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Dispute violente entre le père et le fils, Florian Zeller, Le fils, 2018

Problématique : Comment l’auteur met-il ici en scène la souffrance de chaque personnage ?

Relevés Procédés utilisés Analyse


1. Une accusation directe, reflet d’un désespoir

PIERRE : A quoi tu joues, Nicolas ? Qu’est-ce que tu Apostrophe Il interpelle son fils, il veut le faire réagir, avoir une
cherches ? (Un temps) Courtes poses (didascalies) explication franche
nombreuses courtes poses dans le texte : il attend une
réaction de son fils, une réponse pour le comprendre, il
lui laisse le temps de répondre
Moi, à ton âge, ma mère était malade, je ne voyais plus mon Procédé de sens procédé de sens : Pierre essaie de se comparer à son fils
père, j’avais des problèmes d’argent, mais je me battais. Je me imparfait descriptif et duratif ; négation partielle, (MOI ≠ TON, omniprésence du « je »), il essaie de lui
battais, et crois-moi, ce n’était pas drôle tous les jours. juxtapositions faire comprendre que lui aussi a souffert (énumération
MAIS conj de coordination, répétition « je me battais » des difficultés = accumulation de celles-ci : sa vie était
plus dure que celle de son fils), et que cela n’excuse en
rien son inaction(alors que le père, ado, a réagi et n’a pas
abandonné). Mais en faisant cela, il dénigre la souffrance
de son fils, il sous-entend que pour sa mère à lui, tout va
bien, alors qu’elle est dépressive).

Qu’est-ce qui t’arrive, à toi ? Qu’est-ce qu‘il y a eu de si 2 interrogatives + répétition du pronom de 2è personne Incompréhension et ironie de la part du père (mépris pour
dramatique dans ta vie pour que tu ne puisses pas aller en cours Adverbe intensif « si » + Proposition subordonnée de son fils qui lui semble faible)
comme tout le monde ? Réponds-moi ! (Un temps) Réponds- but Posture autoritaire avec l’emploi de 2 injonctions fortes
moi, Nicolas ! 2 verbes à l’impératif + Apostrophe

NICOLAS : Je n’y arrive pas. Négation totale sous-entendu « je n’arrive pas à vivre » qui sera formulé
plus bas.

PIERRE : Tu n’y arrives pas ? Je ne comprends même pas ce Négation partielle


Accumulation de questions courtes autour de verbes à Incompréhension entre l’adulte et l’ado < reformulation
que ça veut dire. Tu n’arrives pas à quoi ? A te lever le matin ?
l’infinitif. de la réponse de son fils, mais sous forme interrogative.
A te concentrer ? A faire des efforts ?
Forme d’agressivité croissante à travers toutes les
interrogations courtes.
Négation partielle > litote ?
NICOLAS : A vivre (Un temps court.) Je n’arrive pas à vivre. Nicolas ne peut ici formuler directement le fait qu’il
ET : conj de coordination > cause/effet
Et c’est de ta faute. désire mourir. Relation cause/effet : rejette toute faute sur
Emploi de l’adj possessif à la 2è personne + mots courts
(1 syllabe) son père, tout son désespoir s’est transformé en haine à
son encontre, brutalité verbale => véritable CRI
PIERRE : Pardon ? Phrase interro-exclamative Incompréhension

NICOLAS : Si je suis comme ça. C’est de ta faute. Répétition, de façon plus claire, de l’accusation.

PIERRE : De quoi tu parles ? (Un temps.) Qu’est ce qui est de Nombreuses interrogatives, avec polyptote (utiliser des Il pose des questions en étant persuadé de sa non-
ma faute ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Dis-moi. noms opposés par des déterminants, des nombres et des culpabilité, il attend des réponses simplement pour les
genres, des verbes conjugués à des personnes, des réfuter ou se justifier. Incompréhension (ds le polyptote)
modes, des voix ou des temps différent) > refus d’être ainsi jugé.
Il laisse tout de même un temps pour permettre à Nicolas
de lui répondre.

NICOLAS : Tu me dégoûtes. Vocabulaire dépréciatif Réplique brutale et concise


Nicolas n’essaye même pas de répondre aux
interrogations de son père. La raison du dégoût est ici
encore implicite et sera formulée juste après : l’abandon
et le remariage.

Le père est offusqué et le montre, il est encore dans le


phrases interro-exclamatives
PIERRE : Pardon ? (Un temps) Qu’est-ce que tu as dit ? déni car il ne peut pas croire que ces paroles reflètent bel
et bien ce que son fils pense de lui

NICOLAS : Tu me fais des grands discours sur la vie, sur le Antithèse < prop subordonnée d’opposition
Met son père devant ses contradictions : souffrance de
travail, alors que tu nous as abandonnés comme des merdes sans comparaison
Nicolas< abandon. Emploi d’une comparaison choquante
même te retourner… =>dévaloriser le père, il refuse désormais l’autorité de
celui-ci car elle lui semble être à présent une imposture

Pierre est choqué des propos et du mépris que son fils


PIERRE : Quoi ? tient à son égard > incompréhension marquée par ce
pronom interrogatif.

