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LA
GRAPHOLOGIE
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L A
G R A P H O L O G I E

Mis e n oeuvre par


P i e r r e FAIDEAU

M A.Editions
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Ouvrage publié sous la direction de Michel Picar


©L^A.^diti^, 1989
8, ruedB^r^rtaère -g» 5006 Paris
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LES AUTEURS.
P i e r r e FAIDEAU
Graphologue-conseil (Groupement des graphologues-conseils de France). Expert en
écriture près la C o u r d'appel et agréé par la Cour de cassation.

C o l e t t e COBLENCE
Examinatrice et professeur à la Société française de graphologie. Conférencière,
spécialiste de l'origine de l'écriture.

M i c h e l i n e DELAMAIN
Professeur et vice-présidente honoraire de la Société française de graphologie. La
permanence graphologique de Crépieux-J<*min à nos jours.

N i c o l e BORIE
Graphologue-conseil pour plusieurs entreprises, banques et laboratoires. Membre de
la Chambre des Ingénieurs-conseils et du Groupement des graphologues-conseils de
France.

A n n e - M a r i e SIMOND
Examinatrice et professeur à la Société française de graphologie. Ancienne
responsable des monographies au Groupement des graphologues-conseils de France.
Clientèle privée d'industriels.

C a t h e r i n e d e BOSE
Pratique et enseigne la graphologie à Genève. Traductrice de nombreux articles sur
la graphologie allemande. Membre de la Société Suisse de graphologie et du
Groupement des graphologues-conseils de France.

R o s i n e d e GOURSAC
Psychanalyste freudienne, Professeur à la Société française de graphologie et au
Groupement des graphologues-conseils de France.

C h r i s t i a n e VERNIER
Professeur à la formation du Groupement des graphologues-conseils de France.
Graphologue p o u r plusieurs entreprises : cabinets d'expertises comptables, compagnie
d'assurances, banque.

C l a u d e BOURREILLE
Psychanalyste membre associée de la Société française de psychologie analytique.
Professeur à la Société française de graphologie.

Janine MONNOT
Psychologue szondienne. Professeur à la Société française de graphologie.
Vice-présidente de l'Association Zen internationale. Clientèle privée et industrielle.

J a c q u e l i n e PEUGEOT
Présidente de la Société française de graphologie et directrice de sa revue « La
Graphologie ». Spécialiste des écritures d'enfants et d'adolescents, elle assure une
consultation au Centre psychopédagogique Claude Bernard depuis 20 ans.

* Dans l'ordre de la table des matières, à laquelle on se reportera en fin d'ouvrage.


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Madeleine de NOBLENS
Spécialiste des écritures d'adolescents. Membre du Groupement des
graphologues-conseils de France. Professeur à la Société française de graphologie.
Madeleine BÉCHU
Professeur à la Société française de graphologie et au Groupement des
graphologues-conseils, dont elle est l'ancienne secrétaire général. Clientèle
professionnelle.
Charlotte DUGUEYT
Membre du Groupement des graphologues-conseils de France, Clientèle industrielle
et bancaire.
Suzanne BRESARD
Présidente d'honneur de la Société française de graphologie. Psychologue-conseil en
orientation professionnelle. Membre du jury de la Fondation de la vocation depuis
22 ans. Décorée de l'Ordre de Léopold pour la graphologie.
Jacqueline BERTHELOT
Ancienne responsable de l'enseignement au Groupement des graphologues-conseils
de France. Professeur à la Société française de graphologie et au Groupement des
graphologues-conseils de France. Clientèle professionnelle.
Germaine TRIPPIER
Responsable des examens de la Société française de graphologie et du Groupement
des graphologues-conseils de France. Clientèle industrielle.
Martine FREUDIGER
Professeur au Groupement des graphologues-conseils de France. Clientèle
d'industriels et Cabinets d'orientation.
Denise de CASTILLA
Expert en graphologie et en psychologie près de la Cour d'appel. Criminologue et
analyste. Clientèle d'industriels et élèves.
Docteur Claude VILLARD
Vice-président de la Société française de graphologie. Membre du Groupement des
graphologues-conseils de France. Psychographologue des écritures. Clientèle privée
composée de plusieurs laboratoires pharmaceutiques.
Fanchette LEFÉBURE
Professeur au Groupement des graphologues-conseils de France. Psychologue,
attachée de recherche à la Salpétrière pendant 8 ans. Spécialiste de l'évolution sous
l'angle szondien.
Claude J. BELIN
Chargé d'enseignement à la faculté de médecine de Besançon depuis 11 ans. Membre
du comité directeur de la Société internationale de psychopathologie de l'expression.
Marie-Thérèse PRÉNAT
Membre titulaire du Groupement des graphologues-conseils de France. Secrétaire
général de la Société française de graphométrie. Enseignante en graphométrie.
Clientèle privée : Cabinets de conseils et recrutements, industriels, Chambres de
commerce.
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E N GUISE
D'OUVERTURE

Ouvrir un livre, c'est comme commencer l'année. Q u e sera-t-il ? Q u e


va-t-il contenir ?
Ouvrir un livre de graphologie, c'est déjà être orienté : on s'attend à
quelque chose qui, s'appuyant sur l'écriture, nous conduit vers la recherche
de celui ou de celle qui se nichent derrière des pleins et des déliés, une forme,
une mise en page.
Le mouvement de la main qui tient ce merveilleux instrument à écrire —
qu'il soit plume, crayon, bille ou feutre — mouvement du haut vers le bas,
déclenche un surprenant et immédiat processus de création : la naissance d ' u n
être unique, d ' u n individu, d ' u n e personne semblable à nulle autre.
Ce mouvement du h a u t vers le bas que l'on sait interpréter en graphologie,
pose une graine sur ou dans le support qu'est la feuille de papier. Graine qui
éclot dans l'instant en se déroulant dans un tracé qui ménage des blancs.
G.E. Magnat* posait la question : « Par quel moyen la personne qui écrit
passe dans l'encre de sa plume » ? Question essentielle !
Il montrait là son goût p o u r le trait, la coulée d'encre, la pression, qui sont
le moteur, le potentiel de l'être.
Il sous-entendait aussi cette mutation symbolique qui résume dans un
tracé les axes de vie qui disent notre démarche de chaque jour, arrière vers
I avant, droite et gauche, chacune de ces zones ayant ses significations
propres, nuancées, amoindries ou accusées par son échange avec les autres
pôles.
Les différents chapitres de ce livre vont se moduler dans cette optique sans
que cela soit nécessairement voulu par leurs auteurs.
Quoi qu'il en soit, Michon, Crépieux-Jamin, Klages, Pulver, et H e g a r à
un degré moindre, sont les graphologues d'amont, d'hier, qui o n t permis la
graphologie allemande après Klages, la graphométrie et d'autres en mutation.
La graphologie de l'enfant est une genèse du geste graphique, d ' a m o n t
aval, vers l'avenir, vers la graphologie de l'adolescent ; écritures avec leurs
lois propres qui ne sont pas encore celles des écritures adultes.

G.E. Magnat, mort en 1960, ancien président de la Société suisse de graphologie. Graphologue
*s intuition fulgurante, il voyait vivre le scripteur à travers son tracé. Auteur de Poésie de l'écriture,
e Une Suite à poésie de l'écriture et de Portraits de quelques musiciens.
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L'approche de la graphologie par la psychanalyse, qu'elle soit éclairée par


Freud, Adler, Jung où Szondi, favorise en cas de succès, une élaboration qui
fait avancer, mais en passant par une compréhension nouvelle qui impose une
action nouvelle : l'axe symbolique de la gauche, de la droite, axe perpendi-
culaire à celui vers l'avanr', est alors mobilisé car il fait barrage pour un temps
à l'adaptation troublée afin de la mettre en mouvement dans une visée plus
sereine.
L'orientation et l'adaptation professionnelles, si délicates en graphologie
car elles abordent un terrain mouvant, celui de l'écriture qui n'a pas encore
son assise définitive, celui du métier où il faut s'adapter sans cesse en fonction
de l'époque et de l'entourage, sont étroitement imbriquées dans ces axes
symboliques.
Ces axes, dans leurs rapports réciproques, sont en détresse avec des
carences ou des exagérations qui perturbent l'être dans son substrat, tout
particulièrement dans les écritures de grands délinquants ou de malades,
quand ceux-ci vivent une débâcle, qu'elle soit physique ou mentale.
Le mouvement du haut vers le bas, qui engendre le trait, est toujours
présent avec sa force propre ou ses malaises perpétués et signifiés sur les
autres plans de l'écriture.
Le graphologue dans sa pratique vit nécessairement ces axes symboliques
car comme est le graphologue, sont ses résultats, en dépit de sa technique,
je n'ose dire de sa science.
Il doit être épuré par un constant effort sur soi, qui aboutit en fin de
compte à une élaboration qu'une psychanalyse n'aurait pas nécessairement
réussie : on parle avec un certain sourire de la « belle écriture des grapho-
logues ». Qui de nous n'a effectivement changé quelques formes lors de ses
premières approches de cette science humaine, technique d'analogie ?
Mais qui de nous peut avoir une action directe sur le trait, précipité du
haut vers le bas, et du bas par le haut ?
Qui de nous peut transformer son rythme original, animation de tout le
tracé dans ses grands axes symboliques ?
Qui de nous peut modifier la structuration des blancs de l'écriture, dans leur
accueil du trait et du tracé ?
La graphologie est aussi une démarche intérieure, qui fait avancer,
progresser tant il est vrai que l'oubli de soi, d'un soi assuré, est la seule
attitude qui permette la rencontre avec l'autre par son écriture.
C'est la surprenante aventure d'une plume se posant sur une feuille que
vont nous conter 23 graphologues professionnels, chacun avec son tempéra-
ment, en fonction de ses goûts et réflexions qui, dans la plupart des cas
présents, sont à l'aboutissement de toute une vie de recherche.
La graphologie va nous montrer ici ses différents visages.
Pierre Faideau

* Se reporter au chapitre Dimension intérieure de la graphologie.


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H I S T O I R E
E T
M É T H O D E S
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1 .

MICHON
LE P R É C U R S E U R

LA PRÉ-GRAPHOLOGIE
Parler de Jean-Hippolyte Michon (1806-1881) c'est considérer la grapho-
logie à ses véritables débuts, ceux qui annoncent la graphologie d'aujour-
d'hui.
Mais avant Michon était l'écriture, et l'écriture, de tout temps, a suscité
curiosité et intérêt : manifestations de curiosité assez isolées d'abord, pour
devenir ensuite marques d'un intérêt des plus sérieux lié, d'une part au
développement de l'instruction (donc à la généralisation de l'expression
graphique), d'autre part à l'approfondissement de l'étude du caractère, à la
connaissance de l'homme et de tout ce qui s'y rattache.
S'il est risqué de remonter à Aristote, on peut par contre citer Suétone,
biographe de l'empereur Auguste, qui relève certaines particularités dans
l'écriture impériale.
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Puis, le célèbre traité de Camillo Baldo, Trattato come de una lettera missiva
sè conoscano la natura et qualità dello scrittore, datant de 1622. Cet ouvrage,
à peu près ignoré en son temps, est signalé au XIXe siècle par Henze et
Michon, puis remis à l'honneur et traduit au début du XXe siècle (1)*. Pour
l'auteur, membre de la célèbre famille des Baldi, professeur de philosophie
et de médecine à Bologne, la lettre missive apparaît comme un document des
plus révélateurs de la nature et des qualités d'un scripteur : la spontanéité du
message intime permet de distinguer « dans la diversité des écritures celles des
cerveaux et celles des coeurs ». Il est ainsi possible de découvrir, à travers son
écriture, les dispositions d'un être, de la même façon qu'on peut « connaître
à la griffe, le lion »... Phrase souvent citée qui prend toute sa valeur lorsque
l'on sait que Baldo, dans ses travaux de physiologie et de chirognomonie,
avait poussé très loin l'observation des griffes et des ongles.
Au début du XVIIIe siècle, Goethe, grand collectionneur d'autographes, se
plaît à remarquer la variété des graphismes dans les écritures qu'il possède.
Il encourage son ami Lavater, de Zurich, à tenir compte de l'importance du
signe écrit et à en introduire l'étude dans ses recherches de physiognomonie.
Cet élargissement de l'œuvre de Lavater va en renforcer l'importance et la
cohérence, et annonce la corrélation entre morpho-psychologie et grapho-
logie d'aujourd'hui.
Avec le XIXe siècle, un courant plus étendu et plus profond se précise
nettement. Ceux qui ont l'habitude d'écrire, d'échanger des lettres, d'observer
l'écriture de personnes différentes, admettent alors une relation manifeste
entre la personnalité d'un être et la manière dont il écrit. Les poètes et les
écrivains d'alors sont particulièrement influencés dans leurs oeuvres, comme
dans leur vie. Balzac, par exemple, imagine pour certains de ses personnages
une écriture correspondant à leur caractère. Michon cite plaisamment le
nommé Gobesec qui « avait un demi-cercle entourant la signature et pré-
sentant la gueule entr'ouverte d'un gros poisson qui avale les petits » (2).
Baudelaire, à l'exemple d'Edgar Poë qu'il traduit, ne se contente pas de
notions superficielles, mais s'initie à l'étude de l'écriture. George Sand se
passionne ; elle analyse et commente elle-même certaines écritures. Les
observations, les articles de presse se multiplient, l'idée de ce qui deviendra
« la graphologie » est dans l'air. Toutefois, ce n'est encore, à ce moment,
qu'une floraison assez diffuse, sans règle ni loi, qui éclot selon la fantaisie
de chacun et n'a le plus souvent pas de suite.
Un ouvrage fait exception par l'unité de son sujet : L'Art de juger de l'esprit
et du caractère des hommes sur leur écriture. Il est publié en 1812. Son auteur,
Edouard Hocquart (1787-1870) semble assez peu remarqué de ses contempo-
rains. Il nous est révélé par Crépieux-Jamin::-::- qui le découvre vers la fin du
XIXe siècle et fait rééditer son ouvrage en 1898, après lui avoir consacré des
lignes très élogieuses dans l'édition de 1895 de L'Écriture et le caractère (3),
admirant particulièrement « le bon sens avec lequel Hocquart parle des
écritures ».

