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Économie rurale

Agricultures, alimentations, territoires

368 | Avril-juin 2019


Varia

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/6646
DOI : 10.4000/economierurale.6646
ISSN : 2105-2581

Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)

Édition imprimée
Date de publication : 30 juin 2019
ISSN : 0013-0559

Référence électronique
Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019 [En ligne], mis en ligne le 02 janvier 2021, consulté le 23 janvier
2021. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/6646 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
economierurale.6646

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SOMMAIRE

Les points forts de ce numéro

Hommage

Hommage - L’économie institutionnelle selon Martino Nieddu, lecteur du Temps des


laboureurs…
Gilles Allaire

Recherche

Le soutien du Conseil régional d’Auvergne à l’agriculture biologique : entre volonté politique


et intérêts professionnels
Léa Senegas

Pourquoi rester en « ville moyenne » ? Le cas d’entreprises agroalimentaires d’Occitanie


Geoffroy Labrouche et Rachel Levy

Impact du conseil agricole privé sur l’efficacité technique des petits producteurs d’ananas
au Bénin
Esaïe Gandonou, Sylvain Kpenavoun Chogou et Anselme Adegbidi

Les coopératives agricoles dans la transition écologique des agriculteurs. Les dispositifs de
preuve de l’intérêt économique
Soazig Di Bianco, Nejla Ben Arfa, Mohamed Ghali, Élodie Turpin et Karine Daniel

Faits et chiffres

Le vigneron champenois dans sa filière. État des lieux, évolutions et enjeux économiques
Aurélie Ringeval-Deluze

Le marché des broutards en France. Organisation de la filière, transmission de l’information


et qualité
Axelle Poizat, Sabine Duvaleix-Treguer, Arnaud Rault et Florence Bonnet-Beaugrand

Note de lecture

Sébastien ABIS (dir.). Le Déméter 2019


Dominique Desbois

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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Les points forts de ce numéro

Léa Senegas
Le soutien du conseil régional d’Auvergne à l’agriculture biologique : entre
volonté politique et intérêts professionnels
Le Conseil régional d’Auvergne renforce sa politique pour l’agriculture biologique. Ce
mouvement est permis par des réformes nationales et une volonté régionale. Il
contribue à une régionalisation des représentants professionnels. Cependant, la
permanence d’intérêts sectoriels départementaux freine cette mutation.
Aurélie Ringeval-Deluze
Le vigneron champenois dans sa filière : état des lieux, évolutions et enjeux
économiques
La compétitivité du champagne est remise en cause par les autres vins effervescents.
Les vignerons champenois sont les plus touchés par cette perte de compétitivité. Leur
rentabilité est également menacée par les évolutions en amont de leur filière
Geoffroy Labrouche, Rachel Levy
Pourquoi rester en « ville moyenne » ? Le cas d’entreprises agroalimentaires
d’Occitanie
La « ville moyenne » est au cœur du débat sur la métropolisation. La « ville moyenne »
est une catégorie spécifique de territoire. Elle permet aux IAA de profiter des avantages
du rural et de l’urbain. Les facteurs politiques et économiques différencient les villes
moyennes.
Esaïe Gandonou, Sylvain Kpenavoun Chogou, Anselme Adegbidi
Impact du conseil agricole privé sur l'efficacité technique des petits producteurs
d’ananas au Bénin
Le conseil agricole du RéPAB est utile et efficace. L'efficacité technique des producteurs
est améliorée. Le RéPAB n'atteint pas les producteurs les moins instruits avec son
dispositif.
Soazig Di Bianco, Nejla Ben Arfa, Mohamed Ghali, Élodie Turpin, Karine Daniel
Les coopératives agricoles dans la transition écologique des agriculteurs. Les
dispositifs de preuve de l’intérêt économique
Eclairer les conditions d’engagement des agriculteurs dans une démarche écologique.
L’intérêt économique est le principal levier pour l’engagement des agriculteurs. Les

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coopératives agricoles conçoivent des dispositifs de preuves économiques. Les


coopératives ont un rôle important dans la transition agro-écologique.
Axelle Poizat, Sabine Duvaleix-Treguer, Arnaud Rault, Florence Bonnet-Beaugrand
Le marché des broutards en France : organisation de la filière, transmission de
l’information et qualité
Les commerciaux, ont un rôle essentiel pour l'ajustement de l'offre et de la demande.
Une perte d'information est remarquée le long de la chaîne d'approvisionnement. Une
meilleure circulation de l'information permet de meilleures pratiques sanitaires.

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Hommage

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Hommage - L’économie
institutionnelle selon Martino
Nieddu, lecteur du Temps des
laboureurs…
Gilles Allaire

1 Ce texte est une version complétée du texte présenté au Congrès de l’AFEP, à Reims,
lors de la table ronde : Hommage à Martino Nieddu, le 6 juillet 2018.
2 Martino Nieddu a apporté une solution originale et pertinente au traitement de la
question agraire par la théorie de la régulation dès sa thèse (soutenue en 1997, sous la
direction de Pierre Duharcourt), « Dynamiques de longue période dans l’agriculture
productiviste et mutations du système agro-industriel français contemporain », en
soulignant l’hétérogénéité des « configurations productives » (coordinations autour
d’un produit qui supportent une stratégie dans un « espace de concurrence ») ainsi que
la variété et la permanence historique des logiques stratégiques des acteurs. Son apport
s’est précisé avec sa « réévaluation du concept de patrimoine » (titre de son HDR). L’un
des premiers parmi les économistes régulationnistes, avec Denis Barthélémy, il a
mobilisé le cadre conceptuel de J.R. Commons (notamment le concept de « valeur
raisonnable ») pour réduire la distinction entre « bien marchand » et « bien non
marchand ». Si Martino Nieddu a initialement abordé le patrimoine dans sa recherche
d’une explication aux faits paradoxaux de l’agriculture du XXe siècle, ses travaux sur
l’économie des services (avec Florence Gallois) et la chimie « verte » (avec Estelle
Garnier, Nicolas Béfort, Franck-Dominique Vivien) montrent que cette notion a une
portée bien plus large que les secteurs agricole et alimentaire 1.
3 Enfin, Martino Nieddu a constamment soutenu que la méthode abductive (Pierce) était
la façon correcte de raisonner pour expliquer les dynamiques sociales et il en a fait une
pierre d’angle de sa conception de la Théorie de la régulation. Dans un texte court
(Nieddu, 2013), paru dans la Revue de la Régulation, « Pourquoi lire Le Temps des
laboureurs lorsqu’on est économiste, de surcroît régulationniste et travaillant sur les
patrimoines économiques collectifs ? », Martino Nieddu offre, sinon une synthèse, les

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points forts de sa position à la fois sur les approches régulationnistes et sur la question
agraire. Soulignant l’originalité de l’analyse historique de la croissance des XI e-XIVe
siècles, présentée par Mathieu Arnoux (2012), il vise à s’emparer « des enseignements
contemporains de cet ouvrage ». Le présent texte, qui est un hommage à Martino Nieddu,
pourrait s’intituler : « Pourquoi lire Martino Nieddu lorsqu’on est économiste, de
surcroît s’intéressant à la question de la terre et institutionnaliste ? ».
4 La lecture du livre de Mathieu Arnoux (2012), Le Temps des laboureurs : travail, ordre social
et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), que nous propose Martino Nieddu (2013) – qui,
rappelons-le, était historien de formation –, souligne que si on ne voit souvent que la
raison économique dans l’émergence d’un cycle d’innovation ou une période de
croissance, ce qui se passe de décisif est la production de ressources publiques et
collectives indispensables à ce mouvement. Je développerai cinq points : 1) la lecture de
Martino Nieddu est régulationniste ; 2) elle débouche sur un modèle général des
« modernisations » agricoles ; 3) une hypothèse abductive permet de penser le fait
paradoxal qu’est la participation de la paysannerie à une logique d’accumulation
capitaliste ; 4) la question agraire hier et aujourd’hui ; 5) pour conclure : extorsion
versus développement.

Passage par la théorie de la régulation


5 Mathieu Arnoux mène une enquête, dans la seconde partie de son ouvrage, sur « une
économie institutionnelle de l’Ordo Laboratorum ». Dans la première partie, intitulée
« Histoires du laboureur », il ne paraît « aucun paysan dont l’existence soit
historiquement avérée » (Arnoux, 2012, p. 201), il s’agit plutôt de la place qui lui est
accordée dans les justifications de la société d’ordre et dans la littérature. Aussi,
l’auteur introduit la seconde partie en se démarquant des historiens du Moyen Âge
pour qui « l’hypothèse que [la paysannerie] puisse contribuer de manière dynamique et
innovante à la construction de l’économie et de la société n’est simplement pas
envisagée » (Arnoux, 2012, p. 203). Il s’attache, pour sa part, « à mettre en lumière trois
séries d’institutions particulièrement importantes : les dîmes, les marchés et les
moulins » (Arnoux, 2012, p. 219) et que l’on ne peut pas comprendre en occultant le rôle
d’une paysannerie active.
6 Martino Nieddu tire des enseignements de sa lecture en tant que « régulationniste »
pour deux raisons. Premièrement, les résultats que présente Mathieu Arnoux « posent
la question plus générale de l’articulation entre la reconnaissance des statuts sociaux
des hommes (et femmes) au travail, et les conditions de la réussite de transitions vers
des régimes économiques de progrès (ici celui de la croissance des XI e-XIVe qui a
desserré l’étau des contraintes matérielles sur les communautés rurales), et ce à un
moment où l’articulation des problématiques de transitions énergétiques et de crise du
capitalisme vient nous poser des questions de même nature » (Nieddu, 2013, p. 2). Ce
faisant, il pointe les questions qui lui paraissent importantes pour notre communauté
et, d’emblée, il ramène l’objet de l’analyse de M. Arnoux à la « construction de biens
communs matériels et immatériels (dont une représentation idéologique de la société
en trois ordres qui va contribuer à la croissance) » (Nieddu, 2013, p. 3).
7 Deuxièmement, Martino Nieddu reconnaît dans la façon de raisonner de Mathieu
Arnoux la méthode de l’abduction2. Les faits paradoxaux que cherche à contourner ou à
expliquer M. Arnoux tiennent d’une part à la méthode d’enquête dans un contexte où

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les sources écrites font défaut et d’autre part au fait historique que dans des économies
féodales il y a pourrait-on dire traces de la construction d’une autonomie des
paysanneries, mais des traces indirectes. Le modèle explicatif vise à rendre compte de
ce fait par l’hypothèse qu’une part du prélèvement sur le travail paysan, lui revient
sous les formes de la solidarité et de l’investissement pour le collectif, ce que vérifient
les enquêtes menées sur les dîmes et les droits de propriété afférents, le
fonctionnement des marchés médiévaux et l’équipement hydraulique de l’Europe. Cette
méthode pragmatique est également selon lui la façon de raisonner des
régulationnistes (sans que nécessairement cela soit perçu ainsi par les chercheurs
concernés).

Un modèle général des « modernisations » agricoles


8 Le modèle d’Arnoux est décrit par Martino Nieddu dans un langage régulationniste de
la façon suivante : « Les conditions permissives de la croissance du XI e-XIIIe siècle […]
résident dans ce compromis institutionnalisé, arraché de façon aléatoire et toujours
provisoire par la catégorie des laboratores, qui a su sortir de l’invisibilité sociale, pour
s’imposer en tant que troisième ordre unifié par sa condition. La “révolution
industrieuse” portée par cet ordre est soutenue par un ensemble de formes
institutionnelles, qui vont se concrétiser dans trois types d’institutions, à la fois
produits et productrices de patrimoines collectifs, que ce soit dans le domaine de la
redistribution, de l’échange ou de la production : la dîme, le marché, et le moulin »
(Nieddu, 2013, p. 4).
9 La croissance médiévale qui s’établit à la fin du Xe siècle ne peut s’expliquer par une
hypothèse technique et « la seule hypothèse convaincante est qu’elle résulta d’une
augmentation massive et durable de l’offre de travail paysan… Le problème principal
est alors d’expliquer une telle évolution, c’est-à-dire de comprendre ce qui poussa les
habitants des campagnes à intensifier leurs efforts » (Arnoux, 2012, p. 15, in Nieddu,
2013, p. 4). Comme le souligne M. Nieddu : « Cette hypothèse d’une “révolution
industrieuse” […] suppose toutefois qu’on accepte dans le cas d’espèce que les paysans
européens se sont constitués “en classe laborieuse, qui permit aux campagnes d’Europe
de sortir de l’impasse d’une économie de subsistance” et que ceci “se fit en échange de
compensations tangibles parce qu’elles étaient à la fois matérielles et symboliques” »
(ibid.).
10 La notion de « révolution industrieuse » a été développée par Jan de Vries (1994) pour
expliquer, dans l’Angleterre du XVIIe siècle, le développement de la production et du
marché des biens de consommation par l’augmentation de l’offre de travail salarié, sans
changement de méthode ni innovation technologique majeure. M. Arnoux, qui expose
en détail le débat des historiens sur l’existence et le rôle de la croissance
démographique dans la croissance économique qui débute au X e siècle en Europe,
reprend cette hypothèse.
11 Les trois ordres, politique, religieux et du travail, amènent le troisième ordre à se
constituer comme sujet autonome ; si ce n’est pas le cas, le travail n’est que servitude.
« [La] reconnaissance sociale accordée aux activités laborieuses dans une société où
l’élite politique ou religieuse revendiquait l’exclusivité d’une vie oisive… fut l’une des
conditions de l’accroissement de l’offre de travail, et donc de la croissance. » M. Nieddu
souligne que le principe explicatif posé, qui réside dans le fait que la société d’ordres

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est pour les laboratores « revendication sociale et religieuse autant, voire plus,
qu’obéissance à l’injonction providentielle énoncée par les clercs » (Arnoux, 2012,
p. 343), est « perturbant en soi » mais peut devenir « consistant s’il permet
effectivement de réinterpréter aussi les fondamentaux de la réalité du Moyen Âge ».
12 Martino Nieddu montre que les analyses originales de Mathieu Arnoux de chacune des
trois institutions étudiées convergent dans un modèle explicatif, auquel il donne une
portée plus générale. Il relève quatre fondamentaux de ce modèle, qui sans doute est un
modèle des « modernisations » agricoles (pour peu que le travail de la terre soit
effectué par des « paysans » ayant un minimum de libertés) 3 :
• Une « volonté industrieuse », motivée par la reconnaissance d’une position dans l’ordre
social ; la reconnaissance d’un « ordre », ou d’une « classe », dans la globalité d’une société,
est une forme de légitimation (qui n’en supprime pas la portée conflictuelle) de l’action
collective par laquelle un « ordre » ou une « classe » prend existence et sur laquelle s’appuie
la volonté industrieuse.
• Une « récompense » (rétribution) assurée par des mécanismes d’assurance et de
redistribution (en l’occurrence la dîme et le marché médiéval considéré comme un espace
protégé de l’arbitraire seigneurial).
• Une organisation collective (de classe) soutenant et pérennisant cette structure,
• Une source d’énergie, dont la gestion est collective et publique (les moulins à eau).
13 Les règles de marché sont complémentaires de la dîme et des institutions hospitalières
comme instruments d’assistance aux pauvres. Cela est illustré, par exemple, dans le
mécanisme suivant : la dîme est divisée en plusieurs parties, l’une sert à l’entretien du
clergé et des seigneurs, mais une autre revient à la communauté, placée entre les mains
des décimateurs, ressource dont l’usage est contraint par les « règles des marchés »
(Arnoux, 2012, p. 252) : en temps normal, les céréales stockées sont vendues au prix
courant des marchés, en temps de crise ou de disette, elles sont redistribuées par
l’aumône. En même temps, ces mécanismes reproduisent la hiérarchie des ordres.
Autrement dit, on ne peut séparer la question du développement des marchés durant la
période de croissance médiévale d’une économie institutionnelle (globale) du travail.
De la même façon, on ne peut séparer aujourd’hui la question des salaires ou des prix
agricoles des politiques économiques et sociales, dont la politique agricole. Sur ce
point, Martino Nieddu et Denis Barthélémy ont placé l’analyse des « aides » à
l’agriculture dans le cadre d’une économie institutionnelle qui permet de comprendre
comment la valeur de la production agricole résulte de transactions de différents types
(Barthélémy et al., 2003 ; Barthélémy et Nieddu, 2007).
14 Le quatrième composant que souligne Martino Nieddu est capital. La croissance de
l’offre de travail, dans des économies agraires, se traduit nécessairement : soit par une
« faim de terre » (excédent de travail), qui peut se résorber par des défrichements ou
des migrations, soit par l’intensification qui requiert plus de dépense d’énergie par ha
(et pas seulement plus de travail). La thèse de la « révolution industrieuse » se traduit
dans le monde des métiers, des arts et du commerce par des économies d’échelle
essentiellement (mais elles vont toujours avec des innovations organisationnelles et
dans les équipements…). S’agissant de la croissance agricole, en dehors des fronts
pionniers, elle va avec certaines formes d’intensification. L’hypothèse ici avancée (à
partir de laquelle Mathieu Arnoux interroge les travaux des historiens du Moyen Âge et
généralisée dans la lecture de Martino Nieddu) est que les formes prises par cette
intensification sont le résultat de l’action collective. Reste à poser la question de

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l’énergie mobilisable dans ce processus. Au Danemark, au XVIII e siècle, par exemple, on


assiste à une croissance agricole alimentée par une révolution industrieuse qui se
traduit par une croissance soutenue des productions animales ; l’énergie nécessaire se
trouvant dans les céréales importées.
15 Ce modèle restera à la base de la spécialisation industrielle du Danemark au XIX e siècle,
alimentant les grandes villes industrielles anglaises et allemandes 4. Le « modèle des
années 1960 » en France (Allaire, 1988) est aussi une forme de révolution industrieuse ;
le livre de Debatisse (1963), leader du CNJA, La révolution silencieuse, en est un
témoignage. En effet, les techniques et les savoirs qui ont permis alors la croissance
agricole n’étaient pas en soi des innovations, les tracteurs étaient avant-guerre déjà
nombreux dans le Nord de l’Europe ou les États-Unis, les principes de la fertilisation
minérale depuis longtemps exposés, etc. L’innovation a été dans des changements
culturels, sociaux et d’organisation du travail qui ont permis une appropriation
massive de ces techniques, avant que n’intervienne plus tard une sophistication des
techniques (et leur contestation). La source d’énergie pour cette forme d’intensification
est le pétrole, la généralisation d’une intensification à l’américaine.

Agriculture et logique d’accumulation capitaliste


16 L’intégration capitaliste de l’agriculture est un fait paradoxal, dont la compréhension
demande une hypothèse abductive. Sans le dire, ni même le savoir, c’est bien cette
façon de raisonner qui m’a conduit à proposer un modèle de la croissance agricole
française d’après-guerre (le « modèle de développement des années 1960 ») (Allaire,
1988) : une agriculture familiale et intensive (ou productiviste) participant à la
croissance fordiste avec un régime d’accumulation « forcée » (thèse reprise par Martino
Nieddu dans ces premiers travaux). Le XXe siècle est à fois celui de l’intégration de
l’agriculture dans une logique d’accumulation capitaliste et celui du « triomphe de
l’agriculture familiale ». Dans le contexte intellectuel des années 1980, mettre en
lumière les institutions encadrant les investissements des agriculteurs, la qualification
du travail productif, la sectorisation des marchés, et soutenant la croissance ainsi que
la modernisation de l’agriculture, demandait d’abandonner les théories laissant la
paysannerie à l’écart de l’accumulation capitaliste. Soit celle qui reconnaît la volonté
industrieuse du paysan qui permet de nourrir les villes mais soutient que celui-ci
s’exploite lui-même comme « petit producteur marchand » rognant son profit pour se
maintenir en place ; soit la théorie dont le capital prélève le surtravail paysan sous la
forme d’une extorsion. Dominé par le capital d’amont ou d’aval, le travail paysan
devient hétéronome et l’agriculteur un travailleur surexploité de la banque. Chacune
peut avoir sa part d’explication. Mais aucune ne peut rendre compte de la participation
de l’agriculture et de la fraction moderniste de la paysannerie à un projet de
développement capitaliste qui implique des formes de redistribution et la construction
de patrimoines productifs collectifs. De la même façon que l’hypothèse d’une action
collective ou « volontaire » de la paysannerie n’était pas envisageable pour les
historiens du Moyen Âge qui étudiaient la construction de la société féodale, pour les
courants marxistes dominant alors l’économie rurale, la participation « volontaire » 5 de
la – petite et moyenne – paysannerie française à la croissance capitaliste et
l’accumulation paysanne (de capital productif) n’était pas pensable.

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17 Au contraire, l’hypothèse abductive (et régulationniste) consistait à expliquer


l’accumulation dans le secteur agricole et l’inscription de l’agriculture dans le cadre du
mode de développement fordiste en spécifiant le jeu des cinq « formes
institutionnelles » canoniques de l’approche régulationniste6 dans la croissance de ce
secteur ; la vérification de la cohérence de ce modèle explicatif passant par l’analyse de
la variété des trajectoires selon les filières. Pour sa part – et c’est un apport décisif à la
compréhension de cette période –, M. Nieddu a proposé de rejeter la thèse « d’une
configuration productive unique de l’agriculture du fordisme », pour considérer « deux
agricultures productivistes », « deux configurations qui se reproduisent dans le
temps ». Celle des grandes exploitations qui avaient échoué dans les décennies
précédentes à concentrer la terre du fait de la résistance d’une paysannerie semi-
prolétaire et qui trouvaient un nouvel espace économique ; ces « gros paysans » se
suffisaient d’une régulation sectorielle qui protège du spectre de la subordination par le
capital agro-alimentaire réduite à l’organisation du marché. Celle des exploitations
moyennes en croissance dans un contexte de crédit bon marché, qui se présente de
façon beaucoup plus paradoxale ; pour soutenir leur croissance rapide, celles-ci ont
besoin d’une alliance avec un capital alimentaire qui assure l’écoulement de leur
production, ce qui passera par le développement des coopératives et de patrimoines
professionnels collectifs. Il introduit ainsi une distinction entre des projets
« productivistes », que l’on peut appeler libéraux et « modernistes » (néo-
corporatistes). Pour souligner son propos, il affirme que c’est entre ces deux projets
qu’il faut chercher les « compromis institutionnalisés » à la base de la croissance
agricole de la période (Nieddu, 1999)7.
18 Cette analyse pose la question du statut du modèle par rapport à l’histoire dans sa
complexité. Sans doute peut-on parler d’une « agriculture du fordisme » pour en
définir des traits globaux (l’affirmation sociale d’une paysannerie familiale
entrepreneuse et sa reconnaissance par un statut et des droits sociaux, l’intensification
capitalistique des productions végétales et animales, la centralisation bancaire des
crédits pour l’investissement, le développement de la formation professionnelle et la
construction de patrimoines coopératifs matériels et immatériels) mais il ne s’agit pas
d’un modèle unique d’organisation qui éliminerait la variété des « configurations
productives » et des projets politiques, les « compromis institutionnalisés » s’inscrivent
dans une grande variété de « blocs sociaux régionaux » (Lipietz, 1983) si l’on étudie
l’agriculture française ou les agricultures de l’Europe de l’Ouest dans les sociétés
d’après-guerre. De même, le modèle d’Arnoux est explicatif de la croissance médiévale,
mais il n’y a pas « une » paysannerie ou une agriculture européenne. Se pose alors la
question du rapport des approches régulationnistes (de leurs modèles explicatifs) à
l’histoire, qui a beaucoup intéressé Martino Nieddu comme cela transparaît dans
plusieurs textes, dont celui-ci.

La question agraire, hier et aujourd’hui


19 De la même façon que l’on ne peut comprendre les politiques agricoles modernes
comme un simple instrument d’extorsion du surtravail paysan, on ne peut les
comprendre comme simple support de la base sociale d’accumulation qu’elles
délimitent, comme s’il s’agissait d’une transition instantanée. Il s’agit de politiques
ayant une dimension sociale, distributive. Le projet des années 1960 repose sur la

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« thèse des trois agricultures » (déjà compétitive, à moderniser, à éliminer) pour


lesquelles sont fixés des objectifs spécifiques de politiques publiques. S’agit-il de
politiques séparées ? Non. D’une part, elles sont simultanément défendues par le
syndicat majoritaire (où sont représentés des intérêts variés) et, d’autre part, elles
dépendent du même domaine de l’action publique (le ministère de l’Agriculture, qui,
rappelons-le, gère la politique économique, la protection sociale, l’enseignement
agricole et la recherche…). Sur le plan théorique, pour expliquer simultanément les
dynamiques en cause, il faut concevoir un principe général qui agit dans les
transactions, qu’elles soient (au sens de Commons) marchandes, managériales ou de
répartition (des bénéfices de la croissance), à côté de ce que serait une pure rationalité
économique calculatoire.
20 Martino Nieddu (avec Denis Barthélémy, Franck-Dominique Vivien, Pascal Grouiez et
d’autres) a recherché ce principe dans les concepts de « valeur raisonnable »
(Commons), de « biens identitaires », de « relations patrimoniales » et de « patrimoines
productifs ». Comme les constructions théoriques que j’ai pu faire de mon côté, en
m’appuyant aussi sur les concepts commonsiens de « dettes d’autorité » et de
« propriété intangible » (e.g., Allaire, 2017), ce sont des travaux qui restent encore
exploratoires et renvoient à une vaste question. Je dirais qu’il faut encore monter en
compréhension, en continuant de développer des analyses empiriques dans différents
champs, périodes et contextes. C’est pour cela qu’il convient d’apprécier à leur juste
mesure les fulgurances synthétiques de Martino Nieddu quand il nous invite à lire Le
Temps des laboureurs…
21 Si l’on voulait définir en deux mots la « régulation » (celle de la théorie de la
régulation), on pourrait dire qu’il s’agit de la construction sociale des politiques et des
patrimoines collectifs. Pour reprendre les termes de M. Nieddu, il s’agit de la
« construction des biens publics et des patrimoines collectifs ». Cette formule introduit
une hiérarchie (et une division fonctionnelle) dans la variété des « transactions de
répartition » (répartir, par exemple, les bénéfices du progrès génétique, la rente
foncière en Russie ou les aides agricoles européennes, sont des problèmes différents,
mais de même nature). Quoique le terme « bien » soit embarrassant (mais utile pour
parler à des économistes), la distinction que fait M. Nieddu renvoie (dans mes propres
termes) à deux formes de la propriété intangible, (i) la « propriété sociale » (Castel,
2008), c’est-à-dire les droits et statuts créés par les politiques économiques et sociales,
qui sont garantis par une « dette sociale » (Théret, 2013) et dépendent des rapports
sociaux ; (ii) les patrimoines productifs, considérés comme des systèmes complexes de
ressources communes (au sens d’Ostrom), qui relèvent d’une propriété collective et
délimitent une grande diversité de configurations productives et de « biens
communs ». L’articulation entre ces deux dimensions dépend des contextes
sociohistoriques.
22 Quels sont les principes souverains qui dans le champ de l’agriculture ou dans le champ
de l’alimentation justifient des droits et la fixation des prix ? Au temps des laboureurs,
la menace essentielle est celle des pénuries alimentaires, elle justifie des politiques
frumentaires. La question de la sécurité alimentaire reste au cœur des politiques
agricoles modernes (XXe siècle), sous la forme de l’intégration à des schémas
(nationaux) d’accumulation du capital et d’une régulation des revenus agricoles, dans
un contexte où ne cesse de s’accroître la population urbaine et où l’industrialisation
(utilisation des énergies fossiles) a permis aux sociétés industrielles d’échapper à la loi

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de Malthus. Ce qui est alors propre aux projets de modernisation agricole et aux
périodes de croissance, pour le monde « occidental » au moins, depuis le XI e siècle,
jusqu’à la Politique agricole commune de l’Europe, en passant par le New Deal aux
États-Unis, c’est le rapprochement entre sécurité alimentaire et « agriculture familiale » (ou
propriété paysanne), mais dans des configurations politiques et sociales fort
différentes.
23 La crise de l’agriculture productiviste que les régulationnistes ont analysée depuis les
années 1990 (Allaire et Boyer, 1995) est aujourd’hui actée, les politiques agricoles sont
désormais dites « politiques de transition », et l’on pourrait même dire qu’elle est
dépassée… par la refondation du projet moderniste ; mais refondation ambivalente
entre la fuite en avant dans un néo-productivisme et la refondation des patrimoines
collectifs. À cet égard, il conviendrait d’étudier, depuis les années 1990, les
transformations et la recomposition des projets libéraux et modernistes qu’avait
identifiés Martino Nieddu, ainsi que les évolutions et les conflits autour des
patrimoines collectifs agricoles8.
24 La conscience des limites écologiques et de la gravité des dégâts résultant de
l’industrialisation a fait de la crise de l’agriculture une crise structurelle radicale. Elle
se traduit par des changements dans les marchés où s’affrontent des logiques
différentes d’acteurs, dans la remise en question de la délimitation et des objectifs des
politiques agricoles. Ce qui fait tenir les politiques agricoles, c’est leur caractère de
« dette sociale », mais en même temps elles se sont départies d’une partie de leurs
objectifs sociaux. Il faut sans doute changer radicalement de paradigme pour voir
l’avenir de l’agriculture au-delà du productivisme et imaginer des rapports
« raisonnables » des sociétés, urbaines comme rurales, à la terre et à l’alimentation.
Cette question est très présente dans les derniers travaux de Martino Nieddu et son
intérêt pour l’économie écologique. On la retrouve avec le rôle clé des moulins dans le
modèle de croissance du Temps des laboureurs. Elle l’était aussi dans nos échanges,
inachevés, autour de la Part maudite de Georges Bataille…

Extorsion versus développement


25 Lire Le Temps des Laboureurs enseigne que l’on ne peut penser l’histoire des sociétés et
les rapports de classes du point de vue limité de l’extorsion, qui certes est toujours une
tentation pour les puissants, qu’il s’agisse des autorités religieuses ou seigneuriales
médiévales ou des classes capitalistes. Il ne s’agit pas de nier l’exploitation, mais de
reconnaître que la socialisation du surtravail finance non seulement l’accumulation du
capital et l’existence des autorités mais aussi l’action publique et la construction de
patrimoines collectifs.
26 Martino Nieddu, dans sa lecture du Temps des laboureurs, met en avant deux
caractéristiques du modèle de croissance de ce temps qui peuvent être réinvesties pour
l’analyse des modernisations des siècles suivants jusqu’au XX e siècle. Premièrement, le
prélèvement sur le travail, quelle qu’en soit l’autorité qui en est l’auteur, n’est pas
uniquement un détournement de l’agriculture, il est l’instrument de la « protection au
sein des communautés au travail » et de la production de « services publics ».
Deuxièmement la production de « services publics » est aussi « le résultat d’un
engagement collectif, et s’inscrit dans une construction économique plus globale, celle

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des biens collectifs ou communs nécessaires à l’existence dans une économie


substantive ».
27 Il souligne une double difficulté pour élargir cette approche à d’autres périodes, qui est
que l’existence des biens collectifs ou communs et plus précisément des patrimoines
collectifs productifs n’est pas perçue et étudiée à sa juste place. « Les arrangements
économiques, les stratégies de coopération entre acteurs par ailleurs concurrents, les
accords de limitation de la concurrence, les dispositifs de distribution ordonnée de la
connaissance et des revenus, les garanties de stabilité de l’emploi qui préservent les
compétences, etc., cet ensemble de dispositifs collectifs qui permettent la production et
sont au cœur d’une économie substantive échappent alors à la fois à l’analyse et aux
préconisations. » De plus, la construction et la défense des patrimoines collectifs
demandent de construire « des discours de légitimation d’actions “non naturelles” dans
le contexte des rapports de forces sociaux, et qui, en cherchant à se frayer un passage
dans celui-ci, doivent toujours leur payer un tribut »9. Les rapports sociaux sont en effet
des rapports de pouvoir et, si des choix « raisonnables » peuvent émerger de conflits,
ils n’éteignent pas cette conflictualité. C’est en ce sens que les justifications de ces choix
sont « non naturelles ».
28 Martino Nieddu termine sa lecture du Temps des laboureurs en annonçant une
« mauvaise nouvelle » : « Si l’on raisonne en longue période, une telle séquence
[“révolution industrieuse” / compromis institutionnalisé construisant des mécanismes
de prélèvement, de protection et de redistribution / cercle vertueux de croissance]
semble se trouver derrière nous, dans les conflits qui avaient amené les couches
laborieuses industrielles à se constituer en “classe pour soi” et à arracher à la fois un
statut salarial et des mécanismes de redistribution assurant l’accès à la
consommation. » Aujourd’hui, on se trouverait plutôt « dans un type de période
confiscatoire des fruits du travail et destructrice de solidarités ». Est-on à la fin d’un
long cycle de développement (du temps des laboureurs à celui de l’agriculture familiale
intensive du XXe siècle) ? Cette opinion ouvre de nouveau une grande question pour les
régulationnistes, sur laquelle Martino aurait continué de réfléchir !
29 Ce que je voudrais souligner pour conclure, c’est qu’il liait cette question à celle des
« enjeux des grandes transitions énergétiques nécessaires aujourd’hui », que l’on
devrait réfléchir, avec l’exemple du travail de Mathieu Arnoux, « à l’aune de
l’expérience de la transition décentralisée réussie et de la production de patrimoines
collectifs par les communautés paysannes, malgré et au-delà de la violence des
tentatives d’accaparement féodaux. »

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NOTES
1. Voir Barthélémy et al. (2003), Barthélémy et al. (2005), Barthélémy et Nieddu (2003),
Barthélémy et Nieddu (2007), Gallois et Nieddu (2015), Nieddu et al. (2010), Nieddu et al. (2009),
Nieddu et al. (2014), Nieddu et Vivien (2014), Nieddu (2005).
2. Pour sa part, il a affirmé cette posture méthodologique dès ses premiers travaux, en référence
au pragmatisme de Pierce, en fixant quatre étapes à l’enquête scientifique (cf. Nieddu et
Gaignette, 2000) : (1) la mise en ordre de faits stylisés paradoxaux ; (2) la mise en forme d’une
hypothèse abductive, c’est-à-dire d’un principe général explicatif ; (3) la mise en œuvre d’une
stratégie d’observation empirique de régularités étayant ce principe explicatif ; (4) un retour
réinterprétatif pour s’assurer de la qualité heuristique de l’hypothèse.
3. Cette idée est développée dans Allaire (2019).
4. Pour un développement de cet exemple, voir Allaire (2019).
5. Pour reprendre le terme de M. Arnoux.
6. Il s’agit de l’État (sous la forme de l’État moderne avec ses politiques sectorielles et de l’État-
providence avec le système de protection sociale), de la monnaie (en l’occurrence la monnaie de
crédit), des formes de concurrence (et de coopération), du régime international (en l’occurrence
du GATT qui laisse possible des politiques agricoles nationales) et du « rapport salarial » qui ne
concerne pas l’agriculture en tant que forme de travail mais indirectement avec le
développement de la « société salariale ».
7. C’est l’enquête sur la variété des configurations productives au sein de configurations
territoriales et de blocs sociaux régionaux qui a conduit Martino Nieddu à s’inscrire dans une
approche « méso-économique » (Lamarche et al., 2015).
8. Sur le cas de la sélection génétique animale, voir Allaire et al. (2018).
9. Ici, tribut doit sans doute se comprendre en plusieurs sens.

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AUTEUR
GILLES ALLAIRE
US-ODR, INRA Toulouse, Auzeville

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Recherche

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Le soutien du Conseil régional


d’Auvergne à l’agriculture
biologique : entre volonté politique
et intérêts professionnels
The Auvergne Regional Council’s organic farming policy: Between political will
and professional interests

Léa Senegas

1 Dans les années 1960, en France, le secteur agricole est régulé 1 aux échelles nationale et
départementale par une cogestion entre les services centraux et déconcentrés de l’État 2
et le syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles
(FNSEA) (Jobert et Muller, 1987). Ce mode de régulation politique s’apparente à un
modèle de gestion néo-corporatiste défini par P. Schmitter comme « un système de
représentation des intérêts dans lequel des unités constitutives sont organisées en un
nombre limité de catégories uniques, obligatoires, non compétitives, organisées
hiérarchiquement et différenciées fonctionnellement, reconnues ou autorisées (si ce
n’est créées) par l’État qui leur concède délibérément le monopole de la représentation
à l’intérieur de leurs catégories respectives » (Schmitter, 1974). Cependant, à partir du
milieu des années 1990 et particulièrement dans les années 2000, nous assistons à un
mouvement de régionalisation des politiques agricoles (Trouvé, 2005 ; Berriet-Solliec et
Trouvé, 2010) qui se traduit notamment par l’avènement d’un nouvel acteur, les
Conseils régionaux. Ce mouvement modifie considérablement la régulation politique du
secteur qui n’incluait pas initialement les collectivités territoriales ou seulement à la
marge.
2 L’objet de notre article est d’analyser ce renforcement de la capacité politique des
Conseils régionaux, c’est-à-dire « [leur] faculté à mobiliser des ressources nécessaires
pour effectuer des choix collectifs pertinents et à fixer des orientations stratégiques
pour l’allocation des ressources rares à des fins publiques » (Painter et Pierre, 2005) et
d’interroger son impact sur les relations entre pouvoirs publics et représentants

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professionnels au sein du secteur agricole. En d’autres termes, dans quelle mesure cette
évolution vient-elle transformer la régulation du système néo-corporatiste, marquée à
l’échelle infranationale par la prévalence de l’échelon départemental ainsi que par la
place prépondérante des services déconcentrés de l’État et des chambres
d’agriculture ?
3 Afin d’analyser cette évolution, nous avons choisi de nous focaliser sur les politiques
régionales de soutien à l’agriculture biologique. Celles-ci ayant été touchées dès les
années 1990 par un mouvement de régionalisation, nous pouvons en mesurer les effets
dans une perspective diachronique.
4 Si de nombreux travaux de science politique en Europe de l’Ouest ont traité du
renforcement de l’échelon régional à partir des années 1990 (Le Galès et Lequesne,
1997 ; Keating, 1998 ; Pasquier, 2012), M. Keating et A. Wilson soulignent en 2014, dans
leur article « Region with regionalism? The rescaling of interest group in six European
States », que peu d’études interrogent le lien entre régionalisation et organisation
territoriale des groupes d’intérêts (Keating et Wilson, 2014). Par groupe d’intérêt, nous
entendons « des acteurs organisés qui ont pour objectif […] d’orienter les choix des
détenteurs de positions politico-administratives ou en tout cas de défendre des intérêts
auprès d’eux » (Cadiou, 2016).
5 De manière réciproque, la littérature classique sur les groupes d’intérêts n’inclut que
rarement l’échelon régional ou local comme niveau d’analyse, leur préférant l’État et
l’Union européenne (Grossman et Saurugger, 2004). En France, les travaux de
P. Le Galès sur la gouvernance urbaine ou ceux de R. Pasquier sur la capacité politique
des régions esquissent la genèse d’une mise en relation entre la formation d’intérêts
économiques territoriaux et le renforcement d’un échelon d’action publique (Le Galès,
1997 ; Pasquier, 2012). Il faut toutefois attendre 2016 pour voir paraître un ouvrage
ayant pour objectif spécifique de lier l’approche des « territorial politics » 3 (Keating,
2008) à la littérature sur les groupes d’intérêts : Gouverner sous pression. La participation
des groupes d’intérêts aux affaires territoriales (Cadiou, 2016). Cependant, les chapitres de
cet ouvrage se construisent autour du point de vue des groupes d’intérêts et de leurs
stratégies d’action à l’échelle locale, et non du point de vue des collectivités locales et
de leur capacité d’action face aux groupes d’intérêt. Notre article, quant à lui, interroge
les liens réciproques existant entre la capacité politique de la collectivité régionale et la
structuration territoriale de groupes d’intérêt spécifiques, en l’occurrence, les
représentants de la profession agricole.
6 Notre hypothèse principale est que la structuration territoriale des intérêts
professionnels et en particulier leur degré de régionalisation apparaît à la fois comme
facteur et produit de la capacité d’action du Conseil régional. En effet, d’une part, le
renforcement de la capacité politique de l’institution régionale favorise une
reconfiguration des échelles de structuration des intérêts professionnels au profit du
territoire régional. Cependant, réciproquement, le degré de régionalisation des intérêts
agricoles d’un point de vue organisationnel et cognitif (Keating, 2011) contribue à
affaiblir ou à renforcer la capacité politique du Conseil régional.
7 Afin d’analyser cette relation réciproque, nous étudions les dispositifs de soutien à
l’agriculture biologique portés par le Conseil régional auvergnat de 2004 à 2015.

