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Presse Med Form 2024; 5: 22–23

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PROCTOLOGIE
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Dossier thématique

Éditorial
Pathologies proctologiques : ne pas
négliger !

Béatrice Vinson Bonnet

Disponible sur internet le : CHI Poissy-Saint Germain, service de chirurgie viscérale, 4, rue du Champ-Gaillard,
11 janvier 2024 78300 Poissy, France

bvinsonbonnet@gmail.com

Anorectal disease: Not to be disregarded

L a proctologie recouvre la prise en charge des maladies de l'anus et du rectum. Les connais-
sances dans ce domaine ont énormément évolué sur les 25 dernières années. La proctologie est
peu enseignée bien qu'elle concerne un très grand nombre de patients. Par ailleurs, ceux-ci
consultent tardivement les professionnels spécialisés, alors même que les symptômes qu'ils
endurent altèrent significativement leur qualité de vie. En effet, les pathologies les plus courantes
se manifestent essentiellement par des douleurs, des saignements, une infection locale et parfois
des troubles de la continence. Ces manifestations locales sont très souvent liées à une pathologie
générale : troubles du transit intestinal, maladie digestive inflammatoire, infection sexuellement
transmissible. . .
Les pathologies proctologiques s'observent à tous les âges de la vie avec un pic de fréquence chez
l'adulte jeune et chez les femmes au cours de la grossesse et en postpartum. La démarche
diagnostique ne peut se concevoir sans une écoute et un interrogatoire précis ainsi qu'un examen
clinique attentif avec un toucher rectal dont le patient aura été informé au préalable et complété
par une anuscopie. Cette démarche permet le plus souvent d'aboutir à un diagnostic et une prise
en charge appropriée, l'indication d'une imagerie ou d'explorations fonctionnelles n'étant envi-
sagée que dans un deuxième temps en milieu spécialisé.
Ce dossier thématique a donc pour objectif de présenter les bonnes pratiques cliniques médicales
et chirurgicales correspondantes. Confrontées au développement très rapide de nouvelles tech-
niques chirurgicales dites peu invasives, celles-ci s'appuient sur une évaluation de type « evi-
dence-based » développée sous notamment l'égide de la Société nationale française de
coloproctologie (SNFCP.org). La prise en charge comporte également une éducation thérapeutique
du patient et une explication concernant les bénéfices et les risques de chaque traitement.
Pour recueillir des données épidémiologiques, la SNFCP a également mis en place plusieurs
registres multicentriques concernant en particulier les localisations anopérinéales de la maladie de

tome 5 > n81 > février 2024


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Pathologies proctologiques : ne pas négliger !
PROCTOLOGIE

Éditorial
Crohn (LAP de Crohn), les infections HPV avec dysplasie sévère et Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
d'intérêts.
projette d'établir une base de données concernant l'ensemble
des pathologies proctologiques.
Bien appréhender les pathologies proctologiques telles qu'elles
sont exposées dans ce dossier thématique, évitera certainement
beaucoup d'errance thérapeutique préjudiciable aux patients.

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Presse Med Form 2024; 5: 24–30

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Dossier thématique

Mise au point
Quand et comment traiter des hémorroïdes

Thierry Higuero

Disponible sur internet le : Clinique Kantys Centre, 7, avenue Durante, 06004 Nice, France
11 janvier 2024
docteur@higuero-gastro.com

Points essentiels
En cas de maladie hémorroïdaire, on ne traite que les patients qui s'en plaignent.
Le traitement dépend de la présentation anatomique et des attentes du patient.
Le traitement médical associant une régularisation du transit, des topiques, et éventuellement des
veinotoniques et des antalgiques doit être proposé en première intention pour les grades 1 à 3.
En cas d'échec, il faut confier le patient au proctologue pour un traitement instrumental qui sera le
plus souvent une photocoagulation infrarouge ou une ligature élastique.
En situation d'échec ou en cas de prolapsus de grade 4, la chirurgie par hémorroïdectomie
pédiculaire est le traitement le plus efficace à long terme.
Les techniques chirurgicales mini invasives ne traitent efficacement que les prolapsus de grade
2 et 3, sont déconseillés en cas de grade 4 et ne fonctionnent pas en cas de maladie hémorroïdaire
externe.
Le choix de la technique opératoire est fait par le chirurgien proctologue en tenant compte des
attentes du patient.

Key points
When and how to treat hemorrhoids

In the event of haemorrhoidal disease, only symptomatic patients are treated.


Treatment depends on the anatomical presentation and the patient's expectations.
First line treatment for grade 1 to 3 haemorrhoids, combines bowel movement regularization,
topical treatment and possibly phlebotonics and analgesic.
In case of failure, the patient has to be referred to the proctologist for an ambulatory procedure
that will most commonly be an infrared photocoagulation or a rubber band ligation.
In case of failure or for grade 4 haemorrhoids, hemorrhoidectomy is the standard of care with the
most effective long-term results.
Minimally invasive surgical techniques only effectively treat grade 2 and 3 prolapses, are not
recommended in grade 4 and do not work in case of external hemorrhoidal disease.
The choice of surgical procedure is made by the proctologist surgeon taking into account the
patient's expectations.

tome 5 > n81 > février 2024


10.1016/j.lpmfor.2024.01.003
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Quand et comment traiter des hémorroïdes
PROCTOLOGIE

Mise au point
Introduction
Les hémorroïdes sont des formations vasculaires normales de
l'anus. Les hémorroïdes externes, normalement invisibles sous
la peau de la marge anale, sont situées sous la ligne pectinée.
Les hémorroïdes internes sont au-dessus de cette ligne pecti-
née, classiquement réparties en trois paquets (gauche, anté-
rieur et postérieur droit) et forment des petits renflements
participant à la continence anale fine (discrimination selles/
gaz et solide/liquide) ; elles représentent 20 % du tonus de
repos du canal anal.
On traite les hémorroïdes lorsque lorsqu'elles deviennent symp-
tomatiques (douleur, saignement, procidence, prurit). On
appelle cela la maladie hémorroïdaire mais dans le langage
commun on dit « j'ai des hémorroïdes ». Sa prévalence dans la
population générale est estimée à environ 40 % [1]. La stratégie
thérapeutique dépend des symptômes, de la topographie des
hémorroïdes incriminées et de l'importance des anomalies
anatomiques constatées. L'objectif du traitement est de soula-
ger les symptômes. Il nécessite l'accord du patient qui doit être Figure 1
informé du risque d'échec et des possibles effets secondaires. Thrombose hémorroïdaire externe
Les dernières recommandations sur la pratique clinique pour la
prise en charge de la maladie hémorroïdaire publiées en 2017,
en partie reprises dans les recommandations européennes en à diagnostiquer par sa présentation clinique caractéristique :
2021, ont permis de bien codifier la prise en charge [2,3]. tuméfaction dure bleutée marginale plus ou moins douloureuse
Un point primordial qui ne sera pas développé dans cet article (figure 1). L'évolution naturelle de la thrombose est de guérir en
est l'importance de ne pas attribuer tous les symptômes anaux quelques jours ou quelques semaines avec une résorption du
à la maladie hémorroïdaire. Une douleur anale ne devra pas être caillot ou par une énucléation (responsable alors d'un petit
confondue avec un abcès, des rectorragies avec un cancer saignement). Il peut alors rester comme séquelle un repli de
colorectal, un relief marginal avec un cancer anal ou des condy- peau non vascularisé appelé marisque, parfois gênante en
lomes, l'ensemble de ces symptômes avec une infection sexuel- fonction de sa taille pour l'hygiène intime et pouvant gonfler
lement transmise ou une fissure. L'examen clinique est donc chez la femme pendant la phase prémenstruelle.
obligatoire et essentiel ; ne pas le réaliser face à des symptômes Le traitement a pour objectif de contrôler une éventuelle dou-
proctologiques est une erreur médicale [4]. leur et d'accélérer la guérison [2]. Il est médical associant des
antalgiques, le plus souvent de palier 1, si besoin des AINS (en
Maladie hémorroïdaire externe l'absence de contre-indication) et des topiques sous forme de
Les hémorroïdes externes se manifestent essentiellement par la crème à visée anti-hémorroïdaire. Les veinotoniques en cure
thrombose hémorroïdaire externe (THE) qui peut être doulou- courte peuvent être prescrits malgré un intérêt incertain
reuse ou non. La physiopathologie est mal connue ; le caillot
serait la résultante d'une obturation en même temps qu'une
extravasation vasculaire sous la peau de la marge anale. Ce Encadre I
caillot de sang peut être unique ou multiple et s'accompagner L'intérêt des phlébotropes est fondé sur le concept
d'un œdème, masquant parfois le caillot et majorant la douleur. physiopathologique impliquant la composante vasculaire des
Il n'y a pas de facteur déclenchant bien identifié, la thrombose hémorroïdes. Seuls ont été étudiés dans la littérature la diosmine,
survenant le plus souvent spontanément. La THE est facile la troxérutine, les dérivés de Ginkgo biloba et
l'hydroxyéthylrutoside. Plusieurs méta-analyses ont montré un
bénéfice à leur utilisation pour l'amélioration du prurit et des
rectorragies mais il persiste un doute sur l'absence de biais de
Glossaire publication (du fait d'une carence de publication des essais
négatifs) et d'une définition souvent peu précise du type de
THE thrombose hémorroïdaire externe
AINS anti-inflammatoire non stéroïdien maladie hémorroïdaire étudiée. Ils sont néanmoins recommandés
DGHAL Doppler-guided hémorroïdal artery ligation en cas de manifestation aiguë de la maladie hémorroïdaire
(excepté le prolapsus) en cure courte de 7 jours [19].

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Mise au point
(encadré I). Une régularisation du transit, s'il est perturbé, est Encadre II
nécessaire. Fibres alimentaires : 20 à 40 g/jour chez l'adulte sont
L'alternative à ce traitement médical est l'incision ou mieux, recommandées
l'excision, du caillot sous anesthésie locale (1 à 2 mL de lido-
Les fibres alimentaires sont contenues dans la plupart des
caïne non adrénalinée). Elle est indiquée en cas de thrombose
aliments d'origine végétale (légumes, céréales, fruits). Elles se
unique douloureuse sans composante œdémateuse. Ce geste retrouvent en majeure partie dans le côlon (gros intestin) et
qui doit être totalement indolore laisse une petite plaie qui va augmentent le volume des selles. Leur rôle est de nettoyer
cicatriser en quelques jours (https://youtu.be/lEwHCgn9W70). l'intestin en se gorgeant d'eau et en poussant les aliments vers le
Lorsque les épisodes de THE sont fréquents, 4 à 6 fois par an, côlon. Elles provoquent aussi les contractions de l'intestin
avec des symptômes perdurant chaque fois plus d'un mois, on combattant la constipation.
peut proposer une hémorroïdectomie. On les trouve dans les fruits crus et surtout secs ; les légumes
tels les poireaux, choux, fenouil, salsifis, poivrons, céleris, navets,
Maladie hémorroïdaire interne concombres, épinards, radis, artichauts ; les pains complets, au
son ou enrichis en céréales diverses.
Les hémorroïdes internes peuvent se manifester par 3 types de
symptômes qui peuvent être associer les uns aux autres.

Rectorragies
Il s'agit d'un saignement fait de sang rouge rutilant éclaboussant canule fournie dans la boîte pour ne pas se blesser mais plutôt
la cuvette, survenant lors de la défécation au passage de la selle d'introduire la crème avec le doigt ou le suppositoire.
mais aussi, en cas de procidence importante, en position accrou- Traitement instrumental
pie ou lors d'émissions de gaz. Il n'y a pas de douleur associée. En cas d'échec de ce traitement on peut proposer un traitement
Le saignement s'interrompt spontanément mais il peut inquié- instrumental [2,3] qui vise à provoquer au sommet des plexus
ter le patient, surtout si son d'abondance est majorée par la prise hémorroïdaires internes une fibrose cicatricielle pour fixer la
d'anticoagulants ou antiagrégants. muqueuse anale au plan musculaire sous-jacent et obturer le
Traitement médical réseau vasculaire sous muqueux responsable des saignements.
Le traitement de première intention est médical [2,3] associant En cas de prolapsus peu prononcé (grade 1 ou 2) la photo-
une régularisation du transit, des topiques et possiblement des coagulation infrarouge est à privilégier. Elle est simple, efficace
veinotoniques en cure courte (tableau I). Un transit de qualité (amélioration à un an des symptômes dans 70 à 90 % des cas) et
implique un apport suffisant en fibres alimentaires (encadré II) bien tolérée (douleurs modérées et rectorragies minimes). En
et si besoin de laxatifs doux (mucilages ou macrogol). Dans la cas de procidence plus marquée (grade 3), une ligature élas-
cas plus rare d'une diarrhée chronique, ce seront des ralentis- tique sera plus efficace avec une amélioration des symptômes
seurs du transit. La régularisation du transit au long cours est le comparable mais avec un recul de 3 ans. Elle peut également
seul traitement qui a un intérêt prouvé en curatif mais égale- être proposée après échec de la photocoagulation infrarouge
ment en préventif. Les topiques à visée anti-hémorroïdaire avec des effets indésirables mineurs plus fréquents (douleur,
peuvent combiner crème et suppositoire pendant une dizaine rectorragie, malaise vagal) et des complications possibles
de jours. Il est bon de rappeler au patient d'éviter d'introduire la (thrombose hémorroïdaire, dysurie, abcès, hémorragie sévère).
La cryothérapie
La cryothérapie n'est quasiment plus utilisée en France mais
TABLEAU I reste une alternative lorsqu'elle est bien réalisée et les injec-
Classification de Goligher. tions sclérosantes ne sont plus possibles en France du fait de
l'absence de produits nécessaires (et de la meilleure efficacité
Présentation Présentation clinique des infrarouges ou de la ligature élastique).
anatomique
Chirurgie
Grade 1 Hémorroïdes congestives non prolabées
La chirurgie peut être proposée en cas d'échec de ces 2 lignes de
Grade 2 Hémorroïdes se prolabant lors de la défécation (ou lors traitement, la technique étant adaptée au grade du prolapsus et
d'un effort) et se réintégrant spontanément après le
aux attentes du patient.
passage de la selle

Grade 3 Hémorroïdes se prolabant lors de la défécation (ou lors Douleurs


d'un effort) et nécessitant une réintégration manuelle Il peut s'agir d'une douleur modérée à type de sensation de
gonflement intra canalaire, de pesanteur, plus ou moins per-
Grade 4 Hémorroïdes prolabées en permanence ne pouvant pas
se réintégrer manuellement manente et non influencée par la défécation, en rapport avec
une probable congestion des plexus hémorroïdaires internes.

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Quand et comment traiter des hémorroïdes
PROCTOLOGIE

Mise au point
L'anuscopie montre des hémorroïdes plus ou moins volumineu- Prolapsus
ses. Le traitement est médical associant une régularisation du Le prolapsus hémorroïdaire correspond à l'extériorisation d'un
transit et des veinotoniques. ou plusieurs plexus hémorroïdaires au travers de l'orifice anal
Parfois la douleur est beaucoup plus intense, permanente, intra (figures 2, 3 et 4). Parfois il s'y associe une procidence
canalaire avec à l'examen clinique une marge anal normale. Au muqueuse rectale, le prolapsus mucohémorroïdaire (figure 5).
toucher anal, il est possible permet de percevoir une tuméfac- Il ne faut pas le confondre avec l'extériorisation d'une papille
tion intra canalaire dure, en « grain de plomb », correspondant hypertrophique anale, qui correspond à une formation fibreuse,
à une thrombose hémorroïdaire interne. Le diagnostic différen- souvent séquellaire d'une thrombose hémorroïdaire interne, de
tiel est l'abcès intramural. L'anuscopie, si elle est possible, taille variable (quelques millimètres à plusieurs centimètres)
montre une tuméfaction bleutée intra canalaire. Parfois cette débutant au niveau de la ligne pectinée (figure 6). Le prolapsus
thrombose hémorroïdaire interne est extériorisée, éventuelle- hémorroïdaire peut donc concerner un seul paquet, antérieur
ment associé à une thrombose hémorroïdaire externe ; ceci est droit classiquement chez la femme, comme être circulaire. Il
fréquent au 3e trimestre de la grossesse et dans le postpartum. existe différents grades selon la classification anatomique de
Le traitement est le plus souvent strictement médical ; il associe Goligher (tableau I) en fonction de la réintégration spontanée,
la régulation du transit, des antalgiques avec, en l'absence de manuelle ou impossible du prolapsus, responsable dans ce
contre-indication des AINS, des topiques en crème comportant dernier cas de suintements sérosanglants ou fécaux entraînant
des corticoïdes et éventuellement des veinotoniques. Une exci- un prurit. Cette classification est imparfaite mais permet privi-
sion sous anesthésie locale est contre-indiquée du fait du risque légier une technique, instrumentale ou opératoire, en fonction
hémorragique majeur et de l'œdème souvent présent. En cas de son efficacité attendue.
d'échec du traitement médical bien conduit on peut proposer Quelle que soit la technique, une régularisation du transit est
une hémorroïdectomie pédiculaire [2]. toujours nécessaire afin de limiter le risque de récidive du
prolapsus [2,3].

