DOSSIER

INFRASTRUCTURES, LES DÉFIS DE DEMAIN

Durabilité, connectivité et résilience

sont les enjeux majeurs pour les
infrastructures d’aujourd’hui et de demain

Bruno GODART
ING 1978
Président d'honneur de l'AFGC
Ancien Dir-adjoint du Département MAST de l'Université
Gustave Eiffel

Si l’on regarde l’histoire des infrastruc-

tures et plus particulièrement celle des
ponts, deux exemples célèbres per-
mettent de poser la problématique : le
premier exemple est celui du « pont du
Gard », ou plus exactement de l’aqueduc
sur le Gardon, pour lequel 2000 ans après
sa construction par les Gallo-romains,
celui-ci affiche toujours une bonne santé
et a résisté aux aléas, même s’il aurait
pu s’effondrer il y a quelques années si
le gestionnaire n’était pas intervenu en
urgence pour traiter un affouillement
sous une des piles.

Le second exemple est celui du pont

Morandi à Gênes qui s’est effondré le
14 août 2018, 51 ans seulement après
sa construction. Même si l’affaire est
toujours dans les mains de la Justice ita-
lienne, il est fort probable que l’effon- 2000 ans après sa construction, le Pont du Gard affiche une bonne santé…
drement spectaculaire de cet ouvrage

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INFRASTRUCTURES, LES DÉFIS DE DEMAIN
ait été provoqué par un manque de
durabilité et de résilience ; en effet la
cause la plus probable est la rupture par
corrosion d’un hauban, et le manque de
robustesse de la structure qui se traduit
par le fait que la rupture d’un hauban
peut entraîner une rupture en chaîne
d'une partie de l’ouvrage.
Ces deux exemples situés à l’extrême
du spectre, ont tous deux en commun
qu’une maintenance des ouvrages est
nécessaire. Pour que des ouvrages
puissent être opérationnels sur une
longue période, ils doivent être bien
conçus, bien construits et bien mainte-
nus. Une bonne conception signifie une
certaine robustesse que l’Eurocode(1)
définit comme « l'aptitude d'une struc-
ture à résister à des événements sans
présenter de dégâts disproportionnés
par rapport à la cause d'origine ». Une
bonne exécution impose notamment
l’utilisation de matériaux durables. Une
bonne maintenance suppose une sur-
veillance régulière qui peut faire appel
à de la surveillance instrumentée (mo-
nitoring), un entretien courant, ainsi
que des actions de réparation ou de
renforcement déclenchées en temps
et en heure lorsque des désordres sont
51 ans après sa construction, le Pont Morandi à Gênes s’effondre…
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constatés. Pour les ouvrages d’art, l’IT-
SEOA(2) constitue le texte de référence
de cette politique technique. Le niveau
de maintenance des infrastructures
dépend du budget alloué et de l’organi-
sation du gestionnaire, et force est de
constater qu’en France (comme dans
la plupart des autres pays…) ce niveau
est très variable selon le type de réseau
(routier, ferroviaire ou navigable), et
à l’intérieur d’un réseau selon l’impor-
tance des voies concernées comme le
montre un récent rapport du Sénat à
propos du réseau routier français(3).
Si l’on regarde à présent vers le futur, le
changement climatique et la préserva-
tion de la biodiversité sont indéniable-
ment les préoccupations majeures. Au
regard du changement climatique, dura-
bilité, connectivité et résilience sont les
enjeux majeurs pour les infrastructures.
Sur le plan de la durabilité, dans le do-
maine des structures métalliques nous
disposons de modèles pour prévoir les
deux causes principales de dégrada-
tion que sont la fatigue et la corrosion ;
par ailleurs la promotion des aciers au-
topatinables et le développement de
procédés de traitement pour améliorer
la résistance des soudures à la fatigue
vont permettre d’augmenter la durabi-
lité de ces structures. Dans le domaine
des structures en béton, les résultats
décisifs du projet national PERFDUB(4)
vont permettre de développer la mé-
thodologie performantielle (basée sur
des essais de performance) d’évalua-
tion de la durabilité des ouvrages en bé-
ton et ainsi favoriser l’essor de bétons
bas carbone ou le recyclage du béton
en pouvant évaluer la durabilité de ces
nouveaux matériaux, ce qui n’était pas
le cas auparavant.
Sur le plan de la maintenance, la connec-
tivité des structures associée à l’intel-
ligence artificielle sont des voies de
développement intéressantes qui vien-
dront en complément ou en remplace-
ment partiel de la surveillance tradition-
nelle. Certains ouvrages stratégiques
sont déjà connectés tels les grands
barrages, les enceintes nucléaires, des
ponts exceptionnels comme le pont de
Normandie et le viaduc de Millau, mais
face au vieillissement du patrimoine
soumis en outre à des environnements
agressifs et à des évolutions d’usage,
il apparaît nécessaire de connecter
davantage d’ouvrages de façon à avoir
en temps réel des informations sur leur
état fonctionnel afin d’assurer la sécuri-
té des usagers et pouvoir mieux contrô-
ler le niveau de service requis. Cette
notion de connectivité devrait amener
(1) Eurocode : codes européens de conception
et de calcul des ouvrages
(2) Instruction technique pour la surveillance
et l’entretien des ouvrages d’art (ITSEOA) -
Dispositions générales applicables à tous les
ouvrages. Fascicule 0, Ministère des Trans-
ports, Cerema, 2010
(3) Maurey H., Chaize P. et Dagbert M., Sécu-
rité des ponts : éviter un drame. Rapport d’in-
formation N°609, Sénat, juin 2019
(4) Approche Performantielle de la Durabilité
des Ouvrages en Béton - De la qualification
en laboratoire au suivi d'exécution. Éditions
Eyrolles, 2023 (ISBN : 978-2-416-00870-2)

