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Pouvoir : une analyse par les institutions

Isabelle Huault, Bernard Leca


Dans Revue française de gestion 2009/3 (n° 193), pages 133 à 149
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746224209
© Lavoisier | Téléchargé le 04/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 170.249.59.89)

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DOSSIER
ISABELLE HUAULT
DRM-DMSP, université Paris-Dauphine
BERNARD LECA
Groupe ESC Rouen

Pouvoir : une analyse


par les institutions

Les chercheurs néo-institutionnalistes se sont attachés


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récemment à intégrer la question du pouvoir dans leur corpus
théorique. Pourtant, la plupart de ces travaux se focalisent
sur le volontarisme des acteurs et sur la manière dont ils
manipulent les institutions. Cet article offre un autre point de
vue en insistant sur le rôle des institutions. Les auteurs
soutiennent que le processus d’institutionnalisation réfère à la
manière dont des pratiques, des outils et des modèles
institutionnalisés acquièrent une forme de pouvoir et
modèlent les actions. Ils distinguent, pour ce faire, trois
dimensions du pouvoir qui correspondent à trois étapes du
processus d’institutionnalisation. Lorsqu’elles sont « tenues
pour acquises », les institutions ne sont plus manipulées par
les acteurs de manière stratégique mais elles exercent au
contraire un véritable contrôle. Ils discutent des implications
de cette analyse pour la recherche en théorie des
organisations et de ses articulations possibles avec la théorie
critique.

DOI:10.3166/RFG.193.133-149 © 2009 Lavoisier, Paris


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J
usqu’à une période récente, la question Lukes distingue en effet trois dimensions
du pouvoir n’a reçu qu’une attention (pour une présentation plus précise voir
marginale dans le néo-institutionna- encadré ci-après). La première concerne
lisme sociologique (pour une revue de litté- l’exercice ouvert du pouvoir par un acteur A
rature récente sur le sujet voir Lawrence, sur un acteur B, ce qui conduit B à faire des
2008). Ce courant théorique se concentre choix et à agir d’une manière qu’il n’aurait
principalement sur l’analyse des méca- pas adoptée sans l’influence de A. La
nismes mimétiques par lesquels des acteurs, deuxième renvoie au contrôle des possibili-
des individus ou des organisations, en vien- tés même de décisions. Il s’agit de cas où A
nent à se comporter tous de la même est capable de limiter l’étendue des pro-
manière (DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer blèmes qui peuvent faire l’objet de déci-
et Rowan, 1977 ; Scott, 2001 ; Tolbert et sions de la part de B, en contrôlant
Zucker, 1983). Ces manières sont tenues l’agenda, notamment par l’intermédiaire
pour acquises et naturelles à l’issue du pro- d’institutions. La troisième réfère à la
cessus d’institutionnalisation, de sorte qu’il domination exercée par A, laquelle permet
ne viendrait pas à l’idée de les remettre en de déterminer les préférences de B et de
cause (Berger et Luckmann, 1966). l’empêcher de formuler des revendications.
Ce n’est que récemment que la thématique La domination est alors acceptée. Si les
du pouvoir a été considérée par les institutions peuvent aider à l’exercice du
chercheurs néo-institutionnalistes. Cette pouvoir de A, elles sont, dans tous les cas,
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prise en compte s’est effectuée sous une des moyens d’exercice de ce pouvoir.
forme assez conventionnelle : en analysant En utilisant le cadre néo-institutionnaliste,
comment des acteurs peuvent utiliser leur nous suggérons dans cet article qu’il est
pouvoir pour influencer le processus possible, d’ajouter des éléments à la dis-
d’institutionnalisation d’une part, en spéci- tinction tripartite de Lukes. Ce dernier
fiant comment des acteurs sont susceptibles considère le pouvoir comme une relation
de recourir aux institutions pour accroître entre des acteurs. Intégrer les institutions
ou maintenir leur pouvoir d’autre part (par dans l’analyse, et le fait qu’elles soient
exemple, DiMaggio, 1988 ; Garud et al., tenues pour acquises, conduit à prendre en
2007 ; Lounsbury, 2003). Le pouvoir est ici compte également les relations entre les
appréhendé dans une acception classique : institutions et les acteurs ; et notamment les
soit il est exercé directement par des acteurs situations dans lesquelles les institutions
en l’absence d’institutions, soit les institu- elles-mêmes dominent les acteurs, comme
tions sont des leviers utilisés par les acteurs cela est le cas dans de nombreuses situa-
pour exercer le pouvoir (voir pour le tions organisationnelles. Traditionnelle-
modèle sans doute le plus complet, ment, l’analyse du pouvoir dans les travaux
Lawrence et al., 2001). Ainsi, les dimen- néo-institutionnalistes suggère que si les
sions du pouvoir prises en compte s’inscri- institutions s’imposent aux acteurs, les
vent principalement dans l’approche « radi- acteurs peuvent également les changer. Or,
cale » du pouvoir proposée par Lukes cet article propose d’étendre et de complé-
(1974, 2005) qui constitue un classique sur ter cette approche en intégrant les situations
ce thème. dans lesquelles le niveau d’institutionnali-
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sation des pratiques est tel, que cette possi- la comptabilité à la Renaissance, peut être
bilité de changement n’existe plus, ou du expliquée comme un moyen pour certains
moins implique un travail considérable. acteurs de servir leurs intérêts1 (Carruthers
Cela renvoie donc à des situations dans les- et Wespeland, 1991), la comptabilité consti-
quelles les institutions façonnent l’action tue aujourd’hui un ensemble de pratiques et
humaine qui se contente de s’y conformer de cadrages cognitifs dont il est difficile de
et de les reproduire. s’affranchir. Elle constitue une pratique
Par exemple, la comptabilité peut être obligatoire, « tenue pour acquise » et que
considérée comme une institution exerçant les acteurs adoptent par obligation, plus que
directement son pouvoir. Si l’émergence de par calcul. Les comptables obéissent aux

