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HGGSP 1 : DE NOUVEAUX ESPACES DE CONQUÊTE

OTC : LA CHINE : À LA CONQUÊTE DE L’ESPACE, DES MERS ET DES OCÉANS

Introduction : En 1973, Alain Peyrefitte écrit un livre au titre prémonitoire « Quand la Chine s’éveillera… Le monde
tremblera ». Il met alors en évidence les avantages extraordinaires de l’Empire du Milieu. 50 ans plus tard, la Chine est
une puissance qui a « la capacité à imposer et à ne pas se laisser imposer » (Raymond Aron) et elle n’est pas au Milieu
mais bien au cœur des enjeux économiques et géopolitiques de la planète. Son leader, Xi Jinping rêve de faire de la
Chine la première puissance mondiale dans l’ensemble des domaines pour 2049. Espace, mers et océans sont des
théâtres d’affirmation de la puissance chinoise.

Problématique : Comment la Chine affirme-t-elle sa puissance par la conquête spatiale et maritime ?

I. Une volonté politique d’affirmation : discours, investissements,


appropriations.

A. 1956-1986 : affirmer sa souveraineté.


1956 : le début du programme spatial chinois : Alors que la République Populaire de Chine a été proclamée par Mao
Zedong en 1949, le pays cherche par tous les moyens à s’affranchir de la domination européenne du XIXe et du début
du XXe, considéré comme le siècle de la honte. Lors de la conférence de Bandung, la Chine occupe une place centrale
au sein des pays non alignés et décolonisés. La création en 1956 de la Cinquième Académie de recherche de la Défense
nationale permet le développement du programme spatial. En 1970, le premier satellite chinois Dang Fang Hong
(« l’Orient est rouge ») est lancé. La Chine entre alors dans le cercle privé des puissances spatiales et la propagande
chinoise, qui développe le culte de la personnalité autour de Mao, multiplie les références patriotiques au satellite
(chant patriotique, affiches…).

Les débuts de l’appropriation de la Mer de Chine : L’Empire du Milieu n’a jamais été une grande puissance navale. Si
Mao ambitionne dès 1949 de changer les choses, la Marine reste le parent pauvre de l’armée Populaire de Chine, qui
s’est construite pendant la guerre civile et la guerre sino-japonaise. L’aide soviétique permet de mettre en place un
embryon de Marine mais l’incapacité de faire face à la puissance américaine dans le Pacifique et en mer de Chine
conduit la République Populaire à concentrer ses efforts et ses conquêtes sur le continent. Malgré tout, les Chinois
s’emparent des îles Paracel en 1974. Deng Xiaoping, qui dirige la Chine à partir de 1978, décide d’augmenter fortement
le budget de la Marine dans le cadre des « Quatre modernisations », sa grande politique de développement de la
Chine. Le nouveau dirigeant chinois cherche ainsi à protéger les mers proches, face à la présence des États-Unis et
dans le cadre de l’ouverture de la Chine à la mondialisation. La stratégie navale chinoise se limite souvent à la défense
côtière.

B. 1986-2016 : des vecteurs d’affirmation de puissance.


Le programme 863 : alors que l’URSS s’effondre et que l’ouverture à la mondialisation a permis à la Chine de connaître
une très forte croissance économique. La Chine met au point le programme 863 en mars 1986 qui fixe comme objectif
essentiel les vols habités et la construction d’une station spatiale. Le pouvoir chinois développe des accords avec l’URSS
puis la Russie qui lui permettent d’avoir accès aux technologies soviétiques ainsi qu’à la formation des futurs
taïkonautes. Ainsi, le véhicule spatial chinois Shenzou est très semblable au véhicule russe Soyouz. Là encore, la
propagande utilise la conquête spatiale pour démontrer la supériorité du modèle chinois. Ainsi le premier vaisseau
spatial sans équipage, Shenzou 1, est envoyé dans l’espace pour le 50e anniversaire de la proclamation de la république
populaire de Chine en 1999. En 2003, avec Shenzou 5, la Chine est la 3e nation à envoyer un homme dans l’espace. En
2011, un équipage chinois prend possession de la première station spatiale chinoise Tiangong 1.

L’affirmation de la puissance navale chinoise : En 1986, la stratégie de défense côtière est abandonnée au profit d’une
défense navale au large qui implique le développement d’une marine de haute mer puissante. La Chine développe
rapidement une marine moderne : 100 000 tonnes en 1986, 847 000 tonnes en 2008, date à laquelle la Chine devient
la 3e puissance navale au monde, puis 1 200 000 tonnes en 2016. La Chine est alors la deuxième puissance navale au
monde. Dans les années 80, la marine chinoise prend progressivement possession des îles Spratleys et de leurs
ressources en hydrocarbures. En 1988, la décision chinoise d’installer une station météorologique sur ces îles
engendre un conflit avec le Vietnam qui coûte la vie à 140 soldats vietnamiens. Cette appropriation montre la stratégie
régionale développée par la Chine : assurer la présence chinoise dans l’espace fermé qui va de la Mer Jaune à la mer
de Chine méridionale et la Mer de Chine Orientale. Il s’agit de dissuader tout adversaire potentiel d’intervenir dans un
conflit dans cet espace. La Chine resserre aussi son étau autour de Taïwan, ancienne île chinoise de Formose dans
laquelle se sont réfugiées les troupes nationalistes après la guerre civile et dont la République Populaire de Chine
ambitionne la reconquête.

