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RÉUSSIR

EN ÉQUIPES
De zéro à un milliard : comment coconstruire

la croissance avec les équipes et les clients

Préface à l’édition française de Carlos Tavares

Michael Ballé
Nicolas Chartier
Guillaume Paoli
Régis Medina

RÉCITS ET SECRETS D'UNE RÉUSSITE


INCROYABLE PAR
INCROY
INCROYABLE PAR LES FONDA
FONDATEURS
FONDATEURS
D'ARAMISAUTO
D'ARAMISA
D'ARAMISAUTO
A vec un simple téléphone et un ordinateur portable, Nicolas Chartier et Guillaume Paoli
ont créé une start-up de vente de voitures en ligne qui a aujourd’hui dépassé le mil-
liard d’euros de chiffre d’affaires et qu’ils ont menée jusqu’à l’introduction en Bourse.
Leur volonté de fonder une entreprise pérenne les a vite confrontés aux contradictions
de la croissance et de la rentabilité, de la satisfaction des clients et de l’épanouissement
des collaborateurs, de l’ajout de nouvelles offres, fonctions et systèmes face au poids de
la complexité.
Réussir en équipes raconte leur rencontre avec le lean : comment cette méthode de mana-
gement innovante leur a permis de changer de regard en résolvant les problèmes avec les
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équipes pour la satisfaction de chaque client, et de maintenir la dynamique et la vitalité de
l’entreprise face au changement d’échelle.
La lecture de cet ouvrage vous donnera les clés d’un management sincère et performant
qui a appris à concilier apprentissage individuel et intelligence collective, réussite de cha-
cun et réussite de l’entreprise.
Vous y trouverez comment les fondateurs et leurs équipes ont su transformer les crises
en opportunités, comment ils ont coconstruit cette réussite à partir des idées et des initia-
tives de tous, et comment ils continuent à innover pour réussir en équipes les virages du
digital, de l’économie circulaire et de la voiture électrique.

Avant-propos de Dan Jones

MICHAEL BALLÉ est chercheur NICOLAS CHARTIER est cofon-


en sociologie cognitive et étudie dateur d’Aramis Group, créé
© Nicolas Chartier
Bjorkman
Ballé

le Lean Management depuis en 2001. Il est également


30 ans. Il est cofondateur le coauteur de Devenir un leader
Michael
© Paul

de l’Institut Lean France, du lean avec un sensei (Eyrolles,


magazine web planet-lean.com 2020).
et auteur de nombreux ouvrages de management.

RÉGIS MEDINA, pionnier des GUILLAUME PAOLI est cofon-


Anne-Lise Seltzer

méthodes agiles puis du Lean dateur d’Aramis Group, créé


Paoli
© Régis Medina

IT en France, accompagne les en 2001. Il accompagne en tant


© Guillaume

dirigeants de star-up en forte qu’administrateur plusieurs


croissance dans leur transfor- fonds de dotation et sociétés
mation Lean. Parallèlement, il digitales.
anime l’Académie Lean pour les scale-up au sein de
l’Institut Lean France.
G0100853_ReussirEnEquipe_EXE.indd 1

Réussir
en équipes
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05

www.editions-eyrolles.com

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Cet ouvrage a été originellement publié


en anglais sous le titre Raise the Bar
par les éditions Keenly Press (2022).

Traduction de l’anglais : Antoine Haguenauer

Depuis 1925, les éditions Eyrolles s’engagent en proposant des livres


pour comprendre le monde, transmettre les savoirs et cultiver ses passions !

Pour continuer à accompagner toutes les générations à venir, nous travaillons


de manière responsable, dans le respect de l’environnement. Nos imprimeurs
sont ainsi choisis avec la plus grande attention, afin que nos ouvrages soient
imprimés sur du papier issu de forêts gérées durablement. Nous veillons
également à limiter le transport en privilégiant des imprimeurs locaux.
Ainsi, 89 % de nos impressions se font en Europe, dont plus de la moitié
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En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent
ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation
du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions Eyrolles, 2023, pour la traduction


ISBN : 978-2-416-00853-5
Michael Nicolas Guillaume Régis
BALLÉ CHARTIER PAOLI MEDINA

Avant-propos de Daniel Jones


Préface de Carlos Tavares
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Réussir
en équipes
De zéro à un milliard :
comment coconstruire la croissance
avec les équipes et les clients
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Sommaire 29/11/2022 15:2

Préface ........................................................................................................................... 9
Avant-propos ............................................................................................................... 13
Les auteurs ................................................................................................................... 17
Introduction................................................................................................................ 19

Chapitre 1
La magie du digital .................................................................................................. 29
Simplifier................................................................................................................ 34
Connecter .............................................................................................................. 36
Automatiser ........................................................................................................... 37
Prévoir ..................................................................................................................... 38

Chapitre 2
Au-delà des nouvelles fonctionnalités.............................................................. 41

Chaque client a sa propre histoire .................................................................. 46


Les silos fonctionnels priment toujours sur l’activité ............................... 56
Les motivations des gens évoluent ................................................................. 60
Quand le patrimoine et l’héritage deviennent difficiles
à distinguer l’un de l’autre ................................................................................ 65

Chapitre 3
Préparez-vous à la croissance, puis au déclin ............................................... 69
Un chemin différent .......................................................................................... 74
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Chapitre 4
Aller voir ....................................................................................................................... 77
Est-ce que ceci est normal ou anormal ? ...................................................... 80
La découverte
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 5 des points de connaissance................................................... 82 29/11/2022 15:2

Les problèmes sont singuliers .......................................................................... 87


Aller sur le terrain pour trouver des problèmes, pas pour les régler .... 94
Des processus aux points de connaissance .................................................. 100

Chapitre 5
Inspirer une culture de l’apprentissage ........................................................... 105
Soutenir les managers de terrain pour développer
une culture de croissance .................................................................................. 107
Visualiser les écarts de processus pour créer des opportunités
d’apprentissage ..................................................................................................... 113
Débusquer les idées fausses .............................................................................. 120
La visualisation change la culture .................................................................. 124
Continuer à chercher .......................................................................................... 126
S’approprier la performance ............................................................................. 128

Chapitre 6
Orienter et soutenir.................................................................................................. 133
Faire face aux problèmes ................................................................................... 140
Les mauvaises nouvelles d’abord .................................................................... 144
Une source d’avantage concurrentiel............................................................. 149

Chapitre 7
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble .......................................... 155
La magie de la visualisation ............................................................................. 155
Nettoyer la fenêtre pour soutenir l’amélioration ....................................... 164
Enseigner l’autonomie dans la résolution de problèmes.......................... 167
L’apprentissage par les problèmes ................................................................... 172
Faire face aux problèmes ensemble : un tremplin vers
une culture de croissance .................................................................................. 174
Sommaire 7

Chapitre 8
Pratiquer le travail en équipe .............................................................................. 179
La collaboration : le fruit d’une volonté, pas un acquis .......................... 184
Des relations de confiance................................................................................
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Cadrer, c’est important ...................................................................................... 189


Discovery versus delivery ..................................................................................... 197
Partage du cheminement de la pensée
pour construire la confiance ............................................................................ 199
Le secret du succès de Toyota .......................................................................... 201

Chapitre 9
Les outils du travail en équipe ............................................................................ 207
Les A3 ..................................................................................................................... 208
Apprendre à « pitcher » ...................................................................................... 212
Transformer les systèmes en véritables enablers pour créer
une chaîne d’aide ................................................................................................. 216
L’obeya...................................................................................................................... 220
Un système pour soutenir le travail d’équipe à tous les niveaux .......... 223
L’équipe d’abord .................................................................................................. 227

Chapitre 10
Comment en sommes-nous arrivés là ? ............................................................ 233
Les quatre étapes d’un état d’esprit de croissance ..................................... 235
Orienter, engager, impliquer ............................................................................ 240

Chapitre 11
Encourager l’initiative à tous les niveaux ...................................................... 249
Leaders d’équipe : faire preuve de respect
pour soutenir des équipes avec un état d’esprit de croissance ............... 253
Managers de terrain et managers intermédiaires : la chaîne d’aide .... 256
Directeurs : pratiquer le travail en équipe pour créer
une organisation facilitante .............................................................................. 263
8 Réussir en équipes

Fondateurs et dirigeants : aller voir pour découvrir


les problèmes et visualiser la ligne de mire .................................................. 266
Coconstruire des solutions à tous les niveaux ............................................ 268
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Chapitre 12
Placer la barre plus haut ........................................................................................ 271
« Assurer les bases »............................................................................................. 274
Développer l’activité ........................................................................................... 277
Une nouvelle façon de comprendre la stratégie ......................................... 279

Chapitre 13
La performance est une affaire personnelle .................................................. 283
La performance repose sur l’attitude ............................................................. 284
Le lean est un système d’apprentissage ......................................................... 290
Un processus de réflexion différent ............................................................... 295
Le système est un point de départ, pas d’arrivée ....................................... 300

Chapitre 14
Partager l’innovation .............................................................................................. 303
L’innovation n’a pas de valeur tant qu’elle ne fonctionne pas
pour les clients ...................................................................................................... 310
Ce n’est pas la quantité de connaissances qui compte,
mais la qualité de l’apprentissage .................................................................... 316

Chapitre 15
Ce que nous savons maintenant ......................................................................... 319
Un modèle d’innovation fondé sur les suggestions .................................. 320
L’attitude des dirigeants fait la différence .................................................... 327
L’innovation en continu .................................................................................... 329
Conclusion ................................................................................................................... 333
Remerciements ........................................................................................................... 341
Index ............................................................................................................................... 345
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Préface 29/11/2022 15:2

Les principes darwiniens prédominent dans le contexte chaotique de


l’économie en général et particulièrement dans l’industrie automobile,
où règne une concurrence sans égale, associée à des enjeux de transfor-
mation discriminants en termes de pérennité. Dans bien des cas, c’est
littéralement s’adapter ou disparaître.
Chez Stellantis, nous considérons le changement comme une oppor-
tunité, le statu quo comme un poison, car nous avons l’innovation et
l’esprit d’entreprise chevillés au corps.
Nous pensons aussi que dans un monde en changement permanent,
l’agilité et la vitesse sont les leviers clés. C’est avec cette conviction que
nous nous sommes très tôt intéressés au monde des start-up.
L’un des tout premiers investissements dans une start-up avec
un grand potentiel de croissance a été celui que nous avons effectué
dans Aramis Group en 2016, alors qu’en parallèle était créée l’actuelle
Business Unit « Véhicules d’Occasion » de Stellantis.
Le marché de l’occasion, longtemps regardé par les constructeurs avec
un certain dédain, est en réalité essentiel à la performance du business
automobile. En Europe, selon les pays, il représente en moyenne deux à
trois fois le marché du véhicule neuf en volume, et s’avère souvent être
un levier fondamental pour finaliser la vente d’un véhicule. Aussi, nous
avons décidé d’être présents tout au long de la chaîne de valeur et de la
durée de vie des véhicules.
10 Réussir en équipes

Six années après cet investissement, le retour d’expérience montre


que la création de valeur a été remarquable pour cette initiative avant-gar-
diste. Aramis Group fait partie intégrante de l’écosystème des véhicules
d’occasion de Stellantis tout en bénéficiant d’une grande liberté mana-
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gériale, condition à mes yeux essentielle pour conserver la dynamique


de départ et l’oxygène nécessaire dans la gestion au quotidien.
Le succès n’est pas uniquement financier, car nos deux entreprises
ont appris l’une de l’autre, avec comme résultante la mise en place d’un
commerce de véhicules d’occasion de référence, épousant les standards
du véhicule neuf et dépassant même ce dernier en matière de digitalisa-
tion du parcours client.
C’est ce type de coopération, permettant une fertilisation croisée,
qu’il est important de développer pour s’adapter en permanence à un
environnement économique et normatif en mouvement perpétuel.
Ainsi, nous engendrons des systèmes de création de valeur résilients,
en associant des équipes aux compétences protéiformes, travaillant de
concert, dans un climat de confiance, de respect mutuel avec, comme
point cardinal, la qualité du parcours client et la création de valeur.
Maintenir le niveau d’excellence requis nécessite une mise en ten-
sion permanente du système, afin de challenger au quotidien méthodes
et process, en repoussant les limites sans tabou et avec détermination,
afin de faire la différence avec nos concurrents. Le parcours d’Aramis
en est une illustration pertinente.
C’est précisément cet ADN qui fait le succès d’Aramis Group auprès
d’une clientèle de plus en plus nombreuse et fidèle.
Les conditions du succès d’Aramis Group sont finalement les mêmes
que celles qui prévalent au sein de Stellantis : recherche permanente
de la performance, rigueur, qualité d’exécution, introduction d’inno-
vations technologiques et digitales et surtout, attention obsessionnelle
consacrée à la qualité du parcours client. Les principes fondamentaux
sont indépendants de la taille.
Préface 11

Ce livre raconte l’histoire d’une sucess-story, celle d’Aramis Group,


d’une belle aventure humaine, car l’entreprise n’est pas une réalité
désincarnée.
Je suis heureux de vous en recommander la lecture.
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Carlos Tavares
Chief Executive Officer, Stellantis
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Avant-propos 29/11/2022 15:2

Réussir en équipes est la clé d’une croissance durable dans un monde


d’incertitudes : c’est un double défi car il faut non seulement réussir à
travailler en équipes mais surtout à créer une équipe d’équipes. Ce livre
montre qu’il est possible de faire croître une entreprise de 0 à 1 milliard
d’euros de chiffre d’affaires sans perdre le sens du client ou le souci
de créer un environnement de travail satisfaisant et motivant pour les
collaborateurs – dans les termes des fondateurs, toujours rester « pro
et sympa ». La start-up digitale AramisAuto, en s’inspirant de la stra-
tégie lean qui a permis à Toyota de devenir la plus grande entreprise
automobile du monde, a réussi à changer d’échelle en protégeant son
esprit entrepreneurial, sans succomber au poids de la complexité et de la
bureaucratie qui accompagnent nécessairement la croissance. L’ouvrage
décrit ce parcours du point de vue des fondateurs et de leurs sensei – ou
professeurs – avec qui ils ont défriché le chemin en allant ensemble
sur le terrain, observant, questionnant et encourageant à toujours faire
mieux. Les auteurs racontent comment leur façon de penser a évolué au
fur et à mesure qu’ils découvraient et se confrontaient aux problèmes
rencontrés par les collaborateurs, comment ils ont appris à créer une
culture d’engagement et de résolution des problèmes, de manière à faire
face collectivement aux défis et aux crises inévitables dans la vie de toute
entreprise.
Ce récit est important pour trois raisons. Premièrement, il montre
qu’il ne s’agit pas d’avoir raison sur tout et de dire aux collaborateurs ce
14 Réussir en équipes

qu’ils doivent faire. Il faut, tout au contraire, les encourager à envisager


les problèmes à résoudre et leur donner la méthodologie et le soutien
nécessaires pour agir eux-mêmes, de manière à découvrir ensemble de
nouvelles pratiques dans le « brouillard de la guerre ». Cette approche
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centrée sur les personnes a pour fondement l’apprentissage par la résolu-


tion de problèmes. Il ne suffit pas d’embaucher les meilleurs talents, il
faut aussi apprendre à les développer pour accompagner le succès de
l’entreprise par leur enrichissement personnel afin de continuer à croître
et à prospérer.
Deuxièmement, cette histoire montre que la réussite d’idées inno-
vantes dépend de la résolution rapide et soutenue des problèmes à chaque
nouvelle génération de produits. Un changement d’échelle rapide doit
autant s’appuyer sur l’expérience des clients que sur celle des collabora-
teurs pour explorer les conditions techniques et développer des points
de connaissance susceptibles d’être reproduits. Au final, cette capacité
d’apprendre et de s’adapter distingue les gagnants des perdants.
Troisièmement, ce récit témoigne également du fait que l’aptitude à
résoudre les problèmes et à opérer un changement d’échelle rapide est
exactement ce qu’il faut pour répondre à la crise climatique en misant à
fond sur l’économie circulaire. Pionnière du reconditionnement indus-
triel des voitures de seconde main, l’entreprise apprend à remettre à
niveau des véhicules avec de plus en plus de kilométrage. Le savoir-
faire de résolution de problèmes partagé à tout moment par tous permet
en particulier de découvrir et d’expérimenter différentes manières de
s’attaquer à de nouvelles problématiques que personne ne sait encore
résoudre. Formuler ces problèmes comme des lacunes à combler per-
met de hiérarchiser les actions. Cela donne aux dirigeants la confiance
nécessaire pour accepter ces nouveaux défis au cœur de leur stratégie,
plutôt que de traîner des pieds pour protéger les actifs existants.
Avant-propos 15

Réussir en équipes est un livre remarquable et unique dont chaque


dirigeant pourra tirer des leçons précieuses pour son propre parcours. Il
changera votre façon de penser la stratégie d’entreprise !
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Daniel Jones,
Ross-on-Wye
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Les auteurs 29/11/2022 15:2

Michael Ballé, PhD, est auteur, coach de dirigeants et chercheur en


management. Il étudie les transformations lean depuis trente ans et aide
les dirigeants à développer leur propre culture lean. Il est le coauteur de
la trilogie du Gold Mine (The Gold Mine2 , The Lean Manager3 et Lead
with Respect4), de The Lean Strategy5, The Lean Sensei, Lead with Lean6
et d’autres titres. Ses travaux ont été traduits en dix langues et ont reçu
quatre prix Shingo. Il est le cofondateur de l’Institut Lean France et
dirige la collection « Dynamiques d’entreprises » chez L’Harmattan.
Nicolas Chartier est cofondateur d’Aramis Group, créé en 2001.
Coauteur de Devenir un leader lean avec un sensei7 et diplômé de la
Kedge Business School de Bordeaux, il a commencé sa carrière chez
Vinexpo, une société d’événementiel pour le secteur des vins et spiri-
tueux, en tant que responsable du bureau de Hong Kong. En 1999, il a
occupé le poste de responsable de la zone Afrique et Moyen-Orient de
la société Baron Philippe de Rothschild, toujours sur le marché du vin.
De 2000 à 2001, il a été directeur général de SEBO.

2 F. Ballé et M. Ballé, The Gold Mine, Lean Enterprise Institute, Brookline, MA, 2005.
3 F. Ballé et M. Ballé, The Lean Manager, Lean Enterprise Institute, Cambridge, MA, 2009.
4 F. Ballé et M. Ballé, Lead with Respect, Lean Enterprise Institute, Cambridge, MA, 2014.
5 M. Ballé, J. Chaize, O. Fiume et D. Jones, The Lean Strategy, McGraw Hill, New York, 2017.
6 M. Ballé, Lead with Lean, CreateSpace, 2016.
7 M. Ballé, P. Bierma, N. Chartier, P. Coignet, D. Powell, S. Olivencia, et E. Reke, The Lean
Sensei, Lean Enterprise Institute, Boston, 2020.
18 Réussir en équipes

Guillaume Paoli, cofondateur d’Aramis Group, est diplômé en


marketing de l’ESSEC à Paris. De 1997 à 1999, il a travaillé comme
chef de projet des nouvelles marques européennes et chef de marque
chez Unilever, un leader mondial du marché des produits de consom-
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mation. Il a ensuite occupé le poste de directeur marketing de SEBO


de 2000 à 2001. Depuis 2018, il est membre du conseil d’administra-
tion de Brigad, une start-up qui met en relation travailleurs et entre-
prises, leur permettant de trouver instantanément les meilleurs profils
pour des tâches ponctuelles. Il est également membre depuis 2014 du
comité stratégique de RAISE France, société de capital-risque et fonds
de dotation qui vise à promouvoir l’économie à impact et la finance
philanthropique.
Régis Medina a été l’un des tout premiers pionniers des métho-
dologies agiles, à la fin des années 1990. En 2009, il s’est lancé dans
l’exploration des pratiques de Toyota, pour finalement effectuer plu-
sieurs voyages d’étude au Japon. Dans le même temps, il a collaboré avec
plus de cent équipes pour adapter ce modèle aux entreprises modernes
du secteur des technologies. Il travaille aujourd’hui avec d’éminents
entrepreneurs de la communauté tech française pour créer des scale-up à
croissance rapide et à forte capacité d’adaptation.
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Introduction 29/11/2022 15:2

En juin 2021, nous avons introduit en Bourse sur Euronext la société


que nous avions fondée vingt ans auparavant dans le cadre de l’une
des plus grandes cotations de l’histoire de cette place de marché. Il
y a vingt ans, nous nous étions lancés dans cette aventure entrepre-
neuriale avec un téléphone et un ordinateur portable dans le studio de
Nicolas, dix jours à peine après la tragédie du 11 septembre 2001 et à
quelques mois de l’éclatement de la bulle Internet. Nous étions pas-
sionnés d’automobile et notre projet était de tirer parti du web naissant
(Amazon en était à ses balbutiements) pour transformer la façon dont
les gens achetaient des voitures. À l’époque, tout le commerce automo-
bile était centré sur l’intérêt des constructeurs, et nous pensions pouvoir
faire mieux en mettant les besoins des clients en avant et en supprimant
les (nombreux) points de friction qui émaillent le processus d’achat du
point de vue du client.
Ce faisant, au-delà de la transformation digitale, nous avons éga-
lement rencontré ce qui allait s’avérer l’un des plus grands challenges
de notre époque : développer un modèle d’économie circulaire pour
réduire l’impact humain sur la planète. À l’écoute de nos clients, nous
avons compris qu’ils recherchaient de plus en plus le partage, le lea-
sing et l’achat de voitures d’occasion reconditionnées. Afin de contrô-
ler la qualité, nous avons créé la première usine de reconditionnement
de véhicules de seconde main en France et nous sommes à présent en
train d’étendre cette activité à toute l’Europe. Au fur et à mesure de
20 Réussir en équipes

l’expansion de l’entreprise, ce qui était au départ une réponse purement


pragmatique aux attentes de nos clients est devenu un engagement
ferme de contribuer à rendre la commercialisation et la consommation
d’automobiles plus durables et plus responsables.
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Après coup, le succès colore le chemin parcouru et la voie semble


avoir été tracée d’avance. Il n’en est rien. Comme chacun sait, la réalité
est parsemée d’embûches et de défis surprenants. La croissance procède
par crises et chacune d’elles doit être négociée astucieusement, incluant
une dose solide de chance pour que la trajectoire de succès se poursuive.
L’histoire que nous voulons raconter est la suivante : nous savions que
l’expansion de l’entreprise entraînerait de sérieux défis, sur le plan de
la satisfaction des clients et de nos capacités opérationnelles (les deux
sont intimement liées), et nous nous sommes évertués à trouver com-
ment y répondre, en essayant diverses solutions et en commettant de
nombreuses erreurs. Nous nous y attendions : nous avions dès le départ
une vision assez claire de l’entreprise que nous souhaitions construire
(tournée vers le client, digitale, et pensée comme un lieu sympathique
où il fait bon travailler), mais nous n’avions pas d’idée préconçue sur la
manière d’y parvenir.
Apprendre ou mourir : c’est ce que nous nous étions dit,
mi-plaisantant, mi-sérieusement, lorsque nous avons créé l’entreprise
en 2001. Comme la plupart des start-up qui réussissent, nous avons
connu un démarrage très progressif puis soudain une croissance rapide.
En 2007, nous avons fait le buzz en tant que « gazelle » – pour reprendre
le terme de David Birch qui décrit les start-up en hypercroissance.
Toutefois, après une décennie de travail acharné pour répondre à la
demande, la croissance se mit à ralentir. Une de nos pires craintes était
en train de se réaliser. Comme beaucoup de start-up, nous avons alors
levé des fonds et dépensé des sommes astronomiques en marketing pour
relancer le moteur de la croissance. À ce stade, le monde des affaires
nous voyait comme un exemple de réussite. En interne, néanmoins,
Introduction 21

nous n’étions que trop conscients de nos problèmes structuraux. Nos


coûts de marketing et nos frais généraux augmentaient plus vite que
notre chiffre d’affaires. Nous avions du mal à garder le contact avec
les clients et décevions trop de gens. Nous consacrions le gros de notre
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énergie à lutter contre des problèmes internes sans fin, et les consé-
quences commençaient à se voir : de bons éléments nous quittaient.
Le plus frustrant était que nous nous rendions parfaitement compte de
ce qui se passait – nous en discutions sans cesse – sans parvenir pour
autant à trouver de solution adaptée à cette crise de croissance qui ne
faisait que s’aggraver.
Nous avions réussi à utiliser le numérique pour éliminer les points
de friction rencontrés par les clients lors de leur expérience d’achat, puis
à industrialiser le processus de reconditionnement afin de contrôler la
qualité et de répondre à la demande croissante de voitures d’occasion
reconditionnées. Nous avions su éliminer complètement certaines de
ces souffrances, comme le stress lié à la négociation avec un vendeur de
voitures, en proposant un prix bas et non négociable sur notre site web.
Nous nous étions efforcés d’en atténuer d’autres, en aidant par exemple
les clients à choisir une voiture parmi plusieurs marques dans notre
showroom virtuel multimarque, leur évitant ainsi de devoir se rendre
physiquement d’une concession à l’autre pour comparer des modèles de
la même gamme. Dans cette optique, nous avions trouvé la promesse
lean d’une « élimination totale du gaspillage » intuitive et séduisante,
car elle semblait assez proche de notre idée de « points de friction » en
élargissant ce concept du client aux collaborateurs et fournisseurs.
En 2012, nous avons lancé une première expérience lean avec un
consultant. Ce fut intéressant mais peu concluant. Nous avons persé-
véré en nous adressant à des consultants spécialisés en lean. Nous avons
obtenu quelques résultats visibles, mais éphémères et loin de répondre
au problème systémique de gestion pérenne de notre croissance auquel
nous étions confrontés.
22 Réussir en équipes

Nous avons investi malgré tout dans notre propre programme lean,
avec un service lean dont la mission était de mener une suite de projets
pour éliminer les gaspillages dans nos processus. Certes, plusieurs de
ces projets ont été couronnés de succès et ont donné des résultats signi-
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ficatifs, mais chaque amélioration de performance s’est avérée difficile


à maintenir. Nos collaborateurs, déjà très pris par leur quotidien, se
plaignaient de la charge de travail due aux projets supplémentaires.
De plus – nous étions alors en 2016 –, la situation générale ne s’amé-
liorait pas. Le succès des projets nous a convaincus du potentiel de la
démarche, mais force était de constater que, sous le poids de l’orga-
nisation, toute initiative revenait très rapidement au fonctionnement
habituel. En outre, nous étions les seuls à penser qu’il y avait vraiment
un problème car, d’un point de vue purement financier, l’entreprise se
portait bien – et l’idéologie de l’époque était de privilégier la croissance
sur la rentabilité. L’EBITDA était correct (sans plus) et nous venions
de nous refinancer avec succès. Cependant, au-delà des chiffres, nous
étions très inquiets des aspects non financiers de l’entreprise, ceux
que la gestion budgétaire ne laissait pas apparaître. Nous avions du
mal à répondre à nos clients comme nous le souhaitions, le site web
avait des ratés à répétition, nos systèmes internes étaient mis à mal et
nos collaborateurs étaient stressés. L’un dans l’autre, ce n’était guère
prometteur.
Pragmatiquement, nous avions appris que les conditions de marché
avaient un impact quasi instantané sur notre rentabilité (nous achetons
et vendons des voitures, notre marge dépend donc principalement de
deux facteurs : la demande et le volume de véhicules sur le marché).
Les décisions internes et les changements de pratiques mettent un à
deux ans à apparaître dans les résultats financiers. Nous cherchions
une façon différente d’aborder les choses. Nous avions essayé de mettre
en place une logistique lean sur notre chaîne d’approvisionnement,
Introduction 23

sans grand succès. La gestion de l’entreprise était devenue frustrante,


car chaque nouvelle tentative pour résoudre nos problèmes semblait
s’enliser.
Nous avons alors suivi le premier conseil de tous les livres sur le
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 22 29/11/2022 15:2

lean : trouver un sensei. Sensei est un terme lean désignant un « expert,


vétéran, coach » : il ne se traduit pas vraiment, car il ne s’agit ni d’un
consultant, ni d’un coach, ni d’un formateur. Dans les arts martiaux,
c’est plutôt un « maître » : quelqu’un qui peut montrer comment prati-
quer le lean plutôt que de le mettre en œuvre lui-même. Lorsque nous
en avons enfin trouvé un et qu’il a accepté de nous rencontrer, nous
lui avons présenté notre programme lean. Fort de ses vingt-cinq ans
d’expérience, pouvait-il nous aider à réussir ? Sa réponse nous a pris
complètement au dépourvu : « Vous ne réussirez pas à mettre en place
du lean, car personne ne le peut. »
Voyant notre incompréhension, il a poursuivi : « Le problème ne
vient pas de votre programme lean. Mais de vous. Vous vous méprenez
sur la nature du lean. Ce n’est pas un programme de chantiers pour
améliorer un processus après l’autre. C’est une stratégie de croissance
qui vise à satisfaire les clients en développant les personnes afin que cha-
cun apporte plus d’intelligence à son travail, et par là, plus de valeur :
plus de qualité, moins de coûts. » Ce n’était pas ce à quoi nous nous
attendions, mais cela semblait correspondre à notre problème. Lorsque
nous avons insisté sur le fait que c’était bien ce lean-là que nous voulions
apprendre, il nous a demandé : « Avant tout, voulez-vous gagner ? Ou
simplement rester dans le coup ? »
Nous étions là pour gagner, lui avons-nous assuré. Nous cherchions
réellement à changer la façon dont les gens achètent des voitures en
facilitant leur achat et nous souhaitions développer l’entreprise de
façon durable et rentable. « Et qu’en est-il de votre personnel ? » a-t-il
24 Réussir en équipes

demandé. Il nous a expliqué que l’objectif du lean est de réunir trois


résultats :

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 23 29/11/2022 15:2

Bénéfices
pour la société

Épanouissement Succès
individuel de l’entreprise

Cela nous a fait réfléchir. Dès le début, nous avions voulu construire
une entreprise différente dans laquelle les personnes pourraient à la fois
réaliser leurs ambitions et faire croître l’entreprise, et nous avions investi
beaucoup de temps et d’efforts dans des programmes de ressources
humaines pour y parvenir. Malheureusement, comme pour nos initia-
tives lean, nous avons dû admettre qu’en fin de compte nous étions en
train de devenir une entreprise normale : les individus étaient devenus
des « ressources humaines » sans aucun plan concret pour lier leur suc-
cès au nôtre.
Notre sensei a continué son questionnement : « Ensuite, êtes-vous
prêts à apprendre, ou cherchez-vous des projets alibis pour maintenir le
statu quo de l’organisation ? » Nous avons affirmé que nous étions prêts
à changer tout ce qui était nécessaire, nous l’avions déjà fait par le passé.
« Bien. Mais êtes-vous prêts à changer votre propre façon de penser ? »
Introduction 25

Jouer pour gagner

Chercher
Prêts à changer
des alibis pour
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 24 notre façon 29/11/2022 15:2
maintenir
de penser
le statu quo

Jouer pour rester dans le jeu

La conversation avait beau être totalement déroutante, nous étions


néanmoins intrigués. De quel type de changement parlait-il ? Il nous a
expliqué que le commerce traditionnel part du principe que le seul but
d’une entreprise est de faire de l’argent. Pour cela, il faut commercialiser
les produits auprès des clients et motiver les gens pour les faire travailler.
Motiver les gens

Rentabilité

Vendre aux clients

Le lean, en revanche, demande de penser à l’envers : commencer par


l’obsession de l’élargissement de la clientèle, impliquer toute l’entreprise
dans l’amélioration de la qualité et la réduction des coûts et gagner de
l’argent en éliminant les erreurs de management qui coûtent si cher et
pèsent si lourd sur le résultat au final – c’est-à-dire éviter les gaspillages
occasionnés par tout le travail inutile qui ne produit pas de la valeur
pour les clients (et qui vient de notre mauvaise compréhension de ce
qu’il faut vraiment faire).
26 Réussir en équipes

Engagement
dans l’amélioration
de la qualité

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 25 29/11/2022 15:2


Satisfaction des clients

Rentabilité
par l’élimination
des gaspillages

Sur le papier, cela se tenait. Nous nous étions investis dans suf-
fisamment d’initiatives qui n’avaient pas abouti pour comprendre le
concept de gaspillage. « Qu’est-ce que cela implique concrètement ? »,
avons-nous demandé.
« Je ne sais pas, a-t-il répondu. Mais je sais où commencer à chercher.
On attaque en allant voir comment les gens travaillent sur le terrain
et en s’intéressant aux réclamations des clients. Par quoi voulez-vous
commencer ? »
Avec le recul, cette première leçon sur le lean s’est avérée l’une des
plus essentielles, et nous y revenons quotidiennement. Les techniques
lean sont un point de départ, elles ne sont pas un point d’arrivée. On ne
connaît pas les réponses à l’avance.
Chemin
vers le succès

Techniques lean

Comme nous étions sur le point de le découvrir encore et encore,


en situation, chacun est certain de détenir une réponse alors que bien
souvent le problème lui-même est mal compris. Les solutions envisagées
sont fréquemment des idées à l’emporte-pièce qui conduisent à rendre
les choses plus difficiles. Contrairement à ce que nous pensions (et à la
façon dont nous avions abordé le lean jusque-là), les pratiques lean ne
Introduction 27

sont pas synonymes d’efficacité : elles révèlent les problèmes pour réunir
les gens, permettent d’explorer ensemble en profondeur les causes et les
conditions du manque de performance, aident à découvrir de nouveaux
points de connaissance susceptibles de modifier le processus avec plus de
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 26 29/11/2022 15:2

formation et de collaboration et, enfin, ont pour effet que le problème


ne se pose plus. Le rôle d’un sensei est de pointer un problème concret sur
le terrain pour qu’on s’attache à le résoudre en essayant des contreme-
sures, dont il faut ensuite étudier les impacts afin de mieux comprendre
le problème. Une fois que les problèmes sont compris et partagés, le tra-
vail en équipe mène à des solutions pragmatiques et durables. C’est une
approche de l’apprentissage par la résolution de problèmes.
Sur le moment, nous n’avions aucune idée de ce qui allait se passer.
Nous ne voyions pas comment nous engager à faire des visites de terrain
régulières – comment le gemba, en termes lean (c’est-à-dire le lieu réel
où le vrai travail est effectué par des vraies personnes), pouvait résoudre
nos problèmes de changement d’échelle de quelque manière que ce soit.
Cependant, nous avions le sentiment d’avoir épuisé toutes les méthodes
classiques et nous étions mûrs pour faire un saut dans l’inconnu. Après
avoir ébranlé les concessions automobiles avec notre offre sur Internet,
nous savions que les solutions à nos difficultés ne se trouvaient pas dans
la façon de penser qui les avait fait naître. Le sensei fit valoir, à juste
titre, qu’ajouter des processus pour contrôler d’autres processus entraî-
nait des coûts supplémentaires pour l’entreprise et exigeait une atten-
tion accrue des collaborateurs, ce qui brouillait encore plus les priorités.
Nous étions prêts à recommencer à apprendre : nous ignorions quoi,
mais nous étions curieux de le découvrir.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 27 29/11/2022 15:2
Chapitre 1

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 28
La magie du digital 29/11/2022 15:2

Le numérique, c’est magique ! Le smartphone que vous avez à la main


est une baguette magique. D’une simple pression du doigt, vous pou-
vez disposer d’une voiture, faire apparaître un objet sur le pas de votre
porte, trouver des informations rares ou faire de la transmission de pen-
sée. Nous avons eu beaucoup de chance. Au début des années 2000,
nous avons reconnu ce potentiel « magique » et nous l’avons appliqué à
l’achat de voitures. Imaginez pouvoir faire l’un des plus gros achats de
votre vie par le simple toucher de votre pouce : surfez sur le site, trouvez
la voiture qui vous plaît, achetez-la, puis faites-la livrer à votre porte.
Nous n’en sommes pas tout à fait là aujourd’hui, car de nombreuses
étapes sont encore trop compliquées pour être réalisées en un seul clic,
mais nous avons mis en place les briques essentielles, jusqu’à l’une de
nos dernières innovations : la livraison à domicile.
Et pourtant, à nos dépens, nous nous sommes aperçus que la magie
de l’Internet est celle du Magicien d’Oz : il y a des machines derrière
le rideau. Pour arriver devant votre porte, le véhicule doit être acquis,
transporté, inspecté, remis en état – s’il s’agit d’une voiture d’occasion –,
puis enfin livré (sans compter les étapes administratives pour la carte
30 Réussir en équipes

grise et le financement). De plus, les systèmes numériques eux-mêmes


doivent être programmés, maintenus, mais aussi évoluer sans arrêt pour
rester à la pointe de la technologie. Tout cela relève plus de l’ingénierie
que de la magie. Nous nous sommes rendu compte qu’il est facile de
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 29 29/11/2022 15:2

« mal » faire et très difficile de « bien » faire. Il est facile de chercher à


résoudre un problème sans se soucier du gaspillage, par l’injection de
capitaux et de ressources, mais il est difficile d’agir de façon durable en
augmentant les revenus plus rapidement que les dépenses.
Les start-up font fureur. Elles sont amusantes, sexy, excitantes, même
si neuf sur dix échouent8. L’échec est tellement fréquent que la Silicon
Valley a fait son mantra du fail fast, soit « échouer vite ». Nous étions
lucides sur le taux de dépôt de bilan élevé des start-up et nous avons
toujours veillé à rester proches de notre marché, à nous entourer de lea-
ders dans notre domaine et à écouter attentivement leurs conseils (qui
n’étaient pas toujours agréables). En réalité, nous étions reconnaissants
de pouvoir bénéficier de leurs lumières sur le marché automobile. Nous
avions toujours géré l’entreprise en privilégiant la trésorerie : nous avons
commencé avec 20 000 euros chacun, puis nous avons levé des fonds
huit ans après la création. Nous avions découvert et adopté la métho-
dologie du lean start-up consistant à construire nos fonctionnalités, à
les mesurer et à apprendre en continu afin, si nécessaire, de pouvoir
changer le plus vite possible. Dans l’ensemble, nous avions le sentiment
d’avoir traversé avec succès les eaux dangereuses de la croissance, pas-
sant d’une start-up « entre soi » à une « véritable » entreprise avec des
points de vente, des clients, des collaborateurs… Nos problèmes à ce
moment-là avaient plus trait au scale-up – c’est-à-dire à un changement
d’échelle – qu’à la croissance.

8 E. Griffith, « Why Startups Fail, according to Their Founders », Fortune, 25 septembre 2014 –
https://fortune.com/2014/09/25/why-startups-fail-according-to-their-founders/
La magie du digital 31

Manifestement, la taille compte, mais paradoxalement réussir à


atteindre une certaine taille est la cause même de l’échec. En un mot,
nous avons grandi parce que nous avons appris, et nous avons appris en
grandissant. « Apprendre ou mourir », tel était l’impératif que nous nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 30 29/11/2022 15:2

étions fixé. De fait, nous nous étions entourés d’idées intéressantes pour
nous aider, de l’agilité au lean start-up. En mode start-up, nous avons
simplement essayé des choses jusqu’à ce qu’elles fonctionnent. Comme
la plupart des entrepreneurs, lorsque nous rencontrions un obstacle,
nous cherchions par tous les moyens à créer une brèche, pour pouvoir
nous y engouffrer et déjouer l’obstacle. Ce faisant, nous apprenions de
nos erreurs, et la plupart de nos standards ont été élaborés à partir de
ces erreurs. Nous avons également appris à tirer parti de toutes les res-
sources à notre disposition, non pas pour résoudre un problème, mais
pour trouver un point d’entrée. Toutefois, nous ne savions pas comment
systématiser l’apprentissage pour changer d’échelle. L’entreprise avait
grandi, mais à plusieurs reprises nous n’avons pas su transmettre l’impé-
ratif d’apprentissage à nos collaborateurs. Cet échec était dans une large
mesure la conséquence de notre approche du management, classique,
par le commandement et le contrôle (command and control).
Donner à quelqu’un une méthode à appliquer ne lui apprend pas à
comprendre les raisons d’utiliser cette méthode, et surtout en quoi les
erreurs passées ont conduit à l’adoption de telle ou telle technique : le
plus souvent, la personne ne voit ni pourquoi cette méthode est néces-
saire ni à quoi elle sert en situation. La plupart des personnes rejoignent
une entreprise pour réaliser un travail spécifique d’une manière précise.
Nous étions très frustrés que les collaborateurs ne se comportent pas
comme des entrepreneurs, secouant le cocotier et contournant les règles
jusqu’à ce que les problèmes soient résolus. Avec le recul, nous consta-
tons aujourd’hui que nos collaborateurs étaient pris dans une injonc-
tion contradictoire : appliquer les standards tant qu’ils ne rencontraient
pas de problème, puis sortir des sentiers battus en cas de problème,
32 Réussir en équipes

jusqu’à trouver un moyen de le contourner. Au fur et à mesure que


l’entreprise grandissait, nous nous retrouvions de plus en plus loin des
problèmes concrets : difficultés clients, bugs informatiques, pataquès
logistiques. Les dirigeants et les financiers que nous connaissions nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 31 29/11/2022 15:2

encourageaient à prendre de la hauteur, à adopter une vue d’ensemble


et à déléguer plus. En même temps, nous constations que les collabora-
teurs n’apprenaient plus aussi vite qu’au début et qu’ils étaient de moins
en moins disposés à le faire. Ils étaient là pour effectuer le travail qui
leur avait été donné.
Pour changer d’échelle, nous avions fait le pari de développer de
nouvelles fonctionnalités. Celles-ci devaient nous permettre de nous dif-
férencier de la vente traditionnelle et de convaincre les investisseurs que
nous développions un avantage concurrentiel structurel sur notre mar-
ché. Il s’agissait d’abord de fonctionnalités orientées clients : pour les
convaincre davantage d’adopter notre service, nous avons développé de
nouvelles fonctionnalités destinées à faciliter l’acquisition de nouveaux
clients. Ensuite, en interne, pour soutenir nos équipes, nous avons inté-
gré de nouvelles fonctionnalités dans nos systèmes afin de les aider à
faire face à un éventail croissant de cas de figure. Ce raisonnement était
largement validé par le mythe d’alors qui voulait que seule la croissance
compte : tant que des fonds sont disponibles, on doit continuer à acqué-
rir de nouveaux clients et le reste suivra. Le problème, quand on fait les
choses de travers, est que la situation empire jusqu’à ce que le service
client en pâtisse et que les clients abandonnent la marque pour une
alternative plus fiable ; dans notre cas, les concessionnaires traditionnels
ou les nouveaux entrants. En revanche, bien faire les choses à chaque
étape entraîne la satisfaction du client et une rentabilité durable. À cette
époque, nous ne voyions pas clairement que notre solution – l’ajout de
nouvelles fonctionnalités – était aussi la source des résistances dans nos
équipes et la raison pour laquelle nous ne parvenions pas à tout faire
fonctionner comme nous le souhaitions.
La magie du digital 33

Après dix ans de croissance effrénée et d’ajouts de systèmes et de


capacités pour répondre à l’attente des clients, qui voulaient toujours
plus de choix sur le site, nous avons senti dès 2010 que nous avions du
mal à vendre des voitures zéro kilomètre et que la qualité du service se
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 32 29/11/2022 15:2

détériorait.
50 000
Ventes unitaires

45 000
40 000
35 000
30 000
25 000 Prévu
20 000
15 000 Réel
10 000
5 000
0
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Années
Volumes des ventes unitaires de 2002 à 2011

Nous rencontrions également des difficultés administratives, dues


en partie à des changements réglementaires. Comme notre croissance
ralentissait, nous savions que nous devions prendre le temps de réfléchir
et faire bouger les choses – mais lesquelles ? Apprendre lorsque la solu-
tion est connue et que l’on cherche à la maîtriser n’est déjà pas simple.
Mais dans notre situation, la solution était inconnue ! Nous devions
apprendre à apprendre : découvrir ce qui devait être appris en premier
lieu.
Nous savions que les entreprises perdent leur orientation client à
mesure qu’elles se développent. C’est pourquoi nous voulions continuer
à proposer de nouvelles fonctionnalités à nos clients, afin de continuer
à répondre à leurs besoins. Nous savions également que les entreprises
perdent facilement, en se développant, leur sens du contact humain
par la création d’une bureaucratie qui se nourrit de processus de plus
en plus complexes. C’est pourquoi nous voulions offrir de nouveaux
34 Réussir en équipes

outils à nos collaborateurs afin qu’ils puissent garder leur autonomie


au quotidien. Dans la phase de décollage de la start-up, nous avions eu
la chance de comprendre très tôt l’immense potentiel du numérique
appliqué à un marché aussi vaste que celui de la vente de voitures. En
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 33 29/11/2022 15:2

examinant le secteur du commerce automobile, avec ses concession-


naires de marque traditionnels et ses vendeurs, nous avions identifié
quatre grandes opportunités du digital : simplifier, connecter, automa-
tiser et prévoir. L’exploitation de ces opportunités nous avait permis de
faire croître l’activité de façon régulière, mais pouvait-elle nous faire
changer d’échelle ?

Simplifier
Nous avons lancé l’entreprise sur une idée simple : l’achat d’une voiture
doit être une expérience agréable. Après tout, on n’a pas souvent l’occa-
sion de dépenser autant d’argent pour soi-même ! Cependant, d’après
ce que nous voyions et ce que les clients nous en disaient, c’était tout
le contraire. L’achat d’une voiture était souvent une expérience trauma-
tisante. D’abord, il fallait traiter avec un concessionnaire en craignant
d’être « roulé dans la farine » (tout le monde aime acheter, mais per-
sonne n’aime qu’on lui vende). Ensuite, il fallait choisir la bonne voiture,
ce qui était pénible parce qu’il est très difficile de faire la part des choses
entre les marques et entre ce qui plaît et ce dont on a vraiment besoin.
Enfin, il fallait s’occuper de toutes les démarches administratives liées à
l’acquisition d’une voiture.
Notre première étape a été de supprimer la négociation du prix.
Nous avons proposé des voitures à un prix fixe, mais bas. Nous offrons
le même prix que vous achetiez sur notre site web, par téléphone ou
dans une agence physique, ce qui a considérablement simplifié le pro-
cessus d’achat, en éliminant le désagrément d’avoir à négocier avec un
professionnel dont c’est le métier et le gagne-pain. Les prix fixes nous
La magie du digital 35

ont également permis d’être moins chers que la concurrence en pro-


posant des prix plus bas et une meilleure efficacité commerciale. Alors
qu’un commercial en concession vendait en moyenne dix voitures par
mois, nous savions en vendre plus de vingt-cinq, ce qui a rencontré un
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 34 29/11/2022 15:2

succès immédiat et nous a apporté rapidement de nombreux clients.


Deuxièmement, sans être liés à une marque spécifique ni obligés
d’exposer les voitures en concession, nous avons pu simplifier la phase
d’exploration en présentant toutes les marques sur un seul site, ce qui
permettait à l’acheteur potentiel de trouver plus facilement le véhicule
correspondant le mieux à ses besoins spécifiques. Nous avons ainsi évité
aux acheteurs d’avoir à visiter les concessions, marque par marque, et
à écouter le laïus de l’agent commercial sur la voiture qu’il avait pour
objectif de vendre ce mois-là.
Troisièmement, nous avons fait de notre mieux pour remplir toutes
les formalités administratives pour nos clients – pas toujours facile vu
les obstacles réglementaires – en tirant parti du fait que nous le faisions
beaucoup et souvent et en numérisant certaines étapes clés.
Nous avons examiné le processus d’exploration, de sélection, de
négociation et d’achat. Nous nous sommes concentrés sur le principal
point de friction à chaque étape du processus et nous avons imaginé une
solution numérique pour le faire disparaître. Au début, Amazon n’était
encore qu’un libraire et non le géant de la distribution qu’il est devenu,
nous ne savions pas si les personnes iraient sur Internet pour un inves-
tissement aussi important. Ils sont venus, du moins en ce qui concerne
la phase de recherche de la voiture. Nous avons alors pu montrer et leur
expliquer en ligne les multiples avantages d’acheter selon notre « nou-
velle façon ». Tout comme Amazon lorsqu’il s’est étendu au-delà des
livres, nous avons réalisé que la confiance était l’essence même de notre
activité. Nous devions être totalement fiables pour éviter de remplacer
la méfiance sur le prix face au vendeur par la méfiance sur la capacité à
délivrer d’un service digital.
36 Réussir en équipes

Connecter
Nous pouvions proposer n’importe quelle voiture à n’importe qui. La
deuxième 35grande opportunité que le numérique offrait était de ne plus
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 29/11/2022 15:2

être contraints de vendre les voitures en stock dans une concession don-
née. Tout client pouvait choisir la voiture qu’il voulait, quel que soit
l’endroit où elle se trouvait physiquement à un moment donné, et c’était
notre travail de la lui apporter : notre job était de connecter un client et
un véhicule. Nous avons rapidement mis au point un système rudimen-
taire de planification des ressources de l’entreprise (enterprise resources
planning, ERP), qui nous a permis de créer des routes logistiques ser-
vant à acheminer les voitures de leur point de départ jusqu’aux clients.
Nous avons ouvert notre première agence en 2003, puis nous avons
progressivement étendu notre réseau pour couvrir la majeure partie du
territoire national.
Au bout de dix ans passés à vendre des voitures zéro kilomètre, nous
avons mis en relation des acheteurs et des vendeurs pour proposer à nos
clients des voitures d’occasion reconditionnées. Nous avions prévu de
le faire tout de suite, mais la logistique du marché automobile rendait
cela techniquement difficile en partant de zéro. Au fur et à mesure du
développement de notre capacité à acheter et à livrer, nous avons étendu
notre offre aux voitures d’occasion, ajoutant une nouvelle fonctionna-
lité client essentielle. Selon nous, les trois principaux points de friction
lors de l’achat d’une voiture d’occasion sont la nécessité de consulter des
milliers d’annonces en ligne, la rencontre avec le vendeur et l’évaluation
de la fiabilité du véhicule. Avec l’ajout d’un centre de reconditionne-
ment à notre réseau, nous avons utilisé la connectivité numérique pour
croître rapidement sur le marché des voitures d’occasion. À la connecti-
vité des annonces sur Internet, nous avons ainsi ajouté l’achat effectif de
la voiture et la livraison en agence.
La magie du digital 37

Automatiser
Une troisième dimension essentielle du numérique réside dans les nom-
breuses opportunités
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 36 d’automatisation des processus répétitifs. On com- 29/11/2022 15:2

mence par repérer ce que les personnes trouvent ennuyeux ou difficile.


Par exemple, les clients nous contactent par téléphone ou via le site web
et sont ensuite rappelés. Garder la trace des personnes qu’il faut appeler
à tel ou tel moment est une tâche pénible qu’un algorithme peut accom-
plir facilement et sans douleur. Nous avons créé un système de gestion
de la relation client (CRM) sur mesure qui dirige automatiquement
les opportunités de vente vers nos collaborateurs, et ceux-ci contactent
ensuite le client pour assurer le suivi. Ainsi nous avons pu nous assurer
que les clients sont rappelés et ne sont pas oubliés dans le pipeline. Nous
avons également simplifié le travail de nos collaborateurs. Ils pouvaient
désormais suivre les commandes présentées par le système et répondre
aux demandes sans se soucier de programmer eux-mêmes leurs appels.
Nous avons également pu automatiser les offres. Comme nous
puisions dans une gamme beaucoup plus large que celle dont dispo-
saient nos concurrents monomarques, nous avons appris à automatiser
l’affichage des voitures sur le site, à maintenir les bonnes affaires et les
promotions et à rechercher des modèles similaires. Ce type de travail
est tout simplement trop ardu ou trop lourd pour qu’un humain puisse
le faire correctement, alors qu’un logiciel est l’outil idéal pour accomplir
ces tâches de manière fluide et efficace.
Contrairement aux concessionnaires qui devaient apprendre à se
servir des outils digitaux, nous avions d’emblée conçu l’entreprise avec
une base numérique, ce qui nous a permis de repérer les nombreuses
possibilités de l’automatisation, que les entreprises établies avaient du
mal à exploiter parce qu’elles n’étaient pas configurées pour cela, tout
simplement. Maintenant que notre activité s’est étendue, nous compre-
nons mieux pourquoi : malgré l’abondance des opportunités, le poids
38 Réussir en équipes

des systèmes antérieurs rend l’automatisation de plus en plus difficile


à mettre en place. Par exemple, nous avons construit les systèmes de
manière fragmentaire, ce qui a engendré bien involontairement beau-
coup de travail « bête » lié au transfert des informations d’un système
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 37 29/11/2022 15:2

à l’autre. Nous nous concentrons actuellement sur l’automatisation de


ces connexions d’ordinateur à ordinateur afin d’éliminer ce travail fas-
tidieux, qui est du gaspillage.

Prévoir
Dernier point, mais non des moindres, l’ensemble de notre modèle éco-
nomique reposait sur l’idée suivante : si nous traitions un volume et
une variété plus importants, nous serions en mesure de mieux prédire
le prix de marché d’une voiture et, par conséquent, de proposer des prix
compétitifs aux clients tout en dégageant une marge. Nous savions dès
le départ que, pour convaincre les clients de ne plus acheter des voitures
de manière traditionnelle (auprès d’un concessionnaire), nous devions
offrir mieux que la suppression des points de friction : la différence
reposerait sur le leadership en matière de prix.
Les voitures sont chères, elles sont coûteuses à déplacer et à stocker
et elles sont vendues sur des marchés très concurrentiels, aussi les marges
sont-elles généralement faibles. Mieux prévoir le processus de livraison
était la clé pour convaincre les clients que nous offrions :
• des prix compétitifs ;
• une gamme intéressante ;
• une disponibilité réelle et des dates de livraison précises.
Dans un magasin physique, lorsque vous voyez un article qui vous
plaît en vitrine, vous entrez et vous faites la queue pour être servi. Le
vendeur va chercher l’article que vous voulez à votre taille ou selon vos
spécifications, il vous le présente et vous partez avec votre achat sous
le bras. Vous faites la queue avant d’atteindre le comptoir, après quoi
La magie du digital 39

l’expérience est généralement ininterrompue et, on peut l’espérer, sans


accrocs (même si les magasins peuvent rater cette étape aussi). Sur un
site marchand, vous naviguez, vous achetez, et l’attente commence
après l’acte d’achat. Vous attendez pendant que le e-commerçant ache-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 38 29/11/2022 15:2

mine l’article jusqu’à votre porte et, si l’article ne correspond pas à vos
attentes, qu’il réponde à vos réclamations. Pour gagner sur le terrain
d’Internet, Amazon a compris très tôt qu’il fallait, au-delà du leadership
en matière de prix, développer la logistique la plus rapide possible et se
doter d’un service clientèle hors pair pour permettre aux gens de chan-
ger facilement d’avis après l’achat. Dans la même logique, nos clients
pouvaient changer d’avis sans frais jusqu’à quinze jours (nous avons
maintenant porté ce délai à trente jours) après l’achat ou 1 000 kilo-
mètres parcourus. Une meilleure prévisibilité de l’ensemble du proces-
sus est un élément clé pour réussir à tenir la promesse du numérique.
Dans un premier temps, simplifier, connecter, automatiser et prévoir
a fonctionné de manière spectaculaire et notre capacité à trouver des
financements et à acheter des outils a soutenu une croissance régulière,
malgré la course folle pour délivrer et faire en sorte que les clients soient
toujours contents. Les nouveaux embauchés qui rejoignaient l’entre-
prise étaient en quête d’aventure et voulaient faire les choses différem-
ment : c’était excitant, désordonné et amusant – on s’éclatait. Notre
intuition avait porté ses fruits. Mais, avec notre croissance et à mesure
que chaque processus devenait plus complexe et plus imbriqué avec les
autres, qu’allait-il se passer ?
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Chapitre 2

Au-delà des nouvelles


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fonctionnalités

À notre grand désarroi, au fur et à mesure que nous construisions des


processus standardisés, nous constations que l’accroissement de notre
performance n’améliorait pas la satisfaction de nos clients, au contraire.
Nous nous sommes retrouvés piégés entre des volumes plus élevés et un
nombre croissant de clients insatisfaits, ce que nous tentions de masquer
par plus de publicité (nous étions en pleine croissance, donc le nombre
absolu de personnes qui avaient eu recours à notre service pour leur
achat augmentait, ce que nous communiquions comme une preuve de
confiance). Le modèle fonctionnait, mais il n’était pas structurellement
viable à moins de nous refinancer constamment – une option com-
mune dans le monde des start-up, mais pas très attrayante.
Développer des fonctionnalités était un bon moyen de faire grandir
l’entreprise en apportant de la valeur aux clients – et en simplifiant
la vie des collaborateurs. Nous saisissions les opportunités offertes par
les nouvelles technologies quand elles devenaient disponibles. Nous
disposions également d’une solide méthodologie de type lean start-up,
consistant à construire d’abord un produit minimum viable, puis à
itérer jusqu’à ce que la fonction puisse être livrée aux clients. Ce modèle
42 Réussir en équipes

avait toutefois des limites que nous avons fini par toucher. Dans le feu
de l’action, ce n’était pas évident à voir, mais l’ajout d’une fonctionnalité
après l’autre présentait plusieurs inconvénients structurels :
1. Une fonctionnalité s’adresse à un segment de marché, pas à des clients
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individuels. De nouvelles caractéristiques, telles que les voitures


reconditionnées, la livraison à domicile, etc., ajoutent certes des
fonctionnalités qui s’adressent à de nouveaux segments, mais ne
garantissent en aucun cas la bonne exécution du service pour chaque
client, en tant que personne. De plus, chaque nouvelle fonctionna-
lité, si attrayante soit-elle, ajoute de la complexité opérationnelle et
peut rendre difficile la satisfaction de demandes spécifiques.
2. Les fonctionnalités reposent sur des systèmes, qui conduisent à des silos
fonctionnels et à la spécialisation des services. Chaque nouvelle fonc-
tionnalité nécessite des systèmes internes pour être prise en charge.
Au commencement, nous avions structuré l’entreprise autour de
services fonctionnels : ventes, informatique, logistique, service
client, analyse de données, RH, etc. Chaque nouvelle fonctionnalité
nécessite le développement de systèmes supplémentaires pour être
supportée et les silos ont pris corps. Avec le temps, chaque dépar-
tement s’est concentré de plus en plus sur son propre travail plutôt
que sur sa place dans la chaîne de valeur : l’optique client en a souf-
fert. Les services ont commencé à planifier leurs projets en fonction
de leurs priorités, à être submergés de travail, systématiquement en
retard, et à voir les autres services comme des adversaires plutôt que
des collègues.
3. Les silos fonctionnels concentrent le pouvoir au sommet et la hiérarchie
insiste plus sur la conformité que la compétence. Au fur et à mesure que
les services embauchaient et établissaient leurs propres politiques et
leur propre culture de travail, le pouvoir gravitait autour des chefs de
service. Là encore, nous nous sommes structurés comme la plupart
des entreprises et nous avons créé un comité exécutif (Comex) auquel
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 43

nous avons délégué les opérations afin de pouvoir nous concentrer


sur une réflexion plus stratégique. Nous avons mis du temps à réa-
liser que nos chefs de service (sans s’en rendre compte eux-mêmes,
probablement) avaient vite été dépassés par la nécessité de « gérer »
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 42 29/11/2022 15:2

leur fonction, c’est-à-dire d’établir des processus de travail et de les


faire fonctionner. Notre attitude historique, tournée vers l’action
– essayer, et si cela ne fonctionne pas du premier coup, continuer
jusqu’à la réussite – a évolué vers une approche plus statique de
« politique de service », où les cadres intermédiaires valorisaient les
gens pour leur loyauté plutôt que pour leur prise d’initiative.
4. À mesure que les fonctions s’ établissent et s’appuient sur les systèmes
pour obtenir davantage de fonctionnalités, il est difficile de distinguer
le « patrimoine » (que nous voulons conserver) de l’« héritage » (que
nous voulons changer). Ces changements internes, auxquels nous
avons contribué sans le savoir et que nous n’avons pas vu venir à
l’époque, ont participé à faire naître un sentiment de frustration :
« rien ne marche ». L’entreprise tournait, au global, mais mal,
créant de la déception à la fois chez les clients et les collaborateurs.
L’empilement de nouveaux projets, dans une organisation complexe
et cloisonnée, a également rendu difficile la distinction entre ce qui
relevait du patrimoine (les bonnes décisions du passé que nous vou-
lions protéger et prolonger) et ce qui relevait de l’héritage (les idées
désormais obsolètes qui devaient vraiment faire l’objet de modifica-
tions ou évoluer). Par exemple, parmi nos toutes premières pratiques
de vente, il y avait l’attitude « pro et sympa ». Nos commerciaux
devaient constamment s’interroger sur ce que signifiait pro et sympa
dans un large éventail de situations clients difficiles. Cette attitude,
que nous voulions au cœur de l’ADN de l’entreprise (son patri-
moine), s’est effritée dans les dix premières années sans que per-
sonne ne s’en rende compte. Nous avons dû intervenir à plusieurs
reprises pour essayer de préserver cet état d’esprit.
44 Réussir en équipes

Nouvelles fonctionnalités

Complexité accrue
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Besoin de spécialisation

Émergence de silos
fonctionnels

La dynamique des équipes passe


de la compétence au conformisme

Difficulté à distinguer le patrimoine


(à conserver) de l’héritage (à changer)

La croissance ralentit,
ce qui incite à ajouter…

À l’époque, il était difficile de comprendre ce qui se passait car il


nous fallait éteindre un feu après l’autre. Avec le recul, nous réalisons
maintenant que notre croissance était la cause même de nos revers. La
promesse du numérique n’était pas le problème, elle fonctionnait à mer-
veille. En revanche, les possibilités qu’offrait le digital avaient des consé-
quences inattendues que nous n’avions pas anticipées :
• Nous avions oublié que la situation de chaque client est unique. En
essayant de tout simplifier, nous sommes souvent passés à côté de la
singularité de la situation du client, un écueil complexe à corriger.
• La logique fonctionnelle a pris le pas sur la vision du flux global de
valeur pour les clients. Plus les opérations se développaient, moins
nous pouvions éviter la création de pôles fonctionnels, dont les res-
ponsables voyaient les choses à partir de leur prisme fonctionnel
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 45

sans considérer la complexité de la création de valeur à travers


l’ensemble du flux.
• Les gens nous rejoignaient pour des raisons différentes, et les possibilités
d’ épanouissement interne se réduisaient. Au fur et à mesure que nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 44 29/11/2022 15:2

devenions une entreprise « normale », nous avions des équipes de


collaborateurs dédiées à l’opérationnel, du travail pour les cadres
intermédiaires et une strate de décideurs qui, sans y prendre garde,
freinaient l’expression des talents internes et cherchaient le savoir-
faire organisationnel à l’extérieur.
• Avec le temps, héritage et patrimoine devenaient difficiles à distinguer.
Nombre de nos premiers systèmes étaient bricolés et présentaient
manifestement des défauts majeurs. Nos responsables fonctionnels
nous demandaient en permanence d’investir pour se débarrasser
des systèmes dont ils avaient hérité. Cependant, nous n’avions pas
la certitude que nos anciens systèmes ne relevaient pas également du
patrimoine, constituant des modèles de comportement qui étaient
essentiels à notre succès initial et qu’il fallait en réalité protéger plu-
tôt que de s’en débarrasser.

