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Régulateurs de la prise alimentaire
G. Mithieux Résumé
Inserm U855, Université Lyon 1, SFR Lyon-Est, Le développement de l’obésité au niveau mondial rend aujourd’hui crucial la découverte
Lyon.
de nouveaux mécanismes de contrôle des sensations de faim et de satiété. Les inter-
relations entre le métabolisme glucidique et l’homéostasie énergétique sont connues
depuis longtemps, notamment pour ce qui concerne le rôle suppresseur du glucose
portal sur la sensation de faim. Dans ce contexte, nous avons démontré l’existence de
la fonction néoglucogénique dans l’intestin de rat et d’homme. Les gènes régulateurs
de la néoglucogenèse intestinale sont induits fortement au cours du jeûne, mais éga-
lement dans une situation nutritionnelle particulière : l’alimentation riche en protéines,
chez le rat. Dans les deux cas, l’induction se traduit par la libération de glucose dans
la veine porte, qui perdure après la période post-prandiale pour l’alimentation riche en
protéines. La perfusion de glucose dans la veine porte à des flux comparables diminue
la prise alimentaire et active les régions de l’hypothalamus impliquées dans le contrôle
de la prise alimentaire. Le mécanisme d’induction des gènes dans l’intestin met en
jeu les oligopeptides libérés dans la veine porte pendant l’assimilation des protéines.
Ceux-ci inhibent les récepteurs μ-opioïdes localisés dans le système nerveux de la paroi
de la veine porte. Le signal transmis au cerveau se traduit par un arc-réflexe induisant
l’expression des gènes de la néoglucogenèse intestinale. Ces résultats fournissent
l’explication mécanistique de l’effet de satiété des protéines alimentaires, connu chez
l’animal et chez l’homme, mais resté inexpliqué à ce jour.
Summary
The worlwide development of obesity makes crucial the discovery of new mechanisms
to control the sensations of hunger and satiety. The interrelationships between glucose
metabolism and energy homeostasis have long been known, especially regarding the
curbing effect of portal glucose on hunger. In this context, we demonstrated the exis-
tence of the gluconeogenic function in the intestine of rat and human. The genes that
regulate intestinal gluconeogenesis are induced strongly during fasting, but also in a
particular nutritional situation: High protein diet in rats. In both cases, the induction
results in the release of glucose into the portal vein, which lasts after the postprandial
period for the high protein diet. Glucose infusion in the portal vein equivalent to intestinal
gluconeogenesis decreases food intake and activates the regions of the hypothalamus
involved in the control of food intake. The mechanism of induction of intestinal genes
Correspondance : involves oligopeptides released into the portal vein during protein assimilation. They
Gilles Mithieux inhibit μ-opioid receptors located in the nervous system of the wall of the vein. The signal
Inserm U855 sent to the brain initiates a reflex arc, which induces the expression of intestinal gluco-
Université Lyon 1, SFR Lyon-Est
Rue Guillaume Paradin neogenesis genes. These results provide the mechanistic explanation of the satiety effect
69372 Lyon cedex 8 of dietary protein, known in animals and humans, but remaining unexplained up to date.
gilles.mithieux@univ-lyon1.fr
Introduction que les régimes riches en protéines sont vagales portales au moment de l’implan-
capables d’induire des phénomènes de tation du cathéter sont insensibles à la
L’importance de la qualité et de la quan- satiété chez l’animal et chez l’homme, perfusion portale de glucose [9]. Nous
tité des nutriments sur le développement même si un mécanisme clair n’avait pas nous sommes également intéressés à
de l’obésité et du diabète de type 2 est encore été établi [revue in 2]. En accord l’impact de la perfusion portale de glu-
un phénomène bien caractérisé. Les ali- avec l’induction possible de la NGI à cose et/ou du régime riche en protéines
mentations riches en lipides sont ainsi l’état nourri, nous avions préalablement sur les principales régions de l’hypotha-
connues pour leur rôle favorisant la prise rapporté l’induction de l’expression des lamus impliquées dans le contrôle de la
de poids et pour exercer diverses actions gènes régulateurs de la néoglucogenèse prise alimentaire [10]. Dans les deux
délétères sur la tolérance au glucose et la dans l’intestin grêle des ratons nouveau- cas, l’expression du gène de la protéine
sensibilité à l’insuline [1]. Au contraire, les nés pendant la période néonatale [8]. c-Fos, reflétant l’activation cellulaire,
régimes riches en protéines induisent des L’alimentation lactée est pauvre en glu- est fortement induite dans le noyau
phénomènes de satiété et exercent ainsi cides et riche en protéines et lipides. arqué, l’hypothalamus latéral, ventro-
des effets bénéfiques dans le cadre du Nous avons donc émis et testé l’hypo- médian et dorsomédian, et le noyau
traitement de l’obésité. Paradoxalement, thèse selon laquelle l’induction de la NGI paraventriculaire [9].