LES TROIS DIMENSIONS DU POUVOIR CHEZ STEVEN LUKES

En partant des travaux antérieurs, notamment de Dahl, et de Bachrach et Baratz, Lukes


(1974, 2005) propose une présentation tripartite du pouvoir.
La première dimension renvoie à l’influence directe et ouverte qu’un acteur a sur un autre.
A a du pouvoir sur B quand il peut faire faire à B quelque chose que B n’aurait pas fait autre-
ment, B étant conscient que cela vient de l’action de A. Les conflits liés au pouvoir sont
ouverts.
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La deuxième dimension concerne la non-décision. A a du pouvoir quand il parvient à ce que
les valeurs sociales et politiques, les pratiques institutionnelles limitent l’étendue des pro-
blèmes publics traités à des problèmes qui ne posent pas de problèmes à A. Le pouvoir
s’exerce dans la définition de l’agenda politique (ce qui doit, plus exactement ce qui va, être
traité ou ne doit pas l’être)
La troisième dimension du pouvoir renvoie au pouvoir invisible consistant à déterminer les
préférences des acteurs. Il s’agit d’empêcher les individus, à quelque degré que ce soit,
d’avoir des griefs en façonnant leurs perceptions et leurs préférences de telle sorte qu’ils
acceptent leur rôle dans l’ordre social, soit parce qu’ils ne peuvent imaginer d’alternative,
soit parce qu’ils le considèrent naturel et immuable. Cette troisième dimension entend rendre
compte des formes les plus insidieuses de pouvoir, notamment celles fondées sur la domi-
nation lorsque les dominés acceptent leur domination, soit par résignation, soit par adhésion
aux valeurs qui la fondent.

1. Carruthers et Wespeland (1991) rendent compte de l’émergence de la comptabilité en partie double. Ils suggèrent
que celle-ci a été mis en place comme un moyen rhétorique visant à assurer convaincre certaines audiences (les
investisseurs, l’église, etc.) de la légitimation des entreprises commerciales dans un contexte de changement qui cor-
respondait à l’émergence du capitalisme entrepreneurial. Ils montrent cependant que la comptabilité a pour effet de
cadrer la réalité économique. Les choses et leur sens sont fixés de manière écrite et sous forme quantitative, leur
classement s’effectue selon un arrangement tabulaire ce qui conduit à cadrer cognitivement les acteurs utilisant cette
méthode, et les incite à décider de manière « plus rationnelle » en fonction de l’information telle qu’est elle est
retraitée par la comptabilité.
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règles de la comptabilité, et les techniques pouvoir en fonction du degré d’institution-


dites de « comptabilité créative », comme nalisation. Nous suggérons finalement que
les opérations de haut de bilan, constituent l’institutionnalisation marque la montée en
des déviances hors de « l’orthodoxie comp- puissance du pouvoir des institutions (ce
table ». Si cette institution ne sert par direc- que nous nommons ici contrôle social), ce
tement les intérêts de certains acteurs, elle qui permet de compléter le modèle de
n’en est pas pour autant neutre en termes de Lukes (1974) d’une part, d’infléchir l’ana-
pouvoir. Elle exerce elle-même un pouvoir, lyse du pouvoir dans le néo-institutionna-
c’est-à-dire qu’elle conduit des acteurs à lisme d’autre part et, ce faisant, de situer la
faire des choix et à agir d’une manière problématique du contrôle par les institu-
qu’ils n’auraient pas adoptée sans son tions, au cœur même du néo-institutionna-
influence. Ce sont ces types de phéno- lisme organisationnel.
mènes, en particulier le pouvoir qu’exercent
les normes comptables, que le néo-institu- 1. Institutionnalisation et
tionnalisme permet d’intégrer dans la transformation du pouvoir
réflexion. Il ne s’agit pas seulement de Notre analyse propose une démarche liant
rendre compte des rapports entre des degré d’institutionnalisation et modification
acteurs sociaux, mais entre des institutions des dimensions du pouvoir. Cette première
et des acteurs sociaux. Ceci rend possible partie présente la définition retenue de ces
l’établissement d’un lien avec la probléma- notions, ainsi que le lien qui les unit.
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tique plus générale de la « gouvernementa- Nous définissons l’institutionnalisation au
lité », c’est-à-dire l’ensemble des procé- sens classique de Berger et Luckmann,
dures, les institutions, les calculs et les c’est-à-dire comme un processus par lequel
tactiques susceptibles d’exercer le pouvoir des pratiques deviennent tenues pour
sur une population (Foucault, 1978), mais acquises (Berger et Luckamnn, 1996
également le contrôle social et la nécessité [1966], voir aussi Tolbert et Zucker, 1996).
de penser les instruments de ce contrôle et Berger et Luckmann distinguent trois
leurs effets (par exemple Agamben, 2006 ; mouvements :
Rancière, 1998). – Le premier mouvement est l’extériorisa-
L’objectif de cet article est de montrer tion, c’est-à-dire l’ensemble des comporte-
comment l’approche centrée sur les insti- ments des individus qui fait de la société un
tutions s’articule avec l’analyse de Lukes. produit de l’action humaine.
Il est de rendre compte non seulement des – Le second mouvement est l’objectivation,
rapports de pouvoir entre les acteurs résultat de la diffusion dans l’espace, et sur-
sociaux, mais aussi entre les acteurs tout dans le temps (à travers les généra-
sociaux et les institutions. tions) des pratiques institutionnalisées. Ces
La suite de l’analyse s’articule en trois dernières en viennent à être considérées
étapes. Dans un premier temps, nous expo- comme détentrices d’une réalité propre
sons notre cadre d’analyse et les différentes qu’affronte l’individu comme un fait exté-
étapes du processus d’institutionnalisation rieur et coercitif (Berger et Luckmann,
(Berger et Luckmann, 1966). Nous présen- 1996, p. 84). C’est alors que la société
tons ensuite l’évolution des dimensions du devient une réalité objective.
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Tableau 1 – Degré d’institutionnalisation et dimension du pouvoir

