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Traité de psychologie
des émotions
Sous la direction de
Klaus R. Scherer
David Sander
P S Y C H O
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© Dunod, Paris, 2009 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 09/03/2020 14:17 - © Dunod
ISBN 978-2-10-070755-3
ISSN 1275–4854
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Ouvrage réalisé sous la direction de :
DAVID SANDER Département de psychologie, faculté de psycho-
logie et des sciences de l’éducation, université de
Genève et Centre interfacultaire en sciences
affectives, université de Genève.
KLAUS R. SCHERER Département de psychologie, faculté de psycho-
logie et des sciences de l’éducation, université de
Genève et Centre interfacultaire en sciences
affectives, université de Genève.
Avec la collaboration de :
TATJANA AUE Center for Cognitive and Social Neuroscience,
université de Chicago, États-Unis et Centre interfa-
cultaire en sciences affectives, université de Genève.
TANJA BAENZIGER Faculté de psychologie et des sciences de
l’éducation, université de Genève.
GRAZIA CESCHI Unité de psychopathologie et neuropsychologie
cognitive, université de Genève.
ELISE DAN GLAUSER Centre interfacultaire en sciences affectives,
université de Genève et chercheuse boursière à
l’université de Stanford, États-Unis.
PATRICIA GARCIA- Suez Chair in Leadership and Personal
PRIETO CHEVALIER Developement, Solvay Brussels School of
Economics and Managagement, Bruxelles,
Belgique.
JÉRÔME GLAUSER Centre interfacultaire en sciences affectives,
université de Genève.
IV TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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logie et des sciences de l’éducation, université de
Genève et Centre interfacultaire en sciences
affectives, université de Genève.
KATIA SCHENKEL Faculté de psychologie et des sciences
de l’éducation, université de Genève.
VÉRONIQUE TRAN Professeur assistant en psychologie organisation-
nelle à l’ESCP-EAP (European School of Mana-
gement), Paris, France.
THOMAS WEHRLE Psychologisches Institut, Universität Zürich.
STÉPHANE WITH Faculté de psychologie et des sciences de
l’éducation, université de Genève.
TANJA WRANIK Faculté de psychologie et des sciences de
l’éducation, université de Genève.
SOMMAIRE
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AVANT-PROPOS (David Sander et Klaus Scherer) IX
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CHAPITRE 13 BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE
(Jérôme Glauser et Grazia Ceschi) 383
BIBLIOGRAPHIE 414
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La publication d’un Traité est un travail d’équipe qui va bien au-delà de la
mise en commun de textes isolés. Nos remerciements vont donc aux auteurs
qui ont bien voulu rédiger leurs chapitres de sorte à ce que « le tout repré-
sente plus que la somme des parties ». Nous souhaitons également remercier
vivement Jean Henriet et Marie-Laure Davezac-Duhem pour leur soutien
éditorial toujours positif, efficace et constructif, ainsi qu’Isabelle Chave pour
sa relecture attentive de l’ouvrage et les modifications qu’elle y a apportées.
Notre reconnaissance va aussi à Valérie Buron pour sa contribution à la qualité
des textes grâce à sa relecture et à ses conseils sur l’ensemble des premières
versions des chapitres. Merci également à celles et ceux qui ont relu et amélioré
certaines parties du Traité grâce à leurs commentaires ; pour cela, merci en
particulier à Rachel Baeriswyl-Cottin, Steve Binggeli, Véronique Bernard,
Géraldine Coppin, Alison Montagrin, et Sarah Viollier.
David SANDER et Klaus SCHERER
AVANT-PROPOS
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« En fait, on peut affirmer sans exagération que, scientifiquement, nous ne
comprenons absolument rien aux émotions, que nous n’avons pas l’ombre
d’une théorie sur la nature des émotions en général ou de telle émotion en
particulier. »
Voici ce qu’écrivait Carl G. Lange il y a un peu plus d’un siècle (Lange, 1885).
Qu’avons-nous appris depuis lors ? Tout d’abord, nous avons appris que
Carl G. Lange ne rendait pas totalement justice à ses prédécesseurs en niant
l’existence de toute théorie de l’émotion avant ses travaux. Mais, depuis un
siècle, nous en avons surtout appris beaucoup sur la nature de l’émotion, ses
composantes et ses fonctions. Ces avancées, nous les devons principalement
à la psychologie de l’émotion, champ disciplinaire naissant et fondement
des sciences affectives. En particulier, depuis une vingtaine d’années, avec une
pointe d’activité depuis les années 2000, une révolution affective dans de
nombreux domaines a généré un nouveau souffle scientifique dans l’étude
de l’émotion. Ainsi, la psychologie scientifique moderne reconnaît l’importance
des émotions et, par exemple en économie, des prix Nobel ont été attribués
à des chercheurs pour leurs travaux sur le rôle de l’émotion dans la prise
de décision et le jugement. Dans ce contexte d’une « révolution affective »
dans la plupart des sciences, l’objectif de ce Traité est de présenter certaines
contributions essentielles de la psychologie à l’étude empirique et à l’analyse
conceptuelle de l’émotion.
Une contribution importante de la psychologie a justement été de conceptua-
liser l’émotion en tant que phénomène multicomponentiel. Cette perspective
considère les différentes composantes de l’émotion que sont (1) les évaluations
de l’événement déclencheur (p. ex., le stimulus est agréable, je suis capable
de faire face à la situation), (2) le sentiment qui se profile dans la conscience
(p. ex., se sentir honteux, heureux ou en colère), (3) les réactions motrices (p. ex.,
sourire de plaisir, froncer les sourcils contre un événement allant contre nos
buts), (4) les réactions du système nerveux autonome (p. ex., rougir de honte,
avoir le cœur qui s’accélère), et (5) les tendances à agir (p. ex., préparation à
la fuite devant un danger, préparation à s’approcher d’un ami). La nature
multicomponentielle de l’émotion a été utilisée pour structurer ce Traité qui
X TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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biais d’évaluation cognitive dans la phobie sociale.
Alors que « la recherche d’émotion » est omniprésente dans les médias, les
technologies, et la société en général, il est frappant de constater le décalage
entre cette recherche d’émotion dans la société et la quantité relativement
faible d’enseignements universitaires spécifiques dans le domaine la psycho-
logie de l’émotion. Dans ce contexte, ce Traité aura atteint son objectif prin-
cipal s’il sert de support aux cours existant ainsi qu’au développement de
nouveaux enseignements universitaires sur l’émotion en licence, Bachelor
ou master de psychologie.
De façon générale, nous espérons que ce Traité conçu pour les étudiants
en psychologie, mais également adressé à nos collègues des diverses disci-
plines intéressées aux sciences affectives, devienne une source utile pour
l’enseignement et la recherche. De plus, il nous semble que ce Traité va au-
delà du champ spécifique consacré à l’étude de l’émotion et nous invitons nos
collègues s’intéressant aux autres territoires de l’esprit humain à le consulter.
En effet, la plupart des processus cognitifs apparaissent, soit nécessaires à
l’émotion en tant que telle (par exemple, le déclenchement de l’émotion ou
son expression), soit influencés par l’émotion (par exemple, la perception,
l’attention, la mémoire, le jugement moral, et la prise de décision), soit encore
impliqués dans la modulation de l’émotion (par ex., la réévaluation ou la
suppression). Ce statut privilégié de l’émotion dans l’esprit humain révèle
que l’émotion est au cœur de la cognition, et cela pas seulement d’un point
de vue métaphorique.
David SANDER et Klaus SCHERER
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SURVOL DES THÉORIES
LA PSYCHOLOGIE
DES ÉMOTIONS :
ESSENTIELS1
ET DÉBATS
Chapitre 1
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INTRODUCTION
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Wundt et James créaient cette nouvelle discipline.
« Qu’est-ce qu’une émotion ? » est le titre d’un des articles les plus influents
en psychologie. Cet article écrit par William James, l’un des pères fondateurs
de la psychologie expérimentale, apparut en 1884. Dans cet essai, James
défend ce qu’il considère comme une thèse révolutionnaire concernant la
nature des émotions : l’idée selon laquelle les changements corporels suivent
directement la perception d’un fait excitant et que le sentiment de ces change-
ments quand ils se produisent est l’émotion (James, 1884/1968, p. 19). Il est
à noter que James propose cette définition pour les émotions qui s’accompa-
gnent de ce qu’il qualifie comme un certain ébranlement corporel, telles que
la surprise, la curiosité, l’exaltation, la peur, la colère, la luxure ou l’avarice
mais qu’il ne se prononce pas sur les émotions qu’il qualifie alors comme
dépendantes exclusivement de « processus des centres d’idéation » avec un
effet corporel qui serait faible ou même inexistant. Ces émotions sont
souvent qualifiées d’émotions subtiles.
Lange est convaincu que la seconde alternative est la bonne : les change-
ments corporels sont à l’origine de l’émotion. Cette importance donnée aux
changements corporels en tant que cause de l’émotion étant similaire à celle
proposée par James, cette proximité des théories fait que l’on parle classi-
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quement de la théorie de l’émotion de James-Lange. Cette théorie est égale-
ment connue comme la position « périphérique » ou « périphéraliste », parce
qu’elle suggère que la cause de l’émotion provient de variations au sein du
système nerveux périphérique (voir chapitre 5). Selon cette théorie, une émotion
est déclenchée chez un individu lorsque celui-ci perçoit dans son corps un
pattern spécifique de changements. Ainsi, selon cette proposition, le processus
émotionnel peut être caractérisé par la séquence suivante : un stimulus, des
réponses corporelles, la sensation de ces changements périphériques et,
finalement, l’émotion.
James développe sa pensée et fonde en 1892 les bases de théories que l’on
peut qualifier de théories de la rétroaction corporelle (proprioceptive feedback
theories) ; en effet, James (1892) écrit :
« Si notre théorie est vraie, elle devrait avoir pour corollaire nécessaire que :
toute évocation volontaire et dépassionnée de ce que l’on croit être les mani-
festations d’une émotion particulière devrait nous procurer cette émotion elle-
même. »
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participants utilisant les muscles associés au sourire pour tenir le stylo ont
rapporté ressentir plus d’humour en réponse à des dessins animés qui leur
ont été présentés lors de la procédure expérimentale (pour une discussion des
différences individuelles dans de telles études, voir Laird, 1974 ; voir aussi
Soussignan, 2002).
Dans un article largement débattu, Ekman, Levenson et Friesen (1983) ont
suggéré que l’induction d’expressions motrices particulières pourrait non
seulement amplifier l’émotion mais véritablement la déclencher et la diffé-
rencier, comme cela serait mis en évidence par des réponses physiologiques
différenciées et des rapports verbaux spécifiques. Les chercheurs ont demandé
à des acteurs de produire des combinaisons de mouvements faciaux sur la
base d’un entraînement concernant la manière de bouger des parties spécifi-
ques du visage (voir le chapitre 3). Certaines réponses physiologiques étaient
mesurées durant cette manipulation, et il a ensuite été demandé aux acteurs
de verbaliser leur émotion. Les combinaisons des unités d’action faciales
demandées aux acteurs correspondaient à celles théoriquement caractéristiques
des émotions de base telles que la peur, la colère, la joie, la tristesse ou le
dégoût (Ekman, 1989). Même si les expérimentateurs n’ont jamais mentionné
le fait que l’étude concerne l’émotion, les résultats ont montré une différence
claire dans les patterns de réponses physiologiques pour différentes combi-
naisons faciales, correspondant largement aux prédictions théoriques. La
plupart des émotions de base pouvaient ainsi être discriminées deux à deux,
avec par exemple la joie qui se distingue de la tristesse en fonction de la
fréquence cardiaque ou encore la peur qui se distingue de la colère en fonction
de la température cutanée. De plus, il y avait une tendance à ce que les acteurs
rapportent verbalement avoir ressenti l’émotion dont ils avaient produit l’expres-
sion sur leur visage. Cette étude a été critiquée de manière répétée par rapport
à de possibles artefacts expérimentaux. Par exemple, les acteurs auraient pu
se rendre compte que chaque configuration faciale qui leur était demandée
correspondait à une émotion particulière, ce qui aurait pu suggérer un autre
mécanisme d’induction de l’émotion, comme par exemple, l’imagination ou
la conformité avec les attentes de l’expérimentateur. De plus, certaines confi-
gurations auraient pu demander un effort particulier, ce qui aurait eu un effet
sur la réponse psychophysiologique (voir Boiten, 1996). Malgré ces critiques,
SURVOL DES THÉORIES ET DÉBATS ESSENTIELS 7
notons que les auteurs ont pu répliquer les résultats avec des participants
nord-américains et indonésiens (Levenson, Ekman et Friesen, 1990 ; Levenson,
Ekman, Heider, et Friesen, 1992).
Le rôle causal des changements corporels dans l’émotion reste une propo-
sition défendue par un certain nombre de théories contemporaines de l’émotion
dont par exemple la théorie néo-jamésienne des marqueurs somatiques de
Damasio (1994), selon laquelle les événements de l’environnement (ou les
représentations mentales associées) peuvent être marqués par l’activité somati-
que au moment du traitement de l’événement. Ainsi, lorsque l’événement est
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présenté à nouveau au participant, le marqueur somatique correspondant est
activé, et peut alors notamment biaiser les prises de décisions liées aux consé-
quences potentielles de l’événement en question. L’approche jamésienne a
également influencé, en interagissant avec les « théories de la cognition
incarnée » (embodied cognition), les « théories incarnées de l’émotion »
(embodiment theories of emotion, voir Niedenthal, 2007). Selon cette appro-
che, les représentations cérébrales des processus corporels (notamment inté-
roceptifs et moteurs) impliqués lors de l’acquisition d’une connaissance
seraient à nouveau instanciées lorsqu’il est utile à l’individu de récupérer
cette connaissance. Concernant les émotions, les théories de l’incarnation
suggèrent donc que la perception et la pensée liées à l’émotion impliquent
chez l’individu une « ré-expérience » perceptive, somatosensorielle et motrice
de l’émotion correspondante (Niedenthal, 2007). Il est à noter que, dans les
théories contemporaines, l’importance est surtout donnée à la représentation
cérébrale de l’activité somatique plutôt qu’à l’activité somatique elle-même.
Cette importance donnée à la représentation cérébrale a notamment permis aux
théories néo-jamésiennes de se prémunir de certaines des critiques formulées
par Walter Cannon en réaction à la théorie originale de James et Lange. En
effet, sur la base de travaux neurophysiologiques effectués par Cannon et son
collaborateur Bard chez l’animal, un certain nombre de résultats empiriques
ont mis en doute la théorie périphéraliste pour proposer comme théorie alter-
native la théorie dite « centraliste » qui insiste sur le rôle du système nerveux
central, et en particulier le thalamus, dans le déclenchement de l’émotion.
Les critiques principales émises par Cannon et Bard à la théorie périphéraliste
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
sont les suivantes (voir Cannon, 1927, 1931). Tout d’abord, selon leurs études
chez l’animal, Cannon et Bard ont conclu que le comportement émotionnel
n‘est pas altéré lorsque les viscères sont déconnectés du cerveau. Un tel
résultat suggère que la réponse viscérale n’est pas nécessaire au comporte-
ment émotionnel, ce qui va directement à l’encontre de la théorie de James.
Cannon et Bard remarquent également que des changements viscéraux simi-
laires apparaissent dans des états émotionnels différents et dans des états non
émotionnels (par exemple, digestion, fièvre), ce qui remet en cause l’idée de
James selon laquelle chaque émotion spécifique serait causée par une activa-
tion corporelle spécifique. Nous discuterons plus en détail dans la suite de ce
chapitre de la question de la spécificité de la réponse périphérique de chaque
8 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
émotion. De plus, le fait que les viscères soient peu sensibles et que les chan-
gements viscéraux soient relativement lents suggère à Cannon et Bard que la
réponse viscérale ne peut pas être le déterminant principal des émotions. Fina-
lement, selon leurs travaux, une induction artificielle de changements viscéraux
n’induit pas d’émotion, ce qui irait également à l’encontre des prédictions de
James. Il est important de noter cependant que les critiques formulées par
Cannon et Bard ne font pas l’unanimité, surtout 1) si l’on considère l’ensemble
de la réponse corporelle, y compris musculaire, et pas uniquement viscérale,
et 2) si l’on considère, comme mentionné plus haut, le rôle des représenta-
tions cérébrales de l’activité corporelle plutôt que l’activité corporelle en tant
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que telle. Depuis que les théories périphéralistes et centralistes ont été propo-
sées (voir aussi Fehr et Stern, 1970 ; Fraisse, 1963), les défenseurs des deux
positions théoriques s’accordent depuis plusieurs décennies sur les « compo-
santes » du phénomène étudié : un événement (externe ou interne), la perception
(ou l’imagination) de cet événement, une large gamme de réactions corporelles
et de tendances à l’action, et un sentiment subjectif. Ces deux positions
s’accordent sur l’existence d’une séquence de traitements décomposable en
causes et en conséquences. Comme nous le discuterons plus loin, un problème
conceptuel est que le terme émotion est souvent utilisé pour se référer à la
composante correspondant au vécu du phénomène complet. Une question
importante apparaît alors : la réaction corporelle est-elle une cause, une
composante, ou une conséquence de l’émotion ? Le fait de savoir si la réponse
corporelle précède ou non l’émotion (« le problème de la séquence », Candland,
1977) est au cœur d’un débat animé encore aujourd’hui (voir Damasio, 1994 ;
Barrett, 2006 ; Prinz, 2004). Dans la section qui suit, nous verrons comment
la psychologie moderne a essayé de résoudre ce débat classique en proposant
une définition componentielle de l’émotion.
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selon laquelle le terme « émotion » ne devrait pas être utilisé de manière
interchangeable avec le terme « sentiment » comme cela a pourtant souvent
été le cas dans le passé (notamment chez James), et même encore actuellement
(Barrett, 2006). En général, le sentiment est maintenant considéré comme
l’une de plusieurs composantes de l’émotion (voir chapitre 7). Deux autres
composantes clés reconnues par l’ensemble des théoriciens sont d’une part
la réponse psychophysiologique (voir chapitre 5) et d’autre part l’expression
motrice (du visage, de la voix et des gestes ; voir chapitres 3 et 4). Les
psychologues se réfèrent souvent à ces trois composantes – sentiment subjectif,
réponse psychophysiologique et expression motrice – en les désignant comme
constituant la triade de la réaction émotionnelle.
Au-delà de cette triade, une quatrième composante émotionnelle est
essentielle : la tendance à l’action, comme par exemple le désir de s’enfuir
ou de se cacher lorsque l’on a peur (voir chapitre 6). Selon certains auteurs,
cette composante, qui est une forme de préparation à l’action, représente la
facette la plus importante d’une émotion parce qu’elle est typique à chaque
émotion, par exemple vouloir s’enfuir serait typique de la peur tandis que
vouloir attaquer serait typique de la colère (Frijda, 1986, 1987, 2003, 2007 ;
Plutchik, 1980). Il est important d’attirer l’attention sur le fait que la plupart
des psychologues de l’émotion distinguent la tendance à l’action du compor-
tement instrumental effectif auquel elle peut éventuellement conduire. Contraire-
ment aux tendances à l’action, les actions elles-mêmes comme courir ou frapper
quelqu’un ne sont généralement pas considérées comme des composantes
de l’émotion, mais plutôt comme des conséquences comportementales de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
l’émotion.
La cinquième composante qui est, comme nous le verrons plus loin,
souvent considérée comme celle qui détermine les changements dans les
quatre autres, est la composante d’évaluation cognitive (ou appraisal, voir
chapitre 2). Cette composante représente le processus cognitif par lequel un
événement externe ou interne va être évalué, même de façon implicite, de sorte
que la réponse émotionnelle constituée des quatre composantes mentionnées
ci-dessus est déclenchée et se différencie en une émotion spécifique, telle
que par exemple la joie, la peur, la colère, la tristesse, le dégoût, la honte, la
culpabilité, la fierté ou encore l’intérêt. L’existence de ce processus évaluatif à
10 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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main très différemment si nous nous apercevons tout d’un coup qu’il a taillé
un bâton pour un petit garçon qui joue à côté et qu’il s’est blessé légèrement
à la main.
Les différentes composantes de l’émotion, c’est-à-dire le sentiment subjectif,
les changements psychophysiologiques, l’expression motrice, les tendances
à l’action ainsi que l’évaluation cognitive, recrutent la plupart des systèmes
psychologiques. Comment peut-on alors différencier l’émotion d’autres formes
de processus psychologiques ?
Dans le but de proposer une définition de l’émotion, nous suggérons d’utiliser
le terme « émotion » pour désigner un ensemble de variations épisodiques
dans plusieurs composantes de l’organisme en réponse à des événements
évalués comme importants par l’organisme. Au lieu d’utiliser le terme « d’état
émotionnel » celui d’« épisode émotionnel » est plus approprié car il souligne
le fait que l’émotion est un processus dynamique d’une durée relativement
brève. Ceci nous permet de différencier l’émotion d’autres phénomènes
affectifs tels que par exemple l’humeur, celle-ci étant considérée en général
comme étant plus diffuse, durant plus longtemps et n’étant pas nécessaire-
ment déclenchée par un événement spécifique (Scherer, 2005). En effet, une
caractéristique importante de l’émotion est qu’elle se réfère toujours à un
objet qui la déclenche. Certains arguments suggèrent d’ailleurs que l’émotion
peut être déclenchée même si l’objet de l’émotion n’est pas perçu consciemment
(Ruys et Stapel, 2008). Une manière de souligner la caractéristique parti-
culière de l’émotion en tant que réponse urgente à une situation de crise (dans
le sens positif comme dans le sens négatif) est de postuler que les différentes
composantes psychologiques et physiologiques interagissent de manière très
particulière durant l’épisode émotionnel. Scherer (1984, 2001) a suggéré que
les sous-systèmes d’un organisme qui fonctionnent de manière indépendante et
autonome d’habitude deviennent synchronisés ou couplés pendant le processus
émotionnel afin de permettre à l’organisme de faire face à la situation d’urgence
créée par l’événement provoquant une émotion. Reprenons notre exemple :
pendant que vous êtes en train de vous promener dans le parc avec votre ami(e),
votre système nerveux végétatif est impliqué dans le processus de digestion
du déjeuner, votre respiration et la fréquence cardiaque sont ajustées idéalement
pour assurer le niveau d’oxygène dont vous avez besoin pour vous promener
SURVOL DES THÉORIES ET DÉBATS ESSENTIELS 11
et parler en même temps, vos muscles faciaux sont occupés à faire des souri-
res variés et vos pensées tournent autour de la conversation avec votre ami(e)
et la planification des activités à venir dans l’après-midi. Au moment où vous
apercevez l’homme, le couteau et le sang, votre digestion se modifie brus-
quement, votre respiration et votre fréquence cardiaque changent radicalement,
vos muscles faciaux se rigidifient, vos sourcils se lèvent, votre bouche s’ouvre,
la conversation s’arrête et vos pensées se focalisent sur la situation pour
essayer de comprendre ce qui se passe et décider de la réaction comportementale
à adopter. En même temps, l’apport sanguin vers la partie inférieure de votre
corps est augmenté afin de préparer les muscles des jambes pour un effort
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accru. Les systèmes corporels et mentaux sont donc coordonnés et synchro-
nisés, en recrutant toutes les ressources disponibles pour pouvoir faire face à
ce qui pourrait être une situation d’urgence majeure, une situation qui risque
de menacer l’un des buts majeurs dans la vie : survivre et rester sain et sauf.
Pour conclure cette section concernant la définition de l’émotion, il appa-
raît que si l’émotion est définie comme un épisode de changements interdé-
pendants et synchronisés de ces composantes en réponse à un événement
hautement significatif pour l’organisme, le problème de la séquence devient
alors une question qui concerne les interrelations dynamiques entre les compo-
santes d’un épisode émotionnel particulier. Dans une approche plus fonction-
nelle que purement descriptive, une question intimement liée à celle de la
définition est abordée dans la section suivante : quelle est l’utilité de l’émotion ?
2 POURQUOI AVONS-NOUS
DES ÉMOTIONS ?
étant donné l’idée bien établie selon laquelle les humains seraient les premiers
organismes rationnels. Comment comprendre ce paradoxe ? Une réponse
vient du père de la théorie de l’évolution, Charles Darwin. Dans son ouvrage
sur l’expression des émotions chez l’homme et chez l’animal (The Expres-
sion of Emotions in Man and Animals, 1872/1998), Darwin développe la
thèse selon laquelle l’émotion a des fonctions utiles pour l’organisme. D’une
part, l’émotion permet la préparation d’un comportement adaptatif dans le
cadre des interactions avec l’environnement physique. D’autre part, l’émotion
est également utile pour la régulation des interactions sociales. En se focalisant
sur la fonctionnalité de l’expression émotionnelle, Darwin a essayé de
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montrer comment chacune des émotions principales peut être analysée en
termes de patterns de comportement adaptatifs de base, en particulier au niveau
du visage et du corps. Par exemple, lever les sourcils améliorerait l’acuité
visuelle, retrousser le nez permettrait d’éviter les odeurs désagréables (voir
Ekman, 1979). Récemment, Susskind et coll. (2008) ont testé empirique-
ment l’hypothèse d’une opposition fonctionnelle entre l’expression faciale
typique de peur et celle de dégoût. Ces auteurs ont ainsi démontré que
l’expression faciale de peur est, contrairement à celle du dégoût, configurée
pour augmenter l’acquisition sensorielle avec une ouverture marquée des
yeux, du nez et de la bouche. Ainsi, les expressions faciales émotionnelles
auraient acquis leur configuration dans le cadre de l’interaction avec l’envi-
ronnement physique et non seulement dans le cadre de la communication.
Une idée centrale de Darwin selon laquelle des précurseurs d’expressions
émotionnelles se trouvent chez les animaux a été confirmée par la recherche
en éthologie (van Hooff, 1972 ; Redican, 1982 ; Scherer, 1985).
Depuis Darwin, les théories psychologiques de l’évolution considèrent les
émotions comme un objet d’étude privilégié (voir Cosmides et Tooby, 2000 ;
Faucher, 1999 ; Griffiths, 1999). Les travaux de Darwin sur l’expression des
émotions ont eu deux apports principaux. Le premier a été de fournir,
comme évoqué ci-dessus et développé plus loin en détail, l’acte de naissance
d’une voie de recherche très active actuellement : l’étude des expressions
faciales émotionnelles (voir chapitre 3). Les capacités à produire une expression
émotionnelle et à reconnaître les expressions représentent ainsi un avantage
adaptatif. Par exemple, exprimer la colère comme l’indice d’une agressivité
peut faire fuir un ennemi si ce dernier est capable de la reconnaître.
Le second apport de Darwin n’est pas exclusif à son œuvre de 1872 mais
inhérent à sa théorie de l’évolution. Ainsi, la théorie synthétique (ou néo-
darwinienne) de l’évolution considère le système de traitement des informa-
tions émotionnelles de l’homme moderne comme remplissant une fonction
adaptative spécifique et s’appuyant sur un héritage phylogénétique. Dans ce
contexte, les théories adaptationnistes s’appuyant notamment sur l’émergence
de la psychologie évolutionniste (voir Tooby et Cosmides, 2000) visent à
appliquer les principes de la biologie évolutionniste aux recherches sur la
structure de l’esprit humain en s’intéressant à ce que l’on peut appeler les
SURVOL DES THÉORIES ET DÉBATS ESSENTIELS 13
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où l’homme moderne aurait hérité de ce mécanisme, nous serions également
préparés à avoir peur de ces classes de stimuli même si celles-ci sont certai-
nement moins dangereuses pour l’homme actuel que d’autres classes de
stimuli, comme les voitures par exemple. Se fondant sur cette proposition
théorique, Arne Öhman a eu pour objectif de tester expérimentalement ce
concept de « préparation » dans le cadre de l’apprentissage de la peur (fear
learning). Selon cet auteur, l’apprentissage est très important pour sélection-
ner quels stimuli déclenchent une réaction de peur et cet apprentissage serait
préparé biologiquement dans le sens où les réponses de défense sont beaucoup
plus facilement déclenchées par des stimuli qui apparaissaient dangereux
pour nos ancêtres (par exemple, araignées, serpents) qu’aux autres stimuli.
Öhman et les coll. ont pu démontrer dans des paradigmes de conditionne-
ment de peur que ces stimuli déclenchent une réaction même après un faible
conditionnement, déclenchent une réponse de façon persistante et sont peu
sensibles à l’extinction. Ainsi, sur la base d’une revue de la littérature,
Öhman et Mineka (2001) ont proposé l’existence d’un module de peur
répondant aux critères classiques d’un système modulaire. Ce module serait
sélectif car il ne serait activé que par les stimuli liés à la peur que l’espèce a
rencontrés au cours de son évolution ou par les stimuli associés. Par ailleurs,
ce module serait automatique car son activation ne nécessiterait pas l’atten-
tion volontaire ni le traitement conscient du stimulus. Ce module serait
également encapsulé car il effectuerait son traitement de manière relative-
ment indépendante des processus cognitifs. Enfin, ce module jouirait d’une
implémentation cérébrale dédiée grâce à un circuit centré sur l’amygdale.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
indiqué que les photographies d’individus ayant une autre couleur de peau
que la sienne étaient plus facilement associés à un stimulus aversif que les
photographies d’individus ayant la même couleur de peau que soi-même. Il
est intéressant de noter que cet effet, qui pourrait jouer un rôle dans les déter-
minants psychologiques du racisme, était diminué chez les participants qui
avaient déjà eu un contact rapproché et positif avec un individu ayant une
autre couleur de peau. Notons que l’approche du module de peur défendue
par Öhman et Mineka (2001) qui a été dominante plusieurs années a
tendance à ne plus s’imposer, en grande partie car il a été démontré que
l’amygdale n’est pas sélective à la peur (voir Sander, Grafman et Zalla, 2003 ;
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Sergerie et al., 2008) et que des stimuli non liés à la peur peuvent capturer
l’attention de façon similaire à des stimuli liés à la peur (par exemple, Brosch,
Sander et Scherer, 2007 ; Brosch, Sander, Pourtois et Scherer, 2008).
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réactions alternatives. En d’autres termes, l’émotion permet à l’organisme de
« choisir » entre plusieurs réponses possibles pour un événement donné.
Ceci est un mécanisme flexible qui permet une certaine liberté à l’organisme,
même si un certain automatisme perdure. Les émotions nous préparent pour
des types de comportements adaptatifs particuliers (Scherer, 1984b, 2001).
Reprenons l’exemple abordé plus haut. Si j’étais un champion de karaté
et que ma réaction comportementale était exclusivement contrôlée par un
mécanisme de type « S-R », alors j’attaquerais immédiatement l’homme au
couteau. Mais étant donné que je peux ressentir une émotion comme de la colère
plutôt que de réagir en suivant une séquence de type « insulte-agression »,
cela permettra certes une préparation de mon organisme à une éventuelle
réaction agressive, notamment en assurant la circulation sanguine optimale
aux régions du corps susceptibles d’être impliquées et en montant la tension
musculaire, mais, étant donné que la colère découple le stimulus de la réponse,
je ne vais pas frapper la personne immédiatement. L’émotion a préparé la
réponse qui peut être considérée comme étant adaptative et m’a fait gagner
un temps de latence me permettant de choisir une réaction optimale parmi
une large gamme de comportements possibles. Par exemple, je peux renon-
cer à frapper l’homme s’il a l’air d’être beaucoup plus fort que moi ou si je
me rends compte un petit instant après l’avoir aperçu qu’il a, en fait, taillé un
bâton. Ce temps de latence ayant lieu entre le moment où l’émotion est
provoquée et le moment d’exécution d’un pattern de comportements adaptatifs,
il nous permet d’évaluer davantage la situation et d’estimer la probabilité de
succès ainsi que les conséquences d’une action particulière. C’est en cela
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
que l’émotion n’est pas de même nature qu’un réflexe. Ce découplage entre
la perception du stimulus et le déclenchement de la réponse nous donne plus de
temps pour l’évaluation de la situation et des conséquences de la réponse ; ceci
est une fonction très importante de l’émotion. Néanmoins, comme mentionné
auparavant, l’évolution a également mis à notre disposition une préparation
spécifique à l’action à laquelle nous pouvons avoir recours dans des situations
d’urgence ou dans des situations où davantage d’évaluations et d’échanges
de signaux pourraient avoir des conséquences négatives. Ces mécanismes
implicites et automatiques qui préparent et dirigent l’action appropriée ont
une forte influence sur la motivation, comme cela a été décrit par plusieurs
psychologues (Buck, 1985 ; Frijda, 1986, 2003, 2006 ; Plutchik, 1980). Il
16 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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par des critères qui sont parfois basés sur des préférences innées (par exem-
ple, un nouveau-né réagira positivement au sucré alors que les goûts amers
provoqueront une réaction affective négative, Berridge, 2000 ; Chiva, 1985 ;
Steiner, 1979) ou sur des critères d’évaluation acquis pendant notre sociali-
sation et qui sont représentés par nos besoins, préférences, buts et valeurs
(Berridge, 2000 ; Campos et Barrett, 1984 ; Frijda, 2006).
Dans cette section, nous nous sommes intéressés aux différentes fonctions
des émotions en nous interrogeant sur la signification des émotions au cours
de l’évolution, sur leur rôle en tant que système social de signalisation et sur
le fait que l’émotion permette un comportement particulièrement flexible. Mais,
sous quelles conditions les émotions, qui ont une telle utilité pour l’organisme,
sont-elles déclenchées ? Cette question fait l’objet de la section suivante.
3 DIFFÉRENCIATION : COMMENT
LES ÉMOTIONS SONT-ELLES
DÉCLENCHÉES ET DIFFÉRENCIÉES ?
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qu’un des facteurs clés dans le déclenchement et la différenciation des
émotions soit, non pas l’événement en tant que tel ou ses caractéristiques
objectives, mais plutôt la signification subjective de cet événement pour un
individu donné à un instant particulier.
Voilà pourquoi les philosophes éminents qui se sont intéressés aux émotions
ont défini soit explicitement, soit implicitement, les différents types d’émotions
en termes de la signification de l’événement pour la personne ou, autrement
dit, en termes de l’évaluation effectuée par la personne en fonction de ses
besoins fondamentaux, ses buts et ses valeurs. Même James, défenseur de
l’hypothèse révolutionnaire que l’émotion ressentie est déterminée par la
perception de patterns de changements corporels, a admis que la nature de
ces changements corporels était déterminée par l’« idée » prédominante de la
signification de la situation en ce qui concerne le bien-être de l’organisme
(par exemple, la probabilité que l’ours nous tuera ou que nous le tuerons ;
James, 1894, p. 518 ; voir Ellsworth, 1994). Ceci s’approche de la notion de
l’évaluation ou appraisal de l’événement en fonction des besoins, des buts et
des valeurs importants de l’individu (voir chapitre 2).
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proposition, appelée « théorie bi-factorielle de l’émotion », l’activation
physiologique ne serait pas spécifique à une émotion : elle en déterminerait
l’intensité mais non la qualité. La cognition déterminerait quelle émotion est
ressentie ; comme l’écrivent Schachter et Singer (1962), « C’est la cognition
qui détermine si l’état d’activation physiologique sera labellisé comme
“colère”, “joie”, “peur” ou autre. »
D’après Schachter et Singer (1962) :
« Dans la plupart des situations qui donnent lieu à une émotion, ces deux fac-
teurs sont complètement interdépendants. Imaginez un homme qui marche
seul dans une ruelle sombre, une silhouette avec un fusil apparaît soudai-
nement. La perception-cognition “silhouette avec un fusil” va, d’une certaine
façon, initier un état d’activation physiologique. Cet état d’activation sera in-
terprété selon les connaissances concernant les ruelles sombres et les fusils, et
l’état activation physiologique sera labellisé “peur”. »
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donné un état d’activation physiologique pour lequel un individu possède
une explication totalement appropriée, aucun besoin d’évaluation n’apparaî-
tra, et il est peu probable que l’individu labellise son état d’activation selon
des cognitions alternatives dont il dispose ; 3) étant donné des circonstances
cognitives identiques, l’individu réagira émotionnellement seulement s’il
ressent un état d’activation physiologique. Il est à noter que, mis à part les
critiques possibles des interprétations de leurs résultats, la méthodologie de
cette recherche a été critiquée, et des tentatives de répliquer les résultats ont
échoué en général (voir chapitre 6 ; Gordon, 1987 ; Reisenzein, 1983, pour
une revue). Malgré ces défauts, cette expérience a eu une influence considé-
rable sur la psychologie de l’émotion, et, à présent, c’est un fait établi en
psychologie que nous faisons usage d’informations dans notre environne-
ment social pour guider notre jugement et nos choix dans des situations
d’incertitude (voir par exemple, la théorie sur le social appraisal, Manstead
et Fischer, 2001). Schachter et Singer étaient parmi les premiers à souligner
que notre ressenti émotionnel, qui a typiquement été considéré comme un
domaine très personnel et lié à ce qui se passe à l’intérieur de notre corps, est
en fait sujet à une multitude d’influences sociales et peut être complètement
manipulé dans certaines conditions.
Malheureusement, plutôt que de voir le paradigme de Schachter et Singer
comme un cas spécifique, beaucoup d’auteurs ultérieurs en ont fait usage en
tant que la théorie de l’émotion de Schachter et Singer. En fait, cette théorie
était dominante dans la plupart des manuels de psychologie sociale dans les
années 1960-1990 sous le nom de théorie bi-factorielle de l’émotion (two
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
factor theory of emotion). Cette théorie est d’une valeur limitée et potentiel-
lement trompeuse en tant que théorie générale de l’émotion qui cherche à
expliquer comment une émotion est typiquement déclenchée et quels
facteurs déterminent leur différenciation. Par exemple, la théorie bi-facto-
rielle de l’émotion ne détaille pas la manière dont l’activation physiologique
non spécifique serait induite. La recherche des processus par lesquels une
émotion, y compris sa composante périphérique, est typiquement déclenchée
et différenciée est justement l’objet d’une approche que l’on peut considérer
aujourd’hui comme majoritaire parmi les psychologues qui étudient le
déclenchement et la différenciation de l’émotion : les théories de l’évaluation
cognitive (appraisal).
20 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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rience classique, Lazarus, Speisman, Mordkoff et Davison (1962) ont montré
qu’il est possible de changer les réponses physiologiques des participants en
réponse à un film émotionnel (par exemple, un documentaire concernant une
cérémonie avec incisions corporelles) en modifiant le commentaire verbal
(par exemple, soit en mettant l’accent sur l’expérience douloureuse de la
personne incisée, soit en insistant sur la fonction sociale du rite cérémonial
en question).
Lazarus a également introduit la distinction entre ce qu’il appelle l’évalua-
tion primaire (primary appraisal) et l’évaluation secondaire (secondary
appraisal) d’un événement. L’évaluation primaire concerne l’évaluation de
l’événement sur sa dimension d’agrément et sur sa dimension d’opportunité
au but. L’individu évalue à quel point l’événement est agréable ou désagréa-
ble, et à quel point l’événement l’aide ou l’empêche d’assouvir un besoin ou
d’accomplir un but (voir chapitre 2 pour plus de détails). Selon Lazarus,
l’évaluation secondaire spécifie quant à elle à quel point la personne sera
capable de faire face (coping) aux conséquences d’un événement en fonction
de ses propres besoins, buts et ressources. En interagissant, ces deux types
d’évaluations détermineraient la différenciation de l’émotion (ou le niveau
de stress ressenti ; Lazarus, 1968, 1991).
Comme cela est détaillé dans le chapitre 2, une progression théorique
majeure concerne la spécification des critères qui permettent l’évaluation (voir
Ellsworth et Scherer, 2003 ; Roseman et Smith, 2001 ; Sander, Grandjean et
Scherer, 2005 ; Scherer, 1999 ; Scherer, Schorr et Johnstone, 2001 ; Smith et
Lazarus, 1993). Des exemples de tels critères sont la nouveauté et l’anticipation
d’un événement, son agrément, sa faculté d’aider ou d’empêcher l’individu à
atteindre ses buts et à quel point l’individu peut faire face aux conséquences.
Revenons à notre exemple du parc : lorsque vous voyez l’homme avec le
couteau à la main, un processus cognitif rapide d’évaluation de la significa-
tion de cet événement par rapport à votre bien-être s’ensuit. Ceci permet
d’illustrer quelques-uns des critères d’évaluation centraux suggérés par les
théoriciens de l’émotion : quelle est l’intention de cet homme (causalité et
agentivité) ? Est-ce que ses actions affecteront mes propres besoins et buts,
tel que rester sain et sauf (congruence aux buts) ? Est-ce que je serai en
mesure de faire face à une attaque, en d’autres termes est-ce que je suis plus
SURVOL DES THÉORIES ET DÉBATS ESSENTIELS 21
fort que lui ou est-ce qu’il vaudrait mieux appeler à l’aide (potentiel de
maîtrise) ? Le résultat de l’évaluation sur la base de ces critères, ainsi que d’autres,
détermineront la réaction émotionnelle. Le chapitre 2 décrit ce processus de
manière plus détaillée.
Beaucoup de recherches en psychologie de l’émotion ont testé quelques-unes
de ces prédictions ou ont étudié la relation entre les résultats de l’évaluation
et les réponses émotionnelles de manière plus inductive. Dans ce type d’études,
il est habituellement demandé aux participants de se rappeler des épisodes
d’émotions typiques, comme des moments de colère, de peur ou de honte. Il
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leur est ensuite demandé de répondre à des questions portant sur les processus
d’évaluation cognitifs (Roseman, Spindel, et Jose, 1990 ; Smith et Ellsworth,
1985 ; Scherer, 1997a). Dans une variante de cette procédure, Scherer (1993)
a utilisé un système expert informatique pour obtenir des éléments concernant
les critères d’évaluation utilisés par des participants en réponse à des événements
importants qu’ils ont vécu. Ce système expert a été utilisé pour prédire, sur la
base des propositions théoriques, quels termes émotionnels les participants
allaient utiliser pour décrire leur ressenti. L’obtention d’un pourcentage de
reconnaissance d’environ 70 % a confirmé le caractère prédictif des critères
d’évaluation cognitive. Une stratégie alternative est de construire des scéna-
rios ou des vignettes sur la base de profils d’évaluations prédits et de demander
ensuite aux participants de s’imaginer cette situation et d’indiquer leurs réac-
tions émotionnelles probables (Smith et Lazarus, 1993). De telles études ont
généralement validé les prédictions théoriques formulées par les théoriciens de
l’appraisal (voir Reisenzein et Hofmann, 1993 ; Scherer, 1999). Une autre
approche empirique consiste à choisir un événement particulier induisant
une émotion et ayant une répercussion sur un grand nombre de personnes
simultanément, comme les examens finaux pour des étudiants, et en tirer des
informations sur les évaluations de la situation ainsi que sur les types de
réponses émotionnelles. Ce type d’études montre notamment l’importance
des mélanges d’émotions (emotion blends), c’est-à-dire que ces études mettent
en évidence le fait que l’évaluation d’un événement donné par une personne
particulière va probablement déclencher un mélange de plusieurs émotions
plutôt qu’une seule émotion (Folkman et Lazarus, 1985 ; Smith et Ellsworth,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1987). Une étude sur le terrain, dans un aéroport, a confirmé cette hypothèse.
Scherer et Ceschi (1997) ont filmé et interviewé des passagers ayant perdu
leurs bagages. Les données de cette étude ont illustré non seulement le fait
que les émotions sont souvent mélangées, mais également l’idée centrale de
la théorie de l’appraisal : même si l’événement est le même pour tous les
passagers (la perte de ses bagages), le mélange d’émotions produit dépend
de l’évaluation subjective spécifique de la signification de l’événement par
chaque passager. Ainsi, les passagers ayant jugé que la perte des bagages
interfère de manière importante avec leurs projets et ayant évalué comme
relativement faible leur potentiel de maîtrise (coping potential) face à cette
22 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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sociales) concernant le type d’événement supposé produire une émotion
particulière. Le même problème s’applique à l’usage d’études de vignettes ou
de scénarios (voir Parkinson, 1997, 2001 ; Parkinson et Manstead, 1993).
Une manière d’éviter le danger de circularité dans ce type d’approche est
de manipuler les situations de façon à prédire les émotions déclenchées sur la
base des évaluations cognitives supposées être impliquées. Évidemment, un
éventuel problème pourrait être que les participants n’évaluent pas la situation
selon les attentes de l’expérimentateur, en particulier si leurs besoins, leurs
buts et leurs ressources diffèrent de manière importante de ceux des autres
participants. Même si ces études sont difficiles à opérationnaliser, elles repré-
sentent la seule manière de résoudre le problème méthodologique posé par le
rapport verbal. Une approche prometteuse dans cette direction est d’aller au-
delà de la simple présentation de stimuli visuels ou auditifs en utilisant des
jeux d’ordinateurs qui permettent aux chercheurs de manipuler les événe-
ments auxquels les participants se trouvent confrontés (comme par exemple
l’apparition soudaine d’obstacles aux buts, ou encore la capacité de faire face
aux ennemis). En plus, des adeptes aux jeux d’ordinateurs montrent une
implication personnelle importante dans le jeu, ce qui est la condition princi-
pale nécessaire pour pouvoir induire des émotions en laboratoire (voir Scherer
et al., 2000 ; van Reekum et al., 2004). De façon générale, et comme cela est
développé dans le chapitre 2, l’avantage d’utiliser une approche empirique
visant à manipuler les situations est qu’il est possible de mesurer non seulement
des indices comportementaux et verbaux, mais également psychophysiologiques
et cérébraux (voir Aue et Scherer, 2008 ; Grandjean et Scherer, 2008 ; Siemer,
Mauss et Gross, 2007).
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chez les participants des cultures dites individualistes (qui attribuent une
grande valeur aux droits et intérêts des individus), il y avait relativement peu
de différence entre la honte et la culpabilité : dans les deux cas, le comportement
ayant provoqué l’émotion était considéré comme étant fortement immoral.
Dans les cultures dites collectivistes (qui donnent la priorité aux intérêts de
la famille et aux groupes sociaux), par contre, les sentiments de culpabilité
étaient provoqués plus fréquemment par des événements jugés comme beau-
coup plus immoraux que ceux déclenchant la honte. De façon cohérente, les
données ont également montré des différences frappantes qui relèvent d’autres
composantes de ces deux émotions. Les expériences de honte dans les cultures
collectivistes sont intenses et brèves, sans conséquences majeures. En revan-
che, dans les cultures individualistes, les profils de réaction des expériences
de honte ressemblent beaucoup à ceux de culpabilité ayant des effets à long
terme sur les auto-évaluations. Il semble donc que le système de valeurs
socioculturelles puisse moduler l’émotion de manière importante. Une autre
origine potentielle des différences interculturelles dans l’évaluation cogni-
tive est liée à des différences dans les structures de croyances. Dans l’étude
mentionnée ci-dessus, les participants des pays africains ont attribué plus de
causalité externe et d’immoralité aux événements provoquant des émotions
que les participants d’autres cultures. Une explication possible de ce résultat
est que certaines croyances sont largement répandues dans beaucoup de pays
africains. Précisément, ces résultats pourraient s’expliquer par l’existence de
croyances dans une structure privilégiant les attributions externes et l’assi-
gnement de blâme moral aux agents, présumés non naturels, d’événements
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
ayant une faible estime de soi ont des réactions émotionnelles plus marquées
face à l’échec que les personnes ayant une bonne estime de soi. Ceci est
particulièrement vrai pour les émotions impliquant directement le soi (p. ex
la honte ou l’humiliation). Il y a également des données qui suggèrent que
l’organisation du soi pourrait être affectée par le système de valeurs culturelles
(voir Markus et Kitayama, 1994). Un autre facteur important est la tendance
dispositionnelle à attribuer la responsabilité pour des événements plutôt à
soi-même ou plutôt à autrui (attribution interne ou externe ; Weiner, 1986 ;
voir le chapitre 12 du présent traité). Une revue des déterminants potentiels
des différences interindividuelles dans l’évaluation cognitive a été documen-
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tée par Van Reekum et Scherer (1997). De façon générale, il est probable que
de nombreux troubles émotionnels aient pour origine des biais ou déficits
dans le processus d’évaluation cognitive (voir Scherer, Sangsue et Sander, 2008 ;
voir le chapitre 13 du présent traité).
Zajonc, peut déclencher une émotion. Notons que cette vision n’est pas sans
rappeler celles de Lange ou de James. En effet, Lange (1885) écrivait que les
« phénomènes corporelles sont produits directement par la cause terrifiante ».
James (1892) écrivait que « grâce à une sorte d’influence physique immé-
diate, certaines perceptions produisent dans le corps des modifications orga-
niques ». Notons d’ailleurs que ces termes « directement » ou « influence
immédiate », qui peuvent certainement être traduits en termes computationnels
comme l’équivalent du concept « automatiquement », auraient dû contribuer
à poser une question fondamentale : quel mécanisme permet une évaluation
automatique (directe, immédiate) d’un événement émotionnel ? Au contraire, la
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vision de James, Lange et Zajonc a contribué à écarter cette question et a été
considérée comme une solution au problème de l’évaluation sans qu’il appa-
raisse nécessaire d’expliquer la cause des variations périphériques par
l’intervention d’un mécanisme causal. Or la caractérisation des mécanismes
automatiques, y compris de ceux dits de haut niveau tels que l’évaluation,
représente un objectif majeur de la psychologie.
Zajonc défend également l’idée selon laquelle les états affectifs pourraient
être induits par des procédures non cognitives telles que la prise de drogues
ou la rétroaction faciale. En réponse à cette critique, Lazarus a proposé que
dans tous ces cas, des activités cognitives ont pu être impliquées avant que la
réponse émotionnelle n’apparaisse car la définition de cognition implicite-
ment adoptée par Zajonc est beaucoup trop restrictive. Cette question de la
définition est également très importante pour les autres arguments dévelop-
pés par Zajonc. Par exemple, Zajonc propose que les réactions affectives
seraient phylogénétiquement et ontogénétiquement primaires par rapport à la
cognition. Cependant, comme l’explique Lazarus, il n’existe aucune évidence
fiable pour soutenir cette position. Au contraire, les enfants et autres espèces
sont potentiellement capables de processus cognitifs, même de bas niveaux
mais suffisants pour déclencher des émotions. De même, l’argument de
Zajonc selon lequel des structures neuro-anatomiques seraient séparées pour
affect versus cognition est critiquable selon Lazarus, notamment concernant
l’asymétrie hémisphérique (voir Sander et Koenig, 2002). Ainsi, selon Lazarus,
non seulement aucun argument de Zajonc ne prouve que la cognition n’est
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
pas impliquée, mais de nombreux arguments (telles que ceux présentés plus
haut dans cette section) suggèrent que l’évaluation cognitive peut être impliquée.
De plus, le fait que Zajonc ne donne pas de définition de l’émotion et prenne
en compte un grand nombre de phénomènes non suffisants pour constituer
une émotion telle que l’activation (arousal) ou la préférence remet en cause la
spécificité des phénomènes discutés par Zajonc. Au contraire, Lazarus argumente
que l’activité cognitive est une condition nécessaire à l’émotion : l’individu
doit comprendre la relation entre son bien-être et l’environnement pour
qu’une émotion puisse être déclenchée. Lazarus note également que la théorie
de Zajonc ne propose pas de mécanisme causal, et est moins parcimonieuse
26 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
car elle propose que l’émotion soit parfois causée par la cognition mais que
parfois elle ne le soit pas.
Une dizaine d’années après le débat entre Zajonc et Lazarus, la question
de l’indépendance et de la primauté entre affectif et cognitif a été à nouveau
débattue, mais cette fois sur le terrain de la neuroscience cognitive. Ainsi,
dans son article intitulé « Cognition versus emotion, Again – this time in the
brain », LeDoux (1993) expose les arguments en faveur de la primauté de
l’affect et de l’indépendance entre affect et cognition. Cet auteur note que
l’approche de type « Systems neuroscience » considère que le cerveau est
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constitué de systèmes ayant chacun une fonction spécifique. Par conséquent,
il serait tout à fait possible de concevoir la coexistence d’un « système affec-
tif » et d’un « système cognitif ». Suivant cette argumentation, il suggère
l’existence d’un système cérébral (incluant l’amygdale) qui assure des fonc-
tions affectives et qui peut fonctionner indépendamment du système cérébral
(incluant l’hippocampe) qui assure des fonctions cognitives. Les computa-
tions effectuées dans ces deux systèmes seraient de nature différente. Les
computations cognitives auraient pour but l’élaboration du stimulus d’entrée
et la génération de « bonnes » représentations du stimulus. En revanche, les
computations émotionnelles auraient pour but l’évaluation de la signification
du stimulus en termes de pertinence pour le bien-être de l’individu. De plus, le
système affectif serait primaire grâce à la voie sous-corticale vers l’amygdale
qui est très rapide et ne nécessite pas de traitement cortical (voir Phelps, 2006).
Cette vision séparatiste a été fortement critiquée par Parrott et Schulkin (1993),
selon qui les arguments apportés par LeDoux ne sont pas en faveur d’une
dissociation entre affectif et cognitif. À nouveau, la question de la définition
de la cognition est centrale à ce débat. Parrott et Schulkin adoptent une défi-
nition relativement stricte de la cognition en définissant un processus cognitif
comme un processus impliqué dans l’interprétation, la mémoire, l’anticipation
ou la résolution de problème. Il est intéressant de noter que, malgré la relative
spécificité d’une telle définition, celle-ci permet d’argumenter en faveur de la
vision selon laquelle la cognition est à l’origine de l’émotion. En effet, Parrott
et Schulkin remarquent une incongruence dans les propos de LeDoux quand
ce dernier propose que le système émotionnel implique des interprétations
permettant l’évaluation de la signification du stimulus, et ce, tout en étant
non cognitif. Si un processus est impliqué dans l’interprétation, peut-il ne pas
être cognitif ? L’approche défendue par Parrott et Schulkin permet d’éviter
de confondre la distinction Émotion/Cognition avec la distinction Sensation/
Cognition telle qu’elle était apparente notamment chez Zajonc. De plus, cette
vision n’est pas en contradiction avec l’approche de type « Systems neuro-
science » car elle soutient l’existence de « cognitions émotionnelles » et de
« cognitions non émotionnelles ».
En conclusion de ce débat autour de la question de l’indépendance et de
la primauté entre affectif et cognitif, il est important de noter que le débat
concernait principalement la question de la nécessité, et non de la suffisance,
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incluant des processus automatiques et non conscients que l’on peut qualifier
de cognitifs, alors la controverse disparaît. La question de savoir dans quelle
mesure les émotions esthétiques, notamment celles déclenchées par la musique,
sont typiquement déclenchées par des évaluations cognitives est particulière-
ment controversée (voir par exemple, Juslin et Västfjäll, 2008 ; Zentner,
Grandjean et Scherer, 2008).
Notons finalement que l’on peut identifier avec Sander et Koenig (2002)
un certain nombre de raisons au fait que les sciences cognitives ne considèrent
pas l’émotion comme un système cognitif typique. Tout d’abord, il y a des
raisons épistémologiques pour l’opposition Émotion/Cognition. En effet, si
la cognition est assimilée à la raison et l’émotion à la passion, alors l’opposition
actuelle se fonde en partie (et à tort) sur l’opposition Passion/Raison. De
façon encore plus ancrée que l’opposition Passion/Raison, il est aussi probable
que l’opposition actuelle trouve son origine dans le système platonicien décri-
vant l’opposition Thumos/Logos. Il y a également, comme cela a été abordé
plus haut, une raison définitionnelle à l’opposition Émotion/Cognition. Dans
ce cas, si une définition relativement inclusive de la cognition est utilisée,
comme cela est de plus en plus le cas en sciences cognitives pour intégrer
l’intelligence artificielle, alors l’opposition Émotion/Cognition ne tient plus.
Il est en effet fréquent de considérer comme processus cognitif tout proces-
sus, naturel ou artificiel, qui traite de l’information servant à l’acquisition,
l’organisation et l’utilisation de connaissances. Selon ce type de définition,
l’émotion peut être considérée comme étant de nature cognitive. Finalement,
une raison qui a probablement joué également un rôle important est d’ordre
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Alors que les théoriciens de l’émotion s’accordent sur le fait que la compo-
sante du sentiment soit différenciée, ce qui serait difficile à nier étant donné
le nombre important de labels émotionnels qui existent dans toutes les
langues, ceci n’est pas le cas en ce qui concerne les patterns de réponse dans
les composantes motrices et psychophysiologiques. En fait, cette question se
retrouve dans toutes les différentes approches théoriques. Comme nous l’avons
vu plus haut, certains théoriciens maintiennent que le feedback proprioceptif
hautement spécifique des systèmes périphériques détermine la différenciation
des émotions. D’autres, particulièrement Schachter et Singer, maintiennent
au contraire que c’est une activation physiologique générale et non spécifique
qui, une fois associée à une cognition, permet de labelliser l’émotion et ainsi
de créer la différenciation. Les théories cognitives diffèrent également en ce
qui concerne ce point. Alors que certaines théories ne se préoccupent pas de
la question de la différenciation physiologique et expressive (par exemple,
Oatley et Johnson-Laird, 1987), d’autres soutiennent que ce sont les résultats
des critères d’évaluation cognitive qui produisent des profils de réponse très
spécifiques, y compris la différenciation physiologique (Lazarus, 1991 ;
Scherer, 1986, 1992b ; Smith, 1989 ; Smith et Scott, 1997 ; voir le chapitre 5).
Cette proposition se fonde sur la notion du caractère adaptatif des émotions,
et notamment le fait qu’elles sont censées provoquer des tendances à l’action
permettant à l’individu de faire face à l’événement ayant déclenché l’émotion.
Ces tendances à l’action, à leur tour, devraient produire des patterns de
réponses et des signaux expressifs différenciés.
Nous allons maintenant insister sur une autre tradition théorique majeure :
les théories des émotions de bases (ou des émotions discrètes). Pendant les
années 1960, se basant principalement sur l’œuvre de Darwin, Tomkins a postulé
qu’il existe un nombre limité d’émotions de base ou fondamentales et a suggéré
qu’un programme neuro-moteur inné est exécuté quand l’émotion est induite
par une stimulation appropriée. Ces programmes neuronaux sont censés
produire, en complément d’expressions faciales typiques, des patterns de
réaction différenciés de la voix et du système nerveux périphérique (voir
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4.1 Expressions motrices
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nombre d’éléments qui peuvent être reliés aux patterns comportementaux
fonctionnels et que l’on retrouve dans d’autres formes chez les animaux ainsi
que chez les jeunes bébés. Toutefois, ces études montrent également qu’il y a
des caractéristiques qui sont spécifiques aux expressions faciales humaines
et pour lesquelles il est difficile de trouver une explication fonctionnelle dans
le sens biologique. De plus, alors que les études interculturelles des expres-
sions faciales ont démontré une universalité considérable, il y a aussi eu des
données en faveur de la spécificité culturelle. Par exemple, en contradiction
avec la proposition de l’existence d’une expression faciale transculturelle du
mépris (Ekman et Friesen, 1986), Ricci-Bitti, Brighetti, Garotti et Boggi
Cavallo (1989) ont trouvé des différences plutôt importantes dans le pattern
facial de cette émotion en comparant les expressions de mépris aux États-
Unis et en Italie. Quelle pourrait être l’origine de ces différences culturelles
dans l’expression ? Une possibilité serait que les cultures diffèrent en ce qui
concerne le degré de contrôle des expressions socialement désirables.
Au-delà de la question de l’existence de différences culturelles, il existe un
débat important concernant l’existence de « programmes neuro-moteurs innés »,
qui sont supposés produire des patterns d’expressions faciales spécifiques.
En effet, il existe de plus en plus de données qui suggèrent que des acteurs à
qui on demande de mimer des expressions faciales émotionnelles typiques
n’utilisent que partiellement les patterns de mouvement musculaires décrits
par Ekman et Izard. Ainsi, Gosselin, Kirouac et Doré (1995) ont filmé des
acteurs affichant six émotions différentes. Ils ont montré que les observateurs,
comme attendu, ont atteint un score élevé de précision dans le décodage des
émotions exprimées. Néanmoins, une analyse détaillée des mouvements des
muscles faciaux a montré que, dans la majorité des cas, seulement une sous-
partie des patterns théoriquement postulés par Ekman a été effectivement
observée. De façon cohérente avec ces résultats, Galati, Scherer et Ricci-
Bitti (1997) ont demandé à des participants voyants et non-voyants sans
expérience préalable dans le théâtre de mimer quelques-unes des émotions
majeures. Ces acteurs amateurs n’ont également montré que des patterns
partiels (avec encore moins de mouvements que des acteurs professionnels) ;
cependant, les observateurs étaient toujours capables de décoder l’émotion
avec plus de précision que le hasard. Carroll et Russell (1997) ont étudié les
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adaptative de l’émotion, pour la communiquer (par exemple, soulever ou froncer
les sourcils, ouvrir la bouche).
Les partisans de l’idée que les expressions sont le résultat de programmes
neuro-moteurs innés (comme Ekman, 1972, 1992) pourraient argumenter que
les expressions mimées par les acteurs ne représentent qu’une approximation
du déclenchant automatique de programmes neuro-moteurs sous-tendant
l’expression dans les conditions typiques de déclenchement. Malheureusement,
la plupart des recherches jusqu’à présent ont porté sur des expressions mimées
par des acteurs et il existe bien peu de résultats publiés sur les patterns expressifs
des expressions émotionnelles naturelles (voir le chapitre 3). Une exception
est l’œuvre d’Eibl-Eibesfeldt (1995), un des pionniers de l’éthologie humaine,
qui a filmé les expressions émotionnelles survenant de manière naturelle
dans beaucoup de cultures différentes, souvent avec une caméra cachée. Ces
films documentaires fournissent des études de cas, mais n’apportent pas de
preuves empiriques pour résoudre la question de l’existence de programmes
neuro-moteurs universaux. Une autre approche est d’étudier de très jeunes
bébés qui ne sont probablement pas encore capables de contrôler ou de régu-
ler leur expression émotionnelle, car le contrôle stratégique ou automatique
de l’expression (voir les chapitres 3 et 8) pose souvent problème dans le cas
d’inductions émotionnelles expérimentales chez les adultes. Selon les théori-
ciens des émotions de base, les patterns d’expression (ou les programmes
neuro-moteurs) sont innés et sont censés se former à un âge très précoce,
même s’ils sont dans une forme rudimentaire à ce moment-là (Izard, 1971,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
peuvent être déterminés sélectivement par des processus cognitifs et les tendan-
ces à l’action qui en résultent (Frijda et Tcherkassoff, 1997 ; Scherer, 1992 ;
Scherer et Ellgring, 2007a ; Smith et Scott, 1997).
Est-ce que nous pouvons reconnaître une expression émotionnelle sur l’unique
base d’indices vocaux et de parole, c’est-à-dire sans information verbale
pertinente ? Comme cela est décrit dans le chapitre 4, beaucoup d’études ont
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été menées (la plupart d’entre elles utilisant des expressions émotionnelles
jouées par des acteurs) et des revues de la littérature ont été conduites (Scherer,
Johnstone et Klasmeyer, 2003 ; Juslin et Scherer, 2005) pour aboutir à la
conclusion que nous sommes assez performants pour ce type de reconnais-
sance. Dans une étude interculturelle, Scherer, Banse et Wallbott (2001) ont
pu montrer que la reconnaissance d’émotions exprimées vocalement était
plus élevée que le hasard, et ceci à travers les frontières langagières et cultu-
relles. Ces données sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle l’expression
vocale, tout comme l’expression faciale, a, au moins en partie, des bases
biologiques (Frick, 1985). Cette hypothèse est renforcée par les arguments
de la psychologie comparative qui tendent vers une continuité évolutionniste
de l’expression vocale. Les biologistes comportementaux, en étudiant la
communication vocale des animaux, ont porté leur attention sur des similarités
importantes entre l’expression vocale et la communication d’états motivation-
nels et émotionnels de beaucoup d’espèces. Ainsi, des états hostiles, dominants
ou encore colériques sont généralement exprimés par des vocalisations fortes
et rugueuses ou rauques tandis que les états de peur et le sentiment d’impuis-
sance donnent lieu à des vocalisations aiguës et faibles. Ceci semble égale-
ment être largement vrai pour les vocalisations humaines (Scherer, 1985).
Cependant, comme pour les expressions faciales, il existe aussi des différences
entre les espèces et les cultures. En fait, les influences culturelles sur la voix
sont encore plus prononcées que sur le visage, parce qu’au cours de l’évolution
du langage, la voix est devenue le signal transportant la parole. Ainsi, tandis
que les muscles faciaux ont d’autres fonctions liées à la vision, l’alimentation et
la parole (voir Ekman, 1979), leur fonction majeure semble être l’expression
faciale des affects. En revanche, la voix a souvent la double tâche de trans-
mettre la signification linguistique (phonologique et morphologique) et
extralinguistique (relative à l’état du locuteur). Puisque des langues différentes
ayant des structures phonologiques et syntactiques très différentes sont parlées
dans des cultures différentes, nous pourrions nous attendre à un certain degré
de diversité linguistique et culturelle en ce qui concerne la signalisation
d’émotions par la voix. Cependant, malgré une telle diversité, l’émotion
sous-jacente semble tout de même être reconnaissable à travers les cultures,
comme le suggèrent les résultats des études interculturelles. Comme décrit en
détail dans le chapitre 3, les chercheurs ont utilisé des systèmes de décodage
SURVOL DES THÉORIES ET DÉBATS ESSENTIELS 33
très détaillés pour analyser les configurations des mouvements faciaux ayant
lieu pour des émotions spécifiques (Ekman, 1992). Dans le domaine vocal,
les chercheurs ont utilisé des voix digitales et analogiques pour déterminer les
profils acoustiques prototypiques, la signature, en quelque sorte, des émotions
majeures. Ces résultats sont précisés dans le chapitre 4 (voir aussi Scherer,
1986 ; Banse et Scherer, 1996). En général, les recherches sur l’expression
émotionnelle ont été menées séparément sur la voix et sur le visage bien qu’il
soit maintenant admis que les expressions dans les différentes modalités (y
compris les gestes et la posture) sont largement coordonnées et synchronisées
(Scherer et Ellgring, 2007b).
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Les arguments empiriques suggèrent donc l’existence de patterns d’expres-
sion spécifiques du visage et de la voix pour beaucoup d’émotions majeures.
Une certaine spécificité est nécessaire car, comme mentionné plus haut,
l’expression émotionnelle est notamment utilisée pour fournir des signaux
non ambigus dans la communication sociale informant les autres de la réaction
émotionnelle et des intentions comportementales d’un organisme. Toutefois,
cette spécificité est soumise à des modulations étant donné que nos
émotions, et en particulier leur expression, sont régulées ou même simulées
(voir en particulier les chapitres 3, 4, 8 et 11).
Il est certainement vrai que les méthodes typiquement utilisées pour induire
des émotions dans les études de laboratoires (telle que l’imagination et le fait
de regarder des films) ne permettent pas d’induire des émotions très fortes,
mais elles permettent néanmoins d’aider à éclairer la problématique. Des
revues de la littérature (par exemple Cacioppo, Klein, Berntson et Harfield,
1993 ; voir le chapitre 5) montrent que les preuves en faveur d’une différen-
ciation autonomique complète pour chacune des émotions majeures, c’est-à-dire
d’une configuration spécifique de symptômes physiologiques pour chaque
émotion, sont peu concluantes. Il semble cependant y avoir des patterns de
différences cohérents pour certains paramètres physiologiques entre des paires
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d’émotions spécifiques (voir par exemple l’étude décrite plus haut d’Ekman,
Levenson et Friesen, 1983). Par exemple, on retrouve des différences stables
entre la peur et la tristesse en ce qui concerne la fréquence cardiaque à travers
les différentes études.
Si même des émotions de faible intensité comme celles induites en labora-
toire génèrent des patterns de réponse discernables, alors il semble probable
que les émotions de plus forte intensité montreraient des patterns encore plus
différenciés. Notons tout de même que durant les dernières années, quelques
études ont essayé de tester l’hypothèse de la spécificité dans un cadre plus
écologique. Ainsi, une étude empirique particulièrement valide écologiquement
a été menée par Stemmler et coll. (Stemmler, Heldmann, Pauls et Th. Scherer,
2001) ; la procédure et les résultats sont décrits dans le chapitre 5. De façon
générale, même si les arguments empiriques restent limités, il semble justifié
d’argumenter en faveur de l’existence de patterns émotionnels typiques liés
aux tendances à l’action caractérisant les émotions majeures telles que la peur
et la colère. Cette réaction du système nerveux autonome, qui pourrait trouver
son origine dans l’évaluation cognitive (voir chapitre 5), est particulièrement
fonctionnelle si l’on considère le rôle de l’émotion dans la préparation aux
actions adaptées (voir le chapitre 6).
notre corps, tout en situant le sentiment dans le contexte total d’un soi parti-
culier avec son histoire, ses préférences et son état présent étant affecté par
un événement particulier.
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déjà dans sa Rhétorique, que « les émotions sont tous ces sentiments qui
changent l’homme de façon à affecter son jugement et qui sont accompagnés
par la souffrance ou le plaisir ». Cette distinction entre des émotions dont la
qualité est associée à la souffrance et des émotions dont la qualité est associée
au plaisir est à l’origine de la conception moderne de valence.
En fait, un certain nombre de psychologues modernes ont pour avis que
les sentiments peuvent être largement réduits à leur valence (c’est-à-dire à
leur affect positif ou négatif). Néanmoins, cette position ne tient pas compte
des avancées majeures de la psychologie depuis le XIXe siècle. Wundt (1874)
a proposé un système tridimensionnel pour caractériser la nature spécifique
des sentiments en ajoutant les dimensions « excitation versus dépression » et
« tension versus relaxation » à la dichotomie classique « agrément versus
désagrément » (voir également Plutchik, 1980 ; Schlosberg, 1954).
Une grande partie des travaux modernes dans ce domaine s’est basée sur
des descriptions verbales de l’expérience vécue, en particulier à partir de
mots émotionnels. Une multitude d’études a montré que les participants sont
capables de juger la similarité des concepts émotionnels verbaux ou d’évaluer
les mots émotionnels à l’aide d’échelles d’évaluations. Les données confirment
systématiquement deux des dimensions de Wundt : agrément/désagrément et
excitation/dépression (cette dernière dimension étant décrite plus souvent
comme actif/passif dans les recherches ultérieures). Au-delà du fait que ces
deux dimensions aient été retrouvées dans presque toutes les études, il est
important de noter que les chercheurs ont également pu localiser des labels
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
émotionnels particuliers (ou des expressions faciales) dans des régions clai-
rement identifiées d’un espace à deux dimensions, indépendamment de la
langue ou de la culture dans laquelle ces études ont été menées (Davitz, 1964 ;
Osgood, May et Miron, 1975 ; Russell, 1983). Selon cette approche, les termes
émotionnels peuvent donc être disposés dans un espace à deux dimensions,
défini par la valence (positif/négatif) et l’activation (actif/passif). La dimension
de valence a été discutée plus haut. La dimension d’activation (ou d’arousal)
peut être définie avec Duffy (1962) comme un continuum allant d’un point
bas dans le sommeil à un point haut dans l’effort extrême ou l’excitation
intense. La position des termes dans cet espace est déterminée par des juge-
ments de similarités effectués par des participants (voir Scherer, 1984a).
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En effet, si un plus grand nombre de labels sont utilisés, ils se répartissent
dans la totalité de l’espace. La plupart des études dans ce domaine sont limi-
tées par l’utilisation de simples jugements de similarité de mots émotionnels
ou d’expressions faciales. Récemment, une nouvelle approche pour étudier
la signification des mots représentant des émotions a été proposée (le GRID
sémantique ; Scherer, 2005). Selon cette approche, des caractéristiques pour
chaque composante de l’émotion sont utilisées pour établir le profil sémanti-
que des termes émotionnels. Se basant sur des jugements de similarité entre ces
profils (consistant en cent quarante-quatre items), Fontaine, Scherer, Roesch
et Ellsworth (2007) ont pu montrer que quatre dimensions sont nécessaires
pour décrire adéquatement l’espace émotionnel. Dans l’ordre d’importance,
ces quatre dimensions sont les suivantes : valence, puissance/dominance,
excitation, et prévisibilité.
Même si les émotions peuvent être projetées dans un schéma à deux, trois,
ou quatre dimensions, il s’agit toujours d’une simplification. La quantité de
labels verbaux pour décrire les émotions, en particulier pour décrire les senti-
ments subjectifs, qui existent quasiment dans toutes les langues du monde,
indique qu’une différenciation beaucoup plus subtile est possible (entre deux
cents et mille termes de ce type ont été identifiés pour quelques-unes des langues
étudiées). L’expérience subjective étant souvent limitée à l’expérience cons-
ciente de l’émotion (voir le chapitre 7 pour plus de détails), il semblerait que
l’expression verbale est ce qu’il y a de plus proche pour la définir.
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historiques dans le concept de l’émotion (voir Konstan, 2009) ont souvent
servi de base pour l’hypothèse selon laquelle les émotions sont construites
socialement. Les psychologues sociaux ayant proposé ce point de vue, appelé
« constructivisme social » (Averill, 1980 ; Harré, 1986 ; voir également
Oatley, 1993), proposent que les émotions n’ont d’autre réalité que celle qui
est créée culturellement, ou socialement construite. Cette idée est bien
entendu partiellement cohérente avec le concept des états subjectifs comme
reflétant le contexte total de l’épisode émotionnel. Évidemment, le contexte
culturel, les valeurs concernées par l’événement ainsi que le rôle de l’indi-
vidu dans la situation vont moduler le processus émotionnel. Les différences
culturelles dans les systèmes de valeurs, les structures sociales, les habitudes
d’interaction et beaucoup d’autres facteurs pourraient donc influencer les
expériences émotionnelles et refléter les spécificités culturelles des senti-
ments. Il est probable que ces différences soient particulièrement prononcées
en ce qui concerne la verbalisation de certains aspects de l’expérience
émotionnelle, étant donné l’effet de la culture sur le langage. Toutefois, de
telles différences culturelles dans les sentiments et les manières d’en parler
n’invalident pas nécessairement l’idée selon laquelle certains processus
émotionnels soient partagés parmi les cultures. Pour pouvoir défendre l’idée que
toute émotion est construite socialement et qu’il n’y a pas ou peu d’universalité,
il faudrait démontrer qu’il existe des différences importantes dans les processus
d’appraisal, les comportements expressifs, les patterns de réactions psycho-
physiologiques et les tendances à l’action dans différentes cultures. Or les
données jusqu’à présent tendent plutôt dans la direction opposée. Les études
interculturelles mentionnées ci-dessus (voir Scherer, Wallbott et Summer-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
field, 1986 ; Scherer et Wallbott, 1994) ont trouvé des différences culturelles
dans les profils rapportés de différents sentiments, mais celles-ci étaient
plutôt minimes comparées à l’effet massif des différences universelles entre
les émotions elles-mêmes. Bien que de plus amples recherches soient néces-
saires, les résultats suggèrent que la composante du sentiment telle qu’elle est
exprimée par des labels verbaux a plus tendance à être affectée par les variations
socioculturelles que ne le sont les autres composantes de l’émotion.
Pour conclure cette section concernant la spécificité de la réaction émotion-
nelle, nous pouvons constater que les arguments empiriques suggèrent des
profils relativement spécifiques pour l’expression faciale et vocale. En ce qui
38 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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CONCLUSION
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affective sciences, New York et Oxford : Oxford University Press.
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DES PROCESSUS
ÉMOTIONNELS1
ET DYNAMIQUE
L’ÉVALUATION
THÉORIE DE
COGNITIVE
Chapitre 2
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INTRODUCTION
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ment différenciée en fonction d’un grand nombre de paramètres internes à
l’organisme et/ou environnementaux (Scherer, 1984d).
Comme pour d’autres fonctionnements organiques, les émotions inter-
agissent avec des réponses plus anciennes sur le plan phylogénétique telles
que des réflexes ou des « patterns innés d’action » ou fixed action patterns.
