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Mattelart Armand, Piemme Jean-Marie. Vingt-trois repères pour un débat politique sur la communication. In:
Communication Information, volume 4 n°3, été 1982. pp. 196-206 ;
doi : https://doi.org/10.3406/comin.1982.1204
https://www.persee.fr/doc/comin_0382-7798_1982_num_4_3_1204
Jean-Marie
Armand Mattelart
Piemme
Dans les pays capitalistes avancés, l'information comprise au sens défini plus
haut est devenue un moteur économique puissant. Elle participe de plus en
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l'industrie
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Personne ne pourrait nier qu'il existe une industrie de l'information. Mais les
Américains parlent aussi d'une « société de l'information ». Dans le glisse¬
ment d'une notion à l'autre s'infiltre une nouvelle mythologie qui remet au
goût du jour les étiquettes anciennes de société de masse, société des loisirs,
société de consommation, dont on sait qu'elles avaient pour principal effet de
masquer le réel plutôt que de l'expliquer. Les « concepts » incriminés ont en
effet le défaut grave de ne pas permettre de repérer comment se constitue dans
la rupture et dans la continuité une nouvelle phase du capitalisme avancé. L'idée
d'une « société de l'information » (on dit parfois société de communication)
ne permet pas de saisir la fonction politique qu'est appelé à jouer le dévelop¬
pement des nouvelles technologies de communication dans la restauration des
appareils politiques et culturels du système capitaliste mondial. Elle ne permet
pas notamment de comprendre le rôle que jouent les nouvelles technologies
dans la production d'un consensus et l'apparition de nouveaux mécanismes
de contrôle social. On ne saurait donc réduire l'impact de ce formidable déve¬
loppement de l'industrie de l'information à un rapport entre des industriels,
des marchandises et des consommateurs. Plus profondément, il affecte le rap¬
port de l'État au citoyen : l'introduction de la loi de la valeur dans les domai¬
nes les plus divers achève le processus atomisant de mercantilisation de la société
civile.
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ouvrière. Par voie de conséquence, ils interrogent aussi les formes contempo¬
raines de résistance au processus de développement capitaliste et forcent le
mouvement ouvrier à un effort d'imagination sociale.
Pour l'essentiel, l'appareil belge de production industrielle est centré sur des
branches en crise. La Belgique paie aujourd'hui les conséquences d'une poli-
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Mis à part certains milieux restreints qui en ont fait leur principale préoccupa¬
tion, les problématiques amenées par l'industrie de l'information et ses nou¬
veaux développements sont loin d'avoir fait l'objet d'un débat public et loin
d'imposer leur urgence aux divers secteurs socio-politiques de prise de déci¬
sion en Belgique. Trop de projets d'implantation de nouvelles technologies
de communication se font dans un pragmatisme où sont mal évaluées les con¬
séquences culturelles et sociales de ceux-ci. Le cas du câble, qui s'est déve¬
loppé dans l'absence totale de réflexion théorique et a placé les autorités devant
une situation de fait accompli, risque grandement de se répéter avec l'avalan¬
che des nouvelles technologies. Même les expériences nouvelles porteuses d'al¬
ternatives, originales par rapport à celles qui se déroulent sur le continent euro¬
péen, ne donnent pas lieu à un véritable processus d'accumulation théorique,
faute d'être suffisamment analysées selon des concepts adéquats. Or, sans un
détour par une réflexion théorique, il n'y a guère de possibilité de dégager les
tendances à long terme dont les expériences sont porteuses. Sans ce « détour »
théorique, nécessairement ingrat, il n'est pas davantage possible de faire le
tri entre les effets épidermiques et ceux qui portent en eux les germes d'un
autre modèle de communication. A traiter la communication comme un ensem¬
ble de problèmes qui n'exigent que des solutions pratiques immédiates, bref
en s'en tenant à un discours pratico-empirique, on contribue à reproduire l'idéo¬
logie spontanée des groupes de terrain qui pensent leur action sans tenir compte
de la structure générale du champ où elle opère. Ainsi se perpétue la division
hautement nocive entre ceux qui pensent que seules les nouvelles formes de
communication appuyées sur les nouvelles technologies constituent réellement
l'alternative et ceux qui continuent à l'attendre comme effet des seules contra¬
dictions des grands appareils.
Une des principales difficultés pour penser les alternatives aujourd'hui est que
l'effort de transformation se heurte souvent aux chasses gardées des compé¬
tences administratives. On peut souvent trouver des exemples frappants au sein
même des ministères qui constituent un gouvernement : l'éducation nationale
admet mal que ses collègues de la culture puissent intervenir dans son fief et
un ministère des Affaires économiques ou des télécommunications n'accepte
pas que les culturels et les communicologues se mêlent de son secteur. Or,
un des effets indéniables du développement des nouvelles technologies est de
remanier ces compartimentations si bien qu'aujourd'hui aucune politique glo¬
bale de la communication n'est pensable si elle ne procède pas d'un décloi¬
sonnement des divers départements de l'État. Comment concevoir une politi-
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NOTES DE RECHERCHES
d'une hégémonie populaire. C'est à ce titre que les revendications pour le retour
au « local », la renaissance de la « culture populaire », la célébration de la
« proximité » ne peuvent automatiquement passer pour des combats progres¬
sistes. Les contenus et les formes de ces revendications sont des lieux d'af¬
frontements à la fois pratiques et théoriques. L'élaboration d'une politique des
nouvelles technologies ne saurait être dissociée de l'apprentissage aux rapports
démocratiques dans la vie quotidienne. Elle ne peut être dissociée du vaste
débat qui s'engage à peine aujourd'hui sur le fonctionnement politique de la
société civile.
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