ils ont été beaucoup moins étudiés sur le par les protéines alimentaires, à travers Il faut souligner que beaucoup d’argu-
plan mécanistique [2]. Dans ce contexte, la génération et la détection d’un signal ments plaident en faveur de l’aspect
la découverte de nouveaux mécanismes glucose dans la veine porte perdurant causal de la NGI dans la satiété induite
revêt une importance particulière. La mise pendant la période post-absorptive, par les protéines :
en perspective de résultats anciens (l’effet pourrait rendre compte de l’effet de – les rats dont la veine porte a été pré-
du glucose dans le sang portal sur la prise satiété induit par ce type de régime. alablement dénervée sont insensibles à
alimentaire) et l’existence d’une néoglu- Alimentés par un régime enrichi en pro- l’alimentation hyperprotéique [9] ;
cogenèse d’origine intestinale (NGI), nous téines, les rats mangent moins et leur – les souris dont la NGI est supprimée
ont permis d’ouvrir une nouvelle voie gain de poids est diminué d’autant (par délétion génétique de la glucose-
dans la compréhension du contrôle des (-15 %, en moyenne, sur une période 6-phosphatase intestinale) le sont
phénomènes de faim et de satiété. de 15 jours) [9]. En accord avec notre également [11] ;
hypothèse, nous avons mis en évidence – enfin, l’effet de satiété des protéines
une forte induction de l’expression des est toujours présent chez des souris
Néoglucogenèse gènes régulateurs de la NGI par le dont les éléments majeurs du contrôle
intestinale : un lien causal régime enrichi en protéines (glucose-6- de la prise alimentaire (les récepteurs
entre protéines phosphatase et phosphoénolpyruvate et les effecteurs du système mélano-
alimentaires et satiété carboxykinase [PEPCK-forme cytoso- cortinergique hypothalamique) ont été
lique, PEPCK-c]), du même ordre de invalidés [12], ce qui confirme bien l’as-
La production endogène de glucose est grandeur que chez le rat à jeun ou dia- pect innovant de ce mécanisme.
une fonction physiologique cruciale dans bétique. De plus, la même induction est
la régulation de la glycémie. Elle permet observée pour le gène de la glutaminase,
de maintenir cette dernière à un niveau enzyme clé de l’utilisation intestinale de Récepteurs μ-opioïdes
suffisant en dehors des périodes d’ap- la glutamine. En utilisant une approche portaux : le lien manquant
provisionnement alimentaire. Nous avons combinant la dilution de traceur et les dif- entre les protéines
récemment démontré que l’intestin grêle férences glycémiques artério-veineuse, et la NGI
possède la fonction néoglucogénique nous avons montré que l’intestin grêle
[3, 4 ; revue in 5]. L’hypothèse d’un rôle de rats alimentés par le régime riche en Il nous restait encore à comprendre les
possible de la NGI dans le contrôle du protéines contribue environ pour 20 % mécanismes par lesquels les protéines
comportement alimentaire nous a été de la production endogène de glucose alimentaires induisent la NGI.