On traite tous les clients


de la même façon
La logique fonctionnelle prend
le pas sur la vision du flux global
de valeur pour les clients
On bride les initiatives des talents
en interne
On confond le patrimoine et l’héritage
46 Réussir en équipes

Chaque client a sa propre histoire


Google propose la fonctionnalité la plus simple qui soit : un champ
dans lequel
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 45 vous pouvez écrire ce que vous voulez. Chaque recherche 29/11/2022 15:2

est pourtant unique. De même, pour nous, chaque client cherche une
voiture, mais chacun se trouve dans des circonstances particulières. Par
exemple, nos équipes se sont toujours plaintes du pic de livraisons aux
clients le samedi. Bien sûr, la plupart de nos collaborateurs travaillent
aux heures de bureau normales. Mais il est difficile pour certains clients
de s’absenter de leur travail aux heures de bureau, et le samedi est leur
seul créneau pour récupérer leur voiture. Nous avons alors essayé de
rester ouverts plus tard certains jours de la semaine et avons décou-
vert combien il était compliqué pour de nombreux clients de venir le
samedi et tout simplement impossible pendant les heures de bureau.
Nous avons été surpris de constater le faible nombre de personnes qui
se présentaient durant la journée et avons réalisé qu’elles faisaient plutôt
la queue à l’ouverture. Nous essayons maintenant d’ouvrir plus tôt les
jours de semaine. Chaque client a sa propre histoire.
Il faut évidemment simplifier l’expérience d’achat, mais la simplicité
ne fonctionne que jusqu’à un certain point, après quoi elle devient une
limite. Il est difficile de s’en rendre compte au quotidien, mais voici ce
qui se produit :
1. Vous proposez aux clients un processus simple et visible qu’ils sont
tentés d’essayer. Le processus fonctionne sans problème jusqu’au
moment où il se heurte à une circonstance particulière, un besoin
spécial, le moment où le client veut procéder un peu différemment
pour des raisons qui lui sont propres (comme récupérer la voiture à
19 heures un jeudi).
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 47

2. Le système est automatique et n’est pas conçu pour traiter de telles


demandes. Vous faites ce que vous pouvez pour réagir et compléter
la transaction, avec ou sans succès, mais quoi qu’il en soit le client
est mécontent (même s’il a acheté).
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 46 29/11/2022 15:2

3. Lorsque cela se reproduit trop souvent – et tel est le cas lorsque les
volumes augmentent –, vous regroupez les dix principales raisons
du mécontentement des clients et vous intégrez de nouvelles fonc-
tionnalités pour y remédier.
4. Chaque nouvelle fonctionnalité implique généralement le codage
d’un nouveau système pour la prendre en charge, ce qui accroît
la complexité d’ensemble du système, lequel finit par générer un
nombre exponentiel de bugs que vous avez du mal à résoudre.
5. Étant donné que l’entreprise en croissance est incitée à réussir, vous
êtes tenté de sélectionner les « bons » clients (c’est-à-dire ceux qui
suivront le processus sans demandes spéciales inédites) et à décou-
rager les cas plus complexes. La croissance cache le fait que vous êtes
en train de constituer un stock de détracteurs qui non seulement
ne feront plus appel à votre service, mais répandront autour d’eux
l’opinion que votre service n’est pas à la hauteur.
Il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce processus.
Nous étions d’emblée sensibles à la satisfaction des clients et attachés
à écouter toutes les histoires d’utilisateurs mécontents de notre site.
Nous avions compris que notre site web s’inscrivait dans un monde
plus vaste et que notre succès, en fin de compte, dépendait de notre
capacité à convaincre le grand public que l’achat de voitures sur Internet
était une décision intelligente. Les clients insatisfaits n’ont peut-être pas
eu d’impact direct sur notre activité à mesure que nous nous sommes
développés (c’est-à-dire à mesure que nous avons trouvé de plus en plus
de personnes prêtes à essayer), mais ils restaient tout de même un pro-
blème incontournable.
48 Réussir en équipes

Le numérique offre plus d’autonomie aux clients car il permet de


gommer la différence entre un produit et un service :
• Produit : un produit est un objet que vous achetez pour faire quelque
chose. Le but d’un produit est de vous rendre plus autonome : il est
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plus facile à utiliser, sa durée de vie plus longue, il a besoin de moins


d’entretien. De fait, avec la baisse des prix, beaucoup d’entre nous
ont tendance à jeter et à racheter les produits qui ne fonctionnent
plus parfaitement plutôt que de les réparer (à un coût environne-
mental considérable). Un produit est un objet qui vous aide à faire
quelque chose sans avoir besoin de l’aide de quiconque.
• Service : un service consiste à payer l’aide d’une personne en vue de
réaliser quelque chose. Le service implique une assistance humaine.
Votre voiture – un produit – nécessite des services de réparation ou
d’entretien de routine, et vous aurez alors affaire à des personnes
qui s’en chargeront pour vous. Ces derniers utiliseront très proba-
blement des outils spécialisés et des connaissances que vous n’avez
pas l’intention d’acquérir.
De nombreux produits sont nés d’une utilisation astucieuse de
la technologie pour remplacer des services. Par exemple, la machine
à café à capsules dans votre bureau remplace la visite au café voisin
(où quelqu’un vous offre un service en se servant d’une machine pour
vous préparer et vous servir une tasse de café). Notez au passage que
convaincre quelqu’un de passer d’un service à un produit n’est pas une
mince affaire : pour convaincre le grand public d’acheter ses capsules,
Nespresso a dû céder les premières machines quasi gratuitement, ouvrir
des boutiques luxueuses ostentatoires, faire appel à la superstar George
Clooney et à ses amis pour persuader le plus grand nombre de consom-
mateurs que la tasse de café que l’on préparait soi-même valait bien celle
qui nous était servie à un comptoir ou une table.
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 49

Les applications logicielles ont multiplié de façon exponentielle


les possibilités de transformer des services en produits afin d’amélio-
rer notre autonomie, et ont ainsi déclenché la révolution numérique
que nous vivons. Vous avez besoin de poser une question à quelqu’un ?
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 48 29/11/2022 15:2

Inutile ! Vous saisissez votre demande dans Google. Vous avez besoin
de parler à votre agent de voyage pour réserver un billet ? Inutile, vous
utilisez une application. Ou pour réserver un hôtel ? Il existe encore une
autre application pour cela, et ainsi de suite.
Vous avez probablement vécu cette situation : bien qu’il soit extrê-
mement libérateur d’acheter ses billets d’avion en ligne (plus besoin de
passer par une agence), il y a toujours un cas particulier où vous devez
parler à quelqu’un car quelque chose que vous ne savez pas faire néces-
site les connaissances et les outils qu’une autre personne possède. C’est
la limite entre le produit et le service. Cette zone grise est extrêmement
frustrante car, en général, le site fait en sorte qu’il soit très difficile pour
vous de trouver où et comment contacter le service d’assistance, puis
vous met en attente indéfiniment. Le site opère une sélection entre les
clients sans problème et les clients gênants, suscitant ressentiment et
frustration chez les rejetés.
Transformer un service en produit signifie distinguer l’utilisation
facile et standard du cas particulier, spécifique à un contexte. Par
exemple, une fois que vous détenez la technologie pour fabriquer une
cafetière de bureau facile à l’emploi, vous avez rendu les buveurs de café
autonomes. Ils placent une capsule, appuient sur le bouton et savourent
leur café. Mais ensuite, ils veulent un café plus corsé. Vous proposez
une plus grande variété de capsules. Ensuite, ils veulent du café le
soir – vous proposez alors une ligne de décaféinés. Ils aiment leur café
court ou long – la machine doit maintenant s’adapter à différentes tailles
de tasses. Un jour, un enfant se brûle en jouant avec la cafetière – les
machines doivent être sécurisées à l’épreuve des enfants… Entre-temps,
vous avez prouvé que ce marché est viable. Les concurrents arrivent avec
50 Réussir en équipes

une offre moins chère, séduisent vos clients et attaquent vos marges.
Les clients exigent de la variété. Or celle-ci est non seulement difficile
à proposer, mais il est également plus dur alors de garantir la qualité
de l’offre. Avec une plus grande variété de capsules à vendre, il est très
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prévisible que quelqu’un veuille vous appeler parce qu’il a rencontré un


problème avec sa commande. Plus les volumes augmentent, plus il est
probable que le problème n’ait absolument rien à voir avec la machine à
café. Plus le produit ou ses utilisations sont élaborés, plus le besoin en
service – devoir parler à quelqu’un de quelque chose – est élevé. Il existe
un compromis structurel entre la simplicité du produit, qui favorise son
adoption, et les fonctionnalités supplémentaires, qui lui confèrent de
la souplesse mais aussi de la complexité. Les avancées technologiques
créent des zones grises où apparaissent des problèmes que seule l’inter-
vention d’une personne peut résoudre. Aucune machine ne peut appor-
ter autant de flexibilité : il y a donc un besoin de service, quel que soit
le produit.
Concrètement, cela signifie que :
1. Les clients en voudront toujours plus : au fur et à mesure que nous
offrons de nouveaux produits, les clients demandent de nouvelles
façons de les utiliser ou se trouvent dans de nouvelles circonstances
qui ne peuvent être traitées par une machine et qui nécessitent une
personne pour résoudre le problème.
2. Les ingénieurs cherchent toujours à automatiser de nouvelles fonction-
nalités pour répondre aux usages des clients et poursuivre leur rêve
de produits entièrement automatiques et autonomes. Mais à mesure
que de nouvelles fonctionnalités sont ajoutées, elles augmentent de
façon exponentielle la complexité des systèmes existants et accrois-
sent le risque de bugs et de défaillances.
3. La taille et la complexité des systèmes augmentent à mesure que de
nouveaux systèmes sont ajoutés pour prendre en charge de nouvelles
fonctionnalités et que ces systèmes s’intègrent mal. Les systèmes
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 51

plus grands et plus complexes sont plus vulnérables aux problèmes


internes et aux bugs, ils sont moins flexibles et il est difficile pour
les collaborateurs de sortir du système pour résoudre des problèmes
ponctuels des clients.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 50 29/11/2022 15:2

4. Lorsque le nombre total d’utilisateurs augmente, les coûts internes et le


nombre d’utilisateurs mécontents augmentent également, ce qui freine la
croissance de l’entreprise et nuit parfois gravement à sa réputation, en
particulier si un nouveau concurrent plus habile fait son apparition.
Une start-up qui se développe est invariablement victime de son
succès. Une start-up décolle lorsqu’un nombre suffisant de personnes
trouve son offre utile et rend le projet viable. Ensuite, les clients ne
cessent d’inventer de nouvelles configurations auxquelles personne n’a
pensé. Afin de maintenir sa croissance, la start-up réagit en ajoutant des
fonctionnalités au produit plutôt que d’offrir un service sous la forme
d’une résolution individuelle des problèmes. Il en résulte un système
plus complexe où la résolution de chaque problème individuel est plus
difficile, car il est plus compliqué d’agir en dehors du système.
C’est bien ce qui nous est arrivé. Nous avons commencé par vendre
des voitures zéro kilomètre, dans une seule agence. C’était simple, et
nous nous attachions à résoudre les problèmes spécifiques de chaque
client afin d’établir de bonnes relations et de consolider notre réputa-
tion. Un travail difficile, mais clair.
En 2003, nous avons commencé à multiplier les points de vente. Il
fallait développer un seul système de gestion de la relation client (CRM)
qui se mette à jour en temps réel pour toutes les agences (des solutions
commerciales sont disponibles à bon prix aujourd’hui, ce qui n’était
pas le cas à l’époque) et gère les livraisons à destinations multiples. Nos
problèmes de planification et de personnel ont explosé, et la producti-
vité a chuté drastiquement. Deux ans plus tard, nous avons commencé
à offrir des services de financement et d’entretien, cherchant à la fois
52 Réussir en équipes

à mieux satisfaire nos clients et à dégager des marges – celles-ci sont


très minces sur la revente de voitures. Les outils et les processus de nos
partenaires devaient s’intégrer aux nôtres et il fallait former les équipes
à une toute nouvelle gamme de produits et des interactions beaucoup
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 51 29/11/2022 15:2

plus longues avec les clients, de la paperasse, etc., avec de nombreux


allers-retours.
En 2010, nous sommes passés aux voitures d’occasion. Au départ,
il s’agissait d’un simple bon sens commercial, le marché des voitures
d’occasion est environ six fois plus important que celui des véhicules
neufs. Mais plus nous y réfléchissions, plus nous prenions conscience
de l’immense défi sociétal que représentait la réduction du coût envi-
ronnemental d’une surconsommation systémique, dont la voiture est
un facteur important. Nous avons compris que l’économie circulaire
était un élément indispensable de la solution et que nous pouvions y
contribuer de manière significative en l’établissant comme un moyen
de consommation viable sur le marché automobile.
Là encore, la complexité a augmenté exponentiellement avec davan-
tage de champs de données dans chaque système existant et davantage
de fonctionnalités sur le site web. À cela s’ajoutait la prise en charge de la
logistique du reconditionnement et la transformation de nos services de
maintenance. Avec les voitures zéro kilomètre, le constructeur s’occupe
de la période de garantie et nous nous contentons de faire l’interface.
Avec les voitures d’occasion, nous devons suivre le véhicule sur une
période beaucoup plus longue et traiter nous-mêmes les incidents.
Logiquement, nous nous sommes mis à reprendre des voitures aux par-
ticuliers. La complexité du site et des systèmes internes s’est accrue, a
exigé de nouvelles compétences en matière de tarification et de négocia-
tion tout en mécontentant de nombreux vendeurs potentiels en raison
de l’écart de prix entre ce qu’ils pensaient pouvoir obtenir pour leur
voiture et ce que nous pouvions leur offrir (l’équation économique était
très différente de celle d’une concession traditionnelle).
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 53

Ne vous méprenez pas : nous sommes convaincus que nous avions


raison d’ajouter ces fonctionnalités et qu’elles ont soutenu notre crois-
sance ainsi que notre vision à long terme de notre contribution à la
société. Mais nous avons été assez lucides pour nous rendre compte
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 52 29/11/2022 15:2

que, avec chaque niveau de complexité supplémentaire (croisement de


systèmes, augmentation des champs de données dans les systèmes, ajout
de fonctionnalités web, demandes à notre personnel de maîtriser davan-
tage de compétences, etc.), nous augmentions également les risques de
faux pas, qui se traduisaient par une chute de la satisfaction des clients.
Nous ne sommes pas une entreprise chez qui les clients reviennent rapi-
dement, donc le churn – à savoir la perte de clients – est difficile à
évaluer, mais il était clair que notre croissance était obtenue au forceps.
En 2015, nous étions incapables de dire avec certitude si notre courbe
de croissance était momentanément essoufflée ou si le vent avait bel et
bien tourné.
Dans le feu de l’action, la complexité n’est pas vécue comme telle.
En interne, on la vit sous forme de conflits et de confusion. Des conflits
parce que nombre de nouveaux projets se disputent l’attention et les res-
sources. De la confusion parce que tout est important en même temps
et que les incendies générés par la complexité exigent une attention
immédiate tandis que de nouveaux projets continuent d’être développés
jusqu’à ce qu’ils allument des feux ailleurs…
Si vous pensez que tout peut être automatisé, la promesse du numé-
rique vous met en difficulté. Le plus difficile est de bien faire la distinc-
tion entre les aspects produit et service de votre offre :
• Le produit consiste en fonctionnalités simples et automatisées que
les gens peuvent utiliser par eux-mêmes, cela correspond au cas le
plus courant. Elles doivent être constamment maintenues en interne
et font l’objet d’améliorations pour faciliter leur utilisation, sécurité
et robustesse.
54 Réussir en équipes

• Le service implique un personnel compétent et autonome en matière


de résolution de problèmes afin d’aider les clients dans leurs pra-
tiques habituelles et dans des situations uniques. Cela requiert,
parmi les collaborateurs, une culture qui les incite à se consacrer à
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 53 29/11/2022 15:2

la résolution complète du problème de chaque client, plutôt que de


rediriger les clients vers l’utilisation de la partie automatisée du pro-
duit, opérant ainsi une sélection par l’exclusion des cas particuliers.
Bien que l’expérience de chaque client soit unique, il existe une par-
tie commune à tous les clients qui peut être simplifiée et automatisée.
L’autre partie, celle qui concerne les circonstances particulières, ne peut
être traitée qu’au cas par cas. Cependant, les organisations sont rare-
ment conçues de cette manière et, le plus souvent, défendre des pro-
cessus internes devient plus important que de résoudre les problèmes
uniques des clients. Pour créer une culture de l’écoute et de la résolution
des problèmes centrée sur le client, il faut d’abord prendre conscience
de l’ampleur du problème et, ensuite, y travailler d’arrache-pied chaque
jour.
Lorsque la pandémie de Covid-19 a frappé et que les pays se sont
confinés, l’industrie automobile s’est plus ou moins arrêtée. Dans les
premiers jours de panique, nous avons eu des débats internes animés sur
la décision de rester ouverts ou de fermer. Nous pensions bien que cer-
tains clients auraient toujours besoin de voitures, mais il fallait mesu-
rer le risque sanitaire – et le risque économique de garder la structure
ouverte sans que les clients franchissent le pas de notre porte. En fin de
compte, l’idée que le parcours de chaque client est unique a prévalu et
nous avons conclu que, tant que certains clients avaient besoin de voi-
tures, notre travail était de leur en fournir, voilà tout. Notre problème
était de nous organiser pour le faire de manière sûre et (relativement)
abordable.
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 55

Ce fut sans conteste la bonne décision. Nos clients étaient alors des
infirmières et des pompiers, des personnes indispensables qui devaient
se rendre à tout prix sur leur lieu de travail. Ils ne pouvaient pas rester
isolés chez eux, d’autant que beaucoup des moyens de transport habi-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 54 29/11/2022 15:2

tuels faisaient défaut. Nous avons également réalisé que l’histoire de


chaque agence était unique. Nous n’avons pas donné d’instructions sur
la manière de gérer la situation sanitaire, mais nous avons demandé
aux directeurs d’agence de formuler leurs propres plans, de les partager
entre eux, et le siège a été chargé de leur donner le soutien nécessaire.
Cela a « marché » ! Bien que notre activité soit tombée à moins d’un
tiers de la normale, nous avons continué à fonctionner et nous avons eu
la chance d’éviter de graves cas de Covid ou des clusters locaux.
Par contre, nous n’avions pas vu venir l’incroyable afflux de com-
mandes à la fin du confinement. Les ventes ont soudainement doublé
par rapport à l’année précédente à la même époque. Heureusement,
les équipes étaient toutes à pied d’œuvre. Elles s’étaient organisées et
réorganisées en permanence tout au long de la période de confinement,
et elles se sont comportées admirablement. C’était une période étrange
pour l’entreprise. Alors que tout allait mal autour de nous, nos équipes
étaient à fond, prenaient des initiatives, étaient responsables de leurs
mesures sanitaires et, plus que jamais, s’occupaient des clients. Dans
ces conditions difficiles, nous nous en sommes sortis parce que nos
managers ont redoublé d’efforts pour prendre soin de nos collabora-
teurs. Cette période inhabituelle a illustré avec force que notre logique
devrait vraiment être :
Histoire d’un client individuel → initiative du manager local
et de l’ équipe → soutien central.
Et non pas l’habituel :
Prise de décision et règles centralisées → gestion locale
en conformité → offre unique par segment.
56 Réussir en équipes

Les silos fonctionnels priment


toujours sur l’activité
Nous avons 30 points de vente qui couvrent l’ensemble du territoire
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 55 29/11/2022 15:2

français, d’autres en Espagne, en Belgique et, désormais, au Royaume-


Uni. Avant même de réaliser ce qui nous arrivait, nous nous sommes
retrouvés avec une division commerciale dirigée par un vice-président
des ventes (VP Sales). Lorsque nous nous sommes aventurés dans le
secteur des voitures d’occasion, nous avons essayé de travailler avec des
garages locaux pour remettre en état les voitures que nous achetions
pour nos clients. Nous avons rapidement été frustrés à la fois par la qua-
lité et par le service lui-même, et en 2014, nous avons créé notre première
usine pour aborder le reconditionnement avec une rigueur industrielle.
Nous disposions désormais d’une unité de production. Nous avions un
service informatique, un service marketing, un service logistique, un
service data, un service RH, un service financier, et même un service
« com » visuelle. Nous étions devenus une entreprise normale.
L’organisation par spécialité est inévitable. Même comme start-up,
lorsque nous faisions tout nous-mêmes, nous avions tendance à distribuer
les sujets à l’un ou à l’autre. En revanche, nous travaillions tous côte à
côte, partageant les mêmes objectifs et les uns sachant ce que faisaient les
autres. En un instant, nous pouvions nous entraider ou nous remplacer.
Nous savions que les clients étaient la raison d’être de l’entreprise, et nous
nous pliions en quatre pour faire en sorte que cela fonctionne avec cha-
cun d’entre eux. Nous avions compris que, pour nous développer, nous
devions non seulement satisfaire chaque client, mais aussi convaincre le
grand public que l’achat d’une voiture sur Internet était un bon choix
(notre slogan était « Comment achetiez-vous votre voiture avant ? »).
Nous avons beaucoup appris ! Nous avons connu d’innombrables
échecs, bien sûr, mais nous en discutions entre nous, nous trouvions
de nouvelles idées à essayer, et nous repoussions les contraintes jusqu’à
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 57

trouver une voie pour progresser. Nous avons appris où trouver des voi-
tures. Fort d’un siècle de lobbying de la part des constructeurs auto-
mobiles nationaux, le secteur automobile est protégé de cent façons
différentes, selon les pays. La position officielle de l’Europe est que
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 56 29/11/2022 15:2

toutes ces barrières réglementaires à la libre circulation des marchan-


dises au sein de l’Union devraient disparaître. Dans cet imbroglio juri-
dique, nous avons appris ce qu’il était possible de faire et ce qu’il ne
fallait surtout pas faire. Nous avons appris à lutter contre le protec-
tionnisme et les attaques juridiques des réseaux de concessionnaires.
Nous avons appris à construire des alliances. Nous avons appris à parler
aux investisseurs. Chaque courbe d’apprentissage était aussi raide que
l’autre : c’était bien « apprendre ou mourir » !
Après dix ans de prospérité en tant que start-up, les choses se sont
calmées et nous avons été confrontés à un défi totalement différent, plu-
tôt interne qu’externe. Les changements internes sont difficiles à repérer.
Ils se produisent, tout simplement. Tout le monde a des raisons claires
de modifier son comportement, même quand celles-ci sont douteuses.
Chacun défend le motif immédiat qui l’a poussé à adopter une nouvelle
position. Cette situation est très différente de celle où l’on est confronté
à un changement de marché dont on peut rendre responsables les clients.
Quoi qu’il en soit, les objectifs et les méthodes changent lorsque les silos
fonctionnels deviennent prédominants. Prenons l’exemple des ventes.
Nous étions convaincus dès le départ que les incitations à la vente indui-
saient des comportements nocifs qui nuisaient à l’objectif de l’entreprise
de satisfaire ses clients. Mais les vendeurs s’attendaient à travailler à
la commission, c’était même une condition pour rejoindre l’entreprise.
Lorsque nous avons créé les premières agences, nous avons eu besoin
de vendeurs expérimentés, capables de se familiariser rapidement avec
notre méthode. Nous avons dû leur offrir le type de rémunération et
d’incitation qu’ils attendaient.
58 Réussir en équipes

Chaque fonction se fixe ses objectifs et adopte les méthodes de son


métier. La culture de la vente consiste à vendre plus pour maximiser sa
commission. Le silo des ventes voyait notre système comme un moyen
de convertir un contact client en une opportunité de vente. Une per-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 57 29/11/2022 15:2

sonne intéressée par un modèle de voiture apparaissait sur l’écran d’un


vendeur comme une opportunité, qui finirait par déboucher sur une
vente. Comme on pouvait s’y attendre, nos meilleurs vendeurs n’étaient
pas nécessairement ceux qui satisfaisaient le mieux les clients, mais les
plus doués pour explorer le système à la recherche des opportunités de
vente les plus prometteuses : les clients qui semblaient être des valeurs
sûres. Nous nous sommes bien sûr aperçus du phénomène et avons
essayé de corriger le problème en modifiant les paramètres et les incita-
tions, ne faisant qu’ajouter complexité et confusion.
Ce problème est structurel et inévitable. Une start-up est faite pour
apporter de la valeur à un client. Mais à mesure qu’elle se développe, les
fonctions de l’entreprise finissent par chercher à extraire du profit des
clients.
• Apporter de la valeur : utiliser l’intelligence et la technologie pour
ajouter de la valeur à chaque étape du processus, en fournissant
quelque chose que les clients ne peuvent pas faire par eux-mêmes et
à un prix tel qu’ils l’apprécient pour son bon rapport qualité/prix.
• Extraire du profit : maximiser les profits obtenus en exploitant au
maximum la base de ressources dont vous disposez.
Toutes les fonctions de l’entreprise sont concernées. L’informatique
(IT) optimise les mises à jour tout en restant (plus ou moins) dans le
budget. Le bonus du DSI (directeur des systèmes d’information) est cal-
culé sur ce point. Le DSI doit montrer à son patron, à ses collègues et à
lui-même qu’il dispose des meilleurs systèmes informatiques du secteur,
dans les limites du budget qui lui est alloué. De son point de vue, les
clients sont une ressource, pas une finalité. Les clients sont sélectionnés
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 59

pour des projets pilotes, pour expérimenter un nouveau logiciel, etc. La


satisfaction des clients est contrôlée pour s’assurer que les plaintes (bien
sûr, tout le monde se plaint de l’informatique) ne deviennent pas un
problème visible. Les demandes des clients sont transformées en tickets,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 58 29/11/2022 15:2

qui sont ensuite planifiés et traités en fonction des disponibilités.


Les différentes fonctions de l’entreprise fixent leurs objectifs et
méthodes et, pour les mettre en œuvre, leurs systèmes de priorité et de
programmation. C’est un mal nécessaire car ces objectifs, méthodes
et systèmes de planification sont le fruit de décennies d’expérience qui
doivent être prises au sérieux. Toute tentative de contourner les cultures
fonctionnelles doit être mûrement réfléchie, sous peine de passer à
côté d’une évidence dans la culture de la fonction, et d’aboutir à une
catastrophe inattendue. Cela signifie également que les fonctions sont
orientées verticalement pour faire des « offrandes au chef » (montrer
au patron des projets réussis) et non horizontalement, c’est-à-dire pour
apporter de l’aide aux autres fonctions et in fine aux véritables clients.
La spécialisation est sans aucun doute nécessaire. Posez-vous la ques-
tion suivante : combien de points de savoir-faire (ce qu’il faut connaître
pour bien faire les choses) faut-il maîtriser pour réussir dans n’importe
quelle activité, qu’il s’agisse de cuisiner des pâtes ou de dresser un algo-
rithme d’IA ? Il est tout à fait logique de fragmenter les connaissances
en spécialités et de rechercher les meilleurs dans chaque spécialité, mais
il est inutile d’essayer d’être bon dans tous les domaines. Néanmoins,
la spécialisation a un coût. Deux, en fait. Le premier coût évident est
celui de la coordination. Plus les parties sont spécialisées, plus il devient
nécessaire de coordonner l’ensemble pour produire un résultat cohé-
rent. Le second coût est plus profond et plus difficile à percevoir : il
s’agit de la perte de sens.
Bien sûr, nous devons tous aller au travail pour gagner notre vie.
Certes, nous nous réjouissons de travailler quotidiennement dans un
groupe sympathique de personnes, avec lesquelles nous nous entendons
60 Réussir en équipes

bien. Toutefois, un élément plus motivant encore que l’argent ou la


convivialité est le sens : constater que son travail contribue à l’objectif de
son équipe, de l’entreprise, de la société dans son ensemble. Le sens naît
du sentiment d’être en accord avec ce que l’on fait, la manière dont on
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 59 29/11/2022 15:2

le fait et l’impact visible que cela produit. Plus la tâche est spécialisée,
plus il est difficile de voir comment elle s’inscrit dans un schéma global
pendant qu’on l’exécute, et plus il est difficile de trouver que le travail
a du sens. Une perte de sens individuelle se traduit tôt ou tard en perte
de sens collective. L’entreprise dans son ensemble souffre alors d’une
perte d’intérêt. Cela finit également par avoir un impact sur les clients,
créant un cercle vicieux, car une mauvaise image renvoyée par les clients
renforce le sentiment de manque de sens.

Les motivations des gens évoluent


Les deux problèmes précédents – à savoir : 1) essayer de capter de
nouveaux clients en ajoutant des fonctionnalités et en rendant le sys-
tème plus complexe et moins fiable ; 2) voir la logique fonctionnelle
l’emporter sur la création de valeur pour les clients – sont aggravés
lorsque l’entreprise se développe et que des individus la rejoignent pour
des raisons différentes. En phase de start-up, nous travaillions avec tous
ceux qui étaient assez fous pour se joindre à nous. Quand nous avons
commencé à acquérir une certaine visibilité, nous avons attiré des per-
sonnes plus qualifiées, ayant le sens de l’aventure et souhaitant parti-
ciper à quelque chose de nouveau. Lorsque nous sommes devenus une
entreprise établie, nous pouvions sélectionner les meilleurs CV et avons
naïvement commencé à embaucher des professionnels, c’est-à-dire des
personnes qui pensaient d’abord à leur carrière.
Comme la plupart des fondateurs, nous voulions créer un envi-
ronnement de travail différent : un endroit agréable et enthousiasmant
dans lequel les gens pouvaient à la fois prendre du plaisir au travail et
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 61

s’accomplir en tant que personnes. Dans la phase de start-up, nous pen-


sons avoir réussi. Mais la croissance a commencé à peser et, dix ans plus
tard, l’atmosphère avait complètement changé. Nous étions considé-
rés comme tyranniques. Respectés pour nos résultats, mais très décriés
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 60 29/11/2022 15:2

pour notre style de management. Nous avons réalisé que cela ne pouvait
mener à rien de bon et nous avons donc demandé de l’aide à Brigitte,
notre première responsable des ressources humaines. Elle nous a suggéré
de participer au programme « Great Place to Work ». Sa compétence a
porté ses fruits : nous avons atteint la 23 e place du top 50 en 2013, la
25e en 2014, et avons beaucoup appris en matière de management. En
2015, nous avons rechuté. Cela montrait que les changements opérés
n’étaient pas suffisamment ancrés. Nous avons regagné du terrain en
2016 (33e ) et en 2017 (17e )9. À ce stade, nous avons également réalisé
que, même si le programme nous avait beaucoup appris, il nous faisait
ressembler encore davantage à une « entreprise normale » : un style plus
souple de command and control. Cependant, avec une trop grande délé-
gation, nous avions le sentiment que nous perdions le contact avec les
opérations, tout en désapprouvant beaucoup de décisions prises par les
managers, ou plutôt leur manière technocratique d’aborder les sujets.
Les bonnes pratiques de management ne nous conduisaient ni à excel-
ler, ni d’ailleurs à vraiment libérer le potentiel de nos collaborateurs.
Nous étions devenus une entreprise normale et nous pouvions
constater que nous attirions un profil de personnes différent de celui
de nos premiers collaborateurs. Ils étaient moins enclins à essayer et à
voir ce que cela donnait, plus prompts à défendre des décisions ou des
processus qu’à essayer de les changer. Dans l’ensemble, ils étaient plus
conservateurs. Nous avions l’impression de perdre une partie de notre
esprit d’entreprise, tant en première ligne avec les équipes au contact

9 Best Workplaces France, Great Place to Work Institute – https://www.greatplacetowork.fr/


palmares-certifications/tous-nos-palmares/palmares-des-best-workplaces-2017/
62 Réussir en équipes

de la clientèle qu’au siège, sans trop savoir pourquoi. Après tout, nous
faisions très attention à qui nous embauchions et ne prenions que les
meilleurs, du moins le pensions-nous : nous avions commencé à recru-
ter des personnes issues de grandes entreprises (comme Amazon) et des
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 61 29/11/2022 15:2

diplômés d’écoles de commerce de premier rang.


Il n’était pas facile de voir de l’intérieur que l’entreprise offrait désor-
mais des perspectives très différentes à qui souhaitait nous rejoindre.
Nous étions passés du discovery (la découverte) au delivery (la livrai-
son). Les processus étaient mis en place. Les emplois étaient définis.
L’entreprise était surchargée de projets du siège qui créaient des pro-
blèmes sans fin. Nous recrutions pour maintenir les processus existants,
pas pour inventer de nouvelles façons de créer de la valeur.
De nombreuses entreprises technologiques rêvent d’un monde sans
management. Leur idée est qu’il suffit d’organiser les gens en équipes, de
les laisser se débrouiller et que tout ira bien. Dans une certaine mesure,
nous avons suivi cette voie et nous avons réalisé que la coordination
est absolument nécessaire, ce qui nécessite… un management intermé-
diaire. Quelle que soit la qualité de l’équipe, elle voudra se concentrer
sur l’exécution de son travail (souvent tel qu’elle le définit). Le problème
est qu’une équipe ne travaille pas seule, mais dans le cadre d’un réseau
d’équipes, voire d’un processus ou d’un système d’entreprise. Pour que
cela fonctionne, quelqu’un doit : 1) coordonner avec les autres services
pour déterminer les priorités immédiates ; 2) faire part de ces priorités
à l’équipe ; 3) résoudre les problèmes de charge de travail et de moral
de l’équipe mais aussi l’aider à surmonter les obstacles techniques sur
lesquelles elle peut buter.
En d’autres termes, les managers sont confrontés à un flux incessant
de problèmes qu’ils peuvent résoudre soit par la conformité (se conformer
aux processus, systèmes, réglementations et instructions de l’entreprise
émanant de la direction), soit par la compétence (utiliser leurs connais-
sances et leur expérience pour résoudre les problèmes en réunissant des
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 63

têtes bien faites). Confrontés au défilé incessant de situations difficiles,


les cadres intermédiaires ont tendance à réagir en adoptant l’une des
deux postures suivantes :
• Autoritaire : les managers contrôlent le flux d’informations et
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 62 29/11/2022 15:2

imposent leurs solutions pour s’assurer que les problèmes sont mini-
misés et ne sont pas repérés d’en haut. Ils récompensent la loyauté
et l’obéissance, punissent l’action indépendante et, parfois même,
les opinions différentes.
• Résolution de problèmes : les managers prennent le temps de com-
prendre les problèmes, de débattre des résultats avec leurs interlo-
cuteurs et la direction, d’écouter le personnel de première ligne et
de l’aider à trouver des solutions tout en résolvant les aspects du
problème auxquels les opérationnels n’ont pas accès.
L’une des difficultés paradoxales que pose la sélection du bon type
de profils est qu’il est très difficile – vu d’en haut – de distinguer com-
pétence et confiance en soi. Les managers autoritaires semblent les plus
efficaces pour faire avancer les choses ou surmonter les conflits internes
(il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ils sont généralement
détestés par leurs troupes, qui font rarement des écarts de conduite).
Quant à ceux qui résolvent réellement les problèmes, ils apparaissent
comme plus désordonnés, moins sûrs d’eux, et tolèrent souvent un
niveau de dissension et de confusion plus élevé dans le travail quotidien,
car ils travaillent réellement sur les problèmes. Les systèmes d’évalua-
tion formels sont tous biaisés en faveur des autoritaires malins (ceux qui
savent comment ne pas être trop détestés). La voie de la moindre résis-
tance consiste à doter l’entreprise de cadres intermédiaires « efficaces »,
sans se rendre compte que l’on produit, en réalité, l’effet contraire de
celui escompté.
Idéalement, vous recherchez des managers ayant ce que la psycho-
logue Carol Dweck appelle un « état d’esprit de croissance » (growth
64 Réussir en équipes

mindset), plutôt qu’un « état d’esprit fixe » (fixed midnset)10 . Les premiers
pensent qu’il est utile d’apprendre, qu’ils sont capables d’apprendre et
que, même si les effets ne sont pas immédiatement visibles, l’appren-
tissage portera ses fruits. Ils définissent le succès par un résultat global
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 63 29/11/2022 15:2

(souvent plus ambigu), sans se contenter de défendre des résultats étroits


et instantanés. Ils sont prêts à essayer de nouvelles méthodes et à chan-
ger leur façon de gérer les choses plutôt que de faire avec l’existant ou,
pire, d’opter pour des solutions de contournement qui ne répondent pas
aux vrais problèmes mais renforcent leur autorité.
Rechercher un succès global

Diversions pour Prêt à apprendre


contourner et à changer
les vrais problèmes sa façon de voir les choses

Défendre des résultats étroits et immédiats

Eric Schmidt, de Google, souligne que derrière chaque véritable


innovation se cache une intuition d’ingénierie11. Pour continuer à pros-
pérer en tant qu’entreprise, nous devons attirer des ingénieurs intuitifs
et inventifs, des individus qui s’intéressent personnellement à ce que
l’entreprise essaie d’accomplir et qui disposent des marges de manœuvre
nécessaires pour réfléchir et faire des essais. Pour créer des conditions
qui incitent les gens à vouloir travailler avec nous et à bien faire leur tra-
vail, il faut encourager le bon type de culture managériale, ce qui, à son
tour, signifie promouvoir le bon type de managers, ce qui n’est jamais
aisé sans une boule de cristal.

10 C. Dweck, Mindset, Ballantine Books, New York, 2006.


11 E. Schmidt et J. Rosenberg, How Google Works, John Murray, Londres, 2014.
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 65

Quand le patrimoine et l’héritage deviennent


difficiles à distinguer l’un de l’autre
Nous avons découvert que l’innovation ne consistait pas seulement
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 64 29/11/2022 15:2

à utiliser une nouvelle technologie pour faire fonctionner quelque


chose. Nous devions également résoudre le problème de l’adoption
par les clients, le marché, nos propres collaborateurs et un réseau de
fournisseurs.
Clients satisfaits

Bienveillance Collaborateurs
Croissance de l’entreprise
du public engagés

Réseau de fournisseurs
et de partenaires astucieux

Développer sérieusement une entreprise requiert de développer


quatre actifs essentiels :
• Une base de clients satisfaits. Les clients satisfaits sont nos meilleurs
promoteurs, point final. Satisfaire tous les clients veut dire être
capable à la fois de fournir notre service de base de manière irrépro-
chable et efficace, et avoir la souplesse nécessaire pour répondre au
cas par cas aux demandes spécifiques des clients. Au début, chaque
client est un événement unique, traité avec un haut niveau d’atten-
tion. Mais lorsque vous vendez plus de 10 000 véhicules par an,
il est facile de considérer les clients comme un revenu à exploiter
et non plus comme un atout à développer. Pour développer l’actif
des clients satisfaits, chacun dans l’entreprise doit continuer à voir
chaque nouveau client comme le premier. Parmi ce que nous fai-
sions pour satisfaire les premiers clients, qu’avons-nous abandonné
en cours de route ?
66 Réussir en équipes

• La bienveillance du public. Le moyen le plus simple d’obtenir une


presse favorable est de proposer de nouvelles fonctionnalités aux
clients potentiels et d’investir dans le marketing et la communi-
cation externes. Nous l’avons souvent fait, à juste titre : rachat,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 65 29/11/2022 15:2

garantie « satisfait ou remboursé », garantie de remise en état,


financement, livraison à domicile… Cependant, chaque nouvelle
fonctionnalité qui attire l’attention est obtenue grâce à de nouveaux
projets de développement de nouveaux systèmes, qui augmentent la
complexité interne de la gestion de l’entreprise et créent un flot de
problèmes et de rigidités. Ces projets rendent difficile la satisfaction
totale des clients existants, ce qui augmente ensuite la pression pour
mettre à niveau tous les systèmes existants et créer encore plus de
projets internes, source à leur tour de plus de confusion.
• Une communauté de collaborateurs engagés. Les premières recrues
étaient des personnes que nous connaissions. Leurs idées, leurs atti-
tudes et leurs initiatives ont eu un impact considérable sur la tra-
jectoire de la start-up. Mais au fur et à mesure que l’entreprise s’est
développée, elle a défini des fonctions, des emplois et des processus.
Les premiers collaborateurs sont partis et les nouvelles personnes
recrutées ont été de plus en plus embauchées en fonction d’un pro-
fil de poste conçu par les RH. Les leaders sont maintenant loin des
nouveaux arrivants tant par le nombre de personnes concernées que
par les niveaux de gestion. En tant qu’actif clé, les individus sont de
plus en plus considérés comme des ressources humaines à mettre au
travail et non plus comme des personnes à former. Pourtant, l’avenir
de l’entreprise repose sur l’attention que chaque collaborateur de pre-
mière ligne porte à chaque client et sur l’ingéniosité des solutions que
chaque ingénieur apporte à chaque problème technique. Une com-
munauté de collaborateurs, tant par leur talent individuel que par leur
sentiment de partager un projet et un destin communs, est un atout
essentiel pour toute entreprise, qu’il convient de développer avec soin.
Au-delà des nouvelles fonctionnalités 67

• Un réseau de fournisseurs et de partenaires techniques intelligents.


Pour soutenir la croissance, il faut développer un réseau de par-
tenaires. Dans notre cas, cela va de l’approvisionnement en voi-
tures à la collaboration avec le gouvernement pour les formalités
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 66 29/11/2022 15:2

administratives, en passant par la recherche des meilleurs conseil-


lers techniques pour nos applications de pointe. Quand vous vous
développez, vous avez tendance à travailler avec tous ceux que vous
rencontrez, mais plus tard, le réseau de partenaires ne peut plus être
aussi aléatoire et doit être considéré comme un atout à cultiver afin
de créer les conditions de la croissance future. De nombreuses pra-
tiques anciennes ne suffisent plus et les attitudes doivent évoluer :
le rapport aux fournisseurs ou aux entrepreneurs doit changer pour
réussir sur le long terme.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 67 29/11/2022 15:2
Chapitre 3

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 68
Préparez-vous 29/11/2022 15:2

à la croissance,
puis au déclin

Les quatre actifs clés que sont les clients, les marchés, les collabora-
teurs et les fournisseurs, ont tendance à se dégrader au fur et à mesure
que l’entreprise se développe. Selon une logique structurelle, l’histoire
se déroule en cinq grandes étapes, à moins de trouver les contreme-
sures appropriées pour lutter contre la loi de la gravité. Tout d’abord,
vous devez comprendre le problème et la « loi d’airain » du changement
d’échelle.
70 Réussir en équipes

• Première étape. La start-up démarre vraiment lorsqu’elle fait mouche


quand une nouvelle idée rencontre l’esprit du temps et que les fonda-
teurs découvrent les moyens concrets de transformer des événements
ponctuels en une activité régulière : c’est ce que nous avons fait.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 69 29/11/2022 15:2

Chiffre d’affaires

L’offre fait
mouche

Temps

Ensuite vient une période de croissance rapide, lorsque le grand


public s’intéresse à la nouvelle activité et que les fondateurs se
débattent pour mettre en place les ressources nécessaires afin de
répondre à une demande qui augmente rapidement.

Chiffre d’affaires
Soutenir
la croissance
rapide
L’offre fait
mouche

Temps

• Deuxième étape. La croissance rapide surcharge les systèmes internes


de nouvelles fonctionnalités et de silos rigides, qui suivent leur propre
logique. Les pannes, les bugs, les incendies, le chaos et les conflits
détournent l’entreprise de la satisfaction des clients et l’enlisent
dans les luttes intestines, ce qui la conduit à traiter les clients et ses
Préparez-vous à la croissance, puis au déclin 71

collaborateurs comme des ressources à exploiter plutôt que comme


des atouts à développer. En conséquence, la croissance stagne, sans
que personne au sein de l’organisation sache vraiment pourquoi
puisque tout le monde travaille plus dur que jamais. Investir dans
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 70 29/11/2022 15:2

le remplacement des anciens systèmes par de nouveaux systèmes de


pointe est alors la solution préférée de tout directeur fonctionnel qui
se respecte.
Structurer
et
Chiffre d’affaires contrôler
Soutenir
la croissance
rapide
L’offre fait
mouche

Temps

• Troisième étape. La situation interne chaotique conduit à la pro-


motion de dirigeants efficaces, choisis pour leur capacité à déli-
vrer des résultats et à contrôler les processus. Sans surprise, ils font
ce qu’ils savent faire le mieux et augmentent à la fois le command
and control dans leur domaine (produisant au passage des flots de
reporting financier) et les guerres de territoires fonctionnels pour
les ressources et l’attribution des reproches. La croissance continue
à ralentir car les clients font moins fortement la promotion du ser-
vice, les concurrents apparaissent et les clients potentiels sont moins
tolérants. Les investissements dans le marketing et les systèmes
internes dépassent les bénéfices tirés des activités opérationnelles.
De manière contre-intuitive, les dirigeants aggravent le problème
en embauchant des managers qui font de leur mieux pour hiérar-
chiser, organiser, recruter et contrôler. De plus, l’entreprise puise
72 Réussir en équipes

brutalement dans les ressources rares – talents, partenaires techno-


logiques de pointe ou fournisseurs coopératifs –, créant ainsi des
goulots d’étranglement à la croissance largement invisibles pour la
direction.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 71 29/11/2022 15:2

• Quatrième étape. En 2009, nous étions très à l’aise grâce à la première


levée de fonds. Cependant, nous nous sentions dépassés par l’acti-
vité opérationnelle où des feux se déclaraient partout. Nous avons
fait ce qui semblait logique (et ce que tout le monde nous encoura-
geait à faire). Nous avons recruté des cadres expérimentés aux postes
de directeur financier, de directeur des achats et de directeur des
ressources humaines, puis nous avons doté l’entreprise de managers
intermédiaires. Sur le moment, nous avons été très satisfaits de cette
solution car nous avions plus de monde sur le pont pour éteindre
les incendies. Il nous a fallu des années pour nous rendre compte
que nous avions ajouté à l’entreprise une couche supplémentaire de
coûts et de rigidité, car chaque cadre dirigeant apportait ses habitu-
des et ses méthodes de travail. Nous leur avions demandé d’organi-
ser les fonctions et ils l’ont fait, mais à leur manière. Le résultat fut
un renforcement des silos et une plus grande complexité.

Les coûts croissent


plus vite que le résultat,
le contrôle étouffe
Structurer l’entreprise
et
Chiffre d’affaires contrôler
Soutenir
la croissance
rapide
L’offre fait
mouche

Temps
Préparez-vous à la croissance, puis au déclin 73

• Cinquième étape. Quand les ventes commencent réellement à bais-


ser, les dirigeants concentrés sur la rentabilité prennent le contrôle
de l’entreprise avec une armada de solutions destinées à mieux
exploiter les clients et le personnel. Bien que cela génère des écono-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 72 29/11/2022 15:2

mies sur le papier, les résultats réels diminuent rapidement car les
clients importants et les collaborateurs porteurs d’énergie positive
désertent l’entreprise. La conformité et la politique l’emportent sur
la compétence et, pour sauver ce qui peut l’être encore, on fait appel
aux remèdes classiques : pivots stratégiques irréalistes ou coupes
budgétaires de plus en plus strictes.

Les coûts croissent


plus vite que le résultat,
le contrôle étouffe
Structurer l’entreprise
et
Chiffre d’affaires contrôler Coupes
Soutenir budgétaires
la croissance autoritaires,
rapide grands paris
stratégiques
L’offre fait
mouche

Temps

Pour les start-up qui survivent, ces cinq étapes sont probablement
inévitables. Il est toutefois possible d’inverser la situation, de renouer
avec la croissance au moment même où celle-ci commence à ralentir,
en changeant la façon dont on gère l’organisation et, comme le suggère
le dicton anglais, « en apprenant à l’éléphant à danser ». Nous compre-
nions bien cette loi d’airain de la croissance, nous avions vu et étudié
suffisamment d’entreprises autour de nous qui suivaient la même tra-
jectoire. Nous cherchions une autre réponse, une autre façon de faire.
74 Réussir en équipes

Un chemin différent
« Quel gâchis ! » s’énerva l’un de nos commerciaux, un jour du prin-
temps 2012,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 73 alors que nous visitions une agence. « À quoi bon essayer 29/11/2022 15:2

de faire ce qu’il faut pour le client si le système ne vous laisse rien faire
correctement ? » Il avait raison. Notre système ne fonctionnait manifes-
tement pas. Nous devions changer quelque chose, adopter une approche
différente. Nous avions essayé de nous refinancer pour lancer une nou-
velle vague d’investissements dans des mises à niveau de systèmes et de
nouvelles fonctionnalités, mais cela n’avait fait qu’empirer la situation.
Un tel chaos régnait et il y avait tant de conflits que c’était épuisant et,
franchement, plus très drôle.
Pour tout vous dire, au risque de gâcher le suspens, nous avons
effectivement réussi à renverser le cours des événements : après avoir
accepté l’idée de devoir changer notre façon d’aborder les choses pour
passer à l’échelle supérieure, nous avons décidé d’adopter une approche
lean de la croissance. Nous ne savions pas ce que cela supposait pour
une entreprise numérique, mais le fait que Toyota ait réussi à maintenir
sa croissance pendant des décennies nous a convaincus de regarder ce
que cela signifiait de plus près. Bien nous en a pris.
Volume des ventes

50 000
45 000
40 000
35 000
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
0
Années
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019

Volumes des ventes unitaires de 2002 à 2019


Préparez-vous à la croissance, puis au déclin 75

Dans notre monde du digital, nous avions connu suffisamment de


hauts et de bas (ou, plus honnêtement, de hauts et de bas suivis de
refinancements suivis à nouveau de hauts et de bas) pour nous inquié-
ter sérieusement lorsque nous avons vu notre croissance ralentir et nos
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 74 29/11/2022 15:2

ventes se stabiliser. Nous savions, tout d’abord, que nous allions conti-
nuer à simplifier le processus d’achat d’une voiture afin d’éliminer les
points de friction pour les clients. Ensuite, pour ce faire, nous conti-
nuerions à automatiser autant que possible le processus. Enfin, nous ne
renoncerions pas à l’avantage que représentent les connaissances spé-
cialisées et l’organisation fonctionnelle. Ce qu’il nous fallait découvrir,
c’était une nouvelle façon de changer d’échelle afin de pouvoir gérer à
la fois la complexité de nos systèmes avec des produits plus robustes et la
culture de notre équipe pour continuer à assurer l’excellence du service.
Or, tout cela, nous ne savions tout simplement pas comment le faire.
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Chapitre 4

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 76
Aller voir 29/11/2022 15:2

« Je vois votre parking, mais où est votre usine ? » À l’époque, nous igno-
rions que la phrase « Je vois votre stock, mais où est votre usine ? » était
une plaisanterie classique dans le monde du lean, et nous ne réalisions
pas que le sensei partageait avec nous une blague largement éculée, sans
toutefois se moquer vraiment de nous. C’était une journée venteuse à
l’usine et les éoliennes dans le champ d’à côté tournaient à plein régime.
En arrivant sur le site, plutôt que d’aller directement à l’atelier, le sensei
nous a fait faire le tour de notre parc de voitures d’occasion. Nous nous
sommes sentis bien bêtes en conduisant, allée par allée, parmi toutes ces
voitures garées, immobiles, comme abandonnées, jusqu’à ce que nous
nous rendions compte qu’il y avait, effectivement, beaucoup de stock
qui patientait, prenant le vent et la poussière.
Après une première conversation déconcertante que nous avions eue
au siège, nous avions décidé de commencer par notre usine de recondi-
tionnement qui se rapprochait le plus d’une opération industrielle et
dans laquelle nous pensions que le lean devait s’appliquer plus naturel-
lement. À l’époque, nous avions engagé le directeur de l’usine pour son
expérience du lean, acquise chez un constructeur automobile, et avions
78 Réussir en équipes

reçu de nombreux compliments de visiteurs extérieurs sur l’efficacité (et


le lean) de nos processus. Nous étions curieux de savoir ce que le sensei
en penserait. Comment nous étions-nous retrouvés à rouler sur le par-
king pour subir les boutades d’un sensei ?
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Depuis nos études en école de commerce, nous avions entendu par-


ler de lean management et en avions discuté de temps en temps au fil
des années. Nous avions commencé à nous documenter sur le sujet et
« l’élimination des gaspillages » nous parlait. Nous avions remarqué les
idées de plus en plus folles que les gens inventaient simplement pour
faire leur travail. Par exemple, notre commercial se plaignait d’une pro-
cédure spécifique mise en place pour éviter les manipulations et les opé-
rations frauduleuses. La contrôleuse financière qui avait mis en place la
procédure était tout aussi contrariée que tout le monde se plaigne d’elle.
À chaque tournant, quelqu’un imaginait une nouvelle initiative, avec
de très bonnes raisons, mais cela ne faisait qu’ajouter au désordre de
l’ensemble, devenu de plus en plus ingérable.
Nous avions alors engagé Cyril, un consultant lean, pour créer un
programme lean que nous avons appelé « Haka » pour évoquer l’esprit
de combat que l’équipe de rugby All Blacks de Nouvelle-Zélande affiche
dans sa danse de guerre cérémoniale maorie avant chaque match. Nous
avons trouvé des consultants de haut niveau pour coacher notre équipe
sur les projets d’amélioration. La littérature spécialisée nous avait
appris que l’implication de la direction était une clé du succès de toute
démarche lean. Nous avons fait en sorte que les projets relèvent direc-
tement du comité exécutif et nous nous sommes intéressés de très près
à la question.
Très vite, nous avons commencé à voir du gaspillage partout dans
l’entreprise. C’était ironique, car tout notre modèle économique repo-
sait sur l’élimination des gaspillages liés à l’achat de voitures : gaspillage
de temps dans la recherche de la bonne voiture, perte de temps dans
la négociation avec le concessionnaire, gaspillage dans la recherche de
Aller voir 79

financement et dans les formalités administratives… Et pourtant, en


interne, nos processus eux-mêmes généraient des gaspillages innom-
brables. Voici quelques exemples : un projet nous a permis de réduire
le temps d’affichage d’une voiture d’occasion sur le site de quatre jours
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 78 29/11/2022 15:2

à une heure (avec un impact financier important). Dans une agence,


nous avons réduit de 25 % à 4 % le nombre de non-conformités dans
les documents relatifs aux reprises de véhicules. Nous avons également
réussi à réduire de moitié le délai de livraison des voitures d’occasion sur
des sites pilotes, passé de dix à cinq jours. Tous ces résultats ponctuels ont
confirmé le potentiel d’amélioration de l’entreprise. Malheureusement,
ils n’apportaient pas de changements durables et nos succès se limitaient
à la récolte des « fruits » sur les branches basses les plus accessibles.
Nous avions un problème structurel qui tenait à la complexifica-
tion de l’entreprise, pour ce que nous pensions être de bonnes raisons,
telles que des fonctionnalités améliorées pour les clients ou de meilleurs
processus de back-office. Nous avions également compris que nous sur-
chargions l’entreprise de projets. Nos initiatives lean avaient confirmé
qu’un effet secondaire de la recherche d’efficacité ponctuelle et de la
superposition de systèmes était l’inefficacité partout (et un personnel
déçu, angoissé ou désengagé). Mais le remède recommandé par les
consultants réclamait… plus de projets, pour éliminer le gaspillage que
d’autres projets avaient créé. Après l’enthousiasme initial suscité par les
gains faciles, notre personnel a commencé à se plaindre des projets lean,
comme de tout le reste. Un programme de projets lean n’était pas le
chemin de la transformation. C’est ainsi que nous avons fini par parler
à des sensei, avec des années d’initiatives lean derrière eux, et une pers-
pective différente.
80 Réussir en équipes

Est-ce que ceci est normal ou anormal ?


Enfin arrivés dans l’atelier, le sensei s’est mis à pointer du doigt chaque
voiture garée.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 79 « Est-elle à sa place ? » demanda-t-il. « Est-ce son empla- 29/11/2022 15:2

cement normal ? Comment le savoir ? », « Pourquoi ne travaille-t-on


pas sur cette voiture en ce moment ? Qu’est-ce qui l’empêche ? », « Quel
problème de qualité a écarté cette voiture du flux ? », et ainsi de suite.
Dans chaque cas, le directeur de l’usine avait une réponse raisonnable,
mais en cheminant, comme sur le parking, nous avons fini par constater
qu’il y avait des voitures hors du processus normal partout dans l’usine.
« Pourquoi cette voiture n’est-elle pas à l’étape suivante du processus ?
Qu’est-ce qui a mal tourné ? » demandait sans répit le sensei alors que le
directeur du site commençait à s’énerver.
On ne voit jamais l’éléphant dans la pièce tant qu’on ne le regarde
pas directement. L’usine avait l’air vraiment bien, moderne, ordonnée,
propre. Nous avions innové en créant une installation industrielle de
reconditionnement des voitures d’occasion et en offrant aux clients
une garantie d’un an, pour nous distinguer des réparations chez les
garagistes traditionnels et mieux maîtriser qualité et coût. Lors de cette
visite, alors que nous étions avec le sensei dans une autre partie du site,
une équipe de télévision était là pour montrer à quel point nous étions
innovants, tant par l’application de techniques de pointe à la répara-
tion des voitures que par nos politiques progressistes en matière de res-
sources humaines. Nous ne pouvions tout simplement pas voir ce qui
n’allait pas, ni ce sur quoi le sensei s’arrêtait.
Aller voir 81

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 80 29/11/2022 15:2

Mécaniciens dans un atelier de rénovation

Pour être honnêtes, nous pensions qu’il essayait simplement de


peindre le tableau plus noir qu’il ne l’était afin d’attirer notre atten-
tion (une astuce classique de consultant). Nous attendions d’apprendre
comment il comptait régler la situation et quelle était la solution qu’il
envisageait de nous vendre. Elle n’est jamais venue. Il a continué à poser
les mêmes questions, encore et encore.
Au cours des mois et des années qui ont suivi, alors que nous tra-
vaillions toujours ensemble, nous avons appris qu’il posait ces questions
sincèrement. Il n’évaluait pas l’usine pour trouver une solution toute
faite. Il cherchait les problèmes clés et essayait de comprendre ce qui se
passait réellement. Comme il nous l’a dit plus tard, il avait trois ques-
tions en tête :
1. Pourquoi cette voiture n’est-elle pas à l’étape suivante ? Pour chaque
voiture qu’il voyait, qu’elle soit garée ou que quelqu’un travaille des-
sus, il se demandait ce qui l’empêchait d’avancer dans le processus,
d’être plus près d’être conduite par un client.
82 Réussir en équipes

2. Pourquoi cette personne n’est-elle pas au niveau suivant ? À chaque


fois qu’il rencontrait quelqu’un qui lui expliquait ce qu’il faisait, le
sensei se demandait ce qu’il aimerait faire ensuite et pourquoi cela
ne s’était pas encore produit.
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3. Comment la qualité a-t-elle été intégrée au processus ? Quel point spé-


cifique de savoir-faire chaque erreur de qualité a-t-elle révélé, quelle
était l’idée fausse à dissiper et comment l’atteindre ?
Son principe fondamental était : pour construire des produits, il
faut d’abord construire des personnes. Il pensait que la solution à nos
problèmes n’était ni immédiate ni évidente (sinon, nous l’aurions déjà
trouvée par nous-mêmes), et qu’elle serait progressivement imaginée par
notre personnel si nous le formions suffisamment pour tirer parti de
ses perspectives, ses idées et ses initiatives. Dans son esprit, chaque pro-
blème que nous rencontrions était une occasion de former quelqu’un
pour qu’il comprenne mieux le fonctionnement du processus actuel et
qu’il propose une meilleure solution, en espérant, à un moment donné,
tomber sur une idée nouvelle et pratique à la fois.

La découverte des points de connaissance


Apprendre était clairement notre but. Cependant, le sensei avait une
compréhension de l’apprentissage très différente de la nôtre. Pour nous,
« apprendre » était un concept plutôt vague, oscillant entre la décou-
verte de nouveaux faits, une meilleure compréhension et l’acquisition
de nouvelles compétences, un mélange flou de savoir-faire et savoir-
être. Comme la plupart des gens, nous avions l’impression que l’on
apprend par l’expérience : on essaie quelque chose ; si cela marche, on
recommence et on acquiert en quelque sorte de meilleures habitudes. Le
sensei concevait l’apprentissage comme quelque chose de beaucoup plus
précis. Les activités dépendent de points de connaissance clés. Il y a des
choses dont on ne sait pas : 1) si elles sont importantes ou non ; et 2) si
Aller voir 83

on les maîtrise parfaitement ou non. Pour lui, l’apprentissage reposait


sur la découverte de points de connaissance, puis sur la maîtrise de ces
points. Une procédure, en tant que telle, ne permet de faire le job que si
l’on connaît et maîtrise tous les points de connaissance cachés dans les
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instructions « faites ceci, faites cela ».


Par exemple, lors de ce premier jour consacré à observer chaque
voiture stationnée dans l’usine, nous ne savions pas que la principale
raison pour laquelle elles ne bougeaient pas était qu’elles attendaient
des pièces de rechange difficiles à obtenir. En d’autres termes, nous ne
savions pas qu’il fallait regarder chaque voiture et se demander : « Bon,
quelle est la pièce manquante sur celle-ci ? » Nous le comprenions en
principe, mais il aurait pu s’agir d’autre chose : pas de main-d’œuvre
disponible, pas de travail prévu, un problème technique que personne
ne savait résoudre. Lorsque les équipes se sont penchées sur la question
et ont découvert le problème des pièces, celui-ci est devenu un point
de connaissance. Nous savions désormais qu’il fallait considérer une
voiture comme un ensemble de pièces critiques difficiles à se procurer
(et par conséquent il était inutile de lancer la voiture en réparation tant
que toutes les pièces n’étaient pas là ; la voiture serait mise de côté).
Ensuite, nous ne savions pas comment maîtriser l’approvisionnement
de ces pièces compliquées. Les équipes ont dû étudier la question et
proposer toute une série d’astuces pour y parvenir, comme l’identifica-
tion de sources fiables pour certaines pièces, etc. Les équipes ont appris
à maîtriser le point de connaissance.
Un point de connaissance est quelque chose que l’on doit savoir
pour réussir une tâche : d’abord le savoir-quoi, c’est-à-dire la capacité à
le reconnaître (le point doit venir à l’esprit intuitivement) ; ensuite, le
savoir-faire, c’est-à-dire la capacité à manipuler le point correctement.
Dans cette acception, apprendre consiste à découvrir les bons points
de connaissance (les leviers qui font la différence en matière de perfor-
mance), puis à gravir la courbe d’apprentissage cycle après cycle.
84 Réussir en équipes

Performance

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Temps
Démar- Progrès Maîtrise
rage rapides progressive

Voilà la transformation que nous recherchions, elle était radicale.


Plutôt que d’inventer nous-mêmes des solutions ou de les acquérir, nous
devions « développer » nos collaborateurs afin qu’ils s’approprient les
problèmes et trouvent leurs propres réponses.

AvAnt Après
Définissez les problèmes. Utilisez les problèmes pour
Décidez des solutions. développer les personnes.
Faites en sorte que les personnes Encouragez l’appropriation
les appliquent. des performances.
Aidez les personnes à découvrir
leurs propres solutions
à des problèmes typiques.

La théorie sous-jacente à cette démarche est la suivante : l’appren-


tissage résulte en réalité d’une familiarisation avec un problème type
(c’est-à-dire un problème récurrent lié à la nature de l’activité) et non de
l’application mécanique d’une solution. Les solutions routinières sont le
résultat du processus continu de résolution de problèmes et d’erreurs.
Pour vraiment comprendre la solution, il faut avoir vécu (ou au moins
compris) les problèmes qu’elle cherche à régler.
Aller voir 85

Lors de cette première visite, nous étions loin de ce niveau de com-


préhension. Nous cherchions une meilleure solution toute faite, clé en
main et prête à l’emploi. Nous nous attendions à une solution indus-
trielle, pas à une solution humaine. Le sensei était sincère en posant des
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 84 29/11/2022 15:2

questions sur chaque voiture qui ne bougeait pas. Ce qu’il demandait


vraiment était :
1. Quel est le problème unique, spécifique et concret ici ?
2. Qui aurait dû le comprendre si on lui en avait donné la possibilité ?
3. S’agit-il d’un problème type qui se posera toujours ?
4. Comment former les collaborateurs à le comprendre et à chercher
les points de connaissance localement ?
« Pourquoi voulez-vous construire une deuxième usine ? nous a
finalement demandé le sensei. Est-ce pour doubler votre parc de voi-
tures ? » Nous lui avions fait part de nos plans de construction d’une
deuxième usine pour répondre à la demande. L’usine était de l’avis géné-
ral considérée comme un succès et nos actionnaires réclamaient de la
croissance. Nous avions estimé que nous étions arrivés aux limites de
ce qui pouvait être réalisé avec cette usine et qu’il fallait doubler notre
capacité. Encore une fois, à ce moment-là, nous avons eu l’impression
qu’il se moquait de nous. C’était pourtant une vraie question. À l’évi-
dence, le même processus industriel aurait les mêmes conséquences : un
deuxième parking rempli de voitures.
Le voilà, l’éléphant dans la pièce ! Nous avions travaillé dur pour
rendre cette usine aussi efficace que possible et, dans une large mesure,
nous avions réussi. Bâtie sur un terrain vierge en 2014, l’usine avait
rapidement atteint 150 voitures par semaine. Pourtant, elle n’avait pas
pu passer la barre des 200 voitures par semaine, ce qui nous semblait la
limite de ses capacités. Nous avions supposé que la seule façon de passer
à la vitesse supérieure était d’investir et d’adopter la même solution.
86 Réussir en équipes

Précisément la façon dont nous avions abordé le changement d’échelle


était exactement ce que nous devions changer !
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Voitures traitées mensuellement dans l’atelier
de reconditionnement, de 2014 à 2017

« Imaginez, a suggéré le sensei, que l’on soit en train de travailler sur


chaque voiture actuellement immobilisée dans l’usine. De quelle capa-
cité disposeriez-vous alors ? » La réponse était simple : nous doublerions
immédiatement notre capacité de production. Cela nous a fait réfléchir.
Était-il en train de nous dire qu’il n’y avait pas besoin d’une deuxième
usine ?
Dans ces conditions, par où devions-nous commencer ? « Retournons
dehors, a-t-il proposé. Montrez-moi les prochaines voitures prêtes à être
expédiées en agence. D’où partent les camions ? » Nous l’avons suivi
dehors et, bien sûr, il s’est avéré impossible de répondre à sa question.
Quelqu’un dut chercher sur un ordinateur pour savoir où ces voitures
étaient garées.
D’après notre sensei, la première étape pour doubler notre débit était
de peindre au sol une zone de préparation des camions, une zone où les
voitures finies seraient prêtes à être chargées sur les camions. En effet,
Aller voir 87

en arrivant, il avait pointé du doigt le désordre des camions qui atten-


daient sur la route à l’extérieur et nous lui avions expliqué que c’était
normal, en raison du jour ou de l’heure. Comment peindre des lignes
sur le sol pouvait-il avoir un rapport avec l’accélération du flux de pro-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 86 29/11/2022 15:2

duction ? Tout cela semblait bien étrange.

Les problèmes sont singuliers


Lorsque le sensei avait commencé à poser des questions répétées sur
chaque voiture garée dans l’unité de production, l’un des responsables
de la production s’était aperçu que les voitures étaient retirées du flux
lorsqu’on découvrait qu’il manquait une pièce inhabituelle ou difficile à
obtenir. La voiture était alors garée là où il était possible de lui trouver
une place jusqu’à ce que le composant soit acheté. En discutant avec
l’équipe chargée de l’approvisionnement en pièces, notre sensei décou-
vrit que ces composants étaient traités comme toutes les autres pièces du
système, et qu’ils arrivaient… quand ils arrivaient. En y réfléchissant,
le chef de l’équipe d’approvisionnement inventa alors un système pour
classer ces composants problématiques par ordre de priorité et apprendre
à s’approvisionner plus rapidement pour certains d’entre eux. Les choix
tenaient aussi compte des différences de prix et de rapidité, en partant du
principe qu’immobiliser la voiture était plus coûteux qu’un écart de prix
mineur sur la pièce. Pour ce faire, ils n’adoptèrent pas une approche géné-
rale, mais considérèrent chaque pièce manquante comme un problème
singulier à résoudre au cas par cas, faisant à chaque fois la part des choses
entre coût de la pièce et coût de l’immobilisation (c’est un choix subtil car
une pièce plus chère dégrève la marge par voiture tandis que la voiture
perd de son prix en fonction du temps passé depuis son acquisition).
Progressivement, le flux dans l’usine est devenu plus régulier et les
performances se sont stabilisées dans la fourchette supérieure des capa-
cités de production, avec des pics prometteurs.
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02/18
03/18
04/18
Voitures traitées mensuellement dans l’atelier
de reconditionnement, de septembre 2016 à avril 2018

Nous pensions que si nous pouvions traiter 1 000 voitures par mois,
une autre installation n’était peut-être pas nécessaire car la capacité
existait, d’une manière ou d’une autre. La difficulté était de l’atteindre
de manière constante, mais les premiers résultats étaient encourageants
et nous ne pensions plus avoir atteint les limites de débit de l’usine.
L’amélioration de l’usine est une chose, mais quel lien avec notre
enjeu de changement d’échelle numérique ? Lorsque nous avons
emmené le sensei rendre visite à notre équipe marketing, en charge du
site web, il leur a demandé : « En combien de clics puis-je acheter une
voiture sur votre site ? » L’équipe s’est moquée de cette question appa-
remment naïve. En bref, les clients pouvaient acheter une voiture direc-
tement sur le site web, mais nous ne savions pas encore comment traiter
tous les cas d’achat. Les clients choisissaient une voiture en ligne pour
ensuite l’acheter en agence. L’équipe de marketing souhaitait dévelop-
per la vente en ligne, mais notre site en était-il capable ?
« Pouvez-vous décrire la conversation que le site a avec le client ?
a-t-il demandé ensuite. Ou les conversations ? » Si notre site web était
censé remplacer la discussion avec un conseiller commercial, il devait
Aller voir 89

sûrement y avoir une conversation entre un client et le site. Cette conver-


sation tournait-elle mal ? Comme à l’usine, l’équipe pensa d’abord que
le sensei essayait de la mettre en difficulté devant les patrons. Mais non.
Là encore, les questions étaient sincères. Avant de chercher des solutions
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 88 29/11/2022 15:2

globales, nous devions identifier nos vrais problèmes.