* Les chiffres entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d'ouvrage.


*'-"- Voir chapitre suivant.
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Mais il reste infiniment plus à faire que « bien parler » des écritures. Le
moment des considérations générales est passé ; celui d'une mise au point est
venu ; l'élaboration d'une technique s'impose. Ce sera l'œuvre de Jean-
Hippolyte Michon.

REPÈRES BIOGRAPHIQUES
L'esprit curieux et les qualités originales de Michon le désignent pour
l'aventure. Il pourrait se distinguer aussi bien comme conquérant, explora-
teur, archéologue, historien, linguiste, sa vaste intelligence et ses aptitudes
assurant sa réussite dans tous ces domaines.
Intuitif, ouvert à toutes les idées, il prévoit et anticipe : c'est un novateur.
D'une activité débordante et combative, d'une grande ténacité, ayant le goût
du risque : c'est un réalisateur. T o u r n é vers les autres dans un besoin de
communication, d'échanges où le désir de convaincre est ardent : c'est un
orateur et un polémiste.
Il est prêtre.
Né en 1806, d'abord écolier à Angoulême puis séminariste, il entre dans
les ordres à vingt-quatre ans.
Théologien profond et érudit, il connaît le latin, le grec, l'hébreu, les
écritures de l'Égypte ancienne et beaucoup d'autres qui ne restent pas pour
lui « lettres mortes ». T o u r n é vers le passé qu'il explore dans tous les
domaines, il n'en est pas moins attentif au présent, mais est particulièrement
capté par l'avenir. C'est un être intelligent et passionné. La foi en ce qu'il fait,
sa chaleur communicative, son sens pédagogique font de lui un enseignant
hors pair.
Directeur d'un établissement religieux où, sous son initiative, se crée vers
1830 un cours préparatoire aux écoles Navale, Saint-Cyr et Polytechnique,
il remarque parmi les professeurs du collège, l'abbé Flandrin. Celui-ci avait
trouvé avec l'écriture de ses élèves un matériel de travail absolument unique
lui permettant de formuler des observations intéressantes sur les facultés et
le caractère de ces jeunes gens. Michon intéressé, se documente, s'initie,
s 'enflamme. Il pressent tout l'avenir de cette découverte qui va devenir une
des grandes passions de sa vie.
La graphologie est en train de naître.
Dès 1848, Michon mène la vie d'un prêtre libre. T o u t son temps et tous
les moyens d o n t il dispose sont alors mis au service de ce qu'il nomme « la
science nouvelle », vaste domaine à explorer, à défricher, à organiser, à
exploiter. Sa vie, cependant si féconde, n'y suffira pas entièrement.
Vraisemblablement, Michon doit faire face sur tous les fronts à la fois,
ce qui convient tout à fait à son naturel enthousiaste et à sa vitalité débor-
dante. O n ne peut dissocier le tempérament de l'homme et l'édification de
son oeuvre ; il s'agit également de les replacer dans le cadre d'une époque.
P o u r une meilleure clarté de l'exposé, nous sommes donc amenés à considérer
séparément ces différents points.
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MICHON AU CŒUR DE SON ÉPOQUE


Michon est, par excellence,. l'homme du XIXe siècle, puisque son existence
tout entière s'y déroule de 1806 à 1881.
Le climat politique est des plus changeants. A travers deux empires, deux
républiques et plusieurs types de monarchies, la France est à la recherche d'un
régime politique stable.
Une grande effervescence règne dans les idées littéraires. Il suffit, pour
s'en rendre compte, de citer les noms de Victor Hugo, Balzac, Stendhal,
Flaubert, Baudelaire, George Sand, Musset, tous contemporains de Michon.
La philosophie de l'époque, dont Michon est totalement imprégné, est
complexe. Elle reste encore très influencée par le courant rationaliste du
XVIIe siècle (Descartes, Leibniz) et la Philosophie des Lumières (Kant et les
Encyclopédistes), ainsi que par le courant empiriste et sensualiste de
Condillac. Si, en Allemagne, la métaphysique connaît son apogée avec le
système hégelien — le dernier grand « système » philosophique — la pensée
française est plutôt en réaction contre la métaphysique, avec l'éclectisme de
Victor Cousin (qui identifie la philosophie à la psychologie) et le positivisme
d'Auguste Comte, héritier des Saint-Simoniens.
Le XIXe siècle est conjointement marqué par des découvertes scientifiques
et techniques qui ont de profondes répercussions épistémologiques et idéolo-
giques, notamment avec l' Introduction à l'étude de la médecine expérimentale
de Claude Bernard (1865), De L'origine des espèces par voie de sélection
naturelle de Ch. Darwin (1859). On assiste à la naissance de la photographie
(Daguerre, 1839) et à l'invention des premiers moteurs, événements auxquels
Michon fera constamment référence.

DE L'INTUITION A LA MÉTHODE
Un sujet aussi neuf, aussi peu structuré que l'étude de l'écriture à ses
débuts, ne peut être abordé que d'une manière empirique. La pratique de
l'abbé Flandrin, qui accordait à des signes déterminés une correspondance
caractérielle, ouvre une voie. C'est celle que prend Michon en développant
l'observation détaillée des signes. Il en dressera un inventaire minutieux, à
travers une classification dont l'ordre logique suivra le déroulement du geste
graphique.
Viendra ensuite la signification psychologique des signes étudiés. L'auteur
en fondera l'interprétation sur sa connaissance de l'homme.
Mais la justification de ce travail repose avant tout sur une mise au point
historique. Il importe, en effet, d'avoir connaissance de tout ce qui a été dit
sur le sujet, de savoir parfaitement où en sont les choses pour pouvoir en tirer
des conclusions valables. Michon s'y emploie. Quand il se trouve en mesure
de dominer la question, c'est pour constater que toutes les interventions
concernant l'écriture révèlent « une graphologie d'instinct », « une grapholo-
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gie d intuition », les dons ou la finesse de certains auteurs, mais n'ont jamais
donné lieu à un système cohérent, ni à une méthode transmissible.
Système, méthode, ces deux mots s'imposent comme une révélation. En
fait, c'en est une. Elle va servir de tremplin à toute la recherche de Michon,
à 1ambition qui va devenir la sienne : produire « tout un système qui a ses
principes, ses règles, sa classification » pour fonder « une science d'une
importance capitale ». Perspective exaltante, car « celui qui enseignerait cette
méthode après en avoir découvert les lois, rendrait un service immense à
l'humanité » (4).
C'est une oeuvre de longue haleine dont la réalisation — mais non
1achèvement — se répartira sur plusieurs décennies. Années laborieuses et
éprouvantes pour Michon qui, poussé par son génie créateur, accumule
observations, comparaisons, déductions, mais aussi déceptions et remises en
question car le chemin de la découverte, si éblouissant soit-il, est néanmoins
semé d'embûches.

LA RELATION DE LA PENSÉE
ET DE L'ÉCRITURE
Sa manière de concevoir la graphologie étant inséparable de sa philoso-
phie, Michon, en 1875, ouvre son Système sur une «graphologie philoso-
phique », démarche tout à fait logique puisqu'il voit dans l'écriture la
[,e.ncontre privilégiée de la pensée et de la réalité matérielle, ou encore de
1âme et du corps.
Précisons que par « âme » il entend, tout à la fois, le principe même de
la vie, le sentiment et l'intelligence, dans une relation de complémentarité
vie-esprit (contrairement à Klages qui, au siècle suivant, les opposera : l'esprit,
Pour lui, inhibant les pulsions vitales).
Fondant son raisonnement sur la « liaison intime » de la pensée et de la
parole, Michon établit la même relation entre la pensée et l'écriture, puisque
tout comme le son dans la parole, la lettre dans l'écriture est un moyen
extérioriser la pensée.
Lorsque l'apprentissage de l'écriture est dépassé, le mouvement graphique
gagne en naturel et en spontanéité. Il se trouve si étroitement mêlé à
expression de la pensée que les lettres « aussi familières au bout de la plume
que les sons dans le langage » se présentent alors « comme des sons fixés au
regard ». Autrement dit, « par la longue habitude d'écrire, comme par la
ongue habitude de parler, c'est l'âme qui directement écrit et parle » (5) en
aisant abstraction du « procédé matériel » intermédiaire.
L écriture devient un moyen facile de communication entre les individus
qui reconnaissent le faciès d'un graphisme comme ils reconnaîtraient le visage
la personne si elle apparaissait devant eux. « Il y a autant d'écritures que
d'individus » dit Michon qui constate, en outre, que l'évolution des formes
graphiques accompagne celle de la personnalité. En se dégageant du modèle,
elles sont plus libres et n'ont plus la régularité due à une application crispée.
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« C'est l'intelligence elle-même qui vient se photographier avec tout un


ensemble de facultés, d'instincts, d'aptitudes, etc. qui la composent. » Mais,
alors que la photographie du visage fixe une expression connue de tous, « la
photographie de l'âme », telle que la conçoit Michon, décèle des manifesta-
tions plus inconscientes. «J'ai trouvé les signes, dit-il, par lesquels l'âme se
trahit dans ses plus fines nuances (6). » Le fait qu'un état intérieur puisse avoir
une correspondance graphique caractéristique lui permet d'affirmer que
« toute écriture, comme tout langage, est l'immédiate manifestation de l'être
intime intellectuel et moral » (7).

L'« ANATOMIE » DU TRACÉ


La graphologie — telle que Michon la conçoit et se propose de la révéler
— est une science. En aucun cas sa pratique ne doit se confondre avec celle
des arts divinatoires. Or, la démarcation est encore imprécise et, par là-même,
représente un danger. La malheureuse association avec Desbarolles, celui qui
signa un premier ouvrage (8) de ses simples prénoms : Jean-Hippolyte, en a
apporté la preuve ; ce fut néanmoins une expérience positive.
Dès lors, conscient de l'importance de son étude, Michon va la situer dans
un cadre rigoureux et la présenter avec le vocabulaire adéquat. Ce langage
qui nous paraît souvent emphatique, correspond tout à fait à l'esprit scientifi-
que de l'époque et n'a rien que de très naturel pour l'auteur.
Ainsi, l'« anatomie graphique » d o n n e lieu à une véritable dissection de
l'écriture, à la décomposition trait par trait des éléments qui la constituent,
jusqu'au plus petit fragment, indivisible, le point.
C'est à partir de là que va commencer l'observation de tous les enchaîne-
ments et extensions possibles de cet « élément graphique primordial », depuis
sa plus infime trace sur le papier, jusqu'à la page entière, les pages couvertes
de signes.
La répétition du point produit ce que Michon nomme la ligne, car « tout
mouvement de plume unissant plusieurs points, soit sur un plan rectiligne, soit
sur une courbe, est une ligne ». N o u s attirons immédiatement l'attention sur
la subtilité de cette expression qu'il importe d'interpréter correctement. Par
« ligne », M i c h o n entend ici le trait tracé par la plume, trait d o n t il va d o n n e r
une étude très poussée. Il en considère (et nous respectons scrupuleusement
son vocabulaire descriptif) : l'épaisseur, filiforme (c'est-à-dire d ' u n e ténuité
extrême), ou épaisse, massuée ou renflée ; la forme, droite ou courbe ; la
contexture, rigide ou molle ; il y ajoute la direction, horizontale, ascendante
ou descendante. Puis, observant les plus petites variations de la courbe et de
la droite, il décrit l'angle produit par l'écartement des deux becs de la plume
et constate que « la courbe et l'angle sont les deux mouvements de plume qui
constituent l'essence d'une écriture » (9). Chacun correspond à une tendance
naturelle du scripteur et non pas à un effet du hasard.
Viennent ensuite les lettres qui « sont les éléments des mots ». Elles sont
examinées selon leur position (majuscule, minuscule ou finale), leur corps,
suivant qu'elles sont épaisses, renflées ou ténues ; leur largeur, c'est-à-dire
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leur compression ou leur écartement excessif ; leur hauteur, sujette à de


nombreuses inégalités ; leur espacement ; leur mouvement (inclinaison plus ou
moins importante, verticale ou renversée) ; leur forme ; leur liaison les
montrant juxtaposées, liées ou les deux à la fois.
Un groupe de lettres forme des mots. La place de ces mots sur la ligne
peut montrer des tassements ou des espacements. La direction des mots peut
être ascendante, descendante ou serpentine ; leur hauteur, égale ou inégale
peut aussi être grossissante ou gladiolée.
La ligne des mots concerne « les mots qui se suivent d'un côté à l'autre
d'une page ». On peut la voir rectiligne jusqu'à la rigidité, ou serpentine et
onduleuse. La direction d'ensemble n'est pas toujours horizontale, mais peut
être ascendante, descendante ou même convexe. Les lignes peuvent être bien
interlignées, parfois enchevêtrées, ou bien serrées (« ce qu'on appelle compactes
en typographie »). On dit que la ligne est margée si elle présente une marge
plus ou moins grande, non margée, si elle occupe « rigoureusement tout le
papier ».
Reste ce que nous avons pris l'habitude de nommer les « petits signes ».
Ce sont les alinéas dont il faut voir la régularité et la fréquence, les traits (que
nous appelons tirets), les crochets, les harpons et les massues. Les points
d'exclamation et d'interrogation ont aussi leur importance, ainsi que les
fioritures particulièrement dans les paraphes de la signature.
Nous avons là un « précis » d'anatomie graphique absolument remar-
quable. Personne ne fera mieux.

