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Introduction : Théorisé par Joseph Nye dans son ouvrage Bound to Lead, publié en 1990, le concept

de Soft Power (puissance douce), s’oppose au Hard Power (puissance militaire) dans la mesure où il
qualifie une influence indirecte d’un Etat sur un autre. Il s’agit de persuader, de séduire les acteurs
internationaux sans aucun recours à la force ou à la menace mais plutôt par l’utilisation d’une image
positive, d’une attractivité et d’un rayonnement à travers le monde. En ce sens, si les Etats-Unis n’ont
pas toujours hésité à employer les armes, il n’en demeure pas moins vrai, qu’ils ont aussi
instrumentalisé leur image de sauveur de la démocratie, qu’ils ont acquise dès leur intervention en
Europe en 1918, et plus encore par la suite, avec la création d’un nouvel ordre mondial fondé sur leurs
idées libérales, parfois soumis à de vives oppositions.
Il convient donc de se demander dans quelle mesure le soft power est un instrument de la
puissance des Etats-Unis et en quoi il constitue un objet de contestation de l’impérialisme
américain.
En effet, durant l’entre-deux guerres, le soft power américain émerge conjointement à la puissance
économique, politique et militaire des Etats-Unis . De 1945 à 1991, il devient même devient l’arme
privilégiée de la guerre froide. Enfin, de la fin de la guerre froide à nos jours, le soft-power américain
décline même si les Etats-Unis restent la nation la plus influente au monde.

I) Durant l’entre-deux guerres, le soft power américain émerge conjointement à


la puissance économique, politique et militaire des Etats-Unis (1918-1945) :
1). Le pays de la modernité :
a). Les innovations des Etats-Unis contribuent à la deuxième révolution industrielle :
- L’ampoule électrique (thomas Edison), le téléphone (Graham Bell) et le réfrigérateur (Domelre)
sont des inventions américaines ayant révolutionné le quotidien au début du XXème siècle ;
- De nouvelles méthodes de productions se mettent en place et s’exportent à l’étranger grâce à des
génies américains tels que l’industriel Henry Ford et l’ingénieur Taylor.
b). Les produits américains s’exportent déjà dans le monde :
- Depuis 1885, les Etats-Unis sont la première puissance industrielle ;
- Les voitures américaines se vendent aussi en Europe, notamment les modèles de Ford ;
- Durant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis deviennent l’arsenal des Alliés du fait de leurs
armes modernes et de leur production massive.
Les américains ont donc une avance technologique sur le monde ce qui ne fait que renforcer leur
position de leader.
c). De grands chercheurs américains font d’importantes découvertes scientifiques durant l’entre-
deux-guerres et la seconde guerre mondiale : Carl David Anderson découvre le positron et le
neutron avec l’anglais Chadwick, Morgan participe à la théorie chromosomique de l’hérédité,
Edwin Hubble émet l’hypothèse de l’expansion de l’univers. Les Etats-Unis accueillent aussi des
scientifiques ayant fui l’Allemagne nazie tels que le célèbre Albert Einstein.
2). Une terre d’accueil pour les immigrants : le rêve américain :
a). L’image d’un asile pour les étrangers, malgré un recul net de l’immigration : Les Etats-Unis
sont construits sur l’immigration. C’est ainsi que Roosevelt affirme pour le 50ème anniversaire de la
statue de la liberté : « Depuis plus de trois siècles, un flot régulier d’hommes, de femmes et
d’enfants a suivi le phare de la liberté que cette lumière symbolise. Ils nous ont apporté vigueur et
force morale développée dans une civilisation vieilles de plusieurs siècles mais réchauffée par le
rêve d’une vie meilleure. »
b). Un pays où tout le monde peut réussir : l’idée des self-made men est purement américaine et fait
partie intégrante du rêve américain. Quelques grandes figures sont mythiques telles que Ford,
Rockefeller ou encore Andrew Carnegie, un ancien immigrant irlandais.
3). Un modèle démocratique pour le monde :
a). L’image d’un vainqueur :
- dès la première guerre mondiale, les soldats américains, les « sammies » sont acclamés par les
français lorsqu’ils viennent en aide en 1917 ;
- mais c’est surtout l’aide qu’ils procurent durant la seconde guerre mondiale qui fait des Etats-Unis
le sauveur de la démocratie face aux totalitarismes européens.
b). Le phare du monde libre : la diplomatie wilsonienne :
- Dans ses 14 points Wilson veut reconstruire le monde sur la base de la paix, de
l’autodétermination des peuples et de la sécurité collective. C’est le précurseur du droit
international avec la création de la Société des Nations ;
- Durant les années vingt, la conférence de Washington, un traité de désarmement et le pacte
Briand-Kellog, mettant la guerre hors la loi visent à établir une diplomatie du droit ;
- La charte de l’Atlantique, signée en 1941 entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis prône les
mêmes idées libérales.
Depuis 1918, les Etats-Unis poursuivent le même idéal d’assurer un nouvel ordre mondial fondé
sur la paix, la liberté et la prospérité. En exportant ce modèle à travers le monde, dans l’esprit de la
destinée manifeste les Etats-Unis trouvent de nombreux adhérents – mais aussi des opposants – ce
qui ne fait que renforcer leur puissance.
c). Un modèle contesté par l’Europe : le partage de l’Europe et les idées des 14 points
(anticolonialisme, autodétermination des peuples, clémence avec l’Allemagne…) sont vivement
contestées par la France et la Grande Bretagne, lors de l’élaboration du Traité de Versailles ;
Bilan : le soft power américain est déjà visible après la première guerre mondiale. Les Etats-Unis
se sont imposés sur le plan politique et culturel. Mais leur puissance n’est encore qu’en genèse, car
c’est surtout durant la guerre froide que le soft power en sera le véritable instrument.

