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METREF
CONFERENCE 4E ANNEE
L’INGENIERIE TISSULAIRE ET REVITALISATION PULPAIRE
INTRODUCTION
Les technologies relatives au domaine de la médecine régénératrice permettent d’intervenir au
niveau de l’organe, du tissu, de la cellule ou du gène. Outre les connaissances dans les
domaines de la physiologie, de la biologie cellulaire et de la vectorisation (transfert de gènes,
délivrance de médicaments), ces interventions nécessitent la mise en œuvre d’expertises en
biomatériaux, nano vecteurs, thérapie cellulaire et ingénierie tissulaire associant biomatériaux
et cellules.
D’une façon générale, la médecine régénératrice désire aujourd’hui aller au-delà de la
réparation et des inconvénients que cela implique. Elle cherche désormais à restaurer l’organe
tel qu’il était avant la maladie, le traumatisme ou les effets du vieillissement, par la
régénération des tissus.
Les stratégies de médecine régénératrice comprennent les domaines établis des biomatériaux
et des dispositifs médicaux, mais aussi ceux plus émergents de l’ingénierie tissulaire avec les
thérapies cellulaires et géniques. Ces stratégies de médecine 4R (Remplacer, Réparer,
Régénérer et Reprogrammer) constituent actuellement un axe majeur de recherche dans les
laboratoires.
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L’ingénierie tissulaire est une discipline qui consiste à associer des cellules avec un
biomatériau (scaffold) en présence de morphogènes (facteurs de croissance, hormones,
vitamines) pour stimuler l’activité cellulaire (différenciation, prolifération ou
sécrétion). Cette association aboutit à l’obtention d’une structure tridimensionnelle
appelée Matrice Extracellulaire Synthétique (MES).
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Les cellules souches sont des cellules multipotentes, ce qui signifie qu’elles ont la
capacité de donner naissance à de nombreuses lignées cellulaires. Leur présence dans
tous les organes est suspectée et permet une régénération des cellules. Dans certains
tissus, les cellules sont constamment renouvelées. Leurs cellules souches produisent
des cellules différenciées pour remplacer les cellules dont le temps de survie est
dépassé, comme les cellules souches hématopoïétiques (moelle osseuse) capables de
se différencier pour renouveler l’ensemble des cellules sanguines, les cellules souches
épithéliales (greffes de peau) ou encore les cellules souches hépatiques (régénération
du foie après une hépatectomie).
Au fur et à mesure que les organes se forment, le potentiel de différenciation des
cellules souches se restreint. Mais il ne disparaît pas complètement. Elles se révèlent
d’une plasticité (flexibilité) insoupçonnée : transplantées dans un organe différent,
elles peuvent devenir différentes de ce pour quoi elles étaient initialement
programmées. Côté avantages, elles présentent une flexibilité plus importante et leur
activité d’induction est plus facile sur les tissus à réparer car elles sont déjà
partiellement spécialisées. Elles ne provoquent pas de rejet (en provenant du même
individu).
Les cellules souches adultes, comme pour les autres tissus humains, sont
également présentes dans les tissus bucco-dentaires. De façon schématique, ces
cellules peuvent être classées en deux familles, elles-mêmes divisées en trois
catégories :
- de type pulpaire comprenant les cellules souches de la pulpe dentaire
(DSPCs), des dents de laits exfoliées (SHED) et de la papille apicale (SCAP) ;
- de type parodontal avec les cellules progénitrices du follicule dentaire
(DFPCs), les cellules souches du ligament (PDLSCs) et gingivales (GSCs).
Côté avantages, l’utilisation de cellules issues des tissus bucco-dentaires pour
le développement de thérapeutiques régénératrices de l’organe dentaire permet
de s’affranchir des difficultés de différenciation et permet également un accès
facile pour les praticiens. En revanche, demeurent toujours les inconvénients
d’une quantité de cellules limitée et d’une morbidité du site donneur.
