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‫مسب اهلل الرحمن الرحيم‬

AL-MUWATTA’
DE L’IMAM MÂLIK IBN ANAS ?
Version de Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî

Présentation, traduction et notes


Mohammed KARIMI
TRANSCRIPTION DES LETTRES ARABES
‫ء‬ ’ ‫د‬ d ‫ض‬ d ‫ك‬ k
‫ب‬ b ‫ذ‬ dh ‫ط‬ t ‫ل‬ l
‫ت‬ t ‫ر‬ r ‫ظ‬ z ‫م‬ m
‫ث‬ th ‫ز‬ z ‫ع‬ ‘ ‫ن‬ n
‫ج‬ j ‫س‬ s ‫غ‬ gh ‫ه‬ h
‫ح‬ h ‫ش‬ sh ‫ف‬ f ‫و‬ w
‫خ‬ kh ‫ص‬ s ‫ق‬ q ‫ي‬ y

ِ
Transcription des voyelles brèves : َ a, ُ u, i.
Nous rendons les voyelles longues ‫ ا‬et ‫ ى‬par â, ‫ و‬par û, ‫ ي‬par î.
En cas d’annexion le ‫ ة‬est prononcé « t ». En cas d’arrêt le ‫ ة‬est pro-
noncé « h ».
Le signe r qui vient après notre Prophète Muhammad signifie :
« Allah prie sur lui et lui donne la paix ».
Les noms des membres de la famille du Prophète r et ceux de ses
Compagnons sont suivis du signe t qui signifie « qu’Allah l’agrée »
— au féminin z.
Les noms des autres Prophètes sont suivis du signe u qui signifie :
« Qu’Allah lui donne la paix ».
TOME 1
َ َّ ُ ُ َ ْ
‫وت الصل ِة‬ ِ ‫اب وق‬ ِ ‫ِمن ِكت‬
َ َ َ َ
‫اب الع ِقيق ِة‬
ِ ‫ِإلى ِكت‬

Du livre 1 (les heures fixées pour


la prière) au livre 26 (la ‘aqîqa)
Du hadith 1 au hadith 1121

Première édition 2019 G. - 1440 H.


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Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

« Après le livre d’Allah, il n’y a pas un livre plus


utile que le muwatta’ de Mâlik Ibn Anas ».
L’imâm al-Shâfi‘î ?

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Introduction

INTRODUCTION
Au Nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Quelle est la raison de


mon existence ? Telles sont les questions existentielles auxquelles
répond la religion de l’Islam de manière suffisante et satisfaisante
à travers ce qu’Allah a révélé sur la création d’Adam u, son élec-
tion pour être le lieutenant sur la terre, l’eschatologie et sur tout ce
qui relève du dogme.
J’ai des besoins physiologiques ; j’ai des besoins spirituels ; j’ai
besoin de sécurité ; j’ai des besoins esthétiques ; j’ai besoin d’être
respecté et estimé ; j’ai besoin d’amour, d’affection et d’amitié ; j’ai
besoin de fonder un foyer ; j’ai besoin de vendre, d’acheter et de
traiter avec les gens ; j’ai besoin de travailler, de m’accomplir et de
réussir ma carrière… La religion de l’Islam t’indique, chère sœur,
cher frère, la manière de satisfaire ces besoins, sans excès ni négli-
gence, à travers ses enseignements, ses normes et ses lois.
En d’autres termes, l’Islam est une réponse à des questions
(ijâba) et une satisfaction de besoins (istijâba) ; il tourne autour des
cinq finalités suivantes : la préservation de la foi, la préservation de
la vie, la préservation de la filiation/procréation, la préservation de
la raison et la préservation des biens. Allah a dit en effet : ( Dis : « Ma
prière, mes sacrifices, ma vie et ma mort sont à Allah, le Seigneur
des mondes, qui n’a aucun associé ! C’est cela qu’il m’a été ordonné
et je suis le premier de ceux qui se soumettent (­muslimîn) » ) (S.6,
162-163).
Aussi faut-il souligner que l’Islam dont il est question ici est
l’Islam dans son sens général, celui que tous les Prophètes ont com-
muniqué à leurs peuples, depuis Adam u jusqu’à notre Prophète
Muhammad r. Les versets coraniques suivants font allusion à cet
Islam universel et commun à tous les Prophètes :
( La vraie religion pour Allah c’est l’Islam ) (S.3, 19).
( Il n’est aucun Prophète que Nous n’ayons envoyé avant toi sans
lui révéler qu’il n’est de Dieu que Moi : aussi, adorez-Moi ) (S.21, 25).

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Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

( Dites : « Nous croyons en Allah, en ce qui a été descendu vers


nous, en ce qui a été descendu vers Ibrâhîm, Ismaël, Isaac, Jacob et
les Tribus, en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, ainsi qu’en ce
qui a été donne aux Prophètes de la part de leur Seigneur ; nous ne
faisons aucune distinction entre eux. Et à Lui nous sommes soumis
(muslimûn) ) (S.2, 136).

Le Coran
Au cœur de la terre d’Arabie, Allah a investi Muhammad r de
la fonction prophétique à un moment où le besoin d’un Prophète
se faisait terriblement sentir. En effet, à cette époque l’humanité
sombrait dans les ténèbres de l’idolâtrie, de l’esprit légendaire, des
fausses doctrines et des mœurs corrompues. Allah a dit dans le
Coran : ( Vraiment Allah a octroyé un grand bienfait aux croyants
lorsqu’Il suscita parmi eux un Envoyé issu d’eux-mêmes qui leur
récite Ses versets, qui les purifie, leur enseigne le Livre et la Sagesse
bien qu’ils fussent autrefois dans un égarement évident ) (S.3, 164).
Puisque notre Prophète bien-aimé, Muhammad r, est le
dernier Prophète, Allah lui a révélé le Coran. Celui-ci marque
le parachèvement de la descente du Livre céleste de la Table
gardée — Table où sont consignées les destinées de toute chose
— vers la terre, englobe les Livres saints précédents et s’adresse
à tous les hommes et à toutes les époques, depuis la vocation de
Muhammad r jusqu’au Jour de la résurrection. Allah, exalté soit-
Il, a dit en effet :
( Nous avons fait descendre sur toi le Livre conforme à la vérité
qui confirme ce qui fut révélé avant lui du Livre et qui l’englobe )
(S.5, 48).
( Nous ne t’avons envoyé que par miséricorde pour l’univers )
(S.21, 107).
( Nous ne t’avons envoyé qu’en tant qu’annonciateur et avertis-
seur pour l’humanité entière ) (S.34, 107).

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Introduction

La Sunna
En plus du Coran, le Prophète r a reçu une autre Révélation
qui est la Sunna. Il a dit : « J’ai reçu le Coran accompagné d’une
Révélation semblable ». 1 La Sunna consiste en les propos que le
Prophète r a pu tenir en dehors des instants de la révélation du
Coran, les témoignages sur les actes qu’il a pu accomplir dans sa
vie publique ou privée, les ratifications silencieuses de tel et tel
acte de sa part et sa description. Chaque instant de sa vie, après
sa vocation, a en effet une potentialité religieuse et un caractère
paradigmatique et normatif. Allah, exalté soit-Il, a dit :
( Vous avez dans l’Envoyé d’Allah un excellent modèle à suivre
pour celui qui aspire à Allah et au Jour dernier et invoque sans
cesse le Nom d’Allah ) (S.33, 21).
( Prenez ce que l’Envoyé vous donne et abstenez-vous de ce
qu’il vous interdit ) (S.59, 7).
La Sunna détaille, explicite et incarne ce qu’il y a dans le Coran.
Allah a dit en effet : ( Et Nous avons fait descendre sur toi le Rappel
(le Coran), afin que tu expliques clairement aux gens ce qui leur a
été révélé. Peut-être seront-ils amenés à y réfléchir ) (S.16, 44).

Le hadith
Le hadith est une unité textuelle de la Sunna, c’est un témoi-
gnage ponctuel sur la vie du Prophète r, ou sur l’une de ses paroles
et, par extension, un témoignage sur la vie de ses Compagnons ou
sur l’une de leurs paroles, quoiqu’on emploie généralement le terme
athar (tradition) pour désigner ce dernier.
L’Envoyé d’Allah r s’était entouré de secrétaires qui transcri-
vaient de sa bouche les versets coraniques qu’il recevait d’Allah. Au
début, il a ordonné à ses Compagnons de ne transcrire de sa bouche
que le Coran ; il a dit : « Ne transcrivez de moi rien d’autre que le
Coran. Quiconque a transcrit de moi autre chose que le Coran, qu’il
l’efface ». 2 La raison en est qu’il craignait que les versets coraniques
ne se mélangent avec la Sunna. Plus tard, quand il a vu que les

1 Ahmad, Abû Dâwud, al-Tirmidhî, al-Hâkim et d’autres.


2 Muslim.

10
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Compagnons savaient très bien faire la distinction entre les deux


et que les hadiths devenaient trop nombreux pour être retenus, il
a autorisé de les transcrire. Parmi les hadiths qui prouvent cette
autorisation, il y a celui-ci de ‘Amr Ibn al-‘Âs : « Je transcrivais de la
bouche de l’Envoyé d’Allah tout ce que j’entendais et que je voulais
retenir. Des hommes de Quraysh m’en dissuadèrent et m’ont dit :
“Transcris-tu tout ce que tu entendais de la bouche de l’Envoyé
d’Allah r alors qu’il est un être humain qui peut parler sous l’em-
pire de la colère ou de la joie ?” Je m’abstins alors de transcrire les
hadiths et j’en parlai à l’Envoyé d’Allah qui désigna par son doigt sa
bouche et dit : “Écris ! Par Celui qui détient mon âme dans Sa Main,
il n’en sort que la vérité !” » 1
D’après les données traditionnelles, certains Compagnons et
certains savants de la génération suivante, les Suivants (tâbi‘în),
avaient des sortes de carnets personnels dans lesquels ils consi-
gnaient les hadiths prophétiques et les traditions, mais la trans-
mission de ceux-ci se faisaient essentiellement par voie orale.

Une culture orale


Il faut savoir que la culture des Arabes d’avant l’Islam était
une culture orale et le moyen de conservation de l’information
était surtout la mémoire. Allah les a dotés d’une forte mémoire ; il
suffit à l’un d’eux d’entendre une seule fois un poème comportant
des centaines de vers pour l’apprendre par cœur et le réciter d’une
seule haleine. L’Islam a gardé ce caractère oral et l’a entretenu.
Allah a dit à propos du Coran : ( Bien plutôt il (le message cora-
nique) consiste en des signes probatoires ancrés dans la poitrine
de ceux qui ont reçu la science ) (S.29, 49). Dans un de ses prônes,
le Prophète r a annoncé aux fidèles qu’Allah lui a dit ceci : « J’ai fait
descendre sur toi un livre que l’eau ne peut pas effacer et que tu
réciteras en état d’éveil et en état de sommeil — c’est-à-dire un livre
ancré dans sa poitrine ». 2
La civilisation islamique a conservé durant longtemps le mode
d’enseignement oral et l’utilisation de la mémoire comme moyen de

1 Abû Dâwud.
2 Muslim.

11
Introduction

stockage des sciences. Toutes les sciences traditionnelles (lectures


du Coran, hadiths prophétiques, récits des Compagnons, les com-
mentaires des textes scripturaires, le fiqh1…) étaient initialement
transmises oralement. Encore de nos jours une édition du texte du
Coran est contrôlée par les Maîtres des lectures (qurrâ’) depuis les
premiers Compagnons qui l’entendirent de l’Envoyé d’Allah r. Et
encore de nos jours il existe des étudiants en sciences religieuses
qui connaissent par cœur sahîh al-Bukhârî, sahîh Muslim, le
recueil d’Abû Dâwud, celui d’al-Tirmidhî, celui d’al-Nasâ’î et celui
d’Ibn Mâjah, alors que chacun de ces recueils comporte plusieurs
volumes.