VERS UNE LOI UNIVERSELLE


DE LA GRAPHOLOGIE
Michon, tout à fait conscient de la valeur de ce qu'il présente, en conçoit
l'immense portée. C'est pourquoi il tient à compléter cette étude du trait isolé
par l'interprétation des fonctions, des combinaisons, des mouvements de ces
traits — ce qu'il nomme « physiologie graphique ».
C'est la partie de son oeuvre qu'il juge « capitale » dans l'histoire de la
graphologie et, surtout, entièrement nouvelle, cette question n'ayant jamais
été approfondie. Sa démonstration s'appuie sur le raisonnement et l'expéri-
mentation, en même temps que sur des principes ayant force de loi.
Michon fait remarquer combien les résultats d'expériences « faites sur des
milliers d'écritures et sur toutes les manifestations possibles de la pensée par
l'écriture chez tous les peuples du monde » (10) sont concordants, car chez
l'être humain, c'est toujours le même instinct qui déclenche le même geste
scriptural. C'est pourquoi des lois graphologiques applicables de la même
façon aux écritures de toutes les époques et de tous les pays, sont des lois
universelles. Elles acquièrent ainsi un statut scientifique.
C'est en cherchant avant tout « la raison physiologique des mouvements
de la plume sous l'influence cérébrale » que Michon développe l'interpréta-
tion des aspects de l'écriture énumérés dans l'« anatomie ». Il les reprend un
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à un, les explique d'une manière très didactique, en y ajoutant des exemples
bien choisis et vivants. Ses commentaires, qui ne perdent jamais de vue la
correspondance psychologique-graphique, se maintiennent rigoureusement
dans la forme physiologique recherchée dès le départ.
Malgré l'intérêt de ces démonstrations, il nous est impossible de nous
arrêter sur chacune d'elles. Nous nous limiterons à deux sujets précis dont
l'actualité nous surprend.

Avec une perspicacité toute personnelle, Michon se tourne d'abord vers


le trait. Il commence, suivant son procédé, par en expliquer la physiologie :
« Le trait dans son mouvement rectiligne obéit à deux directions cérébrales
distinctes », celle de la pensée molle et celle de la pensée forte. La pensée
hésitante, irrésolue, timide se traduit par le trait léger, tremblottant, indécis.
A main molle, tracé mou. Au contraire, la pensée résolue, hardie, violente
produit un trait ferme, accentué, « ayant la rigidité de la règle d'acier qui ne
saurait fléchir ». Dans ce dernier cas, le fluide nerveux a été excité, les muscles
obéissent, les doigts se contractent et tracent un trait rigide.
Nous avons, avec cet exemple, la formulation typique des conceptions
physiologiques de Michon. Mais le plus important reste à dire.
Le tracé est tellement révélateur, selon Michon, que le premier coup d'œil
sur une écriture doit porter sur l'« état du trait », à commencer par l'obser-
vation de sa « contexture », molle ou rigide. En fait, tous ses aspects ont une
énorme importance et constituent les éléments d'un diagnostic primordial.
Rien n'échappe à l'examen qui, pratiqué à la loupe, met « à nu les fibres les
plus délicates de l'écriture. On peut être certain que l'âme, ici, s'est peinte
involontairemenr', fatalement » (11).
Ainsi, selon son aspect — rigide ou mou, épais ou ténu, droit ou courbe
— le trait est l'indice le plus sûr de la pensée, des instincts, de la nature d'un
scripteur. De plus, « le mouvement vif, rapide de l'âme » indiqué par le trait
ascendant, laisse supposer une certaine vitesse.
Une telle finesse d'observation nous confond. C'est pourquoi nous
insistons sur cette admirable étude qui précède de plus de soixante années les
travaux de Hégar::-::- sur le trait (12). Pourquoi ignorer le génial précurseur ?
Il nous paraît équitable de réparer cette injustice et de rendre à Michon ce
qui lui appartient.

Une remarque analogue s'impose pour qui réfléchit à la place privilégiée


accordée par Michon aux espacements entre les lettres, entre les mots, entre
les lignes, aux alinéas et aux marges — tous énumérés dans 1'« anatomie » (13)
— et à la précision avec laquelle il décrit, commente et interprète ces éléments
dans la « physiologie » (14). Ces données, réunies, vont constituer un en-
semble non négligeable.
De « la position des lettres et des mots entre eux », de l'« interlignage »,
se déduit la clarté ou la compacité d'un texte. La dimension et l'inclinaison

Le mouvement involontaire compte beaucoup pour Michon. Il introduit par ailleurs la notion
de projection et celle de besoin inconscient qui agit sur le trait.
** Voir chapitre 5.
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des lettres y jouent un rôle. L'étude des marges (disposition, régularité,


importance) et des alinéas, vient renforcer cette observation. Tous ces détails
se situent sur une feuille dont le format est à considérer, ainsi que la qualité
du papier et — éventuellement — son parfum.
On croit rêver en voyant l'écriture ainsi traitée dans l'espace. C'est devenu
pour les graphologues actuels une pratique des plus courantes, mais la
graphologie française a attendu Pulver (15) pour appliquer les théories du
symbolisme de l'espace*. Dans la hiérarchie des « définitions », l'étude des
marges (n'étant pas un apport de Crépieux-Jamin) se trouve encore reléguée
dans les « petits signes ». Quant à la « prise de possession de l'espace »
(nommée ainsi pour éviter toute confusion avec 1'« ordonnance » jami-
nienne), elle commence à s'imposer ; on cherche à la déterminer dès le
premier contact avec l'écriture. Alors que Michon en faisait grand cas,
pourquoi avoir ignoré cette technique pendant un siècle ?

Voyons maintenant l'interprétation, telle qu'elle découle de la « raison


physiologique » : la clarté de la page correspond à celle du jugement, lequel
sera d'autant plus maîtrisé que l'inclinaison des lettres sera modérée. Au
contraire, les mots tassés et les lignes enchevêtrées sont le fait d'un esprit « qui
voit mal les choses, qui ne les saisit que sous un seul aspect ». De plus, une
note de passion dans ce caractère favorisera l'inclinaison de l'écriture, et
l'imagination excitée produira le grand mouvement des lettres. En conclusion,
nous voyons, d'une part la clarté du « jugement que la passion n'égare pas »,
d'autre part « un jugement peu sain, très passionné et très exalté ».
Les marges, considérées selon leur importance, mais aussi en fonction des
blancs du texte et de la surface du papier, donnent lieu au même enchaîne-
ment de déductions logiques : l'âme généreuse n'économise pas le papier,
l'avare remplit tous les blancs, tasse les lettres et serre les mots au maximum.
Nous n'insisterons pas sur l'interprétation. L'essentiel ne réside pas là,
mais plutôt dans l'esprit de coordination de Michon. Nous remarquons, en
effet que, s'il accorde une signification à chaque signe, il ne les interprète pas
isolément mais les combine suivant leur influence les uns sur les autres. C'est
ce qu'il nomme « le procédé des résultantes ». Partant du principe qu'« une
faculté réagit toujours sur une autre faculté » et l'enrichit au lieu de la
détruire, il devient possible — grâce à l'association de signes et de résultantes
qui se renforcent pour déboucher sur une même manifestation — de dégager
les grandes lignes d'une personnalité.
Ce moyen d'accès à la synthèse finale, par le regroupement de thèmes
principaux autour d'une fonction ou d'une faculté, est bien dans la manière
de Michon. La classification — monumentale — qu'il établira et dont nous
reparlerons, fondée sur huit grandes classes (facultés, instincts, nature,
caractère, esprit, aptitudes, goûts, passions) aboutira à quatre vingt dix-huit
groupes de signes psychologiques dont chacun aura sa correspondance
graphique, elle-même très nuancée. C'est toute une série de syndromes qui
est ainsi proposée.

"- Voir chapitre 4.


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Or, les tendances actuelles s'orientent volontiers dans ce sens. Dans un


raccourci technique et par une investigation psychologique plus directe, nous
cherchons de plus en plus à extraire de la définition les espèces caractéristi-
ques qui, rassemblées en syndromes, forment le canevas du portrait psycholo-
gique.

SIGNE GRAPHIQUE
ET SIGNE PSYCHOLOGIQUE
Dans une dialectique assez subtile la « physiologie graphique » répond à
des lois qui s'articulent essentiellement sur ce que Michon nomme « le signe
graphique ». Si la notion de signe — chez lui véritable mot-clef — est
symptomatique, elle est aussi des plus complexes par son imprécision, c'est
pourquoi il nous semble urgent d'apporter quelques éclaircissements sur la
question.
Particulièrement évocateur en matière d'écriture, le vocable « signe » est
évidemment d'une utilisation facile. Michon y a souvent recours et ce, dès les
premières pages de son ouvrage. Il parle donc tout à fait naturellement de
signe, puis de « signe graphique », ce qui commence à nous intriguer. Il va
le définir par la suite : « Le signe graphique (ou signe graphologique) c'est
le trait, la forme, la disposition quelle qu'elle soit de l'écriture d'où se déduit
une manifestation de l'âme, un instinct, une aptitude, etc. (16). »
Une première question se pose : A travers « signe graphique », Michon
propose-t-il l'association de ces différents aspects (trait, forme, disposition),
ou plutôt la note dominante de l'un d'entre eux ? En d'autres termes, nous
oriente-t-il vers un syndrome, ou s'agit-il d'une dominante ? Les deux
interprétations peuvent s'admettre, puisque, suivant les caractéristiques de
l'écriture qu'il analyse, Michon utilise l'une ou l'autre formulation.
Mais l'ambiguïté se redouble : Michon, en effet, nomme également
« signe » la manifestation psychologique exprimée à travers le « signe graphi-
que ». Il précise rarement s'il s'agit du signe graphique ou du signe psycho-
logique (17).
Nous restons toujours dans le même problème avec la classification —
inspirée du type de classification de l'histoire naturelle — adoptée par
Michon : Il place au sommet les grandes classes de signes (facultés, instincts,
caractères, etc.), qu'il divise en familles de signes (où sera précisé 1'« ordre »
de la manifestation), puis en groupe de signes (avec le « genre » précis de la
manifestation), enfin en nuances de signes (avec les différentes « espèces » de
manifestation suivant leur intensité).
Soulignons que la caractéristique essentielle de cette classification
(comme la vue d'ensemble de Michon d'ailleurs) est d'être fondamentalement
tournée vers la psychologie. C'est l'âme et ses manifestations qu'il entend
définir en s'aidant de l'écriture ; celle-ci n'est jamais étudiée pour elle-même,
contrairement à ce que fera Crépieux-Jamin.
Ainsi, dans l'ordre de classement proposé, le signe graphique n'intervient
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qu'en troisième et quatrième position, au niveau du groupe et des nuances


de signes.

Un exemple nous le fera mieux comprendre.