L’émotion est ici considérée comme un construit théorique consistant en cinq
composantes correspondantes à cinq fonctions distinctes (voir tableau 2.1 pour
une liste de ces fonctions, les systèmes les desservants et les composants
émotionnels respectifs). L’analyse théorique présentée ici conceptualise
donc l’émotion comme un processus continu d’évaluation ou « appraisal »
et suggère que les sous-systèmes organiques fonctionnellement définis, les
composantes de l’émotion, sont inter-reliés de manière dynamique et récur-
sive. Ainsi, un changement dans une des composantes peut conduire directe-
ment à un changement dans les autres composantes (figure 2.1 ci-contre).
Tableau 2.1
Sous-systèmes organiques
Fonctions Composantes
(substrat majeur)
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contributions (Grandjean et al., 2008 ; Sander et al., 2005 ; Scherer, 1993) et
dans une tentative d’utiliser les concepts de dynamique non linéaire pour
définir l’émotion (Scherer, 2000).
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le bien-être de l’organisme. La nature de cette évaluation a été rarement
spécifiée, quand bien même quelques philosophes ont montré le chemin en
identifiant quelques dimensions majeures inhérentes à l’évaluation de la
signification d’événements (Gardiner, Clark-Metclaf, Beebe-Center, 1937).
Arnold (1960) et Lazarus (1966) ont été les premiers théoriciens de
l’émotion à avoir tenté une description plus explicite du processus d’évaluation
(pour une revue historique et plus générale du processus d’appraisal, voir
Roseman, Smith, 2001 ; Schorr, 2001). Basé sur ces premières approches et
sur l’observation que les dimensions de valence, d’activation et de puissance
de la signification émotionnelle semblent être liées aux critères d’évaluation
des événements-stimulus (valence = opportunité aux buts/besoins, activation
= urgence, et puissance = potentiel de maîtrise), Scherer a proposé un ensemble
de critères sous-jacents (appelé stimulus evaluation checks, « SECs » ou
critères d’évaluation de stimulus, CES) prédisant l’évaluation de la signification
d’un événement-stimulus pour un organisme (Scherer, 1984a, 1984d, 2001).
Tandis que le nombre et la définition de ces CES ont évolué avec le déve-
loppement de la théorie, le principe sous-jacent de la construction de cette
théorie est resté constant. Les CES ont été choisis afin de représenter un
ensemble minimal de dimensions ou critères considérés comme nécessaires
pour rendre compte de la différenciation des familles majeures des états
émotionnels (voir Scherer, 1997a pour plus de détails concernant la justifica-
tion du choix des critères et la comparaison avec d’autres approches). Alors
que le terme « critère » pourrait sous-entendre des évaluations de type binaires
« oui/non » ou « absent/présent », Scherer propose que les opérations et résultats
de ces évaluations sont aussi différenciés et complexes que les capacités de
traitement de l’information respectifs à l’organisme considéré. Dans de
nombreux cas, cela consiste en une évaluation continue ou graduée sur un
critère scalaire et/ou une évaluation multidimensionnelle. Il est suggéré que
le type et l’intensité d’une émotion provoquée par un événement ou stimulus
donné dépend du profil résultant du processus d’évaluation basé sur les CES.
ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 47
Les CES postulés dans la plus récente version du modèle sont organisés en
quatre objectifs évaluatifs. Ces objectifs sont liés aux types ou classes majeures
d’information que l’organisme doit évaluer afin de préparer une réaction
appropriée à un événement ou un stimulus :
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1. l’évaluation de pertinence : à quel point cet événement est-il pertinent
pour moi ? est-ce qu’il va m’affecter directement ou mon groupe de réfé-
rence social ?
2. l’évaluation des implications : quelles sont les implications ou les consé-
quences de cet événement et à quel point affectera-t-il mon bien-être et
mes buts immédiats ou à plus long terme ?
3. l’évaluation du potentiel de maîtrise : à quel point je vais pouvoir m’adapter
ou m’ajuster à ces conséquences ?
4. l’évaluation de la signification normative : quelle est la signification de cet
événement en ce qui concerne mes standards internes (concept de soi) et
les valeurs et normes sociales ?
Les critères supposés être responsables de la production de ces informa-
tions sont décrits en détail, groupés par objectifs évaluatifs ci-dessous. Il est
important d’insister sur le fait que la résultante de tous les CES décrits ci-
dessus sont toujours subjectifs et dépendent exclusivement de l’évaluation
individuelle de la perception et des inférences au sujet des caractéristiques de
l’événement-stimulus. Tandis que lors de circonstances normales et pour une
confrontation à la réalité (reality testing) individuelle cette perception subjec-
tive partage de nombreuses caractéristiques de l’événement avec une réalité
objective, ces deux éléments peuvent diverger radicalement dans certains cas
(voir Perrez, Reicherts, 1995). De plus, les différences interindividuelles
(voir van Reekum, Scherer, 1997), les états motivationnels transitoires et les
humeurs (Forgas, 1991), les valeurs culturelles, les pressions des groupes et
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Critère de nouveauté
Au niveau le plus primitif du traitement sensori-moteur, n’importe quel
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stimulus soudain (caractérisé par une abrupte apparition et une intensité rela-
tivement élevée) est enregistré comme nouveau et donc méritant l’allocation
de ressources attentionnelles (en produisant une réponse d’orientation ; voir
Siddle, Lipp, 1997). Ces phénomènes de capture attentionnelle en relation
avec des stimuli émotionnels ont été étudiés très largement pour les différentes
modalités sensorielles, visuelle, auditive (Grandjean et al., 2005) et olfactive
(Delplanque et al., sous presse). Au-delà de ce niveau le plus bas de détec-
tion de la nouveauté, que Scherer appellera détection de la soudaineté (voir
aussi Tulving et Kroll, 1995), l’évaluation de la nouveauté varie grandement
en fonction des espèces, des différences interindividuelles et de contingences
des situations, et pourrait également dépendre de l’état motivationnel, de
l’expérience préalable avec le stimulus ou des attentes de l’organisme. Un des
mécanismes le plus important pourrait être le schéma de correspondance
pour déterminer le degré de familiarité avec un objet ou un événement (voir
Tulving, Markowitsch, Craik, Habib, Houle, 1996 pour une discussion entre
la détection de la soudaineté et de la familiarité). À un haut niveau de traitement,
l’évaluation de la nouveauté est probablement basée sur une estimation
complexe (basée sur l’observation de régularités dans le monde) de la probabilité
et de la prédictibilité de l’apparition d’un stimulus.
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Critère de pertinence avec les buts et besoins
Cette évaluation établit la pertinence ou l’importance d’un stimulus ou d’une
situation à un moment donné dans la hiérarchie des buts et des besoins de
l’organisme. Un stimulus est pertinent pour un individu si le stimulus ou ses
effets vont affecter les buts et besoins majeurs de l’individu en question. La
pertinence est probablement de nature continue et en relation avec le nombre
de buts et de besoins affectés et/ou leurs statuts au sein de la hiérarchie des
buts et besoins. Par exemple, un événement est plus pertinent s’il menace
mes propres moyens de subsistance ou même ma survie que s’il m’empêche
l’écoute d’une pièce de musique.
confuse : il n’y a pas de vrai consensus sur les différentes utilisations des
termes tels que conduites, besoins, instincts, motifs, buts et d’autres encore
concernant les motivations. Dans ce qui va suivre ci-dessous nous utiliserons
donc le terme de but/besoins de manière générale pour tous les termes liés à
des motivations que nous venons d’évoquer ci-dessus.
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et les émotions qu’il va ressentir suite à l’échec d’un examen va dépendre de
manière importante de ces processus d’attributions. Si l’étudiant pense que
c’est suite à une erreur de transcription d’un professeur qu’il a échoué ou si
au contraire il pense que c’est une erreur volontaire du professeur pour le
punir de son inattention durant ses cours ou encore par manque de travail, les
émotions ressenties seront effectivement très différentes.
L’élément central des théories de l’appraisal est que ce n’est pas l’événement
lui-même qui est déterminant mais bien les conséquences possibles évaluées
qui vont déterminer les émotions ressenties (voir aussi Lazarus, 2001 ; Rose-
man, Smith, 2001). En conséquence, l’individu a besoin d’évaluer la probabilité
des différentes conséquences possibles qui sont attendues. Ceci est parti-
culièrement important dans le cas des « marqueurs d’événements » ou signal
events, par exemple une menace verbale, pour lesquels à la fois la probabilité
d’occurrence de l’événement signalé et ses conséquences sont incertaines, et
donc sujet au doute. Ceci est également vrai pour les événements ayant déjà
eu lieu dans le passé et pour lesquels la probabilité des différentes consé-
quences alternatives doit être évaluée. Par exemple, un étudiant ayant échoué
à un examen ne peut évaluer les différentes conséquences de cet événement,
comme par exemple la réaction des parents, que d’une manière probabiliste.
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cas opposés, le ou les résultats d’un événement-stimulus vont être obstructifs
et éloigner l’organisme de son but, par exemple temporellement, ou augmen-
ter l’effort nécessaire pour l’atteindre (voir Srull, Wyer, 1986). C’est le cas
classique de la « frustration », quand un but est proche d’être atteint mais est
bloqué par un événement. À nouveau, l’obstruction peut être plus ou moins
prononcée en fonction du degré d’entrave au but. L’évaluation de la facilita-
tion/obstruction aux buts est orthogonale aux attentes que l’individu élabore.
En effet, un événement peut être très facilitateur et permettre d’atteindre un
but alors que les attentes de l’individu étaient pessimistes, par exemple si un
étudiant obtient une bonne note alors qu’il s’attendait à une mauvaise note.
Un événement peut être hautement obstructif dans le cas d’attentes qui ont
été mal évaluées (voir le tableau 4 dans Scherer, 1988).
Critère d’urgence
soit terminé. Toutefois, cela n’implique pas que l’organisme ait été capable
d’atteindre ses buts originaux. La résolution d’une situation peut également
être liée à une résignation positive quant à l’événement au-delà de l’aspect de
pur contrôle. Par exemple, dans notre exemple de l’échec de l’étudiant, celui-ci
peut tout à fait décider qu’en fait il peut vivre sans son diplôme universitaire
et donc entamer une autre formation à la place. L’évaluation du potentiel de
maîtrise détermine quels types de réponses sont possibles lors d’un événement
et quelles conséquences découleront des différentes options disponibles. Le
résultat de cette évaluation est donc de déterminer quelle est la réponse la plus
positive et la plus prometteuse parmi les réponses disponibles à l’individu
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dans une situation donnée.
Critère de contrôle
Une importante dimension dans le processus d’évaluation du potentiel de
maîtrise est à quel point l’événement ou ses conséquences peuvent être
influencés ou contrôlés par des agents naturels tels que des humains ou des
animaux. Par exemple, alors que les comportements d’un ami ou la direction
d’une automobile sont généralement contrôlables au moins à un certain
niveau, le temps météorologique ou une maladie fatale ne sont généralement
pas contrôlables par un agent naturel. Dans notre exemple, si l’obtention
d’un niveau universitaire était le résultat d’une loterie, cela serait totalement
hors du contrôle de l’étudiant. Il est important de distinguer le contrôle de la
prédictibilité tel que discuté ci-dessus. Ainsi il est peut-être possible, jusqu’à
un certain point, de prédire la course d’un ouragan avec un certain degré de
précision sans être capable du tout de l’influencer. Toutefois l’inverse n’est
pas vrai ; généralement le contrôle, en particulier lorsque le stimulus ou
l’événement sont terminés, implique un certain degré de prédictibilité (voir
Mineka Hendersen, 1985, p. 508-509 pour une discussion détaillée de ce point).
Critère de puissance
Si le contrôle est possible, l’évaluation du potentiel de maîtrise dépend alors
également de la puissance de l’organisme exerçant le contrôle ou sa capacité
de recruter l’aide d’autrui. Avec l’aide de l’évaluation de puissance, l’orga-
nisme peut évaluer les ressources à disposition lui permettant potentiellement
de changer les contingences et les résultats en accord avec ses propres intérêts.
Les sources de puissance peuvent être de plusieurs formes : la force physique,
la somme d’argent à disposition, les connaissances ou l’attractivité sociale
sont quelques exemples (voir French et Raven, 1959). Dans le cas de l’échec
à l’examen, l’étudiant ayant un oncle impliqué dans les comités de décisions
de l’université pourrait penser que celui-ci pourrait faire pression afin que les
règles pour l’obtention du grade changent en faveur de l’étudiant. Dans le
cas d’un événement obstructif généré par un conspécifique agresseur ou
ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 53
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sivement à la probabilité qu’un événement puisse être empêché ou provoqué
ou que ses conséquences puissent être modifiées par un agent naturel. La
puissance, quant à elle, réfère à la probabilité qu’un organisme soit capable
soit par ses propres moyens soit par l’aide d’autrui d’influencer un événement
potentiellement contrôlable. Une distinction similaire a été suggérée par
Bandura (1977) en contrastant d’une part les attentes relatives aux résultats
(les contingences entre réponses et résultats) et d’autre part les attentes quant
à l’efficacité (les représentations quant à la possibilité de mes propres actions
de produire les résultats attendus).
Critère d’ajustement
Les organismes peuvent s’ajuster, s’adapter ou vivre avec les conséquences d’un
événement plus ou moins bien une fois que tous les moyens ont été épuisés
pour répondre à une situation donnée. Il est en effet particulièrement impor-
tant d’évaluer à quel point l’on peut s’adapter ou s’ajuster aux conséquences
d’un événement si les évaluations de contrôle et de puissance ont abouti à la
conclusion qu’un événement donné ou ses conséquences sont en dehors des
possibilités propres de maîtrise. Comme mentionné ci-dessus, l’étudiant pourra
parfaitement vivre avec son échec s’il sait d’ores et déjà que son futur est assuré
dans un autre contexte professionnel, par exemple, financier.
Pour les espèces dites sociales, la réaction d’un organisme comprendra non
seulement la prise en compte de l’évaluation d’une action de la majorité des
membres du groupe social mais également à quel point la ou les réponses à
un événement induisant une réaction émotionnelle importent pour le concept
de soi et l’estime de soi. Évidemment, cette évaluation est, par définition,
seulement pertinente pour les espèces socialement organisées capables
d’élaborer une représentation de soi et des représentations des normes et
valeurs socioculturelles. Cette évaluation est sous-tendue par deux types
de critères.
54 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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d’excellence et d’élève brillant dans le champ de l’examen en question ou
s’il a écrit un essai particulièrement créatif à cet examen en lien avec son
idéal de soi comme génial financier.
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proposition théorique selon laquelle ces différents critères d’évaluations se
dérouleraient selon une séquence suivant un ordre fixe. Tandis que les critères
proposés dans la théorie de l’évaluation cognitive par CES sont partagés par
les autres théoriciens de l’évaluation cognitive qui parlent, eux, de critères
d’évaluation ou de dimensions d’évaluation (Roseman, 2001 ; Scherer, 1988,
1999b ; Schorr, 2001), la notion de séquence est, elle, spécifique à la théorie
présentée dans ce chapitre. En effet, selon la théorie séquentielle l’ordre
temporel des critères d’évaluation est fixe et ne change pas en fonction des
différents contextes dans lequel les évaluations cognitives se réalisent.
L’émotion n’est donc pas un état statique comme nous l’avons largement
explicité ci-dessus, d’ailleurs la simple introspection d’un épisode émotion-
nel vécu permet de se rendre compte que l’émotion est loin d’être un état
mais se caractérise bien par une dynamique temporelle complexe. Au-delà de
la dynamique du processus émotionnel qui nous est accessible via notre
conscience et l’introspection, la deuxième partie de ce chapitre à laquelle
nous nous intéressons maintenant se propose de faire le point sur la recher-
che dans le domaine de la neuroscience cognitive des processus émotionnels
quant à cette dynamique temporelle, tant au niveau théorique qu’au niveau
empirique, et ainsi de faire une revue des arguments expérimentaux obtenus
grâce à différentes méthodes d’investigation.
Compte tenu de l’importance des différents sous-processus impliqués dans
la genèse d’un épisode émotionnel, il est étonnant que la recherche dans le
domaine ait tant privilégié la notion d’état émotionnel plutôt que celle de
dynamique du processus émotionnel. Aujourd’hui, grâce aux techniques
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Les processus cognitifs engagés dans la genèse des émotions ont été proposés
puis explorés par différents auteurs dans le cadre des théories de l’évaluation
cognitive ou « appraisal » comme nous l’avons déjà évoqué ci-dessus.
Les études des processus émotionnels, au niveau cérébral, ont longtemps
été dominées par des paradigmes influencés par les théories des émotions de
base (Calder, Keane, Manes, Antoun et Young, 2000 ; Calder, Lawrence,
Young, 2001 ; Ohman, Mineka, 2001 ; Phillips et al., 1997) tentant de mettre
en lien l’activation de régions cérébrales et une catégorisation des émotions
de type discret. Plus récemment, les modèles dimensionnels ont été utilisés
pour tenter de distinguer le rôle de structures cérébrales en lien avec les
dimensions de valence et d’activation. Ainsi, selon ces travaux, l’amygdale
serait sensible à la dimension d’activation alors que le cortex orbito-frontal
(COF) à la dimension de valence (Anderson et al., 2003). Malgré les résul-
tats intéressants de ces approches, les processus de genèse de l’émotion
restent mal compris non seulement au niveau cérébral mais également du
point de vue psychologique. Ces deux approches (modèle des émotions
discrètes et modèle dimensionnel) se sont souvent cantonnées à expliquer ou
tenter d’expliquer le pôle expressif du processus émotionnel mais n’ont
pratiquement jamais proposé d’explications plausibles et suffisamment
détaillée de la genèse d’une émotion. De plus, ces deux modèles se sont basés
presque exclusivement, dans leur développement, au rapport verbal des indivi-
dus quant à un épisode émotionnel. Dans cette démarche et ces modèles, la
confusion entre processus émotionnels et sentiment subjectif est patent.
Contrairement à ces deux approches, le modèle des composantes propose une
distinction très claire entre les processus émotionnels et l’élaboration du senti-
ment subjectif qui reste bien évidemment une part essentielle de l’ensemble du
processus émotionnel. D’ailleurs, ce modèle propose des relations comple-
xes entre les différentes composantes et les processus d’évaluations cogniti-
ves comme nous l’avons déjà mentionné précédemment. Les théories de
l’évaluation cognitive se sont également penchées sur la genèse d’un épisode
émotionnel et son expression à différents niveaux ou sur différentes composan-
tes (expressive, tendances à l’action, motivation par exemple) et ne se sont pas
cantonnées à étudier le pôle expressif des processus émotionnels.
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des processus émotionnels (Sander et al., 2005).
Les modèles cognitivistes de l’émotion tels que nous venons de le décrire
ci-dessus ont initié de nombreuses études, mais celles-ci se sont souvent égale-
ment cantonnées, à l’instar des deux autres types de modèles, à des méthodes
d’investigation liées au rapport verbal subjectif et/ou comportemental ; c’est
d’ailleurs une critique majeure de certains auteurs à l’égard de cette appro-
che théorique. Récemment, des études en psychophysiologie ont investigué
les effets des processus cognitifs proposés théoriquement comme détermi-
nants dans la genèse et la différenciation des émotions (van Reekum et al.,
2004) en initiant un champ de recherche actuellement en plein développe-
ment. Aue et coll. (Aue, Flykt, Scherer, 2007) ont pu également démontrer
que les réponses physiologiques périphériques, plus spécifiquement l’activité
cardiaque et l’activité musculaire faciale, étaient compatibles avec un modèle
de traitement séquentiel des critères d’évaluations dans la genèse d’un épisode
émotionnel. Nous verrons également ci-dessous, les récents développements
en neuro-imagerie qui traitent de la dynamique temporelle liée à ces évaluations
cognitives.
Un des moyens privilégiés de l’étude des processus émotionnels est la
reconnaissance d’expressions faciales (par exemple : Pourtois et al., 2004) et
d’expressions vocales (par exemple : Grandjean, Banziger, Scherer, 2006 ;
Grandjean et al., 2005) aussi bien quant à la question de la dynamique tempo-
relle que celle des sous-processus impliqués et plus spécifiquement par
exemple de la latéralisation hémisphérique cérébrale des processus émotionnels.
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4 HYPOTHÈSE D’UN DÉCOURS TEMPOREL
SÉQUENTIEL DE L’APPRAISAL
Nous voulons souligner ici, que ce type de processus faisant appel à des
réseaux d’associations n’explique pas les mécanismes impliqués dans les éva-
luations que réalise l’organisme. La recherche d’explications ou de modèles
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pouvant rendre compte plus en détail des processus d’évaluations à l’origine
des émotions nous semble centrale, non seulement dans la compréhension
des sous-mécanismes impliqués dans la genèse d’une émotion, mais égale-
ment par exemple dans sa modélisation, ce que la notion de réseaux associa-
tionistes ne permet pas. Le fait que des processus non conscients soient
impliqués dans les processus émotionnels ne fait aucun doute et ces auteurs
ne nient pas cette proposition, par contre, ils suggèrent que ces processus
peuvent être expliqués majoritairement par la notion de réseau d’association,
ce que nous rejetons. En effet, un nombre croissant de travaux indique que
les processus automatiques et non conscients sont également complexes et
qu’ils peuvent se réaliser selon une certaine séquence proposée par des
modèles dynamiques et temporels (Lewis, 2005). Dans le domaine de
l’expression faciale par exemple, Adolphs (2002) a proposé une séquence de
traitement impliquant diverses structures cérébrales dans la perception
d’expressions faciales émotionnelles dont l’activation n’est pas forcément
liée à une perception consciente par l’individu (fig. 2.2).
Smith et Lazarus (1990, p. 630) suggèrent toutefois que la notion de
séquence peut être proposée pour des évaluations sur un niveau conceptuel :
« Automatic or schematic processing, as we have described it, is quite passive,
and it is important not to lose sign of the fact that humans are sentient, pro-
blem-solving beings who actively seek to understand the world and their reac-
tions to it… Although conceptual processing of appraisal components could
perhaps follow predefined sequences, as Scherer (1984) has suggested, we are
wary of a stage theory, since whatever issues and aspects of the encounter
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seem especially salient may well pre-empt attention at any given moment. »
A B
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CORPS
C
A) Traitement initial vers 120 ms, (B) Traitement détaillé vers 170 ms, (C) Traitement
à 300 ms associé aux connaissances conceptuelles du visage. SCx : cortex strié, T : tha-
lamus, A : amygdale, SC : colliculus supérieur, STG : gyrus temporal supérieur,
FFA : aire fusiforme du visage, O : cortex orbito-frontal, INS : insula.
Figure 2.2
Illustration de la proposition d’Adolphs sur un traitement séquentiel
de l’information relative au décodage de l’expression faciale émotionnelle
(adapté d’Adolphs et al., 2002).
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crosequence of events both centrally and peripherally. »
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process of evaluation consists of a very rapidly occurring sequence of
hierarchically organized stimulus processing steps », puis plus loin :
« This sequence assumption does not deny the existence of parallel processing.
All stimulus evaluation checks are expected to be processed simultaneously,
starting with relevance detection. However, the essential criterion for the se-
quence assumption is the point in time at which a particular check achieves
preliminary closure, that is, yields a reasonably definitive result, on that warrants
efferent commands to response modalities. The sequence theory postulates
that – for the reasons just outlined – on a macro level the result of a prior pro-
cessing step (or check) must be in before the consecutive step (or check) can
produce such a response-inducing result. »
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nouveauté, l’agrément intrinsèque, la pertinence d’une information liée à un
but et l’évaluation de la congruence ou de la non-congruence d’un événement
ou stimulus avec les buts actuels. Les trois premières évaluations sont des
sous-dimensions du critère de pertinence dans la théorie de Scherer (2001)
alors que l’évaluation de la congruence ou de l’incongruence d’un événement
avec les buts relève de l’évaluation de l’implication ou conséquences associées
à un but, nous parlons également de l’opportunité au but.
Comme nous l’avons précisé précédemment, nous définissons l’émotion
comme une synchronisation temporelle relative de changements au sein de
plusieurs composantes. C’est la modification concomitante de processus cogni-
tifs évaluatifs, de processus physiologiques périphériques (par exemple, des
modifications de la conductance de la peau, du rythme cardiaque), de processus
physiologiques centraux (modifications de l’activité de certaines structures
cérébrales), de processus motivationnels, et de processus de représentation
du sentiment subjectif qui caractériseraient une émotion. Nous avons accès
aux processus émotionnels en observant trois grandes composantes principales :
les expressions comportementales, le sentiment subjectif et la physiologie
(Bradley et Lang, 2000). L’observation des expressions comportementales
peut passer par différents indicateurs, comme nous l’avons brièvement
mentionné ci-dessus : l’expression faciale, vocale, posturale et gestuelle. Ces
expressions comportementales sont des indicateurs, selon Frijda, de tendan-
ces à l’action, initiées par les processus cognitifs et émotionnels (Frijda,
Kuipers, Terschure, 1989). Les expressions faciales ont été également
étudiées dans le cadre des théories de l’appraisal. Wehrle et coll. (2000) ont
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renciation des émotions, la question de la nécessité impérative d’une évaluation
cognitive, à quel que niveau que ce soit, reste toujours d’actualité. Par exemple,
la distinction d’Izard (1993) entre les émotions générées par le dysfonction-
nement de certains groupes de neurones responsables de la synthèse de neuro-
transmetteurs ou de déséquilibres hormonaux et les émotions générées par
des processus d’évaluations reste pertinente aux yeux de nombreux théoriciens
de l’appraisal. Ainsi, même si une grande majorité des processus émotionnels
sont générés par un ensemble d’évaluations cognitives, des émotions pour-
raient être générées en l’absence d’appraisal par des dysfonctionnements
endogènes ou des apports de substances neuro-mimétiques ou hormono-
mimétiques exogènes. De plus, des émotions reliées à l’expression artistique
pourraient être sous-tendues par des processus différents impliquant par exemple
pour la musique des phénomènes de résonances corporels en réponse à des
rythmes ou des mélodies scandées (Scherer et Zentner, 2001).
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culture puis du langage, une accumulation de savoirs de plus en plus impor-
tante. L’argumentation s’articule autour de l’idée que des structures neuronales
simples telles que des ganglions neuronaux sont capables d’effectuer des compu-
tations permettant aux organismes porteurs de tels systèmes d’effectuer des
apprentissages et donc, par exemple, de détecter des événements ou des
stimuli nouveaux. Les animaux porteurs d’un système nerveux central primaire
comme par exemple la mouche sont, malgré la relative simplicité de leur
système nerveux central (SNC), comparés aux humains, capables de détecter
des stimuli pertinents pour leur survie. Une étude en électrophysiologie a en
effet mis en évidence la synchronisation de certains groupes de neurones en
oscillations à des fréquences élevées (gamma) en lien avec la détection de
stimuli nourrissants chez la mouche (Frye, Dickinson, 2003). Dans une pers-
pective évolutionnaire, la mise en place de systèmes primaires permettant à
des organismes de survivre dans leur milieu est également présente chez des
organismes ayant un système nerveux central plus complexe et les computa-
tions effectuées par ces réseaux restent probablement effectives et fonction-
nelles. Ainsi, des réseaux de neurones permettant de détecter des patterns visuels
extrêmement simples restent effectifs chez l’humain même si le système
visuel de celui-ci s’est largement complexifié et permet aujourd’hui de
construire des représentations complexes. Des travaux réalisés par Vuilleu-
mier et coll. (2003) ont mis en évidence la sensibilité de structures réputées
anciennes sur le plan phylogénétique, telles que l’amygdale, à des fréquences
visuelles basses et donc possiblement à des patterns visuels émotionnels
d’expressions faciales caractéristiques. Ces réseaux qui réalisent rapidement,
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chez des organismes simples, des fonctions importantes pour leur survie
restent effectifs même si des réseaux supplémentaires, résultat de l’évolu-
tion, viennent se « greffer » sur ceux-ci pour effectuer des traitements plus
complexes permettant, par exemple, de construire des représentations plus
élaborées et pouvant faire l’objet d’une réflexion consciente. La proposition
de MacLean (1970, 1990) sur une évolution du SNC en une structuration
progressive à travers l’évolution, autour des concepts de cerveau reptilien,
mammalien et néo-mammalien, est une notion permettant d’illustrer l’idée
selon laquelle des structures très anciennes restent effectives même si leur acti-
vité est modulée et module des structures plus récentes sur le plan phylogéné-
tique. Notre proposition, déjà évoquée auparavant par Scherer (2001), suggère
66 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
que des traitements très rapides effectués par des structures cérébrales
basales de types sous-corticales, par exemple l’amygdale ou les noyaux gris
centraux, chez des organismes avec un SNC beaucoup plus rudimentaire que
celui de l’humain restent effectives chez celui-ci et que les fonctions liées à ces
réseaux neuronaux sont en partie conservées même si elles sont largement
modulées par des interactions avec d’autres structures plus récentes sur le
plan phylogénétique. Ainsi, des fonctions de détection de la nouveauté mises
en évidence chez des organismes simples comme chez le rat impliquant la
région CA1 de l’hippocampe et étant très rapides, pourraient perdurer chez
l’humain, même si d’autres mécanismes entrent en jeu chez ce dernier (Li,
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Cullen, Anwyl, Rowan, 2003). Nous devons toutefois souligner que cette
approche comparative entre des mécanismes ontogénétiques et phylogénéti-
ques reste une hypothèse critiquée, particulièrement par des visions évolu-
tionnistes plus récentes et actuelles (Gould, 2002).
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vidu. En effet, des évaluations explicites de la nouveauté engageraient des
mécanismes complexes sur le plan cognitif également et donc plus lents.
Nous évoquons à nouveau ici l’importance de la prise en compte des niveaux
de traitement dont nous avons parlé ci-dessus.
Le développement des connexions et l’augmentation des fibres fonctionnelles
et de la myélinisation entre les régions cérébrales antéro-postérieures durant
le développement seraient les soubassements biologiques de la complexification
progressive des capacités cognitives de l’humain dans l’ontogenèse (Muna-
kata, Casey, Diamond, 2004 ; Paus et al., 1999 ; Ramakers, 2005). Ainsi, le
développement des conduites émotionnelles, la complexification progressive
des processus émotionnels et leurs déterminants cognitifs, seraient en lien
avec la maturation progressive de certaines régions cérébrales et l’augmentation
de la fonctionnalité des relations entre ces régions cérébrales dans un contexte
social permettant l’émergence et la réalisation des conduites sous-tendues
par ces réseaux neuronaux.
de maîtrise requiert ipso facto une évaluation déterminant à quel point cette
information ou événement est en phase avec la réalisation de mes buts ou
besoins courants. Ainsi, certaines évaluations ne pourraient s’effectuer sans avoir
au préalable une résultante, aussi basique soit-elle, d’évaluations antérieures.
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l’importance de l’ordre de présentation des informations relatives aux diffé-
rentes évaluations est mise en évidence, d’une part à travers la rapidité et
d’autre part grâce à la précision pour prendre une décision quant à l’émotion
ressentie par les protagonistes impliqués dans une narration. Cette étude, par une
voie indirecte de reconnaissance de l’émotion, est un argument non négligeable
pour l’existence d’une séquence des différentes évaluations impliquées dans
la genèse des émotions malgré les réserves de certains auteurs dans l’utilisation
de méthodologies impliquant des vignettes et donc des reconstructions a
posteriori d’événements émotionnels qui pourraient être influencées de
manière importante par des stéréotypes sociaux (Parkinson, Manstead, 1993).
Des expériences en psychophysiologie indiquent également des processus
séquentiels ; les modifications de l’activité au niveau cardiaque et au niveau
de l’expression faciale (corrugator et zygomaticus) indiquent des effets plus
précoces de l’évaluation de la pertinence (sur les mesures d’expressions faciales)
que de l’évaluation de l’opportunité au but sur ces mêmes indicateurs (Aue
et al., 2007). Les travaux de l’équipe de Hess ont également mis en évidence
une séquence dans l’activation de patterns faciaux mesurés par électro-
myographie en lien avec des manipulations expérimentales des évaluations
cognitives (Lanctot, Hess, 2007). Dans cette étude, les auteurs ont manipulé
l’agrément intrinsèque et l’obstruction versus la facilitation au but et observé
les modulations de l’activité musculaire faciale. Cette méthode, bien qu’indi-
recte, a pu mettre en évidence des modulations plus précoces liées à l’agrément
intrinsèque, aux environs des 400 ms après la présentation d’un stimulus
visuel alors que pour l’obstruction-facilitation au but les activations musculaires
étaient modulées autour des 800 ms.
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processus d’évaluation de la pertinence, la P3b (voir figure 2.3).
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Dans une étude investiguant l’effet émotionnel sur les composantes électro-
physiologiques P3a et P3b, Delplanque et coll. ont démontré un effet de la
70 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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pertinente apparaît vers 320 à 380 ms (Opitz, Mecklinger, Von Cramon,
Kruggel, 1999).
Nous allons illustrer ci-dessous ce domaine de l’investigation du décours
temporel des évaluations cognitives avec deux recherches utilisant la
méthode électroencéphalogaphique (voir Grandjean et Scherer, 2008, pour
plus de détails).
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des cartes plus tardives pour l’agrément intrinsèque et la pertinence. Les
résultats montrent en effet une carte spécifique précoce (~ 80-90 ms) asso-
ciée à la nouveauté alors que la carte spécifique à la manipulation expéri-
mentale de la pertinence était plus tardive (~150 ms) ; aucune carte
spécifique à la manipulation de l’agrément intrinsèque n’a pu être mise en
évidence (voir figure 2.4 A, B, C et D). Les analyses de la « puissance du
champ global » ou Global Field Power (GFP) ont pu mettre en évidence un
effet précoce de l’agrément intrinsèque à ~100 ms, donc postérieur à
l’évaluation de la nouveauté et antérieur à la manipulation de la pertinence
au but (voir figure 2.4 E). Les analyses de fréquences réalisées sur les PEs
ont également démontré les effets précoces de la nouveauté en comparai-
son de ceux induits par la manipulation de l’agrément intrinsèque et de la
pertinence (pour plus de détails voir Grandjean, Scherer, 2008). Il est à
noter que ces effets précoces sur les PEs, par exemple, induit par la mani-
pulation de la nouveauté, n’excluent pas du tout des effets plus tardifs de la
même manipulation expérimentale. En effet, l’hypothèse théorique de trai-
tement séquentiel des processus d’évaluations cognitives ne prédit pas
l’absence de traitements parallèles subséquents ; cette hypothèse spécifie
en effet que la première intégration résultante de l’évaluation, ici, de la
nouveauté, et affectant d’autres processus et donc d’autres réseaux neuro-
naux, est plus précoce que celle, par exemple, de l’évaluation de la perti-
nence. Cette évaluation initiale de la nouveauté se réalisant à quelque
niveau que ce soit de traitement (sensori-moteur, schématique ou concep-
tuel) n’empêche bien évidemment aucunement des traitements subséquents
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(A, B, C) Cartes topographiques et leur succession dans le temps en fonction de la
familiarité (A), de la nouveauté (B) et de la pertinence (C), la succession de ces dif-
férentes cartes topographiques est représentée en fonction de la puissance du champ
global (GFP). (D) Moyennes et écarts types de l’occurrence temporelle des cartes to-
pographiques spécifiques à la nouveauté et à la pertinence après l’apparition du sti-
mulus (temps 0) calculés sur tous les participants (N = 14). (E) Moyenne de la
puissance du champ global (GFP) en fonction du temps pour les différentes sous-con-
ditions positif, négatif et neutre du facteur d’agrément intrinsèque. La zone ombrée
représente la durée durant laquelle les différences entre les niveaux positif et négatif
contre neutre sont significatives.
Figure 2.4
Topographies de potentiels évoqués et puissance du champ global (GFP)
pour l’expérience testant la dynamique temporelle séquentielle de l’évaluation
de la nouveauté, de l’agrément intrinsèque ainsi que de la pertinence
au but-tâche (adapté de Grandjean et Scherer, 2008).
d’images. En effet, les images avaient été sélectionnées selon trois catégo-
ries, des personnes, des paysages-objets ou des animaux. En fonction de ces
catégories, les participants à l’expérience gagnaient, perdaient ou n’obte-
naient ni gain ni ne subissaient de pertes. Il y avait donc pour chaque catégo-
rie la possibilité de gagner ou perdre de l’argent, la troisième catégorie
n’ayant aucun effet sur le gain ou la perte (condition neutre pour l’opportu-
nité au but). Ces contingences ont été contrebalancées entre les participants
afin de contrôler l’effet spécifique des catégories. Pour un groupe de partici-
pant par exemple voir une image d’animal correspondait à une perte d’argent
alors que les paysages-objets leur faisaient gagner de l’argent et les images
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avec personnes n’avaient aucun effet sur leurs gains ou leurs pertes. À travers
toutes ces catégories, les images pouvaient être positives, négatives ou neutres
quant à leur contenu, cela correspondant à la manipulation de l’agrément
intrinsèque. Les participants étaient entraînés durant environ une heure à
l’association de ces contingences et, le lendemain, l’expérience EEG propre-
ment dite était réalisée (voir Grandjean Scherer, 2008 pour plus de détails).
Les résultats des analyses des potentiels évoqués, des analyses de fréquences
sur ces PEs et les analyses de fréquences sur le signal EEG brut, permettant
de mettre en évidence les composantes électrophysiologiques induites (voir
Tallon-Baudry, Bertrand, 1999 pour une explication de la distinction évoqué-
induit en EEG), ont permis de mettre en évidence des effets plus précoces
liés à l’agrément intrinsèque que ceux liés à la manipulation de l’opportunité
au but. En effet, alors que la manipulation de l’agrément intrinsèque par des
images positives-négatives et neutres a initié des modifications du GFP rela-
tivement précoces (~ 200 ms), les effets relatifs à la manipulation de l’oppor-
tunité au but n’ont pu être mis en évidence que plus tardivement (~ 400-
450 ms). Les analyses de fréquences sur les PEs ont révélé le même pattern
de résultats temporels à savoir des effets précoces liés à l’agrément intrinsèque
et plus tardifs pour l’opportunité au but. Au-delà des analyses de fréquences
sur les PEs, ces mêmes analyses par décomposition par ondelettes sur l’EEG
brut ont été réalisées, permettant une quantification de l’énergie dans les
différentes bandes de fréquences sans procéder à un moyennage des diffé-
rents essais. De telles techniques permettent d’investiguer des phénomènes
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cérébraux dits « induits » en lien avec des processus cognitifs qui ne sont pas
exactement, pour chaque essai, réalisés au même instant mais qui sont toute-
fois systématiquement liés à la manipulation expérimentale. L’analyse des
hautes fréquences (gamma) par cette technique nous a permis de mettre en
évidence une augmentation de l’énergie dans cette bande liée à la manipulation
de la condition « perte » du facteur opportunité au but (figure 2.5). Le même type
d’analyse sur l’agrément intrinsèque n’a pas permis de mettre en évidence
une telle augmentation d’énergie dans les hautes fréquences pour aucune des
conditions expérimentales (images négatives-positives ou neutres) révélant
ainsi que ces deux types d’évaluations induisent des processus cognitifs
largement différenciés.
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A B
74
Réponses électrophysiologiques en réponses à des stimuli pour lesquels l’opportunité aux buts-tâches était manipulée.
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ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 75
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La genèse d’un épisode émotionnel, selon le modèle présenté dans ce chapitre,
est complexe et nécessite un ensemble d’évaluations cognitives séquentielles
permettant d’expliquer la différenciation des émotions et leurs labellisations
lors de l’émergence du sentiment subjectif. Les évaluations cognitives décrites
dans ce modèle se déroulent dans un temps très bref, de l’ordre de quelques
dizaines à quelques centaines de millisecondes, au niveau cérébral, et vont
induire des modifications concomitantes dans les différents sous-systèmes de
l’organisme et affecter d’autres fonctions et mécanismes cognitifs, par exem-
ple les processus attentionnels ou mnésiques. Les résultats initiaux de ces
évaluations cognitives se déroulent donc de manière séquentielle bien que les
processus temporellement subséquents puissent être massivement parallèles.
La notion de niveaux de traitement est ici centrale pour comprendre comment
à un bas niveau de traitement une évaluation donnée, par exemple la nouveauté,
va induire des modifications dans d’autres sous-systèmes neuronaux (un réseau
attentionnel par exemple) tout en continuant à être traitée à des niveaux de
traitement plus élaborés et permettant, par exemple, la construction d’une
représentation intégrée de l’objet ou de l’élément nouveau dans la situation
et donc son accès à la conscience. Ainsi, les évaluations cognitives ne sont
pas évaluées par un seul réseau neuronal mais plusieurs réseaux peuvent
entrer en activité et interagir entre eux, formant ainsi ce que l’on peut appeler
un méta-réseau. Ces différents réseaux opéreraient à des niveaux de traite-
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LECTURES CONSEILLÉES
ADOLPHS R. (2002). « Neural systems for recognizing emotion ». Curr. Opin. Neurobiol.,
12 (2), 169-177.
GRANDJEAN D., SANDER D., SCHERER K.R. (2008). « Conscious emotional expe-
rience emerges as a function of multilevel, appraisal-driven response synchroniza-
tion ». Conscioussness and Cognition, 17 (2), 484-495.
LEWIS M.D. (2005). « Bridging emotion theory and neurobiology through dynamic
systems modeling ». Behav. Brain Sci., 28 (2), 169-194 (discussion194-245).
SCHERER K.R. (2001). « Appraisal considered as a process of multilevel sequential
checking ». In K. R. Scherer, A. Schorr, T. Johnstone (éd.), Appraisal Processes in
Emotion : Theory, Methods, Research (p. 92-120). New York, NY : Oxford University
Press.
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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INTRODUCTION
Vous vous êtes certainement déjà posé la question de savoir ce que le sourire
d’une personne avec qui vous interagissez voulait dire. Pour certains auteurs,
les expressions faciales sont le reflet d’un état interne, pour d’autres elles
sont communicatives, pour d’autres encore l’expression faciale correspond à
un mode de préparation à l’action, pour certains enfin, les expressions faciales
des émotions sont le résultat d’un processus sous-jacent d’évaluation cognitive.
Il existe plusieurs canaux de communication d’une émotion et chacun a ses
propriétés. Ekman (Ekman, Friesen et Ellsworth, 1972, p. 1) dit du visage :
« The face even in repose can be informative. And, except by veils or masks,
the face cannot be hidden from view. There is no facial maneuver equivalent
to putting one’s hands in one’s pockets. » Bien que les expressions faciales
soient une partie relativement visible de ce que l’on peut ou non ressentir, il
semble également que ce canal de communication ne soit pas exempt de
contrôle. Il existe certaines règles sociales qui nous indiquent ce qu’il est bon
d’exprimer, quand et ce qu’il faut cacher. Ce qu’une expression faciale veut
dire suscite bien des débats et nous allons parcourir les différentes théories
qui concernent ce sujet complexe dans ce chapitre. La manière de coder de
telles expressions sera également abordée et nous illustrerons nos propos par
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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conférencier peut poursuivre sa présentation, son contenu étant suffisam-
ment compréhensible. Dans une même situation, un froncement de sourcils
signalerait au locuteur que l’auditeur n’a pas compris l’argument ou a des
difficultés à suivre le discours ;
– d’un signal illustratif, relié au contenu d’un discours (illustrator) ; ce peut
être le cas d’une personne cherchant à donner du poids à son argumenta-
tion. Mais les signaux faciaux peuvent également modérer ce qui est dit,
voire être en contradiction avec le contenu du message verbal. Par exemple,
dans le cas de l’ironie, une personne peut relativiser un message verbal
négatif par un sourire ;
– d’un moyen visant à établir, maintenir, cesser une relation sociale ou à
traduire la nature d’une relation ; par exemple, lors d’une rencontre, une
personne sourit à une autre lorsqu’elle souhaite poursuivre une relation ;
– d’un indicateur de l’engagement de processus cognitifs ; c’est le cas, rela-
tivement fréquent, des personnes fronçant leurs sourcils lorsqu’elles réflé-
chissent de manière intense. Le fait que l’on puisse déceler dans le visage
d’une personne une importante activité de réflexion est connu depuis long-
temps. Charles Darwin (1872) écrit au sujet des expressions faciales qu’elles
peuvent refléter certains processus cognitifs. Il décrit en détail les expressions
de ce que l’on nomme réflexion, médiation, décision et détermination et
affirme l’importance du rôle du muscle corrugator supercilii. Darwin inter-
prète le froncement de sourcils résultant de l’innervation de ce muscle comme
un indice de « quelque chose de difficile ou de déplaisant » ;
– d’un indicateur de l’état émotionnel d’une personne (affect display) ; dans
le cas, par exemple, d’une personne qui sourit parce qu’elle est heureuse.
Il est difficile de déterminer si une expression faciale traduit une émotion
(affect display), si elle sert à véhiculer un message non verbal ou si elle recouvre
les deux fonctions simultanément. Les expressions faciales, lors d’interactions,
sont très souvent des vecteurs d’informations à l’attention de l’entourage.
Ainsi, un sourire ou un froncement de sourcils peuvent avoir plusieurs sens
au même moment. Par exemple, un auditeur peut froncer les sourcils parce
qu’il ne comprend pas ce que le locuteur dit (engagement cognitif) et/ou pour
indiquer au locuteur qu’il faut expliquer plus en détail ses arguments (back-
channel-signal) ou encore pour indiquer son état émotionnel (affect display).
EXPRESSION FACIALE 81
Depuis les premiers écrits de Darwin (1876) et Wundt (1874) qui ont mis en
évidence que les états internes sont extériorisés à travers les expressions
faciales émotionnelles, l’importance de ces expressions comme phénomène
social fondamental est reconnue, en ce sens qu’elles servent d’importantes
fonctions de signalisation. Le lien étroit entre externalisation et signalisation
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correspond à un phénomène phylogénétique continu et se retrouve dans toutes
les espèces vivant en groupes sociaux. Étant donné ce lien, les expressions
produites par les individus lorsqu’ils sont seuls sont difficiles à évaluer. Il
semble nécessaire pour le comportement expressif, encore plus que pour tout
autre phénomène comportemental, que celui-ci soit étudié dans des contextes
interactionnels afin d’atteindre une validité écologique (Fridlund, 1994 ;
voir 5.3). Toutefois, l’étude du comportement expressif est rendue parti-
culièrement difficile par le rôle important que jouent la régulation et le contrôle
des expressions au travers de normes sociales explicites et implicites (Ekman
et Friesen, 1975 ; Wundt, 1874).
De manière générale, il est établi que l’expression de nos émotions a un
impact réel sur les partenaires de nos interactions sociales. Dans ce sens, les
expressions faciales peuvent s’apparenter à une certaine forme de préparation à
l’action (action readiness ; voir 5.4). Sachant cela, nous essayons souvent
d’influencer (plus ou moins consciemment) les réactions d’autrui en leur
montrant l’expression adaptée, la « bonne » expression. Dans ce cas, le senti-
ment subjectif de la personne et son expression faciale pourraient ne pas
nécessairement correspondre. Par exemple, une femme énervée contre son
mari et qui souhaite pourtant lui demander de l’aide pour le ménage aurait
plus de chance d’obtenir satisfaction en adoptant la stratégie de sourire plutôt
que de crier. Cependant, si sa colère est trop forte, le conflit entre son sentiment
et sa stratégie de communication pourrait devenir visible sur son visage,
constituant ainsi un ébruitement non verbal (nonverbal leakage) (voir 2.2) au
sens d’Ekman et Friesen (1975).
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distinctes. La première, l’hypothèse de la nécessité, stipule qu’une expression
faciale est nécessaire à l’induction d’une émotion (il est nécessaire de sourire
pour pouvoir éprouver de la joie) ; l’hypothèse de la suffisance, pour sa part,
indique que l’expression faciale seule suffit à l’induction d’un état émotionnel
(il suffit de sourire pour éprouver de la joie) ; enfin, l’hypothèse de la mono-
cité (corrélation positive entre l’intensité de l’émotion ressentie et l’intensité de
son expression c’est-à-dire plus on exprime une émotion, plus on la ressent)
donne à la rétroaction faciale un rôle modulateur à l’intensité d’un état
émotionnel déjà existant (plus on sourit, plus on éprouve de joie). L’un des
arguments en faveur de ces hypothèses provient du fait que l’intensité des
expressions faciales serait proportionnelle à l’expérience que l’on a de ses
propres émotions. Les résultats empiriques restent pourtant contradictoires
(Tourangeau et Ellsworth, 1979 ; Levenson, Ekman et Friesen, 1990). Très peu
a été démontré pour ce qui est de l’hypothèse nécessaire, tandis que plusieurs
travaux tendraient à prouver l’hypothèse suffisante (Matsumoto, 1987 ; Strack,
1988). Quant à la relation proportionnelle entre l’intensité des expressions
faciales et l’expérience subjective lors d’une émotion (l’hypothèse de la
monocité), plusieurs études vont dans le sens de cette hypothèse (Hess, Kappas,
McHugo, Lanzetta et Kleck, 1992 ; Smith, McHugo et Lanzetta, 1986).
(Ekman, 1980). Ce que nous montrons est, par conséquent, largement contrôlé.
On distingue, au moins, quatre règles :
– modérer l’intensité de ce que l’on montre. Cette règle vaut principalement
pour l’expression d’émotions négatives. Par exemple, dans la plupart des
cultures, on attend des hommes qu’ils ne montrent que faiblement des
signes de peur et de tristesse, alors que l’on attend des femmes qu’elles
expriment la colère de manière modérée. Cependant, il y a aussi des situa-
tions dans lesquelles l’expression d’émotions positives doit être modérée.
Par exemple, les gagnants d’une compétition sportive ne devraient pas
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montrer leur triomphe de manière trop écrasante face aux perdants ;
– intensifier, au contraire, ce que l’on exprime. Par exemple, lorsqu’une
personne reçoit un cadeau qu’elle n’aime pas, elle montrera probablement
un « grand sourire » et dira « merci beaucoup » ;
– neutraliser ce qui est ressenti et ce qui est montré. C’est ce qu’on appelle le
« poker face » dont l’exemple type est le visage impassible de James Bond ;
– masquer l’affect ressenti en montrant un état différent de celui du moment.
Comme la neutralisation est très difficile à réaliser et pas toujours possi-
ble, une autre stratégie est d’essayer de masquer un sentiment négatif par
un sourire.
Le contrôle des expressions faciales peut devenir apparent à travers des
indices de tromperie (deception clues) :
– indices de contrôle ; par exemple presser les lèvres, sourire asymétrique.
Ces indices indiquent seulement que la personne essaie de contrôler son
expression, mais sans dévoiler l’émotion cachée ;
– ébruitement non verbal (nonverbal leakage) ; par exemple un sourire accom-
pagné d’indices d’émotions négatives dans la partie supérieure du visage.
Dans ce cas-là, des indices permettent de déduire la nature de l’émotion
cachée.
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schizophrène ou dépressive. Si les jugements concordent, on pourra formuler
des hypothèses sur les liens pouvant exister entre les expressions faciales et
la psychopathologie. Le critère de validité de cette approche, également nommée
« méthode des jugements », est le degré d’accord inter-juges.
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pouvons tester différentes hypothèses sur le lien entre expressions faciales et
émotions. C’est pourquoi, avant de présenter ces différentes approches théo-
riques, nous allons présenter dans le paragraphe suivant les caractéristiques
principales du FACS (Cohn et Ekman, 2005).
été contracté mais pas que c’est un sourire ou de la joie. Ces liens ne sont pas
faits à ce moment-là.
Dans le manuel FACS1, toutes les AUs sont présentées par groupes, en
fonction de la localisation et du type d’action. Pour chacun des groupes, une
photographie illustre les muscles mis à contribution (voir figure 3.1).
1. Plus d’informations sur le FACS se trouvent sur le site des auteurs de la nouvelle version
(Ekman, Friesen et Hager, 2002) : http://face-and-emotion.com/dataface/facs/new_version. jsp.
86 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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Le visage de gauche montre la localisation des fibres musculaires. Le visage de droite
indique schématiquement l’emplacement et la direction du mouvement de chaque
muscle. Les chiffres figurant sur la photo font référence aux nombres assignés aux
unités d’action (action units) décrites dans le manuel FACS. L’emplacement du nu-
méro dans le visage indique approximativement le point d’émergence du muscle de
la structure osseuse (c’est-à-dire son origine). L’extrémité de la ligne indique, quant
à elle, l’insertion ou l’attachement du muscle aux tissus mous du visage. Lors de la
contraction d’un muscle, le mouvement se fait dans la direction du chiffre (c’est-à-
dire vers l’émergence du muscle) ce qui produit un étirement des tissus mous dans sa
direction et a pour effet de rider la peau de manière perpendiculaire à la ligne de traction
du muscle.
Figure 3.1
Anatomie des muscles (gauche) et mouvements musculaires (droite).
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tenants des théories des émotions discrètes, comme Ekman (1982), Izard (1991)
et Tomkins (1980). Ils affirment l’existence d’un petit ensemble d’émotions
primaires, chacune différenciée des autres et caractérisée biologiquement par
des réactions qui seraient préprogrammées. Selon Ekman (1992), une émotion
fondamentale :
1) possède un signal universel distinct ;
2) est présente chez d’autres primates que l’humain ;
3) a une configuration propre de réactions physiologiques ;
4) est associée à des événements déclencheurs universels distincts ;
5) a des réponses émotionnelles ou des composantes convergentes ;
6) est rapidement déclenchée ;
7) est de courte durée ;
8) est évaluée automatiquement ;
9) apparaît spontanément.
L’argument selon lequel il existe un petit nombre d’émotions fondamentales
est en grande partie fondé sur la découverte qu’ont faite Ekman et Friesen à
l’université de San Francisco. Dans leurs études, les expressions faciales
correspondant à six émotions (joie, colère, dégoût, tristesse, peur et surprise)
sont correctement identifiées par des individus appartenant à des cultures du
monde entier, y compris par des peuples n’utilisant pas l’écriture et qui n’ont
pas encore été influencés par le cinéma et la télévision – ce qui tendrait à
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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A : joie ; B : surprise ; C : peur ; D : colère ; E : dégoût ; F : tristesse.
Figure 3.2
Photos utilisées dans des recherches interculturelles
(Ekman, Sorenson et Friesen, 1969).
Tableau 3.1
Taux de reconnaissance dans différentes cultures (Ekman, 1973, p. 206).
États-Unis 97 % 95 % 85 % 67 % 92 % 84 %
(N = 99) joie surprise peur colère dégoût tristesse
Brésil 95 % 87 % 67 % 90 % 97 % 59 %
(N = 40) joie surprise peur colère dégoût tristesse
Chili 95 % 93 % 68 % 94 % 92 % 88 %
(N = 119) joie surprise peur colère dégoût tristesse
Argentine 98 % 95 % 54 % 90 % 92 % 78 %
(N = 168) joie surprise peur colère dégoût tristesse
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(EMotion FACS). Les expressions faciales émotionnelles les plus courantes
comme la colère, la peur, la tristesse, le dégoût, la surprise et la joie sont
ainsi répertoriées. La mise en correspondance entre les unités d’action et ces
émotions est établie dans une table de prédiction des émotions. À titre
d’illustration, la figure 3.3 montre l’expression prototypique de la tristesse,
comme postulée par Ekman et Friesen.
Le mouvement principal
de cette émotion vient sans
nul doute des sourcils.
Les paupières Ceux-ci sont légèrement
recouvrent froncés pour donner
une partie du champ cette forme / \ ou encore ⎠ ⎝.
de vision. (AU41) (AU1+AU4)
Figure 3.3
Expression prototypique de la tristesse (source : Philippot P. (2007).
Émotions et psychothérapie, Wavre, Mardaga).
Les problèmes les plus importants intervenant dans une telle conception des
expressions prototypiques des émotions de base ainsi que dans des prédictions
qui y sont liées, sont les suivants :
– les configurations des unités d’action propres aux émotions sont rarement
observées dans le cas d’une interaction réelle ;
90 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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AU 12 (sourire)) ;
– ajoutons à cela une grande variabilité inter-individuelle.
effrayé
exalté
en colère
heureux
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triste détendu
épuisé
somnolent
Endormissement
Figure 3.4
Espace de jugement de plaisir et d’activation pour les sentiments subjectifs.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 3.5
Huit expressions faciales situées dans l’espace plaisir/activation de la figure 3.4
(Russell, 1997).
92 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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L’observateur pourrait ainsi facilement attribuer différentes émotions à la
même expression faciale selon le contexte spécifique dans lequel il se trouve.
Russell distingue à ce propos deux contextes : le contexte de l’émetteur et
celui de l’observateur :
– du point de vue de l’observateur, le contexte de l’émetteur est constitué de
l’émetteur lui-même et des événements qui participent à l’émergence de son
expression faciale : « Quel genre de personne est l’émetteur ? », « Qu’est-
ce qu’il dit ou fait ? », « Qu’a-t-il fait juste avant l’expression ? »,
« Quelle est la situation dans laquelle il se trouve ? »…, etc. ;
– le contexte de l’observateur est constitué des événements entourant l’acte,
c’est-à-dire des autres visages qu’il vient de voir, de la question qui est
posée, de ce que l’observateur a vu précédemment…, etc.
Selon Russell, le sens donné à un visage est en partie lié à l’expression
faciale, mais également à la spécificité du contexte. La perception d’une émotion
par ce modèle est plutôt à considérer comme un acte d’attribution complexe
se produisant à la fin d’une séquence d’inférences.
Visage et situation : dominance ou combinaison ? Si la situation et le
visage ne sont pas congruents concernant les aspects quasi physiques ainsi
que les éléments de plaisir et d’activation, l’information du visage prendra la
priorité. Si le visage et la situation sont congruents concernant ces mêmes
aspects, l’information situationnelle déterminera la catégorie émotionnelle
précise.
Prenons à ce propos l’exemple d’une étude réalisée par Carroll et Russell
(1996). Les sujets lisaient un texte qui racontait l’histoire d’une personne qui
se trouvait dans une situation de grande frustration et d’irritation. Les sujets
devaient ensuite déterminer l’émotion d’une femme (protagoniste de l’histoire)
représentée sur une photographie qui exprimait l’émotion de la « peur »
selon la classification d’Ekman. Les résultats montrèrent que 60 % des sujets
qui avaient lu l’histoire ont répondu qu’elle exprimait de la colère et personne
n’a décrit l’expression comme étant de la peur. Par contre, les sujets du
groupe contrôle, qui n’avaient pas lu l’histoire, ont en majorité répondu que
l’expression était de la peur.
EXPRESSION FACIALE 93
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« perspective d’émotions » (emotions view).
Il parle également de la « perspective d’émotions à deux facteurs » (the
two-factor emotions view), en se référant plus spécifiquement au modèle neuro-
culturel d’Ekman et Friesen. Ce dernier, rappelons-le, postule l’existence
d’un programme neuro-moteur (universel, inné), d’une part, et l’existence de
normes sociales établies (display rules), spécifiant les expressions faciales
qu’il est d’usage de montrer dans une situation précise (contexte culturel
variable), d’autre part. Dans l’exemple cité plus haut de cette femme qui est
fâchée contre son mari mais qui sourit tout de même, Ekman et Friesen inter-
préteraient la colère comme une réaction universelle et le sourire comme le
résultat d’une display rule. Les auteurs parlent alors d’un « faux sourire »
puisqu’il n’exprime pas l’émotion ressentie.
Normes
sociales
Antécédents
Émotion
de l’émotion
Figure 3.6
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
fiables, comportant des avantages réciproques pour une action future contin-
gente. Les êtres humains ont donc pu évoluer sur la base de ces signaux fournis
pas les expressions faciales et ainsi aller vers un but commun. Selon Fridlund,
les impératifs de l’économie et de l’intimité de la vie privée supprimeraient
chaque expression involontaire susceptible de fournir des informations pouvant
avoir des conséquences préjudiciables pour l’individu (comme une expression
faciale d’un état émotionnel que la personne essaye de cacher).
Au lieu d’avoir six ou sept émotions de base, Fridlund suggère qu’il existe
un grand nombre (1 ou 100) de manifestations faciales par exemple pour
l’état « être sur le point d’agresser » (about to aggress displays), chacune
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étant appropriée à l’identité et à la relation des personnes en interaction ainsi
qu’au contexte dans lequel l’interaction a lieu. Tous ces facteurs (identité,
relation et contexte) déterminent les buts de la personne dans l’interaction.
La configuration d’un quelconque signal « être sur le point d’agresser » dépen-
drait des caractéristiques contextuelles (contextual features). Par exemple, si
l’autre est dominant ou non, s’il est de la même espèce (conspecific) ou
étranger à l’espèce (extraspecific), si on est en train de défendre son territoire
ou ses enfants, etc.
Comment la perspective écologique comportementale (behavioral ecology
view) interprète-t-elle les expressions faciales ? Selon Fridlund :
– les expressions faciales sont des indicateurs de motifs sociaux. Les émotions
sont des entités internes mal définies ; par contre, les motifs sociaux peuvent
être déduits du comportement observé. De plus, la perspective écologique
comportementale ne fait pas la différence entre le soi « authentique » et le
soi « social » (voir figure 3.6). Il n’existe que le soi social et toutes les
manifestations faciales prennent naissance à partir de l’interaction sociale ;
– dans une situation dans laquelle on veut apaiser l’autre, chaque sourire
serait interprété comme un « faux sourire » par l’approche « perspective
d’émotions ». Par contre, dans la perspective écologique comportemen-
tale, le même sourire serait interprété comme une manifestation d’« être
sur le point d’apaiser » (about to appease display), transmettant le même
message que les mots « Je renonce » (I give in), « Quoi que tu dises »
(Whatever you say).
Une des limites majeures de la perspective émotionnelle est sa position
« crypto-moraliste » de la tromperie. Les indices de tromperie (deception
clues) ou l’ébruitement non verbal (nonverbal leakage) ne désignent pas la
suppression incomplète d’une expression automatique, mais juste l’occur-
rence d’un conflit. Dans la majorité des expériences qui ont trouvé des indi-
ces de tromperie, les personnes ont ressenti un conflit entre se conformer aux
consignes expérimentales et la norme de ne jamais mentir. Les participants
d’une étude de Bavelas, Black, Chovil et Mullett (1990) ont dû mentir pour
tenir secret la petite fête d’anniversaire d’un ami. Ils ont tous menti parfaitement
et n’ont pas montré d’ébruitement.
EXPRESSION FACIALE 95
Nico Frijda (1953, 1986), quant à lui, a avancé l’hypothèse que l’expression
faciale correspond à un mode de préparation à l’action (modes of action
readiness) et que ce mode est perçu ou inféré par des observateurs sur la base
de l’expression faciale. Les individus font des inférences sur les expressions
faciales, ou plus précisément, sur les modes de préparation à l’action. Frijda
pense que les expressions faciales contiennent une information (le mode de
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préparation à l’action) que l’observateur perçoit instantanément et qui n’est
pas de l’ordre d’une émotion issue d’un processus cognitif d’attribution ou
d’inférence. L’attribution émotionnelle serait donc subséquente à cette infor-
mation, étant donné qu’une expression faciale précise peut être désignée par
des labels émotionnels différents. C’est le cas de plusieurs expressions faciales
visualisées hors contexte. De plus, une expression faciale peut être commune
à plusieurs émotions et même à des situations qui ne sont pas émotionnelles.
Frijda et Tcherkassof (1997) proposent le terme « affinité » (affinity) pour
évoquer le lien existant entre des expressions faciales particulières et des
catégories émotionnelles précises. Ils pensent que certaines expressions
faciales forment des représentations paradigmatiques de certaines émotions
(par exemple, les pleurs qui caractérisent la tristesse ou le sourire qui indique
la joie) qui pourraient être interculturelles, voire universelles ou « de base ».
En 1953, Frijda a demandé à des sujets de regarder des visages sur des
diapositives et sur des films, puis d’imaginer ce qui se passait à l’intérieur de
ces personnes ou ce qui venait de leur arriver. Il a constaté que très peu de
labels émotionnels étaient utilisés pour décrire la personne et que le processus
de reconnaissance émotionnelle n’impliquait pas nécessairement l’attribution
d’une étiquette émotionnelle. Au contraire, les sujets imaginaient des situations
émotionnellement chargées qui s’accordaient avec les expressions faciales.
Frijda donne l’exemple d’une séquence de film représentant une personne
qui attend un choc électrique et qui manifeste une attention anxieuse asso-
ciée à une tension musculaire. Un sujet décrivit la situation de la manière
suivante : « Comme si elle regardait quelque chose avec une attention fixe,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
un jeu ou quelque chose d’excitant ; deux voitures qui ont failli avoir une
collision mais rien n’est arrivé… »
Les sujets ne voyaient donc pas des expressions faciales isolées, mais des
segments d’interactions vivantes. Les acteurs étaient placés dans des situa-
tions imaginaires et, bien qu’ils ne fussent représentés que par leur tête et par
leurs épaules, ils semblaient y répondre activement et de manière précise. Ils
étaient perçus comme s’approchant, s’éloignant ou se protégeant de quelqu’un
ou de quelque chose, comme s’ils étaient disponibles ou fermés à une relation
ou comme s’ils avaient tout simplement accepté l’apparition ou la présence
de quelqu’un. L’acteur était vu comme interagissant avec son environnement
96 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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percevoir un objet comme une menace ;
– « une réponse affective et une attente comportementale » : l’expression
faciale de l’encodeur modifie l’état émotionnel de l’observateur, ainsi que
ses attentes par rapport à la suite de l’interaction. Par exemple, la compré-
hension de l’expression de la colère pourrait impliquer d’avoir peur soi-
même et anticiper davantage de comportements hostiles ;
– « une réponse d’identification empathique » : l’expression faciale d’une
personne produit chez l’observateur une réponse empathique, un compor-
tement imitatif ou simplement le sentiment qu’on peut identifier ce que
veut dire l’expression d’autrui, en termes de son propre répertoire expres-
sif. La reconnaissance serait alors une préparation de soi-même pour des
sentiments similaires ou pour une réponse expressive semblable. Ainsi,
reconnaître un visage en colère voudrait par exemple dire que l’observateur
ressent la tension de la personne ; il peut également ressentir un mouvement
antagoniste d’approche et/ou produire involontairement par mimétisme
facial une expression de colère similaire.
Selon l’approche de Frijda, les expressions faciales ne correspondent pas à
des émotions spécifiques, mais à quelque chose de plus général que Frijda
décrit comme la « positionnalité » (positionality) ou « l’activité relation-
nelle » (relational activity) de la personne. L’expression faciale représente la
manière dont l’individu interagit avec son environnement à un moment donné et
elle implique une préparation pour être en relation avec celui-ci. L’état de
préparation à l’action (state of action readiness) est défini comme la disposi-
tion (ou le manque de disposition) de l’individu à s’engager dans une inte-
raction avec son entourage. La préparation peut consister en une tendance à
l’action (action tendency), en un élan d’approche ou en un mouvement de
distanciation. Les modes de préparation à l’action varient selon les intentions
et les buts (concerns) de la personne (obtenir une proximité, éviter un
contact, neutraliser un obstacle etc.) et selon son degré d’activation (hyper-
activation, hypoactivation, tension). L’attention, la fuite, le retrait, l’opposition et
l’attaque sont des comportements manifestes de ces tendances à l’action.
Les états de préparation à l’action sont involontaires et spontanés et ils
sont susceptibles de mener vers une action et d’interférer ou d’interagir avec
EXPRESSION FACIALE 97
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rapport avec l’environnement, ainsi qu’au type de relation (acceptation, rejet,
etc.) dans lequel il est prêt à s’engager, c’est-à-dire son état de préparation à
l’action. Cette hypothèse a récemment été en grande partie validée par une
étude dont les résultats ont montré que les sujets sont capables d’interpréter
les expressions faciales en termes de modes de préparation à l’action, et que
ceux-ci sont systématiquement associés aux différentes expressions émotion-
nelles (Tcherkassof, 1999). Il apparaît donc que les expressions faciales
véhiculent des informations concernant la façon dont l’individu interagit, ou
se prépare à interagir, avec l’environnement, et que ces informations vont
vraisemblablement au-delà d’une simple identité catégorielle émotionnelle.
Frijda et Tcherkassof proposent donc que les émotions faciales « expriment »
l’état de préparation (ou de non-préparation) à l’action de l’individu, les
différents états de préparation à l’action étant définis par leurs buts (obtenir
un rapprochement, se dégager d’un obstacle, etc.). On peut alors supposer
que les fonctions des éléments composant une expression faciale sont celles
de mouvements protecteurs (abaisser les sourcils), d’orientation de l’attention
(lever les sourcils), de réalisation motrice de l’activation, etc.
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survenant dans les autres composantes.
Les tenants des théories cognitives multicomponentielles (Scherer, 1984,
1992, 2001 ; Frijda et Tcherkassof, 1997 ; Ortony et Turner, 1990 ; Smith et
Ellsworth, 1985 ; Smith et Scott, 1997 ; Kaiser et Wehrle, 2001 ; Kaiser, 2002)
s’opposent à la notion d’émotions de base et de programmes affectifs déclen-
chant des configurations d’expressions faciales prototypiques. En revanche,
ces auteurs postulent que les expressions faciales des émotions sont le résultat
d’un processus sous-jacent d’évaluation cognitive et que s’il existe vraiment
des mécanismes biologiquement déterminés et stéréotypés, ils seraient plutôt
à rechercher dans les réponses induites par ces processus d’évaluation.
En ce qui concerne les expressions faciales universelles, ces auteurs ne
contestent pas leur existence, mais ils soulignent qu’il s’agit là de configurations
de plusieurs éléments qui correspondent à leur tour aux différentes dimensions
d’appraisal spécifiques. Ortony et Turner (1990) illustrent cette position à
l’aide de l’exemple de l’expression prototypique de la colère (froncement
des sourcils (AU4) et lèvres pincées (AU24)). Ils affirment que cette expres-
sion peut être dissociée en des éléments qui reflètent les processus cognitifs
antécédents à la colère. En se référant à Darwin, ils considèrent que le fron-
cement des sourcils serait l’expression correspondant à l’événement perçu
comme un obstacle à la satisfaction d’un besoin primaire. Les lèvres pincées
refléteraient la détermination, dans ce cas, de surmonter l’obstacle. Dans
cette même perspective, les yeux grands ouverts (AU5) et les sourcils levés
(AU1 + AU2), qui font partie des expressions prototypiques de la surprise et
de la peur, ont pour fonction d’augmenter la vision périphérique. Ces deux
éléments faciaux surviendraient donc lorsque l’individu doit activement
prêter attention à son environnement pour réduire une certaine incertitude
quant à différents aspects de l’environnement. Les expressions faciales, et
leurs éléments, sont donc conçus d’un point de vue fonctionnaliste.
Sur ce thème également, Tcherkassof (1997) montre que les théories
cognitives s’opposent très nettement aux conceptions catégorielles (théories
des émotions discrètes) pour lesquelles le lien entre les actions faciales et
l’émotion exprimée est arbitraire mais fixe. Plus précisément, chaque émotion
de base possède une expression faciale caractéristique, définie par un pattern
global composé d’un certain nombre d’unités d’action bien spécifiques, ces
EXPRESSION FACIALE 99
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postulent que les éléments composant les expressions faciales possèdent une
signification intrinsèque et que chacun d’entre eux peut transmettre une
information bien précise. Ainsi, la suppression ou le rajout d’un élément
particulier permettrait de détecter les nuances de l’émotion exprimée, ce qui
pourrait rendre compte des multiples variantes d’une émotion donnée. De plus,
les expressions incomplètes apporteraient tout de même des informations sur
l’état émotionnel exprimé grâce aux diverses informations fournies par les
éléments composant une expression. Dans cette perspective, les expressions
émotionnelles ne sont pas liées aux émotions de façon arbitraire, mais possèdent
au contraire une structure systématique, cohérente et significative (Smith et
Scott, 1997). Elles sont reliées aux autres composantes de la réponse émotion-
nelle et aux fonctions d’adaptation de l’émotion.
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indépendantes. Ainsi, l’administration d’un vaccin, par exemple, peut être
évaluée à la fois comme très désagréable et très favorable à l’atteinte du but
de rester en bonne santé.
1+2+5 4+7 4 + 7 + 10 + 17 + 24
Figure 3.7
Effets de l’appraisal sur les muscles faciaux : exemple de la rage.
101
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Tableau 3.2
102
AU4b AU4b
+ AU7b + AU7b
Opportunité enrayée enrayée très élevée AU6 + AU12d
+ AU17b + AU17b
+ AU23b + AU23b
intensification,
Urgence basse élevée basse
haute tension
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chance/inte
Causalité : motif chance intentionnelle
ntionnelle
AU1c + AU15c
Contrôle très bas élevé
+ AU41 + AU64
Nombres et noms : 1 (lever les sourcils internes) ; 2 (lever les sourcils externes) ; 4 (abaisser les sourcils) ; 5 (lever la paupière) ; 6 (lever les joues) ; 7 (serrer les paupiè-
res) ; 10 (lever la lèvre supérieure), 12 (lever les commissures des lèvres) ; 15 (laisser tomber les commissures des lèvres) ; 17 (lever le menton) ; 23 (tendre les lèvres her-
métiquement) ; 24 (presser les lèvres) ; 25 (entrouvrir les lèvres) ; 41 (paupière tombante) ; 43 (yeux fermés) ; 63/64 (yeux vers le haut, vers le bas) ; pour quelques
AUs, l’intensité est codée de a à e.
a La prédiction est ouverte pour les cellules vides. b Pour les cellules vides, pas de changement dans le comportement facial prédit
103
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104 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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– condition statique ;
– condition simultanée (toutes les action units sont déclenchées en même
temps, selon la théorie d’Ekman) ;
– condition séquentielle (les action units sont déclenchées selon la séquence
prédite par Scherer).
Les lignes pointillées dans la figure 3.7 illustrent, selon les postulats de
Scherer, la cumulation séquentielle des combinaisons d’unités d’action propres
aux évaluations, cumulation conduisant à une configuration finale.
Wehrle et al. ont trouvé qu’une présentation dynamique (simultanée ou
séquentielle) permet de mieux reconnaître les émotions. Par contre, ils n’ont
pas trouvé de différence entre une présentation simultanée et séquentielle.
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colérique et blâmer quelqu’un d’autre pour avoir causé intentionnellement
l’événement et c) se mettre en colère et blâmer les autres aussi bien que soi-
même. Dans les limites de ce chapitre, nous pouvons seulement présenter un
exemple de cette recherche afin d’illustrer l’expression faciale présentée à la
figure 3.8 (plus de détails sont présentés dans Kaiser, 2002 ; Kaiser et Wehrle,
1996 ; Kaiser et Wehrle, 2001 ; Kaiser, Wehrle et Schmidt ; 1998).
La figure 3.8 montre un exemple de colère du type 1. Ici, la participante
est au niveau sept qui a commencé beaucoup plus rapidement que tous les
niveaux précédents. Après un petit moment, AMIGO (un agent animé du jeu
qui généralement supporte et aide le joueur) intervient afin de réduire la
vitesse du jeu à un degré réalisable. Dans cette situation, 73 % des partici-
pants rapportent du soulagement ou de la joie. Cependant, cette participante
rapporte de la colère. Comme nous pouvons le voir dans le profil d’apprai-
sal, elle évalue la situation comme très soudaine, très nouvelle, très désa-
gréable et comme absolument pas attendue. De plus, elle pense – bien que
la situation soit difficile à contrôler – qu’elle avait suffisamment de pouvoir
pour manœuvrer, qu’elle pouvait facilement s’adapter aux conséquences et
que son comportement était adéquat (référence au Self dans la figure 3.8c).
Elle ne blâme ni une personne, ni les circonstances. Cependant, elle évalue
la situation comme très « injuste » (référence à Norm (–) dans la figure
3.8c).
Comme on peut le voir dans la figure 3.8, elle réagit seulement en soule-
vant les sourcils (AU1 + AU2). Selon une approche des émotions basiques,
cette combinaison d’unités d’action ne pourrait pas être reliée à la colère.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
fait que des juges naïfs peuvent reconnaître sa réaction non verbale comme
exprimant de la colère. Bien que ces résultats soient préliminaires et spécula-
tifs, ils montrent que nous avons besoin d’en savoir davantage sur la dynami-
que de l’expression faciale.
