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UN SAVOIR GAI
ALTÉRITÉ
CABINET SECRET
COMMUNAUTÉ
COMMUNION VIRILE
CONTINGENCE
COUPLES
DÉSASTRE
ÉGALITÉ LIBERTÉ
ESPÉRANCE DE VIE
ESTHÉTIQUE
ÉTRANGEMENT
ÉVANGILE
FASCINATION
FAUX DÉPARTS
HYPERSEXUALISATION
INVISIBILITÉ
LIBIDO SCIENDI
LITTÉRATURE
MATHÉMATIQUES
MIMÉTISME
MODÈLES
PÉDOPHILIE
PERMUTABILITÉ
PROSTITUTION
REFUGES
SCEPTICISME
SIGNES ET SYMÉTRIE
SURFACE / PROFONDEUR
TAILLE
TERREUR
URGENCE
ZEUS
INDEX
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Du même auteur
À mon seul désir
La Dame à la licorne
Musée de Cluny, Paris
SEXE ET PENSÉE
Le sexe est « chose mentale », comme eût dit Léonard. Il colore notre
vision du monde, il transforme la connaissance que nous en avons. Il fait
plus encore : pourquoi le considérer comme un simple filtre ? Pourquoi
ne créerait-il pas un savoir propre ?
Savoir sur le sexe et la sexualité, d’abord : le sexe est objet de pensée.
Les médecins, les psychologues, les philosophes, les historiens, les
sociologues s’y intéressent depuis longtemps. La psychanalyse en a fait
son apanage. Mais savoir par le sexe également : l’expérience sexuelle, en
particulier celle du désir, est d’ordre mental.
Que la physiologie y joue un rôle essentiel, certes. Mais, comme le
souligne Aristote – et tu es aristotélicien sur ce point comme sur tant
d’autres –, il n’est aucun changement corporel qui ne s’accompagne
d’une modification psychique, et réciproquement (De l’âme, 403 a 15-
b 19). La sexualité informe ton esprit : elle lui donne forme. Elle
contribue à la singularité de ton point de vue sur le monde.
Il se trouve par ailleurs, comme tu le racontes en ces pages, que tu es
venu tard à l’expérience sexuelle : ton intellect déjà mûri eut le temps
d’appréhender cette évolution et d’en mesurer les effets sur ta vie et sur
lui-même.
Ce n’est pas tout le sexe qui sera pensé ici, ni tout le sexe qui pensera.
Plutôt la partie désir de la vie sexuelle, la façon dont elle informe
l’individu, et dont elle l’informe sur le monde. Sur la culture et sur la
société, en particulier.
La sexualité implique un rapport particulier au vrai, au beau, au bien,
autrement dit, une épistémè, une esthétique, une éthique, une politique.
Parler de savoir gai, c’est par euphémisme. Ignorance gaie vaudrait tout
aussi bien. Bien des choses te semblent obscures dans le monde
hétérosexuel qui t’entoure. Comme tu n’en comprends pas
immédiatement le fonctionnement, tu fais effort pour le comprendre.
C’est cet effort qui te permet d’avancer en compensant ton ignorance.
Mais pour savoir il fallait d’abord ignorer, être perdu, désorienté.
La note fondamentale de ton expérience, c’est l’étrangement.
Tu dis ici : tu, ou bien les gais, car ton rapport au monde, tel que tu le
décris ici, est celui d’un individu masculin attiré sexuellement par
d’autres individus masculins. Ce tu pourrait être un il. Ce pourrait être
un je ou un nous.
Il va de soi cependant qu’une large part des réflexions tirées de ton
expérience ne vaut pas seulement pour les gais, mais aussi pour les
femmes sexuellement attirées par des femmes. Pour éviter d’alourdir la
rédaction non moins que pour rester dans le domaine le plus voisin de
ton propre vécu, tu ne t’es pas risqué à mentionner explicitement les
lesbiennes ou à doubler chaque pronom personnel masculin de son
équivalent féminin. Souvent, donc, quoique cela puisse froisser des
susceptibilités ou ne pas sembler d’une parfaite correction politique, gai
pourra se lire comme gai et lesbien (et trans, et queer, etc.).
À chaque lecteur et chaque lectrice d’effectuer ses propres
généralisations. Tu ne veux pas (et ne peux pas) dicter la lecture de ton
texte. Sans doute, au fil de ces pages, parce que t’y invitent et le fil du
discours et l’ordre de la langue et les us de la pensée, seras-tu amené à
faire ponctuellement ce que tu réprouves en principe, en universalisant
de façon indue certaines propositions. Des concepts seront introduits,
tout droit sortis de la collision de ton désir avec la société et avec la
culture (car c’est cela que tu veux penser) : le limes, l’ionisation,
l’étrangement.
Tu n’en dois pas moins réaffirmer ici avec force combien tu répugnes à
fixer des conduites, à dessiner des cadres, à construire des théories (tu
t’en expliques en ces pages, du reste). Toute thèse ne sera qu’hypothèse,
tentation ou défi. Que chacun se retrouve, s’excite ou s’agace à lire les
présentes réflexions, tant mieux : elles sont là pour ça, pour éveiller la
pensée de la lectrice et du lecteur, sinon leur opposition.
1. Didier Éribon, Réflexions sur la question gay (1999), Paris, Flammarion, « Champs »,
2012 (nouv. éd.), p. 156.
2. Voir Luke David Nicholson, Anthony Blunt and Nicolas Poussin : A Queer Approach, thèse de
doctorat, Montréal, Concordia University, 2011, p. 148-149.
COMMUNAUTÉ
La première fois que tu rejoignis une Gay Pride (ou Marche des
fiertés), ce fut comme un éblouissement, non démenti les fois suivantes.
La joie particulière qui ce jour-là t’anime, tu ne la ressens à nul autre
moment de l’année. C’est une jubilation intérieure, une vibration
presque mystique de tout ton être.
Elle devrait pourtant ne t’attirer en rien, cette immense piste de danse
à l’air libre, avec ses chars tonitruants où se déhanchent les fêtards et ses
armées de drag-queens toisant la foule du haut de talons himalayens : tu
ne fréquentes pas les discothèques, tu n’apprécies que moyennement
cette musique, l’extraversion n’est pas exactement ton ordinaire.
Pourquoi donc ne passer pas ton chemin ? Pourquoi te joindre volontiers
au cortège ? Pourquoi en revenir toujours revigoré ? Il ne s’agit pas tant
d’excitation au spectacle de tous ces corps plus ou moins dénudés, des
muscles saillants, des torses dessinés, d’une jeunesse dont la floraison
coïncide avec l’effeuillage. Autre chose se passe, où paradoxalement le
sexuel, du moins pour sa partie libidinale, ne joue pas un rôle
prépondérant.
Certains, tout en rejetant avec vigueur le plus infime soupçon
d’homophobie, n’en critiquent pas moins cette débauche colorée sur la
voie publique, cet étalage de paillettes, de strass et de vulgarité, et
préféreraient que les gais et lesbiennes, si vraiment ils y tiennent,
marchassent plus sobrement sans se faire trop remarquer. La Gay Pride
donnerait, à les entendre, une image déplorable de la communauté
qu’elle veut illustrer.