Intériorisation
Degré Extériorisation Objectivation Institutions tenues
d’institutionnalisation (Pas d’institution) (Institutions présentes) pour acquises
(statut ontologique)
Rapport pouvoir discrétionnaire/contrôle
Limité (le dominant Absent
Pouvoir comme le dominé (le contrôleur
discrétionnaire Important sont limités se contente d’exercer
par l’institution) le contrôle)
Contrôle Absent Contrôle Contrôle
Pouvoir par Pouvoir par les acteurs Pouvoir par
Type de pouvoir les acteurs : s’appuyant sur les les institutions :
Pouvoir épisodique institutions : Domination Contrôle
Nature de l’agence Agent politique Agent politique Corps, objet de police
Qui exerce le pouvoir ? Tous les acteurs Dominants Institutions
Sources Ressources, réseaux, Institutions Institutions
de pouvoir incertitude…
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– Enfin, le troisième mouvement est l’inté- contrôle social (perte de légitimité en cas de
riorisation. Les pratiques institutionnali- non respect) ou même légal (sanction légale
sées acquièrent pour les acteurs un statut pour non respect de l’institution).
ontologique, parce qu’ils sont socialisés au Nous définissons le pouvoir dans un sens
sein des institutions. Berger et Luckmann large, en reprenant la définition proposée
indiquent ainsi « Dire qu’un segment de par Lawrence (2008, p. 174), c’est-à-dire en
l’activité humaine est institutionnalisé tant que relation telle que les croyances et
revient déjà à déclarer que ce segment a été les comportements d’un acteur sont influen-
ordonné par le contrôle social. Les méca- cés par un autre acteur ou un système. Cette
nismes additionnels de contrôle ne sont définition entretient une grande proximité
requis que dans la mesure où les processus avec celle de Lukes. Elle s’inscrit dans
d’institutionnalisation n’ont pas tout à fait l’analyse relationnelle du pouvoir, défini
réussi. » (1996, p. 79). L’homme devient un comme une relation plutôt que comme un
produit de la société. attribut qui pourrait être approprié et
Plus les pratiques et les manières de faire stocké. Mais elle ouvre également la possi-
sont institutionnalisées et moins les acteurs bilité que l’influence vienne non pas d’un
en interrogent l’origine. Ils les considèrent acteur, comme chez Lukes, mais d’un sys-
comme « tenues pour acquises ». Elles sont tème, et donc de pratiques institutionnali-
respectées pour des raisons d’historicité sées. Ceci nous conduit à dissocier pouvoir
(« on a toujours fait comme ça ») et de des acteurs et pouvoir des institutions.
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Nous suggérons que le rapport de ces deux crétionnaire des acteurs jusqu’à le rendre
dimensions du pouvoir change au fur et à caduque. Nous suggérons que la montée en
mesure du processus d’institutionnalisation puissance du pouvoir des institutions
selon une logique que nous présentons ci- marque fondamentalement le processus
après (tableau 1). d’institutionnalisation.
La phase d’extériorisation correspond à une Nous détaillons ce processus dans les trois
situation d’absence d’institutions, c’est-à- parties suivantes de l’article.
dire de règles et de routines. Les acteurs
exercent un pouvoir mais qui ne repose que 2. Au commencement était le pouvoir
sur leurs seules relations épisodiques et dis- épisodique…
crétionnaires. Revenir sur le processus d’institutionna-
La phase d’objectivation correspond à lisation implique, à l’instar de Berger et
l’émergence d’institutions. Celles-ci Luckmann, de débuter par le constat de
contraignent le comportement des acteurs l’absence d’institutions. Le pouvoir repose
qui sont tenus de s’y conformer, sous peine alors sur des relations interpersonnelles
de subir les sanctions sociales ou légales qu’aucune structure institutionnalisée ne
associées à leur non-respect. Ces institu- contraint. Il est épisodique.
tions peuvent être utilisées par les acteurs Ce type de situation n’existe pas en tant que
pour assurer et stabiliser leur pouvoir. Elles tel, dans la mesure où existe toujours un
servent des pratiques de domination par les- encastrement institutionnel et culturel anté-
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quelles des acteurs dominants usent de ces rieur à l’action des individus (Leca et
institutions pour maintenir et exercer leur Naccache, 2006). Il demeure cependant des
pouvoir sur les dominés. situations dans lesquelles cet encastrement
La phase d’intériorisation correspond à est moins important que dans d’autres,
l’appropriation totale par les acteurs des insti- c’est-à-dire des situations dans lesquelles
tutions, c’est-à-dire à celle, lors de laquelle les institutions sont affaiblies et exercent
les acteurs n’ont plus de réflexivité vis-à-vis une influence moindre. C’est notamment le
des institutions. Dans cette phase, la manipu- cas des pays en transition institutionnelle.
lation stratégique des institutions n’est plus En analysant les situations de la Chine lors
possible ou ne l’est que très marginalement. de son passage au capitalisme, ou des ex-
Non seulement la déviance entraînerait des pays du bloc de l’Est, Peng (2000) montre
sanctions pour violation de l’ordre établi, que dans des contextes où les « institu-
mais surtout l’acteur ne songe guère à tions » officiellement en place ne fonction-
remettre en cause celui-ci. Ce sont les institu- nent plus, les relations interpersonnelles
tions qui imposent aux acteurs les modifica- prennent le relais. C’est au sein même de
tions des croyances et des comportements. ces relations que se situe le pouvoir.
Avec l’institutionnalisation, ce sont des De nombreux travaux et courants théo-
règles qui se substituent aux rapports inor- riques en gestion ont exploré le pouvoir lié
ganisés. Au fur et à mesure que ces règles aux relations interpersonnelles. Ils indi-
impersonnelles deviennent « tenues pour quent que le pouvoir dépend de l’impor-
acquises », elles réduisent le pouvoir dis- tance des ressources, de la maîtrise de l’in-
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certitude, et de la position occupée dans les avec les règles, de façon relativement
réseaux sociaux. imprévisible. Le pouvoir d’un individu ou
Les ressources détenues constituent une d’un groupe est dès lors fonction de l’am-
première forme de pouvoir. La théorisation pleur de la zone d’incertitude que l’impré-
par Pfeffer et Salancik (1978, notamment visibilité de son propre comportement lui
p. 39-61) de la dépendance aux ressources permet de contrôler face à ses partenaires.
souligne que les relations de pouvoir sont Crozier et Friedberg mettent en évidence
marquées par la capacité des acteurs à plusieurs sources d’imprévisibilité : l’exper-
contrôler l’accès à des ressources dont les tise professionnelle, le contrôle du système
autres acteurs ont besoin. Dès lors qu’il y a hiérarchique ou le positionnement de margi-
asymétrie de ressources, il y a relation de nal-sécant. Chaque individu dispose, selon
pouvoir. On retrouve une telle situation ses ressources, de marges de manœuvre qui
dans le cas des banques ou des investisseurs autorisent des adaptations personnelles dans
qui peuvent prendre un poids déterminant un système qui n’est jamais donné
dans la définition de la stratégie des entre- d’avance. Ce dernier résulte de coopérations
prises endettées et exercer ainsi une interindividuelles, dans lesquelles chacun
influence directe sur celles-ci. La perspec- essaie de faire triompher ses propres inté-
tive behavioriste de Cyert et March (1963) rêts, de manière opportuniste.
insiste également sur l’importance des res- Enfin, l’analyse des réseaux sociaux fournit
sources. Ces auteurs postulent que les indi- une autre compréhension des relations de
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vidus agissent pour défendre et accroître pouvoir. Burt (1992) a mis en évidence
leur part dans les processus d’allocation de l’importance de la centralité des acteurs
ressources au sein des organisations. Leur comme facteur explicatif du pouvoir. Il est
analyse appréhende le fonctionnement possible de distinguer différents types de
d’une organisation comme le fruit de pro- centralité (Freeman, 1979), qui tous ont une
cessus politiques et d’un ajustement entre influence sur le pouvoir des acteurs. La cen-
intérêts divergents. L’organisation est ainsi tralité locale correspond à la proximité
une véritable « arène » constituée de coali- d’autres membres du réseau, et la centralité
tions politiques. C’est en se coalisant que globale, à la centralité dans l’ensemble du
les individus peuvent espérer accroître leur réseau. La centralité d’intermédiation ren-
contrôle des ressources. voie à la capacité de contrôler les flux d’in-
Les théoriciens de l’analyse stratégique formation dans le réseau. Ceci implique
(Crozier et Friedberg, 1977) proposent une d’être destinataire de ces informations mais
analyse complémentaire des relations de également de ne pas être « contournable »
pouvoir, en soulignant l’importance de la (Burt, 1992). Les acteurs ayant une forte
capacité à créer et à contrôler de l’incerti- centralité et n’étant pas contournables car
tude. Face aux règles de l’organisation, les tous les liens passent par eux, sont dans une
acteurs s’aménagent des marges de posture privilégiée car leur retrait du réseau
manœuvre qui correspondent à autant de entraînerait la disparition de celui-ci. Cette
zones d’incertitude leur conférant potentiel- situation leur confère une position de pou-
lement du pouvoir. Dans cette acception, les voir privilégiée. La centralité de proximité,
acteurs sont libres, chacun pouvant jouer c’est-à-dire la vitesse à laquelle on peut
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contacter les autres membres du réseau, L’émergence d’institutions en posant des


