Vous êtes sur la page 1sur 4

Document généré le 16 fév.

2023 03:43

Les Cahiers de droit

Elias DASKALAKIS, La criminologie de la réaction sociale,


Athènes, Sakkoulas, 1985, 163 p.
Antoine Manganas

Volume 28, numéro 1, 1987

URI : https://id.erudit.org/iderudit/042803ar
DOI : https://doi.org/10.7202/042803ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)
Faculté de droit de l’Université Laval

ISSN
0007-974X (imprimé)
1918-8218 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu


Manganas, A. (1987). Compte rendu de [Elias DASKALAKIS, La criminologie de
la réaction sociale, Athènes, Sakkoulas, 1985, 163 p.] Les Cahiers de droit, 28(1),
241–243. https://doi.org/10.7202/042803ar

Tous droits réservés © Faculté de droit de l’Université Laval, 1987 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.


Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
Chronique bibliographique

Elias DASKALAKIS, La criminologie de la criminologiques de l'École Pantios. Ceci ne


réaction sociale, Athènes, Sakkoulas, doit pas paraître étonnant car, en Europe,
1985, 163 p. ce sont très souvent les juristes qui ensei-
gnent les sciences criminelles, ce qui n'est
pas sans certains avantages étant donné
1. L'auteur qu'ils possèdent une vue différente de ceux
qui sont formés uniquement en criminologie
Après le dur coup causé par le décès pré-
ou en sciences sociales.
maturé de notre collègue de l'Université de
Montréal et vice-président de la Commis- Dans son nouveau domaine, Elias
sion de réforme du droit du Canada Jacques Daskalakis a travaillé de façon acharnée
Fortin, nous venons d'apprendre le décès pour contribuer à donner des bases solides
de notre collègue et vice-recteur de l'École à l'étude des sciences criminelles en Grèce.
Pantios d'Athènes, l'éminent criminaliste Il s'est plus particulièrement préoccupé du
Elias Daskalakis, à l'âge de 49 ans. mode d'imposition d'une sentence et du
chiffre noir de la criminalité 2 .
Notre collègue Daskalakis vient des
rangs des juristes. En 1969, il a terminé ses Au moment où nous avons appris la
études doctorales en droit en présentant sa nouvelle de son décès, nous venions de
thèse d'Etat à l'Université de Paris sous le terminer la lecture de son dernier ouvrage,
titre : La notion d'unité ou de pluralité La criminologie de la réaction sociale3,
d'infraction et son rôle dans le procès pénal. ouvrage principalement adressé à ses étu-
Il a par la suite publié, en 1973, une étude diants. Vu que les idées exprimées dans cet
s'intitulant Réflexions sur la responsabilité ouvrage constituent en quelque sorte son
pénale1, étude qui mettait l'accent sur testament intellectuel, nous avons préféré
l'imputabilité, notion extrêmement impor- présenter ce livre plutôt que l'homme et
tante en droit pénal et qui est à peine l'ensemble de son œuvre.
exploitée dans les droits de la famille anglo-
saxonne. Voici ce que G. Levasseur disait
dans la préface de cette étude : 2. L'ouvrage

Dans le présent ouvrage, c'est bien un juriste Il faut d'abord faire une remarque pré-
(et un juriste consommé) qui se penche sur liminaire. Comme il arrive souvent chez les
ce problème [...]. [L]es conclusions propo- juristes qui ne sont pas enlisés à outrance
sées sont bien le fruit de méditations réflé-
chies sur une documentation approfondie et dans le dogme du droit pénal, il se produit
au fil d'un raisonnement rigoureux. une radicalisation au fur et à mesure que
les années passent. Cette radicalisation
Répondant à l'invitation d'un des piliers concerne le concept même d'infraction, les
des sciences criminologiques de la Grèce, la
professeure et ex-rectrice Mme Alice
Marangopoulos, Elias Daskalakis décida
de s'engager dans le secteur des sciences 2. Voir par exemple : « Les critères d'imposition
d'une sentence», (1979) 9 Tribune juridique
(Grèce), p. 1233 et s., « La signification du chiffre
noir de la criminalité», (1975) 25 Revue des
sciences sociales (Athènes) p. 370.
1. Paris, P.U.F., 1973. 3. Athènes, Sakkoulas, 1985, 163 p.