Figure 2 Figure 3
Procidence grade 2 isolée Procidence grade 3 circonférentielle

tome 5 > n81 > février 2024

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T. Higuero
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Mise au point
Figure 4
Procidence grade 4 circonférentielle
Figure 5
Lorsque la procidence est limitée à un (voire 2 paquets) et que Procidence mucohémorroïdaire
celle-ci n'est pas permanente (grade 2 et 3) on peut proposer
une ligature élastique. Cette technique est également valable
en cas de prolapsus plus important avec un refus du patient ou complications sont réelles mais finalement peu fréquentes et
une contre-indication à la chirurgie. bien contrôlées lorsque le patient est bien informé de leur
Les techniques opératoires comprennent l'hémorroïdectomie éventuelle survenue et de la conduite à tenir à suivre (ce qui
qui est la technique de référence, et des techniques dites mini implique pour le chirurgien d'organiser parfaitement la conti-
invasives. nuité des soins) : rétention urinaire fécalome, hémorragie,
suppuration locale voir exceptionnelle gangrène de Fournier.
Hémorroïdectomie pédiculaire Les séquelles sont rares et doivent être évitées par le respect de
Elle est décrite par Milligan et Morgan consiste en l'excision des la technique et la prise en la prise en compte des facteurs de
3 paquets hémorroïdaires emportant les plexus vasculaires risque d'incontinence anale : marisques, sténose et inconti-
externes et internes, créant ainsi 3 plaies au niveau du canal nence anale.
anal et de la marge anale et laissant des ponts cutanéomu-
queux. Ces plaies sont laissées ouvertes, en partie ou complè-
tement, afin d'assurer un drainage suffisant pour assurer une Ligature des artères hémorroïdaires guidée par Doppler
cicatrisation en 6 à 8 semaines. Cette technique est efficace (DGHAL) associée à une mucopexie
quelle que soit l'importance du prolapsus et elle est la seule Elle consiste à réduire l'apport vasculaire des plexus hémorroï-
à traiter une maladie hémorroïdaire externe. Elle peut être daires (désartérialisation) et à les réintégrer à leur place initiale
indiquée d'emblée en cas de complication aiguë (polythrom- dans le canal anal. L'objectif est donc, sans créer de plaie, de
boses hyperalgique et/ou nécrotique résistant au traitement diminuer leur taille et de restaurer les rapports anatomiques des
médical), d'anémie sévère et de maladie hémorroïdaire de plexus hémorroïdaires dans le canal anal.
grade 4 [2]. La douleur postopératoire crainte par les patients Cette technique est recommandée uniquement en cas de pro-
est à présent bien diminuée grâce à la prise en charge multi- lapsus sans extériorisation permanente car dans ce cas son
modale dont l'infiltration pudendale lors de l'intervention. Les efficacité est moindre et le risque de récidive plus important.

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Quand et comment traiter des hémorroïdes
PROCTOLOGIE

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que le DGHAL avec mucopexie avec des résultats similaires. Elle
a l'avantage d'être moins douloureuse en postopératoire mais
expose à long terme, à plus de récidives qu'après une hémor-
roïdectomie avec une récidive 3 à 5 fois plus fréquente (surtout
si grade 4) [9]. Les complications immédiates sont comparables
celles de la technique classique mais à plus long terme il existe
des complications rares mais invalidantes comme des douleurs
chroniques, une dyschésie et des impériosités fécales [10]. Enfin
des complications graves et heureusement rares ont été décrites
(sténoses, perforation rectale, hématome péri rectal, fistule
rectovaginale, péritonite) [11]. Au total, l'hémorroïdopexie cir-
culaire est actuellement de moins en moins pratiquée [12].

Autres techniques
D'autres techniques ne font pas partie des recommandations
actuelles mais sont régulièrement proposées et réalisées avec
des résultats satisfaisants. Elles utilisent le laser (laser hemor-
rhoïdoplasty) et la radiofréquence et consistent à détruire par un
effet de coagulation les plexus hémorroïdaires internes à l'aide
d'une une sonde introduite dans le réseau hémorroïdaire
interne créant ainsi une cicatrice rétractile. L'indication est
représentée uniquement par la maladie hémorroïdaire interne
de grade 2 et 3 symptomatique.
On dispose de 2 méta analyses concernant l'hémorroïdoplastie
au laser, qui concluent à une efficacité à court et moyen terme
(12 mois pour 2 études), en cas de grade 2 et 3, comparable
Figure 6 à celle de l'hémorroïdectomie pédiculaire avec des suites plus
Papille anale hypertrophique. simples en termes de douleurs, saignements et reprise des
activités habituelles [13,14].
La radiofréquence a récemment été évaluée dans deux essais
Elle n'a aucun intérêt en cas de maladie hémorroïdaire externe prospectifs, chez des patients ayant une maladie hémorroïdaire
associée. de grade 2 et 3. Leurs conclusions se rejoignaient avec une
Son efficacité à court et long terme de 90 à 95 %, est compa- amélioration des symptômes mais sans disparition complète
rable celle de l'hémorroïdectomie. Le taux de récidive, décrit des rectorragie ni du prolapsus. Les complications étaient
dans un travail récent portant sur 1000 patients avec un suivi mineures et rares, traitées le plus souvent médicalement
moyen de presque 4 ans, est de 8,5 % (pour les grades 2 et 3) et (rétention urinaire, hémorragie, thrombose, sténose) [15,16].
18 % (pour les grades 4) avec un taux de réintervention de 7 % Après un suivi moyen de 30 mois, le taux de récidive des
concernant surtout les grades avancés [5]. Les suites opératoires symptômes était de 21,5 % mais avec un sentiment d'amélio-
sont par contre plus simples que celles de l'hémorroïdectomie, ration globale et une satisfaction nette puisque près de
avec une meilleure tolérance postopératoire, une reprise des 9 patients sur 10 se seraient fait réopérer avec la même tech-
activités plus rapide et des complications immédiates mineures nique [17].
et rares (saignement, douleur, thrombose, dyschésie, rétention
d'urine) [6–8]. Il est simplement recommandé de ne pas porter
de charge lourde dans les 4 à 6 semaines qui suivent l'inter- Cas particuliers
vention pour éviter une récidive précoce du prolapsus. Chez la femme enceinte et allaitante, le traitement médical est
toujours à privilégier en respectant les contre-indications et
Anopexie ou hémorroidopexie circulaire précautions d'emploi précisées sur le site lecrat.org. Il faut
Elle est décrite par Longo consiste à retirer une collerette de retenir que les laxatifs doux, les topiques, le paracétamol et
muqueuse circulaire sus anale emportant la partie haute des les veinotoniques peuvent être prescrits et que les AINS, contre-
plexus hémorroïdaire à l'aide d'une pince mécanique qui assure indiqués au 3e trimestre de la grossesse, sont autorisés pendant
dans le même temps la résection et une suture mucomuqueuse l'allaitement. La chirurgie est possible en cas d'échec du trai-
par agrafage circulaire. Cette technique a les mêmes indications tement médical d'une complication sévère (thrombose

tome 5 > n81 > février 2024

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T. Higuero
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Mise au point
hyperalgique et/ou nécrotique, anémie aiguë) exceptionnelle, Conclusion
en privilégiant les gestes partiels monopédiculaires [18]. Tout le monde a des hémorroïdes, la maladie hémorroïdaire est
Chez le patient sous antiagrégants (sauf l'aspirine qui ne pose fréquente mais il ne faut traiter que ceux qui s'en plaignent. La
pas de problème) ou sous anticoagulants oraux, le risque de stratégie thérapeutique dépend des symptômes, de l'anatomie
saignement postopératoire est augmenté mais les anticoagu- mais également des attentes du patient. La régularisation du
lants eux mêmes peuvent être responsables d'une majoration transit doit toujours être obtenue tant en curatif qu'en préventif.
du saignement lié à la maladie hémorroïdaire. Les règles de Lorsque le prolapsus est absent ou minime, le traitement médi-
suspension des traitements anticoagulant (notamment AOD) cal et instrumental a de grandes chances de contrôler les symp-
avant chirurgie sont à appliquer (cf. recommandations de la tômes à court et moyen terme. En cas d'échec ou en cas de
société française d'anesthésie réanimation). Le problème est prolapsus plus important la chirurgie doit être proposée. Actuel-
dans le cas présent la possibilité de saignement « tardif » une lement plusieurs techniques existent et peuvent être associés
dizaine de jours après le geste opératoire qui doit faire évaluer la entre elles au cours du même temps opératoire pour réaliser
balance risque bénéfice liée à la reprise du traitement anti- une chirurgie personnalisée. Le choix de la technique opératoire
coagulant. Il faut éviter tout geste instrumental ou chirurgical dépend bien évidemment du grade anatomique mais égale-
sans les interrompre. ment des desirata du patient qui doit être clairement et loyale-
En cas de fissure anale associée le traitement médical et chi- ment informé par le proctologue (suites simples, reprise rapide
rurgical se rejoignent. des activités habituelles, chirurgie la plus efficace à long terme).
En cas de suppuration anale associée, le traitement de cette
dernière prime sur la maladie hémorroïdaire. Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
d'intérêts.

Références
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tome 5 > n81 > février 2024

30
Presse Med Form 2024; 5: 31–35

en ligne sur / on line on


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PROCTOLOGIE
www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Mise au point
Quand et comment traiter une fissure anale
et ses facteurs déclenchant

Agnès Senéjoux

Disponible sur internet le : Les hôpitaux privés Rennais, 35760 Saint-Grégoire, France
13 janvier 2024
asenejoux@vivalto-sante.com

Points essentiels
Toute douleur anale nécessite un examen clinique.
La fissure anale est une cause très fréquente de douleur anale et ne doit pas être confondue avec
une crise hémorroïdaire.
La fissure anale est habituellement aiguë, bénigne et d'évolution spontanément favorable mais
elle peut parfois devenir chronique.
Le diagnostic de fissure anale est suspecté très facilement dès l'interrogatoire devant une douleur
anale déclenchée par la défécation.
Le traitement d'une fissure anale est médical en première intention et associe la régularisation du
transit, les antalgiques et les topiques cicatrisants.
Les crèmes visant à traiter l'hypertonie sphinctérienne aux dérivés nitrés ou aux inhibiteurs
calciques sont des traitements de deuxième intention, proposés pour les fissures chroniques.

Key points
When and how to treat an anal fissure and its causative factors

Anal pain always requires a clinical examination.


Anal fissure is a very common cause of anal pain and should not be confused with hemorrhoidal
crisis.
Anal fissure is usually acute, benign and spontaneously regressive but it can sometimes become
chronic.
The diagnosis of anal fissure is suspected very easily when anal pain is triggered by defecation.
Treatment of anal fissure is medical in first instance and combines regularization of transit,
analgesics and healing topicals.
Creams targeting sphincter hypertonia with nitroglycerin or calcium channel blockers are second-
line treatments, proposed for chronic fissures.

tome 5 > n81 > février 2024


10.1016/j.lpmfor.2024.01.007
© 2024 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
31
A. Senéjoux
PROCTOLOGIE

Mise au point
C ontrairement à une idée largement rependue parmi les
patients et certains médecins, toutes les douleurs anales ne sont
constipation. Elle s'accompagne fréquemment d'une discrète
rectorragie (« à l'essuyage »).
pas d'origine hémorroïdaire. Ainsi, la fissure anale est une cause L'examen clinique est indispensable. Il doit être réalisé après
très fréquente de douleur anale et, après la maladie hémorroï- avoir recueilli le consentement du patient, avec un bon éclai-
daire, le second motif de consultation en proctologie. Il s'agit rage, au mieux en position genu pectorale qui offre la meilleure
d'une perte de substance longitudinale de petite taille débutant visibilité sur la zone anale. Lorsque cette position est impossible
au niveau de la marge anale pour remonter dans le canal anal (patient âgé, handicapé. . .), le décubitus latéral gauche, cuisses
jusqu'à la ligne pectinée. fortement fléchies sur l'abdomen, peut être utilisé. Le diagnostic
La fissure anale est habituellement aiguë, bénigne et d'évolu- repose sur l'inspection, le toucher rectal n'est habituellement
tion spontanément favorable mais elle peut parfois devenir pas nécessaire tant que les douleurs sont présentes.
chronique. La définition du passage à la chronicité n'est pas L'examen cherche, en déplissant soigneusement les plis radiés
consensuelle avec des seuils de durées d'évolution variant entre avec douceur et en faisant si besoin pousser le malade, une
8 et 12 semaines selon les auteurs [1]. ulcération superficielle de l'anoderme siégeant dans 85 % des
La fissure anale altère significativement la qualité de vie des cas au pôle postérieur de l'anus hormis au décours du post-
patients [2]. partum où la fissure est antérieure dans 2 cas sur 3.
Son diagnostic est facile et sa prise en charge le plus souvent La fissure anale aiguë est habituellement unique, superficielle,
médicale. à fond rouge, bien limitée (figure 1). Elle est fréquemment
associée à une hypertonie sphinctérienne. Lorsque la fissure
Épidémiologie et facteurs de risque devient chronique, son aspect change, devenant plus profonde
et plus large, laissant apparaître les fibres musculaires du sphinc-
L'incidence de la fissure anale a été estimée à 1,1 cas pour
ter anal interne, avec des bords surélevés, elle s'associe dans ce
1000 personnes-années [3]. En post-partum, elle concerne 15 %
cas fréquemment à des « annexes », repli cutané appelé
des femmes [4].
marisque et papille hypertrophique (pseudopolype fibreux cica-
Elle concerne autant l'homme que la femme, et peut survenir
triciel) (figures 2 et 3). À un stade ultérieur, la fissure peut
à tout âge [3].
s'infecter voire engendrer un petit abcès sous fissuraire
L'étiopathogénie précise de la fissure anale idiopathique reste
(figure 4).
un sujet de discussion mais il paraît certain que la plupart des
La fissure anale est rarement bipolaire.
fissures sont déclenchées par le traumatisme direct d'une selle
La fissure anale non commissurale doit être considérée comme
dure ou d'une diarrhée [3].
spécifique jusqu'à preuve du contraire : il faut évoquer un cancer
Les études manométriques chez le patient ayant une fissure
anal dans sa forme fissuraire (figure 5), une maladie de Crohn ou
anale retrouvent une augmentation de la pression de base de
encore un chancre syphilitique sur certains terrains. . .
l'anus par rapport au volontaire sain si l'on excepte la fissure du
Les érosions superficielles ou ulcérations situées à distance de
post-partum ou une hypotonie est le plus souvent constatée
l'orifice anal ne doivent pas être confondues avec une fissure
[5,6]. L'hypertonie anale pourrait être primitive ou secondaire,
anale, et ne doivent donc pas être dénommées ainsi. Elles
liée à la douleur [7]. Cette hypertonie entraine une ischémie
locale qui gêne la cicatrisation et favorise le passage à la chro-
nicité [8]. Des travaux anatomiques ont montré que le pôle
postérieur de l'anus est une zone de fragilité, expliquant sans
doute la localisation préférentielle des fissures à ce niveau [9].

