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UNIVERSITE DE LUBUMBASHI
FACULTES DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
Département de Philosophie
B.P. 1825
LUBUMBASHI

COURS D’HISTOIRE

DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
Par Professeur Ordinaire Abbé Louis MPALA Mbabula

ANNEE ACADEMIQUE 2021-2022


2

INTRODUCTION

Ancien étudiant en Philosophie (Grand Séminaire saint Paul de


Lubumbashi-RD Congo / 1981-1984, Université Catholique du Congo/1996-
1999, Université de Lubumbashi/2004-2006) et chercheur en Philosophie
africaine1, me voici en train de proposer un Cours d’Histoire de la Philosophie
africaine. Professeur d’Histoire de la Philosophie occidentale, par ce cours je
compte combler mon parcours d’enseignant d’Histoire de la philosophie
occidentale et africaine2.

Comme toute histoire de la philosophie est un vaste espace ou une


forêt dense dont il faut emprunter plusieurs chemins pour s’en sortir, de
même l’Histoire de la Philosophie africaine est constituée de plusieurs
chemins, tracés ou frayés par plusieurs historiens de la philosophie
africaine produisant des écrits ou des audio, parfois polémiques, mais surtout
ayant l’ambition d’en dire quelque chose. Ainsi vit et grandit la Philosophie.

Sans être historien de la Philosophie africaine, mais chercheur en


Philosophie africaine, mon Cours d’Histoire de la Philosophie africaine
empruntera plusieurs chemins et c’est ici que la sélection des auteurs et de
leurs écrits dévoile notre subjectivité et nos limites documentaires, car
chaque jour apparaît un livre ou un article sur la Philosophie africaine. Loin
d’être un « péché philosophique », l’assomption de cette réalité rend libre
l’esprit philosophique et le pousse à en savoir plus.

De ce qui précède, on saura que tout cours est un chantier qui


deviendra un jour un livre ; cela exige, de ma part, de nouvelles lectures, un
esprit d’écoute des suggestions et une tolérance devant les critiques fondées
et non fondées.

1
J’ai beaucoup publié dans le domaine de la Philosophie africaine….
2
Mon livre, Philosophie pour tous. Introduction thématique à la occidentale et à la
philosophie africaine, Paris, Edilivre, 2016, me sert d’Introduction de la / à la Philosophie.
3

O.1. Objet du cours

Notre cours a pour objet l’Histoire de la Philosophie africaine.


Autrement dit, nous parlerons de la philosophie africaine sous son angle
historique. Existe-t-il la Philosophie africaine pour qu’elle ait une Histoire ?
Oui, elle existe et les philosophes africains ont appris à discuter entre eux
Africains et entre eux et les étrangers. En effet, Platon reste convaincu, comme
moi, que la Philosophie existe parce que l’homme existe ; or le Noir est un
homme ; donc la Philosophie africaine existe. C’est l’HOMOCENTRISME
que je prône depuis quelques années. Nous en parlerons en détail au temps
opportun.

Puisqu’il s’agit de l’Histoire de la Philosophie africaine, nous serons


confrontés à sa périodisation, à ses méthodes, etc.

O.2. Objectifs pédagogiques

A la fin de ce cours de 60H, 45H et 30H selon les Institutions où ce cours


sera dispensé, les étudiant-es seront capables de :

1. Etablir les liens existant entre Philosophie et Histoire


2. Discuter sur la périodisation proposée par Hubert MONO Ndjana
3. Découvrir des philosophes africains classés parmi les philosophes
gréco-latins
4. Classer les philosophes soit dans l’Histoire de la Philosophie africaine
du Passé soit dans l’Histoire de la philosophie africaine du Présent
5. Indiquer le rôle que joua la publication de La philosophie bantoue de
Placide Tempels dans l’Histoire de la Philosophie africaine du Présent
6. Apprécier le débat portant sur la Problématique de la Philosophie
africaine
7. Se prononcer ou prendre position sur les arguments des Critiques de
l’Ethnophilosophie et sur ceux des Critiques des Critiques
4

8. Constater que les Philosophes africains comme philosophes savent


changer le fusil d’épaule quand ils débusquent des erreurs dans leurs
pensées philosophiques. Ainsi parlera-t-on de Wittgenstein I et II et
Hountondji I et II, car l’Histoire n’est jamais statique, mais elle est,
selon moi, spirale.
9. Enumérer les Grands courants de la Philosophie africaine dans son
Histoire et les critères sur lesquelles je me base
10.Citer quelques philosophes africains francophones, anglophones,
maghrébins, égyptologues et afrocentristes
11.Contribuer à l’Histoire de la Philosophie africaine
O.3. Compétences ou acquis

Sachant que l’éducation humaine est permanente, le Cours d’Histoire de


la philosophie africaine va au-delà de l’Instruction pour faire partie intégrante de
l’éducation car l’être humain ou la personne est à concevoir comme « une
construction permanente »3.

Le cours de l’Histoire de la philosophie africaine invite l’apprenant à


adopter un style de vie s’inspirant, avec un esprit critique, des idées des
philosophes, car avant lui le monde a été et après lui le monde sera. Il est
convié à prendre conscience qu’il est FILS de son temps, mais appelé à
devenir PERE de son temps. C’est cela le sens fort de la tradition : être
héritier et savoir transmettre un héritage enrichi de son expérience si l’on
avait une.

Tout est fait en vue d’aider les apprenants à se construire une personne,
autrement dit, à « se découvrir soi-même : savoir qui on est et surtout quelles

3
MINISTERE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE (ENSEIGNEMENT DE LA
COMMUNAUTE FRANCAISE :Administration Générale de l' Enseignement et de la
Recherche Scientifique), « PROGRAMME D'ETUDES DU COURS DE
MORALE181/2002/240 » [en ligne]: http://www.restode.cfwb.be (page consultée le
24/03/2021).
5

fonctions individuelles on est résolu à assumer, c'est, ensuite, être capable de se


créer des fins [pas comme le stipule F. Nietzsche : chameau, lion et enfant],
de devenir une conscience organisée et de faire des choix successifs, qui
s'agencent et se structurent en une conduite ordonnée [ et ne jamais oublier que
la personne humaine reste un mystère et pour lui-même et pour les autres, d’où
il doit se pardonner quand sa conduite s’avère parfois désordonnée. L’homme
n’est ni ange ni bête, nous prévient Blaise Pascal] »4.

De ce fait, à la fin de ce cours, les apprenants feront preuve de


« COMPETENCE », compétence prise « dans la perspective des finalités
spécifiques du cours, dans une acception non utilitariste. Il s'agit essentiellement
de " savoir-être ". Il faut considérer ici les compétences comme des outils de
réalisation de soi et non comme des performances à atteindre, et encore moins
comme des normes mesurables »5. Toutefois, ce Savoir-être se transfigure en
Savoir-Faire.

De ce fait, voici la présentation générale des compétences et leur


déploiement :
« 1. SENTIR, RESSENTIR.
Compétences affectives et socio-affectives visant le développement de la
sensibilité, liées à la construction :

- de l'identité
- du lien social
être réceptif aux autres et au monde
être à l'écoute de soi et des autres
s'estimer et avoir confiance en soi
être capable d'empathie et de compréhension d'autrui
reconnaître en chacun la personne humaine
4
Ibidem
5
Ibidem
6

prendre en compte les différences dans l'acceptation de la confrontation et du


conflit

2. PENSER, FAIRE SENS.


Compétences cognitives visant à amener l'apprenant à :
- conceptualiser
- problématiser
- argumenter
- se distancier par l'esprit critique
- pratiquer le libre examen
- développer la pensée inductive, analogique, métaphorique, créative.
2.1 Apprendre à penser et à pratiquer le libre examen
.Apprendre à douter
Apprendre à mettre en question ses préjugés, à formuler un énoncé interrogatif
Apprendre à rendre problématique une opinion, une certitude, une information
Apprendre à se distancier pour réfléchir
Comprendre et approfondir une pensée, une information
Apprendre à argumenter ses opinions
Apprendre à raisonner correctement, à construire une définition d'une notion
philosophique
Apprendre à formuler un avis critique et personnel à propos de l'information
traitée

Apprendre à développer son esprit critique face à la diversité de pensées


philosophiques

Rechercher la vérité, les fondements de la vérité, tout en acceptant que toute


vérité est toujours provisoire et peut être remise en question

2.2 Apprend re à penser avec les autres


7

Communiquer sa pensée
Pratiquer l'échange dialogique et argumenter ses jugements
Apprendre à discuter dans le respect du pluralisme
3. AGIR
Compétences décisionnelles visant au développement de l'engagement dans
l'action individuelle, sociale, citoyenne et collective.

3.1 Apprendre à être auteur et acteur de sa propre vie philosophique


Apprendre à décider
Se penser en termes de projets personnels
Apprendre à prendre le courage de risquer
Toutes les compétences précitées concourent à la construction de la
personne.

O.4. Division du cours

Des objectifs pédagogiques précédents, il ressort le plan suivant :


Premier chapitre : Philosophie et Histoire
Deuxième chapitre : Histoire de la Philosophie africaine du Passé
Troisième chapitre : Histoire de la Philosophie africaine du Présent
La table des matières donnera les sous-points de chaque chapitre.
8

O.5.Méthodologie de l’enseignement

Pour dispenser ce cours nous ferons appel, principalement, à deux


méthodes. La première est ex cathedra : nous exposerons et expliquerons le
cours magistralement. La deuxième est la méthode interactive : comme nous
aurons affaire à l’histoire de la philosophie africaine parsemée des débats autour
de plusieurs thèmes, nous provoquerons les étudiants à réagir et ainsi, une
interaction s’établira entre l’enseignant et les étudiants.

O.6. Matériels d’apprentissage


Notre cours utilisera le syllabus comme support didactique ou
pédagogique et la consultation de la bibliothèque et de l’Internet sera
indispensable pour compléter leur formation et aiguiser un regard critique sur le
cours.

O.7. Evaluation

Notre évaluation sera à la fois formative et sommative. Les étudiants


feront un Travail Pratique qui leur permettra d’approfondir les thèmes et d’en
trouver d’autres non étudiés. Le TP sera coté comme moyenne annuelle. A la
session, ils passeront un examen écrit qui sera coté. Les deux cotes additionnées
donneront la cote annuelle.

N.B. : comme ce cours fera appel à mes publications sur la Philosophie


africaine, il n’est pas surprenant que j’utilise à la fois le JE et le Nous.
9

CHAPITRE PREMIER : PHILOSOPHIE ET HISTOIRE

Etymologiquement, le mot HISTOIRE vient du grec "historia" signifiant


recherche, information6.Ainsi, on ne sera pas surpris de voir Raymond Aron
définir l'histoire comme "la reconstitution, par et pour les vivants de la vie
des morts. Elle naît donc de l'intérêt actuel que des hommes pensant,
souffrant, agissant, trouvent à explorer le passé"7. Comme on peut le deviner,
il s'agit de l'histoire comme science où l'on s'efforce d'établir ou de reconstruire
les faits selon les techniques les plus rigoureuses et où l'on fixe la chronologie
des faits, car selon la formule fameuse de Ranke cité par R. Aron, "l'ambition
suprême de l'historien est de savoir et de faire savoir wie es geschehen ist,
comment cela s'est passé"8. L'historien estime avoir accompli sa tâche dès qu'il
a relaté les faits du passé aussi objectivement que possible, en prenant soin,
parfois, de les situer dans l'ordre chronologique de cause à effet.

Mise en rapport avec la Philosophie, l'histoire se rapporte au champ


humain, créatif et riche de ressources fantastiques et rationnelles. Le champ
humain est axiologique (ce qui à trait aux valeurs), éthique (où les notions du
bien et du mal existent) et finalistique (où l'on se pose la question sur la finalité
de ses propres actions).

De ce fait, nous verrons comment les hommes philosophent dans


l’Histoire dans laquelle ils se situent comme Fils de leur époque et Pères de
leur Histoire qu’ils façonnent en se façonnant.

Par ailleurs, l'Histoire nous dévoile le caractère contingent du sujet


philosophe soumis aux lois du temps, temps qualitatif compris comme
passé, présent, futur. Il y a toujours des philosophes prédécesseurs dont nous
étudions les pensées philosophiques si elles dont écrites ou si, par bonheur, ce

6
Cf. A.LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1960, p.
413.
7
7. R. ARON, Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1961, p. 12-13. Nous
savons qu’il existe plusieurs définitions de l’histoire. Yogolelo Tambwe qualifierait cette
définition de R. Aron de passéiste, car pour lui, l’histoire est « l’étude du devenir humain »
( YOGOLELO Tambwe ya Kasimba, De la critique historique, Lubumbashi, PUL, 2010,
p.33. Souligné par l’auteur). Cette définition qu’il qualifie d’actuelle ne nous semble pas
précise, car elle a le défaut de se confondre à la futurologie. Elle serait , peut-être, plus
heureuse si elle faisait de l’histoire, tout au plus, une étude du vécu humain.
8
Ibidem, p. 13.
10

qui a été oral comme pensée philosophique a été mise par écrit. Retenons que
l’Histoire est faite de l’écrit et de l’oral.

L’Histoire, philosophique soit-elle, est un centre des événements


humains significatifs. L’histoire comme champ humain retiendra des
événements humains significatifs et des pensées philosophiques qui ont
retenu l’attention des contemporains. Cependant il sied de signaler que
certains penseurs sont occultés parce qu’ils n’ont pas fait partie des gens
détenant le pouvoir au sein de leur société.

L’Histoire est aussi l’élaboration du sens des temps. Quand l'historien


décrit des situations, des personnages, des programmes, c'est en vue d'y
trouver un sens et l'histoire est, comme qui dirait, le grand livre de l'humanité.
Ainsi on comprendra l'adage de Diodoro Siculo selon lequel "l'histoire est
métropole de la philosophie". Et Montaigne ne manquera pas de dire que
l'histoire est "l'anatomie de la philosophie". Comme on peut le remarquer, le
philosophe ne peut pas philosopher en dehors de l'histoire car le sol
philosophique est toujours historique. Cependant nous devons reconnaître
qu'autant de têtes, autant d’opinions sur le sens historique de chaque événement
et de chaque pensée philosophique9.

1.1. De l’origine de la philosophie10


Parler de l’origine de la philosophie nous renvoie à répondre à l’éternelle
question de qu’est-ce que la philosophie.
1.1.1. Qu’est-ce que la philosophie?
Si la question Qu’est-ce que la philosophie ? se pose facilement et
clairement, la réponse ne vient pas aisément et les mots pour définir la
philosophie deviennent une denrée rare. La réponse se révèle problématique.

1.1.1.1. De la Philosophicité de la question qu’est-ce que la


philosophie ?
André Comte-Sponville attire mon attention quand il affirme que la
question « qu’est-ce que la philosophie ? » est déjà philosophique11, et ce parce
9
Cf. P.MICCOLI, Filosofia della storia, Roma, Città Nuova, 1985, p.67-69.
10
Cette section reprend in extenso une partie de mon livre Philosophie pour tous. Introduction
thématique à la philosophie occidentale et à la philosophie africaine, Paris, Edilivre, 2017.
11
Cf. A. COMTE-SPONVILLE, La philosophie, Paris, PUF, 2008, p.3.
11

qu’elle se pose au sein d’une problématique donnée qui lui donne son sens et sa
portée. Et je fais déjà remarquer que cette question a des réponses différentes
autant qu’il y a des philosophes. Pourquoi cette diversité des réponses ? Que
personne ne s’étonne, car cela est propre à la philosophie. Oui, faire de la
philosophie, c’est savoir « se questionner12 »- ainsi on n’aura pas une réponse
simple, c’est savoir « justifier ses affirmations, expliquer les raisons qui
permettent de défendre son point de vue, envisager les critiques possibles et
chercher à répondre à ces objections.[Alors ] il faut argumenter13 »-car il y a
plusieurs points de vue qui s’affrontent : faire de la philosophie, c’est aussi
« chercher à comprendre la signification des notions fondamentales de nos vies
et de nos croyances. Il s’agit de clarifier le sens des idées que l’on utilise, de les
définir précisément. [Comme on peut le deviner] il faut faire de l’analyse
conceptuelle14 »-car pour éviter les équivoques, on doit s’entendre sur le
sens des notions qu’on utilise.

Jusque-là je n’ai pas encore défini la philosophie, mais je parle de « faire


la philosophie » tout en sachant que cette façon d’en parler ne fait pas
l’unanimité. Voilà qui me renvoie à argumenter et à analyser les concepts
utilisés. Ainsi sera suscité le débat. Mais attention ! La philosophie n'est pas
un art de discussion même si c'est à travers et grâce à la discussion qu'elle
grandit.

Comme on le constate il n'est pas facile de dire ce qu’est la philosophie.


Elle est comme la vie qu'il faut vivre. Est-elle une activité, une discipline, un
savoir ? Toutes ces questions compliquent encore la donne.

12
C. EYSSETTE, Introduction à la philosophie, 2010-2011 [en ligne] http://eyssette.net/
(page consultée le 28/10/2013).
13
Ibidem
14
Ibidem
12

1.1.1.2. Du mot philosophie et de la chose (activité) philosophie


Pour répondre à la question « qu’est-ce que la philosophie ? », il est
souhaitable, je le pense, de faire la distinction entre le mot philosophie et la
chose philosophie.

1.1.1.2.1. Du mot philosophie


Le mot philosophie est d'origine grecque. PHILIA signifie amour ou la
"tension vers" ou encore la recherche et SOPHIA désigne la sagesse. Je précise
qu’il s'agit d'un amour-désir orienté vers un bien qui est ici la sagesse. Voilà
pourquoi "la philosophie demeure chez Socrate la recherche et la poursuite de la
sagesse"15. Ainsi Joseph Vialatoux a raison de dire que "la philosophie se
présente sous le signe d'une intention et d'un effort de l'homme vers la
sagesse"16. La question est de savoir ce qu'est la sagesse et si l'on peut la
posséder. J’y répondrai. Mais sachons que le philosophe doit vieillir en
apprenant17.

Il semble que Thalès fut le premier à refuser d’être appelé sage par « ses
compatriotes éblouis par son enseignement »18 à son retour de l’Égypte et il
préféra d’être appelé philosophe; cependant une autre tradition, provenant
semble-t-il de Cicéron, attribua à Pythagore la paternité de ce mot. Refusant
d'être appelé sage, Pythagore se considérait comme philosophe, c'est-à-dire
amoureux de la sagesse19. Ainsi sachant que Dieu seul est sage (car il connaît
tout et ne se trompe jamais), il donnait la parabole dite de "la panégyrie" : « La
vie humaine [est] semblable à cette assemblée où étaient organisés les jeux que
15
PLATON, Phèdre, 278d
16
J. VIALATOUX, L'intention philosophique, Paris, PUF, 1952, p.
17
Cfr Voici le titre de ma Postface au livre de Paul MESSI( L’ascension de la philosophie
africaine chez Louis Mpala Mbabula, Lubumbashi, Ed. Mpala, 2021) Le philosophe vieillit
en apprenant et en apprenant, il rajeunit.

18
SOMET Yoporeka , L’Afrique dans la philosophie. Introduction à la philosophie africaine
pharaonique, Paris, Gif-sur-Yvette, 2005, p.38.
19
Cfr G. MORRA, Filosofia per tutti, Brescia, La Scuola, 1974, p.17.
13

fréquentait la Grèce entière ; là, les uns ayant exercé leur corps venaient
chercher la gloire et l’illustration d’une couronne ; d’autres, venus pour acheter
ou pour vendre, y étaient conduits par l’appât du gain ; mais il y avait une sorte
de visiteurs ( et même particulièrement distingués) qui ne cherchaient ni les
applaudissements ni le gain, mais qui venaient pour voir et examinaient avec
grand soin ce qui avait lieu et comment les choses se passaient. De même que
tous ceux-là sont partis de leur ville pour la célébration des jeux, de même les
hommes venus à cette vie humaine en quittant une autre vie [croyance en la
réincarnation] et une autre nature, sont les uns esclaves de la gloire, les autres,
de l’argent ; mais il en est de bien rares qui, comptant pour rien tout le reste,
observent avec soin la nature, ce sont eux qu’on appelle amis de la sagesse,
c’est-à-dire philosophes ; et de même que, à l’assemblée des jeux, l’attitude la
plus digne d’un homme libre est de regarder, sans rien gagner, de même dans la
vie, la contemplation et la connaissance des choses l’emportent de beaucoup sur
tous les autres travaux »20.

Toutefois Jean Kinyongo Jeki rattache plus le mot philosophie non pas
à Thalès et Pythagore, mais à Homère, Hésiode et Hérodote. Il écrit: "Il ne
semble pas, dis-je, que l'on trouve chez lui [Pythagore], à ce niveau, une
appréhension de la philosophie au sens strict. C'est plutôt et en réalité avec
l'avènement de Platon et d'Aristote préparé par le phénomène de la
"Sophistique" que le terme vint à désigner une activité théorique
systématique..."21. Y a-t-il une philosophie au sens strict comme le prétend

20
CICERON, Tusculanes V 3, 8-9 , cité dans Introduction à l’étude de la philosophie [en
ligne] http://www.dogmatique.net/Poly%20%Introduction%20E0%20la
%20Philosophie.pdf(page consultée le 28/10/2013) et cf. L. COULOUBARITSIS, Aux
origines de la philosophie européenne : de la pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles,
De Boeck, 1994. Cicéron faisait déjà remarquer que bien que le mot ou nom philosophie soit
relativement récent, la chose ou l’activité désignée par ce nom est fort ancienne (cfr Ibidem)
21
J. KINYONGO, Epiphanies de la philosophie africaine et afroaméricaine. Esquisse
historique du débat sur leur existence et leur essence, Munich Kinshasa-Lubumbashi,
Publications Universitaires africaines, 1989, p.19 et 23.
14

Kinyongo ? Autant de philosophes, autant de philosophies, pensé-je Où se


trouve la philosophie au sens strict?

Cependant je dois signaler que si le mot philosophie, de par son


étymologie, vient du grec, l’on ne doit pas perdre de vue que ce soit Thalès ou
Pythagore comme inventeur du mot, les deux ont été des étudiants étrangers en
Egypte. Qu’est-ce qui m’empêcherait de les soupçonner d’avoir textuellement
traduit les mots égyptiens en en un mot composé grec ? Selon Joseph
MABIKA22 à la suite de BILOLO Mubabinge, dans l'antiquité négro-
égyptienne le mot philosophie est Merut Ne Mâat (amour de la science, amour
de la justice, amour de la vérité, amour de la sagesse…). Pour Bilolo, « du point
de vue africain, la philosophie est mrwt-n-m3ct [merut-en-mâat] « l’amour de la
vérité » ; vérité prise au sens de ce qui est vrai, de la connaissance, de la justice,
de la solidarité, de la rectitude, de l’ordre et de la balance »23.

1.1.1.2.2. Et de la chose (activité) philosophie

Si la paternité du mot philosophie revient à Thalès ou à Pythagore selon la


tradition occidentale, peut-on dire que la philosophie comme chose ou activité
est née en Grèce? Si les amoureux de la sagesse sont pour Pythagore, au dire de
Cicéron, ceux qui étudient amoureusement la nature, cela vaut-il seulement pour
les occidentaux? Les autres peuples n'ont-ils pas eu des amoureux de la
sagesse, ceux-là qui avaient pour occupation la contemplation et la connaissance
de la nature?

22
Cf. J. MABIKA, La mystification fondamentale. 1. Merut Ne Maât. Aux sources négrides
de la philosophie, Lubumbashi, PUL, 2000.
23
BILOLO Mubabinge, cité par SOMET Yoporeka , o.c., p.48.
15

Est-ce parce que Voltaire a inventé l’expression « Philosophie de


l’histoire », qu’il a « par là inventé la « chose » ainsi nommée »24 ? Non,
répond Bilolo Mubabinge, car il trouve la « chose » déjà à Héliopolis.

1.1.2. Débat sur l’origine de la philosophie


Des voix discordantes s’élèvent pour se disputer sur l’origine occidentale
ou africaine de la philosophie. De quel lieu proviennent ces voix ? Qui parle ?
Pourquoi en parle-t-on ? A qui s’adressent-elles ? A dire vrai, cette discussion
a un sous-bassement idéologique et non scientifique. Je voudrais faire
entendre ma voix, et j’espère qu’elle sera entendue, afin que les deux camps
reviennent à la raison- et pourtant les deux affirment qu’ils argumentent
raisonnablement. Retenons avec Louis Althusser, en dernière analyse, que
chacun de nous parle à partir d’un lieu théorique et pratique donné.

Au lecteur de prendre position sur nos différentes positions.

1.1.2.1. Pour l’Eurocentrisme


Plusieurs philosophes disent à qui veut les entendre que la philosophie est
non seulement d'origine grecque mais qu'elle est aussi d'essence grecque. Pour
Jacques Maritain, "la Grèce est le seul point du monde antique où la
sagesse de l'homme ait trouvé sa voie, et où, par effet d'un heureux
équilibre des forces de l'âme, et d'un long travail pour acquérir la mesure et
la discipline de l'esprit, la raison humaine soit parvenue à l'âge de sa force
et de sa maturité. Aussi bien le petit peuple grec apparaît-il, à cause de cela,
parmi les grands Empires de l'Orient, comme un homme au milieu des géants
enfants; et peut-on dire de lui qu'il est à la raison, et au verbe de l'homme, ce que
le peuple juif est à la Révélation, et à parole de Dieu. C'est en Grèce seulement
[c'est moi qui souligne] que la philosophie acquit une existence autonome en

24
BILOLO Mubabinge, Les cosmo-théologies philosophiques d’Héliopolis et d’Hermopolis.
Essai de thématisation et de systématisation, Préface de G. Thausing, Kinshasa-Libreville-
Munich, Publications Universitaires Africaines, 1986, p.98.
16

se distinguant explicitement de la religion"25. Louis De Raeymaeker emboîta


les pas de Jacques Maritain en écrivant noir sur blanc que "le peuple grec fut le
peuple élu de la raison"26 comme le peuple juif fut le peuple élu de Dieu.
Bernard Stevens soutient la même idée et pour bien argumenter, il fait appel à
Martin Heidegger pour qui "le mot "philosophia" nous dit que la philosophie
est quelque chose qui d'abord et avant tout, détermine l'existence du monde grec.
Il y a plus – la "philosophia" détermine aussi en son fond le cours le plus
intérieur de notre histoire occidentale – européenne (...). L'affirmation : la
philosophie est grecque dans son être propre ne dit rien d'autre que: l'Occident et
l'Europe sont, et eux seuls, sont, dans ce qu'a de plus intérieur leur marche
historique, originellement "philosophique". C'est ce qu'attestent la naissance et
la domination des sciences (...). Le mot "philosophia" coïncide pour ainsi dire
avec l'acte de naissance de notre propre histoire; nous pouvons aller jusqu'à dire:
avec l'acte de naissance de l'époque présente, de l'histoire universelle qui se
25
J. MARITAIN, Eléments de philosophie, cinquième édition revue et Corrigée, Paris, Pierre
Téqui, 1921, p. 21.
26
L. DE RAEYMAEKER, Introduction à la philosophie, introduction à la philosophie,
quatrième édition revue et corrigée, Louvain/Paris, Publications Universitaires de Louvain,
Béatrice-Nauwelaerts, 1956, p. 14. Prosper ISIAKA LALEYE, africain soit-il, est de cet
avis quand il affirme que "l'application de l'épithète philosophie à toutes autres formes de
pensée en pratique chez tout peuple autre que le peuple grec, reste une application
analogique", et pour lui les Grecs ont inventé la chose qu'on nomme philosophie (La
philosophie, pourquoi en Afrique? Dans C.P.A. 3-4 (1973), p. 90-92). Il oublie que si le mot
philosophie est d'origine grecque, l'activité philosophique (la chose) est propre à tout être
humain. A ce propos, ABDOULAYE Bah a des mots justes : « …la philosophie, âme qui
vibre dans les contours culturels des peuples, n’a pas attendu le vocable philosophie pour
commencer à exister » (ABDOULAYE Bah, Le problème de la philosophie africaine,
Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire
/philosophie/Documents de formation de 2004, p.10). Roger CARATINI, tout en
reconnaissant que "la philosophie n'est pas sortie, toute armée, du cerveau de Thalès ou de
Pythagore" et tout en écrivant que "la philosophie grecque a des racines proches orientales
(notamment sumérienne)", finit par dire: « Quoi qu'il en soit de ces racines, une chose est
certaine: la première École de philosophie a été fondée vers la fin du VII ème siècle av. J.C., à
Milet, en Asie Mineure, par un personnage nommé Thalès de Milet. Tels sont le lieu et la date
(...) de naissance de ce qu'on appelle la philosophie classique" . Vent de philo sur les chemins
de la philosophie... Paris, p.23,. 24.
17

nomme ère atomique"27. Quatre ans après28, Stevens reviendra à la même


déclaration. Pour lui, le premier âge axial sera celui de la philosophie avant la
philosophie. En d'autres mots, la Chine, l'Inde, le Moyen-Orient n'ont pas de
philosophie. L'Égypte ne figure pas sur la liste 29. Est-ce par oubli volontaire pour
ne pas se frotter aux Égyptologues dont Cheik Anta Diop? François Chatelet
est de cet avis : « Je crois, affirme-t-il, qu’on peut parler d’une invention de
la raison »30 et il poursuit sans se gêner : « La philosophie parle grec. On a
eu raison de le redire après Heidegger »31. Edmund Husserl n’est pas du
reste : « L’irruption de la philosophie est le phénomène originel qui
caractérise l’Europe au point de vue spirituel »32. Chez Hegel, cela va de
soi33

Quand Léopold Senghor parle de l'émotion qui est nègre et de la raison


qui est hellène, il s'inscrit sur la liste de ceux qui pensent que la philosophie est
née en Grèce. E. Njoh-Mouelle n’est pas du reste. Pour lui, ce qui a pris « le
nom de philosophie, possède un état civil. En effet, martèle-t-il , c’est à Millet,
en Asie Mineure, au bord de la Mer Egée, au début du VIe siècle avant l’ère
chrétienne, que des hommes comme Thalès, Anaximandre, Anaximène et bien
d’autres encore, prirent l’habitude de se réunir pour chercher ensemble la

27
M. HEIDEGGER, Questions II, cité par B. STEVENS, Cours d'initiation à la philosophie,
Louvain-La -Neuve, 1986, p. 9.
28
Cf. STEVENS, Une introduction historique à la philosophie. Tome 1 Des origines à Hegel,
Louvain-la-Neuve, CIACO, 1990.
29
En 2010, dans sa préface du livre de OKOLO OKONDA, Hegel et l’Afrique. Thèses,
critiques et dépassements, Argenteuil, Le Cercle herméneutique Éditeur, 2010, Bernard
Stevens, égal à lui-même, affirme que c’est grâce au contact avec les européens que la
philosophie est née en Afrique. Nous lui avons répondu par un écrit, Pour la philosophie
africaine, Lubumbashi, Ed. Mpala, 2013, livre publié aussi à Paris aux éditions Edilivre en
2015.
30
F. CHATELET, Une histoire de la raison . Entretiens avec Émile, cité dans la note de bas
de page 20 de SOMET Yoporeka , o.c., p.27.
31
Ibidem, p.28.
32
E. HUSSERL, La crise de l’humanité européenne et la philosophie, cité par SOMET
Yoporeka , o.c., p.29.
33
Cf. L. MPALA Mbabula, Hegel et Marx face à l’histoire. Regard critique sur la
philosophie de l’histoire, Lubumbashi, Ed. Mpala, 2011.
18

connaissance »34. Est-ce lui qui s’exprima ainsi en 1996 ? N’a-t-il pas rebroussé
chemin en suivant le conseil de Kant ? Qu’il me réponde et je le laisserais
tranquille.

Tous ces philosophes et tant d'autres qui parlent pour l'origine grecque de
la philosophie sont des défenseurs de ce qu'on appelle le MIRACLE GREC, si
miracle il y a. L’expression « miracle grec » vient d’Ernest Renan qui,
émerveillé par la beauté de l’Acropole d’Athènes, s’exclama : « Depuis
longtemps, je ne croyais plus au miracle, dans le sens propre du mot ;
cependant, la destinée unique du peuple juif, aboutissant à Jésus et au
christianisme, m’apparaissait comme quelque chose de tout à fait à part. or
voici qu’à côté du miracle juif venait se placer pour moi le miracle grec, une
chose qui n’a jamais existé qu’une fois, qui ne s’était jamais vue, qui ne se
reverra plus mais dont l’effet durera éternellement, je veux dire un type de
beauté éternelle, sans une tâche locale ou nationale. Je savais bien, avant
mon voyage, que la Grèce avait créé la science, l’art, la philosophie, la
civilisation ; mais l’échelle me manquait »35.

Les défenseurs du Miracle grec ne veulent pas accepter le fait qu'en allant
en Egypte, les Thalès de Milet (premier philosophe occidental d'après Aristote et
Théophraste), les Pythagore, les Solon, les Platon, les Zénon le Stoïcien, les
Démocrite...,sont allés non seulement apprendre la géométrie, les
mathématiques, les mystères, mais aussi la philosophie. Charles WERNER,
même s'il ne veut pas que la philosophie grecque soit fille de l'Egypte, ne se
prononce pas sur "la toux" de son maître John BURNET pour qui "ce ne peut
pas être par un simple accident que la philosophie prit naissance en lonie juste
au moment où les relations avec ces deux pays (Egypte et Babylone) étaient les

34
E. NJOH-MOUELLE, La philosophie est-elle inutile ? Conférence donnée le 9 mai 1996 à
l’Institut Catholique de Yaoundé. Les philosophes africains, défenseurs du miracle grec sont
nombreux.
35
E. RENAN, Prière sur l’Acropole, cité par SOMET Yoporeka , o.c., p.35. Je souligne.
19

plus faciles, et il est significatif que l'homme (Thalès de Milet) même qui, à ce
que l'on dit, introduisit d'Egypte la géométrie, est aussi regardé comme le
premier des philosophes"36. En lisant entre les lignes, il y a de quoi supposer
que Burnet écrit une chose et dans son cœur se trouve une autre chose, à savoir
l'origine égyptienne de la philosophie grecque. Léon ROBIN, loué par Paul-
Bernard GRENET, tout en reconnaissant ce que les savants grecs doivent à
l'Orient, l'Egypte comprise, semble réserver l'explication rationnelle aux grecs,
et ce jugement provient, en dernière instance, de PLATON qui laisse entendre
que les égyptiens étaient un peuple pratique, avide de gain plutôt que
philosophe. Cette caractéristique est propre à l'esprit grec, avide de savoir37. Si
réellement il en est ainsi, qu’est-ce que Platon a suivi en Egypte ?

De tous les philosophes précités défendant le miracle grec se profile un


certain "eurocentrisme" qui voudrait que l'on juge les autres avec les jeux
européens et qui, d'une façon subtile, voudrait que tout ce qui est bon ne vienne
que de l'occident. Voilà qui légitima, entre autres, l’idéologie de la mission
civilisatrice, leitmotiv hypocrite de la colonisation.

Dieu merci, il y a certains occidentaux qui n'empruntent pas ce chemin, et


un certain Paul MASSON-OURSEL est allé à contre-courant en faisant voir
que "l'homme égyptien ne pouvait se réaliser faber (= avide de gain, pratique)
sans s'avérer sapiens (avide de savoir)" 38. Régis JOLIVET, voyant que les
arguments de Paul Masson-Oursel étaient bien fondés, reconnut à la Chine, à
l'Inde, une philosophie orientée vers la morale 39. Ainsi il se démarquait de J.
Maritain dont il utilisait le livre. Je rappelle que la première édition du livre de
Paul Masson-Oursel est de 1938. A ce propos, Somet Yoporeka nous apprend
36
J. BURNET, L'aurore de la philosophie grecque, Paris, Payot, 1970, p.22.
37
Cfr PLATON, République, 435è et cf. C. WERNER, La philosophie grecque, Paris, 1972,
p. 13.
38
P. MASSON-OURSEL, La philosophie en Orient, dans E. BREHIER, Histoire de la
philosophie, Paris, PUF, 1969, p. 28.
39
Cf. R. JOLIVET, Traité de philosophie. I. Introduction générale, logique, cosmologie,
Paris/Lyon, Emmanuel VITTE, 1945, p. 7 note infrapaginale n° 1.
20

que « dans les éditions actuelles du livre de Bréhier, on peut constater que le
« Fascicule » de Masson-Oursel a purement et simplement disparu »40. Quelle
malhonnêteté intellectuelle !

Cette position eurocentriste n’a pas laissé indifférents certains philosophes


africains et ces derniers sont allés en guerre contre cette origine européenne de
la philosophie.

1.1.2.2. Pour l’Afrocentrisme

L’Afrocentrisme est soutenu surtout par les philosophes africains faisant


partie du courant de l’égyptologie et dont Cheikh Anta DIOP en est le chef de
file. Pour eux, la philosophie est d'origine égyptienne. Défenseur de l’Afrique,
Cheikh Anta DIOP est mort comme un martyr de la cause africaine. La
synthèse de ses idées est dans un livre incontournable 41. Son disciple Théophile
Obenga résume ses acquis majeurs : « (…)-démontage et destruction du rideau
de fer ethnographique c’est-à-dire des fausses barrières africanistes qui
séparaient dogmatiquement les « tribus nègres » entre elles : c’est toute la
dynamique du concept historiographique de l’unité culturelle de l’Afrique
noire ; -restauration du sentiment de la continuité historique des peuples
africains, de la haute antiquité à nos jours, c’est-à-dire que l’histoire des peuples
africains n’est plus quelque chose d’exclusivement guidé par le fortuit,
l’accidentel, le contingent, le caprice , le pur hasard ; -l’élaboration du concept
de « conscience historique africaine », chose purement impensable pour
l’africanisme ancien et moderne : il s’agit de la confiance en soi, face à l’histoire
qui a été, qui est et qui sera, selon la propre volonté africaine ;(-)-émergence de
l’historiographie africaine qui ne soit pas un travail répétitif de l’historiographie
occidentale (hégélienne), en vue d’une historiographie mondiale moins

40
SOMET Yoporeka , o.c., p.35.
41
Cf. DIOP Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance, Paris,
Présence africaine, 1981.
21

eurocentriste, biaisée, travestie, partisane ; (-) »42. Théophile Obenga, à la suite


de son maître Cheikh Anta Diop, est d’une culture pluridisciplinaire, car il en
avait besoin pour bien s’armer à livrer la bataille contre l’eurocentrisme et son
livre fondamental43 « nous donne tous les détails de la métaphysique et de la
théologie égyptienne, ainsi que du système politique de l’époque, en dévoilant la
filiation fondatrice par rapport à la philosophie grecque »44. Molefi Kete
Asante, inventeur du concept afrocentricité visant « à replacer l’intérêt de
l’Afrique au cœur de nos préoccupations »45 , peut être compté par les
défenseurs de l’afrocentricisme et il considère Cheikh Anta Diop comme un
afrocentriste par excellence, « à jamais la norme par rapport à laquelle les
savants africains seront évalués »46. Jean-Philippe Omotunde vante l’Égypte
ancienne et a rassemblé « les principales thèses jadis avancées par la science
occidentale, thèses dont il fait principalement l’origine de l’égyptologie »47.
Somet Yoporeka est aussi un défenseur farouche de l’Afrocentrisme. A la suite
de ses maîtres Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, il dit, à qui veut
l’entendre, que la philosophie est d’origine égyptienne. Fort de sa formation
pluridisciplinaire comme ses maîtres et égyptologue par surcroît, Somet cherche
à démontrer que : Thalès de Milet qui n’est pas grec48 a étudié en Égypte et
l’eau comme élément premier qu’il postule est une version du Noun égyptien49 ;
Pythagore de Samos a étudié en Égypte et sa philosophie est tributaire de la
philosophie égyptienne ; Xénophane de Colophon postule l’existence d’un dieu
suprême, « infini et immatériel,[qui] n’a ni génération, ni conception, ni

42
T. OBENGA, cité par H. MONO Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris,
L’Harmattan, 2009, p.222. Je saute d’autres acquis.
43
Cf. T. OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique, 2780-330 avant
notre ère, préface de Tshamalenga Ntumba, Paris, L’Harmattan, 1990.
44
H. MONO Ndjana, o.c., p.224.
45
Ibidem, p.229.
46
Ibidem, p.231.
47
Ibidem, p.233.
48
Cf. SOMET Yoporeka , o.c., p.38.
49
Cf. Ibidem, p.42.
22

changement, ni devenir (…)[qui] n’est autre que Rê »50 ; Anaxagore de


Clazomènes enseigne qu’à l’origine du monde, « il y a un mélange total, un
chaos indéterminé (que les Égyptiens appelaient Noun) auquel une force
intelligente et ordonnatrice impulse du mouvement en vue de séparer les petites
particules de matière (…). Cette force intelligente, appelée le Noûs par
Anaxagore, et qui sera le logos des Grec, la Raison ou l’esprit absolu de Hegel
n’est qu’une variante du ka égyptien. De même, sa théorie du mouvement et du
changement trouve sa source dans le kheper égyptien »51 ; Héraclite d’Ephèse
a emprunté « non seulement son mobilisme (panta rhei) au kheper égyptien,
mais aussi sa théorie de l’opposition des contraires à la lutte de Rê contre le
serpent Apopi, d’Horus contre Seth (…). Enfin le logos héraclitéen ou encore le
Verbe créateur de la Bible (…) est une variante du Ka égyptien »52 ; Démocrite
d’Abdère a séjourné 5 ans en Égypte et sa thèse du non-être à côté de l’être,
celle affirmant à la fois « l’existence de la matière et du vide [fait penser au]
verbe égyptien « Tm »[Tèm] qui signifie à la fois « ne pas être » et « être
complet » »53 ; Platon d’Athènes a vécu 13 ans en Égypte et « sur 28 de ses
dialogues qui nous sont aujourd’hui connus, 12 évoquent directement l’Égypte.
Il en est ainsi pour le Timée, le Critias, le Phèdre, le Philèbe, le Gorgias,
l’Euthydème, le Phédon, le Mènexème, la République, le Politique, les Lois »54 ;
Aristote de Stagire, selon une étude serrée des textes grecs faite par Théophile
Obenga, a « effectivement visité l’Égypte »55.

