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avant-propos

Jean-Pierre SaInton,
coordonnateur.

L’histoire écrite des antilles françaises souffre d’un curieux paradoxe.


alors que la recherche historique n’a cessé ces dernières années de
progresser et de produire sur les sujets les plus divers, articles, thèses et
ouvrages de qualité ; alors que l’intérêt pour le passé des Antilles n’a eu
cesse de grandir, ce dont témoigne l’éclosion des manifestations commé-
moratives et la multiplication des travaux de vulgarisation historique, il
subsiste l’idée qu’il n’y aurait pas grand chose d’écrit sur cette histoire.
Idée fausse – dont nous avons pu complètement nous persuader lors de la
constitution de la bibliographie qui a servi de base au présent ouvrage –,
mais idée bien répandue, que ne parvient pas à faire mentir la publication,
à un rythme quasi hebdomadaire, de travaux à caractère historique tou-
chant aux antilles.
Cela témoigne au fond d’une certaine vitalité des historiens, mais
comme toute idée convenue, elle reflète en tous les cas un état donné du
rapport des Antillais avec le savoir fixé dans les livres. Si bien qu’on peut
douter que l’intérêt pour l’histoire se soit traduit vraiment par l’appropria-
tion sociale de la connaissance historique.
L’école, telle qu’elle fonctionna durant des générations dans sa facture
traditionnelle aux antilles, porte ici une responsabilité majeure. Ce serait
ouvrir un autre débat que de s’y appesantir. Mais il en a résulté, entre
autres effets, la marginalisation de l’histoire antillaise dans la formation
intellectuelle des régionaux francophones en particulier. Le découplage
des contenus scolaires des cycles primaire et secondaire – ceux qui for-
ment réellement le citoyen – restés strictement dans l’optique des pro-
grammes nationaux, avec ceux du supérieur, a fait que les savoirs scientifi-
ques lentement accumulés sur les antilles n’ont pas irrigué la connaissance
commune. Cette désarticulation des savoirs est une des caractéristiques du
système éducatif franco-antillais. Cela se traduit par exemple par l’insuffi-
sance des grandes synthèses dont l’objet est de fournir de solides connais-
sances générales au plus grand nombre, en même temps que des bases de
départ pour le travail des chercheurs. ainsi, les manuels conçus pour l’en-
seignement supérieur et les maîtres ont eu beaucoup de mal à se rendre
nécessaires et manquent encore cruellement – chacun le constate –, dans
les bibliographies d’histoire antillaise.
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12 HISToIRe eT CIvILISaTIoN De La CaRaïBe

Pour emprunter à une de nos collègues une métaphore qui s’applique


parfaitement à la situation, l’enseignant d’histoire antillaise se retrouve
encore, au seuil du xxIe siècle, dans la situation du maçon à qui l’on enjoint
de « monter les murs en coulant les fondations »1.

Fournir un matériau de référence


et de premières synthèses

C’est au manque et au besoin que nous avons voulu répondre. Le


travail que nous initions dans ce premier volume consacré à l’histoire et la
civilisation de la Caraïbe a en effet été entièrement voulu et pensé pour
l’enseignement.
Cependant, plutôt qu’un manuel du secondaire, un livre du maître
« prêt à enseigner » qui le dispenserait aussi bien de l’approfondissement
des savoirs que de leur confection pédagogique – un tel choix eût été pos-
sible, il n’a pas été le nôtre – nous avons préféré assurer l’architecture et
travailler aux fondations. C’est pour cela que nous avons choisi de nous
adresser d’abord à ceux qui professionnellement ou non, sont en charge
de l’enseignement et de l’éducation : enseignants, futurs enseignants,
étudiants du 1er et du 2nd cycle du supérieur, éducateurs ; c’est à eux qu’in-
combe d’instruire la société sur son histoire. Le public motivé, d’une
façon plus générale, pourra y trouver la synthèse qu’il recherche. Nous
avons aussi pensé, au-delà des premiers concernés, au large public, univer-
sitaire ou non, à tous ceux, qui en dehors des antilles, s’intéressent à la
construction de ces sociétés et souhaitaient un ouvrage qui, ne cédant pas
à l’exotisme, leur fournisse quelques clés de compréhension de l’histoire
des sociétés antillaises.
Tous ceux qui s’y sont essayés savent la difficulté que représente
l’exercice conjugué de la référence scientifique et de la synthèse. à trop
globaliser et synthétiser, on court inévitablement le risque de la schémati-
sation, voire de la simplification outrancière. En voulant préciser les
savoirs dans leur scientificité, on s’écarte forcément du didactisme et de
l’appréhension d’ensemble. aussi, l’édition oppose-t-elle classiquement
ces deux types d’ouvrages.
Bien que le sachant, nous n’avons pas souhaité nous circonscrire dans
cette opposition académique qui fonde ces deux directions de la produc-
tion historiographique et proposons cet ouvrage, peut-être atypique, mais
dont nous avons le sentiment que la facture et l’angle d’approche choisis
répondent précisément à un essentiel et impérieux besoin.