C’est ne rien comprendre à l’existence gaie. C’est faire comme si un
gai n’était qu’un homme qui aime les hommes en lieu et place des
femmes, et rien de plus. Comme si cette différence était du même ordre
qu’une préférence alimentaire ou esthétique, et qu’il ne s’agît que de
préférer les poires aux pommes, le jaune au vert ou les romans policiers
aux récits psychologiques. Comme si cela n’engageait pas une myriade de
décalages qui font de cette vie tout autre chose que la vie d’un amateur de
polars, de jaune canari ou de poires conférence.
Il y a bien des manières de défendre la Gay Pride. Tu n’en veux choisir
qu’une, la plus personnelle, et dire seulement le besoin qu’elle comble
dans ta vie. Il s’exprime en deux mots : faire société. Voire en un seul :
communiquer.
364 jours par an, tu vis dans le monde, heureux sans doute, bien
intégré apparemment, mais te sens séparé de lui par ce limes invisible dont
toi seul es conscient : tu sais ne pouvoir tout dire autour de toi de ce que
tu ressens, de tes émotions, de tes désirs. Tu as appris depuis tout jeune à
les cacher, à les mettre en réserve, à ne les ressortir que lorsque le permet
la situation.
Non seulement tu ne peux parler sans précaution, mais pour comble
de malchance les gens autour de toi se figurent que tu penses et ressens
comme eux. Les amateurs de poires, de polars et de jaune canari ne
rencontrent guère ce genre de problème : nul ne présuppose que son
prochain préfère les poires aux pommes, Simenon à Duras ou le jaune au
vert. Si besoin est, avant d’offrir un livre, un fruit ou un chandail, on
posera la question. Jamais en revanche on ne te demande, de but en
blanc, si tu préfères les hommes ou les femmes. Tu es embrigadé d’office
parmi les hétérosexuels.
Tu te souviens de cette scène, désagréable sur le coup, quoiqu’au fond
plutôt cocasse, lors d’un voyage professionnel à Pékin. Pour vous faire
plaisir, votre hôte vous avait offert une séance dans des thermes
accompagnée de massages. Tu te réjouis naïvement : tu aimes tant les
bains. Te voici en mince peignoir. Une charmante jeune fille en pyjama
rose s’avance vers toi et commence à te masser, distraitement pour
débuter, sur tout le corps, puis en concentrant peu à peu ses gestes autour
de tes parties intimes. Soudain tu comprends où elle veut en venir : tu es
tout bonnement en train de te faire violer. Au risque de froisser cette
jeune personne qui faisait de son mieux pour flatter ton épiderme, tu es
bien obligé de la remercier et de lui dire que tu préfères arrêter là les frais
et sortir. Le plus marri dans cette histoire fut ton guide, lorsqu’il dut pour
te suivre quitter sa propre masseuse, dont il savait mieux que toi
apprécier les prévenances.
Cette tentative de viol en pyjama rose te laissa longtemps un souvenir
pénible : certes, ce fut peu de chose, mais cette expérience te sert à
mesurer, toutes proportions gardées, le traumatisme entraîné par un viol
véritable. Surtout tu en voulus à votre hôte de ne t’avoir pas laissé le
choix : un jeune masseur n’eût pas été pour te déplaire. Peut-être te
serais-tu laissé faire. Pourquoi t’avoir imposé d’office une masseuse, sinon
parce que ce genre de question ne se pose pas ?
Tel est le type de malentendu auquel tu es perpétuellement exposé. S’il
est rare d’en arriver aux extrémités que tu viens de décrire, cette situation
d’incommunicabilité ne s’en reproduit pas moins à toute occasion.
Au musée, au cinéma, au restaurant, peux-tu dire impunément que
cette statue de nu masculin, cet acteur ou ce serveur, tu les trouves
bandants ? S’il s’agit de femmes, tes contemporains mâles ne se gênent
pas, en termes plus ou moins délicatement apprêtés. Il est socialement
acceptable de louer en public la séduction féminine – les femmes en
souffrent elles-mêmes. Les élections de Miss France et de Miss Univers
font la une des journaux. Quid des Chippendales ? À la télévision, les
journalistes sportifs commentent à l’envi l’apparence physique de telle
joueuse de tennis ou de telle patineuse, mais l’incroyable puissance de
séduction de ce gymnaste russe1 qui hanta durablement tes rêves, nul
n’en souffle mot.
Bien sûr, en certaine compagnie bien choisie, tu peux dire ces choses,
tu peux t’exprimer librement, décrire ce que tu ressens. Mais le reste du
temps tu es bien obligé de te censurer pour ne pas jeter le trouble. Tu vis
dans une sorte de coque, de bulle transparente, enfermé à l’intérieur de
ton limes, avec tes proches, celles et ceux qui te connaissent intimement.
Mais t’exprimer sur ces sujets et les mettre en commun avec des
inconnus, ce qui est proprement faire société avec eux, voilà qui est trop
risqué. Tu préfères t’abstenir, voire simuler lorsque la simple abstention
elle-même serait trop dangereuse.
Tu ne diras jamais assez l’importance des amis gais. Tu en as
d’hétérosexuels, bien sûr, et qui savent que tu es gai : tu peux avec eux
tout te permettre. Pourtant la communion ne sera jamais aussi complète
qu’avec des gais, quand les sous-entendus et les implicites partagés
autorisent la compréhension parfaite, celle qui n’a pas besoin de mots et
se contente d’un rire ou d’un regard complice. Toute zone d’ombre a
d’un coup disparu : vous vivez alors, le temps d’une soirée, dans une
transparence nouvelle, celle-là même dont vous avez soif le reste du jour
et de la semaine. Ces moments-là sont délicieux.
Les amis ont beau t’être chers, ce ne sont que des amis, peu nombreux,
triés sur le volet. La Gay Pride, c’est la société tout entière. Elle en donne
du moins l’illusion, avec ses dizaines, ses centaines de milliers d’inconnus
marchant comme toi dans la rue, avec lesquels tu peux, si tu le souhaites,
tout partager de tes désirs les plus intimes. C’est l’unanimisme retrouvé
de Jules Romains. Ici, nul besoin de tricher ou de mentir par omission :
ce jour-là et lui seul, tu fais corps avec autrui, simplement, directement,
totalement, comme le font sans le savoir les hétérosexuels 365 jours par
an. Seraient-ils assez avares de leur royaume et de leurs privilèges pour te
refuser ces quelques heures, ces avenues et ces carrefours ? Est-ce là trop
demander ?
Alors, si cette joie d’être ensemble s’exprime bruyamment, si ce
monde renversé prend des allures de saturnales et de carnaval, quoi de
plus naturel ? La vraie joie, la jubilation profonde est moins celle d’être
ensemble que d’être enfin soi, pour soi-même et pour les autres, de
n’avoir rien à cacher, d’avoir aboli le limes qui te séparait du monde.
Il y a là un moment d’importance vitale, où tu puises les ressources qui
te permettront, le reste de l’année, de faire face aux contraintes de
l’étrangement. Il n’est de communauté que par besoin de communion.
Ce que réalise un jour par an la Marche des fiertés, les bars gais le
proposent tous les jours à une échelle réduite. Que le jeune homosexuel
échappé de sa province y puisse faire l’expérience encore inédite d’un
monde partagé, ce n’est qu’utilité publique. Cette communauté gaie,
parfois vilipendée, rend aux exclus et aux marginaux le sens de l’humain.