permet également d’accroître son pouvoir. règles contraignantes entraîne la limitation
Ces différentes analyses du pouvoir ne du pouvoir discrétionnaire. Elle engendre
prennent pas en compte les institutions. également une mutation de la forme du
Elles sont compatibles avec la première pouvoir. Car si le pouvoir épisodique fondé
dimension du pouvoir défini par Lukes sur les relations directes entre les acteurs est
(voir encadré). La mise en place d’institu- réduit, ceci ne signifie pas pour autant que
tions permet l’émergence d’une autre le pouvoir disparaisse.
dimension, plus complexe du pouvoir : la Marx le premier a montré que l’existence
domination. d’un système institutionnel stable, souvent
présenté en philosophie politique comme
3. …vint la domination… limitant le pouvoir des puissants a égale-
La mise en place progressive des institu- ment (voire principalement) pour effet d’as-
tions a pour effet de réduire les éléments surer le maintien de relations de pouvoir
servant de base au pouvoir interpersonnel asymétriques et le pouvoir de certains
que sont l’incertitude, la maîtrise de l’accès acteurs. Les institutions servent les puis-
aux ressources et les réseaux. En effet, les sants. Ceux-ci façonnent les institutions et
institutions réduisent l’incertitude en affec- appuient leur pouvoir sur celles-ci et non
tant à chacun un rôle dans les interactions plus seulement sur des relations sociales
sociales. C’est même l’une de leurs fonc- épisodiques. Il s’instaure alors des relations
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tions premières (DiMaggio et Powell, asymétriques durables entre les dominants
1991). La reproduction réciproque de cer- et les dominés.
tains comportements admis réduit l’incerti- L’idée de domination suggère que si les
tude mais également les marges de règles s’appliquent à tous, elles servent les
manœuvre des individus. Les institutions dominants. La lutte pour la domination
structurent les pratiques d’accès aux res- dans une entreprise ou dans un champ
sources. Celles-ci ne sont plus strictement organisationnel est une lutte pour la défi-
discrétionnaires, car la mise en place nition, ou la redéfinition, des institutions.
d’institutions consiste précisément à fixer Des travaux néo-institutionnalistes récents
des critères selon lesquels les ressources étudient ainsi comment une coalition do-
sont allouées. Ainsi, les subventions minante dans un champ « travaille » les
publiques ou la certification ne sont pas règles du champ pour les adapter en fonc-
accordées de manière totalement discré- tion des rapports de force en son sein.
tionnaire, mais en fonction de critères insti- Ainsi, Greenwood et al. (2002) révèlent
tutionnalisés. Enfin, la structuration des comment les grandes firmes d’audit agis-
relations sociales provoquée par la mise en sent au sein des associations profession-
place des institutions a pour effet de réduire nelles pour changer les règles existantes
l’importance des réseaux sociaux. En dans un sens qui leur soit favorable. Levy et
d’autres termes, lorsque des règles s’appli- ses collègues (Levy et Egan, 2003 ; Levy et
quent, la question de savoir qui l’on connaît Scully, 2007) mobilisent la notion d’hé-
devient moins importante. gémonie en s’inspirant des travaux de
Pouvoir : une analyse par les institutions 141