Tout en reconnaissant la dette des philosophes grecs à l’égard de


l’Égypte, cela suffit-il pour affirmer qu’ils étaient des cancres scientifiques
et des simples répétiteurs de leurs maîtres égyptiens ? Ne peut-on pas

50
I Ibidem, p.44.
51
Ibidem, p.44.
52
Ibidem, p.45.
53
Ibidem, p.45.
54
Ibidem, p.45.
55
Ibidem, p.46.
23

soutenir avec Clémence Ramnoux que se définir en s’opposant est la loi du


développement de la Philosophie ?56

Somet Yoporeka a encore donné un autre argument pour appuyer sa


thèse afrocentriste selon laquelle si la philosophie était d’origine grecque, les
Grecs ne réserveraient pas aux philosophes un sort malheureux, celui d’exil
ou de mort : « Si, comme on l’affirme une tradition somme toute récente, la
Grèce est le foyer d’origine de la philosophie, comment rendre compte dès lors
du sort peu enviable réservé au philosophe à Athènes, au cœur même de la cité
grecque ? Comment expliquer que le berceau de la philosophie soit à ce point
inhospitalier et hostile à l’égard de ses propres rejetons ? En effet, les tout
premiers philosophes ont reçu à Athènes un accueil contrasté, voire hostile,
comme en témoignent les exemples (…) [d’] Anaxagore…poursuivi pour
impiété [ , de] Diagoras de Mélos [accusé ] d’avoir « ridiculisé les mystères »
[ , de] Protagoras d’Abdère obligé lui aussi de fuir Athènes à causes des
troubles provoqués par son enseignement (…)[, de] Socrate accusé dans les
mêmes conditions d’avoir « perverti la jeunesse et introduit de nouvelles
divinités dans la cité » (…)[ , de] Platon [qui a dû] fuir Athènes pour se réfugier
à Mégare (…)[ et enfin d’] Aristote [qui a dû] fuir Athènes pour se réfugier à
Chalcis, afin, dira-t-il, de « ne pas laisser commettre un second attentat contre
la philosophie » »57. Le fragment 121 d’Héraclite d’Éphèse peut battre en
brèche cet argument du triste sort réservé aux philosophes à Athènes, car
les Éphésiens se sont une fois comportés comme les Athéniens : « Les
Éphésiens adultes méritent la mort ; leurs enfants méritent tous d’être expulsés
de la cité, puisqu’ils ont chassé Hermadore, le meilleur d’entre eux, en disant :

56
Cf. C. RAMNOUX, Les Présocratiques, dans PARRAIN, B.(dir),Encyclopédie de la
Pléiade. Histoire de la philosophie. I. Orient –Antiquité –Moyen âge. Paris, Gallimard, 1969,
pp. 405-448
57
SOMET Yoporeka , o.c , p.40-41.
24

« qu’aucun d’entre nous ne soit le meilleur ; s’il y en a un, qu’il aille vivre
ailleurs et avec d’autres » »58.

Citons aussi des Congolais BILOLO Mubabinge et Joseph MABIKA


comme hérauts de l’origine égyptienne ou mieux africaine de la philosophie. Les
défenseurs de cette « école » luttent pour le Miracle égyptien. Voilà une autre
dérive. Claude Summer59 pointera l’Éthiopie comme l’origine de la
philosophie. Nous sommes toujours dans l’Afrocentrisme.

1.1.2.3. Par-delà l’Eurocentrisme et l’Afrocentrisme il y a


l’HOMOCENTRISME
Platon disait que "la philosophie existe parce que l'homme existe».

Refuser aux autres peuples de la planète terre l’usage de la raison est un


mépris envers les autres races et cela relève de la petitesse d’esprit, car le grand
rationaliste occidental, R. Descartes, affirme que « le bon sens est la chose du
monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux
mêmes qui sont les plus difficiles en toute autre chose, n’ont point coutume d’en
désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se
trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et
distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens
ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la
diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables
que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par
diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses …»60. Antonio Gramsci
renchérit en ces termes : « Non si puo pensare nesun uomo che non sia anche
filosofo, che non pensi, appunto perché il pensare è proprio dell’uomo come tale
58
Cfr J. VOILQUIN, Les penseurs grecs avant Socrate. De Thalès de Millet à Prodicos,
Paris, Garnier Frères, 1964.
59
Cf. C. SUMMER, Aux sources éthiopiennes de la philosophie africaine, Kinshasa, Fac.
Théol. Cath, 1988.
60
DESCARTES, Discours de la méthode suivi des Méditions, Paris, Union Générale
d’édition, 1962, p.9.
25

(a meno che non sia patologicamente idiota)=on ne peut pas penser qu’aucun
homme ne soit philosophe, qui ne pense, surtout parce que le fait de penser est
propre à l’homme comme tel ( à moins qu’il ne soit pathologiquement idiot) .»61
André Comte-Sponville est, à ce propos, plus explicite : « Que la philosophie
soit exclusivement occidentale, comme le prétendent certains, c’est bien sûr une
sottise. La raison, l’expérience et la liberté de l’esprit ne sont le bien exclusif
d’aucun peuple, pas plus que le goût de la vérité ou du bonheur. Pourquoi la
philosophie le serait-elle ? »62

Placide TEMPELS, avec La philosophie bantoue, a relativisé l'origine


grecque de la philosophie. Il avait raison 63 et le second Hountondji ne se
61
A. GRAMSCI, Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce, Torino, Istituto
Gramsci, 1979, p.29.
62
A. COMTE-SPONVILLE, o.c., p.30.
63
Disciple des défenseurs de l’origine grecque de la philosophie, le premier Hountondji, celui
de l’Histoire d’un mythe ( dans Présence africaine 91, 1974, p.3-13), crible des coups P.
Tempels qui, « en apparence … s’inspire d’une profonde générosité, puisque son intention
déclarée est de réfuter une certaine idée du ‘primitif’ répandue par Lévy-Bruhl et son école »
(Ib.,p.7) alors qu’en réalité son livre était destiné aux européens appelés à diriger et à juger les
Noirs. Le premier Hountondji parle du « mythe de la ‘philosophie africaine’ [dont] le succès
( …) ne s’est sans doute pas un hasard. Il est dû au fait qu’il remplit une fonction idéologique
bien précise qui est de satisfaire à peu de frais l’exigence des Africains pour le respect de leur
civilisation et de leur dignité d’hommes. Satisfaire à peu de frais cette exigence, c’était ici,
donner aux Africains ou entretenir chez eux l’illusion de posséder déjà une philosophie et de
n’avoir plus rien à faire, sur le plan théorique, que d’exhumer avec vénération la pensée de
leurs ancêtres, la vision du monde collective de leurs peuples » (Ib.,p.3-4). Le second
Hountondji, celui de L’Effet Tempels (dans Encyclopédie philosophique universelle, I :
L’univers philosophique, deuxième édition, Paris, P.U.F., 1991, p.1472-1480) , est redevenu
réaliste après avoir mis un peu d’eau dans son verre de vin philosophique et ce suite à des
critiques et remarques fusant de partout dont celles de Niamkey Koffi et de ses épigones ( cf.
NIAMKEY Koffi, L’impensé de Towa et de Hountondji, dans Séminaire d’Addis-Abeba, 1-
3 décembre 1976 et Olabiyi Babalola YAI, Théorie et pratique en philosophie africaine :
misère de la philosophie spéculative (critique de P. Hountondji, M. Towa et autres), dans
Présence africaine 108, 1978, p.65-91. Ainsi écrira-t-il : « Le contenu du livre, par ailleurs,
répond en quelque manière à la promesse du titre : la référence à la philosophie n’est plus
simplement allusive, puisqu’elle ne se contente pas de renvoyer, comme chez Dennett, à une
profondeur soupçonnée plutôt que constatée, elle n’est pas non plus métonymique, ne
désignant pas simplement , comme chez Radin, la nature supposée d’une activité intellectuelle
dont on ne s’intéresserait qu’aux producteurs sociaux ; ce qui est donné dans La philosophie
bantoue, c’est un enchaînement d’idées visant à une systématicité déductive, un corpus de
notions et de thèses prétendant à une rigoureuse cohérence. Du même coup devenait possible
l’idée qu’on n’a pas seulement affaire ici à une ‘philosophie’ au sens le plus étroit. La
comparaison devenait possible avec la philosophie européenne, une comparaison vouée, dès
26

trompe pas quand il affirme que ce petit livre est « le référent absolu »64 dans
l’histoire de la recherche de la philosophie africaine. Le philosophe Kaumba
Lufunda fait remarquer que le R.P. Placide Tempels a fait « éclater les
prétentions universalistes de la version occidentale de la philosophie. Il affirmait
sans ambages l’existence d’une philosophie bantu. Ce faisant, l’universalité du
concept de philosophie et sa réalisation plurielle à travers les mille et unes (sic)
cultures, les mille et une histoires des mille et une civilisations »65

Mais, à mon humble avis, je pense que la philosophie naît là où il y a


des hommes. Je prône l’Homocentrisme. Qu'est-ce à dire? Cela veut dire qu'
"un simple regard sur l'histoire ancienne montre d'ailleurs clairement qu'en
diverses parties de la terre, marquées par des cultures différentes, naissent en
même temps les questions de fond qui caractérisent le parcours de l'existence
humaine: qui suis-je? D'où viens-je? Pourquoi la présence du mal? Qu'y aura-
t-il après cette vie? (...). Ces questions ont une source commune: la quête de
sens qui depuis toujours est présente dans le cœur de l'homme, car de la réponse
à ces questions dépend l'orientation à donner à l'existence" 66. Cette citation nous
montre que chaque homme est à la quête de sens, et cela n'est pas l'unique
privilège d'un grec ou d'un égyptien. En d'autres mots, la philosophie vient du
cœur de l'homme et "s'est développée au moment où l'homme a commencé à
s'interroger sur le pourquoi des choses et sur leur fin. Sous de modes et des
formes différentes, elle montre que le désir de vérité fait partie de la nature
le départ, à montrer à la fois l’identité générique et les différences spécifiques des deux
formes de pensée, tâche que Tempels exécute , ici encore, avec un simplisme génial, en
ramenant ces différences à l’opposition, terme pour terme, entre deux formes d’ontologie,
fondées respectivement sur une notion statique et une notion dynamique de l’être »
(Ib.,p.1478).
64
P. HOUNTONDJI, L’Effet Tempels, dans Encyclopédie philosophique universelle, I :
L’univers philosophique, deuxième édition, Paris, PUF, 1991, p.1475.
65
KAUMBA Lufunda, Existe-t-il une philosophie africaine ? Communication au colloque
international de Barcelone organisé sur le thème « Religion, philosophie et tradition de
l’Afrique : entre Dieu, le concept et l’être humain » par le Centre d’Estudis Africans (CEA)
avec le support de la Universitat Pompeu Fabra et le financement de la generalitat de
Catalunya, Barcelone, 29-31 octobre 2003.
66
JEAN-PAUL II, Fides et Ratio, Kinshasa, Ed. Saint Paul, 1998, p. 4.
27

même de l'homme, c'est une propriété innée de sa raison que de s'interroger sur
le pourquoi des choses, même si les réponses données peu à peu s'inscrivent
dans une perspective qui met en évidence la complémentarité des différentes
cultures dans lesquelles vit l'homme" 67. Mikel DUFRENNE ne dit pas le
contraire quand il affirme que "la philosophie commence lorsqu'on s'interroge
sur le sens du monde ou de l'histoire"68. De ce fait, aucun peuple ne peut se dire
qu'il est unique à pouvoir se poser clairement la question du pourquoi des
choses, du sens du monde et de l'histoire et à pouvoir y répondre clairement et
distinctement. Chaque peuple a son génie, ses approches, et sa sensibilité. C'est
son histoire; tout ceci joue sur la façon de poser la question du pourquoi des
choses et celle concernant la quête de sens, et il a sa façon d'y répondre. Quand
on sait que la totalité du réel dont s'occupe la philosophie est comme une boule à
mille et une faces, personne, grec soit-il, ne peut se dire d'avoir tout vu et de
l'avoir mieux exprimé que les autres. Chacun en voit quelques faces, quitte à se
mettre ensemble pour en voir encore plus. Voilà pourquoi la philosophie se veut
une quête de la sagesse et non sa possession. Ainsi nous sommes d'accord avec
Karel KOSIK quand il écrit: "La philosophie est avant tout et essentiellement
une recherche"69. Et puisqu'il en est ainsi, "le philosophe doit vieillir en
apprenant tous les jours", au dire de Platon70.

Je rebondis en affirmant que tout homme est sensé se poser des questions
sur le sens de son existence et de tout ce qui l'entoure. A dire vrai, un jour,
l'homme raisonnable71 devait trouver comme nouveau tout ce qui était devant et
autour de lui. C'est cela, je le crois, que l'on appelle l'étonnement.

67
Ibidem, p. 5.
68
M. DUFRENNE, Pour l'homme. Essai, Paris, Seuil, 1968, p.120.
69
K. KOSIK, La dialectique du concret, Paris, François Maspero, 1970, p. 147.
70
PLATON, Cité par E. BAUDIN, Introduction générale à la philosophie 1. Qu'est-ce que la
philosophie? Paris, J. De Gigord, 1927, p. 250.
71
Mais si certains occidentaux se réserveraient le monopole de la raison, l’on sera surtout
surpris de priver à tout homme l’étonnement. Au nom de quoi le fait-on ? Au nom d’une
certaine théorie raciste qui croit qu’une certaine race est supérieure aux autres. Cette critique
s’adresse aussi aux afrocentristes.
28

Platon écrit dans son Théétète: "Il est tout à fait d'un philosophe, ce
sentiment: s'étonner. La philosophie n'a pas d'autre origine" 72. Aristote ne dit
pas le contraire: "A l'origine73 comme aujourd'hui, c'est l'étonnement et
l'admiration qui conduisirent les hommes à la philosophie. Entre le phénomène
qu'ils ne pouvaient comprendre, leur attention, frappée de surprise, s'arrêta
d'abord à ceux qui étaient le plus à leur portée, et, en s'avançant pas à pas dans
cette voie, ils dirigèrent leurs doutes et leur examen sur des phénomènes de plus
en plus considérables (...). Mais se poser à soi-même des questions et s'étonner
des phénomènes, c'est déjà savoir qu'on les ignore; et voilà comment c'est être
encore ami de la sagesse, c'est être philosophe que d'aimer les fables, qui
cherchent à expliquer les choses, puisque (la fable, ou) le mythe, ne se compose
que d'éléments merveilleux et surprenants. Si donc c'est pour dissiper leur
ignorance que les hommes ont cherché à <philosopher>, il est évident qu'ils ne
cultivent cette science si ardemment que pour savoir les choses, et non pour en
tirer le moindre profit matériel"74.

L'étonnement est propre à l'homme, car comme le dit Aristote,


"l'homme75 a naturellement la passion de connaître"76. Ainsi de par sa nature,
l'homme est curieux. Ceci explique le pourquoi "l'homme a le don de s'étonner

PLATON , Oeuvres complètes. Tome VIII- 2è parties: Théétète, 155d. Texte traduit par
72

Auguste Diès, Paris, Société d'édition " Les belles lettres", 1963.

.
73
De quelle origine s’agit-il ? De celle des occidentaux ou de l’humanité ? De celle des
Egyptiens ?
74
ARISTOTE, La métaphysique, A. 11, 982b. Traduction de Jules Barthélemy-Saint Hilaire,
revue et annotée par Paul Mathias. Introduction et dossier de Jean-Louis Poirier. ('Agora-Les
classiques). s.l., Presses Pocket, 1991. L’affirmation de Aristote selon laquelle « si donc c'est
pour dissiper leur ignorance que les hommes ont cherché à <philosopher>, il est évident qu'ils
ne cultivent cette science si ardemment que pour savoir les choses, et non pour en tirer le
moindre profit matériel » est discutable. Il n’y a pas de savoir ne débouchant pas sur une
certaine attitude d’être incluant un certain avoir. Nous savons que sur ce point Aristote est
resté fidèle à son maître Platon.
75
De quel homme s’agit-il et de quelle race ?
76
Ibpdem, A, I, 980 a.
29

devant l'imprévu et en face de ce qui ne cadre pas avec ses conceptions" 77. C'est
en cela que l'homme est différent de l'animal. Le premier, se trouvant jeté dans
le monde, est capable de se mettre à distance du monde où il est. Le dernier ne
peut le faire. Ainsi l'homme peut faire du monde un objet de réflexion. Le
rapport homme-monde est celui de distance et d'étonnement. Ce dernier est la
source de la fameuse question fondamentale de Martin Heidegger: "Pourquoi
donc l'étant et non pas plutôt rien?" 78. Il y reviendra dans Qu'est-ce que la
philosophie? Il écrira: "L'étonnement est archè – il régit d'un bout à l'autre
chaque pas de la philosophie. L'étonnement est pathos (cf. note 2: nul
pathétique, dans l'étonnement, mais une émotion, au sens propre: ce qui meut de
soi) (...). C’est seulement si nous comprenons le pathos comme disposition que
nous pouvons aussi caractériser d'une manière plus précise, le thaumazein
(thauma = la "merveille"), l'étonnement. Dans l'étonnement nous sommes en
arrêt79. C'est comme si nous faisons recul devant l'étant (ce qui est, l'être) devant
le fait qu'il est, et qu'il est ainsi, et qu'il n'est pas autrement. Mais l'étonnement
ne s'épuise pas devant l'être de l'étant. L'étonnement est, en tant qu'un tel retrait
et qu'un tel arrêt, en même temps arraché vers et pour ainsi dire enchaîné par ce
devant quoi il fait retraite. Ainsi l'étonnement est cette position dans laquelle et
pour laquelle s'ouvre l'être de l'étant"80. Max Scheler en dit autant: "La source,
qui alimente toute recherche métaphysique, est l'étonnement que quelque chose
en général soit plutôt que rien"81. C'est cela le mystère philosophique de l'être.
Je rappelle qu'avant Martin Heidegger et Max Scheler, Leibniz avait formulé la
77
L.DE RAEYMAEKER, o.c., p.11
78
M. HEIDEGGER, Introduction à la Métaphysique, Traduit de l'Allemand et présenté par
Gilbert Karn, Paris, Gallimard, 1967, p.13.
79
Le « nous sommes en arrêt » est-il propre à une catégorie des gens d’une race donnée ou il
est pour tout être humain ? Seuls les philosophes sortis des universités occidentales sont-ils
aptes à l’étonnement ?
80
ID., Qu'est-ce que la Philosophie? cité dans ID., Qu'est-ce que la Métaphysique?
Traduction: Henry Corbin, présentation et commentaires: Marie Froment Maurice(Les
intégrales de philo/Nathan) Paris, Nathan, 1985, p.101.
81
M. SCHELER, L'eterno nell uomo, cité par G. MORRA, o.c., p.26.
30

même question même s'il avait une autre préoccupation: "Pourquoi il y a plutôt
quelque chose que rien? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque
chose. De plus, supposé que deux choses doivent exister, il faut qu'on puisse se
rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi, et non autrement. (...) (Cela ne
peut s'expliquer que par la raison suffisante). Et cette dernière raison des choses
est appelée Dieu".82

De ce qui précède, on comprendra que la philosophie est la réponse à cet


étonnement. Celui-ci est comme une exigence de connaître la Vérité. Voilà
pourquoi d'aucuns disent que la philosophie est fille de l'étonnement.

A la suite de Karl Jaspers, j’affirme que "l'étonnement [envers ce qui


nous est extérieur] engendre l'interrogation et la connaissance; le doute au sujet
de ce qu'on croit connaître engendre l'examen et la claire certitude; le
bouleversement de l'homme et le sentiment qu'il a d'être perdu l'amène à
s'interroger sur lui-même"83. Tout ceci conduit à philosopher. Toutefois, nous
prévient Renaud Barbaras, l’étonnement se distingue de la peur qui renvoie à
une menace, à la surprise qui fait penser à l’inattendu. Elle se caractérise, selon
lui, par « une part de familiarité, le surgissement d’une distance avec ce qui
allait jusqu’alors de soi »84. J’ajoute aussi, à sa suite, que « l’étonnement est tout
entier tourné vers le monde et dévoile l’être, le doute concerne la valeur de la
connaissance et le sujet y est plutôt tourné vers lui-même. Douter c’est toujours
douter de soi, et par voie de conséquence, de ce en quoi l’on croit, de ce que l’on
juge vrai, etc.(…) Alors que l’étonnement questionnent l’être de ce qui est
donné, le doute demande si ce donné est bien en lui-même tel qu’il se donne à
nous, voire s’il est, tout simplement »85.
82
LEIBNIZ, cité dans M. HEIDEGGER, Qu'est-ce que la Métaphysique?, p. 96.
83
K. JASPERS, Introduction à la philosophie. Traduit de l'Allemand par Jeanne Hersch,
Paris, Plon, 1974, p. 15.
84
R.BARBARS, Qu’est-ce que la philosophie ? dans Philosophie. Commencez avec les
meilleurs professeurs, Paris, Groupe Eyrolles, 2007, p.253.
85
Ibidem, p.258. Je souligne.
31

Alors, je le dis, la philosophie se veut une connaissance de la vérité dans


sa totalité. Et l'homme sera l'animal pour la vérité. Voilà pourquoi l'on ne doit
pas interdire à l'enfant de s'étonner et de poser, d'une façon continue, les
questions de pourquoi, car l’enfant découvre le monde. A dire vrai, « le
philosophe est quelqu’un qui a toujours une âme d’enfant mais avec l’esprit
d’un adulte »86 . La vraie éducation des enfants doit cultiver l'amour de la
vérité, car cet amour est la première tendance de toute nature intellectuelle
comme le fait remarquer Jacques Maritain87.

Si la philosophie est née de l'étonnement auquel elle se veut une réponse,


force nous est de reconnaître que cette réponse n'est pas la possession de la
vérité. Le doute doit toujours inquiéter cette réponse, car le philosophe, en tant
qu'ami de la sagesse, est celui qui cherche le savoir tant qu'il sait qu'il ne sait
pas.

Je me résume: l'origine, la source d'où jaillit constamment l'impulsion


à philosopher, se trouve dans l'homme88. Ainsi on comprend pourquoi Platon
disait que "la philosophie existe parce que l'homme existe" 89. Le
commencement, sans doute qu'il est historique, est là depuis les origines de l'être
humain.

Par ailleurs, il sied de signaler les paroles de Tshamalenga Ntumba : « La


philosophie n’est donc ni hellène, ni égyptienne, ni indienne. Elle est pan-
humaine …Il ne faut donc pas confondre une activité humaine ( prose, poésie,

86
A. MENDIRI, Cours de philosophie .Pour toutes les sections de l’enseignement secondaire
[en ligne] http://ediscripta.voila.net/cours dephilosophie.pdf (page consultée le 15/11/2013).
87
Cf. J. MARITAIN, cité par G. MORRA, o.c., p. 32.
88
J. FREUND, dans sa philosophie philosophique, est du même avis. Pour lui aussi, la
philosophie est née là où se trouvent des hommes.
89
PLATON, cité par M. MIZRACHI, L'homme et le monde, dans CNTE, Philosophie.
Fascicule3. Programme générale. Tome I, Grenoble, s.d., p.1.
32

artisanat, philosophie, mathématique…) avec le terme technique, souvent tardif


qui, grâce à l’usage, la désigne »90

M. TSHAMALENGA Ntumba, « La philosophie en régime d’oralité et l’enquête


90

philosophique sur le terrain », dans Problèmes de méthodes en philosophie et sciences


humaines den Afrique. Actes de la 7ème Semaine Philosophique de Kinshasa du 24 au 30 avril
1983, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1986, p.59 (57-65)
33

1.2. Histoire de la philosophie


L’Histoire de la philosophie, comprise comme « l’ensemble des
contributions passées de la philosophie »91, est une discipline universitaire et elle
signifie Historiographie de la philosophie mettant « en œuvre des opérations qui
permettent de comprendre et d’évaluer le contributions philosophiques du
passé »92. De par cette définition de Claude PANACCIO résumée par Jimmy
PLOURDE, nous voyons soutenue la Thèse de la pertinence philosophique de
l’histoire de la philosophie, thèse se composant de deux sous-thèses : la thèse de
l’intérêt de l’histoire et la thèse de l’utilité de l’histographie. La première
soutient l’idée selon laquelle l’histoire de la philosophie a un intérêt car elle
contribue « à la réflexion sur les problèmes philosophiques actuels »93 et , de ce
fait même, cette thèse s’inscrit en faux contre « la position des discontinuistes
qui considèrent que les contributions des époques antérieures ne présentent pas
d’intérêt pour nous sur le plan philosophique parce qu’elles ne traitent pas des
mêmes problèmes que ceux qui sont aujourd’hui les nôtres, et ce, même
lorsqu’elles ont l’air d’aborder exactement les mêmes problèmes »94. En outre,
nous renseigne Jimmy Plourde, cette thèse de l’intérêt de l’histoire de la
philosophie s’oppose « également partiellement aux positions non
discontinuistes plus sceptiques quant à la VALEUR (je souligne), sur le plan
philosophique, des contributions provenant de l’histoire de la philosophie »95.

Point n’est besoin, pensons-nous, de rappeler « l’incommensurabilité,


l’irréductibilité des questions philosophiques et des réponses apportées par un

91
J. PLOURDE, « Histoire de la philosophie, historiographie et philosophie. Réflexions
critiques au sujet de la portée de la thèse de la pertinence philosophique de l’histoire
de la philosophie », dans Philosophiques Vol. 46 N° 2, 2019, p.381-393[en ligne]
https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2019-v46-n2-philoso05083/1066777ar/
( page consultée le 18/8/2021).
92
Ibidem
93
Ibidem
94
Ibidem
95
Ibidem
34

auteur, par un système philosophique »96. Cependant, il sied de souligner que les
philosophes sont FILS de leur temps et donc ils sont par essence historiquement
conditionnés, mais ils sont aussi PERES de leur temps, et de ce fait, ils sont par
essence historiquement conditionnant, tant soit peu, leur milieu.

A la suite de Claude Panaccio, nous soutenons la thèse de l’utilité de


l’historiographie. En tant que discipline, l’histoire de la philosophie apporte
quelque chose à la philosophie quand bien même existeraient des ruptures entre
les époques. Les questions philosophiques étant éternelles, même s’il en
surgirait d’autres pour certaines époques, les contributions philosophiques du
passées sont valables pour nous les contemporains et ce du point de vue de la
connaissance et de l’inspiration.

Par ailleurs, la thèse de l’utilité de l’historiographie est soutenable quand,


dans Vérité et méthode, Gadamer affirme qu’un texte transmis devient un objet
d’interprétation et que de ce fait même, il pose une question à l’interprète.
« Dans ce sens, l’interprétation contient toujours une référence essentielle à la
question qui vous est posée. Comprendre un texte veut dire comprendre cette
question (…). Il faut donc, pour comprendre, se reporter par la question en deçà
de la chose dite. Il faut la comprendre comme une réponse, sur la base d’une
question dont elle constitue la réponse (…). En effet, on ne comprend le texte
dans son sens qu’en acquérant l’horizon de la question qui, en tant que telle,
englobe nécessairement d’autres réponses également possibles »97. En d’autres
termes, « la chose transmise qui s’adresse à nous – texte, œuvre, vestige – pose
elle-même une question, et par là met notre esprit dans une situation
d’ouverture. Pour répondre à la question qui nous est posée, il faut que nous, à

96
E. ANHEIM, LILTI A. et S. Van DAMME, « Quelle histoire de la philosophie ? », dans
Annales. Histoire, Sciences Sociales,2009/1 ( 64e année), p. 5-11 [en ligne]
Https://www.caim.info/revue-annales-2009-1-pages.htm ( page consultée le 16/8/2021).
97
H. G. GADAMER, Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique
philosophique, Paris, Seuil, 1976, p. 216.
35

qui elle est posée, commencions nous-mêmes à questionner »98. Ainsi il y aura
un jeu de questions et de réponses entre le texte et son interprète. Mais, nous
avertit Gadamer, « ce qui caractérise tout simplement l’œuvre d’art, c’est plutôt
qu’on ne la comprend jamais totalement. Ce qui veut dire que quand on l’aborde
en l’interrogeant, on n’en reçoit jamais une réponse qui serait définitive au sens
où l’on pourrait penser que désormais l’on « sait » (…). On ne peut pas pousser
la récolte des informations contenues dans une œuvre d’art au point qu’il n’y ait
en elle plus rien à accueillir (…) »99. Il n’y a pas de compréhension complète.

En outre, la thèse de l’utilité de l’historiographie reste soutenable si nous


considérons l’histoire de la philosophie comme une occasion d’établir une
GRANDE CONVERSATION (Rorty) entre les positions de toutes les époques,
et ce « dans la mesure où elle nous fait découvrir des posdibilités de réponses
autres et intelligentes à nos problèmes philosophiques actuels. C’est en cela que
résident son utilité et sa pertinence sur le plan philosophique »100.

De ce qui précède, on saura la finalité de l’histoire de la philosophie qui


n’est pas celle « de trouver la bonne réponse à une ou des questions
philosophiques données. Son but est plutôt de déterminer AVEC JUSTESSE ( je
souligne) qui a soutenu quoi en ce qui concerne telle ou telle question
philosophique. Bien entendu, cela n’exclut pas qu’elle puisse procéder à la
comparaison de deux positions historiques sur une même question, ni qu’elle
fasse de l’évaluation critique d’une position historique par rapport à une ou à
toutes les contributions actuelles sur un problème donné »101.

Cependant il serait IDEOLOGIQUE de soutenir qu’il n’est pas possible


de philosopher sans connaître l’histoire de la philosophie occidentale. Cela

98
Ibidem, p. 221.
99
IDEM, L’art de comprendre. Écrits II. Herméneutique et et champ de l’expérience humaine,
Paris, Aubier, 1991, p. 16.
100
J. PLOURDE, a.c.
101
Ibidem
36

donne raison à Catherine KÖNIG-PRALONG qui dénonce la Colonie


philosophique. Selon elle, au dire d’ Ariane REVEL, « l’histoire de la
philosophie est une discipline à part entière, qui s’est inventée comme telle au
XVIIIe et XIXe siècles. Mais c’est aussi une pratique impérialiste, qui entend
marquer le triomphe de la raison européenne »102. Malheureusement, il se trouve
encore des philosophes pour soutenir l’impérialisme philosophique occidental.
A cette position s’oppose notre HOMOCENTRISME.

1.3. Problématique de l’histoire de la philosophie africaine: Cas d’Hubert


MONO Ndjana

Hubert Mono Ndjana affirme que l’Histoire de la philosophie est


l’essence de la philosophie. Partant d’Aristote et d’Hegel103, Hubert remet en «
question (…) la réalité d’une histoire de la philosophie africaine »104

L’histoire de la philosophie africaine est enseignée dans plusieurs


universités. Cependant, son statut épistémologique n’est interrogé. Hubert
Mono Ndjana a pris le courage d’affronter cette question.

1.3.1. L’histoire de la philosophie et sa théorie

Hubert commence par supprimer la confusion existant entre Histoire et


philosophie. Définissant la philosophie comme « pensée pure-dégagée de toute
forme de représentation… »105, Hubert signale que dans le cadre de la
philosophie, Histoire ne s’entend pas comme, p. e. l’histoire politique ou
sociale. En Philosophie, l’on se reporte aux textes anciens.

102
A. REVEL, « Comment naquit l’histoire de la philosophie. A propos de : Catherine König-
Pralong, La colonie philosophique . Ecrire l’histoire de la philosophie aux XVIIIe et XIXe
siècles, EHESS » [en ligne] https://laviedesidees.fr/Konig-Pralong-colonie-philosophique-
histoire-philosophie-XVIIIe-XIXe.html ( page consultée le 17/8/2021).
103
Cf. H.MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale,
Paris, L’harmattan, 2016.
104
Ibidem, p.97.
105
Ibidem, p.97.
37

1.3.1.1. Aristote

Aristote eut l’idée de recenser les textes de ses prédécesseurs. Ainsi, il


créa l’histoire de la philosophie.

Cependant, Aristote opéra une évolution dans sa conception de cette


histoire. Il passa de « la conception finaliste et optimiste de l’histoire de la
philosophie vers une conception dialectique et relativement pessimiste »106. La
première lui permit de comprendre les systèmes de ses prédécesseurs à la
lumière d’une vérité achevée. La succession des systèmes conduisait vers la
vérité totale. De ce fait, la pensée de ses prédécesseurs était considérée comme
de simples « bégaiements » de la philosophie, car « la vérité n’est qu’à la fin,
c’est-à-dire dans l’histoire achevée, dont les différents moments ne contiennent
que des vérités partielles »107. La dernière révéla la pression que les problèmes
exercent sur le philosophe le contraignant à établir un va-et-vient entre lui et la
chose. Mais à ce dialogue s’ajoutera celui des philosophes entre eux. Dans cette
histoire existent la permanence des questions et le « passage » des philosophes.
Oui, « la philosophie se présente (…) comme un ensemble de questions toujours
posées, de problèmes toujours ouverts et d’étonnements toujours renaissants, et
les philosophes n’ont plus d’autres solidarité que celle de la recherche »108.

1.3.1.2. Hegel

Hegel fit la théorie de l’histoire de la philosophie en tant que discipline


constituée. La philosophie étant une pensée pure, distincte de la mythologie, de
la religion, etc., Hegel eut sa propre méthodologie et opta pour l’idée invitant
l’historien de la philosophie à « de la partialité parce que l’objet qu’il décrit doit
l’intéresser. Connaitre donc des doctrines historiquement, c’est-à-dire comme de
simples chroniques, c’est n’est pas (sic) les comprendre »109. Bref, l’histoire de
106
Ibidem, p.104.
107
Ibidem, p.101.
108
Ibidem, p.103.
109
Ibidem, p.105.
38

la philosophie est celle de la philosophie des philosophes. Elle ne se confine pas


dans « un rôle seulement informatif et doxographique »110.

1.3.2. L’histoire de la philosophie comme pratique

L’histoire de la philosophie est une « matière » d’enseignement.

1.3.2.1. Une « matière » d’enseignement

Kant nous avertit : on n’apprend pas la philosophie, mais à philosopher.


Tel est le défi à relever par tout professeur d’histoire de la philosophie en
proposant aux apprentis des modèles à partir d’un corpus de textes existant, des
opinions soumises à leur choix judicieux.

« Matière » d’enseignement, l’histoire de la philosophie, africaine soit-


elle, livre des connaissances philosophiques aux apprentis.

1.3.2.2. Débat sur l’histoire de la philosophie africaine

Hubert dénonce « un statut ambigu » provenant des philosophes africains


situant l’origine de la philosophie africaine dans « un passé antérieur,
inaccessible et inassignable »111. L’intégration dans la philosophie africaine de
Plotin, de Saint Augustin, de Guillaume Amo ayant exercé « hors d’Afrique »
tout en restant africains, ne crée pas un cordon ombilical assurant la filiation
entre leur époque et la nôtre.

D’où, la pensée philosophique africaine actuelle n’a aucun rapport de


dépassement compréhensif ou de prolongement dialectique avec cette ancienne
époque. « Entre eux et nous de la présente génération, il s’est produit un hiatus,
une césure épistémologique que la tradition orale a massivement occupée »112.
S’y référer revient à faire manquer la cible à l’histoire de la philosophie

110
Ibidem, p.106.
111
Ibidem, p.108.
112
Ibidem, p.108.
39

africaine. Cette dernière est dans les textes et non dans les contes, les mythes,
etc.

Pour la définition de la philosophie, « un philosophe africain n’a pas le


droit de ne pas se référer, dans sa pratique théorique (–) à la philosophie
occidentale deux fois millénaire ? »113. Ne pas l’accepter reviendrait à se noyer
dans l’idéologie de l’authenticité africaine réfractaire. Hubert dénonce la
philosophie en vase clos. Universelle, la philosophie intègre tout élément de
toute provenance, souscrivant à la norme de la rationalité.

De ce débat ressort la question fondamentale, cœur de notre


problématique : quel est le statut de l’histoire de la philosophie négro-africaine?

Marcien Towa n’a pas résolu ce problème faute de fil d’Ariane de la


raison. Pour Hubert, une véritable histoire de la philosophie africaine, intègre
l’histoire des philosophies étrangères et exige des enquêtes poussées « aussi loin
que possible tant dans la mystérieuse antiquité égyptienne que dans les arcanes
de la tradition orale »114 et évite « le double piège de reconstitutions aléatoires et
des interprétations fantaisistes »115 faisant appel à « AUSSI » se réfléchissant sur
autrui. D’où, trêve des récupérations intempestives d’une pensée égyptienne
sans cordon ombilical avec nous ou de la tradition orale ne garantissant pas la
vérité de sa pensée faute d’un texte écrit. Sans disqualifier l’égyptologie ;
Hubert voit en Egypte une source à ne pas hyperboliser et dogmatiser comme
référence.

Pour Hubert, L’histoire de la philosophie africaine ne répond pas à l’idéal


de l’histoire de la philosophie, celui du dialogue entre le philosophe et le monde
et entre ce philosophe et ses congénères précurseurs ou contemporains. « C’est
ce dialogue qui la fait être et qui la fait vivre »116. A défaut de précurseurs
113
Ibidem, p.110.
114
Ibidem, p.111.
115
Ibidem, p.111.
116
Ibidem, p.112.
40

véritables, les philosophes africains n’instaurent pas un dialogue fructueux entre


eux et s’ignorent mutuellement et superbement. La « docte ignorance » est le
pire danger qui menace notre propre histoire de la philosophie.

