Vous êtes sur la page 1sur 12

Crise du Covid-19 :

l'analyse de Michael Zaoui

Mehdi Michbal
LE 06-05-2020
VERBATIM. Ancien dirigeant de Morgan Stanley
et membre de la Commission sur le modèle de
développement, le banquier d’affaires prévoit
une forte chute des IDE et conseille aux groupes
marocains de se diversifier dans de nouvelles
niches industrielles. Le Maroc doit selon lui
mobiliser tous les moyens, internes et externes
pour relancer son économie, quitte à faire sauter
les verrous de l’orthodoxie budgétaire et
monétaire.
C’est la première sortie publique de Michael Zaoui
au Maroc. On la doit au député Mehdi Bensaid, qui
l’a invité à un débat organisé par le Club marocain
d’études en relations internationales. Un débat
auquel a participé également l’économiste Larabi
Jaidi, autre membre de la CSMD.

Depuis les Etats Unis où il est confiné, Michael


Zaoui organise son intervention en trois étages :
l’impact sur le monde, les pays émergents pour
arriver à la fin à quelques recommandations pour
le Maroc.

Voici une synthèse de son intervention :


« La moitié des petites entreprises ne survivra
pas à plus de 2 mois de confinement »
« C’est une crise sans précédent, la plus forte
récession économique de mémoire d’homme. Une
crise totalement différente de celles de 1929, 1973
ou de 2008.

Le cadre de référence des ces crises connues


dans l’histoire ne donnent en tout cas pas les clés
pour la résolution de la crise actuelle.

Quelques chiffres pour illustrer cela :


-Après le crash de 1929, il a fallu six mois pour
atteindre 10 millions de chômeurs aux Etats-
Unis. Cette fois-ci, ce chiffre a été atteint en
seulement 2 semaines

-Le choc pétrolier de 1973 a affecté


essentiellement les pays pétroliers. Cette fois,
tous les secteurs, toutes les chaînes
mondiales, tous les pays sont touchés.

-La crise des subprimes de 2008 a été d’abord


une crise financière. Aujourd’hui, c’est l’arrêt de
l’appareil productif qui produit la crise.

-Ce qu’on vit aujourd’hui est une crie


simultanée de l’offre et de la demande. On ne
trouve ca ni dans les théories de Keynes, ni
dans le monétarisme de Friedman.
Une crise qui tombe en plus dans une économie
qui est déjà à bout de souffle, à cause notamment
de la guerre commerciale entre les Etats Unis et la
Chine. La croissance en 2019 est tombée à 2,9%
après 4,3% en 2018. On arrive donc sur un terrain
déjà fragilisé.
Pour cette année, le FMI prévoit une croissance de
-3%. Pour la zone euro, ce sera aux environ de -
7%. J’ai entendu Christine Lagarde (patronne de la
BCE) dire que ca serait pire, c’est mon point de
vue également.

Des secteurs sont en naufrage : l’aérien, le


tourisme, l’habillement, les banques… La liste est
très longue. Et d’après une étude d’une grande
banque, la moitié des petites entreprises ne
survivra pas à plus de 2 mois de confinement.

Côté demande, les USA ont perdu 26 millions


d’emplois en 5 semaines. Rien à voir avec la crise
de 2008 où 8,7 millions d’emplois ont été perdus
en tout, soit trois fois moins qu’aujourd’hui. Tout le
travail fait, depuis, pour remonter la pente a crée
22 millions emplois. Des jobs qui ont tous disparus
en quelques semaines…

La consommation qui représente 70 % du PNB


américain en prend un sérieux coup : les ventes de
vêtements ont chuté de plus de 50%, les voitures
de 27%, et pour le consommateur américain, le
Covid-19 est passé en tête des listes de ses
préoccupations, loin devant le terrorisme et les
attaques nucléaires. Tout cela est sans précédent.
La production perdue ne sera pas récupérée
avant 2023
On estime le déficit de production mondiale à 2000
milliards de dollars pour 2020. Et le déficit sera de
1000 milliards en 2021. Cette production perdue
ne sera pas récupérée avant 2023. Et ce malgré le
grand effort de soutien déployé par les Etats, le
plus grand effort de soutien économique de toute
l’histoire du monde.