à repenser la surveillance et l’entretien
des infrastructures. On peut donc se
féliciter du lancement par le Ministère
en charge des Transports d’un projet
de recherche(5) destinée à faire émerger
de nouvelles solutions. Par ailleurs, les
dernières innovations en matière d’ins-
trumentation offrent déjà de nouvelles
perspectives aux gestionnaires.
Sur le plan de la résilience des infras-
tructures face au changement clima-
tique, nous sommes dans un domaine
plus incertain. Tout d’abord, il faut
rappeler que le changement clima-
tique est une réalité, n'en déplaise à
certains individus qui le nient par igno-
rance ou par manque de conscience.
L’ampleur du changement climatique
reste néanmoins difficile à cerner, car
malgré les vœux pieux de bon nombre
de politiques, les émissions mondiales
de CO₂ ne baissent quasiment pas et
la température globale de 2022 a été
une nouvelle fois largement au-dessus
des niveaux préindustriels. Les consé-
quences du changement climatique sur
les infrastructures peuvent être analy-
sées sous deux angles : celui des actions
appliquées sur les infrastructures et ce-
lui de leurs performances.
Selon le premier angle, la question est
de savoir comment le changement cli-
matique va modifier la fréquence, la
valeur moyenne et les valeurs extrêmes
des actions sur les infrastructures. Ces
actions concernent évidemment l’aug-
mentation des températures, mais
aussi les effets des pluies et des inon-
dations, les effets du vent et notam-
ment des cyclones, l’augmentation du
niveau des mers, et même le poids de la
neige et de la glace. Comme le montre
l’article de A. Orcesi et al. [5] le chan-
gement climatique a surtout un impact
sur les valeurs extrêmes des actions, et
les contributions des météorologistes
et des statisticiens sont indispensables
INFRASTRUCTURES, LES DÉFIS DE DEMAIN
pour pouvoir évaluer les périodes de
retour à 100 ans et à 1000 ans de ces di-
vers évènements. À titre d’exemple, si
la charge de neige moyenne peut dimi-
nuer dans l’avenir sur l’ensemble d’un
pays donné, la variabilité des chutes
de neige augmentant, une partie spé-
cifique de ce pays peut être soumise à
une charge extrême de neige plus im-
portante qu’aujourd’hui, et ce malgré
un réchauffement général.
Si nous rentrons un peu plus dans le
détail des actions appliquées à nos in-
frastructures et plus particulièrement à
nos ponts, l’augmentation moyenne de
la température ne me paraît pas être un
problème majeur pour ces derniers qui,
globalement, sont déjà dimensionnés
pour s’adapter à ces augmentations,
sauf peut-être pour leur durée de vie en
fatigue qui pourrait être affectée.
Un consensus se dégage sur le fait que
l’un des effets critiques du changement
climatique, suite à un accroissement
des épisodes pluvieux, est l’augmen-
tation du risque d’affouillement des
fondations de ponts soumis en outre
à des poussées hydrodynamiques plus
importantes. Ce risque dépend forte-
ment de la région considérée et surtout
du type de rivière. Mais l’accroisse-
ment prévisible des épisodes pluvieux
entraînera des conséquences sur les
inondations dans certaines régions. À
titre d’exemple, une étude citée dans
l’article de A. Orcesi et al. [5] montre
qu’en Europe, avec une augmenta-
tion de 2°C, 25 % des personnes vivant
dans des régions affectées par des
inondations feraient face à des risques
accrus d’inondations, et avec une aug-
mentation de 4°C, ce serait 50 % des
personnes…, ces risques se caractéri-
sant davantage par une augmentation
des fréquences des inondations, plus
que par une augmentation significa-
tive de leur ampleur… mais tout ceci
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dépend aussi de l’intervention future
de l’homme sur la nature, notamment
le type d’urbanisation que l’on choisira
de faire et les interventions humaines
sur l’environnement comme la défores-
tation et l'artificialisation des sols.
Concernant le vent, les modèles cli-
matiques actuels prévoient que la fré-
quence des tempêtes dévastatrices et
des cyclones tropicaux va augmenter
avec de larges variations selon les ré-
gions du globe, et que cela sera en par-
ticulier dépendant de l’élévation de la
température de la surface des mers et
océans. En Europe, une augmentation
des vents extrêmes dans la partie Nord
de l’Europe est probable mais reste dif-
ficile à estimer(6).
Enfin, il apparaît aussi que les infras-
tructures côtières soumises à la fois à
la montée du niveau des mers et aux
submersions lors des tempêtes ex-
trêmes ou des tsunamis seront parmi
les plus impactées par le changement
climatique.
Selon le second angle, la question est
de savoir comment le changement cli-
matique va agir sur le vieillissement des
infrastructures et notamment la dégra-
dation des matériaux, et donc la fiabilité
et la durabilité des infrastructures. Il est
certain que cela dépendra des condi-
tions locales d’exposition dans laquelle
(5) Programme national Ponts - appel à pro-
jets "ponts connectés", Ministère chargé des
Transports, Cerema, 2021. https://www.cere-
ma.fr/fr/presse/dossier/annonce-17-laureats-
appel-projets-ponts-connectes
(6) Orcési A. & al. Investigating the Effects of
Climate Change on Structural Actions. Struc-
tural Engineering International, Nr. 4/2002,
pp. 563-576
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se trouve une structure donnée. Il est
probable que le changement climatique
sera bénéfique pour certaines et malé-
fique pour d’autres.
À titre d’exemple(7), on sait que la cor-
rosion est accélérée par la température,
et que les structures se trouvant en
milieu humide subiront vraisemblable-
ment une corrosion plus importante.
L’augmentation du taux de gaz car-
bonique dans l’air accélèrera la carbo-
natation des bétons dans les climats
tempérés. Les parties de structures
maritimes existantes, qu’elles soient en
béton armé ou en métal, soumises à des
hauteurs de mer et de houle plus impor-
tantes, seront confrontées à une corro-
sion plus importante par les chlorures
provenant de l’eau de mer. Les struc-
tures en béton situées dans les régions
froides et restant gelées sur une longue
période seront soumises à davantage
de cycles de gel-dégel qui pourront
occasionner une dégradation du béton.
A l’inverse, les structures situées dans
un environnement plus sec devraient
moins se dégrader.
En conclusion, il convient de se pré-
occuper et d’améliorer la résilience
des infrastructures en investiguant
et en comparant différentes straté-
gies d’adaptation au changement cli-
matique, avec l’objectif d’adapter les
règles de dimensionnement des futures
infrastructures, mais aussi de limiter les
coûts de réparation et de renforcement
des ouvrages existants en se basant
sur une analyse de risques qui prenne
en compte la criticité de ces infrastruc-
tures. Si l’on considère les fortes incer-
titudes liées aux modèles, il devrait
être fait appel à un emploi plus grand
des techniques de monitoring de santé
structurale afin d’améliorer le proces-
sus de décision pour les structures exis-
tantes et de faciliter la conception de
nouvelles structures résilientes.
(7) Orcési A. & al. Investigating the Effects of
Climate Change on Material and Structural
Performance. Structural Engineering Interna-
tional, Nr. 4/2002, pp. 577-588.