Méthodologie de l’enquête qualitative en Auvergne (2014-2017)

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Notre enquête s’appuie sur 12 entretiens semi-directifs menés entre février 2014 et
avril 2017 en Auvergne44. Nous avons, entre autres, rencontré le président du
Conseil régional auvergnat, ainsi que la directrice des services agricoles, l’ancien
président de l’interprofession Auvergne biologique, un élu du groupement des
agriculteurs biologiques (GAB) de l’Allier, le porte-parole du groupement régional
des agriculteurs biologiques (GRAB) Auvergne ainsi que sa coordinatrice, le
directeur de la chambre d’agriculture de l’Allier ainsi que les deux techniciens de
la chambre d’agriculture spécialisés dans l’agriculture biologique, le président de
la chambre d’agriculture de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes (ancien
président de la chambre d’agriculture auvergnate), mais aussi le directeur de la
Direction départementale des territoires (DDT) de l’Allier ainsi qu’une cheffe de
service responsable des aides du second pilier de la Politique agricole commune
(PAC) au sein de la DDT. Ces échanges ont été complétés par l’étude de documents
institutionnels, notamment des textes législatifs5, ainsi que les programmes
nationaux et régionaux d’action de développement de l’agriculture biologique, en
particulier le programme « Ambition bio 2017 » porté par S. Le Foll, élaboré dès
2012 et mis en œuvre en 2014.

La capacité politique renforcée du Conseil régional :


vecteur d’intégration des intérêts professionnels
8 Le renforcement de la capacité d’action du Conseil régional auvergnat dans le champ
des politiques de soutien à l’agriculture biologique, particulièrement depuis les années
2000, ne peut se comprendre que par la conjonction de facteurs exogènes, les réformes
de l’État en particulier, et de facteurs endogènes, notamment la volonté politique du
président auvergnat, R. Souchon, de développer l’agriculture biologique sur son
territoire. La politique du Conseil régional contribue alors à l’intégration des intérêts et
des conflits professionnels à l’échelle régionale.

1. L’État : arbitre de la régionalisation des politiques de soutien à


l’agriculture biologique

9 L’État apparaît en France comme le chef d’orchestre du renforcement des Conseils


régionaux dans les politiques de soutien à l’agriculture biologique. En effet, si certaines
collectivités régionales développaient au début des années 1990 des actions de soutien à
l’agriculture biologique, l’intervention de l’État au travers de réformes et de plans
nationaux a permis la généralisation de leur implication dans ce domaine d’action
publique.

L’agriculture biologique comme précurseur de la régionalisation des politiques


agricoles

10 Dès les premiers plans nationaux de soutien à l’agriculture biologique, au milieu des
années 1990, l’État implique les Conseils régionaux dans la politique nationale de
soutien au développement de l’agriculture biologique. Pourtant, ces derniers n’ont
alors aucune compétence spécifique dans le secteur agricole, et les politiques
nationales sont mises en œuvre par des institutions organisées à l’échelle

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départementale, siège historique des chambres d’agriculture et des services agricoles


déconcentrés de l’État. L’agriculture biologique apparaît ainsi comme précurseur du
mouvement de régionalisation. L’État s’appuie sur le territoire régional, au travers des
services déconcentrés, mais aussi des Conseils régionaux, pour structurer la filière de
l’agriculture biologique de l’amont à l’aval (Piriou, 2002). En Auvergne, le Conseil
régional participe en 1992 aux côtés des services déconcentrés de l’État en région,
l’actuelle Direction régionale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (DRAAF), à
la création de l’interprofession Auvergne biologique. Dans leur collaboration avec l’État,
les collectivités régionales prennent une importance croissante au sein de l’élaboration
des plans nationaux de développement de l’agriculture biologique, comme en
témoigne, en 2012, le programme « Ambition bio 2017 », porté par le ministre de
l’Agriculture S. Le Foll. Ce dernier a été élaboré conjointement par les services de l’État
et les Conseils régionaux sollicités pour opérer un diagnostic et une concertation sur
leur territoire afin de déterminer les axes nationaux et régionaux du programme. Les
collectivités régionales co-pilotent aux côtés de la DRAAF sa mise en œuvre avec une
gouvernance réunissant la chambre d’agriculture régionale, les représentants de
l’agriculture biologique en région et Coop de France6.

Un mouvement récent de régionalisation des politiques agricoles

11 En dehors du cas spécifique de l’agriculture biologique, le renforcement des


collectivités régionales s’opère, mais de manière plus tardive, au sein des politiques
agricoles par le transfert de l’autorité de gestion du second pilier de la Politique
agricole commune (PAC)7 des services déconcentrés de l’État aux Conseils régionaux. Ce
n’est qu’après quelques années de négociations que l’Association des Régions de France
(ARF) est parvenue en 2014 à obtenir ce transfert. À l’époque, le président du Conseil
régional auvergnat, R. Souchon, alors président de la commission agricole de l’ARF,
était en première ligne :
« L’ARF et sa commission agricole pendant trois ans a fait beaucoup de pressions et de
simulations pour montrer qu’il était possible qu’on soit autorité de gestion des fonds
européens sur le premier et le second pilier. Le président de la République a arbitré en
donnant l’autorité de gestion du second pilier aux Régions. Autant vous dire que la
profession agricole ne voulait pas du transfert de l’autorité de gestion aux
Régions. » (Entretien février 2014, président du CR auvergnat)
12 En effet, tandis que le système cogestionnaire assurait une place hégémonique des
représentants agricoles majoritaires dans l’élaboration et la mise en œuvre des
politiques agricoles, les représentants professionnels redoutent que la régionalisation
se traduise pour eux par une perte de pouvoir. Malgré cet obstacle, la loi Maptam
entérine le 27 janvier 2014 la décentralisation de la gestion du second pilier de la PAC.
Le secteur agricole est pour la première fois directement touché par un mouvement de
décentralisation. Les Conseils régionaux sont désormais chargés d’élaborer et de mettre
en œuvre pour la programmation 2014-2020 un Plan de développement rural régional
qui comprend les aides à l’agriculture biologique.
13 Ainsi, les évolutions de la législation et des programmes nationaux participent du
renforcement du rôle des Conseils régionaux au sein de la mise en œuvre mais aussi de
la définition des politiques nationales et de la déclinaison régionale des politiques
européennes de soutien à l’agriculture biologique. Cependant, cette évolution du cadre
institutionnel n’explique qu’en partie le développement par le Conseil régional

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auvergnat d’une politique propre en direction de l’agriculture biologique. En effet, les


acteurs rencontrés soulignent que, si l’agriculture biologique est soutenue dès les
années 1990 par un exécutif régional de centre-droit, cette politique a pris un essor
considérable avec l’arrivée en 2004 d’une majorité socialiste qui s’est traduite par la
multiplication par cinq du budget de la collectivité dédié à l’agriculture biologique
entre 2004 et 2010.

2. Le président du Conseil régional : acteur majeur du renforcement


de l’institution

14 Le mouvement de régionalisation doit également se comprendre à l’aune du contexte


politique régional. Le volontarisme de l’exécutif et en particulier du président du
Conseil régional constitue un facteur explicatif du développement de la politique de
soutien à l’agriculture biologique. L’augmentation des moyens de l’institution dédiés à
ce poste vient conforter sa capacité politique dans ce domaine d’action publique.

L’action volontariste de l’exécutif régional en faveur de l’agriculture biologique

15 Le budget alloué à l’agriculture biologique par le Conseil régional auvergnat est passé
de 200 000 à 1 million d’euros entre 2004 et 2010. Cette augmentation s’est traduite par
un élargissement de la palette des actions soutenues par le Conseil régional en
direction des structures professionnelles comme le financement d’une plateforme de
distribution de produits issus de l’agriculture biologique pour la restauration collective,
Auvergne bio distribution, mais aussi la création d’un pôle de conversion avec le
financement de postes de conseillers en agriculture biologique au sein des chambres
d’agriculture et de la représentation spécifique de la filière biologique.
16 La personnalisation de la politique de soutien à l’agriculture biologique est mise en
scène par le président :
« Comme j’ai un passé important dans l’agriculture, j’ai été ministre pendant trois ans, j’ai
été inspecteur général de l’agriculture et au niveau de l’ARF je suis responsable de la
commission agricole, [...] quand on a démarré sur le bio c’est vraiment une volonté politique
que j’ai portée et cela n’aurait pas eu lieu si je ne l’avais pas porté. » (Entretien février
2014, président du CR auvergnat)
17 Ces propos ont été corroborés tant par les représentants des chambres d’agriculture :
« Le président du Conseil régional ne donnait pas beaucoup de subventions à l’agriculture, sauf
sur le bio » (Entretien février 2017, directeur de la chambre d’agriculture de l’Allier), que
par les représentants de la filière biologique : « Souchon voulait faire de l’Auvergne la
première région bio » (Entretien octobre 2016, porte-parole du GRAB Auvergne).
L’affichage de cette politique par le président de région lui-même et non par le vice-
président à l’agriculture, le discours des différents représentants professionnels
rencontrés ainsi que la croissance du budget de l’institution depuis son arrivée à la tête
de l’exécutif, témoignent de ce volontarisme en faveur de l’agriculture biologique.
18 Le choix de R. Souchon pour l’agriculture biologique se comprend par deux facteurs :
l’agriculture biologique est pour lui une solution aux difficultés économiques du
secteur agricole auvergnat mais aussi un moyen de contourner le système de cogestion
qu’il critique vivement.

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Concurrence économique et critique de la cogestion comme justifications du


soutien

19 La volonté de R. Souchon est de soutenir l’agriculture biologique. Elle est avant tout
motivée par des enjeux économiques dans un contexte national et européen de
concurrence accrue des territoires (Pinson et Reigner, 2012).
« Quand on regarde les ressources agricoles de l’Auvergne, on a un potentiel très important,
[…] on a beaucoup d’AOP et d’IGP mais très peu de bio. […] Or on est dans une agriculture
hyperconcurrentielle lorsqu’on n’est pas sous signe de qualité, on a donc intérêt à dire à tel
ou tel agriculteur en production laitière qui n‘est pas dans les SIQO [les Signes officiels de
la qualité et de l’origine] de venir [vers l’agriculture biologique] pour sortir du marché
mondial. C’est capital. » (Entretien février 2014, président du CR auvergnat)
20 Les problèmes environnementaux n’apparaissent que très peu dans son argumentaire.
L’absence d’un argumentaire autour de la protection de l’environnement a l’avantage
d’être fédératrice, car elle se rattache à un récit dominant au sein de la région d’une
agriculture régionale extensive de qualité et d’un territoire préservé des pollutions. En
outre, ce récit orienté autour d’enjeux économiques justifie l’intervention du Conseil
régional dans le domaine agricole du fait de sa compétence économique, renforcée en
2015 par la loi NOTRe8. R. Souchon y perçoit un affermissement de la capacité politique
de l’institution vis-à-vis des échelons inférieurs :
« Dans l’acte III [de la décentralisation] il faut surtout lire l’exposé des motifs. Il y a une
compétence exclusive des régions sur l’intervention économique. […] L’agriculture c’est de
l’économie. Je ne vois pas comment demain une communauté de commune ou un
département pourrait intervenir par une action propre sans autorisation de la
région. » (Entretien février 2014, président du CR auvergnat)
21 Malgré le caractère relativement consensuel du récit économique porté par R. Souchon,
le choix de soutenir l’agriculture biologique constitue une prise de position politique
clivante vis-à-vis des représentants de la profession agricole majoritaire :
« C’est sûr que l’orientation qu’on a prise en 2006 pour soutenir la bio n’a pas été du goût des
OPA [Organisations professionnelles agricoles] qui ont fait souvent campagne contre la
Région en disant que je ne pensais qu’au bio. » (Entretien février 2014, président du CR
auvergnat).
22 Pour lui, la régionalisation des politiques agricoles outre un changement d’échelle, doit
également engendrer un élargissement des interlocuteurs participant à la régulation
du secteur agricole :
« Je pense qu’on va sortir de la cogestion. On va développer un dialogue avec des acteurs
multiples mais pas de codécision. La décision reviendra à la région. Moi j’ai refusé des
réunions avec les OPA. » (Entretien février 2014, président du CR auvergnat)
23 Ainsi, la politique de soutien à l’agriculture biologique représentait un moyen pour
R. Souchon de dépasser l’hégémonie du syndicalisme majoritaire dans la représentation
des intérêts agricoles en s’appuyant sur la représentation régionale de la filière
biologique.

3. Vers une régionalisation des intérêts professionnels ?

24 Le renforcement de la capacité politique du Conseil régional dans les politiques de


soutien de l’agriculture biologique n’est pas sans impact sur la structuration
territoriale des représentants professionnels. En effet, ce contexte les incite à
intensifier le dialogue avec la collectivité régionale pour acquérir de nouvelles

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ressources budgétaires, mais aussi plus largement pour représenter les intérêts
professionnels qu’ils défendent afin d’orienter les politiques publiques régionales.

La politique régionale : facteur de cristallisation des conflits professionnels

25 Il est tout d’abord intéressant d’observer que l’intensification de l’action du Conseil


régional en direction de l’agriculture biologique a constitué, malgré elle, un facteur de
cristallisation des conflits au sein même des représentants de l’agriculture biologique.
26 En Auvergne, à l’échelle départementale, les agriculteurs biologiques sont rassemblés
au sein de Groupement d’agriculteurs biologiques (GAB). De 1992 à 2011, il n’existe à
l’échelle régionale qu’une interprofession, Auvergne biologique, réunissant quatre
collèges : les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et les consommateurs.
Cependant, des conflits au sein du collège des producteurs ont abouti en 2011 au départ
de certains agriculteurs biologiques de la structure et à la création, par ces derniers,
d’une autre instance de représentation, le Groupement régional des agriculteurs
biologiques (GRAB). Les deux principaux facteurs qui expliquent la création de ce
groupement régional sont directement liés à l’essor de la politique de soutien à
l’agriculture biologique du Conseil régional.
27 Le développement de cette politique a tout d’abord révélé l’incapacité de
l’interprofession à représenter les intérêts des agriculteurs biologiques auvergnats du
fait des divergences en son sein. Les propos d’un des fondateurs du GRAB illustrent
cette aporie :
« Le renforcement des pouvoirs régionaux était en route, le fait de ne pas avoir
d’organisation de producteurs représentants les GAB à l’échelle régionale et le fait
qu’Auvergne bio de par sa composition ne pouvait pas avoir d’expression politique ou alors
quand elle l’avait c’était toujours clivant en interne et nuisait à l’opérationnel, cela
aboutissait à une expression qui était toujours un minimum commun donc pas satisfaisant
pour les uns et les autres. » (Entretien octobre 2016, Porte-parole du GRAB Auvergne)
28 Outre ce défaut de représentation, la création du groupement régional s’explique par
un conflit au sein du collège de producteurs de l’interprofession autour du financement
par le Conseil régional d’un technicien en maraîchage. Un groupe d’agriculteurs
maraîchers souhaitait que le conseiller accompagne les producteurs dans des projets de
ventes directes. Un autre groupe d’agriculteurs, essentiellement éleveurs et tournés
vers des circuits longs de distribution, entendait s’appuyer sur lui pour développer la
production de légumes de plein champ afin de répondre à la demande de la
restauration collective. Ces tensions peuvent être analysées au prisme des théories de
la conventionnalisation de l’agriculture biologique développées par la littérature anglo-
saxonne au début des années 2000 (Guthman, 2004). Celles-ci postulent, en effet, une
distinction entre une agriculture biologique alternative, fondée sur une remise en
cause du système agricole productiviste ; une autre, conventionnaliste, inscrite au sein
de circuits de distribution généralement longs et non spécialisés.
29 Ainsi, les politiques régionales ont participé, en révélant des divergences internes, à la
division de la représentation régionale professionnelle des agriculteurs biologiques et
indirectement à la création d’un groupement régional. L’effet de la politique régionale
sur les chambres d’agriculture est quant à lui beaucoup plus nuancé.

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Un Conseil régional affaibli face aux chambres d’agriculture départementales

30 R. Souchon ne voulait pas faire des chambres d’agriculture les principaux


interlocuteurs du Conseil régional dans le domaine de l’agriculture biologique, mais il
souhaitait tout de même les inclure au sein de la politique régionale avec un objectif
double. Il avait pour ambition de renforcer l’échelon régional comme espace de
structuration du réseau des chambres, et d’autre part, d’amener la représentation
consulaire – au travers notamment du financement de postes par le Conseil régional – à
développer le conseil dans le domaine de l’agriculture biologique. Concernant le
premier objectif, force est de constater qu’en Auvergne, le degré de régionalisation des
chambres, tant en termes de fusions de services que de transfert des cotisations de
l’échelle départementale vers l’échelle régionale, demeure très faible pendant la
période étudiée. Le second objectif a partiellement réussi grâce à l’instauration d’un
pôle de conversion avec le financement de techniciens en agriculture biologique au sein
des chambres. Cependant, la mise en place de ce dispositif va se heurter à une certaine
résistance des représentants professionnels vis-à-vis de l’institution régionale.
31 En effet, l’objectif de ce pôle de conversion financé par le Conseil régional était de
structurer, à l’échelle régionale, un réseau de techniciens en agriculture biologique au
sein de la chambre régionale et de l’interprofession. Il devait être coordonné par
l’interprofession Auvergne biologique. La mise en œuvre de ce projet s’est révélée plus
difficile que prévu, car le Conseil régional a été confronté au refus des acteurs
professionnels de porter en interne la coordination du pôle de conversion. Ce refus
s’explique en grande partie par des soucis de gestion financière au sein de
l’interprofession mais aussi par les tensions entre ses membres qui se sont notamment
traduites par la création du groupement régional des agricultures biologiques.
L’interprofession a finalement dû déposer le bilan en février 2014. Cette incapacité des
représentants régionaux de la filière biologique à animer le pôle de conversion a
conduit le Conseil régional à héberger en interne la coordinatrice du pôle. D’autre part,
la majorité des postes de techniciens ont été financés au sein de structures
départementales (chambre d’agriculture et GAB) et non au sein des structures de
représentations professionnelles régionales comme voulu initialement.
32 Ainsi, malgré des évolutions nationales en faveur du renforcement du Conseil régional
et la volonté politique de l’exécutif régional, la capacité de l’institution à agir sur les
structures de représentation professionnelle reste limitée. Nous allons chercher à
expliquer les raisons de cet échec partiel de la politique régionale qui traduit en creux
une capacité politique encore restreinte de l’institution régionale.

La structuration territoriale des intérêts


professionnels : limitation de la capacité politique
régionale
33 L’incomplétude du processus de renforcement de la capacité politique du Conseil
régional se perçoit par la place encore importante de l’État au sein du cadrage et de la
mise en œuvre des politiques de soutien à l’agriculture biologique. Les enjeux
principaux de représentation des intérêts se jouent ainsi en grande partie dans les
relations développées entre les représentants professionnels et les services de l’État. La
faiblesse de la capacité d’action du Conseil régional s’explique également par la

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persistance d’intérêts professionnels départementaux divergents en Auvergne qui


constituent un frein à la régionalisation de la représentation professionnelle. La
structuration départementale des intérêts professionnels est à l’origine d’une série
d’obstacles à la volonté du président du Conseil régional qui a dû réduire son ambition
concernant la politique de soutien à l’agriculture biologique.

1. La permanence des services de l’État, un obstacle à l’action


régionale

34 La permanence de l’action des services de l’État dans la définition et la mise en œuvre


des politiques de soutien à l’agriculture biologique y compris à l’échelle régionale
illustre une « dépendance au sentier » vis-à-vis du système de la cogestion. Ce concept,
théorisé en science politique par D.C. North puis par P. Pierson, décrit un phénomène
d’autoréférencement d’un choix initial – la cogestion dans notre cas – dont
l’irréversibilité croît avec le temps (North, 1994 ; Pierson, 2000).

Un cadrage contraignant de l’État central

35 L’extension que constitue, en 2014, le transfert de l’autorité de gestion du second pilier


de la Politique agricole commune, pour le renforcement du Conseil régional, mérite
d’être relativisée, car l’État maintient un cadrage national avec lequel les
programmations régionales doivent composer. Dans le domaine de l’agriculture
biologique, les aides à la conversion (conversion à l’agriculture biologique [CAB]) et au
maintien (maintien en agriculture biologique [MAB]) sont obligatoirement ouvertes sur
l’ensemble du territoire national. La seule marge de manœuvre des Conseils régionaux
est la détermination d’un plafond de subvention et, pour les aides au maintien,
l’établissement d’éventuels critères de sélection comme la situation géographique de
l’exploitation. Ils sont dans ce cadre moins décideurs que gestionnaires administratifs
de dossiers de subventions.
36 Ce transfert a eu pour conséquence de transformer le contenu des postes au sein des
services agricoles des Conseils régionaux de missions de concertation et de
communication vers des missions plus techniques de comptabilité et de gestion. Le
profil des agents s’est rapproché de celui de fonctionnaires d’État, avec cependant la
nécessité de gérer la dépendance aux décisions des élus régionaux. Cette hybridation
pose un problème de recrutement qui s’est traduit, en Auvergne, par le refus des agents
des services régionaux déconcentrés d’être transférés vers les services agricoles du
Conseil régional comme en témoigne la directrice des services agricoles :
« Cela leur fait peur de travailler pour des élus alors qu’ils travaillent pour un État qui peut
traiter de manière beaucoup plus lointaine en termes de décisions qu’un élu régional. […] Je
suis obligée au Conseil régional d’être très pluridisciplinaire, en me coltinant des textes très
réglementaires et à la fois d’être capable d’animer des réunions très généralistes. À l’État, les
gens ont plutôt tendance à avoir des domaines réservés. » (Entretien mai 2014, Directrice
des services agricoles du CR auvergnat)
37 Au-delà du cadrage de la PAC, l’État est également déterminant dans le choix des
acteurs participant à l’élaboration des politiques publiques à l’échelle régionale. Ainsi,
la mise en place en 2014 du programme « Ambition bio 2017 » a contribué à
homogénéiser les scènes régionales de régulation en réunissant les acteurs les plus
légitimes nationalement : les chambres d’agriculture, les interprofessions, le réseau

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FRAB (Fédération régionale des agriculteurs biologiques), ainsi que les représentants de
Coop de France, autour d’un copilotage de la DRAAF et du Conseil régional. Si l’État
préfère se retirer des territoires et déléguer une partie de ses compétences au Conseil
régional, il garde un rôle de stratège en définissant des cadres d’action spécifiques
témoins de l’instauration « d’un gouvernement à distance » (Epstein, 2006).
38 Une seconde limite au renforcement de la capacité politique du Conseil régional est
celle de la difficile régionalisation des services déconcentrés de l’État dont les services
départementaux restent très influents dans la mise en œuvre de la politique agricole
commune.

La difficile régionalisation des services de l’État

39 Depuis la fin des années 2000, les gouvernements nationaux successifs ont œuvré en
faveur du rapprochement des services déconcentrés départementaux au profit d’une
organisation régionale de l’administration territoriale d’État. La réforme de
l’administration territoriale de l’État, initiée en 2010, procède ainsi à une
régionalisation de la plupart des services déconcentrés de l’État (Bezes et Le Lidec,
2010).
40 Dans cette réorganisation, le secteur agricole fait cependant figure d’exception, car
l’autorité hiérarchique de la DDT reste le préfet départemental et non la DRAAF. Aussi,
le cœur de l’organisation technique des services agricoles se maintient à l’échelon
départemental. L’absence d’une relation hiérarchique entre la DRAAF et la DDT pose
des problèmes majeurs de coordination au Conseil régional auvergnat. En effet, selon la
Directrice des services agricoles :
« Les DDT ont un fort pouvoir sur le terrain, il n’y a pas de lien hiérarchique entre la DRAAF
et les DDT. On est un peu en difficulté car les DDT sont instructeurs de certaines mesures
dans le cadre de la période transitoire pour le second pilier. Sauf que la DRAAF se positionne
comme une porte d’entrée pour les DDT, elle veut systématiquement être mise dans la boucle
et sa position est donc ambiguë. Nous on essaie de ménager la chèvre et le
chou. » (Entretien mai 2014, Directrice des services agricoles du CR auvergnat)
41 Une spécialisation s’opère entre les DDT qui s’occupent des éléments de mise en œuvre
et la DRAAF qui élabore la stratégie en suivant les orientations du gouvernement, et
tente de rester une courroie de transmission en centralisant les dossiers PAC avant de
les transmettre aux Conseils régionaux. Cependant, les DDT gardent une capacité
d’action non négligeable dans la mise en œuvre des politiques puisqu’elles restent le
seul guichet de demande d’aides de la PAC pour les agriculteurs.
42 Le renforcement du Conseil régional est donc fortement limité par la présence encore
importante des services centraux et déconcentrés de l’État dans l’élaboration et la mise
en œuvre d’une grande partie des actions de développement de l’agriculture biologique
à l’échelle régionale. Cette situation garantit une certaine autonomie d’action des
représentants professionnels à l’égard du Conseil régional, leur permettant de
répondre ou non à ses sollicitations. Les difficultés de ce dernier dans sa relation avec
les représentants professionnels s’expliquent en outre par la prégnance d’intérêts
professionnels départementaux divergents au sein du territoire auvergnat.

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2. Une départementalisation des conflits professionnels dans le


secteur agricole

43 La difficile structuration d’intérêts professionnels régionalisés, qui se traduit aussi bien


dans la profession conventionnelle que chez les agriculteurs biologiques, constitue un
obstacle à la mise en œuvre par le Conseil régional d’une scène de régulation régionale.
Elle s’illustre par un recul du président de l’exécutif régional par rapport à son
ambition initiale, témoin d’une capacité limitée de l’institution à mettre en œuvre ses
orientations.

L’absence d’intérêts professionnels régionaux : l’exception bourbonnaise

44 Afin de saisir les divisions au sein des organisations agricoles auvergnates, il est
nécessaire de revenir sur le contexte économique agricole de l’Auvergne qui présente
de fortes différenciations départementales. La Haute-Loire est spécialisée dans la
production laitière, le Cantal dans l’élevage de bovins allaitants à l’Ouest et de bovins
laitiers à l’Est. Le Puy-de-Dôme est le territoire le plus hétérogène avec une production
de céréale dans la plaine de la Limagne, des exploitations en bovins allaitants au Nord,
des exploitations laitières au Sud et la présence importante du maraîchage autour de
l’agglomération de Clermont-Ferrand. C’est dans l’Allier, où l’élevage de bovins
allaitants est dominant, que l’on trouve la taille moyenne d’exploitation la plus grande
(88 ha en 2010). Ses caractéristiques géographiques et agricoles en font un territoire
particulièrement homogène dont les propriétés se distinguent de celles des autres
départements auvergnats.
45 Cette différenciation est renforcée par les caractéristiques socio-historiques du
département. L’Allier correspond aux frontières de l’ancienne province du
Bourbonnais, dont l’histoire est toujours restée en marge de la province auvergnate. Le
territoire a longtemps présenté une structure agricole de fermage avec une forte
présence de propriétaires terriens issus de la petite noblesse ou de la bourgeoisie. Au
XIXe siècle s’est structuré, dans ce département, un mouvement d’émancipation des
paysans, terreau du développement d’un communisme rural. Aujourd’hui encore, cet
héritage se perçoit par la présence importante d’élus locaux communistes ainsi que,
dans la profession agricole, par l’existence du Mouvement de défense des exploitants
familiaux (MODEF) syndicat proche du Parti Communiste particulièrement influent
dans les années 1990 au sein de la chambre d’agriculture de l’Allier. Même si ce
syndicat a perdu de son importance, au profit d’une émanation locale de la FNSEA, la
chambre d’agriculture de l’Allier garde un statut particulier dans la région, comme
l’illustre le porte-parole du GRAB Auvergne :
« Quand on siège en commission d’orientation régionale d’économie agricole et rurale, le
président de la chambre d’agriculture de l’Allier siège aux côtés du président de la chambre
régionale. » (Entretien octobre 2016, Porte-parole du GRAB Auvergne)
46 De même, le directeur de la chambre d’agriculture de l’Allier souligne les nombreux
liens que les conseillers de la chambre développent avec leurs collègues de la Nièvre, du
Cher ou de la Saône-et-Loire pour des échanges de pratiques. Ces départements
présentent des caractéristiques proches de l’Allier mais sont extérieurs à la région
Auvergne.

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47 L’hétérogénéité agricole départementale de l’Auvergne avec l’exacerbation des


différences autour de l’Allier constitue un obstacle à la structuration d’intérêts
professionnels régionaux ce qui contribue à affaiblir les organes régionaux de
représentation professionnelle : la chambre d’agriculture régionale, l’interprofession
biologique et plus récemment le groupement régional des agriculteurs biologiques
d’Auvergne. Elles ne peuvent alors pas constituer un point d’appui pour la mise en
œuvre de la politique de soutien à l’agriculture biologique du Conseil régional comme
souhaité par l’exécutif.

L’impossible régionalisation des chambres d’agriculture

48 Les chambres d’agriculture connaissent en France depuis les années 2010 un


mouvement de régionalisation qui reste inabouti en Auvergne. Les organes consulaires
ont été créés en 1924 à l’échelle du département. Les chambres régionales d’agriculture
n’apparaissent qu’en 1982 et les élus qui y siègent sont des élus départementaux. Leur
dépendance vis-à-vis des chambres départementales est forte puisque leur financement
dépend de cotisations départementales. La chambre régionale a principalement un rôle
de coordination et de représentation auprès du Conseil régional et de la DRAAF. Les
difficultés qu’elle rencontre en Auvergne pour se renforcer, du fait de la structuration
départementale des intérêts professionnels au sein du territoire, se concrétisent par le
refus des chambres départementales d’augmenter la part des cotisations dédiée à
l’échelon régional. Le taux de transfert est en effet d’à peine 5 %. Les faibles moyens
financiers et en personnels de la chambre régionale réduisent considérablement sa
capacité d’orienter la profession agricole.
49 Cela a obligé l’exécutif du régional, dans le cadre du pôle de conversion, à traiter
directement avec l’échelon départemental en finançant des postes de techniciens en
agriculture biologique hébergés au sein des chambres départementales, mais référents
pour une filière à l’échelle régionale. L’organisation départementale des acteurs est si
fortement institutionnalisée depuis plus de cinquante ans qu’elle constitue un frein au
changement d’échelle.
50 Cependant, l’échec partiel de la mise en œuvre de la politique du président auvergnat
est surtout dû à la faiblesse des organes régionaux de représentation de l’agriculture
biologique. La fragilité de ces institutions, accentuée par des conflits au sein des
agriculteurs biologiques ont empêché le Conseil régional de faire d’elles la clé de voûte
de sa politique.

Les conflits au sein des agriculteurs biologiques comme obstacles à la


régionalisation

51 Nous avons en première partie montré comment le développement de la politique


régionale auvergnate de soutien à l’agriculture biologique a participé malgré elle à
révéler des conflits entre différents groupes de producteurs biologiques. Ces conflits se
sont avérés en retour des facteurs d’affaiblissement de la capacité politique du Conseil
régional puisqu’ils ont entravé la mise en place de relations institutionnelles stabilisées
entre ce dernier et les représentants de l’agriculture biologique à l’échelle régionale.
52 Cette situation s’explique en grande partie car, dans le cas observé, la divergence
d’intérêts entre agriculteurs biologiques alternatifs et conventionnalistes recoupe des
réalités territoriales d’implantation de filière, entre un groupe d’agriculteurs

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biologiques de l’Allier, la plupart éleveurs proches de l’interprofession et un groupe de


maraîchers du Puy-de-Dôme à l’origine de la création du GRAB. Les membres du GAB
Allier bio qui étaient contre la création du GRAB ont ainsi refusé, dans un premier
temps, de reconnaître la nouvelle structure, car ils considéraient que celle-ci ne
représentait pas les intérêts de l’ensemble des agriculteurs biologiques de la région. Ces
tensions internes ont considérablement affecté la politique du Conseil régional qui n’a
lui-même reconnu le GRAB qu’en 2013 soit deux ans après sa création. Les propos de la
directrice des services agricoles du Conseil régional témoignent de ces difficultés :
« Nous, on n’en peut plus de ces conflits. C’est aussi un signal qu’on donne en disant qu’il n’y
a plus de chargée de mission au Conseil régional à 100 % sur la bio. Maintenant, ça suffit
vous vous débrouillez. » (Entretien mai 2014, Directrice des services agricoles du
Conseil régional auvergnat)
53 La chargée de mission agriculture biologique au sein du Conseil régional a en effet vu
ses missions évoluer, puisqu’en 2014 son poste s’est élargi en direction de l’ensemble
des labels de qualité. Les conflits au sein des représentants de l’agriculture biologique
ont engendré un recul de l’exécutif régional.
54 L’analyse localisée de la mise en œuvre de la politique régionale témoigne ainsi de la
capacité politique encore faible de l’institution régionale. Cette dernière rencontre des
difficultés à structurer une régulation de l’agriculture biologique à l’échelle régionale,
car les intérêts professionnels se structurent encore principalement aux échelles
départementale et nationale. Le Conseil régional reste fortement dépendant, dans la
mise en œuvre des dispositifs, d’organes de représentation professionnelle
départementaux et ne parvient ainsi que de manière limitée à « fixer des orientations
stratégiques pour l’allocation de ressources publiques » (Painter et Pierre, 2005).
55 Si nous reprenons les catégories d’analyse de P. Le Galès et C. Lequesne dans leur
ouvrage concernant les Paradoxes des régions, nous nous situons dans le cas de
l’Auvergne face à une régionalisation sans régionalisme (Le Galès et Lequesne, 1997).

Conclusion
56 Cet article démontre tout d’abord que le mouvement de renforcement de la capacité
politique du Conseil régional, dans le domaine des politiques de soutien à l’agriculture
biologique en Auvergne entre 2004-2015, s’explique par une rencontre entre des
évolutions législatives nationales et des évolutions politiques endogènes. Ces dernières
sont liées à la volonté du président du Conseil régional de porter une politique de
soutien à l’agriculture biologique comme réponse aux enjeux économiques du territoire
régional.
57 Cependant, notre enquête a mis en évidence, dans le cas auvergnat, deux obstacles à ce
mouvement. Tout d’abord, le poids encore important de l’État au sein des politiques
observées assure une certaine autonomie aux groupes d’intérêts régionalisés et limite
celle de la collectivité régionale. D’autre part, la surdétermination de l’échelon
départemental dans la structuration des intérêts professionnels en Auvergne favorise
une territorialisation infrarégionale des conflits au sein de la profession agricole. Il
s’agit d’un obstacle à l’avènement d’une capacité politique renforcée du Conseil
régional.
58 Dans notre cas d’étude, le recul du président du Conseil régional par rapport à son
ambition initiale traduit une forte interdépendance entre la capacité politique de

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l’institution et le degré de régionalisation des intérêts sectoriels. Celle-ci invite


méthodologiquement à adopter un point de vue analytique territorial et sectoriel, afin
de percevoir les liens entre la structuration économique du territoire,
l’institutionnalisation de la représentation des intérêts économiques et la capacité
politique du Conseil régional. Le cas auvergnat montre que la division territoriale des
représentants professionnels régionaux est à la fois un facteur et un produit de la
capacité politique encore limitée du Conseil régional.
59 Ce résultat, même s’il aboutit en Auvergne à une limitation du phénomène de
régionalisation, laisse envisager que, malgré une présence encore forte des services de
l’État, la différenciation entre les politiques régionales de soutien à l’agriculture
biologique aura tendance à s’accroître en France en fonction de la volonté politique des
exécutifs régionaux et de la configuration territoriale des intérêts professionnels.
60 Berriet Solliec M., Trouvé A. (2010). La politique agricole commune est-elle
territoriale ? In Hervieu B., Mayer N., Muller P., Purseigle F., Rémy J. (dir.). Les mondes
agricoles en politique. Paris, Les Presses de Science Po, pp. 397-413.

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NOTES
1. Le terme de régulation fait ici référence à un mécanisme de gouvernement défini par trois
dimensions : « le mode de coordination de diverses activités ou de relations entre les acteurs ;
l’allocation des ressources en lien avec ces activités ou ces acteurs gouvernés ; la structuration
des conflits (empêchés ou résolus) » (Borraz et Le Galès, 2010).
2. Il s’agissait à l’époque des anciennes Directions départementales de l’agriculture (DDA).
Depuis leur fusion le 1er janvier 2010 avec les Directions départementales de l’équipement (DDE),
il s’agit des Directions départementales des territoires (DDT).
3. La littérature dite des « territorial politics » est un courant de recherche en science politique
qui regroupe divers travaux ayant pour point commun de s’intéresser aux territoires comme
sujet du politique. Une revue de ces travaux a été réalisée par M. Keating dans son article « Thirty
Years of Territorial Politics » paru dans la revue West European Politics (Keating, 2008).
4. Nous avons réalisé dans le cadre de notre thèse 25 entretiens semi-directifs sur la période
d’octobre 2014 à avril 2017 en Auvergne et en Auvergne-Rhône-Alpes. Cependant, dans cet
article, nous utilisons uniquement les entretiens pertinents pour expliquer le cas auvergnat, sur
la période 2004-2015 soit avant la fusion de janvier.
5. La loi de modernisation agricole et de la pêche, 27 juillet 2010 ; la loi d’avenir pour
l’agriculture l’alimentation et la forêt, 11 septembre 2013 ; la loi Modernisation de l’Action
Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (Maptam), 27 janvier 2014 ; la loi Nouvelle
Organisation Territoriale de la République (NOTRe), 7 août 2015.
6. Une structure nationale de représentation des coopératives agricoles, agroalimentaires, agro-
industrielles et forestières.
7. Le second pilier de la PAC inclut depuis 2010 les aides à la conversion et au maintien en
agriculture biologique.
8. L’article 2 de la loi NOTRe stipule ainsi que « la région est la collectivité territoriale
responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement
économique ».

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


33

RÉSUMÉS
Cet article interroge les liens entre la capacité politique du Conseil régional et la structuration
territoriale des représentants professionnels agricoles. L’analyse de la politique de soutien à
l’agriculture biologique portée par le Conseil régional auvergnat de 2004 à 2015 témoigne d’un
renforcement des ressources institutionnelles de la collectivité qui s’explique notamment par le
volontarisme politique du président de l’exécutif régional. Cependant, la prégnance de la place de
l’État et l’impossible régionalisation des intérêts professionnels constituent des obstacles majeurs
à l’action du Conseil régional. L’organisation territoriale des intérêts professionnels apparaît
dans ce cadre comme facteur et témoin de la capacité politique de l’institution régionale.
This paper examines the links between the Regional Council’s political capacity and the
territorial structuring of professional agricultural interests. Analyzing the case of the Auvergne
Regional Council’s organic farming policy from 2004 to 2015, one can perceive a strengthening of
its institutional resources in particular due to the strong political will of the regional executive.
However, the predominance of state power and the impossible regionalization of professional
interests constitute significant obstacles for the Regional Council, which must lower its
expectations. The territorial structure of professional interests appears to be both a factor of and
witness to the Regional Council’s policy capacity.

INDEX
Keywords : regionalization, agricultural policy, professional representation, organic farming,
policy capacity
Mots-clés : régionalisation, politique agricole, représentation professionnelle, agriculture
biologique, capacité politique
Code JEL R50 - General

AUTEUR
LÉA SENEGAS
Laboratoire Arènes-UMR 6051, Université Rennes 1, EHESP, IEP de Rennes

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Pourquoi rester en « ville


moyenne » ? Le cas d’entreprises
agroalimentaires d’Occitanie
Why remain located in small cities? The case of agrifood firms in Occitanie
(France)

Geoffroy Labrouche et Rachel Levy

NOTE DE L'AUTEUR
Cette recherche a bénéficié du soutien du Programme PSDR4 (projet REPROINNOV,
2016-2020), financé par l’INRA et la Région Occitanie.

1 « En France, le déclin des villes de province est celui d’un marqueur de son identité »,
titrait le New York Times dans un article du 28 février 2017 à propos d’Albi, petite ville
du Sud-Ouest de la France. La question du déclin des villes moyennes couplé à l’essor de
la métropolisation est un sujet régulièrement abordé par les journalistes, mais aussi par
les chercheurs en sciences humaines (Davezies, 2010). Les politiques territoriales
impulsées ces vingt dernières années ont d’ailleurs suivi cette direction, en considérant
que l’espace métropolitain devait jouer le rôle de fournisseur exclusif des ressources
nécessaires au développement (Campagnac-Ascher, 2015 ; Demazière, 2017). Au niveau
international, ceci se traduit par l’idée que la compétitivité des pays industrialisés
repose sur des villes toujours plus denses et de moins en moins dans la périphérie.
Cette thèse est cependant critiquée en France par Bouba-Olga et Grossetti (2015) et
l’objet de recherche « ville moyenne » constitue une tradition d’étude qui implique
différentes disciplines des sciences sociales et particulièrement la géographie
(Demazière, 2014). Dans cette lignée, cet article se consacre à l’étude des villes
moyennes en tant que zones urbaines spécifiques situées dans un espace intermédiaire
entre les métropoles et les espaces ruraux, qui leur confère un intérêt.

