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Semen

Revue de sémio-linguistique des textes et discours

22 | 2006
Énonciation et responsabilité dans les médias

Discours journalistique et
positionnements
énonciatifs. Frontières et
dérives
Patrick Charaudeau
https://doi.org/10.4000/semen.2793

Entrées d’index
Mots-clés : Discours, Enonciation, Communication, Médias, Discours
journalistique

Texte intégral
1. Introduction
1 Je rappellerai ici quelques présupposés du modèle socio-
communicationnel d’analyse du discours dans lequel je me situe, et
sans lesquels mon propos perdrait de sa pertinence.
2 Tout acte de langage est un acte d’échange interactionnel1 entre
deux partenaires (sujet communicant et sujet interprétant) liés par
un principe d’intentionnalité, cet échange se produisant toujours
dans une certaine situation de communication.
3 Le sujet communicant, en prenant possession de la parole
s’institue en sujet énonçant, ou énonciateur, et institue du même
coup le sujet interprétant en sujet destinataire. Le positionnement
du sujet énonciateur dépend donc des données de la situation de
communication dans laquelle se trouve le sujet communicant.
4 Ces données sont d’ordre socio-communicationnel dans la mesure
où elles déterminent, en même temps et dans des rapports de
réciprocité, la nature identitaire des partenaires de l’échange, la
relation que ceux-ci entretiennent entre eux2, la visée d’influence qui
justifie le fait de prendre la parole3. Ce qui me fait définir la situation
de communication comme un cadre fonctionnel instaurant des
places et des relations autour d’un dispositif qui détermine :
l’identité des sujets en termes de statuts et de rôles selon certains
rapports hiérarchiques, la finalité de la relation en termes de visées
pragmatiques (de « prescription », d’« incitation »,
d’« information », d’« instruction », etc.4), le propos échangé en
termes d’univers de discours thématisé (à ce niveau « macro-
thématisé »), les circonstances matérielles selon le type de situation
locutive (interlocutive/monolocutive) et de support de transmission
de la parole (écrit, audio-oral, audio-visuel, etc.).
5 Ces données fournissent (imposent) au sujet parlant
des »instructions discursives » sur la façon de se comporter en tant
qu’énonciateur, à propos de l’identité qu’il doit attribuer à son
partenaire en tant que sujet destinataire, à propos de la façon
d’organiser son discours (de manière descriptive, narrative et/ou
argumentative), sur les topiques sémantiques qu’il doit convoquer.
Cet ensemble de données externes et d’instructions discursives
constituent ce que j’appelle un « contrat de communication », ou
genre situationnel, qui surdétermine (en partie) les partenaires de
l’échange. Ainsi peuvent être distingués divers types de contrats (ou
genres situationnels), tel le publicitaire, le politique, le didactique, le
médiatique, etc.5
6 Ici, il sera question de ce dernier, le médiatique, à propos duquel
sera traitée plus particulièrement la mise en scène énonciative.