II) De 1945 à 1991, le soft-power devient l’arme privilégiée de la guerre froide :


1). Les Etats-Unis s’exportent partout dans le monde :
a). Le premier pôle culturel mondial :
- Le cinéma Hollywoodien devient, à partir des années 1950, la première industrie
cinématographique du monde. Les films américains connaissent un succès international avec 80%
des parts de marchés. Sur 10 films ayant séduit au moins dix millions de français entre 1956 et
1985, six sont américains de même que 64 % des séries télévisées diffusées en Italie. Le cinéma
américain fait rêver comme l’atteste la réussite de grandes œuvres de science-fiction telles que
Star-Wars.
- La musique est aussi un aspect de l’influence culturelle américaine avec de grandes figures telles
qu’Elvis Presley (un demi-milliard de disques vendus dans le monde), Bob Dylan, Madona…
- De même, en peinture, les Etats-Unis dominent après 1945, comme le montre le succès du « pop-
art », une réaction contre l’art abstrait, dans les années 1955-1956 que revendiquent certains artistes
américains tels que Jasper Johns, Robert Raushenberg et surtout Andy Warhol.
b). L’expansion économique américaine, un vecteur de l’« American way of life » :
- La distribution des produits américains en Europe de l’Ouest tels que le Coca-Cola ou encore le
Chewing-gum permet, dès le début des Trente Glorieuses, de diffuser le mode de vie américain ;
- La diplomatie du dollar (dollar diplomacy) est un rempart contre le communisme. Durant la
reconstruction de l’Europe et du Japon après la seconde guerre mondiale, les Etats –Unis
monnayent une aide généreuse (20 milliards de dollar dont 12,8 milliards pour le seul plan
Marshall) contre des concessions dans l’intérêt des Etats-Unis comme la libre entrée des films
américains en France ou l’éviction des communistes des gouvernements français italiens et belges.
Le but est clairement d’« endiguer » le communisme par une intervention économique empêchant
son émergence, car selon Truman : « Les semences des régimes totalitaires sont nourries par la
misère et le dénuement. »
2). Les Etats-Unis démontrent leur puissance technologique face à l’URSS : la
course à l’espace :
a). Les américains entreprennent de montrer au monde entier qu’ils sont capables d’atteindre la
lune : en 1961, Kennedy décide de lancer le programme Apollo. Les Etats-Unis investissent alors
beaucoup d’argent (5,5% du budget de l’Etat fédéral en 1966) et d’effectifs (de 1960 à 1966, ceux-
ci passent de 36500 à 376000). Et ce sont finalement les américains qui marchent les premiers sur
la Lune, le 16 juillet 1969. L’exploit est regardé, par près d’un demi-milliard de téléspectateurs
dans le monde.
b). Par la suite, ce sont les américains qui dominent l’espace avec la réalisation de stations orbitales
(laboratoire américain Skylab en 1973), l’envoi de sondes interplanétaires (Viking se pose sur Mars