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2 Les villes moyennes ont cette spécificité d’être l’objet d’un discours depuis une
cinquantaine d’années, porteur de valeurs vertueuses et qualitatives (Demazière, 2017).
Ce discours met en avant des valeurs de convivialité villageoise et d’accès à la nature
associées à une qualité de l’offre de service et d’aménagement destinée à attirer de
futurs habitants ainsi que des touristes (Mainet, 2011). Cet article tente de dépasser ce
discours en étudiant les spécificités en termes d’avantages et d’inconvénients que peut
représenter une localisation dans une ville moyenne pour une entreprise. Il traite en
particulier du cas de l’industrie agroalimentaire, qui entretient des liens étroits de
proximité avec les ressources agricoles locales (Fearne et al., 2013). L’objectif de cet
article est donc de faire émerger des facteurs de différenciation – du point de vue des
entreprises – des villes moyennes vis-à-vis des territoires tant ruraux qu’urbains. Il
cherche également à savoir s’il existe des facteurs de différenciation entre villes
moyennes.
3 L’article est structuré en trois parties. La première passe en revue la littérature
consacrée aux spécificités des villes moyennes mais aussi des zones métropolitaines et
rurales. La deuxième présente les données et les aspects méthodologiques. Enfin, la
troisième partie fait émerger les avantages et les inconvénients de la localisation en
ville moyenne. Deux cas de villes présentant des caractéristiques particulières sont
développés plus en détail : Cahors et Rodez.

Villes moyennes, métropoles et zones rurales.


Principales caractéristiques et éléments de
différenciation
4 L’objectif de cet article est d’identifier les caractéristiques idiosyncrasiques des villes
moyennes qui permettent de différencier ces espaces spécifiques des espaces urbains
métropolitains d’une part et ruraux d’autre part. Afin d’atteindre cet objectif, cette
première partie revient sur les principales caractéristiques et éléments de
différenciation de ces trois types d’espaces que sont la ville moyenne, la métropole et la
ruralité.

1. La ville moyenne : une forme spécifique de territoire

5 La ville moyenne est souvent définie comme « un objet réel non identifié » (Brunet,
1997). Elle rassemble une multitude de définitions qui tentent d’en dessiner les
contours. Cependant, les auteurs s’accordent sur le fait que la ville moyenne fait
référence à des aspects de taille et de fonctionnalité de la ville (Santamaria, 2000 ;
Nadou, 2010), malgré des différences de points de vue tant sur les seuils de population,
allant de 20 000 à 30 000 habitants jusqu’à 100 000 à 200 000 habitants, que sur l’objet
d’étude analysé : ville centre ou aire urbaine. Levy et al. (2013) ont défini les villes
moyennes comme des aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants (de la même manière
que les travaux menés à l’échelle européenne dans le cadre de l’ESPON (2008), alors que
Floch et Morel (2001) les définissent comme des villes de 20 000 à 100 000 habitants. Les
villes moyennes sont également définies comme des zones « non métropolitaines »
reconnues pour leur rôle organisationnel sur le territoire : administration diversifiée,
système éducatif développé, structures de santé, services aux individus et aux
entreprises, vie intellectuelle et parfois structures universitaires (Santamaria, 2000).

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Elles ont un rôle important à jouer dans l’évolution des modes de vie et en particulier
dans la satisfaction du désir de nature des individus. Les évolutions à la hausse des prix
du foncier et de l’immobilier métropolitains, l’image négative de la grande ville, la
concentration de la vie sociale sur la sphère familiale et l’accroissement des mobilités
tendent à renforcer le rôle de ces villes de taille inférieure (Bailly et Bourdeau-Lepage,
2011). Certaines études remettent en cause l’effet des métropoles sur le développement
économique au profit des villes de « second rang ». En particulier, Camagni et al. (2015)
montrent que les villes de taille plus modeste compensent les plus faibles effets
d’agglomération en développant un certain nombre de fonctions et notamment celle de
connexion avec d’autres villes.
6 La ville moyenne renvoie donc à une notion de relais, un lieu d’intermédiation dans
l’armature urbaine d’un pays ou d’une région (Charbonneau et al., 2003 ; Zuliani, 2004 ;
Nadou, 2010). Elle conserve une primauté forte sur la fourniture de services aux
entreprises et à la population, exerçant ainsi une fonction « quasi métropolitaine » sur
leur hinterland (Zuliani, 2004). Ce rôle structurant de l’espace entre la métropole et le
rural à travers des fonctions socio-économiques importantes met en exergue une
nécessité de double connectivité (Nadou, 2010). En effet, la ville moyenne se caractérise
par une connectivité interne vis-à-vis de son hinterland via des fonctions utilitaires.
Mais elle bénéficie également d’une connectivité externe vers le niveau métropolitain,
voire national. La connectivité de la ville moyenne permet ainsi de raccrocher des
acteurs ruraux à des réseaux de services, d’emploi ou d’équipement qui seraient
difficiles à atteindre sans cet intermédiaire.
7 Il convient, avant de se risquer à caractériser plus en détail les villes moyennes, de les
distinguer du « périurbain » ou de la « rurbanisation ». Le concept de périurbain
exprime la diffusion de l’urbain dans le rural en lien avec l’évolution des modes de vie
(Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009). Ces espaces situés autour de la ville se caractérisent
par un cadre de vie plutôt rural avec des habitants qui travaillent à la métropole à
travers des déplacements quotidiens. Ces espaces, principalement résidentiels, sont
donc polarisés et caractérisés par de l’étalement urbain et des zones pavillonnaires
(Mora et al., 2012). On parle de « ruralité résidentielle » (Huriot et Bourdeau-Lepage,
2009 ; Bailly et Bourdeau-Lepage, 2011). Le périurbain fait donc partie de la ville (Bailly
et Bourdeau-Lepage, 2011), la ville moyenne pouvant d’ailleurs elle-même disposer
d’espaces périurbains.
8 La ville moyenne constitue donc un espace urbain spécifique situé en position
intermédiaire entre la métropole et la campagne rurale. Cet espace peut ainsi combiner
les avantages des zones métropolitaines et rurales, en particulier pour les entreprises
agroalimentaires qui ont besoin de se trouver à proximité des ressources agricoles ainsi
que d’accéder à un certain nombre de services. De ce constat émerge une première
hypothèse :
9 H1 : Les entreprises agroalimentaires localisées dans des villes moyennes tirent parti de manière
conjointe des avantages urbains et ruraux sans en subir les inconvénients.
10 Une fois cette hypothèse validée, il s’agira de détailler grâce à notre étude les avantages
(urbains et ruraux) dont mettent à profit les entreprises agroalimentaires localisées
dans des villes moyennes.
11 Les villes moyennes possèdent une matérialité fortement inscrite dans l’histoire et les
cultures locales (Guay et Hamel, 2004) et la gamme des systèmes économiques qu’elles

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sont susceptibles de développer est étendue (Carrier et Demazière, 2012). En effet, ces
systèmes dépendent en grande partie de l’appareil industriel de la ville, du
développement des services à l’entreprise (Zuliani, 2004) ou encore de la présence
d’universités. En conséquence, la littérature met en avant des trajectoires différentes
au sein des villes moyennes. Lorsque certains auteurs soulignent un recul de l’emploi
dans les villes moyennes (Davezies et Pech, 2014), d’autres observent, au contraire, un
développement de ces dernières (Bouba-Olga et al., 2012). C’est pourquoi une seconde
hypothèse émerge :
12 H2 : Au sein des villes moyennes, il existe des critères de différenciation qui expliquent des
différences de dynamisme économique.
13 En cas de validation de cette hypothèse, il s’agira de déterminer ces critères de
différenciation.
14 Afin de mieux cerner les spécificités des villes moyennes, les caractéristiques des zones
métropolitaines et rurales vont être passées en revue.

2. La métropole : espace urbain de référence

15 Les villes moyennes sont avant tout des villes, c’est-à-dire des espaces urbanisés.
L’espace urbanisé par excellence demeure, semble-t-il, la métropole. En effet, l’idée de
la métropole comme moteur de la croissance économique et du développement est une
idée répandue dans la communauté scientifique qui influence directement les réformes
politiques (Bouba-Olga et Grossetti, 2015). Les espaces métropolitains se caractérisent
également par des taux d’innovation supérieurs (Malmberg, 1997) induits par la
concentration géographique des acteurs.
16 Pour les tenants de la Nouvelle Économie Géographique, Krugman (1991) notamment,
les logiques d’agglomération sont le moteur de la dynamique des échanges. Ainsi, la
concentration spatiale permet de bénéficier de rendements croissants et d’une
réduction des coûts de transaction laissant penser que la concentration spatiale des
activités serait la clé du développement économique notamment en France (Davezies et
Pech, 2014). Pour les entreprises, ces espaces se caractérisent aussi par des accès
facilités aux infrastructures de transport et aux plateformes logistiques (Mayneris,
2017), à une main-d’œuvre qualifiée (Reynaud et Bouvet, 2016), voire à une plus grande
diversité de la main-d’œuvre qualifiée (Frenken et Boschma, 2007).
17 Ces espaces se caractérisent aussi par l’accès facilité aux externalités positives issues
des effets d’agglomération (Billings et Johnson, 2016) qui permettent ainsi d’atteindre
une masse critique d’investissements et d’infrastructures qui favoriseraient
l’entrepreneuriat et l’innovation (Pezzini, 2001 ; Audretsch et Feldman, 2004). Ces
espaces peuvent conduire à l’émergence de clusters (Porter, 1998). Ceux-ci regroupent
une variété d’entreprises et d’acteurs spécialisés dans un domaine et permettent
d’accroître la compétitivité économique par des dynamiques d’innovation, amplifiées
par les effets d’agglomération ; même si certains auteurs (Becattini, 1992) ont pu mettre
en évidence l’existence de districts industriels dans des territoires non métropolitains.
Les métropoles sont également vues comme le lieu où réside la classe créative (Florida,
2002). Les effets d’agglomérations se retrouvent de la même manière dans les sphères
culturelle et créative et dans l’offre culturelle (Guillon et Ambrosino, 2016).

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18 Ces différentes caractéristiques se retrouvent dans une certaine mesure dans les villes
moyennes. Tallec (2012) montre par exemple que l’innovation peut se produire en
dehors des espaces métropolitains et en particulier dans les villes moyennes. Guéraut
(2017) montre, quant à lui, que les villes moyennes connaissent un retour de main-
d’œuvre qualifiée tentant d’échapper à la concurrence du marché du travail des
métropoles. Les villes moyennes en tant qu’espace urbain permettent aussi l’accès à un
certain nombre de services et de commerces (Bochet et al., 2004). L’accès à ces services
dans les villes moyennes tels que les soins de santé, l’éducation et les commodités
impactent la population et les entreprises locales mais jouent également un rôle
important dans les liens ruraux-urbains puisqu’elles servent également la population
environnante localisée dans l’hinterland de la ville (Satterthwaite et Tacoli, 2003).
19 En synthèse, parmi les avantages urbains dont peuvent tirer parti les entreprises
agroalimentaires localisées en ville moyenne, les facteurs suivants sont susceptibles
d’émerger : l’accès à un marché du travail local plus important et plus efficient, l’accès
à des infrastructures de transport et de logistique, l’accès à des services de base et
l’existence d’effets d’agglomération dus à la présence de districts industriels ou de
clusters.

3. Les zones rurales et leurs spécificités

20 À l’opposé des zones métropolitaines, les zones rurales se caractérisent par un faible
degré d’agglomération. La figure centrale du monde rural aujourd’hui est représentée
par la campagne comme cadre de vie (Bigot et Hatchuel, 2001 ; Perrier-Cornet et
Hervieu, 2002). Le monde rural apparaît comme un antidote à la ville, traduisant une
évolution du style de vie des individus (Mora et al., 2012). La ruralité n’est donc plus
appréhendée comme un unique espace de production agricole mais comme un espace
cadre de vie. Cet aspect des zones rurales est d’autant plus fort que la montée des
préoccupations environnementales et le rejet de la grande ville entraînent un désir de
retour à un cadre de vie naturel d’idylle rurale (Bailly et Bourdeau-Lepage, 2011). Les
villes moyennes permettent de répondre à ces conditions dans les régions à
prédominance rurale en attirant des personnes à la recherche d’un mode de vie
spécifique (Delfmann et al., 2014). Ainsi, les évolutions des modes de transport et de
communication permettent de compenser les aspects négatifs en faisant de l’espace
rural un lieu d’épanouissement et de liberté (Mora et al., 2012).
21 Les zones rurales permettent également d’accéder à du foncier abondant et abordable
(Lecat, 2004). Elles permettent aussi de pallier les externalités négatives des zones
métropolitaines – qui par ailleurs renforcent les avantages et la valeur des aménités des
zones rurales (Blanc, 1997).
22 Dans le cas particulier d’entreprises du secteur agroalimentaire, certaines
caractéristiques rurales peuvent concourir à leur avantage concurrentiel. La littérature
sur le développement régional souligne l’importance des spécificités locales dans les
zones faiblement peuplées telles que les commodités, les intrants ou les ressources
(McGranahan et al., 2011 ; Naldi et al., 2015). De plus, les entreprises agroalimentaires
sont situées à proximité de la ressource agricole (Triboulet et al., 2015) et peuvent aussi
accéder à une main-d’œuvre agricole. Ménage (2011) met en évidence un effet « ville
moyenne » au moment de la création et de l’implantation des entreprises lié à des
marchés locaux ou des liens interpersonnels. Cet effet sera renforcé dans le secteur

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agricole où la localisation dans un espace rural permet d’accéder à un processus de


valorisation du territoire dans un espace rural (Couzinet et al., 2002) malgré des
différences entre les filières de production agricole (Torre et Pham, 2015).
23 Il est ainsi possible de conclure que, parmi les avantages dont peuvent bénéficier les
entreprises agroalimentaires localisées en villes moyennes, se dessinent un cadre de vie
agréable et proche de la nature, un coût du foncier moindre, mais aussi, plus
particulièrement dans le secteur de l’agroalimentaire, une proximité avec la ressource
agricole, l’accès à une main-d’œuvre agricole qualifiée et à un processus de valorisation
du territoire.
24 Afin de tester l’ensemble des hypothèses formulées précédemment, la méthodologie
mise en œuvre est détaillée dans la section suivante.

Méthodologie et données
25 Les hypothèses proposées sont testées grâce à des études de cas construites à partir
d’entretiens semi-directifs. Dix entreprises localisées dans cinq villes moyennes de la
région Occitanie ont été enquêtées. En effet, Demazière (2017) souligne que par rapport
aux travaux sur les dynamiques métropolitaines, les travaux étudiant l’encastrement
des activités économiques dans les structures sociales (Granovetter, 1985) par des
méthodes qualitatives semblent plus adaptés pour étudier les villes moyennes, à
l’inverse des approches focalisées sur les effets d’agglomération cherchant à expliquer
la croissance des villes (Carrier et Demazière, 2012). Les données ont été analysées
grâce au logiciel NVivo. Après une présentation du corpus d’entretiens, la démarche
méthodologique de l’étude et les caractéristiques du logiciel seront détaillées.

1. Les données : sélection des villes moyennes et des cas


d’entreprises innovantes

26 L’article entend dégager les facteurs de différenciation des villes moyennes à travers les
déterminants de la localisation des entreprises agroalimentaires dans ces espaces. La
démarche méthodologique a consisté dans un premier temps à sélectionner un
ensemble de cinq villes moyennes localisées en Occitanie. Ces villes ont été
sélectionnées selon un double critère de taille – une aire urbaine dont le pôle d’emploi à
la population de sa ville centre comprise entre 20 000 et 100 000 habitants (Floch et
Morel, 2001) – et de fonction – critères géographiques et fonctionnels : distance aux
métropoles, présence de services de base et de centres de décision administratifs et
connectivité de la ville (insertion dans les réseaux de transport, accès aux TIC). Ainsi,
Cahors, Rodez, Montauban, Alès et Béziers ont été retenues.
27 Le tableau 1 présente une synthèse des caractéristiques de chacune de ces villes
permettant d’expliquer les critères de choix abordés dans la partie ci-dessus.

Tableau 1. Caractéristiques de villes moyennes sélectionnées

Ville Cahors Rodez Montauban Alès Béziers

Données socio- Taille1 44 255 85 181 107 436 114 137 171 010
économiques

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40

Surface (en km²) 715,9 1 066 795,80 653,90 708,40

Fonctions Sous- Sous-


Préfecture Préfecture Préfecture
urbaines préfecture préfecture

Nombre
4 941 9 292 11 296 11 257 20 010
d’établissements2

Nombre
d’établissements 17 36 21 22 31
IAA3
Environnement
économique
Taux de
13.9 13.9 14.20 19.30 18.60
chômage4

Présence d’une
chambre de Oui Oui Oui Oui Oui
commerce

Présence d’un
Non Oui Non Non Oui
aéroport

Présence d’une
Non Non Oui Non Oui
gare TGV

Proximité avec
Infrastructures Oui Non Oui Non Oui
l’autoroute
de transport
Toulouse
Distance aux 135 km
Toulouse Toulouse Montpellier Montpellier
métropoles (et (1h48)
115 km 60 km 95 km 87 km
temps de Montpellier :
(1h25) (0h45) (1h30) (1h00)
transport) 160 km
(2h30)

Source : les auteurs.

28 La seconde étape a consisté à répertorier les entreprises du secteur de


l’agroalimentaire5 localisées dans les communes appartenant aux 5 aires urbaines
sélectionnées. Finalement, 10 études de cas d’entreprises6 aux caractéristiques variées
(tableau 2) ont été réalisées.

Tableau 2. Caractéristiques des cas d’entreprises étudiées

Fonction de la
Taille (nombre Date de création
Entreprises Ville Activité personne
d’employés) de l’entreprise
interviewée

Négoce et
E1 Alès 2 2008 Dirigeant
élevage de vin

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41

Production de
E2 Béziers 5 2016 Associé
bière

Fabrication de
E3 Cahors 17 1983 Dirigeant
meringue

Produits
E4 Cahors 10 1996 Dirigeant
régionaux

Produits
E5 Cahors 10 1897 Dirigeant
truffés

Aliment pour
E6 Montauban 6 1992 Dirigeant
bétail

Production de Directeur
E7 Rodez 300 1970
viande industriel

Produits
E8 Rodez 17 1988 Dirigeant
régionaux

Directeur des
Sélection
E9 Rodez 1000 1960 affaires
variétale
scientifiques

Production de Responsable
E10 Rodez 130 1994
viande qualité

Source : les auteurs.

2. Méthode de l’entretien semi-directif

29 La récolte des données s’est faite par entretiens semi-directifs. Le choix d’une
méthodologie qualitative est fondé sur le fait que les données sont particulièrement
bien adaptées aux cas intégrés dans un contexte singulier – lié notamment aux
caractéristiques de l’environnement. Elles permettent d’étudier la stratégie d’une
entreprise de manière globale et dynamique et sont particulièrement indiquées lorsque
la question concerne de nouveaux domaines théoriques, la compréhension de
phénomènes peu étudiés et l’étude de variables non encore spécifiées ou testées (Glaser
et Strauss, 1967 ; Shah et Corley, 2006 ; Yin, 2014). Ces méthodologies se concentrent
sur les processus, l’expérimentation et fournissent un moyen de développer une
compréhension des phénomènes complexes du point de vue de ceux qui les éprouvent
(Miles et Huberman, 1991). Les études de cas qui suivent sont essentiellement fondées
sur des données primaires issues d’entretiens semi-directifs 7.
30 Le guide d’entretien comprenait notamment des questions relatives à l’histoire de
l’entreprise, son activité, ses marchés, ainsi qu’au parcours professionnel du dirigeant
et des questions sur les avantages et des inconvénients d’être localisé dans une ville
moyenne. Finalement, 10 entretiens dans 5 villes moyennes ont été réalisés entre le

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


42

20 février et le 4 septembre 2017 et ont ensuite été retranscrits mot à mot puis codés à
l’aide du logiciel Nvivo.

3. Traitement des données avec NVivo

31 Les retranscriptions des entretiens ont été traitées grâce au logiciel Nvivo.
Contrairement aux logiciels d’analyse lexicale, le logiciel Nvivo n’a pas pour objectif
principal de faire de l’analyse textuelle à partir de recherche de mots mais d’aider le
chercheur dans sa démarche d’analyse qualitative thématique d’un corpus de
documents, en lui fournissant un outil de classement et d’organisation d’informations
puis des possibilités informatiques de recherche (Bazeley et Jackson, 2013). Dans le cas
du logiciel Nvivo, la démarche consiste à opérer une décontextualisation-
recontextualisation du corpus à analyser (Deschenaux et Bourdon, 2005). Il s’agit en
premier lieu de construire des catégories thématiques regroupant des segments de
textes indépendants – autrement dit de coder le corpus, puis en deuxième lieu d’établir
des relations entre les codes afin de créer un ensemble porteur de sens. Nvivo permet
ainsi d’organiser cette décontextualisation en construisant une nouvelle structure. Le
codage de données dans le logiciel Nvivo se fait donc à partir de plusieurs catégories
d’éléments principaux : le cas, le nœud, la source, la référence. Ces différents éléments
et leurs applications dans le cadre de notre étude sont définis dans le tableau 3 suivant.

Tableau 3. Types de catégories d’éléments d’analyse à partir le logiciel Nvivo

Nombre et type de
Type
Définition catégories dans le
d’éléments
cadre de notre analyse

5 cas de villes
Cas Unité d’analyse : chaque cas est composé de sources
moyennes

10 sources :
retranscriptions
Sources Corpus de documents importés dans le logiciel
d’entretiens avec
10 entreprises

Le nœud représente le code. Chaque nœud est défini a priori


1re étape de codage :
par les analystes soit à partir de la littérature soit en
5 nœuds : avantages,
émergeant au fur et à mesure de l’analyse. Chaque nœud
inconvénients, ruraux,
correspond ainsi à un thème précis, une idée ou une
Nœuds urbains, villes
catégorie. Le codage à partir de « nœuds » permet ainsi de
moyennes
trier et de générer de la cohérence dans le jeu de données et
ensuite de visualiser comment ces dernières peuvent 2e étape de codage :
permettre de répondre à la question de recherche. 35 nœuds (cf. tableau 4)

Verbatim (segment de texte) encodé dans un ou plusieurs


Références 246 références au total
nœuds par l’analyste.

Source : les auteurs.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


43

32 L’analyse thématique des entretiens commence donc à l’étape du codage, c’est-à-dire à


l’instant où le chercheur affecte les différentes séquences de texte aux nœuds entrés
dans le logiciel (Thietart, 2014). La détermination des nœuds dépend de la démarche
méthodologique entreprise par le chercheur. Dans notre étude, le codage a été réalisé
en deux étapes grâce à une première phase de codage a priori puis une seconde phase de
codage a posteriori (Allard-Poesi, 2003 ; Avenier et Thomas, 2015). Le but étant de créer
un processus de conceptualisation progressif en distinguant un premier codage proche
des hypothèses et un deuxième codage davantage tourné vers l’abstraction (Miles et al.,
2013 ; Gioia et al., 2013).
33 La première codification cherchait à identifier les verbatim relatifs aux avantages et
inconvénients liés au rural, à l’urbain et aux villes moyennes. Ainsi, cinq nœuds ont été
créés : avantage, inconvénient, rural, urbain et ville moyenne. Les entretiens ont été codés
individuellement par chacun des deux coauteurs de l’article. Après validation du
codage, le taux intercodeur moyen était égal à 95,70 % (Bazeley et Jackson, 2013),
autorisant la fusion des codages. NVivo permet à ce stade de l’analyse d’effectuer des
requêtes afin d’aider le chercheur à unifier les concepts. Dans le cas de cet article, il a
été possible de générer une requête afin d’associer les nœuds « avantages » et
« inconvénients » aux nœuds correspondants aux trois types de territoires : « urbain »,
« rural » et « ville moyenne ». Les résultats de cette requête ont permis de générer
deuxième codage davantage tourné vers l’abstraction (Miles et al., 2013 ; Gioia et al.,
2013), a posteriori et émergeant des données. Ce codage, présenté dans le tableau 4
concernait les caractéristiques des trois types de territoire. Le corpus a ensuite été
recodé séparément selon ces nouveaux nœuds puis comparé. Cette seconde étape de
codage a également été effectuée en double aveugle puis les codes ont été fusionnés
avec un taux intercodeur moyen de 99,74 % pour aboutir à un total de 246 références
codées présentées dans le tableau 4. L’analyse de ce tableau, qui présente également le
nombre de sources, permet ainsi de tester les hypothèses. Les résultats de l’article se
fondent, en effet, sur le nombre de références en lien avec un avantage ou un
inconvénient donné, complété par le nombre d’entreprises y faisant référence (nombre
de sources). Ainsi, si un avantage spécifique est très cité dans les entretiens par
beaucoup d’entreprises différentes, il est possible de considérer que cet avantage est
important, même si cette méthode présente l’inconvénient d’attribuer un même poids à
des facteurs d’importances potentiellement différentes.

Résultats
34 La présentation des résultats se fera en deux parties. La première partie présentera les
principaux éléments qui caractérisent les villes moyennes et testera la première
hypothèse. La deuxième partie étudiera plus précisément les cas de Rodez et Cahors,
dans le but de dégager des facteurs de différenciation et de tester la seconde hypothèse.

1. Avantages et inconvénients d’une localisation en ville moyenne

35 Le tableau 4 synthétise les principaux résultats sur les facteurs de localisation dans les
villes moyennes, issus de l’analyse NVivo.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


44

Tableau 4. Nombre de références et de sources des différents facteurs de localisation des


entreprises agroalimentaires localisées en ville moyenne

Réf. Sour. Réf. Sour. Réf. Sour.

Catégorie Détail
Total des 5 villes
Rodez Cahors
moyennes

Cadre de vie agréable – Nature 14 7 5 3 6 2

Coût du foncier faible 7 5 0 0 3 3

Proximité avec la ressource et


7 4 4 2 0 0
avec les fournisseurs

Accès à une main-d’œuvre


5 4 0 0 0 0
qualifiée agricole
Avantages ruraux
Argument marketing et
2 2 0 0 1 1
valorisation du territoire

Diminution des temps de


4 3 4 3 0 0
transport domicile-travail

Coût de la vie faible 3 2 0 0 0 0

Sous-total 42 N/A 13 N/A 16 N/A

Accès à un bassin de main-


3 2 1 1 2 1
d’œuvre

Accès aux transports –


8 7 5 4 1 1
Autoroutes, TGV, aéroport

Plateforme logistique 12 6 4 3 5 1

Dynamisme économique (Sous-


13 5 7 3 0 0
Avantages urbains traitants...)

Présence de services de base 5 3 4 2 1 1

Présence de services
5 4 3 2 0 0
économiques

Accès à Internet haut-débit 2 2 2 2 0 0

Sous-total 48 N/A 26 N/A 9 N/A

Avantages Accès à des dispositifs d’aide


7 3 2 1 0 0
Ville moyenne spécifiques

Ville agréable à vivre 15 8 6 3 5 2

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


45

Identité spécifique 15 6 4 3 6 2

Politiques volontaristes 5 2 5 2 0 0

Proximité avec la ou les


13 9 5 3 4 3
métropoles

Proximité avec l’université 3 2 0 0 0 0

Sous-total 58 N/A 22 N/A 15 N/A

Difficulté de trouver de la main-


8 4 5 2 3 2
d’œuvre

Difficultés logistiques 6 5 2 2 3 2

Manque de dynamisme
2 1 0 0 2 1
économique

Mauvais services aux


entreprises – réseaux peu 4 2 1 1 3 1
adaptés

Absence de recherche
Inconvénients 4 3 2 1 1 1
scientifique
ruraux

Difficultés déplacement
8 4 6 2 2 2
individuel

Faible salaire 3 1 3 1 0 0

Isolement 13 6 7 4 6 2

Pas de vie culturelle – loisirs 5 3 1 1 1 1

Pas d’emploi pour le conjoint 3 3 2 2 1 1

Sous-total 56 N/A 29 N/A 22 N/A

Temps de transport importants 2 2 2 2 0 0

Prix du foncier élevé 2 2 0 0 1 1


Inconvénients
urbains Taxes élevées (foncier,
3 3 0 0 2 1
aménagement)

Sous-total 7 N/A 2 N/A 3 N/A

Inconvénients Ville Manque de dynamisme


15 5 2 1 12 3
moyenne économique et politique

Mauvaise image de la ville 7 4 2 2 0 0

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Ville qui meurt 10 4 1 1 7 2

Sous-total 32 N/A 5 N/A 19 N/A

Total des avantages 148 N/A 61 N/A 37 N/A

Total des inconvénients 89 N/A 32 N/A 44 N/A

Total des arguments ruraux 92 N/A 42 N/A 35 N/A


Totaux

Total des arguments urbains 55 N/A 28 N/A 12 N/A

Total des arguments villes


90 N/A 27 N/A 34 N/A
moyennes

Source : les auteurs.

36 Plusieurs éléments de codage très spécifiques à la catégorie « ville moyenne »


(90 références) sont mis en évidence, ce qui conforte l’idée que la ville moyenne est une
catégorie d’urbain spécifique distincte du périurbain. Les éléments de codage font
également apparaître des facteurs de localisation des entreprises tant associés aux
caractéristiques rurales (92 références) qu’urbaines (55 références) des villes moyennes
ce qui amène à penser que la ville moyenne serait une catégorie se rapprochant plus du
rural.
37 Les entretiens font apparaître que la localisation dans une ville moyenne est
principalement motivée par les avantages qu’elle procure même si des inconvénients
non négligeables sont présents (148 références à des avantages, 89 références
d’inconvénients). Cette analyse exploratoire tend à confirmer – au moins
partiellement – l’hypothèse H1 : la ville moyenne se caractérise par des avantages liés à
la fois à l’urbain et au rural. Cependant, les avantages ruraux sont plus présents et un
certain nombre de critères spécifiques aux villes moyennes apparaissent – différents
des précédents et peu évoqués dans la littérature.

Avantages d’une localisation en ville moyenne

38 Parmi les critères les plus fréquemment évoqués pour expliquer la localisation en ville
moyenne, celui du cadre de vie proche de la nature est une caractéristique forte
(14 références issues de 7 sources). La localisation des entreprises agroalimentaires en
ville moyenne s’explique en grande partie par la volonté de profiter d’un cadre de vie
spécifique différencié de celui des métropoles. Ces chefs d’entreprises précisent : « Vous
n’avez qu’à regarder par la fenêtre, l’environnement est extraordinaire » [E4], et un autre
d’ajouter : « Le soir on rentre et on regarde les coccinelles traverser le jardin » [E10].
39 En complément de ces arguments liés aux choix individuels des chefs d’entreprises et
liés à la facette rurale de la ville moyenne, se retrouvent des arguments liés au cadre
urbain, en particulier les services de base (5 références issues de 3 sources). Se localiser
dans une ville moyenne permet donc de concilier un désir de nature et de vivre à la
campagne tout en accédant aux commodités offertes par la ville (Perrier-Cornet et
Hervieu, 2002).

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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40 Enfin, les éléments liés au cadre de vie sont complétés par des caractéristiques propres
aux villes moyennes, par exemple le caractère agréable à vivre de la ville (15 références
issues de 8 sources) et l’existence d’une identité spécifique de la ville (15 références
issues de 6 sources).
41 Un deuxième ensemble de critères concerne les éléments facilitateurs de l’activité
économique : l’existence d’un dynamisme économique et la possibilité de bénéficier
d’effets d’agglomérations (13 références dans 5 sources), la proximité avec les
plateformes logistiques (12 références dans 6 sources), l’accès à des réseaux de
transports (8 références dans 7 sources), la présence de services économiques
(5 références dans 4 sources) et dans une moindre mesure l’accès à un bassin de main-
d’œuvre (3 références dans 2 sources). Ces critères relèvent principalement des
caractéristiques des métropoles. En effet, les problématiques de transport et de
logistique sont fondamentales pour les personnes et les entreprises et renvoient à la
notion de connectivité externe de la ville moyenne (Nadou, 2010). Une entreprise
souligne : « On n’a aucun souci de transport, on est bien desservi par les messageries. C’est
important parce que les gens stockent peu et nous on a du produit en permanence, on n’est
jamais en rupture de stock. » [E6].
42 Ces éléments qui se rapportent aux métropoles sont complétés par des arguments qui
sont plus spécifiques à une localisation dans une ville moyenne tels que la proximité
avec les métropoles (13 références dans 9 sources), la possibilité d’accéder à des aides
spécifiques (7 références dans 3 sources) et la présence de politiques volontaristes de la
ville envers les entreprises (5 références dans 2 sources).
43 Un troisième ensemble d’arguments concerne les spécificités propres aux entreprises
agroalimentaires et notamment une localisation proche des espaces ruraux. La
proximité à la ressource agricole est importante (7 références dans 4 sources) et l’accès
à une main-d’œuvre agricole qualifiée est aussi évoqué (5 références dans 4 sources)
ainsi que l’existence d’un processus de valorisation des produits du territoire rural
(2 références dans 2 sources, par exemple : « Fabrication artisanale dans le Lot, ça fait plus
terroir » [E3] confirmant les analyses de Barre (1999) qui a montré que dans le secteur
de la production de viande contrairement aux grands groupes qui adoptent des
stratégies de volumes et de différenciation, les PME vont rechercher des micromarchés
et s’ancrer dans des systèmes productifs locaux.
44 Enfin, des critères d’ordre financier ressortent comme le faible coût du foncier
(7 références dans 5 sources) ou le moindre coût de la vie (3 références dans 2 sources).

Inconvénients d’une localisation en ville moyenne

45 Si la localisation en ville moyenne possède beaucoup d’avantages, un certain nombre


d’inconvénients (89 références à des inconvénients vs 148 références à des avantages)
sont soulevés relativisant la validation de l’hypothèse 1 8.
46 Ainsi, le principal inconvénient évoqué fait référence à un débat qui est au cœur de la
problématique des villes moyennes : celui de leur dynamisme. Le manque de
dynamique économique et politique (15 références dans 5 sources), la mort lente des
centres-villes et la mauvaise image de la ville (7 références dans 4 sources) sont mis en
avant.
47 Les inconvénients spécifiques aux territoires ruraux sont également évoqués : manque
de vie culturelle et de loisirs (5 références par 3 sources), difficulté à trouver un emploi

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


48

pour les conjoints (3 références par 3 sources) ou encore niveau de salaire faible
(3 références par une seule entreprise). Un inconvénient ressort cependant de manière
plus importante, il s’agit de l’isolement des entreprises (13 références par 6 sources). Si
cet inconvénient est cité un grand nombre de fois par les entreprises, cela s’explique
par un même élément de langage qui évoque l’isolement de la ville moyenne qui ne
dispose pas d’infrastructure de transport à l’instar de E4 : « On était complètement isolés,
mais la communication ça passe par des voies de communications. Nous on n’a pas le TGV, on n’a
pas d’aéroport, l’aéroport il a été fait à côté de Brive, à juste titre sûrement, mais on est pris entre
Brive d’un côté, Montauban et Toulouse de l’autre ». L’isolement évoque aussi un
éloignement des entreprises qui se retrouvent enfermées dans leurs territoires comme
E9 qui « a tendance à se trouver isolé à Rodez ».
48 Le tableau 4 fait aussi apparaître d’autres types d’inconvénients ponctuellement cités et
qui semblent très spécifiques à quelques entreprises, faisant notamment référence à
des arguments présentés comme des avantages pour la plupart des entreprises. Il
semble ainsi que les villes moyennes ne regroupent pas une catégorie homogène de
villes, mais qu’au-delà des traits caractéristiques communs qui les définissent, elles se
différencient par des contextes particuliers qui ne peuvent être mis en avant par un
simple comptage des références sur l’ensemble des entretiens réalisés. La partie
suivante complète cette analyse en étudiant les facteurs de différenciation.

2. Facteurs de différenciation des villes moyennes. Les cas de


Cahors et Rodez

49 La mise en évidence des facteurs de différenciation passe par une étude approfondie de
deux villes qui semblent avoir développé des trajectoires d’évolution opposées : Cahors
et Rodez. Ces deux villes sont situées dans des zones considérées par l’OCDE comme des
zones rurales majoritairement isolées (Brezzi et al., 2011) et représentent le centre
administratif de deux départements ruraux. Cette caractéristique de localisation se
traduit notamment par un isolement par rapport aux deux métropoles régionales –
Toulouse et Montpellier – ce qui limite les possibles effets de rayonnement des
métropoles sur les caractéristiques des villes. Cependant, les deux villes se distinguent
par leur taille et leur superficie, par leur dynamisme économique et leur
environnement géographique (tableau 2). Cahors est d’une taille plus petite que Rodez
et se caractérise par une localisation sur l’axe autoroutier Paris-Toulouse tandis que
Rodez se situe dans un département au relief accidenté et difficile d’accès. Ces deux
études de cas ont ainsi pour objectif de dégager des facteurs différenciants dus à la fois
à leur contexte sociohistorique et géographique, mais surtout à leur condition de ville
moyenne.
50 Les données du tableau 4 permettent de confirmer l’hypothèse H2 et les éléments
évoqués dans la sous-partie précédente : l’existence de la catégorie ville moyenne. Afin
de mieux les cerner, il est dans un premier temps possible d’observer un certain
nombre de points communs qui expliquent que des entreprises restent ou viennent se
localiser dans ces espaces. En particulier, le cadre et la qualité de vie proches de la
nature sont mis en avant (5 références dans 3 entreprises à Rodez et 6 références dans
2 entreprises à Cahors). Ces villes sont agréables à vivre (6 références dans
3 entreprises à Rodez et 5 références dans 2 entreprises à Cahors) et ont développé une
identité spécifique à la ville moyenne (4 références dans 3 entreprises à Rodez et

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


49

6 références dans 2 entreprises à Cahors). Ces arguments renforcent l’idée qu’il existe
un cadre de vie non pas rural mais spécifique à la ville moyenne.
51 Les critères liés aux activités économiques sont également présents comme la
proximité avec des plateformes et des équipements logistiques (4 références dans
3 entreprises à Rodez et 5 références dans 1 entreprise à Cahors), la proximité avec
Toulouse ou Montpellier (5 références dans 3 entreprises à Rodez et 4 références dans
3 entreprises à Cahors) et dans une moindre mesure l’accès à un bassin de main-
d’œuvre (souligné par 1 entreprise dans chaque ville). Enfin, les inconvénients des
zones rurales ressortent également de la même manière dans les deux villes : manque
de vie culturelle et de loisirs (1 entreprise dans chaque ville), difficulté à trouver un
emploi pour le conjoint (2 entreprises à Rodez et 1 à Cahors) et isolement (4 entreprises
à Rodez et 2 à Cahors). Ces arguments : un cadre de vie agréable à proximité de la
nature, une proximité avec les métropoles et un accès aux transports, malgré un
isolement et un manque de vie culturel semblent caractériser les villes moyennes.
52 Malgré ces points communs entre Cahors et Rodez, se dégagent des critères de
différenciation. En particulier, Rodez apparaît comme une ville moyenne beaucoup plus
attractive notamment en raison de la présence de services de base, mais aussi de la
présence de services économiques actifs qui apparaissent comme inefficaces sur
Cahors. Parmi les services de base mentionnés par les entreprises ruthénoises, l’accès à
Internet haut-débit ressort ainsi que la possibilité d’accéder à des dispositifs d’aide
spécifiques. Rodez se distingue aussi de Cahors par l’accès aux réseaux de transport et
la proximité à la ressource et aux fournisseurs. Il semble donc que parmi les critères de
différenciation permettant d’expliquer les divergences de trajectoires entre villes
moyennes la présence de services aux entreprises et l’accès facilité aux transports et
aux plateformes logistiques jouent un rôle important pour les entreprises.
53 Le principal point de divergence entre les deux villes est observable au niveau de leur
dynamisme économique perçu et des politiques publiques volontaristes de soutien aux
entreprises. Le manque de dynamisme économique et politique apparaît comme un
inconvénient majeur pour les entreprises cadurciennes (12 références par 3 entreprises
sur à Cahors) qui considèrent Cahors comme une ville qui meurt (7 références par
2 entreprises). Ces premiers constats permettent de souligner le rôle essentiel de
l’environnement institutionnel dans le développement des entreprises du secteur
agroalimentaire de ces villes. En effet, ces dernières ont une politique différenciée de
soutien aux entreprises qui semble générer des disparités.
54 À Rodez, le dynamisme économique s’explique par la présence de grandes entreprises
qui structurent le tissu économique. La présence de ces grandes entreprises semble
essentielle dans le maillage économique de la ville : « Que ce soit ça, les laiteries, la maison
Malrieux qui a été reprise par des groupes… ça a créé un tissu économique, ça a fait venir des
gens, ça a généré du bâti… » [E8]. Le dynamisme économique du territoire s’explique
également par la présence de petites entreprises qui complètent le maillage, en
particulier celles qui jouent le rôle de fournisseur : « On veut garder ce maillage et que tout
le monde puisse garder son travail ici. Ici, il y a des grosses entreprises, mais je pense que c’est le
maillage des toutes petites entreprises qui est important dans la dynamique » [E10].
55 Ce dynamisme économique ruthénois s’explique également par les politiques
volontaristes d’aide aux entreprises qui permettent d’impulser la dynamique : « Peut-
être que c’est plus soutenu économiquement aussi pour retenir les gens sur le territoire » [E8]. À
l’opposé de l’exemple ruthénois, les entreprises cadurciennes soulignent le manque de

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


50

dynamisme économique sur le territoire, qui viendrait d’une faiblesse dans les
dispositifs de soutien aux entreprises malgré un fort potentiel : « C’est une ville qui a du
potentiel mais qui n’a jamais exploité un vrai potentiel » [E4].
56 Cahors est également qualifiée par ses entreprises de « ville qui meurt », soulignant le
débat sur les dynamiques de ces villes : « Il y a deux-trois affaires qui vivent à Cahors mais il
n’y a pas de cœur de vie quoi alors qu’il y a une vraie richesse... » [E4], un autre chef
d’entreprise ajoute : « Oui, parmi les inconvénients, c’est qu’on fait partie des villes moyennes
qui meurent. Vous parliez d’image de marque, l’image de marque elle serait portée si Cahors et
son centre étaient attractifs. Un centre vivant et non pas un centre mort » [E5].
57 Cependant, en dépit de ces points négatifs, Cahors dispose de quelques avantages
comparatifs par rapport à Rodez, notamment en termes de coût du foncier et d’une
main-d’œuvre qui semble plus qualifiée par rapport aux entreprises ruthénoises qui
rencontrent des difficultés pour attirer et trouver de la main-d’œuvre.
58 Les exemples respectifs de Rodez et de Cahors confirment donc bien qu’il existe un
certain nombre de différences entre les territoires qui appartiennent à la catégorie des
villes moyennes.