1.3.3. Appréciation critique

Hubert Mono Ndjana opère un Eveil et Réveil pédagogique. Plus d’un


enseignant de l’histoire de la philosophie africaine ne s’est posé la question du
statut de cette histoire.

En recourant à Aristote et à Hegel, Hubert nous invite à prendre position


sur les arguments de ces deux auteurs et nous exhorte à suivre les conseils
prodigués à toute personne qui veut devenir Historienne de l’histoire de la
philosophie africaine. Il faut utiliser un livre d’histoire de la philosophie
africaine en connaissant les textes des auteurs cités tout en prenant position.
Aussi apprendra-t-on à nos étudiants africains et à d’autres à philosopher.

La philosophie étant universelle, Hubert Mono nous prie de nous inspirer


de la philosophie occidentale et de ne pas exclure les « autres » de notre histoire.

Par ailleurs, Hubert touche du doigt la problématique de l’identité du


philosophe africain. Ce qui fait qu’un philosophe est dit africain, « ce qu’il soit
né en Afrique et qu’il soit, avant d’être philosophe, un Africain. Ce ne sont pas
les thèmes traités qui constituent le critère d’africanité »117. Ajoutons : naître en
Afrique ou ailleurs118.

D’accord avec lui, les vrais philosophes sont ceux qui se servent de la
tradition africaine, et qui, de façon raisonnée, en font la critique et des analyses
théoriques approfondies.

117
Ibidem, p.114.
118
Cf. MPALA Mbabula, L., Philosophie pour tous. Introduction thématique à la occidentale
et à la philosophie africaine, Paris, Edilivre, 2016.
41

Sa critique de « l’impératif catégorique de l’égyptologie » est bien


raisonnée. A bas le cri de « l’égyptologritude » ; soyons dignes de nos ancêtres
de par nos productions scientifiques exemptes du mimétisme et du psittacisme.

Faire de l’histoire de la philosophie, africaine comprise, l’essence de la


philosophie est louable. Comme il y a la permanence des questions et le passage
des philosophes, l’on prendra acte des propositions faites par les prédécesseurs
et les contemporains, pour se positionner raisonnablement. La confrontation, de
façon permanente, de sa propre réflexion à une réflexion antérieure, donne le
sens de la partialité de l’historien de la philosophie.

Malgré la prolepse de l’annexe A l’ombre des pyramides, j’ai quelques


réserves devant la pensée d’Hubert. Définir la philosophie comme « une pensée
pure » me rebute. Si l’individu philosophe est du reste un fils de son temps et la
philosophie son temps conçu dans la pensée 119, « il est insensé de prétendre
qu’une philosophie, quelle qu’elle soit, surpasse le monde qui lui est
contemporain, que de dire qu’un individu franchit d’un saut son temps, saut par-
dessus le rocher de Rhodes »120. Il n’y a pas de philosophie pure dégagée de
toute forme de représentation religieuse, mythologique, socio-politique, etc.
L’on parle à partir d’un lieu théorique et pratique donné, dirait Louis Althusser.
D’où la partialité justifiée qu’on trouve chez l’historien de la philosophie.

Ceci dit, le mythe mérite une nouvelle conception par-delà le


narrativisme121. Il est une structure articulée du couple mixte du visible et de
l’invisible. Aussi sera-t-il célébré comme un des moyens d’acquisition de la
connaissance. Ayant la passion de connaitre, l’homme a plusieurs rationalités
(orale, mythique, onirique…). Ces oxymores mettent en valeur le paradigme de

119
Cf. HEGEL, Préface au principe de la philosophie du droit, Paris, Flammarion, 1999.
120
Ibidem, p.75.
Cf. L. MPALA Mbabula, préface à KALOLA Bupe , La valeur du mythe ;, Paris, Edilivre,
121

2017.
42

la coincidentia oppositorium, logique du contradictoire, de l’ajustement122. D’où


la distinction de l’esprit de justesse ou de finesse du more geometrico123. La
réalité étant une boule à plusieurs faces, le philosophe fera appel à plusieurs
moyens de connaissance.

Ceci dit, la notion de texte mérite une mise au point. Hubert nous prie,
pour l’histoire de la philosophie africaine, de ne nous tenir qu’aux « textes »
sous peine de manquer sa cible. Elle n’a pas à viser, comme origine, la tradition
orale « puisqu’elle est simplement orale, c’est-à-dire concrètement
inassignable »124. Pour lui, l’écriture est une condition indispensable de la
philosophie. Si Socrate est connu grâce à Platon, qu’Hubert invite nos
philosophes à recréer le lien ombilical entre nos prédécesseurs « illettrés » en
mettant par écrit leur savoir à l’exemple de Marcel Griaule et Ogotemmeli ou de
Mufuta et Katulushi. Eclatons la notion de texte. Ce dernier est « tout
enchaînement verbal et tout ce qui se donne à lire, c’est-à-dire toute la
tradition »125. Qu’est-ce à dire ? La tradition renferme les monuments, les écrits
et les paroles126. Un jour viendra où le texte sera l’ADN enregistrant toutes nos
connaissances.
Sachant que Socrate n’a pas fait descendre la philosophie du ciel, les
ante-socratiques127, et non les présocratiques, ont philosophé avant Socrate et
non « bégayé ».

122
Cf. MPALA Mbabula, L., Pour une nouvelle narration du monde. Essai d’une philosophie
de l’histoire, Paris, Edilivre ; 2016.
123
Cf. PASCAL, B. , Les pensées I. préface et introduction de Léon Brunchvic, Paris, s.e.,
1972.
124
H. MONO Ndjana, Op.cit., p.108.
125
B. OKOLO Okonda W’oleko, Pour une philosophie de la culture et du développement,
Kinshasa, Presses Universitaire du Zaïre, 1986, p.43.
126
Cf. Ibidem
127
G. LEGRAND, La pensée des présocratiques, Paris, Bordas, 1970.
43

De ce qui précède, l’on comprendra que l’histoire de la philosophie africaine,


en ce qui concerne son statut épistémologique, mérite un débat permanent, car,
comme pour toute histoire de la philosophie, elle est essence de la philosophie
africaine.

1.3.3. Problématique de la périodisation de l’Histoire de la


philosophie africaine

La périodisation est un concept qui est compris de diverses manières selon


des auteurs. Pour Shaw, « les périodes et les événements sont des concepts qui
organisent notre compréhension et notre connaissance du passé »128. Stearns,
pour sa part, considère la périodisation comme un produit conceptuel européen
créé en tant qu’« outil conceptuel permettant d’étudier le changement au fil du
temps et qui rend possible l’enseignement de l’histoire »129. Pour Bloch, selon
IHEDIWA Nkemjika Chimee, « la périodisation est une stratégie que les
historiens utilisent pour représenter le changement et la continuité »130.

En effet, nous savons que la périodisation que nous utilisons est une invention
européenne. Et IHEDIWA Nkemjika Chimee a raison de dire que « pour
l’historiographie africaine, il reste encore un obstacle à franchir, c’est celui de la
périodisation »131. Et il noud livre une réflexion remarquable en ces termes :
« Définir des périodes ou des phases en histoire n’est pas une erreur mais
contient un certain nombre de défis quand la périodisation n’est pas autochtone
et ne tient pas compte du contexte général des évènements d’Afrique, en tant
que continent. Il ne devrait pas y avoir de règle absolue sur la périodisation.

128
SHAW, cité par IHEDIWA Nkemjika Chimee, « l’historiographie africaine et les defis de
la periodisation europeenne : un commentaire historique », traduit de l’anglais par Celia
Burgdorff [en ligne] https://ihacrepos.hypotheses.org/3906 ( page consultée le 15/8/2021).
129
STEARNS, cité par IHEDIWA Nkemjika Chimee, a.c.
130
BLOCH, cité par IHEDIWA Nkemjika Chimee, a.c.
131
IHEDIWA Nkemjika Chimee, a.c.
44

L’historiographie africaine est toujours confrontée à ce défi »132. Et puisqu’il en


est ainsi, IHEDIWA Nkemjika Chimee estime que « l’histoire africaine devrait
suivre l’histoire des événements en Afrique et raconter les forces qui ont
façonné ces événements depuis l’Antiquité ; l’idée d’une structure périodique
dans l’histoire africaine devrait être élaborée en fonction des séquences des
développements sur le continent au cas par cas, sans nécessairement suivre des
modèles européens préexistants »133.

Eclipsée par les chronologies et les échelles de périodisation européennes


que nous utilisons, il sied de nous « dépériodiser » et suivre le conseil de
IHEDIWA Nkemjika Chimee.

Ce souhait a été suivi par Grégoire Biyogo pour qui « la philosophie


africaine ne présente jusqu’à ce jour aucune périodisation satisfaisante, ferme, et
à la vérité elle ne comporte aucune théorie attestée sur cette question » 134. Le
défi étant reconnu, G. Biyogo prit la résolution de proposer sa propre
périodisation ou taxinomie de l’histoire de la philosophie africaine et distinguant

trois grandes périodes : « la philosophie antique du berceau égypto-nubien de la


philosophie et des sciences – du IIIème millénaire avant notre ère jusqu’au XII

ème siècle , la philosophie médiévale des empires africains XIIIème siècle


jusqu’au XIXème siècle et la philosophie africaine moderne et contemporaine,
de 1945 à 1990 »135. DIA MBWANGI Diafwila trouve insuffisante cette
taxonomie parce qu’elle manque, selon lui, « de repères précis pour définir les
périodes historiques et mieux catégoriser les grands courants de la philosophie

132
Ibidem
133
Ibidem
134
G. BIYOGO, cité par DIA MBWANGI Diafwila, « L’approche déconstructiviste en
histoire de la philosohie
(sic) africaine méthode et taxinomie de Grégoire Biyogo », dans Nokoko N°6, 2017 , p. 245
( 208-250)
135
DIA MBWANGI Diafwila, a.c., p.245.
45

africaine »136. Tout le traitant de premier historien de la philosophie africaine


ayant entrepris ce travail, DIA MBWANGI Diafwila se tourne vers Hubert
Mono Ndjana qui proposa, en 2009, sa périodisation : 1. Autrefois. 2. Avant-
hier. 3. Hier. 4. La philosophie africaine contemporaine 137. DIA MBWANGI
Diafwila trouve comme vagues les termes « autrefois », « avant-hier », « hier »
et « l’aujourd’hui », termes utilisés pour définir les découpages historiques de
la philosophie africaine en lieu et place de donner des dates précises de cette
histoire de la philosophie africaine. Insatisfait, DIA MBWANGI Diafwila recout
à Ikechukwu Kanu dont la périodisation, selon lui, correspond mieux aux
différentes étapes de l’histoire de la philosophie africaine dégagée par Biyogo.
Kanu découpe l’histoire de la philosophie africaine « en quatre traditions en
rapport au temps historiques : 1. Ancien tradition of African Philosophy, from
3000 to 300 BC. 2. Medieval Tradition of African Philosophy, the earlier period

of North African Christian Philosophy, from the second to the sev-enth centuries
AD; the later period covers Arabo-Islamic activities from the 10th to the 15th.

3. Modern Tradition of African Philosophy, include philosophical activities in


Africa and by African outside from 15th and early part of 20thcenturies.

4. Contemporary Tradition of African Philosophy, from the 19th century to date.


Cette périodisation nous donne la possibilité de situer les oeuvres
philosophiques africains dans l’espace et le temps »138.

A notre humble avis, la périodisation d’Hubert MONO Ndjana nous


semble plus adaptée et correspondrait à notre Afrique, car l’ « Autrefois »
englobe l’Afrique de l’oralité et l’Afrique de l’Ecriture. En outre, elle introduit

136
Ibidem, p.245.
137
Cf. H. MONO Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2009.

138
DIA MBWANGI Diafwila, a.c., p.247-248.
46

un vocabulaire qui nous rapproche de la narration africaine, alors que celle de


Biyogo comme celle de Kanu nous replonge dans la périodisation européenne
que l’on cherche à déconstruire.

De ce qui précède, l’on comprend que les violons ne s’accordent pas sur
la périodisation de l’Histoire de la philosophie africaine. Quant à nous, nous
suivrons celle d’Hubert Mono Ndjana.

1.4. Méthode-s dans l’histoire de la philosophie


La méthode est la voie à suivre pour atteindre un but, mais pour y arriver
il faut bien appliquer les règles ou les principes.

L’histoire de la philosophie sous-entend que celui qui en parle a déjà lu


les écrits des auteurs ou il a lu des écrits portant sur les auteurs. Il peut y arriver
aussi que l’auteur expose la pensée des philosophes qu’il a interviewés. Bref, il
y a un acte de lecteur ou un acte d’audition. Ce dernier acte nous fait penser à
Platon à l’égard de Socrate et Mufuta à l’égard de Katulushi. De ce fait, la
notion de TEXTE doit être élargie à tout ce qui se laisse lire comme le dession,
le monument, la voix, etc.

Cependant, il sied de souligner que l’historien de la philosophie comme


celui des Sciences historiques opère par SELECTION sans tomber dans le
RELATIVISME, car il s’efforcera à transcender sa subjectivité en justifiant son
choix (compte tenu des textes ou documents à sa disposition, du contexte, des
objectifs poursuivis, de sa propre formation et information, de son option
méthodologique) et en respectant la démarche méthodologique requise ou mieux
sa théorie d’interprétation de textes écrits ( méthode structurale, théories de
David Hirsch, de H. G. Gadamer, etc.) ou oraux.

En dernière analyse, tout historien de la philosophie est un commentateur


actif et non un perroquet. Puisqu’il est philosophe, il est actif et averti pour ne
47

pas prêter sa philosophie aux auteurs qu’il expose ; d’où il est invité à envoyer
ses étudiants à lire les écrits des auteurs philosophes et leurs commentateurs
pour être à même de discuter entre eux et entre eux et les philosophes. Ainsi, on
répondra au vœu de Kant pour qui on n’apprend pas la philosophie, mais on
apprend à philosopher.

Comme les philosophes ont des prises de position raisonnées sur celles
des autres – s’ils se sont lus ou écoutés et il arrive qu’il ait des positions
différentes sans se connaître-, le professeur d’histoire de la philosophe, en tant
qu’interprète, doit faire de son mieux pour faire ressortir la VALEUR de chaque
doctrine philosophique compte tenu de son contexte politique, social,
économique, scientifique, religieux, etc., car chaque position a son sens d’être et
l’anachronisme est à éviter.

Comme on peut le constater, ma position méthodologique dans l’histoire


de la philosophie s’écarte de la méthode structure et veut boire au puits de David
Hirsch en mettant l’accent sur le contexte et la communauté du sens. Il faut
toujours se poser la question de savoir en quoi mon interprétation rejoint-elle
celles des autres interprètes? Cela n’est possible que si l’on a lu ou entendu les
textes des auteurs à exposer. Cependant le réalisme nous invite à reconnaître les
obstacles qui se dressent sur le chemin de l’enseignant de l’histoire de la
philosophie : ne pas connaître la langue des auteurs, avoir pour textes les
traductions, etc. Toutefois, tout cela ne doit pas le décourager. Ainsi, loin d’être
historien de la philosophie, nous sommes, souvent, des commentateurs des
historiens de la philosophie.

Reconnaissons que le philosophe qu’on expose est l’AUTEUR INSPIRE


dont on s’inspire aussi en le commentant, car il arrive de faire la comparaison
entre sa pensée et notre contexte étant donné que les questions philosophiques
restent identiques dans le fond. Encore une fois, il faut éviter l’anachronisme.
48

De ce qui précède, on retiendra qu’il y a plusieurs méthodes en histoire de


la philosophie. La nôtre s’inspire de David Hirsch. Ainsi, nous tiendrons
compte, en commentant un auteur ou philosophe, du contexte de l’émergence de
sa pensée philosophique, de la communauté de sens qui nous contraint à nous
inspirer d’autres commentateurs tout en fournissant un effort de lire ou d’écouter
les écrits des philosophes. De ce fait, nous tiendrons compte des aspects
historiques des systèmes philosophiques chez certains philosophes et nous
serons dans l’HISTOIRE HORIZONTALE de la philosophie et avec d’autres
philosophes, en nous focalisant sur leurs doctrines philosophiques en partant des
sources et non des structures, nous nous situerons dans l’HISTOIRE
VERTICALE de la philosophie139

Cf. M. GUEROULT, « La méthode en histoire de la philosophie ( Abstract) », dans


139

Philosophiques 1(1) 1974, p.7-19 [en ligne] https://philpapers.org/rec/GURLME (page


consultée le 10 septembre 2021).
49

CHAPITRE DEUXIEME : HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE


AFRICAINE DU PASSE
2.1. AUTREFOIS
2.1.1. La philosophie de l’antiquité négro –
égyptienne

Aux origines de la pensée philosophique se trouve l’ETONNEMENT. Ce


dernier conduit à la connaissance. Celle–ci se voudra une connaissance des
causes premières. Celles – ci serviront à expliquer le pourquoi il y a quelque
chose plutôt que rien. Ainsi l’on cherchera à savoir de quoi est fait l’univers et
qui en est l’Auteur. En ce moment, la philosophie se confondra même à la
religion. La Raison et la Foi se tiendront la main dans la main. Le DOUTE
permettra aux amoureux de la connaissance philosophique de s’auto – critiquer
pour vivre dans la certitude. Ainsi interviendra non seulement la spéculation,
mais aussi l’expérience existentielle. Voilà pourquoi, en dernière analyse, la
philosophie est liée à la vie comme les lèvres aux dents.
La philosophie de l’antiquité négro – égyptienne constitue une illustration
de nos affirmations.
Cheikh Anta DIOP a examiné la pensée de l’Égypte pharaonique et il a
restitué la philosophie égyptienne en ses trois grands systèmes de pensée : « Le
système hermopolitain, le système héliopolitain et le système memphite et l’on
pourrait y ajouter le système thébain ».140 Ce sont là, tous, des systèmes qui
tentent d’expliquer l’origine de l’univers. Comment les Egyptiens ont-ils
répondu à la question des origines ?

2.1.1.1. La création
Selon ces systèmes, l’univers n’a pas été créé ex nihilo.
A l’origine sans origine, il y eut une matière incréée, sans limite et
sans déterminations ; donc sans commencement et ni fin. C’est le NOUN « ou
140
C. A. DIOP, Civilisation ou barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 388.
50

la matière chaotique primordiale, (-) le vivant en soi, qui contient


potentiellement tout l’univers en gestation sous forme d’essences éternelles ou
d’idées pures, indestructibles modèles, archétypes des futurs êtres, mais aussi la
force nécessaire pour sa propre évolution vers l’actualisation du monde. »141 .
NOUN, « eaux primordiales », est une matière primordiale. Il est le « non – crée
initial »142. NOUN est à l’origine de tout ce qui existe. Il contient à l’état
d’archétypes toutes les essences de l’ensemble des êtres futurs( ciel, terre,
étoiles, air, feu...) et porte en lui – même aussi un principe d’évolution de la
matière à travers le temps. Ce principe est KEPHER ou KHEPER. Ce dernier est
la loi fondamentale de transformation, il est la loi du devenir. Il préside à
l’actualisation des archétypes « les essences, les êtres qui sont donc longtemps
créés en puissance avant d’être créés en acte »143.
Plus tard il sera appelé RÂ (RE). Il est nommé RÂ quand il apparaît
en gloire, quand il commande et gouverne ce qu’il a créé, ou Atoum quand il est
seul dans le NOUN. Râ est aussi appelé KHEPRI. Le passage de l ‘état
d’Inconscient à celui de Réveil, fait devenir KHEPER RÂ ou KHEPRI.
RÂ (RE), première conscience de la matière incréée entraînée dans
son propre mouvement d’évolution et franchissant les paliers de l’organisation et
ainsi s’auto-engendrant lui-même de lui-même, est le premier dieu, le démiurge
qui achève la création (appelée la première occasion. N.B. : création = faire
actualiser les archétypes, elle n’est pas ex nihilo) par son verbe, le KA, sa
volonté : « Il suffit que Râ conçoive les êtres pour qu’ils émergent dans
l’existence»144. Il est Raison. Les créatures que Râ fera venir à l’existence
s’appellent KHEPERU. RÂ créera quatre couples divins selon la cosmogonie

141
Ibidem , p. 427.
142
T. OBENGA, La philosophie pharaonique, dans Présence Africaine 137/138 (1986), p. 6
et cf. ID., La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère,
Préface de Tshiamalenga Ntumba. Paris, l’HARMATTAN, 1990, p. 29.
143
C. A. DIOP, o.c., p. 389.
144
Ibidem, p. 390.
51

héliopolitaine : SCHOU (air – espace) et TEFNUT (humidité – eau), GEB


(terre) et NUT (ciel – lumière, feu), OSIRIS et ISIS (couple humain fécond qui
engendra l’humanité)145 et SETH et NEPHTYS (couple stérile qui introduira le
mal dans l’histoire humaine). Dans la cosmogonie hermopolitaine, nous avons
cinq couples divins représentant les principes opposés de la nature qui seraient à
l’origine des choses :
« 1° Kouk et Kouket = les ténèbres primordiales et leur opposée : les
ténèbres et la lumière ;
2° Noun et Nounet = les eaux primordiales et leur opposée : la
matière et le néant ;
3° Heh et Hehet = l’infinité spatiale et son opposée : l’infini et le fini,
l’illimité et le limité ;
4° Amon et Amonet = le caché et le visible : le noumen et le
phénomène ;
5° Niaou et Niaouet = le vide et son opposée : le vide et le plein, la
matière (plus tard) »146.
Ceci nous fait penser à la théorie des contraires d’HERACLITE. Ici on
voit une réponse au problème de l’Un et du Multiple.
De l’Un, le NOUN, est sorti le Multiple. Le NOUN est l’ARCHE, le premier à
partir duquel tout viendra à l’existence. C’est lui le fondement, la raison de tout
le devenir ultérieur comme le dit T. Obenga dans la Philosophie africaine de la
période pharaonique. Toutefois il est bon de faire savoir que « du NOUN d’où
émerge et se manifeste RÂ, on n’en sait trop rien : c’est le principe radical de
tous les principes, le fondement de tous les fondements mais lui-même infondé,
une sorte de ténèbres somnolentes (il faut tout de même imaginer le NOUN),

145
Cf. Ibidem, p. 390.
146
Ibidem, p. 392.
52

d’où RÂ (le Soleil divinisé) émerge pour agir, faire être toutes les formes de
l’existence »147
De tout ce qui précède, nous pouvons dire que chez les anciens négro
-égyptiens la matière a préexisté à l’esprit et que ce dernier vient de la matière.
Chez eux, il n’y a pas de création ex nihilo. Il n’y a pas d’opposition entre la
matière et l’esprit148 . Qu’en est – il de l’homme ?

2.1.1.2. L’anthropologie philosophique égyptienne

L’ancien égyptien a une conception complexe de l’être humain, « le fils


du ciel et de la terre »149, selon le philosophe congolais Joseph Mabika Nkata. Ce
dernier nous apprend que l’homme est composé de six principes constitutifs :
« Un principe mortel, le Djet, et cinq principes spirituels et immortels, l’Ahk, le
Ba, le Ka, le Schuyut et le nom de famille ».150 Chaque principe avait des
fonctions spécifiques, dit-il. Ainsi, « le Ka spécialement assurait la survie de
l’individu dans l’au-delà … Ce Ka gardait les traits physiques du défunts [et] il
ne pouvait être l’objet du culte que sous forme du défunt, d’une gravure ou
d’une peinture le représentant ».151

Cheik Anta Diop, quant à lui, parle de Zed ou Ket qui est le corps et qui
« se décompose après la mort, [du] BA qui est l’âme corporelle (la « double » du
corps dans le reste de l’Afrique noire) [de] l’ombre du corps, [du] KA [qui est]
le principe immortel qui rejoint la divinité du ciel après la mort ».152
147
T. OBENGA, La Philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre
ère, p.60. cf. Le Livre des morts des anciens égyptiens, introduction, traduction, commentaire,
de Paul BARGUET, Paris, Cerf, 1967, Chapitre 17.
148
Cf. ID., La philosophie pharaonique, dans Présence Africaine 137/138(1986)
149
Mabika Nkata J., La dimension métaphysique de la philosophie africaine, dans Philosophie
africaine : Rationalité et rationalités. Actes de la XIX semaine philosophique de Kinshasa,
1996, p. 392.
150
Ibidem., p.533.
151
Ibidem., p.533.
152
C. Anta DIOP, Civilisation ou barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 392.
53

Mubabinge Bilolo est ajouté d’autres éléménts à ceux de Joseph Mabika


Nkata et de Cheik Anta Diop. L’homme se présente comme une unité constituée
de différents éléments dont les plus importants sont :

1º KET (ht) « corps visible », « corps matériel et visible », « forme


extérieure ». Les Egyptiens distinguaient, au dire de Mubabinge Bilolo, un
« corps matériel, invisible » et un « corps de l’au-delà »153

2º ACH/AKH (3h) « corps spirituel/lumineux », « transfiguré » ou


« illuminé », « esprit ». En luba, Mubabinge traduit AKH par mukishi : « Le
Mukishi est un muntu mwine », « l’homme même » dans le « pays des morts ».
Il est l’« homme après la mort »154. A ce propos Derchain écrit : « Après la mort,
cependant, l’homme subit un changement de nature qui s’exprime par la notion
d’akh … « lumineux » et qui désigne toutes sortes d’êtres surnaturels tels que
les fantômes ou démons, appartenant donc exclusivement au monde imaginaire
qui peuple l’inconnu. L’akh est la forme du défunt qui possède une puissance
supérieure, que l’on invoque au besoin, mais qui peut aussi se manifester
spontanément et de façon désagréable aux vivants »155. Comme on le voit, on a
affaire à la littérature funéraire où à la conception de l’homme après la mort.
Mais Mubabinge fait voir l’enjeu théologique du mot akh dont il fait l’épithète
de l’être – primordial, car « glorieux / splendide/ lumineux est Ra »156. De ce
fait, on comprend comment l’épithète akh est appliquée aux vivants considérés
comme akh, i.e. « illuminés », « éclairés », « transfigurés » par « Esprit –
Rayonnant ou figurés » qui est Ra.157

153
Mubabinge Bilolo, Les Cosmo –théologies philosophiques d’Héliopolis et d’Hermopolis.
Essai de thématisation et de systématisation, Kinshasa – Libreville – Munich, publication
universitaires africaines, 1986, p.111
154
I Ibidem., p.113.
155
DERCHAIN, cité par Ibidem, p.114.
156
MUBABINGE Bilolo, o.c., p.114.
157
Ibidem, p.114
54

3º BA (B3) « âme (indivisible) », « esprit ». Mubabinge l’appréhende


comme « l’esprit individuel, la conscience personnelle ou la lumière intérieure
de l’homme qui se reflète et se manifeste dans ses productions »158. Il est traduit
en luba par muntu mwine et il souligne que le Ba n’est pas la mémoire, mais
que la fonction de mémorisation appartient au Ba. Comme pour l’Akh,
Mubabinge fait du Ba une des épithètes de l’être – primordial. « Le BA-
primordial étant éternel, les ba dérivées sont, par conséquent, immortels ».

Après la mort de l’homme, le Ba se libère de son corps terrestre.


Autrement dit, la mort est une sorte de nouvelle naissance pour le Ba, le début
d’une nouvelle vie, d’une nouvelle existence, comme akh(3h) dans le voisinage
du seigneur de l’éternité. Le Ba va voir Atum / Ra et rester, s’il est justifié, à sa
suite éternellement.159 Comme on le voit, le Ba appartient au monde des vivants
(car son pèlerinage terrestre commence dès la conception de l’homme) et des
morts (du fait que le Ba poursuit sa vie, « après la décomposition du corps
terrestre – décomposition appelle : la mort - . Le Ba est un don de Dieu, tout
comme l’homme dans sa totalité ».160)

De ce qui précède, Pirenne donnera une définition du Ba : « Le Ba n’est


donc pas comme le Ka, antérieur à l’homme. Il naît avec lui. Il est « dans le
sang » même de l’homme. Il est sa conscience, son âme. Il est sa volonté, le
siège de ses sentiments. Si l’homme pratique l’iniquité, c’est le Ba qui en
supportera la responsabilité devant les dieux … L’homme en tant
qu’individualité est donc essentiellement le Ba ».161

4º KA « esprit / intellect », « esprit de vie », « esprit vivificateur ».


Mubabinge le traduit en luba par moyo qui veut dire « cœur – vie –
conscience », Principe vital », « énergie vitale », « force vitalisant ». Tout

158
Ibidem, p.115
159
Ibidem, p.177
160
Ibidem, p.177
161
J.PIRENNE citée par Ibidem, p.118.
55

homme a un Ka et ce Ka vient de l’être – primordial. Pour la définition du Ka,


Mubabinge se tourne vers Pirenne, Kaplony et Thauring. Pour le premier, « le
Ka, c’est (…) la partie divine qui est dans l’homme. Lorsque l’homme engendre
ses enfants, ce n’est pas son corps qui créée la vie, mais le Ka qui l’anime ; c’est
pourquoi les hommes sont des Ka vivants, c’est pourquoi ils vivent tant qu’ils
sont avec leur Ka … Mais de l’union du Ka et du corps naît une personnalité,
une conscience qui est à l’homme ce que Rê est au monde, et cette personnalité
est le Ba »162. Le Ka est immortel, impérissable.

5º SHAÏ « volonté créatrice », « destin/destinée ». Le Shaï humain a un


aspect négatif et positif. « Négativement, le Shaï est saisi comme « ce qui limite
l’existence humaine », par exemple de « durée de vie », la « mort », le mal ou
le « non – être », etc. Ces limites sont indépendantes de la volonté humaine ».163
Ces facteurs ou limites sont imposées de l’extérieur par le créateur et
déterminent, prédestinent, précise Mubabinge. « Positivement ou activement, le
Shaï est saisi comme « le libre arbitre » qui permet à l’homme d’être
responsable soit de son bonheur, soit de son malheur ».164

6º KET (kd) « nature », « caractère inné », « disposition « innée »,


« manière d’être ». Le Ket est « cette disposition innée (ou acquise),
profondément ancrée dans l’homme, et qui détermine son comportement. C’est
pourquoi, l’individu peut recourir à Ket pour justifier ses erreurs. C’est son Ket
qui le pousse à agir de telle ou telle manière ».165 Ket différencie les hommes
les uns des autres et dicte à chacun sa ligne de conduite.

7º « Nom ». Le nom est très important en Egypte et « connaître le nom de


quelqu’un, c’est le dévoiler, le « toucher », avoir prise sur lui ».166 En outre,

162
Ibidem, p.127.
163
MUBABINGE Bilolo, o.c. , p.135.
164
Ibidem, p.136.
165
Ibidem, p.139.
166
Ibidem, p. 140.
56

l’acte de nomination est un acte de création, une sorte d’engendrement de cet


être nommé. Oui, quelqu’un commence à exister « pour nous », i.e à faire partie
de « notre monde personnel », de notre « rayon d’action », à partir du moment
où nous connaissons son nom167. Le nom est un substitut linguistique de la
personne.

Mubabinge cite aussi d’autres aspects de la personnalité comme


« l’ombre », le « ventre » (siège des sentiments et des désirs sensuels), le
« coeur » (domaine de la pensée, de la connaissance et de la volonté).

L’homme est immortel parce que Dieu a « fait l’homme à son


image »168, dit la cosmogonie égyptienne 169. Ainsi il y a Égalité et Fraternité
entre les humains. Alors d’où provient le mal ? De la liberté morale, de la
volonté humaine, de la responsabilité humaine, de la science et de la
conscience, du cœur humain170.
L’homme doit travailler pour vivre et pour survivre dans l’au – delà. Il
est enterré avec les biens, car il survivra et en aura besoin. La momification
intervient pour vaincre le temps. Dans cette pratique se trouve le désir de rester
éternellement. N’oublions pas que l’homme est à la fois âme et corps. Il est une
« unité » corps – esprit, indivisible.
Pour l’homme égyptien, ce monde terrestre a de la valeur car c’est à
partir de lui que l’on construit l’au – delà. Le grand mal serait de quitter cette
terre sans la construire. On ne croise pas les bras pour attendre le bonheur dans
l’au – delà. Ce dernier se mérite dès ici–bas. Construire ce monde équivaut à
construire sur la terre. A la mort, le défunt doit se présenter au tribunal d’Osiris,
« dans la salle de la vérité salle de deux maât, avec toute sa conscience, toute
167
Cf. Ibidem, p.140.
168
C. ANTA DIOP, o.c., p.392.
Ibidem,p. 392.
Ibidem, p. 392.
169
Ibidem, p. 392.
170
Cf. T. OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant
notre ère, p. 142 .
57

son intelligence et en pleine autonomie morale ».171 Ceci nous conduit à parler
de la morale ou de l’ETHIQUE qui fera que l’homme mérite l’Au-delà.

2.1.1.3. Placide Tempels face à l’anthropologie philosophique africaine. En


opposition avec la conception européenne

Placide Tempels avertit ses concitoyens européens pour ne pas se tromper


sur la composition de l’être humain chez les Bantu : « Si nous voulions, avec
notre mentalité européennes, chercher chez les bantous des termes adéquats pour
exprimer cette pensée [celle de l’âme et du corps], nous nous heurterions aux
plus graves difficultés, notamment si nous allions parler de l’âme. Sauf sous
l’influence européenne, les bantous ne s’expriment pas de la sorte. Eux
distinguent en l’homme, le corps, l’ombre et le souffle ; ce souffle est bien sûr la
manifestation, le signe apparent de la vie, mais qui est périssable et ne rend
nullement ce que nous entendons par l’âme, notamment, ce qui subsiste après la
mort, lorsque le corps avec son ombre et son souffle ont disparu. Ce qui subsiste
après la mort n’est pas désignée par les bantous par un terme désignant une
fraction de l’homme. J’ai toujours entendu les anciens le nommer « l’homme
lui-même », « lui-même », « aye mwine » ; or c’est cela « le petit homme » qui
était caché derrière les apparences perceptibles, c’est le « muntu » qui, à la
mort, a quitté les vivants »172.
Le philosophe congolais Joseph Mabika Nkata fait remarquer, avec
raison, que Placide Tempels s’est trouvé « en face d’un autre paradigme de
pensée…De ce fait, personne n’a compris très bien l’intuition philosophique de
Tempels en Philosophie africaine »173. En effet, la « notion d’une ‘Ame’qui

171
MUTOMBO NKULU-N’SENGA, Antériorité de la philosophie négro – africaine, T.F.C.
Lubumbashi Grand Séminaire Interdiocésain Saint Paul, 1981, p. 126. inédit Cf. Le livre des
morts des anciens égyptiens, chapitre 125.
172
P. TEMPELS, o.c., p.35.
173
J. MABIKA Nkata, Whitehead et la cosmologie africaine. 7th Withehead conference-
Bangalore-India, Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi, 2009, p.66.
58

commande le corps est étrangère à la culture africaine »174. Et cela, Placide


Tempels l’avait bien compris.

2.1.1.4. L’anthropologie philosophique subsaharienne. Cas de Babemba et


de Bashila

L’homme comme être constitué de plusieurs principes vitaux : Umubili


(le corps), Ishina (le nom), Akabelo ( le caractèere inné), Umupu ( le souffle de
vie), Umutima ( le cœur), Umweo (souffle de vie ou cœur comme siège de bons
et mauvais sentiments), Ikimfule ou Icishingwa ( ombre ou « umuntu mwine)

Umubili (corps), Ishina (nom), Akabelo (caractèere inné), Umupu


(souffle de vie), Umutima (cœur), Umweo (souffle de vie ou cœur comme siège
de bons et mauvais sentiments), Ikimfule ou Icishingwa (ombre ou « umuntu
mwine)

Les Bashila enseignent que le Muntu, l’être humain, est une unité
constitué de Umubili, le corps visible, corps matériel, tangible et qui donne la
forme extérieure pour que chaque Mushila soit différent, du point de vue forme,
de l’apparence des autres Bashila.

En outre, les Bashila savent que le Ishina, le nom, constitue le Muntu et


ce nom n’est pas attribué arbitrairement à tout nouveau-né. Il y a le Ishina lyapa
mutoto, le « Jina la kitofu », « le nom des entrailles »175 le nom intérieur qui ne
change pas, propre a lui. Pour les Bashila, « le nom est un pricipe vital de la
personne humaine »176. Voilà pourquoi, comme le fait remarquer Joseph Mabika
Nkata, le « nom n’est pas donné au hasard : il dépend des événements
cosmossémiques et anthropologiques. Il a une signification physique, sociale,
sociologique et métaphysique. La signification physique relève des événements
du monde physique : jour de naissance et conditions mécaniques de la
174
Ibidem, p.67.
175
Ibidem, p.72.
176
Ibidem, p.71.
59

naissance ; la signification sociale relève des événements sociaux et historiques


qui entourent la naissance : moisson abondante, disette, mort d’un proche,
guerre ou bonheur ; la signification sociologique relève de l’organisation de la
famille et de la société : toutes les ramifications qui constituent le tissu
relationnel de la famille, et enfin, la signification métaphysique relève de la
signification profonde de tous ces événements pour la vie, dans la mesure où le
nom symbolise la croyance de l’immortalité de la vie personnelle et
collective »177 Notre Dissertation doctorale en parlera en détail.

Tout Muntu, pensent-ils, se diffèrent des autres, également, par son


Akabelo,son caractère inné et l’on dit ekabelo kakwe, c’est son caractère inné
positif ou négatif.

Ils parlent aussi de Umupu, le souffle ou souffle de vie. Ainsi, on dira


talepema, il ne respire plus. Autrement dit, le souffle ou la respiration fait partie
de l’essence du Muntu.

Le Mutima ou le cœur nous renseigne sur le Muntu. Si le Mutima renvoie


à un organe physiologique, chez les Bashila le Mutima symbolise le siège de
bons ou mauvais sentiments. D’où s’exclame-t-on en ces termes : wa mutima
usuma ! –il a un bon cœur, wa mutima ubi !-il est un mauvais cœur, il est
méchant.

Quand les Bashila parlent de Umweo, souffle de vie ou cœur, ils renvoient
à une caractéristique du Muntu qui, à la mort, sera dit aputula umweo, « il
coupe le souffle », il ne respire plus ; l’on dit souvent aussi aliba no mweo
usuma nangu umweo ubi, il a un bon cœur ou un « mauvais coeur », i.e. il est
méchant. Ainsi, le Umutima et le Umweo signifient la même chose.

Cependant le Ikimfule ou Icishingwa , ombre, est visible durant la


journée, mais chez les Bashila le Ikimfule ou Icishingwa signifie ombre comme

177
Ibidem, p.72.
60

le double du Muntu . Le Ikimfule ou Icishingwa est le « umuntu mwine », le


Muntu-lui-même, « l’homme-lui-même », le « sans quoi » dans cette
compléxite des parties de l’être Muntu, le Muntu n’est plus Muntu.