Prenons le cas de la timidité qui se présente ainsi :
1. Classe de signes : instincts.
2. Famille de signes : instincts craintifs.
3. Groupe de signes : timidité.
4. Nuances de signes : timidité, hésitation, incertitude, gêne.
C'est au niveau de la timidité qu'intervient le signe graphique, ici pour
Michon : « le mouvement brisé, hésitant de la plume quand elle trace des
courbes. » Puis, parmi les différentes intensités de cette manifestation, la gêne
par exemple, nuancera le signe graphique qui deviendra : « des lettres
majuscules dont les hampes se pressent l'une près de l'autre » (il s'agit de M
et de H dans l'exemple cité par l'auteur). « Toute signature dont la majuscule
s'étiole en longueur et dont les deux hampes se resserrent dit un esprit
gêné » (18).
Comme nous pouvons le constater, le signe graphique est intimement lié
au signe psychologique, au « genre » de sa manifestation et à l'« espèce » de
nuances qu'il désigne. Il est typique d'un cas ; il ne peut en aucune façon
s'appliquer à une autre qualité que celle qu'il représente, et encore moins à
la qualité opposée. En effet, le signe graphique constaté avec la timidité ne
se rencontrera jamais dans l'écriture d'une nature aux instincts hardis. C'est
là « une loi de physiologie graphique qui est sans exception » (19). C'est
l'homogénéité de la relation entre la manifestation psychologique et son
expression matérielle qui conduit Michon à avancer que le signe est « fixe,
parce que puisé dans des conditions fixes de création psychologique et
physiologique ».
On a, depuis, tourné en dérision ce signe fixe qu'on réfute en lui opposant
la « valeur relative des signes » formulée par Crépieux-Jamin. Ce rapproche-
ment est tout à fait erroné, car les deux notions n'ont aucun point commun.
De plus, c'est trahir Michon que de l'enfermer dans des limites aussi étroites.
Rappelons une de ses toutes premières remarques (20) où il constate combien,
« curieusement, le signe suit le mouvement de l'âme et change quand l'âme
change », ce qui a pour conséquence une modification profonde de l'écriture.
Il s'en suit le double principe : « de la mobilité des signes quand s'opèrent des
changements de l'être intellectuel et moral, et de la fixité de ces mêmes signes
tant que l'âme demeure dans le même état. » Ainsi, avec l'exemple de la
timidité, nous pouvons dire que tant que cet état se manifestera de la même
façon, son signe graphique conservera rigoureusement les mêmes caracté-
ristiques, il demeurera à un point fixe, en quelque sorte. Mais, si au bout d'un
certain temps le comportement du scripteur se modifie, s'il prend confiance
en lui, s'enhardit, son écriture se modifiera également jusqu'à perdre le signe
de la timidité et présenter celui de la hardiesse.
A différents moments, le signe peut donc être soit fixe, soit mobile dans
sa manifestation.
Pour nous tourner avec Michon vers une optique différente du signe,
tentons un autre raisonnement, en conservant l'exemple de la timidité.
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A cet instinct psychologique est fixé, nous le savons, un signe graphologi-


que-type. Ce signe est précis, il « exprime nettement l'état, le sentiment qu'il
représente ». Cela est tellement vrai, évident et facilement saisissable que
Michon qualifie formellement ce fait de « positif ». On ne peut s'y tromper.
Tentons ensuite la contre-expérience et, après avoir vu ce qu'est le signe
(« mouvement brisé, hésitant dans le tracé des courbes »), voyons ce qu'il n'est
pas. Ici, la main, « manquant de la hardiesse des natures sûres d'elles-mêmes,
ne produit pas le trait hardi, la courbe rigoureusement tracée des esprits qui
ne connaissent pas la timidité ». « L'absence de tout mouvement hardi »,
constaté dans cet exemple, est alors nommé signe « négatif ». Tout à fait
symétrique du premier, mais orienté dans la direction opposée, il a la même
importance que lui et dire qu'il est négatif ne constitue pas une négation.
Timidité égale absence de hardiesse et inversement. Absence de hardiesse a
donc la même valeur que présence de timidité, elle est aussi significative, et

Fig. 1 (collection Olga Boussel) — Dans cet bien tracées, la fermeté du rythme, les longues
exemple où nous ne voyons pas « le mouve- barres de t — cependant fines — disent la
ment brisé, hésitant dans le tracé des cour- détermination et l'autorité de ce conducteur
bes », nous pouvons conclure à l'absence de de diligence. Homme simple par son niveau
timidité. Mais son contraire — n o m m é par culturel, il marche droit et fièrement ; son
Michon, hardiesse — y est évident : le mou- allure est aussi alerte et maîtrisée que celle de
vement ample des majuscules aux courbes l'attelage dont il a la charge.
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« ce fait purement négatif a la même force, la même valeur positive que le


signe positif » (21). Les deux notions sont interchangeables, ce qui fait dire
à Michon : « Un signe positif qui manque d o n n e rigoureusement le signe
négatif qui lui est opposé. »
Précisons que le fait de qualifier de positif ou négatif deux caractères
opposés ne constitue pas un jugement de valeur, mais attribue au caractère
considéré une orientation par rapport à une direction de référence. Ce modèle
mathématique n'est pas nouveau et Michon n'est pas le premier à l'utiliser
dans un domaine qui n'est pas strictement mathématique. Actuellement ces
théories se trouvent reprises et approfondies dans plusieurs écoles psycha-
nalytiques, n o t a m m e n t chez Jung et dans certaines notions lacaniennes.

En d é n o m b r a n t 98 groupes de signes et 360 nuances, Michon se trouve


face à une classification pléthorique, et illimitée de surcroît.
C o m m e « le groupe est un », alors que les nuances sont nombreuses pour
la même manifestation, il tente de réduire la quantité de signes-graphiques
en s'attachant essentiellement à ceux des groupes. Après avoir donné à chaque
grand groupe son signe-graphologique « vrai, positif, fixe, facilement saisis-
sable » (22), il est un moyen très logique de passer aux nuances en considérant
l'intensité du signe (psychologique), ou en observant l'association d ' u n signe
avec un autre signe.
Prenons l'exemple du groupe sensibilité qui comporte les « nuances » de
la sensibilité faible, la sensibilité vraie, la sensibilité excessive. En partant du
signe graphique de cette Sensibilité — pour Michon, l'écriture inclinée —
nous constatons que plus la sensibilité est intense, plus l'écriture est inclinée.
Au contraire, si cette manifestation est discrète, ou absente, le trait est peu
ou pas incliné. Les conclusions déduites de ce raisonnement sont suffisam-
ment précises pour éviter l'énumération de nouveaux signes graphiques.
Mais il arrive que des états d'âme complexes soient composés de plusieurs
sentiments. Ainsi en est-il de la jalousie, par exemple, qui est une passion
complexe. D ' u n point de vue psychologique, le jaloux est passionné et
personnel, explique Michon, il aime et ne veut pas partager. Graphologique-
ment, il ne se trouve pas un signe qui, seul, puisse représenter cet état. Par
contre, si le signe de la passion (écriture inclinée) est présent, et s'il s'y ajoute
celui du moi égoïste (les crochets rentrants), leur somme indique clairement
la jalousie. Cela prouve que l'association d'un signe avec un autre signe
permet de faire de deux signes simples un signe complexe, nouvelle économie
de signes graphiques.
Par le jeu des facultés et « mouvements de l'âme humaine » les combi-
naisons sont sans nombre. Elles devraient pouvoir s'ouvrir sur « une char-
mante étude de psychologie », selon Michon, qui voit là un champ immense
d'investigations pour les études « des disciples de la graphologie ». Remar-
quons, une fois de plus, combien p o u r lui psychologie et graphologie sont
intriquées.
Mais il reste évident que la conséquence directe de ce procédé est
d'introduire la notion de résultantes, d o n t nous avons déjà parlé, où les
combinaisons de signes, se regroupant par dominante en grands faisceaux
caractéristiques, vont permettre de cerner la personnalité dans sa totalité.
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LA SYNTHÈSE :
UN PORTRAIT FIDÈLE
Ce travail de reconstitution est l'inverse de celui de l'analyse, mais il
s'impose : après avoir « disséqué » les signes, il faut les rassembler dans une
« coordination de ce qui doit former le tout » estime Michon qui, en une
brève formule résume les deux opérations fondamentales du travail grapho-
logique : « Après avoir analysé, il faut synthétiser (23). »
L'essentiel des théories de Michon tient dans ces grandes lois qui régissent
l'analyse et la synthèse. Elles encadrent une étude rigoureuse d ' o ù se
dégagent les éléments constitutifs de la personnalité du scripteur.
Cette personnalité doit, ensuite, pouvoir être présentée dans son ensemble
comme un portrait fidèle. Le terme de « portrait » est particulièrement imagé
et, comme au terme d'une analyse il s'agit bien de d o n n e r une description trait
par trait du scripteur, il est difficile de trouver une expression plus juste que
celle de Michon. Son vocabulaire demeure ainsi, dans notre pratique, beau-
coup plus présent que nous le pensons.
Dans l'exposé de sa méthode, en abordant ce qui devrait être la technique
du portrait, Michon adopte une attitude tout à fait nouvelle. Laissant à
l'arrière-plan les principes et les lois, sa manière devient alors plus souple et
narrative p o u r décrire et expliquer la personne telle qu'elle apparaît à travers
son écriture. C'est une application pratique des théories qui se trouve ainsi
proposée par l'étude de cinq écritures absolument différentes. Cinq cas
typiques, choisis en connaissance de cause, sont décrits avec beaucoup d'à
propos, dans un style très vivant, sur un m o d e anecdotique, ironique ou
indulgent selon le cas.
Il ne s'agit pas d'un jeu, ni du besoin d'introduire avec brio une note
originale, ce n'est pas davantage une solution de facilité. Au contraire, sans
qu'il y paraisse, Michon est certainement là plus didactique que jamais. S'il
a réalisé une approche scientifique de l'écriture par l'analyse, il sait que la
technique du portrait ne s'enseigne pas. C'est pourquoi il se fait léger, il
n'impose pas, il suggère, à titre d'exemple, ce qu'il nomme « des exercices »
et une façon possible — parmi d'autres — de les aborder et de les travailler.
Car il sait aussi que la graphologie est un art, où intervient la finesse de
déduction et d'interprétation du graphologue qui fait chaque fois oeuvre
personnelle à ce m o m e n t précis.

Fig. 2 — Voici, à titre d'exemple, de larges un type précieux donnant raison écrasante au
extraits de l'étude consacrée à Barbey d'Aure- système de la graphologie.
villy (26) : « Ici tout est étalé avec un luxe d'exagéra-
tion incroyable. Plus la lettre sera bizarre,
contournée, excentrique, plus la plume fera
« Les révélations du caractère, des tendances des lettres que les autres ne font pas et combi-
les plus intimes de cette nature qui pousse la nera des formes outrées non soupçonnées
singularité jusqu'à l'étrangeté et à l'extrava- encore, et plus ce singulier scripteur sera
gance, sont si nettes, si précises par les signes content de lui. (...)
graphiques et les curieuses résultantes entas- « Je m'en suis tenu sur cet écrivain à l'opinion
sées dans cette écriture, que j'ai pu l'appeler générale. Des critiques autorisés le représen-
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Fig. 2

tent comme un chercheur de phrases à effet, Tout est combiné pour l'effet. Barbey d'Aure-
de situations étranges non encore rendues par villy n'est exalté que dans l'apparence. (...)
les romanciers. (...) Barbey d'Aurevilly a « Voilà comment l'analyse graphique nous
cultivé le genre excentrique. (...) J'ai si peu à représente de suite — par l'écriture soignée,
contester (l'idée qu'on s'est faite de lui dans ordonnée, régulière dans ses élans préparés
la littérature contemporaine) que toute l'œu- comme les péroraisons pathétiques des ora-
vre graphique du personnage est la traduction teurs — un esprit ordonné, calculateur,
vivante de ce thème de singularité à laquelle n'omettant aucun détail des choses. Il mettra
Il s'est condamné. la virgule après Paris, le point après juillet, le
« Nous avons graphiquement le factice, l'ex- point encore après le millésime 68.
travagant, le bizarre, le joueur de tam-tam « Regardez toute la page : C'est d'un gra-
littéraire. phisme irréprochable comme forme épisto-
« La première chose qui frappe dans ce si laire. Il n'en prend pas à son aise avec celui à
curieux autographe c'est la grande régularité qui il écrit ; on ne ferait pas mieux pour un
accompagnant les lettres extravagantes. Nous ministre.
avons par centaines des écritures de nature « Ce premier signe graphique de la grande et
exaltées (...). Ces écritures sont naturelles, belle régularité de l'écriture, associé aux let-
vraies, spontanées (...). C'est d'un laisser-aller tres folles et bizarrement combinées, a donc
merveilleux, et tous les instincts s'épanouis- pour résultante de nous apprendre que,
sent là dans leur manifestation la plus vraie. contrairement aux natures livrées à l'exalta-
« Il n'en est pas de même ici. tion sans qu'elles en aient conscience, nous
« L'écriture est aussi apprêtée, aussi travaillée, avons ici l'exaltation factice, faite, voulue,
aussi agencée étrangement que les tournures combinée, réduite en système, l'exaltation
de phrases ; et encore nous avons une lettre. consciente et systématique.
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Fig. 2bis

