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SOMMAIRE TOME
XLVIII
PERROUX ! ET APRÈS ?
N° 5
J.-L. PERRAULT Perroux en perspective, un parcours de la mécon-
naissance 719
MAI
2014 ÉCONOMIES
I. PERROUX !
J.-L. PERRAULT
F. PERROUX
Présentation
HS Perroux ! Et après ?
46
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS - CAHIERS DE L'ISMÉA
N° 5/2014
ISSN 0013.05.67
CPPAP : n° 0914 K 81809
PRIX : 31 €
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ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
CAHIERS DE L’ISMÉA
Revue fondée en 1944 par François Perroux
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
Cahiers de l’ISMÉA
Série « Hors-série »
HS, n° 46
Mai 2014
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CIAPHS EA n° 2241
Université Rennes 2
Place du recteur Henri Le Moal
CS 24307
35043 Rennes cedex
pierre.musso@univ-rennes2.fr
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SOMMAIRE
PERROUX ! ET APRÈS ?
CONTENTS
PERROUX! SO WHAT?
Jean-Louis Perrault
Université de Rennes 1
« When a true genius appears in this world, you may know him
by this sign, that the dunces are all in confederacy against
him» Jonathan Swift [1883], The works of Jonathan Swift :
containing additional letters, tracts, and poems not hitherto
published; with notes and a life of the author, Houghton-
Mifflin.
« Il appartient à l’idée de trace de pouvoir être effacée. Avec
cette idée inquiétante de la menace d’effacement des traces,
c’est la menace de l’oubli qui s’impose. Certes, il est bien des
formes d’oubli qui ne relève pas de l’effacement des traces,
mais de la ruse et de la mauvaise conscience ; il est aussi bien
des apparences d’effacement qui ne concourt qu’à dissimuler
ce qu’il reste au contraire d’ineffaçable dans l’expérience
mémorielle » Paul Ricoeur [2004], Parcours de la reconnais-
sance, Stock.
Perroux porte, en effet, un regard lucide sur la société qui lui est
contemporaine. Mais son espérance est nourrie par sa conception,
chrétienne et personnaliste, de l’homme. Conception sur laquelle il va
construire sa propre axiomatique de cette « science sociale » que
constitue, pour lui, l’économie d’intention scientifique : « [Les résul-
tats présents de l’économie moderne], appréciés à l’échelle de la pla-
nète et à l’égard de l’espèce entière, sont des plus médiocres. La moi-
tié des vivants reste soumis à un régime d’économie infra humaine »
[Perroux (1961a), p. 372]. Il importe, par conséquent, d’établir les
conditions nécessaires pour que « les gaspillages d’hommes les plus
intolérables soient évités » [Perroux (1963)]. Aussi, pour Perroux,
catégorique, l’économiste d’intention scientifique ne peut se référer
qu’à une seule « idéologie » : « Il existe une idéologie économique et
il n’y en a qu’une : c’est le plein-emploi, à l’échelle du monde, de
toutes les ressources matérielles et humaines » [Perroux (1961b),
p. 24]. Et si « l’enrichissement et la pauvreté se sont opposés tout au
long de notre histoire, c’est que nous n’avons pas su encore inventer
les procédés d’une économie de participation, nous contentant d’enri-
chir des minorités dans des structures sociales de domination et d’ex-
ploitation » [Perroux (1969)]. Enfin, puisque entre « les agents diffé-
rents les uns des autres et inégaux entre eux, l’asymétrie est la règle ;
elle appelle une régulation au nom de valeurs qui ne sont arbitrales que
si elles sont tenues pour supérieures et à la politique réalisée et au mar-
ché réalisé » [Perroux (1981), p. 228].
Mais ces valeurs arbitrales rencontrent la « furie des intérêts
privés » dans une société formée d’une « combinaison de pouvoirs »
[Perroux (1972), p. 79], qui déborde celle de l’État : « Chaque système
d’agents comporte un élément de pouvoir » [Perroux (1973), p. 14]. De
telle sorte que, « partis de cloisons étanches dressées entre politique et
économie, nous arrivons à une construction où politique et économie
deviennent indiscernables » [Perroux (1981), p. 228]. Selon cette vue,
indissociablement liées, l’économie et la politique devraient donc
s’employer à aplanir, provisoirement, les antagonismes permanents qui
façonnent la société, et contribuer à « socialiser le pouvoir » [Perroux
(1972)] : « Une société subsiste en surmontant ses contradictions inté-
rieures. Elle dépasse ses conflits internes par une organisation de fait
qui donne souvent le change grâce à une idéologie de justification »
[Perroux (1980a), p. 22].
La construction de cette organisation doit répondre à deux exi-
gences : donner la place centrale à l’Homme et respecter la Vie. Car
« l’homme est une énigme. Ses termes peuvent être inventoriés, son
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3 Le rôle tenu par la fondation Rockefeller, dès le début du XXe siècle, puis ardem-
ment des années 30 aux années 50, dans l’organisation du rapatriement des scientifiques,
menacés ou non, vers les États-Unis, a été décrit par Ludovic Tournès (2007).
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CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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DESTANNE DE BERNIS G. [1989b], Perroux François (1903-1987), Encyclopæ-
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I. Perroux !
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Présentation
Jean-Louis Perrault
Université de Rennes 1
Pierre Uri est né en 1911, à Paris, dans une famille d’agrégés. Il fait
ses études à l’École normale supérieure, à la Faculté de droit de Paris
et à Princeton. Il devient agrégé de philosophie à 21 ans. Diplômé
d’économie, sous la direction de Perroux, il se distingue par plusieurs
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PRÉSENTATION 747
articles dans la revue créée par Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes.
Il va enseigner les finances publiques à l’ÉNA de 1947 à 1952. Et,
parallèlement, de 1950 à 1957, il travaille à la construction euro-
péenne, aux côtés de Jean Monnet (1888-1979), ce que sa formation
« américaine » facilite.
Il joue un rôle avéré dans la rédaction du rapport Spaak (1956), dans
le cadre duquel il travaillera avec l’américain Robert Triffin (1911-
1993), sous l’influence de Monnet, toujours, à un cadre monétaire
européen. Ce qui lui permettra d’obtenir une direction au sein de Leh-
man Brothers, de 1959 à 1961.
