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L’affaire Galilée
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B IEN des choses, et d’excellentes, ont été écrites sur la question de Galilée.
On connaît sur ce sujet les travaux remarquables de l’Épinois 1, du Père
Grisar 2, de Berti 3, de Jaugey 4, de Funk 5, les deux articles de Monsieur
l’abbé Vacandard dans la Revue du Clergé français (1er et 15 octobre 1904) 6, et plus
récemment, la brochure de Monsieur l’abbé G. Sortais 7, celle de Monsieur Aubanel et,
* — Extrait de : Lucien CHOUPIN S.J., Valeurs doctrinales et disciplinaires du Saint Siège, Beauchesne, 3e éd., Paris,
1928, 4e partie (« Décrets des saintes congrégations de l’Index et de l’Inquisition au sujet de Galilée »), p. 159-
186. Nous avons quelque peu modifié les titres, pour raison de clarté.
1 — La Question de Galilée, les faits et leurs conséquences, Paris, Bruxelles, V. Palmé, 1878.
2 — Galileistudien, Regensburg, 1882.
3 — Il processo originale di Galileo Galilei, Rome, 1878.
4 — Le Procès de Galilée et la Théologie, Paris, Lyon, Delhomme et Briguet, 1888.
5 — Zur Galilei-Frage, dans Kïrchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1899, t. II, p. 444 sq.
6 — Voir La Condamnation de Galilée, par E. VACANDARD, dans Études de critique et d’histoire religieuse, Paris,
Lecoffre, 2e édition, 1906, p. 295-387.
7 — Le Procès de Galilée, Étude historique et doctrinale, collection.« Science et Religion », Paris, Bloud, 1905. Voir
Henri MARTIN, Galilée (…), Paris, Didier, 1868 ; BOUIX, De Papa, t. II, p. 455 sq., Parisiis, 1869 ; Revue pratique
d’apologétique, 15 décembre 1905, Note sur la question de Galilée. L’auteur signale les articles sur Galilée publiés
dans différentes revues par le savant belge Philippe GILBERT ; Dictionnaire apologétique (…), 4e édition, Paris,
POUR LA DÉFENSE DE LA SAINTE ÉGLISE (I) 185
Procès de 1616
Résumé historique
On connaît la vie du savant astronome. Je viens donc immédiatement à la question
de la condamnation.
Dès 1543, le chanoine Copernic, dans son immortel ouvrage De Revolutionibus
orbium cœlestium, avait exposé et défendu le système qui porte son nom, mais simple-
ment comme une hypothèse très avantageuse pour rendre compte des mouvements du
ciel. En supposant le mouvement de la terre et l’immobilité du soleil, on expliquait les
phénomènes célestes avec plus de simplicité et de clarté, on facilitait l’étude de l’astro-
nomie 1.
Or,
Galilée admettait le système de Copernic, non seulement comme une hypothèse
propre à faciliter l’exposé des phénomènes célestes, mais même comme conforme à la
réalité, et il attaquait le système ancien, les principes d’Aristote, avec autant d’esprit
que d’ardeur. Il apportait dans la défense de son opinion une activité infatigable ;
ainsi, en 1612, il publiait son Discours sur les corps flottants ; en 1613, son ouvrage sur
les Taches solaires (…) ; puis, la même année, il adressait au Père Castelli, bénédictin,
sa lettre sur l’interprétation de l’Écriture dans les matières scientifiques, lettre qu’il en-
voyait ensuite à la grande duchesse Christine, après lui avoir donné une forme plus lit-
Beauchesne ; FAVARO, Galileo e l’Inquisizione (…), Firenze, 1907 ; P. AUBANEL, Galilée et l’Église (…), Avignon,
1910.
1 — JAUGEY, ibid., p. 12, 13.
téraire et certains développements. Dans cette lettre au savant Père Castelli, Galilée
exposait de sages principes, mais laissait échapper certaines expressions qui pouvaient
donner prétexte à la critique 1.