Conclusion
59 Les résultats confirment au moins partiellement, que la catégorie ville moyenne est une
catégorie à part entière avec comme caractéristique principale de tirer parti des
avantages urbains et ruraux sans en subir tous les inconvénients. L’hypothèse 1 est
validée même si ce résultat doit être nuancé. En effet, la localisation d’entreprises
agroalimentaires en ville moyenne semble présenter des avantages liés à la proximité
de l’espace rural ainsi qu’à une qualité de vie spécifique qui n’existe pas dans les
territoires métropolitains. Cette proximité au rural, positivement valorisée par les
acteurs dans leur cadre de vie, est complétée par une série de fonctions propres aux
espaces urbains qui caractérisent la ville moyenne et qui permettent aux entreprises de
se développer grâce à la connectivité de la ville via les réseaux de transport et la
proximité aux infrastructures logistiques.
60 Les résultats font apparaître des caractéristiques communes et spécifiques aux villes
moyennes. Ce sont des caractéristiques positives, comme la proximité avec les grandes
métropoles, et négatives, comme l’isolement et la perte de dynamisme. La catégorie
ville moyenne doit donc être considérée comme une catégorie urbaine spécifique et
différente de la métropole et du périurbain.
61 D’autre part, l’hypothèse 2 est également validée. Il existe au sein des villes moyennes
des critères de différenciation qui expliquent des différences de dynamisme
économique et de critères de localisation des firmes agroalimentaires. Ainsi, certains
inconvénients présentés pour une catégorie de ville apparaissent aussi comme des
avantages pour d’autres villes, avec par exemple une opposition très forte entre Rodez
et Cahors. Plusieurs facteurs de différenciation ont émergé des études de cas pour
expliquer ces différences entre villes moyennes : le dynamisme économique et le
volontarisme des politiques et des organismes d’aide aux entreprises permettant
d’aider les entreprises à se développer. Le développement des centres-villes et des
aménités à destination des habitants explique aussi le développement inégal de ces
villes moyennes. Il est donc nécessaire de mettre en place des politiques de

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


51

développement des centres-villes à l’image du projet « actions cœur de villes » mis en


place par le gouvernement français en 2018. De plus, il apparaît que le développement
de ces villes dépend de l’émergence et de la consolidation d’un maillage d’entreprises
de tailles moyennes connectées à l’environnement direct de la ville moyenne, mais
aussi avec les métropoles localisées à proximité de ces villes moyennes. Ce
développement ne peut se faire que par des politiques volontaristes et ambitieuses.
62 En termes méthodologiques, ce travail a permis de mettre en avant les apports d’une
méthodologie d’étude de cas fondée sur le logiciel de traitement de données Nvivo qui a
permis de mettre en avant les caractéristiques des villes moyennes. Cependant, ce
travail ne constitue qu’une première étape dans la construction de l’objet « ville
moyenne » et comporte des limites. En effet, ce travail est issu d’une analyse qualitative
fondée sur un échantillon limité de 10 entreprises localisées dans des espaces
spécifiques et uniquement dans le secteur agroalimentaire, un secteur très dépendant
de la localisation géographique des entreprises. C’est pourquoi ce travail pourrait être
complété par une étude statistique afin de généraliser ces résultats. Une comparaison
avec d’autres secteurs et d’autres territoires serait également nécessaire. L’utilisation
du logiciel NVivo et notamment le fait de distinguer les facteurs de caractérisation des
villes moyennes par un simple comptage des références pourraient aussi être
complétés par une analyse lexicale.

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ANNEXES
ANNEXE

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NOTES
1. Taille de l’aire urbaine : population de l’aire urbaine, INSEE (2013).
2. Nombre d’établissements au 31 décembre 2014, INSEE.
3. DADS (2012).
4. Taux de chômage des 15-64 ans, INSEE (2013).
5. Codes NAF 2008 : C10 + C11 auxquels les boulangeries et les charcuteries ont été retranchées.
6. Un critère de choix important concernait le caractère innovant de ces entreprises. En effet,
cette enquête fait partie d’un volet spécifique du PSDR4 sur l’innovation des entreprises
agroalimentaires dans les villes moyennes.
7. Ces données primaires ont été complétées par des données secondaires issues d’Internet et de
la presse.
8. Pour renforcer ces résultats, dans l’ensemble du corpus, le terme avantage(s) apparaît 28 fois
alors que le terme inconvénient(s) n’apparaît que 15 fois.

RÉSUMÉS
Dans cet article, les auteurs proposent d’étudier les avantages et les inconvénients qui poussent
les entreprises du secteur agroalimentaire à rester localisées dans des villes moyennes. Après
avoir passé en revue la littérature sur les déterminants de la localisation d’entreprises dans les
métropoles et les zones rurales, ils soutiennent que la ville moyenne combine les avantages de la

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métropole et des zones rurales. Sur la base d’entretiens semi-directifs, les auteurs étudient plus
particulièrement le cas de 10 entreprises agroalimentaires localisées dans le Sud-Ouest de la
France. Cette étude exploratoire permet de confirmer la spécificité des villes moyennes et de
souligner le rôle crucial des politiques de soutien aux entreprises locales comme facteurs de
différenciation entre villes moyennes.

This article examines the advantages and disadvantages of agrifood firms remaining based in
small cities. After reviewing the literature on the determinants of firms’ location in large cities
and rural areas, we argue that small cities combine the advantages of large cities and rural areas.
On the basis of semi-structured interviews, we study the case of ten agrifood firms located in the
southwest of France. This study confirms the specificity of small cities and highlights the crucial
role of policies aimed at supporting local businesses as a differentiating factor for small cities.

INDEX
Mots-clés : ville moyenne, industrie agroalimentaire, métropole, ruralité, étude de cas
Keywords : small city, agrifood industry, metropolis, rurality, case study
Code JEL R1 - General Regional Economics, Q30 - General

AUTEURS
GEOFFROY LABROUCHE
LEREPS Toulouse ; Université Toulouse II Jean Jaurès ; geoffroy.labrouche@univ-tlse2.fr

RACHEL LEVY
LEREPS Toulouse ; ENSFEA ; rachel.levy@ut-capitole.fr

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Impact du conseil agricole privé sur


l’efficacité technique des petits
producteurs d’ananas au Bénin
The impact of cooperative-led agricultural advisory services on the technical
efficiency of small-scale pineapple producers in Benin

Esaïe Gandonou, Sylvain Kpenavoun Chogou et Anselme Adegbidi

1 Au Bénin, l’agriculture demeure la principale activité de la population et est exercée


par des exploitations de type familial. Parmi les filières à haute valeur ajoutée, l’ananas
dispose de conditions de production favorables pouvant permettre au pays de s’insérer
durablement dans le commerce régional et international. Si toutes les potentialités ne
sont pas encore bien valorisées, le pays a cependant connu deux faits marquants au
cours des dernières années : un accroissement rapide de la production de l’ananas et
l’apparition d’un nouveau type d’agriculteurs, constitué de petits producteurs. Ces
derniers investissent d’importants moyens tant dans la production du fruit que dans la
transformation de l’ananas en divers produits dérivés.
2 Selon Kpenavoun et al. (2017), la production de l’ananas est passée de 37 628 tonnes en
1995-1996 à 315 795 tonnes en 2014-2015, soit un taux d’accroissement annuel de
11,2 %. Sur la même période, la superficie a varié de 757 ha à 5 496 ha, soit un taux
d’accroissement annuel de 10,4 %. La production et la superficie ont donc connu une
évolution exponentielle au cours des vingt dernières années. En revanche, le
rendement a presque stagné, passant de 49 707 tonnes/ha en 1995-1996 à 57 459
tonnes/ha en 2014-2015, soit un taux d’accroissement annuel de 0,7 % ; le rendement
moyen sur la période est estimé à 52 841 tonnes.
3 Le Bénin, petit pays d’Afrique de l’Ouest, est le quatrième producteur africain d’ananas
derrière le Ghana, le Cameroun et la Côte d’Ivoire : il exporte surtout dans les pays
voisins et, dans une moindre mesure, en Europe. Selon Kpenavoun et al. (2014), deux
variétés d’ananas sont actuellement les plus cultivées au Bénin. Il s’agit des variétés
Cayenne Lisse (30 % des producteurs) et Pain de Sucre (90 % des producteurs), 20 % des

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producteurs utilisent les deux variétés. La variété Pain de Sucre est principalement
produite pour le marché local et sous-régional.
4 L’exportation de l’ananas est évidemment une source de devises étrangères et peut
améliorer la balance commerciale du Bénin. Cependant, la question de savoir si
l’exportation est bénéfique pour les paysans dans les pays en développement est
controversée. Les économistes libéraux affirment que l’exportation peut accroître
l’efficacité et le revenu des paysans. D’autres critiquent la dépendance des paysans
envers les entreprises monopolistes, qui rendrait les paysans plus vulnérables aux
crises de marché. L’exportation de l’ananas pourrait être bénéfique pour les
producteurs béninois parce que les marchés internationaux offrent un prix plus élevé
que celui que pourraient payer les consommateurs pauvres dans les pays en
développement. Cependant, si les prix plus élevés se traduisent directement en profits
plus grands pour les paysans exportateurs, le point n’est pas tranché, car ils doivent
utiliser des techniques de production plus intensives en capital afin de répondre aux
standards de qualité du marché international, ce qui pourrait réduire leurs marges de
profit.
5 Les producteurs se plaignent de plusieurs contraintes dans la production d’ananas :
l’accès difficile aux rejets de bonne qualité, aux engrais minéraux spécifiques
(notamment le sulfate de potassium), aux marchés rémunérateurs, aux crédits pour les
intrants et l’équipement. La périssabilité de l’ananas et la complexité de l’itinéraire
technique de sa production font également partie des difficultés couramment soulevées
(Sissinto-Gbénou, 2005 ; Kpenavoun et al., 2017). Les producteurs ont donc besoin non
seulement d’un encadrement rapproché mais aussi des appuis pour l’accès au marché,
au crédit agricole et pour une meilleure planification des activités agricoles.
6 C’est ainsi que le Réseau des Producteurs d’Ananas du Bénin (RéPAB) a développé le
conseil à l’exploitation familiale qui prend en compte toutes ces préoccupations. La
démarche envisagée par le RéPAB s’inscrit dans un contexte de vulgarisation du conseil
agricole aux producteurs.
7 À la suite du retrait de l’État du secteur du conseil agricole dans certains pays en
développement, mais aussi à de faibles résultats de certaines approches de
vulgarisation publique, le conseil agricole privé est au cœur des débats. Face aux
difficultés rencontrées par les États pour améliorer les systèmes de conseil, Birner et al.
(2009) considèrent qu’il convient de ne plus raisonner en termes de meilleures
solutions applicables partout mais de systèmes de conseil adaptés à une situation
donnée. Faure et Kleene (2004) ont présenté divers arrangements institutionnels
observés dans différents pays d’Afrique de l’Ouest avec une gouvernance du conseil
pilotée par une organisation de producteurs, par un organisme interprofessionnel
d’une filière ou par des prestataires privés. Des études de cas sont donc nécessaires afin
d’identifier les approches publiques ou privées de vulgarisation et de conseil agricole
adaptées aux producteurs des différents contextes.
8 Par ailleurs, il est reconnu de plus en plus que les réseaux sociaux constitués par les
organisations paysannes peuvent contribuer à l’adoption des technologies. Conley et
Udry (2010) ont constaté que les producteurs d’ananas ghanéens ont adopté de
nouvelles pratiques d’épandage des engrais minéraux, étonnamment réussies de leurs
voisins, sans avoir besoin de changer la quantité totale d’engrais qu’ils avaient
l’habitude d’utiliser. Benyishay et Mobarak (2018) ont montré que les producteurs de

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Malawi sont plus convaincus lorsqu’ils sont conseillés par des agriculteurs qui
partagent les mêmes conditions de production qu’eux.
9 Selon Anderson et Feder (2004), un système de conseil qui s’appuie sur une offre
décentralisée de conseils et des opérateurs privés permet d’améliorer l’efficacité du
conseil. Pour Lodhi et al. (2006), le conseil fourni par des organisations privées est plus
apte à s’adapter à la demande des producteurs.
10 Les nombreuses expériences de conseil agricole privé au Nigéria ont été présentées et
analysées par Ladele (2011). Selon cet auteur, le conseil agricole privé peut améliorer la
performance des exploitations si les tarifs des services assurés sont convenablement
calculés et si des politiques publiques appropriées sont en place pour accompagner le
processus. Moumouni (2006) a montré qu’au Bénin, le conseil fourni par des
organisations privées peut améliorer le niveau d’adoption d’une technologie agricole.
Toutefois, le dispositif est fragilisé lorsque les subventions sont arrêtées et les conseils
devenus payants. Ceci a amené l’auteur à s’interroger sur la pérennisation du conseil
agricole privé dans le contexte du Bénin.
11 Ainsi, même si l’engouement pour le conseil agricole privé s’amplifie, ce dispositif
suscite des questionnements, notamment en ce qui concerne le transfert des coûts du
conseil aux paysans. Desjeux et al. (2009) ont proposé une revue des différents courants
de pensée sur le sujet. Selon certains auteurs comme Labarthe et Laurent (2013), la
participation financière des paysans est déterminante pour s’assurer de leur
engagement dans les démarches de conseil. Toutefois, pour la plupart des auteurs ayant
travaillé sur la question, demander aux paysans de s’acquitter d’un tarif comporte de
grands risques d’exclusion, surtout pour les populations pauvres qui sont nombreuses
dans les pays du Sud. Par ailleurs, dans ces pays, les risques agricoles sont
généralement accrus. En conséquence, les paysans attendent un retour sur
investissement à plus court terme sous peine de se retirer du conseil ou de ne pas y
adhérer (Kidd et al., 2000).
12 D’autres auteurs ont aussi observé que les agriculteurs perçoivent comme injuste le fait
de devoir payer pour accéder aux connaissances, considérées par ailleurs comme un
bien public. Le conseil payant provoquerait également une altération des relations de
confiance entre les agriculteurs (Moumouni, 2006).
13 Par ailleurs, l’émergence du conseil agricole privé et les débats qui s’en sont suivis ont
coïncidé avec le renouvellement des réflexions sur les méthodes d’intervention. Le
choix considéré aujourd’hui comme approche participative dominante selon
Waddington et al. (2014) est le Farmer Field School (FFS), traduit littéralement en français
par Champ École Paysan (CEP). Contrairement à la méthode linéaire de transfert de
technologies (chercheur-vulgarisateur-paysan), le FFS serait plus flexible et
ambitionnerait de placer le paysan au cœur du dispositif de conseil dans son double
rôle d’agent de diffusion des technologies et d’agent d’innovation.
14 Dans la mise en œuvre du FFS, quatre principaux axes sont privilégiés : 1) le
développement de l’esprit de réflexion critique et de créativité chez le paysan ;
2) l’amélioration de la capacité du paysan à adapter les innovations à son
environnement naturel, aux conditions socio-économiques et au contexte culturel ; 3)
la prise en compte des innovations endogènes ; 4) la construction ou le renforcement
des réseaux sociaux au niveau local pour la diffusion des innovations. Tout ceci se
déroule avec un seul fil conducteur, à savoir la promotion d’innovations répondant aux
besoins des producteurs. Sur le plan de la démarche d’apprentissage, le FFS s’appuie

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60

généralement sur un groupe de paysans volontaires. Ces derniers se rencontrent


régulièrement au cours de la campagne agricole et apprennent à travers des
expérimentations au champ et des échanges entre eux et le conseiller. Les activités de
conseil sont développées suivant un programme élaboré qui est mis en œuvre en
appliquant les principes de l’éducation non formelle, de l’apprentissage par découverte
(Discovery-Learning) et de l’Analyse de l’agroécosystème (AAES) (Gallagher, 1999 ;
Gbaguidi et al., 2008).
15 Dans les projets de renforcement des systèmes de conseil agricole dans les pays du Sud,
les bailleurs de fonds et les ONGs privilégient aujourd’hui le FFS. C’est cette méthode
qui est aussi adoptée par le RéPAB pour assurer les apprentissages sur les itinéraires
techniques de l’ananas au Bénin.
16 Comme dans le cas du conseil agricole privé, le FFS pose aussi des problèmes de coûts
selon plusieurs auteurs (Feder et al., 2004 ; Davis, 2006), ce qui peut restreindre sa
couverture et provoquer des exclusions. Cette question soulève aussi des polémiques
qui ne peuvent être éclairées que grâce à une évaluation rigoureuse des bénéfices
induits par cette méthode. Malheureusement, très peu d’études ont tenté cette
évaluation sur la base de méthodes rigoureuses d’analyse de l’impact. L’objectif de ce
papier est donc de mesurer l’impact du conseil agricole piloté par le Réseau des
producteurs d’ananas du Bénin (RéPAB) sur l’efficacité technique de la production de
l’ananas.
17 Dans la synthèse bibliographique proposée par Desjeux et al. (2009), les difficultés
d’ordre méthodologique auxquelles se heurte l’évaluation du conseil agricole ont été
répertoriées. Elles sont presque similaires, que ce soit dans l’évaluation du dispositif ou
source de conseil agricole (privé ou public) ou bien dans l’évaluation d’une méthode
d’intervention comme le FFS. Ces difficultés concernent la construction des
échantillons et la question de l’attribution des efforts. Différents problèmes sont
rencontrés dans la mise en œuvre des méthodes d’appariement (individus similaires,
mais se différenciant dans l’accès au conseil) ou de double différence (participant et ne
participant au conseil, à différentes étapes). Il s’agit surtout de problèmes d’attrition
(changement de la composition de l’échantillon au cours du temps). Les réflexions
méthodologiques portent aussi sur la qualité des données, notamment les questions
d’effets de diffusion (un producteur ne participant pas au conseil mais ayant accès à
l’information) ou de réponse différée (un conseil donné produisant son effet bien plus
tard). Pour les tenants d’une évaluation rigoureuse, ces difficultés ne pourraient être
résolues que par l’utilisation de méthodes d’expérimentation contrôlées ou randomized
control trials (Berriet-Solliec et al., 2014). La mise en œuvre de ces méthodes
expérimentales pose néanmoins de nombreux défis sur le plan pratique.
18 Les auteurs qui ont tenté une évaluation rigoureuse des bénéfices du conseil agricole ne
sont pas nombreux. Godtland et al. (2004) se sont intéressés aux effets du FFS organisé
par l’Organisation non gouvernementale (ONG) CARE pour accompagner les
producteurs de pomme de terre au Pérou. Davis et al. (2012) ont évalué l’impact du FFS
sur la productivité dans trois pays de l’Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie, Ouganda). Ces
auteurs ont utilisé des méthodes quasi expérimentales (méthodes d’appariement basées
sur le score de propension et la double différence). Godtland et al. (2004) ont aussi
proposé une démarche pour contrôler les biais de diffusion.
19 La démarche méthodologique de notre étude s’inscrit dans le même registre que celle
adoptée par ces auteurs. Compte tenu des données disponibles, la méthode

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61

d’appariement basée sur le score de propension a été appliquée pour estimer l’impact
d’une initiative de conseil agricole privé fondé sur le FFS au Bénin. L’étude a cependant
amélioré les résultats des travaux précédents en estimant l’impact sur l’efficacité
technique. Contrairement aux productivités partielles retenues comme indicateur de
performance dans les précédents travaux, le score d’efficacité technique prend en
compte l’efficacité globale de l’ensemble des facteurs de production.
20 Sur le plan pratique, cette recherche est motivée par les conclusions issues de l’étude
de Kpenavoun et al. (2017). Selon nous, le niveau moyen d’efficacité des producteurs
d’ananas (membres du RéPAB) est de 67 %, montrant ainsi qu’il existe des possibilités
d’amélioration de la production en utilisant les mêmes quantités de ressources que
celles disponibles actuellement. Par ailleurs, ils ont montré que les producteurs les plus
efficaces se retrouvent parmi ceux qui respectent les itinéraires techniques
recommandés par le système national de vulgarisation agricole. L’écart entre les deux
groupes, estimé à presque neuf points de pourcentage en moyenne, est statistiquement
significatif. Ces résultats indiquent que l’initiative du RéPAB est utile et devrait
contribuer à accroître l’efficacité technique de la production de l’ananas. Aucune étude
n’a encore tenté de mesurer les effets du conseil agricole privé sur l’efficacité technique
en agriculture au Bénin. Notre recherche a tenté de combler ce manque de
connaissance. Elle est basée sur l’hypothèse selon laquelle les producteurs appuyés par
le RéPAB seraient les plus efficaces.

Appuis offerts par le RéPAB. Effets attendus sur la


performance des agriculteurs
21 Après l’indépendance, les politiques en matière de vulgarisation et de conseil agricole
ont surtout favorisé des dispositifs centralisés au Bénin (Moumouni, 2006). Un
désengagement progressif de l’État a démarré au début des années 1990 quand le pays
est passé sous ajustement structurel sous le contrôle du Fonds monétaire international
(FMI) et de la Banque mondiale. Ce désengagement s’est traduit dans le secteur agricole
par un Programme de restructuration des services agricoles (PRSA). Le PRSA mis en
œuvre de 1993 à 1998 n’a pas pu combler les attentes. Entre autres s’est posé le
problème de manque d’effectif et de qualification des ressources humaines des services
agricoles, ce qui a désarticulé le dispositif de conseil agricole. À partir de 1995, ces
contraintes ont été aggravées par les départs massifs des agents de vulgarisation à la
retraite, les décès, les détachements et les mises en disponibilité. Ceci a entraîné la
fragilisation du personnel chargé du conseil agricole à un moment où l’apparition de
nouvelles formes d’exploitations exige des services plus spécifiques (MAEP, 2006).
22 C’est dans ce contexte que le Réseau des producteurs d’ananas du Bénin (RéPAB) a reçu
divers appuis pour développer une offre répondant à la méthode du conseil à
l’exploitation familiale, qui prend en compte les préoccupations des producteurs.
Essentiellement orienté vers la formation technique des producteurs et le
renforcement des capacités des coopératives agricoles depuis 2010, le RéPAB leur offre
aussi un service d’accès aux intrants et une facilité de vente groupée de l’ananas. Il a
été appuyé par le Projet d’appui aux dynamiques productives (PADYP) pour
accompagner les producteurs d’ananas avec des outils de conseil à l’exploitation
familiale. Ces outils cherchent à aller au-delà de la vulgarisation des techniques de
production pour offrir un conseil plus global, prenant en compte le système de

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production dans son ensemble et l’environnement économique des exploitations


agricoles.
23 La méthode d’intervention appliquée par le RéPAB est basée sur l’approche Champ
École Paysan. Le dispositif d’appui appliqué par le RéPAB comprend une équipe
technique composée d’animateurs recrutés par le RéPAB, qui assure les appuis-conseils
et le suivi des producteurs. Au début de chaque année, les animateurs du RéPAB
accompagnent chacun des membres des coopératives à élaborer un plan de campagne
agricole. Au cours du processus, le diagnostic des systèmes de production est en même
temps réalisé. À la fin de l’élaboration des plans de campagne, les producteurs ayant
des besoins similaires sont regroupés pour suivre des formations techniques pendant
deux à trois jours, afin de les aider à atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Il ne
s’agit pas seulement de formations techniques pour la production de l’ananas mais
également de conseil plus large pour la réalisation de tous les objectifs du producteur,
prenant en compte les exigences du marché.
24 Par ailleurs, dans un environnement marqué par une offre insuffisante d’engrais
minéraux de qualité, le RéPAB a décidé de mettre en place depuis 2012 un guichet
d’intrants avec l’appui des partenaires Helvetas Swiss Intercooperation et SOS Faim
Luxembourg. Le RéPAB a donc développé un conseil agricole privé. Cette approche se
répand au Bénin et est supposée réduire les inefficacités des anciennes approches de
vulgarisation.

Matériel et Méthodes
1. Données utilisées

25 Les données utilisées dans cette étude sont issues d’une enquête menée en 2013 auprès
des producteurs d’ananas dans le département de l’Atlantique. La production nationale
d’ananas est concentrée dans ce département (plus de 99 %) et on y trouve 82 % des
producteurs d’ananas (Kpenavoun et al., 2014 ; Kpenavoun et al., 2017). Le RéPAB est la
plus grande plateforme d’organisations paysannes qui offre aux producteurs d’ananas
un creuset favorable au développement de leurs activités dans le département de
l’Atlantique.
26 Le recensement de l’ensemble des producteurs membres du RéPAB a permis de
dénombrer 528 producteurs d’ananas en 2013. Les données sur tous les intrants utilisés
(y compris le travail) ont été collectées par parcelle d’ananas et par opération culturale
sur ces 528 producteurs. Mais, seuls 135 producteurs d’ananas ont pu fournir les
données sur l’ensemble des opérations culturales depuis la préparation du sol jusqu’à la
vente de l’ananas. Les autres producteurs n’avaient pas de parcelles sur lesquelles
l’ananas était à l’étape de la récolte. L’efficacité technique ne pouvait donc pas être
estimée pour ce groupe de producteurs. En conséquence, la taille de l’échantillon
d’analyse de cette étude est de 135 producteurs d’ananas.
27 Il est important de préciser que, dans la zone d’intervention du RéPAB, 54 villages
étaient éligibles pour bénéficier de l’appui du RéPAB. Mais compte tenu des moyens
limités du RéPAB, seuls 33 villages ont pu bénéficier de l’appui de cette organisation au
moment où la collecte des données a eu lieu. Parmi les 135 producteurs retenus,
65 producteurs ont eu accès au conseil agricole et vivent tous dans les villages ayant
bénéficié de l’appui du RéPAB. Aucun producteur des villages sans appui RéPAB n’a eu

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accès au conseil agricole. Chaque village était composé de 2 à 4 localités. Toujours, en


raison de contraintes budgétaires, seule une localité par village était appuyée par le
RéPAB. Ainsi, dans les villages, appuyés par le RéPAB, certaines localités n’ont pas
bénéficié de l’appui du RéPAB. C’est pourquoi, parmi les 115 producteurs des villages
appuyés par le RéPAB, 50 producteurs n’ont pas pu disposer de l’appui du RéPAB, non
pas parce qu’ils n’étaient pas éligibles mais parce que le RéPAB était limité par des
contraintes budgétaires. En conséquence, la contrainte budgétaire du RéPAB était le
principal facteur susceptible d’expliquer pourquoi certains producteurs n’avaient pas
participé aux activités d’appuis du RéBAB. Les producteurs étudiés produisaient la
variété Cayenne lisse ou la variété Pain de sucre. Mais, seule la variété Cayenne lisse
était exportée vers l’Europe.
28 Les données collectées en 2013 ont été complétées par des informations,
essentiellement qualitatives, recueillies dans la zone d’étude en 2017. Ces données ont
permis de mieux appréhender le dispositif de conseil agricole développé par le RéPAB
et d’apprécier les taux de participation des producteurs aux séances de formation sur
les techniques de production organisées par cette structure.

2. Méthodes d’analyse de l’impact du conseil agricole privé conduit


par le RéPAB

29 L’analyse d’impact peut être conduite suivant plusieurs approches qui vont des plus
simplifiées (et souvent imprécises) aux plus sophistiquées. L’analyse de régression
estimée avec les Méthodes des moindres carrés ordinaires (MCO) fait partie des
approches simplifiées. Elle a été appliquée dans cette étude et ces résultats seront
comparés à ceux obtenus avec les méthodes plus avancées. Dans le modèle de
régression, la variable dépendante est l’indicateur dont nous cherchons à vérifier les
sources et l’ampleur des changements (ici le niveau d’efficacité technique de chaque
producteur). Parmi les variables explicatives, nous introduisons la variable de
traitement (l’accès au conseil agricole). Cette dernière est une variable muette qui
prend la valeur 1 si le producteur a participé au conseil agricole privé du RéPAB
(producteur participant) et 0 si le producteur n’a pas participé au conseil (producteur
non participant). En définitive, ce modèle correspond à l’approche traditionnelle
utilisée pour identifier les déterminants des niveaux d’efficacité technique.
30 La spécification finale retenue pour ce modèle se présente comme suit :
31 ETi = a0 + a1CONSEILi + a2PRIMi + a3SECONDi + a4SUPERIEURi + a5CREDITi + a6SUPTOTi +
a7SUPTOTi*SUPTOTi + a8GCULTURELi + a9URBAINi + εi.
32 Le niveau d’efficacité technique (ET) a été déterminé après l’estimation d’une fonction
de production frontière stochastique de type Cobb-Douglas. Les résultats détaillés de
l’estimation de cette fonction se trouvent dans Kpenavoun et al. (2017).
33 Les variables explicatives peuvent être regroupées en trois catégories : les variables qui
expriment les capacités du producteur, les variables qui expriment ses préférences et
celles à effets fixes. Les variables comme la superficie totale des champs détenus par le
producteur (y compris les jachères), l’accès au conseil agricole, le niveau d’instruction,
l’accès au crédit captent les capacités du producteur à accéder aux connaissances
techniques et à les appliquer. L’accès au conseil agricole et le niveau d’instruction
permettent d’améliorer la capacité « d’absorption technologique » du producteur. De

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


64

plus, un niveau d’instruction élevé est considéré ici comme augmentant la capacité à
saisir les opportunités économiques. La superficie totale disponible est considérée
comme un indicateur de richesse tandis que la variable « accès au crédit » exprime la
capacité à mobiliser un financement extérieur. Ces deux derniers facteurs facilitent le
respect de l’itinéraire technique qui est très coûteux dans le cas de l’ananas.
34 L’âge, le sexe et le groupe socioculturel d’appartenance expriment les préférences. Les
choix effectués par les producteurs ne sont pas seulement liés à leurs capacités. Le
producteur peut chercher à se démarquer à cause de ses préférences et ce
comportement peut s’expliquer par des facteurs comme l’âge, le sexe ou les
caractéristiques culturelles. Il convient de noter que, dans le modèle de régression
finalement retenu, les variables sexe et âge ont été exclues. Les spécifications
préliminaires estimées avec ces deux variables se sont révélées peu intéressantes avec
des coefficients présentant des signes très inattendus pour la plupart des variables
explicatives.
35 Le facteur à effets fixes introduit dans le modèle était la zone de résidence du
producteur. Dans l’échantillon, certains producteurs étaient situés à proximité d’un
grand centre urbain au Bénin (Abomey-Calavi). Ils pourraient donc subir une influence
urbaine que le facteur à effets fixes permet de contrôler.
36 Il faut souligner que le niveau d’instruction peut aussi capter les préférences du
producteur. Par ailleurs, la variable « groupe socioculturel » peut être considérée
comme un facteur qui exprime le capital social et parfois classé parmi les variables qui
expriment les capacités.
37 Les variables du modèle de régression sont décrites dans le tableau 1.

Tableau 1. Description des variables du modèle

Variable Description Type de variable

Variable dépendante

ET Niveau d’efficacité technique du producteur Quantitative continue

Variables explicatives

Variable muette : 1 si le
CONSEIL Accès au conseil agricole piloté par le RéPAB producteur a eu accès au
conseil agricole

Variable muette : 1 si le
PRIM* Niveau d’instruction primaire producteur a atteint le niveau
primaire

Variable muette : 1 si le
SECOND Niveau d’instruction secondaire producteur a atteint le niveau
secondaire

Variable muette : 1 si le
SUPÉRIEUR Niveau d’instruction universitaire producteur a accédé à
l’université

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


65

Variable muette : 1 si le
producteur a souvent
CRÉDIT Accès au crédit l’habitude d’utiliser de crédits
pour financer les activités liées
à la production de l’ananas

Superficie totale de tous les champs, y compris les


jachères, détenus par le producteur, exprimée en
hectares. Il s’agit de la superficie de l’ensemble des
SUPTOT Quantitative continue
terres qui sont la propriété personnelle de
l’exploitant (terres héritées ou achetées). Les
locations ne sont pas concernées.

Variable muette : 1 si le
producteur appartient au
GCULTUREL Groupe socioculturel auquel le producteur est affilié groupe socioculturel Fon
(groupe le plus représenté au
sud du Bénin)

Variable muette : 1 si le
Zone de production proche d’un grand centre
URBAIN producteur se trouve dans la
urbain
commune d’Abomey-Calavi

Note :* la modalité ‘le producteur n’est pas instruit’ est la référence.


Source : les auteurs.

38 La statistique descriptive de toutes les variables explicatives retenues est présentée


dans le tableau 2. Ce tableau montre que la superficie totale moyenne disponible est de
5 ha par producteur. Moins de la moitié des producteurs (48 %) ont accès au crédit. Il
est intéressant de constater que près de 40 % des producteurs ont un niveau
d’instruction élevé (secondaire et plus). Cela montre que les jeunes instruits
manifestent de plus en plus la volonté d’exercer l’activité de production d’ananas au
Bénin.

Tableau 2. Statistique descriptive des variables explicatives retenues

Variable Valeur

Variables qualitatives Pourcentage (%)

Accès au conseil agricole offert par le RéPAB : CONSEIL 48,1

Accès au crédit en 2012 : CRÉDIT 48,1

Niveau d’instruction

Primaire : PRIM 32,6

Secondaire : SECOND 31,9

Supérieur : SUPÉRIEUR 5,2

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


66

Appartient au groupe socioculturel le plus représenté au sud du Bénin :


40,0
GCULTUREL

Zone proche d’un grand centre urbain : URBAIN 11,0

Moyenne (Écart-
Variables quantitatives
type)

Superficie totale disponible (ha) : SUPTOT 5,0 (5,5)

Source : les auteurs.

39 Les producteurs qui appartenaient au groupe socioculturel le plus représenté au sud du


Bénin (les Fon) constituaient 40 % de l’échantillon. Seuls 11 % des producteurs se
trouvaient dans une zone proche d’un grand centre urbain.
40 Avec les données transversales, le modèle de régression estimé avec la méthode MCO
présente des limites pour mesurer l’impact d’une intervention. Ce modèle souffre d’un
biais de sélection. Ce biais s’explique par le fait que les paysans qui sont appuyés par le
RéPAB n’ont pas été choisis aléatoirement. Les participants au conseil agricole du
RéPAB sont des paysans volontaires. Ces derniers décident, de leur propre gré, de
participer ou non aux activités de ce conseil selon leurs propres critères. La
participation au conseil agricole du RéPAB peut être fondée sur des facteurs
observables ou sur des facteurs non observables. En conséquence, les deux groupes
(producteurs participants et producteurs non participants) ne sont pas obligatoirement
semblables.
41 En fait, le problème auquel on est confronté est que le contre-factuel n’est pas
directement observable. Pour comprendre le problème, supposons que pour chacun des
individus i d’un échantillon de taille N, nous observons l’ensemble suivant de variables
aléatoires. L’accès au traitement (ici l’accès au conseil agricole) est représenté par une
variable aléatoire T, qui prend la valeur 1 si l’individu accède au traitement, 0 si ce n’est
pas le cas. L’efficacité du traitement est mesurée au travers d’une variable de résultat,
notée Y (ici le niveau d’efficacité technique). Rubin (1974) est le premier à introduire le
concept de résultats potentiels (potential outcomes), Son modèle repose sur l’existence
de deux variables latentes de résultat, notées Y1 et Y0, selon que l’individu reçoit le
traitement (T = 1) ou non (T = 0). Y1 et Y0 sont les deux résultats potentiels provoqués
par l’application du traitement. Elles ne sont jamais simultanément observées à la
même date pour un même individu. Ainsi, pour un individu traité, Y1 est observée
tandis que Y0 est inconnue. Dans ce cas, la variable Y0 correspond au résultat qui aurait
été réalisé si l’individu n’avait pas été traité. On dit aussi que la variable Y0 représente
le résultat contre-factuel. Pour un individu non traité, nous observons au contraire Y0,
tandis que Y1 est inconnue. La variable de résultat observée peut donc se déduire des
variables potentielles et de la variable de traitement par la relation :
42 Y = TY1 – (1 – T)Y0
43 Seul le couple (Y, T) est observé pour chaque individu (Fougère, 2010).
44 L’effet causal du traitement est défini pour chaque individu par l’écart Δ = Y1 − Y0 qui
représente la différence entre ce que serait la situation de l’individu s’il était traité et
ce qu’elle serait s’il ne l’était pas. La distribution de l’effet causal n’est toutefois pas

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


67

identifiable, tout simplement parce que l’effet causal est inobservable. Néanmoins,
grâce à des hypothèses sur la loi jointe du triplet (Y0, Y1, T), nous identifions certains
paramètres de la distribution de l’effet causal à partir de la densité des variables
observables (Y, T). Deux paramètres font généralement l’objet d’un examen spécifique.
Il s’agit de l’effet moyen du traitement dans la population (Average Treatment Effect [ATE]) :
45 ΔATE = E(Y1 – Y0)
46 et de l’effet moyen du traitement dans la population des individus traités (Average
Treatment Effect on the treated [ATT]):
47 ΔATT = E(Y1 – Y0|T = 1),
48 qu’on peut encore réécrire de la manière suivante :
49 ΔATT = E(Y1|T=1) – E(Y0|T = 1)
50 Les deux paramètres, ATE et ATT, ne sont égaux que sous certaines hypothèses très
restrictives. D’une façon générale, les conditions nécessaires à l’identification de l’ATE
sont plus exigeantes que celles à l’identification de l’ATT. En effet, pour ce dernier, les
hypothèses ne portent que sur la loi de Y0 et T. Il suffit que les variables aléatoires Y0 et
T soient indépendantes pour que l’ATT soit identifiable. Dès lors que la propriété
d’indépendance n’est pas satisfaite, l’ATT souffre d’un biais comme mentionné
précédemment. Diverses méthodes économétriques/statistiques ont été proposées pour
réduire ce biais. Le choix d’une méthode dépend des données disponibles, de la nature
de l’intervention à évaluer et de la question que l’on veut aborder.
51 Dans cette étude, la méthode d’appariement sur la base d’un score de propension
(Propensity Score Matching), initialement proposée par Rubin (1977) et Rosenbaum et
Rubin (1983) a été utilisée. Cette méthode est couramment utilisée dans le cas des
évaluations post intervention et adaptée aux données de cet article. Elle consiste à
apparier les producteurs non-participants présentant des caractéristiques observables
comparables aux producteurs participants sur la base d’un score de propension. La
démarche comporte 5 grandes étapes.
52 La première étape consiste à estimer les scores de propension. Le score de propension
calculé pour un producteur donné, qu’il soit participant ou non, n’est rien d’autre que
la probabilité pour que ce dernier participe au conseil agricole développé par le RéPAB.
Cette probabilité est estimée avec un modèle de régression de type Logit ou Probit en se
basant sur des facteurs observables. Dans cette étude, c’est le modèle Probit qui est
estimé. Cette estimation n’a pas pour objectif d’être prédictive mais d’obtenir un score
permettant d’apparier les individus.
53 La spécification du modèle Probit retenue s’écrit :

54 avec :
55 Zi = a0 + a1PRIMi + a2SECONDi + a3SUPERIEURi + a4CREDITi + a5SUPTOTi +
a6SUPTOTi*SUPTOTi + a7GCULTURELi + a8URBAINi + εi.
56 Pi représente la probabilité de la survenance de l’accès au conseil pour l’individu i,
comprise dans l’intervalle (0,1).

