele ­
tandis qu ’ ici c ’ est M ardochée (GilgaméS) qui, avec m ents du récit auraient été fournis par la tradition ..
l'aide d ’ E sther (IStar). triom phe d ’ A m an. O n ne voit l ’ auteur, lequel, s ’ aidant de la connaissance qu:i
pas que B abylone ou N inive soit intéressée à la ruine avait de la vie et des coutum es persanes, car il ne peut
de ce dernier parce qu ’ élam ite; car A m an, dans E sth., avoir vécu longtem ps après la fin de l ’ em pire perse,
ni. 1 : ix, 24, est expressém ent rattaché à la race com bina le tout en un tableau où tout se tient, pou-
d ’ A m alec. E t que devient le m ythe naturiste dans quelques traits, les détails se trouvaient déjà em be; -
toute cette confusion? par la tradition avant qu ’ ils fussent venus à la con ­
5. · La fête des Sacées ne ressem ble en rien à celle naissance de l'auteur; pour d ’ autres, ils durent le
des Purim , horm is la ripaille, laquelle était com m une form e actuelle au penchant de l ’ auteur à i ’ efiet dra ­
à toutes les fêtes persanes. Le rapprochem ent du cou ­ m atique... A insi faut-il accorder qu'un art m anifeste
ronnem ent d ’ un esclave du couronnem ent de M ar ­ a présidé à la com position du livre. M ardochée et
dochée pèche en ceci, qu ’ à la fête des Sacées, l ’ esclave, A m an se trouvent m is en un contraste prononce :
dérisoirem ent couronné, du reste, était m is à m ort. les deux édits et les circonstances de leur prom ul-
D IC T . D E T IIÉ 0 L . C A T H O L . V. - 28
867 E S TH E R (L IV R E D ’ ) 868

galion, in, 12-15; vni, 10-17, sont pareillem ent faute le Juif orgueilleux, raide et inflexible. « L ’ auteur
opposés; la progression est habilem ent m énagée du ; du livre d ’ E sther paraît lui-m êm e déjà fort en peine
danger couru par les Juifs jusqu ’ à ce que, par un coup de trouver une raison valable à la m anière d ’ agir de
de théâtre, ceux-ci se voient soudain sauvés; le double M ardochée. Q ue l ’ on serre de près E sth., ni, 3 4, il
banquet, v, 4,· 8; vn, 1, accuse l ’ intention de m ettre y m anque le m otif essentiel du refus d ’ honorer A m an,
en relief, pour l ’ intervalle de tem ps qui sépare l ’ un de bien que ce m otif fût com m e le punctum saliens, la
l ’ autre, l ’ exaltation joyeuse d ’ A m an, v, 9-14, puis son source de tout le développem ent ultérieur. L 'auteur
dépit, vi, 11-13, prélude et, en quelque sorte, présage a cherché, el non sans réflexion,il obvier à cette erreur,
de l ’ hum iliation plus grande qui va l ’ atteindre, vu. » que M ardochée se serait vu contraint d ’ agir com m e il
D river, Introduction, p. 432, 483. Cf. CEttli, dans Die l ’ a fait pour un m otif religieux (ainsi les m idras ­
geschichllichen Ilagiographen (Strack-Zôckler, Kurz- chim ). Il ne dit pas : M ardochée ne fléchit pas le
gejassles Kommentarj, Leipzig, 1889, p. 233. — Q uoi genou, parce qu’en qualité de Juif il ne le pouvait;
qu ’ il en soit, le théologien, qui revendique pour le m ais l ’ attitude du personnage dem eure non m otivée.
livre d ’ E sther l ’ historicité absolue, doit tenir pour C ’est tout à fait indirectem ent que l ’ auteur rem arque :
suffisant à sauvegarder la véracité du tém oignage il (M ardochée) avait dit aux courtisans (étonnés)
biblique: 1° que ce livre ne renferm e rien d ’ invraisem ­ qu'il était Juif. S ’ il avait tenu cette excuse pour jus ­
blable, encore que les faits y soient présentés avec tifiable, l ’ auteur aurait-il m anqué de m ettre plus en
tout l'art du parfait rom ancier, et 2° que les efforts des relief un m otif sur lequel reposait toute l ’ affaire? ·
critiques aient échoué qui prétendaient le m ettre en S. Jam pel, op. cit., p. 35. L ’ auteur du livre d ’ E sther
contradiction avec l ’ histoire ou trouver dans la fable a voulu que M ardochée seul portât devant l ’ histoire
et les institutions persanes, grecques ou babyloniennes toute la responsabilité de son obstination dédai­
les élém ents peu ou prou frelatés de sa contexture gneuse; m êler Jahvé directem ent à cette querelle de
narrative, encore qu ’ il y ait souvent rencontre spé ­ cour et le faire intervenir au prem ier plan, dans la
cieuse entre nom bre «le ses données principales et com plication qui en fut la suite et le dénouem ent,lui
quelques lam beaux légendaires ou m ythologiques eût paru com prom ettre la dignité et la sainteté du
exhum és de l ’ O rient toujours bien obscur. D ieu d ’ Israël.
IV . C a r a c t è r e r e l i g i e u x e t m o r a l . — /. CARAC­ il.c a r a c t è r e m o r a l . — Pour la critique protestante
TERE r e l ig ie u x .— Il n ’ est guère possible de douter que, (cf. aussi R enan, Histoire du peuple d’Israël, Paris,
si le livre d ’ E sther, livre inspiré, ne peut être qualifié 1893, t. iv, p. 161), le livre d ’ E sther ne respire que la
d ’ écrit tout à fait profane, la note religieuse ne pa ­ haine de l ’ étranger, la froide cruauté, la vengeance.
raisse cependant y avoir été intentionnellem ent étouf ­ Les Juifs s ’ attaquent aux fem m es, aux enfants, vin,
fée. Pas une seule fois, dans le livre hébreu, il n ’ est 11 ; E sther réclam e un second m assacre, ix, 13, insulte
fait m ention de la divinité; la fatalité sem ble y tenir à ses ennem is m orts, ibid.; et tout cela com ble l ’ au ­
la place de la providence; le sentim ent du repentir teur de satisfaction, ix, 5, 17, 18 : on danse et l ’ on
et de la pénitence, qui éclate si vivem ent, dans d ’ autres s ’ enivre sur des cadavres 1 — Il y a des circonstances
livres bibliques, au m om ent de l ’ épreuve et du danger atténuantes. Les Juifs d ’ abord n ’ ont fait que sedefen-
publics, cf. Lev., xxvi, 40; Jud., passim; 1 Sam ., Ü re contre ceux qui prenaient les arm es pour les atta ­
vu, 6; D an., tx, 3 sq.; E sd., ix, 3 sq. ; N eh., i, 4 sq., quer, vin, 11, qui cherchaient leur perte, ix, 2, qui
se tait absolum ent ici lors de la suprêm e désolation leur étaient hostiles, 5, 16. Ils n ’ ont pas m is la m ain
où se trouve plongé le peuple entier des Juifs. E sth., au pillage, ix, 11, 15, 16. Les m ots de l ’ édit de M ar ­
iv, 1-14. C eux-ci, sans doute, ne sont point censés dochée, vm , 11 : « de faire périr, avec leurs enfants et
jeûner pour fléchir le seul et aveugle destin, ibid., 15; leurs fem m es, ceux de chaque peuple... » ne sont vrai ­
m ais il n ’ en est pas m oins vrai qu ’ un voile plus ou sem blablem ent qu ’ une form ule de la chancellerie
m oins transparent est jeté sur l ’ intervention divine persane, cf. ni, 13, dont ni M ardochée ni E sther ne
dans toute cette affaire : « Si tu te tais m aintenant, furent sans doute responsables. La prem ière leçon
fait répondre M ardochée à E sther hésitante, le secours donnée aux antisém ites de Suse pouvait n'avoir point
surgira d’autre part..., et qui sait si ce n ’ est pas pour calm é tout à fait l ’ ardeur belliqueuse et sanguinaire
un tem ps com m e celui-ci que tu es parvenue à la qui les faisait se jeter sur les Juifs. Enfin le récit
royauté? » Ibid., 14. E nfin, pas un m ot de rem ercie ­ biblique ne saurait endosser la responsabilité des agis­
m ent, pas une action de grâces n ’ est prevue, à l ’ égard sem ents d ’ E sther et de M ardochée; il raconte pure ­
de D ieu pour les fêtes des Purim , dont l ’ ordonnance, m ent et sim plem ent les faits tels qu ’ ils se sont passés
par contre, insiste si souvent sur les réjouissances, les sans blâm e ni louange. O bserver du reste que la fête
libéralités, les festins. E sth., ix, 17-19, 22, 27. ne com m ém ore pas le jour du m assacre, m ais « le
B eaucoup ont essayé d ’ expliquer, sans y réussir jour de paix » et de tranquillité qui le suivit, ix, 16-
peut-être, cette anom alie. V oir S. Jam pel, Das Buch 22. S. Jam pel, op. cit., p. 128 sq.
Esther, Francfort-sur-le-M ain, 1907, p. 27 sq. La clé V . A u t e u r e t d a t e . — 1° Le Talm ud, Baba bathra,
parait en être dans ce fait, que l ’ auteur du livre | 15 a, attribue la com position du livre d ’ E sther à la
blâm e, au fond, la m anière d ’ agir de M ardochée à G rande Synagogue. M ais l ’ existence m êm e de cc corps
l ’ égard d ’ /\m an, in, 3 sq. M ardochée a conscience de rabbins juifs censés régler sous la Loi les questions
de l ’ effroyable péril auquel son refus de fléchir le afférentes aux saintes É critures est révoquée en doute
genou devant A m an expose ceux de sa nation, rv, par un grandnom bredecritiques.— 2° Saint A ugustin,
7-9, et il s ’ obstine néanm oins, v, 9-13, à frustrer le De civitate Dei, 1. X V III, c. xxxvi, P. L., t. x l i ,
m inistre, représentant du roi, d ’ une m arque de con ­ col. 596, et saint Isidore de Séville, Etym., vi, 29,
sidération que nul à la cour ne refusait, que lui-m êm e P. L., t. l x x x i i , col. 233, l ’ attribuaient à Esdras. Isi­
ne refusait point au roi, s ’ il vécut à la cour, vni, dore l ’ attribua aussi à la G rande Synagogue. De eccles.
1 sq. Cf. H érodote, vu, 13; Spiegel, op. cil., t. ni, p. 610. ofjlc., i, 12, P. L., t. l x x x i ii , col. 747. — 3° Eusèbe
O n sentit bien, parm i les Juifs, que M ardochée de C ésarée le croit beaucoup plus récent. Chron. ad
avait eu des torts, et très graves, puisque les additions Olymp., l x x i x , 1, P. G., t. xix, col. 475. — 4° C lém ent
des L X X lui font dire dans sa prière, Sw cte, C, 6; d ’ A lexandrie, Strom., I, 21, P. G., t. vin, col. 852,
V ulg., xin, 13, prière non en grande harm onie avec et, dans leurs com m entaires, N icolas de Lyre, D cnys
v, 9 sq. : « Si j ’ avais pensé que ce fût utile à Israël, le C hartreux, G énébrard, Serarius, Sanctius le font
je lui aurais baisé les pieds (à A m an), » et «pic les écrire par M ardochée sur la foi d ’ E stll., ix, 20, bien que
m idraschim cherchent, sans y réussir, à excuser de ce passage ne se rapporte qu ’ aux lettres officielles
δΙ>9 E S TH E R (L IV R E D’j
prescrivant l ’ observance de la fête des Purim . — P our une d ate prém achabéenne : K uenen. H isiccisch-
5° D ’ autres, K aulen, Einleitung, Fribourg-en-Brisgau, kritischeEinleitung, Leipzig, 1890. t. i,2 ,p . — 1 d s v. -ite-
S clirader,op. cit., p. 3 3 9 ; B leek-W ellhausen. ■-<. p.
1890, p. 273 sq.; V igouroux, Manuel biblique, t. n,
R euss, Geschichte, p. 582 sq .; C orniU , Einkiluno. T ubin-
p. 202; Dictionnaire de la Bible, t. n, col. 1978-1979; gue, 1905, p. 161 ; S iegfried, E sra-.X 'e/i. -E sther. G œ ttineoe,
C om ely, Introductio specialis, t. i, p. 432 sq., accor ­ 1901, p. 142; W ildeboer, Litteratur des A. T., G stta ffe ,
dent à M ardochée la plus grande partie du livre, 1887, p. 417 sq .; B audissin, Einleitung, L eipzig
sa finale seulem ent, ix, 23-x, 3, à E sdras ou à la p . 308 sq. — P our l'époque m achabéenne : G raetz. loc.
G rande Synagogue : a) l ’ exactitude du détail trahit cit.; B loch, Hellenistische Bestandteile im Biblircr.c S chr
’le spectateur m êm e des faits racontés, cf. i, 5 sq.; tum, 1877. — P our l'époque post-m achabeenne : E rb t.
op. cit., p. 83; N œ ldeke, dans Encyclopedia ê.'.-. ’ .-j. t. il,
vi, 3 sq.; νπ, 1 sq.; vm , 15 sq.; b) le m orceau, ix,
col. 1405; W ilbricb, Judaica, G œ ttingue, 1· .- p . 5 sq. ;
23 sq., suppose qu ’ un certain tem ps s ’ est écoulé déjà W inckler, P . H au p t, op. cit.
depuis l ’ institution des Purim , et a tous les carac ­
tères d ’ un appendice. — 6° Scholz, Einleitung, Colo ­ V I. E n s e ig n e m e n t s d o c t r in a u x . — L a pro ­
gne, 1844-1848, t. n, p. 527; H erbst-W elte, Einlei­ vidence spéciale de D ieu envers le peuple d'Israël
tung, C arlsruhe, 1840-1844, t. u, p. 259 sq. ; R eusch, est enseignée à m ots couverts dans E stb., rv, 14;
Lehrbuch der Einleitung, Fribourg, 1870, p. 128 sq.; expressém ent dans les additions, Sw ete, C, 16
Zschokke, Historia sacra antiqui Testamenti, V ienne, (V ulg.,xiv, 5); E , 16 (V ulg.,xvi, 16); allégoriquem ent,
1895, p. 323; G illet, Tobie, Judith, Esther, Paris, ibid., F (V ulg., x, 4 sq.). D ieu est créateur, C , 3
1879, p. 160 sq.; Schenz, Einleitung, R atisbonne, (V ulg., xm , 10), tout-puissant, C, 2 (V ulg., xm , 9),
1887, p. 355, font com poser E sther par un écrivain- om niscient,C, 5, 25-26 (V ulg.,xm , 12; xrv, 14), juste,
éditeur presque contem porain de M ardochée, uti ­ C. 18 (V ulg., xrv, 7), le roi des dieux, C, 23,30 (V ulg.,
lisant des m ém oires laissés par celui-ci. Cf. H . Lesê- xrv, 12, 19).
tre, Introduction, Paris, t. n, p. 329. — « D ans le livre V IL C o m m e n t a t e u r s . — I. c a t h o l iq u e s , — Le
tel que nous l ’ avons, presque chaque phrase proteste livre d ’ E sther n ’ a pas été com m enté par les Pères.
contre l ’ attribution à M ardochée et à E sther, a) U n R haban M aur, Expositio in librum Esther, P. L.,
contem porain d ’ A ssuérus (X erxès) ne l ’ eût pas aussi t. cix, col. 635-670; W alafrid- Strabon, Glossa in
archaïquem ent dépeint que dans i, 1 sq. b) Il nous Tob., Judith, Esther, P. L., t cxm , col. 725 sq.;
aurait parié certainem ent de l'objet du conseil d ’ em ­ H ugues de Saint-V ictor, Allegoriarum in V. T.,
pire décrit i, 2-10. c) Il nous aurait dit quelque chose 1. IX . In libros Esther..., P. L., t. c l x x v , c o L 733 sq.;
des rapports de W asthi et d'E sther avec A m estris N icolas Serarius, In sacros... libros Tob., Judith,
que connaît H érodote, com m e aussi C tésias. d) Il ne Esther... commentarius, M ayence, 1599; G aspard
nous eût pas laissé dans l ’ ignorance pour les quatre Sanchez (Sanctius), In libros Huth, Esd., Neh., Tub..
années vides d ’ événem ents que m arquent i, 1; u, Judith, Esther... commentarii, Lyon, 1628; Feuardent,
1,16. e) tx, 19, dépeint, en tout cas, un usage ancien. » In librum Esther commentarii, Paris, 1585; Tolle-
S. Jam pel, op. cil., p. 134. D ’ autre part, la parfaite naer, In Estherem comment., Cologne, 1647; Léandre
connaissance que l ’ auteur possède de la m anière de | M ontan, Comment, liter, et moral, in Esth., M adrid, 1647;
vivre et des institutions persanes com m e aussi du D . de C elada, In Estherem, in-fol-, Lyon, 1648, 1658;
caractère de X erxès, s ’ explique tout aussi bien dans V enise, 1650; O livier B onart, Comm, liter, et moral,
l ’ hypothèse de docum ents contem porains, non écrits in Esth., Cologne, 1647; G illet, Tobie, Judith, Esther,
par M ardochée, m ais fidèlem ent reproduits par un Paris, 1879; A . Scholz, Commentar über das Buch
écrivain postérieur à la chute de l ’ em pire perse. — Esther mit seinen Zusatzen, W urzbourg, 1892; F. de
7° « E n réalité, nom bre de faits paraissent exiger que M oor, Le livre d’Esther, A rras, 1896; B . N eteler,
nous adm ettions pour la com position du livre d ’ Es- Die Biicher Esdras, Nehemias und Esther, M unster,
ther une date plus basse que la conquête de l ’ em pire 1877 ; Seisenberger, Esdras, Neh., Esther, V ienne, 1902.
perse par A lexandre le G rand (332 avant Jésus-Christ). il. j u if s . — M idraschim : Megilia, 10 b sq., dans
C ’ est le cas ; a) des assertions im pliquées dans i, 1 sq., Pirke Rabbi Eliezer, c. x u x sq. ; dans Josippon, édit.
d ’ où il ressort que Suse avait cessé d ’ être la capitale B reithaupt, G otha, 1707, t n, p. 72 sq.; Midrasch
du royaum e perse, chose qui n ’ arriva qu ’ après la Esther rabba, dans Midrasch Lekach Tob; Midrasch
conquête d ’ A lexandre; l ’ étendue de l ’ em pire d ’ A s ­ Abba Gorion, édit. Jellinek, Bet ha Midrasch, L i,
suérus s ’ y trouve aussi décrite d ’ une m anière vague, 1-18, et B uber, W ilna, 1880; Midrasch Megillot
com m e si elle était inconnue à l ’ époque de l ’ auteur; Esther, C onstantinople, 1519; H orw itz, B erlin, 18-81;
Z>) des explications des usages persans données dans L.-H . d ’ A quin, Baschii scholia in librum Esther, in-4°,
i, 13,19; iv, 11 ; vm , 8, qui paraissent supposer que de Paris, 1622. — C om m entaires : A ben E zra, édit. J. Zed-
tels usages n ’ étaient- plus, et depuis longtem ps, fam i ­ ner, 1850; R . M enachem ben C halbo, R . T obiaben Elie ­
liers aux lecteurs; c) de l ’ esprit d ’ isolem ent à l ’ égard zer, R . Joseph K ara, R . Sam uel ben M eir, un anonym e,
des gentils, cf. E st., m ,8,etc., du sentim ent de l ’ injure édit. A d. Jellinek, Leipzig, 1855; Lôw Jehuda ben
reçue, de l ’ esprit de vengeance, contre lequel pro ­ B ezalel, Or chadasch, ein Comm, zum B. Esther,
testera un jour N otre-Seigneur, M atth., v, 43; Luc., V arsovie, 1870; J. O ppert, Commentaire historique
ix, 54, 55, qui vont m ieux à une époque beaucoup et philologique du livre d'Esther, d'après la lecture des
plus récente que le règne de X erxès et révèlent « l ’ es ­ inscriptions perses, dans les Annales de philosophie
prit particulièrem ent juif, tel qu'il se form a graduel­ chrétienne, janvier 1864, puis à part, in-8°, Paris,
lem ent dans les tem ps post-exiliens sous la pression 1864.
de la dom ination étrangère, » K autzsch, Die hei- m. a u t r e s , non c a t h o l iq u e s . — B renz, 1544;
lige Schrift des A . Test, ubersetzt..., Beilagen, Fribourg- Pellikan; Louis L avater, 1586; G ualther, 1587;
en-B risgau et Leipzig, 1896, p. 201 ; d) de la langue, E . Ph. L. C alm berg, Liber Esteræ illustratus. H am ­
« qui convient à l ’ âge grec ou m êm e au m c siècle avant bourg, 1837; B ertheau, D ie Bûcher Esra, Neh. und
Jésus-C hrist, car, bien que supérieure à celle des C hro ­ Ester, Leipzig, 1862; 2 “ édit., par R yssel, 1887; K eil,
niques, et plus conform e à celle des livres plus anciens, Bibi. Commentar über die Chronik, Esra. Neh. und
elle contient beaucoup de m ots et d'idiotism es récents Ester, Leipzig, 1870, p. 603-659; Fr. W . Schultz,
et m ontre une syntaxe grandem ent altérée. D river, Esra, Neh., Ester, B ielefeld et Leipzig, 1876; P. C as-
Introduction, 1897, p. 484. » G igot, Special introduc­ sel, Das Buch Ester Ubersetzt und erlàulert, B erlin,
tion, L i, p. 359 sq. Cf. D river, op. cit., p. 484 sq.; 1878; trad, anglaise, Édim bourg, 1888; A . R aleigh,
W ildeboer, Die fünf Megillot, p. 172. The book of Esther, Londres, 1880; J. W . H aley, The
871 E S TH E R (L IV R E D ’) E S T IU S 872

book of Esther, A ndover, 1885; Œ ttli, Die geschichl- universelles et celui qui était investi de cette dignité
lichen Hagiographen, M unich, 1889, p. 227-254; W . F. jouissait d ’ une autorité presque sans lim ites : il était
A deney, Ezra, Neh., Esther, Londres, 1893; G . R aw ­ le chef de toute l ’ adm inistration universitaire. En
linson, Ezra, Neh., Esther, Londres, 1880; 2° édit., 1595, E stius devint prévôt du chapitre de Saint-
1897; W ildeboer, Die fiinf Megillot, Tubingue, Fri ­ Pierre et, en cette qualité, chancelier de l ’ univer ­
bourg-en-Brisgau et Leipzig, 1898, p. 169 sq.; Sieg ­ sité. Sa fonction était de garantir officiellem ent la
fried, Esra, Neh., Ester, G œ ttingue, 1901; G . Jahn, pureté de l'enseignem ent catholique et de conférer
Das Buch Ester nach der LXX hergestellt, iibersetzt, aux étudiants, au nom de l ’ Église, les grades dont les
und kritisch erlautert, Leyde, 1901 ; T. W . D awies, différentes facultés les avaient jugés dignes. E stius
Ezra, Neh., Esther, 1906; A . W . Streane, The book resta chancelier jusqu ’ à sa m ort. E n 1613, il fut pré ­
of Esther, C am bridge, 1907. senté par l ’ évêque d ’ A rras pour le siège épiscopal
J. A . N ikos, DeEslheræ libro, R om e, 1856, 1 . 1; Λ . H . S ay-
d ’ Y pres, à la m ort de Jean de V ischer. Il ne fut pas
ce, Introduction to the books of Ezra, Nehemiah and Esther, choisi, peut-être à cause de son grand âge. E n cette
L ondres, 1885; F . V igouroux, Manuel biblique, 12 “ éd it., m êm e année, l ’ ém inent professeur tom ba gravem ent
P aris, 1906, t. n , p. 201-21 6; dans le Dictionnaire de la m alade et m ourut le 20 septem bre, à l ’ âge de soixante
Bible, t. n , col. 1973-1981; R . C orncly, Introductio spe­ et onze ans.
cialis, P aris, 1897, t. i, 1, p. 417-43 9; S. R . D river, Intro­ Ses vertus étaient aussi rem arquables que sa science
duction to the literature of the Old Testament, É dim bourg, était profonde, et tous ses contem porains en font
1897, p. 478-187; trad , allem ande de R o th stein , Einleitung
tn die I.itteralur des Allen Testaments, B erlin, 1896, p. 514- foi. Sa piété, sa charité et son zèle étaient tels que ses
524; G . W ildeboer, Die Lilteratur des .4. T., 2 “ éd it., G œ t ­ collègues, scs élèves et ses am is le considéraient com m e
tingue, 1905, p.444-452; C . II. C orni 11, Einleitung in das .1. T„ un saint. Son tom beau, dans l ’ église Saint-Pierre,
T ubingue, 1905, p. 138-111 ; H . L . S track, Einleitung in das fut longtem ps en vénération. E n un m ot, il réalisa,
A. T., M unich, 1906, p. 156-158; F . G igot, Special intro­ parfaitem ent la devise de sa fam ille : Soli Deo gloria,
duction, N ew -Y ork, C incinnati, C hicago, 1906, t. I, p. 355- et m érita les éloges de son collègue A ndré H oïus,
363; L . G autier, Introduction d ΓΑ. T., L ausanne, 1906, qui rédigea en ces term es son épitaphe :
t. u , p. 235-259; Kirchen 1er ikon, 2 “ éd it., F ribourg-en-
B risgau, 1886, t. iv, col. 920-93 0; Encyclopiedia biblica, T er denis sp artam gem inam , haud inglorius, annis.
L ondres, 1901, t. rr, col. 1400-1407; Diclionurg of the D octor u ti et præ ses regius, excolui.
Bible, É dim bourg, 1898, t. I, p. 773-776: 'Ihe catholic ency­ D octrinæ ingeniique m ei m onum enta relinquo,
clopedia, N ew -Y ork, 1909, t. v. p. 549-551. U nde m ihi, in vita m orte, perenn et honos.
L. B i g o t . A ujourd ’ hui, rien à D ouai ne rappelle la m ém oire
E S TIU S . — i. V ie. IL E nseignem ent et écrits.autrefois si respectée du grand exégète. Son calice est
III. A ppréciation. conservé com m e une relique au sém inaire académ ique
L V i e . — G uillaum e E stius, exégète, théologien de l ’ université catholique de Lille.
et hagiographe, naquit en 1542 à G orcum , sur la IL E n s e i g n e m e n t e t é c r i t s . — 1° L ’université. —
M euse, dans la H ollande m éridionale. Il était de fa ­ L ’ université de D ouai était fondée depuis vingt ans
m ille noble, m ais il se glorifiait beaucoup plus de son (1562), lorsque E stius y fut envoyé com m e profes ­
étroite parenté avec un des m artyrs de G orcum . Sa seur; son arrivée donna aux études sacrées un renou ­
m ère, en effet, M arie Piecke, était la sœ ur de N icolas veau d ’ activité et de succès. L'Alma Mater douai-
Piecke, gardien du couvent des frères m ineurs, l ’ un sienne avait été, avant tout, dès le com m encem ent,
des dix-neuf athlètes qui, en 1572, donnèrent leur une grande école de théologie. Sans doute, elle pos ­
vie pour défendre la prim auté du pape et la réalité sédait quatre autres facultés, celles de droit civil,
de la présence de Jésus-Christ dans l ’ eucharistie. de droit canonique, de m édecine et des arts, et elle
Le jeune E stius com m ença ses études latines et eut, dès l ’ abord, six cents élèves, m ais la science
grecques à U trecht, dans le couvent des hiérony- sacrée attira toujours chez elle le plus grand nom bre
m ites, puis il suivit les cours de philosophie à Lou ­ des étudiants. D éjà l ’ un de ses fondateurs, l ’ évêque
vain, à la pédagogie du Faucon. E n 1561, il devint d ’ A rras, François R ichardot, et le zélé profes ­
m aître ès arts et entra en théologie. Parm i ses pro ­ seur M athieu G alenus avaient donné un grand éclat
fesseurs, Josse R avesteyn, Jean H essels et M ichel aux études scripturaires et théologiques; m ais E stius
de B ay, plus connu sous le nom de B aius, le prem ier et une pléiade de collaborateurs dévoués l ’ augm en ­
seul était pleinem ent orthodoxe. E stius était, de plus, tèrent considérablem ent : l ’ université parvint alors
pensionnaire ou boursier au collège du Pape, fondé à son apogée. Tous ces m aîtres sont dignes d ’ être
par A drien V I, qui avait B aius à sa tête. O n conçoit, com ptés parm i cette brillante phalange de docteurs
dès lors, que le jeune théologien ait eu quelque peine . et d ’ exégètes qui illustra l ’ Église après le concile de
à se garder des idées de ses m aîtres. A vant d ’ être I T rente.
docteur, E stius enseigna la philosophie pendant dix G uillaum e E stius rencontra dans les chaires de
ans au collège du Faucon. E n 1574, il entra au con ­ la faculté trois de ceux qui avaient fait partie de la
seil de l ’ université; puis il professa la théologie au fam euse prom otion doctorale de 1571, et que V alère
Collège royal que Philippe II venait de fonder à Lou ­ A ndré, ancien élève de D ouai, appelle le quadrige
vain. Enfin, le 22 novem bre 1580, il devint docteur douaisien : Cujus quadrigæ summam eruditionem
en théologie : ses études avaient duré vingt ans. scripta typis edita testantur. Si le grand A llen, Tun
D eux ans après,le nouveau docteur fut nom m é par de ces docteurs, persécuté pour la justice, avait été
le roi d ’ E spagne professeur à la faculté de théologie forcé de quitter D ouai en 1578 pour transférer son
de D ouai et, en m êm e tem ps, directeur du sém inaire collège anglais à R eim s, les trois autres, Thom as
du R oi. Il occupa d ’ abord la chaire de controverse, Stapleton, Jean du B uisson (Bubus) et M athias
puis il fut chargé de com m enter le M aître des Sen ­ B ossem ius, illustrèrent longtem ps encore le collège
tences. Pierre L om bard était encore à cette époque théologique. A joutons à ce groupe déjà si brillant
l ’ auteur favori des m aîtres et des étudiants; il fut, B arthélém y Peeters (Petri) qu ’ E stius am enait avec
en 1594, rem placé com m e auteur classique par saint lui de L ouvain, et plus tard Josse R ythovius, Josse
Thom as. E stius parcourut deux fois le cycle de ses H leylens et G eorges C olveneere, qui, après avoir été
com m entaires; puis il expliqua jusqu ’ à sa m ort les ses élèves, devinrent ses collègues. A vec François
É pîtres des apôtres. D eux fois aussi, il fut choisi Sylvius, qui les suivit de près, tous ces m aîtres restent
com m e recteur de l ’ université (1592 et 1602). A dans l ’ histoire les plus illustres représentants de
D ouai, les attributions du recteur étaient à peu près l ’ école théologique de D ouai.
873 E S T IU S

C 'est en ce tem ps-là que naquirent, au sein de l ’ uni ­ ecclésiastique. D e plus, certains théologiens lui repro ­
versité, deux grandes œ uvres qui ont rendu d ’ im ­ chent, non sans raison, d ’ être resté trop attaché a
m enses services et qui ont survécu à leurs auteurs quelques opinions répréhensibles de ses anciens
com m e à l ’ université elle-m êm e. 1. A llen et les doc ­ m aîtres B aius et H essels.
teurs anglais réfugiés à R eim s avec lui entreprirent, O n ne peut m ieux caractériser la valeur exégé-
pour répondre aux attaques des protestants, la publi ­ tique du com m entaire d ’ E stius sur les E: lires d<
cation de là Bible dite de Douai, œ uvre de contro ­ saint Paul, qu ’ en le com parant aux com m entjires â
verse, d ’ érudition et d ’ édification qui eut dès l ’ abord M aldonat sur les É vangiles: m êm e m et:: ■ m êm e
un im m ense succès et qui est lue encore aujourd ’ hu. érudition, m êm e pénétration, m êm e profondeur :·
par tous les catholiques de langue anglaise. Il y a vues. D ans les deux ouvrages, un ég.>! souci le
peu d ’ années (1885), le troisièm e concile plénier de recherche du sens littéral, de la liaison i :-·
B altim ore recom m andait aux fidèles am éricains cette idées, du choix judicieux parm i les interpretatio-. s
version vénérable, « parce qu ’ elle a servi à nos pères, proposées par les Pères. E stius relève plus de l'ec· · .·
pendant trois siècles, qu ’ elle nous vient sanctionnée d ’A ntioche que de celle d ’ A lexandrie. Il trace la vo:· .·
par d ’ innom brables autorités, et qu ’ elle est convena ­ aux exégètes de l'avenir par sa ténacité à s ’ attacher
blem ent annotée par le savant évêque C halloncr, » à rechercher l ’ idée m êm e de l ’ auteur inspiré. Pas de
autre élève de D ouai. divagations dans le sens spirituel; il em ploie dans son
Le N ouveau T estam ent parut en 1600 avec l ’ ap ­ exploration m éthodique ce que la philologie et l ’ ar ­
probation d ’ E stius, de Peeters et d ’ H eylens, et chéologie du tem ps pouvaient lui fournir. C atho ­
l ’ ouvrage tout entier en 1609, avec l ’ approbation liques et protestants estim ent et utilisent à l ’ envi
d ’ E stius, de Peeters et de C olveneere. ce précieux ouvrage qui m arque une étape sérieuse
2. E stius connut aussi sur les bancs de l ’ université dans l ’ interprétation des écrits de l ’ apôtre.
un jeune jésuite, son com patriote, H éribert R os- Ces com m entaires ne furent im prim és qu ’ après
w eyde, qui fit sa philosophie et prononça ses pre ­ la m ort de l ’ auteur. Le i" volum e ne fut achevé qu ’ en
m iers vœ ux au collège d ’ A nchin, en 1590. C ’ est là 1614, le n 0 en 1616 par les soins de B arthélem y
qu ’ il com m ença à réunir les Acta sanctorum, en fouil ­ Peeters. Ils furent plusieurs fois réédités à Paris, à
lant les bibliothèques des m onastères de la région. Il R ouen et à Cologne. A u xix° siècle, cet im portant
donna à son collègue Jean B olland la prem ière idée ouvrage fut réim prim é deux fois à M ayence (1841
de l ’ œ uvre colossale des bollandistes, qui, pourtant, et 1868) et une fois à Paris, in-8°, 1892.
dans sa pensée, ne devait avoir que dix-sept volum es. 2. N ous ne séparerons pas de la grande œ uvre exe-
V oir 1.1, col. 330-331 ; t. n, col. 951. gétique d ’ E stius les Annotationes in præcipua ■
Plus tard, un autre étudiant de D ouai, D aniel van difficiliora same Scripturæ loca, bien que ce dernier
Papebroeck, travailla pendant cinquante-cinq ans à livre m érite m oins d ’ éloges que le précédent. La pr
cette grande collection avec son érudition ?im m ense face indique les circonstances au m ilieu desquelles
et sa critique très sûre. Le dernier bollandiste avant ce volum e fut com posé. A u sém inaire du R oi, dont
la R évolution fut Joseph G hesquière de C ourtrai.qui E stius était président, on avait l ’ habitude de lire
avait, lui aussi, étudié à l'université de D ouai. au réfectoire un chapitre de la sainte É criture. A pres
D ’ autres élèves d ’ E stius se firent un nom à cette le repas, le m aître choisissait un verset plus m ar ­
époque. C itons seulem ent A ntoine Sanderus de G and, quant. Il dem andait à un élève sa façon de l ’ entendre,
auteur de la Flandria illustrata (16-11), et A ubert ou bien il posait quelque objection, puis il donnait son
Lem ire (Miræus) de B ruxelles, qui publia sa Chro­ explication. T out cela était préparé sans doute par
nica rerum, en 1608, et ses Opera diplomatica, en 1630. le professeur; m ais ces expositions courantes, données
2° L ’exégète. — 1. E stius possédait toutes les qua ­ surtout au point de vue m oral, étaient m oins tra ­
lités qui font l ’ excellent m aître : science dogm atique vaillées et m oins m ûries que les leçons du cours suivi ;
et scolastique très com plète, pénétration profonde, ces fragm ents détachés ne valent donc pas le com ­
sens critique très développé, enchaînem ent logique m entaire ex cathedra. Ex quibus sparsim ita digestis,
des idées, tels sont les caractères principaux que ses colleche sunt Annotationes istæ quas uno hoc volumine
élèves et ses contem porains reconnaissaient à son exhibemus. A insi s'exprim e G aspard N em ius, eléve
enseignem ent : « E stius et Sylvius, dit le savant d ’ E stius et futur archevêque de C am brai, dans i :
Paquot, sont les deux docteurs qui ont le plus con ­ stola dedicaloria de la 1" édition, qui parut en 1612.
tribué à la réputation de l ’ université de D ouai. Le à D ouai. C et ouvrage n ’ est que le résum é de conver ­
second a égalé le prem ier pour la justesse du raison ­ sations pieusem ent recueillies par un disciple, m ais
nem ent; m ais il lui est inférieur pour le style, pour non revues par l ’ auteur, et im prim ées huit ans après
la variété des connaissances, pour la lecture des Pères, sa m ort. U ne seconde édition, considérablem ent aug ­
pour la controverse et pour l ’ explication de l ’ Écri ­ m entée et m oins défectueuse, fut donnée par B arthé ­
ture sainte. Sylvius a plus de célébrité dans l ’ École, lem y Peeters en 1629; six autres éditions parurent
E stius en a davantage parm i les savants. » encore durant la seconde partie du xvn' siècle.
Tous deux, d ’ ailleurs, étaient cordialem ent atta ­ M algré sa valeur, ce volum e n ’ a pas été à l'abri de
chés à l ’ Église et à toutes ses doctrines. V oici une toute critique. E n 1722, des professeurs de l'univer ­
partie de la belle protestation trouvée dans les pa ­ sité, D eicourt, A m and et Jacques de M arcq.ém us pa ­
piers d ’ E stius après sa m ort : Protestatur author quod les querelles jansénistes qui se prolongeaient à D ouai
omnia velit esse submissa judicio Ecclesiæ catholicæ et aussi par les abus qu ’ on pouvait faire de quelques
et ejus summo in terris pastori ac judici, romano textes d ’ E stius, voulurent porter rem ède au m al.
pontifici, velilquc pro non dicto haberi si quid male A près avoir condam né sept jeunes m aîtres inféodés
dictum; quod nolit ulli personæ aut jamiliæ detractum, à la secte,ils ajoutèrent : Diffiteri non possumus
cupiens Christianam cum omnibus catholicis benevo­ dam occurrere in operibus Estii et Sylvii. quæ du-■■ra
lentiam et, quantum possibile est, amicitiam colere et sint et corrigenda, ne quid pejus dicamus. Leurs obser ­
conservare; item declarat se ubique sequutum sensum vations, qui ne sont pas sans fondem ent, portent
Ecclesiæ. surtout sur certains chapitres de l ’ Évan;.!-. s-i ■:
Il faut avouer cependant que d ’ autres exégètes ■ saint Jean. « Q u ’ on ne s ’ im agine pas. dit E stius. que
ont m ieux connu qu ’ E stius les langues grecque et le secours suffisant de la grâce ex parte De soi·. ·? fient
hébraïque ainsi que la poésie latine, et que d ’ autres ' à tous les hom m es et qu ’ il puisse par lui-m êm e les
encore ont étudié plus à fond la philologie et l ’ histoire 1 m ener au C hrist, · in. 17-vt, 37. ■ A propos de la prière
875 ESTI US 876

de Jésus-Christ pour ie m onde, xvn. 9, 20, 1 ’ auteur rum, et un autre qui a pour sujet : De Magdalena
écrit encore : Rogavit pro mundo, sed tantum secun­ evangelica. E stius la distingue de la fem m e péche ­
dum earn partem quæ electos complectitur... Ibi vero resse et de la sœ ur de Lazare, com m e l ’ avaient déjà
sunt omnes et soli electi, quare hic oportet intelligcre fait avant lui Lefebvre d ’ É taples et Josse C licthove.
eos qui credituri sunt fide viva et perseverante usque C ette thèse a été reprise par dom C ahnet, bien qu'elle
in finem. Son exposition du c. x, 15, est encore plus ait été condam née à deux reprises parla Sorbonne en
explicite : Hic locus ostendit Christum non pro omni 1519, à l ’ instigation de son fam eux syndic, N oël B eda.
bus mortuum, sed pro solis electis, scilicet ut salventur. La dernière de ces dissertations est intitulée : An
C ’ est en propres term es la 5° proposition de Jansé ­ Scriptural sacræ plures sint sensus litterales? E stius
nius, condam née trente-deux ans plus tard. Il en est se prononce pour la négative.
de m êm e de son explication du chapitre d ’ Isaïe où 4° L ’hagiographe. — E stius est aussi l ’ auteur ou le
il s ’ agit des soins que D ieu a donnés à sa vigne, v, 4. traducteur de vies de saints. — 1. O n sait quels liens
V oici com m ent se term ine le jugem ent porté par de parenté l ’ unissaient au plus célèbre parm i les m ar ­
les professeurs duxvut°sièclesur leurs illustres pié- tyrs de G orcum , N icolas Piecke. Il avait aussi connu
décesseurs : Majores nestri, et præsertim Estius ac plusieurs d ’ entre eux sur les bancs de l ’ université de
Sylvius, pietate, doctrina ac eruditione clarissimi lue­ Louvain. Pressé par son frère R utger, le professeur
runt, nec non sedi aposlolicte cujus infallibilitalem in prit la plum e en 1603 ct écrivit en latin l ’ histoire de
decidendo semper agnoverunt, addictissimi ac devotis­ ces généreux confesseurs de la foi. Elle est très sim ple,
simi. Si igitur a recto veritatis tramite dcviarinl, non id très édifiante et très docum entée, car l ’ auteur ne
mala fide jactum est, non ex odio in cathedram Petri, voulut pas 1 ’ écrire « sans avoir esté suffisam m ent
non ex superbia ct ambitione, non ex intentione novellam accrténé, et assez advisé du tout. » C ette biographie,
sectam introducendi aut propagandi, non constitutio ­ publiée à D ouai, fut aussitôt traduite en plusieurs
nibus apostaticis resistendo, non ab iis appellando, langues. A R om e, elle fut considérée com m e la pièce
non aliis technis cavillando; sed veritatem necdum la plus im portante, du procès de béatification, et le
satis elucidatam in cordis simplicitate quierendo, bollandiste du Solfier l ’ a im prim ée tout entière dans
paratissimi inierim opiniones præoccupatas ad sedis les Acta sanctorum, t. n julii, au 9° jour.
aposlolicie nutum corrigere, deserere ac penitus abolere. N ous ne ferons qu ’ une seule réserve. A u 1. IV de
Nos quidem illis doctrina, pietate ac ingenii capaci­ son histoire, il parle de B althasar G érard,qui, douze
tate inferiores sumus; sed, constitutionibus aposlo- ans après le supplice des m artyrs de G orcum , tua à
licis edocti, quaedam in eorum commentariis auaemus D elft le prince G uillaum e d ’ O range. E stius le loue de
reprehendere qute ipsi, iisdem Spiritus Sancti oraculis son courage plus qu ’ héroïque, egregium omnique
imbuti, procul dubio correxissent. Cf. d ’ A rgentré, memoria dignum facinus, et le com pare à Jean de
Collectio judiciorum, t. in, p. 574. A près les réserves N icom édie qui, sous D ioclétien, déchira un édit de
nécessaires, les docteurs de D ouai plaident donc les l ’ em pereur contre les chrétiens et fut exécuté en haine
circonstances atténuantes, tout en faisant de plein de la foi. E stius aurait dû se souvenir du concile de
cœ ur l ’ éloge de leurs saints et savants devanciers. C onstance et des condam nations portées par lui contre
3° Le théologien. — 1. C om m e théologien, E stius W iclcf et Jean Petit, défenseurs du tyrannicide.
n ’ est pas m oins connu. Il est l ’ auteur de Commentaires Cf. D enzinger-B annw art, Enchiridion, n. 597, 690.
sur le livre des Sentences; parm i les cinq cents écri ­ 2. E n 1682, E stius traduisit aussi du français en
vains qui ont fait un travail analogue sur Pierre Lom ­ latin une notice sur Edm ond C am pian, ancien élève
bard, il est l ’ un des plus rem arquables par la solidité de D ouai, qui était m onté, à L ondres,l ’ année précé ­
du raisonnem ent, l ’ abondance des preuves et la clarté dente, sur les échafauds d ’ É lisabeth. A ce m om ent,
de l ’ exposition. E stius se disposait à quitter Louvain. Peut-être pré ­
Il faut toutefois, pour les raisons déjà données, voyait-il déjà qu ’ il rencontrerait à D ouai des cen ­
faire certaines restrictions quand il traite de la liberté taines de réfugiés anglais, qu ’ il en ferait des candi ­
hum aine, de la prédestination et de l ’ efficacité de la dats au m artyre et des im itateurs du bienheureux
grâce. D e plus, il pense que la contrition parfaite ne Edm ond.
justifie le pécheur que dans le cas d ’ une extrêm e 5° Le polémiste. — 1. En septem bre 1587,1a faculté
nécessité ou de l ’ im puissance physique de recevoir de théologie de Louvain, à l ’ instigation de B aius,
le sacrem ent. In IV Sent.,I. IV ,dist. X V II,n. 2. Sur la avait condam né 34 propositions extraites des cahiers
question de l ’ im m aculée conception, il se m ontre du célèbre jésuite Lessius. Exhibuerunt nobis quasdam
1 ’ adversaire de ce privilège de M arie, et il ne croit propositiones hinc inde ex nostris lectionibus, prout
pas que saint Thom as en ait été partisan. A ussi l ’ édi ­ eas auditores acceperant, detractas et evulsas, omissis
tion de N aples de 1720 a-t-elle corrigé et com plété ilis unde possint intelliqi, écrit Lessius. Le profes ­
E stius sur ce point de doctrine. In IV Sent.,1. III, seur incrim iné ne voulut pas les reconnaître pour
dist. III. n. 2. siennes. Elles avaient rapport à l ’ inspiration des
Ces com m entaires ne parurent que trois ans après É critures, à la grâce, à la prédestination, m atières
sa m ort, à D ouai. Sept éditions furent im prim ées suc ­ alors très controversées. La faculté les censurait
cessivem ent, au cours du xvn 0 et du xvni° siècles. com m e entachées de sem i-pélagianism e.
Ce qui les rend très com m odes, c ’ est que l ’ auteur Les évêques de la province prirent parti contre
renvoie toujours en m arge au texte correspondant Lessius et dem andèrent à la faculté de D ouai
de la Som m e de saint Thom as. d ’ ém ettre un nouveau jugem ent sur tous ces points.
2. E stius fut aussi l ’ un des collaborateurs des théo ­ C elle-ci accepta, ct, le 20 février 1588, elle publia
logiens de Louvain dans la célèbre édition des œ uvres une condam nation plus développée et plus accentuée
de saint A ugustin qu ’ ils publièrent à A nvers en 1577, que celles de Louvain. E stius en fut le principal au ­
10 in-fol. Il a travaillé au t. ix. Il a collaboré de teur; B ossem ius, qui était alors chancelier de l ’ uni ­
m êm e à la Som m e éditée à D ouai par M arc W yon versité, l ’ approuva pleinem ent; quant à Stapleton,
en 1614. il ne fut point appelé à donner son avis; au fond, il
3. Son grand am i B arthélem y Peeters édita, un croyait cette censure injustifiée.
an après sa m ort, un recueil de 19 discours théolo ­ L ’ affaire fut déférée à R om e et Sixte-Q uint, par
giques prononcés à D ouai par E stius. Ils ne sont pas la voix du nonce de C ologne, O ttavio Frangipani,
tous égalem ent rem arquables. O n en com pte trois annula les condam nations, ordonna aux docteurs de
sous ce titre : De fugienda lectione librorum hærelico- cesser ces discussions inoppor unes et im posa silence
877 E S TIU S — E S T R IX (E S S C H E R IX ) 878

aux deux parties jusqu ’ à ce que le Saint-Siège eût bliotheca Belgica, t. 1, p. 399,avec p o rtrait; H urter. N •-■ici
dirim é la question (1588). clator literarius, 3 ' éd it., Inspruck, 1907. t. in . c 1- 434-
489; T h. L euridan, dans la Revue des sciences ectiésias
2. U ne autre controverse surgit bientôt après.
tiques, 8· série, 1895, t. n . p. 120-131. 3 2 6-34 > j i s j - i 5;
D epuis les origines de l ’ université, les Pères jésuites L . de M eyer, Historia controversiarum de a uri 11 is. ” . I. î
occupaient à D ouai une chaire de théologie ad docenda n. 7, 10, 18; P aq uo t, Mémoires pour servir a Γ histoire lit­
pastoralia. Le P. D eckers venait d ’ y m onter; il ensei ­ téraire des Pays-Bas, Π 68, t. n , p. 481 sq.; Epit- me com­
gnait le m olinism e et avançait que cette doctrine mentariorum Guillehni Estii... per Joannem a Gorcsm in
était celle de saint Thom as et de la plupart des théo ­ omnes epistolas divi Pauli, 1776; en tète se trouve la vie
logiens. Le professeur R ythovius s ’ attacha à le réfuter. d ’ E stiu s; édition P aq u o t; S erry, Historia congre,· · .· <· >ι:ι
Le jésuite répondit; la querelle s ’ envenim a et dégé ­ de auxiliis, 1700, t I, c. v, A ppend. IV et x v ; R . S i- s
néra bientôt en attaques personnelles.
Histoire critique des princ. commentateurs du X. T. I
c. x tin ; Critique de la Bibliothèque des auteurs ecclesias­
D eckers alla jusqu ’ à dire qu ’ il ne voyait aucune tiques, 1688, t. n , 1. IV , c. x ;Sag ary , dans la Revue de Lille,
différence réelle (secundum rem) entre la doctrine 1896, p . 179.
thom iste sur la prédestination physique et celle de L. S a l e m b i e r .
C alvin. Les évêques de T ournai et d ’ A rras intervin ­ E S T R IX ( E S S C H ER IX ) G illes, né à M alines le
rent pour ram ener la paix et pour inviter les jésuites 5 septem bre 1624, entré dans la C om pagnie de Jésus
à ne pas enseigner des doctrines contraires à celles de le 30 septem bre 1641, enseigna la philosophie pen ­
l ’ université. Les Pères acceptèrent, sous réserve de dant quatre ans et la théologie pendant sept ans à
l ’ approbation de leur· supérieur. E n 1591, le provin ­ L ouvain; fut provincial de son ordre en B elgique;
cial O livier M anare refusa son consentem ent à cet étant allé à R om e, en 1687, pour l ’ élection du géné ­
accord et en appela au nonce de. C ologne. Sur ces en ­ ral de la C om pagnie, il y fut retenu par le nouvel
trefaites, la cour de B ruxelles fut avertie et ordonna élu, le P. Thyrse G onzalez, qui le nom m a d ’ abord
à la faculté de publier le décret de Sixte-Q uint de censeur des livres, puis secrétaire de la C om pagnie.
1588. Ce fut alors qu ’ E stius entra en lice et envoya E n B elgique, le P. E strix fut un adversaire infati ­
un m ém oire très im portant contenant des réclam a ­ gable du jansénism e et du rigorism e, qu ’ il poursuivit
tions qu ’ il croyait fondées. Serry l ’ a publié dans notam m ent dans les écrits de plusieurs professeurs
1 ’ Historia congregationis de auxiliis, où il résum e cette de l ’ université de Louvain. Il défendit contre eux
controverse. E nfin, le 26 septem bre 1591, des ordres surtout la suffisance de l ’ attrition dans le sacrem ent
définitifs dans le m êm e sens furent donnés aux évê ­ de pénitence. D ans sa Diatriba theologica de ss-
ques et au recteur : tous se soum irent sans nouvelle pientia Dei benefica, A nvers, 1672, où il critiq..
observation. l’Jnstructio ad tironem theologum de methodo theolo­
La querelle n ’ eut pas d ’ autres suites, au m oins gica du chanoine van B uscum , il soutient une pro ­
pour le m om ent. E n décem bre 1602, nous voyons position, qui sera condam née par Innocent X I en
E stius et les jésuites donner ensem ble un avis m otivé 1679, sur la com patibilité de la foi surnaturelle et
au m agistrat de D ouai. C elui-ci avait posé cette ques ­ salutaire avec la connaissance seulem ent probable de
tion : Faut-il accorder le saint viatique aux condam ­ la révélation. La Diatriba et deux autres écrits, où il
nés à m ort? Les deux autorités théologiques furent a essayé de justifier cette proposition, ont été m is
pleinem ent d ’ accord pour répondre affirm ativem ent. à l ’ index en 1674, par décrets du Saint-O ffice du
3. N ous trouvons aussi, dans le m êm e ouvrage de 24 février et du 19 juin, le troisièm e donec corrigatur;
Serry. 1. III, c. rv, et dans les Mémoires importants m ais l ’ ouvrage de van B uscum a été égalem ent prohibe.
pour servir à l’histoire de Vuniversité de Douai, p. 102, E strix em prunta le pseudonym e Francisais Simonis
attribuées à Q uesnel, trois lettres dont on prétend pour dénoncer au Saint-Siège les excès du rigorism e
qu ’ E stius est l ’ auteur. Elles attaquent vigoureuse ­ patronné par les docteurs de Louvain, dans Status,
m ent le m olinism e et le P. Jean D eckers, son défen ­ origo et scopus reformationis hoc tempore attentates
seur; m ais Liévin de M eyer doute que ces écrits in Belgio circa administrationem et usum sacramenti
ém anent réellem ent du savant professeur. pænitentix juncta piorum supplicatione ad Clemen­
O n cite enfin de lui plusieurs pièces de vers sans tem X P. M., in-12, M ayence, 1675, deux éditions.
im portance. Les professeurs attaqués ripostèrent en dénonçant
III. A p p r é c ia t i o n . — L a réputation d ’ E stius fut à R om e les erreurs des casuistes et ia pratique « relâ ­
et reste grande dans l ’ école. B enoît X IV l ’ appelle chée «qu ’ ils propageaient dans l'adm inistration des
doctor fundatissimus. B ossuet et Fénelon en font sacrem ents, surtout de la pénitence. Innocent X I,
l ’ éloge et citent longuem ent des textes tirés de ses dans la congrégation du Saint-O ffice du 2m ars 1679,
ouvrages à propos des points les plus délicats de la condam na 65 propositions de m orale,sans en désigner
dispute fam euse sur le quiétism e. Cf. Seconde lettre les auteurs. A ussitôt on vit paraître dans les Pays-
en réponse à divers écrits. Le cardinal de B érulle B as un petit volum e anonym e sous le titre : Décret
recom m ande toutes les œ uvres d ’ E stius à ses fils de de N. S. P. le pape Innocent XI contre plusieurs
l'O ratoire. Ellies D upin, R ichard Sim on, dom C al- propositions de morale, contenant le texte latin avec
m et, C orncly, ces spécialistes en fait d ’ exégèse,louent traduction française de ia sentence et des propo ­
presque sans réserve ses Commentaires sur les Épîtres sitions frappées, et, à la suite, des « R ègles générales
des apôtres. T irin et M énochius citent sans cesse ses pour confirm er l'utilité de ce décret »; puis, un long
expositions scripturaires, Steyaert et Paquot pla ­ « A vertissem ent » sur l ’ histoire de la condam nation,
cent ses Commentaires sur le Maître des Sentences au dont il est fait honneur surtout aux eflorts des doc ­
prem ier rang des théologies après la Som m e de saint teurs de Louvain ; enfin une «Table des livre. · : itres
Thom as. écrits, où les propositions de m orale condam née»
V . A ndré, Fasti academici studii generalis Loiiantensis, par le décret de N . S. P. le pape Innocent X I ont ete
1635; d ’ A rgentré, Collectio judiciorum, t. n i, p. 574; de ci-devant flétries, et dans lesquelles or: en . .
B acker, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de dem andé ou prononcé la condam nation. D ans cette
Jésus, t. n , p. 720; T h. B ouquillon dans la Revue des table, qui renvoie souvent aux Provinci rfes de FA scai,
sciences ecclésiastiques, 5 ' série, 1880, t. il, p. 244; dom chacune des propositions condam nées est .._ee a
C alm et, Dictionnaire de la Bible, t. v i; R . C om ely, Hi­
storica et critica introductio in ulriusque Testamenti libros des auteurs explicitem ent nom m és : ce s :.· .. - _r L·
sacros, t. in . p. 17; du C hesne, Histoire du baianisme, plupart, des jésuites, avec un certain nom bre de fran ­
D ouai, 1731 ; E llies D upin, Bibliothèque des auteurs ecclé­ ciscains flam ands. Le P. E strix, très tnaim ene dans
siastiques du xvn· siècle, I" p artie, p. 136; F oppens, Bi- | 1 ’ « A vertissem ent » et dans la « Table », répliqua par
879 E S T R IX (E S S C H E R IX ) — ÉTAT 880

une Rejutalio accusatoris anonymi damnatas ab inno­ La prem ière, qui repose sur de fausses com pa ­
centia Xl propositiones adscribentis ordinum religio­ raisons physiologiques, considère l ’ É tat « com m e
sorum theologis ac præcipue Societatis Jcsu, in-12, étant au corps social ce qu ’ est le cerveau au corps
M ayence, 1679. C et opuscule, qu ’ il avait signé d ’ un hum ain. » Telle est la form ule adoptée par Schæffle,
pseudonym e, Wilhelmus Sandæus, a été condam népar Bau und Leben des socialen Korpers, et en voici le
le Saint-Office, le 7 février 1679. U ne édition en fran ­ développem ent. La société est un organism e, un en ­
çais fut égalem ent m ise à l ’ index, le 18 juin 1680, m ais, sem ble de fonctions d ’ organes, d ’ unités vivantes;
cette fois, avec la publication que Sandæ us prétendait l ’ unité, la cellule sociale, ou pour parler un langage
réfuter et qui était prohibée propter annotationes ad­ plus scientifique, le protoplasma, est ici l ’ hom m e.
jectas. Som m ervogel indique encore d ’ autres écrits ano ­ O r, on retrouve dans la société les m êm es distinctions
nym es ou pseudonym es, attribués à ce théologien bel ­ que dans l ’ individu, en ce qui concerne les fonctions,
liqueux. A R om e, devenu secrétaire du général et de les organes et l ’ appareil d ’ organes; ce que le cerveau
la C om pagnie, il aida de toutes ses forces le P. G on ­ est pour l ’ organism e individuel, l ’ É tat l ’ est pour la
zalez à em porter la publication de son fam eux Fun­ société, un appareil de coordination, de direction,
damentum theologiæ moralis, dirigé contre le proba ­ de dépense, alim enté par des organes de nutrition.
bilism e. D ans les derniers m ois de sa vie, il essaya de C ette com paraison « qui représente l ’ É tat com m e le
condenser la doctrine de ce livre en une sorte de cerveau du corps social est non seulem ent fausse,
dém onstration m athém atique. Ce travail fut publié m ais nuisible; elle est un non-sens; elle conduirait
après sa m ort, sous le titre : Logistica probabili­ à une subordination absolue des individus à l ’ É tat...
tatum... cum adjuncta difficultatis potissimæ explana­ L ’ É tat est sans doute un appareil régulateur et
tione, in-12, R om e, 1695; il a été souvent réédité. Le de coercition pour certaines fonctions essentielles;
P. E strix m ourut à R om e, le 23 avril 1694. m ais ce n ’ est pas dans la société l ’ organe unique,
D e B acker-S om inervogel, Bibliothèque de la C 1 ' de Jésus, ni m êm e l ’ organe principal et supérieur, de la pensée
t. m , col. 466-474; H u rter, Nomenclator, t. iv, col. 328- et du m ouvem ent. » Leroy-B eaulieu, L'État moderne
331; Bibliographie nationale (belge), t. v ; D üllinger- et ses jonctions, Paris, 1890, p. 28, 30.
R eusch, Geschichte der Moralslreitigkeilen, t. i, p. 140, U ne autre erreur consiste à confondre l ’ É tat avec
173, etc.; R eusch.D er Index, t. n , p. 519 sq .; Doctrina theo-
ogica per Belgium manans ex Academia Lovaniensi ab la société, quoique ces deux term es soient loin d'être
anno 1644 usque ad annum 1677 in partes seu specimina synonym es. O n oppose absolum ent l ’ É tat à l ’ individu,
quatuor digesta per theologos Belgas fidei orlhodoxæ et apo- com m e s ’ il n ’ y avait, entre ces deux forces, aucune
stolicarum constitutionum studiosos, in-4°, M ayence, 1681. organisation interm édiaire. O r, la nature, aussi bien
J· H r t ic k e r . que l'histoire, com m e nous allons le dire bientôt en
1. É T A T . — I. N ature de l ’ É tat. II. R elations traitant des origines de l ’ É tat, et m êm e le présent
juridiques de l ’ É tat. autant que le passé, contredisent nettem ent cette
I. N a t u r e d e l ’ É t a t . — t. l ’é t a t -s o c ié t ê , — thèse. « Il ne faut pas confondre le m ilieu social am ­
1° Définition. — L ’ É tat, considéré d ’ une m anière gé ­ biant, l'air liore.la société se m ouvant spontaném ent,
nérale com m e société, c ’ est-à-dire la société civile, créant sans cesse avec une fécondité inépuisable des
peut se définir : « U ne société hum aine, juridique et com binaisons diverses, et cet appareil de coercition
universelle, qui a pour but de conduire scs m em bres qui s ’ appelle l ’ É tat. La société et l ’ É tat sont choses
à leur plus grande perfection dans l ’ ordre m atériel différentes. Il n ’ y a pas seulem ent dans la société
et tem porel. » L ’ É tat est d ’ abord une « société hu ­ l ’ É tat, d ’ une part, et l ’ individu, de l ’ autre : il est
m aine », c ’ est-à-dire l ’ union de plusieurs hom m es puéril d ’ opposer l ’ action de celui-là à la seule action
orientés vers une m êm e fin qui doit être atteinte par de celui-ci. O n trouve d ’ abord la fam ille qui est un
des m oyens com m uns. Pluralité des m em bres, accord prem ier groupe, ayant une existence bien caractérisée
des intelligences et union des volontés, unité de fin, et qui dépasse celle de l ’ individu. O n rencontre, en
com m unauté des m oyens, tels sont, en effet, les élé ­ outre, un nom bre illim ité d ’ autres groupem ents; les
m ents constitutifs de l'é/re social. L ’ É tat est, en outre, uns stables, les autres variables, les uns form és
une « société juridique », c ’ est-à-dire une société dans par la nature ou la coutum e, d ’ autres constitués par
laquelle le lien social qui unit les m em bres de la com ­ un concert établi; d ’ autres encore dus au hasard des
m unauté est une obligation de justice proprem ent rencontres. A côté de la force collective organisée
dite, et le principe intelligent qui régit efficacem ent politiquem ent, procédant par injonction et par con ­
toutes les intelligences et im prim e la m êm e tendance trainte qui est l ’ É tat, il surgit de toutes parts d ’ autres
à toutes les volontés est l ’ autorité ou le pouvoir pu ­ forces collectives spontanées, chacune faite en vue
blic. a L ’ autorité, ou le pouvoir d ’ obliger les libres d'un but précis, chacune agissant avec des degrés
volontés de tous les m em bres, est donc un élém ent variables, quelquefois très intenses, d ’ énergie en
nécessaire à la société juridique; elle est pour la société dehors de toute coercition. Ces forces collectives, ce
ce que l ’ âm e est pour l ’ être anim é, ce que la force sont les diverses associations qui répondent à un sen ­
est pour le corps : un principe essentiel, un principe tim ent ou à un intérêt, à un besoin ou à une illusion, les
d ’ unité, de tendance et de conservation, et la société associations religieuses, les associations philanthro ­
juridique ne peut exister sans l ’ autorité qui lui piques, les sociétés civiles, com m erciales, finan ­
donne sa vitalité et sa cohésion. » E. V alton, cières. »
Droit social, Paris, 1906, p. 7. Enfin, l ’ É tat est une A ces explications de M . Leroy-Beaulieu, op. cil.,
« société universelle », c ’ est-à-dire une société qui p. 31, qui sont vraies et fécondes dans leur principe,
recherche com m e but im m édiat un bien com plet et nous ajouterons deux observations nécessaires pour
universel dans son genre, et non pas seulem ent un avoir de l ’ É tat une notion exacte et com plète d ’ après
bien partiel qui soit com pris dans un plus grand bien le droit social chrétien : c ’ est que, d ’ abord, parm i
de m êm e nature. O r, quel est ce bien que l ’ É tat doit les form es sociales distinctes de l ’ É tat, qui font qu ’ on
procurer et garantir à ses m em bres? C ’ est la paix et ne saurait confondre celui-ci avec la société en géné ­
la prospérité publiques; c ’ est le bonheur m atériel ral, il existe une société juridique parfaite et indé ­
de tous les m em bres; c ’ est,en un m ot,» la plus grande pendante qui est l ’ Église; en outre, il ne faudrait pas
perfection sociale » possible de tous les citoyens, dans insister sur l'idée de coercition et de contrainte que
l'ordre tem porel ou l ’ ordre de la vie présente. renferm e la notion de l ’ É tat, considéré surtout com m e
M ais il faut se m ettre en garde contre deux erreurs É tat-pouvoir, au point de dénier à celui-ci toute auto ­
touchant la nature de l ’ É tat. rité m orale et directrice qui puisse atteindre et lier les
881 ETAT 882

consciences, ainsi que nous le dirons plus tard, en sance des individus et des fam illes, et de régler entre
traitant du pouvoir politique. eux leurs relations juridiques extérieures, en defen ­
V oyons m aintenant, d ’ une façon plus précise, dant leurs droits respectifs, et, si ceux-ci viennent
quelle est l ’ origine de l ’ É tat, en l ’ exam inant plutôt à être lésés, en pourvoyant à leur réparation.
com m e société civile, et en laissant, pour le m om ent, D ans un sens plus précis, la fin de la societ, rivile
la question spéciale des origines du pouvoir politique· consiste à procurer le bien com m un de tous ses
2° Origine. — L ’ É tat, après ce que nous venons m em bres, individus et fam illes, par des m oyens ex ­
de dire, doit nous apparaître com m e le dernier fruit térieurs, et dans l ’ ordre purem ent tem porel, m ais
de l ’ évolution graduelle de l ’ instinct de sociabilité, un bien com plet et universel dans son genre, quoique
naturel à l ’ hom m e. En effet, cette inclination de rapporté de quelque m anière à la fin dem iere
l ’ hom m e pour la vie sociale a atteint son prem ier toutes choses et dépendant du bien suprêm e, qui est
degré dans la société dom estique ou la fam ille, « qui D ieu. A insi donc l ’ É tat a pour but l ’ intérêt gene ­
est com m e la cellule sociale prim itive autour de la ­ ral de ses m em bres, et un bien qui, au m oins m iia-
quelle nous voyons se grouper toutes les autres so ­ tem ent ou spécifiquem ent, soit le bien de tous. M ais
ciétés hum aines. » E. V alton. Droit social, p. 27 sq. il n ’ est pas obligé en justice de suppléer à l ’ insuffisance
E nsuite, la fam ille ne se suffisant plus à elle-m êm e tout à fait personnelle de chacun de ses m em bres, car
pour se procurer la totalité des biens nécessaires à cela relève proprem ent de l ’ ordre privé et peut être
la conservation et au développem ent norm al de la com blé par les efforts particuliers des associés. L ’ É tat
vie hum aine, s ’ étendit au delà de ses lim ites natu ­ pourrait seulem ent être tenu d ’ intervenir à cet égard
relles et chercha, dans l ’ association avec d ’ autres dans des circonstances spéciales, par exem ple, lors
fam illes, l ’ assistance et la protection qui lui fai­ de calam ités extraordinaires qui atteindraient un
saient défaut. C ependant, ces diverses associations grand nom bre des citoyens, en sorte que ces événe ­
en agglom érations ou tribus prim itives, en se dévelop ­ m ents auraient leur contre-coup sur la société elle-
pant à leur tour, com prirent bientôt la nécessité de m êm e : car, dans ce cas, les individus et les fam illes
s ’ organiser « sous une autorité capable de régler les seraient supposés im puissants à rem édier à leurs
relations juridiques entre fam illes différentes, de m aux, et il im porterait que l ’ É tat, pour sauvegarder
m aintenir l ’ ordre et la paix, et de pourvoir à la pros ­ le bien et la conservation de la collectivité, prêt à'
périté générale. » E. V allon, Droit social, p. 54. Ce lui-m êm e son concours et son assistance. Sans
fut l ’ origine des prem ières cités indépendantes, et doute, en dehors de cette hypothèse, la charité so ­
enfin de ce corps politique universel qui s ’ appelle ciale sera toujours satisfaite si l ’ É tat secourt le p l . -
la société civile ou l ’ É tat. grand nom bre possible d ’ indigences privées; m ais il
A insi donc, l ’ origine de l ’ É tat, pris dans sa form e faudra veiller à ne point tom ber dans les exagérations
générale et com m une, se rattache à un principe natu ­ du socialism e et du com m unism e, dont la thèse
rel, celui de l ’ évolution graduelle de la sociabilité de tend précisém ent à abolir toute organisation privée
l ’ hom m e. M ais si nous avons égard à tel ou tel É tat, des individus et des fam illes, et toute association
pris en particulier et dans sa form e concrète, son ori ­ libre, pour tout attribuer à la société publique, a
gine devra nous apparaître égalem ent liée à un grand laquelle il appartient ainsi de pourvoir directem ei.t
nom bre de causes secondaires et de circonstances à toutes les nécessités individuelles et particulières et
historiques dont il faudra savoir tenir com pte. Telle de disposer de tous les droits. O r, il est inutile de
est, par exem ple, l ’ origine de la célèbre R épublique souligner le côté erroné et dangereux de ces sys­
de V enise : « Celle-ci, en effet, se constitua grâce à la tèm es qui pervertissent radicalem ent le rôle de la
nom breuse affluence des habitants d ’ A quilée, de société civile, dont le but, en effet, n ’ est pas d ’ absor ­
Padoue et d'autres lieux, qui, fuyant devant l ’ inva ­ ber et de détruire les activités sociales particulières
sion des B arbares surtout des H uns, vinrent se réfu ­ de ses m em bres , individus ou fam illes, m ais de les
gier sur ces parages de l ’ A driatique où vivaient alors ordonner, de les favoriser et de les suppléer.
seulem ent quelques pauvres pêcheurs. Indigènes et M ais, pratiquem ent, en quoi consiste la m ission de
ém igrés form èrent ensem ble un É tat dém ocratique la société civile? « Il lui appartient de veiller à la
dont les pouvoirs furent confiés à des tribuns du peuple. paix et à la prospérité publiques, de prévenir les in ­
C ette nouvelle république, prim itivem ent organisée justices et de les réprim er, de favoriser le progrès d .
dans une indépendance de fait à l ’ égard de l ’ E m pire | com m erce, de l ’ industrie, des arts et des sciences, etc. ;
rom ain, vit bientôt son autonom ie reconnue par les en un m ot, de procurer la plénitude du bonheur tem­
em pereurs eux-m êm es. Plus tard, au déclin du porel à tous ses m em bres. O r, ce bonheur tem porel
vil® siècle, devant les progrès de leur république, doit être com plet, universel et absolu dans son genre,
les V énitiens com prirent la nécessité de se choisir un car l ’ É tat est la plus haute raison sociale qui soit dans
chef unique électif et à vie, ou doge, com m e président l ’ ordre extérieur et tem porel, et sa fin ne saurait être
du gouvernem ent dont la form e restait toujours dé ­ subordonnée à une fin supérieure du m êm e ordre. ·
m ocratique. C ependant, vers la fin du xn® siècle, le E. V alton, Droit social, p. 57.
régim e de la R épublique de V enise se m odifia etdevint C ependant, au term e de cette fin, com prise dans
aristocratique. Ce fut pour V enise la période la plus l ’ ordre tem porel, il existe une fin supérieure d ’ un autre
florissante, qui se prolongea jusqu ’ en 1796. »E. V alton, ordre, qui est la fin dernière; et, outre le bonheur de
Droit social, p. 55. Cf. Taparelli, Saggio teorelico di la vie présente, il y a le bonheur de la vie future.
dirilto naturale, Paris, 1858, t. i, n. 446 sq.; Ferretti, L ’ É tat a-t-il le droit de faire abstraction de cette fin
Institutiones philosophice moralis, R om e, 1891, t. ni, et de ce bonheur? Peut-il rechercher uniquem ent
p. 167 sq. ; C avasnis, Institutiones juris publici eccle­ la félicité présente m êm e au détrim ent des choses q_.
siastici, R om e, 1906. p. 23 sq. ; M ontagne, Études sur se rapportent à la vie future? C ertains le pensent et
l’origine de la société, Paris, 1900, collection Science prétendent ainsi que l ’ É tat doit rester absolum ent
et religion, t. ni, Théorie de l’être social d'après « laïc », n ’ avouant pas toujours qu ’ au fond ils v .·. .
saint Thomas et la philosophie chrétienne, p. 7 sq. plutôt que l ’ É tat soit · athée ». O r, une pareille thèse
3° Fin. — Les observations que nous avons faites est incontestablem ent erronée. C ar il est faux qu i.
touchant l ’ origine de la société civile, ou de l ’ É tat, soit jam ais perm is, en vue du bien-être m ateriel de
considéré dans sa form e générale, nous indiquent la vie présente, de porter préjudice au bien sruntuei
déjà quelle est sa fin ou sa m ission. de la vie future; ce serait le plus grave des désordres,
L ’ É tat a pour raison d ’ être de suppléer à l ’ insuffi- I et la poursuite du bonheur tem porel, dans de_sem ­
883 É TA T 884

blables conditions, serait profondém ent im m orale. réaliser le bonheur et la perfection tem porels de ses
A ussi bien la société civile, qui, nous l ’ avons dit, doit m em bres, ne fasse point abstraction de D ieu, m ais,
son origine à l ’ évolution d ’ une loi naturelle dont le au contraire, s ’ oriente vers lui com m e vers sa fin
principe créateur et directeur est D ieu lui-m êm e, ne dernière. » E. V allon, Droit social, p. 57 sq.
peut-elle se retourner contre la loi naturelle et contre C ependant il est juste d ’ observer que la félicité
D ieu ; autrem ent, le lien juridique qui unit ses m em ­ étem elle, fin dernière de l'hom m e n ’ est point causée
bres devrait être plutôt appelé un lien d ’ iniquité. par le bonheur tem porel, fin im m édiate de la société
D ’ où il suit que la société civile est obligée de se m ettrecivile, et que la félicité tem porelle n ’ est pas un m oyen
négativem ent au service de la fin dernière, c ’ est-à- nécessaire et proportionné vis-à-vis du bonheur éter ­
dire du bonheur éternel et de l ’ ordre spirituel qui y nel; aussi bien, si celle-là doit être autant que possible
conduit, en tant qu ’ elle ne doit rien faire qui s ’ op ­ rattachée à celle-ci, il ne faudrait pas exagérer l ’ im ­
pose à cette fin et à l ’ ordre de choses qui s ’ y rapporte. portance de ce lien; car ce rapport entre les deux
M ais il est faux égalem ent qu ’ il suffise que la société fins ne peut être, en som m e, qu’indirect et éloigné.
civile ne contredise en rien la fin dernière et qu ’ elle Cf. C avagnis, op. cit., p. 261. N ous dirons plus tard,
puisse ainsi en faire totalem ent abstraction, sans d ’ une m anière plus précise, quelle est l ’ étendue du
qu ’ elle ait à tenir aucun com pte de l'ordre spirituel devoir de l ’ É tat envers D ieu et la religion. V oir plus
qui y conduit. E n effet, le but de la société civile n ’ est loin.
pas de procurer aux hom m es, ses m em bres, n ’ im porte 4° Propriétés. — L ’ É tat est une société naturelle,
quelle félicité tem porelle, m ais seulem ent celle qui nécessaire, juridique et parfaite.
leur est convenable et qui leur est propre. Car, dit 1. L ’ É tat est une société naturelle. Telle est la con ­
saint Thom as, Opusc. de rege et regno, 1. I, c. xrv, clusion des principes que nous avons exposés tou ­
gouverner n ’ est pas autre chose que conduire vers sa chant l ’ origine de l ’ É tat. La société civile, nous
fin ce qui est gouverné : Gubernare est id quod guber­ l ’ avons vu, est l ’ œ uvre des lois de la nature et elle est
natur convenienter ad debitum finem perducere; en le dernier acte de l ’ évolution graduelle de la sociabi ­
sorte que, si quelque chose est, en dehors d'elle-m êm e, lité de l ’ hom m e. C ’ est pour obéir à un besoin naturel
ordonnée vers une fin, il appartient à celui qui la d ’ assistance et de secours m utuels que les fam illes,
gouverne, non seulem ent de pourvoir à sa conserva ­ et plus tard les cités prim itives, se sont groupées de
tion, m ais encore de la diriger effectivem ent vers cette m anière à constituer ce grand corps social qu ’ on ap ­
fin : Si igitur aliquid ad finem extra se ordinetur, ut pelle l ’ É tat; et c ’ est en dehors de tout accord volon ­
navis ad portum, ad gubernatoris officium pertinebit taire et de tout pacte libre, dont l ’ hypothèse, on le dira
non solum ut rem in se conservet illæsam, sed quod bientôt à propos de l ’ origine du pouvoir politique, est
ulterius ad finem perducat. O r, il existe pour l’ hom m e aussi chim érique qu ’ inutile, que les hom m es, guidés
un bien suprêm e, étranger à sa nature m ortelle, vers par leur instinct naturel, deviennent m em bres de la
lequel il est orienté com m e vers sa fin dernière : c ’ est société civile, sans laquelle fis ne sauraient atteindre
la béatitude éternelle : Sed est quoddam bonum extra­ leur perfectionnem ent convenable dans l ’ ordre exté ­
neum homini, quamdiu mortaliter vivit, scilicet ultima rieur et tem porel. Cf. E. V alton, Droit social, p. 58.
béatitude, quæ in fruitione Dei expeclatur post mortem; 2. L ’ É tat est une société nécessaire. La nature qui
et à la possession de ce bien, l ’ hom m e tend préci ­ préside à la form ation de l ’ É tat en fait aussi une
sém ent en m enant une vie vertueuse, c ’ est-à-dire une société nécessaire et obligatoire pour tous les hom m es :
vie digne d ’ un être raisonnable et libre : Si enim propter nous ne voulons pas dire pour tel ou tel ’ ndividu pris
solum vivere homines convenirent, animalia el servi en particulier m ais pour le genre hum ain et pour
essent pars aliqua congregationis civilis. Si vero propter les fam illes considérées dans leur ensem ble.
acquirendas divitias, omnes simul negotiantes ad unam L a prem ière raison de cette nécessité de la société
civitatem pertinerent; sicut videmus eos solos sub ’ civile est fondée sur la conservation et le perfection ­
una multitudine computari qui sub eisdem legibus nem ent de la V e physique. C ar, pour que la vie phy ­
el eodem regimine diriguntur ad bene vivendum. M ais sique de l ’ hom m e puisse se conserver et évoluer nor ­
la fin de la m ultitude doit être en rapport avec la fin de m alem ent, de com bien d ’ ennem is naturels ■ intem périe
chaque hom m e pris individuellem ent : Idem autem des saisons, insalubrité des clim ats, m aladies, etc.,
oportet esse judicium de fine totius multitudinis, et n ’ a-t-elle pas besoin d ’ être défendue? Com bien nom ­
unius. D ’où il faut conclure que la fin dernière de tous breuses égalem ent ne sont pas ses exigences : nour ­
les associés n ’ est pas seulem ent de vivre selon la vertu, riture, vêtem ents, habitations, etc.? O r, toutes ces
m ais par une vie vertueuse,de parvenir à la béatitude: choses ne sauraient être convenablem ent réalisées
Non est ergo ultimus finis multitudinis congregatæ vi­ sans le secours de l ’ art et des sciences physiques,
vere secundum virtutem, sed per virtuosam vitam ’ chim iques et m athém atiques; et, d ’ autre part, les
pervenire ad fruitionem divinam; de m anière que la sciences et les arts ne sauraient exister sans l ’ organi­
m ission de l ’ É tat est de procurer à ses m em bres sation et le concours de la société civile, chargée de
un bonheur qui soit lùi-m êm e en harm onie avec le procurer à ses m em bres tous les avantages ’m atériels
bonheur du ciel, et d ’ em pêcher, autant que possible, et de les conduire au bonheur tem porel. D ’ où il suit
tout ce qui peut lui être contraire : Quia igitur vilæ que la société civ le ou l ’ É tat est nature ’ em ent néces ­
qua in præsenti bene vivimus finis est beatitudo cæ- saire et obligatoire : puisque, d ’ un côté, la conserva ­
leslis, ad regis officium perlinet ea ratione vitam mul­ tion et le perfectionnem ent de la vie physique de
titudinis bonam procurare secundum quod congruit l ’ hom m e sont rendus obligatoires par la loi natu ­
ad cælestem beatitudinem consequendam; ut scilicet relle, et que, d ’ un autre côté, la société civile s ’ y
ea præcipiat quæ ad cælestem beatitudinem ducunt, el rapporte com m e un m oyen indispensable. A joutons
eorum contraria, secundum quod fuerit possibile, inter­ aussi que la loi naturelle réclam e, com m e un de ses
dicat. S. Thom as, ibid., c. xv. Pour tout résum er en droits les plus sacrés, la conservation et la propaga ­
quelques m ots, « il ne peut exister aucun bien, m êm e tion de l ’ espèce hum aine, d ’ après ce précepte de la
purem ent m atériel et tem porel, qui n ’ ait quelque rela ­ G enèse : « M ultipliez-vous, rem plissez la terre el sou-
tion avec le B ien suprêm e; il n ’ est aucune perfection, m ettez-la à votre puissance. » O r, cette m ultiplica ­
m êm e sûnplem ent com prise dans l ’ ordre extérieur tion de l ’ espèce hum aine ne pourrail être obtenue
de la vie présente, qui ne soit de quelque façon un qu ’ avec de grandes difficultés et d ’ une m anière très
achem inem ent vers D ieu, perfection infinie. H est lim itée, sans le secours de la société civile, qui facilite,
donc nécessaire que l ’ É tat, dont la m ission est de au contraire, par ses divers élém ents de protection
885 ÉTAT 886

et d ’ assistance, la réalisation de ce vœ u de la nature : obligation de justice, et que le principe de cette


car, on le com prendra facilem ent, la fam ille, ou m êm e unité sociale soit une autorité proprem ent dite,
les fam illes groupées en associations particulières m unie de tous les pouvoirs de direction et de co-, ra ­
ne sauraient que dans une m esure restreinte et im ­ tion que réclam e la lin sociale : en un m ot, l ’ É tat doit
parfaite pourvoir à cette obligation que la nature être une société juridique. C ar,s'il en était autrem ent,
leur im pose, touchant la conservation de la race aucune des exigences sociales que nous avons expli ­
hum aine. D onc, à ce nouveau titre, tiré non plus seule ­ quées plus haut et sur lesquelles se base la r < t-ssite
m ent des exigences de a vie physique individuelle, de la société civile, ne pourrait être convenablem ent
m ais de l ’ intérêt m êm e du genre hum ain, la société satisfaite. M ais nous allons plus loin et nous disons
civile apparaît une société nécessaire et obligatoire. que cette société juridique est, en outre, une société
Le second m otif sur lequel s ’ appuie le caractère parfaite.
nécessaire et obligatoire de l ’ É tat regarde le dévelop ­ 4. L ’ É tat est une société par a :te. La perfection ou
pem ent de l ’ intelligence et l ’ éducation de la volonté l ’ im perfection juridique d ’ une société doit, d ’ après
qui ne peuvent atteindre leur perfection norm ale la nature des choses, ressortir de la fin sociale elle-
sans le concours de la société civile. En effet, sans m êm e. M ais celle-c' peut être constituée par un bien
aller jusqu ’ à dire avec les traditionalistes qu'aucune qui soit, ou com plet et parfait dans son genre, c ’ est-
évolution de l ’ intelligence n ’ est possible sans le con ­ à-dire un bien universel et indépendant, ou, au con ­
cours de la société, il faut cependant reconnaître que traire, incom plet et im parfait dans son genre, c ’ est-à-
le perfect onnem ent norm al des facultés et de l ’ esprit dire un bien partiel, com pris dans un plus grand bien
nécessite l ’ existence d ’ une institution sociale stable de m êm e nature. D ans le prem ier cas, la société est
et perpétuelle, telle que la société civile qui, avec son dite universelle et se suffisant à elle-m êm e pour tout
patrim oine de sciences et d ’ arts et aussi avec tous les ce qui regarde son ordre propre, de m anière qu ’ elle
m oyens m atériels que suppose le m aintien de la vie, se trouve directem ent, ou de par sa nature, indépen ­
aide puissam m ent à ce but. O r, ce développem ent dante de toute autre société, si excellente soit-elle :
des facultés intellectuelles est rendu obligatoire par c ’ est la société parjaile. D ans le second cas, la société
la loi naturelle, sinon pour chaque individu en parti ­ est dite partielle et incom plète, en sorte qu ’ elle se
culier, au m oins pour l ’ ensem ble de l ’ hum anité; car trouve directem ent ou de par sa nature, suliordonnée
D ieu ne peut avoir concédé à la nature hum aine des à une autre société supérieure, hom ogène : c ’ est la
facultés qui ne soient pas ordonnées à leur évolution société imparfaite.
norm ale: donc la société civile, qui est elle-m êm e un O r, si nous faisons l ’ application de ces principes a
m oyen indispensable pour que cette fin soit convena l’ É tat, il nous faut conclure, sans aucun doute, qu ’ il
blem ent réalisée, se Irouve égalem ent rendue obliga ­ est lui-m êm e une société parfaite et universe ’ e dans
toire et nécessaire. O r. ce que nous venons de dire des son ordre, c ’ est-à-dire dans l ’ ordre m atériel et poli ­
facultés de l ’ esprit s ’ applique pareillem ent aux fa ­ tique. C ar la fin de l ’ É tat, ainsi que nous l ’ avons vu,
cultés m orales de l ’ âm e; et l ’ éducation norm ale de la ne consiste pas seulem ent dans un bien partiel et
volonté réclam e au m êm e titre le concours de la incom plet de l ’ ordre tem porel, m ais com prend l'en ­
société civile, qui, avec son systèm e de récom penses et sem ble de tous les biens qui se rapportent à cet onire
d ’ assistance en faveur de la vertu, et son systèm e de et qui peuvent contribuer à la plénitude du bonheur
pénalités et de coercitions contre le vice et les actions tem porel. D ans cet ordre tem porel et m atériel, l ’ É tat
crim inelles contribue efficacem ent, et m ieux que ne est la plu haute raison sociale, ou l ’ unique société
saurait le faire la fam ille, à entretenir et à développer universelle, et il n ’ existe aucune autre société qui ne
dans l ’ hum anité le sentim ent m oral d ’ où dépend la per ­ lui soit rapportée com m e la partie est rapportée au
feci ion de facultés de l ’ âm e. C ’ est ce qu ’ exprim e tout.
excellem m ent le pape Léon X III dans l ’ encyclique En outre, l ’ É tat se suffit pleinem ent à lui-m êm e
Immortale Dei : « Par nature, l’ hom m e est fait pour dans son ordre propre, et il possède tous les m oyens
vivre dans la société civile. En effet, dans l ’ état d ’ isole ­ que peut exiger la réalisation de sa fin sociale. Toute
m ent, il ne peut ni se procurer les objets nécessaires fois, il convient d ’ observer que si une société parlai ’
au m aintien de son existence, ni acquérir la perfec ­ doit avoir à sa disposition tous es m oyens suffisants
tion des facultés de l ’ esprit et de celles de l ’ âm e. pour sa propre fin, « il est nécessaire qu elle possède
A ussi a-t-il été pourvu par la divine providence à actuellement, ou en fait, les m oyens seulem ent sans
ce que les hom m es fussent appelés à form er non seule ­ lesquels elle ne pourrait pas conserver son existence
m ent la société dom estique, m ais la société civile, ni atteindre sa propre fin; quant aux m oyens qui,
laquelle, seule, peut fournir les m oyens indispensables par leur nature, se rapportent à un autre ordre et à
pour consom m er la perfection de la vie présente. » la fin d ’ une société d ’ un autre genre, il suffit qu ’ elle
Enfin une troisièm e raison de la nécessité de la les possède virtuellement, ou en droit, c ’ est-à-dire
société civile se tire de la réglem entation et de la qu ’ elle puisse les requérir auprès de la société com pé ­
protection des droits des individus. C ar, pour que leurs tente, dans la m esure où ils lui sont nécessaires. ·
droits puissent s ’ exercer librem ent, sans exagération E. V alton, Droit social, p, 12 sq. A ussi bien l ’ É tat, en
et sans violence, les individus ont besoin du concours sa qualité de société parfaite, possède-t-il, en fait,
et de l ’ intervention de la société civile, dont l ’ autorité tous les m oyens m atériels et tem porels que peut exiger
suprêm e définisse les responsabilités juridiques, juge sa fin; quant aux biens de l ’ ordre spirituel et surna ­
les différends, punisse les délits et prévienne les injus ­ turel que la société religieuse ou l ’ Église tient de
tices par m ie sage réglem entation aidée d ’ un pouvoir sa m ission, l ’ É tat a égalem ent le droit d ’ en solliciter
de coercition. Cf. C avagnis, op. cit., p. 245 sq. ; Ch. A n ­ le concours dans ’ es cas nécessaires, de m êm e que
toine, Cours d'économie sociale, Paris, 1896, p. 37 sq. l ’ Église, société parfaite, peut réclam er, dans la m e ­
3. L ’ É tat est une société juridique. Q ue l ’ É tat ne sure de ses besoins, le concours m atériel de l ’ É tat.
puisse être une société purem ent am icale dont le M ais, faisons le déjà rem arquer, ce droit de l ’ É tat
principe d ’ unité et de cohésion dépende de la volonté touchant Je concours spirituel de l ’ Église -es pas
libre et spontanée des m em bres et établisse entre rigoureux et strict com m e le droit de l ’ Eglise touchant
eux un lien de sim ple fidélité, sans aucune sanction le concours m atériel de l ’ É tat : · En effet, l ’ E tat,
juridique, la chose a à peine besoin d ’ être dém ontrée. quoique société parfaite et indépendante, est d ’ un
Π est nécessaire, en effet, que le lien unissant entre ordre inférieur à celui de l ’ Église; aussi bien appar ­
eux les m em bres de la société civile soit une véritable tient-il à l ’ Église, société supérieure, de déterm iner
887 E TA T 888·

les m oyens spirituels ct surnaturels, dont elle peut pour se procurer son propre bien-être; en sorte que
prêter le concours à l ’ É tat, com m e de se prononcer toute recherche de ce bien-être est légitim e; légitim e
en dernier ressort sur l ’ opportunité ou la nécessité de aussi tout ce qui s ’ y rapporte; et c ’ est la recherche
son intervention. » E. V alton, Droit social, p. 13. du plus grand intérêt qui constitue le droit. C hacun
C ependant, l ’ indépendance de l ’ É tat, société juri ­ étant juge de son propre intérêt est juge égalem ent
dique parfaite, existe, avons-nous dit, par rapport à des m oyens de l ’ atteindre, et, les hom m es étant par
son ordre propre et pour ce qui touche sa propre fin; nature tous égaux et indépendants, le m obile d ’ intérêt
et cela seulem ent est exigé par la nature de la société est illim ité chez tous. M ais de là doit nécessairem ent
parfaite, sur laquelle, en efiet, aucune autre société, résulter un état de guerre continu. D ’ où l ’ état de
m êm e d ’ un ordre supérieur ct se rapportant à une fin nature pour l ’ hom m e est l ’ état de guerre. C ependant
plus élevée, ne saurait exercer un pouvoir direct. M ais une pareille anarchie est opposée au bien com m un.
il ne répugne pas au caractère juridique de la société D ’ où il faut à ce funeste état de nature substituer
parfaite qu ’ une autre société, d ’ un ordre essentiel­ l ’ état de société, et à l ’ état de guerre l ’ état de paix.
lem ent distinct, et se rapportant à une fin supérieure, Le seul m oyen d'établir la paix d ’ une façon durable
ne puisse exercer sur elle un pouvoir indirect, c ’ est- et sûre, c ’ est la soum ission de tous à un pouvoir
à-dire un droit qui ait sa source dans les exigences qui s ’ im pose par la force et qui est fondé sur la néces ­
m êm es de cette fin supérieure, et qui soit propor ­ sité de contenir vigoureusem ent l ’ anarchie et la vio ­
tionné à ces exigences.Aussi bien, l ’ avons-nous observé lence. C ette force supérieure contraindra les hom m es à
en analysant la fin sociale de l ’ É tat, au term e de cette vivre en paix les uns avec les autres; elle déterm inera
fin com prise dans l ’ ordre tem porel, il existe une la part de chacun; elle fondera le droit, etc. Telle est,
fin supérieure d ’ un autre ordre, qui est la fin der ­ d'après Thom as H obbes, la raison d ’ être et l ’ origine
nière, et, parallèlem ent à l ’ É tat se rencontre une du pouvoir de l ’ É tat. O n le voit, ce n ’ est pas autre
autre société parfaite, d ’ un ordre plus élevé, parce que chose que l ’ absolutism e et la légitim ation de la force
divin et spirituel, qui précisém ent a pour fin propre brutale.
la fin dernière elle-m êm e : cette autre société parfaite J.-J. R ousseau, dans son Contrat social, considère
est l ’ Église. D e là il suit que l ’ É tat, encore que société égalem ent dans l ’ hom m e un état de nature par oppo ­
parfaite et indépendante, peut se trouver obligé de se sition à un état de société; m ais cet état de nature
m ettre au service de l ’ Église, lorsque la fin de cette n ’ est pas l ’ état de guerre, c ’ est sim plem ent l ’ égalité
société supérieure et divine vient à le réclam er. et l ’ indépendance. D ’ une part, tous les hom m es nais­
Cf. E. V alton, Droit social, p. 14; Tarquini, Les prin­ sent égaux de par leur nature, libres et indépendants,
cipes du droit public de l’Église, B ruxelles, 1868, n. 41 ; et, par conséquent, nul hom m e ne peut avoir d ’ auto ­
Ferretti, Institutiones philosophise moralis, R om e, 1891, rité sur son sem blable; d ’ autre part, la paix publique,
t. ni, p. 15 sq. qui est une nécessité sociale, réclam e une autorité
11. L’ÉTAT-POU VOIE OU LE POUVOIR POLITIQUE. — publique à laquelle tous se soum ettent. Pour concilier
1° Difinition. — « Q ue dans toute société, dit le pape ces deux principes, il faut donc que l ’ autorité publique
Léon Χ ΙΠ , encyclique Diuturnum, § El si homo arro­ soit la résultante de la volonté générale de la nation
gantia, dans toute com m unauté il y ait des hom m es qui et de l ’ accord spontané de toutes les volontés, c ’ est-
com m andent, c ’ est là une nécessité, afin que la société, à-dire d ’ une convention ou d ’ un contrat; et c ’ est de
dépourvue de principe et de chef qui la dirige, ne tom be ce pacte social que le pouvoir tire toute sa force obli ­
pas en dissolution et ne se trouve pas dans l ’ im pos ­ gatoire. O r, que dire de cette théorie de R ousseau,
sibilité d ’ atteindre la fin pour laquelle elle existe. » sinon que le fait du consentem ent unanim e des ci ­
• Com m e aucune société, ajoute-t-il, encyclique Im­ toyens sur lequel elle se base est une hypothèse gra ­
mortale Dei, § Non est magni negotii, ne peut subsister tuite? E n outre, si le fait affirm é par R ousseau était
si elle ne possède un chef suprêm e, qui oriente d ’ une vrai, il ne faudrait pas de sanction aux lois; et m êm e
m anière efficace, et par des m oyens com m uns, tous les toute sanction pénale serait injuste; car elle porterait
m em bres vers le but social, voilà pourquoi l ’ autorité atteinte au droit que chacun conserve, d ’ après R ous ­
est nécessaire à la société civile, pour la diriger. » A insi seau, de refuser son obéissance ct de ne point consentir
donc l ’ É tat, en sa qualité de société parfaite, doit être au contrat social. D ’ où la théorie de R ousseau sur
arm é du pouvoir de com m ander, c ’ est-à-dire du droit l ’ origine du pouvoir civil et le principe obligatoire des
«l'im poser l ’ obligation m orale. C ar toute société juri ­ lois est à la fois fausse et contradictoire.
dique, par le fait m êm e qu ’ elle est investie de la m is ­ K ant a développé sa thèse sociale sur l ’ origine du
sion et du devoir de conduire tous les m em bres vers pouvoir dans son livre : Metaphysik der Sitten. Le
le but social et de procurer le bien com m un, doit être droit civil fondam ental pour tout citoyen est le droit
m unie de cc m oyen indispensable et de ce droit social à l'exercice externe de sa liberté; m ais pour sanction ­
qu ’ est le pouvoir public. O r, dans la société civile, le ner et garantir ce droit com m e les droits acquis qui
pouvoir public s'appelle le pouvoir politique et sou ­ s ’ y superposent, il faut un principe d ’ ordre efficace
vent aussi on le confond avec l ’ É tat lui-m êm e, qui et concret; d ’ où la constitution de la socité civile,
devient alors l ’ État-pouvoir, distinct de l ’ État-société et, en m êm e tem ps, la constitution du pouvoir civil
que nous avons analysé plus haut. s ’ im pose par une loi m orale (im pératif catégorique).
2° Origine. — C ette im portante question de l ’ ori ­ A insi donc < la constitution du pouvoir civil et poli ­
gine du pouvoir politique a reçu plusieurs solutions tique auquel tous doivent obéir se fait par la volonté
fausses, m ais ne com porte qu ’ une seule solution vraie. com m une de tout le peuple. K ant invoque com m e
1. Solutions fausses. — Ce sont ou bien les théories R ousseau cette V olonté générale, m ais pour un m otif
à la fois naturalistes et absolutistes de H obbes, différent. R ousseau la veut com m e une exigence de
de J.-J. R ousseau, de K ant, d ’ H erbert Spencer et de l ’ égalité et de l ’ indépendance naturelle des hom m es;
Savigny, ou bien la théorie du droit divin de Jac ­ K ant, com m e une exigence de la justice des lois. Les
ques I er et des gallicans, ou enfin la théorie dite « des lois, d ’ après sa théorie, ont toutes pour objet des
titres providentiels » de H aller et de B onald. prohibitions, ne faisant que protéger les libertés ex ­
a) H obbes (1588-1679) a tiré du sensism e philoso ­ ternes justes contre les em piètem ents ou les violences
phique et de l ’ utilitarism e social sa théorie de l ’ origine injustes. Cela étant, si elles sont faites pour tous, elles
du pouvoir politique, qu ’ il a exposée dans son livre : seront de fait justes, d ’ après l'adage : Scienti et volenti
Elementa philosophica de cive. Il part de cette idée non fit injuria, un acte connu et voulu par quelqu ’ un
que l ’ hom m e n ’ agit généralem ent que par intérêt et ne saurait violer son droit. » C astelein, Droit naturel,
889 ÉTAT 890

Paris, 1903, p. 749. O r, cette théorie est fausse et con ­ lativem ent, pour ces derniers, un devoir évident et
tradictoire. K ant affirm e bien que l ’ im pératif catégo­ incontestable de gouverner la société. M ais il faut
rique ou la loi m orale oblige les hom m es à constituer reconnaître que l ’ apparition de tels hom m es est un
une société et, par suite, une autorité civile, m ais, fait exceptionnel et rare, et que le principe invoque
d ’ après sa théorie, ces lois civiles ne doivent pas être par les tenants de cette école ne saurait se déduire
considérées com m e étant m orales en elles-m êm es. des lois de la providence.
11 faut quand m êm e les observer telles qu ’ elles sont 2. Solution vraie. — E n face de toutes ces théories
el its regarder com m e le principe légitim e de tous nos plus ou m oins erronées, se dresse l ’ enseignem ent tra ­
droits et de tous nos devoirs civils. C ’ est donc la théo ­ ditionnel de la philosophie chrétienne, ou la thèse
rie du despotism e absolu. E n outre, sa thèse sur la scolastique. Ses tenants sont nom breux. Π suffira de
nécessité du consentem ent pour im prim er à la loi son citer, parm i les anciens, S. Thom as, Sum . theol., I- II'.
caractère de justice n'est pas adm issible; car le con ­ q. xc, a. 3; q. xcv, a. 4; q. xcvn, a. 3; D e regimine
sentem ent de la volonté hum aine ne saurait rendre principum, 1. I, c. n; C ajetan, Comm, in Sum. theol.
juste ce qui en soi est injuste. S. Thonue, passim; B ellarm in, De summo pontifice,
La théorie de l ’ organism e social et de l ’ évolutionism e 1. I; Suarez, Defensio fidei catholicœ. 1. Ill,; De legibus,
historique n ’ est pas m oins inadm issible que les théo ­ 1. H , c. n, etc. V oici quel est le principe fondam ental
ries précédentes. « U ne hypothèse gratuite est ici de cette thèse chrétienne des origines du pouvoir :
encore le point de départ. Le corps social serait un la source de l ’ autorité civile est la volonté divine,
organism e qui aurait évolué sous l ’ im pulsion d ’ une m anifestée seulem ent dans la loi naturelle. En effet,
énergie aveugle, à l ’ im age des êtres organiques. La la société civile, étant une société nécessaire et natu ­
sauvagerie aurait été l ’ état prim itif de l ’ hom m e, et relle, tire son origine des lois naturelles elles-m êm es,
le pouvoir public tiendrait son origine de la force bru ­ ou, plus justem ent, de D ieu, auteur de la nature.
tale; m ais plus tard, grâce au progrès de la civilisa ­ O r, « une société ne peut subsister ni m êm e se conce ­
tion, l ’ autorité aurait revêtu un caractère m oral et se voir, s ’ il ne s ’ y rencontre un m odérateur pour fondre
serait adressée à la conscience, produit tardif de l ’ évolu ­ en une seule les volontés éparses et les faire converger
tion hum aine. » E. V alton, Droit social, p. 64. A insi vers un but com m un; D ieu a donc voulu qu ’ il y eût
donc, le droit, d ’ après cette école, se serait fondé par dans la société civile une autorité com m andant à la
l ’ évolution organique de la société, droit qu ’ il fau ­ m ultitude. » Léon X III, encyclique Diuturnum. A ussi
drait dégager des faits juridiques. La conséquence bien c ’ est dans la volonté de D ieu que nous devons
logique de ce systèm e est que l ’ origine du pouvoir chercher le principe prem ier du pouvoir civil et de son
ou le principe qui le légitim e est le fait m êm e de son caractère m oral. C om m e D ieu a voulu l ’ état social,
existence et de son exercice. C 'est la théorie de la qu ’ il fait découler m anifestem ent des exigences m êm es
justification du fait accom pli. Elle nous ram ène à de notre nature, il a voulu en m êm e tem ps, dans cet
la théorie brutale de H obbes, d ’ après lequel la force état social, afin de l ’ adapter aux besoins de l ’ hom m e,
crée le droit. Les principaux représentants de cette une autorité supérieure qui puisse coordonner et pro ­
école furent H erbert Spencer, qui, spécialem ent dans téger les droits privés et les libres relations particu ­
son livre : Principes de sociologie, s ’ inspira à la fois lières des citoyens entre eux. D ieu a voulu, <i une
d ’ A uguste C om te et de D arw in, unissant l'organism e m anière indivisible, et la fin de l ’ état social, el la
à l ’ évolutionism e, et Frédéric-Charles Savigny, constitution de l ’ état social nécessaire à cette fin. et
1779-1861, chef de l ’ école historique du droit, qui tend aussi l ’ autorilé sociale nécessaire à cette constitution.
à écarter les principes absolus du droit naturel pour M ais il faut observer qu ’ il n ’ est ici question que de
ne se guider que sur l ’ étude des faits. l ’ autorité en général, abstraction faite du sujet en
b) Q uant à la théorie du droit divin, ou de « la com ­ qui elle réside et de la form e spéciale qu ’ elle peut re ­
m unication im m édiate », professée par Jacques I er vêtir. « Si, en effet, nous nous plaçons sur ce terrain
et les gallicans, c ’ est D ieu qui confère lui-m êm e, par concret et particulier, il nous faut reconnaître que
un acte im m édiat de sa propre autorité, la souveraineté D ieu n ’ intervient pas par une action im m édiate et
au prince, de sorte que l ’ élection n ’ est qu ’ une sim ple exclusive; il ne donne pas directem ent l ’ investiture
désignation de la personne. A ssertion gratuite qui au pouvoir politique et il ne désigne pas lui-m êm e le
ne repose sur aucune donnée positive sérieuse. Car, de sujet du pouvoir suprêm e, ni la form e en laquelle
ce gouvernem ent théocratique et de ce droit divin celui-ci doit s ’ exercer. D e ce gouvernem ent théocra-
im m édiat, on ne peut rencontrer aucun exem ple, tique, de ce droit divin, seule, l ’histoire du peuple
sinon dans l ’ histoire du peuple d ’ Israël. d ’ Israël nous offre un exem ple. M ais D ieu laisse aux
c) Enfin, la théorie dite « des titres providentiels », causes secondes le soin de déterm iner et la form e de
tout en rejetant la thèse du droit divin im m édiat, l ’ autorité, et le sujet en qui elle réside, et le m ode de
se propose d ’ écarter l ’ intervention du consentem ent transm ission; le pouvoir hum ain, s'il dérive de D ieu,
populaire dans la constitution du pouvoir civil. se transm et et se déterm ine par le jeu naturel de l ’ acti ­
« Le titre qui opère la translation du pouvoir de sa vité hum aine. » E. V alton, Droit social, p. 66. Cf. Cas ­
form e abstraite à sa form e concrète et à un sujet telein, op. cil., p. 757 sq. ; M elchior du Lac, L ’Église
déterm iné est l ’ aptitude providentielle de ce sujet à el l’État, Paris, 1850, 1.1, p. 7 sq.
’ exercice de ce pouvoir. D ’ où il résulte pour le chef 3° Force obligatoire. — L ’ origine du pouvoir poli ­
d ’ É tat providentiel le droit d ’ exiger, m êm e par la tique est à la fois naturelle et divine, nous venons
force, l ’ obéissance en tout ce qui concerne le bien de le dém ontrer. Π suit de là que ce pouvoir porte en
com m un, objet et règle de son pouvoir. » C astelein, lui-m êm e un caractère sacré et obligatoire qui s ’ adresse
op. cil., p. 756. Le propagateur de cette théorie a aux consciences. « L ’ autorité est le principe direc ­
été H aller, dans son livre : Restauration de la science teur efficace des sociétés hum aines, et par consequent
politique, dont se sont plus ou m oins rapprochés elle doit, se conform ant à la nature de l ’hom m e, res ­
de B onald et de M aistre. O r, cette théorie repose sur pecter sa dignité suprêm e d ’ être raisonnable et fibre.
une hypothèse gratuite et plutôt contraire aux faits. Q u ’ est-ce à dire, sinon que. pour l ’ hom m e libre. la
En effet, ces écrivains supposent que la providence seule direction vraim ent efficace et qui sauvegarde
suscite dans toutes les sociétés en voie de form ation la dignité de la personne est celle de l'obligation
des hom m es supérieurs et exceptionnels, de m anière m orale s ’ exerçant par la contrainte im m atériels du
qu ’ il en résulte pour la société un droit incontestable devoir ? » Ch. A ntoine, op. cit., p. 1. Tel est, en effet,
et évident d ’ être gouvernée par ces hom m es, et, corré ­ l ’ enseignem ent de la philosophie chrétienne. CL Sua ­
891 É TA T 892

rez, De regibus, 1. III, c. xxi, n. 8; S. Thom as, Sum. D ieu... Le prince est le m inistre de D ieu... Il est
theol., 1 “ II® , q. vi, a. 4, etc. donc nécessaire de vous soum ettre non seulem ent
O r, cette doctrine est battue en brèche par plusieurs par crainte de la colère, m ais aussi par conscience. »
économ istes qui ne veulent voir dans l'autorité pu ­ R om ., xm , 1 sq. E t saint Pierre : « Soyez soum is à
blique qu ’ un pouvoir de coercition. toute institution hum aine, à cause de D ieu : soit au
Frédéric B astiat, La loi, dans Œuvres complètes, roi, com m e au souverain, soit aux gouverneurs,
t. rv, p. 343 sq., proclam e que « le droit collectif a com m e étant envoyés par lui pour châtier* les m alfai­
son principe, sa raison d ’ être, sa légitim ité dans le teurs et pour approuver les gens de bien. » I Pet., n,
droit individuel; et la force com m une ne peut avoir 13sq. H éritière de la doctrine du C hrist et des apôtres,
rationnellem ent d ’ autre but, d ’ autre m ission que les l ’ Église n ’ a jam ais cessé de consacrer par son ensei ­
forces isolées auxquelles elle se substitue... et com m e gnem ent théologique l'obligation d ’ obéir au pouvoir
chaque individu n ’ a le droit de recourir à la force que établi. « C ette obligation, elle l ’ m ipose com m e un
dans le cas de légitim e défense, la force collective, qui devoir de conscience à tous ’ es citoyens, non seulem ent
n ’ est que la réunion des forces individuelles, ne saurait aux laïcs, niais encore à ses m inistres, prêtres et évêques,
être rationnellem ent appliquée à une autre fin. » en tout ce qui n ’ est pas contraire à la liberté, à l ’ in ­
D ’ après B eudant, Le droit individuel et P État, p. 146, dépendance et à l ’honneur du sacerdoce. » E. V alton,
• l ’ E tat, c ’ est la force collective qui protège le libre Droit social, p. 60.
développem ent des facultés de chacun et qui veille à 4° Fondions générales. — Les fonctions générales de
ce que personne n ’ usurpe le droit de personne. » l ’ É tat-pouvoir com portent deux attributions princi ­
Enfin, au dire de M aurice B lock, Les progrès de la pales, à savoir : un rôle de protection et un rôle d ’ assis ­
science économique, t. i, p. 407, « l ’ É tat est la force; tance; et le droit essentiel de l ’ É tat. qu se confond ici
m ais la force n'est ni une vertu ni un vice, elle peut avec son devoir prim ordial, consiste dans un rôle
opprim er ou protéger le droit selon la direction qu ’ elle d ’ intervention ayant pour but de protéger et d'aider,
reçoit. » Q uant à Tancrède R othc, Traité de droit protéger les droits et aider les intérêts de ses m em bres.
naturel, p. 285, sans aller aussi loin que les économ istes I C ’ est qu ’ en effet le droit d'une société parfaite est
déjà m entionnés, il dénie égalem ent au pouvoir poli ­ proportionné aux exigences de sa fin particulière.
tique la vertu d ’ obliger en conscience : « L a souverai ­ « U ne société parfaite dit T arquini Principia juris
neté civile, dit-il, ne renferm e pas un pouvoir direct de I ecclesiastici, R om e, 1872, p. 5, a droit à tous les
com m ander. En plus du droit d ’ user de la contrainte I m oyens nécessaires à sa fin particulière, à condition
légitim e, elle ne renferm e que le pouvoir d'ém ettre 1 que ces m oyens n ’ appartiennent pas à un ordre supé ­
des volontés que la loi de charité sanctionne. Pour ­ rieur. » O r, la fin de la société civile, nous l ’ avons vu,
quoi, par elle-m êm e, la volonté de celui ou de ceux consiste à procurer, dans la sécurité de l'ordre, le déve ­
qui constituent la force publique obligerait-elle? Ils loppem ent physique et m oral des associés. Il appar ­
ne sont pas d'une nature différente de celle des autres tient donc au pouvoir politique de m aintenir la paix
hom m es; et rien ne prouve qu ’ ils aient reçu de D ieu la intérieure et extérieure par la protection des droits et
prérogative en question. » de contribuer, par une assistance positive, au dévelop ­
A l’ encontre de ces diverses théories, le droit chré ­ pem ent de la prospérité tem porelle de la société.
tien établit le principe de l ’ origine divine du pouvoir C ette doctrine, qui est celle de la philosophie chré ­
politique, et affirm e que l ’ autorité civile vient de D ieu tienne et de la théologie catholique, a été adnrrable-
et a son fondem ent dans la volonté du créateur, au m ent m ise en relief par Léon X III, qui, en particulier
m êm e titre que l ’ autorité du père de fam ille : car la dans 1 ncyclique Rerum novarum, explique le rôle du
société civile ou l ’ É tat se rattache, ainsi que la fam ille pouvoir politique dans la société, spécialem ent au
elle-m êm e à une origine naturelle et divine. A ussi point de vue de l ’ ordre économ ique. « Ce qu ’ on de ­
bien le pouvoir politique « revêt-il un caractère sacré; m ande d ’ abord aux gouvernants, déc ’ are le souverain
ceux qui en sont investis deviennent, pour ainsi dire, pontife, c ’ est un concours d ’ ordre général qui consiste
les représentants et les lieutenants de D ieu; et leur dans l ’ économ ie tout entière des lois et des institutions.»
autorité s ’ im pose à la conscience des sujets com m e une Ce concours général com porte, entre autres choses,
sorte de participation de l ’ autorité divine. » E. V alton, « une im pos ’ tion m odérée et une répartition équitable
Droit social, p. 67. R ésister au pouvoir légitim e de des charges publiques, le progrès de l ’ industrie
l ’ É tat, c ’ est donc, par le fait m êm e, résister à l ’ ordre et du com m erce, une agriculture florissante, et d ’ autres
établi par D ieu et à sa volonté. Cf. Ch. A ntoine, op. cit., élém ents, s ’ il en est du m êm e genre. » Plus loin, le
p. 53. pape invoque égalem ent un concours particulier de
D ’ ailleurs, ce caractère sacré du pouvoir politique l ’ É tat, en faveur des faihies et des indigents. M ais,
et cette force obligatoire, qui s ’ adresse aux consciences, que le concours de l ’ É tat soit général ou particulier,
trouvent leur justification dans la doctrine du C hrist il com prend toujours, d ’ après Léon X III, un double
et des apôtres, ainsi que dans l ’ enseignem ent théolo ­ rôle de protection et d ’ assistance. O r, il nous faut
gique de 1 Église. E n effet, le C hrist, lo n d ’ abolir dire brièvem ent en quoi consiste ce double rôle du
les titres obligatoires et, en quelque sorte, divins, du pouvoir de l ’ É tat.
pouvoir civil, est venu plutôt les prom ulguer par sa 1. Rôle de protection. — L a protection des droits
doctrine et les confirm er par ses exem ples. Il ordonne com porte non seulem ent le respect des droits, qui
de rendre à D ieu ce qui est à D ieu, m ais exige aussi par lui-m êm e est plutôt négatif, m ais encore une
qu'on donne à C ésar ce qui est à César. Lui-m êm e paie intervention positive, c ’ est-à-dire l ’ em ploi des
le tribut à C ésar; il se soum et à l ’ autorité d ’ H érode m oyens qui em pêche la violation des drots et en
et de Pilate et il va jusqu ’ à confesser que cette autorité réprim e les attaques. D ’ une m anière plus précise, la
vient d ’ en haut. M atth., xvn, 21,24; Joa., xix, il. protection des droits s ’ étend à trois objets distincts :
Les apôtres, à la suite de leur divin M aître, procla­ assurer l ’ exercice des droits au m oyen de la contrainte;
m ent que la soum ission aux em pereurs est une obli ­ déterm iner les droits par la loi: résoudre les conflits
gation de consc ence, parce que leur autorité est ’ é- des droits à l ’ aide des tribunaux. En prem ier lieu, le
gitim e et vient de D ieu. · Q ue toute personne, dit bien com m un im pose à l ’ É tat l ’ obligation indispen ­
saint Paul soit soum ise aux autorités supérieures; car sable de garantir à chacun des citoyens le libre exer­
il n ’ y a pas d ’ autorité qui ne vienne de D ’ eu, et celles cice de ses droits, car autrem ent il serait im possible
qui existent ont été instituées par D ieu. C ’ est pourquoi aux m em bres de la société de poursuivre la fin sociale,
celui qui résiste à l ’ autorité résiste à l ’ ordre établi par puisque tous leurs efforts pourraient se trouver arrêtés
893 ÉTAT

et contrecarrés. O r, cette protection des droits doit d’enseignement, dont l ’ étendue et les lim ites ont été
s ’ exercer spécialem ent en faveur des faibles, c ’ est-à- exposées à l ’ article É c o l e , t. iv, col. 2082. A u pouvoir
dire de ceux qui sont, plus que d ’ autres, dépourvus exécutif appartient la m ission de pourvoira l'application
des m oyens de revendiquer leurs droits; encore, ne des lo ! s. O r, cette application peut se réaliser .i ’ abord
faudrait-il pas exagérer ce rôle de l ’ É tat, au point de vis-à-vis des personnes elles-m êm es des citoyens dont
donner dans les abus et les exagérations du socialism e. l ’ É tat a le droit d ’ exiger, en vue du bien com m un,
E n outre, il ne suffit pas que l ’ É tat, au m oyen de la un concours proportionné à leurs talents et à leurs
contrainte, garantisse Γ exercice des droits de chacun, ressources : c ’ est le pouvoir de gouvernent nt. Le pou ­
il faut aussi que, par une législation équitable, il voir exécutif com prend, en outre,sous su άύρ· ;η· 1.· .η«.
fixe et précise l'exercice de ces droits dans les cas parti ­ les services publics qui visent l'intérêt gém ral :·. la
culiers, car, sans cela, l'ordre social serait abandonné, société et il atteint égalem ent de quelque m anière
à l ’ arbitraire et au caprice des individus. Enfin, il les biens des citoyens sur lesquels l ’ É tat peut prélever
im porte que l ’ É tat intervienne par des m oyens certains im pôts : c ’ est le pouvoir administra·!;.
judiciaires et coercitifs, afin de résoudre les conflits Enfin le pouvoir exécutif confère à l ’ É tat le droit de
qui peuvent surgir dans l ’ exercice des droits opposés form uler des sentences touchant les actes des citoyens
et de réprim er la violation délictueuse de tout droit en désaccord avec les lois : c ’ est le pouvoir judiciaire;
légitim e. et il l ’ invest t du droit de procéder à l ’exécution des
2. 7W /e d’assistance. — É tant donné que l ’ É tat jugem ents en ayant recours, si c ’ est nécessaire, aux
a pour m ission de diriger et d ’ aider la société dans peines et m êm e à la peine de m ort : c ’ est le pouvoir
la réalisation de la fin sociale, il s ’ ensuit que l ’ É tat coac'if. Cf. E. V a'ton, Droit social, p. 70 sq.
doit prom ouvoir tout ce qui se rapporte à cette fin et II. L e s r e l a t io n s j u r i d i q u e s d e l ’ É t a t . —
venir en aide aux intérêts généraux des citoyens afin L 'État se trouve en présence de trois institutions so ­
de les coordonner et de les suppléer. O r, ces intérêts ciales : la fam ille, les associations et l ’ Église. Les deux
se réfèrent principalem ent à deux ordres distincts : prem ières pénètrent son organism e et constituent,
l ’ ordre économ ique et l ’ ordre m oral. Q ue l ’ É tat doive avec les individus, les élém ents nécessaires de son
intervenir dans l ’ ordre économ ique, la chose est hoi's être social : ce que nous avons dit de l ’ origine de
de doute et est adm ise par tous les économ istes; l ’ É tat le dém ontre suffisam m ent. V oir col. 881. La
m ais tandis que certains exagèrent la portée de l ’ in ­ troisièm e institution est parallèle à l ’ É tat, dont elle
tervention de l ’ É tat en faisant consister celle-ci dans est distincte et indépendante. V oir col. 882, 886. O r. il
une com pression et un véritable étouffem ent de nous faut exposer les relations juridiques de l ’ É tat
l ’ activité privée, d ’ autres, plus justem ent, accordent avec ces diverses institutions sociales.
à l ’ É tat un sim ple rôle d ’ assistance pour aider et sti ­ 1° L ’Élal et la famille. — L ’ instinct de sociabilité
m uler l ’ initiative privée. A cette assistance générale qui existe dans l ’hom m e atteint son prem ier degré
que l ’ É tat doit prêter à tous ses m em bres dans dans une société, naturelle entre toutes, la société
l ’ ordre économ ique, se rapportent plusieurs fonc ­ dom estique ou la fam ille, autour de laquelle nous
tions spéciales, telles que de développer directe ­ voyons se grouper toutes les autres sociétés hum aines.
m ent les voies de com m unication, routes, chem ins M ais la fam ille n ’ est que le développem ent régulier
de fer, canaux; de prom ouvoir le progrès du com ­ du m ariage, de sorte que celui-ci constitue l ’ origine
m erce et de l ’ industrie à l ’ aide de conventions inter ­ de la société dom estique. La société conjugale, telle
nationales, et aussi par des m esures d ’ encouragem ent est donc la prem ière étape de la fam ille. O r. si la so ­
et de récom penses, etc. M ais tout en pourvoyant ciété conjugale résulte d ’ un contrat, puisque le m a ­
aux exigences de l ’ ordre économ ique, l ’ É tat ne doit riage se form e par le consentem ent m utuel des
point perdre de vue l ’ ordre m oral de la société; et époux, il faut noter que ledit contrat n ’ est pas en
à cet effet. l ’ É tat doit se considérer com m e investi tout sem blable aux autres contrats, m ais revêt un
de la m ission de prom ouvoir la m orale publique et caractère sacré et religieux qui le soustrait au pou ­
rie protéger la religion. Q uels sont les devoirs né ­ voir de l ’ É tat. En effet, « la fin principale du m a ­
gatifs et positifs qui, à ce titre, peuvent lier l ’ É tat riage est de donner l ’ existence à des enfants et de les
envers la religion? N ous le dirons bientôt en exam i­ conduire, à travers les m ultiples voies de l ’ éduca ­
nant les relations juridiques de l ’ É tat. Cf. encyclique tion, jusqu'à l ’ état d ’ hom m es parfaits, c'est-â-dire
Immortale Dei, § Hac ratione; encyclique Libertas, d ’ hom m es destinés à m ener une vie raisonnable et so ­
§ Mitiores aliquando; encyclique Sapientiæ, § Quod ciale et às ’ em pioyer à l ’ exécution des desseins de D ieu.
aulem; Ch. A ntoine, op. cil., p. 67 sq. C ar la perfection pour l ’hom m e consiste à orienter
5° Organisme du pouvoir politique. — L ’ É tat est tout son être vers sa fin dernière qui est D ieu, et il
une société parfaite. Son pouvoir possède donc le ne vient pas au m onde pour autre chose que pour con ­
m êm e organism e, ou, en d ’ autres term es, com prend naître, adorer et servir son créateur. > E. V alton,
les m êm es fonctions spéciales que le pouvoir public Droit social, p. 30 sq. Π ressort de là que le m ariage,
d ’ une société parfaite. O r « toute société proprem ent considéré m êm e au sim ple point de vue du droit natu ­
dite ayant pour m em bres des hom m es, c ’ est-à-dire rel, possède un caractère sacré et religieux, non point
des êtres doués d ’ une intell.gence et d ’une volonté surajouté, m ais inné, que les peuples les plus civilisés
libre, son pouvoir public doit s ’ exercer sur eux d ’ une de l ’ antiquité se sont plu à reconnaître, com m e l ’at ­
m anière conform e à leur nature raisonnable. D e là teste le pape Léon X III, dans l ’ encyclique Arcanum,
vient que tout pouvoir public com prend essentielle ­ du 10 février 1880. E n outre, ce caractère sacré du
m ent deux fonctions : ’ une, directive, qui a pour m ariage ressort bien davantage si on l'envisage dans
m ission de tracer les règles à suivre pour atteindre l ’ ordre surnaturel : « D éjà, au com m encem ent du
la fin sociale; l ’ autre, exécutive, qui consiste à pour ­ m onde, nous voyons D ieu lui-m êm e instituer le m a ­
voir à l ’ application pratique de ces règles envers riage et bénir, dans la personne de nos prem iers pa ­
chacun des m em bres de la société. » E. V alton, Droit rents, tous les époux des siècles à venir. G en-, L 27 sq-
social p. 15. Le pouvoir directif concède à l ’ É tat le D ès le principe aussi, le m ariage a été com m e un-
droit d ’ exercer sur les volontés des citoyens une action im age prophétique de l ’ incarnation du V erbe et de
efficace en instituant des lois qui les obl gent en con ­ son union m ystique avec l ’ Église. Enfin, sous le re ­
science : c ’ est le pouvoir législatif. Le pouvoir directif gim e de la loi nouvelle, le C hrist l ’ a élevé à la dignité
octroie, en outre, à l ’ É tat un certain rôle dans l ’ édu ­ de sacrem ent, en le consacrant com m e une source
cation des intelligences des citoyens : c ’ est le pouvoir efficace de grâce et de sanctification. > E. \alton,
595 ÉTAT 89G