Loin de séparer du reste des hommes, elle donne la force de vivre en leur
compagnie. Elle répare la perte du commun en rémunérant un certain
défaut d’humanité.
Les gais sont aux hétéros un rappel inquiétant de leur contingence. Ils
leur signalent qu’eux, les hétéros, pourraient être autres qu’ils ne sont,
qu’ils pourraient, hommes, aimer les hommes plutôt que les femmes et,
femmes, aimer les femmes plutôt que les hommes. Ils incarnent un
possible de leur existence que beaucoup d’entre eux jugent ignoble – et
jugent d’autant plus ignoble qu’il leur semble trop proche, trop aisé à
faire advenir d’une simple pichenette, comme un risque permanent, un
abîme ouvert à leurs pieds dans lequel ils pourraient trébucher s’ils n’y
prenaient garde au dernier moment. « Je ne suis pas pédé » : voilà le
mantra où s’agrippent tant de mâles incertains de leur statut, le dernier
roc auquel s’accrocher pour s’assurer d’être encore à flot.
L’homosexualité met à nu tout ce que les hétéros ne veulent pas voir
de leur propre vie et de leur propre sexualité, et qui se cache en général
sous les oripeaux flatteurs de la coutume et de la tradition.
En 2015, la titulaire d’une chronique de psychologie dans un journal
de Westphalie conseilla à un père de ne pas emmener ses deux filles,
âgées de six et huit ans, au mariage gai de leur oncle afin de n’avoir pas à
leur parler de sexualité à cette occasion. Les parents avaient en effet
jusqu’ici appris à leurs filles que le mariage concernait un homme et une
femme ; les emmener aux noces de leur oncle et d’un autre homme
aurait conduit à traiter la question différemment. Il ne faut pas
« désorienter » les enfants, insista la psychologue.
Devant le tollé provoqué par l’article, la journaliste fut aussitôt
licenciée. Interrogée quelques jours plus tard, elle ne comprenait
toujours pas la raison de son licenciement. Son texte n’avait, d’après elle,
rien d’homophobe : il s’agissait seulement de protéger de jeunes enfants
d’une discussion sur la sexualité.
Comme si en lui-même le mariage dit traditionnel n’avait rien de
sexuel. Comme si en expliquant à leurs filles que le mariage concernait
un homme et une femme les parents ne leur avaient pas en fait déjà parlé
de sexualité et n’avaient pas commencé à fixer implicitement pour leurs
enfants le cadre de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas. Le père,
Bernhard, 43 ans, ne disait rien d’autre dans son courrier : « Mon frère et
son ami sont des êtres merveilleux, mais un mariage me paraît
inopportun. » Il s’agissait bien du permis et de l’interdit1.
Voici ce que tu aurais répondu à ce lecteur si tu avais eu la charge de
cette chronique de psychologie westphalienne :
« Mon cher Bernhard, vous parlez du risque de désorienter vos filles.
Mais en réalité c’est vous qui me paraissez quelque peu déboussolé : si
votre frère et son ami sont des êtres merveilleux, comme vous le dites,
pourquoi ne les pas laisser vivre cet amour selon les formes dont votre
femme et vous avez eu la chance de bénéficier, c’est-à-dire dans les liens
du mariage, puisque cela leur fait plaisir ? En quoi votre mariage souffre-
t-il de celui de votre frère ? Qu’y perd-il ? En serez-vous moins
heureux ? C’est justement l’occasion rêvée de montrer à vos filles, sans
entrer dans aucun détail scabreux, que la réalité est toujours plus
complexe qu’on ne se l’imagine et que l’amour peut prendre de multiples
formes. Voilà une belle leçon d’humanité accessible à tous les âges. Vous
pouvez sans danger laisser vos filles jeter des fleurs sous les pas des jeunes
mariés, etc. »
Tu n’es pas certain que Bernhard aurait suivi tes conseils, mais au
moins d’autres eussent-ils entendu la leçon.
Pour les hétérosexuels, l’homosexualité a toujours quelque chose de
profondément et ouvertement sensuel, qui les gêne. Ils oublient
seulement de voir que cette sexualité est déjà partout présente dans les
institutions et, en particulier, dans le mariage. La norme de
l’hétérosexualité leur dissimule la dimension sexuelle des pratiques
communes, que l’usage finit par recouvrir d’un voile de décence, et que
démasque au contraire le caractère marginal et proprement extraordinaire
de l’homosexualité.
Pour ta part, tu fus toujours frappé de l’obscénité littérale du mariage
en tant qu’institution : il met sur la scène publique un rapport privé,
intime, érotique, et convoque toute la famille, enfants compris, pour en
témoigner. Si Bernhard et la chroniqueuse croient cette sexualisation le
propre de l’homosexualité, ils se trompent : l’homosexualité se contente
de divulguer la face sexuelle de la société, contre le processus
d’institutionnalisation, lequel fonctionne comme un véritable cache-
sexe.
On reproche parfois à des gais de vouloir sortir du placard : « Mais je
n’en ai rien à faire qu’un tel soit gai ou non ! Je me fiche bien de savoir
avec qui il couche. L’essentiel, c’est qu’il fasse bien son boulot. » Il faut
alors rappeler que la sortie du placard n’est pas plus sexuelle que
l’implicite hétérosexuel dans lequel on veut t’enfermer ; simplement elle
rend évidente la sexualisation latente de la société où tu vis.
On refuse la visibilité sociale de l’homosexualité au motif qu’elle
mettrait du sexuel là où il n’y en a pas. Elle le fait seulement réapparaître
là où l’on ne le voyait plus. Elle réintroduit du contingent et de la
variation dans des coutumes et des institutions qui semblaient avoir été
fixées pour l’éternité.
Pourquoi l’amour d’un homme et d’une femme serait-il beau,
romantique et dicible à des enfants, et celui de deux hommes ou de deux
femmes obscène, sexuel et innommable ? La contingence fait soudain
affleurer à la surface ce qui était stable et constant, mais invisible, à savoir
le sexuel, resté longtemps enfoui sous l’habitude. Tu ouvres à autrui le
champ des possibles et lui poses implicitement la question de savoir
pourquoi il est ce qu’il est et fait ce qu’il fait, en remettant en cause ce qui
semblait acquis et donné. Voilà le vrai scandale, et celui qu’on n’aimera
guère pardonner à toi et aux tiens.
Pour les gais, le désastre a déjà eu lieu. Il est encore là, discret,
sournois, juste une odeur qui rôde. Mais là encore, obsessivement. Il a
nom : sida.
Tu arrivas à maturité sexuelle en même temps que se développait
l’épidémie. Fusses-tu né quelques années plus tôt, peut-être aurais-tu été
emporté, toi aussi, avec ces autres gais partis par millions, inconnus et
célèbres, artistes, penseurs, écrivains, anonymes. Comme une guerre qui
serait passée par là et aurait soigneusement choisi ses victimes parmi la
population. Une première guerre mondiale sans obus et sans fusil.
L’Europe ne s’est jamais remise des saignées de Verdun et du Chemin
des Dames, qui anéantirent le meilleur de sa jeunesse. Est-il sûr que
l’humanité se soit remise du sida ? Ces êtres qui manquent, qui sait ce
qu’ils nous eussent apporté ? N’étaient-ils pas plus libres, plus joyeux,
plus insouciants, plus hédonistes, plus indépendants que les autres ? Leur
présence eût peut-être changé le monde. Elle l’eût éclairé d’une autre
lumière. Il eût été plus doux, plus ouvert, plus accueillant.