en 1976, Pioneer 10 sort du système solaire), le lancement de navettes (1981-1989) et la conception
du système GPS (Global Positioning System) en 1978.
c). Néanmoins, les Etats-Unis sont d’abord humiliés par les succès de l’URSS (Union des
Républiques Socialistes Soviétiques) avant de ressortir vainqueurs de la course à l’espace : les
soviétiques sont toujours en avance : le 4 octobre 1957, l’URSS lance le premier satellite artificiel,
Spoutnik-1, les Etats-Unis ne réussissent que le 31Janvier 1958 ; toutes les sondes pour explorer la
lune sont envoyés par l’URSS avant les Etats-Unis ; le premier homme envoyé dans l’espace est un
soviétique Youri Gagarine (1961).
3). Le modèle américain est donc confronté au communisme :
a). Les Etats-Unis doivent faire face à l’influence des soviétiques :
- l’URSS bénéficie d’un grand prestige auprès des peuples colonisés depuis les années 30 et surtout
après la seconde guerre mondiale dans un contexte de décolonisation. En effet, en septembre 1947,
Jdanov promet son soutien « aux combattants des mouvements de libération nationale des pays
coloniaux. ». C’est pourquoi des partis communistes sont souvent actifs dans le processus de
décolonisation comme au Viêt-Nam avec Hô-Chi Minh et en Algérie où ils soutiennent le Front de
Libération Nationale. Ne peut-on donc pas parler de soft power soviétique dans les pays colonisés
qui fait défaut aux Etats-Unis ont une position modérée sur la question coloniale après la seconde
guerre mondiale ?
- La puissance américaine est aussi contestée par les artistes. Ainsi, George Duhamel dénonce
l’hypocrisie du mode de vie américain au même titre que le peintre André Fougeron, notamment
dans son image de la Civilisation Atlantique.
b). L’image des Etats-Unis est ternie par la guerre du Viêt-Nam, c’est la première défaite du soft
power américain. Les Etats-Unis, s’étant affirmés jusque-là garants de la paix, de la démocratie et
du droit des peuples à disposer d’eux même, soutiennent d’abord dans une puissance coloniale (la
France), puis se lancent dans une guerre très meurtrière contre le Nord Viêt-Nam, dans le but
d’endiguer l’expansion communisme. Pour beaucoup d’américains, les Etats-Unis ont sacrifié leurs
valeurs sur l’autel de l’idéologie de la guerre froide. Les Etats-Unis sont alors divisés par des
mouvements de contestation internes (chez les jeunes notamment). Cet échec n’est donc pas
seulement militaire car il ternit durablement leur image dans le monde entier (les médias
internationaux montrent des clichés de la guerre qui marquent les esprits). Ainsi, les Etats-Unis
traversent une grave crise de confiance comme l’atteste l’absence d’intervention à l’étranger
jusqu’en 1983.
Bilan : le soft power américain permet aux Etats-Unis de s’imposer au monde face aux soviétiques
durant la guerre froide. Leur image est cependant un objet de contestation et le soft power
américain commence à décliner dès la guerre du Viêt-Nam.