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Cognitive Appraisal of Subject 2 in Situation: Speed Reduction
Reported Emotion: Anger
6
4
Value
es
s y ss ce e n ct y lf lf er er nce ro
l er t -) lf
nn elt ne van tcom tatio stru nc t Se Se Oth th a nt ow en m ( Se
ov ant g e n nt t t O h o P st m r
de N as le u
pe
c b
Ur e te en n C C ju o
d Re O O
Ag In te
Ad
N
Su Ple Ex Ag In
Appraisal Components
La partie a de la figure montre des photos du visage du sujet. La partie b montre les
résultats du codage automatique du visage, et la partie c montre l’évaluation de la
situation faite par le participant en termes de dimensions de l’appraisal de Scherer (SECs ;
sur des échelles de Likert allant de 1 à 5). La distribution des action units se déroule
sur une période de 4 secondes. L’axe des x présente le répertoire des action units
intégrées dans le programme. De manière similaire à un tracé d’encéphalogramme,
l’intensité des action units peut être vue dans la largeur horizontale des barres. On
peut voir la création (onset) la disparition (offset) d’une action unit ainsi que la durée
de l’expression faciale à son degré maximum (apex).
Figure 3.8 a-c
Séquence de réactions faciales se produisant
dans une situation où AMIGO réduit la vitesse.
EXPRESSION FACIALE 107
CONCLUSION
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concernant la signification des expressions (émotionnelle ou communicative)
et permettant une approche analytique centrée sur l’activité de muscles est
indispensable (FACS, Ekman et Friesen, 1978) ;
– le sens d’une expression faciale ne peut être interprété que si l’on prend en
compte l’intégralité temporelle et contextuelle d’une situation (comme, par
exemple, les messages parallèles et/ou successifs verbaux et non verbaux
dans d’autres canaux que le visage).
Des recherches complémentaires restent donc à mener sur les expressions
faciales et leur rôle, notamment dans les interactions interpersonnelles. Certains
auteurs ont ouvert la voie en montrant que nous sommes déstabilisés par des
personnes qui, en raison d’une maladie, ne peuvent pas avoir d’expressions
faciales (Ekman, 1992). En effet, les personnes atteintes d’une paralysie faciale
congénitale appelée « syndrome de Mobius » montrent de grandes difficultés
dans le développement et le maintien de relations amicales si elles ne sont
pas capables d’avoir d’expressions faciales. De même, Rottenberg, Kasch,
Gross et Gotlib (2002) ont montré que les patients dépressifs avaient moins
de comportements expressifs, et notamment moins d’expressions faciales que
les personnes non dépressives. Ils ont aussi démontré que cette non-réactivité
avait une influence délétère sur la rémission de la dépression. Ceci montre
que les expressions faciales, et les expressions émotionnelles en général, ont
une grande importance dans notre communication. La capacité à produire et
à reconnaître des expressions faciales peut être alors vue comme une compé-
tence sociale et il existe un intérêt clinique évident à l’étude des expressions
faciales.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
LECTURES CONSEILLÉES
EKMAN P., ROSENBERG E. L. (éd.) (1997). What the Face Reveals. Oxford : Oxford
University Press.
PHILIPPOT P., FELDMAN R. S., COATS E.J. (1999), The Social Context of Nonverbal
Behavior. New York : Cambridge University Press
108 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
SITES WEB
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Saurez-vous distinguer les « vrais » des « faux » sourires ? Bonne chance ! :
http://www.bbc.co.uk/science/humanbody/mind/surveys/smiles/index.shtml
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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INTRODUCTION
« Les choses qui plaisent à l’oreille sont celles qui plaisent à l’esprit »
(Gustave Guillaume, citation d’Amélie Nothomb dans Cosmétique de l’ennemi).
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des expressions faciales pour lesquelles des systèmes de codage qui permettent
de décrire avec précision tous les mouvements du visage sont aujourd’hui
disponibles, par exemple le Facial Action Coding System (Ekman et Friesen,
1978 ; voir également le chapitre 3 de cet ouvrage). Comparativement, l’étude
des expressions vocales a été plus longtemps négligée. Le regain d’intérêt
rencontré depuis quelques années par ce domaine d’étude laisse cependant
présager d’un développement, comparable à celui réalisé dans le domaine
des expressions faciales, des méthodes utilisées pour l’étude des expressions
vocales.
Darwin écrit en 1872 :
« It has often struck me as a curious fact that so many shades of expression are
instantly recognized without any conscious process of analysis on our part. No
one, I believe, can clearly describe a sullen or sly expression ; yet many obser-
vers are unanimous that these expressions can be recognized in the various
races of man. […] So it is with many other expressions, of which I have had
practical experience in the trouble requisite in instructing others what points
to observe » (édité par Ekman, 1998, p. 355 ; Darwin, 1892, 1998).
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1 REVUE DES MÉTHODES UTILISÉES
ET DES PRINCIPAUX RÉSULTATS OBTENUS
Deux revues de la recherche sur les expressions vocales ont été publiées
récemment : Scherer (2003) a, d’une part, réalisé une revue très complète des
paradigmes utilisés dans ce domaine ; Juslin et Laukka (2003) ont, d’autre
part, publié une revue des résultats obtenus par cent quatre études qui se sont
intéressées aux expressions vocales émotionnelles. Les principaux paradigmes
utilisés (la méthodologie) et les principaux résultats obtenus dans les études de
l’expression vocale émotionnelle seront présentés synthétiquement ci-dessous.
Pour un reflet plus exhaustif de ce domaine d’étude, le lecteur pourra se référer
aux deux revues mentionnées ci-dessus.
Les recherches effectuées dans le domaine de l’expression et de la commu-
nication vocale des émotions peuvent être classées en deux catégories en
fonction de leur centre d’intérêt principal : certaines études se centrent sur la
production des expressions vocales, c’est-à-dire sur les processus d’enco-
dage de l’émotion dans la voix. Ces études s’efforcent de décrire l’effet de
différents états émotionnels sur un ensemble de caractéristiques vocales. Des
explications détaillées concernant la manière dont les émotions produisent
ces effets sont assez rarement avancées. D’autres études se centrent sur la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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si un ensemble de caractéristiques vocales spécifiques correspond à chaque
émotion exprimée. En conséquence, un grand nombre de travaux ont essayé
d’identifier les caractéristiques vocales correspondant, le plus souvent, à un
nombre restreint d’émotions.
1.1.1 La méthodologie
Les études centrées sur l’encodage des expressions vocales émotionnelles se
distinguent sur plusieurs aspects méthodologiques : premièrement, la nature
des expressions vocales utilisées et les conditions dans lesquelles elles sont
obtenues sont souvent très variables. Deuxièmement, les états émotionnels
considérés, leur nombre et leur définition diffèrent d’une étude à l’autre. Troisiè-
mement, les caractéristiques vocales examinées sont également très variables.
Ces trois points sont successivement développés ci-dessous et suivis de quelques
éléments relatifs à l’étude des processus impliqués dans la production des
expressions vocales.
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au sens où seule l’expression non verbale les distingue. Ce cadre de production
des expressions vocales comporte pourtant également des inconvénients.
En particulier, certains états émotionnels ne peuvent être aisément induits
en laboratoire ; les contraintes éthiques, d’une part, et la faible implication
personnelle des locuteurs dans les situations de laboratoire, d’autre part, ne
permettent notamment pas d’induire des émotions très intenses. L’induction
se limite donc le plus souvent à manipuler le contexte de manière à produire
différents niveaux de stress, souvent assez légers. De plus, les situations iden-
tiques dans lesquelles les différents locuteurs sont placés peuvent induire des
réactions parfois très différentes d’un locuteur à l’autre. En conséquence, les
expressions vocales produites par différents locuteurs dans une même condition
ne reflètent pas nécessairement le même état émotionnel et, dans tous les cas, les
expressions vocales ne sont que faiblement modifiées par les changements
d’états induits, relativement subtils.
Une troisième alternative, souvent privilégiée par les auteurs des recherches
effectuées dans le domaine des expressions vocales émotionnelles, consiste à
utiliser des expressions émotionnelles simulées ou produites par des acteurs (par
exemple, Banse et Scherer, 1996 ; Fairbanks et Pronovost, 1938 ; Williams et
Stevens, 1972). Contrairement aux expressions enregistrées dans un contexte
naturel, les expressions simulées par des acteurs présentent l’avantage de
fournir des expressions avec un contenu linguistique constant et correspon-
dant à plusieurs états émotionnels différents pour les mêmes individus. Elles
sont, d’autre part, beaucoup plus prononcées que les expressions enregistrées
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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par des acteurs.
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jacente aux expressions vocales et Safer et Leventhal (1977) uniquement sur
la valence. L’utilisation d’une dimension unique est évidemment réductrice.
À notre connaissance, il n’existe que deux études qui ont tenté d’inclure
plusieurs dimensions pour définir les états émotionnels et les expressions
qu’elles ont étudiées : une étude de Johnstone (Johnstone, Van Reekum et
Scherer, 2001) et une étude de Laukka, Juslin et Bresin (2005). Quelques
aspects relatifs à l’approche utilisée par Johnstone sont développés ci-dessous,
dans la section consacrée à l’étude des processus de production.
débit de parole. On relèvera que les caractéristiques vocales qui peuvent être
évaluées par des auditeurs sans expertise sont évidemment moins nombreuses
et moins spécifiques que les caractéristiques qui peuvent être évaluées par
des experts.
Une méthode plus objective pour analyser les caractéristiques vocales des
expressions émotionnelles consiste à effectuer des analyses acoustiques. Dans
ce domaine, également, les paramètres extraits varient en fonction des études.
Les mesures les plus couramment effectuées correspondent à des paramètres
dérivés du contour de la fréquence fondamentale, du contour de l’intensité et
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de la durée des expressions.
La fréquence fondamentale (F0), exprimée en hertz (Hz), correspond au
nombre de répétitions de la période fondamentale du signal acoustique par
seconde. Le contour de la F0 représente l’évolution de celle-ci au cours d’une
expression. L’intensité acoustique, exprimée en décibels (db), est dérivée de
l’amplitude du signal acoustique. Le contour d’intensité correspond à l’évolution
de l’intensité acoustique au cours d’une expression. Les mesures extraites du
contour d’intensité et du contour de F0 sont en général descriptives des tendances
centrales (moyennes ou médianes) et de la variabilité globale (écarts types
ou écarts entre minima et maxima) des contours. Des indications relatives à
la forme des contours de F0 ou d’intensité sont rarement rapportées. Récem-
ment toutefois, Juslin et Laukka (2001) ont examiné la direction globale des
contours de F0 (montants versus descendants) et l’attaque des contours d’inten-
sité (degré d’accroissement de l’intensité/amplitude par unité de temps).
Mozziconacci dans ces travaux (Mozziconacci, 1998, 2001) a par ailleurs
présenté une description qualitative de la forme des contours de F0 qu’elle a
observée pour différents types d’émotions exprimées.
Différents aspects de la durée des expressions ont été rapportés dans diffé-
rentes études. Les deux mesures les plus courantes sont le débit de parole – par
exemple, le nombre de syllabes prononcées par minute (ou plus simplement
la durée totale des expressions lorsque le contenu verbal est constant) – et la
durée proportionnelle des pauses relativement à la durée totale des expressions.
Lorsque les expressions sont suffisamment longues, le nombre des pauses est
parfois mesuré. Quelques auteurs (e.g. Banse et Scherer, 1996) ont égale-
ment rapporté la durée relative des parties voisées et des parties non voisées.
Cette distinction réfère à la production d’ondes sonores par la ou les vibrations
des cordes vocales ; en effet, lorsque celles-ci sont effectivement en action on
parle alors de voisement, contrairement à de la parole produite ne faisant pas
appel à la vibration des cordes vocales (parties non voisées).
Afin de parvenir à mieux caractériser les expressions correspondant à
différentes émotions, quelques auteurs ont récemment tenté de diversifier et
d’augmenter le nombre de paramètres acoustiques analysés. Banse et Scherer
(1996) ont notamment inclus un ensemble de mesures dérivées du spectre
moyen à long terme (long term average spectrum). Dans ce type d’approche,
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 119
un spectre moyen est calculé pour chaque expression vocale par une analyse de
Fourrier inverse qui permet de décomposer le signal acoustique en composan-
tes fréquentielles associées à différents niveaux d’énergie. L’énergie relative
dans différentes bandes de fréquence (par exemple, l’énergie comprise entre
0 Hz et 1000 Hz relativement à l’énergie totale) peut ainsi être examinée.
Banse et Scherer ont évalué l’énergie relative comprise dans plusieurs bandes
de fréquences séparément pour les segments voisés et les segments non voisés
des expressions.
Juslin et Laukka (2001) ont encore inclus d’autres mesures, notamment les
perturbations à court terme de la F0 (jitter) qui correspondent à des fluctua-
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tions rapides et aléatoires de la durée d’ouverture/fermeture des cordes voca-
les de cycle en cycle. Cette mesure a également été utilisée par d’autres
auteurs (e.g. Bachorowski et Owren, 1995) qui l’ont présentée comme une
mesure indicative de la présence d’un état de stress psychologique chez le
locuteur. La hauteur moyenne des formants et la largeur de la bande de
fréquence qui contient l’énergie associée aux formants ont également été
évaluées par Juslin et Laukka (2001). Les formants sont définis comme des
régions du spectre acoustique dans lesquelles l’énergie est particulièrement
élevée, reflétant les résonances produites par la forme du tractus vocal. Les
deux premiers formants définissent avant tout la valeur (catégorie perçue) de
la voyelle prononcée ; les valeurs des formants sont toutefois également
associées à la qualité vocale perçue. Juslin et Laukka (2001) ont aussi évalué
la « précision de l’articulation » définie comme la distance entre les valeurs
mesurées des formants et les valeurs de formant neutres (correspondant à la
voyelle « schwa »). Plus les valeurs des formants s’approchent de la référence
neutre, plus l’effort d’articulation est considéré comme faible.
Hammerschmidt et Jurgens (2007) ont, quant à eux, utilisé des indicateurs
tels que le pic de fréquence (PF), correspondant à la fréquence la plus élevée
dans un énoncé donné, ou un coefficient décrivant la relation entre ce pic de
fréquence et la fréquence de la fondamentale (PF/F0, voir figure 4.1 ci-après).
D’autres paramètres ont été calculés permettant l’étude des relations entre les
parties tonales et les parties dites « bruitées ». Les auteurs ont également
utilisé des analyses corrélationnelles en vue de réduire le nombre de paramè-
tres étudiés en sélectionnant quinze paramètres pour leurs analyses discrimi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
nantes. Finalement les auteurs ont démontré que les paramètres reliés à
l’intensité ou la fondamentale moyenne ne permettent pas de discriminer les
émotions positives des émotions négatives. Selon cette étude, le coefficient PF/
F0, décrit ci-dessus, et les paramètres liés au PF sont les meilleurs discrimina-
teurs de la distinction entre les émotions aversives et non aversives (Hammers-
chmidt et Jurgens, 2007).
En ce qui concerne les mesures plus classiques de la F0, de l’intensité ou
de la durée des expressions, ces paramètres – « jitter » ou valeurs associées
aux formants – et ceux associés aux relations entre les pics de fréquences et
la F0 sont conçus comme des mesures qui devraient permettre d’améliorer la
120 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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5
DFA2
Pic de fréquence
Fréquence (KHz)
Étude de fréquence
3
1
Fréquence fondamentale
Temps 1s
PF max = pic de fréquence maximum, PF max loc = pic de fréquence maximum local,
DFA2 = fréquence à laquelle ont atteint 50 % de la distribution de l’amplitude des fr-
équences.
Figure 4.1
Spectrogramme présentant une production vocale émotionnelle, les niveaux
de gris codent pour l’énergie contenue dans les différentes bandes
de fréquences dans le temps (adapté de Hammerschmidt et Jurgens, 2007).
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nome (évaluée par le niveau de conductance de la peau). Johnstone (2007) a
pu mettre en évidence que dans ces situations défavorables et peu contrôlables la
période d’ouverture de la glotte (mesurée par électroglottographie) diminue
en association avec l’augmentation de la conductance de la peau. Sur le plan
acoustique, les résultats de Johnstone montrent que cela se traduit par une
élévation des valeurs de plancher de la fréquence fondamentale (« F0 floor »).
Cette étude illustre la possibilité d’intégrer des résultats acoustiques à un
modèle théorique des processus de production. L’avantage de ce type d’approche
réside notamment dans la définition plus explicite de l’état émotionnel associé
aux modifications acoustiques observées. Dans l’exemple présenté, l’élévation
des valeurs de plancher de la fréquence fondamentale est associée à l’augmen-
tation de l’activation sympathique des participants qui est elle-même due à
une situation perçue comme défavorable et peu contrôlable. Cette définition est
plus spécifique qu’une définition qui se réduirait à une catégorie émotionnelle
telle que « stress » ou « anxiété ».
Tableau 4.1
122
Synthèse des résultats tirée de la revue de Juslin et Laukka). (2003, p. 792-799) (Laukkanen, Vilkman, Alku et Oksanen, 1996)
Intensité (moy)
forte (30/32) forte (11/22) forte (20/26) faible (29/32) faible (4/4)
(forte – moyenne – faible)
Intensité variabilité
forte (9/12) forte (7/12) forte (8/13) faible (8/11)
(forte – moyenne – faible)
F0 (moy)
haute (33/43) haute (28/39) haute (34/38) basse (40/45) basse (4/5)
(haute – moyenne – basse)
F0 variabilité
forte (27/35) faible (17/32) forte (33/36) faible (31/34) faible (5/5)
(forte – moyenne – faible)
F0 contours
montant (6/8) montant (6/6) montant (7/7) descendant (11/11) descendant (3/4)
(montant – descendant)
Débit de parole
rapide (28/35) rapide (24/29) rapide (22/33) lent (30/36) lent (3/4)
(rapide – moyen – lent)
Régularités microstruct. b
irrégulier (3/3) irrégulier (2/2) régulier (2/2) irrégulier (4/4) régulier (1/1)
(régulier – irrégulier)
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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Proportion de pauses
faible (8/8) faible (4/9) faible (3/6) forte (11/12) forte (1/1)
(forte – moyenne – faible)
Précision articulation ?a
haute (7/7) haute (3/5) basse (6/6) basse (1/1)
(haute – moyenne – basse) (2 – 2 – 2)
Formant 1 (hauteur)
haut (6/6) bas (3/4) haut (5/6) bas (5/6)
(haut – moyenne – bas)
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS
Formant 1 (largeur)
étroit (4/4) large (2/2) étroit (2/3) large (3/3)
(étroit – large)
« Jitter » ?a
fort (6/7) fort (5/8) faible (5/6)
(fort – faible) (4 – 4)
« Glottal waveform » c
abrupte (6/6) arrondie (4/6) abrupte (2/2) arrondie (4/4)
(abrupte – arrondie)
a Un nombre égal d’études ont rapporté différents niveaux pour ce paramètre et cette émotion (le nombre d’études ayant obtenu chaque niveau considéré pour ce paramètre
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124 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Juslin et Laukka ont reclassé les résultats obtenus dans différentes études
en trois niveaux pour certains paramètres acoustiques – par exemple : inten-
sité forte, moyenne ou faible – ou deux niveaux pour d’autres paramètres –
par exemple : contour de F0 montant versus descendant. Dans le tableau 4.2,
nous indiquons pour chaque paramètre acoustique et chaque émotion consi-
dérée le niveau le plus fréquemment obtenu dans les études examinées par
Juslin et Laukka. Les nombres entre parenthèses indiquent le nombre
d’études ayant obtenu ce résultat (1er nombre) sur le nombre total d’études
(2e nombre) ayant rapporté un résultat pour cette émotion et ce paramètre
dans la revue effectuée par Juslin et Laukka.
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Les proportions rapportées entre parenthèses dans le tableau 4.1 révèlent
qu’à partir du moment où un nombre relativement important d’études ont
examiné un paramètre acoustique pour une émotion donnée, l’unanimité des
différentes études concernant la valeur de ce paramètre pour cette émotion
est assez rare. De tels cas existent néanmoins. Ainsi, les vingt-deux études ayant
examiné la proportion d’énergie dans les hautes fréquences pour les expressions
de colère rapportent une forte proportion d’énergie dans les hautes fréquen-
ces pour ces expressions. Le désaccord entre les différentes études est parfois
assez important : seules dix-sept études sur trente-deux études examinées par
Juslin et Laukka rapportent par exemple que les expressions de peur sont
associées à une faible variabilité de la F0, six études ont rapporté une varia-
bilité moyenne de la F0 et neuf études une variabilité forte de la F0 pour les
expressions de peur. Cette variabilité des résultats est probablement en
grande partie attribuable au problème, déjà plusieurs fois évoqué, de la varia-
bilité de la définition des états émotionnels regroupés sous le même label. Les
expressions de « peur » pourraient par exemple correspondre à des expressions
« d’inquiétude » dans certaines études et à des expressions de « peur panique »
dans d’autres études.
Les paramètres acoustiques fréquemment utilisés, représentés dans la partie
supérieure du tableau 4.1, ne paraissent pas en mesure de différencier les
sept catégories émotionnelles examinées. À ce niveau de représentation, ces
paramètres semblent tous effectuer la même distinction entre les expressions
de colère, de peur et de joie, d’une part, et les expressions de tristesse et de
tendresse, d’autre part. La seule exception concerne la variabilité de la F0 qui
est plus souvent rapportée comme faible pour les expressions de peur1 alors
qu’elle est plus fréquemment rapportée comme forte pour les expressions de
colère et de joie. Les paramètres moins fréquemment utilisés, représentés
dans la partie inférieure du tableau, présentent des patterns différents pour
les cinq catégories émotionnelles considérées. Les résultats pour ces paramètres
sont toutefois peu nombreux et les résultats obtenus par différentes études ne
1. Le désaccord, en ce qui concerne la variabilité de la F0 pour les expressions de peur, est toutefois
assez important (cf. commentaire ci-dessus).
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 125
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habituellement étudiées correspondraient à des versions actives de ces émotions,
c’est-à-dire la colère chaude, la peur panique et la joie intense. Cette revue
inclut d’autre part sept paramètres acoustiques qui ont été fréquemment
évalués pour les expressions émotionnelles considérées (ou au moins pour
une partie d’entre elles) : l’intensité acoustique moyenne, la F0 moyenne (ou
une valeur minimale de la F0), la variabilité de la F0, l’étendue de la F0, la
forme des contours de F0, la proportion d’énergie dans les hautes fréquences
et le débit de parole.
Joie/Joie
Stress Colère/Rage Peur/Panique Tristesse intense Ennui
Intensité
Plancher/moyenne de F0
Variabilité de la F0
Étendue de la F0
Contours de phrase
Énergie dans les hautes fréquences
Tempo de parole et d'articulation
Tableau 4.2
Synthèse des résultats obtenus par les études de production
selon Scherer (2003, p. 233).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
identiques dans les deux revues, à l’exception des contours de F0 qui seraient
descendants pour la colère selon la revue proposée par Scherer, alors que
Juslin et Laukka indiquent que six des huit études qu’ils ont considérées
rapportent des contours montants pour les expressions de colère.
Ces deux revues permettent de tirer des conclusions qui ont été également
formulées dans d’autres publications (par ex. Davitz, 1964 ; Frick, 1986 ;
Johnstone, Oakes et Scherer, 2000 ; Johnstone et al., 2007 ; Johnstone, van
Reekum, Hird, Kirsner et Scherer, 2005 ; Scherer, 1986). Si l’on accepte le
postulat selon lequel les expressions de joie, de colère et de peur habituellement
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étudiées correspondent à des états émotionnels fortement activés (joie intense,
colère chaude, peur panique), les résultats issus des études de production
indiquent que les paramètres acoustiques habituellement mesurés reflètent
essentiellement l’activation émotionnelle. Les émotions qui incluent une
activation forte – telle que la colère, la peur panique, la joie intense – présen-
tent un accroissement des valeurs de F0 et d’intensité et une diminution de la
durée de différents segments correspondant à une accélération de la parole.
Ce qui n’est pas le cas des états qui incluent un degré d’activation faible, tels
que la tristesse, l’ennui ou la tendresse qui présentent une diminution des
valeurs de F0 et d’intensité, ainsi qu’une augmentation de la durée de différents
segments. Un constat très similaire a été effectué par Sundberg, Iwarsson et
Hagegård (1995) dans le contexte d’une étude de l’expression émotionnelle
dans la voix chantée. Ces auteurs ont observé que des extraits de musique
classique interprétés de manière expressive (émotionnelle) par un chanteur
professionnel sont réalisés avec un tempo ralenti et une intensité diminuée
pour les extraits qu’ils ont identifiés comme « non agités », alors que le
tempo est rapide et l’intensité élevée dans les interprétations émotionnelles
des extraits qui possèdent un caractère musical « agité ».
Des études isolées présentent parfois des patterns acoustiques spécifiques
pour différentes catégories/familles d’émotions exprimées. Mais ces profils
acoustiques sont rarement répliqués d’une étude à l’autre. Sur le plan géné-
ral, le consensus semble donc bien se limiter à un effet de l’activation sous-
jacente aux expressions étudiées. Deux types d’explications, au moins, ont
été avancés à ce sujet. La première concerne le problème, déjà plusieurs fois
évoqué, de la définition des états émotionnels sous-jacents aux expressions
étudiées. Des profils différenciés pour différentes catégories émotionnelles
ne peuvent être consensuels si ces catégories recouvrent en réalité différents
états émotionnels (et donc différentes expressions) dans différentes études.
La seconde explication a trait aux paramètres acoustiques utilisés pour définir les
profils acoustiques des expressions émotionnelles. Les paramètres mesurés
refléteraient essentiellement la dimension d’activation émotionnelle et
l’utilisation d’autres paramètres – mieux choisis – permettrait une meilleure
différenciation des différents états émotionnels sur le plan acoustique. Les
résultats résumés par Juslin et Laukka (2003, voir tableau 4.1) tendent à renforcer
cette hypothèse. Ils indiquent que les paramètres acoustiques moins
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des expressions correspondant à différentes catégories émotionnelles. Quel-
ques études se sont par ailleurs intéressées aux caractéristiques vocales qui
permettent aux auditeurs de reconnaître les expressions vocales émotionnelles.
Les méthodes utilisées par ces deux types d’études et les principaux résultats
qu’elles ont obtenus sont présentés ci-dessous.
1.2.1 La méthodologie
Les principales méthodes utilisées par les études qui ont tenté d’évaluer la
possibilité de reconnaître différents types d’émotions exprimées seront présentées
et discutées dans un premier temps. Les méthodes utilisées par les études qui
se sont penchées sur les caractéristiques vocales qui interviennent dans le
processus de reconnaissance seront présentées ensuite.
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Beaucoup d’études n’incluent toutefois pas plus de cinq à six catégories
différentes (par ex. Breitenstein, Van Lancker, et Daum, 2001 ; Scherer,
Banse, et Wallbott, 2001). Le nombre d’expressions correctement reconnues
est évidemment en partie fonction du nombre de catégories émotionnelles
exprimées et du nombre d’alternatives de réponse différentes. Dans une étude
qui utiliserait cinq alternatives de réponse, un auditeur a 20 % de chance de
donner une réponse correcte au hasard ; alors que la probabilité de répondre
correctement au hasard n’est que de 10 % dans une étude qui utiliserait
dix alternatives de réponse. La proportion de réponses correctes pour une caté-
gorie émotionnelle spécifique est d’autre part fonction des biais de réponse
qui peuvent éventuellement apparaître dans ces études. Si une catégorie
émotionnelle est systématiquement choisie plus fréquemment que les autres
(alors que toutes les catégories sont exprimées avec la même fréquence), la
probabilité que les expressions qui correspondent à cette catégorie soient
reconnues correctement est plus élevée que pour les catégories qui sont choisies
moins fréquemment.
Par ailleurs, la procédure basée sur la discrimination peut favoriser des taux
de reconnaissance élevés dans les cas où certaines catégories peuvent être
facilement discriminées de l’ensemble des autres catégories. Dans l’hypothèse
où certaines propriétés dimensionnelles des expressions vocales – telles que
la valence ou l’activation – pourraient être facilement identifiées, la présence
d’une catégorie opposée aux autres catégories sur une telle dimension facili-
terait notamment sa discrimination (Russell, 1994). Ainsi, une étude qui
inclurait les réponses alternatives « joie », « peur », « colère » et « tristesse »
pourrait obtenir des taux de reconnaissance très élevés, basés uniquement sur
la discrimination des expressions positives versus négatives (qui permettrait
d’identifier les expressions de « joie ») et sur la discrimination des expressions
faiblement activées versus fortement activées (qui permettrait d’identifier les
expressions de tristesse).
D’autres procédures ont également, bien que plus rarement, été utilisées
pour évaluer les attributions émotionnelles relatives aux expressions vocales.
Certains auteurs ont par exemple donné la possibilité aux auditeurs de sélec-
tionner plus d’une catégorie pour chaque expression vocale, de manière à
indiquer la présence d’un « mélange » entre plusieurs catégories émotionnelles
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 129
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principe, qu’une discrimination soit effectuée entre les catégories émotion-
nelles dont l’intensité est évaluée ; elle permettrait donc en théorie de résoudre
les problèmes associés à la discrimination des catégories. Toutefois, un très
grand nombre d’intensités nulles sont en général rapportées dans ce contexte.
Il existe donc un risque de « glissement » sur le plan de l’utilisation des
échelles d’intensité. Il ne peut être exclu notamment que les auditeurs sélec-
tionnent (discriminent) une catégorie et lui attribuent une intensité relative-
ment élevée tout en attribuant une intensité nulle à l’ensemble des autres
catégories. Paradoxalement, cette utilisation des échelles d’intensité est en
général « souhaitée » par les chercheurs qui postulent le plus souvent qu’un
seul type d’émotion est exprimé dans chaque expression vocale.
Une dernière possibilité d’évaluer les attributions émotionnelles relative-
ment aux expressions vocales consiste à évaluer les expressions sur une ou
plusieurs dimensions sous-jacentes aux émotions exprimées. Cette approche
a été utilisée déjà par Davitz (1964) qui a demandé à un groupe d’auditeurs
d’évaluer un ensemble d’expressions vocales sur trois dimensions proposées
par Osgood, Suci et Tannenbaum (1957) : la valence, l’activation (activity) et
le contrôle (strength). D’autres tentatives de caractériser les expressions
vocales émotionnelles en fonction de différentes dimensions perçues ont
depuis été effectuées (Laukka et al., 2005). Certains auteurs ont notamment
combiné une approche dimensionnelle avec une approche catégorielle en
ajoutant l’évaluation d’une ou plusieurs dimensions à la sélection d’une caté-
gorie (e.g. Breitenstein et al., 2001).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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en segments courts et leur recomposition dans un ordre aléatoire (randomized
splicing) – peuvent être utilisées afin de conserver au contraire le timbre
vocal et de supprimer les aspects de rythme et de mélodie. Cette approche a
permis de démontrer qu’il reste possible d’identifier l’émotion exprimée
même lorsque l’on supprime certaines dimensions de l’information. L’émotion
serait donc communiquée à la fois par les aspects mélodiques et rythmiques
de la voix ainsi que par certains aspects du timbre vocal (voir Scherer, Feldstein,
Bond et Rosenthal, 1985, pour une discussion des caractéristiques et des résul-
tats de différentes techniques de masquage).
La troisième approche consiste à manipuler certaines caractéristiques des
expressions en utilisant des techniques de synthèse ou de resynthèse vocale.
Cette approche permet la manipulation expérimentale simultanée de
plusieurs paramètres vocaux dont les effets directs et les effets d’interac-
tions sur les attributions émotionnelles peuvent être évalués. Scherer et
Oshinsky (1977) ont par exemple étudié l’effet de la variation de l’ampli-
tude, du niveau, du contour et de la variabilité de la F0, ainsi que l’effet de
la variation du rythme, de la richesse harmonique et de la tonalité sur les
attributions émotionnelles. Les techniques de resynthèse permettent d’utili-
ser des voix naturelles qui sont enregistrées, digitalisées puis reproduites
avec des modifications systématiques de certains paramètres. Dans une
publication de 1988, Bergmann et coll. (Bergmann, Goldbeck et Scherer,
1988) ont par exemple manipulé le niveau, la variabilité, l’écart et le
contour de F0, l’intensité et la durée de productions vocales réelles. Plus
récemment, Mozziconacci (1998) a également manipulé des aspects relatifs
aux contours de F0 et à la durée d’un ensemble d’expressions, en tentant de
définir les valeurs optimales pour la communication de plusieurs catégories
d’émotions.
Les études qui ont à ce jour utilisé l’une de ces trois approches ont confirmé
l’intervention de plusieurs dimensions vocales différentes dans le processus
d’attribution émotionnelle. Parmi les dimensions manipulées par ces études,
le rôle de l’évolution de la fréquence fondamentale au fil de l’expression
(contour de F0) a été plus particulièrement examiné par différents auteurs
(e.g. Lieberman et Michaels, 1962 ; Mozziconacci, 1998 ; Scherer, Ladd
et Silverman, 1984 ; Uldall, 1964). Les résultats obtenus par ces auteurs
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 131
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– montant versus descendant – influencent les attributions émotionnelles en
fonction de l’interaction avec d’autres catégories, notamment linguistiques.
D’autre part, ils ont pu montrer que la variation continue de certaines carac-
téristiques affecte directement les attributions émotionnelles. L’augmentation
(continue) de la fréquence fondamentale moyenne corrèle par exemple avec
les jugements du degré d’activation émotionnelle des locuteurs. Ces auteurs
ont proposé que les variables qui affectent les attributions émotionnelles de
manière continue reflètent surtout l’activation physiologique liée à la réaction
émotionnelle du locuteur. Alors que les variables catégorielles qui affectent
l’intonation en interaction avec des catégories linguistiques tendraient à signaler
plutôt des attitudes du locuteur (par exemple amicale ou réprobatrice).
1. L’étude de l’intonation des expressions vocales émotionnelles est très souvent réduite à une
description de certains aspects des contours de F0 ou – plus rarement – de la hauteur perçue.
Quelques auteurs ont toutefois inclus également des manipulations de la durée ou de l’intensité
des expressions dans leurs tentatives d’examiner l’intonation des expressions vocales émotionnelles.
132 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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une même échelle de « choix dichotomique ». Sur une telle échelle, la valeur
.50 (50 %) correspond à des réponses données au hasard et la valeur 1.00 à
des réponses correctes à 100 %. Juslin et Laukka (2003) ont inclus cinq caté-
gories émotionnelles qui sont relativement bien reconnues : la colère, la peur,
la joie, la tristesse et la tendresse. Dans le tableau 4.3, nous reproduisons
l’index π moyen rapporté par ces auteurs pour chacune de ces cinq catégo-
ries émotionnelles et pour la reconnaissance globale des émotions. L’index π
le plus faible (minimum) et l’index π le plus élevé (maximum), ainsi que le
nombre d’études et le nombre total de locuteurs inclus dans cette méta-
analyse sont également reproduit dans le tableau 4.3.
Tableau 4.3
Résultats de la méta-analyse publiée par Juslin et Laukka (2003, p. 787).
Nombre d’études 32 26 30 31 6 38
*Les valeurs rapportées correspondent à la méta-analyse de Juslin et Laukka (2003) pour les études
intraculturelles (les résultats des études qui ont testé la reconnaissance interculturelle des expressions
vocales ne sont pas inclus).
** La colonne « total » reflète les taux de reconnaissance émotionnelle rapportés dans trente-huit études
indépendamment des émotions qu’elles ont étudiées. Ce résultat comprend donc implicitement un grand
nombre de catégories émotionnelles utilisées dans différentes études (non seulement les catégories
représentées dans les colonnes du tableau).
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observation permet d’émettre l’hypothèse que certaines expressions – telles
que les expressions de joie et de dégoût – seraient « préférentiellement »
communiquées par le canal facial/visuel, alors que d’autres expressions –
telles que les expressions de colère et de tristesse – seraient préférentielle-
ment communiquées par le canal vocal/auditif.
Les confusions entre les émotions exprimées et les émotions reconnues/
discriminées sont assez rarement rapportées dans les études publiées. Plusieurs
auteurs relèvent toutefois que les matrices de confusions représentent une source
d’information essentielle, notamment relativement aux biais de réponse qui
interviennent probablement dans la plupart des études (voir Juslin et Laukka,
2003). Banse et Scherer (1996) ont proposé de considérer les confusions comme
des indicateurs de similarité perçue entre les expressions confondues. Dans leur
étude publiée en 1996, ces auteurs ont rapporté que les émotions appartenant
à une même « famille » – mais correspondant à différents niveaux d’activation
comme la « colère chaude » et la « colère froide » – sont plus souvent confon-
dues entre elles qu’avec des émotions appartenant à d’autres « familles ». Un
autre facteur de confusion (ou une autre dimension de similarité) pourrait
être, justement, l’activation. Les expressions « exaltées » (joie très activée) sont,
par exemple, assez souvent confondue avec les expressions de « désespoir »
(tristesse fortement activée). Selon Banse et Scherer (1996), une troisième
dimension de similarité serait la valence, les expressions positives sont plus
souvent confondues entre elles qu’avec des expressions négatives. Ces hypo-
thèses sont en partie confortées par les résultats obtenus par Green et Cliff
(1975). Ces auteurs ont recueilli des jugements de similarité pour un ensemble
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dant à différentes émotions exprimées rapportent très rarement des résultats
détaillés concernant la reconnaissance des émotions exprimées. Lorsque des
études de jugement sont effectuées dans ce cadre, elles sont en général destinées
à sélectionner les expressions émotionnelles qui sont « le mieux reconnues ».
Les caractéristiques vocales (paramètres acoustiques) des expressions « bien
reconnues » sont ensuite extraites et analysées. La proportion des expres-
sions vocales correctement reconnues par un groupe d’auditeurs est donc
parfois rapportée dans les études de la production. En revanche, les confu-
sions effectuées par les auditeurs ne sont en général pas examinées dans ce
contexte. Il semble donc particulièrement important d’examiner à la fois la
production (les caractéristiques vocales) et la perception (la reconnaissance)
des mêmes expressions vocales émotionnelles, notamment afin d’évaluer
dans quelle mesure la communication peut (ou ne peut pas) être expliquée
par les caractéristiques vocales mesurées.
Cette problématique de l’intégration des études de production et de perception
sera développée plus en détail ci-dessous, dans le contexte d’une proposition de
Scherer (1978, 2003) qui a suggéré d’utiliser le paradigme du modèle en lentille
de Brunswik (1956) pour l’analyse de la communication vocale des émotions.
Validité fonctionnelle
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Niveau
phénoméno-
logique Externalisation Représentation Utilisation
perceptive inférentielle
Indicateurs Percepts
Traits/États distaux proximaux Attribution
D1 P1
D2 P2
C .. .. A
. .
Di Pj
Valeur Valeur des Jugements Attribution de
du critère indicateurs perceptifs jugements
Coefficient de précision
À partir d’un état ou d’un trait (C, par exemple un état de colère), un ensemble de ca-
ractéristiques peuvent être décrites (indicateurs distaux) qui correspondent plus ou
moins à des phénomènes perceptifs (percepts proximaux) débouchant sur une attribution,
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par exemple une émotion de colère (voir également Grandjean, Baenziger et Scherer
(2006) ; adapté de Scherer (1978)).
Figure 4.2
Modèle en lentille de Brunswik distinguant deux niveaux :
l’un fonctionnel et l’autre correspondant au coefficient de précision.
Dans ce modèle, les états internes – dans le cas présent les émotions – sont
extériorisés sous la forme d’indices distaux qui correspondent dans le
contexte de la communication vocale aux caractéristiques acoustiques de la voix.
136 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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indiquent le degré de précision de la projection des indices distaux dans
l’espace perceptif de l’individu. L’attribution d’un état est le résultat de
processus d’inférence basés sur la perception des indices distaux. Ces attribu-
tions peuvent être évaluées en obtenant à nouveau des jugements de la part
d’observateurs, mais cette fois sur des dimensions psychologiques. Les
corrélations entre jugements perceptifs et attributions sont représentées dans
le modèle par les coefficients d’utilisation qui donnent une mesure de l’utili-
sation (ou du poids) de chaque indice perçu lors de l’inférence d’un état.
L’exactitude des attributions relativement à l’état objectivement observé de
l’individu est définie sur le plan opérationnel par la corrélation entre les
valeurs de critère et les attributions (coefficients d’exactitude/accuracy).
Ce modèle permet de spécifier et de distinguer plusieurs étapes impliquées
dans le processus de communication. La partie gauche du modèle corres-
pond aux processus d’encodage de l’émotion dans la voix, alors que la partie
droite recouvre les processus de décodage. En opérationnalisant et en mesurant
toutes les étapes décrites par le modèle, il devient possible de représenter le
processus de communication et d’évaluer l’importance relative de différentes
caractéristiques vocales au niveau de l’encodage et du décodage.
Récemment, Scherer (2003) a considéré la possibilité d’inclure un nombre
plus important d’étapes dans la description du processus de communication
(voir aussi Scherer, Johnstone et Klasmeyer, 2003). Les « variables proximales »
sont notamment susceptibles d’être définies à plusieurs niveaux : première-
ment, les propriétés des expressions vocales produites par un locuteur peuvent
être modifiées (dégradées ou filtrées par le média de communication, couver-
tes par des bruits ambiants) avant de parvenir à l’émetteur. Deuxièmement, le
système perceptif de l’auditeur fonctionne lui-même comme un filtre, il sélec-
tionne et intègre différents aspects du signal acoustique qui lui parviennent.
Enfin, les caractéristiques acoustiques perçues sont catégorisées/organisées
dans le système de représentation de l’auditeur. Dans la proposition originale
de Scherer (1978), représentée par la figure 4.2, seul ce dernier niveau – les
représentations/jugements concernant les caractéristiques vocales des expres-
sions – est représenté. Les autres aspects du processus de communication
mériteraient toutefois d’être considérés dans un examen complet du proces-
sus d’inférence des émotions exprimées par la voix.
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 137
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Hammond et Stewart (2001) offre une revue des travaux effectués récemment
dans ce domaine.
3 PROBLÉMATIQUES GÉNÉRALES
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courant théorique qui défend l’existence d’un nombre limité « d’émotions de
base » (ou « émotions fondamentales »). Selon ce courant théorique, un
pattern expressif défini correspond à chaque « émotion de base ». Le nombre
et la qualité des « émotions de base » varient en fonction des différents
auteurs qui représentent ce courant théorique ; bien qu’il semble exister un
consensus sur au moins un sous-ensemble « d’émotions fondamentales » qui
correspondraient à la joie, la peur, la tristesse, la colère, le dégoût et la
surprise.
Deux études, au moins, ont cependant montré que des expressions corres-
pondant à une même « émotion de base » peuvent être effectivement diffé-
rentes : (1) Frick (1986) a distingué un type de « colère » lié à l’agression et
un type de « colère » lié à la frustration. Ses résultats indiquent que ces deux
types de « colère » se différencient sur le plan acoustique et démontrent
également que des juges peuvent discriminer correctement un ensemble
d’expressions vocales « agressives » relativement à des expressions « frus-
trées » ; (2) Banse et Scherer (1996) ont mis en évidence des profils acoustiques
différents à l’intérieur des « familles » émotionnelles « peur », « tristesse »,
« joie » et « colère ». Dans une large mesure (avec quelques confusions), les
états correspondant à une même « famille » ont également été différenciés
par un groupe d’auditeurs dans cette étude.
Ces résultats confirment donc que différents états d’une même « famille »
émotionnelle (une catégorie large identifiée par un label d’ordre général)
peuvent être différenciés sur le plan des expressions vocales qui leur corres-
pondent. Le fait de ne pas spécifier l’état désigné par un label d’ordre général
a notamment pour conséquence de limiter la possibilité de comparer les
résultats obtenus dans différentes études qui utilisent les mêmes labels (sans
en préciser la définition). Une plus grande précision sur le plan de la définition
des états émotionnels, et donc des expressions considérées, est en conséquence
nécessaire.
Une méthode parfois utilisée pour préciser la définition des états émotionnels
consiste à utiliser des scénarios, des descriptions plus ou moins détaillées de
situations à l’origine des états émotionnels et des expressions étudiées (voir
par exemple Banse et Scherer, 1996).
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 139
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dimensions/critères d’évaluation comprenant :
– la pertinence de l’événement pour la personne ;
– les implications de cet événement relativement aux buts et aux besoins de
la personne ;
– le potentiel de maîtrise/contrôle évalué par cet individu relativement à la
situation et, finalement ;
– la compatibilité de l’événement avec les normes et standards personnels et
sociaux généralement admis par cette personne.
D’autres dimensions peuvent évidemment être invoquées, notamment les
dimensions proposées comme descriptives des sentiments subjectifs associés
aux émotions, tels que la valence ou l’activation ressenties. L’utilisation de
dimensions continues permet de différencier un nombre d’états émotionnels
plus important que les états habituellement reconnus comme des « émotions
de base » (Russell et Feldamn Barrett, 1999). Toutefois, les « dimensions
essentielles » ne sont pas plus objectivement identifiables que les « catégories
de base ». La question des dimensions ou des catégories qui seraient parti-
culièrement pertinentes pour l’étude des expressions vocales est donc loin
d’être résolue. En conséquence, dans la perspective d’un progrès significatif
dans ce domaine de recherche, cette question requiert qu’un nombre plus
important de propositions théoriques et de tests empiriques soient rapidement
formulées/réalisés dans cette direction.
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Cette conception suppose l’existence de réactions physiologiques périphé-
riques (autonomes et/ou somatiques) spécifiques à différents états émotionnels,
en l’absence desquelles les expressions vocales (spontanées, non régulées)
correspondant à différents états émotionnels ne seraient pas différenciées.
Depuis la proposition originale de James (1884), la spécificité des réactions
physiologiques périphériques associées à différentes émotions a été défendue
par différents auteurs. Dans la perspective de Scherer (1986, 2003) évoquée
ci-dessus, différentes dimensions de l’évaluation cognitive à l’origine de la
réaction émotionnelle – telles que la pertinence, l’agrément ou le degré de
contrôle évalués dans la situation source d’émotion – synchronisent les diffé-
rentes composantes (physiologique, expressive et subjective) pour donner lieu à
un état émotionnel différencié comprenant une réaction physiologique, une
réaction expressive et une réaction subjective (feeling) spécifiques. Les modèles
qui défendent l’existence d’un nombre limité d’émotions fondamentales
(basic emotions, Ekman, 1992) ont par ailleurs postulé et tenté de démontrer
l’existence de patterns physiologiques périphériques spécifiques pour un certain
nombre « d’émotions fondamentales » (voir par exemple Ekman, Levenson
et Friesen, 1983, voir aussi les chapitres 1 et 2 de ce traité).
La question de la spécificité des réactions physiologiques périphériques
associées à différents états émotionnels a cependant été mise en cause par
d’autres auteurs qui ont affirmé que sur le plan périphérique, seul un niveau
d’activation physiologique indifférencié est associé à toute réaction émotion-
nelle (Schachter et Singer, 1962). Par extension, ce niveau d’activation peut
également être conçu comme une dimension sous-jacente aux réactions émo-
tionnelles (voir Russell, 1980, pour une illustration de l’utilisation de l’acti-
vation comme dimension sous-jacente aux catégories émotionnelles). Dans
cette perspective, une activation physiologique (arousal) très importante
pourrait être associée à certaines émotions (par exemple la peur panique)
alors que d’autres émotions (par exemple la tristesse déprimée) comporte-
raient un niveau d’activation beaucoup plus faible. Bien évidemment, dans
cette optique, l’influence de la physiologie périphérique sur les expressions
vocales se limite également à refléter un niveau d’activation global. Cette
dernière hypothèse est régulièrement évoquée dans le cadre de l’interprétation
des résultats obtenus par les études qui se sont intéressées à décrire les
caractéristiques acoustiques des expressions vocales émotionnelles.
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 141
3.2.2 Perception
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ci-dessus, désigne en premier lieu l’activation physiologique (autonome et
somatique) associée à l’émotion. Cette dimension se reflète également sur le
plan du vécu subjectif sous forme d’un niveau d’activation/excitation perçue
dans le cadre d’une réaction émotionnelle. Certains modèles/définitions de
l’émotion postulent une relation forte entre ces deux dimensions (intensité et
activation). La tradition théorique qui place les réactions périphériques (physio-
logiques, mais également motrices et donc expressives) au centre de la réaction
émotionnelle trouve ses origines dans les propositions de James (1884). Le
courant le plus conservateur de cette tradition soutient que le sentiment émotion-
nel résulte de la perception (proprioception) d’un pattern d’activation péri-
phérique spécifique (une configuration de réactions autonomes et motrices).
Une conception plus modérée, et plus largement partagée, issue de cette
tradition théorique, postule une relation entre la présence d’une réaction péri-
phérique (autonome et/ou motrice) et l’intensité du sentiment émotionnel.
Dans cette perspective, une activation périphérique faible serait associée à
une émotion vécue comme faible, alors qu’une activation périphérique forte
serait associée à une émotion vécue comme forte. À notre avis, ce postulat
théorique ne doit toutefois pas résulter dans une confusion complète de ces
deux dimensions. En particulier dans le domaine des expressions vocales où
le niveau d’activation sous-jacent à la réaction émotionnelle joue probable-
ment un rôle très important, l’existence potentielle d’états émotionnels vécus
comme très intenses mais associés à un niveau d’activation physiologique
relativement faible ne doit pas être exclue a priori (Guerrero et al., 1998).
Un prolongement de la perspective théorique évoquée ci-dessus (le modèle
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Cette reconnaissance des expressions par imitation et feedback proprio-
ceptif est parfois opposée à un modèle plus classique d’apprentissage par
associations. Dans cette perspective, les émotions exprimées sont reconnues
par un observateur qui analyse (plus ou moins consciemment) les indices
vocaux/acoustiques ou faciaux/visuels disponibles et décide, sur la base
d’observations antérieures, à quel type d’émotion ces indices correspondent.
Dans cette perspective, des associations entre des combinaisons d’indices
vocaux/ou faciaux et des réactions émotionnelles globales, ainsi que les carac-
téristiques des situations qui les déclenchent sont formées au cours de l’histoire
individuelle de l’observateur et suffisent à rendre compte de la reconnaissance,
sans faire appel aux réactions émotionnelles vécues par l’observateur.
Il importe de relever que ces deux mécanismes ne sont en réalité pas exclu-
sifs. Dans la plupart des cas, les deux processus (reconnaissance abstraite et
imitation/feedback) contribuent probablement conjointement à la reconnaissance
des émotions exprimées.
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et automatiquement, dans la plupart des interactions sociales, le contexte
social peut également influencer les expressions émotionnelles en fonction
de la position et des objectifs de l’émetteur dans la situation. Dans une situa-
tion de communication un individu peut utiliser ses expressions émotionnel-
les de manière à influencer – plus ou moins in/consciemment et plus ou
moins in/volontairement – les réactions de ses interlocuteurs. Un exemple de
ce type de régulation a été récemment donné par Reissland, Shepherd et
Cowie (2002) qui ont observé un ajustement des expressions vocales d’un
groupe de jeunes mères relativement aux expressions faciales de leurs bébés.
Dans cette étude, les mères et leurs bébés jouaient à un jeu de surprise (avec
un diable à ressort) ; les mères ont produit des expressions vocales dont la
fréquence fondamentale était d’autant plus élevée que l’expression de surprise
(désirée) chez leur enfant était faible. Ce résultat peut être interprété comme
correspondant à une exagération de l’expression de surprise chez la mère
destinée à stimuler (renforcer) l’expression de surprise chez le bébé.
En outre, les expressions vocales sont également affectées par un ensemble
de facteurs non émotionnels. Les influences linguistiques et paralinguistiques
sur les expressions vocales ne sont notamment pas négligeables. Ces influences
incluent en particulier les phénomènes d’emphase dans le discours (destinés
à accentuer certains éléments) et les actes pragmatiques, tels que les expres-
sions de doute ou de désapprobation ou encore les interrogations qui peuvent
être communiquées par des modifications de l’intonation ou de la qualité
vocale. De plus, différents aspects propres au locuteur influencent également
les expressions vocales. Certaines inflexions vocales peuvent par exemple
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très difficile pour les chercheurs d’enregistrer de telles expressions, elles sont
également très rarement étudiées. Afin de contrôler les différences expressives
interindividuelles, la méthode la plus fréquemment utilisée pour étudier les
expressions vocales émotionnelles consiste en effet à enregistrer des acteurs
qui simulent un nombre prédéfini de réactions émotionnelles. Cette méthode
a été souvent critiquée du fait que les expressions ne correspondraient pas ou
peu à des expressions émotionnelles « véritables » (« pures » ou « spontanées »),
mais plutôt à des modèles enseignés dans les cours d’art dramatique. En
réalité, il est peu probable que ces expressions ne correspondent en rien aux
expressions émotionnelles qui surviennent en situation sociale dans la vie
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quotidienne. Afin de paraître crédibles et d’avoir un impact sur leurs audi-
teurs, les acteurs ont intérêt à utiliser des codes d’expressions qui seront
interprétés comme authentiques. En revanche, l’exagération des codes sociaux
de communication est certainement présente dans les enregistrements réalisés
par des acteurs (voir également Banse et Scherer, 1996, pour une discussion
à ce propos).
Les différents points exposés dans cette conclusion préalable révèlent que
les problématiques associées à l’étude des expressions vocales émotionnelles
sont nombreuses. Malheureusement, elles sont généralement peu formalisées
dans le cadre des travaux de recherche qui ont été consacrés aux expressions
vocales. Beaucoup d’études dans ce domaine sont en conséquence effectuées
dans une perspective essentiellement exploratoire et se fondent assez rarement
sur des hypothèses ou des motivations théoriques.
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stimulus dont les occurrences passées similaires étaient toutes caractérisées
par la présence d’un élément donné, ici la fondamentale (Chialvo, 2003).
Une autre illusion dans le domaine auditif consiste à percevoir un son
continu alors que celui-ci est interrompu par du bruit blanc : c’est une illu-
sion auditive dite de continuité amenant les organismes à percevoir un son
continu et donc, à nouveau, de « combler » l’absence de la stimulation
sonore d’intérêt. Des études en enregistrement intracrânien chez l’animal ont
révélé que l’activité de neurones de l’aire auditive primaire A1 contribuent à
cette illusion auditive démontrant que celle-ci est construite à un stade
précoce de la chaîne de traitement neuronal (Petkov, O’Connor et Sutter,
2007). Ainsi l’étude des soubassements neuronaux et de la dynamique
temporelle de l’activité de réseaux de neurones lors de l’intégration de
l’information émotionnelle attribuée à un stimulus auditif donné sont donc
des méthodes importantes dans la contribution à la compréhension des méca-
nismes liés à l’émotion en modalité auditive.
Nous ne rentrerons pas dans le cadre de ce chapitre dans les détails des
mécanismes initiaux de perception auditive pure impliquant des mécanis-
mes de transduction entre le signal physique d’onde sonore et sa transfor-
mation en un signal électrique neuronal initial au niveau de la cochlée,
pour les détails concernant ces mécanismes nous conseillons l’ouvrage
Cognitive Neurosciences III et sa partie sur les systèmes sensoriels (Gazza-
niga, 2004).
Les travaux qui se sont intéressés à la perception de l’émotion en modalité
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mesure la tomographie à émission de positrons (TEP).
Schirmer et Kotz (2006) ont élaboré un modèle du traitement de la prosodie
émotionnelle dans le but de distinguer différentes étapes du traitement de
l’information au niveau du système nerveux central et ainsi de remettre en
question la notion d’une primauté absolue de l’hémisphère droit dans le trai-
tement de la prosodie émotionnelle. En effet, les études lésionnelles ont
démontré l’importance des régions de l’hémisphère droit dans le traitement
de l’information auditive émotionnelle ; les patients avec lésions droites
temporales et temporo-pariétales montrent en effet des performances amoin-
dries dans la reconnaissance de prosodies émotionnelles et d’expressions
faciales émotionnelles (Borod, Zgaljardic, Tabert, et Koff, 2001). Cette litté-
rature a longtemps focalisé l’attention des chercheurs sur les contributions
différentielles des hémisphères gauche et droit dans les processus langagiers
et donc également du traitement de la prosodie émotionnelle aussi bien en
termes de production qu’en termes de perception. L’importance majeure de
l’hémisphère droit dans les processus impliqués dans le décodage de la
prosodie émotionnelle ne fait actuellement pas de doute mais il faut toutefois
noter que ces méthodes lésionnelles restent grossières et la compréhension
du décodage de l’information émotionnelle dans la voix nécessite des inves-
tigations plus précises et des modèles prenant en compte l’aspect temporel
de l’intégration auditive.
Dans leur modèle, Schirmer et Kotz (2006) ont spécifié trois grandes
étapes dans le traitement de la prosodie émotionnelle et les contributions
relatives de chaque hémisphère cérébral (voir figure 4.3). Ainsi après une
première étape de traitement sensoriel impliquant le cortex auditif primaire
et la scissure temporale supérieure (STS), une deuxième étape consiste à
l’intégration des signaux acoustiques permettant la construction d’une repré-
sentation de type gestalt émotionnelle au sein du système what. Il faut rappeler
ici, qu’à l’instar des voies de traitement visuel, le système auditif a été dissocié
en une voie du « quoi », du « où » et du « comment » (what, where and how)
(Alain, Arnott, Hevenor, Graham, et Grady, 2001 ; Belin et Zatorre, 2000).
Une troisième étape dite « cognitive » implique d’autres régions plus anté-
rieures lors des processus d’évaluations explicites ou de traitements sémantiques.
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Traitements sémantiques :
GIF gauche
HG HD HG HD
Ce modèle propose trois grandes étapes illustrées par les trois quadrants : (1) une étape sensorielle impliquant le cortex auditif primaire et le
sulcus temporal supérieur (STS), (2) une étape d’intégration des informations auditives émotionnelles impliquant le gyrus temporal supérieur
(GTS) ainsi que les territoires antérieurs du STS, et (3) une étape dite cognitive, consistant par exemple à une évaluation explicite du caractère
émotionnel des stimuli, impliquant les régions antérieures telles que le cortex orbito-frontal (COF) et les gyrus inférieurs frontaux (GIF). La
partie la plus à droite illustre les trois étapes et les régions cérébrales impliquées (hémisphère droit d’un cerveau). HD = hémisphère droit,
HG = hémisphère gauche.
Figure 4.3
Modèle neuropsychologique de la perception et du traitement de la prosodie émotionnelle adapté de Schirmer et Kotz (2006).
147
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148 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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tement du stimulus sonore lui-même et, d’autre part, par les effets des tâches
ou de l’activité cognitive de manière plus large lors du traitement de l’infor-
mation émotionnelle. Ainsi, les caractéristiques des stimuli sonores vont induire
des modulations de l’activité neuronale mesurée par imagerie à résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf) dans les régions auditives primaires et
secondaires et également de la scissure temporale moyenne et supérieure.
Une sensibilité spécifique de régions temporales (STS et les sillons ou gyri
temporaux supérieurs ou GTS) à la voix humaine comparée à d’autres
stimuli auditifs de tous genres a été démontrée par Belin et coll. (Belin, Zatorre,
Lafaille, Ahad et Pike, 2000) évoquant l’existence d’une voice sensitive area à
l’instar de la face fusiform area dans le domaine du visage (Kanwisher,
McDermott et Chun, 1997). La question de la sensibilité à la prosodie
émotionnelle de ces régions activées par la voix humaine a été investiguée par
différentes équipes de recherche. Nous avons ainsi démontré que l’activité
neuronale dans ces régions est modulée par la prosodie émotionnelle, et ce,
indépendamment de l’attention spatiale portée aux stimuli (Grandjean et al.,
2005). En effet, dans cette étude nous avons utilisé une méthode d’écoute dicho-
tique permettant de présenter un stimulus auditif différent dans chaque oreille ;
en l’espèce un stimulus neutre et un stimulus émotionnel de colère. La tâche des
participants était de discriminer le genre du locuteur tantôt pour le stimulus
présenté à l’oreille gauche tantôt pour le stimulus présenté à l’oreille droite.
Cette méthode a permis d’étudier comment la prosodie émotionnelle était
traitée même si elle n’était pas dans le focus attentionnel du participant (voir
figure 4.4). Nous avons également démontré que ces modulations de l’acti-
vité du STS-GTS liées à la prosodie émotionnelle de colère persistent même
lorsque l’on contrôle des caractéristiques acoustiques de base que sont la
fondamentale moyenne et l’enveloppe sonore (voir figure 4.4). Des résultats
similaires de modulation de l’activité du STS-GTS ont également été démontrés
pour de la prosodie positive, dans ce cas une prosodie de joie, et ce, indépen-
damment de la tâche des participants (Ethofer, Anders, Wiethoff et al., 2006).
Les corrélations entre les paramètres acoustiques et la réponse neuronale
mesurée par IRMf dans les régions temporales en réponse à de la prosodie
émotionnelle comparée à de la prosodie neutre ont été étudiées de manière
détaillée dans une étude de Wiethoff et coll. (Wiethoff et al., 2008).
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 149
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Partie supérieure : activations au sein du gyrus temporal supérieur (GTS) et du sulcus Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 09/03/2020 14:18 - © Dunod
temporal supérieur (STS) en réponse à de la prosodie de colère en écoute dichotique
indépendamment de l’attention spatiale volontaire. Les modulations de l’activité cé-
rébrale par l’émotion (en noir) ont été observées dans cette région sensible à la voix
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humaine (ligne noire entourant la région située dans le GTS-STS). Les zones grises
correspondent aux régions dont l’activité était modulée par la manipulation de l’at-
tention. Partie inférieure : mesures relatives de la réponse cérébrale mesurée par IMRf
dans les régions sensibles à la voix humaine en fonction des conditions expérimentales
(prosodie de colère ou neutre et attention spatiale vers l’oreille droite ou gauche)
(adapté de Grandjean et coll., 2005).
Figure 4.4
Activités cérébrales en fonction de la présentation de prosodies émotionnelles
de colère dans un paradigme d’écoute dichotique
(focus attentionnel spatial volontaire à gauche ou à droite).
150 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Cette étude a révélé que les différences d’activité neuronale entre les proso-
dies émotionnelles (colère, joie, peur et érotique) et les stimuli neutres dans
les régions temporales STS et GTS sont corrélées de manière linéaire à
différents paramètres acoustiques (intensité sonore, variation de l’intensité,
fréquence fondamentale (F0), variabilité de F0 et la durée) et au niveau
d’activation (arousal) jugé par les participants. En fait, lorsque les auteurs
ont contrôlé ces différents aspects, les différences d’activité entre prosodies
émotionnelles et prosodie neutre n’étaient plus significativement différentes
dans les régions médianes du GTS droit. Ce résultat démontre l’importance
de contrôler les aspects acoustiques plus finement et de manière systémati-
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que même si dans cette dernière étude les relations entre l’activité neuronale
(mesurée par IRMf) et les paramètres acoustiques n’ont été investiguées que
de manière indirecte par des corrélations linéaires.
Au-delà de l’implication des régions temporales dans les processus d’inté-
gration auditive de type émotionnel, les modulations d’activité d’autres régions
cérébrales ont également été étudiées systématiquement en réponse à de la
prosodie émotionnelle. C’est particulièrement le cas des amygdales, situées
dans les lobes temporaux, dont l’activité est augmentée en réponse à de la
prosodie émotionnelle de colère comparée à de la prosodie neutre et ceci
également indépendamment de l’attention spatiale (Grandjean et al., 2005 ;
Sander et al., 2005). Notons que des modulations de l’activité de l’amygdale ont
été rapportées très fréquemment en réponse à des stimuli visuels émotion-
nels, particulièrement d’expressions faciales (pour plus de détail voir Sander,
Grafman, et Zalla, 2003). Les stimuli auditifs émotionnels de type onomatopées
et interjections non linguistiques modulent également l’activité amygdalienne
et ce, même pour des stimuli positifs (Fecteau et al., 2007). Ainsi nous pouvons
distinguer deux grands types de régions cérébrales, celles dont les modulations
d’activité par le contenu émotionnel sont indépendantes de la tâche ou de
l’activité volontaire de l’organisme sur le stimulus et celles dont l’activité est
modulée par l’émotion, mais de manière dépendante avec la tâche ou l’activité
en cours effectuée par l’organisme. Par exemple, dans notre étude en écoute
dichotique portant sur la modulation de régions cérébrales par la prosodie
émotionnelle de colère, nous avons pu démontrer des modulations d’activi-
tés indépendantes de l’attention spatiale (pour le STS-GTS et l’amygdale
droite) et d’autres régions dont l’activité est dépendante de l’attention
portée au stimulus émotionnel, particulièrement le cortex orbito-frontal et le
cortex visuel (voir figures 4.4 et 4.5 ; Grandjean et al., 2005 ; Sander et al.,
2005). De plus, dans cette dernière étude, nous avons démontré une corréla-
tion positive entre des caractéristiques individuelles de sensibilité à la puni-
tion et la récompense, par une échelle nommée behavioural inhibition scale
ou BIS développé par Carver et White (1994), et l’activité du cortex orbito-
frontal médian en réponse à de la prosodie émotionnelle de colère unique-
ment lorsque l’attention des participants était orientée sur le stimulus
émotionnel (Sander et al., 2005). Ainsi au-delà de l’investigation des
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 151
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Partie supérieure gauche : mesures de l’activité cérébrale de la région orbito-frontale
médiane en fonction des conditions expérimentales (prosodie neutre et colérique et
attention spatiale). Partie supérieure droite : activité spécifique du cortex orbito-fron-
tal médian en réponse à de la prosodie de colère lorsque le stimulus était dans le focus
attentionnel du participant. Partie inférieure gauche : mesures de l’activité cérébrale
des régions du cortex visuel en fonction des conditions expérimentales (prosodie neutre
et colérique et attention spatiale). Partie inférieure droite : activité spécifique du cortex
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a également permis de mieux comprendre l’importance de l’émotion lorsqu’elle
est perçue dans l’environnement (Vuilleumier, 2005). En effet de nombreuses
études se sont intéressées à la notion de capture attentionnelle par des stimuli
émotionnels, à l’instar de l’étude rapportée ci-dessus en écoute dichotique
et ayant mis en évidence l’activation des régions temporales STS-GTS et
amygdaliennes indépendamment de l’attention volontaire des participants
(Grandjean et al., 2005 ; Sander et al., 2005). Une autre étude portant sur des
patients cérébro-lésés a investigué la possibilité d’une modulation par l’émotion
d’un syndrome d’extinction auditive suite à des lésions pariétales droites.
L’extinction auditive est liée à l’héminégligence, syndrome apparaissant le
plus souvent à la suite d’une lésion pariétale droite et qui se manifeste par
une difficulté à prêter attention à des stimuli présentés dans l’hémichamp
gauche et ce dans les différentes modalités sensorielles. À noter que les plus
nombreux travaux ont été réalisés en modalité visuelle (Deouell, Hamalainen
et Bentin, 2000 ; Deouell, Heller, Malach, D’Esposito et Knight, 2007 ; Heilman
et Valenstein, 1972). L’extinction auditive, elle, se manifeste par un déficit
attentionnel et une négligence des stimuli présentés à l’oreille gauche ou dans
l’hémi-espace gauche alors que les stimuli sont présentés de manière concomi-
tante à l’oreille droite ou dans l’hémi-espace droit (Bellmann, Meuli et Clarke,
2001 ; Spierer, Meuli, et Clarke, 2007). Dans cette étude sur l’extinction audi-
tive, nous avons étudié la possibilité d’une réduction de la quantité de stimuli
négligés par de la prosodie émotionnelle dans un paradigme d’écoute dichoti-
que. Les résultats montrent un effet que les patients rapportent plus de stimuli à
gauche lorsque ceux-ci sont porteurs d’une prosodie émotionnelle négative ou
positive comparé à des stimuli neutres (voir figure 4.6). De plus, les corréla-
tions anatomiques des lésions des patients avec leurs performances à cette
tâche de détection ont montré que les régions temporales supérieures, le cortex
orbito-frontal ainsi que le noyau caudé sont essentielles dans cette modulation
de la performance par la prosodie émotionnelle (Grandjean et al., 2008).
Un autre aspect d’importance pour la compréhension des mécanismes
sous-tendant la perception et l’identification de prosodies émotionnelles est
la dynamique temporelle et la connectivité fonctionnelle entre les régions impli-
quées que nous avons discutées ci-dessus. Une étude de connectivité fonction-
nelle sur des signaux d’IRMf a été réalisée par Ethofer et coll. en utilisant la
technique de modèle causal dynamique (Ethofer, Anders, Erb et al., 2006).
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 153
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Notez la diminution des stimuli négligés pour les différentes prosodies émotionnelles.
Figure 4.6
Pourcentages de stimuli négligés (non détectés) par les patients hémi-négligents
présentant une extinction auditive en présentation bilatérale dans un paradigme
d’écoute dichotique pour les stimuli présentés à gauche, en fonction
des différents types de prosodies (adapté de Grandjean et coll., 2008).
Ainsi que nous l’avons mentionné dans les premières pages de ce chapitre,
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l’étude des expressions émotionnelles – en particulier l’étude des expressions
vocales – a connu récemment, et connaît encore, un très fort développement
aussi bien dans le domaine de la perception et des études de jugements que
dans le domaine de l’étude des mécanismes cérébraux sous-tendant ces
capacités d’inférences émotionnelles. L’accroissement du nombre de travaux
consacrés à ces domaines de recherche a été, et est encore, fortement motivé
par le développement des technologies de communication qui représentent
actuellement le champ d’application privilégié de ce domaine d’étude. Des
applications telles que la reconnaissance automatique de la parole, la synthèse
de la parole ou encore la reconnaissance automatique des locuteurs bénéfi-
cieraient incontestablement des progrès qui pourraient être réalisés dans ce
domaine. Une meilleure compréhension des processus d’intégration auditive
dans la construction d’une représentation accessible explicitement ou non de
la prosodie émotionnelle d’autrui est également un défi des années à venir
dans ce domaine de recherche. En effet, comment le système cognitif est-il
capable d’intégrer un ensemble d’informations auditives et quelles sont les
différentes étapes de traitement aboutissant à une représentation dynamique
d’un énoncé vocal émotionnel sont également les questions qui animeront la
recherche dans ce domaine dans les années qui viennent.
Par ailleurs, la compréhension des mécanismes cérébraux du décodage de
la prosodie émotionnelle et les interactions complexes entre des réseaux de
neurones distribués durant les multiples étapes de traitement des informations
auditives et leurs interprétations dans différents contextes seront également
un domaine de recherche prometteur pour un proche avenir en neuroscience
cognitive. Ces travaux permettront alors de mieux rendre compte des déficits
associés à des syndromes cliniques en neuropsychologie et auront des appli-
cations dans la possible rééducation des patients cérébro-lésés, par exemple
dans le domaine du langage. Les récents développements dans la stimulation
intracrânienne des noyaux gris centraux dans des syndromes cliniques tels
que la maladie de Parkinson (par exemple, Benabid et al., 1994) ou les trou-
bles obsessionnels compulsifs (Mallet et al., 2007) et la compréhension des
effets de ces stimulations sur l’ensemble des mécanismes émotionnels, dont
la reconnaissance de la prosodie émotionnelle, sont également un défi de
taille pour les années à venir dans la recherche appliquée à la neurologie et à
la neurochirurgie clinique.
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS 155
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LECTURES CONSEILLÉES
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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INTRODUCTION :
POURQUOI S’INTÉRESSER
AUX RÉACTIONS CORPORELLES ?
Vous passez un examen écrit à l’université ; il ne vous reste plus que cinq
minutes. Vous avez plein d’idées, que vous voulez pouvoir relier les unes aux
autres et vous n’avez encore pas répondu à la dernière question. Une telle
situation induit chez la plupart des personnes une augmentation de l’activité
mentale et corporelle. Résultant d’une évaluation de non-maîtrise de la situa-
tion, vous vous sentez stressé(e) et vous sentez votre cœur battre plus fort.
La coordination motrice est tout à coup plus difficile, il se pourrait que vos
mains commencent un peu à trembler et que vous ayez du mal à tenir votre
stylo correctement. En plus, vous commencez à avoir chaud et à suer.
Cet exemple montre que les réactions corporelles jouent un rôle important
dans un épisode émotionnel, même si ce que nous percevons n’est pas
toujours corrélé avec ce qui se passe vraiment au niveau corporel (par exemple,
Valins, 1966 ; voir section 2.4). Un autre exemple qui souligne l’importance
de notre corps dans les réactions émotionnelles est que certaines personnes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de consensus sur ce que l’on peut considérer
être « le déclencheur » d’un épisode émotionnel. Même si nos réactions
physiologiques ne constituent pas le déclencheur en soi, il est bien possible
qu’elles soient corrélées à l’importance d’un événement, et qu’elles servent
à l’énergétisation nécessaire de l’organisme, pour permettre une réaction
comportementale rapide et adéquate en cas d’urgence (comme fuir devant un
prédateur). Dans ce sens, les réactions périphériques sont souvent censées
préparer le corps aux réponses comportementales adaptatives (entre autres :
Gray et McNaughton, 1996, 2000 ; Jänig, 2003 ; Levenson, 2003 ; Levenson,
Ekman et Friesen, 1990 ; Öhman, 1979, 2000, 2003 ; Scott, 1980 ; voir aussi
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section III). Dans ce contexte, il est important de souligner le lien de ce
chapitre avec le chapitre 6 : « Motivation et tendances à l’action ».
Une émotion est un construit hypothétique : l’examiner avec des question-
naires ou avec des rapports verbaux ne suffit pas (au niveau du sentiment
subjectif, voir chapitre 7 « Sentiment subjectif »). Par ailleurs, il est parfois
très difficile d’exprimer ce que nous ressentons. Dans ce contexte, il pourrait
être intéressant d’étudier si des changements physiologiques, même s’ils ne
sont pas spécifiques aux émotions, peuvent nous indiquer si un événement a
impliqué ou touché une personne. Des individus nommés « répresseurs »,
par exemple, sont caractérisés par des réactions périphériques remarquables,
mais ils ne formulent que peu d’implication au niveau du sentiment subjectif
en se distançant des événements qui pourraient mettre en danger leur estime
de soi (par exemple, Mendolia, Moore et Tesser, 1996). Ici, il est également
intéressant d’examiner pourquoi il y a une telle contradiction entre les réac-
tions physiologiques et le sentiment subjectif, et comment ces deux compo-
santes d’une émotion interagissent avec d’autres composantes comme la
motivation ou l’expression.
Dans ce chapitre, le rôle des réactions corporelles dans nos expériences
émotionnelles sera traité plus en détail. Seront tout d’abord expliqués la
structure et le fonctionnement du système nerveux périphérique. Suivront la
description de différents points de vue concernant l’importance des réactions
périphériques pour le déclenchement et la différenciation des émotions (débat
de la séquence). Ensuite, sera soulignée la valeur des réactions corporelles
pour la préparation des réactions appropriées ou adaptatives par rapport à un
contexte donné. Puis, les postulats de deux grands courants théoriques (théo-
ries dimensionnelles et des émotions de base) et les plans expérimentaux
appliqués pour les tester seront aussi abordés. Finalement, les problèmes
méthodologiques existant dans ce champ de recherche et les nouvelles pers-
pectives amenées par des théories dans la tradition de l’appraisal (voir Scherer,
1988, pour un résumé de ces théories) seront mentionnés.
PSYCHOPHYSIOLOGIE DES ÉMOTIONS 161
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Système
Système nerveux
nerveux
Système
Système nerveux
nerveux central Système
Système rv unerveux
nerveux périphérique
r érique
central (SNC)
(SNC) périphérique
(SNP) (SNP)
Système
Système nerveux
nerveux Système nerveux
Système nerveux
somatique (SNS)
somatique (SNS) autonome (SNA)
autonome (SNA)
Système
Système nerveux
nerveux Système nerveux
Système nerveux
sympathique
sympathique parasympathique
parasympathique
Figure 5.1
Structure du système nerveux.
Il peut être subdivisé en deux parties : une partie somatique (SNS, pour
système nerveux somatique) et une partie autonome ou végétative (SNA, pour
système nerveux autonome). La première partie permet l’expression de mouve-
ments volontaires et involontaires ainsi que des sensations thermiques et
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
tactiles. Tandis que ce système peut être contrôlé dans une large mesure par
notre volonté, le SNA se caractérise par une limite de l’influence de volonté.