Tu pris tes précautions, sagement, bourgeoisement, et te voici encore
là parmi les vivants, aussi jeune et aussi vieux qu’une épidémie avec
laquelle tu grandis et qui, en te privant de la spontanéité sexuelle qui
aurait dû être ton lot, ne réussit qu’à te vieillir prématurément. Te voici,
ni pire ni meilleur que les disparus. Certainement pas meilleur. Juste plus
chanceux et plus prudent. M. Prudhomme dans la backroom – mais il
n’y va guère.
Tu te souviens de cette conversation, dans une voiture, à la fin des
années 1980 (le soir tombe, les réverbères s’allument, le port défile sous
tes yeux) : « Les malades du sida n’ont que ce qu’ils ont cherché, ni plus
ni moins que les fumeurs chez qui se déclare un cancer du poumon. » Tu
t’insurges : « Mais enfin, pour avoir le cancer, il faut fumer paquet sur
paquet, des années durant. Pour attraper le sida, une seule fois suffit, la
moindre imprudence peut être fatale. Et personne ne savait au début que
ces pratiques étaient risquées. Rien à voir avec la cigarette, dont les
dangers sont connus depuis longtemps. »
Les imprudences, tu sais qu’elles sont aisées à commettre dans le feu de
l’action : on se laisse aller, on fait ce qu’on n’avait pas prévu de faire, et
hop, tu es fichu. Il est trop facile de commenter cela de loin, bien carré
dans son fauteuil, comme si la rationalité gouvernait à tout moment et en
tout lieu les conduites humaines. Les gais ne cessent de côtoyer un
précipice où les peut faire tomber le moindre faux pas, un pied qui glisse,
un geste brusque, un caillou mal identifié sur le chemin. Dans cette
voiture, tu t’égosilles et t’étouffes en vain et sens bien que, pour qui te
parle, c’est la sexualité gaie en elle-même qui est moralement
condamnable, et donc condamnée : ce désastre, elle le mérite.
La gorge te serre lorsque tu penses à toutes ces vies brisées, ces couples
amputés de leur moitié, ces jeunes gens fauchés dans leur fleur, pour
nulle autre raison que le sexe et l’amour. Tu feuillettes les magazines gais
des années 1970 et 1980 comme des recueils de nécrologies à la
polychromie euphorique et sulpicienne. Les gais qui aujourd’hui ont dix,
vingt, trente ans de plus que toi te semblent les témoins d’un âge
héroïque, presque mythique.
Te voici rescapé d’un combat que d’autres livrèrent pour toi. Coupable
peut-être de sentir que de cette horreur tu as profité – le paradoxe étant
que la vie devint pour les gais plus facile après le sida qu’avant, et ce grâce
au sida lui-même. Quelques-uns se mobilisèrent, se coalisèrent, une
communauté naquit, grossit, lutta, manifesta, scandalisa et parvint
finalement à faire reconnaître par les gouvernements et par la société des
droits fondamentaux, dont tu jouis aujourd’hui sans presque y songer.
Admirables furent les mouvements militants, capables d’arrêter, sinon
d’inverser le cataclysme qui s’annonçait. Rien de tout cela n’eût eu lieu
peut-être sans le désastre initial.
Beaucoup, du haut de leur chaire et au tréfonds de leur cœur, auraient
voulu vous voir tous périr dans cette catastrophe et la planète purgée de
ce qu’ils jugeaient une abomination, beaucoup l’espèrent encore, et
beaucoup périrent en effet. Mais l’horreur de ces morts finit par créer son
contrepoison, dont tu bénéficies à présent.
Mince consolation : ces morts ne sont pas morts pour rien. Tu
aimerais juste être à leur hauteur.
ÉGALITÉ LIBERTÉ
1. Albert Camus, « Noces à Tipasa », « L’Été à Alger », « Le Désert », « Petit Guide pour des
villes sans passé », dans Noces, suivi de L’Été (1939-1954), Paris, Gallimard, « Folio », 1971, p. 16,
35-36, 42, 58, 128.
ESPÉRANCE DE VIE
1. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790), chap. 13, § 5 : « Geschmack ist das
Beurteilungsvermögen eines Gegenstandes oder einer Vorstellungsart durch ein Wohlgefallen,
oder Mißfallen, ohne alles Interesse. Der Gegenstand eines solchen Wohlgefallens heißt schön. »
Kant souligne.
2. Prosper Mérimée, « La Vénus d’Ille » (1837), dans Théâtre de Clara Gazul. Romans et nouvelles,
éd. Jean Mallion et Pierre Salomon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 738-
739.
3. Stendhal, De l’amour (1822), chap. XVII. Stendhal souligne. Cité par Friedrich Nietzsche,
Généalogie de la morale (1887), III, 6. La formule reparaît dans Rome, Naples et Florence (1826) à la
date du 28 octobre 1816 : « La beauté n’est jamais, ce me semble, qu’une promesse de bonheur. »
4. Johann Joachim Winckelmann, Histoire de l’art dans l’Antiquité (1764), 2e partie, trad.
Dominique Tassel, Paris, Livre de poche, 2005, p. 552 (« das höchste Ideal der Kunst unter allen
Werken des Altertums »).
5. Ibid., p. 556.
ÉTRANGEMENT
dit le père dans la chanson de Cat Stevens. Tu veux aussi que la culture
ne fasse pas semblant de l’oublier.
1. Yukio Mishima, Les Amours interdites (Kinjiki, 1951-1953), trad. René de Ceccatty et Ryôji
Nakamura, Paris, Gallimard, 2012, p. 81.
Te voici bien attrapé avec ton roman à l’eau de rose de tout à l’heure,
trop timide que tu étais ! Sous la plume de Marc l’évangéliste, la scène se
charge d’un érotisme autrement plus puissant. Il existait aussi d’après
Clément une version de cet Évangile où le jeune homme et Jésus passent
la nuit ensemble « nus l’un et l’autre ». Version naturellement
mensongère, selon le même Clément. Or, elle ne fait après tout
qu’expliciter un peu plus la teneur érotique de la relation entre le jeune
homme et Jésus, déjà présente dans le texte original, sans en trahir le
fond.
Selon l’Évangile secret, il y aurait eu ainsi au cœur du christianisme
primitif un rite mystérieux, réservé aux initiés les plus avancés,
impliquant une relation de type homoérotique. Ce rite s’est-il conservé
dans l’Église ? Est-il encore pratiqué aujourd’hui ? Tu aimes à y rêver :
l’idée qu’une telle initiation ait pu se transmettre de façon cachée dans les
plus hautes sphères de l’Église n’est pas pour déplaire à ton esprit
romanesque.
Après tout, plusieurs écoles philosophiques et religieuses ont distingué
entre un enseignement exotérique, adressé à la masse, et un autre de
nature ésotérique, réservé à une élite. Platon et Bouddha enseignèrent de
cette manière, ainsi que Jésus lui-même. Les Évangiles canoniques
insistent déjà suffisamment sur les différences entre son enseignement
public, exprimé sous la forme de paraboles, et les explications précises
qu’il fournit à ses disciples les plus proches. Pourquoi cet ésotérisme de
Jésus n’aurait-il pas été poussé plus loin ? Clément d’Alexandrie en est
lui-même convaincu.