La chaîne de transmission
Chaque hadith se compose essentiellement de deux parties : le
matn et l’isnâd. Le matn, c’est le texte même du hadith. L’isnâd,
c’est la chaîne de transmission, la suite des narrateurs par le canal
desquels le hadith est parvenu au dernier transmetteur. Prenons
comme exemple le premier hadith qui se trouve dans le recueil de
l’imâm al-Bukhârî. Il a écrit ceci :
Al-Humaydî ‘Abd Allah Ibn al-Zubayr nous a transmis en
disant : Sufyân nous a transmis par tradition orale de maître à
élève, en disant : Yahyâ Ibn Sa‘îd al-Ansârî nous a transmis par tra-
dition orale de maître à élève, en disant : Muhammad Ibn Ibrâhîm
al-Taymî nous a rapporté qu’il a entendu ‘Alqama Ibn Waqqâs al-
Laythî dire : J’ai entendu ‘Umar Ibn al-Khattâb t dire du haut de
sa chaire :
« J’ai entendu l’Envoyé d’Allah r prononcer ces paroles : “Les
œuvres ne valent que par les intentions. A chacun selon ses inten-
tions. Quiconque aura émigré pour un profit matériel quelconque
ou en vue d’épouser une femme, son émigration ne vaudra que pour
ce en vertu de quoi il aura émigré” ».
L’isnâd ici c’est la chaîne d’autorités qui va d’al-Bukhârî jusqu’au
Prophète r.

1 Le fiqh a pour sens général la compréhension profonde et intelligente de la religion et pour sens
particulier la jurisprudence.

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Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Étymologiquement, l’isnâd signifie « support ». En effet, si


l’isnâd n’existe pas, ou s’il comporte des lacunes temporelles, ou
si l’un des rapporteurs est accusé de mensonge ou a de grandes
défaillances de mémoire, le hadith n’a aucune valeur. Dès l’époque
des Suivants (tâbi‘în) 1, on a commencé à s’enquérir de la probité et
de la mémoire des narrateurs pour distinguer les hadiths authen-
tiques des hadiths de faible autorité ou des hadiths inventés de
toutes pièces. Plus tard, les biographies des narrateurs furent consi-
gnées dans des dictionnaires et de gros ouvrages sur la critique des
hadiths et des traditions furent composés, établissant ainsi une
historiographie sûre grâce à laquelle notre Sunna et notre patri-
moine culturel fut conservé.
Cela ne laissa pas insensible un orientaliste spécialiste du
monde musulman, Bernard Lewis (m. 2018) qui livra le témoignage
suivant : « Très tôt, les musulmans ont été conscients de la dangero-
sité du faux témoignage et des fausses doctrines, et ont développé
une science sophistiquée de la critique des hadiths et des traditions.
La science traditionnelle, comme on l’appelle, diffère de plusieurs
points de vue de la méthode historico-critique moderne. Alors que
les études modernes établissent en permanence des divergences
dans l’évaluation de l’exactitude et l’authenticité des récits anciens,
nous trouvons chez les musulmans l’examen minutieux et soigneux
des chaînes de transmission des textes, leur méticuleuse collection
et la préservation de la tradition des erreurs de transmission. Cela
a doté l’historiographie arabe médiévale d’un professionnalisme et
d’un développement sans précédent dans l’antiquité et n’a pas de
pareil dans l’Occident dans la même période. Quand on fait la com-
paraison, l’historiographie de la chrétienté latine paraît pauvre et
maigre. Même l’historiographie la plus avancée et la plus complexe
de la chrétienté grecque est encore loin derrière par rapport la lit-
térature historique de l’Islam que ce soit en volume, en diversité et
en la profondeur de l’analyse ». 2

1 La génération des disciples des Compagnons du Prophète r.


2 Islam in History de Bernard Lewis.

13
Introduction

La consignation officielle des hadiths


Constatant l’élargissement de l’empire musulman, la multipli-
cation des sectes, la diminution des savants du hadith, les défail-
lances de mémoire chez beaucoup de narrateurs, le calife omeyyade
‘Umar Ibn ‘Abd al-‘Azîz 1 écrivit à Abû Bakr Ibn Hazm, gouverneur
de Médine : « Cherche les hadiths du Prophète r ; mets-les par
écrit, car je crains la disparition de la Science, ainsi que celle des
savants. N’accepte que les hadiths qui remontent authentique-
ment au Prophète r. Qu’on diffuse la Science, qu’on organise des
séances d’enseignement pour instruire ceux qui ne savent pas, car
la Science ne périra que lorsqu’elle deviendra secrète ». 2 On rap-
porte même qu’il a envoyé cette ordonnance à toutes les provinces
de son empire. 3 Il est également rapporté qu’il a donné cet ordre à
l’éminent savant Ibn Shihâb al-Zuhrî (m. 124H/741-2 apr. J.-C). 4
Des recueils furent alors composés comme celui d’Ibn Jurayj à
La Mecque, celui d’al-Awzâ‘î à Damas et celui d’al-Thawrî à al-Kûfa,
mais l’œuvre qui, durant cette période, repose sur une méthodolo-
gie claire et qui fut la mieux ordonnée, la plus sûre, la plus adaptée
à la réalité des gens et qui parvint jusqu’à nous, fut al-muwatta’ de
l’imâm Mâlik Ibn Anas.

Mâlik Ibn Anas


Il est l’imâm en matière de savoir de la cité vers laquelle a
émigré le Prophète r (imâm dâr al-hijra) et le fondateur d’une
école juridique dont les enseignements ont influencé l’orient et
l’occident.
Il s’appelle Mâlik Ibn Anas Ibn Mâlik Ibn Abî ‘Âmir Ibn ‘Amr
Ibn al-Hârith Ibn Ghaymân Ibn Khuthayl Ibn ‘Amr Ibn al-Hârith
al-Asbuhî. Le terme « al-Asbuhî » signifie que ses ancêtres appar-
tenaient à la tribu d’Asbuh au Yémen, ce qui prouve que Mâlik est
d’origine yéménite.

1 Il est né en 61 de l’hégire/681 apr. J.-C. et mort en 101 H/720 apr. J.-C.


2 Voir le sahîh d’al-Bukhârî, chapitre : « Comment disparaîtra la Science ».
3 L’histoire d’Ispahan d’Abû Nu‘aym.
4 Fath al-Bârî d’Ibn Hajar (1/275).

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Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Le grand-père de Mâlik Ibn Anas


C’est le grand-père de Mâlik qui est le premier de ses ancêtres à
s’installer à Médine. Il quitta le Yémen à cause des injustices que lui
avait fait subir un des gouverneurs de ce pays et il se rendit chez un
des membres de la tribu de Taym 1, conclut un accord de patronat
avec eux et devint un des leurs. 2
Le cadi ‘Iyâd a dit : « Mâlik, le grand-père de [l’imâm] Mâlik
[Ibn Anas] a pour surnom Abû Anas. Il est l’un des premiers dis-
ciples des Compagnons du Prophète r (tâbi‘î) comme l’affirment
bon nombre de biographes. Il a rapporté des hadiths de la bouche de
‘Umar t, de Talha t, de ‘Âisha z, d’Abû Hurayra t et de Hassân
Ibn Thâbit t. Il était un homme éminent et un savant reconnu. Il
était l’un des quatre hommes qui avaient porté, la nuit, la dépouille
de ‘Uthmân jusqu’à sa tombe, avaient pratiqué sur lui le lavage
funéraire et l’avaient inhumé. Il était un ami intime de Talha t… Il
est mort en 112 de l’hégire (730 apr. J.-C) ». 3

Les oncles de Mâlik


Le biographe et le savant du hadith al-Dhahabî a dit que les
oncles de Mâlik sont Abû Suhayl Nâfi‘, Uways, al-Rabî‘ et al-Nadr,
les fils d’Abû ‘Âmir. 4
Abû Suhayl était l’un des éminents savants. Le calife ‘Umar
Ibn ‘Abd al-‘Azîz l’a même consulté au sujet des mesures qu’il doit
prendre vis-à-vis de la secte qui nie la prédétermination par Allah
de toute chose (al-qadariyya). 5

La mère de Mâlik
Al-Dhahabî a dit que la mère de Mâlik s’appelle ‘Âliya Bint
Shurayk al-Azdiyya. 6

1 Ce sont des descendants de Quraysh.


2 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/107).
3 Idem.
4 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/49 — Ed. Al-Risâla).
5 Voir la tradition n°1721 de cette traduction.
6 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/49 —Ed. Al-Risâla).

15
Introduction

Le père de Mâlik
Il s’appelle Anas Ibn Mâlik Ibn Abî ‘Âmir. Il est né au Hedjaz. Il
était fabricant de flèches. Aucun récit ne prouve qu’il s’intéresse à
la science.

Naissance de Mâlik
Mâlik est né en 93 de l’hégire (711 apr. J.-C) à Dhûl-Marwa 1.
Ensuite, sa famille s’installa à al-‘Aqîq à la périphérie de Médine.
Plus tard, Mâlik s’installa à Médine dans la maison où habitait le
noble Compagnon ‘Abd Allah Ibn Mas‘ûd t. 2

Les enfants de Mâlik


Le cadi ‘Iyâd a dit que Mâlik avait deux fils, Yahyâ et
Muhammad, et une fille, Fâtima.
Son fils Yahyâ possédait une copie du muwatta’ dont il avait
transmis les enseignements à des savants du Yémen, notamment
Ibn Salama et aussi en Égypte. 3
Sa fille Fâtima connaissait par cœur le muwatta’. Quant à son
fils Muhammad, il ne s’était pas intéressé à la science.

Mâlik et le début de son acquisition de la Science


Sa mère l’emmena tout jeune à l’école coranique chez les Banû
Taym. 4 Quand il fut pénétré par le désir d’acquérir la Science, il
en parla à sa mère qui lui dit : « Viens ! Il faut d’abord que tu portes
une tenue vestimentaire digne de l’apprentissage de la Science ».
[Mâlik dit] : « Elle m’a vêtu d’un habit dont les manches sont
retroussées et elle mit sur ma tête un long bonnet autour duquel
elle enroula une bande d’étoffe en guise de turban, puis elle me dit :
“Pars maintenant pour consigner le savoir” ». 5

1 Endroit situé à 180 km au nord de Médine.


2 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/115).
3 Tartîb al-madârik (1/109).
4 Nadwat al-imâm Mâlik (1/126) du Ministère des Habous et des Affaires Islamiques du Maroc.
5 Tartîb al-madârik (1/126).