2. Du contrat de communication
médiatique au contrat
d’énonciation journalistique
7 Encore une précision résultant des considérations précédentes : à
force d’échanges langagiers, les comportements des partenaires se
stabilisent en instaurant des normes communicationnelles. Ainsi se
construisent des types de situation de communication qui, comme
on vient de le dire, assignent des places et des rôles aux instances de
l’échange et définissent leurs relations autour d’un dispositif socio-
communicationnel. Mais il ne faut pas confondre ce dispositif avec
l’acte de mise en scène du discours. Le dispositif fait partie des
conditions contractuelles de production de l’acte langagier, avec les
instructions qu’il donne au sujet, mais il n’en constitue pas la
totalité. C’est pourquoi il convient de distinguer acte de
communication (englobant) et acte d’énonciation (spécifiant), et
donc situation de communication et situation d’énonciation6.
8 Mais en même temps, il y a rapport de réciprocité non symétrique
entre les deux. Si la situation de communication surdétermine en
partie le sujet en lui imposant des instructions discursives, celui-ci
dispose d’une certaine marge de liberté pour procéder à une mise en
scène énonciative qui respecte ces instructions, mise en scène qui
d’ailleurs peut avoir, à terme, une influence sur le contrat lui-même7.
9 C’est en me basant sur cette distinction que je propose de
distinguer contrat de communication médiatique et contrat
d’énonciation journalistique : le premier renvoie aux caractéristiques
du dispositif impliquant une instance de production médiatique et
une instance de réception-public, reliés par une visée d’information ;
le second correspond à la façon dont l’énonciateur journaliste met en
scène le discours d’information à l’adresse d’un destinataire imposé
en partie par le dispositif et en plus imaginé et construit par lui.
Examinons donc ce jeu entre dispositif, instructions discursives et
positionnement énonciatif du sujet journaliste.
10 Le contrat médiatique a été décrit dans mon ouvrage sur le
discours d’information (Charaudeau, 2005c) et donc je me
contenterai d’en rappeler les données essentielles. L’information
médiatique est déterminée par un dispositif dont les caractéristiques
sont les suivantes.
11 Une instance de production composite comprenant divers acteurs
ayant chacun des rôles bien déterminés, ce qui rend difficile
l’attribution de la responsabilité des propos tenus. Cependant, cette
instance se définit globalement à travers cinq types de rôles qui
englobent tous les autres : de chercheur d’informations, ce qui la
conduit à s’organiser pour aller aux sources de ces informations
(réseau avec les Agences de presse, correspondants de terrain,
envoyés spéciaux, relais d’indicateurs) ; de pourvoyeur
d’informations, ce qui l’amène à sélectionner l’ensembles des
informations recueillies en fonction d’un certain nombre de critères
(voir ci-dessous la double finalité) ; de transmetteur d’informations,
ce qui la conduit à mettre en scène les informations sélectionnées en
fonction d’un certain nombre de visées d’effet, et en jouant sur des
manières de décrire et de raconter ; de commentateur de ces
informations, ce qui l’amène à produire un discours explicatif
tentant d’établir des relations de cause à effet entre les événements
(ou les déclarations) rapportés ; enfin, de provocateur de débats
destinés à confronter les points de vue de différents acteurs sociaux.
12 Une instance de réception, elle aussi composite, mais sans
détermination de rôles spécifiques, ce qui la rend on ne peut plus
floue. On sait qu’en réalité, cette instance est double, car il ne faut
pas confondre l’instance-cible, celle à laquelle s’adresse l’instance de
production en l’imaginant, et l’instance-public, celle qui reçoit
effectivement l’information et qui l’interprète (ibid. : 62 et sq). Cette
dernière est difficile à saisir, ce qui n’empêche pas l’instance
médiatique de tenter de la cerner à grands coups de sondages et
enquêtes. Dès lors, l’instance-cible devient une construction
imaginée à partir des résultats de ces sondages, mais surtout à partir
d’hypothèses sur ce que sont les capacités de compréhension du
public visé (cible intellective), ses intérêts et ses désirs (cible
affective) (ibid. : 64).
13 Quant à la finalité de ce contrat, on sait qu’elle est double : une
finalité éthique de transmission d’informations au nom de valeurs
démocratiques : il faut informer le citoyen pour qu’il prenne part à la
vie publique ; une finalité commerciale de conquête du plus grand
nombre de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, puisque l’organe
d’information est soumis à la concurrence et ne peut vivre (survivre)
qu’à la condition de vendre (ou d’engranger des recettes
publicitaires). La finalité éthique oblige l’instance de production à
traiter l’information, à rapporter et commenter les événements de la
façon la plus crédible possible : elle se trouve surdéterminée par un
enjeu de crédibilité. La finalité commerciale oblige l’instance
médiatique à traiter l’information de façon à capter le plus grand
nombre de récepteurs possible : elle se trouve surdéterminée par un
enjeu de captation (ibid. : 71-73).
14 Ces données du dispositif médiatique assignent au sujet
journaliste, en tant qu’énonciateur, certaines instructions discursives
qui peuvent varier selon qu’elles obéissent à l’enjeu de crédibilité ou
de captation.
15 Tout d’abord, des instructions sur le positionnement énonciatif, au
regard du possible « engagement » du sujet énonçant » : l’enjeu de
crédibilité exige de celui-ci qu’il ne prenne pas parti8. D’où une
délocutivité obligée de l’attitude énonciative qui devrait faire
disparaître le Je sous des constructions phrastiques impersonnelles
et nominalisées. Ce n’est pas à proprement parler de l’objectivité,
mais c’est le jeu de l’objectivité par l’effacement énonciatif9. On
verra, cependant, que l’enjeu de captation le conduira parfois à
prendre position.
16 Ensuite, l’événement ayant été sélectionné (selon des critères de
saillance10), il s’agit pour le journaliste de rapporter les faits de la
façon la plus précise possible, avec, comme on le dit en narratologie,
un point de vue de narrateur externe qui tenterait de décrire
fidèlement la succession des faits, et de mettre en évidence (ou à
suggérer quand il n’en a pas la preuve) la logique d’enchaînements
entre ceux-ci. Il en est de même pour l’activité qui consiste à
rapporter des paroles, des déclarations, des discours et les réactions
qui s’ensuivent. La mise en scène de ce que l’on appelle le discours
rapporté devrait également satisfaire à un principe de distance et de
neutralité qui oblige le rapporteur journaliste à s’effacer, et dont la
marque essentielle est l’emploi des guillemets encadrant le propos
rapporté. C’est là encore se soumettre à l’enjeu de crédibilité, mais
on verra que ces principes de distance et de neutralité ne sont pas
toujours respectés à des fins de captation.
17 Le discours journalistique ne peut se contenter de rapporter des
faits et des dits, son rôle est également d’en expliquer le pourquoi et
le comment, afin d’éclairer le citoyen. D’où une activité discursive
qui consiste à proposer un questionnement (sans cadre de
questionnement pas d’explication possible), élucider différentes
positions et tenter d’évaluer chacune de celles-ci 11. Une fois de plus,
l’enjeu de crédibilité exige que le journaliste énonciateur —souvent
spécialisé ou chroniqueur— ne prenne pas lui-même parti, qu’il
explique sans esprit partisan et sans volonté d’influencer son lecteur.
Mais on verra plus loin pour quelles raisons il s’agit là d’un exercice
quasi impossible, ce discours ne pouvant être ni vraiment didactique,
ni vraiment démonstratif, ni vraiment persuasif. Sans compter que
l’enjeu de captation tire parfois ces explications vers des prises de
positions et des explications plus dramatisantes qu’éclairantes.
18 Enfin, les caractéristiques de la vie en société dans un régime
démocratique étant d’alimenter l’espace de discussion public pour
mieux délibérer et décider de son action citoyenne, l’instance
journalistique se donne un rôle d’initiateur et d’animateur de ce
débat par l’organisation de rencontres de personnalités politiques, de
face à face entre politiques et diverses instances citoyennes,
d’interviews de ces mêmes personnes, de tribunes d’opinions, etc.
Selon les formes que prend ce débat social, le rôle du journaliste est
varié : complètement effacé lorsqu’il donne la parole à des
personnalités extérieures au journal dans les tribunes d’opinion, ou
quand il se contente de jouer le rôle de « sablier », de distributeur du
temps de parole, dans les débats télévisés, il peut être très présent
dans la façon de mener une interview et d’interpeller les acteurs de la
vis sociale. Ici, les principes de distance et de neutralité sont encore
plus difficiles à tenir, car c’est le journaliste qui procède à la sélection
des invités extérieurs, à la distribution des paroles et c’est lui qui par
ses questions impose des cadres de questionnement. Parfois même
l’enjeu de captation peut entraîner le journaliste à exacerber les
antagonismes de façon à provoquer une polémique qui relève plus
d’un spectacle pugilistique que d’un débat d’opinions.