Il est responsable des fonctions organiques automatiques comme la respiration
et la digestion. Il contrôle la constance du niveau d’activité de l’organisme
(homéostasie ; Cannon, 1929) et suivant les besoins de l’individu, il peut
augmenter ou diminuer l’activité corporelle par la coordination des deux sous-
systèmes suivants : le système nerveux sympathique et le système nerveux
parasympathique (pour plus d’informations concernant un troisième sous-
système appelé système entérique (enteric system), voir Langley, 1921). Dans
une vue traditionnelle (entre autres Cannon, 1914, 1939 ; Hess, 1949), la partie
sympathique effectue, en gros, une innervation des organes et permet d’activer
162 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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dominera le système nerveux parasympathique.
Néanmoins, selon Jänig (2003), ces deux systèmes fonctionnent plutôt
rarement de manière antagoniste (par exemple, dans le cas où le système
sympathique accélère le rythme cardiaque et le système parasympathique qui
le décélère). Par ailleurs, la plupart des tissus cibles seraient innervés par un
seul des deux systèmes. Pour plus de détails concernant l’anatomie et la fonction
des deux subdivisions du système autonome, ainsi que sur leur connexion
avec le système nerveux central, voir Jänig (2003) et Rosenzweig, Leiman et
Breedlove (1998).
Par la suite, plusieurs formes de l’activité du système nerveux périphérique
(activités cardiovasculaire [SNA], électrodermale [SNA] et musculaire [SNS])
avec les paramètres et mesures associés seront décrites. Précisons qu’il n’est pas
possible, dans le cadre de ce chapitre, de donner une impression complète
sur ce champ de recherche. Seuls les aspects les plus pertinents seront exposés.
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la diastole – où le cœur est de nouveau rempli de sang. Dans cette phase, la pres-
sion artérielle prend une valeur minimale. La pression artérielle peut être mesu-
rée (en millimètres de mercure, mmHg) indirectement à l’aide d’un brassard
gonflable ou directement avec une aiguille introduite dans le flux sanguin.
T
P Segment Segment Segment P
+
PQ ST TP
0 Volt
–
Q
S
Figure 5.2
Électrocardiogramme.
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Conductance
Amplitude
Amplitude
Temps
Stimulation
Latence
Temps
d’augmentation
Temps
de récupération
Figure 5.3
Réaction de la conductance de la peau.
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Le nombre de fibres qu’un motoneurone est capable d’innerver varie consi-
dérablement d’une région corporelle à l’autre et est décrit par la « proportion
d’innervation » (anglais : innervation ratio). Pour les muscles oculaires exté-
rieurs, elle se monte à 1 : 6 ; autrement dit : un neurone est capable d’exciter
six fibres. Pour la région du dos, cette proportion obtient une valeur de 1 : 500
ou même 1 : 1 700. Plus grande est la proportion d’innervation, plus précise
ou fine est l’action motrice.
Pendant la conduite de l’excitation, il se produit un champ électrique, qui
peut être mesuré à l’aide de l’électromyogramme à la surface du corps en
faisant une dérivation bipolaire au muscle concerné (en général, par la fixa-
tion de deux électrodes à la surface de la peau). Plus grande est l’amplitude
(positive aussi que négative en µVolt) du signal, plus grande est l’activation
du muscle (voir figure 5.4).
Intensité
0 Vo lt
Temps
–-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 5.4
Électromyogramme du muscle Extensor digitorum (extension du bras).
Pour estimer l’activité dans une certaine fenêtre temporelle, nous nous
servons souvent de l’intégration temporelle en additionnant les amplitudes
pendant cette période. D’autres méthodes et des informations concernant le
166 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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l’activité d’un seul muscle à la fois, puisque les différents muscles sont très
proches les uns des autres. C’est pour cela qu’il est préférable de parler des
régions plutôt que des muscles eux-mêmes (par exemple, région autour du
muscle Zygomaticus major).
1.5 Artefacts
2 LE DÉBAT DE LA SÉQUENCE
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cardiaque à la vue d’un ours. Ces réactions sont censées être très nuancées.
La perception des changements provoquerait un sentiment subjectif (par
exemple, je me sens effrayé(e) car je tremble). Dans cette théorie, l’émotion
est équivalente au sentiment subjectif.
Une année après l’apparition de l’article fécond de James, le physiologiste
danois Carl Lange (1885/1922) a proposé un modèle de l’émotion qui,
malgré beaucoup de petites nuances, suggère le même mécanisme de base
concernant la séquence causale de James. À cause de cette similarité, nous
parlons traditionnellement de la théorie de l’émotion « James-Lange ». Elle
est appelée position « périphéraliste », puisqu’elle se centre sur le périphérique,
c’est-à-dire sur le SNA et le SNS, plutôt que sur le SNC. Lange suggère, par
exemple, une augmentation de l’activité du SNA et une dilatation des vais-
seaux sanguins pour la joie et la colère (mais avec une plus grande intensité
pour la colère que pour la joie).
ailleurs, James ne s’est pas uniquement intéressé aux viscères (SNA), mais
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aussi aux réactions musculaires (SNS). Aussi, Ellsworth (1994) et Stemmler
(1998) remarquèrent que la position de James a été souvent mal interprétée.
En 1894, James a, par exemple, ajouté à sa théorie des explications concernant
le processus de la genèse d’une émotion. Il expliqua que c’est l’interprétation
d’une situation initialement neutre qui provoque les changements périphériques.
Cet aspect considéré, cette théorie n’est pas si différente des théories récen-
tes mettant l’accent sur l’évaluation cognitive de la situation comme facteur
déclenchant d’un épisode émotionnel (Scherer, 1984, 2001 ; Ellsworth,
1991, Lazarus, 1966, 1982, 1984 ; Smith, 1989, 1996 ; Smith et Ellsworth,
1985 ; voir aussi chapitre 2 et section 6). Nous pourrions alors dire que cette
perspective était plutôt moderne et la réaction à une émotion ne correspondait
pas à une réponse automatique à un stimulus, comme cela a été proposé par
les béhavioristes.
De plus, d’après Stemmler, James a aussi été mal compris sur un autre point.
À chaque état émotionnel n’était pas associé un pattern périphérique différent.
Au contraire, James a affirmé que, parfois, les labels émotionnels – ou étiquettes
verbales pour décrire notre sentiment subjectif – ne seraient pas aussi variés
que les réactions périphériques. Différents états corporels pourraient être
décrits avec le même mot par différents individus. Quoi qu’il en soit, la théorie
de James-Lange a sans doute fortement inspiré les chercheurs dans la tradition
des émotions de base. Cette tradition sera expliquée dans ce chapitre plus
tard [c’est-à-dire : section 5.2 ?].
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Ce processus serait ni volontaire ni conscient.
Schachter et son étudiant Singer ont réalisé une expérience pour tester
cette hypothèse (Schachter et Singer, 1962) [expérience fondamentale 1]. Ils
ont injecté à deux groupes de participants, soit de l’épinéphrine (adrénaline ;
déclenchant une excitation sympathique) soit une solution saline (placebo ;
ne déclenchant pas une excitation sympathique ; groupe contrôle). Les expé-
rimentateurs informaient les participants que le but de l’expérience était
d’évaluer les effets secondaires d’un composé vitaminé sur la vision.
Les participants du groupe contrôle étaient avertis que l’injection n’aurait
aucun effet. Ceux du groupe épinéphrine ont eu l’une des trois informations
suivantes : 1) il n’y aurait aucun effet de l’injection (épinéphrine ignorant),
2) il pourrait y avoir des tremblements des membres et des palpitations
(épinéphrine informé) et 3) il pourrait y avoir des effets secondaires comme
des maux de tête (épinéphrine mal informé). Les participants du groupe
épinéphrine qui pouvaient attribuer leurs palpitations et tremblements à la
drogue (épinéphrine informé) étaient censés ne pas chercher d’autres justifi-
cations ou explications de leur état, car ayant déjà une justification pour ce
qu’ils ressentaient. Par conséquent, ils n’étaient pas supposés ressentir une
émotion. À l’inverse, les participants ignorants des effets potentiels de l’injection
(épinéphrine ignorant) ou ceux qui ont reçu une information fausse (épinéphrine
mal informé) étaient censés rechercher d’autres raisons que l’injection pour
expliquer leur activation sympathique. De telles raisons leur étaient offertes
au moyen de compères qui se comportaient de manière euphorique ou irritée
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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de recherche (voir Gordon, 1987 ; Mezzacappa, Katkin et Palmer, 1999 ;
Reisenzein, 1983). Une dernière critique à mentionner est que l’induction d’une
excitation sympathique à l’aide de l’épinéphrine ne peut pas être considérée
comme une opérationnalisation adéquate, car elle ne reproduit pas le processus
d’une excitation émotionnelle en situation naturelle.
examinerait le lien entre leur rythme cardiaque et leurs préférences. Cet effet
est connu comme « l’effet Pygmalion » (voir Rosenthal, 1973, 2002). Enfin,
il faut prendre en considération que les préférences ne constituent pas de
vraies émotions non plus.
3 L’ASPECT ADAPTATIF
DES RÉACTIONS PÉRIPHÉRIQUES
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Pour plusieurs chercheurs, les réactions périphériques sont censées préparer
l’organisme aux réactions adaptatives relatives à la survie (entre autres
Ekman, 1992 ; Öhman, 1979, 1993, 2000 ; Öhman et Wiest, 2003 ; Plutchik,
1980, 1984 ; Panksepp, 1982, 2000 ; Scott, 1980). Nous expliquerons ulté-
rieurement la théorie de Öhman comme théorie exemplaire. Pour plus de
détails concernant les postulats de Plutchik, le lecteur se reportera au chapi-
tre 6.
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des menaces biologiques que pour des images neutres, ce qui indique une plus
grande excitation du système nerveux sympathique, donc signalant le rassem-
blement de ressources corporelles. Les êtres humains, comme les animaux,
sont alors très sensibles à de telles menaces dans leur environnement. L’orga-
nisme semble être préparé à traiter ces informations en leur donnant la priorité.
Les recherches mentionnées dans cette section ont également démontré
que l’extinction de la réaction conditionnée pour des stimuli biologiquement
importants prenait plus de temps que pour des stimuli neutres. De plus, un tel
conditionnement ne semble pas lié à la conscience (Öhman et Soares, 1993,
1994). Öhman, Dimberg et Esteves (1989) rapportent les mêmes effets avec
des expressions faciales de colère.
4 LA DIFFÉRENCIATION
DES ÉMOTIONS SELON
LES THÉORIES DIMENSIONNELLES
Les théories dimensionnelles partagent l’idée que les émotions peuvent être
décrites par un nombre limité de dimensions (deux ou trois, souvent la valence
et l’excitation subjective ressentie ; voir Peter Lang, section 4.2). Les diffé-
rences dans le sentiment subjectif ainsi que dans les réactions physiologiques
apparaissent suite à une différente localisation des émotions sur les dimensions
proposées. Par conséquent, les recherches sur les réactions périphériques
dans les phénomènes affectifs ne se centrent pas sur des émotions discrètes
mais sur les potentielles dimensions sous-jacentes.
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et Moss, 1963) ont démontré que plusieurs paramètres physiologiques ne
covarient pas de manière significative, comme cela a été proposé par Duffy.
Néanmoins, selon cet auteur, la covariation n’est pas toujours manifeste,
comme par exemple lorsque des expressions faciales (SNS) sont supprimées
volontairement.
Pourtant, Duffy ne réfute pas l’existence des réactions corporelles diffé-
renciées. Elle postule que les patterns d’excitation devraient être adaptés selon
les demandes situationnelles. Comme un certain mouvement (par exemple du
bras) requerrait l’activité de certains groupes musculaires, l’excitation la plus
grande se retrouverait nécessairement dans la région des muscles concernés,
tout en s’attendant également à une faible augmentation de l’activité dans
d’autres régions du corps (concernant par exemple les épaules et le dos).
Néanmoins, cette région peut aussi être très activée pendant la présentation
d’images extrêmement désagréables telles que l’illustration d’une mutilation.
L’expression faciale pour ce type d’images ressemble à une grimace.
Certains auteurs ont démontré l’existence d’une relation monotone entre
l’agrément intrinsèque et la fréquence cardiaque – la fréquence forte
s’observe pour les images jugées comme positives (par exemple, Lang,
Greenwald, Bradley et Hamm, 1993). Ceci est en accord avec les résultats
rapportés par Hamm, Schupp et Weike (2003) qui décrivent un pattern
triphasique en réaction aux images. Lors de la présentation d’une image, une
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décélération du rythme cardiaque est observée au début. Elle est surtout
importante lors d’images désagréables et pourrait être liée à une réaction
d’orientation. Après cette décélération intervient une accélération, qui est
particulièrement forte pour les images agréables. S’ajoute ensuite à nouveau
une décélération qui est la plus visible pour des images désagréables. Hamm
et Vaitl (1993) suggèrent en outre que le pattern triphasique dépendrait du
mode d’induction d’une émotion (par exemple, l’imagination versus la
présentation d’images). La conductance de la peau, par contre, semble être
fortement influencée par l’excitation subjective ressentie d’un stimulus, mais
non par sa valence.
D’autres auteurs (par exemple, Schwartz, Fair, Salt, Mandel et Klerman,
1976 ; Schwartz, Ahern et Brown, 1979 ; Brown et Schwartz, 1980 ; Cacioppo,
Martzke, Tassinary et Petty, 1988) ont pu démontrer des résultats identiques
concernant des différences entre des émotions positives et négatives pendant
l’imagination d’événements associés à la joie, à la tristesse et à la peur, par
exemple. Certains de ces résultats sont basés sur des cadres théoriques peu
différents. Cacioppo et coll., par exemple, considèrent la valence positive et
la valence négative comme deux dimensions séparées.
Stemmler (1998) souligne que la question des patterns spécifiques est impor-
tante dans plusieurs sens :
– sens théorique : comme argument que les nuances du sentiment subjectif
sont reflétées dans nos réactions corporelles ;
– sens pratique : pour identifier et évaluer les états émotionnels ;
– sens neurophysiologique : pour l’identification des structures au SNC
associées avec ces changements spécifiques ;
– sens neuropsychologique : pour la recherche des mécanismes causaux des
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troubles émotionnels liés aux particularités du système nerveux.
5.1 Albert Ax
Ax a remis en question l’hypothèse des patterns physiologiques non diffé-
renciés, comme proposé par Cannon et Schachter (et aussi Duffy). Avec son
article de 1953, il a essayé de démontrer des patterns spécifiques à la peur et
à la colère. Dans son expérience, les participants étaient confrontés à une
situation de peur et à une situation de colère (l’ordre était contrebalancé).
Plusieurs capteurs étaient fixés sur les participants afin de mesurer des réactions
physiologiques comme le rythme cardiaque, la pression artérielle (systolique
et diastolique), la respiration et la conductance de la peau [expérience fonda-
mentale 3].
Dans la situation de peur, l’expérimentateur appliquait des chocs électri-
ques sans douleurs sur le petit doigt du participant. Ce dernier était censé
associer ces sensations à de mauvais contacts électriques, l’expérimentateur
se montrant très inquiet et alarmé par un mauvais fonctionnement de l’équi-
pement technique. Dans la situation de colère, l’expérimentateur expliquait
au participant qu’un technicien incompétent et irascible (le seul disponible)
viendrait faire les inspections de l’équipement. Ceci dit, le technicien entrait
au laboratoire et l’expérimentateur sortait. Quand le participant et le technicien
étaient seuls, ce dernier démontrait un comportement agressif et injuste
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
avec le participant.
Avec cette manipulation, Ax a pu démontrer des différences concernant
plusieurs paramètres physiologiques entre la situation de peur et la situation
de colère. Parmi ces différences, il a rapporté, entre autres, une plus grande
augmentation de la pression diastolique, un plus grand nombre de réponses
de la conductance de la peau, une plus grande tension musculaire maximale et
une plus forte décélération du rythme cardiaque dans la condition de colère
que dans la condition de peur. Le rythme respiratoire, par contre, était plus
élevé pour la peur que pour la colère (note que la description des résultats
n’est pas exhaustive).
176 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Dans les années 1960, Tomkins (1962, 1963) a postulé l’existence d’un nombre
limité d’émotions de base ou fondamentales, en se référant principalement
aux travaux de Darwin (1872/1965). Tomkins a suggéré que lorsqu’une situation
particulière produit une émotion spécifique, des programmes neuro-moteurs
innés s’enclenchent. Ces programmes neuronaux créent des expressions facia-
les typiques, des patterns de réactions différenciés dans la voix aussi bien que
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dans les systèmes de réponses physiologiques (voir Tomkins, 1984, pour un
résumé). L’approche théorique de Tomkins a fortement influencé les travaux
théoriques et empiriques d’Ekman et d’Izard sur la spécificité de l’expres-
sion faciale. Ces travaux ont dominé la recherche sur les émotions durant les
trente dernières années (Ekman, 1972, 1982, 1992 ; Izard, 1971, 1991 ; voir
aussi chapitre 3).
Une étude exemplaire des réactions périphériques liées aux émotions de
base très connue est celle de Levenson, Ekman et Friesen (1990) [expérience
fondamentale 4]. Afin de provoquer des états émotionnels, ils ont demandé
à leurs participants de produire des expressions faciales typiques pour six
émotions de base (colère, peur, tristesse, dégoût, joie et surprise). Les instruc-
tions n’impliquaient pas de termes affectifs, mais étaient plutôt techniques
(basées sur le Facial Action Coding System, voir chapitre 3). Les participants
étaient ainsi priés d’activer quelques muscles spécifiques, sans qu’il soit fait
mention d’émotions. Ceci empêchait, selon les auteurs, de prendre cons-
cience d’une association entre des expressions faciales et un certain état
émotionnel. La production de ces expressions faciales était supposée activer
des programmes neuro-moteurs innés et donc, provoquer un sentiment subjec-
tif et des réactions physiologiques spécifiques à l’émotion respective. Ce
processus est connu sous le terme de « rétroaction faciale ».
Avec cette expérience, Levenson et coll. ont démontré que la production
d’expressions faciales de différentes émotions de base entraîne des réactions
physiologiques différentes. L’expression faciale de colère, par exemple, était
accompagnée d’une augmentation du rythme cardiaque, de la température
mesurée au doigt et de la conductance de la peau. Les expressions faciales de
peur et de colère se distinguaient uniquement par rapport à la température
mesurée au doigt. Celle-ci diminuait pendant une expression de peur, mais
remontait pendant une expression de colère. Les productions de joie et de
surprise n’étaient pas accompagnées d’une augmentation de la conductance
de la peau et se distinguaient statistiquement des expressions de dégoût et de
peur. Pour ces dernières, la conductance était bien plus élevée. Dans cette
étude, il n’était pas possible de dissocier complètement toutes les expressions
faciales (concernant entre autres la joie et la surprise), mais selon les auteurs,
ce serait éventuellement possible en incluant plus de variables physiologiques
PSYCHOPHYSIOLOGIE DES ÉMOTIONS 177
dans une future expérience. Ces résultats ont pu être répliqués dans un contexte
interculturel (Levenson, Ekman, Heider et Friesen, 1992).
Levenson et coll. (1990) soulignent que les patterns spécifiques obser-
vés pourraient servir à la préparation du corps pour des réactions adaptati-
ves, évoluées dans la phylogenèse. Une personne en colère aurait plutôt
tendance à attaquer une autre personne, alors que dans un épisode de peur,
elle aurait tendance à fuir. Une augmentation de la température mesurée au
doigt (comme observée pour une expression faciale de colère) signale une
vasodilatation des vaisseaux dans cette partie du corps, permettant une coor-
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dination des mouvements des doigts plus fins. Selon les auteurs, cela pourrait
être avantageux pour tenir des armes en cas d’un combat. Pendant la peur, au
contraire, une telle coordination ne serait pas utile pour la fuite. Dans ce cas-
là, il serait plus adaptatif de pouvoir courir vite. Une réduction de la tempéra-
ture mesurée au doigt signale une vasoconstriction des vaisseaux dans cette
région du corps, pouvant indiquer que le sang est transporté aux grands
muscles du squelette pour permettre une fuite rapide. Le rythme cardiaque
augmenté et la conductance de la peau élevée pour la peur et la colère indi-
queraient une énergétisation du corps en général.
Néanmoins, il faut être prudent dans l’interprétation de ces résultats. En
effet, une étude de Boiten (1996) a remis les résultats de l’expérience de
Levenson et al. partiellement en cause. Les différences observées pour le
rythme cardiaque pourraient également refléter des différences d’effort ou de
respiration pour la production des diverses expressions faciales. Gross et
Levenson (1993, 1997) rapportent tout de même que les patterns spécifiques
aux émotions disparaissent si les participants suppriment leurs émotions.
Il est important de noter qu’en 1992, Ekman a postulé l’existence de
patterns spécifiques pour la peur, la colère et le dégoût, mais pas pour la joie
ni pour le dédain. Ceci parce que ces dernières émotions seraient non perti-
nentes pour la survie. Levenson (2003) postule également qu’il y a peu voire
pas de réponses spécifiques pour les émotions positives, parce qu’elles ne
demanderaient pas nécessairement une forte activité motrice.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
d’un côté et de Levenson et al. de l’autre, il est évident qu’ils ne sont pas tout
à fait congruents. Le rythme cardiaque, chez Ax, diminuait pour la peur et la
colère, pendant qu’il augmentait chez Levenson et al. En plus, dans l’étude de
Ax, la décélération était plus prononcée pour la colère que pour la peur. Leven-
son et al., par contre, n’ont pas pu démontrer de telles différences cardiaques.
Une méta-analyse de Cacioppo, Berntson, Klein et Poehlmann (1997) a
démontré peu de preuves en faveur de l’hypothèse des patterns spécifiques.
Cette analyse comprend les résultats de vingt-deux études incluant vingt-
deux mesures physiologiques. Il semble qu’il soit possible de distinguer les
émotions positives des émotions négatives mais pas les émotions discrètes
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(de base) entre elles (par exemple la tristesse et le dégoût). Dans cette méta-
analyse, la pression diastolique et le rythme cardiaque, par exemple, étaient plus
élevés pour les émotions négatives que pour les émotions positives. Cacioppo,
Berntson, Larsen, Poehlmann et Ito (2000) postulent que la valence d’un
stimulus constitue une des premières informations prise en considération par
un individu et qui pourrait donc être reflétée dans les réactions corporelles.
Ces résultats soutiennent l’idée de Lang et coll. (voir ci-dessus) distinguant
les aspects stratégiques et tactiques des émotions. Les dimensions de valence
et d’excitation ressentie subjectivement composeraient des aspects stratégiques,
donnant une direction générale aux réponses comportementales, expressives
et physiologiques. Les aspects tactiques des émotions, par contre, prendraient
en considération le contexte d’un événement. Dans le cas de la peur, selon le
contexte, il pourrait résulter la fuite, la vigilance ou même l’immobilisation.
Pour cette raison, les patterns physiologiques observés pourraient donc varier
pour une même émotion.
Néanmoins, Cacioppo et al. (1997) rapportent des différences dans plusieurs
mesures physiologiques comparant la peur et la colère. La pression diastolique,
la température du visage et le volume du pouls mesuré au doigt, par exemple,
étaient plus élevés pour la colère que pour la peur. Au contraire, la peur était
caractérisée, entre autres, par une plus forte accélération du rythme cardiaque
que la colère. Les réactions vasculaires semblent ainsi plus prononcées pour
la colère que pour la peur, tandis que les réactions cardiaques, sont plus élevées
pour la peur. Stemmler (2004), en intégrant également des résultats de
nombreuses études, rapporte aussi des différences entre la colère et la peur.
Ses recherches démontrent que, en général, la pression diastolique, la tension
musculaire, la température du visage et la résistance périphérique totale
(résistance vasculaire périphérique offerte par l’ensemble des artérioles systé-
miques) sont plus élevées pour la colère que pour la peur. Par contre, la peur
comparée à la colère est associée à un plus grand volume du sang éjecté dans
les artères par minute et à une fréquence respiratoire élevée. Dans l’ensemble,
ces résultats suggèrent des patterns différents pour ces deux émotions. Néan-
moins, il reste à étudier si d’autres émotions se comportent ou non comme
ces deux émotions ou s’il existe un pattern propre à chaque état émotionnel.
Ici, une conclusion serait précoce.
PSYCHOPHYSIOLOGIE DES ÉMOTIONS 179
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système nerveux périphérique au cerveau serait non ambigu et l’opération
cognitive pour qu’il en résulte une expérience émotionnelle serait tout
simplement la reconnaissance du pattern. Ce chemin est en accord avec les
théories de la tradition de James et Lange. Si le pattern physiologique est non
différencié, au contraire, l’expérience émotionnelle nécessite un processus
cognitif plus élaboré, pouvant inclure des attributions complexes et des tests
d’hypothèses. Ce chemin correspond aux théories de Schachter ou Mandler
(1984, 1990). Cacioppo et al. proposent en plus un troisième chemin consis-
tant en patterns physiologiques partiellement différenciés. Ces patterns
constituent des afférences ambiguës au système nerveux central. L’expé-
rience émotionnelle résulterait de l’amorçage perceptif et de la reconnais-
sance des patterns. Un pattern qui signalerait la peur ou la colère à la base,
serait interprété comme « peur » ou « colère » selon l’amorçage ayant eu
lieu auparavant. Le SAME propose alors que (1) les mêmes réactions
physiologiques peuvent provoquer différentes expériences émotionnelles
(dans le cas de patterns partiellement différenciés et non différenciés), et (2)
différentes réactions physiologiques peuvent provoquer les mêmes expériences
émotionnelles.
Pour tirer des conclusions concernant les résultats de la recherche sur l’exis-
tence des patterns spécifiques aux émotions, les questions suivantes doivent
être posées dans le contexte théorique et méthodologique. Elles sont traitées
plus en détail chez Stemmler (1998, 2003) et Cacioppo et al. (2000).
Le fait de montrer des images, par exemple, ne pourrait pas toujours être
suffisant pour déclencher un processus émotionnel. De la même façon, on
peut douter que la simple production des expressions faciales typiques pour
une émotion (par exemple, Levenson, Ekman, et Friesen, 1990) produirait un
sentiment subjectif et les réactions physiologiques correspondants. La méthode
d’induction adoptée par Ax (1953), par contre, semble a priori plus efficace
à déclencher des « vraies » émotions.
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expérimentales d’une expérience étaient-ils comparables ?
Si, par exemple, l’intensité d’une induction de peur est plus grande que
l’intensité d’une induction de colère, des différences dans certaines variables
physiologiques entre deux conditions pourraient refléter des effets quantitatifs
(intensité) ainsi que qualitatifs (nature de l’émotion). Pour l’étude de Ax, par
exemple, il n’est pas sûr que les deux conditions expérimentales ne diffèrent
pas pour cet aspect.
Quigley (1991) rapportent, par exemple, que la présentation des stimuli aver-
sifs peut évoquer une co-activation considérable des systèmes sympathique et
parasympathique, ce qui pourrait accélérer ou décélérer notre rythme cardiaque
ou ne pas le changer du tout. Même si le rythme cardiaque est comparable
dans une condition de peur et dans une condition de colère, cela n’implique
pas qu’il n’existe pas de différences entre les activités des deux systèmes
sous-jacents.
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nos réactions physiologiques ?
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tés dans le cadre de recherche sur les patterns distincts ; la préparation de
la fuite demanderait un autre pattern que la préparation de l’immobilité,
bien que les deux soient associés à la peur.
Stemmler (1992b) met aussi l’accent sur le fait que ces différentes positions
de spécificité demandent des plans expérimentaux particuliers (tenir compte
du contexte pour la spécificité de la déviation du contexte, par exemple).
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Cette section décrit quelques expériences exemplaires conduites par les théo-
riciens de l’appraisal. Comme déjà décrite plus haut, une explication au manque
de patterns physiologiques fiables pourrait être l’existence de différences
individuelles dans les facteurs cognitifs. Chaque individu évaluerait un événe-
ment d’une manière distinct (pour un aperçu de la relation entre l’appraisal
et les réactions physiologiques, voir Pecchinenda, 2001). Plusieurs expériences,
qui soulignent l’importance des évaluations cognitives comme déclencheurs
de changements physiologiques caractéristiques, ont été réalisées. Le but
d’un expérimentateur devrait être de manipuler des évaluations cibles dans
différentes situations plutôt que dire à un niveau général : « C’est une situation
provoquant de la peur » ou : « C’est une situation provoquant de la colère. »
L’objectif serait donc d’anticiper et de contrôler les processus cognitifs des
participants de manière plus soigneuse.
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d’actions. Dans le cas du défi, le potentiel de maîtrise était jugé relativement
haut et les sujets rapportaient peu d’émotions négatives. Tomaka et ses coll.
ont interprété la réaction à l’expérience de menace comme une réaction de
défense ayant pour but de protéger les ressources (des explications compara-
bles ont été utilisées dans les recherches sur les patterns spécifiques aux
émotions). Les participants subjectivement menacés décrivaient un niveau
élevé d’émotions négatives et un potentiel de maîtrise bas. Cette expérience
démontre alors, de nouveau, que les réactions physiologiques pourraient
avoir une fonction adaptative pour préparer l’organisme à certaines actions
(voir aussi chapitre 6).
En 1994, Tomaka et Blascovich ont démontré que le degré du belief in a
just world (« la croyance en un monde juste ») avait également une influence
sur l’évaluation du stress ressenti et les réactions corporelles. Les partici-
pants avec la croyance la plus prononcée rapportaient le plus bas degré de
stress dans une difficile tâche de soustraction. En accord avec leurs résultats
de 1993, les auteurs ont observé que les participants avec une croyance élevée
démontraient une réactivité cardiaque plus élevée, une résistance vasculaire
périphérique plus faible et un plus grand nombre de réponses de la conductance
de la peau que les participants avec une croyance faible. Les résultats peuvent
une nouvelle fois être interprétés selon le niveau d’engagement des sujets.
Ceux qui pensaient que ce qui se passe dans le monde n’est pas juste n’avaient
pas de raison de rester engagés, et ont évalué leur potentiel de maîtrise
comme pauvre. Tomaka, Blascovich, Kibler et Ernst (1997) ont rapporté des
résultats d’une expérience supplémentaire démontrant que les évaluations
peuvent influencer les réactions physiologiques, ce qui n’était pas le cas dans
l’autre sens.
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à l’incongruence motivationnelle. Ces résultats répliquent donc les observations
rapportées auparavant par Smith (1989).
En marge de ses études sur l’agrément subjectif et la congruence motiva-
tionnelle, Smith (Pecchinenda et Smith, 1996) a aussi étudié le lien entre le
potentiel de maîtrise et la conductance de la peau. Les participants à l’étude
démontraient un plus grand nombre de réponses de la conductance de la peau
et de plus grandes amplitudes de celles-ci quand ils jugeaient leur potentiel
de maîtrise comme haut que lorsqu’ils le jugeaient comme bas.
Dans sa thèse doctorale, Van Reekum (2001) a examiné les effets de traite-
ment schématique versus traitement contrôlé (voir Leventhal et Scherer, 1987)
sur les réactions physiologiques. Le traitement schématique dans ces recherches
résultait d’une présentation répétitive de différentes combinaisons de stimuli
(par exemple, le son 1 annonçait l’apparition de caractères amis et le son 2
annonçait l’apparition de caractères ennemis dans un jeu d’ordinateur). Ensuite,
d’un coup, les associations entre sons et caractères s’inversaient : le son 1
était alors associé aux ennemis et le son 2 aux amis, demandant donc un trai-
tement contrôlé. Avec ces manipulations, Van Reekum a pu démontrer une
sensibilité différente des mesures périphériques pour les deux types de traite-
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ment étudiés. Les changements dans la conductance de la peau, par exemple,
ont été associés au traitement schématique alors que les mesures musculaires
(concernant le M. Zygomaticus major et le M. Corrugator supercilii) variaient
en fonction du traitement contrôlé.
Finalement, Aue, Flykt et Scherer (2007) apportent des arguments en faveur
de l’hypothèse du modèle de processus composés (Scherer, 2001) selon
laquelle le processus d’appraisal se passe de manière séquentielle et dans un
ordre fixe. Par exemple, au départ, un événement est censé être jugé par
rapport à sa pertinence, suite à son implication. Ensuite, l’individu est supposé
évaluer son propre potentiel de maîtrise avant de mettre l’événement en lien
avec des normes internes et externes. Selon le modèle de processus composés,
les effets efférents provoqués par ces différents types d’appraisal devraient
se manifester de manière séquentielle également. Comme attendu, l’activité
musculaire autour des muscles M. Zygomaticus major et M. Corrugator
supercilii reflétait des appraisals liés à la pertinence de l’événement avant de
refléter des appraisals liés à l’implication de l’événement.
tandis que la colère est censée préparer le combat (par exemple, Levenson,
Ekman et Friesen, 1990 ; Levenson, Ekman, Heider et Friesen, 1992).
Considérées indépendamment, plusieurs études semblaient avoir démontré
l’existence des patterns physiologiques distincts aux émotions. Néanmoins,
en comparant les résultats à travers ces études, il est évident que les patterns
observés pour une même émotion ne sont pas tout à fait les mêmes. Une
méta-analyse de Cacioppo, Berntson, Klein et Poehlmann (1997) menait à la
conclusion qu’il existe probablement des réactions physiologiques différen-
tes pour les émotions positives et les émotions négatives, mais peu ou pas de
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différences entre les émotions partageant la même valence. Néanmoins, au
moins quelques différences entre les patterns correspondants à la colère et
les patterns correspondants à la peur ont pu être répliquées à travers différen-
tes études (voir aussi Stemmler, 2004). Le manque de patterns fiables identifiés
pour les émotions pourrait avoir son origine dans les problèmes méthodo-
logiques (liés entre autres au choix de mesures et à l’ignorance des effets
contextuels) discutés dans ce chapitre. Des expériences futures devront alors
prendre en considération ces aspects méthodologiques afin de trouver des
patterns spécifiques potentiels. Un dilemme dans la recherche sur les signa-
tures physiologiques des émotions consiste, par exemple, en la supposition
implicite que différentes personnes seraient caractérisées par les mêmes
évaluations cognitives et les mêmes sentiments subjectifs dans une situation
donnée. Les théoriciens de l’appraisal (par exemple, Smith, 1989 ; Scherer,
2001) suggèrent donc que la manipulation des évaluations cognitives fines
puisse avoir plus de succès en découvrant les mécanismes entrant en jeu
pendant le déclenchement d’une émotion.
Les résultats obtenus dans les recherches exécutées par les théoriciens
de l’appraisal démontrent d’abord que les évaluations cognitives peuvent
influencer l’activité du système nerveux périphérique. Plusieurs chercheurs
ont étudié la relation entre le potentiel de maîtrise et les réponses physiologiques
(par exemple, Pecchinenda et Smith, 1996 ; Tomaka et Blascovich, 1994 ;
Wright et Dill, 1993). En résumé, ces chercheurs rapportent que les participants
s’évaluant être capables de confronter un défi sont caractérisés par le rythme
cardiaque, la conductance de la peau et la pression artérielle plus élevés que
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
leurs pendants. Ces résultats indiquent qu’un individu mobilise son organisme
pour faire face à une situation, mais uniquement quand il se sent capable de
le faire. Pourtant plus de recherches devront être réalisées afin de conclure
sur les influences potentielles d’évaluations cognitives autres que le potentiel
de maîtrise et l’agrément intrinsèque sur l’activité du système nerveux péri-
phérique. Une fois que des patterns systématiques seront trouvés et que leur
rôle dans le déclenchement des émotions deviné, cela pourrait même un jour
aider à identifier des cognitions problématiques (peut-être inconscientes)
dans les troubles émotionnels. Mais aujourd’hui, nous sommes encore loin
d’une telle situation et tout cela reste donc un rêve.
188 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
LECTURES CONSEILLÉES
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tion and an alternative theory ». American Journal of Psychology, 39, 106-124.
JAMES W. (1884). « What is an emotion ? » Mind, 19, 188-205.
PECCHINENDA A. (2001). « The psychophysiology of appraisals ». In K.R. SCHERER,
A. SCHORR, T. JOHNSTONE (éd.), Appraisal Processes in Emotion (p. 301-315).
New York : Oxford University Press.
SCHACHTER S., SINGER J.E. (1962). « Cognitive, social and physiological determi-
nants of emotional state ». Psychological Review, 69, 379-399.
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
À L’ACTION1
Chapitre 6
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INTRODUCTION : L’IMPORTANCE
DE LA MOTIVATION ET DE L’ÉMOTION
Dans notre vie, nous sommes constamment confrontés à des événements perti-
nents pour notre bien-être et qui nous demandent de prendre des décisions
importantes. La motivation permet l’énergétisation et fournit la direction
d’une réaction (décision) lorsque nous sommes confrontés à de tels événe-
ments. Elle met à disposition une réaction comportementale adaptée aux
circonstances, en tenant compte de nos buts, valeurs, plans et besoins. Les
ressources de l’organisme et son attention sont rassemblées, pour poursuivre
ce qui semble le plus important à ce moment-là. Les facteurs énergisants et
dirigeants du comportement sont donc réunis sous l’expression « motivation ».
Par la suite, nous expliquerons la notion de motivation plus en détail.
À tout moment, nous avons des buts, valeurs, plans et besoins. Un événement
qui les comble ou, au contraire, qui remet en question un ou plusieurs d’entre
eux est capable de changer d’un coup nos priorités. Nous évaluerons la situation
par rapport à ces facteurs motivationnels. Si un événement les touche, il se
déclenchera un processus émotionnel produisant des tendances à l’action
particulières (par exemple tendance à la fuite ou tendance à l’attaque). De
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
de toutes les espèces. Ceci paraît surprenant étant donné notre conception
établie des humains comme étant les premiers êtres vraiment rationnels.
Comment comprendre cela ?
Une des réponses vient du père de la théorie évolutionniste, Charles
Darwin. Dans son ouvrage The Expression of Emotion in Man and Animals
(1872/1965), il suggère que les émotions servent de fonctions utiles pour
l’organisme, aussi bien relativement à la préparation de comportements
adaptatifs qu’à la régulation de l’interaction entre les espèces vivant en
société. En se centrant sur l’aspect fonctionnel de l’expression émotion-
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nelle, Darwin a tenté de montrer, pour certaines émotions, comment leurs
différentes caractéristiques expressives, particulièrement sur le visage et le
corps, pourraient être analysées en termes de patterns de comportements
adaptatifs. Ces patterns seraient les rudiments des expressions, par exemple,
lorsque l’on plisse les yeux pour augmenter l’acuité visuelle ou que l’on se
bouche le nez pour éviter l’exposition à des odeurs désagréables (voir Ekman,
1979 pour une revue critique). L’idée centrale de Darwin, selon laquelle il
existerait des précurseurs des expressions émotionnelles humaines dans le
signalement animal, a été appuyée par des recherches éthologiques (Van Hooff,
1972 ; Redican, 1982 ; Scherer, 1985).
L’expression d’une émotion permet à autrui d’inférer une tendance à l’action
spécifique de l’émetteur (par exemple l’agression en cas de colère) qui peut
déterminer fortement le processus d’interaction ultérieure. Supposons qu’un
homme, dans un parc, ayant un couteau dans la main, soit un bandit peu
expérimenté et que vous êtes son « premier coup » (exemple adopté de Scherer,
2000). L’interaction dépendra dans une large mesure des signaux émotionnels
que vous enverrez. Si vous êtes paralysé(e) par la peur et que vous transmettez
un courant de peur, l’homme verra qu’il vous a effrayé et, qu’il peut vous
empêcher de fuir, qu’il est pour lui sans danger de vous demander votre
portefeuille. Si vous criez rageusement après lui et bougez d’avant en arrière
(comme si vous étiez un champion de karaté), il est probable qu’il verra que
vous êtes fâché(e) et que vous pourriez l’attaquer. Le déroulement des inter-
actions s’appuie donc fortement sur les signaux émotionnels envoyés par les
partenaires. La psychologie sociale a aussi particulièrement insisté sur l’impor-
tance de tels signaux dans la gestion des interactions sociales ou dans d’autres
domaines sociaux (voir les contributions dans Feldman et Rimé, 1991).
Les émotions sont des réponses quasi automatiques. Elles ne sont pas tota-
lement libres de s’enclencher ou de s’arrêter comme elles le veulent, mais
n’exécutent pas aveuglément de simples chaînes Stimulus-Réponse (S-R)
non plus. Tandis que dans une chaîne S-R, une réponse spécifique est direc-
tement couplée ou liée au stimulus la provoquant, les émotions « découplent » le
stimulus de la réponse. Elles séparent, par exemple, l’événement et la réaction
en remplaçant l’automatisme des réactions instinctives par une préparation
de plusieurs réactions alternatives. En d’autres mots, l’organisme peut choisir à
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 193
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simple chaîne insulte-aggression, je me fâcherais immédiatement ce qui,
entre autres choses, préparerait mon organisme à une action agressive en lui
fournissant l’activation nécessaire, la circulation sanguine optimale dans les
parties du corps concernées et une tension musculaire préparatoire. Cepen-
dant, puisque la colère sépare le stimulus et la réponse, je ne vais pas frapper
directement la personne. Je vais plutôt prendre un temps de latence qui me
permettra de choisir la réaction optimale dans un large répertoire de compor-
tements possibles. Le laps de temps, qui intervient entre le déclenchement de
l’émotion et l’exécution réelle d’un pattern de comportements réactifs, permet
une évaluation additionnelle de la situation comprenant une estimation de la
probabilité de succès ou de la gravité des conséquences d’une action particulière.
Mais « dans sa sagesse », l’évolution a également prévu une préparation
spécifique pour l’action que l’organisme peut produire, particulièrement quand
il y a une grande urgence et quand trop d’évaluations additionnelles ou
d’échanges de signaux pourraient avoir des conséquences négatives, comme
dans le cas d’un danger imminent. Ces prévisions construites pour la prépa-
ration et l’orientation d’une action appropriée ont été décrites par un certain
nombre de psychologues (entre autres Frijda, 1986 ; Plutchik, 1980).
Il est important de distinguer les tendances à l’action des actions résultantes,
car comme déjà indiqué plus haut, nous pouvons avoir plusieurs tendances à
l’action en même temps. Celle qui se manifestera finalement dans notre
comportement, par contre, dépend fortement des évaluations que nous opérons
sur les contraintes situationnelles. Ekman (1992) décrit par exemple qu’il
existe des règles normatives pour l’expression des émotions dans une société
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Scherer (2004) distingue les deux types suivants de motivations (voir figure 6.1) :
la motivation comme antécédent et celle comme conséquent du processus
émotionnel :
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– la motivation comme antécédent détermine s’il y aura une émotion ou non.
Seuls les événements pertinents pour les buts, valeurs, plans et besoins
d’un individu sont associés aux émotions. Cette condition adaptative nous
permet de faire des économies de ressources mentales et corporelles. Un
événement pertinent pour le bien-être peut changer considérablement la
hiérarchie des facteurs motivationnels antécédents (par exemple, haute
priorité du but « sécurité corporelle » pendant la présence d’un danger) ;
– la motivation comme conséquent (tendance à l’action), par contre, prend
en considération les facteurs motivationnels antécédents et offre des possi-
bilités de les satisfaire selon leurs priorités momentanées, dans le contexte
d’un événement donné.
Motivation Motivation
antécédente Événement x conséquente
Buts, besoins, valeurs et plans Evaluation
Évaluation Tendances à líaction
Figure 6.1
Motivation comme antécédent et conséquent du processus émotionnel.
Imaginons que vous avez faim et qu’un ami retienne, ou garde pour lui,
quelque chose à manger que vous aimeriez bien avoir. Dans une telle situation,
vous serez probablement fâché(e) contre votre ami ou désespéré(e), et la
tendance à l’action résultante sera d’agresser votre ami ou d’abandonner la
situation pour chercher pitance ailleurs. La motivation comme conséquent
est alors toujours une fonction de la motivation antécédente et d’un certain
événement donné.
Nous décrirons plus bas le corpus de recherche sur la motivation comme
antécédent avant d’introduire des études sur la motivation comme conséquent
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 195
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2 MOTIVATION COMME ANTÉCÉDENT
plan pour poursuivre son but. Il peut y arriver en organisant ses heures de
travail et son temps libre. Ces buts possèdent déjà une certaine distance envers
la punition et la récompense immédiates, mais l’étudiant est quand même
sensible aux deux. Par opposition aux buts à court terme, ce comporte-
ment-ci n’est pas directement dirigé par les caractéristiques d’un stimulus
concret, mais influencé par des plans et stratégies ;
– les buts à long terme décrivent des buts ultimes ou supérieurs, souvent
associés aux demandes de l’environnement social, comme dans le cas de la
motivation d’accomplissement ou le besoin d’affiliation (besoins sociaux).
Les buts à long terme peuvent découler des buts à court et à moyen terme.
196 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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aimerait bien décrocher une bonne note aux examens peut aussi avoir envie
d’aller au cinéma ou à la piscine, par exemple. Au début du semestre, quand
ses examens sont encore loin, la motivation d’aller au cinéma est probable-
ment plus forte que celle de travailler pour un cours. Mais, avec le temps,
cette relation peut changer en faveur du travail, parce que l’importance d’un
but change avec la distance temporelle (et aussi spatiale, voir les recherches
de Miller (1944, 1959) sur les conflits entre les tendances à l’approche et à
l’évitement dans ce chapitre, section 3.1). Plus un individu s’est rapproché
du but, plus sa frustration après une interruption est grande.
Il est légitime de suggérer qu’il existe différentes formes de motivations
ou des systèmes motivationnels distincts, responsables de la recherche de la
nourriture, de la recherche d’un partenaire, de la défense contre des prédateurs
ainsi que du contrôle et de l’énergétisation des comportements respectifs. De
tels systèmes permettent en effet à l’être vivant un avantage adaptatif (Plutchik,
1980, 1994 ; Scott, 1980). Pour les êtres humains, il pourrait y avoir en plus
un ou plusieurs systèmes motivationnels sociaux, facilitant la vie sociale et
l’acquisition d’une position reconnue dans la société. De tels systèmes pour-
raient être reliés au système nerveux central (voir aussi Davidson, 1995 ; Gray
et McNaughton, 2000 ; Panksepp, 1982).
Besoins d’auto --
accomplissement
Besoins d’estime
Besoins d’appartenance
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Besoins de sécurité
Besoins physiologiques
Figure 6.2
Classification des besoins selon Maslow.
– Une troisième classe décrit les besoins d’appartenance, englobant les besoins
d’amour, de contact, d’amitié et d’affiliation.
– De plus, nous avons besoin d’être reconnus par les autres. Les besoins
d’estime comprennent la réputation, le statut, le succès, le sentiment de
compétence. Ces besoins sont fortement liés à l’estime de soi.
– Une dernière catégorie contient les besoins d’auto-accomplissement.
Toute personne a besoin de déplier sa propre personnalité, de développer
et de tester ses capacités.
L’insatisfaction de ces besoins déclenche une certaine motivation. Une
personne qui a faim serait, par exemple, plus motivée à manger qu’une personne
qui n’a pas faim. De plus, la satisfaction des besoins d’une classe inférieure serait
suivie par une motivation de satisfaire les besoins de la classe supérieure.
Les besoins dits supérieurs nécessitent donc la satisfaction des besoins infé-
rieurs. Appliqué sur notre conception des motivations dans le processus
émotionnel, le besoin d’affiliation, constitue une motivation antécédente. Sa
non-satisfaction est censée produire des sentiments subjectifs négatifs comme
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
de leur propre vie. La plupart de ses recherches étaient effectuées avec des
animaux et Hull généralisait les résultats de ses recherches aux êtres humains.
La notion du drive est à la base de sa théorie. Si un organisme était privé
de quelque chose d’important pour sa vie (comme de nourriture ou d’un
environnement reflétant de la sécurité), un certain besoin serait déclenché
(par exemple la faim, la soif ou l’évitement de blessures). Celui-ci, en consé-
quence, résulterait dans un drive particulier qui permettrait une énergétisation
de l’organisme pour exécuter des actions nécessaires à la satisfaction des
besoins et d’un retour à un état d’homéostasie. Dans cette théorie, l’homéo-
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stasie est caractérisée par une absence de besoins et d’activités. Les drives,
qui pousseraient à l’action, sont chargés d’assurer l’énergie obligatoire pour
une exécution des actions nécessaires à la survie. Cette notion implique
également que de telles actions se manifestent uniquement dans un état de
besoin, ce qui souligne encore plus leur adaptabilité.
Il est important de noter que l’énergétisation résultant d’un drive est suppo-
sée être non spécifique, c’est-à-dire qu’un drive n’entraîne pas automatiquement
une action particulière. Par contre, étant influencé par les expériences de
Thorndike (1911) concernant la « loi de l’effet » (law of effect), Hull propose
que la direction du comportement est déterminée par des associations/liaisons
entre stimuli et réponses (habits ou « habitudes »). Selon Hull, le compor-
tement est une fonction multiplicative du drive et de l’habitude. Un certain
comportement est exécuté uniquement, comme déjà décrit ci-dessus, si
l’organisme est dans un état de besoin et si la personne/l’animal a appris les
associations entre stimuli et réponses nécessaires. Cette notion de fonction
multiplicative a été soutenue par plusieurs expériences (par exemple, Perin,
1942 ; Williams, 1938).
En 1951, Hull a inclus une autre variable dans sa formule : l’incitation d’un
stimulus, qui peut être décrite par sa qualité (pain versus glace) ainsi que sa
quantité (une versus trois boules de glace). La motivation ou le comporte-
ment sont maintenant censés être le résultat de l’interaction drive × habitude
× incitation. Le drive est donc une force intérieure qui pousse l’organisme à
faire quelque chose (facteur push) pendant que l’incitation est une force
extérieure qui attire l’organisme (facteur pull) à faire quelque chose. Ce
dernier est, en outre, supposé être le résultat d’un apprentissage.
La théorie de Hull a été appliquée dans différents champs de recherche,
concernant entre autres, l’anxiété ou des situations conflictuelles. Spence et
Taylor (1951) ont pu démontrer que des personnes anxieuses censées être
caractérisées par un haut niveau du drive, étaient plus facilement condition-
nées dans un contexte aversif que des personnes peu anxieuses. De plus,
selon la théorie, les personnes anxieuses devraient être plus performantes
que les personnes peu anxieuses dans des tâches faciles. Dans ce cas-là, la
probabilité de donner une réponse correcte est haute (concernant l’habitude
ou le degré d’association entre situation/stimulus et réponse) et celle de
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 199
donner une mauvaise réponse est, par conséquent, basse. Un haut degré du
drive (peur), devrait augmenter la différence absolue entre les tendances de
donner une réponse correcte et incorrecte. Pour les tâches complexes, où la
bonne réponse n’est pas dominante dans la hiérarchie des réponses (basse
probabilité), au contraire, les personnes d’un bas niveau d’anxiété devraient
montrer une meilleure performance que les personnes d’un haut niveau de ce
drive. Ces prédictions ont reçu le soutien d’expériences exécutées par
Spence et coll. (Spence, Farber et McFann, 1956 ; Spence, Taylor et Ketchel,
1956).
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Le fait que les êtres humains ainsi que les animaux cherchent souvent
un certain niveau d’activité ou d’excitation (jeu, parc de loisirs, sport)
pose un bémol à la théorie de Hull. Selon l’auteur, la non-activité de
l’organisme serait hédoniquement agréable, car associée avec la satisfac-
tion de besoins. Un autre point faible de cette théorie est l’ignorance des
plans et cognitions. Une tradition qui prend en considération ces deux
critiques est celle qui comprend les théories appelées « expectancy-value
theories » (« théories expectations-valeurs »). John W. Atkinson fait
partie de cette tradition.
Tableau 6.1
Liste de besoins de base humains selon Murray (1938)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Besoin Fonction
Admettre l’infériorité,
Abaissement
accepter des dommages ou le blâme
Besoin Fonction
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Domination
en suggérant ou en manœuvrant
serait capable de choisir une action qui l’amènerait le plus proche du but. Ses
réflexions influenceraient finalement ses tendances à l’approche et à l’évitement
par rapport à une tâche. La formule suivante, proposée par Atkinson, décrit la
tendance résultante (TA) vers la tâche, en comparant les tendances à l’approche
et à l’évitement respectivement :
TA = (MS ¥ PS ¥ IS) – (MAF ¥ PF ¥ IF)
avec :
MS = motivation vers le succès ou besoin d’accomplissement
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PS = probabilité subjective du succès
IS = valeur incitative du succès
MAF = motivation à éviter l’échec, associée à l’anxiété générale
de la personne
PF = probabilité subjective de l’échec
IF = valeur incitative de l’échec (en général négative)
La partie avant le symbole moins (MS ¥ PS ¥ IS) exprime alors la tendance
à s’approcher du succès, la partie après le signe moins décrit la tendance à
éviter l’échec.
Les incitations de l’échec et du succès sont supposées être dépendantes de
leur probabilité respective. Plus grande est la probabilité du succès (qui implique
la diminution proportionnelle de la probabilité de l’échec, car PS + PF = 1),
plus faible est l’incitation du succès (et plus importante est l’incitation de
l’échec). Pour une tâche facile, où, par définition, la probabilité du succès est
forte et la probabilité de l’échec est faible, l’incitation négative de l’échec
serait beaucoup plus élevée que dans une tâche difficile. Pour l’incitation du
succès, Atkinson prédit le contraire. Autrement dit : ce qui est facile à attein-
dre possède moins de valeur positive (basse valeur incitative du succès) que
quelque chose qui est difficile à atteindre. En même temps, échouer dans une
tâche complexe (reflétant une haute probabilité d’échec) est probablement
moins négatif pour l’estime de la personne (basse valeur incitative de l’échec)
qu’un échec dans une tâche très facile.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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stables résultant du besoin d’accomplissement et de l’anxiété de la personne.
Ces derniers peuvent être interprétés comme traits de personnalité et constituent
alors des motivations antécédentes.
fortement aux stimuli signalant un danger de faible intensité. Par contre, pour
qu’une telle réaction soit comparable à des personnes basses en névrotisme,
il faudrait une plus grande intensité d’un stimulus identique. Une activation
du système limbique aurait également comme conséquence une plus grande
activation du système nerveux autonome (voir chapitre 5 pour une description
des paramètres fréquemment utilisés dans la recherche).
L’anxiété et la dépression résultent, selon Eysenck, de l’introversion en
combinaison avec le névrotisme, c’est-à-dire un seuil bas pour les deux systèmes
neurophysiologiques associés (formation réticulée ascendante et système limbi-
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que). De faibles stimulations provoqueraient déjà une surexcitation de ces
systèmes avec une activité autonome élevée et un sentiment subjectif d’anxiété
ou de désespoir. Ces réactions augmenteraient en fonction de l’intensité des
stimulations.
La théorie a été surtout critiquée sur le fait que le névrotisme et l’extraver-
sion ne sont pas indépendants et que l’extraversion elle-même est un concept
avec plusieurs sous-facettes. Celles-ci ne sont pas essentiellement liées entre
elles (Amelang et Bartussek, 1997). Malgré ceci, la théorie d’Eysenck démontre
cependant (de manière satisfaisante) que les motivations antécédentes dépendent
de la personnalité de l’individu et qu’un individu sélectionne d’une certaine
manière les situations qui lui conviennent. Il influence ainsi fortement la
nature des événements qui peuvent lui arriver. Les évaluations et tendances à
l’action résultantes seront sûrement influencées par ces traits de personnalité.
Un nouvel étudiant extraverti, en comparaison avec un condisciple introverti,
évaluera la situation de rencontrer d’autres personnes inconnues probablement
plus positivement et aura une plus forte tendance à parler avec ses nouveaux
camarades.
Miller (1944, 1951), fortement influencé par la théorie du drive selon Hull
décrite plus haut, s’est focalisé sur le conflit entre une tendance à l’approche
et une tendance à l’évitement, qui apparaît quand un être vivant est confronté
à une situation ambivalente. Lui aussi a postulé que le comportement ou les
tendances à l’action sont une fonction multiplicative du drive et de l’habitude.
Miller (1948) a étudié les comportements de rats affamés mis en présence
de nourriture. Cependant, pour avoir accès à la nourriture, le rat devait subir
un choc électrique. Il existait donc un conflit entre la tendance à s’approcher de
la nourriture et la tendance à éviter le choc électrique. L’ensemble, comprenant
204 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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la nourriture devrait alors être plus forte que la tendance à l’évitement du
choc. À une courte distance, cette relation devrait s’inverser.
Néanmoins, la tendance à l’approche et la tendance à l’évitement sont toutes
les deux supposées être les plus fortes à une courte distance de l’objet (nour-
riture avec application du choc). Ceci s’explique par le fait que les caractéris-
tiques situationnelles à courte distance font resurgir des habitudes (associations
stimulus-réponse) plus fortes pour les deux tendances à l’action que les
caractéristiques situationnelles à longue distance. Une synthèse de ces idées
est démontrée dans la figure 6.3.
Tendance à l’évitement
Force de la tendance
Tendance à l’approche
Figure 6.3
Conflit entre les tendances à l’approche et à l’évitement selon Miller.
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dement avec la distance que la tendance à l’approche, le mari pourrait alors
déplacer son comportement agressif contre sa femme.
Tableau 6.2
Modèle psycho-évolutif des émotions selon Plutchik
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Possession Reproduction
appariement extase jonction
Acceptation Peur
Joie Surprise
Anticipation Tristesse
Colère Dégoût
Figure 6.4
Les émotions de base selon Plutchik.
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 207
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du futur et servirait à déclencher des réactions adaptatives. De plus, les
cognitions devraient être raisonnables, pour que la survie soit assurée. Un
être vivant évaluerait si un événement est bénéfique ou néfaste (« primary
appraisal » d’après Lazarus, 1966). L’auteur fait une distinction entre les
animaux moins évolués et les êtres vivants plus évolués. Les cognitions chez
les êtres vivants les plus évolués dépendraient plus de l’apprentissage et de
l’expérience que chez les animaux moins évolués. Les comportements adaptatifs
sont catégorisés dans huit classes, entre autres les réponses de protection (par
exemple, évitement et fuite), de destruction (par exemple, attaque) et de
reproduction.
Une situation pertinente pour le bien-être (par exemple l’attaque d’un ennemi)
mènerait à des cognitions spécifiques (danger), qui ensuite déclencheraient
un certain sentiment subjectif (peur), suivi par une tendance à l’action (volonté
de fuir), des réactions physiologiques (sudations) et enfin un comportement
adaptatif (fuite). La fonction de ce processus serait donc la protection. Pour
l’auteur, l’ensemble de ces réactions en chaîne constitue l’émotion (peur).
D’éventuels facteurs pouvant interrompre des réactions adaptatives seraient
le déni au niveau de la cognition et la répression au niveau du sentiment
subjectif, par exemple.
L’activité de ces deux systèmes est censée être déterminée par la valence
et l’excitation subjectivement ressentie (arousal subjectif) par rapport à un
stimulus ou un événement. Pendant que la valence influence l’activation
d’un des deux systèmes, l’arousal subjectivement ressenti devrait déterminer
l’intensité ou le degré d’excitation du système concerné. Les deux systèmes
motivationnels consistent, selon ces chercheurs, en différents réseaux neuro-
naux au cerveau. Ils sont associés aux structures sous-corticales. Les êtres
humains ainsi que les animaux démontrent des comportements ou motivations
appétitifs et défensifs. Le noyau accumbens ainsi que le système mésolimbi-
que dopaminergique sont supposés composer le système appétitif. Un circuit
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sous-cortical, avec l’amygdale comme structure essentielle (en accord avec
Davis, 1989 et LeDoux, 1990), représente le système défensif.
Bradley et Lang (2000) décrivent un modèle appelé defense cascade model
qui propose que la distance envers un prédateur (predator imminence) joue
un rôle important qui peut avoir des conséquences comportementales ainsi
que physiologiques. Un prédateur loin devrait mener à un arousal léger et
une orientation en direction du prédateur. De plus, les auteurs prédisent dans
ce cas une décélération du rythme cardiaque, une légère augmentation de la
conductance de la peau et une diminution de la réaction du sursaut (causée
par une diminution d’attention envers d’autres stimuli) accompagnée par le
freezing (« expressions figées »). Le même stimulus à proximité, par contre,
est censé provoquer une accélération du rythme cardiaque, une conductance
de la peau plus élevée, une augmentation de la réaction de sursaut et des
tendances à la fuite ou au combat. Les réactions corporelles dans ce dernier
cas sont supposées préparer le corps à un comportement adaptatif en tenant
compte des besoins métaboliques.
La réaction de sursaut est associée au système motivationnel de défense,
constituant une valence négative (voir aussi Lang, Bradley et Cuthbert, 1990).
Elle est augmentée pendant une présentation de matériel aversif (addition
des effets négatifs) et réduite pendant une présentation de matériel appétitif
(compensation des effets positifs et négatifs). Ce fait démontre, selon Lang,
que les deux systèmes motivationnels seraient capables de s’inhiber l’un l’autre.
Néanmoins, cette réaction ne permet pas de mesurer indépendamment l’activité
des deux systèmes motivationnels décrits. Il est donc uniquement possible de
comparer leur activation relative.
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initialiserait l’approche (par exemple une agression) pour éliminer une poten-
tielle source de punition (par exemple un concurrent). Ce système servirait, en
général, à une fonction appétitive et serait associé à une personnalité impul-
sive, à l’espoir et au soulagement. Au contraire, le BIS serait activé par des
stimuli conditionnés signifiant la punition et l’absence d’une ancienne récom-
pense (frustration), ce qui résulterait en une inhibition de l’action – l’évitement
passif – et une augmentation de l’activité générale (arousal) et de l’attention.
Il serait associé à une personnalité anxieuse et capable d’inhiber le BAS.
Le modèle de Gray se base sur la théorie de la personnalité selon Eysenck
(décrite plus haut ; section 2.5). Une rotation des deux axes d’Eysenck utilisés
pour décrire la personnalité d’un individu (extraversion et névrotisme)
d’environ 30 degrés résultait en deux nouvelles dimensions : l’impulsivité
(sensitivité pour une récompense ; BAS) et l’anxiété (sensitivité pour une
punition ; BIS). Selon Gray, les extravertis, dans le sens d’Eysenck, seraient
très impulsifs et très sensibles à la récompense, mais relativement insensibles
envers la punition. L’inverse a été proposé pour les introvertis, qui seraient
très anxieux et très sensibles aux punitions, mais pas aux récompenses. Ces
hypothèses ont été sujettes à plusieurs expériences (par exemple, Gray et
Nicholson, 1974 ; Nichols et Newman, 1986). Dans la plupart de ces études,
les extravertis ont été plus facilement conditionnés par un renforcement posi-
tif en comparaison à un renforcement négatif. Les résultats pour les introver-
tis allaient dans l’autre sens. Bartussek, Diedrich, Naumann et Collet (1993)
rapportent en outre, que les extravertis réagissent avec des amplitudes de
potentiels évoqués plus élevées dans le cas de récompenses (gain d’argent)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Punition + +
SC-Punition +
F ÉVITEMENT
210
SI-Punition + F –
Récompense – F
SC-Récompense – S
SI-Récompense –
D C +
É O ATTENTION
A 1. scanning de
Figure 6.5 IS-Pun + T N
N l’environnement
Les trois systèmes B E F 2. scanning de l’externe
NOUVEAUTÉ X (appréciation du risque)
motivationnels I C d L
IS-Rec + I 3. scanning de l’état interne
selon Gray S T e I (mémoire)
É
et McNaughton (2000). E T T
U S É +
Récompense +
R AROUSAL
SC-Récompense + B
SI-Récompense + A
Punition –
S –
SC-Punition –
APPROCHE
SI-Pun –
+
Dans cette figure, on voit comment – dans le modèle de Gray et McNaughton – les trois systèmes motivationnels peuvent être activés. Le
« behavioral activation system » (BAS) est responsable du traitement des stimuli conditionnels et non conditionnels ainsi que des stimuli in-
nés, qui représentent la récompense ou la non-punition en activant la tendance de s’approcher de quelque chose. Au contraire, le « fight-flight-
freezing system » (FFFS) s’occupe des stimuli de non-récompense et de punition en entraînant un évitement. Le « behavioral inhibition sys-
tem » (BIS), qui fonctionne comme détecteur de conflits, sera activé par une coactivation du FFFS et du BAS. En ce cas, il en résulte un conflit
d’approche-évitement. Le BIS va inhiber ces deux tendances motivationnelles et l’individu va s’engager dans le scanning de l’environnement
et de son état interne. Ce comportement sera accompagné par un arousal augmenté. Les informations négatives vont devenir plus saillantes.
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Pour cette raison, on observe un shift de la balance entre les deux genres de tendances en direction de l’évitement.
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MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 211
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ces stimuli. Le BIS fonctionnerait maintenant comme détecteur de conflits
entre le FFFS et le BAS et non plus tout simplement comme détecteur des
stimuli aversifs conditionnés :
« Crucially, it is not the presence of the aversive stimuli themselves which
activates the behavioural inhibition system, but their conjunction with appeti-
tive stimuli or other conditions that result in the animal’s having to choose
between conflicting, incompatible goals » (Gray et McNaughton, 2000, p. 84).
Le BIS serait capable d’inhiber les deux autres systèmes, accompagné par
l’attention augmentée de l’individu, le scanning de son propre état interne
et externe et de l’environnement pour trouver la réaction la plus adaptée.
Malheureusement, il est difficile de tester la théorie de Gray concernant les
structures cérébrales avec des méthodes non invasives. Les études qui ont traité
de ce sujet ont donc été réalisées avec des animaux et/ou avec des médicaments
(Gray, 1967, 1977 ; Gray, McNaughton, James et Kelly, 1975).
des systèmes nerveux moins complexes (voir aussi Schneirla, 1959). Les
émotions serviraient à coordonner la perception, la cognition et les tendances
à l’action. C’est le cortex préfrontal, selon cet auteur, qui permet une telle
coordination. Tandis que le cortex préfrontal gauche serait responsable de
l’approche et des émotions typiquement associées à cette tendance à l’action
(par exemple, bonheur, joie), le cortex préfrontal droit serait important pour
le retrait et les émotions qui lui sont associées (par exemple, peur, dégoût).
Plusieurs expériences (entre autres, Davidson et Fox, 1982, 1989 ; Ekman et
Davidson, 1993 ; Waldstein et al., 2000) ont soutenu ces propositions. Cepen-
dant, elles ont été également contredites par d’autres études (par exemple,
Schellberg, Besthorn, Pfleger et Gasser, 1993 ; Tucker et Dawson, 1984).
212 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Davidson a surtout été inspiré par les observations sur des patients souf-
frant de dépression, qui présentaient peu d’activation dans le cortex préfrontal
gauche (Davidson, Abercombie, Nitschke et Putnam, 1999 ; Henriques et
Davidson, 1990, 1991). Les symptômes de tels patients indiqueraient bien un
déficit dans leurs tendances à l’approche aux conversations ou aux interactions
avec d’autres personnes (manque d’initiative) et une capacité réduite à ressen-
tir des émotions positives associées à l’approche. Harmon-Jones et Allen (1998),
notamment, ont démontré que l’expérience de la colère – qui est d’une valence
négative mais associée à l’approche – était accompagnée d’une activation
plus élevée du cortex préfrontal gauche que du cortex préfrontal droit. Ce
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résultat est donc en faveur de la théorie de la latéralisation de la motivation,
plus que celle de la latéralisation de la valence.
Sutton et Davidson (1997) rapportent également une relation entre l’asymétrie
hémisphérique et le questionnaire BIS/BAS de Carver et White (1994) qui
mesure la sensibilité des anciennes conceptions du BIS et du BAS selon Gray
(Gray et McNaughton, 1996 ; Gray, 1987 ; voir section III.4). Les sujets
montrant une plus grande activation préfrontale gauche avaient le score le
plus élevé à l’échelle BAS, alors que les sujets ayant une plus grande activation
frontale droite avaient le score le plus élevé à l’échelle BIS. Davidson (1992)
écrit :
« […] these individual differences in asymmetry are relatively stable over time
and are associated with different features of dispositional mood and affective
reactivity » (p. 40).
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– interne-stable-contrôlable : succès ou échec attribué à l’effort en général
(par exemple, étudiant qui ne lit jamais de la littérature nécessaire pour des
cours) ;
– interne-instable-non contrôlable : succès ou échec attribué à un état mental
ou physique momentané (par exemple, maladie) ;
– interne-instable-contrôlable : succès ou échec attribué à un effort en particulier
(par exemple, concernant un examen spécifique) ;
– externe-stable-non contrôlable : succès ou échec attribué au niveau hauts
ou bas standards exigé par l’université ;
– externe-instable-contrôlable : succès ou échec attribué au fait qu’un
professeur a été favorable ou défavorable à l’étudiant ;
– externe-instable-non contrôlable : succès ou échec attribué au hasard/à la
chance ;
– externe-instable-contrôlable : succès ou échec attribué à l’existence ou le
manque d’aide des amis.
L’attribution du locus est associée aux émotions concernant l’estime de
soi comme la fierté et la honte. Si des facteurs externes sont évalués comme
responsables d’une réussite ou d’un échec, le résultat des performances n’a pas
beaucoup d’impact sur l’estime de soi. Une personne qui attribue un succès à
ses propres capacités se sentira donc plus fière qu’une personne qui l’attribue
au hasard ou à autrui. L’attribution de la stabilité, par contre, est associée à
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La personne attribuera ses réussites à des facteurs externes et ses échecs à
des facteurs internes.
Cette citation montre aussi que l’émotion, déclenchée par une évaluation
cognitive d’un événement comme étant pertinent pour les besoins, buts ou
valeurs, est censée cibler toutes les ressources de l’organisme sur ce qui est
le plus important à un certain moment donné.
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 215
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censée se refléter dans les cognitions et le sentiment subjectif. Finalement,
Frijda et Mesquita (1994) décrivent l’importance des tendances à l’action dans
le contexte social. Les tendances à l’action signalées à autrui, entre autres par le
moyen de postures et expressions faciales, constituent une source importante
de la communication non verbale. Un tel signalement est aussi fortement
influencé par des contraintes sociales (punition des expressions de colère
dans certaines cultures, par exemple chez les Utku Eskimos ; Briggs, 1970).
Frijda et coll. (Frijda, 1987 ; Frijda, Kuipers et ter Schure, 1989) ont
commencé à examiner systématiquement la relation entre les évaluations
cognitives et la composante motivationnelle définie comme tendance à
l’action ou préparation à l’action et leur importance par rapport aux différen-
tes émotions (voir tableau 6.3 pour une description des tendances à l’action de
Frijda ; traduction basée sur Tcherkassof et de Suremain, 2005).
Tableau 6.3
Tendances à l’action selon Frijda, Kuipers et ter Schure (1989)
Tendance
Exemple de question
à l’action
Tendance
Exemple de question
à l’action
Bouillonner
Je bouillonnais intérieurement
intérieurement
Opposition J’ai cherché à m’opposer, à agresser, à faire mal, à insulter
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J’ai voulu aller au-delà d’un obstacle ou d’une difficulté,
Combativité
ou le conquérir
Interruption J’ai interrompu ce que je faisais, ou j’ai été interrompu
Préoccupation Je n’ai pas pu me concentrer ou mettre de l’ordre dans mes pensées
Je suis resté maître de la situation,
À la commande
j’ai senti que j’étais aux commandes, « je tirais les ficelles »
Aider J’ai voulu aider quelqu’un, prendre soin de quelqu’un
J’aurais voulu disparaître sous terre, du monde,
Disparaître
n’être pas aperçu par quelqu’un
Inhibition Je me suis senti inhibé, paralysé ou statufié
Rougir J’ai rougi ou j’ai craint de rougir
Je n’ai pas voulu m’opposer, ou j’ai cherché à correspondre
Soumission
à ce que voulait quelqu’un
Je ne me sentais pas de faire quoique ce soit,
Apathie
rien ne m’intéressait, j’étais apathique
Renoncement J’ai renoncé, j’ai abandonné
Fermeture Je me suis renfermé par rapport à l’environnement
J’ai cherché à faire quelque chose
Impuissance
mais je ne savais pas quoi, j’étais impuissant
Crier J’ai crié, dû crier ou voulu crier
Exaltation J’étais exalté, agité, je ne pouvais pas rester en place
Exubérance J’ai voulu bouger, être exubérant, chanter, sauter, faire des choses
Rire J’ai ri, dû rire ou voulu rire
Je me suis senti détendu, j’ai pensé que tout était ok,
Repos
je n’ai pas senti le besoin de faire quelque chose
colère par une tendance antagoniste et la joie par une tendance « à être avec »
et une tendance « à l’exubérance » (voir tableau 6.3 pour une explication de
ces tendances). En outre, il rapporte que l’approche est reliée aux évaluations
suivantes : (1) intérêt, (2) estime de soi élevée, (3) événement non causé par
autrui. L’évitement, par contre, était associé à (1) un manque de capacité de
contrôle et (2) un résultat incertain d’un événement. Néanmoins, deux années
plus tard, en 1989, Frijda et coll. en incluant encore d’autres évaluations et
tendances à l’action ont obtenu des résultats différents. Cette fois, l’approche
était associée à des événements jugés comme (1) équitables et (2) soudains, et
l’évitement lié à des stimuli évalués comme (1) non équitables, (2) inintéres-
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sants et (3) manquant de connaissance. De plus, les auteurs notent que certaines
émotions pourraient être mieux décrites par les appraisals des individus (par
exemple, jalousie, surprise, espoir), tandis que d’autres seraient mieux décrites
par des tendances à l’action (par exemple, dégoût, désespoir, anxiété, colère).
Une explication possible pour la non-congruence des résultats dans les
deux recherches décrites est qu’il existe un mélange d’expressions verbales
pour les tendances à l’action. Ainsi, « approche » et « évitement » pourraient
être des termes plus généraux qu’« aider » ou « rire » (voir le tableau 6.3).
De plus, dans ces articles, les questions concernant les tendances à l’action
traitent aussi des réactions comportementales (« pleurer », « rougir ») et des
évaluations, alors que Roseman, Wiest, et Swartz (1994) ont précisé qu’il est
important de distinguer soigneusement nos réactions comportementales de
nos tendances à l’action et de nos buts.
donné que les thèmes abordés et situations décrites dans les deux champs de
recherche sont très similaires. Le but de ce chapitre a donc été de familiariser
le lecteur avec les recherches effectuées dans la tradition de la psychologie
de la motivation.
Néanmoins, le lecteur attentif devrait avoir réalisé l’impact de ces recherches
pour l’étude de l’émotion. Maslow (1943, 1954), par exemple, décrit les déter-
minantes ou facteurs nécessaires pour le déclenchement d’une émotion. Nous
allons juste ressentir une émotion dans les situations qui touchent nos propres
valeurs ou besoins, autrement dit : qui sont personnellement importantes.
Quelque chose sans importance pour notre bien être ne va pas nous mettre en
218 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
colère ou évoquer de la peur. Bien sûr, ceci s’applique aussi aux motivations
antécédentes que nous avons pour d’autres personnes (par exemple, sauver la vie
des enfants du tiers-monde). Hull (1952) a appuyé sur le fait que nos besoins
nous poussent à entretenir certaines actions qui, à la suite, devraient nous
permettre de satisfaire ces besoins. Il est facile de s’imaginer une situation
qui nous met de mauvaise humeur juste parce que nos besoins ne sont pas
satisfaits. Aussi, notre besoin d’affiliation nous motive à rechercher le contact
avec d’autres personnes. Si cela fonctionne bien, nous ressentons certainement
des émotions positives, tandis que si nous sommes rejetés, nous allons ressentir
de la colère ou de la tristesse.
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Atkinson (1964, 1978) dans sa théorie d’accomplissement et Miller (1944,
1959) avec son modèle de conflit, ont thématisé plus en détail la coexistence
des motivations. Pour Atkinson, nous sommes motivés à réduire des échecs et
maximaliser des succès, qui seraient à la suite associés aux émotions caracté-
ristiques. Les études de Miller, au contraire, suggèrent qu’une seule situation
peut provoquer différentes émotions et motivations conséquentes contradictoi-
res. Ceci est par exemple le cas, quand vous devez vous approcher d’un stimu-
lus aversif afin d’obtenir une récompense (comme devoir beaucoup étudier
avant de passer un examen ou accepter les douleurs pendant l’accouchement).
Eysenck (1953, 1967) adopte encore une autre perspective en démontrant
que différents individus avec différentes personnalités peuvent avoir des
motivations divergentes. Tandis que les extravertis sont censés chercher souvent
du contact social, ceci ne devrait pas être autant le cas pour les introvertis.