Un diagnostic suspecté dès l'interrogatoire


et confirmé facilement par l'examen
clinique
Le diagnostic de fissure anale est suspecté très facilement dès
l'interrogatoire devant une douleur anale aiguë intense à type
de brûlure, de « lames de rasoirs », « de passage de morceaux
de verre brisé », de « sensation de déchirure » provoquée par la
défécation. Classiquement, on décrit une douleur en 3 temps :
déclenchée par la défécation puis s'apaisant quelques minutes
pour ensuite réapparaître et durer plusieurs heures. Cette dou- Figure 1
leur entraîne une hantise de la selle avec aggravation de la Fissure anale aiguë

tome 5 > n81 > février 2024

32
Quand et comment traiter une fissure anale et ses facteurs déclenchant
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 2 Figure 4
Fissure anale chronique Fissure anale infectée

Figure 3 Figure 5
Fissure anale chronique avec papille hypertrophique Cancer de l'anus à forme fissuraire

tome 5 > n81 > février 2024

33
A. Senéjoux
PROCTOLOGIE

Mise au point
contenter des données évocatrices de l'interrogatoire pour faire
le diagnostic et proposer un traitement d'épreuve.

Le traitement d'une fissure anale est le


plus souvent médical chez l'adulte
Il associe la régularisation du transit, des antalgiques et des
topiques cicatrisants ou visant à diminuer l'hypertonie
sphinctérienne.
La régularisation du transit est capitale, tant pour obtenir la
cicatrisation [10] qu'éviter la récidive [11]. L'objectif est d'obte-
nir des selles molles pendant plusieurs semaines. Outre la
consommation de fibres, souvent insuffisante, on prescrira quasi
Figure 6 systématiquement des laxatifs osmotiques ou un mucilage.
Diagnostic différentiel d'une fissure anale chronique : lésions de Les antalgiques de pallier 1 ou 2 sont prescrits pour soulager la
grattage en rapport avec un prurit anal douleur, il faut noter l'utilité dans cette indication d'une pres-
cription d'anti-inflammatoires non stéroïdiens pendant quel-
peuvent être liées à une dermite irritative, un prurit anal chro- ques jours [10]. Les bains de siège chauds peuvent aussi
nique (figure 6), une infection sexuellement transmissible (her- avoir un effet antalgiques, peut être en diminuant l'hypertonie
pès) voire une authentique affection dermatologique (figure 7). sphinctérienne [12].
Une fissure anale n'est pas toujours facilement visible : lorsqu'il Les crèmes cicatrisantes sont largement proposées bien que leur
existe une importante hypertonie sphinctérienne douloureuse, utilité n'ait pas fait l'objet d'étude scientifique. Les suppositoires
l'examen clinique peut être très difficile et il faut savoir se lubrifient le canal anal et aident au passage des selles. L'asso-
ciation de crème et de suppositoire est fréquemment employée.
Il existe des crèmes visant à traiter l'hypertonie sphinctérienne,
c'est le concept de « sphinctérotomie chimique ». Le principe
actif est soit un dérivé nitré soit un inhibiteur calcique. Il s'agit de
traitements de deuxième intention, proposés pour les fissures
chroniques.
Les dérivés nitrés en application locale diminuent la pression de
base du canal anal chez le volontaire sain et le patient fissuraire
et améliorent le flux sanguin au niveau de l'anoderme [8]. Les
taux de cicatrisation rapportés sous traitement sont de l'ordre de
50 % mais les récidives, à l'arrêt du traitement sont très fré-
quentes, estimées autour 50 % [13]. De plus la tolérance de ce
traitement est mauvaise avec des céphalées dans plus de 50 %
des cas. La seule spécialité commercialisée en France de crème
aux dérivés nitrés n'est pas remboursée.
La contraction musculaire est régulée par les modifications du
taux intra-cytoplasmique d'ions calcium. Le muscle lisse,
contrairement au muscle strié, a une activité contractile activée
à l'état basal. Le blocage de l'ouverture des canaux calciques
membranaires voltage dépendants entraîne ainsi une relaxation
musculaire. Ainsi, chez le volontaire sain et le fissuraire la
nifédipine diminue le tonus sphinctérien de base de 30 %
[14]. Les crèmes à la nifédipine sont un peu plus efficaces pour
la cicatrisation des fissures anales que celles aux dérivés nitrés,
leur tolérance est bien meilleure [15]. Il existe en France une
Figure 7 spécialité remboursée de crème à la nifédipine ayant une AMM
Diagnostic différentiel d'une fissure anale : lichen scléro- pour le traitement de la fissure anale chronique avec une
atrophique application bi quotidienne pendant 3 semaines.

tome 5 > n81 > février 2024

34
Quand et comment traiter une fissure anale et ses facteurs déclenchant
PROCTOLOGIE

Mise au point
Enfin, des injections de toxine botulique ont été proposé pour préféré en dépit d'une cicatrisation plus lente (en moyenne
traiter les fissure anales chroniques [16]. Il n'y a pas d'AMM en 7,5 semaines) [18].
France.
Conclusion
La fissure anale est une pathologie très fréquente liée le plus
Le traitement chirurgical est parfois souvent aux efforts défécatoires. Son diagnostic est facile, sus-
indiqué pecté dès l'interrogatoire qui est généralement stéréotypé et
En cas d'échec du traitement médical d'une fissure anale chro- facilement confirmé par la simple inspection de la marge anale.
nique, ou lorsque la fissure s'infecte, une chirurgie peut être Le traitement médical est habituellement suffisant pour les
indiquée chez l'adulte. Chez l'enfant il n'y a pas de place pour le fissures aiguës. La récidive doit être prévenue en régulant les
traitement chirurgical [10]. troubles du transit. En cas de fissure anale chronique, le traite-
Le traitement chirurgical de référence de la fissure anale par le ment topique de seconde ligne fait appel aux crèmes à la
monde est la sphinctérotomie latérale interne [17]. Ce traite- nifédipine plus qu'aux dérivés nitrés. En cas d'échec, une prise
ment a pour but de permettre la cicatrisation de la fissure, en charge chirurgicale peut être indiquée.
laissée en place en diminuant l'hypertonie sphinctérienne de
repos. La sphinctérotomie a pour inconvénient de pouvoir Déclaration de liens d'intérêts : l'auteure déclare ne pas avoir de liens
d'intérêts.
entraîner des troubles de la continence, habituellement mineurs
mais irréversibles. Ce traitement est peu utilisé en France où la
fissurectomie seule ou associée à une anoplastie lui est souvent

Références
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tome 5 > n81 > février 2024

35
Presse Med Form 2024; 5: 36–40

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Dossier thématique

Mise au point
Traiter une fistule anale sans risquer
l'incontinence ?

François Pigot

Disponible sur internet le : MSPB Bagatelle, service de proctologie, 303, rue Frédéric-Sévène, 33400 Talence,
13 janvier 2024 France
proctologie@mspb.com

Points essentiels
Le traitement chirurgical d'une fistule anale est la seule option, qui puisse offrir une guérison sur le
long terme.
Les traitements, essentiellement chirurgicaux, sont très variés dans leur principe.
Certaines fistules peuvent engendrer des troubles de la continence.
Les interventions respectant le plus la continence sont celles qui ont le taux de succès le plus bas
sur la suppuration.
L'innovation technique a encore une marge de progression, la chirurgie plus traditionnelle peut
s'améliorer.

Key points
Surgery for anal fistula without secondary incontinence?

Surgical treatment of an anal fistula is the only option that can offer long-term cure.
The treatments, essentially surgical, are very varied in their principle.
Some can cause continence problems.
The interventions that respect continence the most are those that have the lowest success rate on
suppuration.
Technical innovation still has room for improvement, more traditional surgery can improve.

Cliniquement, elle peut être asymptomatique, avec un orifice


Qu'est-ce qu'une fistule anale ? cutané sec voire fermé, ou bien inflammatoireavecun orificecutané
ouvert produisant un écoulement puriforme (figure 2). La fistule
C'est un trajet secondaire, le plus souvent secondaire à l'infection
peut être incomplète et ne pas s'aboucher à la peau, elle est alors
d'une glande anale, faisant communiquer d'un côté l'abcès à un
responsable d'abcès récidivants de la fosse ischio-rectale (figure 3).
orifice cutané situé sur la marge anale, et de l'autre ce même
abcès avec l'orifice interne de la glande infectée. La fistule Pourquoi traiter une fistule anale ?
traverse une partie plus ou moins importante de l'appareil Le traitement d'une fistule s'envisage principalement dans deux
sphinctérien (figure 1). situations :

tome 5 > n81 > février 2024


10.1016/j.lpmfor.2024.01.006

36
Traiter une fistule anale sans risquer l'incontinence ?
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 1
Schéma d'une fistule anale avec les 3 variantes en hauteur selon Figure 3
l'importance de la traversée du sphincter anal (trajet 1 : fistule
Trajet fistuleux profond uniquement visible en IRM
haute, trajet 3 : fistule basse)

 une fistule perméable (figure 2), responsable de suintements


et d'épisodes inflammatoires avec tuméfaction et sensibilité
locales ;
 un abcès anal récidivant, sans orifice cutané visible (figure 3).

On suppose que la partie du trajet située entre l'abcès et


l'orifice interne endoanal est la source des récidives de la
suppuration, et l'expérience prouve que la mise en évidence
et le traitement de ce trajet garantissent la guérison.
Un troisième cas de figure est actuellement sujet à discussion :
faut-il rechercher et traiter (si on la trouve) une fistule sous-
jacente devant la première poussée d'un abcès anal afin de
prévenir la récidive de l'abcès ? La réponse serait plutôt oui, si
l'on trouve facilement le trajet fistuleux lors du temps de drai-
nage de l'abcès. En effet, environ 50 % des abcès récidivent et/
ou donnent lieu à une fistule symptomatique entre 3 et 4 ans
après un drainage simple dans les études randomisées [1]. Dans
une série rétrospective ne garantissant pas le suivi de tous les
malades, on note 16 % d'apparition d'une fistule dans les 7 mois
suivant la mise à plat de l'abcès [2] ; les auteurs en font un
argument pour le drainage simple des abcès, la récidive d'un
abcès anal n'étant pas un évènement à prendre en compte pour
eux. . . Mais une revue de la littérature montre que le taux le plus
élevé de récidive (abcès et/ou fistule) est constaté après drai-
nage simple (88 %), par rapport au drainage et traitement de la
fistule (21 %) [3]. Dans tous les cas il faut prévenir le patient du
Figure 2 risque de récidive ou de constitution de fistule après traitement
Orifice fistuleux cutané d'une fistule anale d'un abcès.

tome 5 > n81 > février 2024

37
F. Pigot
PROCTOLOGIE

Mise au point
Pourquoi associer traitement d'une fistule
et incontinence anale ?
Une fistule anale traverse une partie plus ou moins importante
du sphincter anal (figure 1). Aborder chirurgicalement ce trajet
provoque des lésions musculaires et des déformations de l'anus
qui peuvent avoir un retentissement sur la continence : suinte-
ments, fuites de gaz, voire de selles. Ces troubles de la conti-
nence sont majorés en cas d'interventions itératives, de fragilité
du sphincter (par exemple chez la femme après accouchement),
et de troubles du transit (intestin irritable, diarrhée
chronique. . .).
Jusqu'à récemment, le traitement d'une fistule anale considéré
comme le plus efficace était la mise à plat chirurgicale de tout le
trajet. Une étude multicentrique française rapporte 1,5 % Figure 4
d'échecs avec cette stratégie réservée aux fistules traversant Obturation du trajet fistuleux par injection de colle (fin de
peu de fibres musculaires [4]. Pour des fistules complexes (un ou procédure avec visualisation du bouchon qui déborde par l'orifice
plusieurs trajets traversant une quantité significative du sphinc- cutané)
ter anal), la mise à plat en plusieurs temps, a été proposée.
Malheureusement, ce traitement se complique de troubles de la Occlusion chirurgicale
continence, parfois sévères (augmentation du score d'inconti- Divers procédés ont été décrits. Le plus ancien et le plus étudié
nence anale de Wexner de plus de 5 points, valeur cliniquement est l'occlusion de l'orifice interne du trajet fistuleux par un
significative), chez 6 et 7 % des patients respectivement après lambeau musculo-muqueux rectal. Cette technique est assez
mise à plat en un ou en deux temps [4]. efficace pour les fistules s'abouchant dans le rectum, elle l'est
Ces troubles de la continence ont longtemps été considérés moins pour les fistules ayant pour origine une glande anale (les
comme « le prix à payer » pour la guérison. Aujourd'hui, alors plus fréquentes) du fait d'une difficulté à maintenir en place un
que la chirurgie doit exposer au moins de complications possi- lambeau abaissé dans le canal anal. Une autre technique plus
bles, la récidive d'une fistule ou d'un abcès serait-il devenu le récente consiste à interrompre le trajet fistuleux dans sa tra-
« prix à payer » pour une chirurgie respectant la continence ? versée sphinctérienne (LIFT) en l'abordant par voie transcutanée
C'est ce que nous allons discuter. (figure 5). D'après une revue de la littérature ces deux techni-
ques ont des taux d'efficacité de 60 à 80 %, chiffres basés sur
Des solutions moins agressives pour la des études de qualité très variable [6]. L'incontinence secon-
continence ont-elles été proposées ? daire est assez rare après LIFT, mais concerne jusqu'à 13 % des
Traitement médical malades après lambeau rectal [7].
C'est le traitement de référence des fistules associées à la
maladie de Crohn : associé à un drainage chirurgical initial, le
traitement par biothérapie (essentiellement les anti-TNF seuls
ou associés à un immunosuppresseur) assure le maintien en
rémission des suppurations plus d'une fois sur deux. Aucun
traitement médical n'a fait la preuve de son efficacité dans le
traitement des fistules anales non associées à la maladie de
Crohn. Les antibiotiques notamment n'ont aucun effet, à part
une baisse limitée et transitoire des signes inflammatoires. Les
anti-TNF n'ont pas encore été proposés dans cette indication, et
les injections de cellules souches mésenchymateuses humai-
nes, allogéniques, amplifiées d'origine adipeuse, sont en cours
d'évaluation.