3. Les frontières énonciatives


du discours journalistique
19 Le journaliste doit raconter, expliquer, capter, mais ce n’est point
en historien, en savant, en politique.

3.1. La frontière du récit historique


20 L’histoire est une discipline qui, avec sa technique de recueil des
données dans les archives, sa méthode critique et ses principes
d’interprétation, rapporte des événements du passé en en proposant
une vision explicative. Le discours journalistique confronté à la façon
de relater les événements qui viennent de se produire ne peut
prétendre à une méthode du même type.
21 Tout d’abord, évidemment, en raison de son rapport au temps. Le
temps de l’histoire n’est pas celui des médias. Les événements
rapportés par les médias doivent faire partie de « l’actualité », c’est-
à-dire d’un temps encore présent, considéré nécessairement comme
tel, car il est ce qui définit (fantasmatiquement) « la nouvelle ».
Celle-ci a donc une existence en soi, autonome, figée dans un présent
de son énonciation. Les événements dont s’occupe l’histoire
appartiennent à un passé qui n’a plus de connexion avec le présent et
dont l’existence dépend d’un réseau événementiel d’avant et d’après,
de passé et de présent que l’historien doit ordonner et rendre
cohérent. Le temps des médias n’a pas d’épaisseur, alors que celui de
l’histoire n’est qu’épaisseur, et l’événement qui s’y trouve est comme
un îlot perdu dans un espace archipélique dépourvu de tout principe
de cohérence. Sans compter qu’un autre aspect du temps différencie
la démarche historique de la démarche médiatique : la première
s’étend dans un long temps de recherche de données, de
vérifications, de recoupements, qui établit une grande distance entre
le moment de l’investigation et le moment du récit, alors que la
deuxième ne vit que dans l’immédiateté, toute temporisation
pouvant lui être dommageable dans le rapport de concurrence aux
autres organes d’information.
22 De cette différence temporelle, il résulte que l’événement
médiatique se présente (prétend se présenter) à l’état brut comme
fantasme d’authenticité justifiant l’acte d’information : « Je vous dis
ce qui vient de surgir dans le monde ». L’explication causale n’a donc
qu’une seule dimension, celle d’un avant immédiat dont on ne sait si
c’est seulement un avant dans l’ordre de la succession des faits ou
d’un avant origine et cause. L’événement historique, lui, n’est jamais
présenté à l’état brut, il est une catégorie résultant d’une
reconstruction explicative complexe à deux dimensions, un avant et
un après en relation de causalité, dans laquelle interviennent un
ensemble de « causes finales, des causes matérielles et des causes
accidentelles » (Prost, 1996). Cela explique que le récit historique
apporte une explication interprétative considérée comme provisoire
(jusqu’à preuve du contraire), ce dont est dépourvu le récit
médiatique.