Il sera à l’origine de l’élaboration du Traité de Rome et dirigera, à
la demande de Monnet, la Communauté européenne du charbon et de
l’acier (CECA), que Perroux étrillera : « Les deux “évidences” offertes
en faveur de la CECA ne résistent pas à l’examen le plus superficiel »
[Perroux (1954), p. 548]. De 1962 à 1966, il fut chargé d’études à
l’Institut de l’Atlantique, en charge de concrétiser le « partnership »
proposé par Kennedy aux européens, « orbite euratlantique » que Per-
roux dénoncera. A compter de 1969, il reprend un poste de professeur
d’économie à l’Université Paris-Dauphine. Il est également nommé au
Conseil économique et social.
Activiste socialiste, membre du club Jean Moulin, il sera momenta-
nément membre du « cabinet fantôme » de François Mitterrand.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
François Perroux
1 Cet article est une réédition. L’original est paru dans les Cahiers de l’I.S.É.A., n° 2
– Série M, Décembre 1958, p. 23-26.
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régimes que ce soit, – ainsi que les inégalités entre flux désirés et flux
effectifs, entre genre de vie recherché et genre de vie réalisé, entre
investissements souhaités par branches et investissement global pos-
sible, etc. Nous pourrions passer en revue toutes les traductions éco-
nomiques des tensions sociales. Les flux et les stocks inextensibles ou
incompressibles, les horizons des projets, les périodes de construction,
de maturation, de dépense, de revenu, etc., sont des concepts appli-
cables généralement. Comme le profit, rémunération de la création et
de l’autorité, et le rendement et le prix de la recherche et de l’innova-
tion publique le sont aussi.
Notre savoir scientifiquement contrôlé est tout le contraire d’un
savoir neutre. Il est essentiellement ouvert à toutes les recherches
rationnelles qui excluent la DESTRUCTION. C’est par approfondisse-
ment de l’expérience vécue des institutions d’une économie générali-
sée que nous améliorerons notre connaissance des lois d’une économie
générale.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
François Perroux 1
Pierre Uri
1 L’étude de Pierre Uri sur François Perroux avait été écrite en 1981, en anglais, pour
un ouvrage collectif sur les grands économistes de notre temps. C’est ce texte, resté
inédit en France, et tel que François Perroux l’avait approuvé, qui a constitué l’hommage
de la Revue économique au Maître disparu en 1987, volume 38, n° 5, p. 932 et sq. Il est
reproduit ici avec l’aimable autorisation de la Revue économique, et est disponible en
ligne sur Persée.fr.
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UN ABORD DIALECTIQUE
avait soin de souligner tout l’écart qui sépare les rémunérations de fac-
teurs des revenus concrets d’agents qui sont toujours, en quelque
mesure, des mixtes. Il faisait ressortir la différence entre cette statique
moderne et l’état stationnaire des classiques : elle permet de repérer le
changement et n’est pas, comme chez Stuart Mill, le point final d’une
histoire où les hommes, ayant accumulé les moyens de satisfaire aux
besoins, seraient disponibles pour des tâches plus désintéressées et
plus nobles.
Mais le profit nul à l’équilibre contredit trop évidemment la réalité
observable. D’où l’antithèse que Perroux découvre passionnément
chez Schumpeter. Sa statique, dite le circuit, soulève, au moins, deux
doutes majeurs : peut-on prétendre en trouver une contrepartie
concrète dans les économies primitives ou dans les périodes de stag-
nation ? Et, en l’absence de l’intérêt, qui ne naîtrait que comme prix du
pouvoir d’achat nécessaire pour financer une innovation, comment
s’expliquer l’existence et le maintien d’un stock de capital, même s’il
n’est pas élargi ? Mais ce qui fascine Perroux chez Schumpeter, c’est
sa dynamique, qui est l’évolution. La combinaison nouvelle, qu’elle
soit de produits, de procédés ou de débouchés, est le propre de l’entre-
preneur par opposition à l’exploitant du circuit. De là son profit où
l’innovation est plus le fruit d’un monopole que d’une concurrence,
mais aussi les phases d’expansion attribuées à une grappe inexpliquée
d’innovations, et cette irrégularité qui en résulte dans le temps et qui
conduirait aux cycles longs. Ces idées brillantes ne seront pas perdues,
mais voici où se situe le dépassement à la Perroux. L’innovation n’est
pas le fait d’un seul, elle se situe dans un environnement. Ce qui amène
Perroux à faire revivre l’inspiration de Saint-Simon : son opposition
entre les « industriels », qui comprennent toutes les catégories actives
et les « féodaux », qui font valoir passivement des droits hérités du
passé. L’observation fait ressortir l’influence dynamique de certains
groupes sociaux, de jeunes générations, de changements psycholo-
giques, la part que prennent tous les États modernes au financement de
la recherche et à la mise en œuvre initiale de ses résultats. Dans les
cycles longs, on découvre tout aussi bien des transformations du cadre
institutionnel. Et si le départage est souvent difficile entre l’innovation
et le monopole qui la suscite ou qui en résulte, l’idée d’un profit fonc-
tionnel peut rationnellement être dégagée, à la condition de bien com-
prendre qu’y ont part tous ceux qui ont contribué à la création, pas seu-
lement le chef d’entreprise, mais les chercheurs, les cadres, les
travailleurs – il y a des bonus et des primes – et même l’État, par l’im-
pôt : les fonctions doivent être fondamentalement distinguées des caté-
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UN ENCHAÎNEMENT DE CONCEPTS
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santes: les flux, tels que les achats ou les ventes, les investissements, et
les informations et anticipations. Le développement d’une activité peut
tirer derrière soi ou, au contraire, bloquer d’autres activités. C’est un
enchaînement tout à fait distinct du multiplicateur de Keynes. Il ressort
des complémentarités et non de la dépense successive des revenus. Il
traduit une méso-économie qui n’est ni la macro, ni la micro, mais
celle d’unités dont la dimension permet une influence autonome et
d’un effet sur moyenne période. Une conséquence économique
majeure est que l’efficacité globale de la décision d’une unité écono-
mique et, par suite, des investissements provoqués ou stoppés, est plus
grande ou moins grande que sa mesure par le profit interne du décideur
initial : un calcul économique collectif est nécessaire qui diffère d’une
masse de calculs économiques privés. L’effet d’entraînement ne se
ramène pas aux coefficients d’une matrice d’échanges inter-industries,
qui ne marque que les flux, et des instruments statistiques d’un autre
ordre devraient être développés pour passer du repérage à la quantifi-
cation. Une application particulière est l’entraînement de l’agriculture
par l’industrie, qui lui fournit des débouchés, des techniques, des capi-
taux, des biens de consommation dont le désir stimule l’effort, et qui
peut absorber son excès de main-d’œuvre. Mais, plus généralement,
c’est toute la conception de la planification qui se trouve transformée :
les objectifs se hiérarchisent et l’accent est mis sur les projets qui
dominent et commandent l’évolution. A ce point, Perroux rationalise
ce qui avait été l’inspiration intuitive de Jean Monnet dans le 1er Plan
français.
