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MAAIKE VAN DER LUGT

Le pouvoir du lait. Physiologie et morale de


l’allaitement et de la mise en nourrice dans la
médecine médiévale

Conformément aux conventions du genre, Guillaume de Saint-Thierry commence


sa Vie de Bernard de Clairvaux par un portrait des parents du saint1. Grâce à ce récit
composé entre 1145 et 1148, du vivant du grand cistercien que Guillaume connaissait
bien, il nous apprend que Bernard naquit vers 1090 dans une famille de la petite noblesse
bourguignonne, le troisième de sept enfants. Son père, Tescelin de Fontaine, est un simple
chevalier au service du duc de Bourgogne qui fit un beau mariage avec une femme de plus
haute lignée, le rêve de tout petit noble ambitieux. Malheureusement pour Tescelin, Alith
de Montbard s’avère une femme de caractère. Elle engendre sept enfants, six garçons et
une fille, mais aucun héritier pour son mari, nous raconte l’hagiographe. Très pieuse, elle
les destine tous, dès leur plus jeune âge, à la vie religieuse :
aussitôt qu’elle les avait enfantés, elle les offrait de ses propres mains au Seigneur. C’est
pourquoi cette noble femme, refusant de les faire nourrir par des seins étrangers, fit,
en quelque sorte, passer en eux avec le lait maternel l’essence des vertus maternelles.
Lorsqu’ils furent devenus grands, tant qu’ils furent sous sa main, elle les nourrissait
plutôt pour le désert que pour la cour, ne souffrant pas qu’ils s’habituassent aux mets
délicats, mais leur donnant une nourriture grossière et commune. C’est ainsi que, par
l’inspiration du Seigneur, elle les disposa et les forma comme s’ils allaient aussitôt
passer au désert2.

1 Sur l’hagiographie et les légendes de Bernard, cf. Arabeyre, Berlioz et Poirrier, 1993, en particulier Piazzoni.
2 Guillaume de Saint-Thierry, Vita prima sancti Bernardi Claraevallis abbatis, I.1, éd. Paul Verdeyen, CCCM,
89B, p. 33 : « Septem quippe liberos genuit non tam uiro suo quam Deo namque, ut dictum est, non saeculo generans,
singulos mox ut partu ediderat, ipsa manibus propriis Domino offerebat. Propter quod etiam alienis uberibus nutriendos
committere illustris femina refugiebat, quasi cum lacte materno materni quodammodo boni infundens eis naturam. Cum
autem creuissent, quamdiu sub manu eius erant, eremo magis quam curiae nutriebat, non patiens delicatioribus assuescere
cibis, sed grossioribus et communibus pascens ; et sic eos praeparans et instituens, Domino inspirante, quasi continuo ad
eremum transmittendos ». Traduction François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, t. 16, Paris,
1825, p. 150, légèrement modifiée par mes soins.

Maaike van der Lugt • Université Paris-Saclay

Allaiter de l’Antiquité à nos jours : Histoire et pratiques d’une culture en Europe, Sous la direction de Yasmina Foehr-
Janssens & Daniela Solfaroli Camillocci, Turnhout, 2022, (GENERATION, 1), p. 507-537
© BREPOLS PUBLISHERS 10.1484/M.GEN-EB.5.127453
This is an open access chapter distributed under a CC BY-NC-ND 4.0 International License.
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De ce passage très riche, qui ne correspond pas à un lieu commun de la littérature


hagiographique3, retenons tout d’abord que Guillaume de Saint-Thierry décrit l’allaitement
maternel comme une pratique inhabituelle. En refusant de remettre ses sept enfants à des
nourrices, Alith s’écarte de la norme de son milieu social. Elle prend sa décision seule,
sans intervention de son mari. L’hagiographe porte quant à lui un jugement très favorable
sur le choix de la mère de Bernard ; son refus de faire nourrir ses enfants par des nourrices
est un signe de sa piété et de sa sollicitude maternelle. Dans le récit de Guillaume de
Saint-Thierry, l’allaitement maternel marque le début de l’éducation religieuse de Bernard,
de ses frères et de sa sœur ; l’éducation passe par un rapport à la nourriture4. Il oppose
ce pieux lait aux nourritures délicates des classes supérieures qui les rendraient inaptes
à la rude vie du moine, un topos qui remonte au moins à Augustin. Guillaume utilise les
termes « nourrir » et « nourriture » avec un double sens. On sait qu’en latin et en français
médiéval, ainsi que dans d’autres vernaculaires, le champ lexical de ces mots ne se limite
pas à l’alimentation et aux soins de subsistance, mais renvoie aussi à la transmission des
bonnes mœurs ; à l’éducation et à la culture, en s’opposant à la nature5.
Cependant, dans le cycle de la vie, l’allaitement occupe une place ambiguë. S’il apparaît,
sous la plume de Guillaume de Saint-Thierry, comme la première phase de l’éducation ; du
fait d’élever un enfant et de lui inculquer des valeurs, l’allaitement peut aussi, dans d’autres
textes et contextes médiévaux, s’envisager comme la dernière phase de la génération, comme
la fin d’un processus, physique, corporel, physiologique, qui commence à la conception,
voire en amont, qui se termine par le sevrage, et qui relève en premier lieu du domaine de
la nature. Le vocabulaire médiéval est ici encore révélateur. Dans les descriptions médicales
et scientifiques de la gestation et la lactation, le terme fœtus peut désigner non seulement
le fœtus, mais également le nourrisson. Les scolastiques parlent ainsi de l’alimentation du
fœtus « avant et après la naissance » et « à l’intérieur et à l’extérieur » du corps de la femme6.
Dans les pages qui suivent, il s’agira d’analyser les modalités et les limites de l’intégration
de l’allaitement à la génération. Comment les médecins médiévaux pensent-ils la transition
de la grossesse à la lactation ? À quel point la lactation se perçoit-elle comme la poursuite
de la gestation en dehors de l’utérus, ou, au contraire, comme une phase nouvelle, avec
une physiologie, une temporalité, et un statut propres ? Aux yeux des médecins, qu’est-ce
qui est naturel, culturel, ou moral dans l’allaitement ? La question que je me pose est donc

3 On trouve, en revanche, quelques bébés saints qui refusent le sein ou qui ne le sucent qu’avec modération, préfiguration
du refus des plaisirs mondains et de la vertu du jeûne. Cf. Lett, 2002.
4 On pourrait replacer cette valorisation de l’éducation dans le cadre familial également dans le contexte spécifiquement
cistercien du refus de l’oblation d’enfants.
5 Cf. Niermeyer, sv. « nutritor » (éducateur, celui qui procure l’entretien), « nutritus » (qui est entretenu dans le
ménage du maître ; oblat élevé depuis l’enfance dans un monastère) ; Matsumura 2015, p. 2359-2360 : sv. « norrir » ;
« norrement » ; « norreture ». Pour le concept, cf. Desclais-Berkvam, 1981, p. 73.
6 Albert le Grand, Quaestiones in libros de animalibus, 18.8, éd. Filthaut, p. 301 : « Utrum lac sit necessarium ad
nutrimentum fetus. Ulterius quaeritur, utrum lac sit necessarium ad nutrimentum fetus post partum […] ; ibidem,
IX.24-28, éd. cit., p. 212 : « De fetu ante et post partum » ; Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione vitae
humanae a die nativitatis usque ad ultimam horam mortis, cap. 2, éd. Leipzig, 1570, p. 13 : « si [la mère qui allaite]
conciperet, non posset sufficere [la nourriture qu’elle pourvoit] foetui extrinseco et intrinseco » (cf. infra, p. 25).
Voir aussi Barthélémy l’Anglais, De proprietatibus rerum, V.34, éd. Francfort, 1601, réimpr. Minerva, 1964,
fol. 179v : « Mamilla igitur est membrum nutrimento fœtus necessarium, sanguinis menstrualis ad generationem
lactis susceptivum […] ».
le pouvoir du la it 509

aussi celle de l’autonomie d’un discours médical savant sur la lactation et ses rapports avec
la perception de la bonne mère allaitante comme Alith.
L’article s’appuiera principalement sur les œuvres des médecins médiévaux du xiie
au xve siècle. On considérera, sans prétention d’exhaustivité, non seulement les ouvrages
universitaires, savants et écrits en latin, mais aussi ceux plus pratiques, parfois rédigés
en langue vernaculaire et destinés à un public plus large, voire, du moins en théorie, aux
femmes elles-mêmes. Trois points seront successivement considérés. Le premier concerne
la place de l’allaitement dans les traités médicaux et la manière dont cette question s’inscrit
ou se détache de la discussion sur la grossesse et la gestation. Ensuite, je reviendrai sur la
physiologie du lait et sur la confusion ou distinction de ce liquide corporel avec le sang
menstruel et la semence. Enfin, j’en viendrai aux conseils des médecins à leurs lecteurs.
Quand et comment allaiter et qui doit s’en charger, la mère ou la nourrice ? Comment
choisir une nourrice ? De quels dangers faut-il garder le bébé ? Ce sera l’occasion de poser
la question des implications pratiques et sociales de ces recommandations et de comparer
la morale du discours médical à celle religieuse ou sociale7.
Pour ce faire, et avant de plonger dans le bain des débats médicaux, un dernier
retour à Guillaume de Saint-Thierry nous sera utile. Dans son récit, l’infiltration des
vertus maternelles par le lait n’est qu’une métaphore. Le lait qu’Alith donne à ses enfants
représente une nourriture spirituelle pour leur âme, non leur corps. La paternité de cette
image ne revient pas à Guillaume de Saint-Thierry ; on la rencontre déjà dans les écrits des
Pères de l’Église8. On sait aussi combien Bernard de Clairvaux lui-même affectionne et
renouvelle cette métaphore dans ses sermons et ses lettres, notamment à travers l’image
de Jésus comme mère9. Il est d’ailleurs vraisemblable que Bernard, ou l’un de ses frères,
aient fourni au biographe l’anecdote sur Alith.
En chantant les louanges de l’allaitement maternel, Guillaume de Saint-Thierry s’inscrit
également dans une longue tradition morale chrétienne. Dans un passage qui allait se
retrouver dans les collections canoniques et les pénitentiels, le pape Grégoire le Grand
dénonce la mise en nourrice comme une mauvaise coutume dont l’unique but serait de
permettre aux mères indignes d’échapper à l’interdit ecclésiastique des rapports conjugaux
pendant l’allaitement10. Jusqu’à la fin du Moyen Âge et au-delà, les auteurs de manuels
pour prêtres et confesseurs et les prédicateurs vont asséner ce même message : les femmes
qui n’allaitent pas leur enfant sont de mauvaises mères.
Mais si la métaphore de l’infusion des vertus par le lait est si efficace, c’est aussi en
raison de sa résonance avec un autre discours pro-allaitement maternel et anti-nourrice ;

7 Pour ces questions, voir aussi van der Lugt, 2019b. Pour l’histoire culturelle et sociale de l’allaitement et de la mise
en nourrice au Moyen Âge, cf. Klapisch-Zuber, 1983, repris dans Klapisch-Zuber, 1990, p. 263-289 ; Shahar,
1990 ; Grieco, 1991 et plus récemment Sperling, 2013. Voir aussi, pour des synthèses plus généralistes, Lett et
Morel, 2006 et Fildes, 1988.
8 Cf. Penniman, 2017.
9 Cf. le livre classique de Bynum, 1982.
10 Lettre de Grégoire le Grand à Augustin de Cantorbéry : Libellus responsionum, Registrum, Liber XI, 56a, Monumenta
Germaniae Historica, Epistolae, 2, p. 339 ; Yves de Chartres, Decretum, VIII.88, éd. Martin Brett, http://ivo-of-chartres.
github.io/decretum/ivodec_8.pdf revision stamp 2015-09-23 / 898fb) ; Gratien, D.5c4, éd. E. Friedberg, Corpus iuris
canonici, Leipzig, 1879, Graz, 1995, I, col. 8 ; Robert de Flamborough, Liber poenitentialis, éd. J. J. Francis Firth,
Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1971, p. 312. Sur les interdits sexuels, cf. Ziegler, 1956 ; Flandrin,
1983 et 1973 ; Brundage, 1987.
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un discours où le lait se voit investi d’un pouvoir bien réel de, littéralement, façonner le
corps et l’âme du nourrisson à l’image de la femme qui le nourrit. Cette tradition remonte
au moins à l’époque romaine, où on la trouve sous la plume d’Aulu-Gelle (iie siècle). Dans
ses Nuits attiques, collection de notes et d’anecdotes sur des sujets variés, le grammairien
rapporte la diatribe de l’un de ses amis, le philosophe et moraliste Favorinus, lors d’une
visite à la famille d’une femme de sénateur juste accouchée. Apprenant que l’enfant sera
confié à une nourrice pour épargner à la jeune mère la fatigue de l’allaiter elle-même,
Favorinus s’emporte contre la coutume « monstrueuse et contre nature » des mères qui
préfèrent leur confort et la beauté de leur décolleté au bien-être de leur enfant. La nature
a créé les seins pour qu’ils servent aux nourrissons ! Favorinus en va jusqu’à comparer la
mise en nourrice à l’avortement. Le recours au lait mercenaire empêche non seulement
l’attachement naturel entre la mère et l’enfant, comme l’avaient déjà fait valoir Plutarque
et d’autres moralistes antiques. Pire encore, le lait mercenaire corrompt et dénature les
enfants, surtout si la nourrice est une esclave et une étrangère, parce que le lait transmet
ses caractéristiques morales à l’enfant. Favorinus fonde son argumentation sur une
analogie explicite entre lactation et gestation, une comparaison entre le lait et la semence,
et des exemples tirés du monde animal et végétal : les chevreaux nourris par une brebis
ne développent-ils pas une laine plus douce, alors que le contraire se produit pour des
agneaux nourris par des chèvres ? Ne voit-on pas des arbres en bonne santé dépérir après
leur transplantation sur une terre inférieure ? C’est bien que le pouvoir de l’eau et de la
terre ont plus d’effet sur leur croissance que les semences dont ils sont issus11.
Le rappel de ces deux racines de la critique des nourrices, l’Église et la morale gréco-la-
tine, pourrait laisser supposer que le Moyen Âge est condamné à répéter indéfiniment
le même discours. S’il ne faut pas nier le poids de ces traditions qui infuseront la pensée
médiévale par mille canaux, il ne faut pas négliger le fait que la formidable construction
d’une physiologie humaine par la médecine et l’émergence d’une éthique professionnelle
distincte chez les praticiens médiévaux, vont déplacer et complexifier la notion de l’allai-
tement. L’argumentation de Favorinus contre la mise en nourrice se veut non seulement
morale, mais aussi scientifique et physiologique. Il est souvent supposé que les médecins
médiévaux partagent et cautionnent ses idées sur le pouvoir du lait. On verra que leur
positionnement est en réalité bien plus ambigu et plus varié que l’on pourrait le penser.

La place de la lactation dans les textes médicaux et philosophiques


médiévaux

C’est en examinant les lieux de discussion de la lactation dans les traités médicaux que
nous pouvons avoir une première idée de la manière dont les médecins la conceptualisent.
La lactation s’intègre premièrement dans les discussions sur la physiologie de la
génération. Les médecins et philosophes médiévaux étaient invités à ce choix par les
sources gréco-arabes à partir desquelles ils élaborent leurs propres théories.