2.1.1.2. L’éthique égyptienne

Le concept de MAÂT joue un grand rôle dans l’éthique. Moralistes,


prêtres, littérateurs et roi se réfèrent souvent à MAÂt. Associé à l’idée
d’exactitude, « le vocable maât englobe nos idées de « vérité » ou mieux de
« véracité » s’opposant au « mensonge et de « justice ». Maât est avant tout le
Droit dont procèdent les règles qui assurent la bonne marche de la société
pharaonique ».178 Dieu RA (RE) a introduit maât, harmonie, dans la création et
ce principe actif « détruit ses ennemis ». Les théologiens égyptiens assimilèrent
le droit et les lois naturelles sous le nom de maât. Maât, c’est la Justice-Vérité,
l’ordre cosmique déifié, a bien dit T. Obenga. C’est un ordre supérieur vivant
et éternel, explicite Obenga dans sa Philosophie africaine de la période
pharaonique.
Dans la pensée égyptienne, l’aspect juridique et moral de maât a
primé. Ainsi « être MAATY, c’est juger selon le droit, ne pas leser autrui, ne
pas introduire de désordre dans le corps social ».179 Obenga a raison de dire que
Maât « implique l’ordre, l’équilibre du monde, l’ordonnancement cosmique, en
même temps que la justice, la vérité, la droiture morale. L’ordre procure la paix
(hotep), condamne le crime (djayt), le mal (djout) »180.
Ainsi pour fonder la morale, les sages classiques ont enseigné que
maât est la volonté ordonnatrice de Dieu. De ce fait, celui qui s’en détourne

178
J. YOYOTTE, Égypte, dans PARAIN (dir), Encyclopédie de la pléiade. Histoire de la
philosophie. I., Paris, 1909, p. 41.
179
Ibidem, p. 12. Nous soulignons. Cf. Le livre des morts des anciens égyptiens, chapitre 125,
introduction, traduction, commentaire de P. Barguet, Paris, Cerf, 1967..
180
T. OBENGA, a.c., p. 22.
61

commet une faute contre son créateur et le respect de la maât procure la juste
garantie de la réussite.
Les instructions éducatives ou « sagesses » consistaient en séries de
« maximes »= « sagesse », « instruction », « préceptes », « enseignements »
versifiés... flanqués d’un épilogue (Ancien Empire) ou d’un prologue (Nouvel
Empire) définissant le but du livre : apprendre aux gens à être heureux ».181
Chaque maxime procède par association d’idées, recourt à l’image tout en
s’appuyant sur un proverbe. Il débute par une recommandation pratique et se
termine par des considérations pratiques. Le pragmatisme l’emporte. Tout
tourne autour de l’utilité, de la réussite, car on cherche à être heureux.
Le vizir Ptahhotep esquissa l’image de tout bon égyptien : « Parler
peu, mais parler bien ; être modeste mais sûr de soi ; se garder de l’avidité, de la
gloutonnerie et de l’avarice, mais gérer ses affaires avec bienveillance,
prévoyance, ne pas mépriser la joie de vivre et savoir être avantageusement
généreux ; profiter de sa situation mais ne pas en abuser ; assumer les
responsabilités de sa tâche, mais à aucun prix, ne se faire mal voir de ses
chefs ». Plus dogmatique, un autre vizir, le père de Kagemni, révèle que le
secret de la réussite est le « silence » : Effacement de soi, modération nécessaire,
prudence ».182 Retenue, bienséance, modération, convenance, sobriété, la
prudence, etc. sont les termes clés du Père de Kagemni.
De tout ce qui précède, on comprendra que le bonheur s’acquiert ici –
bas. A la mort, l’on doit rendre compte au Dieu Osiris et on déclare son
innocence en ces termes : « Je n’ai pas fait le mal (...), je n’ai pas blasphémé
Dieu (...), je n’ai pas tué, je n’ai fait de peine à personne, je n’ai pas volé les
galettes des bienheureux, ,je n’ai pas été pédéraste (...), je n’ai pas triché sur les
terrains, je n’ai pas ajouté du poids de la balance », etc.183 Cette citation fait voir

181
Ibidem, p. 15. Nous soulignons.
182
Ibidem, p. 16. Cf. T. OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique...p.
153-168.
183
Le livre des morts des anciens égyptiens, chapitre 125, p.158-159.
62

que l’homme est un être – avec – autrui ou un être social. Voilà pourquoi il doit
veiller à être en bons termes avec soi – même et avec les autres. Et l’on sera jugé
à partir du vivre – avec.
Nous pouvons nous résumer ainsi : l’Éthique pharaonique sous forme
de « maximes », « d’enseignement » ou « d’instruction » conduit à une culture
générale comme une exigence à une vie heureuse. Cette culture se fonde sur
l’acquisition et la pratique de la Maât, c’est – à – dire la vérité et la justice. 184
De cette philosophie antique négro – égyptienne, nous pouvons retenir
deux concepts clefs, à savoir MAÂT et NOUN. Ainsi nous nous résumons avec
Obenga : « La Maât (sic) est l’ordre du « comme il faut », tandis que le Noun
de l’ordre de « ce à partir de quoi » est advenu le monde tel qu’il est (...). Telle
est la couche originelle de la philosophie pharaonique (-) où le Noun traduit la
notion de matière opérante et où la Maât représente, en hiéroglyphe parfait, la
notion élevée de perfection morale. Matière dynamique et vivante, le Noun est
essence de toute chose, et crée de lui – même le passage du non – être à être, le
passage aéré de « l’avant » à « l’après, c’est – à – dire le passage de la
somnolence de la conscience à l’éveil de la raison qui, par le verbe, nomme,
désigne, classifie, ordonne, commande, bref fait être. Sorte d’harmonie
préétablie au plan cosmique, la Maât , qui est Ordre, Vérité – Justice, Félicité
suprême, invite l’homme en société à faire et à dire, à penser et à agir, à vivre et
à mourir, selon le vrai, le normal, le juste milieu, bref selon la vertu avec tout ce
que ce mot implique, dans la mentalité négro – égyptienne, d’hiératique, de
traditionnel et de transcendant, d’impératif, d’absolu ».185
Faisons connaissance de certains philosophes de l’Égypte antique.

184
Cf. NGOMA-BINDA, La philosophie africaine contemporaine, Kinshasa, F.C.K., 1994, p.
128.
185
T. OBENGA Cité par Ibidem, p. 129 – 130.
63

2.1.1.3. Qui sont les philosophes égyptiens ?


Les véritables philosophes égyptiens sont des prêtres, seuls
dépositaires du savoir. Ils géraient les écoles se trouvant dans les temples.
« Intermédiaires entre les dieux et les pharaons et entre les dieux et le peuple, ils
sont le cerveau de tout le peuple ».186
Parmi eux, quelques noms nous sont connus : « SECHNOUFSIS :
éminent professeur au collège Héliopolis. Il donna cours à Platon.
CHONOUPHIS : éminent savant du collège de Memphis et professeur de
philosophie de Platon. Il donna aussi cours à Eudoxe, Ellopion, tous camarades
d’études de Platon. SONCHIS qui donna cours à Pythagore au collège
Héliopolis ».187 PTAHHOTEP, le sophiste honnête, SISOBER qui prônait le
détachement, AMENNAKHTE (vers ~ 1400 /~1350) pour qui seule la culture
générale par les livres faisait le sage, AMENEMOPE dont les instructions sont
d’une tenue littéraire fort appréciable, ANY (~1400 / ~1350) opportuniste
insistant sur les profits de la vertu et dont les conseils sur la modération semble
ériger en doctrine morale l’égoïsme le plus borné ; ONKHSHESHONQY ( ~VI°
Siècle) ayant des maximes et des dictions pittoresques.188
L’apport culturel de l’Égypte est incontestable. Tous les philosophes
les plus importants de la Grèce se payaient un voyage en Égypte pour s’y
instruire et pour avoir le prestige auprès des concitoyens. Thalès de Milet, de
retour de l’Égypte, conseilla à Pythagore d’aller en Égypte pour compléter sa
formation auprès des prêtres égyptiens. 189 Solon a aussi été en Égypte 190. Zénon
le stoïcien, surnommé le palmier d’Égypte, se réclamant Phénicien, maigre et

186
MUTOMBO NKULU – N’SENGA, Mémoire cité, p. 120.
187
T. OBENGA, L’Afrique dans l’Antiquité, cité par Ibidem, p. 120.
188
cf. J. YOYOTTE, La pensée préphilosophique en Egypte, dans PARAIN, B. (dir),
Encyclopédie de la Pléiade. Histoire de la philosophie. I. Orient –Antiquité –Moyen Age, p.
14-19.
189
cf. C. A. DIOP, o.c., p. 436.
190
Cf. P. SAÏDA RADJA, Kemet, Berceau des civilisations modernes. Introduction à l’afro-
centrisme scientifique, Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi, 2000, p. 47.
64

noir de peau, témoignait d’un niveau élevé d’Égypte. Démocrite, Platon et


Euripide y ont aussi été.
Paul MASSON – OURSEL, orientaliste incontesté, affirme que
l’Égypte a contribué à l’hellénisme et que « l’emprunt décisif de l’esprit grec à
l’Égypte, est la géométrie, spécimen par excellence du savoir selon la doctrine
de Platon ».191 Même Aristote dans sa Métaphysique, A, 1, 981b23, reconnaîtra
que les mathématiques sont nées en Égypte.
Charles WERNER, disciple de John BURNET, reconnaît, même s’il
ne veut pas que la philosophie grecque soit fille de l’Égypte, que « les Grec ont-
ils pensé que Thalès et Pythagore avaient emporté les mathématique d’Égypte :
c’est celà ce qu’ ont dit expressément Eudème pour Thalès et Isocrate pour
Pythagore...La philosophie de Pythagore, et toute la première philosophie
grecque, toute cette magnifique efflorescence, n’eût pas existé ; si la pensée
grecque n’avait plongé ses racines dans l’âme profonde de l’orient »192qui était
en contact permanent avec l’Égypte, devons – nous ajouter.
John BURNET, défenseur du miracle grec, pour qui la philosophie ne
vient pas de l’Égypte ne semble – t – il pas se contredire quand il écrit : « Ce ne
peut pas être par un simple accident que la philosophie prit naissance en Ionie
juste au moment où les relations avec ces deux pays (Égypte et Babylone)
étaient les plus faciles, et il est significatif que l’homme même qui, à ce que l’on
dit, introduisit d’Égypte la géométrie, est aussi regardé comme le premier des
philosophies » ?193
Que dire de Léon ROBIN loué par Paul – Bernard GRENET ? Tout en
reconnaissant ce que les savants grecs doivent à l’Orient (Égypte comprise), il
semble réserver l’explication rationnelle aux Grecs : « Ce que les premiers
savants grecs ont donc pu recevoir de l’Orient, ce sont les matériaux accumulés
d’une très vieille expérience, ce sont des questions proposées à la réflexion
191
P. MASSON – OURSEL, Histoire de la philosophie, Paris, s.e., 1969, p. 32.
192
C. WERNER, La Philosophie grecque, Paris, Payot, 1972, p. 911.
193
J. BURNET, L’aurore de la philosophie grecque, Paris, Payot, 1970, p.22.
65

désintéressée. Faute de quoi, la science grecque n’aurait peut – être pas pu se


constituer, et, en ce sens, on ne peut parler de miracle grec. Mais d’autre part, au
lieu d’avoir en vue immédiatement l’action, ces premiers savants ont cherché
l’explication rationnelle ; c’est en elle et dans la spéculation qu’ils ont trouvé
médiatement le secret de l’action ».194 Ce jugement provient, sans doute, de
Platon qui donne à entendre que les Egyptiens étaient un peuple pratique, plutôt
que philosophe195. Comme l’interprète si bien WERNER, PLATON veut
montrer que l’esprit grec est avide de savoir (et cette liberté de l’esprit conduit à
la philosophie) et que l’esprit égyptien est avide de gain 196. Ici l’on sent
l’« européocentrisme » ou eurocentrisme qui voudrait que tout ce qui est bon ne
vienne que de l’occident. Et pourtant un autre fils de l’occident a bien sonné le
signal d’alarme en disant : « L’homme égyptien ne pouvait se réaliser faber sans
s’avérer sapiens »197.
Nous disons, quant à nous, que c’est en prenant position ( dans le
champ de bataille qui est la philosophie ) devant la philosophie égyptienne que
les philosophes grecs ( anciens élèves des prêtres égyptiens) ont développé leurs
points de vue, et c’est à ce niveau que se voit l’esprit créateur ( et non le
miracle grec) , car un bon élève n’est pas celui qui répète son maître, mais c’est
celui qui se met sur les épaules de son maître pour le remettre en question et
ainsi voir encore plus loin. Les savants des religions comparées, les
mythologues, les « initiés » et archéologues s’intéressent à l’Ancienne Égypte
sous un autre angle. Avec T. OBENGA, nous reconnaissons que « les anciens
Egyptiens ont pensé l’être, la vie, la mort, etc. Ne réduisons plus leurs écrits
importants à la seule dimension « sacrée », « religieuse ». Ayons assez d’esprit
critique pour les comprendre autrement désormais »198

194
L. ROBIN, La pensée grecque, Paris, Albin Michel, 1963/1973, p. 52.
195
cf. PLATON, République, 435è et Lois747b, L
196
cf. C. WERNER, o.c., p. 13.
197
P. MASSON-OURSEL, o.c., p.28.
198
T. OBENGA, La Philosophie africaine de la période pharaonique..., p. 61.
66

En posant la question de l’origine de tout ce qui est, et en répondant


que le Multiple provient de l’Un, les anciens Négro-Egyptiens ont essayé de
réfléchir sur un problème philosophique fondamental. Les antésocratiques y
répondront aussi à leur manière. Toutefois sachons qu’en étant en Égypte,
Thalès, Pythagore, etc. ont connu cette problématique. La passion de connaître
les poussera à se prononcer sur cette problématique.
67

2.2. AVANT-HIER
Nous ne pouvons pas parler de tous les philosophes africains de cette
période. Nous sommes contraint d’en choisir quelques-uns que les étudiants
trouveront dans d’autres cours de philosophie et dans lesquels ces philosophes
sont classés parmi les philosophes européens ou gréco-latins.

Nous commençons par Plotin qui, chronologiquement, devrait être exposé


après Origine, car sa philosophie ne cadre pas avec celle des Chrétiens comme
Tertullien, d’Origène et d’Augustin.

Une remarque s’impose : Plotin, Tertullien, Origène et Augustin sont des


Africains qui sont nés et ont grandi dans un contexte gréco-latin et chrétien.
Sans être anachronique, pensons à Senghor né dans un Sénégal colonisé par les
Français et qui a grandi et étudié dans un tel contexte qu’il vante la langue
française et devient sénégalo-français. Est-il compté parmi les poètes français ou
francophones ? La question reste posée.

Les Plotin, Tertullien, Origène et Augustin se sentaient-ils Africains ou


Gréco-latins ? Que disaient-ils de leur continent d’origine ? Africains, ils
l’étaient de par leur origine et gréco-latins, ils le sont de par la culture de leur
temps. Le problème se pose autrement de nos jours : celle ou celui qui est né-e
en Afrique et qui étudie la philosophie occidentale, écrit en français ou en
anglais sur les philosophes occidentaux, est-elle ou est-il africain ou occidental-
e ? Les Occidentaux le compteront-ils , de nos jours, parmi les philosophes
occidentaux ?

Est-ce parce que les Plotin, Tertullien, Origène et Augustin sont nés en
Afrique qu’ils sont Africains ? La question reste posée. Il reste à savoir si telles
questions se posaient ainsi en ce temps-là. Que dire de Scipion l’Africain, ce
Général et homme d’Etat romain, bien connu pour ses campagnes miltaires et
victorieuses contre les Carthaginois (les Africains) en Hispanie et connu aussi
68

pour avoir conquis le Nord de l’Afrique ? Nous pensons que les Africains,
malgré leur culture gréco-latine, étaient toujours reconnus ainsi et cela
permettait aux autres, nous le pensons, de bien les distinguait d’eux.

2.2.1. Plotin et la métaphysique de l’UN


2.2.1. 1. Qui est-il ?
Né en Egypte (est-il d’origine romaine?) en 205 ap. J.C et mort en 270,
Plotin, homme qui a repensé la doctrine de Platon avec les éléments
aristotéliciens et stoïciens, a suivi les cours d’AMMONIUS SACCAS. C’est à
28 ans, d’après son disciple et biographe Porphyre, qu’il s’est attaché à la
philosophie. Il a pris part à l’expédition de l’empereur Gordien contre les Perses
dans le but de se familiariser avec « les doctrines orientales »199, d’après
Porphyre.

Selon Maurice De Gandillac, il fut « strictement végétarien [et il] poussa


si loin l’ascèse qu’il s’en ruina la santé. N’ayant pu réaliser son rêve de
phalansstère philosophique- la « Platonopolis »-, il connut à la fin une certaine
solitude. Atteint de grandes ulcères, c’est dans une villa de Campanie qu’il
mourut »200

En 244/7, il s’installa à Rome où il ouvrit une ECOLE. Il fut protégé par


l’EMPEREUR Gallien qui voulait faire de lui un philosophe officiel.

Son disciple Porphyre classa ses 54 dissertations en six groupes de neuf


traités (symbole des neuf Muses) et qui donne aussi un nom au traité : Les
ENNEADES201.

199
C WERNER, o. c., p. 199.
200
M. De GANDILLAC, Plotin, dans Dictionnaire des Philosophes, Préface de A. Comte-
Sponville, Introduction de J. Greisch,Paris, Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, 1998,
p.1241 ( p.1239-1247)
201
Cf. L. COULOUBARITSIS, Aux origines de la philosophie européenne : de la pensée
archaïque au néoplatonisme, Bruxelles, De Boeck, 1994, p. 597.
69

2.2.1. 1. Que dit-il?


2.2.1. 1.1. L’Un
Principe premier des choses, il est la parfaite UNITE, il est PUR,
VERITABLE. Il est un EN SOI, car il n’a pas besoin de rien. Il est L’ABSOLU.
Principe absolument premier et l’intelligence consistant dans la pensée ne peut
pas être le premier principe, car, comme pensée, elle requiert un objet qu’elle
tient d’un principe se trouvant au –dessus d’elle. Ce qui n’est pas le cas avec
l’UN.

Au –delà de l’intelligence, l’UN n’a besoin de rien d’autre que lui–même 202.
Aristote, selon lui, a eu tort de dire que le premier principe se pensait lui–même.

L’UN est au-delà de la connaissance, au-delà de l’expression de la parole. Il


est INEFFABLE. La seule notion pouvant bien le dire est le BIEN. Il s’agit du
BIEN absolu conduisant au BEAU absolu, créateur de toute beauté. Dans le
BEAU absolu, l’UN est l’objet le plus haut de l’amour qui ne doit pas s’attacher
aux beautés trompeuses du monde sensible.

L’UN est la perfection absolue, cause génératrice de toutes choses. Il est


DIEU, car il est Absolu et la Puissance des êtres.

2.2.1. 1.2. Comme se fait la CREATION ?


DIEU produit des choses en restant lui-même immobile et la création n’est
rien d’autre qu’un rayonnement d’une lumière échappant de l’Absolu sans
troubler son corps comme la splendeur émane perpétuellement du soleil. C’est la
THEORIE DE L’EMANATION. ici il y a une dialectique descendante. DIEU
engendre éternellement ce qu’il y a de plus parfait après lui. L’UN, DIEU
engendre l’intelligence qui est L’IMAGE de L’UN. Donc l’intelligence reste
une EMANATION. En créant l’intelligence, l’UN lui communique sa puissance
créatrice. L’intelligence engendre à son tour l’AME, image de l’intelligence,
elle-même image de L’UN.
202
Cf. C. WERNER, o. c., p. 207.
70

L ‘UN, en dernière analyse, engendre le MULTIPLE. Toutefois les produits


de l’UN aspirent à L’UN.

Plotin dira : « Il faut remonter jusqu’à l’UN, à L’UN véritable. Il n’est pas
comme les autres uns qui, étant multiples, ne sont qu’en participant à l’UN. il
faut saisir l’UN qui n’est pas tel par participation, et qui n’est pas cet UN qui
n’est pas plus un que multiple. Le monde intelligible et l’intelligence sont
certainement des êtres plus « un » que tous les autres, pourtant ils ne sont pas l’
UN dans toute sa pureté. Qu’est-ce que l’UN pur, véritable, qui ne se dit pas
d’autres choses ? C’est ce que nous désirons voir, si c’est possible. Il faut bondir
jusqu’à l’UN et ne plus rien lui ajouter, mais s’arrêter là par crainte de s’écarter
de lui et se garder de procéder jusqu’à deux. Sinon vous avez deux, non pas un
deux où l’UN rentrerait comme unité, mais le couple qui est postérieur à l’UN,
car l’Un se refuse à faire nombre ».203

L’UN de Plotin est « au-delà de l’essence et de l’être » (Cf. Rép. 509 b)


comme le Bien de Platon. Demeurant « en lui-même », il est « puissance de
tout » et lui est « le plus parfait ». Il ressemble à une fontaine qui surabonde, à
un feu qui répand sa chaleur, tout entier il est un EN SOI et un POUR SOI.
Notre désir doit être celui de nous UNIR à lui qui n’est ni repos ni mouvement,
lui qui n’est ni mélange à quelque chose ni pourtant absent de quelque chose. On
ne peut le « VOIR » que par l’EXPERIENCE MYSTIQUE, celle de la
CONTEMPLATION. Sur son lit de mort, Plotin dira : « Je tâche à faire
remonter tout ce qui est divin en nous vers le divin qui est dans le tout »204. Et
loin de se perdre dans l’INDICIBLE, L’INEFABLE, l’âme, s’unissant à l’UN,
retrouve son destin originel et bienheureux. A ce niveau, il n’est plus rien
qu’elle craigne, plus rien non plus qu’elle convoite.

DIEU s’est créé lui-même, car il est la liberté absolue.


PLOTIN, Cité par L. COULOUBARITSIS, o. c, p. 605.
203

PLOTIN, Cité par M. DE GANDILLAC, Platon, dans Dictionnaire des Philosophes, p.


204

1246. ??????????
71

2.2.1. 1.3. L’intelligence


Autrement appelée intellect, l’intelligence est père de l’Âme. Elle l’a
engendrée, la vivifie et lui reste immanente 205. Elle donne à l’âme les formes à
imprimer dans la matière, car tout être est forme et matière. L’intellect est la
cause productrice des choses sensibles. Celles-ci existent par participation en
tant qu’elles participent à une forme intelligible. Elle est comme un monde des
réalités éternelles existant réellement et faisant exister tout ce qui existe.

L’intelligence est éternité même et le temps est son image. Elle est, et ne
connaît ni le futur, ni le passé. Sa vie est un maintenant éternel et bienheureux 206.
Elle est le monde de la pure beauté. Ainsi les formes éternelles contenues en elle
sont parfaitement belles. D’où la vraie forme et la vraie beauté existent dans le
monde intelligible.

Monde de l’unité, l’intellect n’exclut pas la multiplicité. Il est en acte, il est


activité même. Il est la vie universelle. Il se meut éternellement en lui-même
sans sortir de son repos.207 Mouvement, son existence est comparable à celle de
la pensée. Il allie en lui l’un et le multiple, ainsi il est un Tout rempli
d’harmonie.208

L’intelligence contient autant d’IDEES qu’il y a d’individus dans le monde


sensible. Il n’y a pas, par ex. un seul archétype pour tous les hommes.

2.2.1.1.4. L’âme humaine et l’âme universelle

D’origine divine, l’âme est éloignée de DIEU comme l’enfant est séparé de
sa famille dès sa naissance. L’âme n’a plus la connaissance de DIEU.

205
C. WERNER, o. c., p. 201.
206
Cf. Ibidem, p. 202.
207
Cf. Ibidem, p. 203.
208
Cf. Ibidem, p. 203.
72

Étrangère à elle-même, elle s’attache aux choses extérieures. Toutefois, on


doit dire de l’âme qu’elle est supérieure aux choses sensibles et corporelles et
que sa véritable destinée est de se tourner vers DIEU dont elle émane.209

L’âme donne au corps sa vie et sa beauté. Elle est principe de vie. Réalité
substantielle, incréée et indestructible (# corps), elle est immortelle.

L’âme est une partie de l’Âme universelle qui « a tiré toutes choses des
ténèbres de la matière et leur a donné la forme, le mouvement et la vie » Cette
âme universelle fait du monde constamment une œuvre d’art ; présente à la fois
dans toutes choses, elle anime toutes choses à la fois. Toujours entière et
indivisible, elle soutient tous les êtres au-dessus du néant. Cette Âme universelle
tire son image d’un principe supérieur l’INTELLIGENCE. D’où l’âme est
l’image de l’intelligence dont elle est un verbe de même que « le verbe
extérieur, la parole, est l’image du verbe intérieur de l’âme. »210

Provenant de l’intelligence, l’âme est intelligence.

2.2.1.1.5. Le monde sensible


Il est produit par expansion de l’âme universelle. D’où le monde est beau et
non un tombeau. Il est soumis à la loi du temps. Il n’est pas une chute de l’âme.
Il est une belle image du monde intelligible et se modèle perpétuellement à la
ressemblance de l’Être divin qu’elle a pour mission de représenter.211

L’ordre et la beauté règnent dans le monde et s’expliquent par la


PROVIDENCE (rien n’y passe par hasard) universelle. Cette Providence fait
que le monde soit conforme à l’intelligence.

Comment s’explique alors le mal dans le monde sensible ? Ce dernier n’a pas
la perfection du monde intelligible. Il est un MELANGE d’intelligence et de

209
Cf. Ibidem, p. 200.
210
Ibidem, p. 200.
211
Cf. Ibidem, p. 201.
73

matière. D’où il renferme le mal qui a son principe dans la matière en tant qu’est
privation de la forme.

Par un mouvement ascendant, DIALECTIQUE ASCENDANT, il doit


monter vers L’UN. Ici se justifie la PURIFICATION comme voie obligée de
l’Homme pour s’unir à l’UN.

2.2.1.1.6. L’homme
L’homme est composé d’une âme et d’un corps. L’âme n’est enfermée dans
un corps, car elle n’est pas corporelle. Elle contient le corps et non le contraire.
L’âme est mauvaise en tant qu’elle est mêlée au corps. Elle a des ailles, une fois
séparée du corps. Le détachement de l’âme à l’égard du corps doit être un
détachement intérieur, une PURIFICATION sans violence et consistant dans LA
MORALE. Par la purification l’âme parvient à la VIE CONTEMPLATIVE qui
est sa véritable FIN. C’est dans la vie contemplative que consiste le BONHEUR
(plénitude de vie)

2.2.1.1.7. Appréciation

Plotin essaie de rester original et fécond. Il utilise la RAISON pour tout


expliquer, quand bien même il admettrait la METENSOMATOSE à la suite de
Pythagore. Il est fils de son temps et père d’une génération des philosophes qui
se réclament de lui. On ne peut comprendre la philosophie islamique et tous
ceux qui parlent de l’INTELLECT AGENT sans recourir à Plotin. L’on ne doit
pas confondre la théorie immanentiste au mystère de la TRINITE.

2.2.2. Tertullien

Tertullien, de par son contexte religieux, appartient à la Patristique. Celle-


ci est la première période l’antiquité chrétienne et elle coïncide avec les derniers
jours de la philosophie antique dite païenne. Durant cette période, ce sont les
Pères de l’Eglise qui dominent la scène philosophique.
74

Il y a des critères pour être retenu comme Père de l’Eglise. Selon E.


Gilson, « en un premier sens, il (le titre de Père de l’Eglise) désigne tous les
écrivains ecclésiastiques anciens, morts dans la foi chrétienne et la communion
de l’Eglise ; au sens strict, un Père de l’Eglise doit présenter quatre
caractères : Orthodoxie doctrinale, sainteté de vie, approbation de l’Eglise,
ancienneté relative (jusqu’à la fin du IIIe siècle environ). Lorsque la note de
l’ancienneté fait défaut, et si l’écrivain a représenté de manière éminente la
doctrine de anciens d’entre eux, jusqu’à Grégoire le Grand, et le Moyen Age, il
reçoit le titre de Docteur de l’Eglise ; mais l’usage autorise à nommer Père, les
plus de « sancti ». Lorsqu’on distinguait les « saints » des philosophes, c’était
des Docteurs de l’Eglise qu’on entendait parler. »212. Au-dessous des Docteurs
de l’Eglise, nous avons des écrivains ecclésiastiques.

Toutefois tous les Pères de l’Eglise n’auront pas une même attitude
devant la philosophie antique. Chacun d’eux aura sa façon de voir le
rapport entre la philosophie et le christianisme.

Retenons que la philosophie patristique se déploiera dans une civilisation


imbue d’idées grecques et elle en sera influencée. Voilà qui explique
l’éclectisme que l’on retrouvera chez certains Pères de l’Eglise.

Chrétiens, les Pères de l’Eglise feront des efforts pour édifier leur doctrine
chrétienne, et pour ce faire, ils feront appel à la philosophie païenne. Ainsi ils se
protégeront et contre le paganisme et contre la gnose.

2.2.2.1. Qui est-il ?

Né en 160 des parents païens à Carthage, ville tunisienne, Tertullien a


reçu une formation juriste. Il fut baptisé en 197. Plus tard, il adhéra à la secte
montaniste. C’est en 222 qu’il alla ad patres.

212
E. GILSON, La philosophie au Moyen Age. Des origines patristiques à la fin du XIVè
siècle, Paris, Payot, 1952, p. 13. Je souligne.
75

Parmi ses écrits, nous citons Ad nationes, De praescriptione


haereticorum, Apologeticum, De anima.

2.2.2.2. Que dit-il ?

2.2.2.2.1. Rapport philosophe et chrétien

Tertullien se prononça sur le rapport Philosophe et Chrétien. Les deux


s’opposent, pense-t-il. Le premier, à savoir le philosophe, est l’élève de la
Grèce, ami de l’erreur, tandis que le second est le disciple du ciel, hostile à
l’erreur et ami de la vérité. Voilà qui le conduit à dire que la sagesse de
Socrate est sans valeur « puisque personne ne peut connaître Dieu sans le
Christ ni le Christ sans le Saint-Esprit. De son propre aveu Socrate était conduit
par un démon. Quant à Platon, il avouait, qu’il était difficile de connaître le
créateur et Père de l’univers, alors que le plus humble chrétien y parvient. »213.

Ne portant pas les philosophes grecs dans son cœur, Tertullien les fait
passer pour les patriarches des hérétiques. A ce propos, il argumente : « Valentin
s’est inspiré des platoniciens, Marcion des stoïciens, et les philosophes,
poursuit-il, ont emprunté des idées à l’Ancien Testament, les ont dénaturées et
se les sont attribuées. »214.

Pour Tertullien, « toutes les fausses doctrines se trouvent quelque part


chez les philosophes. »215.

Il s’opposa à la Gnose, à l’hérésie, mais cette opposition se réduit, en


dernière instance, à la philosophie. S’il est de vrai philosophe, pense-t-il, ça doit

213
TERTULLIEN, Apol., 46. Cité par F. COPLESTON, Histoire de la philosophie. La
philosophie médiévale, Paris, Casterman, 1964, p. 31.
214
Ibidem, p. 31.
215
E. D’ASTER, Histoire de la philosophie, Paris, Payot, 1952, p. 121. Nous soulignons.
76

être le chrétien, car celui-ci a « rendu superflues les philosophies humaines,


tentatives avortées de solution aux problèmes de la vie »216.

Son opposition à la philosophie a fait qu’on lui attribue le « credo


quia absurdum est », « ce qui revient à dire que la foi véritable est
l’humiliation de la raison, l’humble renonciation à vouloir comprendre et
pénétrer. »217.

Toutefois nous devons reconnaître que Tertullien a aussi accepté tout


concours de la raison à la foi, car « tout ce qui est d’origine divine est
rationnel ; l’homme est capable de connaître Dieu par sa raison et l’âme
humaine est naturellement ouverture au christianisme. »218. Ainsi l’on
comprendra pourquoi il a développé des thèmes philosophiques.

2.2.2.2.2. Eléments philosophiques

2.2.2.2.2.1. Conception de Dieu et du Logos

L’influence stoïcienne se fit voir chez lui dans sa doctrine du verbe.


Celui-ci est une substance spirituelle engendrée de soi par Dieu. « Cette
substance étant à Dieu comme les rayons sont au soleil, elle est Dieu comme les
rayons du soleil sont lumière, qui jaillit du Père sans le diminuer. »219.

Pour Tertullien, Dieu a créé le monde de rien, mais « le verbe est la


raison même selon laquelle il l’a créé, ordonné et gouverné. N’est-ce pas ce
qu’affirmaient les stoïciens Zénon et Cléancre, lorsqu’ils parlaient du Logos

216
F. VAN STEENBERGHEN, Histoire de la philosophie. Période chrétienne, deuxième
édition mise à jour, Louvain/Paris, Publications Universitaires/Béatrice-Nauwelaerts, 1973, p.
27.
217
E. D’ASTER, o.c., p. 121.
218
F. VAN STEENBERGHEN, o.c., p. 27.
219
E. GILSON, o.c., p. 99.
77

comme d’une raison ou d’une sagesse constructrice du monde et le pénétrant de


toutes parts ? »220. Héraclite ne disait pas non plus le contraire.

Tertullien déclare, par ailleurs, que l’existence de Dieu peut être connue
avec certitude par ses œuvres et qu’on peut démontrer sa perfection par le fait
qu’il n’est pas créé.

2.2.2.2.2.2. Conception de l’homme

Parlant de l’âme, Tertullien est encore sous l’influence stoïcienne. L’âme


n’est rien d’autre qu’un corps subtil analogue à l’air. C’est du
matérialisme. « Elle se répand à travers le corps entier, dont elle épouse la
forme. C’est d’ailleurs ce qui nous permet de dire qu’elle est une substance, car
tout ce qui est réel est matériel : nihil enim, sinon corpus. »221 produite par
génération. Autrement dit, depuis Adam, ce sont les parents qui transmettent
l’âme aux enfants lors de la conception. Cette théorie est connue sous le nom de
Traducianisme ; toutefois l’âme est immortelle, soutient-il.222

Il semble qu’il est le premier à avoir employé techniquement le mot


persona dans ses écrits. Il affirme : « Les Personnes divines sont distinctes
comme Personae mais elles ne sont pas des substantiae différentes, séparées. »223

Comparé à Justin, Tertullien n’a pas beaucoup d’estime pour la


philosophie et il peut être qualifié de fidéiste quand bien même de temps à autre
il aurait fait recours à la philosophie.

220
Ibidem, p. 98.
221
Ibidem, p. 98.
222
Cf. F. VAN STEENBERGHEN, o.c., p. 17.
223
TERTULLIEN, Adv. Prax., 12. Cité par F. COPLESTON, o.c., p. 33.
78

2.2.3. ORIGENE

Cet homme est spécial.

2.2.3.1. Qui est-il ?

Né à Alexandrie vers 185, Origène fut un disciple de Clément. Il étudia la


philosophie auprès du platonicien Amnonius Sacca.

Origène s’est auto-mutilé. Voilà qui poussa plus d’un évêque à remettre
en question son sacerdoce.

Accusé d’hérésie, il s’est retiré à Césarée de Palestine où il fonda une


école. Il mourut à Tyr en 255 suite à des tortures. Il a écrit De principiis et
Contra Celsum.

2.2.3.2. Que dit-il ?

Origène eut l’audace de se prononcer sur le rapport philosophie-


christianisme.

2.2.3.2.1. Rapport philosophie et christianisme

Origène a voulu concilier la philosophie platonicienne et le


christianisme. Pour lui, la philosophie a une importance et une utilité. Ainsi,
entre la philosophie et le christianisme, il n’y a pas d’inimitié. Il y a, au
contraire, une solidarité et une alliance.

Avant le christianisme, la philosophie a joué le rôle de préparer les Grecs


à accueillir la Parole (Le Logos) de la révélation. Après le christianisme, elle a le
rôle de fournir aux croyants l’instrument adéquat pour approfondir et bien
formuler les vérités du christianisme. Comme on le voit, elle joue le rôle de
propédeutique et d’ancilla. Cependant, fait remarquer Origène, la philosophie
est une arme à double tranchant. En d’autres mots, certains l’utilisent pour se
79

forger des doctrines hérétiques et d’autres pour renforcer la foi avec des
raisonnements conséquents.

Nous trouvons chez lui aussi une activité philosophique.

2.2.3.2.2. Eléments philosophiques

1.2.3.2.2.1. Conception de Dieu et du Logos

Origène a présenté sa conception de Dieu. Celui-ci est un pur esprit,


immatériel, transcendant « la vérité et la raison, l’essence et l’existence »224. Il
est le principe de toutes choses. Simple, il est unique et non composé.
Transcendant le monde de la matière, Dieu dépasse infiniment la capacité de
compréhension de l’intelligence humaine. De nature inconnaissable, seuls ses
attributs sont connaissables.

Dieu a créé le monde ex nihilo et le créa de toute éternité et par une


nécessité de nature225. A l’origine, Dieu créa tous les êtres spirituels égaux.

Pour Origène, le Logos est le Christ et « les choses du monde sont à


l’image du logos et non du Père lui-même »226.

2.2.3.2.2.2. Conception de l’homme

L’homme, enseigne Origène, est composé de l’âme et du corps. Il a un


corps à cause de l’usage mauvais de son libre arbitre de la part de l’âme dans le
moment de la création. Autrement dit, les âmes créées identiques les unes aux
autres ont revêtu un corps à cause du péché commun dans un état de pré-
existence. « La matière est l’expression de la mutabilité, c’est-à-dire de
l’imperfection de l’âme »227. Toutefois Origène pense qu’ « à la fin de leur
existence terrestre, les esprits sont délivrés du mal, et tout retourne à l’unité de
224
F.COPLESTON, o.c., p. 35.
225
Cf. Ibidem, p. 35.
226
Ibidem, p. 67.
227
I Ibidem, p. 79.
80

Dieu »228. Qu’est-ce à dire ? Origène postule la délivrance. Selon lui, « toutes les
âmes, même les démons et les esprits mauvais, parviennent finalement, à travers
des souffrances purifications, à l’union avec Dieu. C’est la doctrine de
restauration de toutes choses, d’après laquelle les choses reviendront à leur
principe ultime et Dieu sera tout en tous. Cela implique naturellement le rejet de
la doctrine orthodoxe de l’enfer »229.

De tout ce qui précède, l’on peut déjà deviner que pour Origène Dieu
n’est pas la cause du Mal. Celui-ci est le produit du libre arbitre.

En outre, l’homme est l’image de Dieu à deux niveaux. Au niveau


originaire de la création, il est une simple image et au niveau conclusif de la
finalité, il est sa ressemblance. Celle-ci est l’imitation du Christ.

2.2.3.2.2.3. Allégorie ou symbolisme

Origène a utilisé l’interprétation allégorique ou symbolique. Celle-ci lui a


permis de bien étudier la nature et la Bible. De ce fait, il est arrivé à dire que
l’univers a deux plans, le céleste et le terrestre. Ce dernier est matériel, sensible
et il est le symbole du premier qui est immatériel et insensible. Sur le langage
théologique, il affirme l’ineffabilité de la nature divine (apophatisme) et
l’expression des propriétés divines (cataphatisme). Faisons savoir que, Origène a
été soupçonné d’enseigner la métensomatose. Mais nous devons aussi signaler
qu’il a combattu la gnose.

228
P. KUNZMANN et alii, Atlas de la philosophie, (Encyclopédies d’aujourd’hui), Paris,
Librairie Générale Française, 1993, p. 67.
229
F.COPLESTON, o.c., p. 36. Nous soulignons.
81

2.2.4. Saint Augustin


Voici la grande figure de la période patristique.

2.2.4.1. Qui est-il ?

Né à Thagaste (aujourd’hui Souk-Ahras en Algérie) le 13 novembre 354,


Aurelius Augustinus eut pour père un païen répondant au nom de Patricius et
pour mère une chrétienne nommée Monique. Celle-ci sera la sainte Monique.
D’une jeunesse mouvementée, Augustin eut une maîtresse qui lui donne un fils,
Adéodat.

Il adhéra au manichéisme et il ouvrit une école de rhétorique à Carthage


en 374. Arrivé à Rome, il ouvrit aussi une école de rhétorique, mais les étudiants
ne payaient pas leur scolarité. Grâce à un appui de ses mains, en 384, il devint
professeur de rhétorique à Milan. C’est ici qu’il suivit les sermons de Saint
Ambroise, évêque de Milan. Celui-ci lui apprit le christianisme en des concepts
platoniciens. Il lut Platon et Plotin.

Il connut un combat intérieur et entendit « par-dessus le mur une voix


d’enfant qui criait à plusieurs reprises le refrain tolle, lege. Augustin ouvrit au
hasard le Nouveau Testament et tomba sur les paroles de Saint Paul dans l’épître
aux Romains (Romains 13, 13-14) qui scellèrent sa conversion morale »230.
C’était en 386.