A la vérité,
la lettre au Père Castelli n’avait pas été imprimée ; elle ne le fut que beaucoup
plus tard ; mais il en circulait de nombreuses copies manuscrites, et les adversaires de
Galilée profitèrent avec empressement de cette occasion pour renouveler leurs at-
taques.
Le 15 février 1615, le Père Lorini, dominicain de Florence, envoyait au cardinal
Sfondrati, préfet de la Sacrée Congrégation de l’Index, une copie de la lettre de
Galilée au Père Castelli. Cette copie était accompagnée d’une lettre dans laquelle le
Père Lorini expliquait les motifs de sa démarche 2.
Les deux pièces furent communiquées par le cardinal Sfondrati à la Congrégation
de l’Inquisition, qui ordonna de faire secrètement les enquêtes nécessaires sur les faits
dénoncés.
Cependant, de la dénonciation de Lorini et des informations prises par le tribunal, il
résulta bientôt contre Galilée divers chefs d’accusation (…), dont le principal était « qu’il
tenait pour vraie la fausse doctrine enseignée par plusieurs, d’après laquelle le soleil est le
centre du monde et immobile, et la terre se meut d’un mouvement diurne » (Actes du
procès de 1633).
Quoique l’Inquisition procédât dans le plus grand secret, Galilée eut vent de l’af-
faire et se rendit à Rome, en décembre 1615, où il fut très bien accueilli. Il put faire
en toute liberté une active propagande de son système. Ses amis lui conseillèrent néan-
moins plus de calme et de prudence ; ils le priaient surtout de s’en tenir aux
arguments mathématiques, sans vouloir prouver la conformité de son système avec
l’Écriture 3.
Galilée n’écouta pas ces sages conseils ; il voulait que l’Église autorisât la défense de
son système, non seulement comme hypothèse, mais comme l’expression de la réalité,
comme loi scientifique, ce qui n’était possible qu’en reconnaissant que le système était
parfaitement conciliable avec l’Écriture. De fait, le Père Foscarini, dans son livre sur le
système du monde publié à cette époque (Naples, 1615), et un religieux augustin,
Didacus Astunica, dans son livre sur Job, soutenaient que, non seulement la Bible ne
1 — L’astronome Adolphe MÜLLER discute précisément cette question avec la compétence d’un professionnel :
voir Stimmen aus Maria Laach, 52 (1897), 261-372 ; Nicolaus Copernicus, Freiburg, 1898, 121-146 ; Johann Keppler,
Freiburg, 1903, 94-109 ; HILGERS, Der Index (…), p. 66-67, not. 1 ; BILLOT, De Ecclesia, p. 447 sq. ; SORTAIS,
ibid., p. 48 ; Dictionnaire apologétique (…), 4e édition, Paris, Beauchesne ; article de M. DE VREGILLE sur
Galilée ; La Questione Copernicana del primo al secondo processo di Galileo, La Civiltà cattolica, p. 521 sq., 18 giugno 1927.
Le procès de 1633
Historique
Quelques mois après cette condamnation, Galilée quitta Rome et se retira à la
villa Segni, près de Florence, où il continua ses travaux avec autant d’ardeur que de
succès.
Il préparait alors son grand ouvrage sur le système du monde, en forme de dia-
logues ; entre temps, il composait et publiait, pour répondre à la Libra astronomica du
Père Grassi, jésuite, son Saggiatore (Essayeur) 2.
Ce livre parut avec l’approbation du maître du sacré palais ; c’était, au fond, une
défense habilement dissimulée du système de Copernic. L’ouvrage fut même offert au
nouveau pape, le cardinal Barberini, devenu Urbain VIII, qui en accepta la dédicace.
Encouragé par la faveur dont il jouissait à Rome, et spécialement par la
bienveillance du souverain pontife, Galilée se cachait à peine pour défendre les opinions
qui avaient été condamnées, et qu’il avait personnellement promis de ne plus soutenir.
En effet, en 1632, il publia son grand ouvrage, auquel il travailla sept ou huit ans,
sous ce titre : « Dialogo di Galilæo Galilæi (…) dove si discorre sopra i due massimi systemi del
mondo, Tolemaico e Copernicano (…). » Il y développait les idées déjà insinuées dans le
Saggiatore sur les deux systèmes du monde.
