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Introduction
Une potière de Thiat mise en scène pour les besoins de la photographie au début du XXe siècle
(carte postale ancienne).
En Limousin, une vieille femme de Thiat (Haute-Vienne) est ainsi passée à la
postérité ; en Béarn, en revanche, ses homologues de Garos et Bouillon
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(Pyrénées-Atlantiques), n’ont pas eu cet heur. Héritières d’un artisanat pratiqué
en ces lieux depuis le Moyen Âge, ces dernières ont progressivement et inexora-
blement cessé leur activité et celle-ci a définitivement pris fin avec la cuisson
d’une dernière fournée, en 1931, sans que nul ne songe à en fixer l’image. Sans
le savoir, les photographes locaux ont laissé passer une véritable occasion de saisir
une situation, pour le coup extrêmement pittoresque, car franchement originale
dans le paysage d’un artisanat potier, quasi exclusivement pratiqué par des
hommes – du moins pour l’étape cruciale (et la plus emblématique) de la chaîne
opératoire qu’était le façonnage. S’ajoutait à cela l’usage d’un outillage d’une
grande simplicité dans lequel la tournette, un petit tour à main, occupait une
place essentielle et unique, alors que cet instrument avait été remplacé ailleurs
depuis belle lurette – c’est-à-dire, bien souvent, dès le XIIIe siècle. Dans la plupart
des centres potiers de France, et plus généralement d’Europe occidentale, le tour
rapide, actionné à l’aide d’un bâton ou du pied, avait en effet été adopté dès la
fin du Moyen Âge…
Les caractéristiques de l’artisanat potier à Garos et Bouillon qui n’ont pas été
fixées par l’image sont désormais du ressort de l’histoire et de l’archéologie. Reste
donc à interroger la mémoire de celles et ceux qui ont vu façonner et cuire les
dernières poteries ; à dépouiller la masse de documents écrits d’où sont suscepti-
bles d’émerger des noms, des structures artisanales ou des pratiques ; à fouiller
des fours, à analyser et classifier des poteries pour tenter, entre autres, de cerner
la chronologie d’un artisanat qu’une brève étude publiée en 1990, due à Jacques
et Pierrette Cadayé, documente à partir de la fin du XVIIIe siècle.
Les premières données disponibles, et singulièrement celles qui concernent le
mode de façonnage, tendent à accréditer l’idée d’une origine ancienne de l’arti-
sanat potier. Cette hypothèse conduit à envisager l’histoire de ce centre potier
sur un temps long – remontant potentiellement au Moyen Âge – en interrogeant
différentes approches. La mémoire orale, les archives ou les données archéolo-
giques sont, prises séparément, incomplètes et n’éclairent que tel ou tel pan, telle
ou telle période de l’histoire potière de Garos et Bouillon. L’adoption d’une
démarche régressive (c’est-à-dire qui part du plus récent pour aller vers le plus
ancien, du mieux connu vers le plus ignoré) couplée à l’interrogation de sources
différentes (la mémoire orale, les archives de l’écrit et du sol) est la seule approche
qui permet de pallier, au mieux, les lacunes documentaires. Elle rend par ailleurs
possible l’étude du centre potier considéré sous l’angle d’une société artisanale,
c’est-à-dire schématiquement, en s’intéressant, au-delà des techniques et des
produits, aux femmes et aux hommes.
Définir cette société pour tenter de la comprendre m’a conduite à ne pas
aborder ce sujet de façon systématiquement linéaire. Je ne me suis pas en effet
employée à décrire pas à pas ce centre potier selon l’évidente logique, fréquem-
ment mise en œuvre, qui voudrait par exemple s’attacher aux hommes avant
d’examiner l’une après l’autre les différentes étapes de la fabrication et présenter
enfin les productions et leur commercialisation. C’est en privilégiant au contraire
une démarche plus analytique qu’il me semble possible d’approcher au mieux la
société potière de Garos et Bouillon. Ainsi sera considéré, dans un premier temps,
l’ensemble des éléments qui témoignent du caractère archaïque de celle-ci avant
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que soit ensuite prise en compte la dimension spécialisée acquise par cet artisanat.
Ces deux traits, qui constituent les caractéristiques fondamentales de ce centre
potier béarnais, appellent nécessairement une explication tant ils paraissent para-
doxaux, explication qui sera envisagée en dernier lieu.
La méthode suivie, rapidement exposée ci-dessus, apparaît comme l’unique
voie possible pour éclairer, à l’aide d’informations modernes ou contemporaines,
un passé médiéval dont la quête est sous-tendue par la spécialité de l’étude réalisée
dans le cadre d’un doctorat d’histoire du Moyen Âge. Gardons cependant à l’es-
prit qu’elle conduit à une simplification du tableau finalement brossé ; pour les
besoins de la démonstration visant à éclairer la période médiévale, elle gomme
en effet les nuances qui ont nécessairement caractérisé telle ou telle époque plus
récente de l’histoire du centre potier, pouvant donner la fausse impression d’une
société artisanale figée sur plusieurs siècles. Un exemple suffit à illustrer ce point :
les fours de potier en usage à Garos et Bouillon présentent des caractéristiques
communes au fil du temps, et c’est ce qui a été mis en exergue dans la partie qui
leur est consacrée ; mais il est également patent qu’un four du XIIIe siècle, un
autre du XVIIe siècle et un enfin du XIXe siècle présentent des différences dans
leur conception et leur morphologie. De semblables constats valent certainement
pour maints aspects (techniques, sociaux), ce qui laisse le champ ouvert à la pour-
suite des recherches.