Obturation mécanique intraluminale


L'obstruction de la lumière du trajet par une colle, pâte, mèche Figure 5
de tissu synthétique ou biologique a fait long feu (figure 4). Ces Fermeture du trajet fistuleux dans sa traversée sphinctérienne
procédés ne sont plus recommandés car associés à un taux (LIFT). Le trajet fistuleux a été abordé par voie transcutanée, puis
d'échec trop élevé [5]. interrompu entre les deux pinces, et enfin ligaturé

tome 5 > n81 > février 2024

38
Traiter une fistule anale sans risquer l'incontinence ?
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 6
Coagulation de la lumière du trajet fistuleux au laser
Cliché Dr E. Pommaret. Figure 7
Reconstruction du sphincter anal après section première pour
permettre la mise à plat et l'exérèse du trajet fistuleux

Destruction du trajet par voie endoluminale


La coalescence de la paroi du trajet après application dans la
lumière d'un agent physique (laser, radiofréquence, coagulation sphinctérienne associée à une reconstruction immédiate du
électrique) est une technique encore récente (figure 6). Sa sphincter anal, est très variable, mais globalement positive
diffusion s'explique plus par l'attrait d'une technologie épar- d'après une revue de la littérature montrant un taux de réussite
gnant le sphincter anal que par une réelle efficacité. Il est vrai de 93 % et une apparition ou majoration de l'incontinence de
qu'en termes de troubles de la continence secondaires les 11 % [10]. Le risque de troubles de la continence n'est pas nul,
résultats sont bons, mais concernant la guérison de la suppura- mais il est comparable à celui obtenu avec les autres techniques,
tion les preuves sont encore à faire avec des taux de succès au surtout le taux de guérison de la suppuration est un des plus
mieux aux environs de 60 %, voire proches de 30 % dans une élevés. Ces techniques avec reconstruction sphinctérienne
série multicentrique française [8]. immédiate ne sont pas onéreuses, ne nécessitent pas une
technologie complexe, mais requièrent une expertise
Mise à plat progressive par striction
chirurgicale.
La coupe progressive et lente des tissus recouvrant la fistule par
un lien plus ou moins élastique placé dans le trajet fistuleux est Conclusion
une technique connue depuis l'antiquité. Elle est simple mais
Traiter une fistule anale sans exposer le malade à un risque de
n'est plus guère pratiquée car le serrage du lien est douloureux,
troubles de la continence incite à proposer des solutions moins
doit théoriquement être effectué de façon itérative sur plusieurs
efficaces sur la suppuration. L'attrait des traitements actuels
semaines et la vitesse de section impossible à contrôler avec, en
réside dans leur caractère innovant, leur facilité d'exécution,
cas de section trop rapide, un résultat équivalent à une mise
et le côté « magique » des technologies de pointe. De bons
à plat en un temps. Les séries sont assez hétérogènes, avec des
ingrédients pour en assurer une large et rapide diffusion, mais
taux d'incontinence allant jusqu'à 12 % [5].
avec un bénéfice discutable pour le patient.
Autres modalités de mise à plat chirurgicale Anticipant les préoccupations de leurs patients, les proctologues
De nombreuses améliorations de la technique de référence auraient tendance à considérer que la récidive d'une suppura-
qu'est la mise à plat d'une fistule anale ont été proposées. Mise tion est « moins grave » qu'un trouble de la continence. Il est
à plat en plusieurs temps, mise à plat partielle avec dérivation cependant intéressant de lire l'étude de García-Aguilar et al. qui
du trajet fistuleux (rerouting), mise à plat avec reconstruction porte sur la satisfaction des patients et qui montre que la
sphinctérienne immédiate (figure 7). . . Ces techniques ont pour récidive d'une suppuration anale est aussi mal vécue qu'un
objectif de préserver le plus possible le sphincter anal. Dans une trouble de la continence [11].
enquête de pratique, internationale, récente, la reconstruction Une guérison à long terme peut être obtenue avec des procédés
sphinctérienne était pratiquée presque une fois sur deux en chirurgicaux plus classiques. Ils restent difficiles à réaliser, et
association avec une mise à plat et ablation de la paroi du trajet encore à risque (modéré) pour la continence. Cette chirurgie doit
fistuleux [9]. L'évaluation des résultats de la section continuer de s'améliorer. Ainsi elle pourra répondre aux patients

tome 5 > n81 > février 2024

39
F. Pigot
PROCTOLOGIE

Mise au point
qui veulent guérir de leur suppuration sans prendre trop de Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
d'intérêts.
risques de troubles de la continence. Ces techniques, du fait de
leur complexité, ne sont effectuées que dans des services
spécialisés vers lesquels les patients doivent être orientés.

Références
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drainage of perianal abscess with or without practice guidelines for the management of 2023;25:289–97.
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tome 5 > n81 > février 2024

40
Presse Med Form 2024; 5: 41–52

en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/lpmfor
PROCTOLOGIE
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Dossier thématique

Mise au point
Papillomavirus et cancer anal

Valentine Marie Ferré 1, Anne Laurain 2, Gary M. Clifford 3, Laurent Abramowitz 2, Charlotte Charpentier 1

Disponible sur internet le : 1. Université Paris cité, IAME Inserm U1137, hôpital Bichat Claude-Bernard,
16 janvier 2024 Assistance publique–Hôpitaux de Paris, service de virologie, Paris, France
2. Hôpital Bichat Claude-Bernard, Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, service de
proctologie, Paris, France
3. Branch of Early Detection, Prevention and Infections, International Agency of
Research on Cancer, Lyon , France

Correspondance :
Valentine Marie Ferré, Université Paris Cité, IAME Inserm U1137, service de
virologie, hôpital Bichat Claude-Bernard, Assistance publique–Hôpitaux de Paris,
Paris, France.
valentinemarie.ferre@aphp.fr

Points essentiels
– L'incidence des cancers anaux est en augmentation dans les pays à haut niveau de revenu tels
que la France.
– Deux tiers des cancers anaux sont diagnostiqués chez des femmes.
– Les cancers anaux sont liés dans plus de 90 % des cas à une infection par l'HPV16.
– Depuis 2023, des recommandations de dépistage systématique de certains groupes à risque de
cancer anal ont été émises par Société Nationale Française de Colo-Proctologie :
 Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes de plus de 30 ans vivant avec le VIH

 Femmes avec antécédent de lésion pré-cancéreuse ou cancer de la vulve

 Femmes transplantées d'organe solide depuis plus de 10 ans

Key points
HPV and anal cancer

– Anal cancer incidence is increasing in high-income countries such as France.


– Two third of anal cancer cases occur in women.
– HPV16 is responsible for more than 90% of anal cancer cases.
– Since 2023, new anal cancer screening recommendations have been proposed for asympto-
matic patients in at-risk groups by the Société Nationale Française de Colo-Proctologie:
 Male having sex with men living with HIV older than 30 years-old.

 Women with previous vulvar lesion or vulvar cancer.

 Women who have been solid organ transplant recipient for more than 10 years.

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10.1016/j.lpmfor.2024.01.011
© 2024 Publié par Elsevier Masson SAS.
41
V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
Papillomavirus et cancer on Cancer a classé 12 HPV du genre alpha en HPV à haut-risque
Les papillomavirus humains (HPV) sont des virus de petite taille, oncogène (HPV-HR): HPV16, HPV18, HPV31, HPV33, HPV35,
non enveloppés. Il existe plus de 400 types d'HPV, classés en HPV39, HPV45, HPV51, HPV52, HPV56, HPV58, HPV59;
différents genres. Le génome des HPV, ADN double brin circu- l'HPV68 est classé probable carcinogène. Ainsi, la quasi-totalité
laire, est divisé en gènes précoces (E pour Early), codant des des cancers du col de l'utérus sont dus aux HPV-HR [1] avec 70 %
protéines non structurales, et des gènes tardifs (L pour Late) d'entre eux liés aux HPV16/18 et 90 % liés aux 7 HPV-HR 16/
codant les protéines structurales de la capside. Une dernière 18/31/33/45/52/58 [2] contenus dans le vaccin nonavalent
région, non codante, contrôle l'expression des différents gènes actuellement recommandé en France. Les cancers de l'anus sont
viraux (figure 1). Alors que la plupart des HPV n'ont pas de des carcinomes épidermoïdes HPV-induits dans plus de 90 %
potentiel oncogénique, certains sont plus particulièrement des cas avec une très forte représentation de l'HPV16 [3,4]. Une
impliqués dans les cancers. L'International Agency for Research part variable des autres cancers génitaux sont liés aux HPV-HR:
25 % des cancers de la vulve, 78 % des cancers du vagin et 53 %
des cancers du pénis [1]. Enfin, 30 % des cancers de l'oropha-
rynx, du larynx et de la cavité orale sont liés aux HPV, quasi-
exclusivement du type 16 [1] (figure 2).

Épidémiologie des cancers anaux


Une étude récente basée sur les données GLOBOCAN 2020 rap-
porte une incidence estimée à 30 000 cas de cancers épider-
moïdes de l'anus dans le monde en 2020 [7] plus faible que les
plus de 600 000 nouveaux cas de cancers du col au niveau
mondial [7]. Les cancers anaux sont assez rares en population
générale avec un taux d'incidence standardisé sur l'âge
à 0,35 pour 100 000 personnes-années (pa) chez les hommes
et 0,57 chez les femmes: 2/3 des cas de cancers anaux touchent
donc les femmes [7]. Globalement les taux d'incidence du
cancer de l'anus, quel que soit le sexe, sont supérieurs dans
les pays à haut niveau de revenus (figure 3) [7].
En France, en 2018, 1532 nouveaux cas de cancers de l'anus ont
été rapportés chez la femme (2,4 pour 100 000 pa) et 479 nou-
veaux cas chez l'homme (0,8 pour 100 000 pa) [8], ce qui place
malheureusement la France en tête au niveau mondial en
termes d'incidence des cancers anaux (figure 3) [7]. Comme
dans de nombreux pays à haut niveau de revenus, contraire-
ment à la baisse globale des cas de cancers du col de l'utérus,
une augmentation de l'incidence du cancer anal a été observée
en France, à la fois chez la femme (+5,7 % entre 2010 et 2018)
et chez l'homme (+3,3 % entre 2010 et 2018) [8] (figure 4). Les
tendances par âge pour le cancer de l'anus montrent une
Figure 1 augmentation du nombre de cas principalement chez les fem-
Organisation génomique des alpha-Papillomavirus humains mes de 50 et 60 ans, dont l'explication est probablement proche
à haut risque oncogène (HPV-HR) illustrée par l'HPV16. Le de celle de l'augmentation des cas de cancers du col de l'utérus
génome comprend une région non codante LCR (Long Control dans cette même tranche d'âge [8] (figure 4).
Region) et huit gènes: en rouge les oncogènes E6 et E7, en vert Même si la majorité des cas de cancers anaux apparaissent chez
les gènes E1, E2, E4 et E5 impliqués dans la réplication du des femmes non infectées par le VIH [7], certaines populations
génome viral et en jaune les gènes de capside L1 et L2. Les
sont plus à risque comme les hommes ayant des rapports
promoteurs de ces gènes sont annotés par des flèches. Les
sexuels avec des hommes (HSH) vivant avec le VIH qui pré-
produits des gènes annotés avec un astérisque (*) sont des
protéines virales essentielles à la réplication du virus, son sentent un taux d'incidence global supérieur à 70 pour
assemblage et la libération des virions; ceux annotés avec un 100 000 pa au-delà de 35 ans [9] soit au moins 200 fois plus
double obèle (z) sont des protéines accessoires dont les élevé qu'en population générale (figure 5). Un taux d'incidence
fonctions permettent l'entrée dans le cycle cellulaire et plus élevé de cancer de l'anus a également été montré chez les
l'échappement au système immunitaire (adapté de [5]) femmes ayant déjà présenté un cancer cervical ou vulvovaginal.

tome 5 > n81 > février 2024

42
Papillomavirus et cancer anal
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 2
Incidence annuelle et fraction attribuable aux virus des cancers HPV-induits en 2018 dans le monde. Adapté de [1,6]

Figure 3
Incidence standardisée sur
l'âge (pour 100 000) des
cancers épidermoïdes de
l'anus selon le statut VIH en
2020 parmi les hommes et
les femmes dans les pays
avec des données accessibles.
Les taux d'incidence sont
disposés en ordre décroissant
de l'incidence globale des
cancers de l'anus parmi les
hommes et les femmes. Tiré
de [7]

tome 5 > n81 > février 2024

43
V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 4
Évolution des taux d'incidence des cancers du col de l'utérus (A) et de l'anus (B) par âge, chez la femme, entre 1990 et 2018 en
France métropolitaine. Echelle logarithmique. Taux d'incidence exprimé pour 100 000 femmes-années. (Adapté de [8])

Figure 5
Échelle de stratification du risque de cancer anal. HSH: Homme ayant des relations sexuelles avec des hommes; VIH: virus de
l'immunodéficience humaine. Adapté de [9]

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44
Papillomavirus et cancer anal
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 6
Proportion d'intégration du génome HPV dans le génome cellulaire dans carcinomes épidermoïdes ano-génitaux HPV-induits. De droite
à gauche: proportion de tumeurs cervicales avec intégration du génome HPV [10], proportion de tumeurs anales avec intégration du
génome HPV [11] EPI: génome viral sous forme épisomale non-intégré, INT: génome viral intégré dans le génome cellulaire

La méta-analyse de Clifford et al. rapporte un taux d'incidence d'expression faible, la protéine E2 se fixe uniquement sur les
du cancer anal plus élevé en cas de cancer vulvaire antérieur sites E2BS de forte affinité qui favorisent la transcription virale.
(50 pour 100 000 pa) qu'en cas d'antécédents de cancers vaginal En cas de forte expression de E2, la fixation supplémentaire aux
ou cervical (proche de 10 pour 100 000 pa) (figure 5) [9]. Enfin E2BS de faible affinité entraîne un rétrocontrôle négatif sur
un dernier groupe à risque de cancer anal est constitué par les l'expression des gènes viraux. De nombreux mécanismes molé-
femmes transplantées d'organe solide avec des taux d'incidence culaires peuvent entraîner un emballement de la prolifération
dépendant du type d'organe, probablement du fait d'un niveau cellulaire lié à la dérégulation de l'expression des oncoprotéines
d'immunodépression différent (figure 5) [9]. Le délai depuis la virales E6 et E7.
greffe semble être un facteur majeur d'augmentation du risque Un de ces mécanismes est l'intégration du génome viral dans le
de cancer anal, plutôt que l'âge des patientes greffées [7]. Le génome cellulaire. Ce mécanisme ne fait pas partie du cycle de
taux d'incidence chez les hommes non-HSH vivant avec le VIH réplication, bien au contraire, l'intégration aboutit à un génome
(32 pour 100 000 pa) est compris entre celui des HSH non viral linéarisé non réplicatif, non infectieux. L'utilisation de
infectés par le VIH (19 pour 100 000 pa) et celui des HSH vivant nouvelles technologies de séquençage a permis de mettre en
avec le VIH (85 pour 100 000 pa) [9] (figure 5). Le taux d'inci- évidence des motifs d'intégration complexes dans des tissus de
dence du cancer anal chez les femmes vivant avec le VIH cancers du col de l'utérus [10]. De l'intégration du génome viral
(22 pour 100 000 pa) est assez proche de celui des HSH non résulte le plus souvent une dérégulation positive de l'expression
infectés par le VIH [9] (figure 5). des oncoprotéines E6 et E7, ceci par différents moyens. La voie la
plus décrite est la perte du gène E2 lors de l'intégration, levant le
Papillomavirus et oncogenèse anale contrôle négatif de E2 sur la transcription des gènes E6 et E7.
De multiples facteurs interviennent dans l'oncogenèse HPV- L'intégration du génome des HPV n'est pas une condition néces-
induite. Les HPV ne possédant pas d'enzyme virale de réplica- saire à l'oncogenèse et certaines tumeurs ne contiennent que le
tion, ils utilisent la machinerie cellulaire pour se répliquer. Dans virus sous forme épisomale, d'autres présentent une intégration
les cellules différenciées, qui ne se divisent pas, les oncopro- constante dans les cellules tumorales et enfin certaines pré-
téines virales E6 et E7 ont un rôle primordial pour forcer les sentent un mélange de génomes intégrés et épisomaux
cellules à entrer en cycle cellulaire et leur conférer une résis- (figure 6). Une équipe française a caractérisé les motifs d'inté-
tance à l'apoptose permettant ainsi la réplication virale mais gration dans 93 tumeurs anales et rapporté une fréquence
entraînant dans le même temps une prolifération cellulaire non d'intégration plus faible pour les cancers anaux (55 %) que
contrôlée. L'expression des gènes E6 et E7 est contrôlée par le pour les cancers cervicaux (71 %) [10,11] (figure 6).
niveau d'expression du gène E2: dans la région LCR, de contrôle Les mécanismes épigénétiques sont des mécanismes physio-
de l'expression du génome viral, se trouve des sites de liaisons logiques permettent de contrôler l'expression des gènes
de la protéine E2 (E2BS pour E2 binding site). En cas de niveau séquence en paires de bases, en stimulant ou réprimant leur

tome 5 > n81 > février 2024

45
V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 7
Méthylation des promoteurs de gènes. (A) Les DNA méthyltransférases (DNMTs) transfèrent un groupe méthyl sur une cytosine en
position 50 d'un dinucléoside CpG à partir du donneur SAM (S-adénosylméthionine) formant une 5-méthylcytosine et SAH (S-
adénosylhomocystéine). (B) La méthylation du promoteur du gène entraîne une répression de la transcription