11 Aulu-Gelle, Noctes atticae, XII.1.1-24. Cf. Holford-Strevens, 20032, p. 114-115. Sur la pratique de l’allaitement
maternel et la mise en nourrice en Rome antique, cf. Bradley, 1986, p. 201-229.
le pouvoir du la it 51 1

Dans la partie théorique du Pantegni, encyclopédie arabe adaptée en latin par Constantin
l’Africain à la fin du xie siècle, la physiologie de la génération est discutée aux chapitres sur
les organes sexuels masculins et féminins – utérus, seins, testicules, verge –, la lactation
apparaissant dans les chapitres consacrés aux organes de la femme12. D’autres traductions,
comme l’anonyme De spermate – un court traité sur le mécanisme de la génération qui sera
à partir du xiiie siècle attribué à Galien, ce qui en assurera le succès – intègrent également
la lactation dans la physiologie de la génération13. Cependant, malgré leur forte dépendance
du Pantegni, les premières contributions latines à l’embryologie savante, chez Guillaume de
Conches et les médecins de l’école dite de Salerne, font encore l’impasse sur la lactation,
pour se cantonner à l’alimentation du fœtus in utero14.
C’est la réception de la zoologie aristotélicienne, traduite, une première fois, dans les
années 1220, à partir de la version arabe, par Michel Scot, puis, une quarantaine d’années
plus tard, directement à partir du grec, par le dominicain Guillaume de Moerbeke, qui
change la donne. Aristote cite la lactation à de nombreuses reprises dans son traité De la
génération des animaux. Il y consacre même un chapitre entier (IV.8.776a15-777a27)15.
L’autorité d’Aristote va assurer une place renouvelée et augmentée de la lactation dans les
théories scolastiques de la génération16. Dans son Canon, vaste encyclopédie médicale
arabe traduite à la fin du xiie siècle par Gérard de Crémone et qui va, à partir des années
1230-40, progressivement remplacer le Pantegni comme manuel des études médicales,
Avicenne ne mentionne la lactation qu’en passant dans son chapitre sur la génération de
l’embryon. Pourtant, dans différents commentaires médiévaux du passage, les médecins
vont consacrer des développements spécifiques à la question17.

12 Constantin l’Africain / Haly Abbas, Pantegni, Theorica, III.33-36, ms. Den Haag, Koninklijke Bibliotheek,
73 J 6, fol. 19r-20v (consultable sur le site de la Bibliothèque royale de La Haye). Ce manuscrit ne contient que la
partie théorique du Pantegni. Pour la partie pratique, j’ai utilisé l’édition du Pantegni dans Isaac Israeli, Opera
omnia, éd. Lyon, 1515.
13 Ps-Galien, De spermate, transcription du ms. London, British Library, Cotton Galba, E IV par Outi Merisalo,
https ://staff.jyu.fi/Members/merisalo/galbanorm.pdf.
14 Guillaume de Conches ne mentionne la lactation ni dans la Philosophia (éd. Gregor Maurach, Pretoria, 1980), ni
dans le Dragmaticon (éd. Italo Ronca, CCCM 152). La lactation n’est pas non plus évoquée dans la digression sur
la génération insérée dans un important commentaire anonyme sur les Aphorismes d’Hippocrate (ms. Oxford,
Bodleian Library, Digby 108, fol. 46r-46v). La collection de questions médicales et philosophiques recopiée vers
1200 éditée par Brian Lawn reste également silencieuse sur la lactation (The Prose Salernitan Questions, éd. Br. Lawn,
Oxford, Oxford, University Press,1979). La lactation est en revanche intégrée dans une question sur la cessation
des menstrues dans une collection apparentée conservée dans un manuscrit de la deuxième moitié du xiiie siècle
(ibidem, P39, éd. cit., p. 221).
15 Aristote, De animalibus : Michael Scot’s Arabic-Latin translation. Part three : books XV-XIX. Generation of animals,
éd. A. van Oppenraaij, Leyde, Brill, 1992 ; Aristoteles Latinus, De generatione animalium. Translatio Guillelmi de
Moerbeka, éd. H. J. Drossart Lulofs, Bruges, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.
16 Par exemple, Michel Scot, Liber phisonomie, I.8, éd. Oleg Voskoboynikov, Michel Scot, Liber particularis et Liber
physonomie, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2019 (Micrologus’ Library, 93), p. 302-303 ; Albert le Grand,
De animalibus libri XXVI, éd. Hermann Stadler, dans Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und
Untersuchungen, 15-16, Münster 1916 et 1920, passim et Quaestiones super De animalibus, éd. Ephrem Filthaut, Opera
omnia, XII, 1955, par exemple II.13 (p. 115) ; IX.5 (p. 204-205) ; Gilles de Rome, De formatione humani corporis in
utero, cap. 7, éd. R. Martorelli Vico, Florence, 2008, p. 108 et cap. 22, p. 220.
17 Par exemple, Mondino de Liuzzi, Expositio super capitulum de generatione embrionis Canonis Avicennae cum quibusdam
quaestionibus, lectio 8, éd. R. Martorelli Vico, Rome, 1993, p. 93-102. Cf. Avicenne, Canon medicine, III.21.1.2, éd.
Venise, 1507, fol. 360v-362v.
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Si l’on veut dresser une rapide typologie des lieux où l’on parle du lait, on peut
distinguer ce point d’entrée physiologique (le lait et le fœtus), d’une approche obsté-
trique et gynécologique (le lait et la femme) et d’une approche pédiatrique (le lait et
le nouveau-né).
Nous avons vu le succès de l’approche physiologique dans les textes théoriques sur la
génération et l’embryologie. On la retrouve aussi dans des textes moins techniques, comme
les Secrets des femmes, rédigé vers 1300 par un disciple d’Albert le Grand et rapidement
traduit et adapté en vernaculaire18.
L’approche obstétricale et gynécologique est évidemment présente dans les ouvrages
sur le sujet et sur les maladies des femmes19. On peut penser à l’abrégé sous forme de
dialogue du traité de Soranos par Muscio20. (La traduction latine du texte de Soranos
lui-même par Caelius Aurélien n’a en revanche guère circulé au Moyen Âge ; des fragments
en subsistent dans un seul manuscrit où le texte est mélangé avec celui de Muscio21.) La
compilation de trois traités sur les maladies des femmes, l’obstétrique et la cosmétique
connue sous le nom de Trotula est un autre exemple22. On y trouve des conseils pour
l’obstruction des seins et les troubles de la lactation, mais aussi sur les soins du nouveau-né
et la mise en nourrice.
On retrouve l’approche obstétricale dans les régimes de santé et les ouvrages de
médecine pratique. Les recommandations d’hygiène de vie pour les femmes enceintes
et allaitantes y sont souvent trouvées ensemble – le Pantegni les inclut même dans un
seul et même chapitre23. Cependant, même dans l’approche obstétricale, les médecins
s’intéressent, en décrivant le régime pour la femme enceinte, bien souvent plus au fœtus
qu’à la mère. Éviter la fausse couche est l’enjeu majeur. Les conseils pour la femme allaitante
sont quant à eux mêlés aux consignes sur les soins du nourrisson (bain, emmaillotement,
sommeil, etc.) et sur le sevrage et la dentition, éventuellement suivis d’un régime pour
les enfants plus grands24.
Les auteurs de régimes de santé ont recours à deux grands principes d’organisation ; un
plan selon les âges de la vie et un plan selon les choses dites « non naturelles », c’est-à-dire
les différents facteurs extérieurs au corps qui influent sur la santé : l’air ambiant, la nourriture

18 Ps-Albert le Grand, De secretis mulierum, éd. J. P. Barragán Nieto, El De secretis mulierum attribuido a Alberto
Magno. Estudio, edición critica y traducción, Porto, FIDEM, 2012. Pour le genre des secrets des femmes, cf. Green,
2008 et Park, 2006.
19 Pour ce genre littéraire, cf. Green, 2008.
20 Muscio, De genecia, par. 86-99, éd. V. Rose, Gynaeciorum vetus translatio latina, Leipzig, 1882, p. 31-35.
21 Gynaecia. Fragments of a Latin Version of Soranus’ Gynaecia from a Thirteenth Century Manuscript, éd. M. F. Drabkin
et Isr. E. Drabkin, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1951. Médecin romain originaire d’Afrique du Nord, Caelius
Aurélien vécut à la fin du premier et le début du iie siècle.
22 Trotula : Liber de sinthomatibus mulierum, par. 126-127, éd. Monica H. Green, The Trotula. A Medieval Compendium
of Women’s Medicine, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001, p. 110-111 ; De curis mulierum, par. 200,
ibidem, p. 148-149. Pour l’histoire textuelle complexe du Trotula, cf. Green, 2008, p. 29-69.
23 Pantegni, Practica, I.21, éd. cit., fol. 62v-63r. Dans la partie théorique (IX.39-40, ms. cit., fol. 75v-77v), on trouve
également un chapitre sur les troubles de la matrice suivi d’un chapitre sur les troubles des seins.
24 Il existe cependant aussi des régimes qui se concentrent sur la santé de la femme. Maino de’ Maineri, maître régent
à l’Université de Paris de 1326 à 1331, réserve ainsi une section de son régime aux femmes ; la lactation et les conseils
pour le recrutement des nourrices suivent après des chapitres sur la conception, la grossesse, la préparation à
l’accouchement, et le post-partum, et précèdent un dernier chapitre sur la santé de l’utérus et la menstruation. Maino
de’ Maineri, Regimen sanitatis, II, éd. Paris, 1506, fol. 21v-26r.
le pouvoir du la it 51 3

et la boisson, le sommeil et la veille, l’activité et le repos, la rétention et l’expulsion des


aliments, les émotions et états d’esprit. Le pli majoritaire des médecins qui organisent
leur régime comme une suite de régimes pour les âges de la vie est de débuter ce cycle
à la gestation. C’est le cas chez d’Aldebrandin de Sienne, auteur du premier régime écrit
directement en vernaculaire et qui adopte un plan mixte25, et de manière plus claire encore
chez Guillaume de Salicet (m. 1276/80)26.
Cependant, il existe aussi des régimes qui découpent le cycle de la vie humaine de
manière différente. Ainsi, le médecin montpelliérain Bernard de Gordon place en tête
de son traité diététique daté de 1308 un régime pour le nouveau-né27. Il exclut donc la
grossesse et la vie du fœtus in utero de sa discussion. Il adopte une approche pédiatrique
plutôt que gynécologique ou obstétricale de l’allaitement28.
Cette organisation alternative s’inspire du traité De sanitate tuendi de Galien et du
Canon d’Avicenne. Galien suit un plan relativement lâche, mais qui parcourt, après
quelques chapitres introductifs, les âges de la vie, en commençant par la lactation et les
soins du nourrisson29.
Dans l’énorme encyclopédie systématique qu’est le Canon la lactation est traitée dans
quatre différents lieux. J’ai mentionné qu’Avicenne évoque brièvement le lait dans son
chapitre sur l’embryon (III.21.1.2). En fait, le médecin persan est plutôt le représentant de
l’approche pédiatrique et obstétrico-gynécologique de l’allaitement. L’approche pédiatrique
est celle du livre I, au fen 3 (I.3.1.1-2). Avicenne y traite des régimes de santé et il propose
un régime pour le nouveau-né qui comporte évidemment des conseils sur le lait de la mère
ou de la nourrice. Il fait suivre ce régime d’une discussion des maladies infantiles et par
un régime des enfants de six à quatorze ans, en ajoutant quelques conseils pédagogiques
et moraux (contrôle des émotions, choix du précepteur).
Au début du chapitre sur le régime du nouveau-né, Avicenne avertit son lecteur qu’il
n’y trouvera rien sur le régime de la femme enceinte et juste accouchée30. Il réserve ce
dernier sujet pour le livre III, aux chapitres sur l’utérus et ses maux (III.21.2.2-3)31. Les
troubles de la lactation du point de vue de la mère ne sont cependant pas traitées à cet
endroit, mais plus haut dans ce même livre III, où il est question des maladies des seins

25 Aldebrandin de Sienne, Le Régime du corps, éd. Louis Landouzy et Roger Pépin, Paris, Champion, 1911, I, chapitres
« Comment le femme se doit garder quant ele est ençainte » (p. 71-73), « Comment on doit garder l’enfant quant
il est nés » (p. 74-78) et « Comment on doit le cors garder en cascun aage » (p. 79-82).
26 Guillaume de Salicet, Summa conservationis et curationis, I.1, éd. Venise 1490, sans foliotation : « capitulum primum
libri primi in quo determinabitur de conservatione sanitatis a die conceptionis usque ad ultimum vite senii ». Pour ce régime,
ainsi que celui de Giacomo Albini da Moncalieri (actif 1320-1348), qui adopte un plan similaire, cf. Nicoud, 2007,
p. 210-211.
27 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, cap. 1-2, éd. cit., p. 11-16. Pour ce traité, cf. Nicoud, 2007, p. 186-208.
28 Inversement, dans la partie gynécologique et obstétricale de sa somme de médecine pratique, Bernard de Gordon
avertit son lecteur qu’il ne parlera pas du régime du nourrisson. Lilium medicinae, VII.16 « De difficultate partus »,
éd. 1491, sans foliotation : « Qualiter autem et quomodo baccalarius noviter genitus debeat regi hoc dicemus cum per Dei
gratiam tractabimus regimen sanitatis ».
29 Galien, De sanitate tuenda, , p. 36sq. Cf. Nicoud, 2007, p. 202.
30 Avicenne, Canon medicinae, I.3.1.1-2, éd. cit., fol. 53r-54v : « Pregnantium autem regimen et mulierum que partui sunt
vicine in dictionibus scribemus particularibus ». Le Viaticum, autre texte clé pour la médecine pratique traduit de l’arabe
par Constantin l’Africain, ne comporte en revanche qu’un régime de santé pour la femme enceinte (VI.15, éd. dans
Isaac Israeli, Opera omnia, éd. Lyon, 1515, fol. 165v).
31 Avicenne, éd. cit., fol. 365v-366r.
5 14 m a a i ke van der lugt

(III.11.1.2-5)32. On peut donc dire qu’Avicenne sépare le régime de la lactation de celui


de la grossesse et distingue l’allaitement du point de vue de la santé de la femme de
l’allaitement du point de vue de l’enfant.
Malgré la stature d’Avicenne et de Galien, cette approche alternative restera cependant
minoritaire jusqu’à la fin du xve et le début du xvie siècle. Ce n’est qu’à cette époque
que les régimes indépendants pour les nourrissons et les jeunes enfants et les traités sur
les maladies infantiles commencent à se multiplier. C’est alors que la pédiatrie émerge
comme un domaine clairement identifié, d’abord dans les milieux de cour33. Au Moyen
Âge, comme dans la médecine antique et arabe, la pédiatrie et la puériculture restent
mélangées à la gynécologie, à l’obstétrique, et à la physiologie de la génération34. La
lactation et sa surveillance font partie intégrante d’un « art de la génération » au sens
large. Destiné aux élites tardo-médiévales de plus en plus soucieuses d’assurer une
descendance et une progéniture de qualité, cet art se déploie dès la conception, voire en
amont, pour s’étendre jusqu’au sevrage, vers deux ans, et parfois quelques années au-delà35.
Le traité en vernaculaire composé, au milieu du xve siècle, par Michele Savonarole pour
les femmes de Ferrare est emblématique de cet enchevêtrement. Il se divise en trois
parties. La première fournit des conseils pour favoriser la conception et l’engendrement
d’enfants sains. Le livre deux est dévolu au régime des femmes enceintes ; le livre trois
aux soins du nouveau-né et aux conseils pour l’allaitement, suivis de recommandations
pour la santé des enfants et leurs maladies jusqu’à l’âge de sept ans et quelques principes
moraux et d’éducation morale36.
Dans la structuration du discours médical, la lactation reste ainsi jusqu’à la fin du
Moyen Âge traitée en même temps que la grossesse. Il ne s’agit pas uniquement d’un
hasard de découpage encyclopédique. Physiologiquement, les médecins lient aussi
fortement gestation et lactation. C’est ce que nous allons étudier maintenant. Au-delà
d’une présentation de la physiologie du sang menstruel, aujourd’hui bien connue, il s’agira
de montrer les continuités et les ruptures physiologiques du passage de la gestation à la
lactation.