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


68

57 s est une variable aléatoire distribuée selon la loi normale avec une moyenne nulle et
une variance unitaire.
58 Zi est un indice continu (variable latente). On suppose qu’il existe pour chaque individu
une valeur limite Z* à partir de laquelle se produit l’accès au conseil. Spécifiquement :
59 le producteur

60 Les variables explicatives de Zi ont les mêmes significations que celles présentées dans
le tableau 1.
61 La deuxième étape consiste à vérifier que les distributions des scores de propension se
recouvrent partiellement (support commun). Le principe est de construire pour chaque
producteur participant un contre-factuel à partir des producteurs non participants.
Cela suppose que l’on dispose pour chaque producteur participant, des producteurs
non-participants dont les scores de propension ont des valeurs proches du score de
propension du producteur traité. En d’autres termes, il doit être possible d’associer
chaque producteur participant à au moins un producteur non participant doté de
caractéristiques similaires (en moyenne) et qui aurait eu autant de chance de participer
au conseil agricole privé du RéPAB.
62 La troisième étape consiste à la réalisation de l’appariement proprement dit. Il se fait
avec plusieurs méthodes dont les plus utilisées sont : la méthode dite du voisin le plus
proche nearest neighbour et la méthode de l’appariement avec fonction noyau kernel
matching. Ces deux méthodes sont utilisées dans cet article afin de s’assurer de la
robustesse des résultats.
63 À la quatrième étape, nous effectuons la vérification de l’équilibre de la distribution des
variables explicatives du modèle Probit ou Logit entre la population des participants et
des non-participants (balancing test). Nous vérifions que l’appariement à l’aide du score
de propension conduit à un groupe de comparaison semblable à celle des participants
du point de vue de la distribution des variables explicatives retenues pour estimer les
scores de propension. Il s’agit d’un test d’égalité des moyennes consistant à comparer
les moyennes des variables explicatives dans les deux sous-populations (participants et
non-participants).
64 La dernière étape permet d’estimer l’effet du conseil agricole privé du RéPAB sur
l’efficacité technique des producteurs d’ananas en calculant la moyenne empirique des
écarts entre chaque producteur participant et le contre-factuel construit.
65 La figure 1 présente le niveau d’efficacité technique des producteurs qui respectent et
ceux qui ne respectent l’itinéraire technique recommandé pour l’ananas en utilisant les
boîtes à moustaches (boxplots).

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


69

Figure 1. Niveau d’efficacité technique des producteurs qui respectent et ne respectent pas
l’itinéraire technique recommandé pour l’ananas

Source : les auteurs.

66 Les paysans qui respectent l’itinéraire technique recommandé par le système national
de vulgarisation agricole sont au nombre de 18, soit 13 % de l’échantillon. Il est
intéressant de souligner que tous ont eu accès aux services de conseil délivrés par le
RéPAB. Par ailleurs, 61 % parmi eux sont d’un niveau d’instruction élevé (secondaire et
plus). Ces résultats confirment que la capacité à acquérir des connaissances est
déterminante pour une bonne application de l’itinéraire technique de l’ananas et
l’amélioration de l’efficacité de cette production. Il était donc pertinent pour le RéPAB
de considérer le conseil agricole comme une priorité. Presque la moitié des producteurs
(48 %) ont adhéré au système de conseil du RéPAB. Il convient de souligner qu’aucun
des producteurs enquêtés n’a accès au dispositif public de vulgarisation agricole.
67 Quatre principaux éléments constituent des points critiques de l’itinéraire technique de
l’ananas selon le système national de vulgarisation agricole : l’utilisation du carbure de
calcium (régulateur de croissance), la fumure minérale, la densité (nombre de rejets), la
planification des travaux d’entretien des parcelles et leur qualité. Les données sur
chacun de ces intrants (y compris le travail) ont été minutieusement collectées par
parcelle d’ananas.
68 Il n’y a pas une différence sensible entre les deux groupes de producteurs en ce qui
concerne la quantité par ha du carbure de calcium utilisée pour le traitement
d’induction florale et la quantité par ha d’engrais minéraux. Par contre, les deux
groupes se distinguent par le nombre de rejets plantés et la quantité de travail par ha
(figure 2). Les producteurs qui ne participent pas aux séances de formation organisées
par le RéPAB ont tendance à gaspiller les rejets. En revanche, les autres producteurs
ont tendance à utiliser cet intrant rationnellement. La relative intensification du travail
observée chez les participants au conseil montre qu’ils sont plus préoccupés par
l’entretien des plants que les autres agriculteurs.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


70

Figure 2. Niveau d’utilisation du travail et des rejets

Source : les auteurs.

69 La figure 3 présente les boxplots pour le niveau d’efficacité technique des participants et
des non-participants au conseil agricole. Nous notons une différence assez marquée
entre les participants et les non-participants en matière d’efficacité technique. La
dispersion du niveau d’efficacité des participants au conseil est plus faible que celle des
non-participants. Cette figure montre, par ailleurs, peu de valeurs extrêmes. Toutefois,
cette comparaison ne permet pas de déduire un lien de causalité. Une analyse
systématique permettant de contrôler tous les facteurs susceptibles d’influencer
l’efficacité technique devra d’abord être appliquée.

Figure 3. Étendue du niveau d’efficacité technique des producteurs d’ananas

Source : les auteurs.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


71

Résultats
1. Estimation des déterminants de l’efficacité technique des
producteurs d’ananas

70 Les résultats de l’analyse de régression par la méthode des Moindres Carrés Ordinaires
(MCO) sont présentés dans le tableau 3. Il faut souligner que le test d’hétéroscédasticité
de Breusch-Pagan/Cook-Weisberg a été appliqué et les résultats obtenus (Chi 2(32) = 21,
05 et P = 0,0124) rejettent l’hypothèse d’homoscédasticité des résidus au seuil de 5 %.
C’est pourquoi, les statistiques t de Student présentées entre parenthèses sont corrigées
de l’hétéroscédasticité.

Tableau 3. Résultats de l’estimation des déterminants de l’efficacité technique (régression avec


MCO)

Variable Coefficient Erreur standard T-Stat P>|T|

Conseil 0,0430* 0,0228 1,88 0,062

Crédit 0,0011 0,0273 0,04 0,967

Primaire -0,0144 0,0277 -0,52 0,605

Secondaire -0,0672** 0,0305 -2,2 0,029

Supérieur 0,0691** 0,0314 2,2 0,029

Superficie totale disponible -0,0083 0,0057 -1,46 0,147

Superficie totale disponible au carré 0,0004** 0,0002 2,32 0,022

Groupe socioculturel Fon -0,0203 0,0265 -0,77 0,445

Zone proche d’un grand centre urbain 0,0221 0,0365 0,61 0,545

Constante 0,6925*** 0,0320 21,64 0

Nombre d’observations 135

F (9, 125) 3,25

Prob > F 0,00

R-squared 0,11

Root MSE 0,14

Notes : *** significatif à 1 % ; ** significatif à 5 % ; * significatif à 10% ; EQM = erreur quadratique


moyenne.
Source : les auteurs.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


72

71 Le coefficient de la variable « conseil » est positif et significatif à 10 %. Selon ce modèle,


l’efficacité technique des participants au conseil est supérieure à celle des non-
participants ; l’écart est estimé à 4,3 points de pourcentage, en moyenne (soit un taux
de variation de 6,4 % par rapport à l’efficacité technique moyenne au sein l’échantillon.
En dehors de la participation au conseil, les variables comme le niveau d’instruction et
la superficie totale que possède le ménage déterminent l’efficacité technique. La
relation avec la superficie totale prend la forme d’une courbe en U. Ceci indique qu’il y
a certainement autant de producteurs performants parmi les petits que les grands
producteurs. La relation avec le niveau d’instruction est plus complexe. La relation
devient positive seulement dans le cas où le producteur a un niveau d’instruction très
élevé (enseignement supérieur).

2. Estimation de l’impact par la méthode d’appariement basée sur


les scores de propension

72 Les résultats du modèle Probit utilisé pour estimer la probabilité de participation des
producteurs au conseil agricole sont présentés dans le tableau 4.

Tableau 4. Déterminants de la participation au conseil agricole privé du RéPAB (Modèle Probit)

Variable Coefficient Erreur standard Z P>|Z|

Crédit 0,593** 0,2521 2,35 0,019

Niveau d’instruction primaire -0,115 0,2883 -0,40 0,689

Niveau d’instruction secondaire 0,634** 0,2980 2,13 0,033

Niveau d’instruction supérieur 0,576 0,5570 1,03 0,301

Superficie totale disponible 0,125** 0,0565 2,21 0,027

Superficie totale disponible au carré -0,003 0,0021 -1,42 0,156

Groupe socioculturel Fon 0,161 0,2491 0,65 0,518

Zone proche d’un grand centre urbain 0,419 0,3909 1,07 0,284

Constante -1,094*** 0,3320 -3,30 0,001

Nombre d’observations 135

LR chi2(8) 22,06

Prob > chi2 0,0048

Log likelihood -82,451357

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


73

Pseudo R² 0,118

Notes : *** significatif à 1 % ; ** significatif à 5 %.


Source : les auteurs.

73 La plupart des coefficients ont le signe espéré mais seuls les coefficients du crédit, du
niveau d’instruction secondaire et de la superficie totale disponible sont significatifs à
5 %. La corrélation avec le crédit est positive. Par ailleurs, les résultats montrent que les
producteurs ayant un niveau d’instruction assez élevé (secondaire et plus) sont les plus
représentés parmi les participants au conseil. La relation avec la superficie totale
disponible prend une forme en U renversé. Ceci indique que les petits comme les
grands producteurs sont assez bien représentés parmi les participants au conseil.
74 La figure 4 montre que les distributions des scores de propension se recouvrent et le
support commun est très étendu pour que chacun des participants trouve au moins un
non-participant avec un score de propension proche.

Figure 4. Distribution du score de propension et vérification du support commun

Source : les auteurs.

75 Le tableau 5 présente les résultats du test d’équilibre (balancing test). Nous constatons
que les scores de propension estimés équilibrent la distribution des variables qui
affectent la probabilité d’accéder au conseil.

Tableau 5. Résultats du test d’équilibre pour les différentes méthodes d’appariement utilisées

Voisin le plus proche Fonction noyau


(Nearest-neighbour) (Kernel matching)
Variable

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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T- T-
Traité Comparaison P>|T| Traité Comparaison P>|T|
Stat Stat

Crédit 0,569 0,400 1,98 0,05 0,569 0,508 0,7 0,485

Primaire 0,262 0,386 -1,5 0,126 0,262 0,308 -0,5 0,563

Secondaire 0,415 0,229 2,36 0,02** 0,415 0,400 0,18 0,86

Supérieur 0,077 0,029 1,26 0,208 0,077 0,062 0,34 0,732

Superficie totale
6,290 3,872 2,61 0,01*** 6,290 7,496 -0,9 0,335
disponible

Groupe socioculturel
0,431 0,371 0,7 0,486 0,431 0,400 0,35 0,724
Fon

Zone proche d’un


0,123 0,100 0,42 0,673 0,123 0,077 0,87 0,384
grand centre urbain

Source : les auteurs.

76 Les résultats de l’estimation de l’impact du conseil agricole privé promu par le RéPAB
sur l’efficacité technique des producteurs d’ananas sont résumés dans le tableau 6.

Tableau 6. mpact du conseil agricole privé du RéPAB sur l’efficacité technique des producteurs
d’ananas au sud du Bénin

Type de modèle Effet causal T-Stat

Appariement (avec fonction noyau) : Kernel matching 0,0747** 1,96

Analyse de régression (MCO) 0,0430* 1,88

Source : ** significatif à 5 % ; * significatif à 10 %.

77 Les résultats du tableau 6 confirment que le conseil agricole privé promu par le RéPAB a
un impact significatif à 5 % sur l’efficacité technique des producteurs d’ananas. Les
deux méthodes appliquées ont donné exactement les mêmes résultats. En participant
au conseil, le producteur peut améliorer son efficacité technique de 7,5 points de
pourcentage, en moyenne. Le niveau moyen d’efficacité technique des producteurs
participants est estimé à 68,5 %. Il faut remarquer que l’impact est largement sous-
estimé lorsque l’analyse de régression (avec MCO) est appliquée.

Discussion des résultats


78 Dans la littérature, aucune étude n’a abordé l’impact du conseil agricole privé conduit
par les organisations professionnelles paysannes sur l’efficacité technique
spécifiquement pour l’ananas. Toutefois, Abate et al. (2014) et Dinar et al. (2007) ont
analysé les effets du conseil agricole privé sur la production totale des exploitations.

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


75

Abate et al. (2014) ont trouvé qu’en Éthiopie, les ménages agricoles qui ont participé aux
services délivrés par les coopératives agricoles ont obtenu un niveau d’efficacité
technique de 67,2 % contre 62 % pour les autres producteurs, soit une amélioration du
niveau d’efficacité technique de l’ordre de 8,4 %. Selon Dinar et al. (2007), le niveau
d’efficacité des producteurs qui ont accès au conseil agricole privé atteint 74 % contre
57 % lorsque le producteur n’a pas eu accès au conseil en Grèce, soit une amélioration
de 30 %.
79 Les études conduites par Godtland et al. (2004) et Davis et al. (2012) constituent aussi des
travaux de référence dont les résultats peuvent être comparés à ceux de la présente
recherche. Cependant, comme il a été souligné dans les discussions précédentes, ces
auteurs n’ont pas retenu l’efficacité technique comme indicateur d’impact mais plutôt
les productivités partielles. L’étude Godtland et al. (2004) est intéressante parce que
l’intervention dont elle a évalué l’impact est semblable à celle analysée dans la présente
recherche. Il s’agit d’un projet de conseil agricole promu par une ONG (CARE
International) pour appuyer les producteurs de pomme de terre au Pérou. Ce projet a
aussi appliqué la méthode FFS. Godtland et al. (2004) ont trouvé que les participants au
projet de conseil agricole sont en mesure d’accroître leur ratio output/intrants de
semences de 32 %, en moyenne. Davis et al. (2012) ont analysé l’impact du conseil
agricole basé sur la méthode FFS et promu par le Fonds international de
développement agricole (FIDA) et la FAO au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda.
L’impact estimé sur la productivité de la terre est positif au Kenya et en Tanzanie (81 %
et 22,8 %, respectivement). Mais il est négatif en Ouganda (-9,7 %).
80 En définitive, la présente recherche a permis de confirmer que le projet de conseil
agricole promu par le RéPAB est pertinent et l’ampleur de son impact est intéressante.
Toutefois, alors qu’ils constituent une forte majorité au sein de la population des
producteurs (presque les deux tiers), les résultats montrent que les paysans les moins
instruits (niveau primaire ou non-instruits) sont moins représentés parmi les
participants au conseil, toutes choses égales par ailleurs. L’impact estimé pourrait donc
s’améliorer si les facteurs de blocage de leur adhésion au système sont éliminés. Il
s’agira probablement d’ajuster le contenu et le dispositif de conseil à leur situation,
mais une étude spécifique pour approfondir cette question sera nécessaire.
81 Par manque de données, l’impact estimé n’a pas été nettoyé des effets de diffusion
éventuels. Toutefois, s’ils existent et étaient pris en compte, l’impact mesuré aurait été
plus élevé. Mais, cet aspect crucial de l’évaluation des projets/programmes de conseil
agricole mérite d’être intégré aux recherches futures.

Conclusion
82 La présente étude a permis d’analyser l’impact du conseil agricole piloté par une
organisation professionnelle agricole (le RéPAB) sur l’efficacité technique de la
production de l’ananas au Bénin. Dans la zone d’étude, le RéPAB a développé et conduit
un dispositif de conseil agricole dans un environnement où les services publics de
vulgarisation agricoles sont insuffisants.
83 En appliquant la méthode d’appariement basée sur les scores de propension, cette
étude a permis de prouver que cette activité du RéPAB était à la fois utile et efficace.
Les résultats obtenus ont montré que le conseil technique piloté par le RéPAB a

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76

amélioré significativement l’efficacité technique des producteurs. Le niveau d’efficacité


des producteurs participants au conseil s’est accru de plus de sept points de
pourcentage, en moyenne.
84 Néanmoins, un phénomène d’exclusion du conseil (provoquée ou auto-exclusion) se
développe envers les producteurs les moins instruits alors qu’ils constituent une forte
majorité. Si cette exclusion était atténuée, l’impact du projet de conseil agricole du
RéPAB pourrait être renforcé.
85 Le Réseau des producteurs d’ananas du Bénin (RéPAB) a reçu divers appuis pour
développer le conseil agricole. Que deviendrait cette approche au retrait des
partenaires au développement ? Déjà les contraintes budgétaires ne permettent pas au
RéPAB d’atteindre la majorité des producteurs. Les producteurs d’ananas peuvent-ils
supporter les coûts du conseil agricole ? Il serait donc intéressant de mesurer le
consentement à payer des producteurs quand il est envisagé de mettre en place un
service payant. Les facteurs de blocage de l’adhésion des producteurs les moins
instruits au système devront être aussi l’objet d’une étude spécifique.

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RÉSUMÉS
Cet article vise à mesurer l’impact du conseil agricole piloté par le Réseau des Producteurs
d’Ananas du Bénin (RéPAB) sur l’efficacité technique de la production de l’ananas. Avec un
échantillon représentatif de 135 producteurs, les résultats obtenus avec la méthode
d’appariement basée sur les scores de propension ont montré que les conseils offerts aux
producteurs par le RéPAB ont permis d’accroître l’efficacité technique de la production de
l’ananas au Bénin de 11,2 % par rapport à l’indice d’efficacité moyen de l’échantillon de 66,7 %.
Néanmoins, pour produire davantage d’effets, ces conseils méritent d’être renforcés pour
atténuer l’exclusion du système des producteurs les moins instruits qui sont les plus nombreux.

This study aims to measure the impact of the most influential pineapple producers’ association,
the Réseau des Producteurs d’Ananas du Bénin (RéPAB), on technical efficiency regarding
pineapple production. With a randomized sample consisting of 135 pineapple producers, the
results obtained using propensity score matching show that the advice offered to producers by
RéPAB increased technical efficiency of pineapple production by 11.2 percent in relation to the
average observed technical efficiency of 66.7 percent. However, this impact could be enhanced if
the services delivered were improved in order to reduce the exclusion from the system of small-
scale producers with a low level of education, the largest category in the population.

INDEX
Keywords : propensity score matching, technical efficiency, agricultural advisory service,
impact, Benin
Mots-clés : appariement, efficacité technique, conseil agricole, impact, Bénin
Code JEL C31 - Cross-Sectional Models; Spatial Models; Treatment Effect Models, C35 - Discrete
Regression and Qualitative Choice Models, Q12 - Micro Analysis of Farm Firms; Farm Households;
and Farm Input Markets, Q18 - Agricultural Policy; Food Policy

AUTEURS
ESAÏE GANDONOU
Faculté des Sciences Agronomiques (FSA), Université d’Abomey-Calavi, Bénin ;
egandonou@yahoo.fr

SYLVAIN KPENAVOUN CHOGOU


Faculté des Sciences Agronomiques (FSA), Université d’Abomey-Calavi, Bénin ;
sylvain.kpenavoun@gmail.com

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ANSELME ADEGBIDI
Faculté des Sciences Agronomiques (FSA), Université d’Abomey-Calavi, Bénin ;
ansadegbidi@yahoo.fr

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Les coopératives agricoles dans la


transition écologique des
agriculteurs. Les dispositifs de
preuve de l’intérêt économique
Agricultural cooperatives in the ecological transition of farmers: Tools for
proving economic interest

Soazig Di Bianco, Nejla Ben Arfa, Mohamed Ghali, Élodie Turpin et Karine
Daniel

NOTE DE L'AUTEUR
Cette étude a bénéficié d’un soutien financier de la Région Pays de la Loire et de l’une
des coopératives enquêtées. Les auteurs remercient les coopératives ainsi que
l’ensemble des personnes interrogées pour l’enquête. Les auteurs tiennent également à
remercier les deux relecteurs anonymes de la revue dont les commentaires et
suggestions ont permis d’améliorer significativement la qualité de cet article.

1 Dans les débats sur le développement durable de l’agriculture, une forme de consensus
international émerge sur l’identification de l’agroécologie comme un ensemble de
principes permettant une meilleure prise en compte des services écosystémiques
(Stassart et al., 2012 ; Wezel et al., 2009).
2 L’intensification écologique implique différentes structures de gouvernance selon les
degrés de changement dans les pratiques, les normes et connaissances (Duru et al.,
2015). Plusieurs types de dispositifs ont été conçus pour l’encourager (Mormont, 1996).
Son soutien par les politiques publiques dans sa forme standard et incrémentale n’a pas
atteint les objectifs fixés par les décideurs publics. En effet, malgré une diversité
d’instruments tels que l’éco-conditionnalité, l’incitation ou la réglementation, les

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


81

dispositifs agri-environnementaux sont souvent jugés inefficaces et rencontrent un


taux faible de participation des agriculteurs en France et en Europe (ECA, 2011).
3 Ces limites de l’action publique révèlent une complexité de la question de l’engagement
des agriculteurs dans la transition agroécologique et la nécessité d’adopter une analyse
multi-acteurs et multi-scalaire afin d’analyser les interdépendances dans lesquelles ils
sont pris (Duru et Therond, 2015a).
4 D’autres structures de gouvernance constituées d’acteurs privés dont les coopératives
agricoles ont saisi ce concept d’intensification écologique. La notion d’Agriculture
écologiquement intensive (AEI) émerge dans ce contexte en reprenant les principes de
l’agroécologie dans une définition réduite aux fonctionnalités écologiques de
l’agrosystème mises au service de la production agricole. Elle permet aux acteurs
d’élaborer une proposition technique sur un socle technologique peu politisé (Di
Bianco, 2018 ; Goulet, 2012 ; Griffon, 2013 ; Ghali et al., 2014).
5 En effet, les coopératives, au cœur des filières, peuvent influencer les standards de
production et apparaissent comme des acteurs clés de la transformation des pratiques
des agriculteurs (Di Bianco, 2018 ; Roussary et al., 2013). Cependant cette voie de
développement de la transition agroécologique est peu étudiée (Compagnone et al.,
2015 ; Faure et Compagnone, 2011 ; Villemaine, 2016) et l’intérêt porté à l’AEI par les
coopératives est considéré soit comme un « verdissement » des discours sans réel
impact sur les pratiques (Calame, 2013 ; Goulet, 2012), soit comme une forme de
modernisation agroécologique (Compère et al., 2013 ; Duru et Therond, 2015a) dont il
convient d’étudier les ressorts.
6 Ainsi, notre travail interroge l’engagement des coopératives et leur rôle dans la
transition écologique des agriculteurs. Il se centre sur le cas de trois coopératives de
l’Ouest de la France engagées dans l’AEI1 et analyse leur contribution à l’engagement
des agriculteurs dans une démarche d’écologisation. Par conséquent, cette étude
originale repose sur l’articulation d’analyses quantitatives et qualitatives diachroniques
caractérisant conjointement les modalités et les facteurs d’engagement des
coopérateurs, aussi bien que les actions menées pour les mobiliser dans l’AEI.
7 La première partie présente une revue de littérature sur le développement du concept
d’AEI ainsi qu’une revue des facteurs d’adoption de pratiques écologisées. La deuxième
partie présente les enquêtes réalisées et les méthodes d’analyse retenues. Les résultats
obtenus sur les modalités d’engagement des agriculteurs dans la démarche AEI et la
réponse apportée par l’une des coopératives investies dans cette démarche sont
présentés et discutés dans la troisième partie.

Revue de littérature. Pratiques écologisées et facteurs


d’adoption
1. L’AEI : des pratiques agricoles écologisées

8 L’AEI apparaît lors du Grenelle de l’environnement dans le but de faire avancer la


réflexion sur la compatibilité d’objectifs de production et de réduction de l’empreinte
écologique (Griffon, 2013). Ce concept renvoie à l’acception du terme « agroécologie »
employé par les acteurs politiques nationaux et continue sa diffusion, au moins dans
l’Ouest de la France, grâce à l’action d’acteurs institutionnels tels que les coopératives

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et la chaire AEI2. Il est défini comme une démarche vers un « système de production
caractérisé par des techniques et technologies ayant pour objectif d’intensifier les
fonctions d’un écosystème de production, permettant de maximiser la production
agricole et les aménités environnementales, de réduire les externalités négatives et
d’améliorer la gestion des ressources naturelles » (Ghali et al., 2014).
9 Contrairement à d’autres dispositifs d’écologisation, la démarche AEI considère les
fonctionnalités écologiques comme un facteur de production au service d’une
amélioration de la productivité agricole à moindre impact environnemental, et non
seulement en termes d’enrichissement de l’ensemble de l’agrosystème en biodiversité.
À cet égard, elle apparaît comme une « modernisation écologique faible » (Duru et
Therond, 2015b). Lors de son apparition, le seul cadre théorique auquel l’AEI pouvait
faire référence est celui de la théorie mathématique de la viabilité permettant
d’intégrer les caractéristiques économique, environnementale et sociétale du
développement durable (Aubin, 1991). Cette théorie permet de déterminer les
possibilités d’évolution des pratiques des exploitations engagées dans une démarche
AEI qui doivent évoluer dans un cadre de « contrôle viable » (Martinet, 2010). Ghali
et al. (2014) conceptualisent l’AEI en mobilisant les concepts néoclassiques de
l’économie de l’environnement (externalité), de l’économie écologique (production
jointe) et de l’économie de production (notamment son concept d’efficacité technique)
pour éclairer la considération économique de l’intensification écologique. Cependant,
l’adoption de pratiques issues de l’AEI dépend de plusieurs facteurs et reste limitée
(Ridier et al., 2013).

2. Les facteurs d’adoption de pratiques écologisées

10 L’étude de l’adoption des technologies et des pratiques écologisées en agriculture est


un sujet difficile au regard des nombreux déterminants inobservables. La littérature ne
présente pas de classification universelle des déterminants de l’adoption de nouvelles
pratiques en agriculture. Néanmoins, Knowler et Bradshaw (2007) proposent quatre
classes de facteurs d’adoption de pratiques agricoles écologisées : ceux liés aux
caractéristiques de l’agriculteur et de son ménage (âge, niveau d’étude, représentations
de l’environnement, attitude face risque, etc.) ; ceux liés aux caractéristiques
biophysiques de l’exploitation (sol, taille de l’exploitation et des parcelles, agencement,
etc.) ; ceux liés à la gestion et aux résultats (revenus et dépenses, travail, endettement,
etc.) et les facteurs exogènes (variabilité des prix, subventions, organisations, sources
et accès à l’information, etc.). Si la considération de ces facteurs exogènes est discutée,
l’information est identifiée comme une variable principale et se renforce avec le degré
de complexité des nouvelles pratiques ou technologies (Nowak, 1987). Dans ce cadre, le
rôle des coopératives devient primordial en tant que vecteur d’information permettant
de modifier la perception des risques chez les agriculteurs et de favoriser l’adoption de
pratiques.
11 Par ailleurs, les agriculteurs se distinguent classiquement selon la vitesse à laquelle ils
adoptent l’innovation, opposant « précurseurs », « suiveurs » et « retardataires »
(Diederen et al. , 2003). Il apparaît également nécessaire de considérer la spécificité
locale de certains facteurs d’adoption (Knowler et Bradshaw, 2007). Néanmoins, la
spécificité locale des pratiques agroécologiques diminue leur diffusion et amène les
agriculteurs à poser un regard découragé sur le niveau de technicité requis pour

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


83

évaluer et gérer les risques liés à ces pratiques (Roussary et al., 2013). Dès lors, la
capacité de l’agriculteur à obtenir des informations considérées « fiables », notamment
par son inscription dans un réseau de conseil, s’avère déterminante de leur
engagement dans un changement de pratique (Marra et al., 2003 ; Lazega, 2011 ;
Compagnone, 2017). En effet, les interactions sociales représentent le premier pas vers
la transformation (Compagnone et Pribetich, 2017 ; Lamine, 2011). Si les agriculteurs se
constituent eux-mêmes en réseaux d’échanges pour confronter leurs savoirs et
expériences, l’animation de ces réseaux est au cœur de l’activité des organisations
collectives de conseil (Rémy et al., 2006 ; Compagnone, 2014).
12 Depuis les années 2000, celles-ci investissent massivement dans la formalisation de
preuves adressées aux conseillers et agriculteurs pour les inciter à mettre en œuvre des
changements (Labarthe et al., 2013). Si la fiabilité de ces preuves est assurée par le back-
office qui comprend la veille technologique, l’accumulation de références, l’analyse des
bases de données et la production de connaissances, l’évaluation de leur pertinence est
réalisée en front-office dans les échanges entre agriculteurs et conseillers (Labarthe
et al., 2013).
13 L’équilibre entre ces deux activités détermine les différentes logiques de performance
du conseil et influence la qualité de la connaissance et des preuves fournies aux
agriculteurs. Le jugement de pertinence dont dépend l’adoption est lié au choix des
acteurs présents, à leur statut et à la règle de rationalité suivie dans l’échange. Ce
jugement établit des relations d’interdépendance épistémique entre les membres
(Lazega, 2011).
14 D’autres travaux montrent que les agriculteurs sont pris dans un système
sociotechnique qui agit à la fois comme une ressource et une contrainte (Duru et al.,
2015). Ce système leur permet d’introduire des changements de pratiques validés
collectivement, mais complique leur engagement dans des pratiques agroécologiques
plus disruptives. Dès lors, pour favoriser la re-conception agroécologique des systèmes
agricoles, il convient d’élargir la considération de cette problématique aux acteurs
para-agricoles tels que les coopératives (Duru et Therond, 2015b).

Méthodologie
15 Les travaux consacrés à l’adoption et la diffusion des innovations sont nombreux. La
plupart mobilisent des méthodes économétriques basées sur des fonctions déjà définies
(forme exponentielle, logarithmique, fonction de densité) dans lesquelles les
chercheurs sélectionnent un nombre de variables potentiellement indépendantes pour
les introduire dans leurs analyses. Ces analyses sont basées sur une pré-théorisation et
des tests utilisant généralement des modèles de régression Logit, Probit, OLS, etc., pour
déterminer les variables statistiquement corrélées avec l’adoption ou la non-adoption.
16 Les variations de méthodes de recherche sur l’adoption reflètent des différences de
qualité des analyses et une focalisation sur les méthodes plus que les phénomènes
analysés (Knowler et Bradshow, 2007). Ces études montrent aussi que les résultats
dépendent fortement de la région dans laquelle une analyse de l’adoption est
entreprise.
17 Dans ce travail, les phénomènes étudiés sont l’engagement des agriculteurs du Grand-
Ouest dans une démarche AEI et le rôle des coopératives dans cet engagement. Or l’AEI

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ne dispose pas d’un cahier des charges ni d’un catalogue d’innovations


environnementales permettant de distinguer des agriculteurs « AEI » et « non-AEI ». En
outre, la multiplicité des discours mobilisant l’AEI dans différentes acceptions brouille
sa définition et son appréhension par les agriculteurs.
18 Afin de considérer ces spécificités, ce travail propose une démarche méthodologique
articulant des analyses quantitatives et qualitatives permettant, à l’image des travaux
de Diederen et al. (2003), de saisir le comportement et les différentes modalités
d’engagement des agriculteurs face à cette offre de pratiques inspirées de la démarche
AEI et d’expliciter les facteurs déterminants. Ainsi deux enquêtes distinctes 3 ont été
menées.

1. Les enquêtes

19 La première enquête, qualitative et quantitative, est conduite auprès d’une centaine


d’adhérents de coopératives. Elle repose sur un guide composé de questions ouvertes
structurées en quatre thèmes visant à comprendre i) leurs dynamiques d’innovation et
de changement, ii) leurs différentes postures face à l’écologie, iii) leur réaction quant à
l’offre AEI portée par les coopératives et iv) leur positionnement par rapport à cette
stratégie. Dans ce premier guide d’entretien, la dimension écologique 4 et l’AEI ont été
abordées en dernier afin de ne pas orienter le discours, puis complétées par un
recensement des pratiques agricoles environnementales déjà conduites sur
l’exploitation. Le guide d’entretien comporte également un talon sociologique afin
d’analyser les variables structurelles de l’exploitation et de mener une analyse
comparative des exploitations enquêtées.
20 Le travail de terrain permet de définir quatre variables descriptives caractérisant
respectivement des variantes dans les pratiques agricoles, les représentations de
l’écologie, les représentations de l’AEI et enfin la propension des agriculteurs à
s’engager dans la démarche AEI. Le tableau 1 présente ces variables et leurs modalités.

Tableau 1. Les variables et modalités de réponse

Modalité de
Nom de répartition des Effectif /
Description Descriptif de répartition
variable variables par groupe modalité
d’agriculteurs

Agriculteurs ayant
uniquement des
Pratiques1 18
pratiques
réglementaires

Pratiques
Nature des pratiques réglementaires + 1
Pratiques Pratiques2 45
environnementales pratique non obligatoire
(occasionnellement)

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85

Pratiques
réglementaires +
Pratiques3 37
plusieurs pratiques non
obligatoires

L’écologie perçue
Écologie1 22
comme contrainte

Perception
Agriculteurs indifférents
Écologie de la dimension Écologie2 31
à l’écologie
écologique

Agriculteurs sensibilisés
Écologie3 47
par l’écologie

Agriculteurs sans
Positionnement1 70
positionnement clair

Perception
Positionnement Positionnement2 Positionnement partiel 18
de l’AEI

Positionnement total
Positionnement3 12
dans une démarche AEI

Agriculteurs ne
Engagement1 22
souhaitant pas s’engager

Engagement
Agriculteurs perplexes
Engagement dans la démarche Engagement2 43
et en attente
AEI

Agriculteurs prêts à
Engagement3 45
s’engager

Source : les auteurs.

21 La seconde enquête, qualitative, s’appuie sur des observations recueillies lors d’une
quarantaine de journées d’accompagnement des technico-commerciaux de l’une des
trois coopératives dans leurs rendez-vous avec les agriculteurs. Ces observations sont
ensuite complétées par des entretiens semi-directifs conduits d’une part auprès de
technico-commerciaux, sélectionnés pour représenter une diversité géographique et
sociologique (âge, expériences professionnelles) ; et d’autre part auprès d’agriculteurs
choisis pour la diversité de leur engagement dans la démarche AEI présentée dans le
tableau 1.

2. La population étudiée

22 La population enquêtée est composée de 100 adhérents des coopératives de l’Ouest de la


France (annexe 1,
2). L’échantillon représente une diversité de systèmes de production et couvre un vaste
territoire. Les enquêtés ont en moyenne 47 ans lors de l’enquête et sont installés depuis
environ 22 ans. À noter que 61 % d’entre eux sont dans des exploitations sociétaires
alors que la moyenne des départements enquêtés est de 38 %. Les exploitations de

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86

polyculture-élevage représentent 26 % contre 17 % en moyenne et la production


laitière représente 52 % contre 45 % en moyenne du territoire concerné.

3. Traitement des données

23 Après avoir caractérisé les réponses des agriculteurs selon la grille présentée dans le
tableau 1, les données sont traitées à partir d’une analyse des correspondances
multiples (ACM) afin de réduire le nombre de variables descriptives. Puis, une
classification ascendante hiérarchique (CAH) rassemble les individus selon les axes
déterminés par l’ACM5, faisant apparaître des profils-types sur les deux dimensions
identifiées par l’ACM. La classification des agriculteurs ainsi obtenue permet de
distinguer les agriculteurs selon leur rapport à l’écologisation des pratiques et de les
situer dans le processus d’adoption.
24 Dans un second temps, une analyse économétrique est réalisée en utilisant un modèle
de régression logistique multinomiale6 afin de caractériser les agriculteurs des
différentes classes obtenues. Ce choix est en accord avec la littérature sur l’adoption
qui décrit les processus d’adoption comme ayant une nature logistique (Griliches, 1957 ;
Rogers, 1983). Ce modèle permet d’expliciter les facteurs déterminants de
l’appartenance des agriculteurs aux différentes classes et de questionner leur
accompagnement dans cette transition agroécologique.

Résultats et discussion
1. Diversité de mobilisation des agriculteurs dans la démarche AEI

25 L’ACM permet d’identifier quatre classes d’agriculteurs, positionnées selon les variables
présentées dans le tableau 1, sur un graphique composé de deux axes (figure 1). Le
premier axe (Dim1)7 est expliqué en premier lieu par les pratiques que les agriculteurs
déclarent mettre en place en faveur de l’environnement (pratiques) et en second lieu
par leur perception de la dimension écologique (écologie). Le second axe (Dim2)
représente la propension à s’investir dans une démarche de type AEI (engagement). Le
positionnement par rapport à l’AEI (positionnement) est la seule variable dont les
modalités ne sont pas ordonnées sur les axes en raison d’un renseignement partiel de la
variable qui dénote une vision floue de ce que recouvre l’AEI.

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87

Figure 1. Représentation des classes d’individus obtenues par CAH dans les axes de l’ACM

Source : les auteurs.

26 Les quatre classes8 correspondent à quatre profils d’agriculteurs caractérisés par leur
rapport à l’écologie et à l’AEI. La figure 1 montre qu’une catégorie d’agriculteurs
(classe 1) se distingue nettement en termes de mise en place de pratiques écologiques
et de perception de l’écologie (Dim1). Les 22 agriculteurs de cette classe (22 %) voient le
sol comme un écosystème vivant et l’associent à un outil de travail, un « capital » qu’il
convient de préserver. Ils déclarent ainsi favoriser des pratiques écologiques sur leur
exploitation, être prêts à s’engager dans la démarche AEI même s’ils se sentent en
avance par rapport à celle-ci. Cette propension à s’engager les rapproche des
agriculteurs de la classe 4 (31 agriculteurs, 31 %) qui considèrent eux aussi l’innovation
comme à la fois un signe de distinction sociale et comme une dynamique d’anticipation
dans le refus de subir des contraintes externes. Cependant ces derniers sont
indifférents à la dimension écologique, et leurs changements de pratiques sont motivés
par un désir de compresser les charges et de diminuer leur temps de travail.
Indépendamment de leur sensibilité à l’écologie, les agriculteurs de ces deux classes
conditionnent leur engagement dans des pratiques AEI à l’apport de plus-value
économique.
27 Les classes 2 et 3 comportent respectivement 15 et 32 agriculteurs, indifférents à
l’écologie mais mettant en place certaines pratiques environnementales, d’ordre
réglementaire.
28 La distinction entre les quatre classes par rapport à leur propension à s’engager dans la
démarche AEI permet de qualifier les agriculteurs de la classe 1 de « Primo-adoptants »,
les agriculteurs de la classe 4 de « Pragmatiques » puisqu’ils présentent un goût pour
l’innovation, mais s’engagent à risques maîtrisés et les agriculteurs de la classe 3
d’« Attentistes », puisqu’ils attendent des preuves de réussite avant tout engagement.
Ceux de la classe 2 ne s’intéressant pas et ne s’engageant dans une démarche AEI sont

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qualifiés de « Réticents ». Cette classification renvoie à celle de Diederen et al. (2003) qui
ont dégagé des profils d’agriculteurs comparables, s’inscrivant dans le processus
classique d’adoption d’innovations (Rogers, 1983).
29 Les classes 1 et 4, qui sont statistiquement plus proches l’une de l’autre que des classes
2 et 3, se distinguent par la volonté des agriculteurs de s’engager dans la démarche AEI
(Dim2). En effet, les deux dimensions étudiées, écologique d’une part, et engagement
dans l’AEI d’autre part, ne convergent pas. La question écologique n’apparaît pas
comme un argument de mobilisation des agriculteurs dans cette démarche AEI. Les
pratiques AEI apparaissent ainsi comme une proposition d’innovation semblable à
toute autre (Diederen et al., 2003). À ce sujet, Weiss et al. (2006) suggèrent de dissocier
les représentations de l’environnement, la prise de conscience environnementale et la
responsabilité perçue des pratiques des agriculteurs. Ils n’évaluent donc pas les
pratiques écologiques selon des critères environnementaux, mais selon d’autres
critères qui restent à éclaircir. Aussi, ces résultats nous encouragent à approfondir
l’analyse des enquêtes afin d’identifier les facteurs explicatifs des différents
comportements.