Gramsci pour rendre compte du travail poli- mobilité interne et de la négociation collec-
tique mené par les organisations domi- tive comme autant de processus institution-
nantes pour maintenir ou modifier les règles nalisés qui donnent le sentiment aux
dans un champ. Deux dimensions straté- ouvriers qu’ils sont associés à la prospérité
giques se combinent. D’une part, le travail de l’entreprise et à son avenir, alors que ces
sur la définition des règles qui déterminent processus sont conçus pour que cette
qui sont les dominants et qui sont les domi- association soit mineure. Ce qui est en jeu,
nés. D’autre part, le travail sur le pouvoir c’est la « fabrique du consentement »
discrétionnaire laissé aux dominants par ces des ouvriers à leur propre domination
règles. Fligstein (1997) suggère que les (Burawoy, 1979).
dominants peuvent utiliser l’autorité directe
et le cadrage (framing) des actions pour 4. …puis le contrôle
convaincre les dominés qu’ils ont intérêt à La dernière étape est le point où les institu-
maintenir les choses en l’état. Il rattache les tions deviennent intériorisées et tenues
actions de ces mêmes dominés aux pour acquises (taken-for-granted) par tous
deuxième et troisième dimensions du pou- les acteurs. Ces institutions acquièrent
voir chez Lukes. alors un statut ontologique : elles sont
À ce stade, il existe des institutions dont le considérées comme faisant partie de ce qui
non-respect est sanctionné mais qui ne sont est « naturel » par tous les acteurs. Il n’est
pas entièrement intériorisées. Les domi- alors plus possible de retrouver les indices
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nants les promeuvent et entreprennent de de leur construction sociale. Butler indique
les maintenir non pas parce qu’ils les tien- (2005, p. 59) « …le caractère institutionnel
nent pour acquises, mais parce qu’elles ser- – je dirais même l’ancrage institutionnel –
vent clairement leurs intérêts. L’enjeu pour de l’ontologique au point que l’on ne peut
ces acteurs dominants est de faire en sorte plus percevoir la trace de l’institution dans
que les dominés considèrent ces règles l’effet ontologique qu’elle produit ». Les
comme légitimes (Weber, 1995) et consen- acteurs reproduisent des pratiques institu-
tent de ce fait au maintien de la domination. tionnalisées, sans être capables d’expliquer
La domination se reproduit alors avec le leur signification. Swidler (2001) suggère
consentement des dominés. Ceux-ci accep- même que cette confusion favorise la dura-
tent de reproduire des comportements et de bilité des pratiques. Les institutions partici-
respecter des règles qui ne les favorisent pent alors directement au cadrage cognitif
pas. S’interrogeant sur les raisons pour les- des acteurs. Elles acquièrent une capacité à
quelles les ouvriers travaillent si dur pour influencer les processus cognitifs des
accroître la productivité dans un atelier, dominés comme des dominants. Et plus les
alors que cet accroissement bénéficie bien institutions sont tenues pour acquises,
plus aux propriétaires de l’entreprise qu’à moins les acteurs peuvent exercer un pou-
eux mêmes, Burawoy (1979) montre la pré- voir discrétionnaire. En ce, le processus
gnance des institutions dans la « fabrication d’institutionnalisation est un processus de
du consentement ». Il insiste notamment sur dé-subjectivation, c’est-à-dire que les
l’importance du paiement à la pièce, de la acteurs sont de moins en moins considérés
142 Revue française de gestion – N° 193/2009

