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Ohadata D-23-04

L’HYPOTHÈQUE CONSERVATOIRE PRODUIT


PLEINEMENT SON EFFET SUR UN IMMEUBLE OBJET
D’UNE VENTE PAR ACTE NOTARIÉ

(À propos de l’arrêt de la Cour d'appel de Commerce d'Abidjan


n°703/2021 du 23 Décembre 2021, affaire Banque Nationale
d’Investissement-Gestion contre Mutuelle des Agents de la Direction
Générale et consorts)
Par

Steeves Rovial HOLLET

Juriste d’Entreprise, spécialité droit civil des biens


République du Congo (Brazzaville)

Email : hrovial@gmail.com

Article sélectionné par le Conseil scientifique - Association Henri Capitant


https://www.henricapitant.org
Résumé : L’acte notarié de vente d’immeuble en vue de la mutation de la propriété non publiée
au registre foncier ne suffit pas à effectuer le transfert de propriété à l’acquéreur. Cet acte est
inopposable aux tiers. Par voie de conséquent, l’hypothèque conservatoire prise sur l’immeuble
objet de la vente produit pleinement son effet.
Mots clés : Hypothèques, acte notarié, vente d’immeuble, inopposabilité, tiers.

2
INTRODUCTION
Nul ne peut affirmer que l’hypothèque prise sur un immeuble qui a fait l’objet d’une
vente par acte notarié non publié au registre foncier soit de nul effet. Pour mieux appréhender
cela, il suffit de s’imprégner1 de la décision de la première chambre de la Cour d’appel de
commerce d’Abidjan objet de notre commentaire.
En l'espèce, la Banque Nationale d’Investissement-Gestion dite BNI Gestion a interjeté
appel du jugement RG N°2440/2020 rendu le 30 novembre 2020 par le Tribunal de Commerce
d’Abidjan dans la cause l'opposant à la Mutuelle des Agents de la Direction Générale des
Impôts dite MADGI et la Mutuelle des Douanes de Côte d'Ivoire dite MUDC, qui l'a débouté,
confirme le jugement du Tribunal de commerce d'Abidjan rendu le 30 novembre 2020 et la
condamne aux dépens.
Il ressort des pièces jointes à la procédure que les 12 juillet 2012 et 17 septembre 2014,
la BNI Gestion signe deux protocoles d’accord respectivement avec la MADGI et la MUDCI
portant sur la mise en place, la structuration et l’obtention de l’agrément pour le fonds commun
de placement. À cet effet, elle verse les cotisations de son adhésion à la hauteur de
3.952.865.379 FCFA pour la MADGI et 2.155.473.026 F CFA pour la MUDCI. Des
dissensions émanant de l’exécution de ces protocoles ont conduit les mutuelles à saisir le
tribunal de commerce en résolution du contrat et en paiement de dommages et intérêts. Celui-
ci fait droit à leurs demandes en condamnant la BNI Gestion au paiement des sommes susvisées
et de la somme de 200.000.000 F CFA à titre de dommages-intérêts. Par appel relevé par BNI
GESTION, la première chambre de la Cour d’Appel de Commerce d’Abidjan par arrêt RG
N°363 du 19 novembre 2020 infirme partiellement les jugements en ce qui concerne les
dommages-intérêts. En exécution de leurs décisions, les mutuelles, par ordonnance
n°4032/2020 du 25 novembre 2020, obtiennent l’autorisation de prendre une inscription
d’hypothèque conservatoire provisoire sur le titre foncier n°117122 propriété de la BNI
Gestion. Or, il s'avère que ladite propriété objet du titre foncier n°117122 a fait l'objet en 2017
d'un contrat de cession par acte notarié établi entre la BNI Gestion et la société PERL INVEST.
Ce faisant, la BNI Gestion relève appel du jugement querellé.
Il a été reproché au premier juge d’avoir fait droit aux demandes de la MUDCI et de la
MADGI en validant l’inscription provisoire d’hypothèque sur la parcelle de terrain objet du
titre foncier n°l 17 122 sans retenir que le bien objet de l’inscription d’hypothèque n’est plus la
propriété de la BNI Gestion pour avoir été cédé à la société PERL INVEST.
La Cour d'appel de Commerce d'Abidjan devrait répondre à la question de savoir si la
cession d'immeuble par acte notarié n'ayant pas fait l'objet de publication au registre foncier est
opposable aux tiers qui a pris une hypothèque conservatoire provisoire sur ledit immeuble.
Elle répond par la négative en précisant que, bien que parfaite entre les parties, la cession
intervenue ne peut produire d’effet à l’égard des tiers dont les mutuelles MUDCI et MADGI,
pour n’avoir pas été publiée dans les formes légales. Ainsi, la Cour d’appel de commerce
d’Abidjan retient l’inopposabilité aux tiers de la vente d’immeuble par acte notarié non publiée
au livre foncier (I) de même qu’une possible inscription hypothécaire sur ledit immeuble (II).