16
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Médine est la terre dans laquelle Allah a parachevé la Révélation


qu’Il a fait descendre sur Son Prophète Muhammad r, le berceau
de la civilisation islamique et la source du savoir religieux. Mâlik
y a reçu les enseignements d’un très grand nombre d’éminents
savants dont les premiers étaient Rabi‘a Ibn ‘Abd al-Rahmân, Ibn
Hurmuz et Nâfi‘, l’affranchi du noble Compagnon ‘Abd Allah Ibn
‘Umar C. Mâlik a longtemps accompagné Nâfi‘.

Mâlik et sa rigueur dans l’acquisition du savoir


Mâlik ne recevait le savoir que de savants crédibles, probes,
clairvoyants et qui transmettaient fidèlement les enseignements
qu’ils avaient reçus de leurs prédécesseurs. Il a dit : « Il ne faut pas
recevoir le savoir de quatre types d’individus : celui qui agit de
manière irréfléchie même s’il a la réputation de rapporter beau-
coup de traditions ; l’auteur d’innovations blâmables qui appelle les
gens à suivre ses passions ; celui qui ment dans le feu de la discus-
sion même si je ne le soupçonne pas en matière de transmission des
hadiths ; et la personne dévote et vertueuse qui a des défaillances
de mémoire ». 1
Ibn Abî Uways a dit : « J’ai entendu Mâlik dire : “Cette Science,
c’est ta chair et ton sang et tu en seras interrogé le Jour de la résur-
rection. Regarde donc de qui tu la prends” ». 2
Mutarrif Ibn ‘Abd Allah a dit : « Je témoigne que Mâlik disait :
“Dans notre cité (Médine), j’ai pu rencontrer dans le passé des
cheikhs connus pour leur mérite, leur piété et leur dévotion, qui
rapportaient des hadiths et des traditions. Je n’ai jamais écrit le
moindre hadith qu’ils transmettaient” — “Pourquoi ô Abû ‘Abd
Allah, lui demandai-je ?” — “Ils débitaient des récits sans discer-
nement, répondit-il” ». 3

Mâlik et ses maîtres en matière de savoir


Rien que dans le muwatta’, les imâms Ibn ‘Abd al-Barr, al-­
Dâraqutnî et al-Dhahabî ont pu recenser une centaine de maîtres
1 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/61 — Ed. Al-Risâla).
2 Al-muhaddith al-fâsil d’al-Râmahmurzî, p.416.
3 Bughyat al-multamis fî rijâl al-andalus d’al-Dabbî, p.59.

17
Introduction

de Mâlik, et bien sûr il a reçu le savoir d’autres savants qu’il n’a pas
mentionnés dans son muwatta’.

Mâlik et sa forte mémoire


Mâlik a dit : « La mémoire des gens est devenue aujourd’hui
défaillante. J’assistais aux cours de Sa‘îd Ibn al-Musayyib, de
‘Urwa, d’al-Qâsim, d’Abû Salama, de Humayd, de Sâlim et d’autres
savants ; je faisais le tour de tous ces savants et j’entendais de la
bouche de chacun d’eux entre cinquante et cent hadiths, puis je
partais alors que je les avais tous retenus, sans qu’aucun hadith ne
se confonde dans ma mémoire avec un autre ». 1
Ibn Shihâb a dit à Mâlik : « Tu es une des mémoires du savoir ». 2

Mâlik, un trésor humain vivant et un gardien du


patrimoine de Médine
Les enseignements de l’école fondée par Mâlik ont illuminé
le monde musulman et ont constitué un support spirituel, cultu-
rel, social, économique et politique de la civilisation islamique en
Occident (le Maghreb, l’Espagne musulmane et le sud de l’Italie),
laquelle civilisation a contribué, par l’intermédiaire d’Averroès
et Ibn Khaldûn notamment, à faire sortir l’Europe de l’obscuran-
tisme dans lequel elle sombrait durant des siècles. « C’est en lisant
Averroès que les chrétiens ont appris à philosopher » a dit le médié-
viste Français Alain de Libera. 3
Les hadiths et les traditions qu’il a consignés dans son
muwatta’ ont été tirés sur le volet et on peut dire qu’ils consti-
tuent la quintessence de la Sunna. Dans son livre al-‘ilal, ‘Alî Ibn
al-Madînî (le maître d’al-Bukhârî) a dit qu’il a examiné les chaînes
de rapporteurs des hadiths et il a constaté qu’elles tournent autour
des six savants suivants : Ibn Shihâb à Médine ; ‘Amr Ibn Dînâr à
La Mecque ; Qatâda Ibn Du‘âma et Yahyâ Ibn Abî Kathîr à Bassora ;
Abû Ishâq et Sulaymân Ibn Mahrân à al-Kûfa. Puis il a dit que
1 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/134).
2 Tartîb al-madârik (1/134).
3 Alain de Libera est né le 27 septembre 1948. Il est titulaire de la chaire d’Histoire de la philoso-
phie médiévale et il est élu professeur au Collège de France en 2012.

18
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

parmi ceux qui ont recueilli l’essentiel du savoir de ces savants, il y


a Mâlik Ibn Anas. 1
Al-Bukhârî s’est beaucoup basé sur le muwatta’ de Mâlik et
a emprunté beaucoup de ses hadiths. Il disait : « Parmi toutes les
chaînes de transmission, la chaîne la plus sûre est la suivante :
Mâlik – Nâfi‘ – ‘Abd Allah Ibn ‘Umar ». 2
Ibn al-‘Arabî al-Mu‘âfirî a dit : « Le livre d’al-Ju‘fî (al-Bukhârî)
est, à ce titre 3, la deuxième référence et le muwatta’ est la première
référence et la moelle. Et c’est sur ces deux références que reposent
les œuvres d’al-Qushayrî (Muslim), d’al-Tirmidhî, puis des autres
traditionnistes ». 4

Médine
Mâlik n’a jamais quitté Médine, sauf pour faire le pèleri-
nage. Médine était pour lui comme un jardin plein de fleurs pour
une abeille. Il a butiné dans les différents enseignements des
Compagnons et de leurs pieux successeurs. Puis, par un processus
de mémorisation, de réflexion, de méditation et d’étude auxquels se
sont mêlés amour, crainte, espoir, souci de guider les gens, patience
et d’autres sentiments purement consacrés à Allah, il a produit une
synthèse de tout cela qui est le livre al-muwatta’. Cette œuvre est
comme le miel ; elle est consistante, bonne, belle et salutaire.
L’éminent savant Muhibb al-Dîn al-Khatîb 5 a dit que le savant
prolifique en matière du hadith en Inde et le réformateur Walî al-Dîn
al-Dahlawî 6 considère que le fiqh à l’époque des Compagnons avait
pour source principale un groupe particulier d’entre eux et leur
référence et l’orbite dans laquelle ils gravitaient était ‘Umar Ibn al-
Khattâb. Ensuite, le fiqh de ‘Umar et des Compagnons fut recueilli
par les sept grands fuqahâ’ de Médine qui sont les suivants :
— Sa‘îd Ibn al-Musayyib ;

1 Al-‘ilal, p.26-27.
2 Ma‘rifat ‘ulûm al-hadîth d’al-Hâkim al-Naysâbûrî, p. 53.
3 C’est-à-dire en matière d’authenticité des hadiths.
4 ‘Âridat al-ahwadhî (livre expliquant le recueil d’al-Tirmidhî) (1/5).
5 Ce témoignage d’al-Khatîb se trouve à la fin de l’édition d’al-muwatta’ recensée par le chercheur
Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî (m. 1968).
6 Il est né en 1703 et mort en 1762. Parmi les nombreuses œuvres qu’il a léguées, il y a son expli-
cation d’al-muwatta’.

19
Introduction

— ‘Urwa Ibn al-Zubayr ;


— al-Qâsim Ibn Muhammad Ibn Abû Bakr le véridique ;
— ‘Ubayd Allah Ibn ‘Abd Allah Ibn ‘Utba ;
— Khârija Ibn Zayd ;
— Sulaymân Ibn Yasâr ;
— Sâlim Ibn ‘Abd Allah Ibn ‘Umar Ibn al-Khattâb.
Le savoir de ces derniers fut légué à leurs disciples, notamment
Ibn Shihâb al-Zuhrî, Yahyâ Ibn Sa‘îd al-Ansârî, Zayd Ibn Aslam,
l’affranchi de ‘Umar Ibn al-Khattâb, Nâfi‘, l’affranchi de ‘Abd Allah
Ibn ‘Umar, Rabî‘a al-Ra’y 1 et Abû al-Zinâd. Le savoir de tous ces
savants fut recueilli par Mâlik Ibn Anas al-Asbuhî.
D’ailleurs, on constate que dans son muwatta’, Mâlik fait
souvent référence aux savants de Médine et à la pratique médi-
noise en général. Il concluait souvent ses avis juridiques, ses fatwas
et ses explications par les expressions suivantes : « C’est celui-là le
jugement adopté chez nous (à Médine) », « Selon la règle en cours
et sur laquelle il n’y a pas de divergence chez nous », « C’est celle-là
la pratique adoptée chez nous », etc.

Mâlik et ses débuts dans l’enseignement


L’imâm Mâlik a débuté jeune dans l’enseignement. Ayyûb al-
Sakhtiyânî a dit : « Je suis arrivé à Médine du vivant de Nâfi‘ et
Mâlik enseignait déjà (halqa) 2 ». 3
Mus‘ab a dit : « Du vivant de Nâfi‘, Mâlik tenait déjà des séances
d’enseignement (halqa) et ceux qui assistaient aux cours de Mâlik
étaient plus nombreux que ceux qui assistaient aux cours de
Nâfi‘ ». 4
Or quand Nâfi‘ est mort (en 117H/734 apr. J.-C), Mâlik n’avait
que vingt-quatre ans, ce qui prouve qu’il a commencé à enseigner
jeune.
Mâlik disait souvent : « Il n’est pas donné à tout le monde de
tenir une séance dans la mosquée pour enseigner la science du
1 Ra’y signifie « avis ». Rabî‘a Ibn ‘Abd al-Rahmân fut surnommé al-Ra’y parce qu’il était connu
pour ses déductions et ses explications pertinentes.
2 Séance d’enseignement dans laquelle les étudiants sont disposés en cercle au tour du professeur.
3 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/125).
4 Tartîb al-madârik (1/125-126).

