Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Chapitre 9
Perlaboration et fin de la prise
en charge
Les stagiaires 1
apprenant la psychothérapie psychodynamique sont
souvent perplexes devant la tâche consistant à déterminer quand les
choses ont assez duré. Des facteurs externes, comme le changement de
stage clinique, peuvent déterminer le moment de l’arrêt du travail avec
un patient, ce qui conduit fréquemment à l’orientation de ce dernier
vers un autre stagiaire. Une grande partie du travail de psychothérapie
paraît répétitive et le point final peut paraître arbitraire.
Quand Freud développa la psychanalyse, il comprit que la perla-
boration est le processus engendrant finalement des changements qui
conduisent naturellement à la fin de la prise en charge. Cependant, la
définition du terme est restée assez vague dans ses écrits. Il paraissait
avoir en tête un processus au travers duquel les schémas caractéris
tiques de défenses et de relations d’objet interne émergent encore et
encore dans différents contextes et sont répétitivement interprétés, ob
servés, confrontés, et clarifiés jusqu’à ce que le patient renonce aux
résistances l’empêchant d’accepter la compréhension et l’interprétation
de l’analyste. Une grande partie du travail sur les résistances abordé
dans le chapitre 6 (« Travailler avec les résistances ») peut être consi
dérée comme le cœur du processus de perlaboration. Shafer (1983) dé
finissait la perlaboration comme l’analyse des résistances « encore et
encore, patiemment, au travers d’une série apparemment sans fin de ré
pétitions, de permutations, de combinaisons et de variations » (p. 76). Il
trouvait aussi qu’une part de la perlaboration de ces résistances impli
que de considérer ces résistances ou défenses comme des créations pro
pres au patient et relevant de sa propre responsabilité. Par conséquent,
un facteur clé dans la perlaboration et dans la préparation à la fin de la
thérapie serait l’acquisition par le patient du sens d’être un agent ou un
auteur de sa propre vie.
Psychothérapie psychodynamique
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
158 Psychothérapie psychodynamique
Promouvoir la mentalisation
Chez des patients plus perturbés, particulièrement ceux qui sont or
ganisés sur un mode borderline, le changement d’une perspective ex
clusivement à la première personne vers une perspective à la troisième
Perlaboration et fin de la prise en charge 161
Impasse
Au cours de la perlaboration, les thérapeutes vont souvent ressentir
qu’ils se trouvent dans une impasse avec un patient. Des interprétations
ont été proposées, des résistances ont été analysées et les sentiments à
la première personne du patient ont été validés de manière empathique.
Les observations émanant de la perspective du thérapeute ont été systé
matiquement proposées. Bien que le processus de perlaboration ait dé
buté, l’ensemble de la psychothérapie paraît bloqué. Le patient n’utilise
apparemment pas efficacement son introspection ou ne montre pas de
changements dans son comportement. Le thérapeute peut commencer à
se sentir découragé et peut même penser qu’il est temps d’abandonner.
Il est sage pour un thérapeute psychodynamique de se rappeler que
les impasses ou blocages révèlent souvent le centre névralgique du travail
transféro-contre-transférentiel que l’on doit examiner (Gabbard, 2000).
On ne doit pas s’attendre à ce que la psychothérapie se passe en douceur.
Marc Aurèle présentait l’art de vivre plus comme une lutte que comme une
danse. La même chose pourrait être dite à propos de la psychothérapie.
Ce qui peut parfois être utile quand la psychothérapie paraît bloquée
est d’évaluer la possibilité que le transfert du patient et le contre-transfert
du thérapeute aient recréé la relation d’objet interne du patient la plus
puissante et défendue avec le plus de ténacité. Si cela peut être discuté
ouvertement avec le patient, une évolution sera possible.
Sa femme l’a quitté, et il est difficile pour lui de réagir. Il prend un traite
ment antidépresseur qui l’aide à faire face aux symptômes végétatifs de
la dépression, mais il continue à trouver difficile de faire évoluer sa vie de
manière satisfaisante. Il répète régulièrement à sa thérapeute : « Dites-moi
simplement ce que je dois faire pour aller mieux. » La thérapeute rappelle
de manière répétée que tous deux ont à travailler ensemble pour trouver
ce qui lui serait le plus utile.
M. V. vient aux séances mais minimise toujours les améliorations qui
peuvent se présenter. Il fait peu d’efforts pour retrouver du travail, et
répète qu’il ne trouve rien d’intéressant. Le Dr W. essaie de faire par
ler M. V. sur les points le décourageant dans cette situation, mais M. V.