En examinant les conversations, notre équipe marketing a com-
mencé par analyser son pitch : la publicité sur les moteurs de recherche
(search engine advertising, SEA) qu’elle payait pour attirer l’attention du
client. Dans la pratique, il s’agit de payer Google pour qu’il affiche
votre annonce lorsque quelqu’un tape « achat d’une voiture » afin que
votre site soit mieux classé dans ses réponses. En termes de conversa-
tion, le SEA revient à dire : « Vous cherchez une voiture ? Venez-nous
voir. » Lorsque l’équipe s’est penchée sur la question, elle a découvert
que deux tiers des clients provenant du SEA n’entraient même pas sur le
site. Ils n’avaient pas accès au catalogue s’ils n’avaient pas d’abord saisi
leur adresse électronique et leurs données personnelles, ce qui revenait à
s’entendre dire par un vendeur : « Donnez-moi d’abord toutes vos coor-
données, je vous montrerai ensuite ce que j’ai en stock. »
Une fois qu’elle s’est mise à écouter, l’équipe a entendu les nombreuses
plaintes provenant des clients (trop de demandes d’informations), des
commerciaux (mauvaise qualité des leads) et de l’équipe marketing
elle-même (les utilisateurs ne pouvaient pas naviguer sur le site web).
Plutôt que de se précipiter sur une solution, l’équipe a commencé à
débrancher progressivement les landing pages et à vérifier leur impact.
Dans un premier temps, 10 % des clients ont été dirigés vers les pages
listant les produits plutôt que vers la landing page verrouillée. Une véri-
fication minutieuse a montré que ces 10 % ne généraient pas moins de
commandes que les 90 % qui passaient par la page de liste. L’équipe
a ensuite étendu le test à 50 % des utilisateurs. Elle demandait des
feedbacks continus sur la qualité des leads aux équipes commerciales et
a assuré un suivi des réclamations des utilisateurs. Après plusieurs mois
90 Réussir en équipes

de suivi des changements, elle a constaté une amélioration de 6 % du


taux de conversion et une baisse drastique des réclamations des utilisa-
teurs, qui n’étaient plus bloqués par la landing page, ce qui a convaincu
l’équipe de supprimer complètement le formulaire à remplir qui ver-
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rouillait l’entrée du site. En outre cela a facilité l’accès aux moteurs de


recherche (search engine optimization, SEO) – le trafic du site web pro-
venant des résultats de moteurs de recherche non payants – puisque le
taux de rebond du site a diminué.
Comme à l’usine, l’équipe a développé sa conscience des problèmes.
Se responsabiliser sur la performance
Trouver un problème jusque là
inconnu ou non traité
Tester des solutions jusqu’à
ce que la performance s’améliore
Découvrir de nouveaux points
de connaissance du processus
Apprendre à maîtriser de nouveaux
points de connaissance

En tant que dirigeants, c’était ce que nous espérions, bien sûr. La


question suivante était : s’ils pouvaient y arriver par eux-mêmes, pour-
quoi ne l’avaient-ils pas fait avant ? La réponse du sensei fut : parce que
nous ne le leur avions pas demandé.
Là encore, cela nous fit réfléchir. Bien sûr, nous attendions de
chacun qu’il fasse bien son travail. De toute évidence, l’acquisition de
clients était une mission essentielle de notre équipe marketing. Que
voulait dire « nous ne leur avions pas demandé » ?
Nous commencions à réaliser qu’on ne trouve pas de solutions au
niveau logique où le problème se pose : il faut soit prendre de la hauteur,
soit regarder plus dans le détail pour réfléchir différemment. En tant
qu’entrepreneur, on construit son entreprise en trouvant des solutions
Aller voir 91

pratiques à des problèmes génériques. Lorsque le nombre de nos clients


a augmenté, par exemple, nous savions que nous avions besoin d’un
système ERP pour pouvoir suivre chaque client individuellement. Nous
pouvions l’acheter ou en construire un, une décision classique de « make
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 90 29/11/2022 15:2

vs buy », (c’est-à-dire « faire ou acheter »). À l’époque, les solutions dis-


ponibles sur le marché ne nous plaisaient pas vraiment et nous avions
accès à des codeurs bon marché et flexibles, nous avons donc construit
un ERP selon nos spécifications. Ce n’était pas le meilleur, ni certai-
nement le plus adaptable pour une croissance future, mais il faisait
l’affaire. De même, au fur et à mesure de notre croissance, nous avons
eu besoin d’un réseau d’agences. Même chose : ce n’est pas facile et c’est
un engagement financier et logistique considérable. Nous avons appris à
ouvrir une agence, puis une deuxième, et avons trouvé la formule pour
créer de nouvelles agences et développer le réseau.
La capacité de changement d’échelle consistait à investir pour
résoudre des problèmes génériques, puis à trouver les personnes capables
de travailler avec le système dans lequel nous avions investi. C’est ainsi
que nous avions construit l’usine de reconditionnement. Nous avons
essayé de travailler avec des garages, puis nous avons décidé qu’il était
préférable d’avoir notre propre usine, puisque nous pouvions la finan-
cer. Nous pourrions l’organiser autour des techniques de la chaîne de
production. Cela a bien marché, jusqu’à un certain point. Comme
nous étions toujours concentrés sur le prochain problème générique
à résoudre par la solution la plus généralement connue, nous avons
délégué la gestion des opérations aux responsables de proximité. Nous
sommes des managers de terrain et nous n’avons jamais cessé de visiter
nos sites et de nous y intéresser. Mais lorsque nous rencontrions des
problèmes, nous les considérions comme des problèmes génériques qui
pouvaient être résolus au niveau central, en jouant sur le bon facteur ou
en réalisant le bon investissement.
92 Réussir en équipes

Comme le nombre de nos clients augmentait rapidement, nous


devions simultanément apporter un meilleur service à notre base de
clientèle tout en continuant à relier des voitures (quelle que soit leur
localisation) et des clients (où qu’ils soient). Nous avons donc inter-
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facé les systèmes CRM et ERP pour que la bonne voiture soit au bon
endroit, au bon moment, dans des volumes plus importants. Évidente
sur le papier, cette idée ingénieuse créa en pratique d’innombrables pro-
blèmes, avec des livraisons manquées, des annulations de commande ou
de réservation : la solution générique qui paraissait intelligente et inévi-
table ne l’était peut-être pas tant que cela. Prenez le financement. Nous
avions ajouté la fonctionnalité financement pour faciliter la tâche des
clients qui n’étaient plus obligés de chercher un crédit ailleurs. Comme
ce n’était pas du tout notre activité, il nous avait semblé évident de
nous associer avec une société de financement, comme tout le monde.
C’est devenu un véritable cauchemar, avec des interfaçages difficiles,
la ressaisie manuelle d’informations, des corrections d’erreurs… Un
schéma qui s’est répété encore et encore. Lorsque nous avons commencé
à racheter des véhicules, nous avons adopté une solution logicielle intel-
ligente pour calculer notre offre initiale, puis faire évaluer le prix par
des professionnels. Cela a eu pour effet des clients déçus et mécontents,
des évaluateurs épuisés ; au final, une séquence très difficile.
Ces solutions génériques marchaient parce que nous les avions for-
cées pour qu’elles fonctionnent. Investir dans une usine de recondi-
tionnement était clairement la bonne décision. Et pourtant, cela
s’accompagnait des ennuis que représentait la gestion d’une usine et
de la chaîne d’approvisionnement correspondante. Les solutions géné-
riques sont appropriées, mais jusqu’à un certain point seulement. Pour
passer au niveau supérieur de performance, il nous fallait apprendre à
regarder les problèmes comme singuliers, et non génériques. Une fois
que nous avions trouvé comment assurer la fonctionnalité principale
– qui fait le job tant bien que mal –, nous devions examiner tous les
Aller voir 93

petits problèmes, les micro-problèmes, pour comprendre ce qui se pas-


sait réellement et découvrir avec les équipes sur place comment amélio-
rer les performances.
Nous savions que nos solutions avaient des inconvénients, c’est
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pourquoi nous cherchions des correctifs avec des logiciels. Ce que nous
n’avions pas réalisé à l’époque, c’est que cela faisait du codeur le « héros »
(il nous sauve la mise une fois encore) et de ceux qui faisaient le travail
les « méchants » (ne peuvent-ils donc jamais rien faire correctement ?).
Au début, ce n’était pas un gros problème parce que nous faisions tout
nous-mêmes, mais au fur et à mesure que l’entreprise grandissait, nous
avons appris à faire ce qui est enseigné dans les écoles de management :
déléguer. Intuitivement, nous pensions, comme la plupart des patrons,
que les systèmes étaient la solution et les personnes le problème : les
collaborateurs ne pouvaient jamais s’adapter aussi bien que nous aux
situations spécifiques des clients.
À vrai dire, nous ne voulions pas voir que notre polyvalence était
due à notre statut de fondateurs. Non seulement nous comprenions
mieux l’activité, mais nous pouvions également ignorer les systèmes
quand bon nous semblait… ce qui n’était pas le cas des opérateurs. La
frustration s’accumulait de tous côtés : les managers en voulaient à leurs
subordonnés de ne pas être plus malins et plus réactifs. Les collabora-
teurs en voulaient à leurs patrons de ne pas être plus compréhensifs et de
ne pas les aider. Les cadres intermédiaires s’en mêlaient et attribuaient
la responsabilité à tout le monde. Peu satisfaisant, mais c’était devenu
notre quotidien.
C’est la raison pour laquelle nous soupçonnions notre sensei de
se moquer de nous lorsqu’il demandait à propos de chaque voiture :
« Pourquoi n’est-elle pas à l’étape suivante ? » ou de chaque client poten-
tiel : « Pourquoi n’a-t-il pas encore acheté une voiture ? » ou « Pourquoi
n’est-il pas encore parti avec ? » Nous pensions qu’il cherchait à nous
provoquer avec un problème générique que nous ne savions pas résoudre.
94 Réussir en équipes

Ce que nous voyions, c’étaient des voitures qui allaient être traitées et
des clients qui allaient être servis, mais pas tous – et pas tous en même
temps. En fait, le sensei était sincèrement curieux de comprendre chaque
problème singulier. Chaque voiture que nous avions vue, garée dans
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l’atelier de production, avait une raison spécifique d’y être.


Nous ne voyions pas l’intérêt d’étudier chaque raison spécifique,
car il nous semblait irréaliste de trouver une solution qui tienne compte
de tous les cas particuliers. Notre expérience en tant qu’entrepreneurs
est que certaines pertes font partie du coût normal des affaires et que
nous ne devons pas les laisser nous ralentir, ou ne jamais rien faire en
cherchant une réponse parfaite. Le sensei ne cherchait pas des problèmes
qu’il aurait à résoudre lui-même. Il cherchait des problèmes que les per-
sonnes sur le terrain pourraient résoudre. Il ne résolvait pas les pro-
blèmes, il les trouvait.

Aller sur le terrain pour trouver


des problèmes, pas pour les régler
La première pratique du lean, nous a expliqué le sensei, consiste à aller
voir. Aller sur le terrain, jusqu’au poste de travail, là où la machine
touche la pièce pour voir ce qui s’y passe vraiment, trouver des pro-
blèmes spécifiques, demander aux gens de les étudier et explorer des
solutions… et le but n’est pas nécessairement de résoudre le problème,
mais de le comprendre plus profondément. Pour être honnêtes, cela
nous paraissait du charabia, mais nous étions prêts à tenter l’expérience
et nous avons donc mis en place le programme de visites sur le terrain
qu’il avait suggéré. Ce que nous avons découvert nous a stupéfiés.
Lors de l’une de nos premières visites dans une agence, nous avons
découvert que nous demandions un versement d’acompte à la signa-
ture, procédure tout à fait normale. Ce montant dépassait souvent le
plafond des cartes de crédit de nos clients. Certains, bloqués à ce stade,
Aller voir 95

renonçaient tout simplement à leur achat. Pour faciliter l’achat des


clients, nous avons réduit les acomptes au seuil des cartes de crédit, une
somme suffisamment importante pour dissuader les défauts de paie-
ment, mais sans nécessiter l’intervention de la banque. À la suite de ce
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simple changement, nos ventes ont augmenté de 3 %. Problème résolu.


Bonne nouvelle, non ?

La réduction des acomptes augmente les ventes

« Comment le directeur commercial a-t-il pu ne pas s’en aperce-


voir ? » nous sommes-nous interrogés. « Avez-vous résolu le problème
vous-mêmes, ou est-ce celui qui vous l’a signalé qui l’a fait ? » nous a
alors demandé le sensei. Nous devions manifestement le résoudre nous-
mêmes ! Comment d’autres auraient-ils pu le faire ? Il s’agissait de modi-
fier une politique d’entreprise. « Dans ce cas, a-t-il répondu, quelle place
laissez-vous à leurs idées ? »
Par nature, les idées créatives sont rares. On n’est pas créatif sur
commande. On devient créatif quand on est obsédé par un problème,
qu’on le rumine, y réfléchit – et un jour, sous la douche, « miracle », la
solution vient de nulle part ! Souvent parce qu’on envisage une nouvelle
façon d’aborder le problème. La plupart du temps, nous résolvons des
96 Réussir en équipes

problèmes connus par des solutions éprouvées. Les résultats sont, en fait,
moyens, mais ils sont acceptables tant qu’ils sont suffisants. Pourquoi
s’en inquiéter ? En revanche, de meilleurs résultats sont obtenus en
s’appuyant sur des méthodes de plus en plus intelligentes. Au lieu de
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s’arrêter à la moyenne, il faut rechercher la variation positive, la manière


plus intelligente que quelqu’un ait trouvé pour résoudre un problème.
On nous a appris que les variations ou les écarts dans les proces-
sus étaient entièrement négatifs et qu’il faudrait toujours les standardi-
ser davantage. En faisant de ce fait l’hypothèse que les processus sont
parfaitement conçus et qu’ils seraient parfaits s’ils étaient suivis à la
lettre. C’est tout simplement idiot. Il n’existe pas deux clients pareils,
avec exactement les mêmes exigences. Aucune situation n’est parfaite-
ment identique à une autre. Les problèmes proviennent de la rencontre
entre les processus et la réalité du contexte. L’écart peut être positif s’il
conduit à de meilleurs résultats que la façon traditionnelle de procéder.
En encourageant une conformité aveugle aux processus, nous interdi-
sions l’initiative, née de la compétence.
En travaillant avec un premier sensei, nous avons également compris
qu’il fallait en rencontrer plusieurs et aider nos membres du comité de
direction à trouver leur propre sensei – tâche complexe car ils sont rares
et difficiles à convaincre. Les discussions avec les sensei créent un espace
de réflexion pour identifier les « misconceptions » et reconnaître des
vraies idées créatives alors qu’au début celles-ci ne sont pas très claires.
En tant que patron, il est difficile de reconnaître une idée créative pour
ce qu’elle est. Elle est rarement présentée sous la forme d’une innovation
susceptible d’être appliquée à grande échelle. La plupart du temps, une
idée nouvelle paraît bizarre et mal fichue. Nous étions en train de nous
débattre avec ce concept lorsque nous avons eu la chance de discuter
avec un autre sensei lean, Marc Onetto. Aujourd’hui à la retraite, Marc
était l’ancien vice-président (VP) des opérations d’Amazon qui, avec
des principes lean, avait mis en place l’impressionnante logistique de
Aller voir 97

l’entreprise dans sa période de grande expansion. Il nous a parlé d’une


de ses visites gemba.
Lorsque Amazon démultipliait rapidement les entrepôts pour tenir
la promesse Prime de Jeff Bezos (livrer tout partout en 2 jours), Marc
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encourageait tous les sites à pratiquer le kaizen afin d’amener les équipes
à prendre en compte et à résoudre les problèmes qui surgissaient sans
cesse. Un jour, le coach lean l’emmena à l’endroit où les collaborateurs
rangeaient les produits : les opérateurs poussaient des chariots chargés
de marchandises et les rangeaient sur les étagères prévues à cet effet
pour que les préparateurs de commandes les trouvent facilement ulté-
rieurement et puissent traiter rapidement les commandes des clients.
Ils avaient normalisé le nombre d’articles par chariot. Le coach lean
fit remarquer à Marc que certains opérateurs étaient systématiquement
plus rapides que d’autres. Certains étaient bien en avance sur le temps
imparti, tandis que d’autres étaient toujours en retard, sans raison appa-
rente. Ils ne marchaient pas moins vite. Ils n’avaient pas plus d’articles
à ranger.
Le coach lean avait montré à Marc que la variation venait du fait
que tous les chariots contenaient le même nombre d’articles, mais que
tous les articles ne prenaient pas le même temps de rangement sur les
étagères. Les petits articles étaient faciles à ranger, mais les gros articles
étaient plus difficiles car le nombre d’emplacements (c’est-à-dire de
casiers) suffisamment grands pour recevoir ces articles volumineux était
limité. Souvent, ces emplacements étaient plus difficiles à atteindre (en
haut ou en bas des étagères). Les opérateurs expérimentés distinguaient
d’un coup d’œil les « bons » chariots (beaucoup de petits articles) des
mauvais (beaucoup d’articles volumineux). La solution consista à créer
des chariots égaux en temps de rangement : les chariots contenant de
gros articles ne comporteraient que 20 articles, les chariots d’articles
moyens 50 et les chariots de petits articles 100. « Nous avons passé un
peu plus de temps aux postes de réception pour trier les articles par
98 Réussir en équipes

taille dans trois chariots différents, se souvenait Marc, mais nous avons
gagné beaucoup de temps dans les tâches de rangement en devenant
prévisibles. » La prévisibilité a également permis aux opérateurs de
détecter d’autres défauts, comme des scanners qui ne se rechargeaient
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pas correctement. (Marc a détecté le problème lui-même en allant tra-


vailler sur la ligne afin d’expérimenter le nouveau travail standard à
trois chariots et de remercier l’équipe kaizen qui avait résolu le problème
de prévisibilité.)
Cette histoire est frappante car elle réunit trois aspects importants
de l’idée de variation positive. Premièrement, une telle idée ne peut venir
qu’à quelqu’un qui fait le travail tous les jours, encore et encore. Le VP
des opérations d’Amazon avait beau être excellent, il ne pouvait pas y
penser de lui-même. Deuxièmement, présenté comme cela, on dirait
que ce n’est pas grand-chose. La réaction est généralement : « Ah, d’ac-
cord. » Troisièmement, la solution ne semble pas pouvoir être générali-
sée. Elle n’est pas complète ou exploitable. Dans ce cas, tous les chariots
ne peuvent pas être les plus faciles à ranger. Alors comment tirer profit
de l’idée ? La variance est généralement positive quand quelqu’un :
1. résout un problème que personne n’a remarqué ;
2. par une solution peu attrayante ;
3. qui n’est manifestement pas généralisable.
L’idée du kaizen ne semblait pas très importante au départ, mais,
comme nous l’a expliqué Marc, elle conduisit à une percée spectacu-
laire : « Un autre avantage intéressant de ce nouveau mode de standard
de travail en matière de rangement est de nous avoir permis par la suite
d’automatiser astucieusement en remplaçant les personnes poussant les
chariots de rangement par des robots qui apportent les étagères à la
personne qui range plutôt que de faire marcher celle-ci jusqu’à l’éta-
gère. Dans le nouveau processus automatisé, les robots apportent les
étagères à la station d’arrimage. Le magasinier place ensuite un certain
Aller voir 99

nombre d’articles sur les étagères, et les robots reprennent l’étagère


pour la remettre en place. Le robot prend la partie pénible du travail
(pousser), l’être humain garde la partie intelligente du travail (ranger
au bon endroit). Si le processus de rangement avait été aussi déséquili-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 98 29/11/2022 15:2

bré qu’auparavant, nous aurions créé un embouteillage massif de robots


en attente d’un rangement lent. Or, nous savions désormais comment
pré-ranger les articles de façon que le temps de rangement soit prévisible
et identique pour toutes les stations. Sans avoir préalablement résolu
la question du processus d’équilibrage, l’automatisation d’un processus
imprévisible aurait abouti à un état de désorganisation totale. »
Au début de notre aventure entrepreneuriale, nous avions bricolé des
solutions pour des problèmes que personne n’avait vu venir. Beaucoup
de ces bricolages sont devenus de véritables outils de travail. Nous com-
prenions bien le mécanisme, mais nous n’avions pas envisagé ce phé-
nomène à l’échelle de l’entreprise. Progressivement ces développements
ont été de plus en plus mal vus car ils remettaient en cause l’intégrité
des systèmes – non sans raison, car de nombreux bugs avaient pour ori-
gine un correctif oublié dont personne n’avait assuré le suivi.
La leçon plus profonde de Marc, qui faisait également écho à nos
préoccupations, invitait à distinguer dans chaque tâche la partie prévi-
sible et la partie imprévisible : automatiser la première, puis travailler
avec les équipes pour trouver des moyens de rendre l’imprévisible plus
prévisible. Essayer, tester, puis continuer progressivement à automatiser.
Attention cependant à ne pas chercher à automatiser ce qui est imprévi-
sible, car il en résultera seulement un coûteux désordre… ce qui corres-
pond effectivement à notre expérience.
Le changement d’état d’esprit proposé était radical : plutôt que de
résoudre tous les problèmes nous-mêmes ou avec notre comité de direc-
tion et d’imposer ensuite nos solutions au reste de l’entreprise, nous
devions d’une manière ou d’une autre créer les conditions d’une prise
de conscience des problèmes : encourager les gens à trouver les problèmes
100 Réussir en équipes

et à tester les solutions par eux-mêmes afin de pouvoir, plus tard, les
standardiser ou les automatiser.
Les problèmes Les problèmes
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 99 sont génériques sont singuliers 29/11/2022 15:2

Les lealers s’attachent


à appliquer des solutions
connues

Les leaders encouragent


les équipes à résoudre de petits
problèmes pour découvrir
de nouvelles approches

Comme nous l’a montré notre sensei, la première étape consiste à


s’engager à aller voir régulièrement au poste de travail et à trouver des
problèmes sur lesquels les gens peuvent travailler, des problèmes avec
un potentiel pédagogique, sans nous en occuper nous-mêmes. C’est ce
qui s’est passé à l’usine. Nous n’avions pas pensé à examiner les pièces
manquantes, article par article, et l’usine s’en est chargée toute seule.
C’était aussi une illustration claire de la leçon de Marc sur la nécessité
de distinguer le prévisible et l’imprévisible, puis de rendre ce dernier
plus prévisible en l’étudiant. L’équipe d’approvisionnement de l’usine
a beaucoup appris sur les types de pièces, leur provenance, les fournis-
seurs et la manière de les traiter au cas par cas.

Des processus aux points de connaissance


Un écart positif n’est utile que dans la mesure où il est transformé en
un point de connaissance. Tous ceux qui ont pratiqué un sport savent que
connaître le processus, l’enchaînement des étapes pour réaliser une par-
tie, ne suffit pas pour réussir. Il faut aussi savoir 1) à quoi il faut prêter
attention et 2) comment gérer de mieux en mieux ce point d’attention.
Point de connaissance = point d’attention + méthode de travail
Aller voir 101

Dans notre entreprise, nous avons découvert que la qualité de


la photographie affichée sur le site, en particulier pour les voitures
d’occasion, constituait un point de connaissance. Nous avons investi
dans des compétences et des équipements pour réaliser de meilleures
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photos et nous avons dû apprendre à développer ce savoir-faire. C’est


une évidence de dire que votre performance dépend du nombre et de la
qualité de votre maîtrise des points de connaissance, mais la plupart des
entreprises se concentrent sur les processus – et la séquence d’étapes à
suivre – pour accomplir un travail, et non sur ce qu’il faut savoir pour
réussir chaque étape.
Le fait est que les points de connaissance sont souvent mystérieux,
ils doivent être découverts. On apprend par l’expérience directe. Pour
ce faire, vous partez d’une métrique et des points de connaissance que
vous connaissez déjà. Puis vous recherchez les problèmes, dans le but de
modifier votre compréhension de ces points existants ou d’en découvrir
de nouveaux. Dans l’atelier de production, le sensei nous a montré que
les étapes avaient bien été clarifiées dans les procédures standard, mais
sans en dégager les points de connaissance clés – c’est-à-dire le cœur de
l’ouvrage.

Métrique
à améliorer

Nouveaux points
Problèmes
de connaissance

Points de connaissance
existants

Marc Onetto raconte l’histoire du placement des objets chez


Amazon parce qu’il était toujours à l’affût d’un déséquilibre (pourquoi
tout le monde n’était pas performant au meilleur moment) et cherchait
102 Réussir en équipes

le point de connaissance qui expliquerait ce déséquilibre. Une fois qu’il


l’avait trouvé, en repérant la variance positive, il pouvait l’exploiter. En
fait, l’histoire de Marc ne s’arrête pas là. Après que Marc eut remarqué
l’écart positif et obtenu que l’équipe le transforme en point de connais-
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sance spécifique, il était venu tester le nouveau système à trois cha-


riots. Un placeur devait normalement faire le travail en vingt minutes
et l’équipe lui assura que tel était le cas.
« Très bien, dit-il, montrez-moi un chariot et j’essaierai. » Surprise,
l’équipe dirigea Marc vers le premier chariot disponible, lui mit en main
la tablette avec le circuit et le clignotant pour marquer l’emplacement
des articles, et il partit. Il lui fallut deux fois plus de temps que prévu
pour faire le circuit. Bien sûr, tout le monde s’en amusa : « Regardez,
le patron ne peut pas faire le travail correctement. Qu’est-ce que le VP
des opérations d’Amazon connaît au rangement des produits ? » Marc
leur fit alors part de ses difficultés à utiliser le scanner pour flasher
les articles. Tout d’abord, ils ignorèrent sa remarque. Mais, en testant
les appareils portatifs, ils découvrirent que la moitié d’entre eux ne se
rechargeaient pas correctement. Il y avait un défaut dans l’application
de chargement : ils avaient découvert un nouveau problème et un nou-
veau point de connaissance plus détaillé.
Sans recherche active de problèmes, il est impossible de trouver de
nouveaux points de connaissance et d’améliorer les performances. Dans
notre atelier, l’équipe des achats chargée des pièces détachées pour la
réparation des voitures avait décidé de choisir le fournisseur qui avait
le délai le plus court pour accélérer le flux des réparations. L’équipe
s’est aperçue qu’elle commettait de nombreuses erreurs lors de ses com-
mandes, car elle commandait les pièces par modèle de voiture (ce qui
semble assez logique) et non par type de châssis (ce qui était une sur-
prise). L’examen du type de châssis a constitué un nouveau point de
connaissance pour l’équipe.
Aller voir 103

Nous apprenions à aller voir, à trouver des problèmes singuliers et à


observer ce que nous trouvions à travers le prisme des points de connais-
sance. Mais pour transformer cette capacité émergente en améliorations
durables, il fallait que tout le monde, partout, croie en cette approche
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comme nous commencions à le faire. Était-ce possible ?


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Chapitre 5

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Inspirer une culture 29/11/2022 15:2

de l’apprentissage

Nos premiers gemba walks (aller sur le terrain pour voir les problèmes,
avec ou sans sensei) ont été à la fois passionnants et frustrants : en cher-
chant à trouver les problèmes, nous avons découvert de nombreuses
opportunités de gains rapides, mais nous avons aussi progressivement
mieux compris comment les règles que nous appliquions créaient les
limites de notre croissance. Nous voyions notre organisation sous un
jour différent. Même si nous ne savions pas comment remédier à ce
problème, le potentiel de croissance était bel et bien présent… ce qui
était passionnant. Frustrant, aussi, parce que c’était toujours nous qui
signalions les problèmes. Les gens venaient rarement nous voir avec un
problème à résoudre ou, mieux encore, avec une idée sur la façon d’y
arriver sans investir davantage dans d’autres systèmes.
L’autre découverte brutale de nos gemba walks fut la différence frap-
pante d’accueil d’un manager à l’autre. Certains nous accueillaient cor-
dialement et souhaitaient sincèrement avoir notre point de vue sur leurs
opérations pour pouvoir progresser, heureux d’examiner les problèmes et
de discuter des solutions qu’ils pourraient essayer. Ils avaient un état d’es-
prit de croissance, c’est-à-dire une croyance profonde que l’apprentissage
est : 1) possible ; 2) utile. D’autres, par contre, restaient sur la défensive
106 Réussir en équipes

en mettant en avant leurs résultats et en détaillant la longue liste des


raisons pour lesquelles rien ne pouvait être amélioré (sans s’exposer à des
conséquences néfastes). Ils avaient un état d’esprit fixe, c’est-à-dire qu’ils
croyaient : 1) savoir tout ce qu’il est utile de savoir ; 2) que chercher
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au-delà de ce qu’ils savaient déjà serait une perte de temps. Les uns et les
autres travaillaient tout autant et les managers avec un état d’esprit fixe
semblaient souvent travailler encore plus dur pour montrer que tout était
sous contrôle et que rien de plus ne pouvait être accompli.
Lors de nos visites de recherche de problèmes sur le lieu de travail,
nous avons découvert que :
• Le style du manager de terrain crée une culture locale : les leaders avec
un état d’esprit de croissance avaient favorisé des cultures dans les-
quelles les gens étaient accessibles, faciles à aborder et ouverts aux
problèmes et aux suggestions. Avec les leaders dont l’état d’esprit
était fixe, les gens étaient concentrés sur leur poste de travail et
évitaient autant que possible de nous parler. Lorsque nous essayions
d’engager la conversation, ils restaient muets ou, lorsqu’un problème
était clairement en train d’exploser, se déchaînaient occasionnelle-
ment, regardant généralement leur manager pour vérifier qu’ils ne
révélaient rien qui leur soit reproché plus tard.
• Les leaders locaux peuvent changer de style : beaucoup des managers,
au début sur la défensive, se sont détendus en voyant que nous nous
en tenions aux visites régulières. Ils se sont ouverts, constatant que
nous attendions qu’ils explorent les sujets et non qu’ils obtiennent
des résultats immédiats. Par conséquent, leurs équipes se sont éga-
lement détendues. Certains, bien sûr, n’ont jamais changé, au point
que quelques-uns ont quitté l’entreprise. À l’inverse, nous avons
également vu certains leaders qui, au départ, avaient une attitude
de croissance, se refermer lorsqu’ils étaient débordés, soit submergés
à cause d’une charge de travail trop importante, soit lors d’une crise.
Par mimétisme, leurs équipes faisaient de même.
Inspirer une culture de l’apprentissage 107

Soutenir les managers de terrain


pour développer une culture de croissance
Ces premiers gemba walks nous ont secoués et ont changé notre pers-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 106 29/11/2022 15:2

pective sur la façon de diriger l’entreprise dans son ensemble. Comme


de nombreux CEO, nous pensions que des initiatives centrées sur les
RH et des conditions de travail détendues étaient les principaux leviers
sur la culture d’une entreprise. Nous avions un programme de « héros »
pour montrer en interne notre fierté de nos collaborateurs. Nous étions
convaincus que nous devions renforcer la confiance, la camaraderie et
la fierté du travail accompli. Mais en même temps, nous nous étions
rendu compte que les nombreux problèmes professionnels rencon-
trés quotidiennement rendaient la tâche difficile et nous avons donc
demandé aux RH de trouver des compensations pour les emplois réel-
lement difficiles.
Nous n’avions pas réalisé à quel point notre culture globale dépen-
dait de nos managers de terrain. Pourtant, nous le savions déjà : nous
savions que nos agences étaient très différentes les unes des autres, nous
savions que l’atmosphère et les résultats changeaient à chaque fois que le
responsable d’agence changeait. D’une certaine manière, nous n’avions
pas fait ces observations globalement – ni saisi leurs implications. Nous
rendre régulièrement sur le lieu de travail et voir les dirigeants de terrain
interagir avec leurs équipes dans des conditions variables de marché,
d’humeur, de saison, d’événements, etc., nous a fait prendre conscience
qu’une grande partie de la culture dépendait plus de l’orientation du
leader local que de celle de l’entreprise.
La pensée bureaucratique s’installe à mesure que l’entreprise se
développe. Vous perdez de vue l’objectif de trouver les bonnes per-
sonnes pour faire avancer les choses, prendre des risques et en tirer des
leçons. Vous avez maintenant un organigramme avec des rôles très spé-
cifiques à remplir, et la dotation en personnel devient rapidement un
108 Réussir en équipes

jeu de chiffres : peu importe qui vous embauchez, tant que le poste est
pourvu. Passer du temps sur le lieu de travail nous a rappelé à quel point
chaque individu comptait, comment ses perspectives, sa personnalité,
son attitude et son expérience influençaient l’ensemble de ses collègues,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 107 29/11/2022 15:2

ainsi que les résultats.


Nous l’avons constaté dans les agences : chaque changement de
manager est un pari. Lorsque l’un de nos jeunes managers prometteurs,
Antoine, a succédé à son prédécesseur, les ventes ont nettement aug-
menté. Nous avons découvert que l’ancien manager, tout en étant bon
vendeur, avait instauré une mauvaise culture par des détails quotidiens
inappropriés, tels qu’aménager les horaires de travail d’une manière qui
l’arrangeait ou qui ne convenait qu’à son personnel, se servir dans le car-
burant destiné aux voitures des clients et démotiver le vendeur vedette
de l’agence par des petites humiliations, pensant à tort que cela le stimu-
lerait. Dès son arrivée, le nouveau manager a changé l’ambiance au sein
de l’équipe. Il a rattrapé les collaborateurs qui cherchaient à partir. Le
changement d’attitude a été visible immédiatement. Malheureusement,
nous n’avions pas réalisé à quel point la situation s’était dégradée : les
managers autoritaires savent très bien cacher les choses.
L’orientation des managers était très largement déterminée par ce que
nous approuvions ou désapprouvions. C’est difficile à admettre, mais
lorsque la croissance a stagné, sous la pression des problèmes internes,
nous avions, sans le savoir, promu des managers de profil contrôleur,
qui se comportaient comme si tout allait bien et que tout le monde
travaillait très dur. Nous avions peu à peu instauré une culture de men-
talité fixe, exclusivement axée sur la livraison et ne laissant aucune place
à la découverte.
Par le passé, nous nous rendions fréquemment sur le terrain pour
contrôler les résultats ou vérifier comment quelqu’un s’en sortait avec
telle ou telle crise. Avec notre programme de gemba walks, nous avons
laissé la chaîne de management s’occuper des résultats et gérer les crises,
Inspirer une culture de l’apprentissage 109

nous n’avions pas besoin de faire leur travail à leur place. Nous sommes
allés sur le lieu de travail pour trouver les problèmes, c’est-à-dire exa-
miner les problèmes à la source, écouter la façon dont les gens voyaient
les choses et les encourager à essayer par eux-mêmes. Lorsque quelque
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chose nous semblait anormal, nous en discutions avec le responsable de


zone afin d’entendre également son point de vue. L’objectif des visites
de terrain était d’encourager l’exploration. Nous y sommes allés spéci-
fiquement afin de trouver des équipes qui avaient révélé des problèmes,
les avaient abordés par elles-mêmes et avaient partagé leurs difficultés.
Nous sommes allés les soutenir dans leur apprentissage, ce qui signifiait
aussi les rassurer sur le fait que l’apprentissage était non seulement pos-
sible et utile, mais aussi un facteur clé de succès pour l’entreprise dans
son ensemble. Après tout, c’est ainsi que nous avions réussi à faire d’une
start-up une entreprise à part entière.
Ce changement d’attitude a modifié ce que nous recherchions chez
un leader d’équipe, lui permettant de se montrer sous un jour différent.
Ce qui, à son tour, eut un effet étonnamment rapide sur l’humeur de
l’ensemble de nos collaborateurs.
Le dirigeant se rend sur le terrain pour étudier
les problèmes et trouver des leaders
locaux à l’état d’esprit de croissance

Les leaders locaux réalisent que


La culture
l’apprentissage est possible, utile
de l’entreprise
et valorisé, et nombre d’entre eux
se transforme
adoptent un état d’esprit de croissance

L’ambiance s’améliore à mesure que les équipes


s’intéressent à leur travail,
s’essayent à la résolution de problèmes
et trouvent des idées créatives
110 Réussir en équipes

On ne soulignera jamais assez l’importance des leaders d’équipe


locaux sur la culture de l’entreprise. Certes, les dirigeants sont impor-
tants. Ils prennent des décisions et donnent le ton à leur chaîne de com-
mandement. Mais la culture est l’affaire de la première ligne, qui est
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 109 29/11/2022 15:2

pilotée par ses leaders d’équipe. À mesure que nous nous développions,
nous avions laissé l’entreprise nous entraîner dans une culture de la
livraison et rien d’autre. En nous rendant directement sur le lieu de
travail, nous avons pu intervenir et tenter de rétablir l’équilibre entre le
discovery (découverte) et le delivery (livraison), ce qui a permis de donner
plus de responsabilité aux responsables locaux à l’esprit de croissance
et de changer la culture de manière visible, en un temps relativement
court. Ce changement a été suffisamment perceptible pour être évoqué
dans la presse. Dans un article, le journaliste a interviewé des leaders
d’équipe décrivant le changement : « Oubliées les “descentes” des chefs
venus vérifier si tout va bien et surtout pointer ce qui ne va pas, décla-
rait un responsable d’agence. Ils viennent sur le terrain observer le tra-
vail des commerciaux, par exemple, et s’enquièrent de leurs difficultés
concrètes, au quotidien. »

Livraison

Découverte

PDG Directeur Manager Équipe

Les leaders d’équipe ont également décrit des erreurs qu’ils avaient
faites ou que leur personnel avait commises, et auxquelles la direction
avait réagi en prenant en compte les problèmes : « Ce n’est jamais la per-
sonne qui est incriminée mais le “poste” ou le process. » Le changement
Inspirer une culture de l’apprentissage 111

d’attitude fut très vite perçu par nos collaborateurs et a contribué à


développer la confiance dans l’entreprise et avec sa direction12 .
Le discovery doit se faire à deux niveaux distincts pour que l’entre-
prise reste agile et compétitive :
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 110 29/11/2022 15:2

1. Au niveau stratégique, résolvons-nous les bons problèmes ? Faisons-


nous face aux bons challenges ? Les conditions du marché changent
constamment et les généraux ont l’habitude de refaire la guerre
précédente et de faire erreur sur l’objectif de la guerre en cours.
Nous devons découvrir en permanence le défi actuel des conditions
du marché d’aujourd’hui (et elles changent souvent plus vite que
l’entreprise ne sait changer) !
2. Au niveau opérationnel, aucun processus n’est jamais parfait. Nous
devons donc découvrir comment rendre le travail plus efficace pour
l’amélioration de la qualité et la facilité d’exécution (à moindre
coût). La découverte à ce niveau se fait par le biais du kaizen : de
petites améliorations étape par étape essayées par les collaborateurs
dans le cadre de leur travail quotidien.
La faille structurelle du delivery est que notre esprit est conçu pour
réduire les problèmes complexes à la partie que nous pensons pou-
voir résoudre ou contrôler. Par conséquent, nous observons deux biais
structurels :
• Les challenges : les cadres supérieurs incitent leurs équipes à répondre
aux challenges en cherchant de meilleures solutions aux problèmes
qu’ils connaissent déjà ou, pire, en cherchant de nouvelles appli-
cations aux solutions qu’ils ont connues par le passé. L’enjeu de la
découverte est de faire face à des challenges inconnus, tels que des
changements de marché démographiques, sociopolitiques ou tech-
nologiques qui bouleversent tout et rendent vos solutions actuelles

12 L. Zohin, « AramisAuto mise sur le “comment” plutôt que sur les résultats », Entreprises et
Carrières, 3 juin 2019.
112 Réussir en équipes

obsolètes. Vouloir soutenir le prix de l’action à court terme accroît


cette tendance et nombreuses sont les entreprises qui choisissent les
tactiques à très court terme et évitent toute autre exploration.
• Kaizen : les collaborateurs de première ligne sont constamment
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poussés à fournir plus, et bien qu’ils pensent que le kaizen soit une
excellente idée pour réduire le temps réel consacré au travail, ils
ont aussi l’impression qu’ils arriveront à le mettre en œuvre une
fois leurs tâches réalisées. Encourager la découverte au niveau opé-
rationnel nécessite non seulement d’apprendre par le kaizen, mais
également de faire cet apprentissage en premier – c’est-à-dire réser-
ver du temps pour le kaizen afin de mettre en question les processus
existants et d’explorer de nouvelles façons de procéder –, en accep-
tant que toutes les tentatives ne soient pas couronnées de succès car
un apprentissage valable se dégagera de chaque essai, même de ceux
qui échouent.
Quand les entreprises se développent, la pression implicite pour
obtenir des résultats devient incessante. C’est inévitable. Voilà ce que
nous avons appris : 1) à moyen terme, la capacité à tenir ses promesses
dans des conditions de marché fluctuantes repose effectivement sur la
place accordée à la découverte au quotidien ; 2) seuls les cadres supé-
rieurs peuvent lutter contre la pression constante vers l’opérationnel
court-termiste et créer les conditions nécessaires à la découverte : en
passant du temps avec les clients, sur le lieu de travail en interne, et
avec les partenaires ; en posant des questions ; en utilisant le poids de
leur ancienneté pour montrer l’exemple ; et en s’assurant que les sujets
de découverte seront suivis sérieusement par les équipes jusqu’à ce que
celles-ci trouvent quelque chose de nouveau.
Inspirer une culture de l’apprentissage 113

Visualiser les écarts de processus pour créer


des opportunités d’apprentissage
Une autre découverte intéressante fut de se rendre compte à quel point
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 112 29/11/2022 15:2

l’attitude du leader d’équipe vis-à-vis de l’apprentissage a un impact sur


la capacité de l’équipe à résoudre les problèmes. Nous sommes long-
temps restés sur notre faim parce que nous avions l’impression de devoir
pointer les problèmes du doigt pour que les équipes les voient (certaines
identifiaient le problème en question, d’autres expliquaient que ce n’en
était pas un). Pourquoi les personnes concernées ne trouvaient-elles pas
les problèmes elles-mêmes ? Qu’est-ce qu’elles n’arrivaient pas à voir ?
Comme nous le disait le sensei, quelles questions aurions-nous dû poser ?
Nous avions grandi dans une culture numérique et nous avions
déjà rendu visibles les indicateurs de performance pour la plupart des
équipes. Google a lancé la tendance des objectifs et résultats clés (objec-
tives and key results, OKR)13, et nous les avions déployés avec enthou-
siasme dans toute l’entreprise. Pour suivre une poignée d’indicateurs
en temps réel ou presque, nos managers avaient adopté la pratique de
mettre en place des tableaux visuels, qu’il s’agisse de tableaux Velleda
ou d’écrans numériques. Selon la théorie des OKR, les objectifs sont
atteignables à moyen ou long terme et sont difficiles à actionner en pre-
mière ligne. Ils sont exprimés sous la forme d’objectifs clés. Par exemple,
notre objectif de satisfaction client est exprimé sous la forme d’un score
de promoteur net (net promoter score) pour chaque agence ; notre straté-
gie de croissance est exprimée sous la forme de ventes mensuelles pour
chaque agence, etc.

13 « Fixation d’objectifs », re:Work – https://rework.withgoogle.com/guides/set-goals-with-


okrs/steps/introduction/
114 Réussir en équipes

Équipe de direction Objectifs

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 113 29/11/2022 15:2


Départements Initiatives

Équipes Actions

Objectifs originaux et résultats clés (OKR)

Ces objectifs sont à l’origine des initiatives, puis des tâches à accom-
plir, des plans d’action, etc. Ils sont supposés aider les collaborateurs
à comprendre ce que l’entreprise essaie de faire et leur permettre de
contribuer à leur niveau.
Or l’observation sur le terrain nous a révélé que les managers sui-
vaient une grande quantité de chiffres, expliquaient les hauts et les bas
aux équipes, mais n’avaient guère d’autres initiatives à proposer que de
travailler plus dur qu’ils ne le faisaient déjà. En tant que patrons, la
réaction naturelle lorsque quelqu’un n’atteint pas ses objectifs est de
demander plus d’initiatives : « Qu’avez-vous l’intention de faire ? De
quoi avez-vous besoin pour y parvenir ? »
Le point de départ du sensei était : « Quel problème essayez-vous de
résoudre ? » Les collaborateurs s’attendaient rarement à une question aussi
directe et, lorsqu’ils tâtonnaient dans leur réponse, le sensei leur disait
de commencer par visualiser leur processus. Ainsi, dès le début, comme
nous voulions améliorer le respect des délais de livraison de notre usine,
le sensei nous a suggéré de marquer au sol les emplacements des voitures
à charger ou à décharger à côté des quais des camions. Là encore, nous
avons mal compris. Le sensei ne résolvait pas le problème de performance.
Il essayait de trouver les problèmes de processus en visualisant la situation.
Inspirer une culture de l’apprentissage 115

Il nous a fallu quelques années avant de prendre pleinement


conscience du changement de perspective de :
Activités pour atteindre des objectifs.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 114 29/11/2022 15:2
À:
Repérer et résoudre des problèmes pour mieux comprendre ce que l’on fait.
Présentée comme cela, cette bascule mentale peut paraître anodine,
mais ce n’est pas le cas. La première approche favorise l’application de
processus standardisés et ne laisse pas de place à la découverte de points
de connaissance (si l’objectif est atteint, tant mieux, sinon on essaye
une autre activité). La deuxième concentre l’attention sur les points de
connaissance. Dans la durée, cela permet de développer une compré-
hension globale et en profondeur d’une dynamique de business.
Notre sensei était constamment à la recherche de ce qui ne se voyait
pas dans l’état actuel des choses : la visualisation des résultats, des façons
de faire, des problèmes. Pour lui, les processus se résumaient aux résul-
tats et aux activités permettant d’atteindre ces résultats. Un problème
était donc tout ce qui interférait avec l’activité et diminuait les résultats.
Rendre les processus visibles
pour révéler les problèmes
Identifier les idées fausses
qui conduisent à ces problèmes
(les causes profondes)

Développer de nouveaux
points de connaissance

Du point de vue lean, la performance est une question à la fois


de résultats et de processus (au sens d’une gestion des bons points de
connaissance). Un problème est un écart de performance dans les résul-
tats, expliqué par un écart de performance dans les processus, et peut
être exploré en se demandant : « Qu’est-ce que nous ne faisons pas assez
bien et qui nous empêche d’atteindre l’objectif ? » Demander aux gens
116 Réussir en équipes

d’identifier les problèmes de performance dans les résultats et de prendre


des initiatives les met sous pression mais ne les aide pas vraiment, car ils
ne voient pas où ils doivent intervenir. Comme les solutions émergent
des conceptions qui sont à l’origine du problème, trop souvent les ini-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 115 29/11/2022 15:2

tiatives proposées alimentent les conditions qui renforcent le problème


au lieu de le résoudre.
Problème

Performance cible Process attendu

Écart Écart

Performance réelle Événements réels

L’une des pratiques de base du lean consiste à visualiser physique-


ment les tâches qui doivent être réussies pour atteindre le résultat, de
telle sorte que les écarts de processus deviennent clairement visibles.
Si nous voulons que notre agence reçoive les voitures à temps pour les
livrer à ses clients à l’heure prévue, il faut commencer par faire partir
chaque camion exactement à l’heure. Revenons à la leçon de Marc : le
trafic routier est imprévisible, mais l’heure de départ des camions doit
être prévisible. Pour que le camion parte à l’heure, les bons véhicules
doivent être alignés et prêts à être chargés à l’arrivée du camion. Deux
éléments peuvent se visualiser :
• le lieu de chargement du camion et son heure de départ ;
• l’emplacement de la préparation du camion et l’heure de fin de
préparation.
Inspirer une culture de l’apprentissage 117

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 116 29/11/2022 15:2

Zone de préparation des camions

Pour améliorer l’objectif global d’une meilleure livraison, les équipes


doivent apprendre à maîtriser ces deux repères clairs, chaque jour, plu-
sieurs fois par jour : l’heure de départ du camion et l’heure de prépara-
tion du camion.
Parce que chaque problème est singulier, d’un camion à l’autre, des
éléments différents vont empêcher le départ du camion exactement à
l’heure. La plupart du temps, ce sont des choses auxquelles personne
n’avait pensé auparavant (comme le fait que trop de camions arrivent
en même temps, de sorte que le camion ne peut pas se déplacer dans la
zone de chargement). La seule façon d’améliorer cette performance, en
pratique, est de demander à l’équipe de :
1. Remarquer la première chose qui se produit et qui entraîne une
perte de performance, et se demander pourquoi.
2. Essayer une idée, puis la suivante, puis celle d’après – en restant sur
le même thème.
118 Réussir en équipes

Ce processus est répété jusqu’à ce que l’équipe découvre progressi-


vement les véritables points de connaissance à maîtriser. Pour ce faire, la
tâche visuelle à réaliser doit être à la fois intuitive et évidente. Comme
en sport, lorsqu’il s’agit de s’améliorer au tir au but ou au lancer franc.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 117 29/11/2022 15:2

La zone cible doit pouvoir être comprise d’un coup d’œil, de même que
les actions à mener et ce qui révèle la première cause de perte de perfor-
mance : pourquoi nous avons raté la cible.
Nous trouvions sur le terrain des problèmes que les autres ne voyaient
pas parce que, ayant construit l’entreprise à partir de rien, nous avions
une bonne compréhension intuitive des points clés pour réussir. Mais
lors de nos visites sur les lieux de travail, les uns après les autres, nous
constations que, la plupart du temps, ces points de connaissance étaient
peu clairs pour ceux qui accomplissaient le travail. Dans une agence,
par exemple, nous savons que l’opinion des clients dépend beaucoup
de la première impression, dès les vingt premières secondes. Toutefois,
il arrive souvent que les membres de l’équipe soient occupés à d’autres
tâches. Lorsque les clients entrent dans les locaux, ils sont alors laissés
à eux-mêmes ou quelqu’un leur demande d’attendre avant de pouvoir
passer à un autre client, etc. La première impression n’est pas définitive,
mais elle a une importance souvent disproportionnée, surtout lorsque
le client est stressé ou mal à l’aise. Or, la plupart des membres de notre
équipe ne semblaient pas en avoir pris conscience.
Cette idée s’est concrétisée lorsque, par curiosité, nous avons visité
une usine Toyota proche. Imaginez-vous en train de travailler sur une
ligne de production de Toyota – quel que soit l’endroit où vous vous
trouvez dans l’usine, vous pouvez voir :
1. L’objectif de production à atteindre.
2. Des marqueurs visibles des étapes du processus à réaliser.
3. Un système d’alarme ou de signalisation lorsque quelque chose ne
va pas à l’une de ces étapes.
Inspirer une culture de l’apprentissage 119

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 118 29/11/2022 15:2

Inspection finale à l’usine Toyota14

Leur mécanisme andon nous a frappés : un cordon qui passait sur le


côté de la ligne et que les opérateurs tiraient lorsqu’ils avaient un doute
sur la qualité ou l’impression d’être en retard sur le rythme de la ligne.
Un panneau s’allumait, indiquant quel était le poste en question, et le
leader d’équipe intervenait pour aider l’opérateur. Soit le problème était
résolu en moins d’une minute, le leader d’équipe montrant à l’opérateur
comment procéder, lui donnant un coup de main, puis tirant à nou-
veau le cordon pour laisser la production reprendre. Soit le problème
ne pouvait être résolu en moins d’une minute, et la ligne s’arrêtait :
les managers accouraient, et ils décidaient ensemble comment régler le
problème.
Lorsque nous en avons discuté avec les membres de la direction de
l’usine, ils ont souligné que la responsabilité première de la hiérarchie,

14 C. Arnold, « Toyota Onnaing : pourquoi l’usine du Nord a été choisie pour un investissement
majeur », France Info, 12 juin 2020 – https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/
toyota-onnaing-pourquoi-usine-nordiste-ete-choisie-investissement-taille-1405951.html.
120 Réussir en équipes

jusqu’au directeur général, était de s’assurer que la visualisation et le


travail standard étaient maintenus afin de soutenir les idées et les sug-
gestions créatives. Cela impliquait, par exemple, des activités au niveau
du management de première ligne (qu’ils appellent group leader) pour
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 119 29/11/2022 15:2

développer la visualisation et pour mener la résolution de problèmes.


En comparaison, nous avions de nombreux OKR à suivre et aucun
point de connaissance clair pour réussir quoi que ce soit. En revanche,
Toyota avait un ou deux objectifs visibles en temps réel et une visua-
lisation systématique de chaque point de connaissance pour atteindre
l’objectif.

Débusquer les idées fausses


En tant que digital natives, issus du monde digital, nous avions accepté
que nos systèmes soient fondamentalement opaques et fonctionnent
comme des boîtes noires. Vous tapez votre question dans une boîte, la
réponse vous est donnée – sans que vous sachiez comment ça marche.
Nous faisions confiance à la machine. Nous étions attachés à un envi-
ronnement visuel du lieu de travail agréable et convivial. Nous étions
surpris de voir à quel point notre façon de présenter les informations
influençait notre façon d’y penser. Nous avons commencé à demander
aux équipes d’écrire sur leurs murs :
• les objectifs et priorités quotidiens ;
• l’analyse des problèmes.
Nous avons ainsi découvert nombre d’hypothèses implicites sur
la façon dont les gens comprenaient l’entreprise et à quel point cette
compréhension variait de l’un à l’autre. Au cas par cas, nous avons
commencé à appréhender l’intuition de Toyota selon laquelle la façon
dont les personnes pensent à ce qu’elles font influence de façon significative
la performance globale.
Inspirer une culture de l’apprentissage 121

Nous avons vu que Toyota avait une perspective centrée autour


d’une notion : les idées fausses sont coûteuses. Toute entreprise qui
fabrique des produits a un noyau de coûts fixes : salaires, loyers, etc.
L’obsession des fondateurs de Toyota était de chercher à réduire la part
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 120 29/11/2022 15:2

de coûts générée par des idées fausses dans les méthodes opérationnelles
telles qu’accepter des défauts dans la livraison ou produire en avance de
la demande et supporter des stocks excessifs (afin de faciliter la produc-
tion en grandes séries). L’élimination de ces coûts dûs aux idées fausses,
aux « misconceptions », contribue à créer un avantage concurrentiel.
Elle repose sur l’élimination continue des pertes qui peuvent être évitées
et le changement du raisonnement qui les a suscitées en premier lieu.

Frais Frais
généraux Couche généraux
Matières de coûts Matières
premières inutiles premières
Main due à Main
d’œuvre nos erreurs d’œuvre
Pièces de raisonnement Pièces
achetées achetées
Équipement Équipement

Le gaspillage, selon les dirigeants de Toyota, est inhérent à tout


processus, mais il n’est pas inéluctable. Le gaspillage est le résultat de
l’idée fausse de quelqu’un. Le lean est une méthode dédiée à l’élimina-
tion totale du gaspillage – une méthode dont notre société a cruelle-
ment besoin en ce moment pour lutter contre la surconsommation et
ses impacts –, mais le gaspillage n’est que le symptôme qui permet de
comprendre des syndromes plus profonds (les idées considérées comme
naturelles, justes et équitables, qui sont en fait erronées) en enquêtant
sur les causes des pertes évitables.
Le principal obstacle à la pensée lean est notre conviction iné-
branlable qu’il existe toujours un coût normal pour faire des affaires
122 Réussir en équipes

car : « on ne peut pas satisfaire tous les clients » ; « on ne peut pas fabri-
quer chaque pièce correctement » ; « on ne peut pas toujours livrer à
temps », etc. La culture unique de Toyota découle de la certitude que
ce coût « normal » n’existe pas. Chaque activité est considérée comme
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un pruneau avec un noyau : le gaspillage est la chair qu’il faut enlever


pour se rapprocher du noyau – le vrai coût. La cause du gaspillage est
notre conception erronée du fonctionnement des choses, elle-même due
à la conviction que même si nous négligeons certains points de connais-
sance spécifiques, nous réussirons malgré tout.
Par exemple, notre modèle numérique a pour base la notion
d’acquisition de clients. L’idée, courante dans le monde numérique, est
qu’un client acquis en ligne devient une « opportunité de vente » : un
nom avec une adresse électronique et un numéro de téléphone, qui peut
ensuite être appelé à froid pour être persuadé d’acheter. Le raisonne-
ment est le suivant : si quelqu’un laisse ses coordonnées sur le site, c’est
qu’il – ou elle – recherche activement quelque chose. La consigne don-
née à notre équipe marketing était de maximiser les opportunités, ce
qu’elle a fait en concevant des pages de renvoi pour inciter les clients à
laisser leurs coordonnées. Lorsqu’un client arrivait sur une de nos pages,
il devait saisir ses informations pour aller plus loin sur le site.
Cette idée fausse a entraîné un gaspillage incalculable pendant
des années. Nos commerciaux n’arrêtaient pas d’appeler des clients,
qui n’avaient pas de besoin immédiat et ne souhaitaient pas qu’on leur
vende quoi que ce soit. Néanmoins, ils avaient été contraints à laisser
leurs coordonnées pour naviguer sur le site et regarder des voitures.
Imaginez un magasin qui vous demande votre numéro de téléphone
pour vous laisser entrer et regarder la marchandise… Comme on pou-
vait s’y attendre, de nombreux numéros de téléphone ou e-mails étaient
faux, ce qui a entraîné un gaspillage supplémentaire dans la gestion des
données. Nous avons également perdu ceux qui ne faisaient que jeter
un coup d’œil, ne voulaient pas laisser leurs coordonnées et n’allaient
Inspirer une culture de l’apprentissage 123

jamais plus loin sur le site alors qu’ils auraient pu être intéressés par
l’une de nos offres.
Nous avions toujours pensé que l’obtention d’informations préa-
lables de la part des clients était un « coût normal » pour une entreprise
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 122 29/11/2022 15:2

sur Internet. Pendant des années, nos stratégies de marketing ont été
fondées sur la créativité conceptuelle et les meilleures pratiques dans le
domaine, jusqu’à ce que finalement, Guillaume, notre VP marketing,
prenne l’initiative de chercher les gaspillages. Il a commencé par col-
lecter chaque point de contact avec les clients par le biais d’un datalake
(un système de stockage de données à grande échelle sans les contraintes
d’une base de données traditionnelle) et par tester des hypothèses sur les
parcours des clients sur nos sites, découvrant ainsi de nombreuses idées
fausses qui conduisaient au gaspillage marketing. Il n’existe pas de coût
normal pour faire des affaires. C’est une vue de l’esprit. En revanche,
il y a un grand nombre de coûts qui résultent de nos misconceptions et
qui auraient pu être évités.
Taiichi Ohno, l’inventeur du kanban chez Toyota et l’un des fonda-
teurs légendaires du lean, expliquait : « Il y a un secret à l’atelier comme
il y a un secret à un tour de magie. Laissez-moi vous dire ce qu’il est.
Pour éliminer le gaspillage, il faut cultiver la capacité à le voir. Vous
devez réfléchir à la façon de vous débarrasser des pertes que vous avez
vues. Il suffit ensuite de répéter le processus, sans cesse, partout, inlas-
sablement et sans relâche15 . »
En voyant le gaspillage que représentaient les voitures garées tout
autour de l’usine, nous avons saisi l’idée fausse selon laquelle on pouvait
faire passer les voitures en production sans s’être assuré d’avoir déjà les
pièces. Ensuite, en regardant les voitures qui attendaient d’être répa-
rées sur les parkings des agences, nous nous sommes rendu compte que
l’idée selon laquelle les collaborateurs seraient plus portés à réparer une

15 S. Hino, Inside the Mind of Toyota, Productivity Press, New York, 2005.
124 Réussir en équipes

voiture défectueuse rapidement parce qu’ils devaient la vendre était une


idée fausse. En réalité, ils ne savaient pas comment réparer la plupart
des voitures et n’avaient pas de garage compétent à proximité – la prin-
cipale raison pour laquelle nous avions créé une usine de production en
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 123 29/11/2022 15:2

premier lieu. Se forcer à voir le gaspillage et se demander « pourquoi ? »


permet de débusquer la pensée erronée qui a conduit à ce gaspillage et
on apprend vraiment quelque chose.
Nous avions toujours su intuitivement que les erreurs commises par
les personnes coûtaient de l’argent. Mais nous n’avions jamais vu aussi
clairement comment ce constat pouvait être transformé en une approche
complète pour développer une entreprise. Par la résolution inlassable
des problèmes sur le terrain, nous pouvions améliorer la réflexion de
chaque collaborateur, jour après jour, ce qui avait un impact direct sur
les performances de l’entreprise.

La visualisation change la culture


Chez Toyota, les sensei soulignent que vous devez apprendre à « regar-
der avec vos pieds et penser avec vos mains ». La découverte des idées
fausses se fait sur le terrain, sur le gemba, en « parlant aux pièces plus
qu’aux personnes » et en activant l’aire visuelle du cerveau, et non la
zone verbale, qui explique – et défend – en premier le statu quo. La
visualisation du lieu de travail est la porte d’entrée de la pensée lean,
car elle permet aux gens, selon les termes d’Ohno, de comprendre, de
s’entendre et ainsi d’agir ensemble.
Voir ensemble

Comprendre ensemble
Agir ensemble
Inspirer une culture de l’apprentissage 125

Pour que cela marche, les signes visuels doivent être à la fois clairs et
intuitifs. Au fil des années, Toyota a développé la maîtrise de la visuali-
sation de ses opérations. Début 2018, nous avons visité une usine Toyota
et avons été frappés par les visuels couvrant tous les murs :
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 124 29/11/2022 15:2

• les lignes physiques tracées pour délimiter les zones de travail guident
le regard pour visualiser ce qui est à sa place et ce qui ne l’est pas ;
• les tableaux d’avancement montrent ce qui progresse ou non vers
l’objectif poursuivi ;
• les alarmes attirent l’attention sur les problèmes ;
• les standards expliquent clairement et visuellement la séquence des
étapes à effectuer pour chaque tâche et les points de connaissance à
maîtriser à chaque étape ;
• le raisonnement affiché présente l’analyse du problème et l’explica-
tion des propositions d’action.
La percée de Toyota consiste à comprendre que la visualisation est
la clé pour : 1) remarquer les problèmes ; 2) obtenir un consensus sur
la nature du problème afin d’amener les personnes à agir ensemble. Ils
voient ce qui doit être corrigé et négocient le processus de résolution des
problèmes avec une compréhension commune et une vision d’ensemble.
Il est difficile de convaincre les autres qu’une astuce aussi simple en
apparence peut avoir des impacts aussi importants. L’ancien directeur
de l’usine est parti mi-2018 et Rémi, son adjoint, a pris la relève. Nous
allions nous-mêmes voir le pouvoir de la recherche et de l’affichage des
points de connaissance.
Au début, Rémi ne comprenait pas vraiment pourquoi il était
important de visualiser chaque point de l’usine, ni comment le trai-
tement séparé de chaque problème faisait une différence. Au cours de
sa carrière et en travaillant avec son ancien patron, il avait appris que
la méthode de gestion la plus efficace était de s’intéresser aux 20 % de
problèmes qui expliquaient 80 % des écarts – le fameux diagramme de
126 Réussir en équipes

Pareto. D’ailleurs, ils avaient plutôt bien réussi jusqu’alors. Mais Rémi
était curieux, ouvert d’esprit et prêt à faire des essais. Il s’est lancé dans
un projet de visualisation de chaque étape de son processus. Les résul-
tats furent étonnants.
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1 400
1 200
1 000
800
600
400 Rémi
prend
200 la main
0
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01/19
05/19
Véhicules par mois

Aucun investissement supplémentaire n’avait été réalisé dans l’usine.


Pas de réorganisation. Le changement était culturel. Rémi avait fait
passer ses équipes de l’état d’esprit fixe dans lequel elles baignaient à un
état d’esprit de croissance par la recherche systématique de problèmes.
Ce faisant, elles ont découvert un problème après l’autre, les ont résolus,
ont appris et presque doublé la production, rendant le débat sur une
deuxième usine sans objet (et générant ainsi une économie de dépenses
conséquente).

Continuer à chercher
La recherche de problèmes n’est rien d’autre qu’un dispositif permet-
tant de découvrir des points de connaissance et d’obtenir de meilleures
performances. La visualisation est le ticket d’entrée pour trouver des
problèmes. Néanmoins, un processus de découverte ne se traduit pas
Inspirer une culture de l’apprentissage 127

toujours par un succès. Lorsque nous avons commencé à étudier les


pertes de temps dans le processus de production, le sensei nous a fait
visualiser l’utilisation de notre cabine de peinture en décomposant,
minute par minute, si la cabine était utilisée, préparée pour la prochaine
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 126 29/11/2022 15:2

voiture, arrêtée par manque de travail, arrêtée à cause d’un problème de


maintenance, arrêtée faute de matériaux, ou autre chose. Le directeur de
l’usine avait suggéré que la cabine de peinture était un goulot d’étran-
glement, le sensei nous avait demandé de vérifier cette hypothèse.

Visualisation des pertes de temps dans le processus de production

Il s’est avéré que la cabine de peinture n’était pas un goulot d’étran-


glement et, bien que son utilisation puisse être optimisée, nous avons
abandonné sa surveillance et nous nous sommes intéressés à autre
chose, à la recherche d’une piste plus prometteuse. Dans ce cas pré-
cis, nous n’avons pas appris grand-chose sur la cabine de peinture. La
128 Réussir en équipes

visualisation ne relève pas de la magie, c’est le point de départ du pro-


cessus de recherche et non le point d’arrivée. Plus tard, en revanche,
la cabine de peinture pourra redevenir un sujet et nous donner un
nouveau point de départ. Partir à la découverte signifie parfois ne pas
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 127 29/11/2022 15:2

trouver ce que vous attendiez, ce qui est aussi un apprentissage. Une


difficulté récurrente avec le management intermédiaire est de persuader
des personnes très occupées qu’elles doivent accorder du temps à l’étude
des problèmes sans une garantie de retour sur investissement immédiat.
C’est de l’exploration. Vous ne savez pas à l’avance où se trouvent les
points de connaissance clés, la seule chose à faire est de les chercher.
Parfois vous les trouvez, parfois vous ne les trouvez pas et la difficulté
est de motiver les gens à continuer à chercher.

S’approprier la performance
Un ami pilote nous a expliqué qu’il y a deux façons de piloter un avion
moderne : gérer les systèmes de bord ou piloter l’avion. Les différents
instruments de vol, systèmes informatiques et procédures sont conçus
pour aider à piloter l’avion. Ils rendent visible l’état stable et indiquent
qu’il n’y a pas de problème ou, s’il y en a un, par où commencer pour le
résoudre. Cependant, il est possible de piloter un avion comme on fait
du vélo ou comme on conduit une voiture. Aujourd’hui, les avions sont
tellement automatisés que la part de pilotage est très réduite. Certains
pilotes dérivent vers l’administration de systèmes et perdent leur passion
du vol.
De même, les entreprises modernes qui changent d’échelle peuvent
être considérées comme des systèmes à surveiller, à réparer et à mettre
à niveau. Il existe des processus standard pour tout faire, mais peu de
véritables points de connaissance. Le risque accroît que chacun perde
de vue le caractère concret, émotionnel et intellectuel de la croissance
de l’entreprise.
Inspirer une culture de l’apprentissage 129

La visualisation – l’art de définir des cibles (au sens de cible de tir)


et de rechercher les points de connaissance – est une expertise difficile
à acquérir. La poursuite de notre programme de visites sur les lieux de
travail nous a fait rencontrer de nombreux responsables de ressources ou
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 128 29/11/2022 15:2

de processus, qui ne se sentaient pas pour autant responsables de la per-


formance. On le sentait aisément à l’usine. Nous sommes une entreprise
numérique. Nous avons partout des écrans de suivi des résultats réels
par rapport aux objectifs, avec de nombreux chiffres verts et rouges.
Mais lorsque nous avons demandé à connaître les performances clés de
pilotage de l’entreprise, nous n’avons obtenu… aucune réponse. Pour
nous, il semblait évident que la seule chose qui comptait était un plus
grand débit de voitures de qualité pour satisfaire la demande croissante
de notre activité de seconde main. Pour l’équipe de direction de l’usine,
ce n’était pas clair, car elle avait un grand nombre d’indicateurs à suivre,
souvent contradictoires. Nous avons alors pris conscience que le système
de management que nous avions mis en place se prêtait à deux utilisa-
tions opposées :
• s’approprier les performances nécessaires à l’entreprise et utiliser
tous les autres indicateurs comme points d’analyse pour découvrir
les problèmes, les résoudre et améliorer l’essentiel ;
• surveiller et gérer tous les indicateurs pour les maintenir à un niveau
stable, puis chercher à expliquer que la performance clé elle-même
ne s’améliore pas.
Vous pouvez soit surveiller les systèmes, soit piloter l’avion. C’est
le même avion, avec les mêmes systèmes de bord. Les usines existent
concrètement. Elles sont faciles à comprendre quand on s’en donne
la peine, parce qu’il est possible de voir la plupart des choses qui s’y
passent. En revanche, plus nous nous sommes tournés vers le numé-
rique et les logiciels, plus la situation est devenue complexe : davantage
d’indicateurs, moins de clarté sur les performances.
130 Réussir en équipes

Comme nous l’avons déjà vu, dans une entreprise numérique, pour
soutenir la croissance, la tentation est d’ajouter plus de services et de
fonctionnalités aux systèmes existants afin d’essayer d’attirer de nou-
veaux clients. Avec le lean, nous avons changé d’avis et réalisé que nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 129 29/11/2022 15:2

devions faire changer d’échelle les interactions fluides et transparentes avec


les clients. Ce changement de perspective radical nous a fait prendre
conscience d’une véritable difficulté de ce changement d’échelle : chan-
ger l’échelle des systèmes se fait en ajoutant des couches. Les solutions
techniques existent et, à la fin, le système traitera un plus grand nombre
de transactions. En revanche, faire changer d’échelle les interactions
avec les clients est une autre affaire. Il ne s’agit plus simplement que
le système fasse son travail, mais il faut s’assurer que le système soit
facile à utiliser, qu’il n’agace pas ses utilisateurs et qu’il soit prêt à servir
plutôt qu’à simplement vendre. En pratique, cela signifiait qu’il fallait
tout simplifier, et ne pas compliquer la tâche des agences. Ainsi nous
avons décidé d’acheminer les voitures en agence seulement la veille du
rendez-vous (en flux tiré) et que celles-ci ne reçoivent que des voitures
prêtes à partir (réduisant ainsi progressivement le nombre de voitures
défectueuses que les agences recevaient). Nous devions réduire les pro-
blèmes auxquels les agences étaient confrontées afin qu’elles puissent
se concentrer sur les clients en tant que personnes, sur leurs situations
particulières et leurs demandes spécifiques.
Nous avions essayé de faire changer d’échelle des solutions tech-
niques. La recherche en continu de problèmes sur le lieu de travail par
le sensei nous a montré que, pour continuer à croître, la réponse devait
être culturelle. Les systèmes devaient fonctionner pour les personnes,
et celles-ci devaient avoir à cœur de résoudre les problèmes des clients
pour satisfaire le client d’abord, et l’entreprise ensuite. Le temps passé
sur le gemba nous a montré que nous avions essayé de résoudre notre
problème de complexité et de bugs par davantage de projets, de pro-
cessus et de contrôles, ce qui n’avait fait qu’aggraver le problème. Nous
Inspirer une culture de l’apprentissage 131

avons appris qu’il était inutile d’appliquer des solutions avant que le
problème ne soit bien compris. Nous avons également appris qu’en tant
que dirigeants, nous pouvions facilement trouver des problèmes et réflé-
chir à des solutions, mais qu’il était beaucoup plus difficile d’inciter nos
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 130 29/11/2022 15:2

collaborateurs à s’approprier les performances, à trouver eux-mêmes les


problèmes et à chercher leurs propres solutions. Pour créer une culture
de la croissance, nous devions apprendre à faire participer plus systéma-
tiquement les collaborateurs à la recherche de problèmes, à leur résolu-
tion et au partage des connaissances.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 131 29/11/2022 15:2
Chapitre 6

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 132
Orienter et soutenir 29/11/2022 15:2

Le premier gemba walk dans notre service de data science n’a pas été
un franc succès, mais, avec le recul, il était plutôt comique. Nous nous
étions habitués à des gemba walks dans l’usine et dans les agences, où
les personnes avaient appris à mieux comprendre la résolution de pro-
blèmes et étaient progressivement plus à l’aise avec l’exercice. Lorsque
nous avons pénétré dans l’open space de la data science au siège, quelques
têtes curieuses se sont levées, puis se sont rapidement replongées dans
leurs écrans. Après un moment de confusion – le responsable n’était
pas sur place –, un team leader s’est finalement approché de nous. Il
a présenté le service. Le sensei lui a demandé : « Pouvez-vous faire la
liste des questions auxquelles vous répondez actuellement sur l’entre-
prise ? » Le team leader nous a regardés, perplexe. Puis, le sensei a pour-
suivi : « Seriez-vous capable de visualiser sur le mur vos réponses à ces
questions ? »
Après avoir expliqué pourquoi nous posions ces questions étranges,
nous avons entendu le leader de l’équipe data nous expliquer que ce
n’était pas la façon dont le service travaillait. Ils étaient des spécialistes
des données. Ils travaillaient avec des techniques analytiques de pointe,
134 Réussir en équipes

telles que les random forests et autres approches d’intelligence artificielle


pour résoudre des problèmes complexes comme la tarification. Ensuite,
ils intégraient le résultat directement dans le système : les utilisateurs
n’avaient qu’à s’en servir. « Essayer de leur expliquer le calcul serait
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 133 29/11/2022 15:2

une perte de temps. » Alejandro, le vice-président des opérations qui


nous accompagnait dans ce gemba walk, a éclaté de rire. « J’aimerais
comprendre les calculs, a-t-il dit. Comment mes équipes peuvent-elles
utiliser le système de manière intelligente si elles ne comprennent pas
comment il fonctionne ? »
Il est étonnant de constater à quel point l’héritage tayloriste sub-
siste dans nos entreprises. Les ingénieurs conçoivent le processus, les
soldats en première ligne appliquent le processus qui leur est donné.
Partout où nous posions les yeux, nous trouvions la même démarche :
développer le bon système, puis assurer la conformité de l’utilisation.
Le résultat était toujours le même : les personnes utilisaient les systèmes
au minimum et à leur manière. Dans de nombreux cas, nous avons
constaté qu’ils contournaient complètement le système et utilisaient des
feuilles de calcul à l’ancienne. Lorsque nous leur demandions pour-
quoi, ils nous expliquaient que le problème sur lequel ils travaillaient
ne pouvait pas être résolu par le système. Plus exactement, le problème
pouvait probablement être résolu ainsi, mais ils pensaient qu’apprendre
à maîtriser le logiciel leur prendrait plus de temps que d’effectuer le tra-
vail directement. Lorsque nous leur demandions quel était l’impact du
problème sur les performances, ils nous regardaient comme si nous n’y
comprenions rien, et avaient du mal à répondre.
Le sensei insistait souvent : « Quel est le gain ? Que cherchez-vous à
améliorer ? » Il mettait en cause la logique des réponses : « Je ne vois pas
comment ceci explique cela. » Nous pensions qu’il mettait la capacité
de réflexion de nos collaborateurs en question et qu’il était un peu dur.
Nos collaborateurs faisaient sûrement de leur mieux. De même que
nous avions mal interprété la recherche de problèmes menée par le sensei
Orienter et soutenir 135

lorsqu’il nous avait mis en difficulté – ce qui nous avait servi de déclen-
cheur –, nous nous méprenions une nouvelle fois sur ses intentions. Il
était ici encore sincèrement intéressé par les problèmes singuliers. Il
nous a fallu un certain temps pour comprendre que le questionnement
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 134 29/11/2022 15:2

du sensei portait plus sur la motivation que sur le raisonnement.


