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La paracoccidioïdomycose : une mycose d’Amérique du Sud qui arrive e n

Europe

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Patrice Bourée Yagoob Garedaghi

Institut Alfred Fournier Paris Islamic Azad University Tabriz Branch
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 CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose

La paracoccidioïdomycose :
une mycose d’Amérique du Sud
qui arrive en Europe
P. BOURÉE1, Y. GAREDAGHI2, F. BISARO3, A. ENSAF4

résumé
La paracoccidioïdomycose est une mycose tropicale localisée en Amérique du Sud. Ce champignon dimor-
phique, Paracoccidioides spp., est présent dans le sol. L’Homme s’infeste par inhalation des spores qui provo-
quent une réaction inflammatoire dans les poumons. À l‘occasion d’un cas diagnostiqué chez un sujet ayant
voyagé dans les Caraïbes (Trinidad), sont rappelés les principaux caractères de cette mycose invasive qui se
manifeste par des ulcérations cutanées et buccales associées à des adénopathies satellites, et l’atteinte de divers
organes par dissémination du champignon. Le diagnostic est établi par l’analyse des lésions, montrant la pré-
sence de levures multibourgeonnantes caractéristiques. Le traitement par l’itraconazole pendant plusieurs
mois assure la guérison de cette infection fongique.

mots-clés : Paracoccidioïdomycose, Paracoccidioides brasiliensis, champignon dimorphique, ulcérations

cutanées.

I. - INTRODUCTION ment depuis 6 mois. L'examen clinique ne détecte

que des adénopathies trapéziennes gauches, mobiles
La paracoccidioïdomycose est une mycose tropi- et indolores. Le bilan biologique révèle un syndrome

CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose

cale qui se manifeste par des lésions cutanéo-
muqueuses, ganglionnaires et viscérales. Cette infec-
tion fongique sévit en Amérique du Sud et atteint
environ 10 millions d’individus, dont seulement 2 %
sont symptomatiques. Toutefois, avec l’extension des
déplacements intercontinentaux des populations,
cette mycose invasive peut être diagnostiquée dans
diverses régions du monde et plus de 80 cas ont déjà
été répertoriés dans 11 pays européens, mais toujours
chez des personnes ayant voyagé en Amérique du
Sud, en particulier au Brésil et au Venezuela (1, 2)
(Tableau I). L’observation présentée ci-après en est
un exemple supplémentaire.
II. OBSERVATION
inflammatoire (vitesse de sédimentation des globules
rouges après une heure = 138 mm ; gammaglobulines
sériques = 41 g/L). La radiographie pulmonaire et le
scanner thoracique sont normaux, l’intradermoréac-
tion à la tuberculine est négative. Le scanner abdomi-
nal décèle des adénopathies cœlio-mésentériques.
À défaut d’éléments diagnostiques, l’exérèse d’un
ganglion trapézien est réalisée et son analyse micro-
scopique met en évidence la présence de cellules
géantes et surtout de nombreuses levures avec de
————
1 Institut Alfred-Fournier, Paris.
2 Service de Parasitologie, Université des sciences
médicales de Tabriz, Iran.
3 Service de Parasitologie, Hôpital Cochin, Paris.

Un patient guadeloupéen de 19 ans est hospitalisé 4 Dispensaire de Saint-Georges de l'Oyapock, Guyane.

pour fièvre (38 °C), une asthénie et un amaigrisse- Mail : patrice.bouree@gmail.com

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Revue de Biologie Médicale /N° 364 - JANVIER-FÉVRIER 2022

 Tableau I - Cas de paracoccidioïdomycose observés en Europe son de son climat (5).
(d’après [1]).
Le champignon est dit dimorphique, car il forme
Pays Nombre de cas des levures dans les tissus et des filaments sur certains
Allemagne 9 milieux de culture et dans la nature (surtout en cas
de sol acide, à une altitude de 150 à 2 000 m avec une
Autriche 2 température de 17 °C à 23 °C et une pluviométrie
Bulgarie 1 annuelle de 1 000 à 4 000 mm). Dans le sol, la forme
mycélienne survit plus longtemps que la forme levure
Espagne 35 (6). La profession agricole est plus exposée et tout
France 6* particulièrement les exploitants de caféiers, au Brésil,
en Colombie et au Venezuela (7). Cependant, la
Italie 15 migration des populations rurales vers les zones urba-
Royaume-Uni 6 nisées a entraîné une augmentation de l’incidence de
la maladie en périphérie des villes (8).
Norvège 1