Parcours professionnel

Bruno Godart, Ingénieur de l’ENTPE (1978), Master of Science de l’Université de Stanford (MS 1979) et diplômé de l'IAE de Paris (1984).

Après avoir obtenu un Master of Science de l'Université de Stanford en 1979, Bruno Godart a effectué jusqu'en 2011 toute sa carrière au LCPC où il a occupé no-
tamment les fonctions de Directeur Technique des Ouvrages d'art et de chef du département « Structures et Ouvrages d'Art ». Par la suite, il a occupé le poste
de Directeur- adjoint du département « Matériaux et structures » à l'IFSTTAR puis à l'Université Gustave Eiffel (UGE) avant de prendre sa retraite de l'UGE.
Auteur de nombreuses publications dans le domaine de la pathologie, de l'auscultation, de la réparation et de la gestion des ouvrages d'art, il a conduit de mul-
tiples expertises d'ouvrages de génie civil et a apporté une contribution essentielle à l'élaboration de la doctrine technique dans ce domaine. Dans une approche
d'ingénierie forensique, cela l'a également amené à co-piloter la rédaction des recommandations nationales pour prévenir les réactions de gonflement du béton
dans les ouvrages de génie civil. Il a été également un membre actif de plusieurs associations scientifiques internationales (IABSE, fib, RILEM).
Il est actuellement président d'honneur de l'Association Française de Génie Civil (AFGC), après avoir été président de cette association pendant huit années.

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