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- la Dentin Matrix Potein-1 (DMP-1) qui est impliquée dans le processus de minéralisation
et stimule la production de collagène ;
- la Bone Morphogenic Protein (BMP-2) qui est impliquée dans le processus de
minéralisation osseuse et stimule la production de collagène ;
- les glucocorticoïdes qui réduisent la prolifération cellulaire et stimulent la différenciation
cellulaire ;
- le β-glycérophosphate qui induit la formation de collagène et la minéralisation
Les facteurs de croissance sont déjà utilisés en Odontologie dans le cadre de la régénération
tissulaire, notamment avec l’utilisation de Platelet Rich Fibrin (PRF) et d’Emdogain® en
régénération tissulaire induite (RTI). Le PRF est un caillot de fibrine constitué naturellement
pendant que le sang coagule dans le tube de prélèvement ; la centrifugation ayant pour seul
effet de séparer les différents éléments. Ce caillot de fibrine contient la forme moléculaire
naturelle de la fibrine, à l’inverse du Plasma Riche en Plaquettes (PRP). La présence de
leucocytes dans le caillot permet également de présenter une configuration physiologique du
thrombus. Cette approche naturelle du caillot est appréciée par de nombreux auteurs. La
preuve scientifique de son efficacité ne fait pas encore consensus, car il s’agit de la première
phase de la cicatrisation.
Les dérivés de la matrice amélaire (Enamel Matrix Derivative, EMD), plus connus sous
l’appellation commerciale d’Emdogain®, sont actuellement commercialisés et utilisables au
cabinet dentaire, notamment pour les soins de Parodontologie. Il est important de noter que
leur utilisation est actuellement particulièrement controversée tant en termes de composition
(extrait de dents d’embryon de porc) que d’efficacité.
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Granules
Historiquement, les premiers biomatériaux développés ont été les matériaux « durs », à savoir
les dérivés phosphocalciques (α-TCP, β-TCP, hydroxy apatite, ciments phosphocalciques,
céramiques) pour la régénération des tissus osseux. Outre les propriétés inhérentes à tout
biomatériau, les dérivés phosphocalciques pour l’ingénierie tissulaire osseuse doivent
répondre à un certain nombre de critères supplémentaires comme l’ostéoconduction (capacité
du matériau à permettre l’adhésion, la migration des cellules, le développement d’un réseau
vasculaire et le dépôt de tissus osseux), une macroporosité interconnectée (pour permettre
l’invasion du matériau par les cellules et permettre une néovascularisation), une cinétique de
dégradation/résorption en adéquation avec l’apposition osseuse et l’absence de toxicité
immédiate et locale du fait d’échanges ioniques trop importants. Les biomatériaux
phosphocalciques sont déjà largement utilisés cliniquement, qu’ils soient synthétiques (par
exemple, MBCP+™ Granules, Biomatlante) pour la régénération osseuse guidée (ROG) dans
le cadre du traitement de lésions parodontales ou naturels avec les xénogreffes et les
allogreffes dans le cadre de greffes d’apposition ou pré-implantaire.
Fibres et membranes
Plus récemment ont été développés les biomatériaux « mous » afin de répondre aux
attentes de la médecine régénératrice des tissus non minéralisés. Ils sont préparés à
partir de polymères pouvant être naturels ou synthétiques. Les nombreux polymères
disponibles permettent la préparation de scaffolds aux propriétés contrôlables en
termes de dégradabilité, d’adhésion cellulaire, de viscoélasticité ou encore de
propriétés mécaniques. Non seulement l’utilisation des biomatériaux « mous » a
permis la généralisation de l’ingénierie tissulaire à l’ensemble des tissus du corps,
mais leur propension à être formulés en matériaux aux structures variées (hydrogels,
films, éponges ou encore particules) a aussi suscité de nouvelles attentes.
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Hydrogels
Décrits pour la première fois par Wichterle and Lim en 1960, les hydrogels peuvent
être définis comme des structures tridimensionnelles capables de retenir une grande
quantité d’eau tout en conservant leur intégrité physique. Ces structures font l’objet
d’investigations très importantes dans les laboratoires de recherche avec par exemple
l’utilisation des hydrogels en médecine régénératrice du cartilage, du cœur ou encore
du côlon et les films en médecine régénératrice cardiaque ou cutanée.
D’un point de vue odontologique, ces nouveaux matériaux ne sont pas en reste avec
des études sur l’utilisation des hydrogels comme membrane ou encore comme patch
gingival. L’avantage majeur que présentent ces matériaux polymériques est leur
association possible avec les matériaux « durs » afin de cumuler les bénéfices
(composite et mousse). De plus, ils peuvent être associés avec des facteurs de
croissance (BMP ou autres peptides) pour agir comme réservoir et ainsi contrôler le
relargage et par conséquent l’action dans le temps.