1. In L. abenon, D. Bégot, J.-P. Sainton (dir.), Construire l’histoire antillaise. CTHS,


2002. p. 23.
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avaNT-PRoPoS 13

Proposer une architecture d’ensemble

La première fonction du présent travail est donc de proposer à ses utili-


sateurs une architecture d’ensemble de l’histoire antillaise. Nous enten-
dons par là une proposition d’intelligibilité, de lecture du cours historique,
une vision complète sur la durée longue qui parte des genèses sociales
pour parvenir aux temps présents.
Pour autant, nous n’avons surtout pas eu la prétention d’écrire (ou de
réécrire) une histoire générale des antilles. Il s’agit bien d’une histoire
sociale, étudiée ici sous l’angle des structures et des dynamiques. La
qualification d’histoire sociale est évidemment commode, mais a le mérite
d’identifier le projet sans ambiguïté, dans son champ comme dans ses
limites, en déterminant d’emblée l’objet dont nous souhaitons contribuer
à l’intelligibilité : celui de la construction historique des sociétés antil-
laises.
Cette problématique posée, rapportée au cours du temps à l’échelle de
l’arc antillais, nous a permis de proposer une périodisation en trois « temps
sociaux de construction » dont les bornes et le découpage chronologique
diffèrent quelque peu des périodisations habituelles :
– un temps des genèses étendu des lointaines origines à la phase de
structuration des sociétés coloniales modernes (fin du xvIIe siècle) ;
– un temps des matrices couvrant cette période structurelle de la société
d’habitation « classique » qui recouvre le long xvIIIe siècle (de la fin du
xvIIe à la veille des grandes mutations économiques et socio-politiques
de la fin du xvIIIe siècle) ;
– un temps des mutations contemporaines qui s’étire des boule-
versements initiés de la fin du xvIIIe siècle aux fulgurances de la fin du
xxe siècle.
Nous aurions souhaité contenir toute cette matière historique dans un
livre unique, ce qui eût mieux servi l’idée pédagogique que nous poursui-
vons. Il s’est vite avéré, en raison de l’exigence de précisions que nous
nous imposions, que la matière rassemblée ne pouvait faire l’objet d’un
seul volume. Le présent livre n’est donc que le premier d’une suite de
trois ; chacun consacré à un temps de l’histoire sociale antillaise : au tome
présentant le temps des genèses, succéderont donc deux autres, consacrés
respectivement au temps des matrices et au temps des mutations contem-
poraines. Leur rédaction est entamée, ils devraient suivre sous peu.

Un prisme auto-centré

Poser le temps de l’histoire, c’est aussi en poser les lieux, l’espace où


s’est joué le passé d’une communauté d’hommes.
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14 HISToIRe eT CIvILISaTIoN De La CaRaïBe