Cette théorie souligne donc, encore une fois, que les individus cherchent
activement des situations qui conviennent à leur personnalité ou à leurs besoins.
La probabilité d’être confronté avec une situation particulière devrait alors, à
un certain degré, varier en fonction de la personnalité.
Plutchik est le premier auteur à explicitement noter les tendances à l’action
comme composantes d’une émotion. En proposant huit classes d’émotions,
ce chercheur est probablement celui qui a le mieux réussi à intégrer les moti-
vations antécédentes (ou besoins) avec des cognitions typiques, des sentiments
subjectifs caractéristiques et tendances à l’action associées dans un même
modèle. En outre, il présente ces classes d’émotion sous le point de vue de
l’évolution, permettant à l’individu de s’adapter aux conditions situationnelles.
Les théories de Lang (1994) et Gray (Gray et McNaughton, 1996, 2000)
mettent en lien des caractéristiques affectives spécifiques des stimuli avec
des tendances à l’action. Tandis que Lang se focalise sur la valence comme
déterminante des motivations conséquentes, Gray classifie l’importance des
stimuli pour la détermination des tendances à l’action à l’aide des termes
(non) récompense et (non) punition. Cet auteur adopte donc un point de vue
clairement behavioriste.
Jusqu’à maintenant l’intégration des facteurs motivationnels dans la recher-
che sur les émotions s’est pratiquement limitée aux tendances d’approche,
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 219
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des questions difficiles pratiquement insolvables à l’examen), vous ne seriez
pas très motivé pour beaucoup vous investir dans de telles situations (par
exemple, concernant les cours donnés par le même professeur) dans le futur.
Les recherches de Frijda et coll. (Frijda, 1987 ; Frijda, Kuipers, et terSchure,
1989) ont démontré qu’un grand nombre de formes de motivations consé-
quentes différentes pourraient jouer un rôle dans le processus émotionnel.
De plus, ces tendances à l’action ont été mises en lien avec un grand nombre
d’évaluations cognitives. Pourtant, le fait qu’une partie des résultats rapportés
n’a pas pu être répliquée dans les deux recherches de 1987 et 1989 indique
clairement le besoin d’études supplémentaires.
Pendant les vingt dernières années, les chercheurs (par exemple, Plutchik,
Lang et Frijda) ont timidement commencé à allier des facteurs motivationnels
avec d’autres composantes d’une émotion. Cela se montre également par
l’apparition d’ouvrages portant des titres comme Emotion and Motivation
(Parkinson et Coleman, 1995). Pourtant, nous n’avons que commencé à
combiner les connaissances obtenues dans deux différentes traditions de
recherche s’ignorant presque complètement dans le passé. De nombreuses
recherches seront bientôt réalisées afin d’arranger ce manque. Les travaux
les plus éminents sont probablement ceux de Lang, Davidson et Frijda.
LECTURES CONSEILLÉES
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QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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analyser le caractère d’un lien entre les évaluations des stimuli affectifs et les
tendances à l’action. Solarz (1960) a mené une expérience qui s’est focalisée sur
le representational mediation process décrit par Osgood (1953). Ce processus
implique qu’une représentation d’un objet (comme un mot) serait capable de
déclencher les mêmes réactions comportementales que l’objet lui-même
(evaluatives reactions comme l’approche et l’évitement). Ceci serait possi-
ble grâce à l’association de l’objet avec le signe. Le mot « araignée » devrait
alors évoquer les mêmes réactions (un peu affaiblies) que lorsqu’un individu
voit une araignée dans son appartement. La tâche des participants a été intro-
duite comme une étude d’apprentissage, ayant pour objectif de découvrir des
relations entre la signification des mots et des mouvements (flexion et exten-
sion du bras). Les participants ont alors tiré (flexion) ou poussé (extension)
un levier selon les mots présentés. Pour quelques mots (positifs ainsi que
négatifs) la réponse correcte était de tirer, pour d’autres la réponse correcte était
de pousser.
Selon Solarz, l’extension du bras constitue un mouvement d’évitement
(refuser un objet en augmentant symboliquement la distance avec lui) et la
flexion du bras un mouvement d’approche (diminuer symboliquement la distance
avec un objet). Les résultats de cette expérience appuient cette conception.
Il a été démontré que l’initiation d’un mouvement par rapport à un stimulus
dépend fortement de la valence de ce dernier. Les latences étaient plus courtes
pour des essais où les participants tiraient le levier lors de la présentation de
mots agréables et poussaient le levier lors de la présentation de mots désa-
gréables en comparaison avec les combinaisons contraires. Cet effet était plus
grand pour les femmes que pour les hommes. Les résultats décrits ci-dessus
ont été répliqués dans d’autres expériences (par exemple, Chen et Bargh, 1999 ;
Duckworth, Bargh, Garcia et Chaiken, 2002).
Alors que pour Solarz, les évaluations sont supposées influencer nos réactions
comportementales ou tendances à l’action, Cacioppo, Priester et Berntson
(1993) suggèrent qu’une telle influence ne fonctionne pas uniquement dans
un sens. Ces auteurs ont démontré, à l’aide d’une série de six expériences,
que l’extension (mouvement indiquant l’évitement selon Solarz) et la flexion
(mouvement indiquant l’approche) du bras sont capables d’influencer nos
évaluations concernant des idéogrammes. Les participants ont été incités à
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION 221
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images par rapport au genre de personnages paraissant sur ces images. Fina-
lement, Aue et Scherer (soumis), avec deux expériences, ont obtenu des résul-
tats qui suggèrent que les mouvements du bras ne peuvent pas être
considérés comme indicateurs irrévocables de tendances à l’action. Plutôt, la
préparation et l’exécution d’un mouvement dépendraient de facteurs contex-
tuels. Dans leurs expériences, les auteurs ont manipulé la conséquence des
mouvements du bras de leurs participantes. Suite à la présentation d’images
et de mots positifs, neutres ou négatifs, les participantes devaient faire soit
une flexion soit une extension du bras. Pour un premier groupe de participantes,
la taille du stimulus augmentait pendant la flexion du bras (contexte appro-
che = agrandissement du stimulus), tandis qu’elle diminuait pendant l’exten-
sion du bras (contexte évitement = réduction du stimulus). Pour un deuxième
groupe, ces contingences ont été inversées (flexion = réduction du stimulus ;
extension = agrandissement du stimulus). À l’aide de cette manipulation, Aue
et Scherer ont pu démontrer que l’effet d’un mouvement de bras sur un
stimulus présenté détermine sa facilitation ou son inhibition. Par exemple, la
présentation des stimuli positifs menait à des temps de réponses plus courts
pour la flexion que pour l’extension dans le premier groupe. L’inverse a été
observé pour les stimuli négatifs. Il est important de noter que dans ce groupe
la flexion produisait un agrandissement du stimulus et l’extension une réduc-
tion. Pour le deuxième groupe, au contraire, l’extension du bras était facilitée
pendant la présentation des stimuli positifs et la flexion pendant la présentation
des stimuli négatifs. Dans ce groupe, c’était l’extension qui produisait un
agrandissement du stimulus et la flexion menait à sa diminution. Ces résultats
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LE SENTIMENT
SUBJECTIF.
INTÉGRATION
ET REPRÉSENTATION
CENTRALE
CONSCIENTE
DES COMPOSANTES
ÉMOTIONNELLES1
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INTRODUCTION
1 LE SENTIMENT SUBJECTIF
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que nous faisons de nos émotions représentent une sorte d’arrêt sur image de
ce qui se passe réellement dans notre organisme. Comme nous l’avons vu dans
les précédents chapitres, différents systèmes sont impliqués lorsque nous
ressentons une émotion. Ce sont des systèmes indépendants, en général au
service d’autres fonctions, qui peuvent, à un moment donné de leur activité,
se positionner en synchronie relative et ainsi engendrer une émotion. Nous
allons donc considérer l’émotion comme une modification synchrone de
plusieurs sous-systèmes.
Pour comprendre ce que l’on entend par sentiment subjectif et pour savoir
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comment il est possible d’aborder ce concept de manière empirique, il nous
faut trouver une définition de cette notion équivoque. Nous considérons le
sentiment subjectif comme l’émotion telle qu’elle est vécue par l’individu ;
il s’agit de l’aspect conscient du processus émotionnel. Cette définition est
particulièrement en adéquation avec celle donnée dans le modèle des processus
composants. Dans cette partie, un bref rappel de ce modèle (Scherer, 1984)
sera effectué. Ceci nous permettra de considérer le sentiment subjectif dans
une optique précise et de l’étudier avec ces nombreuses facettes, à partir de
ces bases théoriques.
Le modèle des processus composants est issu de la théorie de l’émotion
élaborée par Scherer (1984). Le but de cette théorie est de développer un aperçu
des processus en jeu au sein d’une expérience émotionnelle. Selon cette théorie,
l’émotion est composée de plusieurs sous-systèmes ou « composantes » qui
représentent chacune une facette de l’expérience émotionnelle au sein de
l’organisme qui la vit. La première de ces composantes est constituée du
processus d’appraisal, aussi appelé processus d’« évaluation des antécédents ».
C’est une composante exclusivement cognitive qui a pour but d’appréhender
les événements qui surviennent dans l’environnement d’un individu et de les
analyser sur différents paramètres, ceci dans une séquence fixe de traitement.
Notons que le fait que ce système soit cognitif n’implique en aucun cas qu’il
soit conscient (Schulkin, Thompson et Rosen, 2003). La deuxième compo-
sante a trait à l’activation physiologique qu’expérimentera l’individu. Cette
activation comporte, notamment, des changements des rythmes cardiaque et
respiratoire ainsi que des modifications de la température et de la conduc-
tance de la peau. La troisième composante prend en compte les changements
d’expressions faciale et vocale qu’un individu expérimentera suite à un
événement survenant dans son environnement. La quatrième composante est
la motivation ; elle est constituée des buts intrinsèques et extrinsèques de
l’individu. Les motivations peuvent être conscientes ou inconscientes et, par
conséquent, sont élaborées ou relativement basiques et instinctives. La réaction
corporelle de l’individu à l’activation de cette composante est une préparation
à l’action, également par recrutement du système musculaire. Les modifications
de ces quatre composantes se refléteront de manière intégrée dans la cinquième
composante : le système moniteur. L’activation de ce système moniteur est
LE SENTIMENT SUBJECTIF 227
Il est important de prendre note que les modifications des systèmes qui viennent
d’être présentés ont inévitablement des conséquences sur le fonctionnement
des autres systèmes. Ainsi, on ne se trouve pas confronté à un système linéaire
statique, mais bien à un système dynamique non linaire fait de boucles de
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rétroactions. En considérant l’émotion comme un processus non linéaire et
dynamique, il est possible d’envisager l’émotion (à titre d’illustration) à l’aide
d’un élément emprunté à d’autres disciplines : le concept de l’oscillateur.
Cette notion nous aidera à comprendre que la considération de l’émotion
comme un phénomène non linéaire nécessite l’étude des processus au cours
du temps et l’étude de systèmes multiples en interaction, ce qui fera l’objet
d’une discussion ultérieure.
■ Les oscillateurs
La notion physique d’oscillateur correspond à la propriété qu’a un système
de faire varier régulièrement et périodiquement son amplitude, sa fréquence
et/ou sa phase lors de son activité. Les systèmes biologiques sont en général
considérés comme des assemblages d’oscillateurs coordonnés ayant une période
irrégulière et chaotique. Cependant, l’assemblage d’oscillateurs coordonnés
donne la possibilité à l’organisme de s’adapter rapidement, fonction que l’on
retrouve dans le cadre émotionnel. Dans le cas d’oscillateurs couplés, le
degré de synchronisation sera amplifié si une adaptation quelconque est
nécessaire. Pour ce faire, les différents oscillateurs seront forcés d’adopter
un mode de fonctionnement plus stable que celui qui régit le fonctionnement
normal. Le passage entre un état instable (fonctionnement usuel) et un état
stable (lors d’un événement nécessitant une adaptation) se fait beaucoup plus
rapidement que le passage inverse, ce qui permet à l’organisme de réagir très
rapidement à un événement. Ainsi nous pouvons considérer l’émotion comme
un état attracteur de durée limitée qui permettra aux différents systèmes de
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Une des plus grandes divergences au sein des différentes théories de l’appraisal
concerne le nombre et les types d’émotions qui devront ou qui pourront être
décrits par les différents modèles. Selon Scherer (1984), il y aura autant
d’émotions différentes qu’il y aura de modulations dans l’évaluation de
l’environnement. Chaque nuance qui pourra être mise en évidence dans l’évalua-
tion de l’environnement sera reflétée dans l’émotion qui sera engendrée. Ainsi,
potentiellement, il existe un nombre infini d’émotions. Il est commun cepen-
dant dans la littérature de rencontrer des vues qui prônent l’existence d’un
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nombre fini d’émotions de base, ou fondamentales, telles que la joie, la colère,
la peur, la tristesse, etc. (voir par exemple Ekman, 1999). Selon le modèle
des processus composants, il n’y a pas d’autres preuves de l’existence de ces
émotions dites de base que leur fréquence d’utilisation sous forme de labels
établis dans notre langue pour ces émotions. Or ceci n’établit en rien l’exis-
tence d’une égalité entre deux épisodes émotionnels labellisés par une seule
et même étiquette. Jusqu’à maintenant, il n’a pas encore été démontré que
certaines émotions sont constamment issues d’un profil de réponses spécifiques
sur l’ensemble des composantes émotionnelles, à savoir une configuration
d’appraisal donné, des réponses périphériques spécifiques (issues des systèmes
somatique et autonome), une modalité expressive particulière et l’émergence
d’un sentiment subjectif précis. En effet, il paraît assez difficile, dans l’état
actuel de la recherche, d’identifier des patterns spécifiques d’activation,
même pour quelques émotions dites « de base », de même que de mettre en
évidence une association systématique et définitive entre un certain type de
réaction corporelle et un rapport verbal particulier.
Si un pattern spécifique d’activation n’a pas pu être identifié pour les
émotions dites « de base », il existe néanmoins pour ces labels un couplage
entre le label donné à l’émotion et des comportements observables tels que
des tendances à l’action spécifiques (par exemple, peur-fuite, colère-attaque).
L’existence de ces associations récurrentes nous pousse à penser qu’il existe
des liens spécifiques entre un pattern d’évaluations (et leurs conséquences) et
un label donné dans une langue donnée. Dans notre optique, nous considérerons
ces associations prototypiques et récurrentes entre une évaluation de l’individu
et sa réaction à l’environnement comme des émotions que nous qualifierons
de « modales » (Scherer, 1994). Ce terme se référera donc à des configurations
d’appraisal et de réponses multimodales que le langage a décrites par des mots
spécifiques (Scherer, 1993a). Précisons cependant que le processus de label-
lisation est différent des processus émotionnels et de l’expérience émotionnelle
totale et relève d’autres processus (Scherer, 1987a). Les émotions modales
peuvent être très variables et donner un sentiment subjectif très nuancé. Pour
reprendre la notion d’oscillateur que nous avons utilisée précédemment, les
émotions modales seront considérées comme des patterns stables d’oscillations
LE SENTIMENT SUBJECTIF 229
Comme cela a été décrit dans les chapitres précédents, le modèle des processus
composants de l’émotion propose une interrelation, une synchronisation de
systèmes dont le système moniteur fait partie.
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L’aspect dynamique de ces processus émotionnels vient du fait que les
influences de changements d’activation sont effectuées de manière récursive
et continue. Ainsi, comme le montrent des données récentes de Taylor, Phan,
Decker et Liberzon (2003), le fait d’attirer l’attention sur la façon que l’on a
d’évaluer la situation change radicalement le sentiment subjectif, tant au niveau
de son intensité que de l’activation corticale qui lui est associée.
Pour comprendre et discuter les processus émotionnels, il faut obligatoire-
ment découper un processus qui est continuellement en activité et en évolution
pour l’observer à un temps tx sous une appellation donnée. Il faut cependant
garder à l’esprit que si la description qui va suivre fait appel à des notions
discrètes, les processus qu’elle présente sont continus et auto-organisés dynami-
quement de façon complexe. L’accent sera mis ici sur le fait que les processus
émotionnels ne sont pas linéaires et donc ne se prêtent pas à une analyse
linéaire comme nous avons l’habitude de le faire, autant statistiquement (avec
des modèles de régression par exemple) que conceptuellement. La complexité
des processus est due au fait que le sentiment subjectif se manifeste par
l’émergence d’une représentation de sous-systèmes auto-régulés qui sont, en
même temps, dépendants des valeurs initiales et dépendants des changements
soudains qui interviennent tout au long du processus émotionnel. La diffi-
culté théorique posée par un phénomène comme celui de l’émotion nécessite
donc des axiomes clairs pour permettre de caractériser le sentiment subjectif
dans un cadre théorique bien défini.
Une distinction est particulièrement importante si l’on s’intéresse au senti-
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rait être aussi bien temporelle que fréquentielle. Une représentation
schématique de ce qui pourrait advenir dans le cas d’une synchronisation
des changements dans les différentes composantes de l’émotion (et donc
dans le cas d’un sentiment subjectif) est illustrée figure 7.1, celle-ci sera
également la figure de référence pour toutes les notions d’intégration décrites
plus loin.
Dans la figure 7.11, plusieurs aspects doivent être remarqués. Premièrement,
chacune des composantes a une activité continue et variable. Deuxièmement,
d’après les contraintes de l’environnement, elles varient en synchronie : un
certain temps après l’apparition du stimulus, on observe une fenêtre tempo-
relle où quatre composantes (I, II, III, IV, correspondant aux composantes
de l’appraisal, expressive, motrice et psychophysiologique) ont un pic
d’activation. En résultante (encart central de la figure), à un moment tx le
système moniteur répond plus fortement, ce qui laisse à penser qu’à ce
moment, l’individu aura un sentiment subjectif. Ainsi, les cinq composantes
de l’émotion (appraisal, psychophysiologie, expression, tendance à l’action
et sentiment subjectif) entrent en synchronie relative et, selon le modèle des
processus composants, un épisode émotionnel complet et cohérent émerge,
perçu par la personne au niveau de la conscience.
Ainsi, l’apparition d’une synchronie permettrait l’émergence d’un sentiment
subjectif. Mais de quoi est composé le système moniteur et qu’est-ce qui le
distingue des autres systèmes ? Quelle est sa fonction ? Comment et sous
quelle forme sont reflétées les informations provenant des autres composan-
tes ? Comment peut-on entreprendre d’étudier empiriquement le sentiment
subjectif ? Toutes ces questions posent les piliers de la réflexion que nous
développons ci-dessous.
1. Notons que la figure 7.1 est purement conceptuelle, ne se basant sur aucune donnée empirique.
Cette figure est utilisée pour illustrer notre propos et ne doit pas être considérée comme la repré-
sentation exacte de ce qui se passe tant au niveau des activations représentées pour les composan-
tes qu’au niveau de leur intégration.
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Composante I Composante II
0 0
Système moniteur
LE SENTIMENT SUBJECTIF
tx
Sentiment subjectif
0
0 0
Chacun des graphes représente l’activité au cours du temps. Le temps 0 indique un événement donné qui sera traité par l’individu et le temps tx
symbolise l’instant où émerge un sentiment subjectif.
Figure 7.1
Représentation théorique de l’intégration de l’information de quatre composantes émotionnelles en une cinquième.
231
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232 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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corporels et cérébraux entraînés par des circuits neuronaux spécifiques et
dont le déroulement serait causé en premier lieu par le contenu d’une percep-
tion ; ce processus serait perceptible par une tierce personne alors que les
feelings (« changements corporels perçus par l’individu ») ne seraient acces-
sibles que par la personne elle-même. Découlant (implicitement) de la théorie
de James sur les feelings comme perceptions des états corporels, Damasio
(Damasio, 1999 ; voir aussi Damasio et al., 2000) propose que le feeling est
basé sur des cartes neuronales représentant l’état interne de l’organisme (répon-
ses corporelles). Pour se développer, les expériences émotionnelles auraient
besoin, d’une part, du corps (substrat du feeling) et, d’autre part, d’un objet
externe entraînant les modifications corporelles sur lesquelles seront basés
les feelings. Les sentiments liés aux activités autonomes coloreraient les
sentiments émotionnels. Ainsi, pour Damasio, les expériences émotionnelles
peuvent provenir de deux mécanismes différents. Les émotions fortes vien-
draient de la perception de nos états corporels et de leur traitement dans des
centres comme le cortex ventro-médian, le cortex somato-sensoriel et
l’amygdale. Les émotions faibles n’auraient, par contre, pas besoin d’une
activité somatique pour exister : elles seraient basées sur une as-if body loop,
mécanisme uniquement cérébral qui permettrait d’inférer les activités que le
corps devrait avoir dans une telle situation et de les incorporer dans les repré-
sentations pour créer notre émotion (voir aussi Bechara, 2004).
Le modèle d’Izard (1993) se centre aussi sur des composantes mais en
considérant le sentiment subjectif comme pouvant être soit la résultante de
processus centraux (neuronaux) seuls, soit la résultante de ces derniers en
conjonction avec trois autres résultantes : celle des processus sensori-
moteurs, affectifs et cognitifs.
Bien qu’il existe une divergence de conception de l’émotion, les idées de
fond sont relativement similaires et les auteurs cités distinguent bien émotion
et sentiment.
est le reflet unique des activités des quatre autres composantes. Il appartient
donc à l’ensemble des sous-systèmes, mais il est en même temps parallèle à
ceux-ci en adoptant une fonction de contrôleur, qui va devoir gérer la distri-
bution de ressources et permettre à l’individu de ressentir une émotion en
tant que telle et d’en prendre conscience.
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éprouve consciemment de la peur, de la colère, de la tristesse, de la honte, de
la fierté ou de la joie par exemple. Cependant, les labels verbaux ne rendent
pas compte de toutes les activités du système moniteur. Il est en effet possi-
ble que l’individu ait des sensations qu’il ne peut pas verbaliser ni labelliser
par un terme couramment employé et connu de lui. Il est d’ailleurs possible
que, pour ce qu’il ressent, il n’y ait pas d’expression disponible dans sa
langue. Cependant, il est possible qu’il puisse trouver dans d’autres langues
un label défini pour le ressenti qu’il éprouve. Peut-on alors dire que certaines
cultures ressentent plus souvent des émotions qui sont rares ou absentes dans
d’autres cultures ? La question peut être discutée, mais ce qui est sûr c’est
que l’on ne peut pas verbaliser tous les ressentis possibles ; nous sommes
limités par le vocabulaire. C’est pour cette raison qu’il s’agira de prendre en
compte le fait que le sentiment subjectif ne se borne pas à ce qui est verbali-
sable. Il renvoie également à tout ce qui peut être ressenti mais non nommé,
ainsi qu’à toute représentation non accessible à la conscience en temps normal
mais qui pourrait être retrouvée stratégiquement par l’individu qui procéderait,
par indices, à une récupération d’éléments de son expérience. Pourtant, en ce
qui concerne l’opérationnalisation faite jusqu’à maintenant, peu d’études ont
envisagé la mesure du sentiment subjectif autrement que par rapport verbal.
Le problème est que labels verbaux ne représente évidemment pas tout ce
qu’il est possible de ressentir avec les nuances appropriées. C’est pour cela
qu’un défi très important de la recherche contemporaine est de mesurer le
sentiment subjectif par d’autres moyens que la verbalisation. Cette problé-
matique sera analysée plus en détails à la section III de ce chapitre.
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tions cognitives, périphériques ou des tendances à l’action isolées n’a pas la
cohérence essentielle d’une expérience coordonnée et représentée globalement.
Symptômes Expression
physiologiques motrice
Tendances
à l’action
Appraisal
A
Réflexion et régulation
B
inconscientes
Représentation
C et régulation conscientes
Zone de mesure valide
des « self-report »
Verbalisation et communication
de l’expérience émotionnelle
Figure 7.2
Le système moniteur présente trois parties : une représentation inconsciente,
une représentation consciente et un aspect verbalisable (adapté de Scherer, 2004).
LE SENTIMENT SUBJECTIF 235
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Le cercle B représente le sentiment subjectif qui sera accessible à la cons-
cience de l’individu, ceci notamment à des fins de régulation émotionnelle.
Les changements « monitorés » dans A deviennent alors des paramètres
qualitatifs du sentiment subjectif. À noter que ce cercle ne se superpose que
partiellement au premier cercle, ceci pour représenter les caractéristiques
reconstructives de la conscience et mettre en évidence les apports mnésiques
que fait l’individu à son expérience émotionnelle originale. Cette représentation
consciente, ainsi que les qualités du sentiment sous-jacent, constituent les
aspects qui ont le plus intéressé les philosophes et les psychologues orientés
vers la phénoménologie. C’est à ces aspects qu’est liée la notion de « qualia ».
La « qualia » peut être envisagée de plusieurs manières. Avant tout, c’est
l’idée qu’à un moment donné l’individu va sentir qu’il ressent. Plus précisé-
ment, l’idée de « qualia » réfère à l’accessibilité qu’a l’individu, par intros-
pection, aux différents aspects de sa vie mentale (Tye, 2003). La « qualia »
est aussi l’aspect qualitatif de l’expérience consciente. De manière générale,
on peut dire que si la « qualia » est un aspect de l’expérience, elle n’est pas la
totalité de celle-ci. Le cercle B représente pourtant ce qui est communément
appelé « le sentiment ». Un autre aspect primordial de cette partie du senti-
ment subjectif est son aspect de régulation contrôlée. En effet, l’accès à la
conscience de l’émotion ressentie permet une régulation socio-normative
effectuée par des contraintes culturelles. Les représentations du soi qu’a
l’individu ainsi que d’autres apports personnels entrent aussi dans cet aspect
de régulation. Ces deux premiers cercles représentent les aspects conscients
et inconscients de l’expérience émotionnelle sur laquelle de nombreux
auteurs se sont penchés (voir par exemple Anderson, 1989).
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Les processus représentés par ces deux cercles sont difficilement mesura-
bles objectivement. La seule mesure dont nous disposons concernant cette
composante émotionnelle est le rapport verbal qu’un individu peut donner de
son expérience consciente de l’émotion. Ainsi, grâce à ce rapport verbal, il
est possible d’avoir accès à la partie du sentiment subjectif, représentée par
le cercle C. Nous n’avons alors accès qu’à une fraction restreinte de la partie
consciente du sentiment (cercle B). La superposition imparfaite du cercle B
et du cercle C indique que ce qui peut être rapporté verbalement ne repré-
sente qu’une infime partie de ce qui est effectivement ressenti consciemment
par l’individu. Cette épuration de nombreux aspects du sentiment subjectif
236 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
lors du rapport verbal peut être expliquée soit par une intention contrôlée de
l’individu à dissimuler certains aspects, soit par une dépendance du rapport
verbal au langage. La catégorisation du ressenti sera ensuite labellisée selon
une représentation personnelle des labels verbaux disponibles par l’individu
dans la langue parlée (voir point 1.2.2). Le rapport verbal ne peut être consi-
déré que comme une dénomination qui reflète ponctuellement, et plus ou
moins adéquatement (cf. la description de la non-superposition des cercles A,
B et C ci-dessus), l’état dans lequel l’individu se trouve (Kaiser, Wehrle et
Schmidt, 1998).
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5 2
3 1 6
Réflexion
et régulation inconscientes
4 Représentation
7 et régulation conscientes
Verbalisation et communication
de l’expérience émotionnelle
Figure 7.3
Les sept parties du système moniteur.
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pour faire face à la situation. Cette prise de conscience reste cependant un flux
continu d’information. Pour l’extérioriser et communiquer son expérience, le
rapport verbal ponctuel reste, malgré tout, la seule option jusqu’à maintenant.
Grâce à cette représentation globale du système moniteur, il est théoriquement
possible de rendre compte des nombreuses différences interindividuelles au
niveau du sentiment subjectif. En effet, selon l’individu, les cercles seront plus
ou moins imbriqués, ce qui donnera par exemple des variations sur la quantité
d’information qui accédera à la conscience ou sur la partie verbalisée de celle-
ci, variations qui distinguent donc les individus au niveau de leur ressenti.
Cette représentation du système moniteur permet également d’avoir une
vision globale des sept aspects de ce complexe représentés par les sept aires
fermées du diagramme. La figure 7.3 ci-contre nous donne un aperçu de ces
aires et de leur signification au niveau émotionnel.
Pour parvenir à ressentir une émotion, l’individu doit pouvoir intégrer l’infor-
mation qui provient de son environnement interne (proprioception) et externe
en un tout cohérent. Suite à l’évaluation de la situation, les répercussions sur les
différentes composantes de l’émotion doivent être intégrées pour (enfin) parve-
nir à provoquer une émotion complète. L’intégration ne peut se faire que lors-
que les informations arrivent des composantes. Même si les recherches les
plus avancées sur l’émotion ne permettent pas de se représenter clairement
comment ces différents systèmes communiquent, l’hypothèse que nous avan-
çons est que la synchronisation des changements dans les différentes compo-
santes pourrait se faire tant au niveau temporel qu’au niveau fréquentiel, chaque
système adoptant une fréquence d’émission commune pour « communiquer »
238 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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intégration va permettre de transformer l’appraisal subjectif en moteur de
changement pour les autres composantes et ainsi transformer une évaluation
en réponse émotionnelle. Anderson (1989) a suggéré que la façon avec
laquelle les évaluations sont intégrées dépend largement des priorités de
l’organisme à un moment précis. La proposition d’Anderson est séduisante
dans le sens que l’on pourrait imaginer des règles d’intégration différentes
selon les profils résultants de l’évaluation des antécédents. Selon cette appro-
che, l’importance d’un critère serait modulée par l’importance des autres, ce
qui rendrait assez bien compte des nuances dans les différentes émotions
ressenties et de la notion de différenciation cumulative des émotions grâce à
un processus d’appraisal séquentiel (voir chapitres 2 et 4).
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■ Unité et catégorie
Quelle forme prend le résultat de cette intégration ? Nous pouvons émettre
deux hypothèses. Premièrement, il se pourrait que le processus d’intégration
transforme toutes les informations provenant des différentes composantes en
une seule unité. L’information ainsi transformée formerait un tout cohérent
et homogène. L’inconvénient de cette hypothèse est une perte de détails
concernant l’information. En effet, aucune unité commune ne permettrait de
rendre compte de toutes les nuances de changements données par chacune des
composantes selon son propre système de codage et de transmission d’infor-
mation. Deuxièmement, il se pourrait que le résultat de l’intégration ne soit
rien d’autre qu’un mélange hétérogène de plusieurs types d’informations,
reflétant ainsi la nature de chacune des composantes à sa source.
Liée à la question de l’unité, l’interrogation sur la présence d’un nombre
fixe de catégories ou d’une infinité d’émotions différentes a sa place lorsqu’on
considère l’intégration de l’information menant au sentiment subjectif.
Pour ce qui est des émotions prédites par les résultats de l’appraisal, nous
avions postulé qu’il y aurait autant d’émotions que de profils différents
concernant les résultats de l’évaluation de tous les critères. Nous pouvons
supposer que les résultats de l’intégration des informations provenant de toutes
les composantes refléteront cette infinie variété. Il est possible de justifier
cette position par un aspect de fonctionnalité. Si le sentiment subjectif a une
fonction de régulation et d’intervention sur des sujets importants pour l’indi-
vidu, il est logique que la base informative sur laquelle il repose soit aussi
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forme originale reste présente et ne soit pas perdue, ce qui va permettre à
l’individu de récupérer certains détails de son processus d’appraisal si la
demande lui en est faite. Ainsi, même si la représentation centrale complète
est inconsciente, certains aspects peuvent parvenir à la conscience de la
personne si celle-ci opère une recherche stratégique. Une fois que l’informa-
tion a atteint la conscience, elle est couramment l’objet d’une verbalisation
de la part de l’individu. Cette verbalisation de l’expérience consciente néces-
site une troisième intégration. Ceci ne signifie pas forcément que l’on passe
directement à une verbalisation catégorielle se résumant à l’utilisation d’un
seul mot, ce qui impliquerait que l’intégration se fasse par catégorisation.
C
Verbalisation et communication Intégration 3 : réduction
de líexpérience émotionnelle : de l’information et
labels verbaux, récits, analogies et métaphores catégorisation pour une
verbalisation du ressenti
Intégrations de l’information
Figure 7.4
Les trois étapes de l’intégration de l’information : intégration de l’information
venant des composantes, intégration de la représentation consciente d’après la
représentation inconsciente et intégration catégorielle menant à une description
possible du sentiment subjectif.
LE SENTIMENT SUBJECTIF 241
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tions brutes arrivent des autres composantes au stade où un label verbal est
donné par le sujet sont illustrées par la figure 7.4. Cette figure reprend large-
ment la figure 7.2 : après avoir décrit les étapes de l’intégration, nous venons
dans ces derniers paragraphes d’en détailler les processus dynamiques inter-
médiaires proposés pour compléter notre vision du système moniteur.
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proprioception), les comportements (ce que nous assimilons à des consé-
quences de tendances à l’action) ainsi qu’un ensemble d’évaluations cognitives.
L’optique des processus composants peut donc rendre compte non seulement
des émotions de qualités différentes, mais aussi d’intensités différentes. L’étude
sur l’intensité du sentiment subjectif est ainsi l’une des nombreuses pistes
possibles pour tâcher de comprendre plus en détail ce phénomène. La théma-
tique d’« intensité seuil » est aussi dépendante de cette problématique. En
effet on pourrait supposer qu’il existe un seuil d’activités corporelles et
cognitives, au-delà duquel on ne peut que ressentir un sentiment subjectif. Le
problème est qu’il est difficile à l’heure actuelle de déterminer ce seuil. Il
peut dépendre de nombreux facteurs comme la personnalité des individus
mais aussi leur humeur du moment ou le type de contexte dans lequel ils se
trouvent. Nous avons un exemple de cette notion de seuil avec la description
de l’intensité d’un sentiment subjectif à l’aide des fonctions d’hystérèse.
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et suive ultérieurement la fonction inférieure. Nous supposons ici que les
valeurs Xa et Xb sont différentes.
Xa Xb X
Figure 7.5
Représentation de la fonction hystérétique
qui modélise la non-linéarité d’un sentiment subjectif et la différence
entre le début et la fin d’un épisode émotionnel ressenti.
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hystérétique (il faut imaginer ici un espace à plusieurs dimensions ; voir Zeeman,
1976). De cette manière, les changements dans l’épisode émotionnel peuvent
se faire brusquement (comme dans l’exemple vu précédemment) mais aussi
graduellement selon leur localisation sur la surface comportementale. Les
dimensions de la base de contrôle dépendent de l’environnement dans lequel
se trouve l’individu au moment où survient l’épisode émotionnel, mais
également de l’importance que prennent les caractéristiques de l’environnement
pour cet individu en particulier. Les constituants de l’espace de contrôle sont
probablement 1) les critères d’évaluation de l’environnement et 2) leurs
résultantes en termes de comportement, ces dernières étant définies par
l’évaluation de l’individu. Il est possible de faire l’hypothèse que l’émer-
gence d’une émotion se fait à partir du moment où un ou plusieurs éléments
de la base de contrôle atteignent un seuil critique d’intensité. Nous abordons
dans le point suivant une alternative à un ancrage d’un sentiment conscient,
sentiment non lié à un seuil d’intensité mais à un seuil temporel.
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celle-ci s’amenuise pour enfin disparaître à la conscience, pourrait dans notre
optique être déterminée par le temps pendant lequel la synchronisation de
l’activation des différents systèmes émotionnels persiste, et correspondrait au
temps de l’intégration temporelle (Scherer, 1987b). Ces blocs seraient utilisés
également pour la verbalisation de l’expérience, négligeant les nuances inter-
médiaires mais permettant une communication minimale de l’expérience.
Aux sections 1 et 2, nous avons décrit la notion de sentiment subjectif et
nous l’avons intégrée au sein du modèle des processus composants. Nous avons
détaillé ses fonctions ainsi que les différentes parties du système moniteur
tout en illustrant comment l’information peut venir de tout le corps pour se
fondre en une représentation d’abord non accessible à la conscience puis,
consciente et verbalisable. Par ailleurs, nous avons aussi proposé deux voies
possibles pour envisager le seuil d’émergence d’un sentiment consciemment
vécu par la personne : le seuil d’intensité et le seuil de durée de synchronisation.
Une fois posé ce cadre théorique détaillé, il s’agit maintenant d’aborder l’étude
empirique du sentiment subjectif.
3.1 Approches
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Peu, voire aucune recherche, ne s’est penchée sur l’étude du sentiment subjectif
comme reflet, non seulement des changements dans le système cognitif
représenté par les phénomènes d’appraisal, mais aussi des changements surve-
nant dans les autres composantes émotionnelles. Pour aborder ces recherches,
il faudrait, selon Scherer (2004), découpler les composantes émotionnel-
les en deux groupes : les composantes cognitive, motivationnelle, expressive
et physiologique, d’une part, et le système moniteur, d’autre part. Cette sépara-
tion permettrait d’étudier chacun des groupes isolément sans écarter l’étude
de leurs interrelations. Cette façon d’appréhender les choses renvoie au statut
246 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
particulier qu’a le système moniteur, étant en même temps reflet des autres
composantes et composante en tant que telle. Pour mener à bien l’approche
suggérée, deux démarches sont envisageables. Premièrement, examiner les
prédictions que l’on pourrait faire des conséquences de l’appraisal sur les
systèmes motivationnels, expressifs et physiologiques indépendamment de toute
catégorie préconçue et regrouper ainsi les patterns qui peuvent être observés.
Deuxièmement, et c’est l’approche qui va nous concerner pour envisager
l’étude du sentiment subjectif, il faudra modéliser le fait que chaque épisode
émotionnel implique l’existence de sentiments complexes, intégrant trans-
versalement les activités des autres composantes sur toute la durée de l’épisode.
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On pourra ainsi essayer de déterminer quel facteur prédit l’appellation donnée
d’une expérience pendant l’épisode en question. L’objectif de cette procédure
est de modéliser les éléments de la représentation subjective et d’étudier l’inté-
gration qui la précède (quatre autres composantes) en essayant également
d’identifier un décours temporel du processus.
Comme nous avons pu le constater au point 1.1.2, il s’agit de considérer
l’émotion comme un processus dynamique et, de surcroît, non linéaire. De
plus, nous avons clairement montré que le sentiment subjectif ne se borne pas au
rapport verbal que l’on peut en faire (voir point 1.4). Cette problématique
n’échappe pas à la majorité des auteurs mais, comme le souligne Desmet (2003),
le rapport verbal peut être modulé en utilisant plusieurs échelles pour ajouter des
nuances et représenter différentes émotions (voir aussi la section « Recherche
supplémentaire » ; Scherer, 2005). Cependant, l’utilisation unique du rapport
verbal (ce qui est plus facile et, jusqu’à présent, la méthode la plus largement
utilisée) est une formule qui, bien qu’utile et sûrement indispensable, n’est
en tout cas pas suffisante pour la mesure expérimentale et exhaustive du
sentiment subjectif. Que ce soit un récit d’expérience émotionnelle, ou une
cotation sur des échelles prédéterminées, le risque est, comme le suggèrent
entre autres Lambie et Marcel (2002), de guider la personne vers certains
aspects de son expérience. De plus, un rapport verbal a posteriori risque
d’être une reconstruction, une distorsion de la réalité. Une idée développée
par Desmet (2003) est d’utiliser des pictogrammes pour capter le verbal comme
le non-verbal. Les rapports sont alors constitués d’images censées représen-
ter des états émotionnels. Cependant, si nous essayons ainsi de refléter une
partie supplémentaire du sentiment subjectif, nous n’écartons pas la problé-
matique du choix forcé qui limite le nombre de « catégories émotionnelles »
et nous ne permettons pas à l’individu de donner de plus amples détails sur
son ressenti conscient (cercle B du diagramme de Venn figure 7.2, point 1.4).
Un problème méthodologique se pose donc quant à la mesure de cette
composante de l’émotion qui génère le ressenti de l’individu, mais qui reflète
également les changements d’états des quatre autres composantes en jeu.
C’est ce dernier aspect qui est abordé en premier lieu dans ce sous-chapitre
concernant la méthodologie à employer lors de la recherche sur le sentiment
subjectif.
LE SENTIMENT SUBJECTIF 247
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lesquelles les différentes composantes sont intégrées, afin de rendre compte
d’un sentiment subjectif complet. Cette pondération reflétera la façon dont
l’information provenant des composantes sera intégrée selon les priorités de
l’organisme. Ainsi, ce qui permet à l’une des composantes d’être privilégiée
par rapport aux autres pourrait dépendre du contexte dans lequel se trouve
l’individu ainsi que de ses buts proximaux, deux des aspects majeurs de
l’évaluation que fait l’individu de son environnement. De plus, la façon dont
la composante expressive s’exposera au grand jour dépend des normes socia-
les et culturelles relatives à ce qu’on peut ou non montrer par rapport à ses
sentiments (display rules) et à ce qu’on peut ou non ressentir objectivement
(feeling rules ; Hochschild, 1983). Ces règles constituent ainsi la caractéristi-
que de régulation du sentiment subjectif. Nous proposons ici que la pondéra-
tion permettant de privilégier l’information provenant d’une composante
plutôt que d’une autre dans une situation donnée se fait de manière non
linéaire et probablement en conservant un aspect configurationnel, ce qui
permet d’avoir des profils d’activation différents, susceptibles d’engendrer
des sentiments subjectifs différents. L’intégration des composantes se faisant
en rapport avec la situation et les buts de l’individu, et la résultante variant
selon leurs caractéristiques, il est possible de peaufiner notre prise en consi-
dération du système moniteur. Jusque-là nous l’avons envisagé comme un
système de surveillance, reflétant les changements survenant dans les autres
systèmes émotionnels. Cependant, au vu des suppositions d’une intégration
pondérée de cette information, lorsqu’il est engendré, le sentiment subjectif
n’est pas seulement un reflet passif mais est une représentation prenant en
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compte à la fois l’état qui doit être atteint par l’individu d’après une rééva-
luation cognitive de son environnement et une prise en considération d’une
régulation expressive et physiologique.
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permet au sentiment subjectif de diminuer en intensité (voir Scherer 2000b).
Ces divergences scientifiques, de résultats et théoriques, peuvent résulter
de pondérations différentes des composantes émotionnelles. Par conséquent,
dans l’expérience de Myrtek et al. (1996), il est possible que la situation donne
une priorité assez faible à la composante physiologique ; d’autres composantes
sont plus importantes pour la génération du sentiment rapporté. Ainsi, en ne
mesurant qu’une seule composante émotionnelle (hormis le rapport verbal) il est
possible d’obtenir des résultats divergents, sans qu’il soit nécessaire pour
autant de remettre en cause le cadre théorique qui a été exposé ici. De la même
façon, l’hypothèse de catharsis et l’hypothèse de rétroaction proprioceptive ne
se disqualifient pas forcément et les deux peuvent se réaliser selon la configu-
ration d’intégration dans une situation donnée. Il est fort possible en effet que
sous une condition où l’hypothèse de rétroaction proprioceptive s’applique,
la composante expressive ait un poids important (relativement aux autres
composantes) et donc un fort impact sur la génération du sentiment subjectif,
alors que cette même composante n’a pas cette importance dans une situation
où l’hypothèse de catharsis s’applique. Ceci peut se voir, par exemple, dans
une situation où la répression de l’expression est socialement demandée.
Lors de la mesure des synchronisations d’activations des différents sous-
systèmes, c’est la réaction que nous pouvons mesurer à proprement parler qui
nous pose problème. Nous avons une méconnaissance de son délai d’activation,
de la particularité des pics d’intensité ainsi que des caractéristiques de la phase
d’extinction (Scherer, 1993a). Ainsi, il semble important, pour comprendre
le sentiment subjectif empiriquement, de se concentrer non seulement sur la
qualité ou l’intensité du sentiment subjectif, mais également sur sa génération,
c’est-à-dire sur les processus d’intégration des informations provenant des
différentes composantes ainsi que l’importance différentielle donnée à ces
informations.
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grossièrement selon les modalités perceptives en jeu :
– visuel : l’induction au travers de stimuli visuels peut être de deux types :
dynamique (films) ou statique (images). Une abondante littérature rapporte
des expériences réalisées avec ce type de stimuli (par exemple Gross, et
Levenson, 1993 ; Fredrickson, et Levenson, 1998 ; Hamm, et Vaitl, 1993) ;
– auditif : la présentation de musique est la méthode de prédilection pour toutes
les études impliquant la modalité auditive. C’est une induction difficile car
fortement connotée avec les préférences sonores des individus. Elle est
pourtant considérée comme une méthode très valide pour les recherches
neurobiologiques et physiologiques sur les émotions, par exemple. Diffé-
rents sons sont également utilisés pour induire des processus affectifs
(pour des exemples de recherche avec des stimuli auditifs voir Nyklicek,
Thayer et van Doornen, 1997 ; Vaitl, Vehrs et Sternagel, 1993 ; Peretz,
2001) ;
– olfactif : cette modalité a pris son essor ces dernières années. Avec l’avan-
cement technologique, il est maintenant possible de procéder à des expé-
riences avec ce type de stimuli car ils sont à présent contrôlables, ce qui
permet la création d’une démarche expérimentale valide (pour quelques
exemples de recherche voir Bensafi et al., 2002 ; Millot et Brand, 2001).
En outre, l’utilisation de modalités combinées accroît la validité de l’induction
émotionnelle car les stimulations se rapprochent de ce qui est vécu dans la
réalité par les participants. Ce fait a notamment été montré par plusieurs
études (Baumgartner, Esslen et Jäncke, 2005 ; Baumgartner, Lutz, Schmidt
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et Jäncke, 2006) alliant stimuli visuels et auditifs pour des émotions résultantes
plus effectives, autant sur le plan subjectif que physiologique.
Dans le cas d’une situation interne, ce sont avant tout des aspects mnésiques
ou d’empathie qui sont évoqués pour permettre à la personne de développer un
processus émotionnel. On demandera alors de se rappeler d’épisodes émotion-
nels ou d’essayer de se mettre émotionnellement à la place d’un personnage
(réel ou factice) dont on décrit la situation vécue (voir Roseman, 1991 ;
Smith et Lazarus, 1993 pour l’utilisation de vignettes et scénarios et Frijda,
Kuipers et terSchure, 1989 ; Mauro, Sato et Tucker, 1992 pour des exemples
avec le rappel mnésique).
250 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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suivants, nous passerons en revue les avancées les plus significatives
amenées par ce deuxième type d’approches expérimentales, qui essait de
localiser et de comprendre le fonctionnement de zones impliquées dans le
sentiment subjectif. Pour cette approche, les chercheurs disposent de deux
voies d’étude : l’étude des corrélats, et l’observation de dysfonctionnements
neurologiques suite à des pathologies ou à des lésions cérébrales.
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zones dont l’activation est corrélée avec un sentiment subjectif. Ces zones
ont également été citées par d’autres auteurs (par exemple Hagemann et coll.
2003) comme faisant partie du processus d’intégration de l’information, base
de notre définition du sentiment subjectif. N’oublions pas non plus dans la
liste des zones cérébrales impliquées dans le sentiment subjectif, le cortex
préfrontal. Si cette région n’a pas été mentionnée dans la recherche de
Damasio et coll. (2000), elle est néanmoins envisagée par d’autres auteurs
(voir par exemple Davidson et Irwin, 1999 ; Davidson et coll., 1999) comme
l’une des régions fortement impliquées dans les troubles émotionnels
lorsqu’elle ne fonctionne pas normalement, notamment dans les troubles de
type anxieux et dépressifs. Il est donc nécessaire de prendre en considération
le cortex préfrontal comme une région essentielle dans la représentation
cohérente et adaptée d’une émotion vécue (Lane et coll., 1997). Une autre
zone probablement impliquée dans les représentations subjectives conscien-
tes serait le tronc cérébral (Parvizi et Damasio, 2001). Celui-ci permet aux
informations afférentes d’être renvoyées à des zones de convergence qui
entraîneraient l’émergence d’un sentiment subjectif. Les zones que nous
avons relevées sont des zones qui ont également été étudiées par de
nombreux auteurs en ce qui concerne l’émotion de manière générale, sans
référence explicite au sentiment subjectif (voir par exemple Phan et coll.,
2002). Cette absence de distinction dans la majorité des recherches pose un
problème majeur dans l’identification des zones impliquées dans les aspects
uniquement liés au sentiment subjectif. D’autre part, l’implication de fonc-
tions cognitives, comme l’attention, dans la perception d’un sentiment
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Pour pouvoir identifier les entités nécessaires à l’émergence d’un sentiment
subjectif, il est envisageable de se concentrer sur les dysfonctionnements
survenant chez certains individus, afin d’établir un lien causal entre leurs
difficultés émotionnelles et les perturbations neurologiques dues à une lésion
(chirurgicale ou accidentelle), ou à une pathologie.
En ce qui concerne les dysfonctionnements pathologiques, des travaux sur
les troubles de type anxieux et dépressifs ont été menés et nous les avons
mentionnés brièvement au sous-chapitre précédent. La schizophrénie est
également une pathologie qui attire l’attention de part la présence de graves
troubles d’ordre émotionnel et plus particulièrement d’aspects de déperson-
nalisation. La dépersonnalisation a été, dans ce cadre, un phénomène patho-
logique de grand intérêt (voir par exemple Sierra et Berrios, 1998 ; Simeon
et al., 2000 ; Phillips et al., 2001 ; Maggini, Raballo et Salvatore, 2002). Un
des aspects de ce phénomène peut être considéré comme une absence d’expé-
rience subjective de l’émotion et, plus spécifiquement, comme une impression
de détachement par rapport au monde réel, ce qui rend les émotions difficiles
à vivre à la première personne. Les phénomènes de dépersonnalisation
seraient peut-être intéressants à étudier pour comprendre la différence entre
vivre une émotion réelle et vivre une émotion comme si elle n’était pas « notre
émotion », comme si une autre personne la vivait à notre place. Une déper-
sonnalisation va souvent de paire avec une alexithymie, qui se traduit par une
difficulté à identifier et verbaliser les émotions subjectives (Maggini et al.,
2002; Lambie et al. 2002). Plus précisément, selon Taylor et Bagby (2004),
le symptôme d’alexithymie serait dû à un déficit de symbolisation provo-
quant un affaiblissement du lien entre sensation corporelle et état émotion-
nel. Les patients dépersonnalisés de Phillips et coll. (2001) montraient en
imagerie cérébrale une hypoactivation de l’insula, des gyri temporaux
moyens et supérieurs, ainsi que du lobe pariétal inférieur lors d’une confron-
tation à des stimuli émotionnels. La conclusion des auteurs associe des
dysfonctionnements autant neuronaux que comportementaux au vécu
émotionnel, signalant de ce fait la nécessité d’activations spécifiques pour
avoir la possibilité de ressentir une émotion au niveau subjectif. Plus généra-
lement, les personnes souffrant de schizophrénie semblent présenter une
hypoactivation amygdalienne et orbitofrontale, mais rapportent un sentiment
subjectif équivalent au groupe contrôle (Taylor et coll., 2002). Ceci suggère
LE SENTIMENT SUBJECTIF 253
que, si l’amygdale est impliquée dans l’émotion, elle n’est pas forcément
essentielle à l’émergence d’un sentiment subjectif à proprement parler. Pour-
tant cette structure est impliquée dans des processus liés au sentiment
subjectif (comme la détection de la pertinence ou de la valence des stimuli
par exemple). L’amygdale interviendrait en amont du sentiment subjectif,
même si elle n’est pas forcément activée au moment de l’émergence de
l’émotion consciente. Nous touchons ici un problème assez épineux de
l’étude des mécanismes neurobiologiques du sentiment subjectif. Comme
nous l’avons déjà mentionné, le sentiment subjectif est complexe et fait appel
à de nombreuses autres fonctions cognitives, comme la mémoire ou l’attention
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(ainsi que le langage lorsque l’on veut communiquer son émotion), qui ont
toutes des circuits cérébraux spécifiques. Ainsi nous pouvons faire l’hypo-
thèse que la majeure partie du cerveau est reliée à l’élaboration de l’expé-
rience émotionnelle. Ce qui nous intéresse ici ce sont cependant les
structures qui sont directement en amont de l’expérience.
Pour les études sur les lésions cérébrales, la recherche très anatomique de
Hornak et coll. (2003) a permis d’identifier une zone cérébrale (aire de Brod-
man 9) appartenant au cortex orbitofrontal. En cas de lésion de cette zone,
unilatérale ou bilatérale, en conjonction avec une lésion du cortex cingulaire
antérieur, des changements marqués dans les états émotionnels subjectifs
sont observés. Mentionnons aussi les conclusions que Zald (2003) tire
concernant le rôle de l’amygdale dans le sentiment subjectif. Les patients
avec une lésion de cette zone ne rapportaient aucun déficit ni dans leurs
sentiments ni dans leurs évaluations subjectives, ce qui concorde avec les
résultats de la recherche d’Anderson et Phelps (2002) et celle de Taylor et
coll. (2002) précédemment citées.
En conclusion, la complexité du système moniteur se reflète également
dans les tentatives de compréhension des processus au niveau des activations
cérébrales et périphériques. La pondération différentielle probable entre les
différentes composantes ainsi que l’implication de plusieurs fonctions cogni-
tives dans les processus émotionnels rendent difficile l’isolation de processus
spécifiques et ont empêché ainsi une compréhension du sentiment subjectif
au niveau des processus cérébraux impliqués.
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SYNTHÈSE ET CONCLUSION
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conception dynamique de l’émotion, d’éviter les pièges des labels verbaux et
de prendre en compte en même temps la psychobiologie et les contraintes
sociales et culturelles. De plus, le modèle permet de reconnaître les concepts
phénoménologiquement distincts et des concepts imbriqués, comme la cognition
et l’émotion par exemple (Scherer, 1993a). Par ailleurs, l’étude des compo-
santes séparées permet une description analytique et minutieuse des parties
impliquées, analyse nécessaire à leur compréhension et à leur utilisation
dans le domaine empirique. Pourtant, cette même étude permet le regroupe-
ment holistique de ces différents systèmes en un système émergent qu’est le
système amenant au sentiment subjectif.
Nous avons expliqué de nombreuses fois que le sentiment subjectif est une
partie du système moniteur qui gère et regroupe les informations arrivant des
autres composantes, engendrant une émotion consciente lorsque l’activité
des quatre composantes (autre que le système moniteur) se synchronise. Ceci a
la double fonction de recruter des ressources pour gérer une situation délicate
et de faciliter le stockage en mémoire à long terme de nos épisodes de vie.
Trois parties distinctes du système moniteur ont été détaillées : la repré-
sentation inconsciente, le sentiment, et cette partie du monitoring des change-
ments corporels et cognitifs qui peut être verbalisée. L’entrelacement de ces
parties engendre sept espaces différents de la composante émotionnelle centrale.
Nous avons également vu que, pour comprendre comment fonctionne ce
système moniteur, et par conséquent, le sentiment subjectif, il fallait comprendre
la façon par laquelle les informations étaient intégrées progressivement pour
pouvoir se représenter les différents aspects de notre émotion (comme la
dénomination de notre émotion, par exemple). Cependant, peu de recherches
s’y sont intéressées, ce qui laisse la place à de futurs approfondissements.
Afin d’étudier le processus d’intégration de l’information, il faut se concentrer
sur les processus de synchronisation. Il faudra cependant faire face à de
nombreux problèmes d’ordre méthodologique : en effet, la synchronisation
pourrait être décalée ou amortie. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné,
l’intégration de l’information s’effectue probablement de manière non linéaire.
Pour parvenir à un cadre expérimental, il faudra définir certains paramètres
pour cadrer ce qui pourra être étudié. Ainsi, définir opérationnellement la
synchronisation de l’activation des sous-systèmes en définissant les critères
LE SENTIMENT SUBJECTIF 255
de début et de fin est une condition nécessaire à toute étude. De plus, il nous
faudra déterminer si tous les systèmes devront obligatoirement être impli-
qués, de manière continue ou non, et ensuite trouver un modèle expliquant le
changement soudain d’émotion ainsi que la génération d’émotions différentes
à des antécédents limités.
Avancer sur le terrain de la recherche sur le sentiment subjectif, c’est d’abord
observer les exigences de son émergence. Deux pistes ont été données dans
ce chapitre concernant la condition nécessaire et antécédente à l’apparition
d’un sentiment conscient. Premièrement, on pourrait faire l’hypothèse d’une
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apparition due à des pics des amplitudes d’activation et, deuxièmement, on
pourrait imaginer une synchronisation suffisamment longue pour être consi-
dérée comme un signal qui favorise l’émergence d’un sentiment subjectif.
Le lecteur aura entr’aperçu les difficultés relatives à la notion de sentiment
subjectif et à son étude. Les obstacles commencent dès lors que l’on veut le
mesurer. Il ne faut alors pas se contenter de labels verbaux mais aller au-delà
de la description catégorielle en demandant un rapport constitué d’analogies
ou de métaphores. Mais là encore, cela reste du rapport verbal, que l’on peut
évincer en utilisant du non verbal, chose délicate à réaliser en pratique. Ensuite,
si l’on veut mettre en lien le sentiment subjectif et les autres composantes
émotionnelles, on se heurte à des discordances dues probablement au phéno-
mène théorique de pondérations différenciées des composantes selon la
situation ou l’individu. Sur le plan neurologique, si l’on souhaite étudier les
régions cérébrales impliquées, l’ignorance des délais d’activation suite à une
stimulation et des fonctions régissant son déroulement ainsi que son extinction
rend délicate la mise à l’étude empirique du sentiment subjectif.
C’est notamment par le fait que le sentiment subjectif reste un continent
inexploré du domaine de la psychologie qu’il en devient si intrigant. C’est
par sa complexité et pourtant son implication quotidienne dans notre vie, et
cela dans tous les domaines, que ce soit interpersonnel, historique ou privé, que
le sentiment subjectif passionne. C’est par son opérationnalisation difficile
que celui-ci devient, pour le chercheur, un défi.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
LECTURES CONSEILLÉES
Approfondissement de la théorie
SCHERER K.R. (2004). « Feelings integrate the central representation of appraisal-
driven response organization in emotion ». In A.S.R. Manstead, N.H. Frijda et
A.H. Fischer (éd.). Feelings and Emotions : The Amsterdam Symposium.
Cambridge : Cambridge University Press.
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SCHERER K.R. (2000a). « Emotions as episodes of subsystem synchronization driven
by nonlinear appraisal processes ». In M.D. Lewis et I. Granic (éd.), Emotion,
Development, and Self-organization : Dynamic Systems Approaches to Emotional
Development (p. 70-99). New York/Cambridge : Cambridge University Press.
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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forme graphique pour une meilleure appréciation de la réponse donnée par
la personne elle-même.
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INTRODUCTION
Pour cela, il est important de savoir maîtriser ses affects – une faculté dont
nous acquérons les fondements pendant l’enfance, mais que l’on peut égale-
ment entretenir à l’âge adulte. Car des difficultés dans la régulation des
émotions peuvent aboutir à des pathologies plus ou moins graves comme,
par exemple, la dépression.
Ce chapitre sera dédié à cette faculté extraordinaire qu’est la régulation
des émotions. Nous présenterons son histoire, ses effets psychologiques et
physiologiques, ainsi que ses bases neuronales ; nous distinguerons différents
types et différentes formes de la régulation des émotions avec leurs avantages et
désavantages respectifs.
262 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
1 DÉFINITION DE LA RÉGULATION
ÉMOTIONNELLE
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qui semble être largement acceptée. Ainsi, Gross (1998b) conçoit la régulation
émotionnelle comme « le processus par lequel les individus influencent quel-
les émotions ils ont, quand ils les ont, et comment ils ressentent et expriment
ces émotions » (p. 275, traduction par l’auteur). Naturellement, cette définition
est extrêmement large et comprend donc une multitude de processus, comme
l’identification, la compréhension et l’intégration de l’information émotion-
nelle, et en même temps la gestion de son propre comportement en accord
avec ses buts personnels et sociaux (Zeman, Cassano, Perry-Parrish et Stegall,
2006). Scherer (2007) identifie trois éléments déterminants pour la régulation
émotionnelle : 1) le reflet et l’intégration des sous-composantes de l’organisme
(la physiologie, l’expression, les tendances à l’action et le sentiment subjectif),
2) un juste équilibre entre traitement conscient et inconscient, et 3) la
présence d’un bon et fidèle feedback proprioceptif. En termes généraux, la
régulation émotionnelle requiert donc la gestion et l’organisation, de la part
de l’individu, de ses différents systèmes et sous-composantes dans le but
d’adapter son comportement émotionnel au contexte et aux normes socio-
culturelles et/ou pour faciliter l’atteinte de ses buts et besoins. D’après Gross
(2002) (voir aussi Gross et Thompson, 2007) les processus de régulation
émotionnelle peuvent être à la fois conscients et inconscients, automatiques
ou contrôlés, et peuvent servir à augmenter, diminuer ou maintenir l’intensité
d’émotions positives et négatives. Ils peuvent aboutir à des changements éven-
tuels dans l’ampleur, la durée (globale et de propagation et d’extinction du
signal) et la latence des réponses dans les sous-composantes de l’organisme.
Il est important de souligner que la régulation émotionnelle n’est en soi ni
positive ni négative, tout comme des réactions émotionnelles ne sont pas positives
ou négatives dans l’absolu, mais deviennent mal adaptées, voire pathologiques,
seulement en relation à un contexte spécifique.
Le concept de régulation émotionnelle est proche d’autres notions impor-
tantes en psychologie, comme le coping, les « mécanismes de défense », et
l’« autorégulation » (self-regulation en anglais). Le coping (terme anglais
signifiant « faire face à ») est défini comme l’ensemble des pensées et compor-
tements utilisés pour gérer les besoins intérieurs et extérieurs des situations
qui sont évaluées comme stressantes (Folkman et Moskowitz, 2004). Ce concept
de la psychologie sociale, qui a été étudié principalement à travers l’utilisation
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 263
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nelle étudiées par Gross et ses collègues comme une forme de coping centrée
sur les émotions. Dans la même lignée, Scherer (2007) met également
l’accent sur le lien étroit entre les concepts de coping et de régulation
émotionnelle et suggère qu’une tentative de les intégrer au niveau théorique
et empirique leur serait bénéfique.
L’étude des mécanismes de défense procède de l’approche psychanalytique
et est principalement basée sur des études cliniques de cas individuels. Selon
la théorie psychanalytique, le moi recourt à des défenses contre les pulsions
instinctuelles originaires du ça et les affects qu’y sont liés (Freud, 1946). Ces
mécanismes de défense sont d’habitude « considérés comme inconscients,
involontaires, relativement rigides, orientés vers les conflits internes et liés à
la psychopathologie », alors que les processus de coping, au contraire, sont
« considérés comme conscients, volontaires, flexibles, comportementaux,
orientés vers l’adaptation positive à la réalité externe, et liés à la santé mentale
et au bien-être » (Chabrol et Callahan, 2004, p. 3). Même si les mécanismes de
défense et le coping intéressent des domaines fort différents – la psychanalyse
et la psychologie sociale – ils peuvent aussi être vus comme les deux extrêmes
d’un même continuum (Chabrol et Callahan, 2004). Une coupure nette ou
une distinction claire entre les deux concepts ne semble pas exister, car leurs
définitions se chevauchent partiellement. De plus, mécanismes de défense et
coping sembleraient tous les deux intégrer le concept de régulation émotionnelle.
Clairement, les concepts de coping, « mécanismes de défense » et
« régulation émotionnelle » ont beaucoup de points en commun. Une inté-
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gration et une mise en commun des connaissances acquises dans les différents
domaines dont ils découlent constituent des objectifs que les chercheurs en
sciences affectives devraient se forcer d’atteindre. En outre, certains auteurs
(Ceschi, 1997) conçoivent la régulation émotionnelle essentiellement comme
des processus automatiques qui ont lieu tout le temps et qui font partie inté-
grante de la genèse des émotions, alors que des processus plus conscients sont
regroupés sous le terme de contrôle. Pour notre part, nous préférons adopter
ici la terminologie plus courante qui est aussi prônée par Gross, selon laquelle
il existerait un continuum allant des phénomènes de régulation émotionnelle
automatique à ceux qui sont plus de l’ordre du conscient et du volontaire.
Enfin, la définition de Gross est centrée sur les formes de régulation intrinsèque,
264 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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émotionnelle. D’autres (voir les travaux de Beauregard), par contre, utilisent
les deux termes de manière presque interchangeable et n’établissent donc
pas de distinction claire. Ici aussi, des définitions plus précises et un accord
commun entre les chercheurs sur quel phénomène est représenté par quel
terme seraient hautement recommandés.
En résumé, la régulation émotionnelle, qui comprend une multitude de
processus plus ou moins conscients, volontaires et contrôlés, consiste à moduler
le type et l’intensité des émotions ressenties et exprimées par le sujet. Les
différences et similarités entre régulation émotionnelle, autorégulation, coping,
et mécanismes de défense restent à définir avec plus de clarté.
2 L’HISTOIRE DE LA RÉGULATION
ÉMOTIONNELLE
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mécanismes de défense, mais a fini par devenir un champ d’investigation à
part – aujourd’hui autonome (Chabrol et Callahan, 2004). Un des représen-
tants principaux de la recherche sur le coping a été Richard Lazarus (1991b),
qui a fourni d’importantes connaissances sur les stratégies que les personnes
utilisent pour faire face aux émotions et aux sentiments négatifs causés par des
situations de stress. Le coping est typiquement évalué sur la base de question-
naires. Il est intéressant de relever que l’étude du coping et des mécanismes
de défense procèdent de champs théoriques à première vue très différents,
c’est-à-dire, respectivement, la psychologie sociale (et l’approche cognitive-
comportementale) et la psychanalyse. Il apparaît néanmoins, que coping et
mécanismes de défense peuvent être vus comme deux outils de l’individu – à
la fois conscients et inconscients ou volontaires et involontaires – servant à
réguler son état d’âme sous situation de stress ou de tension (Chabrol et
Callahan, 2004). L’étude du coping se différencie donc de celle de la régulation
émotionnelle principalement par son focus sur la réduction d’affect négatif,
et par sa prise en compte de phénomènes de plus longue durée (par exemple
humeurs) que les émotions (Gross et Thompson, 2007).
L’étude du développement des capacités de contrôle affectif chez l’enfant
constitue un autre domaine de recherche sur lequel s’est construit le
courant actuel d’investigation scientifique de la régulation émotionnelle.
Ainsi, des processus de régulation des émotions et d’autorégulation ont été
et continuent d’être un thème principal dans le domaine de la psychologie
du développement (voir par exemple Thompson, 1994). Ce courant souli-
gne, par exemple, l’importance de l’acquisition de mécanismes d’auto-
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En résumé, l’étude scientifique moderne de la régulation des émotions
s’intéresse principalement aux stratégies que les sujets adultes et sains utilisent
consciemment pour moduler leur ressenti et/ou leur expression émotionnelle.
Elle est fondée sur une longue tradition littéraire qui s’interrogeait sur la nature
des émotions, ainsi que sur l’étude des mécanismes de défense dans l’approche
psychanalytique, sur la tradition de recherche du stress et du coping en
psychologie sociale, et enfin sur l’étude de la mise en place des mécanismes
d’autocontrôle en psychologie du développement.
3 POURQUOI RÉGULER ?
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les individus de la société (Fischer, Manstead, Evers, Timmers et Valk, 2004).
Néanmoins, la régulation émotionnelle ne sert pas qu’à des fins égoïstes.
Plutôt, elle contribue à structurer et contrôler la communication entre individus
et groupes, et, dans ce sens, elle peut être vue comme l’un des fondements
principaux de toute société humaine (Levesque et al., 2003).
Cependant, il est fort probable que des formes plus automatiques de régu-
lation émotionnelle servent en premier lieu au maintien de l’équilibre biolo-
gique et psychologique de l’organisme d’un point de vue évolutionniste (voir
Bonanno, 2001 ; Westphal et Bonanno, 2004 pour une description du concept
d’homéostasie émotionnelle). La plupart des chercheurs en sciences affectives
reconnaissent aujourd’hui l’existence de systèmes neuronaux capables de
détecter rapidement des stimuli importants dans l’environnement et de déclen-
cher des réponses physiologiques de manière quasi instantanée (LeDoux,
2005). Alors que ces systèmes peuvent assurer la survie de l’individu grâce
au déclenchement de comportements de fuite ou d’attaque, ces réactions
émotionnelles nécessitent souvent un réglage plus fin de la part de systèmes
neuronaux (corticaux) plus complexes, qui évaluent la situation de manière
plus détaillée. Ainsi, la régulation émotionnelle automatique pourrait servir à
une sorte d’inhibition des premières réactions émotionnelles, souvent exagérées,
dans le but de ramener l’organisme à un état d’activation moins coûteux. En
alternative, on peut aussi imaginer qu’à certains moments la première réac-
tion émotive sera augmentée ou maintenue pour une durée prolongée, pour
faire face aux besoins évoqués par un défi émotionnel plus intense. En lien
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neuronales de la régulation émotionnelle). Plusieurs processus de régulation
émotionnelle avec des caractéristiques intermédiaires sont néanmoins possibles.
Automatique, Volontaire,
RÉGULATION ÉMOTIONNELLE
rapide, lente, consciente,
inconsciente, requérant
t n
sans effort en li sio lle ire de l’effort
em u r
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rétention). Certains auteurs suggèrent que surtout les formes plus automati-
ques de régulation émotionnelle dépendent de la disponibilité de ressources
cognitives en termes de fonctions exécutives (Baumeister et Vohs, 2004 ; Van
der Linden, 2004a).
Il existe plusieurs formes de régulation émotionnelle qui sont plutôt
conscientes, volontaires et probablement aussi plus lentes et plus coûteuses
en termes de ressources mentales et physiologiques (Gross, 1998a). Les
recherches les plus récentes en psychologie et en neurosciences ont été quasi
exclusivement dédiées à l’étude de ce type de stratégies. Gross (1998b) a
beaucoup travaillé sur la régulation émotionnelle consciente et a introduit un
modèle de la régulation émotitionnelle (inspiré des théories de l’appraisal,
voir par exemple Scherer, Schorr et Johnstone, 2001) qui est aujourd’hui
largement utilisé (voir figure 8.2 page 271). Dans ce modèle, Gross fait la
distinction entre la régulation centrée sur l’antécédent, qui a lieu avant que
la réponse émotionnelle (les changements du ressenti subjectif, les effets
physiologiques dans la périphérie, etc.) ne soit mise en place, et la régulation
centrée sur la réponse, qui, elle, se produit après la genèse de la réponse
émotionnelle. Un exemple de la catégorie des régulations centrées sur l’anté-
cédent est le changement ou le maintien volontaire du propre focus d’atten-
tion afin de se distraire de, ou de se concentrer sur, un ou plusieurs aspects
d’une situation. Cette catégorie comprend aussi toute forme de changement
cognitif, comme lorsque l’on compare sa propre situation à celle de
quelqu’un qui va moins bien, afin de se sentir plus chanceux et de relativiser
son sort (comparaison sociale par le bas ou downward social comparison en
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événement émotionnel, donnant donc plutôt lieu à une boucle qu’à une
séquence linéaire. Par exemple, la réévaluation cognitive de type conscient et
contrôlé va, dans la plupart des cas, être mise en place après que le sujet
s’aperçoive de ressentir une émotion. De la même manière, une tentative de
suppression de son expression émotionnelle de la part du sujet suit sans doute
la genèse d’une émotion, mais elle peut rester antérieure à une nouvelle
évaluation cognitive de la situation (laquelle peut avoir changé suite à une
première régulation émotionnelle, etc.).
La forme la plus étudiée des changements cognitifs est la réinterprétation ou
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la réévaluation cognitive de la situation (reappraisal en anglais ; voir Sche-
rer, Schorr et Johnstone, 2001 pour un manuel de référence sur la théorie de
l’appraisal). Le fait de concevoir différemment, suite à un effort cognitif, les
enjeux, les causes, et/ou les résultats d’une situation, est une stratégie qui
peut servir à en modifier l’impact émotionnel (Davidson, 1998 ; Gross, 1998b).
Comme Ochsner et al. (2004) le suggèrent, ce résultat peut être atteint à travers
différents moyens. La réévaluation centrée sur soi (self-focused reappraisal)
consiste à se sentir soi-même ou ses proches plus ou moins connectés avec la
situation. La réévaluation centrée sur la situation (situation-focused reap-
praisal), par contre, requiert la réinterprétation (plus positive ou négative) de
la situation indépendamment du lien que la personne a ou n’a pas avec elle.
La signification d’éléments spécifiques d’une situation peut aussi être réévaluée.
Ainsi, une augmentation soudaine de la propre activité physiologique (par
exemple une accélération du battement du cœur et de la respiration) peut être vue
comme un phénomène inoffensif, plutôt que le signe inquiétant d’un malaise
imminent (Thompson, 1994). Logiquement, la mise en place de la stratégie
de réévaluation nécessite un certain nombre de connaissances de la part du sujet
sur la nature des émotions et sur le genre de situations qui les génèrent. Par
exemple, si je veux diminuer l’émotion négative générée par la vue d’une
personne très malade en imaginant qu’il ne s’agit pas d’une maladie grave et que
la personne s’en remettra bientôt, je dois avant tout être conscient du lien entre
mon état émotionnel et sa source, c’est-à-dire la vue de la personne malade.
Il est important de spécifier qu’une distinction des processus de régulation
émotionnelle, comme elle a été proposée ici, par rapport à leur automaticité,
rapidité, conscience, et demande d’énergie, peut être utile pour guider la
recherche. Néanmoins, une telle séparation ne reste qu’un outil de travail et une
approximation de la réalité qui n’a pas de valeur scientifique en soi. Premiè-
rement, il est probable que plusieurs types de processus de régulation soient
engagés en parallèle ou en succession récursive, dans une même situation.
Deuxièmement, il reste à vérifier la nature des éléments des processus de
régulation (comme la réévaluation volontaire de la situation émotionnelle)
dont le sujet est effectivement conscient. Suffit-il que l’initiation de tels
processus soit consciemment voulue pour que l’on puisse les classer dans la
catégorie des processus conscients, alors que la plupart de ses étapes cognitives
sous-jacentes ne le sont pas ?
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a1
Ressenti
S1x a2
S1y a3 m1
S1 Tendances
S1z a4 m2 de réponse Comportement
a5 m3 émotionnelle
S2
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS
Physiologie
Réévaluation Suppression
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272 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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extrinsèque et intrinsèque. La littérature développementale est souvent dévouée
au premier phénomène et conçoit l’apprentissage de la régulation émotionnelle
comme l’évolution, chez l’enfant, d’un processus qui au début est surtout
d’origine extérieure (régulation de la part des parents) et que l’enfant s’approprie
petit à petit, grâce à l’apprentissage des stratégies de régulation des émotions
et au développement des aires neuronales qui les sous-tendent. En général, la
littérature sur le sujet adulte est par contre axée sur la régulation émotion-
nelle de type intrinsèque (Gross et Thompson, 2007). Alors que les deux,
processus intrinsèques et extrinsèques, sont importants pour comprendre
comment nos émotions peuvent être modifiées, nous nous focalisons ici sur
la régulation de type intrinsèque.
En résumé, il est utile de catégoriser les formes de régulation émotionnelle
selon leur caractère plus ou moins conscient, contrôlé, rapide, et laborieux.
La recherche actuelle, dont James Gross est un représentant d’envergure,
s’est surtout penchée sur l’étude des processus cognitifs (plutôt volontaires
et conscients) de la régulation émotionnelle, tels que la réévaluation cogni-
tive des situations (reappraisal). La régulation des émotions des autres (extrin-
sèque) a surtout intéressé la psychologie du développement, alors que l’étude
chez l’adulte a préféré étudier comment les gens régulent leurs propres
émotions (régulation intrinsèque).
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et réévaluation peuvent aussi se dérouler de manière plus automatique, par
exemple après avoir été répétées maintes fois (Davidson, 1998 ; Gross et
Thompson, 2007), ou dans des situations où nous ne disposons pas de
ressources cognitives suffisantes (Kalisch, Wiech, Critchley et Dolan, 2006).