Il s’est alors adressé à nous : « Où est la ligne de mire ? » Sa question
visait à comprendre l’objectif clair à l’horizon, le poteau de but visible
vers lequel chacun devait travailler et travaillerait s’il pouvait le visua-
liser. Comment orienter les gens pour qu’ils fassent spontanément ce
qu’il faut, pour eux-mêmes, le client et l’entreprise ? « Que visent-ils ? »
Nous avions mis en place un calendrier régulier de gemba walks, que
nous faisions nous-mêmes, et nous étions désormais familiarisés avec
les types d’accueil variés que les différentes équipes nous réservaient.
Certaines se lançaient directement dans la recherche de problèmes, en
discutaient, réfléchissaient à voix haute à ce qui pouvait être fait et,
pour commencer, s’engageaient aussitôt dans une expérimentation.
D’autres restaient maussades, sur la défensive et ne s’engageaient dans
aucun changement. Nous avions appris à suivre les premières et à ne pas
trop manifester notre énervement avec les secondes. Cela ne nous était
pas facile, car certaines de ces conversations pouvaient être particuliè-
rement frustrantes.
En discutant, nous avons réalisé une fois de plus que le problème
venait… de nous-mêmes. Nous avions supposé que les personnes tra-
vaillaient pour résoudre des problèmes, mais cette idée s’est révélée
inexacte. La plupart des collaborateurs viennent au travail pour effec-
tuer un ensemble de tâches. Ils considèrent les problèmes comme des
désagréments, des obstacles qui les empêchent d’assurer leur journée
avant de rentrer chez eux. La résolution de problèmes n’est pas seule-
ment une question de capacité cognitive, c’est également une question
de volonté. Qu’avions-nous fait, en tant que dirigeants, pour conduire
les collaborateurs à résoudre des problèmes ? Pas grand-chose. C’était
136 Réussir en équipes

un tout nouveau défi. Nous devions repenser nos gemba walks : moins
comme des audits venus là pour vérifier que les collaborateurs maî-
trisaient la situation, et plus pour créer une culture dans laquelle les
problèmes sont bienvenus et considérés comme la source principale
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 135 29/11/2022 15:2

d’amélioration.
La transformation lean est la construction d’une culture de résolu-
tion des problèmes en recherchant la participation volontaire de chacun
pour améliorer la qualité, réduire les délais et le coût total. « Volontaire »
est le mot déterminant. Pendant les gemba walks, nous nous intéressions
aux problèmes et cherchions immédiatement des solutions. Bien sûr,
c’était vital pour nous en tant que fondateurs et dirigeants de l’entre-
prise. Mais pourquoi serait-ce vital pour quelqu’un dont c’est simple-
ment le travail ? Le sensei ne s’inquiétait pas outre mesure de trouver la
bonne solution immédiatement. Par expérience, il savait que, lorsque
les personnes commencent à creuser un problème, elles finissent par
le résoudre et trouvent des moyens intelligents de le faire. Il s’intéres-
sait à l’impulsion qui déclenche (ou non) l’intérêt des collaborateurs.
Il essayait de nous aider à comprendre ce qui les incitait à participer
volontairement à la performance au lieu de participer au processus par
obligation, seulement parce que le travail est le travail.
Tout le monde résout des problèmes tout le temps. Or il faut plutôt
se demander : quel problème et avec quelle solution ? Nous sommes
instinctivement enclins à aller vers :
• La correction d’une insatisfaction : plus que la recherche d’un avan-
tage, quelque chose qui ne va pas crée une tension vers l’action qui
nous motive à faire, à bouger, en fonction de l’opportunité perçue
et d’un chemin clair.
• La négociation d’une solution : nous sommes des animaux sociaux.
Peu d’entre nous ont tendance à agir d’abord et à parler ensuite.
La plupart du temps, notre instinct nous pousse à discuter de la
Orienter et soutenir 137

situation, à exprimer nos intentions, à chercher du soutien et à


rechercher une solution négociée.
• Le suivi de l’évolution de la situation : lorsque nous sommes impli-
qués dans l’action et investis dans un résultat, nous faisons éga-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 136 29/11/2022 15:2

lement ce qu’il faut pour nous tenir au courant de la situation et


vérifier son évolution positive ou négative16 .
La question intéressante est la suivante : quels sont les problèmes ?
Pour nous, le déclic a eu lieu un jour où nous rendions visite à une
agence assez éloignée avec le sensei. Nous nous sommes arrêtés une
seconde pour prendre une respiration profonde et observer, juste avant
de sortir de la voiture. À ce moment-là, un monsieur âgé a garé sa voi-
ture à côté de la nôtre et en est descendu. Il a ouvert la portière arrière et
a sorti un siège enfant volumineux, qu’il a porté avec difficulté jusqu’à
l’agence. L’entrée des clients se trouvait au bout d’une longue allée, mais
il y avait une porte latérale plus proche du parking où certains de nos
vendeurs faisaient une pause. Ils ont regardé, impassibles, le vieil homme
traîner littéralement le siège jusqu’à la porte d’entrée. Manifestement,
nous étions irrités par l’attitude et le manque d’initiative des équipes,
mais le sensei nous a demandé : « Vous voyez un problème : un client
que nous aurions pu mieux aider. Mais eux, que voient-ils ? Quel est
leur problème ? » C’était facile. Ils étaient en pause et leur problème
était de souffler un instant sans être dérangés. En continuant à nous
interroger sur le pourquoi de cette situation, nous avons vu le vrai pro-
blème : le long trajet entre la place de parking et l’entrée de l’agence.
C’était un tout autre problème.

16 A. Damasio, L’Étrange ordre des choses : la vie, les sentiments et la fabrication des cultures,
Vintage, New York, 2018.
138 Réussir en équipes

Il s’agissait d’un cas assez extrême de situation ordinaire. Dans


presque tous les points de vente que nous visitions, les clients atten-
daient pendant que le collaborateur était occupé à autre chose. En
vérité, il en va de même dans la moitié des restaurants et des magasins
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 137 29/11/2022 15:2

lorsque vous y entrez. Nous étions face à deux visions très différentes
des problèmes :

Client CollAborAteur
Corriger Service immédiat. Terminer le travail en cours.
une insatisfaction
Négocier Attendre votre tour Dire au client que
une solution ou réclamer de quelqu’un sera là dans
l’attention. un instant.
Suivre Trouver un équilibre Trouver un équilibre entre
le processus entre l’attrait de la l’urgence de terminer votre
solution et la libération travail et le désagrément
que représente la sortie. d’avoir à interagir avec
un client mécontent.

Vous venez en agence pour acheter une voiture, ce que vous faites
rarement et qui va vous coûter cher. Mais lorsque nos vendeurs vous
voient entrer, ils voient en fait la dixième personne de la journée, en plus
de toutes celles d’hier, d’avant-hier et ainsi de suite. Entre-temps, ils
doivent envoyer leur rapport au siège, leur responsable leur a demandé
de terminer une autre tâche et le réseau est en panne, de sorte qu’ils ne
peuvent pas utiliser l’ordinateur.
Il était clair pour nous qu’une culture de croissance reposait sur la
continuité de la satisfaction du client. Notre idéal était de traiter chaque
nouveau client comme notre premier client, avec le service « pro et
sympa » de nos débuts, notre premier mantra. Comme nous l’avons
maintenant compris, la croissance de l’entreprise créait des conditions
qui favorisaient un état d’esprit fixe, lié à la défense du statu quo. La
Orienter et soutenir 139

motivation et le type de problèmes que présentent ces deux cultures


sont très différents :

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 138 Culture de CroissAnCe Culture fixe 29/11/2022 15:2

Corriger une Résoudre complètement Protéger sa zone de


insatisfaction tous les problèmes des confort dans le respect
clients pour s’assurer qu’ils des procédures et des
nous recommanderont processus de l’entreprise.
à leurs amis. S’assurer Veiller à ce que personne
que tous les membres de ne parle trop franchement
l’équipe se sentent à l’aise ou ne prenne des
dans leur travail et devant initiatives non approuvées.
les clients.
Négocier Discuter avec l’équipe Défendre le processus :
une solution et négocier avec le siège expliquer aux clients
pour trouver un moyen pourquoi ils ne peuvent
de résoudre les problèmes pas obtenir ce qu’ils
dans le cadre des systèmes veulent et demander
existants. Encourager des investissements dans
l’initiative immédiate. des outils plus nombreux
Partager les solutions et plus performants.
avec les autres pour Faire respecter la
clarifier les points de conformité pour que tout
connaissance. – et tout le monde – reste
tranquille. Expliquer que
les revers sont dus à des
circonstances inhabituelles.
Suivre Examiner la rapidité avec Toujours faire bonne
l’évolution laquelle les problèmes impression et n’être jamais
de la situation des clients sont résolus pris en défaut. Veiller à
et l’ouverture et l’utilité ce que tous les problèmes
du processus de résolution soient gardés au sein de
des problèmes en interne, l’équipe et à ce que la
notamment au-delà des responsabilité en incombe
frontières fonctionnelles. aux autres services. Garder
Chercher à apprendre la trace de la loyauté et
de nouveaux points de la dissidence. Vérifier
de connaissance pour la conformité de tous
améliorer les performances. les processus.
140 Réussir en équipes

En d’autres termes, une culture est définie par : 1) le type de pro-


blèmes qui valent la peine d’être traités et ceux qui ne le valent pas ;
2) le type de solutions privilégiées et celles qui ne le sont pas ; 3) les
habitudes systématiquement suivies et les questions qu’on est autorisé
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 139 29/11/2022 15:2

à se poser. Pour soutenir une culture de croissance, il fallait que tout


le monde ait le même comportement en matière de continuité de la
satisfaction du client et de résolution autonome des problèmes. Nous
devions également encourager les gens à s’exprimer lorsqu’ils voyaient
quelque chose qui n’allait pas. Une telle culture supposait la mise en
place d’un système d’éducation dans toute l’entreprise. Ce n’était pas
une mince affaire. Par où commencer et comment faire ?

Faire face aux problèmes


Les sensei que nous avons rencontrés s’accordaient tous sur un point :
l’enjeu n’est pas seulement de trouver des problèmes, mais d’y faire face.
En revenant sur l’incident du siège pour bébé, nous refusions d’admettre
que le vrai problème était l’éloignement de l’entrée de l’agence. Il nous
semblait plus pragmatique de corriger l’attitude de l’équipe que de chan-
ger l’entrée du magasin, ce qui aurait impliqué une rénovation totale.
Lorsque nous rendions visite à d’autres entreprises, nous étions tou-
jours surpris de voir que les équipes de direction pouvaient totalement
ignorer l’éléphant dans la pièce, alors que vu de l’extérieur, celui-ci
paraissait fort évident. Pareil en interne : nous décidons naturellement
et normalement que les trop gros problèmes ne soient pas mis sur la
table. Il en va de même pour les petits problèmes sans solution facile, le
processus de négociation sociale fait en sorte que nul n’aborde la ques-
tion. Pire encore, le management intermédiaire s’assure que la question
ne soit pas soulevée, pour défendre le statu quo.
« Quels sont les trois moments les plus importants pour vos clients ? »
demanda le sensei. C’était facile : trouver une voiture qui plaise, la payer,
Orienter et soutenir 141

puis en prendre livraison. « Quelles sont les principales sources de pertes


de performance pour chacun d’eux ? » Facile également : proposer des
modèles populaires à un bon prix sur le site (s’ils sont populaires, il est
plus difficile pour nous de négocier de bonnes affaires avec nos four-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 140 29/11/2022 15:2

nisseurs), aider le client à trouver un modèle dans ses moyens lorsque ce


n’est pas celui qui le faisait rêver au départ et livrer la voiture au jour et
à l’heure exacts prévus. « Que faites-vous le moins bien ? » La livraison :
notre respect des délais était épouvantable, 50 % au mieux.
Commençons donc par là. Regardons les choses en face.
Nous pensions qu’il s’agissait d’un problème insoluble, car nous
avions essayé plusieurs fois sans succès. Livrer en retard est d’ailleurs
une pratique courante du marché. Au début, nous nous occupions nous-
mêmes des camions et nous parvenions tant bien que mal à être souples
et réactifs. Progressivement, au fur et à mesure de notre croissance, la
logistique est devenue un service à part entière, une caricature d’une
culture fixe : militante sur ses processus, inflexible, une véritable for-
teresse impossible à pénétrer. Lors de nos tentatives lean d’antan, nous
avions essayé de mettre en place des milk runs. Un consultant « lean »
nous avait vendu l’idée et, à l’époque, nous croyions encore à l’adoption
de bonnes pratiques plutôt qu’à l’apprentissage par la résolution de pro-
blèmes. Les milk runs sont propres à la logistique de Toyota et consistent
en des itinéraires fixes avec de multiples arrêts où le camion récupère
diverses pièces chez chacun des fournisseurs. Les points de prélèvement
se font à horaires fixes, en partant du principe que toutes les pièces que
le camion vient chercher sont prêtes et attendent un chargement rapide.
Nous avions engagé un ingénieur pour mettre en place une solution de
type milk run et la situation sur le terrain n’a fait qu’empirer. L’ingénieur
a alors suggéré de mettre en œuvre une nouvelle solution logicielle, ce
que nous ne voulions clairement pas faire. À l’époque, nous avions le
sentiment que notre chaîne d’approvisionnement était devenue si com-
plexe qu’elle en était ingérable, ce sentiment était conforté par les visites
142 Réussir en équipes

rendues aux équipes numériques de grands détaillants qui ne semblaient


pas faire mieux que nous. Quant à Amazon, nous pensions que leurs
résultats étaient simplement le fruit des moyens investis.
« Où sont les voitures que vous devez livrer demain ? » a demandé le
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 141 29/11/2022 15:2

sensei au directeur commercial. Ayant déjà entendu cela dans l’usine de


reconditionnement, nous ne fûmes pas surpris du désarroi du directeur
lorsqu’il regarda vers le parking rempli de voitures et répondit : « Elles
sont quelque part là-dedans. » « Parmi toutes ces voitures, selon vous,
combien seront livrées aux clients demain ? » Une dizaine. « Pourquoi
les autres sont-elles ici alors ? » Parce que la logistique les a livrées. « Si
vous n’en avez pas besoin, pourquoi ne pas les renvoyer ? » Le directeur
nous lança un appel au secours silencieux. Il était évident qu’il ne pou-
vait pas les renvoyer, la logistique ne le permettrait jamais. D’ailleurs,
s’il le faisait, il y avait de grands risques pour qu’il ne les récupère pas au
moment où les clients en auraient besoin.
Orienter signifie littéralement tourner l’attention des personnes vers
le bon problème à résoudre et, plus fondamentalement, vers le bon défi
à relever. Le sensei essayait de faire évoluer « le parking est plein de
voitures qui ne sont pas sur le point d’être livrées » de la case « normal,
pas de problème » à la case « anormal, problème à résoudre ». Il essayait
de nous aider à faire face au problème. Le directeur commercial, quant
à lui, était stressé, ce qui était compréhensible, car : 1) il n’était pas
certain qu’il s’agissait d’un réel problème (même s’il reconnaissait que
devoir modifier les dates de livraison avec les clients était un vrai point
sensible) et ne voyait pas en quoi disposer de moins de voitures aiderait
l’agence à mieux livrer ; 2) il ne savait pas comment agir sur ce point
et ne se sentait probablement pas prêt à le faire. Nous n’avons pas seu-
lement ressenti et partagé sa souffrance, mais nous avons aussi compris
le rôle que nous jouions dans cette situation. Nous avons commencé à
comprendre l’idée que le sensei essayait de montrer : le contraste entre
Orienter et soutenir 143

notre approche traditionnelle command and control et l’approche orient


and support du lean.

t rAditionnel
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 142 leAn 29/11/2022 15:2

Commandement : résoudre Orientation : mettre les acteurs


le problème soi-même et dire face au problème en le montrant
aux gens ce qu’ils doivent faire et en insistant sur la nécessité
pour appliquer votre solution. de le résoudre.
Contrôle : vérifier qu’ils appliquent Soutien : apporter une aide
les instructions et les corriger pratique et une approbation
si nécessaire. lorsque les acteurs essaient
quelque chose.

Le stress n’est pas toujours négatif. Un certain stress est un facteur


de motivation, lorsqu’il devient l’émotion qui nous pousse à corriger
une insatisfaction. Trop de stress, bien sûr, est néfaste, tant par les com-
portements nuisibles qu’il induit que par son impact direct sur notre
santé. Il existe un bon stress (eustress) qui vous fait évoluer positivement
et un mauvais stress (distress) qui vous fait du tort. Le stress est le résul-
tat de l’écart entre le défi perçu et la capacité également perçue à le
relever. Les performances suivent une courbe de stress.
Performance
Performance Objectif de conserver les employés
optimale à ce niveau de performance
Fatigue
Amélioration Dynamisé Épuisement
visible Focalisé
Travail fluide Mauvaise santé
Rupture et burnout

Ennui Stress
Calme bénéfique Détresse
Niveau de stress

Courbe de contrainte de performance


144 Réussir en équipes

Faire face aux problèmes est sans aucun doute un facteur de stress.
C’est aussi le point de départ de l’apprentissage. Il faut aborder la ques-
tion en douceur pour inciter les gens à agir plutôt que de les décourager
et les pousser à l’apathie. Pour aider les gens à faire face aux problèmes,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 143 29/11/2022 15:2

nous pouvons intervenir de trois manières :


1. Accueillir favorablement les problèmes.
2. Développer l’autonomie dans la résolution des problèmes.
3. Aider à surmonter les obstacles.

Les mauvaises nouvelles d’abord


« Donnez-moi d’abord les mauvaises nouvelles » est l’un des préceptes
que nous avons le plus souvent entendu de la part des vétérans de Toyota
avec lesquels nous avons discuté en approfondissant l’approche lean. Ils
sont convaincus que cette volonté d’entendre « les mauvaises nouvelles
d’abord » est l’un des aspects de la culture Toyota qui rend l’entreprise si
différente des autres. Selon eux, tout le monde veut partager les bonnes
nouvelles, mais s’il y a de bonnes nouvelles, il n’y a rien à apprendre. La
résolution des problèmes commence par les mauvaises nouvelles. « Pas
de problème est le pire problème », disent-ils (sans problème, on ne peut
apprendre, donc on ne peut progresser) car ils sont bien conscients que
chez l’adulte, l’apprentissage commence par reconnaître ses erreurs, un
exercice difficile qu’ils appellent hansei.
À vrai dire, nous étions faciles à convaincre. Les premières années,
c’était ce que nous faisions. Nous nous rendions régulièrement en
agence pour essayer de trouver les moyens susceptibles d’amener les
équipes à mieux travailler et à mieux gérer leurs problèmes. Lorsque
nous avions nommé des directeurs régionaux pour notre réseau, chacun
en charge de plusieurs agences, leur mission initiale était de revenir de
chaque visite des points de vente avec une mesure pour faciliter la vie de
leurs collaborateurs. Mais, comme tant d’autres bonnes intentions qui
Orienter et soutenir 145

avaient bien fonctionné au départ, cette mission n’a pas résisté au chan-
gement d’échelle. Avec des systèmes de plus en plus complexes, de plus
en plus difficiles à modifier, vous cessez d’écouter les gens simplement
parce que vous ne savez plus quoi leur dire : les solutions sont toujours
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 144 29/11/2022 15:2

plus difficiles à trouver et hors de portée d’actions simples.


Par exemple, les voitures n’étaient pas livrées à temps aux agences,
mais personne ne nous le disait car cela avait été accepté comme une
pratique courante du marché. Les délais d’immatriculation des voitures
augmentaient, mais, en réalité, ce n’était pas notre faute si l’adminis-
tration préfectorale rendait la procédure de plus en plus compliquée.
Dans le même temps, les directeurs des ventes reprochaient aux équipes
de s’en servir comme excuse. Des voitures arrivaient endommagées en
agence : un responsable d’agence aurait clairement dû savoir comment
trouver des mécaniciens locaux pour résoudre ce problème. Les clients
étaient mécontents de voir leur commande annulée après soixante-
douze heures si elle n’était pas confirmée. Et alors ? La rotation des
stocks était un facteur clé pour l’entreprise, plus important que le res-
senti de certains clients. On ne pouvait pas satisfaire tout le monde tous
les jours. Lorsque les problèmes surgissent en grand nombre, il est facile
de se réfugier dans une forteresse mentale, d’écarter tous les problèmes
et d’accepter les plaintes comme le coût normal des affaires.
Quand, dès son arrivée, le sensei a demandé aux collaborateurs de
lister les problèmes sur les murs, le désespoir se lisait dans leur regard.
Il n’y avait aucun moyen de s’attaquer à toute cette liste ! Nous l’avions
découvert lorsque nous avions essayé de demander aux équipes de nous
annoncer les mauvaises nouvelles, ce qui allait profondément à l’en-
contre de leur instinct et de leur expérience. On connaît tous le sort
funeste réservé au messager porteur de mauvaises nouvelles. Personne
ne voulait être celui qui dit au patron ce qu’il ne faut pas. Tout le
monde redoutait le moment où le messager allait se faire crier dessus.
Nous l’avions constaté à plusieurs reprises chez nous comme chez les
146 Réussir en équipes

dirigeants auxquels nous avions rendu visite. Vous avez tendance à reje-
ter ou à contester ce qui vous est annoncé et que vous ne voulez pas
entendre. Parfois, vous avez raison car ce qui vous est dit est absurde.
Mais les collaborateurs ont souvent des choses à vous dire et, si vous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 145 29/11/2022 15:2

réagissez mal, ils comprennent qu’ils doivent se taire… Vous ne saurez


jamais ce qu’ils essayaient d’exprimer – même maladroitement.
« Dites-m’en plus ? » est une phrase que vous devez apprendre à
prononcer pour établir une culture de la « mauvaise nouvelle en pre-
mier ». Lorsque quelqu’un a une nouvelle difficile à rapporter, il est sur
la défensive et formule rarement son message avec finesse. Soit il est
trop timide, soit trop effronté et provocateur. Les gens s’attendent à ce
que vous réagissiez mal : ils se préparent à recevoir une gifle. En effet, la
colère, l’état de choc insensible ou l’incrédulité sont des réactions nor-
males face aux mauvaises nouvelles. Plus la nouvelle est mauvaise, plus
la réaction est forte. On se sent bien lorsque les nouvelles à annoncer
sont bonnes et mal lorsqu’elles sont mauvaises. Encourager le partage de
mauvaises nouvelles est une compétence acquise qui doit se pratiquer de
façon répétée. Sur le lieu de travail, nous avons dû apprendre à faire très
attention et dire « dites-m’en plus ? » plutôt que « pourquoi n’avez-vous
pas… ? », pourtant plus instinctif. Les collaborateurs qui s’expriment
courent le risque très réel d’être corrigés ou blâmés par leur manager :
« Tu aurais certainement dû penser/faire/modifier ceci ou cela. » Celui-ci
peut même se mettre en colère contre eux parce qu’ils lui ont fait part
d’une information qu’il aurait préféré taire à son propre supérieur.
Lorsque nous sommes sur le gemba et que quelqu’un nous annonce
une mauvaise nouvelle, ou que nous l’interpellons sur un problème et
qu’il nous annonce la mauvaise nouvelle, la façon dont nous réagissons
renforce la culture de confiance et de résolution de problèmes en encou-
rageant une réflexion de haut niveau, ou bien, au contraire, l’affaiblit
en déclenchant des réflexes de base. La tendance des êtres humains
à reproduire (consciemment ou inconsciemment) le comportement de
Orienter et soutenir 147

leurs dirigeants, reste le mode de comportement le plus répandu du


management.
De fait, passer du temps sur le lieu de travail, simplement pour
écouter les collaborateurs et les faire discuter de leurs problèmes, consti-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 146 29/11/2022 15:2

tue une action volontaire qui favorise une culture de croissance. C’est
un levier très concret pour résoudre notre défi de changement d’échelle.
Comme vous pouvez l’imaginer, c’est aussi complètement contre-intui-
tif. On nous a appris à être des leaders qui agissent. Il faut prendre
des décisions rapides et décisives. On lit partout qu’il faut savoir com-
mander et contrôler en donnant des instructions claires que les autres
doivent suivre. C’est effectivement ainsi que nous avons construit une
belle entreprise. Du moins, c’est ce que nous pensions. Parlons encore
des mauvaises nouvelles. Pour être tout à fait honnêtes, lorsque nous
regardons dans le rétroviseur, nous pouvons nous féliciter de quelques
bonnes décisions, mais nous pouvons aussi énumérer toutes les erreurs
qui nous ont ralentis et voir combien les choses auraient été différentes
si nous avions davantage écouté et soutenu le terrain.
Le projet logistique de milk run est un cas d’école. Notre objectif
était de réduire le délai de livraison à deux jours et demi et d’atteindre
95 % de livraisons à temps (on-time delivery, OTD). Nous aurions pu
nous attaquer aux problèmes pratiques que les collaborateurs rencon-
traient avec le système existant et les résoudre un par un, en faisant
appel à leur initiative. Mais, à l’époque, nous avons choisi une approche
globale et top-down. Nous avons cherché à mettre à niveau notre sys-
tème logistique avec un nouveau schéma de transport dont les objec-
tifs déclarés étaient de minimiser les coûts de transport en optimisant
les chargements des camions et de réduire les délais en concentrant le
transport : un camion chargerait des voitures pour plusieurs points de
vente et assurerait un milk run en faisant des tournées selon un itiné-
raire fixe pour livrer les agences. Sur le papier, tout allait bien et nous
aurions probablement fini par y arriver, mais nous n’avons pas écouté
148 Réussir en équipes

la première ligne qui faisait valoir que le défi des délais et de l’OTD ne
cadrait pas avec les objectifs de réduction des coûts et de consolidation.
Sur le plan opérationnel, les ingénieurs en charge du projet avaient
imaginé une solution numérique dans laquelle les voitures étaient scannées
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 147 29/11/2022 15:2

à l’aide d’un QR code à chaque point de passage afin de pouvoir calculer


les itinéraires les plus « efficaces ». C’est ce que nous sommes actuellement
en train de réussir avec le système de flux tiré, mais de manière très diffé-
rente. Les avantages attendus du système étaient une meilleure planifica-
tion des livraisons, une plus grande simplicité du réseau de points de vente,
une plus grande productivité du transport et la préparation de l’entreprise
à la croissance future. Ce schéma directeur ne tenait pas compte du fait
que nous ne maîtrisions pas la logistique sur le terrain – ni la manipulation
précise des voitures sur les parkings, ni le contrôle du transport au niveau
des camions, que tout le monde croyait impossible.
Au fur et à mesure de la mise en place du projet, nous avons sys-
tématiquement ignoré les mauvaises nouvelles (décrites comme une
« résistance au changement ») et, finalement, le projet a tourné au véri-
table fiasco avec le plus faible taux de livraison à l’heure jamais enregis-
tré. Lorsque nous nous sommes attaqués de nouveau au problème avec
le sensei, nous avons commencé par examiner les mauvaises nouvelles
pour chaque voiture et avons construit une capacité logistique de toutes
pièces, c’est-à-dire savoir déplacer une voiture d’un endroit spécifique à
un autre à un moment donné. Nous avons abandonné le plan macro et
demandé à toutes les personnes impliquées dans la chaîne de travailler
sur des questions précises, une à la fois, en commençant par la visualisa-
tion des espaces de stationnement et de chargement de camions jusqu’à
la réception en agence. En fin de compte, nous nous sommes progressi-
vement rapprochés de nos objectifs, tant pour les délais de livraison que
sur les coûts globaux. Nous n’avons pas obtenu ce résultat en imposant
un nouveau système d’en haut, mais en impliquant chaque acteur du
processus dans la résolution de problèmes pratiques au quotidien. Nous
Orienter et soutenir 149

aurions certainement pu nous épargner beaucoup de souffrance et de


dépenses inutiles en commençant par écouter les mauvaises nouvelles.
Finalement, nous avons réduit les délais d’attente des clients pour
leurs voitures, passant de trois ou quatre semaines à vingt-quatre
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 148 29/11/2022 15:2

heures, ce qui constitue un exploit spectaculaire de la part de notre


équipe logistique et un avantage concurrentiel décisif. Nous y sommes
parvenus en orientant l’entreprise vers une ligne de mire claire (réduire
le délai d’attente des clients) en résolvant un problème après l’autre, sans
dérouler de bonnes pratiques, feuilles de route ou plans d’action.
« Les mauvaises nouvelles d’abord » ne sont que la partie émergée
de l’iceberg d’un changement radical de mode de leadership : former
nos collaborateurs et soutenir leurs initiatives au lieu de prendre toutes
les décisions et de chercher des personnes pour les exécuter. « Les mau-
vaises nouvelles d’abord » est l’attitude préalable à la prise de conscience
des problèmes, tant pour nous-mêmes que pour les autres. Faire de cette
attitude une norme est la première étape à atteindre pour créer un envi-
ronnement sûr dans lequel les problèmes peuvent être abordés et discu-
tés, de sorte que les informations défavorables soient partagées au même
titre que les bonnes nouvelles.

Une source d’avantage concurrentiel


Le lean débute au service client, une excellente source de mauvaises
nouvelles. Chaque réclamation d’un client signale : 1) quelqu’un que
nous pouvons reconquérir si nous traitons sa demande correctement ;
2) quelque chose que nous pouvons corriger pour être meilleurs que nos
concurrents (si c’est difficile, il est probable qu’ils ne soient pas plus à
même de le faire correctement que nous) ; 3) une source potentielle de
découverte d’innovation de rupture. Après tout, notre entreprise s’est
construite sur les plaintes de notre entourage au fil de leurs expériences
d’achat chez les concessionnaires automobile.
150 Réussir en équipes

Notre service client traitait de nombreux appels de reprogramma-


tion de livraisons. Les clients se plaignaient souvent des files d’attente
le samedi lorsqu’ils venaient chercher leur voiture. Beaucoup d’entre
eux avaient autre chose à faire et, quand ils voyaient la file d’attente, ils
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 149 29/11/2022 15:2

reportaient la transaction, ce qui créait toutes sortes de problèmes pour


eux et pour nous. En y réfléchissant, la logique s’imposait : nos points de
vente avaient des heures normales d’ouverture de 10 heures à 18 heures,
mais les clients travaillaient eux aussi, donc fermer à 18 heures les jours
de semaine ne les aidait pas beaucoup. Nous avons donc travaillé avec
les points de vente pour étendre les heures d’ouverture à 19 heures, afin
de soulager un peu les samedis.
Les possibilités d’amélioration sont partout. L’entreprise a des pro-
blèmes structurels qui sont difficiles à résoudre. Cela offre un potentiel
infini pour améliorer le processus et trouver des idées créatives afin de
bien servir nos clients sur des sujets qui comptent vraiment pour eux, et
le faire mieux que les concurrents.
Nous recherchons des opportunités dans cinq domaines : qualité,
capacité, flexibilité, connectivité et rapport qualité/prix. Il est vrai
que tout homme d’affaires sait que, s’il améliore tous ces aspects, les
ventes devraient suivre. Mais peu savent comment s’y prendre. Au fil
du temps, nous avons modifié la façon dont nous envisageons chacun
de ces aspects.

opportunité problème l’ApproChe leAn


Qualité Les clients sont déçus Pour intégrer la qualité
par l’écart perçu entre dans le processus, il faut
nos promesses et nos comprendre la promesse
performances et veulent en détail, déterminer ce qui
retrouver une certaine valeur. doit être maîtrisé à chaque
Nous contrôlons la qualité étape du processus, puis
à la fin du processus, mais engager chacun à vérifier
nous ne pouvons pas résoudre et à améliorer lui-même la
tous les problèmes que nous qualité de ce qu’il produit.
trouvons.
Orienter et soutenir 151

opportunité problème l’ApproChe leAn


Capacité Dans notre secteur, les clients La flexibilité des volumes
se plaignent que la livraison est une préoccupation
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 150
prévue est trop tardive pour majeure. Nous devons être 29/11/2022 15:2
leurs besoins – ils ont besoin en mesure d’accélérer ou
de la voiture pour partir en de ralentir le rythme auquel
vacances la semaine prochaine. nous livrons nos clients,
Ils ne se plaignent pas de notre ce qui implique de savoir
service ; en fait, ils en veulent comment travailler avec
plus et plus vite. des ressources temporaires.
Flexibilité Ils veulent une option que nous Les petits lots et les
n’avons pas sous la main et que changements rapides sont
nous ne savons pas comment la clé pour pouvoir passer
obtenir facilement. Nous y rapidement d’un travail
arriverons, mais pas tout de à l’autre et offrir à de
suite parce que nous sommes multiples clients ce qu’ils
occupés à faire autre chose. veulent sur-le-champ.
Connectivité Ils se plaignent d’une mauvaise Un partenariat plus étroit
expérience avec l’un de avec les fournisseurs
nos services partenaires, et les entrepreneurs est
un partenaire que nous ne un élément essentiel pour
commandons ni ne contrôlons. intégrer la qualité dans le
processus et un bon point
de départ pour améliorer
les choses et obtenir
des résultats rapides.
Rapport Les clients en veulent Réduire les coûts ligne
qualité/prix toujours plus et sont par ligne est le moyen le
toujours à la recherche d’une plus sûr de dégrader aussi
meilleure offre : soit plus de la qualité et la livraison.
fonctionnalités pour le même Une meilleure approche
prix, soit un service plus de la valeur consiste à
simple et beaucoup moins réduire le coût total, puis à
cher. S’écarter de la notion réinvestir une partie de ces
de rapport qualité/prix est le gains dans la valeur pour
meilleur moyen de succomber le client, soit en offrant
soudainement à l’attaque davantage au même prix,
d’un concurrent – qu’il s’agisse soit en baissant les prix.
d’une entreprise concurrente
ou d’une autre façon de faire.
152 Réussir en équipes

Une fois de plus, comme nous l’avons découvert en améliorant la


qualité et le rendement de l’usine et en réduisant de moitié les délais de
livraison dans nos points de vente, l’apport du lean consiste à exami-
ner des problèmes singuliers. Chaque plainte d’un client est importante
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 151 29/11/2022 15:2

parce que chaque client est notre premier client et parce que ses récla-
mations nous aideront à mieux comprendre l’ingénierie de notre service
ou de notre produit.
Les réclamations sont les informations dont nous avons besoin pour
alimenter le modèle d’ingénierie de notre service afin de l’améliorer.

Plainte
client

Mise à jour
Problèmes
du
spécifiques
modèle

Résolution
Points de
des problèmes
connaissance
un par un

Nous avons également constaté que les préoccupations des colla-


borateurs sont tout aussi importantes que les réclamations des clients.
N’êtes-vous pas étonné que, dans tous les désastres ou scandales
d’entreprise qu’on peut lire dans la presse, quelqu’un était au courant
du problème ? Mais, lui a-t-on dit de se taire ou il – ou elle – a-t-il
eu peur de s’exprimer ? Nous trouvons cela terrifiant. Que savent nos
Orienter et soutenir 153

collaborateurs aujourd’hui ? Quelle information avons-nous abso-


lument besoin de savoir et qu’ils taisent parce qu’ils pensent ne pas
pouvoir nous la dire ?
Il ne faut jamais sous-estimer la force du réflexe organisationnel
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 152 29/11/2022 15:2

qui consiste à accuser quelqu’un pour se protéger. Récemment, nous


avons été victimes de la fraude la plus classique d’Internet. L’arnaqueur
a manipulé l’un de nos comptables en se faisant passer pour Google,
lui demandant un changement de numéro d’identification bancaire
pour les paiements à venir. Dans notre secteur, on ne plaisante pas avec
Google, qui est l’un des principaux canaux de commercialisation. Nous
avons dû intervenir assez fermement pour empêcher les managers de
blâmer et de punir la personne victime de l’arnaque. S’ils l’avaient fait,
personne n’aurait plus rien avoué et nous aurions manqué toutes les
opportunités de discuter du meilleur moyen de repérer ces escroqueries
et de les dénoncer dès qu’un doute persiste. D’ailleurs, comme le pro-
blème a été signalé très rapidement, nous avons pu bloquer le compte
bancaire du voleur et, après quelques mois, récupérer l’argent.
Dans ce cas de fraude, nous avons été alertés d’un problème et avons
rapidement pris des mesures. Comment les collaborateurs peuvent-ils
agir tout aussi rapidement de leur côté ?
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 153 29/11/2022 15:2
Chapitre 7

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 154
Voir ensemble, 29/11/2022 15:2

penser ensemble,
agir ensemble

Avec le management, nous nous appliquions à encourager un dialogue


ouvert – ce qui n’était ni facile, ni naturel. Connaître nos problèmes
singuliers ne suffisait pas et n’aurait produit qu’une très longue liste de
sujets à traiter. Nous devions donner les moyens à ceux qui exprimaient
les problèmes de pouvoir les traiter rapidement.

La magie de la visualisation
Pour aider le responsable d’agence à faire face aux problèmes de livrai-
son, nous avons demandé à notre coach lean, Juliette, de mettre en
pratique les leçons apprises dans l’unité de production. Pot de peinture
blanche et pinceau en main, elle a animé les équipes en agence pour
créer des espaces physiques de distinction du normal et de l’anormal :
• Des emplacements pour la préparation du lendemain ont été tracés.
On a placé dessus les voitures qui devaient être livrées le lendemain.
Ces emplacements signalaient que les voitures pouvaient recevoir
une touche finale afin d’être impeccables pour les clients.
156 Réussir en équipes

• Des espaces de « délinquantes » ont été créés pour les voitures où un


problème était découvert à la dernière minute, qui risquait de retar-
der la livraison.
• Toutes les places du parking ont été identifiées et adressées, ce qui nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 155 29/11/2022 15:2

permettait d’identifier, de séparer et de suivre les voitures restées le


plus longtemps sur le parking.

Visualisation des espaces pour les voitures


dans l’usine de production

Lorsque le sensei nous en avait parlé, cela paraissait simple, mais


dans la vie réelle cela l’était beaucoup moins. Tout devait être fait pen-
dant que nous assurions le service aux clients et gérions l’activité quo-
tidienne. Pourtant, une fois les espaces visualisés, les résultats furent
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 157

spectaculaires. D’un coup d’œil, à tout moment, chacun pouvait voir


si l’agence était en bon ou en mauvais état. Dès que le camion avait
fini de décharger, l’équipe voyait immédiatement si une voiture prévue
pour aller dans une zone de préparation déterminée était manquante.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 156 29/11/2022 15:2

Lorsque le camion amenait une voiture qui n’était pas requise immé-
diatement, quelqu’un devait la garer quelque part et se demander quoi
en faire.
La visualisation a permis de prendre en compte les problèmes
comme une partie normale du job et a progressivement mis en évi-
dence une meilleure coordination quotidienne avec la logistique cen-
trale comme nouveau point de connaissance. Résultat : la livraison à
temps aux clients est passée de 50 % à plus de 85 %. C’était stupéfiant.
En travaillant voiture par voiture, les agences et la logistique cen-
trale ont résolu un problème que nous pensions insoluble. Nous n’avions
fait qu’aider le directeur commercial et les responsables d’agence à faire
face au problème, mais cela : 1) montrait qu’il était important de nous
rendre fréquemment sur place ; 2) ouvrait une voie de résolution par
une visualisation du problème.
Comme nous l’avions vu dans
l’usine Toyota, puis appris par
nous-mêmes par le biais d’erreurs
et d’essais douloureux (en tré-
buchant, tombant et se relevant
souvent), la visualisation est une
compétence en soi. Elle exige de
clarifier la performance à amé-
liorer, d’identifier les étapes clés
qui doivent être franchies à cette
fin, puis de créer visuellement une Que s’est-il
« zone cible », qui permet de visua- passé ?

liser si vous avez vu juste ou non.


158 Réussir en équipes

Les personnes peuvent traiter chaque occurrence manquée comme


un problème singulier à explorer, à la recherche du point de connais-
sance caché.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 157 29/11/2022 15:2

Parking avant et après visualisation des problèmes


perturbant le flux des voitures

Quel impact sur le changement d’échelle ? Pendant un an, nous


avons progressivement impliqué chaque responsable d’agence dans
l’examen de ses voitures entrantes. Ils ont été accompagnés par nos
coachs lean, Juliette et Cyril, qui leur ont appris à visualiser le flux de
voitures et à prendre le contrôle de leurs espaces. La ponctualité de nos
livraisons s’est globalement améliorée, passant d’un piètre 50 % à près de
80 %, car nous avons visualisé les problèmes et travaillé sur les points
de connaissance.
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 159

100%
90%
80%
70%
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01/19
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04/19
Livraison dans les délais après application de la visualisation

Nous avons trouvé de nouveaux points de connaissance, comme le


contrôle des horaires de passage des camions. Cela a également trans-
formé le travail quotidien des agences en simplifiant les livraisons et en
améliorant les interactions avec les clients. Notre indice de satisfaction
de la clientèle a augmenté de 40 % sur cette période. L’effet le plus inat-
tendu de ce travail s’est produit loin des agences ou de la logistique…
dans l’open space du service client au siège. Le nombre d’appels de récla-
mation des clients a diminué de façon constante. En outre, de manière
surprenante, l’indice de satisfaction de nos collaborateurs s’est amélioré
en même temps que la logistique.
160 Réussir en équipes

12
10
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Nombre d’appels au centre de service à la clientèle

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04/19

OTD e-NPS

Satisfaction des collaborateurs (e-NPS) et respect


des délais de livraison

Lorsque nous avons visualisé les horaires des camions, nous avons
pourtant découvert que certains suivaient encore d’anciens itinéraires
que nous n’avions jamais mis à jour. La visualisation est la clé de la
découverte et elle réserve sans cesse des surprises. Nous sommes toujours
pris au dépourvu par les défauts que nous découvrons, généralement
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 161

des problèmes que nous pensions avoir résolus longtemps auparavant,


mais qui en réalité persistent.

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 160 29/11/2022 15:2

Visualiser les horaires des camions pour révéler les problèmes

La question de la livraison dans les délais n’a pas été résolue unique-
ment dans les agences. Il s’agissait d’un problème systémique impliquant
les points de vente, la logistique centrale, les entreprises de camionnage
partenaires et l’usine de reconditionnement. Notre logistique centrale,
un espace ouvert et aéré au septième étage de notre siège social avec une
vue spectaculaire sur le rond-point de la Vache-Noire à Arcueil, était
principalement composée de personnes très expérimentées en logistique
automobile. Ils croyaient sincèrement que le transport n’est pas une
162 Réussir en équipes

science exacte et que les camions (ou les camionneurs, d’ailleurs) ne


peuvent pas être contrôlés avec précision, car le trafic est fondamen-
talement imprévisible. Dans ces conditions, pourquoi s’attaquer à ce
problème ?
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 161 29/11/2022 15:2

Heureusement, l’une de nos opératrices de première ligne, Asmaa,


s’est mise à discuter avec Zakaria, le leader d’équipe logistique de l’usine,
récemment promu. Ensemble, ils ont identifié un problème de temps
d’attente des camions à l’usine, un gaspillage évident. Ils ont évalué le
temps nécessaire pour qu’un camion charge ou décharge des voitures
sur le site et fixé un objectif d’une heure pour faire faire demi-tour
à un camion (les gigantesques porte-voitures que vous croisez parfois
sur la route). Ils se sont demandé s’ils pouvaient fixer des heures de
rendez-vous précises pour le camion, une idée ridicule pour nos logisti-
ciens chevronnés.
Nous avions des accords avec plusieurs sociétés de transport routier
et le contrat avec l’une d’entre elles prévoyait qu’elle gérait les camions
et les chauffeurs, mais que nous nous occupions des horaires. Pour ces
camions, Asmaa a tracé des itinéraires et a téléphoné aux chauffeurs
pour savoir où ils en étaient, obtenant progressivement une idée des
horaires réguliers à des points fixes. Elle a réussi à mieux prévoir le
moment où le camion arriverait dans l’une de nos agences pour déchar-
ger, recharger et repartir. Pendant ce temps, Zakaria s’attelait à la visua-
lisation de la zone de préparation des camions et à tout ce qu’il pouvait
imaginer avec ses équipes et d’autres services de l’usine pour faciliter la
recherche des voitures et les préparer au chargement du camion dès son
arrivée.
Confrontés au problème, ils ont mené tous deux d’intenses discus-
sions avec leurs collègues de l’entreprise, tant au siège que sur le site, et
des négociations avec les chauffeurs en essayant de les convaincre que
le respect des rendez-vous les aiderait à charger plus rapidement, ce qui
devait signifier qu’ils pourraient insérer un transport supplémentaire
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 163

dans leur itinéraire et, ainsi, gagner plus d’argent. Ils se sont également
démenés pour soutenir les chauffeurs comme ils le pouvaient, en leur
offrant de l’aide pour les problèmes mécaniques (les mécaniciens de
l’usine pouvaient s’en occuper assez facilement) et par des gestes simples
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 162 29/11/2022 15:2

comme offrir un café de bienvenue, de l’eau gratuite, etc. Les chauf-


feurs, qui n’avaient pas l’habitude d’être considérés de cette manière,
ont commencé à faire plus attention.
Tout ce travail a été réalisé en utilisant mieux des outils existants.
Après s’être penchés sur divers problèmes et les avoir affrontés – en par-
tant du principe qu’ils pouvaient être résolus –, Asmaa et Zakaria ont
découvert de nombreux points critiques de connaissances nouvelles :
• une meilleure information de la part des agences sur les voitures
dont elles avaient besoin ;
• des itinéraires détaillés par camion ;
• une communication fréquente avec les chauffeurs ;
• des rendez-vous fixés pour les camions, à l’usine et dans les agences ;
• la préparation de toutes les voitures pour le chargement ;
• la réactivité lorsque le trafic s’avérait effectivement imprévisible ;
• des relations de confiance avec les partenaires.
L’identification et la maîtrise de ces points de connaissance leur
ont permis de découvrir ce dont Marc Onetto nous avait parlé : dis-
tinguer le prévisible de l’imprévisible, puis rendre l’imprévisible plus
prévisible – le camionnage et le trafic. Au fur et à mesure qu’ils progres-
saient, et que les vieux routards de la logistique quittaient le service, ils
ont embauché des personnes qui ne partageaient pas les mêmes idées
préconçues et qui étaient intéressées par l’apprentissage approfondi que
favorisait cette expérimentation.
Nous n’avons pas déployé de nouveau logiciel. Nous n’avons pas
non plus restructuré la logistique. Nous n’avons pas unifié le transport.
Nous avons simplement appris aux directeurs d’agence à faire face à
164 Réussir en équipes

leurs problèmes de livraison, à les visualiser concrètement et à travailler


un problème à la fois. C’était stupéfiant. Et nous les avons soutenus en
leur accordant notre attention lors des gemba walks. Nous leur avons
offert l’aide de notre équipe lean centrale pour apporter des change-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 163 29/11/2022 15:2

ments concrets dans la visualisation du processus, et nous avons mis à


leur disposition un outil pour développer les compétences de résolution
de problèmes de leurs équipes, ce qui les a mis plus à l’aise pour affron-
ter les problèmes au quotidien.

Nettoyer la fenêtre pour soutenir l’amélioration


Nous avions remporté une grande victoire, certes, qui a ensuite révélé…
de nouveaux problèmes. Notre performance logistique renouvelée
dépendait désormais de la discipline de l’usine (facile) et de celle des
agences (difficile) pour maintenir la visualisation des emplacements des
voitures ainsi que les systèmes visuels inventés par Asmaa au siège pour
suivre les camions : un nouveau casse-tête que nous n’avions pas vu
venir.
Les vétérans du lean racontent sans cesse des histoires étonnantes
sur leur sensei japonais insistant sur les « 5S » avant toute autre chose.
Comment le nettoyage de l’usine pouvait-il améliorer les performances ?
Les 5S sont une technique lean composée de cinq mots japonais : seiri,
seiton, seiso, seiketsu et shitsuke, qui signifient littéralement : « élimina-
tion », « propreté », « nettoyage », « standardisation » et « discipline ».
Pour des raisons de commodité, ils sont devenus :
• Trier et éliminer : passer en revue les articles et distinguer ce qui est
utile, ce qui ne l’est pas et ce qu’il faut faire pour réduire le désordre.
Il faut pour cela prendre la décision de garder ou de mettre à la
poubelle.
• Mettre de l’ordre : trouver une place fixe pour chaque objet et
s’assurer qu’il reste à sa place, de sorte qu’il soit facilement accessible
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 165

en cas de besoin. Mettre de l’ordre implique de visualiser les lieux et


de créer un système pour gérer l’espace. Il faut faire preuve d’esprit
pratique pour que votre rangement favorise le flux de travail en
gardant à portée de main les objets les plus utilisés.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 164 29/11/2022 15:2

• Faire briller : garder tous les articles propres et bien rangés, ce qui,
en fait, exige de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils sont
découverts. C’est aussi l’occasion de s’interroger à nouveau sur le
tri (faut-il garder ceci ou s’en débarrasser) et sur la pertinence du
rangement obtenu.
• Standardiser : trouver le bon rythme et les bonnes procédures pour
garantir les trois premiers S à tout moment. Mettre l’équipe d’ac-
cord sur ses propres règles simples d’utilisation des objets, de range-
ment et de nettoyage de l’espace de travail.
• Maintenir : le processus 4S est sans fin, mais la force de l’habitude
et les contretemps quotidiens rendent inévitablement les routines
instables. L’autodiscipline nécessaire au cinquième S peut être sou-
tenue par l’intérêt que la direction porte aux 5S et par l’approbation
du bon état du lieu de travail.
En mode command and control, les 5S se réduisent à l’ordre et à la
propreté : évidemment, n’est-il pas mieux de garder un environnement
propre et bien rangé ? Dans une perspective orient and support, l’objec-
tif est très différent. Nous voulons que l’équipe s’approprie son lieu de
travail pour maintenir la discipline de la visualisation des problèmes.
Les 5S sont des points de connaissance essentiels pour gérer un lieu
de travail physique et motiver son équipe à prendre soin d’elle-même.
Tout comme votre routine matinale vous permet d’affronter la journée,
les routines 5S préparent les équipes aux leurs. Sans la maîtrise des 5S,
la visualisation des problèmes s’estompe et les résultats disparaissent.
Visualiser les problèmes crée l’exigence de se confronter aux problèmes
tous les jours, tout le temps. Sans une compréhension profonde de la
166 Réussir en équipes

manière de contrôler la matérialité de l’espace de travail, les cibles sont


facilement subverties ou abandonnées. Nous le constatons chaque jour
en rendant visite à nos sites. La discipline des 5S donne du muscle au lea-
der d’équipe pour qu’il puisse travailler avec ses équipes et pour qu’elles
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 165 29/11/2022 15:2

maintiennent leur espace de travail dans de bonnes conditions afin de


faire face aux problèmes et progresser. Sans 5S, pas de visualisation des
problèmes. Sans visualisation des problèmes, les résultats déclinent.
Au début, nous avons eu du mal à faire comprendre à nos collabo-
rateurs la pertinence des 5S pour une entreprise numérique. L’une de
nos équipes informatiques s’en est finalement emparé et a commencé
à examiner ses bases de données : lesquelles utilisions-nous, dans quel
ordre ? Pouvions-nous les simplifier ? Ce bloc de code était-il encore
utile ? Y avait-il des tâches planifiées importantes que nous supprimions
par erreur ? En supprimant du code, l’équipe cherchait activement à
savoir ce qui n’aurait pas d’impact et ce qui créerait des bugs inattendus
dans d’autres applications. Après quelques faux départs, ils ont créé un
rituel (S numéro 4 : standardiser) pour nettoyer un bloc de code à la fois
et travailler avec leurs collègues sur les dépendances de code : qu’est-ce
qui fait quoi à quel endroit et qu’est-ce qui doit être placé où. Ce faisant,
ils ont facilité l’utilisation du code, amélioré les compétences de l’équipe
en matière de conception de logiciels et rendu plus visibles les portions
de la base de code les plus sujettes aux erreurs.
Les 5S permettent également aux dirigeants de montrer leur sou-
tien. En pratiquant les 5S, l’équipe trouve chaque jour de nouveaux
problèmes, certains qu’elle peut résoudre, d’autres pour lesquels elle a
besoin d’aide. Pour faire en sorte que les équipes soient plus à l’aise face
aux problèmes, nous pouvons les aider à : 1) devenir plus autonomes
dans la résolution des problèmes ; 2) éliminer les obstacles qui sont en
dehors de leur sphère d’influence (comme le siège social).
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 167

Enseigner l’autonomie
dans la résolution de problèmes
Une culture de croissance exige de réfléchir en prenant de la hauteur et
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 166 29/11/2022 15:2

en raisonnant. Une culture fixe favorise les réactions rapides, instinc-


tives et émotionnelles. Les gens résolvent des problèmes au travail en
permanence, mais la question porte sur les problèmes qu’ils choisissent
de résoudre.
• Se concentrent-ils sur le maintien de la continuité de la satisfac-
tion du client ? Ou sont-ils obsédés par leur position hiérarchique et
défendent-ils leurs processus pour éviter d’être blâmés ?
• Cherchent-ils des moyens intelligents de résoudre des problèmes
concrets avec leurs équipes ? Ou bien se jettent-ils sur des solu-
tions irréalistes en tentant de faire disparaître artificiellement le
problème ?
Vu de l’extérieur, la différence est manifeste. Mais pour celui qui
doit gérer le problème, les deux méthodes paraissent identiques. Les
deux semblent justes, naturelles, justifiées. Il n’y a pas de marqueur
émotionnel pour distinguer la prise de hauteur de la réaction affective.
Pour passer du contournement des problèmes à la résolution autonome,
le travail de maîtrise des points de connaissance doit être continu et
maintenu par le management. Pour ce faire, le sensei nous a proposé des
tableaux simples dans chaque équipe afin de visualiser le processus de
résolution de problèmes.

reCherCher tester/
déCrire estimer
dAte lA CAuse étudier une
le problème l’impACt
profonde Contremesure
168 Réussir en équipes

Il ne s’agit pas d’énumérer tous les problèmes rencontrés, mais


d’apprendre à mieux résoudre les problèmes en les examinant un par
un. Notre stratégie n’était pas de résoudre tous les problèmes en cher-
chant à obtenir un processus qui fonctionnerait parfaitement comme
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 167 29/11/2022 15:2

on retire des grains de sable d’une machine. Nous cherchions à dévelop-


per la capacité de chacun à résoudre les problèmes afin de devenir plus
précis dans la façon dont nous gérions les situations inattendues.
Imaginez par exemple une voiture livrée trop tard en agence, ce qui
entraîne le report du rendez-vous avec le client. Romain, le directeur
du commerce (aujourd’hui directeur général de la France), supposait
que le collaborateur n’avait tout simplement pas utilisé la feuille Excel
à disposition pour calculer comme il le fallait la date de livraison cor-
recte, en faisant un rétro-planning à partir de la date du rendez-vous.
L’analyse de la manière dont les équipes formulaient le problème sur les
tableaux et les contremesures qu’elles proposaient, lui a fait découvrir
que l’outil devait être mis à jour quotidiennement par la logistique, qui
oubliait parfois de le faire (ce n’était pas une tâche essentielle pour eux),
créant ainsi de fausses informations dans le système. Cela a conduit
à une collaboration étroite avec la logistique et a permis de souligner
l’importance de l’exactitude des dates, ainsi que de chercher comment
mieux les intégrer au système. Les problèmes comme celui-ci ne peuvent
pas tous être extirpés du système comme autant de grains de sable dans
les engrenages : vous en résolvez un, un autre apparaît. L’amélioration
tient au développement des capacités de résolution des problèmes et
de travail en équipe, afin que les gens réagissent plus rapidement et
trouvent des solutions plus intelligentes lorsqu’ils rencontrent de tels
problèmes.
Chaque leader d’équipe animait l’examen d’un problème résolu,
encourageait un membre de l’équipe à présenter la manière dont il avait
procédé et soutenait une discussion d’équipe à ce sujet. Au fil du temps,
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 169

nous avons trouvé cinq points clés sur lesquels il faut se concentrer lors-
qu’on enseigne la résolution de problèmes :
1. Orientation vers le client. Les clients changent, mais votre patron
reste toujours votre patron et vos collègues restent vos collègues.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 168 29/11/2022 15:2

La tendance à exprimer les problèmes en termes de réponse aux


demandes de la hiérarchie ou de problèmes d’équipe est continue,
inévitable et… parfaitement normale. « Comment le client est-il
touché ? » est la question qu’il faut toujours poser pour orienter les
gens vers le flux de valeur plutôt que le flux d’instructions. Poser
cette question sans relâche est l’un des moyens les plus efficaces
dont nous disposions pour construire une culture de croissance
et rappeler aux équipes ce qui assure la croissance et le succès de
l’entreprise : l’opinion des clients sur nous et ce qu’ils disent de nous
à leurs amis.
2. Formulation des problèmes. Sur de nombreux tableaux de visualisa-
tion, on retrouve des énoncés de problèmes qui indiquent simple-
ment : « Ça a mal tourné. » Ce n’est pas l’énoncé d’un problème.
Nous devons apprendre à nos équipes à formuler les problèmes de
la manière suivante : « Ceci a mal tourné à cause de cela. » Un écart
de performance s’explique par un écart de processus. La différence
peut sembler insignifiante, mais le but de la formulation des pro-
blèmes est de les affronter. Un problème n’est pas une « opportu-
nité », comme on l’entend dire. C’est une situation qui doit être
résolue, ce qui signifie qu’il faut expliquer dans l’énoncé du pro-
blème ce que nous pensons être sa cause immédiate : la plus évi-
dente, pour commencer, avant de creuser davantage.
3. Recherche de la cause profonde. Pourquoi le navire a-t-il coulé ? Parce
qu’il a été percé sous la ligne de flottaison et que l’eau a pénétré
dans la coque, qui est devenue plus dense que l’eau et ne pouvait
plus flotter. C’est la cause immédiate. Mais pourquoi la coque a-t-
elle été percée ? Parce que le bateau a heurté un rocher qui a fait un
170 Réussir en équipes

trou dans la coque. Pourquoi a-t-il heurté le rocher ? Parce que le


skipper a mal lu la carte et n’était pas là où il pensait être. Pourquoi
le skipper a-t-il mal lu la carte ? Parce qu’il a été distrait par un
problème de moteur et a perdu la trace de l’endroit où se trouvait
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 169 29/11/2022 15:2

le bateau sur l’eau. En recherchant les causes profondes, nous cher-


chons la « vraie » raison pour laquelle le problème s’est produit. Cela
reste bien sûr subjectif. Ce que nous cherchons vraiment, c’est un
point de connaissance que nous aurions pu mieux gérer. Où avons-
nous fait fausse route ? Qu’aurions-nous pu faire différemment ?
Comment allons-nous gérer une situation similaire la prochaine
fois ? Il n’y a pas de bonne ni de mauvaise réponse aux causes pro-
fondes – le but est de pousser les équipes à réfléchir aux standards
en place et à leur interprétation en contexte : avions-nous un stan-
dard ? Était-il connu et appliqué ? S’appliquait-il dans la situation ?
Est-ce le bon standard ?
4. Tentative de correction de la situation. Comment apaiser le client ?
Comment atténuer l’impact du problème ? Une fois que c’est arrivé,
comment revenir sur le bon chemin ? Réfléchir à des contreme-
sures, c’est encourager l’inventivité et la prise d’initiative au sein de
l’équipe. Les meilleures contremesures résolvent fondamentalement
le problème, mais ce n’est pas toujours possible ou pratique. Nous
recherchons ici à mettre en avant le souci du client, l’ingéniosité
pour résoudre le problème ou le simple bon sens. Les contreme-
sures sont essentielles pour donner à l’équipe confiance en elle : elle
sait faire face aux problèmes sans se les masquer ni les cacher aux
autres. En affrontant les problèmes ensemble, nous réfléchissons
à des moyens intelligents d’atténuer leurs effets et de traiter leurs
causes profondes.
5. Étude des contremesures. En tant que client, combien de fois une
entreprise vous a-t-elle offert un bon d’achat pour compenser une
erreur qu’elle avait commise et, ce faisant, vous a-t-elle encore plus
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 171

contrarié ? Certaines contremesures ont un impact positif sur les


clients. D’autres ont pour effet de faire partir les clients, qui ne
reviennent jamais et le font savoir à leurs amis. Étudier les contre-
mesures est notre façon d’apprendre.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 170 29/11/2022 15:2

Partir du client
Formuler les problèmes comme des écarts
de performance expliqués par des écarts de processus
Chercher la cause profonde, c’est à dire
le point de connaissance manquant

Essayer quelque chose pour remédier


à la situation
Étudier les effets
des contre-mesures

Lorsque notre sensei nous a mis au défi à chaque étape du processus


de résolution de problèmes, nous avons eu l’impression qu’il exigeait une
logique parfaite, comme s’il existait un idéal rationnel pour résoudre les
problèmes. Il nous a fallu un certain temps pour réaliser qu’il mettait
en question la motivation : les individus étaient-ils sérieux, désiraient-ils
résoudre le problème de leur client et réfléchir plus profondément à leur
façon de travailler ? Ou bien se contentaient-ils de renvoyer la balle pour
rejeter la faute sur une autre partie de l’organisation ?
On nous apprend à considérer la résolution de problèmes comme
un exercice logique et cérébral. Bien sûr, le raisonnement analytique
est important. Mais l’autonomie dans la résolution de problèmes est
aussi largement une question d’émotions. Les gens doivent ressentir un
déplaisir, une insatisfaction et avoir envie de faire quelque chose. Ils
doivent résister à la tentation de trouver rapidement des solutions ou de
détourner le problème. Ils doivent aimer le processus de négociation qui
consiste à trouver une voie avec les autres. En d’autres termes, ils doivent
faire face au problème avant de rechercher une solution.
172 Réussir en équipes

L’apprentissage par les problèmes


En mettant progressivement en place des tableaux de résolution de pro-
blèmes dans
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 171 toute l’entreprise et en apprenant aux leaders d’équipe à les 29/11/2022 15:2

utiliser régulièrement, nous avons également beaucoup plus appris sur


ce qui rendait cette technique si efficace. En nous concentrant sur les
points de connaissance, nous savions désormais que les performances ne
s’amélioreraient que si les équipes découvraient des points de connais-
sance plus précis et apprenaient à les maîtriser. L’apprentissage devait
être spécifique et dépendre du domaine de compétences concerné.
Être confronté à un problème et essayer de formuler des solutions
à la fois nouvelles et meilleures (et non des vieilles recettes recyclées)
active les connaissances existantes. Se souvenir en situation de ce qu’on
sait déjà, ouvre la voie à la découverte de nouvelles idées. L’expérience et
les idées sont déclenchées par le problème. Elles reviennent à l’esprit des
personnes, qui essaient alors d’explorer au-delà de ce qu’elles connaissent
déjà.

Découverte

Impossible
Identifiable à connaître

Connu

La découverte exige une motivation car il s’agit d’un réel effort, en


particulier dans des vies très occupées et dans des fonctions où l’on est
facilement submergé par des listes de choses à faire, de tâches à accom-
plir ou de réponses par e-mail à donner dans la minute. Considérer
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 173

la résolution de problèmes comme une activité légitime, nécessaire,


obligatoire et la programmer en conséquence est essentiel pour susciter
l’intérêt. Les personnes se sentent ainsi motivées à fournir l’effort néces-
saire : on attendra qu’elles rendent compte de leurs analyses, qu’elles
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 172 29/11/2022 15:2

estiment si cela en vaut la peine ou non.


L’apprentissage qui repose sur la résolution des problèmes réussit
s’il est autonome et délibéré. Le déclic survient le plus souvent chez
la personne elle-même, dans un moment de calme et de solitude, et
non lorsqu’elle participe à une discussion de groupe. L’apprenance inter-
vient quand la personne explore ou expérimente par elle-même : lorsque
quelqu’un lit un livre, approfondit les détails d’un problème ou essaie
quelque chose de nouveau. Il s’agit toujours d’une activité personnelle
et solitaire, qui se réalise si l’individu est autonome, s’il la fait parce que
cela l’intéresse et non parce qu’il y est obligé.
L’apprentissage autonome peut être encouragé par de meilleures
méthodes ou un encadrement plus soutenu. Ces deux éléments servent
de support à l’apprentissage. Mais, en fin de compte, seul l’individu
peut apprendre par ses efforts, c’est une réalité incontournable. Les
points de connaissance émergent des efforts personnels des personnes
qui les recherchent et les mettent ensuite en commun. De fait, l’appren-
tissage est un moment très affectif, où l’émotion de la curiosité – et de
se mettre en danger – prime sur le risque de la contradiction et du ridi-
cule. Cette émotion doit être reconnue et entretenue. Malheureusement,
nous échouons souvent. Les experts qui mesurent l’engagement des col-
laborateurs affirment que l’attention positive est trente fois plus puis-
sante que l’attention négative17. Lorsqu’on discute de la résolution de
problèmes, la critique est inévitable. Nous devons constamment veiller
à soutenir le chef et son équipe en accordant une attention positive à

17 M. Buckingham et A. Goodall, Nine Lies about Work, Harvard Business Review Press, Brighton,
MA, 2019.
174 Réussir en équipes

l’effort de résolution de problèmes. Lors d’une formulation de problème


ou d’une recherche de cause, le sentiment critique est incontournable. Il
faut apprendre à le compenser en encourageant les idées et l’expérimen-
tation : « Essaie et on en parle. »
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 173 29/11/2022 15:2

Faire face aux problèmes ensemble :


un tremplin vers une culture de croissance
Trois mois après le début de nos gemba walks, nous avons été stupéfaits
de constater que nous étions passés à côté d’une grande partie du travail
extraordinaire que nos collaborateurs faisaient pour améliorer le taux de
service. Lors de nos visites régulières, ils nous exposaient des problèmes
détaillés qui semblaient si singuliers que nous ne comprenions pas tout.
Nous les avons encouragés et soutenus du mieux que nous pouvions.
Nous approuvions tous leurs efforts. Au bout du compte, ce sont eux qui
nous ont appris des choses. Ils ont trouvé les problèmes, les ont affrontés,
les ont résolus petit à petit et ont découvert les points de connaissance
critiques qui ont permis d’améliorer les performances.
Nous avions réalisé qu’un meilleur taux de service conduisait à
réduire les délais annoncés aux clients et de proposer un véritable avan-
tage concurrentiel : faire passer la promesse de livrer une voiture en
quinze jours à moins d’une semaine, en visant les quarante-huit heures.
Bien sûr, cela allait entraîner de nouvelles difficultés, mais comme nous
avions affronté le problème ensemble, nous savions qu’il pouvait être
résolu de manière analogue à l’amélioration de la production de l’usine
qui avait rendu possible notre changement d’échelle. Ce fut une avan-
cée commerciale majeure et nous pouvons désormais livrer des voitures
en vingt-quatre heures.
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 175

250

200

150
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 174 29/11/2022 15:2

100

50

0
2017 2018 2019 2020 2021
Évolution du nombre de livraisons en 24 heures

Alejandro, le VP opérations (et donc responsable de la supply chain)


– en repensant aux points de connaissance que l’équipe a dû résoudre –
a distingué trois axes principaux : le flux tiré des voitures, le contrôle
des camions et l’accélération du flux d’informations.

défi points de ConnAissAnCe


Tirer le flux N’afficher sur le site que les voitures dont les délais
de voitures de livraison sont fiables – en cas d’incertitude, la voiture
n’est pas proposée aux clients.
Expédier vers nos sites uniquement les voitures à livrer
aux clients le lendemain.
Résoudre les problèmes d’immatriculation des voitures ayant
empêché la livraison physique de la voiture.
Travailler en étroite collaboration avec les opérateurs
qui préparent les voitures afin de les aider à garantir la qualité
et le respect des délais de livraison.
Contrôler Fixer des objectifs clairs en matière d’horaires pour les camions.
les camions Réduire la variabilité de l’arrivée et de l’attente des camions
sur les sites.
Éliminer les points de friction pour les chauffeurs afin
de faciliter leur travail sur nos itinéraires et nos sites.
Accélérer Réduire la dépendance à l’égard des systèmes postaux (retards).
les flux Accélérer le financement en se concentrant sur la simplification
d’information des formalités administratives et de l’attente.
176 Réussir en équipes

A posteriori, tout cela semble évident, mais chaque point de connais-


sance a dû être découvert « à la dure » par l’équipe (les problèmes se
présentent rarement de manière claire et nette, et doivent être traités au
cas par cas). Ensuite, celle-ci a dû apprendre les astuces du métier pour
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 175 29/11/2022 15:2

maîtriser les questions qui se posaient. Ce travail quotidien a nécessité


rigueur et persévérance de la part de chaque membre de l’équipe, et une
superbe collaboration !
Passer du temps sur les lieux de travail nous a permis de nous rendre
compte de l’expérience de tous nos collaborateurs au quotidien : faire
leur travail du mieux possible, tenter de corriger les erreurs au fur et à
mesure, négocier avec leur environnement et garder à l’esprit le terrain
gagné ou perdu. Nous apprenions à respecter le fait que les personnes
voient les choses à leur façon et s’efforcent de les changer en apportant
leurs lumières. Très souvent, elles voient des choses qui nous échappent
et savent des choses que nous ignorons.
Le sensei nous a montré que, face aux problèmes, nos collabora-
teurs tendaient à s’orienter dans deux directions : soit ils pouvaient se
tourner vers les clients et chercher à corriger ce qui les empêchait de
garantir la continuité de la satisfaction client ; soit ils butaient sur les
problèmes et choisissaient de se faciliter le travail. Ils pouvaient soit
regarder le long du flux de valeur vers les clients et chercher à améliorer
chaque étape afin que chaque client puisse être traité avec le même soin
et les mêmes efforts que le premier ; ou, a contrario, traiter les clients
comme une donnée et protéger leur propre position dans les processus
de l’entreprise, négocier un meilleur contrat et utiliser leur influence ou
leur pouvoir pour défendre le statu quo.