Baptisé par Saint Ambroise le dimanche de Pâques 387, il retourna en


Afrique, à Thagaste où il fonda une communauté monastique. Ordonné prêtre en
391 par l’évêque d’Hippone, il devint, en 391, évêque du même diocèse.

Il lutta contre le donatisme, le pélagianisme (qui exagérait le rôle de la


volonté humaine dans le salut de l’homme et minimisait celui de la grâce en

230
F. COPLESTON, o.c., p. 52.
82

niant le péché originel)231 et il fut accusé par Julien l’évêque hérétique


d’Eclanum, d’avoir inventé la doctrine du péché originel.

Augustin a beaucoup écrit : Les Confessions, De Civilitate Dei, De


Trinitate, De ordine, Contra Academicos, Soliliques, De libero arbitrio, De
moribus manichearum, etc.

2.2.4.2. Que dit-il ?

Comme ses prédécesseurs, Augustin prit position sur le rapport Foi et


Raison.

2.2.4.2.1. Rapport Foi et Raison

Augustin prit la résolution de réaliser une étroite collaboration de la foi et


de la raison en une sorte de « néoplatonisme chrétien »232. Cette étroite
collaboration se résume en ses deux expressions : « Crede ut intelligas » et
« intellige ut credas ». C’est le « crois pour comprendre » et « comprendre pour
croire ». Autrement dit, « la foi chrétienne n’abolit pas l’intelligence, elle ne tue
pas la pensée »233. Dans cette optique, la foi n’opprime pas la raison ou
l’intelligence, mais elle a comme rôle celui d’ouvrir les yeux de l’intelligence.

La raison rend des services à la foi, car elle fournit « des concepts qui sont
à la base de ce qu’il faut croire, elle établit l’existence et l’infaillibilité de la
révélation »234. La raison prépare la foi et « c’est en effet par la raison que
j’analyse le rôle de la foi. De plus, la foi commençante s’accommode bien d’un
concours rationnel, ne serait-ce que pour assurer qu’elle n’est pas absurde »235.

231
CF. Ibidem, p. 54.
232
F. VAN STEENBERGHEN, o.c., p. 32.
233
E. JEANNEAU, La philosophie médiévale, Paris, P.U.F., 1963, p. 11.
234
M. DE WULF, Histoire de la philosophie médiévale. Tome premier. Des origines jusqu’à
la fin du 12è siècle, 4ème édition, Louvain/Paris, Librairie. J. Vrin, 1921, p. 94.
235
J. PEPIN, Saint Augustin et la patristique occidentale, dans C. CHATELLET (dir), La
philosophie médiévale (du 1er au XV siècle), Paris, s ;e., 1972, p. 86.
83

La foi rend aussi des services à la raison, car il est des vérités que la
raison laissée à elle-même ne soupçonnerait, si Dieu ne les proposait à notre foi,
explicite M. De Wulf. La foi prédispose la raison à mieux comprendre et nous
prédispose à mieux nous servir de la raison.

La foi, étant de par sa nature au-dessus de notre raison, précède la raison


qui est capable d’atteindre quelques vérités par ses propres forces. Retenons
qu’au titre de disposition morale comme guide intellectuel, la foi rend notre
esprit plus apte à atteindre les vérités même naturelles »236. La foi, doit-on le
reconnaître, livre à la raison la clef de l’univers et jette une lumière sur la
destinée humaine.

De tout ce qui précède, Jean Pépin n’a pas tort d’affirmer qu’Augustin a
discerné « mieux que personne l’interaction de la raison et de la foi, par quoi
s’exercent essentiellement la philosophie et la religion »237. Voilà qui provoque
une inquiétude pour celui qui s’intéresse à Augustin : doit-on couper chez lui la
construction philosophique de l’explication théologique ? Chez lui la
philosophie est l’amour de la sagesse, c’est-à-dire l’amour de Dieu et il
argumentera : « Si sapientia Deus est… verus philosophus est amator Dei »238.

Saint Augustin a développé beaucoup de thèmes philosophiques.

2.2.4.2.2. Eléments philosophiques

De prime abord, il sied de signaler que la philosophie de Saint Augustin a


Dieu pour Centre.

236
J. MANTOY, Précis d’histoire de la philosophie, 9è édition mise à jour par F. Foulquié et
J. Mantoy, Paris, Editions de l’Ecole, 1951, p. 37.
237
J. PEPIN, Saint Augustin et la patristique occidentale, dans CHATELET, C. (dir.), La
philosophie médiévale (du Iè au XVè siècle), Paris, Hachette, 1972, p. 86(81-105).
238
AUGUSTIN, De civilitate Dei, VIII, 1. Cité par M. De Wulf, o.c., 4ème édition, p. 93.
84

2.2.4.2.2.1. Théorie de la connaissance

Sa théorie de la connaissance commence par une critique serrée contre le


scepticisme.

2.2.4.2.2.1.1. Contre le scepticisme

Augustin reste convaincu que « la certitude existe, et qu’elle est


nécessairement liée au bonheur. Une certitude primordiale est celle de la
conscience (…) et de la réalité du moi pensant »239.

Même pour les sceptiques, quelques vérités sont certaines. Personne ne


peut douter de sa propre existence, car l’acte de douter est une preuve de
l’existence. En outre, celui qui doute sait qu’il doute. Ainsi, il est sûr au
minimum de cette vérité : à savoir le fait de se tromper. Ne peut se tromper que
celui qui existe. Voilà une autre certitude. A ce propos, Augustin dira : « Si
fallor sum » (si je me trompe, je suis). Il est le précurseur de Descartes qui
parlera de Cogito sum.

Par ailleurs, Augustin ruinera les arguments sur lesquels se basent les
sceptiques. Si les sceptiques veulent justifier leur position en recourant à
l’argument de la discorde entre les philosophes sur l’explication de la réalité, au
moins une chose est vraie, à savoir l’existence de la réalité. S’ils font appel à
l’argument des sens qui nous tromperaient, ils doivent savoir que « ce ne sont
pas les sens qui nous trompent parce que quand nous sommes sains ils ne nous
trompent pas et quand nous ne sommes pas, la faute de l’égarement n’est pas
tant dans les sens que dans l’esprit du malade, du dormeur… »240. Le scepticisme
est faux, dit-il, parce que ses conséquences sont désastreuses dans le cadre
moral. S’il faut suivre le probable, argumente Augustin, « l’adultère ne serait
pas pour les uns, appauvrissement et il le serait pour un autre… Ainsi, l’adultère,

239
M. De WULF, o.c., 4ème édition, p. 97.
240
B. MONDIN, o.c.¸p. 104.
85

l’homicide et le sacrilège (…) deviendraient licites et tout fondement de la


morale serait bafoué »241.

Après avoir réglé ses comptes avec le scepticisme académicien qu’il a


professé pendant une certaine période de sa vie, Augustin donnera le mécanisme
de la connaissance.

2.2.4.2.2.1.2. Théorie de l’illumination et les trois degrés de connaissance

Saint Augustin distingue trois degrés de connaissance, à savoir les sens, la


raison inférieure et la raison supérieure. A chacun d’eux correspond un objet
déterminé. Les sens connaissent les qualités des corps ; à la raison inférieure
correspond les règles du monde physique et à la raison supérieure les vérités
éternelles242.

La connaissance sensible est le degré le plus bas. Elle dépend de la


sensation qui est « un acte de l’âme se servant des organes des sens comme de
ses instruments »243. Cette connaissance est commune à l’homme et à l’animal.
Toutefois, la connaissance humaine est supérieure à celle de l’animal compte
tenu du volume du cerveau.

La connaissance rationnelle (science) est propre à l’homme et elle est


orientée vers l’action. Dans cette connaissance l’esprit juge les objets matériels
d’après des modèles éternels et immatériels. Autrement dit, cette connaissance
cherche à découvrir les lois universelles à travers le processus abstrait 244.

La connaissance des vérités éternelles est sagesse et elle est atteinte grâce
à l’illumination divine et non à la réminiscence. Les vérités éternelles, pense
Augustin à la suite de Platon, ne peuvent pas venir de l’expérience, « soit à
AUGUSTIN, Contra Academicos III, 1b, cite par Ib., p. 104.
241

Cf. B MONDIN, Storia della filosofia medievale, seconda edizione riveduta, correta,
242

ampliata, Roma, Pontificia Università Urbaniana, 1991, p. 104-105.


243
F. COPLESTON, o.c., p. 64.
244
Cf. AUGUSTIN, De Trinitate XII, 2, 2, cité par B. MONDIN, o.c., p. 106.
86

cause de la contingence de l’objet connu, soit à cause de la contingence du sujet


connaissant »245.

Ayant rejeté la réminiscence qui présuppose une préexistence de l’âme


dans le monde intelligible, Augustin se rabat sur la doctrine de l’illumination.
Selon lui, l’illumination joue dans l’esprit humain un rôle analogue à celui de la
lumière solaire dans la perception visuelle. Ainsi elle rend visibles les vérités
éternelles246. L’homme, étant un être contingent, a besoin de la lumière divine
pour percevoir les vérités éternelles qui le transcendent. L’Illumination le rend
capable de saisir ce qui est au-delà de l’esprit. Sachons-le, pour Saint Augustin,
Dieu a fait l’esprit humain raisonnable et intelligent de telle sorte qu’il puisse
participer à sa lumière. Ce privilège n’est pas accordé à un animal.

Augustin a aussi une conception de Dieu.

2.2.4.2.2.2. Conception de Dieu

Le Docteur d’Hippone ne doute pas de l’existence de Dieu et il a donné


quelques preuves de son existence.

La preuve spécifiquement augustinienne consiste à partir de ce qu’il y a


de nécessaire. C’est la preuve dite par les vérités éternelles. Pour
Augustin, « si ma connaissance peut atteindre des nécessités (exemple : si 7 est
ajouté à 3, il est nécessaire que cela fasse 10.) c’est qu’il existe une nécessité de
la vérité »247.

Une autre preuve de l’existence de Dieu qu’il brandit est la preuve à


posteriori. Le monde extérieur prouve l’existence de Dieu, le changement, le
mouvement du monde et de toutes les choses visibles proclament

245
B. MONDIN, o.c., p. 105.
246
Cf. AUGUSTIN, Confessions VIII, 10, cité par Ib., p. 106.
247
J. MANTOY, o.c., p. 37.
87

silencieusement qu’ils ne peuvent avoir été créés que par Dieu, l’ineffable et
invisible Grandeur, l’ineffable et invisible Beauté »248.

Augustin a donné aussi une preuve dite par le consentement


universel : « Tous les hommes s’accordent à croire que Dieu est ce qui dépasse
en dignité tous les autres objets »249. Saint Anselme s’en inspirera avec son
argument connu sous le nom d’argument ontologique selon lequel Dieu est un
être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand.

Le témoignage de la conscience est aussi une preuve de l’expérience de


Dieu.

Dieu a des attributs. Il est immense, mais son immensité n’est pas
l’espace. Dieu est éternel, mais son éternité n’est pas le temps.

En dernière analyse, « Dieu est tout ce qu’il a »250. Dieu est créateur. Sa
conception de Dieu déterminera sa conception du monde.

2.2.4.2.2.3. Conception du monde

Augustin opte pour une création ex nihilo et c’est par un acte libre que
Dieu a créé le monde. « Les créatures, dit-il, tiennent leur être de Dieu nous, en
elles, l’être est lié au changement »251. Toutefois Augustin s’écarte de Platon, car
Dieu demeure « élevé au-dessus de tous les êtres »252. Ainsi il est au-dessus de
leur ordre. Augustin rejette l’immanence et plaide pour la transcendance.

Le temps et l’espace ont commencé avec la création. Donc ils ont été
créés par Dieu.

248
AUGUSTIN, De civilitate Dei, 11, 4, 2, cité par F. COPLESTON, o.c., p. 77-78.
249
ID., De doctrina christiana 1, 7, 7, cité par F. COPLESTON, o.c., p. 78.
250
E. DURAND, Histoire de la philosophie, Paris, Ancienne Librairie Poussielgue, 1910, p.
89.
251
F. COPLESTON, o.c., p. 84. Cf. AUGUSTIN, De libero arbitro 3, 15, 42.
252
AUGUSTIN, Confessions II, 6, 13, 2, cité par J. PEPIN, o.c., p. 88.
88

En outre, Augustin enseigne que « Dieu a déposé dans la matière un trésor


latent de forces actives constituées d’après les exemplaires qui, dans la science
éternelle, correspondent aux essences matérielles. Ce sont les principes
séminaux ou les rationes séminales, dont la germination successive au sein de
la matière, lorsque les circonstances opportunes sont réalisées, acceptis
opportunitatibus, produit les êtres, particuliers. A chaque espèce matérielle de
corps correspond un germe distinct »253. Cette théorie de rationes séminales se
confond, en dernière instance, à la théorie de l’exemplarisme qui compare
Dieu à un artisan qui, par exemple, avant de construire une arche, commence par
en concevoir le modèle. « De même, avant de créer l’univers, Dieu a dû en
concevoir le plan grandiose ; il connaît les essences possibles, dans leur rapport
avec son essence infinie dont elles sont de lointaines imitations (…). A chaque
individualité contingente correspond une idée divine, norme de sa réalité »254.
Cette théorie s’inspire de Platon et de Plotin. Il s’écarte d’eux et surtout de
Platon quand il ne fait pas des idées un produit et une déchéance de l’un.

Saint Augustin nous présente aussi sa conception de l’homme, jadis


appelée psychologie.

253
M. DE WULF, o.c., 4ème édition, p. 96.
254
Ibidem, p. 95.
89

2.2.4.2.2.4. Conception de l’homme

Le « philosophe africain »255 (l’expression est de M. De Wulf) conçoit


l’homme comme un être composé d’un corps et d’une âme. Les deux gardent
leur substantialité.

Le corps n’est pas mauvais ou un tombeau comme le pensaient Platon et


Plotin pour qui le corps n’est pas un tombeau, mais mauvais car matériel).

L’âme est spirituelle. Voilà qui explique son immortalité. Elle se sert du
corps et le régit. Elle n’est pas agie par le corps. Supérieure au corps, elle n’a
pas préexisté pour autant. Créée par Dieu, elle n’a pas été mise dans le corps en
châtiment pour une existence pré-terrestre. Sur ce point, il se démarque aussi
d’Origène.

Comment l’âme se retrouve-t-elle dans l’homme ? « Le philosophe


africain se meut dans des hésitations pénibles. D’une part, la transmission du
péché originel l’incline à souscrire au traducianisme ou génératianisme, pour
qui l’âme de l’enfant se détache de l’âme même des générateurs ; d’autre part, il
ne rejette pas le créationnisme, qui enseigne la création journalière des âmes
lors de la génération »256. Voilà une question qu’il a laissée à sa postérité.

Par ailleurs, contre Platon et Plotin, Augustin rejette la réincarnation et


opte pour l’incarnation. Il prend aussi ouvertement parti contre la théorie qui
prônait le retour à Dieu de toutes âmes déchues.

Cette philosophie anthropologique entraîne une certaine conception de la


morale.

255
Cf. Ibidem, p. 96.
256
Ibidem, p. 96.
90

2.2.4.2.2.5. Ethique

L’éthique d’Augustin a Dieu comme centre. Son éthique est qualifiée


d’eudémonisme pour avoir dit que le bonheur est la fin de l’activité humaine.

Pour Augustin, le bonheur de l’homme se trouve en Dieu (Cf. B.


Pascal), car c’est en lui seul que l’homme peut trouver l’accomplissement de son
désir.

En outre, son éthique est celle de l’amour, « car si Dieu est le bien
suprême de l’homme… et si chercher le bien suprême c’est vivre vertueusement,
il s’en suit donc que vivre vertueusement n’est rien d’autre que d’aimer Dieu de
tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit »257. Réaliste, Augustin sait
que, laissé à lui-même, l’homme ne parviendrait pas à la béatitude. Voilà
pourquoi il affirme que c’est avec l’aide de la grâce que l’homme peut
participer au Bien immuable. La grâce est un don gratuit venant d’un Dieu
miséricordieux. Cependant, reconnaît-il, les lois morales éternelles sont
imprimées dans le cœur de l’homme « comme l’anneau s’imprime dans la cire
sans y rester »258.

Le problème du mal n’a pas été laissé de côté. Pour le philosophe africain,
le mal n’a pas été créé par Dieu et n’est pas une chose. Elle provient de la
volonté humaine se détournant du Bien immuable et infini. Le mal est une
privation du bien, il est « ce qui déchoit de l’essence et tend au non-être… Il
tend à faire cesser d’être ce qui est »259. Par ailleurs, Augustin argumente : « Si
la perfection morale consiste à aimer Dieu, à diriger la volonté vers Dieu et à
mettre toutes les autres facultés, par exemple le sens, en accord avec cette
orientation, le mal consiste à détourner la volonté de Dieu »260. Il s’agit du mal

257
AUGUSTIN, De moribus eccl., 1, 25, 46, cité par F. COPLESTON, o.c., p. 91.
258
F. COPLESTON, o.c., p. 92.
259
AUGUSTIN, De moribus eccl., 2, 2, 2, cité par Ib., p. 94.
260
F. COPLESTON, o.c., p. 93. Nous soulignons.
91

moral qui est « ainsi absence de rectitude de la volonté créée »261. Il se trouve
dans le consentement.

Bref, le principe de moralité chez Augustin reste l’amour de Dieu. De tout


ce qui précède, quelle sera sa conception de l’Histoire, de l’Eglise et de l’Etat ?

2.2.4.2.2.6. Conception de l’Histoire, de l’Eglise et de l’Etat

Le Docteur d’Hippone écrira De Cavitate Dei lors de la prise de Rome.


Cela le contraignit de réfléchir et d’écrire sur le sens de l’histoire et sur la cité
terrestre face à la cité céleste.

La philosophie de l’histoire et la théologie de l’histoire se confondront


chez lui, car l’on doit discerner la signification spirituelle et morale des actions
et des événements historiques. Pour lui, l’histoire temporelle reste dans les
mains de Dieu qui en assure « la suite des dominations, sans qu’il faille pour
autant conclure qu’elles sont justes »262.

C’est dans l’histoire que se fait jour, dit-il, la lutte de deux royaumes ou
cités, à savoir la cité terrestre ordonnée à l’amour de Dieu et la cité céleste. La
cité terrestre est symbolisée par l’Etat païen, en l’occurrence Babylone et la cité
céleste l’Eglise, incarnation de Jérusalem.

Les deux cités se compénètrent de telle sorte qu’il faut être attentif pour
ne pas faire dire à Augustin ce qu’il n’a pas dit. Voilà pourquoi il faut faire
parler Augustin lui-même : « Nous voyons maintenant un citoyen de Jérusalem,
un citoyen du royaume du ciel qui remplit une fonction sur terre ; il porte la
pourpre, il est magistrat, édile, proconsul, empereur, il dirige l’état terrestre mais
son cœur est plus haut s’il est chrétien, s’il fait partie des croyants… Ne
désespérons donc pas des citoyens du royaume céleste quand nous les voyons

Ibidem, p. 94.
261

M. DESCHOUX, Augustinisme, dans JERPHAGNON, L, (dir), Dictionnaire des grands


262

philosophes, Toulouse, Privat, 1973, p. 48.


92

engagés dans les affaires de Babylone, accomplissant des actes terrestres dans
un état terrestre ; ne félicitons pas non plus sur-le-champ tous les hommes qui
sont occupés aux affaires célestes car même les fils de la pestilence s’assoient
parfois dans le siège de Moïse… Mais viendra le temps du vannage où ils seront
séparés avec le plus grand soin »263.

De cette longue citation, on peut deviner le souhait d’Augustin qui


voudrait transformer l’Etat en un Etat Chrétien, car seul le Christianisme, pense-
t-il, est capable de transformer les hommes en bons citoyens. Oui, commente
Copleston, « il est impossible qu’un état soit juste s’il n’est pas chrétien »264.
Disons aussi qu’il a une conception linéaire de l’histoire, car le Christ est mort
une fois pour toutes pour nos péchés. Que Conclure ?

De prime abord, nous remarquons qu’il est difficile de séparer Augustin le


Philosophe de Augustin le Théologien. En lui, l’unité philosophie et théologie
s’est faite chair.

Augustin, philosophiquement, se met sur les épaules de Platon et de


Plotin, ainsi l’on comprend pourquoi il a dit : « Laisse partir Thalès avec son
eau, Anaximandre avec l’air, les stoïciens avec leur feu, Epicure avec ses
atomes »265. Ayant vécu à la hauteur de Platon et Plotin qu’il met au-dessus de
tous les philosophes, Augustin mérite qu’il soit surnommé le « Platon
chrétien »266.

Nous avons été longs avec lui, car il est la grande figure, selon nous, de la
Patristique

263
AUGUSTIN, De Civilitate Dei, 1924, cité par F. COPLESTON, o.c., p. 97.
264
F. COPLESTON, o.c., p. 98.
265
AUGUSTIN, Cité de Dieu, VIII, V, cité par B. RUSSELL, o.c., p. 373.
266
E. DURAND, o.c., , p. 89.
93

2.3. HIER267

Les philosophes rangés dans l’HIER correspondent, dans la périodisation


occidentale, au Moyen Age et aux Temps Modernes.

Pour l’Afrique, « le moyen âge africain irait de la fin de l’hégémonie


culturelle internationale négro-pharaonique dans l’antiquité â l’émergence de la
première république nègre â Haïti au 18e siècle. D’un côté : le début du déclin
continental, avec l’invasion culturelle des langues et religions extérieures, de
l’autre : le début du redressement politique général des peuples négro-africains
du continent et de la diaspora. Le moyen âge africain dure donc
approximativement 2.000ans »268.

2.3.1. IBN KHALDOUN269( 27 mai 1332 - 17


mars 1406)

Qui est-il ?
Né le 27 mai 1332 à Tunis et mort le 17 mars 1406 au Caire, Ibn Khaldoun
est reconnu comme un historien, un économiste, un géographe et un
démographe.

« Dans son oeuvre majeure, Le Livre des exemples, il raconte l'Histoire


universelle à partir des écrits de ses prédécesseurs, de ses observations au cours
de ses nombreux voyages et de sa propre expérience de l'administration et de la
politique »270.

Ses idées portent sur la « théorie cyclique des empires, Asabiyya, [sur la]
Théorie de la croissance économique, [sur la] Théorie de l'offre et de la demande
[et sur la] Philosophie de l'histoire"271.

267
Cette section s’inspire uniquement, en attendant nos recherches ultérieures, des documents
tirés de l’Internet.
268
http://www.universiteahmedbaba.com/web/a-propos-de-ahmed-baba/

269
https://www.herodote.net/Bio/Ibn_Khaldoun-biographie-SWJuIEtoYWxkb3Vu.php

270
Ibidem
271
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun
94

Son contexte historique est celui d’une « époque fort troublée, marquée
par divers bouleversements socio-politiques, par l'apparition de la peste noire et
par d'incessantes luttes dynastiques au Maghreb » 272.

Que fait-il ? 273

Il publia Lubab al-Muhassal (La Quintessence de la théologie), Schifa al-


sa'il li tandhib al masa'il (traduit de l'arabe par René Perez sous le titre La Voie
et la Loi, ou le Maître et le Juriste)114 Le Livre des exemples (Kitab al-Ibar)
— dont le titre intégral est Livre des enseignements et traité d'histoire ancienne
et moderne sur la geste des Arabes, des Persans, des Berbères et des souverains
de leur temps31 qui constitue son œuvre principale et pionnière

Théories
Pour lui L'histoire est une science car elle produit le savoir.
Il perça « les causes profondes de l'instabilité chronique qui touche les États du
Maghreb129 et cherche à comprendre la raison de la répétition continuelle des
intrigues et des assassinats129. C'est en dominant l'incohérence de cette histoire
événementielle et en généralisant ces faits qu'il peut selon lui y voir clair 129.
Mais plus que cette simple étude, il souhaite proposer « une conception globale
de l'histoire, une analyse des structures sociales et politiques, un examen de leur
évolution »274129.

Définition et méthodes de l'histoire

Pour lui, l’ objet d’étude de l’Histoire est la société humaine en ce qui


concerne la vie sauvage et la vie sociale, sans oublier les particularismes dus à
l'esprit de clan. Ainsi l'objet central est « la civilisation »275.

Etudiant l’évolution des sociétés, il fit savvoir comment on passe d'une


organisation bédouine nomade, celle de la transhumance à cause des activités
pastorale, à une société sédentaire276133. Il sied de signaler que pour lui, « le

272

273

274
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-lacoste83-134

275
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-goumeziane40-138

276
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note- goumeziane32-123
95

passage du mode de vie bédouin au mode de vie sédentaire suppose l'évolution


des métiers et des techniques »277.

Du point de vue politique, il y a une évolution qui va du « régime


politique qui passe du califat à la monarchie. Enfin, une évolution économique,
l'économie naturelle cédant sa place à l'économie marchande »278.

Position sur l'esclavage des Noirs

Considérant, dans ses Prolégomènes, certains Noirs du sud de l'Afrique


comme étaant plus sont des animaux que des hommes, et ce à cause de leur
mode de vie lkes rendant primitifs et barbare, il trouve normal que ces Noirs soit
dignes de la traiter négrière279 .

Postérité et influence

Ibn Khaldoun est présenté « comme l'un des pères fondateurs de l'histoire
en tant que science »280 et il est conssidéré pour certains comme un des
précurseeurs des travaux de de Nicolas Machiavel, Montesquieu, Auguste
Comte, Karl Marx ou Max Weber281

Critiques

Taha Hussein, dans sa thèse Étude analytique et critique d'Ibn Khaldoun,


« le taxe de « menteur », d'« opportuniste » de « suffisant » ou encore de
« prétentieux » »282. Bien haï en Irak, un réclama en 1939 que « la tombe d'Ibn
Khaldoun soit profanée et ses livres brûlés »283.

Retenons qu’il fut fils de son temps comme chacun de nous.

Influences

« En novembre 2019, Boris Johnson, alors Premier ministre du Royaume


Uni, annonce dans une interview au The Daily Telegraph, qu'économiquement,
il s’inspire de Ibn Khaldoun »284.

277
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note- goumeziane41-140

278
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note- goumeziane32-123
279
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note153.
280
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-lacoste8-159
281
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-carrépersée 170
282
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-ADAOU-33
283
Ibidem
284
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-187
96

Présence contemporaine

Le portrait d'Ibn Khaldoun orne le billet de dix dinars tunisiens. De plus,


des écoles primaires, collèges, lycées et instituts de formation en Algérie, au
Maroc et en Tunisie portent son nom285

2.3.2. AHMED BABA DE TOMBOUCTOU

Qui est Ahmed BABA ?

BABA naît le 26 Octobre 1556 (au Macina ?) d’ une famille de parenté


berbère. et meurt â Tombouctou le 22 Avril 1627 â l’âge respectable de 71 ans.

Africain, Ahmed BABA est l’un des monuments intellectuels de son


époque. Il fut un métis racial et culturel, et un érudit nègre, donc aujourd’hui que
certains veuillent lui attribuer la nationalité marocaine.

philosophe de culture négro-africaine, Ahmed BABA Ahmed BABA


enseigna « toute sa vie et laissa de nombreux disciples aussi bien au « Soudan »
qu’au Maghreb. Parallèlement, il exerça des fonctions religieuses, judiciaires et
civiles de théoricien et interprète du droit canonique musulman »286.

Ahmed BABA : Un authentique philosophe

Il a réfléchi sur les concepts de « purification » et d’« intention ». « Pour


lui, la purification est un soin qui consiste à débarrasser l’action de tout mélange
douteux, tel que l’orgueil, l’hypocrisie ou l’envie[ et La niyya] l’énoncé
prononcé de façon audible ou mentalement par celui qui veut accomplir un acte.
Elle a sa place dans le cœur, l’organe central de l’intelligence et de l’action » 287

LES IDÉES ET L’APPORT PHILOSOPHIQUES D’AHMED BABA


La gouvernance éclairée comme condition de cohabitation saine
entre science et politique.

Pour lui, c’est « le critère moral de la bonne gouvernance qui commandera


l’attitude des politiques vis-à-vis des scientifiques et vice-versa. La mauvaise
gouvernance conduit « à la scission profonde, et à l’irrémédiable séparation »
entre le pouvoir et le savoir, alors que la bonne gouvernance permet la
285
Cf ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibn_Khaldoun#Cite_note-188-189
286
http://www.universiteahmedbaba.com/web/a-propos-de-ahmed-baba/
287
Ibidem
97

cohabitation raisonnable entre le pouvoir politique et la puissance culturelle de


l’intelligentsia »288.

Penseur critique, Ahmed BABA constata la contradiction existant entre le


savoir et le pouvoir et le philosophe est « conscient de la vanité et du péril de
l’ambition politique déraisonnable, sans cesse exposée aux charmes pervers de
l’abus de pouvoir »289. Et cela doit être un enseignement encore actuel « pour
toute l’intelligentsia africaine et particulièrement pour les philosophes. Il institue
la raison pensante comme tribunal du politique ; érige la tolérance politique et le
sens du progrès scientifique et social, de la part des gouvernants, en critères de
la gouvernance éclairée ; instaure la vigilance, et si nécessaire la distanciation
vis-à-vis du pouvoir, en principes déontologiques permettant de sauvegarder la
dignité de la science »290.

La prééminence de la science et de la pratique religieuse rationnelle


sur la foi aveugle

Toujours critique, il prit position pour opposer « les fidéistes mystiques et


autres illuminés sectaires aux scientifiques et philosophes croyants [et prit]
position en faveur de ces derniers en 1603 dans Dons précieux élargissant la
vertu des savants (Tuhfat al-fudala bi-bad Fada’il al-Ulama’) »291.
toutefois, il spéccifie que « les savants dont il s’agit ici sont ceux qui font
preuve de piété et de dévotion et se conforment à l’enseignement du Coran et de
la Sunna, et non ceux qui cherchent à tirer de leur science des intérêts immédiats
ou une gloire personnelle »292. Bref, il penche pour
rationalisme contre l’aveuglement mystique. Ainsi, il barre la route « à
l’intégrisme religieux et à l’autorité absolue de la religion. Ce qui n’est pas une
avancée négligeable »293.

Pour un humanisme anti-raciste universaliste

En 1615, Ahmed BABA s’élève contre le racisme anti-nègre des


populations sahariennes du Touat et distingue la « guerre régulière » de l’«
asservissement illégal ». La guerre régulière de jihad suppose « qu’une enquête
préalable ait été conduite pour savoir qu’elle est la condition religieuse et
juridique de la population visée, et que des sommations légales lui aient été
adressées auparavant, visant à lui faire accepter la conversion à l’Islam ou le

288
Ibidem
289
Ibidem
290
Ibidem
291
Ibidem
292
Ibidem
293
Ibidem
98

protectorat de l’Etat musulman. L’asservissement illégal est abusif et ne procure


pas légitimement des captifs, faute de respect des conditions de la procédure.
Ainsi apprend-on qu’un peuple non musulman payant tribut à un Etat croyant
est, par ce fait même, exempté de toute visée esclavagiste, de la part de ce
dernier, bien qu’il ne pratique pas la religion islamique »294.
pour lui, la race noire n’ a été maudite par Dieu. « Le philosophe soudanien est
un homme de son époque, qui ne parvient pas à condamner clairement le
principe même de l’esclavage, du fait de sa foi islamique qui admet ce système.
Cependant il n’hésite pas à dénoncer sévèrement les transactions esclavagistes
abusives : « Ce commerce, affirme-t-il, est une des calamités de notre époque ».
Cette conviction humaniste se manifeste aussi lorsqu’il demande d’être clément
vis-à-vis des esclaves :
« Dieu ordonne de traiter les esclaves avec humanité, qu’ils soient noirs ou non ;
on doit avoir pitié de leur triste sort, et leur épargner les mauvais traitements, car
le fait seul de devenir la propriété d’autrui, brise le cœur ; parce que la servitude
est inséparable de l’idée de violence et de domination, surtout lorsqu’il s’agit
d’un esclave emmené loin de son pays. Ne sommes-nous pas tous les
descendants d’Adam ? C’est pour cela que le Prophète a dit : Dieu le Très Haut
t’a rendu propriétaire de l’esclave ; s’il avait voulu ; il l’aurait rendu maître de ta
personne »295.

« Résumons-nous : Ahmed BABA est un philosophe africain négro-berbè-


re de grande envergure. L’ethnie berbère Senhadji dont il est originaire se trouve
en effet en situation de métissage racial et de brassage culturel avec les Noirs du
Soudan depuis des siècles, à en croire Djibril Tamsir Niane. Il apporte à
l’humanité l’esprit patriotique, le sens de la bonne gouvernance et le souci de la
défense des droits de l’homme et de l’égalité des races. Au plan théorique, sa
rigueur méthodologique et son engouement pour la rationalité scientifique
demeurent aussi des apports précieux »296.

http://www.universiteahmedbaba.com/web/a-propos-de-ahmed-baba/

2.3.3. KOCC BARMA FALL

Sénégambien, Kocc Barma Fall Faal (Birima Makhourédia Demba


Kholé Fall), né en 1586 et décédé en 1655297, est un philosophe.

Plus de cinq mille adages ou maximes lui furent attribués. Ayant appris le
massacre des habitants de Ndate, à sa rencontredes gens « portant en terre le
294
Ibidem
295
Ibidem
296
Ibidem
297
https://fr.wikipedia.org/wiki/kocc_barma_fall#cite_note-2
99

corps d'une des malheureuses victimes, Kocc arrêta le convoi et s’adressa au


défunt [en ces termes] :
« Va dire à nos ancêtres qu'aujourd'hui la mort est préférable à la vie. Va dire à
nos aïeux que de leur temps le commandement était entre les mains d'hommes
libres qui connaissaient l’honnêteté et le devoir; qu'ils sont heureux de jouir du
repos de la tombe, car ce sont des esclaves qui commandent aujourd'hui, ce sont
des esclaves qui exécutent les injustes volontés de leur maître, pour en être
favorisés. « Va leur dire qu''il ne manque pas d'hommes qui désirent le bien-être,
mais que ceux qui le procuraient ne sont plus'... »298.

Ses paroles lui valuent la colère du Damel qui fit creuser


creuser un grand trou dans la terre, dont il couvrit « la surface avec des
branches d'arbre très minces et mit du sable par-dessus, afin que le philosophe
en voulant s'y asseoir fût enterré vif »299.

Informé, Kocc creusa « alors à partir du milieu de sa case un tunnel


souterrain qui communiquait directement avec la cour du damel »300. Invité par
sa Majesté, Kocc s’assit et « tomba dans l'abîme qu'on se hâta de combler avec
du sable »301. Malin et plus mailin que sa Majesté, le philosophe, étant retourné
chezlui, donnait des leçons comme auparavant, et ce en cachette et le Damel le
croyait mort. Devant le refus de ses sujets à aller en guerre et voulant savoir le
pourquoi de ce refus, « on lui dit de faire venir Kocc qu'il croyait mort »302.
Sitôt dit, sitôt fait. « Interrogé sur le motif de cette révolte générale en temps de
guerre, le philosophe répondit par cet adage : « Un arbre infructueux n'est pas
fréquenté », faisant comprendre au Damel que c'est en aimant ses sujets qu'un
roi devient cher et précieux à son peuple et qu'il peut compter sur son
dévouement »303. Cette leçon apprit au Damel à devenir généreux et bon roi.
nous retenons de lui certaines maximes comme :

« Un ami est unique, il ne peut y en avoir plusieurs ».


: « Suivez les conseils de trois personnes, ne suivez pas les conseils de trois
autres » Voici l'explication :
Le premier cas concerne le père, la mère et le fils aîné ; le second concerne la
femme, l'esclave et le griot. Kocc disait qu'il fallait suivre les avis de son père,
de sa mère et de se méfier de ceux de sa femme, de son esclave et de son griot ;
parce que le père, la mère et le fils aîné sont animés des mêmes intérêts ; ceux-ci
pour le bien de leur fils et celui-ci pour le bien de ses parents et que toutes les
fois qu'il s'agirait de dévouement, d'honneur et de gloire, de viles considérations
298

299

300

301

302

303
100

ne fermeraient pas leur cœur. La femme, au contraire, l'esclave et le griot, ayant


intérêt sur les biens d'un homme, pourraient se laisser guider dans leurs conseils
par une passion quelconque.

« si tu veux enlever à une personne sa dignité, son humanité, donne-lui chaque


jour de quoi se nourrir. À la longue tu feras de lui un animal). Kocc avait
compris que la dépendance était une poison dans la société. Il disait aussi que si
un peuple pense que tout ce qui le nourrit il doit le quémander à l'extérieur et
qu'il en prenne l'habitude, toutes les générations de ce peuple ne connaîtront
qu'un seul mot dans leur langage : « Merci ».

Kocc Barma et ses touffes de cheveux

Kocc Barma, contrairement à ses frères qui rasaient complète »ment leur
tête, avait réservé sur sa tête quatre touffes de cheveux. « Chacune de ces
touffes », disait-il, « représente une vérité morale connue de moi et de ma
femme ». Sa femme avait de son côté un fils de premier lit (dans un premier
mariage).
Le Damel, piqué de curiosité, chercha longtemps et en vain à découvrir le secret.
Il eut enfin recours à la ruse. Il fit venir la femme du philosophe qu'il gagna à
force de cadeaux. Elle dit alors la vérité morale des quatre touffes qui sont :

 « Un roi n'est pas un parent ni un protecteur »


 « Un enfant du premier lit n'est pas un fils mais une guerre intestine »
 « Il faut aimer sa femme, mais ne pas lui donner toute confiance »
 « Un vieillard est nécessaire dans un pays »

Le roi fut furieux du premier symbole et condamna le philosophe à mort.


Pendant qu'on allait exécuter Kocc, un vieillard jouissant d'un grand crédit
auprès du roi par sa sagesse et sa prudence, et désireux du bien du pays, alla
trouver le Damel et lui montra que la mort de Kocc serait une perte irréparable
dans le royaume, et qu'on avait besoin de ses conseils dans les circonstances
difficiles. Pendant ce temps le fils de la femme du condamné, remarquant que
Kocc s'était revêtu d'habits qui ne lui appartenaient pas, s'écria : « Il porte mes
habits. Il ne faut pas qu'ils soient tachés de sang. Déshabillez-le avant de le
tuer ! »
Le vieillard avait obtenu la grâce de Kocc qui fut amené auprès du roi.
Vivement réprimandé sur ses idées singulières, Kocc répondit sans s'émouvoir :
« N'est-il pas vrai qu'un roi n'est ni parent ni protecteur, puisque pour un secret
que je ne vous ai point révélé et que j'avais bien droit de garder, vous m'avez
condamné à mort, à tort, oubliant et les services que je vous ai rendus et l'amitié
constante qui nous avait liés depuis notre enfance ? »
« N'est-il pas vrai qu'il faut aimer sa femme et ne pas lui donner toute confiance,
101

puisque ma femme, que je n'avais rendue dépositaire de mon secret que pour
éprouver sa fidélité, l'a trahi pour de vils présents ? »
« N'est-il pas vrai qu'un enfant de premier lit n'est pas un fils mais une guerre
intestine, puisqu'au moment où il aurait dû pleurer son père, condamné à mort, il
ne pensait, au contraire, qu'à lui réclamer des habits dont il craignait la perte ? »
« N'est-il pas vrai qu'un vieillard est nécessaire dans un pays, puisque sans un
vieillard sage et prudent dont la gravité a su dominer votre passion, je ne vivrais
plus dans ce moment, mais je serais mort, victime de votre injuste colère ? »

Postérité

Après Kocc Barma Fall, la société wolof a connu d'autres philosophes


importants.
Sous le règne du Damel Madiakhère apparut un autre philosophe moraliste du
nom de Masséni. Masséni était le petit-fils de Kocc Barma. Il a lui aussi laissé
beaucoup d'adages et de maximes dont les plus connus sont :

 « Celui qui méprise son état, diminue son honneur »


 « Quand un fils ne se contente pas du toit paternel, c'est sa mère qui est
impatiente »
 « Le pauvre qui craint le soleil, craint son bienfaiteur »
 « Dans le bien comme dans le mal, ce qu'on est obligé de cacher n'est pas
rassurant »
 « Celui qui est fier de sa nudité, sera insolent étant habillé »
 « Qui passe par toutes les routes manque le chemin de sa maison »
 « Trois choses étant d'accord sont irrésistibles : la femme, le roi et le
diable »
 etc.

