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Peut-on manger des glands

Le chêne est l’arbre le plus répandu en France. En


automne, le sol sous les chênes se couvre de glands. Tout
le monde sait que c’est la nourriture de prédilection des
sangliers et que l’on en donnait à manger aux cochons.
Mais nous, pouvons nous manger des glands ?

La réponse est oui. Mais attention ! Il faut se munir de


patience. Les glands contiennent énormément de tanins,
jusqu’à 10 %. Si vous avez déjà croqué un gland “tout
cru” vous avez sûrement fait la grimace. Le goût très âpre
et amer provient de ces tanins. Alors avant de pouvoir
déguster nos glands, il y a un sévère lessivage à faire qui
peut prendre quelques jours.

Chêne pédonculé ou chêne sessile ?


Dans le Loiret où j’habite, on trouve surtout des chênes
rouvres aussi appelées chênes pédonculés, au nom latin
quercus robur (ou quercus pedonculata). C’est le chêne
le plus répandu dans toute la zone tempérée d’Europe.
J’ai alors utilisé les glands de ce chêne pour faire mes
expérimentations.

Le nom “pédonculé” vient du fait que les fruits, donc les


glands, se trouvent au bout d’un long pédoncule (qui est
la “tige”de la fleur qui devient fruit). Au contraire du chêne
sessile (quercus petraea) qui a des fruits “assis”
directement sur la branche, presque sans pédoncule.

Gland de chêne rouvre (quercus robur)

C’est d’ailleurs le contraire pour les feuilles : Le chêne


rouvre a des feuilles à court pétiole et le chêne sessile
à long pétiole. Le pétiole étant la “tige” de la feuille. De
quoi s’emmêler les pinceaux…

Des chênes variés


A côté de ces deux espèces, il y a le chêne pubescent
(quercus pubescens), un arbre généralement plus petit
avec des feuilles pubescentes sur la face inférieure et qui
favorise le développement de truffes à ces pieds. Il y a le
chêne chevelu (quercus cerris) qui aime les régions
chaudes, aux rameaux pubescents et aux cupules
hérissées. D’Amérique du Nord nous vient le chêne rouge
(quercus rubra) qui a des grandes feuilles aux lobes
pointus se colorant en magnifique rouge vif à l’automne.
On trouve le chêne kermes (quercus coccifera) dans les
maquis et garrigues méditerranéens, un arbuste aux
petites feuilles coriaces, épineuses et persistantes. Puis le
chêne vert (quercus ilex) aux feuilles persistantes, vert
foncé et luisantes sur le dessus, grises au fin duvet en
dessous avec des glands surmontés d’une pointe
longue…

Il y a 26 espèces de chêne en tout en Europe. Ce qu’ils


ont en commun c’est que les glands de toutes les
espèces se mangent, après lessivage des tanins – ou
non ! Ceux de certains chênes verts seraient parfois
tellement doux, sans tanins, que l’on peut manger ces
glands tels quels.
Le chêne dans l’histoire et la
mythologie
Quoi de plus beau et plus majestueux qu’un vieux chêne
solitaire avec son tronc bien solide, ses branches robustes
et sa cime harmonieuse ? Le chêne rouvre peut atteindre
plus de 1000 ans et il a toujours forcé le respect.
Symbole de pérennité, de longévité, d’endurance et
de sagesse, synonyme de force et de virilité, le chêne est
présent dans la symbolique de toutes les mythologies
européennes.

Chêne solitaire (photo Peter Birch)

Réputé pour attirer la foudre, le chêne était associé au


dieu de la foudre et au dieu suprême : Pour les romains
aux dieux Jupiter, pour les grecs au dieux Zeus, pour les
germains au dieu Thor.

Les chênes étaient perçus comme des intermédiaires


entre les hommes et les dieux. Chez les Grecs, les
chênes du sanctuaire de Dodone étaient
particulièrement réputés et on prédisait l’avenir en
interprétant le bruit du vent dans leurs feuilles. Ulysse
serait passé par là au retour de son Odyssée pour
consulter l’oracle.

Le chêne et la foudre

La préférence de la foudre de s’abattre sur les chênes


serait liée au fait que les chênes aiment se poser à des
croisements de veines d’eau. Les racines profondes
vont chercher dans le sol jusqu’à trouver l’eau ce qui fait
d’eux de puissants paratonnerres. De là vient le
proverbe allemand qui est utile d’avoir en tête en cas
d’orage : “Eichen sollst Du weichen, Buchen sollst Du
suchen, kannst Du Linden grad nicht finden.” Ce qui veut
dire “Fuis les chênes et cherche les hêtres si tu ne
peux pas trouver de tilleuls” (ça rime en allemand).

Le chêne et la religion

Dans la religion des gaulois, dont les prêtres étaient les


druides, le chêne était sacré et synonyme de sagesse et
de connaissance. D’ailleurs le nom druide viendrait des
mots “connaître” (wid) et “arbre, chêne” (dru). Les glands
de chêne étaient pour les gaulois reliés à la symbolique de
l’oeuf, symbole de la vie en gestation, de l’abondance.