20
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

hadith et prononcer des fatwas. Le postulant doit d’abord consul-


ter les gens de bien et de mérite et l’entourage de la mosquée. S’ils le
jugent apte à se charger de cette fonction, il peut le faire. Je n’ai tenu
des séances d’enseignement que lorsque soixante-dix hommes qui
font partie de l’élite en matière du savoir ont témoigné que je suis
apte à remplir cette fonction ». 1

Mâlik et ses séances d’enseignement


Mâlik tenait en haute considération les hadiths du Prophète r
comme en témoignent ses éminents disciples Mutarrif, Ma‘n Ibn
‘Îsâ, Ibn Bukayr, Abû Mus‘ab et Ibn Abî Uways. Mutarrif a dit :
« Quand les gens se rendent chez Mâlik [pour apprendre le savoir],
sa servante sort les voir et leur demande : “Le cheikh (Mâlik) vous
demande : “Êtes-vous venus pour apprendre le hadith ou pour
apprendre les questions juridiques„”. S’ils disent qu’ils veulent
apprendre les questions juridiques, il sort directement les voir et
tient la séance. S’ils veulent apprendre le hadith, il leur demande
de s’asseoir, puis entre dans sa salle de bain pour se laver le corps.
Ensuite, il met du parfum, porte des vêtements neufs, met un voile
sur la tête et un long turban et demande qu’on mette pour lui un
divan. Il les accueille alors en étant bien habillé, bien parfumé et
humble. On fait brûler pour lui l’encens dont il ne cessait de rece-
voir la fumée jusqu’à ce qu’il termine la séance sur les hadiths de
l’Envoyé d’Allah r ». 2
Il dispensait à ses disciples des cours approfondis de fiqh et de
hadith et il dispensait aux gens du commun des cours adaptés à
leur niveau.
Durant la saison du pèlerinage, les pèlerins, venant des quatre
coins du monde, profitaient de cette occasion pour le visiter et
bénéficier de son savoir. Il mettait alors un programme spécial qui
lui permettait de recevoir tous les visiteurs sans négliger personne.

1 Tartîb al-madârik (1/126).


2 Tartîb al-madârik (1/154).

21
Introduction

L’épreuve subie par Mâlik


Comme tout réformateur et homme de mérite, Mâlik a subi
une rude épreuve. Le Prophète r a dit en effet : « Les gens les plus
éprouvés sont les Prophètes, puis les autres selon leur degré de
piété. Un homme est mis à l’épreuve en fonction de sa religion. S’il
est peu attaché à la religion, son épreuve est légère. S’il est ferme-
ment attaché à la religion, son épreuve s’accroît. L’épreuve ne cesse
de frapper l’homme jusqu’à ce qu’il marche sur la terre sans avoir
de faute ». 1
Le savoir de Mâlik, sa renommée et son choix comme conseil-
ler par les gouverneurs du pays ont fait beaucoup de jaloux. Ceux-ci
cherchèrent par tous les moyens à le stigmatiser. Quand Ja‘far Ibn
Sulaymân fut élu gouverneur de Médine, ils le dénoncèrent calom-
nieusement auprès de lui. Ils se servirent, à cette fin, d’une fatwa de
Mâlik jugeant invalide la répudiation prononcée sous la contrainte
pour dire à Ja‘far qu’il jugeait invalide les serments que celui-ci
imposait aux gens quand ils lui prêtaient serment d’allégeance. 2
En colère, Ja‘far convoqua Mâlik et donna l’ordre de le dépouiller
de ses vêtements et de lui infliger la peine de la flagellation. Mâlik
fut fouetté, son épaule fut déboîtée et il s’évanouit. Quand il se
réveilla, il dit aussitôt aux gens : « Je vous prends à témoins que
j’ai pardonné à celui qui m’a fouetté ». Plus tard, Ja‘far regretta son
geste et rapprocha Mâlik de lui. 3

Aspect physique de Mâlik


Mâlik était de grande taille, blond et aux yeux bleus. Il avait
une barbe fournie et il ne rasait pas complètement sa moustache. 4

1 Ahmad dans son musnad n°1497.


2 Du vivant du Prophète r et des califes bien guidés, le serment d’allégeance prêté par les gens
ne réunissait pas plusieurs formules de serment. Quand al-Hajjâj Ibn Yûsuf devint gouverneur, il
exigeait dans le serment d’allégeance plusieurs formules comportant le serment de répudier sa
femme, le serment d’affranchir ses esclaves, le serment de donner ses biens en aumône et d’autres
serments. Ainsi, quiconque romprait ce pacte d’allégeance serait tenu de répudier sa femme, de
donner ses biens en aumônes, etc. Al-Hajjâj faisait cela afin de garantir l’obéissance au calife et
éviter toute insurrection.
3 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/73 — Ed. Al-Risâla), tartîb al-madârik (1/229).
4 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/69 — Ed. Al-Risâla).

22
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Abû ‘Âsim al-Nabîl qui est l’un des maître d’al-Bukhârî a dit : « Je
n’ai jamais vu un savant du hadith aussi beau que Mâlik ». 1

Sa mort
Mâlik est mort le dimanche matin 14 Rabî‘ premier en 179 de
l’hégire (le 7 juin 795 apr. J.-C), après vingt deux jours de maladie. 2
Qu’Allah lui fasse miséricorde.

1 Siyar a‘lâm al-nubalâ’ (8/70 — Ed. Al-Risâla).


2 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/237).

23
Introduction

AL-MUWATTA’
Étymologie et signification du nom muwatta’
Le terme muwatta’ est un nom à la voix passive. Cette voix
passive est déterminée par le préfixe mu. La racine de ce nom est
constituée des lettres w, t et ’.
Le nom muwatta’ dérive du verbe watta’a qui signifie « facili-
ter », « rendre accessible », « préparer » et « être le premier ». Le
nom tawti’a signifie « préface », « introduction », « prologue ».
Certains exégètes et lexicographes disent que le nom muwatta’
dérive du nom d’action muwâta’a qui signifie « l’accord ». Selon
cette étymologie, le nom muwatta’ signifie « l’objet d’un accord ».
Allah a dit dans le Coran : ( Certes, l’activité pieuse au cœur de la
nuit a plus de wat’ ) (S.73, 6). Les exégètes (Mujâhid et Abû Najîh
notamment) soutiennent que le terme wat’ dans ce verset signifie
que le cœur et l’ouïe sont en plein accord lors de la récitation du
Coran au cœur de la nuit.

Des significations qui s’appliquent au muwatta’


Quand on examine ces significations, on constate qu’elles
s’appliquent toutes au livre al-muwatta’ de l’imâm Mâlik comme
nous l’expliquerons dans les trois paragraphes suivants, par l’aide
d’Allah.
Mâlik est le premier qui a appelé son livre al-muwatta’. Certains
savants disent que ‘Abd al-‘Azîz Ibn al-Mâjishûn a donné à son
livre le nom al-muwatta’ avant Mâlik, mais cela n’est pas vrai. En
fait, Ibn al-Mâjishûn a écrit avant Mâlik un livre qui est du même
genre qu’al-muwatta’, mais qui ne porte pas ce nom comme a dit
al-Mufaddal Ibn Muhammad Ibn Harb. 1
Ibn Fihr est catégorique sur cette question, il a dit : « Avant
Mâlik, personne n’a appelé son livre al-muwatta’. Ceux qui écri-
vaient des livres canoniques [à cette époque-là] les appelaient
al-jâmi‘ (le recueil), ou al-mu’allaf (recueil dont les traditions sont

1 Tazyîn al-mamâlik bi manâqib Mâlik de Jalâl al-Dîn al-Suyûtî, p.66.

24
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

classées par affinités), ou al-musannaf (recueil dont les traditions


sont classées par sujets) ». 1

Al-muwatta’, premier livre en son genre


Al-muwatta’ est un livre sans précédent sous le rapport de
l’ordre, de la coordination, de la critique, de la pertinence et de la
synthèse. Il est également sans précédent dans le sens où c’est un
livre de hadith et de fiqh qui repose sur une méthodologie (manhaj)
claire et bien conçue.
On peut dire que Mâlik est l’initiateur dans ce domaine.
L’érudit Walî Allah al-Dahlawî a fait allusion à cela en disant : « Tout
homme équitable qui recense les enseignements de leurs écoles
(madhâhib) s’aperçoit de toute évidence que le livre al-muwatta’
est le fondement de l’école de Mâlik, la référence de base de l’école
d’al-Shâfi‘î et de l’école d’Ahmad et le flambeau qui éclaire l’école
d’Abû Hanîfa. Ces écoles sont pour le livre al-muwatta’ ce que sont
les explications des exégètes pour les textes de base (mutûn) et le
muwatta’ représente pour elles ce que représente l’arbre pour les
branches. Les fatwas de Mâlik ont certes fait l’objet de réfutation,
d’accord, de critique et de rectification de leur part, mais ils (les
savants) n’ont pu s’abreuver de la source pure et n’ont pu réussir
à instituer leurs écoles que grâce aux efforts de classification et
d’émondage de Mâlik. Al-Shâfi‘î a dit : “L’homme qui m’a le plus
fait profiter du savoir est Mâlik”. On sait également que les recueils
de hadiths et de traditions comme le sahîh de Muslim et le sunan
d’Abû Dâwud et ce qui concerne le fiqh dans le sahîh d’al-Bukhârî
et le recueil al-jâmi‘ d’al-Tirmidhî s’inspirent d’al-muwatta’ et
tournent dans son orbite ». 2

Al-muwatta’, livre didactique, cohérent et faisant


l’accord d’éminents savants
Comme son nom l’indique, le muwatta’ est un livre qui expose
clairement et méthodiquement les traditions et le fiqh et les rend

1 Tazyîn al-mamâlik bi manâqib Mâlik d’al-Suyûtî, p.64.


2 Al-musawwâ min ahâdîth al-muwatta’ d’al-Dahlawî, p.5.

25
Introduction

accessibles aux gens. Il est en effet rapporté que Mâlik a long-


temps pensé au nom qu’il devrait donner au livre qu’il a composé,
puis un jour il vit en songe le Prophète r qui lui disait : « Rends
le savoir accessible (watti’) aux gens ». Il appela alors son livre
al-muwatta’ ». 1
D’ailleurs, en consultant le muwatta’, on constate le souci de
Mâlik d’éclaircir ce qui paraît incohérent aux gens. C’est pourquoi
il a été prolixe dans son développement de certaines questions
comme celles qui concernent la vente et concis dans d’autres.
Parmi les notions qui ressortent du terme muwatta’, il y a la
notion de cohérence et d’accord. En effet, Mâlik a veillé à présen-
ter la moelle de la Sunna, à éviter les contradictions et les incohé-
rences et à donner des avis juridiques qui font l’objet de l’accord des
savants de Médine. Concernant l’accord des savants, il est rapporté
que Mâlik a dit : « J’ai soumis ce livre à soixante-dix savants qui font
partie des érudits de Médine et ils l’ont tous approuvé (wâta’anî
‘alayh). Je l’ai alors appelé al-muwatta’ (livre ayant fait l’objet d’un
accord) ». 2
Je pense que l’une des raisons qui ont poussé Mâlik à écrire
le muwatta’ c’est une demande du calife Abbasside Abû Ja‘far al-
Mansûr, surtout que le plan et la méthode proposés par celui-ci
furent appliqués par l’imâm Mâlik. Le cadi ‘Iyâd a dit : « Selon une
tradition, al-Mansûr a dit à Mâlik : “Ô Abû ‘Abd Allah ! Fais une
synthèse de ce savoir, classe ses enseignements par thèmes, évite
le rigorisme d’Ibn ‘Umar, les licences d’Ibn ‘Abbâs et les singulari-
tés d’Ibn Mas‘ûd. Suis la voie de juste milieu et ce qui fait l’accord
des imâms et des Compagnons du Prophète r” ». 3

Méthode suivie par Mâlik dans la composition du


muwatta’
Parlant de son muwatta’, Mâlik a dit : « Il comporte des hadiths
de l’Envoyé d’Allah, des paroles des Compagnons et des Suivants
et mes opinions. Seulement toute opinion que j’émets repose sur
1 Tanwîr al-hawâlik sharh muwatta’ Mâlik de Jalâl al-Dîn al-Suyûtî (1/7 — Ed. al-Halabî), livre
d’exégèse d’al-Zurqânî, p. 235.
2 Tanwîr al-hawâlik d’al-Suyûtî (1/7 — Ed. al-Halabî).
3 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (1/193).