Les Cahiers de Droit, vol. 28, n° 1, mars 1987, p. 241-255


(1987) 28 Les Cahiers de Droit 241
242 Les Cahiers de Droit (1987) 28 c. de D. 241

mécanismes de criminalisation d'un com- véritablement créateur et ne se limite pas à


portement ainsi que les raisons profondes reconnaître une réalité sociale pré-existante.
qui expliquent la réaction de la société face Par conséquent, les comportements qualifiés
à un comportement donné. Cette radicali- de criminels se retrouvent surtout chez des
sation s'est produite aussi chez Elias Das- groupes qui ne participent pas au processus
kalakis qui, peu à peu, a évolué vers la de définition du crime, c'est-à-dire des
criminologie radicale. groupes exclus du pouvoir. Par contre, des
comportements non criminalises, mais qui
Dans l'introduction, l'auteur expose les sont également nuisibles, correspondent aux
principes de la criminologie du passage à prototypes de comportement des groupes
l'acte, qui met l'accent sur le crime en tant qui déterminent ce qui est un crime.
que réalité sociale plutôt que sur sa défini-
tion légale. Daskalakis arrive à la conclusion Voici d'ailleurs comment la théorie du
que le crime en tant que construction sociale conflit social explique la criminalisation de
ne peut pas constituer un objet d'étude certains comportements sexuels et la déli-
pour la science. On n'a qu'à se référer au mitation de l'activité sexuelle dans des
chiffre «noir » de la criminalité pour cons- cadres très étroits. Le but de la classe
tater comment il est difficile d'étudier le dominante est de limiter au maximum le
crime. Ce que nous avons par contre devant temps libre des travailleurs afin qu'ils
nous pour fin d'étude, ce sont les données puissent être le plus productif possible. Or,
officielles sur la criminalité, à savoir la en limitant les activités sexuelles, il existe
réaction sociale formelle à l'égard d'une une meilleure exploitation de potentiel de
infraction. C'est cette réaction sociale que travail par la classe dominante.
Daskalakis étudie dans ce livre, en quali-
fiant le crime comme la définition d'un Une autre preuve qui montre l'influence
comportement donné, et le criminel comme de la théorie du « conflit social » sur la
celui qui est étiqueté comme tel ou celui à création des crimes constitue le fait que les
qui on a décerné cette identité sociale. « infractions réglementaires » (douanes,
enquêtes et coalitions, impôts) ne font pas
Dès le début, l'auteur annonce ses cou- partie du Code pénal (Code des criminels)
leurs : « La capacité d'éviter le système de mais des législations spéciales, de sorte que
justice pénale en confiant l'affaire à des celui qui commet une telle infraction ne
systèmes parallèles de contrôle social n'est reçoit pas le stigmate social du criminel.
pas répartie équitablement entre les diffé-
rentes classes sociales, mais varie par rap- Le deuxième titre est consacré à la
port à leur classement dans la hiérarchie « création sociale du délinquant » (applica-
sociale ». tion de la loi pénale). Dans un premier
chapitre, l'auteur expose comment l'indi-
Cette idée principale se trouve derrière vidu entre dans le système de la justice
toute l'analyse qui suit. Le premier titre est pénale. On voit-alors que le «seuil » de la
consacré à la construction sociale du crime criminalisation dépend du groupe social
(la création de la loi pénale) et le premier auquel l'individu appartient. Des classes
chapitre présente les théories du conflit plus puissantes essayeront de régler les
social et celle du consensus social. Dans un conflits en dehors du système pénal. Pour
deuxième chapitre, l'auteur expose la nais- des crimes insignifiants, plusieurs personnes
sance et la création d'une loi pénale d'après auraient préféré ne pas saisir le mécanisme
chacune de ces théories. Dans sa critique, il pénal. Dans les chapitres qui suivent,
arrive à la conclusion que les comporte- l'individu pris dans le filet de la justice
ments humains peuvent être bons ou mau- pénale traverse les différentes étapes de la
vais, légaux ou illégaux si celui qui possède stigmatisation, à savoir la phase policière,
le pouvoir les a ainsi définis. Or, le rôle de la phase de la poursuite officielle et celle de
la loi pénale dans la création d'un crime est son procès devant le tribunal où on constate
Chronique bibliographique 243