Quel est donc cet espace historique nôtre ? est-il « la Guadeloupe »


pour les Guadeloupéens, « la Martinique » pour les Martiniquais d’aujour-
d’hui ? Serait-il soluble dans une ultra-périphicité « domienne » ou dans
un vaste concept américano-caraïbe ?... on ne saurait certes vouloir le
circonscrire à l’unité de l’île, sous peine de souffrir d’une amputation qui
ne restituerait pas (ou très mal) l’intelligibilité de la partie comme du tout.
Le ciel qui regardait du haut l’histoire passer sur l’archipel ne s’est jamais
réduit au kwi (demi-calebasse) du ciel de chaque île. Bien au contraire, les
antilles ont été de tout temps, constitutivement, les plus ouverts des
espaces. Le recentrage du regard ne signifie donc pas, pour nous, repli,
isolement et séparation, bien au contraire : il rétablit l’île en son unité
constitutive et substantielle, et aussi dans ses liaisons multiples, proches
et lointaines, ponctuelles et continues, naturelles et artificielles, avec son
entour et avec le monde, pour tout dire il la place dans le mouvement
même de l’histoire.
Où devrait s’arrêter alors le cadrage, la perspective du regard ? L’es-
pace global des Petites antilles, l’eastern Caribbean des anglophones,
s’est vite imposé, au fur et à mesure de nos réflexions, comme le véritable
« terroir historique » des sociétés guadeloupéennes et martiniquaises, l’ar-
rière-pays le plus identifiable, où, des origines jusqu’à la période contem-
poraine, elles n’ont cessé d’entretenir d’île à île voisine des liens multiples
et forts, que ne contredit pas, par ailleurs, la reconnaissance de solides
originalités et des divergences singulières que l’histoire a forgées depuis
le xvIIe siècle et amplifiées à partir du xIxe siècle. Cette qualification n’est
nullement un arbitraire idéologique ou une concession à l’affect : elle est,
comme nous le verrons, corroborée par l’analyse historique. Le choix
retenu de la focalisation insulaire nous a cependant conduit à limiter les
développements que l’on pouvait attendre sur la Guyane ou sur les
Grandes antilles. en dépit des liens multiples qui relient l’histoire de ces
sous-ensembles de la grande Caraïbe à celle du sous-ensemble des Petites
antilles – à certains moments plus qu’à d’autres –, elle ne participe pas du
même terroir continu que nous avons reconnu comme le cadre pertinent
de notre construction historique.
Poser le cadre des lieux de l’histoire, c’est aussi poser la façon d’en
parler, de la dire, et le disant de la faire exister pour soi et au monde. Le
récit du passé, faut-il le rappeler est consubstantiel de la sélection des faits
et de la construction historique. Il est toujours quelque part ancré, et
s’énonce à partir d’un lieu. Il est aussi une adresse. Nous ne souhaitons
pas, nous drapant dans le manteau d’un savoir savant qui s’estampillerait
du sceau de la science, nous inscrire dans une vision ultra-périphérique de
nous-mêmes où nous contraindrait l’exogénéité d’un regard réputé scien-
tifique. Trop d’ouvrages récents, de facture fort élaborée pourtant, euro-
centriques par conviction, par ignorance, par mépris ou mus par la facilité
que génère la routine des préjugés, sont pétris de concepts, de visions nés
d’un rapport qui les amène à tenir pour vrai un discours décentré, déformé,
faux, où par exemple la donne géographique de l’insularité ou du climat
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avaNT-PRoPoS 15