comme sujets et de plus en plus considérés évaluant. Déjean et al. (2004) rendent
comme objets (Agamben, 1997). Les compte de la manière dont une mesure de
acteurs dominants continuent à exercer leur performance sociétale des entreprises qui se
autorité mais sans réflexivité vis-à-vis diffuse et s’institutionnalise parmi les
d’institutions qu’ils considèrent comme gérants de fonds socialement responsables
naturelles. Ils se contentent d’appliquer les influence les pratiques et la manière dont
règles. les gérants définissent la responsabilité
Le gouvernement qui s’impose alors, est sociale, font sens de leur métier et établis-
celui des institutions qui influencent les sent leur identité.
acteurs, leur comportement et leur cogni- Les institutions constituent finalement des
tion. Contrairement à l’étape précédente, systèmes de définition et de hiérarchisation
ces institutions sont enactées pour elles- (Rancière, 1998). Les acteurs cessent d’être
mêmes et non parce qu’elles servent la considérés comme doués de capacités
domination de certains. « d’agence », c’est-à-dire d’actions
Les pratiques et les règles intériorisées autonomes non guidées par les institutions,
s’émancipent de leurs promoteurs. C’est ce pour se voir affectés à des rôles (Berger et
que DiMaggio souligne lorsqu’il indique Luckmann, 1966) dont le respect doit être
« L’institutionnalisation en tant que résultat contrôlé et sanctionné.
place les structures et les pratiques hors Les acteurs sont alors considérés comme
d’atteinte des intérêts et des jeux poli- des objets de contrôle. Les institutions éta-
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tiques. »2 (1988, p. 13, italiques par l’au- blissent des rôles. Est légitime ce qui cor-
teur). Une fois intériorisées, elles ne peu- respond au rôle, est illégitime ce qui s’en
vent pas facilement être modifiées, y éloigne. Elles hiérarchisent selon le niveau
compris par ceux là même qui les ont mises de conformité. Les institutions assignent
en place. Ces institutions figent les interac- également des places (Rancière, 1995), et
tions et les modifier, entraîneraient une des- façonnent les identités. Ces mécanismes
truction des routines, un accroissement de fixent des définitions mais assurent égale-
l’incertitude et la déstabilisation des inter- ment des suivis et des vérifications des
actions. Une fois les règles tenues pour comportements pour s’assurer de leur
acquises, elles perdurent. Enfin, les institu- conformité à la règle.
tions cadrent les raisonnements des acteurs Il y a bien pouvoir, puisque les acteurs agis-
(Hasselbladh et Kallinikos, 2000). sent en fonction de l’influence d’un élément
Zuckerman (1999) montre ainsi l’influence extérieur, les institutions, sans lesquelles ils
des catégories sur le jugement des analystes se comporteraient différemment. Ce pou-
financiers. Ceux-ci utilisent ces catégories voir procède des institutions. Il ne s’agit pas
pour évaluer les entreprises. Face à des d’un pouvoir discrétionnaire et il s’applique
firmes qui n’entrent pas « dans les cases », à tous les acteurs répartis selon leur rôle.
ces analystes sont méfiants et tendent à leur Ce pouvoir est d’ailleurs d’autant plus puis-
faire payer cette non-conformité en les sous sant qu’il est rassurant. En rendant les com-

2. “Institutionalization as an outcome places organizational structures and practices beyond the reach of interest and
politics.”
Pouvoir : une analyse par les institutions 143

portements prévisibles, les institutions systèmes qui la servent ». Il n’y a donc pas
réduisent la liberté des acteurs mais dimi- de valeur ou d’idéal moral sous-jacent, ou
nuent également l’incertitude et favorisent celui-ci a disparu dans le processus d’inté-
la coordination. Elles sont donc, pour cette riorisation. Les institutions perdurent parce
raison, utiles à des acteurs qui sont « risk que c’est la manière traditionnelle de faire,
adverse » et appréciées de ceux-ci. et que tout le monde la suit.
Les autres sources de pouvoir perdent de De nombreux auteurs contemporains souli-
leur importance. Ainsi, Lianos (2003, gnent que ce type de pouvoir est particuliè-
p. 443) suggère-t-il encore que l’accumula- rement présent dans les sociétés contempo-
tion de capitaux permettant d’obtenir une raines (par exemple Agamben, 2006 ;
position dominante (au sens de la première Rancière, 1998). Lianos (2003, p. 434)
dimension du pouvoir de Lukes), est moins indique qu’« il ne semble pas difficile de
valorisée, car tous sont « égaux devant soutenir que la plus grande partie de l’ache-
l’institution ». Comme il l’indique, « il minement du comportement ne provient pas
devient de plus en plus difficile dans un tel dans les sociétés capitalistes d’aujourd’hui
contexte de mobiliser des ressources de réseaux relationnels de socialité mais
propres à la stratification sociale, afin de des cadres, actes et activités institu-
différencier par rapport aux soupçons et tionnels ». Ce développement s’effectue
effets du contrôle ; la diminution de cette également dans les entreprises. La multipli-
marge de négociation occasionne un déclin cation des certifications, des dispositifs de
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de la motivation pour acquérir de telles res- qualité totale, de reporting, la diffusion de
sources ; et par là même, un désengagement pratiques qui sont essentiellement adoptées
par rapport à l’appartenance sociale ». Il pour se conformer aux exigences de
existe encore des dominants, mais ceux-ci l’environnement, « faire comme les autres »
n’exercent plus de pouvoir discrétionnaire, et accroître sa légitimité (par exemple
ils remplissent le rôle que les institutions Covaleski et al., 1996 ; Westphal et al.,
leur affectent. L’important se trouve dans 1997), font de l’entreprise un lieu propice à
l’arrangement institutionnel des différentes l’analyse du pouvoir des institutions tenues
techniques mises en place, et non dans le pour acquises.
travail des acteurs. Lianos (2003, p. 443, Les systèmes comptables constituent, peut-
italiques pour l’auteur) ajoute que « en exa- être, les meilleurs exemples de pratiques
minant le support axiologique des normes institutionnalisées qui exercent un pouvoir
impliquées, on trouve que ces dernières ne sur les acteurs au sein des entreprises. Scott
correspondent pas à des valeurs mais s’ins- (2003, p. 139) indique que « les systèmes
crivent dans un plexus administratif, ges- comptables sont parmi les conventions les
tionnaire et technique bâti comme un lieu plus importantes connectant les systèmes
de consensus entre l’institution et les usa- de croyance institutionnellement définis
gers à propos de l’efficacité de leur interac- avec les activités Techniques ». La compta-
tion. On s’éloigne donc de façon inédite de bilité constitue une manière d’assurer la
la génération de conformité par des réseaux coordination entre différents groupes d’ac-
relationnels, désormais substitués par la teurs qui utilisent la même norme (ban-
jonctionnalité seule de l’institution et des quiers, dirigeants, contrôleurs de
144 Revue française de gestion – N° 193/2009