Mots emplis de mépris, d’irrespect et de vulgarité envers


NICOLAS : Tu prends des airs supérieurs, mais au fond tu te Antithèse < conj de coordination (opposition) son père. Critique forte de Nicolas envers son père:
comportes depuis le début comme un salaud. Comparaison dépréciative souligne opposition entre ce que son père fait paraître et
ce qu’il est. Nicolas voit son père comme un déserteur
démuni de compassion et surtout d’honneur.
2. La violence des paroles et des actes

PIERRE : Retire ce que tu viens de dire ! Nicolas… Tu 2 impératifs + répétition du même ordre Pierre ignore totalement les tords qui lui sont intentés :
m’entends ? retire tout de suite ce que tu viens de dire ! Didascalies internes incompréhension et peine face aux propos de son fils. Il
commence à hausser le ton < injonction répétée.

NICOLAS : Salaud ! Violence verbale : insulte qui transgresse les limites >
déclencheur de la violence physique du père

Pierre essaie de garder son calme. Didascalies externes Nouvelle dimension de la discussion, qui se transforme
Pierre craque et se jette sur Nicolas. Il l’attrape par le col et le en violence physique => échec de la parole, impossibilité
secoue tout en lui parlant. de communiquer réellement

PIERRE : Moi, je suis un salaud ? Moi ? questions rhétoriques Incompréhension et révolte devant ce qu’il considère
comme une injustice
(Nicolas essaie de se débattre, mais Pierre le tient.) Je me suis
occupé de toi pendant des années !
Est-ce que tu as manqué de quoi que ce soit ? Est-ce que je n’ai Interrogative et interro-négative 2 questions redondantes qui montrent son implication en
pas toujours tout fait pour toi ? tant que père : n’a manqué à aucun de ses devoirs
Réponds ! (Mais il ne répond pas. Le ton monte, Pierre est paternels.
presque en larmes, et il secoue son fils de plus en plus fort, et Didascalies externes Forme de rage désespérée dans cette violence physique
d’une façon désespérée.) qui ne cesse de progresser
mais réponds, nom de Dieu ! Didascalie interne (exclamative) Montre le mutisme de Nicolas, Pierre souffre face au
(Pierre continue, de façon de plus en plus désespérée, et cela mépris de son fils et face à son manque de réponse.
devient presque une lutte physique.)
Pendant des années, tu m’entends… je me suis occupé de toi. Je Chiasme avec la 1ère phrase + CC temps (durée) Sacrifice de Pierre et dévouement envers Nicolas en
suis resté avec ta mère… restant avec la mère de son fils : il ne peut pas
comprendre pas d’où provient le mal-être de celui-ci. Le
CCT de durée indique que son but était de protéger
Nicolas…en s’oubliant lui-même, en mettant de côté sa
propre vie : c’était un homme malheureux. Il n’avait
plus de sentiments pour son ex-femme mais il a préféré
rester à ses côtés pour ne pas faire de peine à son fils.
Alors pourquoi tu dis ça, pourquoi ? Répétition de l’adverbe interrogatif Désespoir de Pierre, il a besoin de cette réponse.

PIERRE : Parce que je suis tombé amoureux d’une autre Proposition subordonnée de cause Devant le mutisme de son fils, il fait les questions et les
femme ? C’est ça ? réponses : TOUT doit être dit.
C’est ça, mon crime ? Après tant de sacrifices, Pierre estime avoir le droit au
bonheur en tombant amoureux d’une autre femme. Il ne
comprend donc pas l’accusation de Nicolas avec le
« c’est ça mon crime ». > égoïsme de son fils
Et en quoi ça te regarde ? hein ? J’ai le droit de refaire ma vie. Répétition de l’adj possessif de 1è pers Il arrête de se sacrifier pour Nicolas, veut pouvoir
Merde ! c’est ma vie ! Tu m’entends ? Interrogative et exclamations, terme vulgaire accéder au bonheur : « droit » chèrement acquis durant
toutes ces années, mais souffre quand même de
l’incompréhension de son fils. => tragique : le père vit
enfin sa vie, refait sa vie sans Nicolas et…le fils ne peut
plus vivre.

Pierre en vient presque à crier. C’est ma vie ! (Ils tombent au Didascalies externes remplacent les paroles Absence de parole : violence au point ultime > deux
sol tous les deux. Un temps. (…) Pierre a un geste sur l’épaule souffrances extrêmes et deux solitudes. Violence si forte
de Nicolas comme s’il voulait l’apaiser, mais s’éloigne pour que que Nicolas est tétanisé. La parole n’a plus sa place.
la tension redescende. Il a du mal à reprendre son souffle(…)
Nicolas ne bouge toujours pas. Il est comme un enfant de six ans,
terrifié. Pierre se tourne alors vers Nicolas.)
A remarqué son erreur et regrette, il tente d’améliorer la
PIERRE : Je suis désolé, Nicolas. Je ne sais pas ce qui m’a pris. situation en présentant des excuses à son fils : il est
(Il veut l’aider à se relever, mais Nicolas s’écarte, se lève seul l’adulte et n’aurait jamais dû faire preuve d’une telle
et regarde Pierre avec effroi. Puis il se dirige vers la porte violence.
d’entrée de l’appartement.) Nicolas ? (Nicolas ne se retourne
pas.) Nicolas, s’il te plaît…
Son erreur sépare encore plus les deux personnages : la
Nicolas sort en claquant la porte. Un temps. Pierre a l’air violence a tout brisé entre eux. Nicolas quitte la scène
totalement perdu. Noir. alors que son père l’appelle :
=> cassure inévitable entre les deux, souffrance qui va
inévitablement devenir plus forte chez les deux
personnages.
=> la tension dramatique a abouti à un point de non-
retour