expression via la méthylation de l'ADN, les modifications post- hyperméthylation aberrante d'autres zones du génome, notam-
traductionnelles des histones (acétylation, méthylation, ment du génome humain.
phosphorylation. . .). Les oncoprotéines virales E6 et
E7 peuvent toutes les deux moduler la machinerie épigéné- Physiopathologie de la carcinogenèse anale
tique. Ainsi, l'oncoprotéine E7 peut entraîner la déméthylation Globalement, les HPV sont impliqués dans plus de 90 % des
d'histones réprimant l'expression de certains gènes comme cancers anaux, avec une imputabilité plus élevée chez les PVVIH
celui de l'inhibiteur de kinase cycline-dépendant p16 (ou INK4A) (quasiment 100 % des cancers anaux HPV induits) que chez les
[12], dont la sur-expression est largement utilisée comme mar- patients non infectés par le VIH (90 % des cancers anaux HPV
queur de prolifération en anatomocytopathologie. En ce qui positifs) [3]. Dans les pays à hauts niveaux de revenus (Europe et
concerne les mécanismes de méthylation, l'oncoprotéine Amérique du Nord principalement), le regroupement de l'ana-
E6 de l'HPV16 peut entraîner une sur-expression de lyse de plus de 18 500 lésions anales montrent une fréquence
DNMT1 via la suppression de p53 [13], alors que E7 peut se croissante de la positivité HPV16 avec la gravité des lésions
lier et activer directement DNMT1 [14]. La méthylation de l'ADN (figure 8) [3]. Il est important de noter qu'on observe cette
consiste en la liaison covalente d'un groupe méthyl (CH3) sur augmentation significative de fréquence de l'HPV16 même
le carbone C5 d'une cytosine située en 50 d'une guanine (CpG) entre les lésions anales précancéreuses de haut grade (HSIL)
par les enzymes cellulaires, ADN méthyltransférases (DNMT) et le cancer anal, suggérant que les HSIL positifs pour un
(figure 7A). En règle générale, l'hyperméthylation des régions HPV16 ont plus de risque d'évoluer vers le cancer que les autres
riches en CpG des promoteurs entraîne une répression du gène [3] (figure 8). Il a également été montré que la clairance des
en aval de ce promoteur, suite à l'encombrement stérique lié infections anales HPV16 est plus lente que celle des autres types
à la méthylation qui empêche la fixation des facteurs de trans- d'HPV-HR, ce qui, associé à la fréquence plus importante de cet
cription sur la région promotrice (figure 7B). Si des motifs HPV dans les cancers anaux, est en faveur du rôle bien plus
d'hyperméthylation aberrants entraînent l'extinction de gènes carcinogène de l'HPV16 que des autres types d'HPV-HR dans le
impliqués dans l'immunité antivirale, l'immunité anti-tumorale cancer anal. La co-infection avec le VIH semble influencer l'his-
ou de gènes dits « suppresseurs de tumeur », cela est en faveur toire naturelle des infections anales HPV car la fraction attri-
d'une prolifération cellulaire non contrôlée et d'un échappe- buable aux HPV16 des cancers anaux est plus faible chez les
ment immunitaire. Cependant, le mécanisme de méthylation PVVIH: environ 85 % des cancers anaux sont liés à l'HPV16 chez
n'est pas réservé au génome de l'hôte et la transcription des les patients non infectés par le VIH contre 70 % chez les PVVIH
gènes viraux peut également être régulée positivement ou [3]. Cependant, dans le tiers des cancers non-HPV16 chez les
négativement par ces phénomènes de méthylation. Ainsi, la PVVIH, la majorité (90 %) sont liés à des infections HPV multi-
méthylation peut être un mécanisme de défense antiviral de ples, rendant impossible la stratification de l'imputabilité des
l'hôte. Cependant, lorsqu'une hyperméthylation aberrante autres types d'HPV-HR dans ces cancers.
apparaît sur les E2BS de faible affinité de la région de contrôle Il est important de noter qu'une épidémiologie différente des
du génome, cela entraîne une perte du rétrocontrôle négatif de HPV-HR circulants dans les autres régions du monde a été
E2 sur l'expression des oncoprotéines E6 et E7. L'hyperexpres- démontrée. Ainsi, en Afrique de l'Ouest, l'HPV-HR 35 est retro-
sion de E6 et E7 entraîne une augmentation de l'instabilité uvé bien plus fréquemment dans les frottis anaux [15–17].
génomique favorisant l'intégration du génome viral et une L'analyse de biopsies anales provenant de ces régions est très
interaction accrue avec les DNMT pouvant entraîner une rare et il n'est à ce jour pas possible de démontrer une

tome 5 > n81 > février 2024

46
Papillomavirus et cancer anal
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 8
Prévalence des HPV16, HPV18 et HPV31/33/45/52/58 selon le statut sérologique VIH et la sévérité des lésions anales, chez les
hommes et les femmes. Adapté de [3]

épidémiologie différente des HPV-HR dans les cancers anaux liés anales HPV16 ne diminue pas avec l'âge des patientes, d'autant
à cette distribution différente des infections HPV-HR anales. plus si elles vivent avec le VIH [21]. Ces observations sont en
Les facteurs liés à l'incidence des infections HPV16 anales sem- faveur d'une clairance de l'HPV16 plus lente des infections
blent différent selon le sexe. Ainsi, chez les femmes comme anales par rapport aux infections cervicales [21].
chez les HSH, le nombre de partenaire sexuel est un facteur L'infection par le VIH est un facteur de risque de cancer HPV-
déterminant pour l'acquisition d'une infection HPV16 [18]. Chez induit couramment décrit: le taux de lymphocytes T CD4 ainsi
la femme, le nombre de partenaires sexuels avec rapports que la positivité de la charge virale VIH sont associés à une plus
anaux n'est pas fortement associé à l'infection anales forte incidence des infections HPV anales et à une persistance
à HPV16 [18] contrairement à l'association entre infection anale plus longue de ces infections [18]. Il a ainsi été démontré que le
HPV chez la femme et toilette génitale de l'avant vers l'arrière contrôle durable de l'infection par le VIH par les traitement
ou les contacts intimes ano-digitaux [19]. Cela suggère que le antirétroviraux (TAR) diminuait le risque de cancer anal de
risque d'infection anale à HPV16 chez la femme serait plus lié 44 % [22]. D'après les données de 2020, 21 % des cancers
à une acquisition de l'infection par promiscuité avec les sites chez les hommes versus 3 % chez les femmes étaient diag-
génitaux infectés que via les rapports sexuels anaux. La nostiqués chez des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) [7].
démonstration d'une corrélation importante entre les types L'avènement des TAR a cependant permis d'allonger l'espérance
d'HPV détectés dans les deux sites anatomiques prélevés de de vie des PVVIH, ce qui entraîne finalement une augmentation
façon concomitantes conforte cette hypothèse [20]. globale de l'incidence des cancers anaux chez les PVVIH dans les
De nombreuses similitudes existent entre la physiopathologie pays à haut niveau de revenus. Ainsi, la majorité des cancers de
des cancers cervicaux et anaux HPV-induits, comme l'existence l'anus incidents chez les hommes vivants avec le VIH en 2020 se
de stades précancéreux permettant un dépistage de ces lésions concentrait en Amérique du Nord et en Europe alors que pour les
contrairement à la pathologie ORL HPV-induite. Il a également femmes vivant avec VIH, les cas étaient majoritairement détec-
été démontré que, comme dans le col, plus la persistance de tés en Afrique Sub-saharienne.
l'infection HPV anale était longue, plus la probabilité de l'évolu- L'évolution des lésions précancéreuses anales est moins bien
tion vers une clairance physiologique de cet HPV était faible décrite que celle des lésions cervicales du fait de l'absence de
[18]. Cependant, des différences semblent exister notamment programmes de dépistage jusqu'à ce jour. Cependant, ces der-
en ce qui concerne la persistance des infections HPV anales. nières années, des travaux sur l'évolution des lésions anales de
Ainsi, au niveau anal, contrairement à l'HPV16, l'infection haut grade ont permis d'accumuler des connaissances importan-
à HPV18 ne persiste pas plus longtemps que les autres HPV- tes dans ce domaine. Ainsi, dans l'étude française multicentrique
HR, suggérant que l'HPV18 n'a pas un rôle aussi carcinogène ANRS-EP57-APACHES, plus de 500 HSH vivant avec le VIH ont été
dans l'anus que dans le col [18]. De plus, il a été observé que, recruté et 10,4 % d'entre eux présentaient une lésion HSIL à l'in-
contrairement à la décroissance des infections cervicales clusion et la positivité de la détection HPV16 et du double mar-
à HPV16 avec l'âge des femmes, la prévalence des infections quage p16/Ki67 étaient les déterminants majeurs de la présence

tome 5 > n81 > février 2024

47
V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
d'une lésions anale de haut grade [23]. Les participants ont été macroscopique des cancers de l'anus peut être très variable
suivi avec des frottis anaux et AHR annuelles sans traitement des et trompeur: ulcération, aspect pseudo fissuraire,
lésions. Il a été présenté au congrès International Anal Neoplasia tuméfaction. . . Aussi, lors de l'examen clinique, toute induration
Society de novembre 2023 qu'aucun des 129 patients de l'étude au toucher ou toute ulcération/fissure ne cicatrisant pas doit
APACHES avec lésions HSIL à l'inclusion n'a développé de cancer bénéficier d'une biopsie.
anal dans les 5 ans de suivi, et que les lésions non liées à HPV16 ré- Les modalités de dépistage du cancer anal proposées par la
gressaient significativement plus (régression à des stades AIN2 ou SNFCP sont propices à la mise en place de l'auto prélèvement
inférieurs). Il a également été rapporté que la taille de la lésion anal pour le dépistage HPV16 anal. Une première étude a
était associée à la potentielle régression (plus la taille de la lésion démontré la meilleure acceptabilité du dépistage anal via un
était importante, moins elle régressait). kit d'autoprélèvement envoyé par la poste [26]. Dans cette
La cohorte AIN3 est une autre étude française qui a inclue étude, il a été démontré une adéquation en terme de validité
environ 1000 patients avec antécédent de lésion anale de haut du test HPV des prélèvements anaux réalisés par les patients
grade. La particularité de cette étude est qu'elle a inclue des randomisés dans le bras autoprélèvements par rapport aux
femmes non infectées par le VIH. Dans cette étude, il a été patients ayant bénéficié d'un prélèvement anal réalisé par du
rapporté une incidence cumulée de 2,5 % de cancers anaux personnel médical [26]. Dans une étude ancillaire, la même
à 3 ans de suivi en médiane lors du congrès des Journées équipe a comparé le résultat du test HPV entre un autoprélè-
francophones d'hépatogastroentérologie et d'oncologie vement et un prélèvement réalisé par un personnel médical
digestive. L'étude américaine ANCHOR menée chez près de avec 19 j d'écart entre les deux prélèvements en médiane (de
5000 PVVIH a quant à elle permis pour la première fois de 2 à 70 j) et a démontré une bonne concordance entre les deux
démontrer l'impact du traitement des lésions de haut grade types de prélèvements [27]. Le type d'autoprélèvement utilisé
avec une diminution du taux de cancers de 57 % dans le bras dans cette étude ne permet cependant pas de réaliser une
traité (incidence 173 pour 100 000 pa vs 402 pour 100 000 pa analyse cytologique sur l'autoprélèvement anal.
dans le bras en simple surveillance) [24]. Suite à cette étude, Les recommandations françaises de dépistage du cancer anal de
des recommandations de dépistage des lésions anales précan- la SNFCP seront bientôt complétées par la mise à jour des
céreuses dans les populations à risque asymptomatiques recommandations françaises de suivi des PVVIH de l'HAS. Leur
commencent à émerger. mise en place se heurte cependant à l'absence, à ce jour, de
remboursement des tests HPV sur prélèvements anaux. Il est
Dépistage du cancer de l'anus possible que pour bon nombre de patients, négatifs pour le test
A ce jour, aucun consensus international n'existe en ce qui HPV16, on puisse alléger le suivi proctologique. Mais il est
concerne les recommandations de dépistage des lésions anales également possible que l'on observe un engorgement des
précancéreuses. La France a été le premier pays à émettre ce consultations de proctologie face à un nombre important de
type de recommandations dans des populations à risque non patients asymptomatiques qui devront être reçus pour un exa-
exclusivement VIH. Ainsi, la Société Nationale Française de Colo- men proctologique suite à un test HPV16 positif puis pour une
Proctologie a recommandé début 2023 un dépistage systéma- anuscopie haute résolution en cas d'anomalie alors que cet
tique des patients asymptomatiques HSH de plus de 30 ans examen est encore peu disponible du fait de l'expertise et du
vivant avec le VIH, des femmes avec antécédent de lésion matériel très spécialisé nécessaires pour réaliser cet examen.
précancéreuse ou cancer de la vulve, des femmes transplantées Afin de mieux cibler les patients les plus à risque et d'adapter les
d'organe solide depuis plus de 10 ans [25]. Ces recommanda- délais de consultation selon le risque d'évolution péjorative des
tions de dépistage préconisent une détection de l'HPV16 sur patients, il est important de développer des marqueurs prédic-
frottis anal et, en cas de positivité, une cytologie anale et un tifs de cette évolution. Le génotypage HPV est déjà utilisé dans
examen proctologique (figure 9). Si le test HPV16 s'avère néga- ces recommandations qui se limitent à la détection de
tif, le patient doit refaire 5 ans plus tard un nouveau test l'HPV16 principalement impliqué dans les cancers anaux. L'ana-
HPV16 anal (figure 9). Si le test HPV16 est positif mais l'examen lyse cytologique du frottis anal apporte une sensibilité de 81,0 %
proctologique et la cytologie anale sont normaux, le patient est et une spécificité globale de 62,4 % pour les lésion anales de
revu à 3 ans pour un frottis combinant la détection HPV16 et la haut grade AIN2+ (lésion AIN2, AIN3 ou cancer) [28]. La sensi-
cytologie (figure 9). Enfin si la cytologie ou l'examen proctolo- bilité de la cytologie, considérée de façon isolée, semble ne pas
gique sont anormaux, le patient doit bénéficier d'une anuscopie satisfaire les critères pour un test de dépistage des lésions
haute résolution (figure 9). À noter que tout patient sympto- anales de haut grade avec 15 à 20 % des lésions de stade
matique doit bien sûr bénéficier d'un examen proctologique AIN2 qui ne sont pas détectées HSIL en cytologie [28]. De plus, il
quel que soit le résultat des tests. Les symptômes associés à un a été rapporté une hétérogénéité dans l'interprétation des
cancer de l'anus sont peu spécifiques: induration, saignements, cytologie anale qui nécessite une expertise anatomopatholo-
prurit anal, douleurs, « hémorroïde ». De même, l'aspect gique [23]. La détection moléculaire des HPV-HR permet

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48
Papillomavirus et cancer anal
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 9
Recommandations de dépistage du cancer de l'anus chez les patients asymptomatiques dans les groupes à risque définis par la
Société Nationale Française de Colo-Proctologie. Tiré de [25]

d'atteindre une sensibilité de 91,9 % pour les AIN2+ mais triage dans l'algorithme de dépistage de la SNCFP, pour l'adres-
entraîne une perte de spécificité clinique à 41,8 % [28]. sage vers l'AHR. Le double marquage p16/Ki67 pourrait venir
L'intégration du génome viral n'est pas un bon marqueur molé- compléter cette analyse cytologique.
culaire précancéreux du fait que, même au stade de cancer, un Le marquage p16INK4a (p16) est un reflet de la dérégulation du
grand nombre de tumeurs anales ne portent pas le génome viral cycle cellulaire induite par l'oncoprotéine virale E7, donc une
intégré. La cytologie est positionnée en tant que marqueur de caractéristique du processus de transformation cellulaire.