3.2. La frontière de l’explication savante


23 Lorsque le discours journalistique doit se livrer à une activité de
commentaire, il le fait, a-t-on dit, en produisant un discours
d’analyse et d’explication. Mais celui-ci ne peut être le même que
celui du discours savant. Le discours savant a cette double
caractéristique d’être à la fois démonstratif et ouvert à la discussion.
Démonstratif, cela veut dire – mais de façon variable selon les
disciplines scientifiques – qu’il participe d’un raisonnement
hypothético- déductif qui s’appuie sur des observations raisonnées
ou sur des expérimentations : il s’inscrit dans un certain cadre
théorique, suit une certaine méthodologie, manipule des notions et
des concepts préalablement définis pour établir une certaine vérité.
Mais comme celle-ci est soumise à discussion, l’établissement de
cette vérité est présenté sur le mode hypothétique, et son
énonciateur, tout en s’effaçant derrière un sujet analysant, le sujet de
la science – ce qui est marqué par l’emploi de pronoms indéterminés
(« on »), ou d’un pronom « je » qui représente un sujet pensant –, ce
sujet émaille son discours de prudence énonciative, ce qui se
manifeste par des verbes et adverbes de modalités (« il est probable
que.. », « on peut dire que… », « vraisemblablement »). Rien de tel
dans le discours journalistique. Celui-ci ne peut se référer à aucun
cadre d’explication théorique, ne suit aucune méthodologie
particulière, ne manipule aucun concept, ce qui s’explique par la
supposition qu’en font les journalistes, à savoir que le public indéfini
auquel ils s’adressent ne serait pas en mesure de comprendre des
commentaires renvoyant à un cadre de référence qu’il ne possède
pas. En outre, et paradoxalement, si l’énonciateur journalistique
cherche à s’effacer derrière un sujet expliquant indéterminé, il
n’emploie guère de marques de modalisation du discours, car, aux
dires du milieu journalistique elles risqueraient de produire un effet
d’incertitude, de doute, contradictoire avec les attentes (une fois de
plus supposées) des lecteurs. C’est pourquoi le discours explicatif
journalistique se présente sous la modalité de l’affirmation :
modaliser serait une preuve de faiblesse au regard de la visée de
crédibilité de la machine informative. C’est également pourquoi un
débat médiatique ne peut ressembler à un colloque scientifique, les
enjeux de la parole n’étant pas les mêmes. En cela le discours de
commentaire journalistique s’apparente davantage à un discours de
vulgarisation, sans en avoir la prétention car ce pourrait être contre-
productif.

3.3. La frontière du discours persuasif


24 Le discours journalistique, de par ses conditions médiatiques ne
peut être confondu avec le discours politique. Ce dernier procède
d’une visée d’incitation dans la mesure où il s’agit pour le sujet
politique de persuader le citoyen des bienfaits de son projet ou de
son action politique : il cherche à « faire faire » en « faisant croire ».
A cette fin, il a recours à des stratégies discursives de crédibilité et de
captation qui lui sont propres : se construire une image de leader
incontestable, séduire son public pour l’amener à adhérer à sa
politique (Charaudeau, 2005 c). Le discours journalistique, selon ses
conditions médiatiques, obéit à une visée d’information, c’est-à-dire
de « faire savoir », et non de « faire faire » (à moins que l’organe
d’information soit au service d’un parti politique). En conséquence
les positionnements des énonciateurs dans l’un et l’autre cas ne sont
pas les mêmes. L’énonciateur homme politique doit se construire un
ethos de conviction, d’autorité, de puissance, voire de séduction
(ibid. : 87 et sq), toujours en opposition à celui de son adversaire, car
il n’y a pas de discours politique qui ne s’inscrive dans un rapport
d’antagonisme entre deux opposants : chaque énonciateur politique
doit éliminer l’autre, et son discours est un discours « en contre » de
celui de son adversaire. L’énonciateur journaliste, lui, en principe, ne
devrait être préoccupé que par sa crédibilité aux yeux de son lecteur
en se construisant un ethos de savoir. Cependant, on sait que
l’organe d’information dans lequel il écrit se trouve en position de
concurrence avec d’autres organes d’information : rapport de
concurrence et non de rivalité. Dans le premier il s’agit d’être contre
l’autre ; dans le second d’être meilleur que l’autre. Aussi le discours
journalistique est-il conduit, au nom de la finalité commerciale et de
l’enjeu de captation qu’elle entraîne, à glisser vers un discours
persuasif, ce qui n’est pas inscrit dans le contrat médiatique :
abondance de témoignages présentés comme seule preuve de
l’authenticité des faits ou de l’explication donnée – ce qui ne
l’apparente pas pour autant au discours judiciaire dans lequel le
témoignage n’est jamais preuve mais indice possible de preuve – ;
mise en cause de certaines personnes du monde politique et
commentaires prétendant révéler des faits ou des intentions tenues
cachées par ces mêmes personnes. Du même coup, l’énonciateur
journaliste est amené à prendre position en se fabriquant une image
de dénonciateur, et son discours passe d’une visée de « faire savoir »
à une visée de « faire penser ».
25 On ne peut dire pour autant que ce discours soit un discours
critique. Un discours critique ne relève pas de la même posture
énonciative qu’un discours de dénonciation. Celui-ci consiste
seulement à révéler un fait ou une intention cachée (jugée
inavouable) en en apportant la preuve mais sans nécessairement en
faire une analyse. Le discours critique en revanche – qu’il ne faut pas
confondre avec un discours polémique – procède d’une analyse : il
part de la prise en considération d’une vérité qui se veut établie, il
l’analyse, la décortique, l’interroge, et met en évidence ses
contradictions, ses insuffisances ou ses contrevérités. Le discours
critique est contre-argumentatif et lui-même discutable. Le discours
de dénonciation s’affiche comme tel dans une affirmation
péremptoire et s’épuise en lui-même, il est en quelque sorte
performatif.