INTRODUCTION :

Florian Zeller est un dramaturge, auteur et réalisateur français né le 28 juin 1979 à Paris. Il travaille également comme maître de conférences associé à Sciences
Politiques. En 2002, il publie son premier roman, qui reçoit le prix de la fondation Hachette, le premier d’une longue série. Entre 2002 et 2012, ses nombreux romans abordent
le thème de la sincérité et des rapports sociaux. En février 2018, il crée Le Fils, la dernière pièce de théâtre d'une trilogie qui compte également La Mère et Le Père. Cette pièce
raconte l’histoire de Nicolas, un garçon de 17 ans vivant chez sa mère, Anne. Son père, Pierre, vient d'avoir un enfant avec sa nouvelle compagne, Sofia. Anne informe Pierre
que leur fils, malheureusement devenu dépressif, ne va plus au lycée depuis trois mois. Pierre discute avec Nicolas et lui demande alors de venir vivre avec Sofia et lui. Le fils
accepte, change de lycée et le père met en œuvre tout ce qui lui est possible pour lui redonner le goût de vivre. Cette œuvre a eu un énorme succès, si bien qu’elle a été traduite
en anglais et jouée dans de nombreux pays. La trilogie a aussi fait l’objet d’adaptations cinématographiques à l’international couronnées par des Golden Globes et Oscars. Dans
la scène 12, que nous allons étudier, une dispute violente éclate entre le père et le fils. Nicolas n’arrive toujours pas à surmonter ses tourments intérieurs et le divorce de ses
parents reste une entrave à son épanouissement. Il rejette la faute de sa situation sur Pierre envers lequel il n’éprouve que dégoût et irrespect. Le ressentiment est au cœur de
cette scène. Nous nous demanderons comment l’auteur met ici en scène la souffrance de chaque personnage à travers leurs échanges. Tout d’abord, nous étudierons le fait que
la scène 12 débute par une accusation du fils dénonçant son père comme la principale cause de son malheur. Puis nous montrerons la violence irrémédiable des paroles et des
actions.

CONCLUSION :

Pour conclure, cet extrait montre très clairement la souffrance psychologie que peuvent engendrer les liens familiaux mais aussi l’incompréhension générée par le manque de
communication. Les échanges viennent à nous questionner tant sur la responsabilité du fils que sur celle du père, Nicolas tente continuellement de faire culpabiliser Pierre,
l’accusant d’être parti, il en fait l’unique responsable de sa souffrance et de sa situation globale en se posant comme victime et en adoptant une attitude méprisante envers lui.
De plus, le fils s’oppose à son père par des silences culpabilisants et par une absence de réponse aux nombreuses questions pressantes posées par celui-ci. Pierre, quant à lui,
totalement frustré par le mutisme de son fils, et dans une posture de complète incompréhension face à ce que ressent son fils, ainsi il cherche à obtenir à tout prix des réponses
de la part de son fils, non pas pour lui-même se remettre en question, mais plutôt afin de les réfuter et de blâmer l’attitude de son fils. Le fil de la discussion, qui s’apparente
plus à une altercation, se dispose en une gradation dans l’intensité et la violence des propos et des gestes. Nous distinguons alors deux périodes, la première étant celle des
accusations où chacun des deux partis s’incrimine l’un et l’autre, puis la deuxième lors de laquelle une confrontation aussi bien orale que physique a lieu entre le fils et le père :
c’est la violence physique, reflet de l’échec de la parole, qui permet au lecteur-spectateur d’évaluer la juste mesure de la souffrance ressentie par chacun des protagonistes. Nous
retrouvons la trame des relations familiales tumultueuses dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, œuvre dominée par les thèmes de la solitude et de la difficulté
de communication entre les membres de la famille. Le fils aîné, Louis, après de nombreuses années passées au loin, retourne auprès de sa famille dont les membres ne savent
pas exprimer leurs sentiments par des mots, mais plutôt par des gestes ou des attentions qu’il faut savoir décrypter. Ce qui est malheureusement générateur de querelles,
notamment entre Louis et Antoine, son frère cadet, qui a dû endosser le rôle et les responsabilités de celui-ci. Chaque personnage reste enfermé dans sa propre souffrance et tout
dialogue se révèle finalement impossible.

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