Améliorer chaque étape pour traiter Considérer les clients comme


chaque client avec les mêmes soins acquis et protéger notre
et efforts que le premier position dans l’entreprise
Voir ensemble, penser ensemble, agir ensemble 177

Le sensei nous a aussi montré que nous pouvions avoir une influence
en nous contentant d’« aller voir » et de formuler des challenges. La psy-
chologie cognitive nous apprend que les gens ne font pas attention à ce
qu’ils considèrent comme important mais considèrent comme impor-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 176 29/11/2022 15:2

tant ce à quoi ils font attention. Par une influence sur l’orientation,
vous influencez ce à quoi les gens accordent de la valeur. Lors de gemba
walks, nous avons découvert un cas typique. Certaines agences faisaient
régulièrement pression sur les clients pour qu’ils viennent chercher leur
voiture plus tôt afin de répondre aux questions incessantes du service
financier soucieux de la bonne santé de notre trésorerie. Nos agences
n’ont jamais eu de prime directement calculée sur le cash-flow. Mais
celui-ci était devenu important tout simplement parce que le service
financier en faisait une priorité, au point qu’il primait sur l’idée de pla-
cer les clients en premier. La situation a été corrigée lors d’une visite au
gemba, en disant aux équipes que si la trésorerie était un enjeu impor-
tant pour l’entreprise et une priorité normale du directeur financier,
notre attention devait néanmoins rester centrée sur la satisfaction com-
plète de chaque client.
Mettre les collaborateurs au défi d’affronter les problèmes à nos
côtés permet d’influer sur les problèmes qu’ils prennent en charge.
En les soutenant dans la résolution de problèmes, en approuvant leurs
efforts et en éliminant les obstacles internes, nous pouvons faciliter le
processus de négociation. Un meilleur management visuel et une meil-
leure visualisation des problèmes permettent d’épauler le suivi continu
des solutions et, ainsi, amener les équipes à découvrir et à s’approprier
de nouveaux points de connaissance qui, collectivement, vont créer de
meilleures performances.
Le secret d’un changement d’échelle réussi est d’obtenir la participa-
tion volontaire de chacun à l’amélioration de la qualité, la réduction des
délais et la réduction de l’ensemble des coûts. Pour ce faire, en tant que
dirigeants, nous devons développer une culture de croissance comme
178 Réussir en équipes

antidote à la culture fixe qui s’empare de toutes les entreprises à mesure


qu’elles se spécialisent et se bureaucratisent. Une culture qui vise à appor-
ter de la valeur aux clients par l’engagement et la prise d’initiative dans
la simplification du travail, à rebours de l’obsession traditionnelle de
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maintenir sa position de force face aux clients, collègues et fournisseurs


– modèle généralement enseigné dans les écoles de commerce. Aller sur
le gemba pour trouver les problèmes (et aider les équipes à visualiser
leurs processus pour y arriver) est la première étape de la création d’une
culture de croissance. Faire face aux problèmes avec les équipes est le
moment charnière qui rend tout cela possible. En tant que leaders, nous
avons dû abandonner les habitudes de commandement et de contrôle
avec lesquelles nous avions grandi (résoudre les problèmes nous-mêmes,
donner des instructions et nous assurer qu’elles sont suivies). À la place,
nous avons dû apprendre à stimuler et à soutenir les idées et les initia-
tives des collaborateurs sur des problèmes particuliers, en les aidant à
apprendre, point de connaissance par point de connaissance, à trouver
comment améliorer spectaculairement leurs performances.
Chapitre 8

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 178
Pratiquer le travail 29/11/2022 15:2

en équipe

Les progrès réalisés en matière de délais de livraison étaient stupéfiants :


nous avions réduit de moitié le délai entre la commande et la livrai-
son (à l’époque, nous étions encore loin de la livraison en vingt-quatre
heures). Puis, les fêtes de Noël sont arrivées. À notre insu, la logistique
et les ventes avaient tacitement décidé de dégrader le score de livrai-
son à temps pendant la saison des fêtes, à une époque où la logistique
se détériore souvent. Pourtant, au même moment, Amazon promettait
de livrer encore plus vite alors que nous allongions nos délais. Que se
passait-il ?
Ce fut l’occasion de faire le point sur l’entreprise. Les progrès étaient
indéniables, mais nous avons trouvé de nombreux autres exemples de
régression par rapport à nos gains du début. Après une période de pro-
grès encourageants, nous étions confrontés à ce défi dont les sensei nous
avaient tous parlé : le retour à la normale. Après des avancées rapides
grâce aux équipes qui trouvaient les problèmes, puis les résolvaient
les uns après les autres, nous faisions face à de nombreux reculs. Les
équipes avaient atteint un niveau de performance élevé, puis étaient
revenues à la moyenne, s’étaient découragées, et nous avons dû leur
180 Réussir en équipes

remonter le moral. Nous étions inquiets : tous nos efforts n’étaient-ils


pas vains si l’amélioration des performances ne pouvait être maintenue
dans la durée ?
Pour la livraison des voitures, le recul avait commencé avant même
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les problèmes de Noël. Nous avions réalisé d’énormes progrès en


livrant les voitures aux points de vente la veille du jour où les clients
devaient en prendre livraison. Cette capacité était susceptible de trans-
former l’entreprise, dans la mesure où elle pouvait changer radicalement
notre offre marketing et nous placer loin devant la concurrence. Mais
Romain et Alejandro, partant du principe que le nouveau processus
était bien ancré, étaient passés à d’autres questions urgentes. En fait,
outre le déploiement du flux tiré des voitures, de nombreux problèmes
concrets étaient restés en suspens. Les agences avaient du mal à recevoir
les voitures au jour J-1 et les responsables ont commencé à négocier
discrètement avec la logistique pour une livraison à J-2 ou J-3. Au fur et
à mesure que les équipes s’occupaient des délais, les temps de livraison
commencèrent à reculer sans que personne ne sache vraiment pourquoi.
Lors d’un gemba walk en agence, Romain se rendit compte que les
voitures n’étaient plus livrées juste-à-temps. Au printemps 2019, le lead-
time moyen était de dix-huit jours et les livraisons étaient effectuées
à temps dans 79 % des cas, ce qui constituait, d’un point de vue his-
torique, de très bons résultats. À l’automne, le lead-time était passé à
vingt jours et la livraison à temps à 75 % : un net recul. De retour au
siège, Romain et Alejandro sont retournés voir la logistique pour insis-
ter sur la nécessité de livrer à J-1. Ils ont découvert toutes les plaintes
des différents responsables d’agence, qui estimaient ne pas avoir la capa-
cité nécessaire pour traiter les voitures la veille, en particulier les jours
de fortes livraisons comme les samedis. Ils se sont également aperçus
que de nombreuses voitures arrivaient avec des problèmes de carros-
serie ou d’électronique et que l’agence avait besoin de temps pour les
résoudre. Lorsque tout le monde se fut remis de la période de Noël,
Pratiquer le travail en équipe 181

Romain et Alejandro réunirent leurs équipes pour trouver et résoudre


les problèmes, ce qui permit d’améliorer les délais globaux d’un jour par
mois (quinze jours en moyenne à cette date), le meilleur résultat jamais
atteint par la société, avec un taux de livraison dans les temps de 80 %.
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La livraison à J-1 était liée à une condition essentielle : l’agence


ne devait pas résoudre des problèmes de qualité de dernière minute.
D’abord, nous n’étions pas sûrs que l’agence sache les résoudre. Ensuite,
notre flux de livraison devait assurer une qualité irréprochable à chaque
étape. Avec cette idée en tête, Alejandro et Romain travaillèrent avec les
équipes logistiques et les agences pour résoudre les problèmes un par
un. Les performances se rétablirent, mais nous avions remarqué que le
recul se produisait dans tous les domaines où nous avions fait des pro-
grès relativement surprenants et visibles.
« Pourquoi ? » nous a demandé le sensei, nous faisant une fois encore
revenir sur la recherche de problèmes. « Trouvez la raison. Pourquoi
faites-vous marche arrière ? » Les problèmes que nous rencontrions
étaient si bizarres – véritablement singuliers – que nous avions du mal
à les comprendre. L’usine faisait marche arrière parce qu’elle manquait
de mécaniciens et parce qu’il n’y avait pas de carrossiers disponibles, pas
d’experts pour les réglages fins. Sur le gemba, il semblait qu’il n’y avait
pas un seul mécanicien compétent dans toute la région. Nous sommes
allés voir les RH, et ils nous ont confirmé qu’en effet certains postes
n’avaient pas été pourvus depuis des mois parce qu’ils ne trouvaient
personne, les annonces ne suscitaient pas de candidatures. Cela n’avait
aucun sens. Nous étions un employeur réputé, offrant des contrats
avantageux dans une région où le taux de chômage était élevé.
Étrangement, nous subissions une pénurie de voitures à vendre.
Le travail sur le flux tiré avait spectaculairement amélioré la livraison.
Pendant un certain temps, nous nous sommes retrouvés dans la situation
ridicule de gagner en trésorerie parce que nous livrions, mais à moins
vendre parce que notre pipeline de voitures – les véhicules proposés sur
182 Réussir en équipes

le site – se tarissait. Nombreux étaient ceux qui accusaient le lean. Dans


le cadre d’une enquête interne, lorsque nous avions demandé si le lean
avait permis à l’entreprise de progresser, l’équipe de direction répondit
par un oui clair, les directions commerciales par un oui nuancé (elles
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percevaient de nombreux avantages à travailler sur les processus), mais


le reste des collaborateurs du siège était étonnamment peu loquace.
Les deux thèmes principaux des commentaires étaient : 1) « Nous
ne comprenons pas ce que vous essayez de faire » ; 2) « Le lean est
adapté pour obtenir des gains initiaux, mais pourquoi nous demander
de continuer à approfondir une fois que les résultats ont été obtenus ? »
Nous avions également des plaintes concernant le manque de temps
pour effectuer le travail normal. On nous signalait que la demande de
participation à des projets d’amélioration était de trop, en surplus de la
charge de travail quotidienne.
En cherchant à comprendre le fond du problème des embauches
dans l’usine, nous avons appris que les RH avaient centralisé la fonction
RH de l’usine au siège, d’où ils la géraient. Le problème du pipeline s’est
avéré provenir de la pression du service financier sur le cash (due ironi-
quement à une mauvaise compréhension du lean) : plutôt que d’alimen-
ter le pipeline, nos acheteurs étaient devenus excessivement prudents
sur la marge par voiture. Dans les deux cas, les décisions fonctionnelles
étaient parfaitement logiques. De toute évidence, il n’était pas possible
de demander aux collaborateurs RH de passer la moitié de leur temps
dans la capitale et l’autre moitié sur un site à trois heures de train. Il
était évident que la marge par voiture était un facteur clé de notre acti-
vité : toute erreur dans ce domaine mettait en danger notre rentabilité.
Mais aucune de ces décisions n’avait aidé les équipes de première ligne,
qui essayaient de maintenir la continuité de satisfaction des clients.
Il était temps d’affronter les problèmes. Lorsque nous avons com-
mencé à vraiment écouter, nous avons appris que les équipes de pre-
mière ligne travaillaient d’arrache-pied pour apporter des améliorations,
Pratiquer le travail en équipe 183

mais qu’elles devaient constamment faire face à une opposition du siège


ou d’autres fonctions. En tant que dirigeants, nous réussissions à stimu-
ler nos équipes, mais nous ne parvenions pas à les soutenir. Nous avions
trouvé un autre éléphant dans la pièce que personne ne voulait voir.
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Le sensei avait une théorie : même si certains de nos collaborateurs


s’étaient retroussé les manches pour améliorer ce qui pouvait l’être,
les pratiques de nos cadres intermédiaires n’évoluaient pas au même
rythme, de sorte que l’entreprise agissait comme un élastique qui tirait le
mouvement vers l’arrière en permanence. À cet égard, le travail d’Asmaa
et de Zakaria pour réguler le flux de voitures vers les agences était un
bon exemple. Nous avons découvert que, tout en essayant d’améliorer
ce flux, ce qui était loin d’être facile, ils étaient également sous pression
pour réduire le coût du transport des véhicules. Il est intéressant de
noter qu’il ne s’agissait pas d’une instruction claire et directe. Tout le
monde sentait que cela devait être fait, d’une manière ou d’une autre,
mais la directive ou la demande ne pouvait pas être identifiée. Alejandro
soutenait qu’il n’avait jamais donné une telle instruction. Le coût du
transport tenait clairement une place importante dans notre budget.
Cependant, étrangement, nous étions convaincus que nous réduirions
vraiment les coûts de transport en améliorant la productivité globale du
transport grâce aux progrès réalisés sur la livraison en agence. Oui, le
coût du transport devait être contrôlé. Absolument. Mais deux autres
éléments apparaissaient clairement : 1) nous ne voulions pas ajouter
la pression du contrôle des coûts au travail que les gens sur le terrain
faisaient pour améliorer les temps de livraison ; 2) nous ne pouvions
pas identifier l’origine de l’instruction qui voulait optimiser le coût par
véhicule. Nous étions perplexes.
184 Réussir en équipes

La collaboration : le fruit d’une volonté,


pas un acquis
Le recul est un échec du travail d’équipe, arguait le sensei – savoir
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s’entraider. Lorsqu’une équipe règle un problème localement, elle doit


être soutenue à la fois par la hiérarchie et par les services fonctionnels.
Lorsque vous examinez une amélioration sur le gemba, assurez-vous de
vous demander : « Quoi d’autre doit changer pour que cette nouvelle
façon de faire s’impose ? » La question est alors la suivante : comment
convaincre les autres de changer d’avis également ?
Comme le rappelle Taiichi Ohno, les gens doivent comprendre et
accepter pour changer leur façon de penser et de faire. Le premier cha-
pitre de son livre, Workplace Management, s’intitule « The wise mend
their ways », qui peut se traduire de la manière suivante : « Les sages
corrigent leurs pratiques ». Taiichi Ohno parle également des ingénieurs.
Il écrit, en particulier, que les ingénieurs « ont tendance à s’accrocher
fermement à ce qu’ils ont dit ou à leurs idées. On dit souvent des ingé-
nieurs qu’ils sont inflexibles ou têtus, mais je pense qu’il est important
qu’ils se corrigent rapidement, tout comme les sages le font ». Dans
le deuxième chapitre, intitulé « Si vous avez tort, admettez-le », Ohno
révèle que l’astuce pour obtenir l’adhésion consiste à apprendre à for-
muler correctement les problèmes afin de favoriser le travail d’équipe :
exercer la résolution de problèmes au-delà des frontières fonctionnelles18 .
Nous avions l’habitude de considérer le travail d’équipe comme une
propriété des équipes, une qualité qui émerge lorsqu’elles se réunissent et
qui se met en place… d’une manière ou d’une autre. Le sensei voyait le
travail d’équipe comme quelque chose que l’on fait pour que l’équipe se
réunisse : un verbe, pas un nom – une action, pas un acquis. Le travail
d’équipe commence par la volonté de chacun d’aider ses collègues à

18 T. Ohno, Workplace Management, Productivity Press, Cambridge, MA, 1988.


Pratiquer le travail en équipe 185

surmonter leurs difficultés. Tout comme le respect des opinions et du


développement d’une personne est une action que l’on peut pratiquer
en écoutant mieux (« Dites-m’en plus ! ») et en se souciant des progrès
de la personne (Pourquoi n’est-elle pas au niveau suivant ? Quel niveau
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 184 29/11/2022 15:2

suivant vise-t-elle ?), le travail d’équipe dans le lean est actif. Il n’appa-
raît pas tout seul.
En ce sens, le cadrage d’un problème est à la fois intellectuel, dans
la mesure où il permet de clarifier le problème à résoudre et la solution
recherchée, et émotionnel : il crée l’espace de discussion ou l’absence de
discussion. Le cadrage définit la situation à la fois sur le plan du pro-
blème à résoudre et de l’espace de réflexion.
Nous nous sommes souvenus comment, en 2015, alors que nous
cherchions à trouver une solution à nos problèmes de changement
d’échelle, nous avions entendu parler de l’usage que Google faisait de
ses capacités considérables d’analyse de données pour répondre à la
question suivante : « Qu’est-ce qui rend une équipe Google efficace ? »
Pendant deux ans, un groupe de chercheurs de Google s’est plongé dans
plus de 200 entretiens de collaborateurs, testant plus de 250 attributs
sur plus de 180 équipes. Ils attendaient la confirmation de l’hypothèse
culturelle de Google selon laquelle les créatifs intelligents sont le moteur
des performances, les ingénieurs doués ont tendance à avoir des person-
nalités difficiles et qu’il existe un mélange parfait de traits individuels
et de compétences pour former une équipe de rêve19.
Après avoir tâtonné sans rien trouver, ils tombèrent sur une autre
idée : les membres de l’équipe importent moins que la façon dont ils
interagissent, structurent leur travail et considèrent leur contribution.

19 J. Rozovsky, « The Five Keys to a Successful Google Team », re:Work, 17 novembre 2015 –
https://rework.withgoogle.com/blog/five-keys-to-a-successful-google-team/
186 Réussir en équipes

Il s’avère que la confiance est l’ingrédient magique qui permet à un


groupe de travailler en équipe :
• Des relations de confiance. Les deux facteurs clés de la confiance
dans la relation d’équipe se sont avérés être : 1) la sécurité psycho-
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logique (« Pouvons-nous prendre des risques dans cette équipe sans


nous sentir menacés ou embarrassés ? ») ; 2) la fiabilité (« Pouvons-
nous compter sur les autres pour effectuer un travail de qualité dans
les délais impartis ? »).
• La confiance dans les intentions. L’équipe avait également besoin de
clarté sur trois points : 1) la structure et la clarté (« Les objectifs et
les plans d’exécution de notre équipe sont-ils clairs ? ») ; 2) le sens
du travail (« Travaillons-nous sur quelque chose qui est personnel-
lement important pour chacun d’entre nous ? ») ; 3) l’impact du
travail (« Croyons-nous fondamentalement que le travail que nous
faisons est important ? »).
• La confiance dans la compétence. La fiabilité implique de compter sur
chacun pour produire un travail de qualité. Au-delà de la confiance
dans les engagements, et dans le fait que les personnes sont sérieuses
et tiennent leurs promesses, les équipes doivent également avoir
confiance dans la qualité du travail et dans l’astuce des solutions
proposées – avoir la certitude que le travail ne sera pas à refaire.

Des relations de confiance


Nous faisons confiance aux personnes que nous apprécions (parfois
trop, c’est ainsi qu’on se trompe). Au travail, la question est de savoir
comment faire confiance aux autres, que nous les aimions ou non, aux
personnes avec lesquelles nous travaillons, sans avoir nécessairement
envie de partir en vacances avec elles. Au-delà du fait d’apprécier les
personnes, ce qui défie toute explication rationnelle, nous surveillons
constamment leurs intentions à notre égard et leur capacité à concrétiser
Pratiquer le travail en équipe 187

ces intentions. C’est pourquoi certaines conversations de type gemba


walk entre les fondateurs, le directeur fonctionnel, le manager inter-
médiaire et les membres de l’équipe peuvent être gênantes, il y a beau-
coup de rapports hiérarchiques à gérer. Beaucoup de collaborateurs ne
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se sentent pas libres de s’exprimer.


Si « travailler en équipe » est un verbe d’action, que pouvions-nous
faire sur le gemba pour accroître la confiance dans les relations ? La
théorie lean préconise de faire preuve de respect : faire de son mieux
pour comprendre le point de vue d’autrui. Cela implique généralement
de ne pas essayer de contrôler la conversation :
1. Écoutez, tout simplement. Ne répliquez pas immédiatement et ne
cherchez pas à obtenir une clarification trop hâtive, mais écou-
tez. Ce n’est pas facile, car la plupart des collaborateurs ont besoin
d’être interpellés avant de s’exprimer. Sinon, ils restent muets.
Lorsqu’ils s’expriment, ils ont besoin de temps, d’encouragements
et d’une approbation visible. En général, cela suppose de demander
au manager intermédiaire de les laisser parler, car le manager inter-
médiaire – il ou elle – intervient souvent pour essayer de contrôler
la conversation.
2. Laissez passer l’émotion. Lorsque les gens se sentent investis par un
sujet et qu’ils ne sont pas sûrs des conventions sociales pour l’aborder,
ils vont s’exprimer de manière émotionnelle, soit trop timidement,
soit trop agressivement. Il est utile de savoir qu’un sujet important
active le cortex frontal, ce qui déclenche souvent des émotions et
nécessite un effort conscient pour rester calme. Le degré d’émotion
ne reflète pas nécessairement un conflit, si ce n’est la difficulté bien
réelle de dire les choses à voix haute.
3. N’utilisez pas ce qu’ ils disent contre eux. Pour un cadre supérieur, il
est tentant de réagir à ce que quelqu’un a dit et d’essayer de corriger
la situation, ce qui ne fait qu’aggraver les choses. Les personnes ne
doivent pas avoir à s’inquiéter et être sûres que ce qu’elles disent
188 Réussir en équipes

reste en lieu sûr et ne soit pas utilisé contre elles, quand bien même
elles y consentiraient. Vérifiez d’abord si les personnes souhaitent
que vous rectifiiez leurs erreurs. Si ce n’est pas le cas, réfléchissez
à la situation, interrogez vos propres idées fausses, mais ne réagis-
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sez pas trop vite à moins que ces personnes aient spécifiquement
demandé de l’aide. Elles pourraient ne pas considérer votre inter-
vention comme bénéfique.
4. Dites merci (et soyez sincère). Remerciez-les pour la conversation.
C’est une chose que nous ne faisons jamais assez. Notre règle d’or
est de dire au moins un « merci » par jour. Dire merci a des consé-
quences inattendues. L’approbation reste le facteur de motivation le
plus puissant que nous connaissions.
5. Faites attention aux planches pourries. Certaines personnes sont
toxiques, voilà tout. Ce n’est pas nécessairement fréquent, mais cer-
taines personnes siphonnent toute énergie (et toute confiance). Elles
transforment tout ce qui est positif en négatif. Elles peuvent faire
beaucoup de dégâts dans une équipe si le leader d’équipe ne sait pas
les gérer, et des dégâts encore plus graves si elles obtiennent un poste
de direction.
6. Demandez quelle aide spécifique vous pouvez apporter. Qu’essaient
d’obtenir vos collaborateurs sans être soutenus par l’entreprise ?
Que pouvez-vous dénouer ou accélérer ?
Pour créer un espace relationnel sécurisant, l’approche lean consiste
à résoudre ensemble des problèmes spécifiques. À l’époque où Toyota
cherchait à mettre en place un réseau de fournisseurs en Europe pour
soutenir sa première usine de montage délocalisée au Royaume-Uni,
son équipe d’acheteurs rendit visite à de nombreux fournisseurs. À la fin
de la visite, au cours de laquelle ils ne parlaient généralement pas beau-
coup et ne discutaient jamais des affaires, ils remerciaient leurs hôtes
pour la visite, puis les prenaient au dépourvu avec une liste déroutante
Pratiquer le travail en équipe 189

de choses qu’ils pouvaient améliorer. Imaginez 117 points aléatoires qui


pourraient être corrigés dans l’usine. La plupart des fournisseurs les
ignoraient, retournaient à l’exploitation de leur usine… et n’entendaient
plus jamais parler de Toyota.
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La liste de ces éléments singuliers ne visait pas à améliorer immédia-


tement les performances, mais à tester la relation. Comme le sensei nous
l’avait expliqué lors du premier jour passé avec lui, Toyota cherchait des
personnes prêtes à faire du kaizen, prêtes à écouter, capables de prendre
en charge des éléments apparemment aléatoires mais nécessitant mani-
festement une amélioration, équipées pour cela et prêtes à travailler des-
sus. Certains des points de la liste étaient faciles à corriger, d’autres non
(pour tester les capacités techniques des fournisseurs), et d’autres encore
étaient faussement complexes, comme la suggestion d’améliorer les 5S.
L’idée est de considérer que la confiance découle de trois points de
connaissance : le tempérament (comment les personnes réagissent), la
volonté (sont-elles prêtes à changer) et les compétences (savent-elles ce
qu’elles font). La résolution de problèmes singuliers donne l’occasion
de découvrir ces points et de vous adapter, afin de construire progres-
sivement un espace sécurisant où les collaborateurs peuvent s’exprimer
franchement sans avoir à jouer la comédie que peut induire le monde du
travail. Le travail d’équipe demande… du travail.

Cadrer, c’est important


Le cadrage est l’instrument primordial du travail d’équipe, nous a dit le
sensei. Le cadrage d’une situation ou d’un problème est ce qui crée une
volonté partagée. Les individus ont naturellement tendance à résoudre
les problèmes. Spontanément, leur motivation ira à résoudre le pro-
blème selon leur interprétation, à la fois en termes de « quoi » et de
« comment ». La façon dont les individus définissent la situation pro-
duit des effets réels. Les cadres déterminent comment le problème est
190 Réussir en équipes

cerné, comme un cadre au travers duquel nous regardons une image ou


une photo. Lorsque vous clignez d’un œil, est-ce parce que vous avez
une poussière dans l’œil ou que vous faites un clin d’œil à quelqu’un ?
L’interprétation dépend du cadre. Ces cadres sont fixes et incomplets,
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ils constituent le mode de fonctionnement de notre esprit. Dans la pra-


tique, les cadres sont un angle de vue, une perspective que l’on transmet
par le biais d’opinions, d’anecdotes, de stéréotypes et de théories. Ils
déterminent la manière dont nous interprétons les choses. En d’autres
termes, un cadre est un point de vue dont vous forcez l’application, sou-
vent inconsciemment, pour donner un sens au désordre du quotidien.
Les sensei de Toyota ont du talent pour créer des cadres. Nos
différents sensei étaient pleins d’histoires de l’époque glorieuse du
Toyota Production System, décrivant comment tel ou tel sensei jouait
les provocateurs pour recadrer brutalement la façon dont les individus
voyaient une scène. Un sensei, par exemple, était entré dans une cellule
d’assemblage où un opérateur prenait un composant dans un grand
bac sur roues. Le sensei poussa le bac plus loin encore, de l’autre côté de
l’allée. Il avait créé une situation absurde, qui avait immédiatement fait
prendre conscience à tout le monde de la place des composants dans
le cycle de travail de l’opérateur et du temps qu’il gaspillait à marcher
d’un point à l’autre. Un autre sensei avait arraché le câble d’un tapis
roulant dans une ligne semi-automatique et était resté sur place, avec
le directeur de l’usine, pour voir comment les gens se débrouillaient
à la main sans le convoyeur. Lors du redressement de Porsche par le
lean, la première chose que le sensei avait demandée était de ramener
tous les rayonnages à une hauteur de 120 centimètres afin que les gens
puissent se voir20. Notre propre sensei avait pris la fâcheuse habitude de
parler aux pièces comme si elles étaient des personnes : « Vous attendez

20 J. Womack et D. Jones, Lean Thinking, The Free Press, 1996.


Pratiquer le travail en équipe 191

depuis longtemps ? Pourquoi êtes-vous assis ici ? Est-ce qu’ils vous


traitent bien ? Vous ont-ils dit quand ils viendraient vous chercher ? »
Heureusement, nous avons appris depuis que le cadrage n’avait pas tou-
jours besoin d’être aussi provocateur.
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Le cadrage est un élément clé du travail en équipe car, bien mené, il


permet à chacun de comprendre le problème à résoudre collectivement
et, ainsi, de voir comment chacun peut contribuer à son niveau. Sans
cadre explicite, les gens restent prisonniers de leurs cadres fonctionnels
implicites et sont aveuglés par l’impératif d’effectuer leur travail. Le
cadrage définit la mission globale au-delà des objectifs particuliers.

Pratiquer le travail en équipe :


encourager l’entraide pour
résoudre les problèmes au-delà
des silos fonctionnels

Cadrer les problèmes pour que


chacun comprenne l’intention
commune pour pouvoir contribuer
à son niveau

L’innovation vient souvent d’un changement de cadre. La bonne


question entraîne une réponse différente. Par exemple, nous avons
changé le cadre de « vendre les voitures » à « faciliter l’achat ». Nous
avons réussi en utilisant les possibilités du numérique pour éliminer les
points de friction pour les acheteurs.
Voici notre cadre :
• Quoi : faciliter l’achat.
• Comment : par la simplification digitale, la connectivité, l’automa-
tisation et la prédiction.
• Pourquoi : pour changer la façon dont les gens achètent et vendent
leurs voitures et développer l’entreprise.
192 Réussir en équipes

À l’époque, ce recadrage était aussi radical que bienvenu, il a été


utile au-delà de toute attente. Un cadre est une carte simplifiée de la
situation, avec une direction donnée. Comme toutes les cartes, il met en
évidence certaines caractéristiques et en ignore d’autres. Il indique aux
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 191 29/11/2022 15:2

individus ce qu’ils doivent rechercher et la direction à prendre.


Le pouvoir des cadres a été révélé lors d’un gemba walk avec le sensei
dans une agence. Au siège, nous avions le sentiment que la note Google
de certains de nos points de vente allait de moyenne à mauvaise, ce
qui n’est jamais bon signe pour une entreprise numérique. Nous avons
alors demandé aux responsables des points de vente d’améliorer la note
en examinant les commentaires négatifs, en essayant de comprendre la
source du mécontentement des clients, en réconfortant les mécontents
s’ils le pouvaient, et en réglant les problèmes à la racine.
Au cours du gemba walk, nous avons découvert qu’ils avaient installé
un ordinateur avec la page web de l’agence. Les chargés de clientèle for-
çaient la main aux clients satisfaits pour qu’ils écrivent un commentaire
positif, accompagné d’une note de cinq étoiles afin de faire grimper la
note globale. C’était un cas classique de tentative de déplacer l’aiguille
plutôt que de régler le problème, ou, de façon moins charitable, pour
se jouer du système en s’attaquant au symptôme plutôt que d’essayer de
comprendre et de résoudre le problème de fond. L’agence nous avait dit
alors que, puisque plusieurs autres agences faisaient de même, tout allait
bien. Notre « Pourquoi ? » a reçu un silence obstiné en guise de réponse.
L’équipe ne comprenait pas ce que nous lui demandions. Nous nous
situions dans deux cadres différents :
• Quoi : améliorer la note de Google.
• Comment : en demandant aux clients satisfaits de remplir le formu-
laire pendant qu’ils étaient là et bien disposés.
• Pourquoi : pour réaliser ce qui nous a été demandé de manière
simple, faisable et immédiate.
Pratiquer le travail en équipe 193

Contre :
• Quoi : améliorer la note de Google.
• Comment : en examinant les mauvaises notes et les commentaires
négatifs, en corrigeant les insatisfactions des clients et en les laissant
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 192 29/11/2022 15:2

nous noter comme ils le souhaitent, s’ils le souhaitent.


• Pourquoi : pour apprendre à mieux satisfaire les clients et dévelop-
per l’entreprise à long terme.
Comme nous l’avons vu précédemment, les individus formulent des
problèmes complexes en les réduisant à la partie qu’ils pensent pou-
voir contrôler. Nous l’avions constaté dans la recherche et la résolution
de problèmes. Nous comprenions désormais mieux comment cela se
produisait.
Nous n’agissions cependant pas différemment, nous fit remarquer
notre sensei. Pendant une discussion pour savoir si le directeur d’une
agence se sentait responsable de sa note Google, il nous a demandé
de sortir une feuille de papier et d’y tracer une ligne verticale, puis
d’énumérer à gauche tous les résultats dont nous nous sentions respon-
sables (essayez vous-même cette expérience : non pas ce que l’entreprise
demande, vos objectifs, mais ce que vous, personnellement, vous sentez
devoir fournir).
194 Réussir en équipes

Résultats clé
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 193 29/11/2022 15:2

« Et maintenant, demanda le sensei, avez-vous pensé à des objectifs


de développement des personnes ? »
Pratiquer le travail en équipe 195

Résultats clé Développement des personnes


00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 194 29/11/2022 15:2
196 Réussir en équipes

Voici à quoi ressemblait notre feuille :

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 195 Résultats clé Développement des personnes 29/11/2022 15:2

• Changer la façon d’acheter


et de vendre une voiture :
faire une meilleure affaire
et vivre une expérience
plus plaisante

• Construire quelque chose


de grand ! Une croissance
profitable qui préserve notre
indépendance

• Trésorerie positive

• Améliorer l’environnement
en facilitant l’achat
de véhicules plus verts

• Un environnement
de travail agréable
et sans tracas

Nous n’avions pas écrit un seul objectif clair et explicite concernant


le développement des personnes, alors que nous n’avions discuté que de
cela depuis des mois et que nous avions obtenu des résultats en chan-
geant notre approche. Nous n’avions pas vraiment changé nos cadres. Les
cadres sont difficiles à changer, a expliqué le sensei. Une fois qu’un schéma
s’est installé dans votre esprit, vous pouvez le changer concrètement, mais
il persistera et se manifestera encore. C’est comme arrêter de fumer, ajou-
ta-t-il, avec un brin de nostalgie. Vous pouvez arrêter de fumer, mais vous
ne pouvez pas arrêter d’avoir envie d’une cigarette. L’envie s’estompe avec
le temps, mais elle réapparaît à tout moment ou en période de stress.
Pratiquer le travail en équipe 197

Discovery versus delivery


Nous constations, en y réfléchissant, que le cadrage tenait une place
prépondérante
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 196 dans le fonctionnement de l’entreprise. Guillaume 29/11/2022 15:2

avait développé le cadre discovery versus delivery (soit découverte versus


capacité à réaliser), et il avait tout à fait raison. Nous avions démarré
l’entreprise avec un cadre de discovery (essayons et découvrons), qui avait
évolué vers un cadre de delivery (faites le travail et tout ira bien). Nous
essayions désormais d’introduire un équilibre entre delivery et discovery,
entre capacité à délivrer et découverte. En fait, le lean nous a appris que
la découverte se fait en étudiant la capacité à réaliser et en séparant le
prévisible de l’imprévisible, un autre cadre puissant.
Le delivery est le cadre naturel de toute personne travaillant dans
une grande entreprise. Le delivery est fiable… C’est net… C’est fami-
lier… Personne ne pourra jamais vous reprocher de consacrer du temps
et des efforts à réaliser davantage. Le discovery, en revanche, est une
démarche confuse, peu familière et incertaine. L’un d’entre nous a été
pris à partie par une jeune leader d’équipe pour avoir consacré du temps
à un effort de kaizen et à la mise en question des processus existants. « Il
est évident, faisait-elle valoir, que les gens ont besoin d’être au clair sur
ce qu’ils font et pour cela il vaut mieux suivre le processus que de tout
mettre en question tout le temps. »
Elle avait raison. Suivre un processus permet de faire mieux que
d’improviser tout le temps. Toutefois, pour que le processus donne
constamment satisfaction au client, à un coût global moindre et avec
la meilleure expérience pour les collaborateurs, nous devons explorer
toutes les formes d’improvisation. En d’autres termes, nous devons
maintenir un équilibre constant entre la découverte et la réalisation.
Cela devrait être plus facile pour les cadres supérieurs, mais ils ont alors
tendance à être plus sûrs de ce qu’ils savent, plus figés dans leurs habi-
tudes, et à fuir la découverte pour des raisons différentes. Ils sont prêts
198 Réussir en équipes

à explorer tant qu’il s’agit de domaines dans lesquels ils se sentent à


l’aise et à propos desquels ils savent qu’ils seront encore à la hauteur.
L’équilibre entre discovery et delivery n’est jamais fixé, c’est pourquoi le
cadrage de la découverte (le kaizen d’abord) et de la livraison (kaizen
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 197 29/11/2022 15:2

lorsque le reste du travail est terminé) est si utile : il alimente le débat.


Au niveau individuel, nous avions réalisé que la différence entre un
état d’esprit fixe et un état d’esprit de croissance pouvait être représentée
par un autre ensemble de cadres.

L’entreprise
minimum

Collègues

La société
Clients
Travail

Quel était l’horizon de chaque collaborateur ? De quoi se sen-


taient-ils responsables ? Effectuer leur travail au minimum ? Résoudre
les problèmes des clients ? Bien travailler avec leurs collègues, au-delà
des frontières fonctionnelles ? Prendre des initiatives pour le bien de
l’entreprise ? Réfléchir aux moyens d’améliorer la société ? Il s’agissait
de cadres très différents, qui se chevauchaient et conduisaient à des
conclusions divergentes. Nous avions également compris que les cadres
sont permanents et que les gens peuvent bien regarder vers le haut et
élargir leur horizon, ils en reviennent néanmoins toujours au cadre
le plus étroit, en particulier s’ils se sentent stressés ou surchargés. Les
régressions étaient inévitables. À nous de trouver les contremesures.
Pratiquer le travail en équipe 199

Partage du cheminement de la pensée


pour construire la confiance
À tout moment, chacun d’entre nous est confronté à un dilemme (même
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 198 29/11/2022 15:2

si nous ne voulons pas l’admettre) : faire plus d’efforts pour satisfaire


nos clients et collaborer avec nos collègues pour y parvenir, ou effectuer
le travail minimal pour satisfaire notre patron et être assez fin poli-
tique pour assurer notre position. Aucune structure organisationnelle
ne permet de contourner ce dilemme car le facteur déterminant est la
confiance. La confiance est le ciment qui permet à chacun d’adhérer
à l’intention commune et de se tenir à un plan établi collectivement.
La confiance est ce qui incite chacun à aider autrui, qu’il s’agisse d’un
client ou d’un collègue, ou à s’occuper d’abord de soi-même en gardant
la tête dans le guidon. En lean, la confiance mutuelle entre la direc-
tion et les collaborateurs est le fondement du célèbre Toyota Production
System, dont s’inspire d’ailleurs le lean.
À la réflexion, notre problème de recul ou de régression nous faisait
constater que l’orientation et le soutien, manifestés lors de nos gemba
walks réguliers, avaient fait des merveilles pour la confiance que plu-
sieurs de nos collaborateurs avaient dans le sérieux de nos intentions
et dans notre capacité à les aider efficacement là où ils en éprouvaient
le besoin. De ce fait, nous avions des groupes de personnes qui réali-
saient un travail incroyable, mais cette confiance ne s’était pas étendue
à l’ensemble de l’entreprise, et certainement pas au-delà des frontières
fonctionnelles. L’étape suivante consistait à créer une confiance élargie,
verticalement et horizontalement, afin que les gens se sentent suffisam-
ment sûrs d’eux-mêmes pour défendre des améliorations à leur niveau :
• Verticalement : montrer que les managers pouvaient répondre aux
améliorations introduites par la base, en changeant leurs propres
méthodes de manière à soutenir ces nouvelles façons de faire et,
ainsi, dépasser le simple encouragement en faisant preuve d’un plus
200 Réussir en équipes

grand respect pour les efforts de résolution de problèmes de leurs


équipes.
• Horizontalement : améliorer la coopération au-delà des frontières
fonctionnelles afin que les gens puissent constater que toutes les
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 199 29/11/2022 15:2

fonctions travaillent à améliorer le flux de valeur pour les clients


plutôt que de se livrer à une concurrence stérile faite de reproches
réciproques et de guerres de territoires.
Notre premier réflexe a été de nous dire que, pour se faire davantage
confiance, les collaborateurs devaient passer plus de temps ensemble. Le
sensei a exprimé des doutes. Il pensait que forcer des personnes qui ne se
font pas confiance à se côtoyer davantage les amènerait à être plus polies
les unes envers les autres, mais pas nécessairement plus confiantes.
Selon lui, la méthode lean consiste à faire en sorte que les respon-
sables partagent leur réflexion, c’est-à-dire la manière dont ils définissent
le problème. Le travail d’équipe, nous dit-il, est l’action de résoudre des
problèmes ensemble, au-delà des frontières fonctionnelles. Le cadrage est
le point d’entrée de la confiance, car il concrétise l’intention commune
compréhensible par tous, et à laquelle chacun peut choisir de participer.
Personne ne s’engagera dans quoi que ce soit sans d’abord comprendre
la raison de son engagement. Disposer de cadres plus convaincants n’est
pas la fin de l’histoire, mais son début. C’est l’outil de travail qui per-
met de poser les bases de la confiance, à la fois en donnant un cadre
pour les intentions et en créant un espace sécurisant (safe space) pour
réfléchir et débattre. Le sensei suggérait alors de demander à nos mana-
gers de résoudre des problèmes concrets et de partager leur réflexion de
manière explicite, régulière et fréquente. Mais comment faire ?
Pratiquer le travail en équipe 201

Le secret du succès de Toyota


Une fois de plus, cette idée semblait trop farfelue pour fonctionner.
Nous y réfléchissions
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 200 encore lorsque nous avons eu l’occasion de ren- 29/11/2022 15:2

contrer Isao Yoshino, un ancien cadre de Toyota qui avait créé de toutes
pièces le programme destiné à faire participer les Américains de l’usine
NUMMI21 au kaizen selon Toyota. Cette usine californienne était une
coentreprise entre Toyota et General Motors (GM) devenue célèbre
dans les années 1980 parce que Toyota avait accepté de reprendre la
gestion de la pire usine de GM et avait concédé aux syndicats de garder
tous les employés : personne ne devait perdre son emploi. À la surprise
générale, en quelques années, ils avaient complètement transformé la
culture de travail de l’usine et, sans investissements importants, la struc-
ture de management japonaise avait métamorphosé la pire usine de GM
en la meilleure en matière de qualité, de livraison et de coûts – et de
satisfaction des collaborateurs. Nous étions désormais convaincus que
c’était la culture, plutôt que l’investissement, qui faisait la différence
pour croître, et nous étions donc impatients de découvrir l’histoire telle
que pouvait nous la restituer l’un de ses principaux protagonistes.
« Le secret du succès durable de Toyota, a commencé Yoshino-san,
c’est qu’il n’y a pas de secret. Toyota est une entreprise sérieuse, c’est
tout. » Nous avons grimacé. Encore des énigmes japonaises, avons-nous
d’abord pensé. Nous avons cependant réalisé qu’il n’était pas délibéré-
ment provocateur. Il parlait sérieusement. Il créait un cadre.
Yoshino-san est un homme affable, amical, parlant doucement, un
vétéran du Toyota des années de la création du modèle, qui maîtrisait
l’anglais de façon remarquable grâce aux années qu’il avait passées aux
États-Unis. Pour lui, être sérieux signifiait s’engager envers des objectifs
clairs et stimulants et chercher consciencieusement la méthode la plus

21 New United Motor Manufacturing Inc.


202 Réussir en équipes

adaptée pour les atteindre. Nous avions reconnu la façon de penser de


notre sensei lorsqu’il insistait sur « des gains clairs, une logique convain-
cante ». Il parlait de sérieux pour désigner l’attitude que chacun devait
adopter envers son travail. Ses premiers conseils vous seront à présent
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 201 29/11/2022 15:2

familiers : 1) aller voir par soi-même pour découvrir la situation directe-


ment ; 2) « pas de problème, c’est un problème » (accueillir les informa-
tions défavorables et encourager la résolution locale des problèmes) ; 3)
aller chercher l’information soi-même plutôt que d’attendre qu’elle soit
signalée à votre attention. Nous avions l’impression de progresser dans
cette voie. Mais son quatrième point nous a fait réfléchir : le processus
est aussi important que le résultat.
Le processus doit ici être compris en tant que méthode, l’ensemble
des étapes pour atteindre un objectif. Un bon processus est un proces-
sus dont les étapes sont claires et reproductibles. Cela n’en fait pas pour
autant un processus facile à suivre, et c’est là qu’intervient l’améliora-
tion. Par exemple, nous avions un processus qui consistait à prendre des
photos des voitures que nous achetions et à les afficher sur le site. Les
clients se font une idée à partir des photos. Pour faire de bonnes pho-
tos, il fallait réussir un certain nombre d’étapes, ce qui impliquait de
résoudre des problèmes qui variaient d’une voiture à l’autre. Répondre
aux standards ne veut pas dire suivre aveuglément les étapes pour obte-
nir une photo moyenne, mais maîtriser les problèmes récurrents pour
obtenir de bonnes photos de manière constante.
Un bon processus est une suite logique d’étapes raisonnables menant
au résultat souhaité. Un mauvais processus est plein de « sauts dans le
vide », d’étapes qui ne fonctionneront que si nous avons beaucoup de
chance ce jour-là. Être sérieux, selon Yoshino-san, signifie rechercher de
bons résultats à partir de bons processus : des séquences logiques, des
actions répétables, des scénarios raisonnables. Des hypothèses floues
nous réduisent généralement à croiser les doigts et s’en remettre à la
Pratiquer le travail en équipe 203

miséricorde des dieux, lesquels sont miséricordieux de temps en temps,


mais rarement tous les jours.
Résultats
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 202 29/11/2022 15:2

Bon

Mauvais

Méthode
Mauvais Bon

En matière de valeur ajoutée, comme dans le cas du studio photo


(pour prendre des clichés de voitures et les publier ensuite en ligne), il est
relativement facile de savoir si le processus est bon ou mauvais (même
si, pour être exact, lorsque l’on rentre dans les détails, c’est toujours
plus difficile qu’on ne le pense). Au niveau des dirigeants, cependant,
c’est beaucoup plus difficile. La plupart des justifications que l’on nous
donne sont des histoires trop belles pour être vraies, des explications
peu convaincantes. Très souvent, les cadres nous demandent d’arbitrer
des décisions sur lesquelles le processus nécessaire pour arriver au
résultat n’est pas clair. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles
leurs collègues ne sont pas entièrement d’accord et que nous devons
intervenir.
Insister sur de bons processus qui expliquent les résultats attendus
des décisions ou des propositions des cadres supérieurs est très exigeant
et demande effectivement du sérieux. Les managers affirment qu’il y
a trop d’inconnues, trop de complexité et pas assez de temps, ce qui
est vrai. Comment pouvions-nous espérer être productifs au niveau
de l’entreprise si nous n’étions pas plus clairs sur nos intentions et sur
nos raisons d’agir ? En outre, comment pouvions-nous espérer une
204 Réussir en équipes

collaboration dépassant les frontières fonctionnelles si les spécialistes ne


pouvaient pas expliquer clairement à leurs collègues ce qu’ils faisaient et
pourquoi ils agissaient de la sorte ?
Yoshino-san nous a expliqué également que le succès était la consé-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 203 29/11/2022 15:2

quence de la recherche du bon type de résultats. Selon lui, la fonction


des cibles était la recherche d’idées non conventionnelles. Sans elles,
l’entreprise continuerait simplement à faire ce qu’elle faisait déjà. Les
fameux objectifs « SMART » (simples, mesurables, atteignables, réa-
listes, limités dans le temps) ne font que cantonner les personnes à un
niveau médiocre et l’organisation reste non compétitive. Des objectifs
apparemment impossibles, en revanche, servent à stimuler la créati-
vité et à développer des idées totalement nouvelles. Pour être précis,
il ne s’agit plus d’objectifs à atteindre, pour mettre le bon chiffre dans
la bonne case, mais de conditions cibles (target conditions). Il a pris
l’exemple du projet original de développement du Shinkansen (le train
à grande vitesse du Japon) dans les années 1960, qui avait été défini en
formulant le projet en trois défis clés :
• Tokyo-Osaka en trois heures ;
• atteindre une vitesse maximale de 250 kilomètres par heure ;
• en moins de cinq ans.
Cela permettait de cadrer parfaitement le projet sans prescrire de
solution. L’idée était que des instructions conventionnelles mèneraient
à des actions conventionnelles et à des résultats moyens, mais pas excep-
tionnels. En revanche, les challenges stimulants sont la clé pour obtenir
des idées non conventionnelles et bousculer le statu quo.
L’approche lean de Toyota en matière de fixation d’objectifs com-
mence par une réflexion approfondie sur le curseur où placer l’objectif.
L’objectif ne doit pas être modifié une fois le but clarifié, il faut plutôt
changer les moyens pour l’atteindre. Les objectifs quantifiés ne sont
pas des chiffres à atteindre, mais décrivent des « conditions cibles » qui,
Pratiquer le travail en équipe 205

même si elles paraissent impossibles aujourd’hui, demandent de savoir


ce qu’il faut faire pour s’en approcher. La fixation d’un objectif est
l’aboutissement d’un processus par lequel le champ actuel des possibles
est examiné et étudié jusqu’à ce que l’on saisisse comment exprimer
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 204 29/11/2022 15:2

les repères concrets définissant le succès. Une façon de faire consiste à


prendre le meilleur jour du meilleur mois et à l’appliquer à chaque jour
de l’année pour voir l’étendue du possible. L’idée forte est qu’il doit y
avoir plusieurs façons d’atteindre un même objectif.
Il n’est pas facile d’exprimer des challenges complexes en termes de
conditions cibles, c’est-à-dire d’objectifs concrets avec des repères visuels
permettant à chacun de savoir s’ils sont atteints ou non, si les personnes
s’en rapprochent ou s’en éloignent et si leur méthode actuelle leur per-
mettra un jour de réussir. Ainsi, il faut mettre en question les objectifs
et les cibles tels qu’ils sont actuellement exprimés et continuer à les
mettre en question jusqu’à ce que vous compreniez mieux : 1) ce qu’ils
représentent réellement ; 2) comment ils sont interprétés. Il est facile
de prendre les OKR pour argent comptant et de tomber dans le piège
de chercher comment les atteindre sans réfléchir au défi concret qu’ils
représentent.
Nous comprenions la logique de se fixer des objectifs impossibles
car nous avions fait tant de paris insensés à l’époque de la création de
l’entreprise (certains ont été payants, d’autres nous ont coûté cher), et
nous étions constamment frustrés que nos managers ne sortent pas des
sentiers battus. Nous n’avions pas réalisé que notre habitude de donner
des instructions et de contrôler leur exécution excluait toute pensée ori-
ginale. Nous fixions à la fois l’objectif et les moyens en suggérant des
solutions et en n’approfondissant pas les problèmes, ce qui empêchait
quiconque de s’impliquer et de chercher d’autres moyens d’atteindre
les objectifs. Ce fut un choc de constater que notre style pour faire
avancer les choses en mode command and control était en partie respon-
sable de l’incapacité des équipes à atteindre les objectifs. Nous devions
206 Réussir en équipes

apprendre à clarifier le « pourquoi » des objectifs et à ouvrir la réflexion


sur le « comment ».

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 205
Objectif : 29/11/2022 15:2

POURQUOI ?
Moyen A : Moyen E :
COMMENT ? COMMENT ?

Moyen B : Moyen D :
COMMENT ? COMMENT ?

Moyen C :
COMMENT ?
Chapitre 9

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 206
Les outils du travail 29/11/2022 15:2

en équipe

À la fin des années 1970, Toyota a rencontré un problème de croissance


qui ressemblait au nôtre (à une échelle différente bien sûr !). Les usines
avaient progressé rapidement, mais la direction générale estimait que les
capacités de management et la sensibilisation au contrôle de la qualité
globale des fonctions de management étaient en retard, plus particuliè-
rement en dehors de la production.
Dans le style typique de Toyota, ils se tournèrent vers Masao
Nemoto (le premier patron de Yoshino-san), l’homme qui avait conduit
l’entreprise avec succès au prix Deming en 1965, pour mettre au point
un programme de développement du management. Après avoir fait le
tour de Toyota pour mieux comprendre le problème, Masao Nemoto
observa que les managers se préoccupaient plus de chercher les respon-
sables à l’origine des difficultés que de découvrir les causes des pro-
blèmes. Il conclut qu’il fallait faire évoluer la culture de : « Qui a fait
cette erreur ? » vers « Quelle est la cause de ce problème ? ». Il s’est alors
consacré à développer l’esprit critique des cadres. Isao Yoshino était
l’un des quatre membres de l’équipe qui devait mettre en œuvre ce
programme.
208 Réussir en équipes

L’objectif du programme était de faire progresser quatre capacités


managériales en particulier :
• planification et évaluation ;
• élargissement des connaissances, expériences et perspectives ;
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 207 29/11/2022 15:2

• motivation des équipes, leadership et kaizen ;


• communication, persuasion et négociation.
Pour résoudre le problème d’échelle, Toyota développa un outil spé-
cifique. Cet outil pouvait-il fonctionner pour nous ?

Les A3
Au cœur du programme de développement du management de
Nemoto-san se trouvait un outil inattendu : une feuille de papier A3
vierge. Yoshino-san nous expliqua comment les managers de Toyota
suivirent des sessions de présentation d’A3 deux fois par an (juin et
décembre). Les responsables de chaque service animèrent ensuite des
séances de questions-réponses avec les managers. Ils essayèrent de se
concentrer sur les problèmes auxquels chaque manager était confronté,
ainsi que sur les efforts et méthodes nécessaires pour les résoudre. Leur
objectif était d’encourager les managers à parler de leurs problèmes plu-
tôt que de les cacher.
Le principe des présentations était d’exposer un problème sur une
simple feuille de papier A3 (une, pas deux !) et de l’expliquer. Pour
tenir dans l’espace limité du A3, les managers apprirent à distinguer le
nécessaire du superflu. Cela les a aidés à sélectionner et à organiser les
informations (ce qui revenait à utiliser le concept des 5S pour le travail
intellectuel). Le format A3 s’est également avéré un excellent outil pour
les responsables, car ils pouvaient voir d’un coup d’œil tous les points
que le présentateur voulait traiter. Comme il s’agit d’un document
unique, on parcourt rapidement des yeux l’espace qui va du coin supé-
rieur gauche au coin inférieur droit du A3 pour en saisir les éléments
Les outils du travail en équipe 209

clés. Un rapport ou une présentation PowerPoint ne permettent pas un


tel résumé de l’information.
La création d’un A3 est essentiellement un exercice de cadrage. Vous
devez mettre sur papier, de manière claire, la façon dont le problème
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 208 29/11/2022 15:2

vous apparaît, les gains que vous recherchez, les hypothèses que vous
avez testées, la cause que vous envisagez en premier, les stratégies que
vous avez examinées et celle que vous avez choisie, comment vous avez
l’intention de mettre en œuvre votre stratégie et de vous assurer qu’elle
fonctionne… Cela permet de déterminer l’étendue du problème, la
nature de la cause (et pourquoi c’est celle qui est retenue) et le type de
solution envisagé.
Le programme eut un impact considérable sur Toyota car il permit
d’instaurer une culture de « la mauvaise nouvelle d’abord », qui est le
point d’entrée de la pensée lean. Le succès de ce premier programme
mena Toyota à adopter le A3, ou plus précisément la pensée A3, comme
une partie essentielle de sa culture.
La méthode A3 a finalement été formalisée selon un modèle en huit
étapes que Toyota appelle aujourd’hui « Toyota Business Practices », soit
« les pratiques professionnelles Toyota ».
210 Réussir en équipes

• Étape 1 : clarifier le problème. Comparer l’objectif final et la situation


actuelle et visualiser l’écart entre les méthodes de travail actuelles et
la situation idéale.
• Étape 2 : décomposer le problème. Décomposer les gros problèmes en
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 209 29/11/2022 15:2

problèmes plus petits et plus concrets, et clarifier quantitativement


la cause sur le gemba afin de définir quel problème est à aborder en
premier.
• Étape 3 : fixer les objectifs. Fixer des objectifs stimulants à court
terme pour atteindre l’objectif étape par étape.
• Étape 4 : analyser les causes racines. Examiner minutieusement le
processus concerné afin de cerner la cause racine en se demandant
« Pourquoi ? ». Que se passe-t-il réellement ? Comment vérifier ?
Pourquoi penser qu’il en est ainsi ?
• Étape 5 : développer des contremesures. Élaborer des contremesures
qui s’attaquent à la cause première (autant que possible), et évaluer
laquelle a le plus de chances de réussir en fonction de facteurs divers
tels que le délai, la qualité, le coût, etc.
• Étape 6 : assurer le suivi des contremesures. Mettre en place les rap-
ports (visuels) adéquats afin que toutes les personnes concernées
puissent constater les progrès réalisés et que les obstacles puissent
être abordés un par un et au fur et à mesure de leur apparition.
• Étape 7 : contrôler les résultats et les processus. Évaluer à la fois les
résultats globaux et les processus mis en œuvre et partager cette
évaluation avec toutes les personnes concernées.
• Étape 8 : standardiser les processus qui fonctionnent. Déterminer les
conditions nécessaires pour s’assurer que le nouveau processus est
généralisé et partager le processus normalisé avec d’autres personnes
et d’autres divisions.
Il s’agit, bien entendu, d’une approche hautement prescriptive
et efficace de la résolution de problèmes. Une chose est vraiment
Les outils du travail en équipe 211

importante : la pensée A3 aide les managers à apprendre à expliquer le


« quoi », le « comment » et le « pourquoi » de ce qu’ils ont l’intention de
faire de manière convaincante, afin de motiver leurs équipes et d’impli-
quer leurs homologues.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 210 29/11/2022 15:2

Par exemple, Romain avait décidé d’éliminer un dysfonctionne-


ment susceptible d’affecter certains de nos clients. Il s’est avéré que
c’était un problème qui provenait de notre interface avec notre parte-
naire financier.

Vous avez probablement eu l’expérience du problème en question


sur Internet. Vous souscrivez un abonnement pour la période d’essai et
vous ne l’utilisez finalement pas. Vous l’oubliez et, un jour, en regardant
votre compte bancaire, vous découvrez que la période suivante a été
facturée parce que vous n’avez pas correctement annulé le contrat. Or, il
n’y a pas de moyen clair et simple de le faire sur le site. Certains de nos
212 Réussir en équipes

clients avaient choisi une formule de location avec option d’achat. Parmi
ceux qui avaient choisi de ne pas acheter en fin de location, quelques-
uns avaient été débités par la société de crédit. Les clients nous l’avaient
reproché, à juste titre !
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 211 29/11/2022 15:2

Romain a modifié le cadrage de la situation, qui passa de « vendre


du financement » à « satisfaire le client au dernier point de contact ». Il
s’était rendu compte que ce service fonctionnait comme de nombreux
hôtels : on vous accueille avec le sourire, mais on ne s’occupe pas, au
moment où vous partez, de la file d’attente et des complications du
check-out qui vous contrarient. « Les hôtels, plaisantait-il, saluent la fin
du séjour de chaque client par une gifle. »
Romain a également recadré la relation essentielle avec le partenaire
financier, afin de résoudre réellement les problèmes particuliers des
clients et de créer des outils partagés pour mieux suivre en temps réel
les clients qui arrivent en fin de bail.

Apprendre à « pitcher »
Comme la plupart des gens, nous avons d’abord cru que ces A3 étaient
un exercice de raisonnement et nous avons demandé à nos managers de
présenter leurs travaux sous la forme de A3, ce qui entraîna des discus-
sions sans fin jusqu’à ce que le sensei corrige cette erreur : les A3 sont
des exercices de travail en équipe, pas de résolution de problèmes. On
résout d’abord le problème, puis on partage sa solution avec le A3 pour
diffuser la réflexion menée sur le mode du récit. Les A3 sont en quelque
sorte un pitch22 structuré.

22 Faire un « pitch » ou « pitcher » : présenter une idée de manière synthétique et persuasive afin
de convaincre un investisseur.
Les outils du travail en équipe 213

Pourquoi maintenant ? Dans le contexte de l’entreprise,


étApe 1 qu’est-ce qui rend impératif ou pertinent de s’attaquer
à ce problème maintenant ?

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 212Pourquoi
aborder le problème sous cet angle ? 29/11/2022 15:2
étApe 2 Sur quels aspects du problème, classés par ordre de priorité,
allons-nous travailler en premier, et pourquoi cela ?
Quels gains ? Pourquoi cela vaut-il la peine de fournir
étApe 3
des efforts, qu’est-ce que nous espérons en retirer ?
L’ingrédient secret ? Pourquoi croyons-nous que cela va
étApe 4 vraiment résoudre le problème et avoir un impact au-delà
de la situation immédiate ?
Pourquoi, comment ? Pourquoi la stratégie choisie est-elle
étApe 5
meilleure que les alternatives envisagées ?
Quelle est la prochaine étape ? Comment allons-nous nous y
étApe 6
prendre et qui doit être impliqué ?
Quel contrôle ? Comment allons-nous nous assurer que
l’effort reste sur la bonne voie et apporte l’amélioration
étApe 7
promise – et comment remettre en question notre logique
si ce n’est pas le cas ?
Comment faire pour que cela marche ? Si la solution est
étApe 8 bonne une ou deux fois, que faut-il encore changer pour
pouvoir généraliser le changement et l’inscrire dans la durée ?

En recadrant les A3 de cette manière, nous avons constaté que nos


managers devaient présenter leurs idées et leurs plans les uns aux autres
pour obtenir le soutien de chacun. Cela nous fit changer de regard sur
la gestion du changement dans l’ensemble de l’entreprise, où jusqu’alors
chaque chef fonctionnel menait des changements dans son domaine
sans en informer les autres, ce qui créait un chaos permanent (et beau-
coup de conflits).
Dans cette optique, les A3 étaient un puissant outil de travail en
équipe qui permettait désormais aux membres de notre comité exécutif
de discuter des changements prévus et de s’entraider au-delà des fron-
tières fonctionnelles, lorsque la mise en œuvre se heurtait à des obstacles,
214 Réussir en équipes

plutôt que d’avoir constamment à se justifier sur les retombées de leurs


décisions et se livrer au jeu classique d’échange de reproches qui en
résultait.
Un cadre d’Amazon Web Services nous dit un jour que Jeff Bezos,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 213 29/11/2022 15:2

le patron d’Amazon, demandait à ses managers de ne pas commencer


les réunions par des présentations PowerPoint, mais par des mémos de
six pages lus en silence au début de la réunion. Dans un e-mail adressé
à son équipe, Bezos expliquait : « La raison pour laquelle il est plus dif-
ficile d’écrire un “bon” mémo de six pages que d’écrire un PowerPoint
de vingt, c’est que la structure narrative d’un bon mémo oblige à mieux
réfléchir et à mieux comprendre ce qui est le plus important. Les meil-
leurs mémos sont écrits et réécrits, partagés avec des collègues à qui l’on
demande d’améliorer le travail, mis de côté pendant quelques jours,
puis édités à nouveau avec un regard neuf, écrivait Bezos. Le point clé
est que vous pouvez améliorer les résultats par le simple fait de détail-
ler le contexte : un excellent mémo devrait probablement prendre une
semaine ou plus à écrire23. »
Après une période de confusion pour mettre de l’ordre dans nos
idées sur les A3, les membres du comité exécutif (Comex) préparent
désormais des rapports A3 sur la façon dont ils ont résolu les problèmes
dans leur domaine et les présentent ensuite lors de notre réunion heb-
domadaire du Comex. Nous sommes huit, avec un A3 par semaine, il
faut huit semaines pour préparer un rapport. En suivant l’exemple de
Bezos, nous sommes aussi allés un peu plus loin dans le service client
en commençant la réunion par le verbatim d’une plainte d’un client, et
ensuite par la présentation A3.

23 R. Umoh, « Why Jeff Bezos Makes Amazon Execs Read 6-Page Memos at the Start of Each
Meeting », Make It, CNBC, 23 avril 2018 – https://www.cnbc.com/2018/04/23/what-jeff-
bezos-learned-from-requiring-6-page-memos-at-amazon.html
Les outils du travail en équipe 215

Dans la présentation A3 idéale, une personne fait sa présenta-


tion, chacune des autres personnes dans la salle fait un commentaire,
demande une clarification ou ouvre une autre direction de réflexion, et
la règle est que celui qui présente ne répond pas. Il note le commentaire
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 214 29/11/2022 15:2

pour y réfléchir. Nous n’avons pas le temps d’argumenter et de discuter


si nous voulons respecter notre programme pendant les réunions du
Comex. La discussion a lieu en dehors de la salle, et non pendant la pré-
sentation. Nous ne nous tenons pas toujours strictement à cette règle,
mais elle fait des merveilles pour créer un espace rassurant dans lequel
s’exprimer. Les participants savent qu’ils doivent faire un commentaire,
témoignage de leur écoute, et le présentateur sait qu’on n’attend pas de
lui qu’il se justifie sur-le-champ, mais simplement qu’il accuse réception
du commentaire.
Il est difficile de savoir si, comme l’avait espéré le sensei, les présenta-
tions A3 ont rendu l’organisation plus souple, plus favorable au change-
ment ; si nos managers étaient, pour reprendre les termes d’Ohno, plus
prêts à corriger leur façon de faire. Les positions erronées sont fondées
sur des idées fausses et des illusions. Explorer les problèmes en profon-
deur et en discuter avec des collègues devait permettre de faire table rase
du passé et de voir les choses de manière plus nette.
Quoi qu’il en soit, il était clair que nous commencions à réduire
sérieusement nos coûts totaux. Le service marketing avait calculé que
le coût d’acquisition des clients avait été réduit de 30 %. Les membres
du Comex, qui s’étaient penchés sur les problèmes avec leurs équipes,
avaient découvert d’innombrables cas de gaspillage. Par exemple, la
majorité des utilisateurs que nous contactions via la location de listes
d’adresses e-mails ne devenaient pas des clients. Nous nous étions égale-
ment aperçus que notre programme de parrainage coûteux et complexe
n’avait aucun impact sur les ventes, si ce n’est de rendre notre système
plus complexe et nos clients perplexes.
216 Réussir en équipes

Dans ce cas précis, Romain recherchait la simplification, pour les


clients ou pour son équipe. Pour lui, plus les produits étaient simples,
plus il était facile de les livrer parfaitement avec une satisfaction totale
de la part du client. Il se trouve que l’un des produits gérés par l’équipe
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 215 29/11/2022 15:2

de Romain était un des avantages associés au programme de parrainage.


Romain et son équipe avaient découvert en analysant ce produit, que
cet avantage engendrait de la confusion tant chez les vendeurs que chez
les clients. De plus, le produit ne créait pas de valeur car seuls 1 % des
clients l’utilisaient réellement. Formuler ces découvertes dans un A3 a
permis d’élargir la discussion avec Guillaume, le responsable du marke-
ting. Finalement, cela a débouché sur un défi plus radical, qui consistait
à évaluer la valeur créée par le programme de parrainage et à repenser la
manière dont nous pourrions mieux impliquer les clients par le biais des
parrainages. Le travail d’équipe était en marche. C’était comme regar-
der deux footballeurs vedettes se passer le ballon pour marquer un but.