4. Les dérives énonciatives du


discours journalistique
26 Lorsque l’enjeu de captation est dominant – et il l’est souvent –, la
visée informative disparaît au profit d’un jeu de spectacularisation et
de dramatisation. Il finit par produire des dérives qui ne répondent
plus à l’exigence d’éthique qui est celle de l’information citoyenne.
4.1. De l’actualité à la suractualité
27 Deux procédés discursifs transforment l’actualité événementielle
en « suractualité » en produisant des effets déformants.
28 Le procédé de focalisation qui consiste à amener un événement sur
le devant de la scène (par les titres de journaux, l’annonce en début
de journal télévisé ou du bulletin radiophonique). Il produit un effet
de grossissement. La nouvelle sélectionnée est mise en exergue, et du
même coup elle envahit le champ de l’information donnant
l’impression qu’elle est la seule digne d’intérêt. Cela participe d’un
phénomène discursif plus général : toute prise de parole est un acte
d’imposition de sa présence de locuteur à l’interlocuteur, et donc
celle-ci doit pourvoir être justifiée. Ce qui la justifie est que le propos
qu’elle véhicule est obligatoirement digne d’intérêt, c’est-à-dire :
pertinent. On retrouve là le principe d’intentionnalité. Dans la
communication médiatique, le sujet qui informe étant légitimé par
avance (contrat de communication), le propos véhiculé prend encore
plus d’importance au point de faire oublier d’autres nouvelles
possibles. Il impose une « thématisation » du monde.
29 Le procédé de répétition qui consiste à passer une même
information en boucle d’un bulletin d’information à l’autre, d’un
journal télévisé à l’autre, d’un journal à l’autre et d’un jour à l’autre.
Cette information, répétée de la même façon ou avec des variantes,
produit un effet de réification : la nouvelle prend une existence en
soi, se trouve par là même authentifiée, se fige et donc s’inscrit de
façon indélébile dans la mémoire. A preuve que ce sont ces nouvelles
qui sont ensuite le plus facilement colportées dans les conversations
ordinaires, se transformant parfois en rumeur. Il s’agit là encore d’un
phénomène discursif général : la répétition d’un propos dans une
configuration identique à elle-même donne l’impression d’être le
gage d’une vérité : « La France n’est jamais autant la France que
quand elle est la France ». Cette forme tautologique si décriée dans le
modèle scolaire du bien écrire est pourtant bien utile dans une
perspective de persuasion : elle « essentialise » le propos tenu et ce
faisant paralyse à l’avance toute possibilité de contestation. Ici, c’est
la répétition en boucle d’une catastrophe (le Tsunami), d’une prise
d’otages, d’un attentat, de quelques cas d’affection virale (la grippe
aviaire), d’actes de révolte (les banlieues), etc. qui finissent par
essentialiser ces nouvelles, supprimant la possibilité de les recevoir
avec esprit critique.
30 Par ces deux procédés et les effets qu’ils produisent l’énonciateur
journaliste a beau disparaître derrière une absence de marques
personnelles (« trois nouveaux cas de grippe aviaire ») ou l’emploi de
marques impersonnelles (« Voilà ce que l’on peut dire à l’heure
actuelle sur cette affaire »), la prise de parole focalisante et la
récurrence essentialisante imposent au récepteur de la nouvelle une
suractualisation événementielle.