Morton Smith, l’universitaire américain qui découvrit en 1958 le
manuscrit de Clément au monastère de Saint-Sabas, à vingt kilomètres au
sud-est de Jérusalem, suppose que le véritable baptême donné par Jésus à
ses disciples les plus proches consistait en une sorte d’union avec le
maître, laquelle faisait entrer dans le Royaume de Dieu. On en trouve
encore des traces dans les épîtres de Paul. Assez vite, ce baptême secret,
avec son caractère de libération totale, sinon de libertinage, fut oublié au
profit du seul baptême public, au moyen de l’eau, tel que Jean le Baptiste
l’avait institué8.
À moins que ce rite ne se soit perpétué de manière occulte au sein de
l’Église. Évidemment, aucun texte officiel ne fait allusion à un tel rite,
caractérisé par une si forte dimension homoérotique. Bien au contraire,
en 2005, le pape Benoît XVI interdit formellement aux homosexuels
même chastes et vierges l’entrée au séminaire et le sacerdoce, dénonçant
par là une tradition immémoriale qui attirait au séminaire les hommes
que n’attirait pas le mariage.
Cette interdiction pontificale a justement indigné les défenseurs des
gais, et elle t’indigne également. Elle te paraît tellement aberrante et
scandaleuse, et contraire au message évangélique lui-même, que tu es
tenté de l’interpréter de façon conspirationniste, comme l’ultime ruse
d’une hiérarchie ecclésiale inquiète de dissimuler au plus grand nombre,
au moment où elle risquait d’être révélée, l’orientation, voire le rite
homoérotique qui structure secrètement les plus hauts échelons de
l’Église catholique. Par une telle interdiction, l’Église ne chercherait qu’à
faire taire les rumeurs les plus folles sur l’homosexualité de Jésus et sur
celle, éventuellement, du souverain pontife.
Manœuvre de diversion, donc, non moins que celle qui consista à faire
mine de s’indigner du Da Vinci Code, paru deux ans plus tôt, où Dan
Brown attribuait à Jésus une liaison amoureuse avec Marie-Madeleine,
dont il aurait eu une descendance. Le mariage de Jésus y était dévoilé
comme le secret ultime, celui que, des siècles durant, l’Église aurait
cherché à dissimuler à tout prix. Quel scandale !
Mais en était-ce bien un, malgré les vitupérations des cardinaux ? Et si
tout n’avait été qu’une mise en scène visant à renforcer la grille de lecture
hétérosexuelle des Évangiles, celle-là même que l’institution cherche à
imposer pour faire oublier l’homoérotisme latent de ses textes
fondateurs ? Il n’est moyen plus expédient de faire accroire un mensonge
que de le présenter comme un secret et le rendre ainsi désirable. Malgré
les apparences, le succès planétaire de ce roman servit les intérêts de
l’Église. À complot, complot et demi : la divulgation de cette
conspiration prétendue pourrait bien n’avoir été employée qu’à
dissimuler une autre conspiration, bien réelle celle-là et infiniment plus
obscure, destinée à dérober aux regards la nature profondément
homoérotique des livres sacrés et de la structure ecclésiale.
Est-ce un hasard si le manuscrit où Clément d’Alexandrie parlait de
l’Évangile secret de Marc, celui que découvrit Smith, disparut quelques
années après avoir été révélé au monde9 ? Il y avait bien des raisons de
vouloir escamoter le témoignage le plus indubitable de l’homoérotisme
régnant dans le groupe de Jésus et de ses disciples, et la disparition de ce
manuscrit paraît très opportune, preuve tangible qu’autour des ces trois
pages se joue quelque chose de beaucoup plus mystérieux que les
énigmes de pacotille déchiffrées par le héros du Da Vinci Code.
Complot par-ci, complot par-là : tu te prends à rêver à une réalité qui
correspondrait à ta vision du monde et ferait de ton orientation sexuelle
l’arcane suprême du christianisme, renversement carnavalesque idéal et
savoureux pied de nez à l’ordre dominant.
Trêve de complots : le conspirationnisme n’est qu’une pauvre
satisfaction par le fantasme, et tu préfères ici t’accrocher au réel. Laisse
aux spécialistes la discussion sur l’authenticité de la lettre de Clément
d’Alexandrie et de l’Évangile secret de Marc (bien qu’en ces matières ils ne
se soient pas toujours montrés plus objectifs que toi). Une chose est
certaine : personne n’a encore songé à faire un roman de cet Évangile
secret, de la découverte de ce manuscrit et de sa disparition mystérieuse,
ni Umberto Eco, ni Dan Brown, ni leurs épigones. Une extraordinaire
matière romanesque se trouve pourtant là, à portée de main.
Un tel silence est révélateur, non pas d’un complot (tu décides une fois
pour toutes de ne plus recourir à ces facilités), mais d’une réalité évidente
et toute simple : présenter Jésus comme un gai n’intéresse pas grand
monde. Le succès planétaire du Da Vinci Code montre au contraire le
profond désir du public d’hétérosexualiser la figure de Jésus afin de
pouvoir s’identifier davantage à lui, notamment par la vie sexuelle.
Qu’importe si la représentation d’un Jésus aimant les femmes a moins de
vraisemblance historique que celle d’un Jésus affectionnant les hommes ?
Il convient justement de recouvrir au plus vite d’un voile pudique et
trompeur cette orientation sexuelle minoritaire, qu’on ne saurait le plus
souvent évoquer que comme une impertinence et une absurdité. Ainsi la
majorité transforme-t-elle la réalité historique à son bénéfice, au mépris
de tous les témoignages. Ce n’est ni la première ni la dernière fois.
Le succès du Da Vinci Code est une chose, mais le christianisme lui-
même eût-il pu s’imposer de par le monde s’il n’eût assez tôt effacé de sa
mémoire l’homoérotisme troublant qui colore les relations de Jésus avec
ses disciples ? Il fallut surmonter ce handicap. Paul de Tarse et la plupart
des Pères s’y employèrent du mieux qu’ils purent : que d’accusations ils
proférèrent contre la mollesse, les efféminés et les amours de même sexe,
menacés des pires châtiments10 ! Le triomphe de l’Église se fit au prix de
cette trahison initiale du message évangélique. Tu préfères pour ta part
retourner aux Évangiles, secrets ou non, et au jeune homme nu.
1. Matthieu, X, 35-37 ; XII, 46-50. Marc, III, 31-35. Luc, I, 26-38 ; II, 41-50 ; VIII, 19-21 ; XIV,
26. Voir Pierre-Emmanuel Dauzat, Les Sexes du Christ : essai sur l’excédent sexuel du christianisme,
Paris, Denoël, 2007.
3. Marc, X, 21. Marc, comme Luc (XVIII, 18), ne dit rien de l’âge de cet homme riche : le terme
employé est très vague (heîs). Matthieu (XIX, 20) est le seul à préciser qu’il s’agit d’un « jeune
homme » (neanískos).
7. Tu traduis le texte grec procuré par Morton Smith, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of
Mark, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1973, p. 452. Voir également la
traduction de Jean-Daniel Kaestli, dans Écrits apocryphes chrétiens, t. I, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 55-69.
8. Voir M. Smith, The Secret Gospel : The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel According
to Mark, New York, Harper & Row, 1973, p. 97-138.