est une massue qui nous dit la résolution


terrible, l'homme allant au bout, et s'étant fait
dans sa voie littéraire, un front qui ne rougit
jamais. Trois fois la lettre paraît et trois fois
l'allure étrange, combinée une première fois
se reproduit.
« Le J de Jules est, s'il est possible, plus
extravagant encore par les contournements
du haut de la lettre. Cette lettre est d'une
« Arrivons au type spécial de cette écriture bizarrerie raffinée (...)
aux lettres recherchées, combinées pour frap- « Autre effet scriptural de singulière recher-
per de suite le regard. che à la première ligne, c'est le v minuscule de
« Et toujours, comme fidèle représentation du « je veux » qui s'élance en l'air par un coup de
mouvement intime de l'âme, nous entendons sabre menaçant le ciel, d'un effet calligraphi-
très bien que ce type de lettres correspond à que le plus original.
la situation psychique du scripteur. « Mais ce qui dépasse tout, c'est le grand et
« On dirait que ces lettres sont spécialement beau paraphe fulgurant (fig. 2 bi,). Quel sillon-
choisies pour faire bon effet (...) Le M nement de la foudre sur le ciel blanc de son
majuscule est surtout la lettre splendide que papier ! le terrible homme !
la plume affectionne pour lui donner une « Non il n'est pas terrible. Regardez les angles
envergure extraordinaire. de ce trait de foudre qui dit la nature éner-
« Notre homme commence ce M par une gique, ils sont tous formés en courbes, et vous
première hampe très petite ; la seconde s'élève savez que c'est le signe de l'énergie douce.
un peu plus ; enfin la dernière prend une Nous n'avons pas l'anguleux, le mauvais cou-
longueur double pour s'épanouir dans une cheur (...)
longue finale gigantesque. « Il faut cependant, après avoir vu ces grands
« Là est l'extravagance voulue, combinée, coups de plume, descendre plus minutieuse-
méditée. ment dans le travail anatomique et chercher
« Ce qui n'est pas médité — et c'est là le trait quelque autre bizarrerie étrange. C'est la
vif du scalpel graphologique — c'est l'im- production d'un e minuscule dont la petite
mense barre en retour qui coupe, du haut en courbe supérieure, toujours à droite et en
bas, sa longue finale. Nature d'une person- avant dans les écritures, est ici jetée à gauche
nalité excessive, d'un moi colossal ; il lui faut et en arrière. Voyez les deux e du mot été —
l'épanouissement colossal et excessif du signe si tous les e du scripteur étaient semblables à
graphique de l'égoïsme. Son crochet concen- ceux-ci, j'y verrais ce que j'ai appelé en gra-
trique est un type du genre. Il ne se doutait phologie, la petite bête, l'indice d'un cerveau
pas en le traçant, qu'il se trahissait d'une dont quelque lobe n'a pas son fonctionnement
manière si peu mesurée. normal. Mais pas du tout. Notre homme sait
« Et ne croyez pas que ce soit un accident de parfaitement faire l'e minuscule comme tout
la plume, car nous avons dans la même lettre le monde. Il ne s'en gêne pas : Je, m'avez, de,
dont je ne reproduis ici que le commence- est, autant de mots où la lettre est honnête-
ment, une ligne où la même lettre M se trouve ment tracée et lisible. Mais l'autre lettre : que,
avec le même mouvement de personnalité, été, remercié, celle-là est bien un effet de
plus accentuée encore, en ce que le trait final plume excentrique, fabriqué d'abord pour
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montrer qu'on fait le contraire des autres, puis « Un tel homme doit avoir sa bonne dose
devenu assez familier pour qu'il se mêle aux d'orgueil. Le signe graphique du sentiment de
autres lettres. supériorité doit se trouver dans cette écriture.
« Nous connaissons donc bien maintenant la Il doit y avoir la lettre critique qui donne
grande dominante de cette écriture : une l'homme hissé sur ses échasses et se posant sur
exagération voulue, calculée. Cependant son piédestal. Voyons pour cela les 1 minus-
toute une personnalité ne se renferme pas cules : la lettre. Voyez la hampe de cette
dans une seule manifestation. Nous devons minuscule changée bizarrement en majuscule
voir l'homme sous beaucoup d'autres aspects. et offrir précisément le type curieux que je
« Il faut d'abord savoir l'organisation céré- donne en graphologie, comme expression
brale. Les lettres liées fréquemment mêlées de visible à l'œil d'un mouvement d'exhausse-
lettres non liées, nous donnent le déductif, le ment anormal (la hampe de la lettre jetée en
logicien, le raisonneur qui n'est pas étranger haut et la liaison d'ordinaire horizontale
à l'idéalisme. L'idéalisme explique la bizarre prenant nettement la direction verticale).
conception littéraire. Bonne organisation : il Est-ce assez caractéristique ? Si l'écriture de
y a là un côté pratique. Cela explique com- Barbey d'Aurevilly nous eût donné le signe
ment, au point de vue du succès, il s'est graphique des natures modestes et humbles,
fabriqué son système de littérature ébourif- la graphologie était renversée de fond en
fante. comble.
« Comme sensibilité, elle est légèrement indi- « Il a raison d'avoir un certain orgueil. Il a la
quée. Il y a un être sur la terre qu'il aime riche aptitude poétique (...) Le B et l'A de sa
beaucoup et celui-ci s'appelle Barbey d'Aure- signature, si nettement typographiques disent
villy. le sentiment de l'art, le sens de la forme. Il fait
de la littérature rude, folle, étrange, impossi-
Écriture peu inclinée : peu de sensibilité I ble. Avec une autre direction d'esprit, plus
Crochet concentrique : égoïsme J simple, plus modeste, moins personnel, moins
Résultante : nature peu rayonnante et n'ai- entiché lui-même, il eût voulu de la bonne et
mant que soi. de la vraie gloire. (...)
« Il y a des égoïstes qui aiment pour eux, mais « Voyons maintenant le poseur, le vaniteux, le
qui aiment. Celui-ci dépense peu de cœur. prétentieux. La fioriture doit fleurir en plein
« Comme volonté, elle est puissante, forte- champ dans cette écriture.
ment résolue. Les massues y sont entassées, « Beaucoup de mots sont recourbés en trom-
rudes jusqu'à la manifestation extrême et pette, avec un petit point en crochet qui nous
brutale. — Voyez la finale descendante si disent la coquetterie petite et vulgaire, la
étrange du mot agréablement : quelle mas- recherche et la pose : Admirez-moi ! Le
sue ! — C'est donc le grand volontaire. mouvement excentrique de la première lettre
« Tout s'explique, le système une fois admis : de sa signature trahit ce qu'il y a d'imagination
le premier pas dans les régions de l'étrangeté surexcitée. Les contournements se font avec
et du bizarre une fois fait, cet homme de hardiesse et, par un trait d'une vivacité su-
résolution intraitable n'a plus reculé. Il affecte perbe, se dressent en l'air et s'arrondissent, en
même cette forme de grosses massues au disant aux critiques : Je me moque de tout
point, dans le reste de l'autographe, de relever (...).
les finales et de les terminer en appuyant « Cet homme à massue, de volonté si résolue
carrément la plume. a ses heures d'hésitation. Il a quelquefois des
« Par exemple, nous avons une nature fran- soulignements qui tremblottent un peu ; il n'a
che, loyale. Il y a une masse de mots grossis- pas la rigidité de la barre d'acier tant aimée
sants, ou de lettres à hauteurs égales, comme des inflexibles (...)
pourtant, vous. Il faut chercher bien minutieu- « Il n'y a qu'un Barbey d'Aurevilly au monde.
sement pour y découvrir des mots gladiolés, « Nous avons oublié beaucoup de choses dans
même légèrement. Il est vrai que cette écri- cette étude, mais celle-ci est capitale. L'écri-
ture si régulière, si compassée, qui sent l'ap- ture est appuyée, pâteuse, renflée. Nous avons
prêté, le personnage, explique bien le soin l'homme que la sensation conduit, le sensuel.
calligraphique qu'il met à faire du joli dans Ce ne sera pas l'écrivain aux allures spiritualis-
l'étrange. Mais dame nature se trahirait ; et tes, aériennes, ne touchant à la boue humaine
si nous avions de l'écriture du personnage bien que comme la colombe qui pose délicatement
courante, sans nulle étude, je crois que le signe le pied sur le sol détrempé. Il peindra les
graphique de la franchise s'y retrouverait passions par le côté le moins angélique. Chez
complètement. lui la bête écrasera l'ange. »
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ESPOIR D'UNE SCIENCE


L'oeuvre de Michon est riche et variée comme l'étaient ses intérêts. Sa vie,
active et trépidante, l'a conduit dans tous les coins du monde à l'occasion de
nombreux voyages. Sa curiosité d'esprit y trouvait matière à de nouvelles
expériences — car rien n'était négligeable à ses yeux — mais sa passion
graphologique l'emportait. Au cours de démonstrations, réunions, confé-
rences, tous rassemblements pouvant servir à plaider la cause de « la science
nouvelle », il déployait alors son éloquence à la révéler et à la faire recon-
naître. On a souvent reproché à Michon ce côté rabatteur, incompatible avec
la dignité scientifique qu'il prônait. Cet homme enthousiaste modérait
difficilement ses élans, sans perdre de vue toutefois le fond du problème et
les perspectives qui s'y attachaient. Sa nature énergique et tenace le poussait
non seulement à entreprendre, mais à réaliser. C'est lui qui a créé, en 1871,
la Société de graphologie et lancé la publication d'une revue, la Graphologie.
Le Système de graphologie, et la Méthode pratique ne représentent qu'une
partie de son oeuvre écrite. Il est aussi l'auteur d'importants ouvrages, dont
l' Histoire de Napoléon jer d'après son écriture (24). Il avait entrepris un Diction-
naire des notabilités de France, ainsi qu'une Histoire de l'écriture fondée sur celle
des civilisations et sur la psychologie des peuples.
Si nous insistons particulièrement sur les conceptions graphologiques de
Michon, c'est qu'elles représentent une technique nouvelle, passible d'évo-
lution, car « une science qui ne serait pas progressive ne serait pas une
science » (25).
Face au développement croissant de la graphologie, il est attristant de
constater à quel point son génial créateur est méconnu. C'est à partir de ses
découvertes que Crépieux-Jamin est devenu le grand homme de la grapho-
logie française. Michon, en pionnier, a ouvert la voie et l'a jalonnée de solides
points de repère, car tout est écrit, tout est mis en place. La critique est, dès
lors, facile et même inévitable.
Objectivement, nous devons reconnaître que Michon est un auteur
difficile, pour plusieurs raisons : difficile à trouver d'abord, ses ouvrages étant
épuisés. Difficile à lire, le style lyrique et souvent peu simple de l'époque
demandant qu'on s'y accommode. Difficile à comprendre, car les théories
annoncées comme évidentes par Michon sont fondées sur des données
philosophiques et scientifiques qu'il importe d'avoir présentes à l'esprit si l'on
veut comprendre la suite. De plus, l'ordre et la méthode sont débordés par
un foisonnement impétueux d'idées. C'est souvent au cours d'un ouvrage
qu'on relève un détail du plus grand intérêt, et non pas dans le chapitre où
il devrait se trouver : ainsi, l'étude remarquable des écritures anglaise,
allemande, italienne, espagnole, française, fait partie de l'introduction de la
Méthode et non du chapitre sur les écritures étrangères. Des considérations
très pertinentes sur l'expertise se découvrent à divers endroits. Les écritures
d'enfants, dont il est question dans la préface, sont reprises dans le para-
graphe « ficelles graphologiques ». Définies comme des aides destinées à
faciliter le travail du graphologue, certaines de ces « ficelles » retiennent
particulièrement l'attention. Il aurait semblé logique de rattacher à l'étude
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d'un signe celles qui s'y rapportent, d'intégrer les autres dans l'ensemble dont
elles font partie. Mais c'eût été alourdir davantage une classification déjà trop
pesante.
On perçoit le malaise de Michon qui, engagé dans une entreprise gigan-
tesque et prisonnier d'un système trop exclusivement psychologique, ne
possède ni le recul nécessaire, ni le temps suffisant pour tout repenser, ou
présenter sous une autre forme.
Crépieux-Jamin, en prenant conscience de ces inconvénients, va tenter d'y
remédier : plutôt qu'un trait de comportement, c'est l'écriture elle-même qu'il
va placer au centre de sa démarche, ce qui servira au mieux les intérêts de la
graphologie. Mais il va réaliser cette amélioration au détriment de Michon
dont il conservera le vocabulaire. Dès lors signifiant et signifié n'auront plus
le même rapport, les mêmes termes correspondant à autre chose selon qu'il
s'agira de Crépieux-Jamin ou de Michon (les genres, les espèces par exemple,
ou la qualité de certains aspects). Une telle aberration est grave de conséquen-
ces. A l'heure actuelle, partir de la terminologie jaminienne pour aborder
Michon peut rendre ce dernier incompréhensible ou ridicule. Pour ne pas se
méprendre sur le sens des mots, il faut posséder la clef qui permet, en quelque
sorte, de transposer, en redonnant à certaines expressions leur valeur pre-
mière, leur vraie valeur.
Aucun système n'est parfait, ni définitif. Le mérite de celui de Michon est
d'avoir, au XIXe siècle, édifié la graphologie sur des fondations solides et de
l'avoir ouverte, dès ses débuts, sur de vastes perspectives.