La publication, dit Monsieur Vacandard 3, avait souffert d’énormes difficultés.
Galilée aurait souhaité la faire imprimer à Rome. Mais le Père Riccardi, maître du sa-
cré palais, qui avait si bien accueilli le Saggiatore, reconnut que l’auteur, dans ce nou-
vel ouvrage, loin de proposer le système de Copernic comme une hypothèse mathé-
matique, en parlait en termes qui formaient un essai de démonstration scientifique. Il
ne fallait pas songer à le mettre au jour dans cet état.
Le Père Riccardi proposa donc d’y introduire certaines corrections que Galilée
admit en principe. L’autorisation d’imprimer fut accordée à ces conditions.
Bientôt cependant, par suite de circonstances qu’il serait trop long d’indiquer ici,
il fut contraint de remporter son manuscrit à Florence. Là, il le soumit à l’examen de
l’inquisiteur, qui lui donna l’imprimatur, sans les réserves qu’avait faites le Père Ric-
cardi. C’était un succès, mais un succès qui pouvait devenir dangereux (…).
Pour comble d’imprudence, Galilée mit en tête de son livre, avec l’imprimatur de
l’inquisiteur et du vicaire général de Florence, celui du Père Riccardi, qui n’avait été
accordé que sous conditions, et conditions non remplies.
Galilée violait ainsi ouvertement le décret de l’Index de 1616, les promesses qu’il
avait faites au Saint-Office et au maître du sacré palais. Le pape, très mécontent d’avoir
été trompé par Galilée et ses amis, craignant surtout pour la pureté de la foi catholique,
alors violemment attaquée par les protestants, qui abusaient singulièrement de la sainte
Écriture, constitua d’abord une commission extraordinaire, à laquelle il déféra l’examen
du Dialogo. Le rapport de la commission ne se fit pas attendre ; il concluait qu’il y avait
lieu de délibérer sur la procédure à suivre « tant contre Galilée que contre son
ouvrage 1 ».
En conséquence, toute l’affaire fut déférée au Saint-Office et, le 1er octobre de cette
même année 1632, Galilée reçut une citation, en forme juridique, d’avoir à comparaître à
Rome devant le tribunal de l’Inquisition.
Un procès en règle fut instruit ; il dura presque une année, et aboutit enfin à la
condamnation de Galilée. « La sentence fut prononcée au nom de la Sacrée Congrégation
de l’Inquisition ou du Saint-Office, le 21 juin 1633. » Après la lecture du jugement,
Galilée fit une abjuration et une profession de foi catholique, et se soumit.
Voici la sentence du Saint-Office :
Nous prononçons, jugeons et déclarons que toi, Galilée, tu t’es rendu véhémen-
tement suspect d’hérésie à ce Saint-Office, comme ayant cru et tenu une doctrine fausse
et contraire aux saintes et divines Écritures, à savoir : que le soleil est le centre de
l’univers, qu’il ne se meut pas d’Orient en Occident, que la terre se meut et n’est pas
le centre du monde ; et qu’on peut tenir et défendre une opinion comme probable,
après qu’elle a été déclarée et définie contraire à l’Écriture sainte ; en conséquence, tu
as encouru toutes les censures et peines établies et promulguées par les sacrés canons et
les autres constitutions générales et particulières contre les fautes de ce genre. Il nous
plaît de t’en absoudre, pourvu qu’auparavant, d’un cœur sincère et avec une foi non
simulée, tu abjures en notre présence, tu maudisses et tu détestes les erreurs et hérésies
susdites et toute autre erreur et hérésie contraire à l’Église catholique, apostolique et
romaine, selon la formule que nous te présenterons.