2. Jorge Luis Borges, « La Secte du Phénix » (« La secta del Fénix », 1952), trad. Paul
Verdevoye, dans Fictions, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
1999, p. 552.
INVISIBILITÉ
1. Confucius, Les Entretiens de Confucius (Lun yu), trad. Anne Cheng, Paris, Le Seuil, 1981,
p. 93 (XI, 24 ou 25, selon les éditions).
LITTÉRATURE
1. Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857), II, IX, dans Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 291.
2. Ibid., p. 292-293.
MATHÉMATIQUES
G (X) = f(y) = Y
1. Voir Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard (Epistemology of the Closet, 1990), trad.
Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 86.
MIMÉTISME
Tu devais avoir sept ou huit ans. Tu allais à l’école tout seul. Un matin,
sur le chemin, un homme t’aborda (tu ne saurais lui donner d’âge, mais il
pouvait avoir à peu près celui que tu as aujourd’hui) et t’offrit une barre
de chocolat de la marque Toblerone. Quelque appréhension te retint
(sans doute la bizarrerie du geste, ou la crainte obscure que cette friandise
ne fût empoisonnée : longtemps tu gardas quelque méfiance à l’endroit
de tous les cadeaux de bouche qu’on offrait à tes parents) : tu refusas
poliment et poursuivis ta route. L’affaire n’alla pas plus loin.
Sitôt rentré chez toi, tu racontas ce qui t’était arrivé, et tes parents te
mirent en garde contre tous les inconnus qui pourraient t’aborder. Plus
jamais tu ne revis cet individu, plus jamais tu n’entendis parler de lui,
mais tu n’en conservas pas moins de l’incident tu ne sais quelle
répugnance instinctive à l’égard des produits de marque Toblerone :
encore aujourd’hui, la simple idée d’en acheter et d’en consommer
provoque en toi un léger malaise. Ils ont été rayés tout bonnement de ta
carte mentale, quelque réclame qu’on t’en puisse faire.
Ce traumatisme à bas bruit, si persistant pour une cause si dérisoire (le
simple fait de te voir offrir une friandise par un inconnu), te permet de
mesurer par contraste celui que provoque chez un enfant un viol
véritable ou quelque attouchement sexuel non désiré. Ne t’étonne pas
que, devenu adulte, il en garde des séquelles autrement plus sérieuses.
Pour autant, tu ne saurais te joindre sans réserve à cette chasse
frénétique aux pédophiles, déclenchée depuis la fin des années 1990 par
les médias, les gouvernements et certains mouvements familiaux plus ou
moins respectables, en réaction à des affaires criminelles au
retentissement mondial1.
Cette poursuite sans discernement engagée contre tous les prétendus
délinquants pédophiles eut au moins deux graves conséquences. Elle
entretint en premier lieu une confusion plus ou moins volontaire entre
pédophilie et homosexualité, comme si les deux réalités étaient liées.
Elles ne le sont pas : les pédophiles sont aussi bien des femmes que des
hommes, hétérosexuels ou homosexuels. L’usage du terme de pédérastie,
qui longtemps désigna par abus de langage ce qu’on nomme aujourd’hui
homosexualité, facilita une telle confusion, au nom de laquelle, par
exemple, l’Église catholique interdit désormais officiellement à tout
homosexuel même chaste l’accès au sacerdoce, au prétexte de se
prémunir contre tout futur scandale relatif à des crimes pédophiles –
mesure à la fois absurde, inefficace et profondément injuste, voire
contraire aux valeurs chrétiennes que prétend défendre l’institution.
La seconde conséquence de cette chasse indiscriminée aux pédophiles
est plus grave encore et plus dangereuse : c’est la confusion des fantasmes
avec les actes, de la fiction avec les faits, des représentations avec la réalité.
On a exposé à la vindicte publique des collectionneurs d’images d’enfants
nus, qu’ils avaient glanées ici et là. On a accusé une photographe célèbre,
Sally Mann, d’avoir présenté des portraits nus de ses propres enfants.
Or, tu dois rappeler une vérité simple : des images ne sont que des
images. Si elles ne sont pas le produit d’un crime, si leur acquisition n’est
pas liée à un crime, si elles ne lèsent personne dans la vie réelle, faire de
leur possession ou de leur usage personnel un crime revient à créer
autour d’elles une aura sacrée qui n’a sa place que dans la sphère
religieuse, non dans l’univers juridique. Aujourd’hui bien des images
sont obtenues par des artifices électroniques, sans aucun support objectif,
sans aucun modèle : elles n’en sont pas moins susceptibles d’envoyer un
innocent en prison2.
Dessiner, de façon purement imaginaire, un enfant nu, a fortiori dans
une situation sexuelle, peut suffire à ruiner votre vie si jamais la police,
s’introduisant chez vous, découvre le dessin. Où est le crime pourtant ?
L’esprit n’a-t-il le droit de divaguer ? Faudra-t-il interdire les fantaisies
masturbatoires ? Les plaisirs solitaires sont-ils soumis au contrôle social ?
Ou alors il faudrait interdire également la vision de toutes ces
violences, ces massacres, ces bains de sang que la télévision et le cinéma
proposent sans restriction et sans la moindre condamnation. Les amateurs
de films de guerre ou d’horreur sont-ils des criminels en puissance ?
Pourquoi ceux d’images pédophiles le seraient-ils davantage ?
Faire la police des fantasmes te paraît une aberration et une ignominie.
C’est confondre la rêverie sexuelle et l’acte criminel. C’est ouvrir la porte
à toutes les directions de conscience, à toutes les censures, à toutes les
inquisitions. C’est faire de la pensée même un crime.
Or, la libido n’est que de la pensée. Où arrêtera-t-on le contrôle ? Tu
sais trop combien les pouvoirs ont toujours été tentés de réglementer les
désirs, tout particulièrement les tiens. Aussi veux-tu dresser une barrière
nette entre le monde du for intérieur et de l’intimité consentie, et le
reste : c’est la meilleure façon de préserver ta propre liberté et celle
d’autrui.
Tu répugnes à devoir te justifier de tenir de tels propos, comme si
défendre le bon sens et la simple justice ne constituait pas en soi une
raison suffisante pour intervenir dans ce scandale, comme si ta prise de
parole devait immanquablement t’exposer au soupçon d’un intérêt
personnel, comme si tu ne pouvais prêcher que pour ta propre paroisse.
Et quand bien même ! Un pédophile aussi aurait le droit d’être écouté et
pris au sérieux, même si dans le contexte actuel de suspicion permanente
tu crains que peu d’entre eux n’osent parler ouvertement de leur
condition et de leurs droits.
Quant à toi, tu n’as pas ce souci : tu parles de ces choses-là avec
d’autant plus de franchise et de liberté que tu ne te connais nulle
inclination de ce genre. Enfant, déjà, tu n’appréciais guère les enfants, tu
n’aimais pas trop les fréquenter ni jouer avec eux, et, adulte, tu n’as pas
changé sur ce point. Tu reprendrais volontiers à ton propre compte la
plaisanterie selon laquelle un homme qui déteste les chiens et les enfants
ne saurait être foncièrement mauvais.
On confond sous le terme de pédophile trois types de personnes, trois
types de comportements fondamentalement différents. Il y a d’abord
ceux, de très loin les plus nombreux, qui se contentent de fantasmes
sexuels faisant intervenir des enfants et ne passent jamais à l’acte : ils ne
sont ni plus ni moins innocents et inoffensifs que ceux qui rêvent de
coucher avec des licornes, de sucer des zombies et d’enculer des dragons.