évite de parler de ces questions et change de sujet pour aborder des évé
nements extérieurs peu importants pour la thérapie. Dans une certaine
mesure, ce qui se passait dans la thérapie était similaire à la vie extérieure
du patient. À un moment donné, les enfants adultes de M. V. ont organisé
une fête d’anniversaire pour lui. Sa sœur et son frère les ont rejoints à la
fête. Le Dr W. demande ensuite si c’était une belle fête. Il répond : « Ce
n’était rien de particulier. » Il en arrive ensuite à parler de la manière
dont sa sœur et son mari ainsi que ses deux enfants ne font pas d’effort
particulier pour l’aider.
Il vient fréquemment aux séances en disant que rien ne change. Quand
le Dr W. lui demande comment se passent ses recherches d’emploi, il
répond : « Je n’ai pas eu l’occasion de faire quoi que ce soit. Je suis rela
tivement découragé quant à trouver un travail intéressant. » Lors d’une
occasion particulière, M. V. arrive en séance et commence en disant :
« Je n’arrive pas du tout à voir dans quel domaine ma vie va bien. » La
thérapeute essaie de lui apporter du soutien en disant : « Vous répondez
maintenant au téléphone quand quelqu’un vous appelle, vous pleurez
moins, vous commencez un programme d’entraînement physique, vous
fréquentez les membres de votre famille et vous dormez moins pendant
la journée. » M. V. répond : « Je ne m’entraîne pas tant que ça et je dois
dire que mon humeur est toujours la même. Je déteste vous dire ça mais
c’est vrai. »
Le Dr W. se rend compte qu’elle n’arrive pas à dépasser l’impasse malgré
l’insistance sur les observations positives qu’elle fait à propos de M. V.
Lors de la séance suivante, il commence en disant : « Je suis toujours dé
primé. » La thérapeute répond : « Est-ce que vous pensez que cette prise
en charge vous fait du bien d’une quelconque manière ? » Il répond :
« Très peu. » Puis, le Dr W. essaie de mettre cette impasse en perspective
en délivrant cette interprétation : « Je commence à me demander, M. V.,
s’il y a un besoin profond en vous de rester insatisfait et de mettre en
échec les personnes qui essaient de vous aider. » M. V. tressaille un peu
en entendant cette interprétation et dit ensuite de manière surprenante :
« J’ai entendu le Dr Phil parler de ça à la télévision. Je pense qu’il y a
164 Psychothérapie psychodynamique
Résumé
La perlaboration est l’interprétation systématique, l’observation, la
confrontation et la clarification de schémas répétitifs dans la vie du pa
tient, tant au sein qu’en dehors de la relation thérapeutique. À l’égard
de patients présentant des troubles graves, ce mécanisme peut inclure
des efforts répétés pour favoriser la mentalisation en utilisant des tech
niques spécifiques destinées à aider les patients à comprendre que leurs
perceptions des autres sont fondées sur leurs propres états émotionnels
et leurs représentations internes.
Malgré des efforts conséquents dans la perlaboration, certaines dyades
thérapeutiques se retrouvent bloquées dans une impasse. Ces blocages
peuvent conduire à un réexamen attentif des aspects du transfert et du
176 Psychothérapie psychodynamique
Références
Aron L: Working through the past—working toward the future: relational perspec
tives and working through. Contemp Psychoanal 27:81-108, 1991
Beck NC, Lambert J, Gamachei M, et al: Situational factors and behavioral
self-predictions in the identification of clients at high risk to drop out of psycho
therapy. J Clin Psychol 43:511-520, 1987
Feiner AH: Countertransference and the anxiety of influence. In Epstein L, Feiner AH,
editors: Countertransference, New York, Jason Aronson, pp 108-128, 1979
Fonagy P: Attachment Theory and Psychoanalysis. New York, Other Press, 2001
Gabbard GO: On gratitude and gratification. J Am Psychoanal Assoc 48:697-716,
2000
Gabbard GO: Miscarriages of psychoanalytic treatment with suicidal patients. Int
J Psychoanal 84:249-261, 2003
Goldberg A: Between empathy and judgment. J Am Psychoanal Assoc 47:351-365,
1999
Gorkin M: The Uses of Countertransference. Northvale, NJ, Jason Aronson, 1985
Luborsky L: Principles of Psychoanalytic Psychotherapy: A Manual for Supportive
Expressive Treatment. New York, Basic Books, 1984
Menninger KA: Theory of Psychoanalytic Technique. New York, Basic Books,
1958
Shafer R: The Analytic Attitude. New York, Basic Books, 1983
Wallerstein R: Forty-Two Lives in Treatment. New York, Guilford, 1986