tropical se transforme par définition en « handicaps structurants », le trafic


triangulaire devient « un simple commerce », l’esclavage « un épisode
malheureux », la déportation négrière un transport presque comme les
autres où, « ... en dépit d’une condition très rude, il valait mieux être captif
sur un négrier que prisonnier sur un ponton anglais pendant la guerre de
Sept ans »2 etc., etc.
« Désastre ! Parlez-moi du désastre... Parlez-m’en... » disait Léon
Gontran Damas... un certain corps conceptuel, une terminologie consa-
crée a ainsi fixé et perpétué dans les savoirs scolaires la minorisation
d’une partie de l’expérience et du vécu de millions d’hommes. Ces inadé-
quations scientifiques ont des conséquences dramatiques quand le vécu
dont il s’agit est celui des apprenants et de leurs ascendants. La critique
épistémologique doit sur ces points oser une déconstruction des objets
historiques et une redéfinition des concepts, des périodisations, des appro-
ches et du dire.
Ce livre n’est cependant avant toute chose qu’un travail de synthèse
des connaissances acquises. Nous n’avons rien inventé ni trouvé ; nous
avons tenté une intelligibilité, une mise en scène et un récit de l’histoire,
en ayant le souci de respecter au plus près, la chronologie, la précision et
l’exactitude des faits, la relation d’un passé global non discriminé en
aucune façon. Si ce travail peut paraître novateur c’est surtout en ce qu’il
existe pour les antilles dans cette conception, non pas tant par ce qu’il
aurait découvert.
Nous avons pour ce faire sollicité largement tous les travaux histori-
ques existants, traditionnels et récents en faisant, à chaque stade de la
conception et de l’écriture, l’état de la question en cours. Nous sommes
donc largement débiteurs envers nos prédécesseurs. Nous avons puisé
aussi bien dans les ouvrages les plus classiques que dans les thèses les
plus récentes (françaises et étrangères) en nous efforçant autant qu’il nous
était possible de coller aux avancées de la recherche, en nous effaçant
quand c’était nécessaire, lorsque nous entrions dans les domaines pointus,
devant l’autorité des travaux des spécialistes. Il a été cependant souvent
indispensable de remonter aux sources de première main, et, sur certains
points où nous conduisaient nos développements, pour lesquels il n’exis-
tait pas de travaux connus (ou disponibles), il nous a fallu opérer nous-
même de façon complémentaire des investigations d’archives. Certaines
des informations présentées sont donc inédites.
La sélection bibliographique que nous proposons en fin de volume
n’est toutefois pas exhaustive des travaux utilisés. elle s’est voulue essen-
tiellement pratique et fonctionnelle : nous souhaitions indiquer au lecteur,
et en particulier à ceux qui seraient amenés à utiliser l’ouvrage aux fins
d’enseignement, les travaux les plus courants et d’accès le plus aisé, leur
signaler quelques références incontournables sur les questions soulevées.

2. In P. villiers, Ph. Jacquin, P Ragon, Les Européens et la mer : de la découverte à la


colonisation (1455-1860) Capes/agrégation. ellipses, 1997, p. 93.
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16 HISToIRe eT CIvILISaTIoN De La CaRaïBe

Les chercheurs trouveront des références bibliographiques plus complètes


ou d’archives dans les notes situées en bas de pages.
Un travail de ce type ne pouvait être que celui d’une équipe, qui soit
consciente des enjeux, soucieuse de la qualité de l’œuvre à accomplir,
patiemment impliquée dans l’éducation historique. L’équipe réunie, com-
posée de Guadeloupéens, de Martiniquais, de Guyanais, soudée autour de
la conception de l’ouvrage et convaincue de l’importance de la tâche, a
beaucoup donné de son temps et de sa peine durant plusieurs années.
Constituée d’universitaires, d’enseignants du second degré impliqués dans
la recherche, à laquelle ont accepté de contribuer des professionnels
spécialisés, elle a cherché à conjuguer les acquis de la recherche, l’expé-
rience de l’enseignement et la connaissance intime, culturelle et affective,
du terrain et des gens de chacune des sociétés étudiées. elle y a mis son
cœur et son amour pédagogique.
Car, quant au fond, prendre la peine d’écrire l’histoire des hommes ne
fait sens que lorsque les autres la lisent, y trouvent plaisir et intérêt.

J.-P. S
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introduction au présent volume