La FED a baissé ses taux à zéro, le gouvernement


a lancé un plan de relance de 300 milliards de
dollars, soit 15% du PNB.

En Europe, un plan de relance initial de 500


milliards d’euros a été lancé. Et il sera fort
probablement doublé.

Les gouvernements laissent filer les déficits,


cassent les plafonds de dette, car ils veulent à tout
prix éviter les conséquences de la crise
précédente : l’effondrement de l’épargne des
ménages. Un effondrement qui était constitué par
la chute de la valeur nominale de l’épargne et par
le chômage.

Une chute de l‘épargne serait aujourd’hui


catastrophique. Elle rendrait la faiblesse de la
demande permanente… C’est pour ca que les
programmes de soutien ont touché de manière
prioritaire les revenus des ménages.
Les conséquences économiques de cette crise
dureront très longtemps. La question est de savoir
combien d’années de croissance il faudrait pour
payer ces dettes qui s’accumulent. »
Au FMI, les pays font la queue…
« Pour les pays émergents, le choc sera massif.
Sans précédent. Une récession mondiale fait
chuter les IDE. J’ai fait l’analyse des trois dernières
récessions en incluant la bulle internet de 2001 :
en moyenne, les IDE chutent de 50% suite aux
crises mondiales.

On estime également à 100 milliards de dollars les


retraits des capitaux des marchés émergents :
actions, dettes…

Les revenus de transferts des immigrés baissent


aussi de100 milliards de dollars.

Le secteur informel, très important dans les pays


en développement, est très vulnérable à ce type
de crise parce que les Etats n’ont pas prise sur ses
composantes.

Autre impact : la dépréciation des monnaies. Les


monnaies du Brésil, de l’Uruguay, de la Colombie
et de l’Afrique du Sud ont perdu 15% de valeur par
rapport au dollar américain depuis février.
Il est clair que les pays émergents vont souffrir à
plusieurs niveaux.

What next ? Première chose à savoir, les pays


émergents n’ont pas les moyens de manœuvre
qu’ont les pays développés. Il est impossible pour
les banques centrales de ces pays d’émettre de la
monnaie à la même vitesse et à la même quantité
que la FED ou la BCE. Ce n’est pas une option
possible.

Les marges de manouvres sont limitées. Où faut-il


aller ? Vers les institutions internationales. Le FMI
a déclaré que 100 pays sur 180 ont déjà demandé
une aide. Il y a la queue… Heureusement que le
FMI a une grande capacité de prêt, estimée à
1000 milliards de dollars. Il sera important pour le
Maroc de faire partie des pays qui bénéficieront de
son assistance.

Mais au delà de ca, la dette des émergents est


déjà consistante. Il faut donc négocier un
moratoire. Il faudra donc négocier. Et sur ce genre
de sujets, il faut absolument passer par les Etats
Unis et la Chine.

Le monde, de toutes les façons, ne peut pas faire


sans les émergents. Dans les années 1980, les ils
représentaient 20% de l’économie mondiale. Ils
représentent aujourd’hui 40%. On ne sortira pas
d’une récession mondiale sans traiter le sujet de
pays émergents.

Il faut également que les pays émergents se


repositionnent dans cette vague de
démondialisation et de relocalisation qui
s’annonce. Le chemin est long. La Chine a la
capacité de production de 13 pays émergents
réunis. Avant de pouvoir la remplacer, il va falloir
un certain nombre de décennies. Mais il faut
prendre le train en marche.

L’autre opportunité que présente cette crise, c’est


que nous allons passer à une société digitale. Les
taux de pénétration d’internet dans les pays
émergents sont encore faibles, une moyenne de
46% contre plus de 80% dans les pays
développés. La Banque mondiale estime que toute
augmentation de 10% du taux de pénétration
internet produit une augmentation de 1,5% à 2%
du PIB per capita. Ce sera donc un sujet important
pour l’avenir.