26
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

un effort de réflexion et sur les enseignements des savants de ma


cité (Médine) que j’ai pu rencontrer sans me distinguer d’eux pour
chercher ailleurs ». 1
Le muwatta’ est composé de livres (kitâb) (sections) et les livres
sont subdivisés en chapitres (bâb). Sous chaque chapitre il existe
des hadiths et/ou des paroles des Compagnons et des Suivants et/
ou ce qu’il a déduit comme qualifications juridiques de la pratique
médinoise, ou du raisonnement analogique (qiyâs), ou d’autres
principes de son école.

Les hadiths et les traditions dans le muwatta’


En ce qui concerne les hadiths, Mâlik les met dans l’ordre
suivant :
1. Les hadiths dont la chaîne de transmission est continue
depuis Mâlik jusqu’à l’Envoyé d’Allah r.
Exemple : Mâlik rapporte ceci sur l’autorité 2 d’Abû al-Zinâd,
lequel le rapporte sur l’autorité d’al-‘Araj, lequel le rapporte sur
l’autorité d’Abû Hurayra t, lequel rapporte que l’Envoyé d’Allah r
a dit : « Quand la chaleur est excessive, remettez la prière au
moment où il fait frais, car la chaleur intense est une émanation de
la Géhenne ».
2. Les hadiths mursal.
On qualifie un hadith de mursal quand il manque dans sa
chaîne de transmission l’intermédiaire — ou les intermédiaires —
entre le Suivant (tâbi‘î) et le Prophète r.
Exemple : Mâlik rapporte ceci sur l’autorité de Zayd Ibn Aslam,
lequel le rapporte sur l’autorité de ‘Atâ’ Ibn Yasâr, lequel rapporte
que l’Envoyé d’Allah r a dit : « La chaleur intense est une émana-
tion de la Géhenne. Quand la chaleur est excessive, remettez la
prière au moment où il fait frais ».
Ce hadith est rapporté ici avec une chaîne de transmission
qui ne comporte pas d’intermédiaires entre ‘Atâ’ Ibn Yasâr et le
Prophète r. ‘Atâ’ est un Suivant, il n’a pas vu le Prophète r, mais

1 Tartîb al-madârik du cadi ‘Iyâd (2/73).


2 A propos du terme « sur l’autorité », nous avons mis une note sous le premier hadith de notre
traduction.

27
Introduction

il a rencontré beaucoup de ses Compagnons. Ce hadith est donc


mursal. Les hadiths mursal qui se trouvent dans al-muwatta’ sont,
pour la plupart, authentiques.
3. L
 es hadiths comportant à un moment de leur chaîne une ou
plusieurs interruptions (munqati‘).
Exemple : Mâlik rapporte ceci sur l’autorité de Zayd Ibn Aslam,
lequel rapporte que ‘Umar Ibn al-Khattâb t interrogea l’Envoyé
d’Allah r au sujet de la kalâla. L’Envoyé d’Allah lui répondit : « Il te
suffit de connaître le verset qui a été révélé au mois d’été et qui se
trouve à la fin de la sourate Les femmes ».
Ce hadith comporte une interruption entre Zayd et ‘Umar.
Toute une génération sépare les deux, mais il est rapporté avec une
chaîne complète et sûre par Muslim.
4. Les hadiths dont la chaîne s’arrête au Compagnon sans
remonter au Prophète r (mawqûf).
Exemple : Mâlik rapporte ceci sur l’autorité d’Abû al-Nadr,
l’affranchi de ‘Umar Ibn ‘Ubayd Allah, lequel le rapporte sur l’auto-
rité de Busr Ibn Sa‘îd, lequel le rapporte sur l’autorité de Zayd Ibn
Thâbit t, lequel a dit : « La meilleure prière est celle que vous faites
dans vos maisons, sauf la prière prescrite ».
La chaîne de ce hadith s’arrête ici au Compagnon Zayd Ibn
Thâbit, mais on trouve dans le sahîh d’al-Bukhârî et celui de Muslim
que cette chaîne remonte au Prophète r (marfû‘), c’est-à-dire que
c’est le Prophète r lui-même qui a dit : « La meilleure prière est
celle que vous faites dans vos maisons, sauf la prière prescrite ».
5. Le balâgh de Mâlik.
Parfois, l’imâm Mâlik cite un hadith sans chaîne de trans-
mission. Il dit tout simplement : « Il m’est parvenu que l’Envoyé
d’Allah r a dit… » ou « Il est parvenu à tel rapporteur que l’Envoyé
d’Allah r a dit… ». Les savants du hadith appellent cela le « Il m’est
parvenu » (balâgh) de Mâlik. La mémoire du Hadith (al-hâfiz)
Ibn ‘Abd al-Barr a recensé tous les balâgh de l’imâm Mâlik qui se
trouvent dans al-muwatta’ et il a pu établir leurs chaînes de trans-
mission, sauf quatre balâgh qui sont les suivants :
— Hadith n°229 : Mâlik rapporte qu’il lui est parvenu que l’En-
voyé d’Allah r a dit : « J’oublie certaines choses quand je suis éveillé

28
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

et Allah me fait oublier certaines choses durant mon sommeil pour


que, sur la base de cet oubli, j’établisse de nouvelles règles ».
— Hadith n°463 : Mâlik rapporte qu’il lui est parvenu que l’En-
voyé d’Allah r disait : « Si un vent venant de la mer (du côté ouest)
a formé un nuage et que celui-ci s’est dirigé vers le Shâm (la Syrie),
c’est un signe qui annonce la tombée d’une bonne pluie ».
— Hadith n°724 : Mâlik rapporte qu’il a entendu des savants,
qu’il juge crédibles, dire : « L’Envoyé d’Allah a été renseigné par
Révélation de l’âge des membres des communautés précédentes
— ou ce qu’Allah a voulu lui montrer. L’âge des membres de sa com-
munauté lui parut court et il craignit qu’ils ne puissent pas accom-
plir autant d’œuvres qu’avaient accomplies leurs prédécesseurs qui
vivaient longtemps. Allah lui accorda alors la nuit du qadr qui est
meilleure que mille mois ».
— Hadith n°1726 : Mâlik rapporte que Mu‘âdh a dit : « La der-
nière recommandation que m’avait faite l’Envoyé d’Allah quand j’ai
mis le pied à l’étrier [pour me rendre au Yémen] était la suivante :
“Aie un bon comportement envers les gens ô Mu‘âdh Ibn Jabal” ».
Ibn al-Salâh (m. 1245 apr. J.-C.) a écrit une épître 1 dans laquelle
il a essayé d’établir les chaînes de ces quatre balâgh. Cette épître a
pu être sortie de l’ombre par le savant du Hadith du Maroc ‘Abd
Allah Ibn al-Siddîq al-Ghumârî et elle a été vérifiée par le Dr Saïd
Al Kamali.
6. Les propos des Compagnons et des suivants.
Mâlik cite leurs paroles pour appuyer une disposition légale
(hukm) ou pour démontrer que l’énoncé juridique d’un hadith qui a
été déjà cité n’a pas été abrogé.

Les avis de Mâlik dans le muwatta’


En plus des hadiths et des traditions, Mâlik cite ses déductions.
Celles-ci reposent sur ses interprétations des versets, des hadiths
ou des traditions, la pratique médinoise (‘amal ahl al-madîna),
le raisonnement analogique (qiyâs), la considération de l’intérêt
général (maslaha), le principe de la fermeture des incidences pré-

1 Wasl balâghât Mâlik d’Ibn al-Salâh.

29
Introduction

judiciables (sadd al-dharâ’i‘), les finalités de la religion (maqâsid


al-sharî‘a) et d’autres principes de son école.
1. La pratique médinoise.
La première société musulmane est la société médinoise. C’est
la société qui s’est modelée le plus sur l’exemple du Prophète r.
La Sunna prophétique au sein de cette société consistait non seu-
lement en des témoignages sur les propos et les faits et gestes de
l’Envoyé d’Allah r, transmis par voie orale et plus tard par voie
écrite, mais elle consistait également en l’existence à Médine de
modèles à travers lesquels les gens voyaient les enseignements et
les pratiques prophétiques. Les choses sont telles que durant plu-
sieurs générations, la Sunna était, dans sa majeure partie, une pra-
tique courante au sein de la société médinoise. Pour ces raisons et
pour d’autres, l’imâm Mâlik s’était beaucoup fondé sur la pratique
médinoise. Il concluait souvent les chapitres de son muwatta’ par
les expressions suivantes : « Ce qui fait l’unanimité chez nous, à ce
titre, est… », « La règle selon laquelle il n’y a pas de divergence chez
nous, à ce sujet, est… », « C’est la règle en cours chez nous », etc.
Quand il y a plusieurs avis des savants de Médine sur une
même question, Mâlik faisait prévaloir, par la voie de l’ijtihâd, un
de ces avis sur les autres et disait : « C’est ce que j’ai entendu de plus
satisfaisant », « C’est ce que j’ai entendu de meilleur », « Cet avis
me plaît le plus », ainsi que d’autres expressions de ce genre.
2. Ses interprétations des textes scripturaires.
Concernant son interprétation d’un verset du Coran, on peut
citer, à ce titre, l’exemple suivant :
Sous le chapitre 5 du livre du vendredi, il est écrit ceci : Mâlik
rapporte qu’il a interrogé Ibn Shihâb sur le sens de la parole sui-
vante d’Allah, béni et élevé soit-Il : ( Vous qui croyez, quand on vous
appelle à la prière à un moment fixe du vendredi, entreprenez le
dhikr d’Allah (fa s‘aw ilâ dhikrillâh) ) (S.62, 9).
Ibn Shihâb a dit : « ‘Umar Ibn al-Khattâb récitait ce verset
selon la lecture suivante : « Quand on vous appelle à la prière à un
moment fixe du vendredi, rendez-vous au dhikr d’Allah (fa mdû ilâ
dhikrillâh) ».