Droil social, p. 32. Il faut donc, avec Léon X III, con­ des enfants lorsque les parents ne peuvent pas ou ne
clure que « le m ariage étant sacré par son essence, veulent pas s ’ en charger. L ’ É tat peut encore exercer
par sa nature, par lui-m êm e, doit être réglé et gou ­ sur les m oyens d ’ éducation, par exem ple, sur l ’ ensei­
verné, non point par le pouvoir des princes, m ais par gnem ent dans les écoles libres, un droit de vigilance
l ’ autorité divine de l ’ Église qui, seule, a le m agistère et d ’ inspection, afin que rien ne s ’ y passe qui soit
des choses sacrées. » Encyclique Arcanum. Toutefois, contraire à l ’ ordre public et au bien général de la so ­
si l ’ É tat ne peut exercer aucun pouvoir sur le m ariage ciété. M ais ce rôle de l ’ É tat est plutôt négatif et l ’ au ­
lui-m êm e, il a du m oins le droit de soum ettre le m a ­ torité publique ne saurait intervenir directem ent que
riage validem ent contracté aux lois qu ’ exige l ’ intérêt s ’ il se com m ettait quelque délit, ou s ’ il y avait réelle ­
public. C ’ est ainsi que l ’ É tat possède le droit de défi ­ m ent danger prochain que l ’ ordre public ne fût
nir les effets civils et de régler les conséquences so- , troublé. Il faut observer en outre que, dans les rap ­
ciales du m ariage. Il lui appartient de déterm iner ports juridiques de l ’ É tat avec la fam ille, il ne peut
par scs lois la condition sociale des époux, de leurs être question que de l ’ éducation physique et intellec ­
enfants, de la possession, de l'adm inistration et de la tuelle des enfants; car, pour· ce qui regarde l'édu ­
transm ission de leurs biens, à raison de la situation cation m orale, et surtout l ’ éducation religieuse, la
qui résulte pour eux d ’ un m ariage validem ent con ­ m ission de suppléer la fam ille, et m êm e de la diriger
tracté. Cf. J. C rozat, Des droits el des devoirs de la dans l ’ accom plissem ent de ses devoirs, est dévolue à
famille el de l’État, Paris, 1884, p. 139. une autre société parfaite, en vertu d ’ une vocation
Lorsque le m ariage a donné ses fruits, la société spéciale et d ’ un droit prédom inant : cette société est
dom estique voit son cercle s ’ étendre, et à la société l ’ Église. Pour plus de détails touchant la liberté d'en ­
conjugale vient s ’ ajouter une autre société com posée seignem ent et le droit d ’ intervention de l ’ É tat, voir
des parents et des enfants : c ’ est la société paternelle, l ’ ouvrage déjà cité, Droit social, p. 79 sq. V oir aussi
seconde et dernière étape de la fam ille. La On propre É c o l e , t. iv, coi. 2082.
de celle-ci est l ’ éducation des enfants, non seulem ent 2 ’ L'Étal et tes associations. — La fam ille, nous
physique, m ais encore intellectuelle et surtout m orale l ’ avons vu en traitant des origines de l ’ É tat, voir
et religieuse; car la société qui préside à la génération col. 881, afin d'obtenir aide et assistance dans l ’ accom ­
des enfants exige aussi que son œ uvre ne soit ni frus ­ plissem ent de sa m ission, a été poussée, par un ins ­
trée ni incom plète. O r, c ’ est la m ission spéciale de tinct naturel, à s'unir à d ’ autres fam illes. Telle a été
l ’ éducation o ’ entretenir et de développer l ’ être et la la prem ière espèce d ’ associations qui donna naissance
vie reçue jusqu ’ à ce que l ’ enfant devienne, selon le aux tribus prim itives, de la réunion desquelles sortit
m ot de saint Thom as, · un hom m e parfait, de cette un jour la société civile, universelle et indépendante
perfection qui procède de la vertu. » Sum. theol., 1 1læ ou l ’ É tat. Ces associations naturelles, quoique peut
Suppl., q. x l i , a. 1. Tel est le devoir et tel est aussi le être volontaires et libres dans leur principe, sont
droit que la nature consacre chez les parents : car tout antérieures à l ’ É tat, dont elles sont devenues plus tard
devoir a pour corrélatif un droit et l ’ un im plique es élém ents constitutifs.
essentiellem ent l ’ autre. A insi donc, les enfants relèvent C ependant, il existe une autre classe d ’ associations,
im m édiatem ent de leurs parents et « la m êm e loi natu ­ postérieures à la constitution m êm e de la société
relle qui im pose aux parents le devoir de l ’ éducation générale. Ces associations naissent de la libre initia ­
leur accorde le droit de disposer de leurs enfants, tive des individus qui, obéissant à leur instinct de so ­
c ’ est-à-dire le pouvoir de les diriger, de les obliger, ciabilité, et afin de pourvoir à des exigences particu ­
et au besoin de les corriger jusqu ’ à ce qu ’ ils soient lières que l ’ autorité publique ne peut pas toujours
parvenus à l ’ âge d ’ hom m es parfaits. » E. V alton, satisfaire, s ’ unissent entre eux pour se prêter assis ­
Droil social. p. 38. tance et concours m utuel. Ces associations libres se
Ces principes généraux doivent déjà nous fixer sur form ent donc en dehors de l ’ intervention de l ’ autorité
les rapports juridiques de l ’ É tat avec la fam ille. En publique et elles jouissent d ’ une organisation propre,
effet, la fam ille, étant une société nécessaire et natu ­ quoiqu'elles doivent rester unies à la société générale,
relle antérieure à la société civile, possède à l ’ égard de dont elles aident, loin de la contrarier, la fin et la
l ’ É tat des droits inaliénables qui ne sauraient être m ission. Elles sont aussi variées que Je but particu ­
m éconnus ou violés sans que soient atteints en lier qu'elles poursuivent, et c ’ est ainsique, dans l ’ É tat,
m êm e tem ps les principes essentiels de la loi naturelle. apparaissent les sociétés com m erciales, industrielles,
O r, com m e la m ission spéciale de la fam ille se réfère les associations ouvrières, les m utualités et syndicats
à l ’ éducation des enfants et que c ’est de là qu ’ elle de toute sorte, les sociétés scientifiques, littéraires,
lire sa raison d ’ être, la question des rapports juri ­ artistiques, etc.
diques de l ’ É tat avec la fam ille se précise de cette ■ Enfin une troisièm e espèce d ’ associations est con­
m anière : quels droits l ’ É tat a-t-il le devoir de respec ­ stituée par l ’ action directe et im m édiate du pouvoir
ter et de protéger dans la fam ille touchant l ’ éducation publie : ce sont ces sociétés inférieures et subordonnées
des enfants? M ais l ’ éducation des enfants doit être à que constitue l ’ autorité publique com m e rouages de
la fois physique, intellectuelle, m orale et religieuse, et, gouvernem ent de la société générale; elles jouissent
à ces divers points de vue, la fam ille a été investie par d ’ une circonscription territoriale déterm inée et sont
D ieu et la nature d ’ une m ission spéciale et sacrée. Il soum ises à des autorités subalternes qui relèvent
suit de là que le prem ier devoir de l ’ É tat consiste à directem ent du pouvoir public. C ’ est ainsi que, dans
ne pas s ’ opposer à ce droit im prescriptible des parents l ’ É tat, existent les provinces, les départem ents, les
et à ne pas se substituer à eux, contre leur gré, dans districts, les m unicipalités, etc.
cette œ uvre de l ’ éducation de leurs enfants; en O r, quels sont les rapports juridiques entre l ’ É tat
d ’ autres term es, la « liberté de l ’ éducation ». tel est le et les associations? La question ne souffre aucune
prem ier droit que l ’ É tat a le devoir de respecter dans difficulté s ’ il s ’ agit de la troisièm e classe d'associa ­
la fam ille. C ependant, la nature im pose à l ’ É tat un tions qui, étant purem ent adm inistratives et gouver ­
second devoir : celui d ’ assister et, au besoin, de sup ­ nem entales, reçoivent leur organisation de l ’ autortè
pléer la fam ille dans l ’ accom plissem ent de cette m is ­ publique elle-m êm e, dont elles sont de sim ples rouages,
sion de l ’ éducation des enfants: en effet,l ’ É tat ayant Il est certain, en effet, que ces sociétés secondaires
pour raison d ’ être de prêter son assistance et son con ­ dépendant absolum ent du pouvoir de l ’ É tat qui les
cours aux fam illes dont les m oyens se trouvent par ­ a constituées. Q uant aux associations ou tribus prim i
fois insuffisants, il doit se préoccuper de l ’ éducation lives qui donnèrent naissance à l ’ É tat, il n ’ y a pas lieu
897 ETAT 89β

de s ’ y arrêter longtem ps, puisque la plupart se fusion ­ O u bien, ils ont pour base la constitution e: la · ·
nèrent dans le grand corps politique de la société civile. des deux sociétés, en dehors de toute conventio:
Toutefois, la « com m une », que l ’ on peut considérer dentelle : on peut les appeler rapports na ■ ■■ .
com m e un élém ent prim ordial de l ’ É tat, lui survécut, bien ils découlent de certains contrats, qui inter ­
après l ’ avoir précédé. Elle naquit spontaném ent du viennent à titre d ’ accord et de règlem ent <■ <
gouvernem ent que se donnèrent les fam illes parlant litigieuses entre les deux puissances, c ’ est-.· -
la m êm e langue, ayant des intérêts com m uns et concordats : ce sont les rapports concordalair. .P our
surtout un territoire collectif. O n sait quel a été le ces derniers, voir C o n c o r d a t s , t. ni, col. 727.
rôle prédom inant de la com m une au m oyen âge, dont aux rapports de la prem ière espèce, qui sont, a - -
le régim e dém ocratique fut le principe d ’ une si grande prem ent parler, des rapports de principes, nous . ■·
prospérité. Cf. Janssen, Histoire du peuple allemand, contenterons de les esquisser, le sujet ayant été -
t. i; V . de Laveleye, Le gouvernement dans la démo­ m ent déjà abordé. V oir É g l i s e , col. 2210-222 .
cratie, t. i, 1. II, c. x, xi ; Ch. A ntoine, op. cil., N ous considérerons l ’ Église et i’Élai catholique.
p. 98 sq. Le droit m oderne, avec la R évolution de nous établirons entre eux les rapports juridiques q .:
1789, abolit l ’ autonom ie de la com m une, dont il ne correspondent à la thèse du droit chrétien, re<er. .
subsiste plus guère aujourd ’ hui que de lointains ves ­ seulem ent quelques m ots, pour finir, touchant .
tiges. C ependant, l ’ autonom ie com m unale sem ble question de fait ou l ’ hypothèse d ’ un É tat non catho ­
s ’ appuyer sur des principes de droit naturel que lique en face des droits de l ’ Église.
l ’ E tat devrait respecter, soucieux en cela de l ’ intérêt Si nous com parons l ’ une avec l ’ autre les deux so ­
général de la société qui s ’ accom m odera toujours d ’ un ciétés, nous voyons que le droit chrétien établit entre
régim e de décentralisation et d ’ organisation sociale elles trois espèces de relations juridiques constitu ­
libre et dém ocratique. tionnelles : tout d ’ abord, une relation de distinction
M ais il nous faut prêter une attention spéciale aux et d’indépendance respective, car les deux sociétés ont
rapports juridiques entre l ’ É tat et les associations une m ission différente et elles sont indépendantes,
libres qui, postérieurem ent à la form ation de la société chacune dans sa sphère particulière; ensuite, une rela ­
civile, se constituent grâce à l ’ initiative des citoyens tion d’inégalité et de subordination, car l ’ une des so ­
et en dehors de toute intervention de l ’ autorité pu ­ ciétés, l ’ Église, jouit d ’ une préém inence juridique
blique. O r ces associations doivent pouvoir se form er vis-à-vis de l'autre. l ’ É tat, qui se trouve lui être in : -
et s ’ organiser librem ent sans qu ’ une autorisation spé ­ rectem ent subordonné; enfin, une relation d ’ union
ciale de l ’ É tat soit nécessaire, à condition seulem ent et de concorde,.car il appert qu ’ en raison m êm e de leur
qu ’ elles poursuivent une fin honnête par des m oyens coexistence sociale, l ’ Église et l ’ É tat doivent se con ­
licites. Ce principe de la » liberté d ’ association » se naître et s ’ assister m utuellem ent.
trouve justifié par ce que nous avons dit de la m ission 1. Relation de distinction et d'indépendance. — En
de l ’ É tat, qui n ’ est pas de neutraliser et d'absorber prem ier lieu, existe entre les deux sociétés, civile
l ’ activité sociale des citoyens, ses m em bres, m ais, au religieuse, un rapport juridique de distinction. Eu
contraire, de la laisser s ’ épancher, lorsqu ’ elle se suffit effet, les deux puissances se distinguent l ’ un· ,
à elle-m êm e, et de l ’ aider, de la suppléer, lorsqu ’ elle l ’ autre par leur origine. Toutes deux, il est vrai,
est insuffisante. L ’ É tat n ’ a pas le droit de tout faire par peuvent se réclam er d ’ une origine divine, m ais tandi»
lui-m êm e, m ais il doit respecter l ’ ordre social et lais ­ que l ’ une, l ’ É tat, ne se rattache à une institution
ser faire, lorsque Finit’ ative privée, individuelle ou vine que par l ’ interm édiaire des principes naturels
collective, est suffisante, se bornant lui-m êm e à une dont l ’ auteur et l ’ inspirateur est D ieu lui-m êm e,
action directrice, toutes les fois qu ’ une intervention l ’ autre, l ’ Église, a été fondée im m édiatem ent par
particulière n ’ est pas nécessaire. C ar l ’ É tat peut, à D ieu, auteur de l ’ ordre surnaturel.
son tour, exercer sur les associations libres un droit U ne autre distinction procède en outre de la consti­
d ’ inspection et de vigilance, prêt à intervenir si le bien tution des deux sociétés. L ’ Église tient sa constitution
com m un exige une lim itation de leur liberté; m ais il sociale de D ieu m êm e, qui a fixé la form e et l ’ orga ­
ne. lui est pas perm is de se livrer à cette ingérence di­ nisation de ses pouvoirs; la société civile, au con­
recte et positive qu ’ autant que les associations, dans traire, n ’ a pas de constitution absolum ent définie,
le but qu ’ elles poursuivent ou dans les m oyens m ais la form e du gouvernem ent et les conditions de ia
qu ’ elles em ploient, se m ettent en opposition avec le souveraineté sont laissées à la libre disposition des
bien général de la société ou avec l ’ ordre public. hom m es. C ’ est pourquoi, tandis que l ’ Église est une
Cf. Ch. A ntoine, op. cit., p. 81 ; E. V alton, Droit social, société universelle, une et im m uable, l ’ É tat, lui. uorte
p. 88. le caractère du particularism e, il est m ultiple et il es
3° L ’Étal el l’Église. — E n présence de l ’ É tat, so ­ soum is au changem ent. M ais où la distinction entre
ciété parfaite, existe une troisièm e institution so ­ l ’ Église et l ’ É tat est la plus m arquée, c ’est à propos de
ciale, égalem ent société parfaite, qui est l ’ Église. Ces leur fin spéciale et de l ’ objet de leur com pétence
deux sociétés, quoiqu ’ elles possèdent chacune leur propre. L ’ Église est chargée de continuer dans le
existence propre, sont unies cependant par une cer ­ m onde l'œ uvre de la rédem ption et elle a pour but
taine coexistence sociale, de m anière qu ’ elles sont direct le bien spirituel et surnaturel, la sanctification
nécessairem ent appelées à avoir entre elles des rap ­ et la fin dernière du genre hum ain. A insi donc, sa
ports juridiques. « En effet, l ’ Église et l ’ É tat doivent com pétence propre s ’ étend d ’ abord aux choses spiri­
rem plir leur m ission envers un m êm e sujet, qui est tuelles, aux choses sacrées et surnaturelles en elles-
l ’ hom m e; et le but que poursuivent, chacune dans m êm es, par exem ple, la grâce, les sacrem ents, etc.;
leur ordre, les deux sociétés, n'est autre que le bonheur m ais elle em brasse, en outre, les choses qui. quoique
et la perfection du m êm e individu, à la fois m em bre tem porelles de leur nature, ont une destination sacrée
de l ’ É tat et de l ’ Église : ici, dans l ’ Église, c ’ est son et spirituelle, par exem ple, les tem ples, les cim e ­
bonheur surnaturel et éternel; là, dans l ’ É tat, c ’ est son tières, etc. L ’ É tat, de son côté, poursuit directem ent
bonheur tem porel. A ussi bien la logique am ène-t-elle le bien naturel et tem porel des hom m es, le bien-être
nécessairem ent l ’ Église et l ’ É tat en présence l ’ une de m atériel des citoyens. C ’ est pourquoi sa cetnpeterK c
l ’ autre; et entre ces deux sociétés existent des rap ­ propre regarde les choses tem porelles, c ’est-à-dire les
ports qui donnent naissance à des droits et à des choses de nature m atérielle ou im m atérielle qui soc 7
devoirs réciproques. » E. V alton, Droit social, p. 154. destinés à procurer le bonheur de la vie présente
O r, ces rapports juridiques sont de deux espèces. com m e sont les richesses, les sciences, les arts pro
D IC T . D E T H ÉO L . C A T H O L . V . — 29
89b É TA T 900

fanes, etc. Ces principes touchant la distinction ct la et l ’ É tat ne sont pas des sociétés équivalentes, m ais
délim itation des pouvoirs, Léon X III les a adm ira ­ la prem ière occupe un rang supérieur au second dans
blem ent résum és dans l ’ encyclique Immortale Dei : l ’ échelle de la vie sociale. C ar des sociétés sont tou ­
« D ieu a réparti entre le pouvoir ecclésiastique et le jours entre elles dans le m êm e rapport que leurs fins
pouvoir civil le soin de pourvoir au bien du genre respectives : or, la fin propre de l ’ Église se trouve être
hum ain. Il a préposé le prem ier aux choses divines et la plus élevée de toutes en dignité, et la plus néces ­
le second aux choses hum aines. C hacun d ’ eux dans son saire, puisque c ’ est la fin dernière elle-m êm e. Il suit
genre est souverain; chacun d ’ eux est renferm é dans donc de là que la société religieuse jouit d'une préém i­
des lim ites parfaitem ent déterm inées ct tracées en con ­ nence de dignité vis-à-vis de la société civile. M ais
form ité exacte avec sa nature et son principe; chacun faut-il en conclure qu ’ entre les deux sociétés existe,
d ’ eux est donc circonscrit dans une sphère où il peut en outre, une relation de subordination et que la
se m ouvoir et agir en vertu des droits qui lui sont préém inence de la puissance spirituelle vis-à-vis de la
propres. A insi tout ce qui, dans les affaires hum aines, puissance civile doive égalem ent s ’ entendre d ’ une
à un titre ou à un autre, concerne la religion, tout ce préém inence d ’ autorité? C 'est, on le voit, la question
qui touche au salut des âm es et au service de D ieu, la plus délicate des rapports de l ’ Église et de l ’ É tat,
soit par son essence, soit par ses rapports avec le prin ­ celle de la subordination directe ou du pouvoir direct
cipe d ’ où il dépend, tout cela est du ressort de l ’ auto ­ et de la subordination indirecte ou du pouvoir indi­
rité de l ’ Église. Q uant aux autres choses qui con ­ rect. Il nous faut d ’abord en définir les term es : · U ne
stituent le dom aine civil ct politique, il est dans l ’ ordre société com plète peut être, dans le m êm e ordre, com ­
qu ’ elles soient soum ises à l ’ autorité civile, puisque posée de plusieurs sociétés plus petites qui pour ­
Jésus-C hrist a ordonné de rendre à C ésar ce qui est à suivent soit le m êm e but social qu ’ elle, par exem ple,
C ésar et à D ieu ce qui est à D ieu, a dans l ’ É tat, les départem ents et les com m unes, dans
M ais les deux sociétés, spirituelle et tem porelle, ne l ’ Église, les diocèses et les paroisses; soit une fin plus
sont pas seulem ent distinctes, elles sont égalem ent spéciale, m ais com prise dans la fin générale de la
souveraines et indépendantes dans leur sphère parti ­ grande société, par exem ple, dans l ’ É tat, les sociétés
culière. « Par souveraineté ou indépendance, il faut du com m erce, de l ’ industrie, des arts, etc., dans
entendre la liberté réciproque, c ’ est-à-dire la non- l ’ Église, les congrégations religieuses, les confré ­
sujétion, la non-subordination d ’ un pouvoir à l ’ autre, ries, etc. Toutes ces sociétés secondaires ne peuvent se
pour tout ce qui regarde leur ordre propre ou leur suffire à elles-m êm es sans le secours de la société supé ­
sphère particulière. L ’ ordre propre des sociétés est rieure, dont elles dépendent en raison m êm e de leur
déterm iné par la fin spéciale qu ’ elles poursuivent et il nature et par rapport à leur propre fin. V oilà ce que
em brasse l ’ ensem ble des m oyens qui sont en rapport nous appelons subordination directe. D eux sociétés,
avec cette fin. a E. V allon, Droit social, p. 160 sq. A ussi m êm e parfaites, peuvent poursuivre respectivem ent
bien l ’ Église est-elle indépendante vis-à-vis de l ’ É tat deux fins qui, quoique réellem ent distinctes et com ­
dans les m atières spirituelles, c ’ est-à-dire pour tout plètes dans leur genre, se rattachent cependant l ’ une
ce qui a trait à la foi, à la m orale, aux sacrem ents, à à l ’ autre par un lien de subordination. A ussi bien
la discipline ecclésiastique, etc. A son tour, l ’ É tat est chacune des deux sociétés recherche-t-elle son but
indépendant vis-à-vis de l ’ Église dans toutes les choses spécial, en jouissant de sa souveraineté et de son indé ­
qui se rapportent à sa propre fin, c ’ est-à-dire à la fin pendance dans sa sphère individuelle. M ais cette indé ­
tem porelle, par exem ple, pour ce qui regarde l ’ orga ­ pendance n ’ est pas absolue pour la société, m êm e
nisation du pouvoir politique, législatif, judiciaire et parfaite, dont la fin est d ’ ordre inférieur, car elle doit
exécutif, les relations politiques ent re le chef de l ’ É tat régler son action de m anière à ne pas contrarier la fin
ct ses sujets, le com m erce, l ’ industrie, la paix, la supérieure de l ’ autre société et elle est m êm e obligée,
guerre, etc. dans les cas nécessaires, de prêter à celle-ci son con ­
Les deux sociétés étant indépendantes dans leur cours. V oilà ce qu ’ il faut entendre par subordination
dom aine propre, il suit de là que chacune est, dans ce indirecte. » E. V alton, Droit social, p. 168 sq.
m êm e dom aine, juge souverain de ses actions et de Ces notions bien établies, nous disons, en prem ier
l'opportunité des circonstances. S ’ il arrive donc que lieu, que l ’ Église et l ’ É tat ne sauraient être m is sur un
l ’ une des puissances dépasse les lim ites de sa sphère pied d ’ égalité juridique, m ais que l ’ une des deux puis ­
particulière et em piète sur les droits de l ’ autre, celle-ci sances — et des rem arques précédentes il appert que
a la faculté de pourvoir à sa propre défense. C epen ­ c ’ est la puissance civile — doit être de quelque m a ­
dant, ce droit de légitim e défense ne s ’ étend pas jus ­ nière unie à l ’ autre par un lien de subordination. A u ­
qu ’ à conférer à la puissance opprim ée le droit de trem ent, c ’ en serait fait de l ’ harm onie entre les deux
s ’ attribuer les prérogatives de pouvoir oppresseur. pouvoirs, et les conflits de droits et de juridictions
En outre, si le droit de légitim e défense com prend resteraient sans issue. Les tenants du droit m oderne
égalem ent le jus cavendi, c ’ est-à-dire le droit de veiller l ’ ont si bien com pris qu ’ ils se sont réfugiés dans la
à ce que les abus ne se com m ettent pas, il ne s'ensuit thèse erronée de la suprém atie du pouvoir civil. A insi
pas qu ’ il soit perm is de faire usage de ce droit par donc il existe entre l ’ Église et l ’ É tat un rapport d ’ iné ­
mode de prévention, m êm e lorsque les abus n ’ appa ­ galité juridique, savoir, de préém inence, du côté de
raissent point, car ce serait provoquer le désordre et l ’ Église, et de subordination, du côté de l ’ É tat.
la confusion des deux pouvoirs. Cf. M oulart, L'Église M ais de quelle nature est cette subordination?
et l’État, Louvain, 1879, p. 403. C ’est pourquoi le Est-elle directe ou indirecte? En d ’ autres term es, la
regium placet, le placet, ou exequatur royal, « appro ­ préém inence d ’ autorité dont l ’ Église est investie à
bation préalable, par l ’ autorité civile, des décisions l ’ égard de l ’ É tat com porte-t-elle un pouvoir direct
ecclésiastiques, sous prétexte de prévenir jusqu ’ à la ou sim plem ent un pouvoir indirect? N ous ne nous
possibilité de l ’ abus de la part du pouvoir spirituel, » arrêterons pas longtem ps au pouvoir direct, qui eut
est une atteinte directe à l ’ indépendance de l ’ Église, autrefois quelques défenseurs parm i certains théolo ­
société parfaite; et, à juste titre,l’ Église a plusieurs giens attribuant à l ’ Église une véritable suprém atie
fois prononcé sa condam nation. V oir const. De Eccle­ dans le gouvernem ent de la société civile. D ’ après
sia, c. m , du concile du V atican; prop. 20, 28 et 41 du cette opinion qui, paraît-il, fut enseignée la prem ière
Syllabus; const. Aposlolicæ sedis, § 1, η. 7. Cf. E. V al- fois par Jean de Salisbury, évêque de C hartres, les
ton, Droit social, p. 163 sq. princes séculiers seraient de sim ples délégués de
2. Relation d’inégalité et de subordination. — L ’ Église l ’ Église, et il appartiendrait au pape de leur conférer
901 ÉTAT 902
directem ent l ’ autorité, pouvant égalem ent la leur reti ­ V oir la lettre du cardinal A ntonelli, du 19 m ars 187· .· .
rer s ’ ils en usaient contre le plan divin. Il est inutile et les encycliques du pape Léon X III. par exvm p.e.
de dém ontrer que cette théorie, qui ne fut jam ais l ’ encyclique Sapientiæ christianæ, du 10 janvier 189>?.
l ’ expression du droit chrétien, est en opposition avec l ’ encyclique Au milieu des sollicitudes, du 16 février
les principes déjà exposés touchant l ’ indépendance 1892, etc.
respective des deux pouvons; et entre l ’ Église et C ependant, quoi qu ’ il en soit des diverses interpré ­
l ’ É tat, sociétés parfaites, une subordination directe tations qu ’ on puisse donner du pouvoir indirect, en
est im possible, attendu qu ’ elles n ’ appartiennent pas tant qu ’ il signifie, de la part de l ’ Église, un certain
au m êm e ordre et que leur fin propre est d ’ un genre droit d ’ intervention dans les affaires tem porelles de
tout distinct. l ’ É tat, on ne peut nier l ’ existence de ce droit ni l'im ­
L ’ autre systèm e, celui du pouvoir indirect, com pte, portance des devoirs de justice qu ’ en retour il in::· · .se
au contraire, de nom breux défenseurs, quoique à l ’ É tat. « O r, ces devoirs de justice, qui découlent du
l ’ Église n'ait jam ais porté de définition dogm atique principe de la subordination indirecte de l ’ É tat par
sur cette question et n ’ ait condam né à ce propos rapport à l ’ Église, ont un caractère à la fois necat if et
aucune opinion. C ’ est pourquoi le cham p de la discus ­ positif. En effet, ils exigent de l ’ É tat. non seulem ent
sion reste ouvert; et très diverses ont été les interpré ­ qu ’ il s ’ abstienne, dans l ’ exercice de ses pouvoirs
tations touchant la nature et l ’ étendue de ce pouvoir directif et exécutif, de gêner en quoi que ce soit la m is ­
indirect. V oici d ’ abord com m ent une prem ière opi ­ sion et les libertés de l ’ Église, m ais encore qu ’ il se
nion, qui se réclam e de B ellarm in, De regimine princi- m ette au service de l ’ Église et lui prête le concours
pum, I. I, c. xv, justifie la portée du pouvoir indirect. de son autorité et de ses ressources m atérielles, chaque
V oir t. n, coi. 591-593. L ’ Église, sans doute, n ’ a reçu fois que la lin de cette société supérieure et divine
de pouvoir direct et im m édiat que sur les choses qui vient à le réclam er. » E. V alton, Droit social, p. 181.
concernent la religion et le bien spirituel des âm es; D es principes exposés jusqu ’ ici ressort l ’ injustice de
m aisce pou voir renferm e indirectem ent, c'est-à-dire par ce qu ’ on a dénom m é appel comme d'abus ou recours
voie de conséquence, le droit de régler les affaires tem ­ en cas d’abus, c ’ est-à-dire « un recours contre les em ­
porelles de l’ É tat, si l ’ intérêt de la religion et le bien piétem ents de la puissance ecclésiastique sur les droits
des âm es viennent à le réclam er. En dehors de ce cas, de la puissance, civile » car, tout appel devant néces ­
toute intervention directe de l ’ Église dans les choses sairem ent procéder d ’ un tribunal inférieur à un tri ­
de l ’ ordre civil ct politique serait entachée de nullité; bunal supérieur, c ’ est précisém ent l ’envers qui se
ce en quoi les tenants de cette opinion se distinguent produit dans l ’ appel com m e d ’ abus, puisque l ’ Église-
des partisans du pouvoir direct. Toutefois, cette est une société juridiquem ent supérieure à l ’ Étui et
théorie, qui part d ’ un principe juste, savoir, de la que celui-ci lui est indirectem ent subordonné. C 'est
subordination des fins respectives des deux pouvoirs, donc avec raison que cette erreur de droit public a
sem ble aboutir à des conclusions exagérées touchant été condam née par le Syllabus, prop. 41, et q lie
la nature de l ’ intervention de l ’ Église dans les affaires peut m êm e entraîner avec elle une censure d ’excom ­
tem porelles de l ’ É tat. A ussi bien une autre opinion m unication spécialem ent réservée au souverain pon ­
sem ble-t-elle préférable, celle qui fait consister le rôle tife, com m e on peut le voir dans la constitution Apo­
d ’ intervention de l ’ Église, en vertu du pouvoir indi ­ stolicæ Sedis, § 1, n. 6, 7. Cf. E. V alton, Droit social
rect, dans une sim ple action m orale sur la conscience p. 182 sq.
des chefs de gouvernem ent et sur celle du peuple 3. Relation d’union et de concorde. — Les deux so ­
chrétien. « Ce pouvoir ne serait donc pas autre chose ciétés, civile et ecclésiastique, sont,en raison de leur
que le droit d ’ éclairer et de diriger les consciences par origine et leur fin, destinées à vivre dans des rapports
rapport aux choses tem porelles où les intérêts de la d ’ union et de concorde : venant du m êm e auteur, qui
religion se trouvent engagés, de définir, proclam er et est D ieu, c ’ est-à-dire ordre, sagesse et paix, elles
intim er les règles de la justice sociale, et de rappeler tendent en définitive au m êm e but, qui est le bonheur
à tous, princes et nations, les devoirs que la loi divine de l ’ hom m e. A ussi bien ne peuvent-elles s ’ ignorer
leur im pose. » E. V alton, Droit social, p. 176. C ette l ’ une l ’ autre, et, ne pouvant vivre dans une hostilité
opinion paraît concilier fort bien deux thèses, qui, qui leur serait profondém ent préjudiciable, elles
dans la présente question, doivent rester toujours doivent se résoudre à s ’ entendre m utueuem ei A jou ­
unies : d ’ une part, la thèse de la distinction et de tons à cela que l ’ É tat est naturellem ent lié envers
l ’ indépendance respective des deux pouvoirs, dans D ieu et la religion par des devoirs im prescriptibles et
leur sphère particulière, et, d ’ autre part, la thèse de qu ’ il se doit à lui-m êm e, autant qu ’ à ses propres sujets,
la subordination de la puissance tem porelle à la puis ­ de ne pas vivre dans l ’ athéism e, m ais de prêter à la
sance spirituelle. E n effet, d ’ après ce systèm e, l ’ Église, religion sa bienveillance et son concours. O r, l ’ Église
en vertu de sa préém inence juridique est véritable ­ seule a été officiellem ent chargée par D ieu de person ­
m ent investie d ’ un pouvoir d ’ autorité vis-à-vis de nifier ici-bas la religion avec une organisation sociale
l ’ É tat, d ’ où cette théorie se distingue nettem ent de parfaite et indépendante. C ’ est donc avec l ’ Église que
l ’ erreur des gallicans, m ais ce pouvoir reste pure ­ doit se consom m er cette alliance de la part du pou ­
m ent spirituel : « Il a pour but direct une chose spiri­ voir civil.
tuelle, la m oralité des actes, leur conform ité avec la C ette alliance des deux pouvoirs, conform ém ent
religion; m ais, par cela m êm e, il atteint aussi, quoique aux principes du droit chrétien, com porte un double
indirectement, les choses tem porelles qui relèvent de rôle, un rôle négatif et un rôle positif. Le rôle négatif
cette m oralité. » M oulart op.cit., p. 181. Les tenants de réclam e qu ’ aucune des deux sociétés ne fasse rien qui
celte opinion sont nom breux : on peut citer le jésuite puisse porter atteinte aux droits de l ’ autre. « A insi
Jean-Antoine B ianchi; R oncagiia, Animadversiones in l ’ Église évite d ’ affaiblir l ’ autorité des chefs de gouver ­
hist, eccles. Natalis Alexandri, sæc. xi, dissert. II;. nem ent vis-à-vis de leurs sujets et de se m êler des
le cardinal G ousset, Théologie dogmatique, part. II, affaires purem ent politiques. D e son côté, l ’ É tat s'abs ­
n. 1202 sq.; G orini. Défense de l’Église, Lyon, 1866, tient de m ettre sa législation et ses actes en opposi ­
L m , p. 267 sq.; Phillips, Du droit ecclésiastique dans tion avec les lois de D ieu et de l ’Église, com m e aussi
ses principes généraux, Paris, 1850, t. n, p. 444, etc. de s ’ im m iscer dans les choses de la religion et de
En outre, le langage, autant que la conduite pratique l ’ ordre spirituel. · E. V alton, Droit social. ρ. 1Λ .
du Saint-Siège en ces derniers tem ps, parait ajouter Toutefois, ce rôle négatif ne suffit pas; il faut, en outre,
du creuit à cette interprétation du pouvoir indirect. que les deux sociétés se prêtent ur conc urs positif.
903 ÉTAT 904

« D e cette m anière, l ’ Église accorde à l ’ É tat le secours négation de la divinité et de tout ce qui s ’ y rapporte ;
de ses prières, afin d ’ attirer sur lui les bénédictions du elle im plique l ’ hostilité... U ne société où l ’ É tat et la
ciel, l ’ appui de son autorité et de son influence m o ­ religion sont en lutte ne peut être qu ’ une société pro ­
rale, pour m aintenir l ’ ordre et la paix parm i le peuple, fondém ent troublée; d ’ autre part, une société où la
et m êm e une certaine participation m atérielle dans les religion et l ’ É tat prétendent s ’ ignorer m utuellem ent
cas urgents, com m e preuve de son désintéressem ent est presque une société im possible... C om m ent l ’ É tat
et de sa charité. A son tour, l ’ É tat assure la protec ­ pourrait-il être indifférent à l ’ égard de la religion,
tion égale à l ’ Église, à la liberté de son m inistère et à des cultes et de D ieu m êm e? C om m ent surtout pré ­
l ’ exercice de tous ses droits; il lui prête, au besoin, tendrait-il se cantonner dans une sorte de positivism e
l ’ appui de sa force m atérielle, pour suppléer à l ’ ineffi ­ qui lui perm ettrait d ’ ignorer qu ’ il existe parm i les ci ­
cacité des peines spirituelles, ou pour réprim er tout toyens certaines croyances ardentes, précises et col ­
acte d ’ hostilité contre elle; il pourvoit à ses nécessités lectives sur l ’ origine, les devoirs et la fin de l'hom m e?
extérieures, à l ’ entretien de son culte et de ses m i ­ Par un m iracle d ’ abstraction, de contention d ’ esprit,
nistres, lorsque les revenus des biens ecclésiastiques de surveillance de toutes ses paroles et tous ses actes,
viennent à être insuffisants; enfin, il s ’ efforce de favo ­ un sim ple particulier peut à peine arriver à pratiquer
riser le progrès de la religion et de m ettre sa légis ­ ce positivism e dans toute sa rigueur; un É tat ne le
lation en harm onie avec les lois de l ’ Église, aux ­ peut pas. A chaque instant il rencontre le problèm e
quelles il peut encore apporter, s ’ il en est requis, le religieux; il est obligé de com pter avec lui. » E t c ’ est
concours de son autorité. » E. V alton, Droit social, pourcpioi Pie X a réprouvé et condam né les lois qui
p. 186 sq. ont établi la séparation de l ’ Église et de l ’ É tat en
M ais nous devons faire quelques observations par ­ France et en Portugal. Pour la France voir l ’ en ­
ticulières touchant les matières mixtes à propos des ­ cyclique Vehementer nos, du 11 février 1906, D cnzin-
quelles surtout il im porte de voir se réaliser l ’ union ger-Bannw art, n. 1995, et pour le Portugal, voir
et la concorde entre les deux pouvoirs, civil et ecclé ­ l ’ encyclique Jamdudum in Lusitania, du 24 m ai 1911,
siastique. O n appelle proprem ent m atières m ixtes les dans Acta apostolicœ sedis, t. ni, p. 217-224.
choses sur lesquelles les deux sociétés, l ’ Église et C ependant, si on se place sur le terrain de l’hypo­
l ’ É tat, peuvent exercer concurrem m ent un droit de thèse, c ’ est-à-dire au m ilieu de circonstances spéciales,
juridiction, parce qu ’ elles intéressent directem ent telles qu ’ elles peuvent résulter d ’ une situation de fait
aussi bien la fin spirituelle que la fin tem porelle. O r, créée par un Étal non catholique, il ne convient pas
parm i les choses m ixtes, il faut distinguer, d ’ abord, de condam ner absolum ent le régim e de séparation
celles qui n ’ ont pas été élevées à l ’ ordre surnaturel, en vertu duquel l ’ É tat s ’ abstient de donner à l ’ Église,
m ais qui se rattachent principalem ent à l ’ ordje natu ­ de préférence aux autres cultes, une reconnaissance
rel, com m e sont les questions d ’ enseignem ent, de légale et officielle. M ais l ’ É tat doit toujours accorder à
justice dans les contrats; et, à propos de ces m atières, l ’ Église une entière liberté pour l ’ exercice de son culte
il est loisible aux deux puissances d ’ exercer chacune et l'accom plissem ent de sa m ission. « A insi l ’ Église
sur elles une pleine juridiction, de la m anière qui con ­ pourra en toute liberté com m uniquer avec son chef,
vient à leur propre fin. Il existe, en outre, des m atières le souverain pontife, prom ulguer des lois pour ses
m ixtes qui, au contraire, relèvent principalem ent de sujets, et en poursuivre l ’ application au besoin par
l ’ ordre surnaturel, par exem ple, le m ariage, qui a été des jugem ents et des peines, choisir elle-m êm e ses pas ­
élevé par le C hrist à la dignité de sacrem ent, et, dans teurs dans la form e qui lui agréera, recruter ses m i ­
ces m atières, l ’ Église seule exerce son pouvoir quant nistres et pourvoir à leur éducation ecclésiastique,
à la substance de la chose et quant aux effets insépa ­ faire bénéficier les sim ples fidèles de l ’ instruction reli ­
rables qui en découlent; ainsi, à propos du m ariage, gieuse et m êm e ouvrir des écoles pour l ’ enseignem ent
l ’ Église seule peut exercer son autorité sur le contrat profane, célébrer ses fêtes et solennités liturgiques,
lui-m êm e et la question de la légitim ité des enfants; posséder et adm inistrer tous les biens tem porels qui
m ais, quant aux effets tem porels qui sont séparables lui seront nécessaires, etc., en un m ot, user de tous les
de la chose surnaturelle, ils appartiennent à la juri­ pouvoirs qui, de droit naturel, appartiennent à une
diction du pouvoir civil : telles sont, pour ce qui con ­ société religieuse. » E. V alton, Droit social, p. 195.
cerne le m ariage, les questions de dot, de com m unauté En outre, l ’ É tat ne pourra édicter des lois en oppo ­
des biens, d ’ héritage des enfants, etc. E. V alton, sition flagrante avec la législation de l ’ Église, car
Droit social, p. 188 sq. Cf. C avagnis, Institutiones juris l ’ É tat non catholique, qu ’ il soit hérétique, schism a­
publici ecclesiastici, R om e, 1906, t. i, p. 279 sq. ; M ou- tique ou sim plem ent indifférent, s ’ il ne reconnaît pas
lart, op. cit., p. 255 sq. à l ’ Église le don d ’ infaillibilité, ne saurait du m oins
C oncluons cet exposé des principes du droit chré­ s ’ attribuer exclusivem ent pour lui-m êm e cette préro ­
tien, dans l ’ hypothèse d ’ un É tat catholique, en disant gative. Il devra donc laisser à l ’ Église sa liberté d ’ ex ­
quelques m ots de la séparation de l’Église el de pansion et de propagande et ne point m ettre obs ­
l’État. tacle à son m inistère de la prédication. Ce principe
Si la séparation signifie l'athéism e officiel, c ’ est-à- conserve son application m êm e à propos de l ’ É tat
dire la négation théorique ou l ’ exclusion pratique de infidèle, et celui-ci ferait preuve de tyrannie s ’ il en
toute religion naturelle ou révélée, elle ne saurait être agissait autrem ent, de m anière que l ’ Église, se trou ­
adm ise ni m êm e tolérée d ’ aucune m anière, car ce vant dans un cas de légitim e défense, pourrait faire ap ­
serait un crim e envers D ieu et un attentat à la raison. pel à l ’ appui des É tats chrétiens. C ette séparation de
Il ne faudrait pas en juger autrem ent, si par sépara ­ fait entre l ’ Église et l ’ É tat a été fort bien m ise au
tion on entendait l ’ indifiérence absolue de l ’ É tat en point par Léon X III dans l'encyclique Au milieu des
m atière religieuse, car ce serait toujours l ’ athéism e, sollicitudes, du 16 février 1892 : « C ette situation, ob ­
déguisé sous un autre nom . D ’ ailleurs, une séparation serve ce grand pape, se produit dans certains pays.
ainsi com plète et absolue de toute religion est im pos ­ C ’ est une m anière d ’ être qui, si elle a de nom breux
sible. V oici, en effet, com m ent M . Paul Leroy-Beaulieu et graves inconvénients, offre aussi quelques avan ­
le dém ontre,.dans son livre : L ’État moderne et ses tages, surtout quand le législateur, par une heureuse
fonctions, Paris, 1890, p. 246 sq. : «O n pourra discuter inconséquence, ne laisse pas que de s ’ inspirer des prin ­
tant que l ’ on voudra sur la signification de cette for ­ cipes chrétiens; et ces avantages, bien qu ’ ils ne
m ule (l ’ É tat athée) : tant par l ’ étym ologie que par la puissent justifier le faux principe de la séparation ni
conception populaire, elle n ’ a qu ’ un sens, celui de la autoriser à le défendre, rendent cependant digne de
905 É TA T — É T A T S D E V IE 906

tolérance un état de choses qui, pratiquem ent, n ’ est II. D ’ a p r è s l e d r o it c a n o n . — 1 ’ Î.'ùf ce -ie en
pas le pire de tous. » : général. — D ans le droit rom ain et, plus tard, dans le
E ncycliques Diuturnum, § Etsi homo arrogantia; Immor­ droit canon, on com prenait sous le nom d ’ état : la con ­
tale Dei, § H ac ratione, § Sed perniciosa, § Non est magni dition qui résulte pour l ’ hom m e de la liberte ou ce
negotii ; Rerum novarum, § Jamvero quota pars; Sapientia: l ’ esclavage, dé la fam ille ou de la société civile. D ans
christianœ, S Quod autem; Libertas pr&stantissinium, § Mi­ la société antique il y avait des hom m es lit r-.s et des
tiores aliquando; S. T hom as, Sum. theol., I· II· , q. X C, esclaves; la situation juridique du père, de ia m ere e’.
a. 3; q. xcv, a. 4; q. x cv n , a. 3; De regimine principum,
1. I, c. n ; S u arez, P e legibus, 1. III, c. r, n. 3 sq.; c. n ; c. xr, des enfants dans la fam ille était stable m ais ir :
n. 7 sq . ; T aparelli, Saggio teoretico. n. 485 sq.; L iberatore, la cité, enfin, conférait différentes fonctions perm a-
Principes d'économie politique, trad, franç., P aris, 1891, ! nentes. D e là résultaient diverses conditions de vie
p. 20 sq.; L ’Êgliseet Γ État dans ses rapports naturels, trad, stables, divers états de vie.
franç., P aris, 1877, passim; C athrcin, Moralphilosophie, L a prem ière des considérations indiqué-.?, la dis ­
F ribourg-en-B risgau, 1904, t. n , p. 310 sq.; S chifllni. Ethica tinction entre hom m es libres et esclaves occupait
generalis, T urin, 1891, p. 364, 383 sq.; C avagnis, Institu­ dans le droit une situation prépondérante. D ans le
tiones juris publici ecclesiastici,4 "éd it., R om e, 1906, passim ;
V . de P ascal, Philosophic morale et sociale, P aris, 1896, Digeste, 1. III, De statu hominum, la prem ière division
passim; M oulart, L’Église et l’État, L ouvain, 1879, des personnes consiste en ce que tous les hom m es sont
p. 403 sq .; P aul L eroy-B eaulieu, L ’État moderne et ses libres ou esclaves. D ans les Institutes, 1. I, 16, De ca­
jonctions, passim; C h. A ntoine, Cours cl économie sociale, pitis diminutione, « la perte de la liberté et la perte du
3 ' éd it., P aris, 1905, p. 51-91 ; E . V alton, Droit social, la fa­ droit de citoyen sont regardées com m e la plus grande
mille, les associations, lÉtal, IÉglise, P aris, s. d. (1906), dim inution personnelle, diminutio capitis. · Cf. Décret
passim; C h. A ntoine, art. État, dans le Dictionnaire apo­ de Gralien, caus. II, q. vi, c. 40. Saint Thom as résum e
logétique de la foi catholique, de d ’A rlès. P aris, 1910, t. i,
col. 1522 -1543 ; P . B esson, De la séparation de Γ Église el et précise cet enseignem ent en quelques m ots :
de Γ État et de ses conséquences relativement aux libertés « L ’ état de vie se rapporte, à proprem ent parler, à la
religieuses, 11° édit., P aris, s. d. liberté ou à l ’ esclavage, soit dans l ’ ordre spirituel, soit
E. V a l t o n . dans l ’ ordre civil. » Sum. theol., Il» II», q. c l x x x h i ,
2. É T A T S D E V IE. L a théologie et le droit canon a. 1.
s ’ occupent des états dans la vie de l'hom m e : la pre ­ C onsidéré dans la société religieuse, l ’ état ne sau ­
m ière considère ces états en eux-m êm es, le second rait être déterm iné et constitué par des raisons in ­
les envisage à la lum ière du droit ecclésiastique. ternes, connues de D ieu seul, renferm ées dans ie
Enfin, la m orale étudie les états dans la vie de sanctuaire de la conscience, m ais il doit avoir pour
l ’ hom m e, au point de vue des règles de conduite, qui ’ cause des élém ents externes et visibles. La condition
en sont la conséquence ou la condition. — I. D ’ après 'de vie stable, qu ’ est l'état de vie, s ’ exerce dans un m i-
la théologie. II. D ’ après le droit canon. III. D ’ après la lieu social; elle im plique des relations, des obligations
m orale. et des droits dans l ’ Église société visible, et, par con ­
I. D ’ a p r è s l a t h é o l o g i e . — Notions el définitions. séquent, doit être un statut externe et visible au
— D ans un sens large, on entend par état toute con ­ m oins dans sa cause.
dition de vie constante, stable. C 'est ainsi que les Il est donc nécessaire que l ’ obligation stable consti­
théologiens traitent de l ’ état de nature pure, de l ’ état tuant l ’ état de vie prenne naissance dans une m ani­
d ’ innocence et de nature déchue, de l ’ état des bien ­ festation, dans une profession extérieure, et, com m e
heureux dans le ciel et des dam nés en enfer. U ne cer- ' il s ’ agit d ’ un lien perpétuel et sacré, cette m anifesta ­
taine stabilité est nécessaire pour que la condition de ’ tion extérieure sera, étant donnés les usages des
vie devienne un état : stabilité absolue, lorsque l ’ état hom m es, un rite solennel. A insi, la notion d ’ état com ­
de vie est im m uable, com m e dans le sacerdoce, le prend trois élém ents : l’obligation, la perpétuité, la
m ariage ou la religion; stabilité relative, lorsqu ’ il est solennité. Ces conditions, nous les trouvons rem plies
possible,, quoique difficile, de changer le genre de dans l ’ Église, dans et par trois initiations: le baptêm e,
vie, com m e dans l ’ état de célibataire, l ’ état séculier, l ’ ordre et le m ariage. Ces trois sacrem ents, en eflet,
l ’ état d ’ esclave. im posent l ’ obligation perpétuelle de pratiquer la reli ­
D ans un sens plus strict, on com prend sous le nom gion chrétienne, ou de se consacrer au m inistère di ­
d ’ état une condition de vie stable qui provient d'une vin, ou de garder indissoluble le lien conjurai. 11 s ’ en ­
obligation ou d ’ une exem ption d ’ obligation. D ’ après suit qu ’ il y a dans l ’ Église trois états : l'état de baptisé,
cette considération, on distingue l ’ état d ’ hom m e libre l ’ état sacerdotal, l ’ état conjugal.
et l ’ état d ’ esclave, l'état de m ariage et de célibat, 2° État de perfection. — D ’ après saint Thom as,
l ’ état laïc, clérical, régulier, séculier, etc. Ce qui carac ­ l ’ état de perfection est celui dans lequel l ’ hom m e offre
térise l ’ état de vie pris au sens strict, c ’ est que la cause par vœ u toute sa vie à D ieu afin de le servir dans les
de cet état doit être non seulem ent une cause perm a ­ œ uvres de perfection. Opusc. de perfectione vilæ spiri­
nente, m ais encore une obligation ou exem ption d ’ obli ­ tualis, c. xv. La perfection du chrétien, c ’ est l ’union
gation. Par exem ple, l ’ état conjugal consiste essentiel­ à-D ieu, être souverainem ent parfait, et cette union
lem ent dans les obligations perm anentes provenant du s ’ opère par la charité. Le chrétien aura donc une per ­
m ariage, obligations dont le célibataire est exem pté. fection d ’ autant plus grande qu ’ il croîtra dans la di ­
L 'état clérical et l ’ état régulier sont constitués par vine charité. La perfection, dans un sens absolu, est
un ensem ble d ’ obligations, auxquelles le laïc et le sé ­ donc ce degré de charité que peut atteindre ici-bas
culier ne sont pas soum is. l ’ hom m e qui brise tous les obstacles au divin am our et
Tel qu ’ il a été défini dans un sens strict, l ’ état dif ­ se consacre tout entier au service divin. Tendre à a
fère de la profession, de l ’ office. Celui-ci, en effet, ne perfection, c ’ est tendre à ce degré de charité, l ’ etat
provient pas d'une obligation habituelle atteignant de perfection est celui qui a pour fin ce degre de cha ­
la personne, m ais bien des actes exercés par elle; par rité.
exem ple, dans l ’ office du juge, d ’ avocat, de m édecin, C ’ est par sa propre volonté que l ’ hom m e entre U ns
de confesseur, etc. l ’ état de perfection, m ais cette volonté, pour assurer
Toutefois, la théologie m orale, lorsqu ’ elle traite des la stabilité nécessaire à l ’ état de perfection, doit être
états particuliers de vie, com prend dans cette for ­ soutenue par un vœ u.
m ule toutes les professions, tous les m étiers, et c ’ est E n effet, le lien volontaire qui fixe le chrétien dans
dans ce sens que nous parlerons plus loin des devoirs un état de vie ne peut être form é que par une pro ­
d ’ état et du choix d ’ un état de vie. m esse. C ette prom esse devant, de toute nécessité.
907 É TA T S D E V IE 908

être faite à D ieu, est, par conséquent, un vœ u. puisqu ’ il s ’ agit de la sublim e fonction de pasteur
D ’ abord, U n ’ y a aucune raison pour que l ’ hom m e spirituel. La perfection de la charité envers le pro ­
s'engage vis-à-vis d ’ un autre hom m e à l ’ état de per ­ chain, n'est-ce pas de lui donner D ieu?Telle est la
fection. Si l ’ on excepte l ’ obéissance, que m ’ im porte doctrine de saint Thom as dans l ’ opuscule De perfe­
que Pierre ou Paul pratique les conseils évangé ­ ctione vitæ spiritualis, c. xvi, xvn, et dans la Somme
liques de pauvreté ou de chasteté? S ’ ils veulent tendre théologique, 11 “ II"· , q. xvm .
à un degré spécial de chasteté, quels m otifs puis-je Sans doute, plusieurs théologiens de m arque, tels
avoir de les en em pêcher? U ne prom esse de ce genre que B ellarm in, Control)., 1. II,c.n,n. 7; Suarez, De reli­
deviendrait caduque par défaut de m otifs sérieux. gione, tr. V II, 1. I, c. xv, n. 7; B ouix, De jure regula­
En outre, la prom esse faite à un hom m e serait pure ­ rium, part. I, sect, i, c. iv, soutiennent que l ’ évêque
m ent hum aine, l ’ état qu elle déterm inerait serait est dans l ’ état de perfection acquise, perfectionis acqui­
sacré, d ’ ordre divin et dès lors il n ’ y aurait aucune site·, m ais cette opinion soulève de graves diffi­
proportion entre la cause et l ’ effet. cultés. Cf. V erm eersch, De religiosis, c. i, n. 9; G éni-
L ’ état de perfection a potu· fin la perfection de la cot, Theol. moralis, t. n, n. 92. En effet : 1. La nature
divine charité, m ais cette fin peut être poursuivie de d'un état de vie est déterm inée et se connaît par la
deux m anières : ou bien en recherchant la perfec ­ profession publique qui en est faite. O r, il est m ani­
tion pour soi, ou bien en la com m uniquant aux autres. feste que rien dans la consécration des évêques n ’ in­
D ans le prem ier cas, c ’ cst l ’ état religieux dans lequel dique que ceux-ci sont parvenus à l ’ état de perfection,
le chrétien, par l ’ ém ission des trois vœ ux de pauvreté, ou qu ’ ils entrent dans un état de perfection acquise.
chasteté et obéissance, s ’ engage à la pratique de la — 2. Il est vraim ent difficile de soutenir que les
perfection par la pratique des conseils évangéliques. évêques ont acquis la perfection à laquelle tendent
D ans le second cas,c ’ est l ’ état de l ’ épiscopat; l ’ évêque, les religieux en vertu de leur état. « Les évêques,
dans sa consécration, contracte l ’ obligation de se écrit B ellarm in, loc. cil., devraient être parfaits, c ’ est-
dévouer au salut du troupeau qui lui est confié, et à-dire avoir atteint le degré de charité auquel tendent
donc de développer en lui la divine charité. O bliga ­ les religieux par leurs vœ ux et leurs exercices. » E t ce
tion stable, puisque l ’ évêque est uni à son église par degré de charité il le définit : « Celui dans lequel D ieu
un m ariage spirituel, de soi indissoluble. est aim é autant qu'il peut l'être par une créature m or ­
C om m e les curés ont, eux aussi, charge d ’ âm es et telle. » A ssurém ent, il est à souhaiter que les évêques
sont attachés à une portion déterm inée de l ’ Église, on soient ornés de toutes les vertus au plus haut degré et,
peut dire, par analogie avec l ’ épiscopat, qu ’ ils sont cependant, qui oserait affirm er que leur charité at ­
dans un état de perfection. teigne un degré tel qu ’ ils aim ent D ieu autant qu ’ il
A insi, l ’ on distingue deux états de perfection : l ’ un peut être aim é par une créature m ortelle, suivant la
passif, état de perfection à acquérir, status perfectionis form ule de B ellarm in? Saint Thom as ne dit-il pas :
acquirendæ, l’ autre actif, état de perfection à com m u­ « Il n ’ est pas nécessaire de choisir pour évêques ceux
niquer, status perfectionis communicandæ. D ans le qui sont les m eilleurs par la charité, » Sum. theol.,
prem ier état, le religieux tend à la perfection dans II» II»· , q. c l x x x v , a. 3? Le souverain pontife n ’ ac ­
son âm e; dans le second état, l ’ évêque (et par ana ­ corde-t-il pas à de saints évêques la perm ission d ’ en ­
logie le curé) produit la perfection dans les âm es qui trer dans un ordre religieux? M ais alors, com m ent
lui sont confiées. pourraient-ils tendre à une perfection qu ’ ils ont ac ­
N e pourrait-on pas im aginer un troisièm e état de quise par état?
perfection dans lequel le chrétien resterait, se m ain ­ 3° Comparaison entre les différents états de perfec­
tiendrait dans la perfection acquise? Personne ne tion. — Pour m ieux com prendre les considérations qui
pouvant sans présom ption se déclarer parfait, ce troi ­ précèdent, il est utile de com parer entre eux l ’ évêque,
sièm e état serait fictif et m ensonger. En outre, com m e le prêtre, le religieux. C ette com paraison est déve ­
la perfection dépend de la grâce divine, le chrétien est loppée longuem ent par Suarez, De religione, tr. V II,
absolum ent im puissant à s ’ établir et se fixer dans un 1. I, c. x v i i - x x , il nous suffira de résum er brièvem ent
degré déterm iné de perfection. l'enseignem ent de saint Thom as sur cc point. Sum.
Les deux états de perfection dont nous venons de theol., II» II æ , q. c l x x x iv , a. 6. II im porte de rem ar ­
parler peuvent se déduire du term e de la charité. La quer que la com paraison ne porte pas sur le m érite des
charité a pour objet D ieu et le prochain; am our de personnes, m ais sur la condition objective de leur
D ieu, elle donne naissance à l ’ état de perfection des vie.
religieux; am our du prochain, elle est le fondem ent de O n peut prendre com m e term es de com paraison :
l ’ état de perfection des évêques. l'état, l’ordre, la fonction. — A u point de vue de Vélat
Jésus-C hrist est la cause et l ’ exem ple de toute de vie, les personnes constituées dans l ’ état de per ­
perfection. O r, d ’ une part, il a voulu prom ouvoir fection, à savoir, les évêques (les curés par analogie de
dans son Église le zèle de la perfection à laquelle il m inistère) et les religieux, sont supérieures aux sim ples
exhorte les hom m es et la pratique des conseils évan ­ prêtres séculiers. A u point de vue de l’ordre, les
géliques; d ’ autre part, il a instituéle m inistère pastoral évêques sont supérieurs aux prêtres et ceux-ci l ’ em ­
auquel il propose cette règle : « Le bon pasteur donne portent sur les religieux qui ne sont pas revêtus du
sa vie pour ses brebis. » Joa., x, il. Ce qui constitue sacerdoce. Enfin, au point de vue de la fonction, on
pour les évêques l'état de perfection, c ’ est l'obli ­ doit donner le prem ier rang à ceux qui ont charge
gation perpétuelle de se dévouer au salut des âm es. d ’ âm es.
D ans cette form ule sont contenus les trois élém ents de L a supériorité qui résulte des trois élém ents que
la charité parfaite envers le prochain : 1. l ’ am our des nous venons de considérer est partielle et relative.
ennem is, parce que la sollicitude de l ’ évêque doit S ’ agit-il de la dignité adéquate, intégrale? D ans ce
s ’ étendre à toutes les brebis sans exception, m êm e à cas, le prem ier rang revient incontestablem ent aux
celles qui seraient rebelles. N e doit-il pas, à l ’ exem ple évêques. Ils l ’ em portent, en effet, sur les prêtres et
du M aître, laisser au bercail les quatre-vingt-dix-neuf les religieux par l ’ ordre, par la fonction et encore par
brebis pour se m ettre à la recherche de la brebis éga ­ l ’ état de vie. L ’ état épiscopal se place au-dessus de
rée? — 2. le sacrifice de sa vie, parce que cette solli ­ l ’ état religieux' par l ’ obligation plus stricte de se
citude quotidienne, constante, de l ’ évêque pour son dévouer au salut des âm es et par la sainteté que sup ­
troupeau, com prend la vie tout entière; — 3. la pose ce m inistère. Cf. S. Thom as, De perfect. Dite spiri­
com m unication des dons divins les plus précieux, tualis, c. xvn. Saint Thom as rapproche de la per ­
909 É TA T S D E V IE 910

fection de l ’ épiscopat celle des religieux prêtres (et débauche, les ouvriers qui fabriquaient les idoles. !
aussi des curés) qui se consacrent au soin des âm es. gladiateurs, les astrologues, les conducteurs de ch.--·
Sum. theol., 11 “ II», q. CLX xxvm . Enfin, le prêtre dans les cirques. Ils étaient obligés de renoncer à ces
séculier est au-dessus du religieux laïc, tant par l ’ ex ­ professions s ’ ils voulaient être baptises, et s ’ils y
cellence du saint m inistère que par la sainteté requise retournaient après leur baptêm e, ils étaient excom m u-
pour cette fonction. Ibid., 11 “ II», q. c l x x x iv , a. 8. niés.
III. D ’ a p r è s l a m o r a l e . — 1° Devoirs d’état. — 2° Choix d'un étal de vie. — 1. Règle générale. —
N ous entendons par états de vie les diverses condi ­ L ’ hom m e doit se préparer à la béatitude —
tions objectives de la vie de l ’ hom m e, lesquels, par dans les conditions concrètes où l'a placé la civic: ; - -
conséquent, com prennent tous les m étiers, toutes les vidence. L a béatitude éternelle est, on le sait. ;
professions ou carrières auxquelles l ’ hom m e consacre dernière de toute l'activité hum aine. D ès lors, il
son activité. considérer, dans le choix d ’ un état de vie, le rent
Les devoirs d ’ état sont les obligations particulières de celui-ci à la fin dernière de l ’ hom m e. Celui-ci ■
dans les diverses conditions objectives de la vie. Le pourra donc choisir qu'un état honnête et qui ire <· .:
père de fam ille, le patron, le juge, le m archand, etc., pas un obstacle insurm ontable à la fin dernière.
sont soum is à des préceptes spéciaux, à des obliga ­ Il devra, en outre, exam iner avec soin ses aptitudes
tions particulières en vertu de l ’ état de vie dans lequel internes et externes, physiques, m orales et intellec ­
ils se trouvent engagés. Q uel que soit cet état de vie, tuelles, de m anière à avoir la certitude qu ’ il pourr ,
il est possible à l ’ hom m e d ’ y faire son salut. Saint Paul avec la grâce de D ieu, rem plir les obligations parti ­
dit aux fidèles : « Q ue chacun dem eure dans la voca ­ culières à l ’ état de vie qu'il veut em brasser. S ’ il s'agit
tion ou dans l ’ état où il a été appelé : m aître ou es ­ de l ’ état sacerdotal ou de l ’ état religieux, il devra . ra ­
clave, dans l ’ état de virginité ou dans celui du m a ­ dier avec une grande sollicitude sa vocat ion. V oir V o ­
riage, qu ’ il y persévère selon D ieu. » I Cor., vit, 20. c a t io n .
A ussi, lorsque les public-tins et les soldats dem andaient 2. Régies particulières. — a) La plupart des hom n:es
à saint Jean-B aptiste ce qu ’ ils devaient faire, il ne devant se procurer par le travail les m oyens nécessaire <
leur ordonna point d ’ abandonner leur profession, m ais à leur subsistance, doivent s ’ adonner à un m étier ou j
de s ’ abstenir de toute injustice. Luc., ni, 22. Jésus- une profession lucratifs. C 'est là un devoir de chant.·
C hrist n ’ eut pas une conduite différente, il ne dédai­ envers soi-m êm e. D ’ une m anière générale, la nécessi!· .·
gna point les publicains pour lesquels les Juifs avaient du travail s'im pose d ’ autant plus que la population
le plus grand m épris et, lorsqu ’ ils lui en firent le re ­ du territoire est plus dense. Il est bien évident qu_.
proche, il ’•épondit qu ’ il n ’ était point venu appeler les par suite de la concurrence, la quantité de biens m ate ­
justes, m ais les pécheurs à la pénitence. riels disponibles, je veux dire de biens que l ’ on peut --
C ette vérité est pleinem ent confirm ée par l ’ histoire procurer sans travail ou avec peu de travail, cette
de l ’ Église, qui nous m ontre des saints dans tous les quantité dim inue à m esure que le nom bre des parti-s
états de vie, panni les pauvres et les ignorants aussi prenantes augm ente.
bien que panni les riches et les savants; dans les chau ­ C ependant, la nécessité pour l ’hom m e du trav.· · .!
m ières aussi bien que sur le trône et dans les palais des intellectuel ou corporei ne provient pas seulem et 1
rois, dans les siècles m êm es les plus corrom pus et les la nécessité de la subsistance quotidienne; elle découle
m oins favorables à la pratique des vertus. Tous se sont encore de l ’ obligation de fuir l ’ oisiveté, afin d ’ éviter de
sanctifiés par leur piété et par l ’ accom plissem ent de tom ber dans toutes sortes de vices. Telle est, en efit t,
leurs devoirs d ’ état. la condition de la nature corrom pue par le péché ori ­
Ce sont là deux m oyens de salut, deux m oyens néces ­ ginel que, si elle se laisse aller à l ’ oisiveté, elle ne
saires qu ’ il ne faut pas séparer. D e m êm e qu ’ un chré ­ tarde pas à tom ber dans le péché.
tien serait dans l ’ illusion s ’ il pensait se sanctifier par 6) Les riches, qui n ’ ont pas besoin de travailler pour
la piété seule, sans rem plir les devoirs de l'état où ia se procurer le pain quotidien, sont soum is eux aussi
divine providence l ’ a placé; il ne se trom perait pas à la loi du travail et doivent se créer des occupations
m oins s ’ il se persuadait qu ’ il ne doit rien à D ieu dès utiles. Le danger d ’ oisiveté est im m inent pour eux, et
qu ’ il ne m anque point à ce qu ’ il doit aux hom m es. L a pour eux aussi l ’ oisiveté est la m ère de tous les vices.
vie chrétienne a pour principe la vertu de charité.qui se Le riche reçoit de nom breux bienfaits de la société .
rapporte non seulem ent à D ieu, m ais encore aux protection, sécurité pour sa personne et ses biens: il
hom m es. D ès lors, les obligations de la vie chrétienne doit donc, en contribuant au bien com m un par un
com prennent les devoirs envers D ieu et les devoirs en ­ travail adapté à sa situation, payer sa dette envers la
vers le prochain. Les devoirs d ’ état n ’ étant autre chose société. Le riche fainéant ne serait qu ’ un parasite so ­
que certaines obligations envers le prochain, particu ­ cial.
lières à des conditions déterm inées de la vie hum aine, L ’ oisiveté des riches est un exem ple dissolvant pour
il s ’ ensuit que les devoirs d ’ état rentrent dans les obli ­ la m asse des travailleurs qui peinent et qui souffrent;
gations de la vie chrétienne. elle excite l ’ envie, la rancune, la haine du peuple et
Sous prétexte que les catholiques ne sont pas tou ­ prépare de terribles révoltes. C eux qui possèdent en
jours exacts à satisfaire aux devoirs de la société, on abondance les biens de 1:. terre satisferont à la loi géné ­
prétend que la fidélité à accom plir ces devoirs tient rale du travail en cultivant les arts, les lettres, les
lieu de toutes les vertus et rem plit toute justice. M ais sciences, ou encore en se dévouant à la chose publique.
il est aisé de voir que cette m orale n ’ est qu ’ une hypo­ A u reste, dans le tem ps où nous vivons, les riches n ’ ont
crisie. Q uiconque, en effet, ne se fait pas scrupule de que l ’ em barras du choix pour trouver une occupation
secoaer le joug de toutes les lois religieuses, ne s ’ en fait utile. Les œ uvres sociales catholiques, les institut for. s
pas davantage d ’ enfreindre des devoirs de son état d ’ assistance pour les pauvres, les m alades, les orphe ­
lorsqu ’ il peut le faire im puném ent, et qu ’ il n ’ y est lins, l ’ action publique par presse, les reunions,
fidèle qu'autant que son honneur et sa fortune en dé ­ associations, fournissent un vaste ch a m p à i act: ’. ··
pendent. L ’ Église catholique, qui n ’ a rebuté aucune de ceux que D ieu a com blés des biens de ’ s fortvr».
profession honnête, a toujours proscrit toutes celles D ’ ailleurs, le riche satisfera en partie à la Ici géné ­
qui sont crim inelles, celles qui ne servent qu ’ à exciter rale du travail en élevant chrétiennem ent sa Ir-m iVe,
les passions et à fom enter les désordres. A ussi, dès les en prenant soin de ses dom estiques et des autres per ­
prem iers siècles, elle a refusé d ’ adm ettre au baptêm e sonnes qui dépendent de lut
les fem m es perdues et ceux qui tenaient des lieux de c) N ous avons considéré le choix d ’ en état en gecé-
9Γ1 É TA T S D E V IE — É T E R N IT É 912

ral, d ’ une m anière indéterm inée quant à l ’ objet, m ais pas plus du reste que par les autres passages de l ’ Écri-
il peut arriver que l ’ hom m e se trouve en présence de ture, où il est dit qu ’ il y aura des cieux nouveaux et
l ’ obligation de choisir un état de vie déterminé. C ette une terre nouvelle. Is., xxv, 17; II Pet., ni, 13;
obligation sera négative ou positive. J ’ appelle obliga ­ A poc., xxi, 1. Il ne s ’ agit pas là, pensaient-ils, d'un
tion négative celle qui défend d ’ entrer dans un état de changem ent proprem ent dit, au point qu ’ il doive y
vie déterm iné. C ette obligation peut provenir d ’ un avoir des créatures nouvelles, un autre ciel et une autre
défaut de forces physiques ou intellectuelles dans le terre, m ais plutôt d ’ une restauration qui procurera à
candidat, d ’ où il résulterait que celui-ci est incapable tout ce qui existe actuellem ent plus d ’ éclat et plus de
de rem plir les devoirs particuliers de cet état. Elle gloire, com m e saint Paul l ’ affirm e en particulier du
peut encore prendre naissance d ’ un défaut de forces corps de l ’ hom m e, I C or., xv, 44; et ils ajoutaient
morales. Lorsque, par exem ple,quelqu ’ un est persuadé que le m onde, ainsi transform é, n ’ aura plus de fin.
qu ’ il n ’ a pas le courage, la force de volonté, la con ­ Saint A ugustin, qui em prunte ces courts renseigne ­
stance nécessaires pour vivre dans un état déterm iné. m ents à l ’ évêque de B rescia, ne sait com m ent appeler
L ’ obligation positive est celle qui prescrit de s ’ enga ­ cette hérésie, sine auctore et sine nomine. Hier., 67.
ger dans un état de vie déterm iné. C ette obligation se P. L., t. x l i i , col. 42. M ais, postérieurem ent, l'auteur
produira lorsque l ’ hom m e a la certitude que, dans du Praedestinatus n ’ hésite pas : sans indiquer ses sour ­
telles circonstances concrètes, tel état de vie est pour ces, il l ’ appelle l ’ hérésie des satauniens, du nom de
lui un m oyen nécessaire de salut, par exem ple, l ’ état leur chef, Sataunius, personnage d ’ ailleurs com plè ­
de m ariage ou l ’ état religieux. tem ent inconnu. Prædest., 67, P. L., t. u n , col. 610.
La m êm e obligation s ’ im pose lorsque quelqu ’ un S. P hilastrius, Hier., 80, P. L., t. x n , col. 1192; S. A u ­
ne peut pas rem plir des obligations graves sans em ­ gustin, De hœr., 67, P. L., t. xL ir, col. 42: M igne, Diction­
brasser un état déterm iné, par exem ple, l ’ obligation de naire des hérésies, P aris, 1847, 1.1, col. 677.
continuer la profession paternelle pour aider ses pa ­ G . B a r e il l e .
rents, ses frères et sœ urs en bas âge. C ependant, si É T E R N IT É . — I. N otions philosophiques. II. É ter ­
quelqu ’ un éprouvait une grande répugnance à prendre nité, attribut divin. III. É ternité participée. IV . É ter ­
telle profession, il faudrait considérer attentivem ent nité im proprem ent dite.
le cas, avant d ’ im poser une obligation grave. C ’ est le L N o t i o n s p h il o s o p h iq u e s . — L ’ éternité nous
cas d ’ appliquer l'axiom e : Caritas non obligat cum échappe totalem ent; pour nous en faire une idée, il
anlo incommodo. nous faut partir de la notion du tem ps, qui tom be sous
Les parents doivent aider leurs enfants à se procu ­ notre expérience. Sans entrer dans toutes les discus ­
rer un état qui leur perm ette de gagner honorablem ent sions philosophiques que soulèvent les problèm es
leur vie; dans ce but, ils doivent consulter les capacités ardus de l'espace et du tem ps, tenons-nous en aux
et les inclinations de leurs enfants, conform ém ent données générales, expression du bon sens et traduc ­
aux principes posés plus haut. tion de l ’ expérience sensible.
Lorsqu ’ il s ’ agit du m ariage ou de l ’ état de per ­ 1° Le temps a son fondem ent réel dans le m ouve ­
fection, en soi, les enfants ne sont pas tenus d ’ obéir m ent local. Saint Thom as l'a défini après A ristote :
à leurs parents pour le choix d ’ un état de vie. T oute ­ numerus motus secundum prius et posterius. Physic.,
fois, si les parents avaient un besoin pressant du se ­ 1. IV, lect. xvm . Le » nom bre » n ’ est pas pris ici in
cours de leurs enfants, ceux-ci pourraient, et m êm e abstracto, m ais il consiste dans la réalité m êm e des
en certains cas devraient retarder l ’ époque de leur instants se succédant les uns aux autres sans interrup ­
m ariage ou de leur entrée en religion. tion et de façon continue. C ’ est ce que saint Thom as
D ’ une m anière générale, les enfants sont tenus de appelle le nom bre nombré par opposition au nom bre
prendre conseil de leurs parents avant de contracter nombranl ; numerus numeratus, numerus numerans.
m ariage, m ais si le refus des parents est injuste, les Loc. cit. Succession des instants, l ’ avant et l ’après,
enfants peuvent passer· outre. S. A lphonse, Theol. mor., tel se présente à nous le tem ps. Sa continuité est celle
1. V I, n. 8*19. D ’ après saint A lphonse de Liguori, il du m ouvem ent lui-m êm e, qu ’on a défini précisém ent :
pourrait y avoir péché grave à refuser, sans un juste actus entis in potentia quatenus in potentia, acte d ’ un
motif, un m ariage proposé par les parents, lorsque, par être toujours en puissance d ’ un acte subséquent. En
exem ple, ce m ariage est nécessaire à la réconciliation réalité, le tem ps dépend donc du m ouvem ent, dont il
des fam illes ou encore à la subsistance de parents m esure les actes successifs.
pauvres. La notion de tem ps com porte égalem ent une idée
S. T hom as, Sum. theol., II· II ’ , q. x x iv , a. 9; q. cx x x x in , de com m encem ent et de fin. N on pas qu ’ essenticlle-
a. 1, 4; q. c l x x x i v - c x x x v i ; Opusculum de perjectione vitæ m ent le tem ps doive avoir un com m encem ent ou une
spiritualis; P asserini, De hominum statibus et officiis; fin, car le tem ps peut se concevoir com m e ayant duré
S uarez, De religione, tr. V II, 1. I, III; L essius, De virtuti­
et com m e devant durer toujours, m ais parce qu ’ il
bus cardinalibus, 1. II, c. xi.r, d ist. I; B ellarm in, Conlrov.,
1. H , c. ri; B allerini-P alm ieri, Opus theologicum, t. rv,
suppose, aux choses m esurées par lui, un com m ence ­
tr. IX , c. i; L ehinkuhl, 't heologia moralis, t. i, n. 586 sq. ; m ent et une fin : · Il n ’ y a à être m esuré par le tem ps
V erm eersch, De religiosis, p art. I, c. i, a. 1 : N oIdin, Summa que les choses qui ont un com m encem ent ct une fin
theologiæ moralis. II, De prœceptis, p art. IV . dans le tem ps... et cela, parce que, dans tout être qui
C. A n t o in e . est m û,se doit pouvoir assigner un certain com m ence ­
É T E R N EL S . C ’ est le nom assez arbitrairem ent m ent, une. certaine fin. » Sum. theol., I· , q. x, a. 1.
choisi par l ’ auteur du Dictionnaire des hérésies, M igne, Laissant de côté les questions de subtile m éthaphy-
t. i, col. 677, pour désigner, sans la m oindre référence, sique dont C ajetan nous livre le secret, dans son
certains chrétiens des prem iers siècles qui croyaient com m entaire sur cet article, disons im m édiatem ent
que, après la résurrection générale, le m onde durera qu ’ il ne s ’ agit pas ici de réprouver l ’ hypothèse d ’ une
éternellem ent tel qu ’ il est aujourd ’ hui. Il est vrai que création ab œterno. M ais faisant abstraction de ce
le prem ier écrivain ecclésiastique qui nous révèle problèm e spécial, déjà envisagé, voir C r é a t io n , t. n,
l ’ existence d ’ une telle opinion, Philastrius, ne sait col. 2086, et surtout col. 2174-2181, nous disons que
com m ent qualifier ses partisans, Hier., 80, P. L., la notion de tem ps com porte pour les êtres m esu ­
t. xn, col. 1192; il nous apprend, du m oins, qu ’ ils ne rés par lui un com m encem ent et une fin, sinon réels,
se laissaient pas arrêter par le passage si form el de au m oins virtuels. O n appelle un com m encem ent vir ­
N otre-Seigneur : Le ciel et la terre passeront, » tuel l ’ assignation d ’ un point déterm iné auquel aurait
M atth., xxiv, 35; M arc., xm , 31; Luc., xxi, 33, pu com m encer le m ouvem ent, à supposer qu ’ il n ’ ait
913 É T E R N IT É 914

pas été éternel. L ’ exem ple apporté par C ajetan désigner toutes les durées, depuis celle de 1 éternité
nous fait m ieux saisir cette nécessité. Supposons jusqu ’ à la durée du tem ps (avec une idee de lon ­
une sphère tournant sur elle-m êm e et se m ouvant gueur), l ’ usage de l ’ École lui a donné un sens très
depuis toujours. O n ne peut pas assigner en elle un déterm iné. Il ne s ’ applique qu ’ à la durée qui participe
point où le m ouvem ent aurait com m encé, puisque, à la fois de l ’ éternité et du tem ps. C ’ est dans ce sens
par hypothèse, il n ’ aurait pas com m encé; m ais il y a que nous l ’ em ployons dès m aintenant.
possibilité de trouver en elle ce point de début, à U n esprit pur, un ange, par exem ple, realise d'un
supposer que son m ouvem ent ait com m encé. V oilà seul coup la perfection d ’ essence et d ’ existence que
l ’ assignation virtuelle du com m encem ent : de m êm e son être com porte. A ussi, c ’ est l ’ im m utabilité com ­
pour la fin. D onc il est juste de dire que la notion plète dans ses élém ents essentiels. Sa perm anence c - -
de tem ps renferm e une idée de com m encem ent et de l ’ être sera donc analogue à celle de D ieu. Je ois am ­
fin. plem ent analogue, car, en nous reportant à la supposi ­
2° L ’éternité, com m e le tem ps, est une durée. M ais tion faite plus haut, il serait toujours possible a D it ·..
il est évident que les sens du m ot « durée » sont pure ­ d ’ annihiler cet esprit pur et de lui im poser uins.·
m ent analogues. L ’ élém ent sem blable, c ’ est l ’ idée de réellem ent une fin; néanm oins, il faut reconnaître que
m esure. Pour arriver à concevoir ce qui, dans cette l ’ im m utabilité absolue est, en fait, le partage de sa
idée de m esure, appartient en propre à l ’ éternité, nature. M ais,quant à ses opérations, l ’ esprit pur n ’ est
il faut procéder par l ’ élim ination des élém ents parti ­ plus im m uable : une pensée peut faire place à une
culiers au tem ps. A insi, nous nous form erons un autre pensée, une volition succéder à une volition anté ­
concept, au m oins négatif, de l ’ éternité. rieure, il peut y' avoir application de son énergie en
1. L ’ éternité est une durée sans com m encem ent tel lieu, puis en tel autre. D onc, succession réelle
ni fin, non seulem ent en fait, m ais m êm e quant à la qui, sans être nécessairem ent continue, affecte les
sim ple possibilité. A ucune assignation virtuelle actes de cet esprit, sans affecter sa nature elle-m êm e.
d ’ un com m encem ent ou d ’ une fin n'est possible dans L ’ avant et l'après accidentels se trouvent joints a
l ’ éternité. C ’ est cette idée qu ’ exprim e le term e scolas ­ l ’ im m utabilité essentielle.
tique, interminabilit-as, im possibilité d ’ assigner un Tandis que l ’ idée de tem ps com porte une succession
term e quelconque. d'actes avec relation de continuité entre eux, et cela
2. Exclusion de toute m utation ou succession, non dans un sujet affecté en son essence par cette succes ­
seulem ent réelles, m ais encore sim plem ent possibles. sion, l ’ idée d’ævum ne com porte qu ’ une succession
O n pourrait, en effet, im aginer un esprit pur, créé accessoire d ’ actes, sans continuité nécessaire entre
de toute éternité, fixé dans le m êm e acte d ’ intelligence eux, sim plem ent juxtaposée à l ’ im m utabilité parfait
el de volonté depuis toujours, et n ’ apportant aucune de la nature, source de ces opérations. Tel est 1'..-; :m .
m odification à cet acte. C et esprit pur n'aurait cepen ­ qui, en soi, n ’ a pas d ’ avant et d ’ après, m ais :
dant pas encore l ’ éternité en partage, car il lui serait cet avant et cet après peuvent s'adjoindre, en vertu
toujours possible de réaliser d ’ autres actes, el, d ’ ail­ des actes posés par des êtres m esurés par l ’ a: :
leurs, l ’ assignation virtuelle de son com m encem ent C onception difficile à saisir, quoique logique; : -
com m e de sa fin serait toujours là pourindiquerque la difficile à saisir que celle de l ’ éternité : l ’ éteraite.
m esure de son existence n ’ est pas l ’ éternité : D ieu au ­ c'est l ’ im m obilité com plète, sans adjonction possible
rait pu ne pas le créer, com m e il pourrait,à un instant de succession; Vievum représente une im m obilité
donné, le faire rentrer dans le néant. L ’ exclusion de essentielle, jointe à une m obilité accidentelle. N otre
toute m utation, m êm e sim plem ent possible, c ’ est le im agination est com plètem ent déroutée. Cf. Sum.
deuxièm e élém ent de l ’ éternité, intransmutabilitas. theol., I “ , q. x, a. 5.
O n connaît la définition classique de Boèce : Æterni- 4° Il convient m aintenant d ’ établir brièvem ent les
las est interminabilis ville tota simul et perfecta possessio. rapports de l ’ éternité et de Vievum au tem ps.
Ve consolatione, I. V , pros. 6. Le term e possessio est A proprem ent parler, il n ’ y a aucun rapport possible
em ployé pour indiquer la perm anence, la stabilité entre l ’ éternité et le tem ps, si ce n ’ est que le tem ps est
de l ’ éternité ; tota simul et perfecta excluent l ’ idée d ’ une la m esure de certains êtres incapables d'être m esures
durée créée et form ée d ’ instants im parfaits se succé ­ par l ’ éternité. N éanm oins, com m e il existe des rapports
dant les uns aux autres; l ’ éternité est vie et pas seu ­ entre D ieu et ses créatures, il faut se dem ander com ­
lem ent existence : c ’ est la vie agissant, possédant, m ent l ’ éternité est une m esure par rapport au tem ps.
dans un présent toujours identique, toutes les per ­ Saint Thom as aborde cette question a propos de
fections; c ’ est la vie sans term e, interminabilis, sans science des futurs contingents en D ieu. Sum. theol..
com m encem ent ni fin, m êm e sim plem ent possibles; I», q. xiv, a. 13. L ’ éternité, dit-il en substance, est un
elle est lota simul. Cf. G onet, Clypeus theologiæ thomi- présent toujours identique à lui-m êm e : en elle, nulle
sticæ, tr. I, disp. IV , a. 7, § 1. succession,pas d ’ avant ni d ’ après; elle correspond donc
Les anciens philosophes avaient déjà com pris ainsi actuellem ent à tous les m om ents du tem ps et à chacun
la notion d ’ éternité proprem ent dite. Petau. Theol. d ’ entre eux. Le rapport de succession qui lie dans le
dogm. De Deot 1. III, c. iv, cite expressém ent les té ­ tem ps les événem ents passés et futurs existe ainsi
m oignages de plusieurs d ’ entre eux. Les Pères de en D ieu dans le m êm e acte qui englobe tout : en D ieu,
l ’ Église et les théologiens de toute époque et de toute ni passé, ni futur, tout est sim ultaném ent présent,
école sont égalem ent unanim es sur ce point. N ous par ­ parce que D ieu, c ’ est l ’ éternité m êm e. C ’ est ainsi
lerons tout à l ’ heure de certaines expressions, propres que les théologiens expliquent la connaissance que
à quelques-uns, et relatives aux personnes de la sainte D ieu a des futurs contingents en eux-m êm es, et non
Trinité. pas seulem ent en leurs causes. V oir S c ie x c e d e
3° A vant d ’ envisager les rapports de l ’ éternité au D i e u . L'exem ple classique est celui du point fixe
tem ps, il convient d'expliquer aussi brièvem ent que au centre d ’ une sphère parfaitem ent ronde : tous les
possible la notion d’ievum ou éternité participée, points de la surface sphérique, quel cvt soit leur rap ­
dont nous aurons à faire tout à 1 ’ heure les applica ­ port entre eux, se trouvent, par rapport au centre,
tions théologiques. Le m ot latin ævum correspond, dans la m êm e situation. La com paraison peche sans
en grec, au m ot αιών, dont il n ’ est, d ’ ailleurs, que la doute par plus d ’ un côté, m ais elle est suffisante pour
reproduction littérale. M ais tandis que la tradition faireentrevoir la relation de l ’ éternité au tem ps. L ’ éter ­
patristiquo n ’ a pas conféré au term e αΙών une signifi­ nité coexiste donc au tem ps, en l ’ excédant à l ’in ­
cation très précise, et qu ’ on le trouve em ployé pour fini; le tem ps coexiste à l ’ éternité, m ais sans l ’ égaler.
915 É T E R N IT É 916

L ’ lenum , quoique indivisible et im m obile, ne peut déduit l ’ éternité de D ieu de son im m utabilité par ­
coexister au tem ps, en l ’ excédant à l ’ infini, car, faite. D e m êm e que le tem ps se fonde sur le m ouve ­
m esure des esprits créés, il est fini com m e eux et ne m ent, de m êm e l ’ éternité est la conséquence de l ’ im m u­
peut contenir sim ultaném ent le passé, le présent et le tabilité. L ’ acte pur ne peut être qu ’ éternel. C ette posi ­
futur. Il ne coexiste aux événem ents m esurés par le tion est celle de tous les théologiens qui procèdent par
tem ps qu ’ à l ’ instant m êm e où se produisent ces événe ­ voie de déduction, sauf saint A nselm e, qui sem ble
m ents, absolum ent com m e le bâton, fixe et im m obile déduire l ’ im m utabilité de l ’ éternité. Cf. Monologium,
dans un cours d ’ eau, sans changer de place, reçoit c. xxv, P. L., t. c l v i ii , col. 178. L ’ induction, en pre ­
cependant le contact de toute l ’ eau du fleuve à m esure nant com m e point de départ la durée successive du
qu ’ elle coule près de lui. C ’ est l ’ application de la défi ­ tem ps, aboutira, par voie de négation des im perfec ­
nition que nous avons donnée plus haut de l’œvum : tions, à l ’idée de durée perm anente, c ’ est-à-dire
ici encore, l ’ im agination nous est de peu de ressource. d ’ éternité, com m e attribut divin. Sur ces deux pro ­
Cf. G onet, Chjpeus theologiie thomisticœ, tr. V III, cédés d ’ arriver à la connaissance des attributs de
disp. V I, a. un., n. 4. D ieu, voir A t t r i b u t s , t. i, col. 2226; D i e u , L iv,
5 “ U ne dernière question débattue entre philosophes col. 1157.
sert à préciser davantage ces notions et à en m ontrer Parce que D ieu est acte pur, l ’ éternité n ’ est autre
l ’ intim e connexion avec l'ontologie thom iste. Plusieurs chose en réalité que D ieu lui-m êm e. Parce que l ’ essence
scolastiques se sont dem andé si le term e « durée », de D ieu est son existence m êm e, D ieu est non seule ­
appliqué à l ’ éternité, n'était pas une coptradiction. m ent éternel, m ais il est son éternité. Telle est l ’ ex ­
A u prem ier abord, en eftet, le concept de durée paraît pression de saint Thom as, Sum. theol., I», q. x, a. 2;
présenter une idée de succession; or, nous avons vu cf. Contra gent., 1. I, c. xv, après saint A ugustin,
que l'éternité ne com porte aucune idée de succession, Enar. in ps. ci, serm . n, 10, P.L., t. xxxvn, col. 1311,
m êm e sim plem ent envisagée com m e possible. A ussi saint G régoire, Moral., 1. X V I, c. x, P. L., t. l x x v ,
A uriol, In IV Sent., 1.1, dist. X IX , q. n, a. 2, refuse col. 119. Il ne peut donc y avoir deux principes coexis ­
d ’ appeler « durée » l ’ éternité. L ’ éternité, d ’ après lui, tants de toute éternité et indépendants l ’ un de l ’ autre.
ne serait autre chose que la nature divine, en tant A insi se trouve réfutée d ’ avance l ’ erreur fondam en ­
qu ’ apte à coexister avec un tem ps infini im aginaire. tale du m anichéism e. V oir ce m ot.
Personne ne nie qu ’ en réalité l ’ éternité s ’ identifie 2. M ais c ’ est surtout à l ’ É criture sainte que le théo ­
avec D ieu lui-m êm e, m ais l ’ explication d ’ A uriol ne logien doit dem ander l ’ affirm ation de l ’ éternité
vaut pas m ieux que l ’ écueil qu ’ il voudrait éviter : divine. Les théologiens ont l ’ habitude de déduire
une succession possible à l'infini (tel serait ce tem ps l ’ éternité divine du nom ineffable tn», E xod., ni,
im aginaire) est aussi préjudiciable à l ’ idée d ’ éternité 14, et de toutes les expressions qui m arquent l ’ absolue
qu ’ une succession réelle. Il vaut m ieux répondre avec perm anence de D ieu dans l ’ être. V oir D i e u , t. iv, col.
G onet, loc. cit., affirm ant la doctrine de saint Thom as, 954-962. C ’ est ainsi que N otre-Seigneur Jésus-Christ
In IV Sent., 1. I, dist. X IX , q. n, a. 2, que l ’ éternité, affirm e de lui-m êm e l ’ éternité dans sa réponse aux
le tem ps et l’œvum sont tous trois des durées et com m e Juifs, Joa., vin, 58 : Antequam Abraham fieret, ego
les trois espèces d ’ un m êm e genre. M ais l ’ idée de sum, et saint Paul, reprenant le texte du ps. ci (cri),
succession n ’ est pas essentielle à l ’ idée de durée : la 25-28, exprim e la m êm e idée au sujet du Sauveur,
durée consiste dans la perm anence de l'être; plus un H eb., i, 5-12 : Ipsi peribunt, tu autem permanebis...,
être s ’ éloigne dans son essence ou dans ses opérations tu autem idem ipse es, m êm e par rapport aux anges.
de l ’ être parfait, de l ’ acte pur, plus il s ’ éloigne de la Le nom d ’ É ternel a été constam m ent donné à
perm anence parfaite dans l ’ être. L ’ acte pur, sans D ieu par les Juifs et les chrétiens. G en., xxi, 33;
m élange de puissance, principe de m utabilité, repré ­ B ar., iv, 7; D an., vi, 26; xm , 42; Eccli., xvni, 1;
sentera donc la perm anence absolue dans l ’ être; les II M ach., i, 25; R om ., xvi, 26. D ans tous ces passages
esprits purs, dont l ’ essence cependant est puissance l ’ expression œternus sem ble devoir être prise dans un
par rapport à l'existence et aux opérations, participe ­ sens absolu; on peut en rapprocher les form ules si
ront de la durée parfaite dans la m esure où ils sont courantes in œternum, in sempiternum, in sœcula
actes purs; de la durée im parfaite, qui im plique succes ­ sœcu/orum, in œternum et ultra; cette dernière rend
sion réelle ou fin virtuelle, dans la m esure où ils sont d ’ ailleurs insuffisam m ent le pléonasm e voulu de
puissance; enfin, les êtres corporels, essentiellem ent l ’ hébreu pour m ieux affirm er l ’ idée d ’ éternité : w
et sous tous rapports com posés d ’ acte et de puissance,
seront soum is à la durée la m oins parfaite, le tem ps, nSri). Exod., xv, 18; M ich., iv, 5; cf. D ent., xxxn, 4;
qui m esurera toutes leurs m utations, essentielles et Ps. ix, 8 ; xci, 9 ; D an., iv, 31 ; Eccli., xvm , 1 ; A poc.,i,
accidentelles. 18; iv, 9-10; v, 14.
N ous retrouvons ici, à la base de la théorie philo ­ D es figures et des com paraisons exprim ent la m êm e
sophique de l ’ éternité, la doctrine fondam entale idée : le nom bre des années de D ieu ne saurait être
de l ’ acte et de la puissance, de l ’ essence et de l ’ exis ­ com pté, Job, xxxvi, 26; D ieu reste à jam ais, tandis
tence, tant il est vrai que, dans le systèm e de saint que les im pies passent, Ps. rx, 8; il habite l ’ éternité,
Thom as, tout s ’ enchaîhe logiquem ent et que les grands Is., uvii, 15; il est l ’ A ncien des jours. D an., vn, 9.
principes de l ’ ontologie supportent tout l ’ édifice de Son existence est en dehors du tem ps : au principe
la doctrine. V oir E s s e n c e , col. 845. de. toutes choses, c'est-à-dire avant que rien n ’ existât
II. É t e r n it é , a t t r i b u t d iv in . — Q ue l ’ éternité encore, D ieu était déjà, Joa., i, 1, 2; cf. 3; G en., i, 1,
soit un attribut divin, c ’ est là une vérité que la seule quoique, en cet endroit, principium n ’ ait pas la m êm e
raison suffit à prouver. L'affirm ation de l ’ éternité signification qu ’ en Joa., i ; son existence précède
divine se trouve égalem ent dans l ’ É crituri sainte le tem ps, Eccli., x l i i , 21, pensée que l ’ on rencontre
et dans la tradition : m ais ici, le théologien doit tenir souvent exprim ée sous diverses form es, ante constitu­
com pte du m ystère de la sainte T rinité et de l ’ attri ­ tionem mundi, Joa., xvn, 24; Eph., ι,4; I Pet., i, 10;
bution de l ’ éternité à chacune des trois personnes. antequam terra fieret, Prov., vin, 23; Ps. l x x x i x ( x c ),
A m our de la vérité de foi gravitent plusieurs questions 2; ante luciferum. Ps. cix, 3. L ’ éternité de D ieu, consi ­
secondaires dont la théologie ne se désintéresse pas dérée par rapport au tem ps, est encore exprim ée
com plètem ent. N ous allons passer en revue celles-ci et par ces paroles de l ’ A poc., i, 4 : gratia vobis et pax,
celle-là. άπδ ό ών καί ό ην και ό έρχόμΐνος , qui m ontrent clai ­
1° Affirmation de l’éternité divine. — 1. La raison rem ent que toutes différences de passé et de futur
917 É T E R N IT É 918

doivent être écartées de D ieu. V oir t. i, col. 1476; A p p r o p r i a t io n , t. i, col. 1711. E n ce cas, le Fils et
cf. Diclionnaire de la Bible deM . V igouroux, art. Éter­ le Saint-E sprit sont dits coéternels au Père. — Sous
nité. la plum e des Pères grecs, l ’ expression αιών n ’ a pas
R elativem ent au m ystère de la sainte T rinité, l ’ éter ­ toujours le sens d ’ éternité absolue. Saint Jean D a ­
nité du Fils est clairem ent affirm ée dans H cb., t. 5-12; m ascène, De fide orthodoxa, 1. II, c. I, P. G., L xov.
Joa., vni, 58; M idi., v, 2; Ps. α χ, 3. D e l'Esprit- col. 861, expliqué les différentes accept ions de ce m ot.
Saint éternel, il n'est parlé nulle part explicitem ent, qu'on applique parfois aux durées tem poraires assez
m ais il est facile de déduire l ’ attribut d ’ éternité de longues, aussi bien qu ’ à l'éternité proprem ent dite
la divinité du Saint-Esprit. ou à la durée des esprits. N ous allons d ’ ailleurs
3. Sur ce point spécial de l ’ éternité de D ieu, aucune retrouver toutes ces significations, soit dans
hésitation dans la tradition de l ’ Église : sa doctrine a B ible soit dans la tradition. D ’ autres fois, immortalité
toujours été que D ieu ne pouvait qu ’ être éternel. est synonym e d ’ éternité. C ette expression se fonde
Le seul aspect intéressant de la croyance à l ’ éternité sur I Tim ., vi, 16. T oute im m ortalité participée
de D ieu concerne les controverses trinitaires des et soum ise à des changem ents, m êm e sim plem ent
prem iers siècles. accidentels, n ’ est pas la vraie im m ortalité. V oir ce
La doctrine authentique de l ’ Église est, dès l ’ âge m ot. A insi, Théodoret, Dial., m , P. G., t. l x x x i ii ,
apostolique, que, les trois personnes étant D ieu, col. 268, décrit D ieu : σύσια αθάνατο; ού μετουσία ού γάρ
chacune des trois est éternelle. L ’ affirm ation solen ­ παρ ’ ετέρου αθανασίαν εχει λαβών. S. A ugustin, Cont.
nelle de cette croyance eut lieu au I" concile de N icée, Maximinum, 1. I, c. xn, P. L., t. x i j i , coi. 768;
en 325, lorsque l ’ hérésie arienne fut anathém atisée. In Joa., tr. X X III, n. 9, P. L., t. xxxv, coi. 1588;
Peut-être avons-nous m êm e un docum ent antérieur, S. B ernard, /n Cantic., serm . l x x x i , P.L.,t. ci-xxxm ,
la profession de foi du concile d ’ A ntioche, vers 267, coi. 1171. Cf. Petau, De Deo, 1. III, c. iv, n. 10,11.
condam nant Paul de Sam osatc : Profitemur et prædi- 2° Questions secondaires relatives à l'éternité divine. —
camus l'ilium Dei Deum esse sapientiam et virtutem 1. L ’ éternité est-elle un attribut négatif ou positif? —
Dei ante sæcula existentem, et les Pères anathém a- Scot, Quodlib., q. vi, et Suarez, Mclaph., 1. IV,
tisent celui qui refuserait de croire Filium Dei esse disp. L, enseignent que l'éternité est un attribut
ante constitutionem mundi. M ansi, Concil., t. i, col. négatif. Scot dit qu ’il est constitué par la négation
1033. C ette profession de foi, probablem ent inauthen ­ de toute succession, voir t. iv, col. 1877; Suarez,
tique, est cependant très ancienne. Cf. H efele, Histoire par la négation de toute dépendance. Les thom istes
des conciles, trad. Leclercq, 1.1, p. 197, note 4; p. 198, enseignent généralem ent que l ’ éternité, bien que
note 4. Le concile de N icée a proclam é l ’ éternité du conçue négativem ent, voir plus haut, doit être consi ­
Fils dans la form ule ajoutée au sym bole : Τούς δέ dérée com m e un attribut positif : « Les choses sim ples
λέγοντας ' ήν sore δτε οΰκ ήν καί πριν γεννηθήναι ούκ se définissent ordinairem ent par la négation; c ’ est
ήν..., αναθεματίζει ή καθολική έκκλησία. D cnzinger- ainsi qu ’ on définit le point : ce qui n ’ a pas de parties.
B annw art, n. 54. M ais les controverses portaient E t cela ne veut pas dire que la négation fasse partie
directem ent, com m e on le sait, sur la consubstantia ­ de son essence; c ’ est parce que notre intelligence, qui
lité; ce n ’ est que par voie de conséquence que l'éter ­ saisit d ’ abord le com posé, ne peut arriver à la connais ­
nité était en jeu. A ussi suffit-il ici de renvoyer à l ’ art. sance des choses sim ples qu ’ en éloignant d ’ elles la
A r ia n i s m e , t. i, col. 1779. com position. » Sum. theol., I", q. x, a. 1, ad 1 “ =.
La croyance en l ’ éternité du Saint-E sprit a été Cf. G onet, Clypeus theologiæ thomisticœ, tr. I,
égalem ent affirm ée d ’ une m anière indirecte au I" con ­ disp. IV, a. 5, § 2, n. 147. V oir A t t r i b u t s d iv in s , 1.1,
cile de C onstantinople, par la définition de sa proces ­ col. 2227 ; A n a l o g ie , ibid., col. 1148.
sion éternelle du Père, et de son égalité au Père et 2. L ’ éternité est-elle la mesure de la divinité, com m e
au FH s, com m e Seigneur, digne de toute adoration ct le tem ps est la m esure du m ouvem ent dans les êtres
de toute louange. V oir E s p r it -S a in t , col. 808. Par corporels? — Saint Thom as sem ble le nier. Sum.
voie de conséquence, elle était égalem ent niée par les theol., I», q. x, a. 2, ad 3 “ ">;/n IV Sent.,\. I, distX IX .
hérétiques, refusant au Saint-E sprit, soit la personna ­ q. i, a. 1, ad 4" “ . Les com m entateurs interprètent
lité, voir S a b e l l ia n i s m e , soit la consubstantialité les paroles du docteur angélique, en disant que ’ ter-
avec le Père, voir M a c e d o n i u s . nité n ’est pas form ellem ent, m ais virtuellem ent,
D ans leurs réfutations des ariens, les Pères sont m esure de la divinité, G onet, loc. cil., n. 144. ou bien
am enés à déclarer que l ’ éternité appartient à D ieu que l ’ éternité n ’ est pas une m esure extrinsèque,
seul en propre, et c ’ est parce que les siècles (αιώνες ) m ais intrinsèque. B illuart, diss. Ill, a. 8. V asquez,
sont l ’ œ uvre du Fils que celui-ci est éternel, et que In Sum. theol., disp. X X X I. c. v, et Suarez, loc. cit.,
les siècles ne le sont pas. Cf. S. B asile, Contra Euno­ nient absolum ent que l ’ éternité puisse être conçue
mium, 1. Il, n. 12, 13, P. G., t. xxix, col. 594-598. com m e la m esure de l ’ être divin, puisqu ’ elle est cet
Le concile de R eim s, en 1148, résum e la doctrine être divin lui-m êm e.
catholique de l ’ éternité de D ieu, Père, Fils et E sprit, A u fond, ces discussions sont de très m inim e im ­
dans son canon 3. Le canon 1 affirm e que l'éternité portance, puisqu ’ il ne s ’ agit que de la m anière dont
de D ieu, c ’ est D ieu lui-m êm e. D enzinger-B annw arth, nous concevions D ieu, sans que cette m anière puisse
n. 389.392. R appelons en term inant Inform ulé du sym ­ porter atteinte à ses attributs et à ce que la foi nous
bole dit d ’ A thanase : Æternus Pater, æternus Filius, oblige de croire.
æternus Spiritus Sancitis, ct tamen non tres æterni, sed 3. Enfin, par rapport aux êtres créés, l ’ éternité
unus æternus. D enzinger-B annw art, n. 39, cf. n. 420. de D ieu est-elle une m esure de leur existence ? — N ous
D eux rem arques sont nécessaires sur la m anière avons déjà répondu d ’ avance à cette questior.. en
de s ’ exprim er des Pères de l ’ Église. C ertains d ’ entre posant les principes philosophiques qui reç.en· les
eux sem blent attribuer l ’ éternité au Père seul. 11 n ’ y rapports du tem ps et de l ’ éternité. O ui, et c est opi ­
a là aucune erreur ni tendance au subordinatianism e. nion de tous les théologiens, l'éternité est une tr i sure
C ’ est par m anière d'appropriation qu ’ ils parlent ainsi : des existences créées, m esure inadéquate, sans c-site,
on cite saint H ilaire, De Trinitate, 1. II, c. i, P. L., parce qu ’ elle est en dehors de l ’ ordre du tem ps, m ass
L x, col. 51; pseudo-A m broise, Explanatio symboli m esure excédant ύ l'infini toutes les successions pos ­
ad initiandos, P. L., t xvn, col. 1156; saint A ugustin, sibles du tem ps, parce qu ’ elle les englobe dans son
De Trinitate, 1. V I, c. x, P. L., t x u i, col. 931. Les im m utabilité parfaite.
théologiens ont m aintenu cette appropriation. V oir III. É t e r n it é p a r t ic ip é e . — L ’ éternité propre ­
919 É TE R N ITÉ 920

m ent dite ne convient qu ’ à D ieu seul; seul, en effet, font saint Irénée, Cont. /ia?r.,).I,c.i, 2; c.n ,l; c.xxm ,
il est im m uable : c ’ est l’actus purissimus. C ependant, 1-4, P. G., t. vu, col. 446, 452, 671 ; saint É piphane,
en dehors de D ieu, la sainte E criture attribue l ’ éter ­ Hær., 1. I, hæ r., xxxi, P. G., t. x l i , col. 494; l ’ au ­
nité à d ’ autres êtres. Il sem ble donc opportun d ’ étu ­ teur des Philosophoumena, V I, 9-20; X , 12, P. G.,
dier au m oins brièvem ent cette éternité des créatures. t. xvi, col. 3207, 3425 ; Théodoret, In Epist. ad Heb.,
Elle peut être réellem ent l’éternité participée; elle peut P. G ., t. L xxxn, col. 674 sq.; pseudo-D enys, De div.
n ’ être qu ’ une éternité improprement dite. nom., c. v, P. G., t. ni, col. 831 sq. ; T ertullien, Adv.
N ous appelons éternité participée cette durée qui valentinianos, c. vu, vm , P. L., t. n, col. 550 sq.,
chez les êtres d ’ essence im m uable tient à la fois de nous n ’ arrivons pas encore à nous faire une idée exacte
l ’ éternité et du tem ps : im m obilité dans la nature, de ce systèm e dont le fond est un vague panthéism e
succession dans les opérations, tels en sont les deux idéaliste. Cf. A . d'A lès, La théologie de Tertullien,
élém ents essentiels. A cette durée, les théologiens ont Paris, 1905, p. 60 sq. D ’ ailleurs, il n ’ a d ’ intérêt pour
réservé spécialem ent le nom à’ævum, qui, dans le nous qu ’ en raison de quelques difficultés patristiques
langage de l ’ Écolc, n ’ est em ployé dans aucun autre qu ’ il suscite.
sens, à l ’ inverse du term e correspondant grec, αιών. L aissant de côté les rapports de ce systèm e avec
1° L ’ éternité participée se rencontre dans un ordre les conceptions antitrinitaires des ariens et des m acé ­
double, 1 ’ ordre des essences im m uables, natures angé ­ doniens, il nous suffira de signaler le fondem ent scrip ­
liques ou corps ressuscités, l ’ ordre des opérations turaire sur lequel il sem ble avoir été édifié. Ce sont
surnaturelles de la vision -intuitive. deux textes de l ’ É pître aux H ébreux, i, 2 : Ai ’ où χαι.
1. Ordre des essences immuables. — L ’œvurn, dans έποίησεν τούς αιώνας ; X I, 3 : Π ίστει νοοϋμεν κατηρτίσθαι
cet ordre, est la durée des anges et des hommes, après τους αΙώνας ρηματι θεού. Par une spéculation conform e
la résurrection générale. Les prem iers, par nature, les au génie oriental, ces αιώνες sont représentés
seconds, par privilège, sont incorruptibles dans leur com m e des choses existant en soi. T out l ’ effort des
essence : il ne peut être question de changem ent ni Pères qui com battent les gnostiques tend à prouver
de m utabilité autrem ent que par une assim ilation de la non-éternité des αιώνες , m ais non pas leur non-
leur être, ce que D ieu peut réaliser en vertu de sa réalité. L eur existence, sem ble-t-il, est indépendante
puissance absolue, m ais non en vertu de sa puissance de celle des créatures qu ’ ils m esurent. Ce sont com m e
ordonnée. V oir ces m ots. Cf. S. Thom as, In IV Sent., des réceptacles, créés par D ieu, pour recevoir les
1. Ill, dist. I, q. n, a. 3. créatures qui échappent aux conditions du tem ps,
Il y a dans cette durée une participation de l ’ éter ­ S. G régoire de N ysse, Contra Eunomium 1. I, P. G.,
nité selon les deux élém ents essentiels qui la consti­ t. x l v , col. 366; ils sont en dessous de la génération
tuent : im possibilité d ’ assigner un term e (réel), au du V erbe, S. B asile, Contra Eunomium, 1. II, n. 12,
m oins quant à la fin; exclusion de toute m utation 13, P. G., t. xxix, col. 594; ils sont la dim ension, la
(dans l ’ essence). M ais les opérations des anges et des distance qui sépare le com m encem ent du m onde de sa
hom m es restent soum ises à la loi de la succession, fin. Théodoret, In Epist. ad Heb., c. i, P. G., t. l x x x i i ,
bien qu ’ il n'y ait pas continuité nécessaire dans cette col. 679. A joutons cependant que Théodoret ne sem ble
succession. L ’ avantfet l ’ après, sans affecter l’œvum, pas distinguer réellem ent les αιώνες des créatures
lui sont annexés. D e là, cette conséquence que la qu ’ ils m esurent, m ais saint G régoire de N ysse dit
connaissance angélique, au lieu de procéder par la expressém ent qu ’ ils sont distincts des substances
com préhension totale, en un seul acte, du passé, du créées. T ertullien se contente de vouer au ridicule le
présent et de l ’ avenir, se produit selon un ordre de | systèm e de V alentin, qu ’ il ne prend pas au sérieux.
priorité et de postériorité. Cf. B illot, De Deo uno, j Saint B asile, In Hexaem., hom il. i, n. 50, P. G.,
q. x, th. ix, coroll. 3. O n peut trouver dans la sainte I t. xxiv, col. 144, a une théorie analogue sur la lumière
E criture une affirm ation de cette doctrine, relative- j intelligible, qui aurait existé avant tous les tem ps, dans
m ent aux corps ressuscités. A poc., x, 6. un état de choses préalable à la constitution du m onde.
2. Ordre de la vision béalifique. — D ans cet ordre, Com m e, d ’ autre part, nous savons que saint B asile,
ce ne sont plus seulem ent les essences qui participent Contra Eunomium, loc. cit., s ’ est inscrit en faux contre
à l'im m utabilité divine, ce sont aussi les opérations l ’ hypothèse d ’ une création éternelle, il est à supposer
dans l ’ acte, toujours identique à lui-m êm e, de la vision que cet état de choses préalable à la constitution du
béatifique. L ’ intelligence et la volonté sont fixées I m onde, dont l ’ expression était cette lum ière intelli ­
dans la contem plation et l ’ am our du bien infini, dans gible, n ’ est autre que D ieu lui-m êm e, archétype de
la lum ière de la gloire, et participent ainsi à la vie 1 toutes les créatures, et dont la lum ière éclairait en
m em e de D ieu. V oir I n t u it i v e (Vision). C 'est donc son essence les idées de toutes les choses futures.
en réalité la vie éternelle com m uniquée par D ieu aux N éanm oins, la doctrine attribuée à saint B asile a
créatures, et c ’ est, en effet, le term e que lui applique, été reprise au xn e siècle dans un sens nettem ent
en m aints endroits, la sainte Écriture. Cf. D an., xn,2; hétérodoxe par le m oine G régoire Palam as, cf. C anta-
Eccli., xviii, 22; xxiv, 31; II M ach., vu, 9; M atth., cuzène, Hist., 1. II, c. xxxix, P. G., t. ci.in, col. 669,
xviii, 8; xix, 16; Joa., xvn, 3, etc. et au xvi· siècle, par A ugustin Steucho de G ubbio,
N ous avons esquissé en com m ençant l ’ explication Cosmopæia vel de mundano opificio, in-fol., L yon,
tentée par les philosophes au sujet de l ’ æ w im , nous 1535. Pour eux, la lum ière divine, incréée. ém ane de
n ’ avons plus à y revenir. D ieu de toute éternité et form e une substance distincte
2° Difficultés patristiques relatives à l’œvum. — N ous de la substance divine. Elle est l ’ habitation de D ieu
n'avons pas ici à étudier en détail les aspects variés lui-m êm e, selon la parole de saint Paul, I Tim ., vi,16,
des différentes sectes de la gnose prim itive. V oir et s ’ est m anifestée autour du C hrist dans sa trans ­
G n o s e . Il suffit de rappeler un de leurs caractères figuration. C ette divagation théologique, renouvelée
com m uns, ayant trait à la présente question. L ’ im agi ­ des anciennes spéculations platoniciennes, ne pré ­
nation des gnostiques avait inventé la théorie des sente qu ’ un intérêt purem ent historique.
éons, en grec αιώνες : au term e αιών correspond IV. É t e r n it é i m p r o p r e m e n t d it e . — C ’ est lors ­
exactem ent, on le sait, le term e ævum, qui n ’ est qu ’ elle s ’ applique à des êtres existant réellem ent
d ’ ailleurs que sa transposition latine. Ces éons sont dans le tem ps, m ais dont la durée a un lointain
des ém anations supratem porelles de la divinité. rapport avec l ’ éternité divine. L ’ éternité ainsi enten ­
A dire vrai, ces spéculations appartiennent à la plus due se dit des idées ou des choses.
nébuleuse théosophic, et m algré les expositions qu ’ en 1° Les idées sont éternelles, en ce sens que, ne con ­
921 É T E R N IT É — É T H IO P IE (É G L ISE D ’) 922