Transformer les systèmes en véritables enablers


pour créer une chaîne d’aide
« Qu’en est-il de vos collaborateurs ? a demandé le sensei. Que faites-
vous pour eux ? Vous améliorez la confiance horizontale et les fonctions
travaillent mieux ensemble, c’est parfait. Mais comment pourrions-nous
aussi travailler à améliorer la confiance verticale, le long de la ligne hié-
rarchique ? » L’un des sensei de notre sensei, Gilberto Kosaka, directeur
général retraité de Toyota au Brésil, propose le recadrage suivant : trans-
former la hiérarchie d’une chaîne de commandement en une chaîne
d’aide.
Les usines Toyota sont fascinantes par ce mécanisme omniprésent
qu’est l’andon. Tout au long de la ligne passe un cordon que les opé-
rateurs peuvent tirer s’ils ont un doute ou s’ils sont confrontés à un
problème. Aux postes de travail, il existe aussi des boutons sur lesquels
Les outils du travail en équipe 217

les opérateurs peuvent appuyer pour demander de l’aide. Au premier


doute sur la qualité ou s’ils voient qu’ils ne vont pas respecter le rythme
visualisé au sol, les opérateurs tirent sur le fil. Cela permet de signaler
le poste de travail sur un grand tableau visible au-dessus de la ligne.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 216 29/11/2022 15:2

Comme nous l’avons vu précédemment, le leader d’équipe arrive en


moins d’une minute et corrige la situation en tirant une seconde fois
sur le cordon pour relancer la ligne… ou pas. S’il ne peut pas corriger la
situation immédiatement, il ne tire pas le cordon et la ligne s’arrête à la
position fixe suivante. L’alarme sonore retentit alors de plus en plus fort,
jusqu’à ce que la direction se précipite sur les lieux pour comprendre le
problème.
Deux choses nous ont frappés lorsque nous avons vu ce mécanisme
à l’œuvre pour la première fois. Premièrement, l’opérateur a le pouvoir
réel d’arrêter la ligne. Si le problème signalé ne peut être résolu dans la
minute, la chaîne atteint un point fixe et… s’arrête jusqu’à ce que la
direction règle le problème. Le coût réel de l’arrêt d’une ligne automo-
bile est considérable, et chaque opérateur a néanmoins le pouvoir de le
faire. C’est extraordinaire.
Deuxièmement, l’opérateur n’est jamais seul face à un problème. Il
tire le cordon de l’andon, le team leader se présente pour comprendre
s’il s’agit d’un problème de compréhension ou de savoir-faire ponctuel
et, s’il ne peut pas le résoudre immédiatement (et tirer une deuxième
fois le fil andon pour signaler à la ligne de continuer), la ligne s’arrête et
la direction arrive. L’hypothèse sous-jacente est que chaque système de
l’usine est au service des opérateurs, dans le but de rendre leur travail
aussi facile que possible.
Cet outil apparemment simple est révolutionnaire, car il renverse
deux hypothèses de base des organisations : la hiérarchie et le taylo-
risme. Traditionnellement, les patrons prennent toutes les décisions, les
travailleurs les exécutent. Les patrons pensent et parlent ; les travail-
leurs obéissent et agissent. L’andon renverse la situation : l’opérateur doit
218 Réussir en équipes

réfléchir à son travail et repérer les problèmes, il a le pouvoir d’arrêter


la chaîne. La direction doit alors répondre à la demande de l’opérateur
et résoudre le problème en intervenant. C’est un changement radical,
du système :
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 217 29/11/2022 15:2

penser fAire
Managers Décider ce qui doit être fait
et la manière d’exécuter
le travail, et donner des
instructions.
Opérateurs Obéir aux instructions,
suivre le processus
et ne rien dire.

… au système :

penser fAire
Managers Clarifier les défis, écouter Se rendre dans l’espace
l’avis des opérateurs de travail et aider les
et cadrer les problèmes opérateurs à rompre
et les changements qui le rythme de travail
doivent avoir lieu. lorsque cela est
nécessaire pour créer
un espace de recherche
et d’expérimentation sur la
façon d’améliorer le travail.
Opérateurs Rechercher les problèmes Suivre les standards
de routine dans leur avec soin, tirer l’andon
travail et avertir lorsqu’ils pour activer la chaîne
voient un problème, d’aide à chaque occasion,
réfléchir aux causes et et participer activement
proposer des suggestions aux activités d’amélioration
créatives pour résoudre pour tester les idées, faire
les problèmes. évoluer les standards
et partager les idées
avec les ingénieurs.
Les outils du travail en équipe 219

Il y a là une refonte radicale du fonctionnement de l’entreprise.


Les implications de ces deux idées nous ont déconcertés lorsque nous
les avons découvertes. Nous avons repensé à notre management et à
nos systèmes et, à vrai dire, nous nous sommes sentis plutôt penauds.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 218 29/11/2022 15:2

Comme beaucoup de nos systèmes avaient été bricolés pendant notre


période de croissance rapide, ils étaient pleins d’incohérences avec les-
quelles les équipes devaient composer quotidiennement. Les directeurs
se plaignaient des systèmes en général, mais ne faisaient pas beaucoup
d’efforts pour aider concrètement les opérationnels. Ce fut une véri-
table prise de conscience. Si le fondement du TPS était effectivement
« la confiance mutuelle entre la direction et les travailleurs » et que
nous voulions sérieusement construire notre propre version d’un sys-
tème lean, nous devions aborder ce problème de front. Comment les
équipes de première ligne pouvaient-elles nous faire confiance si nous
ne faisions pas véritablement l’effort de leur donner des systèmes faciles
à utiliser ? Comment pouvions-nous faire en sorte que nos managers
travaillent pour les collaborateurs, ou du moins avec eux ?
Que pouvions-nous faire pour nos collaborateurs ? En regardant les
choses sous cet angle, sur le gemba, nous avons réalisé qu’ils avaient sou-
vent du mal avec les systèmes avec lesquels ils étaient contraints de travail-
ler. Nous avons commencé par rendre les systèmes quotidiens plus faciles
à utiliser. Comme dans toute interaction avec un site web, le système peut
soit vous aider à faire ce que vous voulez faire simplement et rapidement
– nous avons retenu le terme anglais de enable, « rendre capable » – ou,
au contraire, vous ralentir et vous frustrer, vous imposant de nombreuses
ambiguïtés et contraintes pour des raisons internes au site.
« Comment nos systèmes peuvent-ils être de véritables enablers,
plutôt qu’un frein au travail à valeur ajoutée ? » avons-nous demandé
au Comex. Il n’y eut pas de réponse immédiate à une question aussi
vaste, mais ses membres acceptèrent d’examiner chacun un système et
de poser les questions suivantes aux collaborateurs : « En quoi cela vous
220 Réussir en équipes

facilite-t-il la tâche ? En quoi cela vous gêne-t-il ? » Avec le but de le


réussir, nous avons donc défini un projet d’enabler pour chaque direc-
teur du Comex.
Ce travail sur les enablers a conduit à des projets d’amélioration trans-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 219 29/11/2022 15:2

versaux, c’est-à-dire des initiatives singulières, menées par un membre du


Comex dans le but d’améliorer radicalement les conditions de travail
quotidiennes des collaborateurs, qui bénéficiaient à la fois aux managers
et aux collaborateurs. Cette démarche a permis de faire de nombreuses
avancées. Par exemple, la prise de rendez-vous pour les livraisons de voi-
tures était un casse-tête pour de nombreuses agences. Nous avons mis
en place un système de flux tiré qui a grandement facilité les choses et
nous a permis d’être en mesure de livrer une voiture en quarante-huit
heures n’importe où dans le pays. Nous avons également aidé les équipes
de back-office à obtenir des documents d’immatriculation des véhicules
sans avoir à les reprendre, ce qui a permis de doubler la productivité. Dans
tous ces cas, les gains ont été le résultat d’un travail d’équipe nettement
amélioré entre nos collaborateurs de première ligne et leurs managers.

L’obeya
Inspirés des leçons du gemba sur la visibilité du travail, nous avons mis
en place un obeya (terme japonais pour « grande salle ») pour visualiser
les différents défis de l’équipe de direction.

L’obeya de notre équipe de direction


Les outils du travail en équipe 221

Cette pièce fait office de tour de contrôle pour l’ensemble de l’entre-


prise. Elle permet de visualiser les différents fers au feu à tout instant,
avec :
• un mur de clients : les problèmes urgents des clients en cours, qui
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 220 29/11/2022 15:2

doivent être résolus immédiatement ;


• une étoile du Nord : notre mission (faciliter l’achat d’une voiture)
et notre vision en termes d’objectifs ambitieux que nous voulons
atteindre en tant qu’entreprise ;
• les indicateurs clés de l’entreprise : un mur consacré aux mesures clés
que nous suivons pour avoir une idée de la situation et de l’évolu-
tion de l’entreprise ;
• nos combats : ce sur quoi nous concentrons actuellement nos efforts
pour atteindre ces objectifs ;
• les enablers : les systèmes internes sur lesquels nous travaillons afin
de les rendre plus faciles à utiliser pour les équipes terrain ;
• les prochaines offres : la nouvelle valeur que nous prévoyons d’offrir
aux clients et son implémentation dans nos systèmes actuels ;
• la concurrence : une partie d’un mur est consacrée aux problèmes
que nous posent nos concurrents ;
• le plan de changement : pour s’assurer que les changements fonction-
nels importants sont communiqués à l’avance et que les équipes des
autres fonctions sont prêtes à les adopter ;
• les hoshin kanri : les plans stratégiques annuels, fonction par fonc-
tion, afin que le comité exécutif ait une vision commune de la direc-
tion que prend l’entreprise.
222 Réussir en équipes

Le fait de réunir tous ces indicateurs clés de performance en un seul


endroit crée une vision de l’entreprise qui rassemble le comité exécutif.
Cela clarifie notre vision tactique :
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 221 29/11/2022 15:2

l A première Chose
Ce que nous
priorités à Apprendre
essAyons de fAire
pour réussir

Les thèmes des enablers sont structurés en termes de :


1. but : ce que nous essayons de faire dans l’absolu ;
2. mesure : la mesure que nous avons choisie comme meilleure approxi-
mation du résultat que nous cherchons à atteindre ;
3. changements antérieurs : les changements antérieurs que nous avons
mis en œuvre pour arriver là où nous sommes ;
4. changement en cours : ce que nous essayons de faire actuellement ;
5. obstacles et problèmes : les problèmes techniques auxquels nous
sommes actuellement confrontés (A3) ;
6. prochain changement : le prochain changement que nous envisa-
geons si nous parvenons à réussir l’étape actuelle.
L’obeya donne littéralement un cadre concret à la gestion du change-
ment. Il contextualise nos discussions de management sur la gestion du
changement, en permettant de visualiser leur environnement. Chaque
semaine, nous avons une réunion de direction qui commence au service
client pour écouter la réclamation spécifique d’un client et prendre le
pouls de la manière dont nos clients vivent effectivement notre service.
Nous passons ensuite à une présentation A3 par un membre du Comex
expliquant le changement qu’il envisage. Il détaille le problème auquel
il s’attaque, la logique qui sous-tend le changement, la manière dont
il compte s’y prendre et les alternatives envisagées, afin que les autres
Les outils du travail en équipe 223

membres de l’équipe puissent discuter de l’impact sur leurs systèmes


et leurs secteurs. Enfin, nous abordons toute question tactique urgente
pour laquelle nous devons être tous sur la même longueur d’onde.
Avoir sous les yeux les indicateurs clés et les enablers nous rappelle
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 222 29/11/2022 15:2

que nous devons travailler ensemble. Nous sommes devenus beaucoup


plus réactifs. Cela a réduit le risque que les problèmes s’enveniment
et s’étendent. Dès qu’un indicateur commence à régresser, nous nous
demandons immédiatement pourquoi et nous élaborons un plan pour
étudier la question. Nous faisons face à nos challenges permanents
beaucoup plus sereinement maintenant que les gens ne sont pas censés
traiter les problèmes seuls, mais peuvent en faire part à l’équipe.

Un système pour soutenir le travail d’équipe


à tous les niveaux
Les reculs sont inévitables. Nous avons appris que « deux pas en avant,
un pas en arrière » était dans la nature même de l’amélioration conti-
nue. Mais nous avons aussi découvert que les moments de recul nous
apprenaient beaucoup de choses sur notre organisation et sa concep-
tion sous-jacente. L’analyse de ces reculs nous a fait prendre conscience
de la nécessité d’un travail d’équipe actif et de la puissance du Toyota
Production System comme cadre pour y parvenir. Les reculs surviennent
sous l’effet du quotidien, que ce soit dans le monde physique de la
logistique ou dans le monde numérique. Par exemple, nos équipes web
avaient amélioré la vitesse de chargement des pages par le kaizen pour
atteindre les records des cinq meilleurs sites. Puis notre classement a
rechuté, nous étions toujours mieux classés que la plupart des sites, mais
nous n’étions plus dans les cinq meilleurs. Le kaizen ne se produit pas
tout seul : nous devons être présents sur le gemba pour qu’il ait lieu.
Comme nous l’avons découvert, notre premier rôle au sein de l’équipe
est de défendre les clients : comment pouvons-nous améliorer leur
224 Réussir en équipes

satisfaction, soit en résolvant des problèmes dans le processus actuel,


soit en proposant de nouvelles fonctionnalités ?
Améliorer la satisfaction client
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 223 29/11/2022 15:2

Pour découvrir les problèmes à résoudre afin d’accroître la valeur


en améliorant simultanément la satisfaction des clients et en réduisant
le coût total, nous avons également appris que nous devions mettre en
évidence le gaspillage et la stagnation, grâce à la réduction du lead time,
avec le juste-à-temps.
Améliorer la satisfaction client

Juste-à-temps : réduire
le lead time pour révéler
les problèmes

Cependant, à mesure que vous améliorez la qualité et réduisez les


délais, vous constatez également des retours en arrière. En examinant
les cas de recul au cas par cas, nous nous sommes rendu compte que
les gens hésitaient à signaler lorsqu’ils n’atteignaient plus les meilleures
performances et que les managers intermédiaires n’étaient pas prêts à
intervenir pour les aider. Le principe du jidoka (automatisation intelli-
gente), qui consiste à arrêter les défauts et à les signaler, est nécessaire
pour lutter contre les retours en arrière et trouver des solutions plus
durables en s’attaquant aux problèmes un par un en temps réel.
Les outils du travail en équipe 225

Améliorer la satisfaction client

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 224 29/11/2022 15:2


Jidoka : s’arrêter
Juste-à-temps : réduire à chaque anomalie,
le lead time pour révéler l’étudier en détail
les problèmes et résoudre
le problème

Or, pour signaler que quelque chose ne va pas, il faut de la confiance


mutuelle. C’est le principe fondateur du TPS. Sans une intention ferme
et partagée de s’entraider au sein des équipes, entre les équipes et dans
les rangs, le jidoka demeure un vœu pieux.
Améliorer la satisfaction client

Jidoka : s’arrêter
Juste-à-temps : réduire à chaque anomalie,
le lead time pour révéler Kaizen / Standards l’étudier en détail
les problèmes et résoudre
le problème

Confiance mutuelle : s’entraider


au sein des équipes, entre les équipes
et avec sa hiérarchie

L’étude des reculs nous a montré qu’au départ, les équipes nous sur-
prenaient par leurs améliorations. Pour cela, nous devions passer du
temps sur le terrain à communiquer sur nos défis et à expliquer ce que
nous essayions de faire, notamment en matière de juste-à-temps. En
226 Réussir en équipes

outre, les améliorations de performance sont difficiles à maintenir tant


que des systèmes de fond de l’entreprise ne sont pas également modi-
fiés. Pour comprendre ces questions plus complexes, la direction doit
examiner les problèmes spécifiques et travailler avec d’autres fonctions
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 225 29/11/2022 15:2

pour les résoudre. Pour que les équipes pratiquent leur propre kaizen et
maintiennent leurs propres standards, la direction – et en particulier la
direction générale – doit aller voir sur le lieu de travail en ayant résolu-
ment à l’esprit le cadre du TPS.
La croissance a pour effet que les collaborateurs ne se considèrent
plus comme faisant partie d’une équipe – où chacun peut parler à tout
le monde –, mais envisagent davantage leur travail en termes de rela-
tions « patron-subordonné ». Chaque personne se voit comme le mail-
lon d’une chaîne de commandement. Il est très difficile de former des
personnes autonomes pour résoudre les problèmes car, comme cela
s’est souvent produit pour nous, lorsque vous demandez aux personnes
d’examiner un problème et d’y réfléchir – ce qui revient à donner une
instruction – elles vous répondent : « Dites-moi simplement ce que vous
voulez et je le ferai. »
Nous nous sommes rendu compte, en discutant avec des mana-
gers de Toyota de la formation des cadres intermédiaires, que Toyota
n’envoyait pas de grands patrons du Japon pour diriger les opérations :
cela n’aurait pas aidé les usines à devenir autonomes. Ils envoyaient plutôt
des coordinateurs pour soutenir (et former) les cadres : des managers de
niveau équivalent au Japon, qui travaillaient aux côtés de leurs homo-
logues occidentaux pour partager la façon dont les problèmes seraient
traités au Japon et assurer la coordination avec le siège. Ces coordina-
teurs n’avaient pas de relation hiérarchique avec le responsable qu’ils
aidaient. Ils n’étaient même pas vraiment des coachs. Ils ne prenaient
aucune décision. Ils étaient là pour montrer aux managers la méthode
culturelle kaizen de Toyota.
Les outils du travail en équipe 227

Commandement et contrôle sont nécessaires avec le changement


d’échelle d’une entreprise. Sans cela, il est impossible de diriger des
organisations très importantes. En revanche, l’utilisation du kaizen
pour lutter contre la bureaucratie exige une structure « orienter et sou-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 226 29/11/2022 15:2

tenir », c’est-à-dire une approche différente du management des indivi-


dus. Pour ce faire, nous avons appris que « soutenir » réclame un travail
d’équipe intense à tous les niveaux. Sans cela, les individus répondent
assez facilement au défi par un effort de kaizen, mais s’épuisent et ne
savent pas comment le maintenir dans le temps. L’autonomie est rendue
possible par un environnement de travail d’équipe sécurisant.

L’équipe d’abord
Lors de nos premières expériences avec le lean, on nous avait parlé des
processus défaillants. En théorie, la livraison dépendait de la performance
des processus, et de mauvais processus entraînaient une mauvaise livrai-
son. Ce n’était pas un problème de personnes. Le temps passé sur le
gemba – et en questionnant les opérationnels – nous a aidé à comprendre
que tout est une question de personnes : les processus sont ce que les
personnes font. Les processus dépendent de leur intention commune.
Certaines équipes veulent faire fonctionner le processus et résoudre les
problèmes des clients. D’autres sont concentrées de manière étroite sur
le fait que chacun « fasse son job », quels que soient les résultats.
Pour améliorer durablement les processus, il faut d’abord que les
personnes se mettent d’accord sur les problèmes. Pour cela, les per-
sonnes impliquées dans le processus doivent se comprendre et se faire
confiance pour partager les questions et parvenir à un consensus sur
la nature réelle des problèmes. Ces derniers sont les signes de points de
connaissance cachés, qui doivent être révélés afin de trouver des solu-
tions solides. Y parvenir suppose l’intention visible de s’entraider au sein
des équipes, entre les équipes et au-delà des lignes hiérarchiques.
228 Réussir en équipes

Par exemple, nous rencontrions des difficultés avec nos services de


financement au particulier, une fonction essentielle à la fois pour nos
clients, qui en ont besoin pour acheter leur voiture (et qui était une
source importante d’insatisfaction), et pour notre rentabilité. Les com-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 227 29/11/2022 15:2

merciaux se plaignaient de pannes quotidiennes du système et rejetaient


la faute sur l’informatique et le partenaire externe qui gérait notre finan-
cement. Le service informatique se repliait sur lui-même et travaillait
sur autre chose. C’était la pagaille. Romain, responsable des ventes, et
Jean-Michel, responsable de l’informatique, ont fini par s’asseoir autour
d’une table et ont examiné ensemble le taux de réussite de chaque pro-
jet client. Ils se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas dans
30 % des cas.
L’examen des détails, ensemble et au cas par cas, leur a permis de
constater que le processus informatique principal n’était pas très intuitif
bien que robuste : un grand nombre de problèmes provenaient d’erreurs
de saisie de la part des vendeurs. Le dossier était envoyé au partenaire,
qui nous le renvoyait pour qu’il soit corrigé, avant d’être retourné, et
finalement approuvé, mais au prix d’importants délais, de l’agacement
du client et d’un gaspillage d’efforts… sans compter la création d’un
climat délétère entre les fonctions. En se concentrant spécifiquement
sur les interfaces dysfonctionnelles, les ventes et l’informatique ont
presque éradiqué les pannes et le travail supplémentaire, ce qui était
un nouveau point de connaissance. Désormais, Romain et Jean-Michel
se réunissent tous les quinze jours pour examiner les problèmes au cas
par cas, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant. Cela semble évident
avec le recul, mais parmi les tâches infinies à effectuer à tout moment,
suivre de près l’interface vente-informatique pour le financement n’avait
pas été vu auparavant comme un élément critique. Ce nouveau point
de connaissance nous a permis d’offrir un bien meilleur service et de
réduire les coûts internes.
Les outils du travail en équipe 229

Pour favoriser un état d’esprit de croissance, vous devez démontrer


que vous prenez au sérieux l’amélioration des performances ; que les
collaborateurs seront aidés dans leurs initiatives d’amélioration ; qu’ils
seront écoutés lorsqu’ils évoqueront les (inévitables) retours en arrière
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 228 29/11/2022 15:2

et les problèmes plus profonds ; que vous travaillerez, chacun à votre


place, avec eux pour régler un problème après l’autre.
Pour ce faire, nous avons utilisé des outils avec lesquels tous peuvent
partager leur analyse et leurs intentions, ce qui permet à chacun de voir
que nous travaillons activement à la résolution des problèmes liés aux
systèmes. Régulièrement, les membres du Comex réalisent de courtes
vidéos pour faire connaître leurs progrès sur leurs enablers, et nous
les publions sur notre réseau interne de médias sociaux. Nous voyons
maintenant que notre priorité absolue en tant que dirigeants est princi-
palement de faire fonctionner l’équipe avant de chercher à trouver des
solutions. Qui devrait travailler avec qui ? Sur quel sujet ? Le font-ils ? Si
ce n’est pas le cas, pourquoi ? Que pouvons-nous faire à ce sujet ?
La pratique du travail en équipe nous a amenés à concevoir le mana-
gement différemment. Rendre un processus performant commence par
connecter entre elles les personnes à énergie positive. Puis, leur proposer
un défi et des méthodes en commun afin qu’elles suggèrent les change-
ments nécessaires pour faire fonctionner le processus. Chaque fois que
cela s’est produit, les progrès ont été visibles et même parfois spectacu-
laires. Ensuite, la chaîne de commandement doit devenir une chaîne
d’aide pour soutenir chaque personne dans son rôle actuel, sans hésiter
à la laisser développer ses pleines capacités. Ainsi, comme le demande
notre sensei : « Pourquoi cette personne n’a pas plus de responsabili-
tés ? » Ces deux transformations reposent sur une base de confiance
mutuelle, qui se développe à partir d’une intention partagée, à savoir
que nous travaillons tous à la satisfaction du client et que nous nous
entraidons pour y parvenir. Le travail d’équipe, en tant qu’activité en
soi, implique de rechercher des occasions de travailler avec des collègues
230 Réussir en équipes

au sein de notre équipe et, au-delà des frontières fonctionnelles, de trou-


ver de nouvelles solutions à des problèmes persistants en s’entraidant.
Travailler sur les équipes et travailler en équipe ont été un point de
pivot, une sorte de révolution mentale pour nous. Cela nous a conduits
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 229 29/11/2022 15:2

à clarifier notre modèle de management pour en faire un catalyseur du


changement d’échelle, en commençant par créer un espace psycholo-
gique sécurisant dans lequel il est possible de partager les « mauvaises
nouvelles d’abord » et pour finir assurer la fidélisation des clients, véri-
table fondement d’une croissance et d’une rentabilité durables.
Améliorer
la performance Fidélité
d’ensemble, des clients
aujourd’hui
Connecter et demain
les énergies
sur des challenges
communs
Renforcer
la confiance
Partager mutuelle
les raisonnements
pour mieux travailler
en équipe
Engager les équipes
dans la résolution
de problèmes
Environnement sécurisant
pour les mauvaises
nouvelles d’abord

Nous pouvions désormais clairement voir ce que nous faisions mal


et ce que nos managers n’avaient jamais appris, ce qui nous a égale-
ment donné un cadre pour aider les personnes à devenir des managers.
Là encore, avec le recul, « faire fonctionner l’équipe » semble banal et
nous aurions accepté le principe avant de pratiquer le véritable travail
en équipe, mais l’impact sur les performances a été époustouflant, et
cela nous avait complètement échappé auparavant. Nous avions appris
à nous représenter l’organisation comme une machine où les dirigeants
donnent des instructions et les collaborateurs les appliquent. Mais
Les outils du travail en équipe 231

concevoir l’entreprise comme un réseau d’énergies connectées, qui ont


besoin d’être nourries et alignées entre elles, offrait une vision radica-
lement différente, et permettait d’appréhender l’usage de tous les outils
lean que nous avions appris à maîtriser, sous un autre jour. Nous décou-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 230 29/11/2022 15:2

vrions également le potentiel du lean pour assurer la continuité de la


satisfaction des clients en réconciliant différentes fonctions : les clients
avec les points de vente, les fonctions entre elles, les équipes avec la
direction, l’entreprise avec ses partenaires. Utiliser le cadrage pour pra-
tiquer activement le travail en équipe nous a vraiment fait entrer dans
un espace plus vaste et prometteur.
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 231 29/11/2022 15:2
Chapitre 10

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 232
Comment 29/11/2022 15:2

en sommes-nous
arrivés là ?

Mi-2017 et six mois après nos premières expériences douloureuses


(mais révélatrices) sur le gemba, la mayonnaise commençait à prendre.
Quelque chose marchait, même si nous n’étions pas sûrs du quoi et du
comment. Nous n’étions pas sortis indemnes du changement d’échelle :
les ventes avaient ralenti, la satisfaction des clients avait diminué (avec
un net promoter score au plus bas au milieu de 2016), les coûts de mar-
keting et les frais généraux augmentaient plus vite que notre chiffre
d’affaires. Mi-2018, nous étions convaincus que nous étions en train
de retourner la situation : nous avions retrouvé de la croissance. Plus
important encore, notre NPS progressait constamment (nous l’avions
par ailleurs retiré du calcul des primes pour éviter certains scores artifi-
ciellement gonflés par le passé).
234 Réussir en équipes

57
57 57 60 56
52 53 54 55 56
53 55 57 53 53 51 52
49 48 52 48 50
47 45 46 45
44 41 42 43
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 233
42 40 29/11/2022 15:2
34
31 33
30
20
09/16
10/16
11/16
12/16
01/17
02/17
03/17
04/17
05/17
06/17
07/17
08/17
09/17
10/17
11/17
12/17
01/18
02/18
03/18
04/18
05/18
06/18
07/18
08/18
09/18
10/18
11/18
12/18
01/19
02/19
03/19
04/19
05/19
06/19
07/19
08/19
09/19
Net promoter score (global)

Pendant cette période, nous avions moins dépensé pour calmer les
clients mécontents. De manière significative, la croissance structurelle
de nos coûts de marketing et de nos frais généraux avait été endiguée
alors que nous avions continué à augmenter notre chiffre d’affaires. De
ce fait, nous avions doublé notre EBITDA.
2 000
1 800
1 600
1 400
1 200
1 000
800
600
400
200
0
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
Frais généraux Marketing

Frais de marketing et frais généraux

Qu’est-ce qui avait fonctionné ?


Comment en sommes-nous arrivés là ? 235

Les quatre étapes d’un état d’esprit


de croissance
Nous avions changé de mode de management ! Au lieu de prendre des
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 234 29/11/2022 15:2

décisions que les autres devaient exécuter, nous expliquions les défis
à relever et encouragions chacun à résoudre les problèmes. Plutôt que
de construire notre entreprise, nous avions commencé à la coconstruire,
selon notre sensei. Qu’est-ce que cela signifiait ? Comment continuer
dans cette voie si nous ne comprenions pas vraiment ce que nous fai-
sions ? Le sensei considérait que son travail consistait à nous enseigner le
« gemba lean », ce qui signifiait progresser selon quatre étapes de décou-
verte, au cœur d’un état d’esprit de croissance :
1. L’incompétence inconsciente : nous croyions que nous faisions du
lean, mais nous n’avions aucune idée de tout ce qui nous échappait.
Comme il nous l’avait dit le premier jour, nos idées fausses sur le
lean brouillaient les pistes et nous empêchaient d’en tirer profit. Il
faut découvrir qu’on est ignorant et ce qu’on ignore.
2. L’ incompétence consciente : réaliser que l’on ne sait pas et s’engager
à apprendre, ce qui signifie souvent changer d’avis et abandonner
les idées auxquelles on tient, n’est pas un défi facile à relever. Il faut
découvrir ce qu’on doit apprendre.
3. La compétence inconsciente : les choses commencent à fonctionner,
sans qu’on soit sûrs pour autant de comprendre pourquoi et com-
ment. Les performances suivent la mise en pratique des nouveaux
points de connaissance, mais elles restent fragiles et sujettes à des
retours à la moyenne. Il s’agit de mettre en pratique et d’expérimen-
ter de nouvelles idées et actions, même si elles semblent peu fami-
lières au début. Il faut accepter d’échouer pour réussir.
236 Réussir en équipes

4. La compétence consciente : à mesure que les nouvelles pratiques


deviennent plus routinières, vous commencez à apprendre de nou-
veaux points de connaissance, vous maîtrisez leur mise en pratique
délibérée jusqu’à ce qu’ils soient bien connus et pérennes. Il est alors
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 235 29/11/2022 15:2

temps de formaliser la compréhension de la pratique et de conti-


nuer à la perfectionner. Puis vous continuerez d’approfondir votre
réflexion à propos de ce que vous savez et ne savez pas et vous la
partagerez avec les autres.
Le sensei estimait que nous étions à l’étape 3, c’est-à-dire l’étape de
la compétence inconsciente. Nous avions réussi sans comprendre véri-
tablement ce que nous avions réussi (ou échoué). Le pas suivant consis-
tait à mieux connaître les conditions de réussite et ce que nous devions
reproduire, à devenir consciemment compétents pour façonner l’entre-
prise en vue d’une expansion durable. Nous avions appris à trouver les
problèmes, à y faire face et à les encadrer. Nous devions maintenant
coconstruire l’entreprise autour de solutions adaptatives qui ne pouvaient
se transmettre que d’une personne à l’autre plutôt que de les déployer
à l’emporte-pièce. Dans les milieux entrepreneuriaux, on vous dit que
changer d’échelle consiste à : 1) standardiser l’offre ; 2) concevoir et
mettre en place des processus fixes en utilisant une technologie pro-
priétaire ; 3) obliger tout le monde à se conformer au modèle en usage.
C’était plus ou moins ce que nous pensions. Cette voie est tentante
car elle permet de garder le contrôle et de faire sentir son pouvoir – ou
plutôt d’avoir une illusion de contrôle. Vous tenez votre destin en main,
vous contrôlez tout le monde, et c’est parti… Cette approche est effi-
cace dans certaines circonstances (par exemple, lorsqu’on possède un
atout incontournable et qu’on domine totalement les jeux de pouvoir),
mais elle présente quatre inconvénients énormes : elle est rigide face au
changement, attire des gens intelligents mais odieux, rend les collabo-
rateurs malheureux, et entraîne des gaspillages sidérants.
Comment en sommes-nous arrivés là ? 237

Les crises sérieuses, qu’elles soient personnelles ou professionnelles,


commencent généralement environ deux ans avant d’être reconnues
comme telles, quand l’éléphant dans la pièce ne peut plus être ignoré.
Nous avions connu un passage difficile de 2013 à 2016 ; mais avec le
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 236 29/11/2022 15:2

recul, nous étions en difficulté dès 2010, date à laquelle nous avions
atteint les 170 millions d’euros de chiffre d’affaires (nous avons com-
mencé à faire l’expérience du lean en 2012 parce que nous sentions
que nous devions faire quelque chose). Notre stratégie n’avait pas
changé : nous voulions créer une organisation agile et conviviale pour
offrir progressivement de nouvelles fonctionnalités aux clients afin de
faciliter toutes les phases de l’achat d’une voiture. Notre résolution
et l’énergie que nous consacrions à la réalisation de cette stratégie
n’avaient pas changé. Cependant, nous avions l’impression que l’en-
treprise nous résistait à chaque tournant. Chaque nouvelle fonction-
nalité que nous proposions était polluée par des frictions : une suite de
grains de sable qui venaient perturber nos plans, et des gens qui agis-
saient de manière irréfléchie ou politique sans chercher à poursuivre
les objectifs affichés.

Stratégie
souhaitée

Direction
réelle

Nous résolvions les problèmes nous-mêmes et faisions en sorte que


les gens appliquent nos solutions. « La résistance au changement » est
une façon élégante de dire que personne n’aime se conformer aux idées
238 Réussir en équipes

que quelqu’un d’autre veut lui imposer. Nous exprimions ces idées sous
forme d’instructions. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elles aient été faci-
lement mal comprises ou déformées, comme dans notre exemple précé-
dent, « améliorer la note sur Google ».
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 237 29/11/2022 15:2

Le sensei nous avait montré qu’en nous rendant sur les lieux de tra-
vail et en examinant la situation du point de vue des collaborateurs, il
était possible de changer la culture de l’entreprise. Pour cela, il fallait
apprendre à mettre nos pas dans leurs pas, voir avec leurs yeux. Que
voyaient-ils ? Que savaient-ils ? Qu’avaient-ils compris ? Quel était leur
état d’esprit ?
De ce point de vue, malgré tous les processus et les systèmes censés
aider le travail, il était évident que la ligne de mire était rarement claire.
Il ne s’agissait pas seulement de savoir comment faire le travail. Gemba
walk après gemba walk, nous avons commencé à réaliser que cette nou-
velle façon de voir les choses suggérait un recadrage radical de la notion
de stratégie :
Définir la stratégie, trouver les personnes chargées de l’exécuter, surveiller
et contrôler la conformité à l’aide de processus, de systèmes et d’outils.
Devenait :
Expliquer les défis communs, encourager les idées et les initiatives
de tous, clarifier la ligne de mire pour que chacun puisse savoir lui-même
où il en est, et soutenir les personnes avec les bons outils.

Stratégie
souhaitée Orientation
sur des défis
communs

Direction
réelle
Comment en sommes-nous arrivés là ? 239

Plutôt que gérer chaque étape du processus et essayer de contrôler


le comportement de chaque personne, nous pouvions guider l’ensemble
des équipes dans une direction claire et essayer d’exploiter leur énergie
positive et leur créativité. Le virage le plus difficile à prendre était de
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 238 29/11/2022 15:2

nous exprimer en termes de problèmes à résoudre et non d’actions à


mettre en œuvre.
En production, par exemple, lorsque nous nous étions rendu
compte que l’usine était pleine de voitures immobilisées en attente de
pièces de rechange, nous avions demandé au service des achats d’acheter
les pièces en fonction du lead-time et de laisser le prix de côté. Cela a
effectivement conduit à une amélioration visible des délais qui a facilité
l’amélioration spectaculaire du rendement de l’usine, ce qui signifiait
que nous n’avions plus besoin de construire une nouvelle installation.
Une victoire impressionnante. Mais, bien sûr, le coût de nos pièces avait
également augmenté.
Lorsque nous sommes revenus dans cette équipe, nous avons exposé
le problème du compromis – rapidité de livraison contre prix plus
élevé – au leader d’équipe, qui a relevé le défi du lead-time le plus court
tout en réduisant le coût global d’achat de pièces. Nous avons eu avec
Tanguy, le chef de l’équipe des achats, une très bonne discussion sur les
priorités – en comparant les différences sources d’achat pièce par pièce,
le plus rapide n’était pas toujours le plus cher :

délAi le plus délAi d’exéCution


Court plus long
Meilleur prix Cible ?
Plus cher ? Non
240 Réussir en équipes

L’équipe a étudié la question et a découvert que les fournisseurs


prenaient des décisions différentes, pièce par pièce, et que deux autres
variables entraient en jeu : la quantité commandée et la fréquence
d’utilisation :
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 239 29/11/2022 15:2

utilisAtion utilisAtion
fréquente ponCtuelle
Remise sur le volume Petit inventaire Non
Aucun effet volume sur le prix Non Non

Au début, l’équipe avait suivi nos instructions : elle donnait la prio-


rité aux délais courts. Mais elle s’est retrouvée confrontée au compromis
vitesse/prix et a réalisé qu’avec certaines pièces à forte utilisation et à
forte rotation, elle pouvait opter pour un stock minimal.
Nous n’avions pas pensé à cela. L’équipe l’a découvert d’elle-même.
Elle avait trouvé un compromis plus intelligent – un point de connais-
sance – car elle avait disposé de l’espace et de la latitude nécessaires pour
expérimenter par du kaizen. Nous devions nous faire discrets et ne pas
chercher à régler nous-mêmes la cause de tous les problèmes de l’entre-
prise. Nous voyions maintenant que nous devions apprendre à gérer les
conditions dans lesquelles les personnes concernées pouvaient le faire :
• résoudre les problèmes de manière autonome pour mieux prendre
en charge les clients en offrant une qualité accrue ;
• utiliser les outils plus intelligemment pour réduire les coûts totaux.

Orienter, engager, impliquer


Pour reprendre les termes du sensei, nous avons dû apprendre à
coconstruire des solutions à partir de l’intelligence collective de nos
collaborateurs en les orientant dans la bonne direction (« Voici le pro-
blème à résoudre, voici le point de départ pour l’étudier et voici la zone
Comment en sommes-nous arrivés là ? 241

de no go que nous aimerions éviter ») ; en les incitant à explorer et à


essayer des choses et en les faisant travailler avec d’autres spécialistes,
notamment au-delà des frontières entre services. Une contremesure sur le
papier n’est pas la réponse définitive à un problème, elle doit être évolu-
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 240 29/11/2022 15:2

tive. C’est l’équipe même qui se rassemble autour d’une idée inattendue
qui la fera fonctionner, comme Asmaa et Zakaria l’avaient fait pour les
rendez-vous des camions ou l’équipe marketing pour le SEA.
Les solutions créatives aux problèmes épineux apparaissent rarement
là et au moment où on s’y attend. Le plus souvent, quelqu’un d’autre
a la bonne idée et a besoin de l’aide d’un spécialiste pour la mettre en
œuvre. Ainsi, en 2000, Google a lancé AdWords, un service de publi-
cité en ligne à partir des cookies et des mots clés qui affichent une
campagne publicitaire en plaçant votre annonce dans les résultats des
pages de recherche. Google est rémunéré à la performance, c’est-à-dire
au nombre d’internautes qui cliquent effectivement sur votre annonce.
Très tôt, alors que nous testions la viabilité de la vente de voitures par
téléphone ou sur le web, nous avions essayé de comprendre le fonc-
tionnement de Google, car nous percevions le potentiel énorme de son
modèle pour notre activité. À cette époque, nous n’avions aucun contact
avec l’entreprise et nous aurions été bien trop petits pour les intéresser.
De plus, leur système d’annonces ne fonctionnait pas très bien.
L’histoire est devenue célèbre : un beau jour, en 2002, Larry Page,
frustré par le manque de progrès d’AdWords, imprima quelques
exemples d’annonces qui ne fonctionnaient manifestement pas, avec ce
commentaire écrit en gras : « CES ANNONCES SONT NULLES ».
Un vendredi après-midi, il les afficha sur un tableau dans la cuisine du
bureau. Le lundi suivant, un ingénieur qui n’avait jusqu’alors jamais
travaillé sur les annonces et avec lui quelques collègues envoyèrent un
e-mail contenant une analyse détaillée des raisons pour lesquelles ces
annonces étaient nulles, avec un lien vers un prototype de solution que
242 Réussir en équipes

l’équipe qu’ils avaient constituée spontanément avait développé pendant


le week-end. L’idée centrale était que Google devait calculer un « score
de pertinence des annonces » qui évaluerait la pertinence de celles-ci
en fonction de la requête, et que ce score serait utilisé pour déterminer
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 241 29/11/2022 15:2

où placer l’annonce sur la page. Le recadrage consistait à combiner la


pertinence pour les utilisateurs avec le montant que l’annonceur était
prêt à payer. Pour que cela fonctionne, il fallait toutefois beaucoup de
compétences informatiques de très haut niveau. Depuis, AdWords est
devenu le moteur financier d’une entreprise dont la valeur est de plu-
sieurs milliers de milliards de dollars.

Source : A. Breckler, « These Ads Suck », Medium.com, 28 février 2016.


https://medium.com/@adambreckler/these-ads-suck-4892761ea4cb.

Cette histoire de réussite en équipe illustre une solution coconstruite.


Elle commence par une expression visuelle du problème : cela incite
quelqu’un (dont ce n’était pas la mission et qui avait beaucoup à faire
par ailleurs) à s’intéresser au problème et à l’étudier (durant toute une
Comment en sommes-nous arrivés là ? 243

nuit), à trouver une nouvelle idée, puis à impliquer d’autres collègues


(de surcroît pendant le week-end) afin d’élaborer le prototype d’une
solution éventuelle.
En vérité, c’est ce que nous faisions régulièrement lorsque nous
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 242 29/11/2022 15:2

étions une start-up, mais ce mode de fonctionnement a disparu lorsque


nous avons grandi pour devenir une entreprise normale. Pour être
honnêtes, l’histoire de « CES ANNONCES SONT NULLES » est
devenue célèbre parce que Google a gagné le gros lot grâce à elle. Ce
n’est pas le cas pour la plupart des problèmes qu’une entreprise doit
résoudre. Mais la mise en question radicale consiste à penser en termes
de problèmes à résoudre plutôt qu’en termes de processus à maintenir et
en termes de contremesures (solutions locales et non définitives) plutôt
que de solutions à généraliser. Dans toute entreprise, il y aura toujours
des problèmes à régler, quelle que soit la qualité du processus en place.
Nos amis chez Google sont notoirement peu loquaces sur le fonc-
tionnement de leur algorithme de classement. Cependant, ils nous
ont toujours dit que le temps de chargement des pages était le fac-
teur numéro 1. Cette affirmation est cohérente avec les recherches qui
montrent qu’au bout d’une seconde de nombreux utilisateurs auront
simplement poursuivi leur navigation. Amazon affirme qu’un ralentis-
sement du chargement des pages d’une seconde peut lui faire perdre
1,6 milliard de dollars de ventes chaque année. Google estime qu’en
ralentissant ses résultats de recherche de seulement quatre dixièmes de
seconde, il peut perdre 8 millions de recherches par jour, cela signifie
qu’il diffuserait des millions de publicités en ligne en moins24 . Quelle
que soit la manière de l’envisager, la vitesse de chargement des pages est
un problème.

24 K. Eaton, « How One Second Could Cost Google $1.6 Billion in Sales », Fast Company,
15 mars 2012 – https://www.fastcompany.com/1825005/how-one-second-could-cost-amazon-
16-billion-sales
244 Réussir en équipes

L’être humain, lui, s’habitue. Nous nous habituons à des désa-


gréments de faible intensité au bout d’un certain temps comme, par
exemple, lorsque nous vivons dans un appartement bruyant : le bruit
demeure, mais nous n’en sommes plus conscients. Nous savions que
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 243 29/11/2022 15:2

la vitesse de chargement avait un impact considérable sur les taux de


conversion. Nous disposions d’études qui montraient à quel point l’effet
pouvait être spectaculaire.
2,4 secondes
1,9 % taux de conversion
3,3 secondes
1,5 % taux de conversion
4,2 secondes
<1 % taux de conversion
5,7 + secondes
<0,6 % taux de conversion

Vitesse de chargement des pages et taux de conversion

Mais nous avions appris à vivre avec.


Au cours de nos gemba walks, le sensei nous fit essayer un autre
exercice. Le tableau de résolution de problèmes au niveau de l’équipe
dépendait de l’intérêt de l’équipe, avait-il expliqué. Il s’agissait de faire
en sorte que chacun ait envie de résoudre les problèmes et soit enthou-
siaste à l’idée de pouvoir trouver et partager des contremesures. Nous
devions également travailler sur l’implication, sur les efforts de l’équipe
pour améliorer les méthodes de travail actuelles. À cette fin, nous avions
dédié un autre tableau blanc à une méthode kaizen en six points.
Comment en sommes-nous arrivés là ? 245

Méthode kaizen en six points


q uoi Comment
1. Possibilité Quel gain clair recherchons-nous : pourquoi est-ce un
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 244 29/11/2022 15:2
d’amélioration problème, et quels gains concrets recherchons-nous ?
2. Analyse Visualisation de la séquence des étapes du
de la méthode fonctionnement actuel du processus, en quantifiant
actuelle les performances à chaque étape pour identifier
le point en cause : le point spécifique où tout
tourne mal.
3. Nouvelle idée Un nouvel éclairage sur le problème, une nouvelle
façon de le formuler, une nouvelle intuition à tester.
4. Plan de test Qui devons-nous convaincre et impliquer, et quels
tests devons-nous montrer afin d’obtenir du soutien
pour notre nouveau mode de fonctionnement ?
5. Plan de mise Comment entendons-nous passer de la preuve
en œuvre de concept au changement réel – qu’est-ce que cela
implique de plus ?
6. Évaluation Avons-nous obtenu les résultats escomptés ?
et normalisation Était-ce vraiment une bonne idée, ou juste une idée ?
Si c’était une bonne idée, que devons-nous encore
changer dans l’entreprise pour que cette méthode
de travail devienne pérenne ?

Au cours d’un gemba walk, nous avons fini par discuter du pro-
blème de la vitesse de chargement, et l’équipe en charge du site web
a estimé qu’elle pouvait se lancer dans un kaizen en six points : cela
ne coûtait rien d’essayer. Sa première découverte fut que personne ne
s’en occupait. Pour être exact, l’équipe chargée de l’optimisation des
moteurs de recherche (SEO) demandait de la vitesse, mais au-delà de
cela, tant que les fonctionnalités tournaient, tout le monde pensait que
tout allait bien. Lorsque les membres de l’équipe web eurent examiné
la question, ils s’aperçurent qu’ils ne savaient pas comment améliorer
la vitesse. Ils avaient perdu le fil des avancées technologiques dans un
246 Réussir en équipes

domaine où tout va très vite, et personne dans l’équipe n’avait participé


au développement de sites web ultra-rapides.
Ils ont commencé par visualiser le problème en termes de :
• performance : visualiser quotidiennement nos performances (vitesse,
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 245 29/11/2022 15:2

mais aussi NPS comme indicateur de performance) pour vérifier


les résultats de nos actions et créer un esprit d’émulation dans
l’équipe ;
• problèmes : visualiser les problèmes en s’attardant sur chaque élé-
ment chargé sur chaque page pour les examiner un par un en
approfondissant systématiquement l’examen des blocages du client.
Cela a conduit l’équipe à se rapprocher de nos partenaires chez
Google pour construire un audit de performance web en faisant appel à
un spécialiste de la navigation sur mobile en juin 2018. Audit qui abou-
tit à une liste d’optimisations potentielles – avec des appels réguliers de
suivi et des sessions de questions-réponses avec notre équipe technique
qui couvraient les approfondissements techniques, des processus et des
conseils en matière d’outils – et à la livraison d’un audit d’usage mobile
(UX) en novembre 2018 pour nous aider à évaluer l’écart avec les per-
formances attendues.
Ces initiatives ont eu un résultat significatif : le temps de charge-
ment de la page d’accueil est passé de 10,4 à 3,7 secondes sur mobile,
les taux de conversion sur mobile ont augmenté de 22 % et le taux de
rebond a diminué de 16 % (le pourcentage de visiteurs qui quittent le
site après avoir consulté une seule page). Notre indice de vitesse s’est
amélioré, et les conversions sur mobile étaient désormais aussi nom-
breuses que sur ordinateur, ce qui a également permis de gagner jusqu’à
quatre places dans certaines recherches de référencement. Selon Google,
nous sommes désormais l’un des sites les plus rapides avec lesquels cette
société travaille. Mais ce n’est pas la question : la vitesse de chargement
des pages ne sera jamais plus un problème, et c’est le plus important.
Comment en sommes-nous arrivés là ? 247

La méthode kaizen s’est avérée être la clé pour trouver des solutions
au sein de l’équipe, tout comme le A3 au sein du comité exécutif. Mais
elle nécessitait un changement radical d’orientation. Examiner les pro-
cessus ne suffisait pas et s’assurer qu’ils fonctionnaient correctement
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 246 29/11/2022 15:2

n’était pas suffisant. Nous devions également nous concentrer sur les
problèmes types de l’entreprise et nous demander ensuite quels pro-
cessus de livraison mettre en place pour les résoudre. Commencer à
lister des problèmes types tels que la vitesse de chargement des pages était
devenu pour nous le nouveau point de connaissance.

proCessus de livrAison

problème proCessus proCessus proCessus proCessus


type A b C d
Problème 1 • •
Problème 2 •
Problème 3 • •
Problème 4 • •

À partir de là, nous avons cherché à comprendre comment les pro-


blèmes types et les processus de livraison interagissaient. Nous relevions
de nombreux problèmes de ce genre lors de nos visites sur le gemba. Par
exemple, l’accueil des clients ne cesserait jamais d’être un problème, tout
comme l’aide apportée aux clients en matière de changement d’options
(trouver la voiture correspondant le mieux à leur budget et à leur utilisa-
tion, à la place de celle qu’ils avaient d’abord en tête), ou l’établissement
du prix des voitures. En matière d’approvisionnement, un apport régu-
lier de modèles attractifs ne cesserait jamais d’être un problème type.
Cyril, notre directeur du programme lean, est actuellement chargé de
redéfinir le programme en fonction des problèmes types de l’entreprise.
Au fil du temps, notre modèle de changement d’échelle avait évo-
lué du modèle habituel (standardisation de l’offre, mise en place de
248 Réussir en équipes

processus, pression sur la conformité) à un modèle alternatif qui s’arti-


culait autour de trois compétences :
• Commencer par découvrir et formuler des problèmes types, tels que
ceux de la vitesse de chargement des pages, de la livraison rapide
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 247 29/11/2022 15:2

d’une voiture ou de l’accueil en agence. Ce sont des problèmes à fort


impact, qui seront toujours présents quelle que soit notre capacité à
les résoudre ; le risque de recul sera permanent pour des équipes qui
seront inévitablement tentées de se satisfaire de résultats moyens.
• Une fois que nous avons une idée plus claire de ces problèmes types,
la deuxième compétence consiste à développer une culture de réso-
lution de problèmes. Cela implique : 1) d’encourager un état d’esprit
de croissance, avec la conviction de la possibilité et de l’utilité de
l’apprentissage et 2) d’enseigner une méthode cohérente de réso-
lution des problèmes – ce qu’on appelle en médecine « l’apprentis-
sage par la résolution de problèmes ». En formant tout le monde
aux outils standard de résolution de problèmes, nous pouvons relier
ensemble des personnes pleines d’énergie pour résoudre des pro-
blèmes et favoriser une culture d’autonomie.
• Enfin, en tant que dirigeants, nous pouvons nous engager à donner
à nos collaborateurs des outils toujours plus puissants pour effectuer
leur travail facilement et correctement et à intégrer les résultats de
leurs améliorations kaizen dans les systèmes mêmes de l’entreprise.
À tous les niveaux de l’entreprise, nos collaborateurs avaient besoin
d’outils et de types de soutien différents. Tel était notre défi. Comment
allions-nous tenir cette promesse ?
Chapitre 11

Encourager l’initiative
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 248 29/11/2022 15:2

à tous les niveaux

Nous comprenions mieux ce que nous voulions faire : trouver un mode


de changement d’échelle lean et corriger les idées fausses de l’entreprise
sur la manière de réussir la croissance. Nous devions désormais clarifier
la méthode, afin d’établir les bases d’une croissance future plus saine.

ChAngement d’éChelle
ChAngement d’éChelle leAn
trAditionnel
Privilégier les clients qui se Développer une culture de
satisfont des offres standardisées. résolution de problèmes pour
Acquérir les meilleures pratiques répondre de manière flexible
et investir dans des processus aux clients en clarifiant les défis
rigoureux. et en visualisant les problèmes.
Obliger les clients, les Rechercher des personnes
collaborateurs et les fournisseurs à forte énergie pour s’engager
à se conformer aux processus. et s’impliquer dans la recherche et la
Attirer les personnes qui résolution de problèmes en équipe.
correspondent le mieux à ce mode Soutenir les initiatives par des outils,
de fonctionnement grâce à une qui agissent comme des enablers,
rémunération à la performance. et encourager les personnes par
la reconnaissance.
250 Réussir en équipes

Le sensei ne cessait d’insister sur la nécessité de changer de point de


vue, littéralement, et de regarder la situation du point de vue des colla-
borateurs de terrain : comprenaient-ils ce que nous essayions de faire, de
quoi avaient-ils besoin pour bien travailler et avaient-ils le sentiment de
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 249 29/11/2022 15:2

contribuer au succès de l’entreprise par leurs suggestions et leurs idées ?


Avec une meilleure pratique du cadrage, nous avons alors conclu
que l’entreprise devait fournir aux équipes de terrain :
1. Un sens clair, une raison d’ être : les collaborateurs veulent voir leur
impact individuel sur un travail qui a du sens, des objectifs et des
outils de travail clairs, avec en ligne de mire une mission globale lim-
pide (ce que nous avons à faire), une vision (ce que nous aimerions
réussir) et des défis (quels sont les obstacles auxquels nous sommes
confrontés).
2. Des conditions de travail sécurisantes et intéressantes : nous devions
créer un équilibre entre le travail routinier et les projets intéressants
au sein d’équipes ouvertes et fiables où chacun savait ce qu’il devait
faire.
3. Un environnement de travail positif : les collaborateurs ont besoin
d’un soutien fonctionnel, d’outils qui leur permettent de bien faire
leur travail, d’un parcours de développement dans l’entreprise sou-
tenu par le mentorat des managers attentionnés.
Pour trouver des solutions à l’échelle de l’organisation, nous avons
examiné la structure de l’entreprise et nous avons estimé que nous pou-
vions intervenir à quatre niveaux : les fondateurs et les dirigeants (nous),
les directeurs chargés de fonctions spécifiques, les managers opération-
nels ou intermédiaires, responsables de plusieurs équipes, et les leaders
d’équipe.
Encourager l’initiative à tous les niveaux 251

Direction

00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 250 29/11/2022 15:2


Management
de première ligne

Équipes
et chefs d’équipes

niveAu q uoi Comment o utils


Leader Sécurité Faire preuve Traiter les
d’équipe psychologique et de respect individus comme
défi professionnel des personnes
Des conversations
Gestion en tête-à-tête Aptitude
quotidienne pour clarifier à l’écoute
de l’équipe de les priorités et la courtoisie
manière ouverte
Coaching Gestion visuelle
et dans une bonne
individuel des indicateurs
ambiance
de l’équipe
Gérer l’humeur
Espace de
de l’équipe Coaching
réflexion et
aux standards
d’expérimentation Aider à résoudre
les problèmes Faire participer
quotidiens et tout le monde
les challenges aux sessions
de l’équipe de résolution
de problèmes

Activités de
kaizen en équipe
252 Réussir en équipes

niveAu q uoi Comment o utils


Manager Accompagnement Chaîne d’entraide Andon et kanban
de terrain et soutien pour
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 251 les problèmes 29/11/2022 15:2
quotidiens
Directeur Des processus Pratiquer le travail Obeya
de formation en équipe d’entreprise
et un soutien
Résoudre Présentations A3
à la progression
les problèmes
dans l’entreprise Facilitateurs et
au-delà
A3 des services
Coordination des frontières
avec les autres entre services
responsables
Encourager les
pour résoudre
initiatives créatives
les problèmes
critiques Soutien en matière
de mentorat
Soutien
aux collaborateurs Accès à
qui prennent la formation
des initiatives et aux outils
Fondateurs Fixation de la ligne Aller voir Gemba walks
et dirigeants de mire
Recherche Techniques
Garantie de de problèmes lors de visualisation
l’orientation client des gemba walks
Problèmes
Clarification Coaching pour typiques
des challenges mieux visualiser
Storytelling
les performances
Visualisation
et les problèmes
des problèmes
Donner des
Attention,
exercices
encouragement
et approbation Expliquer ce qui
des suggestions est important
et pourquoi
en illustrant par
des exemples
Encourager l’initiative à tous les niveaux 253

Il nous est apparu que, pour créer les conditions permettant à cha-
cun de travailler pour la valeur client en relevant les défis de l’entreprise,
nous devions aborder de front les problèmes et agir en concertation les
uns avec les autres pour trouver des solutions innovantes. Nous pouvions
00853-Reussir-en-equipes-INT.indd 252 29/11/2022 15:2

commencer par mettre en pratique quelques compétences au quotidien, à


chaque niveau de l’organisation, et aider nos collaborateurs à les acquérir.

Leaders d’équipe : faire preuve de respect


pour soutenir des équipes avec un état d’esprit
de croissance
Quelles conditions aident à apprendre et à découvrir des idées nou-
velles ? L’examen de tous les cas d’idées nouvelles nous a permis de
réduire la liste à deux conditions préalables :
• un problème reconnaissable et répétitif ;
• la conviction que l’apprentissage est possible et qu’il en vaut la peine.
Pour apprendre en tant qu’organisation, nous devons organiser le lieu
de travail selon des courbes d’apprentissage distinctes : une pour chaque
nouveau point de connaissance découvert. Il nous faut structurer une expé-
rience d’apprentissage et cela dépend de la capacité du leader d’équipe à :
• maintenir la gestion visuelle pour concrétiser un problème recon-
naissable et répété que les gens apprendront à mieux aborder ;
• partager la conviction que le développement personnel par l’appren-
tissage est le standard : c’est réalisable et utile pour l’entreprise, et
l’effort en vaut individuellement la peine.
Avec le recul, il semble évident que le leader d’équipe soit la clé de
l’apprentissage au jour le jour. Cette évidence est centrale quand on veut
bâtir une équipe d’équipes. La plupart du temps, les leaders d’équipe
étant trop nombreux pour être suivis individuellement, on en délègue le
management aux RH et aux managers intermédiaires. Pourtant, équipe
après équipe, les visites de terrain montrent l’impact du leader sur
254 Réussir en équipes

la capacité de l’équipe à développer ou non une culture de croissance ; et


cet impact est bien plus important que toute tentative venue d’en haut.
Les collaborateurs attendent trois choses d’un leader d’équipe :
1) le sentiment d’appartenir à une bonne équipe, à la fois digne de
confiance et compétente ; 2) l’apprentissage de compétences techniques
et un soutien personnel sur les prochaines étapes ; 3) la résolution de
problèmes occasionnels, relevant de l’entreprise ou plus personnels, en
toute équité. Être un bon leader d’équipe de cinq à dix personnes exige
à la fois des compétences sociales et techniques. Pour aider nos leaders
d’équipe à mieux appréhender leur travail, nous leur fournissons quatre
outils de base :
• Le management visuel et le management quotidien sont les clés de
conversations individuelles régulières sur les priorités. La technique
de gestion d’équipe la plus efficace est probablement le tête-à-tête
hebdomadaire avec chacun pour discuter des priorités en fonction
du contexte. « Quelles sont vos priorités ? Comment puis-je vous
soutenir ? » Discuter tout simplement de la situation individuelle
de chacun, des obstacles qu’il entrevoit et de la manière dont il
compte les surmonter constitue le socle fondateur du leadership
d’équipe. En cela, le management visuel sur le lieu de travail est très
utile, car il donne un contexte aux priorités. L’outil le plus simple
est le tableau blanc détaillant les succès de la journée. Un outil plus
sophistiqué est le kanban, pour séquencer le travail. Dans tous les
cas, des mesures de performance claires et des processus visuels
encadrent les conversations et facilitent la discussion. Quoi qu’il en
soit, outil ou pas, la compétence clé ici est d’écouter et de demander
« pourquoi ? ». Les gens ont besoin de sentir qu’ils sont considérés
en tant qu’individus et il est absolument indispensable qu’ils aient
leur mot à dire sur leurs priorités.
• Les dojos créent un temps et un lieu spécifiques pour examiner le
détail du travail et les standards existants. Un dojo est une pièce
Encourager l’initiative à tous les niveaux 255

ou une salle dans laquelle on pratique les arts martiaux. En lean,


le dojo désigne une formation individualisée où le leader d’équipe
passe vingt minutes avec les membres de l’équipe pour voir com-
ment chacun gère les situations de routine et pour les coacher. Les
standards, qui sont des séquences documentées d’étapes clarifiant
les points de connaissance, sont un outil utile pour aider le leader
d’équipe dans son coaching. Nous leur recommandons de consa-
crer vingt minutes par jour à un coaching individualisé afin d’aider
les collaborateurs à maîtriser les bases du travail et à rechercher des
connaissances plus pointues sur les situations problématiques. L’une
des principales conclusions de nos premiers gemba walks était que
nos systèmes étaient souvent si complexes que les collaborateurs ne
savaient tout simplement pas comment les utiliser et les contour-
naient. Avec les dojos, nous pouvons clarifier les points de connais-
sance et choisir des domaines spécifiques à améliorer.
• Les tableaux de résolution de problèmes donnent à visualiser un pro-
cessus standard de résolution de problèmes et favorisent la partici-
pation. Sur le tableau de résolution de problèmes, le leader d’équipe
ou un collaborateur présente à l’équipe un problème résolu. C’est le
point de départ d’une conversation dans laquelle le leader d’équipe
doit apprendre à inclure tout le monde : chacun a son mot à dire.
L’objectif est de développer le sentiment d’appartenance et de sécu-
rité de l’équipe : chacun s’attend à pouvoir partager son opinion,
et personne ne se moquera de lui ou ne le rabaissera. Les bons lea-
ders d’équipe ont le don de soutenir des conversations énergiques,
rapides et inclusives qui rassemblent l’équipe et renforcent sa
conviction qu’en abordant une chose après l’autre, la plupart des
problèmes peuvent être résolus : c’est la porte d’entrée d’une culture
de croissance. Tous les membres de l’équipe doivent sentir qu’ils
sont sur le même bateau, que chacun y met du sien et que le temps
d’apprentissage mène au succès.
256 Réussir en équipes

• Les tableaux kaizen en six points décrivent pas à pas l’effort d’amélio-
ration et clarifient la logique de l’élaboration des améliorations (par
opposition à la recherche rapide de solutions). Il ne suffit pas de faire
un bon travail de routine et de résoudre les problèmes quotidiens
pour que les équipes restent intéressées par leur travail et concen-
trées sur la performance. Il faut également leur fournir un espace
de réflexion où toutes les réponses ne sont pas encore connues et où
il ne s’agit pas d’appliquer telle ou telle meilleure pratique, mais de
découvrir par soi-même de meilleures façons de travailler. Le leader
d’équipe peut être aidé par les spécialistes du kaizen office, mais la
compétence clé consiste à donner des indices et des pistes pour que
le groupe continue à avancer, sans donner de réponses. Les membres
de l’équipe doivent réfléchir, réfléchir et encore réfléchir.
Pour une équipe opérationnelle, le kaizen repose autant sur la moti-
vation que sur l’analyse. Ces « espaces de réflexion » sont essentiels pour
créer des lieux sécurisants où l’opinion de chacun est valorisée et prise
en compte. Si le leader d’équipe utilise le tableau de résolution de pro-
blèmes ou le tableau de kaizen en six points pour penser à haute voix et
se contente de dire à l’équipe ce qu’il veut, sur un mode de comman-
dement et de contrôle, le bénéfice attendu de ces outils est purement et
simplement perdu. Les tableaux sont conçus pour créer un espace de
participation volontaire. Il faut former le leader d’équipe à utiliser cet
espace de cette manière, à y inviter chacun et à encourager la participa-
tion, ce qui n’est souvent pas un défi facile à relever.

Managers de terrain et managers intermédiaires :


la chaîne d’aide
Dans une structure de commandement et contrôle traditionnelle, le rôle
du management consiste principalement à assurer la conformité, établir
des rapports et gérer les questions de personnel. Garantir la conformité
Encourager l’initiative à tous les niveaux 257

est compliqué, car les managers intermédiaires doivent à la fois faire en


sorte que les gens suivent les procédures et processus de l’entreprise et
mettre en œuvre les changements imposés par la direction, les deux ins-
tructions étant souvent contradictoires. On lit aujourd’hui partout que
manager c’est motiver les équipes pour atteindre des objectifs ; certes,
mais quels objectifs ? Qu’en est-il des décisions à prendre ? Des chan-
gements arbitraires ? Etc. Les managers doivent aussi assurer le suivi
des rapports qui alimentent les demandes d’information des chefs de
service. Enfin, les managers doivent également faire face à toutes les
crises individuelles qui surviennent dans le cadre du travail. Comme
nous l’avons vu, l’insatisfaction des individus a tendance à se cristalliser
sur des problèmes inattendus, qu’ils vont ensuite négocier avec… leur
manager. Les managers intermédiaires traitent les problèmes indivi-
duels les uns après les autres, sans jamais savoir à quel endroit démarrera
le prochain incendie, phénomène qu’ils peuvent choisir de traiter soit de
manière autoritaire soit par la résolution de problèmes.
L’approche gemba du lean met en question les rôles établis des mana-
gers intermédiaires. Désormais, le CEO et les principaux dirigeants se
rendent sur le lieu de travail plutôt que de s’en remettre uniquement aux
rapports. Ils parlent directement aux leaders d’équipe et aux membres
de l’équipe des conditions sur le terrain, ce qui risque de mettre le
manager intermédiaire en porte-à-faux. De plus, il leur est demandé
d’adapter les processus afin d’intégrer les résultats des activités kaizen.
Cela signifie qu’il faut gérer le changement depuis la base plutôt que
depuis le sommet. Enfin, en lean, ils sont aussi censés s’intéresser à
la progression des collaborateurs dans l’organisation, plutôt que de les
convaincre de rester éternellement au même poste.
Le succès ou l’échec de la transformation de la chaîne de comman-
dement en chaîne d’aide se joue au niveau du management intermé-
diaire, et nous devons prendre conscience de l’ampleur du changement
d’orientation que cela représente.
258 Réussir en équipes

Les principaux outils lean des managers intermédiaires sont l’andon,


les standards visuels et la motivation de l’équipe.
Le plus puissant d’entre eux est l’andon, ce signal visuel déclenché
par l’opérateur pour signaler que quelque chose ne va pas. Un leader
d’équipe intervient et l’aide à déterminer quel est le problème et s’il peut
être résolu immédiatement, en indiquant le bon standard. Si la résolu-
tion n’est pas immédiate, les leaders d’équipe avertissent le responsable
direct et, avec le membre de l’équipe, ils examinent le problème plus en
détail. L’andon est la clé pour transformer la chaîne de commandement
en une chaîne d’aide. Nous avons constaté qu’il était difficile à mettre
en place en pratique. Ci-dessous, un signal andon au service clientèle,
dans le cas où un appel devient complexe.

