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"Yves Bonnefoy
Dalhousie French Studies
Vol. 60, Yves Bonnefoy aujourd'hui (Fall 2002), pp. 2-7 (6 pages)
Published By: Dalhousie University"
L'imaginaire métaphysique
Yves Bonnefoy
Leur statut ontologique ? C'est là une notion à laquelle je dois m'arrêter, en ce point,
pour mieux me faire comprendre.
Par « ontologique », d'abord, j'entends ce qui a trait à l'être et non à la nature
d'une chose (ou d'un événement, ou d'une personne). La nature d'une pomme, disons,
c'est la somme de ses caractères physiques, ceux qui font que pour nous, qui les avons
en esprit, elle a sa figure bien à elle, sa quiddité, comme disait la vieille langue, elle
est une pomme et non une poire. Et son être, c'est là un fait aussi, mais qui ne se situe
pas au plan de ces caractères sensibles, c'est ce par quoi cette pomme existe, à portée
de ma main, alors qu'avec le même aspect, la même nature, elle pourrait n'être qu'une
représentation que se donne ma pensée, comme précisément lorsque j'imagine. Une
chose, un événement, quelqu'un, peuvent ainsi, sans que rien n'en soit affecté dans
l'idée queje peux m'en faire, être ou ne pas être : ce que montre bien la photographie,
qui en perpétue l'idée alors même que leur matérialité est détruite. - Toutefois, l'être
d'une chose, ou d'une personne, ce n'est pas seulement ce fait de leur existence
matérielle.
Car rien ne m'empêche, hélas, et même tout me suggère, de me demander si cette
pomme, cette pomme-ci que j'ai dans ma main, cette pomme en cela « réelle », n'est
pas une illusion tout de même. Certes, elle a une compacité que j'éprouve, ses aspects,
ses propriétés physiques, sa saveur forment un tout qui l'inscrit dans la trame même
des existences dont l'univers se compose, mais par en-dessous ces perceptions qui ne
sont en fait que celles de l'être parlant, créateur autant que témoin de son lieu terrestre,
n'y a-t-il pas simplement le jeu de forces de la matière totalement ignorantes de ce que
nous, dans notre monde à nous, nous appelons une chose : si bien qu'en profondeur
ce qui nous semble réel, même cela, n'est qu'une image sans être, une figure illusoire
dont le néant devrait bien nous faire comprendre que nous aussi, qui la prenons au
sérieux, nous ne sommes que « vaines formes de la matière ». Cette question sur
l'être de la chose, son être ultime, je puis la dire métaphysique. Elle se préoccupe de
Y esse, non de Yens, pour reprendre les mots de la scolastique. Et on peut m'objecter
qu'elle est vaine, un simple mirage de l'esprit, et qu'en bonne philosophie positive il
serait sensé de ne pas se la poser.
Mais rien ne peut empêcher qu'en nous il y ait désir, et parmi les désirs il en est
un qui se porte, précisément, vers cet absolu supposé sous l'apparaître sensible de la
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chose ou de la personne, u
voir dans les objets de so
abandonnant du même cou
que celle-ci s'enracine da
exemple, Dieu qui serait, d
de notre pensée, et délégue
grand feu... Par la grâce d
mon point de vue d'aujour
demande. Je veux simplem
« de l'être », par en-dess
rappeler aussi que ce désir
de la crainte qu'il soit en v
Voilà pour le statut on
maintenant je puis reveni
avaient lieu dans l'acte d'i
puis imaginer par authent
la ville de grande beauté
qu'anticiper une réalisatio
de mon existence ordinai
imaginant un objet plus s
à cette qualité près, serait
comme il existe, je semble
semble ne pas douter que
s'exprimer en moi, ou mê
de vue l'imagination est
découvrant des richesses.
Mais une transmutation ne s'en est pas moins produite, au cours de l'acte
imaginatif, dont peut aussi s'aviser et nourrir son rêve la personne qui imagine.
III
C'est ceci : l'objet que l'imagination constitue n'est qu'une image mentale, nou
le savons ; et avant que la réalisation du désir, si elle est possible, n'en fasse quelq
jour un objet « réel » dans notre existence effective, il est pour cette raison enco
plus illusoire que ces choses de notre vie dont nous craignons qu'elles ne soient
ontologiquement parlant, que des ombres. Et pourtant, d'un autre point de vue, on pe
dire que cet objet imaginé, simplement imaginé, a « de l'être », au sens
métaphysique que j'ai avancé tout à l'heure, alors que les composantes de notre monde
d'ici nous paraissent n'en avoir pas.
Pourquoi ? Parce que ce qui nous fait craindre le manque d'être dans les données
même les plus tangibles de notre réalité immédiate, c'est en particulier que nous n'y
ressentons aucun ordre, par en-dessous, qui les prendrait dans les réseaux d'un
intelligible transcendant à nos capacités de lecture. Les espèces dans la nature,
animaux, végétaux, métaux, sont assurément structurées par une grande forme de cette
sorte, les lois d'organisation qu'a découvertes la science, mais il n'en va pas de même
pour les êtres particuliers, ceux que l'on voit présents, pour des durées variables, à
l'horizon de notre propre présence en son instant et son lieu. Là, dans le monde des
existences, c'est le hasard qui règne, c'est dans sa nuit que vont disparaître,
s'anéantir, les personnes, les choses, les lieux mêmes que nous aimons. - Or, rien
de tel dans l'image que l'imagination institue.
Car celle-ci, étant le produit de notre désir, a de ce fait une cohérence comme ce
qui est, ici où nous vivons, n'en a pas : la cohérence qu'assurent nos goûts, nos
expériences déjà faites, nos souvenirs, et d'ailleurs aussi nos refus, notre peu d'intérêt
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