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Collège St-Michel, Fribourg

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Histoire de l'enfer
GI.]ORG]'S MINOIS
ès-l'etlres
Agrégé de l'Université, docteur cn Histoire, docteur

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lieu de ne couvnr lure de fouet, sans voir cependant quel peut être le
de son corps étendu' quand même, au
terme de ses maux, quelle serait à jamais la fin de ses
olr" n..tf uipents de sei membres écartelés' il occuperait peines, et craignant au contraire que les uns et les
endurer jus-
f";Ë;i;;lÉi., iLn. pourrait pourtant àutres ne s'aggravent dans la mort. Enfin, c'est ici-bas
;";;;-ù;i une douleui éterneilè, ni fournir de son que la vie des sots devient un véritable enfer >> (De
Jroor. corps une pâture inépuisable' nature rerum, III, 8-1024).
"';'ù"i;i;oi ttout Tityos est sur terre : c'est l'homme
jalousie
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vautré dans I'amou,, q"t les vautours .de la


àé;hi;;i, que dévore une angoisse anxieuse' ou dont III. L'enfer philosophique platonicien
Ë"*"t sâ iend dans les peines delaquelque autre pas- -
vie; nous
ri"* Styptt. lui aussi existe dansà briguer-auprès l'avons A cette conception purement psychologique de I'en-
sous nos yeux' qul s'acharne du fer, Platon oppose une conception politique et sociolo-
"furc"u"^ et les haches redoutables' et qui gique. Sa préôccupation semble en elfet être plus celle
p."pf" l*
touiours se retlre valncu et plein d'affliction-
Car solli- d'un législateur que celle d'un moraliste ou d'un théo-
f. pouvoir qui n'est qu'illusion et n'estcesse
Jamals logien. Sa vision est très juridique et légaliste. Elle n'est
"itèt
donné, et dans cette recherche supporter
sans de d'ailleurs pas très cohérente, et des différences substan-
bien poussér avec effort sur la tielles exiitent entre l'exposé du Phédon, celui de La
à"t.t'f"tig"es, c'est
perrt" d'rrti" montagne un rocher qui' à
peine ausom- République et celui du Gorgias, qui sont les trois dialo-
la guès dans lesquels apparaît nettement l'enfer.
liet, retombe et và aussitôt rouiet en bas dans
olaine. De même, repaître sans cesse les désirs
de notre Une chose est certaine : la mort est suivie d'un juge-
fri"ltgi"t., la combler de biens sans pouvoir la rassa- ment, à I'issue duquel les bons sont séparés des
méchants. A partir de là, le sort de ces derniers est
;"ttffi;iJ, tia Àanicre des saisons' lorsque' dans leur
produits et variable. D'après Ie Phédon, on établit deux catégo-
;;ï"ï; annoel, elles nous apportent.leurs
que jamais p,?"{lilt-i:t:: ries : les irrécupérables et les autres :
i""it liaÀt diu.rr"r, sans << Ceux, d'autre part, dont il aura reconnu que leur cas
faim Je jouissances en soit apaisée, c'est Ià' Je pense' ce
la fleur de l'âge'
ces jeunes filles dans est incurable, vu la grandeur de leurs fautes, auteurs de
orr. ,n*bolisent
pillages nombreux et importants commis dans les tem-
ou" lton dit occupées à verser de l'eau dans un
vase
qtà titf effort ne jamais remplir' ples, auteurs de nombre d'homicides, injustement et illé-
l"*'i"ta, saurait
le manque de lumière galement commis, ou de tous les autres forfaits qu'il
ôe.Àè*;lL Furies encore' etvomissent d'effroyables peut y avoir encore en ce genre, le lot qui leur convient
J;;; i. îararedont les gorges
en effet ies lance au Tartare, et de là jamais ils ne sortent. Quant
i;;;"t, il n'existent nîlJpart et ne.peuvent
la ui" potrr d'insignes méfaits à ceux dont on aura reconnu que les fautes qu'ils ont
.^irGi. rtràis il y a dans commises ne sont pas sans remède, pour ceuxJà, forcé-
,rrr" insigne des châtimènts, et pour le crime'
ment, c'est au Tartare qu'ils ont été précipités ; puis, une
r;;pi;ti"" : pri"son' effrovable chute du hu"t 1:,^?
"ruittt"
fois précipités dedans, et après y avoir passé un laps de
io"i", u"rg.ti bo.t.reaux, cat,an, poix' lames rougles'
l'âme temps considêrable,la vague les rejette, [-..] rendus là, à
iÀr"nÉt ; eî même en l'absence de ces punitions' pen- grands cris ils appellent, les uns ceux qu'ils ont fait périr,
de ses crimes et prise de terreur à leur
"""*ià"t. se donne la brû- les autres ceux qu'ils ont maltraités, et, après les avoir
;;;&liq"" à elle-même faiguillon'
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appelés, ils les supplient, ils leur demandent de les laisser en raison de leurs fautes, une éternité d'épreuves, les plus
sortir du fleuve pour passer dans le lac et de les y rece- grandes, les plus douloureuses, les plus redoutables :
voir ; s'ils ont pu les convaincre, ils passent, mettant véritablement suspendus là-bas, chez Hadès, dans la
ainsi un terme à leurs peines ; si c'est le contraire, ils sont prison, en qualité d'exemples, objets de contemplation
de nouveau ramenés vers le Tartare et, de là, encore et d'admiration pour ceux des hommes injustes qui ne
dans les fleuves : traitement qui ne firnit pas pour eux cessent d'arriver > (Gorgias, 486).
avant qu'ils aient convaincu les victimes de leurs injus- L'intention politique est manifeste. En effet, ces incu-
tices ; car telle est la peine que leur ont assignée les rables, ces êtres foncièrement méchants et nuisibles, ce
juges > (1 13-l 14). sont des hommes politiques, des rois, des tyrans, et dans
Une troisième possibilité est envisagée dans ce dialo- le Phédon ce sont les responsables de désordres sociaux.
gue : l'âme de ceux qui ont été pendant leur vie D'après La République, les fautes les plus graves sont
esclaves des désirs corporels est condamnée à errer sur celles de << ceux qui ont causé lamort d'un grand nombre
terre, attirée vers le bas par l'élément matériel ; elle d'hommes, ou bien été traîtres au pays, à l'armée, et qui
finit par se réincarner dans un animal représentant son ont jeté leurs concitoyens dans la servitude... > Pour
vice dominant. ceux-là, chaque injustice est punie par cent ans de peine.
Dans le Gorgias, on retrouve la distinction entre les Dans ce dialogue, Platon a recours à un mythe, celui
incurables et les autres. Tous sont soumis à des souf- d'Er, qui est descendu aux enfers, ressuscité, et qui
frances, mais celles-ci n'ont pas le même but : pour les raconte ce qu'il a \ru, ne reculant pas devant des
uns, elles sont salutaires, rédemptrices, purificatrices, emprunts aux mythes populaires pour décrire la façon
et donc temporaires ; pour les autres, les incurables, dont les démons entraînent les damnés :
elles ont valeur d'exemple : elles ne peuvent plus les << Ils leur entravaient les mains, les pieds, la tête, les