sidérant dans les essences des choses créées que la cipes, ses fondem ents, com m e dans ses r ··_ es - ■
réalité abstraite de toutes les déterm inations de tiques ou sa discipline. Il ne saurait s ■_ r . -/
l'ordre concret, on form e ainsi des idées générales qui m ent de l ’ inconduite de quelques chrétiens depraves
sont en dehors des conditions du tem ps et de l ’ espace. ou révoltés blessant les bonnes m œ urs, car il s'en ren ­
Les idées éternelles sont ce que l ’ ancienne scolastique contre partout et toujours quelques-uns, et alors saint
appelle les universaux. Tel est le sens philosophique Jean D am ascène leur aurait donné le nom dS-U r; z-
du m ot. V oir E s s e n c e , col. 833. κοπταί,βΐ non celui ά'ήβικοπροσκοπτα:; m ais il s ’ agi*
D ans l ’ usage courant, on appelle égalem ent éter ­ de sectaires dont la caractéristique était de <· : -· -
nelles les idées qui se retrouvent chez tous les peuples, et de se briser contre les notions et les prescrit ti r_;
sous tous les clim ats, dans toutes les religions. Les de l ’ éthique ou de la m orale traditionnelle du genre
idées de devoir, de bien, de m al, sont, en ce sens, des hum ain. E t com m e il n ’ en parle qu ’ à la suite de tous
idées éternelles. ceux dont il a em prunté la nom enclature aux here -
2° Les choses sont dites éternelles, bien qu ’ étant siologies antérieures, il est à croire que ces . th: ·
m esurées par le tem ps,lorsque,par la volonté de D ieu, proscoptes ont vécu postérieurem ent à Sophroniii'.
elles n ’ont pas de lin assignée à leur existence. Le feu de qui n ’ en a pas dit un m ot et qui m ourut en 638. c'est-
l ’ enfer, créature soum ise à toutes les m utations acci ­ à-dire dans la seconde m oitié du v u ' siècle ou dans la
dentelles et essentielles des créatures, est cependant prem ière m oitié du v in ' en O rient, et plus vraisem ­
appelé éternel, parce qu ’ il durera toujours. V oir blablem ent en A sic-M ineure ou en Syrie. M ais ils se
F e u d e l ’ e n f e r . Cf. M atth., xxv, -il; xvm , 8. Si rattachent par des liens m ystérieux et im pénétrables
le m onde n ’ est pas annihilé dans la conflagration aux pires gnostiques du u· siècle, aux antitactes et
finale, il sera éternel en ce sens. I antinom istes, dont le nom se trouve être, en m orale,
L ’ épithète éternel est appliquée fictivem ent, d ’ une l ’ équivalent lexicologique du nom d ’ éthicoproscoptes.
m anière poétique , aux êtres de longue durée. L ’ Écri ­ dont saint Jean D am ascène a flétri les lointains
ture nous donne plusieurs exem ples de cette figure rejetons, et form ent l ’ un des anneaux de la chaîne,
littéraire. D eut., x x .x i i i , 13, 15. qui reparaîtra plus tard, ici et là, du xn® au xvi'
Form ellem ent parlant, l ’ éternité im proprem ent siècle, sous d ’ autres nom s, albigeois, béguards, liber ­
dite se réfère au tem ps : tous les êtres réels auxquels tins, etc.
elle est attribuée se m euvent dans le tem ps; nous
S. J. D am ascène, Hær., 96, P. G., t. xciv, col. ■ ;
avons vu, en effet, que, de sa nature, le tem ps ne com ­ M igne, Diclionnaire des hérésies, Paris, 1847, t. I, col. 681 :
porte pas nécessairem ent un com m encem ent réel, Sm ith et W ace, Dictionary of Christian biography,Lone·
une fin réelle. La création ab æterno est considérée 1877.
par beaucoup com m e possible, et il n ’ y a aucune G . B a r e il l e .
raison d ’ im poser au tem ps un instant final, tant que É T H IO P IE » ÉGLISE D' ’ . — I. Les origines. IL A près
D ieu, le prem ier m oteur, conservera le m ouvem ent le concile de C halcédoine. III. A près les conquête' de
aux corps. l ’ islam en Syrie et en É gypte, agonie de l ’ Église
Les applications particulières du m ot éternité, d ’ Éthiopie. IV . Sous la dynastie des Zaguës (96"-
vie étem elle, feu éternel, création éternelle, avec les 1268). V . Sous la restauration de l ’ antique dynastie.
difficultés d ’ ordre spécial qu ’ elles com portent, ont N ouvelle phase religieuse (1268-1440). V I. Concile de
été ou seront étudiées dans les articles se rappor ­ Florence : Z ara-Sacob,réform atcurdu culte. V IL A près
tant directem ent à ces questions particulières. les invasions m usulm anes, l'Éthiopie à R om e et au
Portugal; faillite d ’ une prem ière union. V III. M ission
Pour la partie spéculative : S. Thom as. Sum. theol., I· , q. x;
In IV Sent'., 1. I, dist. V III, q. n; G onct, Clijpeus theologiæ des jésuites (1556-1606). IX . C hristologie (1636-190").
thomisticæ, tr. I. disp. IV, a. 7; tr. V II, disp. V I; Pégues, X . É tat au xix« siècle.
Commentaire littéral de la Somme théologique, Toulouse, I. L e s o r ig in e s . — 1° Position et étendue géogra­
1907, t. 1 et u; B illuart, diss. Ill, a. 8; Suarez, Metaph., phique.— D ire Église ou em pire d ’ Éthiopie, c'est tout
disp. L, et les autres com m entateurs de saint Thomas. un. Il s ’ agit de l ’ antique em pire de ce nom . La déno ­
Pour la partie positive : Petau, De Deo Deique proprietati­ m ination ultérieure d ’ A byssinie nous en précise m ieux
bus, 1. Ill, c. πι-νπ: Thom assin. Dogm. theol., 1. V, c. xn- la position géographique, en la détachant de . im ­
xiii; Franzelin, De Deouno, sect, iii.c. Il, th. xxm : c. iv,
th. xxxi et x x x ii ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris, m ense et vague Éthiopie des anciens. M ais, soit ; >ur
1908. 1. IV, c. n, note S; d ’ Alès, La théologie de Tertullien, l ’ Église, soit pour l ’ É tat, le nom d'É thiopie · ; ..ffi-
Paris. 1905, c. u. in; J. Lebrcton, Les origines du dogme ciel, sacré, intangible. D ’ ailleurs, du haut de ses
de la Trinité, Paris, 1910,1. I, III. som m ets, n ’ est-elle pas la fière capitale des v.dkes
A. M ic h e l . sans fin du H aut-N il que peuplent les descendants de
É TH 1C O PR O SC O PT ES . C ’ est le nom donné par C ousch? O n sait que le .sobriquet αιΟιοψ est syno ­
saint Jean D am ascène à des sectaires qui blâm aient nym e de C ousch. Elle com prend les plages riveraines
ce qui est digne de louange, louaient et pratiquaient de la m er É rythrée et de l ’ océan Indien par l ’ est,
ce qui est digne de blâm e. D ’ ordinaire, m êm e chez des et les hauts plateaux m ontagneux entre les 6 e et
baptisés, la perversion du sens m oral et la m éconnais ­ 15 e degrés de latitude nord et les 34' et 50 e degrés de
sance de la m orale traditionnelle cherchent à se justi ­ longitude est, m éridien de Paris.
fier par quelque erreur de doctrine. E t c ’ est parce C ette vaste délim itation est loin de signifier que la
qu ’ ils erraient au point de vue doctrinal que saint Jean religion chrétienne ait jam ais régné, soit universel­
D am ascène les a inscrits au nom bre des hérétiques, lem ent sur la nation tout entière, soit souveraine ­
m ais il a oublié de nous dire en quoi consistait leur m ent sans rivalité d ’ autres cultes, on le verra plus
erreur, sans doute parce que le term e m êm e qu ’ il loin, m ais qu ’ elle fut reconnue com m e la religion
em ploie pour les désigner la laisse transparaître. officielle de l ’ em pire.
ΊΙβικοπροσκοπται se com pose, en effet, de ηβικό;» 2° Introduction du christianisme. — Tous les histo ­
éthique, m orale, et de προσκόπτω, verbe com posé riens s ’ accordent aujourd ’ hui à reconnaître que l ’ ori ­
lui-m êm e du préfixe πρό;, qui m arque dans la com po ­ gine de l ’ Église d ’ Éthiopie ne rem onte pas au delà
sition un redoublem ent d ’ énergie dans la tendance de du iv ' siècle. N i la propagande censée faite par
l ’ action du verbe κόπτω, couper, trancher, saccager, l ’ eunuque de la reine C andace, ni les expéditions
vers le but déterm iné par le com plém ent direct, d ’ où, apostoliques de saint M atthieu in Æthiopiam. et de
προσκόπτω, heurter contre, se heurter, choquer, saint B arthélem y in Indiam citeriorem, n ’ ont eu pour
offenser, blesser la m orale elle-m êm e dans ses prin ­ théâtre la H aute-Éthiopie. 1. La légende d ’ A ksum
923 É T H IO P IE (É G L IS E D ’ ) 924

concernant la propagande de l ’ eunuque de C andace (A ïzanas et Saïzanas des inscriptions; Éla-A uda et
et rapporté par le P. d ’ A lm eida, dans B eccari, Rer. Ë la A zguagua du synaxaire ou m artyrologe étliio-
ælh., t. v, p. 133, 142, est une assertion ultérieure, pien), en l ’ an 333 du calendrier éthiopien, corres­
fantaisiste, sans aucun fondem ent ni aucun vestige pondant à l ’ an 341 du calendrier latin.
dans la tradition cultuelle de l ’ Église d ’ Éthiopie. O n Ces succès eurent du retentissem ent jusqu ’ à B yzance
sait, d ’ ailleurs, que C andace était la dénom ination et y donnèrent occasion à un docum ent officiel qui
générale des reines de M éroë. 2. Les Indes citérieures confirm e le fait de cette m ission extraordinaire en
où saint B arthélem y prêcha sont en A sie, et le culte É thiopie confiée à saint Frum ence par saint A tha ­
traditionnel de l ’ Église persane en fait foi. 3. D e nase, patriarche d ’ A lexandrie. Il s ’ agit d ’ une lettre
m êm e, nul vestige dans les fêtes,les offices, ni dans les adressée en 356 par l ’ em pereur arien, C onstance, aux
m onum ents religieux, d ’ un titre spécial à la recon ­ rois d ’ A ksum A ïzanas et Saïzanas, Apologia ad Con­
naissance régionale, nul souvenir· traditionnel ne fait stantium, P. G., t. xxv, col. 636, dans laquelle il les
m ention du passage de saint M atthieu dans le m et en garde contre Frum ence, évêque d ’ A ksum ,
royaum e d ’ A ksum . Les nom s de H irtacus et d'Iphi ­ sacré et délégué naguère par A thanase et pur con ­
génie et les détails de la légende im pliqueraient un séquent son disciple et l ’ adepte de sa doctrine. Il
contre-sens onom alogique et un alibi historique. Cf. leur dem ande de l ’ envoyer à A lexandrie, afin d ’ y
d ’ A im eida, op. cil., p. 142. subir un exam en sur la foi, près de G eorge, évêque
L ’ identification des nom s Α ιθιοπία et Ίνδια, faite arien, dont il avait favorisé l ’ intrusion au siège pa ­
sans y regarder de plus près, résulte du vague indé ­ triarcal de saint M arc, à la place de saint A thanase,
term iné de ces term es dans les auteurs des sept pre ­ condam né à l ’ exil. « Ce docum ent authentique, dit
m iers siècles. M . G uidi, Diet, d’histoire et de géographie, 1.1, col. 211,
L 'introduction du christianism e et la fondation de confirm e le récit de R ufin, etc. ; il en corrige l ’ erreur
l ’ Église d ’ Éthiopie sont dues à saint Frum ence ou géographique et en précise la chronologie (337-361).»
Reclus Faramanalos, dit \'illuminateur ou Ka?aié- 3° Préservation de l’arianisme. — D e plus, nous en
berhân,dans les circonstances aventureuses et rom a ­ recueillons la précieuse assurance que l'arianism e
nesques relatées par R ufin, H. E., 1. I, c. ix, édit. n ’ eut rien à voir dans la jeune Église, m algré cette
C edrenus, L i, p. 384, et substantiellem ent d ’ accord dém arche im périale et m algré les efforts de Théo ­
avec la légende d ’ A ksum . D ’ A lm eida, op. cit., p. 136. phile de D ibus, s ’ il est vrai, com m e le relate l ’ arien
D es rives de la m er R ouge, sans doute d ’ A doulis, Philostorge, 1. Ill, 46, P. G., t. l x v , col. 481-489,
port et em porium im portants depuis les Ptolém ées, les qu ’ il soit allé à A ksum pour y infiltrer le venin
deuxfrères Frum ence et Édésius, d ’ origine phénicienne, subtil et contagieux. D ans le Tigré, précisém ent le
furent em m enés captifs à la cour du roi d ’ Éthiopie, à terrain où elle aurait pu s ’ im planter, l'horreur de
A ksum (Axumitee,Auximilœ des auteurs grecs et ro ­ cette hérésie est restée proverbiale jusqu ’ à présent,
m ains). capitale alors à l ’ apogée de sa gloire. L ’ auteur m êm e apud vulgus; car l ’ arianism e ou le nom
du périple de la m er É rythrée, qui la visita en l ’ an 67 exécré d ’ A rius sert de term e d ’ im précation et de
de notre ère, rapporte que l ’ on y parlait couram m ent réprobation en face d ’ une proposition révoltante.
la langue grecque. Les deux prisonniers gagnèrent les 4° Extension progressive. — L a grâce m erveilleuse
faveurs du prince et furent chargés par lui d ’ offices dont l'apostolat de saint Frum ence avait été favo ­
de confiance et m êm e de l ’ éducation de ses fils, héritiers risé, produisit de grands effets de conversion et de
présom ptifs du trône. Ds profitèrent de l ’ influence et salut autour du noyau prim itif, et des oratoires grecs
de l ’ ascendant que leur donnait une si haute situation d ’ abord privés y devinrent des églises et des centres
pour initier les gens de la cour à la connaissance de de jour en jour accrus et m ultipliés. Sans doute,
Jésus-C hrist, pour faciliter aux m archands grecs l’infinitus numerus barbarorum de R ufin, d ’ après
qui fréquentaient le pays l ’ exercice de leur religion, Édésius, convertis à la foi clirétienne, peut être une
et pour gagner peu à peu des adeptes à l ’ Église chré­ expression orientale toujours hyperbolique; m ais,
tienne. pour le m oins, on y voit une expansion certaine ­
A u term e de leur service près des princes, ils obtin ­ m ent considérable, soit autour d ’ A ksum dans le
rent la liberté de reprendre la route de leur patrie. Tigré dont les populations ont l ’ œ il sur la cour im pé ­
U s prirent congé de la cour et s ’ en revinrent à A lexan ­ riale pour en suivre les exem ples, soit autour d ’ A doulis
drie. Pendant qu ’ Édésius alla jusqu ’ à T yr revoir leur sur les rives de la m er R ouge, dans ses villas sur le
fam ille, Frum ence resta à A lexandrie pour renseigner haut plateau et partout où les négociants grecs avaient
com plètem ent saint A thanase sur les dispositions un com ptoir devenu un centre chrétien, soit enfin
des Éthiopiens, si propices à l ’ expansion de l ’ É van- dans l ’ archipel de D ahlâk, alors fort exploité par une
gile. Le patriarche ne pouvait trouver un m ission ­ population civilisée et où les ruines sem ées plus tard
naire plus apte à cet apostolat que Frum ence lui- par les pirateries des m usulm ans attestent l ’ antique
m êm e. Il lui ‘ conféra les saints ordres et le sacra prospérité industrielle et religieuse par les relations
évêque de l ’ Église nouvelle qui allait s ’ ajouter aux com m erciales avec la baie d ’ A doulis. — 1. D ans leur
vastes conquêtes de la « prédication de saint M arc ». laconism e lapidaire, deux inscriptions retrouvées à
T out ce récit, ajoute R ufin, est dû à Édésius lui- A ksum , M . Th. von H euglin, Reise nach Abessinen,
m êm e, qui, lui aussi, devint prêtre de l ’ Église de p. 146-147, on constate un signe assez clair de la
Tyr. transform ation religieuse opérée dans les idées et le
Frum ence, officiellem ent chargé de l ’ évangélisation culte de la cour, grâce aux instructions de Fru ­
du royaum e d ’ A ksum , s ’ y rendit et y fut accueilli à m ence. Elles sont toutes les deux au nom d ’ A ïzanas,
bras ouveits avec les auxiliaires que saint A thanase l ’ aîné des royaux disciples du m issionnaire; m ais la
dut lui donner pour l ’ aider aux grands travaux divergence textuelle tém oigne d ’ une évolution com ­
de l ’ enseignem ent et de l ’ éducation des âm es, selon plète des convictions dans l ’ esprit du roi, accom ­
l ’ Évangile. Les conversions furent prom ptes et nom ­ plie durant l ’ intervalle qui sépara les dates de la
breuses. Le saint évêque trouva m êm e des âm es prem ière inscription et de la seconde. L a prem ière
d ’ élite déjà m ûres pour les ordres sacrés et qui col ­ est païenne, idolâtrique; la deuxièm e ne reconnaît
laborèrent à l ’ essaim age tout autour de la ruche- qu ’ un seul vrai D ieu, créateur et m aître de l ’ univers.
m ère d ’ A ksum . Selon la légende éthiopienne, d ’ A l­ Sans doute, on n ’ y lit pas une profession expresse
m eida, op.cit., p. 136, ces événem ents s ’ accom plirent de l ’ Évangile, m ais bien déjà le prem ier article du
sous le régne des deux frères A braha et A tsabaha sym bole des apôtres. C ’ était la vérité fondam entale
925 É T H IO P IE (E G L IS E D ’) 926

prêchée au m onde païen et qui, une fois adm ise, m ale après la conquête de l ’ Église, surtout quand
autorisait la révélation des m ystères de la foi chré ­ il s ’ agit d ’ un vaste em pire bien plus considerable
tienne. La conversion d'A ïzanas et de Saïzanas, par la puissance et le nom bre que le dom aine propre
ou A braha et A tsabaha, est célébrée par un culte qui du patriarcat d ’ A lexandrie. O r, cet état prim itif
leur est rendu en Éthiopie. A A ïba, dans l'Inderta, et inorganique est dem euré au cours des siecies et
une grande église m onolithe, creusée dans le roc, dem eure encore en Éthiopie. Infériorité lu m inante
leur est dédiée. O n fait rem onter à leur règne la con ­ consacrée par un des pseudo-canons de N icee forgés
struction de la cathédrale d ’ A ksum ; et ce ne peut par les jacobites au vit 0 siècle et adm is par les A bys ­
être que dans ce sens que les chroniques im périales sins. C eux-ci, grands naïfs, se plaisent à l ’ interpreter.
attribuent à A braha et A tsabaha la fondation de non com m e une loi d ’ ostracism e, m ais com m e un
cette ville; car, désorm ais, A ksum n ’ a d ’ im portance droit près du patriarcat. D ’ après ce canon :a> i evêque
qu ’ à cause de ce sanctuaire, Eda-Sion ou Dormis Sion. chargé de l ’ Église d ’ Éthiopie a le titre de ratholicos
Peut-être saint Frum ence n ’ a-t-il eu qu ’ à consacrer un ou m étropolitain sur cette province ecclésiastique
tem ple païen pour le convertir en église. D étruit au et les honneurs attachés à cette qualité, à l ’ instar
x° siècle par les flam m es, on ne peut en retrouver des de l ’ évêque de Séleucie, prim itivem ent légat du
vestiges certains; m ais la conjecture de l ’ existence patriarche d ’A ntioche ou catholicos; ainsi, ce titre
d ’ un ancien tem ple est fondée sur l ’ antériorité pro ­ ne représente qu ’ une délégation patriarcale, et non
bable des obélisques qui, à voir les débris couchés sur pas une autorité sui juris; — b) son caractère de
le sol, paraissent en avoir form é le cadre. Les car ­ catholicos est essentiellem ent m oindre que celui de
rières où ils se taillaient étaient d ’ ailleurs en acti ­ Séleucie, car ce n ’ est pas seulem ent la consécration
vité sous l’ em pereur - A ïzanas; les tables ou stèles de épiscopale, m ais m êm e l ’ élection qui appartient uni ­
ses inscriptions en font foi. Enfin, la Ί arika-Nagast quem ent au patriarche d ’ A lexandrie, à l ’ exclusion
célèbre le roi K aleb (vi c siècle) com m e un génial de tout choix par les Éthiopiens. Le m étropolitain
tailleur de roche ou excavateur. — 2. D u Tigré, le une fois nom m é n ’ a pas non plus, com m e l ’ évêque
m ouvem ent religieux s ’ étendit de proche en proche de Séleucie, le pouvoir de nom m er des évêques suf-
dans l ’ intérieur de l ’ em pire,au delà du fleuve T âkâzé, fragants ou auxiliaires dans son im m ense province;
en L asta, en A m ârâ, etc., selon que s ’ exerçait l ’ in- toutes ces nom inations sont réservées au patriarche
iluence directricedu pouvoir im périal sur ces contrées. d ’ A lexandrie. O n en a conclu à l ’ inéligibilitê des
D e fait, le berceau du christianism e dans la princi ­ m em bres du clergé éthiopien et,, de fait, la candi ­
pale des îles du lac Sana, au centre de l'em pire, fut la dature est réservée aux m oines égyptiens de Saint-
fam euse kalis ou Aklis (εκκλησία), dont on fait rem on ­ M acaire. 36 e canon, selon la rédacÜ on d ’ A ntioche;
ter la fondation au v c siècle. 47° selon la rédaction arabe; 42 e dans la version
5° Étal informe et inorganique. — Il serait plus d ’ A braham Ecchellensis. Ludolf, Comm, ad hist.
exact de dire que cette Église est restée constam m ent II. A p r è s l e c o n c il e d e C h a l c é d o in e (451). —
à l ’ état de m ission et d ’ évangélisation, état prim or ­ 1° Providentielle préservation de la défection copte. —
dial où elle n ’ est ni victorieuse, ni dégagée des reli ­ Les discordes théologiques, après les condam nations
gions et des m œ urs hétérogènes qu ’ elle com bat. E t du nestorianism e et de l ’ eutychianism e, dégénérè ­
il est difficile d ’ y reconnaître un diocèse constitué, rent bientôt en O rient en des luttes acharnées et
une province ecclésiastique organisée à l ’ instar de m êm e sanguinaires, et elles bouleversèrent toutes
toutes les Églises régionales, soit en O rient, soit en les Églises, durant le v e et le vi« siècles,com m e pour
O ccident, et jouissant de son self-government. C ’ est y préparer l ’ assujétissem ent le plus servile qui allait
plutôt un vicariat apostolique in partibus infidelium. suivre sous le joug m usulm an. D urant cette période
— 1. L ’ aspect de m ission, c ’ est-à-dire d ’ un cham p confuse, que devient la jeune Église d'É thiopie rivée
encore à défricher, se retrouve, m êm e aujourd ’ hui, à la rem orque de celle d ’ É gypte? Les docum ents his ­
à peu près com m e à l'origine. E n effet, le christianism e toriques se réduisent à quelques notes brèves des
cohabite en Éthiopie avec un fond de paganism e ido- chroniques éthiopiennes et à d ’ autres très peu claires
lâtrique ou de fétichism e persistant, partout entre ­ et précises des auteurs grecs et syriens de ces tem ps
m êlé et disputant le pas au vrai D ieu ; avec des m œ urs troublés. Ce n ’ est pas chose facile d ’y dém êler le fond
et des coutum es judaïques qui attestent de l'im m i ­ vrai, c ’ est-à-dire les faits tels qu ’ils ont dû avoir lieu,
gration de la religion d ’ Israël, m ais com m e sim ple les personnages et les circonstances caractéristiques
superfétation, laissant intact le fétichism e préoc ­ qui m ettent en lum ière les conditions de vie de l ’ œ u ­
cupant; enfin avec un culte à base chrétienne m ais vre de saint Frum ence, à travers les périls qu ’ elle
déform é par des idées et des pratiques supersti ­ courut sous les contre-coups inévitables des tem pêtes
tieuses. Cf. Piolet, Missions catholiques, t. i, Missions de l ’ É gypte et de tout le L evant. Providentiellem ent,
d’Abyssinie, par C oulbeaux, p. 3. A ux ém anations l ’ Éthiopie recevra des soutiens, des défenseurs qui la
de ces m iasm es m alfaisants qui déteignent sur la préserveront de la défection et de la révolte des
vérité et la pureté de l ’ Évangile en Éthiopie, s ’ ajou ­ coptes et des syriens.
tera encore plus tard l ’ infiltration envahissante de 2° Nouveaux apôtres. — D ans la seconde m oitié
i ’islam . — 2. L 'aspect d ’ un vicariat apostolique du v« siècle, sous le règne de l ’ em pereur d ’ Éthiopie
apparaît égalem ent dans l ’ inform e et anorm ale orga ­ A l-A m êda (455-495), eut lieu l ’ arrivée à A ksum de
nisation de cette Église; car si l ’ on y constate une cer ­ neuf saints de R om e, romawiân, c ’ est-à-dire roums
taine autonom ie dans ses cadres adm inistratifs, ou grecs de l ’ em pire byzantin, la nouvelle R om e.
c'est une autonom ie apparente, liée par un servage Leurs nom s ont été conservés par le culte qui leur est
radical, originel, qui assujettit tout le fonction ­ rendu et les églises qui leur sont dédiées dans le T itrai,
nem ent de sa vie, la tient rivée à un vasselage qui aux alentours d ’ A ksum : abba M ichaël dit A ragi»;
la prive du droit prim ordial, essentiel au self-govern­ ou le vieillard, abba Pantaléw on, abba Isaâ-· dit
ment : l'élection dans son sein de son évêque, droit G arim â, abba A isé, abba G uba, abba A Jêf, abba
qui est le principe m êm e de l ’ autonom ie. Y em ata ou par abréviation abba M ata, abba Lika-
C ette condition est celle du berceau, du bas âge, nos et abba Sâm â. Les chroniques ajoutent : Es
com m e dit saint Paul, G al., iv, 1, quanto tempore heres ont rectifié la foi, artaii haymanota. Tarika-Eagast sur
parvulus est, nihil differt a servo. O n la conçoit A l-Am êda. Les églises qui leur sont dédiées ont été
naturellem ent dans la période d ’ évangélisation et élevées aux endroits qu ’ ils ont sanctifiés par leurs
d ’ éducation chrétienne; m ais elle est surannée, anor ­ vertus et par le zèle avec lequel ils se consacrèrent à
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l'instruction et à la form ation chrétiennes des popu ­ sur les côtes m éridionales de l ’ A rabie ct sa rivalité
lations. Ils achevèrent dans le T igré l ’ œ uvre de saint avec le roi de Perse faisaient de l ’ em pereur d ’ A ksum
Frum ence. l ’ allié naturel de B yzance. A ussi, allons-nous avoir
O r, ces religieux étaient-ils chalcédoniens ou anti- une confirm ation officielle incontestable de la pré ­
chalcédoniens? M .G uidi, Diet, d’histoire, 1.1, col. 212, servation du m onophysism e durant le v c et le vi°
par certaines déductions, incline à penser qu ’ ils siècles, m algré la contagion m enaçante des rives de
étaient m onophysites. M ais ces déductions sont l ’ É gypte et de l ’ A rabie : je veux dire le fait pro ­
hypothétiques et, partant, contestables. Le choix ex ­ chain du recours de l ’ em pereur Justin I er près de
traordinaire des term es du chroniqueur : Kedusân K aleb ou E l-E sban, roi d ’ Éthiopie, disciple de
romaiviân, est, à m es yeux, d ’ une précision voulue et saint Pantaléw on, survivant des neuf religieux,
significative, à l ’ effet d ’ attester leur orthodoxie ca ­ afin de le presser de secourir les chrétiens de N ag-
tholique. E n effet, le chroniqueur, d ’ après la tradition rân, persécutés en A rabie. L ettre de Sim éon, évêque
régionale, les appelle romaiviân au lieu de suriân ou de B eth-Arsâm , en syriaque, dans A ssém ani, Biblio­
gebsâiviân, c ’ est-à-dire syriens ou coptes, dénom i ­ theca orientalis, t. i. Justin I or , en effet, était le
nations cependant bien plus connues et fam ilières en défenseur déclaré de l ’ Église catholique contre les
Éthiopie. L ’ étrangeté m êm e du term e éveille l ’ at ­ schism atiques qui troublaient l ’ Église ct l ’ É tat dans
tention et établit une distinction m anifeste des tout le L evant; et au lieu de s ’ adresser com m e à un
roum s ou grecs chalcédoniens d ’ avec les coptes et les frère au roi K aleb, s ’ il eût été hérétique, il l ’ aurait
syriens hérétiques. D éplus, l'expression refit hayma- com battu, au contraire, par tous les m oyens en son
not, d ’ où le verbe causatif artaiï hayimanota, ou pouvoir. L ’ É glise d ’ É thiopie dem eura donc indem ne
« orthodoxie », n ’ a été que bien plus tard détournée au com m encem ent du vi “ siècle, et, selon le tém oi ­
de sa vraie signification pour ne s ’ entendre que du gnage de C osm as Indicopleustes, qui passa ù A dou ­
schism e d ’ O rient : elle était alors synonym e de la foi lis durant les prem ières années du règne de Justin I er ,
catholique. E t si des échos de l ’ agitation subversive elle était florissante : « Il y avait, dit-il, des églises,
d ’ A lexandrie et des m onastères de la H aute-É gypte des prêtres et un grand nom bre de chrétiens dans toute
avaient eu une répercussion troublante à A doulis et l ’ Éthiopie, à A ksum et dans les régions environ ­
à A ksum , lesdits romaiviân sont venus bien à pro ­ nantes. » Opinio de mundo, p. 179; Cosmographia, III,
pos pour rafferm ir les âm es dans l ’ orthodoxie de saint P. G., t. l x x x v ii i , col. 169. T out en gém issant des
Frum ence. tiraillem ents qui livraient le siège d ’ A lexandrie tour
Le sens obvie et le choix des term es font donc à tour aux partis contraires qui se le disputaient, les
connaître que ces religieux étaient chalcédoniens. Éthiopiens n ’ ont pas eu à rom pre avec ce siège, vu
Ces term es signifient égalem ent qu ’ ils vinrent en qu ’ ils ont pu avoir leur m étropolitain ou catholicos
Éthiopie avec m ission patriarcale et par les ordres des patriarches catholiques, soit qu ’ ils occupassent
ou l ’ autorisation des em pereurs M arcien ou Léon, le siège, soit qu ’ ils en fussent chassés par les m ono ­
tous deux défenseurs des décrets du concile, contre les physites aux heures interm ittentes de leurs victoires.
oppositions opiniâtres des suriân, disciples de B ar- C osm as, ibid., ct dans R enaudot, p. 118, l ’ atteste
sum as, com m e des gebsaiviân, partisans de D ios- expressém ent ct exagère m êm e en les traitant de
core à A lexandrie. E n adm ettant la provenance nestoriens parce que dyophysites. A lexandrie ne fut
syrienne de ces religieux, la dénom ination de roma- définitivem ent le centre et le foyer du m onophy ­
iviân sera celle du parti et prouvera a fortiori leur sism e qu ’ après la conquête de l ’ É gypte par O m ar et
séparation d ’ avec leurs congénères. La Syrie était après l'accord passé avec l ’ hérésiarque B enjam in
alors, com m e l'Égypte, le théâtre d'une division en (643).
deux partis contraires, tour à tour m aîtres, à A ntioche 3° Kaleb ou El-Esban et l’empereur Justin /«. —
et à A lexandrie, des sièges patriarcaux, selon que les Le nom d ’ A l-A inêda, donné trois fois et à des princes
em pereurs favorisaient ou com battaient les décrets qui se succédèrent sur le trône à des intervalles
du IV ° concile. Les m oines, loin de s ’ expatrier, m e ­ rapprochés (cf. liste dynastique, Tarika-Nagasl), a
nèrent une lutte à outrance en Syrie durant toute la été pris com m e dénom ination com m une des rois
deuxièm e m oitié du v° siècle; et le bannissem ent ne éthiopiens par les historiens byzantins. M alala, qui
com m ença pour eux, à la suite de Sévère, patriarche en a fait A nda, appelle d ’ abord ainsi le vainqueur de
d ’ A ntioche, que sous l'énergique répression de l ’ em ­ l'A rabie qu ’ il nom m e plus loin El-Esboas. C et E l-
pereur Justin !<"■ (518-527). Le fanatism e des héré ­ Esboas ou E l-E sban des historiens grecs est le roi
tiques avait soulevé un tel m ouvem ent national en K aleb des chroniques éthiopiennes. Les relations
Syrie, que les m oines catholiques auraient pliilât cher ­ de ce prince avec la cour de Justin I er et, sur la de-
ché le salut dans l ’ ém igration. Les neuf m oines roma­ m andede Justin,son expédition dans le Y ém en,A rabie
iviân auraient pu être ainsi des épaves jetées sur les m éridionale habitée par les H om éritcs, pour délivrer
rives d ’ A doulis par la proscription de leurs congé ­ les chrétiens de la cruelle persécution du roi D im nus
nères forcenés. M ais je préfère m ’ en tenir à la solution ou D unaw as, sont des faits qui établissent la con ­
basée sur le sens obvie et naturel du texte de la chro ­ cordance de foi de la cour éthiopienne avec celle de
nique éthiopienne:ils étaient des religieux de l ’ Église B yzance, au vi° siècle. N éanm oins, le venin de
rom aine ou byzantine,venus avec m ission officielle ou l ’ erreur s ’ était glissé inévitablem ent dans ses É tats.
confidentielle au secours de l ’ Église encore sans expé ­ A près sa cam pagne contre les Persans, K aleb envoya
rience des scissions, des luttes et des scandales iné ­ à A lexandrie une solennelle am bassade pour faire
vitables à l ’ œ uvre évangélique; soit les patriarches parvenir à l'em pereur de C onstantinople l ’ heureux
catholiques, soit les em pereurs fidèles à leur devoir, succès de ses arm es contre l ’ oppresseur, la con ­
auront prévenu le péril qui m enaçait l ’ Éthiopie. quête de l ’ A rabie et le rétablissem ent d ’ une paix
Les relations nouées entre les deux cours de B yzance assurée aux chrétiens. M ais, d ’ autre part, ce prince
ct d ’ A ksum , com m e il ressort des term es de la lettre religieux, ém u des déperditions de la foi et des
de C onstance précitée, dès la conversion au chris ­ m œ urs chrétiennes, dem andait un évêque et des
tianism e des Éthiopiens, au lieu de cesser, n'avaient docteurs qui pussent signaler et stigm atiser l ’ erreur
pu que croître davantage par la raison d ’ intérêt dans ses É tats et rétablir les vraies croyances dans
des deux em pires; car, d ’ une part, l ’ Éthiopie avait leur pureté. Jean M alala, Chronogr., 1. X V III, P. G.,
besoin d ’ entretenir l ’ am itié des m aîtres de l ’ É gypte t. xcvn, col. 641; lohanès M adabar ou Jean de
et de la Palestine, et, d ’ autre part, sa dom ination N ikiou, Chronique, texte éthiopien publié et traduit
92G É TH IO P IE (É G L IS E D ’) 930

par H . Zotenberg, Paris, 1883, p. 392. A cause de anachorète dans une laure et dont la sainte m ém oire
la difficulté et de la lenteur des com m unications entre est vénérée dans une église qui porte son nom , abba
B yzance, l ’ É gypte et l ’ A byssinie, les am bassadeurs Moussié, près de N aplousc. — 3. L a vitalité de
ne parvinrent à A lexandrie que sous le règne de l ’ Église d ’ Éthiopie se m anifeste par l ’ expansion du
Justinien. Licinius était alors vice-roi en É gypte et m onachism e anachorétique dans le T igré et au delà
A pollinaire, patriarche catholique, occupait le siège dans les âpres solitudes. N é des prem iers erm ites
de saint M arc. Celui des jacobites, Tim othée, quoique sous A l-A m êdà, ce m ode de vie religieuse prit un c r.i r.
protégé par la fam euse im pératrice Théodora, avait essor com m e dans la Thébaïde. G abra M askal fonda
été forcé par Justinien, ou de se soum ettre, ou de sur le pic abrupt de D am o le prem ier m onastère
s ’ exiler. D ès lors, les patriarches coptes se tinrent connu sous ce nom de D abra D am o (T igre..
cachés dans le m onastère de Saint-M acaire, in valle règle de l ’ abba A ragaw i, l ’ un des neuf prem iers
Habib; et, dit E utychius, cathedra patriarcha: jaco- Sadekân romaividn. — 4. C om m e C harlem agne, ce
bitarum eo translata est usque ad mahumedarum tem­ prince G abra M askal encouragea les écoles eccle ­
pora. D ans R enaudot, p. 133. siastiques et il favorisa l ’ introduction du chant litur ­
4° Nouvel envoi d’apôtres par ordre de Justinien gique par Y ared, disciple de saint Pantaléw on. A ce
(527-565). — Le fait, les circonstances et le résultat m aître, on fait rem onter les trois m odulations, types
de l ’ am bassade éthiopienne nous sont autant de sur lesquels sont m odelés tous les neum es et les
nouvelles preuves m anifestes de la catholicité persé ­ phrases m usicales; on lui attribue égalem ent la com ­
vérante de l ’ Éthiopie. Les am bassadeurs étaient position du Degwa, antiphonaire, recueil des textes
deux parents du roi K aleb avec une suite de deux tirés de la sainte É criture et adaptés aux fêtes et aux
cents personnes. M alala, loc. cit. Ils se rendent à périodes cultuelles du cycle ecclésiastique, et des
A lexandrie près du patriarche grec A pollinaire et du hym nes spéciales dues à sa piété. L ’ usage qui y est
gouverneur Licinius, et non auprès du patriarche fait de la B ible atteste que la version en langue gheêz
jacobite à Saint-M acaire. E n réponse au m essage, avait précédé. Saint Em inence a dû s ’ en préoccuper,
Justipien donna crdrc de faire choix, à A lexandrie, et surtout les neuf religieux venus ensuite, com m e
de religieux recom m andables par la sainteté de leurs m aîtres instructeurs, et les disciples qu ’ ils form er» nt
m œ urs et la sûreté de leur instruction. La caravane à ces études. O n note, à ce sujet, que l ’ antique tra ­
apostolique se rendit à A ksum , où elle fut accueillie duction en gheêz du N ouveau T estam ent parait faite
avec allégresse par l ’ em pereur G abra M askal, fils et sr.r le texte grec en usage dans l ’ A sie-M ineure.
successeur d ’ E l-E sbân, et par toute la cour et tout III. A p r è s l e s c o n q u ê t e s d e l ’ i s l a m e n S y r i e
le peuple. Cf. Vie de S. Panlaléivon, par un évêque e t e n É g y p t e , a g o n i e d e l ’ É g l is e d ’ É t h i o p i e
d ’A ksum , catalogue d ’ A bbadie, n. 110. C ependant les ( v i i c - x i c s i è c l e ). — 1° Contre-coup de la ruine de
jacobites, au courant de la dém arche des am bassa ­ l’Église catholique d’Alexandrie. — Par la conquit.
deurs abyssins, s ’ étaient rem ués et avaient sollicité d ’ O m ar ebn Élass (634-644), il en fut fait du catho ­
l ’ intervention de Théodora, favorable aux m ono- licism e en É gypte. A vec les troupes byzantines
thélites. Elle fit expédier en hâte par le patriarche échappées au m assacre, lors de la prise d ’ A lexandrie,
Tim othée une troupe de m oines jacobites vers la le patriarche catholique C yrus et sa suite se préci­
capitale d ’ A ksum . Ils n ’ y arrivèrent que quelque pitèrent sur les galères du port et se réfugièrent à
tem ps après les m issionnaires chalcédoniens. G abra C onstantinople. Le patriarche hérétique B enjam in,
.M askal ne les accueillit pas, m algré les recom m anda ­ exilé sous le règne d ’ H éraclius depuis douze années,
tions de l ’ im pératrice Théodora, et ils durent s ’ en sortit du couvent de Saint-M acaire, grâce à un pacte
retourner vers leur patriarche, à Saint-M acaire. Cf. de soum ission et de connivence qu ’ il consentit avec
m s. chrétien antioch., de M gr G radin. C ette deuxièm e O rner, ie représentant du calife (640). Ce fut l ’ inter ­
expédition de ÿadekdn, m issionnaires en Éthiopie diction aux coptes de toute relation avec C onstan ­
au cours du vi ” siècle, trouve une confirm ation dans tinople et R om e, et aux A byssins, la défense, soit
un récit récem m ent découvert par M . C onti R ossini. d ’ élire com m e évêque aucun m em bre de leur propre
G uidi, Diet, d’histoire, 1.1, col. 213. clergé, soit d ’ en accueillir d ’ ailleurs que des m ains
5° Apogée de la prospérité. — Ce fut l ’ apogée, et, du patriarche, transféré d ’ A lexandrie au C aire, afin
hélas ! bientôt la fin de la prospérité et de la gloire de d ’ en finir avec tous les souvenirs attachés au siéce
l ’ Église d ’ Éthiopie. — 1. La prospérité se m anifeste de saint M arc. C ’ était donc désorm ais le triom phe
d ’ abord par l ’ extension : la conquête du Y ém en ajoute du schism e en É thiopie, com m e en É gypte. Toute ­
com m e dépendance à l ’ Église d ’ A ksum toute la chré ­ fois, m êm e après la ruine de l ’ Église d ’ A lexandrie et
tienté de l ’ A rabie m éridionale, et la dom ination im pé ­ celle de l ’ em pire byzantin en É gypte, l ’ Église d ’ É thio ­
riale sur la m er É rythrée et sur la rive africaine habi ­ pie résista encore, au m oins partiellem ent, durant
tée par les B edja et les B lem nye a étendu jusque dans près de trois siècles, aux hérésies qui continuèrent à
les déserts deM éroëïles progrèsdu christianism e parm i infester toutes les autres Églises d ’ O rient. D urant les
les tribus nom ades. V ansleb, Hist. eccl. Alex. — 2. A persistantes querelles du m onophysism e, du m ono-
cette époque, c ’ est-à-dire sous K aleb et son fils G abra thélism e et de la théandrie, qui déchirèrent l ’ Église
M askal, rem onte l ’ acquisition de plusieurs positions orientale, l ’ écho des dissensions théologiques n ’ eut
en É gypte et en Palestine, où, grâce à la bienveil ­ guère de répercussion en Éthiopie. Ce ne fut pour
lance de Justin et de Justinien, furent fondés des hos ­ elle qu ’ un bruit lointain. D e fait, elle fut com plète ­
pices et des couvents pour les pèlerins et pour les m ent séquestrée dans son isolem ent et elle cessa de
religieux éthiopiens,qui,en foule,s ’ en allèrent d ’ année figurer désorm ais parm i les grands É tats du reste du
en année à Jérusalem A ussi, primitivement, dit l ’ his ­ m onde; une barrière de fer, l ’ em pire m usulm an, l ’ en
torien arm énien A busalah, ces couvents el ces églises tint désespérém ent séparée.
étaient occupés par des nestoriens, épithète injurieuse 2° Sa résistance au schisme. — Q uoique officielle ­
que les jacobites infligeaient aux dyophysites ou chal- m ent rivée au siège schism atique du C aire et forcé ­
cêdoniens, et que l ’ arm énien prend au pied de la m ent inféodée à l ’ É glise copte ou jacobite par le ’ ait
lettre com m e pour rappeler un souvenir glorieux à sa de la provenance de son évêque, l ’ É glise d ’ Éthiopie,
secte. K aleb, en reconnaissance de la protection divine sous le joug doublem ent opprim ant du schism e et de
clans ses guerres heureuses en A rabie, aurait fait don l ’ islam ism e conjures, se retranchera dans une indé ­
de sa couronne im périale au Saint-Sépulcre. G abra pendance indom ptable au point de vue doctrinal. Π
M askal y fut représenté par un de ses fils, qui vécut en est resté de tradition dans les couvents et les uni-
D IC T . D E T H É O L . C A TH O L. V . - 30
931 É TH IO PIE (É G L IS E D ’ ) 932

vcrsités de ne reconnaître aucune autorité doctrinale vivant réussit à s ’ échapper et se réfugia dans le Choa.
aux abonnas ou évêques égyptiens. Souvent m êm e C ette lointaine retraite le préserva du cataclysm e.
leur ignorance les a rendus m éprisables aux yeux des Les troupes révolutionnaires saccagèrent la ville
lettrés; ceux-ci ne voient en eux que des m inistres d ’ A ksum et le tem ple saint. Les légendes populaires
im posés fatalem ent par l ’ Église-m ère d ’ A lexandrie ont conservé le souvenir des horreurs com m ises par
pour bénir, consacrer et donner des m inistres au culte cette fem m e cruelle. Le fléau dura ce que durent les
■divin; m ais ni leur autorité ni leur science n ’ ont à extrêm es violences; la ruine sem ée, il disparut. La
intervenir dans les croyances nationales; quand on période de troubles et de guerre intestine qui s ’ en ­
invoquera son prestige sur la foule, ce sera com m e un suivit entre le judaïsm e m aître du trône et le christia ­
appoint aux décisions de l ’ école. Les docteurs Mam- nism e en désarroi dura jusque vers l ’ an 960. U n prince
herân, Likaünt des grandes écoles d ’ Éthiopie en seront de la province de B aguenâ (Lastâ septentrional)
les gardiens traditionnels. A insi, tout en entretenant se m it à la tête d ’ un m ouvem ent national et chrétien
avec le patriarche du C aire des relations officielles, pour secouer ce joug hum iliant. V ainqueur, il fut
nécessitées par son organisation défectueuse, l ’ Église reconnu em pereur et devint la souche d ’ une nouvelle
d ’ É thiopie dem eurera longtem ps encore doctrinale ­ dynastie, dite des Zaguës, qui occupa le trône près
m ent séparée de l ’ Église copte et intim em ent attachée de trois siècles (960-1268). M ais leur capitale resta
à la foi catholique. Q uoique nous n ’ ayons plus d ’ autres établie dans le dom aine seigneurial du L astâ.
docum ents historiques que certaines m entions faites IV. Sous l a d y n a s t ie d e s Z a g u ë s . — 1° Relèvement
passim daris l ’ histoire des patriarches coptes, des laborieux; trahisons épiscopales en faveur de l’islam. —
indices laissent bien voir que, à part les m em bres du Sous le patriarche Phiiothée (981-1002), le nouveau
clergé qui fréquentaient assidûm ent l ’ entourage de roi d ’ É thiopie adressa à G eorges, roi de N ubie, des
l ’ abonna, c ’ est-à-dire les courtisans flatteurs, parasites lettres pressantes le priant d ’ intervenir auprès du
ou am bitieux, on ne prêtait pas le flanc aux insinua ­ patriarche en faveur de l ’ É glise d ’ É thiopie ruinée par
tions. L ’ erreur ne franchissait pas visiblem ent l ’ en ­ une fem m e im pie et cruelle, fléau de la justice de D ieu,
ceinte du palais épiscopal. disait-il, en châtim ent des m auvais traitem ents dont
3° Son délaissement; des siècles de veuvage. — D ’ ail­ le roi précédent avait accabléle m étropolitain,l ’ abouna
leurs, sous les verges des califes, les patriarches Pétros.
n ’ avaient pas le loisir de s ’ occuper des questions G eorges s ’ em ploya, en effet, en faveur de son am i
spéculatives; ils n ’ avaient m êm e pas la liberté ni auprès du patriarche Phiiothée. U n nom m é D aniel
la facilité de pourvoir aux vacances du siège d ’ A ksum . fut accordé com m e m étropolitain en A byssinie, où il
D es interstices séculaires, par exem ple, du patriarche fut accueilli avec tout l ’ em pressem ent et l ’ allégresse
Sim éon au patriarche Y usab (700-826), ont am ené des populations et de la cour royale. Ce fut la fin des
les Éthiopiens à adm inistrer eux-m êm es leur Église. calam ités publiques causées par la tyrannie de la
La disette de prêtres seule nécessitait la venue d ’ un fem m e incendiaire T erda G abâz. R enaudot, p. 382.
évêque. E t encore, m algré cette nécessité, il arrivait E l m êm e l ’ Éthiopie devint alors, sous le l x i 0 pa ­
aux abounas m ercenaires de sentir qu ’ ils n ’ étaient triarche (1002-1032), le refuge de m asses de chrétiens
adm is qu ’ à contre-cœ ur. V ers 820, l ’ abouna Johanès, persécutés en É gypte par le calife H akim . Ibid.,
envoyé par le patriarche Y usab ou Joseph, en fit p. 392. Telle fut la terreur que le patriarche suivant,
l ’ expérience. Q uand il parvint à A ksum , l ’ em pereur C hristodulos (1047-1078), n ’ osa pas répondre aux
était absent, parti en une expédition loir.taine. U n instances du roi d ’ A byssinie qui réclam ait un nouvel
soulèvem ent général, d ’ ailleurs favorisé par la reine évêque. U n certain A bdun partit secrètem ent sous
régente, s ’ opposa à la réception de l ’ abouna. Ce l ’ habit d ’ un sim ple m oine et prit en Éthiopie le nom
fait, ajoute l ’ historien R enaudot, prouve que les d ’ abouna K uril ou K erlos. M ais son départ fut dénoncé
Éthiopiens se tenaient encore en dehors de la com ­ au vizir, qui en adressa de m enaçants reproches au
m union du sièged ’ A lexandrie,Æ Zftzopes a communione patriarche. C hristodulos se défendit en niant qu ’ il
sedis Alexandria: alienos, p. 283. y fût pour quelque chose. C ependant,quand il apprit
Encore un deuxièm e siècle (830-920) sans pasteur ! la réussite du stratagèm e, il envoya M ercure, évêque
A ussi, sous le patriarcal de C osm as (930), fut-ce au de W isen, avec des lettres de créance pour conférer
C aire un événem ent extraordinaire, tellem ent ce fut à D aniel l ’ investiture officielle. O n ne put savoir si
une chose nouvelle, inouïe, inaccoutum ée aux yeux cet abouna aventurier fut jam ais revêtu du caractère
de la foule, que de voir arriver une am bassade éthio ­ épiscopal ou m êm e sacerdotal, ou bien un pur sim u ­
pienne envoyée par le roi D el N a ’âd pour obtenir lacre. R enaudot, p. 444. Q uel m isérable état qu ’ une
un m étropolitain. Le patriarche fit choix d ’ un reli­ Église de cette im portance traitée com m e un jouet
gieux qui prit le nom d'abouna Pétros. M algré le par le suprêm e pasteur, livré lui-m êm e aux caprices
joyeux accueil d ’ un peuple ravi de voir enfin un de l ’ autorité m usulm ane I E lle reste victim e d ’ une
pasteur, et m algré le triom phe et les faveurs qui lâcheté sacrilège et de honteux travestissem ents, à la
m irent à scs pieds toute la cour royale, ou plutôt m erci des am bitions et des ruses coupables dont on
à cause de l ’ influence m êm e dont il se vit honoré abusait sa bonne foi I Q ue. pouvait-il y survivre
et qui l ’ entraîna à s ’ ingérer dans les graves ques ­ des lois divines et de la discipline ecclésiastique, des
tions politiques, son épiscopat fut troublé par des m œ urs et des observances chrétiennes? Les sanc ­
intrigues vindicatives. Il connut m êm e les hum i ­ tuaires dévastés, délaissés ou profanés 1 Q uel clergé,
liations de la dégradation et m ourut dans l ’ exil. s ’ il en restait des survivants 1
Le siège pontifical resta à la m erci d ’ intrus sans Le successeur de C hristodulos, l ’ abba C yrille
m ission; il s ’ ensuivit un nouvel et long interrègne, (1072-1092), entreprit de réparer tant de ruines. 11
car cinq patriarches se succédèrent au C aire sans rem édia d ’ abord à la situation anorm ale créée par son
qu ’ un évêque fût donné à l ’ Église désolée. prédécesseur, c ’ est-à-dire l ’ occupation du siège du
4° Bouleversement de l’Église et de l’État. — D ’ ail­ » catholicos » par le faux titulaire K uril. D u consen ­
leurs, vers l ’ an 920, une révolution désastreuse tem ent indispensable et m êm e sur la recom m andation
survint en É thiopie sous l ’ audacieux entraînem ent du vizirB adarel-G am al en faveurd ’ un religieux appelé
d ’ une fem m e issue des tribus juives du Sém ên, Terda Sévère, le patriarche fixa sur lui son choix. L ’ élu
G abaz ou G udit’ (Judith) et surnom m ée · E sât ’ ou était jeune encore, assez instruit et élevé dans la
>e feu incendiaire », parce qu ’ elle m it tout à feu et à rigueur m onastique; m ais il avait brigué cette nom i ­
sang. E lle renversa la dynastie, dont un seul sur ­ nation par des prom esses sim oniaques et de traîtres
933 É T H IO P IE (É G L IS E D ’) 934

engagem ents de favoriser la construction de m osquées aux intérêts de la religion en É thiopii A ppuyé sur les
en A byssinie. canons synodaux, le conseil de la cour ia.jvri. -.
Le faux m étropolitain K uril, arrêté dans sa fuite, com posé surtout des Mamherân et des Likdur.i dr
subit au C aire la peine capitale. Sévère essaya de l ’ université, prit une résolution radicale, qui parut
réform er les m œ urs et s ’ attaqua surtout à la poly ­ une innovation à la m asse ignorante, m ais qui n ’était
gam ie, la plaie invétérée de la cour et des grandes que la revendication d ’ un droit antique, L gitin .· . de
m aisons. Ses efforts échouèrent devant la résistance pouvoir recruter ses pasteurs dans le clergé î ..· ·.. .
générale, m algré l ’ intervention du patriarche lui- L ’ inspiration d ’ un conseil si antitraditionne: et
m êm e par un m andem ent spécial. Le seul résultat cieux venait sans doute de Jérusalem par qu· que
fut la sanction coercitive qui consiste dans la prohi ­ religieux qui avait frayé avec ceux de l ’ Église cal:
bition de la com m union eucharistique aux poly ­ lique. Il fallait, pour cela,obtenir un collège d ’ evêçut s
gam es. É tait-il besoin de la défendre ou,s ’ il en était requis par les canons pour la consécration épiscopale
besoin, vraim ent que restait-il de sens m oral? O n d ’ un prélat et pour la provision aux sièges vacants.
voit par là com bien étaient avilies les âm es, ternies Le nom bre requis était de sept, selon le pseudo-concile
les consciences, ravalée et abaissée la religion ! Son de N icée arabique. U ne am bassade fut déléguée du
courage coûta à i ’abouna Sévère la disgrâce de la cour; L astâ au C aire pour obtenir la création de ce collège
il dut se résigner à la tolérance,com m e tousles autres épiscopal. M ais, dans ces instances trop légitim ées
après lui. par les m alheurs des tem ps et les préjudices qu ’ ils
M ais il prévariqua à son devoir en favorisant, causent à l ’ Éthiopie, le patriarche M ichel ne vit
com m e il l'avait prom is au vizir, son protecteur, la qu ’ une tentative d ’ autonom ie ou un artifice de rebel ­
construction de plusieurs m osquées dans la terre lion pour se soustraire à sa dom ination et reprendre
regardée com m e la D im e du C hrist. 11 souleva la leur indépendance. Le calife avait égalem ent reçu des
colère du peuple,qui renversa tous ces édifices subrep ­ lettres de l ’ em pereur Sinudâ le priant d ’ appuyer sa
ticem ent élevés, et il l'eût payé de sa tête si la con ­ requête auprès du patriarche. II s ’ y prêta en effet ;
dam nation n ’ avait pas été com m uée à cause de son m ais M ichel lui fit voir que la dim inution de sa propre
caractère sacré. Il fut banni. R enaudot, p. 453-463. autorité serait aussi la ruine de l ’ influence prépon ­
2° Diversion et trêve causées par l’entrée des Francs à dérante du califat sur ces contrées m éridionales. 1 ■
Jérusalem. — Ces entraves à l ’infiltration de l ’ isla ­ Sarrasin ne put que se rendre à cette raison politique.
m ism e provoquèrent des colères au C aire, et, n ’ eût La requête fut repoussée et leroid ’ Éthiopie fut ex:: ·. ·.·
été la diversion produite par la nouvelle de la prise de au désistem ent d ’ un projet irréalisable. Force fut de
Jérusalem par les croisés, les hostilités se seraient se contenter encore d ’ un seul m étropolitain, I ’ abouna
envenim ées. M ais les m usulm ans avisés m énagèrent M ichaël, ci-devant H abib.
les coptes en É gypte et en A byssinie, de peur qu ’ ils Les périodes épiscopales se succèdent com m e des
n'entrassent de connivence avec les Francs victorieux. contes rom anesques d ’ aventures im aginaires et cepen­
A u surplus, les schism atiques, loin de se réjouir de dant vécues, autour du siège m étropolitain. E t la
ce triom phe des arm es chrétiennes, pour eux l ’ aube de suite prom et d ’ en être longue encore indéfinim ent.
la délivrance du joug des Sarrasins,en furent dans la Il nous reste à narrer celui qui précéda la chute des
désolation. L eur haine sectaire préférait la servitude Zaguës et la restauration de l ’ antique dynastie d ’ A k-
dure et hum iliante de l ’ islam à une liberté dont ils sum .
eussent été redevables à la générosité des catholiques 5° Ingérence politique. Trafic sacrilège des ordina­
d ’ O ccident. R enaudot, p. 471. A ussi, le vizir A fdal tions. — Le patriarche Johanès (1147-1164) et le
se m ontra-t-il em pressé à favoriser, auprès du patriar ­ vizir H ali.fils de Selar,reçurent de Sinudâ, roi d ’ A bys ­
che M ichaël (1093-1102), la nom ination d ’ un nouveau sinie, des m essages respectifs ayant pour objet la
m étropolitain pour l ’ A byssinie, I ’ abouna Çiorgis. dem ande d ’ un coadjuteur à I ’ abouna M ichaël, vieilli.
3° Scandales des abonnas. — M ais le triste abouna Il paraît que cette dém arche avait pour m obile m oins
allait, après les excès de diverses sortes de ses prédé ­ la m ort éventuelle du prélat que ses injurieuses
cesseurs si néfastes à l ’ Église d'É thiopie, offrir le accusations à l ’ égard du souverain. Il l ’ avait traité
spectacle de la vie la plus honteuse par ses m œ urs d ’ usurpateur, d ’ intrus, de roi illégitim e. Ce détail est
dissolues. Son im m oralité souleva bientôt l ’ indigna ­ un jalon dans l ’ histoire de la couronne d ’ Éthiopie.
tion générale: car,si le peuple abyssin avait, au profit U n réveil, un m ouvem ent s ’ opérait dans l ’ opinion
de ses propres instincts, légalisé l ’ im pudicité, son reste publique en faveur de l'antique dynastie. Les C hoans
de sens religieux n ’ accordait pas au m oine, ni surtout à qui en étaient les gardiens travaillaient à sa restau ­
l'évêque, le droit de l ’ im pudeur. A la luxure s ’ était ration. Les reproches de I ’ abouna prouvent qu ’ il était
adjointe la cupide avarice, et elle am oncela rapide ­ gagné à la cause de la M aison ancienne, et il faut qu ’ elle
m ent des richesses scandaleusem ent acquises sûr les ait conquis un grand terrain dans l ’ opinion publique
paroisses pressurées. C et esprit et cette pratique de pour qu'il ne craignît pas de traiter d ’ usurpateur le
pressurage et de com m erce sont restés dans les habi ­ prince régnant, quoique la succession deux fois sécu ­
tudes de tous les abounas, jusqu ’ à nos jours. Cf. Au laire (960-1160) de sa fam ille sur le trône lui en assurât
pays de Ménélik, dans les Missions catholiques, 1896- la légitim e possession.
1897. L ’ inconduite et la sordide passion du lucre de Le patriarene, prévenu par IcsenvoyésdeM ichaël.ne
Ç iorgis causèrent un tel scandale que l ’ em pereur, se prêta pas au désir du m onarque Zaguë, et refusa la
hum ilié de sa déférence religieuse pour un personnage nom ination d ’ un autre évêque, m algré les instances
aussi indigne, dut se résoudre à le faire arrêter et du vizir H ali. Force fut d ’ attendre la m ort du titu ­
reconduire en É gypte. laire.
4° Tentatives d’indépendance constitutionnelle de A lors une nouvelle délégation arriva du Lastâ.
l'Église d’Éthiopie. — Sous le règne de Sinudâ dans L ’ état de l ’ Église copte était si m isérable vers a
le L astâ et sous le patriarcat de G abriel (1131- fin du xn° siècle que, entre tous les couvents de
1136), eut lieu une tentative de l ’ É glise éthiopienne l ’ É gypte désertés par les vocations religieuses, on rte
qui a, dans son histoire, une grande et significative trouva pas, m algré toutes les recherches, trois m ois
im portance, pour obtenir sa constitution hiérarchique durant, un seul candidat pour la m étropole d ’Éthiopie.
norm ale, conform e au droit com m un de toutes les D ans leur désolation en face du refus ou de la disette
Églises, et n ’ êtreplus condam née à la servitude hum i ­ du patriarcat, les am bassadeurs abyssins en appe ­
liante et que nous avons constatée si désastreuse lèrent au sultan, le priant d ’ intervenir pour l ’ obten ­
935 É T H IO P IE (É G LIS E D ’ ) 936

tion d ’ un évêque. A défaut de m oines, l ’ abba Joha- triarche de Jérusalem pour obtenir un évêque syrien,
nès (1189-1216) se décida à accorder l ’ évêque de durant la détresse des coptes. V oir plus loin.
Fua, a >ba K ilos. C elui-ci était à peine depuis quatre V . S o u s L A R E S T A U R A T IO N D Y N A S T IQ U E : N O U ­

ans en Éthiopie qu ’ on le vitrevenirau C aire. L ’ abouna V E L L E p h a s e r e l ig ie u s e . — U ne grande révolution

s ’ étale laissé déposséder par un am bitieux, nom m é ram ena l'antique dynastie sur le trône im périal, vers
Ç édrona, frère de la reine. Sous la pression de celle-ci, 1268. L ’ Église d'É thiopie y vit éclore une ère nou ­
K ilos avait donné à cc m oine intrigant la consécra ­ velle : 1° par une "'institution et une organisation qui
tion épiscopale contre toutes les règles canoniques et répondit aux besoins de la condition anorm ale et
l'avait m is à la tête de l ’ É glise de la capitale. Ç édrona préjudiciable sous le vasselage du C aire; 2° par un
usurpa bientôt tous les attributs du « catholicos »; regain de vitalité en elle-m êm e et d ’ expansion féconde
grâce à sa prestigieuse influence de beau-frère du roi, autour d ’ elle dans les régions les plus excentriques de
il attira à lui toutes les affaires ecclésiastiques, sans l ’ em pire.
plus perm ettre à personne de s ’ adresser ou d ’ en appe ­ Le nom qui dom ine ce tournant de l ’ histoire d ’ É thio ­
ler à l ’ abouna K ilos. D ans cet état d ’ abaissem ent, pie est celui d ’ un m oine, T akla-haym anot’ , vénéré
l ’ om bre m êm e de K ilos inquiétait l ’ usurpateur; il com m e un phénom ène de la m ortification la plus
soudoya des ém issaires nocturnes pour attenter à sa cruellem ent industrieuse à crucifier la chair et, par ­
vie. K ilos ne trouva de salut que dans la fuite. A u tant, com m e un apôtre puissant dans ses paroles et
récit de telles m ésaventures, le patriarche ne se ses œ uvres. La précocité de ses goûts pour les choses
sentit pas la force de lui reprocher sa honteuse et religieuses le fit adm ettre dès son adolescence, par
sacrilège félonie, jusqu'à conférer la consécration épis ­ l ’ abouna K erlos, dans la cléricature et m êm e au
copale contre toutes les lois et les rites de l ’ Église. diaconat. Le prestige de sa sainteté lui donna un tel
Il expédia un prêtre nom m é M oïse pour dénoncer ascendant sur les foules qu ’ il convertit rapidem ent au
à la cour l ’ intrusion subrepticc et sacrilège de l ’ am ­ christianism e les régions encore païennes des bords
bitieux Ç édrona. Pendant que M oïse en traitait à I du fleuve A bây et de ses affluents, dans le Choa et
la cour royale, Ç édrona vint à m ourir. Sa m ission le D âm ot. M ais le succès de son influence prestigieuse
n ’ ayant plus d'objet, il prit congé de la cour et re ­ qui illustra son nom fut la restauration dynas ­
tourna rendre com pte des événem ents. L ’ em pereur le tique et la situation qui en résulta pour l ’ Église
lit accom pagner d ’ une députation chargée de pré ­ d ’ Éthiopie.
senter les explications et les excuses qui lui conci ­ 1° Nouvelle constitution organique de l’Église. —
liassent les dispositions du patriarche. Les plus riches 1. Ce fut d ’ abord un pacte par lequel le roi réintégré
présents facilitaient cette dém arche, une couronne au trône, Ikouno-Am ilâk, consent la cession du tiers
d ’ or offerte au patriarche, et divers cadeaux aussi du territoire de l ’ em pire aux gens d ’ église, sous la
précieux, des anim aux rares, éléphants, lions, girafes haute tutelle de T akla-haym anot’ , et après lui, sous
et zèbres, destinés au sultan. Les am bassadeurs la tutelle de ses successeurs en la charge d ’ abbé
obtinrent raison contre le m alheureux K ilos, et, à sa général de son ordre. Il s'ensuit que le tiers de chaque
place, un m oine de saint A ntoine, abba Isaac, fut sacré terroir com m unal revient à la paroisse. Cet article
catholicos d ’ Éthiopie (1209-1210). R enaudot, p. 480- acquiescé par le roi au m oine dictateur découvre à
550. l ’ évidence les m obiles d ’ une am bition intéressée et
6° Règne de Lalibala. — L alibala avait succédé d ’ une vénalité sans exem ple, exorbitante, déshono ­
à son père Sinudâ ou D jân-Siy um , sur le trône d ’ É thio ­ rante pour le m onachism e. — 2. C om m e résultante
pie. Son nom a échappé à l ’ oubli voulu des chroni­ de cet accord, suivit la création d ’ un m inistre général
queurs sur la dynastie Zaguë; il a été attaché par la des biens et par conséquent m aître des dignités
vénération nationale au groupe de m onum ents que ecclésiastiques, laquelle charge appartiendrait de
l ’ on adm ire sur le plateau d ’ A dafa, sa capitale. droit à T akla-haym anot’ et à ses successeurs.
Par le soin pieux de ce prince, onze églises m onolithes A près sa m ort, les restes du puissant abbé furent
ont été taillées, creusées dans le roc par quatre à transportés par ses disciples dans les steppes déserts
cinq cents ouvriers égyptiens qu ’ il avait choisis parm à l ’ ouest du C hoa, et sur sa sépulture un im posant
la foule d ’ ém igrés chassés de leurs foyers par la per ­ .sanctuaire et un couvent furent fondés pour y con ­
sécution des m usulm ans. server le culte de sa m ém oire. Ils l ’ appelèrent D abra-
Le négus Lalibala fit au m onastère, qui com prend Libanos, « M ont Liban ». Sa com m unauté s ’ établit
dans son enceinte tous ces sanctuaires, la donation dans ce m onastère et il sera la m aison centrale de
de tous les dom aines environnants, donation res ­ l ’ ordre dissém iné.
pectée jusqu ’ aujourd ’ hui. La dévotion populaire Les abbés de D abra-Libanos sont donc de droit
en a fait un pèlerinage égal à celui du Saint-Sépulcre les titulaires de la haute charge ecclésiastique,
à Jérusalem par l'infaillible garantie du paradis. c ’ est-à-dire de chef suprêm e de tous les ordres reli ­
A cte de donation, dans R affray, Voyage en Abys­ gieux, qui m et entre leurs m ains tous les pouvoirs
sinie et description avec plans des sanctuaires, p. 24. adm inistratifs et judiciaires de l ’ Église d ’ Éthiopie.
A cause des persécutions des Sarrasins en É gypte, A ussi, l ’ on com prend que les rois s ’ intéressent beau ­
le siège patriarcal resta vacant pendant vingt années coup à leur élection et exercent une pression pour
(1216-1236). qu ’ il sorte un hom m e de leur choix. L ’ élu prendra le
C ette période fut m arquée par un m ouvem ent de titre d'Égayé, près de l’atsê ou assistant au trône.
retour des Églises de Palestine et m êm e d ’ É gypte C ette charge est un correctif à l ’ irrégularité et un sup ­
à la com m union catholique. En 1237, le patriarche plém ent au défaut de la constitution fondam entale
jacobite de Jérusalem faisait son abjuration entre de l ’ Église d ’ Éthiopie. Les vacances dém esurém ent
les m ains du P. Philippe, des frères prêcheurs, et il prolongées du siège épiscopal avaient nécessité ce
écrivait à G régoire IX : « N ous avons envoyé de nos m oyen term e dans l ’ adm inistration ecclésiastique;
frères en É gypte vers le patriarche copte, abba m ais désorm ais ce sera une institution ferm e, offl-
K erlos,... et ce patriarche nous a tém oigné aussi le cielle, m êm e en présence de l ’ évêque. C ’ est un pou ­
désir de revenir à l ’ unité catholique. · M acaire, His­ voir collatéral au pouvoir épiscopal, et effectivem ent
toire d’Alexandrie, p. 300. C ’ était l ’ effet d ’ un ébran ­ plus réel, am oindrissant l ’ autre jusqu ’ à ne lui laisser
lem ent produit par les croisades. Sans doute, il eut que la suprém atie d ’ honneur. T out dans l ’ Église
répercussion en zXbyssinie, nous en verrons un effet com pte avec lui, car sa suprém atie juridictionnelle
dans le recours de l ’ Église éthiopienne auprès du pa ­ s ’ étend sur les m onastères et les paroisses et elle s ’ y
937 E TH IO P IE (E G L IS E D ’ ) 938

fait au m oins reconnaître par le prélèvem ent d ’ une i — La révélation d ’ un événem ent de la d·
dîm e de tous les bénéfices. ' l ’ oubli et du silence dont les chronique; e th •«rie unes
2° Vitalité et féconailé. — 1. Accroissement et essai­ ; sont coutum ières, nous signale une cause — , plus
mage des couvents. — Indépendam m ent de cette attri­ puissante, quoique jusqu ’ ici insoupçon ι· . — j re ­
bution déjà disproportionnée, la dévotion généreuse m uem ent des esprits sous le nouveau gi-;· rau ­
ou vaniteuse des princes dota encore les m onastères guré par Ikouno-A m lâket le grand m oine r< f· :: leur.
ou les sanctuaires qu ’ ellepréférait, deflefs et de béné ­ D ans la détresse des « optes sous les excès e ■ .
fices qui m irent aux m ains des m oines les m eilleures sations m usulm anes et, d ’ autre part, grâce au- .-«.con ­
terres, les oasis form és par les sources, c ’ est-à-dire la forts du séjour et des bienfaits desaint I." j h
richesse foncière du pays. Les conventuels exploitent tine, l ’ A byssinie, c ’ est-à-dire le roi et son tuteur,
eux m êm es, ou bien ils afferm ent les vastes cham ps évincés par les refus de B ibars au C aire, eurent re ­
dont iis sont les m aîtres. Ces privilèges et les avantages cours à Jérusalem . L e patriarche était reconcilie
qui en résultent en faveur du clergé furent, on le con ­ avec l ’ Église rom aine (voir plus haut); il «.· ·
çoit, de féconds générateurs de vocations dans les évêque syrien, abba Y ub (Job), en Éthiopie. Son .ion
deux ordres ecclésiastiques, le m onacal et le levi- est resté m ém orable dans le Tigré. D es vases sacri >
tique. D abra-Libanos devint une vraie fourm ilière lui ayant appartenu se retrouvent à D afcra- D am o.il ;
de religieux qui, bientôt, se com ptèrent par centaines fut suivi d ’ un groupe de frères prêcheurs qui s ’ éta
et par m illiers. D e cette ruche, partirent de si nom ­ blirent non loin du couvent deD abra-D am o,sur le pla
breux essaim s qu ’ ils prirent les proportions d ’ un teau de G ola-M akâdâ. Le synchronism e est indubi ­
événem ent historique, consigné en détail dans les table.
chroniques im périales (Tarika-Aagasl, Ik uno A m lak). D ’ après une lettre de Y agbii Sion, fils el successeur
Ils se dispersèrent en tous sens à la recherche des soli ­ de Ikouno-A m lâk, adressée au patriarche du C aire, le
tudes dans les provinces les plus écartées du centre, séjour de l ’ abouna syrien en A byssinie a eu lieu vers
soit vers le nord aux extrém ités du T igré, soit vers la fin du règne de son père (1268-1283); et la m ission
l ’ orient et le m idi au delà du Choa. E t partout, la dom inicaine rem onte à la m êm e époque (tin du xm
présence de ces pléiades continuait l ’ évangélisation siècle). O r, d ’ après les reproches que Y a i < >ion
de ces contrées, où l ’ on com ptait encore beaucoup fait à la politique de son père, l ’ abouna Y ub a et·,
de païens et où il en reste encore jusqu ’ aujourd ’ hui. envoyé sur sa dem ande, et concom itam m ent i expe-
T akla-haym anot ’ eut des disciples et des ém ules dition dom inicaine. D e plus, Y agbâ-Sion dot ies
dont les nom s ont aussi leur célébrité dans les fastes agissem ents de l ’ abouna syrien,parce qn ii
de l ’ É glise éthiopienne : E ustatios de A llélô et son partisan des facobites. T out un m ystère hi-t .-η;.:·
disciple Philippe de D abra-Bisân ; Libanos, qui serait ém erge de ces m ots révélateurs. U ne tentative de-
venu d ’ Italie; il fit ruche sur le plateau de B ur (Tigré), retour de l ’ Église d ’ É thiopie sous Ikouno-A n; .k est
et Lalibala lui dédia une de scs chapelles m onolithes; officiellem ent dénoncée par son fils et s .· sseur
ce fait lui assure une antériorité séculaire; M ercurios, auprès du patriarcat copte et du califat du tire.
dont le nom est resté au m onastère qu ’ il fonda dans le Ce prince en fait honteusem ent am ende aonor-i ··;- et
Séraw é; G abra-M anfas-K et.lus, légendaire surtout prend le contrepicd de la politique de son n ·· . qu'il
dans le C hoa, sous le surnom vénéré de Abbo, sans que accuse d ’ avoir été fauteur de dissensions ruineuses
l'on sache rien de sa vie religieuse, etc. pour la croyance d ’ A lexandrie par son recours a un
2. Réveil de foi el renaissance scolastique. — D ans patriarche chaicédonien, et proscriptcur des m usul ­
l ’ abandon où gisait le christianism e, durant les six m ans par les représailles contre ceux qui trafiquaient
derniers siècles, le peuple, routinièrem ent attaché à en A byssinie et par la chasse contre les bédouins des
l ’ enseignem ent traditionnel, sans conviction per ­ IribusA dalites. M akrisy, Kebab el selah,t. i, m ss arabes
sonnelle éclairée, s ’ en rapportait uniquem ent aux de Paris, p. 372-373; vic de K alaoun, m ss de Saint-
Mamherân et aux Likâünl’ des écoles fondées par les G erm ain de Paris, 118. Les m issionnaires avaient
tjadckàn-romauiiôn déjà en exercice fécond sous G abra obtenu de grands succès auprès des princes cl i. leurs
M askal. L a période sans trêve et sans fin des souf ­ féaux dans toute la région qui était alors dom aine de
frances intestines n ’ a pas laissé le loisir aux querelles la m aison royale, com m e l ’ atteste son non: ; «m ia-
doctrinales. Les abonnas jacobitcs avaient été par M akâda ». «M ais ce fut éphém ère. Les faits ..· , res ­
ailleurs trop affairés pour ouvrir des débats théolo ­ pondent aux paroles de Y agbâ-Sion; son régne fut
giques. Les lettrés restaient en possession des vérités un règne de trahison contre l ’ É tat en face «:·.- i isla ­
ancestrales recueillies de la bouche de leurs m aîtres, m ism e et de persécution contre l ’ Église. Il com m ença
de siècle en siècle, jusqu ’ à l ’ actuelle renaissance po ­ par expulser l ’ abouna Y ub, et les fidèles catholiques,
litique et religieuse. C ette hérédité scolaire et tra ­ à la suite des m issionnaires dom inicains, subirent une
ditionnelle est encore sacrée parm i les initiés univer ­ cruelle persécution dont le souvenir est conservé par
sitaires. D r K alla-Ç iorgis. les ossem ents des m artyrs dans plusieurs sanctuaires
Le xm » siècle vit line réform e s ’ opérer dans les de Ç er ’ âita, A krân, Tasné, B araknéâ, voisins de la
couvents coptes en É gypte, et une élite «. ’ érudits y résidence des pères dom inicains à N éëbi (Fak ’ âda),
fit refleurir ics études ecclésiastiques, la théologie, le où iis furent m assacrés. A nt. d ’A bbadie, A nnales
droit canonique, la liturgie, l ’ hagiographie, etc. Ce dom inicaines et tradition locale.
courant s ’ étendit de la H aute-É gypte en Éthiopie, 4° Réaction et émulation dans l’enseignement et les
im prim a un essor inconnu à la vie studieuse et à la lit­ observances cultuelles. Pharisaïsme et immoralité. —
térature sacrée, par la traduction en ghe.z de divers U ne réaction religieuse était inévitable; le put«-iarcbe
ouvrages arabes, traités hom ilétiques et dogm atiques copte se vengea. U n m oine rem arquable par ,. ·. éru ­
des Pères, décrets et interprétations des conciles, et dition et sa com bativité, l ’ abouna Saiàm a II. fut
surtout la correction du N ouveau T estam ent. D e accordé à Y agbà-ÿion, com m e m etropolitan :.n du
cette ém ulation scolastique naquirent les débats xm » siècle). 11 m it tout en œ uvre pour reliai;-set b
théologiques qui prendront d-> plus en plus d ’ exten ­ croyance des jacobites et, grâce à ce ze· . . i __ se
sion jusqu ’ à dégénérer en des discussions qui agite ­ d ’ Éthiopie lui doit le relèvem ent des études et . \ airain
ront el troubleront le royaum e aussi bien que l ’ Église des travaux d ’ où sortit la bibliothèque de iitté-
d ’ Éthiopie. rature sacrée. G uidi, Diet, d ’histoire, L i, coL 22 · .
3° Tentative de rompre la barrière copte et de se relier U ne nouvelle tentative d ’ un des successeurs de
avec l’Église catholique : mission des frères prêcheurs. Y agbà-$ion, W adem -R a'âd, par une am bassade près
939 É T H IO P IE (É G L IS E D ’ ) 940

du pape C lém ent V , à A vignon, vers 1310, est à de son triom phe, pour im poser les autres opinions
peine à m entionner, com m e indice de la souffrance doctrinales et les lois cultuelles dont il se posait
im m anente de l ’ Église d ’ Éthiopie séquestrée dans un défenseur. A près les folies des prem ières années, le
cercle de fer par le schism e des coptes et la haine des règne d ’ A m da-Çion se continua dans une longue, glo ­
Sarrasins. rieuse et fertile prospérité : glorieuse par ses héroïques
A l ’ ém ulation des études ecclésiastiques corres ­ cam pagnes contre les A dalites m ahom étans envahis ­
pondit une intensité de vie religieuse qui se m anifesta seurs, qu ’ il a refoulés et réduits à l ’ im puissance au
par des réform es d ’ un caractère pharisaïque et m oins pour quelque tem ps; fertile dans les nouvelles
d ’ un étroit rigorism e conventuel, qui de l ’ enceinte éclosions et le repeuplem ent des m onastères, dans
m onacale s ’ étendit et pénétra dans les m œ urs de la fructueuse production de la littérature religieuse,
la société civile, dès le xiv' siècle. Le m onachism e entre autres,de l ’ épopée fabuleuse du «K cbra-N agast »
im orim a son sceau sur la vie séculière et,sous le pré ­ ou la gloire des rois de la Sion d ’ Éthiopie, du Livre
texte de perfection évangélique, l ’ étreigait dans le des heures ou « M atschâfa-Saâtât ’ », etc.
cercle étroit d ’ obligations rituelles, au détrim ent des 5° Calme relatif. Prépondérance de la communauté
plus stricts et essentiels devoirs de la m orale. Fier de éthiopienne à Jérusalem. — La vie de l ’ Église d ’ É thio ­
sa religio ilé, le chrétien d ’ Éthiopie, esclave d'une pie durant tout le xrv° siècle s ’ écoule dans un long
foule d ’ observances extérieures héritées du judaïsm e statu quo, vide pour l ’ histoire de la théologie. Les
et surannées, et de pratiques à base chrétienne m ais esprits sont détournés par les luttes contre l ’ isla ­
accessoires et m êm e superstitieuses, sera sans scru­ m ism e, défensives aux portes de l ’ A byssinie orien ­
pule aucun à l'égard des préceptes les plus graves de tale, offensives contre les Sarrasins persécuteurs des
la loi divine. Piolet, Missions catholiques, Abyssinie, chrétiens en É gypte. Les descendants el successeurs
par C oulbeaux, t. i, p. 4 sq. Le form alism e sup ­ d ’ A m da-Sion ont bien m érité de la patrie et de
planta le cuite en esprit et en vérité. l ’ Église. Sayfa-A rad et D aouit ’ I" (D avid) se sont
La -coutum ière facilité des m œ urs licencieuses de signalés par leurs cam pagnes « dans la H aute-É gypte »,
la cour d ’ Éthiopie est un fait historique, à tel point disent les chroniques, c ’ est-à-dire la N ubie, car ils
que, dans l ’ esprit du peuple, elle est un droit attaché ne descendirent pas plus loin. M ais ces expéditions
à la haute fortune des princes et des grands. La poly ­ ont suffi pour m ettre l ’ É gypte en ém oi, par la crainte
gam ie et le divorce ont forcé la barrière des lois du détournem ent du N il et du dessèchem ent de ses
divines et sont couram m ent adm is com m e des usages riches vallées, que l ’ opinion générale croyait pos ­
nécessaires fondés sur les besoins et les faiblesses de sibles. L a terreur populaire inquiéta les califes.
la nature. A ussi aucun des docteurs, des chapelains, Ils cessèrent leurs vexations contre les coptes et
des religieux qui encom brent les palais et les cam ps, leurs violences contre les patriarches eux-m êm es,
n'aura m êm e l ’ idée de les condam ner au nom de la qu ’ ils rendaient responsables des déficits des im pôts
m orale chrétienne. La fornication et m êm e l ’ adul ­ dont ils pressuraient le peuple. Ils durent m êm e avoir
tère trouvent près d ’ eux des excuses et des accom m o ­ recours à eux pour faire la paix avec l ’ A byssinie.
dem ents. B ien ne paraît excessif dans ces lim ites L eur laborieuse entrem ise près de D aouit ’ I er fut
censées légales. L ’ inceste seul est réprouvé, et m êm e couronnée de succès. D es échanges de m essagers,
nulle part ailleurs, la loi des em pêchem ents de consan ­ de riches présents et de procédés am icaux entre
guinité et d'affinité jusqu ’ au septièm e degré n ’ est D aouit ’ et B arqouq am enèrent un modus vivendi
d ’ une rigueur plus intransigeante qu ’ en A byssinie. favorable à l ’ Église copte. L ’ A byssinie en tira sur ­
Il n'a fallu rien m oins qu ’ un tel excès pour qu ’ un tout l ’ inappréciable profit d ’ une position privilégiée,
m oine de D abra-Libanos, abba A norios, se dressât prédom inante, presque d ’ un m onopole, sur le Saint-
com m e un nouveau N athan contre le roi A m da-Sion, Sépulcre et tous les Lieux saints. L a plus insigne
dans les prem ières années de son règne (1312-1343). des preuves en fut le droit de produire le censé m ira ­
M ais l ’ hom m e de D ieu ne trouva pas un autre D avid. cle du feu sacré, le sam edi saint. Les m oines abys ­
A m da-ijion, sous le joug de la passion, ne l'écouta sins ne le perdirent que vers le m ilieu du xvn» siècle.
point. L'abbé ne vit plus d ’ autre rem ède que l ’ excom ­ Tous les partis, jacobites, syriaques et coptes, triom ­
m unication. C ’ était m ettre l ’ em pereur au ban de phaient par ce revirem ent qui suivit la dispari ­
l ’ em pire. E xaspéré, le roi dissim ula sa colère et sem ­ tion des Francs. L eur reconnaissance en récom ­
bla se rendre. Il se vengea bientôt à propos d ’ une pensa la cour d ’ É thiopie par le don d ’ un m orceau
chicane cultuelle: la légalité ou l ’ illégalité de l ’ obser ­ considérable de la vraie croix. Le bois sacré fut
vance du sabbat judaïque, le sam edi. A norios, avec accueilli par de grandes fêtes qui, d ’ ailleurs, se
tous les religieux de D abra-Libanos, soutenait l ’ abro ­ célèbrent encore chaque année sous le titre de « M as-
gation du sabbat, et le parti d ’ un autre m oine égale ­ kal-A tsé » ou tête royale de la croix, le IC de M as-
m ent influent, l ’ abba E ustatios, disciple du fon ­ karam (27 septem bre). Le couvent éthiopien à Jéru ­
dateur du m em e nom , prétendait que le dim anche salem , Dur el-Scll.'. i, jouit désorm ais d ’ une grande
chrétien n ’ abolissait pas le sabbat de M oïse. A m da- im portance à la cour d ’ Éthiopie. Le « M am her »
Çion prit fait et cause contre A norios, et il avait beau ou « raïs », qui en est l ’ abbé, a la suprém atie, m êm e
jeu, assuré qu ’ il était de défendre la tradition anciée sur les couvents et hospices éthiopiens en É gypte.
dans l'esprit et la religion du peuple contre des pro ­ L a com m unauté de H évila elle-m êm e, près du patriar ­
testations m otivées qui paraissaient être une inno ­ che au C aire, était sous sa haute juridiction. La
vation. L ’ abba A norios fut condam né à la flagel­ cour de T égoulct ’ (C hoa) com ptait surtout sur son
lation et un édit de proscription bannit et dispersa interm édiaire auprès du patriarcat copte, quand il
l ’ ordre de D abra-Libanos. L ’ abbé général, l ’ Eçagé s ’ agissait de l ’ élection d ’ un successeur au siège épis ­
Philippos, fut relégué sur la forteresse d'A m bà- copal d ’ Éthiopie. L a dignité du M am her de Jérusa ­
G échèn. Les m oines d ’ E ustatios, que cette victoire lem , avec tous les pouvoirs y attachés, était da la plus
liturgique et le châtim ent des adversaires élevai· nt haute im portance, et le roi n'en revêtait que le reli ­
sur le pinacle, prêchèrent l ’ obligation du chôm age gieux le plus m éritant, le plus fidèle, dans lequel il
sabbatique fondée sur le texte des canons aposto ­ avait une confiance entière.
liques apocryphes dont ils soutenaient l ’ authenti­ Le couvent de « D ar el-Seltân » devint l ’ em porium
cité. D e là, la rivalité qui divisa plus que jam ais les où convergèrent les relations entre l ’ Éthiopie et
disciples d ’ E ustatios de ceux de T akla-haym anot’ . l'O ccident. M algré les rapports m oins tendus, appa ­
Le parti vainqueur profita de la popularité accrue rem m ent rassurants m êm e, avec le C aire, le péril
941 É TH IO P IE (É G L ISE D ’) 942

islam ique préoccupait tous les esprits, à la cour im pé ­ apôtres et les saintes reliques qui sont le trésor c la
riale. L'idée des croisades, née des récits des gestes des ville. Q uelques jours plus tard, ils étaient de retour à
Francs, les hantait com m e un rêve, tardivem ent et Florence. D ans l ’ intervalle,étaient égalem ent arrives
très longtem ps après que l'E urope eut abandonné la les religieux que l ’ abba N iodém os avait envoyés de
Palestine; elle est entretenue par les prophéties des Jérusalem . C ette seconde délégation parut ■!·.··, ant les
anachorètes, com plaisam m ent dociles au Dic nobis Pères du concile, le 2 septem bre 1441. A la iln -le son
placentia; elle est exprim ée dans tous les m essages des discours au pape, discours d ’ une allure sans gêne
princes d ’ Éthiopie aux princes d ’ O ccident. A lvarez, toute abyssine, m êlant la m yrrheà l'encens, le prem ier
p. 79. Le roi Isaac, fils de D aouif 1 e ' (1414-1429), des députés porteur de la lettre de créance .lu M -niiier
. écrivit aux rois des Francs, dit la chronique, pour N icodém os, disait : «...N otre abbé N icodém os ■ oire
les associer à son dessein. ■ serviteur à Jérusalem ..., vous assure, avant tout, que
A ussi nous allons voir le rôle officiel très consi ­ l'em pereur d ’ Élhiopie n ’ a sur la terre rien de plus à
dérable du M am her hiérosolym itain, près du Saint- coeur que de s ’ unir à l ’ É gliserom aine et de se sou ­
Siège. m ettre à vos pieds sacrés, tant sont grands prés de lui
V I. C o n c il e d e F l o r e n c e . — 1° Double déléga­ le nom de R om e et la foi des latins. »
tion au concile de Florence. — A près le retour des grecs E ntre les deux délégations, la cause étant la m êm e,
et des arm éniens (1439), Eugène IV ne voyait plus à cette deuxièm e venue fut réunie à la précédente pré ­
réconcilier que les jacobites de Syrie, d ’ É gypte et sidée par l ’ abba A ndréas, plénipotentiaire patriarcal
d ’ Éthiopie. D ans ce but, le franciscain A lbert Sar- au nom de la m êm e Église. C ard. IL Justiniani, Cone,
chiano fut délégué en É gypte et en Palestine. Il ne flor., p. 3, η. 8.
pouvait pas penser à aller jusqu ’ en A byssinie. D ’ ail ­ 2° Élaboration des décrets; acceptation el acte d'union.
leurs, le patriarche d ’ A lexandrie, Johanès, dont re ­ — Ce ne fut que le 4 février 1442 que la double dépu ­
levait l ’ Éthiopie, et l ’ abbé du couvent éthiopien à tation fut adm ise en séance publique et que fut pro ­
Jérusalem , le M am her N icodém os, agent officiel de clam ée la réunion de l ’ Église jacobite, copte et éthio ­
l ’ em pereurConstantinos ou Z ara-Jacob, traitèrent cha ­ pienne à la com m union de l ’ É glise universelle. C ard.
cun de leur côté avec le légat, au nom de l ’ Église Justiniani, Asse m ani. L 'élaboration des com m issions
d ’ Éthiopie. L'em pereur n ’ intervint pas personnelle ­ conciliaires avec les délégués coptes et étl iopiens avait
m ent en cette grave affaire. M ais, d ’ une part, le pa ­ établi les sujets de doctrine et de discipline sur les ­
triarche Johanès, par son droit prim atial, agissait quels les É glises jacobites avaient des opinions erro ­
au nom de toute la prédication de saint M arc dont nées. U n certain nom bre avaient déjà été condam ne t s
l ’ É thiopie fait partie; d ’ antre part, l ’ abba N icodém os, par les conciles incontestés auprès de tous les >chis-
dans sa lettre au pape Eugène IV , se porte garant m atiques d ’ O rient. M ais la libre pensée des sectes
des dispositions ou m êm e des désirs de son souverain avait quand m êm e laissé cham p ouvert aux esprits
pour l ’ heureux succès de la réunion avec l ’ Église uni ­ et aux im aginations dans l ’ interprétation des m ys ­
verselle. M ais il est im possible que Z ara-Jacob n ’ ait tères de la foi. Ces erreurs donnèrent lieu à un décret
pas été inform é, durant les deux années que prirent spécial qui fut rendu, sacro approbante cor cilio
les dém arches de ses agents sûrs de sa confiance et florenlino; les décrets concernant les grecs et les
de son entière adhésion. V irtuellem ent, l ’ acte était arm éniens y furent adjoints parce qu ’ il a été reconrm
sien. Les dém arches sont parallèles et sim ultanées qu ’ Éthiopiens et coptes partageaient les m êm es
(1440). V oir leurs lettres, B ibl.vatic., m s. O ttobonien» erreurs.
n. 129, p. 109,116. Le décret d ’ union fut lu solennellem ent en latin
Le patriarche Johanès envoya du C aire l'abbé et en arabe. Le député d ’ A lexandrie, l ’ abba A ndreas,
A ndréas, prieur du célèbre couvent de Saint-A ntoine, au nom du patriarche Johanès, au nom des autres
com m e plénipotentiaire auprès du Saint-Siège et ac­ m em bres de la double députation debout prés de lui
com pagné de douze autres m oines. A ssém ani, d ’ après et au nom de tous les jacobi ‘ es d ’ É gypte et d ’ É thio ­
G iacom o, Vila Eugenii IV. M algré les titres pom peux pie, fit l ’ acte d ’ acceptation dans la form e qui lui fut
de l'en-tête de la lettre patriarcale, la chrétienté copte traduite en arabe. Decreta concil. generalium, L vm ,
figurait à peine, à cause des défections qui avaient p. 853.
entraîné les foules à l ’ islam ism e dans l ’ É gypte, la L ’ union fut conclue. H élas ! ce ne fut qu'un jour
Lybie et la N ubie. Seule, l ’ Éthiopie restait intacte du de fête entre des siècles de désolation, nu un éclair
patrim oine de lagrande etglorieuse Église ditede saint radieux, déjà disparu, entre les ténèbres <>e ia nuit
M arc. A ussi, seule, l ’ Éthiopie sem blait-elle attirer séculaire d ’ hier et les som bres tem pêtes d ’ un lende ­
le plus vif intérêt près du pape ei des évêques du m ain interm inable I
concile, et l ’ am bassade dont A ndréas était le chef Les jacobites d ’ É gypte et de Syrie suivirent la
fut annoncée com m e ambassade d’Élhiopie par lâche défection des grecs. Ce fut alors un tel chaos
Eugène IV au concile, le 6 m ai 1441. D ’ ailleurs, le de colères sciiism atiques et m usulm anes que, dans
délégué patriarcal le redira lui-m êm e en rem ettant l ’ exaspération et la terreur, les Églises fureni em por ­
ses lettres de créance : ...nobis Ælhiopibus... tées à la dérive. L ’ É glise d ’ Éthiopie en subit les
T ransportés de R hodes sur la H otte de Jean M ori- contre-coups. M akrisy relate que, en 1454 ; <'2 de
cène, l'abbé A ndréas et son second, le diacre Pierre, l ’ hégire), des am bassadeurs éthiopiens, m ûlés à
avec toute leur suite, parurent le 31 août 1441 devant A lexandrie, furent m assacrés. L a nouvelle ce Γ heu ­
le concile de Florence. reuse solution deFlorence ne sera parvenue . ' > c ■ ar de
L ’ affaire de la réconciliation des jacobites à l ’ Église Z ara-Jacob que com m ecelled ’ unuiom plieav.,· ns
rom aine ne put pas s ’ effectuer aussi vite que l ’ eus ­ nn guet-apens de bandits à la frontière. A -...· m -nt,
sent désiré les délégués africains Les négociations il n ’ a pas eu connaissance de la teneur du erri .· -
furent confiées par le pape aux soins des com m is ­ ciliaire; les errem ents dont il fit des lois
sions spéciales chargées de conférer avec ces députés preuve. V on· plus loin.
touchant les points divers sur lesquels leur Église 3° Les croyances entachées d’erreur d· Γ Égl’.i: ’.to­
était en divergence avec les catholiques; et ils étaient pic, constatées et expurgées par le concile ; ce.
nom breux, on le verra par l ’ énum ération des erreurs — 1. Sur la dioinilé. — A vec le sym boh d-.s pitres,
que condam ne le décret conciliaire. les Éthiopiens adm ettent un seul D ieu personnel,
E ntre tem ps, l ’ am bassade fit un pieux pèlerinage créateur de toutes choses visibles et invisibles. M ais
à R om e, le 9 octobre 1441, pour y vénérer le chef des leurs idées sont peu claires sur l'être divin. D aucun
943 É TH IO P IE (É G L IS E D ’) 944

lui donnent une form e subtile, anthropom orphique, A u xix" siècle, d ’ aucuns faisant école, à G ondar,
d'A lm eida, dm s B eccari, t. vi, p. 123; à la suite de avec un lettré nom m é A rué, ont nié le péché d ’ héré ­
discussions des savants lettrés, en 1430, sur ce sujet, dité et ont adm is à la place la capacité de l ’ enfant,
Zara-Jacob lit une ordonnance im posant la croyance après sa conception au sein m aternel, d ’ avoir déjà la
qui donne à D ieu une form e apparente ou im age, conscience responsable et sujette à pécher. V oir
malké, en l ’ appuyant sur la G enèse, 1.26; II Cor., xi, K rapf, G obât, etc. Fiction inventée à l ’ appui de l ’ opi ­
7, qu ’ il interprète d ’ une form e ou figure visible, pro ­ nion dite des trois naissances, pour le besoin de la ré ­
totype de la form e hum aine, donc anthropom orphique. génération spirituelle. V oir plus loin.
D ’ autres, plus spiritualistes, interprétaient le term e 8. Sur le sort des âmes après la mort. — Pas plus que
gas ou malké dans le sens de des théolo ­ les coptes et les autres O rientaux, les Éthiopiens ne
giens grecs. M ais, à part ces rares exceptions, l ’ esprit croyaient et encore ne veulent croire que les âm es des
abyssin, habitué à suivre plutôt les représentations justes qui en sont dignes entrent dans le ciel ou dim s
de l ’ im agination que de la pure intelligence, donne la jouissance de la vision béatifique, sans aucun dé ­
à D ieu une form e perceptible, nébuleuse. O n entend lai. Pour eux, elles vont provisoirem ent dans le sein
couram m ent appeler l ’ être divin tjafim Sabè’ ou d ’ A braham , c ’ est-à-dire au paradis terrestre, en
l’homme noir, c ’ est-à-dire environné de ténèbres qui attendant la résurrection de leurs corps et le juge ­
dérobent sa face. m ent dernier. Les âm es des crim inels errent en divers
2. Sur la sainte Trinité. — D ans la représentation lieux souterrains ou sous-m ari ns.Le purgatoire n ’ avait
de ce m ystère, l ’ im agination réaliste s ’ égare, ou vers pas lieu d ’ exister entre ces deux Siol ou enfers. C epen ­
la négation (Za M ichaël et A ska,en 1430, sous Z ara- dant toutes les Église:. d ’ O rient ont, aussi bien que
Jacob), ou vers la confusion des trois form es ou per ­ l ’ Église latine, l ’ usage d ’ offrir pour les défunts des
sonnes distinctes. U n abouna m êm e, B arthélem i.sous prières et le saint sacrifice; l ’ Eglise d ’ Éthiopie en
Isaac (1414-1429), aurait affiché cette hérésie gros ­ particulier a pour ses m orts un culte traditionnel, une
sière. pieuse obligation fam iliale si stricte qu ’ on se ruinerait
3. Sur le Verbe incarné. — L a filiation éternelle du en dépens plutôt que d ’ y faire défaut, c ’ est-à-dire
V erbe est adm ise sans conteste. M ais sur son incarna­ d ’ un Tezcar ou commémoration par des m esses >e
tion, les Éthiopiens ont été entraînés à la suite des 8" et le 30® jour après la m ort, et puis, tous les ans;
coptes, voir plus haut, col. 930, vers les erreurs du de plus, selon leurs m oyens, ils offrent des aum ônes
m onophysism e, du m onothélism e et de la théandrie, aux m oines pour faire réciter le psautier de longs
sans prendre part, toutefois, aux grandes contro ­ jours; ils font des distributions de vivres aux indi­
verses de B yzance. Leurs spéculations théologiques gents, etc., tout cela sans savoir, sinon instinctive ­
ont pris direction et se sont arrêtées sur l’onction m ent sous la troublante im pression de craintes et
incarnalrice, voir plus loin, avec toutes les absurdes d ’ inquiétudes inexpliquées, qu'il y a une juste colère
conséquences des théopaschites, ou, au contraire, des vindicative à apaiser, une m iséricorde à rendre pro ­
fantaisistes qui ne font des souffrances et de la m ort pice en faveur de leurs défunts.
sur lesquelles est fondée la rédem ption du genre 9. Sur les observances judaïques. — Ce point concerne
hum ain qu ’ une sim ple fiction de com édie : bafakâdu uniquem ent l ’ Église d ’ Éthiopie, et le concile en a
ou ooluntate ipsius, c ’ est-à-dire parce qu ’ il a voulu ordonné l ’ abrogation. Il s ’ agit principalem ent :
faire ainsi. a) de la circoncision, dont la coutum e a persisté et
4. Sur la procession du Saint-Esprit. — M êmes erre ­ dont le roi G laodios (Claude), a excusé la pratique
m ents que les grecs et tous les O rientaux, à la re ­ parce qu ’ elle est hygiénique et purem ent civile; m ais
m orque de Photius. C ependant, un exem plaire du une crainte superstitieuse en fait une obligation; b)la
sym bole dans un vieux m issel contenant waem ’na tvald purification de quarante jours après la naissance d ’ un
ou Filioque a été trouvé dans le m onastère de G undé- garçon et de quatre-vngts jours pour une fille, avant
gundé par le vénérable M gr de Jacobis, m ais gratté le baptêm e; c) la distinction des viandes, perm ises
ultérieurem ent par un correcteur. Serait-ce un m anu ­ ou prohibées; d) l ’ observation sabbatine du sam edi.
scrit «orti des écoles dom inicaines de N éëbi? V oir plus V oir plus haut. Z ara-Jacob en rendit l ’ obligation
haut, col. 938. très stricte, avec prescription de se réunir à l ’ église,
5. Sur les anges. — Les Éthiopiens les divisent en le sam edi com m e le dim anche.
neuf chœ urs, com m e les a classés saint G régoire le 10. Sur la liste canonique des Livres saints. — Les
G rand; en ajoutant que Saïtân ou Sâïtânaël (Satan) Éthiopiens ont pris le canon des coptes sur les livres
form ait avec son arm ée angélique une dixièm e catégo ­ qu ’ ils regardent com m e saints ou inspirés. U est cal­
rie. Ils croient aux anges gardiens, malak-ekâbé, per ­ qué sur le dernier canon des C onstitutions aposto ­
sonnels, collectifs,régionaux, etc. La superstition s ’ y liques. Ils ajoutent aux livres de l ’ A ncien T estam ent ·
est m êlée et les fait confondre avec les bons génies, a) le Kufalé ou Petite G enèse; b) le livre d ’ H énoch,
mahiëkt', auxquels elle offre des sacrifices ou im m o ­ m algré les 'norm ités qu ’ on y lit; c) le Pasteur d ’ H er ­
lations... Les A byssins croient aux génies, Ç ïnt, m as; il) l ’ A scension d ’ Isaïe;e) les III® et IV® livres
gânén, agànên’, bons ou m auvais, qu ’ ils localisent d ’ Esdras; f) les livres des M achabées tout différents
dans les arbres, les sources, les rivières, les foyers et des nôtres, voir G ad ’ la-M arcurios, et au N ouveau
dans les artisans en m étaux, etc. T estam ent, deux lettres et les huit livres de saint
6. Sur l’ûme. — L a croyance com m une est que C lém ent (C onstitutions apostoliques).
l ’ âm e des enfants est une étincelle de celles de leurs 11. Sur les sacrements. — Le concile eut égalem ent à
parents. D ’ A aneida, dans B eccari, t. vr, p. 130. C ’ est faire adm ettre par les délégués éthiopiens des réform es
le traducianisine en vertu de la loi : crescite et multi­ dans l ’ adm inistration et l ’ usage des sacrem ents. Il
plicamini de la G enèse, qu ’ ils interprètent en ce sens. fut constaté que théoriquement Γ Église d ’ Éthiopie
7. Sur le péché originel. — Ils adm ettent la ruine possédait les sept sacrem ents, m ais que.dans la pra ­
du genre hum ain en A dam , m ais sans se rendre com pte tique, de graves om issions ou altérations s ’ étaient
de la nature et de l ’ effet de cette tare initiale. Ils glissées.
divagiu ni, chacun au gré de sa fruste ou lubrique g ) Baptême ou Tamkat’. — U n abus préjudiciable
im agination, sur ce m ystère de la transm ission du à nom bre de nouveau-nés est le délai de quarant ou
péché en nous, et l ’ attribuent à un vice inhérent au quati e-vingts jours, en vertu de la purification u-
sein de la m ère par une interprétation toute charnelle daïque. V oir plus haut. Le baptêm e se fait par une
du ps. Lviij 4, alienati surd peccatores u vulva, etc. 1 triple im m ersion.La form ule varie selon la diversité des
945 É TH IO P IE (É G L IS E D ’ ; 946