4.2. De la dramatisation à la
surdramatisation
31 La dramatisation est un processus de stratégie discursive qui
consiste à toucher l’affect du destinataire. Un affect socialisé, ce
pourquoi il est possible d’avoir recours à des procédés discursifs qui
ont des chances d’avoir un certain impact sur le récepteur12. Depuis
la rhétorique aristotélicienne, bien des écrits ont traité de la question
des émotions pour ne pas avoir besoin de justifier ce type de
stratégie. Les médias en usent et abusent parce qu’il est le meilleur
moyen de satisfaire l’enjeu de captation13. On relèvera un cas de
dramatisation particulièrement redondant dans la mise en scène
médiatique des nouvelles du monde, celle de la triade
victime/agresseur/sauveur. D’où trois types de discours : de
victimisation, de portrait de l’ennemi, d’héroïsation, le tout obtenu
par un procédé d’amalgame.
32 Le discours de victimisation met en scène toutes sortes de
victimes : victimes présentées en grand nombre (pour compenser
leur anonymat), ou victimes singulières différemment qualifiées :
célèbres, ou innocentes, victimes du hasard ou de la fatalité, victimes
de la logique de guerre ou victimes sacrificielles, etc. On se reportera
à l’analyse que Manuel Fernandez a mené dans l’étude que le Centre
d’Analyse du Discours a consacré au conflit en ex-Yougoslavie, pour
en voir la catégorisation14. Un tel discours est une invite de la part de
l’énonciateur à partager la souffrance des autres, d’autant que celle-
ci est rapportée soit par les victimes elles-mêmes, soit par des
témoins extérieurs mais proches, et l’on sait que paroles de victimes
et paroles de témoins sont in-discutables. Lecteur, auditeur ou
téléspectateur se trouvent alors dans la position de devoir entrer
dans une relation compassionnelle, relation compassionnelle vis-à-
vis des victimes mais qu’ils auraient en partage avec l’énonciateur.
Les voilà donc encore soumis au diktat de l’énonciateur qui se fait le
porteur d’une voix tiers15 qui dit le devoir de compatir. Le
destinataire est mis en lieu et place d’un otage, otage de l’assignation
à s’émouvoir.
33 Le discours centré sur la description de l’agresseur consiste à
mettre en scène le portrait de l’ennemi. Et là, la surdramatisation est
encore à l’œuvre, car ce n’est que dans la figure du « méchant
absolu » que pourrait se produire (c’est une hypothèse) un effet de
« catharsis » sociale. Le méchant, représentant du mal absolu, est à
la fois objet d’attirance et objet de rejet, autrement dit de fascination.
Ce n’est plus le « comment peut-on être Persan » de Montesquieu,
c’est le « comment peut-on être à ce point maléfique » si ce n’est
parce qu’on a partie liée avec des forces démoniaques. C’est le « côté
obscur de la force », la puissance du diable que l’on retrouve de façon
omniprésente dans les fictions fantastiques du cinéma moderne.
Nous est donc livré le portrait d’un ennemi puissant dans son désir
de malfaisance et surtout indestructible ou renaissant en
permanence de ses cendres. Naguère Hitler, Staline, les Nazis de
Nuremberg ; plus récemment Milosevic, Karadzic et le bras sans
visage du sniper (Charaudeau, 2001 a : 148), Saddam Hussein,
bourreau du peuple avant son arrestation, puis dans sa déchéance de
prisonnier, et de nouveau vigoureux dans son arrogance face à ses
juges ; enfin, Ben Laden et ses sbires exécutants des basses œuvres,
d’autant plus image méphistophélique qu’il est peu visible et
s’évanouit lorsqu’on croit le saisir. Voilà donc le public, spectateur ou
lecteur de cette mise en scène, assigné au rôle du devant/pouvant
« purger ses passions » par le fait d’un énonciateur qui tout en
s’effaçant jette sur son public les rets d’une fascination ensorcelante.
34 Le discours d’héroïsation consiste à mettre en scène une figure de
héros, réparateur d’un désordre social ou du mal qui affecte ces
victimes. Cette figure peut être celle de sauveteurs occasionnels (telle
personne portant assistance), ou officiels (pompiers, services
médicaux, Croix rouge, etc.). Ce peut être également celle d’un
Grand sauveur porteur de valeurs symboliques comme ce fut le cas
de G.W. Bush après l’attentat du 11 septembre qui, par ses
déclarations contre « l’empire du Mal », pris simultanément
plusieurs figures : celle de Vengeur, comme bras d’une volonté
divine, du Dieu de la Bible qui châtie ; celle de grand Cow-boy
justicier (« Wanted. Ben Laden ») comme retour aux sources de la
fondation de l’Amérique à travers l’imaginaire de l’Ouest ; celle de
Chevalier moyenâgeux, sans peur et sans reproche, qui appelle à la
« Croisade contre les islamistes qui déclarent la guerre à
l’Occident ». Si parfois, c’est le discours politique qui est créateur de
ce genre de figure, les médias, quand ils ne les créent pas,
contribuent à les diffuser, les colporter, voire les louer à travers des
descriptions qui empruntent au discours épidictique. On voit de
nouveau à l’œuvre cette stratégie discursive dans laquelle
l’énonciateur tout en s’effaçant donne en pâture au public des figures
de héros, l’assignant à s’y projeter et/ou à s’identifier à elles de
manière aveuglante, ayant pour effet de suspendre tout esprit
critique.
35 Cette stratégie de dramatisation est mise en scène à l’aide de
divers procédés discursifs parmi lesquels : l’amalgame. L’amalgame
est, pourrait-on dire, un procédé d’analogie abusif : deux
événements, deux faits, deux phénomènes sont rapprochés sans mise
à distance qui permettrait que cette comparaison eût un effet
explicatif. En effet, lorsqu’une comparaison n’est pas d’ordre
objectif, c’est-à-dire vérifiable (« Il est aussi grand que son père »),
elle ne peut être explicative qu’à la condition de préciser le point de
vue qui doit être pris en considération en mettant tous les autres à
distance (« Il est aussi organisé que son père », sous-entendu
seulement de ce point de vue). Les médias, en faisant des
rapprochements entre des événements différents afin d’apporter une
explication à leur existence, sans préciser l’aspect sur lequel il y a
similitude, produisent un effet de globalisation qui empêche
l’intervention de l’esprit critique : ici, ce sera l’analogie entre la
découverte de camps de prisonniers en Bosnie et les camps de
concentration nazis, ce qui aura pour effet de faire se confondre la
purification ethnique serbe avec la shoah ; là, particulièrement à
l’étranger, ce sera l’amalgame entre les récents événements des
banlieues et les révoltes sociales dont la France serait coutumière, là
encore le rapprochement entre la menace d’une épidémie de grippe
aviaire et la pandémie de la grippe espagnole du siècle dernier. Ce
procédé est d’autant plus pernicieux et malhonnête au regard de
l’éthique de l’information qu’il suit la pente dite « naturelle » du
processus d’interprétation étudié par la psychosociologie, à savoir :
s’appuyer sur une mémoire globale, non-discriminante, qui met tout
dans le même panier d’une émotion interprétative, et évite de se
livrer à un effort d’analyse. L’effet est encore d’»essentialisation »
auquel on a fait allusion plus haut. Ainsi le procédé d’amalgame est-
il un moyen, pour l’énonciateur de garantir l’effet de sa visée de
captation, tout en ayant l’air de s’effacer.