L’unité motrice qui opère un effet d’entraînement appelle une ana-
lyse qui se diversifie. Il y a la firme motrice, qui peut l’être structurel-
lement par sa dimension ou son dynamisme, ou occasionnellement si
elle desserre ou, au contraire, provoque un goulot d’étranglement.
L’industrie motrice peut être celle qui est entièrement neuve et qui
renouvellera les industries modernes, par opposition aux industries tra-
ditionnelles en déclin. Toutes les régions n’ont pas le même dyna-
misme, la région motrice peut entraîner les autres autour d’elle ou, au
contraire, multiplier les déséquilibres cumulatifs. La macro-décision
qu’est un plan calcule un avantage collectif qui ne se confond pas avec
la croissance la plus rapide de l’industrie la plus rapidement croissante,
ou de la région la plus fortement dynamique, parce qu’elle tient
compte des coûts externes mêmes que ni l’industrie ni la région n’in-
ternalisent.
La combinaison de flux d’investissements induits, d’information
transmise d’une unité à l’autre, si elle est à la fois durable et multidi-
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par l’autre suivant son intérêt, en passant par la dominance qui est
nécessairement subie et peut être bénéfique ou dommageable, par la
domination partielle telle qu’une prépondérance d’investissements
directs étrangers, pour culminer dans la subordination, alors que l’ab-
sorption détruit la dualité, c’est-à-dire la condition de la relation asy-
métrique, pour la fondre dans une unité. Le jeu économique oscille
entre deux extrêmes sans atteindre l’une ni l’autre limite, il n’y a pas
de contrat sans combat, ni de combat sans contrat. L’économie réin-
tègre l’ensemble des sciences sociales dont, suivant Bertrand Russell,
le pouvoir est le concept central. L’économie vraie tourne le dos à
l’économisme qui tenterait de réduire toutes les institutions et toutes
les pulsions humaines à l’intérêt rationnel de l’individu, par le détour
rudimentaire d’une minimisation des coûts d’information et des coûts
de transaction, qui aboutirait à justifier les institutions les plus oppres-
sives, les entreprises les plus exploiteuses, les coutumes les plus bar-
bares. Au contraire, les motivations sont multiples et l’économie s’en-
richit des analyses psychologiques et sociologiques les plus neuves. Il
paraît à peine croyable qu’elle ait été réduite au champ de l’échange
marchand et du rien pour rien, malgré l’évidence des prélèvements et
des transferts qu’opère la puissance publique, et qui ne sont qu’une des
formes des deux autres dimensions qui se combinent dans l’économie :
à côté de l’échange, la contrainte et le don. Le tableau serait tronqué,
mais, bien pis, c’est l’avenir qui serait bloqué.
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Pierre Musso
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1 Michel Chevalier (1806-1879) fut nommé fin 1840, titulaire de la Chaire d’écono-
mie politique au Collège de France. Il publie un Cours d’économie politique en trois
volumes dans lequel il professe un saint-simonisme libéral, réaliste et industrialiste, et
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future des voies de transport, il devine les liens complexes qui se noue-
ront entre les pôles de développement ; ailleurs il prédit les secousses
bénéfiques et les tristes séquelles que promet la fièvre de l’or ; ailleurs
encore, il fait voir l’unité du marché français et l’éveil des ruraux pré-
sents à la première ébauche de notre réseau. Non, ce n’est pas cette
intelligence, avertie et imaginative, qui eût sacrifié à la routine ni qui
eût été tentée de confondre le commerce entre les nations avec l’éco-
nomie universelle ! »
Pour Perroux, Chevalier illustre bien comme Saint-Simon, cette ori-
ginalité du saint-simonisme sachant combiner la logique scientifique
avec l’imagination créatrice et considérer l’homme dans la totalité de
ses facultés. Par cette combinaison et leur culture encyclopédique, « ils
apparaissent comme des lanceurs de thèmes dominants, des décou-
vreurs de dialectiques fondamentales et des constructeurs d’hypo-
thèses stimulantes » [Perroux (1964), p. 7], à tel point que Perroux
considère que « les anticipations saint-simoniennes se sont réalisées en
partie » [Ibid., p. 58, note]. Autrement dit, il observe « dans son temps
», la réalisation des anticipations saint-simoniennes.
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6 Saint-Simon écrit dans Les Communes (1818), « Il existe donc encore dans le
moment une lutte entre les deux classes qui composent la société ». [Saint-Simon
(1966), vol. 6, p. 386].
7 Cette formule est employée par Saint-Simon comme synonyme de « philosophes »
dans le Mémoire sur la Science de l’Homme (1812-13), [Saint-Simon (1966), vol. 5,
p. 38], puis en 1825, dans Opinions philosophiques, [Saint-Simon (1966), vol. 5, p. 80].
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8 F. Perroux dans L’économie des jeunes nations, défend l’idée que la coopération est
liée à la décolonisation. Par conséquent, « les techniciens et les ingénieurs doivent bien
être formés en masse ; mais une part fondamentale de l’effort doit porter sur l’éducation
approfondie et minutieuse des cadres supérieurs, c’est-à-dire de ces » hommes généraux
« dont parlait Saint-Simon, qui prennent les décisions majeures » [Perroux (1962),
p. 108].