Signal andon (lumière) pour notre personnel du service clientèle


Encourager l’initiative à tous les niveaux 259

L’andon consiste à distinguer le familier et le prévisible de l’imprévi-


sible. Il ne s’agit pas de prendre le relais du membre de l’équipe, qui reste
responsable de son travail, mais de ne pas laisser quiconque seul à faire
face à un problème. Le management est censé aider, et non entraver.
L’aide intervient sous la forme de standards, le deuxième outil clé du
management de terrain. Les standards ne sont pas des procédures, mais
des séquences de points de connaissance à maîtriser pour accomplir une
tâche correctement. Le but des standards est de mettre en évidence les
points de connaissance (il faut maîtriser ceci, car il y a une difficulté)
afin que les collaborateurs les reconnaissent et les apprennent. Ils sont
censés maîtriser les points de connaissance sur les décisions prévisibles.
Les managers quant à eux doivent connaître les points de connaissance
sur la façon de gérer les situations moins prévisibles. De ce fait, un
manager ne doit pas nécessairement tout savoir faire aussi bien qu’un
opérateur, mais il ou elle doit savoir quoi savoir-faire.
Idéalement, les standards les plus prévisibles devraient être intégrés
visuellement à l’environnement de travail, afin que le normal se dis-
tingue facilement de l’anormal. Dans une culture lean, le maintien de
cet environnement visuel et la détection des anomalies sont les tâches
principales des managers intermédiaires.
Au niveau du management intermédiaire, le maintien de la motiva-
tion de l’équipe est le troisième aspect fondamental du lean. La moti-
vation de l’équipe est l’ingrédient secret des processus performants et
de l’intention partagée de maintenir les standards pour investir chacun
dans la qualité de son travail par opposition à la « standardisation »
productiviste qui transforme le manager en surveillant, et garantit
l’obéissance aux procédures sans réflexion. Les rituels lean tels que les
5S et les regroupements quotidiens sont destinés à renforcer la moti-
vation, mais mal interprétés, ils peuvent tout aussi bien être un fac-
teur de démotivation. En tant que dirigeants, il est essentiel de faire
comprendre à nos managers de terrain que la motivation de l’équipe
260 Réussir en équipes

découle en priorité de la valorisation des personnes (merci d’être là) et


de leur approbation (merci de faire un bon travail), en plus d’un espace
de travail sécurisant et propre. L’approbation est facile lorsque tout va
bien, mais malheureusement, c’est rarement le cas. La désapprobation
est facile en cas de problème, il suffit de blâmer la personne qui a le
problème pour les difficultés créées. Pour construire un bon espace de
travail, il faut s’entraîner sans relâche à remercier et approuver les col-
laborateurs lorsqu’ils soulèvent une difficulté, lorsqu’ils apportent une
mauvaise nouvelle.
Les initiatives kaizen sont d’excellents vecteurs d’approbation : le
manager peut reconnaître les efforts de l’équipe, que le kaizen ait fina-
lement réussi ou non. Un tournant dans la pensée lean est le pivot de :
Job = Travail
à:
Job = Travail (avec standards) + Kaizen
Les managers intermédiaires qui pratiquent le lean voient la contri-
bution de chacun à la qualité comme un engagement à maîtriser les
standards dans leur travail quotidien ; ce n’est que grâce aux standards
qu’une qualité élevée peut être garantie. Ensuite, les managers encou-
ragent les équipes à avoir des idées et proposer des initiatives pour amé-
liorer les standards dans des situations inhabituelles ou pour tenter
d’éliminer un gaspillage évident. L’implication dans le kaizen en équipe
requiert pour les managers d’examiner en permanence les processus
de travail, de trouver des opportunités d’amélioration, de les tester, de
les faire approuver, puis de modifier les procédures sous-jacentes afin
d’améliorer la façon dont nous travaillons collectivement.
Ainsi, avec les voitures d’occasion, nous sommes fréquemment
confrontés au problème du vandalisme des voitures à la clé : des portes
ou des capots avec des traces de rayures. Pour tenter d’éliminer les
Encourager l’initiative à tous les niveaux 261

rayures, les membres de notre équipe suivaient la procédure recomman-


dée par le fournisseur de liquide anti-rayures :
1. Ponçage pour enlever le vernis : faire disparaître autant que pos-
sible la rayure sans toucher la base, le creux formé lors de la rayure
est réduit au maximum ; le ponçage doit être progressif, avec trois
grains différents.
2. Polissage avec différents produits :
a) premier polissage avec le bidon vert, qui contient des microbilles,
pour effacer les traces de ponçage ;
b) deuxième polissage avec la bombe jaune pour la brillance ;
c) troisième polissage avec la bombe bleue pour enlever le halo de
démarcation.
Notre polisseur le plus expérimenté, Benjamin, a réfléchi à la façon
dont le produit de polissage affectait le vernis de la porte de voiture. Il a
commencé à polir intensément avec le produit pour remplir le creux de
microbilles avant de poncer :
1. Polissage intensif avec le bidon vert pour remplir la rayure avec les
microbilles.
2. Le creux comblé, passage à l’étape du ponçage pour égaliser le niveau
(on garde les trois grains, mais on fait un ponçage plus léger).
3. Polissage :
a) bombe verte (efface les traces de ponçage) ;
b) bombe jaune pour la brillance ;
c) bombe bleue pour supprimer le halo.
Benjamin est devenu capable de faire disparaître les rayures plus
profondes, en comblant d’abord le creux, ce qui nous évitait de devoir
commander une nouvelle pièce ou de montrer la rayure pour que les
clients sachent ce qu’ils achetaient. L’idée issue du kaizen a conduit à
un nouveau standard, et ainsi de suite. Une amélioration aussi « petite »
peut sembler insignifiante, mais Benjamin a réduit le temps nécessaire
262 Réussir en équipes

pour corriger les rayures de deux à trois heures à près de vingt minutes.
Si l’on considère qu’environ 50 % des voitures qui passent par la car-
rosserie présentent des rayures, l’impact sur le rendement est net. Plus
important encore, l’idée véritablement novatrice de Benjamin s’est
ensuite étendue à son équipe et à toutes les autres.

Nicolas essaie la nouvelle méthode de polissage de Benjamin

La révélation était double. D’abord, nous ne voyions plus l’entreprise


comme une somme d’instructions à appliquer par les collaborateurs,
mais comme une accumulation d’idées créatives qui se soutiennent
mutuellement comme un cairn en montagne. Ensuite, nous avons pris
conscience que les managers terrain et les managers intermédiaires sont
la clé de l’amélioration. Benjamin n’aurait jamais donné suite à son idée
sans l’intérêt et le soutien de Fred, le responsable de la production, et
Encourager l’initiative à tous les niveaux 263

de Rémi, le responsable de l’usine. Les managers intermédiaires doivent


comprendre à quel point leur soutien aux collaborateurs affecte pro-
fondément les pratiques de l’entreprise, quand ils encouragent cette
attitude de kaizen-first (faire du kaizen tout de suite pour améliorer le
travail quotidien, plutôt que d’attendre que tout le travail soit terminé
pour se pencher sur le kaizen). Cela signifie qu’il faut, jour après jour,
travailler à maintenir une attitude qui consiste à parler des problèmes
d’abord. Attitude qu’il faut enraciner pour que les personnes signalent
les gaspillages et se sentent soutenues lorsqu’elles essayent de nouvelles
façons de les éliminer.

Directeurs : pratiquer le travail en équipe


pour créer une organisation facilitante
Les directeurs de fonction et les chefs de service jouent un rôle crucial
dans la recherche de solutions. Ils peuvent soit permettre aux collabo-
rateurs de suivre leurs intuitions – en leur laissant du temps et en leur
procurant des outils et des encouragements –, soit étouffer leurs initia-
tives. Dans l’histoire de Google AdWords, si l’ingénieur qui avait résolu
le problème avait eu un chef lui rappelant constamment que le travail
s’empilait sur son bureau et désapprouvant toute action qui ne soit pas
directement liée aux objectifs du service, l’histoire ne se serait jamais
produite. « Ces annonces sont nulles » serait restée une note irritée du
patron sur un panneau d’affichage.
Chaque fonction a sa propre culture et le chef de service est généra-
lement motivé par les objectifs opérationnels. Il considère naturellement
que tout le travail réalisé dans son service doit servir à atteindre les
objectifs qu’il s’est engagé à atteindre. L’entreprise est considérée comme
une ressource à exploiter. C’est logique, mais le revers de la médaille de
cette vision « extractive » est de vouloir atteindre les objectifs de la fonc-
tion, indépendamment de tout autre résultat et souvent au détriment
264 Réussir en équipes

des autres services. Un directeur fonctionnel peut ainsi apprendre que


sa réussite personnelle passe par sa capacité à faire réaliser à l’entreprise
(budgéter, prioriser) les projets qui servent sa fonction, indépendamment
de l’impact global sur le business.
Les chefs de service ont un rôle essentiel à jouer en opérant un reca-
drage, tout d’abord, sur qui sont leurs clients. Il est aisé de constater
que le directeur financier considère que ses « clients » sont les auditeurs
externes et les actionnaires (qui lui demandent des comptes). Or nous
comptons sur lui pour voir que ses utilisateurs sont en fait nos leaders
d’équipe, qui ont besoin d’avoir une idée claire de la santé de l’entre-
prise pour développer leur propre jugement sur les questions financières.
Clarifier qui sont les clients directs, qui utilise leur service au quotidien,
fait une grande différence dans la façon dont les équipes envisagent leur
travail.
Afin de coconstruire les solutions, ils peuvent envisager une deuxième
mesure : pratiquer activement les A3 et les partager. Clarifier les objec-
tifs et apprendre à les formuler de manière plus convaincante aide les
collègues des autres fonctions à comprendre les problèmes clés, même
s’ils ne saisissent pas entièrement les aspects techniques des mesures
rectificatives, et conforte l’appartenance et l’unité dans l’entreprise.
Formuler les problèmes facilite leur transmission entre services et ren-
force le sentiment de participer au destin collectif de la société. En rédi-
geant un premier A3 sur la manière dont les clients étaient facturés à
tort par le partenaire financier, le responsable de notre réseau commer-
cial a amené celui du marketing à réfléchir, travailler sur le projet et
trouver une solution. Les symptômes des problèmes apparaissent le plus
souvent très loin de leur point de cause. Le partage des A3 est essentiel
pour remonter à la cause racine des problèmes et à leur origine dans
l’organisation. La compétence d’un dirigeant se voit d’ailleurs à sa capa-
cité à reconnaître les « problèmes en bourgeon », voire les problèmes en
train de se former, avant que la grenade ait explosé.
Encourager l’initiative à tous les niveaux 265

Les A3 sont également un bon outil pour clarifier les priorités du


service. Le chef de service peut rédiger un A3 annuel, revu ensuite en
milieu d’année, exprimant les défis à relever, les résultats de l’année pré-
cédente, les problèmes à résoudre pendant l’année en cours et les leçons
tirées du processus. Voici, par exemple, le plan du directeur commercial
pour son secteur.

Plan annuel du service commercial

Ces A3 sont partagés au sein du service selon un processus de


catchball25 (va et vient entre les niveaux hiérarchiques pour se passer la
balle et se mettre d’accord sur des objectifs partagés) afin de créer un
consensus. Ils sont ensuite partagés par les chefs de service pour forger
un sens commun entre les services.

25 Le catchball consiste à faire passer des idées et des informations d’une personne ou d’une
équipe à l’autre, un peu comme un jeu dans lequel les enfants se lancent une balle.
266 Réussir en équipes

Une troisième étape de la recherche de solutions consiste pour les


chefs de service à réduire de manière draconienne le nombre de réu-
nions interservices et de partager plutôt les collaborateurs talentueux
avec d’autres services. Les réunions interminables du management
intermédiaire, au cours desquelles tout est discuté sans que rien ne soit
décidé (principalement pour mettre les personnes sur la même longueur
d’onde), sont l’une des causes principales de la paralysie des entreprises
en croissance.
Quatrièmement, les chefs de service doivent soutenir activement les
collaborateurs à s’intéresser au kaizen et à l’encourager dans les équipes.
Le kaizen nécessite du temps, de l’espace pour réfléchir et – surtout
pour la quatrième étape (plan d’essai) et la sixième étape (standardisa-
tion) – un ajustement avec les processus existants pour que la solution
soit viable. Une idée kaizen est comme une graine qui a besoin d’être
protégée et arrosée avec soin pour devenir une solution à part entière.
Les chefs de service sont les jardiniers. Ils peuvent laisser les idées kaizen
se faner ou les aider à fleurir.

Fondateurs et dirigeants :
aller voir pour découvrir les problèmes
et visualiser la ligne de mire
Comme nous l’avons vu tout au long de ce livre, la présence du CEO
est bien plus indispensable sur le terrain que dans la salle du conseil.
Certes, il existe des décisions critiques que seul le CEO peut prendre,
comme l’acquisition d’une entreprise, le lancement d’un nouveau sec-
teur d’activité, l’investissement dans une nouvelle technologie coûteuse
ou le recrutement d’un dirigeant. Mais la réalité quotidienne d’un
conseil d’administration est souvent une suite de rapports sans intérêt
et l’arbitrage de conflits internes sur lesquels nous avons, à vrai dire, peu
d’influence réelle.
Encourager l’initiative à tous les niveaux 267

Sur le terrain, au contraire, les CEO peuvent avoir un impact unique


qui ne nécessite pas d’être présents longtemps ou souvent. Ils peuvent
contribuer à une culture de croissance : en renforçant l’observation et
la réflexion ; en donnant une vision positive de l’avenir ; en montrant
quels sont les défis que l’entreprise doit encore relever pour satisfaire
pleinement les clients ; en renforçant le sentiment d’appartenance par
leur intérêt et leur appréciation des compétences des collaborateurs ; en
s’intéressant aux détails, sans intention d’intervenir mais pour découvrir
la réalité du travail à sa source ; et, enfin, en encourageant les équipes à
créer un espace qui permette de réfléchir à leur travail.
Le premier outil du leader est le plan de visites sur le gemba : l’équipe
sait que le CEO va venir et rendra visite à plusieurs équipes chaque
semaine. Un plan clair permet à chacun de savoir ce qui se passe et
quand il est censé avoir un kaizen à montrer. Dans les gemba walks, le
CEO se concentre sur la visualisation des performances et des processus
pour révéler les problèmes. Il est dans une position unique pour ensei-
gner la visualisation, car il comprend comme personne d’autre la néces-
sité d’une ligne de mire – d’une orientation – pour que chaque équipe
puisse faire réussir l’entreprise, au-delà des perspectives fonctionnelles.
Demander « Pourquoi ? » et faire preuve de curiosité et de patience
lorsque les conversations deviennent techniques est une partie essentielle
du management de terrain. Nous restons surpris du nombre de solu-
tions astucieuses nées d’une discussion pratique, souvent mal formu-
lée et mal conçue. Rester patient et concentré lorsque les conversations
deviennent très techniques a un impact extraordinaire sur l’équipe car
cela l’encourage à aller au fond des problèmes et à chercher des mesures
rectificatives intelligentes.
Les visites sur le gemba doivent conduire à identifier et promou-
voir les leaders à l’esprit de croissance. L’un des préjugés classiques des
grandes entreprises est de penser qu’elles n’ont pas assez de talents en
interne. Elles se tournent alors vers les chasseurs de têtes pour trouver
268 Réussir en équipes

des professionnels expérimentés afin de pourvoir les postes. Comme


nous l’avons appris à nos dépens, cela signifie souvent de faire appel à
des professionnels à l’esprit fixe dont la principale priorité est leur cur-
riculum vitae pour préparer, quatre ans plus tard, leur emploi suivant.
En passant du temps sur le gemba, le CEO apprend à reconnaître le
talent de résolution de problèmes chez les personnes moins visibles et à
promouvoir les leaders qui, d’une manière ou d’une autre, combinent
curiosité pour le travail et aisance à faire se rencontrer les équipes.

Coconstruire des solutions à tous les niveaux


Une solution naît lorsque quelqu’un reformule un vieux problème et
trouve un nouvel angle d’attaque. Les solutions n’existent pas dans les
mentalités qui ont créé le problème, elles n’apparaissent que lorsque
quelqu’un le recadre, le voit différemment et cherche la solution ailleurs.
Cependant, même si cette solution est écrite sur un tableau ou dans un
rapport, la nouvelle idée n’a pas de réalité. Elle existe seulement dans la
tête de celui qui l’a trouvée et dans son intention de la concrétiser.
Dans les organisations actuelles, peu d’idées peuvent être entière-
ment réalisées par une seule personne. Pour transformer l’idée en solu-
tion, l’étape suivante est de trouver les alliés qui facilitent la construction
d’un prototype afin de voir si l’idée fonctionne. De la tête d’une per-
sonne, l’idée s’est désormais transplantée dans celle de quelques autres
et ce sont ces personnes qui la concrétiseront, ce qui pourra persuader
encore plus de monde.
Kodak a inventé la photographie numérique, mais de peur de mettre
en danger le succès de son produit phare (les pellicules), les respon-
sables de la société ont choisi de ne pas donner suite à l’invention. Nous
sommes tous semblables à Kodak. Une fois qu’une idée est née, elle doit
se frayer un chemin à travers des strates et des strates de managers pour
prospérer et, enfin, émerger. Le mythe managérial est que quelqu’un
Encourager l’initiative à tous les niveaux 269

résout le problème, d’autres exécutent la solution en créant le processus


qui la généralise à l’échelle de l’entreprise, et ainsi de suite. Ce n’est tout
simplement pas vrai. Les idées naissent d’intuitions, puis évoluent au fil
des conversations – ou des bouts de code – jusqu’à ce qu’un prototype
exploitable soit là. Les solutions sont coconstruites par et avec des indivi-
dus et non définies par un processus préétabli. La créativité est ce qu’elle
est : elle a besoin d’espace pour s’épanouir.
La plupart des solutions, nées de nos efforts pour créer une culture
de croissance, relèvent d’une telle séquence d’événements, à la fois
incontrôlés et incontrôlables. Quelqu’un découvre un problème. Un
dirigeant prend conscience du problème ou admet son existence (« Ces
annonces sont nulles »). Quelqu’un d’autre y réfléchit et reformule le
problème, puis la personne s’entoure d’alliés afin de trouver une solu-
tion. Les dirigeants négligents tuent la solution.
La dure réalité à laquelle nous avons dû faire face était que notre
croissance était limitée par notre structure de commandement, qui avait
inhibé en tout point la créativité et l’initiative de nos collaborateurs.
Nous avons compris que nous devions cesser de contrôler chaque cause
et, au contraire, essayer de créer des conditions propices à l’inventivité,
à tous les niveaux de l’entreprise.
Les nouveaux points de connaissance que nous devions mainte-
nant déterminer concernaient la façon d’inspirer les gens à recadrer les
problèmes et à trouver de nouvelles solutions. C’était le pivot de notre
nouveau modèle de changement d’échelle et, comme notre sensei l’avait
affirmé dès le début, c’était autant une question de motivation qu’une
question d’analyse réfléchie. Nous devions nous améliorer dans la créa-
tion d’espaces de réflexion et dans l’orientation, la motivation et l’impli-
cation de tous les membres de nos équipes. Pour y parvenir, nous allions
devoir regarder notre stratégie sous un angle radicalement différent.
Chapitre 12

Placer la barre plus haut

Tout autour de nous, le monde des affaires – les investisseurs en pre-


mier – semble évaluer les dirigeants sur deux dimensions : la vision et
la clarté stratégiques, d’une part ; la capacité d’exécution, d’autre part.
Nous constatons aujourd’hui que cela n’a aucun sens. Les deux sont
intimement liées : la vision et la clarté stratégiques découlent d’une
compréhension approfondie des problèmes d’exécution, et la capacité
d’exécution dépend de la réponse aux bons problèmes stratégiques.
Vision
stratégique

Capacité Vision Capacité


d’exécution stratégique d’exécution
272 Réussir en équipes

Notre point de vue a évolué vers une compréhension plus profonde


de ce qui fait le succès. Nous sommes passés de :
« Nous sommes les seuls maîtres de notre destin, nous élaborons des plans,
trouvons des personnes pour les exécuter, et nos plans sont réalisés
selon les circonstances favorables ou défavorables ».
À:
« Les événements et le contexte créent des défis, dont nous discutons
avec nos alliés pour pouvoir les relever. Nous étudions et améliorons
nos réponses à ces défis sans oublier que notre succès passe par celui
de nos alliés. »
Au fur et à mesure que nous avons clarifié la « compétence
consciente » de notre mode de direction avec le lean, nous avons éga-
lement approfondi notre compréhension de l’impact stratégique de ce
dernier, et constaté que notre parcours d’apprentissage faisait écho à
celui d’autres leaders lean.
« Fix the base, grow the business » a écrit Orry sur le tableau blanc :
« Assurer les bases, développer l’entreprise ». Orry Fiume est le direc-
teur financier, aujourd’hui retraité, de Wiremold, l’une des plus célèbres
success stories du lean, qui a largement contribué à définir le terme dans
les années 1990 (et l’un des cas présentés dans le livre fondateur Le
Système lean26 ). Art Byrne, le CEO, et son équipe de direction ont
augmenté la valeur de l’entreprise de 2 467 % en dix ans : les ventes
ont plus que quadruplé, la marge brute est passée de 38 % à 51 %, la
rotation des stocks est passée de 3 à 18 et l’EBITDA a progressé de
6,2 % à 20,8 %. Une réussite spectaculaire à tous points de vue ! Orry a
cofondé le mouvement de la comptabilité lean et écrit fréquemment sur

26 J. Womack et D. Jones, Lean Thinking, Simon & Schuster, New York, 1996.
Placer la barre plus haut 273

la stratégie lean27. Nous l’avons rencontré lors d’une conférence et nous


avons souhaité qu’il vienne nous donner son point de vue sur notre
façon d’aborder le sujet, car il est rare de rencontrer des experts du lean
ayant une perspective « business ». Orry, un homme serein, aux cheveux
blancs et à la voix tranquille, avec une lueur amusée et curieuse dans
les yeux, a engagé la discussion en nous demandant : « Que voulez-vous
faire quand vous serez grands ? » Il a ensuite écouté patiemment, puis
nous a demandé ce que nous faisions maintenant pour le devenir.
Wiremold, nous a-t-il expliqué, s’était fixé dès le début du mandat
de Byrne, patron lean de légende, l’objectif de doubler de taille tous les
trois à cinq ans, pour moitié de manière organique et pour moitié par le
biais d’acquisitions. La société a effectivement doublé de taille au cours
des quatre premières années, puis à nouveau au cours des quatre années
suivantes. Elle était sur le point de grandir encore lorsque la famille des
propriétaires décida de vendre la société. Dans la mesure où l’industrie
des produits électriques, dans laquelle la société évoluait, se développait
très lentement, Wiremold ne disposait que de trois manières de croître :
prendre des parts de marché à ses concurrents (difficile et coûteux),
développer le marché lui-même par l’introduction de nouveaux produits
ou acquérir des sociétés en adéquation stratégique, dont le portefeuille
de produits compléterait l’offre existante de Wiremold pour ses clients.
C’était un langage que nous comprenions, car nous étions en train
d’acquérir une grande entreprise pour nous étendre en Europe et,
avouons-le, nous n’avions pas eu beaucoup de succès avec notre pre-
mière tentative d’expansion internationale. Par le passé, nous avions
voulu reproduire notre expérience de start-up en Allemagne, mais cette
première expérience de croissance organique n’avait pas été couronnée
de succès. Nous avions alors changé notre fusil d’épaule et décidé de

27 M. Ballé, D. Jones, J. Chaize et O. Fiume, The Lean Strategy, McGraw Hill, New York, 2017.
274 Réussir en équipes

croître en Europe par des acquisitions. Nous avions tout d’abord acheté
une start-up en Espagne et nous étions en train d’acquérir une entre-
prise établie en Belgique.

« Assurer les bases »


La première condition d’une croissance réussie, a souligné Orry, est
que l’activité de base doit d’abord travailler de manière autonome, ce
qui signifie s’améliorer quotidiennement grâce au kaizen. Sans cela, la
gestion habituelle des incidents, nécessaire pour maintenir l’entreprise
à flot, draine toutes les énergies et les ressources, de sorte que la nou-
velle activité – qu’il s’agisse d’un produit ou d’une acquisition – est
traitée sans l’attention particulière qu’elle requiert, comme des blocs
supplémentaires dans l’organigramme, et se voit vouée à l’échec. Pour
que la base continue de progresser, il faut comprendre que les secteurs
d’activité établis occupent une niche et ne disposent que rarement de
possibilités de croissance financière illimitées. Cependant, on peut se
concentrer sur des objectifs opérationnels ambitieux.
Chez Wiremold, cela signifiait viser :
• 100 % de livraisons dans les délais ;
• 50 % de réduction annuelle des défauts ;
• une rotation des stocks de 20 % ;
• 20 % de gains de productivité annuels ;
• l’application du contrôle visuel et des 5S ;
• 20 % de participation aux bénéfices.
Placer la barre plus haut 275

Orry Fiume, directeur financier retraité de Wiremold

La deuxième condition est d’atteindre ces objectifs par le kaizen, en


formant les équipes aux outils d’analyse qui leur permettent de travail-
ler sur les problèmes types de l’activité dans laquelle l’entreprise opère.
Chez Wiremold, par exemple, le changement de série en moins de
dix minutes (single minute exchange of die, SMED) était un outil clé du
lean pour apprendre aux équipes opérationnelles à être plus flexibles et à
mieux livrer les produits tout en réduisant les stocks. Le déploiement de
la fonction qualité (quality function deployment, QFD), lui, était l’outil
clé, qui permettait à Wiremold d’accélérer l’introduction de nouveaux
produits sur ses marchés, et ainsi de suite.
276 Réussir en équipes

Dans les usines Toyota que nous avons visitées, les déplacements
effectués par les collaborateurs sont toujours un problème, car l’orga-
nisation des postes de travail est modifiée à chaque changement de
modèle ou de vitesse de ligne. Depuis quarante ans, on enseigne aux
leaders d’équipe le travail standardisé – l’analyse des mouvements dans
la cellule – afin de générer des idées de kaizen pour réduire le nombre de
pas au minimum selon le mantra « un pas, une seconde, un centime ».
Le problème de productivité, lié à l’agencement des composants le long
d’une ligne de production, ne disparaîtra jamais.
Pour assurer les bases, a suggéré Orry, nous devions comprendre les
quelques problèmes types, essentiels à la performance de notre entre-
prise, codifier les outils d’analyse pour aider les équipes, et continuer à
encourager et à soutenir les efforts de kaizen.
La troisième condition pour assurer ses bases, a-t-il continué, est
le plan de participation aux bénéfices, qui garantit que chaque colla-
borateur voie concrètement le fruit de ses efforts. Wiremold disposait
déjà d’un plan de participation élaboré par le fondateur de l’entreprise
en 1916. Il était calculé sur la base des bénéfices trimestriels et versé en
espèces à chaque collaborateur sous la forme d’un pourcentage de son
salaire normal. Orry a bien insisté : permettre à chacun de participer
financièrement au succès de l’entreprise créait un sentiment d’appar-
tenance et de destin commun qui jouait un rôle clé pour que chacun
continue à travailler sur le kaizen, même lorsque les événements com-
merciaux rendaient les choses soit trop lentes, soit trop rapides. Bien
qu’Orry ne soit pas sûr qu’il s’agisse d’une volonté plutôt que d’une
coïncidence, le montant total payé en participation aux bénéfices
chaque année était à peu près le même que celui des dividendes versés
aux actionnaires. Mais il pensait que c’était à dessein, car le fondateur
de l’entreprise croyait fermement que le capital humain et le capital
financier devaient participer également à la réussite de l’entreprise.
Placer la barre plus haut 277

Développer l’activité
Concernant la croissance externe, l’équipe de direction de Wiremold
s’était rendu compte que, avec l’essor des communications, de nom-
breux clients installaient désormais des équipements électriques, des
câblages, etc., sans avoir recours à un électricien agréé, car il ne s’agis-
sait pas d’installations à haute tension. Wiremold était pour ainsi dire
mariée au marché de l’électricité, avec ses canaux de distribution, aux-
quels ces nouveaux clients n’avaient pas facilement accès. La stratégie
consistait à se rapprocher des clients en se connectant à leur lieu d’achat.
La création d’un nouveau canal de distribution ex nihilo est coûteuse
et délicate – comme notre expérience nous l’a bien souvent enseigné –,
donc il était plus facile d’acquérir des entreprises existantes.
Le propre sensei de Byrne lui avait dit un jour qu’il avait « le flair
pour les mauvaises entreprises avec un bon potentiel ». Wiremold était
à la recherche d’entreprises sans problèmes de qualité rédhibitoires, avec
une image qui ne soit pas trop dégradée sur le marché, et surtout avec
des opérations peu performantes, car gérées selon les principes de ges-
tion traditionnelle : faire des stocks avec de longues séries de produc-
tion, pilotées par des ERP. Ils savaient qu’ils pourraient tirer profit de la
réduction des stocks et que l’acquisition serait rentabilisée en quelques
années. Par conséquent, le CEO et son équipe soignèrent les intégra-
tions, conservant autant que possible les collaborateurs expérimentés
tout en leur apprenant une autre façon de travailler.
Aucune réponse spécifique n’est vraiment transposable d’un
contexte culturel et industriel à un autre, mais la manière de chercher
les réponses l’est. Il n’existe pas une seule et unique technique pour
changer rapidement une machine d’une production à l’autre ; tout
dépend de la machine. Mais le SMED en tant que méthode peut vous
aider à découvrir comment vous y prendre dans tous les cas. Lorsque
Byrne achetait une entreprise, il rencontrait personnellement chacun
278 Réussir en équipes

des collaborateurs pour les rassurer sur sa politique de « zéro licencie-


ment » et leur parler du plan de participation aux bénéfices. Il dirigeait
en personne un atelier kaizen avec l’équipe de direction de l’entreprise,
à laquelle il demandait ensuite d’apprendre à diriger son propre atelier.
Ceux qui s’y refusaient étaient libres de partir. Wiremold s’est concentré
sur l’enseignement de quelques points de connaissance précis, comme,
par exemple, la flexibilité des opérations, et a réussi au-delà de toute
attente : chacune de ses acquisitions fut un succès.
Pour que le développement d’un nouveau produit ait un sens, nous
dit Orry, il faut qu’il réponde à un besoin réel du client et propose
immédiatement une meilleure solution. Les développements réalisés
pour des besoins futurs trouvent rarement un marché. Par exemple,
nous avions proposé une meilleure façon d’acheter des voitures, mais
nous n’avions pas suggéré de ne pas acheter de voitures ni fabriqué des
voitures volantes. Il nous raconta comment Wiremold avait trouvé
beaucoup d’opportunités en réagissant rapidement aux changements
de réglementation électrique et en offrant aux électriciens une solution
meilleure (et plus chère) plus rapidement que ses concurrents. Comme
le dit le sensei : « Vous n’apprenez rien aux clients, ce sont eux qui vous
apprennent. Ne les éduquez pas, apprenez d’eux. »
En mode « start-up », suivre le cycle « lean start-up » d’Eric Ries
(construire-mesurer-apprendre) est tout à fait naturel – car il faut
apprendre ou mourir – même si « mesurer » est souvent un casse-tête28 .
Le cycle construire-mesurer-apprendre est l’essence de la recherche de
nouveaux points de connaissance.

28 E. Ries, The Lean Startup, Crown Business, New York, 2011.


Placer la barre plus haut 279

Trouver
les problèmes Mesurer
clients

Construire Apprendre

Nouveaux
points de
connaissance

Dans une entreprise établie, l’inertie des grands projets de déve-


loppement incite à se poser d’emblée la mauvaise question : « Quels
autres clients pourrions-nous atteindre avec ce que nous savons faire
aujourd’hui ? » Pour rester fidèles à notre esprit de start-up, nous
devions continuer à résoudre les points de friction que rencontraient
réellement les clients. À partir de nos efforts lean sur le gemba, nous
avons appris à identifier les nouveaux points de connaissance qui nous
permettraient d’y parvenir.

Points de
Points de friction
Performance connaissance
pour les clients
des équipes

Une nouvelle façon de comprendre la stratégie


L’approche stratégique d’Orry consiste à développer une base de clients
fidèles en leur étant utile. Les marchés évoluent plus vite que les entre-
prises, il s’agit donc d’une stratégie dynamique pour résoudre les pro-
blèmes quotidiens des clients afin d’identifier ce qu’ils apprécient, puis
d’accélérer la mise à disposition de cette valeur et de réduire la base de
coûts par l’élimination systématique du gaspillage, tant au niveau des
280 Réussir en équipes

produits et des services déjà proposés que du développement plus rapide


de nouveaux produits. Cette démarche peut être résumée par la formule
CARE :
1. S’assurer que les demandes des Clients sont prioritaires, suivies de
celles des collaborateurs, puis celles de la finance.
2. Accélérer la livraison en réduisant les délais.
3. Réduire le coût total de base en éliminant les gaspillages.
4. Effectuer l’ ingénierie de la valeur en améliorant le système (indépen-
damment des personnes) afin que chacun puisse facilement créer
plus de valeur.
Les produits, les équipements et les systèmes sont les outils avec
lesquels nous créons de la valeur. Ces outils doivent être conçus avec
soin pour que le flux de valeur provenant des collaborateurs ne soit
pas entravé. La valeur s’améliore lorsque les clients sont satisfaits et ont
le sentiment d’en avoir pour leur argent, la qualité et la disponibilité
du service s’améliorent et les coûts globaux diminuent. Cela exige un
travail d’ingénierie considérable pour mettre au point le bon produit,
fabriqué avec les bons systèmes, les bons outils et les bonnes méthodes.
Accomplir cette tâche est possible si une « étoile du Nord » sert de guide,
c’est-à-dire : engager les équipes à résoudre les problèmes des clients
avant tout et faire surgir les problèmes en accélérant les flux.
Orry nous a fait remarquer que « le temps est la monnaie du lean ».
Examiner les délais, les réponses des clients et travailler quotidien-
nement pour obtenir des résultats plus rapides du premier coup est
une approche efficace pour simultanément définir le plan et sa mise
en œuvre. Il n’y a pas de séparation entre la stratégie et l’exécution.
Nous lui avons expliqué notre modèle de discovery versus delivery, et
nous avons convenu que nous parlions de la même chose. Au stade
de la planification, tout ce que vous avez, c’est une idée intelligente,
mais très peu d’informations solides, en particulier dans une entreprise
Placer la barre plus haut 281

innovante. Plus vous avancez dans l’exécution, plus les idées prennent
forme, et vous découvrez des choses que vous ne soupçonniez pas.
Une stratégie SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats –
« forces, faiblesses, opportunités, menaces ») est statique. Vous essayez
de tirer le meilleur parti de ce que vous avez déjà. Une stratégie CARE
consiste à apprendre à mieux résoudre les vrais problèmes des clients
aujourd’hui. Cela suppose de fournir un service de base, tout en étant
flexible sur les demandes singulières du client. À partir de là, la valeur
est mieux comprise tout en restant un peu mystérieuse, à cause des
goûts qui changent avec l’esprit du temps et la technologie. Cela nous
a permis également de mieux comprendre les processus de livraison
réels, là où les délais sont incompressibles, afin d’être plus réactifs à la
demande ponctuelle tant par l’étendue de notre gamme d’offres que
par la rapidité de la réponse. Ceci nous a ensuite permis d’impliquer
chacun, chaque jour, dans l’identification des activités inutiles (pour
les clients et pour nous-mêmes) afin de continuer à améliorer la valeur
de ce que nous faisons : rendre un meilleur service à un coût total plus
faible, et rester compétitifs tout en gagnant notre vie. C’est une stratégie
d’apprentissage.
Début 2019, nous avions réalisé que nous devions aller au-delà
de l’amélioration des délais et de la réduction des coûts totaux. Nous
devions trouver comment nous rapprocher des clients afin qu’ils nous
aident à comprendre ce qu’ils appréciaient vraiment. Il s’agissait de
trouver un compromis entre la simplicité d’une offre restreinte (ce que
fait Google avec une barre de recherche unique) et la richesse d’un gui-
chet unique offrant tout ce que les clients pourraient vouloir (comme
Amazon), compromis plus pratique pour les clients mais bien plus
difficile à gérer sur le plan opérationnel. La stratégie de Toyota peut
se résumer à : « client un jour, client toujours », et c’est la raison pour
laquelle cette société dispose de la gamme la plus large et la moins can-
nibalisée de tous les constructeurs automobiles (tous les membres de la
282 Réussir en équipes

famille sont censés trouver une voiture qui leur plaît dans la gamme, de
la Yaris à la Lexus). Dans le champ du numérique, voudriez-vous être
l’application Google, Facebook, Instagram ou Apple Pay, etc., c’est-à-
dire une application qui ne fait qu’une seule chose ? Ou voulez-vous être
le chinois WeChat, une appli polyvalente qui comprend la messagerie,
les médias sociaux et le paiement : « une application pour tout » ?
L’une ou l’autre de ces approches correspondait-elle vraiment à ce
que nous devions envisager pour notre changement d’échelle ? Notre
approche ne pouvait-elle pas être moins numérique et beaucoup plus
centrée sur les personnes ?
Chapitre 13

La performance
est une affaire
personnelle

Bon nombre des dirigeants que nous connaissons sont obsédés par la
performance. Ils surveillent les indicateurs, suivent les écarts, exigent
des plans correctifs, sont mécontents lorsque ces plans ne fonctionnent
pas comme prévu, réduisent les indemnités de déplacement et inter-
disent aux collaborateurs d’aller voir en dehors de l’entreprise comment
se font les choses ailleurs. Si les chiffres ne s’améliorent pas, ils accusent
la résistance au changement, et si leur stratégie ne porte pas ses fruits, ils
blâment les systèmes existants. Qui peut le leur reprocher ? Nous avons
été formés ainsi à gérer une entreprise.
La leçon véritablement contre-intuitive de l’apprentissage du lean sur
le gemba est la suivante : à l’inverse de ce que nous pensions auparavant,
exceller en matière de livraison ne doit pas nous obséder totalement.
Nos clients sont des personnes, et non des machines. Nos collaborateurs
sont des personnes, non des robots. Cette évidence a trois implications
majeures :
1. La partie essentielle du produit que tous les clients recherchent
(prix, livraison à temps, 100 % de qualité des produits) peut être
automatisée et bénéficiera de l’automatisation, car les machines et
284 Réussir en équipes

les logiciels répondent de manière plus cohérente à une demande


standardisée.
2. Chaque client a des exigences particulières qui font la différence
entre la satisfaction totale et le mécontentement. Nous pouvons
nous démarquer par la manière dont nous les aidons réellement à
résoudre complètement leur problème en partant de ces demandes
singulières. Nous trouvons là un avantage concurrentiel par rapport
aux autres solutions.
3. S’ils disposent des moyens nécessaires, les collaborateurs ont le bon
sens et la flexibilité intellectuelle indispensables pour bien réagir
aux situations singulières : nous les encourageons, leur apprenons
comment faire et leur fournissons les outils qui leur permettent de
le faire. Pour rester motivées, les personnes ont besoin à la fois d’une
routine stable dans leur travail et d’éléments stimulants nécessitant
de faire preuve de créativité, d’esprit d’initiative et de faire les choses
à leur façon.

La performance repose sur l’attitude


Les collaborateurs viennent au travail pleins d’énergie positive, mais si
la première chose qu’ils voient est l’air renfrogné de leur directeur ou si
leur ordinateur ne démarre pas, ils commencent à perdre cette énergie
et, à la fin de la journée, sont découragés et mécontents. À bien des
égards, les individus sont résilients. Si le système ne leur permet pas
de penser, d’explorer, d’exprimer leur créativité, ils trouveront d’autres
moyens de le faire, par exemple en « jouant » avec le système ou tout
simplement en ne se présentant pas au travail… D’une manière per-
verse, nous avons découvert que les nombreuses initiatives RH qui
visent à améliorer le bien-être peuvent être contre-productives, accueil-
lies avec cynisme et détournées pour combattre le système lui-même.
Les collaborateurs veulent s’impliquer dans leur travail seulement si
La performance est une aaire personnelle 285

l’entreprise leur propose un projet qui fait sens, leur laisse les coudées
franches et fait cesser les micro-contrariétés infinies qui sapent leur
humeur et épuisent leur énergie.
En 2012, nous avions décidé d’investir et d’utiliser Salesforce, en
suivant les meilleures pratiques du secteur : ce fut l’histoire habituelle.
Au début, cela nous a fait manifestement progresser et les équipes des
agences se sont engagées dans le changement, car elles avaient parti-
cipé à la configuration des premières applications. Puis le système est
devenu rapidement trop lourd, le management est passé à autre chose,
et nous sommes revenus à la situation initiale. Comme à chaque fois, en
essayant de changer la pratique sans changer le cadre de pensée, on finit
toujours par aboutir là d’où l’on vient.
Après les premiers gains, les collaborateurs ont trouvé le système
trop rigide et peu maniable pour traiter les situations spécifiques des
clients, ils ont souvent été perdus dans ses complexités et ont eu ten-
dance à abandonner tout espoir de le maîtriser un jour ou d’apprendre
à le faire fonctionner.
Salesforce n’est pas mauvais en soi. De manière analogue, nous réa-
lisons aujourd’hui que notre précédent CRM ne l’était pas non plus.
L’erreur était – et est toujours – de se concentrer exclusivement sur
le système plutôt que de former les collaborateurs, de leur apprendre
constamment à l’utiliser et de les encourager à trouver comment s’en
servir. Les collaborateurs étaient surpris par des situations inhabituelles,
ils interprétaient mal ce qui se passait ou l’impact qu’ils pouvaient avoir
sur le système et effectuaient la mauvaise manipulation (la bonne était
souvent contre-intuitive ou n’était pas encouragée par le management).
De plus la connectivité se dégradait quotidiennement, car les décisions
prises et les changements effectués affectaient tout le système sans que
l’impact sur les interfaces n’ait été envisagé. Lorsque cela se présente, la
seule façon de corriger la situation est de charger quelqu’un de surveiller
286 Réussir en équipes

le système avec soin tout au long de la journée et de corriger les pro-


blèmes ambigus qui surviennent en permanence.
Les systèmes numériques semblent magiques car quelques lignes
de code font des merveilles. Mais, fondamentalement, ils ont aussi des
inconvénients majeurs que nous connaissons maintenant :
• Ils sont complexes : les interactions sont partout et ne sont pas tou-
jours visibles.
• Ils sont denses : chaque système est spécialisé et très riche en fonc-
tionnalités, mais peu de personnes les comprennent ou les maî-
trisent toutes, sans parler du code sous-jacent.
• Ils sont opaques : personne ne voit la complexité de l’interaction ou la
difficulté du code. Contrairement aux systèmes analogiques, il n’y a
pas de lien intuitif entre la façon dont le système se comporte et les
causes de ce comportement.
En conséquence, les performances de l’entreprise passent facilement
après le simple maintien, déjà ardu, du statu quo. Une leçon a été diffi-
cile à accepter : il n’y a pas de solution logicielle aux problèmes de chan-
gement d’échelle. La solution, ce sont les personnes, comme le répètent
nos sensei. Lorsque les individus comprennent mieux ce qu’ils font, ils
travaillent mieux. Pour parvenir à de meilleurs logiciels, nous comptons
sur nos collaborateurs pour coconstruire ces systèmes :
• chercher à comprendre et à s’adapter à ce que le client préfère plutôt
que de suivre aveuglément le système ;
• résoudre les problèmes localement et signaler les obstacles plutôt
que contourner les difficultés obstinément ;
• suggérer des améliorations et des changements concrets et partici-
per à leur mise en œuvre plutôt que d’être insatisfaits quotidien-
nement et d’accepter l’idée reçue : « on ne peut pas lutter contre le
système ».
La performance est une aaire personnelle 287

Par exemple, nous étions persuadés qu’il fallait expédier les voitures
aux agences dès que possible, une caricature de la pensée processus. Notre
système de planification des ressources de l’entreprise (ERP) associait
une voiture et un client. Dès que le lien était établi, la logistique devait
acheminer la voiture vers le point de vente, indépendamment de la date
de livraison prévue par le client ou de l’état de la voiture. Nous pensions
les agences plus à même de traiter les demandes des clients et résoudre
les problèmes des voitures s’il le fallait. Cette idée fausse mettait les
responsables d’agence en difficulté quotidiennement. Ils risquaient sans
cesse de se retrouver complètement débordés, avec des parkings pleins,
des réparations qu’ils ne savaient pas effectuer, des clients agacés…
Nous estimions que le système fonctionnait, mais que les collabora-
teurs n’étaient pas assez astucieux pour gérer le dernier kilomètre de
la satisfaction des clients. Le système était à l’échelle, les personnes ne
l’étaient pas.
Les systèmes ont besoin d’être mis à niveau, cela ne fait aucun doute.
Mais, avant tout, ce dont nous avions besoin – comme nous l’avons
appris – était que nos collaborateurs aient la volonté de travailler avec
un nouvel outil, puis de l’adopter. Une telle volonté est un atout. Cet
atout doit accompagner tout changement structurel pour que celui-ci
porte ses fruits comme prévu. Créer cette volonté partagée est notre res-
ponsabilité de dirigeants. Affiner notre réflexion sur la confiance nous
a conduits à ramener la volonté à deux dimensions fondamentales : la
confiance de chacun dans son autonomie (« je suis sûr que vous y arri-
verez, continuez à chercher ») et sa confiance dans l’engagement de son
leader (« nous n’abandonnerons pas pour obtenir des gains plus faciles ;
nous devons vraiment résoudre ce problème »).
288 Réussir en équipes

Confiance en
sa propre autonomie

Confiance
en l’entreprise
et ses leaders

Notre changement d’attitude sur la notion de volonté a eu un impact


important. Nous avons accepté l’idée qu’une culture de croissance repo-
sait sur la conviction que : 1) l’apprentissage constitue une utilisation
valable de notre temps ; 2) l’apprentissage se fera si nous continuons à
essayer – ce qui, en soi, change complètement le processus d’apprentis-
sage. Nous avons changé et, au fur et à mesure, notre équipe de mana-
gement et les résultats de la satisfaction des collaborateurs ont suivi.

35
e-NPS

30
25
20
15
10
5
0
-5
06/17
07/17
08/17
09/17
10/17
11/17
12/17
01/18
02/18
03/18
04/18
05/18
06/18
07/18
08/18
09/18
10/18
11/18
12/18
01/19
02/19
03/19
04/19
05/19
06/19
07/19

Évolution de la satisfaction des collaborateurs

Notre score de satisfaction des collaborateurs (le e-NPS) est cal-


culé à partir de la réponse à la question suivante : « Dans quelle
mesure recommanderiez-vous AramisAuto comme une entreprise où
La performance est une aaire personnelle 289

il fait bon travailler ? » Nous calculons le pourcentage d’« ambassa-


deurs », les collaborateurs qui ont répondu 9 ou 10 ; le pourcentage de
non-ambassadeurs, qui ont répondu de 0 à 6 ; et nous soustrayons ce
second pourcentage du premier.
Notre méthode de travail a intrigué un journaliste, qui a recueilli des
commentaires auprès de nos collaborateurs. « Il n’y a pas eu d’annonce
tonitruante sur la nouvelle méthode de management, a déclaré Antoine,
un manager commercial, mais je me suis vite rendu compte d’une
chose. Lors des visites de la hiérarchie dans mon agence, on me par-
lait de moins en moins de résultats et de plus en plus de freins à lever
pour atteindre ces résultats, avec clairement une envie de comprendre
les problèmes sur le terrain. » Antoine se souvenait du temps passé où
les instructions étaient données de haut en bas sans en comprendre les
implications. « Les salariés se sont rendu compte qu’on s’intéressait à
eux et ont tout de suite adhéré. » Clémence, qui avait rejoint l’entre-
prise deux ans plus tôt, était, elle, surprise que l’on dise « bienvenue
aux problèmes » dans un esprit si différent de ce qu’elle avait connu
ailleurs. Nos collaborateurs ont évoqué avec le journaliste des exemples
qui reflétaient le niveau de détail auquel nous essayons de travailler.
L’une d’entre eux a raconté qu’elle avait commis une erreur dans un de
ses premiers projets dans l’entreprise, ce qui lui avait valu… un sourire
bienveillant de la part de Brigitte, la responsable des RH, qui lui avait
expliqué patiemment comment corriger la situation. Un autre racontait
qu’à la suite d’un problème de livraison pour certaines voitures, l’équipe
du point de vente avait découvert en analysant le problème qu’un récent
correctif logiciel avait été mal configuré et que les documents d’expédi-
tion étaient donc automatiquement mis de côté par le système : pas de
drame 29.

29 L. Zohin, « AramisAuto mise sur le comment plutôt que sur les résultats », Entreprises et Carrières,
6 mars 2019.
290 Réussir en équipes

Pour les dirigeants, il est difficile d’imaginer que la performance


globale dépend de ce niveau de détail : créer un lieu sûr pour que les
personnes puissent commettre des erreurs et apprendre, approfondir
les problèmes pour en déterminer la cause et s’améliorer. De même,
à moins d’en avoir fait l’expérience, il est difficile de comprendre que
s’intéresser à ces problèmes nous fait voir l’entreprise différemment et
puisse déboucher sur une vision stratégique. Contrairement à ce que
nous pensions, le lean n’est pas un meilleur système de livraison : c’est
un système d’apprentissage qui apprend à tous à trouver les points de
connaissance qui garantiront une meilleure livraison.

Le lean est un système d’apprentissage


Les enfants apprennent à partir de ce qu’on leur dit. On leur apprend à
reconnaître des concepts qui ne sont pas instantanément intuitifs. Par
exemple, la Lune dans le ciel est en réalité un petit satellite naturel sus-
pendu dans le vide de l’espace qui tourne autour de la Terre. Les adultes,
en revanche, apprennent très différemment. Leur esprit n’est plus une
ardoise vierge. Ils ont fait de nombreuses expériences et disposent de
rudiments de connaissance sur presque tous les sujets.
Pour que les adultes apprennent, il faut structurer le travail. C’est
une formation de troisième cycle : donner à chacun un problème diffi-
cile à résoudre, un cas d’étude, sur lequel travailler dans le cadre normal
de son travail. Voilà à quoi servent les A3 : ce sont des projets d’appren-
tissage personnels.
Le Toyota Production System (TPS) offre un point de départ pour
trouver les problèmes types de notre activité, ceux qui se posent à tout
moment, n’importe où et à n’importe qui : offrir un meilleur accueil
aux clients ou s’approvisionner plus efficacement en voitures populaires.
La performance est une aaire personnelle 291

Le système de production de Toyota, tel qu’il est enseigné par un sensei,


synthétise ces problèmes en cinq points à améliorer :
• améliorer la fidélité des clients en les satisfaisant pleinement grâce à
des améliorations de sécurité, qualité, coûts et délais ;
• améliorer la productivité du capital en réduisant les délais grâce aux
techniques de juste-à-temps ;
• améliorer la productivité de la main-d’œuvre en renforçant la qua-
lité à l’aide des techniques jidoka ;
• améliorer l’engagement des collaborateurs en encourageant les
contributions volontaires à la qualité et à la réduction des coûts
totaux grâce au kaizen et aux standards ;
• améliorer le travail d’équipe avec la hiérarchie et entre les fonctions
en développant une plus grande confiance mutuelle grâce aux 5S, à
la résolution de problèmes et aux facilitateurs.
Les problèmes types sont des problèmes pénibles, qui gênent :
ils n’auront jamais de solution facile. Ils créent une architecture de
l’apprentissage par les problèmes, car ils constituent une mine inépui-
sable d’opportunités d’amélioration.
Le lean est un système d’apprentissage conçu par Toyota pour
encourager le kaizen : la participation volontaire de tous les collabora-
teurs à l’amélioration de la qualité et à la réduction des coûts. Il s’agit
d’un système parce que les différents aspects sont en corrélation les uns
avec les autres et qu’il est impossible de progresser sans comprendre
les connexions et les contradictions. Le système encadre le « quoi », le
« comment » et le « pourquoi » afin que chacun puisse proposer une
idée créative pour améliorer ses processus de travail :
1. Satisfaire pleinement les clients : le but de tous nos efforts est la
satisfaction totale des clients, que nous visons en offrant à la fois
des produits et services innovants et une excellente prestation en
292 Réussir en équipes

matière de sécurité, qualité, livraison, coût, efficacité énergétique et


connectivité.

Explorer la valeur
pour la satisfaction client

2. En visualisant le juste-à-temps et la qualité intégrée : le juste-à-temps


vise à réduire les délais en se laissant « tirer » par la demande et en
visualisant les plannings afin que l’on puisse voir les problèmes et se
rapprocher du flux continu. La qualité est intégrée grâce au système
andon, qui consiste à attirer l’attention sur le moindre problème et
à transformer la ligne de management en une chaîne d’aide pour
coconstruire et résoudre des problèmes.

Explorer la valeur
pour la satisfaction client

Visualiser
Faire bon du premier
les processus et
coup et visualiser
réduire le
les problèmes par
lead-time par
l’auto-qualité
le « juste à temps »

3. Afin d’inciter les collaborateurs à proposer des idées créatives : une


charge de travail régulière (afin que leur emploi du temps ne soit pas
en dents de scie), la formation à des standards connus et la partici-
pation à des activités de kaizen en équipe favorisent la participation
et la créativité.
La performance est une aaire personnelle 293

Explorer la valeur
pour la satisfaction client

Visualiser
Faire bon du premier
les processus et
coup et visualiser
réduire le
les problèmes par
lead-time par
l’auto-qualité
le « juste à temps »

Satisfaction des employés par la participation


à l’amélioration : lissage, standards et kaizen

4. Ce qui repose sur des efforts constants pour développer la confiance


mutuelle : ce type de relation entre la direction et les collaborateurs
se concrétise en encourageant ces derniers à améliorer leur espace de
travail grâce aux 5S, en créant un espace de réflexion pour le kaizen
et en les soutenant par des enablers afin qu’ils puissent faire leur
travail sans avoir à lutter contre le système.

Explorer la valeur
pour la satisfaction client

Visualiser
Bon du premier
les process et
coup ; visualiser
réduire le délai
les problèmes avec
de mise en œuvre
la qualité intégrée
avec le ux tendu

Satisfaction des employés avec l’engagement/l’implication :


lissage, standards et kaizen

Faire grandir la conance mutuelle :


5S, résolution de problèmes, facilitateurs
294 Réussir en équipes

Comme dans toute discipline, il faut apprendre les éléments de base


(quoi, comment et pourquoi) pour maîtriser pleinement le cadre lean
à l’aide duquel examiner les processus. Nous ne pouvons pas dire que
cela a été facile, et nous avons cessé de compter les heures passées avec le
sensei à étudier chaque étape du système, toutes les interactions en jeu,
puis à comprendre le sens de nos actions sur le terrain. Nous devons
apprendre les techniques pour répondre aux questions suivantes :
1. Comment mieux comprendre la valeur et trouver des réponses ?
2. Comment intégrer la qualité dans un produit ou un service ?
3. Comment « tirer » de la valeur plutôt que de « pousser » les activités ?
4. Comment engager et impliquer les collaborateurs dans leur travail ?
5. Comment construire sur une base de confiance mutuelle ?
Ainsi, bien que nous ayons réussi à faire passer des voitures par notre
processus logistique, nous sommes toujours en train d’apprendre les sub-
tilités du kanban dans l’usine et de découvrir de nouvelles questions plus
fines qui laissent tout le monde perplexe. Mais les équipes ne reculent
pas devant les défis ; elles essaient et réfléchissent, encore et encore, et
trouvent des réponses surprenantes. C’est un processus continu, et notre
travail consiste à nous assurer qu’il ne s’arrête ni ne recule. Comme le
dit notre sensei, il ne s’agit pas seulement d’une question intellectuelle,
mais d’une question de motivation émotionnelle. Comment faire pour
que les équipes veuillent progresser ? Et continuent à le vouloir ? Une
partie de la réponse consiste à mieux comprendre le système, ce qu’il fait
et comment il est censé fonctionner afin de mieux guider les collabora-
teurs en précisant notre cible et où chercher les réponses.
Nous connaissons tous la puissance de la motivation intrinsèque
(faire quelque chose pour le plaisir ou parce qu’on y trouve une récom-
pense personnelle) comparée à la motivation extrinsèque (faire quelque
chose pour éviter une punition ou obtenir une récompense). Ces der-
nières années, la théorie empirique de la motivation a évolué et est
La performance est une aaire personnelle 295

devenue plus spécifique. La plupart des individus cherchent à satisfaire


des besoins innés touchant à :
• la compétence : contrôler son environnement pour obtenir des résul-
tats et chercher l’excellence ;
• les relations : se connecter, interagir, choyer (et être choyé par) ses
proches ;
• l’autonomie : avoir le contrôle de sa propre vie et agir en harmonie
avec sa personnalité.

Autonomie

Compétence Relations

L’objectif explicite et ultime du système lean est de motiver les colla-


borateurs à apprendre et à se développer au maximum de leurs capacités.

Un processus de réflexion différent


Lorsque nous avons créé l’entreprise, notre survie dépendait de chaque
voiture supplémentaire vendue, donc nous étions naturellement concen-
trés sur la satisfaction de chaque client. La chaîne « problème → déci-
sion → solution » était très courte, car nous travaillions directement
avec les clients, trouvions et achetions les voitures nous-mêmes et assu-
rions même parfois la livraison. Quand nous avons commencé à orga-
niser les achats et le transport, la réaction est restée très rapide. Quand
nous avons développé l’aspect digital, là encore, le test and learn, « tes-
ter et apprendre », était notre mot d’ordre. Lorsque nous lancions une
nouvelle promesse marketing ou une nouvelle campagne de publicité,
nous savions très vite si elles fonctionnaient ou non – fail fast, « échouer
296 Réussir en équipes

rapidement ». C’était amusant. C’était stressant. C’était exaltant. On


tombait dans tous les pièges et on s’amusait vraiment.
Quand nous avons commencé à embaucher d’autres personnes,
toute cette expérience nous a complètement échappé : notre appren-
tissage ne se transmettait pas. Nous leur disions ce qu’il fallait faire et
quelles étaient nos pratiques (nous avons conservé d’embarrassants dos-
siers de « standards » au bureau). Mais nous n’avons jamais réalisé que,
sans les erreurs que nous avions commises et les pièges que nous avions
déjoués avant de trouver telle ou telle façon de faire, la « meilleure pra-
tique » n’apprenait pas grand-chose à nos collaborateurs. Nous étions
souvent très frustrés par leur manque de bon sens dans la façon dont
ils interprétaient et appliquaient les standards, ce qui nous conduisait
inévitablement à un contrôle plus strict.
À l’époque, nous ne savions pas que l’apprentissage ne se fait
pas en appliquant des solutions connues (le mode d’apprentissage à
l’école), mais en commettant des erreurs et en résolvant des problèmes.
Connaître la pratique est un bon point de départ. Cependant, il y a de
grands risques que le problème auquel vous êtes confronté soit unique
et nécessite de la perspicacité et un esprit d’initiative pour obtenir un
bon résultat, pas seulement un résultat correct. Comme vous pouvez le
voir dans n’importe quel film hollywoodien, le leader héroïque est celui
qui définit la situation (« voici comment c’est »), prend une décision
(« voici ce que nous allons faire »), la mène jusqu’au bout (« il n’y a pas
le choix, il faut le faire »), puis, si les choses ne fonctionnent pas et que
des complications surviennent, fait face à ce qui se présente (avec la pos-
sibilité de pirouettes). Au cinéma, les complications rendent les choses
amusantes : voir le héros transformer un désastre en succès grâce à son
intelligence, son courage et sa chance. Mais les films disposent d’un
ingrédient magique : un scénariste. Dans la vie réelle, les complications
se multiplient et s’accumulent. Généralement, les choses vont le plus
souvent de mal en pis et ne disparaissent pas par magie.
La performance est une aaire personnelle 297

Définir

Démêler Décider

Diriger

Les exemples de leadership, dans son sens courant, sont des diri-
geants visionnaires, qui définissent les situations pour tous les autres
selon leurs termes et prennent des décisions définitives. Ces décisions
sur le papier doivent ensuite se concrétiser par leur exécution, et là elles
se heurtent à la réalité où tout résiste. Par exemple, nous pensions qu’il
était temps de changer notre ERP : tout le monde se plaignait de sa len-
teur, il prenait jusqu’à cinq secondes pour charger certaines pages, etc.
Nous avions défini le problème comme suit : « ERP = système hérité,
nous devons passer à un système de pointe ». Nous avons demandé à
un consultant de définir les spécifications du nouveau système et avons
examiné comment nous allions régler la facture (énorme) de la transi-
tion. Nous devions décider d’aller de l’avant ou non.
Nous nous sommes finalement abstenus. Mais la suite de l’histoire
était prévisible. La littérature regorge de projets d’ERP qui tournent au
désastre, tant à cause d’arrêts des opérations que d’énormes surcoûts.
Des chercheurs ont étudié 1 471 projets de ce type et ont constaté, de
manière alarmante, qu’un sur six était un « cygne noir », c’est-à-dire
un projet qui avait tourné à la catastrophe. Tel le changement de ver-
sion de Lévi-Strauss : estimé initialement à 5 millions de dollars, il s’est
298 Réussir en équipes

transformé en une perte de 200 millions de dollars lorsque la société


a dû s’intégrer aux systèmes de Walmart30 . Un sur six : un chiffre
incroyable ! On apprend aux décideurs à penser les situations en termes
de définition, de décision, de direction, d’exécution, puis à démêler les
complications et les conséquences inattendues (4D) : revirements et dis-
tribution des reproches.
Après avoir appris le TPS avec l’aide de nos sensei, nous avons réa-
lisé (eurêka !) que chacun dans l’entreprise avait besoin d’une courbe
d’apprentissage propre. En tant que dirigeants, nous devions créer les
conditions de l’apprentissage et non donner des réponses. Cela signifie
adopter un processus de pensée complètement différent qui commence
par reconnaître la réalité des faits et repérer des problèmes. Par exemple,
identifier qu’une livraison erronée a pour cause le nouveau correctif
logiciel mal configuré. Nous commençons par chercher les problèmes. En
discutant de ces problèmes avec les équipes sur le terrain, nous appre-
nons à voir les éléphants dans la pièce, et nous les confrontons en fai-
sant face à des situations que nous ne savons pas régler sur-le-champ.
Nous les formulons ensuite de sorte que chacun comprenne la nature
du problème et la perspective dans laquelle s’inscrit la solution que nous
recherchons. Nous cherchons à établir un cadre aux challenges. Nous
pouvons coconstruire une solution à partir des mesures rectificatives
ponctuelles de chacun et mettre en place une nouvelle méthode de tra-
vail au fur et à mesure que nous découvrons et partageons de nouveaux
points de connaissance. Nous entamons le cycle de réflexion par la réa-
lité et le terminons par la réalité.

30 B. Flyvberg et A. Budzier, « Why Your IT Project May Be Riskier than You Think », Harvard
Business Review, septembre 2011 – https://hbr.org/2011/09/why-your-it-project-may-be-riskier-
than-you-think
La performance est une aaire personnelle 299

Chercher

Coconstruire Confronter

Cadrer

Bien que la méthode chercher-confronter-cadrer-coconstruire (4C)


ne soit rien d’autre qu’un raisonnement scientifique empirique, elle
ne correspond pas au style et à la mentalité décisionnaire auxquels le
monde de l’entreprise semble s’attendre. En revanche, il s’agit d’une
méthode inclusive qui implique tous les collaborateurs dans la défini-
tion des problèmes et la recherche de solutions. Chaque fois que nous
découvrons un nouveau problème, nous ne pouvons nous empêcher de
nous précipiter sur une solution : l’esprit fonctionne ainsi. Le véritable
effort consiste à se taire, à demander « dites-m’en plus » et à trouver les
réponses des autres plus intéressantes que les siennes : c’est le moment
clé qui change radicalement toute conversation.
En ce qui concerne le changement de version de l’ERP, Jean-Michel,
le CTO, a commencé par identifier les problèmes. Il a examiné les cas
les plus problématiques avec les utilisateurs, en rectifiant un problème
à la fois. Il a confronté les problèmes liés au système, au lieu de repro-
cher aux utilisateurs de ne pas l’utiliser correctement. Il a cadré l’inter-
face utilisateur et a procédé à une « rétro-conception » de l’affichage :
ce qui devait être calculé pour chaque écran et ce qui y était inutile.
Après avoir compris le problème générique, il a demandé à ses équipes
300 Réussir en équipes

d’examiner chaque interface, de simplifier le processus de présentation


des écrans aux utilisateurs et de tester avec ces derniers les solutions
qu’ils préféraient. Finalement, ils ont amélioré la productivité du traite-
ment des commandes de 50 % et les performances du système de 80 %
sans changement de version. Le point essentiel, c’est que les équipes
informatiques ont appris, au cas par cas, beaucoup plus qu’elles n’en
savaient au préalable sur le fonctionnement réel du système et sur ce qui
pouvait être fait pour améliorer ses performances.

Le système est un point de départ, pas d’arrivée


Les outils lean sont un point de départ, pas une fin en soi. Lorsque
nous avons rencontré le sensei pour la première fois, il nous a demandé si
nous voulions gagner ou si nous voulions simplement rester dans le jeu.
Nous voulions gagner. Il nous a ensuite demandé si nous étions prêts
à changer, plutôt que de promouvoir des activités alibi pour ne pas le
faire. Nous lui avons répondu que nous étions prêts à changer, mais que
nous ne savions pas quoi. Il n’avait pas de réponse non plus, sinon que
nous devions le découvrir.
Quelques années plus tard, nous en savons un peu plus. Nous avons
dû apprendre à pratiquer le système lean pour changer d’attitude face
aux problèmes. Les problèmes n’invitent pas à ce que nous les résol-
vions, mais à ce que tout le monde s’en empare. Notre travail consiste à
créer les conditions d’une culture de croissance, dont la base repose sur
des individus qui résolvent les problèmes.
Posez-vous la question : combien de personnes managez-vous ?
Dirigez-vous le travail avec quelques cerveaux qui vous entourent et
une armée de bras ?
La performance est une aaire personnelle 301

Ou bien mobilisez-vous tous les cerveaux disponibles pour dévelop-


per votre entreprise, afin de la rendre durable et rentable ?

Un système lean crée les conditions nécessaires pour mobiliser tous


les cerveaux en les orientant vers ce qui a de la valeur pour le client, en
visualisant les problèmes, en faisant participer chacun à leur résolution
et, enfin, en créant des espaces sûrs pour travailler, réfléchir et créer afin
d’impliquer les équipes avec leurs managers.
L’esprit de décision cache souvent le fait que nous nous raidissons sur
des diagnostics précoces, qui sont presque toujours faux. Dans la vie,
nos idées sont le seul acquis solide et immuable, la réalité change sans
cesse et nous surprend. Ce n’est pas ce que vous ne savez pas qui vous
met en difficulté, mais ce que vous pensez être vrai et qui ne l’est pas.
302 Réussir en équipes

Pour nous, le véritable défi du changement d’échelle a été d’apprendre


à apprendre, c’est-à-dire d’amener tous les membres de l’entreprise à
apprendre, puis à apprendre collectivement pour que l’ensemble soit
performant. Pour y parvenir, nous avons cessé de penser à la place des
autres et de résoudre tous les problèmes dans notre tête, seuls dans notre
coin. Nous avons désormais appris que le véritable intérêt du kaizen
n’est pas l’amélioration immédiate d’une situation une fois le problème
détaillé. L’enjeu est d’impliquer les équipes, de mettre les collabora-
teurs en contact avec des idées pour les aider à travailler ensemble et
coconstruire des solutions intelligentes. La découverte des points de
connaissance permet de résoudre les problèmes de manière cohérente et
de passer à la question suivante.
Changez de regard : vous ne pouvez pas apprendre à la place des
autres, ils doivent suivre leur propre parcours. Il faut bien sûr les sou-
tenir et prendre des mesures déterminantes et radicales. Le secret d’un
changement d’échelle réussi est d’apprendre à faire passer l’apprentissage
à l’échelle.
Chapitre 14

Partager l’innovation

La livraison à domicile fut la pire de nos bonnes idées. En 2015, alors


que nous étions en difficulté sur tous les fronts, nous avons réagi comme
le font de nombreux CEO : nous avons imaginé une nouvelle offre,
une nouvelle fonctionnalité, en pensant qu’elle allait nous sauver. La
livraison à domicile revenait souvent dans les conversations que nous
avions avec nos amis et nos partenaires commerciaux. Notre objectif
principal était la transformation radicale de l’achat de voitures. Dans les
autres domaines du commerce électronique, tous les sites y parvenaient,
pourquoi pas nous ? Avec le recul, nous devons admettre qu’aucun de
nos clients ne l’avait demandé, à l’exception de quelques connaissances
aisées qui n’avaient pas envie de sortir du centre-ville où elles vivaient
pour se rendre dans l’une de nos agences en banlieue.
Notre désir de proposer la livraison à domicile – que nous prenions
pour un réel besoin – était également motivé par le coût élevé et les
efforts nécessaires pour ouvrir de nouvelles agences, et nous pensions
que couvrir l’ensemble du territoire prendrait une éternité. Nous vou-
lions croître plus rapidement. Sur un mode classique 4D de définition
et décision, nous avons décidé que nous devions proposer la livraison
304 Réussir en équipes

à domicile pour exploiter pleinement notre potentiel géographique. À


la réflexion, c’était la stratégie traditionnelle dans toute sa splendeur.
Parfaitement logique sur le papier, cette solution mettait en outre la
pression sur nos concurrents et donnait matière à communiquer au ser-
vice marketing. À l’époque, ne l’oubliez pas, notre croissance était prin-
cipalement soutenue par des dépenses de marketing.
Lors de sa sortie en 2011, The Lean Startup d’Eric Ries31 avait fait
grand bruit dans le monde du digital, et ses idées nous avaient enthou-
siasmés. L’un d’entre nous a d’ailleurs milité pour que le livre soit tra-
duit rapidement et a rédigé la préface de l’édition française. Afin de
réduire la prise de risque et d’apprendre grâce aux clients, Eric Ries
recommande de tester les hypothèses, qui s’appuient sur des sauts dans
l’inconnu, en construisant un produit minimum viable (MVP). Il
s’agit d’un produit fonctionnel de base qui exécute le cycle complet de
construction-mesure-apprentissage avec un minimum d’efforts et un
temps de développement rapide. Cela permet de tester le concept : vali-
der les hypothèses de valeur apportée au client et de croissance. Nous
avons fait l’exercice et nous avons jugé la preuve du concept positive.
En mars 2016, au cours d’une réunion en salle du conseil, le comité
exécutif a acté le lancement du nouveau service de livraison à domicile,
avec l’espoir qu’il contribuerait fortement à la projection de 30 % de
croissance des ventes en un an.
Comme nous travaillions à l’époque avec des consultants lean, nous
avions également vu dans ce lancement une occasion d’accélérer le déve-
loppement de nos nouveaux produits, et nous avions donné trois mois
à l’équipe projet pour lancer le service. Un vice-président a été nommé
pour suivre de près le projet. Après avoir défini et décidé, nous faisions
ce qu’il fallait pour diriger le projet.