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V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
Ki67 est lui un marqueur de prolifération cellulaire mettant en Traitement du cancer anal
évidence les cellules en cycle. Le marqueur p16 seul ou la Le traitement des cancers de l'anus repose sur la chirurgie pour
double positivité de ces marqueurs sur les biopsies anales est les T1 de la marge anale et certains T1 du canal anal. Pour les
une aide à la stratification des lésions anales AIN, notamment cancers plus évolués, on a recourt à de la radiothérapie
pour affirmer une lésion HSIL versus LSIL/autre. Cependant leur  chimiothérapie et dans certains cas le traitement nécessite
caractère pronostic reste encore à établir [29]. La technique une amputation abdominopérinéale (récidive après radio chi-
d'immunocytochimie double marquage p16/Ki67 CINTEC+ pour- miothérapie). Comme tous les cancers, plus le cancer anal est
rait améliorer les performances de la cytologie anale [30,31]. pris en charge à un stade précoce plus le pronostic est bon, d'où
Les marqueurs de méthylation sont très prometteurs en termes l'intérêt du dépistage qui permet de dépister les cancers de
de triage des lésions anales de haut grade plus ou moins à risque petite taille. Dans ce cas (tumeur de moins de 2 cm), il est
d'évolution vers le cancer. En ce qui concerne la méthylation du important de prendre l'avis d'un chirurgien proctologue expert
génome de l'hôte, les marqueurs validés dans la littérature pour afin d'évaluer la possibilité d'une chirurgie permettant d'éviter
le triage des lésions précancéreuses cervicales ne sont pas les séquelles de la radiothérapie pelvienne. On notera que
transposables à la pathologie anale [32,33]. Une équipe hol- même en cas de T1, il est primordial de réaliser un bilan
landaise a démontré l'association du taux de méthylation de d'extension complet notamment à la recherche d'adénopathies
5 marqueurs (ASCL1, ST6GALNAC3, WDR17, ZIC1, et ZNF582) suspectes. A noter, le terme « carcinome in situ » ne doit plus
avec la sévérité des lésions histologiques dans une étude trans- être utilisé car il est source de confusion. Ce terme correspond en
versale à partir de biopsies tissulaires normales, AIN1, AIN2, fait a de la dysplasie de haut grade (HSIL ou AIN3) et ne doit en
AIN3 et cancer d'abord dans une population de HSH vivant avec aucun cas être interprété comme un carcinome épidermoïde
le VIH [34] puis dans une population d'hommes et de femmes infiltrant au risque de proposer aux patients des traitements
non infectés par le VIH [35]. Dans le cadre de la cohorte AIN3, inadéquates (radiothérapie notamment pas indiquée ici).
cohorte française nationale multicentrique incluant des patients
avec antécédents de lésions anales de haut grade, les mar- Conclusion
queurs de méthylation ZNF582 et ASCL1 ont été validés sur Le dépistage des lésions précancéreuses anales dans certains
frottis anaux, moins invasifs et plus adaptés au dépistage. Leur groupes à risque devrait permettre de réduire l'incidence des
niveau de méthylation est corrélé avec le stade cytologique, la cancers anaux qui est plus importante dans ces populations.
positivité HPV16 et la positivité du double marquage p16/ Cependant, le développement de marqueurs moléculaires pré-
Ki67 réalisés sur le même frottis. Dans cette même cohorte, dictifs de l'évolution des lésions anales des patients est crucial
grâce au suivi clinique longitudinal des patients, le niveau de pour que ces recommandations soient applicables sans peser
méthylation de ces marqueurs sur les frottis anaux réalisés trop lourdement sur les consultations de proctologies qui doi-
à l'inclusion des patients a démontré une très bonne valeur vent continuer d'accueillir de façon prioritaire les patients symp-
prédictive pour l'évolution des lésions vers un cancer anal tomatiques. De plus, cette stratégie de dépistage ne permettra
(JFHOD 2023, Eurogin 2023, manuscrit en cours de préparation). pas de prévenir les cas de cancers anaux incidents chez la
Ces marqueurs doivent maintenant être évalués en situation de femme sans facteur de risque, qui sont rares dans la population
dépistage chez des patients asymptomatiques pour déterminer générale mais représentent le plus grand nombre de cas de
leur potentiel en termes de triage. cancer de l'anus. Ces recommandations de dépistage ne per-
Concernant la méthylation du génome viral HPV, une association mettront donc d'infléchir la courbe d'incidence des cancers
entre la sévérité des lésions anales (AIN et cancer) et la méthy- anaux en France qu'en complément du déploiement large de
lation des gène tardifs (L1 et L2) d'HPV16, associée à la méthy- la vaccination anti-HPV indépendante du sexe en population
lation du génome de l'hôte (EPB41L3), a été montrée [36]. Un générale.
panel de méthylation a été développé par une équipe anglaise
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent avoir les liens ci-
comprenant l'étude de la méthylation des gènes tardifs de dessous :
4 HPV-HR (HPV16, 18, 31 et 33) et du génome de l'hôte 
Gilead, Copan : frais de congrès;

(EPB41L3) [37]. L'application de ce panel dans le cadre du AstraZeneca, Moderna : rémunération pour des conférences.
Les auteurs étant identifiés comme des membres du personnel du Centre
dépistage/stratification des lésions anales est en cours [38], international de Recherche sur le Cancer/Organisation mondiale de la Santé,
cependant ce test utilise la technologie de pyroséquençage qui les opinions exprimées dans la présente publication n'engagent qu'eux-
mêmes et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique
n'est plus aussi répandue depuis le développement de nouvel- officielle ou les opinions du Centre international de Recherche sur le Can-
les technologies de séquençage haut débit et ceci est, pour le cer/Organisation mondiale de la Santé.
moment, un frein à la mise en place de ce panel de méthylation.

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50
Papillomavirus et cancer anal
PROCTOLOGIE

Mise au point
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tome 5 > n81 > février 2024

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V.M. Ferré, A. Laurain, G.M. Clifford, L. Abramowitz, C. Charpentier
PROCTOLOGIE

Mise au point
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52
Presse Med Form 2024; 5: 53–61

en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/lpmfor
PROCTOLOGIE
www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Mise au point
Prise en charge des lésions anopérinéales de
la maladie de Crohn

Aurore Carlo 1, Charlène Brochard 2

Disponible sur internet le : 1. CHU de Rennes, service des maladies de l'appareil digestif, 2, rue Henri-Le-
13 janvier 2024 Guilloux, 35000 Rennes, France
2. CHU de Rennes, service des explorations fonctionnelles digestives, 2, rue Henri-
Le-Guilloux, 35000 Rennes, France

Correspondance :
Charlène Brochard, CHU de Rennes, service des explorations fonctionnelles
digestives, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35000 Rennes, France.
charlene.brochard@chu-rennes.fr

Points essentiels
Vingt-cinq pour cent des patients porteurs d'une maladie de Crohn développeront des lésions
anopérinéales.
Les lésions anopérinéales de la maladie de Crohn impactent fortement la qualité de vie des
patients.
Le traitement des fistules anopérinéales est médicochirurgical. Il repose notamment sur une
combothérapie associant anti-TNF alpha et immunosuppresseurs en première intention.
Il est préconisé de réaliser une IRM pelvienne afin d'évaluer l'efficacité du traitement à 6/12 mois
de la prise en charge.
Les techniques d'épargne sphinctérienne sont à privilégier mais reste décevantes.
Les injections de cellules souches adipocytaires semblent être une piste intéressante pour traiter
les fistules anales en lien avec une maladie de Crohn.

Key points
Management of Crohn's anoperineal lesions

Twenty-five percent of patients with Crohn's disease will develop anoperineal lesions.
Anoperineal lesions in Crohn's disease have a major impact on patients' quality of life.
Anoperineal fistulas are treated medico-surgically. It relies in particular on a combination of anti-
TNF alpha and immunosuppressants as first-line therapy.
Pelvic MRI is recommended to assess treatment efficacy six to twelve months after treatment.
It is preferable to perform sphincter-sparing techniques but results are disappointing.
Adipose-derived stem cells are an interesting alternative in the treatment of complex anope-
rineal fistulas in Crohn's disease.

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10.1016/j.lpmfor.2024.01.009
© 2024 Publié par Elsevier Masson SAS.
53
A. Carlo, C. Brochard
PROCTOLOGIE

Mise au point
Introduction anopérinéale dans le suivi d'une maladie de Crohn doit être
Les lésions anopérinéales (LAP) de Crohn correspondent à l'en- systématique.
semble des lésions attribuées à la maladie de Crohn touchant le L'examen clinique proctologique doit être réalisé avec attention
canal anal, le bas rectum, la cloison rectovaginale et la peau et dans de bonnes conditions. Il comprend un examen de la
périnéale. Elles concernent 25 % des patients ayant une maladie marge anale en prenant soin de bien décrire les lésions obser-
de Crohn. Elles peuvent être le mode de découverte de la vées. La peau périanale est souvent épaisse, avec un aspect
maladie ou survenir en cours d'évolution [1]. Elles sont catégo- inflammatoire voire « cartonnée » (figure 1A) ; il peut être
risées en lésions primaires et secondaires. Les lésions primaires observé des marisques œdémateuses. Ces anomalies sont for-
comprennent les ulcérations du canal anal ou du bas rectum. Les tement évocatrices d'une maladie de Crohn et, si le diagnostic
lésions secondaires comprennent les phénomènes suppuratifs n'a pas été fait, doivent la faire suspecter. Le déplissement
(abcès/fistules) et les sténoses anales et/ou rectales. Elles sont prudent des plis radiés permet de faire le diagnostic des ulcé-
souvent considérées comme la conséquence des lésions pri- rations anales et de préciser leur sévérité. Une ulcération est
maires mais ce n'est pas la règle. profonde si elle est délabrante, mettant à nu les fibres du
sphincter anal interne ; ou si les berges sont bourgeonnantes
et inflammatoires (figure 1B). La présence d'ulcération(s) doit
Comment faire le diagnostic ? faire rechercher une suppuration qui est présente dans 50 % des
cas [2]. Le toucher anorectal permet de palper une induration
Le diagnostic des LAP de Crohn est avant tout clinique. Les LAP
anale et/ou de la sangle des releveurs, un ou plusieurs orifices
de Crohn sont souvent symptomatiques et handicapantes au
internes, sous la forme d'un grain de mil, d'apprécier la hauteur
quotidien pour les patients. Les douleurs et les suintements
du trajet fistuleux. Il permet aussi de sentir une perte de sub-
anaux/écoulement de pus sont les symptômes les plus fré-
stance ou d'identifier une sténose du canal anal ou du bas
quents. Les douleurs peuvent être dues à un syndrome fissuraire
rectum. L'anuscopie permet d'examiner le bas rectum et de
ou à une suppuration.
préciser s'il existe une rectite associée.
L'interrogatoire précis pour caractériser la douleur, permet sou-
vent d'orienter vers une étiologie ; le caractère permanent, voire
insomniant, de la douleur doit faire craindre une suppuration Quels examens complémentaires peuvent
sous tension parfois profonde. Les patients peuvent aussi rap- être utiles ?
porter un syndrome rectal, des troubles de l'évacuation ou des L'examen clinique est suffisant pour le diagnostic et l'évaluation
troubles de la continence fécale. Les difficultés d'évacuation de la sévérité des ulcérations et les sténoses anorectales [3]. Il
peuvent être en rapport avec une sténose anale ou du bas est important de rechercher une fistule/un abcès à l'examen
rectum. clinique et en imagerie, en raison de leur association fréquente
Les troubles de la continence fécale peuvent être d'étiologies avec une suppuration. L'IRM pelvienne est une aide incontour-
multiples en lien avec l'activité de la maladie de Crohn (rectite), nable au diagnostic des fistules anopérinéales de Crohn. En
une fistule active ou les séquelles de lésions du sphincter anal. effet, l'examen clinique sous-estime l'étendue des fistules
La recherche de symptômes évocateurs d'une atteinte complexes dans un quart des cas et surestime les fistules

Figure 1
A et B. Lésions primaires de la maladie de Crohn (Siproudhis, FMC HGE, 2018)

tome 5 > n81 > février 2024

54
Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn
PROCTOLOGIE

Mise au point
simples dans trois quarts des cas [3]. L'IRM permet, de façon non Quel est le traitement des lésions
invasive, de décrire avec précision la topographie des trajets anopérinéales de la maladie de Crohn ?
fistuleux, leur extension, leur épaisseur, leur caractère inflam- La prise en charge thérapeutique des LAP de Crohn repose sur
matoire, l'existence d'un diverticule ou d'un abcès associé. Elle plusieurs principes : contrôler la maladie luminale, réduire
permet également de déterminer un score d'activité qui a un l'inconfort (douleurs, écoulements, dyschésie. . .), limiter
intérêt pronostique, à la fois dans la prise en charge immédiate l'extension de la suppuration et éviter les troubles de la conti-
et dans l'évolution à distance de la suppuration. L'IRM est nence fécale. On distingue classiquement 2 types de prise en
recommandée pour la prise en charge des lésions fistuleuses charge : le traitement médical et le traitement chirurgical. Ces
périnéales de Crohn par les consensus français et européen. La prises en charge sont souvent associées.
combinaison d'une IRM et d'un examen clinique sous anesthésie
permet d'obtenir une sensibilité et une spécificité de l'ordre de Lésions primaires
100 % pour le diagnostic et la caractérisation des fistules anales La prise en charge des ulcérations anales dans la maladie de
de Crohn [4,5]. Crohn dépend de leur profondeur et de leur retentissement. Elle
n'est pas codifiée et elle est souvent difficile. Le principe étant
de ne pas être délétère ; la prise en charge chirurgicale n'est pas
Quelles sont les classifications et les scores
proposée car elle expose à un risque de non-cicatrisation et à un
simples à connaître ?
risque de complication de type suppuration. La présence d'ulcé-
Plusieurs classifications des LAP de Crohn ont été proposées. La rations anales est souvent associée à une maladie luminale
classification de Cardiff, dite UFS, dans sa version simplifiée, évolutive et le traitement de fond de la maladie est souvent
permet de classer les lésions en fonction de leur type : ulcéra- efficace. Les ulcérations superficielles cicatrisent de façon spon-
tion, fistule, sténose et leur sévérité (tableau I). Les classifica-
tanée dans 50 % des cas [6]. Les traitements topiques (tacro-
tions de Harnous ou Parks permettent de classer les fistules
limus) ont un effet bénéfique transitoire sur les ulcérations et ne
anopérinéales en fonction de la hauteur du trajet fistuleux par
sont pas recommandés. Les biothérapies n'ont pas l'AMM dans
rapport à l'appareil sphinctérien (figure 2A et B). En pratique, on cette indication mais elles peuvent se discuter dans le cas
distingue 2 types de fistules : simple ou complexe, de traitement d'ulcérations creusantes à risque de suppurations.
et de pronostic différents. En effet, en cas de fistule complexe, il
existe un risque de récidive important, d'environ 40 % à 10 ans. Lésions secondaires
Une fistule simple est définie par un trajet unique, trans-sphinc-
Fistules anopérinéales
térien bas ou inter-sphinctérien bas, avec un seul orifice externe
Le traitement des fistules anopérinéales dans le cadre de la
et sans lésion rectale active ni sténose anorectale. Toute fistule
maladie de Crohn est médicochirurgical. Il a pour but de drainer
ne s'intégrant pas dans cette définition est considérée comme
la suppuration et de contrôler l'inflammation. Le praticien doit
complexe. Elles comprennent les fistules à trajets multiples ou
garder à l'esprit qu'il s'agit d'une maladie chronique, avec un
ramifiés, fer à cheval, fistule en Y, fistules hautes (inter-sphinc-
risque de récidive important, et qu'il est important de préserver
térienne, trans-sphinctérienne, supra- ou extra-sphinctérienne,
la fonction sphinctérienne afin de limiter les troubles de la
recto- ou ano-vaginale). Le score Perineal Disease Activity Index
continence anale.
(PDAI) permet à la fois de classer et quantifier la sévérité des
lésions anopérinéales et de quantifier les doléances des Prise en charge initiale
patients. Il s'agit d'un score allant de 0 à 20, comprenant 5 items, Traitement chirurgical
d'une grande aide pour évaluer la réponse au traitement Comme décrit plus haut, les traitements diffèrent selon que la
(figure 3). fistule est simple ou complexe. L'urgence est à l'incision de

TABLEAU I
Classification UFS selon Hughes simplifié.