4.3. De l’interrogation à l’interpellation


dénonciatrice
36 L’interrogation est une catégorie discursive (et non
grammaticale16) ambivalente du point de vue du rapport de force
qu’elle instaure entre locuteur et interlocuteur. Position d’infériorité
du locuteur lorsqu’il demande une information (demande de dire) ou
un service (demande de faire), mettant l’autre en position de
supériorité, l’interrogation peut mettre ce même sujet en position de
supériorité lorsque la question est une intimation à dire comme dans
la salle de classe (le maître ou le professeur interroge un élève), ou
dans le commissariat de police (un représentant de l’institution
policière questionne un prévenu). L’interrogation peut également
placer le sujet qui interroge en position de maîtrise du raisonnement,
lorsque celle-ci est adressée à un destinataire tiers jouant le rôle
tantôt d’allié, tantôt d’opposant, alors que le locuteur connaît la
réponse (question rhétorique). Une variante de la question
rhétorique est la question interpellatrice : elle est lancée à la
cantonade, s’adresse à un public qui est pris à témoin, met en cause
la responsabilité d’un tiers (la mise en cause peut même être
accusatrice), en implicitant une réponse qui devrait faire l’objet d’un
consensus (c’est le fameux : « que fait la police ? », réponse :
« rien », ou « pas ce qu’elle devrait faire »).
37 C’est ce dernier type d’interrogation que l’on voit proliférer dans le
discours journalistique : le sujet interrogeant est l’énonciateur
journaliste, le public pris à témoin est le lecteur citoyen, le tiers mis
en cause est interpellé en tant que responsable individuel ou
institutionnel. Ainsi, l’énonciateur journaliste établit un rapport de
complicité avec le lecteur citoyen en l’obligeant à accepter la mise en
cause. Ce phénomène a été étudié à propos du conflit en ex-
Yougoslavie (2001 a : 151) : devant la difficulté à expliquer le
pourquoi et le comment du conflit, on a vu l’instance journalistique
multiplier ce genre d’interrogation comme pour se dédouaner de
l’absence d’explication : « que font les puissances internationales ? ».
Cela, d’ailleurs, semble être une caractéristique nouvelle du discours
journalistique, pour ce qui est de sa récurrence, toute personnalité
ou institution faisant l’objet d’une mise en cause (« que fait… ?, que
font… ? ») : Chef d’état, gouvernement, notable, classe politique,
diplomatie, etc.
38 Parfois, la mise en cause, voire l’accusation, peut être plus directe.
On la trouve dans la parole des chroniqueurs de la presse et de la
radio. Il y a divers type de chroniques, mais la chronique politique a
cette caractéristique de placer le journaliste énonciateur en position
d’analyste, plus ou moins spécialisé, qui, au nom de son savoir de
spécialiste, peut se permettre de juger et d’évaluer (ce qui n’est pas
dans le contrat global d’information) une situation politico-sociale
et/ou ses acteurs. On le voit particulièrement, lorsqu’un pays
traverses une crise sociale, connaît une situation de conflit, se
déchire à travers des controverses violentes sur des grandes
décisions citoyennes : l’après des élections présidentielles de 2002,
le référendum de 2005, la non attribution du siège des jeux
Olympiques à la ville de Paris, la révolte des banlieues, l’affaire
d’Outreau, etc.
39 A ce propos, il convient de se demander quel rôle jouent les
caricatures de presse dans l’ensemble du discours journalistique. Les
caricatures qui apparaissent en Une ou à l’intérieur d’un journal ne
peuvent être comparées aux gentilles caricatures qui sont proposées
aux belles Étrangères sur la place du Tertre à Paris. Dans un journal,
une caricature participe du commentaire critique sur l’actualité,
comme pourrait le faire telle ou telle chronique de société, mais en y
ajoutant une manière humoristique. Se pose alors la question de
savoir sur quel mode il faut la considérer : la recevoir sur le mode
humoristique, c’est atténuer, voire annihiler, son aspect critique ;
l’interpréter sur le mode critique, c’est ne pas voir sa proposition
humoristique. La prendre comme à la fois critique et humoristique,
c’est suspendre à la fois la pertinence de son aspect critique et
enlever à l’aspect humoristique son caractère de plaisir gratuit. Le
doute dans lequel se trouve le lecteur d’une caricature – sérieux ou
pas sérieux ? – fait écho aux discours ambivalents qui tendent à
justifier la caricature de presse : tantôt est défendu son aspect
critique (« la réalité, c’est aussi ça ! ») pour qu’elle prenne place au
milieu du dispositif d’information, tantôt est défendu son aspect
humoristique (« c’est pour de rire ») afin de se dédouaner de son
effet insultant, irrévérencieux ou iconoclaste.
40 Ce serait avoir une vision naïve de la fonction sociale de l’humour,
si on voulait le cantonner dans le domaine des effets purement
ludiques. L’humour n’existe pas en soi, il n’existe que dans une
relation, et selon les enjeux de cette relation, il peut avoir un effet de
complicité ludique ou un effet destructeur, et parfois bien plus
destructeur que celui d’un commentaire critique sérieux17. Dans le
cas des caricatures de presse, il prétend produire les deux effets à la
fois, car il prend le lecteur comme complice d’un jugement
dévalorisant qui porte sur un tiers absent qui n’est pas là pour
répliquer (et quand il réplique, le mal est déjà fait). Si le lecteur n’est
pas du bord de la cible critiquée, ou s’il peut prendre de la distance
vis-à-vis de la critique, il appréciera l’humour, mais en même temps
il soulagera une pulsion vengeresse ; la caricature joue alors un rôle
de catharsis sociale. Si le lecteur est du bord de la cible critiquée, au
point de prendre fait et cause pour elle, il se sentira lui-même atteint,
insulté, offensé, ne verra pas l’aspect humoristique et criera à
l’outrage demandant réparation ; la caricature joue alors un rôle de
provocation sociale. Il n’y a pas d’échappatoire, pas d’angélisme
possible. La caricature de presse n’est jamais anodine et son
habillage humoristique ne peut exonérer son énonciateur. Celui-ci
produit une parole publique dont on ne connaît par avance ni la
porté ni l’effet qu’elle aura sur telle ou telle catégorie d’individus, et
qui peut, sinon tuer, du moins blesser à mort18.