La stratégie de réévaluation cognitive semblerait diminuer le ressenti subjectif
d’émotions positives et négatives, alors que la stratégie de suppression de
l’expression peut diminuer le ressenti d’émotions positives, mais n’a aucun
ou que peu d’impact sur le sentiment négatif (toutefois, voir la première
expérience dans Butler et al., 2003 pour un résultat discordant). Ces conclu-
sions se basent sur plusieurs études. Par exemple, Gross (1998a) a montré
des films élicitant du dégoût à cent vingt participants adultes sains et a enregistré
leurs réponses comportementales et physiologiques, ainsi que leur ressenti
subjectif. Les sujets ont rapporté ressentir moins de dégoût après avoir réévalué
les films de manière plus positive, afin de ne plus en être troublés. Au contraire,
la suppression de l’expression émotionnelle n’a pas changé leur niveau de
dégoût ressenti. Pareillement, la suppression d’expression émotionnelle n’a
pas affecté le ressenti subjectif de dégoût dans une expérience réalisée par Gross
et Levenson (1993), alors qu’elle a diminué les sentiments d’amusement
évoqués par des films amusants et tristes (Gross et Levenson, 1997). Ces
différences dans les effets de la suppression de l’expression et de la réévaluation
cognitive pourraient être dues, selon Gross (Gross et Levenson, 1997), au fait
que nous avons davantage l’habitude de supprimer nos émotions négatives
que positives. Elles pourraient également être liées au fait que l’activité de
suppression de l’expression a en soi un effet négatif sur notre état émotionnel,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1998a ; Gross et Levenson, 1993, 1997 ; Richards et Gross, 1999, 2000), après
avoir bu une boisson acide (Feldman, Jenkins et Popoola, 1979) ou pendant
une conversation sur un thème bouleversant avec une personne à peine rencon-
trée (Butler et al., 2003). Cependant, la suppression de l’expression émotion-
nelle n’est pas souvent couronnée de succès de manière optimale. Il en
résulte des phénomènes de « fuite » au cours desquels de légers signes de
l’émotion restent visibles ou des émotions non liées à la situation apparaissent.
Il peut arriver, par exemple, que des participants exagèrent leurs tentatives de
suppression de l’expression faciale et finissent par montrer des expressions
de détresse (qui incluent la déflection des angles de la bouche vers le bas)
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alors qu’ils essayent de supprimer le rire (Gross et Levenson, 1997). D’autres
indices de suppression peuvent être dérivés de l’augmentation du taux de
clignements et des automanipulations du visage (Ceschi, 1997).
Les stratégies conscientes de la régulation émotionnelle nécessitent un
certain effort cognitif de la part du sujet, qui est souvent mesurable sous
forme d’une augmentation de son activation physiologique. Par ailleurs, un
effort plus important est nécessaire pour implémenter la stratégie de suppres-
sion de l’expression émotionnelle – appliqué seulement après la genèse
d’une réponse émotive et ayant peu d’effets sur le sentiment subjectif – que
pour l’utilisation de la stratégie de réévaluation cognitive – qui, elle, aboutit
à la modification profonde de la signification d’un stimulus émotionnel avant
qu’il puisse susciter une réponse psychophysique. Il s’agit ici des propos de
Gross et collègues (Butler et Gross, 2004 ; Gross, 2002), qui ont été appuyés
par plusieurs études (Butler et al., 2003 ; Gross, 1998a ; Gross et Levenson,
1997) dans lesquelles la suppression de l’expression émotive était accompagnée
d’une réponse augmentée du système nerveux sympathique, affectant entre
autre le système cardiovasculaire. En même temps, la stratégie de réévalua-
tion cognitive ne semble pas être accompagnée d’une réponse physiologique
augmentée. Reste à dire que, même si la plupart des études récentes indiquent
que la suppression de l’expression va de paire avec une réponse sympathique,
d’autres études n’ont pas trouvé de différence physiologique entre la suppres-
sion de l’expression et la réponse émotionnelle spontanée (Bush, Barr, McHugo
et Lanzetta, 1989 ; et première expérience dans Butler et al., 2003). Elles ont
abouti à des résultats mixtes (Gross et Levenson, 1993) ou ont même trouvé une
diminution de l’activation physiologique associée à la suppression (Zuckerman,
Klorman, Larrance et Spiegel, 1981). Ces divergences peuvent éventuellement
s’expliquer par des différences culturelles : les effets négatifs de la suppression
de l’expression émotionnelle semblent être réduits si le régulateur adhère à
des valeurs de type asiatique, que s’il croit dans des valeurs occidentales (Butler,
Lee et Gross, 2007).
De plus, contrairement à la réévaluation cognitive, la suppression de l’expres-
sion de son ressenti émotionnel semble affecter massivement les ressources
cognitives du sujet et détériorer ses capacités mnésiques concernant les infor-
mations à caractère social (par exemple noms propres, occupations). Richards
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 275
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l’expression était associée à une activation physiologique, qui, selon les
auteurs, n’a néanmoins pas été la cause directe du dysfonctionnement cognitif.
Une autre publication des mêmes auteurs (Richards et Gross, 2000) rapporte
trois études qui dans l’ensemble suggèrent que :
– la rétention de détails visuels et sonores d’un film élicitant des émotions
négatives est détériorée quand le sujet s’engage dans la suppression de
l’expression ;
– la suppression de l’expression, par opposition à la réévaluation cognitive,
affecte négativement la rétention d’information verbale présentée en même
temps que des images émotionnelles négatives ;
– le lien entre suppression et détérioration mnésique semble exister aussi en
dehors du laboratoire, au quotidien.
La réévaluation cognitive semble donc constituer une stratégie de régulation
émotionnelle plus recommandable que la suppression de l’expression émotion-
nelle. La réévaluation serait en fait plus effective dans la réduction du senti-
ment subjectif provoqué par des émotions négatives. Elle susciterait moins
d’activation physiologique (qui peut amener à des problèmes de santé, surtout
en cas de chronicité), et elle ne causerait pas (ou moins) de détérioration des
processus d’encodage et/ou de rétention mnésique de l’information. De plus,
comme décrit ci-dessous, il est préférable de réévaluer au lieu de supprimer non
seulement pour préserver notre propre santé physique et mentale, mais aussi
pour la santé et le bien-être des gens qui nous entourent (Butler et Gross, 2004).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
exemple le mari) peut nuire aux relations et aux communications dans lesquelles
cette personne s’engage, et ceci parce que ses tiers (par exemple, l’épouse)
ressentent ces situations comme étant stressantes et/ou insatisfaisantes (voir
Butler et Gross, 2004 pour une revue de la littérature). En revanche, Butler et
al. (2003) ont fait l’hypothèse que la réévaluation cognitive n’aurait pas ces
effets négatifs sur les partenaires sociaux, car elle diminue principalement
l’expression d’émotions négatives (et non pas positives), consomme moins
de ressources cognitives, et évoque moins ou pas de réponses physiologiques
de stress chez le sujet qui l’utilise.
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Dans les deux expériences rapportées dans Butler et al. (2003), des sujets
devaient discuter de leurs pensées et sentiments concernant un film de guerre,
puis des implications de ce film pour la nature humaine et de son importance
pour leurs croyances religieuses et politiques. Dans la première étude, à l’insu
de l’autre, un des partenaires de chaque dyade devait se comporter de manière
naturelle (condition de contrôle), supprimer toute expression émotionnelle
(condition suppression) ou réévaluer le film de manière à rester calme et paisible
(condition réévaluation). Comme les résultats le démontrent, la suppression
a des effets négatifs à la fois chez la personne qui l’applique et chez son
partenaire social. Les participants interagissant avec un partenaire qui supprimait
l’expression de ses émotions (positives et négatives) se sont sentis moins
proches de lui, et étaient moins attirés par lui. De plus, la suppression de
l’expression a abouti à une hausse de la pression sanguine chez les personnes
qui essayaient de cacher leurs émotions (mais pas dans la première des deux
études) et chez les personnes qui interagissaient avec eux. Ces résultats
semblent indiquer que, au moins dans certains contextes, la stratégie de
suppression de l’expression émotionnelle nuit à la personne qui l’utilise, tout
comme aux personnes avec lesquelles elle interagit, en interférant entre
autres avec la création de liens affectifs et en provoquant des symptômes
physiologiques de stress.
En résumé, les recherches les plus récentes, menées en grande partie par
Gross et collègues, se sont surtout intéressées à comparer la stratégie de
réévaluation cognitive à celle de la suppression de l’expression émotionnelle.
Les résultats empiriques et les hypothèses théoriques déduites de la littérature
suggèrent que la suppression de l’expression émotionnelle comporte plus
d’inconvénients que d’avantages pour le sujet qui l’applique, tout comme pour
les partenaires sociaux avec lesquels il interagit. Concrètement, la suppres-
sion expressive est généralement efficace dans l’inhibition de l’expression
des émotions (même si le résultat est souvent imparfait) et dans la réduction
du ressenti d’émotions positives. Elle est par contre moins efficace pour
diminuer le ressenti d’émotions négatives et s’accompagne de plusieurs
« effets secondaires », comme la diminution des ressources cognitives et
mnésiques, et l’augmentation de l’état d’activation physiologique. Enfin, la
suppression de l’expression émotionnelle détériore les relations avec autrui
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 277
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néanmoins plutôt la réévaluation cognitive de la situation ou d’un élément de la
situation afin de modifier son effet émotionnel (stratégie appelée reappraisal
dans la littérature anglophone). Comparée à la suppression expressive, la straté-
gie de réévaluation cognitive semble être plus efficace dans la réduction des
sentiments négatifs. Elle serait moins coûteuse en termes de ressources
cognitives, ne provoquerait pas d’activation physiologique importante et
créerait moins de sentiments d’aliénation et de distance dans les rapports
avec autrui. Il se peut aussi que l’utilisation d’une forme de régulation
émotionnelle ne soit pas toujours préférable à une autre stratégie. Plutôt, ça
serait la flexibilité dans l’emploi de stratégies différentes – les plus adaptées à
la situation – qui démarquerait le sujet psychologiquement équilibré et sain
(Bonanno, Papa, Lalande, Westphal et Coifman, 2004 ; Westphal et
Bonanno, 2004).
Cette section a pour objectif de donner un aperçu (qui ne se veut surtout pas
exhaustif) des découvertes passionnantes qui ont été faites sur les aires du
cerveau permettant d’influencer la manière dont nous ressentons les choses,
interprétons le monde et exprimons nos émotions aux autres. En se servant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Encadré 1
Le cerveau humain comprend deux hémisphères (droit et gauche), chacun
comprenant à son tour quatre lobes (souvent appelés aussi cortex). En partant du
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front et en suivant l’ordre des aiguilles d’une montre, on retrouve les lobes frontal,
pariétal, occipital, et temporal. La partie la plus antérieure des lobes frontaux est
appelée le cortex préfrontal (CPF). Le cerveau en général, et le CPF en particulier,
peuvent être divisés le long de trois axes dans les composantes antérieure (ou
rostrale), postérieure (ou caudale), supérieure (ou dorsale), inférieure (ou ventrale),
latérale, et médiane. Les aires du CPF prennent leur nom par rapport à ces axes,
à l’exception du cortex orbitofrontal (COF) situé juste au-dessus des orbites, et du
cortex cingulaire antérieur (CCA) situé sur la couche interne et médiane. D’autres
nomenclatures se basent sur les aires de Brodmann (l’anatomiste allemand qui
publia en 1908 une carte du cortex humain comprenant cinquante-deux aires
différentes du point de vue cytoarchitectural), ou sur les coordonnées cartésien-
nes (x, y, z) utilisées en imagerie cérébrale.
Dorsal (supérieur)
Latéral droit
Caudal
(postérieur)
Médian
Rostral
(antérieur)
Latéral gauche
Ventral (inférieur)
Figure 8.3
Les axes utilisés pour nommer les aires du cortex préfrontal
sources neuronales des fonctions cognitives. De plus, l’EEG est moins sensi-
ble aux signaux provenant de structures sous-corticales, plus éloignées des
électrodes d’enregistrement, qu’aux décharges d’origine corticale. En utili-
sant l’EEG, Davidson et coll. (voir par exemple Davidson, Ekman, Saron, Senulis
et Friesen, 1990 ; Davidson, Jackson et Kalin, 2000), ainsi que d’autres labo-
ratoires, ont démontré que la latéralisation de l’activation préfrontale d’un sujet
au repos exprime son style émotionnel, c’est-à-dire la manière avec laquelle il a
tendance à répondre à des situations émotionnelles. Essentiellement, un sujet
psychiquement sain et équilibré serait caractérisé par une activation équili-
brée entre les deux cortex préfrontaux (van Honk et Schutter, 2006), voire
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par une hyper-activation du CPF gauche. La latéralisation de l’activité
préfrontale est habituellement inférée en mesurant au repos, à l’aide de l’EEG, la
puissance d’oscillations dans la bande de fréquence Alpha (8-12 Hz). Dans
ce contexte, la fréquence Alpha est vue comme le corrélat d’une activité
neuronale réduite (mais d’autres conçoivent Alpha différemment, voir Cooper,
Croft, Dominey, Burgess et Gruzelier, 2003 ; Schutter, de Haan et Van Honk,
2004). La fréquence Alpha mesurée par des électrodes placées sur la partie
gauche du front est ensuite soustraite de celle mesurée sur la partie droite du
front. Le sujet est dit avoir un style affectif d’autant plus positif (et une tendance
à l’approche) que son index de latéralisation est positif. Un index de latérali-
sation négatif, par contre, va de paire avec une tendance à la dépression et
des comportements d’évitement. Initialement, Davidson et ses collègues
pensaient que l’asymétrie de l’Alpha était un marqueur associé aux traits de
la personnalité, mais le fait que des sujets entraînés puissent volontairement
modifier leur asymétrie d’Alpha (Rosenfeld et Baehr, 2004) semble plutôt
suggérer qu’il s’agit d’un marqueur de l’état situationnel de la personne.
II
I II I
III III
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
IV
IV
Figure 8.4
Aires de Brodmann sur la face latérale (gauche) et médiane (droit) du cerveau
humain. Cortex : frontal (I), pariétal (II), occipital (III), et temporal (IV).
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rôle dans l’apprentissage au moment où les contingences et/ou le contexte
changent. Le cortex cingulaire antérieur (CCA), localisé dans la partie médiane
et profonde du cortex préfrontal, serait capable de reconnaître des conflits
intérieurs et extérieurs (par exemple entre différentes motivations ou entre
objectifs et circonstances). Enfin, le cortex dorsolatéral préfrontal (CDLPF),
sur la partie haute et latérale du cortex préfrontal, serait à l’origine du style
affectif général et des stratégies de régulation. Ce système neuronal se trou-
verait dans un état d’équilibre, chez le sujet sain, grâce notamment à l’inhibi-
tion de l’amygdale par des projections descendantes originaires du COF. En
contraste, des excès d’agressivité et des difficultés dans la régulation des
émotions pourraient être dûs à des insuffisances (structurelles et/ou fonction-
nelles) des régions préfrontales (suite à une lésion ou à un approvisionnement
anomale du neurotransmetteur sérotonine) qui amèneraient à une hyper-
activation amygdalienne. En support de ces hypothèses, une réduction de la
matière grise préfrontale a été mesurée chez des sujets avec trouble de la
personnalité antisociale (Raine, Lencz, Bihrle, LaCasse, et Colletti, 2000).
Par ailleurs, Tillfors et coll. (2001) ont rapporté une diminution du flux sanguin
dans le COF et le lobe temporal, et une augmentation de l’activité sous-corti-
cale, chez des phobiques sociaux devant parler en public. L’anomalie inverse,
c’est-à-dire une hypo-activation de l’amygdale (avec ou sans dysfonctionnement
préfrontal), semblerait être la cause d’une sensibilité réduite aux stimuli
sociaux, pouvant aboutir à des troubles psychotiques (Blair, 2003 ; voir aussi
Rilling et al., 2006).
En résumé, le réseau neuronal, sous-jacent à l’émotion et à la régulation
émotionnelle, proposé par Davidson et ses collègues, différencie plusieurs
aires cérébrales. D’un côté, des structures sous-corticales/limbiques sont impli-
quées dans l’apprentissage et les processus émotionnels de base (par exemple les
contingences de récompense/punition), d’un autre côté, plusieurs aires corti-
cales préfrontales sous-tendent une évaluation plus fine des stimuli (COF), la
reconnaissance de conflits internes/externes (CCA), et la production et la
mise en place de stratégies de régulation émotionnelle (CDLPF). De plus, le
style affectif général d’une personne correspond à son asymétrie d’activation
préfrontale. Ce modèle est largement accepté par la communauté scientifique,
mais reste malheureusement peu précis quant à sa spécification neuronale.
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 281
A B
II II
I I
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C D
(A) Cortex orbitofrontal (I) et cortex ventromédian préfrontal (II). (B) Cortex
dorsolateral préfrontal. (C) Amygdale. (D) Cortex cingulaire antérieur.
Figure 8.5
Structures neuronales principales dans l’émotion et la régulation émotionnelle
(selon Davison, Putnam et Larson, 2000).
cette condition, les participants ont, en moyenne, indiqué avoir ressenti moins
d’excitation sexuelle que dans la condition où ils devaient seulement regarder
les films, sans besoin de s’en détacher. Des films émotionnellement neutres
constituaient les stimuli de contrôle. En réponse au visionnement passif des
films sexuellement stimulants, une hausse d’activité neuronale a été enregis-
trée dans l’amygdale droite, le lobe temporal antérieur droit (aire de Brod-
mann [AB] 38) et l’hypothalamus. La régulation de son excitation sexuelle a
essentiellement causé une augmentation de l’activation neuronale dans le
gyrus supérieur frontal droit (AB 10, qui fait partie du CDLPF) et dans le
CCA droit (AB 32). Alors que l’excitation sexuelle n’est habituellement pas
282 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
considérée comme une véritable émotion, les résultats de cette étude vont
néanmoins dans la direction du modèle proposé par Davidson et ses collègues.
Par la suite, le groupe de Beauregard a publié deux études sur les bases
neuronales de la réévaluation cognitive utilisée pour diminuer les sentiments
de détresse (Levesque et al., 2003, 2004). Comme leurs résultats le suggèrent,
la détresse est associée à une augmentation d’activité dans l’amygdale gauche,
l’insula gauche, le cortex ventro-latéral préfrontal (CVLPF, AB 47), le cortex
préfrontal médian (CPFM, AB 10), le pôle temporal antérieur (AB 38, 21) et
le diencéphale. La diminution de la détresse à travers la réévaluation cogni-
tive est accompagnée d’une hausse d’activation dans le cortex préfrontal
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latéral (CPFL, AB 9, 10), le CPFM (BA 9, 10), le COF (AB 11), le CVLPF
(AB 47), le CDLPF droit et la partie rostrale du CCA droit (AB 24, 32). En
général, le CPF semble être plus actif pendant la réévaluation cognitive de la
détresse chez les enfants de huit à dix ans que chez les adultes. Ces résultats
sont en accord avec le fait que le CPF continue à se développer tout au long
de l’enfance.
Sur la base de leurs recherches par IRMf et des données provenant de la
neuropsychologie clinique, Beauregard, Lévesque et Paquette (2004) ont
modélisé les bases neuronales de la régulation émotionnelle de la manière
suivante (voir figure 8.6). Selon ces auteurs, « D’abord, le cortex préfrontal laté-
ral (CPFL, AB 9, 10) maintient les instructions données au sujet, sélectionne les
opérations cognitives appropriées pour produire les résultats souhaités (par
exemple suppression de la réponse émotionnelle induite par les films
émotionnels) et envoie une commande exécutive au COF (AB 11) qui est
chargé de la suppression des différentes dimensions associées à l’émotion.
Ensuite, le COF envoie un message à l’amygdale qui est amenée à changer
son interprétation de la signification émotionnelle des stimuli présentés. En
retour, le COF est informé de cette réinterprétation cognitive à travers les
projections bidirectionnelles qui le lient à l’amygdale. Le COF commande
alors au CCA (AB 24, 32) de moduler l’activité de structures impliquées
dans le fonctionnement autonomique, viscéral et endocrinien (par exemple
l’hypothalamus, l’insula, le mésencéphale et les noyaux du tronc cérébral).
À la suite de ces opérations, le CCA retransmet au COF des informations
concernant l’état émotionnel de l’organisme d’un point de vue physiologi-
que. Puis, le COF informe le pôle temporal antérieur (AB 21, 38) de modifier
son attribution de la couleur émotionnelle à l’expérience personnelle.
Ensuite, le COF informe le cortex préfrontal médial (CPFM, BA 10) sur les
différents changements en relation à l’état émotionnel de l’individu. Ceci
permet au CPFM de mener une analyse métacognitive de l’expérience
subjective d’un point de vue émotionnel. Enfin, le feedback du CPFM auto-
rise le COF à informer le CPFL si oui ou non l’état émotionnel actuel du
sujet doit être modifié ultérieurement (cognitivement, physiologiquement,
par rapport au ressenti subjectif, ou le comportement) » (Beauregard et al.,
2004, p. 181 à 182, traduit par l’auteur).
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 283
9 10 7 8
1 2
Cortex préfrontal Cortex orbitofrontal Amygdala
latéral (BA 9/10) 11 (BA 9/10) 3
4 6
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Cortex cingulaire antérieur
(BA 24/32)
5a 5b 5c 5d
planifier des stratégies pour les gérer). Ces processus automatiques permet-
tent, par exemple, de classer les événements comme étant positifs ou négatifs
et donc de reconnaître au plus vite des dangers ou des récompenses poten-
tiels, afin d’assurer la survie de l’individu. D’autres processus sont plus lents
et coûteux en termes de ressources cognitives. Ils prennent lieu au moment
où nous dirigeons consciemment notre attention sur (ou loin de) un événe-
ment spécifique, une pensée, une sensation ou quand nous recherchons de
l’information dans notre mémoire ou encore quand nous décidons d’effectuer
ou d’inhiber une action ou un comportement. Ce genre d’actions mentales
requiert l’activation du CCA, du COF ventral et médial et des cortex associatifs
284 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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fortement interconnectés avec l’amygdale, le noyau accumbens et d’autres
structures affectives sous-corticales. Le système de contrôle dorsal comprend
des aires plus dorsales et latérales du CPF, comme le CDLPF et le CPFL. Il
serait impliqué dans le raisonnement explicite sur les associations entre
stimuli et réponses et sur comment celles-ci peuvent être modifiées. Au
contraire du système ventral, le système de contrôle dorsal n’a que peu de
connexions directes avec les zones sous-corticales mentionnées ci-dessus,
qu’il peut néanmoins influencer indirectement à travers le système ventral ou
à travers des systèmes perceptifs et de mémoire associative. Selon Ochsner
et Gross (2005), les formes les plus simples de régulation émotionnelle, que
l’on rencontre par exemple dans le règne animal, sont essentiellement accom-
plies par le système de contrôle ventral, se trouvant dans les parties basses et
médianes du CPF. Les formes de régulation émotionnelle à caractère plus
cognitif, typiques de l’humain (par exemple la réévaluation cognitive),
nécessitent en plus l’action du système de contrôle dorsal et donc des aires
dorsales et latérales du CPF. On retrouve ainsi des substrats neuronaux diffé-
rents pour les formes plus automatiques et plus volontaires de la régulation
émotionnelle (voir le continuum proposé dans la section « types de régula-
tion émotionnelle »). En lien avec ces propos, Schaefer et collègues (2003) ont
trouvé qu’un traitement holistique et général de l’information émotionnelle
est associé à l’activité du CPF ventro-médian (CPFVM, AB 10, 32), alors
qu’un traitement plus spécifique et détaillé fait recours au CPFL (AB 10).
À travers plusieurs études, Ochsner et son groupe ont investigué les bases
cérébrales de la réévaluation cognitive consciente (voir par exemple, Ochsner,
Bunge, Gross et Gabrieli, 2002 ; Ochsner et al., 2004). De façon intéressante,
leurs résultats montrent que la réduction de l’émotion négative à travers la
réévaluation cognitive est spécifiquement associée à l’activité du CDLPF droit
(AB 6, 8, 9 ; ce résultat s’oppose donc aux postulats de Davidson, qui conçoit
le CPF droit comme étant lui-même à l’origine d’émotions négatives, telle la
détresse) et du COF latéral (AB 44, 47). L’utilisation de la réévaluation
cognitive pour augmenter son émotion négative est par contre associée à l’acti-
vation du CPFM rostral gauche (AB 9, 10) et du cortex cingulaire postérieur
(AB 23, 30, 31). D’autres structures (le CPFL dorsal et ventral, le CPFM
dorsal et le CCA) sont activées par la réévaluation cognitive, indépendamment
de la direction (inhibition ou augmentation) de la modulation émotionnelle.
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 285
Enfin, Ochsner et ses collègues ont mis en évidence qu’au moins deux types de
réévaluation cognitive existent. Ils sont mis en place par des réseaux neuro-
naux différents. La réévaluation centrée sur soi recrute surtout des structures
préfrontales médianes, alors que la réévaluation centrée sur la situation est
opérée par les aires plutôt latérales du CPF.
En résumé, la plupart des modèles actuels proposent que les processus de
régulation émotionnelle soient mis en place par des structures préfrontales
(par exemple le CDLPF et le COF), qui vont inhiber ou modifier les premières
réponses affectives générées par des structures sous-corticales (par exemple
l’amygdale). L’identité et l’entre-agencement des aires préfrontales impliquées
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peuvent varier d’un modèle à l’autre. Enfin, une différenciation de plus en plus
fine des aires (préfrontales) jouant un rôle dans la régulation émotionnelle
est en train de voir le jour. Malheureusement, la nomenclature utilisée dans
la littérature ne suit pas toujours les mêmes standards.
CONCLUSION
Par ailleurs, peu de travaux ont jusqu’à maintenant étudié la nature et les
corrélats des différences individuelles dans l’utilisation et la performance de
la régulation émotionnelle. Une autre question importante est de savoir si des
différences interindividuelles dans des mécanismes de contrôle cognitif de
base (par exemple attention soutenue, concentration) peuvent prédire des diffé-
rences individuelles dans la capacité à réguler ses émotions. Ce lien devient
en effet plausible à travers la proposition, faite par Ochsner et Gross (2005),
que les aires préfrontales impliquées dans des tâches cognitives de haut niveau
seraient en grande partie également indispensables à la régulation émotion-
nelle consciente, telle la réévaluation cognitive. Des futures recherches pour-
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raient également adresser en profondeur la question du lien entre régulation
émotionnelle et psychopathologie. Par exemple, il semblerait que des indivi-
dus souffrant de troubles d’anxiété ou d’humeur aient la tendance à évaluer
leurs réactions émotives comme étant inappropriés, et que cette vision les
amène à utiliser de mauvaises stratégies de régulation telle que la suppres-
sion (Campbell-Sills, Barlow, Brown, et Hofmann, 2006). Enfin, une étude
publiée récemment suggère que toute tentative d’autocontrôle requiert un
certain taux de glucose dans le sang, sans lequel nos émotions se laissent
difficilement maîtriser (Gailliot et al., 2007). Une pause goûter peut donc
être bénéfique dans les moments où l’on se sent bouleversé ou submergé par
nos réactions émotionnelles.
LECTURES CONSEILLÉES
Pourquoi réguler ?
BONANNO G.A. (2001). « Emotion self-regulation ». In T.J. Mayne et G.A. Bonanno
(éd.), Emotions : Current Issues and Future Directions (p. 251-285). New
York/Londres, The Guilford Press.
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS 287
FISCHER A.H., MANSTEAD A.S.R., EVERS C., TIMMERS M., VALK G. (2004). « Moti-
ves and norms underlying emotion regulation ». In P. Philippot et R.S. Feldman
(éd.), The Regulation of Emotion (p. 415). Mahwah, New Jersey, Lawrence
Erlbaum Associates, Publishers.
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tions ». In J.-J. Gross (éd.), Handbook of Emotion Regulation. New York, Guilford.
SITES WEB
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
Ochsner et coll. (2002) ont été parmi les premiers à publier une étude en IRMf
sur la régulation émotionnelle. Ces auteurs ont présenté à leurs participants
(quinze femmes sans problème psychique ou neurologique) des images à
contenu émotionnel négatif et des images émotionnellement neutres. Dans la
condition contrôle, les participants devaient simplement regarder les images,
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sans essayer d’agir sur leur ressenti. Dans la condition expérimentale, par
contre, on leur demandait de réévaluer et réinterpréter la situation présentée
sur l’image afin qu’elle ne suscite plus (ou suscite moins) d’émotions négatives.
Le ressenti émotionnel subjectif – reporté après chaque essai – était moins
négatif dans la condition réévaluation que dans la condition contrôle. De plus,
les résultats de cette étude ont révélé une augmentation de l’activité neuronale
dans des régions préfrontales latérales et médianes, ainsi qu’une activation
réduite de l’amygdale et du cortex orbito-frontal médian pendant la réévaluation
cognitive.
Gross et Levenson (1993) ont étudié la stratégie de suppression de l’expres-
sion émotionnelle. Leurs sujets (quatre-vingt-cinq hommes et femmes) ont
visionné un extrait de film élicitant du dégoût, soit en pouvant exprimer libre-
ment leur ressenti émotionnel (condition contrôle), soit en devant se comporter
de manière à ce que personne puisse distinguer leur ressenti émotionnel
(condition suppression). Comme les résultats le démontrent, la suppression
consciente de l’expression émotionnelle réduit tout comportement expressif
et entraîne une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique
(ce qui revient à une hausse d’activité physiologique). Par contre, la suppression
ne réduit point le ressenti subjectif émotionnel et laisse donc inchangées les
sensations de dégoût.
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STRESS ET COPING :
UN ÉTAT DES LIEUX1
Chapitre 9
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INTRODUCTION
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les premières recherches sur le coping dans les années 1960, dans le cadre de
travaux psychanalytiques portant sur les mécanismes de défense tels qu’initiale-
ment décrits par Freud, puis surtout développé par sa fille Anna (Freud, 2001).
La fonction de ces mécanismes de défense serait de maintenir, voire de restaurer,
une sorte d’« homéostasie psychologique » lorsque celle-ci est menacée par
des conflits d’origine intrapsychiques (Vaillant, 1971, p. 107).
Plusieurs modèles classifient les mécanismes de défense sur un continuum
allant des stratégies les plus archaïques et inadaptées aux plus matures et
typiques d’un fonctionnement adaptatif (Haan, 1965, 1969 ; Vaillant, 1971).
Initialement conçus comme des mécanismes principalement inconscients,
l’accent a ensuite de plus en plus été mis sur les stratégies conscientes qu’il
est possible de mettre en œuvre pour faire face à une situation stressante,
autonomisant progressivement l’étude des stratégies de coping du domaine
de la psychanalyse dont elle est partiellement issue (Parker et Endler, 1996 ;
Snyder et Dinoff, 1999).
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la seconde approche dite situationnelle ou contextuelle (Holahan, Moos et
Schaefer, 1996). Ce modèle effectue un rapprochement entre deux domaines
de recherche qui, à notre connaissance, n’avaient jusque-là pas été envisagés
conjointement de manière systématique, à savoir celui du stress et celui du
coping. Jusque-là, le coping avait surtout été considéré comme une caracté-
ristique propre au fonctionnement de l’individu, certes observable dans des
situations de stress, mais pas exclusivement. Quant au stress, la façon dont il
avait été conçu avant l’apparition du modèle transactionnel est résumée ci-après.
3 LE CONCEPT DE STRESS
En psychologie, avant d’être défini par Lazarus dans une perspective transaction-
nelle, le stress a tantôt été assimilé à la réaction d’un organisme face à une
demande qui excède ses ressources (réponse de stress), tantôt à l’événement
déclencheur qui suscite cette réaction (situation stressante).
C’est dans une perspective essentiellement physiologique, en référence
aux travaux de Hans Selye, que le stress a été défini comme une réaction non
spécifique de l’organisme, qui a lieu lorsqu’un organisme est confronté à des
agressions physiques diverses, dénommées « stresseurs » (Rivolier, 1989).
En 1936, Selye décrit le « syndrome du stress », qu’il nomme alors « syndrome
général d’adaptation » (SGA) et qui comprend trois phases (Selye, 1977,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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Les premiers travaux basés sur cette définition du stress ont porté surtout sur
des événements de vie majeurs (Avison et Gotlib, 1994), comme par exemple le
décès d’un proche, le chômage, le divorce, etc. La nature des stresseurs étudiés
s’est ensuite progressivement diversifiée (Avison et Gotlib, 1994), notamment
après que certains auteurs aient émis l’hypothèse selon laquelle l’impact de
tracas quotidiens mineurs mais répétitifs pourrait jouer un rôle plus impor-
tant sur la santé et le bien-être que des événements de vie certes plus impor-
tants mais aussi relativement peu fréquents (Kanner, Coyne, Schaefer et
Lazarus, 1981 ; Lazarus et Folkman, 1984). Ces tracas ou daily hassles font
référence aux petits problèmes de tous les jours, tels que le chien qui vomit
sur la moquette ou une dispute conjugale (Lazarus et Folkman, 1984, p. 13).
S’il est nécessaire de décrire et d’étudier ces différents types de stresseurs,
il ne faut pas pour autant oublier qu’ils sont considérés comme stressants sur
la base de la réaction qu’ils provoquent chez une majorité d’individus (Lazarus
et Folkman, 1984). Cette conception du stress, à l’instar de la précédente qui
le définit comme une réponse, tient très peu compte des différences indi-
viduelles. Elle souffre en effet d’un problème de circularité (Lazarus et
Folkman, 1984) : la spécificité d’une réaction de stress (par rapport à d’autres
réponses) réside dans le fait qu’elle a été provoquée par un stresseur et la
spécificité de ce dernier (par rapport à d’autres situations) repose sur la réaction
de stress qu’il a provoquée. Le stress ne peut donc pas être défini de manière
systématique sans que la relation entre un stimulus et une réponse soit considérée
ensemble (Lazarus et Folkman, 1984).
4 LE MODÈLE TRANSACTIONNEL
DU STRESS ET DU COPING
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de coping qui ont pu être faites, est présentée ci-dessous.
Le terme « transactionnel » fait référence au fait que la personne et l’environ-
nement sont considérés comme entretenant une relation dynamique, mutuel-
lement réciproque et bidirectionnelle (Folkman, Lazarus, Gruen, et DeLongis,
1986, p. 572). Lorsque cette relation est évaluée par l’individu comme excédant
ses ressources et menaçant son bien-être, on parle alors de stress. Deux processus
médiatisent le lien entre une telle relation personne-stresseur, et les consé-
quences que celle-ci peut avoir à court, moyen et long terme : l’évaluation
cognitive de la situation et le choix des stratégies de coping (Folkman et al.,
1986).
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Le processus d’évaluation primaire porte sur deux dimensions : la pertinence
ou non de l’événement par rapport aux buts activés dans une situation est tout
d’abord considérée. Ensuite, le caractère facilitateur ou obstructif de l’événe-
ment par rapport aux buts ou à la satisfaction d’un besoin est pris en compte
(Lazarus, 1991, p. 149). Ce processus d’évaluation aboutit à trois cas de figures
possibles (Lazarus et Folkman, 1984) :
1) l’événement est jugé non pertinent : dans ce cas, rien d’autre n’est à consi-
dérer et l’individu n’y prêtera pas (plus) attention ;
2) l’événement est jugé pertinent et positif : les présentes conditions soit facilitent
la réalisation des objectifs de l’individu (Lazarus, 2001), soit vont dans le sens
d’une préservation voire d’une amélioration de son bien-être (Lazarus et Folk-
man, 1984). Les émotions typiquement ressenties dans ce cas-là sont positi-
ves, comme la joie, le bonheur, la gaieté, etc. (Lazarus et Folkman, 1984) ;
3) la relation à l’environnement est évaluée comme pertinente et stressante
(Lazarus, 2001) c’est-à-dire que la situation entrave ou menace d’entraver
la réalisation d’un but ou la satisfaction d’un besoin (Lazarus, 2001).
Les situations qui nous intéressent ici sont celles concernées par ce troi-
sième cas de figure, mais conformément à la définition transactionnelle du
stress évoquée plus haut, la qualification de « stressante » dépend aussi de
l’évaluation secondaire (Lazarus, 2001)1.
1. Dans son texte de 1984 (Lazarus et Folkman, 1984), l’auteur décrit trois types de situations
stressantes (la perte, la menace, le défi) comme résultant de l’évaluation primaire, subordonnés
au cas de figure c). En 2001 (Lazarus, 2001), ces thématiques sont présentées comme résultats
de l’évaluation secondaire. Nous avons choisi de présenter les choses dans cet ordre-là (même si
le terme de stress est déjà employé ici avant qu’il ne soit question de l’évaluation secondaire),
parce que ce dernier correspond à la conceptualisation la plus récente de l’auteur.
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 297
quelque chose doit ou peut être fait, et si oui, quoi. L’évaluation secondaire
porte sur les stratégies de gestion possibles dans la situation, la probabilité de
chacune d’entre elles de parvenir au résultat escompté, la probabilité de les
accomplir de manière efficace, et les conséquences de chacune de ces actions
possibles, de même que les contraintes sociales et intrapsychiques liées à leur
réalisation (Lazarus, 2001 ; Lazarus et Folkman, 1984). Ces différents éléments
de l’évaluation secondaire se résument en trois composantes : le blâme ou le
crédit (qui peuvent être attribués à soi-même ou à un agent externe), le poten-
tiel de coping et les attentes pour le futur (Lazarus, 1991, p. 150). Le choix de
ce qui devra éventuellement être entrepris pour gérer la situation, dépendra du
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résultat de cette évaluation (Lazarus, 2001 ; Lazarus et Folkman, 1984).
Les processus d’évaluation primaire et secondaire sont aussi importants l’un
que l’autre et n’entretiennent pas un ordre spécifique, malgré leur appellation
(Lazarus et Folkman, 1984). Ils interagissent constamment pour déterminer
si la transaction est stressante ou non, et si oui de quelle manière et à quel point
(Lazarus et Folkman, 1984).
Les auteurs regroupent les situations évaluées comme stressantes en trois
catégories thématiques distinctes1 (Lazarus et Folkman, 1984, p. 32-34) :
– le préjudice, le dommage ou la perte : quelque chose a eu lieu qui constitue
un dommage ou une perte pour l’individu, comme par exemple une maladie
ou la perte d’une personne proche. Les émotions attendues lors de telles
situations sont la tristesse, la colère, la déception, la culpabilité et le dégoût
(Folkman et Lazarus, 1985) ;
– la menace : le dommage ou la perte n’ont pas encore eu lieu mais sont
possibles/probables dans le futur. Le fait qu’ils soient prévisibles permet à
l’individu d’avoir recours à des efforts de coping dit anticipatoires (Lazarus
et Folkman, 1984). Les émotions typiquement ressenties lors d’une menace
sont la peur, l’anxiété, l’inquiétude (Folkman et Lazarus, 1985) ;
– le défi : face à un dommage ou à une perte possible, une mobilisation des
efforts de coping est nécessaire comme c’est le cas pour la menace, mais
là, l’évaluation est focalisée sur les gains potentiels de cette transaction et sur
la maîtrise de celle-ci (Lazarus et Folkman, 1984). Les émotions ressenties
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
dans une telle situation sont surtout positives, comme la confiance, l’espoir,
l’impatience (Folkman et Lazarus, 1985).
Notons que ces différentes catégories ne sont à dissocier qu’à des fins
descriptives car en réalité, l’évaluation d’une relation de personne à stresseur
peut être complexe et mixte : une perte passée peut également constituer une
1. Par la suite, une quatrième catégorie thématique a été proposée, le bénéfice (Folkman et Lazarus,
1985 ; Lazarus, 2001). À notre connaissance, il est peu présent dans la littérature sur le stress et
le coping.
298 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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cognitive, sont interdépendants et contribuent à déterminer si une personne
va évaluer une situation comme représentant une menace ou un défi, et à quel
point sa réaction émotionnelle va être intense (Lazarus, 2001). À partir du
moment où une transaction est évaluée comme stressante, et tant qu’elle est
considérée comme telle, l’individu doit faire quelque chose en rapport avec
ce qui lui arrive et en fonction de la façon dont il a évalué la situation ; c’est
là qu’interviennent les stratégies de coping.
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fonctions majeures du coping qui visent à modifier la relation de personne à
stresseur. La première de ces fonctions consiste à influencer le vécu émotionnel
déclenché par la situation évaluée comme stressante, tandis que la seconde
revient à essayer d’agir concrètement sur la situation pour la modifier (Lazarus
et Folkman, 1984, p. 150). Les efforts de coping relatifs à ces deux fonctions
sont regroupés sous les termes respectifs de « coping centré sur l’émotion »
et de « coping centré sur le problème » (emotion-focused coping versus problem-
focused coping) (Lazarus et Folkman, 1984).
Dans la littérature, il est souvent fait référence aux efforts relatifs à chacune
de ces deux fonctions, en termes de types de coping, chacun incluant différentes
stratégies.
Le coping centré sur l’émotion comprend, entre autres (Lazarus et Folkman,
1984, p. 150), 1) des stratégies de palliation destinées à réduire la détresse
émotionnelle telles que : la relaxation, la distraction, l’exercice physique,
l’évitement, la recherche de soutien émotionnel auprès d’un proche, le déni,
la consommation excessive d’alcool ou de drogues, 2) des stratégies qui aug-
mentent la détresse émotionnelle (autoculpabilisation), 3) des stratégies qui
consistent à modifier la représentation du stresseur ou à changer ses propres
buts et/ou normes dans la situation. Par exemple, en se disant que la situation
n’est pas si grave ou en acceptant de réduire son niveau d’exigence personnel
(Lazarus et Folkman, 1984, p. 150).
Les stratégies de coping destinées à gérer une réaction émotionnelle sont
nombreuses à pouvoir s’appliquer à diverses situations, ce qui les distingue des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
stratégies centrées sur le problème qui sont plus difficiles à décrire sans faire
référence à une situation spécifique.
Le coping centré sur le problème consiste à tenter de modifier concrètement la
relation de personne à stresseur en agissant activement sur la situation.
L’action est parfois précédée par une recherche active d’informations visant
à réduire l’incertitude quant au type d’action à entreprendre (Lazarus, 2001,
p. 48). Dans des situations de perte irréversibles, des stratégies de réorientation
active et de substitution de renforçateurs peuvent être mises en place.
Dans la littérature sur le coping, la distinction entre coping centré sur
l’émotion et le coping cenré sur le problème semble avoir été adoptée par
300 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
une majorité d’auteurs. On trouve également toute une littérature qui tend à
opposer ces stratégies en termes d’efficacité, les stratégies centrées sur l’émotion
étant généralement considérées comme inadaptées. Lazarus (2001) fait cepen-
dant remarquer que cette distinction entre coping centré sur l’émotion ou le
problème est arbitraire, et qu’une même stratégie peut simultanément servir
ces deux fonctions De plus, il note que dans la majorité des situations de stress,
il est typique d’avoir recours simultanément, ou de manière séquentielle, à
ces deux types de stratégies de gestion. Ces stratégies forment un tout ; elles
peuvent agir en synergie ou se nuire mutuellement (Lazarus, 2001). Enfin,
l’efficacité ou la nocivité d’une stratégie de coping, qu’elle soit centrée sur
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l’émotion ou sur le problème, dépend largement des circonstances dans
lesquelles elle est réalisée (Lazarus, 2001).
L’auteur donne à ce propos l’exemple du déni, une stratégie de coping centrée
sur l’émotion, dans le cas d’une personne qui a subi une attaque cardiaque
(Lazarus, 2001, p. 46) : au moment de son hospitalisation, le déni serait une
stratégie propice car elle lui éviterait bien des angoisses. À son retour au
domicile par contre, alors que le patient doit modifier drastiquement son hygiène
de vie, la même stratégie se révélerait improductive. Comme le montre cet
exemple, le déni (à l’instar d’autres stratégies centrées sur l’émotion), peut
être bénéfique quand rien ne peut être fait pour prévenir un dommage, mais
lorsque cette stratégie interfère avec une action adaptative nécessaire, elle
devient nuisible (Lazarus, 2001). Inversement, les stratégies de coping centrées
sur le problème semblent adéquates dans les situations où un changement est
possible, mais persévérer dans de tels efforts, alors que rien ne peut raisonna-
blement être fait pour modifier la situation, peut nuire à la santé et au bien-
être (Lazarus, 2001).
Pour comprendre ce qu’une personne met en œuvre lorsqu’elle se trouve
dans une situation qu’elle juge stressante, il est nécessaire de considérer un
certain nombre de variables liées à la personne et à l’environnement et qui
peuvent être regroupées en deux grandes catégories opposées : les ressources
et les contraintes.
Parmi les grandes catégories de ressources dont l’utilité a été mise en
évidence dans la majorité des situations stressantes, Lazarus mentionne la santé,
l’énergie, un certain nombre de croyances positives, des compétences liées à
la résolution de problèmes, des compétences sociales, le support social et enfin
les ressources matérielles (Lazarus et Folkman, 1984, p. 158).
Parmi les raisons qui font que les individus n’utilisent souvent pas au mieux
leurs ressources, Lazarus distingue trois types de contraintes (Lazarus et
Folkman, 1984, p. 165) : a) les contraintes personnelles (valeurs, croyances,
besoins de dépendance, peur de l’échec/du succès, préférences personnelles) ;
b) les contraintes liées à l’environnement (manque de ressources disponibles,
compétition entre les individus pour l’usage de ces ressources) et c) un
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 301
niveau de menace particulièrement élevé qui fait que dans certaines situations
extrêmes, les individus n’ont plus accès à leurs propres ressources.
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p. 17).
Le fait de juger de la valeur adaptative d’une stratégie de coping qu’après
avoir pris en compte le contexte de sa réalisation, et mesuré ses effets à moyen
et long terme, constitue une particularité fondamentale du modèle transactionnel
qui le distingue des précédentes conceptualisations du coping.
D’un point de vue méthodologique, une définition du coping qui se centre
sur la relation personne-stresseur implique que l’observation et la mesure des
stratégies de gestion doivent porter sur ce qu’une personne fait réellement
dans une situation spécifique, et non pas sur ce qu’elle pense devoir faire de
manière générale (Lazarus et Folkman, 1984). En conséquence, l’étude des
stratégies de coping devrait être à la fois contextualisée et micro-analytique
(Lazarus et Folkman, 1984, p. 178).
Les auteurs de ce modèle reconnaissent par ailleurs qu’il est utile d’identifier
la présence de préférences individuelles stables dans le choix de stratégies de
coping. Pour ce faire, ils préconisent à la fois d’exposer plusieurs sujets à une
même situation, mais également à différents types de situations stressantes, le
tout de préférence dans une perspective longitudinale ; ce qui revient à utiliser
un plan de recherche intra-individuel, imbriqué dans un plan interindividuel
(Lazarus, 2001 ; Lazarus et Folkman, 1984).
Le modèle transactionnel s’est aujourd’hui imposé comme un cadre théorique
incontournable dans le domaine de la recherche sur le stress psychologique
et les stratégies de coping. Selon Holahan (Holahan et Moos, 1994), ce modèle a
fondamentalement modifié notre manière d’envisager le phénomène du stress :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
après avoir longtemps mis l’accent sur les aspects négatifs du stress en termes
de vulnérabilité à différents troubles somatiques et psychologiques, de nombreux
auteurs s’intéressent de plus en plus aux capacités d’adaptation, à l’action
constructive et à la croissance personnelle face au défi (Holahan et Moos,
1994 ; Holahan et al., 1996).
Plusieurs auteurs ont montré notamment que la résistance individuelle au
stress, parfois appelée « résilience », se développait progressivement par
l’exposition à des situations dans lesquelles un sujet fait l’expérience de
maîtriser efficacement un événement initialement évalué comme stressant.
Cette exposition répétée à des situations stressantes mais maîtrisables facili-
302 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
5 ÉTAT ACTUEL
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envisagé comme un ensemble de stratégies variées dont l’application dépend
non seulement de facteurs individuels et environnementaux mais également
d’une dimension d’effets attendus sur le court et le long terme. Par ailleurs,
ces facteurs individuels, environnementaux et d’effets sont modulés par des
processus d’évaluation, cognitifs subjectifs.
De nombreux auteurs envisagent actuellement de manière complémentaire
les perspectives différentielle et situationnelle en matière de recherche sur les
stratégies de gestion du stress (Holahan et al., 1996 ; Matthews et al., 2003).
La distinction entre ces deux perspectives est, à bien des égards, comparable
à la distinction entre l’étude de variables dites « d’état » et de variables dites
de « trait » (« state versus trait »), bien connue dans le domaine de l’étude de
la personnalité (Parker et Endler, 1992 ; Schwarzer et Schwarzer, 1996).
D’après Watson (1999), le comportement de coping possède bien les caracté-
ristiques d’un trait, à savoir la stabilité (dans le temps) et la consistance (entre
différents contextes). Ceci étant, l’utilisation de stratégies de coping peut être
considérée comme une disposition (Watson, 1999), sachant que dans de
nombreux cas, des facteurs situationnels jouent un rôle modérateur important
dans la sélection d’une stratégie de gestion (Parker et Endler, 1992).
À titre d’exemple, dans le cadre d’une étude longitudinale, Costa et al. (1996)
ont étudié les réponses de coping pour trois types de situations stressantes :
des pertes, des menaces et des défis. Ces auteurs ont pu mettre en évidence à
la fois une constance intra-individuelle dans la façon de réagir à chacune de
ces situations et des effets situationnels consistants. Parmi ces derniers, ils
ont notamment trouvé que, dans des situations de perte, les personnes
avaient souvent recours à la foi et au fatalisme, tandis que, face à un défi, ils
employaient souvent l’humour et la persévérance.
Considérées sous cet angle, les études menées dans une perspective diffé-
rentielle et situationnelle ont chacune leur utilité dans la recherche sur le
coping, et la mise en relation de leurs résultats respectifs est facilitée entre autres
par le fait que les dimensions de coping étudiées de part et d’autre sont compa-
rables du point de vue de leur contenu. Mais avant d’aborder ces dimensions
et la question de leur utilité, les instruments employés actuellement dans la
recherche sur le coping seront présentés brièvement.
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 303
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ce type d’instruments, il est généralement demandé aux individus soit de
répondre par oui ou par non pour dire s’ils utiliseraient telle ou telle stratégie,
soit d’indiquer sur une échelle graduée à quel point il est probable qu’ils y aient
recours ou à quelle fréquence ils l’emploient, soit enfin de sélectionner parmi
un répertoire de stratégies celles qu’ils ont utilisées ou seraient susceptibles
d’utiliser (Parker et Endler, 1992).
Ces instruments basés sur le rapport verbal sont pour la plupart des entretiens
semi-structurés ou des questionnaires (Beehr et McGrath, 1996) qui permettent
de mesurer des dimensions de coping variées (Parker et Endler, 1992). La
diversité des approches et des méthodes employées pour l’étude et la mesure du
coping, à la fois en termes de construits théoriques et d’instruments employés,
fait qu’il est très difficile de généraliser les résultats obtenus (Parker et
Endler, 1992).
Malgré cela, il semblerait que la majorité des études porte sur un nombre
restreint de dimensions de coping. Elle a pour objectif de rechercher des
liens entre, d’une part, ces dimensions et, d’autre part, soit des résultats que
l’on pourrait leur attribuer en termes d’adaptation, soit des caractéristiques
propres aux personnes qui en font usage.
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1994).
Enfin, d’autres auteurs (Cosway, Endler, Sadler et Deary, 2000 ; Parker et
Endler, 1992) proposent de prendre en compte trois dimensions de base : le
coping orienté vers la tâche (ou le problème), le coping orienté vers l’émotion
(ou la personne) et l’évitement. Selon cette perspective, le coping orienté
vers la tâche inclurait des stratégies comme l’analyse du problème, le réajus-
tement des priorités et la gestion du temps (Cosway et al., 2000). Parmi les
efforts orientés vers l’émotion, on trouve le fait de se blâmer soi-même, de
s’inquiéter de ce que l’on va faire ensuite ou encore de s’énerver (Cosway et
al., 2000). Enfin le coping d’évitement comprend des stratégies comme par
exemple faire du lèche-vitrines, téléphoner à quelqu’un ou aller voir un film
(Cosway et al., 2000). Ces stratégies d’évitement consistent à rechercher des
contacts sociaux (diversion sociale) ou à s’engager dans des activités de
remplacement (distraction) (Parker et Endler, 1992).
Ces trois dimensions semblent faire l’objet d’un consensus (Endler et Parker,
1990 ; Matthews et al., 2003 ; Parker et Endler, 1996) et paraissent susceptibles
de décrire le coping à la fois en termes de dispositions générales et tel qu’il
se manifeste dans des situations spécifiques (Matthews et al., 2003).
Ces dimensions de base représentent différentes façons de faire face à une
situation stressante. Elles ne sont probablement pas équivalentes du point de
vue de leur résultat adaptatif pour l’individu (Watson, 1999). On sait par
exemple que certaines stratégies permettent d’alléger les difficultés et de
réduire la détresse émotionnelle qui en résulte, tandis que d’autres ne font
qu’exacerber le problème (Zeidner et Saklofske, 1996). Le fait d’évaluer les
différentes stratégies de coping devrait permettre, entre autres, d’aider les
cliniciens à diagnostiquer un coping inadapté et à proposer des façons plus
adaptées de gérer le stress (Zeidner et Saklofske, 1996).
pour dire d’une stratégie de coping qu’elle est adaptée, il faudrait pouvoir
prendre en compte le contexte de son application et se baser sur un certain
nombre de critères de succès (Matthews et al., 2003). Mais aucun de ces critères
n’est universel (Zeidner et Saklofske, 1996) et le choix de ceux qui sont à
prendre en compte n’est pas trivial puisque les conclusions sur l’efficacité d’une
stratégie de gestion particulière en dépendent (Matthews et al., 2003, p. 17).
Pour juger de l’efficacité du coping en référence à une situation spécifique,
les critères les plus courants sont (Matthews et al., 2003, pp. 17-19 ; Zeidner
et Saklofske, 1996, p. 508) :
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– la résolution du conflit ou de la situation stressante (autant que possible) ;
– une réduction des réactions physiologiques et biochimiques (respiration,
rythme cardiaque, etc.) ;
– une réduction de la détresse psychologique et le maintien de l’anxiété dans
des limites supportables ;
– un fonctionnement social normatif, c’est-à-dire que les comportements qui
ont été mis en œuvre ne sont pas déviants par rapport à ce qui est socialement
acceptable ;
– une reprise des activités routinières qui avaient lieu avant l’événement
stressant ;
– le bien-être de l’individu et des différentes personnes directement confrontées
à une situation ou concernées par celle-ci ;
– le maintien d’une estime de soi positive ;
– l’efficacité perçue : l’individu doit au moins avoir l’impression que sa façon
de faire face lui a été utile.
Perrez et Reicherts (1992, p. 161 et sqq.) ont proposé une méthodologie
pour évaluer le niveau de pertinence d’une stratégie de gestion, qui tient
compte à la fois des propriétés objectives de la situation, de l’évaluation
subjective qu’en fait le sujet et de ses buts activés dans la situation. Dans ce
modèle, la fonctionnalité d’une stratégie de coping est évaluée selon trois
critères (Perrez et Reicherts, 1992, p. 163-164) :
La stratégie de coping doit être compatible avec certaines règles de gestion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Une des méthodes les plus courantes pour évaluer le coping consiste à
rechercher des liens entre, d’une part, le recours systématique à certaines
stratégies de gestion, et d’autre part, un certain nombre de variables qui sont
soit des indicateurs directs d’une symptomatologie anxio-dépressive, soit des
dimensions de la personnalité ou du fonctionnement psychologique, qui sont
connus pour corréler avec certains troubles psychophysiologiques.
Les situations de stress rencontrées étant par définition très variées, il faut
relever qu’à la base, un comportement adapté nécessite de disposer d’un vaste
répertoire de stratégies et de ressources, mais également la capacité d’en
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faire un usage flexible, combiné et créatif (Holahan et al., 1996 ; Matthews
et al., 2003).
Notons que certaines stratégies de coping sont peu adaptées quelle que soit
la situation dans laquelle elles sont mises en œuvre, parce qu’elles ont des
effets nocifs connus à moyen ou long terme bien qu’elles puissent procurer
un soulagement immédiat de courte durée (Matthews et al., 2003). Parmi ces
stratégies figurent l’usage excessif d’alcool ou de stupéfiants (Zeidner et
Saklofske, 1996), ainsi que des comportements qui impliquent une prise de
risque élevée comme la conduite à haute vitesse (Matthews et al., 2003).
Certains auteurs ont considéré que le coping orienté vers l’émotion était
mal adapté, alors que d’autres auteurs sont arrivés à une conclusion inverse
(Matthews et al., 2003). Le moment où l’effet des stratégies de gestion est
évalué explique peut-être cette divergence : il semblerait en effet qu’à court
terme, le fait de maintenir la détresse émotionnelle dans des limites gérables
reflète un coping efficace (Matthews et al., 2003). Par contre, lorsque les effets
sur le long terme sont pris en compte, il apparaît parfois préférable de pouvoir
exprimer dès le départ ses émotions sans trop de retenue (Matthews et al.,
2003).
Le coping centré sur le problème est généralement considéré comme adaptatif
dans des situations où quelque chose peut être fait par la personne pour gérer
la menace ou modifier les conditions qui sont à l’origine du stress (Zeidner et
Saklofske, 1996). Les personnes qui essaient de gérer le problème auraient
tendance à mieux s’adapter aux stresseurs rencontrés et à présenter moins de
symptômes psychologiques que ceux qui se focalisent sur la régulation du
vécu émotionnel (Holahan et al., 1996).
À l’instar du coping centré sur l’émotion, les stratégies d’évitement semblent
ne pas avoir les mêmes effets selon que l’on considère l’impact à court ou à
long terme. À court terme, l’évitement permettrait de préserver un équilibre
émotionnel (Matthews et al., 2003), de réduire le stress ou l’anxiété (Parker
et Endler, 1992) et d’échapper à une pression constante (Zeidner et Saklofske,
1996). Les stratégies cognitives d’évitement semblent particulièrement effica-
ces pour supporter la douleur, le bruit ainsi que des traitements médicaux
pénibles (Matthews et al., 2003). À long terme cependant, les diverses stratégies
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 307
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Étant donné la variété des processus impliqués plus ou moins directement
dans le coping, les raisons d’un coping mal adapté sont multiples, et très
variables d’un individu à l’autre (Matthews et al., 2003). L’origine d’un coping
dysfonctionnel est à rechercher à différents niveaux et relativement à toutes
les variables qui, d’une manière ou d’une autre, influencent ce mécanisme.
Jusque-là, nous avons décrit les différentes stratégies et dimensions de coping
sans faire référence à l’impact de différences interindividuelles sur le choix des
stratégies de gestion du stress. Des liens ont cependant été mis en évidence
entre certaines stratégies de coping et des caractéristiques du fonctionnement
psychologique et de la personnalité. Ci-dessous, nous tentons brièvement d’en
décrire quelques-uns.
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(Zeidner, 1995, p. 304). Telle une ressource personnelle, l’intelligence devrait
alors influencer le choix des stratégies de gestion à différents niveaux (Zeidner,
1995, p. 304-305). Mais bien que l’importance de l’intelligence en tant que
ressource pour un coping adaptatif ait été soulignée, la recherche empirique
dans ce domaine est extrêmement rare et lacunaire (Zeidner, 1995).
En revanche, le lien entre l’étude des stratégies de coping et le concept
aujourd’hui très populaire d’intelligence émotionnelle (IE, EI en anglais) semble
plus prometteur (Salovey, 1999). Bien que certains auteurs critiquent vivement
le fait de qualifier d’« intelligence » les compétences émotionnelles habituel-
lement discutées dans ce cadre, il semble toutefois qu’un consensus émerge
sur l’existence de différences individuelles en termes de capacités à expéri-
menter, à réguler et à utiliser les processus émotionnels à des fins adaptatives
(Scherer, 2006) Si les auteurs semblent diverger quant au nombre et à la
nature précise de ces compétences émotionnelles (Roberts et al., 2001), le fait
de gérer efficacement des situations stressantes est souvent considéré comme
un élément clé de l’intelligence émotionnelle (Matthews et al., 2003). D’après
Matthews (Matthews et al., 2003), un coping adapté serait même parfois
considéré comme de l’intelligence émotionnelle « en action ».
Selon Avison (Avison et Gotlib, 1994), le support social émotionnel et
instrumental semble également être une ressource importante pour faire face
au stress (Parker et Endler, 1992). La qualité du support social semble contri-
buer principalement de deux manières à un coping efficace : premièrement,
indépendamment du niveau de stress actuel, le soutien émotionnel d’un tiers
constitue un facteur protecteur susceptible de renforcer la confiance et l’estime
de soi, et contribue ainsi à protéger la santé mentale et physique (Holahan
et al., 1996 ; Plancherel, Bolognini, et Nunez, 1994 ; Salovey, 1999). Deuxième-
ment, selon l’hypothèse connue sous le nom de « l’effet tampon », le support
social contribuerait à amortir l’impact du stress sur le bien-être de l’individu,
lorsque des tiers prodiguent des conseils qui peuvent aider la personne à
mieux évaluer sa situation et à planifier des stratégies de coping adaptées
(Holahan et al., 1996 ; Plancherel et al., 1994 ; Salovey, 1999).
Dans la littérature sur le coping, il est souvent fait référence à différents
concepts qui se chevauchent partiellement, et qui ont trait à la façon dont
l’individu se perçoit lui-même, et/ou appréhende les situations qu’il rencontre.
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 309
Ces variables semblent exercer une influence plus ou moins directe sur la
façon dont ces situations sont évaluées, sur la réaction émotionnelle qui s’en
suit, ainsi que sur les stratégies de gestion que l’individu tente ou ne tente pas
de mettre en place pour y faire face. Parmi ces variables, on trouve la confiance
en soi, le self-efficacy belief (Bandura, 1997), la contrôlabilité (perçue), l’estime
de soi, mais aussi certaines tendances d’attribution causale ou de locus of
control (Rotter, 1966), et même l’optimisme.
Selon Cox, au moment de l’évaluation d’une situation, la perception que
l’individu a de ses propres capacités à faire face serait plus importante encore
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que le fait de posséder réellement ces capacités (Cox, 1987), notamment
pour déterminer dans quelle mesure la situation est vécue comme stressante.
Nous retiendrons de ce qui précède, que bien qu’il soit indéniablement
crucial de disposer dès le départ d’un capital de ressources, telles que les
compétences émotionnelles mentionnées plus haut ou encore un réseau
social de qualité, il semble tout aussi important de pouvoir croire, dans une
certaine mesure, en nos capacités à agir efficacement pour modifier les situations
stressantes que nous rencontrons, sans quoi il nous sera difficile de mobiliser
nos efforts et de mettre en œuvre des stratégies de gestion du stress adaptées.
CONCLUSION
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tions. Il paraît donc nécessaire actuellement de développer des méthodes
complémentaires à celles qui existent déjà, et qui permettraient d’évaluer le
coping tel qu’il a lieu dans un contexte donné, et non pas seulement tel que la
personne s’en souvient. Un exemple qui permet d’estimer les stratégies
d’évaluation cognitive et de coping de manière plus écologique consiste à
avoir recours à un échantillonnage de situations stressantes réelles au moyen
d’instruments d’évaluation ambulatoires qui permettent de remplir des ques-
tionnaires de coping informatisés installés sur des agendas électroniques
portables au moment, ou juste après, la confrontation avec un stresseur.
LECTURES CONSEILLÉES
LAZARUS, RICHARD S. (1999) Stress and Emotion : A New Synthesis. New York,
Springer Pub. Co.
REICHERTS M. (1999). Comment gérer le stress ? Le concept des règles cognitivo-
comportementales. Fribourg/Suisse, Éditions Universitaires
ZEIDNER M., ENDLER N. (éd.). (1996). Handbook of Coping : Theory, Research,
Applications. New York, John Wiley
SITE WEB
www.geneve.ch/stressnet/welcome.asp.
1. Pour une revue exhaustive de ces problèmes méthodologiques, nous invitons le lecteur à consulter
les références suivantes : Hazanov, 2003 ; Parker et Endler, 1996.
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 311
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
Dans une étude, Susan Folkman et Richard Lazarus (1985) ont étudié l’évolution
dans le temps du vécu émotionnel et des stratégies de coping d’étudiants
universitaires confrontés à une situation d’examen. Partant d’une situation
familière et écologiquement pertinente pour une population estudiantine, les
auteurs identifient trois phases successives relatives à la passation d’un contrôle
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continu : une phase initiale d’anticipation lors de laquelle l’étudiant se prépare à
l’examen, une phase d’attente des résultats et enfin une phase qui suit l’annonce
des résultats.
L’étude complète se déroule en deux étapes : premièrement, les auteurs
étudient les changements de vécu émotionnel et des formes de gestion du stress
pour l’ensemble des sujets. Dans un second temps, ils s’intéressent aux diffé-
rences interindividuelles dans le vécu émotionnel des sujets. Ces différences sont
mises en lien avec les stratégies de coping utilisées et l’évaluation cognitive
de la situation. Le présent résumé portera uniquement sur la première étape
de cette recherche.
Les participants à l’étude (cent trente-six étudiants universitaires de l’uni-
versité de Californie, Berkeley) sont invités à répondre à un questionnaire de
« stress » à trois moments différents : deux jours avant un contrôle continu
(temps 1), deux jours avant la communication des résultats (temps 2), et cinq
jours après la communication des résultats (temps 3). Les items du questionnaire
portent sur différentes composantes d’un événement stressant : l’évaluation
cognitive, le vécu émotionnel et les stratégies de gestion du stress. Enfin les
notes à l’examen sont prises en compte.
Concernant le vécu émotionnel, les auteurs considèrent deux questions :
– le vécu émotionnel des sujets est-il différent en fonction des trois temps
étudiés ? Les auteurs font l’hypothèse que les émotions qui indiquent un défi
ou une menace seront ressenties surtout pendant la phase d’anticipation
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
(temps 1), pour diminuer après l’examen et être presque absentes suite à la
communication des résultats (temps 3). Les émotions qui correspondent à
une situation d’échec-perte, par contre, seront peu ressenties pendant la
phase d’anticipation (temps 1) et deviendront prépondérantes quand les
résultats sont connus (temps 3) ;
– les changements dans le degré de certitude quant aux résultats de l’examen
ont-ils une influence sur les émotions ressenties ?
L’issue de la situation stressante constituée par l’examen est incertaine
jusqu’à la communication des résultats. Les auteurs font donc l’hypothèse que
l’étudiant peut ressentir en même temps des émotions qui indiquent le défi et
312 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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l’étude. Ainsi les émotions liées à une situation de menace (soucieux, effrayé,
anxieux) ou de défi (confiant, plein d’espoir, enthousiaste) sont fortement ressen-
ties aux temps 1 et 2, pour diminuer significativement en intensité au temps 3.
Les émotions liées à une situation d’échec-perte (fâché, triste, déçu, coupable,
dégoûté) ou de réussite (joyeux, content, soulagé) augmentent significative-
ment en intensité entre le temps 1 et le temps 2 et restent élevées au temps 3.
Ces résultats appuient la position théorique des auteurs, selon laquelle un
changement dans l’évaluation cognitive d’une situation stressante engendre
un changement dans la qualité des émotions ressenties.
En ce qui concerne le rôle du niveau d’incertitude, les résultats montrent
que lorsque celui-ci est élevé les étudiants peuvent éprouver en même temps
des émotions négatives (menace) et des émotions positives (défi). Par contre,
lorsque l’issue de la situation stressante est connue, les étudiants éprouvent soit
des émotions positives (réussite), soit des émotions négatives (échec-perte).
Relativement aux stratégies de gestion du stress, les auteurs formulent
deux hypothèses :
– les étudiants vont utiliser en même temps des stratégies de coping centrées
sur la régulation du vécu émotionnel (emotion-focused coping) et des stra-
tégies centrées sur la résolution du problème (problem-focused coping) ;
– le choix des stratégies de gestion du stress sera différent en fonction de
l’évolution de la situation dans le temps.
Principaux résultats et discussion sur les stratégies
de gestion du stress
Conformément à la première hypothèse, à chacune des trois phases de l’étude,
la plupart des sujets (94 %) utilisent tour à tour des stratégies de coping centrées
sur le problème et des stratégies centrées sur l’émotion.
En ce qui concerne la deuxième hypothèse, les résultats montrent qu’il y a
des changements importants dans le choix des stratégies de coping en fonction
de l’évolution dynamique de la situation. Ainsi, le coping centré sur le problème
est utilisé principalement au temps 1, par contre au temps 2 l’utilisation de
cette stratégie diminue de façon importante. Ce changement s’explique par
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX 313
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Entre le temps 2 et le temps 3, aucune stratégie de coping ne semble
augmenter de manière significative pour l’ensemble du groupe. En fait, au
temps 3, le recours à une stratégie de coping n’est plus un phénomène partagé
par tout le groupe, mais dépend de la performance individuelle des étudiants.
Les étudiants ayant obtenu une mauvaise note font plus appel à des stratégies
de coping centrée sur l’émotion que les étudiants pour lesquels l’examen a
été réussi.
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Chapitre 10
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ÉMOTIONS
INTERGROUPES :
L’APPLICATION DES
THÉORIES DE L’ÉVALUA-
TION ET DE LA
DIFFÉRENTIATION
DES ÉMOTIONS (THÉO-
RIES DE L’APPRAISAL)
AUX RELATIONS
INTERGROUPES1
1. Par Patricia Garcia-Prieto Chevalier.
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INTRODUCTION :
LES ÉMOTIONS INTERGROUPES
Parkinson et al., 2005 ; Van Zomeren et al., 2004). En effet, peu d’études ont
directement examiné l’effet du contexte social (Jakobs et al., 1997 ; Kappas,
1996), en dépit du fait que les théoriciens de l’appraisal reconnaissent que
ce dernier peut avoir un impact important sur les émotions (Lazarus, 1991),
et que les émotions ont elles-mêmes d’importantes fonctions sociales (Frijda
et Mesquita, 1994). En réalité, les théories de l’appraisal ont souvent été
critiquées pour trop se focaliser sur l’expérience émotionnelle de l’individu
en dehors de son contexte social (Manstead et Fischer, 2001 ; Parkinson et
Manstead, 1993). Ainsi, la recherche sur les émotions intergroupes permet
d’identifier certains des mécanismes psychosociaux (catégorisation sociale,
318 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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de régulation des comportements intergroupes (Mackie et al., 2004).
Identification
sociale
Figure 10.1
Modèle de l’émotion intergroupe.
1 APPROCHES THÉORIQUES
Tableau 10.1
Prédiction des évaluations cognitives (ou appraisals), des émotions
et des tendances à l’action dans des contextes intergroupe
(adapté de Smith, 1993).
Tendances à
Appraisals
l’action
(Roseman, 1984 ; Frijda et al. 1989 ; Émotions Conséquences intergroupes
(Frijda et al.,
Scherer, 1988)
1989)
ÉMOTIONS INTERGROUPES
Empêche buts et objectifs, certain, Les membres des groupes majoritaires (ou
causé par quelqu’un d’autre qui ont du pouvoir) sont dégoûtés d’être
Dégoût Envie d’éviter
(ou les circonstances), avec des membres de groupe minoritaires
va à l’encontre des normes (ou sans pouvoir)
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320
Tableau 10.2
Extension des dimensions de l’évaluation cognitive (ou appraisals) de la théorie de Scherer (2001)
au contexte intergroupe (adaptée de Garcia-Prieto et Scherer, sous presse)
Implication
Causalité et responsabilité engagée, et la causalité des événe- et non en fonction d’un événement dont il serait
ments est attribuée à des individus personnellement responsable, et la causalité
des événements est attribuée à des groupes
L’individu évalue son potentiel de maî- L’individu évalue son potentiel de maîtrise en
Contrôle
trise en fonction de son adaptabilité, fonction de l’adaptabilité, du pouvoir relatif de
Puissance
de son pouvoir et de son contrôle sur l’endogroupe, et du contrôle que l’endogroupe
Ajustement
Potentiel
de maîtrise
les conséquences de l’événement peut avoir sur les conséquences de l’événement
Compatibilité
Évaluation d’après les standards
avec les standards Évaluation d’après les standards et les normes
personnels et les normes sociales
Internes de justice et de moralité de l’endogroupe.
de justice et de moralité
normative
Signifiance
Externes
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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ÉMOTIONS INTERGROUPES 321
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envie d’éviter l’exogroupe.
Cette théorie a été développée en particulier pour prédire les aspects négatifs
des relations intergroupes liés aux préjugés, aux stéréotypes ou à la discrimi-
nation (racisme, guerres ethniques, génocide, etc.). La théorie TEI est la
première à appliquer au domaine des relations intergroupes les prédictions
des théories de l’appraisal pour la détermination des émotions et des tendances
à l’action.
2 ÉVIDENCES EMPIRIQUES
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2.1 Le rôle de la catégorisation sociale
et de l’identification sociale
L’expérience d’une émotion intergroupe dépend de la catégorisation d’un
individu en tant que membre d’un groupe social (par exemple « hispanique »)
et l’identification à un groupe social varie d’un individu à un autre. La théorie
des émotions intergroupes postule que plus un individu s’identifie à un groupe,
plus facilement, fréquemment et intensément il ressentira des émotions inter-
groupes (Mackie et al., 2004).
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que les participants placés dans les deux autres conditions.
Dans une autre expérience ( Yzerbyt et al., 2003), les chercheurs ont
analysé plus précisément le rôle de la catégorisation et du niveau d’identifi-
cation sur les émotions et les tendances à l’action. Les participants, des
étudiants francophones de l’université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL),
ont été également confrontés à un article de presse fictif pour induire la colère.
L’article décrivait une situation conflictuelle entre des professeurs et des
étudiants néerlandophones de l’université de Gand. Il rapportait qu’un comité
de professeurs de l’université voulait imposer l’anglais comme seule langue
pour les étudiants, dès la troisième année. Avant d’être confrontés à l’article de
presse, les étudiants devaient se ranger soit dans le groupe des victimes (on leur
faisait croire que leurs réponses seraient comparées à celles des professeurs, qui
seraient aussi interrogés), soit dans un autre groupe (ils pensaient que leurs
réponses seraient comparées à celles d’étudiants d’autres universités en Belgi-
que qui seraient aussi interrogés). Là encore, les résultats des questionnaires
d’auto-évaluation mesurant leurs émotions et leurs tendances à l’action ont
confirmé que les étudiants qui avaient été amenés à se ranger dans la catégorie
des victimes ont ressenti plus de colère. Par ailleurs, le niveau d’identifica-
tion a eu un impact sur le degré des émotions et les tendances à l’action :
plus le niveau d’identification ressentie avec le groupe des victimes était fort,
plus la colère et l’envie d’affronter les professeurs étaient intenses.
Enfin, Dumont et al. (2003) se sont penchés sur l’influence de la catégori-
sation et de l’identification sur les réactions de peur ressentie au nom des
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soit une très brève description rappelant les attaques terroristes, soit une photo
des tours jumelles en flammes. Comme prévu, les résultats de ces études ont
montré que les participants qui avaient été amenés à se ranger dans la même
catégorie que les victimes, et qui avaient une plus grande identification à la
catégorie manipulée, ont rapporté une plus grande peur et une plus forte
disposition à agir, liée à la peur des terroristes. Dans une étude non publiée
sur les émotions ressenties par des étudiants américains quelques semaines
après les attentats du 11 septembre 2001, Mackie et al. (2004) ont trouvé que
leur niveau d’identification en tant qu’Américains déterminait l’intensité de
la colère et de la peur ressenties après les attentats.
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Unis dans la peur des attentats terroristes du 11 septembre ?
Ça dépend…
Dans une série d’études menées quelques semaines après les attentats du
11 septembre 2001 en Belgique et en Hollande, Dumont et ses collègues (2003)
ont amené des étudiants à se catégoriser comme étant plus ou moins proches des
victimes états-uniennes, et ils ont testé l’impact de ces manipulations sur la peur
ressentie en réponse aux attentats. Ils ont démontré que tant la catégorisation
sociale comme Occidental (donc proches des victimes américaines) ou comme Euro-
péens (donc distincts des victimes américaines), que le niveau d’identification avec
cette catégorie, ont eu un impact sur le niveau de peur indiqué, ainsi que sur les
comportements adoptés par la suite.