32 Ibidem, éd. cit., fol. 264r-265r.


33 Jacquart, 2014.
34 L’Antiquité tardive voit certes l’apparition de quelques traités indépendants consacrés aux soins du nourrisson et
aux maladies infantiles : ceux de Rufus d’Éphèse (iie siècle) et de Paul d’Égine (viie siècle). Le médecin persan
Rhazès (865-925) est également connu pour sa contribution à la pédiatrie au sens strict du terme. Les traités de
Rufus et de Paul d’Égine nous sont aujourd’hui connus exclusivement à travers des références dans des textes arabes.
L’Occident médiéval les ignore. Le traité de Rhazès a en revanche été traduit en latin et largement circulé, mais ce
texte se cantonne aux pathologies infantiles, sans s’intéresser aux soins quotidiens, ni à l’allaitement. Al-Râzî, On
the Treatment of Small Children (De curis puerorum). The Latin and Hebrew Translations, éd. Michael McVaugh et
Gerrit Bos, Leyde, Brill, 2015, introduction p. 7-9. Le texte est connu seulement à travers sa traduction latine effectuée
vraisemblablement par Gérard de Crémone et par la traduction hébraïque faite à partir du latin. L’original arabe n’a
pas été identifié. Voir aussi Demaitre, 1977, ici p. 464-465 et Maclehose, 2008, p. 60 pour deux autres textes du
xiie-xiiie siècle sur les maladies des enfants.
35 Pour des exemples de traités antiques et arabes qui adoptent cette même perspective large de la génération,
cf. l’introduction de Bos et McVaugh, Al-Râzî, On the Treatment of Small Children, éd. cit.
36 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. Luigi Belloni, Il Trattato ginecologico-pediatrico in volgare Ad
mulieres Ferrarienses de regimine pregnantium et noviter natorum usque ad septennium di Michele Savonarola,
Milan, 1952.
le pouvoir du la it 51 5

De la gestation à la lactation. Continuités et ruptures


physiologiques

Selon l’opinion commune qui se dégage des textes médicaux et philosophiques traduits
en latin ou rédigés entre le xiie et le xve siècle, le lait maternel est un produit dérivé du
sang menstruel. Pour la médecine antique, arabe et médiévale, la femme purge son corps
par ses menstruations. Les médecins et philosophes médiévaux considèrent, à la suite
d’Aristote, mais aussi de Galien et de leurs commentateurs et adaptateurs arabes, que la
femme est plus froide et plus humide que l’homme37. Grâce à sa plus grande chaleur, la
digestion et la transformation de la nourriture en sang et dans les autres humeurs, puis
en la substance du corps, est plus efficace chez l’homme que chez la femme. L’homme
produit moins de superfluités et est capable de les éliminer par les pores, sous forme de
sueur, ou de les transformer en poils. La femme est, elle, trop froide pour éliminer les
superfluités. Leur accumulation dans le corps est dangereuse pour la santé ; la femme les
élimine donc sous forme de menstrues.
Chez Aristote, la physiologie de la menstruation se fonde aussi sur une analogie entre
le sang menstruel et le sperme (De generatione animalium, IV.8.776a15-777a27). L’un et
l’autre sont des résidus de la digestion qui apparaissent à la puberté et qui sont nécessaires
à la génération. Leur rôle n’est cependant pas identique. Le sang menstruel a une fonction
double. Il nourrit le fœtus, mais fournit aussi la matière initiale sur laquelle agit le sperme
pour former l’embryon. Selon Aristote, à la différence d’Hippocrate et de Galien, la femme
n’a pas de semence active38.
L’idée que le fœtus et le nourrisson se nourrissent – directement ou indirectement – du
sang menstruel permet d’expliquer l’absence des règles pendant la grossesse et pendant la
lactation. La femme enceinte ou qui allaite n’a pas besoin d’éliminer les menstrues, parce
qu’ils sont consommés par le fœtus et le nourrisson.
Selon les descriptions médiévales du mécanisme de la génération, le sang menstruel
est transporté du foie de la mère, son lieu de production, au fœtus, à travers une veine dans
le cordon ombilical ; ce dernier se régénère à chaque grossesse et relie le fœtus à la mère,
comme la pomme est fixée à l’arbre par la queue39. Il existerait, en outre, des vaisseaux
sanguins qui relient l’utérus directement aux seins ; ainsi le sang menstruel peut monter
aux seins pour y être transformé en lait pour le nourrisson40. Hippocrate appelle le lait
le « frère des menstrues », note, vers 1363, le chirurgien Guy de Chauliac, en décrivant
ces vene lactales et menstruales41. Dans les seins, ou plus précisément dans les veines des
seins, le sang subit un processus de coction, de purification et de blanchiment, grâce à la

37 Cf. Cadden, 1993.


38 Cf. Cadden, 1993 ; Van der Lugt, 2004.
39 Guillaume de Conches, Dragmaticon, VI.9.7, éd. cit., p. 214 : « quidam nervi sunt in umbilico illius, quibus matrici
adhaeret quemadmodum pomum cauda sua arbori. Per hos nervos sanguis ab hepate matris descendit, quo partus nutritur
et crescit » ; Prose Salernitan Questions, B 25, éd. cit., p. 15. Pour l’image du fruit sur l’arbre, cf. aussi Trotula (Liber de
sinthomatibus mulierum), par. 88 éd. cit., p. 98-99, qui le reprend au Viaticum (VI.15, éd. cit., fol. 165v. Ibn al-Jazzar
l’attribue à Galien).
40 Cf. Jacquart et Thomasset, 1985, p. 46-47 et 60-61.
41 Guy de Chauliac, Inventarium sive Chirurgia magna, I.2.7, éd. M. McVaugh, Leyde, Brill, 1997, p. 53.
5 16 m a a i ke van der lugt

chaleur du cœur tout proche42, un processus qui n’est pas sans rappeler la transformation
du sang en sperme dans les testicules de l’homme43. Cette proximité physiologique entre
la semence et le lait, à travers le sang dont ils sont l’un et l’autre un dérivé44, se perçoit
aussi dans les conseils médicaux pour stimuler la sécrétion de ces liquides corporels. Tout
ce qui stimule la production du bon sang dans de bonnes quantités favorise la production
suffisante d’un bon lait ; et tout ce qui donne abondance de sperme donne aussi abondance
de lait, comme l’explique Avicenne dans son Canon45.
Les médecins et philosophes médiévaux conçoivent la physiologie féminine comme un
système dynamique dont l’équilibre se maintient selon le principe des vases communicants.
Le sang superflu doit être évacué, consommé « sur place », réservé temporairement, ou
transformé. Les ajustements de cette plomberie corporelle permettent d’expliquer les
saignements bénins en début de grossesse qui peuvent induire en erreur les femmes sur
leur état : la production du sang menstruel dépasse encore les besoins du fœtus et le corps
de la femme élimine le surplus46.
Le principe des vases communicants implique surtout que le corps féminin ne peut – ou
ne doit – jamais occuper en même temps plus qu’une seule des trois phases physiologiques
(menstruation, grossesse, lactation). Si la sécrétion se produit d’un côté, elle ne peut pas
se produire de l’autre. Les textes médicaux mettent ainsi en garde les femmes qui allaitent
de s’abstenir des emménagogues et d’éviter tout acte qui fait venir les menstrues47 : si les
règles apparaissent le sang ne pourra plus affluer aux seins. Suivant la même logique, la
saignée est dangereuse pendant la grossesse, car elle peut priver l’embryon de la nourriture
nécessaire et provoquer une fausse couche48.
Aristote avait remarqué que les femmes qui allaitent n’ont pas de règles et ne peuvent,
sauf exception, pas concevoir à nouveau. La raison reste implicite, mais est néanmoins
claire : le sang menstruel qui sert à produire le lait n’est pas disponible pour constituer
un embryon nouveau et le nourrir49. Le passage sur l’effet contraceptif de la lactation
manque cependant dans la très diffusée traduction arabo-latine effectuée par Michel Scot
et dans la paraphrase de la zoologie aristotélicienne d’Avicenne du même traducteur. Il

42 Par exemple, Pantegni, Theorica, III.34, ms. cit., fol. 20v ; Barthélémy l’Anglais, De proprietatibus rerum, V.34
« De mamilla », éd. cit., fol. 179r.
43 Dans les textes médiévaux, l’hématogenèse, théorie défendue par Aristote et adoptée également par Galien, circule
à côté de deux autres théories sur l’origine du sperme : la pangenèse (l’idée que toutes les parties du corps donnent
lieu au sperme) et l’idée que le sperme provient du cerveau. On trouve aussi des tentatives pour concilier ces théories.
Cf. Jacquart et Thomasset, 1985, p. 73-87.
44 Ces trois liquides corporels ne sont donc pas mutuellement convertibles les uns dans les autres.
45 Avicenne, Canon, III.11.1.2, éd. cit., fol. 264r, repris par exemple par Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione,
2, éd. cit., p. 16.
46 De secretis mulierum, « commentaire B », cf. Lemay, 1992, p. 71. Ce décalage perçu entre production et consommation
explique également l’affirmation de Guillaume de Conches repris dans les Questions salernitaines (B 21, éd. Lawn, p. 13)
selon laquelle la femme enceinte est réchauffée par le fœtus, digère mieux la nourriture et produit par conséquent
moins de sang menstruel que d’ordinaire. Guillaume de Conches, Philosophia, IV.11.19, éd. cit., p. 97 ; Dragmaticon,
VI.9.1, éd. cit., p. 212.
47 Par exemple, Trotula : Liber de sinthomatibus mulierum, par. 127, éd. cit, p. 110-111.
48 Hippocrate, Aphorismes, V.31 ; Ps-Galien, De spermate, transcription Merisalo cit., l. 77-79 : « Vidi feminam
preganantem (!) minuisse sanguine per brachium. et sic tercia die abortiuum emisisse ». Voir aussi Bernard de Gordon,
Lilium medicinae, VII.15, éd. cit., fol. 335v.
49 Aristote, De generatione animalium, IV.8.777a12-14.
le pouvoir du la it 51 7

apparaît en revanche bien dans la version gréco-latine du De generatione animalium50 et


Averroès reprend l’idée également dans son encyclopédie médicale traduite en latin vers
128551. Cependant, même après cette date, les médecins et philosophes médiévaux ne
reconnaissent que rarement l’effet contraceptif de la lactation52. Michel Savonarole vante
l’allaitement maternel comme une méthode, pour les femmes, d’espacer les naissances
et de préserver ainsi leur propre santé, mais il n’est pas clair s’il fait allusion à l’effet
contraceptif de la lactation ou à l’interdiction ecclésiastique des rapports sexuels pendant
l’allaitement. Il suppose, en tout cas, que son auditoire n’a pas besoin d’explication53.
Il reste difficile de mesurer à quel point les laïcs, et surtout les femmes elles-mêmes,
avaient conscience du rapport causal négatif entre lactation et fertilité, même si on peut
raisonnablement supposer que le retour tardif des règles en cas d’allaitement était bien
connu des femmes entre-elles.
Quoi qu’il en soit, plutôt que sur l’effet contraceptif de la lactation, les médecins médiévaux
insistent, comme déjà les médecins antiques et arabes, sur le danger des rapports sexuels
pour le nourrisson. En cas de nouvelle grossesse, le sang menstruel, matière première
du lait, sera détourné des seins vers l’utérus pour nourrir l’embryon et le lait se tarira ;
Aristote l’avait dit lui aussi dans la phrase qui suit immédiatement au passage sur l’effet
contraceptif de la lactation. Dans une perspective galénique, le coït pendant la lactation est
dangereux même s’il ne conduit pas à une nouvelle grossesse, en raison de la compétition
qu’il entraîne, chez la femme, entre la production du lait et celle de la semence54. Le coït
provoquerait en outre les menstrues, entraînant là encore un tarissement du lait55. La qualité
du lait pâtirait également des rapports sexuels, car ils le rendraient fétide. Le mécanisme

50 Cf. Biller, 2000, p. 155, 269.


51 Averroès, Colliget, II.10, éd. Venise, 1542, fol. 53vb : « Sunt alique mulieres que non possunt impregnari dum lactant ».
52 L’auteur anonyme du « commentaire B » sur les Secrets des femmes cite Averroès et y voit une référence aux nourrices
qui ne conçoivent pas alors qu’elles sont sexuellement très actives. Cf. Lemay, 1992, p. 71. On peut se demander à quel
point il s’agit ici d’un constat empirique ou d’un écho déformé de croyances concernant l’infertilité des prostituées.
Sur l’infertilité des prostituées, cf. Prose Salernitan Questions, B. 10, éd. cit., p. 6 : « Queritur cum prostitute meretrices
frequentissime coeant, unde accidat quod raro concipiunt » et Cadden, 1993, p. 92-94. Pour la confusion entre nutrices
et meretrices dans les manuscrits des questions salernitaines, cf. infra n. 54.
53 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 147 : « O frontosa zentile e delicata […] dove vene adonca
che lactare non vogli tuo fiolo, vogliendogie bene, per suoa tanta salute e biem essere suo, anco per tuo più sano vivere e longo ?
Che cussì non lactendo, tu te engravidi più presto assai, stendo la mazuor parte di l’anno cum l’apetito corupto, dolore de
stomaco, di schina e somegliante male ; moltiplichi i parti, et ogni parto ti dà una gram bastonata a la via tuoa […] ». Le
fait qu’il ne fournit, contrairement à bien d’autres passages, aucune explication physiologique pourrait plaider en
faveur de la seconde hypothèse.
54 Prose Salernitain Questions, B 252, éd. cit., p. 122-123 : « Queritur quare infantes male nutriantur a nutricibus coitu
utentibus ? Solutio. In ipsa celebri venerea actione, in spermate bonus sanguis emittitur et purus qui deberet in lac converti
unde puer debet nutriri. Qui emissus non solum lactis aufert <essentiam>, sed etiam quod satis inutile <est> nutriture
lactis infert attenuationem, unde minus nutrimento est idoneum ». Il me semble que l’excellente édition de Brian
Lawn doit ici être corrigée. La variante « nutricibus » (nourrices), présente dans trois manuscrits, est préférable à
« meretricibus » (prostituées), leçon retenue par Lawn. Pour l’idée de la compétition entre le lait et la semence,
voir aussi Albert le Grand, Quaestiones super De animalibus, II, q. 13-16, éd. cit., p. 115 : « […] quia lac et semen
sunt multum propinqua, ideo abundantia unius impedit abundantiam alterius. Quare si in homine essent mamillae in
parte inferiori, propter abundantiam seminis esset diminutio lactis, cum tamen requiratur abundantia lactis, eo quod homo
diutius lacte nutritur quam alia animalia ».
55 Muscio, De genecia, 90, éd. cit., p. 32 : « et si fieri potest ad virum suum in totum non accedat, ne usu venerio purgationem
commemoret, qua superveniente lac exterminatur et extinguitur ». Voir aussi la note suivante.
5 18 m a a i ke van der lugt

physiologique de cette corruption est cependant peu expliqué56. Les médecins médiévaux
se contentent de dire que le coït perturbe le sang et donc le lait57.
Si la menstruation, la génération et la lactation relèvent d’un même système physio-
logique fondé sur la production, la circulation, l’évacuation et la transformation du sang,
les auteurs médiévaux tendent à problématiser et à nuancer le rapport entre les menstrues
et ce sang maternel. Cette évolution est liée à la dégradation progressive de l’image du
sang menstruel au Moyen Âge central. Dans la médecine grecque et dans la philosophie
naturelle aristotélicienne, le sang menstruel n’est pas nocif en soi. Il s’agit d’un simple
résidu de la digestion ; c’est la rétention et l’accumulation des superfluités dans le corps
qui constitue un risque pour la santé. La menstruation est une purgation nécessaire,
qui apporterait même certains bénéfices, comme la supposée absence chez les femmes
d’hémorroïdes et de saignements du nez. Si les règles sont un signe de l’infériorité physique
de la femme, elles sont aussi un signe de sa fertilité. Sans ces « fleurs », il n’y aurait pas de
fruit, rappellent les médecins médiévaux en reprenant à leur compte une image commune.
En physiologie, le sang menstruel est une superfluité. À partir du Moyen Âge central, ce
que l’on entend par superfluité change de sens. Il s’agit moins d’un fluide surabondant que
corrompu. Le sang menstruel se voit de plus en plus associé à l’impureté, à la corruption,
voire au poison. C’est au cours du xiiie siècle que l’image de la femme menstruée comme
empoisonneuse potentielle – et a fortiori de la vieille femme qui n’expulse plus la matière
impure – se consolide en recevant une rationalisation scientifique58. Le contact du fœtus
avec les menstrues apparaît alors comme une source de danger. L’angoisse de la matière
impure et corrompue se reflète dans la croyance largement partagée – et qui renforce, là
encore, des interdits sexuels lévitiques puis ecclésiastiques –, selon laquelle le coït pendant
la menstruation peut causer la naissance d’un enfant roux, d’un enfant porteur de taches
de vin, voire d’un enfant lépreux59.
Mais si la conception pendant les règles est si dangereuse pour le fœtus, est-il bien
raisonnable de croire que le fœtus se constitue et se nourrit de ce sang impur et corrompu ?
À partir de 1200, certaines voix s’élèvent contre cette idée. Selon l’encyclopédiste Thomas
de Cantimpré, suivi de Vincent de Beauvais, le sang menstruel doit d’abord être purifié et