Pour les germains aussi, le chêne était sacré. On relate


l’histoire du sanctuaire du chêne “Donareiche” du peuple
chatti qui vivait au centre de l’actuel Allemagne. Sous ce
majestueux chêne les prêtres tenaient leurs cérémonies
religieuses et disaient justice. Réfractaires à la nouvelle
religion chrétienne qui interdisait le culte des chênes, ils
tenaient tête à la christianisation qui était en cours sous le
pape Grégoire II. Jusqu’à amener le missionnaire chrétien
Bonifatius à obtenir l’autorisation pour abattre ce vieux
chêne sacré en 723.

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confusions !

Mais l’attachement aux chênes s’est perpétué. L’image du


roi de France Saint Louis disant justice sous un chêne
date du 13ième siècle. Saint Louis, fervent chrétien…

Encore aujourd’hui le chêne est utilisé comme symbole


de de force, de volonté et de stabilité : En France,
plusieurs monnaies en franc portaient une couronne
d’olivier ou de chêne. Les centimes d’euros allemands
portent un rameau de chêne. Les feuilles de chêne ornent
des décorations militaires et civiles.

Les utilisations du chêne


Robuste, durable et résistant aux parasites, le bois de
chêne est le bois d’oeuvre d’excellence. Le mot
“robuste” serait même né du nom latin “robur” qui signifie
chêne et force. Jusqu’à la construction des charpentes
des cathédrales, on utilise le bois de chêne en
charpenterie, menuiserie, parqueterie etc. Le goût vanillé
de certains rhums ou whiskys, la saveur ronde du xeres et
les notes tanniques de certains vins proviennent des
tonneaux en bois de chêne.

Aussi, l’écorce du chêne, pour sa grande teneur en tanins


(jusqu’à 20%), a longtemps servi pour tanner les peaux.

Propriétés médicinales
Cette teneur élevée en tanins a également été utilisée, et
l’est toujours, pour soigner nombreux maux. Les tanins
ont une action astringente utile par exemple en cas
d’infections et d’inflammations cutanées, d’hémorroïdes,
d’utérites, de sudation excessive des pieds, d’engelures.
On prépare pour cela des bains en faisant bouillir de
l’écorce de chêne dans de l’eau. En gargarismes ces
décoctions d’écorce soignent les angines et renforcent
les gencives.

L’infusion d’écorce de chêne agit contre la diarrhée. En


gemmothérapie (macérat gycériné de bourgeons), le
chêne est utilisé pour la désintoxication aux métaux
lourds.
Deux fleurs, une maison
Mais revenons à nos glands et à un peu de botanique.
Les glands sont les fruits de l’arbre. Les fruits, on le sait,
apparaissent après fécondation de l’organe femelle par
l’organe mâle qui se trouvent dans la fleur. Quand on
regarde une fleur “classique”, une rose, mauve, ou
lavande… les organes mâles et femelles se trouvent dans
la même fleur. Ce qui est intéressant pour le chêne c’est
qu’il est monoïque (du grec mono : une et oikos :
maison). C’est à dire qu’il possède des fleurs mâles et
femelles en des endroits différents d’un même pied.

Fleurs mâles et jeunes feuilles de quercus robur (photo


Peter O’Connor)
Concrètement ça veut dire quoi ? Cela veut dire que sur le
chêne on trouve des fleurs femelles à certains endroits et
des fleurs mâles à d’autres. Mais il y a toujours les deux
sur le même arbre. Pour le figuier ou le kiwi par exemple, il
y a certains pieds femelles et d’autres mâles, on les
appelle alors dioïques. Fleurs mâles et femelles, vous vous
en doutez, n’ont pas le même aspect. Pour le chêne
rouvre, les fleurs mâles sont des chatons lâches et
pendants de couleur verte, les fleurs femelles sont
rouges en forme de petit bouton au bout de longs
pédoncules (les mêmes pédoncules que pour les glands…
normal !).

La pollinisation est effectuée par le vent. Le fait de ne


pas fleurir au même moment – le chêne sessile fleurit par
exemple deux semaines après le chêne rouvre –
empêche une hybridation entre les différentes espèces.

Alors, on va les manger, les glands ?


…Le vent de printemps a soufflé, les fleurs femelles sont
pollinisées, fécondées et les glands se forment. Ils sont
bien installés dans leur cupule, ce petit bol marron-gris,
couvert d’écailles. Les glands sont d’abord verts et
deviennent marron à l’automne, tombent et sont à
disposition de ceux qui savent les apprécier.

Lors du ramassage, il faut bien faire le tri : Quand un


gland a un trou, ce n’est pas la peine, il est habité. Alors le
mieux est de le jeter en dehors de la zone de ramassage,
sinon on risque de retomber dessus et de le retourner
plusieurs fois. Les glands doivent être fermes et d’une
belle couleur, sinon il y a des chances qu’ils soient
pourris à l’intérieur.

Mais parlons sérieusement !

Comment rendre les glands


mangeables ?
En premier lieu on lave les glands et on fait le “test de
flottaison” : Les glands qui flottent sur l’eau peuvent être
mis au compost, ils sont abîmés.