gestion, etc.). Son maintien ne sert pas dominants un pouvoir stable, et le contrôle
directement un groupe dominant, mais qui correspond au respect par les acteurs
celui, plutôt subalterne, des comptables. des rôles que leur fixent les institutions et
Les comptables assurent le maintien rituel donc au pouvoir de celles-ci.
des normes et s’assurent que les autres Notre contribution s’articule dès lors autour
membres de l’organisation s’y conforment. de quatre axes principaux.
L’analyse néo-institutionnelle permet de En premier lieu, notre analyse s’inscrit dans
prendre en compte ce type de pouvoir qui la lignée de celle de Lukes mais l’étend.
nous semble être exclu de l’approche tradi- Alors que cet auteur rend compte du pou-
tionnelle synthétisée par Lukes. voir épisodique ainsi que des différentes
La question n’est plus alors celle du pou- formes de domination, il ne s’intéresse pas
voir comme exercice discrétionnaire mais au pouvoir des pratiques institutionnalisées
celle du contrôle social et de la « gouverne- en tant que telles. Il les considère surtout
mentalité » qui permettent d’exercer le pou- comme susceptibles de servir à la domina-
voir sur une population. À la suite des tra- tion d’autres acteurs. Or, prendre en compte
vaux de Foucault (1978), Rancière (1998) cette dimension peut enrichir les recherches
et Agamben (2006) insistent sur l’impor- actuelles sur le pouvoir. Se pencher sur des
tance de ces dispositifs. Le cœur de l’inter- dimensions du pouvoir qui ne sont pas
rogation n’est plus guère celle des rapports manipulées stratégiquement par les acteurs
entre les acteurs mais plutôt des dispositifs mais qui proviennent plutôt du simple res-
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institutionnalisés en place, et la façon dont pect des normes en place, permet d’explo-
ils influencent le comportement. rer des formes ordinaires de pouvoir d’au-
tant plus fréquentes, que les pratiques et
5. Discussion et conclusion procédures institutionnalisées le sont.
Le but de cet article a été de proposer une En deuxième lieu, la grille proposée entre
grille d’analyse pour mieux rendre compte en résonance avec le programme de
de la manière dont les dimensions du pou- recherche originel du néo-institutionna-
voir s’articulent avec le degré d’institution- lisme sociologique. Elle permet de renouer
nalisation. Nous avons suggéré que l’insti- avec lui et d’infléchir l’analyse actuelle du
tutionnalisation entraîne une diminution du pouvoir par les auteurs se situant dans ce
pouvoir fondé sur les relations interperson- courant théorique. Le néo-institutionna-
nelles et un accroissement du pouvoir des lisme s’intéresse initialement à la diffusion
institutions qui deviennent tenues pour par mimétisme des institutions et suggère
acquises à l’issue du processus. À la suite qu’une fois ces institutions en place, elles
de Berger et Luckmann, nous distinguons contraignent les actions (Zucker, 1977). Il
trois étapes dans le processus d’institution- nous apparaît que l’étendue du pouvoir des
nalisation qui correspondent à trois dimen- institutions « tenues pour acquises » a fait
sions du pouvoir : Le pouvoir épisodique l’objet de peu d’études. Le courant néo-
fondé sur les relations interpersonnelles en institutionnaliste a réhabilité l’acteur straté-
l’absence d’institutions, la domination fon- gique à la fin des années 1980 grâce à la
dée sur les institutions qui assurent aux notion d’entrepreneur institutionnel, quitte
Pouvoir : une analyse par les institutions 145

même à faire de celui-ci un héros ou un leur garantissent la sécurité. L’institution