suggérée par l’analyse de la littérature. (PEG) globale de l’animal [9]. Dans un premier temps, nous avons
L’on sait, depuis les années 1980, que En utilisant des rats conscients, porteurs considéré des mécanismes d’action
la perfusion de glucose dans la veine de cathéters à demeure en veine porte, directe sur la muqueuse intestinale et/ou
porte de rats à jeun (à des flux destinés nous avons montré que la perfusion les entérocytes, sans succès. Nous nous
à reproduire les flux post-prandiaux) portale de flux équivalents de glucose sommes alors intéressés à une autre
inhibe en soi leur prise alimentaire si diminue bien, après quelques heures de hypothèse, mettant en jeu le système
on les ré-alimente [6]. Il était également jeûne préalable, la prise alimentaire sub- nerveux périphérique. Une propriété
démontré que l’effet de ce glucose portal séquente des rats. La diminution est de connue depuis longtemps des hydroly-
sur la prise alimentaire trouve son ori- 15 à 20 % en période nocturne (période sats de protéines est qu’ils exercent une
gine dans les parois de la veine porte, et d’alimentation préférée des rongeurs). activité ȝ-opioïde in vitro [13]. L’on sait
dépend d’une transmission centrale par Confirmant le rôle de la détection portale également que la modulation de l’activité
une branche hépato-splanchnique du du signal glucose, les rats ayant subi une des récepteurs ȝ-opioïdes (RMOs) inter-
nerf vague [7]. Par ailleurs, il était connu dénervation chimique des afférences fère avec le contrôle de la faim au niveau
central : les agonistes la stimulent, tan- (glucose-6-phosphatase et PEPCK-c) veine porte de rats et de souris, et dans
dis que les antagonistes l’inhibent [revue après une perfusion de 8 heures. les ramifications portales irriguant les
in 14]. Or, les deux organes du corps Au contraire, les antagonistes RMO espaces portes du foie humain. Nous
dans lesquels les RMOs sont le plus (naloxone, casoxine C) augmentent avons également identifié les régions du
exprimés sont le cerveau, en particulier ces activités (figure 1). En accord avec cerveau activées par les signaux nerveux
dans les régions de contrôle du sys- l’expression des gènes, la production d’origine portale, par immunomarquage
tème de récompense [15], et l’intestin intestinale de glucose représente 25 du produit du gène de la protéine c-fos.
grêle [16]. à 30 % de la production de glucose Ceci a permis de préciser que la voie
endogène totale après la perfusion vagale (connectée au complexe vagal
Les RMOs portaux régulent la NGI de Nalox (antagoniste RMO). Au dorsal) (figure 1), mais également la
via un circuit intestin-cerveau contraire, aucune apparition de glu- voie spinale (connectée au noyau
Afin de tester l’hypothèse d’un contrôle cose n’est observée chez les rats parabrachial), sont impliquées dans
de la NGI par les RMOs portaux, via un perfusés avec le DAMGO. En accord la transmission du signal RMO portal
arc-réflexe intestin-cerveau, nous avons avec ces effets sur la NGI, les rats jusqu’au système nerveux central [17].
perfusé des modulateurs RMOs dans la perfusés avec un antagoniste RMO Enfin, ces régulations, aussi bien l’ac-
veine porte de rats conscients, grâce diminuent leur prise alimentaire, tandis tivation centrale que l’induction des
à un cathéter implanté dans une veine que ceux perfusés avec un agoniste gènes de la NGI, étaient annulées par
mésentérique. l’augmentent [17]. dénervation préalable de la veine porte
La ȕ-casomorphine 1-7, provenant Par une approche d’immuno-fluores- par la capsaïcine, ce qui démontrait
de la caséine ȕ humaine, et un autre cence, la co-localisation du marqueur bien l’importance capitale du système
agoniste RMO (le DAMGO) réduisent neuronal PGP9.5 et des RMOs a été nerveux portal dans la transmission du
l’activité des enzymes clés de la NGI mise en evidence dans les parois de la signal (figure 1).