30
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Mâlik objecta : « Dans le Livre d’Allah le terme sa‘y (dont dérive


le verbe is‘aw) signifie l’œuvre et l’action. Allah, béni et élevé soit-
Il, a dit :
( Dès qu’il tourne le dos, il se démène (sa‘â) sur la terre ) (S.2,
205).
( tandis que celui qui vient vers toi, avec empressement (yas‘â),
mû par la crainte d’Allah ) (S.80, 8-9).
( puis tourna le dos pour s’affairer (yas‘â) ) (S.79, 22).
( Vos efforts (sa‘yakum) sont multiples ) (S.92, 4) ».
Mâlik ajouta : « Le sa‘y qu’Allah a mentionné dans Son Livre ne
signifie pas la marche à pied à vive allure, ou la course à pied, mais
il signifie l’œuvre et l’action ».
3. Le raisonnement par analogie.
Exemple : Sous le chapitre 3 intitulé La zakât des mines, Mâlik
a dit : « J’estime — et Allah est le plus savant — qu’on ne doit per-
cevoir aucune redevance sur ce qu’on extrait d’une mine, jusqu’à ce
qu’il atteigne la valeur de vingt dinars en or ou deux cent dirhams
[en argent]. Une fois qu’il atteint cette valeur, on en prend, à titre
de zakât, la part qui lui est proportionnelle ».
Il a fait dans ce jugement l’analogie (qiyâs) entre la mine et les
produits des plantes, car il a dit juste après : « La mine est comme
les plantes, on en extrait le minerai comme on récolte les produits
des plantes ; quand le minerai est extrait de la mine, on paie sa
zakât le jour-même de son extraction et on ne doit pas attendre le
passage d’une année entière pour le faire. C’est de cette manière
qu’on procède concernant les produits des plantes ; on s’acquitte
de leur zakât — qui est le dixième — au moment de leur récolte et
on ne doit pas attendre l’écoulement d’une année entière pour le
faire ».
4. La considération de l’intérêt général.
Exemple : Sous le chapitre 1 du livre du mariage, on trouve cette
explication de Mâlik qui met en œuvre la question de l’intérêt : « A
propos de la parole du Prophète r : “Ne demandez pas en mariage
une femme qui a déjà été demandée en mariage par votre frère
dans la foi”, voici l’explication qui nous paraît pertinente — et Allah
est le plus savant — [ce hadith parle du cas suivant] : “L’homme

31
Introduction

demande en mariage une femme. Celle-ci jette son dévolu sur lui.
Ils se mettent d’accord sur la valeur du douaire nuptial. Ils sont
satisfaits l’un de l’autre. Elle lui propose ses conditions”. C’est cette
femme qu’il est interdit de demander en mariage. Le Prophète r
n’entend pas par ce hadith interdire de demander la main d’une
femme qui a été sollicitée par un homme dont la situation ne lui
convient pas et pour lequel elle n’a pas d’inclination. Il faut faire
attention de ne pas prendre cette interdiction dans son sens absolu,
car cela a causé beaucoup de problèmes aux familles ».
5. Le principe de la fermeture des incidences préjudiciables.
Quand un acte qui est à la base licite fraie le chemin à une
infraction religieuse, Mâlik intervient pour l’interdire. 1 Sous le
livre du jeûne, chapitre 1, on trouve écrit que Mâlik a dit : « Celui
qui est le seul à voir le croissant de la lune du mois de Shawwâl
ne doit pas rompre son jeûne. S’il le fait, il suscitera des soupçons,
car il existe des gens malhonnêtes qui peuvent rompre leur jeûne
volontairement et lorsqu’ils sont dénoncés, ils diront : « Nous
avons aperçu la nouvelle lune ». Celui qui voit le croissant du mois
de Shawwâl au cours de la journée ne doit pas rompre son jeûne,
mais doit continuer jusqu’au coucher du soleil, car il est le croissant
de la nuit qui suit ».
On trouve dans le muwatta’ plusieurs opinions personnelles
de l’imâm Mâlik. Mon ami et voisin le professeur Tayeb Chtab
a recensé quatre-vingt-trois endroits du muwatta’ (d’après la
version de Yahyâ Ibn Yahyâ) dans lesquels Mâlik émet une opinion
personnelle. 2

Des chapitres de synthèse


L’imâm Mâlik suit une méthode instructive dans son muwatta’ ;
quand il met une série de chapitres sur un thème particulier, il y
1 Mâlik s’inspire dans ce principe du Coran et de la Sunna. Dans le verset 108 de la sourate 6
(al-an‘âm), Allah a dit : ( N’insultez pas ceux qu’ils invoquent en dehors d’Allah, car ils insulte-
raient Allah, par hostilité, sans la moindre science ). Allah a interdit dans, ce verset, d’insulter les
divinités des associateurs bien que cette attitude démontre qu’on défend farouchement la cause
d’Allah et constitue une humiliation de leurs idoles. La raison de cette interdiction est que cela
les pousserait à insulter Allah.
2 Voir l’article du Dr Tayeb Chtab intitulé « L’opinion personnelle chez l’imâm Mâlik dans son livre
al-muwatta’, son concept, ses principes et ses sources ». La revue marocaine majallat al-madhab
al-mâlikî , n°24 (1439 H/2017).

32
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

ajoute un chapitre qui constitue en quelque sorte une synthèse de


ce qui précède et qui réunit des questions diverses. Dans ce cha-
pitre, il fait deux choses :
— il réunit les textes de la Sunna qui comportent des détails juri-
diques qui ne se trouvent pas dans les chapitres précédents ;
— il cite à propos du thème abordé les hadiths et les traditions
qui inspirent le désir du Paradis et la crainte du châtiment
(al-targhîb wal-tarhîb). Cela signifie qu’il introduit la ques-
tion éducative dans ses chapitres.

Livre de synthèse
Mâlik a procédé de la même manière concernant les livres de
son ouvrage. Il a en effet conclu son muwatta’ par un livre qu’il a
appelé Livre de synthèse (kitâb al-jâmi‘). 1
Voici ce que l’exégète et le jurisconsulte Ibn al-‘Arabî al-Mu‘âfirî
a dit à propos du livre de synthèse : « En matière de composition
des livres, Mâlik ? est le premier à élaborer ce thème qui comporte
deux utilités :
— la première : ce thème n’entre pas le cadre de l’assujettisse-
ment aux lois qu’il a divisées en différents chapitres et clas-
sées par catégories ;
— la deuxième : il a médité la charia et ses différentes catégories
et a vu qu’elle se divise en ordres et en interdictions ; en pra-
tiques cultuelles (‘ibâda) et en relations sociales (mu‘âmala) ;
en peines légales et en normes qui gèrent l’usage commun.
Il les a alors classés par disciplines et a lié chaque catégorie
avec la catégorie qui s’y apparente. Seulement, il y a dans
la religion des enseignements singuliers qu’on ne peut pas
ranger dans une seule discipline à cause de leurs différences.
Il ne peut pas consacrer à chacun d’eux un livre à part parce
qu’ils sont succincts et il ne désire pas, non plus, en déve-

1 Le lecteur constatera que dans notre traduction, le livre de synthèse est suivi d’autres livres
(livre du destin, livre de la perfection des mœurs…). En fait, nous avons ajouté le mot livre aux
titres principaux qui sont sous le livre de synthèse et qui traitent de thèmes qui font partie de
celui-ci. Si nous l’avons fait, c’est pour respecter la subdivision de l’édition de Fu’âd ‘Abd al-Bâqî
qui est la plus connue et la plus étudiée. Nous expliquerons ce point quand nous arriverons aux
remarques méthodologiques.

33
Introduction

lopper ce qui est possible de développer. Il a alors réuni ces


divers enseignements dans un ensemble qu’il a appelé Livre
de synthèse ». 1

Mâlik et son respect de la diversité


Ibn ‘Abd al-Barr rapporte que Mâlik Ibn Anas a dit : « Quand
[le calife] Abû Ja‘far al-Mansûr a fait le pèlerinage, il m’envoya
une convocation à laquelle je répondis. Après une séance sur les
hadiths et après avoir répondu à des questions qu’il me posa, il me
dit : “J’ai décidé de donner l’ordre de transcrire les livres que tu as
composés — c’est-à-dire le muwatta’ — et d’en envoyer à chacune
des métropoles du territoire musulman une copie en leur imposant
d’en appliquer les enseignements sans les dépasser et d’abandonner
les autres enseignements tirés de ce savoir qui vient d’être inventé.
J’ai en effet constaté que le fondement du savoir réside dans les
traditions communiquées par les gens de Médine et leur science”.
Je lui dis : ”Ne le fais pas, Émir des croyants ! Car les gens ont déjà
reçu des propos des pieux Prédécesseurs, ont entendu des hadiths
et ont transmis des traditions. Chaque peuple a en effet donné son
assentiment au savoir qu’il a reçu au départ, a agi en fonction de ses
enseignements et a acquis la conviction que cette conformité est
la voie de soumission à la religion d’Allah. Or ce savoir comporte
des différences puisqu’il existe des divergences d’opinions entre
les Compagnons de l’Envoyé d’Allah, et il est difficile d’amener ces
peuples à renoncer aux idées auxquelles ils croyaient. Laisse les
gens suivre la voie qu’ils ont déjà empruntée et respecte le choix de
chaque peuple”. Abû Ja‘far dit : “Je jure que si tu m’avais donné ton
accord, je l’aurais fait volontiers” ». 2

1 Voir le livre d’exégèse d’Ibn al-‘Arabî al-qabas fî sharh muwatta’ Mâlik Ibn Anas. Ed. Dâr al-Gharb
al-Islâmî, 1992, page 1082.
2 Jâmi‘ bayân al-‘ilm wa fadlih n°870. Ed. Dâr Ibn al-Jawzî. Royaume d’Arabie Saoudite. Première
édition 1994.

34
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Les versions du muwatta’ et la version que nous avons


choisi de traduire
L’imâm Mâlik a composé le muwatta’ durant plusieurs années
— quarante ans selon certaines sources —, puis l’a enseigné le
restant de sa vie. Pendant cette période, les gens venaient de toutes
parts chez lui pour apprendre le muwatta’, puis retournaient chez
eux pour le transmettre à leurs peuples. Or, pendant qu’il ensei-
gnait le muwatta’, Mâlik n’a pas cessé de le réviser, d’y apporter des
modifications et de l’émonder au fur et à mesure qu’il évoluait dans
le fiqh et le hadith. C’est ce qui explique d’ailleurs l’existence des
différences entre les versions du muwatta’, selon que celui-ci soit
rapporté par tel ou tel disciple.
Les disciples de Mâlik qui ont reçu le muwatta’ de sa bouche et
l’ont transmis sont très nombreux. Ibn Nâsir al-Dîn (m.840H/1436
apr. J.-C.) en a recensé soixante-dix-neuf 1. Le Dr Ahmad Mustafâ
al-A‘zamî en a recensé cent.
Je vais citer ci-dessous quelques-uns des plus éminents rap-
porteurs du muwatta’ dont la version nous est parvenue en partie
ou en totalité :
— l ’imâm al-Shâfi‘î : dans le recueil al-sunan al-kubrâ d’al-
Bayhaqî, on trouve la version du muwatta’ rapportée par
l’imâm al-Shâfi‘î.
—M  uhammad Ibn al-Hasan al-Shaybânî : il est le disciple
de l’imâm Abû Hanîfa. C’est sa version du muwatta’ qui
est étudiée par les hanafites en Orient. Cette version a été
éditée. Elle a été commentée et vérifiée par le professeur
en science du hadith à l’université al-Azhar ‘Abd al-Wahhâb
‘Abd al-Latîf.
— Abû Muhammad Suwayd Ibn Sa‘îd Ibn Sahl Ibn Shahrayâr
al-Hadathânî : il est l’un des maîtres de l’imâm Muslim et
d’Ibn Mâjah. Sa version a été éditée par Dâr al-Gharb al-
Islâmî. Elle a été vérifiée par le Dr ‘Abd al-Majîd Turkî. Le
manuscrit où est consignée cette version est incomplet.
Beaucoup de chapitres manquent.

1 Voir ithâf al-sâlik bi ruwât al-muwatta’ ‘an al-imâm Mâlik (livre sur les transmetteurs du
muwatta’) — Ed. Dâr al-Kutub al-‘Ilmiyya.