Pays-Bas 1
Portugal 7 laires, ce qui provoque une réaction inflammatoire.
Suisse 1
* Incluant la présente observation.
multiples bourgeonnements évoquant une paracoc-
cidioïdomycose. Sa culture sur la gélose de Sabou-
raud permet de confirmer cette infection fongique
et le sérodiagnostic de paracoccidioïdomycose, par
électrosynérèse, est positif (2 arcs de précipitation).
L'interrogatoire du patient révèle un séjour
quelques mois avant l’apparition de ses symptômes,
à Trinidad pendant 1 mois, État des Caraïbes où la
paracoccidioïdomycose avait déjà été rapportée (3).
L’homme s’infeste par inhalation de spores qui se
transforment en levures dans les macrophages alvéo-
Puis, le champignon se propage, par le sang et la
lymphe, dans différents tissus où il induit des lésions
granulomateuses. La contamination, directement à
partir de la peau ou des muqueuses, est rare. Il n’y a
pas de transmission interhumaine de cet agent patho-
gène. Le champignon a été retrouvé dans les excré-
ments de chauves-souris, de pingouins, du bétail, de
chevaux, de chiens (au Brésil, 78 % des chiens
seraient infestés), de singes et surtout de tatous à
neuf bandes (9). Ces derniers mammifères
(Figure 2), anciennement du super-ordre des éden-
tés, sont fréquents dans les forêts d’Amérique du
Sud ; ils creusent des galeries dans le sol et se conta-
minent par inhalation, car le champignon est situé
entre 2 et 20 cm de profondeur (10).

Après 4 mois de traitement par le fluconazole

(200 mg/j), l’état général du patient est excellent
(vitesse de sédimentation = 18 mm), mais le sérodia-
gnostic demeure positif (persistance d’un arc de
précipitation par électrosynérèse).
CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose

III. COMMENTAIRE

A) Un champignon dimorphique, individualisé

en cinq espèces

La paracoccidioïdomycose, ou blastomycose sud-

américaine ou encore maladie de Lutz-Splendore-
Almeida, est due à un champignon découvert en
1908 au Brésil par Adolfo Lutz, étudié en culture en
1912 par Alfonso Splendore, et rattaché au genre
Paracoccidiodes créé en 1930 par Floriano de Almeida.
Cinq espèces sont aujourd’hui individualisées : P. bra-
siliensis sensu stricto, présent dans différentes régions
d’Amérique du Sud, P. americana au Brésil et au Vene-
zuela, P. restrepiensis en Colombie, P. venezuenlensis au
Venezuela, ainsi que P. lutzii, qui est surtout rencontré
dans le centre du Brésil (3, 4). La maladie sévit du Fig. 1 - Prévalence de la paracoccidioïdomycose en Amérique
Mexique à l’Uruguay, sauf au Chili (Figure 1) en rai- du Sud et en Amérique centrale (d’après [5]).