Mais, afin que ta grave et pernicieuse erreur et ta désobéissance ne restent pas ab-
solument impunies, afin que tu sois à l’avenir plus réservé et que tu serves d’exemple
aux autres, pour qu’ils évitent ces sortes de fautes, nous ordonnons que le livre des Dia-
logues de Galilæo Galilæi soit prohibé par un décret public ; nous te condamnons à la
prison ordinaire de ce Saint-Office pour un temps que nous déterminerons à notre
discrétion et, à titre de pénitence salutaire, nous t’imposons de dire pendant trois ans,
une fois par semaine, les sept psaumes de la pénitence, nous réservant la faculté de
1 — Voir VENTURI, Memorie e lettere inedite (…) di Galileo Galilei (…), Modène, 1817-1821, t. II, p. 171 ; GRISAR,
ibid., p. 131-137 ; VACANDARD, Études de critique, p. 333 ; L’ÉPINOIS, loc. cit.,p. 158 ; FAVARO, Galileo, p. 145,
sq.
2 — Ibid., p. 163.
3 — VACANDARD, Études de critique, p. 338 ; L’ÉPINOIS, ibid., p. 189. ; oir Kirchenlexikon, voc. Galileo Galilei ;
WILMERS, De Ecclesia, I, IV, a. III, prop. 72, n. 242, sq., Ratisbonae, 1897.
POUR LA DÉFENSE DE LA SAINTE ÉGLISE (I) 193
d’un décret d’une congrégation, quelle qu’elle soit, eût-elle comme préfet le pape lui-
même. Donc ce décret, doctrinal ou disciplinaire, ne constitue pas une objection contre
l’infaillibilité de l’Église ou du souverain pontife.
Telle est, à notre avis, la franche et vraie réponse à l’objection. Elle est claire et
inattaquable. C’est une position de défense absolument sûre, imprenable, parce que c’est
la vérité pure et simple.
Discussions
Le pape est intervenu
Considérant la question plus spécialement au point de vue historique, Monsieur
Jaugey et, après lui, Monsieur l’abbé Vacandard, n’ont pas de peine à démontrer, d’après
les documents authentiques, que le pape est activement intervenu dans toute cette affaire,
qu’Urbain VIII a été un des plus ardents promoteurs du procès et de la condamnation de
1633. Cette étude est fort intéressante ; elle met en lumière l’état des esprits, les opinions
personnelles du pape, des cardinaux, des savants du temps.
Mais surtout, elle nous permet de conclure qu’il ne faudrait pas, comme l’ont fait
certains apologistes, d’ailleurs de grand mérite, répondre que le pape n’est pour rien dans
la condamnation de Galilée, « que jamais ces actes (les décrets de 1616 et de 1633) n’ont
reçu l’approbation particulière d’aucun souverain pontife 1 ».
Sous ce rapport, les preuves historiques apportées par messieurs Jaugey et
Vacandard sont décisives. Historiquement, il est certain que Paul V et Urbain VIII ont eu
une part très active dans toute l’affaire. Mais quelle qu’ait été dans le cas, leur influence, il
reste vrai que les deux décrets, n’ayant reçu du pape qu’une approbation in forma communi,
sont purement et simplement des décrets de congrégations, l’un (celui de 1616) de la
Sacrée Congrégation de l’Index, l’autre (celui de 1633) du Saint-Office ; et, par
conséquent, la question d’infaillibilité ne se pose même pas.
Mais, observe Monsieur Vacandard, « d’après ce que nous avons dit plus haut, c’est
bien au nom du pape et, par conséquent, au nom de l’Église enseignante, que les
jugements de 1616 et de 1633 ont été portés 2 ».
C’est vrai ; les congrégations agissent au nom du pape, puisque c’est le pape qui les
a instituées et leur a conféré leurs pouvoirs.