Laissons-les tranquilles ou bien n’envoyons à leur poursuite que la
brigade de protection des êtres chimériques.
Il y a ensuite ceux qui passent à l’acte avec des enfants réels, lors de
contacts sexuels plus ou moins poussés, plus ou moins sollicités ou
forcés. Il y a enfin ceux, rarissimes, qui torturent et assassinent des
enfants : ceux-là mériteraient plutôt d’être appelés pédophobes que
pédophiles. Seules les deux dernières catégories, naturellement, devraient
être justiciables de sanctions pénales et d’un contrôle social.
L’homme qui t’aborda en te tendant une barre de Toblerone lorsque
tu avais sept ans ne commit contre toi aucun crime. Pour ce qui te
concerne, il n’appartenait pas aux dernières catégories. Peut-être relevait-
il simplement d’une classe intermédiaire entre la première et la
deuxième : les adultes qui aiment fréquenter les enfants et se lier d’amitié
avec eux. Lewis Carroll, qui fut de ceux-là, ne commit à ta connaissance
nul autre crime que de manifester une affection un peu trop insistante
auprès de ses petites amies, qui s’en agacèrent et en furent, pour certaines,
troublées, comme tu le fus toi-même à ta manière.
Dès que le consentement sexuel est psychologiquement et légalement
possible (en France, à partir de quinze ans), l’affaire prend une toute autre
tournure. Tu te souviens d’avoir vu dans un restaurant de Lyon un prêtre
en soutane dîner en tête-à-tête avec un jeune homme plein de charme et
d’élégance, sans doute à peine majeur. Tu te serais cru transporté dans
une scène des Amitiés particulières ou de La Ville dont le prince est un enfant,
sauf qu’ici, à l’évidence, c’était le jeune homme qui flirtait et minaudait,
comme pour attiser les espérances de son mentor. Le désir n’a pas d’âge,
et il souffle où il veut.
1. Tu t’abstiens de nommer ici l’odieux criminel belge qui défraya la chronique en 1996 : la
damnatio memoriæ paraît seule adaptée.
2. Voir Françoise Lavocat, Fait et Fiction : pour une frontière, Paris, Le Seuil, 2016, p. 297-302.
PERMUTABILITÉ
2. « Non à la police des consciences et des corps. Contre la loi sur l’abolition de la
prostitution », Le Monde, 22 décembre 2011, p. 21.
REFUGES
Actif / passif, top / bottom : les discours sur les gais, ceux qui les
décrivent de l’extérieur comme ceux qui émanent des gais eux-mêmes,
veulent à toute force t’imposer une catégorisation binaire structurée
autour de la pratique de la pénétration. Il y aurait ceux qui pénètrent,
d’un côté, et ceux qui se font mettre, de l’autre : on dirait une boutique
de bricolage, avec son rayon électricité divisé entre des étagères, à droite,
pour les prises mâles et, à gauche, pour les prises femelles. Soit l’un, soit
l’autre, on n’en sort pas, le monde tourne bien rond, et voici le bon
peuple rassuré.
Il existe en outre, dans les rubriques des petites annonces et des
réseaux de rencontre, ceux qu’on nomme versatiles, lesquels pratiquent les
deux positions. Ceux-là ne changent rien à l’économie générale du
discours, fondée sur la structure de l’emboîtement, électrique ou non : ils
ne font qu’alterner les deux pratiques (ou les mêler, dans le cas de
relations entre plusieurs partenaires simultanés), sans remettre en cause la
dichotomie fondamentale. Si la versatilité constitue une catégorie
intermédiaire, elle ne fait que confirmer l’existence de deux pôles
principaux entre lesquels se peut définir une position médiane.
Que les hétérosexuels se représentent les relations sexuelles entre deux
hommes en s’en tenant à ce schéma duel simpliste, tu ne saurais trop leur
en vouloir, tant leur univers mental est marqué durablement par l’image
de la copulation. Celle-ci demeure, malgré mille autres pratiques
possibles, l’acte sexuel de base entre un homme et une femme, le seul en
tout cas qui permette la reproduction. Qu’un hétérosexuel ne puisse se
figurer une relation sexuelle entre deux hommes que sur le mode de la
copulation, simulée, feinte, piètrement imitée bien sûr, voilà qui va de
soi. La sexualité gaie serait condamnée à proposer au mieux une parodie
ou un succédané de la pénétration hétérosexuelle. Sodomie, faute de
mieux.
Par un effet de simplification supplémentaire, les représentations
populaires font de tous les gais des « enculés », alors que la logique pure
voudrait qu’il y en eût aussi d’« enculeurs », comme le sait n’importe quel
usager du réseau électrique : pas de prise femelle sans son équivalent
mâle. Tu vois bien comment cette réduction abusive des gais au rôle
passif fonctionne à la fois comme une insulte homophobe et un jugement
misogyne, fondée comme elle l’est sur une dévalorisation du rôle
féminin, réputé indigne d’un homme véritable. Un hétéro de ta
connaissance avouait par plaisanterie se mettre dos au mur chaque fois
qu’il croisait tel collègue gai : voilà au moins un homophobe qui avait
compris la complexité de la situation. Il faut croire qu’ils ne sont pas tous
stupides.
Tu comprends moins facilement pourquoi les gais eux-mêmes ont
adopté cette bipartition simplificatrice entre actifs et passifs, sinon parce
qu’ils sont dominés par les représentations majoritaires. L’hétérosexualité
habite leurs esprits et leur vision du monde à défaut d’orienter leurs
désirs.
Il n’y a pas de raison, autrement, que la sexualité gaie suive le modèle
hétérosexuel. Le plaisir s’obtient de tant de façons, les organes ont tant
d’usages, le corps propose une surface d’une telle flexibilité, où tout peut
devenir enjeu sexuel pour peu que tu y veuilles bien prêter quelque
attention. La sexualité gaie, telle que tu la connais, se pratique
singulièrement en surface : la peau n’est rien qu’un vaste empire dont
l’exploration peut se poursuivre de toutes les manières et presque sans
limite. Le monde hétérosexuel ne l’ignore pas, mais il restreint
ordinairement l’usage de la caresse à la fonction de préliminaire avant
pénétration, simple mise en appétit avant la pièce maîtresse obligée.
Que la pénétration ne soit nullement requise dans la sexualité gaie
libère cette dernière et l’ouvre à une réjouissante variété d’expériences. Il
s’agit d’un jeu de l’esprit et de la parole non moins que du corps. La
véritable dichotomie est celle non pas de l’actif et du passif, mais entre les
sexualités de surface et les sexualités de profondeur, entre l’exploration et
l’invasion, entre le toucher et la pénétration, entre la bidimensionnalité
de l’étendue et l’unidimensionnalité de la hauteur. Point d’échelle de
valeur, ici : juste l’intérêt de décrire au plus près les usages.
Tant d’autres dichotomies artificielles devraient être déconstruites, la
première étant sans doute celle de l’hétérosexualité et de l’homosexualité,
alors qu’existent tant de variations et de nuances individuelles, bien au-
delà de ces structurations conceptuelles imposées par la médecine et la
psychologie du XIXe siècle. Quatre catégories se sont récemment
imposées : les lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres. C’est sans doute
encore trop peu. On oppose aux sexualités queer les straight : le risque est
toujours de rigidifier une antinomie trop facile.
