Vous êtes sur la page 1sur 1

c'etait-elements-200.

qxp_Mise en page 1 16/01/2023 03:33 Page 1

C’était dans Éléments tival de Bayreuth, dans une atmosphère à la


fois douce et drôle, exaltante et quasiment
sacrale. Écouter Wagner à Bayreuth avec
Giorgio comme guide était plus qu’un privi-
lège. C’était une joie immense.

Un style inimitable
Dans Nouvelle École, Giorgio rédigea à lui
seul pratiquement la moitié des deux numé-
ros que la revue consacra à Wagner à la fin
de l’année 1977. Sur ce sujet, on a rarement
lu, je crois, quelque chose d’aussi profond et
d’aussi fin. Il écrivit aussi sur la cosmogonie
indo-européenne, sur Spengler, sur Lévi-

1992 Strauss, sur l’éthologie et les sciences hu-


maines. En 1975, il ajouta ses propres
Giorgo Locchi, l’homme du verbe considérations à un épais dossier que j’avais
constitué au retour d’un voyage outre-Atlan-
tique. Cela donna un numéro spécial sur
À l’occasion de la publication par la Nouvelle Librairie de deux ouvrages l’Amérique, qu’il signa avec moi du pseudo-
nyme de Hans-Jürgen Nigra, et qui fut pu-
de Giorgio Locchi, Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste et blié sous forme de livre en Allemagne et en
Définitions, Éléments se devait de publier l’émouvant hommage d’Alain Italie. Comme ses idées elles-mêmes, son
de Benoist à cette figure historique de la Nouvelle Droite, disparue le style était inimitable.
25 octobre 1992, paru dans son numéro 76. Italien de Paris, marié à une Allemande,
Giorgio Locchi vivait au carrefour de trois
pays, dont il possédait admirablement la

C
haque jour de l’an, pour se porter sions théoriques ou philosophiques s’y dé- culture. Chez lui, on parlait trois langues et,
chance, il avait coutume de croquer roulaient dans un climat amical, chaleu- dans le cours de nos conversations, on ne
un grain de raisin. L’avait-il fait cette reux. Elles étaient entrecoupées de pouvait s’empêcher de penser à ce que
année? Giorgio Locchi est mort brusque- moments musicaux commentés de main de Nietzsche disait des « bons Européens de
ment, le 25 octobre dernier, à l’âge de maître. Sur les sujets qui lui tenaient le plus l’avenir ». Bon Européen, Giorgio le fut à la
soixante-neuf ans. Et, avec lui, c’est tout un à cœur, Nietzsche et Wagner, la pensée alle- perfection. Il rêvait d’une Europe idéale, fi-
pan de l’histoire de la Nouvelle Droite qui mande, la linguistique indo-européenne, la dèle à son essence, qui verrait l’avènement
disparaît. critique du « principe égalitaire » et du ré- d’un « troisième homme » à la faveur d’une
J’avais fait sa connaissance vers 1965, et ductionnisme scientifique, la notion d’his- transformation générale des esprits dont il
j’avais aussitôt été séduit tant par l’intelli- toricité, l’anthropologie philosophique de ne voyait de précédent que dans la révolu-
gence et la culture que par l’humour et la Gehlen (à laquelle son fils Pierluigi allait en tion néolithique. Il eut au moins le bonheur,
gentillesse de cet Italien installé à Paris qui à Berlin, d’assister à la chute du Mur et à la
savait apparemment disserter de tout de réunification du continent européen.
manière subtilement originale. Correspon- Dans son salon trônaient une Son dernier article parut dans Nouvelle
dant à Paris du quotidien Il Tempo, en de- École durant l’été 1979. C’est à cette date qu’il
hors de ses obligations professionnelles, il
statue de Vénus, toujours se détacha de la Nouvelle Droite, qu’il accusa
écrivait peu. Je le poussai à exposer ses idées fleurie d’une rose, et un de s’être « convertie au libéralisme », un re-
et à les mettre en forme. Il écrivit d’abord visage de Zeus proche qui montre au moins que, même
pour les Cahiers universitaires, puis pour dans la critique, il restait toujours original!
Nouvelle École, où l’on put le lire régulière- J’eus plutôt le sentiment qu’il aurait préféré
ment jusqu’au numéro 33. Chacun de ses ar- 1978 consacrer un mémoire), et aussi la mi- que la ND demeurât un petit cénacle. Dire
ticles ouvrait des pistes, dévoilait des crophysique, où ses connaissances excé- que j’en éprouvai de la peine serait une li-
horizons, donnait à penser de la façon la daient souvent notre entendement, il était tote. J’en conservai avec d’autant plus de
plus stimulante qui fût. inépuisable. Certains d’entre nous pre- force le souvenir des jours heureux.
Mais Giorgio Locchi n’était pas seulement naient des notes. Au détour d’une phrase, Je suis allé en Allemagne le jour de ses ob-
un homme de plume. Il était aussi, surtout Giorgio s’interrompait parfois pour se frot- sèques. J’y ai dispersé pour lui des pétales
peut-être, un homme de verbe. Les innom- ter les mains, en riant de plaisir. Dans le de roses.
brables soirées passées chez lui, à Neuilly salon trônaient une statue de Vénus, tou-
d’abord, puis à Saint-Cloud, étaient un en- jours fleurie d’une rose, et un visage de Zeus. Alain de Benoist
chantement. Je le fis connaître de presque C’était autant de symboles.
tous ceux qui m’étaient proches. Aucun Il y eut d’autres souvenirs enchanteurs et Giorgio Locchi, Wagner, Nietzsche et le mythe
surhumamiste, La Nouvelle Librairie/Institut Iliade,
d’entre eux ne participait à l’une de ces soi- enchantés. Et d’abord, pour moi-même, ce 332 p., 19,20 € ; Giorgio Locchi, Définitions, La
rées sans en repartir plus riche. Les discus- séjour passé en famille avec les siens au fes- Nouvelle Librairie/Institut Iliade, 304 p., 18 € ;

I
94-95 éléments N°200

Vous aimerez peut-être aussi