-2-

Revue de Biologie Médicale /N° 364 - JANVIER-FÉVRIER 2022


Fig. 2 - Tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus).
B) Un agent pathogène causant des ulcérations
de la face
La maladie peut atteindre des sujets de tous les
âges, mais est plus fréquente chez l'homme jeune (le
sex-ratio H/F est de 1/1 chez l’enfant et évolue à 13/1
chez l’adulte) (11). En effet, les œstrogènes semblent
inhiber la transformation des filaments mycéliens en
levures chez la femme (12) et, par ailleurs, les travaux
agricoles sont essentiellement effectués par les
hommes, le tabac et l’alcool étant malgré tout des fac-
teurs favorisants. Il n’existe pas de différences épidé-
miologiques selon les populations humaines, mais il
apparaît que les formes aiguës surviennent plus sou-
vent chez les sujets de peau noire et les formes chro-
niques chez ceux de peau blanche (13).
La paracoccidioïdomycose se présente clinique-
ment sous deux formes, aiguë et chronique (4). La
forme aiguë est observée chez l’enfant ou l’adulte
jeune et se manifeste quelques semaines ou mois
après la contamination. Le patient présente des
lésions cutanées, de la sphère ORL et intestinale avec
des ganglions intra-abdominaux ainsi qu’une hépa-
tosplénomégalie. Au Brésil, l’interdiction du travail
des enfants a réduit l’incidence des formes aiguës
(14). La forme chronique, advenant chez l’adulte de
plus de 30 ans, apparaît plusieurs années après la
contamination et est la plus fréquente (80 % des cas).
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Revue de Biologie Médicale /N° 364 - JANVIER-FÉVRIER 2022
Paracoccidioïdomycose
Elle atteint les poumons (15), la peau autour de la
bouche et du nez, ainsi que les muqueuses buccales
(Figure 3). Un abcès du cerveau dû à ce champignon
a déjà été observé (16) ainsi qu’une localisation isolée
sur le pavillon de l’oreille (17).
Paracoccicoides occasionne des ulcérations de la
cavité buccale (gencives, langue, lèvres, palais, pha-
rynx), accompagnées d’adénopathies cervicales, qui
peuvent se nécroser et fistuliser à la peau et former
CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose
des abcès sous-cutanés (18). En outre, le patient se
plaint d’amaigrissement, de fièvre, de toux, de dys-
pnée ainsi que de douleurs abdominales, et l’exa-
men clinique retrouve souvent une hépatosplénomé-
galie (Tableau II). Tous les individus peuvent être
atteints, mais les patients immunodéprimés, infectés
par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
ou transplantés d’organes, sont nettement plus sen-
sibles (19-21). Le diagnostic différentiel peut se
poser avec la leishmaniose cutanéo-muqueuse, la
lobomycose, l’histoplasmose ou la tuberculose, d’au-
tant plus que ces maladies co-existent en Amérique
du Sud (22, 23). Les caractéristiques cliniques diffé-
rentielles entre la paracoccidioïdomycose et la leish-
maniose cutanéo-muqueuse qui, toutes deux survien-
nent chez les hommes (respectivement dans 91% et
72% des cas) proches, en moyenne, de 50 ans (res-
pectivement, 52 et 48,5 ans), sont présentées dans le
Tableau III.
 A B

Fig. 3 - Opacités pulmonaires (A) et ulcérations des lèvres et des gencives (B) observées au cours de la paracoccidioïdomycose.

Tableau II - Organes atteints et manifestations cliniques au Tableau III - Caractéristiques et cliniques différentielles entre
cours des formes aiguë et chronique de paracoccidioïdomy- paracoccidioïdomycose et leishmaniose cutanéo-muqueuse
cose (d’après [11]). (d’après [23]).

Forme Forme Paracoccidioï- Leishmaniose

Organes atteints aiguë chronique Lésions
& symptômes domycose (n = 122)
(n = 60) (n = 485) et symptômes
(n = 83 cas
Oropharynx 15,0 % —
Gencives 54,2 % 4,1 %
Larynx — 20,8 %
Langue 9,6 % ---
Poumons 13,3 % 90,9 %
Lèvres 39,8 % 4,9 %
Peau 48,3 % 26,8 %
Muqueuse buccale 33,7 % —
Adénopathies 91,6 % 27,2 %
Muqueuse nasale 8,4 % 56,6 %
Fièvre 66,7 % 27,2 %
Palais 22,9 % 10,7 %
Dyspnée 18,3 % 45,2 %
Peau du nez 2,4 % 94,3 %
Expectoration 21,7 % 43,3 %
CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose

Pharynx 7,2 % 20,5 %

Toux 30,0 % 65,8 %
Septum nasal 1,2 % 77,1 %
Amaigrissement 91,6 % 27,2 %
Douleurs abdominales 16,9 % 0,8 %
Douleurs abdominales 40,0 % —
Dysphagie 2,4 % 3,3 %
Hépatomégalie 46,6 % 4,3 %
Obstruction nasale --- 3,4 %
Ictère 15,0 % —
Voix rauque 14,5 % 4,1 %
Splénomégalie 41,6 % 1,2 %