Sous le règne du Damel Makhouradia apparut un philosophe d'un autre


genre. Son nom était Biram Thiam Demba. Il proposait des énigmes que les
Wolofs devaient résoudre.

2.3.4. ZERA YACOB304

Zera Yacob, dont le nom dignifie littéralement semence de Jacob, est né


le 28 août 1599 près de Aksoum, capitale du royaume d'Aksoum située dans le
nord de l'Éthiopieet mort en 1692. C’ est un philosophe éthiopien souvent
comparé à René Descartes de Discours de la méthode. Il se reconnaît comme un
rationaliste déiste.
304
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Zera_Yacob
102

Pensée

Il exposa ses idées dans Hatata ("enquête"), écrit en 1667, et ce à la


demande d'un de ses disciples, Walda Heywat. « Il croit en la suprématie de la
raison. Selon lui, aucune religion n'est plus légitime qu'une autre, les non
croyants méritent le respect. Il pense que tous les êtres humains, femmes et
hommes, sont nés égaux et que l'esclavage est un déni d'humanité. Il plaide pour
la raison et pour l'esprit critique. Selon Dag Herbjornsrud, auteur d'un article
résumant sa pensée, "comparée à celle de ses pairs philosophes, la pensée de
Yaqob apparaît comme l'incarnation de tous les idéaux dont on crédite
généralement les Lumières."305

Bibliographie

Le Sage d'Abyssinie. Extraits du traité de Zara Yaqob, traduit du guèze et


présenté par Claude Summer, éditions Alternatives, "Pollen", 1997, 80 p.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Zera_Yacob

2.3.5. ANTON WILHELM AMO306

Philosophe africain et allemand par adfoption, Anton Wilhelm Amo est né


« à Awukena, dans la région d'Axim, dans l'actuel Ghana, vers 1703 et
probablement mort dans ce pays à Fort San Sebastian (en) vers 1753 [et fut]
professeur aux universités de Halle, de Wittemberg et d'Iéna, en Allemagne ; il
est sans doute la première personne originaire d'Afrique subsaharienne à avoir
étudié dans une université européenne, et le premier Africain à avoir obtenu un
doctorat dans une université européenne »307.

Biographie

Réduit en esclavage par la Compagnie néerlandaise des Indes


occidentales (Geoctroyeerde Westindische Compagnie ou GWC) en 1707, et

305
https://fr.wikipedia.org/wiki/zera_yacob#Cite_note-:0-2
306
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo

307
Ibidem
103

offert jeune enfant en cadeau à Anton Ulrich, duc de Brunswick-Wolfenbüttel,


Amo fut baptisé le 29 juillet 1707 sous le nom d’Anton Wilhelm « pour ses
deux parrains, le duc Anton Ulrich et son fils August Wilhelm de Brunswick-
Wolfenbüttel »308.

Licencié en droit en 1729, « après un mémoire sur les droits des Noirs en
Europe, intitulé De Jure Maurorum in Europa (Du droit des Maures en Europe),
le 2 septembre 1730, il rejoint l’Université de Wittemberg, où il poursuit ses
études en médecine. Le 17 avril 1734, il soutient sa thèse intitulée De Humanae
mentis apatheia (De l’Apathie de l’âme humaine). Il devient alors le premier
africain noir à être docteur en lettres et philosophie dans une université
européenne »309.

Nommé professeur en 1736, « il y publie en 1738 son deuxième ouvrage,


le Traité sur l'art de philosopher de manière simple et précise, dans lequel il
développe une épistémologie empirique assez proche de celles de John Locke et
de David Hume. En 1740, il reçoit une chaire de philosophie à l'Université
d'Iéna où il enseigne la philosophie jusqu’en 1747. En 1751, il part pour
l’Afrique pour des raisons inconnues. Il semble cependant que le contexte
politique et social lui était de plus en plus défavorable … et y travaille en tant
qu’orfèvre »310.

Liens avec la philosophie allemande des Lumières

Un des principaux penseurs des « Aufklärung » (les Lumières) en


Allemagne, il fut bien lié à à Christian Thomasius, dont il avait le soutien et fut
protégé par Ludewig. Il s’inspira de Christian Wolff et de Gottfried Wilhelm
Leibniz

En médecine, Anton Wilhelm Amo, de par sa thèse De humanae mentis


apatheia (De l’Apathie de l’âme humaine), « ne nie pas l’existence de l’âme
comme les mécanistes, mais accorde une nette dominance des effets chimiques
et physiques sur le corps. Cette thèse introduit également la distinction_
défendue par Emmanuel Kant en 1781 dans Kritik der reinen Vernunft (Critique
de la Raison Pure)4, entre les impressions sensorielles et la raison, fournissant
deux sources d’information complémentaires, et expliquant les jugements a
priori »311.

Dans la controverse générale qui agite l’université, notamment celle de


Halle, entre le « rationalisme » des Lumières et le « piétisme » des partisans de
308
Ibidem
309
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo#cite_note-2 et 3.
310
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo
311
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo#cite_note-4
104

la morale religieuse (que représente Joachim Lange par exemple), Amo se situe
du côté des Lumières. L’université de Halle a, à cette époque, la réputation
d’être un centre des Lumières, notamment grâce à Christian Wolff.

Soutien et reconnu par ses pairs lors de la soutenaance de sa thèse, Amo


reçut les éloges de Johann Gottfried Kraus, recteur de l’université de
Wittemberg et fut aux grandes figures africaines de l’Antiquité, en l’occurrence
Térence de Carthage et Apulée de Madaure.

Contexte politique et racisme

Dans un contexte politique raciste, Amo a défendu « les droits des Noirs
dans sa première dissertation inaugurale De Jure Maurorum in Europa (Du droit
des Maures en Europe) de 1729, où il discute la question de l’esclavage et des
libertés des Noirs vivant en Europe »312.

Fier de ses origines africaines, tl dignait toutes ses publications en ajoutant


Afer (« qui vient d’Afrique » en latin) à son nom . d’où « Amo-Guinea Afer,
Antonius Guilielmus Amo Afer (Anton Wilhelm Amo d’Afrique), ou encore
Amo-Guinea Africanus »313.

« On peut supposer que la montée de racisme, la période politique troublée


par les guerres, la montée des nationalismes, et la perte de la protection du duc
de Wolfenbüttel sont autant de facteurs qui l’ont poussé à retourner au
Ghana »314.

Les lectures postérieures du personnage

Différents auteurs européens le citent « dans le but de prouver la valeur


potentielle des Noirs, dans une époque où les préjugés racistes sont nombreux.
En 1787, dans Von den Negern (Des Nègres)5, Johann Friedrich Blumenbach,
biologiste de renom, cite le nom d’Amo parmi d’autres Africains pour prouver
l’égalité intellectuelle entre Africains et Européens. En 1808, l’abbé Grégoire,
au chapitre 8 de De la littérature des Nègres, présente des « Notices de Nègres
et de Mulâtres distingués par leurs talents et leurs ouvrages »6. Dans ce chapitre,
il accorde quatre pages à la vie et à l’œuvre d’Amo, et déclare que « l’Université
de Wittemberg n’avoit (sic) pas, sur la différence de couleurs, les préjugés
absurdes de tant d’hommes qui se prétendent éclairés »315.

312
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo
313
Ibidem
314
Ibidem
315
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Wilhelm_Amo#cite_note-7
105

En 1916 et en 1918, un historien et bibliothécaire allemand du nom de


Wolfram Suchier8 consacre deux biographies à la vie d’Amo, soulignant son
caractère exceptionnel9,10. C’est cette même exceptionnalité de voir des Africains
qui expliquerait, selon Suchier, la reconnaissance de ses pairs pour la
philosophie d’Amo. En 1946, dans un contexte international encore largement
inégalitaire, Beatrice Fleming et Marion Pryde publient Distinguished Negroes
Abroad (Noirs éminents à l’étranger)11, où la vie d’Amo est décrite. En 1957,
dans son autobiographie, Kwame Nkruhma, président du Ghana, rappelle qu’il a
éprouvé un grand intérêt pour cette personnalité africaine12.

La figure d’Amo a été également instrumentalisée par le régime


communiste de la République démocratique allemande. L’université de Halle,
située en Allemagne de l’Est, s’est enorgueillie d’avoir accueilli un des premiers
étudiants noirs en Europe. Elle cherchait ainsi à prouver l’existence d'une
alliance historique entre les pays socialistes et les pays africains. Dans ce
contexte, l’université a dressé une statue d’Anton Wilhelm Amo. Burchard
Brentjes, en 1976, dans Anton Wilhelm Amo – Der schwarze Philosoph in Halle
(Anton Wilhelm Amo – Le Philosophe noir à Halle)13, présente Amo comme un
contre-exemple de l’histoire de la colonisation.

Si la figure d’Amo a été largement utilisée pour défendre les droits des
Noirs ou revendiquer leur égalité intellectuelle, son œuvre a rarement été prise
en compte comme pilier des « Aufklärung » (les Lumières). Anton Amo est ainsi
largement emblématique, mais sa philosophie est peu connue et peu discutée.
C’est dans une perspective symbolique que, depuis 1994, l’université Martin-
Luther de Halle-Wittemberg remet un prix « Anton Wilhelm Amo » destiné aux
étudiants étrangers.A noter que depuis 2021, un certain nombre d'écrits se sont
attachés à étudier le contenu de son ouvrage, à commencer par l'ouvrage de
Daniel Dauvois mais également de Driss Gharmoul [archive], lequel cherche à
faire converser la pensée amiste à celle d'Edouard Glissant de manière à
favoriser la construction d'un dialogue dépassionné entre l'Europe et l'Afrique,
notamment à l'égard de l'héritage des Lumières.

Écrits

 Dissertatio inauguralis de jure Maurorum in Europa, 1729 [texte perdu].


 Dissertatio de humanae mentis apatheia, Wittenberg, 1734.
 Disputatio philosophica continens ideam distinctam eorum quae
competunt vel menti vel corpori nostro vivo et organico 14, Wittenberg,
1734.
 Tractatus de arte sobrie et accurate philosophandi, Halle, 1738 —
version en français sous le titre Traité de l'art de philosopher avec
précision et sans fioritures, textes originaux traduits, annotés et
commentés par Simon Mougnol, Paris, L'Harmattan, 2013.
106

2.3.6. JACOBUS CAPITEIN (1717-1747)

Razzié à 8 ans et vendu à un négrier hollandais, Jacobus Capitein est né le


22 juin 1717 au ghana et mourut le 1er février 1747

« Offert en « cadeau » à un commerçant, qui le traita comme son fils et lui


donna le nom de Capitein (capitaine), il arriva en Hollande en 1728 »316 où il fut
baptisé en 1735 dans la religion de l’église réformée néerlandaise.

Doué pour les études, c’est à « 20 ans, en 1737, [qu’] il entra à l’université
de Leyde pour y faire des études de théologie, ayant le projet de devenir pasteur
en Afrique »317.

Dans sa thèse soutenue le 10 mars 1742 et intitulée De servitude, libertati


christianae non contraria (Que l’esclavage n’est pas contraire à la liberté
chrétienne), Jacobus Capitein soutint le principe selon lequel « le baptême
n’obligeait pas les maîtres à libérer leurs esclaves et que donc on pouvait les
baptiser sans crainte, ce qui le rendit populaire auprès des esclavagistes »318.
Ainsi, à son avis théologique, il y a la compatibilité de l'esclavage avec le
christianisme, et ce contrairement à Godefridus Cornelisz Udemans, « un
pasteur néerlandais qui avait fait valoir que les esclaves devaient être libérés sept
ans après leur baptême »319. Toutefois, il sied de signaler qu’ « on ne sait pas
clairement si Capitein a réellement obtenu son doctorat avec cette thèse, car elle
n’est pas répertoriée dans les archives de l’université »320.

Retenons qu’ Il est le deuxième Africain à avoir obtenu un doctorat après


Anton Wilhelm Amo en 1734.

Pasteur à fort d’Elmina, plaque tournante de la traite néerlandaise le long de


l’actuel Ghana., il fut exposé à la haine des Africains qui le trouvaient trop
Neerlandais et au racisme des négrier, Jacobus Capitein ne sut pas épouser une
Africaine et son l’autorité ecclésiastique lui imposa une Néérlandaise, Antonia
Ginderdros, en 1745.

316
http://une-autre-histoire.org/jacobus-capitein-biographie/
317
Ibidem
318
Ibidem
319
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacobus_Capitein
320
Ibidem
107

On ne sait pas clairement si Capitein a réellement obtenu son doctorat avec


cette thèse, car elle n’est pas répertoriée dans les archives de l’université.

Mission

Capitein créa une école et un orphelinat à Elmina et en 1744 , le roi des


Ashantis, « Opoku Ware I, a demandé à Capitein d’éduquer ses enfants, mais il
n’obtint pas la permission de les envoyer aux Pays-Bas à cet effet. Toutefois,
l’un des princes, Gyakye, fut envoyé, porteur d’un don de dix dents d’éléphant,
en mission diplomatique auprès de la République néerlandaise »321.

2.3.7. OGOTEMMELI

Ogotemmeli (également: Ogotemmêli ou Ogotommeli , décédé en 1962),


Malien, aveugle, devin et grand prêtre (Hogon ) a « raconté la cosmogonie, la
cosmologie et les symboles du peuple Dogon à l'anthropologue français Marcel
Griaule dans les années 1930, 1940 et 1950, qui a ensuite été documenté et
adapté par des chercheurs contemporains »322.

En 1931, Marcel Griaule a entendu parler de lui suite à sa réputation , car il


était « reconnu comme un "homme d'une sagesse exceptionnelle" dans la
région »323.

Bibliographie

Asante, Molefi Kete ; Mazama, Ama; Encyclopedia of African Religion,


Volume 1, SAGE (2009), pp. 40–41, 213, 268, ISBN9781412936361 (récupéré
le 3 mars , 2020) [6]

Insoll, Timothy , Archéologie, rituel, religion, Routledge (2004), p. 123–125,


ISBN9781134526444 (récupéré le 3 mars 2020) [7]

Scranton, Laird, (suite John Anthony West ), Sacred Symbols of the Dogon:
The Key to Advanced Science in the Ancient Egyptian Hieroglyphs, Simon and
Schuster (2007), pp. 151–2, ISBN 9781594777530 (récupéré le 3 mars 2020) [8]

321
Ibidem
322
https://fr.isecosmetic.com/wiki/Ogotemmeli

323
Ibidem
108

Conseil indien pour l'Afrique, Centre indien pour l'Afrique; Africa Quarterly,
Volumes 45-46, Centre indien pour l'Afrique (2006), p. 51

Masolo, DA, African Philosophy in Search of Identity: African systems of


thinking, (éd. International African Institute ), Indiana University Press (1994),
pp. 68–69, ISBN9780253207753 (récupéré le 3 mars 2020) [9]

Andreozzi, Matteo; Massaro, Alma; Stallwood, Kim ; et Tonutti, Sabrina;


Relations 1.2 - Novembre 2013: Dans la vie émotionnelle des animaux non
humains: Partie II, LED Edizioni Universitarie (2013), p. 14,
ISBN9788879166560 (récupéré le 3 mars 2020) [10]
109

CHAPITRE TROISIEME : HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE


AFRICAINE DU PRESENT

3.1. Placide Tempels et la problématique de la philosophie africaine

Il sied de signaler que dans l’Autrefois, l’Avant-Hier et le Hier, les


Africains philosophaient tout simplement et ne débattaient pas sur l’existence ou
non de la philosophie africaine. Quand Zera Yacob philosophait, R. Descartes le
faisait aussi. Tous les deux sont des rationalistes et Descartes croyait que le
« Bon sens » se trouvait en tout être humain.

Quand Antoine-Gaullaume AMO et Jacobus Kapitein philosophaient, les


Voltaire, E. Kant, les D. Hume, etc. discutaient sur l’âme et voulaient savoir si
Dieu pouvait doter à un corps noir une âme. Le problème de l’esclavage était à
la une. Antoine-Guillaume Amo, de par ses productions scientifiques, montrait
et démontrait que le « noir »324 , mis dans les mêmes conditions que le « blanc »,
était capable, scientifiquement, de concurrencer le « blanc ». A.-G. Amo,
philosophe africain en Allemagne, a eu le courage de s’opposer au Code noir
« conçu et promulguait par Louis XIV en 1685, avant d’être remanié en
1724 »325, en publiant Du droit des Africains en Europe, pendant que les
philosophes européens ( Voltaire 1694-1778, d’Alembert 1717-1783,
Montesquieu 1689-1755, Rousseau 1712-1778, J. Locke 1632-1704, D. Hume
1711-1776, Leibniz 1646-1718326) gardent silence sur ce code et pourtant, à cette
époque, ils dissertant « abondamment sur les droits et les libertés (…). En tout
cas, considéré uniquement du point de vue de son objectivité, le Mémoire
d’Amo constitue l’une des toutes premières réactions philosophiques noires
contre l’injustice et l’oppression d’un peuple sur un autre »327.

Théologien africain de l’Université de Leiden en Hollande, J. Kapitein


était confronté au problème de l’esclavage ; Il démontra que l’esclavage n’était

324
Je mets noir et blanc entre guillemets pour la simple raison, à mon avis, il n’y a qu’une
seule race, la race humaine et que la « coloration » relève de l’idéologie.
325
H. MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale, Paris,
L’Harmattan, 2016, p.225.
326
Cf. Ibidem, p.226.
327
Ibidem, p.226.
110

pas opposé à la liberté chrétienne et que ses frères de « race noire » peuvent
devenir chrétiens328.

C’est avec la colonisation que le débat sur la capacité des « Noirs »


(hommes sauvages, prélogiques) à philosopher débuta.

3.1.1. La période pré-tempelsienne

La philosophie bantoue de Placide Tempels reste une REFERENCE dans


l’histoire de la philosophie africaine quand bien même G. Bidima ne serait pas
de cet avis329.

Bilolo Mubabinge330, de par son Mémoire de Licence, nous apprend


qu’avant Placide Tempels existait un débat sur l’existence ou la non existence de
la philosophie africaine.

Certains reconnaissent l’existence des philosophies africaines collectives


ou populaires. Baron, en 1829, parlera de la Philosophie wolof ; Vanoverbechn
en 1907, de la Philosophie des Bangala ; A. Cureau, en 1912, de la Philosophie
de la religion des primitifs ; Thange, en 1925, de la Philosophie congolaise ;
Correja, en 1925, du Vocable religieux et philosophique des Ibo ; Mgr Lagger,
en 1925, des idées religieuses et philosophiques des Azande et Possoz, en 1938,
de la Philosophie nègre.

D’autres refusent aux Nègres la faculté de raison et l’argument est souvent


d’ordre raciste : Hume, Kant, Voltaire, Hegel, Lévi-Bruhl. Arnoux, en 1912, nia
aux Banyarwanda une philosophie ; P. Salkin, en 1920,nia aux Bantous la
philosophie, etc.

328
Cf. ID., Histoire de la philosophie africaine, p.46.
329
Cf. J.-G. BIDIMA, La philosophie africaine, Paris, PUF, 1995, p.12.
330
Cf. BILOLO Mubabinge, Contribution à l’histoire de la reconnaissance de la philosophie
en Afrique Noire traditionnelle 1900-1945. Présentation des textes et effort de
compréhension, Mémoire de Licence, Kinshasa, FTC, 1978.
111

3.1.2. Publication de Philosophie bantu331

3.1.2.1. Contexte et accueil du livre

Le contexte de la publication de la Philosophie bantu est celui de la


« colonisation de l’être » (l’expression est celle du Sud-Africain NDLOVU-
GATSHENI Sabelo), « lent processus par lequel l’être même de l’Afrique et des
Africains a été exproprié du domaine de la dignité humaine par plusieurs siècles
de domination occidentale »332.
En effet, la Philosophie Bantu de Placide Tempels réveilla certains
Africains du « Sommeil dogmatique » ou mieux du « somnifère philosophique »
dans lequel ils se retrouvaient à force d’avoir entendu, du matin au soir, que
l’Afrique était couverte de l’ombre de l’obscurité noire, qu’elle était « pré-
logique », que ses habitants étaient des « sauvages », qu’elle devrait accepter la
« mission civilisatrice ». Ces Africains se voyaient avec les lunettes ayant des
« unités » proposées sur mesure. Ils devraient atteindre l’état des « évolués »
pour manger « comme » des Blancs, marcher « comme » des Blancs, se coiffer
« comme » des Blancs, s’habiller « comme » des Blancs, parler « comme » des
Blancs, chanter « comme » des Blancs, etc. Ils étaient « aliénés » au sens
premier du terme : être étranger à soi-même. Le « Blanc » étant l’étalon de l’
« Humanité » et de la « Dignité » humaine. D’où ce livre est celui de la
REHABILITATION des Africains.
Dans ce contexte de la colonisation géographique et mentale, ce livre, en
réveillant certains Africains du sommeil dogmatique et en tirant à boulet rouge
sur certains Blancs imbus de la supériorité « fallacieuse », eut un accueil
différent et chez certains Africains et chez certains Blancs. Placide Tempels
affirmait l’existence de la philosophie bantu, et par surcroit, celle de la
philosophie africaine. Scandale pour les uns, reconnaissance pour les autres.
Quel était le but de Placide Tempels en rédigeant son livre portant sur la
philosophie bantu ? « Ce livre [Philosophie bantu] défend, en conclusion, la
thèse que le Blanc doit cesser de confondre sa mission avec une marche
triomphale de ses valeurs, de ses jugements et conceptions et avoir respect des

A.J. Smet nous apprend que le titre est Philosophie bantu et non La philosophie bantu. Lire
331

R.P. Placide TEMPELS, Philosophie bantu, introduction et révision de la traduction d’ A.


Rubbens sur le « texte original » par A.J. Smet, Kinshasa-Limete, Département de
Philosophie et religions Africaines, Faculté de Théologie Catholique, 1979.
332
D. ABADIE, « Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine »,
dans PhilosophiquesVolume 46, Numéro 2, Automne 2019, p. 279–298 [en ligne]
https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2019-v46-n2-philoso05083/1066771ar/ (page
consultée le 13 mai 2021).
112

valeurs humaines existantes… même dans l’œuvre de l’Evangélisation »333. Ceci


étant, Smet écrit que « l’objectif principal de Tempels n’était pas de réformer
certaines pratiques de la colonisation afin d’en améliorer l’efficacité »334. Ce fut
un « parricide ». En effet, Tempels a porté un jugement sévère sur le régime
administratif et l’administration belge exerça une forte pression sur les autorités
ecclésiastiques en leur demandant d’éloigner de la colonie « ce prêtre difficile »,
nous renseigne Smet. Monseigneur De Hemptine et Monseigneur Dellepiane
s’opposaient à Tempels et il est vrai qu’ils ont aussi joué un grand rôle dans le
fait de « tenir éloigné de la colonie » Tempels. Smet reste convaincu que si
Tempels avait « suivi de plus près les discussions autour de son livre, il aurait
sans doute été surpris d’être considéré comme un défenseur de l’ordre
colonial »335.
Certains philosophes africains diplômés des universités occidentales dont
Alexis Kagame, Mujynia, etc. ont accueilli favorablement le livre de Tempels et
ont continué le travail entrepris par Tempels. D’autres ont levé leurs boucliers
pour remettre en question le livre de Placide Tempels. Parmi ces derniers, je
retiens le premier nom, celui de Franz Crahay.
3.1.2.2. Problématique de la philosophie africaine
3.1.2.2.1. Existe-t-il une philosophie africaine ou une pensée africaine ?
Avant de répondre à cette question, il sied de signaler que, pour Smet,
deux notions, à savoir « atavisme » et « mission civilisatrice » ont discrédité
Tempels auprès de beaucoup d’Africains. Tempels a barré le terme atavisme et
l’a remplacé par « leur sagesse traditionnelle », et Smet regrette de voir l’Edition
de Présence Africaine retenir ce terme, celui d’atavisme.
Si Smet a passé sa vie à faire connaitre un « autre Tempels », Paulin
Hountondji, celui de « L’effet Tempels », de l’ « Ethnophilosophie » : le mot et
la chose d’une pensée pré-personnelle. Note sur « ethnophilosophie et idéo-
logique » de Marc Augé, a compris l’autre Tempels et lui a restitué sa valeur.
3.1.2.2.1.1. Pensée ou philosophie africaine ?
Un débat a surgi à la sortie de la Philosophie bantu336 de Placide
Tempels. S’agissait-il de la pensée africaine ou de la philosophie africaine ? la
pensée africaine est-elle synonyme de la philosophie africaine ? A quelle
condition peut-on parler de la philosophie africaine ? Toutes ces questions et
tant d’autres sous-tendent un présupposé philosophique : sa propre conception
de la philosophie. Voilà ce qui est en jeu. La mienne est dans l’Homocentrisme.
333
P. TEMPELS, cité par A. J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op. cit., p. 38.
334
A. J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op.cit., p. 38.
335
Ibidem, p. 44.
336
Dans ce livre, bantu sera aussi écrit bantou ou bantoue selon les auteurs.
113

3.1.2.2.1.1.1. Pensée
le substantif du pensée vient du verbe penser, et ce dernier dérive du verbe
latin « pensare ». Celui-ci signifie réfléchir. Mais que signifie pensée ? Celle-ci
est « tout ce dont nous avons conscience (c’est moi qui souligne). [Et] la pensée
désigne plus particulièrement l’acte de réfléchir (« penser, c’est juger », dit
Kant) ou le produit de la réflexion (les pensées de Pascal)…On distingue, en
toute rigueur la notion de « pensée », qui est réflexive, et celle de
« connaissance », qui porte immédiatement sur l’objet réel ( le monde, les
hommes, etc.) »337. De cette définition, la pensée est en l’homme et celui-ci en
est conscient. Ainsi, là il y a une réflexion, il y a « un retour sur soi, une
évaluation de son être, un éveil de la conscience ».338 Désignant, en outre, l’acte
de réfléchir, la pensée se manifeste comme présence à la conscience. En d’autres
termes, « dans la pensée, la présence est d’abord présence de la conscience à
elle-même »339.
Par ailleurs, la pensée peut se définir comme « un corps de jugements et
d’opinions accumulés par un individu au cours de son expérience existentielle,
ou par un groupe d’individus. C’est pour cette dernière considération que l’on
parle, alors, de pensée d’un peuple ou, mieux encore, de sa culture, de son
esprit »340, ce dont on est toujours conscient.
En outre, la pensée peut prendre plusieurs formes. Ainsi on parlera de la
pensée économique, pensée politique, pensée religieuse, pensée philosophique,
etc.341
3.1.2.2.1.1.2. Pensée africaine ou Philosophie africaine
De ce qui précède, je dirais, à la suite d’Hubert Mono Ndjana, le Gardien
du Temple de la Philosophie africaine, que « l’expression ‘pensée africaine’
devrait désignait toutes les productions mentales d’Africains, dont il est difficile,
même en anthropologie,, de faire un inventaire exhaustif »342. Ce sens paraissant
générique, Hubert Mono Ndjana reconnait que la philosophie ne s’occupe pas de
faire l’inventaire des productions mentales, mais elle s’occupe de produire.
D’où il préfère ne pas parler de « pensée africaine », mais de « pensée
philosophique » : « C’est bien cette acception qu’il faut avoir en vue quand on
entendra désormais l’expression ‘pensée africaine’. Le tout est de mesurer

337
D. JULIA, Dictionnaire de la philosophie, Paris, 1972, p.225.
338
P. KAUMBA LUFUNDA, « De la conscience réfléchissante à la réciprocité des
consciences », dans Langage et philosophie, Kinshasa, 1981, p.310.
339
Ibidem ; p.310.
340
H. MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale, Paris,
L’Harmattan, 2016, p.62.
341
Cf. Ibidem, p.62.
342
Ibidem, p.63.
114

maintenant l’étendue qu’elle recouvre quand elle désigne, comme convenu, la


philosophie africaine »343.
Hubert Mono Ndjana, pour être très précis dans sa réponse, argumente :
« On posera les questions suivantes : à quelles conditions peut-on parler de
pesée (sic) africaine ? Quelle aire géographique faut-il avoir dans cette
désignation ? Quel peuple, quelle époque ? Bref, quelle est son extension dans le
temps et dans l’espace ?...Ces observations épistémologiques étant données, il
apparait plus juste de ranger dans la catégorie de ‘pensée africaine’, c’est-à-dire
de philosophie africaine, toute philosophie proposée un jour par quelque natif
ou originaire de la terre africaine. Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, si l’on
peut dire. Et pareillement de la Méditerranée jusqu’au Cap. L’Afrique devient
donc seulement un cadre de référence global, qui ne doit pas empêcher des
références plus restreintes, plus précises et plus significatives, du genre :
philosophie camerounaise, philosophie rwandaise, etc. »344
De ce qui précède, nous avons la réponse : la philosophie africaine existe.
3.1.2.2.1.2. Quelle langue appropriée pour la Philosophie africaine ?
Niamkey n’a pas éludé la question de la langue de la philosophie
africaine (sixième partie de son livre) : « Quelle est la langue de la philosophie
africaine pour faire venir au jour ses présupposés théoriques ? ». En effet, parler
de la langue de la philosophie africaine ne suppose-t-il pas que la philosophie a
sa langue propre et que cette langue philosophique est distincte et différente de
la langue ordinaire, de la langue qu’on parle ? D’autre part, pourquoi pense-t-on
que la philosophie, pour être, implique nécessairement une langue
spéciale ? »345. A cette question, Niamkey répond : « Il n’y a pas une langue
philosophique, mais un usage philosophique de la langue »346. Niamkey, qualifié
de « populiste » par Hountondji, reste convaincu que la langue philosophique ne
peut se passer de l’existence du langage ordinaire. « Mais pour se démarquer de
celui-ci, elle transfigure les mots qu’elle lui emprunte en utilisant multiples
stratégies d’euphémisation »347.
En effet, la langue a comme fonction première la communication. De ce
fait, l’on peut utiliser n’importe quelle langue pour communiquer. Cependant, il
est souhaitable, à la suite de Kwasi Wiredu, d’opérer une « décolonisation
conceptuelle » : « Celle-ci passe par la réhabilitation des langues africaines. A
force de penser dans les langues européennes, nous avons fini par accepter

343
Ibidem, p.63. Je souligne.
344
Ibidem, p.63-65. Je souligne.
345
NIAMKEY Koffi, Controverse sur la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2018, p.
145.
346
Ibidem, p. 147.
347
Ibidem, p. 157.
115

comme évidentes et aller de soi des propositions qui n’auraient aucun sens si
nous essayions de les traduire ou de les reformuler dans nos langues »348. Et
Kwasi Wiredu lançait sous forme de slogan : « Philosophes africains, apprenons
à philosopher dans nos langues »349.
Bref, Ngoma-Binda résume ce débat portant sur la langue de la production
philosophique. Ainsi il parle de la « ligne radicaliste…naguère tracée par
Cheikh Anta Diop, qui plaide pour l’usage immédiat, aujourd’hui et en Afrique,
des langues africaines »350. Dans cette classe il aligne aussi Nzege, Hountondji et
Kwasi Wiredi. Il existe aussi la ligne modérée défendue par Eboussi Boulaga
pour qui « il faut aborder le problème linguistique d’une manière
‘pragmatique ‘. Il entend par là qu’il faut utiliser les langues africaines là où cela
est possible ; mais aussi et surtout, il faut laisser aux Africains la liberté
d’utiliser les langues étrangères qu’ils maîtrisent pourvu qu’ils ne prennent pas
ces langues comme trait distinctif d’une culture supérieure »351. Les raisons
évoquées en faveur des langues africaines sont principalement quatre : la
démocratisation du savoir( la diffusion du savoir se réalisera mieux et
efficacement en utilisant la langue parlée par « la communauté tendue vers son
auto-transformation qualitative »),l’ économie intellectuelle et financière
( « l’utilisation des langues africaines constituerait [pour nos étudiants], à coup
sûr, une sérieuse économie intellectuelle, et financière puisqu’ils passeraient un
peu plus facilement de classe ») ;l’argument de la relativité linguistique (toute
langue véhicule une vision et une conception du monde ; d’où « on traduirait
mieux la richesse de la pensée africaine en ses multiples nuances
expressionnelles » )et l’homme vit aussi de fierté (argument de nature
psychologique)352. Mon point de vue est déjà donné quant à ce.
3.1.2.2.1.3. Qui sont les philosophes africains ?
Qui sont les philosophes africains ? fut une question lancée comme
objection contre l’Ethnophilosophie. A ce propos, Hountondji donne sa célèbre
réponse : « J’appelle philosophie africaine un ensemble de textes : l’ensemble
précisément des textes écrit par les Africains et qualifiés par leurs auteurs eux-
mêmes de « philosophiques » »353. Est philosophe africain, selon cette citation,
l’Africain qui se dit philosophe pour avoir produit un texte qu’il qualifie de
348
P. HOUNTONDJI, Seize questions sur la philosophie africaine. Entretien de Valérie
Marin la Meslée avec Paulin Hountondji , questions posées par courriel du 19 décembre 2008,
publié en version abrégée par Le Point N°22 avril-mai 2009, pp.82-83 et publié le 23 août
2010 sans Africultures.
349
WIREDU Kwasi, cité par Ibidem.
350
P. NGOMA-BINDA , La philosophie africaine contemporaine : analyse historico-critique,
Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p.199.
351
Ibidem, p.201.
352
Cf. Ibidem, p. 202-204.
353
P. HOUNTONDJI, cité par NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 180.
116

philosophique. Niamkey s’est interrogé en ces termes : « Qui nomme qui ? Qui
dit ceci est cela ? Que ceci est philosophique ou non ? Et c’est dans l’entreprise
taxinomique que se manifeste le mépris de l’autre. Mépris qui consiste à
nommer l’autre d’un terme péjoratif renvoie à une différence culturelle qu’on
convertit en différence hiérarchique, c’est-à-dire en inégalité »354. Ainsi,
Niamkey nous invite pour répondre à la question « Qui sont les philosophe
africains ? » à « nous décoloniser intellectuellement et [à] décoloniser la
terminologie, le regard et la langue [dont] nous nous servons pour
exprimer et expliquer nos sociétés et les faits de culture de nos sociétés »355.
Hubert Mono Ndjana a ses critères : aire géographique, toute philosophie
proposée un jour par quelque natif ou originaire de la terre africaine, l’Afrique
comme cadre de référence global
Pour répondre à cette question je me réfère à mon livre Philosophie pour
tous. Introduction thématique à la philosophie occidentale et à la philosophie
africaine356
Sur quoi doit-on se baser pour qualifier un écrit de philosophie
africaine ? S’agira-t-il :
Du genre des problèmes étudiés ?
De l’appartenance géographique ?
De la langue de production ?
De parler Sur, De et À partir de l’Afrique ?
Je pense que
Par-delà le genre des problèmes étudiés, l’appartenance géographique, la langue
de production et l’Afrique, il y a l’Identité357.