égliscset des localités; ellesubit des altérationsplusou ordinaire ou la suite des prières et des cérém om rs
m oins essentielles qui exposent à l ’ invalidité, com m e invariables qui piécèdent leser'âta-gebr ou le canon
aussi l ’ insouciance des prêtres ignorants pour unir les de l ’ action sainte ou la liturgie; b. suit la liturg;·
paroles sacram entelles à l ’ im m ersion; d ’ où, souvent, ordinaire dite des apôtres, zahâwâriât', la plus an ­
le double doute juris et facli. Les prières et les céré ­ cienne et la plus usitée. R enaudot, H am m ond; d'A l
m onies du rituel baptism al ou maçdhefa- Tamkat’ m eida,dansBeccari,t. vi, p. 161-174. c. Q uatorze autre -
sont prises du rituel copte. Feth’â-Nagasl’, par G uidi, liturgies suivent et sont em ployées à des jours de fête,
c. iv, p. 2C. Q uant au baptêm e de l ’ Épiphanie, où spéciales, à savoir : de N otre-Seigneur: de ... sainte
tout le m onde se plonge dans la source ou la rivière V ierge (de C yriaque de B elm esa); de saint Jean C hry ­
bénite ad hoc, il a pour raison d ’ être lacom m ém oraison sostom e, Afau>ark;ie D ioscore; de saint Jean l'É· , an-
du baptêm e de N otre-Seigneur dans le Jourdain. géliste; de saint Jacques, frère du Seigneur; de sa
M ais 1'ignorance populaire en fait une annuelle néces ­ G régoire d ’ A rm énie; des 318 Pères de N icée; de
sité com m e d ’ un baptêm e sacram entel pour se purifier saint A thanase; de saint B asile; de saint G régoire de
du péché. D ’ ailleurs, m êm e les prêtres ignorent que N azianze; de saint É piphane; de saint C yrille:
le baptêm e im prim e un caractère indélébile et par Jacques de Sarug.
conséquent ne peut pas être renouvelé, car on les O n trouve l ’ ordre ordinaire et la liturgie prim itive
voit réitérer le baptêm e aux personnes d ’ une autre dite apostolique, publiée par Tasfa Çion, R om e,
Église que la jacobite, qui dem andent à être incor ­ V atican; par M . C oulbeaux, en 1886, K éren; cf. aussi,
porées dans la leur. pour la liturgie apostolique et celles de N otre-
b) Confirmation ou Méron (μύρον). — Sans doute Seigneur, de la sainte V ierge et de D ioscore, Bulla-
à cause de la difficulté de se procurer l ’ huile sainte rium palriarcalus Portugalliœ; celle de saint C hry ­
requise, ce sacrem ent est tom bé en désuétude. Il sostom e, dans Chrestomalhia æthiopica de D illm ann,
s ’ adm inistrait conjointem ent avec le baptêm e. D 'AI- p. 5; Sw ainson, Greek liturgy (the ordin. canon of the
m eida, dans B eccari, t. vi, p. 137. mass) ; B ezold, p. 349.
c) Eucharistie ou Kurbân. — C om m e les coptes, etc., d) Pénitence ou ^er’ûla-Nesehà. — L ’ usage en re ­
les prêtres éthiopiens se servent de pain ferm enté, m onte à l ’ origine de l ’ Église éthiopienne, m ais non
excepté le jeudi saint en souvenir du pain azym e sans avoir subi des déform ations par l ’ incurie au cours
dont se servit N otre-Seigneur dans l ’ institution de des siècles. Sous Z ara-Jacob, des m oines auraient
l ’ eucharistie. La com m union se donne sous les deux soutenu que les paroles divines, M atth., xvn, 22, ne
espèces; le célébrant fractionne l ’ hostie, dont le vo ­ signifient pas l ’ institution du pouvoir de l'absolution
lum e a été proportionné au nom bre supposé des sacram entelle, D ilm ann, p. 44; m ais la croyance en
com m uniants, dans une grande patène ou fahâl, que ce pouvoir sacerdotal est générale, a. L a confession
deux diacres tiendront devant lui sur un plateau secrète ou auriculaire est d ’ un usage assez répandu;
recouvert d ’ un pavillon; le prêtre assistant ou na/ka- et sans se confesser souvent, chacun a son confesseur
kasis puise avec une cuillère dorée, erfa-maskal, attitré, « le père de l'âm e », qui sera com m e une garan ­
quelques gouttes dans le calice qu ’ il tient de la m ain tie de salut; personne ne s ’ adressera à un autre, sans
gauche et les verse dans la bouche du com m uniant avoir pris ou congé, ou perm ission du prem ier. O n
debout devant lui. L ’ obligation de com m unier n'est croit pas à une obligation stricte de ce sacrem ent,
prescrite par aucune loi ecclésiastique, excepté sinon lors de la prem ière et très tardive com m union
aussitôt après le baptêm e, à cause de l ’ interprétation eucharistique, et à l ’ article de la m ort, et encore non
littéralem ent nécessitante du texte, Joa., vi, 54, de en vertu d ’ un précepte, m ais de la conviction de la
peur de m ourir sans avoir com m unié une fois au corps nécessité com m e m oyen de salut. C hacun se confesse
et au sang du C hrist. A part cela, ils estim ent conve ­ quand il lui plaît et, selon l ’ opinion publique tradi ­
nable, de bon ton, de fréquenter la sainte table à tionnelle, seulem ent à partir de l ’ âge viril, de vingt à
l ’ âge de l ’ assagissem ent. La privation de la com m u ­ vingt-cinq ans; il en est dem ém e pour toute participa ­
nion est la sanction du crim e de la polygam ie. V oir tion aux cérém onies du culte paroissial; jusqu ’ à cet
plus haut. Le Fethaj-Nagast’ rappelle l ’ usage d ’ ajou ­ âge, on n ’ en a cure. b. La confession publique ne se
ter un tiers d ’ eau au vin destiné à la consécration. fait qu ’ à l’abouna et l’Écagê, dans les cas de censures
M ais, au lieu de vin naturel ou artificiel fait de raisin à eux réservées.U n livre : Enkâsa-Xesehâ ou P- rte de la
sec, on se contente depuis trois siècles de broyer cinq pénitence aide à l ’ exam en de conscience; m ais il est
grains de raisin sec et de les liquéfier avec un peu loin d ’ être à la portée de tous; confesseurs et péni
d ’ eau. A lors, ce n ’ est pas du vin et ne peut pas être tents se contentent de l ’ accusation des pèche s que leur
m atière du sacrem ent. La foi à la transsubstantiation religion très peu éclairée leur représente com m e tels,
est indubitable : pour le constater, il suffit d ’ entendre par exem ple, le vol et le m eurtre, et im m ancuablem cnt
avec quelle accentuation les fidèles, prosternés le l ’ infraction des jeûnes. L ’ im position des peines satis-
front dans la poussière, répètent à chaque consécra ­ factoires n ’ est pas toujours exem pte de sim onie. La
tion : » Je crois et je professe que ceci est vraim ent form ule de l ’ absolution est déprécatoire. V n m anuel :
le corps..., ceci vraim ent le sang du C hrist. » Ce double Ma?ahefa-Kéder ou Livre de la profanation, contient
acte de foi est une preuve que l ’ É glise d ’ O rient a, les form alités rituelles pour la réconciliation des rené ­
dès l'origine, regardé les naroles de N otre-Seigneur gats et de ceux qui ont eu com m erce avec des fem m es
com m e la form e par laquelle s ’ accom plit la transsub ­ non chrétiennes; il date de l ’ invasion m usulm ane,
stantiation, et non pas la prière de l ’ épiclèse qui vie"t xvi° siècle.
après cette profession de foi. C ar ce double acte de foi U n usage entré dans les habitudes sociales sem ble
fait partie de la liturgie dite des apôtres, la prem ière être un travestissem ent de l ’ acte sacram entel· A toute
de toutes et sans doute l ’ unique, à l'origine; et cette rencontre, les gens, en saluant un prêtre ou n pre ­
liturgie est la traduction de la liturgie grecque usitée nant congé de lui, s ’ inclinent et dem andent l ’ abso ­
à A lexandrie, sous saint A thanase; et elle a été tra ­ lution : Felhuni, absolvez-moi, et le prêtre répond :
duite en éthiopien pendant ou après l ’ évangélisation if-f’tàh’kà ou absolvat te (Dominus). C et acte est dis ­
par saint Frum ence,en 340. C ette liturgie éthiopienne tinct de celui de sim ple bénédiction ou bons s·: uhait».
rem onte ainsi à la seconde m oitié du iv siècle. Les burâkê et marakâ.
hellénism es et les m ots grecs,adoptés sans être tra ­ e) Ordre ou Kehenat’. — Les ordres m ineurs et
duits, tém oignent de la source de la version. Le m issel m ajeurs sont énum érés com m e existant en théorie;
éthiopien ou ma?àhe/a-kedàsé contient : a. l ’ ordre m ais en pratique, évêque et ordinands ne recon-
947 É T H IO P IE (É G L IS E D ’) 948

naissent que la prêtrise et le diaconat, qui com prend gnage de leur foi en la T rinité, portassent tatoués au
tous les offices subalternes. D ’ ailleurs, le rituel n ’ en front les noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit;
existe pas en langue gheêz, sinon dans les recueils sur le bras droit : Je renonce au diable et suis servi­
synodaux, par la raison que le pontife ordonnateur est teur de Marie, la mère du créateur; et enfin sur le bras
loujours égyptien et se sert du livre copte. Les ordi­ gauche : Je renonce au diable impur et adore le Christ,
nations risquent de n ’ etre pas valides à cause de mon Dieu. Les réfractaires à ses édits furent im pi ­
l 'incurie des abounas à les conférer dans les conditions toyablem ent m is à la torture et m oururent dans les
essentiellem ent requises. Les incuries notoires n ’ ont supplices. Il n ’ épargna pas m êm e ses enfants, habi ­
pas m anqué, soit par ignorance, soit par négligence tués, eux aussi, à des pratiques de fétichism e au foyer
ou m em e parodie sacrilège. V oir plus haut et Revue dom estique. C ourroucé du peu de cas qu ’ ils faisaient
anglo-romaine, n. 14, p. 634, Abouna Salama, par de scs défenses, il s ’ écria :« O habileté du diable 1 Pen ­
M . C oulbeaux. Les rois, à leur sacre, étaient ordonnés dant que je détourne m on peuple des abom inations
diacres afin qu ’ il leur fût perm is de siéger dans le de l'idolâtrie, il pénètre en m a propre m aison et per ­
sanctuaire des églises réservé aux m inistres de l'autel. vertit m es enfants. » Il fit flageller quatre de ses
Les abounas im posent un tribut sim eniaque à chaque fils,G laodios,A m da-M ariam . Zara-A braham et B ctra-
ordinand. $ion, et trois de ses filles, D el-Sam arâ, E rum -G ualâ,
f) Extrême-onction, Maçâhefa-Kan'dit ou Livre A dal-M ogasâ; ct afin que la leçon exem plaire im pres ­
des cierges. — Ce sacrem ent n ’ existe guère que dim s sionnât, les blessés furent exposés aux yeux de la
l ’ énum ération synodale des sacrem ents de l ’ Église. foule. D e fait, les m eurtrissures étaient affreuses;
C om m e pour la confirm ation, la didiculté de se pro ­ les royales victim es en m oururent bientôt. T oute la
curer l ’ huiie sainte aura favorisé l ’ incurie des prêtres population éclata en sanglots. 'J anka-Aagast; B ec-
jusqu ’ à la désuétude. C ependant, le rituel en existe cari, t. v, p. 239-249.
et donne nom à cette onction des m alades; ce nom a 2. Réformes dans le aille par des prescriptions rituelles.
son origine dans la rubrique de ce rituel qui oblige — A yant fait table rase des cultes païens, le roi acheva
chaque assistant à tenir un cierge durant toute la céré ­ la restauration du vrai culte de D ieu par des ordon ­
m onie. nances liturgiques. D isons-lc tout de suite, Zara-
g) Mariage, Mafâhefa-Taklil ou Livre du voile.— Jacob, avec les m eilleures intentions, fut le m auvais
Ce sacrem ent n ’ entre dans la pratique de la vie chez génie de l ’ Église d'É thiopie; il voulait la sauver, il
les chrétiens de l ’ Église d ’ Éthiopie qu ’ à la m aturité la perdit (paroles de Socinios au P. Paez).
avancée de l ’ âge. A lors, m ari et fem m e vont trouver a) Sabbatisme. — Les discordes divisaient les deux
le prêtre qui les reçoit au tribunal de la pénitence, grands ordres religieux de T akla-haym ânot’ ct d'E us-
puis les bénit com m e époux après la récitation d ’ un tatios, principalem ent sur l ’ observance du sabbat.
Pater, et les époux consacreront leur union par la V oir plus haut. Zara-Jacob im posa silence aux que­
com m union eucharistique faite ensem ble. D e ce relles, en faisant une loi de l ’ É tat, sanctionnée par
m om ent, ils regardent leur m ariage com m e indisso ­ de graves peines, d ’ observer le sam edi com m e le di­
luble; jusque-là, il était purem ent civil, facilem ent m anche. Il y tint la m ain jusqu ’ à la cruauté, car ceux
révocable; aussi le divorce est fréquent et, de plus, îles m oines de D abra Libanos qui rcfusèrcntde judaïser,
le concubinage, etc. V oir plus haut et plus loin. Le com m e ils disaient avec raison, le payèrent de leur
rituel de ce sacrem ent existe cependant; il contient tête. Ibid. O r, l ’ observance sabbatine et dom inicale
de très longues lectures déprécaloires; son nom indique consistait dans le chôm age et l ’ assistance à l ’ office
qu ’ un voile était tendu au-dessus des deux époux du ­ m atinal. Le chôm age com prenait l ’ abstention des
rant ces bénédictions; m ais com m e ces cérém onies œ uvres serviles énum érées dans la royale ordon ­
ne s ’ accom plissent qu ’ aux prem ières noces, elles nance, c ’ est-à-dire après les gros travaux des cham ps,
restent m êm e ignorées, au m oins des fidèles, sinon de la chasse, la pêche, l ’ écriture, les voyages, la baston ­
beaucoup de prêtres. nade des esclaves; étaient perm is l'abatage des bêtes,
4° Zara-Jacob réformateur du culte : fêles, jeûnes, la cuisine, etc. L ’ assistance aux offices religieux
heures canoniales et chants. — Z ara-Jacob occupe une obligeait les fidèles à se rendre à l'église vers le point
place principale dans l ’ histoire théologique de l ’ Église du jour, heure des chants et de la m esse, quand elle
d ’ Éthiopie. Le m obile de l ’ union avec l ’ Église catho ­ est célébrée. L ’ im pureté dite légale,c ’ est-à-dire l'usage
lique ét lit, pour l ’ A byssinie com m e pour tout le du m ariage, excluait non seulem ent de la com m union,
Levant, l ’ espoir d ’ une entente avec les Francs contre m ais de l ’ entrée dans l ’ église. Le chant des heures
la dom ination m usulm ane. L ’ accueil que Zara- canoniales dès le chant du coq, vers deux heures du
Jacob lit au voyageur vénitien, le peintre Francesco m atin, a été inauguré parÇ iorgis de G asecca.sous le
B rancaleone,est une m arque de ses dispositions plutôt règne d'A m da-$ion, m ais régulièrem ent établi par
favorables à l ’ égard de l ’ Église rom aine, quand on Zara-Jacob ; au chant récitatif de prières ou versets des
sait com bien les en éloignent la m éfiance et les pré ­ psaum es, sont intercalées les antiennes de Y ared
ventions invétérées des schism atiques. Ce prince exécutées par les dabtarà avec accom pagnem ent de
m ontra constam m ent un grand zèle pour la réform e s'stres, tam bour, battem ent des m ains ct trépigne ­
ct la perfection du christianism e dans l ’ Église d ’ Éthio ­ m ent des pieds. — b) Les fêtes sont célébrées com m e les
pie. M ais son zèle, m al conseillé par un fanatique, dim anches, m ais avec plus de solennel entrain. Les
l ’ E kâbé-Sa ’ ât ’ A m da Sion qui avait toute sa confiance, grandes fêtes des m ystères chrétiens se succèdent
fut outre et trop inquisitorial. dans le cycle com m un à toutes les églises, et quant
1. Réforme du culte par l’aboiitton des superstitions. au nom bre et quant aux intervalles. — c) Q uant aux
— Le prem ier d ’ entre tous les em pereurs d ’ Éthiopie, jeûnes, ils sont en Éthiopie conform es aux jeûnes de
Zara-Jacob lit une chasse à outrance à toutes les l ’ O rient, soit pour le nom bre, soit pour la rigueur. Le
form es d ’ idolâtrie, sabé sm e et fétichism e, et à Frtlià-Xaga't les énum ère d ’ après le rite copte. V oir
toutes les pratiques de superstition, de m agie, de M o n o p h y s it e (Église).— d) B eaucoup d ’ autres fêtes,
sorceller a. secondaires, m ais aussi obligatoires, sont établies en
C ondam nées officiellem ent, elles n ’ en survécurent l ’ honneur de la sainte V ierge; — outre celles com ­
pas m oins effectivem ent. Son intransigeance ne toléra m unes à toute l ’ Église, Zara-Jacob en a institué trente-
aucune concession à tout reste quelconque de paga ­ trois: l ’ on sait qu ’ un culte spécial et, chez un grand
nism e; et poussé aux m esures extrêm es par son fatal nom bre de gens sim ples, exagéré envers la M ère de
conseiller, il ordonna que tous ses sujets, en tém oi ­ D ieu est cher aux A byssins, — en l ’ honneur delà croix,
949 É T H IO P IE (É G L IS E D ’) 950

des anges et des saints; culte de la croix, voir plus d ’hom élies des Pères et de certains évêques m oins
haut, col. 940; Z ara-Jacob établit douze tètes m en ­ anciens, qui jouit d ’ une grande autorité tht-ologique
suelles (le 12 de chaque m ois), en l ’ honneur de saint en A byssinie.
M ichel ; trois fêtes de saint G abriel ; une fête à cliacun O n se représenterait facilem ent Z ara-Jacob com m e
des suivants: R ufaël (R aphaël) , R aguël, Fanuël, Su- un austère au m ilieu des m oines et des lettres sruis
rial, Sakuëi, U riël, les A fnim . O n honore les saints des adm is à franclür la palissade de l ’ enceinte réservée
prem iers siècles com m uns à toutes les confessions; les du palais, ferm ée aux profanes. T outes les autres
patriarches et prophètes de l ’ A ncien T estam ent, rigueurs des lois divines et hum aines, oui. ·λ a. le
Judith, E sther, etc.; après les apôtres, est ajoutée une knout à la m ain; m ais la chaste loi du m ariai t chré ­
fête dite des quatre animaux, arbata-an ’sasâ, c'est-à- tien, les rois, les grands en sont dispenses. Zara-
dire des quatre évangélistes. Les A byssins ont cano ­ Jacob, com m e ses ancêtres, a eu plusieurs :■ m m es
nisé beaucoup de personnages, en les célébrant dans la fois; on cite entre autres la «Ç era-Itii _·.■ :
leur synaxaire ou m artyrologe. C ’ est, au com m ence ­ ratrice de gauche », D jân-H aylu, prem iere ·. ; ouse;
m ent : les neuf saints rom ains; K alcb ou E l-E sbân; la « K agn ’ Iliégé ou im pératrice de droit· . . D ;ân-
Y ared, etc., puis, L alibala, N akueto-la-A b, G abra- Sela, deuxièm e épouse officielle; S io n -M o :tro i ­
M anfas-Kedus ou vulgairem ent A nbo, T akla-haym a- sièm e fem m e, m ère de B a'cda-M ariam .qui succéda au
not ’ , E ustatios, M ercurios, etc., d ’ entre les plus ou trône.
m om s dignes ct les indignes. V oir le synaxaire. V IL A p r è s l b s i n v a s io n s m u s u l m a n e s (1520-
Le palais de Z ara-Jacob devint un laboratoire 1551). — 1° L'Éthiopie à Rome était Portugal. Faillite
littéraire. G énie com parable à C harlem agne, il était d’une première union. — L ’ É glise d ’ Éthiopie dem eura
m û par un esprit tout chrétien dans sa politique inté ­ dans ce courant d ’ idées et de vie religieuse sans qu ’ il
rieure ct extérieure, illustre par les exploits de ses se produisit rien de saillant au point de vue théolo ­
arm es contre les m ahom étans d ’ A dal et, m algré gique. La préoccupation fut tout entière à la défense
l'incom patibilité apparente, par l'am our de la litté ­ nationale contre l ’ invasion m ahom étane de plus en
rature religieuse et des hym nes ecclésiastiques. Il plus m enaçante. E t c ’ est m êm e à la ruine la plus
favorisa les études par des bénéfices alloués aux désastreuse pour l ’ Église et pour l ’ É tat, par la con ­
écoles et aux m onastères où elles étaient cultivées. quête de l ’ A dalite M oham ed-Ç erâi'i, qu ’ est dû le
Soldat-écrivain, il com posa lui-m êm e ou lit com poser : réveil de l ’ âm e nationale tendant les m ains vers le
le Maçâhefa-Berhân ou Livre de lumière, recueil des Saint-Siège; car, au fond, la disposition m entale,
prescriptions ecclésiastiques m entionnées plus haut; héritage atavique, se retrouve chez L ebna-D an ’ gel
ï’Egzîabehir-Nagsa ou Le Seigneur règne, recueil de ou D aouit ’ IV (1508-1540), la m êm e qu ’ à i:i cour de
stances et d ’ hym nes pour les fêles et pour tous les Z ara-Jacob, c'est-à-dire que la velléité d'un retour
jours. L a grar.de dévotion du roi envers la M ère de àl ’ union catholique est, chez l ’ uncom m echez Γ m itre,
D ieu laissa com m e tém oignage le Taâmera-Mariam subordonnée au besoin de secours dans le péril extrêm e
ou Les prodiges de Marie, recueil de m erveilles légen ­ de l ’ É taL L ’ initiative des dém arches éthiopiennes
daires d ’ origine orientale et occidentale etVOrganon- auprès de R om e et de Lisbonne est due au saa< uem e
Dan’gel ou Hymne à la Vierge, divisé en sept parties d ’ une fem m e, l ’ im pératrice douairière H élène, con ­
pour chaque jour de la sem aine, par l ’ abba G iorgis seillère du jeune roi D aouit ’ IV . U n prem ier m essage
(l ’ A rm énien). Enfin, sous son règne on adm ire toute fut confié à un arm énien, M atthieu, près du pape
une floraison d ’ œ uvres qui donnent corps à la biblio ­ Léon X ct des rois de Portugal Jean II et Em m anuel
thèque éthiopienne jusque-là à peu près inexistante. le G rand (1520); puis une deuxièm e am bassade confiée
C ’ est: a) pour le droit canon, le Sinodos ou com pila ­ à dom A lvarez et au L ika-K ahenât ’ §agâ Za A b
tion des actes des conciles, com prenant les C onsti­ auprès du roi Jean III et du pape C lém ent V il (1534),
tutions apostoliques,127 canons dits aussi des apôtres, term inée par la dém arche plus expresse dont Jean
38 canons dits d ’ A boulidès (H ippolyte), pape; les actes B erm udez fut chargé près des deux cours. Paul III
de· N icée, d ’ A ncyre, de N co-C ésarée, etc. Zara-Jacob, avait succédé, à C lém ent V IL Le m om ent psycho ­
lier de l ’ aboutissem ent de ce gros travail, en envoya logique était advenu pour l ’ accueil en É thiopie d ’ un
une copie à la colonie conventuelle de Jérusalem . évêque catholique. M ais ni C lém ent V II ni Paul il!
b) Pour l ’ apologétique, c ’ est-à-dire la défense des n ’ en profitèrent : le prem ier, par des em pêchem ents
croyances de l ’ Église d ’ Éthiopie, le Masûhefa Mistir dont il n ’ est pas responsable, parce que ÿagâ Za A b,
ou Livre des mystères, com posé par un controversiste retenu à Lisbonne, ne put m êm e pas se rendre a
fam eux à la cour im périale, abba Ç iorgis, fils de R om e, de 1533 à 1540; le deuxièm e, par Jes attar-
H ezba-Ç ion, originaire de Saglâ (A m hârà); rien que dem ents dans des com binaisons sans effet dont les
le som m aire donne une idée de l ’ im portance attachée détails vont suivre.
à toutes les questions soulevées autour du dogm e et 2° Jean Bermudez cl Paul III. — L e rôle joué par
à l'histoire de la théologie : y sont com battues les doc­ Jean B erm udez — le personnage qui répond à ce nom
trines de Sabellius, d ’ A rius, de N estorius, de Pno- était un m édecin portugais, m em bre de la .econde
tinus, d ’ O rigènc ct de B itor (1), des antidicom aria- am bassade, resté à la cour du C hoa, après le retour
nites, d ’ E utychès (quoique leur leader D ioscore n ’ ait d ’ A lvarez — sem blerait plutôt un conte fantastique
été que son aflldé.les É thiopiens condam nent E uly- qu ’ une réalité vécue. Il finit par être une m ystifi­
chès com m e priscillianiste), de Sévère d ’ A ntioche, cation 1 T out em brouillé qu ’ il soit, il laisse percer des
de Théodore d ’ A lexandrie, d ’ A burios, de M anès, du éclaircies sur le chaos historique de cette heure du
pape saint Léon et du concile de C halcédoine, qu ’ il xvi c siècle en A byssinie. Le roi Lebna-D an'gel et sa
traite de Mdh’ebara-aklâbàl' ou Meute de chiens. cour, l ’ abouna M arcos au term e de ses cent trois ans
D ’ A bbadie, Catalogue, n. 49. C et ouvrage se com plète et le conseiller interm édiaire B erm udez, tous furent
par une série de lettres de Tim othée d ’ ÉIure, d ’ ex ­ d ’ accord pour opérer sans éclat la transition dn
traits de saint G régoire de N azianze et de saint C yrille schism e à la véritable Église. Le vieil évêque rem it
d ’ A lexandrie. O n a observé que c ’ est la prem ière fois par une sorte d ’ abdication ses pouvoirs épiscopaux a»
que la querelle m onophysite se produit ex professo; M am her Johanès (B erm udez) et l ’ établit son succes ­
la controverse eut officiellem ent lieu à la cour, en seur au siège m étropolitain d ’ Éthiopie <1 B er ­
présence du roi. r) U n autre ouvrage im portant : m udez parait n ’ avoir pas douté de la licéité de cette
Haymanot-abau ou La foi des Pères, suivra bientôt, com binaison, fruit d ’ une habileté tout orientale, ni
sous B aeda-M ariam . C ’ est un recueil de traités et de l ’ approbatiou du pape, bous cette reserve et cette
951 É TH IO PIE (É G L IS E D ’) 952

condition expresse, 11 assum a l ’ aventureuse et très tations persévérantes (1546-1554) de saint Ignace de
grave responsabilité. En conséquence, le roi D aouit ’ , Loyola, enfin accueillies par Jean III, lui firent agréer
après la m ort de l ’ abouna M arcos, au lieu d ’ envoyer et présenter au pape Jules 111 les nom s de trois can ­
en É gypte selon l ’ usage constant, chargea B erm udez didats. un au titre de patriarche, deux à l ’ épiscopat à
lui-m êm e, désorm ais l ’ abouna Johanès, d ’ aller à titre de coadjuteurs, pour l ’ Église d ’ Éthiopie. M ais
R om e afin d ’ y faire agréer et régulariser son éléva ­ en Éthiopie, nous l ’ avons vu, les conditions étaient
tion au siège épiscopal d ’ Éthiopie. Le fait de cette bien changées; les dispositions de la cour im périale
dém arche pérem ptoire est la preuve incontestable étaient devenues tout à fait hostiles; tous les ordres
de la volonté très sincère, cette fois au m oins, de la civils et ecclésiastiques étaient groupés autour de
part de la cour im périale, d ’ aboutir à une conclusion l ’ évêque copte,l ’ abouna Jusab (Joseph). Le patriarche
définitive de la question religieuse avec R om e et d ’ une N unez B arreto dut attendre à G oa, parce que, d ’ après
entente politique avec Lisbonne. A uprès du roi de les inform ations du P. R odriguez G onçalho, envoyé
Portugal (1540), B erm udez réussit à obtenir le secours en éclaireur à la capitale d ’ A byssinie, les portes lui
d ’ un corps de troupes contre les envahissem ents des seraient ferm ées. Il m ourut là en 1561. U ne tentative
A dalites. M ais le succès réel de sa m ission près du avait été néanm oins décidée, et le prem ier évêque
Saint-Siège reste une énigm e. U ne chose certaine est coadjuteur, A ndré d ’ O viédo, dont le caractère épis ­
la non-ratification des actes passés en dehors de toute copal n ’ était pas divulgué, se rendit en A byssinie
légalité ecclésiastique, concernant sa nom ination avec le P. M anoel Fernandez (1557). D ’ A lm eida, dans
épiscopale par le vieux prélat schism atique incon ­ B eccari, t. v, p. 370. L ’ hostilité de l ’ em pereur G laodios
scient. O n prit en considération l ’ exposé de l ’ état des apnarut m anifestem ent au m ilieu des m anières de la
choses et des esprits, tel qu ’ il ressortait de la com bi­ plus attentive courtoisie qui le distinguait. Ce prince
naison censée ingénieusem ent trouvée pour résoudre et tout son entourage laïc et religieux redoutaient que
la dilTiculté du changem ent de régim e. Il fut délibéré les m issionnaires ne fussent les précurseurs d ’ une inva ­
en conseil des cardinaux, sous la présidence de Pau 1 1 11, sion portugaise. L a tactique politique de la cour fut
sur le projet de faire élire par le roi un archevêque d ’ éviter tout froissem ent avec le gouvernem ent de
et de nom m er un collège de douze prêtres, qui, dans G oa et la cour de Lisbonne, tout en se tenant dans les
la suite, pourvoiraient à la vacance du siège par l ’ élec ­ retranchem ents du schism e religieux.A ndré d ’ O viédo
tion de l ’ un d ’ entre eux. Sans doute, B erm udez ne fut pus traqué com m e m issionnaire catholique; il
avait été invité à profiter de la prépondérance dont put m êm e enseigner et son caractère épiscopal fut
il jouissait à la cour pour faire adm ettre ce plan. reconnu censém ent pour les Portugais naturalisés.
M ais son am bition le poussa à exagérer et à fausser M algré les rem ontrances de l ’ abouna Jusab,le roi ne
le rôle de précurseur et à se poser lui-m êm e en délégué craignit pas de laisser la liberté de controverse dans son
pontifical en se donnant le titre de patriarche (1540). palais; on le voit m êm e entrer dans la m êlée,car son
Il réussit à passer pour tel, d ’ abord à la cour de Lis ­ esprit perspicace, subtil et délié dans l ’ étude de sa reli ­
bonne et à G oa, près des Portugais, puis à la cour gion, avait pénétré à fond les raisons théologiques sur
d ’ Éthiopie, com m e en tém oigne une lettre du roi les m ystères et toutes les questions ecclésiastiques. II
G laodios, fils de L ebna-D an ’gel (1542-1543), adressée se flattait, avec un orgueil teint de fatuité, de tenir
au souverain pontife : « ...V ous avez daigné nous le sceptre de la science aussi bien que celui de l ’ auto ­
accorder pour pasteur notre père (abouna) Johanès rité suprêm e. M ais les débats dégénérèrent en huées,
et lui conférer la consécration épiscopale — c ’ était à défaut d ’ argum ents, et l ’ obstruction couvrait la
faux ! — N ous l ’ avons accueilli et placé sur le siège voix des m issionnaires. Les A byssins appelaient cela
m étropolitain, etc. » — A u reçu de ce m essage im pé ­ la victoire. Les clercs et les m oines s ’ agitaient beau ­
rial. le pape Paul III fit tenir plusieurs congrégations coup à la cour, dans les cam ps, dans tous les centres
à l ’ effet de délibérer sur le m oyen de rem édier à la autour des ardents controvcrsistes qui tenaient tête
fausse situation créée par l ’ intrusion de B erm udez. aux défenseurs catholiques; les chroniques en m en­
O n résolut d ’ am ener prudem m ent ie roi à ordonner tionnent spécialem ent deux, abba Zakra et abba
la déposition du pseudo-patriarche et de procéder à Paolos. La coterie de la reine m ère Sabla-W an ’ çêl
l ’ élection d ’ un candidat au siège épiscopal, selon le entretenait les intrigues et les agissem ents pour cir ­
m ode indiqué plus haut. M ais cette délibération resta convenir le roi G laodios, car l ’ on craignait que son
sans être m ise à exécution. V at. urbin., n. 829, p. 293. goût pour l ’ étude approfondie des questions reli­
Cf. M . C haîne, Le patriarche Jean Bermudez d’Éthio­ gieuses ne l ’ entraînât à des concessions préjudiciables
pie (1540-1570), dans la Revue de l'orient chrétien, au parti jacobite. D evant cette levée de boucliers
1909, t. xrv, p. 321-329. dans des bruyantes et inutiles discussions, O viédo et
C ependant, une fois délivré du fléau m usulm an, le son com pagnon s ’ en étaient écartés pour se livrer
roi G laodios revint aux instincts schism atiques et se au travail de l ’ apostolat obscur et patient, cl non sans
m ontra hostile aux catholiques, à com m encer par fruits sérieux, au dépit m al dissim ulé du roi. Sa grande
l ’ abouna Johanès dont il refusa désorm ais de recon ­ prudence, sa m agnanim ité et sa charité attirèrent à
naître les pouvoirs. D ’ ailleurs, Jean III, ayant le O viédo le respect universel.Sait, t. n, p. 276. Le devoir
dessein de faire nom m er un vrai patriarche, l ’ avait de sa charge, cependant, pesait sur lui et son zèle
inform é de la fraude de B erm udez. Le m onarque du salut des âm es m êm e m algré elles le poussa à
éthiopien s ’ en autorisa pour le m ettre à l ’ écart sans écrire (22 juin 1557) au roi G laodios une lettre où il le
provoquer le ressentim ent des Portugais à sa solde. prém unit contre les tram es et les intrigues de sa cour
E nfin, l ’ envoi au C aire d ’ une députation pour obtenir et surtout contre l ’ influence d ’ autant plus néfaste
un abouna copte, selon l ’ usage traditionnel,abroge qu ’ elle est plus puissante de la reine sa m ère elle-
l ’ acte de répudiation accom pli par son père. B erm udez m êm e, oublieuse des protestations d ’ attachem ent
le lui reprocha com m e un parjure et une apostasie, durant les jours de m alheur et des acclam ations cha ­
après ses engagem ents envers le siège de Pierre. La leureuses envers les libérateurs. D ’ A lm eida, dans
querelle s ’ envenim a. Les m enaces de B erm udez abou ­ B eccari, t. v, p. 377-380.
tirent à son expulsion (1556). Les conseils de l ’ apôtre échouèrent devant la
V III. M i s s io n d e s j é s u i t e s . — P» phase. — l°Lc défiance et les appréhensions que la m ère inspirait
patriarche André d’Oviédo et le roi Glaodios. — Sur au jeune souverain et devant l ’ opiniâtreté en son pro ­
ces entrefaites, le projet de m ission, longuem ent pré ­ pre sens et l ’ orgueil ancestral. G laodios se déclara
paré à Lisbonne, était en voie d ’ exécution. Les exhor ­ « fils de l ’ Église d ’ A lexandrie », et pour la justification
953 É TH IO PIE (É G L IS E D ’ )

de ses sentim ents et de sa conduite, il fit publier sa foules favorables à la réunion à l ’ É glise catholique
« confession de foi » m otivée. Ludolf, Com. hist., soit parce que les autorités turques lui ferm eraient
p. 237. i< y défend les erreurs des jacobites et repousse les routes de la m er R ouge,s'efforça défaire revenir ie
l ’ accusation de judaïsm e en invoquant les raisons souverain pontife sur cette déterm ination. Les choses
d ’ usages purem ent civils et indifférents au point de en restèrent là. D ’ A lm eida, dans B eccari.t. v. p. 423-
vue religieux. Il n'ignorait pas, cependant, m ais il 432. Le zélé patriarche m ourut saintem ent à Fr, m e ■·._·.
oublie les discussions non encore éloignées sur ces en 1577; et les autres Pères finirent aussi leurs jours
observances. dans la paix, sous le poids de leurs travaux aposto ­
2° Ouvrages de polémique; travaux liturgiques. — liques (1577-1596). Le dernier, François Lobo, en m e u-
Les revendications des sectaires s'affichaient de jour rant,laissait la m ission catholique sans aucun soutien
en jour plus intransigeantes, com m e en toute recru ­ au m ilieu de l ’ épreuve. U n prêtre de G oa, .M elcbior de
descence des réactions. Les joutes de la polém ique Silva, se dévoua à aller leur porter secours; urâce a
anticatholique provoquèrent la com position ou la son teint indien, il put traverse.· les pays occupes par
traduction de traités dogm atiques : Fekâré-Malakot’ les Turcs, qui le prirent pour un banian; il rendit ses
ou Explication de la divinité; ÿaivdna-Nufs ou Refuge services aux catholiques jusqu ’ à l ’ arrivée du Père
de l’âme; Mazgaba-hûymûnot ou Trésor de la foi, qui Pierre Paëz, en 1603.
sera réfuté plus tard (1642) par A tânâtios dans 2° phase. — 1° Premiers succès. — Par un phéno ­
Maksafta-hâssetât' ou les Fléaux des mensonges. L a m ène singulier, les successeurs de Sarsa-D angêl, tout
renaissance à la vie nationale ct religieuse se m ani­ en bataillant les uns contre les autres pour s ’ em parer
feste non seulem ent dans la polém ique, m ais aussi du trône, rivalisèrent pour ainsi dire de bienveillance
dans le culte liturgique. Le clergé se recrute et se envers le P. Paëz. Ils allèrent m êm e plus avant, jus ­
relève, les écoles se rouvrent, les églises, au m oins qu ’ à la conversion au catholicism e. Ils avaient nom s
en partie, sont restaurées. D eux lettrés, instruits dans Jacob, Za D an ’ gei (1597-1607), et après eux Soci-
l ’ art du chant, les A zaj Ç éra et R aguël en facilitent nios (1607-1632): Le règne de ce prince fut l ’ apogée
le laborieux apprentissage par la notation de Deg’va du triom phe de l ’ Église catholique en É thiopie, m ais,
ou Anliphonaire, pour toutes les fêtes de l ’ année. O n hélas ! triom phe éphém ère, trop peu m odère pour une
voit paraître alors le Masâhefâ-Kan’dil ou Livre des longue durée. Les succès m erveilleux du P. Paëz
cierges, qui n ’ est autre que le rituel de l ’ extrêm e- étaient dus à ses vertus apostoliques et à une science
onction et de la pénitence. m ultiform e et pratique au service de son zèle. O n le
3° Oviédo et Minas. Dénonciation et condamnation voit am ener progressivem ent l ’ em pereur Socinios de
de l’hérésie. Persécution. — Les guerres et la m ort la conviction à la profession de foi, d ’ A lm t , uans
prém aturée de G laodios arrêtèrent ce double courant B eccari, t. vi, p. 489; de la reconnaissance d ’ usa ces, ou
(4 avril 1559). A u com m encem ent de la m êm e année, abrogés, ou prohibés par le christianism e, à l'adoption
un certain nom bre de Portugais et d ’ indigènes catho ­ des lois aussi sévères qu ’ essentielles de la m on, . évan ­
liques se laissaient entrainer vers les errem ents du parti gélique. C ette évolution religieuse, dont le roi était
jacobite. Ce voyant, l ’ abouna A ndréas (d ’ O viédo) l ’ axe, se fit autour de lui à la cour, avec des m énage ­
lança, le 2 février 1559, une dénonciation des erreurs m ents fort calculés par le prudent m issionnaire.
des A byssins et de leurs préjugés contre l ’ Église Le m onarque, en prenant possession du trône, vit
rom aine, afin d ’ en prém unir ses ouailles. Il enjoint beaucoup de vassaux, hier encore rebelles com bat ­
aux fidèles de son obédience de se tenir en garde contre tants, et soum is non sans rancœ ur ni m écontente ­
ces erreurs, et aux Éthiopiens d ’ y renoncer, sous peine m ents, et le m oindre prétexte les eût trouvés prêts
d ’ excom m unication, c ’ est-à-dire « d ’ encourir les juge ­ à la révolte. Le P. Paëz savait aussi bien que le roi
m ents de la sainte Église et des autorités ecclésias ­ com bien l ’ am our-propre m onacal, et, par lui aiguisé,
tiques, soit pour leur châtim ent en leurs personnes et l ’ am our-propre national étaient un obstacle inatta ­
en leurs biens, soit pour leur pardon dans la m esure quable de front et que d ’ infinis m énagem ents réus ­
de leur repentir.» D ’ A lm eida, dansBeccari, t.v .p . 391. siraient à peine à am oindrir peu à peu. Les questions
Le successeur au trône, M inas (1559-1563), excité de fond, quoique base du schism e, les eussent laissés
par les dignitaires et les m oines de son entourage, assez indifférents, m ais cette seule idée d ’ avoir à
défendit au patriarche et à ses com pagnons de con ­ reconnaître que, depuis huit ou neuf cents ans. a . rs
tinuer leur enseignem ent ct leurs controverses, et dans ancêtres et eux-m êm es sont dans l ’ erreur, tes bless,·
l'irritation causée par leur résistance, il les traita avec et les révolte. M onophysism e, sabbatism e, à tort ou à
brutalité; ct, par un exil forcé, il les confina dans une raison, étaient pour eux des choses sacrées, parce que
province éloignée et, partant, inhospitalière. Les ca ­ traditionnelles : croyance ancestrale, observance ances ­
tholiques subirent une cruelle persécution. D ’ A lm eida, trale. A cheval sur ce principe du culte de la tradi ­
dans B eccari, t. v, p. 394. tion,des us et coutum es de leurs pères, l ’ am our-propre
Son fils, Sarsa D an ’ gei (1563-1597), se m ontra de la race revêtait un fanatism e irréductible. D e 1607
m oins défavorable et laissa le patriarche et les Pères à 1622, on suit à travers ces obstacles la m arche lente,
s ’ établir à Frém ona, non loin d ’ A ksum . D ’ autres Pères m ais sûre, de Socinios dans son royal dessein d ’ entral-
suivirent des groupes de fam illes portugaises qui ner la cour d ’ abord, puis ses cam ps et tout son peuple
allèrent se fixer dans la province de D am béa, sur les dans sa conversion vers le catholicism e. C ’ est d ’ abord
bords du lac Sânâ. la sim ple, m ais insistante m anifestation de ses pré ­
M ais, si les préoccupations politiques détournèrent férences personnelles dans les joutes des discussions
d ’ eux l ’ attention de la cour, les m issionnaires se sen ­ religieuses, thèm e ordinaire des conversations au palais.
tirent frappés au cœ ur par des m esures prises à Lis ­ C ette pression par l ’ entraînem ent de l ’ exem ple, de
bonne et à R om e à l ’ égard de leur œ uvre apostolique. la préférence du roi et de la m ajorité des grands qui
Le roi de Portugal, dont Sébastien, désespérant de l ’ entouraient, favorisait puissam m ent les prédications
rien réussir en A byssinie, pria le pape d ’ en retirer les infatigables des Paëz, A ntoine Fernandez, A ntoine
jésuites et de les envoyer dans l ’ Inde et la Chine. de A ngelis, Louis d ’ A zevedo, etc., dans les cam ps et
Saint Pie V , par un bref du 2 février 1566, adressé au dans les centres que les princes ouvraient à leur zèle.
patriarche A ndré d ’ O viédo, lui donne ordre de se E n 1613-1614, à la suite de vives controverses avec tes
retirer dès qu ’ il le pourra faire en sécurité et de se plus entendus des lettrés et les plus renom m és des
rendre aux m issions du Japon et de la C hine. M ais m oines, la cause de la vérité avait fait de telles con-
O viédo, soit par l ’ espoir fondé sur les dispositions des , quêtes à la cour que le roi jugea le m om ent venu de
955 É TH IO PIE (É G L IS E D ’ ) 956

se prononcer et de prom ulguer com m e désorm ais qui avait réconforté son royal néophyte au m ilieu des
officielle la croyance dyophysite. L ’ abouna Sim éon troubles et en face des soulèvem ents populaires sous
lui lit des rem ontrances d'avoir pris une déterm ina ­ l ’ excitation des m oines et d ’ erm ites forcenés, était
tion à ses yeux si ruineuse, sans m êm e le consulter, venu de G orgora à D aneaz pour féliciter Sa M ajesté
lui, l ’ évêque, le gardien de la foi et juge de l ’ Église et s ’ unir à ses actions de grâces envers D ieu, qui l ’ a
d ’ Éthiopie. D roit fut fait à sa plainte; les contro ­ favorisé de toutes ces victoires.
verses furent rouvertes, m ais à la confusion de son Le Père approuva la royale et décisive déterm i ­
ignorance, m algré l ’ appoint du cortège énorm e de nation; une proclam ation m otivée l ’ annonça afin d ’ y
m oines et de clercs qui l ’ escortaient. Le résultat fut préparer l ’ opinion publique, et elle fut renouvelée
la confirm ation du décret par une deuxièm e publication en 1624; elle est:a)un docum ent dogmatique en faveur
m otivée par les preuves tirées des livres doctrinaux, de la vérité contre le m onophysism e et les conséquen ­
spécialem ent le llaymanot abaw, qui fait foi en A bys ­ ces absurdes, ou grossières, ou contradictoires, et
sinie, et par le tém oignage de tous les lettrés les plus injurieuses à la sainte T rinité, etc.; b) un docum ent
savants. Il im posait la croyance aux deux natures en cultuel condam nant le judaïsm e de l ’observation du
Jésus-C hrist, et cette fois, sous la sanction de la peine sabbat (sam edi), ajoutée à celle du dim anche chré­
capitale. L ’ abouna, appuyé par le ras A m âna C hristos, tien; c) un docum ent historique légitim ant l ’ appel à
frère utérin de Socinios et frère jaloux du ras Sela- R om e, à l ’ eftet d ’ obtenir un abouna, par des m otifs
C hristos, zélé cham pion de la foi rom aine, fulm ina basés sur l ’ évidente rébellion de D ioscore contre les
l'excom m unication à quiconque se soum ettrait à 636 Pères du IV ° concile (à C halcédoine), et sur les
l ’ édit im périal. C ’ était la guerre déclarée, et les partis prévarications si maniaques des abounas dans les ordi ­
allaient se trancher. L ’ excom m unication troubla les nations, et scandaleuses dans leur conduite privée, voire
consciences et la cour en fut dans une grande agita ­ m êm e des trois derniers, M arcos, Pétros et Sim éon,
tion, quoique le prestige de l ’ abouna fût perdu et son notoirem ent perdus de réputation à cause de leurs
autorité spirituelle fort dim inuée à cause de ses m œ urs crim es innom brables. A ssurém ent, le coup d ’ É tat
scandaleuses. L ’ em pereur n ’ en fut pas ébranlé et tint ainsi m otivé défiait tout reproche d'illégalité et de
bon. violence à la vérité. T oute la cour acquiesça et prêta
2° Guerres intestines. — C ependant l ’ anarchie fer ­ serm ent de fidélité. D ’ A lm eida, dans B eccari, t. vi,
m entait trop pour ne pas éclater. Sous les brandons p. 355-358; M endez, ibid., t. vm , p. 110-117.
du fanatism e, les provinces étaient en ébullition, le Ce grand acte im périal réalisé, Socinios accom ­
Tigré, le B egam eder, le D am ot et le G ogiam . Les ras plit l ’ acte personnel, plus décisif encore : sa conversion
qui les com m andaient, dissim ulant ou leur am bition effective par la réception des sacrem ents de la péni ­
frustrée, ou leur jalousie m écontente, sous le couvert tence et de l ’ eucharistie (1622) à Fogara, des m ains
de la foi ancestrale, prirent parti pour l ’ abouna Sim éon du P. Paëz. U n exem ple du plus saisissant caractère
contre l ’ em pereur, et surtout contre leur rival poli ­ en cette conversion fut la renonciation à la poly ­
tique, le ras Sela-Christos, que sa bravoure et ses | gam ie; car elle était à la cour un obstacle com m e insur ­
talents m ilitaires avaient im posé com m e généralissim e m ontable, vu le droit de cité qu ’ elle y avait pris,
de l ’ arm ée (1617). M endez, dans B eccari, t. vin, p. 106. jusqu ’ à être adm ise non seulem ent com m e exception ­
La conjuration partit en guerre sous l ’ étiquette : « La nellem ent perm ise et licite, m ais com m e un apanage
foi de nos Pères, le m onophysism e. » obligatoire de la couronne. « A quoi bon être roi, dit
Julios, gendre de l ’ em pereur, était à la tête de l ’ in ­ un proverbe national, si ce n ’ est pour jouir de tous les
surrection, accom pagné et béni par l ’ abouna Sim éon. plaisirs que sa fortune lui offre, et pour s ’ entourer
Les troupes royales les rencontrèrent entre A zazo et d ’ une nom breuse progéniture, sa plus belle couronne? >
D aneaz, en m ai 1617. La victoire favorisa le parti La cour a toujours eu son harem : l'épouse de la
royaliste et catholique; Julios et l ’ abouna Sim éon y droite, l ’ épouse de. la gauche, et toute une phalange
périrent. La résistance dogm atique était épuisée; de concubines soit habituelles, soit accidentelles. O r
m ais d ’ un autre côté, la question du sabbatism e, Socinios, en recourant au P. Paëz, avait résolu de
sous le souille d ’ un fanatism e inspiré par les santons, revenir à la pureté m atrim oniale de la loi évangé ­
anachorètes nom breux du D am ot ’ , réunit autour de lique. Il ne garda que la prem ière épouse, la m ère
lonaël, le vice-roi du B egam eder, toute une arm ée de des fils appelés à la succession au trône. Le royal
guérillas. O n redoutait ces frénétiques m ontagnards exem ple devait être suivi par nom bre d ’ autres au
et l ’ on ne cachait pas que du succès, cette fois, dépen ­ palais et dans les cam ps. A ussi ce fut un m urm ure
dait te sort de la couronne, tellem ent l ’ opinion publi ­ général de plaintes et de lam entations, et m êm e de
que énervée avait m is l'inquiétude dans les m asses récrim inations soulevées par cette m esure, tellem ent
inconscientes. Les fem m es surtout « subornées, com m e était faussé le sens m oral sur cette loi fondam entale
disaient les officiers, par les m oines qui les circon ­ de la vie chrétienne. Le divorce était légal et fréquent;
viennent pendant que nous som m es en cam pagne, » l ’ em pereur abrogea cette légalité fondée sur les habi ­
fom entaient les troubles. La déroute de lonaël dans tudes ancestrales, contre lesquelles avaient déjà
le B egam eder et la victoire du ras Sela-C hristos sur échoué de graves interventions. V oir plus haut,
les bandes am eutées dans le D am ot ’ (22 janvier- col. 939, 950.
3 octobre 1621) tranchèrent encore cette querelle, et 4° Graves difficultés d’ordre moral et d’ordre litur­
l'affolem ent de la foule s ’ apaisa. D ’ A lm eida. dans gique. — 1. Ce nouvel édit causa encore plus d ’ agi ­
B eccari, t. vi, p. 352-356. tation dans tous les rangs de la société; et durant les
3° Démarche officielle près du Saint-Siège, et conver­ deux années qui suivirent (1622-1624), les cas de di ­
sion effective de Socinios. — L ’ em pereur, encouragé vorce se présentèrent encore fréquem m ent devant les
par ces heureux succès sur ces ém eutes, com m e un Won’ber ou juges de paix. C eux-ci, inhabitués à la
signe des bénédictions du ciel, résolut, après avis au nouvelle législation, rendaient leurs sentences confor ­
préalable des groupes grossissants des adhérents m ém ent au droit établi sur le m odèle de la loi m osaï ­
parm i les princes et les lettrés, de proclam er défini ­ que. Socinios institua un tribunal spécial pour les
tivem ent l'adhésion de l ’ em pire à l ’ Église catholique causes m atrim oniales, sous le contrôle des m ission ­
et de faire la dem ande officielle d ’ un patriarche près du naires, afin de suivre les règles conform es au droit
pontife de R om e, successeur de saint Pierre. La divin et aux sacrés canons. U ne sanction très rigou ­
vacance du siège par la m ort tragique de l ’ abouna reuse atteignait les réfractaires, c ’ est-à-dire ceux qui
Sim éon hâtait la décision et l ’ exécution. Le P. Paëz, divorceraient contrairem ent à ces dispositions : la con­
957 É T H IO P IE (E G L IS E U ;

fiscation de tous les biens. T oute séparation sem blait ordre civil et ecclésiastique, a ia su il·
être rendue à peu près im possible. O n y répondit fils héritier présom ptif, prêtèrent le m êm e serm ent
avec d ’ autant plus d ’ im patience et de m urm ures que d ’ adhésion. A insi fut accom pli l ’ acte officiel par :eqn
les professionnels du divorce sortaient des grandes l ’ É thiopie consacrait sa réunion à i ’ Éeiise rom
fam illes et principalem ent de celles apparentées à la L e patriarche la sanctionna par une sentence <i excom
m aison royale, sinon de la m aison royale elle-m êm e. m unication contre ceux qui seraient parjur-.-s
Les écarts des volages princesses ont été si écla ­ serm ent, et ensem ble avec lui tous les prêtn - présents,
tants et scandaleux que le discrédit public a donné latins et indigènes, prononcèrent le m êm e anathèm e
leur nom de Wazero aux prostituées. La licence des selon l ’ usage abyssin, afin que cet appareil de com m -
m œ urs sous toutes les form es avait plein droit de cité. nations ajoutât encore à l ’ eifet des ordonnances
D ’ A lm eida, dans B eccari, t. vi, p. 424. C ’ était donc grande im portance. M endez, dans B eccari, t.
jouer gros jeu que de battre en brèche ces désordres, p. 176-177.
si contraires qu ’ ils fussent à la m orale chrétienne. Le ­ 6° Réformes ecclésiastiques concernant le sacerâ:-:e.
vain d ’ intim e résistance et de sourdes m enées, ajoutées les fêtes et jeûnes. — Suivit aussitôt la publication
à la ferm entation endém ique des m écontentem ents de 1. d ’ un décret im périal interdisant aux m em bres i
l ’ am bition jalouse et frustrée. Il n'en fallait pas tant clergé régulier et séculier la célébration des saints
pour envenim er les haines du fanatism e ancestral et m ystères et tout acte du m inistère sacré sans s ’ être
religieux contre les trouble-fête qu'étaient les apôtres présenté au préalable devant le patriarche, afin d<
du catholicism e. L a conversion de l ’ em pereur cou ­ faire connaître la valeur de leur ordination et de prêter
ronna les travaux du P. Pierre Paëz. Sa m ort suivit de serm ent d ’ adhésion à la foi catholique, sous peim
près, dans les prem iers jours de m ai 1622. Le roi en fut de mort ; 2. de la défense, sous les mêmes peines, de
très affligé et la cour fut en deuil durant plusieurs donner refuge ou aide aux réfractaires obstinés;
jours. D ’ A lm eida, dans B eccari, t. vi, p. 359-361. 3. de l ’ injonction de suivre désorm ais les lois rituelles
Le triom phe de la grâce sur le m onarque fut donc de R om e pour la fixation des fêtes pascales et le
laborieux et coûta de très pénibles sacrifices person ­ jeûne du carêm e; 4. une ordonnance spéciale ux
nels; le triom phe de la foi sur l ’ erreur nationale fut dam es de sang royal de prêter les m êm es serm ents
égalem ent très difficile et coûta au prince, dit-il lui- d ’ adhésion aux vérités de la foi et aux lois de lÉ .ase
m êm e, d ’ A lm eida, dans B eccari, t. vi, p. 490, le risque rom aine. D ’ A lm eida, dim s B eccari, t. vi, p.
de la vie en plus d ’ une em bûche et des oppositions harem du palais était un foyer des pires intrigues
sans trêve, irréductibles, dans l ’ intim ité fam iliale et opposées aux actes royaux concernant les r<f< : -
dans les tram es du dehors. Il avait tout vaincu, soit religieuses et m orales qui découlent nécessaires -nt
par son énergique inflexibilité, soit par l ’ heureuse for ­ de la loi chrétienne.
tune des arm es. 7° Mesures inquisitoriales. Guerre intestine.— Les
2. D ans les grandes lignes, l ’ Église d ’ Éthiopie Pères jésuites au nom bre de vingt environ et au ­
apparaissait officiellem ent fiée à l ’ Église universelle. tant de collaborateurs indigènes se m irent à l ’ <euvre
Il restait néanm oins des questions liturgiques et m êm e de l ’ évangélisation et de l ’ initiation aux sacrem ents,
sacram entelles de m ajeure im portance, par exem ple, dès lors im posées par la loi et surveillées par les -m é ­
la validité des ordres sacrés et par conséquent l ’ ad ­ rités officielles dans toutes les provinces de l'cm pin .
m inistration des sacrem ents; la validité m êm e du O n vit affluer en m asse autour des m issionnaires ... -
baptêm e à cause de la teneur diverse et défectueuse villages entiers. Les uns avec sincérité, les autres
des form ules em ployées; puis h fixation de la fête de hypocritem ent par crainte, recevaient le baptêm e et
Pâques, axe de toutes les fêtes m obiles du cycle an ­ les autres sacrem ents sous les coercitions violentes
nuel. E n 1625, la fête pascale des O rientaux tardait exercées sur les opiniâtres, jusqu ’ à la peine de m ori.
d ’ un m ois sur celle de l ’ Église rom aine. O n se vit dans Ce fut par tout le royaum e un saisissem ent des
l'em barras, à cause des inévitables récrim inations de apeurantes ém otions courant de ham eau en ham eau,
la foule ignorante, portée à voir la ruine de la reli­ sous un régim e de terreur. L a hâte, la brusquerie,
gion en tout changem ent cultuel. L ’ em pereur invita les violences inquisitoriales allaient tout gâter. O n se
les m issionnaires à ne pas urger sur ce point cette pressa trop, on em brassa trop à ia fois, au lieu ae s ’ en
année-là et à y préparer avec m énagem ent l ’ opinion tenir aux sages recom m andations de saint Ignace ce
publique. n ’ exiger d ’ abord que les réform es essentielles, aussi
La solution de ces questions et d ’ autres encore urgentes qu ’ indispensables, et de se contenter de pr· -
intéressant la vie spirituelle et l ’ organisation du disposer à celles de m oindre im portance et m oins
m inistère ecclésiastique restait suspendue jusqu ’ à urgentes, afin de m énager la m éfiance et la suscepti ­
la venue de I ’ abouna attendu de R om e. bilité des esprits prévenus.
5° Le patriarche Alphonse Mendez. Acte solennel Le foyer des m écontentem ents sourdem ent fom en ­
de l’adhésion à l’Église romaine. — A R om e, on y m it tés éclata soudain (1628). Ils servirent d ’ occasion et
un m oindre em pressem ent, de l ’ hésitation m êm e, à de prétexte aux am bitions et aux récrim inations poli ­
cause de la défiance née de l ’ ingratitude, de l ’ incon ­ tiques. J ’ en réfère au jugem ent sévère et m otivé du
stance et du peu de fond des plus belles protestations, P. B eccari, dans son introduction sur les actes du
après les expériences déplorables faites sous les règnes patriarche A lphonse M endez, t. vm , n. 8-11, p. xm -
de G laodios et de M inas. Le patriarche A lphonse xvi. J ’ ajouterai cependant que si, aujourd ’ hui, nous
M endez, agréé et confirm é par le pape U rbain V III, apprécions différem m ent et trouvons critiquables les
fut sacré à Lisbonne le 12 m ars 1623 et, deux ans actes d ’ alors selon nos m œ urs actuelles, nou> devons
après, 21 juin 1625, il arriva à la résidence de Fré- nous rappeler que le systèm e inquisitorial était cou ­
m ona. ram m ent en application à la cour d ’ A byssin!· et que
L ’ em pereur en m anifesta une grande joie et, à l ’ opinion publique n ’ y voyait rien d ’ exceptionnel.
l ’ unisson, tout son cam p retentit d ’ acclam ations Socinios ne faisait qu ’ im iter la cruauté de son aïeul
d ’ allégresse. O ccupé alors à la répression des insur ­ Z ara-Jacob, sans pitié m êm e envers les siens et plus
rections des populations juives du Sém ièn. il hâta qu ’ à l ’ égard de tous scs sujets. V oir coi. -48. Le
son retour à D ancaz. La réception du patriarche eut destin l ’ a voulu, on souffre en fataliste; m ais à la
lieu le 7 février 1626 et fut suivie, le 11, de l ’ acte violence on répondra par l ’ ém eute, c ’ est aussi dans
solennel de la profession de foi et de la soum ission au les m œ urs. Les exécutions cruelles sem aient l ’ épou ­
souverain pontife U rbain V IIL Les dignitaires de tout vante, la consternation, l ’ irritation.
959 É TH IO P IE (É G L IS E D ’) 960

Les fauteurs de l ’ hérésie et les m eneurs des com ­ refroidissem ent du roi à l ’ égard du patriarche et de la
plots en profitèrent pour légitim er leurs tram es et sainte œ uvre de restauration déjà fort avancée fut
pousser à l'insurrection. B asilidès lui-m êm e, l ’ héri­ donc la disgrâce im m éritée de leur principal défen ­
tier du trône, soudoyé par la reine sa m ère, les encou ­ seur. H arcelé par tant de conseillers hostiles, Soci-
rageait et les appuyait ouvertem ent, contrecarrant nios avait déjà dem andé au patriarche M endez la
son père dans toutes ses m esures. L a connivence des concession de trois choses d ’ ailleurs dispensables,
am bitions politiques et des m auvaises passions concession qui aurait suffi, à ses yeux, pour calm er
im patientes du frein, sous le couvert de l ’ attachem ent l ’ effervescence du peuple : le retour aux anciennes
à la religion nationale, allum a la guerre civile. L ’ em pe ­ liturgies pour la m esse, à l ’ abstinence hebdom adaire
reur,vieilli,épuisé par les lassitudes des débats censés du m ercredi au lieu du sam edi, à la célébration des
pacifiques, m ais de tous les plus haineux, et par un fêtes selon le calendrier éthiopien. E n 1629, le patriar ­
long règne cousu de com bats sanglants, rendit les che l ’ accorda, à son corps défendant, car il craignait,
arm es et se déclara im puissant à réprim er le m ouve ­ non sans raison, d ’ ouvrir la porte à d ’ autres com pro ­
m ent insurrectionnel débordant de tous côtés. Le m issions fatales. V ictorieux sur ce point, les assié ­
soulèvem ent du T igré, à la suite de Takla-Ç iorgis, geants livrèrent de nouveaux assauts (18 juin 1632)
gendre du roi (1627), eut pour cause un déni de justice afin d ’ obtenir la liberté aux populations de choisir
par le beau-père sur l'infidélité scandaleuse de la entre l ’ une et l ’ autre des deux Églises, la rom aine
Wazero, sa fem m e; m ais le cheval de bataille choisi ou la traditionnelle. M algré les prières et les objur ­
fut l ’ inquisition qui violentait les consciences. gations de l ’ abouna A lphonse, le décret im périal fut
Ce soulèvem ent à peine réprim é fut suivi d ’ un autre publié le 24 juin.
bien autrem ent redoutable, irréductible, dans les 9° Mort de Socinios, el destruction de la mission. —
m ontsdu L astâ (1629-1632). U neétincelle em brasa ce Le vieil em pereur, épuisé par tant de questions trou ­
furieux incendie. U n officier du gouverneur du B cga- blantes, m iné par la m aladie ajoutée au déclin de
m eder dont dépendait le L astâ exécuta avec la bru ­ l ’ âge, ne devait guère survivre. A ppelé près du m ori­
talité d ’ un bouvier les instructions reçues d ’ am ener les bond, 13 septem bre, le P. D iégo de M atos l'exhorta
populations à l ’ acceptation de la foi catholique. Les à penser au salut de son âm e et à la foi dans laquelle
m ontagnards n ’ étaient pas du bétail; au lieu d ’ être il devait m ourir. Le roi répondit à voix très haute
poussés en m asse com m e à la foire, ils dem andèrent et avec beaucoup de sentim ent : « Je m eurs dans la
d ’ être traités en etres raisonnables et d ’ être instruits foi rom aine; je m e suis déjà confessé. » Il fit cette
au préalable de la religion qu ’ on leur im posait. Il y recom m andation à son fils B asilidès : « M on fils, nous
fut répondu par des concussions. Les rudes paysans avons autorisé l ’ ancienne croyance par égard pour les
répliquèrent aux coups par des coups. Le conflit prit paysans; la foi rom aine est la bonne et la vraie. Je
m auvaise tournure pour les soldats im périaux, ils te recom m ande le patriarche et les Pères. » Il rendit
durent prendre la fuite. l ’ âm e le 16 septem bre 1632.
L ’ em pereur fut très contrarié de cette fâcheuse Ce fut le glas annonçant sans délai la fin de l ’ Église
affaire. Il ordonna la répression. Il s ’ ensuivit une catholique en Éthiopie. Le nouveau roi B asilidès
guerre qui m it en feu le B égam eder, l ’A m hâra et le n'avait m êm e pas attendu la m ort de son père pour
L astâ durant trois années. Les m ontagnards étaient interdire désorm ais toute com m union avec les prêtres
restés très dévoués aux descendants de leurs princes rom ains; et sans tarder, il les bannit du territoire
Z aguës,quiavaientrégné trois siècles sur tout l ’ em pire. abyssin. Le patriarche A lphonse M endez et d ’ autres
V oir col. 932 sq. Ils offrirent le com m andem ent à Pères retournèrent à G oa, en 1636.
l ’ un d ’ eux, M elka-Christos, qui organisa aussitôt une L a théologie avait som bré, non qu ’ elle n ’ ait été
arm ée de ces rudes alpins et se retrancha dans les et ne dem eurât victorieuse, invincible dans sa dogma­
m onts inaccessibles, d ’ où, à l ’ occasion, i! descendrait tique, car, dans leur triom phe m êm e, les révolution ­
prendre l ’ offensive contre les im périaux. Les cam pa ­ naires l ’ avouaient; m ais entraînée dans le naufrage
gnes se suivirent avec des chances diverses, m ais de la morale sous les flots fangeux des plus basses
sans autre résultat que l ’ exterm ination et les ruines passions irritées et furieuses im pitoyablem ent :
(1629-1632). L ’ em pereur en resta fort affecté. « N ous voulons le rétablissem ent de l ’ Église de nos
8 e Déclin dt la cause catholique. — Les ennem is de la pères, m oins intransigeante, elle, plus tolérante et
m ission catholique en profitèrent pour le refroidir adaptée à nos m œ urs ancestrales. »
de plus en plus, en représentant la question religieuse IX . L a c h r is t o l o g i e . — Le m onophysism e repa ­
com m e l ’ unique cause de ces guerres fratricides, et rut à la surface sous le m anteau de form ules équi ­
que le retrait des édits com m inatoires rétablirait la voques, com m e pour faire croire à une transaction
paix dans l ’ em pire. La cause catholique avait perdu où la querelle n ’ était plus que dans un m alentendu
ses défenseurs à la cour, le ras K eb ’ â-Christos, vice- de m ots. O n supprim a les term es nature et personne,
roi du T igré, B uko. vice-roi du D am ot ’ , etc., avaient pour s ’ en tenir au langage concret : « N ous recon ­
péri; l ’ azaj Tino était en disgrâce (il fut plus tard naissons le C hrist, hom m e parfait, D ieu parfait, le
lapidé pour la foi); et les insinuations des courtisans fils de D ieu incarné. »
et des princes jaloux de la puissance du ras Sela- 1° Nouvelle orientation des querelles scolastiques. —
C hristos avaient réussi à lui faire perdre la confiance Les débats théologiques avaient attiré et habitué les
du roi, son frère. Sa disgrâce atteignit la sainte cause esprits aux spéculations dogm atiques; et les écoles ne
dont il s ’ était déclaré le cham pion. N e faisaient-ils s ’ en tinrent pas à l ’ énoncé de la form ule conciliatrice.
pas croire au m onarque que ce prince tant favorisé C onfusém ent au m oins, il restait quelque chose de la
visait, au fond, à la ruine du trône et que, d ’ accord vérité catholique qui avait ressorti avec tant d ’ éclat
avec les Pères jésuites, il préparait l ’ invasion et la dans l ’ argum entation des Pères jésuites, entre les
conquête par les Portugais? deux extrêm es périlleux du nestorianism e et de
L ’ em pereur s ’ y laissait prendre; et cette m ystifi­ l ’ eutychianism e. Le travail des esprits, alors laissés
cation lui conseilla d ’ interdire aux Pères la construc ­ à leur libre évolution, divisa les écoles en deux cam ps
tion d ’ une résidence à D ébaroa, sur le plateau qui d ’ opinion : le parti des disciples de T akla-haym anot ’
dom ine le versant de la m er R ouge. Le clan des dam es et celui des disciples d ’ E ustatios, déjà antagonistes,
de la cour, la reine la prem ière.ne laissaient entendre com m e nous l ’ avons vu, sur d ’ autres questions cul ­
que ces plaintes répétées com m e un bourdonnem ent tuelles. La discussion roule invariablem ent dans
qui fatigue l ’ oreille sans relâche. Le prem ier signe du l ’ étroit circuit de la christologie, c ’ est-à-dire de la
961 É TH IO P IE (É G L ISE D ’) 962

raison intrinsèque de ce nom ou de Vonction form a ­ haym anot ’ , du couvent de D abra-Libanos. Us sont
trice du C hrist dans l ’ union de l ’ hum anité avec la plus im portants par le nom bre, l'influence et l ’ étendue
divinité. Jeux byzantins d ’ antan. dans l ’ em pire. A u synode précité, l ’ orateur de D abra-
L ’ origine de ces débats rem onte à un certain Libanos fut l ’ abba N icolaos et celui de D abra-W ark
maâllern Piélros (non le P. Paëz.qui s ’ appelait abba l ’ abba A kala-C hristos. C elui-ci fut déclaré battu,
Piétros), m ais Pierre H eiling, Saxon luthérien, venu grâce à la partialité du roi; l ’ excom m unication sanc ­
en A byssinie avec l ’ abouna M arcos, le nouveau inétro- tionna sa défaite et la proclam ation de la form ule ;
nolitain envoyé du C aire(1637). Il était m édecin de Segâ Kabara ba-tarvâhedo, ou per unionem humanitas
profession, très instruit, habile et rusé, très versé dans elevata est (id est, ad esse divinum Filii). R éduit au
les langues orientales, m êm e l ’ éthiopien; sa science et silence, m ais non vaincu, A kala-Christos d< :· ndra
son savoir-faire lui lirent donner le qualificatif arabe quand m êm e sa thèse avec l ’ aide de disciples aussi
de maâllem. Ses talents, ses rem èdes, ajoutés à la con ­ com batifs que lui et avec une opiniâtreté indém entie
fiance et à la recom m andation de l ’ abouna, le m irent durant plus de vingt-cinq ans; il en tom bera ch. m -
en faveur auprès de B asilidès. Son antipapism e a pion irréductible, à la bataille de K abaro-M <da. -ous
ajouté à son crédit; et les deux m artyrs capucins, le règne de T akla-haym anot ’ (170 ’
A gathange de V endôm e et Cassien de N antes, lui D ’ ici là, durant le règne de V as -fâlâc ou le G rand
sont redevables de leurs palm es. V oir leur Vie (1682-1706), les discussions ne seront que des chi ­
par le P. Em m anuel de R ennes, et Le B. Agathange canes où, sous des subterfuges et des am biguïtés de
de Vendôme, par l ’ abbé de Préville, B lois, 1905. Son m ots, se dissim uleront les deux thèses rivales : la
grand crédit au palais attira près de lui tous les nature hum aine est entrée en participation de la nature
lettrés de tout rang et sa haine de l ’ Église rom aine divine, par Vonction selon les uns, par l’union selon les
enlevait toute m éfiance à leur sectarism e. autres. L ’ em pereur Y asu, quoique incliné à favoriser
Les conversations quotidiennes firent de sa dem eure l ’ opinion des unionistes, travailla constam m ent a
une école, un centre de controverse. Il posa un jour am ener les deux écoles à la conciliation. Les réunions,
celte question : · C hrist signifie oint, en quoi consiste les pourparlers et cinq ou six synodes solennels, où il
cette onction? Q uel a été son effet? » D em ande fort espérait trancher le différend, n ’ abouürenl qu ’ à opi-
sim ple, m ais fort insidieuse auprès des m onophysites; niâtrer les partis dans leur sentim ent respectif.
c ’ est une étincelle qui va de nouveau m ettre le pays L ’ apparence de conciliation ou d ’ acquiescem ent ne
en feu, et pour trois siècles 1 O n ne peut s ’ em pêcher fut que dissim ulation. A insi, la form ule, adopt, e par
d ’ y voir un châtim ent providentiel du rejet de la le synode de 1686, fut conçue en ces term e- 1 :Fâ
vérité, sous prétexte de paix nationale. H ist, m anuscr. Walda-egziabier ba-hayla-Keb ’û manfas-Keiju. •-■■a
d ’ abba T akla-haym anot ’ . Le roi B asilidès convoqua ordinatus est Filius Dei virtute unctionis Spiritus
un synode à A ringo (1654), où la question fut posée Sancti. E lle sem blait accorder ensem ble les deux
devant tout ce que la théologie com ptait de lum ières I divergences, qui n ’ ont d ’ ailleurs d ’ im portance que
et d ’ autorités scientifiques. D es réponses furent dans l ’ am our-propre des parties adverse-.
données, m ais non pas la solution. A u contraire, le choc L ’ am biguïté du term e tasar’â ou ordinatus est com ­
des form ules proposées m it toutes les écoles en heurt portait une double interprétation en conform ité avec
les unes contre les autres. Les disputes se sont éten ­ l ’ une et avec l ’ autre des deux thèses. Les Keb’âtr.,
dues des écoles dans les cam ps et, de là, en toutes les voyant que l ’ interprétation des adversaires ram enait
provinces. Elles vont aboutir à l ’ anarchie doctrinale à la distinction fondam entale des !$agâ-lidj' ç, repous ­
et à des discordes intestines sanglantes. sèrent la form ule.
2° Opinions et écoles adverses. — D eux systèm es 3° Hostilités ouvertes dégénérées en factions. — D ans
apparurent en face et se disputèrent la chaire de des assem blées ultérieures, lesKeb ’âtoçou onclionistes
l ’ enseignem ent officiel, sous les rois B asilidès et refusèrent d ’ entrer en discussion,sous le prétextequ ’ ils
Johanès I" (1650-1682). n ’ étaient pas libres, puisque l ’ excom m unication pesait
L ’ école les distingue par des dénom inations indi ­ toujours sur eux, m ais surtout par la raison tacite
quant la nuance caractéristique des form ules qui que les arbitres appartenaient au cam p dis Sagâ-
énoncent leurs thèses opposées. La prem ière s ’ inti ­ lidjoç ou unionistes. A l ’ excom m unication qui leur
tule des Keb’ât’, et la deuxièm e des ÿaga-hdj. Les interdisait l ’ entrée des écoles, Y asu ajouta li bannis ­
partisans du prem ier systèm e opinent que le C hrist, sem ent. Ils se retirèrent dans le G ogiâm .
en tant qu ’ hom m e, est devenu fils naturel de D ieu Les exilés Sedudân — ce fut leur qualificati' —
par Vonction du Saint-E sprit : Ba-Keb’ât' Walda- paraissaient soum is. Ils m ordirent leur frein dix à
bàhery; l ’ onction a divinisé la nature hum aine jus ­ onze années, m ais ne laissèrent pas que d ’ entretenir
qu ’ à n ’ en faire qu ’ une; c ’ est le m onophysism e absolu
une sourde agitation. Le roi en voulut avoir raison et
jusqu ’ à l ’ absorption. Les adeptes de ce systèm e sont | il convoqua deux nouveaux synodes en 1697 et 1699.
les disciples d ’ E ustatios à D abra-W ark dans le Il obtint, non l ’ accord, m ais la soum ission à la volonté
G ogiam et à D abra B izan ’ dans le H am assèn,d ’ où ils im périale. Les exilés, am nistiés, purent reparaître dans
s ’ étendent dans les provinces environnantes du Tigré. leurs m onastères et leurs écoles. D es écoles et des cou ­
Les partisans du deuxièm e systèm e soutiennent vents, les chicanes des doctrinaires étaient passées
de leur côté : a) que Vonction n ’ élève pas d ’ un état dans les cam ps,où elles dégénérèrent en factions et en
inférieur à un état supérieur et qu ’ elle fait sim ple ­ intrigues politiques qui coururent par toutes les pro ­
m ent du C hrist le second A dam ou le prem ier-né de vinces et y sem èrent la division. Les tram es des m oines
toute créature : Ba-Keb’ât’ dâymâivi Adam, l ’ aîné, la s ’ étendirent m êm e au delà des frontières, par des
souche de régénérés, et par conséquent Fils de D ieu ém issaires à la cour patriarcale du C aire, et l'on vit
par grâce ou Fils adoptif : Ba-Keb’ât’ Walda-?agâ, leurs intrigues couronnées de succès par ses nom ina ­
(en am arifia Ya-$agâ lidj), ou per unctionem factus tions d’abounas, en rem placem ent, d ’ abord de C hris-
graliæ filius;— b) que la déification ou l ’ élévation à 1 todolu I 0r parSinoda,et puis de celui-ci par M arcos IV
la qualité de Fils naturel de D ieu résultaitdc l’union j gagnés au m onophysism e m itigé des §agd-. ;d/oç.
de la nature hum aine avec la divine : Kabara segâ ba- A vec l ’ avènem ent de T akla-haym anot’ (1706-
lawâhedo, ou ba-taœahedo Walda-Egziabier, per unio­ 1708), recom m encèrent de nouvelles tram es. A des
nem factus Filius consubstantialis Dei. Ci. Tarika- J dém arches des Keb’aloç qui sollicitaient un revire ­
Kagast’, synode d ’ octobre 1681, sous Johanès I er . ' m ent en leur faveur, le roi répondit : « E st-ce qu ’ il
Les tenants de ce systèm e sont les disciples de T akla- m ’ est possible de rétablir votre croyance com m e un
D IC T . D E T H É O L . C A T H O L . V. - 31
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héritage ou un fief'? Je vous accorderai la convoca ­ et l ’ absence d ’ indignation à ce tableau m ontra assez
tion d ’ un synode où vous pourrez présenter et défendre que le roi avait eu la volonté d ’ en finir avec la secte
vôtre thèse. » L ’ assem blée eut lieu à Feker-G einb ’ du devenue séditieuse; car, de part et d ’ autre, la cause
palais de G ondar (m ars 1707). Le grand cham pion des originelle du différend, la foi, n ’ est plus qu'un pretexte
Keb’âtoç, l ’ abba W alda-Tensâë, espéra reunir les voix aux rivalités et aux passions des am bitieux de tout
en sa faveur par une form ule nouvelle : Ba-Keb'â ordre. « Cessez le carnage, ordonna le roi, suffit !
lawâhâda, ou per unctionem unitus est, c ’est-à-dire D ésorm ais tout attentat sera puni de m ort. » E t le
l ’ union est l ’ effet de Fonction; tandis que jusqu ’ ici ces calm e se rétablit, conclut le chroniqueur. Le lende ­
deux term es exprim aient deux actes distincts, séparés, m ain. fut édictée à nouveau la proclam ation de la
avec leur effet propre. V oir plus haut. C ette subtilité form ule des onctionistes. Sous la terreur, la conju ­
ne m odi liait pas la form ule prim itive, elle la précisait ration frém issait, l ’ inquiétude régnait. Les vaincus,
avec plus de clarté, puisque l ’ union déilicatrice des quoique décim és, ne désarm èrent pas. La défaite
$agâ-lidjoç devenait le résultat de l ’ onction.E lle ne appela la revanche : le roi allait m ourir victim e d ’ un
contenta personne. Les partis restaient donc en ligne em poisonnem ent.
de bataille com m e auparavant. M arcos IV renouvela 5° Trêve religieuse.— Sous B acâfà (1721-1730), au
l ’ excom m unication contre les Kcb’iMoç et le roi les m oins, point de querelles à fracas. Puis, les agitations
condam na aux fers. M êlés ensuite à l ’ insurrection d ’ un anarchiques qui troublèrent les règnes de Y asu II el
prétendant au trône, A m da-Çion, les doctrinaires du de Y oas( 1730-1769) détournèrent les esprits des ques ­
G ogiâm périrent dans un com bat à K abaro-M éda, tions théologiques. Elles restèrent confinées dans la
leur fam eux m eneur A kala-Christos à leur tête (sep ­ solitude des écoles ou l ’ enceinte des grandes églises
tem bre 1707). Cf. Tarika-Naga-d’. où s ’ exercent les m oines et les lettrés attachés au ser ­
A vec les rois Tewofllos et Y ostos (1707-1717), la vice de ces sanctuaires. Leur honneur sera d ’ être bien ­
profession de foi des Keb’ûloç. devint celle de.l ’ em pire: tôt, sous le régim e oligarchique en voie de form ation,
Ba-Keb’âl Walda-Bahery, ou per unctionem filiatio la consolation et le passe-tem ps des rois fainéants
ejus naturalis. Y ostos laissa les doctrinaires à leurs relégués dans le Ç em b im périal de G ondar (1769-
débats, s ’ étant m is en relation secrète avec trois capu ­ 1850).
cins qui avaient réussi à pénétrer par le pays de 6° Surgeon et rejeton des opinions onclionisles. —
Fougn (Sennâr), dans la province de V alkaït’. U ne déviation s ’ opéra dans l ’ enseignem ent jusqu ’ ici
D aouit ’ III (1717-1721) inaugurera son règne par leur partagé entre les deux systèm es des unionistes et des
m artyre. Ils furent am enés et lapidés à G ondar. La onctionistes. A u lieu de s ’ attacher à saisir l ’ effectivité
position acquise aux Keb’âtoç s ’ était m aintenue du ­ de l ’ onction ou de l ’ union dans le m onophysism e, une
rant dix sept ans, et la consécration d ’ un sanctuaire digression provoquée incidem m ent, com m e cela
dédié à leur fondateur, K edus E ustatios, parut en être arrive dans les cours scolaires, fit reporter l ’ attention
une garantie officielle; m ais les ÿagà-lidjoç guettaient des esprits sur le principe ou l ’ auteur de Fonction,
l ’ arrivée du nouveau m étropolitain C hristodolu II et ainsi réduire ses effets à la plus sim ple expression.
(1720). En effet, cet abouna, après avoir louvoyé, leur Keb’âtoç et ifagâ-lidjoç étaient d ’ accord sur ce point,
donna l ’ avantage à la lin d'une assem blée orageuse que le C hrist a reçu du Père Fonction du Saint-E sprit,
où le roi avait soum is à sa décision la querelle sans conform ém ent aux textes du N ouveau T estam ent :
issue. les prem iers l ’ adm ettant com m e cause efficiente de
4° Affolement el massacre. — U ne prem ière décla ­ la participation à l ’ essence divine,etlesseconds com m e
ration : « C om m e m es prédécesseurs, » si oblique et cause de la qualité de M essie ou nouvel A dam ; cette
insignifiante qu ’ elle fût, avait paru être plutôt favo ­ consécration m essianique, ils l ’ appelèrent naissance
rable aux Keb’âtoç. Les ifagâ-lidjoç exaspérés jurèrent spirituelle due à la grâce de Fonction, d ’ où Ya-
alors de soutenir leur croyance à outrance, jusqu ’ à la Sagâ Lidj. D e là, ils furent am enés à reconnaître dans
m ort. Ils se rendent en troupe auprès de l ’ évêque et la christologie trois naissances : 1. génération éter ­
dem andent si la form ule publiée par les Ke& ’ dfoç en son nelle du Père; 2. génération selon la chair de M arie;
nom était vraim net de lui. A lors C hristodolu répon ­ 3. génération spirituelle de Jésus à l ’ état m essianique
dit : « M a croyance à m oi est que, par son union, le ou à « Fêtre-Christ ». C ette explication des trois nais ­
C hrist selon la chair est ills unique du Père, et que sances. Sost-ladat’, eut cours à G ondar et dans le
par l ’ onction du Saint-Esprit il a reçu la qualité de sud, vers la fin du xvin» siècle. Les Keb’âtoç ne recon ­
M essie. » Ce fut un délire de triom phe. naissent que les deux générations, l ’ une éternelle du
Ils organisent aussitôt une m anifestation dans la V erbe, qua unigenitus, et l ’ autre tem porelle dans le
capitale, au quartier de l ’ Éçagé, puis au palais im pé ­ sein de M arie, qua primogenitus. M ais les $agâ-
rial. A la cour, on ne vit pas de bon œ il cette bruyante lidjoç épiloguaient sur ce term e de premier-né; à la
dém onstration dont le caractère était séditieux; elle génération qua novus homo, primogenitus, ils ajou ­
était une revanche de rebelles contre l ’ édit royal de taient la génération qua primogenitus omnis crea ­
la veille. Les Keb’âtoç la dénonçaient com m e telle et tura ou le prem ier-né des régénérés ou enfants de
surtout ils accusaient la coupable duplicité de l ’ é ­ D ieu.
vêque. T oute la ville en fut en révolution. D aouit ’ III 2 e rejeton : D u m ilieu de trém ail enchevêtré surgit
donna ordre de disperser l ’ attroupem ent des Çagâ- une troisièm e opinion ém ancipatrice de ces com plexi ­
lidjoç, à force arm ée, si besoin était. Som m és de se tés. Elle paraît être née dans le Tem bièn (Tigray ou
retirer, les m anifestants escortèrent en m asse l ’ Éçagé T igré intérieur), de la rêverie d ’ un m oine, A bba A darâ,
et restèrent groupes dans son palais. O rdre fut donné santon à oracles très écoutés. Les écoles de cette con ­
aux soldats de faire évacuer. U n m oine fanatique trée, constam m ent aux prises avec lesZieà ’ liZoçpourqui
s ’ écria qu ’ il voyait un chérubin défendant la dem eure l’onction est tout dans le m onophysism e, à force de
de l ’ Éçagé; ce fut à l ’ intérieür une résistance fréné ­ soutenir que c ’ est le tawahedo seul qui unifie la nature
tique; elle finit par un m assacre général; plus de cent hum aine avec la divine, nièrent toute causalité
victim es, parm i lesquelles les personnages les plus quelconque de l ’ onction dans le m ystère de l ’ incar ­
élevés de l ’ Église d ’ Éthiopie. C eux qui, avec l ’ Éçagé nation, par la raison que le Fils de D ieu, consub ­
T akla-h lym anot ’ , échappèrent à la m ort, subirent stantiel au Père et au Saint-Esprit, ne saurait recevoir
l ’ hum iliation du dépouillem ent de leurs vêtem ents et du Père ce qu ’ il a déjà par son essence; et que, par
des brutalités les plus grossières de la soldatesque. conséquent, dans et par son union avec la nature
C om pte fut rendu àD aouit ’ III del ’ affreuse exécution; hum aine, il était le seul auteur de l ’ élévation de son
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hum anité à l ’ essence divine, de tout, en un m ot. Les prem iers ont la charge du chant aux offices de
A bba A darâ prêcha donc cette form ule : Wald l ’ église et de l'enseignem ent aux écoles. Les seconds
Kab’â'i, wald lakab’âï, wald Keb', c'est-à-dire Filius ont celle des cérém onies, du service du sanctuaire, de
in semelipso unguens, unclus, unguentum, en oppo ­ l ’ adm inistration des sacrem ents. Les dabtara.ou clergé
sition à la form ule courante : Ab Kab’âï, wald taka- lettré, m éprisent le clergé sacerdotal, parce que ie
bâï, man'fas Kedus Keb', c ’ est-à-dire Paler est ungens, prestige de la science les élève au-dessus de l'igno ­
Filius unctus, Spiritus Sanctus unguenlum. Le V erbe, rance classique des autres.
fils de D ieu, s ’ incarnant en M arie, assum a, éleva son Les dabtara se recrutent, ou par ia descendance
hum anité, et son union m êm e en fut l ’ onction divi ­ naturelle, car ils peuvent avoir fam ille, ou par le
nisante. D ’ où fut donnée aux partisans de ce m ono ­ choix libre des vocations sur les bancs de l ’ école. où
physism e outré l ’ épithète de Wald-Keb’ ou encore m êm e les fam illes de plus haute condition aim ent a
tawahedo, dans le sens le plus intégral et absolu, envoyer leurs fils dès l ’ enfance. Ils sont prrlxndès
désorm ais exclusif de l'école de D abra-Libanos, sa par la com m une pour l'école, et par la paroisse pour
m ère, stigm atisée des surnom s de $agâ-lidj ou Sost- le chant à l ’ église.
ladat’. Les clercs ecclésiastiques se divisent en régulier
Les f}agâ-lidjoç, avec leur triple génération, sont et séculier. Ces deux appellatifs ne répondent pas exac ­
répudiés et traités de nestoriens, parce que, avec le tem ent à la classification qu ’ ils exprim ent dans l ’ Église
tawahedo de l ’ union déifiante, reconnaître un la- latine. Il faut les prendre com m e synonym es de lévi-
kab '0 ou une onction génératrice du rôle m essia ­ tique cl m onacal, parce que le clergé séculier en Éthio ­
nique, c ’ est reconnaître un être différent qui en soit le pie ne com prend que des prêtres engagés dans les liens
sujet, Jésus, flls de M arie en chair et en os, dans du m ariage. A la m anière de la tribu de Lévi parm i
l ’ auréole de la divinité : dualité physique et hyposta- les H ébreux, ce clergé séculier form e une caste, où la
tique. descendance m asculine est destinée au service des
C ontre les Keb’âtoç, les Wald-Keb' voient dans le autels, naturellem ent, m ais pas obligatoirem ent; d ’ où
tawahedo ou l ’ union la cause de la transform ation de elle s'appellera avec justesse « lévitique · . T out prêtre
l'hum anité noyée dans la divinité, tandis que, eux, célibataire doit obligatoirem ent appartenir à l'un des
les onclionisles, prennent l ’ effet pour la cause en attri ­ deux ordres religieux reconnus dans l ’ Église d ’ Éthio ­
buant à l'onction la déification. C ontre leurs anciens pie. V oir plus haut. V oilà pourquoi il est appelé clerc
partenaires de D abra-Libanos, ils nient l ’ efficacité m onacal, à la différence du clerc lévitique. A part le
spéciale que ceux-ci attribuent à Fonction pour le service du culte à l ’ église et celui des bnu dictions à
rôle m essianique, vu que Fonction est résultante de répandre de m aison en m aison, le personnel du clergé
l ’ union; car, une fois saisie par l ’ union avec l ’ essence lévitique ne diffère guère du bon paysan attache à la
du V erbe, l ’ hum anité n ’ est plus qu ’ une chose avec glèbe; car, com m e les gens des cham ps, les prêtres et
elle. Les autres, à leur tour, reprochent aux Wald-Keb’ clercs en m énage ont les m êm es soucis m ateriels, le
de réduire à rien le fils de l’homme, le nouvel A dam , le m êm e genre de vie cham pêtre.
prem ier-né de toute créature..., en attribuant les deux Les réguliers ou m oines dépendent par leur adm is ­
rôles, l ’ actif et le passif, et toute l ’ œ uvre de l ’ incar ­ sion et leur form ation religieuse de tel ou tel couvent.
nation au seul V erbe lui-m êm e. E n assum ant l ’ hu ­ M ais le nom bre de ceux qui y gardent la clôture est
m anité, il la noie dans la divinité; absorbée, elle dis ­ fort restreint : l'abbé ou prieur, Mamher, le régis ­
paraît dans l ’ essence divine. A ussi, donna-t-on à cette seur des choses tem porelles, Magâbi, et leurs asses ­
école le sobriquet de Karra, « couteau », parce que seurs, c ’ est-à-dire les religieux qui s ’ attachent à leur
leur form ule est sem blable au tranchant d ’ un coutelas service ou à leur suite, puis les vieux im potents et les
qui réduit les viandes en m orceaux, et réduit à néant novices, form ent le personnel à dem eure du couvent.
l ’ hum anité. Ce sobriquet leur est resté dans oe Le m oine, com m e le lettré, est vagabond. Pendant
refrain populaire : que celui-ci vole d ’ école en école au gré de sa curiosité
T en ’ t ’ taw ahedo-K eb ’ ât ’ nuro, ou de son am our de l ’ étude, celui-là court les couvents
K arra takiam ero, et surtout les châteaux, la cour et les cam ps des sei ­
S egâ halaka zen ’ dro. gneurs féodaux.
C ’ était tawaliedo-kebid' que jad is on so n n ait; Les trois vœ ux de religion form ent virtuellem ent le
O n ajoute à présent le karra d it couperet, fond de la vie religieuse, m ais on n ’ en prend aucun
A h ! c ’ en fu t v ite fait de to u te la chair, d ’ un trait. engagem ent exprès, form el et précis. Le principal
Le systèm e Wald Keb’ resta d ’ abord confiné dans consiste dans les rigueurs des austérités corpore. ;es;
le T igray (1770-1850), pendant que le systèm e Sost- elles sont le therm om ètre de la progression et de la
ladal’ s ’ étendait des écoles de G ondar au C hoa, m algré perfection graduelle dans la sainteté m onastique.
la condam nation de l ’ abounaK erlos,ets ’ yétablit sans C ’ est l ’ idéal..., m ais le réel?
conteste. G râce aux m enaces de l ’ abouna Salam â et Les résidants m êm e du couvent y vivent peu en
de Théodoros (1856), le m onophysism e du tawahedo com m unauté. Ils n ’ ont d ’ obligation de se réunir qu'aux
et Wald-Keb' fut proclam é · foi de l ’ É tat » im posée offices très m atinaux à l ’ église, sans être tenus ni à la
sous peine de m ort; il battit en brèche l ’ opinion confession, ni à la com m union, m êm e annuelles,
choane. ni à l ’ assistance de la m esse les dim anches et fêtes;
Les Keb’âloç gardaient leurs positions dans le H a- pendant que les officiers de la sem aine célèbrent le
m assen, le L astâ et le G ogiam , m ais effacés,retranchés saint sacrifice, la plupart des autres devisent sous
dans un silence prudent, sous la férule de Théodoros quelque om brage, dans l ’ enceinte ou cim etière qui
et celle surtout de Johanès IV (1868-1889), dont les entoure l ’ église. La m ense ou réfectoire en com m un
conquêtes furent celles du parti du santon A darâ, n ’ est pas connue. Les dignitaires vivent du rendem ent
duquel il se réclam ait dans son triom phe et dans la des bénéfices qui leur sont alloués, chacun deux
possession de tout l ’ em pire reconstitué entre ses entretient sa m aison et sa table à son gré. Q uant aux
m ains. Son successeur M énélik m aintint les choses en inférieurs écroués par les disgrâces du sort à .■= . rde
l ’ état, et porta son attention sur d ’ autres soins. du couvent, le magâbi leur fait distribuer à chacun
X . É t a t a u x i x ° s i è c l e . — 1° Le clergé séculier el leur part de la m arm ite de fèves, lentilles ou autres
régulier. — Le clergé ou Kahenât’ com prend deux denrées cuites à l ’ eau. Q uelquefois, aux fêtes, ils ont
catégories : 1. les clercs laïcs, écoliers ou lettrés, sous aussi leur coupe d'une grosse bière faite parles novices.
le nom général de dabtara; 2. les clercs ecclésiastiques. L ’ habillem ent religieux consiste à porter, dès Fen-
967 ÉTH IO PIE (ÉG LISE D ’ ) 968

trie, une blouse ou chem ise ferm ée et descendant m onum ent religieux par eux constm it. L ’ ancienne
au m oins au-dessous des genoux; à la l re profes­ capitale G ondar en com ptait 42, avant le sac de 1889
sion. une ceinture de cuir, ken ’ât’; à la 2 e , une par les m ahadistes;les îles du lac Sâna com ptent aussi
calotte ou bonnet blanc, d ’ abord m oins haut de beaucoup d'églises royales, et les em pereurs choisis ­
term e, le bonnet de bénédiction, ct plus tard haut de saient là leur sépulture. La Tarika-Eagast' en prend
form e, le bonnet de perfection; enfin, le scapulaire, note à chaque règne; m ais ces sanctuaires sont plus
askema. illustres par la m ention des soins, des frais qu ’ iis ont
Près de quelques couvents, l'on voit, à une distance coûtés et des nom s de leur dédicace, que par l ’ art et
discrète, un m onastère de religieuses dépendant du la solidité des travaux. En dehors des m onolithes, fort
m êm e ordre. Elles sont censém ent sous l ’ obéissance peu ont résisté aux injures du tem ps et conservent le
d ’ une abbesse. Le voisinage et la facilité des visites souvenir de leur fondation; peut-être les églises bien
aux cellules particulières, d ’ ailleurs isolém ent con ­ construites en pierres taillées par les Pères jésuites, à
struites,prêtent à de scandaleux abus et au discrédit G orgora, à A zazo, subsistent-elles encore; celle de
du couvent. Frém ona a été découronnée et abaissée de m i-
2° Les églises ou édifices religieux. — Les édifices hauteur par l ’ abouna Salam â, sous Théodoros II,
religieux ne présentent pas tous le m êm e aspect, afin de la décathoiiciser et de lui enlever le cachet qui
quoique, à l ’ intérieur, ils doivent tous répondre à la rappelait aux yeux du peuple les souvenirs de la m is ­
division du tem ple de Salom on ou du tabernacle de sion du xvii 0 siècle.
M oïse : 1. le vestibule ou parvis, où se tient le- chœ ur Les peintures m urales sont adm ises com m e orne ­
des chantres, Kenê-Mahelél’ ; 2. le saint Kedesl, m entation des églises, m ais non les sculptures. M êm e
où se tiennent les com m uniants; 3. le sanctuaire, le crucifix ne supporte pas le C hrist en relief; seul le
Makedés, réservé aux prêtres et aux m inistres. dessin y est buriné au petit bonheur. Les peintures
V oir plus haut, col. 966. m urales représentent le plus souvent la V ierge tenant
La form e antique des églises était quadrangulaire, son divin enfant, des anges flam boyants, des saints,
plus longue ou profonde que large. Elles avaient à des scènes de m artyres ou m êm e des scènes représen ­
l ’ intérieur trois nefs, com m e, en général, les églises tant les rois,fondateurs de l ’ église, dans quelques-uns
latines. O n en retrouve des vestiges à A ksum , etc., de leurs exploits; c ’ est plutôt grotesque. Les im ages
et d ’ autres entièrem ent conservées à D abra D am o, viseraient à im iter celles du style byzantin, m ais géné ­
à A ïba (m onolithe), à Lalibala, etc. Elles appartien ­ ralem ent sans goût, sans proportions, etc. Exceptons
draient au type des basiliques anciennes. A ussi sont- les peintures des actuelles églises royales dues à des
elles intérieurem ent spacieuses, sans ces m urs qui m ains plus form ées à cet art.
form ent une autre enceinte intérieure réservée : rien 3° Missions catholiques au XIXe siècle. — D es cita ­
que le grand voile sépare de l ’ abside ou sanctuaire. tions incidentes, faites plus haut, col. 960, ont déjà
Le second type a conservé la form e quadrangulaire, averti que, dès le coup de ruine porté contre la m is ­
m ais la m uraille de l ’ édifice sert d ’ enceinte à une sion des Pères jésuites, la S. C. de la Propagande, ré ­
construction centrale carrée ou polygone, séparée ou cem m ent instituée, avait envoyé des m issionnaires
isolée par une galerie ou couloir qui en fait le tour et aguerris, des fils de saint François, au sauvetage des
tient lieu de Kedesl, occupé par les com m uniants; naufragés et des épaves de l ’ Église catholique en
cet édicule intérieur sera le sanctuaire ferm é par une Éthiopie. Les tentatives ont succédé aux tentatives
porte; et au-dedans de ce Makedés, derrière un grand sans m êm e réussir à franchir la frontière strictem ent
voile, se dressera l ’ autel,une sorte d ’ arm oire surm ontée interdite à tout prêtre d ’ O ccidcnt. Seulem ent en 1839,
d ’ un baldaquin,et sur la table au-dessus de l ’ arm oire, les m issions catholiques ont pu enfin s ’ im planter et
se place le tabot', l ’ équivalent de notre pierre sacrée; bientôt se développer en diverses régions de l'Éthiopie.
il consiste en une tablette carrée, de pierre rare ou de L ’ essai du vénérable Justin de Jacobis, de la congré ­
bois dur, avec l ’ im age ou de la croix, ou de la V ierge, gation de la M ission, ayant ouvert le grand cham p de
ou de la T rinité, ou de saint M ichel, etc., grossière ­ l'A byssinie et des contrées lim itrophes, les lazaristes
m ent gravée sur l ’ une des faces. Ce tabot’ est l ’ objet gardèrent la H aute-Éthiopie proprem ent dite; les
d ’ un culte exagéré jusqu ’ à l ’ idolâtrie, car on se pros ­ capucins, à la suite de l ’ illustre cardinal M assaja, en
terne en adoration à son passage ou à l ’ église com m e 1846, eurent la charge des dépendances G alla; et à
devant la sainte eucharistie au m om ent de la consé ­ l ’ ouest, M gr C om bini ouvre un peu plus tard un nou ­
cration; de plus, la superstition populaire attribue à veau vicariat apostolique à K hartoum dans les régions
cette planchette portative des effets prodigieux de soudanaises. E nfin, en 1894,1a nouvelle colonie, acquise
préservation contre les fléaux, etc. par l'Italie sous le nom d ’ É rythrée, form e une pré ­
Le troisièm e type est de form e ronde; il est plus fecture apostolique, un quatrièm e lot confié aux
m oderne; il a été em prunté à la rotonde qui entoure capucins. V oir t. i, col. 542-548, et la carte des m is ­
le Saint-Sépulcre, par dévotion pour ce m onum ent sions catholiques d ’ A frique. L ’ É glise catholique com ­
sanctifié et glorieux entre tous. Ce genre d ’ église m ence donc à revivre en É thiopie, m algré les
com prend donc deux rotondes l ’ une dans l ’ autre; obstacles, les oppositions, les persécutions m êm e. Péni ­
le couloir qui fait cercle entre les deux est le parvis blem ent, lentem ent, chacune de ces quatre m issions
Kené mahelêt’ ; la rotonde isolée au centre se dresse à continue les entam es et les percem ents pour pénétrer
l ’ instar de l ’ édicule du Saint-Sépulcre et s ’ appelle le I plus avant, s ’ étendre plus loin et y rétablir la
Kedest ou saint, com m e dans le type précédent; 1 vraie foi. Jusqu ’ à l ’ heure présente, l'em pereur M éné-
et là, derrière le voile, se dresse l ’ autel, com m e dans lik, quoique non hostile, n ’ a pas accordé m êm e le
l ’ enfoncem ent intérieur de l ’ édicule où se trouve la m inim um de liberté d ’ établir quelque œ uvre catho ­
tom be du Seigneur. Ce type est le plus fréquent aujour ­ lique en dehors des positions occupées avant son
d ’ hui, peut-être à cause de la facilité de construction avènem ent au trône. V oir, pour plus am ple inform a ­
sem blable à celle des grandes m aisons du pays, tion, M assaja, I miei trenta-cinque anni di missione
pièces circulaires couvertes d ’ un toit conique en nell’ alta Etiopia, 5 in-8°, R om e, 1895-1898; Piolet,
chaum e que dom ine une croix quelquefois en m étal, Les missions catholiques françaises au XIXe siècle,
le plus souvent en bois, et agrém entée d ’ œ ufs d ’ au ­ Paris, s. d., pour la m ission d ’ A byssinie, 1.1, p. 1-44;
truche. pour la m ission G alla, t. i, p. 45-78; M gr D em im uid,
Les rois et les grands ont eu tous, dès leur éléva ­ Vie du vénérable Justin de Jacobis, 2° édit., Paris,
tion, le soin jaloux d ’ attacher leur nom à quelque 1906; H . Froidevaux, dans le Diclionnaire et’histoire,
969 É T H IO P IE (ÉG L IS E ' D ’ ) — É T IE N N E I or 970
t. i, col. 227-235; G . Larigaldie, Le vénérable Jusltn de l ’ année, était bien une faute; cela s ’ est
de Jacobis, Paris, 1911. . vu et se verra encore pendant le m oyen âge, m algré
tous les efforts des synodes diocésains et des conciles
G oez, Fides, religio moresque Æthiopum, P aris, 1541; provinciaux. Cf. Indiculus superstitionum et ρ -aja-
A lvarez, Historique description de Γ Éthiopie, A nvers, 1558; niarum du concile de Leptines, 745, dans H efele-Le-
su rto u t A b. d ’ A lm eida, Historia general de Ethiopia,par clercq, Histoiredes conciles,!. m ,p. 836. M ais ce fait ne
B . T alez, 1660; L udolf, Historia æthiopica, in-Iol., F ranc-
suffit pas pour qualifier d ’ hérétiques ceux qui s en
ort, 1681; Id., Ad historiam œthiopicam commentarius,
F rancfort, 1683; les deux ouvrages réunis, F rancfort, 1691;
rendent coupables. O r, les ethnophrones sont qua ­
L . de T orreta, Historia ecclesiastica... de la Etiopia, in-4°, lifiés d ’ hérétiques par saint Jean D am ascene; c est
V alence, 1610; trad, portugaise avec additions de A . C olasso, donc qu ’ ils prétendaient que les pratiques du paga ­
in-4°,Evora,1611 ;N .G odiguo,D e rébus Abyssinorum,in-8°, nism e peuvent ou doivent faire partie de la profes ­
L yon, 1615; J. U . W ildt, Ecclesia æthiopica breviter adum ­ sion du christianism e. Il se peut fort bien que ces
brata, In-4°, S trasbourg, 1664; J. C . D annhaw er, Ecclesia pseudo-chrétiens aient été victim es de quelque retour
Æthiopiæ breviter adumbrata, in-4 0 , S trasbourg, 1672; offensif du paganism e, com m e il s ’ en était pr
J. M . V ansleb, Histoire de l’Église d'Alexandrie, in-12, P aris,
1677; M . G eddes, The Church history of Ethiopia, in-4°,
à la fin du iv° siècle, sous Julien l ’ A postat, sous G ra-
L ondres, 1698; E . R enaudot, Historia patriarcharum tien et Théodose, et, au vi°, sous Justinien, qui dut
Alexandrinorum jacobitarum, in-4°, P aris, 1713; Œ rtel, expulser de son em pire un groupe de sept philosophes,
Theologia Æthiopum, W ittem berg, 1740; L a C roze, Histoire partisans résolus du vieux paganism e, lesquels, à
du christianisme d’Éthiopie et d’Arménie, L a H aye, 1733; défaut d ’ une reconnaissance officielle, se seraient
A . J. L ctronne, Matériaux pour l'histoire du christianisme en contentés d ’ une sim ple tolérance de la part de l ’ É tat
Égypte, en Nubie et en Abyssinie, in-4°, P aris, 1833; pour pouvoir enseigner et pratiquer librem ent la
R . B asset, Études sur l’histoire d"Éthiopie, P aris, 1882;
I. G uidi, H Fetha Nagasl o la legislazione dei re, R om e,
religion ancienne avec tout son appareil de m ythes
1897-1899; U no squarcio della storia ecclesiastica di Abis- et de fêtes. U ne telle juxtaposition, ou plutôt un tel
sinia, dans Bessarione, fasc. 19, 50; Le Uste dei metropolili am algam e de principes et de rites religieux, im pli ­
di Abissinia, ibid., 1899; C . B eccari, Rerum œthiopicarum quait tout au m oins une m éconnaissance intolérable
scriptores occidentales inediti a sœculo xvi ad xrx, 11 in-8°, de l ’ enseignem ent chrétien; c ’ était laisser ou faire
R om e, 1904-1911; E . L ittm an n , Geschichte der dthiopischen croire que toutes les religions se valent et que le
Litieralur, dans Geschichte der christlichen Litteraturen des paganism e, si form ellem ent condam né et si énergi ­
Orients, L eipzig, 1907; Corpus scriptorum Christianorum quem ent com battu par les Pères, avait droit de cite
orientalium. Scriptores œthiopici, sect, n , t. m , Historia
regis Sarsa Dengel; t. v, Annales regum Johannis I, dans l ’ em pire et dans l ’ Église. L à était l ’erreur des
lyasu 1 et Bâk&ffâ; t. vi, Annales regum lyasu II et lyo’as; ethnophrones, et c ’ est ce en quoi ils m éritai-, rit d -l ire
t, x v n . Acta S. Yared et S. Panlaleivon; t. x x , Acta traités d ’ hérétiques.
SS. Basalota Mikûêl et Anoréivos; Acta S. Aaron is et Phi­ Il est à croire que ce sont eux qui sont vises par ie
lippi: t. x x i. Acta S. Eustathil; t. x x n . Acta S. Mercuri concile in Trullo, de 692, dit Quini-sexte, où les canons
(Marroréims); t. x x n i, Acta S. Feré-Mika'él et S. Zar’a- 61 et 62, L auchert, Die Kanones der wichtigsten
Abrehâm; t. x x iv , Acta S. Abakerazum et S. Haivaryat; allkirchlichen Concilien, Fribourg-en-Brisgau, 1896,
t. x x v in Acta martyrum; I. G uidi, Le synaxaire éthio­
pien. Mois Sanê, dans Patrologia orientalis, P aris, 1907, p. 132, interdirent certaines professions, celles des
t. i, p. 519-705; Mois deHamlé, ibid., 1911, t vn,p.2O 5- devins, des enchanteurs, des diseurs de bonne aven ­
456; le Mois de Nahasé sera au t. v iit.fasc. 5; I. G uidi, ture, des astrologues, etc., et certaines observances,
Abyssinie (Église d’), dans le Dictionnaire d'histoire et de celles des calendes, des vœ ux, des brumalia et des
géographie ecclésiastiques, P aris, 1909, t. i, col. 210-22 7; assem blées du 1 er m ars. Ces professions, en effet,
M . C haîne, Ethiopia, dans The catholic encyclopedia, N ew n ’ étaient qu'une exploitation de la crédulité publique
Y ork, 1909, t. v, p. 566-571.
U ne bibliographie plus com plète jusqu ’ en 1893 est
au détrim ent de la foi, et ces observances n'allaient
donnée par G . F um agalli, Bibliografta etiopica, M ilan, à rien m oins qu ’ à détruire le christianism e. Les
1893 , ct par U . C hevalier, Répertoire, Topo-bibliographie, calendes étaient célébrées en l ’ honneur de Junon;
col. 7-8, 1050 -1052. les brumalia en l ’ honneur de B acchus, et les fêtes du
E . C oU L B E A U X . l or m ars n ’ étaient autres que les matronalia, ainsi
E TH N O P H R O N E S . Parm i les sectes hérétiques dénom m ées parce que les m atrones accordaient, ce
dont le nom ne se trouve pas dans les Itéré ioiogiesdes jour-là, à leurs servantes, les m êm es privilèges licen ­
siècles précédents et dont les auteurs les plus ré ­ cieux que l ’ on accordait aux esclaves m âles pendant
cents du com m encem ent du v n ' siècle ne parlent les saturnales. Q uant aux vœ ux, c ’ étaient ceux du
pas, ni Tim othée de C onstantinople dans son traité com m encem ent de janvier pour le salut de l ’ em pe ­
de la réconciliation des hérétiques, ni Sophrone de reur et la prospérité de 1 ’ m pire. Tous ces usages
Jérusalem , le clairvoyant et énergique adversaire d ’ origine et de caractère païens avaient déjà été inter ­
du m onothélism e, saint Jean D am ascène cite celle dits par les canons ecclésiastiques et les lois civiles.
des ethnophrones, έβνόφρονες , Hær., 94, P. G., t. xciv, E t si le concile in Trullo les condam na et les interdit
col. 757, qui joignaient aux pratiques de la vie de nouveau, les ethnophrones, dont saint Jean D a ­
chrétienne l ’ observation des rites et des supersti ­ m ascène nous a révélé l ’ existence, peuvent bien en
tions du paganism e. Elle doit donc dater de la seconde avoir été la cause déterm inante. Q uoi qu ’ il en soit,
m oitié du vu· siècle ct s ’ être produite en O rient, plus les ethnophrones, si leur secte a peu vécu et n ’ a joué
particulièrem ent en Syrie ou dans les régions voi ­ qu ’ un rôle assez effacé dans l ’ histoire des heresies,
sines, sans laisser d ’ autre trace au delà du vin» siè ­ ont eu et ont encore des im itateurs parm i les faux
cle, car il n ’ en est plus question qu'à la fin du xn° chrétiens, dont la vie ne diffère guère de celle des
dans N icétas C honiates, qui, du reste, ne fait que païens.
répéter avec quelques variantes de peu d ’ im portance
S. Jean D am ascène, D e hæresibus, 94. P. C.. L x crr,
ce qu ’ en avait déjà dit saint Jean D am ascène et ne col. 757: N icétas C honiates, Thesaurus orthodoxie filet, xv,
donne pas à croire qu ’ elle ait survécu. Thésaurus 42. P . G., t. cx x x ix , col. 1343, 1344: Dictionnaire de< here ­
orthodoxie ftdei, iv, 42, P. G., t. cxxxix, col. 1343. sies, P aris, M igne, 1847, L i, col. 681; S m ith et »V ace,
Le sim ple fait, pour des chrétiens, d ’ observer les Dictionary of Christian biography, L ondres. 1877
jours fastes ou néfastes, de consulter les augures, les G . B a r e il l e .
sorts et les présages, de pratiquer les diverses espèces 1 . É TIE N N E l or (Saint), pape (254-257), succes ­
de divination ou d ’ astrologie, de suivre les diverses seur de Lucius I er , m ort le 5 m ars 254, siégea du m ois
coutum es païennes relatives aux m ois et aux saisons de m ai 254 au 2 août 257 ; il était rom ain. Sa con ­
971 É TIE N N E I er 972