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cés sur la nature. Ce que résume assez bien la célèbre formule d’En-
fantin : « passer du gouvernement des hommes à l’administration des
choses ». On a trop souvent réduit la pensée de Saint-Simon à une phi-
losophie technocratique, du changement social opéré « par en haut »
c’est-à-dire par le remplacement de ses élites – ce qui est un contresens
– pour ne pas réduire l’approche de Perroux à cette banale interpréta-
tion.
9 Notes de Perroux qui cite Saint-Simon, « L’espèce humaine n’est point condamnée
à l’imitation » in Nouveau Christianisme (1825) et, « mon esprit s’était embarqué pour
un voyage de découverte ».
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10 Cette société avait été créée en 1801 par Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) qui fut
l’un des co-rédacteurs de L’Industrie dirigée par Saint-Simon en 1816-1818.
11 Sur les termes « industriels, industrialistes, industrialisme », nous renvoyons le
lecteur à notre Vocabulaire de Saint-Simon aux Éditions Ellipses, 2005.
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CONCLUSION
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
La création collective,
du plan à la valeur sociétale
Philippe Béraud
TÉLÉCOM Bretagne
800 P. BÉRAUD
« In the market economy, no one speaks for those who will fol-
low. Speaking for the interests of successor generations is a
function that has to be imposed on the market by outside
agency and regulatory power; it is an act-of-imagination. The
great fallacy of the market myth lies simply in the belief, for
which no foundation in economics exists, that markets can
think ahead. But they cannot. The role of planning is to provide
that voice, if necessary against the concerted interest and
organized power of those alive today. » James Galbraith, The
Predator State, 2008.
« Le système technique mondial repose désormais intégrale-
ment sur les technologies numériques. Une conséquence
majeure de cet état de fait est l’intégration fonctionnelle des
mnémotechnologies au système de production des biens maté-
riels, ce qui constitue une immense rupture historique : ce sont
les dispositifs de production des symboles, qui relevaient jus-
qu’alors des sphères de l’artistique, du théologique, du juri-
dique et du politique, qui sont désormais totalement absorbés
par l’organisation mondiale du commerce et de l’industrie. »
Bernard Stiegler, La technique et le temps, 2001.
« L’on ne peut qu’être frappé par le fait qu’à une époque où la
parole est si peu tenue, le cynisme tant pratiqué, la générosité
si rare, l’on soit si avide en économie de réflexions sur
l’éthique. Que de propositions, de l’éthique de la sollicitude
inspirée de E.Levinas, à celles des devoirs (E.Kant), de
l’égoïsme rationnel (Hobbes), de la responsabilité (H.Jonas),
des vertus (Aristote, #645), ou encore de l’équité contractuelle
(J.Rawls) ! Que d’arguments tirés de situations concrètes pré-
sentées comme relevant de l’éthique, qu’il s’agisse des
affaires, de la conduite de l’entreprise, du commerce interna-
tional, du “lobbying” ! Quel paradoxe que cette avalanche,
alors que d’aucuns n’hésitent pas à dénoncer “l’Ére du vide”
où nous nous trouvons, marquée, disent-ils, par une “désertion
généralisée des valeurs et des finalités sociales” et la perte du
sens ! Comment ne pas voir dans tout cela l’expression du
besoin d’une réflexion approfondie sur les aspirations et les
valeurs qui doivent guider l’action humaine, l’absence d’un
projet collectif étant vivement ressentie. » Henri Bartoli,
Éthique et économie : médiation du politique, 2003.
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INTRODUCTION
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préparent à leur tour les probables dépassements vers une œuvre nou-
velle. De ce fait, « l’ouvrage et l’œuvre nés de l’énergie créatrice trans-
mettent l’énergie créatrice » ; d’un côté, pour l’ouvrage, « la capacité
à créer des objets utiles » ; de l’autre, pour l’œuvre, « la capacité
d’éveiller, l’art d’inventer un sens et des significations » [Perroux
(1964), p. 181-182]. En faisant des ouvrages et des œuvres les supports
d’une médiation qui assure la communication avec autrui, la création
collective devient la condition d’une désaliénation sociale où le dia-
logue permet de retrouver un sens de l’homme [Perroux (1970b)].
Perroux distingue trois moments fondateurs de la création collective,
trois composantes, qu’il analyse sous les termes respectifs de « montée
sociale », « œuvres collectives » et « projet de l’homme » [Perroux
(1964), p. 192-199]. La « montée sociale » renvoie à la dynamique
conjuguée des classes sociales et des constructions nationales, révélée
par l’histoire de l’industrialisation en Europe et aux États-Unis, mais
qu’il est possible de réinterpréter dans le cadre de l’évolution des jeunes
nations issues des indépendances. Cette problématique sera reprise ulté-
rieurement dans Masse et classe [Perroux (1972)]. Les « œuvres col-
lectives » font référence aux grands travaux, aux infrastructures, à la
mise en œuvre de projets d’aménagement combinant complexes indus-
triels et grands réseaux, avec « un besoin de calculs collectifs à la
mesure de ces œuvres collectives », où l’on reconnaît sans peine l’in-
fluence du saint-simonisme [Perroux (1964), p. 197]. Cette perspective
avait déjà fait l’objet d’un traitement particulier dans L’économie du
XXe siècle, où Perroux montre son intérêt pour les approches du déve-
loppement mettant en relief les effets d’induction liés aux investisse-
ments conjoints dans les infrastructures et les activités productives [Per-
roux (1961), réédition (1991), p. 294 sq.], à l’image des interprétations
de même nature mises en avant par Hirschman [1986]. Le « projet de
l’homme », quant à lui, s’inscrit au cœur de la création collective, en
tant que création de l’homme par l’homme, dans un mouvement anthro-
poïétique guidé par des valeurs, donc non pas une simple production
d’utilités mais une « reconnaissance de l’homme par l’homme », « un
dialogue sans terme de créateurs » [Perroux (1964), p. 199].
La création collective chez Perroux est donc étroitement liée à l’in-
dustrialisation et à une économie de programmes. Ce double phéno-
mène s’accompagne de formes d’appropriation et d’évaluation qui
dépassent le calcul économique privé et intègrent les dimensions col-
lectives des coûts de l’homme. Cette réévaluation des rapports entre les
hommes et leur économie réelle et symbolique fait l’objet d’un plan,
qui s’affirme comme « un ordre conscient des choses comptabilisables
dans lequel les hommes s’entre-produisent » [Ibid., p. 191].