C) Des levures bourgeonnantes sur milieu de Sabouraud, sont plissées et blanches

Le diagnostic repose sur la mise en évidence du
champignon dans les sécrétions nasales et respira-
toires, dans une suppuration, ou encore dans une
biopsie des organes concernés. Les colonies fon-
giques, obtenues lentement (une à trois semaines)
(Figure 4A), mais deviennent brunes avec le temps.
Des hyphes septés, de 2 à 4 μm de diamètre, avec des
chlamydospores de 20 μm, intercalaires ou terminales
(Figure 4B), sont constatés à partir d’une culture à
25 °C d’un produit. Lorsque celle-ci est réalisée à 35 °C
sur milieu BHI (Brain Heart Infusion), l’examen micro-

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Revue de Biologie Médicale /N° 364 - JANVIER-FÉVRIER 2022

 Paracoccidioïdomycose

scopique des colonies permet d’observer de grandes
levures (> 15 m) avec une paroi épaisse et des bour-
geonnements multiples assez caractéristiques, pouvant
entourer toute la cellule (Figure 4C). Ces bourgeons,
rattachés à la cellule-mère par un fin pont cytoplas-
mique, donnent un aspect de roue de timonier
(Figure 4D). Les différentes espèces de Paracoccidioides
sont indiscernables sur le plan morphologique, et leur
identification précise nécessite le recours à l’amplifica-
tion (par PCR) de séquences nucléotidiques, comme
celles de l’exon 2 du gène GP43 (24).
Si une biopsie de peau ou d’organes infectés est
réalisée, on observe, après coloration (May-Grünwald
Giemsa, PAS ou mieux, Gomori-Grocott), des levures
multibourgeonnantes au sein de granulomes lympho-
plasmocytaires. En cas de bourgeon unique, il faut
différencier les levures de Paracoccidioides de celles de
Blastomyces dermatitidis qui n’ont, également, qu’un
seul bourgeon. En cas de difficulté de culture, on
peut avoir recours à l’inoculation au cobaye ou à la
souris par voie intrapéritonéale, l’autopsie de ces ani-
maux permettant de retrouver les levures multibour-
geonnantes. Par ailleurs, dans des laboratoires spécia-
lisés, peuvent être recherchés des exo-antigènes ou la
glycoprotéine gp43 ainsi que des anticorps spéci-
fiques par immunoélectrophorèse, ELISA ou encore
Western-blot.

A B

C D

CAS CLINIQUE/MYCOLOGIE Paracoccidioïdomycose

Fig. 4 - Culture de Paracoccidioides brasiliensis.

A, aspect macroscopique ; B, aspect microscopique ; C, levure multibourgeonnante caractéristique ;
D, roue de timonier, utilisée souvent pour décrire la levure de Paracoccidioides.

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Revue de Biologie Médicale /N° 364 - JANVIER-FÉVRIER 2022

 D) Un traitement long
La guérison de cette mycose repose sur les déri-
vés azolés comme le fluconazole (25) et surtout
l’itraconazole (100 mg/j pendant 8 à 10 mois) ; une
rechute de celle-ci est possible si le traitement est
stoppé trop précocement (26). En cas d’atteintes
graves, l’administration intraveineuse d’amphotéri-
cine B (1 mg/kg/j) peut être envisagée. Dans cer-
tains pays n’ayant pas accès aux azolés, l’administra-
tion pendant plusieurs mois de cotrimoxazole
(1 600 mg/j) peut bloquer la croissance des levures
et conduire à une régression des lésions. L’amélio-
ration des lésions cliniques et la diminution du taux
sérique d’anticorps objectivent l’efficacité de l’an-
tifongique. La prévention est difficile et peut être
tentée par les sulfamides chez les sujets à risques
vivant en zone d’endémie. Des essais de vaccination
à base de la glycoprotéine gp43 sont en cours.
IV. - CONCLUSION
Chez un sujet originaire d’Amérique du Sud pré-
sentant des lésions cutanées de la face avec un syn-
drome infectieux, il faut évoquer la paracoccidioï-
domycose. La confirmation est apportée par la mise
en évidence des levures multibourgeonnantes
caractéristiques dans les lésions tissulaires. L’itraco-
nazole administré pendant plusieurs mois permet
une évolution favorable de cette affection mycolo-
gique.

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