III) De la fin de la guerre froide à nos jours, le soft-power américain décline même
si les Etats-Unis restent la nation la plus influente au monde (1991-2013) :
1). Une puissance technologique toujours dominante :
a). Les Etats-Unis, acteurs de la révolution informatique :
- On estime à 40 % du total des investissements des entreprises américaines ceux consacrés à
l'informatique et aux télécommunications, contre 15 % il y a dix ans. D’autre part, les États-Unis
possèdent 50 % des ordinateurs du monde tandis que 50% des travailleurs ont recours à
l'informatique.
- De grandes firmes telles que Microsoft et Apple dominent le marché mondial. Elles réalisent
respectivement 21,5 et 37,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires tandis que Google brasse 15
milliards de dollars par an. Ainsi, l’homme le plus riche du monde, un américain l’est devenu grâce
à l’informatique. Il s’agit de Bill Gates.
b). Les Etats-Unis sont toujours au cœur de l’innovation :
- Les Etats-Unis attirent de nombreux chercheurs étrangers grâce à des rémunérations élevées -
c’est le « Brain Drain » -, ce qui explique leur réussite. Jusqu’en 2000, 70% des Prix Nobels sont
américains. De 1981 à 2005, les États-Unis ont obtenu 77 prix Nobel de chimie, de physique et de
médecine contre 28 pour l'Union européenne. En 2005, 150 000 brevets sont déposés aux États-
Unis et en Europe l'ont été par des entreprises américaines, contre 68 000 pour des entreprises
européennes.
- Ainsi, le tiers de la croissance américaine est désormais attribué au high-tech. 9 millions de
personnes en vivent.
2). Une puissance culturelle toujours influente :
a). L’industrie cinématographique américaine reste dominante :
- De très lourds moyens sont mobilisés (près de 2,5 milliards de dollars sont investis chaque année,
ne serait-ce que pour la publicité). Le cinéma américain reste un succès avec 5000 films produits
chaque année et 15 milliards de dollars de chiffres d’affaires en produits dérivés.
- Les films américains sont, encore aujourd’hui, le reflet des revendications de la puissance
américaine comme le montre, par exemple, le film Captain Phillips, inspiré d’une histoire vraie,
qui fait la démonstration des moyens militaires mis en œuvre par les Etats-Unis pour secourir un
navigateur fait prisonnier par des pirates Somaliens.
b). La « malbouffe », une nouvelle forme d’invasion de « l’American Way of life » : Mc.
Donald’s, la première chaîne de restauration rapide dirige plus de 25 000 restaurants aux États-Unis
et dans le reste du monde et réalise 27 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Tous les pays sont
concernés, y compris l'ex-URSS et la Chine.
3). Existe-t-il des soft power concurrents ?
a). L’industrie du cinéma est désormais concurrencée par les indiens : Bollywood, capitale indienne
du cinéma à Bombay, est désormais l’homologue indien d’Hollywood. Désormais, l’Inde est le
plus gros producteur au monde en nombre de films. D’autre part, 85% de la production est tournée
vers l’exportation principalement en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique de Nord. Les films
indiens connaissent aujourd’hui un succès retentissant au Pakistan.
b). La conquête spatiale est désormais le nouveau terrain de jeu des chinois :
- La part des investissements américains budget public mondial pour l’espace diminue : elle était
de 80,7% en 2006 contre 67,5% en 2010.
- De surcroît, les Etats-Unis ayant annoncé leur volonté de retourner sur la Lune en 2004 ont
abandonné ce projet en 2010, faute de financements. En revanche, le 27 Novembre 2005, c’est la
Chine qui a déclaré vouloir envoyer un équipage sur la Lune vers 2020.
- La Chine a déjà à son actif la réussite de trois missions habitées dans l’espace depuis 2003, la
dernière étant l’envoi de la fusée Shenzhou VII.

Conclusion : Dans quelle mesure le soft power est-il un instrument de la puissance des Etats-Unis ?
En quoi constitue-t-il un objet de contestation de l’impérialisme américain ? On peut dire,
effectivement, qu’en tant que première puissance économique, politique et militaire mondiale, les
Etats-Unis ont toujours eu le souci de se constituer une image positive à travers le monde dans le but
d’assumer pleinement leur rôle international en exportant leur modèle politique, leur mode de vie et
leur idéologie. Le soft power américain a aussi été une réponse efficace au défi lancé par les
soviétiques durant la guerre froide : l’impossibilité d’utiliser le hard power, sans détruire le monde
dans un contexte militaire terrifiant où les deux grands possédaient l’arme nucléaire (« l’équilibre de la
terreur »). Il a donc été un objet de contestations pour les soviétiques d’une part, et pour les puissances
émergentes aujourd’hui d’autre part. Néanmoins, face au déclin du soft-power américain, on peut se
demander si un autre leader s’imposera au monde sur le plan politico-culturel ou s’il faudra s’attendre,
de même que pour l’économie, à un partage multipolaire des influences.

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