duite, em preinte de condescendance dans la récon ­ du 1 er septem bre, il invita les 87 Pères qui s ’ y trou ­
ciliation des lapsi, des hérétiques ou schism atiques, lui vaient à voter individuellem ent sur le baptêm e des
valut plusieurs conflits célèbres particulièrem ent avec hérétiques, sans faire m ention explicite de la lettre et
saint C yprien, évêque de C arthage. de la m enace d ’ Étienne. Tous furent unanim es à le
Le prem ier surgit à l ’ occasion de deux prélats espa ­ réprouver, m ais sans vouloir en faire un cas de rup ­
gnols, B asilide, évêque d ’ E m erita (M érida), et M ar ­ ture « : N ous n'entendons juger personne, disait saint
tial, évêque de Legio et A sturica (Léon et A storga), C yprien, ni séparer de notre com m union ceux qui
qui, pour avoir accepté ou dem andé un certificat de pensent autrem ent. A ucun de nous ne se pose en
sacrifice dans la persécution, avaient été déposés de évêque des évêques ni ne recourt à une terreur tyran ­
leurs sièges et rem placés. L ’ un d ’ eux, B asilide, recou ­ nique pour contraindre ses collègues à l ’ adhésion. »
rut au pape É tienne et, par ses explications,en obtint L ’ Église d'A frique poussait ses exigences m oins loin
son rétablissem ent. M ais ses adversaires et ceux de que celle de R om e. Pourtant les relations étaient si
son collègue adressèrent une protestation au concile tendues qu ’ elles auraient pu être rom pues.
de C arthage, que C yprien tint dans l ’ autom ne de 254, Elles auraient pu l ’ être aussi avec l ’ Église d ’ A sie,
et celui-ci déclara les deux évêques indignes de l ’ épis ­ car saint C yprien, pour se m énager des appuis en
copat et signifia cette sentence contraire à celle d ’ É - O riente, entra en relations avec les Églises d ’ A sie-
ticnne, par une lettre adressée à leurs Églises. Epist., M ineure et de Syrie, et spécialem ent avec Firm ilien,
txvn. évêque de C ésarée, en C appadoce, l ’ un des plus im por­
Le second désaccord entre É tienne et C yprien se tants personnages de ce pays. C elui-ci professait sur la
produisit à l ’ occasion de l ’ évêque d ’ A rles, M arcien. question du baptêm e les m êm es principes que saint
C om m e cet évêque était en com m union avec N ova- C yprien et lui répondit par une lettre form elle d ’ adhé ­
tien et appliquait ses principes sur la réconciliation des sion, où se lisaient des term es très durs contre le
lapsi, Faustus, évêque de Lyon, et plusieurs de ses pape Étienne, m ais où, cependant, son autorité n'était
collègues des G aules écrivirent au pape contre lui. pas non plus contestée. Epist., l x x v .
M ais ce fut en vain. Le pape n ’ intervint pas com m e ils U n m édiateur entre les Églises opposées se présenta
le voulaient; et l ’ on répétait qu ’ il accueillait facile ­ de suite en la personne de D enys d ’ A lexandrie.
m ent et m aintenait dans leur dignité les prêtres ou Eusèbe, /7.E.,V 1I, ri, 5-9. C elui-ci,qui était du m êm e
diacres schism atiques qui revenaient à l ’ unité. Epist., avis qu ’ É tienne,lui écrivit pour lui recom m ander l'in ­
l x x i i . Ils se tournèrent alors du côté de C yprien, qui, dulgence et le prier de ne pas excom m unier une partie
à son tour, pressa vivem ent É tienne d ’ écrire aux de l ’ Église pour une question disciplinaire. Π écrivit
évêques des G aules pour faire déposer et rem placer aussi dans le m êm e sens pacifique à deux savants
M arcien. Epist., l x v h i . Il sem blait dans cette lettre le prêtres de R om e, D enys et Philém on. A ussi, quand
rappeler à l ’ observation de la discipline adoptée par É tienne fut m ort, le 2 août 257, X yste II se m ontra
ses prédécesseurs, C orneille et Lucius, et trop aban ­ m oins intransigeanL II reprit les relations avec
donnée par lui : ce qui ne pouvait guère être agréable l ’ A frique et avec Firm ilien. D enys, successeur de
au pape. X yste II,envoya des secours à l ’ Église de C appadoce
Le plus grave conflit fut celui qui eut lieu au sujet affligée par l ’ invasion des Perses en 259. C haque Église
du baptêm e des hérétiques. Saint C yprien et l ’ Église garda ses principes. L ’ Église de R om e fit prévaloir les
d ’ A frique prétendaient que le baptêm e, conféré par les siens peu à peu, en A frique, au concile d ’ A rles, en 314,
hérétiques, était nul et devait être réitéré : dans sa en A sie et en Syrie à la fin du iv' siècle, m ais ne fit
lettre à M agnus, saint C yprien affirm ait qu ’ il devait plus de l'union un cas de séparation.
être réitéré m êm e aux novations schism atiques, qu ’ il Les A fricains rejetaient l ’ argum ent de la coutum e
assim ilait sur ce point aux hérétiques. C onsulté par invoquée par Étienne et partaient de ce principe que
dix-huit évêques num ides qui avaient des doutes sur la les hérétiques et les schism atiques sont hors de l ’ Église.
légitim ité de ce second baptêm e, le concile de Car ­ S ’ ils sont hors de l ’ Église, ils n ’ ont pas l ’ E sprit-Saint,
thage de 255 fut aussi d ’ avis que l ’ usage de réitérer et s ’ ils n ’ ont pas l ’ E sprit-Saint, ils ne peuvent le
ainsi le baptêm e devait être m aintenu com m e le seul donner. Ils ont beau conserver la foi de l ’ Eglise, s ’ ils
légitim e. Epist., l x x . Peu après, saint C yprien s ’ ex ­ sont en dehors d ’ elle, ils ne peuvent avoir les sacre ­
prim a dans le m êm e sens à un évêque de M auritanie, m ents qui n ’ ont été conférés qu ’ à la seule et unique
Q uintus, qui lui avait posé des questions sem blables Église.
et, cette fois, il m ontra une pointe d ’ hostilité contre D ’ après saint C yprien et Firm ilien, le pape Étienne
Étienne sans toutefois le nom m er. Epist., l x x i . A u raisonnait autrem ent. Ils lui prêtaient, à lui et aux
concile suivant (autom ne 255 ou printem ps 256), il R om ains.ee point de vue : Non putant quærendum esse
résolut de poser nettem ent et en face de toute l ’ Église quis si/ ille qui baplizaverit, eo quod qui baplizalus sil
la question controversée, et, en son nom com m e au gratiam consequi potuerit invocata Trinitate nominis
nom de l ’ assem blée, envoya une lettre au pape, à Patris et Filii el Spiritus Sancti... Sed in multum,
laquelle il joignit sa lettre à Q uintus et celle du pré ­ inquit \Stephanus\, profuit nomen Christi... ad fidem
cédent concile. Il y déclarait form ellem ent que l ’ usage et baptismi sanctificationem, ut quicumque el ubicum­
africain était le seul adm issible et s ’ im posait à l ’ Église que in nomine Christi baplizalus fuerit, consequatur
rom aine elle-m êm e. Epist., l x x i i . E nfin, à l ’ occasion statim gratiam Christi. Ces paroles sont courtes : elles
d ’ une consultation de l'évêque Jubaicn, il rédigea un sem blent s ’ inspirer de l ’ É criture sur la puissance du
long exposé de sa doctrine. Epist., l x x ii i . C hrist et viser par le baptêm e conféré au nom du
B orne accueillit m al les envoyés de C yprien et leurs C hrist tout baptêm e adm inistré en vertu de la foi en
lettres aigres-douces. En 256, É tienne répondit que la Jésus-C hrist et conform ém ent à scs préceptes, c ’ est-
coutum e rom aine, au sujet des chrétiens baptisés dans à-dire au nom de la sainte T rinité. Elles attribuent
l ’ hérésie, était non de les rebaptiser, m ais de leur une efficacité objective et pour ainsi dire m atérielle au
im poser les m ains. Il signifia aux évêques d ’ A frique rite, l ’ invocation du nom du C hrist ayant une effi
qu ’ ils eussent à s ’ y conform er sous peine de rom pre cacité m ystérieuse.
tout rapport avec eux. U ne circulaire com m inatoire, C ependant, Étienne, tout en acceptant la légiti ­
conçue dans le m êm e sens, fut aussi envoyée en O rient. m ité du baptêm e conféré par les hérétiques au nom
C 'était le conflit aigu. Saint C yprien,écrivant à Pom - de la T rinité, voulait que ceux-ci fussent réconciliés
péius, évêque en Tripoiitaine, se plaignit am èrem ent par l ’ im position des m ains, c ’ est-à-dire par la réitéra ­
de la réponse d ’ Étienne, Epist., l x x iv ; puis au concile I tion de la confirm ation qui se donnait avec le baptêm e.
973 E T IE N N E I er É T IE N N E II O U III 974
Il y avait là une sorte d ’ inconséquence que saint I fortifier son autorité au dedans de R om e et au dri - .
C yprien ne m anqua pas de m ettre en relief, en disant I se lia étroitem ent avec la dynastie carolingienne.
que, si Étienne adm ettait la nécessité de réitérer le I C ette alliance devait pendant de longs siècles dom iner
rite de l'initiation qui était la confirm ation, il devait les destinées de la papauté et de la France.
convenir aussi qu ’ il était nécessaire de réitérer le rite A istulf, roi des Lom bards, après R atchis, en "49.
qui était le baptêm e, ces deux rites form ant le rite , venait de m ettre fin à l ’ exarchat de R avenne. en
intégral de l ’ initiation chrétienne. 1 s ’ em parant de cette ville; il se retournait contre firm e
C ette inconséquence dans la doctrine du pape pour l ’ annexer à son tour. Bien que ce ; - · · .·.
explique l ’ opposition irréductible de saint C yprien. [ catholique, É tienne, en tant que pape et en Lm t tue
Saint É tienne aurait dû égalem ent accepter le baptêm e R om ain, ne pouvait accepter d ’ être sous sa dom ina ­
et la confirm ation adm inistrés par les hérétiques. tion, c'est-à-dire d ’ être Lom bard, et com m e l ’ em · - : ur
Cela n ’ eut lieu que plus tard. O n peut dire que l ’ an ­ de C onstantinople ne pouvait plus le défendre. .
cienne Église a réconcilié les hérétiques baptisés dans était naturellem ent am ené à se retourner vers
l ’ hérésie par la réitération de la confirm ation. V oir Pépin, roi des Francs, catholique lui aussi, t is
B a p t ê m e , c o n t r o v e r s e a u in° s i è c l e , t. n, col. 219, plus éloigné et plus attaché au pontificat: récem m ent.
et C y p r i e n (Saint), t< m , col. 2459. Zacharie avait reconnu son droit au titre de roi.
Le Liber pontificalis donne quelques renseigne ­ Il lui envoya d ’ abord une am bassade secréte et,
m ents sur la vie de ce pontife. Il défendit aux com m e le prince franc lui répondit favorablem ent,
prêtres et aux diacres de se servir des vêtem ents il lui fit dem ander, par deux personnes de confiance,
liturgiques en dehors de l ’église. O n l ’ ensevelit au de l ’ envoyer prendre et d'assurer son passage par
cim etière de C alixte. Il avait créé, en deux ordina ­ le royaum e lom bard. Pépin lui expédia, dans ce
tions de décem bre, six prêtres, cinq diacres, trois but, C hrodegand, évêque de M etz, et le duc A utchaire.
évêques. L a tradition qui le fait m artyr n ’ est pas C eux-ci accom pagnèrent d ’ abord le pape qui allait
suffisam m ent établie. à Pavie avec le silentiairc Jean, sur l ’ ordre et au nom
de l'em pereur byzantin, réclam er d ’ A istulf l ’ exarchat
D uchesne, Histoire ancienne de F Église, t. I, p. 419; de R avenne. C ette négociation échoua. M ais Étienne
Id ., Liber pontificalis, t, i, p. 154; S altet, Les réordina ­
qui était plus préoccupé de R om e que de R avenne.
tions. P aris, 1907, p. 15, 402; S chanz, Die Lehre von den
heiligen Sacrainenten der katholischen Kirche, F ribourg-en- poursuivit avec ses com pagnons francs, en dépit
B risgau, 1893, p. 287, note 6; Theologische Revue, M un ­ d ’ A istulf, sa m arche vers la France. Il fut rejoint
ster, 1906 , n. 13-14, p. 401-405; 'F ixeront, Histoire des différents points de sa route par des envoyés lu
dogmes, P aris, 1905, t. i, p. 389; S. C yprien, EpisL, par son fils, C harles, et enfin par Pépin lui-m êm e,
l x v i i - l x x v , dans Opera, P. L., t. m ; H efelp, Concilien- à Ponthion, où il arriva le jour de l ’ É piph i.i- . 754.
geschichte, t. i, p. 128; trad . L eclercq, t. i, p. 187; E rn st, A près les cérém onies il y eut des entrevues ■ . ί ■ pin
Die Ketzertaufangelegenheil in der altchrisllichen Kirche prom it la restitution de l ’ exarchat, de la Pentapo e et
nach Cyprian, M ayence, 1901, p. 91; Id., Papst Stephan I
und der Ketzertaufstreii, dans Forschungen zur christlichen d ’ autres territoires conquis par les Lom bards. A cause
Literatur und Dogmengeschichle d ’ E hrhard et K irsch, de l ’ hiver, Étienne, au lieu de revenir, alla séjourner a
M ayence, 1905, t. v, fasc. 4 ; Id., Die Slellung der rümis- Saint-D enis, où il sacra de nouveau le roi, sa fem m e
chen Kirche zur Ketzertauffrage vor und unmitlelbar nach et ses fils, et lui conféra le titre de patrice des R om ains,
Pabst Stephan I, dans Zeitschrift für katholische Théo­ puis il tom ba m alade. Pendant ce tem ps, des négo ­
logie, 1905; E usèbe,H.E., V II, II, 5-9; dom C onstant, Epist. ciateurs étaient envoyés à A istulf pour en obtenir
roman,pontif.,172 1 ; Jaffé, Reg. ponti/, rom.,1 '° éd it., t. i,p .9 ; pacifiquem ent ce que le pape voulait. Sur son refus,
2 ' édit., p. 20-21 ; Analecta bollandiana, 1882, 1.1, p 470-471 ;
A . d ’ A lès, art. Baptême des hérétiques, d an s le Dictionnaire
on décida aux grandes assem blées de B raine et de
apologétique de la foi catholique, P aris, 1909, 1.1, col. 390-418; K iersy-sur-O ise(l cr m ars et 14 avril754), m algré l ’ op ­
A . A udollent, art. A/rique, dans le Dictionnaire d ’histoire position de quelques grands, de partir en guerre contre
et de géographie ecclésiastiques, P aris, 1911, 1.1, col.740-750. lui. A m i-chem in, Pépin et le pape lui adressèrent les
A. Cl e r v a l . dernières som m ations et, com m e il leur fit la sourde
2. É T IEN N E II, pape (752). Peu de jours après oreille, il fut assiégé dans Pavie et forcé de rendre les
la sépultuie du pape Zacharie, le 15 m ars 752, on provinces conquises et, de plus. N arni. Puis le p.· .: ■·.
élut le R om ain É tienne; on le conduisit au palais de fut reconduit à R om e, fin d ’ octobre 754.
L atran, m ais il y fut frappé de m aladie le troisièm e M ais A istulf ne tint pas sa prom ette et, quand
jour de son arrivée et il m ourut le quatrièm e. Com m e l ’ arm ée franque fut partie, il reprit ses déprédations
il n ’ avait pas eu le tem ps de recevoir m êm e l ’ épiscopat et m êm e vint attaquer R om e elle-m êm e, le 1« jan ­
et d ’ être consacré, les contem porains ne l ’ ont pas vier 756. Le pape, qui avait déjà averti Pépin, lui fit
inscrit sur la liste des papes et ont com pté scs suc ­ parvenir une am bassade avec des lettres par les ­
cesseurs com m e s ’ il n ’ existait pas, m ais les historiens quelles, au nom de saint Pierre, il le pressait pathéti ­
m odernes lui ayant conservé son rang, il en résulte, quem ent d ’ accourir. D e fait, l ’ arm ée franque revint,
dans les listes pontificales pour ceux qui le suivent, vainquit A istulf qu ’ elle avait de nouveau serré dans
une différence de num érotation. Pavie et l ’ obligea de céder les territoires déjà conve ­
Jaffé, Reg. pont, rom., 1 " éd it.,p . 189; 2° éd it., p. 270; nus, plus Com acchio. C ette fois, Fulrad, abbé de
D uchesne, Liber pontificalis, t i, p. 440-462. Saint-D enis, alla prendre les clefs de toutes les villes
A. Cl e r v a l . et les déposer dans la confession de Saint-Pierre.
3. É T IEN N E II ou III, pape (752-757), fut élu dans Ce fut bien en vain que le silentiaire Jean et le grand
la basilique de Sainte-M arie-M ajeure et consacré au secrétaire G eorges réclam èrent les anciens territoires
L atran, douze jours après la m ort de Zacharie, le im périaux. Pépin avait travaillé pour saint Pierre et
26 m ars 752. C ’ était un R om ain. Le Liber pontificalis non pour l ’ em pereur d ’ O rient.
vante son am our pour l ’ Église et .es pauvres, son zèle A la m ort d ’ A istulf, l ’ heureux pape É tienne se
pour la tradition ecclésiastique, la prédication de la vit l ’ arbitre de la couronne lom barde, que sc dispu ­
parole de D ieu et la défense de son troupeau. taient le duc de Toscane, D idier, et /ancien roi,
Il faut signaler surtout ses rapports politiques avec R atchis, frère du défunt, m oine du M ont-Cassa.
les Lom bards, les B yzantins et les Francs. C ’ est D idier, pour obtenir l ’ appui du pape, lui prom it» ai
sous lui que le pontificat de R om e se détacha définitive ­ présence de Fulrad. toutes les villes de exarenat
m ent de l'autorité byzantine expirante et, pour échap ­ et de la Pentapole qui n'étaient pas encore rendues.
per à la dom ination lom barde et en m êm e tem ps M ais il nes ’ ét it exécuté que pour i ’ exarc ai, quand
975 É TIEN N E II O U III — É T IE N N E III O U IV 97G
É tienne m ourut, le 26 avril 757, et fut rem placé par d ’ abord prom ené dans une cavalcade grotesque, puis
son frère Paul. Il fut enseveli dans la basilique de un tribunal ecclésiastique, siégeant la veille de l ’ or ­
Saint-Pierre. C ’ est le grand fondateur du pouvoir dination d'É tienne, le déclara déchu; peu de jours
tem porel. après, il fut tiré du m onastère de S aint- Sabas et
eut aussi les yeux crevés. Le m êm e sort fut infligé au
D uchesne, Liber pontificalis, 1.1, p. 468-485; M ., Les pre­ Lom bard W aldipert, qui avait fait élire Philippe; il
miers temps de F Ëtat pontifical, 1904, c. iv ; JafTé, Reg.pont. en m ourut presque aussitôt à l ’ hôpital.
rom., V é d it., p. 189-193, 942; 2 ’ éd it., p. 271-27 7; P . L.,
t. l x x x i x , col. 959; C . B ayet, Remarques sur les consé­ Il fallait régulariser cette situation tant au point
quences du voyage d'Étienne III en France, dans la Revue de vue politique qu ’ au point de vue religieux. Serge,
historique, 1882, t. x x , p. 88-105. arrivé en France peu après la m ort de Pépin, pria ses
A . Cl e h v a l . deux fils, C harles et C arlom an, d ’ envoyer à R om e
4 . É T IEN N E III ou IV , pape (768-772), Sicilien quelques évêques francs, les plus versés dans toutes
d ’ origine, fut élu à R om e le l or août 768 et sacré à les divines É critures et dans les saints canons, pour
Saint-Pierre le 7, m ais après des événem ents et ..ans juger l ’ ordination de C onstantin et les ordinations
des circonstances lam entables qu ’ il faut connaître qu'il avait faites lui-m êm e.
pour apprécier sa conduite. Treize évêques furent désignés qui, avec quarante
Le pape Paul, frère d ’ É tienne II, avait eu la m ain évêques italiens, ouvrirent un concile après Pâques, au
dure pour l'aristocratie m ilitaire rom aine, sous l ’ ins ­ L atran. A près avoir entendu le prim icier C hristophe,
piration, pense-t-on, du prim icier C hristophe. A ussi, com m e tém oin, les Pères firent com paraître C onstantin.
un com plot avait été form é contre sa vie par le duc Celui-ci se défe dit en faisant valoir la violence dont
Toto de N epi, assisté de ses trois frères, C onstantin, il avait été l ’ objet, violence provoquée par la dureté
Passivus et Pascal. Surpris par C hristophe, le duc du pape Paul. Il ajouta, pour justifier son ordination,
prom it de laisser l ’ élection se faire suivant les form es; que les canons avaient été souvent violés pour
m ais en secret, il organisa au dehors et au dedan de d'autres; que, sur les sièges de R avenne et de N aples,
R om e une faction d ’ hom m es de toute condition, et il y avait des évêques qui étaient encore laïques
quand, le 28 juin, le pape Paul m ourut, il résolut de la veille de leur élection. Ces paroles irritèrent les
prendre le pouvoir. Tandis que C hristoph tenait une prélats, qui ordonnèrent de le frapper, de le jeter
réunion où le clergé et l ’ arm ée se donnaient de m u ­ dehors et de brûler son décret d ’ élection. Le pape
tuelles garanties pour l ’ élection future, le duc entrait É tienne et ses clercs dem andèrent pardon d ’ avoir
de force au L atran et faisait acclam er com m e pape accepté sa com m union. Tous ses actes, c ’ est-à-dire
f aîné de ses trois frères, C onstantin. Celui-ci n ’ était ses ordinations, furent déclarés nuis et tous ceux qui
pas clerc, m ais m ilitaire; on força l ’ évêque de Préneste les avaient reçus, ram enés aux ordres qu ’ ils avaient
de lui donner de suite la tonsure, ce qui eut lieu auparavant; lui-m êm e fut soum is à la pénitence et
m algré les protestations de C hristophe. Le lendem ain, interné dans un m onastère.
il fut prom u jusqu ’ au diaconat, puis installé et. le di ­ O n régla les différentes situations. Les évêques
m anche suivant, il fut consacré à Saint-Pierre. C ette ordonnés par C onstantin, s ’ ils étaient réélus dans un
ordination pontificale d ’ un laïc, sans les délais de droit, diocèse, pouvaient venir à R om e et se faire réor ­
était irrégulière,m ais, com m e C onstantin était soutenu donner par le pape. Les prêtres et les diacres pou ­
par un puissant parti, il put siéger treize m ois et,du ­ vaient aussi être réordonnés, m ais non prom us à
rant ce tem ps, aux quatre-tem ps d ’ été 768, consacrer l ’ épiscopat : toutefois, É tienne déclara qu ’ il ne les
huit évêques et ordonner huit prêtres et quatre diacres. réordonnerait pas. Les laïcs devaient m ener une vie
Le prim icier C hristophe s ’ était d ’ abord réfugié édifiante dans un m onastère ou dans leur m aison.
avec son Ills Serge à Saint-Pierre : C onstantin lui Pour prévenir le retour de ces désordres, le concile
prom it la vie sauve s ’ il s ’ engageait à se retirer déclara que désorm ais les cardinaux-prêtres ou diacres
après Pâques dans un m onastère. Le m om ent venu, seraient seuls éligibles à la papauté; de plus,que les
C hristophe dem anda d'être conduit au m onastère de laïcs, m ilitaires ou civils, et surtout les personnes
Sai nt-Sauveur de R ieti , dans le duché de Spolète. M ais, étrangères à la ville de R om e, seraient désorm ais ex ­
en s ’ y rendant sous la conduite de l ’ abbé, il s ’ évada clus du corps électoral. U ne fois le pape élu et ins ­
jusqu ’ à Spolète, et, avec l ’ aide du duc, jusqu ’ à Pavic. tallé, les laïques rom ains seraient adm is à le saluer et
Là, le roi D idier le reçut favorablem ent et fit confier à ratifier, par leurs signatures, l ’ acte de son élection.
par le duc de Spolète au fils de C hristophe une petite E nfin, l ’ assem blée confirm a le culte des im ages
troupe arm ée. Serge, accom pagné d ’ un prêtre lom ­ et anatliém atisa le concile de 754. Puis tous ces décrets
bard, W aldipert, accourut sur R om e, et, grâce furent solennellem ent prom ulgués à Saint-Pierre.
à des affiliés qui lui ouvrirent la porte de Saint-Pan ­ C elui qui réglait les élections était sage : m ais ceux
crace, y entra le soir m êm e. Toto voulut lui barrer qui invalidaient les ordinations supposaient bien peu
la route, m ais il fut tué. C onstantin, prévenu par son de science théologique chez les évêques.
frère Passivus, se hâta de se blottir avec lui et l ’ évêque Le dram e n'était pas fini. D idier avait conservé
Théodore dans l ’ oratoire du vestiaire de L atran. une vive rancune contre C hristophe, de ce qu ’ après
D ès le lendem ain dim anche, le Lom bard W aldipert, avoir été secouru par lui, il avait élim iné du pontifi ­
proli tarit du retard de C hristophe, fit élire com m e cat Philippe, son candidat, et laissé tuer W aldipert,
pape Philippe, abbé d ’ un m onastère près de Saint- son envoyé. L ongtem ps,le pape É tienne l ’ avait tenu
V it. C lu -ci fut installé et donna m êm e un festin. en défiance: il s'était m êm e opposé au m ariage de sa
M ais C hristophe, arrivé le jour m êm e, ne voulut fille avec C harlem agne. M ais il finit par s ’ en laisser
pas le reconnaître et le fit reconduire à son couvent. im poser. Par l ’ interm édiaire de la reine B ertrade,
Il fit élire, le 1 er août, au Forum , son candidat, venue à R om e pour ce m ariage, il entra en pourpar
Étienne, prêtre de Sainte-Cécile, originaire de Sicile, lers avec le Lom bard. C elui-ci vint lui-m êm e, au
hom m e pieux, m ais faible, qui n ’ avait jam ais vécu carêm e de 771, en pèlerinage. C hristophe se douta
que dans les églises. M ené de suite au L atran, Étienne bien de ses intentions cruelles à son égard et,d ’ accord
fut consacré le dim anche suivant, 7 août, à Saint- avec D odo, missus de C arlom an, fit venir des troupes
Pierre. dans R om e. A fiarta, cham bellan du pape et am i de
D éjà, les représailles avaient com m encé. L ’ évêque D idier, en fit autant. É tienne alla quand m êm e con ­
Théodore et Passivus, extraits de leur cachette, eurent verser avec le roi lom bard à Saint-Pierre. Inquiets,
les yeux crevés et furent incarcérés. C onstantin fut C hristophe et Serge se présentèrent en arm es devant
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lui et réclam èrent leurs ennem is, c ’ est-à-dire les parti ­ M ais ce m êm e C harles vint à être déposé lui -π êm e
sans de D idier. Le pape les apaisa. M ais quand ils à la diète de T ribur. A qui le pape : . τ.-
furent partis, il retourna voir D idier et, trom pé par la dignité im périale? Elle était convoitée par ieax
les prom esses du prince, lui livra ceux qui l ’ avaient royautés puissantes : celle d ’ Italie qui ven ■.· de --
fait élire et dont il trouvait la tutelle trop lourde. reconstituer en la personne de G uy. duc ti<
Il les fit som m er en son nom de venir se rem ettre et avait de grandes am bitions, et celle de ,r e.
entre ses m ains, à Saint-Pierre, et lorsqu ’ ils s ’ y furent représentée par A rnulf, duc de C arinthie. vai
rendus, par crainte de la populace, le pape les y laissa, soldat, m ais fils naturel de C arlom an. La :?-r : :
au lieu de les em m ener avec lui. C ’ était les aban ­ courait bien risque d ’ être une voisine .
donner, en les laissant dans la basilique, à l ’ arbi­ com m e jadis celle des Lom bards; la seconde. ■ r ' m -
traire d ’ A fiarta et des Lom bards. ble, était bien éloignée et trop engagée dans des diffi ­
En effet, ceux-ci, le soir, après s ’ être entendus entre cultés extérieures et intérieures. Pour . ■ : r.
eux, vinrent les arracher de la basilique et leur cre ­ É tienne V suivit une politique double. Il fatta
vèrent les yeux sur le pont Saint-A nge. C hristophe spécialem ent dans les lettres qu ’ il adressait à son
m ourut presque tout de suite. Serge survécut près parent, Foulque, archevêque de R eim s. Par contre,
d ’ un an, dans la prison du L atran, m ais huit jours en 890, il fit supplier A rnulf, m ais par l'interm édi. ire
avant la m ort d ’ É tienne, A fiarta le fit tuer et enterrer du prince m orave Sw atopluck, « de venir à R om e
prés du L atran, tant il craignait que plus tard Serge visiter le sanctuaire de Saint-Pierre et reprendre le
gracié ne se retournât contre lui. royaum e d ’ Italie que de m auvais chrétiens se sont
É tienne III ne profita pas de cet abandon de ses appropriés et que les païens m enacent. »
bienfaiteurs. D idier, satisfait d ’ avoir vaincu ses enne ­ E nfin, il dut se résigner à sacrer G uy, em pereur,
m is, le laissa exposé aux représailles de C arlom an, le 21 février 891. C ’ était sans doute une nécessité,
dont C hristophe et Serge étaient les partisans. M ais puisque Form ose, qui lui succéda en septem bre 891,
C arlom an m ourut en décem bre 771 et Étienne le dut aussi donner la couronne im périale au fils de G uy,
2 février 772. L am bert, le 30 avril 892.
En O rient, Étienne V eut à répondre à une lettre
D uchesne, I iber'pontificalis, tl, p. 468; Id., Les premiers de l ’ em pereur B asile, qui, poussé par Pbotius. avait
temps de l’État pontifical, 1 9 0 4,c.v n ; Jaffé.R eÿ. pont, rom., écrit à son prédécesseur contre l'élection du pape
1 " éd it., p. 200-202, 942-943 ; 2· éd it., p. 285-28 8; S altet, M arin I er . E n attaquant sa légitim ité sous prétexte
fais réordinalions, P aris, 1907, p. 101; P.L., t. l x x x i x ,
que ce pape avait été, contre le droit, transféré de Ce ré
col. 1235; t. cxxviT , col. 1149-1164; t. cx x x v i, col. 480;
Monumenta Germanite historica, Concilia, t.n , p. 74;H efele, à R om e, l ’ em pereur voulait couvrir son patriarche.
Histoire des conciles, trad . L eclercq, P aris, 1910, t. n i, M ais Étienne sut défendre le pape qui l ’ avait aim e
p. 727-737. (septem bre, octobre 885).
A. Cl e r v a l . L ’ em pereur Léon V I, avec le m étropolitain Sty-
5 . É T IE N N E IV ou V , pape (816-817). Ce fut un lianus, lui ayant dem andé de reconnaître com m e
pape pacifique et, par am our de l ’ ordre, franchem ent patriarche son frère Étienne, il sollicita des expli ­
am i de ia protection franque. Élu aussitôt après la cations de ce dernier vers 888. Elles ne le satisfirent
m ort de Léon III, n ’ étant que oiacre, il fut consacré pas, car il adopta la m anière de voir, non pas de
à Saint-Pierre, le dim anche 22 juin 816. La vacance Jean V III, m ais de scs autres prédécesseurs, N ico ­
ne dura que dix jours. Il était rom ain, de noble las I 0 '· et H adrien II, au sujet de Photius. Selon lui,
fam ille et populaire tout à la fois; il se rattachait Photius n ’ avait jam ais été évêque, et par conséquent,
plus au pape H adrien qui avait favorisé ses débuts n ’ avait pu ordonner diacre le prince Étienne.
qu ’ à Léon III. Son prem ier acte fut de fair prêter Enfin, il intervint dans la question de la liturgie
par les R om ains un serm ent de fidélité à l ’ em pereur; m orave dans un sens tout opposé à Jean V III, m ais
puis il lui notifia son avènem ent et m anifesta le désir pour des raisons qui ont été très finem ejit exposées
de le voir. L ’ entrevue eut lieu à R eim s au m ois d ’ oc ­ parle P. Lapôtre. JeanV H I avait d ’ abord défendu à
tobre. Il y couronna Louis et sa fem m e E rm engarde; saint M éthode de donner aux Slaves une liturgie dans
pour cette cérém onie, il avait m êm e apporté une cou ­ leur langue; puis, après une conférence avec ce grand
ronne d ’ or. U n certain nom bre ’ de nobles, im pliqués apôtre, ses idées s ’ étaient m odifiées, et il le lui avait
dans un com plot, sous son prédécesseur, s ’ étaient franchem ent perm is. M ais cette autorisation de la
enfuis en France; de concert avec Louis, il leur 1 liturgie slavonne contrariait les A llem ands, et spéciale-
perm it de revenir : cette am nistie effaçait la trace des m ent leur représentant, l ’ évêque W ichinz, l ’ am i de
anciens troubles. M ais peu après son retour à R om e, l ’ em pereur A rnulf, parce qu ’ elle rendait plus difficile
qui eut lieu à la fin de 816, il m ourut le 24 janvier 817. la germ anisation de ces peuples. A ussi, après le départ
Jaffé, Rcg. pont, rom., l ” éd it., p. 221; 2 ' éd it., p. 316; de M éthode, W ichinz, venu à R om e, sut habilem ent
D uchesne, Liber pontificalis, t. u , p. 49; P. L., t. cx x ix , obtenir de secrétaires pontificaux corrom pus la con ­
col. 973. fection d ’ une fausse lettre pontificale, adressée au
A. Cl e r v a l . prince de M oravie, Sw atopluck, dans laquelle M éthode
β . É TIE N N E V ou V I, pape (885-891), succéda était traité de parjure, et la perm ission, alléguée par
à H adrien III en septem bre 885. C 'était un R om ain, lui, de célébrer en slave dém entie. C ette lettre m en ­
d ’ une fam ille aristocratique du quartier de la via songère fut inscrite au registre de Jean V III, tandis
Lofa.apparenté avec le bibliothécaire du Saint-Siège, que la véritable en fut enlevée. Il est vrai que
Zacharie, évêque d ’ A nagni; il était sous-diacre et Jean V III, prévenu par M éthode de cette supercherie,
avait été bien vu d ’ H adrien II et de M arin I er . H lui avait rem is une lettre de protestation, rr_ is se ­
était pieux et charitable. Il se trouva devant de crète et conçue en term es com préhensibles aux seuls
graves difficultés en O ccident et en O rient. initiés dans cette curieuse affaire. É tienne V . qui,
C harles le G ros, fâché de ce qu'on eût procédé à son dès le début de son pontificat, avait fai· quelques
élection sans le prévenir, lui envoya L uitw ard, évêque changem ents dans le corps de ses scribes, ne connut
de V erceil, son archichancelier, pour le déposer. des lettres de Jean V III que celles qui proscrivaient
M ais É tienne put calm er sa colère en lui présentant la liturgie slavonne et se trouva ainsi fatalem ent
son décret d ’ élection, chargé de très nom breuses am ené à servir, sans le savoir, les intrigues ceW khinz
signatures d ’ évêques, de prêtres et de diacres cardi ­ à dém entir les derniers et vrais actes de son prédé ­
naux, de clercs inférieurs et de laïques. cesseur, à condam ner l ’ œ uvre de M ethode; ê-sc i. Sous
979 É T IEN N E V O U V I - É T IE N N E IX O U X 980

le coup de cette lettre bientôt confirm ée par une léga ­ O n le déshabilla vivant, com m e il avait fait déshabiller
tion pontificale, m unie d ’ un Commonitorium, le parti Form ose m ort ; on l ’ interna dans un m onastère,
slave ne put se m aintenir. D eux ans après, Sw atopluck, puis dans une prison et, au bout de peu de tem ps, on
se fond nt sur ces actes apostoliques, expulsa presque l ’ y étrangla (juillet 897).
tous les disciples de M éthode. C eux-ci portèrent leur Parm i les papes, plusieurs voulurent, par esprit de
liturgie chez les B ulgares, m alheureusem ent plus ac­ justice, reviser cette odieuse procédure, réhabiliter
cessibles à l ’ inlluence byzantine, et, peu de tem ps Form ose et ses clercs : tels Théodore II (897) et
après, la M oravie était conquise par les H ongrois. Jean IX dans des conciles tenus à R om e et à R avenne.
M ais d ’ autres, com m e Serge III (904-911), com péti ­
D uchesne, Liber pontificalis, t. n , p. 191 sq.; Id., Les teur de Jean IX , et Jean X (914-928), se portaient
premiers temps de l’État pontifical, 1904, p.286-294; Jaffé, défenseurs d'É tienne et de son concile. Les situations
Reg. pont, rom., l' ” éd it., p. 294-2 98, 945; 2 “ éd it., p. 427- furent ainsi longtem ps rem ises en question, ce qui
435; P. L., t. cx x v m , col. 1397-1406 ; t. cx x ix , col. 785,
1021 ; H ardouin, Acta conciliorum, t. v ,co l. 1115; L apôtre,
donna lieu à une longue agitation et à une vive
L’Europeet le Saint-Siège à Γ époque carolingienne, Jean VIII, controverse sur les conditions de validité de l ’ ordina ­
1885; Ginzel,GeschichtederSlaoenapostel Cyrill und Methode, tion, notam m ent dans les écrits d ’ A uxilius et d ’ E u-
2" éd it.; E w ald, Neues Archio, t. v, p. 408-410. genius V ulgarius.
A. Cl e r v a l .
7. É T IEN N E V I ou V II, pape (896-897), était D uehesne, Liber pontificalis, t. n .p . 229; Id., Les premiers
évêque d ’ A nagni depuis 891, lorsqu ’ il fut sacré, temps de l'Ëtat pontificat, 1904, p. 300; Jaffé, Reg. pont,
rom., 1 " éd it., p.302; 2 ’ éd it., p. 439; P. L., t. cx x tx .
après la m ort de B oniface V I, qui régna quinze jours, col. 853,105 9, 1070, 1103; D ünunler, Auxilius und Vul­
au com m en em ent de juin 896. Il était transféré d ’ un garius, L eipzig, 1806; M ansi, Concil., t. x v m ; S altet,
siège à un autre, contrairem ent au droit, m ais confor ­ Les réordinations, P aris, 1907, p. 152.
m ém ent à plusieurs précédents. O n devait plus tard A. Cl e r v a l .
se servir de ce fait contre lui. M ais il m éritait, pour 8. É TIE N N E V II ou V III, pape (929-931), était
des m otifs plus justes encore, de terribles représailles. prêtre de Sainte-A nastasic, quand il m onta sur le
C ’ est lui qui se fit l'instrum ent de la m aison de siège pontifical, à la m ort de Léon V I, au com m en ­
Spolète dans le procès de Form ose (897). cem ent de février 929. C ’ était le tem ps où M arozie,
Ce dernier pape avait renié cette m aison en appe ­ fille de Théophylacte, veuve d ’ A lbéric, rem ariée à
lant A rnulf de G erm anie et en le couronnant em pe ­ G uy, m arquis de Toscane, après avoir suscité une
reur (22 février 896). L a m ort si prom pte de celui-ci, ém eute dans R om e contre Jean X , l ’ avait fait jeter
presque im m édiatem ent suivie de celle de Form ose en prison et étouffer sous un oreiller. M aîtresse du
(4 avril 896), ne satisfit pas les rancunes de Lam bert pouvoir, elle donnait le Saint-Siège à ses créatures ;
de Spolète, et surtout de sa m ère A geltrude. Sous leur après Léon V I, prêtre de Sainte· Suzanne, elle choisit
pression, É tienne V I fit tirer de son sarc pliage le ca ­ É tienne V II. O n ne sait rien de ce pape, qui proba ­
davre desséché du vieux pontife, décédé depuis neuf blem ent ne fit rien. Il m ourut après deux ans, un
m ois (janvier 897). Il fut placé sur un siège, tout m ois et douze jours de pontificat, pour être rem placé
habillé des vêtem ents pontificaux, au m ilieu d ’ une par Jean X I, le propre fils de M arozie. C ’ est alors que
assem blée synodale, présidée par le pape,qu ’ on appela le m oine de Soracte put dire : Subjugatus est Romam
le concile cadavérique. U n diacre était à ses côtés, potestative in manu feminæ.
tout glacé de terreur, pour répondre aux juges en son D uehesne, Liber pontificalis, t. H , p.242; Jaffé, Reg.pont,
nom . Les actes de ce concile furent brûlés l ’ année rom., 1 " éd it., p. 313, 946; 2 ” éd it., p.453; P. L., J. cx x x n ,
suivante, m ais les contem porains nous en ont conservé col. 1049.
quelques traits. O n passa en revue toute la vie de A . C LER V A L.

Form ose; d ’ abord, ses difficultés avec Jean V IH . D é ­ 9 . É T IE N N E V III ou IX , pape (939-942), succéda
posé et excom m unié le 19 avril 876, Form ose, car ­ à Léon V II en juillet 939. A ce m om ent, le pouvoir
dinal-évêque de Porto, avait été réconcilié et adm is à était passé des m ains de M arozie à son fils A lbéric.
la com m union laïque, au synode de Troyes (août 878), É tienne V III, com m e Léon V II avant lui et M arin II
à condition de jurer de ne plus reparaître à R om e et qui lui succéda, n ’ a presque pas d ’ histoire; il m enaça
de ne jam ais rechercher l ’ épiscopat. M ais le pape par deux fois d ’ excom m unication les princes et
M arin, successeur de Jean V III, l ’ avait gracié et ré ­ les habitants de la France et de la B ourgogne, s ’ ils
tabli sur son siège de Porto. M algré cette réintégra ­ ne recevaient pas com m e leur roi Louis IV d ’ outre ­
tion, on rappela ce passé. O n invoqua aussi contre m er. C ’ était en 942; il m ourut cette année-là au m ois
Form ose sa translation de Porto à R om e, sans tenir d ’ octobre.
com pte des précédents nom breux qui avaient affaibli D uehesne, Liber pontificalis, t. n , p. 244 ; Jaffé, Reg. pont,
les canons anciens défendant ces translations. Enfin, rom., 1” éd it., p. 316; 2 e éd it.,p . 457; P. L., t. cx x x n ,
le m ort fut condam né, déclaré intrus, dépouillé des col. 1087.
ornem ents pontificaux ct privé des doigts qui lui A. Cl e r v a l .
avaient servi à bénir : on ne lui laissa que son silice 1 0 . É T IEN N E IX ou X (V énérable). pape (1057-
incrusté dans sa chair. Puis on le jeta dans un tom beau 1058), s ’ appelait Frédéric de Lorraine et était le
profane, au cim etière des étrangers. La populace l ’ y frère du duc G otfried de Lorraine, m ari de la du ­
reprit et le jeta dans le Tibre. chesse B éatrix et beau-père de la com tesse M athilde
Les actes de Form ose furent déclarés nuis, spéciale ­ de Toscane; après avoir été archidiacre de Liège, il
m ent les ordinations qu ’ il avait faites, pendant cinq avait été nom m é chancelier et bibliothécaire de
ans. C ependant on ne déposa que les clercs rom ains, l ’ Église rom aine, le 12 m ars 1051. Il avait été envoyé
ordonnés par lui; ils ne furent pas réordonnés. Les com m e am bassadeur à C onstantinople, près de Cons ­
clercs des pays étrangers, q i étaient hors d ’ atteinte, tantin M onom aque, avec le cardinal H um bert et
ne furent pas inquiétés. Q uant à É tienne V lui-m êm e, Pierre, archevêque d ’ A m alfi, en janvier 1054. A son
qui avait été ordonné par Form ose, évêque d ’ A nagni, retour, il s ’ était retiré, pour échapper aux poursuites
il profita de la cassation pour dire que, son ordination d ’ H enri III, ennem i de sa fam ille, dans la solitude du
ayant été nulle,il ne pouvait plus être accusé d ’ avoir M ont-Câssin; il en fut élu abbé le 23 m ai 1057, et le
passé d ’ un siège à un autre. pape V ictor II le créa cardinal-prêtre du titre de
il est probable que ce dram e souleva contre Étienne Saint-C hrysogone, le 14 juin. M ais ce pape étant venu
les esprits. U ne insurrection le jeta bas de son trône, f à m ourir à A rezzo, le 28 juillet, É tienne fut élu à sa
981 É T IE N N E IN 01' X ÉTRANGERS 982

place m algré lui, par le clergé ct le peuple, le 2 août, d ’ origine syrienne et non grecque; B ar H ébræus en
et sacré à Saint-Pierre, le 3. O n le choisit à cause de attribue explicitem ent la paternité à É tienne B ar Sou ­
ses vertus et parce qu ’ il était assuré de l ’ appui de son dain, et cette attribution est accepti e en general.
frère, le duc G otfried. O n ne prévint pas la cour, C ’ est par cet ouvrage que les idées néoplatonicien ­
H enri III, qui lui aurait été hostile, était m ort, et son nes ont pénétré chez les Syriens et, par leur interm é
jeune fils H enri IV était sous la régence de sa m ère, chaire, chez les m usulm ans, car M . M erx a m ontre que
A gnès. M ais H ildebrand alla, pour le bien de la paix, la m ystique orientale du m oyen âge et aussi le sou ­
lui dem ander sa reconnaissance et l ’ obtint facilem ent. fism e islam ique ont em prunté à cet ouvrage syrien
É tienne fut un pape réform ateur; dans les quatre leurs idées les plus fécondes.
prem iers m ois de son pontificat, il tint à R om e de Chez les Syriens,le Livre d’Hiérothée a été com m ente
nom breux synodes, pour em pêcher les m ariages des par Théodose, patriarche d ’ A ntioche de 887 à 986, et
prêtres et des clercs et les m ariages entre consan ­ par B ar H ébræ us. C elui-ci raconte qu ’ il a eu beaucoup
guins. D e retour au M ont-C assin,il y restaura la règle de peine h en trouver un exem plaire; celui qui lui a
de la pauvreté. D ans l ’ affaire des patares de M ilan, servi, et sur lequel il a com posé son résum é du livre
il cassa l ’ excom m unication qu ’ un synode avait portée et son com m entaire, est encore conservé à L ondres.au
contre eux et, leur envoyant Pierre D am ien avec le B ritish M useum (add. 7189).
prêtre A riald, il les exhorta à continuer pacifiquem ent
leur œ uvre de réform es. 11 avait,sem ble-t-il l ’ intention A . L . F rotingham , On the book of Hierolheus, by a Syrian
d ’ organiser une expédition avec son frère pour ex ­ mystic of the fifth cent., dans American or. Soc. P roc., 1884.
pulser les N orm ands d'Italie et, dans ce but, il en ­ p. rx-xxn; Stephen bar Sudaili, the Syrian mystic and the
voya une am bassade à l ’ em pereur de C onstantinople
book of Hierotheos, L eyde, 1886; R . D uval, La littérature
syriaque, P aris, 1907, p. 356-35 8; M erx, Idee und Grund-
pour se m énager son concours. M ais il sentait venir linien einer allgemeinen Geschichle der Mystik, R ektorats-
la m ort. Il avait prié les m oines du M ont-C assin de rede, H eidelberg, 1893; C . B rockelm ann, Die syrische und
lui choisir de son vivant un successeur, qui fut D idier; I die christlich-arabische Lilteratur. L eipzig. 1909, p. 29-30.
il assem bla les cardinaux, les évêques, le clergé, le I F. N a u .
peuple de R om e pour les supplier, afin d ’ éviter toute É T R A N G E R S . — I. D ans la B ible. II. D ans la
com pétition, d ’ attendre le retour d ’ H ildebrand, alors théologie m orale. H I. D ans le droit civil.
en G erm anie, avant de procéder à l ’ élection de son I. D a n s l a B i b l e . — 1° Avant la captivité. — Les
rem plaçant. La m ort le surprit à Florence, entre peuples de l ’ antiquité regardaient tout étranger
l ’ abbé H ugues de C luny et son frère G otfried, qui tous com m e un ennem i. Encore de nos jours, ce préjuge
deux lui firent de belles funérailles dansl ’ église Sainte- règne parm i les païens et chez les nations non civi ­
R eparate de cette ville. lisées. Il sem ble que la différence de figure, d'hat -
lem ent, de langage inspire naturellem ent un com ­
Jaffé, Reg. pont, rom., 1 ” éd it., p. 376, 379, 381;
2’ éd it., p. 553-556; Monumenta gregoriana; D uchesne, m encem ent d ’ aversion. O n connaît l ’ éloignem er.t
Liber pontificalis, t. n , p. 278; P. L., t. e x u n , col. 868; que les Égyptiens avaient pour les étrangers; ils ce
D elarc, Saint Grégoire VII et la réforme de tÉglise au les adm ettaient point à leur table. G en., x l i ii . s L·
/.r ” siècle, 1889, t. n , p. 22 sq. ; U l. R obert, Élienne X, Les G recs et les R om ains n ’ ont pas été exem pts de
dans la Revue des questions historiques, 1876, t. x x , p. 49-76· ce travers; iis ne l'ont que trop m anifesté par le m é ­
A. Cl e u v a l . pris qu ’ ils professaient pour les autres peuples, et il
11. É TIE N N E B A R S O U D A ÏLI, panthéiste sy ­ n ’ y a pas loin du m épris à la haine.
rien, né à Édesse vers le m ilieu du v° siècle. Jeune La législation m osaïque contraste singulièrem ent,
encore, il alla en É gypte, où un m oine, nom m é Jean, par l ’ esprit dont elle est anim ée, avec les coutum es en
l ’ im but d ’ idées panthéistes. Π revint dans son pays vigueur chez tous les autres peuples. D ieu prescrit la
et se m it à com m enter l ’ É criture d ’ après son sens per ­ bienveillance envers l ’ étranger parce que les H ébreux
sonnel. I) paraissait pieux et il alla trouver Philcxène ont été eux-m êm es étrangers en É gypte. Exod., xxn.
de M abboug (j- 523) « pour le séduire et lui faire dire 21 ; ΧΧΠΙ, 9 ; Lev., xrx, 34. U ne reconnaissance spéciale
com m e lui qu ’ il y aurait un term e au châtim ent; est m êm e ordonnée envers les É gyptiens à cause du sé ­
que. selon le péché qu'on aurait com m is, on serait jour que les H ébreux ont fait en leur pays. D eut.,
châtié pendant un an ou plus ou m oins; que, s * l ’ on xxiii, 7, 8. Les H ébreux doivent traiter l ’ étranger
était justifié, on jouirait de m êm e (durant un tem ps), com m e un indigène et l'aim er com m e eux-m êm es.
et qu ’ ensuite aurait lieu le m élange des justes et Lev., xrx, 33,34. L ’ étranger est, en effet, un être faible
des im pies. Il s ’ appuyait sur cette parole de Paul, et sans défense, et dans bon nom bre de textes où ses
I Cor., xv, 28, que Dieu sait tout en tous, et il sup ­ droits sont réglés, il est m is au m êm e rang que la
prim ait les expressions de vie éternelle et de supplice veuve et l ’ orphelin. V oir Dictionnaire de la Bible, de
éternel. Philoxène lui ayant fait connaître que telle M . V igoureux, art. Étranger. Ces recom m andations
était l ’ hérésie d ’ O rigène, pour laquelle celui-ci avait bienveillantes sont répétées dans la suite par les pro ­
été anathém atisé, il prit ses livres pendant la nuit et phètes. Jer., vii, 6; Zach., vn, 10; Ezech., xxn, 7;
s ’ enfuit en Palestine. Plusieurs lui adressèrent des Ps. c x l v , 9.
rem ontrances, qu ’ il n ’ accepta pas. Il fut anathém a ­ L ’ application de ces principes généraux se m ani­
tisé. » Chronique de Michel le Syrien,Paris. 1902, t. n, feste dans les droits civils et religieux que la B ible ac ­
p. 250. Ce texte a été résum é par B ar H ébræ us, corde aux étrangers.
Chron. eccl., r, 221, et il reste encore deux lettres, l ’ une L ’ étranger a droit à l ’ égalité devant la justice.
de Philoxène et /autre de Jacques de Saroug (ψ 521), Lev., xxiv, 22; N um ., xv, 15; D eut., i, 16; xxrv. 17.
destinées à le réfuter. Les villes de refuge sont ouvertes aux étrangers com m e
Étienne se réfugia à Jérusalem , sans doute dans un aux H ébreux en cas de m eurtre involontaire. N um .,
m onastère; il y fut en relation avec des m oines origé- xxxv, 15. L ’ Idum éen, frère de l ’ H ébreu, et l ’ Égyptie®
nistes partageant ses idées et apprit, sans doute, à peuvent obtenir la naturalisation à la troisièm e genera ­
connaître les écrits du pseudo-D enys l ’ A réopagite. tion. D eut., x x i h . 7, 8. L ’ 4m m onite et le M oaiite ne
L ’ auteur inconnu de ces écrits avait m is ses idées, peuvent l ’ obtenir m êm e après la dixièm e. D eut., xxm ,
panthéistiques par endroits, sous un nom ancien et 3. Q uant aux C hananéens, le m ariage est interdit
célèbre; É tienne l ’ im ita et m it ses propres idées sous avec eux. D eut., vn, 3. L ’ étranger qu ’ on fait travail­
le nom d ’ H iérothée, le soi-disant m aître de D enys ler a droit à son salaire le jour m êm e. D eut., xxrv, 14,
l ’ A réopagite. Le Livre d’Hiérothée paraît, en effet, 1 15. Il peut se vendre com m e esclave, Lev., xxv, 45,
983 É TR A N G E R S 984
m ais il peut aussi avoir des esclaves, m êm e hébreux. Il déclare qu ’ il faut im iter, à l ’ égard de tous les
Lev., xxv, 35, 47. L ’ étranger a part aux fruits, grains, hom m es sans exception, la bonté du Père céleste qui
raisins, olives, qu ’ on laisse dans les cham ps après la fait du bien à tous. M atth., v, 45. Jésus-C hrist a sou ­
récolte, Lev., xix, 20; D cut., xxiv, 19, 20, aux pro ­ vent répété cette m orale, parce qu'il voulait réunir
duits naturels de la terre pendant l ’ année sabbatique, tous les hom m es dans une m êm e société religieuse.
Lev., xxv, 6, aux festins célébrés à l ’ occasion du A ussi, au début de la prédication évangélique,
paj'em ent des dîm es et des fêtes. D eut., xrv, 29; saint Pierre va aux gentils, sur l ’ ordre m êm e de D ieu,
xvi, 11. 14. L ’ usure, c ’ est-à-dire l ’ intérêt prélevé sur non sans avoir constaté auparavant que « c ’ est une
le prêt, interdite vis-à-vis de l ’ H ébreu, est perm ise abom ination pour un Juif d ’ entrer en rapport avec un
avec l ’ étranger D eut., xxrv, 19, 20. étranger. » A ct., x, 28.
Q uant aux droits religieux, d ’ une m anière géné ­ II. D a n s l a t h é o l o g ie m o r a l e . — 1° Notions, défi­
rale, si l ’ étranger ne consentait pas à em brasser tota ­ nitions. — Parm i les lois ecclésiastiques, les unes s ’ ap ­
lem ent la pratique rituelle, il n ’ était guère tenu qu ’ aux pliquent à tous les chrétiens, ce sont les lois uni­
prescriptions de la religion naturelle. Q uelques règles verselles; les autres s ’ étendent à certains territoires
positives s'im posaient à lui pour bien m arquer sa dis ­ lim ités : diocèses ou paroisses, ou encore à un groupe
tinction du peuple élu. V oir Dictionnaire de la Bible, restreint de personnes : le clergé séculier, les réguliers,
art. Étranger. En particulier, l ’ étranger qui s ’ agrège ce sont les lois particulières.
au peuple hébreu par la circoncision est adm is à m an ­ D ans le droit canon, on appelle étranger (advena)
ger la Pâque, Exod., xn, 48, 49; s ’ il n ’ accepte pas la celui qui ne réside pas dans son lieu d ’ origine, par op ­
circoncision, la participation à la Pâque et aux m ets position à l ’ indigène, l ’ habitant qui réside dans son
provenant des sacrifices lui est interdite. Exod., xn, lieu d ’ origine. C ’ est aussi dans cette signification que
45. L ’ étranger est soum is aux m êm es prescriptions la B ible considère les étrangers, com m e il appert des
que l ’ H ébreu en ce qui concerne la loi m orale et la loi textes cités plus haut.
rituelle. Il lui est défendu de blasphém er sous peine A u point de vue de l ’ extension des lois particulières,
de lapidation, Lev., xxrv, 16, d ’ ofTrir ses enfants à le dom icile joue un rôle im portant. O n acquiert le do ­
M oloch, Lev., xx, 2, de se livrer à certains excès d ’ im ­ m icile en un endroit, lorsqu ’ on a en cet endroit une
m oralité. Lev., xvin, 26. L ’ idolâtrie lui est sévère ­ résidence fixe, avec la volonté de l ’ occuper perpétuel ­
m ent interdite. Ezech., xrv, 7. Il ne doit pas non plus lem ent. Pour avoir le quasi-dom icile, il faut avoir en un
ni faire œ uvre servile le jour du sabbat, Exod., xx, 10, endroit une résidence fixe, avec la volonté d ’ y habiter
ni m anger du sang. Lev., xvn, 10. pendant la plus grande partie de l ’ année. V oir D o m i ­
2° Après la captivité. — Sans doute, les prophètes c il e , t. rv, col. 1651.
ne cessent pas de rappeler les Juifs à l ’ intégrité de la Ceci posé, on considère com m e étranger, voyageur
loi, Zach., vu, 10; .M al., ni, 5, m ais l ’ application de la (peregrinus), celui qui, ayant quelque part un dom i­
législation concernant les étrangers devient plus cile ou quasi-dom icile, se trouve transitoirem ent en
étroite et plus sévère. II Esd., ix, 2; xni, 1-3. Ce dehors de celui-ci, avec l ’ intention de ne rester que peu
changem ent de conduite fut une réaction contre les de tem ps dans cette résidence de passage. Le vaga ­
m auvais traitem ents que les Juifs, au retour de la bond est celui qui n ’ a nulle part de dom icile ou
captivité, subirent de la part de leurs voisins, m ais, quasi-dom icile.
de plus, il devint nécessaire pour la conservation de la A u regard du droit civil, l ’ étranger (extraneus), par
foi et de la nationalité du peuple juif. Il était à craindre opposition au citoyen (civis), est celui qui, habitant le
que l ’ introduction de trop nom breux élém ents étran ­ pays, ne jouit pas de la nationalité. A insi, des trois
gers au sein de la com m unauté revenue de l ’ exil n ’ en acceptions différentes du m ot étranger, la prem ière se
altérât peu à peu le caractère national et religieux. rapporte au lieu d ’ origine, la seconde au dom icile ou
C ’ est ce qui était arrivé pour les Sam aritains. Sous la quasi-dom icile, la troisièm e à la nationalité.
dom ination des Séleucides, l ’ influence étrangère devint 2° Les étrangers et les lois ecclésiastiques particu­
nettem ent idolâtrique. Les Juifs se cantonnèrent dans lières. — Les étrangers dont il est ici question, ce sont
leur isolem ent. L a haine de l ’ étranger s ’ accrut ensuite toutes les personnes qui, transitoirem ent, se trouvent
dans leur cœ ur en proportion des dangers que faisait en dehors de leur propre dom icile.
courir à leur nationalité la dom ination rom aine. Le principe fondam ental en cette m atière, c ’ est que,
3° Dans la loi évangélique. — Jésus-Christ, en prê ­ pour tom ber sous l ’ obligation d ’ une loi. outre la con ­
chant son Évangile, a voulu briser la haine des peuples naissance de la loi. il est nécessaire · 1. que la personne
entre eux, les porter à vivre paisiblem ent ensem ble soit sujet du législateur; 2. qu ’ elle se trouve sur un
et à se regarder com m e frères; c ’ est à quoi tendent les territoire soum is à la loi. D e là découlent les deux
préceptes de charité universelle qu ’ il à si souvent répé ­ conséquences suivantes :
tés. Tel est aussi l ’ effet que le christianism e a produit Les étrangers ne sont pas soum is aux lois parti­
partout où il s ’ est établi : « A près le baptêm e, dit culières de leur domicile. En effet, les lois ne s ’ étendent
saint Paul, il n ’ y a plus ni juifs, ni gentils, ni circon ­ pas en dehors du territoire pour lequel elles onl été
cis, ni païens, ni Scythes, ni barbares; vous êtes tous prom ulguées, et donc, l ’ étranger se trouvant en dehors
un seul peuple en Jésus-C hrist. » G ai., m , 28; C ol.,in, du territoire soum is à une loi particulière, est soustrait
11. à l ’ obligation de celle-ci.
La plupart des anciens philosophes ont jugé la ven ­ C ependant les lois et les statuts des supérieurs régu ­
geance légitim e; les Juifs étaient dans la m êm e er ­ liers conservent leur obligation en dehors du terri ­
reur, et Jésus-C hrist voulait les détrom per. Il leur dit : toire de la juridiction du supérieur. La raison de cette
«V ous avez ouï dire qu ’ il est écrit : V ous aim erez votre exception apparente, c ’ est que la juridiction du supé ­
prochain, et vous haïrez votre ennemi. » Ces dernières rieur régulier s'exerce,non pas en vertu du territoire,
paroles ne sont point dans la loi; c ’ était une fausse ad ­ m ais en raison du vœ u d ’ obéissance, qui lie la personne
dition des docteurs de la synagogue. D e là, les Juifs du religieux à son supérieur.
concluaient que, sous le nom de prochain, il ne fallait Ce que nous avons dit des étrangers s ’ applique aux
entendre que les hom m es de leur nation et qu ’ il leur lieux exem pts de la juridiction de l ’ évêque. Le lieu
était perm is de détester les étrangers, surtout les exem pt doit, en effet, être considéré com m e étant ei»
Sam aritains. Le Sauveur, pour réform er leurs idées, dehors du territoire du législateur. Parm i les lieux
leur proposa la paraboledu Juif tom bé entre les m ains certainem ent exem pts sont com pris les villes et les pa ­
des voleurs et secouru par un Sam aritain. Luc., x, 30 roisses soum ises à un autre évêque que l ’ ordinaire
985 ÉTRANGERS 986

du diocèse. D ’ après une opinion probable, les églises et voyagent pendant le carêm e en A llem agne, ou les .o:s
m onastères des réguliers sont considérés com m e lieux de jeûne sont notablem ent adoucies, peuvent profit· ..-
exem pts. Si donc l ’ évêque défend aux clercs les jeux de de ces adoucissem ents.
hasard sous peine d'excom m unication, les clercs se 3° Les étrangers et les lois universelles. — Les étran ­
livrant à ces jeux dans un lieu exem pt n ’ encourront gers doivent observer les lois universelles de . Égase.
pas l ’ excom m unication. alors m êm e que ces lois seraient abrogées au lieu de
Ces principes perm ettent de résoudre les cas sui ­ leur dom icile. Exem ple : un Français, qui se trouve
vants : à R om e pendant la sem aine sainte, doit observer les
C elui qui,un jour de jeûne local,se trouve en dehors lois com m unes du jeûne, qui sont en vigueur a R om e.
du territoire où ce jeûne est prescrit, n ’ est pas tenu La loi particulière, en effet, est restreinte à un terri ­
de jeûner. Pierre part le m atin d ’ une ville où le jeûne toire, et en tout lieu l ’ étranger est sujet du législateur
n ’ est pas prescrit et rentre le soir à son dom icile où il y universel.
a jeûne local. Il peut m anger et user d ’ alim ents gras En outre, les étrangers doivent se soum ettre : 1. aux
avant son départ, alors m êm e qu'il devrait être rentré lois qui régissent les contrats, en vertu de l ’ axiom e :
à m idi dans le lieu de son dom icile. M ais à son arrivée, Locus (id est, lex localis) regit actum; 2. aux lois locales
il doit observer le précepte du jeûne, autant que cela édictées dans l ’ intérêt com m un; par exem ple, a la
est possible, c ’ est-à-dire en s ’ abstenant de m anger de loi qui interdirait l ’ exportation des m archandises,
la viande. ou défendrait de porter des arm es; 3. aux lois locales
Paul quitte son dom icile le m atin, jour de jeûne, concernant spécialem ent les étrangers.
avec la certitude qu ’ il arrivera le soir au term e de son Celui qui a déjà satisfait à une loi particulière dans
voyage, où le jeune n ’ est pas prescrit. E h bien, Paul un endroit n ’ est point tenu d ’ accom plir de nouveau
peut faire un repas, voire m êm e copieux, avant son le précepte, s ’ il arrive dans un lieu le jour où tom be
départ, parce que le jeûne est prescrit sous form e de l ’ obligation de cette loi particulière. Il n ’ y a, en effet,
tout indivisible; m ais dans ce repas il devra s ’ abstenir aucune obligation de satisfaire deux fois au m êm e
de viande, parce que le précepte de l ’ abstinence est précepte. Par exem ple, un Italien qui, à son départ, a
divisible et tom be sur chaque repas de la journée. jeûné la veille de la fête de saint Pierre, n ’ est pas
S. Liguori, Theologia moralis, 1. I, η. 157. obligé de jeûner de nouveau en arrivant en France
A ndré quitte son dom icile un jour où il y a fêle spé­ le sam edi suivant, jour où ce jeûne est transfert.
ciale d’obligation et il se rend dans un endroit où cette III. D ’ a p r è s l e d r o it c iv il . — 1° D'après l’ancien
fête n ’ est pas de précepte. Il n ’ est pas tenu d ’ assister droit français. — A utrefois, en France, les étrangers
à la m esse ce jour-là pourvu qu ’ il soit en dehors de son subirent successivem ent l ’ em pire des coutum es féo ­
territoire, avant l'heure de la dernière m esse. L a loi, dales et celui des droits de la couronne. A l ’ époque
en effet, n'oblige pas à assister à l ’ une des prem ières féodale, pour ne pas rester sans protection et sans dé ­
m esses. Si, au contraire, il partait après la dernière fense, ils étaient dans la nécessité de se donner a un
m esse, il violerait évidem m ent le précepte, parce que, seigneur, d’avouer un seigneur, dont ils devenaient
n ’ ayant pas assisté aux prem ières m esses, il est obligé ainsi les serfs. Privés du droit de transm ettre leurs
à entendre la dernière, seul et unique m oyen, dans biens par succession, ils n ’ avaient pas d ’ autre héri ­
cette hypothèse, de satisfaire au précepte. tier que le seigneur à qui leur patrim oine se trouvait
Les étrangers ne peuvent pas user des privilèges attribué, par une sorte de déshérence.
de leur dom icile. Les privilèges, com m e les lois parti ­ M ais bientôt, avec les progrès de l ’ autorité royale,
culières, sont territoriaux, et, par conséquent, l ’ étran ­ les étrangers cessèrent de rechercher le patronage des
ger, dès lors qu ’ il se trouve en dehors de son territoire, seigneurs et ils se placèrent sous la protection du roi.
perd les privilèges qui y sont attachés. A insi un Espa ­ E n succédant aux seigneurs dans la protection des
gnol voyageant en France ne peut user du privilège étrangers, le roi succéda aussi à leurs droits sur les
de la Bulla cruciata, pour faire gras le vendredi. biens que ceux-ci laissaient à leur m ort ; et il fut ap ­
Les étrangers ne sont pas tenus d ’ observer les lois pelé à les recueillir en vertu du droit d’aubaine. C ette
particulières du lieu où ils se trouvent. Les lois, en ef ­ règle souffrait cependant exception lorsque l ’ étr.njer
fet, n ’ obligent que les sujets du législateur, m ais ceux- laissait un ou plusieurs enfants légitim es et régna les.
là seuls sont sujets qui ont un dom icile ou un quasi- O n nom m ait régnicole celui qui était ne sujet : . r .
dom icile soum is à la juridiction du législateur. et était censé avoir son dom icile dans lé royaum e. Les
Q ue faire si la m êm e loi particulière est en vigueur enfants de l ’ étranger avaient alors la préférence sur le
dans les deux endroits? C ertains théologiens, Lacroix, roi et pouvaient recueillir l ’ héritage paternel.
n. 686, s ’ appuyant sur les principes que nous venons C ette sorte de confiscation qu ’est le droit d ’ uu-
d ’ exposer, exem ptent le voyageur de toute obligation ; baine portait ce nom parce qu ’ elle s ’exercait à l ’égard
d ’ autres, saint Liguori,!. I,n. 156, font appel à l ’ équité des étrangers ou aubains; au bain vient probablem ent
naturelle et obligent dans ce cas à l ’ accom plissem ent de. alibi natus et désignait certainem ent les étrangers
du précepte. dont on connaît la patrie. O n appelait épaves ceux dont
Pierre quitte son dom icile un jour de jeûne local, la patrie était ignorée.
il arrive en un endroit où existe la m êm e loi particu ­ D ans le dernier état de notre ancienne législation,
lière du jeûne. Il n ’ est pas tenu de jeûner, ainsi rai­ les étrangers jouissaient en France des droits naturels,
sonnent les prem iers théologiens, ni en raison du terri ­ m ais non des droits civils proprem ent dits. Par appli­
toire, parce qu ’ il est étranger, ni en vertu de la loi cation de ce principe, les étrangers pouvaient être pro ­
particulière du lieu où il se trouve, parce qu ’ il n ’ est priétaires en France de biens m eubles ou im m eubles,
pas — en qualité d ’ étranger — sujet du législateur contracter, ester en justice, aliéner et acquérir a titre
de cet endroit. onéreux et m êm e à titre gratuit, m ais seulem ent par
R em arquez toutefois que les oraisons de la m esse donation entre vifs, tous actes qui étaient considérés
prescrites par l ’ ordinaire du lieu doivent être dites, com m e appartenant au droit des gens (jus çerJ’.um).
en vertu d ’ un précepte spécial de l ’ Église, par tous les Ils ne pouvaient, au contraire, transm ettre ni recevoir
prêtres, étrangers ou réguliers. des biens situés en France soit par testam ent, sort par
Les étrangers peuvent user des privilèges des lieux succession ab intestat, parce que ces actes étaient
où ils se trouvent. Ce serait, en effet, pour eux un lourd considérés com m e appartenant au droit civi propre ­
fardeau, que d ’ observer des lois auxquelles sont sous ­ m ent dit : ccs biens tom baient sous le droit à'aubvne.
traits les habitants du lieu. A insi, les personnes qui V ers la fin de l ’ ancien régim e, le droit d ’ aubaim . ten-
987 É TR A N G ER S 988

dait à disparaître. D e nom breux étrangers, les étran ­ est plus ainsi actuellem ent. Le nouvel art. 13 dit dans
gers com m erçants surtout, en étaient exem ptés. En son aünéa 2 : « L ’ effet de l ’ autorisation cessera à l'expi ­
outre, sous les règnes de Louis X V et de Louis X VI, ration de cinq années, si l ’ étranger ne dem ande pas
de nom breux traités furent conclus avec les puissances la naturalisation ou si sa dem ande est rejetée. »
européennes, pour l'abolition réciproque de l ’ aubaine, C ette disposition, qui a pour but d ’ inviter l ’ étranger
ou par le seul prélèvem ent d ’ un droit de 10 · /» sur à se faire naturaliser, est com plétée par une disposi­
les successions, appelé droit de détraction. V ivem ent tion transitoire placée à la fin de la loi du 26 juin 1889
attaqués par les économ istes et les philosophes du et ainsi conçue : » Toute adm ission à dom icile obtenue
xviii» siècle, com m e autant de restes d ’ une aveugle antérieurem ent à la présente loi sera périm ée si, dans
barbarie, qualifiés par M ontesquieu de droits insensés, le délai de cinq années à com pter de la prom ulgation,
les droits d ’ aubaine et de détraction furent abolis par elle n ’ a pas été suivie d ’ une dem ande de naturaiisalion
l ’ A ssem blée constituante. L a loi du 15 avril 1791, ou si la dem ande de naturalisation a été rejetée. »
a. 3, décida que les étrangers seraient capables de Le dernier alinéa de l'art. 13 porte : « E n cas de
succéder al> intestat, de disposer et de recevoir à décès avant la naturalisation, l ’ autorisation el le
quelque titre et par quelque m ode que ce fût. La tem ps de stage qui a suivi profiteront à la fem m e et
C onstituante ne vit pas seulem ent dans cette aboli ­ aux enfants qui étaient m ineurs au m om ent de l ’ auto ­
tion la raison d ’ utilité pratique, m ais surtout l ’ appli­ risation. » En effet, si l ’ étranger adm is à dom icile
cation du dogm e de la fraternité universelle. Elle es ­ avait vécu assez pour obtenir la naturalisation, sa
pérait que les autres nations la suivraient dans la voie fem m e et ses enfants auraient pu en partager le béné ­
qu'elle venait d ’ ouvrir et qu ’ elles appelleraient égale ­ fice sans être astreints à aucune condition de stage.
m ent les Français à jouir chez elles des droits qui D ’ après l ’ art. 13 cité plus haut, l ’ étranger dom icilié
venaient d ’ être accordés en France à tous les étran ­ en France en vertu de l ’ autorisation du chef de l ’ É tat
gers. C et espoir fut déçu ; les É tats étrangers accep ­ est l ’ objet d ’ une faveur im portante : il joint en France
tèrent la faveur qu ’ on leur offrait, m ais ils ne don ­ de tous les droits civils. Il cesse d ’ être soum is aux
nèrent rien en retour. m esures de défaveur qu'entraîne l ’ extranéité, telle
2 “ D ’après le droit actuel. — Le Code civil établit une que l'obligation de fournir la caution judicatum solui,
distinction, inconnue jusqu ’ alors, entre les étrangers dont nous parlerons plus bas.
qui ont été adm is à fixer leur dom icile en France et 3. Étrangers qui n ’ont pas en France de domicile
ceux qui n ’ onc pas obtenu cette faveur. N ous expo ­ autorisé. — L ’ étranger non adm is à dom icile qui veut
serons donc successivem ent les dispositions qui con ­ résider en France, c ’ est-à-dire y faire un séjour pro ­
cernent tous les étrangers en France, celles qui longé, doit, sous certaines peines, en faire la déclaration
regardent les étrangers autorisés, enfin celles qui devant le m aire de la com m une où il entend se fixer,
s ’ appliquent aux étrangers non autorisés. dans les quinze jours de son arrivée. V oir le décret
1. Conditions des étrangers en général. — Tous les du 2 octobre 1888. En outre,une loi du 8 aoûtl893 im ­
étrangers, sans distinction, sont régis en France par pose à tout étranger non adm is à dom icile qui vient se
leur statut personnel ; en d ’ autres term es, leur état et fixer dans une com m une de France, pour y exercer une
leur capacité sont régis par la loi de leur pays. Tous, profession, un com m erce ou une industrie, l'obli ­
égalem ent, ont la jouissance des droits naturels et des gation de faire à la m airie une déclaration de rési­
droits qu ’ un texte spécial accorde aux étrangers en dence dans les huit jours de son arrivée, suivant cer ­
général. Exem ple : loi du 23 juin 1857, a. 5. Tous taines form es particulières.
sont privés de la jouissance des droits politiques. Tout D ’ après l ’ art. 11, · l ’ étranger jouit en France des
étranger peut être expulsé du territoire français par m êm es droits civils que ceux qui sont ou seront ac ­
m esure de police. Loi du 3 décem bre 1849, a. 7, 8. cordés aux Français par les traités de la nation à
Enfin, nul étranger, m êm e adm is à dom icile, ne peut laquelle ils appartiennent. » Ce texte établit, entre la
jouir en France des droits qu ’ un texte retire aux France et les autres nations, au point de vue de leurs
étrangers en général; par exem ple, du bénéfice de ces ­ sujets, non une réciprociété de fait, m ais une récipro ­
sion de biens, Code de procédure, a. 905, du droit de cité diplomatique, c ’ est-à-dire une réciprocité ayant sa
pêcher dans les eaux territoriales de France et base dans un traité ou une convention internationale.
d ’ A lgérie, loi du l« r m ars 1888, ni de ceux dont la loi En d ’ autres term es, les droits civils dont un étranger
subordonne la jouissance à la condition que l ’ on soit jouit en France ne sont pas tous les droits civils ac ­
Français, com m e le droit de rem plir certaines fonctions cordés aux Français dans le pays de cet étranger.m ais
publiques, d ’ enseigner dans une école d ’ enseignem ent seulem ent ceux dont un Français jouit dans le pays
prim aire, loi du 30 octobre 1886, a. 4, d ’ être tém oin de cet étranger, en vertu d ’ un traité passé entre ce
dans un testam ent, Code civil, a. 980, ou dans un pays et la France.
acte notarié, loi du 25 ventôse an X L m odifiée par la Tandis qu ’ un Français ne peut, en principe, être
loi du 12 août 1902. cité que devant le tribunal de son arrondissem ent, un
2. Étrangers qui ont en France un domicile autorisé. étranger, au contraire, alors m êm e qu ’ il ne résiderait
— A ux term es de l ’ art. 13, « l ’ étranger qui aura été pas en France, peut toujours être traduit devant les
autorisé par décret à fixer son dom icile en France y tribunaux français pour l ’ exécution des obligations
jouira de tous les droits civils. » qu ’ il a contractées envers un Français, soit en France,
L 'étranger, qui veut obtenir l ’ autorisation de fixer soit m êm e à l ’ étranger.
son dom icile en France, doit adresser la dem ande au Enfin, un étranger n ’ est adm is chez nous à agir en
m inistre de la Justice. Il y joint certaines pièces indi­ justice contre un Français, qu ’ à la condition de four ­
quées par l ’ art. l« r du décret du 12 août 1889. C 'est le nir à ce dernier, s ’ il l ’ exige, un répondant ou une cau ­
chef de l ’ É tat qui statue : il a un pouvoir discrétion ­ tion solvable, c ’ est-à-dire un individu qui garantira le
naire peut accorder ou refuser l'autorisation. L ’ auto ­ paiem ent des condam nations, qui pourraient être éven ­
risation accordée est révocable, et quand elle a été tuellem ent prononcées contre l ’ étranger. C ette cau ­
révoquée, l ’ étranger est pour l ’ avenir dans la m êm e tion s ’ appelle la caution judicatum solui, parce qu ’ elle
condition que s ’ il ne l ’ avait jam ais obtenue. garantira quod fuerit judicatum solui. Sans elle, un
D ’ après l ’ article du Code civil précédem m ent cité, Français injustem ent traduit en justice par un étran ­
l ’ étranger conservait indéfinim ent le bénéfice de l ’ au ­ ger n ’ aurait eu, le plus souvent, aucun m oyen de se
torisation qui lui avait été accordée de fixer son dom i ­ faire indem niser par ce dernier du tort qu ’ il lui aurait
cile en France, à la seule condition d ’ y résider. Il n ’ en causé par son injuste dem ande. Les biens que possède
989 É TR A N G ER S — E U C H A R IS TIE D ’A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 990

un étranger sont, en effet, presque toujours situés établir sa nécessité, recom m ander la com m union, ex -
hors de France, et, par conséquent, hors de la m ain de ger de celui qui la reçoit de saintes dispositions. P
la justice française. de trente Pères ont pu être cités (C lem ent d A lexan ­
A u reste, le cautionnem ent prescrit par l ’ art. 16 drie, O rigène, saint B asile, saint G regoire de N y ss
peut être rem placé par des garanties équivalentes : saint C yrille d ’ A lexandrie, saint C yrille de Jerusalem
un gage en nantissem ent suffisant, la consignation le concile d ’ Éphèse, Théodoret, saint Jean C hryso-
d ’ une som m e égale à celle jusqu'à concurrence de la ­ stom e, saint E piphane, saint Jean D am ascene, saint
quelle le tribunal a ordonné que la caution serait C yprien, saint H ilaire,saint A m broise, sait t Jer m e
fournie; enfin, la justification faite par l ’ étranger saint A ugustin, etc.). M ais on trouve aussi chez quel ­
qu ’ il possède en France des im m eubles d ’ une valeur ques Pères, par exem ple, C lém ent d ’ A lexandrie. O n·
suffisante pour répondre du paiem ent de cette som m e. gène, saint A ugustin,des interprétations allégoriques
L ’ étranger était dispensé de fournir caution en m a ­ de certaines affirm ations du C hrist.
tière com m erciale (ancien art. 16). C ette exception A vant le concile de T rente, le plus grand nom bre des
était fondée sur ce triple m otif : que les com m erçants théologiens estim ent que le c. vi du quatrièm e Evan ­
sont considérés com m e citoyens de toutes les cités, que gile contient la prom esse de l ’ eucharistie. Plusieurs
les affaires com m erciales requièrent célérité et surtout toutefois (B iel, C ajetan, etc.)soutiennent que, dans le
que les frais auxquels ces affaires donnent lieu sont discours sur le pain de vie, le C hrist annonçait le doi.
m inim es. La pratique ayant révélé les inconvénients de sa personne sur la croix et exigeait la m anduca ­
de cette exception, la loi du 3 m ars 1895 l ’ a fait dispa ­ tion spirituelle, l'union à lui par la foi.
raître en supprim ant dans l ’ art. 16 les m ots qui l ’ éta ­ Le concile de T rente ne voulut pas prendre parti.
blissaient. D epuis le xvi® siècle, les catholiques unanim em ent,
L a caution judicatum solvi est donc due aujour ­ un bon nom bre de protestants et la plupart des cri­
d ’ hui en toute m atière (nouvel art. 16), non seulem ent tiques indépendants, cf. G oguel, L ’eucharistie des ori­
en m atière civile,m ais aussi en m atière adm inistrative, gines à Justin martyr. Paris, 1910, p. 204, noteI.se pro ­
en m atière com m erciale el en m atière crim inelle, au noncent pour ■’ interprétation eucharistique. A la suite
cas où un étranger se porte partie civile contre un de Zw ingle et de la plupart des prem iers réform ateurs,
Français. les protestants conservateurs généralem ent la repous ­
sent.
Dictionnaire de la Bible de M . V igouroux, art. Étranger, Les principales opinions ém isesont été les suivantes ;
p ar L esêtre; N oldin, De principiis theologiœ mornlis,
T out le discours de Jésus-Christ est sym bolique : le
n. 148 sq. : B ülot, Compendium llieologite moralis, t. i,
n. 91 sq . ; B allerini, Opus theologicum, 1 .i, n. 175 sq.; L ehm ­ Sauveur ne parle que de l ’ im m olation de sa chair et
kuhl, Theologia moralis, t. 1, n. 133 sq.; S. L iguori, Theologia de la nécessité de la foi. D epuis longtem ps, aucun
moralis, 1. I, η. 156-16 2; B audry-Lacantinerie, Priais de catholique ne soutient cette thèse. M gr B atiffol,
droit civil, t. n i, n. 1347 sq. Éludes d’histoire et de théologie positive,?’ série, 2 ’ ediL,
C. A n t o in e . Paris, 1905, p. 104 sq., ne voit l ’eucharistie que dans
E U C H A R IST IE. Sous ce titre, nous traiterons quelques versets, 53-56, dudiscours de Jésus.L ’ n grand
exclusivem ent de l ’ eucharistie envisagée com m e sa ­ nom bre d ’ exégètes et de théologiens catholiques esti ­
crem ent, les questions relatives au sacrifice de l ’ eu ­ m ent que le discours du C hrist porte sur deux objets
charistie étant renvoyées au m ot M e s s e . N o u s étu ­ distincts : après avoir enseigné qu ’ il faut vivre en lui
dierons le sacrem ent de l ’ eucharistie succe sivem ent: et parlé de la foi à sa personne, le M aître, passant à
1" dans l ’ É criture; 2° chez les Pères; 3° d ’ après les un autre sujet, aurait enseigné la nécessité de le rece ­
m onum ents chrétiens; 4° du rx® au xn° siècle; 5° au voir dans l'eucharistie (Bellarm in, M aldonat, Patrizi,
xii· siècle,en O ccident;6°du xui«auxv e siècle; 7° au W isem an, Franzelin, Sasse, K nabenbauer, Calm es).
concile de T rente; 8° du xvi° au xx· siècle. Les partisans de cette interprétation font d ’ ailleurs
rem arquer que le discours n'est pas com posé de deux
I. E U C H A R IS TIE D ’A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E . parties disparates. Le C hrist, après avoir exigé de ses
— I. Ce qu ’ a prom is Jésus. IL Ce qu ’ a donné Jésus disciples qu ’ ils crussent en lui, exige qu ’ ils croient en
et ce qu'ont cru recevoir les chrétiens. l ’ eue aristie, c ’ est-à-dire en sa personne devenue ali­
I. C e q u ’ a p r o m i s J é s u s . — 1° Histoire de la m ent de vie: après avoir dem andé qu ’ ils acceptassent
question. — Le c. vi de l ’ Évangile de saint Jean con ­ ses dons, il dem ande qu ’ ils reçoivent son corps et son
tient le récit de la m ultiplication des pains, 1-15. celui sang. L ’ union à Jésus par la foi est la condition d ’ une
de la traversée m iraculeuse du lac, 16-21, le discours participation plus intim e, le prélude de la com m u ­
de Jésus sur le pain de vie, 22-59, la description de nion sacram entelle. Q uelques interprètes croient que
l ’ état d ’ âm e des disciples après les affirm ations du dans le discours sur le pain de vie (22-59) tout se rap ­
C hrist, 60-72. A toutes les époques, des catholiques porte à l ’ eucharistie (Corneille de la Pierre, Tolet,
ont cru que ce chapitre contenait des affirm ations sur C orluy, Perrone, R osset). Sans doute, Jésus-C hrist
l ’ eucharistie et des preuves de la présence réelle. parle d ’ abord de la foi, de la nécessité de croire en lui,
m ais parce que l ’ eucharistie requiert cette vertu,et dès
P our l'histoire de l ’ exégèse de ce m orceau, voir M aldonat,
Commentarii in IV Euangelia L yon, 1615. sur Joa., vi,
ses prem ières paroles, il prépare les esprits à accepter
n 14-197, col 1451-1514; C orluy, Spicilegium dogmalico- la doctrine du pain de vie qui doit être m angé. S ’ il
bihlicum, G and, 1884, t. n , p. 361-364; W . S chm idt, Die insiste sur la nécessité de la foi, c ’ est à cause des inter ­
Verheisstmg der Eucharistie (Joh 5) bei den Valern W ürz ­ ruptions des Juifs. Il est vrai qu ’ au début de l ’entre ­
bourg, 1900 -1903, t. r, n ; C avallcra, L ’interpritnlion du tien, le langage est nflSins clair· Le C hrist se présente
chapitre vi de saint Jean, une controverse exégétique au con­ com m e la nourriture de ses disciples sans m ontrer
cile de Trente, dans la Revue d'histoire ecclésiastique, L ou ­ com m ent il le deviendra. D ans la seconde partie du
vain, octobre 1909, t. X , p. 687-709.
discours, il précise sa pensée, m ais il ne la m odifie pas.
D ès l ’ antiquité, des écrivains ecclésiastiques ont D es critiques protestants contem porains devouvrei.L
entendu au sens littéral les affirm ations du C hrist : eux aussi, l ’ eucharistie dans le discours tout entier et
« Je suis le pain de vie... M a chair est une nourriture... m êm e dans les récits qui le précèdent H . J. H oltz ­
Je suis le pain descendu du ciel... Le pain que je don ­ m ann, Neuleslamentliche Théologie, Fribourg et Leipzig,
nerai, c ’ est m a chair... Si vous ne m angez m a chair, 1897, t. n, p. 499; J. R éville, Les origines de Γeucha­
vous n ’ aurez pas en vous la vie, etc. » Ils se servent de ristie, Paris, 1908, p. 58; G oguel, op. cit., p. 204.
ces paroles pour exalter l ’ eucharistie, décrire ses effets, M ais, au jugem ent de plusieurs de ces critiques, ce
991 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 992

n ’ est pas la présence réelle qui est annoncée ici par le I cle de la m ultiplication des pains, le prodige de la
C hrist, c ’ est ledon spirituel de sa chair. Personne n ’ a, traversée du lac doit, selon Loisy et plusieurs critiques,
avec plus d ’ ingéniosité que M . Loisy, découvert par ­ être le thèm e d ’ une nouvelle leçon sur l'eucharistie, un
tout l ’ eucharistie. Le quatrième Évangile, Paris, 1903, second prélude au discours sur le pain de vie. D ’ une
p. 420 sq. « T out le sixièm e chapitre du quatrièm e part, Jésus m arche sur les eaux et viole les lois de la
Évangile est dom iné par l ’ idée du C hrist, pain de vie. pesanteur; d ’ autre part, il arrive instantaném ent au
Le récit de la m ultiplication des pains en est le sym ­ but et pour lui l ’ étendue n ’ existe pas. Sa chair n ’ est
bole; le m iracle de Jésus m archant sur les eaux aide pas soum ise aux conditions de la m atière, elle peut
à le com prendre ; les discours qui suivent tendent à donc être la nourriture des croyants.
l ’ expliquer et les im pressions diverses que produisent N ous m ontrerons que, com m e on l ’ a justem ent
ces discours représentent l ’ attitude des Juifs et celle observé, cette théorie est un · jeu · d ’ esprit. B atiffol,
des chrétiens devant le m ystère du salut, en tant qu ’ il op. cil., p. 88. Pour que le fait ici raconté, et qui
se résum e dans la doctrine du pain de vie et vivi- d ’ ailleurs est relaté par les Synoptiques, ait été placé
fiant.»M ais pour M .Loisy.com m e pour les autres cri­ en cet endroit,il suffit que l ’ auteur ait cru que l ’ évé ­
tiques non catholiques, la pensée du quatrièm e Évan ­ nem ent avait eu lieu à ce m om ent. M ais il est bien
gile n ’ est pas celle de Jésus. L ’ auteur qui le rédigea, perm is de penser, bien plus,si on reconnaît que la m ul ­
les chrétiens auxquels il s ’ adressait croyaient que le tiplication préparait le discours sur le pain de vie, il
Sauveur avait prom is sa chair en nourriture : l ’ évan ­ faut avouer que Jésus-Christ, en opérant ce nouveau
géliste atteste et justifie leur foi, il n ’ enseigne pas ce prodige, facilitait l ’ adhésion à scs enseignem ents sur
qu ’ en réalité fit et dit le C hrist. une nourriture m ystérieure que, seule,serait capable
2° La promesse de Jésus d'après saint Jean. — 1. Le de produire la toute-puissance du m aître de la nature.
récit de la multiplication des pains, 1-15. — A vant les 3. Le discours sur le pain de vie, 22-59. — A près une
critiques non croyants,des écrivains chrétiens ont éta ­ courte introduction sur les circonstances de tem ps et
bli une relation entre ce m iracle et l ’ eucharistie; ils de lieu, 22-26, Jésus, questionné par la foule, rappelle le
croyaient voir dans ce prodige, sans d ’ ailleurs nier m iracle de la m ultiplication; puis, de la nourriture
pour ce m otif sa réalité historique, une figure de la m atérielle, il passe au pain de vie. L a m arche de la
cène, une préparation de la prom esse du pain de vie. pensée paraît être la suivante : V ous m e cherchez, dit
D es critiques contem porains, J. R éville, Loisy, etc., Jésus à ses auditeurs, à cause du pain que je vous ai
convaincus que le quatrièm e Évangile n ’ est pas un donné, cherchez le pain de vie, pain du ciel, nourri­
livre d ’ histoire, m ais un ouvrage didactique et sym ­ ture pour la vie éternelle, ce pain, c ’ est m oi, 27-33. Car
bolique,ont cru découvrir dans le récit johannique de je suis venu du Père pour ressusciter ceux qui croient
la m ultiplication des pains «une m éditation religieuse» en m oi, 33-40. A un m urm ure des auditeurs, Jésus
sur l ’ eucharistie d ’ après un thèm e donné par les répond en expliquant leur incrédulité et en répétant les
Synoptiques. Ils se sont efforcés d ’ assigner aux plus m êm es affirm ations, 41-47. Il dit ensuite com m ent il
m enus traits delà narration un sens spirituel et m ys ­ est pain de vie : celui qui le m ange, celui qui m ange sa
tique. N ous verrons ce qu ’ il faut penser de cette tenta ­ chair, celui qui m ange sa chair et qui boit son sang a la
tive. Ici, nous devons seulem ent relever ce qui, dans le vie éternelle, 48-59. Par rapport à l ’ eucharistie, on peut
récit du m iracle, très probablem ent, se rapporte d ’ une donc distinguer deux parties dans ce discours; la
certaine m anière à la prom esse de la nourriture eu ­ seconde, 48-59, contient des expressions très caracté ­
charistique. ristiques ; man er Jésus, manger sa chair, boire son
C ’ est du pain qui est m ultiplié pour nourrir la sang. D ans la prem ière, 27-47, on ne relève pas ces
foule : c ’ est sur du pain que s ’ opère le prodige de la term es, m ais des paroles plus générales : le Christ est
cène et Jésus se m ultiplie, lui aussi ;son eucharistie est le pain de vie, il faut aller d lui, croire en lui.
une production m iraculeuse entre toutes. Le pain du a) lTe partie du discours, 27-47. — Pourtant, m êm e
prodige est offert à tous ceux qui suivent Jésus : le dans cette prem ière partie, des interprètes catholiques
sacrem ent est à la disposition de tous les disciples. Le et autres ont cru voir des allusions elaires, directes,
pain distribué à la foule rassasie tous les assistants et certaines à l ’ eucharistie. Est-ce à bon droit?
il y a du superflu qui est recueilli avec soin: de m êm e, Ils ont signalé le verse ’ 27: “ Travaillez afin d ’ obte ­
la com m union nourrit tous les croyants,l ’ alim ent spi- nir non la nourriture qui périt, m ais celle qui dem eure
ritueln ’ est jam ais épuisé,rien n ’ en est perdu. «Jésus,ra ­ pour la vie éternelle, celle que le Fils de l ’ hom m e
conte l ’ évangéliste, prit (έλσβευ) les pains, et ayant vous donnera » (le Sinaiticus et la version italique ont
rendu grâces (εύχαρίστησας ), il les distribua (διέδωχεν) à le présent : « que le Fils de l ’ hom m e vous donne »).
ses disciples. »Les trois verbes em ployés correspondent L ’ alim ent qui subsiste en la vie éternelle, observe
à des m ots dont se servent les Synoptiques pour racon ­ Loisy, «ce n ’ est pas seulem ent la bonne nouvelle de
ter l ’ institution de l ’ eucharistie. M atth., xxvr, 26-27 ; l ’ Évangile, m ais tous les biens spirituels que l ’ É van ­
M arc., xiv, 22-23; Luc., xxn, 19. Telles sont les gile annonce et la foi, et la résurrection et Jésus lui-
principales analogies qu ’ ont relevées plus d ’ une fois m êm e. » Op. cit., p. 440. A insi, m êm e d ’ après ce cri­
des Pères, des exégètes et des théologiens catholiques. tique soucieux de trouver partout en ce chapitre l ’ eu ­
A ussi, sans vouloir attribuer aux plus m inuscules charistie, ce sacrem ent, s ’ il est désigné ici, ne l ’ est que
détails de l ’ événem ent une valeur sym bolique, sans d ’ une m anière très vague et très générale. C orluy a
nier la réalité du m iracle, nous croyons devoir ad ­ soutenu qu ’ il était expressém ent nom m é : car, observe-
m ettre qu'il existe une connexion entre la m ultipli ­ t-il, il s ’ agit d ’ une nourriture « que le Fils de l ’ hom m e
cation «les pains et la prom esse du pain de vie. Le Sau ­ donnera. » Ce futur constitue une prom esse; or, la
veur, à l ’ occasion du prodige et de la recherche de la nourriture prom ise aux fidèles, et qui, en fait, leur a
foule,recom m ande le pain de vie qui est lui-m êm e. lia été donnée, c ’ est l ’ eucharistie. Loc. cil., p. 342. C ette
pu, lorsqu ’ il m ultipliait les pains, se pioposer à l ’ a ­ argum entation n ’ est pas concluante, car aux versets 32,
vance cette instruction, préparer les esprits à accep ­ 33,35, il est question du m êm e alim ent spirituel et
ter la prom esse d ’ une nourriture réelle, m erveilleuse, cette fois le verbe est au présent : «M on Père vous donne
perm anente, inépuisable, sa propre chair, véritable le vrai pain céleste...; le pain de D ieu, c ’ est celui qui
pain du ciel. Cf. Lepin, art. Évangiles canoniques, dans descend du ciel et donne la vie au m onde...: c ’ est m oi
le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, de qui suis le pain de vie, celui qui vient à m oi n ’ aura
d ’ A lès. Paris, 1911, t. I, col. 1714. jam ais faim . » Il ne faut pas oublier non plus la va ­
2. La marche sur les eaux , 16-21. — Com m e le m ira ­ riante signalée plus haiu (δίδωσιν au lieu de δώσει).
993 E U C H A R IS TIE D ’ A P R ÈS LA S A IN T E É C R IT U R E 994

A ussi, la plupart des interprètes entendent par cette jt. 25 il parle au bord du lac. M ais les m ots τής
nourriture autre chose que l ’eucharistie, soit la foi θαλασσής peuvent signifier ici « de l ’ autre côté du lac »
(Patrizi), soit l ’ enseignem ent de Jésus (W isem an), soit et non « au bord du lac ». Il est perm is d ’ adm ettre
la grâce (C alm es), soit les dons apportés par le Sau ­ d ’ ailleurs que le discours, com m encé à un endroit, a été
veur. La pensée ne se précisera que plus tard. term iné ailleurs. C alm es, L ’Évangile selon S. Jean, Pa ­
Les versets 32, 33, 35 ne paraissent pas non plus, ris, 1904, p. 243. Les versets 61, 62 : « C ela vous scar-
quoi qu ’ aient dit quelques auteurs, désigner l ’ eucha ­ dalise? E t si vous voyez le Fils de l ’ hom m e rem ont, r ■··-
ristie, si ce n ’est d ’ une m anière générale com m e faisant il était auparavant? » font suite, d ’ après Spitta. su
partie des biens obtenus par Jésus et se rapportant à ji. 50 : « V oici le pain qui descend du ciel · et non pas
sa personne :«Ce n ’ est pas M oïse qui vous a donné le à la phrase qui énonce l ’ obligation de m anger L
pain du ciel, m ais m on Père vous donne le pain du ciel, chair du C hrist.» A ce com pte-là, dit J.R éville.op. cit.,
le vrai. C ar le pain de D ieu est celui qui descend du p. 63, nous devrions rem anier tous les écrits de l'anti ­
ciel et qui donne la vie au m onde... Je suis le pain de quité où l ’ auteur revient à une idée exprim ée anté ­
vie : celui qui vient à m oi n ’ aura pas faim et celui qui rieurem ent après en avoir développé une autre qui en
croit en m oi n ’ aura jam ais soif. · N on content de voir est dérivée.»E t l ’ étonnem ent des Juifs, leurscandale se
dans la m anne un sym bole de Jésus, alim ent venu du com prend m ieux encore en face des assertions conte ­
ciel, Loisy, op. cit., p. 443-444, croit que, com m e les nues dans le passage, 51-59: «Il faut m anger m a chair,»
pains m iraculeusem ent m ultipliés, elle est une figure de que devant cette affirm ation : «Je suis le pain du ciel. »
l ’eucharistie. C ’ est dépasser le texte et anticiper sur les Spitta observe qu ’ au i. 51, le pain est nom m é i άρτο; ό
déclarations postérieures; ici, il nous est dit seulem ent ζών, tandis qu ’ auparavant,ÿ.48, il était dit i άρτος της
que, com m e la nourriture du désert, Jésus est un pain ζωής . D e m êm e aux versets 54 et 56, le verbe em ployé
du ciel. L ’ eucharistie n ’ est pas exclue, m ais elle n ’ est pour désigner l ’ action de m anger est τρώγω , tandis
pas form ellem ent présentée; l ’ idée de m anger n ’ est pas qu ’ ailleurs, l ’ auteur se sert de φαγεΐν. C ependant, au
encore exprim ée. L a foi, l ’ attachem ent à Jésus com m e y. 51, nous retrouvons φάγη. D ’ ailleurs, ces différences
au V erbe envoyé du Père est ici l ’ acte proposé com m e verbales sont insignifiantes.
m oyen de s'unir à lui : l ’ évangéliste ne se lasse pas de A u contraire, com m e le m ontre C alm es, op. cil.,
l ’ alfirm er, 9,35, 36,37, 40. Saint A ugustin, M aldonat, p. 251, ce m orceau, 51-59, « tant par le vocabulaire
aussi bien que les m odernes (Batiffol, Calm es), ont que par la structure des phrases, reflète avec fdel i : é le
observé que le langage de Jésus en cet endroit du dis ­ style johannique. Il suffit de signaler au i. 56, l'ex ­
cours est identique à celui de l ’ entretien avec la Sam a ­ pression au v. 57 χάχεϊνος et, surtout, en fait de
ritaine,dans lequel il n ’ est pas question de l ’ eucharis ­ syntaxe, l ’ allure rythm ique des réponses aux versets
tie : « Q uiconque boit de cette eau, aura soif encore; 50 et 53. »
m ais quiconque boit de l ’ eau que je lui donnerai n ’ aura
plus soif pour l ’ éternité. » Joa., iv, 13, 14. Loisy croit 50 a. V oici le pain, 51 a. Je suis le pain v iv an t,
pourtant pouvoir dire que,si nia pensée de l ’ eucharistie 50 b. qui descend du ciel, 51 b. celui qui est des ­
cendu du ciel.
n'est pas au prem ier plan, elle est présente à l'esprit de 50c. afin qu ’ on en m ange 51 c. Si quelqu ’ un m ange
l ’ évangéliste, étant com prise dans la com m union et qu ’ on ne m eure pas. de ce pain, U vivra éternelle ­
divine qui se réalise par le C hrist au sein de l ’ hum a ­ m ent.
nité. » Op. cit., p. 445. C ’ est avouer que, pour saisir 53 a. Si vous ne m angez 54 a. C elu i q u i m an g e
cette idée, il ne suffit pas d ’ étudier le texte, m ais qu ’ il la chair du F ils de l ’ hom m e, m a ch air
faut lire entre les lignes et rechercher un sens sous- 53 b. et si vous ne buvez 54 b. et boit m on sang
son sang,
jacent.
53 c. vous n ’ avez pas la 54 c. a la vie éternelle.
En réalité, dans cette prem ière partie du discours, vie en vous.
26-47, Jésus part du pain m atériel pour s ’ approcher
toujours plus de l ’ eucharistie : m ais il ne l ’ annonce pas N ous rem arquons dans cette nartie du discours le
encore clairem ent et en term es exprès. procédé oratoire bien connu qui caractérise les dis ­
Z>) 2° partie du discours, 48-59 : cours du quatrièm e Évangile. Il y a enchainem ei : de
plusieurs développem ents progressifs de la m une ; en-
48. Je suis le pain de vie. 49. V os pères ont m angé la
sée, et chacun d ’ eux est précédé d ’ un résum é co: cis
m anne dans le désert et ils sont m orts. 50. V oici le pain qui
descend du ciel afin qu ’ on en m ange et qu ’ on ne m eure pas.
qui l ’ annonce. W isem an, De la présence re*'le, dans
51. Je suis le pain vivant, celu' qui est descendu du ciel. les Démonstrations évangéliques de M igne. Paris. 1843,
Si quelqu'un m ange de ce pain, 1 v vra éternellem ent ; et le t. xv, col. 1179. Ici, le m êm e objet est présenté sous
pain que je donnerai, c ’ est m a chair pour la vie du trois points de vue, pain, 48-51 d;chair,51d-54 ;i eurri-
m onde. 52. L es Juifs donc discutaient entre eux, disant : ture, 55-58. E t cuaque développem ent est préparé par
C om m ent peut-il nous donner sa chair à m anger? 53. son titre : « Je suis le pain de vie, » 58; « le pain que je
A ussi Jésus leur d it: E n vérité, en vérité, je vous le dis :
donnerai, c ’ est m a chair; » « m a chair est une vraie
Si vous ne m angez ia chair du F ils de l ’ hom m e et si vous ne
buvez son sang, vous n ’ avez pas la vie en vous. 54. C elui
nourriture. » 11 y a une gradation continue et saisis ­
qui m ange m a chair et boit m on san g a la vie étem elle; et je sante de la pensée. T out d ’ ailleurs la m et en lum ière :
le ressusciterai au dernier jour. 55. C arm a chair est une véri ­ au ÿ. 26, il est recom m andé de chercher non la nourri­
table nourriture, et m on sang un véritable breuvage, ture périssable, m ais l'aliment de la vie éternelle; au
56. C elui qui m ange m a chair et boit m on sang, dem eure en jt. 32, il est dit que cet alim ent est un pain qui descend
m ol et m oi en lui. 57. D e m êm e que le P ère qui est vivant du ciel et est donné par le Père; au j). 35, c ’ est Jésus qui
m ’ a envoyé et que je vis p ar le P ère, a nsi celu qui m e
est présenté com m e étant ce pain et, en raison de l'in­
m ange vivra p ar m oi. 58. V oilà le pain descendu du ciel,
non com m e celui que les pères ont m angé, ils sont m orts :
crédulité des auditeurs, 36,41, cette idée est de nouveau
celui qui m ange ce pain vivra éternellem ent. 59. Il d it affirm ée, prouvée énergiquem ent, 48, 51a. Bien plus,
cela, enseignant en synagogue à C apham aüm . Jésus est le pain de vie; car. 51 d, ce pain, (Ses sa chair;
car. 53-54, il faut manger celte chair et boire son son : ; car,
Spitta, Zur Geschichte und Litteratur des Urchris- 55, cette chair est une nourriture, ce sang un breuvage.
entums, G œ ttingue, 1893, p. 216 sq., et A xel A nder ­ A insi,supprim er les versets 51-59, c ’ est m utiler le dis ­
sen, Das Abendmahl in den zivei ersten Jahrhunderlen cours, y faire un véritable trou, arrêter l ’ évolution de
nach Christus, G iessen, 1904, m ettent en doute l ’ au ­ la pensée. A ucun m anuscrit, aucun tém oin ancien
thenticité du passage, 51-59. A u ÿ. 59, observe Spitta, n ’ om et ce m orceau. L ’ hypothèse de l ’ interpolation est
Jésus enseigne dans la synagogue de Capharnaüm, au com m andée d ’ ailleurs, chez A . A ndersen du m oins,
D IC T . D E T H É O L . C A T H O L . V. - 32
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par des argum ents a priori. D ’ après lui, à l'époque où fut A u reste, contre les textes, aucune considération a
com posé le quatrièm e Évangile, l ’ eucharistie est encore priori ne peut prévaloir. E t il est im possible de ne pas
inconnue; donc, elle ne peut pas être m entionnée ici. entendre les paroles de Jésus de l ’ eucharistie.
R ecueillons en passant cet aveu : les versets 51-59 a. I er développement : Jésus est le pain de vie qui
visent la chair et le sang du C hrist. M ais rejetons la doit être mangé, 48-51. — N ous arrivons certainem ent
conclusion, car elle est en opposition avec les textes les à une idée nouvelle : le cadre m êm e de la pensée le
plus décisifs : l ’ eucharistie est connue de saint Paul et prouve. Le ÿ. 47 apparaît com m e une conclusion de ce
des Synoptiques. qui précède, 35-46 : « En vérité, en vérité, je vous le
C ette signification eucharistique de la seconde par ­ dis, celui qui croit a la vie éternelle. » Le y. 48:« Je suis
tie du discours est com m uném ent adm ise. O n a le pain de vie, » paroles identiques au début du déve ­
essayé pourtant de la nier, en raison du sens de la pre ­ loppem ent antérieur, 35, sont le titre d ’ un nouvel ensei ­
m ière partie : Si Jésus n ’ a auparavant parlé que de la gnem ent. C ar, dans saint Jean, lorsque Jésus applique
foi, on ne peut adm ettre qu ’ il passe à un autre sujet les m êm es im ages à différents sujets, d ’ ordinaire il
tout différent; rien d ’ ailleurs n ’ indique un changem ent répète au com m encem ent de chaque développem ent
d ’ idée. les m êm es m ots : Je suis la porte des brebis, x, 7, 9; je
Les exégètes ont bien m ontré le lien qui rattache suis le bon pasteur, x, 11, 14; je suis la vraie vigne,
étroitem ent entre eux le com m encem ent et la fin du xv, 1, 5, et de plus, com m e nous l ’ avons m ontré plus
discours : Inter duas partes sermonis, non utique inter haut, un parallélism e s'établit aux versets 49, 50. N ous
se avulsas, sed connexas fit progressus a generali argu­ som m es donc prévenus qu ’ une idée nouvelle se pré ­
mento ad speciale, a fide in ipsum universa ad fidem in sente.
unum mysterium, ad quod amplectendum quam maxime Elle coïncide avec l'apparition d ’ un term e jusqu ’ a ­
firma esse debet fidet illa generalis in ipsum; a mandu­ lors non em ployé, évité m êm e, le verbe manger. Jus ­
catione typica spirituali ad manducationem quæ simul qu ’ au y. 47, Jésus avait dit, répété, 32, 33, 35, 61, qu ’ il
sit vera et spiritualis; ab unione per fidem ad unionem était le pain vivant et céleste. Ces m ots peuvent par ­
per sacramentum. K nabenbauer, Comment, injoannem, faitem ent s ’ entendre en un sens spirituel et désigner la
Paris, 1898, p. 233. « En réalité, nous n ’ avons ici qu ’ un parole et la doctrine du Sauveur, nourriture de l ’ âm e
seul et m êm e développem ent d ’ une m êm e doctrine croyante. Ce langage est conform e à l ’ usage. Is., l v ,
m ystique. Le pain m atériel sert de point de départ à 1-2; Jer., xv, 16; A m os, vin, 11; Prov., ix, 5; Eccli.,
cet enseignem ent, dans lequel, après avoir parlé de xv, 3; xxiv, 20. La m étaphore est toute naturelle et
l ’ union à Jésus par la foi, on nous enseigne une parti ­ on la relève dans Philon, dans le T alm ud; elle est en
cipation plus intim e à la vie surnaturelle, celle qui usage da s beaucoup de langues sém itiques et au ­
se fait par la com m union eucharistique. » C alm es, op. tres (m êm e en français : boire la parole, se nourrir de
cit., p. 243. la doctrine, rom pre le pain de la parole). M ais nulle
Le discours tout entier peut se résum er ainsi : « N e part dans l ’ É criture quelqu ’ un ne dit : Je suis le pain
cherchez pas le pain m atériel, m ais le pain de vie venu qu ’ il faut m anger, pour faire entendre qu ’ on doit rece ­
du ciel.C e pain, c ’ est Jésus qui descend du Père et qui voir ses enseignem ents. U n seul cas apparent a pu être
ressuscitera les croyants attirés à lui par le Père. C ar relevé : la Sagesse, Eccli., xxiv, 18, tient ce langage :
il leur donnera sa chair : en ceux qui la m angeront, il « V enez à m oi, vous tous qui m e désirez, et rassasiez-
dem eurera pour leur infuser la vie éternelle com m e le vous de m es fruits; » m ais cette figure audacieuse
Père anim e le Fils. » L ’ unité du thèm e est rem ar ­ s ’ explique par le contexte et ne choque pas. La Sagesse
quable, la m arche en avant de la pensée est indéniable. est un personnage abstrait qui ne saurait être dévoré
Les deux m iracles du début préparent l ’ entretien. Tout au sens propre. E t elle parle d ’ elle com m e d ’ une plante,
s ’ éclaire réciproquem ent. Le com m encem ent contient elle se com pare au cèdre, au cyprès, au palm ier, à la
en germ e la fin ; la fin indique la raison d ’ être du début. rose, à l ’ olivier, au platane; elle parle de ses racines, de
E t s ’ il n ’ en était pas ainsi, si on ne pouvait décou ­ ses branches, de ses ram eaux, de ses pousses, de ses
vrir l ’ eucharistie dans la seconde partie de l ’ entretien fleurs, de ses fruits, de son parfum , xxiv, 12-17; elle
sans donner au discours deux objets distincts,il dem eu ­ peut donc ajouter : « R assasiez-vous de m es fruits. »
rerait im possible de voirici des recom m andations sur la La parole est im posée, le sens est indiqué par le con ­
foi, pour ce seul m otif. N on seulem ent les critiques pro ­ texte. Ici, il n ’ en est pas de m êm e.
testants, m ais les catholiques de toute école (Calm et, D ans la prem ière partie du discours, non seulem ent
C orluy, Fillion, K nabenbauer, B atiffol, C alm es, M ange- Jésus ne dit pas : « Je suis le pain qu ’ il faut m anger, >
not, Fouard, Lagrange, N ouvelle, C hauvin, Fontaine, m ais il évite, sem ble-t-il, cette locution, là où il paraî ­
Jacquier, Lepin , B rassac, Lcbreton, V enard), adm ettent trait qu ’ elle doive être em ployée, là où les lois du lan ­
que.si l ’ évangéliste conserve avec fidélité la substance gage l ’ appelleraient. Il parle ainsi : « Je suis le pain de
de l ’ enseignem ent du Sauveur,il fait subir aux discours vie, celui qui vient à m oi n ’ aura plus faim , celui qui
un certain travail de condensation et d ’ adaptation, il croit en m oi n ’ aura plus soif, » 35. E ntre les m ots :
revêt les pensées du V erbeincarnéd ’ uneform e littéraire pain de vie et les locutions : avoir faim, avoir self, ce
personnelle et bien caractérisée. Si donc saint Jean n ’ est ni le verbe venir, ni le verbe croire qu'attend
peut om ettre des transitions, résum er certains déve ­ l ’ esprit, m ais les m ots : manger et boire. E t non seule ­
loppem ents, en négliger d ’ autres, grouper dans un m ent dans la prem ière partie du discours Jésus ne
m êm e tout des affirm ations détachées de plusieurs dem ande pas qu ’ on le m ange, il n ’ invite pas davantage
entretiens, nous n ’ aurions pas le droit de nous éton ­ à m anger le pain de vie. E t il prend la peine d ’ expliquer
ner si un m êm e discours passait brusquem ent d ’ un la m étaphore dont il a usé : « Je suis le pain de vie...
sujet à un autre tout différent. Il nous serait perm is celui qui vient à m oi... celui qui croit en m oi... »
d ’ affirm er sans invraisem blance que Jean a voulu A ucune équivoque n ’ est possible. B ien plus, une fois
grouper dans ce chapitre les enseignem ents de Jésus cette explication donnée, Jésus n ’ em ploie plus aucune
sur le pain, tout ce que le C hrist a fait sym boliser par figure: du ÿ. 36 au ï. 47, il ne parle plus que de foi, de
cet élém ent. Ces explications seraient encore plus vrai­ doctrine, d ’ enseignem ent; il repousse tout recours aux
sem blables pour qui croirait que le discours, com ­ term es d ’ alim entation; il s ’ exprim e d ’ une m anière
m encé à l ’ endroit et au m om ent où, après la tra ­ claire, sim ple et qui ne laisse aucune place à l ’ équi ­
versée du lac, la foule, όχλος , c ’ est-à-dire les G aliléens, voque. O r voici qu ’ au f. 48 nous retrouvons les m ots :
rencontre Jésus, 24,25, se term ine devant les Juifs, « Je suis le pain de vie; > et, cette fois, il est parlé de
1, 52, dans la synagogue, à Capharnaüm, 59. sa m anducation. Jésus dem ande qu ’ on le mange. Il ne
997 E U C H A R IS TIE D ’ A P R ÈS L A S A IN T E É C R ITU R E !>■<

se sert pas de ce m ot une fois en passant et com m e par la m ort du Sauveur. Ds rappellent ces autres affir ­
inattention,m ais à neuf reprises. Il assim ile la m andu ­ m ations : « Le Père m ’ aim e parce que je doi.iæ m .
cation du pain de vie à celle de la m anne qui ne fut pas vie... Personne ne m e l ’ dte, m ais je la douse m oi-
m étaphorique. N ous som m es donc bien en face d ’ une m êm e. » Joa., x, 11, 17, 18. D s sem blent une anti ­
idée nouvelle et force nous est d ’ entendre les m ots au cipation de la déclaration du C hrist à la cène : « Cec
sens propre. Si nous adm ettions qu ’ il s ’ agit ici com m e est m on corps pour vous, » I Cor., xi, 24: < Ceci er
précédem m ent de la foi, non seulem ent nous dirions m on corps qui est donné pour vous... C ette ?
que la pensée n ’ avance pas, m ais nous affirm erions la nouvelle alliance en m on sang qui est versé pour
qu ’ elle recule; nous croirions qu ’ après avoir em ployé vous. » Luc., xxn, 19, 20.
treize versets pour dissiper ce qu ’ il y avait d ’ obscur M ais doit-on dire que seule ici la passion de
dans les expressions m étaphoriques dont il a usé,après est annoncée, que « l ’ idée de l ’ eucharistie ne lui est
avoir expliqué les figures, Jésus recourrait à des lo ­ pas encore associée? » B atiffol, op. cil., p. 94. Cf. C aje-
cutions plus équivoques que les précédentes; qu ’ il tan, Jansénius de G and et quelques catholiques:
exposerait sous une form e énigm atique et paradoxale parm i les protestants, la plupart des anciens et quel ­
les idées déjà présentées en term es très clairs; qu ’ il ques conservateurs aujourd ’ hui. Si Jésus n ’ avait
se servirait de m étaphores dont personne ne se serait voulu ici qu ’ annoncer sa m ort il « se serait grandem ent
servi ni avant ni après lui et qu ’ il le ferait sans en torturé l ’ esprit pour exprim er la chose la plus sim ple
donner l ’ intelligence à ses auditeurs. du m onde. » Loisy, op. cit., p. 455. S ’ il avait eu seu ­
b. 2° développement : il faut manger la chair de lem ent l ’ intention que lui prêtent certains prote-
Jésus et boire son sang, 51 d-54. — La prem ière propo ­ tants de prom ettre le salut par la foi à sa passion
sition de ce nouveau développem ent fait apparaître rédem ptrice, il aurait oublié de le dire, car il ne parle
le m ot chair non em ployé auparavant. pas ici de la foi à cette passion, n annonce sa m ort,
Ό άρ:ος δε δν εγώ δώσω ή σαρξ μου έστιν ΰπέρ τής τοΰ dans une fin de phrase, sans en avoir parlé aupa ­
κόσμου ζω ής , ce qu ’ on traduit d ’ ordinaire: Le pain que ravant, sans en parler dans la suite : il sem ble donc
je donnerai, c’est ma chair pour la vie du m onde. bien qu ’ elle n ’ est pas seule l ’ objet de sa préoccupa ­
B . W eiss a proposé de lire : Le pain que je donnerai, ma tion en ce m om ent E t si, com m e B atiffol l ’ avoue,
chair, est pour la vie du monde, ce qui lui perm et de les m ots « pour la vie du m onde » correspondent aux
conclure qu ’ il n ’ est pas question ici de l ’ eucharistie. m ots « pour vous · de saint Paul et de saint Luc, ne
Loisy,op.ci7.,p.455,a bien jugéce'te tentative: «Phrase faut-il pas conclure que, dans ce discours com m e
entortillée, d'allure m oderne, de signification indécise dans les paroles de la cène, il est question de l ’ eucha ­
et flottante qu ’ on ne songerait pas sans doute à couper ristie et de la passion? D onnée sur la croix pour le
si bizarrem ent^ si le sens naturel qu ’ elle présente ne salut des hom m es, la chair de Jésus l ’ est auss·
déconcertait quelque préjugé théologique. » O n trouve dans le sacrem ent A u repas com m e au calvaire,
d ’ autres leçons, m ais qui ne paraissent pas m odifier Jésus se livre. E t l ’ eucharistie apparaît déjà com m e
l ’ idée fondam entale. Les onciaux B , C, D , B om ettent une com m union au Sauveur dans le sym bole de sa
δν έγώ δώσω : « Le pain, c ’ est m a chair pour la vie du m ort
m onde. » Le Sinaiticus porte : « Le pain que je don ­ D ’ autres indices ont été relevés en ce verset Jésus
nerai pour la vie du m onde, c ’ est m a chair, » leçon parle du pain (ou de la chair) qu ’ il donnera. L ’ em ple;
adoptée par de G ebhardt et C alm es. C ertains Pères du futur n ’ est peut-être pas tout à fait nouveau
grecs lisaient : « Le pain que je donnerai, c ’ est m a (voir 27). M ais dans la prem ière partie du discours,
chair que je donnerai pour la vie du m onde.»L a pen ­ les verbes sont presque tous au présent ou au passé.
sée, on le voit, reste la m êm e. S ’ il s ’ agit plus haut de la foi, de la doctrine du Sau ­
Q uelle est-elle? D e rares critiques ne veulent voir veur, ici de sa passion et de son eucharistie, la diffé ­
ici que la prom esse de l ’ eucharistie et excluent toute rence s ’ explique aisém ent. D éjà Jésus a enseigné, a
allusion à la passion et à la m ort de Jésus. Cf. J. R é ­ accordé le don de la croyance en lui; il n ’ a pas encore
ville, op. cit., p. 65, 66. Ils rapprochent cette affir ­ livré sa chair.
m ation de celle du y. 33: «Le pain de D ieu, c ’ est celui O n peut souligner enfin une autre différence entre
qui descend du ciel et donne la vie au m onde; » ils le langage des deux parties. D ’ abord, c ’ est le Père qu.
estim ent m eilleure et ils considèrent com m e leur donne, 32, 37, et dans les prem iers développem ents
étant favorable la leçon du Sinaiticus citée plus haut; son action sur les hom m es est m ise continuellem ent
ils observent que la chair du C hrist est vivifiante non en relief. Le Fils intervient com m e son envoyé, pour
com m e chair d ’ une victim e m orte, m ais en qualité de com m uniquer ce qui est du ciel : intelligence et volonté
chair du Logos. Ils relèvent l ’ em ploi du m ot σ«ρξ du Père, pour recevoir ce que le Père attire à lui. Ce
(et non du m ot σώμα) qui, chez les H ébreux, langage se com prend très bien s ’ il s ’ agit de la doc ­
désigne la nature physique de l ’ hom m e et qui, pour ce trine; le C hrist, dans le quatrièm e Évangile, est pré ­
m otif, est choisi par saint Jean pour nom m er l ’ incar ­ senté avec insistance com m e le Logos qui révèle
nation (et le V er· e devint chair, i, 14). C ertains Pères le Père aux hom m es. M aintenant, au contraire, il est
grecs, d ’ ailleurs, avaient déjà entendu ainsi ce pas ­ parlé du pain que Jésus donnera et le travail du Père
sage. sur les hom m es n ’ est plus m entionné une seule fois
M ais cette interprétation ne paraît pas suffisante. dans cette seconde partie. Si elle traite de l ’ eucharistie,
Soutenir qu ’ il est fait allusion ici à l ’ incarnation seu ­ tout s'explique : le sacrem ent est vraim ent le don per ­
lem ent paraît im possible. C et acte n ’ est pas la seule sonnel, celui de la personne de Jésus.
preuve que la chair de Jésus a été donnée pour la A peine le Sauveur a-t-il prononcé le m ot ■ chair »
vie du m onde. Les versets précédents, 36-40, conte ­ que les discussions s ’ élèvent parm i ses auditeurs.
naient toute une doctrine de l ’ incarnation. O r, ici, «G om ment peut-il nous donner sa chair à m anger?»52.
com m e l ’ observe B atiffol lui-m êm e, op. cil., p. 93, A insi les Juifs ont entendu au sens littéral les paroles
m algré sa préoccupation de ne pas encore trouver l ’ eu ­ de Jésus. A uparavant, les interruptions av:·. .· · :.· . . ·.·
charistie, « nous som m es à un tournant du discours tout autres : « Q ue devons-nous faire? Q uel signe
du Sauveur, » quelque chose de nouveau doit donc accom plis-tu pour que nous croyions en toi... ’ D onne-
apparaître. La conception de l ’ incarnation com m e nous toujours de ce pain-là. N ’ est-ce pas Jésus, le
un sacrifice n ’ est d ’ ailleurs pas exprim ée par fils de Joseph?» 28, 30, 34, 42. Ici, la question est
saint Jean. Les m ots « pour la vie du m onde » font tout autre. Les auditeurs ont com pris que le sujet de
beaucoup plus naturellem ent penser à la passion et à la conversation n ’ est plue le m êm e, que Jesus les m -
999 E U C H A R IS TIE D ’ A P R ÈS LA S A IN T E E C R IT U R E 1000