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808 P. BÉRAUD
2 François Perroux analyse avec lucidité les dispositions et les comportements des
parties prenantes du plan : « Les conseillers sont principalement les techniciens du Com-
missariat au Plan et ceux qui opèrent dans sa mouvance. Les payeurs sont principale-
ment les hauts responsables du ministère des Finances et de tout ce qui s’y rattache [...]
Enfin le pouvoir technicien et le pouvoir financier sont – chacun – en symbiose hostile
ou pacifique avec les pouvoirs économiques privés ; ces derniers connaissent les
concours et les luttes qui ont toujours marqué les rapports entre les Grands » [Perroux
(1962), p. 106].
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810 P. BÉRAUD
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CONCLUSION
826 P. BÉRAUD
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
828 P. BÉRAUD
830 P. BÉRAUD
Participation et développement
des forces productives
Patrick Guiol
Université de Rennes 1
832 P. GUIOL
1 Rappelons que le président de la République avait annoncé qu’il était résolu à pro-
mouvoir, dans la foulée du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat qu’il
soumettait aux Français, toute une série de mesures en faveur de la participation dans
l’entreprise. Ces mesures élaborées sous la responsabilité de René Capitant, Garde des
Sceaux, inquiétaient fortement le patronat et l’aile droite de sa majorité.
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2 Près de 800 pages. Tome 1 : 195 p., tome 2 : 308 p. et tome 3 : 268 p.
3 On peut notamment lire : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil
national de la Résistance [...] Il est grand temps de réformer, et le gouvernement s’y
emploie [...] La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place
entre 1944 et 1952, sans exception [...] Il s’agit aujourd’hui de défaire méthodiquement
le programme du Conseil national de la Résistance. ». Challenge du 4 octobre 2007,
« Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ».
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834 P. GUIOL
4 N’oublions pas qu’un tel climat idéologique avait conduit les coopérateurs du fami-
listère de Guise – la célèbre fabrique des poêles et cuisinières Godin – réunis en AG, à
voter, sous le coup de l’euphorie maximaliste du moment, la dissolution de leur expé-
rience d’industrie sociale, pourtant unique, sous prétexte qu’il ne pouvait y avoir un îlot
de socialisme en régime capitaliste ! Résultat : l’entreprise est devenue une filiale du
Creusot et le familistère est devenu une HLM .
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836 P. GUIOL
avec MM. Burin des Rosiers, secrétaire général de la présidence de la République, Dro-
mer, attaché au Cabinet, François Perroux, professeur au Collège de France, G. Peni-
neau, Vallon et Capitant. Thème : l’article 33. On me demande de préciser ma pensée
pour aider à l’établissement du fameux projet de loi «. La réforme pancapitaliste, op. cit.
pp. 30-39 [Capitant et Vallon (1971)].
7 « [...] Pour nous, et pour l’immense majorité des socialistes représentés à Amster-
dam », déclare Guesde, « le socialisme a sa base dans les phénomènes économiques ; il
sort tout armé du capitalisme, dont il est à la fois l’aboutissant et le correctif. (...) L’In-
ternationale, (...), devient, en même temps qu’une possibilité, une nécessité. Tout
change, au contraire, dès qu’on ne voit dans le socialisme (...) qu’un postulat, le prolon-
gement ou le couronnement d’un mouvement démocratique issu lui-même de la Révo-
lution bourgeoise de la fin du dix-huitième siècle. Et c’est parce Jaurès (...) se rattache à
cette dernière conception, c’est pour cela qu’il accepte et réclame (...) une collaboration
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838 P. GUIOL
de plus en plus permanente avec les éléments les plus avancés, c’est-à-dire démocra-
tiques et républicains de la bourgeoisie ». Ce dont se distingue Jules Guesde, en
extrapolant son divorce doctrinal sur une fin toute théorique des nations dont il dilue le
sens : « Pour nous, socialistes, il n’y a pas de question de nationalité; nous ne connais-
sons que deux nations; la nation des capitalistes, de la bourgeoisie, de la classe possé-
dante, d’un côté; et de l’autre la nation des prolétaires, de la masse des déshérités, de la
classe travaillante ». « Et de cette seconde nation – ajoute-t-il jouant de l’inversion entre
vous et nous – nous sommes tous, vous socialistes français et nous socialistes allemands.
Nous sommes une même nation : les ouvriers de tous les pays forment une seule nation
qui est opposée à l’autre, qui est aussi une et la même dans tous les pays ». Il emporta
ainsi l’adhésion des voix allemandes.
8 C’est la rupture avec la nation qui en résulte, dont les conséquences seront lourdes
sur le plan théorique ; par la même occasion suit l’abandon de la démocratie républicaine
– qualifiée de bourgeoise – au profit d’une idéalisation totémique de la classe ouvrière.
L’idée d’Internationale s’en trouve circonscrite à une vision schématique supranationale
au seul critère d’une solidarité ouvrière que les carnages de la Première guerre mondiale
n’allaient pas tarder, hélas, à conforter pour des générations ! Le pacifisme amalgamant
alors, dans un même rejet, nationalismes et nation. Chacun connaît pourtant cette phrase
célèbre de Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie. Beaucoup d’inter-
nationalisme en rapproche ». C’est que son internationalisme pourtant insoupçonnable
n’était pas exclusif de l’importance qu’il accordait aux conditions tout aussi essentielles
au développement de la démocratie dont le creuset demeure la nation.
9 Société anonyme à participation ouvrière.
10 Si ce n’est qu’une grande compagnie aérienne française, UTA, fut constituée sous
ce régime. Non sans conséquence par la suite d’ailleurs, spécialement lors de son rachat
par Air France, en janvier 1990. Les ex-UTA ayant tenu à défendre leurs acquis sociaux,
malgré l’abandon du statut de SAPO lors de la fusion, les salariés d’Air France en pro-
fitèrent par ricochet. Air France est encore, aujourd’hui, une compagnie aérienne qui se
singularise, par exemple, par son fort actionnariat salarié.
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11 Ce qui lui valut les plaintes des socialistes italiens et de certains socialistes fran-
çais. Il leurs répondit qu’en tant que fonctionnaire international il devait s’intéresser à
tout encadrement du travail et des travailleurs.