1
Patrice Samuel Aristide BADJI, « Cassation par la CCJA d’un arrêt de la Cour d’appel pour violation des
règles du procès équitable », ATDA, n°6, Août 2020.

3
I – L’INOPPOSABILITE AUX TIERS DE LA VENTE D’UN IMMEUBLE
PAR ACTE NOTARIE NON PUBLIEE AU LIVRE FONCIER
Il est de principe civiliste que le droit des contrats est dominé par le consensualisme. Le
contrat se forme par l’échange des consentements des parties et produit un effet instantané et
définitif. En matière de contrat de vente, la vente est parfaite entre les parties dès lors qu’il y a
accord entre les parties sur le bien en cause et le prix, le transfert de propriété est opéré.
Toutefois des exceptions existent. C’est le cas en matière de vente immobilière par exemple où,
la vente pour être parfaite entre les parties, le contrat doit être passé par acte authentique à peine
de nullité de la vente et pour que cette perfection s’étende erga omnes, un palier supplémentaire
est nécessaire. Elle doit faire l’objet de publication au registre foncier.
En l’espèce, les sociétés BNI Gestion et PERL INVEST ont en 2007[,]par acte notarié,
effectué une cession de bien objet du titre foncier n°117122, qui n’a pas fait l’objet de
publication au livre foncier. Pour les sociétés précitées, conformément à l’article 1583 du code
civil l’acte notarié de vente est parfait entre eux dès lors qu’elles se sont accordées sur le prix.
Lequel a été entièrement payé et que le retard dans l’accomplissement des formalités n’entache
nullement la régularité de la vente et par voie de conséquent le transfert de la propriété à la
société PERL INVEST. Par ailleurs, le transfert de propriété dans le patrimoine d’une personne
autre que son propriétaire se fait par vente, cession ou legs sous réserve de la publication au
registre foncier afin de le rendre opposable aux tiers. L’absence desdites formalités est
synonyme du maintien de l’immeuble dans le patrimoine de son propriétaire.
En outre, la preuve de la propriété immobilière se fait par la production de l’arrêté de
concession définitive ou du certificat de mutation de propriété foncière ou encore de son
inscription au titre foncier. L’acte notarié de vente ne suffit pas à opérer le transfert de propriété.
La formalité de publication s’impose en vue de la mutation de la propriété foncière, mais surtout
en vue de rendre opposable l’acte aux tiers conformément à l’article 1690 du code civil.
Il ressort de la lecture de l’article 2 du décret du 26 juillet 1932 portant la réorganisation
du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française que la garantie des droits
réels possédés par les titulaires sur les immeubles soumis au régime de l’immatriculation est
« obtenue au moyen de la publication sur les livres fonciers, à un compte particulier ouvert
pour chaque immeuble, de tous les droits réels qui s’y rapportent, ainsi que des modifications
de ces mêmes droits (…) ». En plus, l’article 21 du même décret ajoute que : « les droits réels
énumérés en l’article précédent ne se conservent et ne produisent effet à l’égard des tiers
qu’autant qu’ils ont été rendus publics dans les formes, conditions et limites réglées au présent
décret, sans préjudice des droits et actions réciproques des parties pour l’exécution de leurs
conventions ». Qu’enfin, l’article 130 du décret suscité renchérit que : « la publication aux
livres fonciers des droits réels constitués sur les immeubles postérieurement à leur
immatriculation, prévue par l’article 2 et exigée par l’article 21 pour la validité desdits droits
au regard des tiers, est assurée par la formalité de l’inscription ».
Ainsi, il résulte de l’analyse des dispositions du décret précité que pour être parfaite et
opposable à tout le monde, la vente immobilière doit être publiée au registre foncier. Or, il
s’avère que la cession d’immeuble intervenue entre la BNI Gestion et la société PERL INVEST
n’a jamais fait l’objet de publication au registre foncier. Par voie de conséquent, elle est
inopposable aux tiers en général et des mutuelles la MADGI et la MUDCI en particulier.