C. Depuis 2016, affirmer sa puissance à l’échelle mondiale.


La course à la Lune et à Mars : en 2016, la république populaire de Chine publie un livre blanc sur « les activités
spatiales de la Chine » dans lequel sont précisés ses ambitions spatiales notamment vers la Lune et Mars :
• Lune : l’objectif et l’installation d’ici 2030 d’une base lunaire habitée par des robots puis par des humains,
visant notamment à l’exploitation du silice de la lune. En 2019, la Chine a réussi l’exploration de la face cachée
de la Lune (« lapin de jade »). Cette réussite a montré que la Chine ne souhaite plus simplement rattraper son
retard, mais peut être une puissance pionnière.
• Mars : la Chine prévoit l’envoi d’une sonde sur Mars d’ici 2021 et une mission d’ici 2045. Mais là encore, les
dates ne sont pas choisies au hasard. En 2021 la Chine fêtera le centenaire du parti communiste et l’expédition
martienne, si elle atteignait la planète rouge en 2045, ferait de la Chine la première puissance spatiale pour le
centenaire de la République Populaire de Chine.
Une stratégie navale mondiale : Xi Jinping a lancé en 2015 un vaste programme pour faire de la Marine de l’armée
populaire de libération une marine de niveau mondial. Pour ce faire, un nouveau porte-avions est en construction
alors que le second porte-avions, le Shandong, vient d’être livré. La Chine multiplie les constructions en mer de Chine,
les polders, les installations militaires, les ports… Cette stratégie de barriérisation aboutit à une montée des tensions
importante. Mais la république populaire peut s’appuyer sur sa puissance économique et commerciale : première
puissance commerciale du monde la Chine possède 7 des 10 plus grands ports mondiaux. Elle multiplie les
investissements dans les infrastructures du monde entier dans le cadre des routes de la soie et de la stratégie du collier
de perles.
II. Des enjeux économiques et géopolitiques considérables.

A. La Chine à l’assaut de l’espace.


Un marché économique majeur : si les vols habités, la station spatiale et la conquête de la Lune sont des objectifs
géopolitiques et militaires pour la Chine, l’enjeu économique majeur est celui du marché de lancement de satellites.
Pour la Chine, le marché des satellites correspond autant à des enjeux de souveraineté nationale (contrôler ses propres
satellites) qu’à des enjeux économiques (dominer le marché). Si pendant longtemps le marché des lanceurs de
satellites a été contrôlé par l’agence spatiale européenne, la Russie et les États-Unis, la Chine s’affirme depuis quelques
années, grâce à son lanceur « longue marche », beaucoup moins cher et enfin fiable. Le gouvernement chinois peut
aussi s’appuyer sur des start-ups comme One Space, iSpace, ou encore Landspace qui reprennent le modèle de Space
X. Cette course économique s’inscrit dans le projet « Made in China 2025 » qui doit permettre à la Chine d’effectuer
sa transition industrielle vers les technologies de pointe.

Une rupture des équilibres géopolitiques : l’affirmation de la puissance spatiale chinoise bouleverse totalement les
équilibres issus de l’après Guerre Froide et illustrés par l’ISS : une hyper puissance américaine, un savoir-faire russe et
des compétences européennes dans le spatial civil. Lancé dans un conflit économique et géopolitique avec la Chine,
le président Trump a relancé la course à la Lune et vers Mars afin de réaffirmer l’hégémonie contestée des États-Unis.
De leur côté, les Européens ont développé Ariane 6, un lanceur de satellites plus économe. À fin de limiter tout risque
d’espionnage, les États-Unis ont interdit toute collaboration scientifique spatiale avec la Chine.

Vers une guerre des étoiles ? En décembre 2019,2019 : Donald Trump crée la sixième branche des forces armées
américaines, the United States Space Force, chargées de la doctrine spatiale, du personnel, du matériel. Là encore, les
États-Unis répondent à la logique d’organisation des forces spatiales chinoises qui sont regroupées avec les forces
cyber dans une branche militaire, la Force de soutien stratégique de l’Armée Populaire de Chine. Pour la Chine, la
conquête spatiale est pensée pour pouvoir infliger des dommages majeurs dans un conflit global. Malgré tout, cette
organisation militaire ne doit pas masquer que la conquête spatiale vise avant tout des retombées économiques pour
la Chine. L’ouverture envisagée de la station spatiale chinoise aux scientifiques du monde entier vise à développer le
soft power chinois.