56 Selon le Pantegni, suivant Galien, c’est la grossesse qui peut en résulter plutôt que l’acte sexuel lui même qui cause
cette corruption : la meilleure partie du sang maternel va nourrir l’embryon et la mauvaise partie monte aux seins.
Pantegni, Practica, I.21, éd. cit., fol. 63r : « Abstineat a coitu, quia magnum nocumentum infanti prestat. Trahit enim
menstrua et corrumpit ea, unde ad ubera non possunt ascendere ; que si concipiat eo amplius deterius est, quia melior pars
sanguinis vadit in nutrimentum fetus, mala autem ad ubera ascendit et in lac convertitur, unde malum infanti nutrimentum
tribuit ». Cf. Galien, De sanitate tuenda, I.9, éd. Kühn, 6, p. 46. L’explication est plus confuse chez Avicenne, Canon,
I.3.1.2, éd. cit., fol. 54v. Cette rationalisation galénique a peu de succès dans la médecine médiévale.
57 Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 77 : « et soi garder qu’ele ne gise à homme, car c’est li cose
qui plus corrunt le lait, et por çou qu’ele ne deviegne ençainte, car femme ençainte quant ele alaite tue et destrait
les enfans » ; Guillaume de Salicet, Summa conservationis, I.1-2, éd. cit., sans foliotation : « omnino sit abstinens a
coitu, quia coytus sanguinem perturbat et permiscet et facit lac malum et corruptum, ut dicit Avicenna […] » ; Bernard
de Gordon, Tractatus de conservatione, 2, éd. cit., p. 13 : « non coeat quia lac reddit foetidum et si conciperet non posset
sufficere foetui extrinseco et intrinseco » ; Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 152-153. Le Trotula
fait exception en ne mentionnant pas l’interdiction de l’acte sexuel.
58 Jacquart et Thomasset, 1985, p. 101-106 ; Agrimi et Crisciani, 1993, p. 1281-1308 ; Salmón et Cabré, 1998,
p. 53-84 ; Delaurenti, 2006, p. 137-154 ; De Miramon, 1999a, p. 163-181 et 1999b.
59 Pour les rapports complexes entre préceptes religieux et médicaux, cf. Marienberg, 2003, p. 94-120 ; Demaître,
2007, p. 168-171 ; Miramon, 1999a, note 37.
le pouvoir du la it 51 9

digéré dans le foie de la mère avant de pouvoir servir de nourriture au fœtus ; dans le cas
contraire, il tuerait plutôt que ne nourrirait le fœtus60. Dans les textes scolastiques, la mise
à distance du sang menstruel passe par un jeu de distinctions. Albert le Grand adapte un
passage d’Avicenne consistant à différencier plusieurs types de sang maternel ; une part
sert pour construire et pour nourrir le fœtus, une autre se convertit en lait, alors que le
sang impur qui sert à la purgation de la femme ne participe pas à la génération, mais est
expulsé pour partie à travers les urines et pour l’autre à la naissance61.
Dans le système des circuits de fluides corporels dans la femme, les philosophes
et médecins médiévaux rendent plus problématique l’équivalence entre menstrues et
nourriture du fœtus, mais ils accentuent la continuité physiologique entre gestation
et lactation. Selon Aristote, le corps de la femme ne commence à produire du lait qu’à
l’extrême fin de la grossesse, car le lait ne devient utile qu’à l’approche de l’accouchement.
La nature aristotélicienne ne fait rien en vain. Une fois que le fœtus a atteint un stade de
développement qui lui permet de survivre en dehors de l’utérus, le corps de la femme
commence à produire une nourriture adaptée à cette nouvelle phase. Après la naissance,
l’enfant a besoin d’une nourriture proche de ce qu’il recevait dans le ventre maternel, mais
pas pour autant identique62.
Contrairement à Aristote, les médecins et philosophes médiévaux ne font pas coïncider
le déclenchement de la montée du lait avec la naissance. À la suite des médecins grecs et
arabes, ils le placent bien plus tôt lors de la grossesse, pour rendre compte de certains faits
d’expérience : le gonflement et le durcissement des seins et les écoulements séreux qui
surviennent chez certaines femmes enceintes63. Dans les années 1200-1220, un chirurgien
montpelliérain attribue par exemple les douleurs aux seins en début de grossesse à
l’accumulation de lait. Pour remédier à l’obstruction, il recommande l’application de

60 Prose Salernitan Questions, B 306, éd. cit., p. 144 : « Queritur quare pueri non nutriantur menstruo sanguine ut secundum
quosdam asseritur. R. Sanguis menstruus corruptus est, qui corruptos et chimos debet generare humores. Pueri ergo non
nutriuntur menstruo sanguine qui corrumptus est, quoniam si inde nutrirentur cito corrumperentur ». Thomas de
Cantimpré, De natura rerum, I.73.4, éd. H. Boese, Berlin, W. De Gruyter, 1973, p. 74 : « Vivit ergo puer sanguine
menstruato, ut omnes philosophi dicunt, sed ipso sanguine optime et purissime digesto, mediante scilicet dulciori ac iocundiori
parte corporis, hoc est epate. Si enim nullo medio vel non optimo medio sanguis menstruatus transiret ad puerum, potius
illum sua malignitate occideret quam nutiret. Quod patet in aliquibus hominibus sic natis, ut habeant maculas in facie
vel parte aliqua corpori sui. Hoc enim fit ex sanguine menstruato, qui aliquando nimium habundans cadit super puerum
in matris utero, et nisi esset folliculus secundi medius inter sanguinem cadentem et puerum, ipsum in nudo contactum
penetrando occideret. Restat tamen ex hoc macula in puero, que nunquam etiam cute excoriata poterit deleri ». Dans le
chapitre sur les âges de l’homme (ibidem, cap. 78, éd. cit., p. 80), Thomas de Cantimpré explique la faiblesse du
nourrisson par le fait d’avoir été nourri par le sang menstruel ; Vincent de Beauvais, Speculum naturale, XXXI.51,
éd. Douai, 1624, réimpr. Graz, 1965, col. 2330. Je dois ces exemples à Maclehose, 2008, p. 14-15. Guillaume de
Conches explique déjà la création d’une membrane autour du fœtus par la nécessité de le protéger de l’influence
néfaste des « superfluités ». Philosophia, IV.13.20, éd. cit., p. 98 ; Dragmaticon. VI.9.4, éd. cit., p. 213 : « Sed prius ex
quadam sicca materia folliculum intra se continentem conceptum creat, ne aliquae superfluitates illi se commiscentes illum
corrumpant ». Cf. Prose Salernitan Questions, B 24, éd. cit., p. 14.
61 Albert le Grand, Quaestiones super de animalibus, IX.8, éd. cit., p. 204-205 ; Idem, De animalibus, IX.2.5, éd. cit.,
t. 15, p. 725 ; Gilles de Rome, De formatione humani corporis, cap. 7, éd. cit., p. 107 ; cap. 22, éd. cit., p. 213-225. Selon
Gilles de Rome le danger pour le fœtus explique l’interdiction des rapports sexuels pendant les menstrues (p. 213-214).
Voir aussi le commentaire B au livre Des secrets des femmes, cf. Lemay, 1992, p. 77 et ibidem, p. 130-131.
62 Aristote, De generatione animalium, IV.8.776a15-777a27.
63 Selon Albert le Grand (De animalibus, IX.2.5, éd. cit., t. 15, p. 725), les médecins font coïncider la montée de lait
avec les premiers mouvement du fœtus. L’idée se retrouve dans le De spermate, transcription Merisalo cit., l. 67-77.
520 m a a i ke van der lugt

grandes ventouses ; alternativement la femme peut se faire sucer les seins par une autre
femme pour extraire le lait, une méthode qui aurait été fort efficace pour une patiente64.
L’aspect et la consistance des seins et la quantité et qualité du lait de la femme enceinte
sont autant de signes de la santé et du sexe de l’enfant qu’elle porte – la mauvaise qualité
de ce lait se voit, sans surprise, corrélée au fœtus féminin –, alors que le dégonflement
soudain des seins serait, selon une tradition hippocratique bien connue au Moyen Âge,
un signe avant-coureur de la fausse couche65. L’écoulement ou le durcissement excessifs
des seins sont également mauvais signe, indiquant un fœtus souffreteux incapable de
consommer la nourriture66.
L’association un peu confuse de ces différentes idées dans certains textes fondateurs
comme le Pantegni pouvait laisser entendre que le fœtus se nourrit non pas de sang, mais
déjà de lait67. Muscio l’avait affirmé de manière explicite au détour d’une question sur la
nocivité, pour l’enfant, de la consommation de vin par la mère pendant la grossesse et la
lactation68. L’auteur anonyme du très diffusé livre des Secrets des femmes en tire les conclusions
pour la production et la circulation du sang et du lait dans le corps de la femme enceinte :
« La première chose qui se développe est une certaine veine ou un nerf qui perfore
l’utérus et monte de l’utérus vers les seins. Lorsque le fœtus est dans l’utérus de la mère,
ses seins deviennent durs, parce que l’utérus se ferme et la substance menstruelle est
dérivée vers les seins. Ensuite cette substance est mise en ébullition et devient blanche
et on l’appelle le lait de la femme. Après avoir subi une telle coction, il descend par la
veine vers l’utérus, et le fœtus est nourri par cette nourriture qui lui est naturelle et
propre. Cette veine est le cordon ombilical »69.

64 Cf. Guillaume de Congenis, Chirurgia, III.29, éd. Karl Sudhoff, « Chirurgia Wilhelmi de Congenis », Beiträge
zur Geschichte der Chirurgie im Mittelalter : graphische und textliche Untersuchungen in mittelalterlichen Handschriften,
Leipzig, J. A. Barth, 1914-1918, 2 vols., 2, p. 363.
65 Hippocrate, Aphorismes, V.37 ; Pantegni, Theorica, III.34, ms. cit., fol. 20v ; Ps-Albert le Grand, De secretis
mulierum, 7, éd. cit., p. 428, 430, cf. Lemay, 1992, p. 124.
66 Pantegni, Theorica, X.3, ms. cit., fol. 9v : « Et similiter si lac de mamillis effluat contingit, quia nutrimentum fetus sanguis
est menstruus. Qui si ex consuetudine sua currat, defectionem significat, cum non sibi trahere ualeat ». Barthélémy
l’Anglais, De proprietatibus rerum, V.34, éd. cit., fol. 180 : « Sicut idem recitat Galenus item in eodem, si mulieri habenti
in utero lac multum fluxerit ex mamillis, fœtum debilem signat ; si vero fuerint ubera dura, iterum debilem signant esse
fœtum, ideo enim non diminuitur lac, quia fœtus est debilis ad accipiendum et convertendum in suum nutrimentum ».
67 Pantegni, Theorica, III.34, ms. cit., fol. 20v : « Quia autem lac de sanguine menstruo fiat et <a> vulva mamillas attingat,
signum est quod mulieris conceptione incipiunt menstrua cessare ut infantibus in vulva positis inde videatur nutrimentum
dedisse. Mulierum abortivum facientium mamille emollescunt et si antea fuerint dures, sicut Ypocras in Aphorismo testatur,
si mulieris inquit postquam geminos concepti dextra mamilla emollierit masculus abortivus fit, si sinistra abortivatur
femina ». Quelques lignes plus haut, Constantin l’Africain avait pourtant dit clairement que le fœtus se nourrit de
sang menstruel, alors que le nouveau-né se nourrit de lait qui est un produit dérivé du sang.
68 Muscio, De genecia, 91, éd. cit., p. 33 : « Quomodo dicis in principio infantem male accipi, scilicet si nutrix eius vinum
multum bibat, cum tot mensibus matre sua bibente non sit male acceptus ? Quoniam cum in utero esset ad perferendam
digestionem mater eius officio laborabat et sic ei digestum lac transmittebat, modo vero ad substantiam suam separatus
non praevalet ad perferenda quae difficillimae digestionis sunt ».
69 Ps-Albert le Grand, De secretis mulierum, 5, éd. cit., p. 384-386 : « […] primo inter omnia nascitur quedam vena
vel nervus, qui quidem nervus vel vena perforat matricem et a matrice procedens uno tramite usque ad mamillas. Modo
quando fetus est in utero, indurantur mamille mulieris, et tunc substancia menstrui fluit ad mamillas propter clausuram
matricis. Et ibi talis substancia menstruosa fortiori decoccione decoquitur usque ad colorem albedinis, et tunc appellatur lac
mulieris. Et illud sic decoctum mittitur per talem venam tali modo ortam ad matricem, et ex hoc fetus nutritur tamquam de
proprio et naturali nutrimento. Et hec est vena que in exitu fetus ab obstetricibus abscinditur ». Cf. Lemay, 1992, p. 109.
le pouvoir du la it 521

On voit que la nourriture du fœtus passe désormais par les seins qui jouent le rôle
d’organe purificateur ailleurs attribué au foie. Le livre des Secrets des femmes est un relais
important de croyances sur le pouvoir néfaste du sang menstruel. Aux yeux de l’auteur,
l’avantage de ce circuit alternatif devait être double : la production de lait pendant la
grossesse se voit justifiée du point de vue du principe aristotélicien de l’utilité et tout
contact entre le sang menstruel et le fœtus est évité70.