Pour démarrer le lessivage, on commence par chauffer


les glands une première fois afin de faciliter l’épluchage.
Deux méthodes : Ou on les fait griller à la poêle à la
façon des châtaignes ou on les fait cuire dans de l’eau.
Comme j’avais une quantité assez importante de glands,
j’ai opté pour la cuisson à l’eau. Impressionnant, l’eau
devient marron foncé après cuisson !

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Lessivage à plusieurs eaux


On jette alors cette première eau de cuisson, on rince
et on met une bonne musique, parce que l’épluchage
demande un certain temps. Mieux encore, on fait ça
entre copains. Pour une activité originale, du jamais-fait,
vous allez obtenir la palme d’or ! Le geste n’est pas plus
compliqué que d’éplucher des châtaignes mais les glands
sont quand-même plus petits, alors patience…

Glands épluchés après une première cuisson

Une fois tout épluché, vous remettez les noix de glands


dans la casserole, couvrez d’eau et remettez à cuire.
L’eau va devenir marron de nouveau. Vous la jetez et
vous recommencez. Plusieurs fois, jusqu’à ce que l’eau
devienne nettement plus claire et que l’amertume des
glands disparaisse. Pour moi c’était 6 eaux différentes.
Comme je n’avais pas fini le premier jour, j’ai laissé
tremper la nuit dans de l’eau froide et j’ai repris le
lendemain. Ca fait une 7ième eau.

J’en conviens, ce n’est pas très économique en gaz ou


électricité. Une autre méthode consiste à éplucher les
glands et de les enfermer dans un linge que l’on pend
dans de l’eau courante qui s’occupera de lessiver les
tanins. C’est comme ça que pratiquaient les indiens
d’Amérique du Nord en abandonnant la bouille de gland
pendant quelques jours dans une rivière.

Ou alors on se pare d’encore plus de patience et on fait


des bains successifs dans de l’eau froide en laissant
tremper plusieurs heures à chaque fois. Mais ceci peut
prendre encore plus longtemps.

Des fruits riches en nutriments


A la fin, dans tous les cas, on obtient des fruits très
nutritifs, de consistance proche de la châtaigne avec
un goût moins prononcé, plus fade. On peut les sécher et
en faire de la farine, les écraser pour en préparer une
purée, les transformer en pain ou en pâtisserie, faire des
pâtes à tartiner, des soupes, en farcir des volailles ou
les utiliser mélangés à des légumes.
Les glands contiennent des amidons, des sucres, des
protéines et des lipides. On comprend qu’à certaines
époques, malgré le travail nécessaire, il était intéressant
de manger des glands. Après un bon plat, c’est sûr, on n’a
plus faim !

On en vient à la recette ?!

Tarte aux glands et aux noix


Ingrédients pour la pâte brisée :
250g de farine

125g de beurre

1/2 cuillerée à café de sel

1 cuillerée à soupe de sucre

40ml d’eau

Ingrédients pour la garniture :

350g de glands prêts à l’emploi

100g de cerneaux de noix

40g de raisins secs

40ml de rhum

200ml de crème liquide

100g de sucre

2 oeufs

1 cuillerée à soupe de miel

Couvrir les raisins secs de rhum et laisser absorber


pendant plusieurs heures.

Préparer la pâte brisée : Frotter entre les doigts la farine,


le beurre, le sel et le sucre afin d’obtenir des miettes.
Ajouter l’eau et pétrir rapidement jusqu’à obtenir une pâte
lisse. L’étaler dans un moule à tarte beurré et fariné.

Préparer la garniture :

Hacher grossièrement les noix.

Répartir les glands, les noix et les raisins au rhum sur la


pâte à tarte.

Dans un saladier mélanger la crème, le sucre, les oeufs et


le miel à l’aide d’un fouet.
Verser l’appareil sur les glands.
Faire cuire environ 45 minutes à 180° jusqu’à ce que la
surface de la tarte soit dorée.

Ca vaut l’effort… On s’est régalés !

Après cette préparation, il me restait encore quelques


glands prêts à l’emploi. J’ai alors préparé avec une partie
une poêlée de légumes (haricots verts, brocoli,
courgette) aux glands et à l’ail et j’ai réduit le reste en
purée à l’aide d’une fourchette. Cette purée ressemble de
très près à de la purée de châtaignes et je pense l’utiliser
ou en pâte à tartiner (avec des oignons frits, des herbes,
de l’huile) ou en gâteau au chocolat.

Vous saviez que l’on peut manger les glands ? Allez-vous


sortir en cueillette ? Dites-moi en commentaire ce que
tout ça vous inspire.

Pour moi cela a été une sacrée exploration aussi bien sur
le plan culinaire que botanique et historique. J’ai appris
plein de choses en faisant mes recherches et j’adore ça !
J’espère que cet article vous a plu et qu’il a pu vous
apporter des informations utiles.

A la semaine prochaine pour un nouvel article !

Découvrez ici mon défi une plante -une semaine – un


article jusqu’à fin mars 2020 !

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