démiurge capable de remettre en cause n’est pas seulement aliénante en effet, en ce
toutes les institutions (pour une revue cri- qu’elle réduit voire supprime le pouvoir
tique Garud et al., 2007). De même, la réin- discrétionnaire et la liberté qui l’accom-
troduction actuelle de la problématique du pagne. Elle est également, pour cette même
pouvoir dans le néo-institutionnalisme tend raison, rassurante. Si chacun se conforme à
à mettre en avant le rôle des acteurs et à la manière de faire, jugée légitime, le com-
présenter les institutions comme des instru- portement de tous devient prévisible. En
ments de domination dans les mains de réduisant la liberté, l’institution accroît la
ceux-ci. Si ces évolutions enrichissent sécurité. En rendant le comportement de
incontestablement le cadre théorique, ce chacun prévisible, elle permet de réduire
dernier pourrait être utilement complété par l’incertitude, de routiniser les comporte-
une vision moins instrumentale des institu- ments et de favoriser la « cognition automa-
tions. Cette conception, plus conforme au tique », c’est-à-dire toutes ces situations
programme de recherche initial, prendrait dans lesquelles il n’y a pas d’inconnu et où
en compte la manière dont les institutions il suffit de suivre la procédure et de faire
influencent le comportement des acteurs, « comme on doit faire » sans avoir à réflé-
dominants comme dominés, que ceux-ci en chir. En cela, les règles elles-mêmes, en tant
soient conscients ou non. Cette analyse que leur usage s’impose aux gouvernants
conduit dès lors à insister sur l’importance comme manière « légitime » de faire, doi-
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de l’étude du contrôle pour le néo- vent être précisément étudiées. Cette situa-
institutionnalisme. tion invite à s’intéresser au politique autant
En troisième lieu, l’importance donnée au qu’à la politique, et aux « dispositifs » de ce
contrôle peut permettre de lier des travaux politique (Agamben, 2006).
critiques en théorie des organisations avec Si l’on admet que les organisations sont des
les travaux menés aujourd’hui en théorie lieux dans lesquels existent de très nom-
sociale sur les dispositifs de contrôle. Des breuses procédures qui régissent les com-
auteurs comme Agamben (2006), Lianos portements des individus, que celles-ci sont
(2003) ou Rancière (1997) insistent sur nécessaires pour assurer la coordination des
l’importance de ces dispositifs en tant que acteurs, réduire l’incertitude, accroître la
tels. Ainsi, Rancière (1997) oppose-t-il le sécurité et favoriser la rapidité d’exécution ;
politique, qui s’appuie sur des dispositifs de si l’on admet également qu’un grand
gouvernement pour rassembler les nombre d’entre elles ne font pas l’objet de
hommes, obtenir leur consentement, les remises en cause car elles sont souvent
hiérarchiser, et repose sur la police de leurs « tenues pour acquises », nous suggérons
mœurs, et la politique qui consiste à que cette voie peut être particulièrement
remettre en cause ce fonctionnement. Tous féconde pour étudier les organisations. Il ne
ces auteurs s’interrogent sur le consente- s’agit plus alors de rechercher qui se cache
ment des individus à abdiquer une partie de derrière les pratiques institutionnalisées et
leur liberté pour des institutions et des comment cette personne, ou ce groupe, les
règles restreignant leur autonomie mais qui manipule à son bénéfice, mais de rendre
146 Revue française de gestion – N° 193/2009

compte du pouvoir de la norme et de la sont en fait des constructions sociales sus-


manière dont elle se déploie. Agamben ceptibles d’être ébranlées par les acteurs
(2006) souligne qu’analyser ces dispositifs, eux-mêmes. Encore faut-il que les acteurs
et la manière dont ils affectent les compor- s’en rendent compte. La capacité des
tements et les vies des acteurs consiste à acteurs à dépasser le confort des routines
étudier leur gestion et leur management. cognitives (DiMaggio, 2002), et l’acquisi-
Ceci suggère que la recherche en gestion tion d’une réflexivité indispensable, consti-
peut constituer le lieu de l’analyse de ces tuent autant de conditions pour s’émanciper
pratiques institutionnalisées et tenues pour des pratiques institutionnalisées. Ce proces-
acquises, et la manière dont elles façonnent sus est celui qui autorise l’émergence d’une
les comportements humains. Les mesures, prise de conscience du caractère sociale-
les processus de contrôle, les normes comp- ment construit et donc transformable des
tables, les techniques managériales sont institutions, et qui permet d’envisager une
autant d’objets qu’il convient d’aborder non critique productive de celles-ci. Le dévelop-
pas seulement en ce qu’ils serviraient une pement d’une telle réflexion critique est un
stratégie délibérée, mais en ce qu’ils consti- préalable au développement d’une praxis au
tuent des institutions qui imposent des sens marxiste (Marx, 1987), c’est-à-dire
cadres cognitifs aux membres des organisa- d’une articulation entre l’analyse critique
tions, quel que soit leur degré hiérarchique. des cadres existants, la recherche d’alterna-
Enfin, notre analyse peut également contri- tives, et une action impliquant la mobilisa-
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buer au développement des travaux cri- tion et l’action collective (Benson, 1977).
tiques en gestion. Il suggère que le niveau Elle est notamment favorisée par les contra-
d’institutionnalisation des pratiques, des dictions qui peuvent surgir entre les institu-
routines ou de toute autre forme d’institu- tions, ou lorsque celles-ci apparaissent
tion doit être pris en compte pour com- comment particulièrement inadaptées pour
prendre les possibilités et les processus répondre aux changements du contexte
d’émancipation et de changement. Plus une (Seo et Creed, 2002).
institution est tenue pour acquise, plus Ce processus dévoile les mécanismes de
l’émancipation des acteurs est difficile, car domination qui sont naturalisés par le biais
ceux-ci la considèrent comme faisant partie des institutions. L’émancipation, et le
de l’ordre naturel. Le travail d’émancipa- changement peuvent alors être envisagés
tion devient alors un travail de réflexivité et comme des processus de retour vers le pou-
de dénaturalisation des institutions. Des voir discrétionnaire, et en ce sens de
institutions considérées comme naturelles « désinstitutionnalisation ».

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