31 E. Ries, The Lean Startup, Crown Business, New York, 2011.


Partager l’innovation 305

Nous pensions avoir appliqué les principes du lean start-up, mais


étions passés à côté de l’idée la plus importante : sortir des bureaux ou,
en termes lean, aller voir ce qui se passe réellement sur le terrain avec des
« vraies » personnes. La livraison à domicile est en fait un processus très
complexe. Elle cumulait notre processus logistique, qui était à l’époque
totalement hors de contrôle, et la logistique du client. Nous avions du
mal à livrer des voitures dans vingt-trois agences et la principale récla-
mation de nos clients était le temps que cela prenait. Avec la livraison à
domicile, d’un seul coup, nous avions ajouté des milliers de nouveaux
points de livraison potentiels. Afin de changer d’échelle, nous avions
délégué la logistique de livraison à un sous-traitant, qui n’a pas pu, tout
simplement, faire face à la situation : les délais de livraison dans nos
agences ont doublé, la faible culture de service du sous-traitant a exas-
péré les clients et leur satisfaction a rapidement chuté.
De plus, nous avons appris à nos dépens que peu de clients deman-
daient réellement une livraison à domicile. En fait, nous avons décou-
vert qu’ils aimaient prendre possession de leur voiture dans nos locaux,
un endroit sûr pour effectuer la transaction, s’occuper de la paperasse
avec quelqu’un et étaient rassérénés à l’idée que cette personne s’occupe
des inévitables problèmes. Il s’est vite su que les quelques clients qui
avaient essayé la livraison à domicile étaient très mécontents du service,
si bien que nos conseillers commerciaux ont rapidement cherché à éviter
de proposer ce service et à conseiller aux clients de récupérer leur voiture
dans un point de vente.
Nous aurions dû alors mettre fin à ce service, mais certains de nos
concurrents le proposaient désormais également. Nous l’avons laissé
évoluer tant bien que mal, alors qu’il était utilisé par moins de 10 % de
nos clients, avec un indice de satisfaction médiocre.
Autour de 2019, Juliette, la coach lean, qui avait soutenu les équipes
pour mettre en œuvre le flux tiré, était contrariée par le manque de
progrès du dernier maillon de la chaîne, que représentait la livraison
306 Réussir en équipes

à domicile. Bien que très jeune, elle avait réalisé un travail fantastique
pour faire adopter le management visuel dans les agences et les ame-
ner à travailler plus étroitement avec la logistique au siège. Elle voulait
s’essayer au management de terrain plutôt que de rester dans un rôle de
support. Calme et enjouée, dotée d’une forte personnalité, sa bienveil-
lance et sa persévérance avaient généralement raison des oppositions.
Aussi, Juliette semblait-elle être une bonne candidate pour redresser
une activité à laquelle nous croyions encore. Si elle pouvait être réalisée
correctement, la livraison à domicile apporterait sans aucun doute de la
valeur à nos clients et ferait progresser notre vision de transformation
complète de l’expérience d’achat d’une voiture.
Nous savions qu’il s’agissait d’un défi de taille à la courbe
d’apprentissage abrupte. Juliette devait apprendre à gérer une équipe
– déjà démotivée et négative – tout en s’attaquant à la logistique de la
livraison à domicile. Au final, elle n’a pas trouvé la tâche facile. Après
l’expérience très positive de la mise en place du flux tiré des voitures
dans les agences, elle fut décontenancée par le manque d’intérêt et
de coopération de l’équipe. Finalement, elle a su prendre du recul et
écouter le conseil de ses responsables : il fallait d’abord que l’équipe
fonctionne.
Comme elle l’avait appris en travaillant avec nous et le sensei sur le
flux logistique, Juliette a envisagé cet enjeu du point de vue de l’équipe.
Elle a cadré la question dans les termes suivants : « Qu’est-ce qui vous
donne envie de venir travailler le matin ? » Elle suggérait quatre raisons :
1. « C’est un endroit agréable avec une bonne ambiance de travail, et
je suis heureux de rejoindre des personnes que j’apprécie ou que je
respecte. »
2. « La mission de l’équipe est claire (et je la connais). »
3. « À la fin de la journée, je peux dire si elle a été réussie ou non. »
4. « Mon manager lève les obstacles que je ne sais pas comment gérer
et m’aide à progresser. »
Partager l’innovation 307

Après avoir défini le cadre dans lequel travaillait l’équipe, elle s’est
penchée sur le cas de chaque personne, à tour de rôle, et elle a réfléchi
à ce qu’elle devait changer dans son comportement en tant que lea-
der d’équipe pour que chacun perçoive une amélioration sur ces quatre
dimensions. Elle s’est rendu compte qu’elle avait commis par inadver-
tance de nombreux faux pas dans sa façon de traiter l’équipe en suppo-
sant que celle-ci accepterait naturellement son autorité et les solutions
qu’elle apportait grâce à son expérience antérieure dans la logistique.
Par exemple, elle était entièrement soutenue par sa hiérarchie, jusqu’au
CEO, mais n’avait pas prévu que cela rendrait l’équipe d’autant plus
mécontente. Cela faisait trop longtemps que cette équipe se sentait
abandonnée, mal gérée et démotivée, et le ressentiment s’était généra-
lisé. Juliette a finalement dû accepter que les solutions qu’elle importait
de son travail avec les agences n’étaient tout simplement pas acceptées
et, en réalité, n’étaient peut-être même pas adaptées à la situation.
Juliette est revenue à la case départ en se concentrant sur la recherche
des problèmes. En résumé, la livraison de véhicule à domicile, pour
laquelle nous facturions 50 euros, prenait quinze jours de plus que le
retrait en agence. Pour couronner le tout, la livraison elle-même se pas-
sait rarement bien : entre autres, des manuels d’utilisation manquaient,
des chauffeurs se comportaient de manière désagréable. Juliette a tra-
vaillé avec l’équipe pour trouver des éléments faciles à améliorer. Il était
possible, par exemple, d’avancer le premier rendez-vous téléphonique
de programmation de la livraison et de gagner ainsi du temps pour
organiser la logistique. Celle-ci avait également progressé, car Juliette
connaissait bien les leaders d’équipe concernés. L’équipe a commencé à
élaborer des solutions spécifiques pour la livraison à domicile. Juliette a
réussi à faire adhérer l’équipe à une routine autour des 5S et à prendre
possession de son espace de travail, ce qui a permis aux membres de
l’équipe de se rapprocher. Puis, la personne la plus négative est partie et
la dynamique interne de l’équipe a changé.
308 Réussir en équipes

Dotée d’une meilleure compréhension de la situation, Juliette a


fait face à l’éléphant dans la pièce : la relation avec notre partenaire
externe. Cette relation était devenue purement transactionnelle, déclen-
chant des mécanismes de défense, pleins d’hostilité larvée, dans les-
quels chaque camp se voyait comme une victime persécutée par l’autre.
De notre côté, nous estimions qu’ils étaient suffisamment bien payés
pour faire correctement le travail. De leur côté, ils considéraient que
personne ne comprenait – ni ne se souciait – de leurs problèmes quo-
tidiens, bien réels. En contremesure, Juliette a commencé par un pro-
gramme de visites mutuelles des gemba, avec une liste de problèmes
précis à résoudre ensemble, ainsi qu’une formation de terrain. Dans
un cas d’école de recadrage, résolution de problème après résolution
de problème, elle a réussi à transformer « prestataire = contractant » en
« prestataire = partenaire ».
Les résultats de l’équipe de Juliette parlaient d’eux-mêmes : les
livraisons avaient doublé, le respect des délais était passé de 40 % à plus
de 70 %, et le net promoter score (NPS) avait également doublé.
400
343
350 328
302
300
229 232 268 280 277
250 194 189 219 233 231
200 187 174 200
162 172 TOTAL
150
100
50
0
08/18
09/18
10/18
11/18
12/18
01/19
02/19
03/19
04/19
05/19
06/19
07/19
08/19
09/19
10/19
11/19
12/19
01/20

Évolution des livraisons mensuelles à domicile


Partager l’innovation 309

100%
90%
80% 75% 75%
73% 74% 73% 73%
70% 70%
74% 72%
66% 68% 69%
60% 66%
52%
50% 46%
40% 45% 42%
08/18
09/18
10/18
11/18
12/18
01/19
02/19
03/19
04/19
05/19
06/19
07/19
08/19
09/19
10/19
11/19
12/19
01/20
Évolution des livraisons mensuelles à temps

50% 50 47 47 125

Nombre d’enregistrements
NPS livraison@domicile

42 43
40% 39 39 100
33 101 103
76 30 90 91 88
30% 71 75
25 25 75 74 76
27 69
20% 60 25 50
51
10% 25
0% 0%
01/19
02/19
03/19
04/19
05/19
06/19
07/19
08/19
09/19
10/19
11/19
12/19
01/20

Évolution de la satisfaction des clients (NPS)

Les indicateurs de la livraison à domicile ne sont pas encore tout à


fait à la hauteur de ceux des ventes en agence, mais ils finiront par les
rejoindre. L’équipe a également élargi la gamme des services proposés
aux clients pour continuer à faciliter l’achat ; par exemple, des contrats
de maintenance, des packs spéciaux, etc. La principale leçon que Juliette
a tiré de cette expérience est la suivante : alors qu’elle pensait, assez
logiquement, qu’elle ne pourrait jamais faire aussi bien que les agences
en raison des étapes supplémentaires dans le processus, elle considère
désormais que cette idée est fausse. Point de connaissance après point
310 Réussir en équipes

de connaissance, l’équipe a appris à mieux maîtriser son flux et obtient


déjà de meilleurs résultats que nos points de vente les plus en retard.

L’innovation n’a pas de valeur tant qu’elle


ne fonctionne pas pour les clients
Une idée innovante de même qu’une nouvelle utilisation de la techno-
logie ne sont pas des innovations tant qu’elles ne sont pas transformées
en valeur concrète pour les clients. Cela crée un paradoxe intéressant.
Dans le domaine de la technologie, on le sait bien, on ne peut pas
demander aux clients ce qu’ils veulent, car ils n’en savent rien. Henry
Ford aurait dit que s’il avait demandé à ses clients ce qu’ils voulaient, ils
auraient réclamé des chevaux plus rapides. La réussite de nouveaux pro-
duits ou services découle généralement d’un recadrage plus large. Bill
Gates rêvait d’un PC sur chaque bureau. Steve Jobs voulait se débar-
rasser de la barrière de l’interface entre les humains et les ordinateurs.
Page et Brin voulaient exploiter le web pour proposer des recherches
pertinentes. Bezos voulait créer un magasin universel, et ainsi de suite.
Ces cadres sont puissants. Ils conduisent à suivre certaines idées et à
en ignorer d’autres. Notre cadrage « acheter votre voiture sur Internet »
nous a amenés à penser à la livraison à domicile, comme n’importe
quelle autre entreprise de commerce électronique.
Le « quoi » dépend du sens que nous donnons à « où » nous vou-
lons aller. Mais le « comment » dépend des clients, des collaborateurs et
des partenaires. Si nous ne développons pas ces grandes idées en résol-
vant des problèmes réels pour les clients maintenant, l’innovation peut
être très intelligente, mais elle ne sera pas adoptée : le téléphone Fire
d’Amazon ; le téléphone de Facebook ; le Newton d’Apple ; Google+,
les Google Glasses ; le Zune de Microsoft. La liste est sans fin. La
technologie est là et les gens sont à la recherche de la prochaine mine
d’or.
Partager l’innovation 311

Valeur pour
Vision technologique
les clients

Au fur et à mesure que l’entreprise se développe, chaque service


ou fonction se veut innovante. Par conséquent, il est facile de créer de
nombreux projets aux liens ténus avec la valeur pour les clients. Nous
en découvrons régulièrement dans nos présentations A3. Par exemple,
nous pensions pouvoir mieux exploiter notre CRM avec un programme
de parrainage des clients pour les encourager à nous recommander à
leurs amis et à leurs proches. En fin de compte, cela a surtout perturbé
les clients et s’est avéré très coûteux. D’un autre côté, on veut continuer
à générer des idées et à essayer des choses.
Pour réussir, l’innovation doit franchir quatre obstacles :
1. La percée technologique : une nouvelle technologie est transformée
en un service utile.
2. L’acceptation interne : le collaborateur perçoit le potentiel de l’inno-
vation, l’intègre dans ses systèmes et contribue à la transmettre aux
clients.
3. L’adoption par les clients : les clients testent et adoptent progressive-
ment la nouvelle fonctionnalité au fur et à mesure qu’ils trouvent un
moyen de l’utiliser et apprécient ce qu’elle fait pour eux.
4. L’adhésion du marché : un nombre important de clients s’attend
désormais à ce que cette nouvelle fonctionnalité devienne la norme,
et tous les concurrents doivent l’intégrer dans leur offre.
Nous avons lancé l’entreprise en collectant des adresses e-mail et
en rappelant les clients par téléphone. Nous avons percé lorsque nous
avons appris à travailler avec le search engine advertising (SEA, publicité
312 Réussir en équipes

sur les moteurs de recherche), juste au moment où la solution de Google


s’imposait sur le web, explosant du jour au lendemain. Simultanément,
nous avons dû apprendre à maîtriser l’achat de voitures (où sont les voi-
tures, et comment générer une marge au prix auquel elles sont propo-
sées ?) et la logistique (comment transporter une voiture à travers le pays
de manière rapide et efficace ?). En fait, un service est un assemblage de
fonctionnalités piloté par la technologie.
Service Fonctionnalité Technologie

Explorer Voir SEA


notre site nos publicités

Voir la voiture
Acheter
sur le site Html
une voiture
avec un prix

Appel du client CRM


et vente

Livraison au
ERP
point de vente

Notre plus grande innovation sans doute – et celle dont nous


sommes le plus fiers – est le reconditionnement industriel des voi-
tures de seconde main pour remettre des véhicules sur la route avec
un excellent niveau de qualité. Nous sommes convaincus que le déve-
loppement d’une économie circulaire fait partie des réponses concrètes
et durables à la crise environnementale que traverse notre société. La
rareté progressive des ressources va pousser tout le monde à faire rou-
ler les voitures plus longtemps, tout simplement. Nous pensons que la
revente de voitures d’occasion est la meilleure façon de se préparer à
cette pratique. Nous l’avons écrit dans les premiers chapitres, apprendre
à reconditionner des voitures efficacement est un travail sans fin en
Partager l’innovation 313

raison de l’imbrication des processus complexes qui entrent en jeu, de


la commande de pièces détachées aux métiers de la carrosserie ou de la
mécanique et à la logistique globale des flux.
Les systèmes sont de plus en plus nécessaires pour réaliser chaque
idée nouvelle. L’innovation devient une tâche de plus en plus difficile.
Comme Juliette l’a découvert, les nouvelles fonctionnalités doivent
s’intégrer aux systèmes existants de façon à être utiles aux clients. Cela
requiert de recourir à un soutien en interne. Dans son cas, il s’agissait
d’effectuer des modifications dans Salesforce pour visualiser le kanban.
La technologie évolue rapidement. À mesure qu’elle progresse, ce qui
était trop coûteux à réaliser rapidement auparavant devient abordable,
comme l’affichage des photos de voitures en haute définition sur notre
site. Au cours des deux dernières années, nous avons expérimenté les
technologies d’étude de données pour améliorer la fixation de nos prix.
Prenons le cas des voitures. Nous disposons désormais d’une
connaissance détaillée des prix des voitures et des délais de vente. Nous
pouvons connaître le prix des voitures vendues au détail chaque jour
sur le web, construire un modèle des prix du marché et identifier les
meilleurs achats dans une catégorie. Nous pouvons également suivre les
habitudes de navigation des internautes et voir à quelle fréquence une
voiture apparaît dans les recherches, de combien de clics elle fait l’objet,
combien de fois elle est regardée, etc. Les données nous permettent de
réduire considérablement l’incertitude sur le prix de vente d’une voiture
en fonction de la durée pendant laquelle nous comptons la garder sur
le site. Il y a quelques années encore, cette courbe était tout simple-
ment impossible à calculer : ni les données ni la puissance de traitement
n’étaient disponibles. Aujourd’hui, l’évolution technologique nous per-
met de mieux évaluer dès le début le prix de la voiture, puis de l’actua-
liser rapidement lorsque le contexte change.
Pour bien utiliser les technologies de data dans notre activité, il
faut, là encore, découvrir des points de connaissance spécifiques. Tout
314 Réussir en équipes

d’abord, contrairement à ce que nous pensions, le prix n’est pas la seule


variable qui compte. L’environnement concurrentiel d’une voiture don-
née sur notre site web est tout aussi important : par exemple, si une
voiture n’a pas de modèle concurrent, elle sera vendue plus cher. Nous
avons appris à ajouter notre offre aux informations sur les prix du mar-
ché pour calculer le prix à un moment donné et à l’ajuster au fur et à
mesure que les voitures arrivent et repartent sur le site.
De même, les caractéristiques inhabituelles d’une voiture, comme
des couleurs excentriques, sont loin de faire toujours baisser le prix,
comme nous le croyions. Dans certains cas, elles peuvent même aug-
menter la valeur de la voiture. Le prix d’une voiture rouge est généra-
lement inférieur à celui d’une voiture grise, car on suppose qu’elle se
vendra moins bien. Mais elle peut aussi se vendre plus cher en raison de
sa rareté, puisqu’elle n’apparaît pas aussi souvent sur le marché. Selon
les modèles de voitures, cela vaut non seulement pour la couleur, mais
également pour d’autres caractéristiques et options.
La technologie des données offre un réel potentiel pour améliorer
radicalement la façon dont nous achetons et vendons les voitures en
améliorant notre savoir-faire en matière de tarification. Selon nous, cela
nous donne un avantage concurrentiel significatif. Cependant, tout
comme pour la livraison à domicile, résoudre le problème technique
n’est que la première étape. Nous devons maintenant convaincre le reste
de l’entreprise d’adopter la fonctionnalité et de l’utiliser systématique-
ment. C’est loin d’être évident, car la nouvelle technologie ne s’adapte
pas parfaitement aux habitudes de travail actuelles des acheteurs ni au
système d’affichage des voitures de notre site.
L’un des vétérans de l’équipe de Juliette, présent depuis les débuts de
la livraison à domicile, a fait une remarque intéressante : pour réussir,
le projet a été traité comme une start-up interne, et a donc développé
ses propres procédures et systèmes. Ce n’est pas nécessairement une
mauvaise chose, mais ce que nous avons appris, c’est que le succès de
Partager l’innovation 315

la livraison à domicile dépendait de notre capacité logistique. Juliette


a réussi parce que : 1) elle avait participé à l’effort d’amélioration de
la logistique ; 2) elle savait qu’elle pouvait réussir ; 3) en profitant des
progrès de la logistique et ; 4) des relations qu’elle avait nouées dans
toute l’entreprise en participant à notre effort de « réparation » de la
logistique.

Nouvelle Nouvelle
idée idée
Nouvelle
Base idée
de connaissances :
Nouvelle savoir-quoi
idée et savoir-faire Nouvelle
idée

Nouvelle Nouvelle
idée idée

L’apprentissage dépend de l’ensemble des activités d’une entreprise.


Pour prospérer, chaque idée nouvelle nécessite le reste de nos capacités.
Comme nous l’avait dit Orry, la réussite de la croissance de l’entreprise,
que ce soit à l’aide de nouveaux produits ou d’acquisitions externes,
dépend beaucoup de l’amélioration de la base de l’activité. Afin
d’échapper à de mauvaises performances dans un « océan rouge » (où
les requins se déchirent de manière sanglante), de nombreux dirigeants
pensent qu’ils ont à faire seulement un saut dans un « océan bleu »,
dans lequel il est facile de se différencier par des prouesses techniques
et où il n’y a pas de concurrents. Nous savons maintenant que c’est
impossible. Votre capacité à transformer des projets novateurs en valeur
dépend largement de la qualité de votre travail actuel.
316 Réussir en équipes

Ce n’est pas la quantité de connaissances


qui compte, mais la qualité de l’apprentissage
L’expérience de Juliette permet de tirer une autre leçon, dont la por-
tée est plus large encore : les connaissances ne se transfèrent pas aisé-
ment – nous le constatons aujourd’hui de manière générale. Les points
de connaissance, qui constituent la base de nos performances, sont
localisés. Ils ne s’appliquent pas bien à d’autres domaines. Ce qui peut
se transférer est : 1) la conviction qu’ils existent, et par conséquent
l’état d’esprit de croissance pour chercher à les repérer ; 2) la méthode
d’apprentissage. Lorsque la leader d’équipe a cessé d’essayer d’appliquer
les connaissances qu’elle avait acquises dans les points de vente et a
commencé à reproduire plutôt sa courbe d’apprentissage – et non ses
connaissances –, la situation s’est détendue et le piège à doigts chinois s’est
desserré. Imposer des solutions connues est comme un piège à doigts,
plus on force, plus la situation se tend et plus elle devient inextricable.
Il faut apprendre à respirer, ouvrir la main, accepter de repartir toujours
du début. L’apprentissage lui-même peut se faire plus rapidement lors-
qu’on a appris à apprendre.
Partager l’innovation 317

Si nous voulons vraiment réussir, nous devons toujours nous rappe-


ler de revenir à la résolution de problèmes singuliers, un par un, pour
trouver les problèmes, découvrir la vraie difficulté et l’affronter, la for-
muler pour que les autres comprennent ce que nous essayons de faire
et ce que nous recherchons, et élaborer des solutions à partir de leurs
initiatives. Notre capacité à résoudre les problèmes et à distinguer les
véritables mesures rectificatives des solutions de contournement pro-
gresse en procédant ainsi de manière répétée. Les outils lean – tels que
les 5S, le kanban et l’andon – sont essentiels pour réaliser ces progrès,
car ils créent un environnement visuel à même de révéler les problèmes
dont chacun peut se saisir.
Rétrospectivement, certains de ces changements nous semblent
aujourd’hui évidents et ont été exposés par bien d’autres avant nous
(notamment le processus de résolution de problèmes). Mais d’autres
aspects ont dû être expérimentés par nos équipes discrètement, dans les
tranchées, avant de pouvoir être vraiment étudiés et compris (en par-
ticulier, la transmission de la façon d’apprendre plutôt que la connais-
sance que l’apprentissage crée). C’est notre capacité à accepter et à saisir
ce dernier type de changement qui nous a permis de progresser.
Chapitre 15

Ce que nous savons


maintenant

Notre premier modèle d’innovation était simple : intuition → exécu-


tion. On part de l’envie d’agir, suivie d’une bonne intuition technique
et son application dans l’entreprise jusqu’à ce que cela fonctionne…
jusqu’à un certain point. Il s’agit du modèle d’innovation classique
fondé sur le génie.

Bien qu’il corresponde au mode start-up, ce modèle devient tota-


lement inadapté à mesure que l’entreprise se développe. Les systèmes
deviennent trop bien établis, les jeux politiques sont inévitables et les
320 Réussir en équipes

clients s’attendent à la continuité des services : mettre en cause les sys-


tèmes qui existent, pour introduire de nouvelles fonctionnalités, est tout
bonnement inacceptable. La pratique du lean nous a appris à changer
radicalement notre conception de l’innovation : nous avons besoin des
idées de tout le monde, tous les jours.

Un modèle d’innovation fondé


sur les suggestions
Cette nouvelle vision de l’innovation – l’innovation par la suggestion –
prend naissance sur le gemba, c’est-à-dire sur le lieu de travail. L’une des
innovations majeures de notre site vient de la qualité des photos des voi-
tures que nous présentons aux internautes. Depuis le début, nous savions
que les photos étaient un élément important de la valeur de notre propo-
sition. Nous voyions comment nos équipes de vente utilisaient les photos
du site pour rechercher la bonne voiture pour chaque client. Un jour,
nous en parlions avec l’un des fondateurs d’un très grand site de e-com-
merce, et il nous a dit : « En ligne, on vend des photos, pas des pro-
duits. » Cette phrase lancée à la cantonade nous a profondément frappés
et nous l’avons prise comme un défi. Vendions-nous vraiment des photos
en ligne ? Ou, comme nous le supposions, nous vendions des voitures et
les photos n’étaient que la première étape dans le processus de vente ?
Ce que nous savons maintenant 321

Photo de voiture en ligne, avant

Photo de voiture en ligne, après

Lorsque nous nous sommes penchés sur la question, nous avons


réalisé que non seulement la qualité des photos sur le site était sou-
vent décevante, mais qu’il fallait en outre trois jours complets pour les
mettre en ligne. Nous nous sommes donnés pour mission d’améliorer
l’expérience en ligne du client en améliorant la qualité des photos et en
réduisant le délai de mise en ligne de trois jours à trente minutes ; cela
signifie que nous avons placé la barre très haut.
322 Réussir en équipes

Pour visualiser le problème, nous avons vidé une pièce, mis en place
un obeya spécifique et établi un objectif de qualité (photos à 360 degrés
et photos haute résolution des problèmes constatés sur les voitures) et
un objectif de processus (temps de travail sur le contenu court et délai
de mise en ligne rapide). Nous avons ensuite cartographié la chaîne de
valeur pour visualiser les étapes du processus et les problèmes liés à cha-
cune. Le site de rénovation a pris l’initiative, mais nous avons établi un
rythme bimensuel de visites et d’appréciations par les équipes du siège.
Fred, le chef de projet sur le terrain, s’est heurté à un problème
après l’autre. Il affichait la nouvelle procédure sur le mur du studio
photo, mais découvrait de nouveaux problèmes tels l’insuffisance de
l’éclairage, la saleté de la pièce, des positions de prise de vue difficiles,
des défauts difficiles à capturer et des équipements peu maniables (par
exemple, une table tournante qui nécessitait que l’opérateur garde le
doigt sur le bouton pendant que l’objet tournait très lentement).
Rétrospectivement, tout semble facile, mais sur le moment, chaque
obstacle paraît infranchissable. Le moteur de la table tournante n’était
pas assez puissant : que pouvait-on faire ? L’éclairage LED était trop
faible : que pouvait-on faire ? Le temps de téléchargement des photos
haute résolution était trop long : que pouvait-on faire ? En tant que
dirigeants, nous n’avions aucune idée de la manière de résoudre ces pro-
blèmes techniques, mais nous avons réalisé que, si nous revenions sans
cesse à la charge en soulignant que les objectifs établis au départ étaient
essentiels pour l’entreprise, les gens acquiesceraient, se creuseraient la
tête et se remettraient à chercher la solution. Nous avons fait l’expé-
rience directe de la signification de l’idéal lean : « aligner épanouisse-
ment personnel et réussite de l’entreprise ».
Les problèmes ont été résolus. Fred et Rémi, le directeur de l’usine,
se sont attaqués aux problèmes mécaniques, comme la recherche d’une
façon intelligente de mieux utiliser le rotor de la table. Les photographes
ont proposé un flux constant de bonnes idées qui ont été testées,
Ce que nous savons maintenant 323

examinées et adoptées ou améliorées. Ils ont modifié le fonctionnement


du labo, refait entièrement le câblage et changé le contrôle d’accès. Ils
ont inclus tous les équipements du studio photo dans le plan de main-
tenance de l’usine, ce qui a permis de résoudre de nombreux problèmes
de défaillance du matériel et de délais. Ils ont installé un onduleur pho-
tovoltaïque et un grand écran dans la zone de prise de vue pour voir les
résultats en direct.
Mais nous avons découvert qu’il ne suffisait pas d’aider l’équipe
dédiée à résoudre tous ces problèmes. En effet, nous avons également
rencontré un problème d’adoption, à la fois par les opérateurs, qui ont
vu au début leur charge de travail augmenter pendant que les problèmes
étaient en cours de résolution, et par les équipes du site web au siège qui
se débattaient avec les nouvelles interfaces afin de tirer parti pleinement
des nouvelles photos. En général, les personnes considéraient les pro-
blèmes initiaux d’une nouvelle tentative comme le signe d’un échec pro-
bable et affirmaient même parfois que réussir était impossible. Grâce
au processus d’apprentissage rapide, Fred progressait vite et modifiait
la norme de fonctionnement, ce qui suscitait le mécontentement des
autres personnes impliquées – des concepteurs de sites web aux fournis-
seurs, en raison de l’instabilité de notre processus. Une bonne excuse
pour faire traîner la résolution des bugs de leur côté, en attendant que
nous nous décidions. Toutes ces réactions étaient compréhensibles, et
nous devons admettre que nous nous étions comportés nous-mêmes de
la même manière face à d’autres tentatives d’innovation dans l’entre-
prise. Nous avons ainsi compris qu’il reste un obstacle de taille, même
une fois que l’innovation fonctionne, pour qu’elle atteigne les clients : la
faire adopter par le reste de l’entreprise.
Dans ce processus désordonné de progression et d’élimination
des obstacles les uns après les autres, Rémi, le directeur de l’usine, et
Guillaume, le gourou de notre site web, réalisèrent à un certain moment
que le prix des caméras Wi-Fi à 360 degrés avait fortement baissé. Ils
324 Réussir en équipes

ont réussi à nous convaincre que c’était la technologie dont nous avions
besoin pour atteindre nos objectifs de lead-time, et cela a effectivement
fonctionné. Si l’on compare les tentatives d’innovation réussies et celles
qui n’ont pas abouti, on peut constater que les échecs ont tendance à se
produire lorsqu’on recourt trop tôt à la technologie : des solutions à la
recherche d’un problème. Dans les réussites, les progrès technologiques
arrivent souvent tard, lorsque le problème de fond est bien compris.
Nous avons tendance à l’oublier aujourd’hui, mais toute l’entreprise a
d’abord été fondée sur la vente par téléphone. Les solutions Internet qui
ont fait de nous ce que nous sommes maintenant sont apparues quand
Google a résolu le problème du SEA.
Avec le recul, nous pouvons discerner un modèle spécifique d’inno-
vation dans des environnements en mutation rapide :
1. Placez la barre plus haut : de gemba walk en gemba walk, continuez
à placer la barre toujours plus haut. Comme nous le dit un jour un
dirigeant de Toyota, un taux de réussite de livraison de 99,5 % cor-
respond à 5 000 échecs par million. Ne mettez pas la pression sur les
personnes et ne soyez pas stupides, mais placez la barre plus haut et, ce
qui est tout aussi important, veillez à ne pas abaisser accidentellement
la barre pour des raisons tactiques. C’est la valeur qui séduit les clients,
continuez donc à leur en apporter. N’acceptez pas le statu quo.
2. Visualisez les processus et allez voir fréquemment : pour faire de la pre-
mière étape – relever la barre – une réalité, vous devez aller sur place
et faire en sorte que tous visualisent le processus (le moindre proces-
sus clé, partout) ; clarifier vos points de contrôle (points de contrôle
physiques par opposition aux rapports, comme nous l’avons fait
avec les places de stationnement) ; examiner les problèmes. Les gens
vous diront ce qui doit être corrigé (généralement sous la forme :
« nous devons appliquer la solution que je préfère »), ce que vous
apprendrez à ignorer pour vous plonger plus profondément dans les
tenants et aboutissants du problème.
Ce que nous savons maintenant 325

3. Expliquez sans cesse le défi : les collaborateurs sont submergés


d’instructions, d’injonctions et de demandes contradictoires, et
abandonnent facilement, surtout lorsqu’ils ne se sentent pas par-
ticulièrement sûrs d’eux. Répéter sans cesse qu’un défi spécifique
relève d’une question de vie ou de mort pour l’entreprise est essen-
tiel pour maintenir le sentiment d’urgence et d’importance sans
lequel les efforts sont tout simplement engloutis par le désordre du
travail quotidien.
4. Encouragez les suggestions : les bonnes idées arrivent rarement toutes
belles et tirées à quatre épingles. Généralement, les idées nouvelles
paraissent idiotes, inadaptées ou inapplicables. Il est essentiel de
continuer à encourager les suggestions et à soutenir les idées nou-
velles et les initiatives, car vous ne savez jamais d’où viendra la solu-
tion retenue (sinon, vous la connaîtriez déjà). En ce qui concerne
leurs suggestions, les collaborateurs sont souvent timides, c’est
parfaitement normal et prévisible. Il faut une attitude managériale
pleine de curiosité et d’intérêt ainsi que quelques encouragements
pour amener les collaborateurs à essayer les nouveautés dont nous
avons tant besoin pour innover.
5. Soutenez l’adoption par l’organisation : la prudence que requiert
l’adoption interne est une étape cruciale, qui ne nous a jamais été
enseignée dans aucun de nos cours, livres ou conférences de mana-
gement. Le management traditionnel vous assure que vous pouvez
imposer une innovation technique à vos collaborateurs : « Voici le
nouveau système, utilisez-le. » Si l’entreprise ne parvient pas à adop-
ter totalement une innovation et à adapter tous les autres systèmes
à la nouveauté, il est fort probable que celle-ci échouera également
sur le marché. En tant que start-up, nous n’avions jamais rencontré
ce problème, car nous faisions tout nous-mêmes ou avec une petite
équipe. Depuis le changement d’échelle, c’est devenu un énorme
problème sur lequel nous travaillons quotidiennement dans l’obeya.
326 Réussir en équipes

6. Méfiez-vous de la vision technique : d’expérience, la plupart des solu-


tions techniques a priori intelligentes sont tout simplement fausses.
Pour réussir, la solution doit s’adapter à un certain contexte. Parmi
toutes les options vantées par les vendeurs, cela signifie que seul un
petit nombre d’entre elles fera l’affaire. Ne forcez pas les choses.
Établissez les liens logiques et attendez un éclaircissement tech-
nique. Il arrivera, mais pas nécessairement d’où – et de qui – vous
l’attendiez. La formule « Ces annonces sont nulles » de Google cor-
respond à un élément essentiel du management de l’innovation. Le
problème est premier, l’idée technique vient ensuite.
7. Rendez la valeur aux clients : ne succombez pas à la tentation de garder
la valeur pour vous. Rendez-la. Pour que votre innovation réussisse,
il faut que les clients l’adoptent, puis que le marché fasse de même
comme poussé par l’évidence, au point que vos concurrents soient
obligés de vous suivre. La seule façon de contrôler l’avenir est de le
créer. Ainsi, lorsque quelque chose fonctionne mieux, cherchez immé-
diatement le moyen de transmettre davantage de la valeur aux clients.

Soyez plus exigeants


au nom des clients

Proposez Visualisez les processus


une nouvelle et allez voir
offre innovante fréquemment

Faites les liens Montrez sans cesse


et reconnaissez les problèmes
le potentiel qu’il faut résoudre
d’amélioration

Soutenez l’adoption
des suggestions Encouragez
par l’organisation les suggestions
Ce que nous savons maintenant 327

L’attitude des dirigeants fait la différence


L’innovation est un défi majeur de la société actuelle. Au rythme auquel
nous surconsommons les ressources, nous devons continuer à être très
innovants et nous engager dans une économie circulaire si nous voulons
maintenir nos modes de vie actuels : abandonner les énergies qui pro-
duisent des émissions, jeter moins (beaucoup moins) de plastique dans
les océans, trouver de nouveaux moyens de lutter contre les infections
résistantes aux antibiotiques : la liste est longue. Et pourtant, personne
ne semble avoir trouvé jusqu’à présent un chemin clair vers l’innovation
systématique. La littérature oscille entre trois pôles : le dictateur génial
et visionnaire, le processus par étapes, et l’approche « 20 % de temps
pour que les collaborateurs essayent ce qu’ils veulent ».
20 % de temps pour
les projets des collaborateurs

Visionnaire
génial
et tyrannique

Processus d’innovation
structuré avec des revues formelles

Selon nous, le principe lean de lancer des défis – et d’apporter du


soutien pour les relever – offre une alternative viable dans un projet de
généralisation de l’innovation. La considération de l’innovation sous
l’angle de l’adoption nous permet de savoir où concentrer nos efforts.
328 Réussir en équipes

Les nouvelles technologies sont adoptées par les


ingénieurs lorsqu’ils repèrent une occasion manifeste
vision de transformer un avantage en termes de coûts
teChnologique (ou de facilité) en nouvelle fonctionnalité permettant
d’effectuer une tâche plus facilement ou de faire
aisément quelque chose d’impossible auparavant.
Les nouvelles fonctionnalités doivent être adoptées
par d’autres personnes dans l’entreprise pour
AnAlyse
s’intégrer pleinement aux systèmes et outils existants
de lA vAleur
dans leur ensemble. Résoudre les problèmes
(vAlue
des technologies actuellement utilisées en
AnAlysis)
production nous apprend à adopter plus rapidement
les nouvelles fonctionnalités.
Travailler avec les clients clés pour rechercher
de nouvelles façons d’apporter de la valeur,
ingénierie
pour les aider à adopter des idées novatrices
de lA vAleur
et pour comprendre ce qu’ils trouvent vraiment
(vAlue
utile (plutôt que ce qu’ils disent qu’ils aimeraient)
engineering)
afin de faire de la nouvelle fonctionnalité un élément
évident de notre service.
Commercialiser largement nos succès auprès
investissement des clients jusqu’à ce que le marché accepte
mArketing la nouvelle fonctionnalité comme un acquis et l’exige
de toutes les offres concurrentes.

Cette vision à la fois dynamique et lean de l’innovation nous


aide à comprendre sur quoi se concentrer pour créer les conditions de
l’innovation. Pour être innovant, il ne suffit pas d’être créatifs techno-
logiquement et inventifs fonctionnellement. L’intelligence humaine et
sociale est essentielle pour transformer les idées techniques d’ingénierie
en valeur réelle pour les clients, et mobiliser les efforts de chacun dans
l’entreprise pour intégrer l’innovation dans nos systèmes existants.
Ce que nous savons maintenant 329

L’innovation en continu
Lorsque nous avons commencé à travailler avec nos différents sensei,
un premier constat avait été que la recherche d’innovation par ajout
de fonctionnalités (et des systèmes qui les prennent en charge) nuisait
à nos performances en matière de qualité, de fidélisation de nos clients
et de croissance rentable et durable. Au fur et à mesure de notre déve-
loppement, nous comprenions que les nouvelles fonctionnalités et les
nouveaux systèmes devaient s’intégrer à ceux qui existaient déjà pour
continuer à offrir une expérience fluide et sans accroc aux clients et aux
équipes. En conséquence, nous avons mis en attente plusieurs projets
d’innovation (et en avons complètement annulé quelques-uns) pendant
que nous nous efforcions de corriger le désordre que nous avions créé.
Cela a déclenché un long et sain débat entre nous : cela mettrait-il
un terme à toute innovation ? D’une part, nous étions tous d’accord sur
le fait qu’ajouter une fonctionnalité supplémentaire sans la coordon-
ner avec l’existant n’améliorerait pas les performances. D’autre part, se
concentrer uniquement sur les petites améliorations risquait de paraly-
ser définitivement notre capacité d’innovation. Après tout, nous avions
réussi à construire l’entreprise à partir de rien en mettant une fonction-
nalité après l’autre sur le marché. En fin de compte, notre compréhen-
sion plus profonde de l’innovation en tant qu’adoption nous a conduits
à dessiner une carte de l’innovation complètement différente. Un coup
d’œil aux fonctionnalités historiques rend le problème évident : 1) nous
achetons une voiture pour vous au meilleur prix ; 2) vous choisissez la
voiture dont vous avez besoin sur le site web ou l’application mobile ;
3) vous finalisez l’achat dans un point de vente près de chez vous ;
4) vous pouvez également acheter des voitures d’occasion dont la qua-
lité est garantie ; 5) revendre votre ancienne voiture ; 6) faire toutes les
démarches administratives par le biais de notre service ; 7) financer
l’achat de votre voiture ; 8) vous faire livrer la voiture à votre porte.
330 Réussir en équipes

AnAlyse ingénierie
teChnologie mArketing
de lA vAleur de lA vAleur

Achats Rechercher Résoudre Rechercher Établir un rythme


les innovations continuellement activement les d’annonces
Boutique technologiques tous les petits occasions où les au marché en
en ligne qui réduisent problèmes améliorations investissant
radicalement des services techniques et et en faisant
Sortie
le coût d’une existants pour de production la promotion
Voitures activité mieux intégrer peuvent soit de petites
et trouver les systèmes, visiblement améliorations
Réachat comment et apprendre à améliorer les des services
modifier en faire fonctionner performances existants (lifting)
Paperasse conséquence la l’ensemble. et préparer soit l’introduction
façon de faire Cette capacité les nouvelles de nouvelles
Finances
pour apporter humaine doit fonctionnalités fonctionnalités
Livraison plus de valeur être développée en conséquence. révolutionnaires.
à domicile aux clients. en permanence.

Considérer notre expansion comme un flux d’innovations régu-


lières, qu’elles soient petites ou grandes, nous a fait réaliser plus que
jamais qu’il ne s’agit pas de l’œuvre d’une ou deux personnes, aussi
talentueuses ou intelligentes soient-elles, mais de tout le monde, tout le
temps. Nous n’avons pas de boule de cristal et nous ne savons pas d’où
viendra la prochaine idée révolutionnaire. De plus, nous avons décou-
vert que plus nous produisions de la valeur, plus il était rare qu’il y ait
un moment spécifique où il était possible de s’écrier « eurêka ! » comme
nous en avions eu l’expérience à nos débuts (par exemple, en découvrant
que l’acompte demandé aux clients dépassait la limite de leur carte de
crédit). En fait, plus nous pratiquons, plus les idées émergent de nos
discussions continues, informelles et parfois controversées sur les défis
et la façon dont nous les relevons.
La littérature est riche en débats sur la « résistance au changement ».
Nous n’en avons jamais rencontré, mais nous avons constaté que les
collaborateurs sont en proie à des doutes légitimes sur la marche à suivre
Ce que nous savons maintenant 331

quand la direction souhaitée – ou sa logique – n’est pas expliquée clai-


rement. Nous avons adopté la stratégie suivante :
1. Notre objectif est de faciliter l’achat de voitures (par opposition à
la vente de voitures) jusqu’à ce que l’achat de voitures en ligne soit
pleinement adopté par le marché comme la norme…
2. … en satisfaisant chaque client, chaque jour (y compris dans les
périodes difficiles) ;
3. ce qui signifie impliquer chacun quotidiennement dans la résolu-
tion des problèmes de qualité et de coûts ;
4. afin de mieux intégrer les systèmes et de donner à nos clients et
à nos équipes de terrain les outils nécessaires pour accomplir leur
tâche (acheter une voiture pour les clients, faciliter la vente pour les
collaborateurs) ;
5. et trouver de véritables opportunités d’innovation en intégrant ce
que nous savons faire avec les nouvelles idées créatives.
La logique de cette stratégie n’est pas toujours claire pour l’ensemble
des équipes et c’est pourquoi nous devons, en tant que dirigeants, la
défendre, la démontrer et l’expliquer chaque jour sur le lieu de travail
jusqu’à ce que tous les collaborateurs voient en quoi leur participation
est utile et trouvent un sens dans l’action collective. Plus nous pro-
gressons, plus nous constatons qu’il n’y a pas de différence réelle entre
la stratégie et l’exécution. Il s’agit de visualiser les principaux défis,
de les relever, puis d’encourager chacun à se pencher dessus dans le
cadre de son travail quotidien et de l’amélioration de ses performances.
L’entreprise dans son ensemble est innovante si chaque personne qui en
fait partie comprend l’orientation générale et est soutenue pour essayer
des idées créatives.
Les solutions et les innovations ne sont pas exécutées. Elles sont
transformées en proposition de valeur pour les clients grâce à la parti-
cipation de tous. Pour créer une organisation innovante, nous devons
332 Réussir en équipes

faire passer l’entreprise d’une innovation révolutionnaire unique et d’un


changement d’échelle, qui tire parti des opportunités technologiques et
obéit au principe de l’exécution, à un flux continu d’innovations. En
tant que dirigeants, nous avons constaté que cela demandait : d’adop-
ter une perspective consistant à trouver des problèmes, de faire face à
des obstacles, de cadrer des challenges et de coconstruire les solutions.
Cela signifiait également qu’en tant que leaders nous devions changer
de positionnement et développer un nouvel ensemble de compétences.
Résoudre les problèmes seul Écouter tout le monde
Décider avec détermination Bousculer le statu quo avec le kaizen
Contrôler les plans d’action Orchestrer le travail d’équipe
Soigner sa communication Soutenir les initiatives des autres
Conclusion

Notre succès dépend de la réussite de ceux qui nous entourent : clients,


collaborateurs, fournisseurs, prestataires. Le lean nous a donné un
cadre pour chercher à généraliser cet objectif lors de notre changement
d’échelle.
D’abord, le management lean oriente sans cesse la pensée de cha-
cun vers la satisfaction des clients et l’examen de la valeur du point de
vue des clients, au lieu de privilégier ce qui est commode en interne
ou l’intérêt personnel. Qu’est-ce que les clients nous demandent de
plus ? Qu’est-ce qu’il faut éviter dans nos façons de faire pour réduire
les coûts globaux et leur donner satisfaction pour moins cher ? Ensuite,
le management lean propose des outils concrets pour traiter les pro-
blèmes en premier : les visualiser, en discuter et les définir, puis passer en
revue nos analyses pour affiner la réflexion. Cela nous aide à collaborer
plus étroitement pour trouver des solutions qui conviennent à tous, qui
satisferont les clients tout en réduisant le poids global des coûts pour
l’entreprise. Enfin et surtout, les systèmes visuels – tels que les kanban,
les andon, les A3, les tableaux de résolution de problèmes et le suivi des
suggestions – nous permettent d’aller parler directement aux personnes
et de nous poser la question clé : « Comment puis-je aider cette per-
sonne à réussir ? » La compétence sans l’attention n’aboutira pas à la
croissance durable que nous souhaitons. La véritable magie réside dans
le fait de partager la résolution des problèmes, ensemble, et de montrer à
chacun que nous apprécions sa contribution à notre réussite collective.
334 Réussir en équipes

De zéro à un milliard. D’un téléphone et d’un ordinateur à des opé-


rations dans quatre pays. Notre intuition, qui consistait à éliminer les
points de friction que rencontraient les clients lors de l’achat d’une voi-
ture, a porté ses fruits de manière spectaculaire. Nous avons été incroya-
blement chanceux. Nous avons surfé sur la vague de l’hypercroissance
sans tomber de la planche, du moins jusqu’à présent. Pourtant, la réalité
est là et elle résiste. Passer de l’idée à la réalisation n’est jamais facile.
Nous avons appris à nos dépens que les capacités sont le produit des
compétences et des ressources. Depuis vingt ans, nous travaillons sans
relâche à développer les deux.
Dès le début, nous savions qu’« apprendre ou mourir » serait la
clé du succès, mais nous n’avions aucune idée de ce que nous devions
apprendre. La première leçon, très dure, à laquelle nous avons dû faire
face était que l’automatisation numérique n’était pas une panacée. Elle
a fonctionné à merveille au cours de nos premières années, en ajou-
tant des fonctionnalités pour les clients et des systèmes internes au
fur et à mesure de notre croissance, mais nous nous sommes ensuite
heurtés au mur de la complexité. Les systèmes s’additionnent, se che-
vauchent, interagissent et exigent des compromis humains de plus en
plus contraignants, tandis que l’organisation se développe, se divise en
silos et devient également plus complexe et plus rigide. Au début, nous
pensions que l’innovation nous tirerait d’affaire : tant que nous arrive-
rions à mener des percées, tout irait bien.
De fait, nous avons eu la chance de pouvoir surfer sur trois vagues
d’innovations de rupture : d’abord, en utilisant la révolution digitale
pour transformer la façon d’acheter des voitures ; ensuite, en rejoignant
l’économie circulaire, c’est-à-dire en développant des capacités indus-
trielles de reconditionnement de voitures pour les réutiliser comme
neuves ; et enfin, en participant à l’évolution actuelle visant à remplacer
les véhicules thermiques par des véhicules électriques. Nous avons aussi
appris que l’innovation de rupture nécessite également une innovation
Conclusion 335

progressive, comme les deux brins d’une même chaîne d’ADN. Sans
efforts progressifs pour les améliorer et les faire fonctionner, les innova-
tions de rupture restent souvent des idées auxquelles les compétences ou
les ressources nécessaires pour les transformer en capacités réelles font
défaut. Au début des années 2000, beaucoup ont eu l’idée de vendre
des voitures sur Internet, mais nous avons réussi à la faire fonctionner.
Le même phénomène s’est produit avec l’idée d’économie circulaire et
nous le voyons à nouveau avec l’électrification. La réalité résiste, mais
les idées deviennent des pratiques courantes lorsqu’on parvient à impli-
quer et à coordonner des milliers de personnes pour qu’elles travaillent
pour les clients.
A contrario, si vous suivez la voie de l’innovation incrémentale sans
rechercher l’innovation de rupture, vous vous retrouvez avec un service
ou un produit qui s’écarte progressivement des attentes des clients et
des marchés. Nous avons été surpris de découvrir que les ferments des
idées disruptives sont souvent générés par l’innovation incrémentale,
pour peu que vous sachiez comment les chercher, les nourrir au stade
où elles ne sont encore que des vilains petits canards, et investir les
ressources nécessaires pour les faire s’envoler. Les innovations doivent
d’abord convaincre en interne, puis être adoptées localement jusqu’à ce
qu’elles atteignent des marchés plus larges : c’est tout un parcours.
En fin de compte, le véritable goulot d’étranglement de la croissance
est lié aux limites de l’attention dont sait faire preuve la direction. Au fur
et à mesure que vous ajoutez des fonctionnalités pour les clients et des
systèmes internes pour les prendre en charge, la complexité augmente
de manière exponentielle, et la direction est quotidiennement amenée
à éteindre les incendies et à réagir aux événements plutôt qu’à les diri-
ger. Si brillant que vous puissiez être, vous ne pouvez vous concentrer
sérieusement que sur un nombre limité de sujets à la fois. La seule façon
de contourner ce goulot d’étranglement est d’abandonner l’idée de
contrôle central universel et de faire confiance à l’intelligence collective
336 Réussir en équipes

de tous les membres de l’entreprise. Ce réflexe est peu naturel pour des
entrepreneurs qui ont tout construit, pour ainsi dire, de leurs propres
mains. Au fond, pour être plus précis, le défi consiste à apprendre ce qui
doit être rigoureusement contrôlé de manière centralisée et ce qui relève
du champ des idées et des initiatives « locales ».
Dès le départ, nous nous sommes intéressés à la pensée lean en tant
qu’alternative au leadership et au management traditionnels, mais la
rencontre avec de véritables sensei nous a ouvert les yeux (et l’esprit) et
a bouleversé notre approche du leadership. Nous avons appris à nous
méfier de notre réflexe d’entrepreneurs qui consiste à évaluer les situa-
tions en un coup d’œil, à définir rapidement le problème, à proposer
une solution (apparemment) intelligente, puis à la déployer pour finale-
ment voir les conséquences inattendues nous exploser au visage et devoir
déployer des efforts infinis pour les résoudre. Avec les sensei, nous avons
appris à chercher et à trouver plus activement les vrais problèmes sur le
lieu de travail, en rencontrant les collaborateurs, en voyant comment ils
travaillent, en écoutant ce qu’ils disent et en prenant leurs opinions et
leurs problèmes au sérieux. Tout ceci nous a permis de vraiment donner
une voix aux personnes.
Ce faisant, nous avons réappris les bases de l’analyse – évaluer
l’ampleur du problème, le décomposer en facteurs, puis se poser les
questions difficiles : « Quels facteurs connaissons-nous, lesquels igno-
rons-nous ? » Ce moment de « confrontation » – faire face à des facteurs
que l’on connaît peu ou que l’on comprend mal –, voilà la clé pour
s’attaquer à ce que l’on pense ne pas pouvoir faire (parce que l’on ne sait
pas comment le faire tout de suite) et la véritable première étape de la
pensée innovante. Ce sentiment nous était familier dans les grands paris
technologiques, mais nous avons finalement appris à l’étendre à toute
situation difficile. En l’occurrence, la question primordiale est la sui-
vante : « Combien de temps nous faut-il, en tant qu’organisation, pour
faire face à un problème, pour nous rendre compte que nous régressons
Conclusion 337

ou que nous contournons un problème difficile simplement parce qu’il


est difficile ? »
La confrontation mène au cadrage : il s’agit d’apprendre à exprimer
clairement et simplement l’écart entre votre situation actuelle et celle
que vous souhaitez atteindre, afin que tout le monde dans l’entreprise
puisse comprendre et ainsi contribuer à sa façon. Le cadrage est ce qui
oriente. Il clarifie la direction tout en laissant une marge d’interprétation
dans différents contextes et selon différents regards. Un bon cadrage
permet à chacun d’interpréter ce qui est dit en fonction de sa respon-
sabilité et de proposer ses initiatives et ses plans – ce que nous pouvons
ensuite soutenir. Ce pivot de notre attitude de leadership a eu l’avantage
inattendu de changer l’ambiance de travail dans toute l’entreprise. Les
collaborateurs se sentaient plus à l’aise pour révéler les problèmes et
en discuter, ils se sont également détendus (nous nous sommes rendu
compte à quel point notre insatisfaction relative aux problèmes d’expan-
sion était une source de tension dans l’entreprise) et se sont beaucoup
plus engagés dans leur travail et leurs initiatives. Les scores de satisfac-
tion interne ont grimpé en flèche, la rotation du personnel s’est ralentie
et nous sommes devenus, tout simplement, une société dans laquelle il
est agréable de travailler. Lorsque la pandémie a frappé, cette nouvelle
culture de travail s’est révélée un atout vital, car nos équipes ont relevé
les défis aussi nombreux que difficiles avec une souplesse et un courage
d’esprit impressionnants.
Le cadrage vous permet de coconstruire des solutions dans toute
l’organisation. Les initiatives locales peuvent être testées, vérifiées et,
surtout, partagées avant d’être améliorées. Le travail d’équipe est conti-
nuellement renforcé à mesure que les gens partagent les changements
qu’ils ont l’intention de mettre en œuvre et les résultats de leurs initia-
tives, de sorte que nous pouvons collectivement poursuivre la discussion
« essayer-échouer-analyser-essayer encore ».
338 Réussir en équipes

La coconstruction est une forme différente de leadership dans laquelle


vous répétez et expliquez constamment le problème, écoutez ce que les
personnes ont l’intention d’essayer comme mesures rectificatives et
organisez la mise en commun de ces expériences entre les silos fonc-
tionnels ou opérationnels. Nous avons commencé avec une vision de la
hiérarchie comme un lien de subordination (qui dit à qui de faire quoi),
puis nous avons eu recours à différentes techniques de management,
telle la mise en place d’une communauté de pratiques dans l’entreprise.
Nous avons fini par nous faire une idée plus claire de la collaboration
(qui parle de quoi à qui). Une organisation à croissance rapide est en
formation constante bien plus qu’elle n’est organisée. L’hypercroissance,
nous l’avons compris, tient plus de la poterie que de l’architecture : faire
tourner le problème sur le tour jusqu’à ce que sa forme apparaisse. Elle
repose également davantage sur les initiatives individuelles de chacun
au quotidien que sur le simple fait de prendre les bonnes décisions et
d’investir dans les bonnes technologies. Notre croissance rapide est clai-
rement soutenue par le plaisir de nos équipes à travailler dans un lieu où
ce qu’on attend d’elles se voit, où leurs préoccupations sont entendues et
où leurs idées sont soutenues.
L’enseignement essentiel que nous avons tiré de notre voyage dans
le monde du lean est probablement l’importance d’entretenir un esprit
kaizen contre vents et marées et de s’entourer de managers qui partagent
l’esprit de croissance. Lorsque les problèmes s’aggravent et se multiplient,
il est toujours très tentant de chercher quelqu’un qui prenne les choses
en main, introduise de l’ordre dans le chaos, le contrôle, et fasse avancer
les choses. Nous avons appris que, même si cette option paraît effective
pendant quelques mois, elle finit souvent en désastre. Les personnes
à l’esprit de croissance ont tendance à ne pas être à l’aise lorsqu’elles
s’immergent dans un problème, mais elles apprennent ensuite ce qu’il
faut faire avec les autres, et non à leur place. La différence de résultats,
nous le constatons tous les jours, est spectaculaire.
Conclusion 339

Enfin, nous avons complètement changé d’avis sur le lean. Au début,


nous étions étonnés en parlant aux sensei d’apprendre qu’ils utilisaient
les mêmes outils d’analyse que ceux que nous avions essayés auparavant,
mais toujours avec une tournure d’esprit différente, un autre point de
vue, que nous ne comprenions pas vraiment. Nous avons fini par com-
prendre. Les outils lean ne consistent pas à faire faire quelque chose aux
équipes. Il s’agit de leur donner des éléments de référence pratiques et
concrets pour l’autoévaluation et, par la suite, l’autoamélioration. À bien
des égards, la révolution digitale permet aux entreprises de généraliser la
pensée tayloriste à tous les postes. Le processus est défini par un expert,
codé dans un système et une application, les collaborateurs doivent
mettre des données dans des cases et cliquer sur « suivant ».
C’est comme conduire en suivant les instructions du GPS ou de
Waze sans savoir où l’on va : le taylorisme numérique crée un monde
en réaction permanente, qui laisse peu de place à la planification ou à
la réflexion. L’attrait du taylorisme numérique réside précisément dans
le fait qu’il permet d’éviter de trop réfléchir à la façon d’avancer, même
s’il s’avère profondément insatisfaisant, s’il crée un risque de burn-out
et est tout simplement inefficace, car les individus cessent de penser en
détail aux spécificités de chaque cas et perdent leur capacité de juge-
ment. L’alternative offerte par le lean se concentre sur l’autonomie des
collaborateurs. Elle clarifie ce que nous devons examiner, ce que nous
devons décider et l’analyse finale des effets de ces décisions. Travailler
dans cet esprit et de cette manière au quotidien est la clé de l’autonomie
individuelle : une plus grande confiance en soi et à l’égard de ses collè-
gues, un accomplissement personnel et un esprit de réussite collective.
Lors de sa première visite dans notre usine de reconditionnement,
un de nos sensei demandait de chaque voiture : « Pourquoi n’est-elle pas
à l’étape suivante ? » Il nous a dit plus tard qu’il se posait intérieurement
la même question face à chaque personne qu’il rencontrait : « Pourquoi
n’a-t-elle pas plus de responsabilités ? » Nous sommes sur le bon chemin.
340 Réussir en équipes

Nous observons maintenant nos collaborateurs et leurs réactions et


nous nous demandons : « Que regardent-ils ? Comment peuvent-ils
évaluer leurs propres capacités ? Sur quoi travaillent-ils pour s’amélio-
rer ? Comment pouvons-nous mieux les orienter et les soutenir ? » La
promesse du lean de faire concorder l’épanouissement individuel et la
destinée de l’entreprise nous apparaît encore plus clairement mainte-
nant que nous développons nos activités dans plusieurs pays, dont les
cultures sont différentes, et que nous investissons davantage dans l’éco-
nomie circulaire. Au début, le défi de combiner le bénéfice individuel,
le succès de l’entreprise et l’impact sociétal positif semblait être une vue
de l’esprit, mais il prend désormais une signification concrète, ici et
maintenant. Nous comprenons précisément que le moyen d’équilibrer
les besoins d’aujourd’hui et ceux de demain – et de construire le succès
de demain sur les performances d’aujourd’hui – est là. Si nous parve-
nons véritablement à maintenir cet équilibre, nous pouvons tout réussir
en équipes.
Remerciements

Nous tenons tout d’abord à remercier Cyril Gras pour son remarquable
travail de gestion de projet tout au long de la publication de cet ouvrage
(en plus d’être l’un des héros de notre histoire), George Taninecz pour
ses talents de production, Mélanie Luciani pour son élégante maquette
de la version en anglais, Charlotte Bayart pour son superbe design de
couverture, et Brian Frastaci pour sa relecture méticuleuse.
Merci également à Antoine Haguenauer et Noëlle Rollet pour la
traduction française et plus particulièrement, toute notre gratitude à
Catherine Ballé, Jacques Chaize et Isabelle Huchet pour leur minutieux
travail de relecture et réécriture. Notre reconnaissance à Julie Berquez,
Constance Grelet et toutes les équipes d’Eyrolles.
Notre histoire est surtout l’histoire de toutes les personnes formi-
dables qui ont fait le succès d’Aramis Group à qui nous souhaiterions
exprimer notre gratitude pour leur engagement et leurs contribu-
tions. Merci à Romain Boscher, Wim Bruggeman, Ivo Willems, Steve
Butterley, Philip Wilkinson, Matt Barrick, Pablo Fernández, Carlos
Rivera, José-Carlos del Valle et toutes leurs équipes. Nous sommes
conscients que les visites de terrain peuvent être challengeantes mais
nous sommes ravis d’avoir ces occasions d’apprendre ensemble.
Un grand merci également à tous ceux qui ont mené ce voyage
d’apprentissage en France : Anne-Claire Baschet, Fabrice Farcot,
Guillaume Limare, Brigitte Schifano, Alejandro Garcia-Mella, Rémi
Pigeol, Jean-Michel Berthelier, Thomas Koell, Zakaria Bouzekri,
342 Réussir en équipes

Frédérik Le Gac, Juliette Dumas, Khadija Boussairi, Clémence


Roynette, Nastasia Eiffes et Antoine Vicquery. Cette liste est loin d’être
exhaustive, il nous est impossible de citer ici tous les collaborateurs avec
qui nous avons mené ces apprentissages !
Notre plus grande reconnaissance va aussi à nos sensei : Freddy
Ballé, Jacques Chaize, Orry Fiume, Daniel Jones, Marc Onetto,
Marcus Chao, Joe Lee et Isao Yoshino. L’apprentissage est un tra-
vail collectif et nous sommes reconnaissants également aux CEO
et experts lean avec qui nous avons partagé des voyages d’études au
Japon : Arnaud Barde, Siham Bentalab, Fabrice Bernhard, Jean-
Claude Bihr, Jean-Baptiste Bouthillon, Catherine Chabiron, Benoit
Charles-Lavauzelle, Steve Anavi, Cyril Dané, Frédéric Fiancette,
Philippe Grosse, Nicolas Guillemet, Sandrine Olivencia, Daryl Powell,
Eiving Reke, Christophe Riboulet, Christophe Richard, Cécile Roche,
Anne-Lise Seltzer, et notre organisatrice Mami Takeda.
Pour leur soutien de toujours, nous souhaitons remercier chaleu-
reusement nos mentors : Pierre Guénant, qui malheureusement vient
de nous quitter, Alix de Poix, Nick Carbonari et Eric Grabli. Ils nous
ont accompagnés dans cette folle équipée et se souviennent bien de la
raideur de la courbe d’apprentissage de crise en crise.
Stellantis, pour la confiance qu’ils nous ont montrée en tant que
notre actionnaire principal ces six dernières années, tout particuliè-
rement merci à Carlos Tavares, Philippe de Rovira, Marc Lechantre,
Lucie Vigier, Philip Robson et Jean-Baptiste de Chatillon.
Plus que tout, nous souhaitons remercier nos familles de nous
avoir soutenus (et supportés !) lors des hauts et des bas de l’écriture
de cet ouvrage comme ceux de faire croître une entreprise en partant
de rien : Florence, Roman et Alexandre, Mathilde, Adèle, Louise et
Malo, Charlotte, Victoire, Côme et Apolline, Séverine, Chloé, Romeo
et Tom.
Remerciements 343

Pour finir, nous voulons remercier les 500 000 clients en Europe
qui nous ont fait confiance pour acheter ou vendre une voiture,
avec une pensée spéciale pour notre toute première cliente en 2001,
madame Paunet !
Index

5S 164, 165, 166, 189, 208, 259, 274, C


291, 293, 307, 317
caractéristiques 42, 192, 314
CARE 280, 281
A chaîne d’aide 216, 229, 256, 257, 292
chaîne de commandement 110, 216,
A3 208, 211, 212, 213, 214, 222, 247, 226, 229, 257
252, 264, 290, 311, 333 chargement des pages 223, 243, 248
acquisition de clients 90, 122 command and control 31, 61, 71, 143,
165, 205
AdWords 241, 242, 263
concessionnaire 32, 34, 37, 38, 57, 78,
All Blacks 78 149
aller voir 77, 94, 100, 103, 177, 202, contremesures 27, 69, 170, 198, 210
226, 252, 266, 305 courbe d’apprentissage 57, 83, 298,
306, 316, 342
Amazon 35, 97, 101, 102, 142, 179,
Covid 54, 55
243
cycle construire-mesurer-apprendre
andon 119, 216, 217, 252, 258, 292, 278
317, 333
apprentissage autonome 173 D
apprentissage par la résolution de
déploiement de la fonction qualité
problèmes 14, 27, 141, 248
(QFD) 275
AramisAuto 13, 288 dojo 254
Aramis Group 9, 10 Dweck, Carol 63

B E
EBITDA 22, 234, 272
Bezos, Jeff 97, 214 économie circulaire 14, 19, 52, 312,
Byrne, Art 272, 273, 277 327, 334, 340
346 Réussir en équipes

élimination du gaspillage 21, 78, 121, H


279
enablers 216, 219, 221, 222, 229, 293 Haka 78
encourager les, idées 238 héritage 43, 45, 65, 134
encourager les, initiatives 252 hypercroissance 20, 334, 338
encourager les, suggestions 325
ERP, enterprise resource planning 36, I
91, 277, 287, 297, 299
espace de réflexion 96, 185, 256, 269, indicateurs clés de l’entreprise 221
293 informatique (IT) 58
état d’esprit de croissance 63, 106, innovation 64, 149, 310, 312, 319,
126, 198, 229, 235, 248, 253, 316 323, 324, 325, 327, 329
état d’esprit fixe 64, 106, 126, 138, Instagram 282
198
étoile du Nord 221, 280
Euronext 19 J
jidoka 224, 225, 291
F Jones, Daniel 15
juste-à-temps 180, 224, 225, 292
fidélisation 230, 329
Fiume 272
flexibilité 150, 151, 278 K
fondateurs 13, 60, 70, 93, 123, 136, kaizen 97, 98, 111, 189, 197, 201,
187, 250, 266 208, 223, 226, 227, 240, 244, 245,
247, 248, 256, 257, 260, 261, 266,
G 274, 276, 278, 291, 292, 302, 338
Kodak 268
gaspillage marketing 123
Kosaka, Gilberto 216
Gates, Bill 310
gemba 27, 97, 124, 130, 146, 177,
181, 184, 187, 210, 219, 220, 223, L
227, 233, 247, 257, 267, 279, 283,
308, 320 lead-time 180, 239, 324
General Motors 201 lean start-up 30, 41, 278, 305
gestion de la relation client 37, 51 Lévi-Strauss, Claude 297
Gold Mine, e 17 ligne de mire 135, 149, 238, 250, 267
Google 46, 49, 64, 89, 113, 153, 185, livraison à domicile 29, 42, 66, 303,
192, 193, 241, 243, 246, 281, 312, 304, 306, 309, 314
324 livraison à temps 157, 179, 180, 283
Great Place to Work 61 logistique lean 22
Index 347

M prix 21, 34, 38, 39, 48, 52, 58, 87, 92,
141, 150, 151, 239, 247, 283, 313,
management visuel 177, 254, 306 329
manager intermédiaire 187, 257 prix Deming 207
milk run 141, 147 processus d’achat 19, 34, 75
motivation 60, 135, 139, 143, 171, produit et service 53
188, 208, 256, 258, 259, 269, 294 produit minimum viable (MVP) 41,
mur de clients 221 304
programme de « héros » 107
programme de parrainage 215, 216,
N 311
publicité sur les moteurs de recherche
Nemoto, Masao 207
(SEA) 89, 312
net promoter score 113, 233, 308
NUMMI 201
Q
O QR code 148

obeya 220, 222, 322, 325


R
objectifs et résultats clés (OKR) 113
Onetto, Marc 96, 101, 163 recherche de la cause profonde 169
orienter et soutenir 133, 227 réclamations des clients 26, 89, 152
recul 179, 180, 199, 223, 225, 248
relations de confiance 163, 186
P Ries, Eric 278, 304
Page, Larry 241, 310
performance 9, 27, 41, 92, 101, 102, S
113, 114, 115, 117, 120, 124, 126, Salesforce 285, 313
128, 129, 136, 141, 143, 157, 164, satisfaction des collaborateurs 201, 288
169, 172, 174, 177, 178, 179, 189, scale-up 18, 30
222, 226, 227, 246, 254, 256, 276, Schmidt, Eric 64
283, 284, 290, 315, 329, 331, 340 sensei 23, 24, 27, 77, 79, 80, 82, 85,
placer la barre plus haut 271, 324 86, 88, 90, 93, 96, 100, 101, 114,
point de friction 19, 21, 35, 36, 75, 124, 127, 130, 133, 140, 142, 164,
191, 279, 334 189, 190, 192, 194, 277, 336, 339
points de connaissance 14, 27, 83, 85, silos fonctionnels 42, 56, 57, 338
101, 102, 115, 118, 122, 125, 126, simple, measurable, achievable, realistic,
128, 158, 163, 165, 167, 172, 173, time-limited (SMART) 204
174, 177, 189, 227, 235, 255, 259, single minute exchange of die (SMED)
269, 278, 290, 298, 302, 313, 316 275
348 Réussir en équipes

single-minute exchange of dies (SMED) Toyota Production System (TPS) 190,


277 199, 223, 290
start-up 9, 13, 18, 20, 30, 31, 34, 41,
51, 56, 57, 60, 66, 70, 73, 109,
V
243, 273, 278, 279, 314, 319, 325
strengths, weaknesses, opportunities, visualisation 120, 124, 125, 128, 129,
threats (SWOT) 281 155, 157, 160, 164, 165, 169, 177,
système d’apprentissage 290, 291 267
système lean 219, 295, 300 voiture d’occasion 19, 21, 29, 36, 52,
56, 77, 79, 80, 101, 260, 312, 329
T
W
Taiichi, Ohno 123, 184, 215
taux de conversion 90, 244, 246 Walmart 298
taux de rebond 90, 246 WeChat 282
taylorisme 217, 339 Wiremold 272, 273, 275, 277, 278
Toyota 13, 18, 74, 118, 120, 121, 123,
124, 125, 141, 144, 157, 189, 190,
Y
201, 204, 207, 209, 216, 226, 276,
281, 291, 324 Yoshino, Isao 201, 207

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