5. Conclusion
41 Le positionnement du journaliste énonciateur ne doit pas être
évalué à la seule aune des marques d’énonciation explicite qu’il
emploie. Son positionnement peut être révélé en partie par celle-ci,
mais ce serait une attitude naïve de l’analyste du discours de s’en
tenir là. Le positionnement du sujet énonciateur, d’abord n’est pas
toujours manifesté de façon explicite, et peut même jouer sur des
apparences trompeuses en ayant l’air de s’effacer dans l’instant
même où il impose son point de vue en assignant certaines places à
son destinataire. Son positionnement dépend d’un ensemble de
procédés discursifs (descriptifs, narratifs, argumentatifs) et d’un
ensemble de mots dont le sémantisme est révélateur de son
positionnement au regard de certaines valeurs, le tout en rapport
avec les conditions situationnelles de production. Le linguiste du
discours est en cela différent du linguiste de la langue : il ne doit
accorder qu’une confiance relative aux marques verbales. Il sait qu’il
doit traquer le sens au-delà de l’emploi des mots et des constructions
phrastiques. Aller voir derrière le masque de l’effacement énonciatif,
celui du positionnement discursif.

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Notes
1 Je rappelle que j’ai maintes fois précisé que je distingue la notion
d’« interaction » comme l’une des notions fondatrices de l’acte de langage du
fait qu’il est toujours un échange entre un Je et un Tu, de la notion
d’« interlocution » qui, elle, concerne la situation locutive de communication
(prise de parole alternée entre les deux interlocuteurs) par opposition à celle
de « monolocution » (non alternance immédiate de la prise de parole).
2 Toutes choses qui renvoient à la théorie des places traitées par François
Flahaut, Catherine Kerbrat-Orecchioni et Erving Goffman.
3 On prend toujours la parole à l’adresse d’un autre.
4 Voir Charaudeau 2001, b.
5 Pour plus de détail sur ce modèle ; voir « Un modèle socio-
communicationnel du discours. Entre situation de communication et
stratégies d’individuation », à paraître dans les actes d’un hommage à Daniel
Bougnoux, Université de Grenoble.
6 Voir l’entrée « Situation de communication », in Charaudeau
Maingueneau (2002).
7 Tout n’est donc pas joué par avance dans la situation de communication
comme le suggérait Bourdieu 1982.
8 N’oublions pas que les conditions du contrat de communication sont à
considérer comme constituant un « idéal-type ». On verra plus loin, ce qu’il
en est.
9 Pour la question de l’effacement énonciatif, voir ici même l’article d’Alain
Rabatel.
10 Voir Charaudeau 2005 c : 111.
11 Voir Charaudeau 2005 a.
12 Voir Charaudeau 2000.
13 Voir Charaudeau 2001a : 147 et sq.
14 Ibidem., Chapitre 3.
15 Voir Charaudeau 2004.
16 Il s’agit de distinguer la « phrase interrogative », catégorie linguistique,
de l’Interrogation (ou Question), catégorie discursive ; voir Charaudeau
1992 : 591.
17 Voir notre prochain « Des catégories pour l’humour ? », à paraître dans la
revue Questions de communication, Metz-Nancy.
18 De ce point de vue, et mise à part l’instrumentalisation politique qui en
est faite, on peut comprendre la réaction du monde musulman (comme ce
fut le cas en d’autres occasions du monde catholique) à la publication de
caricatures prenant pour cible le Prophète : a été touchée la croyance en son
absolu sacré.

Pour citer cet article


Référence électronique
Patrick Charaudeau, « Discours journalistique et positionnements
énonciatifs. Frontières et dérives », Semen [En ligne], 22 | 2006, mis en
ligne le 01 mai 2007, consulté le 23 janvier 2024. URL :
http://journals.openedition.org/semen/2793 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/semen.2793

Cet article est cité par


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Auteur
Patrick Charaudeau

Centre d’Analyse du Discours - Université de Paris 13

Articles du même auteur


Analyse du discours et communication. L’un dans l’autre ou l’autre
dans l’un ? [Texte intégral]
Paru dans Semen, 23 | 2007

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