vite à manger sa chair. Leur objection laisse entendre Enfin, les m ots qu ’ il em ploie correspondent aux
que le sens obvie de la parole du C hrist est le sens lit- | paroles de la cène : « M angez, ceci est m on corps;
téral. buvez, ceci est m on sang. » N ous avons ici une des ­
C om m ent le Sauveur va-t-il répondre? W isem an a i cription anticipée du repas eucharistique. C ette res ­
fait l ’ observation suivante qu ’ il appuie sur de nom ­ sem blance indéniable oblige à conclure que, dans
breux exem ples : Lorsque les auditeurs du C hrist saint Jean com m e dans les Synoptiques, il s ’ agit du
élèvent contre sa parole des objections fondées sur sacrem ent. Si elle doit s'entendre de l'eucharistie, la
une interprétation erronée, Jésus a l ’ habitude de faire double locution s ’ explique. Les deux élém ents du
savoir aussitôt qu ’ il parlait au sens figuré, m êm e s ’ il repas sont nom m és, le rite est clairem ent décrit. A u
ne doit résulter de la m éprise aucune erreur grave. contraire, si Jésus parle en figure, les m ots : boire le
Joa., iv, 32-34; vi, 32-35; vin, 21-23, 32-34, 39-44. sang n ’ ajoutent rien à la prem ière locution : manger
Cf. M atth., xvi, 6-11; xix, 24-26. A u contraire, quand la chair-, ils sont superflus, inexplicables.
les affirm ations du C hrist ont été com prises dans leur E t la fin de la phrase confirm e cette interpréta ­
véritable sens et provoquent des m urm ures, des ob ­ tion. « Si vous ne m angez..., vous n ’ avez pas en vous
jections, il répète les m ots qui ont choqué, sans la vie. » Jésus ne se contente donc pas de prom ettre
m itiger les tenues. Joa., vi, 41-44, 46; vni, 56-58. un don; il im pose un précepte. R efuser de s ’ y sou ­
Cf. M atth., ix, 2, 5, 6. O r, après la réflexion des m ettre, c ’ est se condam ner à m ort. O n concevrait
Juifs, Jésus ne dit pas qu ’ ils l ’ ont m al com pris, m ais peut-être que le Sauveur ne présentât pas clairem ent
que ce qu ’ ils ont com pris est la vérité. 11 n ’ atténue les bienfaits qu ’ il se proposait d ’ accorder aux hom m es :
pas les expressions, il les répète cinq fois en des term es ils les connaîtront quand ils les recevront. M ais un
plus énergiques. Il leur répond d ’ abord, 53: « En ordre grave, sanctionné du plus terrible châtim ent,
vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous ne m angez doit être exprim é en term es précis. Pour établir que
la chair du Fils de l ’ hom m e et si vous ne buvez son le baptêm e est indispensable, Jésus a dit à N ico-
sang, vous n ’ avez pas la vie en vous. » dèm e : « Q uiconque n ’ est pas né de l ’ eau et de l ’ esprit
« Si vous ne m angez la chair du Fils de l ’ hom m e, » ne peut entrer dans le royaum e de D ieu. » Joa., ni, 5.
ce n ’ est pas : « Il faut croire à m a chair; » les Juifs ne A ucune équivoque n ’ est possible : ce précepte doit
m ettaient pas en doute sa réalité. Ce n ’ es- pas davan ­ s ’ entendre au sens littéral. Il en est de m êm e ici.
tage : « Il est nécessaire de com m unier à m a m ort par A près la m enace, la prom esse : « Celui qui m ange
la foi en m a passion : » com m ent assigner un pareil m a chair et boit m on sang a la vie éternelle et je le
sens aux paroles du Sauveur? Jésus n ’ aurait pu m oins ressusciterai au dernier jour, »54. L a proposition pré ­
clairem ent signifier cette pensée. Si quelqu ’ un d ’ ail­ cédente était sous form e négative; celle-ci est posi ­
leurs use au sens figuré d ’ un m ot dont la signification tive. M ais les m ots et l ’ ordre sont sem blables. E t
m étaphorique est consacrée par l ’ usage, il est obligé, Jésus ne donne aucune nouvelle explication. Le Sau­
sous pe : ne de n'être pas com pris, d ’ entendre ce term e veur sent et laisse voir que son langage sera com pris, ne
com m e le fait tout le m onde. O r, l ’ expression : laisse place à aucun doute. Il parle donc au sens lit ­
manger la chair de quelqu’un, dans les langues sem i- téral. Les m ots : « je le ressusciterai au dernier jour »
tiques, dans la sainte É criture, ou s ’ entend littéra ­ expliquent com m ent le com m uniant a la vie éternelle
lem ent ou signifie taire injure à quelqu ’un, l’accuser, et préparent le prochain développem ent.
le calomnier. Il en est ainsi dans l ’ A ncien T estam ent. c. 3“ développement : la chair du C hrist est une
Job, xix, 22; Ps. xxvn(heb.), 2;xxxi, 31; M ich., ni, 3; vraie nourriture, son sang un vrai breuvage, 55-
Eccle., iv, 5. Saint Paul à son tour use de l ’ expres ­ 57. — D ans cette dernière section, com m e dans les
sion : « Si vous vous m ordez et vous vous m angez précédentes, on retrouve les m êm es expressions :
les uns les autres, prenez garde de vous détruire réci ­ manger, boire, chair, sang, la m êm e absence d ’ expli­
proquem ent. » G ai., v, 15. V oir aussi le livre d ’ H énoch, cations par Jésus, le m êm e défaut d ’ indices favorables
vu, 5. E n aram éen, en syriaque, en arabe, « m anger à une interprétation sym bolique.
la chair de quelqu ’ un, » c ’ est m édire de lui, le pour ­ Le jr. 55 : « M a chair est une vraie nourriture, m on
suivre d ’ injustes accusations. W isem an accum ule les sang est un vrai breuvage, » est extrêm em ent éner-
exem ples pour le dém ontrer. Si chez les Juifs, avant et giq e. L a pensée est accentuée. L ’ adjectif « vrai »
après Jésus, donc aussi de son tem ps, cette locution renforce l ’ affirm ation. C ar αληθής « m arque non
a une signification m étaphorique fixe, unique, c ’ est pas l ’ excellence de la nourriture et du breuvage, m ais
elle et elle seule qu ’ on peut donner à la parole du leur réalité. » C alm es, op. cil., p. 255. La chair de
Sauveur, lorsqu ’ on ne l ’ entend pas au sens littéral. Jésus est un réel alim ent, quelque chose qui se m ange
Le C hrist enseigne ou bien qu ’ il faut réellem ent m an ­ vraim ent et qui vraim ent donne la vie. Jam ais ex ­
ger sa chair ou bien qu ’ il est nécessaire de le calom ­ pressions sem blables n ’ ont été em ployées pour signi ­
nier pour avoir la vie. A ucune hésitation n'est pos ­ fier qu ’ une doctrine nourrit l ’ intelligence, que les souf ­
sible. frances et la m ort de quelqu ’ un serviront à ses frères.
La suite le m ontre, car Jésus ajoute : « E t si vous T out se justifie,au contraire,si la chair dont il s ’ agit
ne buvez m on sang. » O n ne saurait entendre au sens est l ’ eucharistie, alim ent qui est réellem ent m angé et
figuré cette locution. B oire du sang hum ain est un acte qui réellem ent vivifie.
qui répugne m atériellem ent. L a loi défendait, sévè ­ E t le y. 56, loin de neutraliser cet argum ent, l ’ ap ­
rem ent d ’ ailleurs, m êm e l ’ usage du sang des ani ­ puie i so tour : « C elui qui m ange m a chair et boit
m aux. Lev., m , 17; vu, 26; xvn, 10; xix, 26; D eut., m on sang dem eure en m oi et m oi en lui. » J. R éville,
xn, 16; xv, 23. Si Jésus ne parle pas au sens littéral, op. cil., p. 64, 66, com prend ainsi cette affirm ation :
s ’ il veut dire qu ’ il faut accepter sa doctrine, croire à « M anger la chair et boire le sang du C hrist, c ’ est
sa passion, com m ent adm ettre qu ’ il ait em ployé un dem eurer en lui et l ’ avoir dem eurant en soi; c ’ est
langage énigm atique, paradoxal, horrible; qu ’ il ait, l'unité m ystique dont il (Jésus) décrira si bien plus
pour présenter la vérité, choisi l ’ im age la plus révol ­ loin la nature toute m orale (c. xv, xvn, 21 sq.). ·
tante pour ses auditeurs, qu ’ il ait déguisé d ’ aim ables Sans doute, il est dit ici que le pain et le vin de l'eu ­
désirs sous de répugnantes figures, qu ’ il n ’ ait pas pris charistie « procurent la vie éternelle à ceux qui ont
la peine d ’ expliquer sa pensée et qu ’ il recoure quatre la foi, en scellant leur union m ystique avec le C hrist
fois à cette m êm e m étaphore? Il n ’ a pu vraim ent vivant. » Tel est bien l ’ eflet de la com m union, per ­
inviter ses auditeurs à boire son sang que si telle est sonne ne l ’ a plus fortem ent affirm é que saint Jean.
littéralem ent sa volonté. M ais il ne faut pas supprim er la cause. Pourquoi l ’ eu-
1001 E U C H A R IST IE D ’ A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 1002

charistic est-elle le pain de vie, pourquoi unit-elle à le quatrièm e Évangile, Jésus était dans le sein du
Jésus? L ’ évangéliste le répète,ne se lasse pas de l'affir ­ Père, auprès de lui; le Père est en lui: il est dans
m er : parce qu ’ elle est la chair du C hrist. E t ici m êm e, Père. S ’ il est im possible d'adm ettre que Jésus pro ­
il le rappelle : «Celui qui m ange m a chair et boit m on m et au com m uniant une circum insession idei t.cu . .
sang dem eure en m oi et m oi en lui. » C ette locution : du m oins, pour que les paroles ne soient pas vid«es c·.
demeure en Jésus, vaut la peine d ’ être relevée. Q uand, tout leur contenu, est-on obligé de penser qu s an ­
dans saint Jean, il est parlé de l ’ union au C hrist par la nonce com m e devant dem eurer dans ses fidèles peer
foi, d ’ autres m étaphores sont em ployées : on oient à leur donner la vie. Lorsqu ’ on veut tout ente: dre de
lui, on est attiré à lui, v, 40; vu, 37, 39; vi, 35, 36, 44, la foi, nourriture de l ’ âm e, on s ’expose à accom plir
45, 65, 68; on le reçoit, i, 12. A u contraire, pour parler de véritables tours de force pour m aîtriser ie texte et
de l ’ union plus intim e, plus personnelle, de l ’ habitation obliger chaque aspect de la m étaphore a
dans les hom m es, il use du verbe demeurer, xiv, 23; sens. E nfin, l ’ explication com m uném ent adm ise pa ­
xv, 4, 9; I Joa., u, 6, 17. O r, l ’ eucharistic a pré ­ les catholiques offre un dernier avantage ie
cisém ent pour effet d ’ introduire Jésus dans le fidèle. à saint Jean la tradition d'A sie : saint Ignace d A n ­
Peu acceptable s ’ il est destiné à signifier l'adhésion tioche et saint Justin insistent eux aussi sur 1 idée
de l ’ esprit par la foi, le m ot demeurer est très bien de la chair du C hrist, gage de résurrection.
choisi pour exprim er la présence sacram entelle. B atiflol, tout en appliquant à l ’ eucharistie ces der ­
C 'est encore la m êm e conclusion qui se dégage de nières phrases du discours, les entend d ’ une m anière
l ’ exam en d ’ un term e nouveau em ployé au verset particulière. La vie éternelle, la plénitude de vie
suivant : « Celui qui m e m ange..., dit Jésus, vivra sont les fruits de l ’eucharistie, m ais à titre d ’ cflet de
par m oi. » Il était déjà im possible de voir dans la locu ­ la foi du com m uniant, foi qui a son «point culm inant »
tion « m anger le pain de vie » l ’ équivalent de « se dans ce sacrem ent. « La com m union est considérée ici
nourrir d ’ une doctrine; » im possible de considérer par saint Jean com m e une m anifestation de la foi
les m ots « m anger la chair du C hrist » com m e syno ­ du fidèle.»Voilù pourquoi il lui reconnaît une efficacité
nym es de « croire à sa passion. » M ais ici, il n'est plus qui ne diffère pas de l ’ efficacité de la foi. Op. cit.. p. 99.
parlé de pain ni de chair. «Celui qui m e m ange,» est-il C ette interprétation un peu subtile, qui ne rend pas
dit. L ’ expression devient toujours plus choquante raison d ’ une partie du texte (la com paraison entre h
si elle est s/m bolique, plus facile à entendre s ’ il s ’ agit Père et le Fils d ’ une part, entre Jésus et les com ­
de l ’ eucharistie, alim ent qui n ’ est pas du pain, chair m uniants d ’ autre part)et qui, en reportant la pensée
qui n ’ est plus apparente, sacrem ent qui est la m andu ­ vers la foi dont il n ’ a plus été parlé depuis quelque
cation de Jésus et de Jésus seulem ent. tem ps,risque d ’ interrom pre la m arche progressive du
U n critique protestant a objecté l ’ em ploi du par ­ discours, ne sem ble pas s'im poser. Sansdoute, le Sau ­
ticipe présent τρώγων, 57. C elui qui vivra, dit veur, dans le quatrièm e É vangile, i, 12, donne le pou­
Jésus, c ’ est littéralem ent « celui m e m angeant », donc, voir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croient
celui qui, d ’ une m anière continuelle, ininterrom pue, en son nom; il affirm e que « celui qui croit en lui a la
reçoit le C hrist; il ne s ’ agit pas de l ’ eucharistie, m ais vie éternelle, » vi, 40. M ais précisém ent il a institué
d ’ une com m union snirituelle. B. W eiss, Das Johannes des m oyens pour la com m uniquer : l ’ eau du bap ­
Evangelium, G œ ttingue, 1893, p. 270. C ette subti ­ têm e et le sang de l ’ eucharistie découlent de lui
lité est irrecevable. C onçoit-on un être qui m ange ­ pour faire passer dans le fidèle cette nouvelle géné ­
rait toujours, fût-ce m étaphoriquem ent? E t si oui, ration et cette vie. D e m êm e que « renaître de l ’ eau
est-ce à lui que pense Jésus? N ullem ent, aucun autre et de l ’ esprit », c ’ est « entrer dans le royaum e de
passage ne le m ontre. Il parle ici de nourriture, de D ieu, » m , 5; de m êm e manger la chair de Jésus
chair, de pain, parce que c ’ est la nourriture, la chair, introduit dans l ’ âm e une nourriture «sieste et vivi ­
le pain qui donnent la vie. M ais une m anducation in ­ fiante, la personne m êm e du Sauveur. Seule, cette
term ittente suffit à l ’ assurer. Le Sauveur prend l ’ opé ­ interprétation nous paraît expliquer toute la pensée
ration de manger telle qu ’ elle se réalise : d ’ ordinaire, toutes les expressions du C hrist, s'accorder pleine
c ’ est à des intervalles distincts qu ’ elle s ’ accom plit; la m ent avec 1 ’ esprit du quatrièm e Évangile et l ’ an
vie qu ’ elle donne n ’ en est pas m oins continue. Il en tique conception des Pères asiates. La conception
est de m êm e du sacrem ent. L ’ objection de B. W eiss de M gr B atiffol, d ’ ailleurs, fait place à l ’ eucha ­
oblige à rem arquer le parfait parallélism e qui existe ristie.
entre l ’ alim ent m atériel et l ’ eucharistie. Pour ne pas être obligé de la reconnaître, en ce
C ’ est l ’ idée que m et pleinem ent en lum ière le der ­ m orceau,certains protestants faisaient autrefois ce rai ­
nier développem ent du discours sur le pain de vie. sonnem ent : D ’ après Jésus, celui qui m ange sa chair
Pour ceux qui y voient une prom esse de la cène, etquidem eure en lui a la vie éternelle. O r, parm i les
le sens est clair. Précédem m ent, Jésus a affirm é qu'il com m uniants.ilenestqui pèchent et qui n ’ iront pasau
fallait m anger sa chair. Maintenant, il rend raison de ciel. Le discours du Sauveur ne s ’ applique donc pas
ce précepte : elle est une nourriture et, en cette qua ­ à l ’ eucharistie. O n a répondu qu ’ entendre ce m or­
lité,elle entretient la santé. Ceux qui la m angeront ceau au sens figuré ne supprim e pas la difficulté. Π y
introduiront Jésus en eux, et inévitablem ent rece ­ a des croyants chez qui Jésus ne dem eure pas et qui
vront de lui la vie, la vie éternelle, la garantie de la n ’ obtiendront pas la résurrection glorieuse. Q uand
résurrection : ils vivront par lui com m e il vit par le quelqu ’ un, hom m e ou D ieu, dans l ’ É criture ou ail ­
Père, car il sera en eux, com m e le Père est en lui, 57. leurs, fait une prom esse, il s ’ engage, m ais il n ’ est
A insi, l ’ interprétation littérale adm ise, tout s ’ ex ­ tenu évidem m ent de respecter sa parole que si les
plique, s ’ enchaîne, se com plète. La pensée atteint conditions requises par lui ou de droit naturel sont
ici son m axim um de clarté.le développem ent s ’ achève rem plies. Jésus a dit : ■ Q uiconque dem ande, reç -it: ·
de la m anière atte idue, le discours se term ine digne ­ «C elui qui croira et qui aura été baptisé seras, a-e;·
m ent. Si, au contraire, on entend ces paroles de il a annexé à l ’ aum ône le pardon des péchés. Pourtant
la foi ou de la passion seulem ent, le dernier m ot est la prière,la foi, la charité ne produisent pas u.cessal-
une dernière énigm e : « D e m êm e que le Père qui est rem ent, infailliblem ent ces effets; elles peuvent tou ­
vivant m ’ a envoyé et que je vis par le Père, ainsi jours les produire, m ais il faut que le sujet n'oppose
celui qui m e m ange vit par m oi, » 57. Le Père n ’ est pas d ’ obstacle à leur efficacité, prie, croie, donne
pas uni au Fils uniquem ent parce que le Fils croit com m e D ieu ie veut. Il en est ainsi de l'eucharistie,
en lui, le Père n ’ est pas m ort pour le Fils. M ais,d ’ après elle a la vertu de vivifier tout hom m e qui la reçoit;
1003 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC RITU RE 1004

en fait, elle vivifie quiconque veut Itre vivifié et ne se dem andent,non s ’ ils les com prennent,m ais s ’ ils peu ­
résiste pas à sa vertu. vent écouter, subir « un enseignem ent qui révolte le
U ne autre objection sem blable a été faite : Jésus sens com m un et blesse le sens religieux. » Loisy, op.
déclare ici qu’il faut manger sa chair et boire son sang cil., p. 466. Si vraim ent Jésus a prom is sa chair à m an ­
sous peine de mort éternelle. Si on entend son discours ger, cet étonnem ent n ’ est pas extraordinaire.
de l ’ eucharistie, on doit conclure que pour être sauvé B . W eiss, op. cil., p. 273, croit que ce qui scandalise
il faut avoir com m unié, que les plus petits enfants les disciples, c ’ est l ’ idée du supplice de la croix. M ais
sont obligés de le faire, qu ’ enfin c aque fidèle est tenu c ’ est à peine si dans tout le disco 1rs il y a été fait allu ­
de recevoir le sacrem ent sous l ’ espèce du pain et sion une fois; et encore est-ce en term es très voilés qui
sous celle du vin. Ces conséquences étant inadm is ­ ne laissent nullem ent soupçonner les souffrances ct les
sibles, ce n ’est pas du sacrem ent qu ’ il est parle ici. hum iliations futures : « Le pain que je donnerai, c ’ est
D es exégètes ont répondu qu ’ il y a une différence m a chair pour la vie du m onde. » « C ’ est prêter aux
notable entre le langage de Jésus sm · l ’ eucharistie et G aliléens une perspicacité plus grande que celle dont
ses affirm ations sur le baptêm e : « Si quelqu ’ un ne l ’ évangéliste gratifie ordinairem ent les auditeurs du
renaît de l ’ eau et de l ’ E sprit, il ne peut entrer dans C hrist que de les supposer rebutés par une pensée
le royaum e des cieux, » in, 5. « Si quelqu’un, » est-il sous-entendue, non par une intelligence toute m até ­
dit, donc il s ’ agit des enfants aussi bien que des rielle du discours qui leur a été adressé. » Loisy, op. cit.,
adultes. Ici, au contraire, les m enaces s ’ adressent aux p. 467.
seuls auditeurs : « Si vous ne m angez..., » 53. Si vous, Selon M gr B atiffol, « l ’ im age du pain descendu du
c ’ est-à-dire si les hom m es faits... C alm es, op. cil., ciel, l ’ idée de Jésus venu du Père et vivant par le Père
p. 257. C et argum ent n'est peut-être pas très probant. est, bien plutôt que le précepte de m anger la chair du
La bonne réponse doit être cherchée dans un exam en Fils de l ’ hom m e, ce qui constitue pour les disciples la
com paratif de deux figures dont Jésus se sert pour dé ­ parole dure. »O p. cit., p. 101. C ette interprétation pa ­
signer le baptêm e ct l ’ eucharistie. Le prem ier sacre ­ raît m oins naturelle : la réflexion des auditeurs n ’ est
m ent est une régénération, ni, 3-5; le second une nour­ plus rattachée aussi étroitem ent à la deuxièm e partie
riture. Pour vivre, tout le m onde doit naître; le du discours. L ’ objection contre Jésus, pain du ciel, a
baptêm e est donc indispensable. L ’ alim entation n ’ est été faite plus haut, 41 ; pourquoi y revenir? E t à l ’ as­
requise que pour conserver l ’ existence; si donc quel ­ sertion du Sauveur déclarant qu ’ il venait du Père, les
qu ’ un n ’ est pas exposé à perdre la vie spirituelle — auditeurs n ’ ont pas opposé l ’ im possibilité de la com ­
et c ’ est le cas des petits enfants — il n ’ est pas obligé prendre, m ais ce qu ’ ils savaient du N azaréen : « N ’ est-
de m anger : l ’ eucharistie n ’ est donc pas de nécessité ce pas Jésus, le fils de Joseph? » 42. Ici le m urm ure est
de m oyen et ceux qui sont incapables de pécher pour ­ tout différent.
ront ne pas com m unier. Le C hrist ne répond pas aux disciples : V ous vous
D e m êm e, doit-on dire, l ’ alim ent que propose Jésus êtes m épris, je parlais en figure, je voulais seulem ent
ne consiste pas dans les espèces en tant qu ’ espèces. désigner ici m a passion, m a doctrine, la foi. Il dit :
Son efficacité ne réside pas dans la m anière dont est « Cela vous choque? E t si vous voyez le Fils de
reçu le Sauveur, elle découle du C hrist. Jésus est le l ’hom m e m onter là où il était auparavant? » 62.
pain de vie; pourvu qu ’ il soit consom m é sous une Les exégètes qui se refusent à trouver l ’ eucharistie
form e ou sous une autre, il agit. E t, com m e l ’ observe dans le discours sur le pain de vie sont assez em barras ­
finem ent le concile de T rente, sess. xxi, c. r, le m êm e sés pour rendre com pte de cette réplique. B. W eiss, op.
Jésus qui a nom m é parfois les deux espèces dans son cit., p. 274, suppose qu ’ après avoir scandalisé les dis ­
discours sur le pain de vie,parfois aussi,dans le m êm e ciples par l ’ annonce de sa passion, Jésus,pour dém en ­
entretien, n ’ en nom m e qu ’ une. 11 a dit : « Si vous ne tir leurs rêves terrestres et les m ieux convaincre que le
m angez la chair du Fils de l ’ hom m e et si vous ne buvez royaum e de D ieu sera le don de 1 ’ E sprit, achève de
son sans..., » 53, m ais il a fait aussi les affirm ations les déconcerter en leur apprenant que le M essie dispa ­
suivantes : « Si quelqu ’ un m ange de ce pain, il vivrg raîtra. M ais, dans ce chapitre, il n ’ a été question ni des
éternellem ent, · 51 ; « Le pain que je donnerai, c ’ est espérances des Juifs, ni de la com m unication de l ’ Es-
m a chair, » 51; «celui qui m ange ce pain vivra éter ­ prit, ni m êm e en term es clairs du royaum e, ni de l ’ in­
nellem ent, » 58. L ’ idée fondam entale, c'est que Jésus tention qu ’ a Jésus de com battre les conceptions gros ­
est pain de vie, 48, 51 : ce qui suit n ’ est que le dévelop ­ sières de ses contem porains sur l ’ âge m essianique, et
pem ent de ce thèm e, 49-57. C alm es, op. cil., p. 257. les disciples ont pu entendre avec attention tout le dis ­
Ils se trom paient donc certainem ent, les catholiques cours sans soupçonner un instant les hum iliations
qui refusaient d ’ entendre ce discours de l ’ eucharistie de la croix. C ette explication n ’ est pas m ieux liée à ce
de peur d ’ etre obligés de concéder à des hérétiques le qui suit qu ’ à ce qui précède : elle ajoute d ’ ailleurs à la
droit pour les laïques de participer à la coupe. portée du texte. Enfin elle ne se rend pas com pte des
Ici, Jésus ne se pose pas la question de la com ­ expressions em ployées : ici, l ’ accent est m is sur l ’ idée
m union sous les deux espèces, de la distribution de d ’ ascension, le concept d ’ absence n ’ est qu ’ im plicite-
l ’ eucharistie aux petits enfants; il n ’ énonce pas un m ent indiqué. Q uand Jésus-Christ voudra annoncer son
précepte de discipline, une règle de liturgie, obliga ­ départ, c ’ est de ce départ qu ’ il parlera clairem ent: « Je
toire pour tous les pays et tous les lieux. Il affirm e ne suis plus avec vous que pour un peu de tem ps, »
la nécessité du sacrem ent. 11 dit ; L ’ eucharistie, c ’ est xm , 33; «Encore un peu de tem ps et vous ne m e verrez
l ’ alim ent com m e le baptêm e est la régénération. V ous plus, » xvi, 16.
devez renaître; vous êtes tenus de vous nourrir si D e bien m eilleures explications de cette parole ont
vous devez entretenir votre vie. A ujourd ’ hui encore été proposées par les exégètes et théologiens qui dé ­
un prédicateur catholique pourrait parler ainsi sans couvrent en ce chapitre l ’ eucharistie. Les uns estim ent
vouloir dire que l ’ eucharistie doit être reçue sous les que les m ots : « Cela vous choque? E t si vous voyiez le
,,eux espèces ou qu ’ elle est de nécessité de m oyen. Fils de l ’ hom m e rem onter où il était auparavant · ten ­
4. Épilogue du discours sur le pain de vie, 60-71. — dent à renforcer la difficulté. V ous vous étonnez, disait
a) Jésus cl les disciples, 60-67. — D es disciples, et ils Jésus, vous verrez des faits plus inexplicables encore I
sont nom breux, « l ’ ayant entendu, disent : Ce langage L ’ ascension sera plus surprenante que l ’ eucharistie 1 Le
est dur, qui peut l ’ écouter? » Ils sont choqués. Ils m ouvem ent général de la phrase favorise cette inter ­
trouvent les affirm ations de Jésus étranges, dures prétation; m ais elle sem ble laisser un hiatus entre cette
(dures à avaler, dit encore le langage vulgaire). E t ils prem ière parole de Jésus et l ’ affirm ation qui suit :
1005 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 1006

«C ’ est l ’ esprit qui vivifie,· 63. A ussi beaucoup d ’ inter ­ sorte à nouveau. Ils ne cessent pas pour cela d ’ être du
prètes catholiques préfèrent considérer la réponse du pain et du vin, et cependant ils font office de chair et
Sauveur com m e une explication : « Cela vous choque? de sang. D urant l ’ incarnation, ce n'était pas ... chair
E t si vous voyez le Fils de l ’ hom m e rem onter où il était dans laquelle le V erbe avait vécu qui com m uniquait la
auparavant, »ne serez-vous pas pleinem ent rassurés? V ie, c ’ était le V erbe lui-m êm e, l ’ E sprit seul: ce m êm e
Ils le seront, supposent certains exégètes anciens, dans l ’ incarnation eucharistique, ce n'est rc, · pain ou
parce que la chair de Jésus étant alors glorifice pourra le vin qui donnent la vie, m ais l ’ E sprit qui s .: carr e en
être m angée sans répugnance; explication un peu eux. » J. R éville, op. cil., p, 67. L ’ évangeliste
subtile, qui s'écarte d ’ un texte où il n ’ est pas parlé de affirm e que ce qu ’ il a dit de l'eucharistie r.e coït pas
gloire, m ais d ’ ascension. Les disciples ne devront plus être pris dans un sens littéral. Si on le prenait car s ce
être surpris, pensent M aldonat et B atiffol, op. cil., sens, com m ent concilier l ’ affirm ation : · C elui qui
p. 101, car il leur sera facile de croire à l ’ origine céleste m ange m a chair aura la vie «avec le principe : ■ La
de celui qu ’ ils verront m onter au ciel. D e m êm e, plus chair ne sert de rien? »E t com m e si ce rapprochem ent
tard, Jésus dira aux Pharisiens : « Je sais d ’ où je suis ne suffisait pas à m ontrer au lecteur que les paroles de
venu et où je vais; m ais vous, vous ne savez ni d ’ où je Jésus sont une allégorie, l ’ évangéliste ajoute cette
viens ni où je vais : vous jugez selon la chair, » vm , 14, déclaration de Jésus : « Les paroles que je vous ai
15; interprétation qui n ’ est pas sans m érite, m ais qui dites sont esprit et vie. » La chair et le sang du C hrist
prête à la question des disciples un sens peut-être diffé ­ ne sont donc qu ’ une allégorie de l ’ esprit et le rite dans
rent de celui qu ’ elleavait enréalité. Sil ’ on veutadm et- lequel les fidèles reçoivent le corps et le sang du C hrist
tre que Jésus donne ici une explication, on peut enfin sous les espèces du pain et du vin n ’ est qu ’ un sym bole,
soutenir que le m iracle de l ’ ascension, preuve de la « qui exprim e l ’ union étroite du fidèle avec le C hrist. ·
toute-puissance du Sauveur, garantit la réalité du G oguel, op. cil., p. 208.
m iracle eucharistique. A vant de discuter ces interprétations, il n ’ est pas
Loisy essaie de m ontrer dans l'affirm ation du Sau ­ inutile d ’ observer que le texte offre des variantes. La
veur une phrase à double face qui renforce l ’ objection version syriaque sinaïtiquea : «C ’ est l ’ esprit qui vivifie
et prépare la réponse; si vous voyez le Fils de l ’ hom m e le corps, m ais vous (dites] : le corps ne sert de rien; »
rem onter là où il était auparavant, cela vous paraîtra la curetonienne : « C 'est l ’ esprit qui vivifie le corps. »
autrem ent étrange et pourtant ce retour au Père per ­ Si la prem ière de ces leçons était prim itive, or ne pour ­
m ettra à m a chair spiritualisée de devenir la nourri ­ rait m êm e pas songer à élever une objection contre
ture des âm es. G râce à cette hypothèse, on rattache l ’ interprétation littérale : les m ots : · le corps ne sert
fort bien la phrase aux déclarations antérieures et à de rien » n ’ étant plus une parole de Jésus, m ais une
celles qui suivent im m édiatem ent. M ais est-il possible affirm ation des auditeurs qu ’ il repousse. Seulem ent
d'adm ettre la théorie d ’ après laquelle le discours de ce tém oin isolé a l ’ air d ’ avoir ajouté au texte em bar ­
Jésus aurait deux sens,l ’ un « extérieur, qui déroute les rassant et original une interprétation fort . _ leuse.
âm es vulgaires,» l ’ autre « intim e,qui doit satisfaire les Les paroles à expliquer restent donc celles qu'on lit
âm es religieuses? » E t n ’ est-il pas difficile, sinon im pos ­ com m uném ent : « C ’ est l ’ esprit qui vivifie; la chair ne
sible. de prêter à la m êm e phrase deux intentions pres ­ sert de rien. » B eaucoup parm i les anciens protestants
que contradictoires, de lui donner un contenu si sura ­ rapprochaient de cette affirm ation le m ot de saint
bondant? Paul sur la lettre qui tue et l’esprit qui vivifie. Il Cor-,
Le théologien n ’ est pas obligé de prendre parti entre ni, 6. D s prêtaient ainsi à Jésus ce langage : N ous
les diverses interprétations : il en prend connaissance avez tort de vous scandaliser : la signification littérale
et il constate qu'aucune de celles qui ne sont pas abso ­ ne sert de rien ; c ’ est au sens spirituel qu ’ il faut enten ­
lum ent irrecevables ne favorise l ’ interprétation spiri ­ dre m es paroles. M ais « le texte de Paul ne fait pas loi
tualiste du discours sur le pain de vie. pour l ’ interprétation de Jean. » Loisy, op. cit., p. 470;
D oit-il, au contraire, reconnaître, dans les paroles B atiffol, op. cit., p. 102. Le rapprochem ent n ’ est d ’ ail ­
postérieures, un désaveu form el de l ’ exégèse qui entend leurs pas justifié. L ’ apôtre oppose lettre et esprit; l ’ é ­
au sens littéral le précepte de m anger la chair du vangéliste établit un contraste entre esprit et chair. « Il
C hrist, une véritable négation de la prés nce réelle : n ’ est pas question ici de textes à interpréter, de i >aroles
« C ’est l ’ esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les à entendre dans un sens ou dans un autre, m ais seule ­
paroles que je vous ai dites sont esprit et vie? » 63, m ent d ’esprit et de chair, d ’esprit et de oie. > Loisy,
La plupart des protestants et des critiques indépen ­ toc. cil. Jam ais, dans l ’ É criture, chair n ’a voulu dire
dants le soutiennent. C eux d ’ entre eux qui appliquent ce qu ’ on essaie de lui faire signifier ici, sens htitral.
à la foi exclusivem ent le discours sur le pain de vie Plus com m uném ent, les partisans d ’ une m andu ­
triom phent bruyam m ent. La plupart de ceux d'entre cation m ystique de Jésus traduisent : « La chair, c ’est-
eux qui voient dans cet entretien un enseignem ent à-dire m a chair, m on corps, ne sert de rien ; seul m on
sur l ’ eucharistie concluent qu ’ elle est une union esprit (par exem ple, G oguel, B. W eiss); seule, m a chair
m ystique du Logos et du fidèle : « Supposer que l'au ­ devenue tout esprit après m on retour au Père (par
teur ait prétendu faire dire à Jésus que, pour avoir exem ple, H oltzm ann); seul, le Logos incarné en quel ­
part à la vie, il fallait absorber de la véritable chair que sorte dans le pain et dans le vin (par exem ple,
m atérielle et du sang m atériel du C hrist et lui ait fait J. R éville),peut donner la vie.» Ces explications ajou ­
dire ensuite, com m e conclusion : « La chair ne sert à tent au texte. Jésus ne dit pas : πια chair, mon esprit,
■ rien, » c ’ est lui prêter gratuitem ent une absurdité et m ais la chair, l’esprit. Les term es de l ’opposition sont
im puter à ce grand idéaliste une thèse m atérialiste pris dans le dom aine des généralités, dans l ’ordre m éta ­
contre laquelle toute sa pensée proteste... En C hrist, physique. C alm es, op. cil., p. 260. Le sens parait donc
le V erbe, qui est Lum ière et V ie, s ’ est m anifesté être le suivant : dans un être vivant, c ’ est l ’ esprit qui
sous les espèces de la chair afin de perm ettre aux donne la vie ; la chair, com m e chair, n ’ esi pas apte a la
hom m es de saisir, sous celte form e plus accessible à com m uniquer, elle ne sert de rien. Le quatrièm e
leur faiblesse, la Lum ière et la V ie; de m êm e les ali ­ Évangile, l ’ Évangile de Logos incarné, ne peut, sans
m ents de l ’eucharistie sont la m anifestation du V erbe se contredire, soutenir que la chair de Jésus ne sert
sous les espèces du pain et du vin; ils sont, après qu ’ il de rien. E t si les explications spiritualistes étaient
est rem onté dans la sphère de l ’ esprit, sa chair et son adm ises, pourquoi, com m e l ’ affirm e le i. 66. « beau
sang, correspondant à la chair et au sang du corps dans coup de disciples » se retireraient-ils? La difficult
lequel il s ’ est incarné. Le V erbe s ’ y incarne en quelque s ’ évanouit, le m ystère disparait. M ais l ’ argum ent le
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pins décisif contre toutes ces interprétations, ce sont réplique pour écarter toute objection contre la concep-
les déclarations répétées du Sauveur sur la nécessité de on catholique de l ’ eucharistie. Elle n ’ est pas en dan ­
m anger sa chair. J. R éville reconnaît la difficulté : « Le ger, puisqu ’ il n ’ est plus question du sacrem ent.
célèbre m orceau (le c. vi) renferm e en apparence une C ertains exégètes estim ent que ces explications ne
contradiction si formidable entre les déclarations spiri- I| se lient pas assez au contexte; ils rem arquent qu ’ il est
tu distes des versets 29, 36, 40, 47 (le salut par la foi). ;' difficiled'entendreenceversetparle m ot chairianature
35 (la vie prom ise à celui qui vient vers Jésus, non à i de l ’ hom m e, son esprit laissé à lui-m êm e, quand dans
celui qui m ange le pain), 63 (l ’ esprit seul donnant la le m êm e chapitre, à plusieurs reprises,le m êm e ternie
vi ■) et les déclarations m atérialistes des versets 51 à a désigné le corps et le sang de Jésus. O bservation
58 (il faut m anger la chair et boire le sang du C hrist d ’ autant plus forte qu ’ en ce discours, pour distinguer
pour avoir la vie éternel le), qu ’ il a été invoqué avec au ­ ce dont l ’ individu est capable et ce qui est au-dessus de
tant d ’ acharnem ent par les partisans du spiritualism e 1 ses forces, une autre m étaphore est em ployée : Jésus
et par ceux du réalism e eucharistique. » Op. cit., p. 62. parle de ceux qui sont attirés à lui et de ceux qui ne
G oguel, op. cil., p. 206, im agine qu ’ il y a dans les sont pas attirés par le Père, vi, 37, 39, 44, 45. Ces inter ­
paroles de Jésus, à côté de « form ules m atérialistes · prètes croient donc qu ’ ici,com m e plus haut.il est ques ­
qui ne sont pas nées spontaném ent dans la pensée tion de la chair du C hrist. Jésus répond à cette objec ­
de l’ écrivain, m ais lui sont im posées par le m ilieu, tion : « V ous êtes choqués parce que vous croyez que je
«des explications spiritualistes «tentées par l ’ idéaliste vous invite à nourrir votre corps de m a chair m angée
qui a rédigé le quatrièm e Évangile. I) ne pouvait m atériellem ent. » Il pose d ’ abord un principe qui est
pas adm ettre des form ules si m atérialistes sans évident pour ses auditeurs eux-m êm es : La chair, ce
essayer de les interpréter. » Op. cit., p. 207. qu ’ on voit dans l ’ hom m e, n ’ est pas principe de vie,sur ­
Si on entend à la m anière de ces critiques le ÿ. 63, tout de vie spirituelle, éternelle; c ’ est l ’ esprit caché
en réalité on adm et non seulem ent une contradiction dans cette chair qui seul peut donner la vie. C ette con ­
apparente, non seulem ent une juxtaposition de formules statation faite, Jésus conclut: « Les paroles que je vous
et d'essais d’explication, m ais à quelques m ots de dis ­ ai dites sont esprit et vie. » Ces paroles — il y aurait ici
tance.dans le m êm e discours, sur les lèvres d ’ un Ê tre un hébraïsm e dont on trouve beaucoup d ’ exem ples —
qui est représenté com m e le Logos incarné, m essager c ’ est-à-dire « les choses dites », les objets dont je vous
de toute vérité, l ’ affirm ation : il faut manger ma chair, ai entretenus,la nourriture et le breuvage prom is sont
et la négation : ma chair ne sert de rien; on interprète à non la chair en tant que chair, m ais l ’ esprit dont elle
l ’ aide d ’ uneseule phrase dont tous les exégètes avouent est le véhicule, la divinité qui est en elle; cette nour ­
l ’ obscurité sept affirm ations identiques, très claires et riture et ce breuvage sont des réalités spirituelles et
incapables de recevoir un sens spirituel, 51, 53,54, vivifiantes. L ’ avenir dira seulem ent aux fidèles com ­
55, 56, 57, 58. Il faut se souvenir enfin que les expli­ m ent il y aura m anducation spirituelle d ’ une réalité
cations de J. R éville et de G oguel présupposent des physique et concrète. M ais déjà la parole de Jésus
théories fort discutables sur l ’ origine et le caractère avertit les disciples qu ’ils se trom pent en s ’ im aginant
du quatrièm e Évangile, qu ’ il n ’ est facile ni de se repré ­ que le Sauveur prom et sa chair com m e alim ent naturel
senter ce qu ’ est une incarnation du Logos dans du destiné à être consom m é m atériellem ent pour nourrir
pain et du vin qui restent du pain et du vin, m ais font leur corps. Jésus ne retire rien de ce qu ’ il a dit, il n ’en ­
office de chair, ni de voir dans la chair et le sang une allé­ seigne pas qu ’ il ne faut pas m anger sa chair; m ais il
gorie de l’esprit; qu ’ enfln ces form ules ressem blent annonce que, d ’ une certaine m anière sur laquelle il ne
beaucoup plus à des essais de théologie sym boliste s ’ explique pas encore avec précision, cette com m union
contem poraine qu ’ à la term inologie eucharistique de à son corps réel sera spirituelle; la véritablenourriture
l ’ É criture ou des prem iers Pères. reçue dans la participation réelle à son propre corps
il n ’ est pas nécessaire de recourir à ces interpréta- ’ sera esprit et vie. C alm es, op. cit., p. 261.
tions fantaisistes. W isem an, op. cit., col. 1229, observe C ette exégèse relie le verset à ce qui leprécède.laisse
que le m ot chair désigna souvent dans l ’ É criture au m ot chair la signification qu ’ il a eue dans tout le
les sentim ents de la nature hum aine, et l'esprit, la i[ discours,apporte une idée neuve, une dernière expli­
grâce, le secours divin. E t il paraphrase ainsi le v.63: ’ cation qui s ’ harm onise avec le thèm e général de l ’ Évan-
l ’ intelligence hum aine, seule, est incapable de croire à gile : le V erbe s ’ est fait chair pour donner la vie.
m a parole. M onenseignem entest divin et exige l ’ esprit, A près avoir prononcé ces paroles dont l ’ interpréta ­
c ’ est-à-dire le secours du Père, la foi. Sans doute, les tion a été si vivem ent discutée, Jésus ajoute : « M ais
textes sur lesquels W isem an s ’ appuie pour justifier il y en a parm i vous qui ne croient pas. · E t l ’ évangé ­
son explication des m ots chair et esprit sont assez liste fait alors cette rem arque : « C ar Jésus savait dès
nom breux. B eaucoup, il est vrai, ne sont pas em ­ le principe quels étaient ceux qui ne croyaient pas et
pruntés à saint Jean. Le quatrièm e Évangile connaît quel était celui qui le trahirait,» 64. Pourquoi cette
pourtant cette signification. Jésus dira : « V ous ne allusion àJudas que rien, sem ble-t-il, ne prépare? De
savez d ’ où je viens ni où je vais, vous jugez selon la nom breux essais d ’ explications ont été tentés. La ineil-
chair. » vni, 14, 15. L ’ opposition paulinienne entre , leure hypothèse ne serait-elle pas celle-ci : le discours
la chair de l’homme naturel et l’esprit de l’homme régé­ sur le pain de vie correspond au récit de la cène où
néré n'est pr>« totalem ent inconnue de saint Jean. est prédite la défection du traître? E t s ’ il en est ainsi,
C ette explicatio i n ’ est donc pas irrecevable. nous serions en face d ’ une nouvelle preuve de la va ­
C elle de B atiffol, loc. cit., p. 102-103, s ’ en rapproche. leur de l ’ interprétation qui m ontre ici l ’ eucharistie.
Jésus dirait : « V ous ne m e com prenez pas, parce que U n dernier trait la confirm e : « D ès ce m om ent,
vous r ii tonnez en hom m es charnels sur des paroles qui beaucoup de disciples se retirèrent et n ’ allèrent plus
sont e>prit et vie.· Seulem ent, on se souvient que, avec lui, » 66. Jésus aurait-il laissé beaucoup de ses pre ­
pour lui, l ’ eucharistie n ’ est plus le sujet de l ’ entre ­ m iers fidèles s ’ écarter lorsque deux m otsd ’ explication
tien. Les disciples sont choqués parce que Jésus a auraient suffi à les retenir,s'il avait parlé de la foi ou
affirm é son origine céleste. Il leur répond en annonçant de sa doctrine? Ils abandonnent Jésus, prétendent cer ­
qu ’ il retournera au ciel. E t il ajoute : « C ’ est l ’ esprit qui tains allégorisants, parce qu ’ il leur est im possible de
vivifie et cet esprit vous m anque : vous êtes charnels croire à un M essie souffrant. C ette explication n ’ est pas
com m e les Juifs, vous ne pouvez donc com prendre m es satisfaisante. D ’ abord, on peut se dem ander si l ’ idée
parolet : la chair ne sert de rien, les paroles que je vous des hum iliations, des douleurs et de la m ort du servi-
ai dites sont esprit et vie.» Procédé très élégant et sans ' teur de Jahvé était perdue de vue par les conterapo-
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rains de Jésus. M ais surtout, il faut avouer que, nulle le pain eucharistique ■ ne sont pas plus en contradic ­
part dans ce discours du Sauveur, la passion n ’ est pré ­ tion avec la religion de l ’ esprit que l ’hum anité du
dite en term es clairs : un seul m ot y fait allusion; et il C hrist avec la notion du V erbe, > a dit un critique qui
est, avant l ’ événem ent, presque inintelligible pour les fait profession d ’ oublier, lorsqu'il interprète l ’ É critnre,
auditeurs : « Le pain que je donnerai, c ’ est m a chair les définitions ecclésiastiques. Loisy, r. < Π ne
pour la vie du m onde, » 51. s ’ agit aucunem ent pour l ’ évangéliste de rejeter tout
ft) Jésus el les apôtres, 67-72. — Si Jésus a parlé à la élém ent visible, m ais de soum ettre le sensible au sp>
foule, aux Juifs, à ses disciples m êm e un langage fi­ rituel. Sa conception du baptêm e et de l'eucharistie
guré, énigm atique, on peut espérer qu ’ il l ’ expliquera à est en harm onie parfaite avec sa doctrine de : incarna ­
ceux pour lesquels il n ’ a pas de secret et à qui il est tion. La notion du V erbe n ’ exclut pas l'r.um a.-.ité ·■?..
donné de connaître les m ystères du royaum e de D ieu. est l ’ instrum ent de la révélation ; » de m êm e, elle n ex ­
O r, il ne revient pas, devant les Douze, sur ce qu ’ il a clut pas les élém ents sacram entels dont elle use pour
enseigné auparavant; il ne retire, il n ’ interprète, il accom plir son œ uvre. Le Logos s ’ est fait chair : - --
n ’ ajoute rien devant eux. Il leur parle, m ais pour leur devenir la voie, la vérité et la vie : par l ’ eau du bap ­
laisser entendre dès la prem ière phrase qu ’ il ne chan ­ têm e et l ’ E sprit, il donne une existence nouvelle; par
gera rien à sa parole afin de les retenir, et que, s'ils ne la chair de l ’ eucharistie et toute sa personne devenue
veulent pas l ’ accepter, ils peuvent à leur tour le nourriture des fidèles, il augm ente et développe la vie
quitter.il leur dit : « N e voulez-vou point vous retirer surnaturelle. Le Logos — c ’ est encore une thèse du
vous aussi? » 67. quatrièm e Évangile — vient unir D ieu et l ’ hum anité;
E l dans la réponse qu ’ il lui fait, sans doute au nom déjà la foi,l’ am our, l ’ observation des com m andem ents
de tous, Sim on Pierre ne dil pas que lui et les autres sont requis pour que Jésus dem eure dans les disciples
apôtres ont com pris que la doctrine de Jésus n ’ ofire et qu ’ ils dem eurent en lui : l ’ eucharistie est une autre
pour eux, en elle-m êm e, aucune difficulté. Il fait pour com m union, la plus intim e et la plus réelle : celui qui
tous un acte de foi : « Seigneur, à qui irions-nous? T u as me mange, demeure en moi e! je demeure en lui, les paro ­
des paroles de vie éternelle. » C ette confession de la les sont vraies à la lettre. Le Logos confère la vie éter ­
véracité et de la science du V erbe s ’ explique fort bien nelle, saint Jean le rappelle à m aintes reprises. O r
si on adm et que le Sauveur a vraim ent annoncé le don l ’ eucharistie est présentée com m e un gage de résur ­
de sa chair et de son sang. Sans la foi, il est im possible rection et on com prend qu ’ une chair qui a été en con ­
d ’ accepter une pareille prom esse. tact intim e avec la chair du Logos participe aux qua ­
5. Considérations générales qui confirment la conclu­ lités glorieuses de l ’ hum anité du V erbe. Sans doute, ce
sion tirée de l’examen détaillé des faits et des paroles rappor­ n ’ est pas le corps m atériel du Sauveur qui vivifie par
tés au c. vi. — a) La plupart des Pères et des écrivains la seule m anducation m atérielle, c ’ est ce corps anim é
chrétiens, tous les catholiques aujourd ’ hui croient que, par le Fils de l ’ hom m e; de m êm e, ce n ’ est pas l'eau
dans les versets de ce chapitre, il est question de m atérielle du baptêm e qui régénère par la seule ablu ­
l ’ eucharistie e' de la présence réelle. Les docteurs chré­ tion m atérielle, c ’ est l ’ eau et l ’ E sprit qui donnent la
tiens qui ont parlé d ’ une com m union m ystique, spi ­ naissance nouvelle; de m êm e, ce n ’ est pas la chair de
rituelle, n ’ ont pas repoussé l ’ idée d ’ une prom esse du Jésus qui, par elle-m êm e, sauve l ’ hum anité, c ’ est le
vrai corps et du vrai sang de Jésus. Ils rejettent les V erbe fait chair. Ces considérations dém ontrent que
conceptions grossières et charnelles. Ils exigent du l ’ eucharistie n ’ est nullem ent déplacée dans la t éologie
com m uniant la foi et la piété. Sans doute, les exégètes jo annique; qu ’ au contraire sa présence s'explique, se
catholiques ne sont pas d'accord sur le sens non seule ­ justifie à m erveille; c ’ est une pièce indispensable d ’ un
m ent de chaque verset, m ais d ’ une partie notable du tout très harm onieux.
discours. M ais presque tous autrefois, tous aujour ­ E t le m ystère de la passion n ’ est pas davantage en
d ’ hui découvrent en quelques paroles au m oins des opposition avec le m ystère de l ’ eucharistie. A u C al­
affirm ations du don de la chair et du sang du C hrist. vaire, Jésus livre sa chair pour la vie du m onde, afin de
ft) O n a dit : Le sacrem ent de l ’ eucharistie n ’ était lui assurer la résurrection et la vie éternelle : m ais sa
pas institué. Si Jésus-Christ l ’ avait prom is ici, il n ’ au ­ m ort ne m et pas fin à son œ uvre; de son côté ouvert
rait pas été com pris. U serait facile de répondre que,si s ’ échappent l ’ eau et le sang : dans les tem ps nouveaux
le Sauveur a parlé au sens figuré, son langage n ’ a pas que caractérise la venue du Paraclet, la chair du Sau ­
été m ieux entendu : les Juifs, les apôtres probablem ent veur sera sans cesse et partout donnée aux fidèles afin
ayant cru qu ’ il prom ettait vraim ent sa chair et son d ’ entretenir en eux. par une com m union réelle à Jésus
sang com m e nourriture et breuvage. T out hom m e a le glorifié, la vie qui coule de la croi et com m ence au
droit d ’ annoncer qu ’ il donnera quelque chose; pour ­ baptêm e. A sa m ort, le V erbe offre le don ; à la com m u ­
quoi Jésus n'aurait-il pas pu en user? Il a prom is l ’ ins ­ nion, les hom m es le reçoivent. La passion accorde droit
titution du baptêm e, sa passion, sa résurrection, son à la vie, les sacrem ents la com m uniquent. Sans doute,
ascension, l ’ envoi du Paraclet, etc. Sans doute, en cer ­ la foi est nécessaire : sans elle, le disciple ne peut rien
taines phrases il em ploie le présent, il dit : celui qui obtenir; m ais de m êm e que la foi prescrite à la m ort
mange ma chair, 56; m ais ailleurs, le verbe est au de Jésus ne supprim e pas cette m ort, de m êm e la foi
futur : le pain que je donnerai, c’est ma chair, 51. Le exigée dans la com m union ne supprim e pas cette
présent, d ’ ailleurs, peut s ’ cxpli«uer fort bien par le com m union. A insi, le dogm e catholique de l ’eucha ­
caractère sentencieux des affirm ations. Enfin, quand ristie se concilie fort bien avec les enseignem ents
l ’ évangéliste rapporte les paroles de Jésus, la cène étant du quatrièm e Évangile sur la foi et sur la passion.
une institution établie, un acte qui s ’ accom plit sous 6. Conclusions. — Les enseignements du c. · sur
ses yeux, il a pu être tenté de m ettre le présent, dans l’eucharistie. — C om m e l ’ a justem ent obs- r ’. e W ise ­
la bouche du Sauveur, lorsqu ’ il reproduit ses paroles. m an, op. cit., col. 1221-1223, si Jésus a voulu parler
c) Souvent des protestants ont affirm é que la concep ­ m étaphoriquem ent, il ne pouvait plus m al e faire,
tion catholique de l ’ eucharistie est trop grossière, trop choisirdes m ots plus inintelligibles,plu- :e;
m atérielle pour pouvoir se trouver dans l ’ Évangile il ne pouvait pas m ieux entretenir l'équivoque. se com ­
pneum atique. Il serait facile de répondre et de dém on ­ poser davantage une attitude capable d ’entretenir i er ­
trer que cette appréciation du sacrem ent est inexacte, reur. V oir col. 387. Si Jésus a voulu enseigner qu'il
injuste. (1 faut observer aussi que le concept de com ­ donnait vraim ent sa chair en nourriture, il ne pou ­
m union à la chair du C hrist s ’ accorde avec les affir ­ vait pas choisir de term es plus sim ples, plus clairs,
m ations du quatrièm e Évangile : l ’ eau du baptêm e et plus expressifs, m ieux affirm er par ses actes que son
1011 E U C H A R IS T IE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 1012

langage devait être entendu au sens propre. S ’ il a usé rien incroyant il est absolum ent certain qu ’ au m o ­
de figures pour recom m ander la foi ; il a, le sachant et m ent et dans les m ilieux où le quatrièm e Évangile
le voulant, adopté un langage qui devait induire en fut com posé et reçu, l ’ eucharistie était m ie institu ­
erreur beaucoup de disciples, presque tous les chré ­ tion établie et qu ’ on voyait dans la cène une parti ­
tiens pendant quinze siècles, tous les catholiques; cipation prom ise et voulue par Jésus lui-m êm e à son
il a perm is que des m illions d ’ hom m es adorassent corps et à son sang, nourriture indispensable au chré­
un pain et un vin qui n ’ ont rien de D ieu. D onc, tien, pain de vie spirituelle et éternelle.
ici, Jésus prom et de donner sa chair et son sang; et Peut-on, doit-on rem onter plus haut, aller de
s ’il a pris cet engagem ent, il l ’ a tenu ; et s ’ il n ’ y avait l ’ auteur de cet écrit à Jésus? D oit-on nier toute con­
pas été fidèle, le quatrièm e Evangile se garderait tradiction entre la pensée de l ’ évangéliste et celle
de rappeler la parole donnée du Sauveur. D onc, le du Sauveur?
c. vi du quatrièm e Évangile enseigne la présence réelle. Le théologien catholique n ’ hésite pas. Le quatrièm e
Il m et aussi en pleine lum ière l'effl acité de la nour­ Évangile est canonique, inspiré, c ’ est un organe de
riture eucharistique. T out ce qu'on dira plus tard est la révélation; et si l ’ on a pu discuter sur l ’ étendue de
en germ e dans ces m ots : « M a chair est une vraie nour ­ l ’ inerrance à certains dom aines, on a toujours cru
riture et m on sang est un vrai breuvage. » Les affir ­ qu ’ en m atière doctrinale, la B ible ne nous trom pe
m ations des conciles de Florence et de T rente, des pas. A ucun catholique ne peut donc opposer sur
Pères et des théologiens ne seront que le com m entaire l ’ eucharistie l ’ enseignem ent de Jean à celui de Jésus,
de cette parole. D éjà, dans l ’ Évangile, certains corol ­ croire que les affirm ations de l ’ évangéliste ne corres ­
laires de cette proposition sont énum érés : l ’ eucha ­ pondent pas à un enseignem ent du M aître.
ristie donne la vie, vi, 51, 53, 54, 58, la vie par le Fils, D e très bons exégètes, d ’ ailleurs (les catholiques
57, la vie éternelle et la résurrection, 51, 54, 58, la vie et des protestants), en usant des seules m éthodes qui
dans l ’ union intim e à Jésus, 56. V oir C o m m u n io n leur sont propres, aboutissent à la m êm e conclusion.
e u c h a r i s t iq u e , t. m , col. 507 sq. Ils soutiennent et établissent que les discours du qua ­
Les enseignem ents de ce chapitre sur la nécessité trièm e Évangile ne sont pas « une création de l ’ écri ­
de recevoir l ’ eucharistie ne sont pas m oins précis. vain qui utiliserait l ’ expérience de faits postérieurs
Il y a obligation de m anger la chair et de boire le sang à Jésus et traduirait les préoccupations du m onde
de Jésus. C ’ est une nécessité. N e pas obéir, c ’ est se chrétien à la fin du i or siècle. » Ils m ontrent que » ces
priver de la vie, 53. A ucune form ule ne pourrait être discours offrent des m arques notables d ’ authenti ­
plus énergique. V oir C o m m u n io n e u c h a r i s t i q u e , cité, » « ne trahissent pas la m ain d ’ un théologien
t. m , col. 481, 482, 483. qui com poserait de son propre fond, » m ais « accusent
L ’ Évangile ne dit rien des dispositions requises, plutôt un écrivain en possession d ’ une tradition ou
du m oins d ’ une m anière explicite. M ais la m étaphore de souvenirs » très sûrs. Ils reconnaissent seulem ent
em ployée suppose que, pour com m unier, il est néces ­ « que l ’ auteur avait son but, sa m éthode, son tour
saire de satisfaire à certaines conditions : on ne d ’ esprit personnel, » « qu ’ on en trouve la m arque dans
peut m anger, soutenir sa vie, si on n ’ existe pas aupa ­ ’ ses récits, » « que sa m ém oire pouvait avoir oublié une
ravant. Il faut se souvenir aussi que la nécessité de la partie des paroles de Jésus, » qu ’ il rapporte les discours
foi en Jésus a été fortem ent inculquée dans une grande tels qu'il les a entendus, tels qu ’ il les a saisis, tels qu ’ il
partie du discours, 35, 36, 45, 47. Enfin, com m e nous les a retenus, tels que son divin am i les lui a fait com ­
l ’ avons observé, selon beaucoup de com m entateurs, prendre dans les confidences intim es, dans ses longues
les m ots : « C ’ est l ’ esprit qui vivifie, la chair ne sert de m éditations, tels enfin que le requièrent la fin pour ­
rien, · enseignent que la vraie com m union à la chair suivie par lui et l ’ obligation qui s ’ im pose à tout
réelle de Jésus n ’ est pas la m anducation m atérielle, tém oin de condenser ou d ’ abréger, « de sorte que la
m ais une m anducation spirituelle faite avec foi et doctrine est la doctrine du M aître reproduite fidèle ­
am our. m ent par le disciple sous l ’ action de l ’ E sprit-Saint.»
Sur la m atière de l ’ eucharistie, nous som m es peu Lepin, La valeur historique du quatrième Évangile,
renseignés. Le pain est nom m é : « Le pain que je t. n, p. 398 sq. ; M angenot, art. Jean (Évangile de
donnerai, c ’ est m a chair, · 51. E t cette indication saint), dans le Dictionnaire de la Bible, t. m , col. 1189.
est confirm ée par le récit de la m ultiplication des Tel est le sentim ent de la plupart des catholiques :
pains, si ce prodige est vraim ent une figure de la C alm et, C orluy, Fillion, K nabenbauer, Fouard,
com m union. N ouvelle, Fontaine, C hauvin, Jacquier, B rassac,
Les m êm es m ots : « Le pain que je donnerai, c ’ est Lebreton, V enard, et d ’ un certain nom bre de pro ­
m a chair,» rappellent-ils les paroles consécratoires,ce testants : W estcott, G odet, R eynolds, Sanday, Zahn.
que les théologiens appelleront plus tard la formel Si quelques catholiques croient pouvoir élargir la
Peut-être. Il est certain qu ’ ils ressem blent à la phrase : part faite à l ’ auteur du quatrièm e Évangile (Batiffol,
« Ceci est m on corps... donné pour vous. » C alm es, Lagrange), ils ne déclarent pas m oins ferm e ­
Sur la m anière dont le corps de Jésus apparaît m ent que les discours conservent avec fidélité la sub ­
et réside dans l ’ eucharistie, le discours est m ueL stance de l ’ enseignem ent de Jésus. V oir aussi B. W eiss.
J. R éville, op. cit., p. 67, suppose que le quatrièm e M ais les critiques aux yeux desquels les discours,
Évangile croit à une « incarnation eucharistique ». Le attribués par Jean au Sauveur sont inventés de
V erbe « s ’ incarne » dans les élém ents eucharistiques toutes pièces ou com plètem ent rem aniés concluent
« en quelque sorte à nouveau. Us ne cessent pas pour que Jésus n ’ a pas en réalité prom is l ’ eucharistie.
cela d ’ être pain et vin, et cependant ils font office de B eaucoup ne posent m êm e pas la question : ils croi ­
chair et de sang. » C ’ est en vain qu ’ on chercherait raient faire preuve d ’ excessive naïveté en la soule ­
dans les paroles du Sauveur la preuve de cette hypo­ vant. 11 n ’ y a pas lieu de discuter ici leur théorie
thèse. Jésus offre sa chair.il dit qu ’ on doit la m anger, de la valeur historique du quatrièm e Évangile. V oir
il la présente com m e le pain qu ’ il donnera. C ’ est tout. J e a n (Évangile de saint). M ais il est nécessaire de
È t l ’ œ il le plus exercé ne peut rien découvrir qui fasse m ontrer que rien dans le c. vi ne prouve le carac ­
connaître les relations du corps eucharistique avec le tère fictif des faits, la non-authenticité des paroles.
pain et le vin. Ce dernier élém ent n ’ est m êm e pas Les principaux argum ents m is en avant sont les
nom m é, et le prem ier est à peine indiqué. suivants : le cadre du discours, les faits racontés,
3° Cette promesse remonte à Jésus. — N on seule ­ du m oins les détails du récit ont une valeur sym bo-
m ent pour le théologien catholique, m ais pour l ’ histo ­ ique et obligent à conclure que nous ne som m es pas
1013 E U C H A R IST IE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 1014

en face d ’ une page d ’histoire, m ais d ’ une m éditation la foule s ’assit sur l’herbe, M atth., xrv, 19. sur Fr<rbe
religieuse sur l ’eucharistie. C ’ est ce que confirm ent verte, M arc., vr, 39; le m iracle a donc lieu an prin ­
les heurts et les incohérences de la narration, les diffé ­ tem ps. Enfin cette préoccupation de faire connaître
rences qui séparent la version johannique et la tra ­ le tem ps et le lieu atteste chez l ’écrivain le souci de
dition synoptique. Q uant au discours de Jésus, il m ontrer qu ’ il entend bien raconter un fait réel· Sans
n ’ a pu avoir de sens pour l ’ auditoire, et, par contre, doute, M atthieu, M arc et L uc font connaître d antres
il fait allusion à des événem ents postérieurs, il parle détails om is par Jean : l ’ heure est avancée et Jésus
de l ’ eucharistie com m e d ’ une institution établie, il pendant le jour a guéri des m alades,prêche le royaum e.
essaie de donner une solution à des problèm es et M ais précisém ent si le quatrièm e É vangile : e rete ­
à des objections que ne connaissaient pas les contem ­ nait du récit des Synoptiques «pie ce «pii prepare Je
porains du Sauveur, m ais ceux de l ’ Évangile. U n discours sur le pain de vie, que n ’a-t-il exploité ces
exam en m inutieux et loyal du c. vi perm et au lec ­ traits :leC hrist institua la cène dans la nuit,sa journée
teur im partial de réduire à néant ces objections. finie, après avoir enseigné, guéri les hom m es, et com m e
D ’ après J. R éville, Le quatrième Évangile, son origine pour leur donner une suprêm e leçon, un reœ ede
et sa valeur historique, 2 “ édit., Paris, 1902, p. 176sq., unique et m erveilleux?
et Loisy, op. ci/., p. 420, le récit de la m ultiplication Le dialogue ne prouve pas m ieux «pie le cadre l ’ in ­
des pains est choisi, présenté, arrangé librem ent par tention exclusivem ent sym bolique de l ’ auteur. J<sus
l ’ auteur qui veut sym boliser l ’idée du C hrist pain s ’ adresse à Philippe, 5. A ndré a aussi un rôle parti ­
de vie. L a scène se passe « de l ’ autre côté de la m er culier : il fait connaître le jeune hom m e «pii possède
de G alilée, » c ’ est-à-dire sur la rive orientale. Loisy les pains d ’ orge et les poissons, 8. Les Synoptiques
est obligé de convenir que le m iracle est « m aintenu parlaient de disciples sans en désigner aucun. A ndré,
dans son cadre prim itif, · op. cil., p. 421, celui qu ’ in ­ frère de Sim on, aurait donc arbitrairem ent été choisi
diquent les Synoptiques. M atth., xiv, 13-21 ; M arc., vi, par saint Jean « à cause de l ’ im ponance de l'incident. »
32-44; Luc., ix, 10-17. Si l ’ évangéliste n ’ entendait Loisy, op. cil., p. 427. S ’ il en était ainsi, pourquoi
pas faire œ uvre d ’ historien, pourquoi a-t-il conservé Pierre lui-m êm e n'aurait-il pas été désigné? Philippe
cette donnée topographique, qui l ’ oblige à introduire com m e A ndré pouvait. a-t-on supposé encore, être
un épisode galiléen entre deux événem ents accom plis particulièrem ent connu dans le m ilieu où le «pia-
à Jérusalem (v, le paralytique de B ethesda; vn, la fête trièm e Évangile fut écrit Loisy, op. cit., p. 246. 425.
des Tabernacles); pourquoi n ’ a-t-il pas choisi le récit Il ne s ’ agit ici «pie d ’ une hypothèse, hypothèse gra ­
de la seconde m ultiplication des pains rapportée par tuite et à laquelle il n ’ est pas nécessaire de recourir :
M atthieu, xv, 32, 39, et M arc, vni, 1-10, sans locali ­ Philippe et A ndré sont de B ethsaïde, xn, 21 ; i, 44,
sation précise? E t ici en saint Jean, vi, 2, com m e en c ’ est-à-dire du pays m êm e; on com prend que le pre ­
plusieurs endroits des Synoptiques, les m êm es phéno ­ m ier soit interrogé sur l ’ endroit où il faudra chercher
m ènes sont reliés : à cause des m iracles, lafoule afflue du pain et que le second connaisse le jeune hom m e
et Jésus cherche la retraite. Le quatrièm e Évangile qui possède quelques vivres.
dit qu ’ il la trouva dans la m ontagne: d ’ après les autres A Philippe, Jésus dit : « O ù achèterons-nous des
évangélistes, les m assifs accidentés que le C hrist choi ­ pains pour que ces gens m angent? » 5. La «piestion
sit pour s ’ y retirer, M atth., xiv, 23; M arc., vr, 46, est-elle « m oins bien am enée «pie dans les Synop ­
sem blent indiquer que la m ultiplication des pains eut tiques, où le peuple, ayant passé la journée près du
lieu dans une région m ontagneuse. Loisy croit que, Sauveur, se trouve le soir au dépourvu, » Loisy,
d ’ après saint Jean, le m iracle n ’ est pas placé là où op. cil., p. 425, et m ontre-t-elle «pie Jean se préoccupe
l ’ont m is les Synoptiques, m ais sur le som m et m êm e m oins de ce qui s'est passé que de son discours sur le
de la m ontagne, « endroit convenable au sym bolism e pain de vie? A ucun indice ne perm et de le dire; la
de la m ultiplication des pains, » et il découvre une foule dont parle saint Jean peut avoir faim , aussi
• parenté m ystique » entre la m ontagne de la tenta ­ bien que celle des Synoptiques : « elle a suivi Jésus, · 2.
tion, la m ontagne du discours, la m ontagne de la ré ­ Elle a d ’ ailleurs été très satisfaite d ’ être rassasiée, 26;
surrection. Op. cil., p. ’ 31. Ces relations n ’ apparaissent elle est préoccupée de la nourriture m atérielle, 27.
guère. E t d ’ ailleurs, le quatrièm e Évangile en réalité Philippe répond : « D eux cents deniers de pain ne
suppose, com m e les Synoptiques, que le prodige fut suffiraient pas pour que chacun d ’ eux pût en avoir un
opéré, non sur la cim e, m ais auprès de la m ontagne : peu, » 8. Le « nom bre im parfait » aurait été choisi,
« Jésus, après avoir m ultiplié les pains, se retira de selon Loisy, p. 426, note 1, pour figurer l'im puissance
nouveau seul sur la m ontagne, » 15. A l'endroit du de l ’ hom m e à m ériter le pain de vie. Q ui le prouve?
m .racle, « il v avait beaucoup d ’ herbe, » les gens « s ’ as­ Philippe indique une som m e «pii lui paraît considé ­
sirent au nom bre d'environ cinq m ille, » 10. rable : telle est la m eilleure explication de son langage.
Saint Jean n ’ a donc pas abstrait l ’ épisode des cir ­ D ’ ailleurs, M arc parle lui aussi de deux cents deniers,
constances de lieu, com m e aurait pu être tenté de vi, 37. Le quatrièm e Évangile conserve de m êm e les
le faire un théologien sym boliste. Il a aussi signalé chiffres de cinq pains et de deux poissons «pii se
une donnée chronologique : « O n approchait de la trouvent dans les trois récits synoptiques et derrière
Pâque, fête des Juifs. » C ette m ention rappelle-t-elle lesquels Loisy lui-m êm e ne peut découvrir aucune
la Pâque future, la cène eucharistique? D es com m en ­ intention sym bolique, alors «pie sept, nombre partait
tateurs catholiques et des protestants conservai eurs d ’ après ce critique, eût clairem ent m anifesté l ’ exœ l-
l ’ ont adm is, sans, pour ce m otif, contester l ’ histoire lence de l'eucharistie.
du récit Fillion, Évangile selon S. Jean, Paris, 1887, Ces cinq pains d'orge et la réflexion : « Q u ’ est-ce
p. 118. V oir aussi Schanz, G oguel, Zahn, W estcott. que cela pour tant de m onde? » prouveraient «pie
D<>it-on dire, au contraire, que le quatrièm e É van ­ l ’ évangéliste introduit les particularités du récit,
gile signale cette date sans souci de la réalité, unique ­ sans aucun souci de faire œ uvre d ’ historien, par im i­
m ent pour suggérer un rapport entre la prom esse et tation littéraire : « D ans le récit des R ois, IV R eg-, rv,
le don du pain de vie? Loisy, op. cil., p. 423. R ien ne 42-44, où l'on voit Elisée nourrir cent hom m es avec
le dém ontre. L ’ indication fournie ici ressem ble à plu ­ vingt pains d ’ orge, le serviteur du prophète «lit :
sieurs autres du m êm e auteur : « O n approchait de la Q u ’ est-ce que cela pour cent hom m es? » Loisy, op. cit.,
Pâque des Juifs. · n, 13; xi, 55; « la fête des Juifs, p. 427. Ces ressem blances ne doivent pas surprendre :
celle des Tabernacles éla t proche, » vn, 2. Ce ren ­ dans l ’ un et l ’ autre cas, il s ’ agit d ’ une m ultiplication
seignem ent s ’ accorde avec la donnée «les Synoptiques: des pains. A côté des sim ilitudes, que d ’ ailleurs on
1015 E U C H A R IS TIE D 'A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 1016

force légèrem ent pour les besoins de la cause, il y a quoi serait-il choisi de préférence à d ’ autres m ets
des différences notables. D ans l ’ un et l ’ autre cas, il accessoires? Q uelle raison de désigner un symbole com­
est question de pain d’orge; rien d ’ étonnant : ce pain plémentaire? E t pourquoi saint Jean insisterait-il
est la nourriture ordinaire. E t si l ’ évangéliste avait plus que ses devanciers sur ces poissons,sur leur dis ­
com posé son récit, sans souci des faits, uniquem ent tribution à la foule, sur ce qu ’ en reçut chacun? Le
de traits sym boliques, il aurait plutôt dû choisir le poisson serait une figure de Jésus, a-t-on suppose
from ent pour m arquer la valeur de la nourriture eu ­ encore. Sans doute il en fut ainsi plus tard, m ais
charistique. Il est vrai que le pain d’orge aurait été rien ne m ontre que ce sym bolism e soit aussi ancien
appelé par une intention sym bolique; il rappellerait que le quatrièm e É vangile. Le poisson est nom m é dans
le pain des prém ices (celui dont parle le récit des les récits des Synoptiques. E t on s'explique à m er ­
R ois), la fête de Pâque en laquelle le C hrist fit la I veille cette donnée : n ’ est-on pas s^ir les bords du lac?
cène eucharistique. Loisy, op. cit., p. 427. Il est plus La foule est rassasiée et il y a surabondance. Jean
naturel de croire que le trait indiqué est historique : dit qu'il reste du pain, est-ce pour m ontrer « le carac ­
le jeune hom m e a apporté le pain qui est d ’ usage tère perm anent, inépuisable du pain de vie? » Loisy,
courant. Le rapprochem ent essayé est d ’ ailleurs su ­ op. cil., p. 428. M êm e si l ’ auteur avait cette pensée, le
jet à caution. N ous ne som m es qu ’ à proxim ité de récit pourrait être liistorique, le sens littéral recou ­
la Pâque; or, c ’ est seulem ent le 16 nisan, second jour vrirait une figure. M ais le trait sem ble plutôt être con ­
de cette fête, que s ’ offrait la gerbe des prém ices. signé afin d ’ accentuer le caractère m erveilleux de la
Le jeune hom m e (παιδάριο· ?) sem ble-t-il « repré ­ m ultiplication des pains. Jésus ordonne, il est vrai,
senter les m inistres auxiliaires de la cène eue a- aux disciples de recueillir le superflu « pour que rien
ristique chez les prem iers chrétiens? » Loisy, loc. cit. ne soit perdu, · 12. C et ordre rappellerait-il l ’ usage
Son rôle ne rappelle que bien im parfaitem ent les liturgique de ne rien laisser à l ’ abandon des élém ents
fonctions des diacres; son nom n ’ évoque pas leur sou ­ eucharistiques? 11 peut fort bien se justifier sans qu ’ on
venir. recoure à cette hypothèse : ce pain servira dans la
La foule, cinq m ille hom m es, s ’ asseoit sur le ga ­ suite. Si c ’ est aux D ouze que cette invitation est adres ­
zon. Ce détail et ce chiffre sont dans les Synoptiques sée, est-ce pour signifier que le pain de vie est confié
aussi bien que dans saint Jean. E t les sym bolistes les aux apôtres, ce u ’ achèverait de prouver le nom bre
plus convaincus ne peuvent donner une explication I des douze corbeilles rem plies de débris? Loisy,op. cit.,
m ystique de leur présence. A lors a lieu la bénédic ­ p.428. Inutile de le croire. O n com prend fort bien que
tion des pains. D ’ après saint Jean, Jésus rend grâces Jésus fasse exécuter ses volontés par scs disciples, et
(εύχαριστήσας ), 11,23. Les Synoptiques disaient qu ’ il puisqu ’ ils sont douze, qu ’ ils recueillent douze cor ­
avait béni les pains (ευλόγησε· ?). Le quatrièm e É van ­ beilles de m orceaux. É tait-il « plus conform e au sym ­
gile, conclut-on, « préfère le term e sacram entel par bolism e » que seuls les débris de pain et non ceux des
lequel on désignait de son tem ps l ’ eucharistie et qui poissons fussent recueillis? O p. cit.,p. 429. Si oui,c ’ est
est déjà em ployé par M arc et M atthieu dans le récit que le poisson n ’ est pas une figure de la nourriture
de la seconde m ultiplication des pains. » Loisy, op. cil., j eucharistique, et il aurait donc dû disparaître du ré ­
p. 428; J. R éville, op. cil., p. 184. M êm e s ’ il en était ! cit tout entier.
ainsi,on ne pourrait conclure de ce fait que l ’ auteur A près le m iracle, raconte saint Jean, 14, 15,1a foule
a conçu artificiellem ent son écrit en vue de l ’ idée | croit que Jésus est le prophète, veut lui donner la
théologique à exprim er. D eux autres évangélistes royauté et le Sauveur se retire. Il n ’ y aurait pas là une
em ploient ce m êm e verbe ευχάριστε· · ?, à propos de la affirm ation d ’ un fait réel, m ais la description, sous
seconde m ultiplication des pains. D ’ ailleurs, M at- ! form ed ’ incident concret,des sentim ents desG aliléens
thieu et M arc, dans le récit de la cène, usent à la fois et 1ε transpo ition de la relation relatée par les Synop ­
de ce m ot et de l ’ autre term e ευλογεί· ?; le dernier, tiques. Loisy, op. cit., p. 431, 432; J. R éville, op. cil.,
verbe actif, m ontre m ieux l ’ opération exercée sur p. 187. Ce sont là des hypothèses gratuites. 11 est, au
l ’ objet. E t si l ’ auteur du quatrièm e Évangile substitue contraire, très vraisem blable qu ’ à la suite de ce m i ­
à l ’ histoire l ’ allégorie, pourquoi n ’ a-t-il pas gardé un racle, la foule ait vu en Jésus un prophète, le M essie
autre m ot qui figure dans les récits des trois Synop ­ national, roi des Juifs. Les prem iers Évangiles af ­
tiques, M atth., xiv, 19: xv, 36; M arc., vi, 41; vm , 6; firm ent, eux aussi, que les tém oins des prodiges du
Luc., ix, 16, m ot qui, d ’ autre part, se retrouve dans C hrist se dem andaient ce qu ’ il était, qu ’ avant le
les narrations de la cène et devint un des term es jour de l ’ entrée triom phale à Jérusalem , ils avaient
techniques par lesquels on désigna dans la haute acclam é en lui le « Fils de D avid ».
antiquité l ’eucharistie? V oir M atth., xxvi, 26; M arc., Les essais tentés pour transform er le second m i ­
xiv, 22; Luc., xxa, 19; I Cor., xi, 24. Pourquoi racle raconté au c. vi, la traversée du lac, en épisode
n ’ a-t-il pas observé que Jésus « rom pit » les pains sym bolique dépourvu de valeur historique, sont en ­
après les avoir bénis? Il aurait ainsi annoncé la core m oins heureux. L ’ évangéliste voudrait préparer
nourriture eucharistique et son rapport avec la les lecteurs à adm ettre « que le corps du C hrist n ’ est
passion du Sauveur. pas som nis aux conditions ordinaires des corps hu ­
Pourquoi encore, s ’ il veut uniquem ent faire pen ­ m ains; » les inviter ainsi « à ne pas s ’ étonner que sa
ser à la com m union, saint Jean écrit-il que les pains chair puisse être un alim ent surnaturel. » J. R éville,
furent distribués par Jésus lui-m êm e, 11, et non par op. cit., p. 176. Loisy écrit de m êm e que Jean « trans ­
les apôtres? O n lit dans les Synoptiques : le C hrist, i form e » un épisode des Synoptiques « dans une inten ­
« rom pant les pains, les donna à ses disciples, et les ’ tion didactique, » pour « faire entendre que le V erbe
disciples les donnèrent au peuple. · M atth., xiv, 19. incarné, qui tout à l ’ heure parlera de donner sa chair
Ce sont donc eux, et non le quatrièm e É vangile, qui en nourriture et son sang en breuvage, n ’ est pas sou ­
pourraient être accusés de vouloir présenter » les m is aux lois de la m atière, pas plus à la loi de l ’ éten ­
D ouze com m e distributeurs de pain de vie. » due qu ’ à celle de la pesanteur. » Op. cit., p. 436.
E t que viennent faire les poissons dans le récit de D ’ abord, le fait n ’ est pas raconté par le quatrièm e
saint Jean, s ’ il est purem ent sym bolique? Le qua ­ Évangile seul; les Synoptiques le relatent. E t d ’ autre
trièm e Évangile n ’ aurait dû m entionner que le pain, part, cette idée de l ’ im m atérialité du corps de Jésus
seul nom m é dans le discours suivant, ou lui adjoindre n ’ est pas relevée dans le discours sur le pain de vie.
le vin. Le poisson serait un symbole complémentaire Si saint Jean ne se soucie que de la partie allégorique
de la vie. Loisy, op. cil., p. 428. Q ui le prouve? Pour ­ du m iracle, pourquoi est-il plus précis que les Synop ­
1017 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E

tiques sur les circonstances de lieu, plus attentif aux le quatrièm e évangéliste parait vouloir faire œ uvre
conditions historiques du fait? C ’ est lui qui nous d ’ historien : il m entionne T ibériade, connaît son em -
apprend que les apôtres se rendent vers Capharnaüm, : placem ent précis, sait que dans ce port se trou ­
17; qu ’ ils avaient fait environ vingt-cinq ou trente stades, vaient des barques.
au m om ent où ils virent Jésus, 19. « L ’ inquiétude des A près cet exam en m inutieux des deux m m .-its
disciples abandonnés sur le lac au m ilieu de la nuit» nous avons le droit de conclure que. si la m ultipnca-
figurerait « leur angoisse au tem ps de la passion et la tion des pains et la traversée d : . - : :
situation de l ’ Église au m ilieu du m onde :cn dépit des discours sur le pain de vie, le préparent, ces -- -■
apparences, le C hrist ne délaisse pas les siens. » Loisy, ne sont pas des créations de l ’ écrivain. Ces .
op. cit., p. 437. S ’ il en est ainsi, com m ent expliquer diges peuvent préparer l'esprit à accepter plus
que les Synoptiques soulignent plus fortem ent la durée lenient l ’ idée d ’ un D ieu-hom m e qui com m ande a la
des ténèbres, la rage de la tem pête, la peur des apôtres, nature et prom et un pain m erveilleux. O n com prend
l ’ action m iraculeuse de Jésus; com m ent com prendre que l ’ évangéliste ait rapproché ces épisodes du d.s-
que Jean représente les disciples effrayés, non de cours.R ien n ’ em pêche m êm e» que la connexion ait c·.
l ’ absence,m ais de l ’ apparition du M aître, qu ’ il ne ra ­ établie par Jésus : le Sauveur a pu partir du fait de ia
conte ni le dem i-naufrage de Pierre ni son relèvem ent m ultiplication des pains et du voyage de la foule à
par le Sauveur? Q ue vient faire, d ’ ailleurs, ce sym bo ­ sa recherche pour en tirer une leçon sur l ’ em presse ­
lism e accessoire dans le chapitre qui serait consacré m ent qu ’ il faut avoir pour le pain de vie qu ’ il est
exclusivem ent au pain de vie, dans un épisode des ­ lui-m êm e. » Lepiu, La valeur historique du quatrième
tiné à prouver que Jésus peut donner une chair qui Évangile, Paris, 1910, 1.i, p. 69.
n ’ est soum ise ni à la loi de la pesanteur ni à celle de Suit le discours sur Jésus nourriture céleste. Il faut
l ’ étendue? noter que l ’ entretien est séparé du récit de la m ulti ­
Q ue la m arche sur les eaux prouve la toute-puissance plication des pains par celui de la traversée du lac :
du Sauveur et facilite l ’ acceptation de la prom esse du ce qui donne à entendre que les choses se sont passées
pain de vie, rien n ’ est plus vrai. M ais il faudrait dé ­ com m e elles sont racontées : un sym boliste aurait éti
m ontrer que le fait a été inventé de toutes pièces pour tenté de supprim er toute interruption entre la pro ­
établir la thèse. C ’ est ce qu ’ on ne fait pas. E t il faut duction du pain m iraculeux et celle du pain eucha ­
convenir que le m iracle se trouve dans les Synop ­ ristique.
tiques, que la toute-puissance de Jésus m archant sur Sur le lieu où fut prononcé le discours, Loisy
les flots y est m ise en m eilleur relief. croit trouver des indications contradictoires : « Le
L ’ indépendance du Sauveur à l ’ égard des lois de C hrist, au début de l ’ entretien, était près de la mer.
l ’ étendue n ’ est d ’ ailleurs guère appare ite en cet en ­ com m ent le discours a-t-il pu être prononcé en syna­
droit. Loisy prétend que, contrairem ent au récit des gogue » d Capharnaüm ? Les versets 25 et 59 sont en
Synoptiques, la narration de Jean fait atterrir la désaccord. « L ’ évangéliste n ’ a aucun sou· :; de i in­
barque aussitôt que J sus paraît, sans pourtant qu ’ il cohérence introduite dans son récit par les indica ­
soit entré dedans. Op. cil., p. 436. C ’ est ainsi que ce tions contradictoires qu ’ il a données; » « il n ’a visé
critique interprète le t. 21 : « Ils (les disciples) vou ­ qu ’ à une certaine vérité générale de représentation.»
laient donc le prendre dans la barque et aussitôt Op. cil., p. 464-465.
(εύϋέω:) la barque aborda au lieu où ils allaient. » M ais l ’ opposition existe-t-elle véritablem ent? Sans
C ette traduction donne à l ’ adverbe εύβέως le sens de doute, à la fin du discours, on lit ces m ots : « Jésus dit
aussitôt; ce m ot peut signifier ici directement. Le con ­ cela en synagogue à C apharnaüm , » 59. M ais est-il
texte perm et de lui attribuer ce sens. Jusqu ’ à l ’ arri ­ affirm é au début que l ’ entretien est com m encé sur
vée de Jésus, en raison de la tem pête, la barque le bord du lac, 25? N ullem ent, il est dit que la foule
était ballottée, n ’ avançait point. Le Sauveur paraît : trouve Jésus « de l ’ autre côté de la m er. » L ’ évangé ­
le vent devient favorable et l ’ em barcation va en droite liste n ’ ajoute pas que c ’ est sur la rive m êm e. Puis, si
ligne, m ais non subitement au but. Le quatrièm e c ’ est en cet endroit que la rencontre eut lieu, le dis ­
Évangile ne dit pas que Jésus n ’ entre pas dans la cours fut-il com m encé aussitôt? S ’ il le fut, ne put-il
barque, m ais que les apôtres, voyant qu ’ il n ’ était pas être term iné à l ’ intérieur de la synagogue? L ’ en ­
pas un fantôm e, consentirent à le prendre. Il n'y est tretien d ’ ailleurs a pu être très long; saint Jean ne
ionc pas clairem ent question d ’ un triom phe du corps prétend pas en donner un com pte rendu textuel, il
du C hrist sur l ’ étendue. Fût-il affirm é, le fait ne rapporte ce qu ’ il a retenu et qui va à son buL
pourrait être récusé que pour de bonnes raisons. Le dialogue du Sauveur avec la foule parait très
« Le m iracle de la m arche sur les eaux » a-t-il en ­ naturel, très vivant et très vraisem blable. E lle trouve
core été inséré pour « m ontrer dans ce retour de Jésus, lui dem ande com m ent il est passé d ’ une rive à
Jésus à son pays terrestre le sym bole de la rentrée du l ’ autre du lac. E lle sem ble attendre un nouveau m i ­
Fils de l ’ hom m e dans sa gloire éternelle et des condi­ racle. Jésus lui répond : V ous m e cherchez parce que
tions de son im m ortalité? » Loisy, op. cit., p. 437. vous avez été rassasiés. T ravaillez en vue de la nour ­
Pourquoi ce nouveau sym bolism e? D ’ ailleurs, ce riture éternelle. — Q ue faut-il faire? — C roire en celui
n ’ est pas à N azareth, m ais à C apharnaüm , que va que D ieu a envoyé. — Q uel m iracle accom plis-tu?
Jésus. E t le retour en sa patrie terrestre a-t-il quelque M oïse donnait la m anne à nos pères. — La m anne
rapport avec la rentrée dans la gloire? Ici le rappro ­ n ’ était pas le vrai pain du ciel. Le pain de D ieu est
chem ent n'est pas seulem ent gratuit, il est inexpli ­ celui qui descend du ciel et accorde la vie au m onde. —
cable et presque im perceptible. D onne-nous toujours de ce pain. — Je suis le pain de
L a foule,elle aussi, traverse le lac pour rejoindre vie. C royez en m oi et je vous ressusciterai. — N ’ est-ce
Jésus, 22-25. C et épisode que ne m entionnent pas les pas là Jésus, le fils de Joseph? — N e m urm urez pas.
Synoptiques serait invraisem blable; Jean l ’ aurait Celui qui croit en m oi a la vie étem elle. Je suis le pain
im aginé pour rendre plus éclatant le prodige en lais ­ de vie. E t le pain que je donnerai c ’ est m a chair. —
sant croire qu'il a été constaté par la foule. Loisy, ■ C om m ent peut-il nous donner sa chair? — Si vous ne
op. cit., p. 438. C ette supposition n ’ est pas facile à I la m angez, vous n ’aurez pas la vie. — C ette parole
com prendre. Ce que dit Jean n ’ est ni im possible à est dure; qui peut l ’ écouter? — Cela vous scandalise?
adm ettre ni en contradiction avec les affirm ations E t quand vous verrez le Fils de l ’ hom m e m onter où il
des autres évangélistes : une partie de la foule a pu était auparavant? Il y en a qui ne croient point N ul
revenir par la voie de terre, une autre par le lac. E t ne peut venir à m oi si cela ne lui a été donné par le
1019 E U C H A R IS T IE D ’ A P R ÈS LA S A IN T E É C R IT U R E 1020

Père. E t vous, les D ouze, voulez-vous aussi m e par cette relation, une participation à la vie divine
quitter? — V ous avez les paroles de la vie éternelle, que le V erbe reçoit du Père; elle dépose pour la trans­
répo.id Pierre. formation finale de l'être des forces que la résurrection
T aat se tient, s ’ enchaîne; le développem ent n ’ a mettra en activité, et ainsi elle confère la vie éternelle ;
rien de fictif, d ’ artificiel. E t on sent que les faits ont elle purifie l ’ âm e puisque le lavem ent des pieds a été
fort bien pu se passer ainsi : rien ne s ’ y oppose. Le substitué à la cène. Loisy, op. cit., p. 428, 458, 708,
Sauveur greffe habilem ent son enseignem ent sur le 710, 714, 729, 918, 919, 936. V oir aussi H . J. H oltz ­
m iracle; il révèle peu à peu sa pensée; il recourt à la m ann, Neutestamenlliche Théologie, Leipzig, 1897,
com paraison de la m anne pour m ieux faire accepter t. n, p. 497 sq.; J. R éville, op. cil., p. 148, 182.
ce que soa langage a d ’ insolite; il parle d ’ abord de la Si nous discutons chacune de ces affirm ations, nous
foi, e isuite seulem ent de l ’ eucharistie. E t parce que som m es obligés de constater d ’ abord que les em ­
l ’ idée est neuve, parce que ses auditeurs ne peuvent fa ­ prunts à la liturgie eucharistique de la fin du i or siècle,
cilem ent com prendre que la chair de Jésus sera une dans ce qu ’ elle offrait de spécifiquem ent distinct
nourriture, le Sauveur se répète, insiste, em ploie des du rite prim itif, ne sont pas dém ontrés. D éjà nous
expressions toujours plus fortes. A ussi un certain avons établi qu ’ il est im possible d ’ adm ettre le carac ­
nom bre de disciples scandalisés l ’ abandonnent. Le tère sym bolique de la plupart des détails du récit de
M aître n ’ en est pas surpris, il sait et reconnaît que la m ultiplication des pains. L ’ em ploi du m ot σαρξ de
sans la foi on ne peut adhérer à son enseignem ent, préférence à σώμα s ’ explique très bien : il est parlé du
et qu il annonce un m ystère. Les D ouze ne disent pas corps de Jésus com m e d ’ une nourriture, d ’ une viande
qu ’ ils ont com pris, m ais qu ’ ils croient. La défection des céleste, d ’ une chair qui donne la vie. D ’ ailleurs,
disciples n ’ est pas dissim ulée, aucune préoccupation les deux term es sont usités égalem ent dans les docu ­
apologétique n ’ apparait. T out est m ystérieux, tout est m ents liturgiques. L ’ allusion au rite de la com m union
vraisem blable. sous l ’ espèce du vin est affirm ée par les critiques
Sans doute, les m étaphores sont nom breuses; m ais en raison d ’ une vague ressem blance qu ’ il est perm is
elles le sont m oins qu ’ on le prétend. Jésus, d ’ ailleurs, de discuter; d ’ ailleurs à l ’ époque où fut rédigé le
sans f lire disparaître toute enigm e, prend la peine quatrièm e Évangile, le m inistre de l ’ eucharistie dis ­
d ’ expliquer com m ent il est fa manne, le pain du ciel, tribuait-il du vin ou du pain trem pé dans la coupe?
■ce que signifient les m ots venir à lui. Le C hrist des Il y a une sim ilitude entre les assem blées des prem iers
Synoptiques se sert, lui aussi, de com paraisons, d ’ al ­ chrétiens et les réunions des disciples honorées
légories, et propose des paraboles. E t si, dans la der ­ de la présence du Seigneur ressuscité : prouve-t-elle
nière partie du discours, le Sauveur n ’ explique pas que l ’ évangéliste invente ce qu ’ il dit de l ’ eucharistie?
en quel sens on doit le manger, c ’ est que le m ot doit L ’ allégorie de la vigne est destinée à faire com prendre
s ’ entendre au sens littéral. que les fidèles doivent être unis à Jésus pour porter
A insi encore, le V erbe johannique rejoint Jésus des du fruit; où est le sacrem ent? Les prières eucha ­
Synoptiques. O n a vivem ent soutenu le contraire. ristiques de l ’ ancienne liturgie rappellent l ’ oraison
O n a essayé d ’ établir une opposition entre le concept sacerdotale de Jésus à la cène; soit, m ais est-ce parce
de l ’ eucharistie du quatrièm e Évangile et celui de que le quatrièm e Évangile m et sur les lèvres du Sau­
ses devanciers. O n a cru découvrir m aintes allusions veur les form ules en usage de son tem ps . N ’ est-il pas
à la liturgie de l ’ époque et du pays où fut rédigé plus naturel de penser que les prem iers chrétiens se
l ’ écrit johannique; on a dit que Jésus parlait de l ’ eu ­ sont inspirés des paroles du M aître? Le rapprochem ent
charistie com m e « d ’ une institution actuellem ent en entre l ’ agape et la cène laisse encore plus rêveur;
vigueur. » D éjà nous avons noté que pour Loisy la l ’ agape était-elle célébrée là où écrivait saint Jean,
présence des restes après la distribution des ali ­ et si oui, était-elle unie à l ’ eucharistie? E t s ’ il en était
m ents m ultipliés fait allusion à la perm anence du ainsi, faut-il conclure qu ’ il n ’ en était pas de m êm e à la
sacrem e.it ; que l ’ ordre de ne rien perdre donné après prem ière cène, que l ’ institution de l ’ eucharistie ne
ce m iracle rappelle le soin des prem iers chrétiens pour devait pas être liée à un repas, que dans ce repas il ne
ne laisser tom ber aucune parcelle consacrée; que le pouvait pas être question de la charité? Le recours à
possesseur des pains d'orge est le type des diacres; la liturgie de la fin du i or siècle pour expliquer la
que le m ot εύχαριστήσα; em ployé dans le récit du juxtaposition des idées de banquet, de sacrem ent et
prodige est le term e technique qui désigne la cène. d ’ agape n ’ est nullem ent nécessaire.
D ’ autre part, « la substitution de σαρξ, chair, à Pas plus que les rites, la théologie johannique de
σώμα, corps, dans le discours sur le pain de vie l ’ eucharistie n ’ est différente de celle de ce sacrem ent
est aussi à expliquer par le langage liturgique et dog ­ d ’ après les autres écrivains. Jésus annonce qu ’ il don ­
m atique de tem ps. » Loisy, op. cil., p. 458. L ’ appa ­ nera sa chair à manger, son sang à boire. Les Synop ­
rition de Jésus ressuscité dans les réunions des dis ­ tiques et saint Paul lui font dire : Prenez, mangez,
ciples, xx, 26; xxi, 1, ligure les assem blées dom inicales ceci est mon corps; buvez, ceci est mon sang, la nou­
des chrétiens, sous la présidence m ystique du Sei­ velle alliance dans mon sang. Le V erbe johannique rap ­
gneur. Le pain trem pé que Jean fait offrir par Jésus pelle que sa chair est livrée pour la vie du m onde.
à Judas est le rite antique de la com m union sous l ’ es ­ A la cène, le C hrist des Synoptiques et de saint Paul
pèce du vin; la m ention de l ’ arrivée de Satan dans dit : Ceci est mon sang versé pour beaucoup, versé pour
l ’ âm e du traître m ontre l ’effet de la m auvaise com ­ beaucoup en rémission des péchés; ceci est mon corps
m union. < L ’ allégorie de la vigne est une allusion assez donné pour vous; ceci est mon corps pour vous, la nou­
directe aucérém o liai eucharistique et le chapitre xvi velle alliance est dans mon sang versé pour vous. Le
est une prière d ’ actions de grâces, prototype des quatrièm e Évangile m ontre dans le sacrem ent un
prières analogues qui se faisaient dans les com m u ­ m oyen d ’ union à Jésus et par lui au Père; les Synop ­
nautés après les repas sacrés. » Le récit johannique de tiques et l ’ apôtre disent du sang eucharistique qu ’ il est
la dernière cèae insiste sur l ’ am our, c ’ est-à-dire sur celui de l’alliance·, saint Paul prouve que le com m u ­
l ’ agape, parce que, dans les m ilieux où vit l ’ évangé ­ niant participe au Seigneur. Faut-il, en raison de
liste, eucharistie et agape sont unies. Les effets du l ’ épisode du lavem ent des pieds, que Jean place à la
pain de vie sont d ’ ailleurs exprim és en une théologie cène, attribuer à celle-ci la vertu de rem ettre les pé ­
tardive, bien postérieure à celle des Synoptiques. La chés? C ette conclusion est loin d ’ être dém ontrée; si
chair du Sauveur est nécessaire au fidèle, pour éta ­ elle l ’ était, on devrait se rappeler qu ’ en saint M at ­
blir une circuminseision entre Jésus et les fidèles et, thieu la rémission des péchés est m entionnée dans les
1021 E U C H A R IS T IE D ’ A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 1022

paroles prononcées par Jésus sur la coupe. Le qua ­ paraison que lui-m êm e se déclare le vrai pain de
trièm e Évangile insiste sur la com m unication de la descendu du ciel et envoyé par D ieu au m onde. Ce
vie, de la vie éternelle aux fidèles qui m angeront la rapprochem ent qui donne à son langage une certain· .·
chair du Sauveur : il les ressuscitera au dernier jour. apparence de m étaphore; d ’ autre part, le carart ère
Si les form ules de l ’ institution conservées par les nettem ent allégorique de la form ule : * Je suis le pair
Synoptiques ne signalent pas en term es exprèsceteffet, de vie; » enfin,l ’ em ploi du titre im personnel d.
il faut pourtant se souvenirque la perspective eschato- de l'hom m e », tout contribue à répandre sur son dis ­
logique apparaît aussi chez eux : après avoir présenté cours une teinte m ystérieuse. Les Juifs en p- rnnvint
le pain et la coupe, Jésus ajoute : « Je ne boirai plus bien le vrai sens, puisque, à ce qu i! prétend de L des ­
désorm ais de ce fruit de la vigne jusqu ’ au jour où je cente du ciel, ils objectent ce qu ’ ils savent de soc
le boirai nouveau dans le royaum e de m on Père, » et origine terrestre; néanm oins, dans son ersem bk,
il y a lieu de ne pas oublier qu ’ après avoir dénoncé la révélation reste fort discrète. Ce qu'elle offre de
la faute des m auvais com m uniants, saint Paul ajoute : clarté est d ’ ailleurs grandem ent atténué par ce qr il
« C ’ est pour cela qu ’ il y a parm i vous beaucoup de y a de déconcertant pour l ’ esprit juif dans cette per ­
débiles et de m alades et qu ’ un grand nom bre sont spective d ’ un M essie qui livre sa vie en sacrifice et
m orts. » L ’ idée de la vie éternelle com m uniquée par donne sa chair à m anger, son sang à boire, pour le
Jésus n ’ est pas étrangère aux Synoptiques. M atth., salut du m onde. » A insi « le Sauveur ne proclam e
vu, 14; xvin, 8; xix, 16, 29; xxv, 46; M arc., ix, pas de but en blanc et avec une évidence im m édiate
42; x, 30; Luc., x, 25, 28; xvin, 18, 30. D e m êm e il qu ’ il est le Fils de D ieu descendu du ciel où il préexis ­
est affirm é par eux que c'est le C hrist qui introduit tait éternellem ent auprès du Père. » C om m e dans les
dans le royaum e, M atth., xm , 41; xix, 28; xxv, 19, trois autres Évangiles, sa m anifestation est discrète,
23, 32, 46; Luc., xrx, 12; xxn, 29, 30, et que ce m énage à la fois l ’ om bre et la lum ière. Ce n ’ est pas
royaum e est inauguré ici-bas. Les conceptions sont ainsi qu ’ un théologien de la fin du i" siècle eût
pour le fond identiques chez Jean et chez ses devan ­ construit une thèse de la divinité de Jésus. Lepin,
ciers : dans le quatrièm e Évangile aussi bien que dans op. cit., t. n, p. 388.
lesautres, ce qui est très fortem ent accusé, c ’ est l ’ effet E t pourtant, Loisy croit voir dans ces déclarations
eschatologique : cinq fois il est parlé de la vie éternelle du V erbe sur lui-m êm e, sur la foi à laquelle il a droit
opposée à la m ort, vr, 40,47, 50, 51,54, 58, et quatre et sur l ’incrédulité à laquelle il se heurte, une réponse
fois en term es form els de la résurrection au dem ier à des questions qui hantaient la pensée des contem ­
jour, vi, 39, 40, 44, 54; m ais, d ’ autre part, cette vie porains de l ’ évangéliste : Pourquoi la prédication du
est présentée com m e étant, dès l ’ existence présente, Sauveur a-t-elle été infructueuse? Pourquoi les Juifs
assurée au com m uniant. Enfin, si saint Jean insiste ne se convertissent-ils pas? 1) s ’ agirait, selon lui.
davantage sur l ’ obligation, la nécessité de recevoir la d ’ expliquer le peu de succès que Jésus a obtenu dans
chair et le sang du Sauveur, on relève pourtant dans sa patrie et l ’ échec du m inistère galiléen. » Saint Jean
les Synoptiques l ’ ordre de s ’ approcher du sacrem ent : m ontre « l ’ aveuglem ent de la m asse qui ne trouvait
« Prenez, ceci est m on corps, » est-il dit en saint M arc; pas que les œ uvres de Jésus fussent celles du libé ­
« Prenez, m angez, buvez, » écrit saint M atthieu; rateur attendu. » Il veut enseigner deux idées très
«Faites ceci en m ém oire de m oi, » lit-on dans saint sim ples : «Le peuple juif aurait cru volontiers à ce
Paul. que Jésus n ’ était pas et ne voulait pas être; il refusait
J. R éville, Les oriyines de l’eucharistie, p. 68, croit de croire à ce que Jésus était, bien que Jésus dît et
découvrir une autre différence entre l ’ eucharistie fît tout ce qu ’ il fallait pour être reconnu des âm es de
johannique et la cène des prem iers évangélistes et de bonne volonté... ces vues correspondent à la situa
saint Paul. « L ’ idée retrouvée partout ailleurs que la tion générale du Sauveur à l ’ égard de ses com pa ­
participation au m êm e pain et à la m êm e coupe sont triotes, en tant que cette situation avait besoin d ’ être
le sym bole et le gage de l ’ union ou de la solidarité définie pour les chrétiens, dans leurs controverses
entre chrétiens, ne paraît pas davantage chez lui (chez avec les Juifs, à l ’ époque où l ’ É vangile fut écrit. » E t
Jean). Le pain de vie assure l ’ union des fidèles et du si le Sauveur déclare que ses auditeurs ne croient pas
C hrist, m ais il ne représente pas l ’ union des fidèles parce que seuls ont la foi ceux que le Père lui a don ­
entre eux pour ne form er qu ’ un seul corps, s Pour nés, « cette explication transcendante de l ’ incrédulité
résoudre cette difficulté, il suffit d'analyser ces deux judaïque » n ’ a pu « être proposée dans une conver ­
affirm ations et de leur juxtaposer la conclusion de sation réelle entre Jésus et ses auditeurs; » l ’ évangé ­
l ’ auteur. L ’ idée d ’ union par la charité n ’ est pas expri ­ liste éclaire ses contem porains. Op. cit., p. 442, 443,
m ée, objecte-t-il; donc elle est exclue, conclut-il. 448, 449, 450, 451, 459, 474.
C ette conséquence ne découle nullem ent de la pré ­ Ces affirm ations appellent toutes des points d ’ inter ­
m isse. Saint Jean ne parle pas de ce qui ne va pas rogation. Les lecteurs du quatrièm e Évangile avaient-
nécessairem ent à son but. A u reste, les Synoptiques ils un « besoin » particulier de savoir les m otifs hu ­
n ’ insistent pas plus que lui sur cet effet et ce sym ­ m ains de l ’ échec de Jésus auprès de ses com patriotes?
bolism e de la com m union. E t si saint Paul le m et N ous l ’ ignorons. Saint Jean a-t-il voulu spécialem ent
en relief, c ’ est qu ’ un m otif particulier le décide à le les renseigner sur ce sujet? Il ne le dit pas. Le pre ­
faire. m ier m otif de l ’ incrédulité judaïque, les conceptions
A insi il est im possible d ’ établir que la théologie eu ­ grossières qu ’ avaient du M essie les contem porains
charistique de saint Jean est trop différente de celle du Sauveur sont-elles m ises en plus grand relief dans
des prem iers évangélistes pour pouvoir être considé ­ ce discours que dans d ’ autres passages du quatrièm e
rée com m e l ’ expression de la pensée de Jésus. M . Le- É vangile, m ieux m arquées que dans les Synoptiques?
pin a aussi fort bien m ontré que, dans le discours sur N ullem ent. La seconde raison, le défaut de :: =t -
le pain de vie, Jésus m anifeste son origine divine nation divine vaut-il pour les G aliléens seulem ent?
com m e il le fait dans les Synoptiques « avec tous les Pas du tout; seul croit parm i les gentils com m e ; arm t
caractères d ’ opportunité, d ’ habileté, de m esure qui les Juifs, celui qui est attiré par le Père. Ces deux con ­
conviennent à une révélation authentique et vivante, sidérations épuisent-elles tout ce qui pouvait être dit
non à une t lèse théologique. » « Il com m ence par se sur ce problèm e de l ’ endurcissem ent d ’ Israël? C ertes
com parer à la m anne que les Israélites regardaient non, il suffit de se rappeler le discours du diacre
com m e un alim ent envoyé de D ieu; et c ’ est après É tienne ou les développem ents de saint Paul sur ce
avoir fixé l ’ attention de ses auditeurs sur cette com ­ sujet pour s ’ en convaincre; ici, nous ne trouvons rien
1023 E U C H A R IST IE D ’A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 1024

sur les prophéties ou figures qui annoncent la répro ­ I avait revêtu ses idées pour les exposer à la foule de
bation des Juifs, rien sur leurs anciennes infidélités, C apharnaüm . Le Seigneur pouvait aussi proposer sa
rien sur la vocation des nations, rien sur les espérances doctrine en term es voilés et quelque peu énigm atiques;
de conversion future d ’ une partie du peuple élu, rien ici, il se contente de prom ettre, l ’ avenir devra m ontrer
sur l ’ incom préhensibilité du m ystère de la prédesti ­ avec une plus grande précision ce qu ’ il a voulu donner.
nation. Juifs et G aliléens, d ’ ailleurs, sem blent avoir quelque
Plus insoutenable encore est la prétention do peu com pris les paroles de Jésus. Ils le prouvent par
ceux qui croient apercevoir dans le discours sur le leurs objections et par leur défection; objections qui
pain de vie un désir de venger les fidèles des accusa- | ne sont pas invraisem blables sur leurs lèvres; dé ­
tions d ’ anthropophagie portées centre eux, « une | fection que l ’ É vangile n ’ avait aucun intérêt à in­
triom phante apologie contre les fausses idées et les venter.
grossières objections des Juifs ou des païens » sur I A rrivé au term e de cette discussion, nous avons le
l ’ eucharistie. H oltzm ann, op. cil., t. n, p. 502; Loisy, droit de conclure qu ’ aucun argum ent m is en avant
op. cil., p. 465. D ’abord, les calom nies sont con ­ par les critiques n ’ oblige à voir dans l ’ enseignem ent
statées pour la prem ière fois par saint Justin, donc du c. vi des doctrines différentes de l ’ enseignem ent de
bien après l ’ apparition du quatrièm e Évangile : Jésus. E t si, d ’ autre part, nous adm ettons ce que non
nous ignorons si elles avaient cours dans le m ilieu seulem ent le théologien catholique adm et, m ais ce
où vivait saint Jean. L ’ intention apologétique ne se qui est historiquem ent dém ontré,l’ origine johanuique
m ontre pas d ’ ailleurs : l ’ auteur serait très m aladroit, du quatrièm e É vangile, nous devons croire que saint
s ’ il voulait détruire ce grief, car es expressions très Jean n ’ aurait pas osé prêter à son divin M aître des
dures dont il se sert, qu ’ il répète avec insistance sans révélations aussi étranges, aussi graves, s ’ il n ’ avait pas
les expliquer, sans les atténuer si ce n ’ est par une dé ­ été convaincu qu ’elles ém anaient de lui et si elles
claration presque énigm atique (les paroles que je vous n ’ ém anaient pas de lui, en réalité. Il n ’ aurait pu le faire
ai dites sont esprit el vie), n ’ auraient pu qu ’ accréditer sans être un im posteur.
les soupçons et donner prise à la m alignité publique. IL C e q u ’ a d o n n é J é s u s ; c e q u ’ o n t c r u r e c e ­
N om breux sont les écrivains chrétiens qui ont dû v o i r l e s p r e m i e r s ciiRÉriEN s. — 1 ° Histoire du pro ­
com battre l ’ accusation des païens · leur langage est blème.— D ans l ’ antiquité, au m oyen âge et jusqu ’ au
tout différent de celui du quatrièm e Évangile. xvi° siècle, presque tous les catholiques croient que
J. R éville suppose que c ’ est contre des objections Jésus-Christ a institué l ’ eucharistie et entendent au
d ’ une autre nature que lutterait saint Jean, m ais sens ittéral les paroles de la cène : quelques individus
toujours contre des objections de son m ilieu et non seuls font exception. Les Églises séparées d ’ O rient,
des contem porains de Jésus. · D ans les groupes toutes les confessions qui se disent chrétiennes — en
chrétiens d ’ A sie, » · l ’ équation pain = chair, vin = dehors de quelques sectes — professent la m êm e foi.
sang du C hrist » aurait existé, m ais le sens et la C eux des protestants qui nièrent la présence réelle
valeur en auraient été « flottants ». D ans « ce m ilieu sa­ essayèrent de donner un sens figuré aux m ots : Ceci
turé d'idéalism e alexandrin et de docétism e, » cer ­ est mon corps, ceci est -non sang. D éjà, B ellarm in com p ­
tains disciples du C hrist n ’ auraient pas adm is cette tait plus de cent systèm es d ’ interprétation : Ceci,
doctrine, auraient protesté contre elle. Op.cil., p. 64. aurait dit Jésus en se montrant, est mon corps. Ceci, le
Le quatrièm e Évangile com battrait ces négations. collège apostolique, est mon corps; ceci est l’image de
C ’ est là une hypothèse gratuite. L ’ existence de ces mon corps, l’image de ma passion, l’image des grâces que
adversaires de la présence réelle n ’ est pas prouvée, mérite ma mort, l’image de la nouvelle alliance, l’image
l ’ absence d ’ une doctrine certaine sur l ’ eucharistie dans de ma doctrine, l’image des bien/aits qu’on recevrait
le m ilieu où vivait l ’ auteur est ignorée de l ’ historien. en mangeant ce pain s’il était mon corps, l’image de la
Le lecteur du c. vr sait que Jésus parle à des Juifs, à société chrétienne, etc. D e nos jours encore, certains
la foule galiléenne et que les objections ne sont pas protestants croient que l ’ eucharistie rem onte à
celles que pourraient faire des idéalistes docètes, m ais Jésus-Christ, m ais qu ’ elle ne contient pas la chair
celles auxquelles pouvaient penser des G aliléens et du Sauveur.
des Juifs. A ucun indice ne perm et de croire que, der ­ Jusqu ’ au xix° siècle, l ’ institution du sacrem ent par
rière les G aliléens et les Juifs, l ’ évangéliste vise ses N otre-Seigneur n ’ a guère été attaquée. Paulus la m it
contem porains. E t s ’ il le fait, pourquoi ne serait-ce en doute, G frôser la nia, Strauss la déclara possible,
pas avec des paroles qu ’ aurait réellem ent prononcées, m ais affirm a que les faits ne s ’ étaient pas passés
dans son entretien avec des Juifs en chair et en os, le com m e les évangélistes les racontaient. R enan soum it
C hrist historique? les récits à un véritable travail d ’ escam otage. Pour
Si donc tout allusion à des faits, à des institutions, à enseigner qu ’ il était le pain nouveau dont l ’ hum anité
des doctrines, à des erreurs qu ’ aurait ignorés Jésus et allait vivre — idée qui lui était chère — «Jésus disait
qui lui seraient postérieurs de cinquante ans et plus, à ses disciples : Je suis votre nourriture, phrase qui,
ne peut être découverte dans le discours, on a tort de tournée en style figuré, devenait : Ma chair est votre
soutenir que ses affirm ations auraient été inintelli ­ pain... Puis, à table, m ontrant l ’ alim ent, il disait: Me
gibles pour des paysans de G alilée, que l ’ entretien sur voici; tenant le pain : Ceci est mon corps; tenant le
le pain de vie ne pouvait être com pris de la foule à vin : Ceci est mon sang; toutes m anières de parler qui
laquelle parle le Sauveur. J. R éville, op. cil., p. 65; étaient l ’ équivalent de : Je suis votre nourriture...
Loisy, op. cil., p. 444, 447, 450, 469, etc. D ’ ailleurs, les D ans le dernier repas ainsi que dans beaucoup d ’ au ­
catholiques ne prétendent pas que le langage de Jésus tres, Jésus pratiqua son rite m ystérieux de la fraction
soit littéralem ent reproduit. L ’ auteur devait se bor ­ du pain. » Vie de Jésus, 13° édit., Paris, 1875, p. 312,
ner, il avait pu oublier, il n ’ était obligé de dire que ce 316-317, 399.
qui allait à son but. É crivant pour des lecteurs qui En 1891, un travail de H arnack, Brot und Wasser,
connaissaient l ’ eucharistie et que les form ules litur ­ die eucharistischen Elemente bei Justin, dans Texte und
giques avaient fam iliarisés de longue date avec les Unlersuchungen, nouvelle série, Leipzig, 1891, t. vu, 2,
affirm ations chrétiennes, l ’ évangéliste pouvait abréger, p. 115-144, m arqua le début d ’ une nouvelle période
om ettre des explications qui avaient été données aux de recherches. D epuis ce m om ent, « aucun problèm e
Juifs, présenter les paroles de Jésus sous une form e d ’ histoire religieuse n ’ a suscité autant de livres, de
qui ne com prom ettait pas l ’ exactitude de la pensée, brochures, d ’ articles que celui-là. · G oguel, op. cil.,
m ais qui n ’ était pas littéralem ent celle dont le V erbe p. 1. Y a-t-il eu un dernier repas solennel de Jésus et
025 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 1026

des disciples? A vait-il le caractère de festin pascal ou Jülicher, Zur Geschichte der Abendmahlsjeier in der
celui d ’ une autre cérém onie juive, le kiddûs, par altesten Kirche, Fribourg-en-B risgau, 1892, écrit. Ici
exem ple? É tait-ce un banquet d ’ adieu? U ne anticipa ­ aussi, que la dernière cène fut un enseignem ent sym bo ­
tion du repas eschatologique? La cène était-elle liée lique. D es quatre tém oins, seuls M atthieu et M arc
à la m ort du C hrist et com m ent? La figurait-elle, de représentent la vérité historique sans a Idition posté ­
quelle m anière? Q uelles paroles prononça Jésus et rieure. Us ne m entionnent pas l ’ ordre d« r» terer-e der ­
quel était leur sens? Instituait-il quelque chose, pro- nier repas. D onc, ce banquet n ’ était pas une institu ­
fessait-il un acte dont il désirait la réitération? L ’ or ­ tion, m ais un festin d'adieu.L a pensée de J· sus était
donnait-il? Les récits de la cène sont-ils authentiques? tout entière fixée sur sa m ort qu ’ il
R eprésentent-ils une tradition prim itive?Q uelles sont et dont il voulait annoncer le caractère douloureux et
leurs sources? O nt-ils été rem aniés? D ans quel rapport fécond. A im ant les paraboles, profitant .· ■ u-
sont-ils entre eux? Peut-on distinguerdiverses concep ­ jours des circonstances, recourant com m e d «rdinatre
tions progressives de ce que devint l ’ eucharistie? Sous à deux figures pour exprim er une vérité a :qu·.· .
quelles influences se sont-elles form ées ou ont-elles pu com parait à son corps qui devait être broyé le pain
être acceptées? Tels sont les principaux problèm es rom pu, à son sang qui devait être répandu le vin vers .
soulevés. O n peut dire que toutes les solutions im a ­ La bénédiction de la coupe présageait les bienfaits
ginables ont été proposées, discutées et rejetées. dont la m ort serait la source. L ’ usage de réitérer la
V ouloir établir une bibliographie com plète est inu ­ cène, la croyance à un ordre donné par Jésus de la re ­
tile : un grand nom bre d'écrits parus n ’ ayant, de l ’ aveu produire naquirent de l ’ im pression profonde que dut
m êm e des critiques non catholiques, aucune valeur. laisser dans l ’ âm e des disciples lerepas suprêm e et du
Pour faire connaître l'état de la question et les prin ­ travail spontané des intelligences chrétiennes, en un
cipales hypothèses ém ises,il faut signaler seulem ent les tem ps où la religion très ardente fut plus que jam ais
travaux les plus im portants, ceux qui ont attiré davan ­ apte à idéaliser et à créer. Sous l ’ influence de saint
tage l ’ attention, ceux qui ont ém is quelque idée nou ­ ! Paul, la com m union fut considérée m oins com m e une
velle. Le lecteur français désire aussi prendre contact com m ém oraison de la m ort du C hrist que com m e un
intim e avec les ouvrages écrits en sa langue, capables souvenir des bénédictions obtenues par son sacrifice.
plus que d ’ autres de form er l ’ opinion en son pays. Il Spitta, Die urchrisilichen Tradilionen über Ursprung
voudrait, afin de trouver un peu d ’ ordre dans cet ex ­ ’ und Sinn des Abendmahls, G œ ttingue, 1893, exclut, au
posé, pouvoir distinguer logiquem ent divers systèm es : contraire, toute allusion à la passion de Jésus. Per-
eucharistie- parabole, eucharistie eschatologique, eucha­ I suadé que le dernier repas du C hrist n ’ eut pas lieu le
ristie-alliance, eucharistie d’origine juive, eucharistie 14 nisan, m ais le 13, il dénia à la cène le caractère de
mythique, eu'.haristie-agape ou jeslin jralernel. M ais repas pascal,lit d'elle un banquet, précurseur du festin
beaucoup de critiques non catholiques croient retrou ­ des derniers jours où, selon des traditions juives, le
ver dans la cène prim itive ou dans les évolutions de M essie lui-m êm e devait être la nourriture des élus. A
l ’ eucharistie plusieurs de ces conceptions. Force est ce m om ent de son existence, Jésus n ’ est préoccupé que
donc de suivre, à peu près, l ’ ordre chronologique. de l ’ achèvem ent de son œ uvre et du triom phe pro ­
L ’ énum ération pourra paraître fastidieuse. M ais elle chain. Il se m et par anticipation dans la posture de
prépare les discussions nécessaires. D éjà elle m ontre président du repas m essianique, voitd ’ avance ses dis ­
com bien fragiles sont des hypothèses qui s ’ entre ­ ciples m angeant ot buvant avec lui dans le royaum e
choquent et se détruisent; puis il n ’ est pas inutile futur,les invite à recevoir l ’ alim ent qu ’ il leur servira
de constater à quels hardis procédés recourent ct à plus tard, sa propre personne. Il n ’ ordonne donc pas de
quelles excentriques conclusions aboutissent parfois réitérer la cène. Sa m ort et sa résurrection obligèrent
certains interprètes ; il n'est pas désagréable d ’ observer à m odifier le sens prim itif de l ’ acte accom pli. D ans
que, m algré leur talent, leur ingéniosité, leurs efforts, des repas collectifs sem blables à ceux des Juifs, on
les critiques non catholiques n ’ ont rien pu construire se rem ém ora les paroles du C hrist et l ’ institution
de solide et de définitif, qu ’ après vingt ans de travail naquit.
ininterrom pu, ils ne sont pas m ieux renseignés qu'au B randt, la m êm e année, ne fut pas m oins hardi dans
prem ier jour. ses conclusions négatives. Les quatre récits de la cène
H arnack, dans l ’ ouvrage cité plus haut,soutint que sont plus ou m oins altérés. A u repas d ’ adieu, Jésus a
les élém ents prim itifs de l ’ eucharistie avaient été le rom pu le pain avec les siens pour exprim er l ’ idée de la
pain et l ’ eau. Si donc un changem ent de m atière avait com m union qui devait rapprocher les âm es dans les
pu s'opérer aisém ent, c ’ est qu ’ à l ’ origine l ’ attention autres banquets de ses disciples. C ’ est Paul qui intro ­
portait non sur les objets consom m és, m ais sur les duisit la coupe et conçut l ’ eucharistie en fonction de
actions accom plies. O n voulait sanctifier l ’ opération la sa théorie de la valeur salutaire de la m ort du C hrist.
plus im portante de la vie, la nutrition. Jésus avait Sa version influença les autres récits. L a cène, insti ­
lui-m êm e rattaché l ’ idée de sa m ort conçue com m e un tution et fête com m ém orative de la m ort du Seigneur,
sacrifice aux élém ents ordinaires de l ’ alim entation, est donc d ’ origine paulinienne. D ie evangelische Ge­
appelés à nourrir par le pardon des péchés l ’ âm e qui schichte und der Ursprung des Christentums, Leipzig,
les reçoit en rendant grâce pour la passion du Sau ­ 1893, p. 283 sq.
veur. Percy G ardner, The origin oj the Lord's supper,
W eiszâcker, Das aposlolische Zeilaller der christlichen Londres, 1893, s ’ écarta plus radicalem ent encore des
Kirche, Fribourg-en-B risgau, 1892, adm it que Jésus, données traditionnelles. N on seulem ent il refusa de
la veille de sa m ort, dans un repas pascal, avait dis ­ faire rem onter au C hrist l ’ eucharistie chrétienne,
tribué à ses disciples le pain et le vin, prononcé des m ais il détacha la cène prim itive du repas d ’ adieu
paroles m ystérieuses, invité les D ouze à répéter son de Jésus et la dériva, par l ’ interm édiaire de saint
geste. Ce faisant, le Seigneur n ’ instituait rien, m ais Paul.de rites païens. C ’ est l ’ apôtre qui aurait institué
proposait une parabole qu ’ il n ’ expliquait pas. Saint l ’ eucharistie, sans doute à C orinthe:il aurait chrrs'Ja-
Paul interpréta le sym bole : le pain est l ’ im age du corps nisé ainsi les festins sacrés en usage dans les m ystères
qui est l ’ Église dont Jésus est la tête, dont les fidèles d ’ Éleusis. H eitm üller, Tauje und Abendmarl h: Pan-
sont les m em bres. Le vin représente le sang et par las, G œ ttingue, 1903, proposa une thèse sem blable.
conséquent la m ort du C hrist. La pensée de l ’ apôtre D ’ après saint Paul, la cène unit au C hrist Sauve ur et
correspond à celle qu ’ avait Jésus, m ais qu ’ il n ’ a pas ressuscité; le pain et le vin nourrissant ainsi le fidele
exprim ée. surnaturellem ent par une efficacité sacram entelle qui
U 1C T . D E T H É O L . C A T H O L . V. - 33
1027 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S L A S A IN T E É C R IT U R E 1028