354
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 181.
355
Ibidem, p. 181. Je souligne.
356
L. MPALA Mbabula, Philosophie pour tous. Introduction thématique à la philosophie
occidentale et à la philosophie africaine, Paris, Edilivre, 2016, p.141-142.
357
Sur ce point j’ai eu à discuter avec Jean Éric BITANG de l’Université de Douala. Il
préfère le concept nationalité à celui d’identité. Pour lui, le premier concept est plus
opérationnel et à ce propos, il écrit : « L’identité est plus propice, mais il faudrait qu’on lui
substitue le concept plus opérationnel et plus concret de nationalité (…). Est philosophie
africaine toute production philosophique dont l’auteur a la nationalité de l’un des 53 pays qui
composent le continent Africain. L’africanité ne devient ici que la caractéristique de la
nationalité des sujets qui philosophant et produisant de la philosophie, communiquent cette
nationalité à leurs œuvres » ( Jean Éric BITANG, contre Monsieur Folscheid et pour la
philosophie africaine [en ligne] https://jeanericbitang.wordpress.com/2011/09/28/contre-
monsieur-folscheid-et-pour-la-philosophie-africaine/(page consultée le 12 avril 2016). Prière
117

De ce fait, on aura, à mon humble avis, le


Philosophe africain faisant la philosophie occidentale
Philosophe européen produisant la philosophie africaine
Philosophe africain de la philosophie africaine
Ceci étant, je retiens que
le Philosophe africain de la philosophie occidentale et le philosophe africain
de la philosophie africaine font, tous les deux, partie de la philosophie
africaine et de son histoire. Alors, rien de surprenant qu’ils soient de
l’expression française, anglaise, espagnole, portugaise, etc 358. Tout dépend de
l’IDENTITE.
N.B. : Je suis conscient du débat que peut engendrer la notion
d’identité à ne pas confondre à celle de nationalité. De ce fait, je ne partage pas
l’idée d’Emmanuel Biangany pour qui est « philosophe africain, toute personne,
native de l’Afrique ou pas, qui réfléchit sur les réalités, conceptions, croyances
et diverses expériences culturelles négro-africaines »359.
3.2. Critique de la Philosophie bantou de P. Tempels et de
l’Ethnophilosophie
3.2.1. Franz Crahay360 et le décollage conceptuel : condition d’une
philosophie bantoue

de lire ma réaction et sa réaction à la mienne. Il a, à dire vrai, démonté l’argumentaire du


sophiste hégélien Dominique Folscheid (Folscheid D., « De la philosophie africaine et
ailleurs», in Exchoresis, Revue Africaine de Philosophie, n° 7,Novembre 2008, p. 1. Url :
http://exchoresis.refer.ga/IMG/pdf/D._Folscheid_Preface.pdf) comme je l’ai fait avec
l’hégélien Bernard Stevens.
358
Je sais que Ngoma-Binda , dans son livre La philosophie africaine contemporaine : analyse
historico-critique, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1994, p.20, ne partage pas ce
point de vue. Pour lui, dire que « tout être humain, quels que puissent être sa race, son pays ou
son continent, pourrait ainsi produire de la philosophie africaine (…) [est], de toute évidence,
une aperception inconsistante de la réalité historique » (p.20).
359
E. BIANGANY Gomanu Tamp’wo, L’odyssée de la philosophie négro-africaine (par
devoir de mémoire et de vérité), Kinshasa, Editions Universitaires de Logos, 2008, p.114.
360
F. CRAHAY, « Le décollage conceptuel : condition d’une philosophie bantoue », dans
Diogène n°52 (1965), p. 61-84.
118

Raymond E. Mutuza Kabe361 résume bien la pensée ou mieux la critique


de Franz Crahay faite à La philosophie bantu de Placide Tempels. Franz Crahay
adresse trois reproches à l’œuvre de Tempels :
Titre du livre : il y a une confusion à propos du concept philosophie. Sens
vulgaire et sens informé.
« La persistance de pareille confusion tout au long du livre »362 quand il parle de
philosophie, de métaphysique, etc.
« Dans l’ensemble, une assise et une terminologie philosophique floues jetant la
surprise sur maintes affirmations »363 comme celles concernant, par exemple, les
rapports de la philosophie et de la science.
Insistant surtout sur le premier reproche, F. Crahay finit par définir la
philosophie comme « une réflexion explicitée, analytique, radicalement critique
et autocritique, systématique au moins en principe et néanmoins ouverte, portant
sur l’expérience, ses conditions humaines, les significations et les valeurs qu’elle
révèle »364. D’où pour une philosophie bantoue, le décollage conceptuel
s’impose et certaines conditions sont à remplir pour que cette philosophie
s’installe. Entre autres, il faut :
Du personnel qualifié, des philosophes ;
Des réflecteurs qu’on aura suite au « contrat [contact ?] prolongé avec les
grandes traditions philosophiques existantes, contrat qu’il appelle métissage
culturel bien conçu »365 ;
Un inventaire des valeurs à sauver : « attitudes, ressources linguistiques,
symboles,… »366 ;
Un décollage : « décoller ici voudrait dire entrer décidemment dans l’âge de
la réflexion achevée, critique, autocritique et constructive. Il s’agit, en
somme, pour la pensée, de décoller franchement du mythe ; pour la
conscience réflexive, de se dépendre de la conscience mythique »367 ;

361
R.E. MUTUZA Kabe, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine.
Apport des philosophes zaïro-congolais, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines et
L’arc-en-ciel, 2008.
362
Ibidem, p. 68.
363
Ibidem, p. 68.
364
F. CRAHAY, cité par Ibidem, p. 69.
365
R.E. MUTUZA Kabe, Op. cit., p. 69.
366
Ibidem, p. 69.
367
Ibidem, p. 69-70.
119

« L’attitude souhaitable des intellectuels bantous en face de la culture nouvelle à


élaborer par l’inévitable voie d’un immense travail d’assimilation et, le cas
échéant, fort prudente naturalisation »368.
Peut-on affirmer qu’avec F. Crahay la philosophie africaine n’existe pas ?
D’aucuns soutiennent que F. Crahay nie l’existence de la philosophie africaine,
de par les conditions qu’il donne et qui montrent que F. Crahay prône le
métissage culturel et un immense travail d’assimilation.
A ce propos, Alfons Josef Smet a sa propre lecture. Après une analyse
minutieuse de l’article de F. Crahay, Smet constate que pour Crahay « il n’existe
pas, à ce jour, de philosophie bantoue »369. Mais, ajoute Smet, comme s’il
voulait se reprendre, « il [Crahay] ajoute en note : « Remarquons que nous
n’avons pas conclu à l’inexistence de toute philosophie négro-africaine, encore
que le bilan en soit mince »370. Cependant, Smet signale « que cette note ne
figurait pas dans le texte de sa fameuse conférence »371 et prend à témoin Elungu
Pene Elungu qui avait assisté à sa conférence. Cette note de F. Crahay se
comprend en ce sens : « Il y avait certes, au moment d’autres événements
importants au ciel philosophique africain, comme « présence africaine » avec
Alioune Diop, Sékou Touré et surtout « le Consciencisme » de Nkrumah qui
n’était lui non plus épargné par Crahay. C’est devant Nkrumah que Crahay se
rendait compte qu’il devait adopter une position plus nuancée… »372.
De ce qui précède, l’on retient que F. Crahay n’a pas conclu à
l’inexistence de toute philosophie négro-africaine, encore que le bilan en soit
mince. Entre la tenue de la fameuse conférence et la publication de l’article, la
nuit a apporté conseil. D’où cette note.
Toutefois, Smet relève que la critique de Crahay a « élevé à l’âge adulte,
la jeune philosophie de l’Afrique373. C’est délibérément que je [Smet] dis : la
philosophie de l’Afrique, et non la philosophie africaine… Cette philosophie
bantou semblait enfermer l’homme dans son passé… Peut-être Crahay ne s’est-il
pas rendu compte que Tempels ouvrait un débat, un débat qui n’était pas
exclusivement philosophique… »374.
Par ailleurs, Smet souligne que « la critique de Crahay est encore une
provocation des philosophes Africains (sic). Je [Smet] veux dire ceci : la prise

368
Ibidem, p. 70.
369
F. CRAHAY, cité par A.J. SMET, Op. cit., p. 26.
370
Ibidem, p. 27.
371
A. J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op.cit., p.30. Je souligne.
372
Ibidem, p. 29.
373
C’est comme si c’est à présent que l’Africain apprenait à philosopher.
374
A. J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op.cit., p.30.p. 30.
120

de position de Crahay se présente comme un défi et a suscité un débat entre


Africains (…) »375.
3.2.2. Hountondji et Towa. Critique de l’Ethnophilosophie376 : méthode et
statut
De prime abord, je tiens à souligner que le philosophe a peur de sa
conscience et de Dieu s’il est croyant. En outre, le philosophe tient à sa position
jusqu’à preuve du contraire. Et si le contraire le convainc, il est toujours prêt à
débusquer ses erreurs, selon Karl Poper et à rebrousser chemin, selon Emmanuel
Kant. Qu’est-ce à dire ? Paulin Jidenou Hountondji et Marcien Towa ont eu à
rebrousser chemin quant à ce qui concerne leurs critiques faites à
l’ethnophilosophie. Ainsi, dans cette section, il s’agira de Paulin Hountondji I et
de Marcien Towa I. Malheureusement, il y a encore certains historiens de la
philosophie africaine377 qui semblent ne pas suivre l’évolution de la pensée de
certains philosophes africains. Hubert Mono Ndjana fait l’exception quant à
ce378.
3.2.2.1. Critique de la méthode de travail tempelsienne
« Pour avoir cherché à comprendre la pensée profonde des bantou à partir
des données ethnologiques de ces peuples, l’entreprise philosophique de
Tempels et sa suite (Kagame, Mulago, Mujynya, Mbiti, Fouda, Makarakiza,
etc.) a été péjorativement dénommée « ethnophilosophie » par Hountondji I et
Towa I : leur méthode de travail a été dite « retrojective », leur intention taxée
recherche passionnée d’une « hypothétique philosophie collective »379 .
R.E. Mutuza Kabe cite le texte de Paulin Hountondji, publié en 1968 dans
la revue Présence Africaine, dans lequel il a déclaré la guerre à tout « article
d’ethnologie, au sens traditionnel du mot »380 et que sa rubrique philosophique
de cette revue accueillera « tous les articles de critique et de réflexion
philosophique dus à des africains et susceptible d’aider, directement ou

375
Ibidem, p. 30.
376
D’autres écrivent Ethno-philosophie en deux mots.
377
- DOSSOU Y. Davy, Philosophie africaine : principaux courants et perspectives, Paris,
Edilivre, 2015. Il ignore l’existence de Paulin Hountondji II.
- NIAMKEY Koffi, Controverse sur la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2018. Ce
philosophe ignore que Paulin Hountondji des années 70 n’est plus. Ignorance entretenue( ?).
378
Cf. H. MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale,
Paris, L’Harmattan, 2016, note 292. Je souligne. Il signale qu’en 1983, au cours du Colloque
de philosophie organisée à l’Ecole Normale Supérieure de Yaounde, Paulin Hountondji s’est
expliqué que le mot ethnophilosophie ne vient ni de lui, ni de Towa, mais de Nkrumah.
379
P. NGOMA-BINDA, La philosophie africaine contemporaine. Analyse historico-critique,
Kinshasa, FCK, 1994, p. 46.
380
P. HOUNTONDJI, cité par R.E. MUTUZA Kabe, Op.cit., p.71.
121

indirectement, à la prise de conscience des réalités africaines et à leur mise en


question révolutionnaire »381.

3.2.2.1. Critique du statut de la philosophie africaine


En effet, Paulin Hountondji382 s’est attaqué aux écrits de Tempels et de
Kagame, écrits qualifiés d’ethnophilosophie, enfermant les bantous dans une
philosophie collective.
L’ethnophilosophie étant dénoncée comme un mythe fabriqué par
Tempels, a des conséquences fâcheuses, car elle est à la source du piétinement
de la pensée qui se voudrait authentiquement africaine. De ce fait, elle fait de la
philosophie africaine un mythe, un ensemble de visions du monde
collectives et inconscientes383.
Hountondji comme Towa, pour les résumer, diront que
l’ethnophilosophie admet l’unanimisme, « qu’elle ne relève ni de l’ethnologie,
ni de la philosophie. Elle trahit les deux à la foi (sic). N’étant donc pas
réellement de la philosophie, mais présentée néanmoins comme telle malgré son
unanimisme qui contredit la quête individuelle de la vérité ou du souverain bien,
Fabien Eboussi Boulaga n’y voit qu’une malheureuse tentative de
mimétisme de la part d’un sujet sans consistance »384.
Bref, les ethnophilosophes sont victimes du complexe d’infériorité et
cherche à s’en débarrasser en disant : « Nous aussi nous avons des
philosophies ».
Soulignons en passant que Hountondji I, devenu Hountondji II, fit cet
aveu : « J’ai d’abord été séduit par l’idéal husserlien d’une philosophie
conçue comme ‘ science rigoureuse’ »385. Avant lui, Platon, Descartes, Kant,
Husserl se sont cogné leurs têtes contre la « pierre philosophique » en voulant
faire de celle-ci une « science rigoureuse ».
Reconnaissons que Crahay, Hountondji, Towa, Eboussi, etc. n’ont pas
réglé la question de la philosophie africaine car ils ont croisé sur leur chemin
l’Ecole ivoirienne qui les qualifia de tous les maux et épithètes possibles. Je
381
Ibidem
382
Cf. P. HOUNTONDJI, « Remarques sur la philosophie africaine contemporaine », dans
Diogène n°71 (1970), p. 120-140.
383
Cf. IDEM, Histoire du mythe, Paris, Présence Africaine, 1974.
384
H. MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale, p. 205.
385
P. HOUNTONDJI, Seize questions sur la philosophie africaine. Entretien de Valérie
Marin la Meslée avec Paulin Hountondji , questions posées par courriel du 19 décembre 2008,
publié en version abrégée par Le Point N°22 avril-mai 2009, pp.82-83 et publié le 23 août
2010 sans Africultures.
122

retiens Niamkey Koffi comme représentant des critiques des critiques de


l’ethnophilosophie.
3.3.1. Critiques de Critiques
3.3.1. Niamkey Koffi, maître de l’éristique de la philosophie africaine
Relevons relever les critiques adressées à Hountondji qu’il appelle
(ironiquement) le philosophe africain et Towa. Le philosophe ivoirien Niamkey
Koffi n’avance pas masqué sur le champ de bataille. Il est à découvert et
annonce ses couleurs : La philosophie africaine existe et « le concept de
« philosophie africaine » est un mot qui désigne les diverses philosophies
africaines dans leur masse »386. Ceci étant, Niamkey pense que « l’histoire de la
philosophie telle qu’elle a été constituée est l’histoire d’un mythe : le mythe de
la Philosophie en soi qui, du ciel aurait débarqué en Grèce comme en un point
de chute. La philosophie n’a pas une origine unique, car elle n’est pas une, elle
n’a pas l’unité d’un sujet »387.
3.3.1.1. De Towa à Hountondji : hagiographie de la philosophie élitiste-
occidentale
Dans son chapitre De Towa à Hountondji : hagiographie de la
philosophie élitiste-occidentale, Niamkey résume la critique faite à
l’ethnophilosophie confondant « vraie et fausse philosophie » et ce qu’elle
nomme imprudemment philosophie africaine « n’est qu’une fausse philosophie,
ou plus exactement, une non philosophie, une vision collective du monde. Nous
n’aurions donc pas dans nos sociétés africaines précoloniales de philosophie au
sens rigoureux du terme »388. Towa, quant à sa part, croit que le secret de la
puissance européenne est à interroger à sa philosophie. « Mais en interrogeant la
philosophie européenne, nous [Towa] ne cherchons pas comme
l’ethnophilosophie à en élargir le concept pour pouvoir revendiquer aussi une
philosophie »389. Constatant, de ce fait, que la philosophie africaine est à faire,
Hountondji a proposé de renoncer à la question « Existe-t-il une philosophie
africaine ? » et de la substituer par une autre : « Qui est philosophe africain ? ».
Pour Niamkey, un tel déplacement est justifié par la « découverte » d’Amo,
philosophe d’origine ghanéenne formé en Allemagne. « Au fond, pense
Niamkey, pour Hountondji, Amo (Antoine-Guillaume) est à considérer comme
philosophe africain non pas parce qu’il est Africain, mais surtout parce qu’il est
un Africain devenu philosophe dans et par la tradition occidentale de
philosopher »390. Qu’à cela ne tienne ! « En fait, qui décrète que tel est
386
NIAMKEY Koffi, Op.cit., p. 17.
387
Ibidem, p. 19.
388
Ibidem, p. 22.
389
M. TOWA, cité par Ibidem, p. 22.
390
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p.33.
123

philosophe et de surcroît philosophe africain aujourd’hui et hier ? »391. Ceci


étant dit, Niamkey fera remarquer qu’Amo comme Hountondji et Towa
sont de l’école occidentale et le déplacement de la question demeurant
intacte et massive n’est justifiée par aucune découverte, n’ayant aucune
signification heuristique. Invitant Hountondji et Towa à rompre à tout
« élitisme », Niamkey propose de reprendre et de résoudre la question « Existe-
t-il une philosophie africaine ? » en s’inspirant de Marx et de Gramsci. Voilà
pourquoi il fait voir à Hountondji et Towa que leurs productions philosophiques
et leurs positions sociales d’intellectuels relèvent du rapport de production d’un
mode de production capitaliste les plaçant dans une classe sociale hégémonique
refusant « le titre de philosophie aux pensées de provenance populaire »392. De
ce fait, l’on est en mesure de comprendre « d’où » ils parlent lorsqu’ils refusent
de reconnaitre comme « vraie » philosophie « les pensées africaines
précoloniales qu’ils jugent comme étant des philosophies spontanées et
implicites »393. Voilà la « clé » pour comprendre la quintessence de la critique
niamkeyenne contre Hountondji et Towa : « Hountondji et Towa sont élitistes et
appartiennent à un groupe social hégémonique ayant la volonté de dominer la
totalité sociale en la soumettant à son idéologie dominante promue au rang de
« bonne » pensée ou pensée systématique »394.
3.3.1.2. D’où parlent Towa et Hountondji ?
En répondant à la question D’où parlent Towa et Hountondji ?
(deuxième chapitre de la première partie), l’on comprendra qu’en « « chiens de
garde », ils accusent tous les partisans de l’existence d’une philosophie africaine
de distendre la notion de philosophie jusqu’à en faire l’équivalent de la notion
de culture »395. De fait, la « notion de philosophie » est leur chasse gardée. Pour
Niamkey, partisan de l’existence d’une philosophie africaine précoloniale,
prêt à faire travailler le concept de philosophie sur les pensées africaines
précoloniales, « l’élargissement du concept de philosophie désigne non pas un
oubli de la rigueur, mais une récusation à la fois du modèle libéral et du
modèle académique autoritaire pour questionner par-delà les modèles
idéologiques fournis par les philosophes traditionnels, la réalité de la pratique
philosophique elle-même dans le mode de production spécifique où elle est
incluse »396. Bref, à bas le cautionnement de l’hégémonie de la philosophie
occidentale dont Hountondji et Towa sont hérauts proclamant à qui veut les
entendre qu’ « il n’y aura de philosophie africaine que dans la mesure où les
Africains produiront une philosophie née de l’assimilation ou de la digestion des

391
Ibidem, p. 27.
392
Ibidem, p. 23.
393
Ibidem, p. 28.
394
Ibidem, p. 28.
395
Ibidem, p. 25.
396
Ibidem, p. 25-26. Je souligne.
124

philosophies occidentales [Réflecteurs de F. Crahay] dispensées dans les écoles


importées d’Europe »397. Marcien Towa propose même la conquête de la
philosophie occidentale afin que devenus comme l’occident, nous soyons
incolonisables. Ce à quoi Niamkey répond ironiquement : « Heureuse solution
qui consiste en la suppression du monde par la suppression de notre conscience
du monde. Tel est cet homme qui croit avoir supprimé le danger parce qu’il
s’est évanoui ! »398. Je souris. Voilà qui fait dire à Niamkey qu’ « en réalité, ses
positions [de Towa] restent dans la droite ligne de la politique coloniale
d’assimilation culturelle qui a conduit à la création d’une Intelligentsia
noire »399. Parlant du lieu de l’ « Intelligentsia noire », « en tant
qu’intellectuels, fait remarquer Niamkey, Towa et Hountondji sont
incapables de s’imaginer que « tous les hommes sont des intellectuels, mais
tous les hommes n’ont pas dans la société la fonction d’intellectuels »400. Et
puisqu’il en est ainsi, pense Niamkey, Towa et Hountondji sont des
intellectuels organiques défendant la classe hégémonique,
De ce qui précède, Niamkey tire une conclusion : « En réalité, les
attributs « vraies » et « fausses » dissimulent et désignent à la fois la lutte entre
les idées officielles et les idées subalternes, les premières étant dominantes, les
secondes dominées »401. Qu’est-ce à dire ? En purs intellectuels, Towa et
Hountondji ne font que « reproduire la division institutionnelle de la société
entre une philosophie savante pour « ceux d’en haut » - l’élite ; et une autre
(religion en dernière instance) pour « ceux d’en bas », les masses. Ils demeurent
des constructeurs d’idéologies pour gouverner les autres en bons intellectuels
traditionnels »402. Et Niamkey clôt ce chapitre en prodiguant ce conseil :
« Nous pensons que dans le débat sur l’existence d’une philosophie
africaine, il ne faut pas tomber dans la triviale banalité selon laquelle « si
tous pensent, quelques-uns seulement pensent bien et beaucoup pensent
mal »403. Et de ce fait même, ils conçoivent « le travail intellectuel comme une
« profession » inaccessible spontanément aux larges masses »404.

397
Ibidem, p. 26.
398
Ibidem, p. 26. Je souligne.
399
Ibidem, p. 26.
400
Ibidem, p. 27. Cf. Antonio Gramsci.
401
Ibidem, p. 28.
402
Ibidem, p. 29. A. Gramsci parle en Niamkey.
403
Ibidem, p. 30.
404
Ibidem, p. 28.
125

3.3. 1.3. Sur Philosophie et philosophies dites populaires ou spontanées


Au chapitre troisième, Philosophie et philosophies dites populaires ou
spontanées, Niamkey Koffi énonce sa Thèse : « Nous avons dit et soutenu la
thèse selon laquelle philosophie officielle et philosophie spontanée sont
toutes deux des conceptions du monde et de la vie. La différence spécifique
que l’on pourrait instaurer entre elles découle du fait que la pensée des
philosophes de profession se nourrit de l’histoire officielle de la « Pensée »
qu’elle a assimilée de telle sorte qu’elle ne trouve que les interdits. Ce n’est
donc pas la systématicité et la logicité qui distingueraient l’une de l’autre,
dans la mesure où comme nous le montrerons, la logique est la première
aventure du discours [de tout sujet parlant] et aussi dans la mesure où dans
le domaine de l’activité intellectuelle et spéculative, la logique est plutôt un
ajustement qu’une rigueur scientifique »405. Puisqu’il en est ainsi, les
philosophies officielles se distinguent de la philosophie populaire par leur
politique de la lecture et leur re-écriture différentielle de l’histoire de la
pensée406.
En outre, Niamkey a fait voir que les philosophies africaines
précoloniales sont nées en étroite relation avec l’organisation sociale comme
la philosophie grecque est la fille de la cité. Il le démontre en partant des
modes de production sociale africaine dont les unités de production sont les
cellules familiales, les cercles d’amis, les groupes d’âge ou d’association à base
économique, culturelle et/ou religieuse. Dans ces unités de production, l’aîné
joue un grand rôle. Etant dépositaire du savoir, il a la suprématie et contrôle le
producteur. Point n’est besoin de rappeler que « l’acquisition du savoir se fait
avec le temps et coïncide avec l’âge physiologique… L’acquisition et la
détention du savoir auront pour effet de renforcer l’autorité des plus âgés sur les
plus jeunes »407 . Les Aînés consolideront leur contrôle sur la société en
érigeant des barrières sur la voie d’accès au savoir. Louis Althusser, dans les
sociétés modernes, donne à ces barrières le nom d’ « appareils idéologiques
d’Etat », à savoir l’Ecole, la famille, la religion, etc. Dans les sociétés africaines
précoloniales, les appareils idéologiques sont « les sociétés d’initiation, les
pratiques nyctosophiques ou sorcellerie, la famille étendue, clan, lignage, la
différence des statuts des individus, etc. »408. Après avoir passé en revue le
niveau économique, le niveau juridico-politique et le niveau idéologique de ces
sociétés africaines précoloniales, Niamkey fait savoir qu’on verra surgir sur le
sol juridique, économique et politique « des philosophes apologétiques c’est-à-
dire des philosophes qui vont exalter le principe de la solidarité clanique,
ethnique, fraternelle et le principe du primat de l’âge comme source de la
405
Ibidem, p. 31.
406
Cf. Ibidem, p. 32.
407
C. MEILLASSOUX, cité par Ibidem, p. 40.
408
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 41.
126

sagesse »409. La force de travail humain étant considérée comme l’élément


dominant du procès de production, une philosophie spécifique fera jour où
seront « exaltées les grandes valeurs idéologiques que sont la loyauté, la piété
familiale, l’obéissance et la vie (ou fécondité procréatrice). Ces philosophies
d’agrégation visent à assurer l’ordre gérontocratique, l’autorité spirituelle et
l’autorité maritale. Au-dessus de l’autorité politique on placera l’autorité
spirituelle qui est présentée comme la manifestation de la volonté du ciel. Ici, va
s’élaborer la théorie des forces comme idéologie du pouvoir dont les pratiques
nyctosophiques sont l’expression »410.
Dans les sociétés africaines précoloniales existent des producteurs des
philosophies dominantes. Ce sont des « nyctosophes », appelés actuellement
sorciers, devins, guérisseurs, bref, les « maitres de vérité »411. Ils occupent
officiellement la fonction d’intellectuels. Leurs pratique servent des textes et ont
une seule visée fondamentale : servir la pratique sociale et leur fonction
idéologique est de renforcer ou de liquider l’ordre social.
De ce qui précède, Niamkey retient que « la philosophie, en tant que
pratique idéologique débouchant sur une certaine politique, ne saurait être
ni l’apanage d’une société si « évoluée » soit-elle, ni l’apanage des
intellectuels précoloniaux »412.
Comme Towa et Hountondji ont opté pour les idéologies discontinuistes
rompant avec le passé, et ce, sans justification, Niamkey les accuse du
« snobisme intellectuel »413. L’on doit toujours tenir à l’esprit ce constat : « En
effet, si nous sommes les intellectuels d’aujourd’hui, c’est parce que la culture a
changé de classe et par conséquent de nature, compte tenu de la subversion
coloniale dont la politique d’assimilation culturelle a conduit à la création d’une
nouvelle intelligentsia noire précoloniale »414.

3.3.1.4. De la distinction entre philosophie et philosophies dites populaires


Dans la deuxième partie de son livre partant de la pensée de Towa et de
Hountondji, Niamkey cherche à instaurer un débat interafricain pour « corriger
les bévues et les myopies intellectuelles des uns et des autres en vue d’une
renaissance culturelle africaine non hypothéquée ni par le dogmatisme ni par
l’obscurantisme »415.
409
Ibidem, p. 41.
410
Ibidem, p. 41-42.
411
Ibidem, p. 42.
412
Ibidem, p. 43.
413
Ibidem, p. 43.
414
Ibidem, p. 44.
415
Ibidem, p. 45. Je souligne.
127

Niamkey affronte Towa et Hountondji sur le terrain ou front De la


distinction entre philosophie et philosophies dites populaires (chapitre premier).
Niamkey s’en va en guerre contre l’apologie idéologique de la philosophie qui
fait de celle-ci une « discipline théorique spécifique ayant ses exigences propres
et obéissant à des règles méthodologiques déterminées, au même titre que la
mathématique, la physique, la chimie, etc. »416. Pour Hountondji, la philosophie
est une science parmi les sciences. Niamkey pense que cette définition de la
philosophie comme discipline scientifique provient de la distinction opérée entre
philosophie et philosophie dite populaire, la première étant considérée comme
production individuelle privée. Ce choix théorique, opine Niamkey, fait
d’Hountondji et Towa « prisonniers de la conception académique dans laquelle
la philosophie se couvre de nuées en s’auréolant de la scientificité »417.
Niamkey convoquera Platon, Descartes, y compris Kant, devant le
tribunal de l’histoire de la philosophie et pour cause, avoir voulu faire de la
philosophie une science.
La philosophie n’est pas fondatrice des sciences. A la suite de Louis
Althusser, il affirme que « la nature du rapport que la philosophie entretient avec
les sciences est un rapport d’exploitation »418. Ainsi Platon explicitera la
mathématique pythagoricienne et Descartes la science physico-mathématique.
« Bref, la philosophie comme science est une imposture »419, déclare Niamkey. Il
a raison. Tout discours philosophique sur la science reste et restera
philosophique.
Par ailleurs, le philosophe de la Côte d’Ivoire a remis en question la
conception selon laquelle la philosophie serait une production intellectuelle
privée. S’appuyant sur Gramsci, sans le citer, Niamkey affirme « qu’en vérité,
dans l’entremise philosophique, il n’y a pas production privée, mais
appropriation privée d’un savoir collectivement produit »420. Voilà pourquoi
Niamkey ne s’indigne pas tout en affirmant que « toute philosophie est un
plagiat nécessaire de l’opinion »421.
Par ailleurs, argumente Niamkey, c’est parce que dans les sociétés
africaines précoloniales le mode de production était collégial qu’une
production intellectuelle n’est rattachée à tel ou tel autre. Ceci étant, « aucun
maitre des « écoles » africaines précoloniales dites « sociétés d’initiation » ne

416
P. HOUNTONDJI, cité par Ibidem, p. 47-48.
417
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 48.
418
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 49. Je souligne.
419
Ibidem, p. 51.
420
Ibidem, p. 59. Je souligne.
421
Ibidem, p. 62. Je souligne.
128

saurait se prétendre le dépositaire du savoir dont il a charge de régler la


diffusion »422.
De ce qui précède, Niamkey conclut : tout celui qui dit que la
philosophie populaire n’est pas philosophie croyant que celle-ci est une
production privée, celui-là fait élision « des deux conditions fondamentales
de l’émergence de toute philosophie à savoir : l’appropriation du savoir et
les conditions matérielles d’existence. Quel philosophe n’a-t-il pas lu dans
les textes et dans les choses ? Et y a-t-il un philosophe ignorant de
« l’histoire de la philosophie ? » »423.
3.3.1.5. Sur la philosophie spontanée et débat sur l’écriture
En outre, Niamkey s’attaque à la critique de Towa et de Hountondji pour
qui la pensée africaine précoloniale fait figure de philosophie spontanée. Pour
Niamkey, Towa et Hountondji interviennent philosophiquement sur la
philosophie africaine en la traitant de spontanée. Qu’est-ce à dire ? « C’est par
une médiation philosophique qu’elle se « présente » - c’est-à-dire est présentée –
comme philosophie spontanée. C’est donc un effet – philosophie, une thèse
philosophique, une position qui relève du mépris séculaire des professionnels de
la pensée à l’égard des pensées autres »424. Cette attitude relève de la lutte pour
la domination. Towa et Hountondji, pense Niamkey, prennent position pour les
pensées en domination, celle d’une classe, contre les pensées sous domination,
celle d’une autre classe.
Peut-on parler de la philosophie en l’absence de l’écriture ? Pour
Hountondji, la véritable philosophie africaine ne commence qu’à partir du
moment où intervient « l’instance du document, de l’archive, de la trace visible,
de l’écriture empirique »425. Hountondji s’accroche à l’écriture livresque et
ignore qu’il existe plusieurs formes d’écriture, en l’occurrence, l’écriture
idéographique, pictographique. L’absence de l’écriture livresque en Afrique
précoloniale n’implique nullement, soutient Niamkey, « l’absence d’une
tradition philosophique qu’il faut d’ailleurs refuser de penser selon le modèle
académique de la tradition historique de la philosophie dite « occidentale »426.
Niamkey cherche à rompre avec « le fétichisme du livre que prisent les rats de
la bibliothèque »427. L’écriture dans les sociétés africaines précoloniales a bel et
bien existé. Les « fétiches », les « amulettes », le « talisman » placés dans des
champs pour punir les voleurs et les maraudeurs sont, pour Niamkey, des objets
« comparables, voire assimilables à des tables sur lesquelles on lirait cette
422
Ibidem, p. 64.
423
Ibidem, p. 65.
424
Ibidem, p. 72.
425
P. HOUNTONDJI, cité par Ibidem, p. 96.
426
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 102.
427
Ibidem, p. 102.
129

inscription : « défense de… sous peine de… ». C’est dire qu’ils n’ont
d’efficacité qu’en tant qu’instruments de signification, leurs constituants
fonctionnant comme signes »428. De ce fait, ces objets sont analysables, selon
Niamkey, comme « écriture » « dans la mesure où ils représentent une forme
« cristallisée » d’un discours. En tant que « textes », ce sont des moyens de
communication, porteurs d’une « charge » informationnelle, d’un « message »
codé »429. En effet, ces objets fonctionnent comme « adresse » et comme « signe
attitudinal »430. Selon Houis, nous informe Niamkey, « une « adresse » est un
signe qui nous commande de prendre telle ou telle attitude, tels par exemple les
feux de signalisation tricolores… un signe attitudinal est un signe qui nous
renseigne sur les sentiments de son instigateur »431. L’ « adresse » et le
« signe attitudinal » relèvent d’une technique de communication opérant une
fixation du discours. « Et, à strictement parler, précise Niamkey, l’écriture, dans
son essence, n’est rien d’autre. Elle consiste dans l’exploitation des possibilités
de la perception et se constitue comme langage durable, transportable et
conservable »432. Comme on le voit, « à côté de la littérature orale, il y a les
textes « crypto-grammatique » que l’on a appelés sous l’effet d’une certaine
conception du livre : fétiches, statuettes funéraires, objets et gestes liturgiques
(rites, sanctuaires), etc., systèmes symboliques où se trouve cristallisée
généralement l’idéologie dominante qui considère comme philosophie implicite,
collective, inconsciente alors qu’il ne s’agit que d’une philosophie devenue
pratique »433.
De ce qui précède, l’on retiendra que le palladium a des éléments
constitutifs qui sont à « considérer comme éléments d’une pictographie ou d’un
pictogramme dans la mesure où le palladium qui est le « fétiche » est une
véritable « pancarte » »434. Voilà une argumentation digne de faire apparaitre les
voies nouvelles, juge Niamkey, « d’une recherche des philosophes produite dans
nos diverses sociétés africaines précoloniales sans laisser régner l’arbitraire
d’une lecture ou d’une interprétation sans mémoire ni retour »435.
Le débat sur l’écriture a conduit Niamkey à nous inviter « à sortir de la
philosophie les textes écrits. Car l’écriture n’est pas le moteur de l’histoire de la
philosophie, contraire à ces pensées, Hountondji [pour qui la philosophie ne peut
s’accomplir pleinement que dans une civilisation d’écriture] »436. Le moteur de
l’histoire de la philosophie, indique Niamkey en bon ( ?) marxiste est dans « les
428
Ibidem, p. 103.
429
Ibidem, p. 103.
430
M. HOUIS, cité par Ibidem, p. 103.
431
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 103. Note 99. Je souligne.
432
Ibidem, p. 103. Il résume Maurice Houis.
433
Ibidem, p. 117.
434
Ibidem, p. 104.
435
Ibidem, p. 104.
436
Ibidem, p. 189.
130

conflits sociaux, la lutte des classes, le modèle de production, la base/matérielle.


Mais heureusement pour nous, ce n’est pas par l’écriture seule que la
philosophie peut recevoir une figure matérielle. Car nous pensons que la
philosophie n’est pas condamnée à rester une superstructure flottante, mais au
contraire elle est appelée, comme l’a bien vu Platon, à prendre corps dans la
réalité sociale, ou, comme le disait Hegel, à s’objectiver dans l’histoire »437.
Ayant affirmé qu’il ne peut y avoir de philosophie implique et ayant
montré qu’il y a des textes irréductibles aux textes d’écriture phonétique,
Niamkey soutient que « la texture symbolique de tels textes implique une
herméneutique »438. Mais, prévient Niamkey, « parler d’herméneutique, ce
n’est pas supposer une pensée implicite, mais c’est soit réactiver une pensée
déjà pensée, mais réifiée et fossilisée, soit s’efforcer à une « capture » partielle
de l’impensé »439. De ce fait, ce qu’on appelle « si dédaigneusement »
(l’adverbe est de Niamkey) la philosophie collective, implicite ou populaire n’en
est pas une. Elle fut une philosophie dominante de son époque, tissant la
pratique collective et individuelle. S’inspirant d’Antonio Gramsci, Niamkey
affirme qu’ « une philosophie ne devient philosophie populaire que dans la
mesure où elle bénéficie du consensus populaire et cela sous l’action des
appareils idéologiques scolaires, religieux, juridiques, familiaux, etc. »440.
Puisque Niamkey cherche à en découdre avec Hountondji, il affirme que
« l’histoire de la philosophie des manuels est une histoire hégémonique qui
consacre et illustre la coupure intellectuels/masses. C’est pourquoi, poursuit-il,
la thèse gramscienne selon laquelle « tous les hommes sont philosophes »
inaugure une coupure épistémologique qui ouvre des perspectives
gnoséologiques nouvelles dans lesquelles la philosophie et les intellectuels
officiels quittent leur narcissisme pour s’installer franchement et délibérément
sur le terrain de la politique où se pose la question du statut de leur production,
et celle de la qualité de marchandises que deviennent les idées, le savoir et la
culture »441.
3.3.2. Jean-Godefroy BIDIMA
Dans le deuxième chapitre, La philosophie africaine : discours de
maîtrise, de son livre Théorie critique et modernité négro-africaine : de l’Ecole
de Francfort à la ‘docta spes africana’ 442, Jean-Godefroy Bidima s’en prend aux
philosophes africains qui débattent sur « ce qu’on a dit des Africains/Nègres
437
Ibidem, p. 190.
438
Ibidem, p. 105.
439
Ibidem, p. 106. Je souligne.
440
Ibidem, p. 108. Je souligne.
441
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 111.
442
Cf . J.-G. BIDIMA, Théorie critique et modernité négro-africaine : de l’Ecole de Francfort
à la ‘docta spes africana, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993
131

concernant la philosophie [et oublient] de s’interroger sur un problèmes brûlant


et peu abordé par les Africains : que disent-ils d’eux-mêmes, comment se
positionnent-ils dans la philosophie ?...La philosophie en Afrique, telle qqu’elle
se fait présenter par les penseurs de ce continent, tourne autour d’un point
central qui semble être ce missionnaire belge, Tempels. Les tentatives sont faites
de part et d’autre, soit pour le disculper, soit pour le dénoncer. Dénoncé ou
récupéré, il demeure d’après les présentations évoquées une figure
incontournable »443.
En outre, Bidima critique la classification de la philosophie en Afrique qui
se fait en termes de Dépassements supposant « une vision de l’histoire très
linéaire où les ethnologues et Tempels font figure de présocratiques rendant
possible l’évolution de la philosophie critique, etc…La linéarité sous-jacente à
ceette présentation de la philosophie en Afrique est anti-dialectique dans la
mesure où la dynamique d’opposition radicale des concepts et paradigmes n’est
pas soulignée à l’intérieur des différents moments de ces philosophies. Cette
classification évolue autour du « même », car la problématique
générale : « existe-t-il ou non une philosophie capable de redonner au Nègre son
brevet d’humanité ? » a retenu prisonnière l’élaboration des concepts nouveaux
et féconds »444.
De nos jours, dois-je le dire, sa critique appartient à l’histoire et ce qu’il
dénonce fait partie de l’histoire de la philosophie africaine.
Contre le schématisme réducteur de la présentation de la philosophie
africaine ( « Ethnophilosophie, philosophie critique, le courant idéologique, le
courant néo-négro-pharaonique »), Bidima veut « substituer des couples à
l’intérieur desquels se dégageront des problématiques bien déterminées…La
classification par couples nous permet de distinguer les pistes de recherche ; ces
rapports s’articulent avec l’ethnologie et les traditions »445.
Fort de ces prémisses, Bidima résume la critique faite à
l’éthnophilosophie : « Sa méthode concordiste consistant à transposer dans une
philosophie collective et anonyme ‘certaines catégories autoritaires de la
métaphysique occidentale’…, la dé-mobilisation vis-à-vis des contradictions de
la praxis et l’installation dans une Afrique éternelle, prospère in illo tempore et
sans oppositions usque ad finem ! »446.
C’est ainsi qu’il va critiquer les critiques de l’éthnophilosophie : l’étude et
la critique de l’ethnophilosophie n’ont pas insisté sur l’essentiel, « à savoir les
rapports du concept à la production matérielle, sexuelle et à l’Etat…Une critique
443
Ibidem, p.
444
Ibidem, p.
445
Ibidem, p.
446
Ibidem, p.
132

de l’ethnophilosophie qui ne tient pas compte de l’Etat, du sexe, et du Capital


discriminera les présupposés de l’ethnophilosophie sous un angle idéaliste et
logique…Au lieu du discours brillamment idéaliste, qui a enfermé le phénomène
ethnophilosophique dans la problématique de ‘l’existence ou de la non-existence
d’une philosophie africaine’, il est possible de chercher la vérité du délire et de
l’arrogance de l’ethnophilosophie en faisant l’autopsie de l’imaginaire que l’Etat
mettait en marche »447.
Cette critique lancée par Bidima contre les Critiques de
l’ethnophilosophie nous semble réductionniste ou mieux dogmatique. La
Philosophie bantoue de P. Tempels est comme une boule à mille et une faces
dont chacun en voit quelques-unes selon les unités de ses « verres
scientifiques ». Croire que la sienne est la meilleure relève de la myopie
scientifique. Personnellement, j’ai fait une lecture matérialiste de la Philosophie
bantoue de P. Tempels448 et après avoir lu Smet qui m’a conduit sur un « bon »
chemin afin de comprendre mieux T. Tempels, je dois dire que certaines de mes
affirmations voulant faire accepter que le libre de Tempels s’adressait aux
colons pour bien nous exploiter, sont à revoir à la baisse 449. La traduction de
Rubens nous a rendu un mauvais service.
Bref, l’interprétation de Bidima est une parmi tant d’autres et elle n’est
pas la meilleure.