2. Facteurs de discrimination socio-économique des postures des


agriculteurs

30 La régression logistique multinomiale mobilise des variables de structure comprenant


des caractéristiques propres à l’agriculteur et à l’exploitation, et des variables
comportementales comme le rapport au risque ou la stratégie de partenariat (annexe 3).
Deux modèles permettent de caractériser les agriculteurs des différentes classes : le
modèle 1 n’intègre pas de données économiques et est appliqué à l’ensemble des
individus de l’échantillon enquêté (100 observations). Dans le modèle 2 sont intégrées
les variables économiques (Excédent Brut d’Exploitation et le taux d’endettement). Ce
modèle repose sur 70 observations, par manque de données. Le tableau 2 9 présente la
répartition des individus entre les différentes classes.

Tableau 2. Effectifs des différentes classes identifiées selon le modèle utilisé

Classe 1 – primo-adoptants 2 – réticents 3 – attentistes 4 - pragmatiques

Modèle 1 22 15 32 31

Modèle 2 18 7 26 19

Source : calcul des auteurs.

31 Les résultats des deux modèles (tableau 3) permettent de déterminer l’effet des
variables testées dans l’appartenance des agriculteurs à une classe donnée, mais ne
permettent pas de statuer sur l’importance relative de chacun de ces facteurs.

Tableau 3. Résultats des modèles explicatifs des profils d’agriculteurs

« Primo-adoptants » « Pragmatiques » « Attentistes »


Variables

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Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2

Âge 0,872 ** - 0,907 ** - 0,881 ** -

Réseau-pairs - - 0,263 * - 0,207 ** -

Partenaires_autres/privés 0,162 * 0,088 * - - - -

Partenaires_OPA/institutions 4,885 * 17,752 ** 7,140 ** 19,230 ** - -

Respo_coop 5,498 * - - - - -

Respo_extrapro - 12,048 * - - - -

Associés - 28,948 ** - - - 13,970 **

Eco_txendet – - – 1,07 ** – -

Nb. OBSERVATIONS 100 70 100 70 100 70

Significativité des tests : * p<0,1 ; ** p<0,05 ; *** p<0,001.

Source : calcul des auteurs.

32 Dans cette régression le profil des agriculteurs dits « réticents » est choisi comme
référence de comparaison avec les autres profils. Pour faciliter la lecture, seules les
variables statistiquement significatives sont représentées. Les odds-ratios obtenus
donnent les probabilités d’appartenance à un groupe par rapport au groupe de
référence et sont mesurés par la formule suivante :

33 Les résultats montrent que l’odds-ratio attaché à la variable Âge est très significatif pour
les trois groupes. Il est de 0.872 pour le groupe Primo-adoptants, 0.907 pour les
Pragmatiques et de 0.881 pour les Attentistes. Ainsi, un agriculteur plus âgé a moins de
chance d’être dans un de ces trois groupes que dans celui de référence (les Réticents).
Ce résultat conforme à la littérature montre que l’âge est négativement corrélé à la
probabilité d’adoption des innovations (Diederen et al., 2006) et que celle-ci est
maximale à un âge intermédiaire (Akudugu et al., 2012).
34 La perception du risque associée à la mise en place de nouvelles pratiques agricoles est
souvent considérée, dans la littérature, comme un facteur déterminant de leur

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adoption (Marra et al., 2003 ; Ridier et al., 2013 ; Weiss et al., 2006). Cependant dans notre
modèle ce facteur n’est pas discriminant dans la détermination des groupes et leur
propension à innover. En effet, 50 % des agriculteurs enquêtés déclarent être averses au
risque ou prendre des risques modérés en mettant en place des tests accompagnés par
des organismes partenaires (38 %). Pour eux, l’apprentissage permet de réduire le
risque : « On fait ça dans le progressif, on ne va pas engager tout le changement d’un coup… ».
Enfin, les plus tolérants au risque ne représentent que 9 % et n’appartiennent pas
nécessairement au groupe des Primo-adoptants, qui veillent à ne pas mettre en péril
leur exploitation : « On ne prend jamais de risques démesurés » ; « Le fait de mélanger des
plantes, on est déjà plus sûr d’avoir un bon développement du couvert donc moins de risque ».
35 Les résultats montrent également que les agriculteurs sollicitant des Organisations
professionnelles agricoles (OPA) telles que les chambres d’agriculture en complément
de l’appui de leur coopérative ont davantage de chance d’appartenir au groupe des
Primo-adoptants ou des Pragmatiques. Leurs déclarations montrent qu’ils associent la
chambre d’agriculture à l’idée d’accompagnement technique spécialisé : « La chambre
d’agriculture fait de la formation. Ça bouge un peu. Ça m’intéresse », et associent davantage la
coopérative à l’idée de sécurisation des pratiques et de collecte d’information. Les
Primo-adoptants et Pragmatiques regrettent par exemple l’absence d’accompagnement
dans l’expérimentation « […] j’avais commencé avant qu’ils définissent les objectifs » ; « Des
fois on va leur apporter plus qu’ils nous apportent », mais sont globalement satisfaits que la
coopérative se lance dans cette démarche « … C’est sans doute une force parce qu’on va vers
des produits AEI… il y a une réalité commerciale derrière ».
36 À l’inverse, pour les Réticents et les Attentistes, ce faible lien avec les OPA s’intègre
dans une logique d’optimisation du temps investi dans le partenariat. Ainsi, les
Réticents se trouvent plus enclins à mobiliser un réseau de travail entre pairs, plutôt
local, en marge duquel les OPA ne sont pas considérées comme des partenaires
techniques, mais comme des structures commerciales.
37 Par ailleurs, la présence d’associés sur une exploitation augmente les chances
d’appartenir au groupe des Primo-adoptants. Ce résultat renvoie au fait que ces
agriculteurs sont les plus investis dans d’autres partenariats et responsabilités
professionnelles ou extra-professionnelles. Certains agriculteurs évoquent néanmoins
l’inertie des décisions du fait de la multiplicité des décideurs, notamment les
Pragmatiques et les Réticents, même si ces derniers ont tendance à travailler seuls. Ce
résultat est à nuancer du fait de la surreprésentation des formes sociétaires de notre
échantillon.
38 Le modèle 2 permet en outre d’identifier le taux d’endettement comme un facteur
déterminant d’appartenance au groupe des Pragmatiques qui ont une volonté
d’engagement dans des pratiques écologiques, mais restent en attente de preuve de
plus-value économique, vraisemblablement en raison d’une capacité d’investissement
limitée.
39 Afin d’étendre cette analyse, nous testons ce modèle sur chacune des variables
constitutives de la typologie des profils (pratiques, écologie, positionnement et
engagement), de manière distincte et indépendamment de l’appartenance des
agriculteurs à un profil déterminé. Les résultats les plus marquants concernent la
variable « engagement » qui apparaît corrélée aux facteurs « âge » et « relation de
l’agriculteur aux organismes professionnels » : plus l’agriculteur fait appel à un
partenariat institutionnel et technique qui conforte et appuie la démarche d’innovation

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environnementale, plus il est enclin à adopter des pratiques en faveur de


l’environnement. Ce résultat montre que l’environnement professionnel et le réseau
dans lequel s’inscrit l’agriculteur sont aussi importants que les caractéristiques
structurelles des exploitations. Ces résultats sont conformes à la méta-analyse faite par
Knowler et Bradshaw (2007) ayant montré que la diversification des sources
d’informations et la participation à des programmes subventionnés favorisent
l’adoption, et à la littérature plus récente en économie comportementale (Farrow et al.,
2017) et en sociologie (Compagnone et Pribetich, 2017) qui souligne l’importance des
interrelations dans la construction des représentations sociales et la transformation
des pratiques des agriculteurs.
40 Ainsi, quand bien même l’engagement des coopératives du Grand Ouest dans l’AEI a été
souhaité par leurs adhérents, celles-ci se heurtent à des difficultés de mobilisation de
ces mêmes agriculteurs. Ceci nous amène à explorer les dispositifs mis en œuvre par
l’une de ces coopératives pour mobiliser ses adhérents dans cette démarche AEI.

3. La coopérative dans la construction de preuves

41 Les résultats d’une enquête approfondie réalisée au sein d’une coopérative du Grand
Ouest de la France qui a inscrit l’AEI au cœur de sa stratégie de développement sont
présentés dans cette partie. Ils permettent de recenser les actions de la coopérative
traduites ici en termes de preuve dans un dispositif d’accompagnement d’une diversité
d’agriculteurs dans la démarche AEI. Cependant, une clarification de la notion de
preuve s’impose avant de s’intéresser à la façon dont la coopérative va l’apporter.
42 Une preuve est un test d’une construction (spatiale, sociale, numérique) supposée de
prime abord correcte, qu’il convient de démontrer pour en établir la vérité. Les
procédures d’administration de la preuve peuvent varier selon la logique de
démonstration (déductive ou inductive) et les instruments de mesure sélectionnés. En
tant que constructions sociales, l’acceptation de ces preuves repose sur l’utilisation
d’un contexte logique et d’un langage communs (Volken, 2003). Dès lors, pour
convaincre ses adhérents de s’engager dans la démarche AEI, la coopérative doit
construire et présenter des preuves de son intérêt qui soient intelligibles et acceptées
comme telles par cette diversité d’agriculteurs.

4. Apporter la preuve de l’intérêt économique des nouvelles


pratiques

43 La sécurisation de la mise en œuvre des pratiques environnementales est essentielle


pour les agriculteurs (Ridier et al., 2013). Afin de réduire cette aversion au risque de
perte, la coopérative a développé plusieurs outils visant à faciliter la conduite des
exploitations, à augmenter et sécuriser les niveaux de production, et à améliorer le
revenu des agriculteurs.

La technologie numérique et la data au service de la maîtrise du risque

44 La coopérative développe des outils d’aide à la décision (OAD) conçus pour mesurer le
niveau de risque encouru sur une culture et agir pour le diminuer. Ces OAD analysent
de grandes quantités de données issues des sondes, capteurs, analyses de sol ou d’ADN 10

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et encapsulent (Boullier, 2016 ; Lazega, 2011) une partie des connaissances


agroécologiques dans un algorithme afin de délivrer une note de risque agronomique
induit par la pratique concernée. Le succès de ces outils confirme la primauté des
préoccupations des adhérents pour la rentabilité économique de leur exploitation et
l’importance qu’ils accordent à la maîtrise des risques associés au changement de
pratiques (Di Bianco, 2018 ; Ghali et al., 2014). En effet, les préoccupations économiques
à court terme des agriculteurs les amènent souvent à privilégier l’utilisation de
produits phytosanitaires dans une logique de sécurisation des rendements et de
maîtrise des coûts. Ainsi, avec ces OAD, la coopérative apporte la preuve à ces
agriculteurs qu’une réduction de dose permet de réduire l’impact environnemental et
les coûts de production sans menacer le rendement11. Elle mobilise ainsi les plus
« pragmatiques », attachés à l’intérêt technico-économique de nouvelles pratiques.
45 La coopérative propose également une plateforme de simulation technico-économique
permettant aux adhérents de simuler les gains escomptés du changement de pratique
en termes de marge brute par hectare et d’écart prévu/réalisé, permettant à
l’agriculteur d’assurer un suivi de ses pratiques et d’adosser son évaluation à des
données réelles de son exploitation, ce qui représente autant de leviers d’engagement
relevés dans la littérature (Akudugu et al., 2012).
46 Avec ces outils, la coopérative actionne deux leviers constitutifs de l’aversion au
risque : elle réduit l’incertitude agronomique (OAD) et accompagne l’agriculteur dans le
calcul d’incidences économiques (plateforme). Ces outils de sécurisation articulent une
démonstration logique, une personnalisation du conseil et des résultats orientés vers
l’action et sont donc reçus comme une preuve économique particulièrement adaptée
aux agriculteurs Primo-adoptants, Pragmatiques et Attentistes. En investissant dans
une diversité d’outils, elle fait du développement du back-office un élément central de sa
logique de performance (Labarthe et al., 2013).

L’expérimentation et la démonstration technique comme preuve visuelle


et relationnelle

47 La coopérative organise des évènements qui rassemblent un grand nombre de


participants (jusqu’à 11 000 personnes, dont 8 000 agriculteurs) pour présenter les
dernières innovations. Ces vitrines allient démonstrations techniques, témoignages
d’agriculteurs porteurs de solutions innovantes et remise de prix (les précurseurs),
créant ainsi une émulation satisfaisant des attentes exprimées par les « Primo-
adoptants ». Ces démonstrations d’envergure restent exceptionnelles, l’essentiel des
démonstrations techniques étant dispensées dans un format plus classique auprès
d’une vingtaine d’agriculteurs.
48 La coopérative propose également des réunions régulières de démonstrations des
techniques peu connues des agriculteurs. Bien qu’une partie de ces évènements
collectifs soient dédiés à une logique marketing de promotion de ses nouveaux produits
et services, la coopérative les déploie selon une logique pédagogique de transmission et
de diffusion de masse (Rémy et al., 2006). Ils consistent à organiser la mise à l’épreuve de
la réalité (Boltanski et Thévenot, 1991) de pratiques écologisées. La validation par les
pairs est particulièrement recherchée dans ces réunions et perçue comme étant
recevable au nom du contrat social tacite de loyauté qui s’établit entre les agriculteurs.
En articulant les activités de front-office et back-office, ces réunions reposent d’une part,

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sur la preuve visuelle du résultat technique agissant comme des « preuves d’efficacité »
(Labarthe et al., 2013) ; et d’autre part sur le témoignage des agriculteurs, souvent
formulé sur le registre de la persuasion (Rémy et al., 2006). Cette complémentarité est
particulièrement appréciée des agriculteurs : « J’aime bien ces moments-là où on met les
bottes et on va voir. Les chiffres, les graphiques, on leur fait dire ce qu’on veut […] j’ai besoin de
voir pour y croire ».

Le technico-commercial dans le déploiement des preuves

49 Les technico-commerciaux de la coopérative sont invités à porter une attention


particulière aux besoins des agriculteurs et à convoquer l’outil approprié mis à leur
disposition pour y répondre. Cependant, ils rencontrent une grande diversité
d’agriculteurs quant à leur rapport à l’écologie et doivent s’appuyer sur leur
connaissance de l’exploitation, de l’agriculteur et ses habitudes de travail pour adapter
leur discours et leur accompagnement.
50 Ils font la démonstration de leur intelligence sociale pour personnaliser leur
intervention et tissent autour de l’agriculteur un environnement sur mesure composé
d’outils, d’arguments et de preuves choisies afin de convaincre l’agriculteur de l’intérêt
de la démarche. Dès lors, le technico-commercial apparaît non seulement comme le
relais d’un dispositif de confiance construit par la coopérative, mais également comme
l’architecte d’une infrastructure mobilisatrice, composée d’argumentaires, d’attitudes
et d’outils soigneusement sélectionnés pour amener les plus « réticents » à
reconsidérer leurs techniques.
51 Cependant, l’intérêt de la coopérative pour cette habileté particulière est conditionné à
l’adhésion du technico-commercial aux pratiques AEI. Les moins convaincus refusent
de relayer ces propositions techniques, opérant un filtre entre la coopérative et ses
adhérents. Ainsi, la question de la mobilisation se pose pour les agriculteurs, mais
également pour les salariés de la coopérative, qui organise alors une mise en discussion
de ces nouvelles propositions avec les technico-commerciaux, à la fois pour les
convaincre et, selon leurs réticences, adapter leur outillage dans le portage des offres.
52 À travers ces trois leviers i) outils numériques, ii) échanges collectifs et iii)
accompagnement des technico-commerciaux, la coopérative coordonne et organise
l’administration de la preuve. Elle adopte ainsi à la fois les traits de la « logique
industrielle de production des services » caractéristiques des coopératives et ceux de la
« logique servicielle » des consultants (Labarthe et al., 2013). En démontrant que la
démarche AEI permet aux agriculteurs de « Produire Plus et Mieux avec Moins »
(Griffon, 2013), elle concourt à son succès. Cependant, ces outils de mesure ainsi que les
activités de R&D et de formation des équipes technico-commerciales représentent un
coût pour l’agriculteur et la coopérative qui doit être compensé par une meilleure
valorisation des produits. « Moi je dis : [la stratégie AEI] pourquoi pas, c’est intéressant,
mais si le produit est mieux vendu derrière. Ma question reste quand même : est-ce que c’est
mieux payé que les autres contrats ? »

5. La distinction des produits issus de l’AEI

53 Cherchant à valoriser sur le marché les pratiques inspirées de l’AEI, la coopérative


décide de créer en 2012 une marque dédiée. L’objectif de la démarche est de se
réapproprier une valeur ajoutée afin de compenser ses investissements et proposer des

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contrats plus rémunérateurs aux agriculteurs. Avec cette marque, la coopérative met
en avant sa proximité aux adhérents, cherche à rendre visible les efforts menés en
termes de durabilité et à rétablir le lien entre producteurs et consommateurs. Là
encore la coopérative est confrontée au défi de la construction de preuves : comment
faire exister ce segment de marché intermédiaire de l’AEI dans des référentiels
consommateurs dichotomiques entre bio et non-bio ? Comment prouver l’intérêt social,
environnemental et nutritionnel de ces produits ? Comment assurer l’avenir de ce
segment de marché ?
54 En mobilisant les agriculteurs dans le portage et la défense d’une marque de filière
qualifiée de « marque des agriculteurs »12, elle i) apporte la preuve de sa légitimité à
commercialiser les produits, ii) associe les producteurs à la démarche et iii) apporte la
preuve des promesses de qualité engagées (certification, traçabilité, qualités
nutritionnelles).
55 Cet engagement de la coopérative auprès des consommateurs apporte une satisfaction
pour ses adhérents et défend au même titre le métier de l’agriculteur et son
engagement vis-à-vis de l’environnement. Elle revalorise ainsi leur relation particulière
aux coopérateurs dans un secteur où la traçabilité et l’origine des produits sont de plus
en plus mises en avant. Cette « mise à l’épreuve » par le marché va apporter la preuve
aux agriculteurs encore réticents de la pertinence de la démarche AEI. Cependant, si le
caractère récent de la marque de producteurs ne nous permet pas de vérifier
empiriquement la progression du marché, les agriculteurs confirment l’impact positif
des signaux commerciaux et leur confiance dans cette stratégie de valorisation. « Au
début tout le monde doutait, on n’y croyait pas, et puis ça s’est maintenu et maintenant les
autres s’y mettent, c’est bien la preuve que c’était visionnaire ».

Conclusion
56 En présentant l’AEI comme un socle technologique qui permet, après avoir identifié les
fonctionnalités écologiques, de les substituer à certains intrants chimiques ou de les
mettre au service de la production, les coopératives s’inscrivent dans une démarche de
modernisation écologique (Duru et Therond, 2015a ; Plumecocq et al., 2018).
57 Cependant, notre étude révèle que les agriculteurs évaluent cette proposition non pas
en fonction de leur sensibilité environnementale, mais au même titre que toute autre
innovation technologique (Diederen et al., 2003 ; Weiss et al., 2006). De plus, elle fait
apparaître une attente forte des agriculteurs en termes de preuves de l’intérêt
économique de pratiques écologisées. Ce travail montre également que l’engagement
des agriculteurs dans une démarche AEI dépend de la stratégie partenariale qui leur
permet de sécuriser la mise en place de pratiques innovantes. La coopérative est
souvent attendue sur sa capacité à accompagner l’agriculteur dans cette transition
agroécologique et plus largement à créer de la valeur dans la filière. En se dotant d’une
diversité d’outils mis en évidence, la coopérative associe confiance personnelle (pairs,
experts) et impersonnelle (guide, outils, mesures) et construit un dispositif de preuves
(Mormont, 1996) pour mobiliser une diversité d’adhérents dans sa démarche.
58 Les coopératives accompagnent près de 75 % des agriculteurs en France et participent à
la définition des standards de production, ce qui leur confère un rôle stratégique dans
la transition agroécologique (Duru et Therond, 2015a). Or celle-ci apparaît d’autant plus

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difficile qu’elle se situe dans un bassin de production intensif, comme celui du Grand
Ouest de la France, positionnant la conciliation possible entre la logique industrielle de
ces bassins et la logique agroécologique sinon comme une impasse (Calame, 2013) du
moins comme un réel débat (Le Goffe, 2014). S’il apparaît ainsi difficile pour les
coopératives de tenir en tension une logique coopérative et une logique de marché tout
en s’inscrivant dans une logique d’écologisation, cet exemple nous montre que ces trois
enjeux peuvent être conciliés et représente ainsi un succès, certes partiel, mais
inattendu. En effet, en investissant dans sa propre marque portée par les agriculteurs,
la coopérative rend visible la singularité sociale, économique et écologique de la
démarche auprès du consommateur. Plus qu’un segment de marché, la coopérative
réinvente son propre rôle dans l’écologisation des pratiques et s’emploie à revaloriser
le métier d’agriculteur. Cette démarche globale d’écologisation des pratiques passant
par des incitations privées pourra s’inscrire dans la durée et devenir pérenne si la
valorisation aval des produits est démontrée à terme. Ce volet pourra faire l’objet de
travaux futurs.
59 Cette proposition d’écologisation formulée par une coopérative apparaît enfin riche
d’enseignements puisqu’en combinant une offre diversifiée et un portage personnalisé
par les technico-commerciaux, elle répond aux attentes spécifiques de ses adhérents et
leur laisse la possibilité de choisir leur modalité et rythme d’engagement dans la
démarche AEI. Ainsi, à l’heure où les enjeux agricoles et environnementaux se
discutent à l’échelle internationale, il serait intéressant d’y associer des échanges sur
les façons d’accompagner les agriculteurs dans cette transition écologique.

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ANNEXES

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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Annexe 1. Localisation des enquêtés dans le Grand Ouest de la France

Source : auteurs.

Annexe 2. Tableau descriptif des exploitations enquêtées

Part
Nombre Nombre de SAU SFP Caractéristiques
Système
d’exploitations sociétés (ha) (% cheptel
SAU)

Cultures seules 25 9 140 – –

Quota 542 600 L


Bovins lait et cultures 30 19 132 60%
8 400 L/vache/an

Bovins viande et
8 3 247 32% 1.19 UGB/ haSFP
cultures

330 truies
Porcs et cultures 8 5 122 –
9 600 porcs/an

Volailles chair et
3 1 66 – 26 700 volailles/an
cultures

Polyateliers animaux
26 24 154 58% –
et cultures

Source : calcul des auteurs.

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Annexe 3. Liste des variables explicatives retenues et codées

Variable Description Type Min. Max.

Âge Âge Nb entier 26 65

Revenus_ext Source de revenus extérieure à l’exploitation Binaire 0 1

Formation_niveau Niveau de formation Nb entier 0 6

Obj_eco Recherche d’un objectif économique Binaire 0 1

Recherche d’un objectif social (conditions


Obj_social Binaire 0 1
travail)

Obj_env Recherche d’un objectif environnemental Binaire 0 1

Aversion_risque Degré d’aversion au risque Nb entier 0 2

Respo_extrapro Responsabilités extraprofessionnelles Binaire 0 1

Respo_coop Responsabilités au sein de la coopérative Binaire 0 1

Respo_autres Responsabilités agricoles autres Binaire 0 1

Syndicat Adhérent à un syndicat Binaire 0 1

Partenariat avec Organismes Professionnels


Partenaire_OPA_instit Binaire 0 1
Agri.

des partenaires d’approvisionnement et de


Partenaire_autres Binaire 0 1
commercialisation

Réseau_pairs Mobilisation d’un réseau de pairs Binaire 0 1

Relation_coop Évaluation de la qualité de la relation à la coop. Binaire 0 1

Pb_sociopol Problèmes socio-politiques (image, soutien, …) Binaire 0 1

Pb_mep Problèmes techniques Binaire 0 1

Associés Présence ou non d’autres associés Binaire 0 1

Rapportuta_sal_tot UTA salariés / UTA total Nb décimal 0 1

Contrat_env Souscription d’un contrat (CAD, MAE, …) Binaire 0 1

Eco_ebe Excédent Brut d’Exploitation Nb réel positif

Eco_txendet Taux d’endettement Pourcentage 0 100

Source : calcul des auteurs.

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100

NOTES
1. Cet engagement fait suite à une consultation des adhérents.
2. Elle rassemble des établissements de recherche et d’enseignement supérieur et des
coopératives.
3. La première a été financée par la Région Pays de la Loire, la seconde par l’une des trois
coopératives.
4. La dimension écologique est introduite dans l’entretien par le terme « protection de la
nature » afin de ne pas biaiser les résultats par un terme pouvant avoir une connotation négative
auprès des agriculteurs.
5. En réalisant l’ACM, seuls les deux premiers axes de différenciation rendant compte de 35,07 %
de l’inertie totale sont conservés. Les individus sont agrégés en groupes selon la méthode de
Ward.
6. Dans cette recherche, la variable à expliquer n’est pas ordinale, on utilise donc une régression
logistique multinomiale généralisée (réalisation sous Statistical Analysis System : SAS / STAT ®).
7. Les axes sont caractérisés selon l’interprétation des proximités et des oppositions entre les
modalités des variables. Les informations issues de l’ACM font apparaître que le premier axe
(Dim1) est principalement alimenté par la modalité « pratiques3 », c’est-à-dire la mise en place
de pratiques en faveur de la protection de la nature. Le second axe factoriel (Dim2) est surtout
caractérisé par la modalité « engagement3 », décrivant le fait d’être prêt à s’engager dans la
démarche.
8. Dans l’interprétation de la CAH, le compromis entre conservation de l’information et
répartition en classes homogènes en nombre amène à conserver une partition en quatre classes
qui exprime 70,1 % de la variabilité totale.
9. La procédure fait des itérations jusqu’à obtention du meilleur critère de convergence, les
critères retenus (-2 Log-likelihood et Akaike Information Criterion – AIC) étant minimaux quand
le modèle est ajusté.
10. Par exemple, la réaction de polymérisation en chaîne (PCR, Polymerase Chain Reaction) est
une analyse permettant de détecter la présence de bactéries ou de virus sur une parcelle souvent
réclamée pour évaluer des risques.
11. Pour d’autres travaux sur l’apport des nouvelles technologies numériques dans la réduction
des phytosanitaires utilisées, voir l’ouvrage collectif coordonné par Daniel et Courtade (2019 à
paraître).
12. La commercialisation des premiers produits a été portée en partenariat avec un distributeur
en 2013 puis déployée en son nom propre depuis avril 2017.

RÉSUMÉS
L’Agriculture écologiquement intensive (AEI) est développée par les coopératives de l’Ouest de la
France comme une démarche agroécologique. Cependant, la mobilisation des agriculteurs dans la
démarche reste faible. Cet article propose une analyse des facteurs d’engagement et des actions
menées pour les mobiliser dans l’AEI. Il propose une articulation d’analyses quantitatives et
qualitatives et mobilise des enquêtes réalisées auprès de coopérateurs et de technico-
commerciaux. Les résultats montrent : que l’adoption des pratiques AEI est motivée par la
nécessité de preuves économiques ; que le réseau professionnel des agriculteurs est aussi

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101

important que les caractéristiques de leurs exploitations et que les coopératives peuvent
contribuer à l’engagement des agriculteurs dans la transition écologique.

Ecologically Intensive Agriculture (EIA) has been adopted by the agricultural cooperatives of the
west of France as an agroecological approach. However, the inclusion of farmers in this approach
remains weak. This paper proposes an analysis of the factors of adoption by farmers and the
actions taken by cooperatives to include them in the EIA. It proposes a combination of
quantitative and qualitative analyses and uses surveys carried out with farmers and technical-
sales specialists. The results show that the adoption of EIA practices is motivated by the need for
economic evidence; that farmers’ professional networks are as important as the characteristics of
their farms; and that cooperatives can contribute to farmers’ commitment to ecological
transition.

INDEX
Mots-clés : innovation, changement technique, transition agroécologique, AEI, adoption
Keywords : innovation, technical change, agroecological transition, EIA, adoption
Code JEL Q13 - Agricultural Markets and Marketing; Cooperatives; Agribusiness, Q55 -
Technological Innovation

AUTEURS
SOAZIG DI BIANCO
LARESS École Supérieure d’Agricultures Angers ; CESAER, AgrosupDijon, Dijon ;
s.dibianco@groupe-esa.com

NEJLA BEN ARFA


LARESS École Supérieure d’Agricultures Angers ; n.benarfa@groupe-esa.com

MOHAMED GHALI
LARESS École Supérieure d’Agricultures Angers ; m.ghali@groupe-esa.com

ÉLODIE TURPIN
LARESS École Supérieure d’Agricultures Angers ; e.turpin@groupe-esa.com

KARINE DANIEL
LARESS École Supérieure d’Agricultures Angers ; k.daniel@groupe-esa.com

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Faits et chiffres

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Le vigneron champenois dans sa


filière. État des lieux, évolutions et
enjeux économiques
Growers in the champagne industry: State of play, evolutions, and economic
issues

Aurélie Ringeval-Deluze

NOTE DE L'AUTEUR
Les auteurs tiennent à remercier Yves Couvreur, président des Vignerons Indépendants
de Champagne, Champagne Yves Couvreur, Rilly-la-Montagne. David Menival,
Directeur de la filière Champagne, Crédit Agricole du Nord-Est. Christine Scher-
Sevillano, vice-présidente des Vignerons Indépendants de Champagne, Champagne
Piot-Sevillano, Vincelles.

1 La filière du champagne est composée des vignerons qui produisent une grande partie
du raisin, d’une part, et des maisons qui produisent et expédient la majorité des vins de
Champagne, d’autre part. Les règles et pratiques qui structurent cette filière ont subi
des évolutions majeures au cours de la seconde moitié du XX e siècle. Ce sont les
vignerons qui ont le plus bénéficié de ces changements, notamment du fait de la part
grandissante qu’ils ont prise dans la vinification et les expéditions de champagne à
destination de la France et de l’export. Cependant, ils sont aussi ceux qui aujourd’hui
souffrent le plus des nouvelles tendances apparues à la suite de la crise de 2008. Notre
propos concerne l’impact des évolutions récentes sur le modèle économique des
vignerons champenois. Nous faisons l’hypothèse d’une compétitivité en baisse et d’une
rentabilité économique menacée. Or rappelons qu’historiquement l’agriculture, et plus
généralement l’industrie agroalimentaire dans laquelle s’inscrit la vitiviniculture,
constitue l’un des points forts de l’économie française. L’ensemble des filières
vitivinicoles contribue ainsi en grande partie au solde commercial positif de

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104

l’alimentaire français. Pourtant, depuis le début des années 1990, le poids en volume de
la vitiviniculture française et européenne, traditionnellement très important, n’a cessé
de décroître sur le marché international, face à la montée des vins dits du « Nouveau
monde »1 (Californie, Australie, Argentine, etc.) (Scotti et Valli, 2014). Cette évolution
indique que la concurrence sectorielle s’est intensifiée et que les nouveaux pays
producteurs seraient plus compétitifs que les pays traditionnels tels que la France.
2 Selon Scotti et Valli (2014), on mesure la compétitivité d’agents économiques à leur
capacité à produire et vendre des biens ou des services sur un marché donné de telle
sorte que la demande préfère leur offre à celle des concurrents. Le but de la
compétitivité est donc de consolider, voire d’augmenter sa part de marché tout en
maintenant un niveau de rentabilité2 permettant de pérenniser son activité. Ainsi, sur
un marché en croissance, un agent sera qualifié de compétitif si son chiffre d’affaires
progresse plus rapidement que le chiffre d’affaires de l’ensemble du marché, faisant
donc mécaniquement augmenter sa part du marché en question. À l’inverse, sur un
marché en déclin, il s’agit d’enregistrer une baisse inférieure à celle de l’ensemble du
marché. En la matière, les grands chiffres qui caractérisent la filière du champagne sont
parlants. En effet, après avoir longtemps enregistré des performances économiques
supérieures à celles des autres régions vitivinicoles françaises, la filière du champagne
rencontre plus de difficultés à suite de la crise de 2008, avec des expéditions en volume
près de 10 % inférieures en 2017 à celles de 20073. Cette évolution est d’autant plus
inquiétante qu’au cours de la même période le marché des vins effervescents a
progressé de plus de 21 % en volume (FranceAgriMer, 2016), créant une dynamique
dont les producteurs champenois ne bénéficient pas. Au sein des différentes catégories
de producteurs, les vignerons sont les plus touchés, avec un recul de 27 % de leurs
expéditions en volume en 10 ans et de 19 % en valeur hors inflation. À cela s’ajoute le
recul de leurs revenus liés à la production de raisin, avec des rendements moyens
tendanciellement en baisse sur la période. Troisième élément sensible, l’évolution
fortement haussière du prix du foncier viticole en appellation et du volume des stocks
menace la rentabilité des exploitations champenoises.

Remise en cause de la compétitivité de la filière


Champagne
1. Une filière longtemps compétitive

3 À la seconde place au niveau de la production et de la consommation en volume, la


France est un acteur majeur du marché mondial du vin, malgré la baisse constante de
son poids dans les échanges mondiaux, divisé par 2 au cours des 30 dernières années,
pour atteindre 15 % en volume en 2017 (OIV, 2018). Pourtant, la France reste de loin le
premier exportateur de vin en valeur avec 30 % de parts de marché en 2017. Au sein des
différentes régions viticoles françaises, la Champagne se distingue par sa contribution
importante à ce succès : elle rassemble 33 % des exportations françaises de vin en
valeur en 2017, pour seulement 4 % des superficies viticoles françaises.
4 D’après le CIVC, il existe 15 970 exploitations viticoles en Champagne en 2018, dont
135 exploitations liées à des coopératives et 349 exploitations appartenant à des
négociants (ou maisons), soit 15 486 exploitations viticoles théoriquement rattachées à
des vignerons4. En amont de la filière, les vignerons possèdent 90 % des superficies en

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production, contre 10 % pour les maisons. En aval, les maisons réalisent 72 % des
expéditions en volume (77 % en valeur), contre 19 % pour les vignerons (15 % en valeur)
et 9 % pour les coopératives (7 % en valeur). Ce rapport inversé entre le poids des
vignerons au niveau de la production du raisin et la part qu’ils représentent dans les
expéditions en volume (cf. graphiques 1 et 2) est à l’origine d’un marché interne à la
filière (approvisionnement des maisons en matière première) très dynamique (Deluze,
2010). Précisons que de nombreuses exploitations viticoles sont en réalité de taille très
modeste (56,6 % de l’ensemble des exploitations viticoles sont inférieures à 1 ha) et
appartiennent à des exploitants qui sont double-actifs, la viticulture ne constituant pas
leur activité professionnelle principale. Au total, la Champagne compte 4 272 récoltants
expéditeurs (28 % de l’ensemble des vignerons), dont 1 819 récoltants manipulants 5
(43 % des expéditeurs) et 2 453 récoltants coopérateurs (57 %).

Graphique 1. Répartition du vignoble champenois

Source : d’après chiffres CIVC.

Graphique 2. Répartition des expéditions de champagne en volume

Source : d’après chiffres CIVC.

5 En Champagne, le potentiel de profit à l’hectare se situait en 2015 entre 16 014 et


19 819 euros selon le type d’exploitation (CDER, 2017). Outre son poids important au
niveau national évoqué précédemment, la production vitivinicole champenoise
représente plus du quart de la richesse produite dans le secteur agroalimentaire de la
région Grand Est, contre respectivement 10 % et 4 % en Occitanie ou en Nouvelle-
Aquitaine (Insee, 2017). Autre élément significatif : entre 2000 et 2010, le vignoble

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106

français a diminué d’environ 17 %, quand le vignoble champenois progressait dans le


même temps de 9 %6. L’année 2018 était une année record du chiffre d’affaires de la
filière champagne avec 4,9 milliards d’euros (HT). Le champagne, c’est également
30 000 emplois directs permanents, auxquels s’ajoutent 120 000 emplois saisonniers au
moment de la vendange. Enfin, la région a attiré 7,3 millions de touristes en 2017 pour
14,8 millions de nuitées et des retombées économiques estimées à 630 millions d’euros,
selon l’observatoire régional du tourisme de la Champagne et de l’Ardenne (2018).

2. Les ventes de champagne moins dynamiques que celles des


autres vins effervescents

6 Les différents éléments chiffrés avancés dans la section précédente témoignent d’une
compétitivité supérieure de la filière et des acteurs qui la composent par rapport aux
autres régions vitivinicoles françaises. Pourtant, malgré les chiffres en apparence très
positifs évoqués précédemment, certaines évolutions témoignent d’une tendance moins
favorable à la filière champenoise. Si celle-ci a pu bénéficier en partie d’un engouement
récent et généralisé pour les vins effervescents au niveau mondial, il semble que
globalement ce sont les autres catégories de vins effervescents qui alimentent cette
demande nouvelle7. Parmi les différentes catégories de vins identifiables dans la
nomenclature douanière, les vins effervescents enregistrent la plus forte progression à
la fois en volume et en valeur sur les dernières années, avec une production mondiale
qui atteignait en 2015 près de 18 millions d’hl, soit l’équivalent de 2,5 milliards de
bouteilles de 75 cl (FranceAgriMer, 2016). Cela représente 7 % de la production
mondiale de vin, contre 5 % il y a 10 ans, pour une progression de 80 % en volume sur la
période (contre une progression de 1,7 % en volume pour le champagne). À titre de
comparaison, entre 2005 et 2015 les exportations italiennes de vins effervescents ont
progressé de 216 % et les exportations espagnoles de 55 % (FranceAgriMer, 2016). Sur la
même période, les exportations en volume de l’ensemble des vins effervescents français
progressaient de 32 % et celles de Champagne de 16,5 % (FranceAgriMer, 2016). Si ces
évolutions impressionnantes semblent de nature à remettre en cause la place
dominante du champagne sur le marché mondial des vins effervescents, notons que
celui-ci représentait encore en 2015 : 13 % des volumes consommés, 15 % des volumes
exportés et, surtout, 55 % du chiffre d’affaires des échanges internationaux de vins
effervescents (FranceAgriMer, 2016). Ces deux derniers chiffres étaient respectivement
de 24 % et 67 % il y a 10 ans (FranceAgriMer, 2016). Ainsi, s’il y a bien un engouement
croissant pour les vins effervescents dans le monde, il bénéficie surtout aux
effervescents autres que le champagne, et en premier lieu aux mousseux italiens et
espagnols.
7 Pour mieux comprendre cette situation, La Revue du Vin de France a récemment
interrogé cinq producteurs de champagne différents (Poels et al., 2017). Une première
explication aux évolutions récentes avancée par les répondants concerne les
champagnes d’entrée de gamme, qui seraient responsables de la situation en brouillant
l’image de l’appellation. L’existence de champagnes vendus à très bas prix et qui font
régulièrement l’objet de promotions (autour de 10 euros TTC la bouteille, parfois
moins) serait favorisée par la baisse des ventes due à la montée des autres vins
effervescents, indépendamment de leur qualité. Une autre explication évoquée porte
sur les coûts de production très élevés du champagne qui diminuent la capacité des

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acteurs à communiquer et promouvoir leurs produits. Il est vrai que le kilo de raisin
coûtait en moyenne 6,08 euros en 2015, et jusqu’à près de 7 euros le kilo dans les grands
crus (CDER, 2017). Sachant qu’il faut 1,154 kg de raisin par bouteille 8 et qu’au prix de la
matière première il convient d’ajouter les matières sèches (bouteille, étiquette,
bouchons, etc.), les coûts de vinification, le vieillissement en cave, l’étiquetage et la
commercialisation. Ainsi, le prix de revient moyen d’une bouteille de champagne
produite par un vigneron (donc avec un coût de la matière première réduit du fait de
l’auto-approvisionnement) s’élevait à 8,93 euros en 2015 (CDER, 2017). À notre
connaissance, aucune donnée chiffrée récente n’existe pour permettre une
comparaison avec les coûts de revient des champagnes de négociants, qui doivent
acheter la majorité (et dans certains cas la totalité) de leur approvisionnement en
matière première. Il est toutefois possible de les estimer à plus de 13 euros HT/
bouteille, hors frais de structure et de communication9, sachant que le prix moyen
d’une bouteille de champagne vendue par une maison en 2017 était d’environ 17 euros
HT départ cave.
8 Pour autant, faut-il conclure d’une perte claire et irréversible de compétitivité des
expéditeurs champenois sur la scène internationale ? Si les vins effervescents sont de
moins en moins réservés à une élite de consommateurs connaisseurs et fortunés et
élargissent au contraire leur base de consommation, cela peut à terme se traduire par
un potentiel de nouveaux consommateurs de champagne. À mesure que des jeunes
générations s’initient aux bulles et voient leur pouvoir d’achat augmenter au fil de leur
évolution professionnelle, ils finissent par s’intéresser au champagne qui constitue
encore aujourd’hui la « crème de la crème » des effervescents. En effet, avec une aire de
production limitée à 35 000 hectares, la Champagne n’a pas vocation à couvrir tout le
marché et à accompagner sa forte progression en volume. La seule issue est donc la
valorisation permanente de la production pour garder et consolider cette position
élitiste. En témoigne la stagnation depuis quelques années des expéditions en volume,
accompagnée d’une succession de chiffres d’affaires records.