B. Les conquêtes maritimes, vecteurs de puissance.


La stratégie du collier de perles : En 2003, le Président chinois Hu Jintao décide de mettre en place une stratégie
maritime de sécurisation des approvisionnements en pétrole de la Chine. En effet, 80 % du pétrole et 70 % des
marchandises en provenance ou à destination de Chine transitent par le détroit de Malacca. Le risque est de voir une
puissance ennemie prendre possession du détroit. Le président chinois Hu Jintao décide donc de mettre en place des
routes alternatives et des stratégies de sécurisation de l’approvisionnement en pétrole. C’est le début de ce que l’on
appelle en Occident la stratégie du collier de perles : il s’agit d’installer des ports commerciaux (Gwadar au Pakistan,
Seychelles, Colombo au Sri Lanka, Sittwe en Birmanie) et des bases militaires maritimes (Djibouti) chinoises le long des
routes commerciales stratégiques. Cette politique, qui entoure la puissance régionale concurrente, l’Inde a permis à
la Chine de s’implanter durablement dans l’océan Indien.
Les nouvelles routes de la soie : en septembre 2013, le président de la Chine Xi Jinping lance le projet des nouvelles
routes de la soie. Il s’agit pour la Chine d’utiliser les fonds dont elle dispose pour ouvrir des routes afin d’élargir les
marchés de consommation, principalement en direction de l’Europe et de l’Afrique. Si le projet de Belt and Road
Initiative se développe sous la forme de six routes terrestres, les océans ne sont pas oubliés. La Chine a développé un
réseau portuaire autour de ports relais comme Colombo au Sri Lanka, Lamu au Kenya, Le Pirée en Grèce. Dans ces
ports, la Chine investit massivement ce qui lui permet de développer ses propres infrastructures. Ce réseau portuaire
forme la 21st Century Maritime Silk Road. L’objectif géopolitique de ces nouvelles routes de la soie est de placer l’Asie
en général et la Chine en particulier au centre de l’économie globale et de contrôler les infrastructures de transport
nécessaires au bon fonctionnement de l’économie chinoise. Il s’agit aussi de développer davantage les liens avec
l’Afrique, continent devenu central dans le développement économique de la Chine (approvisionnements matière
premières, délocalisations, marché).

C. Les défis de la puissance chinoise.


L’expansion chinoise, facteur de tensions : la stratégie agressive de conquêtes, d’annexions et de poldérisations des
archipels et des îlots inhabités dans les mers de Chine soulèvent des critiques de plus en plus fortes. En mer de Chine
méridionale, la ligne à neuf traits, dessinée sur les cartes chinoises depuis les années 40, souligne les volontés
croissantes de faire des Mers de Chine des « mers intérieures ». Face à l’attitude chinoise, les puissances régionales
augmentent leur dispositif militaire : Japon, Corée-du-Sud, Australie. Surtout, les États-Unis qui ont développé un
important système de bases et d’alliances dans la région, se posent en principal défenseur de Taïwan et du Japon. Les
exercices d’entraînement navals entre alliés se multiplient. En 2016, la cour permanente d’arbitrage de La Haye a
rejeté les arguments de la Chine : « il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits
historiques sur les ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la ligne à neuf traits ».

Une puissance incomplète : la Chine possède de nombreux éléments constitutifs d’une puissance mondiale :
domination de l’économie, puissance politique et militaire, puissance scientifique et technologique permettant le
développement d’un programme spatial majeur. En termes de hard power, la Chine est incontestablement devenue
une grande puissance. Cependant, de nombreuses limites rendent cette puissance incomplète. La politique intensive
d’investissement dans le cadre des nouvelles routes de la soie a provoqué la réaction de nombreux états qui dénoncent
la politique impérialiste de la Chine. D’autre part, la nature même du régime chinois, militaire et dictatorial, est sans
doute le frein majeur au développement du soft power chinois. Enfin, le vieillissement accéléré de la population ainsi
que le ralentissement de l’économie depuis 2010 laissent craindre un recul de la capacité d’investissement de la Chine,
qui ne pourrait alors financer ses projets spatiaux et maritimes.

Conclusion : Débutées dès le début de la République Populaire de Chine, les conquêtes des océans et de l’espace ont
pris un véritable essor après le décollage économique de la Chine des années 80. D’abord puissance spatiale et
maritime régionale, la Chine, depuis 2016, sous l’impulsion de Xi Jinping, envisage ouvertement de devenir la première
puissance mondiale. Pour ce faire, maîtriser les océans et dominer l’espace sont indispensables. Mais en agissant de
la sorte, la Chine se trouve en concurrence directe avec la grande puissance mondiale les États-Unis, ouvrant un cycle
de confrontations géopolitiques, économiques.

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