***
L’approche monographique du centre potier éclaire un pan de la société béar-
naise, considérée au prisme d’une part importante de la population des deux
paroisses qu’étaient Garos et Bouillon. Elle documente un artisanat, ses pratiques
et son organisation socio-économique, angle d’approche ignoré de l’historiogra-
phie régionale qui a privilégié jusqu’ici les communautés villageoises, paysannes
ou montagnardes. Elle permet également l’élaboration d’une première typo-chro-
nologie conçue de façon à pouvoir être enrichie au fil des progrès de la recherche.
Le catalogue présenté dans la deuxième partie de cet ouvrage, adopte en effet un
principe de classement ouvert. Si, pour des raisons éditoriales, il limite au strict
minimum la description textuelle de l’objet considéré, il adjoint en revanche,
dans la mesure du possible, une photographie au dessin technique.
Au-delà de ces aspects intéressant un espace géographique restreint, la recherche
consacrée à l’artisanat potier de Garos et Bouillon, met en lumière un mode de
fonctionnement particulier dont les principales caractéristiques se retrouvent
ailleurs, dans d’autres centres potiers. Or, ces derniers font exception dans le
paysage de l’artisanat de la terre cuite, qu’il s’agisse de leurs pratiques (générale-
ment qualifiées d’archaïques) ou de leur organisation socio-économique (dans
laquelle les femmes tenaient souvent une place centrale). En proposant de
dépasser le seul constat d’archaïsme le plus souvent mis en exergue et en en expli-
quant la raison d’être, l’étude du centre potier de Garos et Bouillon ouvre, me
semble-t-il, des perspectives bien au-delà de ce petit coin de Béarn.
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Table des matières
Avant-propos ........................................................................................................................................................................................................................ 11
Introduction .......................................................................................................................................................................................................................... 13
– 315 –
LES CARACTÈRES ARCHAÏQUES D’UN ARTISANAT… ............................................................................................................ 55
Une activité hors de tout cadre spécialisé ........................................................................................................................... 55
Le four, élément clef de l’officine ............................................................................................................................................ 56
Encart : Des prospections pédestres pour reconnaître les vestiges de l’activité potière ....... 58
Le four à proximité de la maison.............................................................................................................................................. 60
Quand officine et maison se confondent..................................................................................................................... 63
L’absence d’espace spécialisé ........................................................................................................................................................... 65
Une activité familiale dominée par les femmes.......................................................................................................... 69
Chef de famille, ascendants, collatéraux… ................................................................................................................ 69
Pour appréhender la cellule potière................................................................................................................................ 69
Un instantané en 1851 ...................................................................................................................................................................... 73
Une longue tradition d’activité familiale ............................................................................................................... 76
Potières et potiers ............................................................................................................................................................................................. 79
Répartition des tâches......................................................................................................................................................................... 79
Pas d’officine sans femme ............................................................................................................................................................ 83
Quand les potiers sont des femmes ............................................................................................................................... 86
Une activité complémentaire au revenu principal de la maison ....................................................... 91
Le mari de la potière, paysan, charpentier ou cabaretier ........................................................................ 91
La coexistence d’activités différentes au sein d’une maison-officine.................................... 93
Agriculture et poterie dans la maison Cabana ............................................................................................... 93
Commerce et poterie dans la maison Labartasse........................................................................................ 94
La poterie, une activité complémentaire ....................................................................................................................... 97
Activité principale et activité secondaire ................................................................................................................ 97
Les potiers, des villageois comme les autres ...................................................................................................... 100
Un idéal, devenir paysan à part entière .................................................................................................................... 106
Des outils rudimentaires............................................................................................................................................................................... 107
La tournette .............................................................................................................................................................................................................. 108
Un four à chambre unique ................................................................................................................................................................ 111
Encart : Des opérations archéologiques pour étudier les fours de potier.......................................... 112
… AUX DIMENSIONS D’UNE PRODUCTION SPÉCIALISÉE .............................................................................................. 119
Une concentration de personnes occupées à une même activité..................................................... 119
De nombreuses officines ....................................................................................................................................................................... 119
Pour une évaluation numérique .......................................................................................................................................... 119
Un centre potier d’importance ............................................................................................................................................. 123
Évolution du nombre d’officines ...................................................................................................................................... 125
Le poids de la communauté potière..................................................................................................................................... 126
Toupiès de Garos et Bouillon ..................................................................................................................................................... 126
Un groupe dont il faut tenir compte............................................................................................................................ 127
Des productions de qualité ...................................................................................................................................................................... 132
Un type de grès… ........................................................................................................................................................................................... 132
… aux avantages reconnus ................................................................................................................................................................. 134
Des productions destinées à un marché ................................................................................................................................ 138
La réponse aux attentes des utilisateurs ........................................................................................................................... 138
La diffusion des productions .......................................................................................................................................................... 141
Les modes de commercialisation ....................................................................................................................................... 141
Une diffusion régionale et extra-régionale ........................................................................................................... 143
La place prépondérante des toupis ........................................................................................................................................... 148
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LES RAISONS D’UN PARADOXE ......................................................................................................................................................................... 153
Des techniques adaptées à une production ...................................................................................................................... 153
L’alchimie de la pâte..................................................................................................................................................................................... 157
L’art du façonnage........................................................................................................................................................................................... 159
La conduite du feu ......................................................................................................................................................................................... 160
Un état de plénitude technique .................................................................................................................................................. 163
L’équilibre d’un artisanat spécialisé non professionnel ................................................................................... 164
***
* *
Actes, concernant l’activité potière ou les potiers,
relevés lors du dépouillement des registres des notaires du Soubestre
conservés aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques ................................................... 289
Sources et bibliographie....................................................................................................................................................................................... 295
Index des centres potiers, régions ou lieux de production potière cités ........................................ 311
Crédits photographiques .................................................................................................................................................................................... 313
– 317 –