Ulcération Fistule Sténose

0 Absente Absente Absente

1 Superficielle Fistule simple Réversible (spasme, diaphragme ou induration liée aux phénomènes suppuratifs)

2 Creusante Fistule complexe Irréversible (sténose longue et fibreuse)

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55
A. Carlo, C. Brochard
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 2
A. Classification de Harnous. B. Classification de Parks

l'abcès, sous anesthésie locale lorsque cela est possible. Les de Crohn, en particulier l'infliximab (anti-TNFa). Certaines étu-
objectifs sont doubles : soulager le patient et éviter les compli- des [7,8] ont mis en évidence un meilleur taux de fermeture des
cations (bactériémie, dermo-hypodermite bactérienne nécro- fistules sous combothérapie (association d'un anti-TNF et d'un
sante [gangrène de Fournier]). En cas de suppuration profonde, immunosuppresseur). Celle-ci reste donc le traitement de réfé-
il est nécessaire de réaliser le drainage sous anesthésie générale rence dans le cadre des LAP de Crohn, selon l'avis des sociétés
et d'y associer la mise en place d'une anse de drainage au sein savantes [5,9,10]. En cas d'échec de la combothérapie (anti-TNF
de la fistule. Le séton (drain laissé sous la peau avec deux alpha à doses optimisées), l'ustekinumab serait à privilégier
orifices différents) est laissé en place a minima jusqu'à l'obten- [11,12].
tion du contrôle de la maladie de Crohn à l'aide d'un traitement Les antibiotiques (métronidazole, ciprofloxacine) peuvent être
de fond. utiles en association avec un traitement anti-TNFa dans des cas
Traitement médical particuliers (suppuration compliquée ou très symptomatique),
Le traitement de première intention repose sur les biothérapies, pendant des périodes courtes (maximum 6 mois) afin de limiter
permettant la cicatrisation à un an dans un tiers des cas, une fois les effets indésirables (neuropathie, tendinopathie. . .). Une
que la fistule est bien drainée. Il est bien documenté que les étude ayant évalué l'association ciprofloxacine et adalimumab
biothérapies sont indispensables à la bonne évolution des LAP [13] a montré son intérêt chez 2/3 des patients, à la phase

tome 5 > n81 > février 2024

56
Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn
PROCTOLOGIE

Mise au point
Figure 3
Score Perineal Disease Activity Index (PDAI)

initiale. Une utilisation prolongée des antibiotiques ne peut prises en charge à ce stade : en fonction de la hauteur du trajet,
aujourd'hui être recommandée pour des raisons de tolérance en fonction des chirurgies passées, en fonction de l'objectif
et d'écologie bactérienne. principal, en fonction de l'ancienneté. L'examen clinique est
souvent insuffisant pour s'assurer du bon drainage de la fistule
Prise en charge après contrôle de la suppuration et la réalisation d'une IRM afin de ne pas méconnaître un trajet
Lorsque la fistule est bien drainée, non inflammatoire et que la secondaire ou une suppuration résiduelle, est indispensable
maladie luminale est bien contrôlée, la demande du patient est avant de réaliser ce temps radical et éviter la récidive.
de « se débarrasser » de la fistule. Plusieurs stratégies sont Dans le cas de fistule superficielle (peu de sphincter impliqué),
possibles. Les objectifs du patient et du praticien reposent sur les une fistulotomie peut être proposée. Ce traitement n'est pas
principes suivants : ne plus avoir de séton, ne pas avoir d'écou- proposé en première intention ; il est réalisé dans des centres
lement, ne pas avoir de récidive et de ne pas avoir de troubles experts [14], prenant en compte les facteurs de risque d'incon-
de la continence fécale. Il existe plusieurs façons de stratifier les tinence anale du patient. Dans le cas des fistules complexes, on

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57
A. Carlo, C. Brochard
PROCTOLOGIE

Mise au point
différencie classiquement les techniques d'obturation du trajet une fermeture du trajet fistuleux dans 33 % des cas contre 23 %
au retrait simple du séton. sous placebo. L'étude PISAII est une étude randomisée ayant
Les techniques d'obturation sont souvent appelées « traitements permis la comparaison du traitement médical par anti-TNF et
d'épargne sphinctérienne », dans l'idée qu'elles protègent des ablation du séton contre la fermeture chirurgicale de l'orifice
troubles de la continence fécale. Parmi ces techniques, on interne par lambeau rectal ou LIFT. Le critère de jugement
retrouve les techniques pour cautériser le trajet (radiofréquence principal était la rémission radiologique en IRM à 18 mois qui
ou laser), les techniques d'obturation du trajet (colle, plug), les était significativement supérieure chez les patients ayant béné-
techniques de fermeture d'orifice ou de trajet (lambeau rectal ficié d'un geste chirurgical (32 % vs 9 % p = 0,005). Cependant,
d'avancement, ligature du trajet fistuleux dans l'espace inter- il n'existait pas de différence significative entre les deux grou-
sphinctérien [LIFT]). L'obturation par colle biologique a permis la pes, concernant la rémission clinique, définie par la fermeture
régression totale de l'écoulement via le trajet fistuleux à 8 semai- de l'orifice externe.
nes, chez un tiers des patients (vs 16 % sous placebo). Malheu- Ces stratégies d'épargne sphinctérienne restent encore aujour-
reusement, ces résultats se dégradent avec le temps. En effet, d'hui décevantes. Le choix de la stratégie dépend souvent des
seuls 6 à 11 % des patients gardent un bénéfice satisfaisant habitudes du centre/des praticiens, de la faisabilité, de la facilité
à 16 semaines. L'utilisation de plug en biocollagène permettait d'accès et également des « modes » actuelles. Parfois, la mise

Figure 4
Algorithme de prise en
charge des fistules
anopérinéales de la maladie
de Crohn (Bouchard et al.,
2017, 2021)

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Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn
PROCTOLOGIE

Mise au point
en place d'une stomie de décharge reste une alternative pos- mésenchymateuses d'origine adipocytaire, a l'AMM en France
sible devant des suppurations récidivantes afin de permettre depuis 2019 pour le traitement des fistules anopérinéales
une cicatrisation des lésions anopérinéales. L'algorithme de complexes de la maladie de Crohn, hors fistule rectovaginale
prise en charge des fistules anopérinéales proposé par Bouchard ou sténose rectale, en cas d'échec d'une biothérapie. Les études
et al. est décrit dans la figure 4. ont montré que la fermeture était obtenue dans plus de la
moitié des cas [15–17] et que l'effet était maintenu à un an.
La thérapie cellulaire dans la prise en charge des fistules
Ce traitement reste coûteux (50 000 euros) et réservé aux
anales de Crohn
centres experts.
Ce type de prise en charge s'est développé au cours des der-
nières décennies. Actuellement, ce sont les cellules souches Évaluer la réponse au traitement
mésenchymateuses, dérivées du tissu conjonctif ou més- À l'heure actuelle, la définition de la rémission des fistules
oderme, multipotentes, allogéniques, qui sont le plus utilisées. anales dans la maladie de Crohn n'est pas consensuelle. Les
Les cellules souches possèdent des propriétés anti-inflamma- critères pour définir la rémission sont variables selon les études,
toires et immunomodulatrices via la sécrétion d'interleukines, ce qui explique probablement en partie l'hétérogénéité des
de facteurs de croissance, de prostaglandines et d'oxyde résultats.
nitrique. Elles présentent également des caractéristiques pro- Les critères cliniques de rémission sont : l'absence d'écoulement
lifératives, anti-apoptotiques et angiogéniques en lien avec la à la pression, la fermeture de l'orifice fistuleux. Il est difficile de
sécrétion de facteurs de croissance ainsi que des effets anti- faire reposer la définition de la rémission sur des critères clini-
oxydants, antibactériens, antiviraux et anti-tumoraux. Le dar- ques seuls car le caractère chronique de la maladie les rend
vadstrocel (Alofisel®, Takeda), cellules souches fragiles. En effet, le risque de récidive est élevé et il est

Figure 5
Algorithme de prise en charge des sténoses anorectales de la maladie de Crohn (Bouchard et al., French National Working Group
Consensus 2018)

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A. Carlo, C. Brochard
PROCTOLOGIE

Mise au point
important de tenir compte du temps et des évaluations à long Plusieurs algorithmes de prise en charge ont été proposés. Celui
terme pour s'assurer de la rémission de la fistule. En pratique, la publié par le consensus français datant de 2018 (figure 5),
fermeture d'un orifice à un temps donné ne permet pas d'assu- repose principalement sur le type de sténose, sur la présence
rer au patient sa fermeture définitive. de lésions dysplasiques, de cancer ou d'une suppuration pro-
Des critères radiologiques, plus stricts, ont été identifiés ces fonde associée.
dernières années. Ils reposent sur les données de l'IRM. Les En cas de sténose fibreuse symptomatique, il peut être envisagé
études ont montré que la cicatrisation en IRM était retardée par une dilatation. Celle-ci se fait le plus souvent au doigt, mais les
rapport à la clinique. Les facteurs prédictifs d'une évolution dilatations à la bougie et au ballonnet hydraulique sont possi-
favorable, sont la disparition de l'hypersignal T2, la disparition bles. Il faut prévenir le patient du risque de troubles de la
du rehaussement à l'injection du produit de contraste et la continence au décours.
disparition de l'épaississement de la paroi rectale [18]. Ces Les sténoses inflammatoires, quant à elles, doivent bénéficier
critères sont intégrés au score de Van Hassche qui permet de d'une biothérapie avec optimisation de celle-ci si besoin asso-
quantifier la sévérité des lésions fistuleuses de la maladie de ciée à un drainage chirurgical en cas de suppuration.
Crohn en IRM. L'utilisation de ce score numérique compris entre La présence de lésions dysplasiques ou d'un cancer doit faire
0 et 22 est recommandée par la Société française de radiologie. discuter la réalisation d'une proctectomie ou une amputation
anopérinéale.
Sténose anorectale
On différencie classiquement 2 types de sténoses anorectales Marisques
dans la maladie de Crohn selon la classification de Cardiff : les Les marisques, dans le cadre de la maladie de Crohn, peuvent
sténoses inflammatoires, de type I, accessibles à un traitement être volumineuses, en lien avec un œdème et une inflammation
médical et les sténoses fibreuses, cicatricielles de type II. Le importante. Le traitement chirurgical est à éviter, d'une part, car
diagnostic est clinique. L'imagerie n'est pas utile au diagnostic elles sont rythmées par les poussées luminales, et d'autre part,
mais elle permet de rechercher une suppuration anale qui est car cela risque d'aggraver les lésions anopérinéales. Le traite-
fréquemment associée. Le risque redouté est celui de la dys- ment est essentiellement celui de la poussée. Lorsque les
plasie, qui augmente avec la durée et la sévérité de la maladie marisques sont fibreuses et volumineuses, une exérèse chirur-
de Crohn. Il est important de réaliser des biopsies de la sténose, gicale peut se discuter, mais seulement en cas de maladie de
le plus souvent, sous anesthésie générale, associées à une Crohn quiescente.
endoscopie et une IRM pelvienne permettant un examen ano-
Déclaration de liens d'intérêts : les auteures déclarent ne pas avoir de
rectal plus précis mais également d'identifier une composante liens d'intérêts.
inflammatoire, cicatricielle, un trajet fistuleux ou encore des
lésions du sphincter anal interne.

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60
Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn
PROCTOLOGIE

Mise au point
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nage for perianal fistulizing Crohn's disease: 2021;27(24):3643–53.

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61
Presse Med Form 2024; 5: 62–66

en ligne sur / on line on


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PROCTOLOGIE
www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Mise au point
Pathologies proctologiques au cours de la
grossesse et en post-partum (hors MICI)

Charlotte Favreau

Disponible sur internet le : Hôpital Bagatelle, 203, route de Toulouse, 33401 Talence cedex, France
13 janvier 2024 c.favreau-weltzer@mspb.com

Points essentiels
Une femme enceinte sur trois présente des troubles proctologiques au cours de la grossesse et du
post-partum.
La constipation est souvent de mise, facteur de risque pour d'autres pathologies.
La fissure anale est la lésion la plus fréquemment rencontrée dans le post-partum.
La thrombose hémorroïdaire externe est également fréquente, souvent trop œdémateuse pour
permettre un geste d'incision.
Les traumatismes obstétricaux peuvent altérer la continence anale, ils ne sont pas toujours
évitables et doivent faire l'objet d'une prise en charge spécialisée.
Il est exceptionnel de devoir opérer en urgence une femme enceinte pour un problème
proctologique.

Key points
Proctological pathology during pregnancy and after delivery

One in three pregnant women present proctological disorders during pregnancy or after delivery.
Constipation is often present; it is a risk factor for proctological pathologies.
Anal fissure is the most frequent proctological problem during pregnancy and after delivery.
External hemorrhoidal thrombosis is common, often too edematous to allow an incision
procedure.
Obstetric trauma can impair anal continence; it is not always preventable and must be the subject
of specialized care.

L a grossesse et le post-partum constituent des états physio-


logiques particuliers marqués par des modifications hormonales
expliquent la fréquence des troubles au niveau de l'appareil
anorectal, l'augmentation du volume utérin également.
spécifiques, qui modifient bon nombre de fonctions de l'orga- Les déchirures obstétricales et autres épisiotomies, possi-
nisme et engendrent des transformations d'organes. Les bou- blement pourvoyeuses d'incontinence anale ne seront
leversements des systèmes digestif et vasculaire notamment pas développées ici, où l'on s'intéressera uniquement aux

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10.1016/j.lpmfor.2024.01.008
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Pathologies proctologiques au cours de la grossesse et en post-partum (hors MICI)
PROCTOLOGIE