Fig. 3 — Écriture de Michon.

Collection Colette Monceau


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2.
CRÉPIEUX-JAMIN
LE C R É A T E U R D E
L'ÉCOLE F R A N Ç A I S E

O R D O N N E R LES DÉCOUVERTES
Sur la voie royale tracée par Michon, ses disciples n'avaient, semble-t-il,
qu'à recueillir et continuer d ' o r d o n n e r suivant son système les étonnantes
découvertes du maître.
« Il eut, écrivait Maurice Delamain, l'intuition géniale qui avait échappé
à G o e t h e et à Lavater. » L'écriture, « il suffisait de la sentir, et aussi de la
raisonner en tant qu'expression involontaire de l'être du scripteur par
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lui -même... Il fallait apercevoir cette sorte de correspondance qui existe entre
des traits de caractère abstraits, et des qualités matérielles que peut présenter
une écriture... ».
« Cette correspondance entre une qualité sensible (ici, celle de l'écriture
examinée) et une qualité non sensible (morale, intellectuelle, sentimentale)
que Varinard appelait analogie, nous lui d o n n o n s de nos jours le nom plus
précis de symbole. Tel est le fondement de l'œuvre géniale, infiniment
diversifiée dès ses débuts, de Michon... »
P o u r t a n t ce m o n u m e n t capital était insuffisamment étayé et comportait
de graves défauts ; notamment, Michon attribuait à chaque signe une valeur
propre immuable. Il fallait qu'un nouveau génie, Crépieux-Jamin, admirateur
passionné, mais critique — souvent injuste il est vrai — de Michon appliquât
à la recherche graphologique toute la rigueur de son esprit rationnel, son
acharnement d'observateur minutieux, p o u r bâtir une méthode universelle-
ment admirée, et d o n t aucun graphologue n'a pu encore se passer.

DES SOUVENIRS INTACTS


L'auteur de ces lignes a eu la chance d'avoir Crépieux-Jamin p o u r ami et
cela dès son enfance.
Intact dans mon souvenir, à l'autre bout du chemin, il est resté p o u r moi
ce travailleur acharné qui écrivait, jardinait ou cuisinait, sous les yeux de la
fillette puis de l'adolescente que j'étais, moqueuse ou admirative selon qu'il
se montrait pion sévère ou maître passionnant.
Le recul me permet de réajuster les jugements excessifs que je portais sur
lui. Mais il est naturel d'encenser ou de caricaturer les êtres d'exception, et
ne trahirais-je pas son génie même, si je ne faisais revivre Crépieux-Jamin avec
toute sa pesanteur d ' h o m m e , avec ses passions, sa grandeur, et, p o u r q u o i pas,
ses petitesses, tel enfin qu'il m'est apparu dans ma jeunesse ?

D ' u n b o n d de soixante-dix ans, me voici donc à Versailles où habitaient


mes parents. Artiste, fantaisiste, mon père ne comprenait pas les préoccupa-
tions métaphysiques de ma mère ; en apparence comblée, elle supportait mal
le conformisme de la société versaillaise, bourgeoise et pratiquante, qui
cachait son amoralité sous le masque d'un vieux catholicisme déformé. Elle
rêvait d ' u n âge d ' o r où triompherait l'Amour universel grâce aux sciences
humaines p o u r lesquelles elle se passionnait.
T o u t e dévouée aux autres, elle avait p o u r t a n t mauvaise réputation parmi
les dames d'oeuvre. Des bruits inquiétants couraient à son sujet : cette femme
excentrique menait, disait-on, une vie mystérieuse. Elle fréquentait des
groupes théosophiques, elle était abonnée à un journal révolutionnaire
L'Homme libre, de Gustave Hervé. O n l'avait même vu participer à des
manifestations politiques, applaudir aux discours de Jaurès !
En ce début de siècle, le mouvement orientaliste gagnait partout des
adeptes. P o u r les uns, ce n'était que mode passagère, pour d'autres, comme
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ma mère, affamée d'absolu, habitée par une quête spirituelle d'année en année
plus exigeante, il concrétisait une réaction à la mentalité bien-pensante,
étroite, de l'époque...
Elle devint donc une ardente théosophe, et s'inscrivit à la société de
Théosophie qui siégeait, comme aujourd'hui encore, avenue Rapp.
Dans un journal qu'un jour elle feuilletait, une petite annonce singulière
l'intrigua. Un M. Crépieux-Jamin y proposait de faire l'étude du caractère
d'après votre écriture. Elle lui envoya aussitôt une lettre et la réponse lui
parvint sous forme d'un portrait psychologique, saisissant de justesse.
Sa personnalité, ses aspirations étaient subtilement captées, il lui semblait
qu'un projecteur éclairait les zones d'ombre de sa conscience, y défaisait des
noeuds de souffrance.
Elle se sentait enfin comprise, aidée par cet inconnu. Alors, elle lui
demanda d'autres analyses et s'enhardit à lui écrire de plus en plus souvent ;
dans cet échange épistolaire, elle puisait une force nouvelle, une paix régé-
nératrice.
1894 : Crépieux-Jamin publiait L'Ecriture et le caractère. Il en envoya plus
tard un exemplaire à ma mère, qui en fit son livre de chevet. Elle l'annotait,
et le commentait devant moi. Penchées ensemble sur toutes sortes de gra-
phismes dont l'auteur nous expliquait l'incohérence, la simplicité ou la
vulgarité, nous avancions, exploratrices émerveillées, dans un monde nou-
veau : la graphologie. Elle était pour ma mère l'occasion de s'enrichir pour
le bien des autres.
Son écriture reflétait cette intuition du cœur qui rayonnait d'elle. Mais,
élevée au couvent des Oiseaux, elle avait dû apprendre l'écriture dite du
Sacré-Cœur, à la rigidité conventionnelle, et son graphisme en gardait
quelques légères traces. Elle s'indignait que l'on imposât encore cette
contrainte aux jeunes filles du monde.
Crépieux-Jamin ne devait pas rester longtemps un invisible magicien. Ma
mère brava une fois de plus le qu'en dira-t-on versaillais et, un jour, l'invita
à déjeuner. Il habitait Rouen. Elle le fit chercher à la gare Saint-Lazare et
j'attendis, aussi inquiète qu'excitée, son arrivée.

UN PROVINCIAL UN PEU GUINDÉ


Le voici : grand, mince, cheveux brun-roux taillés en brosse, il est mal pris
dans son costume étroit d'alpaga noir. Rien ne manque à sa panoplie de
provincial, ni le pince-nez, ni le « col à manger de la tarte ». Ses épaules
tombantes semblent s'étirer du poids de ses grosses mains velues. « Bonjour,
chère Dame, chère Demoiselle... » Sa voix de fausset, légèrement chantante,
son allure guindée, nous amusent.
Mais, pendant le repas, tandis que nous l'écoutons parler, et il parle
beaucoup, l'apparence insolite de notre invité s'efface peu à peu. Il captive
son auditoire, et même sur le visage de mon père, toute trace d'ironie a
disparu.
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C'est par hasard, nous raconte Crépieux-Jamin, qu'il avait lu dans l'alma-
nach Vermot, entre un horoscope pour midinette et une recette de cuisine,
un article sur les rapports de l'écriture avec le caractère. Coup de foudre ! Il
chargea un ami libraire de lui procurer de la documentation sur ce sujet, et
découvrit l'abbé Michon::- qui lui ouvrit un immense champ de recherche.
Décidé à mettre de « l'ordre dans cette galère », dans ce « fatras », il
composa son premier ouvrage L'Ecriture et le caractère.
Je le regarde, fascinée par ses yeux noirs, très mobiles ; ils brillent de
malice, et tout à coup se fixent sur vous avec une acuité presque insoutenable.
Ils sont maintenant pleins de gravité, tandis qu'il nous explique comment il
veut construire une véritable science graphologique, grâce à sa méthode
rigoureuse de classification des écritures, qu'il finit de mettre au point.
Malgré certains propos fort peu goûtés de mes parents, où perçait son
anticléricalisme : sarcasmes sur la pompe et la hiérarchie cléricale, sur la
bigoterie des pratiquants, malgré des plaisanteries osées, Crépieux-Jamin les
séduisit si bien qu'ils l'invitèrent souvent à la maison. Mon esprit curieux
l'avait sans doute conquis puisque, à la fin de la guerre, il proposa de
m'emmener à la campagne, dans sa propriété de Bois d'Ennebourg. Ma mère
accepta d'autant plus volontiers que j'étais une adolescente diaphane et
nerveuse à qui le grand air ne pouvait qu'être salutaire.

LE M O N D E DE CRÉPIEUX-JAMIN
Un été donc, je débarquai chez lui. Sa maison était parfaitement tenue par
une femme très dévouée, qu'il avait épousée en secondes noces. Pendant des
semaines, attachée à ses pas, je découvris avec étonnement que cet homme
de science, ce théoricien — je l'avais en effet limité jusqu'alors à la dimension
un peu abstraite de son seul discours — était un amoureux de la nature, un
terrien besogneux qui menait une vie simple et rude. Dans les bois d'alentour,
dans son vaste jardin quadrillé au cordeau de plants de fleurs, de légumes les
plus divers, bruissant de ruches et d'oiseaux, il étudiait la botanique, la
diététique, la mycologie. Apiculteur chevronné, il me montrait comment il
nourrissait ses « mouches ». Il passait des heures dans sa cuisine à préparer
des conserves, à surveiller ses confitures qu'il remuait tendrement, enveloppé
d'un immense tablier vert.
L'après-midi, toiujours ponctuel et digne, il s'installait dans son bureau où
s'entassaient courrier, livres et revues, dont celle du Dr Carton, La Revue
naturiste. Son fameux A.B.C. (27), il le rédigea là, dans ce sanctuaire im-
pressionnant, où j'étais autorisée à lire, mais seulement les livres de son choix.
Il me faisait participer à certains travaux de graphologie, écrire par
exemple les analyses de ses clients, en me les expliquant. Ce furent mes
premières leçons.

* Voir chapitre précédent.


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Fig. 4 — L'écriture de Crépieux-Jamin.

Sous ses fenêtres, je revois un cerisier géant, très vieux, un vrai cerisier
de livre d'images, rutilant de fruits d o n t les merles venaient se gorger. Parfois,
il lâchait sa plume p o u r saisir un fusil et, d ' u n e pétarade, dispersait les
chapardeurs.
N o u s nous promenions en carriole dans la campagne. Il m'a appris à aimer
les paisibles et lumineux paysages de sa province. Son sentiment de la nature,
très rousseauiste, était sincère, je le voyais bien dans ses yeux qui s'embuaient
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de larmes devant la beauté d'un couchant, à l'infini des plaines. S'il me voyait
partager son émotion, il me remerciait avec un sourire charmant.
Son désir de se cultiver sans cesse, de combler les lacunes de son ins-
truction primaire, aiguisait son sens esthétique assez enfantin... Il prêchait
l'athéisme, et disait vénérer la beauté. Sa collection de tableaux rassemblait
les oeuvres de peintres régionaux, de médiocre facture. Je ne l'ai jamais
entendu prononcer les noms de Renoir ou de Monet...
Quant à la musique, il croyait en posséder la clé, sinon les clés, grâce à
un piètre instrument, un pianola, qui trônait dans son salon et, quand il en
jouait, broyait, en un pâteux amalgame, tout caractère, toute nuance,
mélodique ou harmonique, dans sa mécanique impitoyable.
Une sorte de grandeur, chez lui, m'impressionnait : elle était le rayon-
nement de ses qualités morales si pures, si rares, d'équité, de désintéresse-
ment, de courage ; je n'en étais pas encore consciente.
Mais il n'était pas facile de vivre avec Crépieux-Jamin. Susceptible,
autoritaire, il n'admettait que ses idées. Si vous ne les acceptiez pas, vous
risquiez fort de vous en faire un ennemi. Ma nature indépendante supportait
mal les contraintes qu'il voulait lui imposer.
Cette année-là, je devais terminer mes vacances chez des cousins, au
Havre. Enfin, j'allais jouer avec des enfants de mon âge, échapper à la
surveillance du maître de Bois d'Ennebourg !
Un dernier déjeuner nous réunit. Il me demanda de découper un melon
selon des règles bien précises qui, d'après lui, me seraient utiles dans mon
futur rôle de maîtresse de maison. Encore une leçon ! J'enrageai ! Mais
j'écoutai, apparemment docile, selon quelles lois géométriques je devais
opérer. Puis, tandis qu'il m'épiait de son œil sévère, déjà enivrée par la liberté
joyeuse qui m'attendait là-bas, je me mis à taillader le fruit en morceaux
biscornus, pour marquer ma rébellion. L'après-midi, je prenais le train sans
lui avoir adressé la parole.
Notre brouille fut, bien entendu, passagère. Je le revis régulièrement et
correspondis avec lui.