Toutefois elles ont reçu des papes un pouvoir ordinaire et suprême pour décider ce qui
est de leur compétence ; et, dans les affaires de leur ressort, elles décident en effet, non
1 — L’ÉPINOIS, ibid., p. 264. Peut-être cette phrase, eu égard au contexte, doit-elle être interprétée dans un sens
favorable. L’auteur voudrait simplement dire que ces actes n’ont reçu d’aucun pape l’approbation particulière,
soit spéciale et solennelle, qui les transforme en définition ex cathedra. « Encore que le décret et surtout la sentence
aient été rendus conformément à l’avis d’Urbain VIII, en sa présence et, pour ainsi dire, sur son ordre, jamais ces actes
n’ont reçu l’approbation particulière d’aucun souverain pontife. »
2 — Études de critique, p. 353.
avec une autorité infaillible (elles ne jouissent pas du charisme de l’infaillibilité) mais avec
autorité, une autorité propre, pleine et entière, et sous leur propre responsabilité : ce sont
elles qui sont juridiquement responsables de leurs actes. Les tribunaux civils ne rendent-ils
pas la justice au nom du chef de l’État, dont ils reçoivent l’autorité ? Ils n’en restent pas
moins juridiquement responsables de leurs arrêts, parce qu’ils ont pouvoir ordinaire pour
exercer leurs fonctions.
Monsieur Jaugey 1 semble faire la même confusion. « Le pape, dit-il, exerce son
pouvoir tantôt immédiatement, tantôt médiatement, par l’intermédiaire des congrégations
romaines, auxquelles il délègue une partie de sa suprême autorité. Mais, dans l’un et
l’autre cas, les décrets rendus tirent leur origine et leur force du pouvoir pontifical. »
Cette formule est équivoque, car, lorsque le pape exerce son pouvoir par l’intermédiaire
des congrégations, les décrets tirent leur force immédiatement de la congrégation, et
médiatement seulement du pouvoir pontifical. La vraie cause efficiente de la loi, du
décret, tant qu’il n’y a qu’une approbation pontificale in forma communi, est la
congrégation, et, nous le répétons, c’est elle qui est juridiquement responsable des décisions
qu’elle prend ; et, quand il ne s’agit que d’un décret de congrégation, jamais l’infaillibilité
n’est en cause 2.
Même observation pour les paroles qui suivent : « Le Saint-Office et l’Index, écrit
Monsieur Vacandard 3, n’ont agi que sur les ordres du pape ; ils n’ont été aux mains de
Paul V et d’Urbain VIII que des instruments ; ce sont donc Paul V et Urbain VIII qui
sont historiquement responsables de la condamnation de Galilée. »
Il est possible que le Saint-Office et l’Index n’aient agi que sur les ordres du pape ;
mais, encore une fois, cela ne modifie en rien la nature des décrets, qui sont et restent des
1 — Ibid., p. 55.
2 — Et cette conclusion reste absolument vraie, même si on adopte la manière de parler de Monsieur Jaugey.
« Le pape, dit-il, exerce son pouvoir tantôt immédiatement, tantôt médiatement. » Soit. Mais la théologie
l’enseigne expressément : lorsque le pape exerce son pouvoir médiatement, par l’intermédiaire d’une
congrégation, l’infaillibilité n’est pas en jeu ; en d’autres termes, tant qu’il s’agit de décrets de congrégations,
approuvés ou non par le pape, l’infaillibilité n’est pas en cause. Sans doute, il ne faut pas dire avec l’Épinois que
les congrégations du Saint-Office et de l’Index sont des tribunaux de second ordre, qui n’avaient pu engager, ni par
conséquent compromettre, l’autorité de l’Église. Les congrégations romaines sont des tribunaux suprêmes, de
premier ordre, desquels, à proprement parler, on ne peut pas appeler. Leurs décrets s’imposent à notre
obéissance ; on leur doit l’assentiment religieux. Mais, quelles que soient leurs sentences, elles n’engagent jamais
l’infaillibilité et par conséquent ne peuvent pas la compromettre. On ne peut donc pas dire sans restriction que la
condamnation de Galilée et la censure officielle de la théorie copernicienne en 1616 et en 1633 sont des actes de
l’autorité papale et par conséquent des actes de l’autorité enseignante. (VACANDARD, Études de critique, p. 355-
356) Ils ne sont des actes de l’autorité papale que médiatement ; directement, ils sont des actes des
congrégations, et valent par l’autorité immédiate des congrégations, et l’approbation in forma communi du pape ne
change pas leur nature, leur valeur première, primordiale. Il ne serait pas non plus rigoureusement exact
d’appeler ces décrets de 1616 et de 1633 des « décrets de Paul V et d’Urbain VIII », comme si ces papes en
étaient les auteurs juridiquement responsables. Sans doute ces décisions de l’Index et de l’Inquisition ont été
prises avec leur agrément ; mais, comme elles n’ont reçu qu’une approbation in forma communi, elles restent
strictement des décrets des sacrées congrégations, ce n’est que dans un sens large qu’on pourrait les appeler des
décrets des papes. Cf. W. ROBERTS, The Pontifical Decrees against the doctrine of the earth’s movement and the
ultramontane Defence of them, p. 14-15, Oxford, 1885, cité par Monsieur SORTAIS, ibid., p. 11 et note 1.