35
Introduction

— Abû ‘Abd al-Rahmân ‘Abd Allah Ibn Maslama Ibn Qa‘nab


al-Hârithî al-Qa‘nabî : il est l’un des maîtres d’al-Bukhârî,
Muslim, al-Nasâ’î, Abû Dâwud et d’al-Tirmidhî. Sa version a
été éditée par Dâr al-Gharb al-Islâmî. Elle a été vérifiée par
le Dr ‘Abd al-Majîd Turkî.
— Abû Mus‘ab Ahmad Ibn Abî Bakr Ibn al-Hârith Ibn Zurâra
Ibn Mus‘ab Ibn ‘Abd al-Rahmân Ibn ‘Awf le Médinois : il est
connu sous le nom d’Abû Mus‘ab al-Zuhrî. Il occupait la fonc-
tion de juge. Il est l’un des maîtres d’al-Bukhârî et Muslim. Sa
version est la plus longue. Elle a été éditée par Mu’assassat
al-Risâla. Elle a été vérifiée et commentée par le Dr Bashshâr
‘Awwâd Ma‘rûf et Mahmûd Muhammad Khalîl.
— Abû Zakariyya Yahyâ Ibn ‘Abd Allah Ibn Bukayr le
Qurayshite : il est l’un des maîtres d’al-Bukhârî et Muslim.
Sa version est consignée dans d’anciens et précieux manus-
crits qui se trouvent dans la bibliothèque de l’université
d’Istanbul et la bibliothèque al-Zâhiriyya à Damas.
— ‘Abd al-Rahmân Ibn al-Qâsim Ibn Khâlid Ibn Junâda al-
‘Utqî : il est le premier qui a introduit le muwatta’ en Égypte
et c’est lui qui a rapporté le livre al-mudawwana de la bouche
de Mâlik. Des morceaux de sa version ont été édités par al-
Majma‘ al-Thaqâfî à Abû Dhabi.
— ‘Alî Ibn Ziyâd al-‘Absî al-Tûnusî : il est considéré comme
étant l’un des premiers qui ont rapporté le muwatta’ de
la bouche de Mâlik et le premier qui a semé les graines de
l’école malékite en Tunisie. Il a reçu le savoir de Mâlik et
d’al-Layth Ibn Sa‘d. Le premier qui a fait sortir de l’ombre un
manuscrit de la version d’Ibn Ziyâd est le savant tunisien
Mohamed Chedly Ennaifer (n. 1911, m.1997) et depuis elle
n’a cessé d’être éditée, mais elle ne comporte que quelques
livres du muwatta’.
— Yahyâ Ibn Yahyâ Ibn Kathîr Ibn Wislâs Ibn Shamlal al-Laythî :
il est l’un des érudits de l’Espagne musulmane (al-andalus).
Il est né en 152 de l’hégire (768 apr. J.-C) au sein d’une tribu
berbère appelée Masmûda se trouvant à Tanger (Maroc). Il
doit son appartenance à la tribu arabe Layth à la conversion
en Islam de son grand-père Wislâs par ­l’intermédiaire de

36
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

Yazîd Ibn Abî ‘Âmir qui est issu de la tribu de Layth Kinâna 1
lors de la conquête musulmane du Maghreb.
Il a reçu l’enseignement du mufti de l’Espagne musulmane, à
cette époque-là, Ziyâd Ibn ‘Abd al-Rahmân qui est connu sous le
nom de Shabtûn (m. 204H/819 apr. J.-C.). Ziyâd fut le premier qui
introduisit le muwatta’ de Mâlik en Espagne musulmane. 2 Selon
d’autres sources, c’est al-Ghâzî Ibn Qays qui fut le premier à l’intro-
duire en Espagne musulmane. Que ce soit l’un ou l’autre, en tout
cas ces deux savants étaient contemporains.
Ziyâd encouragea Yahyâ à se rendre à Médine pour recevoir
le muwatta’ directement de la bouche de Mâlik. Ce qu’il fit. A
Médine, Mâlik fut séduit par le charisme de Yahyâ et sa sagesse et
le surnomma « L’homme sensé (al-‘âqil) ». 3
Yahyâ revint en Espagne musulmane avec un riche savoir qu’il
a reçu de Mâlik à Médine ; de Sufyân Ibn ‘Uyayna à La Mecque ;
d’al-Layth Ibn Sa‘d, de ‘Abd Allah Ibn Wahb et de ‘Abd al-Rahmân
Ibn al-Qâsim en Égypte. Les étudiants en quête de savoir affluèrent
vers lui de tous les coins de l’Occident musulman. Il leur apporta
l’intégralité du muwatta’ qu’il a reçu de la bouche de l’imâm Mâlik,
à l’exception de quelques chapitres du livre sur la retraite spirituelle
qu’il a rapportés de la bouche de Ziyâd. 4 D’après certaines sources,
Yahyâ a eu un doute au sujet de ces chapitres ; il ne se rappelait plus
s’il les a reçus de Mâlik. Pour s’en assurer, il s’est rendu chez Ziyâd

1 En Islam, l’appartenance dite walâ’ (patronat) — et qui est autre que l’appartenance par la
voie de la filiation — peut être une appartenance liant l’affranchi à un affranchisseur, ou une
appartenance par alliance (hilf), ou une appartenance liant un homme qui était incroyant à celui
qui l’a guidé vers l’Islam, car en guidant quelqu’un vers l’Islam, c’est comme si on l’avait affranchi
puisqu’on le libère du joug de l’incroyance.
2 Voir nafh al-tîb (2/252-253) d’al-Maqqarî al-Tilimsânî — Ed. Le Caire, 1949.
3 Les orientalistes ont traduit al-‘âqil par l’intelligent. Cette traduction littérale est réductrice, elle
fait perdre à ce qualificatif sa profondeur, son ampleur et sa finesse. Étymologiquement, al-‘aql
dérive du verbe ‘aqala qui signifie « attacher fermement », « maîtriser ». Ce nom recèle alors les
notions de maîtrise de soi, de pondération et de raison. Mâlik entend en effet par ce qualificatif
la sagesse de Yahyâ, sa pondération et sa raison, en plus de son intelligence. Quiconque étudie la
vie de Yahyâ s’aperçoit de ces qualités.
4 Comme le lecteur le constatera dans notre traduction, il s’agit des chapitres suivants : Chapitre
3 : La sortie du lieu de retraite spirituelle pour assister à la prière de la fête de la rupture du jeûne,
Chapitre 4 : Le rattrapage de la retraite spirituelle, Chapitre 5 : Le mariage durant la retraite spi-
rituelle, le premier hadith (n°718) du chapitre 6 : Ce qui a été rapporté au sujet de la nuit du destin.

37
Introduction

Ibn ‘Abd al-Rahmân qui les lui a transmis et il en a complété sa


version du muwatta’. 1
La version du muwatta’ de Yahyâ Ibn Yahyâ a été entourée
d’un intérêt particulier par les savants de l’Espagne musulmane.
D’éminents exégètes se sont fondés sur cette version dans leur expli-
cation du muwatta’, notamment Ibn ‘Abd al-Barr dans ses livres al-
istidhkâr et al-tamhîd, Abû al-Walîd al-Bâjî dans ses livres al-isîfâ’,
al-muntaqâ et al-îmâ’, Jâlâl al-Dîn al-Suyûtî dans son livre tanwîr
al-hawâlik et al-Zurqânî dans son livre d’exégèse. Plus tard, cette
version s’est tellement répandue dans le monde entier, au point
que quand on évoque le muwatta’, on fait automatiquement réfé-
rence à la version de Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî. L’une des raisons
de cette notoriété est que Yahyâ Ibn Yahyâ a longtemps accompa-
gné Mâlik. Il était à son chevet jusqu’à sa mort et il était présent
lors de ses funérailles. Cela signifie qu’il a assisté à la dernière mise
au point par Mâlik de son muwatta’ et donc on peut considérer que
sa version est la version ultime et définitive du muwatta’.
Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî est mort à Cordoue au mois de
Rajab (7ème mois du calendrier lunaire) en 234 de l’hégire (849
apr. J.-C). 2
C’est la version de Yahyâ Ibn Yahyâ que nous avons choisi de
traduire.

1 Histoires des jurisconsultes et des traditionnistes (akhbâr al-fuqahâ’ wal-muhaddithîn) de


Muhammad Ibn al-Hârith al-Khushanî (m.361/971 apr. J.-C.). Œuvre vérifiée par Luisa Avilla
et Luis Molina, 1992, page 348. Edition du Conseil supérieur de recherche scientifique. Madrid.
2 Al-muqatabas d’Ibn Hayyân al-Qurtubî, p.218.

38
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

REMARQUES MÉTHODOLOGIQUES
Nous avons utilisé pour notre traduction l’édition du m
­ uwatta’ 1
faite par les soins d’un des plus éminents savants du hadith et
l’un des meilleurs recenseurs (muhaqqiq) des manuscrits dans ce
domaine, à savoir le Dr Muhammad Mustafâ al-A‘zamî 2. Il s’est
fondé pour cette édition sur un manuscrit datant de 613H/1216
apr. J.-C. se trouvant à la Bibliothèque Nationale du Royaume
du Maroc sous le numéro g 807. C’est un manuscrit sur peau de
gazelle de trois cent cinquante six pages. L’écriture y est fine et en
style maghrébin et comporte les points diacritiques et les signes
indiquant les voyelles courtes. Après des recherches fastidieuses
et un long périple dans les bibliothèques de nombreux pays, le Dr
Mustafâ al-A‘zamî a conclu que ce manuscrit est vraiment précieux
du fait qu’il est complet, moins usé et comportant à sa marge des
indications sur certaines variantes qui se trouvent dans les autres
versions du muwatta’.
Nous avons reproduit l’intégralité du texte en arabe tel qu’il
a été édité par le Dr Mustafâ al-A‘zamî — mais sans les quelques
notes qui se trouvent à sa marge. Le lecteur remarquera que nous
avons mis une page en français et à sa droite une page en arabe. La
page en français est une traduction de la page correspondante en
arabe.
Pour ne pas surcharger notre livre et pour des raisons tech-
niques, nous n’avons pas transcrit les notes qui étaient à la marge
du manuscrit, mais nous en avons traduit quelques-unes en cas de
besoin. De même nous n’avons pas transcrit les notes du Dr Mustafâ
1 Cette œuvre a été éditée par la Fondation caritative et humanitaire Zayed Bin Sultan Al-Nahyane.
Abu Dhabi, 2004.
2 Il est né à Mau en Inde en 1932 et il est mort à Riyad le 20 décembre 2017. Il a fait ses études
successivement à l’université islamique Darul Uloom Deoband en Inde (1952), à l’université al-
Azhar (1955) et à l’université de Cambridge (1966) où il a soutenu sa thèse de doctorat ayant pour
titre Studies in Early Littérature. Il est connu pour son étude critique des théories des orientalistes
Ignac Goldziher, David Samuel Margoliouth et Joseph Shacht. Il a enseigné en Arabie Saoudite,
aux États-Unis et au Royaume Uni. Il a recensé et édité les œuvres suivantes : sahîh Ibn Khuzayma,
sunan Ibn Mâjah, le livre al-tamyîz de l’imâm Muslim, le livre al-‘ilal (livre sur la critique du hadith)
de ‘Alî Ibn al-Madînî (le maître principal d’al-Bukhârî), le livre al-maghâzî (livre sur les expéditions
du Prophète r) de ‘Urwa Ibn al-Zubayr, le muwatta’ de l’imâm Mâlik (voir notre traduction). Il a
institué un centre ayant pour objet l’utilisation du numérique au service de la Sunna prophétique.
Ses efforts lui ont valu d’être le récipiendaire du Prix international du roi Fayçal pour les études
islamiques.