12 Loc. cit. p. 97.
13 Cf. 10° session, p. 238-239.
14 Le régime de Vichy promulgue la Charte du Travail, le 26 octobre 1941, en vue de
construire un nouveau modèle de société et d’État paternaliste, autoritaire, autour de la
devise « Travail, Famille, Patrie », qui remplace durant quatre ans la devise républicaine
« Liberté, Égalité, Fraternité ».
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840 P. GUIOL
842 P. GUIOL
Gaulle, elle insiste dans son préambule sur le fait que « le grand mou-
vement populaire qui a libéré la France de l’ennemi n’a pas été seule-
ment un mouvement de libération nationale. Il a été également un
mouvement de libération sociale. L’idée motrice en a été la nécessité
d’associer les travailleurs à la gestion des entreprises et à la direction
de l’économie ». Et que dire de l’alinéa 8 du préambule de la Consti-
tution (repris à celle 1946 et validé dans celle de 1958) qui dispose
que : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à
la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la ges-
tion des entreprises » ? En cette courte période d’après-guerre, tout
semble indiquer la détermination du Chef du gouvernement provisoire
à favoriser ces convergences en pariant sur une praxis qui jugulerait les
postures partisanes. Rappelons la création de la Sécurité sociale, des
délégués du personnel et les nationalisations et, à l’occasion, remar-
quons que c’est de Gaulle qui introduisit, pour la première fois dans
l’histoire de France, des communistes au gouvernement, ce dont Léon
Blum n’avait pas eu l’audace pendant le Front Populaire. Mais la
guerre froide vint briser l’ampleur puis l’avenir même du mouvement
d’émancipation sociale, amorcé à la Libération. Les compagnons de
route d’hier devinrent adversaires irréductibles. Le divorce autour du
sacro-saint principe gaullien d’indépendance nationale se doubla d’une
discordance institutionnelle rédhibitoire. De sorte que la rivalité entre
gaullistes et communistes a enseveli les formules participationnistes
issues du compromis du CNR. Et cela avec d’autant plus de violence
que de Gaulle continuait de s’appuyer sur l’association capital-travail
comme thème majeur de propagande pour implanter son RPF dans le
monde ouvrier, terres d’élection du Parti communiste [Guiol (1998),
p. 399-428]. Ce dernier a défendu son bastion en radicalisant le thème
de la lutte des classes. L’objet central de la discorde qui opposait les
deux protagonistes était pourtant tout autre, patriotique et géostraté-
gique. Résultat : à gauche, une génération de militants sociaux fut for-
matée à nouveau « à l’ancienne » dans le rejet de toute approche par-
ticipationniste. Nous sortons à peine de ce schéma, en dépit de
l’effondrement, déjà ancien, de l’URSS.
Si, au début du XIXe siècle, certains patrons ont cru trouver dans la
participation (version « participation aux bénéfices » exclusivement)
une technique pour réduire les grèves et stabiliser le personnel ce n’est
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844 P. GUIOL
pas tant leur motivation qui est digne d’intérêt, c’est la solution imagi-
née pour parvenir à leurs fins qui est instructive : une intelligence des
relations de cause à effets, qui méritent attention. Ce lien qu’ils éta-
blissent entre la nature des rapports sociaux et les comportements des
salariés au travail. Toute méthode participative représente un coût pour
le capitaliste, que ce coût soit matériel ou, pire peut-être, symbolique.
L’important pour le patron est de savoir si, au bout du compte, le solde
est profitable dans sa relation de concurrence aux autres patrons.
Depuis des décennies, de nombreuses études de sociologie industrielle
et de sociologie du travail ont montré que la réponse est positive. Voilà
pourquoi, dans le sillage de la décrispation idéologique des dernières
décennies, la nébuleuse participationniste semble mieux accueillie.
Mais, elle l’est sur la base d’une logique qui se veut celle du « gagnant-
gagnant » qui, en distinguant au sein du patronat les anciens des
modernes, a ses limites. L’objectif de performance et de productivité
qui est le seul ressort de cette adhésion aux techniques participatives
s’abstrait d’un quelconque choix de société guidé par des préoccupa-
tions humanistes, voire des impératifs de cohésion nationale. Cela
signifie que, même sous l’apparence du dialogue entre « partenaires
sociaux », le malentendu social n’est pas prêt de s’éteindre. Et perdu-
rent, avec lui, les raisons pour les travailleurs de lutter pour la défense
de leurs intérêts. Contrairement à une idée reçue et quitte à décevoir
bon nombre de ses partisans – surtout dans les milieux dirigeants –,
participation et lutte des classe ne seront jamais exclusives l’une de
l’autre, du moins en régime capitaliste. Seule, la marge qui n’est pas
fondamentale est susceptible d’être résorbée. Mais cela s’appelle déjà
un progrès. Pour le reste, le domaine du compromis – donc de la négo-
ciation et donc de l’état des rapports sociaux et des conquêtes poli-
tiques – suivra son cours mais dans des conditions nettement plus civi-
lisées à l’image de ce que nous enseignent les pays nordiques. Car, à
supposer – pure hypothèse d’école – qu’au terme d’une politique
authentique, la participation au capital croisse dans des proportions
telles que le système dans son ensemble migre vers un régime d’éco-
nomie coopérative constituée de « sociétaires » (modèle de citoyenneté
économique auquel aspirent les participationnistes), une telle hypo-
thèse mettrait de toutes façons des décennies à se réaliser.
Sans rêver d’un modèle achevé et clos, nous pensons que le progrès
consiste déjà tout simplement à cheminer. Ainsi, en a-t-il été de tous
les progrès sociaux accomplis depuis la reconnaissance du droit de
grève (Loi Émile Ollivier du 25 mai 1864) ou celle des syndicats
(21 mars 1884 Waldeck Rousseau) que personne ne songerait à
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remettre en cause aujourd’hui... Alors même que ces réformes ont été,
en leur temps, adoptées par des hommes d’État ouverts aux thèses
participationnistes et que les socialistes révolutionnaires déclaraient
leur méfiance si ce n’est leur opposition. Réalité volontiers tronquée
a posteriori par l’historiographie officielle qui préfère exalter un
mythe, celui exclusif des conquêtes ouvrières. Aujourd’hui, on voit la
Sécurité sociale subir cette même réécriture. Instaurée de notoriété
publique par le général de Gaulle à la Libération conformément à sa
doctrine de solidarité et d’unité nationale, elle se voit de plus en plus
souvent présentée aux jeunes générations, du moins dans les meetings,
sous une version épique et apocryphe d’une victoire « ouvrière »
arrachée de haute lutte à la Bourgeoisie !