Les dangers mitigés du sein étranger

La tendance à faire du lait un élixir pur et à garder le fœtus de tout contact avec le sang
menstruel se place cependant en porte à faux avec les principes de base de la physiologie
et de la diététique médiévales. Un bon aliment est celui qui correspond à l’état de votre
corps. Ainsi, il est logique que le fœtus, à ses premiers stades, se nourrisse de sang et, au
fur et à mesure de son développement, de lait, de la même façon que le nourrisson va
graduellement passer du lait aux nourritures solides. Le lait n’est plus un liquide pur, mais
un aliment qui doit jouer son rôle pour conserver la santé du nourrisson. De ce point de
vue, le lait maternel est le meilleur aliment parce qu’il provient du même sang qui nourrit
le fœtus dans l’utérus71.
Dans la médecine médiévale, la santé et la maladie sont définies à l’aide du concept de
complexion ou de tempérament, c’est-à-dire la proportion équilibrée ou déséquilibrée des
qualités élémentaires (chaud, froid, humide, sec). Le corps en santé maintient une proportion
appropriée de ces qualités dans un rapport dynamique avec son environnement physique,
l’hygiène de vie et les états d’esprit. Parmi ces choses « non naturelles », la nourriture et
la boisson occupent une place centrale, parce qu’elles sont incorporées et assimilées par le
corps. Tant le corps que la nourriture ont une complexion propre. Le corps transforme la
nourriture d’abord en sang, puis en sa propre substance ; avec le temps, la complexion du
corps va graduellement s’assimiler à celle de la nourriture qu’il consomme. Le corps peut
s’adapter à de nouvelles circonstances et à un régime différent, et cela est a fortiori le cas
pour le nourrisson qui est perçu comme un être encore mou et malléable. Cependant, tout
changement brusque est dangereux. Il peut perturber l’équilibre et faire basculer le corps
dans la maladie. La santé se conserve, en revanche, par des aliments d’une complexion
similaire à celle du corps. Il s’en suit que le lait maternel est mieux adapté au nourrisson
que celui d’une autre femme, et a fortiori celui d’un autre animal72.

70 Cette idée de purification du sang et du lait entre en résonance avec la dévotion à la Vierge enceinte et allaitante et
avec les débats théologiques sur la génération du Christ, cf. Van der Lugt, 2004, p. 423-427.
71 Pantegni, Practica I.21, éd. cit., fol. 63ra ; Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 53vb ; Aldebrandin de Sienne, Régime
du corps, éd. cit., p. 76 : « Sachiés que li lais que on li doit douner et cil ki miex li vaut si est cil de le mere, por ce
ke de celi meisme dedens le ventre de le mere est nourris, car natureument puis qu’il est hors du ventre revient li
lais as mamieles » ; Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 145 : « […] prima dirò chel megliore
lacte e al fanzuiolo più utile e di suoa sanità conservativo è quello di la madre, quando è buono e non viciato : il perchè è
somegliante a quello nutrimento dil quale è stato nutrito nel ventre, zioè al sangue mestruo, dil quale se fa il lacte, come
dicto habiamo », et les références citées dans la n. 72.
72 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, 1, éd. cit., p. 12 « Deinde mater lactet infantem, quoniam aliis existentibus
lac matris est melius et est magis conveniens cum sit magis simile generationi fœtus et nutritionis intrinsecae » ; ibidem, q. 7
« Utrum lac matris sit melius foetui quam lac alterius mulieris ? », éd. cit., p. 166 : « […] si omnia sint aequalia, lac matris
522 m a a i ke van der lugt

Cependant, une fois ce principe affiché, les médecins médiévaux commencent à


apporter des nuances. Premièrement, la mère ne doit pas allaiter son bébé tout de suite
après l’accouchement. À cause de la violence du travail, elle se trouve alors dans un état
troublé qui fait tourner le lait dans les seins. Il faut attendre que sa complexion se soit
rééquilibrée pour qu’elle puisse produire un lait qui ne soit ni trop liquide, ni trop épais, de
bonne couleur blanche, sans odeur désagréable73. On voit que le discours médical justifie
implicitement le besoin de repos de la femme accouchée. Pour extraire le mauvais lait et
soulager l’engorgement des seins de l’accouchée, Bernard de Gordon et Maino de’ Maineriis,
médecin d’origine milanaise actif à l’Université de Paris de 1326 à 1331, recommandent que
celle-ci se fasse sucer les seins par une femme de bas statut social ou par un enfant trouvé à
l’hôpital74. Ironiquement, le nourrisson socialement défavorisé reçoit donc le colostrum,
considéré de nos jours comme particulièrement bénéfique. Pour passer le temps où le
nouveau-né ne peut pas encore boire le lait de sa mère, les médecins recommandent le
recours à une nourrice ou l’administration d’un peu de miel ou d’un breuvage fait de miel,
de sucre et d’huile de sésame75. Selon Muscio, il faut attendre huit à dix heures avant de
commencer ce traitement, car le nourrisson doit lui aussi se remettre du traumatisme de
l’accouchement pour pouvoir digérer correctement la nourriture76. Il réduit ainsi fortement
le jeûne de deux jours complets qu’avait préconisé son modèle Soranos. Ce jeûne pour
purger le corps du méconium semble en effet oublié chez les médecins médiévaux. Ni le
Pantegni, ni Avicenne ne le recommandent, ce qui a certainement joué.
Le délai entre l’accouchement et le début de l’allaitement maternel n’est également
que rarement précisé. Bernard de Gordon fait exception en l’identifiant aux deux jours du

magis valet et competit, cuius ratio est, quoniam conservatio sit per similia, sed lac matris magis assimilatur foetui, quod ex
illo fuit nutritus et generatus, et imo ratione similitudinis et convenientiae facilius et melius nutritur extra » ; Aldebrandin
de Sienne, Régime du corps, III, « du lait », éd. cit., p. 182 : « […] vous devés savoir que li plus covignables lais à
nature d’omme c’est cil de feme, especialment quant il est <usés si com il ist> de le mamele » ; Jacques Despars,
comm. Canon, I.3.1.2, éd. Lyon, 1498, sans foliotation : « […] lac matris pre ceteris infanti est dandum ab ubere sugendum
omnibus modis possibilibus […] quia infans delectabilius recipit illud quam quodcunque aliud propter similitudinem ipsius
maximam cum priori iam assueto nutrimento […] ».
73 Muscio, De genecia, par. 86, éd. cit., p. 31 : « Maternum lac non est utile, sed extraneum, quia maternum lac de labore
partus et turbore et purgatione malum est et pingue et indigestibile » ; Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 53v : « Oportet
autem ne sit eius mater que ipsum prius lactat, donec matris complexio temperetur. Et melius quidem ut parum mellis eidem
tribuatur, deinde lactetur » ; ibidem, fol. 54v : « et si que in prima die ipsum lactaverit alia fuerit quam mater ipsius erit
melius ».
74 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, 1, éd. cit., p. 12 : « interim mater faciat sibi sugi mamillas ab aliqua vili
persona vel a pueris qui inveniuntur in hospitali » ; ibidem, q. 7, éd. cit., 166 ; Maino de’ Mainerii, Regimen sanitatis,
II, « De regimine pregnantis », éd. cit., p. 24r : « amplius enixe contingere consuevit mamillarum dolor et apostemata
propter magnam lacti exuberentiam. Horum autem cura est lactatio per mulierem vilem. Tale enim lac inconveniens est
lactationi infantis ».
75 Avicenne, cf. supra n. 73 ; Muscio, cf. infra, n. 76 ; Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 76 : « […]
et le doit on pau faire au commencement, et vauroit miex c’on li mesist devant l’alaitier .i. pau de miel en le bouce,
et convient espraindre le mamele et laissier aller avant, et puis apriès le poés alaitier » ; Bernard de Gordon,
Tractatus de conservatione, 1, éd. cit., p. 12 : « Deinde paretur cibus talis. Recipe zuccari albiss et pulverizetur in ultimo, et
tunc recipe mellis mundi mediam partem et misceantur cum oleo sesamino et fiat quaedam confectio liquida quasi sorbilis,
vel quod possit lambi et paulative parva quantitas ponatur in ore et cum isto cibo poteris quasi transire per duos dies » ;
voir aussi ibidem, p. 166.
76 Muscio, De genecia, 83-84, éd. cit., p. 30 : « Quando infanti cibum dare oportet ? Cum post omnem commotionem quietus
fuerit effectus, hoc est post octo vel decem horas. Quem primum cibum accipere debet infans ? Talem cibum accipiat qui
potest et stomachum et ventrem purgare et eum nutrire, hoc est mel modice decoctum ».
le pouvoir du la it 523

traitement à base de miel – très en deçà des vingt jours préconisés par Soranos, et davantage
compatible avec un allaitement maternel réussi. Il va de soi qu’un délai de vingt jours rend
indispensable le recours au moins temporaire à une nourrice, tout en compromettant la
production de lait chez la mère. Muscio n’avait pas repris ce délai peu réaliste et on ne le
trouve pas non plus dans le Pantegni et le Canon77. Cela ne veut pas dire que les médecins
médiévaux préconisent, ni même supposent, tous un début d’allaitement maternel plus
précoce. Dans son monumental commentaire au Canon rédigé entre 1432 et 1453, le maître
parisien Jacques Despars impose, bien au contraire, un délai encore plus long d’un mois au
moins ; le temps, note-t-il, pour la mère d’éliminer toutes les impuretés liées à la naissance78.
Despars décrit le corps de la femme accouchée comme non seulement déséquilibré et
fiévreux, mais impur et susceptible d’infecter l’enfant à travers le lait.
Despars écrit à une époque où la pratique des relevailles se charge de sens sociaux,
religieux et folkloriques, comme en témoignent des résurgences ponctuelles de couvades.
Dans la logique des relevailles, la parturiente ne devait pas seulement se reposer, mais
être mise à l’écart, un temps, de la communauté. Cette pratique entrait en résonance avec
les croyances grandissantes à partir du xiiie siècle, comme nous l’avons vu, sur le danger
du corps féminin et de ses écoulements sanguins79. Alignant le début de l’allaitement
maternel sur les relevailles, Despars, un auteur enclin à la médicalisation du folklore80,
inscrit cette pratique sociale dans l’ordre de la nature : la femme accouchée doit rester
confinée tant qu’elle saigne, car elle pose alors un danger aux autres, et a fortiori pour son
propre nourrisson.
Si la position et le ton très durs de Despars sont exceptionnels, les recommandations
des médecins médiévaux pour le recrutement des nourrices suggèrent une méfiance plus
générale du lait de la femme récemment accouchée. Depuis l’Antiquité, les médecins
recommandent en effet de ne recruter que des nourrices qui ont accouché depuis au
moins un mois et demi, voire deux mois. Ce délai est peu expliqué. Il servait sans doute
à s’assurer de la mise en place dans la durée de la lactation chez la nourrice prospective

77 Bernard de Gordon, supra, n. 75. Les éditeurs modernes de Soranos proposent de lire « trois » à la place du
chiffre vingt dans le seul et médiocre manuscrit du texte grec. Mais comme le remarque Temkin 1956 (p. 89, la leçon
du manuscrit est compatible avec les conseils de Soranos concernant la mise en nourrice. Le délai de vingt jours
apparaît dans les fragments de la version latine de Soranos. Éd. Drabkin et Drabkin, Gynaecia (par commodité, j’ai
consulté le texte non paginé disponible sur digilibLT) : « Maternum enim lac usque ad XX dies est separandum, quia
de labore partus et turbore et purgatione malum est et pingue et indigestibile post partum ».
78 Jacques Despars, comm. Canon, I.3.1.2, éd. cit., sans foliotation : « In tertia dicit opportunum esse ne mater infantis
lactet eum donec complexio ipsius temperata fuerit. Attende quod mater ilico post partum alterata est ex pressura dolorum
et disposita ad febrem ; ideo tunc non lactare debet infantem, immo subtili et temperato regimine parum declinante ad frigus
suam debet temperare complexionem […]. Item alterata est et sordida durantibus purgationibus solitis contingere post
tempus partus, et ideo mos est ut per unum mensem in camera maneant supra cubile vel lectum quo tempore si lactarent
infantem inficerent ipsum sicut inficiunt speculum. Item quocunque tempore mater discrasiata fuerit non lactet infantem
donec se temperavit ne discrasis simili per medium lactis inficiat infantem ». Plus loin, il réitère l’idée de l’impureté du
corps de la femme accouchée : « quia tunc mater immunda est commota et debilis ex pressura partus et lac et sanguis
sui turbati sunt ex vehementia dolorum ».
79 Sur les relevailles, cf. De Miramon, 1999a et 1999b ; Rieder, 2006. Charles de Miramon propose, en s’appuyant sur
des sources littéraires, une interprétation anthropologique des relevailles, et notamment de la coutume de donner à
la mère un poulet à manger ; il s’agirait d’éviter qu’elle s’en prenne, dans l’état liminal et animalisé où elle se trouve,
à son enfant.
80 Pour un autre exemple de l’ouverture de Jacques Despars aux croyances communes, cf. Van der Lugt, 2001b, ici
p. 198. Voir aussi Jacquart, 1980, p. 35-86.
524 m a a i ke van der lugt

et de la santé de son enfant, mais on peut y voir aussi un désir d’attendre que la nourrice
ne saigne plus, que ce soit parce que ce sang fait concurrence à la production du lait, ou
parce qu’il est perçu comme impur et susceptible d’entacher le lait81.
S’ils débattent du bon délai entre la naissance et le début de l’allaitement maternel, les
médecins médiévaux conviennent qu’il existe de nombreuses situations où la mère ne peut
ou ne doit pas allaiter du tout. Si elle est malade, elle sera trop faible et son lait sera vicié
et dangereux pour le bébé ; il arrive aussi que les femmes n’aient pas de lait, ou que leurs
tétons soient trop courts. Les médecins médiévaux taisent, en revanche, une autre raison :
la mort de la mère en couches, préférant sans doute ne pas trop attirer l’attention sur cette
issue malheureuse de la grossesse. Cependant, à la suite d’Avicenne, ils reconnaissent que
les raisons pour lesquelles les femmes n’allaitent pas leurs enfants sont souvent d’ordre
social et non médical : « Beaucoup de femmes sont délicates ou nobles, ou elles ont peur
du travail », note Bernard de Gordon. Les cris, la puanteur et les nuits sans sommeil les
effraient ; elles veulent reprendre les rapports sexuels avec leur conjoint et ne pas abîmer
leurs seins, croit savoir Jacques Despars82. Ce sont là les mêmes motivations que leur
attribuent les confesseurs et des prédicateurs.
Michel Savonarole morigène les mères qui n’allaitent pas – elles ne sont jamais fatiguées
quand il s’agit d’aller danser ! – tout en s’adressant aux couples : est-il vraiment si difficile
de rester chastes, s’il en va de la santé et de la survie de son enfant83 ? Son traité prend des
airs d’un sermon de mariage. Il donne des conseils pour le choix de la nourrice et pour
son régime, mais rappelle plusieurs fois qu’il vaut mieux que la mère allaite son enfant elle-
même. Cette rhétorique reste exceptionnelle. Certains médecins, comme l’auteur anonyme