Suspensions/mousses
Par exemple, un matériau hybride, associant des granules de phosphates de calcium
avec un hydrogel très résorbable, permettra de bénéficier de l’ostéoconduction des
granules. Il sera recouvert d’un hydrogel peu résorbable permettant d’apporter des
propriétés de membrane. Récemment, de nouvelles formulations de suspensions
polymères/phosphates de calcium sont apparues afin de réaliser des substituts osseux
injectables et macroporeux.
Impression 3D
Enfin, dans le cadre de la médecine régénératrice et personnalisée, l’impression 3D
devrait prochainement permettre de proposer des solutions sur mesure avec des
matériaux de substitution osseuse. L’objectif ultime consiste à réaliser de la bio
impression 3D dans laquelle les cellules seront intégrées aux reconstitutions
tridimensionnelles personnalisées en termes de forme, d’architecture ou encore de
porosité. Couplé aux techniques de conception assistée par ordinateur (CAO),
l’objectif est de pouvoir construire des pièces anatomiques personnalisées
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parfaitement adaptées aux défauts cliniques et ainsi de pouvoir appliquer les principes
de la médecine régénératrice à la reconstruction des pertes de substances consécutives
à des traumatismes (accidents de la voie publique, agressions…) ou à des traitements
chirurgicaux (mandibulectomie).
Deux techniques sont aujourd’hui décrites dans la littérature afin de régénérer le complexe
pulpo-dentinaire. La première approche consiste en la transplantation d’un tissu issu de
l’ingénierie tissulaire ou la transplantation de cellules souches associées ou non avec des
biomolécules et des matrices. La deuxième approche, dite acellulaire, réside dans l’attraction
des cellules sur le site à régénérer.
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généralement des résultats cliniques prévisibles, les thérapeutiques de vitalité pulpaire ont des
résultats plus variables.
Le pronostic dépend principalement des réponses pulpaires de l'hôte (passé pathologique
pulpaire, âge du patient, diagnostic pulpaire), de la technique de l'opérateur, de la facilité
d’obtention de l’hémostase du biomatériau et de la contamination bactérienne (volume de la
lésion carieuse, taille de l’exposition pulpaire).
Ces techniques utilisées cliniquement permettent seulement une réparation au contact du
biomatériau et non une régénération du tissu pulpaire au sein du biomatériau. De nouvelles
propositions émergent à l’heure actuelle et visent à régénérer le volume pulpaire détruit par
les lésions carieuses ou les traumatismes dentaires.
L’autre approche vise à régénérer totalement un nouveau tissu vital dans un espace canalaire
vide et désinfecté. Cette approche est complexe du fait de la structure histologique particulière
de la pulpe dentaire et de sa relation fonctionnelle avec le milieu environnant.
Le succès clinique est possible car le rétablissement d'un approvisionnement sanguin dans le
tissu pulpaire ischémique mais non infecté, est suivi d'une réinnervation à partir des axones
sensoriels issus de la région apicale. Les termes donnés à ces phénomènes sont ceux de
revascularisation ou revitalisation. Afin de mimer ce processus, différentes procédures
s’appuient sur la création de saignements de la région apicale afin de remplir passivement
l’espace canalaire et de former un caillot de sang. De nombreux rapports de cas publiés ont
montré la résolution de la parodontite apicale et des signes radiographiques de développement
continu des racines et de rétrécissement apical ainsi que dans certaines situations, des
réponses positives aux tests de vitalité pulpaire.
L’explication à ces phénomènes a été avancée en 2011. Il a été montré que l’afflux de sang
apical dans les canaux radiculaires désinfectés s’accompagne d'un transfert cliniquement
significatif de cellules souches mésenchymateuses dans le système canalaire. Cependant, les
tissus néoformés ne correspondent pas à une pulpe dentaire fonctionnelle mais plutôt à un
tissu conjonctif associant éléments parodontaux, osseux et cémentaires. La prise de
conscience du rôle des cellules souches a poussé les chercheurs et les cliniciens à examiner les
principes de l'ingénierie tissulaire afin d'améliorer les protocoles de traitement et de
développer la prochaine génération de procédures dites de procédures de régénération
endodontique (PRE).
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Matrices
Avec les cellules souches et les molécules bioactives, les matrices sont l’un des
trois composants classiques des stratégies d’ingénierie tissulaire. Sur le plan
fonctionnel, les matrices assurent l'ensemencement, l'adhérence, la
prolifération et la distribution spatiale des cellules.
L’objectif est de favoriser le remplacement complet de cette matrice par une
matrice nouvellement synthétisée par les cellules hôtes endogènes. Le rôle
d'une matrice ne se limite pas à servir d’échafaudage pour les cellules, mais
s'étend à une plate-forme bioactive régulant les activités cellulaires, la
communication intra- et intercellulaire de manière à récapituler le micro-
environnement physiologique.