Mise au point
grossesses et accouchements physiologiques, non S'il ne reste plus à prouver que l'accouchement est à risque pour
pathologiques. l'appareil sphinctérien, on sait que des troubles de la continence
À noter que pour les traitements médicamenteux, le Centre de peuvent survenir de novo pendant la grossesse, même chez les
référence des agents tératogènes (CRAT) peut être consulté [1], primigestes. Une étude menée en 2020 sur plus de mille
afin de ne pas commettre d'erreur de prescription. primigestes sans problème de continence préalable, a estimé
la survenue d'une incontinence pendant leur grossesse à 10 %
[4] ! L'âge « avancé » de la femme et une prise importante de
Troubles du transit dans la grossesse et le poids durant la grossesse étaient des facteurs de risque. La
post-partum survenue d'une incontinence anale de novo pendant la gros-
Constipation sesse pourrait faire discuter avec l'équipe obstétricale un accou-
Une femme sur trois serait constipée au cours de la grossesse chement par césarienne bien qu'aucune étude n'ait évalué son
[2]. Cette constipation est multifactorielle. Certaines hormones impact.
comme la relaxine et la motiline entraînent une diminution du La rééducation abdomino-périnéale n'a pas montré son effica-
péristaltisme intestinal. Au cours du second trimestre l'absorp- cité sur l'incontinence anale pendant la grossesse.
tion colique de l'eau augmente, induisant un dessèchement des On sait que 13 % des femmes vont présenter dans le post-
matières fécales. En fin de grossesse le volume utérin comprime partum une incontinence anale de novo après un premier
le tube digestif. Une constipation terminale ou dyschésie est accouchement, avec le plus souvent des fuites incontrôlées
présente chez près d'une femme enceinte sur cinq, mais éton- de gaz, mais également des fuites fécales chez 2 % d'entre
namment davantage au premier trimestre qu'au dernier [2]. elles [5].
L'allaitement n'est pas en soi un facteur favorisant la constipa- Ces troubles de la continence anale sont essentiellement dus
tion, sauf si la mère allaitante omet de bien s'hydrater. à une rupture sphinctérienne et/ou à une neuropathie d'étire-
Les traitements de la constipation chez la femme enceinte et ment du nerf pudendal, qui commande les sphincters striés
dans le post-partum sont les mêmes que chez n'importe quelle (sphincter externe et sangle pubo-rectale). La rupture sphinc-
personne constipée ; il convient d'augmenter la ration en fibres térienne peut-être occulte, c'est-à-dire non repérée au moment
dans l'alimentation (son d'avoine, kiwi, graines, de l'accouchement, et donc méconnue. Son dépistage par écho-
légumineuses. . .), de boire de l'eau riche en magnésium. Le graphie et son traitement chirurgical immédiat pourraient éviter
psyllium blond constitue un bon laxatif naturel. En cas d'échec des incontinences ultérieures. Le facteur le plus évidemment lié
de ces mesures hygiénodiététiques, on peut bien sûr utiliser des à une incontinence anale dans le post-partum est la rupture
traitements médicamenteux comme des mucilages (ispaghul, sphinctérienne sévère (grade 3 ou 4, c'est-à-dire concernant en
psyllium, sterculia, gomme de guar), ou des laxatifs osmotiques partie ou totalement le sphincter externe), cliniquement évi-
(PolyÉthylèneGlycol [PEG], sucres non absorbés [lactulose, lac- dente mais dont la réparation immédiate n'élimine pas le risque
titol, sorbitol]) [3]. Les laxatifs lubrifiants (préparation à base de de séquelle. Parmi les autres facteurs de risque identifiés on
paraffine) et les laxatifs irritants à base de séné par exemple retrouve le poids du bébé (> 4 kg), le recours aux forceps, la
peuvent aussi être utilisés, ponctuellement. durée d'expulsion (> 30 minutes), l'épisiotomie médiane, et
En cas de constipation d'évacuation on peut utiliser, les suppo- peut-être même l'hérédité. À part l'épisiotomie, aucun de ces
sitoires à la glycérine, ceux à libération gazeuse ou les micro- facteurs n'est malheureusement complètement prévisible et
lavements. donc évitable.
Même s'il n'existe aucune recommandation concernant la pres- Dans ce contexte du péripartum, l'incontinence anale est
cription systématique des laxatifs pendant la grossesse et dans comme transitoire, ou en tout cas devient moins sévère dans
le post-partum, la fréquence et le taux d'incidence de compli- les mois qui suivent l'accouchement. Toutefois, il a été montré
cations anorectales dans le post-partum immédiat, comme par que les femmes concernées ont un risque accru de présenter des
exemple la fissure anale, pourraient amener à réfléchir à la troubles de la continence, une fois plus âgées. On estime à 30 %
question. le risque d'incontinence anale 20 ans après une déchirure péri-
La constipation, en plus d'être gênante en elle-même, est le néale survenue au cours d'un accouchement, versus 3 % en
principal facteur de risque d'autres pathologies anorectales, l'absence de traumatisme lors de l'accouchement [6].
dont la pathologie hémorroïdaire et la fissure anale. Même si la preuve de leur efficacité sur la fonction anorectale
n'est pas faite, des séances de rééducation pelvipérinéale sont
Troubles de la continence pendant la grossesse et remboursées en France pour toutes les femmes venant d'accou-
dans le post-partum cher ; en théorie le périnée postérieur doit être rééduqué au
Moins étudiés que les troubles de la continence urinaire, les même titre que l'appareil génito-urinaire, mais des séances
troubles de la continence anale sont pourtant relativement supplémentaires et spécifiquement axées sur la fonction ano-
fréquents et cause d'une altération majeure de la qualité de vie. rectale seront effectuées en cas de troubles. Si une incontinence

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C. Favreau
PROCTOLOGIE

Mise au point
anale est décrite, il convient de proposer une régulation du
transit (par la prescription de mucilages par exemple), une aide
à la vidange rectale si besoin, en plus d'une rééducation adap-
tée. En cas d'échec de ces mesures de première intention, on
envisage des examens complémentaires tels que l'échographie
endo-anale à la recherche d'une rupture sphinctérienne, ou une
manométrie anorectale pour analyse des pressions et de la
fonction anorectale. Les examens électrophysiologiques sont
exceptionnellement indiqués.
En cas d'échec des mesures thérapeutiques de première inten-
tion, les traitements de seconde ligne sont assurés par une
équipe spécialisée.
En cas de troubles de la continence anale après un premier
accouchement, l'éventualité d'un accouchement par césarienne Figure 1
pour des grosses ultérieures doit être discutée en concertation Poly-thrombose hémorroïdaire externe œdémateuse chez une
pluridisciplinaire. femme enceinte (Dr F. Pigot)
L'incontinence anale liée aux accouchements, imprévisible, pas
toujours réversible, est un évènement dont la possibilité est
rarement évoquée aux parturientes bien qu'il altère gravement
la qualité de vie. Son traitement est difficile et l'accompagne- – empli d'eau et placé au congélateur –. . .). Les antalgiques de
ment et le soutien de ces femmes doit être assuré. grade 1-2, comme le paracétamol, éventuellement associé à la
codéine, peuvent être utilisés. Les anti-inflammatoires non
Hémorroïdes chez la femme enceinte et stéroïdiens, qui sont plus efficaces pour calmer la douleur des
dans le post-partum crises hémorroïdaires, – ainsi que les inhibiteurs sélectifs de
La prévalence de la maladie hémorroïdaire chez les femmes COX - 2 – sont formellement contre indiqués à partir du 6e mois
enceintes est évaluée entre 8 et 40 % dans la littérature. Le plus de grossesse (24 semaines d'aménorrhée), du fait du risque de
souvent les signes rapportés sont ceux d'une maladie hémor- non-fermeture du canal artériel. Avant 24 semaines d'aménor-
roïdaire externe, congestion ou véritable thrombose, dont la rhée ces traitements sont autorisés seulement de façon ponc-
patiente a éventuellement gardé des séquelles sous forme de tuelle ; au-delà on pourra éventuellement mettre en place une
marisques. Ceci s'explique par la richesse du tissu hémorroïdaire corticothérapie orale (40 à 60 mg/j pendant quelques jours),
en récepteurs œstrogéniques et par l'imprégnation œstro-pro- même si l'efficacité de ce traitement n'a pas été clairement
gestative qui provoque un relâchement du ligament de Parks. démontrée dans cette indication.
De plus, en fin de grossesse le volume utérin gêne le retour Les topiques locaux, surtout les crèmes et pommades puisque
veineux, favorisant la formation de thromboses. Le risque de les dommages sont essentiellement externes (les suppositoires
thrombose externe est estimé à 8 % au cours du troisième sont moins utiles dans ce cas), peuvent avoir un effet apaisant.
trimestre, il augmente jusqu'à 20 % immédiatement après On préfère ceux qui contiennent des corticoïdes et des anes-
l'accouchement [7]. thésiques locaux, qui ont l'avantage de traiter et la douleur et
Classiquement on retrouve une thrombose hémorroïdaire l'œdème, caractéristiques dans les thromboses de la femme
externe (figure 1), unique ou multiple (on parle alors de enceinte.
poly-thrombose), parfois associée à une thrombose interne. Les flavonoïdes à effet veinotonique ne sont pas contre indiqués
La patiente se plaint d'une douleur importante, lancinante, et pourraient aider à améliorer les symptômes.
pulsatile, qui passe au premier plan devant ses douleurs péri- Il faut en outre régulariser le transit, en traitant le cas échéant
néales, qui peut gâcher ses premiers moments avec le nouveau- une constipation par des mesures hygiénodiététiques adaptées,
né, voire nuire à la mise en place de l'allaitement. L'inspection des laxatifs, mucilages, osmotiques ou lubrifiants.
de la marge anale permet de voir une ou plusieurs tuméfactions, Les gestes d'incision ou d'excision sont souvent rendus délicats
éventuellement bleutées mais le plus souvent roses – blanches, par le caractère très œdémateux des hémorroïdes, et en pra-
car œdémateuses. Le toucher rectal n'est pas forcément indis- tique peu souvent réalisés car plus délétères que bénéfiques.
pensable devant les formes typiques. Il est rare que les hémorroïdes s'expriment durant la grossesse
Le traitement de la pathologie hémorroïdaire chez la femme par des saignements résistant à une régularisation du transit ; le
enceinte est essentiellement médical, en association avec des cas échéant la photo-coagulation infrarouge peut-être
moyens physiques comme l'application de glace « larga manu » envisagée.
(glace pilée, sachet de petits pois congelés, préservatif glaçon La chirurgie n'est envisagée qu'exceptionnellement.

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Pathologies proctologiques au cours de la grossesse et en post-partum (hors MICI)
PROCTOLOGIE

Mise au point
Il est important de rassurer les femmes enceintes qui souffrent
de poussées hémorroïdaires : la crise ne durera probablement
pas jusqu'à la fin de la grossesse, elle n'est en rien dangereuse
pour leur bébé, cela ne remettra en aucun cas en question la
possibilité d'accoucher par voie basse, l'accouchement par voie
basse ne sera pas plus difficile et la pathologie hémorroïdaire ne
s'aggravera pas (ou pas forcément) après l'accouchement.
Toutes ces notions sont les mêmes dans le post-partum, mais
l'incidence de la thrombose hémorroïdaire externe y est encore
bien plus élevée, évaluée à 20 % dans les premières heures
après la délivrance. La césarienne protège contre cette patho-
logie, dont le principal facteur favorisant est la pression au
niveau des vaisseaux hémorroïdaires au moment du travail et
de la délivrance. Une violente crise hémorroïdaire peut gâcher le
séjour à la maternité d'une parturiente. Le traitement est le
même que celui évoqué pour la grossesse, à l'exception près
qu'après l'accouchement les AINS sont autorisés, même chez la
femme allaitante, permettant le plus souvent un soulagement Figure 2
rapide. Fissure anale antérieure non compliquée chez une femme
On considère qu'il convient d'attendre quelques mois après enceinte (Dr C. Favreau)
l'accouchement pour faire un bilan proctologique et proposer
à la patiente un traitement de fond adapté, si nécessaire. Dans la pus dans le lit de la fissure, voire un court trajet fistuleux sous-
majorité des cas les symptômes hémorroïdaires rentrent dans jacent.
l'ordre spontanément en quelques semaines. Son traitement, comme pour toute fissure en dehors de la
Parfois cependant, les manifestations hémorroïdaires liées grossesse, passe par un ramollissement des selles pendant
à une grossesse sont inaugurales d'une maladie qui va s'installer plusieurs semaines grâce à l'utilisation de laxatifs (des selles
dans le temps ; en effet, il est très fréquent en consultation de molles comme de la compote pendant six semaines au moins,
proctologie d'entendre une patiente attribuer l'apparition des permettant dans la grande majorité des cas une cicatrisation de
premiers symptômes hémorroïdaires à ses grossesses. la fissure). À ce traitement laxatif doit être ajouté un traitement
antalgique efficace qui soulagera la patiente et permettra au
Fissure anale chez la femme enceinte et sphincter de se détendre, aidant ainsi à la bonne vascularisation
après l'accouchement de la zone et favorisant par là la cicatrisation. Les topiques n'ont
Si la fissure anale est très fréquente dans le post-partum (10 à pas clairement montré leur efficacité, en outre les suppositoires
15 % des femmes venant d'accoucher), elle l'est moins pendant sont souvent douloureux à introduire. La chirurgie peut, sauf cas
la grossesse. On estime à 1,2 % son incidence durant le troi- exceptionnels (fissure infectée ou hyperalgique malgré un trai-
sième trimestre [8–10]. Elle s'explique par les troubles du transit, tement médicamenteux optimal), être sinon évitée, du moins
la constipation d'évacuation le plus souvent. différée.
La fissure anale n'a en somme pas de caractère spécifiquement Pendant la grossesse et après l'accouchement, un traitement
lié à l'état de grossesse. laxatif doux systématique n'est pas recommandé par les socié-
Les symptômes sont ceux classiques d'une fissure : douleur tés savantes, mais quand on connaît la fréquence de la cons-
anale déclenchée par la défécation et pouvant durer des heures tipation, et son rôle sur l'incidence de la fissure anale et de la
ensuite, éventuelles traces de sang sur le papier toilette au crise hémorroïdaire dans le péripartum, on serait tenté de le
moment de l'essuyage, parfois tableau hyperalgique expliqué proposer.
par une contracture sphinctérienne associée. Après l'accouchement, il est fréquent qu'une femme voie son
Il faut déplisser – prudemment du fait de la douleur souvent périnée comme « paralysé », du fait de la neuropathie d'étire-
intense – les plis radiés de l'anus (figure 2), afin de repérer une ment notamment. Les selles stagnent alors dans le rectum et ne
perte de substance typiquement en forme de raquette aux pôles sortiront que plusieurs jours plus tard, alors dures et volumi-
antérieur le plus souvent, ou postérieur, de l'anus. Rarement la neuses, expliquant la fréquence élevée des fissures anales du
fissure est déjà chronique et peut être accompagnée par des post-partum, touchant une femme sur cinq. Le traitement de la
éléments dits satellites, capuchon mariscal (ou marisque senti- fissure est le même que durant la grossesse. Le traitement
nelle) à l'extérieur et/ou papille hypertrophique dans le canal médical, antalgique et laxatif permet dans la grande majorité
anal ; elle peut également être infectée, en témoigne alors du des cas une cicatrisation de la fissure. En cas d'échec, la chirurgie

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C. Favreau
PROCTOLOGIE

Mise au point
peut être envisagée, consistant en une fissurectomie avec périnéale (ou gangrène de Fournier) ; il peut être fait en consul-
éventuelle anoplastie muqueuse postérieure. Chez une femme tation ou en cas d'impossibilité au bloc opératoire ; la fistule
venant d'accoucher, ayant possiblement une rupture sphincté- responsable est recherchée et traitée en cas de signe de gravité,
rienne occulte, la sphinctérotomie, même latérale, doit être de suspicion de maladie inflammatoire chronique de l'intestin,
évitée autant que faire se peut. de récidive. . . Si une antibiothérapie est estimée nécessaire, il
faut consulter le CRAT pour une femme qui allaite.
Prise en charge d'une suppuration Conclusion
anopérinéale au cours de la grossesse et
La grossesse et la période post-partum sont propices à certains
du post-partum
troubles proctologiques, et une femme sur trois présente des
Si un abcès survient en cours de grossesse, qu'il provienne d'une
symptômes en lien avec une pathologie anorectale, notamment
maladie pilonidale, de la surinfection d'un kyste sébacé, d'une
la constipation, l'incontinence anale, la maladie hémorroïdaire
maladie de Verneuil ou d'une fistule anale, l'urgence est de le
externe et la fissure anale. Seul le drainage d'un abcès anopé-
drainer, si possible sous anesthésie locale pour éviter une anes-
rinéal constitue une urgence, pour les autres maladies anales
thésie générale.
l'enjeu est de soulager rapidement la patiente. Bien souvent le
Si une antibiothérapie est jugée nécessaire (en cas de drainage
traitement de la constipation doit être de mise. Le recours
incomplet, signes d'une importante inflammation des tégu-
à chirurgie reste exceptionnel pendant cette période, mais
ments alentours, patiente diabétique. . .) l'avis des obstétriciens
une réévaluation de la gêne doit être proposée à distance de
et des infectiologues est éventuellement pris, à défaut le Centre
l'accouchement. La rééducation abdomino-périnéale est propo-
de référence sur les agents tératogènes (CRAT) sera consulté.
sée à toutes les femmes venant d'accoucher, mais le périnée
Une fois l'abcès drainé, la chirurgie peut le plus souvent attendre
postérieur est spécifiquement rééduqué en cas de trouble de la
le post-partum.
continence anale seulement.
La prise en charge d'une suppuration anopérinéale après un
accouchement na pas de spécificité : le drainage de l'abcès est Déclaration de liens d'intérêts : l'auteure déclare ne pas avoir de liens
d'intérêts.
urgent du fait du risque de sepsis sévère voire de gangrène

Références
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