81 Jacques Despars le dit explicitement, comm. Canon, I.3.1.2, éd. cit., sans foliotation : « et attenditur quod ad minus
nutrix distet quando lactare incipiet a tempore sui partus uno mense cum dimidio vel duobus. Nam primo mense fere toto
immunda fuit et propter plurimum decubitum et defectum exercitii superfluitates colligit ». Despars défend comme on
l’a vu les relevailles comme une réponse à l’impureté de la femme accouchée ; ici il les rend cependant responsables
de l’aggravation de l’accumulation des superfluités nocives.
82 Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 53v : « Quod si aliqua res prohibitoria matris lac dari non permiserit, sive causa
debilitatis ipsius, sive corruptionis lactis eius, sive quia est deliciosa eligenda erit nutrix secundum conditiones quas dicimus » ;
Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 76 : « Mais, por çou que les meires ne puent mie tous jors
nourir leur enfans, ains leur convient avoir nourices, si vous aprenderons queles nourices eles doivent avoir » ;
Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, 1, éd. cit., p. 12 : « Sed quod nunc mulieres sunt delicatae et elatae,
aut timent laborem, aut non habent lac, aut quod papilla mamillae est valde curta, aut quod infirma, aut alia multa similia,
et non possunt lac administrare foetui, ideoque remedium adhibere oportet et nutricem laudabilem quaerere », Michel
Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 145 : « Prima dirò chel megliore lacte e al fanzuiolo più utile e di suoa
sanità conservativo è quello di la madre, quando è buono e non viciato […]. E dicto ‘se non è vitioso’, il perchè dove la
madre fosse per qualche caxuone mal disposta, cussì serebe megliore quello di un’altra femina ben sana cum le condicione
che diremo le quale havere la bona baila over nutrire […] » ; Jacques Despars, comm. Canon, I.3.1.2, éd. cit., sans
foliotation : « Prima est debilitas matris sive egritudinalis sive naturalis fuerit propter quam non potest sustinere labores
quos bona requirit nutritio infantis ut esse vigilem et semper promptam […]. Secunda est corruptio lactis eius qua fit non
solum inutile sed pernitiosum infanti. […]. Et neque est aliquis nocibilius corpori quam lac malum. Tertia est deliciositas
seu delicatio nimia matris, quare non sustinet fetores exeuntius ab infante et clamores et vigilias necessarias circa custodiam
ipsius et abstinentiam a coitu et mamillarum gravedinem et augmentationem et pendulositatem, immo mavult esse stricta
et firma solida circa pectorialia ».
83 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 152 : « Dove certo ogni madre doveria lactare el fiolo quando
può e non temere la fatica, come non teme quella dil balare per il gram dilecto che ha in quello ; che non menore dilecto debe
recevere di la fatica dil fiolo, fazendo a quello tanta utilità e bene, come è dicto. […] O frontoso e frontosa che il dilecto vostro
carnale più amate chel fiolo, atendiate a le parole di [Avicenna] ; dice che per nulla la nutrice debe uxare cum l’huomo, che
tal uxo corumpe il sangue, dà cativo odore al lacte, e quello sminuisse ».
le pouvoir du la it 525

du Trotula et Guillaume de Salicet, supposent même d’emblée la mise en nourrice. Les


autres l’acceptent comme une réalité de la vie et s’adaptent, pragmatiques, à la situation
sociale de leur clientèle. Ils nuancent même considérablement l’idée d’allaitement maternel
comme norme naturelle. Selon Bernard de Gordon l’allaitement maternel n’est préférable
que si on fait abstraction de tous les autres facteurs, comme l’âge et l’état de santé84. On
trouve aussi occasionnellement l’idée qu’une bonne et jolie nourrice peut contrecarrer
l’influence, in utero, de la mauvaise complexion de la mère85.
Aldebrandin de Sienne préconise de chercher une nourrice qui ressemble le plus possible
à la mère86, mais il décrit aussi, comme déjà Soranos, et comme la majorité des médecins
médiévaux, la nourrice idéale. Ces portraits ont beaucoup de traits en commun. On peut
prendre comme point de départ celui détaillé et influent qui se trouve dans le Canon87. Pour
Avicenne, la nourrice idéale a entre vingt-cinq et trente-cinq ans ; elle n’est ni trop grosse, ni
trop maigre, avec un cou puissant et des seins qui ne sont ni trop volumineux, ni trop petits
et une peau de couleur blanche mélangée de rouge. Son propre accouchement ne doit être
ni trop proche ni trop éloigné ; elle ne doit pas avoir accumulé les fausses couches et son
enfant – de préférence un garçon – doit être né à terme et vivant. La nourrice ne doit être
ni enceinte ni menstruée. Elle doit avoir de bonnes mœurs, être chaste, sobre et propre,
ne pas être stupide ou sujette à des sautes d’humeurs et des émotions négatives comme
la colère, la tristesse ou la crainte. Son lait doit avoir bon goût et être de bonne couleur,
odeur et consistance. Pour tester cette dernière caractéristique, il faut laisser couler une
goutte sur la surface inclinée d’un ongle ou verser une goutte de myrrhe sur un peu de lait
dans un récipient en verre et observer le comportement du mélange. La nourrice idéale
doit manger de manière équilibrée, faire de l’exercice physique léger, et être continente.
Avicenne prodigue enfin de nombreux conseils pour stimuler ou réduire la lactation et
pour rectifier un lait de qualité inférieure ou de mauvaise consistance. Si la nourrice a été
auparavant mal nourrie, il faut lui donner des aliments fortifiants. Si elle est malade ou
prend des médicaments, il faut en changer ou temporairement interrompre l’allaitement.
En revanche, on ne trouve pas chez Avicenne l’idée courante chez d’autres médecins que
la femme doit éviter les plats épicés, l’ail, et les oignons, et que des aliments comme le
céleri et la roquette sont susceptibles de corrompre le lait, de causer des convulsions du
nourrisson ou d’autres maladies et de provoquer les menstrues88. De même, les médecins

84 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, q. 7, éd. cit., p. 165-166 : « Dico, […] quod omnibus particularibus
convenientibus, scilicet aetas, complexio, consuetudo, et vitae necessaria, quod omnia sint aequalia in duabus mulieribus,
nisi quod una est mater, tunc dico quod magis valet lac matris. Quia si ponimus unam sanam, alteram infirmam, vel unam
vetulam et aliam iuvenculam et ita de aliis, tunc non valet proportio, sed si omnia sint aequalia, lac matris magis valet et
competit ».
85 De complexionibus, éd. Werner Seyfert, « Ein Komplexionentext einer Leipziger Inkunabel (angeblich eines
Johann von Neuhaus) und seine handschriftliche Herleitung aus der Zeit nach 1300 », Archiv für Geschichte der
Medizin, 20 (1928), p. 272-390, ici p. 298 : « Si fetus vel alicuius hominis puer fuerit turpis vel melancholicus vel alterius
malae complexionis, si sugit lac propriae matris, permanet complexio eadem et mos. Si vero detur nutrici pulchrae et bene
complexionatae, convertatur et alteratur natura complexionis in puero ».
86 Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 76 : « Vous devés regarder le femme qu’ele soit samblans à
le mere tant com ele puet plus […] ».
87 Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 53v-55r.
88 Pantegni, Practica, I.21, éd. cit., fol. 63r : « Prohibenda est nutrix ab acutis sicut sepis porris alliis et similibus » ; Trotula :
Liber de sinthomatibus mulierum, par. 127, éd. cit., p. 110-111 ; Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit.,
p. 152 : « Et sopratutto guardase da l’apio, che è provocativo dil male caduco ; da la ruta e da la rucula, che conturbano
526 m a a i ke van der lugt

médiévaux mettent bien davantage qu’Avicenne en garde contre l’excès de vin et de


nourriture, participant à la construction de l’image de la nourrice dissolue89.
Ce n’est pas le lieu de détailler toutes les variations entre ces portraits de nourrice, ni
la raison d’être explicite ou implicite de tous les critères et recommandations. Nous avons
déjà vu pourquoi les médecins imposent un délai depuis l’accouchement et interdisent le
coït pendant la lactation, et pourquoi la nourrice ne doit être ni menstruée ni à nouveau
enceinte. La préférence pour les mères de garçons se comprend aussi aisément ; on a
vu que la femme qui porte un fœtus masculin est supposément en meilleure santé ; son
lait sera donc meilleur aussi. L’apparence physique et l’âge indiqués sont également des
signes de santé. Dans la médecine galénique, la peau blanche mélangée de rouge reflète
une complexion bien équilibrée – ni trop chaude, ni trop froide, ni trop humide, ni trop
sèche – et donc une physiologie optimale90. « La bonne couleur vient du bon sang, et du
bon sang vient du bon lait », explique Michel Savonarole91. La description du corps et des
seins de la nourrice et la tranche d’âge préconisée – ni trop jeune, ni trop vieille – répondent
à ce même idéal de la mesure et du juste milieu92. L’âge apparaît comme un signe de santé et
donc de la qualité du lait, et non comme une indication de l’expérience et de la compétence
de la nourrice. Soranos avait beaucoup insisté sur l’expérience, et Muscio demande que la
nourrice ait déjà accouché au moins deux fois93. Ce critère n’est cependant pas ou guère
repris par la suite. La qualité des soins relève, aux yeux des médecins médiévaux, avant
tout du caractère et des mœurs de la nourrice94.
Le portrait des mœurs de la nourrice mérite qu’on s’y arrête plus longuement. Notons
tout d’abord l’importance relative de ce critère. Dans l’Occident médiéval, on le trouve peu
avant la réception d’Avicenne. Muscio demande, sans autre explication, que la nourrice
soit prudente et tendre et ne se mette jamais en colère, mais ni le Pantegni, ni le Trotula ne
mentionnent les mœurs dans leur portrait de la nourrice idéale95. Même après l’assimilation
du Canon, tous les médecins n’en parlent pas, ne serait-ce que parce que certains, comme
Guillaume de Salicet et le médecin anglais Jean de Gaddesden (vers 1280-1361), se limitent,

il lacte et provoca i mestrui e conturbano il sangue. […] i cibi tale de le nutrice non voleno essere acuti, come cipole, aio,
porro, scalogna, senavra et somegliante ; nè troppo caldi, come pipioni, anadre, vino grande, pevere ; nè putresibille, come
fructi, cape e ostrege, lacte, pesse di vale, lacta da puo’ manzare ; né apti a corumpere e inflamare il sangue, come la rucula
sopra tute l’herbe » ; ibidem, p. 168.
89 Voir infra pour des exemples. Ce critère provient de Soranos, via Muscio, De genecia, 90, éd. cit., p. 32 : « […]
semperque ebriositatem et indigestionem vitare omnesque excessus ». Avicenne recommande, au contraire, du vin pour
rectifier la consistance du lait.
90 Van der Lugt, 2019a.
91 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 146 : « il perchè il buon colore viene dal buono sangue, et
dil buon sange il buon lacte ».
92 Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 54r : « quoniam hec etas est iuventutis et sanitatis et complementi » ; Bernard
de Gordon, Tractatus de conservatione, 2, éd. cit., p. 13 : « Prima, quod sit aetatis 25 annorum usque ad 35, haec enim
est aetas magis perfecta » ; Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 76 : « Li femme qui l’enfant
norrist doit avoir aage de .XXV. ans, car c’est li ages où li caleurs naturex est plus fors por boinnes humeurs
engenrer ».
93 Muscio, De genecia, 89, éd. cit., p. 32.
94 Voir toutefois Bernard de Gordon, éd. cit., 2, éd. cit., p. 14 : « quod sit docta in curando puerum ».
95 Muscio, De genecia, 89, éd. cit, p. 32 : « animo etiam prudens et quae integro affectu amare etiam puerum possit et quae
numquam irascitur » ; Trotula : Liber de sinthomatibus mulierum, par. 127, éd. cit, p. 110-111. Trotula dit que la nourrice
doit éviter l’anxiété, mais il ne s’agit pas d’un critère de sélection, mais d’une consigne pour son régime.
le pouvoir du la it 527

comme Galien, au régime de la femme allaitante et ne donnent aucune consigne pour le


choix de la nourrice96.
D’autre part, le traitement des mœurs de la nourrice est très variable suivant les auteurs.
L’une des raisons de cette instabilité tient à l’obscurité de la traduction latine du Canon
d’Avicenne sur ce point.
Voici ce que dit Avicenne selon son traducteur :
Il faut faire attention à ses mœurs, car elle doit avoir de bonnes et louables mœurs
et être peu sujette aux mauvaises passions de l’âme comme la colère, la tristesse et la
crainte et d’autres [passions], car ces [passions] corrompent toutes la complexion
et elle/il s’abstient peut-être de la lactation. Et pour cette raison certaines personnes
interdisent qu’une femme stupide n’allaite. En outre, la malice de ses mœurs la conduit
à avoir peu de sollicitude pour l’enfant et à le caresser peu97.
La fin du passage est claire. Avicenne y associe les mauvaises mœurs de la nourrice à la
négligence du bébé. La première phrase est ambiguë. Il n’est ni indiqué quelle complexion
a été corrompue (celle de la nourrice ? celle du lait ? celle de l’enfant ?), ni quel est le
sujet du verbe abstinebit (la nourrice ? le nourrisson ?). Et comment faut-il comprendre
« s’abstenir de la lactation » ?
Certains médecins ont contourné la difficulté. Pour Bernard de Gordon, les mauvaises
mœurs sont simplement annonciatrices de mauvais traitements du bébé. Il faut éviter les
nourrices irascibles, timorées, tristes, stupides, gloutonnes ou ivrognes, parce que ces vices
les conduisent à négliger les enfants98.
Pour d’autres médecins, en revanche, comme Maino de’ Maineriis et Michel Savonarole,
les mauvaises mœurs compromettent non seulement la qualité des soins et la tendresse
que manifeste la nourrice pour le nourrisson, mais aussi la qualité de son lait. La colère,
en particulier, perturbe le sang et la complexion du lait. Ils ont donc résolu la première
difficulté en précisant que c’est la complexion du lait qui s’est corrompue sous l’influence
des mauvaises émotions de la nourrice99. Leur solution est assez intuitive, car conforme

96 Guillaume de Salicet, Summa conservationis et curationis, I.1, éd. cit., sans foliotation ; Jean de Gaddesden, Rosa
anglica, « De passionibus matricis », éd. Venise, 1502, fol. 84r. Jean de Gaddesden se limite aux conseils pour stimuler
la lactation.
97 Avicenne, Canon, I.3.1.2, éd. cit., fol. 54r : « Secundum mores vero suos consideratur quoniam ipsam oportet bonorum
morum et laudabilium esse que tarde a malis anime passionibus patiatur, sicut ira, tristitia et timor et reliqua ab istis.
Omnes enim iste corrumpunt complexionem et fortasse a lactatione abstinebit et propter hoc prohibuerunt quidam ne
stolida lactet. Et preter hoc totum malitia morum ipsius eam perducet ad hoc ut infantis parvam habeat sollicitudinem
et ei parum blandiatur ». Le texte de l’édition de Venise 1507 a été vérifié dans les manuscrits suivants : Paris, BnF,
lat. 14391 (deuxième moitié xiiie siècle) ; Paris, BnF, lat. 14023 (xive siècle) ; London, British Library, Harley, 3802
(xve siècle).
98 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, 2, éd. cit., p. 13-14 : « quod sit optime morigerata, scilicet, quod non
de facili irascatur, nec timeat, nec tristeatur, ne sit fatua, nec gulosa, nec ebriosa, quod omnes tales negligunt puerum ».
99 Maino de’ Mainerii, Regimen sanitatis, II, « De regimine pregnantis », éd. cit., fol. 24v : « Debet enim esse bonorum
morum et laudabilium que tarde patiatur ab anime accidentibus, puta ira, tristicia, timore et similibus. Omnia enim
corrumpunt lactis complexionem. Unde prohibendum est ne stolida lactet ; malicia enim morum ipsius ad hoc perducit eam
ut infantis parvam habeat solicitudinem et parum blandiatur. Amplius non debet esse luxuriosa et ebriosa nec crapulata. Hec
enim lactis corrumpunt complexionem » ; Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 145 : « Quinto,
che sia di buoni e laudevoli costumi ; che non sia colerica, zioè che presto se coruze, che cussì non heba a vitiare il sangue ;
anco non sia molto melenconica e capitosa ; che per tal suoa fatuità corezandose, se propona, o per il pianzere dil fanzuoleto
528 m a a i ke van der lugt