Est-ce le pressentiment de sa mort prochaine qui m'inspira plus tard une


lettre à mon maître, débordante de gratitude ? Je lui écrivais quel heureux
souvenir je gardais de lui, combien je m'étais enrichie à son contact ; c'était
comme un adieu. « ...Dans mon cœur fleurit la reconnaissance... »
Ma lettre le toucha beaucoup ; il la lut à tous ses amis : « Voilà ce que
m'écrit une femme qui a été une enfant capricieuse, mais qui reconnaît que,
grâce à moi, elle a appris à bien vivre, à mettre de l'ordre dans ses pensées,
à ne pas se livrer à toutes ses fantaisies... »
« Les femmes sont délicieuses, disait-il aussi, mais il est bien rare qu'elles
s'élèvent aux idées générales. Une femme philosophe, ça n'existe pas ! » Dans
cette gent féminine, qu'il méprisait un peu, il m'avait fait une place à part. Il
avait pour moi un sentiment paternel très désintéressé, une véritable affection.
Comment ne resterais-je pas attachée à jamais à mon maître, Crépieux-
Jamin, lui qui me considérait comme sa fille spirituelle et disait un soir à des
amis lors d'un dîner, en me regardant étrangement : « Il y a en elle de
l'éternité. »
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REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Sa vie, Crépieux-Jamin nous la raconta à Bois d'Ennebourg, un soir où
nous nous étions retrouvés avec E d o u a r d de Rougemont, l'oncle de Denis,
mon f u t u r professeur de graphologie, et sa femme Germaine, un couple
original, très en marge des conventions, qui sillonnait les routes de France
à bicyclette. N o t r e hôte était un homme fier, peu enclin à dévoiler ses états
d'âme, à parler de ses expériences personnelles. A notre grande surprise, il
se laissa aller, ce soir-là, à l'évocation de son passé. Il paraissait nous avoir
quittés ; son regard, d'habitude si vif, planait loin de nous qui l'écoutions avec
émotion.
Il avait conscience d'avoir mené une existence singulière, d'avoir suivi une
route à part. Issu d'une modeste famille d'Arras, il avait été élevé par une mère
qu'il adorait, la femme qu'il a certainement le plus admiré. Il suivit des études
primaires, devint élève horloger et gagna un concours de la meilleure montre,
à Genève, grâce à son habileté manuelle exceptionnelle. Mais les montres se
fabriquèrent bientôt mécaniquement, en série industrielle, et il d u t renoncer
au métier d'horloger. Après son service militaire, toujours installé chez sa
mère, il commença des études de dentiste. Il n'était pas bachelier, mais ses
maîtres avaient remarqué ses dons rares et son assiduité ; ils l'autorisèrent
donc à passer un examen probatoire qu'il réussit aisément. Sa mère était une
précieuse conseillère ; q u a n d elle devint aveugle, il lui lisait et lui commentait
les œuvres de Michon.
Par la suite, il se fixa à Rouen où il ouvrit son propre cabinet, et se maria
à une suissesse, Mlle Jamin, qui lui d o n n a de nombreux enfants.
Sur la toile de fond d ' u n e ville très catholique comme Rouen, toute
vibrante, a u t o u r de sa cathédrale, du souvenir de Jeanne d'Arc, le radical-
socialiste Crépieux-Jamin prenait un singulier relief. Ce franc-maçon, anti-
militariste et anticlérical, se gaussait des curés et des offices religieux.
Matérialiste convaincu, il prônait que même le mariage ne devait pas entraver
la liberté sexuelle. Il était le contraire d'un ascète et considérait la femme
comme un être inférieur, à de rares exceptions près, tout en g a r d a n t une
parfaite objectivité dans ses analyses d'écritures féminines.
Mais il croyait en la dignité de l'homme, en sa vertu, au sens latin du mot.
N o m m é expert en écriture au procès de Dreyfus, il avait été vite persuadé de
l'innocence de l'accusé et l'avait farouchement défendu dans plusieurs
articles, à la suite de Zola qu'il admirait fort, puis dans un livre L'Expertise
en écriture et les leçons de l'affaire Dreyfus (28).
Rouen ne le lui p a r d o n n a point. O n brisa ses vitres à coups de pierres,
on déserta peu à peu son cabinet dentaire, qu'il d u t se résigner à fermer, faute
de clients. Il se consacra alors à la graphologie et retrouva, par cette voie
originale, une impressionnante et cette fois fidèle clientèle. Elle compta
jusqu'à deux cents familles qui n'entreprenaient rien dans leurs affaires
publiques ou privées, sans l'avoir consulté. Il n'avait recours à aucune
publicité, ne parlait jamais de ses activités, sauf aux amis fidèles qui trouvaient
chez lui un accueil plein de délicatesse. Jusqu'à sa mort qu'il accepta avec une
grande dignité, pendant l'exode, en 1940, il mena une vie retirée.
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DES LOIS ET DES GENRES


Animé par l'enthousiasme rationaliste de cette fin du XIXe siècle, persuadé
que la science devait trouver à la longue le secret de la création de l'homme,
il voulait être avant tout un scientifique. Il a donc énoncé des lois. Véritable
anatomiste, « ... il fit pour la graphologie ce que Linné fit pour la botanique,
Cuvier pour la zoologie, Boileau pour la grammaire », il nomma des espèces,
une fois pour toutes.
« Savoir ce que l'on cherche, décrire minutieusement ; puis faire l'essai
d'interprétation logique »... Armé de son scalpel, il dissèque les écritures les
plus diverses ; constructeur opiniâtre, il en regroupe les caractéristiques en
près de 200 espèces qualitatives et en sept genres, ces piliers de la science
graphologique, que dominent les grandes synthèses d'orientation, principa-
lement l'harmonie et l'inharmonie, synthèse de première grandeur.
Les lois
— lre loi : On recherche la signification d'un trait de l'écriture en le
considérant comme un mouvement physiologique et en le mettant en rapport
de qualité, d'étendue, de constance et d'énergie avec le mouvement psycholo-
gique correspondant.
— 2' loi : Il n'y a pas de signe particulier indépendant ; il n'y a que des signes
généraux dont les modes sont divers. On précise le sens d'un des modes
désignés généraux en le rattachant à sa souche et en adaptant la signification
de celui-ci aux conditions du milieu dans lequel ce mode se manifeste.
— 3' loi : Un signe graphologique ne représente pas nécessairement un seul
trait de caractère, par exemple l'écriture montante signifie ardeur, activité,
ambition, joie momentanée, folie. La valeur d'un signe dépend de sa cause,
de son milieu, de son intensité. Par exemple l'écriture descendante fait
apparaître une inquiétude passagère, l'accablement habituel ou tout simple-
ment le papier mal placé.

Les 7 genres
1. La dimension qui situe l'être dans son milieu comme l'écriture l'est dans
la page.
2. la forme qui représente la variété, l'originalité ou la banalité des images de
son caractère et de sa psyché.
3. La vitesse qui est la projection naturelle de son mouvement.
4. La pression qui signifie son emprise sur le monde et qui est l'expression de
sa vitalité.
5. La direction qui est l'orientation choisie : le haut, le bas, la droite, la
gauche.
6. La continuité qui enregistre le rythme personnel et est la marque de sa
personnalité.
7. L'ordonnance qui règlemente le milieu dans lequel l'homme évolue. Il n'y
a pas de graphiques pour ce genre qui est présent dans les 6 autres.
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Fig. 5

Fig. 5 — L'harmonie de l'écriture est faite de Fig. 6 — Les disproportions, les discordances
ses proportions heureuses, de sa clarté, de et les exagérations suffisent, d'autre part, à
l accord entre toutes ses parties. Les tracés caractériser l'écriture inharmonieuse, mais ses
simples, sobres et aisés précisent davantage sa plus bas étages sont formés avec l'assistance
valeur. L'harmonie de l'écriture correspond à de la confusion, de la complication et surtout
celle du caractère, c'est la grande marque de de la grossièreté. L'inharmonie de l'écriture
la supériorité. révèle l'infériorité du caractère.

Fig. 6
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LES GRANDES SYNTHÈSES


« Pour déterminer le milieu graphique, à savoir la supériorité ou l'infé-
riorité, on doit s'essayer à une synthèse...
« Apprendre la graphologie, c'est se familiariser avec les causes des
variétés de l'écriture et leurs significations, la savoir, c'est l'envisager conti-
nuellement à travers ses conceptions synthétiques, dans sa substance pro-
fonde, sous la protection des grandes idées que réalise la multitude de ses
petites manifestations : l'inorganisation des tracés ou leur heureuse combinai-
son, l'harmonie, ou l'inharmonie, la grossièreté ou la distinction, l'ordre ou
le désordre, l'exagération ou la mesure, la clarté ou la confusion, la simplicité
ou la complication, la mollesse ou la fermeté, la lenteur ou la vitesse, la
continuité ou la discontinuité, l'inégalité ou la monotonie, l'inhibition ou la
dynamogénie. Si ce n'est pas tout, l'essentiel est là...
« Puisque l'interprétation des mouvements de l'écriture est fonction du
milieu dans lequel ils se manifestent, il fallait trouver le moyen de déterminer
ce milieu par des procédés rapides. Nous l'avons tenté de deux manières qui
peuvent très bien se superposer. La première renseigne sur le développement
du scripteur, en partant de l'écriture inorganisée des enfants, qui s'organise
bientôt dans les conditions d'une éducation normale. Les meilleurs parvien-
nent ensuite à réaliser des tracés combinés, très personnels, jusqu'à ce que
diverses causes, principalement la maladie ou la vieillesse, fassent apparaître
des éléments de désorganisation. »

LA CARACTÉROLOGIE
DE CRÉPIEUX-JAMIN
On ne peut mieux situer le maître dans l'histoire de la psychologie que
ne l'a fait Maurice Delamain : « Comme psychologue, il fut pragmatique et
moral ; mais il le fut avec la grandeur d'un sage. Sa psychologie est digne de
la fleur de notre psychologie classique, qu'admire et admirera toujours le
monde entier : celle des Montaigne, des La Fontaine, des Molière, des La
Rochefoucauld et des moralistes français. C'est une psychologie de ce qu'on
sent et de ce qu'on voit, c'est elle qui règle "le monde comme il va" et fait
même connaître comment il devrait aller. Elle dévoile les hommes, leur valeur,
leur bassesse ou leur noblesse, leur veulerie ou leur énergie telles qu'elles
apparaissent pratiquement dans la vie, alors qu'en allant de cause en cause
et en profondeur on arrive à ne plus savoir que penser ; et si on arrive à penser
quelque chose, on ne se sent plus le courage de juger. »
Son étude de l'homme, Crépieux-Jamin la fonde exclusivement sur cette
caractérologie classique. Pulver-" critique « l'approche superficielle » que