sauver, car ils ont commis des fautes trop énormes, terrassaient, leur mettaient la chair à vif, les traînaient
mais leurs tourments servent à avertir les hommes de tout le long de la route, mais sur les bords de celle-ci,
ce qui les attend s'ils font le mal : en les râclant contre les épines des haies, et à ceux qui
<< Ceux pour qui il y a profit à avoir payé la peine constamment passaient ils faisaient connaître quels
que leur ont infligée les dieux ou les hommes, ce sont étaient les motifs de ce traitement, ajoutant qu'ils les
ceux dont les fautes ont été des fautes qui ne sont pas menaient au Tartare pour les y précipiter > (La Répu-
incurables ; ce n'en est pas moins par le moyen de blique, X, 616).
souffrances et de douleurs que leur vient ce profit, ici- Dans La République, il n'y a pas de peines éternelles.
bas comme dans l'Hadès ; car il n'est pas possible Au bout de mille ans, les âmes sont réincarnées.
d'être, autrement, débarrassé de I'injustice. Il est bien difficile d'établir dans quelle mesure Pla-
<< Quant à ceux qui auront poussé leur injustice au ton croit à ces enfers, et dans quelle mesure il les a
dernier degré et qui, par des actions injustes d'une telle créés consciemment afin de renforcer par des sanctions
sorte, seront devenus incurables, c'est d'eux que seront surnaturelles ses utopies législatives. Dans le Gorgias,
tirés les exemples ; et tandis que ces hommes, puisqu'ils il établit une distinction qui n'est pas très claire entre
sont incurables, ne gagnent rien à leur peine, c'est pour une fable et une histoire. Socrate s'adresse à Calliclès :
les autres qu'est le gain, pour ceux qui leur voient subir, << Ecoute donc, comme on dit, une belle histoire. Toi,