à la physiologie galénique. Les passions et les états d’âme (accidentia animae) figurent
parmi les choses non naturelles qui modifient la complexion du corps ; si la complexion
de la nourrice est perturbée, ce sera le cas pour son lait aussi. (Leur interprétation est
d’ailleurs proche de l’original arabe, où il est dit que la mauvaise complexion « passe dans
la lactation »100.)
Cependant, Maino et Savonarole ne précisent pas quel est l’effet de la corruption
de la complexion du lait sur le nourrisson. Ils évitent donc l’interprétation difficile de
l’expression abstinebit a lactatione.
Jacques Despars, en revanche, va l’affronter dans son commentaire détaillé du passage.
Selon lui, l’expression doit se comprendre comme le refus du nourrisson de téter le lait
corrompu, ou l’oubli de la nourrice de l’allaiter au bon moment. Dans l’un et l’autre cas
de figure, le bébé ne boit donc pas le mauvais lait. Par la seconde interprétation, Despars
ramène la question de la corruption de la complexion de la nourrice à la négligence – thème
qu’il développe ensuite en accusant les mauvaises nourrices d’être susceptibles de noyer
les bébés dans leur bain, de les étouffer par mégarde, et de manière moins dramatique, de
nuire à leur bien-être par un manque d’affection et d’attention.
Selon Jacques Despars, la perturbation de la complexion de la nourrice a cependant
aussi un effet plus insidieux sur l’enfant. Les nourrices stupides altèrent « la complexion,
le corps et le caractère » des enfants, car « après le père et la mère, l’enfant tire le plus
d’inclinaisons de sa nourrice »101. L’enfant risque donc de contracter les vices de sa nourrice.
On retrouve cette troisième interprétation de l’effet des mauvaises mœurs de manière plus
développée chez une poignée d’autres médecins médiévaux. Aldebrandin de Sienne dit
que les nourrices colériques, tristes, craintives ou sottes « troublent la complexion des

e d’altra caxuone, di a quello non dare il lacte, non essendoie madre, nè quello blandire, nè quello solicitare. O frontosa
madre e cagna, modera, modera la tua ira e desdegno contra il fanzuoleto senza uxo di raxuone, e quello vogli blandire e
solicitare come debbi ».
100 Tous mes remerciements vont à Nahyan Fancy pour les informations précieuses qu’il m’a fournies sur la version
arabe de ce passage du Canon. Les traductions anglaises de Gruner et Hamdard sont trop libres et surinterprètent
le passage. Avicenne dit que la mauvaise complexion (et non les mauvaises passions elles-mêmes) passe dans la
lactation. Il semblerait que Gérard de Crémone a eu des difficultés pour comprendre le passage. Il n’a retenu que
la négligence. En revanche, l’idée que les mauvaises mœurs conduisent à l’interruption de la lactation ne se trouve
pas dans les éditions modernes du texte arabe. Il pourrait s’agir d’une interpolation dans le manuscrit utilisé par
Gérard de Crémone ou d’une interprétation de sa part. Gérard de Crémone a également supprimé la référence à une
tradition prophétique interdisant aux femmes stupides ou folles de servir comme nourrice. Sur la mise en nourrice
dans le Coran, les hadith et le droit musulman, cf. Giladi, 1999.
101 Jacques Despars, Comm. Canon, I.3.1.2, éd. cit. sans foliotation : « In hac parte tertia docet [Avicenna] eligere bonam
nutricem conditione sumpta a moribus eius. Et dicit primo quod bona nutrix consideratur, id est attenditur et eligitur
secundum mores suos, quia oportet ut sit bonorum et laudabilium morum, scilicet diligens, benigna, iocunda et hilaris, cui
arrideat infans, casta, sobria, munda, non cito turbata malis anime passionibus, ut ira, tristitia, timore et similibus. Nam
passiones he corrumpunt aut alterant nutricis complexionem et consequenter lac eius, unde forte infans refutans suum lac
abstinebit a lactatione, vel nutrix turbata negliget et abstinebit a lactatione infantis hora convenienti. Secundo dicit quod,
propter mala que sequuntur ex turbatione nutricis ab anime passionibus, quidam legislatores prohibuerunt ne stolida
mulier lactet infantem ; posset enim facile ipsum vel balneando submergere vel secum iacendo suffocare vel alterare ad
malam complexionem, compositionem vel mores infantis. A nullo enim post patrem et matrem tot inclinationes trahit sicut a
nutrice, propterea diligenter advertendum est ut sit bene morigenata. Tertio dicit quod ultra hec mala, scilicet corruptionem
complexionis et abstinentiam a lactatione, que malitia morum nutricis efficit, est aliud malum quod ipsa operatur, scilicet
perductio nutricis ad hoc ut non sit sollicita de infante neque blandiatur ei seu dulciter et suaviter tractet ipsum, nunc
osculando, nunc cantando coram eo, nunc tripudiando cum eo gestato in brachiis, nunc prebendo mamillam et modis aliis
quibus gaudet et retrahitur ab ira et clamore ».
le pouvoir du la it 529

enfants » ; ceux-ci développent par conséquent ces mêmes défauts de caractère et c’est
pour éviter « de changer leur noble forme », que les philosophes d’antan mirent en garde
leurs seigneurs contre les mauvaises nourrices102. Dans son traité de physiognomonie daté
des années 1230 – qui contient une longue section sur le mécanisme de la génération, avec
des conseils pratiques concernant la conception, la grossesse et le régime de la nourrice –
Michel Scot note que l’enfant « suit naturellement les vestiges des mœurs de celle qui
l’allaite ». Pour convaincre son public du danger que fait peser la mauvaise nourrice sur
le nourrisson, il rapporte le cas d’un enfant nourri du lait d’une truie qui se comporte
comme un pourceau, et d’un autre nourri au lait de chèvre qui se met à gambader et à
brouter de l’herbe. De même, un enfant dont la nourrice souffrait de fistules développa
des fistules dans les mêmes organes qu’elle103. À l’époque de Despars, Pierre Andrieu,
maître en médecine à l’université de Toulouse, signale, dans son traité sur la génération
écrit pour le comte de Foix, que les enfants nobles peuvent dégénérer (degenerare) à
cause du lait des mauvaises nourrices. Il dresse un parallèle avec les pèches comestibles
en Occident, mais toxiques dans leur Perse d’origine. La qualité du fruit dépend du sol
qui les nourrit. La graine fait naître la plante mais c’est le sol qui fait croître le fruit. Pour
les enfants, il en est de même104.
L’idée que le nourrisson puisse contracter la mauvaise nature de sa nourrice est
compatible avec la physiologie galénique grâce au concept de complexion. La complexion
du nourrisson s’assimile comme nous l’avons vu à la nourriture qu’il incorpore. Puisque la
complexion détermine, selon Galien, non seulement l’état de santé et l’apparence physique
d’une personne, mais aussi son caractère, le nourrisson risque, par l’intermédiaire de la
complexion, de partager également les vices de sa nourrice. Il serait vain, dans ce modèle
physiologique, d’opposer trop fortement nature et nourriture : la nourriture participe
pleinement à la formation de la nature. Il n’en reste pas moins que Galien lui-même n’avait
pas appliqué ces principes à la lactation. Le texte latin d’Avicenne, comme nous l’avons
vu, n’y invitait guère non plus. Cela est vrai, a fortiori, d’autres sources médicales comme
Muscio et le Pantegni.
En réalité, la source d’inspiration de la crainte de la dégénérescence du nourrisson par le
lait n’est pas médicale105. Aldebrandin de Sienne nous le signale lui-même par sa référence
aux « philosophes d’antan ». On doit vraisemblablement y voir l’ombre d’Aulu-Gelle et

102 Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 76-77 : « Des coustumes, doit on garder s’ele est bien entechie,
ne ne convient qu’ele soit ireuse, ne triste, ne paoureuse, ne sote, car ces coses remuent les complexions as enfans,
et les fait devenir sos et mal acoustumés, et por ce, li philosophes aprendrent ancienement à lors seignours qu’il
fesissent nourir lors enfans à sages nourices et bien accoustumees, por ce ke, par le malvaisté de lors nourrices ne
peussent lor noble forme cangier ».
103 Michel Scot, Physonomia, I.8, éd. cit., p. 302-303 : « […] naturaliter [infans] imitatur vestigia moralitatis lactantis, ut
patet per illum qui diu nutritus est lacte porce et per illum qui dudum lactavit capram etc., quoniam prior libenter intrabat
vestitus in limum et comedebat, ut porcus, alter ibat saltim et libenter corrodebat plantas. Ille qui diu lactavit nutricem
fistulosam fuit etiam in consimili parte sui fistulosus. […] Unde bene cavendum est cui nutrici detur infans ad lactandum
propter tanta pericula que occurrunt ».
104 Pierre Andrieu, Pomum aureum, ms. Paris, BnF, lat. 6992, fol. 90r-90v. Sur ce traité daté de 1444, voir Green, 2008,
p. 261.
105 Les sources médicales affirment cependant que les maladies peuvent se transmettre par le lait. Voir Ps-Galien, De
spermate, transcription Merisalo cit., : « Contingit etiam quod ex patre occupato aliquibus passionibus. iam ex matre
trahit puer passiones similes, aliquando etiam ex nutrimento lactis ».
530 m a a i ke van der lugt

de Favorinus, même si ce dernier rejette la mise en nourrice tout court. Le parallèle, chez
Jacques Despars, entre l’influence des parents et l’influence de la nourrice sur le caractère de
l’enfant rappelle également les Nuits attiques, que ce soit directement ou indirectement106 :
dans ses Saturnales, Macrobe, philosophe et grammairien romain dont l’œuvre est bien
connue au Moyen Âge, paraphrase en effet l’argumentation de Favorinus sur le pouvoir
du lait, sa similitude à la semence et les exemples animaux et végétaux107. Aulu-Gelle ou
Macrobe ont sans doute aussi inspiré les exemples d’allaitement interspécifique chez
Michel Scot108.
Les médecins médiévaux semblent toutefois mélanger Aulu-Gelle avec d’autres sources.
On note en effet des divergences. Les exemples de Favorinus concernent les animaux de la
ferme et non les humains nourris de lait animal. Ses arbres meurent dans un sol hostile alors
que les pèches de Pierre Andrieu perdent leur toxicité après être transplantées. L’anecdote
des pèches persanes provient de Galien109. Michel Scot pourrait s’inspirer de la littérature
courtoise qui décrit parfois des enfants allaités par des bêtes sauvages110. À moins qu’il ne
s’agisse d’une croyance folklorique plus difficile à identifier. Pierre Andrieu présente l’idée
que le lait des nourrices peut dégénérer les enfants nobles non pas comme une vénérable
tradition philosophique, mais comme une croyance commune de personnes incultes. En
ce sens, l’intégration de l’idée du danger du lait étranger dans la médecine savante suit
une trajectoire similaire à l’incorporation de traditions non-médicales sur le danger du
sang menstruel pour le fœtus et le nourrisson.
Mais cette intégration n’est pas complète. Aldebrandin de Sienne et Jacques Despars
n’attribuent jamais l’assimilation de l’enfant à sa nourrice explicitement au lait. Contrairement
à Aulu-Gelle, Despars parle de l’influence des parents et de la nourrice, et non de l’impact
de la semence, du sang et du lait. Il laisse ainsi ouverte la question de savoir si l’assimilation
des enfants à leur nourrice repose sur un processus physiologique ou s’il s’agit plutôt d’une
forme de mimétisme culturel et social. Dans une société où le sevrage a lieu vers l’âge de
deux ans, les médecins ne pouvaient ignorer le rôle des nourrices dans la socialisation et
l’éducation des enfants dont elles ont la garde.

106 Aulu-Gelle est transmis en deux morceaux au Moyen Âge, le premier couvrant les livres I-VII, le second les livres
IX-XX, le livre VIII étant perdu. On trouve aussi de longs extraits de notre anecdote chez le chroniqueur Ralph de
Diceto. Cf. Reynolds, 1983, p. 176-180 ; Holford-Strevens, 20032, p. 114 n. 79.
107 Macrobe, Saturnalia, V.11.15-18, éd. Robert A. Kaster, Loeb Classical Library, 2011, p. 328. Macrobe n’a pas repris
la diatribe de Favorinus contre la mise en nourrice. Aulu-Gelle parle du pouvoir de la semence du père, alors que
Macrobe adhère à la théorie de la double semence, paternelle et maternelle. Jacques Despars est sur ce point plus
proche de Macrobe.
108 Il existe d’autres parallèles, dont le fait que Michel Scot rend la mise en nourrice responsable de l’absence d’affection
entre les parents et l’enfant, thème qu’on ne trouve pas dans les sources médicales.
109 Il existe de nombreuses variantes de l’histoire. Celle la plus proche se trouve dans le De alimentorum facultatibus,
II.36, éd. Kühn, t. 6, p. 617.
110 Le cas de l’enfant nourri par une truie est proche d’un exemplum dans une branche tardive du Roman de Renart.
Dans ce texte de la fin du xiiie siècle, postérieur à celui de Michel Scot, une mauvaise nourrice à court de lait fait
allaiter l’enfant qui lui est confié par une truie. Après le sevrage, au moment de retourner dans sa famille d’origine,
l’enfant se roule dans la boue. Comme l’indique Badel, 1979, p. 259-276, le rapport entre les deux textes est difficile
à établir. Je dois la référence au Renart le nouvel au bel article de Dittmar, Maillet et Questiaux, 2011. Les auteurs
montrent que dans l’hagiographie et la littérature l’allaitement par des bêtes sauvages peut aussi avoir une valeur
positive.
le pouvoir du la it 531

Aldebrandin et Despars conviennent que les mœurs de la nourrice déteignent sur le


nourrisson, mais ils restent ambigus sur le mécanisme de cette assimilation. Inversement,
Maino et Savonarole disent bien que les mœurs corrompent le lait, mais taisent son effet
sur le bébé. Les mœurs et les mauvaises émotions apparaissent chez eux comme une
cause de corruption du lait parmi d’autres : la nourriture, les rapports sexuels, etc. Les
médecins médiévaux résistent somme toute à la tentation d’attribuer au lait un pouvoir
quasi-héréditaire.