3 — Études de critique, p. 356.
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décrets des congrégations. Ajouter que ces tribunaux n’ont été aux mains de Paul V et
d’Urbain VIII que des instruments, c’est presque insinuer le « fait du prince » qui n’a rien
à faire dans la question de Galilée. En tout cas, ils ont été et sont des instruments actifs et
non purement passifs.
Les cardinaux, qui composent les diverses congrégations, dans les décisions qu’ils
prennent (collegialiter), ont voix délibérative ; ce ne sont pas de simples secrétaires du pape,
mais de vrais juges, qui décident en toute liberté et indépendance, et avec pleine autorité.
En fait, le pape, comme tel, a beau intervenir, prier, ordonner, faire des instances, en
droit, tant qu’il n’y a qu’une approbation in forma communi, le décret reste un décret de la
Sacrée Congrégation. C’est ce qui eut lieu pour Galilée. Dire « que Paul V et Urbain VIII
sont historiquement responsables de la condamnation de Galilée », c’est peut-être vrai, si l’on
veut simplement indiquer l’initiative, l’intervention toujours active des papes dans ce
fameux procès ; mais ce serait inexact, si l’on voulait dire que les papes sont responsables
de ces décrets, comme s’ils en étaient les auteurs. Le véritable auteur des décrets, la cause
efficiente de la loi et de l’obligation qui en résulte dans l’espèce, ce sont les congrégations
elles-mêmes, par leur autorité propre et immédiate ; et ce sont ces congrégations qui en sont
juridiquement responsables.
Ainsi l’objection des adversaires tombe d’elle-même, puisque, quand il s’agit d’un
décret de congrégation, l’infaillibilité n’est jamais en jeu.
Inutile, par conséquent, de chercher à répondre à la difficulté en démontrant que le
pape, dans l’espèce, n’a pas voulu donner une définition ex cathedra 1, ou que « le décret de
1616 et la sentence de 1633 n’offrent pas le caractère de proposition infaillible 2 » : ou du
moins, cette assertion est hors de conteste, puisqu’il s’agit de décrets de congrégations,
dont les sentences, quelles qu’elles soient, ou les décrets, même approuvés par le pape in
forma communi, n’engagent jamais, et partant ne compromettent en rien, l’infaillibilité du
pape ou de l’Église.
Il n’y aurait à se préoccuper de cette question de l’infaillibilité que lorsque le décret
de la Sacrée Congrégation aurait été approuvé par le pape in forma specifica ; parce qu’alors
le décret est un acte strictement papal, émanant directement du pape, qui le fait sien ;
l’acte appartient en propre au souverain pontife, et non à la congrégation.
Mais, comme nous l’avons suffisamment expliqué, lorsque le pape confirme un
décret in forma specifica, il ne s’ensuit pas qu’il veuille chaque fois trancher définitivement la
question par une définition ex cathedra. A supposer donc que, dans le cas de Galilée, le
pape ait approuvé les décrets de 1616 et de 1633 in forma specifica, c’est alors et alors
seulement qu’il aurait fallu entreprendre de prouver qu’il ne s’agissait pas d’une définition
ex cathedra, et que par conséquent l’infaillibilité n’était en rien compromise.