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c. urxors - 2
tu estimeras, j'en suis convaincu, que c,est une fable, des êtres inférieurs ; celui qui est infligé par les démons
mais selon moi c'est une histoire, ei c'est dans la pen- pour les fautes les plus graves.
sée que ce sont des vérités que je te dirai ce que je vais
te dire. > Un peu plus loin, Socrate sent à nôuveau le
scepticisme de son interlocuteur : < peut-être tiens-tu IV. L'enfer poétique et populaire de Virgile
tout ce qu9 je dis 1à pour une fable, ainsi qu'en conte_ -
rait une vieille, et tu n'en fais point , i et encore : , L'Enéide est le premier grand manuel touristique de
l'enfer, et restera l'ouvrage de référence pendanl plu-
<< Laisse-toi donc convaincre, "as
[...] ainsi que le donne à sieurs siècles, au point que Dante prendra Viigile
entendre I'histoire que je t'ai contée. >
Il est fort vraisemblable que ces doutes soient ceux coflrme guide lors de son grand voyage.
de Platon lui-même. Auquel cas son enfer est à inscrire Rappelons le cadre du récit : c'est pour rendre visite
dans les élaborations conscientes de mythes destinés à à son père Anchise qu'Enée demande à la Sibylle la
soutenir .un projet socio-politique. Lorsque, dans le permission de descendre aux enfers, ce qui lui est
Phédon, il se livre à une interminable deôcription du accordé à condition qu'il accomplisse certains rites
réseau hydrographique infernal, et qu,il s'attafoe sur la
propitiatoires. Le voyage est dangereux, et il est à la
topographie précise de ces lieux souterrains, on a du fois symbolique et plein d'images concrètes, ce qui,
mal à croire à sa sincérité, à une époque où la plupart ajouté à la qualité littéraire, contribuera à faire du livre
des courants philosophiques exprimaient un modèle du genre, souvent imité.
tei ptus L'entrée de I'enfer est géographiquement située : c,est
grandes réserves à ce sujet.
le marais de l'Achéron, près de Cannes, en Campanie.
Pourtant, ses continuateurs néo-platoniciens repren_
dront ses affirmations. Au uf siècle, plotin élaborè une L'activité volcanique de cette région et les paysages
lugubres auxquels elle a donné naissance établiiont sôh-
conception p^lus spirituelle, qui n,est pas sans rappeler
dement sa réputation : pendant longtemps on localisera
celle des enfers hindouistes. pour lui, I'enfer c-orr"s_
les bouches de I'enfer entre le Vésuve et fEtna, en Cam-
pond à la situation de l'âme empêtrée dans la matière.
panie ou en Sicile. L'accès se fait par une caverne d,où
L'enfer:
sortent des odeurs nauséabondes. Après une longue des-
< C'est quand l'âme est plongée dans le co{ps, s'en_
^
foncer dans la matière et sÈn remplir, puis, quànd elle
cente, on pénètre dans le vestibule, où se tiennent les
sinistres propagateurs de l'enfer : la maladie, la faim, la
a quitté le corps, retomber de nouveau danJ h même
pauvreté, la guerre, la souffrance, le remords, la peur, la
boue jusqu'à ce qu'elle opère son retour vers le monde
prison, le deuil, la discorde, la mort. Puis on esfassailli
intelligible et qu'elle détache ses regards de ce bour-
par les ombres monstrueuses et ailées des harpies, gor-
bier : c'est cela sa vraie mort. Tant qu'elle y reste, on gones, hydres et centaures, gardiennes des lieux. L,ima-
dit qu'elle est descendue aux enfers èt qu,eile y som- gerie chrétienne en fera des démons.
meille > (Ennéades,IV, 1, 8).
Arrivé sur les bords de l'Achéron, il faut s'adresser
Pour Plotin, il y a en réalité trois types d'enfers au passeur, vieillard en haillons : Charon. Les âmes
complémentaires : celui qui est créé par-la punition
sont nombreuses à vouloir traverser, mais celles des
immanente des péchés, qui nous cauôent ici-bas des
corps qui n'ont pas eu de sépulture doivent errer cent
problèmes ; celui qui résulte de notre réincarnation en
ans avant de pouvoir monter dans la barque. De
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