déjà présage l ’ ex opere operato. U ne conception aussi s ’ approcheraient avec foi du pain et du vin le pardon
grossière ne s ’ harm onise pas avec la piété et la pensée des péchés obtenus par sa m ort.
de l'apôtre. Elle est donc antérieure à lui, vient du H . J. H oltzm ann, Lehrbuch der neutestamentlichen
paganism e, est inspirée de rites dont ne pouvaient se Théologie, Fribourg et Leipzig, 1897, t. i, p. 296 sq.,
passer les nouveaux convertis de la gentilité. H eit- adm et, lui aussi, que Jésus présenta à ses disciples le
m üller essaie d ’ appuyer sa thèse sur des analogies : pain et le vin, qu ’ il établit un rapport entre le pain et
il cite, entre autres exem ples d ’ eucharistie païenne, son corps, le vin et son sang. D ’ après lui, le C hrist
des rites em pruntés au culte de D ionysos Sabazios et insista sur ce second élém ent d ’ une m anière spéciale
à celui de M ithra. V oir aussi K althoff, Das Christus- pour indiquer qu ’ il allait fonder une nouvelle alliance.
problem,Grundlinien zu ciner Soziallheologie, Leipzig, Le C hrist voulut , par son dernier acte, s ’ unir pour
1903, p. 48. Sur ce thèm e de l ’ origine m ythique de la toujours à ses disciples. M oïse, au Sinaï,avait répandu
cène, les variations les plus inattendues ont été exé ­ le sang d ’ un anim al et dit : Voici le sang de l’alliance,
cutées. W insch, Die Losung der Abendmahlsfrage, D e m êm e, Jésus proclam a que la future alliance
B erlin, 1903, m ontre dans la com m union un sacrifice se scellerait en son sang, qui devait être répandu
végétarien; P. Jensen, Das Gilgamesch-Epos in der com m e son corps devait être brisé. Peut-être n ’ a-t-il
Weltlitteralur. I. Die Urspriinge der altestamentlichen pas dit : Faites ceci en mémoire de moi. M ais l ’ idée
Patriarchen-Propheten und Be/reier-Sage und der neu- de réitérer la cène était la conséquence de son acte.
testamenüichen Jesus - Sage, Strasbourg, 1906, p. 900, Les disciples ont tout naturellem ent reproduit le
croit que la cène constitue un repas d ’ alliance entre geste du C hrist. Ce faisant, d ’ ailleurs, ils pensaient
Jésus-G ilgam esch et D ieu et la rapproche du sacrifice autant à la m ultiplication des pains qu ’ à la cène;
offert par X isuthros sur la m ontagne du déluge aux ils voulaient com m ém orer les deux épisodes qui attes ­
dieux qu ’ il va rejoindre. Eisler, The origins of the taient le m ieux la charité du C hrist.
eucharist, dans Transactions of the third international Q uelque insuffisante que puisse paraître à un catho ­
congress for the history of religions, O xford, 1908, t. n, lique cette explication, elle l ’ est m oins encore que la
p. 352, cherche dans l ’ eucharistie des traces d ’ un plupart de celles qui furent proposées depuis. H off ­
rile essénien non sanglant et du culte syriaque du m ann, Das Abendmahl im Urchristentum, B erlin, 1903,
poisson. Salom on R einach a évidem m ent tenté une considère com m e n ’ ayant, en fait, aucun rapport réel la
explication de l ’ eucharistie par les survivances du to ­ cène et l ’ eucharistie prim itive. E t il se dem ande com ­
tém ism e. D ans les religions prim itives, le clan sacri ­ m ent on a pu être am ené à rattacher l ’ une à l ’ autre.
fiait son anim al sacré, le totem, et le m angeait pour Il distingue différents stades dans la form ation du con ­
s ’ unir avec son dieu. Ces idées de com m union théo- cept qui devait prévaloir. D ans un dernier repas que
phagique et de sacrifice d ’ un être divin passèrent n ’ assom brit pas l ’ idée de sa m ort prochaine, Jésus
dans les m ystères païens et de là s ’ introduisirent dans avait distribué le pain et le vin par un acte sym bolique
le christianism e : elles sont la source des dogm es de destiné à m ontrer en sa personne le centie d ’ un
la m ort expiatoire, de la résurrection et de l ’ eucha- . groupe de frères. D ’ autre part, il y eut à l ’ origine,
ristie de Jésus. Le récit de la cène est une « traduction dans la com m unauté chrétienne, des repas à carac ­
anthropom orphique du sacrifice périodique du totem. » tère religieux ouverts par la prière, dom inés par la
Cultes, mythes et religions, Paris, 1905-1908, passim; pensée de la venue prochaine du Sauveur, pensée si
Orpheus, histoire générale des religions, Paris, 1909, forte qu ’ on avait le sentim ent de la présence invisible
p. 334 sq. N on m oins audacieux est le défi que B inct- du C hrist. B ientôt, la fin du m onde ne se produisant
Sanglé jette à l ’ Évangile, La folie de Jésus, Paris, 1909, pas, l ’ attention se porta sur la m ort du C hrist qu ’ il
t. i : le C hrist aurait eu peur d ’ être em poisonné. fallait expliquer; on découvrit qu ’ elle était annoncée
D e là ses idées de m ort, de chair sanglante. Il aurait par les prophètes; on supposa qu ’ il l ’ avait prédite lui-
invité ses disciples à m anger le pain et à boire la coupe m êm e, en particulier dans le i epas d ’ adieu. O n en vint,
pour voir si l ’ em poisonnem ent se réaliserait. par un involontaire besoin, tout naturellem ent à rap ­
D es systèm es à tendance plus conservatrice ont été procher de la dernière cène les banquets raternels de
proposés. H aupt, Ueber die ursprüngliche Form und la com m unauté. Ce fut le second stade. Puis la foi gran ­
Bedeulung der Abendmahlsivorte, H alle, 1894, attribua dit toujours davantage la personne de Jésus; on vit en
aux paroles de Jésus cette signification qui sem ble bien lui le serviteur de Jahvé; on attribua à sa m ort une
m oderne : « M a personne contient les énergies d ’ une vie valeur rédem ptrice. Les repas de la com m unauté
plus haute qui voudrait s ’ unir à la vôtre c m m e le devinrent des eucharisties, des actions de grâces pour
pain s ’ unit au corps. C ’ est surtout grâce à m a m ort le bienfait du salut. E t on crut que Jésus avait lui-
que s ’ opérera ce don de vie et de salut. » Jésus, selon m êm e à la cène inauguré cet enseignem ent, institué,en
toute vraisem blance, désirait que la répétition de la donnant l ’ ordre de le réitérer, un rite com m ém oratif de
cène fût, après son départ, le m oyen et la m anière de | sa m ort expiatoire. Telle fut la troisièm e étape. Saint
garder son souvenir; il en recom m anda donc la réité- ' Paul m it le couronnem ent à l ’ œ uvre, d ’ abord en fai­
ration. sant des repas de la com m unauté une fête de confes ­
F. Schultzen, Das Abendmahl Im neuen Testament, sion et de com m ém oraison voulue par Jésus à son
G œ ttingue, 1895, se rapprocha davantage encore des dernier repas ; puis en com parant la com m union aux sa­
interprétations traditionnelles.L es disciples n ’ ont rien crifices païens, ce qui l ’ am ena à voir dans les alim ents
surajouté à l ’ idée de Jésus; ils s ’ en sont tenus à la eucharistiques non seulem ent le sym bole de la m ort du
volonté du M aître. D ’ après les Synoptiques et saint C hrist, m ais un mystère, un sacrem ent qui établit une
Paul, le C hrist avait voulu m énager dans le pain et le com m unauté de vie entre lui et h-s fidèles.
vin une com m union à son corps et à son sang. La cène C ’ est aussi l ’ idée d ’ un repas fraternel que W ellhau-
était un repas sacrificiel intim em ent lié à sa m ort; et à sen, Das Evangelium Marci, B erlin, 1903, p. 125; Das
ce titre, elle devait être renouvelée. Evangelium Matthœi, B erlin, 1903, p. '36-137; Das
C ’ est encore à des conclusions relativem ent m odé­ Evangelium Lucæ,Berlin, 1904, p. 121-122, déclare être
rées qu ’ aboutit Schæfer, Das Herrenmahl nach Ur- prim itive. Les m ots : Ceci est mon corps, ceci est mon
sprung und Bedeutung mil Rücksicht auf die neuesten sang, sont des form ules destinées à m arquer fortem ent
Forschungen, G utersloh, 1897. Paul surtout nous fait la fraternité qui existe entre com m ensaux; la seconde
connaître le dessein du Seigneur. L a cène fut un repas fait allusion à la m ort de Jésus. Par son acte et ses
pascal, repas d ’ alliance et de sacrifice dont Jésus a paroles, le C hrist recom m andait à ses disciples l ’ union
voulu la réitération; le C hrist désirait offrir à ceux qu entre eux. L a participation en com m un à la table du
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Seigneur se réitéra d ’ elle-m êm e, sans qu ’ un précepte ! rédem ptrice. L ’ apôtre reconnut dans ie pa n ie sym ­
positif l ’ im posât. bole du corps m ystique du C hris ’ celeste ; dans le vin,
A . A ndersen renchérit encore sur ces thèses et celui du sang de l'alliance nouvelle qui se substitue à
essaya de soutenir que l ’ idée de sacrem ent est introu ­ l ’ ancienne.
vable dans la tradition des deux prem iers siècles. Das Loisy, Autour d’un petit livre, Paris. 1903, p 236 sq ;
Abendmahl in den zwei ersten Jahrhunderten nach Chris­ Les Évangiles synopliques,CeiIonds, 1907. t. n. p.534 sq.,
tus, B erlin, 1904; 2° édit., G iessen, 1906. Le texte pri­ croit que la dernière cène fut un repas ordinaire ou
m itif qu ’ on peut dégager des Synoptiques ne perm et pascal au cours duquel Jésus distribua a ses disciples,
de voir dim s la cène qu ’ un repas d ’ adieu et le souhait com m e il l ’ avait fait souvent pendant sa vie, le pain
exprim é par le C hrist de retrouver ses disciples dans et le vin; il n ’ y parla ni de son corps ni de son sang,
le royaum e; rien ne fut institué par Jésus. D ans les m ais, sentant que le dénouem ent était proche, ii de ­
prem ières com m unautés, il y avait une sim ple frac ­ clara qu ’ il ne m angerait et ne boirait plus avec les
tion du pain. Paul recom m anda, en raison d ’ une siens que dans le royaum e où il leur donnait ainsi
vision,le « repas du Seigneur », repas cultuel,m ais qui rendez-vous. C om m ent des paroles du C hrist diriva ie
n ’ avait rien d ’ un sacrem ent : le pain représentait le sacrem ent chrétien? O n ne le voit pas très claire ­
corps du C hrist, c ’ est-à-dire la société des fidèles. En m ent. O n constate « par l ’ exam en des récits de la ré ­
le recevant, on s ’ unissait à la com m unauté; en pre ­ surrection que la foi au C hrist ressusc té est intm e-
nant le vin, le chrétien participait à la nouvelle m ent liée à la conception prim itive de l ’ eucharistie.
alliance. Saint Jean, com m e les Synoptiques, ne vit Jésus était déjà le C hrist dans la gloire du royaum e
dans la cène qu ’ un repas d ’ adieu. D e m êm e, dans la et en m êm e tem ps il était avec les siens; il y était
D idaché, saint Ignace et saint Justin, il n'est parlé surtout dans le repas com m un qui rassem blait ses
que de la fraction du pain et non d ’ un sacrem ent. fidèles... C ’ était bien avec lui et en m ém oire de lui
G oetz, Die heulige Abendmahlsjrage in ihrer ge- que se tenait la réunion. Saint Paul n ’ a fait qu ’ inter ­
schichtlichen Enttvickelung, Leipzig, 1904, après avoir préter le souvenir apostolique selon sa propre con­
exposé et classé toutes les théories des critiques, dresse ception du C hrist et du salut, de façon à voir dans le
le bilan des conclusions qui d ’ après lui s ’ en dégagent. repas eucharistique, sym bole effectif de l ’ union des
L a veille de sa m ort, Jésus a dû faire quelque chose fidèles dans le C hrist toujours vivant, le m ém orial
qui ressem blait d ’ une certaine m anière à la cène. A u du crucifié, de celui qui avait livré son corps, versé
com m encem ent du dernier repas, il aurait parlé de sa son sang pour le salut du m onde. Ce doit être lui qui,
fin prochaine et du rendez-vous ultérieur. Puis, il le prem ier, a conçu et présenté la coutum e chrétienne
aurait présenté aux disciples le pain et la coupe en com m e une institution fondée sur une volonté que
disant: Voici machairet mon sang pour signi fier qu ’ il Jésus aurait exprim ée et figurée dans la dernière cène.·
voulait exercer sur leur vie spirituelle l ’ influence Paul attribuait sa conception à une révélation du
qu ’ exerce la nourriture sur la vie corporelle. Il n ’ a Seigneur. Le quatrièm e Évangile ne veut rien savoir
rien institué, il n ’ a pas donné l ’ ordre de répéter son , de cette institution et ne dit rien de cette volonté.
geste sym bolique. C ’ est Paul qui, dans une vision, a L ’ eucharistie ne se rem onte donc pas à une institution
cru recevoir cette recom m andation du C hrist glorifié. form elle de Jésus; elle est née dans la com m unauté
C ’ est lui et saint Luc qui m ontrèrent dans l ’ eucha ­ chrétienne, m ais fut rattachée à un souvenir précis de
ristie une représentation de la m ort de Jésus consi ­ la vie du C hrist, celui du dernier repas qu'il prit avec
dérée com m e un sacrifice. C 'est encore l ’ apôtre qui ses disciples. Les Évangiles synoptiques, t. n, p. 541.
est responsable du rapprochem ent entre le rite chré ­ M . G oguel, L ’eucharistie, des origines d Justin Mar­
tien et la fondation de l'alliance sinaïtique.Les usages tyr, Paris, 1910, propose les conclusions suivantes,
et les vieilles idées juives facilitèrent la transform a ­ p. 282-291. Q uand Jésus prévit l ’ im m inence de la crise,
tion du geste testam entaire de Jésus en une Pâque I il se m it à table avec ses disciples selon sa coutum e.
nouvelle abrogeant l ’ ancienne. Com m e d ’ habitude, il rom pit le pain et bénit la coupe.
J. R éville, Les origines de l’eucharistie, Paris, 1908, « V oulant donner à ses am is un dernier enseignem ent,
rem onte de saint Justin aux Synoptiques et cherche il se servit de ce qu ’ il avait devant lui pour leur faire
dans les données com m unes à tous les écrivains chré­ com prendre par une im age concrète et saisissante qu'il
tiens la conception originelle de l ’ eucharistie. A la allait être séparé d ’ eux et que, quel que fût le sort qui
lum ière de ces idées, il interprète les récits de l ’ insti­ l ’ attendait, il l ’ accepterait... com m e voulu de D ieu.
tution et finalem ent extrait des Synoptiques ainsi En disant : Ceci est mon corps, Jésus dit à ses disciples :
étudiés le résidu qui représenterait la réalité histo ­ Je suis prêt à mourir pour vous comme j’ai vécu pour
rique. La cène a été le dernier repas que Jésus ait vous, afin de /aire de vous des hommes qui se préparent à
pris avec ses disciples, m ais ni eux ni lui ne le savaient. entrer dans le royaume. » Par la distribut on de la
Le C hrist n ’ a donc pu ordonner qu ’ on la réitérât, il coupe, il donnait aux siens rendez- vous dans le
n ’ en a pas fait un m ém orial de sa m ort. Elle a été un royaum e. Le C hrist ne sem ble pas avoir pensé que son
repas pascal : il est donc vraisem blable qu ’ il y fût parlé acte devait être répété. D ans la prem ière com m unauté
d ’ une alliance entre le C hrist et ses disciples ainsique de Jérusalem , les disciples ont l ’ habitude de vivre en
de l ’ avènem ent prochain du royaum e. N ous ignorons com m un et de prendre ensem ble leurs repas; m ais,
les paroles exactes prononcées par Jésus. Le pain de ­ au début, la m ort de Jésus est un trop grand scan ­
vait être prim itivem ent le corps de l ’ alliance, c ’ est-à- dale pour qu ’ ils la m éditent à cette occasion. Peu à
dire l ’ im age sensible et m atérielle de l ’ union du Sau ­ peu, ils s ’ im aginent que la passion du C hrist a été
veur et des disciples; le sang faisait allusion soit à celui prédite par les prophètes, nécessaire pour le salu; du
de l ’ agneau pascal, soit à celui du sacrifice du SinaL m onde. « A lors, il était naturel que, dans les repas
D ans les com m unautés prim itives, la cène fut d ’ abord com m uns des fidèles, on com m ém orât ce que Jesus
la continuation naturelle des repas que les disciples avait fait et dit la dernière fois qu ’ il avait été a table
avaient l ’ habitude de prendre avec Jésus; on rem er ­ avec ses disciples. D e là on en vint tout naturellem ent
ciait D ieu des bienfaits reçus par le Sauveur, on rom ­ à l ’ idée que le repas des fidèles était la com m ém o-
pait le pain en signe d ’ union et de com m union, on raison et la répétition de celui du M aître et qu il en
affirm ait la foi à l ’ avènem ent du royaum e; saint Paul, était ainsi en vertu d ’ un ordre exprès de Jesus. C ’ est
s ’ appuyant sur une tradition et sur une révélation sans doute vers cette époque que la coupe fut intro ­
reçue du Seigneur, fit de ce repas un rite institué et duite com m e équivalent et doublet du pa n par suite
ordonné par Jésus, destiné à com m ém orer sa m ort d ’ une transform ation de la coupe eschatologique pri ­
4031 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC RITU RE 1032

m itive. » A rrive saint Paul. « Son rôle a été double. » il leur d it : A llez à la ville chez un tel et dites-lui : L e M aître
Il donne de l'eucharistie une interprétation théolo ­ te fait dire : M on tem ps est proche, je fais chez toi la P âque
gique. « Prenant les form ules dans un sens réaliste, » il avec m es disciples. 19. L es disciples firent com m e Jésus
leur av ait ordonné et ils préparèrent la P âque. 20. L e soir
m ontre dans la cène « un m oyen de s ’ unir au C hrist venu, il se m it à table avec les D ouze. (21-25. Il prédit la
souffrant et m ourant, et, subsidiairem ent, un m oyen trahison.) 26. P endant q u ’ ils m angeaient, Jésus, ayant
pour le; chrétiens de s ’ unir entre eux. » D ’ autre part, il pris le pain et prononcé une bénédiction, le rom pit et le
hellénise l ’ institution. Transportée dans le m onde donn a aux discip.es et d it : P renez, m angez, ceci est m on
grec, l ’ eucharistie est rapprochée par les nouveaux corps. 27. A yant pris la coupe et ay an t rendu grâces, il
chrétiens des banquets d ’ associat ons, des m ets sa­ la leur donna, disant : B uvez-en tous, 28. C ar ceci est m on
crés offerts aux dieux et qui unissent à eux. Paul sang, celui de l ’ alliance, celui qui est répandu pour un grand
nom bre en rém ission des péchés. 29. E t je vous le dis : je ne
devait avoir subi l ’ influence de ces idées. A insi, boirai plus désorm ais de ce fruit de la vigne jusqu ’ à ce jour
l ’ eucharistie devint « d ’ une m anière toute spontanée... où je le boirai nouveau avec vous, dans le royaum e de m on
un de ces repas qui suivaient les sacrifices et dans P ère. 30. E t après avoir d it des cantiques, ils sortirent.
lesquels l ’ absorption d ’ alim ents consacrés à la divinité M arc., x iv, 12. E t le prem ier jo ur des azym es, où l ’ on
m ettait l ’ hom m e en un contact presque physique im m olait la P âque, ses disciples lui d iren t : O ù voulez-vous
avec elle. » que nous allions faire les préparatifs pour que vous m angiez
C et exposé m ontre quel est le devoir de l ’ apologiste la P âque? 13. E t il envoya deux de ses disciples et il leur d it :
A llez à la ville, vous rencontrerez un hom m e p o rtan t une
ou du théologien catholique.
cruche d ’ eau, suivcz-le. 14. E t quelque p art qu ’ il entre, dites
Il doit d ’ abord essayer de dégager des textes du au propriétaire de la m aison : L e M aître d it : O ù est l ’ appar ­
N ouveau T estam ent, tels que nous les possédons, leur tem ent où je m angerai la P âque avec m es disciples? 15. E t
véritable contenu. Ce travail est nécessaire, d ’ abord, il vous m ontrera une grande salle haute, m eublée, to u te
pour perm ettre aux catholiques de découvrir la vé ­ prête. L à vous ferez les préparatifs. 16. F t ses disciples s ’ en
rité révélée. Il l'est, de plus, parce que les interpré ­ allèrent et vinrent dans la ville et trouvèrent les choses
tations sym bolistes des paroles de Jésus, très sou ­ com m e il les leur av ait dites et ils préparèrent la P âque.
vent proposées jadis, le sont aujourd ’ hui encore par (17-21. S ur le soir, Jésus v int avec les D ouze, se m it à table
avec eux,ann onça qu ’ il serait trah i p ar un des disciples.) 22.
certains protestants conservateurs et par des critiques. E t pendant qu'ils m angeaient, Jésus, ay an t pris du pain et
E nfin, reste à l'historien une dernière tâche à prononcé une bénédiction, le rom pit et le leur donn a et d it :
accom plir. Q uand il a étudié les récits des Synopti­ P renez, ceci est m on corps. 23. E t ay an t pris une coupe,
ques, de l ’ apôtre saint Paul et du livre des A ctes, les ay an t rendu grâces, il la leur donn a et ils en burent tous.
enseignem ents de l ’ apôtre sur l ’ eucharistie, il sait 24. E t I leur d it : C eci est m on sang, celui de l ’ alliance ;
ce que pensaient ces divers écrivains, les chrétiens celui qui est répandu pour un grand nom bre. 25. E n vérité,
près desquels ils vivaient et les fidèles auxquels leur je vous le dis : je ne boirai plus jam ais du fru it de la vigne
jusqu'à ce jo ur où je le boira nouveau dans le royaum e de
œ uvre s ’ adressait. Il peut et doitensuitese posercette
D ieu. 26. E t après avoir d it des cantiques, ils sortirent.
question : les ém oignages des Évangiles, des É pîtres
ctdes A ctes nous perm ettent-ils de connaître la pensée N ous croyons qu ’ en raison de leur sim ilitude évi ­
de Jésus? dente et reconnue de tous, ces deux textes peuvent
Le catholique répond aisém ent à cette question, être étudiés ensem ble.
elle ne se distingue pas pour lui de la précédente. S ’ il Les variantes relevées dans les divers m anuscrits
a établi que les dogm es de la présence réelle et de l ’ ins ­ sont insignifiantes et ne valent pas la peine d ’ être
titution de l ’ eucharistie par Jésus sont affirm és dans retenues. V oir B erning, Die Einsetzung der heiiigen
les Livres saints, il sait que le C hrist a réellem ent Eucharistie in Hirer ursprünglichen Form, M unster,
donné,sous les apparences du pain et du vin,son corps 1901, p. 23-24; G oguel, op. cit., p. 106-108. Les parti ­
et son sang; il saitqueleSeigneuraprescritauxapôtres cularités les plus saillantes s ’ expliquent par le désir
de réitérer l'acte de la cène. M ais le controversiste a qu ’ eurent des copistes d ’ harm oniser les récits de
d ’ autres obligations. Parm i ses adversaires il en est M atthieu et de M arc entre eux ou avec celui des deux
qui ne croient ni à la valeur surnaturelle ni à l ’ inspi ­ autres tém oins, Luc et Paul. Les éditeurs m odernes,
ration de l ’ É criture. Ces critiques ne voient dans les Tischendorf, W estcott et H ort, B . W eiss, Sw ete,
livres du N ouveau T estam ent que des docum ents adoptent pour les narrations des deux prem iers évan
d ’ histoire qui doivent être interprétés uniquem ent gélistes un texte à peu près identique.
d ’ après la m éthode historique. Q uelques-uns d ’ entre Tous les interprètes catholiques et la plupart des
eux adm ettent parfois que, tels qu'ils sont, certains critiques adm ettent que, selon M arc et M atthieu,la
textes du N ouveau T estam ent ont un sens catho­ cène fut un repas pascal. Ces deux évangélistes racon ­
lique, enseignent la présence réelle et l ’ institution par tent que l ’ on se trouvait au premier jour des azymes où
le C hrist de l ’ eucharistie (Eichhorn, Feine, H offm ann, l’on immolait la Pâque, queles disciples dem andèrent à
Loisy, etc. ). M ais aucun de ces cri tiques ne reçoit com m e Jésus où devaient se faire les préparatifs de la Pâque,
historiques, dans leur intégrité, les tém oignages de que deux d ’ entre eux furent envoyés à Jérusalem
l ’ Évangile et de saint Paul; ils estim ent qu'il y a eu tout disposer pour la Pâque, que, le soir venu, Jésus se
évolution de la doctrine entre Jésus et les auteurs du m it à table avec les D ouze, apparem m ent pour m anger
N ouveau T estam ent, et ils essaient d ’ attribuer au ce qui avait été préparé, c ’ est-à-dire la Pâque. N ous
C hrist, par reconstitution, des intentions, des paroles ne possédons pas une description m inutieuse de la
des actes tout différents de ceux que lui prêtent les cène, m ais ce que nous savons n ’ est pas en contradic ­
Livres saints. L'apologiste est donc tenu de suivre tion avec ce que nous connaissons du rituel de la
l ’ adversaire sur son terrain, de dém ontrer par la m é ­ Pâque (distribution de coupes de vin appelé /ruit de
thode de l ’ histoire que les argum ents de ces critiques la vigne et sur lesquelles ont été prononcées des béné ­
sont sans valeur, que les sources bibliques m éritent dictions ou actions de grâces; fraction et présenta ­
créance et reproduisent la physionom ie des faits, le tion de pains azym es sur lesquels ont été prononcées
sens et la teneur des paroles de Jésus. des bénédictions ou actions de grâces; chants du
2° Ce que les premiers chrétiens croyaient recevoir dans H allel, à trois reprises, la dernière clôturant le repas);
l’eucharistie. — 1. Saint Matthieu, xxvi, 17-29, et Jésus — beaucoup de critiques incroyants adm ettent
saint Marc, xiv, 12-25. que tel est le sens des deux récits sous leur form e
M atth., x x v i, 17. L e prem ier jo ur des azym es, les disciples actuelle — serait donc présenté par saint M atthieu et
s ’ approchèrent de Jésus, disant : O ù voulez-vous que nous saint M arc com m e la victim e pascale m angée à la cène.
vous préparions [ce qu ’ il faut pour] m anger la P âque? 18. E t Si, d ’ autre part, son corps et son sang ne sont ici
1033 E U C H A R IS TIE D ’ A P R È S LA S A IN T E É C R IT U R E 1034

LES Q U A TR E R EC IT S D E L ’ IN ST IT U T IO N

Ma t t h ie u , x x v i Ma r c , x iv . L u c , X X II. Pa u l , I Co l , il

Λ 15. Κ αί είπεν πρδ; αύτού;· ’ Επιθυ ­ 23 b. 'O κύριος Ί· ττν; :


μία επεΟύμησα τούτο τδ πασχα έν τή νυκτι ή πκρεόιδετβ I
φαγείν μεθ ’ ύμών πρδ τού με
παΟεϊν 16. λέγω γάρ ύμιν οτι
ού μή φάγω αύτδ, έως δτου πλη-
ρωΟή έν τή βασιλεία τού Θ εού.
17. Ϊ<α1 δεξάμενο; ποτήριον, εύχα-
ριστήσα; είπεν Λ άβετε τούτο καί
διαμερισατε εις έαυτούς * 18. λέγω
γάρ ύμιν,δτι ούμήπίω άπδτού νύν
άπδ τού γενήματο; τή; άμπέλου,
έως ού ή βασιλεία τού Θεού έλθη.
26. ΈσΘ ιόντων δέ 22. Κ αί έσθιόντων » »
αυτών αυτών » »
λαβών λαβών 19. Κ αι λαβών έλαβεν
ο ’ Ιησούς » » »
άρτον άρτον άρτον άρτον
και εύλογήσας ευλόγησα; εύχαριστήσας 24. καί εύχαριστήσας
εκλασεν εκλασεν εκλασεν εκλασεν
καί δούς καί έδωκεν καί έδωκεν »
τοί; μαθηταί; αύτοίς αύτοίς »
είπεν και είπεν ’ λέγων ’ και είπεν
λάβετε λάβετε » *
φ άγετε » > »
τούτό τούτο τούτό τούτό
έστιν τδ σώμά μου. έστιν τδ σώμά μου. έστιν τδ σώμά μου μού έστιν τδ σώμα
» » τδ ύπέρ ύμών τδ ύπέρ ύμώ ν
» » διδόμενον »
β >> τούτο ποιείτε τούτο ποιείτε
» » εις την έμήν άνάμνησιν. εί; την έμήν άνάμνησιν.
27. Και λαβών ποτήριον 23. Καί λαβών ποτηριον 20. Κ αί τδ ποτήριον ώσαύτω; 25. ’ Ωσαύτως καί cô
ποτήριον
» » μετά τδ δειπνήσαι μετά τδ δειπνήσαι
καί ευχαρίστησα; εύχαριστήσας » »
έδωκεν αύτοίς έδωκεν αύτοίς » »
1 V oir les 4 derniers m ots καί έπιον έξ αυτού πάντες . » »
de ce verset.
λέγω ν 24. Κ α ’ι είπεν αύτοίς · λέγω ν λέγων*
πίετε έξ αυτού πάντες · » » ί>
28. τούτο γάρ Τοΰτό Τούτο Τούτο
έστιν έστιν » >
τδ αιμά μου τδ αιμά μου » »
» » τδ ποτήριον τδ ποτήριον
τής διαθήκης τής διαθήκης ή καινή διαθήκη ή καινή διαθήκη έστιν
Λ » έν τώ αίματι μου έν τώ έμώ αίματ.·
τδ περί πολλών τδ έκχυννόμενον ύπέρ τδ ύπέρ ύμών έκχυννόμενον. »
έκχυνόμενον πολλών
εις άφεσιν αμαρτιών. » » »
» » » τούτο ποιείτε, όσάκι; εάν
πίνητε, εις την εμτ.ν
άνάμνησιν.
29. λέγω δε ύμιν 25. αμήν λέγω ύμιν V oir plus haut le verset 18. »
ού μη πίω απ ’ άρτι οτι ούκέτι ού μή πιω » »
έκ τούτου τού γενήματο; έκ τού γενήματο; » »
τής αμπέλου τή; αμπέλου » >
έως τής ημέρας έκείνης έως τής ημέρας εκβίνης » Β

όταν όταν
αύτδ πίνω μεΟ ’ υμών αύτδ πίνω » •
καινδν » •
καινδν
έν τή βασιλεία ■>
έν τη βασιλεία
τού Θ εού. »
τού Π ατρδς μου. Β
1035 E U C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1036

donnés qu ’en figure, le festin nouveau se fait à une ce qui sera. Ce corps qui sera présent est m on corps.
table vide, il est une om bre, et la Pâque ancienne Et, si les m ots τούτο έστί, hoc est, sont considérés
serait la réalité. Loisy, Les Évangiles synoptiques, com me une locution synonym e de Ιδού, ecce, voici
Cefïonds, 1908, t. n, p. 507, prétend sans doute que (cf. Exod., xxiv, 8 : ’Ιδού τί> αίμα τής διαθήκης ; H eb.,
c ’est e.i vertu d ’une conception doctrinale que la ιχ, 20 : Τούτο το αίμα τής διαθήκης ), aucune objection
cène a été transformée en repas pascal; m ais il recon ­ n ’est plus possible. D ans la phrase : voici mon corps,
naît que, dans un banquet ainsi com pris, le Christ le term e voici indique ce qui sera.
est « l ’ agneau pascal m angé par les fidèles » et que les Sur la signification du m ot suivant est, « des batailles
Évangiles faisaient allusion à cette croyance. théologiques » se sont livrées et se livrent encore. Ce
Au cours du repas, Jésus prit du pain. N orm ale­ verbe sem ble clair; nul ne peut l ’être davantage. Il est
m ent, le m ot grec άρτος désigne le pain fermenté, et d ’une telle sim plicité qu ’on ne peut le définir. E t pour ­
pour parler des azym es, les évangélistes ont recouru à tant, on a voulu, on veut encore faire de ce m ot le
un autre term e, άζυαα. Si Jésus a célébré le repas synonyme de « signifier », « figurer ». A priori, l ’ issue de
pascal au soir du 14 nisan, c ’ est-à-dire le 15 comm encé, la controverse ne paraît pas douteuse. « Ceci est m on
il a dû se servir d ’ azym e, les pains ferm entés devant corps, » ainsi parle Jésus. Je crois que c ’est votre corps,
disparaître dans l ’après-m idi du 14. M ais on sait répondent les partisans de la présence réelle. Je crois
qu ’un bon nom bre de Pères, d ’exégètes catholiques et que c ’est la figure de votre corps, répliquent les adver ­
de critiques non croyants placent la cène à une date saires de ce dogm e. Il est facile de constater qui reste
antérieure (πρώτη pourrait avoir le sens de πρό; il fidèle au sens m anifeste des term es employés.
faudrait traduire : avant le jour des azymes et non W isem an, op. cit., a prouvé de la m anière la plus
pas : le premier jour des azymes). L'expression ara- saisissante que le langage de Jésus devait s ’entendre
m éenne que remplace πρώτη pourrait encore plus aisé ­ au sens littéral. Certains objets, observe-t-il, sont sym ­
m ent avoir le double sens, Lagrange, Évangile selon boliques par nature; un portrait, un buste n ’existent
saint Marc, Paris, 1911, p. 349; et si on adm et cette que pour représenter un homm e. Si donc, m ontrant
hypothèse, Jésus aurait pu em ployer du pain fer ­ une statue de Platon, une pièce de m onnaie frappée à
m enté. l ’ effigie de Louis-Philippe, on dit : Ceci est Platon, ceci
Il prononce sur le pain une form ule de bénédiction, est Louis-Philippe, tout le m onde com prend que le
le rom pt et le donne aux disciples en disant . Prenez. verbe être signifie être l’image de. D ’ autres objets ne
Saint M atthieu ajoute : M angez. La fraction n ’est donc sont pas essentiellement et par eux-mêmes des sym ­
pas tout, elle n ’ est m ême pas l ’acte essentiel. Il faut boles, m ais le sont en vertu de l ’ usage : voilà pourquoi
bien que le pain, s ’il doit être partagé, soit rompu. l ’on peut dire,sans qu ’ aucune m éprise soit possible : ce
Et il l ’ étail dans le repas pascal, en m ême temps drapeau, c’est la France qui passe. Cette fois encore, le
qu ’ était prononcée une form ule d ’action de grâces verbe être est évidem ment synonym e de représenter.
dont le premier m ot est précisém ent le verbe bénir : j Enfin, certains objets ne sont des figures ni par défi-
« Béni soit celui qui fait produire le pain à la terre. » I nition ni en vertu d ’une convention com m uném ent
Jésus ne veut pas seulem ent attirer l ’attention sur adm ise, m ais en raison d ’un choix spécial de l ’écrivain
la fraction, la présenter com me une im age de son qui avertit alors le lecteur de son intention. Ainsi
corps im m olé (Jülicher). Ce qui est im portant, c ’est Jésus raconte la parabole du sem eur et la term ine par
la m anducation; et si la fraction — M atthieu et M arc ces m ots : « Le cham p, c'est le m onde; la sem ence,
d ’ailleurs ne le disent pas — représente la m ort vio ­ c’est la parole de D ieu. » La pensée n ’est pas douteuse.
lente de Jésus, la participation au pain rom pu a un N ous savons que nous som m es en face d ’une allé ­
autre sen' connexe, consécutif, celui d ’ une comm u ­ gorie. Le contexte nous oblige à donner au verbe être le
nion au corps im m olé du Sauveur. I sens de figurer.
Les paroles de Jésus ne laissent aucun doute sur ce Si, au contraire, un écrivain nom me un objet qui
point : «Ceci est m on corps, » dit le Christ. Le m ot ceci n ’est pas,de par sa définition,un sym bole;si cet objet
a été invoqué par les adversaires de la présence réelle. n ’ a jamais,en vertu de l ’usage,servi à représenter une
Ils raisonnent ainsi : Ce pronom ne désigne pas le corps autre chose; et si l’ auteur ne dit pas qu ’ il hasarde une
de Jésus. Il y aurait tautologie. Le Christ dirait : M on comparaison, une im age, une m étaphore, si rien dans
corps est m on corps. D ’ autre part, il ne peut désigner son langage ne perm et de le supposer, on est obligé de
ni le pain ni ce que les théologiens catholiques appel ­ conclure qu ’ il parle au sens propre, et s ’ il voulait
lent les espèces ou apparences du pain : car ni l ’un ni employer une figure, il ne serait pis compris. Si quel­
les autres ne sont le corps du Christ : donc le m ot ceci qu ’un dit, par exem ple, en m ontrant une m aison :
prouve que Jésus présente une figure de sa personne Ceci est le citoyen, l ’auditeur se dem andera ce que
et non cette personne. signifie cette affirmation. Et lui répondra-t-on : Vous
Cette argum entation ne porte pas. D ’après la plu ­ com preniez qu ’ une statue était Platon ou Louis-Phi­
part des exégètes chrétiens ou incroyants, ceci désigne lippe; que le drapeau était la patrie, que la sem ence
■ ce que Jésus tient dans les m ains... l'objet visible était la parole de D ieu, admettez aussi qu ’une
que l ’on présente rompu et partagé. » Loisy, op. cil., m aison peut représenter un citoyen? M ais depuis quand
t. ii, p. 520. La phrase est donc la suivante : Ceci, ce en est-il ainsi? répondra cet interlocuteur surpris.
que vous voyez, ce que je vous m ontre est m on corps. Et si on lui dit : Il en a été ainsi pour la prem ière fois
E t les partisans de la présence réellel'expliquent aisé ­ quand j ’ ai parlé et en vertu de m es paroles, il répli­
m ent de deux m anières. Ou bien au début, quand quera : Π fallait alors m ’ avertir.
Jésus comm ence la phrase, le sens est indéterm iné, il O r le pain et le vin ne sont pas essentiellem ent, par
sera précisé à la fin, ou bien il y a progrès de la pensée : nature, des sym boles du corps et du sang d ’ un homm e,
au m oment où le Christ prononce le premier m ot, ceci du corps et du sang de Jésus. Aucune convention,
désigne le pain ; quand il a fini la proposition, ceci se aucun usage antérieur ne les a désignés com me im ages
rapporte au corps du Christ. Q uelques exégètes ont de ce corps et de ce sang. Jam ais le Christ n ’ a recouru
voulu voir dans τούτο, hoc, un adjectif; et puisqu ’ il à ces deux élém ents pour représenter son corps et son
est au neutre, il déterm inerait le m ot corps. Le sens sang. Et ici, il ne dit pas, il ne laisse pas entendre qu ’il
serait : ce corps est m on corps. Et cette phrase n ’em ­ em ploie une im age, qu ’ il recourt à une comparaison.
barrasse pas davantage les partisans de la présence Donc, il est impossible d ’interpréter au sens figuré les
réelle ;car la proposition opérant,d ’ après eux,cequ ’elle m ots : Ceci est mon corps.
signifie, τούτο, hoc. indiquerait non ce qui est, m ais Les adversaires de la présence réelle depuis le xiv c
1037 E U C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE É C R IT U R E 1038
siècle jusqu ’ au xix° (voir, par exem ple, A. Réville, cène ne contiennent rien de sem blable. M ass B est
Manuel d'instruction religieuse, Paris, 1866, p.250), ont m ême perm is de se dem ander si te verbe être a dans ce
recueilli dans l ’Écriture un assez grand nom bre de passage le sens de figurer. La cirronœ ion n ’êuùt pas
phrases dans lesquelles le verbe être signifie représenter. seulement une image de l'alliance entre les enfants
W isem an, op. cit., les a fort longuement et très bien d ’A braham et leur D ieu, elle était le m oyen par leqee.
discutées. 11 distingue trois classes de textes. elle s ’ effectuait et un m onum ent qui en rappelait !.
D ans le plus grand nom bre des p issages o jectés, souvenir; en un certain sens, elte doàf raK anee
être a pour sujet et pour attribut un substantif. Les Probablem ent enfin, le vrai sens du t. ! <fa c. x -·
sept vaches sont sept années. G en., x l i , 2 j , 27. Les de la G enèseest le suivant : Voici l'affianre
dix cornes sont dix royaumes. D an., vn, 24. Le cham p, m oi et vous : tout m âle parm i vous sera cire·- n:
c ’ est le m onde. M atth., xm , 38, 39. La pierre était E t s ’ il en est ainsi, le verbe être doit s ’entendre au -■>.
Jésus. I Cor., x, 4. Ce sont les deux alliances. Gai., rv, littéral.
24. Les sept étoiles sont les sept anges. A poc., i, 20. L ’ affirmation de l ’ Exo de, xn, 11, dont Zwingle ' ■
Il faut observer que toutes ces phrases diffèrent m até ­ sait si grand cas pour com battre la doctrine
riellement de celle que prononce Jésus à la cène. D ans présence réelle, ne p ut en réalité rendre aucun ■-
toutes (sauf en apparence dans celle qui est tirée de vice p <"r '.’inielligence des paroles de la cène. A pr . s
l’ Épître aux G alates), il y a un sujet déterminé et ce avoir m inutieusem ent décrit le rite de la m anduc ■
sujet est très différent de l ’attribut, qui est très déter ­ tion de l ’ agneau pascal, le texte conclut: < Ceci est
m iné lui aussi. U n roi n ’est pas une corne, une vache la Pâque de Jahvé. » On pourrait adm ettre sans dif ­
n ’est pas une année. D eux objets m atériels ne pou ­ ficulté que la phrase signifie : ceci représente la
vant être identiques, le verbe être signifie ici repré en­ Pâque de Jahvé; les cérém onies qu ’il fallait observer
ter. M ais il n ’ en est pas nécessairement ainsi lorsque en participant à l ’ agneau pascal disposaient les Juifs
le sujet vague et indéterm iné (ceci) tire de l ’ attribut à voir dans ce rite une figure; on lit m ême dans ce
sa signification : Ceci est mon corps. Le texte de chapitre de l ’ Exode, un peu plus loin, 13 : « Le sang
l ’ Épître auxG alates ne fait pas exception. Nous liions [de l ’agneau] sera un signe en votre faveur. » E t nous
parfois en français : « Ce sont les deux alliances; » le savons que les H ébreux donnaient aux sacrifices le
grec porte : « elles », c ’est-à-dire « A gar et Sara, sont nom de la chose pour laquelle ils étaient offerts (le
les deux alliances. » O r, il est évident que ces deux péché, le délit). M ais le sens de l ’ affirm ation rappro ­
femm es ne sont pas à la lettre deux alliances. A u reste, chée par certains exégètes de la parole de Jésus peut
il faut examiner le contexte. E t nous savons par lui être aussi : « Ceci, c ’est-à-dire, ce rite ou ce jour est .
que,dans chacune des phrases citées plus haut, le verbe fête de Pâ rue consacrée à Jahvé. » Le verbe être serait
être a le sens de représenter. Joseph et D aniel inter ­ pris alors dans son sens littéral. On lit, en effet : « Le
prètent un songe; Jésus explique une parabole; saint septièm e jour est le sabbat consacré à Jahvé. » Exod..
Paul, après avoir dit que la pierre était le Christ, xx, 10. « D em ain sera fête en l ’honneur de Jahvé.·
ajoute : Tout cela était figure, et il déclare qu ’il parle Exod., xxxn, 5. < Q uand vos enfants vous diront : Que
d ’ un rocher pneumatique, c ’est-à-dire m iraculeux ou signifie ce rite? vous répondrez : C’est un sacrifice de
prophétique. De m êm e, on lit dans l ’ A pocalypse : Pâque en l ’honneur de Jahvé. » Exod., xn, 26, 27.
Écris le mystère des sept étoiles. A la cène, rien n ’au ­ Ce n ’est pas seulem ent à l ’ aide de ces textes bibli­
torise à penser que Jésus présente ou déchiffre -ne ques que les négateurs de la présence réelle ont essaye
allégorie. Ni avant ni après les m ots : Cec i est m on de soutenir leur sentim ent. Ils ont observé que les
corps, ne figure un indice qui m et sur la voie d ’ une Juifs,en m angeant les azymes, disaient : «C ’est com m e
interprétation au sens figuré. le pain m isérable; » et ils ont conclu que des personnes
D ans d ’autres phrases invoquées pour les partisans accoutum ées à user de ces paroles devaient être portées
du sens spirituel, le verbe être a par sujet le pronom à donner un sens figuré aux m ots : Ceci est m on corps.
je, pour attribut un substantif : je suis la orte, Joa., x, Π faut se souvenir que de telles form ules sont relati­
7; je suis la vraie vigne. Joa., xv, 1. M ais cette fois vem ent récentes. W ünsche, Neue Beitrâge zur Erlâu-
encore, le lecteur est éclairé par le contexte. Des terung der Eoangelien aus Talmud und Midrasclt,
séries d ’ explications m ontrent comm ent Jésus est une G œttingue, 1898, p. 232. Le traité Pesachim du Talm ud,
porte ou une vigne; au contraire, à la cène, pas un qui décrit m inutieusem ent les rites de la Pâque, ne
m ot pour expliquer com m ent du pain est son corps, et laisse pas entendre que ces expressions étaient en
l ’argum ent invoqué contre l ’em ploi abusif des textes usage. M aimonide est peut-être le prem ier tém oin
précédem ment cités revient à l ’esprit : il st évident qui les signale. Ces m ots d ’ ailleurs ne signifient pas
que Jésus ne peut pas être au sens littéral une porte, nécessairem ent : « Ceci représente le pain m angé par
une vigne. Le Christ dit donc en réalité : ie ressem ­ nos pères au temps de l ’ affliction; » m ais : « Ces
ble à une porte. De m êm e il s ’ est procl 'm é le pain de azym es sont l ’ espèce de pain qu ’ont m angé nos
vie, Joa., vi ; et com m e évidem m ent il n ’est pas un pères. »
m orceau de pain, le lecteur de l ’ Évangile n ’ hésite pas Pour établir que le verbe être a ici le sens de figurer,
à conclure qu ’ en cet endroit le Sauveur se com pare à on a souvent soutenu que le syriaque et l ’araméen
du pain; il explique d ’ ailleurs le se s de son affirm a­ ne possédaient aucun m ot qui signifiât représenter.
tion. M ais les m ots : Ceci est mon corps sont bien diffé ­ W isem an a définitivem ent établi le contraire. Horæ
rents, et rien ne perm et de voir en eux une figure. syriaeæ, dans M igne, Démonstrations évangéliques.
Des rapprochem ents m oins contestables ont été I t. xvi; La présence réelle, diss. V II· , ibid., L xv,
tentés entre les formules de la cène et deux phrases col. 1274 sq. Cf. Lam y, Dissertatio de Syrorum fid·: ·
dans lesquelles le verbe être a pour sujet le pronom disciplina in re eucharistica, Louvain, 1859. S ’ il y
ceci, pour attribut un substantif : « Ceci est m on avait eu quelque équivoque dans l ’ original, le texte
alliance entre m oi et vous, » il s ’ agit de la circoncision, grec des Evangiles aurait dû la faire disparaître.
G en., xvn, 10; « Ceci est la Pâque de Jahvé. · Exod., D ’ ailleurs, dans le syriaque, l ’araméen il est tr-:s
xn, 11. Si l ’on suppose que la première de ces phrases facile d ’exprim er l ’idée de «signifier », «représenter ·
signifie : Ceci, la circoncision, représente l ’ alliance, W isem an com pte en syriaque quarante-cinq term es
on ne peut s ’ en étonner, car le contexte perm et cette capables de rendre cette pensée. Enfin, il observe que
interprétation, cettfc affirm ation étant suivie des m ots : les écrivains qui usent de cette langue donnent rare ­
• Vous vous circoncirez dans votre chair et ce sera le m ent au m ot être la signification de figurer, qu ’ ils ie
signe de l ’ alliance entre m oi et vous. » Les récits de la font seulem ent dans descas où une équivoque n ’ est
1039 E U C H A R IST IE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1040

pas possible, qu ’ils entendent au sens littéral les Luc. « Ce n ’est qu ’une question de nuance et le texte
m ots : Ceci esl mon corps. de M arc et de M atthieu n ’est pas m oins expressif.
Toutes ces explications seraient superflues, disent Si le sang de Jésus est le sang de l ’alliance, il va de
plusieurs critiques (Schæfer, Schmiedel); le m ot esl ne soi qu ’il s ’agit d ’une nouvelle alliance. » Lagrange,
prouve rien, car Jésus qui parlait araméen n ’ a pas dû loc. cil. Cf. Batiffol, op. cil., p. 47, 55.
l'em ployer. Il a dit : Voici mon corps. Loisy, op. cil., Loisy, op. cit., t. n, p. 523, suppose qu ’ il est fait
t. il, p. 520. Si le fait était exact, avant d ’ avoir le allusion ici à l ’im molation de l ’agneau pascal; les
droit d ’en tirer une conclusion contre la présence réelle, Israélites qui le m angèrent et m arquèrent leurs
il faudrait dém ontrer que les m ots : Voici mon corps portes de son sang échappèrent au fléau de la m ort,
doivent s ’ entendre au sens figuré. O r cette locution, « les fidèles qui comm unient au corps et au sang de
aussi bien que la phrase grecque : Ceci esl mon corps, Jésus dans l'eucharistie reçoivent le gage de la vie
et pour les m êmes raisons, ne paraît pas pouvoir être éternelle. » Cette allusion n ’est peut-être pas étran ­
entendue autrem ent qu ’ au sens littéral. Il faut aussi gère à la pensée ici exprimée ; m ais elle ne sem ble
noter qu ’en araméen la copule est peut très bien pas au prem ier plan : le sang de l ’agneau pascal ne
s ’exprim er. En fait, la Peschito, la version syriaque scellait aucune alliance. L ’affirmation conservée par
sinaïtique et la curctonienne l ’exprim ent (voir en par ­ saint M atthieu et saint M arc rappelle d ’une m anière
ticulier Peschito, M arc., xiv, 22, où l ’ idée est forte ­ plus saisissante le récit de l ’Exode, xxiv. M oïse fait
m ent m arquée). Enfin le texte grec des Évangiles imm oler des taureaux en sacrifices d’actions de grâces,
ém ane d ’auteurs qui connaissaient l ’ araméen. Pour répand une m oitié du sang pur l’autel, asperge de l ’au ­
rem onter à l ’original et essayer de le reconstituer, le tre le peuple en disant : Voici le sang de l’alliance, ’Ιδού
lecteur m oderne est obligé de prendre pour point de το αίμα τής διαθήκης , paroles qui coïncident avec l ’af ­
départ de son travail la transposition qu ’ils ont faite firm ation : Ceci esl mon sang, celui de l’alliance, Τούτο
des m ots prononcés par Jésus et il ne peut la rejeter έατιν τδ αίμά μον το τής οιαΟηκης , Lorsqu on adm et
que s ’il démontre que la traduction a été un contre ­ la présence réelle, tout s ’ explique à m erveille. Jésus
sens : toute autre m éthode serait arbitraire. Berning, verse son sang sur la croix et le comm unique aux
op. cit., p. 99, 204-205. Douze pour s ’unir à eux désorm ais. Et si on donne au
La m ême expression, qu ’il faut interpréter de la m ot διαθήκη le sens de testam ent (voir H eb., ix, 16).
m ême m anière,a été prononcée sur le vin. « Jésus prit Jésus, en disant : Ceci est m o i sang, celui du testa­
une coupe,«disent les deux évangélistes. Elle contenait ment, annoncerait sans doute sa m ort, m ais aussi
du vin, puisque, après l ’ avoir distribuée, le Christ ; l ’effusion de son sang. H eb., ix, 18, 22. Π est facile
affirm e qu ’ il ne boira plus du fruit de la vigne. Lan- d ’ ailleurs de passer d ’une idée à l ’autre. V oir G ai., m ,
dauer a démontré que les Juifs, avant le ix'sièclc, ne I 15, 18. Que l’on voie dans les m ots rapportés par les
se servaient pas dans les repas religieux d ’ une coupe deux évangélistes une allusion à l'agneau, la fonda ­
unique, m ais que chacun avait la sienne. Monatschri/t tion d'une alliance, la rédaction d ’ un testam ent, il
für Goltesdienst und kirchliche Kunst, t. ix, p. 363, Cf. s ’agit ici de sang, de vrai sang, du sang de J sus
E. M angenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, auquel participe le peuple. Telle est non seulem ent
p. 466-468. L ’acte qu ’accomplit ici Jésus se distinguait l ’ opinion des interprètes catholiques, m ais celle d ’ un
donc déjà d ’ une m anière toute spéciale des rites de grand nom bre de critiques indépendants. O r, Jésus a
a Pâque et du kiddûi. invité à boire ce qu ’il offrait, les disciples ont ou ce
Saint M arc et saint M atthieu ajoutent que Jésus qu ’il leur présentait. C ’est donc bien son sang que,
rendit grâces. Prononça-t-il une formule de rem ercie ­ d ’après saint M atthieu et saint M arc.il leur a donné.
m ent semblable à celle qu ’à la Pâque le père de fam ille Le m ot qui suit oblige encore davantage à adm ettre
récitait sur la prem ière coupe : « Béni soit Dieu qui a cette idée. Ce que présente Jésus, c ’est son sang ré­
créé le fruit de la vigne? » Fit-il un appel spécial à la pandu, ce n ’est donc pas l ’ im age, la figure de ce sang.
toute-puissance divine? Lagrange, op. cit., p. 355. J. Réville a repris une vieille objection tirée de ce
Prise en son sens propre, l ’expression favorise plutôt term e. Le m ot έκχυννίμενον est un participe présent.
le premier sentim ent. Jésus donna la coupe et ils en « Jésus ne parle pas « de son sang qui va être répandu, »
burent tous, dit saint M arc. Le M aître les y avait posi­ m ais « de son sang qui est répandu. » O r à ce m om ent
tivem ent invités, selon saint M atthieu, en disant : son sang coulait encore dans son corps; il ne peut donc
Buvez-en tous. Ce dernier m ot s ’explique, « parce que pas s ’ agir de ce sang. » Op. cit., p. 110-111. « Ce sang
d ’ordinaire chacun avait sa coupe ou qu'on aurait pu est répandu, au présent, représentant le futur, quant
la remplir dans l ’ intervalle. » Lagrange, op. cit., p. 355. à la réalité des faits, «répond Lagrange. Op. cit., p. 355.
V oir aussi K nabcnbauer. Les théologiens catholiques Il observe aussi que dès la cène « cette effusion est
ont conclu que le m orcellem ent de ce qui était dans la envisagée com me un sacrifice, et c ’ est en qualité de
coupe, c ’est-à-dire du don divin, le partage du sang sang versé que le sang de Jésus figure dans la coupe. »
du Christ n ’entraîne pas une diminution de ce don, Dès cet instant, le sacrifice est consomm é, l ’ alliance
une m oindre participation pour chacun au sang de scellée, les paroles de Jésus constituent une anticipa ­
Jésus. Les deux évangélistes ne se préoccupaient pas tion m ystique du sacrifice de la croix. Des théologiens
du problème du m ode de présence sacram entelle; m ais ont m ême essayé de dém ontrer par cet emploi du pré ­
ils laissent entendre clairement que chacun des dis ­ sent que la cène était un sacrifice. Peut-être faut-il dire
ciples reçut ce que Jésus voulait donner à tous, c ’est- aussi que la proxim ité de ce repas et de la m ort de
à-dire son sang. Et ainsi leur langage peut servir à Jésus autorise l ’em ploi du présent, οπ ’ έκχυννόμενον
dém ontrer que le partage du contenu de la coupe n ’ al­ représente l ’ im parfait sém itique et peut se traduire
tère pas la réalité, l ’intégrité du sang consom mé. par le futur, que les rédacteurs des deux prem iers
Jésus dit d ’après les deux prem iers Synoptiques : Évangiles, écrivant à une époque où la cène était en
Ceci est mon sang. Com me l ’affirm ation prononcée sur usage, ont été tentés de m ettre au présent le verbe
le pain, et pour les m êmes raisons, ces m ois ne peuvent qu ’ em ploya le Christ.
s ’entendre qu ’ au sens littéral. Le contexte achève de Enfin pour réfuter J. Réville, il suffit de lire les deux
le dém ontrer : Ceci est m on sang, celui de l'alliance, m ots qui suivent : Ceci est m on sang, celui de l ’alliance
lit-on dans saint M atthieu et sam t M arc. Beaucoup de répandu pour beaucoup. Si on les rapproche de ces
m anuscrits précisent et portent : de la nouvelle alliance. affirm ations des m êmes évangélistes : « Le Fils de
On peut adm ettre que cette épithète a été introduite l ’hom me est venu... donner sa vie pour la rédemption
sous l ’influence des textes de saint Paul et de saint de beaucoup, M atth., xx, 28; le Fils de l'hom me est
1041 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU RE 104-2

venu... donner sa vie pour la rançon de beaucoup, » sible que Jésus, attablé avec ses disciples juifs, les ait
M arc., x, 45; si on se souvient de la m ention de invités à boire du sang véritable, puisque rien n ’était
l ’alliance, on doit conclure que le sang de Jésus est plus form ellement interdit aux Juifs, et cous savons
offert en sacrifice. Ce m ot n'est pas prononcé, il est que les premiers chrétiens ne Jerusalem , y com pris les
vrai; m ais com m e le rem arque un critique non sus ­ apôtres, restèrent à cet égard soumis aux prescrip ­
pect d ’être influencé par la théologie catholique: «Les tions de la loi juive. Les évangélistes, ea tent cas
paroles évangéliques prises dans leur sens nature l'auteur du premier Évangile, connaissaient poririte-
renferm ent ce que la tradition chrétienne n ’a pas m ent les prescriptions de la loi a cet égard. >
cessé d ’ y trouver: la notion de sacrifice attachée à la J. Réville suppose que Jésus a réellem ent bu à ia
m ort de Jésus et la comm ém oraison de ce sacrifice coupe sur laquelle il avait prononcé les m ots : Ceo est
dans l ’eucharistie. » Loisy, op. cit., t. n, p. 522. Or, m on corps. O r,parm i les catholiques, comm e parm . les
• dans un sacrifice, la victime, après avoir été offerte critiques incroyants, la question est c· ntrovers e.
à D ieu, est l ’alim ent du fidèle qui participe au sacri­ Goguel, op. cil., p. 81, sc rencontre avec le R. P. La ­
fice. » Batiffol, op. cit., p. 56. Le Sauveur n ’ a pris du grange, op. cit., p. 356, pour affirm er qu ’on ne peut
vin que pour le distribuer, le faire boire par les con ­ rien conclure du texte évangélique. Sans doute, au
vives; ce vin, c ’est son sang versé sur la croix; donc repas pascal, le m aître de m aison goûtait au pain et
c ’est ce sang versé sur la croix que reçoivent les dis ­ au vin avant de les distribuer : m ais saint M atthieu et
ciples. saint M arc m ontrent dans les deux rites accom plis par
11 l ’a été pour beaucoup et non pas seulem ent pour Jésus des actes d ’ un caractère nouveau, dans les ali­
nous. Ce m ot m ontre que l ’im molation de la croix ne m ents distribués des m ets qui ne sont plus seulem ent
doit pas profiter aux D ouze, exclusivement. 11 insinue ceux de la Pâque antique : nous ignorons donc si Jésus
donc qu ’ ils ne doivent pas seuls participer à la victim e y a participé. La réflexion eschatologique ne doit pas
du Calvaire. Beaucoup n ’est pas opposé à tous : il y a davantage être invoquée : peut-être sa vraie place est-
antithèse entre la m ort d ’ un seul et le salut du grand elle avant l ’institution de l ’eucharistie. E t pour que
nom bre. Lagrange, op. cit., p. 256. Jésus dise : Je ne boirai plus du fruit de la vigne, il
Saint M atthieu précise encore davantage la pensée : n ’ est pas nécessaire qu ’il porte au m êm e m om ent la
le sang est répandu pour beaucoup en rémission des coupe à ses lèvres. S ’ il était établi qu ’ il a pris du pain
péchés. D ans la loi antique, il y avait un sacrifice pour et du vin, on ne pourrait rien en conclure. Saint Jean
le péché et, affirm e l ’ Épître aux H ébreux, ix, 22, sans | G hrysostom e, saint Thom as d ’A quin et beaucoup
effusion de sang, il n ’ y a pas de pardon. Cette expres ­ d ’autres grands chrétiens ont admis que Jésus avait
sion favorise donc encore le sentim ent de ceux qui m angé son corps, bu son sang. Le fait est m ysté ­
voient dans la cène une participation véritable au rieux com m e la présence réelle et ses conséquences,il
véritable sang de Jésus imm olé pour la rémission des ne l ’est pas davantage. E t on ne saurait le taxer de
péclus. monstruosité.
A près avoir ainsi donné le vin, Jésus ajouta, affir ­ Inviter les disciples à boire du sang n ’est pas davan ­
m ent les deux évangélistes : Je ne boirai plus du fruit tage invraisem blable.C ’était du vin qui, en apparence,
de la vigne jusqu ’au jour où je le boirai nouveau dans leur était présenté. A insi, le préjugé du juif était m é ­
le royaum e de Dieu. Les préoccupations d ’ adieu, nagé. Toute répulsion lui était évitée. C ’est sous une
d ’ avenir brillant, ne sont donc pas absentes, m ais elles form e accessible, agréable, que le corps et le sang de
sont à l ’arrière-plan, et ce n ’est pas par elles qu ’on doit i Jésus étaient distribués. La chair ne devant pas
interpréter toutes les paroles et tous les gestes de être broyée, toute crainte d ’ anthropophagie dispa ­
Jésus à ce m om ent. A insi rapprochés du don de l ’eu- j raissait. Les disciples sc savaient auprès d ’ un M aître
charistie, ces m ots laissent entendre que la cène est le qui les avait m aintes fois ém erveillés, ils étaient
m ém orial de sa m ort, que le pain et le vin sont le gage habitués à le croire sur parole et à considérer com me
du futur rendez-vous et com m e une promesse des bien ­ licite ce qu ’il leur com m andait de faire. On com prend
faits réservés aux disciples dans le royaum e à venir. que saint M atthieu et saint M arc n ’ accusent chez les
On a essayé de voir dans cette déclaration un argu ­ Douze aucun trouble, aucune hésitation, aucune ré-
m ent contre la présence réelle. Jésus dit qu ’ il ne boira pugnance. Q uand, après de nom breuses années de
plus du fruit de la vigne. Donc, après les m ots: Ceci fidélité à la loi, un Juif se convertit au catholicism e,
est mon sang, c ’est encore du vin qui est dans la coupe. il n ’ éprouve aucune peine à com munier.
Il est aisé de répondre. Pour que Jésus à ce m om ent ait En dehors du récit de la cène, on ne trouve chez
pu dire : Je ne boirai plus du fruit de la vigne, il suffit saint M atthieu et chez saint M arc aucun enseigne ­
que le contenu de la coupe soit en apparence du vin; m ent précis sur ’ ’eucharistie. Beaucoup de Pères,
c ’était du vin, d ’ailleurs, une demi-minute aupara ­ d ’ exégètes, d ’écrivains catholiques ont vu dans les
vant. La parole du Christ s ’ explique donc très aisément. m ultiplications des pains par Jésus, M arc., vi, 30-44;
Au reste, saint Luc place cette déclaration du Seigneur vn, 1-10; M atth., xiv, 13-24; xv, 32-39, des figures
avant les m ots : Ceci est mon sang. On peut se de ­ du don de son corps et de son sang. C ’est aussi la
m ander si ce n ’est pas lui qui a raison. D ans cette pensée de plusieurs critiques non croyants. Loisy,
hypothèse, l ’objection ne pourrait m ême pas être pré ­ op. cil., 1.1, p. 937; Goguel, op. cit., p. 190. Il est perm is
sentée. de rapprocher cet épisode de la célébration de l ’eucha ­
Les adversaires de la présence réelle ont souvent ristie, sans nier d ’ailleurs la réalité historique du m i­
fait val >ir un autre argum ent ’ tiré de cette m ême racle. Jésus voulut-il, en accomplissant ce prodige,
parole de Jésus. J. Réville la présente encore, op. cit., préparer les disciples à l ’ acceptation du pain de la
p. 111 : « Toute la description implique que Jésus cène? Peut-être. M ais, com m e le théologien ne sait
m a ige et boit avec ses disciples; au ÿ. 29 de M atthieu, pas d ’une m anière indiscutable à quelles circon
25 de M arc, il dit : Je ne boirai plus désormais de ce stances précises de ce fait do ’ t être attribue un sens
produit de la vigne jusqu ’à l ’avènem ent du royaume spirituel, la lecture de ces récits ne le renseigne ; as
de Dieu. Si « ce produit de la vigne, » c ’est-à-dire le ou le renseigne peu sur l ’eucharistie.
vin, est au t. 28 le sang de Jésus,il doit 1 ’être aussi au L ’ étude des textes de saint M atthieu et de saint
t. 29. On aboutirait ainsi à cette m onstruosité que, M arc aboutit aux conclusions suivantes. A u cours de
d ’après nos deux évangélistes, Jésus aurait m angé son dernier repas avec ses disciples, dans un festin pro ­
son propre corps et bu son propre sang. » Et J. Réville bablement pascal, m ais par un geste tou particulier,
ajoute une objection du m êm e ordre. · Il est inadm is ­ Jésus donna aux disciples son corps à m anger, sous les
1043 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1044

apparences de pain (azyme ou ferm enté, nous l ’ igno ­ clairement; > l ’adjectif spirituel a le sens de figuratif
rons), son sang à boire sous les apparences du vin. Il prophétique. Cette interprétation est adm ise par plu ­
annonçait sa prochaine im molation et la valeur ré ­ sieurs critiques. De l ’exam en de ce texte ainsi en ­
dem ptrice de ce sacrifice, ilinvitait les apôtres à parti ­ tendu, on dégagé plusieurs conclusions : l ’eucharistie
ciper à son corps et à son sang répandus pour beau ­ « réalise un type prophétiquement décrit dans l ’ An-
coup, il établissait entre eux et lu i une alliance,alliance cien Testam ent » « Les élém ents de la comm union
qui ne sera suivie d ’ aucune autre avant le banquet du viennent... du Christ com me l ’eau du désert cou­
royaume. Cette nourriture ne sem ble donc pas destinée lait du ro her. · « Tous les chrétiens prennent jiart
à eux seuls, c ’est d ’ ailleurs pour beaucoup qu ’est versé à la comm union. » M ais le pai et le vin ne préservent
le sang de Jésus. Et si l ’on veut résumer d ’ un m ot les ni de la te tation, ni de la chute, ni de la perte du sa ­
effets attribués aux m ets de la cène, on devra dire que lut Goguel, op. cit., p. 164, 166. Le baptêm e et l ’ eu ­
les disciples furent conviés à une communion. Le rite charistie sont posés par saint Paul « systém atique ­
nouveau est destiné à rapproc er aussi intim em ent m ent, sur le m êm e plan, com m e deux institutions
que possible Jésus des siens, à faire passer en leur essentielles de la com munauté chrétienne, » Batif ­
personne avec les bienfaits obtenus par la m ort du fol, l c.cit.,institutions bien connues,et qu ’ il est pos ­
Sauveur, son corps et son sang. sible, dans une lettre à des chrétiens, < ’c désigner par
Com ment le corps et le sang sont-ils présents? Saint simple allusion) en langage figuré.
M atthieu et saint M arc ne le disent pas. M ais ils m on ­ M ais plusieurs inter rètes ont m is en doute cette
trent qu ’on peut diviser le vin entre plusieurs comm u ­ interprétation. M . M aigenot, L ’eucharistie dans saint
niants sans priver l’ un d ’eux d ’une partie du don. De Pa l, dans la Revue pratique d’apologétique, 1911,
quelle m anière Jésus m et-il sous le pain ce qu ’ il offre t. xin, p. 35, observe que l ’ adjectif πνευματικόν,
aux disciples? La question n ’est pas posée. Pourtant, spirituel, n ’ a nulle part dans l’ Écriture le sens de figu­
pris dans leur sens obvie, les m ots : Ceci est mon corps, ratif. (On trouve dans l ’ A pocalypse, xi, 8, l’ adverbe
ceci est mon sang laissent entendre que ceci n’est plus πνευματικώί, em ployé pour signifier prophétiquement.)
du pain, que ceci n’est plus du vin, que de ces deux Ce m ot vent dire en réalité m iraculeux et désigne le
substances restent seulem ent les apparences. Et si l ’on caractère m erveilleux de la m anne et de l ’eau du
cherche une form ule pour exprim er la transsubstan ­ rocher. De plus, ce qui est présenté com me figure
tiation, dans le langage courant, ordinaire, ces m ots par saint Paul, ce n ’ est pas cet alim ent, ce breuvage,
sont peut-être ceux qui le plus sim plem ent et le plus c ’est l ’ histoire des Israélites dans le désert : elle est
clairem ent énoncent cette notion. Les protestants, qui la prophétie de ce qui arrivera aux chrétiens, s ’ ils
ont enseigné que le pain et le corps de Jésus coexistent tom bent dans l ’idolâtrie.
ou que le Christ s ’incarne en quelque m anière dans le L ’indécision qui plane sur le sens de ce m orceau ne
pain, sont obligésde m odifier ces paroles ou d ’ ajouter perm et donc pas d ’en tirer avec certitude un ensei­
à leur contenu. E t l ’on peut m êm e dire que, parm i gnem ent sur l ’eucharistie.
les théologiens catholiques, ceux qui, com m e saint b) La communion au corps et au sang du Christ.
Thomas ou le P. Billot, repoussant toute autre idée, I Cor., x, 15-22. — Saint Paul veut inculquer forte ­
veulent expliquer la transsubstantiation uniquem ent m ent aux Corinthiens la défense de participer aux
par le changem ent du pain au corps de Jésus, pa ­ banquets où l'on m ange des m ets sacrifiés aux idoles,
raissent être ceux qui conforment le m ieux leur lan ­ il leur écrit :
gage à l ’affirm ation évangélique : Ceci est m on corps.
15. Je vous parle com m e à des hom m es sensés : jugez
Entre ces m ots et leur concept se place le travail de vous-m êm es de ce que je dis. IG . La coupe de bénédiction
plusieurs siècles ct se m esure la distance qui sépare que nous bénissons ( t î > π οτή^ιον τής ιΰλογίας ε ιΰΐογοί μεν) n ’ est-
une parole d ’ une théorie, m ais l ’ équivalence est m a ­ elle pas une com m union au sang du C hrist (κοινωνία «s αίμα ­
nifeste. τος )? Le pain que nous rom pons n'est-il pas une com m u ­
2. Sainl Paul. — Le récit de l ’ institution laissé nion (κοινωνία) au corps du C hrist? 17. Puisqu'il y a un
par saint Luc et celui de saint Paul sont apparentés. seul pain, nous som m es, étant plusieurs, un seul corps,
car nous participons tous à un pain unique. 18. V oyez
D ’autre part, celui de l ’ apôtre est encadré dans des
Israël selon la chair, ceux qui m angent les victim es (Ουσίας )
com mentaires qui perm ettent d'en m ieux saisir le ne sont-ils pas participants à l'autel (κοινωνοί τ«ε θυσιαστηρίου)?
sens. C ’est pourquoi nous croyons devoir com mencer 19. Q ue dis-je donc? Q ue l'idole est quelque chose ou que
par l ’exam en des Épîtres. la viande im m olée aux idoles est quelque chose? 20. N on;
a) La manne et l'eau du rocher. I Cor., x, 1-4. — m ais que les païens im m olent à des dém ons et non à D ieu
L ’ apôtre dit : Israël dans le désert reçut des dons ce qu'ils offrent en sacrifice. 21. O r, je ne veux pas que
m agnifiques, néanmoins, parce qu ’ elle pécha, la géné ­ vous soyez en com m union avec les dém ons (κοινωνούς των
δαιμόνιων). 22. V ous ne pouvez pas boire la coupe du Sei
ration sortie d ’ Égypte m ourut sans avoir atteint
gneur ct la coupe des dém ons; vous ne pouvez pas
la terre prom ise. C ’est une figure, c ’ est-à-dire une prendre part à la table du Seigneur et à la table des dé ­
leçon pour les chrétiens. Que celui qui est debout m ons. 23. O u bien provoquons-nous la jalousie du Seigneur?
prenne garde de tom ber, x, 1-14. C ’est au cours de ce Som m es-nous plus forts que lui?
développement que saint Paul écrit : a 1. Je ne veux
pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous A insi, saint Paul, pour exhorter à fuir l ’ idolâtrie,
la nuée, ont tous traversé la m er, 2. et qu ’ ils ont tous fait appel à la croyance des Corinthiens à l’ eucha ­
été baptisés, έ6απτίσαντο, en M oïse dans la nuée et ristie. Les affirmations qu ’il avance sur le corps et le
dans la m er; 3. qu ’ ils ont tous m angé le m ême ali ­ sang du Christ lui paraissent si sûres, si évidentes,
m ent spirituel, πνευματικόν, et qu ’ ils ont tous bu si bien connues de ses lecteurs, qu ’il s ’en sert pour
le m ême breuvage spirituel, car ils buvaient à un prouver d ’ autres propositions. Ce qu ’il leur dit du
rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher sacrement, ils le savent donc déjà; car il les invite à
était le Christ. » juger de la justesse de son raisonnem ent, 15; et il
Batiffol conclut qu ’en cet endroit la nuée et la procède non par affirmation com m e dans un exposé,
m er sont la figure du baptême, la m anne et l ’eau du m ais par interrogatio s, 16. Π ne rappelle sur l ’ eu ­
rocher, celle de l ’eucharistie. L ’ apôtre enseignerait charistie que ce qui est utile à sa dém onstration; en
qu ’ il ne suffit pas d ’avoir reçu ces deux sacrements fait, il nous renseigne sur les éléments et sur l ’ effet
pour être sauvé. Op. cit., p. 4. Batiffol justifie son sen ­ principal du repas chrétien.
tim ent par les remarques suivantes : « Le m ot de a. Les éléments : pain et coupe. — Saint Paul nom m e
baptêm e est prononcé, l ’ eucharistie est désignée d ’ abord «la coupe de bénédiction que nous bénissons. »
1045 EU C H A R ISTIE D ’ A PR È S LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1046

On ne peut en conclure qu ’à Corinthe le repas com ­ des banquets païens en leur rappelant ce qu pro ­
m ençait par la bénédiction et la distribution du vin. duisent les sacrifices juifs et ce qu'opere l'eucharistie.
Car le récit que saint Paul donne de la cène un peu Renversant la comparaison de Paul, l ’exégète peut
plus loin indique d ’ abord le pain. Pourquoi la coupe est- à bon droit déterm iner ce qu ’est ie rep s càrétien
elle donc ici m entionnée en premier lieu? Est-ce parce en exam inant ce qu ’étaient les rites d'Israël et les
qu ’il y a un rapport plus saisissant entre les liba ­ festins religieux des gentils.
tions païennes et la distribution de vin eucharistique Le verset 17 : « Puisqu ’il y a un seul pain. -<rcs
qu ’entre la consom m ation de la viande des sacrifices som mes, étant plusieurs, un seul corps, car r.c-s . r-
et la participation du pain de la cène (Goguel, H ein- I ticipons à un pain unique », sem ble étranger a ar ­
rici)? Cette raison ne sem ble pas bien forte. Et il est gumentation, lour ce m otif, Schm iedel en a nié l'au ­
plus naturel d ’ adm ettre que ce dernier élém ent a été thenticité : opération injusti fiée, nul n ’a le droit de
nom mé en second lieu, parce que saint Paul se propo ­ supprim er ce qu ’ il ne s ’ explique pas. J. W eiss sup ­
sait d ’ am ener, 17, à son occasion une réflexion com ­ prime les premiers m ot» : « puiqu ’ il y a un seul pa ι n ·
plém entaire (Bachmann, M angenot). M . M angenot, loc. cil., p. 45-46, a fort bien m ontré
Que si ni fient les m ots : « la coupe de bénédiction que cette m utilation du texte n ’est pas m otivée. Ce
que nous bénissons? » Les avis sont partagés. Selon verset doit être laissé tel qu ’il est. On a dit qu'il était
les uns, cette locution rappelle un rite de la Pâque une parenthèse. Goguel, op. cit., p. 191. M . M angenot
juive; une coupe, la troisièm e, était dite : Kos hab- y voit une explication com plémentaire qui » n ’était
berakia, coupe de bénédiction, et était accompagnée pas nécessaire sans doute à l ’argumentation géné ­
de la formule : Béni soil Dieu, créateur de la oigne. rale... Les personnes qui sont au courant de la m a ­
L ’eucharistie ayant été instituée au cours du repas nière d ’écrire de saint Paul ne s ’étonneront pas de
pascal, ce term e aurait désigné la coupe chrétienne cette addition. Sa pensée, riche en idées sur la com ­
(G odet, Schæfer, J. W eiss). M ais, dit-on, saint Paul m union eucharistique, se m anifeste plus qu ’il n ’est
ne fait pas allusion a caractère pascal t e la cène (af­ rigoureusement requis pour la démonstration. » Ne
firmation contestable d ’ailleurs),et le nom de la troi ­ peut-on pas dire m êm e qu ’ il y a là un considérant à
sièm e coupe était « coupe de la lé édiction des l ’appui de la défense de m anger des idolothytes?
viandes ». Puis, les m ots que nous bénissons seraient un Les chrétiens, parce qu ’ ils usent d ’un m êm e pain,
pléonasm e. D ’autres exégètes croient donc qu ’ ici eu- form ent un m ême corps religieux. l ’Église. Saint P- ci
logie signifie l’ appel des bénédictions de D ieu sur le n ’achève pas la comparaison, m ais les lecteurs com ­
vin. Un assez grand nom bre de passages de l ’Écriture prennent la conclusion : ceux qui m angent les m êmes
justifierait ce sens. V oir Goguel, op. cil., p. 145. La viandes consacrées aux idoles constituent un m êm e
coupe de bénédiction que nous bénissons, c ’est donc corps païen. Quoi qu ’il en soit, ce verset indique un
la coupe consacrée,celle a laquelle une prière liturgique effet de l ’eucharistie : les com m uniants, si nombreux
solennelle a donné une valeur particulière en attirant qu ’ils soient, appartiennent · à un corps spirituel
sur elle la bénédiction de D ieu (Schnederm ann, Goguel, unique, parce qu ’ ils com munient tous à un m êm e
M angenot). Cette explication paraît m eilleure, m ais pain. » M angenot, loc. cil., p. 47. La cène chrétienne
ne rend pas raison des deux m ots : bénédiction que est bien le sacrem ent de l ’unité, le lien de la paix;
nous bénissons. Ne devrait-on pas l ’unir à la précé ­ non seulement elle sym bolise, m ais elle produit la
dente? » La coupe de bénédiction », ces m ots seraient fusion des esprits et des cœ urs; elle fait des fidèles un
com m e un nom propre tiré du rituel de la Pâque; la seul organisme.
suite « que nous bénissons » signifierait l'acte litur ­ Et ce corps participe au corps du Christ. Il ne fait
gique chrétien auquel le vin est soum is. qu ’ un avec lui. C ’est la conclusion qui se dégage de
Par qui s ’opère ce geste? Saint Paul ne le dit pas tout le passage, 16-22. Trois term es sont com parés. La
ici. L ’ em ploi de la prem ière personne du pluriel ne coupe, le pain, la table des chrétiens produisent κοι­
permet pas de conclure que tous les chrétiens pronon ­ νωνία, com munion au corps et au sang du Seigneur ;
çaient sur la coupe la bénédiction. L ’ apôtre m ontrera l ’idolothyte, la coupe, la table des dém ons produisent
plus loin dans la cène la répétition de l ’acte du Sei­ κοινωνία,com munion aux dém ons; les victim es juives
gneur: or,c ’est Jésus seul quidistribualepainet le vin produisent κοινωνία, com m union au ΐνσιασττ,ριον, à
après avoir dit : Ceci est m on corps, ceci est la nou ­ l ’ autel de Jahvé. Pour savoir ce qu ’ est l ’eucharistie
velle alliance dans m on sang. Ou bien le pluriel rap ­ d ’après saint Paul, il suffit donc de déterm iner ce
pelle que l'acte est accom pli au nom de l ’ assem blée que sont pour lui les sacrifices des païens et des Juifs.
chrétienne (Godet, Toussaint, Goguel), ou bien il fait Il faut au m oins adm ettre que la cène chrétienne
allusion à la participation de tous au vin consacré m et le fidèle en relation intim e avec Dieu com m e les
(Schæfer, M angenot); ou bien il signifie la coupe que victim es juives m ettaient Israël en relation avec
nous, chrétiens, nous possédons par opposition aux Jahvé et le sacrifice païen.les gentils avec les démons.
idolothytes des païens, aux victim es des sacrifices Saint Paul dit lui-m êm e ce qui se passe chez les Grecs :
juifs. ceux qui m angent les viandes im molées aux idoles
L ’ apôtre parle ensuite du pain que nous rompons; « entrent en comm union avec les démons. » Telle était,
ce pain est unique, le m êm e pour tous; il est sur la d ’ ailleurs, la pensée des païens. Les dévots serviteurs
table du Seigneur. La fraction est à la fois un geste d ’ un dieu croyaient que les repas sacrificiels créaient
caractéristique et une appellation technique de la une comm union entre la divinité et ceux qui y parti ­
cène chrétienne. En ce passage, saint Paul se contente cipaient. Un lien de solidarité, de parenté s ’établis ­
de rappeler cet acte, il ne dit pas s'il lui attribue ou sait ou se fortifiait de la sorte entre le fidèle et le
non un caractère sym bolique. dieu.
b. Les effets de la communion chrétienne, la κοινωνία. Chez les Juifs, concept semblable. Paul l'affirm e
— D ans un festin religieux, d ’ordinaire il y a l ’union d'ailleurs et il le savait m ieux que nous. Les Israé ­
naturelle entre convives, « l'union vraie ou supposée lites tui m angent les victim es sont en comm union
avec le dieu censé présent au m ilieu de ses adorateurs, avec l’autel. Sans doute, cette expression, la suite
l ’ union avec la victim e elle-mêm e, véhicule de béné ­ l ’établira, prouve qu ’ Isr ël participe à ce qui est
dictions. » F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, offert dans le temple. N éanm oins, la phrase ne con ­
190*. t. t. p. 161. C ’ est pour ces m otifs que saint Paul tient pas ce sens seulem ent, car, s ’ il en était ainsi,
défend aux Corinthiens de m anger des viandes im mo ­ elle signifierait : ceux qui m angent les victimes
lées aux idoles. Et il leur prouve que tel est l ’ effet m angent les victim es. Saint Paul veut dire ici que le
1047 E U C H A R IST IE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE É C R IT U RE 1048

Juif, en offrant un sacrifice, se rapproche de Jahvé , de l’histoire des religions, trad, franç., Paris, 1904,
puisqu ’il m et quelque chose sur son autel. U ne partie p. 565. Deux papyrus d ’ O xyrhinque, qui contiennent
de la victime appartient à D ieu, une partie revient à des invitations à des festins religieux païens, sont un
ceux qui l'offrent, ils ont contracté alliance avec le excellent comm entaire de la parole de l ’ apôtre sur la
Seigneur, ils se sont approchés de la table de Jahvé. table des démons. · Charém on te prie de venir dîner
Tousles historiens d ’ Israël adm ettent cette conception. demain à la table, εις κλεινήν, de Sérapis dans le Séra-
Il est facile de conclure : le chrétien qui m ange peion ; » « A ntonios, fils de Ptolemaios, te prie de
le pain, qui boit la coupe du Seigneur, entre en rap ­ venir dîner à la table, ε!ς κλεινήν, du seigneur Séra ­
port avec le Christ, est en comm union avec lui. La pis, chez Claude, fils de Sérapion...» G renfell et H unt,
cè te ne sym bolise pas seulem ent le repas d ’adieu et la The OxyrinchusPapyri,Londres, 1898, 1.1, n.110; t. in,
présence d'hier, le repas d ’espérance eschatologique et n. 523. La conception des Sém ites est la m êm e: pour
la présence de dem ain. Elle est le mystère d’aujour­ s’unir au dieu, on verse le sang d ’une victim e qui sert
d’hui. La coupe m et en contact avec le sang du Christ, de m oyen terme et do t le sang remplace celui de
le pain unit au corps du Seigneur. L ’ eucharistie est l ’hom m e et du dieu; on est à la table de la divinité, on
une alliance, elle fait entrer en possession de la grâce partage avec elle les m êm es m ets. Lagrange, Études
obtenue par l ’im molation de Jésus. C ’ est dans les ban ­ sur les religions sémitiques, 2 e édit., Paris, 1905, p. 261.
quets des sacrifices païens que les dém ons opèrent Q uant à la m anducation des victim es juives elle fait
leur œ uvre, c ’est à la cène que le Christ accomplit entrer,dit saint Paul, en com munion avec l'autel.Rien
la sienne. Et c ’est pourquoi, com m e il est dit au n ’ est plus exact. Les chah ’ qu ’on brûle sont la part
r. 17, les fidèles form ent un m ême corps : la vie coule de Jahvé. M ais quelque chose de ce qui a été sur l'autel
de la tête aux m em bres et par là m êm e, elle unit les est remis aux fidèles, ils com munient à l’autel. La
m embres entre eux. Cette conception de l ’eucharistie transcendance de Jahvé est telle qu ’ on ne peut lui
s ’ harmonise avec l ’ecclésiologie de l ’apôtre. R om .,xn, appliquer le concept païen : le juif ne m ange pas
5; Eph., iv, 45; 1 Cor., xii, 12-30. Le baptême était avec lui, ne devient pas son convive, il reçoit quelque
la circoncision nouvelle, l ’eucharistie est l ’alliance chose de ce qui lui a été offert, quelque chose qui
nouvelle. vient de sa table.
M ais cette prem ière conclusion n ’épuise pas la Que dit l ’apôtre au sujet des chrétiens? Que l ’eu ­
pensée de l ’apôtre. Quoi qu ’ aient soutenu certains charistie fait entrer en rapport avec D ieu, sa table,
interprètes catholiques, Batiffol, op. cit., p. 18-19; l ’ autel? Pas précisément. Il écrit : Le pain n ’est-il
Lemonnyer, Les Épîtres de saint Paul, Paris, 1909, pas une participation au corps, la coupe une partici­
t. i, p. 141-142, le texte de l ’Épître oblige à conclure pation au sang du Christ? Des nuances si bien carac ­
que le fidèle m ange le corps du Seigneur et boit son térisées et si justifiées n ’ont-elles pas leur raison
sang. M gr Batiffol l’ a reconnu plus tard. Ibid., d'être?Un langage si précis ne doit-il pas être entendu
3» édit., 1907, p. 16. au sens littéral?
Saint Paul com pare ce qui est m angé par les Juifs, Comely, Commentarium in I‘m ad Cor., Paris, 1890,
par les païens, par les clirétiens. .Or les Israélites et p. 293, propose un dernier argum ent. Pourquoi les
les gentils consom m aient ce qui était sacrifié, les pre ­ fidèles form ent-ils un seul corps? Parce qu ’ ils m angent
m iers les victim es m osaïques, les seconds les idolo- un m êm e pain. O r, il n ’ en est vraim ent ainsi que si cet
Ihytes. C ’est ainsi qu ’ils entraient en rapport soit avec alim ent est le corps du Christ. Est-ce vrai?Sans doute,
l ’autel de Jahvé, soit avec les dém ons. Com ment les iorsqu ’onadm et la présence réelle, on com prend m ieux
chrétiens seront-ils en contact avec le Christ? Par com m ent la m anducation de l ’ eucharistie réalise l ’ unité
la m anducation d ’une victim e. Et, saint Paul l ’en ­ entre la tête et les m embres du corps dont Jésus est
seigne, c ’est le Christ qui s ’est imm olé pour le fi­ le chef. Voir plus haut. M ais, com m e l ’observe Ba ­
dèle. Le sacrifice des chrétiens est celui du Calvaire, tiffol, op. cit., p. 19,1a parole de saint Paul pourrait
la chair et le sang qui m ettent les Corinthiens en s ’expliquer m êm e si l ’eucharistie m ettait seulement
comm unication avec D ieu, c ’est la chair et le sang de d ’ une m anière m orale en rapport avec le Christ qui est
Jésus offerts en sacrifice. Le pain que nous rom pons, le m ême pour tous, partout et toujours. L ’apôtre
la coupe que nous bénissons nous perm ettent donc de n ’a-t-il pas dit ailleurs : il y a un seul corps et un seul
m anger cette chair et de boire ce sang. A insi le veut esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul bap ­
l'analogie qui est l ’objet de tout ce développem ent têm e, Eph., iv, 4-5; nous avons été baptisés en
Et les m ots qu ’ em ploie saint Paul confirm ent cette un seul corps, I Cor., x i i , 13?
argumentation. Le pain est une κοινωνία, une partici­ Contre l ’ interprétation littérale de nom breuses ob ­
pation au corps du Christ; la coupe est une κοινωνία, jections ont été faites. La chair et le sang n ’ont pas de
une participation au sang du Christ. A insi, l ’ élém ent part au royaum e. I Cor., xv, 50. Le Christ ressuscité
lui-m ême est l'union, la constitue : on ne dit pas qu ’ il est donc un esprit. Im possible d ’adm ettre que saint
la sym bolise ni m êm e qu ’ il la produit, il l ’esl. Et ce Paul parle de la m anducation de son corps. J. W eiss,
qui ajoute à la force de cette remarque, c ’est le soin Der erste Korinlherbrief, G œ ttingue, 1910, p. 257-258.
avec lequel saint Paul sem ble ici avoir choisi ses Il faut répondre que le m ot de l ’apôtre ici invoqué
m ots, nuancé sa pensée. Il m ontre sans doute une est em prunté à un long développement, xv, 35-57,
analogie entre les trois rites, juif, païen, chrétien, destiné à établir avec force explications, preuves,
entre les trois κοινωνία ou com munions qu ’ ils opèrent. com paraisons, non pas qu ’ après la résurrection, il
Et cette comparaison est assez bien m arquée pour n ’y aura plus de corps, m ais que notre chair sera
que l ’ apôtre puisse construire son argument et dé ­ incorruptible, glorieuse, pleine de force, spirituelle.
duire sa conclusion. M ais il se garde bien de parler Jésus est l ’exem plaire, le type des ressuscités, il a
dans les m êm es term es des effets produits. La m an ­ donc un corps,mais pourvu de ces qualités et glorifié.
ducation des viandes sacri fiées auxidoles fait entrer en V oir E. M angenot, La résurrection de Jésus, Paris,
communion avec les démons, prendre part d leur table. 1910, p. 154-166. Et c'est cette chair à laquelle
C ’est encore ce langage qu ’emploient les historiens fait participer l'eucharistie.
de la religion grecque pour décrire l'action des m ys ­ L ’ union par la cène, dit encore M . J. W eiss, est
tères : la divinité est d ’une certaine m anière présente. superflue. D éjà, d'après saint Paul, le baptême
H oltzm ann, op. cil., t. n, p. 184;A nrich, Das antike incorpore au Christ. Les partisans de la présence
Mysterienwesen in seinemEin/luss au/ das Chrislenlum, réelle ne le nient pas, ils constatent seulem ent que le
G œttingue, p. 60; Chantepie de la Saussaye, Manuel langage de l ’apôtre sur ccs deux sacrem ents est diflé-
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rent : l ’ un unit étroitem ent à Jésus; l ’autre, et c ’est à I chairs imm olées. M ais saint Paul condamnait cette
lui seul que cet effet est attribué, fait com m unier au j interprétation puisqu ’ il autorisait les fidèles a acheter
corps et au sang du Seigneur. de la viande chez des bouchers païens suspects de
Ces m ots n ’im pliqueraient-ils qu'un sim ple rap ­ débiter les chairs sacrifiées dans les tem ples ou de
prochem ent, une juxtaposition du fidèle avec le Christ faire des invocations superstitieuses sur les anim aux
sem blable à celle dont parle ailleurs l ’ apôtre? I Thess., qu ’ils abattaient. Le rite grec n ’unit pas aux den ons.
iv, 17: Phil., i, 23. J. W eiss, loc. cil., l'affirm e, car, m ais à la coupe qui leur est offerte, à la table dress v
écrit-il, tel est souvent dans le N ouveau Testam ent en leur honneur; en y participant, on professe qu ’on
le sens du m ot κοινωνία : il désigne la cohabitation, croit aux divinités païennes, on fait un acte de foi
la collaboration. A ct., n, 42; Gai., n, 9; Rom., xv, 26; idolâtrique. De m ême, par la comm union, les chrétiens
Phil., i, 5. Saint Paul voudrait dire que le comm u ­ prennent part à une fête en l ’honneur du ccrps ci du
niant est d la table du Seigneur, à ses côtés, com me le sang du Christ, participent non à ce corps ■ t .. ce sang,
païen est à la table des dém ons, auprès d ’ eux. M ais m ais à la coupe et à la table du Seigneur. ■ ■ ;■ -·
précisément, ces rem arques ne font que souligner la leur attachem ent à Jésus m ort pour eux.
valeur de l ’argum entation des partisans de la présence Religionsgeschichtliche Erklârung des neuen 1 -sta-
réelle. D ans tous les passages cités par J. W eiss,il n ’est ments, Giessen, 1909, p. 193-194. L ’ expl'cation serait
question que d'être avec Jésus; dans aucun, il n ’ est confirm ée par le y. 22. Vous ne pouvez, dit saint Paul
parlé de com m union ά son corps, à son sang. L ’expres ­ aux Corinthiens, boire la coupe du Seigneur et la coupe
sion ici rencontrée est toute particulière, le sensest donc des dém ons, prendre part à la table du Seigneuretà la
aussi tout particulier. Et des observations de J. W eiss, table des dém ons. Ce serait professer deux religions,
il faut conclure ce qui suit. Si κοινωνία signifie col­ servir Dieu et Bélial. Et c ’est pourquoi, dit Goguel,
laboration, cohabitation, le corps et le sang du Christ op'. cil., p. 172-173, le chrétien éclairé peut sans dan ­
sont présents dans le com muniant, agissent avec lui. ger, lorsqu ’il ne scandalise pas les faibles, m anger,
Si la κοινωνία aux dém ons est une juxtaposition hors d ’un repas sacré, des viandes consacrées aux
entre les païens et eux, la κοινωνία au corps et au idoles. Il ne croit pas à leur puissance, donc il est plus
sang de Jésus, c ’est ce corps et ce sang m is à la fort qu ’eux, capable de les braver et d ’exciter leur ja ­
portée du chrétien. A illeurs, saint Paul parle de la lousie: au contraire, personne u ’étant plus puissant
κοινωνία τοϋ πνεύματος , Il Cor., xin, 13; Phil., π, 1, que D ieu, conclut saint Paul, personne ne peut
de la κοινωνία τής πίστεως . Philem ., 6. Et dans ces prendre part aux banquets sacrés des Grecs sans
textes, il s ’ agit bien d'un don de l ’esprit, d ’une pos ­ provoquer sa colère. 23.
session de la foi. Ici aussi, il faut adm ettre qu ’il est Π faut noter d ’abord que cette dernière explication
question d ’ un don et d ’une possession du corps et du est entièrem ent étrangère au texte. L ’. :-5tre, pour
sang de Jésus. détourner les Corinthiens des festins religieux des
J. W eiss sem ble d ’ailleurs avoir com pris toute la païens, leur écrit : «Allons-nous provoquer la jalousie
force de ces argum ents et saisi le sens complet de la du Seigneur? Som m es-nous plus forts que lui? ■ M ais
locution qu ’em ploie l ’ apôtre,car i) a éprouvé le besoin il ne dit pas.il ne laisse pas entendre que si lechretien
de se débarrasser de ce texte gênant. Die Aufgaben a le droit de consomm er en particulier, dans les repas
der neuteslamentlichen Wissenschaft in der Gegenwart, ordinaires des idolothytes, c’est parce que. ne croyant
G œttingue, 1908, p. 14. Il rem arque avec raison pas à la puissance des démons, il est en état de les défier
le parallélism e des deux phrases : impunément. Q uant à l ’objection assez spécieuse de
Tô ποτηριού τής ευλογίας δ εύλογοϋμεν Clem en, elle s ’est attiré une double réponse.
ούχϊ κοινωνία τοϋ αίματος τοϋ Χριστού έστιν; Comm e l ’ observe Lebreton, art. Eucharistie, dans
Τόν άρτον ον κλώμεν le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris,
ούχί κοινωνία τοϋ σώματος τοϋ Χριστοϋ έστιν; 1910, t. I, col. 1566, « ce qui est com paré directement
au sang du Christ,· c ’est l ’ idolothyte. » Qu ’on relise
M ais il a conclu à tort que la préoccupation du avec attention tout le passage ici étudié, il est évident
rythme a am ené Paul à donner à la phrase une pré ­ que saint Paul oppose des rites et leurs effets. Il éta ­
cision que n ’avait pas sa pensée et à ajouter les m ots blit une analogie ou plutôt une antithèse entre la
corps et sang, alors qu ’ il songeait seulem ent la com ­ table du Seigneur et la table des dém ons; entre la coupe
m union du croyant au Christ. Cette affirm ation est du Seigneur et la coupe des dém ons, 22, entre les n -
gratuite. L ’ em ploi de ce procédé perm ettrait de retou ­ limes offertes à Jahvé, 18, les viandes immolées aux
cher tous les développem ents où l ’on constate un idoles, 19, le pain et le vin des chrétiens, 15. Q uant aux
parallélism e. Peut-on adm ettre que le souci du effets, il les m et aussi en parallèle, m ais il désigne cha ­
rythme ait pu décider saint Paul à m odifier notable ­ cun d ’ un m ot particulier, il ne prétend pas du tout
m ent sa pensée ou plutôt à dire ce qu ’ il ne croyait que les conséquences des banquets païens, des sacri­
pas? Et s ’ il avait spontanément créé la form ule, fices juifs, de la comm union soient de tout point iden ­
n ’aurai t-il pas opposé chair à sang, cette antithèse tiques, les premiers m ettent en rapport avec les démons,
appartenant à son vocabulaire? D ’ailleurs, on peut les seconds avec l'autel, les troisièm es avec le corps et
supprimer les deux m ots que J. W eiss croit surajoutés, le sang de Jésus.
et le parallélism e demeure. Enfin si saint Paul avait M . M angenot, loc. cil., p. 206, observe aussi que dans
été préoccupé à ce point de la sym étrie verbale, à la le m onde païen, « à l ’ idée d ’un repas apprêté pour les
coupe de bénédiction que nous bénissons, il aurait dû dieux, se joint celle d ’un repas où on m ange le dieu. >
opposer le pain de la fraction que nous rom pons. Cf. Lietzm ann, An die Korinlher I, dans Handbuch
Cf. Goguel, op. cit., p. 169; H eitm üller, op. cil., p. 26. zum neuen Testament, Tubingue, 1907, L ni, p. 124-
Le sens littéral doit donc être m aintenu, la partici ­ 125. « D ans un très grand nombre de religions, dit
pation au corps et au sang, c'est la présence réelle. Et Goguel, on trouve... l ’idée de la m anducation du
pourtant, cette thèse sem ble entraîner une conséquence dieu, ou du m oins, du divin, de quelque chose qui
inadmissible, la présence réelle et m atérielle de la lui est consacré, dont il a pris possession et qui le
divinité païenne, des démons dans les viandes consa- ! représente. » Op. cil., p. 305. Beaucoup de critiques
crées aux idoles. Plusieurs critiques ont fait valoir d ’ailleurs sont si pleinem ent convaincus de l ’existence
cette objection. Sans doute, disent-ils, les faibles de I etde l ’universalité de cette croyance qu ’ ilsexpliquent
Corinthe croyaient que les dieux étaient dans les I par elle l ’origine ou la diffusion du rite chrétien de la
idolothytes et qu ’on les consom mait en m angeant les com m union. Saint Paul ne discute pas l ’idée que se
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font les Corinthiens du sacrifice païen, m ais il part de sordres qui dénaturent le repas du Seigneur. Pour les
cette notion pour les détourner de l ’acte idolâtrique com battre, il rappelle ses enseignem ents sur la der ­
Il raisonne ainsi : la com m union chrétienne vous fait nière cène. Ainsi c ’est occasionnellement, cette fois
participer au corps et au sang du Seigneur et vous pren ­ encore, qu ’ il parle de l ’ eucharistie. Il n ’est donc obligé
driez part à une cérémonie que vous considérez de dire que ce qui va à son but, il rappelle son
com me vous m ettant en rapport avec la divinité, la enseignem ent antérieur.
faisant passer, ou plutôt, puisque l ’ idole n ’est rien,
17. E n réglant cet autre point (la tenue des fem m es), je
faisant passer en vous les démons? Vous ne pouvez
ne vous loue point de ce que vous vous réunissez, non pour
pas, que vous soyez forts ou faibles, vous asseoir à la votre avantage, m ais pour votre préjudice. 18. E t d ’ abord,
table du Christ et à la table païenne. Vous piqueriez j ’ apprends qu ’ il y a des scissions parm i vous quand vous
la jalousie du Seigneur et vous vous exposeriez à de vous réunissez en assem blée et je le crois en partie. 19. C ar
terribles châtiments. M ais, peut ajouter saint Paulsans il est nécessaire qu ’ il y ait m êm e parm i vous des sectes afin
inconséquence, « m angez de tout ce qui se vend au que les frères d ’ une vertu éprouvée soient connus parm i
m arché, sans faire aucune question de conscience, vous. 20. Lors donc que vous vous réunissez au m êm e lieu,
ce n ’ est plus le repas du Seigneur que vous m angez. 21 C ar
car la terre est au Seigneur et tout ce qu ’elle ren ­
chacun, en se m ettant à table, prend à part son propre
ferm e. Si un infidèle vous invite et que vous vouliez repas et l ’ un a faim tandis que l ’ autre est ivre. 22. N ’ avez-
y aller, m angezde tout ce qu ’on vous présentera sans vous donc pas des m aisons pour y m anger et y boire? O u
faire aucune question de conscience. Si quelqu ’ un m éprisez-vous l ’ assem blée de D ieu et voulez-vous faire
vous dit : ceci a été offert en sacrifice aux idoles, n'en honte à ceux qui n ’ ont rien? Q ue vous dirai-je? D ois-je vous
m angez pas, à cause de celui qui vous a donné ce ren ­ louer? E n cela je ne vous loue point. 23. C ar j ’ ai reçu du Sei­
seignement et à cause de la conscience. Je dis la con ­ gneur ce que je vous ai transm is à m on tour : que le Sei­
science, non pas la vôtre, m ais celle d ’autrui. « I Cor., gneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain, 24. E t ayant
rendu grâces, le rom pit et dit : Ceci est m on corps qui (est)
x, 25,29. Ces autorisations s'expliquent sans qu'on nie pour vous; faites ceci en m ém oire de m oi. 25. E t de m êm e
la présence réelle : c ’ est dans les banquets religieux que [il prit] la coupe après avoir soupé, disant : C ette coupe est
l ’ hom me croit s'unir à la divinité et s'unit,en effet, aux la nouvelle alliance dans m on sang, faites ceci toutes les fois
démons. D ans les rei as ordinaires,rien n ’est à craindre que vous boirez, en m ém oire de m oi. 26. C ar chaque fois
si ce n ’est le scandale du prochain. La terre, tout ce que vous m angez ce pain et que vous buvez ce calice, vous
qu'elle renferm e, donc les alim ents, sont à Dieu et annoncez la m ort du Seigneur jusqu ’ à ce qu ’ il vienne.
non aux démons. Ceux-ci ne prennent pas possession 27. A ussi celui qui m angerait le pain ou boirait la coupe du
Seigneur indignem ent serait coupable du corps et du sang
à perpétuité de la viande qui a été sacrifiée aux dieux.
du Seigneur. 28. M ais que chacun s ’ éprouve lui-m êine et
Toutes les objections déjà exam inées portent sur le qu ’ ainsi il m ange de ce pain et qu ’ il boive de cette coupe;
sens delà κοινωνία. A. A ndersen, op. cil., p. 8-12,108-109 ; 29. car celui qui m ange et boit sans discerner le corps
J. Réville, op. cit., p. 85, ne discutent pas la significa ­ m ange et boit son jugem ent. 30. C ’ est pourquoi plusieurs
tion de ce term e,m ais celle du m otcorps. Au y. 17, saint parm i vous sont m alades et infirm es, et un grand nom bre
Paul dit des chrétiens qu'ils sont un seul corps; ici, sont m orts. 31. Si nous nous exam inions nous-m êm es, nous
à n'en pas douter, l ’apôtre parle du corps m ystique du ne serions pas jugés. 32. M ais jugés par le Seigneur, nous
som m es châtiés afin de n ’ êtrc pas condam nés avec ce m onde.
Sauveur, de son Église. V oir aussi Rom ., xn,5; 1 Cor.,
33. A insi, m es frères, lorsque vous vous assem blez pour le
xn, 13,27, etc. D onc au y. 16, le m ot doit être entendu repas, attendez-vous les uns les autres. 34. Si quelqu ’ un a
de la m êm e m anière. Le pain que nous rompons n ’est- faim , qu ’ il m ange à lam aison afin que vous ne vous réu ­
il pas une comm union au corps du Christ, c ’est-à-dire nissiez pas pour votre condam nation.
n ’est-il pas une initiation à l’ Église? Si d ’ailleurs saint
Paul avait voulu enseigner autre chose, il aurait choisi a. Les abus à Corinthe, 17-22. — Ce paragraphe
le m ot chair, σάρζ, qui seul s ’oppose à sang. donne déjà quelques renseignements sur la m anière
Cette argum entation ne peut être admise. D 'abord, dont les Corinthiens croyaient pouvoir célébrer le
le m ot σώμα, corps, n ’a pas partout dans les Épîtres repas du Seigneur. C ’était dans une « assem blée chré­
le sens d ’ Église, il signifie parfois le corps historique. tienne », 17, 18, 22. Les frères riches et pauvres, 22, se
Rom ., vil, 4; I Cor., xi, 24. Et si l ’on accepte l’hypo ­ réunissaient en un m êm e lieu, 20. M ais de nom breux
thèse d ’ A ndersen et de J. Réville, que vient faire ici abus s ’ étaient glissés. Les habitudes des confréries
« la comm union au sang du Christ? » Ce dernier croit païennes avaient envahi la com m unauté. On se par ­
que le sang est conçu com me ce qui réalise l ’unité tageait en groupes distincts, il y avait des scissions,
du corps. M ais nulle part saint Paul ne dit de Jésus 18, 19. Les fidèles se m ettaient à table, sans s ’at ­
qu ’ il est le sang de l’ Église; il en est la tête.Le calice, tendre, 21, 23. Chacun prenait à part son propre
suppose A ndersen, serait le sym bole de la nouvelle repas, sans doute les chrétiens m angeaient à des
alliance et c ’ est à ce titre qu ’ il serait m entionné. Sans tables séparées, 21. De la sorte, les riches ne parta ­
doute, saint Paul voit dans le sang versé sur la croix geaient pas avec les pauvres, 21. Les indigents étaient
la conclusion d ’une nouvelle alliance, m ais il ne le hum iliés, ils avaient faim , 21. D ’ autres s ’ aban ­
présente pas com me le m oyen d ’initiation à l’ Église : donnaient à des excès et s ’enivraient, 21. Le repas
c ’ est au baptêm e qu ’ il réserve cette efficacité. Ici, chrétien devenait donc un repas banal qu ’on aurait
saint Paul présente un argum ent à l'appui de sa dû prendre dans sa m aison, 22. Ces désordres sont
thèse : le pain eucharistique fait de ceux qui le re ­ graves. De telles réunions nuisent aux fidèles plus
çoivent un m ême corps chrétien, donc — et c ’ était la qu ’elles ne leur font de bien, 17, elles sont un m otif de
pensée des G recs — le festin religieux païen établit un condamnation, 34. Ce n ’est plus le repas du Seigneur,
lien religieux entre ceux qui s'y associent; c'est une 20, l ’ assemblée de D ieu est m éprisée, 22. Cf. Tous ­
profession de foi païenne. Et c ’est pourquoi saint Paul saint, Les Épîtres de saint Paul, Paris, 1910, 1.1, p. 367;
interdit toute participation des chrétiens au rite ido· Prat, op. cil., 1.1, p. 167. D éjà, de ce simple exposé des
lâtrique : il unit aux dém ons, 20-22; il fait de ceux abus, nous pouvons conclure que l ’efficacité de la cène
qui se la perm ettent un peuple païen, 17. n ’ est pas indépen ante des dispositions des fidèles,
c) Le repas du Seigneur et sa reproduction dans les que l ’ eucharistie peut être utile ou nuisible s Ion
ssemblées chrétiennes. 1 Cor., xi, 17-34. — Saint les sentim ents de ceux qui y prennent part et que sa
Paul se propose de corriger les abus qui, depuis son célébration est, au sens le plus vrai du m ot, un acte
départ, se sont glissés dans les assemblées chrétiennes ecclésiastique.
à Corinthe. Il donne d'abord des règles sur la tenue b. L’eucharistie, 23-25. — A ces abus, l ’apôtre
des fem mes à l ’église, xi, 3-16; puis il réprime les dé ­ oppose le repas du Seigneur tel qu'il fut institué et il
1053 EU CH A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1064

rappelle aux Corinthiens la narration de la cène qu ’ il op. cit., t. r, p. 171. Le texte de saint Pau. ne perm et
leur a « transm ise », c ’est-à-dire enseignée en les con ­ pas de résoudre la question. M ais ce qui est certai­
vertissant au christianism e. nement affirm é, c ’est que le corps du Christ sers
Et pour établir l ’autorité inébranlable de ce récit, sacrifié. D onc, il n ’est pas question ici. com me l'a cru
saint Paul déclare qu'il l ’a reçu du Seigneur. U n grand J. Réville, op. cil., p. 87, du corp- m ystique ae Jésus.
nom bre d ’ interprètes ont conclu qu ’il croyait avoir Le sang ne devrait pas être m entionne, s ’il n ’était
eu connaissance des circonstances de l ’ institution de parlé ici que de l ’union m orale des fideles . Église.
la cène, au cours d ’une vision proprement dite (la Ce qui est m angé, c ’est la victim e im m oiee, c ’est dooc
plupart des anciens com m entateurs, saint Thom as, le corps m atériel, l ’ organism e hum ain du Ci rist histo ­
Nicolas de Lyre, Cajetan, Estius, Corneille de la rique.
Pierre, des m odernes catholiques, Bisping, Bambaud, Après la distribution du pain, Jésus ajoute Faites
Com ely, Le Camus, Toussaint, Jacquier, Prat, des ceci en m ém oire de m oi. » Le repas du Seigneur est
protestants et des critiques non croyants, Bengel, com mém oratif, de par la volonté du M aître qui en
Tholuck, B. W eiss, G odet, Lichtenstein, W atterich, a prescrit la répétition et fixé le caractère : telle est la
Frankland, Seeberg, Goetz, A ndersen, Percy G ardner, pensée de saint Paul sur laquelle il reviendra deux fois
Bousset, Loisy, Lietzm ann, Reitzenstein, etc.). Un encore. Certains protestants ont dit : Si l ’eucharistie
grand nom bre d ’ interprètes de toute école pensent, au est un m émorial, elle ne contient pas le Christ; on ne
contraire, que l ’ apôtre parle seulem ent d ’ une tradi ­ fait m émoire que des absents. Il est facile de répondre :
tion qui rem onte au Seigneur et dont il a été instruit La passion a eu lieu une fois pour toutes, l ’eucharistie
par les comm unautés où il a vécu (M aier, H ehn, Ba ­ en perpétue le souvenir. Voir plus loin. La cène prim i ­
tiffol, A. Schæfer, Van Crombrugghe, Berning, M ange- tive est passée; on la com mém ore en la répétant. On
not;Schnederm ann, Goebel, N eander, Nôsgen, Schm ie- fait m émoire de Jésus en l ’invitant à être présent.
del, H einrici, H offm ann, Clem en, Schultzen, Zahn, Bratke a proposé une traduction de ces m ots qui en
Bachm ann, J. W eiss, Goguel, etc.). Certains com men ­ affaiblirait notablem ent le sens. Saint Paul prêterait
tateurs croient que saint Paul a été renseigné par la à Jésus l'ordre de « faire ce pain en m émoire de lui, »
tradition sur l ’ensem ble des faits, m ais qu ’ il attribue c ’est-à-dire d ’en faire un m ém orial de la personne du
à une vision la connaissance de quelques détails, Christ. L ’eucharistie ne serait qu ’un sym bole com mé ­
du caractère sacram entaire de la cène (Pfleidcrer), de m oratif. Si, à la rigueur, on peut entendre ainsi le
son sens profond (Haupt), de sa portée m ystérieuse verset 26 : Faites cette coupe en m émoire de m oi, il
(Lebreton). n ’ en est pas de m êm e des m ots prononces sur ie pain.
Pour déterm iner la valeur du récit et rechercher si Le verset 24 porte : Faites ceci (neutre); or le m ot
l ’eucharistie remonte à l’ apôtre ou à Jésus, il sera pain est m asculin et il n ’ a pas été prononce par Jésus.
utile d ’étudier plus loin les argum ents m is en avant de Άνάμνήσιν signifie d ’ordinaire souvenir et non m ém o ­
part et d ’autre. Ici, il suffit à l ’ exégète de constater rial : c ’est μνημόσυνο· » qui d ’ordinaire exprim e cette
que saint Paul considère com me venant de D ieu, dernière idée. La vraie traduction paraît donc être :
com me révélée d ’une m anière m édiate ou im médiate Faites ce que je viens de faire et faites-le en m ém oire
sa doctrine sur l'institution de la cène. de m oi. Berning, op. cil., p. 110.
C ’est « dans la nuit où Jésus fut livré » que le Christ Sans heurter la gramm aire, on a pu cependant pro ­
la célébra. D ans les trois Synoptiques, la prophétie de poser d ’ autres interprétations plus favorables encore
la trahison précède im m édiatem ent le récit de la bé­ à la présence réelle : Faites ceci, c ’est-à-dire faites,
nédiction du pain et du vin, et, dans le c. vi de produisez ce corps en m ém oire de m oi. N éanm oins,
saint Jean, la silhouette du traître est entrevue. Le cette interprétation paraît m oins naturelle. » Offrez
• Seigneur Jésus », en d ’autres term es, Jésus, notre ceci » en m émoire de m oi, ont com pris A ndersen,
D ieu, « prit » d ’abord du pain ; il « rendit grâces », c ’est- op. cil., p. 13,19; Gore, The body of Christ, Londres,
à-dire ou bien il prononça la prière en usage au début 1902, p. 315-318. E t cette explication affirm erait plus
de tous les repas (m ais alors pourquoi la m entionner fortement encore le sacrifice et la m anducation de la
spécialement), ou bien il récita la form ule prescrite victime. M ais si ποιεΐν a parfois ce sens dans les Sep ­
par le rituel pascal. Puis i) rom pit le pain. Cet acte tante, par exemple, Exod., xxix, 38, il ne l ’a pas
ne prouve pas que Jésus ait employé des azymes. Le dans le N ouveau Testam ent et la tradition ne le lui
pain ne peut être distribué que s ’il est partagé. Et le a pas reconnu. Lebreton, loc. cit., col. 1565.
Seigneur dit : Ceci est m on corps. Sur le sens de ces Saint Paul passe à la coupe. Jésus la distribue «après
m ots, identiques à ceux que citent saint M atthieu et le souper ». Que contenait-elle? De l'eau, suppose
saint M arc, voirce qui a été écrit, col. 1935-1039. E t ce H arnack, op. cil., p. 137. Car saint Paul a écrit : · On
corps est « pour vous ». Cette phrase abrupte a été com ­ fait bien... de ne pas boire de vin et de ne rien faire
plétée dans certains m anuscrits : 1s portent rompu qui puisse être une occasion de < hute pour un frère. »
pour vous (sC D FG K L P, etc.). Certains Pères ou Rom ., xiv, 21. M ais il nous apprend aussi qu ’au repas
certaines versions ont lu : qui sera rompu; qui sera du Seigneur, certains s ’ enivraient. I Cor., xi, 21. Le
livré pour vous. Comm unément, on tient aujourd ’ hui vin de la comm union n ’ est pas im pur : il devient le
ces participes pour des gloses explicatives ajoutées à sang du Christ. E t son usage ne peut scandaliser per ­
un texte prim itif trop elliptique. Exprim ée form elle ­ sonne : c ’est à l ’assem blée chrétienne qu ’on le con ­
m ent ou non, l ’ idée est la suivante : le corps de Jésus som m e. Π n ’y a donc aucun m otif de croire que l ’apô­
est livré à la m ort pour le salut de ses disciples. Si tre substitue au vin m entionné par les Synoptiques un
l’ on rapproche ces m ots de plusieurs passages du autre breuvage.
N ouveau Testament, si on les explique par ceux qui Jésus prit la coupe, rendit grâces et la distribua, en
furent prononcés sur la coupe de l ’ alliance, on est disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans
obligé de conclure qu ’ ils m ettent davantage en relief m on sang. » De l ’ aveu des interprètes, catholiques ou
la fonction rédemptrice du corps du Christ. On peut non, cette formule est en étroit rapport avec le récit
m ême se dem ander et on s ’est dem andé si, selon de l ’Exode, xxiv, 8, cité plus haut. M oïse asperge le
saint Paul, celle fonction rédemptrice s ’ exerçait déjà peuple avec le sang des victim es offertes en sacrifice
en un véritable sacrifice quand le Seigneur pronon­ et dit : Voici le sang de l'alliance que le Seigneur
çait les paroles de la cène ou si la distribution du a faite avec vous. La parole rapportée par saint
pain est seulem ent présentée ici com me une partici­ Paul signifie donc d ’ abord qu ’ une nouvelle alliance
pation anticipée à l ’ imm olation du Calvaire. Prat, sera scellée par le sang du Christ offert en sacrifice.
1055 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU RE 1056