45
* A B
40
(μmol/min/g de protéines)
Glucose-6-phosphatase
35
30
25
20
15
10
*
5
0
Sham ββ1-7 β1-7 Casoxine C Casoxine C
dénervé dénervée
C D
Figure 1. Effet des modulateurs de l’activité des récepteurs ȝ-opioïdes (RMOs) sur l’induction de la néoglucogenèse d’origine intestinale
(NGI) et sur le complexe dorsal vagal [d’après 17].
A. Dosage de la glucose-6-phosphatase dans le jéjunum de rats perfusés pendant 8 heures avec la ȕ-casomorphine 1-7 (agoniste) et la casoxine C
(antagoniste), ayant eu ou non une dénervation de la veine porte au moment de la mise en place des cathéters mésentériques.
B. Effet de la perfusion de sérum salin sur le complexe dorsal vagal.
C. Effet de la perfusion de naloxone.
D. Effet de la perfusion de naloxone chez des rats dénervés. Les comptages font apparaître une augmentation de 2 à 3 fois du nombre de neurones
marqués en B par rapport à A, et une absence quasi totale de marquage en D.
6,0 A B
Sauvage
*
Prise alimentaire (g/jour)
5
I-G6pc-KO
Prise alimentaire (g/jour)
3 5 *
2 3
RMO-KO
1 Sauvage
1
0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 Salin Naloxone
Temps (jours)
Figure 2. Effet des modulateurs de l’activité des récepteurs μ-opioïdes (RMOs) sur la prise alimentaire en l’absence de RMO ou en l’absence
de néoglucogenèse d’origine intestinale (NGI).
A. La prise alimentaire a été contrôlée quotidiennement chez des souris sauvages et KO-RMO avant et après passage (le jour 7) à une alimentation hyperprotéique.
B. La prise alimentaire a été déterminée pendant 24 heures de perfusion portale par du sérum salin ou de la naloxone chez des souris sauvages et
KO pour la glucose-6-phosphatase intestinale.
Protéines
Satiété
Glucose Peptides
2 1 RMO
Induction de la NGI
Conclusion
Nous avons élucidé le mécanisme par lequel les protéines alimentaires exercent leur effet bien connu de satiété. Au cours de leur
assimilation, les peptides libérés exercent un effet antagoniste sur les RMOs des parois de la veine porte, qui se traduit par l’envoi
d’un signal nerveux au niveau central. Un arc-réflexe induit l’expression des gènes de la NGI et la libération de glucose dans le sang
de la veine porte, ce qui induit alors une diminution de la sensation de faim [9, 17]. Il faut remarquer que cette séquence d’événements
(figure 3) prend du temps pour se mettre en place, puisqu’elle est notammment dépendante de l’expression de gènes. Une fois expri-
mées, les enzymes régulatrices de la néoglucogenèse sont actives tant qu’elles ne sont pas dégradées en fonction de leurs demi-vies
respectives. L’effet du glucose portal peut ainsi perdurer après la fin du repas et s’exercer encore au moment du repas suivant. C’est
ce qui nous a permis de comprendre cette propriété unique des protéines alimentaires d’être actives pour diminuer la faim bien après
le repas en cours, ce qui est la définition de la satiété.
• La NGI est une fonction présente dans l’intestin grêle humain [3, 19, 20]. Bien entendu, l’effet de satiété induit par les protéines existe
chez l’homme [21].
• Une autre situation métabolique d’amélioration spectaculaire et rapide de diminution de la sensation de faim est celle qui prend
place chez les patients obèses diabétiques ayant subi une chirurgie gastrique de l’obésité, de type by-pass ou shunt Roux-en-Y,
par rapport à l’autre approche qui consiste en la pose d’un anneau gastrique. À l’aide d’un modèle de souris by-pass, mis au point
par l’équipe de Fabrizio Andreelli, nous avons mis en lumière le rôle de la NGI dans cette diminution de la sensation de faim [22].
L’implication des RMOs dans l’effet coupe-faim consécutif au by-pass gastrique est donc une hypothèse particulièrement attractive.
• Pour conclure, le métabolisme glucidique intestinal semble définitivement représenter une nouvelle cible d’intérêt dans les approches
préventives ou thérapeutiques des désordres du comportement alimentaire.
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