Focus sur la situation des vignerons champenois


1. Évolution des ventes de champagne par les vignerons

9 Des différentes catégories d’acteurs qui composent la filière du Champagne, ce sont les
vignerons qui accusent le recul le plus important de leurs expéditions entre 2008 et
2017, à la fois en volume (-27 %) et en valeur (-19 % hors inflation). Pourtant, par le
passé leur poids dans les expéditions totales de champagne était tendanciellement à la
hausse. De 1970 à 2007, les expéditions des vignerons ont été multipliées par 2,9, pour
atteindre 77,49 millions d’équivalent-bouteilles de 75 cl. En réalité, leur part dans les
expéditions totales de champagne a connu d’importantes fluctuations entre 1970 et
aujourd’hui. Dans la décennie des années 1970, elle était en moyenne de 30,3 % des
volumes totaux de champagne expédiés, puis de 33,3 % dans la décennie des années
1980, témoignant du succès de ces champagnes auprès des consommateurs, notamment
français (94 % des volumes vendus par les vignerons en moyenne sur la période). Au
cours de la décennie de 1990 à 1999, la part des vignerons dans le total des expéditions
de champagne a baissé à 26,2 %, puis à 24,1 % au cours des années 2000 et, enfin, à
20,8 % en moyenne depuis 2010. Cette baisse s’est accélérée du fait de la forte
diminution de leurs ventes en France (-31 % entre 2008 et 2017), non compensée par le

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développement de l’export. En 2017, celui-ci ne représentait encore que 13 % de leurs


expéditions (contre 1,8 % en 1970).
10 Le nombre de vignerons expéditeurs a également reculé de 11 % en 10 ans, pour
atteindre 4 153 en 2018. En moyenne, cela équivaut à l’arrêt de l’expédition de
champagne pour 62 vignerons chaque année depuis dix ans. Toutes les catégories de
vignerons champenois sont touchées par cette évolution, pourtant le nombre de
récoltants coopérateurs recule moins vite (-9 % sur la période) que celui des récoltants
manipulants (-10 %). Les coopérateurs représentaient 57 % de l’ensemble des vignerons
expéditeurs de champagne en 2018. Le succès de ce statut s’explique par la diminution
des coûts qu’il engendre, notamment au niveau des investissements qui sont ainsi
mutualisés, soulevant l’épineuse question de la rentabilité des exploitations
indépendantes. Un rapport de l’Insee atteste en effet d’une rentabilité économique 10 de
la filière similaire à celle des autres activités industrielles de la région (12 %), malgré un
taux de marge supérieur (Insee, 2017). Le rapport indique que « cette rentabilité
modérée est caractéristique de la production vinicole, qui nécessite d’importants
moyens de production, mesurés par le rapport entre les immobilisations et le volume
de travail utilisés (intensité capitalistique) » (Insee, 2017). Ainsi, la production de
champagne requiert une forte intensité capitalistique en lien avec le cahier des charges
de l’AOC, difficilement supportable pour de petites structures, ce qui explique le
désengagement progressif des expéditions de champagne opéré par les vignerons. À
l’inverse, ceux-ci recherchent de plus en plus des revenus immédiats, en témoigne la
part croissante de la récolte cédée aux négociants dès la vendange, passée de 44 % en
1990 à 63 % en 2016 (graphique 3).

Graphique 3. Évolution de la répartition de la récolte des vignerons champenois

Source : d’après les chiffres CIVC.

11 Face au manque d’éléments chiffrés concernant la rentabilité en Champagne, nous nous


concentrerons sur les prix moyens de vente comme indicateur de la capacité des
acteurs à dégager du profit. Les prix pratiqués par les vignerons sont systématiquement
très inférieurs à ceux de la moyenne des expéditions de champagne, tous opérateurs
confondus. Cet écart s’est légèrement réduit entre la décennie des années 2000 et la
période 2010 à 2017, passant de -19 % à -18,5 %. Quand les vignerons vendent leur
champagne en moyenne à 12,98 euros HT départ caves en 2017, le prix moyen tous
opérateurs confondus atteint 15,94 euros. C’est sur la France que cet écart est le plus

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faible, à -7,6 %, contre -12,5 % pour les expéditions à destination de l’Union européenne
et -15,7 % pour les expéditions à destination des pays hors Europe. Une lecture simple
de cette situation consisterait à dire que, face à l’atonie du marché français, les
vignerons tentent de développer leurs ventes à l’export, mais sans pour autant réussir à
valoriser comme savent le faire les maisons. Le manque de notoriété de marque et le
manque de personnel formé pour le commerce international peuvent expliquer cette
situation, qui est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans un ensemble d’autres
évolutions qui impactent négativement le revenu des vignerons champenois.

2. Les revenus des vignerons menacés également en amont de la


filière

12 En amont de la filière, les vignerons doivent aussi faire face à deux phénomènes
majeurs impliquant la baisse de la rentabilité de leur activité viticole, à savoir la baisse
des rendements à la récolte associée à des niveaux de stock très élevés, d’une part, et la
forte hausse du prix du foncier viticole depuis 25 ans, d’autre part.
13 Depuis la vendange 2007, les rendements maximums autorisés en appellation
champagne ont été revus à la hausse. Le cahier des charges de l’AOC champagne prévoit
un rendement maximum de 12 400 kg/ha pour la partie disponible (contre 10 400 kg/ha
auparavant) et de 15 500 kg/ha pour la partie bloquée (contre 13 000 kg/ha
auparavant), c’est-à-dire les volumes récoltés qui vont alimenter la réserve individuelle
de chaque exploitant et ne peuvent faire l’objet de transaction sans décision collective
de l’interprofession. Ces niveaux de rendements sont élevés, respectivement
équivalents à 80 hl/ha pour le rendement de base et 100 hl/ha environ pour le
rendement maximum, très au-dessus de ce qui se pratique dans les autres régions
viticoles françaises11. Le relèvement des plafonds en 2007 est survenu dans un contexte
de tensions importantes sur le marché interne à la filière champagne, du fait d’une
augmentation plus rapide des expéditions que de la production depuis le début des
années 2000. Or, malgré le retournement économique de 2008, les Champenois n’ont
pas revu à la baisse leurs rendements immédiatement, par conséquent la production a
dépassé durablement les expéditions. Entre 2008 et 2017, la moyenne des expéditions
annuelles s’élevait à 310,5 millions de bouteilles, contre une moyenne de production de
l’équivalent de 328,5 millions de bouteilles. En d’autres termes, ce sont près de
18 millions de bouteilles supplémentaires qui ont alimenté les stocks chaque année, soit
près de 180 millions de bouteilles en plus en stock en 10 ans. Finalement, le niveau de
stock en Champagne est aujourd’hui très élevé, à environ 1,366 milliard de bouteilles à
fin 2017, soit 4,4 années d’expéditions conservées en cave (contre 3,9 en moyenne sur
10 ans).
14 Jamais un tel niveau de stock n’avait été atteint en Champagne, expliquant les décisions
de rendements tendanciellement plus bas ces dernières années par l’interprofession
(en moyenne 10 900 kg/ha pour la période 2010-2017, contre 12 580 kg/ha pour la
décennie des années 2000). Le rendement pour la vendange 2018 était fixé à 10 800 kg/
ha, identique à celui de 2017. Il est fort probable que cette tendance à la modération des
rendements se poursuive, étant donné le niveau élevé des stocks et l’atonie des
expéditions. Cela pose le problème de la rentabilité à l’hectare pour les vignerons qui
vendent leurs raisins à la vendange, sachant que presque tous les vignerons sont
concernés par cette activité, bien que dans des proportions variables d’une exploitation

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à l’autre, et que la vente de raisin est souvent largement majoritaire dans leurs revenus.
C’est particulièrement visible pour la catégorie des viticulteurs qui ne font que de la
vente au kilo et dont le résultat net a chuté de 19 358 euros/ha en 2015 à 12 578 euros/
ha en 2016, soit une baisse de 35 % (CDER, 2017). Tout porte à croire que cette situation
va durer, à moins d’une forte reprise (peu probable) des expéditions à court terme.
C’est d’autant plus préoccupant que de nombreux exploitants se sont installés au cours
de ces dix dernières années dans le cadre de la reprise d’exploitations familiales et
qu’ils ont souvent dû emprunter à leur banque pour renouveler leur matériel de
production et/ou financer la transmission de leur exploitation. Conformément à la
situation des années 2000, les banques se sont longtemps appuyées sur des scenarii de
revenus à la vendange de 12 000 kg/ha (soit un ratio prudent comparé aux rendements
réels de la décennie passée), alors même que de tels niveaux ne seront probablement
plus atteints avant des années.
15 Enfin, la rentabilité en amont de la filière est très largement limitée par l’évolution
spectaculaire du prix du foncier viticole en appellation champagne, qui a progressé de
514 % au cours de ces 25 dernières années, atteignant 1 113 500 euros par hectare en
2016, d’après les chiffres publiés sur le site de la SAFER. Il s’agit d’une situation tout à
fait unique en France (graphique 4).

Graphique 4. Évolution du prix du foncier viticole en AOC

Source : d’après les chiffres SAFER.

16 Rappelons que la rentabilité économique peut être définie comme le rapport entre le
revenu d’une entreprise donnée et les sommes mobilisées pour l’obtenir. L’évolution
fortement haussière du prix du foncier viticole champenois renforce donc le problème
de la rentabilité à l’hectare évoqué précédemment, puisque celui-ci a progressé
beaucoup plus fortement sur la période que le prix du raisin (graphique 5). Ainsi, le prix
du raisin est passé d’une base 100 en 1991 à 131 en 2016, contre 630 pour le prix du
foncier, soit une progression près de 5 fois plus rapide pour les vignes (outil de
production) que pour le raisin (résultat de la production).

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Graphique 5. Évolution comparée du prix du foncier viticole et du raisin en AOC Champagne

Sources : d’après chiffres SAFER et CDER.

17 À ces soucis de rentabilité en baisse, il convient d’ajouter au moins deux autres


problèmes majeurs soulevés par cette évolution, à savoir le financement de la
transmission des exploitations, d’une part, et la possibilité d’étendre l’exploitation,
d’autre part. En effet, le foncier viticole est considéré comme un bien privé et non
comme un bien productif, et à ce titre ne bénéficie pas des aménagements fiscaux liés à
la transmission de ces derniers. Il existe certaines solutions pour contourner le
problème, comme la création de groupements fonciers viticoles. Concernant la capacité
à racheter des terres viticoles et ainsi étendre la surface de l’exploitation, les vignerons
contournent souvent le problème en louant ces terres plutôt qu’en les achetant. Or,
dans certains cas, le propriétaire de ces terres qui ne souhaite pas les exploiter lui-
même est bien souvent un héritier et peut décider de les vendre plutôt que de les louer.
Un signe évident des soucis de trésorerie rencontrés par les vignerons est la
recrudescence de ventes de foncier à des groupements viticoles ou à des négociants qui
acceptent en retour de faire un bail au vigneron vendeur (Laudy, 2017). Ce dernier
continue donc à travailler « ses » vignes, mais il n’en est plus propriétaire. Ce procédé
permet au vigneron de récupérer de la trésorerie face aux difficultés du marché et à
l’augmentation des stocks (Laudy, 2017).

Conclusion
18 La situation économique longtemps favorable des vignerons champenois est
aujourd’hui remise en cause par toute une série d’évolutions qui les touchent en amont
comme en aval de la filière. En amont, sur le marché du raisin, leurs revenus sont
amoindris par des rendements de production en moyenne (et durablement) plus bas
qu’auparavant et leur capacité plus faible à étendre leur exploitation du fait de prix de
l’hectare de vigne très élevés. En aval, le marché des vins effervescents est aujourd’hui
devenu très concurrentiel et son excellente dynamique d’évolution semble peu profiter
au champagne en général, les vignerons champenois formant la catégorie la plus
durement touchée. C’est donc bien à la fois leur rentabilité économique et leur
compétitivité qui sont menacées.
19 Face à cette situation nouvelle, quelles solutions sont envisageables ? La tentation de
l’augmentation du prix du raisin, outre qu’elle ne peut plus aujourd’hui faire l’objet
d’une décision collective, aurait des répercussions graves sur la rentabilité des maisons
en diminuant leur capacité à promouvoir leurs vins et à investir dans la qualité. Reste

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donc l’augmentation du prix de la bouteille vendue par les vignerons. Certains font déjà
le pari de la montée en gamme et cherchent à améliorer leur rentabilité par la
valorisation de leur production. D’autres décident de se désengager de la vente de
champagne, comme en témoigne le recul du nombre de vignerons expéditeurs.
D’autres, enfin, se contentent de constater ces évolutions sans pour autant envisager
d’adapter leur activité.
20 Plus largement, nous posons la question de l’impact des évolutions au sein de la
catégorie des vignerons sur l’ensemble de la filière champenoise : vont-elles dans le
sens d’une compétitivité accrue de la filière, ou, au contraire, sont-elles de nature à la
remettre en cause ? Et qu’en est-il au niveau de la performance économique
individuelle ? Existe-t-il des catégories de vignerons plus compétitives que les autres ?
Si oui, quels sont les déterminants de cette compétitivité supérieure ? Et, bien sûr, ces
déterminants sont-ils généralisables, ou au moins transposables à d’autres catégories
de vignerons (champenois ou non) ? Car il est évident que derrière les chiffres agrégés
évoqués précédemment se cache une grande hétérogénéité de situations individuelles.
Une étude détaillée des différents profils existant au sein des vignerons champenois
permettrait d’analyser l’émergence d’un nouveau style d’acteur, à savoir le vigneron
entrepreneur, aussi efficace au niveau de la commercialisation et du marketing qu’au
niveau du vignoble et de l’exploitation viticole. Un vigneron qui doit prendre en
compte à la fois des problématiques de rentabilité et de compétitivité, mais aussi de
préservation de l’héritage familial, de protection de l’environnement et de l’attractivité
touristique. C’est en tout cas l’image idéale d’un vigneron ultra-compétitif véhiculée
par le Syndicat Général des Vignerons.

BIBLIOGRAPHIE
CDER (2017). Références du vignoble champenois. Année 2016.

CIVC (2018). Bulletin des expéditions de vins de champagne en 2017.

Deluze A. (2010). Dynamique institutionnelle et performance économique : l’exemple du champagne.


Thèse de doctorat en sciences économiques, Université de Reims Champagne-Ardenne.

Emorine M., Wallaert A. (2017). La filière Champagne : des taux de marge importants et des salariés bien
rémunérés. Insee Analyses Grand Est, n° 42, mars.

Franceagrimer (2016). Le marché mondial des vins effervescents. Avril.

Laudy A. (2017). Le prix de l’hectare de vigne multiplié par quatre en 25 ans. L’Union, 6 juin 2017,
pp. 4-5.

Observatoire régional du tourisme de la Champagne et de l’Ardenne (2018). Les chiffres clés du


tourisme de la Champagne.

OIV (2018). Éléments de conjoncture mondiale. Avril 2018.

Poels O., Saverot D., Baudouin J. (2017). Les ressorts du succès de la Champagne sont-ils solides ?
La Revue des Vins de France, www.larvf.com, publié le 2 juin 2017.

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Scotti E., Valli C. (2014). Study on the competitiveness of European wines, Final Report, October 2014,
European Commission.

NOTES
1. Ou du « Nouveau Nouveau Monde », à savoir les pays nouvellement producteurs, ou à nouveau
producteurs, qu’il s’agisse d’acteurs de premier rang à vocation mondiale car dotés d’un fort
potentiel (Chine, Inde, Brésil) ou d’acteurs de second rang à vocation locale et régionale tels que
certains pays de l’Europe de l’Est (Bulgarie, Géorgie, Hongrie, Ukraine) ou encore les pays du
pourtour méditerranéen (Algérie, Liban, Maroc, Tunisie, Turquie).
2. La rentabilité est un indicateur utilisé pour évaluer individuellement la performance des
entreprises. On peut la définir comme le rapport entre les revenus d’une entreprise donnée et les
sommes mobilisées pour les obtenir. Elle se distingue de la compétitivité du fait que cette
dernière est évaluée en comparant l’évolution de l’activité économique d’une entreprise par
rapport à celle des autres entreprises d’un même secteur. Autrement dit, la rentabilité est un
indicateur économique individuel alors que la compétitivité constitue un indicateur relatif qui
permet d’évaluer une entreprise par rapport à ses concurrents directs.
3. Sauf précision contraire, l’ensemble des chiffres utilisés provient d’une compilation
personnelle de chiffres issus du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC).
4. Les statistiques officielles ne permettent pas de fournir un chiffre exact des exploitations
appartenant à des viticulteurs/vignerons, plusieurs structures cohabitant parfois sur la même
exploitation.
5. Par opposition aux récoltants coopérateurs, les récoltants manipulants possèdent leurs
propres infrastructures de vinification.
6. Les filières en difficultés ont bénéficié des aides européennes à l’arrachage de vignes sur la
période, non compensé par les plantations nouvelles.
7. Comme le Prosecco pour l’Italie ou le cava pour l’Espagne.
8. D’après les services techniques du CIVC.
9. Estimation du coût de revient d’une bouteille de champagne pour un négociant (en euros par
bouteille) : 6,08x1,154 (raisin) + 1,59 (financement de stock) + 0,42 (pressurage et vinification) +
0,71 (tirage en bouteille) + 3,59 (champagnisation et commercialisation). Calcul réalisé à partir
des éléments comptables publiés par le CDER qui s’appliquent aux vignerons de leur échantillon,
dans l’hypothèse où le négociant doit acheter la totalité de son approvisionnement en raisin
auprès de vignerons.
10. La rentabilité économique signifie ici la rentabilité de l’exploitation indépendamment du
mode de financement de l’entreprise.
11. Les rendements élevés en Champagne sont liés au processus de production très différent de
celui des vins tranquilles, largement majoritaires dans les autres régions viticoles françaises.

RÉSUMÉS
Malgré des performances économiques passées hors normes, la filière champagne n’a pas profité
du dynamisme du marché des vins effervescents de ces dix dernières années. Dans un contexte

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concurrentiel qui s’est fortement durci, les expéditions de champagne en volume ne progressent
plus et les vignerons sont les plus touchés par cette situation. La rentabilité économique de ces
derniers est menacée à la fois par le ralentissement de leurs expéditions en aval de la filière, mais
également par une diminution de leurs marges d’exploitation du fait de la baisse des rendements
à la vendange et, enfin, par l’intensité capitalistique croissante du secteur due à la forte hausse
du prix du foncier et de la valeur des stocks. Cette situation nouvelle pose la question de
l’évolution de leur modèle économique.

Despite outstanding economic performances in the past, the champagne industry has not
benefited from the dynamism of the sparkling wine market over the last ten years. In a much
tougher competitive context, champagne sales have been slowing down in volume, and the
growers are those most impacted by this situation. Their economic profitability is threatened by
the slowdown in sales downstream in the industry, but also by a decrease in their operating
margin due to the combination of lower yields at harvest and a growing capital intensity in the
sector resulting from large increases in land prices and inventory value. This new situation
implies a necessary evolution of their economic model.

INDEX
Keywords : champagne growers, profitability, competitiveness
Mots-clés : vigneron champenois, rentabilité, compétitivité
Code JEL R30 - General, R32 - Other Production and Pricing Analysis, R39 - Other

AUTEUR
AURÉLIE RINGEVAL-DELUZE
Université de Reims Champagne-Ardenne ; Laboratoire REGARDS (EA 6292) ; aurelie.ringeval-
deluze@univ-reims.fr

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Le marché des broutards en France.


Organisation de la filière,
transmission de l’information et
qualité
The French weanling market: Organization of the sector, information
transmission, and quality

Axelle Poizat, Sabine Duvaleix-Treguer, Arnaud Rault et Florence Bonnet-


Beaugrand

NOTE DE L'AUTEUR
Les auteurs tiennent à remercier Baptiste Cornette pour sa participation au travail
d’enquête. Ce travail a reçu le soutien du programme PSDR Pour et sur le
développement régional Grand Ouest financé par l’INRA ; l’IRSTEA ; les Régions
Bretagne, Pays de la Loire, Normandie et Nouvelle Aquitaine ; Agrocampus-Ouest dans
le projet SANT’Innov et l’École nationale Supérieure vétérinaire via une thèse
d’université en Formation continue par la recherche.

1 La filière viande bovine française fait face à d’importants défis pour le maintien de sa
compétitivité et la préservation du revenu des éleveurs. Elle évolue dans un contexte de
marché fluctuant en raison de tendances nouvelles de la demande, d’une concurrence
internationale accrue sur les marchés laitiers et viande, et de risques sanitaires aux
répercussions fortes sur les marchés. La filière viande bovine française est la plus
importante en Europe ; elle représente 19 % de la production européenne à 28 pays
(CNE et IDELE, 2018). Bien que sa consommation interne et externe tende à s’éroder
depuis 2010 (- 7 % en 6 ans) en raison de facteurs économiques (baisse du pouvoir
d’achat des ménages) et de nouvelles tendances sociétales (vieillissement de la
population, modification des habitudes de consommation, remise en cause de l’élevage)

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(Dimon et al., 2017), le solde commercial de la France est positif (+ 810 millions d’euros
en 2015), avec l’Italie comme destination principale des exports (77 % des achats
italiens en 2015) (Chatellier, 2017), même si la demande italienne reflue en 2018 (CNE et
IDELE, 2019). Les prix de marché de la viande en Europe sont soumis à des variations
importantes, notamment du fait des répercussions des aléas de la conjoncture du
marché laitier. De plus, le marché de la viande est marqué par une demande croissante
des consommateurs pour des produits issus de modes de production plus respectueux
de l’environnement (Mathé et al., 2014) ; les ventes de viande bio ont notamment
augmenté de 13 % entre 2016 et 2017 (Chever et al., 2018). Cette tendance traduit une
demande sociétale concernant la réduction de l’usage d’intrants chimiques de synthèse,
dont les intrants médicamenteux en élevage, et pour lesquels les filières agricoles
doivent innover dans leurs modes de production. En particulier, il est démontré que
l’augmentation de l’antibiorésistance évolue en parallèle de l’utilisation des
antibiotiques (Chantziaras et al., 2014). La réduction d’usage d’antibiotiques en élevage
est donc un enjeu de santé publique.
2 La filière bovin viande est donc soumise à une obligation de s’adapter à une
conjoncture complexe. Une des voies d’adaptation, dans le contexte français actuel
(états généraux de l’alimentation1), est d’améliorer le fonctionnement des filières avec
une meilleure coordination entre les acteurs. En effet, l’organisation économique des
filières de production agricoles influence la performance économique et la qualité des
produits (Raynaud et al., 2005). Une filière coordonnée permet de gagner en efficacité et
d’améliorer la concordance de l’offre de production de produits et de la demande du
consommateur (Coronado et al., 2010). La coordination formalisée entre les acteurs est
actuellement faible ; seules 5 à 20 % des transactions d’animaux vivants (broutards ou
taurillons) s’effectuent sous contrat (Marty et al., 2015). De plus, les pratiques
commerciales concernant les transactions de broutards sont assez méconnues.
Pourtant, les interactions techniques entre les deux étapes de production des jeunes
bovins de race à viande sont majeures pour la gestion sanitaire des maladies
respiratoires. Le protocole de vaccination idéal suppose que celle-ci soit réalisée chez le
naisseur alors que les animaux connaissent des bronchopneumonies infectieuses à fort
impact économique en atelier d’engraissement (Assié et al., 2009). Une partie des
broutards reçoivent encore aujourd’hui des antibiotiques de manière systématique et
préventive au moment de la mise en lots. Les engraisseurs cherchent à contrôler le
risque élevé de maladies respiratoires en raison du stress lié au sevrage, au transport, à
la mise en lots d’animaux provenant d’élevages différents lorsqu’ils reçoivent les
animaux. Cette pratique d’antibiothérapie ne respecte pas les objectifs de bonnes
pratiques demandées par les pouvoirs publics pour une diminution d’utilisation des
antibiotiques.
3 Face à ces constats, il apparaît donc comme primordial de comprendre le ou les
systèmes d’organisation du marché des jeunes bovins de boucherie en France, afin
d’identifier les leviers d’action possible pour un maintien de la compétitivité du secteur
tout en répondant aux objectifs de santé publique. Comment est organisé ce marché ?
Et quelle est l’efficacité de l’organisation actuelle du marché des broutards en France en
termes de gestion de la qualité sanitaire des animaux ? L’objectif de ce travail de
recherche est l’étude de l’impact de l’organisation de la filière sur la circulation de
l’information dans la filière bovin viande et sur les pratiques sanitaires de ce secteur.
L’analyse s’appuie sur l’exploitation de données collectées lors d’une enquête originale

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auprès d’éleveurs naisseurs, naisseurs-engraisseurs et engraisseurs, afin de caractériser


les transactions de broutards et la prise en compte de leur santé dans ces transactions.
4 Dans un premier temps, ce travail présente l’organisation économique et géographique
de la filière, permettant de comprendre le rôle clef des commerciaux dans l’ajustement
logistique de l’offre des naisseurs et de la demande des engraisseurs. Dans un second
temps, ce travail détaille les différents modes de coordination verticale pour les ventes
de broutards ainsi que les préférences des éleveurs lors des transactions. Enfin, une
description plus fine des pratiques actuelles permet de comprendre l’importance de la
qualité de transmission d’information lors des transactions pour la gestion de la santé
des broutards et la réduction d’usage d’antibiotiques en élevage.

Organisation économique de la filière des jeunes


bovins de race à viande
1. La viande bovine, produit des élevages laitiers et allaitants

5 Au sein de l’élevage bovin français, on dénombre actuellement 7,7 millions de vaches


(FranceAgriMer, 2018a), réparties presque à moitié entre les vaches laitières et les
vaches allaitantes, avec une forte différenciation géographique des cheptels et
productions. Le cheptel laitier observe une baisse tendancielle, tandis que le cheptel
allaitant observe une décapitalisation progressive sur les dernières années (-1,8 % de
baisse de 2016 à 2017). La figure 1 représente, pour 2017, les volumes d’animaux
présents dans les troupeaux bovins français. Les veaux femelles sont destinés en
priorité au renouvellement des cheptels, et ce davantage en filière laitière (77 %) qu’en
filière viande (46 %), contre une part infime pour les mâles destinés à la reproduction (2
à 3 %). La plupart des veaux mâles laitiers sont élevés comme veaux de boucherie (à
64 %, contre 11 % seulement des femelles laitières, et 5 à 7 % des veaux allaitants). Il
résulte que les gros bovins viande produits sont issus i) des vaches de réforme (filière
lait et viande), ii) des bœufs castrés des deux filières (pour une part infime), iii) des
veaux femelles restants des deux filières après prélèvement pour le renouvellement du
cheptel (12 % des femelles laitières et 49 % des femelles allaitantes), iv) des veaux mâles
laitiers restants après prélèvement pour la reproduction et vente des veaux de
boucherie (34 %), et v) des veaux mâles de la filière allaitante (87 %), abattus en
moyenne avant l’âge de 17 mois.
6 La suite de l’article traite de ces derniers, qui représentent l’essentiel des flux de la
filière viande, notamment à l’export, et sur lesquels repose une partie significative des
enjeux de réduction d’usage systématique d’antibiotiques en filière bovine. Par
convention, ils seront par la suite désignés sous le terme de jeunes bovins de race à
viande.

2. Organisation géographique de la filière des jeunes bovins race à


viande en France

7 Chaque année, environ deux millions de broutards race à viande sont produits en
France. La production s’organise en deux étapes : la naissance puis l’élevage jusqu’au
sevrage de broutards race à viande âgés de 6 à 9 mois, puis l’engraissement et l’abattage
des taurillons âgés de 12 à 24 mois maximum (figure 1). Les débouchés se situent

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principalement à l’export, soit avant l’engraissement (la moitié), soit après


l’engraissement et l’abattage (CNE et IDELE, 2016). Dans une majorité des cas, les deux
étapes de la production ne sont pas intégrées : les broutards sont élevés chez un
naisseur, puis engraissés chez un engraisseur. On dénombre ainsi 11 900 exploitations
de naisseurs-engraisseurs pour 49 700 exploitations de naisseurs qui
approvisionnement 12 700 exploitations d’engraisseurs.

Figure 1. Représentation des productions de bovins français

Source : les auteurs d’après les données CNE et IDELE (2018).

8 À l’exception des élevages naisseurs-engraisseurs, les deux étapes de production


(naissage puis engraissement des broutards) sont géographiquement séparées. Cette
répartition géographique des étapes de production s’explique principalement par les
conditions pédoclimatiques et d’élevage des territoires concernés. La production des
broutards est majoritairement située dans le Massif central et son pourtour (figure 2).
En effet, l’activité de naissage est basée sur des systèmes extensifs de pâturage, plus
adaptés aux conditions pédoclimatiques et à la qualité des terres de ces régions.
L’engraissement des broutards est principalement localisé dans l’Ouest et l’Est de la
France, ainsi qu’en Italie du Nord. La moitié des broutards produits en France sont
exportés, dont une large majorité vers la vallée du Pô (72 %) (CNE et IDELE 2016).
Cependant, concernant l’Ouest de la France, la concurrence sur l’usage des terres
agricoles est importante. L’engraissement des animaux en bâtiment permet donc de
limiter les surfaces agricoles utilisées, tout en valorisant des fourrages et coproduits
des cultures céréalières, à haute valeur énergétique alimentaire (figure 2). En termes de
nombre d’acteurs, le secteur de l’engraissement est moins concentré
géographiquement que le secteur de la production de broutards (Interbev, 2018).

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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9 Ce système est rendu possible par le faible coût du transport des broutards. Pour un
trajet d’environ 350 km, le coût par broutard est d’environ 3 % du prix de l’animal selon
un acteur du transport d’animaux de la filière. La réglementation européenne autorise
par ailleurs des transports de 9 heures sans pause ou abreuvement des broutards
(Moffat, 2011).

Figure 2. Répartition nationale française des vaches à viande (gauche) et jeunes bovins race à
viande (droite) en France

Note : JBB = jeunes bovins de boucherie.


Source : CNE et IDELE (2016).

3. Organisation du marché : offre et demande, rôle des


intermédiaires

10 La filière est ainsi marquée par une dichotomie des structures d’exploitations entre
élevages naisseurs et engraisseurs : éloignement géographique et taille d’exploitations
plus réduites chez les naisseurs, causant une offre très fragmentée d’animaux aux
caractéristiques hétérogènes. Afin de mettre en adéquation l’offre des naisseurs et la
demande des engraisseurs, la filière a généralement recours au service d’opérateurs
commerciaux intermédiaires (e.g. négociant en bestiaux, maquignon), qui ont pour rôle
d’acheter et de rassembler les broutards venant d’élevages naisseurs différents, puis de
les regrouper en lots d’animaux homogènes en termes de conformation et poids
(allotement) afin de satisfaire la demande des engraisseurs.
11 Ces intermédiaires jouent ainsi un rôle essentiel dans la formation du marché de bovins
vifs en France, par la mise en cohérence de l’offre et de la demande d’animaux.
Toutefois, cette organisation de filière, quoiqu’essentielle, présente structurellement
des faiblesses sur le plan des risques sanitaires encourus par les bovins et sur la
transmission des informations sanitaires entre les naisseurs et les engraisseurs. En
effet, le mélange et le transport d’animaux sont des facteurs importants de stress et
peuvent être le terrain de l’expression de maladies (notamment respiratoires). De plus,

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


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la mise en contact d’animaux d’origines diverses favorise la transmission à grande


échelle d’agents pathogènes (Bach et al., 2011 ; Cernicchiaro et al., 2012).
12 L’organisation du commerce de broutards en France est peu concentrée. La
déconcentration du secteur et la relative absence de cotations nationales apparaissent
comme des freins à la transmission de l’information sur les caractéristiques des
animaux. Les commerciaux appartiennent à des structures privées indépendantes
(1 300 en France) ou à des organisations de producteurs commerciales (113 OPC en
France) (ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2019). Ces organisations de
producteurs contrôlaient en 2009 46 % des volumes ; 20 % d’entre elles concentraient
uniquement 34 % des volumes (Malpel et al., 2012). Des organisations de producteurs
non commerciales (35 OPNC en 2007, Malpel et al., 2012) structurent le secteur,
facilitant la mise en relation et la négociation entre éleveurs et commerciaux par la
mise en place de démarches filières valorisantes, de cahiers de charges cadres et
d’informations de marché. Ces démarches ont cependant un impact limité du fait d’une
part de la nécessité de respecter les règles de concurrence, notamment vis-à-vis de
l’entente sur les prix, et d’autre part de leur faible concentration (20 % des OPNC
contrôlaient 15 % du secteur en 2009) (Malpel et al., 2012). Pour pallier cet état de fait,
une partie des OPNC ont entamé depuis 2014 une agrégation marché dans le réseau
ELVEA avec une reconnaissance unique au sein de l’organisation commune de marché.
Malgré la poursuite continue de la concentration des OPC et OPNC en amont de la
filière, leur poids de négociation reste relatif au regard de la concentration aval des
industries de l’abattage et de la transformation (4 acteurs représentent 68 % des
volumes) (Reffay et al., 2017).

4. Implication de la filière dans la lutte contre l’antibiorésistance

13 Par ailleurs, la préoccupation de lutte contre l’antibiorésistance est récente dans les
stratégies affichées de la filière. Ainsi, la charte de bonnes pratiques d’élevage Interbev
(suivie pour 77 % des bovins mais non contraignante) ne mentionne qu’un suivi
sanitaire conforme à la réglementation et le fait de signaler aux acheteurs les incidents
sanitaires pouvant avoir des incidents sur la qualité du produit (résidus
médicamenteux). Elle engage à contractualiser sur le produit, sa qualité, son coût, sans
mention des contingences sanitaires (FNB et FNPL, 2011). La thématique de diminution
des antibiotiques dans la filière bovine n’était pas encore traitée au niveau d’Interbev
en 2017 (Reffay et al., 2017). Sur cinq scénarios prospectifs collaboratifs de la filière
bovins viande à horizon 2050, deux mettent l’accent sur la traçabilité, mais non sur la
traçabilité sanitaire (FranceAgriMer, 2018b).
14 Toutefois, le plan filière élaboré à la suite des États généraux de l’alimentation
mentionne les efforts réalisés par la filière dans le cadre du plan Ecoantibio et prévoit
la création d’un groupe de travail idoine au sein de la filière en 2018, en mentionnant
explicitement la préparation sanitaire des broutards (Interbev, 2017) et la mise en place
d’observatoires de la consommation d’antibiotiques est affichée dans le Pacte pour un
engagement sociétal de la filière (Interbev, 2019).

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121

Matériel et méthodes
15 Préalablement à l’élaboration des questionnaires d’enquêtes, 54 entretiens qualitatifs
semi-directifs ont été réalisés auprès d’acteurs de la filière allaitante. Ils ont permis la
construction de trois questionnaires différents2 : un pour des naisseurs spécialisés ; un
pour des engraisseurs spécialisés ; un pour des naisseurs-engraisseurs.
16 Les questionnaires étaient construits sur des modèles similaires, 80 % des questions
étaient identiques dans les trois questionnaires. Les questions portaient sur la
description des exploitations et de leur activité, des volumes de production et d’achat-
vente – dont la taille des lots commercialisés –, des modalités de commercialisation
(fréquence, interlocuteurs concernés, niveau de formalisation), des pratiques sanitaires
mises en place et des conseillers sollicités. Les modalités de formalisation ont été
décrites sans détail ; par exemple, la présence ou non de cahier des charges ou la mise
en relation via une OPNC n’ont pas été détaillées dans le questionnaire et n’ont fait
l’objet d’aucune remarque spontanée des répondants. Concernant l’analyse des risques
sanitaires imputables à l’organisation de la filière, la description des pratiques
sanitaires a porté sur les pratiques de vaccination et d’antibiothérapie, sur la mise en
place d’une transition alimentaire, sur la mise en place d’une quarantaine, et sur la
vente ou l’achat de lots de même origine. Les protocoles vaccinaux ou
d’antibioprévention n’ont pas été détaillés ; seule leur mise en œuvre a été repérée. En
revanche, la description des échanges d’information a été plus fine, et inclut par
exemple la présence d’information sur les pratiques de sevrage ou les épisodes
sanitaires précédant la transaction. Un focus sur la meilleure vente et la pire vente de
l’année a été réalisé pour affiner les résultats. Certaines questions concernant des
points particuliers ont été adaptées à chaque population visée.
17 Les questionnaires ont été testés deux fois auprès de chaque type d’acteur avant leur
diffusion. Une première diffusion large du questionnaire a été faite par voie d’e-mail,
via les listes d’adhérents d’environ vingt Groupements de Défense Sanitaire (GDS,
structures départementales). Au vu du faible taux de réponse, les questionnaires ont
ensuite été renseignés au téléphone par quatre étudiantes en école d’agronomie et un
ingénieur agronome. Les coordonnées d’éleveurs ont été collectées via des recherches
internet, des organisations de producteurs, des marchés aux bestiaux, l’école
vétérinaire de Nantes et des vétérinaires libéraux. Les contacts ont également pu être
obtenus grâce au réseau ELVEA, les coopératives, le réseau Inosys des chambres
d’agriculture. La période de collecte des données s’est étalée entre avril et novembre
2017.
18 Un total de 221 questionnaires a été complété, dont 96 naisseurs, 72 naisseurs-
engraisseurs et 53 engraisseurs et sur la totalité de la France (figure 3).

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Figure 3. Répartition géographique des éleveurs ayant répondu au questionnaire avant tri

Source : les auteurs.

Résultats
19 Cette section présente les résultats détaillés de l’enquête menée au sein de la filière
bovine française. Après la présentation de statistiques descriptives, nous nous
attardons sur l’analyse des caractéristiques des transactions, puis sur la transmission
de l’information lors du négoce, et enfin nous terminons notre analyse par l’étude du
cas particulier des naisseurs-engraisseurs.

1. Résultats descriptifs

20 Les résultats descriptifs de l’enquête sont présentés ci-dessous. Le tableau 1 présente la


constitution de l’échantillon en termes de représentativité des types d’ateliers
enquêtés. Aucun des ateliers n’est sous-représenté, même si les naisseurs sont
proportionnellement moins bien représentés que les autres (0,2 % par rapport à 0,6 %
et 0,4 %). Les volumes de production des ateliers sont en conformité avec les
statistiques nationales.

Tableau 1. Caractéristiques des exploitations de l’échantillon

- Naisseurs Naisseurs-engraisseurs Engraisseurs

Nb. France3 49 700 11 900 12 700

Échantillon 96 72 53
%/France 0,2 % 0,6 % 0,4 %

71 vêlages
Volume 85 vêlages [8-240] 273 taurillons
Moy. [min-max] [14-740] 67 taurillons [40-2000]
[10-225]

2 ETP 2,5 ETP 2,5 ETP


Actifs Moy [min-max]
[1-15] [1-12] [1-6]

Source : les auteurs.