que, statistiquement, les classes les plus sous-jacentes à nos explications officielles
pauvres sont frappées plus durement en ce du phénomène criminel et de son auteur.
qui concerne les déclarations de culpabilité. L'ayant connu personnellement, je peux
Finalement, l'auteur nous dit comment le affirmer qu'il existait un contraste apparent
•< produit » du système pénal en sort. Il met entre la douceur de sa personnalité et ses
beaucoup l'accent sur la stigmatisation qu'il idées radicales. Mais, en réalité, si on veut
étudie et la répartit quantitativement par être honnête envers nous-même et les autres,
rapport à l'âge de l'infracteur, sa condition et voir la réalité en face, nous, les crimina-
sociale, son sexe, etc. Il arrive ainsi à la listes, n'évoluons-nous pas lentement, avec
conclusion que ceux qui sont le plus «vul- le cumul des expériences, vers ces positions
nérables » à cette stigmatisation sont des plus radicales ?
hommes relativement jeunes, pas très
instruits et qui appartiennent aux classes Antoine MANGANAS
sociales inférieures. Quant aux consé- Université Laval
quences de la stigmatisation, elles sont
nombreuses et constituent des obstacles
majeurs pour l'évolution future d'une
personne sur le plan social, familial et Gilles THIBAULT, La structure de capital-
personnel. actions et sa version passe-partout,
Montréal, Centre de Recherches et
Dans sa conclusion, E. Daskalakis est d'Analyses sur les Corporations Ltée,
radical : <• Une société ne peut survivre si 1985, 344 p., ISBN 2980054801.
elle n'est pas fonctionnelle dans le système
où elle évolue ». Si le système pénal classique Essentiellement, l'ouvrage de M. Thibault
a réussi à survivre malgré les attaques qu'il se veut un outil pratique. Après avoir pré-
a reçues, cela veut dire qu'il est fonctionnel. senté de façon succincte les grandes règles
Ce système a par ailleurs comme objectif la de droit applicables en ce domaine, il pro-
création du stigmate et du stéréotype cri- pose au lecteur un système intégré dont
minel. Les buts du droit pénal et de la l'utilisation permet avec facilité la rédaction
sentence tels qu'on les enseigne n'ont jamais des clauses des statuts de constitution con-
pu se réaliser et appartiennent plutôt à la cernant le capital. La méthode adoptée par
sphère de l'idéologie. Or, aujourd'hui la l'auteur est intéressante et démontre clai-
fonction principale du droit pénal est rement l'utilité de l'informatique dans un
« idéologique ». Il vise idéalement à protéger tel contexte. Le livre comporte cependant
des valeurs « naturelles » et « éternelles », certaines faiblesses et nous nous conten-
mais en réalité, il détourne les préoccupa- terons d'en souligner quelques-unes pour
tions des gens du vrai débat qui concerne montrer à quel point il faut remettre cent
l'organisation de la société et les rapports fois sur le métier avant de pouvoir parler
de force et de pouvoirs provoqués par les d'un produit fini.
divers conflits. Cette fonction idéologique
En premier lieu, dans un ouvrage sur le
crée le stéréotype du criminel qui constitue
capital, le lecteur averti s'attend à une
une menace pour la société et en même
discussion sur la nature de la catégorie
temps un bouc émissaire, évitant ainsi aux
d'actions ou encore, sur la définition de
gens de se préoccuper des causes réelles qui
celle-ci. Pure considération de théoricien
ont provoqué les situations conflictuelles et
me direz-vous? Il suffit de lire la juris-
anxiogènes du système.
prudence fiscale récente sur la question '
E. Daskalakis ne pouvait pas être plus pour s'étonner avec juste titre du silence de
clair. De façon précise et concise, il affiche
sa philosophie du début à la fin de son
livre. Les questions qu'il a abordées sont 1. Champ v. R., 83 DTC 5029 et McClurg v. R.,
des questions brûlantes, qui sont parfois 84DTC 1379; 86 DTC 6128 (CF.).

Vous aimerez peut-être aussi