Dans une tout autre perspective de recherche, McCoy et Major (2003) ont
étudié l’impact de la perception de la discrimination envers l’endogroupe –
des femmes confrontées à la prévalence du sexisme – sur les émotions négatives
dirigées contre soi-même (la dépression, la tristesse, le sentiment d’échec, la
colère ou encore l’irritation). Ces chercheurs ont montré que lorsque la préva-
lence de la discrimination envers l’endogroupe est rendue saillante, les individus
s’identifiant fortement à l’endogroupe évaluent cette discrimination comme
une menace personnelle et ressentent des émotions négatives dirigées contre
eux-mêmes. La discrimination d’un endogroupe (dans cet exemple, les femmes)
peut donc avoir des conséquences affectives néfastes pour le bien-être des
individus qui s’identifient fortement avec ce groupe.
à l’action envers l’exogroupe. Ces auteurs ont testé l’hypothèse que dans une
situation de conflit d’opinions (par exemple, entre groupes pour ou contre
l’utilisation de la marihuana ou pour ou contre les droits des couples homo-
sexuels), la perception de la position relative de l’endogroupe (fort ou faible)
déterminera le type d’émotion suscitée (colère ou peur) et la disposition à
agir (affrontement ou évitement) envers l’exogroupe. En d’autres termes, si
mon endogroupe (qui est pour l’utilisation de la marihuana) et en position de
force relative face à un exogroupe (qui est contre l’utilisation de la mari-
huana), j’aurai une tendance plus grande à ressentir de la colère et à avoir
envie d’affronter cet exogroupe, que de la peur et une envie de l’éviter. Dans
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ces expériences, Mackie et al. ont demandé à des étudiants de se définir
comme étant pour ou contre des groupes d’opinion. Puis, ils ont manipulé la
perception de force ou de faiblesse de l’endogroupe en présentant aux parti-
cipants des coupures de presse qui montraient soit un fort/faible soutien de
l’endogroupe. Ils ont ensuite mesuré l’impact de ces manipulations sur les
émotions et les tendances à l’action exprimée contre l’exogroupe au moyen
de questionnaires d’auto-évaluation. Les résultats ont confirmé l’hypothèse
initiale : lorsque l’endogroupe était dans une position forte, les participants
ont exprimé de la colère envers l’exogroupe (plus que de la peur ou du
mépris) ainsi qu’une tendance à vouloir l’affronter (plus qu’à l’éviter).
Devos et al. (2003) ont fait état des résultats d’une série d’études portant sur des
contextes intergroupes suscitant la peur et l’évitement de l’exogroupe. Dans une
première étude, les chercheurs ont induit la peur en demandant à des femmes
de s’imaginer en train de marcher seules, la nuit, dans une rue, et d’être accu-
sées injustement par un homme d’avoir cassé la fenêtre de sa voiture garée
dans la rue. Pour êtres sûrs d’induire la peur et l’évitement, l’homme, dans le
scénario, a été décrit comme étant menaçant et agressif. Ensuite, les auteurs
ont créé des variations dans le contexte social de cette interaction (pour une
description complète de ces conditions, voir tableau 10.3).
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Tableau 10.3
Conditions expérimentales d’induction de la peur et de l’évitement
de l’exogroupe (adapté de Devos, Silver, Mackie et Smith, 2003).
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Catégorisé « un Individu Membre de A Groupe de As
Homme membre de B » versus versus membre versus membre
décrit dans (homme est seul) membre de B de B de B
le scénario Catégorisé Individu Membre de A
est soit : « avec un versus versus groupe Bs
Groupe de Bs » groupe de Bs de Bs
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soit un membre de l’endogroupe « A », soit un membre d’un exogroupe « B ».
Les participants ont exprimé, au moyen de questionnaires d’auto-évaluation,
de la culpabilité au nom de l’endogroupe lorsqu’ils apprenaient que leur
groupe avait traité l’exogroupe de façon injuste lors d’un jeu ayant eu lieu dans
le passé, même lorsqu’ils apprenaient qu’ils n’avaient pas personnellement
été injustes ou commis du tort envers un membre de l’exogroupe.
Depuis cette recherche, un important corpus d’évidences empiriques a été
accumulé en faveur de l’existence de la culpabilité collective. Par exemple,
les Hollandais peuvent ressentir de la culpabilité liée à leur passé colonial en
Indonésie (Doosje et al., 1998) et en raison du rôle joué par leur pays dans
l’histoire de l’esclavage (Zebel et al., 2001). C’est aussi le cas pour les inégalités
de traitement auquel les femmes sont soumises (Schmitt et al., 2004).
Mais, comme le soulignent Branscombe et al. (2003), la culpabilité collective
n’est pas une réponse généralisée envers tous les groupes ayant subi une injustice
dans le passé. Elle est au contraire une réponse spécifique déterminée par des
évaluations spécifiques de la relation entre l’endogroupe et l’exogroupe dans
un contexte donné. Par exemple, les Blancs aux États-Unis ressentiront plus
volontiers une culpabilité liée au traitement injuste des Noirs dans le passé,
qu’envers les injustices commises envers les Mexicains ou les Amérindiens
(Branscombe et al., 2003). Pour que la culpabilité collective soit ressentie, il
faut (i) que la personne se catégorise en tant que membre de l’endogroupe,
(ii) une prise de conscience qu’une action (ou manque d’action) de la part de
l’endogroupe a causé du tort à un autre groupe, et (iii) une reconnaissance
que ces actions représentent une violation de standards moraux.
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contexte de conflit intergroupe très particulier dans lequel l’exogroupe est
adversaire dans un domaine d’intérêt pour l’endogroupe, et où le statut d’infé-
riorité de l’endogroupe est clairement menacé (guerre, compétition sportive).
D’après ces auteurs, cette émotion serait inhibée par le statut de supériorité
de l’exogroupe et sa légitimité ou acceptation sociale.
Leach et al. (2003) ont étudié le Schadenfreude ressenti par des étudiants
néerlandais suite à l’élimination de l’équipe de football allemande lors de la
Coupe du monde en 1998 en France. Les chercheurs ont mesuré l’intérêt porté
au football au moyen de questionnaires d’auto-évaluation. Ils ont ensuite
manipulé le niveau de saillance de « l’infériorité » de l’équipe néerlandaise
en demandant aux participants de se rappeler, soit des victoires d’autres
équipes de football par le passé pour induire une perception d’infériorité
chronique de l’équipe de football néerlandaise, soit de la défaite de l’équipe
néerlandaise en finale contre le Brésil en 1998 pour induire une perception
d’infériorité aiguë de l’équipe de football néerlandaise. Les chercheurs ont
aussi inclus un groupe contrôle (aucune manipulation sur la perception du statut
de l’équipe néerlandaise). En accord avec leurs hypothèses, le Schadenfreude
provoqué par la défaite de l’équipe allemande était plus intense dans les deux
conditions rendant saillante la perception d’infériorité de l’équipe néerlandaise
(infériorité chronique et infériorité aiguë). Et comme prévu, plus les participants
étaient intéressés par le football, plus ils ont exprimé de Schadenfreude et ce,
indépendamment de la manipulation d’infériorité. Une deuxième étude a
confirmé ces résultats et démontré que l’intensité du Schadenfreude peut être
inhibée dans des conditions où la supériorité de l’exogroupe est rendue
légitime.
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émotions intergroupes. En effet, en psychologie de l’émotion, l’utilisation de
l’auto-évaluation a souvent été remise en question (Parkinson et Manstead,
1993 ; Parkinson, 1997 ; Parkinson, 2001), car les participants doivent en
général rapporter à la fois l’émotion qu’ils ont ressentie et les dimensions
d’évaluation qui correspondent à cette émotion. La critique principale qui est
faite à cette méthodologie est que l’auto-évaluation des participants pourrait
s’avérer plus représentative des stéréotypes que l’on peut avoir sur le type
d’évaluation correspondant à telle ou telle émotion, que de la vraie relation
qui pourrait exister entre l’évaluation et la réponse émotionnelle.
Un des défis importants pour les chercheurs dans le domaine des émotions
intergroupes sera donc de développer des méthodologies qui incluent aussi
des indicateurs comportementaux.
CONCLUSION
travaux se sont concentrés sur la culpabilité qu’un individu peut éprouver envers
des actes injustes commis dans le passé par son endogroupe, ou encore sur le
sentiment de Schadenfreude qui peut être suscité par la souffrance de
l’exogroupe.
Nous avons souligné également l’importance d’inclure des indicateurs
comportementaux dans les recherches futures. La spécificité des tendances à
l’action envers l’exogroupe provenant d’évaluations cognitives et d’émotion
spécifiques a été démontrée empiriquement par plusieurs études, mais nous ne
connaissons encore que très peu de choses sur la détermination des compor-
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tements intergroupes réels. Si les émotions intergroupes ont déjà été manipulées
avec succès en laboratoire nous pensons qu’un pas important serait de les étudier
en situation réelle. Le contexte des organisations est un terrain de recherche
qui pourrait, par exemple, s’avérer particulièrement riche. En effet, le monde
du travail offre souvent des situations de conflit intergroupes (fusions, inter-
nationalisation, relations homme/femme, etc.) dans lesquelles des catégories
d’appartenance sociale peuvent devenir importantes pour les col. Ainsi, il serait
intéressant d’étudier dans quelle mesure les émotions intergroupes peuvent jouer
un rôle dans la détermination des comportements organisationnels et dans la
performance (pour une discussion de ce point, voir Garcia-Prieto et al., 2005).
LECTURES CONSEILLÉES
La culpabilité collective
BRANSCOMBE N.R., DOOSJE B., MCGARTY C. (2002). « Antecedents and consequen-
ces of collective guilt ». In D.M. Mackie et E.R. Smith (éd.), From Prejudice to
Intergroup Emotions : Differentiated Reactions to Social Groups. Philadelphia,
PA, Psychology Press.
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GARCIA-PRIETO P., TRAN. V., WRANIK T. (2005). « Les théories de l’évaluation et de
la différenciation des émotions : une clé pour comprendre le vécu émotionnel des
individus au travail ». In O. Herrback et K. Mignonac (éd.) Les Émotions au
travail. Recherches en comportement organisationnel. Paris, De Boeck.
SITE WEB
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
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INTRODUCTION
d’individus tendent à avoir des émotions très similaires (par exemple événe-
ments sportifs, émeutes, catastrophes). Cependant, on peut aisément penser à des
exemples plus quotidiens d’émotions collectives dans les équipes et entreprises :
la joie de célébrer de bons résultats, la tristesse lors de licenciements ou la
colère pendant des grèves.
L’objectif de ce chapitre est donc de passer en revue, d’une part, les prin-
cipaux courants de recherche prenant en compte les émotions et, d’autre part,
d’explorer les aspects tantôt positifs, tantôt négatifs des émotions, que ce soit
pour l’individu, pour le groupe (ou l’équipe) ou encore pour l’organisation
(ou le collectif). Après un bref historique, nous présenterons rapidement les
travaux portant sur l’affect et l’humeur les plus représentatifs du domaine, avant
de passer aux émotions. Étant donné l’ampleur que le sujet a prise, nous nous
référerons autant à des études en psychologie de l’émotion qu’en psychologie
industrielle, en comportement organisationnel1 ou encore en sociologie.
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1 HISTORIQUE2
L’étude des émotions sur le lieu de travail émerge en tant que concept scien-
tifique dans les années 1930, principalement aux États-Unis (Brief et Weiss,
2002), notamment lorsque les premiers théoriciens des dynamiques de groupe,
comme par exemple Mayo ou Lewin (Anzieu et Martin, 1994), introduisirent
le concept de relations humaines au travail. En 1932, une étude cruciale, bien
que peu reconnue, montre les liens entre les affects ressentis au jour le jour et
la performance, de même qu’elle met en évidence l’influence des émotions
ressenties à la maison sur le comportement au travail, Hersey (1932, cité par
Brief et Weiss, 2002) a été un précurseur des études utilisant la méthode du
journal (ou experience sampling methodology) : il a demandé à un petit groupe
d’ouvriers spécialisés de reporter, entre autres, leurs émotions, et ce, quatre
fois par jour pendant plusieurs semaines (dix à treize) ; il a pu ainsi identifier
la variabilité des affects et des cycles affectifs différents pour chaque ouvrier.
On notera aussi les études que Roethlisberger et Dickson (1939, cités par
Brief et Weiss, 2002), psychologues d’Harvard, ont effectuées dans l’usine
Hawthorne de la division Western Electric de ATetT3, et qui identifient déjà
l’importance de l’interaction entre la personne et la situation dans l’adaptation
du travailleur à son travail.
La profusion de travaux dans les années 1930 fut suivie d’une période
creuse avec peu de développements théoriques et des approches empiriques
limitées, jusqu’aux années 1980 où l’on assistera à la renaissance de l’intérêt
pour les phénomènes affectifs (émotions et humeurs). L’on se doit de s’attarder
un peu sur le concept de satisfaction au travail, car il fait partie de l’historique
de la problématique des émotions dans l’entreprise et leur développement
historique fut parallèle et inséparable. Reste alors que même si la satisfaction
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travail au cours des années 1930, les recherches sur l’affect et les méthodes
utilisées pour l’approcher convergent autour de la satisfaction au travail, de
ses causes et de ses conséquences en milieu organisationnel. Cette convergence
continuera au cours des années 1940, pendant lesquelles les scientifiques
exploitent un avantage majeur de la méthodologie des questionnaires : l’apti-
tude à tester beaucoup de gens rapidement et efficacement. Peu de place est
accordée à d’autres méthodologies telles que les interviews et autres démarches
qualitatives et jusqu’à la fin des années 1960, il existe peu de développements
théoriques (Brief et Weiss, 2002). La recherche sur la satisfaction au travail
dans les années 1950 a cependant posé les bases des futurs avancements de la
recherche, comme par exemple les travaux d’Herzberg (Herzberg, Mausner,
et Snydernman, 1959) sur la satisfaction et l’insatisfaction1. Les années 1960
voient la revitalisation de la recherche sur la satisfaction au travail. En 1969,
Locke est le premier théoricien de la satisfaction à la considérer comme une
émotion. Il pose l’hypothèse que les émotions telles que la satisfaction résul-
tent d’évaluations, ce qui s’avère similaire au concept actuel d’évaluation
cognitive (Barsade et al., 2003). Locke (1976, cité par Brief et Weiss, 2002)
avance la définition suivante : « Un état émotionnel plaisant ou positif résul-
tant de l’évaluation qu’on se fait de son travail ou des expériences vécues au
travail » (p. 1300).
Les années 1970 représentent une période de consolidation et de calme
relatif. Des revues de littérature sur la satisfaction et la motivation voient le
jour, aidant les chercheurs à organiser et à consolider leurs réflexions sur les
courants de recherche existants. Jusqu’à ce point dans l’histoire, la satisfaction
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
(comme par exemple la performance) qui aurait poussé les chercheurs à trou-
ver une autre manière de caractériser l’affect au travail. Staw, psychologue,
spécialiste du comportement organisationnel, développe notamment l’idée
que l’affectivité comme trait de personnalité est une composante essentielle
du comportement (Staw et al., 1986). Il se base sur les travaux de Watson et
Tellegen (1988) et sur les concepts d’affectivité positive/affectivité négative 1.
Ceci constitue un des tournants de la révolution affective et ouvre beaucoup
de nouvelles perspectives.
En conclusion, même si les chercheurs ont considéré l’affect comme facteur
principal de la satisfaction au travail, ils ne se sont préoccupés en réalité que
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des aspects cognitifs dans leur manière de mesurer le problème. Mais, comme
nous l’expliquent Brief et Weiss (2002), il faudrait pouvoir distinguer entre
le concept de satisfaction au travail comme étant une attitude – incluant à la
fois des aspects affectifs et cognitifs – ou au contraire comme étant un juge-
ment évaluatif. Certaines études ont même démontré que les émotions ou les
affects influencent directement la satisfaction au travail (voir Weiss et al.,
1999 ; Fisher, 2000). Brief et Weiss suggèrent que l’on considère soit l’affect
comme un antécédent de la satisfaction au travail, soit la satisfaction comme une
composante affective, et l’affect devient alors un indicateur de la satisfaction.
D’après eux, le débat n’est pas encore clos.
1. Une personne AP se définit comme enthousiaste, confiante, active. Elle serait plus énergique et
persistente dans son travail, à long terme. Une personne AN est plus encline à ressentir de
l’anxiété, de l’hostilité, de la culpabilité. Elle favorisera des échanges plus conflictuels et plus
critiques.
LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE ET DU TRAVAIL 339
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pouvoir prendre une place légitime dans les entreprises. Depuis, plusieurs
ouvrages sont parus entièrement dédiés aux émotions dans le contexte du
travail et de l’organisation (voir lectures conseillées). Le développement a
été tel qu’on peut même parler de changement de paradigme (voir Barsade et
al., 2003).
Cependant, les récentes revues de la littérature (Barsade et al., 2003 ; Brief
et Weiss. 2002) s’accordent à reconnaître que davantage d’attention a été
consacrée et est toujours plus consacrée à l’affect ou à l’humeur, plutôt
qu’aux émotions discrètes (voir chapitre 1). Il devient dès alors très difficile
de rapporter des études sur les effets ou influences d’émotions discrètes sur
divers processus organisationnels puisqu’il n’en existe que peu. Nous nous
devons donc d’exposer ici les principaux travaux concernant les effets de
l’affect et de l’humeur et d’attirer l’attention du lecteur sur cet important défi
de la définition. La vigilance est de mise car dans de nombreux articles, en
effet, les mots « affect », « humeur » et « émotion » sont utilisés de manière
interchangeable1. De ce point de vue, il y a là encore du chemin à parcourir
pour que les émotions discrètes obtiennent une part plus importante dans la
recherche dans le milieu organisationnel. C’est pourquoi des modèles théori-
ques tels que, par exemple, l’Affective Event Theory (Weiss et Cropanzano,
1996) sont importants, car ils procurent aux chercheurs une base sur laquelle
s’appuyer, comme nous le verrons plus loin.
2 L’AFFECT ET L’HUMEUR
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
d’affect comme étant un état transitoire, Alice Isen est une pionnière de
l’étude de l’influence de l’affect positif (induit extérieurement) sur la cognition
et le comportement social (1970 à nos jours). Isen se concentre essentiellement
sur l’affect positif de faible intensité, qu’elle induit chez les sujets en leur
offrant un bonbon, un biscuit, ou un rafraîchissement, ou encore en leur faisant
croire qu’ils ont fortuitement trouvé une pièce de monnaie « oubliée » dans
une cabine téléphonique. Elle a trouvé une relation positive entre l’affect positif
et les éléments suivants : la prise de décision, la négociation, une résolution
plus créative des problèmes, la coopérativité, la bienveillance et l’aide à autrui
(voir Isen et Baron, 1991 pour une revue). Elle a trouvé que l’affect positif
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favorise la flexibilité cognitive, permettant aux individus de faire des liens
plus inusuels entre les informations, une meilleure performance dans des
tâches de résolution de problème, une meilleure recherche d’informations et une
meilleure évaluation des alternatives à disposition avant de prendre une décision.
Plus récemment, Isen a aussi souligné les avantages que cela pouvait avoir
dans le domaine organisationnel (Isen et Baron, 1991). Les travaux d’Isen et
collègues sont incontournables dès lors que l’on s’intéresse aux phénomènes
affectifs et leurs relations au travail ou à l’entreprise.
Staw et ses collègues que nous avons évoqués plus haut se sont penchés
sur les effets des affects sur la performance en général. Staw et Barsade (1993)
ont démontré que les individus dotés d’une affectivité positive sont plus
performants dans un contexte de prise de décision, mais ont aussi plus de
succès interpersonnel dans l’entreprise et dans leur carrière en général. Staw,
Sutton et Pelled (1994) se sont concentrés sur les émotions positives, conçues
plutôt au sens large du terme « contentement ». Les employés montrant des
émotions positives expérimenteraient des effets positifs au niveau du produit
de leur travail, c’est-à-dire de meilleures évaluations de performance (et donc
une augmentation du salaire), un travail plus riche et un support social plus
important de la part des supérieurs et des collègues. Il s’est avéré qu’en effet
les affects positifs étaient liés à une meilleure évaluation de la performance
par le supérieur hiérarchique et un support social d’autant plus important de
la part des supérieurs que des collègues. Par contre, aucun impact sur la
richesse du travail à effectuer n’a été trouvé.
Récemment, un certain nombre de chercheurs ont investigué comment les
affects ou les humeurs ressenties au sein d’équipes se combinent en un
processus collectif qui influence comment les équipes vont fonctionner (nous
reviendrons sur les émotions collectives plus loin dans la section intitulée
« climat émotionnel »). Barsade (2002) a étudié la contagion émotionnelle
dans les équipes de travail, utilisant la définition de la contagion émotion-
nelle de Hatfield et collègues (Hatfield et al., 1994), à savoir un processus
d’imitation inconscient et automatique des comportements non verbaux d’autrui.
George (1990) définit la tonalité affective d’un groupe comme des réactions
affectives pertinentes de la part des membres du groupe. Ces études ont
révélé une influence de l’affect collectif sur des processus ou des outputs du
LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE ET DU TRAVAIL 341
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et ses collègues (Totterdell et al., 1998 ; Totterdell, 2000) définissent les liens
entre les humeurs des membres d’une équipe de travail comme des influences
interpersonnelles d’humeurs similaires.
Ces quelques études ne constituent évidemment qu’un échantillon des
nombreuses études effectuées ces vingt dernières années, mais comme nous
l’avons mentionné plus haut, notre but dans cet ouvrage est de nous concentrer
sur les émotions.
Avant de traiter des thèmes plus spécifiques concernant la relation entre les
émotions et le travail, il semble important de rapporter les points de vue de
plusieurs chercheurs qui ont non seulement voulu justifier le fait de conduire
des recherches sur les émotions dans le cadre du travail et de l’entreprise,
mais aussi justifier leur existence, après qu’elles aient été mises si longtemps de
côté, voire ignorées (Fineman, 1993). En parallèle, il est tout aussi nécessaire
et important de préciser que la plupart des travaux portant sur les phénomè-
nes affectifs dans le monde du travail se sont basés sur l’affect et l’humeur, et
non pas sur l’émotion telle que nous la définissons dans le présent ouvrage
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
(voir chapitre 1). Dans une revue récente de la littérature sur les humeurs et
les équipes, Kelly et Barsade (2001) décrivent la quasi-inexistence des études
empiriques portant sur l’influence d’émotions intenses sur les processus grou-
paux. Ceci serait dû entre autres à la difficulté que les chercheurs ont à accéder
aux entreprises qui permettraient que de telles émotions soient étudiées.
Pour Pekrun et Frese (1992), le travail peut être considéré comme une des
principales sources de la vie émotionnelle des êtres humains. Les émotions
sont les déterminants essentiels du comportement et de l’accomplissement au
travail et, par conséquent, les émotions influencent probablement en profondeur
le climat social et la productivité des entreprises.
342 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Pour Fineman (1993), les émotions font partie intégrante de notions, telles
que l’ordre et le désordre social, les structures, les performances, le succès
ou l’échec, le conflit, l’influence, la conformité, les intrigues, le pouvoir, etc.
Les entreprises sont des lieux où des émotions comme la peur, le mépris, la
jalousie, la fierté, la joie, l’enthousiasme sont constamment présentes.
Pour Ashforth et Humphrey (1995), les émotions sont un élément essentiel
et incontournable de la vie organisationnelle. Des sentiments de déception,
de bonheur, de tristesse ou de peur sont autant d’exemples d’émotions ou
d’affects ressentis dans le cadre de l’entreprise. Ashforth et Humphrey (1995)
marquent leur étonnement quant à la négligence démontrée à l’encontre du rôle
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que jouent les émotions dans la vie quotidienne au travail. Car, d’une part,
leur importance avait justement été démontrée dès les années 1930 et, d’autre
part, les émotions sont à l’évidence à l’origine de beaucoup de processus
organisationnels, tels que les dynamiques de groupe, les relations formelles
ou informelles entre les employés (quel que soit le niveau hiérarchique occupé),
le leadership, etc.
Lazarus et Cohen-Charash (2001) plaident en faveur de l’étude des effets
des émotions discrètes, par opposition aux nombreuses études basées sur
l’affectivité négative ou positive, en tant que large composite ou bien sur les
humeurs positives ou négatives. Les émotions discrètes vécues au travail
constituent pourtant la pierre d’achoppement du domaine pour nous aider à
mieux comprendre comment les employés s’adaptent à la vie organisation-
nelle. Les recherches sur le travail émotif (Hochschild, 1983), qui traitent de la
façon dont les émotions sont façonnées et régulées dans le but d’une accom-
modation aux demandes organisationnelles, tendent d’ailleurs à se focaliser
sur les émotions discrètes. On tend donc vers la reconnaissance de l’impor-
tance des émotions discrètes, qui vont au-delà des catégories plus élargies
d’affects négatifs ou positifs. Lazarus et Cohen-Charash suggèrent en fait
que les émotions discrètes fournissent l’une des sources d’information les
plus utiles quant aux processus d’adaptation des êtres humains à leur lieu de
travail et aux autres humains qu’ils y rencontrent.
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négatif. Ces auteurs suggèrent aussi que c’est la fréquence d’un certain type
d’expériences affectives, plus que leur intensité, qui agira de façon cumulative
sur les attitudes vis-à-vis du travail et sur le comportement organisationnel.
Ceci dit, leur modèle n’exclut pas que certaines expériences affectives puissent
avoir une influence directe sur le comportement. Ainsi, cette théorie nous
permet de comprendre de quelle façon certains événements au travail peuvent
être sources d’émotions discrètes, et de quelle façon les émotions ressenties
peuvent agir soit directement, soit de manière cumulative sur les attitudes
vis-à-vis du travail, et sur le comportement organisationnel. Ils cherchent
clairement à se démarquer de la tradition « satisfaction au travail = affect ».
Isen Ashforth
Hochschild Staw Goleman
& Humphrey
• Émotions • Régulation et
• Affect et • Affect et • Régulation adaptation
montrées vs. satisfaction au évaluation de la émotionnelle
ressenties de l’émotion
travail performance
• Effets de la • Gestion de • Aptitudes à
• Affect et • Affect/humeur & l’impression communiquer
culture, du genre, absentéisme prise de décision
du statut sur les • Utilisation • Impact sur
emotions • Affect et • Affect et conflit/
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 11.1
Quelques auteurs-clé, leur concept central
et les types de recherches sur les recherches qui en découlent.
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que les employés, autant que les managers, ne réalisent sans doute pas très
bien l’impact de leurs propres actions sur ceux qui les entourent.
D’autres chercheurs ont montré les effets d’émotions discrètes sur des
comportements organisationnels. Fisher (2000) a trouvé que la fréquence
d’émotions positives (comme par exemple apprécier quelqu’un ou quelque
chose, être content(e), enthousiaste, heureux (se), fier(e), satisfait, délecté(e) et
optimiste) plus que leur intensité, prédisait fortement la satisfaction au travail.
Dans son étude de 2002, Fisher a trouvé que les réactions émotionnelles posi-
tives prédisaient l’engagement affectif et le comportement altruiste. L’intention
de démissionner est plutôt prédite par la satisfaction au travail que par les
émotions négatives. Grandey et al. (Grandey, Tam et Brauburger, 2002) ont
utilisé l’échelle développée par Fisher, c’est-à-dire la même liste d’émotions
positives. Parmi les émotions négatives, on trouve trois sous-catégories : le
groupe colère (fâché[e], frustré[e], dégoûté[e]), le groupe tristesse (déçu[e],
mécontent[e], déprimé[e]), et le groupe anxiété (soucieux[se], embarrassé[e]).
Par contre, Grandey et al. se sont attachés à étudier plus spécifiquement les
effets de deux émotions : la colère et la fierté. Ces chercheurs ont donc trouvé
que les prédispositions à l’affect négatif avaient un impact sur les réactions
émotionnelles négatives, et que ces dernières étaient à leur tour associées à
l’intention de quitter son travail, et ceci tout particulièrement dans le cas des
émotions du groupe tristesse. Au contraire, les prédispositions à l’affect positif
n’ont que peu ou pas prédit les réactions émotionnelles positives. Des analyses
qualitatives ont révélé que de mauvaises relations interpersonnelles avec certains
clients formaient la plus grande source de colère au travail et résultaient en
une réaction feinte dans environ 50 % des cas, alors que la reconnaissance
d’une bonne performance au travail par les supérieurs hiérarchiques constitue
la source principale de fierté.
On réalise bien la complexité des interactions lorsqu’on se penche sur ces
recherches, et surtout, comme le remarque Fisher (2000), que les émotions
sont une pièce maîtresse dans notre vie au travail. Ceci est d’ailleurs logique :
nous rencontrons au travail (nous y passons une grande partie de notre jour-
née !) autant d’événements et d’interactions potentiellement générateurs
d’émotions que dans notre vie privée, et il n’y a aucune raison pour que notre
cerveau s’arrête d’évaluer ces événements parce que nous avons franchi la
LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE ET DU TRAVAIL 345
porte du bureau ! Les émotions sont donc bien là, mais la nuance, c’est que
nous ne pouvons pas toujours nous permettre de les exprimer de la même
manière que dans notre sphère privée, d’où l’idée de régulation.
5 LA RÉGULATION ÉMOTIONNELLE
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sion du changement de la place qu’occupent les émotions dans le paysage
organisationnel. Elle a développé la théorie des feeling rules, c’est-à-dire des
règles sociales qui régissent nos émotions, pour qu’elles soient compatibles
avec les normes en vigueur. Elle parle d’emotional labor, ou le « management
du sentiment » dans le but de créer une expression faciale et corporelle publi-
quement observable (Hochschild, 1983, p. 7), c’est-à-dire du travail émotif que
l’on fournit pour produire des émotions que l’on transmettra ensuite aux autres.
Elle a étudié notamment le personnel de Delta Airlines et le travail émotif effec-
tué par le personnel naviguant. Se plaçant dans une perspective dramaturgique,
Hochschild distingue entre deux stratégies principales de gestion des émotions :
le jeu de surface (surface acting), au cours duquel on régule ses émotions, et le
jeu en profondeur (deep acting), au cours duquel l’on modifie consciemment
ses sentiments afin de pouvoir exprimer les émotions désirées.
Ashforth et Humphrey (1993), quant à eux, définissent le travail émotif
comme l’acte d’afficher des émotions appropriées, à savoir que l’on s’engage
dans une forme de gestion de son image au sein de l’entreprise. Ils considèrent
le travail émotif comme étant influencé par une série de facteurs externes,
contrairement à Hochschild qui le voit plus comme une gestion interne
(effectuée par l’individu). Ils décrivent quatre stratégies de normalisation des
émotions sur le lieu du travail (Ashforth et Humphrey, 1995) : la neutralisation,
l’amortissement, la prescription et la normalisation. La neutralisation consiste
à prévenir l’émergence des émotions. L’amortissement consiste à éviter que
les émotions ne viennent troubler les activités professionnelles en cours. La
prescription consiste à réguler les émotions avec des scripts précis (par exemple,
huissiers, personnel compagnies aériennes). Enfin, la normalisation consiste
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travaux d’Alicia Grandey et collègues, qui portent notamment sur les différentes
stratégies d’expression de l’émotion (sincère ou « jouée ») et leur impact sur le
bien-être des individus employés dans l’industrie de service (vendeurs, employés
de supermarchés) (voir Grandey et Brauburger, 2002 pour une revue théorique).
Ainsi, parmi un échantillon de cent trente et un assistants administratifs, Gran-
dey (2003) a pu identifier que le jeu en profondeur permettait une meilleure
reconnaissance des émotions parmi les collègues de travail, mais par contre
le jeu en surface s’avère être une plus grande source de stress. Chez des
employés travaillant dans un centre d’appel, plus fréquent est le sentiment de
se faire agressé par les clients et de ressentir du stress, plus l’individu a des
chances de souffrir d’épuisement émotionnel, ce qui est également lié au
taux d’absentéisme (Grandey, Dickter, et Sin, 2004). L’environnement culturel
peut également jouer un rôle. Grandey, Fisk, et Steiner (2005) ont comparé un
échantillon de cent un Américains et quatre-vingt-quinze Français travaillant
dans différents secteurs d’activité requérant un contact avec des clients. La
relation entre la régulation émotionnelle et l’insatisfaction au travail était
plus faible pour les Français qui semblent avoir plus de liberté (ou de contrôle)
sur l’expression de leurs émotions.
Il sera intéressant dans le futur de considérer d’autres catégories d’employés
(au-delà de l’industrie de service) et d’intégrer la notion de régulation émotion-
nelle à la socialisation des employés débutant leur emploi ou leur carrière
dans telle ou telle entreprise, ou tel ou tel secteur d’activité. L’on pourra ainsi
mieux comprendre les influences du secteur, de la culture de l’entreprise tout
en gardant à l’esprit les différences inter-individuelles en matière de régulation
face aux attentes émotionnelles de l’emploi ou de l’entreprise.
Parce que le nombre d’émotions distinctes n’est pas juste limité à un petit
nombre d’émotions de base, ou à une série d’états positifs ou négatifs, ou au
positionnement de l’émotion selon des dimensions de valence (positif/négatif)
et d’excitation (intensité haute/basse), mais en fait comprend un bien plus
LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE ET DU TRAVAIL 347
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les autres, car ceux-ci vont réagir en fonction des signaux qu’ils perçoivent
(Frijda et Mesquita, 1994). Cet aspect d’influence mutuelle entre les émotions
de l’individu et les attitudes ou agissements de l’interlocuteur est important
lorsqu’il s’agit de prendre en considération les émotions générées dans un
contexte organisationnel.
Tran (2004) a postulé que des émotions pouvant être considérées comme
un échantillon représentatif d’émotions modales peuvent être regroupées en
quatre classes : les émotions d’accomplissement, les émotions d’approche,
les émotions de résignation et les émotions antagonistes. Le concept de classes
d’émotions fut initialement proposé par Scherer et Tran (2001). Dans cette
section, nous les décrirons et nous illustrerons certaines des conséquences,
positives et négatives, pour les individus et les groupes au sein des organisations
(pour un résumé, voir tableau 11.1)1.
1. Voir Tran (2004) et Garcia-Prieto et al. (2005) pour les références complètes.
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Tableau 11.1
348
Émotions d’accomplissement
Vigilance, mobilisa-
Élimination de la détresse (I) Retrait (I/G)
tion, engagement
Regain d’énergie avant de passer au prochain projet (I/G) Manque d’énergie (I/G)
Prêt à augmenter
Soulage- Soutien de l’activité du groupe (G) Poursuite de buts irréalistes (I/G)
l’effort si nécessaire
ment, Accroissement de la vigilance (I/G) Dispersion de l’énergie et de l’attention
Approche,
espoir, Amélioration de la créativité et la curiosité (I/G) (I/G)
exploration
intérêt, Acquisition de nouvelles compétences (I/G) Focalisation sur des événements
Énergie, excitation
surprise Persistance dans toutes les tâches, même les pénibles (I/G) potentiellement nuisibles (I/G)
Apprentissage,
Contribution à la gestion efficace des événements soudains Si surprise suivie de peur, alors risque
Émotions d’approche
attention
(I) de panique collective (I/G)
Orientation
a. I indique les implications pour l’individu ; G indique les implications pour le groupe.
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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Émotions de résignation
actions réparatrices Encouragement à la conformité
aux normes du groupe.
Émotions antagonistes
Comportement passif désapprobation sociale ou
agressif préparation à la vengeance (I/G)
a. I indique les implications pour l’individu ; G indique les implications pour le groupe.
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350 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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d’ouverture.
Les émotions d’accomplissement peuvent aussi avoir des implications
négatives. Elles peuvent aboutir à une surestimation de son mérite personnel
et à l’encouragement de la stagnation ou de la complaisance. Lorsqu’on
montre sa fierté, il se peut que l’on provoque de la jalousie ou de l’hostilité
de la part de ses collègues, ce qui peut aboutir à des conflits peu productifs.
L’exaltation peut engendrer des actions irréfléchies, qui peuvent s’avérer
nuisibles pour l’individu ou le groupe. Bien que la joie stimule la créativité et
l’intuition, elle peut aussi réduire la performance intellectuelle. La satisfaction
peut empêcher l’individu ou le groupe à faire l’effort d’explorer de nouvelles
alternatives.
Les entreprises l’ont bien compris, c’est pourquoi elles organisent des
apéritifs, soirées et autres voyages de promotion, pour motiver les troupes
après l’effort. Par contre, la stagnation et la complaisance, mentionnées plus
haut, représentent un réel danger dont il faut être conscient : si après ce succès
vous en remportiez un autre, et encore un autre, et peut-être encore x autres, cela
pourrait monter à la tête des individus impliqués. Ils pourraient alors se mettre
à négliger des choses même élémentaires, comme, par exemple, se rappeler que
nul n’est infaillible, que peut-être la concurrence est en train de lancer un produit
encore plus performant ou de gagner des parts de marché sous votre nez.
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rapport aux événements. L’espoir est une source vitale très importante contre
le désespoir. Par exemple, il est généré dans le monde du travail par des
occasions de carrière ou une évaluation positive de leurs compétences pour
justement mieux résister aux restructurations impliquant des licenciements.
Les émotions d’approche peuvent également avoir des implications néga-
tives. S’il se prolonge, le soulagement peut aboutir à une attitude de retrait et
l’espoir, à la poursuite d’objectifs irréalistes et à des actions inappropriées.
S’il est trop étroitement focalisé, l’intérêt peut mener à la poursuite de plans
irréalistes, à une attention éparse, à l’aveuglement ou à la dispersion de l’énergie
et la surprise au blocage de toute autre activité.
semblent être plus honteux d’exprimer leur anxiété que leur colère. La honte est
ressentie lorsqu’on effectue une évaluation négative du soi : on se sent humilié,
incapable à ses propres yeux et aux yeux des autres, causant une incapacité
temporaire de penser efficacement et logiquement. La culpabilité implique
également une évaluation négative du soi par rapport à des actions et des
comportements spécifiques. Par exemple, lorsqu’on ressent du remords, on
regrette les actions réprimandables que l’on a pu effectuer et que l’on voudrait
pouvoir tout de suite réparer. Lazarus et Cohen-Charash (2001) nous expliquent
que les individus au travail peuvent ressentir de la honte ou de la culpabilité
notamment lorsque leurs propres valeurs sont en conflit avec celles du mana-
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gement.
Les émotions de résignation peuvent aussi avoir des implications positives.
Elles renforcent les liens entre les membres d’un groupe. La tristesse favorise
un comportement de protection et une augmentation de la cohésion sociale ;
la peur freine les comportements agressifs et réunit aussi les membres d’un
groupe ; la honte encourage le comportement pro-social et agit également
comme une force cohésive, ce qui a pour résultat d’augmenter le degré de
conformité et de responsabilité individuelle. De même, la culpabilité augmente
la conformité, renforce les liens sociaux, accompagnés d’un sens de l’obligation
interpersonnelle et d’empathie. De plus, les émotions de résignation permettent
l’octroi d’un temps de récupération, pendant lequel on peut se réadapter aux
nouvelles conditions et éviter de s’engager dans des activités trop risquées.
Lorsque le dégoût est associé à la colère, cette émotion peut devenir une
motivation à l’attaque, contre un individu ou un autre groupe. Le mépris est
considéré comme l’émotion « froide » de ce qu’on appelle la triade hostile
(colère, dégoût, mépris) : on se sent supérieur, triomphant, mais au lieu d’atta-
quer, on peut s’adonner à des stratégies plus perverses comme l’humiliation
ou le rejet. La colère est ressentie lorsque l’on estime que soi ou les siens
sont attaqués, moralement ou physiquement, et que la cause de cette attaque
semble injuste. La colère est une des émotions les plus fréquemment ressenties
dans le contexte de l’organisation. Lazarus et Cohen-Charash (2001) expli-
quent que la colère peut être générée par les manières de recruter le personnel,
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par les évaluations de performance effectuées en fin d’année, par les licen-
ciements ou par la manière insultante dont quelqu’un peut nous demander de
faire quelque chose. L’usage du pouvoir par le management est aussi une
importante source de colère dans les entreprises, de même qu’une perception
de négligence par rapport à ce que les employés ressentent. Par ailleurs, dans
un contexte professionnel, la colère contre soi-même est une émotion tout aussi
fréquente que la colère envers quelqu’un d’autre. Il y a clairement plusieurs
types de colère : d’une part, la colère peut être positive et motivante, d’autre
part, elle peut être mal adaptée et destructrice (Garcia-Prieto, Tran et Wranik,
2005). Cependant, la colère est souvent inhibée pour des raisons sociales, car
l’agression physique est en principe socialement désapprouvée et peut même
être punie. Par conséquent, il se peut que la colère soit remplacée par une
agression verbale ou symbolique (par exemple, le déni ou le retrait d’un
avantage détenu jusqu’ici par l’instigateur de la colère), par une apparence
très calme pour compenser ou par des comportements passifs agressifs (par
exemple, contrer un ordre donné par le chef ou se porter malade).
Les émotions antagonistes peuvent aussi avoir des implications positives.
Elles peuvent aider les membres d’un groupe à acquérir une certaine confiance
et une quantité d’énergie suffisante pour accomplir leurs objectifs ensemble.
Elles peuvent aussi permettre éventuellement de contre-attaquer (l’ennemi, la
concurrence) avec le but de gagner. L’envie peut mener à une certaine émulation
vers un accomplissement positif afin de gagner l’admiration des pairs ; le dégoût
peut servir de signal donné à l’individu ou au groupe afin qu’ils changent
leur attitude, ou de risquer le rejet s’ils ne le font pas, comme par exemple le
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
justement des aspects méconnus et cela nous aide à corriger certaines idées
préconçues qu’on a pu avoir sur l’une ou l’autre émotion. Par exemple, les
aspects positifs des émotions négatives ne sont pas souvent évoqués, de
même que les aspects négatifs des émotions positives. Mais que se passe-t-il
lorsque plusieurs de ces émotions sont ressenties régulièrement par une
collectivité ? L’idée de classe d’émotions est un tremplin idéal au concept de
climat, car, en effet, il semble plus probable qu’un groupe ressente une
collection d’émotions similaires – mais pas identiques – plutôt qu’une seule
et même émotion. C’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.
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7 LE CLIMAT ÉMOTIONNEL
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CONCLUSION
l’une des clefs du succès de l’entreprise. Le but n’est sans doute pas d’aboutir
au « tout émotionnel », comme l’on a pu avoir du « tout rationnel » pendant
presque un demi-siècle. Un juste équilibre entre la pensée et le sentiment est
probablement un objectif plus sensé.
LECTURES CONSEILLÉES
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ASKANASY N.M., HARTEL C.E.J., ZERBE W.J. (éd.). (2000). Emotions in the Work-
place : Research, Theory, and Practice. Westport, CT, Quorum.
PAYNE R.L., COOPER C.L. (éd.). (2001). Emotions at Work : Theory, Research, and
Applications in Management. Chichester, UK, Wiley.
LORD R.G., KLIMOSKI R.J., KANFER R. (éd.). (2002). Emotions in the Workplace :
Understanding the Structure and Role of Emotions in Organizational Behavior.
San Francisco, Jossey-Bass.
HERRBACK O., MIGNONAC K. (éd.) (2005). Les Émotions au travail. Recherches en
comportement organisationnel. Paris, De Boeck.
SITE WEB
http://www.business.uq.edu.au/research/emonet/
QUELQUES EXPÉRIENCES
FONDAMENTALES
Cet article (Fisher et al., 2000) a pour objectif d’explorer les relations entre
les humeurs et émotions ressenties au travail en temps réel et plusieurs mesures
classiques de la satisfaction au travail, alors que la plupart des études existan-
tes mesurent généralement la satisfaction comme une évaluation cognitive des
caractéristiques du travail. La méthode de l’échantillonnage (experience
sampling method) fut utilisée pour recueillir plus de cinquante enregistrements
immédiats d’humeurs et d’émotions auprès de cent vingt et une personnes
sur une période de deux semaines. Comme les auteurs l’avaient prédit, l’affect
en temps réel est bien lié à la satisfaction au travail, mais ne peut être considéré
comme son équivalent. En outre, les émotions positives et négatives contribuent
LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE ET DU TRAVAIL 357
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ET LES ÉMOTIONS1
LA PERSONNALITÉ
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INTRODUCTION
Georges et Céline ont obtenu tous les deux une note de 3/6 à leur dernier
examen en marketing (une note insuffisante). Quand il prend connaissance
de ce résultat, Georges est visiblement bouleversé. Il se rend d’abord dans
les toilettes afin de se reprendre et se dirige ensuite vers le bureau du
professeur, intéressé de savoir s’il n’y a pas une erreur de correction et
espérant trouver un moyen de changer cette note. Céline pour sa part
décide de se concentrer sur les autres notes qu’elle a obtenues et découvre
avec plaisir qu’elle a passé tous les autres examens auxquels elle s’était
présentée. Elle appelle alors sa meilleure amie et lui propose d’aller boire
un verre pour marquer la fin du semestre.
Cet exemple illustre un phénomène bien connu : face à un même événement,
les gens réagissent de manière différente. De plus, si nous observons les
comportements de Georges et de Céline sur la durée du semestre et que nous
voyons ce premier fréquemment anxieux et la seconde souvent joyeuse, nous
en déduirons que nous connaissons un peu de leur personnalité.
Qu’est que la personnalité ? Dans le langage courant, ce concept fait référence
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
postulats implicites avec des tests scientifiques et des observations. Par exemple,
un premier postulat est qu’il existe des différences individuelles. Si nous disons
« Georges est une personne anxieuse », nous supposons qu’il est plus anxieux
que la majorité des gens. Cela implique également que nous avons une certaine
idée quant à l’intensité moyenne et la fréquence auxquelles nous éprouvons
généralement de l’anxiété. On peut alors situer la personne observée sur une
échelle. Deuxièmement, nous supposons une certaine stabilité dans ces
comportements : Georges était déjà anxieux durant l’enfance et se comportera
plus fréquemment sur un mode anxieux face aux situations futures. Si nous
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pensons que les caractéristiques de la personnalité sont vraiment stables,
nous conviendrons alors que nous ne pouvons pas grand-chose pour amélio-
rer l’anxiété de Georges. Par contre, si notre concept de personnalité permet
une certaine flexibilité, nous pouvons supposer que l’anxiété de Georges
peut varier en fonction des contextes et/ou se modifier selon son parcours de
vie. Troisièmement, nous supposons que derrière le comportement observé
se trouve une organisation cohérente, qui permet d’expliquer l’origine et le
fonctionnement de ces traits de personnalité. Ainsi par exemple, nous pouvons
émettre l’hypothèse que Georges est anxieux parce qu’il a grandi auprès d’un
père lui-même anxieux ou parce qu’il présente certains déficits biologiques
ou biais cognitifs. Tous ces postulats que nous avons au sujet de la personnalité
influencent la manière dont nous interagissons avec Georges, et si et comment
il pourra apprendre à gérer son anxiété.
Qu’est-ce que les émotions ? L’affect, souvent utilisé comme un terme
général qui inclut l’émotion et l’humeur, fait référence plus particulièrement
soit à un sentiment qui implique l’agréabilité ou la désagréabilité au sens large
des termes (Frijda, 1994), à un trait de personnalité (Diener, Smith, et Fujita,
1995 ; Watson, Clark et Tellegen, 1988) ou à une attitude (Scherer, 2000).
L’humeur fait plutôt référence à un état affectif diffus, faible en intensité,
relativement de longue durée, sans cause particulière (Ekman, 1994 ;
Forgas, 1991 ; Frijda, 1994). Finalement, l’émotion est souvent définie comme
un épisode dans le temps qui implique un changement visible dans le fonction-
nement de l’individu déclenché par un événement précis, qui peut être externe
(tels que les comportements d’autrui, un changement dans le courant des
choses ou lors de la rencontre avec de nouveaux stimuli) ou interne (tels que les
pensées, souvenirs ou sensations) (Ekman, 1992 ; Scherer, 1993). La majorité
des théories contemporaines dans le domaine des émotions postulent qu’une
définition multi-componentielle de l’émotion inclut des processus cognitifs,
une activation physiologique, l’expression motrice, le sentiment subjectif
ainsi que les tendances à l’action (Frijda, 1994 ; Izard, 1991 ; Scherer, 2000 ;
voir les chapitres 1 et 2 pour plus de détails).
Dans ce chapitre, nous examinons comment la personnalité et les
émotions interagissent.
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 363
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pourtant elle a été pratiquée dès que les hommes et les femmes se sont inter-
rogés sur la nature humaine. Dans son essence, comprendre ce qu’est la
personnalité revient à se poser la question « Qui suis-je ? » ainsi qu’à donner
sens aux motivations, réactions et comportements d’autrui. Comment réagi-
ront des personnes différentes face à une même situation ? Comment dois-je
agir face à elles ? En qui puis-je avoir confiance ? Qui dois-je craindre ?
Dans les sociétés occidentales, la volonté de comprendre la nature humaine est
née chez des philosophes tels qu’Hippocrate, Aristote et Descartes. Chacun
d’entre eux créa sa propre construction théorique pour rendre compte de la
personnalité. Plus récemment, les psychologues se sont eux aussi attelés à
comprendre et à décrire la personnalité et les différences individuelles. Ils
avaient pour objectif de déterminer les origines de ces différences et de
prédire les comportements de la personne. Fondamentalement, la psychologie
de la personnalité a une vision holistique de l’individu et elle a pour but de
comprendre la grande variabilité des individus, hormis le champ de la patho-
logie (McAdams, 1997).
La recherche empirique dans le champ de la personnalité tente de répondre
à d’innombrables questions. Elle rassemble par conséquent des éclairages issus
de la psychologie développementale, sociale, cognitive et biologique. Elle se
fonde historiquement sur quatre courants principaux : psychanalytique, typo-
logique, béhavioriste et humaniste (pour plus d’informations sur l’histoire de
la recherche en psychologie de la personnalité, voir McAdams, 1997 ; pour
une revue des courants prédominants de la personnalité, voir Pervin, 1996).
Dernièrement, ces paradigmes ont été revus et étendus ; de nouveaux ont vu
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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nalité est l’approche typologique. Les psychologues travaillant à ce niveau
d’analyse ont eu pour but de nommer, mesurer et différencier les types de
personnalité afin de décrire et comparer leurs caractéristiques psychologiques,
et leur donner du sens (John, 1990).
L’utilisation de termes décrivant un trait de caractère ou des aspects de la
personnalité est très répandue dans nos conversations courantes ; le vocabu-
laire relatif à la description de la personnalité est d’ailleurs très riche 1. Ainsi,
de manière peu surprenante, beaucoup de théories typologiques se sont-elles
basées sur le langage pour fonder leur système de classification. Un examen
détaillé des descripteurs de la personnalité et le recours à des techniques statis-
tiques de classification (telles que l’analyse factorielle), ainsi que la recherche
empirique ont abouti à divers systèmes de classification. Chaque modèle a en
effet identifié les traits de personnalité qui englobent le plus adéquatement
possible les différences du comportement humain et propose une structure de
la personnalité particulière pour en rendre compte. Deux des plus importants
sont le modèle en trois facteurs d’Eysenck (Eysenck, 1990, 1992) et celui
en cinq facteurs de Costa et McCrae (Costa et McCrae, 1992, 1997) (voir
tableau 12.1).
Les émotions et les phénomènes affectifs jouent un rôle important dans le
comportement humain et les interactions sociales. C’est pourquoi il n’est pas
étonnant que la plupart des traits de personnalité mis en évidence par ces
modèles soient reliés de près ou de loin à l’affect, et aux émotions en particulier.
Mais que signifie au juste avoir un score élevé à l’échelle d’anxiété ou de la
colère ? L’individu qui présente un tel score éprouve probablement plus
fréquemment et/ou plus intensément des sentiments d’anxiété que l’individu
ayant un score bas à cette même échelle. Toutefois, un score élevé à l’échelle
d’anxiété ne veut pas dire que l’individu n’est pas parfois calme et détendu,
joyeux ou en colère. Ainsi, il est important de distinguer 1) un trait stable qui
décrit comment les individus sont généralement, 2) d’un état transitoire qui
décrit comment l’individu se sent à un moment particulier (Davitz, 1969).
1. Dans le Webster’s Unabridged Dictionary, il existe par exemple environ dix-huit mille termes
anglais qui désignent la personnalité (Allport et Odbert, 1936).
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 365
Tableau 12.1
Traits de personnalité associés avec deux inventaires de personnalité.
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Psychoticisme
impulsif, antisocial, créatif, changeant.
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d’autres termes, il est présumé que si une personne rapporte un état affectif
particulier – tel l’irritation – 12 fois sur 20, et que la moyenne du groupe se situe
à 7 fois sur 20, elle est alors considérée comme haute sur le trait de l’irritabilité,
en comparaison à une personne qui ne rapporte de l’irritation que 3 fois sur 20.
Bien que cette méthode de mesure permette des résultats plus précis que celle
précédemment décrite, elle présente le désavantage d’être onéreuse et coûteuse
en temps. Toutefois, les avancées de la technologie (ordinateurs et téléphones
portables notamment) et la sophistication des modèles statistiques et des soft-
wares informatiques rendront très probablement cette approche plus accessible
et donc plus répandue.
Les chercheurs issus de la tradition typologique qui tendent à comprendre
les différences individuelles liées à l’affect mesurent généralement un trait
affectif particulier – tel que l’irritabilité – et le corrèlent avec des états affectifs
dans un contexte spécifique (par exemple, à quel point l’individu était-il en
colère lors d’une expérimentation sur un jeu informatique) ou d’autres variables
(par exemple, le bien-être, la perception de la santé, la satisfaction au travail,
etc.). Un des résultats le plus souvent rapporté avec ce type de recherche est que
les individus qui ont un score élevé sur la dimension Extraversion rapportent
plus d’émotions positives, alors que ceux qui obtiennent un score élevé sur la
dimension Neuroticisme tendent à rapporter plus d’anxiété et d’émotions
négatives (Costa et McCrae, 1980, 1992). Un tel résultat n’est pas surprenant
si l’on considère les traits associés à ces deux dimensions (voir le tableau
12.1). L’approche typologique a été très influente dans la compréhension des
différences individuelles par rapport aux types d’humeurs et d’émotions
rapportées, mais également relativement à l’intensité, à la fréquence et à la
durée des états affectifs (Schimmack et al., 2000), à l’affectivité dans le
domaine de la santé (Wiebe et Smith, 1997) et à la psychologie du travail
(Barrick et Mount, 1993). Cependant, elle se limite souvent à décrire ces
différences et n’offre que peu d’informations quant à leurs origines et à leurs
relations avec le comportement (Mischel, 1968 ; Wiggins, 1997).
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 367
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organisation propre de motivations, buts, émotions, valeurs, etc., qui est rela-
tivement stable et distinctive. Ainsi, lorsque deux personnes sont confrontées
à une même situation, leurs différences de buts ou motivations vont influencer
la manière dont elles perçoivent et interprètent cette situation (Mischel et Shoda,
1995, 1998). En outre, la même personne, face à deux situations, même simi-
laires, peut les saisir de manière très différente, en fonction de ses buts du
moment. L’idée est que chaque individu a des patterns si… alors… relativement
permanents et distincts qui sont mis en jeu par des événements spécifiques ou
dans des circonstances particulières. En d’autres termes, bien que la struc-
ture de la personnalité soit stable, différentes unités sont « activées » selon
les spécificités des situations rencontrées (aussi voir Stemmler, 1997).
Si nous reprenons la situation décrite en amont, imaginons que l’objectif
le plus important pour Georges est de mener une carrière remplie de succès
et que sa croyance est que s’il ne réussit pas tous ses examens parfaitement
bien, alors il ne trouvera pas de travail intéressant après ses études. Dans cette
optique, Georges va certainement interpréter ces mauvais résultats académiques
comme très importants et pertinents pour son bien-être. L’évaluation d’une
situation d’après son importance et sa pertinence par rapport aux objectifs de
l’individu est souvent considérée comme le critère le plus important dans la
genèse des émotions (Ellsworth et Scherer, 2003). En ce sens, Georges va
probablement éprouver des réactions émotionnelles plus fortes dans le contexte
universitaire que d’autres étudiants qui accordent moins d’importance à leurs
performances académiques relativement à leur carrière future. Ainsi, ceux
qui connaissent Georges uniquement dans le contexte universitaire vont le
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
percevoir comme une personne anxieuse. On peut supposer que dans d’autres
contextes, tels que le sport et les sorties entre amis, Georges soit un coéquipier
amusant et enjoué, une personne très relax dans les soirées. En effet, si
Georges ne fait du sport que dans une optique de contacts sociaux et de bien-
être, et qu’il n’a pas l’ambition d’être la personne la plus populaire dans ses
sorties, il ne considérera pas les difficultés survenant dans ces deux contextes
comme très importantes. On peut donc s’attendre à ce qu’il n’y éprouve pas
autant d’émotions intenses que dans le contexte universitaire. Contrairement
à l’approche typologique décrite plus haut, le modèle socio-cognitif permet de
rendre compte des comportements stables – mais très différents – de Georges
368 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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qu’un bas niveau de contrôle et de puissance (par exemple, Roseman, 2001 ;
Scherer, 2001). Imaginez une personne qui croit qu’elle remplit une fonction
cruciale dans son entreprise – un environnement qui est par ailleurs chargé
d’incertitude (Schabracq, Cooper, Travers et van Maanen, 2001). On peut
s’attendre à ce que cette personne considère que beaucoup d’événements
survenant au travail sont extrêmement importants, puisque très pertinents par
rapport à ses objectifs et relativement urgents. Si ces évaluations sont
couplées à une faible estime de soi et un lieu de contrôle externe (« external
locus of control » ; la personne pense que des agents extérieurs sont respon-
sables des événements), cette personne évaluera sa marge de manœuvre et de
pouvoir dans la gestion de la situation comme relativement faible. Par consé-
quent, on peut s’attendre à ce qu’elle éprouve plus fréquemment de la peur et
de l’anxiété dans le contexte professionnel que ces collègues qui sont plus
réalistes par rapport aux priorités et au degré d’urgence, et qui ont une haute
estime d’eux-mêmes et « un locus de contrôle interne ». Ainsi, la personna-
lité et les différences individuelles n’influencent pas directement les
émotions, mais bien l’évaluation qui est faite de l’événement. Cette évalua-
tion influence à son tour les émotions. Le tableau 12.2 fournit des exemples
de variables de personnalité qui peuvent influencer certaines dimensions de
l’appraisal dans le modèle de Scherer décrit dans le chapitre 2.
Les variables reportées dans le tableau 12.2 représentent une sélection
de différences individuelles qui agissent sur des dimensions spécifiques de
l’appraisal ; elles sont basées sur des recherches antérieures (pour une
description plus détaillée des prédictions théoriques de ce modèle, voir
van Reekum et Scherer, 1997). Certaines de ces variables sont des traits de
personnalité issus du modèle des « cinq facteurs » (tels que « ouverture à
l’expérience » ; voir Costa et McCrae, 1992) ; d’autres sont des traits de person-
nalité socio-cognitifs qui rendent compte de variables de personnalité plus
larges (confiance en soi, estime de soi, optimisme) ; d’autres encore agissent
sur des processus cognitifs de plus bas niveau (inhibition, vitesse de traitement
de l’information). L’idée est que certaines différences de personnalité
influencent ces dimensions de manière relativement stable et permettent
d’expliquer pourquoi certaines personnes rapportent plus souvent certaines
catégories d’émotions que d’autres dans des circonstances particulières. La
section suivante va rendre compte de ce modèle plus en détail.
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 369
Tableau 12.2
Relations possibles entre les dimensions d’appraisal (Scherer, 2001)
et des variables de personnalité.
Détection de la pertinence
Vitesse d’habituation, inhibition,
Nouveauté
vitesse de traitement de l’information
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Affectivité négative ; affectivité positive (PANAS,
1. Valence
Watson, Clark et Tellegen, 1988)
Implication buts/besoins
Style d’attribution (Peterson et al., 1982 ;
Causalité
Seligman, 1986)
Optimisme-pessimisme
Certitude
2. (LOT-R, Scheier et Carver, 1985)
Opportunité Perfectionnisme
Urgence Réalisme
Potentiel de maîtrise
Contrôle Lieu de contrôle (Rotter, 1966) ; Illusion of control
3. Estime de soi (Rosenberg, 1965), auto-efficacité
Puissance
(Bandura, 1997)
Compatibilité
avec les standards
4.
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cette même dimension. Toutefois, les individus avec un score élevé sur la
dimension « motivation d’affiliation » n’ont pas évalué les tâches d’affiliation
comme plus pertinentes que les individus avec un score bas. Griner et Smith
(2000) ont alors étudié cette variable à l’aide d’une autre méthode. Plus
particulièrement, les participants étaient sélectionnés en fonction de leurs
scores extrêmes sur la dimension « motivation d’affiliation ». Puis, il leur
était demandé d’enseigner un programme informatique à un étudiant particu-
lièrement incapable et démotivé – en fait un des expérimentateurs. Comme
escompté, les individus avec une motivation d’affiliation élevée ont évalué
l’aspect interpersonnel de la situation comme particulièrement pertinent et
important avant d’effectuer la tâche, comparativement aux participants avec
une motivation d’affiliation basse.
Implication : ces deux études suggèrent que les motivations d’accomplis-
sement et d’affiliation sont deux variables qui aident à expliquer les différen-
ces observées entre individus par rapport à l’importance et à la pertinence de
situations spécifiques. Si nous reprenons l’exemple du début de ce chapitre,
nous pouvons dire que Georges a certainement une motivation d’accomplis-
sement plus élevée que Céline, ce qui veut dire qu’il a évalué son échec dans
une situation de performance de manière beaucoup plus importante que cette
dernière, et ainsi éprouvé une réaction émotionnelle plus intense.
par rapport aux buts, l’obstruction par rapport à ce but important et l’attribu-
tion externe et/ou le blâme (par exemple, Fridja, Kuipers et ter Schure, 1989 ;
Roseman, 2001 ; Scherer, 2001 ; Smith et Ellsworth, 1985 ; Smith et Laza-
rus, 1993). D’après cette définition de la colère, les individus qui pensent systé-
matiquement que les événements négatifs sont dus à des agents externes
peuvent éprouver plus de colère. Afin de mettre cette hypothèse à l’épreuve,
les individus ont été sélectionnés en fonction de leur score élevé sur une varia-
ble de personnalité spécifique, le style d’attribution (Peterson et al., 1982 ;
Seligman, 1986). Cette variable différencie les individus qui attribuent géné-
ralement les événements négatifs à des agents externes de ceux qui les attri-
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buent généralement à des agents internes. Ces deux types de participants ont
ensuite pris part par couple à une tâche de performance. Cette tâche leur était
présentée comme un test d’intelligence, mais était en réalité impossible à
résoudre. Il était attendu que les individus qui attribuent généralement les
situations négatives à des causes externes (les externes) blâmeraient plus
fréquemment leur partenaire pour leur échec à la tâche et ainsi rapporterait
plus de colère, relativement à ceux qui attribuent généralement les situations
négatives à des causes internes (les internes). Cette hypothèse a été partielle-
ment confirmée. En effet, les externes ont plus volontiers blâmé leur parte-
naire pour cet échec que les internes, mais ils ne rapportaient pas plus de
colère que ces derniers. Une analyse plus précise des évaluations a toutefois
mis en évidence que la colère reportée par les Internes était en premier dirigée
contre eux-mêmes, alors que celle rapportée par les externes était souvent
dirigée vers le partenaire. Ainsi, la fréquence de la colère était similaire entre
externes et internes ; cependant, l’objet de la colère éprouvée par ces deux
groupes était différent (Wranik, 2005).
■ Implications
Cette recherche suggère que les différences individuelles liées au style d’attri-
bution influencent de manière systématique l’évaluation causale, et, par là,
les émotions ressenties et les conséquences qui s’ensuivent. En effet, ressentir
de la colère envers autrui ou envers soi-même amène à différentes stratégies
de régulation et a des répercussions sur les interactions sociales. Blâmer un
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
possibles. Dans tous les cas, elle a accepté cet échec comme étant dû à elle-
même, et non comme une erreur d’appréciation de la part du professeur.
Globalement, s’il s’avère que Georges recherche toujours une cause exté-
rieure pour ces échecs alors que Céline s’en attribue la cause, on peut alors
supposer que ces différences sont dues à une variable de personnalité, telle
que le style d’attribution.
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Une fois que les individus ont évalué la situation comme pertinente et qu’ils
ont déterminé son implication et ses causes, ils évaluent leur propre potentiel
de maîtrise. Cette évaluation permet de distinguer différents types d’expé-
riences et de réactions émotionnelles. En particulier, les individus évaluent la
situation en ces termes :
– contrôle : ai-je un contrôle suffisant pour pouvoir agir dans cette situation ?
– puissance : ai-je suffisamment de pouvoir pour traduire mes stratégies en
actions ?
– ajustement : puis-je m’adapter aux conséquences de cette situation ?
■ Données expérimentales
Les différences individuelles relatives aux checks de puissance et de contrôle
sont parmi les plus étudiées dans le domaine des sciences affectives, et notam-
ment dans la littérature sur le stress et le coping (voir chapitre 9 de cet
ouvrage). En bref, la plupart des recherches ont montré qu’il y a des indivi-
dus plus enclins à croire en leur capacité et à montrer des comportements
proactifs plus que d’autres. Ces individus ont plus de confiance en leur capa-
cité à trouver une solution (Bandura, 1997) et/ou ont une estime de soi suffi-
samment élevée (Rosenberg, 1965) pour faire face à la situation et chercher des
solutions. Par cette approche proactive et orientée vers la recherche de solu-
tion, ces individus ont une vue souvent plus optimiste du futur. De plus, ils
tendent à ressentir plus d’émotions positives, moins de stress et sont moins
sujets à la dépression. À l’inverse, les individus qui n’ont pas le sentiment de
pouvoir contrôler les situations mais pensent qu’ils n’ont qu’à se soumettre
aux événements, ressentent plus fréquemment de l’impuissance, du déses-
poir et présentent plus souvent une symptomatologie dépressive (Judge et
Bono, 2001).
■ Implications
Dans notre exemple introductif, Céline et Georges croient tous les deux en leur
capacité à gérer cet échec. Georges a suffisamment d’estime de lui-même pour
tester son contrôle et sa puissance dans cette situation. Il prend donc la décision
d’aller parler avec le professeur dans l’idée d’œuvrer activement pour modi-
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 373
fier sa note. Céline ne pense pas qu’elle puisse la changer, et accepte que la
notation de cet examen échappe à son contrôle. Cependant, elle s’adapte aux
conséquences et ne se laisse pas ébranler par ce mauvais résultat.
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alors que pour d’autres il est plus important d’agir en fonction de standards
externes et de recevoir l’approbation d’autrui. Ces différences individuelles
sont en partie dues à des normes culturelles, mais d’autres variables peuvent
également jouer un rôle.
■ Données expérimentales
Dans les cultures collectivistes, l’intégration de l’individu dans le groupe est
un élément essentiel et les pressions sociales y sont très efficaces pour main-
tenir un certain conformisme. Des études ont montré que les individus issus
de ces cultures ressentent fréquemment de la honte lorsqu’ils n’agissent pas en
fonction des normes attendues. Dans des pays plus individualistes, les individus
ressentent quant à eux plus de culpabilité s’ils ne vivent pas selon leurs propres
standards (Hofstede, 2001 ; Mesquita et Walker, 2003). D’autres variables de
personnalité sont également importantes pour expliquer des biais d’évaluation
relativement à ce critère d’évaluation (check). Par exemple, les perfectionnistes
perçoivent plus souvent leurs standards internes comme non atteints (Hawley,
Zuroff et Blatt, 2006), alors que les sociopathes peuvent ne ressentir aucun
scrupule, quels que soient leurs actes (Klass, 1980).
■ Implications
La forte réaction émotionnelle de Georges face à son échec pourrait provenir
de ses standards internes (« je dois être le meilleur dans chaque matière ») ou
externes (« mes parents attendent de moi que je sois un excellent élève »)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
élevés. Céline quant à elle pourrait avoir des standards internes (« tout le monde
a des mauvais jours ») ou externes (« mes parents et mes amis m’apprécient
pour ce que je suis, peu importe le reste ») plus modérés.
En résumé, nous avons illustré dans cette partie deux manières d’examiner
les différences individuelles et la personnalité dans le champ de l’affect.
L’approche typologique est intéressante car elle permet de distinguer les indi-
vidus en fonction de la fréquence et de l’intensité émotionnelle généralement
vécues. Par ailleurs, les questionnaires de personnalité issus de cette approche
374 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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montreront effectivement une complémentarité entre ces deux approches.
2 DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES
ET ÉMOTIONS
DANS LES PROCESSUS SOCIAUX
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est devenu courant de parler de ces compétences en termes d’« intelligence
émotionnelle ».
Le terme d’« intelligence émotionnelle » (IE) a été introduit dans la litté-
rature psychologique en 1990 (Salovey et Mayer), afin de comprendre les
différences individuelles dans les phénomènes affectifs. En effet, bien qu’une
importante avancée dans le domaine de la recherche sur les émotions ait
permis de faire progresser notre compréhension des différences individuelles
à la fin des années 1980, les études étaient menées selon des méthodes et
dans des buts différents, et les résultats étaient dispersés. Par exemple, alors
que la psychologie cognitive et la psychologie sociale s’appliquaient à iden-
tifier et à décrire les différences individuelles liées à des phénomènes tels
que la perception, l’encodage, le traitement et la régulation des affects, les
psychologues cliniciens examinaient les compétences émotionnelles et cher-
chaient à savoir si on pouvait les développer. La psychologie affective semblait
prête pour une intégration de ces résultats dans un cadre théorique unique.
Ce cadre allait permettre de placer les différences individuelles dans les
processus émotionnels sur un continuum allant du pathologique au normal,
différences qui pourraient être ainsi décrites, mesurées et peut-être même
entraînées.
Dans le courant des années 1990, dû à l’air du temps et au best-seller
Emotional Intelligence, Why it Matters more than QI de Daniel Goleman (1995),
ce modèle qui devait encourager le développement théorique et empirique
dans la recherche sur les émotions est devenu un concept populaire. Ce livre
donnait l’impression qu’il y avait un consensus sur la définition de l’intelli-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
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Mayer et Salovey, 1997). D’après ce modèle, l’intelligence émotionnelle
consiste en la capacité à percevoir, comprendre, utiliser et gérer les émotions.
Elle implique la capacité à utiliser les humeurs et les émotions afin de focaliser
son attention et penser de manière plus rationnelle, logique et créative. Elle
peut également consister en des actions telles que maîtriser des sentiments
perturbateurs afin de permettre le raisonnement, la résolution de problème et
la prise de décision. En effet, des recherches passées ont montré que les humeurs
et les émotions peuvent créer divers états mentaux plus ou moins adaptés
selon les situations. Ainsi, par exemple, le fait d’être d’humeur positive favo-
riserait la création et les pensées innovantes (Isen et Daubman, 1984 ; Isen,
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Daubman et Nowicki, 1987), alors que les humeurs négatives serviraient
plutôt le raisonnement déductif (Palfai et Salovey, 1993). De plus, la planifi-
cation de diverses actions peut être facilitée par la compréhension des liens
entre des émotions spécifiques et la pensée (Izard, 2001). Puisque l’on sait
que les émotions positives favorisent la créativité, il serait préférable d’attendre
d’être de bonne humeur avant de se lancer dans une séance de brainstorming.
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(« trait EI »)
Trait EI est de loin le modèle prédominant de l’IE dans le monde du travail et de
l’éducation. Selon ce modèle, l’IE est composée de caractéristiques person-
nelles non cognitives qui sont bénéfiques au fonctionnement et aux succès de
l’individu (Bar-On, 1997 ; Goleman, 1995). On parle également des modèles
de trait EI comme de « modèles mixtes » (Mayer, Caruso, et Salovey, 2000),
car ils rassemblent plusieurs habiletés, traits de personnalité, humeurs et
facteurs motivationnels qui sont potentiellement intéressants pour l’adaptation
sociale et le succès professionnel.
Deux des mesures les plus utilisées des traits d’IE sont le EQ-i (Bar-On,
1997) et l’Emotional Competence Inventory (ECI) (Boyatzis, Goleman et
Rhee, 2000). Le premier est un autoquestionnaire comportant quinze sous-
échelles organisées en cinq facteurs. Le second est un instrument multi-juges
qui fournit des informations provenant de soi, du manager, de l’employé et
du jugement des pairs relativement à quatre domaines qui regroupent vingt
sous-échelles (voir tableaux 12.3 et 12.4).
Tableau 12.3
Échelles du EQ-i (Bar-On, 1997)
Résolution de problèmes,
Adaptation
confrontation à la réalité, flexibilité
Gestion du stress,
Gestion du stress
inhibition
Bonheur,
Humeur
optimisme
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 379
Tableau 12.4
Emotional Competence Inventory (ECI) (Boyatzis, Goleman et Rhee, 2000)
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Formation d’autrui
Gestion de ses Émotions Influence
Honnêteté Communication
Conscience Gestion des conflits
Régulation
Flexibilité Leadership
Besoin de réussite Agent de changements
Initiative Compétence relationnelle
Travail en équipe et collaboration
■ Implications
Le modèle de l’Ability EI est enraciné dans la recherche en psychologie. Il
suggère qu’il existe d’importantes différences individuelles dans le domaine
des compétences et des habilités émotionnelles. De nombreux groupes de
recherches sont actuellement occupés à examiner une large variété de diffé-
rences individuelles dans les processus émotionnels afin de différencier
diverses compétences et habilités, de déterminer comment les mesurer et de
380 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
comprendre comment elles sont reliées entre elles ainsi qu’avec d’autres mesu-
res. Le cadre de ce chapitre ne nous permet pas de discuter des multiples
avancées qui ont déjà été menées. Toutefois, des résultats et discussions inté-
ressants devraient certainement voir le jour au cours des prochaines années.
Par conséquent, dans la mesure où nous parlons de différences individuelles
dans le domaine des aptitudes, habilités ou compétences, et que l’avance-
ment de la recherche dans ce domaine ne nous informe pas sur le nombre de
ces compétences ni sur l’étendue des relations qu’elles entretiennent entre elles,
il nous paraît plus indiqué de parler de « compétence émotionnelle » (ou de
compétences émotionnelles) que d’« intelligence émotionnelle ». Ceci
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suggère que chaque personne possède des compétences dans le domaine des
émotions. Par ailleurs, le fait d’employer les termes de compétences et
d’habiletés laisse envisager qu’elles puissent être entraînées et développées,
un des objectifs majeurs de ce courant de pensée. Pour la majorité en effet,
les termes d’intelligence et de personnalité renvoient à des domaines qui sont
plus difficiles à modifier et influencer. Dans ce sens, le concept de compé-
tence émotionnelle permet également de différencier le modèle de l’Ability
EI, focalisé sur les processus émotionnels et les compétences, de l’approche
Trait EI, pour sa part plus centrée sur les traits de personnalité et les compéten-
ces sociales en général.
Malgré l’avancée prometteuse dans le domaine des compétences émotion-
nelles, de nombreuses questions restent ouvertes. À savoir par exemple, quel est
le niveau optimal des habiletés perceptives dans le domaine des émotions ?
D’une part, les individus qui sont insensibles aux indices émotionnels non
verbaux d’autrui auraient probablement plus de difficultés à répondre à leurs
besoins et problèmes. À l’autre extrême, les individus qui seraient trop sensibles
pourraient être submergés par les émotions des autres et être inaptes à recourir
aux difficiles – mais nécessaires – comportements de régulation sociale, tels
que réprimander un enfant irrespectueux ou licencier un employé paresseux.