L’équipe de rédaction

Le volume premier de Histoire et Civilisation de la Caraïbe a pour


sous-titre Le temps des genèses : des origines à 1685. Cette parution
couronne trois années de travail opiniâtre et de discussions, parfois âpres,
mais toujours amicales. Il fallait bien cela pour harmoniser nos concep-
tions et méthodes de travail.
Le résultat de ces efforts, nous le soumettons à la sagacité du lecteur.
Sans doute certains de nos choix surprendront-ils ? Le découpage chrono-
logique et certaines conclusions susciteront des débats, nous n’en atten-
dons pas moins.
Si nous convenons bien du rôle des découvertes de 1492 et des années
suivante nous ne pouvons oblitérer le passé des peuples amérindiens, des
Kallinagos comme des arawaks. Il est cependant nécessaire d’aller
au-delà de leur simple prise en compte pour restituer « le continuum histo-
rique » et rétablir la filiation entre eux et nous. Les avancées les plus
récentes de l’archéologie et de l’ethnographie permettent de progresser
dans cette voie.
L’historien des structures, plus qu’aucun autre, sait qu’il n’y a pas
d’année couperet. Mais comme il faut bien situer dans le temps les
inflexions majeures qui se produisent, nous avons retenu comme terme de
ce volume l’année 1685. La colonisation proprement dite a alors un demi-
siècle en cette année de publication du Code Noir, alors que les sociétés et
les économies des Petites antilles françaises entrent dans une nouvelle
phase de développement économique et social caractérisée par la crois-
sance de l’économie sucrière et de la traite négrière.
L’ampleur des développements consacrés à l’europe et à l’afrique
pourra également surprendre. Ils nous ont semblé des plus indispensables.
Là aussi il s’agit de mettre en évidence une continuité dont la préhension
est essentielle. L’histoire des Petites antilles est une partie de l’histoire du
monde, mais encore faut-il que les articulations majeures ne soient pas
escamotées. L’arrivée des européens n’est pas seulement due à la
hardiesse d’un marin, elle s’inscrit dans une suite de progrès en cours dans
la conquête de la vastitude océane. La canne et donc le sucre, tout comme
l’esclavage, sont à replacer dans le contexte mondial de l’évolution sou-
vent tâtonnante des sociétés.
Notre projet global d’une histoire autocentrée se devait non seulement
de regarder le monde et son évolution à partir de notre territoire, mais
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18 HISToIRe eT CIvILISaTIoN De La CaRaïBe

encore devait nous situer dans le cours de l’histoire mondiale, articuler


notre histoire particulière à celle de l’humanité.
La division en deux grandes parties et huit chapitres répond à cette
exigence. en établissant une première partie intitulée : « Hommes, espaces,
durée » nous avons voulu, sans céder à un quelconque déterminisme
géographique, décrire et analyser l’espace des autochtones avant l’arrivée
des européens, et montrer comment le fait colonial s’est construit. Cette
construction d’une durée d’un siècle – xve/xvIe siècle – constitue le premier
âge colonial.
à partir du milieu du xvIe siècle, un nouveau temps s’amorce, celui de
l’élaboration d’un autre modèle de colonisation. Il a donné à la Guade-
loupe, comme à la Martinique, une structure économique et sociale
pérenne dont l’habitation est le fondement. C’est ce processus de l’élabo-
ration du « modèle de colonisation des Petites antilles » dont nous retra-
çons le cours, île par île, dans la seconde partie.
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the sea is History


(la mer est l’Histoire)

Où sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ?


Où est votre mémoire tribale ? Messieurs,
Dans ce gris coffre-fort. La mer.
La mer les a enfermés.
La mer est l’Histoire.

D’abord, il y eut le bouillonnant pétrole,


Son tohu-bohu ;
Puis, lumière au bout d’un tunnel,
Le fanal d’une caravelle,
Et ce fut la Genèse.

Puis il y eut les cris des parqués,


La merde, les gémissements :
L’Exode.

Os soudé à l’os par le corail,


Mosaïque
Couverte par la bénédiction de l’ombre du requin,
Ce fut l’Arche d’Alliance.

Puis surgirent des cordes pincées


Du soleil au fond de la mer
Les harpes plaintives de l’esclavage babylonien
Tandis que les blancs cauris s’incrustaient en chaînes
Aux poignets des femmes noyées

Et ce furent les bracelets d’ivoire


Du Cantique de Salomon

Mais l’océan tournait toujours des pages vides,


Attendant l’Histoire.
...

Derek Walcott1
Le Royaume du fruit-étoile

1. Poète de Sainte-Lucie, prix Nobel de littérature.


esquisses de bateaux par une main anonyme sur la pierre du mur
d’une salle basse du château Dubuc (xvIIIe siècle), Trinité, Martinique.
La mémoire ancienne de cette région associe le site
au souvenir de « Dubuc twa fwèt » (clich é : Y. Inimod).

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