4
II – LA POSSIBLE INSCRIPTION D’HYPOTHEQUE CONSERVATION
SUR UN BIEN AYANT FAIT L'OBJET D'UNE VENTE NON PUBLIEE
AU LIVRE FONCIER
La Cour d'appel de commerce d'Abidjan réaffirme la jurisprudence constante selon
laquelle « le débiteur ne peut opposer au créancier saisissant une vente portant sur l’immeuble
saisi, dès lors que la vente alléguée n’a pas été publiée avant le commandement de saisie »2.
L'inscription au livre foncier n'a pas pour effet de créer un droit ou une charge sur l’immeuble.
Elle ne fait que porter à la connaissance des tiers l'existence des droits résultants de tel ou tel
acte conclu entre les parties3 sans laquelle, la vente d'immeuble ne peut être opposable aux tiers.
Dans le cas d'espèce, les 12 juillet 2012 et 17 septembre 2014, la BNI Gestion signe
deux protocoles d’accord respectivement avec la MADGI et la MUDCI. Des dissensions
émanant de l’exécution de ces protocoles ont conduit les mutuelles à saisir le tribunal de
commerce en résolution du contrat. Celui-ci fait droit à leurs demandes en condamnant la BNI
Gestion. En exécution de leurs décisions, les mutuelles, par ordonnance n°4032/2020 du 25
novembre 2020, obtiennent l’autorisation de prendre une inscription d’hypothèque
conservatoire provisoire sur le titre foncier n°117122 propriété de la BNI Gestion. Or, pour
cette dernière, ladite propriété a fait l'objet en 2017 d'une cession par acte notarié entre la BNI
Gestion et la société PERL INVEST qui n'a jamais été publié au livre foncier.
Il résulte de la lecture de l'article 213 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés
que : « Pour sûreté de sa créance (...) le créancier peut être autorisé à prendre inscription
provisoire d'hypothèque sur les immeubles de son débiteur ». Bien plus, l'article 221 du même
acte uniforme ajoute que : « Si la créance est reconnue, la décision statuant sur le fond
maintient en totalité ou en partie l'hypothèque déjà inscrite ou octroie une hypothèque
définitive ». Il s'ensuit que la cession dudit bien par acte notarié établi en 2017 entre la BNI
Gestion et la société PERL INVEST bien que parfaite entre les parties, n’a jamais fait l’objet
de publication au livre foncier. Par conséquent, elle est inopposable aux tiers. Dans le souci de
garantir le paiement de la créance face à l'insolvabilité du débiteur, une inscription
d’hypothèque sur le titre foncier n°117 122 a été autorisée de bon droit par le juge qui, au regard
de la MADGI et la MUDCI, ledit bien fait toujours parti du patrimoine de la BNI Gestion. Cet
arrêt interpelle les contractants ainsi que les auxiliaires de justice sur l’importance de la
publication4 dans un bref délai au livre foncier des opérations de vente et cession.

2
CCJA, 1ère Ch., Arrêt n°58/2016, 21 Avril 2016.
3
Evelyne MANDESSI BELL, La « caducité » d’une hypothèque pour non-renouvellement de l’inscription
hypothécaire, peut-elle être invoquée dans tous les pays de la zone OHADA pour faire échec à une procédure
de saisie immobilière ? Ohadata D-09-52, 2009, p. 3 et s.
4
Voir l’article 27 de la loi n°68-612 portant loi de finance pour la gestion de 1969 « Tous faits ou actes ayant pour
effet de modifier des inscriptions du livre foncier sont obligatoirement publiés audit livre foncier dans un délai de
trois mois de leur date. Les notaires, greffiers, huissiers et autorités administratives sont tenues de faire publier
indépendamment de la volonté des parties, les actes dressés par eux ou avec leur concours...Tout acte publié après
expiration du délai ci-dessus est passible d'un droit en sus ».

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