Globalement, cette crise produira six effets :


-L’hyper mondialisation est remise en cause
-Toute la gouvernance mondiale (ONU, OMS,
Conseil de sécurité…) est à repenser, car elle
n’a pas fonctionné.
-Le monde a pris conscience des dimensions
sociales et écologiques de tout modèle de
développement.
-Les scientifiques ont repris la place qui leur
sied dans la société.
-L’Etat protecteur a été réhabilité, car on a tous
compris que le marché est incapable seul de
faire face à cette crise.
-Une accélération du digital et du capitalisme
numérique. Certains secteurs ne survivront
pas… »
Les grands groupes marocains doivent se
diversifier dans l’industrie de la vie
Interpellé sur les mouvements de relocalisation qui
auront peut être lieu au sortir de la crise, Michael
Zaoui, pense que cela ne se fera pas de manière
automatique. Puisque la réponse sera différenciée
selon les Etats, les régions…

« Le monde est certes confronté à un sujet


commun mais les réponses sont régionales et
nationales. Si on remonte aux vieilles théories
économiques, les avantages comparatifs des Etats
continueront de compter et finiront par prévaloir.
Ce n’est pas ma croyance profonde en le marché
qui me fait dire ca.

Chaque région doit donc travailler au mieux de ses


capacités car il va y avoir certainement une
redistribution des cartes. Le Maroc a une
opportunité extraordinaire. Il doit en profiter en
capitalisant sur ses atouts.

Rome brûle, il faut mobiliser toutes les ressources


possibles, internes et externes, pour optimiser la
position du Maroc. On n’est plus dans les cycles
longs dont on l’habitude en économie. Et on n’a
pas le luxe d’attendre que les incertitudes soient
levées pour décider. Ce sera trop tard. On est
dans un monde complexe et plein d’incertitudes. Il
faut décider vite et agir.

Les IDE vont chuter. Il faut aussi mobiliser les


ressources internes du pays : l’épargne interne et
le tissu industriel qui existe. Il est certes insuffisant
mais ses bases sont bonnes.

Il faut encourager les grandes entreprises à se


diversifier. Et déterminer vite les secteurs clés
dans lesquels il faut s’orienter. Il y a un consensus
autour des secteurs de la vie : santé, alimentation,
sécurité, information, éducation… C’est la direction
que le monde va prendre.
Pour le Maroc, ce n’est pas le moment de
l’austérité
Pour relancer son économie et profiter des
opportunités qui se présentent, le Maroc doit
mobiliser tous les moyens en sa disposition.
Ca n’est pas le moment de faire de l’austérité. Ni
de l’orthodoxie budgétaire. Personne d’autre ne le
fait. Ensuite, comment expliquer à sa population
qu’on doit serrer la ceinture quand aux Etats Unis
ou en Europe on explose tous les plafonds.
L’austérité serait inadmissible.

Aux Etats Unis, après la reprise produite par le


New deal, le gouvernement a décidé en 1936
arrêter le stimulus économique. Les USA sont
entrés ensuite dans une sévère récession. Même
chose après la crise de 2008, quand les
gouvernements européens ont décidé de revenir
trop tôt à l’austérité. Espérons cette fois-ci que nos
gouvernants ne feront pas la même erreur.

Il faut donc sortir de l’orthodoxie budgétaire. Le


Maroc a un avantage : sa crédibilité à
l’international lui permet de mobiliser des
ressources à l’étranger. Le Maroc fait partie des
deux seuls pays africains qui ont l’Investment
Grade.

Les ressources ne doivent surtout pas venir de


l’impôt. On n’augmente pas les impôts en situation
de récession. Ce serait suicidaire.

Les taux de la dette n’ont jamais été aussi bas. Il


faut donc emprunter.
Dans ma vision très peu orthodoxe de
l’endettement de l’Etat, la seule chose qui compte,
c’est la charge à payer et l’amortissement de la
dette.

Il se trouve qu’on peut aujourd’hui emprunter à des


taux très bas et à des durées très longues. On
parle aujourd’hui dans les marchés de maturités de
50 voire de 100 ans.

Tant que les charges d’intérêt restent basses et


que le calendrier de paiement est lointain,
l’endettement reste soutenable. »

Vous aimerez peut-être aussi