Conclusion

On tend aujourd’hui dans la temporalité médicale et sociale à découper une période


de la naissance au sevrage. Pour la médecine médiévale, en revanche, la lactation fait partie
intégrante d’une période qui part de la conception jusqu’au sevrage et à la petite enfance ;
on débute plus tôt et on termine plus tard. En témoignent tant l’enchevêtrement de la
puériculture, de la pédiatrie, de la gynécologie et de l’obstétrique dans l’organisation des
textes de médecine pratique, que les théories physiologiques. La naissance constitue bien sûr
une rupture importante, tant pour la mère que pour l’enfant, mais sur le plan physiologique,
l’allaitement fait encore partie de la vie du fœtus. Le fœtus et le nourrisson se nourrissent
d’un seul et même sang maternel ; l’unique différence est sa coction et blanchiment dans
les veines des seins après la naissance. Sous la pression de croyances communes sur la
nocivité du sang menstruel, les médecins médiévaux nuancent, certes, le rapport entre le
sang menstruel et la nourriture du fœtus et du nourrisson. Mais cela ne change pas l’idée
de la continuité entre lactation et gestation et conduit même parfois à l’accentuer encore
par la notion que le fœtus se nourrit déjà de lait et non de sang.
Malgré l’importance, dans la diététique galénique, d’une nourriture adaptée et similaire
à la complexion du corps et en dépit de la méfiance envers tout changement brusque, l’idée
de la continuité physiologique entre grossesse et lactation ne se traduit guère par une
défense de l’allaitement maternel. Certes, les médecins médiévaux affirment la supériorité
du lait maternel en raison de son identité avec la nourriture du fœtus in utero, mais ils n’en
font pas une règle absolue. Une bonne nourrice peut avoir du meilleur lait que la mère.
Les médecins médiévaux adaptent leur discours à une société dont les élites – et de plus
en plus les strates intermédiaires – tendent à séparer le rôle de la génitrice de celui de la
nourricière. Bien conscients qu’il n’est pas toujours possible de trouver la perle rare, ils se
veulent rassurants, en donnant des conseils pour rectifier un lait d’une qualité et quantité
qui laisseraient à désirer111.
L’Église est moins conciliante. Les auteurs de pénitentiels et des sommes pour les
confesseurs et les prédicateurs soupçonnent les mères qui n’allaitent pas de vouloir éviter
l’interdit sexuel ecclésiastique, ou qualifient la mise en nourrice de contre nature. Dans les
années 1220, Thomas de Chobham en va jusqu’à décrire le refus d’allaitement maternel

111 Bernard de Gordon, Tractatus de conservatione, 2, éd. cit., p. 15 : « Sed quod nutrix non semper invenitur, in qua non
sit defectus, necessarium erit ut rectificetur complexio » ; Jean de Gaddesden, Rosa anglica, éd. cit., fol. 84r : « Cura in
defectu lactis. Aliquando post partum lac deficit cicius solito vel debito et maxime in nutricibus que de lactatione nutriuntur
et tunc amoventur a servitio suo ut sepe vidi. Et ideo oportet sic facere ut ego feci. […] ».
532 m a a i ke van der lugt

comme l’une des cinq manières de tuer l’enfant – outre la contraception, l’avortement,
l’infanticide et la négligence – en faisant appel à la médecine : il se peut que la complexion
de la nourrice ne corresponde pas à celle de l’enfant et que son lait ne lui soit donc pas
adapté112.
L’opposition entre discours médical et discours pastoral n’est pourtant pas totale. Michel
Savonarole, nous l’avons vu, tient des propos sévères sur la mise en nourrice et son traité
se rapproche, par sa rhétorique, d’un sermon de mariage. Inversement, les représentants
du discours pastoral finissent souvent par mettre un peu d’eau dans leur vin. Si la mère se
sent trop faible pour allaiter, elle doit au moins laver et nourrir l’enfant de temps en temps,
conclut Thomas de Chobham113. Dans un sermon sur le mariage prêché le 5 septembre
1427 sur la place du Campo à Sienne, le franciscain Bernardin de Sienne distingue quant
à lui entre la mise en nourrice pour raison médicale et la mise en nourrice par vanité et
souci du confort114.
Nous avons vu que la continuité physiologique entre gestation et lactation implique
l’incompatibilité de ces deux états du corps féminin. La production de la nourriture pour
le fœtus empêche la sécrétion de celle destinée au nourrisson. Il faut donc à tout prix éviter
que la femme qui allaite tombe à nouveau enceinte ; son lait risquerait de se tarir et d’être
de mauvaise qualité – un risque que nous reconnaissons d’ailleurs encore aujourd’hui.
Dès l’Antiquité et tout au long du Moyen Âge et au-delà, les médecins interdisent aux
femmes allaitantes d’avoir des rapports sexuels. Une nourrice enceinte « tue et détruit les
enfants »115. Une veuve serait la nourrice parfaite116. La conviction de l’incompatibilité de
la grossesse et de l’allaitement n’est pas confinée au monde médical. Tant les contrats de
nourrices gréco-romains, que ceux que l’on a conservés pour la ville de Florence à la fin
du Moyen Âge stipulent qu’une nouvelle grossesse rendrait le contrat caduc117.
La médecine et le discours pastoral convergent donc, en se renforçant mutuellement,
sur l’interdiction du coït pendant le post-partum et la lactation. Néanmoins, durant
la période qui nous concerne, ces interdits ont bien moins d’importance en théologie
qu’en médecine. La réglementation de la sexualité doit, en effet, se percevoir de manière
dynamique. Au haut Moyen Âge elle se fonde sur une logique de pureté qui envahit toute
l’Église de l’époque118. Avec la scolastique, l’accent se déplace. C’est l’adultère et la stabilité
du mariage qui obsèdent les clercs des écoles. Les théologiens et canonistes tendent,
surtout à partir du xiiie siècle, à considérer les rapports sexuels pendant des temps ou dans
des positions prohibées comme un péché véniel, à condition qu’ils soient motivés par le

112 Thomas de Chobham, Summa confessorum, VII.4.9.15, éd. F. Broomfield, Louvain, Paris, Nauwelaerts, 1968, p. 465.
113 Ibidem.
114 Bernardin de Sienne, Prediche volgari sul Campo di Siena, 21, éd. Carlo Delcorno, Milan, Rusconi, 1989, t. 1,
p. 610-611. Voir aussi Dittmar, Maillet et Questiaux, 2011.
115 Aldebrandin de Sienne, Régime du corps, éd. cit., p. 77 : « […] car femme ençainte quant ele alaite tue et destrait
les enfants ».
116 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 152 : « E di ziò tuor habiamo, che sopra tute le baile la
vedova è megliore assai, quando ha le condictione dicte, e che è di buon costume, casta, non inamoratiza ; che cussì tuto il
cuor suo ha al bene dil fanzuoleto ».
117 Abou Aly, 1996, ; Klapisch-Zuber, 1983.
118 Pour un résumé des débats parmi les spécialistes du haut Moyen Âge sur le rapport entre pureté matérielle et pureté
morale, cf. Czock, 2015, ici p. 24-26.
le pouvoir du la it 53 3

souci d’éviter la fornication119. L’interdiction des rapports sexuels pendant la lactation,


une fois les relevailles passées, apparaît même comme un simple conseil120. L’obligation
de rendre le devoir conjugal devient l’argument cardinal. Les clercs prennent en compte
l’impact de la transgression des interdits sexuels sur le fœtus et sur le nourrisson, mais
en cas de conflits de normes, cet argument ne pèse pas lourd. Le risque de fornication
apparaît comme plus immédiat et plus certain.
La survie et la qualité du fœtus restent toutefois un argument en faveur de l’allaite-
ment maternel. On l’a vu chez Thomas de Chobham et on le retrouve, de manière plus
développée, chez Bernardin de Sienne. Fustigeant les femmes qui refusent d’allaiter, le
franciscain multiplie les exemples de lactations interspécifiques qui nous sont désormais
familiers, et incrimine le « mauvais sang » mercenaire susceptible de dénaturer les bébés121.
L’argumentation d’Aulu-Gelle se voit ainsi intégrée au message pastoral122. Elle se trouve
aussi sous la plume des moralistes laïcs. L’humaniste Leon Battista Alberti accuse, dans
ses Libri della famiglia (1433-1434), le lait corrompu de transmettre non seulement les
maladies de la nourrice, comme la lèpre et l’épilepsie, mais aussi ses « mœurs bestiales »,
citant Favorinus et Aulu-Gelle explicitement en appui123. Dans les années 1360-1370, le
marchand florentin Paolo da Certaldo met déjà en garde contre les nourrices viciées,
stupides et ivrognes, car « les enfants suivent la nature du lait qu’ils boivent »124.
Les médecins médiévaux sont comme nous l’avons vu bien plus réticents à attribuer
un tel pouvoir au lait. Ils établissent plutôt un lien entre les mauvaises mœurs et le risque
de voir le bébé négligé et semblent moins redouter la corruption du lait ou la transmission
des dites mœurs. Les mauvaises nourrices manquent de tendresse pour le nourrisson et
peuvent mettre sa vie en danger en l’étouffant ou en le noyant par accident. Enfin, tous
les médecins médiévaux ne citent pas les mauvaises mœurs et chez ceux qui le font, il ne
s’agit que d’un facteur parmi d’autres dont il convient de tenir compte quand on recrute
une nourrice.
La préoccupation centrale des médecins se porte sur le régime alimentaire et sur la
rectification de la quantité et de la qualité du lait. Le cas de Michel Savonarole est à ce titre
éclairant. Savonarole est bien plus critique de la mise en nourrice que ses collègues. À ses
yeux, faire nourrir son enfant par des seins étrangers l’expose au risque de contracter des
maladies graves et potentiellement mortelles. On aurait pu s’attendre à ce qu’il renforce sa

119 Ziegler, 1956, p. 237-243, 254-258 ; Flandrin, 1973 ; Brundage, 1987, p. 242, 368 ; Elliott, 1993, p. 150-151 ;
Marienberg, 2003, p. 127-131.
120 Par exemple, Astesanus de Asti, Summa de casibus conscientiae, II.8.10, éd. Lyon, 1519, fol. 205v.
121 Bernardin de Sienne, Prediche volgari, 21, éd. cit.,, t. 1, p. 610-611. Voir aussi Dittmar, Maillet et Questiaux,
2011.
122 Il n’est pas impossible que Thomas de Chobham s’inspire aussi d’Aulu-Gelle.
123 Leon Battista Alberti, I libri della famiglia, I, éd. F. Furlan, R. Romano, A. Tenenti, Turin, Einaudi, 1994 ;
tr. fr. Maxime Castro, Paris, Belles Lettres, 2013 ; par commodité j’ai consulté le texte italien de l’édition de Cecil
Grayson, Bari, 1960, p. 34-37. Francesco Barbaro tient un discours similaire dans son De re uxoria. Cf. Hairston,
2013, p. 188-212.
124 Paolo da Certaldo, Libro di buoni costumi, par. 368, éd. dans V. Branca, Mercanti scrittori ricordi nella Firenze tra
Medioevo e Rinascimento, Milan, Rusconi, 1986 (consulté sur bibliotecaitaliana.it) : « Se t’avviene che tu abbi figliuoli,
uno o più, molto guarda di dargli a nudrire a buona baglia, e che sia di natura savia, e sia costumata e onesta, e che non
sia bevitrice né ubriaca, però che molto spesso i fanciulli ritraggono e somigliano da la natura del latte che poppano ; e però
ti guarda le baglie de’ tuoi fanciulli non sieno superbie né con altri mali vizi ». Pour des raisons similaires, l’auteur met
aussi en garde contre les nourrices qui à court de lait font nourrir l’enfant par un animal.
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défense inhabituellement ardente de l’allaitement maternel par des récits sur l’allaitement
interspécifique. Il n’en est rien. Savonarole ne démonise pas les nourrices. Le danger de la
mise en nourrice réside bien moins dans ses mœurs, que dans ses habitudes alimentaires.
Les nourrices sont souvent de « pauvres petites femmes » qui n’ont pas les moyens de
s’alimenter correctement. L’alimentation mauvaise engendre un mauvais sang, et donc
un lait de qualité inférieure. Ce mauvais lait est susceptible de causer des fièvres et des
convulsions, et de couvrir le nourrisson de croûtes, de pustules et de boutons. La mise en
nourrice nuit au corps plutôt qu’à l’âme. La racine de ce danger est sociale et non morale125.
Une anecdote dans un manuel médical de la fin du Moyen Âge suggère, en outre,
qu’une attitude détendue concernant la lactation interspecifique était encore possible.
Dans le chapitre sur le lait, Valesco de Tarente, médecin de Gaston Phoebus et de ses
successeurs, dit avoir vu une chèvre qui nourrissait un petit enfant dans le berceau. La
chèvre léchait l’enfant comme s’il s’agissait de son propre chevreau, en bêlant. Selon la
mère, qui n’avait pas de lait elle-même, l’enfant dormait à merveille si la chèvre mangeait
du pain et de l’orge et buvait un peu de vin. Mais lorsqu’elle broutait de l’herbe avec
les autres chèvres, l’enfant pleurait la nuit et ne voulait pas dormir. La chèvre avait déjà
nourri avec succès un autre de ses enfants. Si les humains nourrissent leurs animaux
convenablement, en conclut Valesco de Tarente, le lait animal peut s’adapter à la
consommation humaine et sauver les petits qui sont créés à l’image et la ressemblance de
Dieu126. Certes, la mère du récit de Valesco n’est pas une noble dame. Elle aurait, sinon, pu
recruter une nourrice. Mais Valesco utilise son exemple pour renforcer l’importance de
la bonne nourriture pour produire du bon lait, un message utile pour ses patrons nobles
également. L’anecdote sur la chèvre affectueuse est surtout l’opposé exact des récits de
Michel Scot et de Favorinus. On n’y détecte aucune anxiété concernant le pouvoir du lait.
Ce n’est qu’à l’époque moderne que la médecine donnera sa pleine caution scientifique
à l’avertissement d’Aulu-Gelle127.

125 Michel Savonarole, De regimine pregnantium, éd. cit., p. 151-152 : « […] spesso entraviene che le nutrice over baile
sono poverete, e manzano e beveno di quello che puono, e cussì dampnifica il cibo a fanzuoleti, e di quello da poi se genera
febre e altre malatie in quelli, che cussì i perducono spesso a la morte. E non se confide, dicendo che biem padiscono quelli tali
cibi come porri, cevolle etc., e che di quelli suono uxate a manzare ; il perchè, come dice Avicena, quelli se converteno in cativo
lacte, il quale da puo’ è caxuone di molte infermità. [suit une citation d’Avicenne en latin] Si che, frontosa a cui il fiolo è
caro, nota bene questo dicto, quando lacti, quando sei gravida, e quando dài il fiolo a baila, che non sia troppo povereta ;
ma, come dicto è, guarda che la sia de buoni custumi e che ebba il muodo de vivere, il perchè vole essere de buoni cibi nutrita,
i quale hebano a generare buon sangue per il san essere dil fanzuoleto e suo longo vivere. Et sopratutto guardase da l’apio,
che è provocativo dil male caduco ; da la ruta e da la rucula, che conturbano il lacte et provoca i mestrui e conturbano il
sangue » ; ibidem, p. 168-169 : « spesso le madre suono caxuone di le infirmità di fantini […] par povertà, non havendo
il muodo di buoni cibi, manza di cativi e nocivi – sì che non se riguardendo e cussì gie nascono il latume, pustule, cruste et
altre infirmità, per le quale biem da puo’ pagano le madre nutrice di la moneta che meritato hanno dendogie le male nocte
e cativi pasti ».
126 Valesco de Tarenta, Philonium, III.11, éd. Venise, 1521, fol. 80r. Voir York, 2016, p. 26-64, ici p. 55-56. Ma traduction
du passage diffère toutefois de celle de York.
127 Ambroise Paré, De la génération, cap. 24, éd. in Deux livres de chirurgie, Paris, 1573, p. 110-111 : « […] semblablement
qu’elle soit sage et bien morigeree : car l’enfant ne tire tant du natural à personne, après le pere et la mere, que de sa
nourriçe, à raison du lait qui tette [mes italiques], ce qui est congneu par experience des petits chiens qui seront alletés
d’une louve ou d’une lionne, lesquels seront plus furieurs, hardis et mauvais. Au contraire on aprivoise les petits
leonceaux et leopars, les faisans nourrir de lait de chevre ou de vache : d’avantage les petis agnelets qui alletteront
une chevre, auront leur laine plus dure : au contraire les chevreaux qui allettent une brebis, auront leur poil plus
mol ».
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