Or, on le sait, tout le monde l’accorde, « la sentence de 1633 fut prononcée au nom
de la Sacrée Congrégation du Saint-Office 3 ». « Dans les procès de 1616 et de 1633 (…)
le pape ordonne, mais les congrégations agissent, ce sont elles qui prononcent le jugement 1. »
Conséquemment, en fait, le pape n’a donné dans l’espèce qu’une approbation in
forma communi, et en réalité il ne s’agit que d’un décret de congrégation, donc la question
de l’infaillibilité du pape et de l’Église est hors de cause.
La meilleure tactique pour défendre l’Église, c’est la vérité. Il n’y a ni à dissimuler
ou à affaiblir la difficulté, ni à l’exagérer ; il faut apprécier les choses à leur juste valeur.
leur témoignage 1.
Les décrets de 1616 et de 1633 sont donc des actes des congrégations et des actes
administratifs, disciplinaires, judiciaires, et non des décrets dogmatiques. Quelle que soit
donc l’erreur commise dans les considérants, ils ne peuvent nullement être invoqués
comme un argument contre l’infaillibilité, qui n’est pas en cause. Ainsi la difficulté semble
pleinement et définitivement résolue.
Plus tard, la Sacrée Congrégation de l’Inquisition décida que l’impression des livres
enseignant le mouvement de la terre et l’immobilité du soleil, selon le système
communément admis par les astronomes modernes, serait permise à Rome. Ce décret du
11 septembre 1822 fut approuvé par Pie VII, le 25 septembre de la même année, et
« l’édition de l’Index, qui parut en 1835, ne contenait plus l’indication des livres
coperniciens interdits successivement depuis 1616 2 ».
Conclusion
En finissant, il resterait à montrer comment les décrets de 1616 et de 1633 n’ont
pas sérieusement entravé les progrès de la science. Ce n’est pas notre but ; aussi bien
cette apologétique n’est pas à faire. Monsieur Jaugey 3 plaide cette cause avec modération
et un parfait sens critique et historique.
Déclarer faux un système astronomique qui est vrai, remarque très
judicieusement l’écrivain, et en interdire la diffusion, c’était, il faut le reconnaître, une
mesure propre à nuire au progrès de l’astronomie (…). Il nous semble donc difficile
de soutenir que les décrets de 1616 et de 1633 n’ont fait absolument aucun tort à la
science. Mais ils ne lui ont nui que dans une très faible mesure, et l’on ne peut
signaler, avec des documents à l’appui, aucun symptôme d’arrêt ou d’affaiblissement
dans le mouvement scientifique qui leur soit imputable.
Il est à remarquer, du reste, que l’important pour l’avancement de la science dans
la première moitié du XVIIe siècle, c’était l’observation, les expériences, et non point
les systèmes a priori ou les conclusions hâtives (…). Or la liberté des observations et
des expériences n’était en aucune façon entravée par les décrets des congrégations. Le
goût pour cette méthode et son emploi (…) se répandaient partout, préparant les
belles découvertes de Newton, et les heureuses transformations de la science, dont
nous sommes les témoins.
*
* *
1 — Voir Études de critique, p. 358 ; L’Ami du clergé, 9 mars 1905, p. 214.
2 — JAUGEY, ibid., p. 26. Cf. HILGERS, Der index (…), p. 66-67.
3 — Ibid., p. 109 ; cf. DEVIVIER, Cours d’Apologétique, p. 520, sq., 19e édition, Paris, 1907 ; Dictionnaire
d’Apologétique (…) d’Alès, article de VREGILLE sur Galilée, Paris, Beauchesne.
Nous publions ici une lettre adressée par le Père Lionnet, S.J., à la
revue des polytechniciens, La Jaune et la Rouge, que cette revue ne voulut
pas publier. Elle se permit même de transcrire une observation de l’auteur
de l’article critiqué par le Père Lionnet : « Le point de vue défendu par
notre camarade me semble bien réducteur. Rappelons que deux siècles plus
tard le darwinisme fera l’objet d’une condamnation analogue 1. »
Pourtant elle nous semble digne de publication : nous en donnons les
passages les plus intéressants pour nos lecteurs.
Le Sel de la terre.