Pour revenir à l’après-guerre, si le Plan est généralement présenté
comme un vecteur de participation de tous « les agents économiques »
à la vie politique, il est également apparu comme un lieu d’apprentis-
sage des grands principes de la macro-économie. Il n’y a pas de parti-
cipation sérieuse possible, en effet, sans formation. C’est dans le cadre
du Plan (1962-1968) que la formation est instituée comme principe de
définition de la qualification professionnelle et de l’équilibre de l’em-
ploi. Au demeurant, le Commissariat général du Plan, organisme créé
par le général de Gaulle à la Libération, relevait d’une conception qui
était précisément due à François Perroux.
Formation et participation ont partie liée, notamment à travers la
formation économique et sociale des travailleurs appelés à exercer des
responsabilités syndicales.
Mieux encore : si, structurellement, la « lutte des classes » n’est pas
prête de s’éteindre, du moins par définition tant qu’existera le capita-
lisme, sociologiquement elle perd de sa virulence au sein des sociétés
développées. François Perroux avait pressentit le phénomène au point
d’en tirer argument en faveur de la participation : « Les techniciens, les
ingénieurs, les cadres acquièrent une importance croissante dans la
gestion économique et productive des ressources. Les dispositions
d’esprit varient à l’intérieur de ces catégories, assez mal désignées par
le terme de “nouvelles classes moyennes”. Beaucoup, en tout cas, y
sont réformistes et non révolutionnaires » [Perroux (1970), p. 1152].
846 P. GUIOL
manente », s’interrogeaient sur le fait que les principales lois sur la for-
mation permanente et la formation professionnelle avaient été promul-
guées sous le régime gaulliste. Constat qui ne cessait d’attiser leur
curiosité. Tout commence, en effet, avec la loi de 1959 qui précède la
loi de 1971 (Chaban-Delors) sur la formation permanente et qui jette
l’essentiel des fondements en programmant la promotion du travail et
la promotion sociale. Le dispositif s’enracine, ensuite, avec la loi de
1966 qui introduit la notion de congé individuel de formation.
Or, les représentations que ces sociologues et ces animateurs
sociaux se faisaient de de Gaulle différaient de la connotation de pro-
motion ouvrière et sociale, que véhicule l’idée de formation profes-
sionnelle. D’où leur interrogation sur l’existence, chez de Gaulle,
d’une vision conceptuelle cohérente dans laquelle inscrire la mise en
œuvre du dispositif.
L’explication de ce paradoxe apparent n’était pas unique mais, tou-
tefois, relativement simple pour quiconque en connaissait les ressorts :
entre le rêve républicain d’une « société de promotion », chère à
Michel Debré, et l’horizon espéré d’une « société de participation »,
chère à De Gaulle, comment hiérarchiser les déterminants du disposi-
tif de formation professionnelle ?
Pour les initiateurs du colloque, la formation, attachée au mot
d’ordre de « modernisation », idéologie qui a orienté les grandes
réformes d’après-guerre, apparaissait, à juste titre, comme un instru-
ment d’accompagnement. De même, ont-ils constaté que dans les
entreprises où les premières actions de formation ont été impulsées à
des fins de pacification sociale elles furent, en même temps, un moyen
d’accroître la productivité. Vision pourtant incomplète.
Indépendamment de toute problématique du « mouvement ouvrier »
étrangère au mode de raisonnement de Charles de Gaulle, le couple
formation-participation relève d’une logique autre que celle de la paci-
fication, tout en véhiculant une authentique volonté d’émancipation de
la condition salariale ; pour peu qu’on accepte le prisme de la nation
comme acteur majeur et l’État comme son outil privilégié. Selon ce
schéma, la formation professionnelle permanente ne fait que traduire
la rencontre de l’intérêt individuel et de l’intérêt collectif, et entre en
conformité avec l’exigence de gouverner par le « bien commun ». Le
chef de la France Libre l’avait annoncé durant les années de guerre : le
pays se devrait d’accepter le prix de la consolidation du sentiment
national pour se relever des décombres. Et ce prix était précisé : outre
la mutation de la République vers davantage de suffrage universel
direct, des progrès tangibles s’imposaient en matière de justice sociale,
d’intégration et de promotion ouvrière.
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848 P. GUIOL
17 Le 4 janvier 1948.
18 Le 1er mai 1950.
19 Juin 1968.
20 Idem.
21 Capitant (René), in La Lettre de la Nation, 16 février 1968.
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22 12 septembre 1951.
23 1er octobre 1948.
24 11 avril 1966.
25 27 novembre 1967.
26 14 décembre 1948.
27 Observations sur une brochure.
28 17 novembre 1946.
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850 P. GUIOL
et de valeur qui vers les années 1835, 1840, 1848 et après avaient sus-
cité ce que l’on appelait alors le socialisme français » 29, dont il préci-
sait aussitôt qu’il n’avait aucun rapport avec la S.F.I.O. d’alors. Lors de
ses vœux aux Français, en janvier 1968, il annonce son intention de
faire progresser très prochainement la participation. Manifestement, il
est demeuré sur son insatisfaction causée par le rôle réducteur que joua
son Premier ministre lors de la rédaction de l’ordonnance d’août 1967
[Casanova (1967) ; Guiol (2006)]. Les événements de mai en l’affaiblis-
sant, l’empêchèrent de concrétiser son projet. Ne lâchant rien pourtant,
il nomme Capitant, Garde des Sceaux, puis annonce en avril 1969 :
« Cette année même, nous comptons faire adopter par le Parlement
une loi organisant la participation du personnel à la marche des entre-
prises » 30. On connaît la suite... Aussi bien sur la scène intérieure que
sur la scène internationale, le Connétable s’était fait trop d’ennemis
chez les puissants... eux, qui savaient pertinemment que son « gaul-
lisme » représentait davantage qu’un simple pragmatisme.
29 31 août 1948.
30 10 avril 1969.