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21 Comme le montre le tableau 2, la race dominante est le charolais pour les naisseurs
(61 %) et les engraisseurs (74 %). Elle est surreprésentée dans notre échantillon. Les
races élevées par les naisseurs-engraisseurs sont plus diverses (Charolaise : 31 %,
Limousine : 31 %, Blonde d’Aquitaine : 18 %).

Tableau 2. Représentativité des races dans l’échantillon

Naisseurs-
Répartition race allaitant Naisseurs Engraisseurs Échantillon France
engraisseurs

Charolais 61 % 31 % 74 % 54 % 31 %

Limousin 15 % 31 % 9% 19 % 23 %

Blonde d’Aquitaine 7% 18 % 9% 11 % 10 %

Autre : Salers, Blanc-Bleu,


Parthenaise, Abondance, 17 % 21 % 8% 16 % 36 %
croisement

Total général 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Source : les auteurs.

22 La répartition géographique des éleveurs de l’échantillon respecte la répartition sur les


bassins traditionnels de production, mais la région Pays de Loire est surreprésentée et
la région Nouvelle Aquitaine sous-représentée (tableau 3 et figure 3).

Tableau 3. Représentativité des régions dans l’échantillon

Répartition géographique bovins viande Échantillon France

Nouvelle Aquitaine 11 % 22 %

Auvergne-Rhône-Alpes 14 % 16 %

Bourgogne-Franche-Comté 16 % 13 %

Occitanie 9% 13 %

Pays de la Loire 26 % 11 %

Grand Est 9% 7%

Normandie 3% 6%

Centre-Val de Loire 1% 5%

Autres 11 % 7%

Source : les auteurs.

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23 Les éleveurs de l’échantillon ont des profils comparables selon leur spécialisation de
naisseur, naisseur-engraisseur ou engraisseur (annexe 1).

2. Description des caractéristiques des transactions sur le marché


des broutards et implications
Volumes de broutards échangés

24 Les résultats de l’enquête montrent que les naisseurs ont des fréquences et des volumes
de commercialisation des broutards significativement moins importantes que les
engraisseurs (p-value<0 ,01) (figure 4). La différence est également significative si l’on
compare les plus petits (gros) lots de broutards vendus par les naisseurs ou achetés par
les engraisseurs (p<0,01). Entre naisseurs et engraisseurs, il y a donc une inadéquation
des volumes et des tailles de lots échangés. L’offre des élevages naisseurs est beaucoup
plus homogène que la demande des élevages engraisseurs, pour lesquels les écarts-
types sont élevés (figure 4). Par ailleurs, la diversité des broutards commercialisés sur
les marchés, plus importante que celle des taurillons, permet une plus grande flexibilité
pour les naisseurs que pour les engraisseurs dans le choix du moment de vente
(d’achat) des broutards (données de l’enquête : la comparaison de la variance des poids
et âge des broutards est significativement plus grande que celle des taurillons avec
respectivement p<0,01 et p<0,05). En revanche, naisseurs et engraisseurs vendent et
achètent les broutards à des âges similaires (autour de 8,5 mois dans notre échantillon,
que la vente se fasse en France ou à l’export), ce qui permet un transfert rapide entre
les deux étapes de production, sans phase de repousse des animaux entre les deux
étapes.

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Figure 4. Nombre de lots de broutards et nombre de broutards vendus par les naisseurs ou achetés
par les engraisseurs sur une année

Note : p-value>0,01.
Source : données de l’enquête.

Le recours aux commerciaux

25 Plus de 95 % des naisseurs et des engraisseurs de l’étude utilisent les services d’un
commercial pour acheter ou vendre leurs animaux (figure 5). Les transactions des
engraisseurs s’inscrivent dans des systèmes de coordination plus importants, où les
transactions via un commercial unique représentent 66 % des modes d’achat des
broutards, contre 58 % pour les naisseurs (annexe 2). Nous considérons dans cette étude
que les éleveurs ont recours à un commercial lorsque celui-ci organise les transferts
entre éleveurs ou une transaction sur un marché aux bestiaux.

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Figure 5. Répartition des modes de coordination existant pour les transactions amont (broutards)
de la filière des jeunes bovins race à viande (% d’élevages)

Source : données de l’enquête.

26 Au total, les commerciaux appartenant à un organisme touchent 65 % des éleveurs et


représentent 56 % des animaux échangés ; les commerciaux privés indépendants
touchent 55 % des éleveurs et représentent 36 % des volumes échangés. L’achat ou la
vente d’animaux par le marché aux bestiaux est limité parmi les éleveurs de
l’échantillon (0,5 % comme seul mode de commercialisation, 3 % en parallèle de
commerciaux), quelle que soit leur spécialisation ; il représente seulement 2 % des
animaux échangés. Mais ce nombre ne reflète pas la proportion réelle de broutards
transitant par les marchés aux bestiaux car certains commerciaux utilisent les marchés
pour revendre ou s’approvisionner en broutards auprès d’autres commerciaux, sans en
informer nécessairement les éleveurs. Certains éleveurs ont recours à une
commercialisation dite mixte, à savoir qu’ils font appel à plusieurs interlocuteurs ou
utilisent plusieurs circuits de commercialisation en parallèle (e.g. commercial et
marché aux bestiaux, commercial et transaction directe entre éleveur, etc.). Une
attention particulière a été portée aux transactions directes entre éleveurs, en raison
de leur efficacité en termes de gestion sanitaire. Peu d’éleveurs y recourent comme
mode direct partiel ou total d’approvisionnement (5 % des éleveurs), ce qui s’explique
en partie par l’éloignement géographique des zones de production. Mais en comptant
les éleveurs demandant des transferts directs à leur commercial, on compte 10 %
d’éleveurs ayant recours à une relation directe entre naisseurs et engraisseurs pour
tout ou partie de leurs achats de broutards, mais sur de petits volumes (6 % des
animaux échangés au total).

Le niveau de formalisation

27 Les pratiques de coordination verticale observées dans l’échantillon confirment la


faible proportion de transactions effectuées dans le cadre d’une contractualisation
formelle. Cependant, une majorité de transactions impliquent une contractualisation
informelle, où les acteurs commercent sur le long terme et avec un niveau de fidélité
assez important. Seules 20 % des transactions sur les achats-ventes de broutards se font
avec un contrat formel écrit, systématiquement avec une organisation de producteurs.
Une partie de ces contrats inclut une exclusivité sur la revente et peut être conclue

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127

entre trois parties (engraisseur, organisation de producteurs, abatteur) 80 % des


éleveurs ne formalisent pas leurs échanges commerciaux par un contrat formel écrit
(figure 6). Les différences de contractualisation entre les différents types d’éleveurs sont
statistiquement significatives (p-value<0,01).

Figure 6. Répartition des modes de contractualisation principaux existant pour les transactions
amont (broutards) de la filière des jeunes bovins race à viande (% d’élevages)

Source : données de l’enquête.

28 Les éleveurs adhérant à un contrat pour les transactions liées aux broutards
(2 naisseurs, 3 naisseurs-engraisseurs et 28 engraisseurs) font principalement ce choix
par : (i) sécurité des prix et des débouchés ou approvisionnements (39 %) ; (ii) pour des
avances de trésorerie possibles grâce au contrat (39 %) (iii) par facilité et gain de temps
(33 %) ; ou (iv) en raison de la confiance en leur commercial et/ou organisation de
producteurs (21 %). Ces motifs d’adhésion à un contrat sont conformes aux contraintes
pesant notamment sur les ateliers d’engraissement qui sont soumis aux rythmes de
production en aval, aux variations des prix des broutards à l’achat, des taurillons à la
vente, et des aliments qu’ils achètent pour l’engraissement. Les nécessités d’avance de
trésorerie sont à mettre en rapport avec le prix assez élevé des broutards sur le marché
et à la durée du cycle de production. Les engraisseurs sont les éleveurs qui expriment
les plus grandes difficultés de négociation quant aux prix des animaux (figure 7).

Économie rurale, 368 | Avril-juin 2019


128

Figure 7. Perception des éleveurs de leur facilité de négociation du prix des broutards ou des
taurillons race à viande (%)

Source : données de l’enquête.

29 Selon les éleveurs, 76 % des contrats ont au moins une clause sur le poids ou l’âge à
l’abattage, la race ou la conformation du broutard et/ou du taurillon. Près de 70 % des
contrats ont également au moins une clause en lien avec la gestion logistique des
ventes ou des approvisionnements (nombre d’animaux à commercialiser, taille des lots,
délai de livraison ou saison de livraison). Environ 27 % des contrats ont une clause
portant sur l’alimentation des broutards. Pour d’autres (21 %), ils présentent une clause
sur des critères sanitaires : (i) les protocoles vaccinaux (60 %), (ii) le déparasitage
(20 %), et (iii) la bonne santé des animaux (40 %). Certains contrats d’achat de broutards
(48 %) ont une clause portant sur l’exclusivité de la revente des broutards au stade de
taurillons au contractant. Enfin, seuls 8 % des éleveurs sous contrat (tous profils
confondus) ne décrivent aucune clause particulière.
30 Les naisseurs sont les éleveurs qui contractualisent le moins formellement leurs
échanges commerciaux. Seuls 2 % d’entre eux signalent des contrats formels (figure 6).
31 Pour justifier leur non-adhésion à un contrat formel, 45 % des éleveurs expriment aussi
l’absence de besoin ou d’opportunité de souscription à un contrat. 63 % des éleveurs
invoquent un désir d’indépendance ou des convictions personnelles ; 20 % préfèrent
assurer la gestion de leurs achats-ventes par eux-mêmes. Près de 23 % des naisseurs
précisent de plus qu’ils souhaitent gérer leurs ventes selon les prix du marché. Les
engraisseurs sont moins attachés à leur liberté pour le contrôle des prix à l’achat des
broutards ou la vente des jeunes bovins car seulement 3,3 % d’entre eux invoquent la
volonté de gérer les achats selon les prix du marché pour refuser l’utilisation d’un
contrat.
32 62 % des éleveurs, tous profils confondus, fonctionnent sous une forme contractuelle
non formelle, basée sur une relation de confiance établie depuis plus d’un an avec un
commercial et avec l’intention de poursuivre la relation commerciale. La confiance
comme prérequis au choix d’un commercial est un des critères majeurs pour une
majorité des éleveurs. Moins de 10 % des éleveurs choisissent un commercial sur des
critères de proximité géographique ; 30 % des éleveurs choisissent un commercial sur

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129

des critères de délai et garantie de paiement ou de livraison. Ces deux facteurs ne


semblent pas être discriminants dans le choix d’un mode de gouvernance des
transactions.

Les préférences des éleveurs

33 Environ 60 % des éleveurs perçoivent le risque de variation des prix des broutards sur
les marchés comme étant un des risques principaux pour leur activité, mais il n’y a pas
de différence significative entre les éleveurs naisseurs et les éleveurs engraisseurs 4.
Cependant, pour décider de leurs transactions, les naisseurs accordent
significativement plus d’importance que les engraisseurs au prix donné pour les
broutards : 55 % pour les naisseurs, contre 20 % pour les engraisseurs. L’étude
comprenait des questions permettant aux éleveurs de détailler leur meilleur et leur
pire achat/vente de l’année (figure 6). Environ 70 % des naisseurs qui répondent à la
question (n =72) définissent leur meilleure vente de l’année selon ce critère. Le critère
prix est le seul clairement cité par une majorité des naisseurs. Pour les engraisseurs qui
répondent à cette question (n =27), le choix de leur meilleur achat de l’année se définit
par contre sur (i) la performance économique (rendement, marge) ou zootechnique
(conformation des broutards, leur croissance (70 %), (ii) les critères de santé des
animaux (maladies, pertes d’animaux) (plus de 40 %), et seulement en troisième
position (iii) le prix des animaux (30 %).

3. Transmission de l’information et l’évaluation de la qualité des


broutards

34 L’information ne circule pas dans la plupart des cas entre les naisseurs et les
engraisseurs5, ce qui a des répercussions sur la gestion de la santé des animaux au sein
de la filière.
35 Les éleveurs naisseurs n’ont souvent aucune information sur le devenir de leurs
animaux. 71 % des éleveurs naisseurs savent si leurs animaux partent à l’export ou sont
engraissés en France, mais la majorité d’entre eux ignorent les élevages dans lesquels
vont leurs broutards (83 %) et les performances (88 %) de leurs animaux en
engraissement. Seuls 6 naisseurs de notre échantillon (sur 96) ont l’ensemble de ces
informations ; 5 d’entre eux travaillent avec des commerciaux privés ou appartenant à
un organisme et un travaille en vente directe auprès des engraisseurs. Dans la majorité
des cas, le manque de retour d’information n’incite pas les éleveurs naisseurs à
améliorer et valoriser la qualité de leurs broutards sur le marché.
36 Pour les engraisseurs, le manque d’information sur les événements précédant l’achat
des broutards ne leur permet pas d’évaluer des attributs non visibles de la qualité des
broutards. En effet, environ ¾ des engraisseurs choisissent les broutards sur des
critères visibles et évaluables à l’achat : des critères zootechniques (race, poids, âge,
homogénéité des lots). Ils sont cependant seulement 20 % à avancer des critères
sanitaires pour choisir leurs broutards (peu d’élevages de provenance au sein d’un
même lot, proximité des élevages de provenance, vaccination précoce chez le naisseur
(primo-vaccination 2 à 4 semaines avant le sevrage et la vente du broutard, puis rappel
au moment de la vente). Ils ne disposent pas des informations nécessaires pour prendre
en compte les facteurs sanitaires dans leur choix. Ces critères de qualité ne sont pas
visibles. 70 % des engraisseurs ne connaissent ni les élevages de provenance de leurs

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130

animaux ni le nombre de ces élevages. En cohérence avec ce chiffre, ils sont 87 % à


ignorer les maladies passées des broutards qu’ils engraissent, et 57 % à ignorer
concomitamment quelles vaccinations, injections d’antibiotiques ou déparasitage les
broutards pourraient avoir déjà reçus. Parmi les 12 engraisseurs (sur 53) disposant de
toutes ces informations, 5 achètent directement leurs animaux auprès d’un naisseur et
5 travaillent avec un commercial de groupement. 77 % des engraisseurs ignorent
également le régime alimentaire des broutards chez le naisseur.
37 Le mode de commercialisation est plus discriminant pour les informations sanitaires
que pour les informations logistiques. Ainsi, pour l’ensemble des éleveurs naisseurs,
engraisseurs et naisseurs-engraisseurs avec achat, l’information de la destination ou de
la provenance des animaux est disponible dans un cas sur cinq, que les animaux soient
commercialisés par un ou plusieurs commerciaux (figure 8). Par contre, les engraisseurs
obtiennent une information sanitaire sur le passé des animaux qu’ils engraissent dans
11 cas sur 35 quand ils ont recours à un seul commercial contre 1 cas sur 7 seulement
quand ils ont plusieurs interlocuteurs commerciaux (figure 9).

Figure 8. Impact du mode de commercialisation sur la transmission de l’information


géographique : information sur la destination ou la provenance des animaux chez les naisseurs,
engraisseurs et naisseurs-engraisseurs avec achat (n = 161)

Source : données de l’enquête.

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131

Figure 9. Impact du mode de commercialisation sur la transmission de l’information sanitaire 6


auprès des engraisseurs (n=53)

Source : données de l’enquête.

38 Ainsi, dans le fonctionnement actuel, les engraisseurs ne disposent pas des


informations nécessaires pour connaître la qualité sanitaire des broutards. Afin de se
protéger du risque de bronchopneumonie infectieuse, courante en début
d’engraissement(Assié et al., 2009), 47 % des engraisseurs réalisent une quarantaine.
40 % des engraisseurs de l’échantillon déclarent également utiliser de manière
systématique et préventive (17 %) ou occasionnelle (23 %) des antibiotiques ayant une
longue action. Une meilleure connaissance sur l’antériorité sanitaire des animaux
réduit le recours à l’antibioprévention systématique mais ne la supprime pas (11 % des
engraisseurs contre 20 % en l’absence d’information) (figure 10). Ce chiffre pourrait être
sous-estimé, les éleveurs cherchant à minimiser une pratique peu vertueuse, ou n’ayant
pas une connaissance parfaite de la nature des molécules utilisées. En effet,
l’administration des antibiotiques de façon préventive se fait le plus souvent au
moment de l’allotement et est comprise dans l’étape dite de préparation sanitaire des
lots. Certains experts de la filière opérant en centres llotement et/ou marchés aux
bestiaux estimaient cette antibioprévention à 60 % des broutards au début des plans
EcoAntibio. Les engraisseurs de notre échantillon, en possession d’informations
sanitaires sur le passé des animaux chez le naisseur, mettent en place de façon moins
systématique de l’antibioprévention. Ce résultat conforte la démarche des OPC, qui
mettent progressivement en place des outils de traçabilité destinés à mieux informer
les engraisseurs sur le risque sanitaire, par exemple la grille d’évaluation du risque
Atless chez Terr’élevage (Assié et al., 2018), de façon à limiter le recours aux

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132

antibiotiques dans la préparation sanitaire des animaux au centre de tri. Ces outils se
développent également en Italie (Compiani, 2013) ou au Canada (Hendrick et al., 2013).
Figure 10. Administration d’antibioprévention réalisée par les éleveurs engraisseurs selon leur
connaissance de la vaccination réalisée chez le naisseur

Source : données de l’enquête.

39 Par ailleurs, 83 % des engraisseurs de l’échantillon vaccinent les animaux – dont 79 %


sur les problèmes respiratoires –, alors que 54 % des naisseurs de notre échantillon
déclarent également le faire – dont 33 % sur les problèmes respiratoires. Les
engraisseurs ne disposant pas de l’information sur la vaccination réalisée chez le
naisseur vaccinent systématiquement leurs animaux selon un protocole à deux
injections ; le cas échéant, la première injection est réalisée en centre de tri (figure 11).
Au contraire, les engraisseurs disposant de l’information adaptent leur protocole
vaccinal. L’engraisseur complétant le protocole débuté par le naisseur travaille avec un
commercial. Ces résultats laissent supposer qu’une partie des animaux pourraient
cumuler plusieurs vaccinations. De même, les OPC et OPNC mettent en place des
dispositifs permettant de garantir et de valoriser une vaccination chez le naisseur avec
une traçabilité jusque chez l’engraisseur, par exemple avec le dispositif Broutard B2E
dans les ELVEA (Vergonjeanne, 2016) ou Broutard max chez Terr’élevage (Bourgeois,
2012).

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133

Figure 11. Protocole vaccinal adopté par les éleveurs engraisseurs (n=53) selon leur connaissance
de la vaccination réalisée chez le naisseur

Source : données de l’enquête.

4. Le cas particulier des naisseurs-engraisseurs

40 Près de 82 % des naisseurs-engraisseurs de l’échantillon n’achètent pas d’animaux à


l’extérieur. Pour les 13 éleveurs naisseurs-engraisseurs effectuant des achats,
5 seulement déclarent que ces achats sont réguliers. Ils représentent donc dans leur
majorité un modèle d’intégration verticale poussée.
41 Comme les engraisseurs, les naisseurs-engraisseurs avec achat préfèrent une
coordination commerciale plus forte : 4 naisseurs-engraisseurs sur les 13 effectuant des
achats travaillent avec un unique commercial, et 4 effectuent des transactions directes
avec des naisseurs pour l’achat de broutards à engraisser. 3 autres éleveurs demandent
explicitement à leur(s) commercial(aux) des broutards en provenance directe de
naisseurs.
42 Les éleveurs naisseurs-engraisseurs qui achètent (n =13) sont en majorité en contrat
informel (8/13) ou sans aucune forme de contractualisation (2/13). Seuls trois d’entre
eux sont en contrat formel pour l’achat de broutards. Les éleveurs naisseurs-
engraisseurs n’achetant pas de broutards recourent peu à la contractualisation (8/59),
seulement 11 naisseurs-engraisseurs sur 72 recourent au contrat formel. Pour rappel,
2 % des naisseurs et 36 % des engraisseurs ont recours à un contrat formel. Notre
protocole d’enquête ne nous pas permis d’identifier plus précisément le détail des
circuits de commercialisation pour les naisseurs-engraisseurs sans achat de broutards.
43 Parmi les naisseurs-engraisseurs avec achat de notre échantillon, 11 sur 13 connaissent
la provenance des animaux achetés, 4 sur 13 ont l’information sur les maladies passées

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134

(contre 5 sur 53 pour les engraisseurs), 6 sur 13 sur l’alimentation précédant leur achat.
Seulement 5 sur 13 ont l’ensemble de l’information sanitaire sur les vaccinations,
injections d’antibiotiques ou déparasitages réalisés ; parmi eux, 4 achètent directement
leurs animaux auprès d’éleveurs naisseurs identifiés. Aucun ne réalise
d’antibioprévention, qu’ils aient la totalité de l’information ou non.

Conclusion
44 Les transactions de broutards, en amont de la filière des jeunes bovins de boucherie
impliquent des commerciaux qui assurent un rôle essentiel, permettant un ajustement
géographique et logistique entre l’offre et la demande sur ce marché. Cependant, ce
système de fonctionnement semble entraîner une perte d’information, en particulier
sur les sources et la maîtrise du risque d’apparition des maladies respiratoires. Une
meilleure circulation de l’information au sein de la filière pourrait permettre la
valorisation de certains critères de qualité non observables autrement, comme la
vaccination des animaux ou des pratiques vertueuses de transport et de réallotement,
permettant de réduire les risques de maladies respiratoires. Ceci pourrait permettre un
meilleur fonctionnement économique de la filière (valorisation d’attributs de qualité)
ainsi qu’une meilleure gestion de la santé des broutards et une moindre utilisation des
antibiotiques.

BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXES

Annexe 1. Caractéristiques des éleveurs de l’échantillon

Main-d’œuvre sur
Genre (%) Âge (années) Niveau d’étude (%)
l’exploitation (ETP)
-

Masculin Féminin Min Moyenne Max Max.Brevet Bac Supérieur Min Moyenne Max 7

Naisseurs 85 15 22 45 66 10 54 35 1 2 15

Naisseurs-
72 28 24 45 65 3 43 54 1 2,6 12
engraisseurs

Engraisseurs 96 4 27 47 59 4 64 32 1 2,5 6

Source : les auteurs.

Annexe 2. Synthèse des principaux résultats de l’étude

Naisseurs-
- - Naisseurs Engraisseurs
engraisseurs

Effectif - 96 72 53

Nombre de lots par an


4,43 - 15,75
(moy.)

Nombre de broutards par


40,25 - 244,58
an (Moy.)
LOTS

Taille moyenne du lot 12,73 - 23,78

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Âge moyen broutard à la


8,52 - 8,57
vente

Transaction directe entre


3% 6% -
éleveurs

COMMERCIALISATION Un commercial unique 58 % 8% 66 %


(BROUTARDS)
2 ou plus commerciaux 30 % 4% 15 %

Commercialisation mixte 6 % - 19 %

Contrats formels 2% 3% 36 %

Contrats formels et
- - 17 %
informels
FORMALISATION

Contrats informels 80 % 11 % 42 %

Pas de contrats informels 17 % 4% 6%

Provenance/destination 83 % - 68 %

Performances en aval 88 % - -
INFORMATION NON
DISPONIBLE
Maladies en amont - - 87 %

Vaccins en amont - - 64 %

Vaccination (maladies
33 % - 79 %
respiratoires)

PRATIQUES SANITAIRES
Antibioprévention - - 40 %

Quarantaine - - 47 %

Source : les auteurs.

NOTES
1. États Généraux de l’Alimentation, feuille de route 2018-2022, politique de l’alimentation.
Disponible au 28 février 2017 sur alimentation.gouv.fr.
2. Les questionnaires sont disponibles sur demande aux auteurs.
3. Interbev (2018) ; CNE et IDELE 2016 ; CNE et IDELE (2017).
4. Les autres risques (risque d’accident professionnel, risque de maladie au sein du troupeau,
risque de changement réglementaire, risque de contrainte financière) ne sont pas considérés ici,
car ils prennent en compte un risque sur l’élevage, et pas spécifiquement sur les transactions de
broutards, contrairement au risque de variation des prix de broutard sur les marchés. Les risques
climatiques, curieusement, ont été peu cités alors que la sécheresse a un impact majeur sur la
filière (Morignat et al., 2018).

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5. Pour les naisseurs : export de l’animal ou non ; élevage de destination ; performances du


broutard en engraissement. Pour les engraisseurs : régime alimentaire chez le naisseur ; mesures
préventives de vaccination mises en place ; mesures d’antibioprévention mises en place ;
information sur les maladies passées ; information sur le nombre d’élevages de provenances ;
information sur les élevages de provenance.
6. Information sanitaire : ici l’information sur les vaccins réalisés.
7. Les exploitations de grande taille présentent en fait des ateliers de polyculture élevage variés :
bovins viande, bovins lait, porcs, volailles, cultures, vigne.

RÉSUMÉS
La filière française viande de jeunes bovins de boucherie mâles est la première productrice
d’Europe. Cet article s’intéresse plus spécifiquement à la filière des jeunes bovins mâles de
boucherie de race à viande et à la structuration de la filière en France. Cet article résulte d’une
enquête auprès d’acteurs de la filière et explique (i) l’organisation du marché des broutards entre
élevage naisseurs et engraisseurs, spécifiant le rôle clef des intermédiaires commerciaux ; (ii) les
caractéristiques des transactions (modes de coordination verticale, préférences des éleveurs) ; et
(iii) les facteurs d’incertitude pour la traçabilité (sanitaire notamment) liés à cette organisation.

The French young male beef cattle sector has the highest production in Europe. This article
focuses specifically on the sector of young male beef cattle and the organization of this sector in
France. We conducted a survey among producers and commercial intermediaries to examine how
the supply chain organization influences information transmission and health management
practices. This article explains: (i) The organization of the weanling market (and the paramount
role of commercial intermediaries); (ii) The characteristics of the transactions (vertical
coordination, farmers’ preferences); (iii) The information transmission and quality standards of
weanling health management practices.

INDEX
Keywords : young male beef cattle, weanlings, supply chain organization, animal health,
information transmission, information, trade
Mots-clés : jeunes bovins mâles de boucherie, broutards, organisation de filière, information,
négoce, santé animale, transmission de l’information
Code JEL D82 - Asymmetric and Private Information, L15 - Information and Product Quality;
Standardization and Compatibility, L22 - Firm Organization and Market Structure: Markets vs.
Hierarchies; Vertical Integration; Conglomerates

AUTEURS
AXELLE POIZAT
BIOEPAR, INRA, Oniris, Nantes ; DGPE, ministère de l’Agriculture, Paris

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SABINE DUVALEIX-TREGUER
SMART-LERECO, AGROCAMPUS OUEST, INRA, Rennes

ARNAUD RAULT
BIOEPAR, INRA, Oniris, Nantes ; SMART-LERECO, AGROCAMPUS OUEST, INRA, Rennes

FLORENCE BONNET-BEAUGRAND
BIOEPAR, INRA, Oniris, Nantes

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140

Note de lecture

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Sébastien ABIS (dir.). Le Déméter


2019
Dominique Desbois

RÉFÉRENCE
Sébastien ABIS (dir.). Le Déméter 2019 - Dominique Desbois
Paris, Club Demeter et Iris, 25 €, 382 p.

1 Le Club Demeter réunit régulièrement les acteurs du complexe agroalimentaire français


sur une base associative et le Déméter rend compte annuellement de leurs
préoccupations. Conjointement éditée avec l’Institut des relations internationales et
stratégiques (Iris), think tank géopolitique, l’édition 2019 du Déméter aborde les
questions stratégiques de la production agricole et de sa transformation alimentaire
que sont la démographie l’urbanisation, la mondialisation des échanges, l’instabilité
politique, les innovations technico-organisationnelles et autres facteurs susceptibles
d’affecter les grands (dés)équilibres alimentaires. L’ouvrage est structuré en trois
parties : « Agrosphères » s’attache à explorer les équations mondiales de la sécurité
alimentaire et des dynamiques géopolitiques à l’œuvre ; « Regards d’avenir » constitue
une prospective sur les futurs de l’Europe centrée sur l’émergence de productions
innovantes ; enfin, « Repères » donne des indications chiffrées sur l’agriculture et
l’alimentation, en France et dans le monde.
2 Dans la première partie de l’ouvrage, la démonstration par Blanc et Pouch d’un monde
plus instable est celle d’une insécurité alimentaire croissante d’ici à 2050 en raison du
coup d’arrêt donné depuis 2016 au recul planétaire de la sous-alimentation observé au
début du XXIe siècle. En cause, des phénomènes climatiques bien connus comme El Niño
mais également, pour certaines zones, la « conflictualité » persistante comme au Congo,
en Libye, au nord du Nigeria, en Somalie, au Soudan, dans le Sud syrien et au Yémen.
Pour autant, ces conflits locaux ne sauraient masquer l’intensification des tensions
commerciales attribuables à d’autres facteurs comme les transitions alimentaires
induites par l’émergence des classes moyennes ou bien le changement climatique

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anthropocène suspecté d’affecter les rendements céréaliers. Face à l’échec des


négociations à l’OMC du cycle de Doha, le système d’information sur les marchés
agricoles (AMIS) proposé par le G20 pourrait-il constituer un outil de gouvernance
mondiale susceptible d’enrayer la crise du multilatéralisme ? De ce point de vue,
l’Agenda 2030 pour atteindre les 17 objectifs du développement durable et l’Accord de
Paris sur le climat en 2015 constituent des référentiels indispensables pour imposer aux
États un minimum de coordination dans la gestion et la protection des biens publics
mondiaux que sont le climat, la biodiversité, la santé et la sécurité alimentaire. L’article
de Treyer livre un diagnostic sans concession sur les limites planétaires spécifiques au
secteur agroalimentaire et l’interdépendance systémique entre santé et
environnement : une gouvernance mondiale fragmentée et une évolution préoccupante
des rapports de force, aggravant les risques de conflit. Face aux risques systémiques,
l’auteur préconise la mise en place de systèmes d’alerte sur le climat, les conditions
sanitaires et les marchés agricoles pour informer les stratégies de prévention et de
résilience, incluant des instruments assurantiels pour les entreprises. Pour l’Union
européenne, cela supposerait de refonder les politiques agricoles et alimentaires à
partir d’un objectif de diversification nutritionnelle au moyen de stratégies basées sur
la recherche et l’innovation par un projet agroécologique susceptible de prendre en
compte la complexité des écosystèmes agricoles et un projet agro-industriel exploitant
les économies de gamme plutôt que les économies d’échelle.
3 Deux études de cas viennent illustrer les difficultés de mise en œuvre de stratégies
nationales : celle sur l’Éthiopie présentée par Damestoy comme une puissance agricole
africaine majeure ceinturée par le système de conflits spécifiques à la Corne de
l’Afrique et au golfe d’Aden menaçant les accès aux ports pour ses exportations ; celle
du Vietnam, présentée par Bouchot comme emblématique en Asie du Sud-Est des défis
environnementaux, sanitaires et alimentaires que doivent affronter les pays dans la
tranche inférieure des revenus intermédiaires pour conforter leurs capacités tant
agricoles qu’industrielles. Selon Bourgeois, le développement en milieu rural peut
consolider des pôles de stabilité en Afrique de l’Est venant réduire les conséquences de
la mobilité de détresse engendrée par les conflits interethniques. Recherche et
innovation peuvent être mobilisées pour répondre aux défis environnementaux : dans
les pays riziculteurs aux rendements les plus élevés, le drainage au cours du cycle de
production permet de réduire de 80 % les émissions de méthane ; le Vietnam s’ouvre
aux investissements étrangers pour diffuser le riz hybride chinois au rendement
supérieur de 20 % à celui du riz conventionnel. En Inde, face à la malnutrition
chronique des jeunes enfants, de nouveaux protocoles de sélection, basés sur des
technologies transgéniques (Talens1 et Crispr-Cas92) comme non transgéniques (tilling3),
sont mobilisés pour augmenter les rendements des légumineuses, en renforçant leur
résistance aux maladies et aux parasites tout en améliorant leurs qualités
nutritionnelles.
4 L’insécurité alimentaire concerne autant les populations urbaines que rurales et
l’élimination des pertes et gaspillages en constitue le premier défi logistique, comme le
montre Willequet. Cependant, les priorités diffèrent entre pays industrialisés et en
développement : pour l’Europe, il s’agit d’adapter les filières agroalimentaires aux
nouvelles attentes et comportements des consommateurs ; tandis qu’en Afrique comme
en Asie, l’urgence première est l’accès sécurisé à la nourriture pour deux milliards
d’êtres humains habitant les bidonvilles. Depuis la fin du système maoïste de
rationnement alimentaire en 1987, la Chine a restructuré progressivement son système

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agroalimentaire de la production à la distribution : actuellement, s’opère selon Meyer,


une révolution « phygitale », réinventant la distribution alimentaire sur la base de
smartphones à connexion internet, voire imaginant des livraisons par drone, y compris
en zones rurales. En Europe, l’épicerie en ligne se développe également, impactant à la
baisse le cours des actions boursières des géants de la grande distribution sans
épargner celui des multinationales de la transformation alimentaire.
5 Disposant depuis 2017 d’un Institut de convergence (Digit#Ag) en amont pour débloquer
les verrous technologiques, l’agriculture numérique permettrait-elle de répondre au
défi démographique ? Pour Bellon-Maurel, Bournigal et Lenain, la baisse du coût des
capteurs, la couverture offerte par de nouveaux vecteurs d’acquisition de données, la
robotique appliquée aux agroéquipements, et des technologies disruptives comme la
blockchain semblent ouvrir la voie d’une économie de la production agricole basée sur
de nouvelles formes de coopération et d’échange, y compris en Afrique comme au
Ghana ou au Kenya. Confronté dès la constitution des kibboutzim aux contraintes
hydriques à grande échelle, Israël fait figure désormais de leader dans la mise en place
d’écosystèmes de recherche et d’innovation dédiés à la production agricole. En
Californie, aux problèmes de sécheresse s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre agricole à
bon marché. Cependant, l’évolution des comportements alimentaires a orienté la
production grâce aux capacités d’adaptation vers une trajectoire d’innovation
agroalimentaire basée sur la génomique et l’exploitation de grands gisements de
données par des algorithmes d’apprentissage profond : les industries de la vigne, du
cannabis, de l’huile d’olive et de l’amande illustrent les potentialités de ce modèle
présenté par Canteneur. En Argentine, le modèle agro-exportateur en grandes cultures
s’est fortement développé en combinant innovations transgéniques et traitements
phytosanitaires avec la pratique du semis direct.
6 Cependant, les évolutions disparates au sein de la population agricole dans sa tendance
mondiale au vieillissement génèrent des tensions contrastées sur les systèmes
agroalimentaires compte tenu des différentiels de productivité : selon Bergeret, pour
résoudre cette équation générationnelle, il faudrait pouvoir prendre en compte
l’allongement de la durée de vie active des agriculteurs, faciliter la transmission des
exploitations agricoles, renforcer les capacités productives par des systèmes inclusifs
de transmission de connaissances et d’innovation, mobiliser les potentiels productifs
des flux migratoires et réaliser les promesses de l’agriculture numérique. Selon
Bernhard, l’enseignement agricole constitue en France un levier pour relever le défi des
transitions alimentaires et environnementales par la mobilisation de ses connaissances
scientifiques et de ses savoir-faire technologiques désormais regroupés au sein d’un
consortium national, l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France. Se
heurtant au mur de l’endettement de long terme que supposent l’investissement
nécessaire en France et la transmission des actifs agricoles (terres, cheptels, bâtiments
et matériels), l’agriculture française devra sans doute composer, selon Pouch, entre la
voie familiale traditionnellement privilégiée jusqu’alors et l’ouverture aux capitaux
non agricoles.
7 La partie « Regards » s’ouvre sur la problématique des nouvelles biotechnologies
végétales (NBV), abordée par Bonjean en précisant leurs spécificités par rapport aux
technologies d’édition de génome qui les ont précédées, dont les principales sont
l’absence d’ADN étranger à l’espèce ciblée et la réduction des coûts d’élaboration de
nouvelles lignées. Si leur utilisation constitue un enjeu global compte tenu de leur très

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large champ d’applications et de leur faible coût, les NBV font néanmoins l’objet de
multiples controverses soulevées par les organisations non gouvernementales de
producteurs agricoles, de défense de l’environnement et de protection de la
biodiversité, y compris en Europe où les produits de NBV demeurent soumis aux
obligations de la directive 2001/18 régissant les OGM, en tant qu’organismes obtenus
par mutagenèse.
8 En Europe, les évolutions climatiques et sociétales suscitent de nouveaux objectifs et
contraintes concernant la santé des consommateurs, la sauvegarde de l’environnement,
la dynamique des territoires et l’organisation des filières agroalimentaires. Ces
évolutions entraînent l’Europe vers des voies d’adaptation institutionnelle nécessitant
des changements d’orientation des politiques publiques, au premier plan desquelles
figure la Politique agricole commune par le simple jeu de son poids budgétaire. Selon Le
Morvan et Valluis, l’orientation vers une politique alimentaire durable doit se faire en
faveur de la création de valeur dans le contexte d’un marché organisé et innovant, tout
en laissant aux vingt-sept États membres la responsabilité d’une construction
décentralisée. Cependant, une nouvelle donne géopolitique se profile à l’est de l’Oural
où les sanctions prises à l’encontre de la Russie faisant suite à l’annexion de la Crimée
en 2014 ont eu pour effet un rebond agricole de la Fédération de Russie passant du
quatrième rang au premier rang des exportateurs de blé. Pourtant, selon Hervé, le
projet d’une Eurasie agricole regroupant l’Europe, l’Ukraine et la Russie constituerait le
bassin de production agricole le plus stable pour affronter le contexte de crise
climatique et saisir les opportunités offertes par les corridors d’échange
transcontinentaux des « nouvelles routes de la soie ».
9 En Amérique latine, la reconquête de ses espaces ruraux par la Colombie figure au
centre du processus de paix initié sur la base de l’accord de novembre 2016 entre le
Gouvernement et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).
Cependant, selon Guibert, Galvis et Munoz, la substitution concertée des cultures
d’usage illicite génère des tensions dans les régions abandonnées militairement par les
FARC, où les groupes illégaux exercent des pressions pour que les producteurs
n’intègrent pas ces programmes de substitution.
10 Sur le plan mondial, le renouveau du marché de la bière est étudié par Ansart-Le Run,
Lariven et Ruch : si la consommation décline dans les régions traditionnellement
consommatrices comme l’Europe ou les États-Unis, elle est en forte croissance sur les
marchés d’Asie, de Russie et d’Amérique du Sud. Aussi, le développement des « bières
de spécialité » vient compenser l’essoufflement de l’offre de produits standardisés : en
témoigne le concept des microbrasseries artisanales qui, après avoir été testé aux États-
Unis, gagne désormais l’Europe.
11 Les conditions pour atteindre l’objectif de sécurité alimentaire pour tous sont étudiées
par Rajaram et van Ginkel pour l’Afrique subsaharienne et l’Asie : cet objectif apparaît
réalisable à l’horizon 2050 au moins pour l’Asie sinon pour l’Afrique, sous réserve d’une
coopération efficace des secteurs publics et privés dans la mise en œuvre des
programmes de développement d’agroécosystèmes intégrés basés sur des exploitations
de taille adaptée aux méthodes de production renouvelées par des politiques de
transfert technologique en matière d’agriculture de conservation, de variétés
tolérantes aux stress, en particulier hydrique, tirant parti des techniques d’hybridation
et du génie génétique mais aussi par des politiques publiques internalisant le coût du
gaspillage ou de la surexploitation des ressources. Dans cette perspective, les blés des

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oasis sahariennes constituent une ressource génétique primordiale pour l’adaptation


au changement climatique : Bonjean, Monneveux et Zaharieva proposent donc la
création d’un consortium de recherche pour la conservation, l’étude et la mobilisation
de ces ressources génétiques.
12 Avec la coédition par l’Iris, cette édition 2019 poursuit un renouveau de la formule déjà
engagé en 2018 avec une couverture plus globale des thématiques géopolitiques dans
l’analyse du complexe agroalimentaire ; à l’avenir, les dimensions environnementales
et sociétales pourraient être davantage sollicitées pour en démêler les conséquences
financières, économiques et, in fine, politiques de ses évolutions.

NOTES
1. Transcription activator-like effector nuclease.
2. Clustered Regular Interspaced Short Palindromic Repeats associated protein 9.
3. Targeting induced local lesions in genomes.

AUTEUR
DOMINIQUE DESBOIS
INRA

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