*
* *
1 — La Jaune et la Rouge, février 1997, p. 75. Nous avons demandé à la rédaction de cette revue de nous donner le
texte de la condamnation du darwinisme par l’Église. Le Rédacteur en chef nous a aimablement répondu que,
« s’il retrouve le texte », il nous l’enverra, mais qu’il a « malheureusement » dispersé la plupart des documents.
Cette revue que nous surveillons depuis des années est un bon exemple de propagande habile contre l’Église
catholique. Elle est très lue par une partie de « l’élite » de notre pays.
L A N O U V E L L E É G L I S E 199
vingts ans après sa parution ? – Peut-être grâce à Galilée lui-même, le jour où il allégua
pour sa défense qu’il suivait un livre approuvé par l’Église. Toujours est-il que le débat
avait dévié. Il s’agissait de savoir si l’héliocentrisme était compatible avec l’Écriture. A
noter que le Saint-Office mit à l’Index, sans restriction, un ouvrage qui prétendait
démontrer le contraire. Dans la lettre à Foscarini, Bellarmin renvoie les adversaires dos à
dos. Pour lui, si une vérité scientifiquement démontrée paraît en contradiction avec tel ou
tel passage de l’Écriture, il faut en conclure que nous ne comprenons pas les passages en
question. Cette mise au point ne semble pas avoir atteint le grand public.
Je pense personnellement qu’en l’occurrence le Saint-Office, et Bellarmin en
particulier, voulaient éviter que l’Église voie son autorité engagée dans une controverse
sans objet. Les livres de Kepler, partisan déclaré de l’héliocentrisme, ne provoquèrent
aucune réaction de la part de Rome.
5) Peut-on dire que la condamnation de 1633 ait brisé Galilée ? Ce n’était
certainement pas l’intention du pape. Avant même l’ouverture du procès, Urbain VIII
confia à l’ambassadeur du grand-duc de Toscane, dont Galilée était sujet, qu’une sanction
était indispensable, puisque Galilée avait enfreint l’injonction, que cette sanction serait
réduite au minimum (je cite de mémoire un texte que je n’ai pas sous la main).
Galilée aurait dû être écroué durant le procès. En fait, il fut logé décemment par le
Saint-Office, avec interdiction de sortir, mais son valet restait libre de ses allées et venues.
Ses juges feignirent de prendre au sérieux l’affirmation suivant laquelle il aurait écrit
le Dialogo dans l’intention de réfuter Copernic. Ils auraient pu lui lire tel ou tel passage du
livre qui démentait ses paroles. Ils se gardèrent bien de pousser davantage et la
comparution de Galilée fut expédiée en quelques heures. Au cours même du procès,
Galilée reçut la visite d’un de ses juges. On en sait assez pour deviner ce qu’il lui proposa.
Galilée fut condamné à la prison perpétuelle – et non simplement assigné à résidence –
mais la sentence ne serait appliquée qu’en cas de récidive. Galilée dut accepter puisqu’on
le voit résider successivement à la villa Médicis, à Sienne, dans sa maison de campagne
d’Arcetri et enfin à Florence.
Comme tu le remarques, c’est dans cette dernière période de sa vie que Galilée
produisit le meilleur de son œuvre scientifique en fondant la mécanique moderne.
Je précise qu’en ce qui concerne le déroulement du procès je suis les minutes du
Saint-Office. Elles sont probablement sincères, puisqu’elles n’étaient pas destinées à la
publication.
6) Je connaissais déjà l’interprétation du procès de Galilée par les circonstances
politiques. J’avoue avoir peine à y croire, faute de connaître les documents sur lesquels
elle se fonde.
7) L’imprimatur avait été accordé au Dialogo sans que le texte ait fait l’objet d’une
révision sérieuse dont le responsable, le P. Ceccaldi, se savait incapable. L’incompétence
de Ceccaldi joua un rôle décisif dans l’affaire.
A supposer que tu n’aies pas encore jeté cette lettre au panier, tu trouveras ici
l’expression de mes sentiments les plus cordiaux.
Signé : A. Lionnet (X 32)