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Molécules bioactives
Les molécules bioactives sont des molécules de signalisation, tels que des facteurs de
croissance ou des signaux chimiques, qui contrôlent diverses réponses cellulaires par
liaison spécifique de récepteurs transmembranaires ou intracellulaires dans une cellule
cible. Elles sont essentielles afin d’obtenir une régénération fonctionnelle de la pulpe.
Les facteurs de croissance, par l'induction de voies de signalisation spécifiques,
modulent chaque événement cellulaire clé de l'homéostasie pulpaire : la prolifération
cellulaire, la différenciation et la synthèse minérale. Plusieurs facteurs de croissance
ont prouvé leur importance dans l'ingénierie des tissus dentaires, tels que la
superfamille des Bone Morphogenetic Protein (BMP) : BMP-2, BMP-4, BMP-7 et le
Transforming Growth Factor beta 1 (TGF-ß1). Ces molécules semblent être
prometteuses pour moduler les fonctions cellulaires impliquées dans la différenciation
et la minéralisation des odontoblastes. Le basic Fibroblast Growth Factor (βFGF) et le
facteur de stimulation des colonies de granulocytes (G-CSF) sont impliqués dans la
migration des cellules vers leur tissu d’origine (cell-homing), dans l'angiogenèse et
lors de certains événements neuronaux et anti-apoptotiques. Le Vascular Epithelial
growth Factor (VEGF) et le Platelet Derived Growth Factor (PDGF) sont, quant à eux
impliqués dans l'induction de la formation de vaisseaux sanguins.
Les biomolécules libérées jouent un rôle clé dans plusieurs événements et notamment
sur les fonctions réparatrices du complexe dentino-pulpaire. En revanche, il est
difficile pour le moment d’envisager une application clinique directe car un certain
nombre de limites existent. Les bolus de biomolécules sont susceptibles d’entraîner
des effets toxiques. Les biomolécules libres peuvent présenter une demi-vie limitée et
enfin, il est difficile de maintenir une concentration appropriée de biomolécules pour
toute la période thérapeutique. Pour remédier à ces inconvénients, les recherches
actuelles se concentrent sur des systèmes de libération de biomolécules contrôlée
mimant ainsi une réponse biologique pour l'ingénierie des tissus fonctionnels.
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L’utilisation d’acide citrique semblerait être plus avantageuse que l’EDTA qui
est traditionnellement proposé cliniquement pour favoriser le cell-homing dans
les procédures régénératrices.
L’utilisation de matrices optimisées pour la régénération pulpaire est à l’étude.
Par exemple, la matrice extracellulaire (MEC) pulpaire représente une source
naturelle pour produire des matrices imitant les propriétés chimiques et
mécaniques des tissus natifs. L’introduction d’une MEC décellularisée
prédéfinie avec sa distribution spatiale de facteurs trophiques semble être une
piste prometteuse.
Ces matrices, permettent de déclencher une migration de progéniteurs et de
cellules-souches afin de recoloniser la matrice décellularisée. Dans un
processus similaire à celui du remodelage tissulaire, les cellules recrutées dans
les tissus environnants migrent vers le nouveau réseau de matrice extra-
cellulaire et s’enchevêtrent dans ce dernier. Récemment, les matrices à base de
matrice extracellulaire ont montré des résultats prometteurs en termes de
recrutement de cellules progénitrices, de promotion du remodelage constructif
et de modulation de la réponse de l'hôte.
CONCLUSION
L’ingénierie tissulaire appliquée à l’endodontie n’est pas encore applicable dans les cabinets
dentaires. Néanmoins, les efforts intenses de recherche qui allient plusieurs domaines
(cellules-souches, matrice et biomolécules) ont finalement permis de mieux comprendre un
certain nombre de mécanismes présents à l’état naturel. L’adoption et la généralisation d’une
technique ou d’une stratégie d’ingé- nierie tissulaire ayant fait ses preuves au niveau
expérimental ne peuvent se faire que si l’on maîtrise les risques sanitaires et le coût. Bien que
le complexe dentino-pulpaire soit une structure unique au niveau du corps humain, la
recherche en endodontie doit se nourrir et interagir avec les autres disciplines médicales afin
de trouver la ou les stratégies les plus pertinentes dans le but d’améliorer la qualité des soins
pour les patients.
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