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GRAPHIQUE 1
L’indépendance nationale comme principe universel
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852 P. GUIOL
GRAPHIQUE 2
La puissance économique et militaire,
préalables à l’indépendance
qui peut entraîner bien des sacrifices car, au premier abord, elle privilé-
gie le citoyen sur le consommateur, sans pour autant reléguer ce dernier
à un rôle subalterne, précisément pour des raisons de dynamisme éco-
nomique.
GRAPHIQUE 3
Le paramètre social et la cohésion nationale
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854 P. GUIOL
GRAPHIQUE 4
L’État comme agent-clé du colbertisme social
GRAPHIQUE 5
La souveraineté populaire comme ressort de l’État démocratique
856 P. GUIOL
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
858 P. GUIOL
De la création collective
au nouveau monde industriel.
François Perroux, le « passeur »
Franck Cormerais
Université de Bordeaux 3
862 F. CORMERAIS
INTRODUCTION : ET APRÈS ?
864 F. CORMERAIS
terminer une autre révolution, celle promue non pas par l’extension des
marchés mais par la planification du jeune État soviétique, en faveur
des infrastructures, des biens d’équipement, et au détriment de la
consommation. Par deux fois dans l’histoire récente de la modernité,
l’industrie vient clôturer des systèmes politiques qui revendiquaient la
démocratie. Cette situation nous conduit à constater que la question
industrielle dépasse les formes d’opposition traditionnelles entre capi-
talisme et socialisme.
Dans cette perspective, la question industrielle apparaît comme
l’impensé des régimes de vérité politique que présentent le libéralisme
et le socialisme. Ainsi d’une part, et paradoxalement, l’héritage de
l’analyse de la division du travail dont le modèle est issu d’une manu-
facture française va ralentir la prise en compte de la spécificité de la
question industrielle. Dans les pays du « socialisme réel », d’autre part,
la question industrielle a été replacée dans un cadre productiviste qui
ira de la NEP au stakhanovisme.
Les tentatives de mettre fin au désordre des révolutions politiques
par l’industrie ne signent pas la fin de l’exigence démocratique portée
par les révolutions. En France, par exemple, un nombre important d’in-
tellectuels (Renouvier, Fouillée, Bourgeois, Jaurès, Andler) vont
essayer de construire une doctrine officielle pour la république sociale
(1896-1914) qui concilie démocratie et industrialisation, autour de
l’invention des formes d’une solidarité juridique. Le républicanisme
trouve là son creuset [Blais (2007)]. Paradoxalement, l’effet de clôture
du politique imprimé par l’industrie suscite des formes d’organisation
collective comme la conquête du suffrage universel, résultantes des
luttes du XIXe siècle qui se développeront à partir de la misère indus-
trielle.
Cependant, comme l’industrialisation vient clore les effets poli-
tiques des révolutions, elle servira aux États, démocratiques ou non,
d’instrument de résolution des crises économiques. Le nazisme mettra
en œuvre une politique industrielle qui tendra à résorber le chômage et
l’inflation. De son côté, l’Amérique doit autant au New Deal sa sortie
de la grande crise de 1929, qu’à la conversion de l’industrie de guerre
qui permettra le retour du plein emploi.
Ainsi la question industrielle ne marque pas la fin du politique, elle
souligne les inconséquences et les dangers qu’il y a à ignorer l’indus-
trialisation. Pour cette raison, une généalogie de la question de l’in-
dustrie s’avère nécessaire pour penser les limites de la démocratie et
essayer de reformuler son régime de vérité politique. Il ne s’agit plus
de savoir à quelle part de la démocratie l’on doit renoncer pour avoir
10-Cormerais.qxd 08/07/14 10:39 Page 866
866 F. CORMERAIS
1 La relation entre liberté et industrie nous amène à rencontrer les relations que le
libéralisme et le socialisme entretiennent avec la production de biens. Le postulat libéral
fait de l’initiative le centre de son raisonnement, mais il reste à démontrer comment la
liberté illimitée de l’entreprendre rencontre un modèle de développement illimité qui
apporte la paix sociale par la production des richesses collectives. Alors que l’industria-
lisation contribue a la conception libérale de l’entreprendre, elle participe également et
paradoxalement à l’effacement de l’inscription politique de la liberté. Ainsi on ne saurait
confondre la liberté politique et la liberté d’entreprendre [Audard (2009)]. De son côté,
le socialisme ne fera que proposer des variantes aux limites de l’exploitation industrielle
de l’homme dans le cadre d’une exploitation illimitée des ressources naturelles.
10-Cormerais.qxd 08/07/14 10:39 Page 868
868 F. CORMERAIS
TABLEAU 1
Les phases de la transformation de la modernité
TABLEAU 2
« Quatre moments de la création collective »
870 F. CORMERAIS
872 F. CORMERAIS
874 F. CORMERAIS
876 F. CORMERAIS
ser sur l’industrie qui n’est pas instauratrice d’un nouvel ordre, une
aide morale vient la seconder pour purifier la religion et produire une
croyance qui inverse la promesse du bonheur. Le futur devient ce qui
apporte par l’intermédiaire de l’industrie la réalisation du paradis sur
terre. Le progrès historique de l’esprit humain est ainsi totalement revi-
sité.
Une religion de l’industrie ne peut être mise en avant qu’en purifiant
la religion de l’église par un culte de l’efficacité. L’opération symbo-
lique produite par Saint-Simon consiste à réaliser : « une révolution de
la religion, en produisant une religion post-révolutionnaire. Il renou-
velle la croyance en un sacré, mais sans Dieu, évacué par la science, et
sans État, marginalisé par l’industrie » [Musso (2006), p.278]
Dans cette ultime bifurcation, l’industrie remplit le programme de
la révolution et clôt les mouvements désordonnés d’une période cri-
tique. Le contrat social disparaît dans l’industrie qui absorbe aussi la
religion pour fournir une croyance qui rassemble le pouvoir céleste et
le pouvoir terrestre. Cette réconciliation va exercer un attrait indé-
niable sur la pensée de François Perroux.
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882 F. CORMERAIS
884 F. CORMERAIS
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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économie
appliquée
Tome LXVII - N° 2 - juin 2014
R. U. AYRES A tale of two economies: The gap is growing 5
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