* Voir chapitre 4.
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7 - Un exemple d'étude graphologique qu'il est, a pour qualité la simplicité, le natu-


de Crépieux-Jamin, celle de Madame H.Q. : rel, la clarté. C'est donc un jugement sain,
d'une perspicacité moyenne mais d'un bon
« Ce caractère est relativement simple. Il est sens élevé et droit.
en dehors, assez exubérant, ce n'est pas un « Sa vie intellectuelle, ainsi délimitée, est
caractère dont quelque coin est toujours d'une intensité moyenne, avec des candeurs et
ignoré ; on voit clair en elle. Son intelligence aussi des enthousiasmes.
aussi est claire. On ne peut pas dire qu'elle a « Elle a une tendance à ne pas voir le mal et
un esprit spécialement fin et pénétrant, mais à s'exagérer le bien ; elle le fait d'ailleurs,
elle conçoit clairement. Son jugement, dans ce logiquement, en se croyant obligée, par un
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devoir de conscience, à augmenter son action sait cela, de ne rien ajouter à l'estime qu'on a
à mesure qu'elle agit. Aussi sa loyauté est-elle pour ses qualités quotidiennement réalisées.
très grande ; elle met un scrupule particulier « D'ailleurs, son charme est présent. Elle ne
à remplir ses engagements, ne craignant pas, s'insinue pas, elle s'impose.
dans son extrême bonne foi, à fournir des « Sa véhémence, son amour de la vie, sa
armes contre elle. En sorte qu'elle pourrait jeunesse d'âme, en font une personnalité
être victime de gens moins droits et que le vibrante qui ne peut passer inaperçue.
conseil, l'un des conseils les plus utiles qu'on « Elle entraîne. Et l'on s'abandonne devant
puisse lui donner, est d'être prudente dans la une droiture aussi évidente, devant une sim-
droiture. plicité et une spontanéité sans envers, ou à peu
« Son caractère est doux, mais très vivant. Elle près.
est affectueuse, aime à se dévouer et ne re- « En effet, nous observons chez elle des arrêts
culerait nullement devant les actes les plus brusques, non pas des changements de direc-
généreux. tion, mais une cessation instantanée de toute
« Elle a le courage et saurait puiser l'énergie action. C'est le contrepoids utile à son impé-
dans l'idée qu'elle aurait de son devoir. Qu'un tuosité, un frein à la violence, en somme une
sentiment l'entraîne, qu'elle soit persuadée et garantie contre les emportements de tous les
la voilà héroïque sans effort. Sans doute, elle genres. Elle ne se reprend pas quand elle aime,
peut vivre sa vie entière sans que ces senti- mais plus sage qu'elle n'apparaît peut-être,
ments puissent se manifester, mais il est bon elle sait marquer le pas et réfléchit avant
de savoir qu'il y a en elle cette semence d'aller plus loin.
précieuse qu'une circonstance favorable ferait « Naïve par quelques côtés, elle prend ici sa
germer aussitôt. Et il est impossible, quand on revanche. »

représente la caractérologie prise à peu près dans le sens que lui ont donné
la littérature et la comédie classique : description de la façon d'être de types
empiriques. Un groupe d'expressions individuelles est placé sous l'empire
d'une passion (l'avare, le menteur, le héros) et ainsi la particularité person-
nelle, que la nuance elle-même arrive à peine à exprimer, se trouve cernée
dans le relief d'un type aux contours nets... « Les graphologues français
considèrent la psychologie comme un lieu commun, sociologique ou mon-
dain... »
Mais il reconnaît que « l'école française, qui a été le point de départ de
la graphologie scientifique, nous transmet un remarquable trésor d'observa-
tions et de connaissance sur l'homme ».

L'INTUITION ET LE SAVOIR
Crépieux-Jamin s'est tenu en dehors des recherches nouvelles qui orientè-
rent les graphologies suisse et allemande, après les découvertes de Freud et
de Jung. Il représente une étape historique, comme il y en a dans toute science,
de déchiffrement précis, descriptif, nécessaire à l'édification de la grapholo-
gie. Il écrit que « le travail de compression des détails graphologiques au
profit des signes généraux ne pouvait être l'œuvre d'un jour ; il était condi-
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tionné par le développement et le classement de la collection d'autographes


de toute nature, que nous avions entreprise, labeur absorbant et sans cesse
remanié ».
Il est aidé par une intuition remarquable, mais il se méfie de cette forme
de connaissance et des graphologues intuitifs : « La tentation est forte de les
imiter pour les gens qui veulent seulement s'amuser. Toutefois, les vrais
amateurs de graphologie, ceux qui l'aiment, désirent l'utiliser pour leurs
besoins sociaux, penseront que substituer l'intuition au savoir, c'est se lancer
dans la carrière comme un casse-cou, avec la probabilité de s'égarer... Un
graphologue intuitif est un homme qui ne sait rien et veut tout deviner.
L'intuition favorise le savant et fait divaguer l'ignorant. Dans aucune matière,
l'expérience ne vient soudainement. En graphologie, elle résulte de vérifica-
tions répétées et d'essais ininterrompus, car on ne fait bien que ce qu'on fait
souvent. »
Chez lui, l'intuition n'avait pas le caractère divinatoire qu'on lui donne
parfois ; elle était pur esprit de finesse, allié à un sens aigu de la combinaison,
qui lui permettait d'aboutir, en un temps record, à des « résultantes » d'une
admirable acuité.
Maurice Delamain écrit encore : « On devrait consacrer un essai à la
psychologie de Crépieux-Jamin ; on tirerait d'un livre comme L'Ecriture des
canailles des réflexions et maximes égales à celles de nos meilleurs auteurs.
On y voit la justesse et la subtilité, la sagesse, la lucidité devant le mal et
devant la faiblesse, l'équitable appréciation des qualités et, ce qui est plus rare
dans une philosophie du bon sens, l'enthousiasme du Beau. »
Mais Crépieux-Jamin n'entre jamais dans la démesure. Seul compte pour
lui le critère de l'harmonie et de l 'inharmonie pour décider de la supériorité
ou de l'infériorité d'un être. Elle est la clé de voûte de l'écriture. « L'âme de
notre œuvre est dans cette idée grâce à laquelle on sort de l'indécision,
souvent d'un seul coup d'œil, dans le choix des expressions mélioratives ou
péjoratives... »
Malgré les limites de sa vision — une écriture harmonieuse ne traduit pas
nécessairement la supériorité d'un être, pas plus qu'une écriture inharmo-
nieuse ne traduira sa médiocrité —, Crépieux-Jamin, grâce à son don de
pénétration, nous emmène sans même s'en rendre compte jusqu'au seuil du
pathologique. (Notons au passage qu'il ne se prononce pas au sujet du génie ;
il trouve exceptionnelles, mais pas harmonieuses, les écritures de Pascal et de
Napoléon, belles celles de Hugo et de Zola). Il refuse le formniveau de
Klagesî;", mais il l'annonce par l'écriture rythmée dans l' A.B.C. : « La conti-
nuité donne naissance à des rythmes très caractéristiques de la personnalité...
d'où l'importance du système des liaisons... Beaucoup de causes influencent
le rythme de l'écriture... les troubles physiologiques ou pathologiques de la
circulation et de la respiration sont parmi les causes les plus fréquentes... »

"*' Voir chapitre suivant.


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Voici 7 schémas en forme d'oeuf qui résument de toutes sortes, au prix souvent de sacrifices,
et hiérarchisent les espèces des genres graphi- de souffrances et d'excès.
ques. Malgré ce qu'il affirme au début de Ici, on pourrait multiplier les exemples.
l' A.B.C. : « N o u s avions a b a n d o n n é depuis Revenant à ces graphiques, nous pourrons
longtemps la formule mystique de l'abbé dire pour chaque cas que plus l'on s'écarte du
Michon, C'est l'âme q u i directement écrit et sommet idéal, plus les risques de déséquilibre
p a r l e » , nous savons que Crépieux-Jamin a augmentent ; au bas de l'oeuf se rejoignent,
bien pressenti cette âme. des chemins opposés, des comportements
Ces schémas sont une tentative de synthèse. pathologiques. Nous savons hélas que le génie
Ils doivent être mis en parallèle avec l'image n'est pas loin de la folie, du dérèglement ;
de l'homme qu'ils représentent et participent ceux qui l'ont reçu en partage payent souvent
au symbolisme de l'espace. Le haut de l ' œ u f fort cher ce don précieux. Nous retrouverons
symbolise, dans sa partie extrême, le point dans leur écriture les possibilités et les risques
d'équilibre que nous portons tous en nous, que nous aurons alors à interpréter avec les
sommet, région privilégiée, sorte d'idéal, de plus grandes prudence et attention et le plus
mesure, de p r o p o r t i o n heureuse, d'esthétisme. grand respect.
Cette h a r m o n i e est difficile à atteindre et à Nous voyons par exemple en dimension qu'en
allant aux extrêmes, on arrive fatalement au
conserver parce qu'en nous coexistent l'ombre déséquilibre, à la folie. Et que dans le genre
et la lumière, le désir d'obéissance et le besoin forme, la rigidité ou la mollesse entraîne soit
de transgression, ainsi que la nécessité de l'idée fixe, soit la confusion mentale.
p e r m a n e n c e et la recherche de changement, Crépieux-Jamin a eu, entre autres, la prémo-
de mobilité, le désir de paix et le besoin de nition des théories de Rhoda Wieser, qui, dans
lutte. L ' h a r m o n i e sera le fruit de l'équilibre son ouvrage Rythme et polarité, a pris comme
recherché et maintenu entre ces données
base de recherche cette notion de polarité qui
contradictoires. T o u t ce qui se situera hors de maintient l'écriture entre les extrêmes de
cet espace t r a d u i r a l'écart d'avec le modèle rigidité ou de relâchement dans une four-
idéal. Dans chacun des genres, le graphologue chette d'inégalités mesurées écartant des ex-
trouvera matière à étude et devra ensuite faire
cès. Au-delà, c'est la folie. Rhoda Wieser a
la synthèse générale de ses observations. Ce constaté, dans les écritures de délinquants,
travail n'est nullement exhaustif, mais il est une absence ou une grande faiblesse de
proposé c o m m e un point de d é p a r t d'étude. rythme dans le trait lui-même, soit par rigi-
Ainsi, les transgressions de dimension peuvent dité, soit par relâchement. Elle en conclut que
être prises, dans un sens soit péjoratif : or- l'absence de rythme fondamental du trait
gueil, importance du moi, absurdité et extra- révèle un égoïsme qui, par dureté ou par
vagance, soit positif : affirmation exception- lâcheté, peut mener jusqu'au crime. L'élasti-
nelle d'une personnalité qui est parvenue à cité du trait est l'essence même du rythme de
une dimension d'accomplissement. base.
P o u r la forme, tout divorce avec la forme
idéale p o u r r a être négatif : artifice et compli-
cations, ou positif : création personnelle.
Et ainsi p o u r les autres genres qui vont être
examinés ci-dessous. O n r e m a r q u e r a qu'il n'y Fig. 8 — Dimension (genre 1). Dans ce genre,
a pas de graphisme p o u r le genre o r d o n n a n c e l'écriture comporte trois zones qu'il convient
qui est présent dans les 6 autres. d'étudier séparément. Le haut (ou hampes), le
Mais la loi est précisément que ces transgres- milieu (ou zone médiane), le bas (ou jamba-
sions, qui ne sont pas sans d a n g e r et sans ges). Cet ensemble représente le milieu où
risque de rejoindre la pathologie, peuvent être l'être se situe de différentes façons. La di-
génératrices de renouvellement et d ' a p p o r t mension de l'écriture offrira des exagérations
dans tous les domaines. ou des réductions dans chacune de ces zones.
Songeons à toutes les tentatives de l'homme On appelle écriture basse celle qui évolue dans
et à son besoin de déchiffrer les énigmes de la zone médiane, la plus importante de tou-
l'univers, à tous les risques que c o m p o r t e n t les tes ; écriture surélevée celle dont les hampes
recherches aussi bien scientifiques qu'artisti- sont particulièrement montantes ; écriture
ques, sans c o m p t e r le goût de la compétition, prolongée en bas celle où l'allongement et le
et l'on c o m p r e n d r a ce que les transgressions gonflement des jambages donnent lieu aussi à
ont apporté à l'humanité en renouvellement, des appréciations graphologiques.
en progrès, en communication et en richesse Un dépouillement excessif des formes signifie
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Fig. 8

effacement de la personnalité, peut-être né- Une écriture formée dans la zone médiane,
vrose schizophrénique ; une grandeur exagé- qui représente la zone du moi et qui est donc
rée, la mégalomanie, éventuellement l'hysté- essentielle, n'entraîne pas obligatoirement des
rie. appréciations péjoratives. Dans l'écriture al-
Dans le genre dimension, il est souhaitable lemande actuelle, les deux zones du haut et du
que soient respectées les règles de la calligra- bas sont presque entièrement supprimées.
phie. Toute tendance à la suppression d'une Notons qu'une écriture toute en hampes ou
des zones est dommageable. toute en jambages ne se conçoit pas.

Fig. 9 — Écriture grande.


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LA

GRAPHOLOGIE
Une nouvelle édition, revue et augmentée,
d'un ouvrage fondamental sur les décou'
vertes et les applications de la graphologie.
La somme des connaissances sur l'analyse
de l'écriture rassemblées par vingt-quatre
auteurs, tous graphologues professionnels,
et placés sous la direction de Pierre Faideau,
expert en écriture, agréé par la Cour de
Cassation et membre du Groupement des
graphologues'conseils de France.
Histoire. Des pionniers, Michon et Cré-
pieux'Jamin, aux grands contemporains.
La rencontre de la graphologie et de la
psychanalyse.
Pratique. De la caractérologie à l'orienta-
tion professionnelle et au recrutement, de
la médecine à la criminologie, toutes les
utilisations de la graphologie. L'évolution
de l'individu, de l'enfant au vieillard, vue à
travers son écriture.
Perspectives. Les investigations théra-
peutiques de la graphologie en psychiatrie
et un chapitre inédit sur la graphologie et
l'informatique.
Le livre complet et accessible sur la gra-
phologie d'aujourd'hui et de demain. Plus
de 500 exemples d'écritures anonymes et
célèbres, analysés, comparés et commentés.
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