(Pendant que tu écris ces lignes, tes voisins hurlent à la mort lors d’une
séance de domination sadomasochiste que tu n’oses trop te représenter,
invitant dans ton livre une sexualité supplémentaire que tu n’avais pas
songé à y faire figurer de prime abord : tu remercies le réel et les fenêtres
ouvertes1.)
Chaque individu est lui-même multiple, divers, ondoyant. Tu ne
cesses de découvrir en toi des aspects nouveaux qui n’entrent pas dans les
cases prédéterminées. Ainsi es-tu le premier surpris de constater qu’un
film pornographique bisexuel, c’est-à-dire mêlant des hommes et des
femmes dans des postures variées, produit sur toi plus d’effet qu’un film
purement gai, alors même que tu n’éprouves strictement aucun désir de
type hétérosexuel, même à regarder ces scènes. Quelque chose d’autre se
passe, que tu ne saurais trop définir, mais qui accroît ton intérêt – le
sentiment, illusoire ou non, que dans ces films les garçons manifestent
une complicité masculine en se donnant entre eux plus de plaisir qu’avec
les filles, le souvenir peut-être des premiers films pornographiques que tu
vis dans des salles classées X ta majorité venue. (Chacun ses madeleines :
tu n’es pas particulièrement fier de celle-ci, mais Proust, après tout, ne
s’est pas non plus privé d’intégrer dans La Recherche ses fantasmes
intimes.)
Dans quelle case nouvelle et inconnue vas-tu devoir te placer ? Les
GTBSO (gais à tendance bi et straight occasionnelle) ? Seras-tu plutôt
sud-est ou sud-sud-est ? La rose des vents de la sexualité connaît presque
autant de nuances que de personnes et de moments. Il te paraît plus
sérieux de ne pas multiplier les catégories à l’infini. Le rasoir d’Ockham
doit s’appliquer en ce domaine aussi, et la plurivalence des termes et des
concepts être reconnue.
Longtemps tu t’es demandé comment une camarade de lycée avait pu
utiliser l’adjectif bandant pour qualifier tel garçon de ta connaissance. Tu
ne comprenais pas même ce qu’elle avait voulu dire : si une femme ne
peut pas bander au sens physiologique du terme, tu ne croyais pas qu’en sa
bouche le mot pût garder le même sens littéral qu’en la tienne. Outre
que tu étais mal renseigné sur la physiologie féminine, c’était surtout
méconnaître la versatilité non pas des hommes, mais des termes et des
concepts, et leur absence de congruence avec la réalité : les affects et les
sentiments sont plus nombreux que les mots du vocabulaire, et les limites
entre eux ne passent pas nécessairement là où on les attendrait. Ta
camarade de lycée te donnait sans le savoir ta première leçon de remise
en question des préjugés et des fausses dichotomies en matière de
sexualité. Et sans doute même la distinction de la surface et de la
profondeur, que tu viens pourtant de poser, mériterait d’être nuancée à
son tour. Tu lui trouves au moins l’avantage de rebattre les cartes et de
perturber les représentations toutes faites.
1. Tu remercies également Jean-Philippe Toussaint, dont l’étonnant Made in China, que tu lis
en ce moment, t’a inspiré cette métalepse audacieuse.
TAILLE
1. Le 11 juin 2016, alors que tu récrivais le présent chapitre, tu choisis pour cet ami le
pseudonyme d’Orlando. Le lendemain, dans la ville du même nom, en Floride, se produisit
l’atroce massacre qui fit une cinquantaine de victimes dans une discothèque gaie. Elles eurent le
malheur de vivre pour leurs derniers instants ce que tu t’étais contenté de rêver et de raconter.
Avais-tu pressenti leur mort violente ? La leur avais-tu préparée à ton insu ? Tu ne peux
t’empêcher de te demander, par un absurde sentiment de culpabilité, si tu ne fus pas la source
invisible et inconsciente de leur destin et si, en choisissant un autre pseudonyme, tu n’aurais pas
détourné, voire annulé le sort – à supposer, bien sûr, que tu n’eusses pas dénommé ton ami
Austin, Pâris ou Francisco. Et si l’écrivain ne prédisait pas l’avenir, mais le provoquait purement et
simplement ? oserais-tu souffler au Pierre Bayard du Titanic fera naufrage.
URGENCE
abeilles, 17
acclimatation, 64-65
actif / passif, 128, 145-146, 157
Act Up, 53
Afrique, 51
Aides, 53
Alexandre le Grand, 17
Alger, 48-49
Allemagne, 87, 97
amitié, 29-30, 48, 73, 75, 89, 104, 137
Amitiés particulières (Les), 126
amour, 36-37, 41, 44, 47, 71, 73-74, 103, 105, 163-165
Angelico (Fra), 66-67
Antiquité, 135-138
Apollon du Belvédère, 58-60, 96
Apulée, 138
Aristote, 9, 165
asymétrie, 17, 120, 127-128, 143-144, 157
Augustin d’Hippone, 12
autodidacte, 116, 118
avion, 32, 97, 99, 111
Aznavour (Charles), 40
backroom, 39-40, 43
Badinter (Élisabeth), 134
baleine, 13, 51, 53
Balzac (Honoré de), 66, 109
bandant, 21-22, 29, 31, 58, 148
Barthes (Roland), 13, 40, 110
bateau, 99, 153-154
Bayard (Pierre), 153
Beaupain (Alex), 65
Benoît XVI, 76
Berlin, 97
bibliothèque, 21, 91, 103, 160
bicyclette, 149-152
Billy Budd, 137
Borges (Jorge Luis), 95-96
Bouddha, 76, 164
Boule de suif, 133
Bourdelle (Antoine), 23-24
Brown (Dan), 77-79
échiquier, 88, 91
Eco (Umberto), 78
Eggert (Barbara), 35-37
Églises, 17, 39-42, 51, 71-79, 124, 135, 163
Eisenstein (Serguei), 68
Eliacheff (Caroline), 134
Ellison (Ralph), 98
Éribon (Didier), 15
étrangement, 11-12, 30, 63-69, 164
organes génitaux, 13, 22-24, 81-86, 89, 91, 102, 108, 122, 135, 139,
146, 149-152
Orlando (Floride), 51, 153
Oshima (Nagisa), 13, 81-86
Paris, 92, 153-154
parité, 19
Paul de Tarse, 76, 79
pédérastie, 48, 101, 124, 137-138
Pékin, 28-29
Pétrone, 138
Piaf (Édith), 65
Pindare, 138
piscine, 89
Pise, 49
placard, 37, 40, 111-112, 117
Platon, 10, 17, 52, 58-61, 76, 101-102, 105, 137-138, 165
Platters (The), 65
Plotin, 165
Poe (Edgar Allan), 92
pornographie, 13, 32, 52, 83-84, 108, 110, 129, 133, 147, 149, 161
prêtre, 71, 124, 126, 134, 151-152
promiscuité, 159-160
pronom, 12, 107-110
Proust (Marcel), 10, 13, 17, 40, 67, 93, 98, 147
psychanalyse, 9, 18, 85, 115, 139-141
pyjama rose, 28-29
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
ISBN 9782707344144