39
Introduction

al-A‘zamî, quoique nous en ayons indiquées celles qui nous parais-


saient intéressantes dans notre traduction. Nous avons choisi de
mettre des notes qui sont le fruit de nos propres recherches. La
raison en est que nous nous adressons à un lectorat francophone
ayant sa propre culture, auquel nous voulons rendre accessible ce
chef d’œuvre qu’est le muwatta’ et que nous voulons familiariser
avec ses questions et ses mots techniques. Nous espérons qu’il
servira de référence, de précurseur et de source d’inspiration pour
la production d’autres œuvres instructives et parfaites.
En ce qui concerne l’ordre des livres (sections) du muwatta’ et
leur nombre qui diffèrent selon les manuscrits, nous avons respec-
té ceux de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî (m. 2 février
1968). La raison en est que cette édition est la plus répandue et
la plus étudiée et le fait de changer cet ordre ne nous paraît pas
pédagogique. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé le Dr
al-A‘zamî à ne pas respecter lui aussi l’ordre qui se trouve dans le
manuscrit.
Exemple : dans l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî,
le livre du partage de la succession est suivi du livre du mariage,
tandis que dans le manuscrit recensé par le Dr al-A‘zamî le livre du
partage de la succession est suivi du livre de l’affranchissement et
du patronat.
Nous avons également respecté, pour la même raison, la numé-
rotation de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî. Celui-ci
l’a empruntée de l’ouvrage Concordance et Indices de la tradition
musulmane qu’a commencé l’orientaliste hollandais Arent Jan
Wensinck (m. 1939) et qui fut complété par d’autres.
Quelqu’un pourrait émettre l’objection suivante : « Vous avez
adopté la numérotation de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd
al-Bâqî, mais vous ne l’avez pas utilisée dans votre traduction.
Quelle en est la raison ? »
A cette objection nous répondons que notre souci est de faire
une traduction fidèle à un manuscrit qui remonte à la version la plus
reconnue du muwatta’, à savoir celle de Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî.
Quand nous trouvons dans les livres d’exégèse ou d’autres livres
une remarque faite par les savants sur une erreur dans la chaîne
de transmission ou dans les termes d’un hadith, ou d’une tradition,

40
Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

ou d’une fatwa dans cette version, nous citons cette remarque dans
une note de bas de page sans prendre l’initiative de corriger « cette
erreur ». 1 Pour être plus clairs, nous ne changeons rien au texte
du manuscrit. 2 C’est d’ailleurs de cette manière que procèdent les
recenseurs des manuscrits. Or le professeur Muhammad Fu’âd
‘Abd al-Bâqî s’est servi de cinq manuscrits du muwatta’. Il a consi-
gné dans son édition tous les textes qui sont identiques dans les cinq
manuscrits et quand il trouve des variantes, il fait prévaloir ce qui se
trouve dans le livre d’exégèse d’al-Zurqânî et l’attribue à Yahyâ Ibn
Yahyâ. Cette méthode lui a valu les critiques des savants du hadith
et des recenseurs des manuscrits, notamment le Dr Bashshâr
Ma‘rûf ‘Awwâd qui lui a reproché d’avoir enfreint les règles de la
recension adoptées aussi bien par les chercheurs musulmans que
par les orientalistes. Quoiqu’il en soit, cela ne diminue en rien la
valeur de cet éminent professeur qui a rendu d’énormes services à
la Sunna prophétique.
Nous avons procédé à une recension des hadiths et des tradi-
tions qui se trouvent dans cette version du muwatta’. Nous avons
cité les principaux recueils dans lesquels ils se trouvent et qui
peuvent être le sahîh d’al-Bukhârî, le sahîh de Muslim, les recueils
dits al-sunan, le musnad de l’imâm Ahmad ou d’autres.
En ce qui concerne les hadiths mursal, les hadiths compor-
tant plusieurs interruptions dans leur chaîne, les balâgh de Mâlik,
quand nous trouvons dans les autres recueils ou les livres d’exégèse

1 Des savants ont prouvé que certaines erreurs attribuées à Yahyâ ne sont pas des erreurs, ou que
ce sont des erreurs des copistes.
2 Exemple : dans le hadith n°139, il est écrit que Mâlik rapporte ceci sur l’autorité de Hishâm Ibn
‘Urwa, lequel le rapporte sur l’autorité de son père, lequel le rapporte sur l’autorité de Fâtima Bint
al-Mundhir Ibn al-Zubayr, laquelle le rapporte sur l’autorité d’Asmâ’ la fille d’Abû Bakr le véridique,
laquelle a dit : « Une femme vint interroger l’Envoyé d’Allah et lui dit : « Que doit faire l’une de
nous lorsque son vêtement est taché de sang des menstrues ? ». Il répondit : « Lorsque l’une de
vous a son vêtement taché de sang des menstrues, elle doit frotter les taches avec le bout de ses
doigts et l’asperger d’eau. Elle peut ensuite faire la prière en gardant ce vêtement sur elle ». Nous
avons trouvé qu’Ibn ‘Abd al-Barr a dit que l’ajout du père de Hishâm Ibn ‘Urwa dans cette chaîne
est une erreur de Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî. Nous n’avons pas corrigé cette erreur en enlevant le
nom Hishâm Ibn ‘Urwa de la chaîne de transmission. Nous avons gardé le texte tel quel et nous
avons mis une note de bas de page dans laquelle nous avons écrit ceci : al-Bukhârî rapporte ce
hadith avec la chaîne suivante : ‘Abd Allah Ibn Yûsuf – Hishâm le fils de ‘Urwa – Fâtima la fille
d’al-Mundhir (l’épouse de Hishâm) - Asmâ’ la fille d’Abû Bakr. Dans son livre al-tamhîd (22/229),
Ibn ‘Abd al-Barr a dit que l’ajout du père de Hishâm Ibn ‘Urwa dans cette chaîne est une erreur de
Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî, le rapporteur du muwatta’, et que ‘Urwa (le père de Hishâm) n’a jamais
rapporté de hadith de Fâtima Bint d’al-Mundhir qui est sa belle fille.

41
Introduction

ces mêmes hadiths rapportés avec des chaînes complètes et sûres,


nous citons ces références.
Nous avons émaillé cette œuvre d’explications de certains mots
et phrases, d’éclaircissements, d’exemples, de petits commentaires,
de certains avis par lesquels l’école malékite s’est distinguée des
autres écoles, etc. Tout cela sous forme de notes servant en quelque
sorte de repères et d’éclairs de clairvoyance qui orientent le lecteur.
Du début à la fin de cette traduction, nous avons constamment
eu recours aux livres d’exégèse. Il a fallu lire attentivement le com-
mentaire du texte dans les livres al-tamhîd et al-istidhkâr d’Ibn
‘Abd al-Barr, puis dans al-muntaqâ d’al-Bâjî, puis dans al-qabas
d’Ibn al-‘Arabî al-Mu‘âfirî, puis dans le livre d’exégèse d’al-­Zurqânî,
puis dans d’autres livres d’exégèse. Il a fallu ensuite écouter des
enregistrements de cours expliquant le muwatta’ faits par les
savants contemporains, notamment ceux de l’érudit ‘Atiyya Ibn
Muhammad Sâlim (m. 1999) qui m’ont été d’un grand secours,
ceux du shaykh Mustafâ al-Bîhyâwî, ceux du Dr Saïd al-Kamali et
ceux du Dr Abû Bakr al-Sa‘dâwî. Tout cela afin de trouver le sens
pertinent pour devoir ensuite surmonter un autre obstacle qui est
celui de la terminologie avant de passer à la traduction. Nous nous
sommes heurtés en effet à des écueils glissants d’ordre terminolo-
gique, surtout que ce livre traite de différents thèmes ayant chacun
sa propre terminologie : le culte, les opérations commerciales, les
règles de succession, le droit pénal, le droit des contrats, l’éthique,
etc. Nous ne disposons malheureusement pas de lexiques, ou de
dictionnaires, ou de concordances, ou de synopses et les travaux
terminologiques manquent terriblement dans le monde musul-
man. Les seuls travaux qui existent sont ceux des orientalistes.
Puisque le muwatta’ est un livre de hadith et de fiqh, on risque
de prendre un nom employé dans son sens courant chez les Arabes
et le traduire d’après le vocabulaire des jurisconsultes et vice
versa. Beaucoup de pieds de traducteurs ont glissé au seuil de cette
question.
Prenons comme exemple la tradition suivante (n°1474) : Mâlik
rapporte qu’il lui est parvenu que ‘Umar Ibn al-Khattâb t a dit :
« Le témoignage des personnes en conflit avec le défendeur et le

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Le muwatta’ de l’imam Mâlik ?

témoignage des personnes dont l’impartialité est douteuse ne sont


pas recevables (zanîn) ».
Certains traducteurs ont compris ce terme zanîn selon le voca-
bulaire des juristes, c’est-à-dire « l’accusé » ou « le coupable ». Or
c’est d’après son emploi en langue arabe qu’il faut le comprendre
au départ, à savoir quelqu’un au sujet duquel on a des doutes, et
puisqu’on est dans un contexte de témoignage, il s’agit de quelqu’un
dont le témoignage suscite des doutes. D’où notre traduction « et
le témoignage des personnes dont l’impartialité est douteuse »
comme les descendants de l’accusé, ses ascendants et sa conjointe.
Le livre des ventes a été particulièrement difficile. La raison
en est que l’imâm Mâlik est allé loin dans les détails et a traité des
questions subtiles de vente. A cette difficulté s’ajoute le style qui
est ancien et qui a la particularité d’user de concision, ce qui nous
pousse souvent à chercher à mette en évidence les termes sous-
entendus pour les traduire.
Je tiens à remercier l’éditeur de m’avoir proposé la traduction
de ce chef d’œuvre, de la confiance qu’il m’a accordée et de m’avoir
donné suffisamment de temps pour réaliser ce sublime projet. Je
remercie le frère Mohamed H. pour sa révision de ma traduction et
le travail technique qu’il a fourni. Je remercie mes amis et voisins
Hassan Taleb, le président de la branche de la littérature à l’Uni-
versité Ibn Zohr à Agadir, et le Dr Tayeb Chtab pour les conseils
qu’ils m’ont prodigués.
Je prie Allah de nous pardonner pour toute erreur éventuelle,
de faire de ce travail une œuvre purement consacrée à Son noble
Visage et d’en faire profiter le traducteur et toute personne ayant
collaboré dans sa réalisation et son lecteur, car Il est Celui qui
entend les prières, qui mérite seul qu’on recourt à Lui et qui est le
meilleur Garant.
Écrit par l’humble serviteur d’Allah, qui aspire à Son absolution
et à Son indulgence : Mohammed KARIMI, qu’Allah lui pardonne,
ainsi qu’à sa mère, son père et aux croyants.

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Introduction

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