Donc, à tout le m oins, d ’après saint Paul, la coupe M angenot, loc. cit., p. 261. La pensée est claire : la
représente et rappelle cette im m olation. « Q uiconque Pâque se célébrait une fois par an, la répétition de la
était familier avec l ’ Ancien Testam ent pouvait-il com ­ cène pourra, devra avoir lieu beaucoup plus souvent,
prendre l ’alliance dans le sang du Christ, sinon en un nom bre de fois indéterminé.
l ’entendant d ’une m ort offerte en sacrifice? » Stevens, c. Recommandations de saint Paul sur la célébration
The theology of the New Testament, Édimbourg, 1901, du repas du Seigneur, 26-34. — L ’apôtre a m ain ­
p. 132. tenant le droit de conclure et de rappeler aux Corin ­
M ais là ne s ’arrête pas la pensée de saint Paul. Il thiens leurs devoirs. Sa pensée s ’unit étroitem ent
sait que la coupe de bénédiction estim e participation à celle du M aître dont il reprend et paraphrase la
réelle au sang du Christ, qu'au m om ent de l ’ institu ­ dernière parole : Le repas du Seigneur n ’est pas
tion de l ’ alliance m osaïque, le peuple fut arrosé réelle ­ un banquet vulgaire : chaque fois que vous m angez ce
m ent par le propre sang des victim es, il croit donc pain et que vous buvez cette coupe, vous annon ­
que la coupe de la dernière cène fut « une anticipation cez (ou annoncez, impératif) la m ort du Seigneur.
du sang répandu sur la croix, » Batiffol, op. cit., p. 8; Saint Paul rappelle donc l ’institution de l ’eucharistie
que l ’ institution chrétienne n ’ ayant pas été scellée par le Christ et son caractère de com m ém oraison de
dans du vin, la coupe n ’ aurait pas été cette nouvelle la passion du Sauveur. Inutile de supposer, com me
alliance si elle n ’ avait pas contenu le sang du Sei­ l ’ a fait W eizsâcker, op. cit., p. 575, qu ’ un récit ou
gneur. M angenot, loc.cit., p. 260. « Si l ’on tient com pte qu ’un discours rappelait expressém ent à la cène chré ­
du parallélisme avec la prem ière consécration : « Ceci tienne la m ort de Jésus. C'est la répétition de l ’ acte
« est m on corps » qui sem ble exiger com me pendant : accompli par le Christ la veille de sa m ort, acte par
« Ceci est m on sang; » si l ’on se reporte aux paroles lequel il faisait participer les siens à son im molation
de l ’ Exode rappelées dans la form ule; si enfin l ’on sanglante, qui est la vivante prédication du Calvaire.
réfléchit que, dans tout ce contexte, saint Paul em ­ E t ce rappel se fera jusqu ’ à la parousie, jusqu ’ à ce
ploie indifférem ment les locutions « boire le calice » et que le Christ vienne. La perspective eschatologique
« boire le sang du Segneur » com m e absolum ent syno ­ est discrètem ent entrevue. Se souvenir des bienfaits
nym es, on n ’ hésitera pas à conclure que la nouvelle de Jésus, comm unier à son corps et à son sang per ­
alliance dans le sang équivaut au sang de la nouvelle m ettra d ’attendre son retour.
alliance. » L ’ effet est nom m é pour la cause. Prat, op. Si tels sont le contenu ct le sens du repas du Sei­
cit., 1.1, p. 170-171. Si le sang des taureaux du sacri ­ gneur, sa profanation ne peut être qu ’ un crim e très
fice m osaïque ne fut pas consomm é par les fidèles, grave. Avec la plus grande énergie saint Paul blâm e
m ais seulem ent versé sur le peuple, du m oins y eut-il les abus comm is à Corinthe dans la célébration du
contact physique, union dans un véritable sang entre repas du Seigneur et indirectem ent, car sa phrase a
Jahvé et Israël. Et si, en raison de la loi m osaïque, le une portée universelle, toute réception « indigne » de
sang d ’ un anim al ne devait pas être consomm é sans l ’ eucharistie.
sacrilège par les Israélites, au contraire, on ne pouvait, Son langage paraît confirm er la doctrine de la pré ­
sans com mettre un sacrilège plus épouvantable encore, sence réelle. La plupart des catholiques, W iseman sur ­
jeter sur les disciples le sang du Christ. Les m odes tout, op. cit., col. 1286 sq., l ’ont fort bien dém ontré;
divers de participation à la victim e s ’expliquent pré ­ plusieurs critiques non croyants le reconnaissent.
cisém ent par ce fait que, dans l ’ un et dans l ’autre « Celui qui m angerait le pain ou boirait le calice du
cas, il s ’ agit d ’ un véritable sang : on ne traite pas de la Seigneur d ’ une m anière indigne serait coupable du
m êm e m anière celui des anim aux et celui de Dieu. corps et du sang du Seigneur. » Le m ot « coupable »,
Peut-on aller plus loin et penser que la com munion ένοχος , reus, a été rapproché par Batiffol, op. cil.,
à la coupe sacrée était non seulem ent une participa ­ i . 11-13, et Toussaint, op. cil., 1.1, p. 373, d ’ une parole
tion au sacrifice de la croix, m ais déjà un sacrifice? de Jahvé à Ezéchiel, ni, 18 : « Q uand je dirai au
La form ule est trop concise pour qu ’il soit possible m échant : « Tu m ourras, »si tu ne l ’ avertis pas... pour
d ’en dégager avec certitude cette conclusion. lui sauver la vie,... je redemanderai son sang de ta
A près avoir distribué son sang, Jésus ajoute : m ain. » De m ême l ’ indigne comm uniant sera respon­
« Faites cela, toutes les fois que vous boirez, en m é ­ sable du corps et du sang du Seigneur. Pour rejeter
m oire de m oi. » C ’est de nouveau l ’ordre de réitérer cette explication, il suffit de rem arquer que le m ot
la cène. Le Christ le répète, com m e pour m ieux affir ­ ένοχο; n ’ est pas dans le prophète et que l ’ idée rendue
m er que chacun des actes accom plis par lui doit être par lui n ’ a aucun rapport avec celle qu ’enseigne
renouvelé, que la succession sera la m êm e et que les l ’apôtre. Celui qui par son silence laisse son frère
rites auront une signification et une valeur iden ­ m ourir est responsable, telle est la pensée exprim ée
tiques. Les m ots « toutes les fois que vous boirez · ne par Ézé hiel; saint Paul ne dit pas que par sa négli ­
prouvent pas qu ’ à chacun de ses repas le chrétien gence l ’indigne com muniant fait m ourir Jésus.
doit faire m émoire du Sauveur, car aussitôt après avoir En réalité, le m ot ένοχος , littéralem ent lié d, est
rapporté ces paroles du Seigneur, saint Paul les com ­ em ployé par le N ouveau Testam ent dans le sens de
m ente ainsi : toutes les fois que vous mangez ce pain passible de, M atth., xxvi, 66; M arc., xiv, 64 (passible
et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la m ort du de la m ort); M arc., ni, 29 (passible pour un délit).
Seigneur.D ’ailleurs, le ÿ. 25 pourrait se traduire ainsi: E t ans saint Jacques, n, 10, on lit : celui qui a
Faites ceci, c ’est-à-dire ce que j ’ ai fait, chaque fois péché contre un seul com mandement est ένοχος , res ­
que vous buvez en m émoire de m oi. Cette interpré ­ ponsable de tous, coupable envers tous. L ’ indigne
tation a pourtant le tort de porter atteinte au pa ­ comm uniant est donc lié au corps et au sang du
rallélism e qui doit rapprocher cette formule de celle Christ, coupable envers eux, passible du châtim ent
qui fut prononcée après la consécration du pain. (pie m éri ent ceux qui offensent ce corps et ce sang.
M . Goguel, op. cil., p. 153, a supposé que les m ots : C ’est une expression semblable à celle qu ’em ploie le
« chaque fois que vous buvez » s ’expliquent par le fait droit pour désigner le crim e de lèse-majesté, reus ma­
que les Corinthiens ne prenaient du vin qu ’au repas jestatis, c ’est-à-dire majestatis læsæ. Si l ’ eucharistie
eucharistique, ce qui n ’est ni nécessaire ni dém on ­ est une simple figure, un m émorial vide, l ’ expression
tré. La recom mandation de l ’apôtre, qui paraît trop s ’explique beaucoup m oins bien. U n crucifix est une
concise, s ’explique fort bien : prononcée en ce m o ­ image de Jésus; celui qui le foule aux pieds com met
m ent, elle ne peut s ’appliquer qu ’à un repas sem ­ une faute contre le Christ, m ais dira-t-on qu ’il insulte
blable à celui qui se célèbre. Batiffol, op. cit., p. 10; sa chair? U n attentat à ce corps et au sang de Jésus
1057 E U C H A R IST IE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E i

est un crim e épouvantable, est-ce le m ot qui convient res appréciations un texte de l ’ Épître aux H ebreux,
pour désigner la profanation d ’ un pain et d ’ un vin x, 29, sur le péché d'apostasie : · De quel pire châti ­
qui seraient seulem ent des sym boles du Christ? m ent, lit-on, sera jugé digne celui qui aura fouie aux
Goguel, op. cit., p. 178, l ’ avoue : « Bachmann observe pieds le Fils de D ieu, tenu pour profane le sang de
avec raison que si l ’apôtre dit coupable envers le corps l ’alliance, ... et qui aura outragé l ’Esprit de grâce? ·
et le sang du Seig icur et non pas seulem ent coupable A gir ainsi, c ’est « crucifier de nouveau le Fût de Dieu
envers le Seig leur, c ’ est que pour lui le pain-corps et et le livrer à l’ ignom inie, » vi. 6. C ’est an sens m éta ­
la coupe-sang sont réellem ent le Seigneur et non seu ­ phorique qu ’ il faut entendre toutes ces Ineutionr D
lement des sym boles. » en irait de m ême des affirmations de la F» É ÿitieiax
D ’ intres expressions de saint Paul appellent la Corinthiens sur l ’indigne com muniant.
m êm · conclusion. L ’ indigne com muniant, écrit-il, ne M ais on doit se souvenir d ’abord que la lettre aux
discerne pas le corps. S ’appuyant sur la version éthio ­ H ébreux est une suite ininterrom pue d ' - ■
pienne, Spitta com plète la pensée et croit pouvoir | de com paraisons. Tout prépare à entendra
traduire : il ne discerne pas son propre corps, ne s ’exa ­ figuré les m ots cités plus haut. Et les expression .
m ine pas. Op. cit., p. 303, note 2. M ais, dans tout le sies, bien que m étaphoriques, désignent fort
m orceau, il a été question du corps de Jésus et non de crim e du transfuge. A près avoir adoré Jésus, .
celui du fidèle; saint Paul ne s ’occupe pas ici des foule aux pieds com m e auparavant il avait brise ■.· s
souillures qui pourraient rendre m auvaise la célé- idoles, il tient pour profane et im puissant à se ven ­
I ration de la réception du pain et du vin; conçoit-on ger le sang dans lequel a été scellée son alliance avec
d ’ ailleurs qu'il ressuscite les im puretés légales de la D ieu, il outrage l ’ Esprit de grâce reçu dans l ’ initia ­
loi m osaïque? tion chrétienne. Au contraire, les m ots · être coupable
A ndersen, op. cit., p. 3-4, 47-52, adm et que le corps du corps et du sang du Seigneur » désignent assez peu
dont il s ’agit est bie i cel û de Jésus, m ais il veut que clairem ent le m épris d ’ une figure de la passion ou de
ce soit le corps m ystique. L ’ indigne comm uniant, la personne du Sauveur. Et le langage de la lettre aux
c ’est le Corinthien qui m éconnaît l ’ unité de cet orga ­ Corinthiens a quelque chose de particulier, c ’est la
nism e, celui qui « m éprise l ’ Église de Dieu », com me m ention du corps de Jésus. Sans doute, il est dit dans
le dit le L 22. Ce sentim ent se heurte à un fait; l ’Épître aux H ébreux que l ’ apostat « foule aux pieds »
partout, dans ce passage, σώμα est opposé à α"μα et le Fils de D ieu, qu ’ il le « crucifie ». M ais évidemm ent
désigne le corps m atériel du Sauveur. Le y. 29, où se i ces expressions ne peuvent s ’entendre à la lettre. Le
trouve l ’ expression discerner le corps, est parallèle au crim e flétri est semblable à celui qu ’on com m ettrait
v. 27, dans lequel il est vraim ent parlé de la chair et si on foulait aux pieds Jésus, à l ’ attentat dont furent
du sang réels de Jésus; c ’est donc à eux encore que coupables ses bourreaux. Ici, au contraire, les m ots
s ’applique la nouvelle recomm andation. Force est de « responsable du corps et du sang du Seigneur · ne
compléter m entalem ent du m oins la parole de l ’apôtre s'expliquent pas pleinem ent si on ne les entend au
com me l ’ont fait plusieurs m anuscrits (si, C, D , F, G, sens littéral et rien n'em pêche de le faire. Enfin, il est
K , L, P, etc.) et versions par l ’adjonction des m ots perm is de se dem ander si l ’Épître aux H ébreux en ces
τοΰ Κυρίο -j : « celui qui ne discerne pas le corps du passages ne désigne pas entre autres crimes la m au ­
Seigneur. » vaise com munion; et, s ’ il en était ainsi, on s ’ explique ­
Selon Batiffol, op. cit., p. 12, cette expression dési­ rait à m erveille la sim ilitude du langage. Le c. vi, y. 4,
gne » celui qui ne reconnaît pas ce qu ’ est 1 ’eucharistie définit le coupable : « celui qui ayant été éclairé (ini­
par rapport à la croix. » A ssurém ent, puisque saint tiation au baptêm e), ayant goûté le don céleste (eucha ­
Paul m ontre dans le repas du Seigneur le m émorial ristie), étant devenu participant de l’Esprit (im posi­
«le la passion, puisqu ’ il reproche aux Corinthiens de tion des m ains) est pourtant tom bé. » E t la définition
le défigurer tellem ent que ce caractère com m ém oratif du c. x, jt. 29, ne correspond-elle pas à la précédente ?
disparaît, il présente l ’indigne comm union com m e un Il s ’agit de celui qui aura foulé aux pieds le Fils de
oubli de la m ort du Sauveur. M ais cette idée n ’est pas Dieu (le baptême incorpore à Jésus), tenu pour pro ­
la seule qui soit présente à son esprit. L ’eucharistie fane le sang de l ’alliance (eucharistie), outragé l ’ Esprit
n'est pas pour lui qu ’ un rappel de la passion, elle est (im position des m ains). Ces rapprochem ents ne peu ­
avant tout la participation au corps et au sang du vent être tentes que timidement. Ils ne sont pas néces ­
Christ. D onc, ne pas discerner le corps, ce n ’est pas seu ­ saires d ’ ailleurs et les considérations présentées aupa ­
lem ent perdre de vue le rapport de l ’euckaristie et de ravant suffisent à m ontrer qu ’ il est im possible d ’en
la croix, c ’est aussi ne pas traiter le pain com me le a peler à l ’ Épître aux H ébreux pour justifier une
corps du Christ. U ne form ule très simple exprim era explication au sens figuré du langage de la lettre aux
ces deux faces d ’ un m êm e concept : ne pas discerner le Corinthiens sur les châtim ents de la m auvaise comm u ­
corps du Seigneur, c ’est ne pas apercevoir dans l'eu ­ nion.
charistie le vrai corps imm olé pour nous. Telle est, Les destinataires auxquels saint Paul écrit avaient
semble-t-il, la seule interprétation du m ot de saint dû constater les suites terribles de leurs fautes. Beau ­
Paul qui rende pleinem ent com pte de l'énergique coup parmi les Corinthiens étaient m alades et étaient
flétrissure que l ’ apôtre inflige à la m auvaise comm u ­ m orts, ce que la suite oblige à interpréter et ce que
nion. M angenot, loc. cit., p. 265. bon nom bre de com m entateurs entendent au sens
Et il faut avouer aussi qu ’ une fois admise la présence littéral. U ne punition salutaire avait atteint ceux qui,
réelle, le châtim ent dont sont m enacés les coupables ne s ’ étant pas jugés eux-mêmes, c ’ est-à-dire n ’ayant
se vérifie d ’ une m anière plus littérale. Celui qui ne pas examiné avec quelles dispositions ils prenaient
disce ne pas le corps du Seigneur mange et boit son part au repas du Seigneur, avaient été châtiés par lu.
propre jugement. Il en est ainsi, dit Batiffol, loc. cit., pour n ’ être pas condamnés avec le m onde.
parce que ce chrétien indigne qui croit m anger un ali ­ Saint Paul exige donc qu ’ avant de recevoir le corps
m ent com mu i « va être responsable · du corps du Sei­ de Jésus, chacun s’éprouve, s'examine, se 28,
gneur. Sans doute, m ais com m e la singulière locution 31, et par conséquent se corrige, si c ’est nécessaire,
de l'apôtre s ’explique m ieux encore si o.i adm et qu ’elle rectifie ses intentions et sa conduite, réprime ses fan es
signifie : le m auvais comm uniant m ange et boit Jésus, afin qu ’elles ne soient pas réprimées par Dieu. Et
juge des vivants et des m orts. précisant sa pensée afin d ’att iquer plus directement
Pour affaiblir cette argum entation, des critiques les abus constatés à Corinthe, l ’apôtre ajoute: « A tten ­
ont souvent rapproché de ces m enaces et de ces sévè ­ dez-vous les uns les autres pour prendre du repas le
n ie r . D E T H É O ! .. C A T H O I .. - 34 V.
1059 E U C H A R IST IE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU RE 1060

Seigneur. » Cette prescription affirm e une fois encore C ’ était probablem ent en l ’an 58. A llant d ’ Éphèse
le caractère ecclésiastique et fraternel de la cène chré ­ à Jérusalem , saint Paul s ’arrête à Troas et y reste
tienne. Et la recomm andation qui suit atteste que ce sept jours. « Le premier jour de la sem aine, disent
repas doit ê:re religieux et sacré : « Si quelqu ’un a faim , les A ctes, nous nous assem blâm es pour rom pre
qu ’ il m angechez lui. » A insi seront évités les inéga ­ le pain. Paul, qui le lendem ain devait s ’en aller, en ­
lités choquantes et les désordres plus déplacés en tretint les disciples et son discours dura jusqu ’ à m i-
pareille circonstance qu ’en toute autre. Saint Paul nuiL II y avait plusieurs lam pes dans la cham bre
réglera les autres points quand il se rendra à Corinthe. haute où nous étions réunis... Paul rompit le pain
Il ne condam ne donc pas l’ habitude de célébrer l ’eu ­ et m angea, puis il reprit longuement la parole jus ­
charistie au cours d ’un repas religieux pendant lequel qu'au point du jour et il partit. » A insi, c'est un
a lieu la fraction et à la Pin duquel se distribue la dimanche, le soir. La 1« Épître aux Corinthiens
coupe (Batiffol, Ladeuze). Au contraire, il veut res ­ dem ande aussi que les collectes pour les saints se
taurer la cène chrétienne» selon le type de celle que fassent le dimanche. I Cor., xvi, 2. Les disciples
célébra Jésus la veille de sa m ort, en faire disparaître de Troas sont réunis, il y a synaxe, συναγμένων τών
tout ce qui aurait permis de la confondre avec les fes ­ μαθητών, 7, et c ’ est « pour rom pre le pain ». L ’as­
tins de sacri flees païens, les banquets religieux des sem blée se tient dans une chambre haute ;Paul, qui doit
confréries grecques. S ’ il avait voulu ne plus laisser partir le lendem ain dès l’aurore, s ’y est rendu avec
subsister que les deux actes strictem ent eucharis ­ ses com pagnons. Il préside la réunion sans doute en
tiques, il n ’aurait pas écrit aux Corinthiens : « A tten ­ sa qualité de fondateur de l ’ Église ou d ’apôtre. Il
dez-vous les uns les autres. » Tel était le sentim ent parle, fait un discours. V ers le m ilieu de la nuit a
général autrefois et encore très comm un aujourd ’hui. lieu la fraction du pain. Saint Paul seul est cité com m e
Toussaint, op. cit., t. i, p. 361-364; M angenot, loc. cil., l ’ayant faite et « ayant m angé ». Le narrateur m et
p. 268-269; Leclercq, art. Agape, dans le Diclionnaire en relief son acte de président de la cérém onie. M ais
d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1903, t. I, s ’ il a rompu le pain, il l ’ a distribué et les assistants
col. 784-785, et dans le Dictionnaire d’histoire et de l ’ ont goûté. La fraction du pain était-elle encadrée
géographie ecclésiastiques, Paris, 1911, 1.1, col. 880. com me à Corinthe dans un repas religieux? Le texte
L ’étude de ce qui est essentiel dans les recom m an ­ ne nous l ’ apprend pas. M ais cette description trop
dations de saint Paul ne doit pas faire négliger courte suffît à m ontrer qu ’ il n ’est pas question d ’ un
quelques expressions dites en passant, m ais où se festin pascal, des réunions pour prières et lectures
trahit sans doute sa pensée sur des problèm es qui auxquelles se rendaient les Juifs de la D iaspora et
sont alors à l ’ arrière-plan et ne seront expressément leurs prosélytes, m ais de l'assemblée chrétienne telle
posés que plus tard. Il écrit : « Celui qui m angera qu ’elle apparaît à Jérusalem au début du christia ­
le pain ou boira le calice du Seigneur indignement nism e, avec les quatre actes caractéristiques delà viedes
sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur.» prem iers disciples; l ’ enseignement d ’ un apôtre, διδαχή,
D es théologiens catholiques ont conclu que parti ­ la comm unauté, κοινωνία, la fraction du pain, κλάσκ
ciper à un seul des deux élém ents, c ’est recevoir le τον άρτου, et sans doute les prières, προσευχή. Cf. Le ­
Christ tout entier. S ’ approcher indignem ent du clercq, op. cit., col. 784; Batiffol, op. cit., p. 34-36;
pain seulem ent, c ’est profaner et le corps et le sang; Goguel, op. cil., p. 142. L'assemblée « n ’ a pas encore
donc a pari la comm union sous une seule espèce est de nom qui la nom me m ieux que celui de fraction du
efficace, suffisante. Saint Paul n ’ étudiait pas ces pain, parce que ce geste essentiel est, sinon le tout,
•questions; m ais son langage pris à la lettre permet du m oins le centre de la réunion. » Batiffol, loc. cil. « La
■de les résoudre de cette m anière. De m ême, pour coupe est sous-entendue. » Goguel, loc. cil. Voir cepen ­
décrire la com munion, l ’apôtre se contente de dire : dant Th. Scherm ann, Das Brotbrechen im Urchrislen-
on n ’ y discerne pas le corps du Seigneur, il ne parle tum, dans Biblische Zeitschrift, 1910, t. vin, p. 170-172.
pas ici du sang, parce que, sem ble-t-il, recevoir un /) La fraction du pain sur le bateau. A ct., xxvii,
des deux alim ents, c ’est participer pleinem ent à 35. — Pendant la tempête qui assaillit le navire sur
Jésus, d ’ une m anière bonne ou m auvaise, selon les lequel saint Paul prisonnier est conduit en Italie,
dispositions avec lesquelles on s ’approche de lui. l ’apôtre exhorta ses com pagnons à ne pas perdre cou ­
d) Les repas chrétiens d’Antioche. Gai., Il, 11-14. rage et à m anger. Il donna l ’exemple. « Il prit du
L orsque C éphas vint à A ntioche, je lui résistai en face, pain et après avoir rendu grâces devant tous, le rompit
parce qu'il était digne de blâm e. E n effet, avant l ’ arrivée et se m it à m anger. » Q uelques tém oins ajoutent :
de certaines gens de l'entourage de Jacques, il m angeait « et il nous en donna à nous aussi. » Berning, op. cil.,
avec les païens; m ais après leur arrivée,il s ’ esquiva et se p. 162: H arnack, op. cil., p. 135, croient voir ici
tint à l'écart par crainte descirconcis. A vec lui, les autres autre chose qu'un simple repas. Cette opinion n ’ est
Juifs usèrent ausside dissim ulation, en sorte que B arnabé pas suffisam ment m otivée. Les m ots devant tous ne
lui-m êm e se laissa entrainer. A lors quand je vis qu'ils ne
suffisent pas à la prouver. Il est plus prudent d ’ ad ­
m archaient pas dans le droit chem in de la vérité de l'É van-
gile, je dis à C éphas devant tout le m onde...
m ettre ce que suggère le contexte : saint Paul veut
réparer ses forces et inviter ses com pagnons de route
Certains interprètes croient que ce texte parle à l ’ imiter. S ’ il prie avant de m anger, rien n'est plus
d ’ un repas com m un des fidèles, auquel pouvaient être naturel : tout Juif pieux avait coutume de le faire.
adm is des étrangers qui par là s ’unissaient à la com ­ V oir Th. Scherm ann, loc. cil., p. 172-174.
m unauté, et que l ’ assistance des chrétiens d ’origine g) L’Épître aux Hébreux. — Récem m ent, un cri ­
juive à ce repas célébré par des païens d ’origine n ’al­ tique, O. H oltzm ann, Der Hebrderbrief und das
lait pas de soi. Goguel, op. cil., p. 140. Il sem ble diffi­ Abendmahl, dans Zeitschrift fiir die neutestamentliche
cile de l ’adm ettre, car il faudrait croire qu ’ il y avait Wissenschafl und die Kunde des Urchrislenlums, 1909,
alors, dans la m êm e ville, deux célébrations du repas p. 251-260, a osé soutenir que l ’ Épître aux H ébreux
du Seigneur, l ’une pour les Israélites convertis, l ’autre com battait la pratique de l ’eucharistie lorsqu ’elle
pour les Grecs gagnés à l ’Évangile. Impossible donc recomm ande aux chrétiens d ’affermir leur cœur par la
d'user de ce texte en faveur de l ’eucharistie. grâce plulôl que par des aliments qui n’ont servi de rien
c) La cène à Troas. A ct., xx, 7 sq. — Cet épisode ap ­ à ceux qui s’y attachent, xm , 9. Cette affirm ation est
partient à la partie du livre des A ctes où l ’auteur irrecevable ; la fin de la phrase m ontre que les m ets
dit « nous » et se donne ainsi com me un com pagnon dont il est parlé ici sont ceux dont usaient les Juifs.
de saint Paul rapportant ce qu ’ il a vu et entendu. Il s'agit des alim ents purs ou des viandes des sacri-
1064 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 106?

flees m osaïques. Cf. Batiffol, Revue du clergé français, Pâque dont elle diffère et par le m enu et par ht date
1" décembre 1909, p. 514-515. de célébration, ni le kiddüi juif du vendredi dont
A u contraire, le développem ent dans lequel se elle se distingue par des rites particuliers, ni la reu ­
trouve ce verset a pu être invoqué en faveur de l ’eu ­ nion pieuse avec lectures et prières telle qu'on la con ­
charistie; car à la phrase exploitée par O. H oltzmann state chez les comm unautés juives de la D iaspora.
fait suite cette déclaration : « Nous avons un autel Elle est un rite chrétien, exclusivem ent chret.-e~. bien
dont ceux-là n ’ont pas le droit de m anger qui restent connu, très im portant, une institution fondamentale,
au service du tabernacle. Car pour les animaux dont un geste fréquem ment renouvelé, une action an ­
le sang, expiation du péché, est porté dans le sanc ­ guste et qui requiert de dignes dispositions. Elle
tuaire par le grand-prêtre, leurs corps sont brûlés peut être rattachée à un repas fraternel, m a : s r. e se con ­
hors du camp. C ’est pour cela que Jésus aussi, devant fond pas avec lui. Elle appartient au culte pubî c.
sanctifier le peuple par son sang, a soullert, hors de la ecclésiastique.
porte, · xm , 10-12. A insi le Christ a été offert en sacri ­ C ’est le renouvellement de la m ort du Seigneur.
fice expiatoire, sa m ort salutaire est expressém ent Le soir, pendant la nuit, sans doute le dim anche,
rappelée; m ais n ’cst-il question que d ’elle, l’autel est-il tous les fidèles du lieu ou de passage se réunissent :
seulem ent la croix, manger n ’ est-ce que participer peut-être choisissent-ils de préférence une cham bre
aux fruits de la passion? Plusieurs catholiques n ’ont haute. Il y a un repas com m un, et fraternel. On
proposé que cette interprétation. S. Thom as, Estius, n ’ y vient ni pour apaiser sa faim , ni pour com ­
Stentrup, Oswald, Pohle, Renz. V oir t. i, col. 2576. m ettre des excès. Riches et pauvres m ettent en com ­
Et il faut avouer que c ’est celle qui s ’ accorde le m iepx m un leurs provisions, tous doivent form er un seul
avec la doctrine générale de l’ Épître sur le sacerdoce groupe, les fidèles sont tenus de s ’ attendre les uns
et l ’offrande de Jésus, νπ, 1 - x, 8. Pourtant les m ots les autres. Il y a un président, c ’est l’ apôtre lorsqu'il
autel et manger appellent invinciblem ent l’ attention est préscnt.Pendant le repas a lieu la fraction du pain.
du lecteur sur l ’eucharistie, coupe de l{i nouvelle al­ Le soin avec lequel les chrétiens reproduisent les
liance qui fait participer au sang de la croix, et cette circonstances les m oins im portantes du repas d ’adieu,
explication s ’accorde fort bien avec l ’enseignem ent de l ’ordre donné par Jésus de réitérer les deux consé ­
la I ro Épître aux Corinthiens. A ussi un bon nom bre crations, obligent à penser que tout se passe com m e
de catholiques et des protestants (G oetz, Rückert, l ’a dem andé et indiqué le Christ. Au cours du repas
W estcott, Spitta) croient ue, d ’ après l ’ Épître aux donc, celui qui tient la place du M aître bénit le pain,
H ébreux, nous m angeons à la table du Seigneur la le rompt, le distribue après avoir dit sut lui les m ots :
victim e im molée au Calvaire, cf. Lebreton, toc. cit., Ceci est m on corps. A la fin du souper, il prend une
col. 1566, ou du m oins que les m ots très caractéris ­ coupe de vin, rend grâces, la fait circider après avoir
tiques ici em ployés im pliquent une allusion indirecte dit sur elle:Ceci est la nouvelle alliance dans m on
à l ’eucharistie. Au contraire, J. Réville, op. cit., p. 70, sang.
et Goguel, op. cit., p. 218, croient reconnaître les C ’ est Jésus qui a institué cette eucharistie, or ­
chrétiens dans ceux qui restent au service du tabernacle donné form ellement de la célébrer. Ce que saint Paul
et qui n'ont pas le droit de manger ά l’autel nouveau; enseigne, ce qu ’ il dit sur ce sujet, il le tient du M aître
ils concluent que, d ’après l ’Épître aux H ébreux, « les lui-même. A ussi la cène chrétienne est-elle le repas
fidèles ne recueillent pas le énéflce du sacrifice de du Seigneur qui sc célèbre à la table du Seigneur
la croix en prenant part à un repas. » M ais il est avec la coupe du Seigneur.
impossible de désigner ainsi les disciples de Jésus. Le dernier repas de Jésus avait été un banquet
Les chrétiens sont ceux qui sortent hors du camp, xni, d ’ adieu, un festin funéraire où avait été annoncée sa
13; qui n ’ont pas ici-bas de cité permanente, xin, 14, m ort et figurée l ’effusion de son sang. La cène chré­
qui n’affermissent pas leur cœur par des mets inutiles, tienne comm ém ore par ses rites et ses form ules la
xin, 9; ce ne sont donc pas ceux qui restent au ser­ fin bienfaisante du Sauveur.
vice du tabernacle. J. Réville et Goguel sentent d ’ ail ­ La prem ière cène indiquait, les cènes chrétiennes
leurs m bien leur sentim ent est difficile à soutenir : rappellent que par le sang de Jésus est scellée une
ils devraient logiquem ent conclure que l ’auteur ignore alliance entre D ieu et son nouveau peuple, que le
ou com bat l’ eucharistie, l ’ existence d ’ un repas où les Christ fut une victim e et sa m ort un sacrifice.
fidèles participeraient aux fruits de la passion. O r, ils A u repas que célèbre le Christ et dans tous ceux
reculent devant cette cosnéquence et ils disent seule ­ qui le reproduisent, les assistants sont invités à par ­
m ent qu ’une pareille com munion « n ’est pas au centre ticiper à la victime, à s ’ approprier l'alliance et à en ­
des préoccupations de l ’auteur, qu ’ elle n ’ a pas à ses trer ainsi d ’une certaine m anière en rapport intime
yeux l ’importance qu ’ elle a prise dans la suite. » avec la divinité. Bien plus, le pain de la fraction,
M ais, ou l ’ argum ent qu ’ ils ont invoqué est bon, et c ’est le vrai corps, le vin de la coupe eucharistique,
alors, d ’après l ’ Épître aux H ébreux, il n ’ y a pas de c ’est le vrai sang de Jésus.
repas religieux associant les chrétiens à la victim e du E t c ’ est jusqu ’ à ce que le Clirist vienne que le rite
Calvaire, l ’idée n ’ est pas seulem ent om ise, elle est annonce sa m ort. Il fait oublier en quelque sorte son
exclue, condamnée; ou bien l ’objection de Réville et absence et perm et de trouver m oins long le temps
de Goguel est sans valeur, et la lettre oblige à voir qui sépare de son avènem ent.
dans la cène, sinon un sacrifice, distinct de l ’ im mola ­ A ussi est-ce un crim e de prendre part à la cène
tion douloureuse, du m oins, selon la conception pau- comm e à un repas ordinaire sans les dispositions
linienne, une com munion au sang de l ’alliance versé requises. L ’indigne comm uniant est coupable du
en expiation sur la croix. V oir plus haut ce qui a été corps et du sang du Seigneur,m ange et b >it sa con ­
ditde H eb., χ,29(τό αίμα τής , διαθήκης ), et de H eb.,vi, 4. dam nation, s ’attire de redoutables châtim ents. A vant
A) Conclusion. — La cène chrétienne d ’après saint de recevoir l'eucharistie, que chacun s'exam ine, se
Paul n ’ est pas un repas ordinaire, m ême précédé juge et se corrige. A près avoir goûté à la tabie et
de la prière : elle est un acte essentiellem ent religieux. à la coupe du Seigneur, que nul n ’excite sa j<:..s;e,
Ellen ’ a riendecom m unaveclesabom inables banquets que tous renoncent à la table et à la coupe des dàaoas.
idolâtriques, et les festins en usage dans les confréries 3. Saint Luc. — a) L'institution de Feuri&frttt.
grecques, éranes et thiases; elle ne doit m ême pas xxn, 1-20.
être défigurée par l ’introduction d ’habitudes em ­ 1. La fête des azymes qu'on appelle la Pàqae appro ­
pruntées aux réunions profanes. Elle n ’est ni la chait. (2-6. Préliminaires de la trahison. i 7. A nna te
1063 E U C H A R ISTIE D ’ A PR È S LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1064
jour des azym es où l ’ on devait im m oler la Pâque. S. Jésus de celui que lui reconnaissent les récits des Synopti ­
envoya Pierre et Jean : A llez, leur dit-il, nous préparer la ques, sous la form e actuelle. Ce travail sera fait plus
Pâque afin que nous la m angions. 9. Ils lui dirent : O ù loin. Ici. puisque nous cherchons seulem ent quel est
voulez-vous que nous la préparions? 10. Il leur dit : V oici,
pour un catholique le contenu des Livres saints, quels
à votre entrée dans la ville, viendra à votre rencontre un
hom m e portant une cruche d'eau ; suivez-le, dans la m aison argum ents il peut employer lorsqu ’ il défend le dogm e
oil il entrera, 11. ct vous direz au chef de la m aison : Le de la présence réelle contre des protestants conserva ­
M aître te dit : O ù est la salle où je m angerai la Pâque avec teurs, nous devons examiner le texte courant connu
m es disciples? 12. E t celui-ci vous m ontrera une grande sous le nom de texte long ou de texte alexandrin.
salle haute m eublée, là laites les préparatifs. 13. Ils par ­ Car il a droit à une très grande autorité non seule ­
tirent ct trouvèrent les choses com m e il le leur avait dit m ent parce que l ’ Église l ’ a adopté, m ais aussi parce
et préparèrent la Pâque. I l E t lorsque arriva l'heure, il se
m it à table ct les douze apôtres avec lui.
qu ’ il est attesté par tous les m anuscrits m ajuscules,
en dehors de D, par la plupart des autres et par des
Pour les versets 15-20, à côté du texte courant, il versions. N éanm oins, com me il sera bientôt néces ­
existe d ’autres types plus courts, qu ’ il sera nécessaire saire de com parer les divers textes, afin de ne pas citer
d ’examiner, certains critiques se servant d ’eux pour deux fois la leçon longue, dès m aintenant nous juxta ­
attribuer à la cène primitive un sens tout à fait différent posons les diverses recensions :

1* T E X T E L O N G 5· T E X T E

(T o u · te · r n n ju sc u l· S , t o u s 2 ’ T E X T E C O U R T 4· T EX T E D E L A
le s * 'U tr e s m a n u s c r it · et 3° T E X T E D E L A
D (c o d e x B ezæ ) ; D E L A C U R E T O N IE N N E V E R S IO N S Y R IA Q U E
v e r s io n s , à l’e x c e p t io n P E SC H 1T O .
a, d , fF , i, 1. d e b et d e e. D IT E D U S IN A Ï
de ceux q u i s o n t c it é s
dans le · a u tr es c o lo n n e s .)
O U L U D O V IS IE N N E .

15 Et il leur dit : J ’ai 15. Et il leur dit : J ’ai 15. Et il leur dit : J ’ ai 15. Il leur dit : J'ai dé ­ 15. Il leur dit : J'ai dé ­
désiré d'un vif désir désiré d ’ un vif désir désiré d'un vif désir siré d ’un vif désir siré d ’ un vif désir
m anger cette Pâque m anger cette Pâque m anger celte Pâque m anger la Pâque avec m anger avec vous la
avec vous avant de avec vous avant de avec vous avant de vous avant de souffrir. Pâque avant de souf ­
souffrir. souffrir. souffrir. frir.
16. C ar je vous dis que je 16. C ar je vous dis : je 16. C ar je vous dis que 16. Car je vous dis que 16. C ar je vous dis que
ne la m angerai plus ne la m angerai plus désorm ais je ne la désorm ais je ne la désorm ais je ne la m an ­
jusqu ’à ce quelle soit jusqu ’ à ce qu ’eile soit m angerai plus jus ­ m angerai plus avant gerai plus jusqu'à ce
accom plie dans le m angée nouvelle dans qu à <*e qu ’elle soit qu elle soit accomplie que le royaum e de Dieu
royaum e de D ieu. le royaum e de D ieu. accomplie dans le dans le royaum e de soit accom pli.
royaum e de D ieu. D ieu.

17. Et ayant pris une 17. Etayant pris la cou ­ » »


coupe, fait l ’action de pe, fait l ’action de
grâces, il dit : Prenez grâces, il dit : Prenez
ceci et partagez-le- ceci,partagez-le-vous.
vous.

18. C ar je vous dis que 18 Car je vous dis : dé ­ D n


je ne boirai plus désor ­ sorm ais je ne boirai
m ais du fruit de la plus du fruit de la
vigne jusqu'à ce que le vigne jusqu ’à ce que
royaum e de D ieu soit le royaume de D ieu
venu. soit venu.
19. Etayantprisdupain, 19. Et ayant pris du 17. Et ayant pris du \Ί. Et ayant pris du 17. E tayantprisdupain.
fait l ’ action de grâces, pain, fait l'action de pain, fait l ’action de pain, fait l ’action de fait l ’ action de grâces
il le rom pit et le leur grâces, il le rom pit et grâces, il le rom pit et grâces sur lui, il le sur lui, il le rompit et
donna, disant: Ceci est le leur donna, disant : le leurdonna. disant : rom pit et le leurdon ­ le leur donna, disant :
m on corps qui a été Ceci est m on corps. Ceci est m on corps na. disant : Ceci est Ceci est m on corps que
donné pour vous. Fai­ qui est donné pour m on corps [qui est] je donne pour vous.
tes ceci en m a m é ­ vous. Faites ceci en pour vous. Faites ceci Faites ainsi en m a m é ­
m oire. m a m ém oire. en m a m ém oire. m oire.

20. Et [il fit] de m ême 18. Et [il fit] pareille ­ 18. Et ayant pris une 18*. Et après lesouper.
[pour la coupe], après m ent aussi sur la coupe, fait l'action de ayant pris une coupe,
le souper.disant : Cette coupe après lesouper, grâces sur elle, il dit : fait l'action de grâces
coupe [est] la nouvelle il dit : cette coupe (est Prenez ceci, partagez- sur elle, il dit : Prenez
alliance dans m on sang la] nouvelle alliance le-vous. ceci, partagez- le-vous.
qui est répandu pour dans m on sang versé 18 k . Ceci est m on sang,
vous. pour vous. alliance nouvelle.

19. Je vous dis que dé ­ 19. C ar je vous dis que


sorm ais je ne boirai désorm ais je ne boirai
plus du fruit de la vi ­ plus de ce fruit jusqu ’à
gne jusqu ’ à ce que ce que soit venu le
le royaum e de D ieu royaum e de D ieu.
soit venu.

Nota : Les m anuscrits Nota .* b et e om ettent


latins présentent en ­ après la consécration
tre eux de légères du pain, les m ots :
variantes. Faites ceci en nia
mémoire.
1065 EU C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU RE 1066

D ans le récit de Luc, le caractère pascal de la cène donna. Alors leurs yeux s ’ouvrirent et ils 1e recon ­
est fortement m arqué. Il est expressém ent afïirm é nurent; m ais lui devint invisible â tans yeux. >
à six reprises (1, 7, 8, 11, 13, 15). Le repas que prend Des exégètes catholiques anciens et m odernes
Jésus a une im portance exceptionnelle : « J ’ ai désiré ont supposé que Jésus avait donne â se s hôte s le τ s::
d ’un vif désir m anger cette Pâque avec vous, » c ’est eucharistique. Certains critiques non croyants par ­
un terme longtem ps et très attendu. La cène est en tagent ce sentim ent Goguel, par exem ple, qui σ >uciut
rapport avec la passion : Jésus déclare qu ’ il prend ce que « la fraction du pain... apparaît » cans cet tr -
repas avant de souffrir; en rapport avec le royaum e sodé « com m e un signe de ralliement pour les chré ­
futur : la Pâque qui se célèbre est une ligure de celle tiens, » que « l ’eucharistie était célébrée à
qui, plus tard, se réalisera pleinement; deux fois repas, » enfin qu ’ elle explique la nécessite . :
cette perspective eschatologique est présentée (non du Christ et sa valeur. Op. cit., p. 1.-5-1 .-4. 'ac ­
seulem ent dans la leçon, courante m ais dans toutes les croire que Jésus ait « renouvelé ■ pour les dise pie
autres recensions, à l ’exception de celle de laPeschito). d ’ Em maüs « le m om ent tragique de la d-. r: ..r c .
D ’ après le texte prédom inant (et aussi d ’ après Loisy, op. cit., t. n, p. 7G3, estime - que i- ..r
D, donc d ’après tous les m ajuscules), Jésus prit de l ’eucharistie » était « présent à l ’esprit du
d ’ abord une coupe, fit l ’action de grâces et la distri ­ teur. » Il tire m ême de ce fait des conclusions s ur ..
bua, disant : Je ne boirai plus du fruit de la vigne jus ­ m anière dont se form a le concept de la cène. V oir plu s
qu ’à ce que le royaum e de D ieu soit venu. Puis il loin.
prit du pain, fit l ’ action de grâces, le rom pit et le En réalité, la narration ne dit pas si la fraction
donna à ses disciples, en disant ces m ots (que con ­ du pain à Em maüs fut eucharistique. Loisy allègue
tiennent toutes les recensions) : Ceci est mon corps, « la solennité de la form ule. » Elle n ’offre rien d ’ex ­
m ots qui ont ici évidem ment le m êm e sens que dans traordinaire. Elle ressemble un peu à celle de la
saint M atthieu, saint M arc et saint Paul. Le texte ène, m ais elle om et ce qui est essentiel, les paroles
courant ajoute : qui est donné pour vous; nous avons de Jésus. Le récit dit qu ’ il rompit le pain : sans doute
signalé plus haut l ’im portance et la signification de e m ot désigna chez les prem iers chrétiens ie geste
form ules sem blables. Le sens est clair : « le corps eucharistique; m ais il continua aussi à signifier l ’acte
de Jésus est livré à la m ort pour le salut de ses dis ­ vulgaire de quelqu ’un qui brise un aliment pour i·
ciples. · Loisy,· op. cit., t. n, p. 532. C ’est la form ule partager. Le Christ bénit, ευλόγησε, le pain, à la
équivalente de celle que saint Luc em ploie pour le vérité; m ais cet acte n ’est pas nécessairem ent sacra ­
sang : il esl versé pour vous. L ’ idée de sacrifice est m entel, les Juifs et Jésus l ’ accom plissaient toujours
donc accusée à deux reprises. Par ces paroles, « Jésus avant de prendre leur nourriture. E t l ’ ensem ble du
s ’ assim ile à une victim e im molée, » avouent les cri­ récit tend plutôt à dém ontrer qu ’ il ne s ’agit pas ici
tiques non croyants. Goguel, op. cit., p. 192; Loisy, de l ’eucharistie. Jésus était présent, avait parlé, ex ­
op. cil., t n, p. 522. O r, il n ’a pas institué un sacrifice pliqué les Écritures, réchauffé Je cœ ur des deux dis ­
de pain et de vin, c ’ est donc son corps et son sang ciples dans le chem in, avant la fraction du pain; ce
véritables qui constituent la victime; et s ’il en est n ’est pas elle qui le rend présent. Sans doute, c ’est
ainsi,c'est son corps et son sang qu ’ il offre en nour ­ au m om ent où le Christ fait ce geste qu ’ il est reconnu ;
riture ct en breuvage aux disciples. Le sacrifice m en ­ m ais à cet instant m êm e il devient invisible. La
tionné est-il celui de la croix? Les participes pré ­ fraction eut pour effet non de donner le corps et le
sents (σιδόμενον, έκχυννόμενον), em ployés par saint sang de Jésus, m ais de les faire disparaître. C ’est
Luc, attestent-ils qu ’ à la cène m ême, d'après lui, le le contraire de l ’eucharistie.
geste de la consécration du pain et du vin constituent d) La fraction du pain à Jérusalem dans la 'commu­
un sacrifice? Beaucoup de théologiens catholiques et ni uté primitive. A ct., n, 42-47. — Saint |Luc décrit
certains com mentateurs ont choisi la seconde alter ­ les m œurs des premiers chrétiens de Jérusalem :
native. Rauschcn, L ’eucharistie et la pénitence, trad,
42. Ils persévéraient dans la doctrine des apôtres, et
franç., Paris, 1910, p. 34, note 1. V oirplushaut et dans l ’ union, ct dans la fraction du pain, et dans les prières
art. M e s s e . A près avoir consacré le pain, Jésus dit : 43. L a crainte était en toute âm e et il se faisait beau ­
«Faites ceci en m ém oire de m oi. » Puis il prononça coup de prodiges ct de m iracles par les apôtres. 44. Tous
sur la coupe des m ots que déjà nous avons trouvés : ceux qui croyaient vivaient ensem ble et ils avaient tout
les uns (celte coupe est la nouvelle alliance en mon en com m un. 45. E t ils vendaient leurs propriétés et leurs
sang) dans saint Paul, les autres (qui est versé pour biens ct ils en partageaient le produit entre tous, selon les
vous) dans saint M atthieu et saint M arc; il est inutile besoins de chacun. 46. C haque jour ils étaient fidèles .·
de les expliquer de nouveau : ils attestent la présence . aller en union d ’ esprit (ou ensem ble) dans le tem ple et
rom pant le pain à la m aison (ou de m aison en m aison), ils
réelle, l ’institution de l ’eucharistie par le Christ. prenaient leur nourriture avec joie et sim plicité de cœ ur,
b) Multiplication des pains, ix, 10-17. — Le récit de louant D ieu.
ce m iracle où les Pères et les écrivains chrétiens, sans
m ettre en doute la réalité du fait, ont souvent vu Le j>. 42 nous apprend que les convertis de saint
soit une figure de l ’ eucharistie, soit un prodige des ­ Pierre persévéraient d ’abord dans la doctrine des
tiné à faciliter l ’ adhésion au dogm e de la présence apôtres, c ’est-à-dire sans doute complétaient leur
réelle, se trouve dans saint Luc com me dans les trois instruction en recevant l ’enseignem ent des Douze. Est
autres Évangiles. V oir plus haut. A noter l'identité ensuite nom m ée la κοινωνία, c ’est-à-dire les réunions
absolue, dans les récits des trois Synoptiques,· des (Leclercq, art. Agape, dans le Dictionnaire d'archéo­
m ots de la narration qui rappellent le m ieux la cène: logie chrétienne, t. i, col. 783); ou plutôt le fait de
« Ayant pris les cinq pains et les deux poissons, et former un groupe religieux, une com munaut· . unie
ayant levé les yeux au ciel, il prononça la bénédiction parles liens d ’ une vive charité. Batiflol. cp. c:t.. p. 35;
et rompit les pains et il les donna aux disciples... Et Felten, Die Apostelgeschichte, Fribourg-en-Brisgm ,
tous m angèrent et furent rassasiés. » 1892, p. 93; Fillion, La sainte Bible, Paris, 1901,
c) Les disciples d’Emmaüs, xxiv, 13-35. — « D eux L vu, p. 626; Rose, Les Actes des apôtres, Paris,
disciples étaient en route vers Em m aüs... Jésus les , 1905, p. 27. Le contexte (44 et 45) oblige, en effet, a
joignit, m ais... ils ne le reconnaissaient pas. · Ils I entendre en ce sens le m ot «comm union «.Les pre ­
l ’invitèrent à rester avec eux. « E t il entra... O r, m iers chrétiens persévéraient aussi « dans la frsetico
pendant qu ’ il était à table avec eux, il prit le pain, du pain, » c ’est-à-dire dans l ’eucharistie, selon /opi ­
prononça une bénédiction, puis le romnit et le leur nion de presque tous les exégètes catholiques et c un
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grand nom bre de critiques non croyants (ces derniers fois dans une brève description de la vie chrétienne,
font le plus grand cas de cette affirmation ainsi en ­ qu ’ il n ’était pas un geste profane et vulgaire identique
tendue, lorsqu ’ ils essaient de distinguer les étapes à un usage d ’ un repas ordinaire, et sans doute qu ’ il
d ’une évolution de la cène). La V ulgate a m ême accusé était célébré com me il l ’avait été par le Christ, au c o û t s
davantage ce sens, en traduisant ainsi le grec : in d ’un repas sim ple ct joyeux, term iné par oes prières.
communicatione /ractionis panis. « Les disciples per ­ C ’est dans les m aisons privées par opposition au
sévéraient dans la participation à la fraction du temple qu ’ il s ’accom plissait. Rien ne prouve que
pain.» (L ’ expression rappelle les m ots κοινωνία τού l ’eucharistie ne com prenait pas la distribution d ’une
σώματος τού Χριστού la comm union au corps du Christ.) coupe. Jadis Corneille de la Pierre voulait conclure,
V oir aussi la Peschito et la version sahidique. En ­ de l ’emploi des m ots fraction du pain, que les laïques
fin, les premiers chrétiens s ’ attachaient avec con ­ com m uniaient alors seulem ent sous l ’e pèce du pain;
stance aux prières. L'article ταϊς sem ble faire allusion aujourd ’hui certains critiques non croyants estim ent
à des prières spéciales qu ’on associait à la célébra ­ pouvoir se servir de cette locution pour affirmer que,
tion des saints m ystères. Fillion, loc. cil.; Leclercq, prim itivem ent, la coupe n ’avait aucune place dans
op. cit. On a observé que les divers actes m entionnés le rituel de la cène. B randt, op. cil., p. 292 sq. V oir
sont ceux qui étaient en usage dans les offices chré ­ aussi Goguel, op. cit., p. 86, 130. C ’est abuser du si ­
tiens : prédication apostolique, vie en com m un, frac ­ lence du livre des A ctes. L ’eucharistie est m entionnée
tion du pain, prières. F. Probst, Liturgie der ersten ici com me appartenant au culte chrétien : le m ot
Jahrhunderle, Tubingue, 1870, p. 23, voit m ême dans fraction la fait assez connaître au lecteur. A ujourd ’hui
la κοινωνία le repas fraternel; et selon lui, la phrase nous disons : «Je m e suis confessé, » ce qui signifie :
du livre des Actes énum érait les quatre opérations de « j ’ ai eu la contrition » et « j ’ ai reçu l ’absolution. »
l'assemblée clirétienne, tels qu ’on les retrouve à Troas. Cependant M . Scherm ann ne veut vo.r dans ces
V oir aussi Batillol, op. cit., p. 36. Le texte est-il deux passages des A ctes que l ’habitude qu ’avaient
aussi précis? Il sem ble téméraire de l'affirm er. En les premiers chrétiens de Jérusalem de prendre en
tout cas, la fraction du pain semble bien désigner com mun leurs repas ordinaires. Bas Brotbrechen Im
ici l ’eucharistie. Urchristentum, dans la Biblische Zeitschrift, 1910, t. vin,
La fraction du pain est encore m entionnée un peu p. 162-170. Il m e sem ble qu ’ il a raison pour le se ­
plus loin, 46 : «Chaque jour, les disciples étaient fi­ cond cas (E. M angenot).
dèles à aller en union d'esprit (ou m ieux ensem ble) 4. Saint Jean. — Le quatrièm e Évangile, dans son
dans le tem ple et rompant le pain à la m aison (ou de récit de la derniè e c ne, ne rapporte pas l ’insti ­
m aison en m aison), ils prenaient leur nourriture avec tution de l ’ eucharistie. Ce silence a été exploité à tort
joie et sim plicité de cœur, louant Dieu. » Beelen, par certains critiqu s désireux d ’établir que le sacre ­
Fillion et plusieurs exégètes pensent qu ’ il ne s ’agit m ent ne rem onte pas à Jésus. Saint Jean n ’a pas
pas ici de l ’ eucharistie, m ais des repas ordinaires l ’ intention d ’écrire une biographie du Sauveur. Il ne
que les chrétiens pouvaient faire dans leur m aison. semble m ême pas que cet évangéliste se propose de
Ces com m entateurs s ’appuient sur l ’absence d ’article com pléter les Synoptiques, bien qu ’en réalité il l ’ait
devant le m ot άρτον, pain, et sur le contexte : les fait dans une certaine m esure. Son principal but est
fidèles prenaient leur nourriture avec joie. Pourtant il didactique et dogm atique : il écrit pour que ses lec ­
est difficile d'adm ettre qu ’à un si court intervalle, teurs « croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu»
la m ême m anière de parler ait deux sens différents, et que, croyant, ils aient « la vie en son nom », xx,
et un bon nom bre d ’ exégètes de toute école voient ici 30, 31. Sa thèse est établie sans qu ’il ait besoin de ra ­
encore la fraction eucharistique. Batiffol, op. cit., p. 36, conter l ’ institution de l ’eucharistie. Au reste,cette nar ­
37, pense que les versets 44-46 ém anent d ’ une source ration était connue, ce sacrem ent était en usage, à
judéo-chrétienne et présentent, sous une form e plus l'époque où il rédigeait son œ uvre. Enfin, au c. vi
concrète, les données que le verset 42, de source de son Évangile,il avait exposé la doctrine sur la com ­
paulinienne, aurait abrégées et rendues abstraites. m union, son contenu, ses eflets, sa nécessité, il n ’avait
Il voit dans cette phrase l ’indication des deux habi­ rien à ajouter. Puisque Jésus a prom is de donner son
tudes qui caractérisent la vie religieuse des prem iers corps et son sang, il a tenu parole. Saint Jean n ’ aurait
chrétiens : la fréquentation du tem ple et la célébra ­ pas raconté que le Sauveur s ’ était engagé à offrir
tion de l ’eucharistie. Ces deux actes leur donnent un sa chair en nourriture si, en fait, les chrétiens, ses con ­
bonheur paisible, que Luc décrit à l ’aide d ’ une ex ­ temporains et lui-m êm e n ’ étaient pas persuadés
pression biblique connue : ils prenaient leur nourri­ qu'ils avaient reçu du Christ cet inestimable don.
ture en joie et sim plicité de cœur. Cette explication Cf. Lebreton, loc. cil., col. 1554; Calm es, op. cil.,
se heurte à une difficulté. La phrase grecque per ­ p. 375. Le quatrièm e Évangile atteste donc, à sa m a ­
m et-elle de séparer ainsi les m ots : · rom pant du nière, l ’ institution de l ’ eucharistie par Jésus.
pain à la m aison » de ceux qui suivent : « ils prenaient Les critiques non catholiques eux-m êmes n ’at ­
leur nourriture avec joie... »? Goguel, op. cil., p. 129; tachent plus d ’ importance à ce silence de l ’évangé-
J. Réville, op. cit., p. 95, et plusieurs com m entateurs iste. Q uelques-uns d ’entre eux, au contraire, croient
catholiques, Felten, op. cil., p. 98; Leclercq, op. cit., apercevoir dans le récit johannique de la cène et dans
col. 783, croient, et à bon droit, ce semble, qu ’ il faut les discours d ’ adieu des allusions à l ’eucharistie.
les rapprocher. Ce passage attesterait donc l ’existence Loisy, Le quatrième Évangile, p. 704, affirm e qu ’ « elle
dans la com m unauté primitive d ’une fraction du pain tient plus de place dans le quatrièm e Évangile que
eucharistique faite au cours d ’ un repas simple et dans les Évangiles antérieurs où elle est expressé ­
joyeux, accompagnée de louanges adressées à D ieu. Si m ent signalée; » « son souvenir rem plit tous les récits
la gram maire n ’oblige pas absolum ent à préférer et discours de la dernière journée. · A insi, l ’épisode
cette interprétation, le sens connexe des deux verbes du lavem ent des pieds est une allégorie qui « m ontre
voisins rompre le pain et prendre la nourriture porte dans l ’eucharistie un acte nécessaire de la vie chré­
à les réunir. Le texte du Canlabrigiensis favorise ce tienne sans lequel on ne peut avoir part avec le
sentiment. Christ, c ’ est-à-dire sans lequel on ne peut être sauvé, »
De ces deux versets, on peut conclure que la frac ­ un bain destiné à effacer les souillures contractées
tion ou l ’eucharistie était célébrée dans la première après le baptêm e. Goguel, op. cit., p. 195-196. « Jésus,
com munauté de Jérusalem ; que ce rite avait une très dans sa m ort, s ’est fait par am our le serviteur de
grande im portance, puisqu ’il est m entionné deux l ’ homm e; l ’eucharistie est le m émorial perm anent de
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ce service unique; le lavem ent des pieds représente... une relation entre ce prodige et la cène, on ne pent
et le service essentiel de Jésus et son m émorial. » dire avec certitude que ce que disaient déjà des
Loisy, op. cit., p. 702-722. La bouchée de pain trem pé Pères de l ’ Église : la transform ation de Fean aide à
offerte à Judas et qui fait entrer en lui Satan, xni, com prendre le changement du pain et du vin. L'eau et
26-27, est une allusion à la parole de Paul sur le le sang qui coulent du côté de Jésus crucifié s'ex ­
com m uniant qui m ange et boit sa condamnation. pliquent par sa m ort et sont présentés avant toot
Loisy, op. cit., p. 728. L ’ordre intimé au traître de comm e un certificat de décès, une realisutioc des
faire vite ce qu'il a à faire est une invitation à distri ­ prophéties, xix, 32-37; ceci admis, on peut r-:.r*
buer des aumônes et rappelle les actes de charité qui, aussi que l ’eau et le sang sont des figure s;ei core est-
chez les prem iers chrétiens, suivirent la cène. Loisy, il difficile de pénétrer l ’ intention thêologique ou m ys ­
op. cit., p. 731. Le nouveau com m andem ent d ’am our tique de l’auteur, en cet endroit, com me Fa bien
plusieurs fois inculqué par Jésus au cours du dernier m ontré Calm es. Op. cil., p. 445. Si tcuti fois on pense
entretien, c ’est, avec la recom mandation de la cha ­ qu ’il y a en cet épisode un sym bole, on peut rappro ­
rité, le précepte de l’agapé, c ’est-à-dire del ’agape eucha ­ cher le sang qui coule du côté de Jésus ci·, i que le
ristique, Loisy, op. cit., p. 736; le Paraclet prom is, c ’est fidèle est invité à recevoir com me un breuvage, vr,
l ’Esprit de Jésus qui agit dans le baptêm e et l ’ eucha ­ 53-56. S. Thomas, In Joa., c. xix, lect. v, n. 4, O père.
ristie, par l ’eau et par le sang. Loisy, op. cit., p. 753. Paris, 1876, t. xx, p. 340.
« Je suis la vraie vigne, » dit le Sauveur; cette allé ­ D u verset de l ’Évangile on a rapproché l ’affir ­
gorie correspond à la doctrine de Paul sur le sang m ation de la I ro Épître, v, 6 sq. : « Ils sont trois qui
du Christ; l ’ eucharistie unit à celui sans lequel on ne rendent tém oignage : l ’esprit, l ’eau et le sang et ces
peut rien, grâce à la présence duquel on peut tout. trois ne font qu ’ un, · car Jésus « est venu dans l ’eau
Loisy, op. cil., p. 762-764; Goguel, op. cit., p. 197. La et le sang. » Encore qu ’on puisse entendre ce passage
prière faite au nom du Seigneur et qui sera infail- ’ du baptêm e de Jésus, de sa m ort et de l ’action qu ’opéra
lible, xiv, 12-14, c ’ est surtout celle qui accom pagne en lui ou par lui l ’Esprit, il n ’ est pas téméraire de
la cène, et qui est d ’une m anière spéciale prononcée penser qu ’il est fait allusion ici aux deux sacrem ents
en union avec Jésus. Loisy, op. cit., p. 750. L ’ oraison dont saint Jean a raconté la prom esse. M ais vouloir
sacerdotale, xvn, 1-26, que le Sauveur adresse à son découvrir ici la preuve qu ’il y avait en A sie-M inenre,
Père, en levant les yeux vers le ciel, est eucharistique, à Éplièse, des chrétiens qui, acceptant le baptêm e
car elle ressemble < trangement aux prières de la d'eau, ne com muniaient pas et ne croyaient pas au
D idaché : « Je m e consacre m oi-même pour eux, » Saint-Esprit (ce seraient les disciples d ’ Apollo dont
affirm e Jésus, xvn, 19, c ’est-à-dire je m e voue à la parlent les A ctes, xix, 1 sq.); supposer que l ’au ­
m ort en victim e expiatoire, « afin qu'ils soient eux teur, parson appel au témoignage de l ’ Esprit, m ontre
aussi consacrés dans la vérit , » ajoute-t-il, en d ’ autres dans l ’eucharistie un rite qui n ’ a pas été institué par
term es, afin que le sang du Calvaire et de l ’eucha ­ Jésus, m ais qui est « né dans l ’ Église sous l ’ influence
ristie les purifie de leurs péchés. Et à la fin de sa de l ’esprit, » Goguel, op. cit., p. 211, c ’est m ettre
prière, le Christ demande à son Père la conservation dans les textes ce qu ’on veut y trouver. L ’exégèse
de l ’unité chrétienne, dans l ’am our et par le sacre ­ fait place à la divination. V oir dans >a communion
m ent de la charité. » Loisy, op. cil., p. 815. avec Dieu, i, 6, dont parle l’ Épître, la participation
Toutes ces conjectures paraissent hardies, la plu ­ au sang de Jésus, i, 7, dans la charité ou άγάπη que
part de ces rapprochements ne sont guère justifiés. recomm ande continuellement cet écrit la cène chré­
Quoi qu ’ il en soit, il est impossible de dégager de ces tienne, et transformer ainsi ce que tout lecteur non
divers passages un enseignem ent précis et certain sur prévenu prendrait pour des conseils de m orale en
l ’eucharistie. Nous n'oserions, de l ’exam en des c. xm - a instructions pour l ’ agape ou repas de com munion, ·
xvii, tirer qu ’une seule conclusion. Les paroles de Goguel, loc. cit., c ’ est jouer sur les m ots, sans m êm e
Jésus à la cène, qui déjà répondent fort bien à la respecter leur teneur, car il est parlé d ’une m anière
situation et au m om ent, se com prennent encore m ieux constante dans l ’ Épître non seulem ent de l ’agapé ou
si, au cours du dernier repas, ila institué l ’eucharistie, de l ’am our de Jésus pour l ’hom me, m ais de la charité
présenté réellement aux siens son corps et son sang. Π du Père et de D ieu, pour nous et de l ’affection que les
donne un suprêm e témoignage d ’am our. Il leur m ontre chrétiens doivent se témoigner les uns aux autres.
qu ’une dernière purification estnéccssaire. La trahison Enfin,les paroles de l ’A pocalypse, m , 20: «Voici que
de Judas et le reniem ent de Pierre revêtent un carac ­ je m e tiens à la porte et je frappe : si quelqu ’ un en ­
tère de gravité exceptionnelle. Le com mandem ent de tend m a voix et ouvre j ’ entrerai chez lui, je souperai
la charité ne pouvait être m ieux placé : « Aimez-vous avec lui et lui avec m oi » ont pu être appliquées
com me je vous ai aim és. » Jésus ne laisse pas les dis ­ sans doute à 1 ’eucharistie, m ais s ’ expliquent aussi
ciples orphelins; lorsque le m onde ne le verra plus,ils sans qu ’ on recoure à cette interprétation.
le verront. Ils connaîtront qu ’ il est en eux et eux en En résum é, les écrits johanniques ne nient pas l ’ ins ­
lui. Il est le cep, ils sont les rameaux, qu ’ ils lui restent titution par Jésus de l ’eucharistie. L ’ Évangile l ’af ­
unis. G râce à lui, ils auront paix, calme du cœ ur et firm e indirectem ent en rapportant la promesse et,
joie. Ils ne sont plus des serviteurs, m ais des amis. Et s ’il ne relate pas les paroles de la consécration, il
la m agnifique prière du Christ pour son œ uvre, ses présente un contexte qui s ’harmonise avec elle.
disciples et son Église acquiert une signification plus 5. Confirmation de Vinterprétation catholique des
haute, se réalise avec une vérité plus saisissante si paroles de la consécration. — A près avoir exam iné les
elle accom pagne le don eucharistique. A ussi, les li­ form ules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, les
turgies, ancienne et actuelle, ont-elles cherché dans partisans de la présence réelle présentent d ordinaire
ce discours d ’adieu de Jésus des form ules pour enca ­ l ’ argum ent suivant : Les enseignem ents que donnent
drer l ’acte de la comm union. les Evangiles sur la personne de Jésus, sur i ’etat c es ­
Les autres textes de l ’Évangile de saint Jean, des prit des apôtres, sur les circonstances de la cène,
Épîtres, de l ’A pocalypse, où on a encore parfois voulu obligent à entendre au sens littéral les affirm ations
voir des allusions à l ’ eucharistie, suggèrent des rap- , du Christ. Cette preuve est évidem m ent de valeur
prochem ents qui n ’ ont pas une grande importance. Π J nulle ou peu considérable aux yeux des critiques qui
n ’ est facile ni de prouver ni de déterm iner avec pré ­ n ’ adm ettent ni la divinité de Jésus ni la véracité
cision la portée sym bolique que certains critiques attri­ historique ni le caractère surnaturel des récits évan ­
buent à l ’épisode des noces de Cana; et si l ’on cherche géliques. M ais le catholique qui cherche dans l ’Écriture
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la révélation, le controversiste qui dém ontre la pré ­ dans ce discours d ’adieu, plusieurs allégories sont pro ­
sence réelle à des protestants conservateurs peuvent posées, xiv, 2, 4, 6, 7; xv, 1 sq.; m ais elles sont don ­
user de ces considérations dont la force n ’est nullem ent nées com me telles ou expliquées.
négligeable. W isem an, op. cil., dans les Démonstra­ Les naroles de la cène, au contraire, ne sont procé ­
tions évangéliques de M igne, t. xv, p. 1260 sq., les dées, accom pagnées, suivies d ’aucun éclaircissem ent.
a fait valoir de la m anière la plus saisissante. D ans un entretien inoubliable, le Christ avait prom is
Celui qui parle est Jésus arrivé à la veille de sa de donner sa chair en nourriture, son sang en breu ­
m ort, à une des heures les plus solennelles de sa vie. vage. S ’ il voulait instituer une sim ple figure, un m é ­
Les dernières recomm andations d'un hom me qui n ’ a m orial de sa charité, de sa passion, de sa personne, de
pas perdu connaissance doivent être très intelligibles : son Église, il devait bien se garder de dire aux Douze
car il se rend com pte que bientôt il ne sera plus là en leur m ontrant du pain : « Ceci est m on corps. » Car
pour les expliquer. Et Jésus n ’est pas pour les Douze évidem ment il leur laissait croire que son ancienne
un étranger, ses disciples ont été traités par lui avec promesse se réalisait alors à la lettre d ’ autant plus
une extrême bonté. Le suprême adieu qu ’ il leur a qu ’ au m ême m om ent, il leur prodiguait les m arques
adressé ne devait pas être une indéchiffrable énigme d ’amour les plus étonnantes : consolation, promesse
sur le sens de laquelle vingt siècles plus tard on discu ­ du Paraclet, don de paix, soin de leur corps, assu ­
terait encore. Comm e le dit Jülicher, ce qui vient rance de l'infaillibilité de leurs prières, garantie d ’un
d'une âm e rem plie d ’ém otion, de com passion et prochain retour et pour chacun d ’ eux d ’une place
d ’ am our doit être clair et simple; les énigm es sortent au ciel. Prendre un m orceau de pain et dire : « Ceci
de la tête et non du cœur. Plus une explication des est l'im age de m a personne, m angez-le, » ce serait
paroles de la cène est ingénieuse, subtile,com pliquée, couronner d ’ une m anière bien insignifiante une
plus elle est suspecte de n ’ être pas la bonne. La plus œ uvre m agnifique.
haute sublim ité et la plus grande sim plicité ne s ’ex ­ Encore, pour être ainsi com pris, Jésus aurait-il dû
cluant pas,les expressions si solennelles de Jésus à son parler autrem ent. Les apôtres ne sont pas des théo ­
dernier repas ont dû être im médiatement intelligibles logiens sym bolistes du xx® siècle, pas m ême des phi-
pour les assistants. E t s ’il en est ainsi, l ’exégèse ca ­ osophes. Ils appartiennent au m enu peuple. Ils n ’ ont
tholique, littérale est celle qui offre les m eilleures ga ­ pas une notion précise de ce qui, pour être contradic ­
ranties, car elle aboutit au sens le plus sublim e et toire, est impossible à Dieu. Le vulgaire et par consé ­
le plus sim ple; im possible de m oins torturer les m ots. quent les Douze considèrent le tout-puissant com me
La solennité extraordinaire dont le Christ s ’entoure un être qui ne se heurte à aucun obstacle et dont l ’ ac ­
insinue aussi que quelque chose de grand et d ’inouï tion ne rencontre aucune résistance. Pour l ’oriental,
va avoir lieu. Pierre et Jean, les apôtres privilégiés, le despote est celui dont la volonté n ’est pas con ­
préparent le repas; Jésus attend im patiem m ent cette trariée. Pour le Juif, surtout à l ’ époque du Christ,
Pâque. A la rigueur, ces détails peuvent être expli­ D ieu, c ’est l ’ Ètre dont la puissance ne connaît pas
qués par les com m entateurs qui n ’ acceptent pas le de bornes, le m aître de la vie et de la m ort, celui
sens littéral, m ais, à coup sûr, tout se justifie davan ­ qui dit et tout a été fait, le seul qui opère des m er ­
tage si Jésus va se donner lui-mêm e com m e agneau veilles, qui accomplit tout ce qui lui plaît, dont la
pascal. parole ne remonte jamais vide, car toujours elle exé ­
Il scelle de son sang une alliance, un testam ent. cute son m andat et rem plit sa m ission. O r, les
Ces actes ne peuvent être rédigés qu'en term es non apôtres avaient vu Jésus guérir des m alades, chasser
équivoques. Le testateur, surtout s ’il laisse quelque les dém ons, rendre les sens aux infirm es, ressus ­
chose dont ou ignorait l ’ existence, indique sans figure citer les m orts, com mander à la tempête, m ultiplier
ni am biguïté ce qu ’ il lègue. S ’ il demande qu ’en m é ­ les pains. Ils avaient entendu le Christ leur dire
m oire de lui on accomplisse un acte, il détermine que tout est possible à D ieu, M atth., xix, 26; les
avec soin son intention. L ’ancienne alliance avait été reprendre quand leur confiance sem blait chanceler.
conclue en des term es très clairs, Exod., xxiv : les M atth., xiv, 31; xvi, 8; xvn, 17 sq. Ils avaient fait acte
conditions, les engagem ents, les avantages étaient de foi quand Jésus leur avait promis sa chair à m an ­
bien stipulés. E t le legs qu ’offre Jésus n ’est pas facul­ ger. Joa., vi, 68, 69. Com ment adm ettre qu ’à la cène,
tatif : les disciples sont tenus de le recevoir; l'union ils aient été tentés de se dire : Il est vrai que le Christ a
qu ’ il offre de sceller ne doit pas être repoussée. « Pre ­ accom pli tous ces prodiges, m ais la transformation
nez, m angez, faites ceci en m émoire de m oi,«telles dont il est ici question de son corps et de son sang est
sont les paroles du Christ. Elles com m andent. D ieu tellem ent différente de ses autres m iracles, qu ’à ce
ne donne pas des ordres dont on ignore le sens, son m om ent, pour la première fois, il nous faut douter
code n'est pas un recueil de m étaphores. De m ême, que son pouvoir s ’étende aussi loin? Et peut-on sup ­
lorsqu ’ il im pose un dogm e, il m anifeste d ’une m anière poser que ces hom mes, qui si souvent ont entendu au
suffisante quel assentim ent il dem ande. Si les dis ­ sens littéral les paraboles et les allégories, aient con ­
ciples sont tenus de croire à ce qu ’ affirm e Jésus, clu : Prises à la lettre, les déclarations de Jésus à la
il faut qu ’ ils sachent ce qu ’ il leur dit. Et si c ’est un cène entraînent non seulem ent une dérogation aux
sym bole que leur présente le Christ, il doit le leur lois de la nature, m ais une contradiction ; donc il faut
faire savoir. Lorsque les Évangiles m ontrent le Sau ­ les entendre au sens figuré? W isem an, loc. cit.
veur instituant le baptêm e, donnant le pouvoir de Et si, avec les apôtres,nous croyons,nous aussi,que
remettre les péchés, conférant une autorité à ses dis ­ Jésus est Dieu qu ’il sait l ’avenir, com me le croient
ciples, ils em ploient des expressions sur le sens géné ­ beaucoup de protestants hostiles pourtant au dogm e
ral desquelles on ne se m éprend pas. de la présence réelle, est-il facile d ’adm ettre que le
Le quatrièm e Évangile atteste d ’une m anière spé ­ Christ ait em ployé un langage qui devait induire en
ciale que Jésus à la cène ne veut pas user d ’ images erreur et porter à l ’ idolâtrie presque tous les fidèles
incom préhensibles. Interrom pu m aintes fois par ses pendant plusieurs siècles et depuis le xvi® la m a ­
disciples, il s ’explique devant eux avec une extrêm e jorité des chrétiens, langage sur le sens duquel le reste
douceur. Il déclare qu ’il ne veut plus user de para ­ des hom mes hésite et ne peut encore aujourd ’ hui se
boles, qu ’ il n ’a plus de secrets pour eux, qu ’ils sont prononcer, langage qu ’ il suffisait de rem placer par
ses plus intim es confidents. Les Douze eux-m êm es le quelques m ots : Ceci est la figure de mon corps, de
rem arquent : « Voilà que vous parlez ouvertement et la passion, de l’Église, etc?
sans vous servir d ’ aucune figure, » xvi, 29. Sans doute, 3° Ce qu'a dit et fail Jésus.— Les textes qui attri-
1073 E U C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1074

huent à Jésus lui-m êm e l ’ institution de l ’eucharistie leçon longue.Si les versets 195-20 avaient étêsura;
et l'ordre de renouveler la cène sont-ils authentiques? tés, pourquoi l ’i nterpotateur n anrait-il pas aussi
Sont-ils concordants ou, au contraire, par leurs diver ­ emprunté à Paul l ’ordre de réitérer la consecration de
gences, ne perm ettent-ils pas de découvrir sous leur vin? Si, prim itivem ent, l ’ Évangile de saint Lac ne
form e actuelle une source prim itive m uette sur ces parlait que d ’ une coupe, comm ent un chrétien aurait-il
im portantes actions? Ém anent-ils de témoins sûrs, pu le m odifier assez m aladroitem ent pour qu'a sat
bien inform és? Le catholique doit le dém ontrer au ­ 1 perm is de se dem ander si, dans la leçon longue, il nés*.
jourd ’hui, car la controverse sur l ’ eucharistie porte pas question de deux coupes distinctes, akn que
surtout sur ces questions. Q uand il a établi ces con ­ l ’ usage liturgique n ’en adm ettait qu ’une? D autre
clusions, il peut donner la contre-épreuve, prouver part, tous les élém ents contenus soit dans le texte
que si on ne fait pas rem onter au Christ l ’ institution court, soit dans les versions syriaques se retrouvent
d ’ un tel rite, on aboutit à d ’ irrecevables hypothèses. dans la leçon longue; au contraire, ni D , ni la Peschito.
1. Jésus a /ail el dit ce qu’affirment les Évangiles et ni la curetonienne, ni la ludovisienne ne contiennent
saint Paul. — a) Les témoignages des écrivains du tout ce qui est dans les autres recensions. A insi, tou ­
Nouveau Testament sur la cène sont authentiques. — tes les form es autres que la longue ne m entionnent
C ’ est à peine si un ou deux critiques non croyants qu ’un calice, et dans chacune d ’elles la réduction
m ettent en doute l ’origine paulinienne de la I rc Épître des deux coupes est opérée d ’ une m anière particu ­
aux Corinthiens (Bruno Bauer, Steck, van M anen) et il lière. Cette diversité s'explique fort bien si chacun
est aujourd ’hui d ’usage, m ême dans les m ilieux non des rédacteurs a voulu rem anier arbitrairem ent; un
catholiques, de ne faire aucun cas de leur sentiment. texte où il était parlé de deux coupes, ne se com prend
V olter, Paulus und seine Briefe, Strasbourg, 1905, guère si primitivem ent il n ’y en avait qu ’ une. Com ­
p. 32 sq., a cru découvrir dans cette lettre plusieurs m ent expliquer que Luc se soit arrêté après avoir
interpolations : cc n ’est pas saint Paul qui aurait raconté la consécration du pain? Il veut évidem ment
rédigé le c. x où se trouve, 17-22, la com paraison entre décrire l ’ institution de l ’eucharistie, puisqu ’il com ­
les sacrifices païens, les sacrifices juifs et le rite m ence ce récit. A urait-il eu un oubli? C ’est invraisem ­
chrétien. E t dans les recomm andations de l ’apôtre blable. D ésirait-il rectifier les narrations des autres
sur le repas du Seigneur, le récit de la cène accom ­ témoins? Rien ne trahit cette intention. La tradition
plie par Jésus, xi, 23-28, serait une interpolation. tout entière, les liturgies sont en opposition avec le
V olter, pour dém ontrer cette affirmation s ’appuie sur récit du texte court. E t les om issions de cette recen-
des contradictions qu ’il prétend apercevoir entre ce . sion ne peuvent s ’ expliquer par des Conceptions doc ­
qu ’ il attribue à saint Paul et cc dont il lui refuse la trinales, soit judaïsantes, soit pagano-chrétiennes,
com position. M ais il est le seul qui les observe et soit hérétiques; la consécration du pain n ’ est-elle
tout, au contraire, dans les ch. x et xi, sem ble accuser pas relatée dans des termes semblables à ceux qu ’em ­
un m ême auteur. Les critiques non croyants sont ploient les deux autres Synoptiques?
presque tous d ’accord sur ce point avec les catho ­ On peut deviner d ’ ailleurs pourquoi, si le texte
liques et les protestants conservateurs. Inutile donc long était prim itif, des copistes l'ont raccourci. Il
de prouver plus longuem ent que saint Paul a raconté I y était parlé deux fois d ’ une coupe, 17-18, 20. O r, il
l ’ institution de l ’ eucharistie. n ’ en était ainsi ni dans les trois autres récits, ni dans
Plus difficile est la question soulevée par l ’ existence les liturgies. Des rédacteurs se sont crus en face de dou ­
des diverses recensions du texte de Luc. Quelle est blets. aussi ont-ils voulu harmoniser la narration de
la leçon prim itive? Zahn s ’ est prononcé en faveur de i Luc avec celles des deux autres Synoptiques et avec
la version attestée par la curetonienne, Einleilung in l ’ usage. D ire que la m éprise est impossible est une
das Neue Testament, Leipzig, 1900, t. n, p. 360; per ­ affirm ation gratuite. Beaucoup de variantes du m a ­
sonne ne l ’a suivi et il est difficile de com prendre com ­ nuscrit D accusent un transcripteur négligent. M ais,
m ent ce texte aurait pu donner naissance aux autres. objecte-t-on, il aurait dû supprimer la coupe des ver ­
Cf. Goguel, op. cil., p. 113. A la suite de W estcott et sets 17 et 18 plutôt que celle du verset 20. C ’ est évi­
de H ort, un grand nom bre de critiques croient que dem ment ce qu ’ il aurait dû faire s ’ il avait été adroit,
la recension courte émane de Luc : telle est, en parti ­ rien ne prouve qu ’ il l ’était. Et,précisém ent, c ’est ce
culier, l ’opinion d ’A ndersen, op. cil., p. 20, et de Loisy, qu ’ont réalisé la Peschito et la ludovisienne.
op. cil., 1.1, p. 160; t. il, p. 528. Le troisièm e Évangile Les partisans de D font observer qu ’ ils rendent
n ’aurait donc m entionné ni le récit de la consécra ­ très bien com pte du m otif de l'addition des ver ­
tion de la coupe, ni l ’ordre de réitérer la cène. Blass, sets 19 b et 20 par un copiste. Le texte court de
Evangelium secundum Lucam, Leipzig, 1897, suppo ­ Luc paraissait étrange. A l ’aide de ses souvenirs, ou
sant que Luc a donné deux éditions de son ouvrage, de traditions orales ou d ’ em prunts auprès de saint
soutient m ême que la prem ière ne contenait pas les M arc et de l ’ Épître aux Corinthiens, le transcripteur
versets 19 et 20; dans la seconde il aurait inséré le l ’ aura complété. La prem ière m oitié du ÿ. 20 est prise
ÿ. 19 a, qu ’ un copiste aurait complété par l ’addition dans la lettre de saint Paul, la seconde m oitié dans le
des versets 19 b et 20. deuxièm e Évangile. O r saint Luc, pour rédiger les
L ’ authenticité du texte long a été défendue non A ctes, n ’a jam ais utilisé les Épîtres ; donc il ne s ’ en est
seulem ent par les catholiques (Berning, Batiffol), pas servi non plus pour com poser son Évangile. Enfin,
m ais encore par beaucoup de critiques protestants l ’ om ission de l ’ordre de réitérer la consécration de la
et incroyants (Tischendorf, M erx, Spitta, Jülicher, coupe, l ’ insertion peu correcte du dernier participe,
Schm iedel, W . Schm idt, Schultzen, R.-A. H offmann, ÿ. 20, έν τώ α ’ ματί μου τό υπέρ υμών έχχυν.όυ-
Crem er, Resch, Lichtenstein, Feine, O. H oltzm ann, sem blent être des m aladresses et, com m e telles, elles
Clem en, W . Bauer, G oguel, etc.). D ’excellents argu ­ paraissent plutôt im putables à un scribe inexpéri­
m ents ont été invoqués en faveur de cette thèse. Sans m enté qu ’à l ’évangéliste.
doute, la recension courte est très ancienne, attestée M ais il est facile de répondre que les versets 19 5-2C
par deux traditions (non concordantes), l ’une occi­ ne correspondent littéralem ent à aucun autre des
dentale, l'autre syriaque. M ais le texte long a pour trois récits de la cène; le texte long ne reproduit ser ­
lui tous les m anuscrits grecs sauf D , la plupart des vilement ni le récit de saint M arc ni m ême celui de
m inuscules et des versions : c ’ est le seul que con ­ saint Paul. Il om et, ajoute, m odifie. Et m ême si 19
naissent les anciens écrivains ecclésiastiques. 5-20 étaient identiques au passage correspondant de
L ’ exam en critique des textes est favorable à la l ’apôtre, on ne devrait pas conclure im médiatem ent
1075 E U C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN T E ÉC R ITU R E 1076

que saint Luc a utilisé l ’Épître aux Corinthiens; [ l ’action de grâces est-elle faite d ’abord sur le vin?
l'évangéliste et Paul pourraient se servir d ’ une source | Pourquoi, après avoir parlé de la coupe, Jésus s ’ inter ­
comm une, écrite ou orale. Q uant aux deux prétendues rom pt-il afin de présenter le pain et de revenir ensuite
m aladresses qu ’ il est plus facile, dit-on, d ’ attribuer à à elle? Pourquoi le vin est-il consacré le prem ier, dis ­
un copiste qu ’ à Luc, sont-ce vraim ent des m ala ­ tribué le second? Pourquoi le donner une prem ière
dresses, n ’ont-elles pu être voulues par l'évangéliste fois pendant le repas, une seconde fois après? Enfin,
lui-mêm e? Berning, op. cit., p. 41. ajoute V iteau, pour échapper à ces difficultés, il ne
L ’ étude exégetique du texte de D confirm e les suffit pas de dire qu ’il s ’agit des deux coupes diffé ­
conclusions auxquelles aboutissent l ’exam en des té ­ rentes, l ’ une pascale, 17-18, 1 ’ autre eucharistique, 20,
m oignages et les recherches de critique textuelle. Sous car, au ft. 17, il est parlé d'une coupe (le grec n ’a pas
la form e qu ’elle a dans le codex Bezœ, la recension l ’ article), au verset 20 de la (τό) coupe, c ’est-à-dire
courte ne peut's ’ expliquer. Personne n'a pu découvrir de celle dont l ’ auteur a déjà parlé, il n ’y en a donc
pourquoi, si la coupe du jL 17 est eucharistique, elle qu ’ une. Si d ’ailleurs on soutient le contraire, on se
est m entionnée avant le pain, contrairem ent à l ’ordre condamne à donner au m ême m ot, rendre grâces, deux
attesté par les autres témoins, les Pères et la pratique sens différents, et cela, à très petite distance. Car, au
universelle. Soutenir qu ’ elle est une coupe pascale seu ­ 1. 17, saint Luc écrit : « Jésus ayant pris la coupe et fait
lem ent aggrave la difficulté : pourquoi n ’ est-il pas l’action de grâces, etc. »; puisqu ’ il s ’agit de la coupe
question de la consécration du vin? La tradition lui pascale, le verbe a ici le sens de bénir. A u ÿ. 20, il est
attribue pourtant une grande im portance. Saint Luc, affirm é que le Christ traita le vin comm e il avait traité
dira-t-on, ne voulait que m arquer le lien entre la le pain (voir ÿ. 19), donc qu ’ il fit l'action de grâces;
Pâque et la fête chrétienne et il suffisait à son but de m ais puisqu ’ il s ’agit de l ’ eucharistie, cette fois le verbe
m entionner la consécration du pain. Qui le prouve? Et signifie consacrer. Au reste, si la prem ière coupe n ’était
s'il en est ainsi, pourquoi s ’ est-il étendu plus longue ­ que pascale, pourquoi Jésus la bénirait-il; pourquoi
m ent sur le rite m osaïque que sur la cérémonie nou ­ l ’ évangéliste estim erait-il ce m enu détail digne d ’ être
velle. Si telle était son intention, il dit trop ou trop relaté; pourquoi entourerait-il d ’ une telle solennité un
peu. Puis on a le droit de se dem ander pourquoi le acte si ordinaire?
parallélisme des premiers versets s ’arrête brusque- | On pourrait d ’ abord être tenté de répondre avec
m ent : 15 (m anducation de la Pâque) s ’ opposait fort saint A ugustin, De consensu evangelistarum, 1. Ill,
bien à 17 (présentation de la coupe) ; 16 (parole escha- c. i, η. 2, P. L., t. xxxiv, col. 1157, plusieurs com ­
tologique sur la Pâque) correspondait à 18 (parole m entateurs anciens et quelques m odernes, qu ’ il n ’ y
eschatologique sur la coupe). On attend donc après le a eu en réalité qu'une coupe, celle de l ’ eucharistie;
récit de la consécration du pain celui de la consécra ­ que les détails des versets 17 et 18 sont donnés d ’ une
tion du vin. Enfin, le y. 21 se rattache m al au ÿ. 19 a. m anière anticipée, les m ots : « Je ne boirai plus du
Pour résoudre ces difficultés et celles que lui paraît fruit de la vigne, » étant appelés en quelque sorte
soulever le texte long, M . V iteau, L ’Évangile de l’eu­ par ce que Jésus dit de la Pâque dont il ne m angera
charistie, dans la Revue du clergé français, 1904, plus. L'hypothèse pourtant ne va pas sans difficulté
t. χχχιχ,ρ. 8 sq., propose un rem aniement com plet du et ne rend pas compte com plètem ent de la double
texte de la recension courte. L ’ordre prim itif serait le action de grâces; elle ne correspond pas à l ’ idée que
suivant : 14, 15, 16, 19 a, 17 (tel qu ’ on le lit aujour ­ se ferait de la cène un lecteur non prévenu qui la
d ’ hui plus les paroles perdues de la consécration de la connaîtrait seulem ent par le texte de Luc.
coupe), 18, 21, 22, 23. Le récit qu ’on obtient est alors La plupart, sinon toutes les objections peuvent
très cohérent, conforme aux souvenirs traditionnels. être fort bien résolues parles exégètes qui voient dans
M ais comm ent expliquer le texte long? Un copiste qui le texte long le récit de deux actions distinctes, la
aurait connu ce passage — il l ’aurait em prunté à un Pâque et la cène (Berning, Rose, van Crom brugghe,
Évangile prim itif — l ’ aurait inséré dans son m anu ­ Schanz). L ’ évangéliste raconte d ’ abord la fête juive
scrit après le )L 19 a. Comm e il y avait alors deux con ­ que Jésus a vivem ent désiré m anger avec ses disciples.
sécrations de la coupe, celle du y. 17 fut supprimée et Il y fait circuler une des coupes prévues par le rituel et
ce verset ainsi que le suivant furent placés après le l ’accompagne des m ots : « Je ne boirai plus du fruit de
>. 16. La supposition est ingénieuse. M ais elle est en la vigne. » Cette Pâque est décomposée en deux actes,
réalité une suite d ’hypothèses. Et si des difficultés pour pouvoir être m ieux opposée à la cène qui com ­
disparaissent, d ’autres surgissent : pourquoi un copiste prend deux consécrations : le parallélisme est remar ­
a-t-il surchargé un texte déjà complet? Pourquoi son quable : 15 et 16,17 et 18,19 a et 19 b, 20 a et 20 b se
addition comm ence-t-elle aux m ots « donné pour correspondent : chaque fois, il y a le récit de l'acte et
vous »? Comm ent attribuer le parallélisme si régulier l ’ indication du sens du rite. Toutes les difficultés
de 15-18 à une série de bouleversem ents? Quoi qu ’il en disparaissent. Il est parlé deux fois de coupe, parce
soit d ’ailleurs, il faut noter que, selon M . V iteau,si saint qu ’ il est question de deux calices distincts. La m andu ­
Luc n ’avait pas écrit le récit de la consécration du cation de l ’agneau pascal est suivie de la présentation
vin dans les term es où elle est rapportée par le texte d ’ une coupe pascale, la réception du pain eucharis-
long, il avait du m oins primitivem ent cité les paroles tique accom pagnée de celle du vin eucharistique. Ce
prononcées par Jésus sur la coupe eucharistique. Ce n ’est donc pas la coupe qui est consacrée en prem ier
qui est authentique, ce n ’est donc pas la recension de lieu. Jésus, après avoir présenté le vin, n ’ attend pas
D, c ’ est une form e un peu m oins courte et perdue avant de le distribuer, il le donne une prem ière fois et
aujourd ’ hui. les disciples boivent; puis de nouveau il le distribuera,
A u lieu d ’ imaginer cette explication qui m anque m ais cette fois il sera consacré. Le langage solennel du
de base,il est plus sage et il n ’est pas im possible de Christ sur la prem ière coupe n ’ est pas inexplicable,
faire l ’ exégèse du texte long. Les particularités dont m êm e si elle est seulement pascale; il a pu parler d ’elle
il faut rendre com pte sont les suivantes : pourquoi com m e il a parlé de la Pâque, dans les m êmes term es.
est-il question à deux reprises de la coupe, 17, 20? « L ’article du ÿ. 20 pourrait bien n ’ être pas intention ­
Pourquoi Jésus fait-il sur elle deux fois l ’action de nel : s'il se rencontre chez saint Paul, il fait défaut
grâces, 17, 20? Pourquoi, dit encore V iteau, loc. cil., chez saint M arc et chez saint M atthieu; et,le fût-il,il
p. 8 sq., la m anducation de la Pâque, dont parlent les serait très bien à sa place au verset 20 pour désigner
versets 15 et 16, n ’est-elle pas imm édiatement suivie le calice κατ ’ έξοχήν, le calice eucharistique, tandis,
de la m anducation du corps du Christ? Pourquo que, d'autre part, il ne convenait guère pour désigner/
•1077 E U C H A R ISTIE D ’ A PR ÈS LA SA IN TE ÉC R ITU R E 1078

l ’ un des trois ou quatre calices du repas pascal.» Van ticité des divers témoignages. Il reste a eraùLr que
Crom brugghe, dans la Bevue d’histoire ecclésiastique, l’historien peut les utiliser pour reconstituer les actes
Louvain, 1908, p. 333. Le verbe « rendre grâces » et fixer les intentions de Jésus-Christ lui-mêm e. Des
employé au y. 17, sous-entendu au y. 20, a le m ême sens critiques ont cru découvrir entre les divers récits
dans les deux cas. Il correspond au m ot « bénir»qu ’ em - une opposition qui infirm erait leur autorité. Us se
ploient à piopos du pain saint M arc et saint M atthieu. sont dem andé si on ne pouvait pas surprendre à tra ­
Donc, il peut ne pas signifier consacrer, m ais pronon­ vers et derrière eux une source : - terd-ae
cer une prière d’actions de grâces ou d’offrande à Dieu. aujourd ’hui, différente de la traditio:: « r :·. et qui.
Cette explication «se rccomm andede la form e aoriste seule, se rapprocherait du fait accom pli. C'est ce tra ­
du verbe, em ployée pour exprim er une consécution vail qui doit être vérifié.
entre les divers actes décrits et le caractère secon ­ La cène, telle que nous la connaissons, se compose
daire de la bénédiction; ...elle se trouve confirm ée de la déclaration eschatologique, de la consécration et
par le sens prim itif de εύχαριστεϊν qui ne com ­ de la distribution du pain et du vin, des paroles de
porte en aucune façon l ’ idée de consécration. » Les l'institution. Q u ’a fait et dit Jésus?
m ots « ayant rendu grâces » peuvent donc avoir le a. Jésus a prononcé le logion eschatologique. — On
m ême sens dans les deux présentations de la coupe. ne conteste pas l ’historicité de l ’ affirm ation : « Je ne
■ Et ainsi se trouvent infirm ées l ’hypothèse d ’ une boirai plus désormais du fruit de la vigne. » Sans
double consécration et celle d ’une inversion de l ’ordre doute, saint Paul ne rapporte pas ce logion; m ais il
habituel dans la présentation du pain et du vin con ­ écrit pour prouver plutôt que pour raconter : aussi
sacrés. » Van Crom brugghe, loc. cit., p. 33. M . M an- va-t-il droit à son but, négligeant tout ce qui ne peut
genot, Les Évangiles synoptiques, p. 463, présente lui servir d ’argum ent et n ’ est pas nécessaire pour la
cette explication sous une forme qui la rend encore cohésion et l ’ intégrité substantielledu récit. D ’ailleurs,
plus probable. Il propose de voir, dans la coupe si cette parole — et c ’ est une opinion assez répandue
m entionnée par saint Luc, la prem ière du repas pas ­ — a été prononcée sur une coupe pascale et non sur
cal, la coupe du kiddûé sur laquelle était prononcée le vin eucharistique, l ’apôtre n ’avait pas à la repro ­
la parole : « Sois loué, Éternel, notre D ieu, roi de duire. Enfin, sa narration n ’exclut pas ce m ot. On
l ’um vers qui as créé le fruit de la vigne. » Ces der ­ a pensé ausssi que saint M atthieu et saint M arc ne
niers m ots préparaient très bien l ’affirm ation : « Je parlent pas tout à fait comm e saint Luc (jusqu ’ à
ne boirai plus du fruit de la vigne...» ce que je le boive nouveau dans le royaume de m on
A cette interprétation, des critiques ont opposé une Père, M atth., M arc; jusqu'à ce que le royaum e de
objection assez spécieuse. L ’équivalent du ÿ. 18 : « Je Dieu soit venu, Luc). Il ne faut pas s ’en étonner;
ne boirai plus du fruit de la vigne » se retrouve dans les l'auteur du troisième Évangile,plus préoccupé que les
récits de M atthieu et de M arc; et, cette fois, la parole deux autres des païens, atténue ce que les im ages
est rattachée à la consécration de la coupe eucharis­ empruntées à l ’eschatologie juive pouvaient avoir
tique. C ’est donc encore de cette coupe que parle saint de choquant pour certains lecteurs. Au reste, l ’au ­
Luc au ÿ. 18. Cette observation suppose que les Synop ­ thenticité de la déclaration du Christ est garantie
tiques se sont astreints à reproduire selon un ordre par son propre contenu ; l ’ idée du banquet m essia ­
chronologique très rigoureux les paroles de la cène. nique est fam ilière à Jésus; la pensée ém ise est à sa
M ême, s ’ il en est ainsi, d ’ailleurs, on peut résoudre place, en ce m oment : c ’ est un m ot d ’adieu et une
la difficulté. Les deux premiers évangélistes qui ne allusion au prochain rendez-vous.
décrivent pas le festin pascal et qui voulaient cepen ­ b. Jésus a présenté le pain comme son corps, le vin
dant garder le souvenir de la parole : « Je ne boirai comme son sang.— La consécration et la distribution
plus... » ont dû la rattacher à la distribution de la de la coupe eucharistique ont été niées ou m ises en
seule coupe qu'ils m entionnent. doute par plusieurs critiques. Goguel, op. cit., p. 84 sq. ;
Ceux qui ne trouveraient pas cette réponse satis ­ Brandt, op. cit., p. 290 sq.; Pfleiderer, Das Urchris-
faisante pourraient se souvenir de l ’hypothèse de tentum, seine Schriften und Lehren, Berlin, 1902, L i,
M gr Batiffol. Op. cil.,p. 32-33. Voir aussi Feine, Eine p. 387; J. W eiss, Die Predigl Jesu vom Ueiche Goltes,
vorkanonische Ucberliejerung des Lukas, p. 62. Saint G œ ttingue, 1900, p. 198. Sans aller aussi loin, d ’au ­
Luc « aurait donné, 19-20, le récit de la cène conform e tres soutiennent du m oins que l ’ insertion de l ’ idée
à la tradition de saint Paul... » D ’autre part, il aurait d'alliance dans les paroles prêtées à Jésus est une
connu une autre tradition du m êm e événem ent « où interpolation paulinisante. Ils observent que la for ­
des traits accessoires étaient notés qu ’fil] n ’a pas m ule prononcée sur la coupe est citée sous une forme
voulu om ettre et qu ’ il a placés com me à la m arge spéciale, par chacun des quatre témoins, et que si on
du prem ier texte; » ce sont les versets 15-18.11 est peut, à la rigueur, rapprocher celle de M atthieu de
vrai que cette hypothèse ne s ’accorde pas très bien celle de M arc, celle de Luc de celle de Paul, les deux
avec ce que nous savons des habitudes de saint form es auxquelles on aboutit ainsi sont tout à fait
Luc, écrivain qui d ’ordinaire utilise m ieux ses sources; différentes l ’ une de l ’autre. W rede, dans Zeitschrift
ici, il se contenterait de m ettre bout à bout des ré ­ fur die neutestamenlliche Wissenschafl und die Kunde
cits au risque de trom per le lecteur et de paraître des Urchrislentums, 1900,p. 69 sq., a m ême cru décou ­
contredire les récits parallèles. vrir la trace du remaniem ent qui a introduit dans la
Le théologien n ’est pas obligé de choisir : il con- form ule prim itive des deux prem iers Synoptiques :
s tate que les explications satisfaisantes du texte Ceci est mon sang, la m ention de l ’alliance. Les expres ­
long ne m anquent pas. Cette étude lui perm et de dé ­ sions de M atthieu et de M arc, το αίμα μου της όιαίς χης ,
gager les conclusions suivantes : Les tém oins de la leçon qui lui semblent lourdes et incorrectes, lui prouvent
longue sont les plus nom breux; la critique textuelle que prim itivem ent on lisait : το αίμα μου com me on
favorise cette recension et,tandis qu ’ il est im possible lit encore au sujet du pain : t ô σώμα μου et que, sous
de faire l'exégèse du texte court, on rend raison de la l ’ influence de la tradition paulinienne, on a cousu
forme com m une. tant bien que m al à une phrase déjà faite la m ention
Les dépositions de saint Paul et de saint Luc de l ’alliance. Et Bousset, Die EvangeliencilaU Jus-
dem eurent donc entières, elles émanent d ’ eux. tins des Martyrers, G œ ttingue, 1891, p. 112 sq.,
b) Les témoignages sont concordants et ne permettent rem arque, à l ’appui de ce sentiment, que la relation de
pas de découvrir une source primitive qui les contredirait. ]a cène conservée par saint Justin, A pol., L l x v i .P. G.,
— Tout n'est pas dit quand on a démontré l ’authen ­ t. vi, col. 428, fait prononcer par Jésus sur la coupe ces
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seuls m ois : Ceci est mon sang. D ’ailleurs, l ’ idée d ’une employé pour désigner le prem ier. V oir Berning, op.
alliance qui scellerait l ’absorption du sang par les cit., p. 201-204. La chair, σαρξ, désigne au sens pro ­
fidèles est une pensée d ’ origine pagano-chrétienne : un pre ce qui n ’est ni os ni sang; et ce term e a le tort,
juif aurait considéré cet acte com me une im piété, lorsqu ’ il est pris dans une acception plus large, de
l ’ antique alliance avait été établie par une aspersion signifier plusieurs choses : l ’hum anité («toute chair »),
et non par une consom mation du sang des victim es. la parenté (deux en une seule chair), l'hom m e consi­
Ce n ’est pas Jésus, ce ne sont pas ses prem iers dis ­ déré au point de vue de sa faiblesse, la personne hu ­
ciples qui ont pu im aginer pareil concept. Goguel, m aine. Parfois m êm e, il est synonym e du m ot «corps».
op. cil., p. 84. Ce ne sont pas eux non plus qui consi­ A insi, pour relater la promesse de 1 ’eucharistie, saint
déraient le judaïsm e com me une form e religieuse Jean qui écrit à une époque où la formule « Ceci est
abolie et rem placée par un pacte nouveau : les pre ­ m on corps » est connue, parle de la chair et du sang
m iers chrétiens sont de corrects et zélés observateurs du Fils de l'homm e, vi, 52-57. Il est donc im possible
de la Loi. B randt, loc. cit. Non seulem ent la for ­ de tirer de l ’em ploi du m ol corps un argum ent contre
m ule semble étrange, le rite ne le paraît pas m oins : l ’originalité de la formule : «Ceci esl m on sang; » et
« Le corps et le sang ne s ’opposent pas connue l ’on com prend pourquoi le term e de chair n ’ est pas
distincts l ’ un de l ’ autre et cependant, formant un choisi. Au reste, il a quelque chose de plus grossier
tout par leur réunion, le second est une des parties et de plus répugnant. Si l ’eucharistie, ce qui est l ’idée
constitutives du premier; > donc, ils «n ’appartiennent non seulem ent de Paul, m ais des Synoptiques, est en
pas à la m ême couche de la tradition...; si l ’on avait rapport avec la passion, il faut conclure que les for ­
voulu donner un parallèle au sang, on n ’aurait pas m ules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, font
ajouté le corps, m ais la chair. · Goguel, loc. cit. On im age et m ontrent la m ort m ême du Sauveur, lesang
croit m ême que primitivem ent le rituel de la cène ne qui s ’échappe de son corps. Enfin, s ’ il était vrai que
com prenait pas le vin : l ’acte était connu sous le nom le sang appelât par opposition la chair et non le corps,
de fraction du pain, Ad., n, 42; pendant longtemps,il la présence de ce dernier m ot prouverait que le récit
y eut incertitude sur le contenu de la coupe; les récits prim itif n ’a pas été m odifié, un interpolateur ayant
de la m ultiplication des pains ne parlent pas du vin. dû éviter toute gaucherie d ’ expression; et ainsi le
Brandt et G oguel, loc. cit. term e corps, dans un endroit où on ne l ’attend pas,
Ces argum ents peuvent être réfutés. Il est inexact s ’ expliquerait seulem ent parce que le Christ l ’aurait
que pendant longtemps les fidèles aient hésité sur la choisi et que nul n ’aurait osé m odifier sa parole.
liqueur à consacrer : le vin est m entionné par des Les arguments tirés delà présence du m ot «alliance·
témoins les plus anciens; la thèse de H arnack sur ne sont pas plus concluants. Plusieurs critiques non
l’ eau, élém ent eucharistique, a été rejetée par les catholiques adm ettent l ’authenticité de cette m ention
savants de toute école et son inventeur sem ble plus (Spitta, H aupt, H . J. H oltzm ann, R. A. H offm ann, etc.).
prudent. Les aquariens connus de l ’histoire appa ­ Saint Justin ne parle pas d ’alliance, il est vrai. M ais
raissent soit com m e des hérétiques m anichéens ou I son récit ne dérive pas d ’ une source spéciale, il vient
gnostiques, soit com m e des simples et des ignorants; des Évangiles et de Paul, il leur est postérieur, certai­
ils n ’ invoquent pas la tradition, m ais des argum ents nem ent incom plet ou plutôt abrégé : on n ’y trouve ni
philosophiques ou théologiques,leur théorie a toujours la fraction, ni la déclaration eschatologique dont per ­
été rejetée par l ’ Église. V oir t. i, col. 1724-1725. Si le sonne ne soupçonne pourtant l ’authenticité. L ’apolo­
vin n ’apparaît pas dans les récits de la m ultiplication giste écrit pour dém ontrer à <ies païens qu ’ il n ’y a
des pains, on ne peut en être surpris, cet épisode est rien de subversif dans la com munion chrétienne; la
seulem ent une figure de l ’ eucharistie. A Cana, le vin parole sur l ’alliance eût été incompréhensible pour
seul est m entionné, faut-il conclure que prim itive ­ ses lecteurs. L ’était-elle aussi pour les disciples de
m ent le pain n ’était pas en usage à la cène? Q uant au Jésus? L ’ idée d ’alliance fam ilière à saint Paul était-
choix des m ots fraction du pain pour désigner la com ­ elle étrangère à l ’enseignem ent du Christ, comm e le
m union, il est im possible d ’ en tirer la conséquence que soutient Loisy? Op. cit., t. n, p. 533, 538. D ’abord,
dégage Brandt. Q uelqu ’ un veut nom m er l ’eucharistie, la notion d ’ un pacte scellé par le sang était connue
il pense d'abord au pain qui est consacré en prem ier des Juifs, le récit de l ’Exodc n ’ a pas été inventé par
lieu. Cela fait, comm e il se rend com pte qu ’il a été saint Paul; les sacrifices rapprochaient de l ’autel de
compris, il ne juge pas à propos de parler du vin. Si Jahvé, faisaient entrer en com munion avec lui, étaient
le livre des A ctes faisait une description com plète du propitiatoires. Il n ’était pas nécessaire d ’ être un dis ­
rite, on devrait trouver étrange qu ’ il parlât seulem ent ciple de l ’apôtre ni m ême de Jésus pour le savoir. Et
d ’ un élém ent; m ais il se contente de désigner la cène si, com m e le veut Loisy, loc. cit., p. 533, note 2. il
en deux m ots; cette locution doit être bien choisie, n ’ est nulle part dans l ’Évangile question de nouvelle
m ais elle ne peut tout dire. Si on voulait la prendre alliance, les Douze pouvaient, en raison de leur édu ­
d ’ ailleurs à la lettre, on devrait conclure que les pre ­ cation première et de leur vieille foi, com prendre la
m iers chrétiens rom paient le pain, m ais ne le m an ­ formule de la cène. L'histoire de l ’Ancien Testament
geaient pas. A ujourd ’hui, les catholiques se servent est le récit des diverses alliances de Dieu avec les
du m ot communion pour désigner l ’eucharistie; ils hom m es (Noé, A braham , les patriarches, les descen ­
n ’ excluent par ce terme ni la fraction, ni la consé ­ dants de Jacob, les prêtres et les lévites, D avid, etc.),
cration. et les livres prophétiques annonçaient le futur pacte
Le corps et le sang se repousseraient-ils? D ’abord, il éternel, Is., l v , 3; l i x , 21; l x i ,8; alliance nouvelle et
faut noter que le pain et le vin se com plètent fort sans fin, Jer., xxxi, 31; xxxn, 40; union de sainteté
bien. E t on doit ajouter que si Jésus a voulu instituer et de paix, Ezech., xvi, 60, 62; xxxiv, 25; fiançailles
un festin spirituel, il est fort convenable qu ’ il y ait irrévocables dans la justice, la grâce et la tendresse.
placé les deux com posants de tout repas, l ’aliment et Ose., n, 18 sq. Sans doute, les prem iers chrétiens ne
la boisson, par conséquent son corps et son sang. M ais I rom pirent pas avec la vie juive, n ’ ém igrèrent pas hors
il aurait dû parler de chair et de sang, objecte-t-on, du temple. N éanm oins, ils pouvaient fort bien com ­
s ’ il avait vraim ent voulu présenter deux m ets;car, prendre que l ’alliance proposée par Jésus était non
seuls, ces m ots s ’opposent. Au contraire, le sang fait ( une destruction, m ais un renouvellem ent, une conti-
partie du corps. Il faut observer d ’abord que Jésus par ­ nuation, un perfectionnem ent opéré par celui qui,
lait araméen et que si nous croyons qu ’ il a présenté loin de venir abolir la loi, voulait l ’ am ener à sa pléni-
son corps et son sang, nous ignorons quel m ot il a I tude. Si le Christ n ’ avait jamais expressém ent parlé
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de l ’ alliance nouvelle, prononcé le m ot, il ne s'ensui­ rappelé par l'Exode, xxiv, 8; seulement dans le pre ­
vrait pas qu ’ il lui était impossible de le faire à la m ier, l ’accent est m is sur l ’alliance, dans l ’autre il
cène. On ne peut poser en principe qu ’ il n ’a pas pu l ’est sur le sang. Paul el Luc songent surtout à l ’ins ­
parler d ’ un sujet sans en avoir parlé auparavant. titution nouvelle; M atthieu et M arc insistent sur la
Poussée à bout, cette affirmation prouverait qu ’ il n'a nature des dons offerts aux Douze. Les deux premiers
jamais parlé de rien. Évangiles ne disent pas que l ’alliance est nouvelle
A urait-il dû s ’ exprim er autrem ent sur l ’ alliance; (voir pourtant certains m anuscrits), le troisièm e et
la présentation du sang à boire offre-t-elle quelque l ’apôtre l ’affirm ent ; m ais la pensée est sem blable : puis ­
chose d ’ invraisem blable? Sans doute, si ce liquide qu ’ il y a dans les quatre récits allusion à l ’alliance
avait été présenté tel qu ’ il s ’ échappa du côté de antique, dans les quatre, c ’est d ’ une nouvelle alliance
Jésus ouvert par la lance, les disciples, des Juifs, qu ’ il s ’agit. M atthieu et M arc, écrivant surtout pour
auraient hésité à le boire. M ais il leur apparaissait des judéo-chrétiens, m ontrent que Jésus est venu
sous la forme du vin et les D ouze étaient si peu habi ­ réaliser les figures, accom plir la loi, ils parlent donc
tués à douter de la parole du M aître que l ’ordre du de l ’ alliance par excellence, l ’alliance sans épithète,
Christ devait forcer toutes leurs répugnances. A insi, celle qu ’attendait tout bon Juif de l ’ époque: Luc et
plus tard Pierre, qui n ’avait jam ais rien m angé de Paul ont présente à l ’ esprit une autre conception
profane ni d ’ im pur, A ct., x, 14, se sentit rassuré par qui n'est pas m oins exacte : le pacte conclu avec Israël
l'affirm ation d ’ un ange, x, 28. E t si le sang des vic ­ est remplacé par un nouveau traité auquel sont
times qui scella la prem ière alliance fut répandu sur adm is

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