Il est probable que d’autres compétences émotionnelles présentent un pattern
similaire et sont dysfonctionnelles lorsqu’elles sont trop « hautes/fortes »
ou trop « basses/faibles ». Deuxièmement, qu’est-ce que cela signifie être
compétent dans le champ de la régulation émotionnelle ? Est-ce que les indi-
vidus sont compétents pour réguler leurs émotions d’une manière globale ou
est-ce que certains individus sont aptes à réguler certaines émotions, et pas
d’autres ? Troisièmement, jusqu’à quel point les habiletés et compétences
émotionnelles sont-elles définies culturellement ? Pouvons-nous identifier
des compétentes émotionnelles universelles ou les définitions et instruments
de mesures doivent-ils être culturellement construits ? Enfin, comment
peut-on développer des instruments de mesure fiables dans le domaine des
compétences émotionnelles ? Certes, le MSCEIT a permis de montrer le lien
entre certaines compétences émotionnelles et des habilités sociales spécifiques,
mais il ne mesure qu’une partie limitée des compétences émotionnelles. Une
grande part de la recherche a actuellement pour objectif le problème de la
LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS 381
SYNTHÈSE ET CONCLUSION
Les émotions et les humeurs sont des processus complexes comportant d’innom-
brables effets et conséquences personnels et interpersonnels. Les nombreuses
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variables concernant les différences individuelles qui peuvent influencer les
processus émotionnels sont au cœur de cette complexité. La personnalité, les
valeurs culturelles ainsi que les variables contextuelles influencent la manière
dont les événements et les situations sont évalués, et par conséquent, quelles
émotions en découlent. Par ailleurs, les compétences et habilités émotionnelles,
déterminées tout d’abord par les expériences passées et l’éducation, influen-
cent la manière dont les individus perçoivent, comprennent, utilisent et régu-
lent leurs émotions. Dans ce chapitre, nous avons présenté les modèles et
méthodes dominants afin d’illustrer comment les différences individuelles
peuvent jouer un rôle dans les processus affectifs.
Les émotions ne sont en soi ni positives ni négatives (Solomon et Stone,
2002). Le caractère approprié de l’évaluation et l’émotion qui s’en suit relati-
vement à un contexte spécifique vont plutôt dépendre de l’adaptabilité d’une
émotion pour la santé et le bien-être de l’individu, ainsi que de l’acceptabilité
sociale de cette émotion (Parrott, 2002). Les individus qui surévaluent cons-
tamment l’urgence d’une situation ou sous-estiment leur marge de manœu-
vre lors d’événements importants vont fréquemment éprouver des émotions
contre-productives, des émotions qui ne vont pas leur permettre un compor-
tement des plus adaptés dans ce contexte. De plus, les individus qui ne savent
pas comment gérer leurs émotions ou celles des autres rencontreront plus
souvent des difficultés dans les situations sociales. La compréhension des
émotions qui ne prend pas en compte ce type de différences individuelles
reste sévèrement limitée. Ceux qui sont intéressés par les émotions et leurs
conséquences sont ainsi invités à se référer aux modèles présentés dans ce
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
LECTURES CONSEILLÉES
CERVONE D., SHODA Y. (1999). The Coherence of Personality. Social Cognitive Bases
of Consistency, Variability, and Organization. New York, Guilford.
FELDMAN BARRETT L., SALOVEY P. (2002). The Wisdom in Feeling : Psychological
Processes in Emotional Intelligence. New York, Guilford.
FRIJDA N.H. (2006). The Laws of Emotion. New York, Lawrence Erlbaum.
MATTHEWS G., ZEIDNER M., ROBERTS R.D. (2002). Emotional Intelligence : Science
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and myth. Cambridge, MA, MIT Press.
PERVIN L. (2002). The Science of Personality. New York, Oxford.
SCHERER K.R., SCHORR A., JOHNSTONE T. (éd.) (2001). Appraisal Processes in
Emotion : Theory, Methods, Research. New York, Oxford University Press.
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BIAIS D’ÉVALUATION
ET PHOBIE SOCIALE1
COGNITIVE
Chapitre 13
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INTRODUCTION
1 LA PHOBIE SOCIALE
La phobie sociale représente une peur intense ressentie par une personne
lorsqu’elle se trouve ou anticipe une situation sociale. Cette réaction se carac-
térise par une motivation à faire une bonne impression sur les autres, combinée
à des doutes quant à sa propre compétence (Schlenker et Leary, 1982). Dans
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une perspective évolutionniste, cette forme d’anxiété est considérée comme
adaptative car l’affiliation à un groupe présente une valeur de survie (Gilbert,
2001). Malgré son caractère adaptatif, pour certains individus les coûts liés à
l’anxiété l’emportent sur les bénéfices de l’intégration sociale (Ledley et
Heimberg, 2006). Dans ces cas, l’anxiété s’associe facilement à un retrait
social qui n’est ni désiré, ni bénéfique. En effet, l’évitement de la situation
sociale redoutée diminue l’anxiété sur le court terme, mais contribue à son
aggravation à plus long terme. Ainsi, par exemple, éviter de parler en public
ne permet pas de réévaluer à la hausse l’évaluation de ses propres compéten-
ces de maîtrise de la situation. De fait, ce type d’évitement ne permet pas
d’infirmer les doutes quant à sa propre performance en situation redoutée.
Au contraire, cet évitement contribue à « confirmer » les évaluations cogniti-
ves dysfonctionnelles. En retour, ces croyances tendent à renforcer l’anxiété
ressentie lors des situations comparables.
Dans la classification diagnostique et statistique des troubles mentaux
(DSM-IV-TR ; American Psychiatric Association, 2000), la phobie sociale
est définie comme une peur intense et persistante des situations sociales. Ce
trouble anxieux peut se manifester sous plusieurs formes comme une incapacité
à parler en public, une peur intense à monter sur scène (le trac) ou encore
comme une impossibilité d’écrire ou de manger en public. Les personnes ont
peur d’être scrutées par autrui et anxieuses à l’idée de se comporter, face à
eux, de manière embarrassante voir même ridicule. Les personnes souffrant
de ce trouble reconnaissent généralement le caractère excessif de leurs peurs.
Cependant, elles ont tendance à éviter l’exposition à des situations sociales
craintes.
Au-delà des formes sévères d’anxiété sociale, il est très courant de ressentir
de telles émotions dans des contextes publics. Pour que le diagnostique puisse
être posé, l’anxiété doit interférer de manière significative avec le fonction-
nement de la personne. De plus, même sous sa forme extrême et dysfonc-
tionnelle, la prévalence sur la vie de la phobie sociale est élevée. D’après
Kessler et al. (1994), 13,3 % de population américaine en souffre. Ceci fait
de la phobie sociale le troisième trouble mental du monde occidental après la
dépression et l’abus d’alcool (Kessler et al., 1994).
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 387
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mation au niveau des processus cognitifs tels que l’attention, la mémoire ou
le jugement. Dans l’ensemble, ces modèles font de l’évaluation cognitive de
la situation le concept explicatif au cœur des phénomènes observables dans
le cadre du dysfonctionnement émotionnel.
Ces modèles cognitifs ont généré, à la fois, un nombre impressionnant de
recherches empiriques (portant principalement sur les biais de traitement
de l’information sociale ; voir pour une revue Clark et McManus, 2002) et de
nombreux protocoles d’intervention thérapeutiques dont l’efficacité a été validée
empiriquement (Heimberg, 2002).
Sur la base des travaux princeps de Beck, Emery et Greenberg (1985), Clark
et Wells (1995) ont développé le modèle cognitif de l’anxiété sociale présenté
dans la figure 13.1. Selon les auteurs, les phobiques sociaux (PS) en situation
sociale déplacent leur focus attentionnel de l’environnement vers eux-mêmes.
Situation sociale
Activation croyances
Traitement du Soi
en tant qu’objet
social
Symptômes Symptômes
comportementaux somatiques et cognitifs
Figure 13.1
Modèle de la phobie sociale de Clark et Wells (1995).
388 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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personne, se sentant en danger, entre ainsi dans un cercle vicieux au sein duquel
elle focalise son attention sur son propre fonctionnement afin d’améliorer,
tant que faire se peut, sa propre performance sociale. Bien entendu, cette
focalisation sur soi-même entraîne à son tour une augmentation du degré de
conscience de ses propres réactions d’anxiété et de peur qui interfère négati-
vement avec le traitement des informations contextuelles, avec la performance
sociale réelle, ainsi qu’avec la compréhension du comportement des inter-
locuteurs, poussant la personne vers un cercle vicieux d’anxiété.
2 L’APPROCHE COGNITIVE
EN PSYCHOPATHOLOGIE
contenu du schéma. Pour Beck, chaque trouble émotionnel entraîne des biais
comparables au niveau des processus de traitements de l’information. Seul le
contenu du schéma est spécifique à chaque trouble. Autrement dit, pour
Beck, les divers troubles émotionnels s’expriment par des biais de traitement
de l’information analogues au niveau de leur processus, mais spécifiques au
niveau de leur contenu.
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Cette approche cognitive des troubles émotionnels a été extrêmement influente
pour l’élaboration d’interventions cliniques dont l’efficacité thérapeutique a été
vérifiée empiriquement (Butler, Chapman, Forman, et Beck, 2006). Cepen-
dant, avec le cumul des évidences empiriques, ce modèle cognitif classique a
également fait l’objet de diverses critiques dont il convient de rendre compte.
Premièrement, certains auteurs ont signalé que ce modèle n’intègre pas la
notion de niveau de traitement, c’est-à-dire le fait que les émotions sont
soutenues par des traitements de l’information distincts d’un point de vue de
leur degré d’automaticité. Ces processus se distinguent quant à leur degré
d’accessibilité à la conscience mais ils opèrent en parallèle (Leventhal et Scherer,
1987 ; Barnard et Teasdale, 1991 ; Power et Dalgleish, 1997 ; Philippot, 2007).
Globalement, les auteurs cités ci-dessus postulent que les processus émotion-
nels peuvent être tantôt automatiques, rapides et non conscients, tantôt
contrôlés, volontaires, réfléchis et conscients. Partant de cette observation,
différents modèles dits « multiniveaux » ont vu le jour. Tous postulent que le
traitement émotionnel nécessite différentes représentations de l’information.
Par exemple, Philippot, Douilliez, Baeyens, Francart et Nef (2003) ont proposé
un modèle bi-mnésique des émotions. Selon ce modèle, les processus émotion-
nels sont régis par deux types de processus mnésiques : un système schématique/
associatif et un système propositionnel/conceptuel. Au niveau schématique,
les représentations mnésiques sont constituées d’associations entre divers
éléments perceptifs (de la situation émotionnelle et de sa propre réaction à
cet événement) qui constituent l’expérience émotionnelle. Ces représentations
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tiques dans le cadre des troubles émotionnels pourrait bien passer par une
considération plus directe des niveaux automatiques de traitement de l’infor-
mation et notamment des composantes implicites de l’évaluation cognitive
de la situation.
Deuxièmement, l’approche classique ne permet pas de rendre compte de
la complexité des évidences empiriques cumulées depuis les années 1980 qui
indiquent que, dans bien des cas, les dysfonctionnements cognitifs associés
aux troubles émotionnels ne sont pas uniquement déterminés par une variation
dans le contenu du schéma cognitif (Van der Linden et Ceschi, 2008). En
adoptant une perspective de psychopathologie cognitive qui capitalise sur les
concepts et les méthodes de la neuropsychologie cognitive, il est possible de
distinguer derrière les troubles émotionnels trois types de particularités
distinctes pouvant affecter les processus mentaux : les déficits cognitifs, les
biais cognitifs et les croyances dysfonctionnelles (Van der Linden, 2004).
Les déficits cognitifs constituent des difficultés affectant un ou plusieurs
processus cognitifs indépendamment du contenu de l’information traitée (par
exemple, une difficulté générale de mémoire affectant toutes les informa-
tions indépendamment du sens du matériel à mémoriser). Les biais cognitifs
se traduisent par un traitement préférentiel de certaines informations par
rapport à d’autres (par exemple, un biais d’attention sélective vers les mots
« menaçants » mais pas vers les mots « neutres »). Enfin, les croyances
dysfonctionnelles peuvent être assimilées à des réseaux de concepts stockés
en mémoire sémantique qui modulent le fonctionnement cognitif, affectif et
relationnel de la personne de manière plus globale (par exemple, une
croyance inconditionnelle de type « Je suis nul » qui conditionne le fonction-
nement général de la personne). Étant donné qu’une même perturbation dans
le traitement de l’information peut être déterminée par des causes différen-
tes, la distinction proposée par Van der Linden (2004) devrait, à terme,
permettre d’améliorer la compréhension des dysfonctionnements émotion-
nels et, de ce fait, l’efficacité thérapeutique. Ici encore, en intégrant cette
distinction les modèles classiques des troubles émotionnels gagneraient en
efficacité.
Troisièmement, la théorie de Beck est issue principalement d’observations
cliniques qui n’ont fait l’objet que d’une vérification empirique partielle. De
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 391
plus, divers auteurs ont signalé que, dans cette théorie, la conception des
processus d’évaluation cognitive de la situation est peu sophistiquée et n’intègre
que partiellement la richesse des théories cognitives de l’émotion « normale »
(Power et Dalgleish, 1997 ; McNally, 2001 ; Philippot, 2007). L’intégration
de ce savoir au sein de l’approche cognitive des troubles émotionnels devrait
permettre de dépasser cette limite (Watts, 1992). Le présent chapitre vise
précisément à dépasser cette limite en conceptualisant les troubles émotionnels
à partir d’une théorie cognitive de l’émotion « normale », le MPC. Cette théorie
permet de formuler des prédictions concernant les dimensions d’évaluation
impliquées dans des troubles affectifs distincts. En accord avec cette idée,
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Kaiser et Scherer (1997) ont prédit diverses associations entre biais évaluatifs et
troubles émotionnels. Par exemple, pour ces auteurs, la dépression s’associerait
à une sous-évaluation de sa propre puissance, c’est-à-dire une sous-évaluation
systématique de ses propres ressources pour changer un événement.
Dans la prolongation de ce travail, nous proposons ici une revue de la litté-
rature ayant trait aux biais d’évaluation cognitive (ou biais d’appraisal). Ces
biais sont conçus comme des dispositions différentielles conduisant certaines
personnes plus que d’autres à ressentir certaines émotions plus fréquemment que
d’autres. Les intérêts d’une telle approche sont multiples. Premièrement, cette
approche repose sur un modèle cognitif de l’émotion « normale » fournissant
un cadre théorique largement fondé empiriquement. Par rapport au modèle
de Beck, cette approche permet de multiplier et d’affiner les hypothèses rela-
tives aux particularités évaluatives associées aux pathologies émotionnelles.
Deuxièmement, elle permet d’interpréter le fonctionnement pathologique à
partir d’un modèle théorique du fonctionnement normal. Ceci contribue à mettre
en évidence le caractère adaptatif de toute réponse émotionnelle (Watts, 1992).
Finalement, cette approche devrait contribuer à une définition des patterns de
biais d’évaluation cognitive propres à chaque cluster de symptômes émotionnels.
De ce fait, elle devrait contribuer au développement d’une psychologie clinique
du cas unique, permettant de cibler des outils d’évaluation et d’intervention
spécifiques à chaque situation émotionnelle que l’on souhaite modifier.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
été proposé que des troubles affectifs pourraient être le résultat de stratégies
d’évaluation inappropriées lors desquelles soit la pertinence, soit la capacité à
faire face à la situation ont été estimées de manière erronée (Kaiser et Scherer,
1997 ; Roseman et Kaiser, 2001 ; Scherer, Sangsue et Sander, 2008).
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des événements évalués comme importants pour l’organisme (p. 93). Cette
définition permet de différencier l’émotion des autres phénomènes affectifs
tels que les styles interpersonnels, les humeurs ou les dispositions affectives.
Pour Scherer, les dispositions affectives comprennent les traits de personna-
lité stables, les tendances comportementales ayant une composante affective
forte, ainsi que les pathologies émotionnelles (Scherer, 2005). Ces dernières
reflètent les tendances d’une personne à ressentir certaines humeurs plus
fréquemment que d’autres ou à avoir une prédisposition à réagir face à diverses
situations dans un certain registre affectif.
En accord avec cette idée, Scherer, Wranik, Sangsue, Tran et Scherer (2004)
ont demandé à mille deux cent quarante-deux personnes de se rappeler et de
décrire verbalement des événements ayant généré une émotion lors de la journée
précédente. Les chercheurs montrent que les émotions rapportées les plus
fréquemment sont, dans l’ordre, le bonheur, la colère, l’anxiété, la joie et la
tristesse. De plus, l’étude met en évidence des facteurs pouvant contribuer à
prédire l’émotion rapportée par les participants. L’un de ces facteurs est dit
d’émotionnalité ou de disposition affective. Ce facteur d’émotionnalité est
obtenu en demandant aux participants de rapporter la fréquence relative avec
laquelle la personne ressent quatorze émotions prédéfinies. À partir de ces
données, les auteurs calculent la probabilité de ressentir chaque émotion sachant
la fréquence relative avec laquelle la personne rapporte ressentir chacune de ces
émotions. Par exemple, les participants qui ressentent de l’anxiété fréquem-
ment par rapport à ceux qui la ressentent peu fréquemment ont 2,88 fois plus
de chance d’avoir vécu la même émotion la veille. Au-delà de sa réalité factuelle,
le défi du concept de disposition affective est de comprendre quels sont et
comment fonctionnent les mécanismes de cette prédisposition (Gotlib, 2007).
Plus particulièrement, il convient d’expliquer quels sont les liens existants
entre les dispositions affectives et le fait de vivre certaines émotions plus
fréquemment que d’autres, ou alors le fait de vivre certaines émotions dans
des contextes dans lesquels l’individu « moyen » ne les ressent pas. Ce lien
entre dispositions affectives et expérience émotionnelle pourrait être expliqué
par un certain nombre de différences individuelles au niveau des tendances
stables d’évaluation des situations ou des biais systématiques dans les
processus d’évaluation (Van Reekum et Scherer, 1997 ; Scherer et al., 2004 ;
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 393
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respectif. Cette différence de seuil modifierait la fréquence d’apparition et la
tendance à généraliser cette réponse émotionnelle à un nombre plus ou moins
étendu de situations.
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possible, que la capacité à faire face ne soit ni sous-évaluée ni sur-évaluée et
finalement que la personne puisse disposer d’une représentation adéquate
des normes sociales d’évaluation et d’expression de l’émotion ressentie.
Dans cette idée, Perrez et Reicherts (1992) ont proposé de distinguer les
paramètres objectifs (par exemple, l’agrément intrinsèque, le degré de
contrôlabilité de l’événement ou sa probabilité d’occurrence) des évaluations
subjectives des événements. Pour ces auteurs, une évaluation cognitive
appropriée se caractérise par une adéquation entre paramètres objectifs et
subjectifs. Par exemple, les évaluations cognitives fonctionnelles doivent
permettre aux personnes d’agir activement sur les situations désagréables
contrôlables, mais de ne pas agir sur les situations comparables mais objecti-
vement incontrôlables.
L’expression appropriée d’une émotion requiert des compétences au
niveau de l’évaluation cognitive afin de produire une évaluation adéquate (ou
valide) de l’environnement. Selon Scherer (2007), la production d’une
évaluation cognitive appropriée repose sur des compétences au niveau (1) du
déclenchement de l’émotion (c’est-à-dire, déclenchement lorsque cela est
nécessaire) et au niveau (2) de sa différenciation (c’est-à-dire, le déclenche-
ment de l’émotion « appropriée »). Le déclenchement approprié d’une
émotion est lié à la capacité de détecter dans l’environnement interne et
externe un objet/événement « nécessitant » une réponse émotionnelle. En
effet, il est important de ne pas sur-réagir ou sous-réagir et/ou de réagir de
manière décalée. Cette aptitude est liée à l’évaluation de la pertinence de
l’objet, c’est-à-dire l’évaluation de la nouveauté, de l’agrément intrinsèque
et de la pertinence par rapport au but. L’évaluation de la pertinence vise à
détecter les objets et événements pertinents qui nécessitent un traitement
plus approfondi. Elle détermine l’allocation des ressources attentionnelles.
Ce mécanisme de détection de la pertinence est d’importance majeure
d’autant plus qu’il repose sur des processus principalement non conscients
de bas niveau (Sander, Grandjean et Scherer, 2005). La compétence de diffé-
rentiation consiste à réagir avec l’émotion requise plutôt qu’avec une autre
émotion moins en accord avec les caractéristiques situationnelles (Scherer,
2007). La différentiation d’une émotion appropriée requiert d’évaluer les
implications d’un événement de manière réaliste, d’évaluer correctement le
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 395
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Comme nous l’avons vu préalablement, dans le cadre de la phobie sociale, les
interactions sociales, ses propres réactions psychophysiologiques et le juge-
ment d’autrui constituent des stimuli pouvant solliciter des réactions
d’anxiété. Sur la base du MPC, il est possible de postuler que cette anxiété est
reliée à des difficultés au niveau du déclenchement d’une émotion (c’est-à-
dire évaluation de la pertinence de l’événement) et plus précisément à des
biais au niveau de l’évaluation de l’agrément intrinsèque et de la pertinence
par rapport au but (pour plus de détail voir tableau 13.1). Nous pouvons
prédire que les PS vont procéder à une évaluation négative des stimuli
sociaux, y compris les expressions faciales en général et les expressions facia-
les « menaçantes » en particulier (expressions de colère). Ces stimuli auraient
une pertinence plus élevée pour les PS que pour les autres personnes.
Les réactions d’anxiété dans le cadre de la phobie sociale peuvent égale-
ment être mises en lien avec des difficultés au niveau de la différentiation
de l’émotion et plus précisément avec des biais au niveau de l’évaluation
des implications d’un événement, du potentiel de maîtrise et de la compati-
bilité par rapport aux normes. Comme nous l’avons mentionné précédem-
ment, ces évaluations sont fortement connectées avec les croyances, le self,
le raisonnement et la motivation de la personne. Or, diverses études ont
montré que les PS disposent de croyances négatives par rapport à eux-
mêmes et à l’environnement. Par exemple, dans une situation sociale, les
PS ont tendance à se juger de manière plus négative et moins positive que
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
les observateurs (Stopa et Clark, 1993). Ils tendent à être très critique
envers leur comportement social, ont des attentes négatives par rapport aux
situations sociales dans lesquelles ils se trouvent et ont l’impression
d’avoir peu de contrôle par rapport aux événements de leur vie (Ledley,
Fresco et Heimberg, 2006). Sur la base de ces données et du MPC, nous
pouvons faire les prédictions suivantes concernant les évaluations cogniti-
ves impliquées dans la différentiation des émotions (voir tableau 13.1) : (i)
une surestimation de la probabilité d’apparition de conséquences négatives
d’une situation sociale, (ii) une attribution stable et interne des causes des
interactions sociales négatives, (iii) une sous-évaluation de la contrôlabilité
des interactions sociales, (iv) une sous-estimation de sa propre puissance face à
396 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
Tableau 13.1
Biais d’évaluation cognitive attendus dans le cadre de la phobie sociale.
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Évaluation Biais attendu dans le cadre de la phobie sociale
Pertinence
Implication
Degré de certitude
Surévaluation de la probabilité de conséquences négatives
dans la prédiction
d’événements sociaux.
des conséquences
Potentiel de maîtrise
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3.4.1 Biais d’évaluation de la pertinence
ou vers le bas (cible) apparaît à l’adresse spatiale de l’un des deux stimuli.
Les participants doivent détecter aussi vite et précisément que possible la
nature de la cible présentée (flèche vers le haut ou vers le bas). Une détection
plus rapide des cibles présentées à l’adresse spatiale préalablement occupée
par le stimulus émotionnel est interprétée comme un biais d’attention sélec-
tive pour la stimulation chargée émotionnelle par rapport à celle non
émotionnelle. En partant du principe que les processus attentionnels nous
permettent d’inférer le degré de pertinence que la personne attribue au stimulus
évalué, nous postulons que les expressions faciales seront considérées comme
des stimuli plus pertinents pour les PS par rapport aux autres participants.
398 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
De plus, pour les PS, les expressions faciales de colère seront plus pertinen-
tes que les autres expressions faciales. Ces effets devraient se traduire dans
des biais d’attention sélective vers les stimuli pertinents.
Trois études ont adapté la DPDT pour investiguer cette question. Ces
recherches ont principalement utilisé des expressions faciales. Chen, Ehlers,
Clark et Mansell (2002) ont présenté, dans le cadre d’un paradigme de
DPDT, des paires de stimuli composées d’un objet domestique (téléphone,
aspirateur, sofa, etc.) et d’une expression faciale : neutre, négative (colère,
tristesse, peur ou dégoût) ou positive (joie). À partir du modèle de Clark et
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Wells (1995), les auteurs postulent que les PS auront tendance à diminuer le
traitement des stimuli externes en faveur des stimuli internes. Ainsi, pour
les auteurs, les PS devraient montrer un biais d’évitement des stimuli
sociaux (expressions faciales) associé à un biais d’attention sélective vers
les objets domestiques. Les résultats montrent que les PS sont plus lents à
détecter les cibles qui suivent les expressions faciales (indépendamment de
leur expression) par rapport à celles succédant à des objets domestiques.
Ces résultats sont entièrement consistants avec le modèle de Clark et Wells
(1995) qui postule qu’en situations sociales les PS détournent leur attention
des stimuli sociaux. Cependant, cette étude ne manipule pas directement le
contexte social, ce qui ne permet pas de tirer une conclusion définitive sur
ce point.
En accord avec cette critique, Sposari et Rapee (2007) ont répliqué cette
étude en y ajoutant une condition d’anxiété sociale. L’induction de
l’anxiété est réalisée par une consigne de « parler en public » donnée aux
participants avant l’exécution du DPDT. Les auteurs se demandent si
l’anxiété sociale accentuerait (comme prédit par le modèle de Clark et
Wells, 1995) ou bien diminuerait l’évitement des expressions faciales. Une
diminution de l’évitement, donc un biais d’attention sélective vers les
stimuli sociaux, serait en accord avec le modèle de la phobie sociale de
Rapee et Heimberg (1997) qui prédit que les PS montrent une hypervigi-
lance envers les indices de menace sociale. Les résultats obtenus mettent
en évidence un biais d’attention sélective vers les expressions faciales
émotionnelles, c’est-à-dire un pattern attentionnel opposé à celui décrit par
Chen et al. (2002).
Dans l’ensemble, ces deux études suggèrent que les biais d’attention
sélective pour les expressions faciales varient en fonction du degré de
menace sociale. Alors qu’en situation de menace sociale faible, les PS se
détournent des stimuli sociaux (comme Chen et coll. l’ont rapporté), en
situation de menace sociale forte, ils montrent un biais d’attention sélective
vers ces mêmes stimuli (Sposari et Rapee, 2007). Naturellement, la diffé-
rence de résultats entre les deux études peut également être expliquée par des
différences méthodologiques entre les deux recherches (par exemple, genre
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 399
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contribuer à motiver la personne à réaliser un renversement du biais
d’évitement de la stimulation originairement déterminé par l’évaluation
des caractéristiques intrinsèques du stimulus (désagréables). Ainsi, la
gestion attentionnelle serait fonction de mécanismes de type bottom up
issus du résultat de l’évaluation de l’agrément intrinsèque de la stimula-
tion, et de mécanismes de type top down issus du résultat de l’évaluation
de la pertinence de la stimulation par rapport aux buts de la personne. Pour
les PS, les expressions faciales constituent des stimuli intrinsèquement
négatifs et très pertinents par rapport à ses propres buts (par exemple, dimi-
nuer le rejet social). Ainsi, d’un point de vue du MPC, il est possible de
prédire que chez les PS les expressions faciales seront évaluées comme
étant plus pertinentes que les objets. Ceci se traduit par un traitement diffé-
rent caractérisé dans un premier temps par une hypervigilance des expres-
sions faciales, suivie d’un évitement qui refléterait la tendance des PS à
éviter les situations sociales pour diminuer leur degré d’anxiété. De
manière générale, les données décrites précédemment sont en accord avec
les prédictions pouvant être formulées à partir du MPC. Cependant, les
études dont nous venons de parler n’ont pas été construites ni pour vérifier
ces hypothèses, ni pour vérifier l’évolution temporelle du biais d’attention
sélective. Ainsi, l’interprétation de ces données à la lumière du MPC doit
être considérée avec réserve. Des études pouvant manipuler les diverses
dimensions évaluatives de manière plus directe sont requises afin de tirer
des conclusions plus robustes.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Outre ce point, il est intéressant de relever que les deux études citées
n’ont pas montré de différences d’attention sélective pour les expressions
faciales en fonction de l’émotion représentée. Ceci peut être dû au fait que
le jeu d’expressions négatives utilisées ne comprenait pas que des expres-
sions de colère (l’expression redoutée par les PS). De plus, la tâche
s’organise autour de la compétition entre deux types de stimuli très diffé-
rents, des expressions faciales et des objets domestiques. Des couples
d’images mettant en compétition des expressions faciales seraient plus à
même de mettre en évidence un biais en faveur des expressions faciales
négatives.
400 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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résultats indiquent que les PS, comparés aux participants de contrôle,
montrent un biais d’attention sélective vers les expressions faciales de
colère par rapport aux expressions faciales neutres ou de joie lors de
présentations optimales (500 ms). Par contre, ce biais n’est plus présent
pour des présentations de 1 250 ms. Les participants de contrôle montrent
un biais d’attention sélective pour les expressions faciales de colère par
rapport aux neutres seulement lors des présentations plus longues
(1 250 ms). Ces résultats sont en accord avec les hypothèses des auteurs,
car ils montrent la présence d’une vigilance initiale chez les PS pour les
visages de colère. Cependant, ils n’indiquent pas d’évitement de la menace
ni de vigilance pour une présentation plus longue des stimuli. Ces données
suggèrent que les PS traitent de manière différente que les participants de
contrôle les expressions de colère et de joie lorsqu’elles sont présentées
pendant 500 ms. Ceci est consistant avec le MPC qui prédit que les PS
évaluent les expressions de colère comme plus pertinentes (et plus dange-
reuses) que les expressions de joie ou neutre. L’absence de biais pour ces
mêmes expressions à un temps de présentation plus long s’accorde avec
l’idée que les PS, après avoir détecté les stimuli menaçants, tendent à acti-
ver une réponse d’évitement de cette même information (Mogg et Bradley,
1998). La présence chez les personnes de contrôle d’un biais d’attention
sélective vers les expressions de colère plus tardif est interprétée comme
un comportement adaptatif (c’est-à-dire l’allocation d’un surplus de
ressources attentionnelles aux expressions de colère permettant de bien
évaluer si la personne constitue un obstacle à l’atteinte de ses propres
objectifs). En résumé, la présence d’un biais d’attention sélective chez les
SP suppose la présence d’un abaissement du seuil de détection de la stimu-
lation ou d’une réponse d’hypervigilance qui pourrait expliquer le fait que
les anxieux sociaux ont tendance à ressentir plus fréquemment de l’anxiété
que les individus non cliniques.
En dépit de leur intérêt, les études dont nous venons de parler présentent
plusieurs limites dont l’absence d’un groupe de contrôle clinique ou d’une
mesure des comorbidités (dépression, autres formes d’anxiété, etc.). Ainsi,
il n’est pas possible d’exclure que les résultats obtenus proviennent de trou-
bles émotionnels autres que l’anxiété sociale.
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 401
Tableau 13.2
Évidences empiriques relatives aux biais d’évaluation cognitive
dans le cadre de la phobie sociale.
Pertinence
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Biais d’attention sélective vers expressions faciales par rapport
intrinsèque
à objets domestiques en situation de menace sociale
(Sposari et Rapee, 2007).
Implication
Capacité de maîtrise
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tristesse ou de joie. Ces résultats confirment que les PS ont un seuil de détec-
tion de la colère plus bas que les personnes ne souffrant pas d’anxiété
sociale. Ceci est consistant avec le MPC qui prédit que l’expression de colère
est particulièrement pertinente pour les PS étant donné leurs préoccupations.
En résumé, l’ensemble de ces recherches suggère que les PS traitent les
expressions faciales de manière différente que les participants de contrôle.
Cette différence s’exprime au niveau des critères d’évaluation de l’agrément
intrinsèque et de la pertinence par rapport aux buts (Sposari et Rapee, 2005 ;
Chen et al., 2002 ; voir tableau 13.2). Les PS montrent un biais d’attention
sélective vers les expressions faciales de colère (du moins pour des temps de
présentation de 500 ms) par rapport aux expressions faciales neutres et de
joie. Ce résultat reflète une évaluation des expressions de colère comme étant
plus pertinentes que les expressions faciales neutres ou de joie (Mogg et al.,
2004 ; voir tableau 13.2). De plus, les PS ont besoin de moins d’information
que les personnes de contrôle ou souffrant de dépression pour reconnaître les
expressions de colère (Joorman et Gotlib, 2006 ; voir tableau 13.2). Ces
résultats renvoient à des difficultés dans le déclenchement d’une émotion,
c’est-à-dire à une incapacité à détecter dans l’environnement interne et
externe les objets/événements nécessitant une réponse émotionnelle.
Ils suggèrent que les PS présentent des biais dans les processus d’évalua-
tion de la pertinence de stimuli sociaux. Ceci peut mener au déclenchement
plus fréquent d’une réponse d’anxiété en contexte social alors que la situa-
tion n’est en réalité pas menaçante. Le déclenchement plus fréquent d’une
réponse d’anxiété serait lié à une tendance à éviter les situations sociales
redoutées. À leur tour, ces évitements seraient impliqués dans le maintien de
la phobie sociale car ils empêcheraient d’infirmer les croyances dysfonction-
nelles et d’entamer le processus de désensibilisation des situations anxiogènes
(Clark et Wells, 1995).
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sur les variables rétrospectives auto-rapportées. À l’aide de ce type de tâche,
Foa, Franklin, Perry et Herbert (1996) se fixent comme objectif l’étude chez
les PS (a) des biais dans l’estimation de la probabilité et des coûts d’un
événement négatif social, et (b) des modifications de ces biais suite à une
prise en charge cognitivo-comportementale. Pour ce faire, les chercheures
demandent à chaque participant de remplir le Probability Cost Questionnaire
(PCQ ; dérivé de Butler et Mathews, 1983 et McNally et Foa, 1987). Ce
questionnaire est constitué d’une série de quarante événements négatifs
(vingt sociaux et vingt non sociaux) dont il faut définir la probabilité
d’occurrence et le coût subjectif (c’est-à-dire le degré d’intensité du malaise
ressenti si l’événement devait se produire). Les résultats montrent que les PS
ont tendance à surestimer la probabilité d’occurrence des événements néga-
tifs liés à des situations sociales. De plus, les PS comparés au groupe de
contrôle, perçoivent ces événements comme plus coûteux. Finalement,
l’étude montre également que ces biais de jugements diminuent suite à une
thérapie cognitivo-comportementale. Cependant, même après la prise en
charge, les biais de jugement des PS restent plus élevés que ceux observables
chez les participants du groupe de contrôle. En résumé, les PS présentent un
biais d’évaluation cognitive caractérisé par une tendance à surestimer la
probabilité de survenue des événements sociaux négatifs, auquel s’ajoute
une sur-évaluation du coût subjectif de cet événement si par malchance il
venait à se produire. Ceci s’accorde avec l’idée que les PS présentent un
biais d’évaluation de la probabilité des conséquences associé à un biais dans
l’évaluation de l’ajustement. Dans le MPC, cette dernière évaluation cogni-
tive est l’une des facettes de l’évaluation du potentiel de maîtrise.
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être évité, changé ou contrôlé par un agent. Cette évaluation répond à la question
subjective : « Dans quelle mesure puis-je contrôler cet événement ? » L’évalua-
tion de sa propre puissance est définie comme l’évaluation par l’individu des
ressources dont il dispose pour influencer un événement évalué préalablement
comme contrôlable. Le terme « ressources » peut faire référence à de
l’argent, aux compétences sociales, à la connaissance ou encore à la force physi-
que. Cette évaluation permet de répondre à des questions de type : « Est-ce
que je dispose des ressources nécessaires pour changer les contingences et
les conséquences de l’événement dans le sens de mes intérêts ? » L’évalua-
tion de son propre degré d’ajustement se réfère à l’évaluation de ses propres
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capacités à « faire avec » les conséquences de l’événement. Dans l’ensem-
ble, toutes ces dimensions d’évaluation concourent à la détermination de sa
propre compétence à faire face aux événements non désirés ou, dit autrement,
à l’évaluation de son propre potentiel de maîtrise. Comme spécifié dans le cadre
du MPC, l’évaluation de son propre potentiel de maîtrise est, en outre, forte-
ment dépendante de l’évaluation de la cause de l’événement. C’est pourquoi,
bien que ce critère d’évaluation fasse partie de l’évaluation plus globale des
implications de l’événement, nous le développerons dans ce paragraphe.
Pour Weems et Silverman (2006), la notion de contrôle a été utilisée par
différentes approches dans des sens différents. Dans l’effort de rendre
compte des diverses formes de contrôle émotionnel relatées dans la littéra-
ture, Weems et Silverman (2006) proposent un modèle intégratif du contrôle
bidimensionnel (voir figure 13.2). Trois conceptions théoriques du contrôle y
sont mises en perspective sur deux dimensions de contrôle orthogonales : le
contrôle réel et le contrôle perçu. Les trois conceptions théoriques du contrôle
sont : le locus de contrôle, l’impuissance apprise et l’auto-efficacité. Chacune de
ces conceptions théoriques peut être mise en lien avec les dimensions d’évalua-
tion de l’événement citées ci-dessus (c’est-à-dire évaluation de la cause de
l’événement, évaluation de la contrôlabilité de l’événement et évaluation de sa
propre puissance face à l’événement).
Concernant le lieu de contrôle, Rotter (1966) indique que ce concept se
réfère au fait que la personne peut percevoir le contrôle sur une situation
donnée comme étant lié tantôt à des facteurs externes (comme la chance ou
le hasard), tantôt internes (comme sa propre performance). Ceci est très
proche de l’évaluation de la contrôlabilité d’un événement proposée dans le
cadre du MPC. Pour Weems et Silverman (2006), il est possible de distinguer
quatre formes de lieu de contrôle en fonction des évaluations réalisées sur le
contrôle réel versus perçu (voir figure 13.2). Les formes de locus de contrôle
problématiques sont celles dans lesquelles il y a une incongruence entre
l’évaluation du locus de contrôle perçu et réel, c’est-à-dire lorsqu’il apparaît un
biais d’évaluation de la contrôlabilité. Deux types de biais sont envisageables :
une sous-évaluation ou une sur-évaluation de la contrôlabilité de l’événe-
ment par rapport à sa contrôlabilité réelle. De nombreuses observations clini-
ques suggèrent que les PS sous-évaluent la contrôlabilité de l’événement.
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 405
Contrôle réel
Élevé
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Auto-efficacité basse Locus de contrôle interne correct
Locus de contrôle externe incorrect Évaluation correcte de la responsabilité
Déni de responsabilité Auto-efficacité élevée correcte
Contrôle perçu
Faible Élevé
Faible
Figure 13.2
Modèle du contrôle de Weems et Silverman (2006).
que les autres personnes. Par contre, ces deux groupes se différencient au niveau
de l’attribution du contrôle externe. Alors que les participants souffrant de
trouble panique montrent des scores plus élevés à la sous-échelle indiquant
que les événements sont uniquement déterminés par des facteurs aléatoires,
les PS montrent des scores plus élevés à la sous-échelle indiquant que ces
événements peuvent néanmoins être contrôlés mais uniquement par d’autres
personnes puissantes. Ce dernier résultat suggère que les PS tendent à penser
que les événements sont effectivement contrôlables (c’est-à-dire pas de biais
au niveau de l’évaluation de la contrôlabilité de l’événement), mais qu’eux-
mêmes ne disposent pas des compétences internes nécessaires à y faire face.
Dans ce sens, les PS présentent un biais d’évaluation de leur propre puissance.
406 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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rente. Ces biais dans l’évaluation causale des événements constituent un
facteur de vulnérabilité pour divers troubles émotionnels, et notamment
pour la dépression (Abramson, Seligman et Teasdale, 1978). L’attribution
causale proposée dans la théorie de l’impuissance acquise peut être mise en
lien avec la dimension d’évaluation de la causalité de l’événement du MPC.
Ici encore, Weems et Silverman (2006) mettent en perspective l’impuissance
acquise et les discordances entre contrôle réel et contrôle perçu. Pour les
auteurs, une attribution externe de la cause de l’événement alors qu’en réalité
l’événement pourrait facilement être contrôlé par soi-même reflète une
tendance au déni de responsabilité. Au contraire, une attribution interne de
la cause de l’événement alors qu’en réalité l’événement ne serait que faible-
ment contrôlable reflète une tendance à personnaliser. Dans le cas de la
phobie sociale, comme présenté dans le tableau 13.2, il est possible d’imagi-
ner que les PS ont tendance à attribuer les causes des événements sociaux
négatifs à eux-mêmes et des événements sociaux positifs aux autres. En
partant des prédictions formulées dans le cadre du modèle de l’« impuis-
sance acquise », Heimberg et al. (1989) étudient la spécificité du style
d’attribution interne, stable et global des événements négatifs auprès de diver-
ses populations cliniques. Pour cela, ils demandent à des personnes souffrant de
dépression ou d’anxiété (dont des PS et des agoraphobiques) et à des individus
de contrôle de répondre à une version modifiée du questionnaire de style
d’attribution (Peterson et al., 1982). Les résultats montrent que les dépressifs
ne se distinguaient pas des anxieux au niveau de leur attribution causale. Par
contre, les attributions causales de ces deux groupes cliniques se différencient
significativement de celles produites par des personnes de contrôles : les
personnes souffrant d’un trouble émotionnel présentent des attributions
causales des événements négatifs plus stables, globales et internes. Ces
résultats suggèrent que les anxieux sociaux (tout comme les dépressifs et les
agoraphobes) tendent à ramener l’évaluation des événements négatifs à des
facettes peu reluisantes, rigides et relativement peu spécifiques de l’évalua-
tion d’eux-mêmes.
La troisième conception théorique du contrôle s’organise autour du
concept d’auto-efficacité. Ce concept a été développé par Bandura (1977) et se
réfère aux croyances relatives à ses propres capacités d’atteindre un objectif.
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 407
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un but pertinent pour sa survie personnelle ou sociale. Autrement dit, dans le
cas de la phobie sociale, il est possible de prédire l’existence d’une sous-
évaluation de sa propre puissance spécifique aux situations sociales. Quel-
ques données s’accordent avec ces postulats. Muris (2002) a étudié la rela-
tion entre auto-efficacité et troubles émotionnels dans un large échantillon
d’adolescents tout-venants. Pour ce faire, il a administré aux participants une
batterie d’échelles mesurant l’auto-efficacité (Muris, 2001), l’anxiété trait,
l’anxiété pathologique et la dépression. Les résultats obtenus montrent qu’un
niveau bas d’auto-efficacité est lié à une forte anxiété trait, à des symptômes
anxieux et dépressifs généraux, ainsi qu’à des symptômes de phobie sociale.
Ceci s’accorde avec l’idée que les PS tendent à sous-évaluer leur propre
puissance lors des interactions sociales.
Finalement, la dernière dimension d’évaluation liée au potentiel de maîtrise
est l’évaluation par l’individu de sa propre capacité d’ajustement aux consé-
quences de l’événement. À ce propos, Foa et al. (1996) montrent que les PS,
par rapport à des personnes de contrôle, évaluent les événements sociaux
négatifs comme plus coûteux impliquant qu’une adaptation aux consé-
quences de ces événements leur serait plus difficile.
Cette dernière limite est souvent décrite sous le terme de biais de désirabilité
sociale. Elle constitue une limite à ne pas négliger dans l’étude des PS parti-
culièrement sensibles aux normes. Pour pallier ces limites, divers auteurs ont
récemment recommandé l’emploi de mesures implicites.
Dans cette optique, une voie prometteuse s’est mise en place à partir de
l’adaptation d’un paradigme de psychologie sociale, connu sous le nom de
Test d’Association Implicite (Implicit Association Test (IAT) Greenwald,
McGhee et Schwartz, 1998). Ce paradigme, couramment employé pour
évaluer les stéréotypes implicites, a été adapté par Greenwald et Farnham
(2000) comme mesure de l’estime de soi. Dans l’adaptation de cette tâche
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informatisée, les auteurs demandent aux participants de catégoriser des mots
se rapportant à leur propre identité ou à celle d’autrui (tels que « moi » ou
« autrui ») et des adjectifs émotionnels (tels que « positif » ou « négatif »).
Deux conditions sont présentées aux participants. Dans la première condition,
on leur demande de répondre le plus rapidement possible sur une même
touche, à l’apparition des mots se rapportant à leur propre identité et à des
adjectifs positifs (« moi » ET « positif »). Dans la seconde condition, on croise
les concepts de sorte à ce que les participants répondent, sur la même touche, à
l’apparition des mots liés à leur propre identité et à des adjectifs négatifs
(« moi » ET « négatif »). Généralement, les résultats montrent que les person-
nes sont plus rapides lorsqu’elles doivent répondre aux mots liés à leur identité
associée aux adjectifs positifs, suggérant l’existence d’un biais d’évaluation de
soi positif. Plus spécifiquement, cette rapidité relative suggère que, par rapport
au concept d’autrui, le concept de soi est plus fortement associé aux adjectifs
positifs qu’à ceux négatifs. La valeur obtenue à l’aide de cette tâche d’associa-
tion est considérée comme une mesure implicite de l’estime de soi, ou, autre-
ment dit, du système de croyances de soi stocké en mémoire sémantique.
En psychopathologie cognitive, l’IAT a été adapté à l’étude de nombreu-
ses croyances dysfonctionnelles implicites (De Houwer, 2002). Récemment,
Tanner, Stopa, et De Houwer (2006) ont présenté l’IAT à un échantillon de
personnes non clinique ayant des scores élevés ou bas d’anxiété sociale. Avant
de passer la tâche, on induit un état d’anxiété auprès des participants par
l’annonce d’une présentation orale à effectuer après avoir répondu à l’IAT.
Les résultats montrent que tous les participants présentent un biais d’estime
de soi implicite positif. Cependant, chez le groupe présentant des scores
d’anxiété sociale élevés cette attitude implicite est moins positive que chez
les moins anxieux. On peut supposer sur la base de ces résultats qu’une
personne avec une moins bonne estime de soi implicite pourrait tendre à sous-
évaluer sa propre performance en contexte social.
Le perfectionnisme dans le cadre de la PS a été étudié par Juster et al.
(1996). Ces chercheurs montrent une association entre phobie sociale et
perfectionnisme tel que mesuré à l’aide de l’Échelle multidimensionnelle de
perfectionnisme de Frost (The Multidimensional Perfectionism Scale (MPS) ;
Frost, Marten, Lahart et Rosenblate, 1990). Comme indiqué par les résultats
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 409
de cette étude, les patients souffrant de PS montrent des scores plus élevés
que les personnes de contrôles aux sous-échelles évaluant les préoccupations
concernant les erreurs, les doutes par rapport aux actions et la critique paren-
tale. Autrement dit, les PS doutent plus de leur performance et redoute plus
les erreurs que les autres personnes. Cette observation s’accorde avec l’idée
que les PS sont enclins à sous-évaluer leurs propres performances sociales et
à les évaluer comme étant incompatibles avec leurs standards internes et/ou
externes qui se trouvent être particulièrement tyranniques.
D’autres études ont porté sur les jugements que les PS portent aux interactions
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et aux performances sociales. Ces jugements sont en lien avec les dimensions
d’évaluation de la compatibilité par rapport aux standards. La grande majo-
rité de ces études utilisent un paradigme de récupération du souvenir d’un
événement autobiographique social (par exemple, une interaction avec une
autre personne, un exposé oral). On demande ensuite à la personne d’évaluer sa
propre performance lors de cet événement spécifique. Rapee et Lim (1992)
ont investigué la manière dont les PS jugent leur propre présentation orale et
plus particulièrement le fait qu’il existe ou non une différence entre perfor-
mance réelle – telle qu’elle est jugée par des observateurs – et l’auto-jugement.
Dans cette étude les participants sont réunis en groupe de 6-8 personnes.
Chaque personne, à tour de rôle, est invitée à prendre la parole pour effectuer
une présentation orale devant le groupe. À la fin de chaque présentation, chaque
personne du groupe évalue la performance de l’orateur, soit en remplissant un
questionnaire d’auto-évaluation (s’ils viennent de donner la conférence), soit
d’hétéro-évaluation (s’ils viennent d’assister à la présentation). Les présenta-
tions sont évaluées sur la base de critères globaux (par exemple, assurance
dégagée par l’orateur) et spécifiques (par exemple, tremblements dans la
voix). Les résultats indiquent que, d’un point de vue de l’évaluation faite par
les autres, la performance des PS ne diffère pas de celle des participants de
contrôle. En revanche, les PS par rapport aux personnes de contrôle évaluent
leur propre performance de manière nettement moins positive. De plus, chez
les PS, l’écart entre auto-évaluation et hétéro-évaluation est plus important.
Cette différence s’accorde avec l’idée que les PS étayent le jugement de leur
propre performance sociale à partir d’une représentation élevée des stan-
dards externes et internes. Ces croyances dysfonctionnelles impliquent des
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évaluent moins bien leur performance à venir. Chez les PS, l’information par
rapport aux standards sociaux module l’évaluation de leur propre perfor-
mance. Les PS ayant reçu une information de standards élevés ou n’ayant
reçu aucune information jugent leur performance plus négativement que les
personnes de contrôle. Par contre, les participants souffrant de PS ayant reçu
une information relative à des standards peu exigeants ne se différaient pas
des personnes de contrôle. En résumé, les personnes souffrant de PS tendent
à évaluer leur propre performance sociale de manière fortement négative.
Cette évaluation est modulée par l’information disponible relative aux standards
sociaux. Or, dans la vie courante, la définition des standards sociaux est souvent
peu explicite. Ainsi, cette information présente toutes les caractéristiques
d’ambiguïté propre aux informations soumises à des biais d’évaluations cogni-
tives. Dans le cadre du MPC, ces résultats suggèrent que les PS tendent à
utiliser « par défaut » des standards élevés. Le fait de sous-évaluer sa propre
performance et d’avoir l’impression de ne pas parvenir à satisfaire les atten-
tes que l’on attribue à autrui entraîne une incongruence entre sa propre
performance et les standards externes et/ou internes. Selon le MPC, cette
discordance conduit la personne à ressentir des émotions de honte et
d’anxiété. En conclusion, les évidences empiriques liées à l’évaluation de la
signification d’un événement social par rapport aux standards internes et
externes suggèrent que les PS ont tendance à sur-évaluer les standards et, de
ce fait, à sous-évaluer leur propre performance sociale.
SYNTHÈSE ET CONCLUSION
Dans ce chapitre nous avons tenté de montrer en quoi une approche cognitive
de l’émotion telle que celle soutenue par le MPC de Klaus Scherer contribue
à la compréhension des états psychopathologiques en général et de la phobie
sociale en particulier. Plus précisément, nous avons montré comment conceptua-
liser les données actuelles sur la phobie sociale en termes de biais d’évaluation
cognitive reliés au MPC. Ces biais constituent les soubassements cognitifs
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mances sociales fondée principalement sur une représentation des standards
externes particulièrement élevée.
Outre son intérêt théorique, cette conceptualisation de la PS comporte
diverses implications cliniques qu’il convient de rappeler brièvement. D’une
part, cette approche permet de spécifier les biais évaluatifs attendus dans le
cadre de la PS. Elle devrait permettre de construire des outils d’évaluation
des croyances et des évaluations dysfonctionnelles propres à la PS et/ou à un
symptôme particulier de la PS (Scherer, Sangsue et Sander, 2008). À terme,
ce développement devrait favoriser l’avènement d’une psychopathologie du cas
unique pouvant permettre de rendre compte des particularités individuelles.
En effet, l’expression de la PS est fortement variable d’une personne à une
autre. Or, le MPC auquel nous avons fait référence permet de rendre compte
de cette variabilité en identifiant l’apport respectif de chaque composante
évaluative impliquée sans devoir recourir à la définition d’une nouvelle caté-
gorie diagnostique. En cela, cette approche s’accorde avec une vision dimen-
sionnelle de la PS pouvant s’adapter à la description d’une multitude de
configurations symptomatologiques au sein d’un cadre théorique cohérent.
D’autre part, l’établissement d’un pattern détaillé de biais d’évaluation
cognitive devrait permettre de cibler des programmes d’intervention plus
spécifiquement orientés vers les dysfonctionnements cognitifs de chaque
personne souffrant de PS. Ceci devrait contribuer à augmenter l’efficacité de
la thérapie cognitivo-comportementale classique en la rendant plus spécifique
par rapport aux caractéristiques de chaque personne.
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complexes, il pourrait se révéler intéressant de se demander par quel méca-
nisme et à partir de quoi ces biais se développent. Cette question constitue un
autre versant de grande importance de l’étude des biais d’évaluation et se carac-
térise par l’identification de biais dispositionnels ou de facteurs de différence
individuelle (par exemple, des styles cognitifs, des traits de personnalité) pouvant
influencer les évaluations cognitives. Dans le cas de la phobie sociale, certains
auteurs ont montré un lien entre ce trouble et le style d’attachement (Eng,
Heimberg, Hart, Schneier, et Liebowitz, 2001), l’inhibition comportementale
(Biederman et al., 2001) ou encore le style cognitif de looming (Riskind,
Williams et Joiner, 2006). Ces derniers facteurs pourraient influencer de
manière relativement stable les processus d’évaluation cognitive de la situation.
De nouvelles études semblent cependant requises à la fois pour étendre la
description de ces facteurs et pour mieux expliquer les mécanismes condui-
sant aux symptômes phobiques en partant de ces différences individuelles.
Troisièmement, notre revue de la littérature ne nous permet pas d’aborder le
statut causal des biais d’évaluation cognitive dans l’apparition d’un trouble
émotionnel. Plus particulièrement, faut-il considérer les biais d’évaluation
cognitive comme des éléments de vulnérabilité ou bien plus comme des
conséquences des troubles émotionnels ? Est-ce que les biais d’évaluations
jouent un rôle dans l’étiologie du trouble et/ou dans son maintien ? En consi-
dérant que les principaux modèles actuels de la PS (Clark et Wells, 1995 ;
Rapee et Heimberg, 1997) mettent l’accent sur les facteurs de maintien du
trouble bien plus que sur son étiologie et son développement, l’élaboration
d’un modèle constructif des biais d’évaluation cognitive pourrait contribuer
à l’élaboration de programmes de prévention primaire et secondaire de la PS.
En conclusion, notre chapitre nous a permis de dégager un pattern spécifi-
que de biais d’évaluation cognitive de la situation propre à la PS adulte. Ce
savoir devrait nous permettre de construire des outils d’évaluation et d’inter-
vention fondés sur l’émotion pouvant contribuer à diminuer la souffrance des
personnes indisposées par leur anxiété en situation sociale. Enfin, de nouvel-
les études seront nécessaires pour investiguer le rôle joué par les biais
d’évaluation cognitive dans le développement et le maintien des troubles
émotionnels.
BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE 413
LECTURES CONSEILLÉES
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INDEX DES NOTIONS
A attentes 50
action readiness 95, 214 attention spatiale 150
action units (AU) 85 attribution causale 49, 212
activation (arousal) 18, 25, 33, 35, 90, 140 automatisation 268
activité autorégulation (self-regulation) 262
– cardiovasculaire 162 B
– électrodermale 163
belief in a just world 184
– motrice 165
besoins 191, 196
adaptations psychologiques 13
– d’accomplissement 199, 202
affect 25
– d’appartenance 197
Affective Event Theory (AET) 342
– d’auto-accomplissement 197
agrément 35 – d’estime 197
– intrinsèque 48 – de sécurité 196
ajustement 53 – physiologiques 196
amorçage perceptif 179 biais d’évaluation cognitive 383, 391, 393
amygdale 26, 56, 150, 280 buts 191
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
circumplex 36 cultures 30
climat – individualistes 23
– émotionnel 354
– social 355 D
coder 83 daily hassles 294
cognition 24, 25 déclenchement 10
– chaude 16 décodage 30, 32, 113, 127
collectivistes 23 defense cascade model 208
communication 134, 142 définition
– vocale 32 – de l’émotion 10
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compétences émotionnelles 308, 374 – de la cognition 26
comportement organisationnel 343 dépression 203
composantes désagrément 35
– de l’émotion 3 détection de la pertinence 47
– électrophysiologiques induites 73 différences
compréhension des émotions 376 – culturelles 30
computations – individuelles 22, 23, 374, 381
– cognitives 26 différenciation 10, 16
– émotionnelles 26 – des émotions 28, 46
concept unidimensionnel de l’activation dimensions
172 – du sentiment 35
conductance de la peau 163, 174, 175, – émotionnelles 137
176, 184, 185, 186, 202, 208 display 142
conflit 203 display rules 93, 142
connectivité fonctionnelle 153 dispositions d’action 173
conscience 60, 233, 235 douleur 35
constructivisme social 37 drive 197
contagion émotionnelle 340
contrôle 52 E
coping 20, 262, 289, 291, 372 ébruitement non verbal
– centré sur l’émotion 299 (non verbal leakage) 83, 94
– centré sur le problème 299 échec 200, 212
Corrugator supercilii 173, 184, 186 écologie comportementale (behavioral eco-
cortex logy) 93
– auditif primaire 146 effet Pygmalion 171
– cingulaire antérieur (CCA) 278, 280 efficacité 304
– dorsolatéral préfrontal (CDLPF) 280 efficience 304
– orbito-frontal 150 électro encéphalographie (EEG) 278, 279
– orbitofrontal (COF) 278, 280 électrocardiogramme 162
– préfrontal (CPF) 277 électroencéphalographie 56
– visuel 150 électromyogramme 165
covariation 173 électromyographie de surface 99
critères 20 EMFACS (EMotion FACS) 89
– d’évaluation de stimulus 46 emotional labor 345
culpabilité 23 emotion-focused coping versus problem-
– collective 326 focused coping 299
INDEX DES NOTIONS 469
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Geneva Appraisal Manipulation Environ-
encodage 30, 113 ment 104
endogroupe 322, 325, 326 gestion
entreprise 333 – des émotions 377
estime de soi 24 – du stress 302
évaluation 20 Global Field Power 71
– ambulatoires 310
– cognitive 41, 43, 97, 295, 324 H
– cognitive (appraisal) 9 habitudes 198, 204
– primaire (primary appraisal) 20, hippocampe 26
295, 296 homéostasie 161, 198
– secondaire (secondary appraisal) 20, honte 23
295, 296 hypothèse de rétroaction faciale (Facial
événements de vie majeurs 294 Feedback Hypothesis) 5
évitement 210
I
évolution 11
excitation 35, 36 identification 323
– sociale 322
exogroupe 324, 325, 326
identité
expressions
– personnelle 329
– faciales 29, 77, 79
– sociale 329
– motrices 29
implication 47, 49
– vocales 32, 109, 114 impulsivité 209
extension du bras 220 incitation 198
Extensor digitorum 185 indices
extinction auditive 152 – de contrôle 83
extraversion 202 – de tromperie (deception clues) 83, 94
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
individu 363
F
intégration 225, 230
face fusiform area 148 – multimodale 155
facilitation/obstruction aux buts-besoins intelligence émotionnelle 308, 374
51 intensité 141
FACS (Facial Action Coding System) 85, – acoustique 118
105, 112, 176 interactions 344
feedback proprioceptif 28 – sociales 81
feeling 225 International Affective Picture System 173
feeling rules 345 intonation 131
flexion du bras 220 IRM 279
470 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
J O
jugements perceptifs 117 organisation biphasique des émotions 207
juger 83
P
L panique 209
labels 18 paramètre acoustique 125
– émotionnels 36 patterns 174
locus de causalité 212 – de réponse 28
loi – innés d’action (fixed action patterns)
44
– d’Ohm 164
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perception des émotions 376
– de l’effet 198
personnalité 292, 359
M pertinence 47
phase
marqueurs somatiques 7
– d’épuisement 293
mécanismes de défense 263, 292
– de résistance 293
mélanges d’émotions (emotion blends) 21 phénomènes affectifs 363, 364
mere exposure effect 24 phobies 13
modèles – sociales 383, 386
– biopsychosocial 183 plaisir 35
– circulaires (circumplex model) 90 plans 191
– des « cinq facteurs » 368 positif 35
– des afférences somatoviscérales de position « périphérique » ou « périphéra-
l’émotion 179 liste » 5
– des processus composants 44 potentiels
– dimensionnels 56 – de maîtrise (coping potential) 21, 47,
– du contrôle 405 51
– en lentille 134 – évoqués 69
– en trois facteurs 364 préférences 24, 25
– neuro-culturel 93 préparation
– à l’action 95
– transactionnel du stress et du coping
293 – de comportements adaptatifs 192
– preparedness 13
module de peur 13
pression
motivation 189, 191
– artérielle 163, 175
– comme antécédent 194
– diastolique 163, 178
– comme conséquent 194
– systolique 163
– d’accomplissement 214 prévisibilité 36
N primauté
– de l’affect 24, 26
négatif 35 – de la cognition 24
neuroscience cognitive 68, 112, 144 probabilité des conséquences 50
névrotisme 202 problème de la séquence 8
niveau de la conductance de la peau 183 processus émotionnels 381
niveaux de traitement 60 programmes neuro-moteurs 28, 29, 30,
normalisation 345 31, 176
nouveauté 48 prosodie émotionnelle 146
INDEX DES NOTIONS 471
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– absolue de l’émotion 181
– centrée sur la situation 270, 285
– de l’émotion associée aux comporte-
– centrée sur soi 270, 285
ments prototypiques 182
– cognitive 270, 272, 284
– de la déviation du contexte 181
réévaluation (reappraisal) 20, 54, 270, spectrogramme 120
272, 295
stabilité des causes 212
règles standards
– d’expression (display rules) 82 – externes 54
– de gestion cognitives et comporte- – internes 54
mentales 305 stimulus evaluation checks 46
– sociales 345 stratégies
régulation 142, 269 – d’évitement 306
– des émotions 259 – de coping 295, 298
– du vécu émotionnel 306 – de gestion 291
– émotionnelle 262, 345, 346 – de palliation 299
– émotionnelle extrinsèque et intrinsè- stress 289, 293
que 272 stresseurs 291
relations intergroupes 315 style de coping 292
réorientation active 299 substitution de renforçateurs 299
réponse émotionnelle 29 succès 200, 212
représentations 230 support social 308
– corporelles 229 suppression 269
– émotionnelle 273
répresseurs 160
synchronisation 227, 229, 244
réseau neuronal 75
syndrome
résilience 301
– du stress 293
respiration 175
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trait EI 378
– à l’approche 203
transactionnel 295
– à l’évitement 203
tendances à l’action 9, 189, 191, 325 travail 333
tension musculaire 175, 178 – émotif 345
TEP 279 two factor theory of emotion 19
Test d’Association Implicite 408
U
théories
– bi-dimensionnelles 36 universalité 87
– bi-factorielles de l’émotion 18 urgence 51
– centralistes 7 utilisation des émotions 377
– cognitives de l’émotion 17
– cognitives multicomponentielles 97
V
– de l’émotion intergroupe (TEI) 318 valence 35, 36, 56, 208
– de l’évaluation cognitive (appraisal) valeurs 191
19, 20 verbalisation des sentiments 36
– de la cognition incarnée » (embodied voice sensitive area 148
cognition) 7 voisement 118
– de la rétroaction corporelle (proprio-
ceptive feedback theories) 5 Z
– des émotions de base 28, 56 Zygomaticus major 173, 186
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INDEX DES AUTEURS
A Blascovich J. 183
Abramson L.Y. 406 Bower 58
Adolphs R. 59 Branscombe N.R. 327
Ainsworth M.S. 66 Brauburger A.L. 346
Anderson A.K. 250 Brief A.P. 335
Anderson N.H. 235, 238, 239 Brosch T. 14, 35
Brunswik E. 134, 135
Aristote 35, 264
Arnold M.B. 20, 46 C
Ashforth B.E. 335 Cacioppo J.T. 34, 174, 178, 179, 220
Asun 354 Cannon W. 7, 61, 167
Aue T. 57, 186, 221 Carroll J.M. 30, 31, 92
Avison W.R. 294 Cartwright-Smith J. 5
Ax AQ.175, 177 Caruso D. 377
Cervone D. 374
B
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Chovil N. 94
Bagby M.R. 252 Clark D.M. 387
Bandura A. 309, 372, 406 Clore G.L. 237
Banse R. 32, 33, 118 Cohen-Charash Y. 342
Bard 7 Cohn J. 85
Barsade S.G. 340 Colombetti G. 35
Bavelas J.B. 94 Cooper C. 368
Beauregard M. 250, 264, 281, 282, 283 Costa P.T. 364, 366, 368
Beck A. 388 Craig A.D. 251
Berkowitz 27 Critchley H.D. 251
Black A. 94 Cropanzano R. 339
474 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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Devos T. 325 Humphrey R.H. 335
Doosje B. 327
Doré F.Y. 30
I
Duffy E. 33, 172 Isen A.M. 340
Dumont M. 323 Izard C.E. 29, 30, 64, 82, 87, 176, 351, 377
J
E
James W. 4, 25, 61, 167, 232
Edwards P. 241
Johnstone T. 120, 121
Ekman P. 6, 29, 30, 34, 79, 81, 82, 83, 85,
Jurgens V. 119
87, 88, 89, 93, 104, 176, 228, 240
Juslin P.N. 113, 117, 119, 121, 132
Ellgring H. 31
Ellsworth P.C. 36, 58, 79, 82, 97, 98, 367 K
Ethofer T. 152 Kaiser S. 98, 100, 104, 105
Eysenck H.J. 202, 209, 364, 365 Kappas A. 82
Kasch K.L. 107
F Kirouac G. 30
Fineman S. 335 Kleck R.E. 5, 82
Folkman S. 291, 296 Koenig O. 27
Fontaine J.R. 36 Kotz S.A. 146
Freud S. 264, 292 Krause R. 82
Fridlund A.J. 81, 93, 94 Kunst-Wilson 24
Friesen W.V. 6, 79, 81, 82, 85, 88, 93
L
Frijda N. 9, 95, 96, 97, 98, 214, 242, 257
Lambie J.A. 230, 246
G Lane R.D. 238
Galati D. 30 Lang P. 173, 178, 207
Lange C. 4, 25, 61, 167
Garcia-Prieto P. 321
Lanzetta J.T. 5, 82
George J.M. 340
Laukka P. 113, 117, 119, 121, 132
Goleman D. 335, 375
Lazarus R. 20, 24, 25, 46, 54, 58, 183, 265,
Gonzales 354 291, 296, 342
Gosselin P. 30 Leach 328
Gotlib I.H. 107, 294 LeDoux J.E. 26
Grafman J. 14 Levenson R.W. 6, 34, 82, 176, 177, 178
Grandey A.A. 344, 346 Levental H. 60
Gray J. 208 Liberzon I. 229
INDEX DES AUTEURS 475
M R
Mackie D.M. 318, 321, 322, 324 Reicherts M. 305
MacLean P.D. 65 Ricci-Bitti P. 30
MacLeod C. 397 Rivolier J. 293
Roberts R. 302
Marc-Aurèle 264
Robinson M.D. 237
Marcel A.J. 230, 246 Rochat P. 66
Martin S. 6 Roesch E.B. 36
Maslow A.H. 196 Roseman I.J. 55, 97
Mathews A. 397 Rosen J.B. 226
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Matsumoto D. 82, 267 Rosenberg M. 372
Matthews G. 302 Rottenberg J. 107
Rotter J.B. 309, 404
Mayer J.D. 375, 377
Rotteveel M. 221
McAdams D.P. 363 Russell J.A. 30, 31, 36, 90, 91, 92
McCrae P.T. 364, 366, 368 Ruys K.I. 10
McHugo G.J. 82
Mesquita B. 23 S
Miller N.E. 203 Salovey P. 308, 375, 377
Mineka S. 13 Sander D. 14, 27, 43
Schabracq M. 368
Mischel W. 367
Schachter S. 17, 18, 19, 28, 33, 168
Moors A. 35 Schein E.H. 354
Mordkoff A.M. 20 Scherer K.R. 10, 14, 60, 98, 100, 104, 118,
Mullett J. 94 185, 186, 194, 195, 221, 226, 227, 228,
Murray H. 199 243, 246, 270, 321, 347, 367, 368, 394
Schirmer A. 146
N Schlosberg H.A. 90
Niedenthal P.M. 7 Schmidt S. 100
Schulkin J. 26, 226
O Scott H.S. 98, 99
Ochsner K. 264, 270, 283, 284, 286, 288 Seager W. 230
Seligman M.E.P. 13, 406
Öhman A. 13, 27, 171
Selye H. 293
Olsson A. 13 Sergerie K. 14
Ortony A. 98 Shoda Y. 367, 374
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Taylor S.F. 229 Weiss H.M. 335, 339
Tcherkassof A. 95, 97, 98 Wells A. 387
Teasdale J.D. 406 Wildgruber D. 152
Thayer J.F. 238 Woodworth R.S. 90
Thompson B.L. 226 Wranik T. 371
Tomaka J. 183 Wundt W. 35, 81, 90
Tomkins S.S. 5, 28, 29, 82, 87, 176, 240
Totterdell P. 341 Y
Tourangeau R. 82
Yzerbyt V.Y. 322, 323
Tran V. 347
Travers C. 368 Z
Turner T.J. 98
Tye M. 235 Zajonc R. 24, 25, 27
Zalla T. 14
V Zeeman E.C. 244
Valins S. 170 Zeidner M. 302
TABLE DES MATIÈRES
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LISTE DES AUTEURS III
SOMMAIRE IV
REMERCIEMENTS VII
AVANT-PROPOS IX
Introduction 3
1 Définition : Qu’est-ce qu’une émotion ? 4
1.1 La théorie de James-Lange 4
1.2 L’émotion en tant que concept hypothétique et multicomponentiel 8
2 Pourquoi avons-nous des émotions ? 11
2.1 La signification des émotions au cours de l’évolution 11
2.2 L’émotion comme système social de signalisation 14
2.3 L’émotion permet un comportement plus flexible 15
3 Différenciation : comment les émotions sont-elles déclenchées
et différenciées ? 16
3.1 Quelques notions philosophiques 16
3.2 La théorie de Schachter et de Singer de l’émotion 17
3.3 Les théories de l’évaluation cognitive (appraisal) 20
478 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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Conclusion 38
Lectures conseillées 39
Introduction 43
1 Le modèle des processus composants 44
2 Théorie des critères séquentiels dans la différenciation des émotions 46
3 La nature des critères d’évaluation de stimulus 47
3.1 Détection de la pertinence 47
3.2 Évaluation de l’implication 49
3.3 Potentiel de maîtrise 51
3.4 L’évaluation de la signification normative 53
4 Hypothèse d’un décours temporel séquentiel de l’appraisal 58
4.1 Arguments pour un décours temporel des évaluations cognitives 64
4.2 Études électroencéphalographiques de la dynamique
du processus d’évaluations cognitives 70
Conclusion et futures perspectives 75
Lectures conseillées 76
Quelques expériences fondamentales 76
Introduction 79
1 Les aspects multi-fonctionnels de l’expression faciale 80
TABLE DES MATIÈRES 479
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5 Expressions faciales et émotions : différentes approches théoriques 87
5.1 Théorie des émotions discrètes (Tomkins, Ekman, Izard) :
émotions de base 87
5.2 Une approche dimensionnelle-contextuelle
des expressions faciales (Russell) 90
5.3 Une approche comportementale écologique
des expressions faciales (Fridlund) 93
5.4 Les expressions faciales comme modes de préparation
à l’action (Frijda) 95
5.5 Les théories cognitives multicomponentielles :
expression faciale et évaluation cognitive (appraisal) 97
6 Étude des expressions faciales et de l’appraisal
dans un cadre expérimental interactif 104
Conclusion 107
Lectures conseillées 107
Sites web 108
Quelques expériences fondamentales 108
Introduction 111
1 Revue des méthodes utilisées et des principaux résultats obtenus 113
1.1 Encodage – caractéristiques vocales des émotions exprimées 114
1.2 Décodage – reconnaissance des expressions vocales émotionnelles 127
2 Paradigme du modèle en lentille de Brunswik appliqué
à l’étude de la communication vocale des émotions 134
3 Problématiques générales 137
3.1 Catégories et/ou dimensions émotionnelles considérées 137
480 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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CHAPITRE 5 PSYCHOPHYSIOLOGIE DES ÉMOTIONS (Tatjana Aue) 157
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Introduction : l’importance de la motivation et de l’émotion 191
1 Motivation comme antécédent et conséquent
du processus émotionnel 194
2 Motivation comme antécédent 195
2.1 Définition des buts à court terme, à moyen terme et à long terme 195
2.2 Classification des besoins selon Maslow 196
2.3 Théorie du drive selon Hull 197
2.4 La motivation d’accomplissement selon Atkinson 199
2.5 La théorie de la personnalité selon Eysenck 202
3 Motivation comme conséquent 203
3.1 Modèle de conflit de Miller 203
3.2 La théorie psycho-évolutive des émotions selon Plutchik 205
3.3 Organisation biphasique des émotions selon Lang 207
3.4 L’organisation de la motivation selon Gray 208
3.5 Approche et retrait selon Davidson 211
4 Motivation et tendances à l’action dans les théories d’appraisal 212
4.1 La théorie d’attribution de Weiner 212
4.2 Appraisal et tendances à l’action selon Frijda 214
Conclusions et futures perspectives 217
Lectures conseillées 219
Quelques expériences fondamentales 220
Introduction 225
482 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
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237
2.1 Intégration de l’information 237
2.2 Intégration de l’information et intensité du sentiment subjectif 241
2.3 Chunking ou persistance de la synchronisation 244
3 Techniques et méthodes de mesure du sentiment subjectif 245
3.1 Approches 245
3.2 Pondération des composantes 247
3.3 Dissociation entre rapport verbal et mesures objectives 247
3.4 Induire le sentiment subjectif 248
3.5 Quelques recherches sur les systèmes neurologiques
impliqués dans le sentiment subjectif 250
Synthèse et conclusion 253
Lectures conseillées 255
Quelques expériences fondamentales 256
Introduction 261
1 Définition de la régulation émotionnelle 262
2 L’histoire de la régulation émotionnelle 264
3 Pourquoi réguler ? 266
4 Types de régulation émotionnelle 268
5 Effets cognitifs et physiologiques de la régulation émotionnelle 272
6 Les bases neuronales de la régulation émotionnelle 277
Conclusion 285
Lectures conseillées 286
Sites web 287
Quelques expériences fondamentales 288
TABLE DES MATIÈRES 483
Introduction 291
1 Origines du concept de coping 291
2 La recherche sur le coping 292
3 Le concept de stress 293
4 Le modèle transactionnel du stress et du coping 294
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4.1 L’évaluation cognitive 295
4.2 Les stratégies de coping 298
4.3 Fonctions du coping : problème versus émotion 299
4.4 Conclusions relatives au modèle transactionnel 301
5 État actuel 302
5.1 Instruments de mesure 303
5.2 Principales dimensions de coping 303
5.3 Coping adapté versus inadapté 304
5.4 Corrélats d’un coping adapté 307
Conclusion 309
Lectures conseillées 310
Site web 310
Quelques expériences fondamentales 311
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ET DU TRAVAIL (Véronique Tran) 333
Introduction 335
1 Historique 336
1.1 La satisfaction au travail 337
1.2 La progression vers l’engouement actuel pour les émotions 338
2 L’affect et l’humeur 339
3 Plaidoyer en faveur des émotions dans l’entreprise 341
4 L’Affective Event Theory (AET) 342
5 La régulation émotionnelle 345
6 Les émotions et leurs conséquences 346
6.1 Les émotions d’accomplissement 347
6.2 Les émotions d’approche 350
6.3 Les émotions de résignation 351
6.4 Les émotions antagonistes 352
7 Le climat émotionnel 354
Conclusion 355
Lectures conseillées 356
Site web 356
Quelques expériences fondamentales 356
Introduction 361
1 La personnalité et les émotions : du point de vue de l’individu 363
1.1 Les théories de la personnalité appliquées
aux phénomènes affectifs 363
TABLE DES MATIÈRES 485
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Lectures conseillées 382
Introduction 385
1 La phobie sociale 386
1.1 Description et données épidémiologiques 386
1.2 Modèle cognitif de la phobie sociale 387
2 L’approche cognitive en psychopathologie 388
2.1 Limites de l’approche cognitive classique 389
3 Les troubles émotionnels dans le cadre du MPC 391
3.1 Évaluation cognitive et dispositions affectives 392
3.2 Biais d’évaluation cognitive 393
3.3 Biais d’évaluation cognitive dans le cadre de la phobie sociale :
prédictions 395
3.4 Biais d’évaluation cognitive dans le cadre de la phobie sociale :
évidences empiriques 397
Synthèse et conclusion 410
Lectures conseillées 413
BIBLIOGRAPHIE 414