3.4. Hountondji II ou « le philosophe africain » (terme de Niamkey)


authentique
3.4.1. Paulin Hountondji et « L’Effet Tempels »
En 1991, Paulin Hountondji publia dans Encyclopédie philosophique
universelle I : L’univers philosophique, un article au titre « inquiétant » L’Effet
Tempels. Il fait l’éloge de « ce petit livre » - entendez La philosophie bantoue -
qu’il affirme être « le référent absolu »450. En effet, « ce petit livre »connait une
seconde lecture révisée. Je laisse la parole à Paulin : « Le contenu du livre, par
ailleurs, répond en quelque manière à la promesse du titre : la référence à la
philosophie n’est plus simplement allusive, puisqu’elle ne se contente pas de
renvoyer, comme chez Dennett, à une profondeur soupçonnée plutôt que
constatée, elle n’est pas non plus métonymique, ne désignant pas simplement,
comme chez Radin, la nature supposée d’une activité intellectuelle dont on ne
s’intéresserait qu’aux producteurs sociaux ; ce qui est donné dans La
447
Ibidem, p.
448
Cf . L. MPALA Mbabula,
449
A ce propos, je serais MPALA II.
450
P. HOUNTONDJI, « L’Effet Tempels », dans Encyclopédie philosophique universelle I :
L’univers philosophique, deuxième édition, Paris, PUF, 1991, p. 1475.
133

philosophie bantoue, c’est un enchaînement d’idées visant à une systématicité


déductive, un corpus de notions et de thèses prétendant à une rigoureuse
cohérence. Du même coup devenait possible l’idée qu’on n’a pas seulement
affaire ici à une ‘philosophie’ au sens le plus étroit. La comparaison devenait
possible avec la philosophie européenne, une comparaison vouée, dès le départ,
à montrer à la fois l’identité générique et les différences spécifiques des deux
formes de pensée, tâche que Tempels exécute, ici encore, avec un simplisme
génial, en ramenant ces différences à l’opposition, terme pour terme, entre deux
formes d’ontologie, fondées respectivement sur une notion statique et une
notion dynamique de l’être »451.
Ainsi, j’ose parler d’Hountondji II. Quand Alfons Josef Smet a lu cet
article, il s’est réjoui : « Je suis heureux que Paulin Hountondji ait enfin
découvert le véritable Tempels. Il suffit de lire son article « L’Effet
Tempels »…, pour s’en convaincre. Il a consulté enfin d’autres textes de
Tempels. J’ai toutefois été étonné de ne trouver, dans cet Effet…, aucune
mention de mes études sur Tempels. Il doit pourtant les connaitre comme en
témoigne son « Bilan de la recherche philosophique africaine… 1900-1985 ».
N’ai-je [Smet] pas encore assez publié sur Tempels »452, se plaint son collègue
Smet. Honnêteté intellectuelle ou reconnaissance intellectuelle oblige !
Charles Romain Mbele rejoint Hountondji quand il invite certains
critiques à « reconnaitre l’apport transcendant du tempelsisme à l’éveil
philosophique subsaharien »453. L’Effet Tempels a, en effet, fait naitre une
« étoile » dans le firmament philosophique africain. Cette étoile ne va-t-elle pas
« pâlir » après ? Je répondrai à cette question dans une autre sous-section.
Toutefois, tout en sachant qu’avant Hountondji un certain E. Possoz
insistait « sur le mérite d’une œuvre qui marquait une nouvelle ère dans
l’histoire de la colonisation en amenant l’Europe à reconnaitre ses
« erreurs ethnologiques passées »454.
3.4.2. Avec Hountondji, nous ne sommes pas sortis « de l’auberge de la
philosophie africaine »
Je me retrouve avec deux textes d’Hountondji de 2008. Son interview
accordée à Valérie Marin la Meslée est du 19 décembre 2008 ; son article Une
pensée pré-personnelle. Note sur « Ethnophilosophie et idéo-logique » de Max
Augé est de 2008 aussi. Je présume que ce deuxième article est antérieur au
premier. Ceci étant, je commence par faire la synthèse de cet article.
451
Ibidem, p.1478.
452
A.J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op. cit., p. 35. Je souligne.
453
C.R. MBELE, Le ghetto théocratique, Paris, L’Harmattan, 2017, p. 16.
454
S.B. DIAGNE, « Revisiter « La philosophie bantoue » : l’idée d’une grammaire
philosophique », dans Politique africaine, n° 77, mars 2000, p. 45 (44-55).
134

3.4.2.1. La seconde « Conversion d’Hountondji »


Marc Augé est défenseur de « l’idéo-logique », c’est-à-dire la logique des
représentations collectives des communautés lagunaires dont les Alladian, les
Avikam et les Ebrié de Côte d’Ivoire.
La rencontre d’Hountondji avec Marc Augé a conduit Paulin à cette
autocritique : « Je crois qu’au fond ma querelle avec Tempels était pour une part
une querelle des mots. Je n’aurai probablement pas été, à ce point, piqué au
vif… J’avais de la philosophie une idée trop exigeante pour admettre qu’on
puisse philosopher à la place d’autres personnes ou, inversement, se réfugier
paresseusement derrière une philosophie collective. J’allais très loin, et
probablement trop loin dans ce sens… J’allais jusqu’à rejeter l’idée d’une
pensée collective »455. Hountondji lira cette pensée de Marc Augé et il affirmera
que Marc a « parfaitement » raison : « S’il n’y a pas de « vision du monde »
collective commune à un ensemble d’individus au moins peut-être on se
demande comment qualifier les croyances auxquelles certains d’entre eux se
réfèrent explicitement et dont chacun d’eux doit tenir compte dans son existence
quotidienne. Si les termes « vision du monde » et « collective » ne sont pas
pertinents, encore peut-on s’interroger sur la nature et la cohérence des
croyances, sur l’inégale connaissance qu’en ont les uns et les autres, sur les
responsabilités différentes qu’ils exercent dans leur mise en œuvre, leur
diffusion et leur reproduction »456. La critique faite par Niamkey à Hountondji ne
rejoint-elle pas cette affirmation de Marc Augé ? Hountondji reconnait que
« l’étude de Marc Augé permet de relire d’un œil nouveau un ouvrage comme
Dieu d’eau de Marcel Griaule (1948), voire La philosophie bantoue de Tempels,
et plus généralement toutes les tentatives de restitution des systèmes de pensée
africains… Marc Augé invite à reconstituer « l’idéo-logique », c’est-à-dire la
logique des représentations collectives »457.
Voilà pourquoi Hountondji, après avoir « relu d’un œil nouveau », dira
que « dans un contexte politique, social et idéologique où prévalaient encore
tous les préjugés coloniaux sur l’homme noir censé sans culture, incapable de
raisonner de façon cohérente, instinctif, impulsif, incapable de maitriser ses
émotions, La philosophie bantoue pouvait apparaitre, et est effectivement
apparue, comme une puissante tentative de réhabilitation, une défense et
illustration de la culture nègre. Alioune Diop (1949) l’a lue ainsi »458. Ceci étant,
Hountondji « pèsera » sur la « balance contextuelle » la critique politique
« cinglante » d’Aimé Césaire et il écrira : « Il faut parier que Tempels lui-même
455
P. HOUNTONDJI, « Une pensée pré-personnelle : Note sur « Ethnophilosophie et idéo-
logique » de Max Augé », dans L’homme, n° 185-186, 2008. Spécial sur L’anthropologue et
le contemporain : autour de Max Augé, p. 346. Je souligne.
456
M. AUGE, cité par Ibidem, p. 346-347. Je souligne.
457
P. HOUNTONDJI, Art. cit., p. 357. Je souligne.
458
Ibidem, p. 345.
135

était de bonne foi et n’avait pas conscience de ces graves implications de son
discours [surtout que la mauvaise traduction parle de « notre mission
civilisatrice » en lieu et place de « La philosophie bantoue et nous, les
civilisateurs]. Du reste, ici encore, les travaux du Père Smet obligent à corriger
l’image de l’homme qui pouvait se dégager de cette lecture »459. Bref, s’explique
Hountondji, cette restitution du contexte politique dans lequel Tempels a écrit,
oblige « à une lecture indulgente de La philosophie bantoue »460. Cette honnêteté
scientifique fera dire à Hountondji que « ce qui est sûr, en tout cas, c’est que La
philosophie bantoue, replacée dans le contexte de la longue carrière de l’auteur,
apparait rétrospectivement comme un accident de parcours »461. La
philosophie bantoue est-elle un accident de parcours comme le prétend
Hountondji ? L’entretien de Smet à laquelle je me réfère est de 1997. J’espère
qu’Hountondji l’a lue. Au cas contraire, ce passage de Smet pourrait l’aider à
retirer son expression « un accident de parcours » : « Mes [Smet] rencontres
avec Tempels vivant m’ont fait connaitre davantage l’homme et son œuvre, et
l’importance de ses conceptions sur la catéchèse qui sont à l’origine de son
entreprise d’écrire une philosophie bantu. Cette philosophie bantu n’était pour
Tempels qu’une étape »462. Etape et non « un accident de parcours ».
Hountondji termine son article par une prise de position qui semble
déroutante : « Sur un point essentiel, cependant, je n’ai pas changé d’avis (…).
La tâche du philosophe ne saurait se limiter, logiquement ou, pour reprendre les
termes de Niamkey, « l’articulation logique de la pensée » de sa société
(…) »463. Alors sur quel point a-t-il changé d’avis ?
Son Maître Louis Althusser a dit : « Un philosophe ne se trompe
jamais ! »464. Et pourtant, pendant l’hiver 1983-1984, il accorda des entretiens à
Fernanda Navarro dans lesquels il reconnait avoir « fabriqué une philosophie
« imaginaire pour Marx, une philosophie qui n’existe pas dans son œuvre- si
l’on s’en tient strictement à la lettre de nos textes »465. Il reconnait cette erreur et
« ce qui a été déterminant, je l’ai déjà dit, ce furent les recherches de Bidet, qui
apportent un éclairage nouveau sur l’œuvre de Marx »466. Alors, le philosophe,
comme tout homme, se trompe. Que dire de Paulin Hountondji ? Comme
philosophe, Hountondji avance masqué comme le lui recommande R.
Descartes. Que retenir alors ? Ce qui suit : « Une meilleure connaissance de nos
459
Ibidem, p. 349. Je souligne. Père Smet peut se calmer car Paulin Hountondji vient de
« rendre » sa dette de reconnaissance. C’est important, car il est bon d’être « loué » pour ses
travaux pendant que l’on est vivant.
460
Ibidem, p. 349.
461
Ibidem, p. 350. Je souligne.
462
A.J. SMET, dans M. BUASSA Mbandu, Op. cit., p. 44. Je souligne.
463
P. HOUNTONDJI, Art. cit., p. 359. Je souligne.
464
L. ALTHUSSER, Op. cit., p. 18.
465
IDEM, Sur la philosophie, Paris, Gallimard, 1994, p. 37.
466
Ibidem, p. 37.
136

« philosophies » [mis en guillemets par l’auteur] de nos systèmes de pensée


traditionnels et des logiques cachées qui les sous-tendent, reste indispensable,
aujourd’hui comme hier. Elle ne doit plus nous conduire à l’autosatisfaction ou
aux revendications d’un nationalisme culturel dépassé, mais à une plus grande
lucidité pour faire face, de manière plus avisée, aux interrogations et aux tâches
du présent »467. Voilà qui est bien dit.
3.4.2.2. Hountondji de nouveau face à l’ « Ethnophilosophie » : le mot et la
chose
Je ne sais pas dater l’article « Ethnophilosophie » : le mot et la chose. Est-
il de 2012 ? Une chose est sûre : il est apparu après Une pensée pré-
personnelle… de 2008, car dans sa liste bibliographique apparait cet article.
Dans Une pensée pré-personnelle : Note sur « Ethnophilosophie et idéo-
logique » de Marc Augé, Paulin Hountondji a présenté les raisons qui l’ont
rendu « si allergique au modèle d’analyse proposé dans La philosophie bantoue
du Père Tempels »468. J’en retiens trois : « Le titre du livre promettait plus que
n’offrait son contenu. Titre publicitaire s’il en est. Titre à sensation (…) ce que
je [Paulin] supportais encore moins, c’était de voir comment un nombre
croissant d’intellectuels, en Afrique centrale et ailleurs sur le continent avaient
cru devoir relever précisément ce défi en se consacrant, à leur tour, à une
reconstitution qu’ils voulaient plus exacte, du système de leurs pensées (…). Je
ne pouvais toutefois me satisfaire de ce changement de paradigme, dès lors que
le statut de l’enquêté restait le même et que l’enquêteur, en le réduisant au
silence, se faisait son porte-parole incontournable pour philosopher à sa place et
exprimer, mieux qu’il ne pouvait le faire lui-même, ses pensées les plus
profondes »469.
Ces raisons étant données, Hountondji a pris l’initiative de nous informer :
« Il faut maintenant lever une équivoque : le mot « ethnophilosophie » ne vient
ni de Towa, ni de moi. En ce qui me concerne, j’ai cru devoir le forger dans la
foulée d’une critique de Tempels. Je ne me suis pas souvenu, sur le coup, que
j’avais déjà rencontré ce mot dans mes lectures, sous la plume d’un auteur qui
était loin de l’employer dans un sens péjoratif »470, et ce, depuis 1943. Hubert
Mono Ndjana nous renseigne que c’est au cours du colloque de philosophie
organisé à l’Ecole normale Supérieure de Yaoundé en 1983 que Paulin

467
Ibidem, p. 18.
468
P. HOUNTONDJI, Art. cit., p. 344.
469
Ibidem, p. 344-346.
470
Ibidem, p. 352.
137

Hountondji s’en est expliqué471. Ce concept n’est pas de la plume d’Albert


Doutreloux en 1960 et 1961 comme le prétend Irung Tshitambal472.
Le concept ethnophilosophie est un concept polémique reconnait
Hountondji. Par ce concept, « lancé à la cantonade, [Hountondji voulait] ainsi
exprimer une déception »473. Il ne fut pas le seul à être déçu. Ils sont nombreux,
dont Marcien Towa474. Résumé par Hountondji, Towa a opposé à la
« philosophie proprement dite cette discipline hybride, à cheval sur
l’ethnophilosophie et la philosophie qui n’est franchement ni l’une, ni l’autre :
l’ethnophilosophie »475. Pour Hountondji, la critique de Towa est percutante, car
elle reproche à Tempels et à Kagame la « dilatation » extraordinaire du concept
de philosophie, compris pratiquement comme synonyme de culture… D’autre
part et surtout, la méthode des auteurs en question n’est pas claire »476. Bref,
résume Hountondji, Towa leur reproche, sous le vocable d’ethnophilosophie, la
confusion des mots, « le glissement subreptice d’un discours descriptif à un
discours apologétique, cette sorte de mauvaise foi qui consiste à faire endosser
par les ancêtres et la culture collective ses propres opinions, en croyant échapper
ainsi à l’obligation de les justifier, de les fonder »477. Hountondji pense qu’il
471
Cf. H. MONO Ndjana, La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale, p.
205. Note 292.
472
Cf. IRUNG Tshitambal’a Mulang, « Essai sur l’histoire et la problématique de
l’ethnophilosophie en philosophie africaine », dans Archives de Philosophie Africaine
(APHA) n° 1, 1978-1979, p. 17-41. Cet article est intéressant à lire.
473
P. HOUNTONDJI, « Ethnophilosophie » : le mot et la chose [en ligne] https://pdfslide.net
(page consultée le 15 mars 2018), p. 1.
474
Cf. M. TOWA, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle,
Yaoundé, clé, 1971.
475
P. HOUNTONDJI, « Ethnophilosophie » : le mot et la chose, p. 1.
476
Ibidem, p. 2.
477
Ibidem, p. 2. Je signale en passant que Tshiamalenga Ntumba, dans son article « Qu’est ce
que la philosophie africaine ? » publié en 1977 dans La philosophie africaine. Actes de la
première semaine philosophique de Kinshasa, a fait cette remarque ou considération : « Les
contextes d’emploi du mot « philosophie », en Occident, sont tels qu’il est impossible d’y voir
le nom [souligné par l’auteur] d’une activité intellectuelle qui soit réductible à un commun
dénominateur. « Philosophie » s’applique aussi bien aux apophtègmes, sentences et mythes
des présocratiques et d’autres penseurs Occidentaux qu’aux écrits hautement techniques des
anciens, des médiévaux, des modernes et des contemporains. Le mot « philosophie » n’est
donc pas à prendre comme le « nom » [souligné par l’auteur] d’une substance chimique
[souligné par l’auteur] univoque. Cette circonstance en autorise donc un emploi souple mais
correct fondé sur l’histoire de la philosophie. Il s’en suit qu’il n’y a pas de lapsus linguae à
étendre l’usage du mot à des contextes analogues et situés en dehors de l’Occident : en Asie,
ou en Afrique » (p. 42). Et il se pose une question à Hountondji et à Towa : « Fait-on de l’
« ethnophilosophie » en étudiant le poème parménidien ou tel mythe présocratique ? Un Paul
Ricœur, étudiant la symbolique du mal attestée par la tradition judéo-chrétienne, est-il, pour
autant, un éthnophilosophie ? Si oui, alors toute philosophie de restitution herméneutique est,
à la limite, de l’ethnophilosophie, et le mot devient « inconscient » » (p. 45). Et il finit par
cette affirmation : « Que toute restitution herméneutique, comporte, pour l’herméneute,
138

allait plus loin dans sa critique par rapport à Towa, car il mettait en cause et la
méthode et l’objet. La philosophie bantoue de Placide Tempels avait une
méthode hybride et était une étude sans objet, car la « philosophie africaine »
entendue comme système de pensée collectif, était à « ses yeux » un mythe, une
invention du « savant exégète » qui entreprenait de la reconstituer. Tempels
présentait « sa propre philosophie à lui » et non celle des Bantu.
Ayant compris qu’avec ses critiques, il était peut-être « allé trop loin »478,
Hountondji comprend « parfaitement que Towa ait cru devoir se démarquer
d’une position aussi extrême en publiant, peu après son célèbre Essai, une sorte
de rectificatif ou de mise au point sous le titre : L’idée d’une philosophie négro-
africaine (Towa, 1979). L’esprit critique n’est le monopole d’aucune culture. Il
est à l’œuvre aussi bien dans les littératures orales d’Afrique noire que dans les
plus hautes spéculations de l’Occident. En ce sens oui, la philosophie n’existe
pas dans l’Afrique précoloniale. C’est ce que notre collègue a cru devoir
rappeler avec insistance, de manière à prévenir tout malentendu sur le sens et la
portée de sa critique de l’ethnophilosophie »479. Voilà Marcien Towa II. A
retenir. Hountondji continue à présenter Marcien Towa II : « En somme, après
s’être employé à délégitimer la revendication post-coloniale d’une philosophie
africaine déjà-là, il découvre à son tour, dans la littérature orale africaine, à
défaut d’une philosophie constituée et d’une doctrine particulière qu’il faudrait à
tout prix défendre et promouvoir, ce qui lui parait la condition première de toute
philosophie en générale : l’esprit philosophique, entendu comme aptitude à se
distancer de l’esprit et à le relativiser »480. Towa a rebroussé chemin après avoir
entendu d’autres sons de cloches dont ceux de Niamkey Koffi et de
Tshamalenga Ntumba sans oublier, sans doute, ceux de ses collègues
professeurs camerounais.
3.4.2.3. Paulin Hountondji le « sophiste » ou le « paralogiste »
Après avoir présenté Towa II, Hountondji déclare : « Ma démarche était
passablement différente. A mes yeux [aveugles ?], il ne suffisait pas de montrer
l’universalité de l’esprit critique, et grâce à elle, la possibilité d’une philosophie
africaine »481. Il a constaté l’existence réelle d’un corpus philosophique avec
« ses mérites et ses insuffisances, sa grandeur et sa misère »482. De quel corpus

toujours en même temps le danger de « projeter » sa propre philosophie derrière celle qu’il
interprète, c’est ce qui n’échappe à personne. L’on peut même reconnaitre que ce danger est
insurmontable (…). Par ailleurs, une pensée ne cesse pas d’être une pensée du seul fait qu’elle
n’est pas écrite, encore moins signée » (p. 45).
Ibidem, p. 2.
478
Ibidem, p. 2.
479
Ibidem, p. 2. Je souligne.
480
Ibidem, p. 2. Je souligne.
481
Ibidem, p.3.
482
Ibidem, p. 3.
139

philosophique s’agit-il ? Voilà qui le conduit, en guise de réponse, à lâcher cette


affirmation : « J’appelle « philosophie africaine » un ensemble de textes :
l’ensemble, précisément, des textes écrits par des Africains et qualifiés par leurs
auteurs eux-mêmes de philosophique »483. Cette définition de « philosophie
africaine » a suscité, illico, la polémique. Elle date de son article de 1970. C’est
en 2012 ( ?) que Paulin Hountondji persiste et signe que c’est « sans le
vouloir » (p.3) qu’il a suscité la polémique. Pourquoi ?
Il s’explique : « On a cru lire dans cette explication le signe d’une
exclusion des textes oraux et comme l’indice d’une fétichisation de
l’écriture »484. Hountondji semble nous prendre, nous lecteurs, pour des
« imbéciles = sans béquilles, ici, sans yeux et lunettes pour bien lire ». Est-il
conscient qu’il fait le sophisme ou est-il tombé dans le paralogisme ? Je tiens
pour sophiste celui qui, de mauvaise foi, « ment » tout en sachant qu’il ment
pourvu qu’il « convainque ». Tombe dans le paralogisme, celui qui « ment » de
bonne foi en ne sachant pas qu’il ment, et ce malgré lui. Revenons à
Hountondji : dans plus d’un écrit, il parle de l’écriture ou des textes écrits. Plus
d’une fois, Niamkey Koffi et tant d’autres lui reprochent de la fétichisation de
l’écriture. A la suite de Jacques Derrida, Niamkey l’accuse d’avoir réduit «
l’écriture à l’écriture livresque »485 et pour le convaincre, Niamkey l’a renvoyé à
plusieurs formes d’écriture utilisées dans les sociétés africaines précoloniales 486.
Quand Hountondji écrit qu’on a cru lire ou voir dans sa définition une
exclusion des textes oraux, il le sait, sauf amnésie de sa part, qu’il excluait les
textes oraux. Au nom de quoi a-t-il reproché à La philosophie bantu d’avoir
utilisé une « méthode hybride » et d’être une « étude sans objet » ? Question
oratoire !
Par ailleurs, Hountondji écrit : « On y a vu en outre une manière bien
curieuse d’identifier un texte comme philosophique en le référant simplement à
l’intention déclarée de l’auteur, comme s’il suffisait de s’autoproclamer
philosophe pour l’être »487. Hountondji, c’est toi qui l’as écrit et les autres n’ont
fait que tirer la conclusion que tu réfutes aujourd’hui suite aux critiques qui te
poursuivront comme ton ombre. Tu défends aujourd’hui ton texte, car tu ne le
veux pas « orphelin ». Est-ce de cette façon, qui relèverait du sophisme, qu’il
faut le faire ? Quaeretur ! (That is the question !).
Hountondji ne veut jamais rendre les armes : « A vrai dire, cependant, la
question de l’écriture n’était pas directement posée dans cette phrase. On
483
Ibidem, p. 3. Souligné par l’auteur.
484
Ibidem, p. 3. Je souligne.
485
NIAMKEY Koffi, Op. cit., p. 99.
486
Cf. Ibidem, p. 102-104. Je tiens à signaler que l’ouvrage de Niamkey est de 2018, mais il
reprend tous ses anciens écrits publiés sur les controverses portant sur la philosophie
africaine.
487
P. HOUNTONDJI, « Ethnophilosophie » : le mot et la chose, p. 3. Je souligne.
140

pouvait y remplacer « écrire » par « produire » et lire simplement : « l’ensemble


des textes produits par des Africains », qu’il s’agisse des textes écrits ou
oraux »488. A vrai dire, Hountondji dit-il « vrai » ? L’écriture n’était-elle pas
directement posée dans cette phrase produite ou écrite au nom du rejet de
l’oralité sur laquelle ses « adversaires d’idées » se basaient pour parler de la
philosophie africaine précoloniale ? Towa II ne l’a-t-il compris pour rendre ses
armes ? Que Hountondji dise clairement, distinctement et à haute voix sans se
masquer : « Je viens de revoir à la hausse ma phrase et je redéfinis la
philosophie africaine comme l’ensemble des textes produits par des africains,
qu’il s’agisse des textes écrits ou [et] oraux ». Si Hountondji parlait ou écrivait
de la sorte, on aura à faire ce constat : le combat cessa faute des combattants !
Honnêteté intellectuelle oblige !
Malgré cette mise au point, Hountondji, comme rattrapé par « les crampes
ethnophilosophiques » revient à l’oralité qui « ne saurait à elle seule instituer
une tradition et donner à une discipline au sens strict du mot ». Je le lui concède,
mais l’expression « au sens strict du mot » reste collée à son palais scientifique.
Qui la dissoudra ? Niamkey ? je ne le pense pas car il semble ne plus le lire. Qui
alors ? Laissons le temps au temps et Hountondji finira par perdre la « balance –
étalon » sur laquelle il « pèse » et « note » après « au sens strict du mot ». Oui,
l’oralité a ses limites et cela vaut aussi pour l’écriture. Mais continuer à
persister et à signer, et à mettre sa tête à couper par cette sentence : « On devra
toujours, malgré tout, reconnaitre les limites de l’oralité [personne ne vous le
conteste] et le rôle incontournable de l’écrit comme conditions de la formation et
de la consolidation d’une tradition critique [sur ce point Niamkey Koffi, Towa
II, et tant d’autres ne marchent plus avec toi »489, relève du « daltonisme »
philosophique, et tout ce que cela implique.
Hountondji reste convaincu que sa « phrase » ou définition avait un
second malentendu, facile à lever, selon lui. Il confesse : « Les mots utilisés
étaient probablement gauches, maladroits »490. Ils servaient de « repérage
empirique » pour que les discours se qualifient eux-mêmes de leur prétention à
être philosophiques. Voilà pourquoi Hountondji se défend ou argumente
sophistiquement : « Le plus important par contre, dans cette définition liminaire,
c’était trois petits mots qui semble avoir échappé à l’attention de mes critiques :
la philosophie africaine, c’était, à mes yeux [aveugles ou daltoniens ?] la
philosophie faite par des Africains [voilà les trois petits mots]. On était
désormais à mille lieues d’une philosophie attribuée aux Africains par des
experts Occidentaux ou par des experts africains discutant avec leurs pairs
occidentaux de l’Afrique-Objet, alimentant à loisir le discours savant des
africanistes, on est passé à l’Afrique-sujet. Aux lieux et place d’un système de
488
Ibidem, p. 3
489
Ibidem, p. 3.
490
Ibidem, p. 3. Je souligne.
141

pensée attribué avec plus ou moins de vraisemblance, et au terme d’une


reconstitution laborieuse, à une Afrique imaginaire parlant d’une seule et même
voix, on rechercherait désormais le discours pluriel de l’Afrique réelle, dans sa
diversité et ses contradictions »491. A mon humble avis – avis discutable et non
dogmatique-, les trois petits mots, à savoir par des Africains, posent problème
dans la définition de la philosophie africaine. Les écrits de Placide Tempels et
d’Alfons Josef Smet font partie de la philosophie africaine sans que Tempels et
Smet soient des philosophes africains. Par ailleurs, l’Afrique –Objet et
l’Afrique-Sujet existe toujours. Les travaux scientifiques sont là. « L’Afrique
imaginaire parlant d’une seule et même voix » me semble être une
« extrapolation ». Tout celui qui parle de l’Afrique, africain soit-il, en parle à
partir d’un lieu théorique et pratique donné. C’est en cela que l’on pourra parler
d’une Afrique imaginaire quand c’est un africaniste qui en parle ? Dire qu’elle
parle d’une seule et même voix, revient à nier à l’Afrique préconloniale l’esprit
critique dont Niamkey et Towa II ont parlé. L’unanimisme n’a plus droit de cité
quand on se retrouve avec des proverbes qui se contredisent. Le discours pluriel
de l’Afrique –tout court- dans sa diversité et ses contradictions est toujours à
promouvoir, dire qu’il n’a jamais existé, serait une exagération abusive. Loin de
moi de nier l’apport des critiques d’Hountondji. Mais reconnaissons que Placide
Tempels a des disciples de droite (ceux qui ont poursuivi et poursuivent les
travaux initiés par Tempels et les critiques des critiques) et de gauche (les
critiques dont Hountondji I). Cependant, il y a des maisons ou des courants dans
le royaume de la philosophie africaine.
Peut-on dire que les critiques d’Hountondji ont rendu possible « ce
nettoyage préalable qui dégageait l’horizon et faisait voler en éclats les limes
d’une pensée que l’on croyait close [ ?]. Les travaux remarquables de Smet,
Nkombe Oleko, Claude Sumner, Théophile Obenga, Grégoire Biyogo et
d’autres encore témoignent, sans le dire, de cet effet libérateur de la critique de
l’ethnophilosophie » ?492. Hountondji a une haute idée de lui-même, mais il a
oublié de se poser cette question : Que serait Paulin Hountondji sans Placide
Tempels ? Qui le connaitrait en dehors de ses auditoires ? Mes questions sont
mal posées : l’histoire humaine n’est pas linéaire. Elle set spirale. Certaines
conditions et circonstances, y compris les modes de productions, font que ceci
apparaisse ici et cela là. Les Tempels et les Hountondji sont les fils de leur
temps et époques et les circonstances (hasard ou nécessité ou les deux à la
fois ?) ont voulu que La philosophie bantu apparaisse à un moment donné, dans
un lieu donné, bref dans un contexte donné pour que Tempels, Crahay,
Hountondji, Niamkey aient leurs rôles sur la scène de la philosophie africaine
qui a l’âge du premier homme africain. De ce fait, Hountondji doit mettre un peu
d’eau dans son verre de vin philosophique afin d’éviter l’ « ivresse »

491
Ibidem, p. 3.
492
Ibidem, p. 4.
142

philosophique en se considérant comme incontournable, car il n’est pas


Robinson, seul sur l’île. Et même quand on se croirait seul sur l’île, cela
relèverait de l’illusion : on est toujours nombreux de par son code génétique
provenant des parents, des habits, des ustensiles de cuisine fabriqués par les
autres, etc. Marx dirait qu’un autre qu’Hountondji aurait joué son rôle.
En outre, le concept de « nettoyage préalable » est hyperbolique. Qu’en
dira Niamkey ? « Sans le dire » est une autre expression très forte. Smet se sent
plus lié à Tempels qu’à Hountondji dans son entreprise d’écrire l’histoire de la
philosophie africaine. Sans Hountondji, Claude Sumner, Théophile Obenga et
tutti quanti n’auraient-ils pas écrit sur la philosophie africaine ? Doit-on parler
de l’ « Effet Hountondji » comme Hountondji parle de l’ « Effet Tempels » ?
Question ouverte !
2.3.2.4. Hountondji II et la réhabilitation de l’Ethnophilosophie
N’ayant pas inventé le mot et la chose « ethnophilosophie », Hountondji
et Towa ont un mérite : « Notre originalité a été d’appliquer le mot à la chose,
dans le mouvement même par lequel nous la déclarions globalement suspecte,
donnant ainsi à ce mot, du même coup, une connotation péjorative qu’il n’avait
pas au départ »493.
Ceci étant, Hountondji II se donne pour tâche de s’expliquer et de
réhabiliter l’ethnophilosophie.
Ayant mis un peu d’eau dans son verre de vin philosophique, Hountondji
avance à découvert : « Ce qui apparait comme un « pré-concept » par rapport au
penseur individuel peut être bel et bien, par rapport à la culture collective, un
concept activé, rigoureusement articulé à d’autres concepts. On a ainsi affaire à
un système de pensée pré-personnel, un héritage que le penseur actuel n’invente
pas mais reçoit d’abord passivement, tel un legs intellectuel dont il n’est pas lui-
même d’emblée conscient »494. Convaincu d’une telle affirmation, Hountondji
donnera à l’ethnophilosophie la mission de rendre conscient ce legs inconscient
et dira que le vocable « philosophie » dans Ethnophilosophie est employé dans
un sens très général pour désigner la composante intellectuelle d’une culture que
l’on se contente de décrire ou de restituer sans prétendre en aucune façon la
légitimer, à la différence de la philosophie stricto sensu qui s’entend comme une
discipline rigoureuse, exigeante, toujours soucieuse de justifier ses
affirmations »495. Jusque-là nous ne sommes pas sortis de l’auberge
hountondjienne. Cette définition de la philosophie stricto sensu ne nous montre
pas son étalon ou mieux sa balance-étalon pour peser et noter ce discours qui
relève de la philosophie stricto sensu. Tshiamalenga Ntumba, en son temps, a
493
Ibidem, p. 6.
494
Ibidem, p. 6.
495
Ibidem, p. 6.
143

pris F. Crahay comme « maitre à penser » à Hountondji et dit qu’ « ils [F.
Crahay, P. J. Hountondji, M. Towa, etc.] parlent tous d’une définition
absolutiste, dogmatiste, idéalisante et donc utopiste de « la » philosophie…
Qu’y a-t-il d’autocritique chez Hegel, chez Schopenhauer… ? Quant à Kant, ce
maitre de la critique, est-il radicalement critique et autocritique ? A-t-il jamais
critiqué son « sujet transcendantal » ? (…). Ainsi pour avoir négligé de
« décoller » à partir des philosophies historiquement attestées, Crahay et ses
disciples sont en l’air : leur « concept » de philosophie est et ne sera sans doute
jamais qu’une mythologie : « la » [souligné par l’auteur] philosophie n’existe et
n’existera jamais que dans leur esprit, à moins qu’ils ne consentent, un jour, à
réfléchir sur le fait que non seulement toute philosophie est historique mais que,
en outre, l’histoire ne nous offre jamais que des philosophies de niveaux
divers »496.
Revenons à Hountondji qui définit, à présent, l’ethnophilosophie comme
« l’étude des représentations collectives dans une société donnée, ou plus
exactement, en suivant une suggestion de Marc Augé, l’étude de la logique des
représentations collectives, l’étude de « l’idéo-logique » d’une société donnée.
Une telle étude est décisive lorsqu’on a affaire à des sociétés dites sans écriture,
ou plus exactement, comme l’écrit Maurice Houis, à des « civilisations de
l’oralité » »497. De cette définition, Hountondji conclut : « Voilà pourquoi,
justement, on est tenté de prendre l’ethnophilosophie pour la philosophie des
sociétés orales. L’ethnophilosophie devient ainsi la philosophie du pauvre. Plus
exactement, étant l’étude des « idéo-logiques », on est tenté d’y voir l’étude de
ce qui, dans les civilisations de l’oralité, peut être considéré comme l’équivalent
exact de ce qu’on appelle en Occident, la philosophie. Mais, il faut convenir
qu’en fait, l’idéo-logique n’est pas le monopole des sociétés orales, et qu’il y a
lieu d’étudier aussi les représentations collectives des sociétés de l’écrit.
L’Ethnophilosophie apparait alors comme l’étude des systèmes de pensée
collectifs en générale et pas seulement ni forcément dans les sociétés orales »498.
Hountondji écrit : « On est tenté ». Qui est tenté ? On sans doute. Qui est
On ? Est-ce Hountondji lui-même, Niamkey Koffi ou Marc Augé ? En lisant
toute la citation, je me rends compte que le On n’est rien d’autre que Paulin
Hountondji. Il ferait mieux de dire : « Je suis tenté de … ». Pourquoi se
masquer ? Il me répond : « Puisqu’il est possible d’étudier aussi les
représentations collectives dans des sociétés disposant par ailleurs d’une
tradition philosophique écrite, la tentation signalée plus haut s’évanouit d’elle-
même, et l’ethnophilosophie est remise à sa juste place »499. Ouf !
L’ethnophilosophie retrouve ses lettres de noblesse jadis confisquées. Je
496
TSHIAMALENGA Ntumba, Art. cit., p. 44.
497
P. HOUNTONDJI, « « Ethnophilosophie » : le mot et la chose », p. 6-7.
498
Ibidem, p. 7. Je souligne.
499
Ibidem, p. 7. Je souligne.
144

peux contempler Hountondji : « Pour en revenir à mon itinéraire personnel,


voici plus de vingt-cinq ans que je me vois confronté à cette réalité
incontournable de l’impensé collectif »500. Et il « chute » sans se blesser :
« Cartésien jusqu’au bout des ongles, est peut-être, dans un sens plus cartésien
que Descartes, je voyais dans cet impensé un véritable défi dont le seul intérêt
était, somme toute, de provoquer par contre coup une pensée responsable qui le
mettrait en cause, ou en d’autres termes, de mettre à nu ce contre quoi (souligné
par l’auteur) une véritable philosophie pouvait s’élaborer. Peut-être faut-il
maintenant aller plus loin. La pensée même la plus personnelle est portée par
une histoire qui la déborde de toutes parts. Et cette histoire n’est pas
qu’individuelle, elle est d’abord collective. Il faut donc, dans un sens, renverser
les perspectives, et considérer l’individu comme un détail au regard de cette
pensée pré-personnelle qui le porte, au regard de la tradition, au regard de la
culture. On ne fait ainsi, cependant, que déplacer le problème. Car, une fois
reconnus, ces déterminants culturels et leur impact profond sur la personnalité,
on peut s’empêcher de reconnaitre qu’à un certain niveau la tradition elle-même
plurielle et propose toujours, de ce fait, un vaste éventail de possibilités qui
oblige l’individu à se déterminer à son tour, le plaçant ainsi, toujours et encore,
devant une incontournable responsabilité »501. Ainsi parla Paulin Hountondji II.

500
Ibidem, p. 7.
501
Ibidem, p. 7.
145

3.5. LES GRANDS COURANTS DE LA PHILOSOPHIQUE


AFRICAINE502

Plusieurs philosophes ont cité certains courants. Sans être exhaustif, je


citerai les auteurs en suivant la chronologie.

3.5.1. Courants de philosophique africaine


3.5.1.1. EYENGA en 1973503
- La philosophie spontanée depuis 1921
- La philosophie africaine sur la trace de l’ethnologie depuis 1945 (avec
Tempels)
- Philosophie articulée dès 1965 (F. Crahay)
3.5.1.2. KAIMBI en 1974504
- La réhabilitation de l’homme négro-africain
- La réaction aveugle
- La phase critique
3.5.1.3. NKOMBE Oleko en 1977505
Le courant tempelsien (Tempels, Kagame, Mulago, Lufulwabo,
Gusimana, Fouda, Mujinya, Mbiti)
Le courant idéologique (African Personality- Blyden et Irele-,
Négritude-Senghor, Césaire, Damas-, Humanisme africain Kaunda,-,
Socialisme africain-Senghor, Nyerere-, le consciencisme-Nkrumah-,
L’Authenticité-Mobutu, Sakombi, Gambembo)
Le courant critique ( Boelaert, De Souysberge, Crahay, Eboussi
Bulaga, Towa, Hountondji, Njoh-Mouellle, Elungu Pene Elungu,
Tshibangu wa Mulumba ; Adotevi)
Le courant herméneutique philosophique (Okere, Nkombe Oleko,
Kinyongo, Okolo Okonda, Maurier, Laleye, Tshiamalenga Ntumba)

502
Le livre de DOSSOU Y Davy, philosophie africaine : principaux courants et perspectives,
Paris, Edilivre, 2015 est aussi à consulter. Il insiste sur un fait : les philosophes africains
anglophones n’ont pas attendu que les occidentaux leur disent qu’ils sont philosophes pour se
prendre au sérieux. J.-M. Van Parys l’a souligné avant Dossou.
503
Cf. A. MPOYI Mukala, Op.cit., p. 181.
504
Cf. Ibidem, p. 181.
505
NKOMBE Oleko, « État actuel de la philosophie en Afrique », dans Science et Sagesse.
Documents du XXe anniversaire de la Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa (25
avril 1977), Kinshasa, FTC, 1977, p.78-93.
146

3.5.1.4. A.J. SMET en 1980506


- Le courant des philosophies idéologiques (Justification de la race
africaine avec E.W. Blyden, Panafricanisme avec B.T. Washington,
Marcus Garvey, W. E. Du Bois ; négritude, l’humanisme africain, le
socialisme en Afrique, le consciencisme, la pensée politique de
Lumumba, l’authenticité).
- Le courant de reconnaissance de philosophies africaines
traditionnelles (recherche d’éléments philosophiques avec Stéphane
Kaize, Affirmation de l’existence de philosophies africaines
traditionnelles, Philosophes et philosophies en Afrique noire
traditionnelle, Élaboration systématique de philosophies africaines
traditionnelles, avec Tempels, Kagame, Sagesse et savoir ésotérique).
- Le courant critique (contestation du statut philosophie avec, entre autres,
F. Crahay, Mbiti), Récusation de l’ethnophilosophie avec Eboussi
Boulaga, M. Towa, P.J. Hountondji, Elungu Pene Elungu, critique des
philosophes critiques avec J. Fabian, Nyamkey Koffi, Olibiyi Babalola
Yai ; Critique de la conception occidentale de la science et de la
philosophie avec, entre autres, Ngoma-Binda ; Le problème des langues
en philosophie africaine avec, entre autres, Tshibangu-wa-Mulumba,
Tshamalenga Ntumba).
- Le courant synthétique (L’Herméneutique philosophique avec, entre
autres, Nkombe Oleko, Kinyongo J ; Okolo Okonda ; Philosophie
fonctionnelle ; Recherche de nouvelles problématiques ; Les essais
historiques avec, entre autres, E. Dirven, A.J. Smet, Kinyongo J., Elungu
Pene elungu, ajoutons Ladrille)
3.5.1.5. ELUNGU PENE ELUNGU en 1984507
- Les philosophies ethnologiques (la philosophie bantoue du P. Tempels ;
La philosophie bantu-rwandaise ; L’ethno-philosophie)
- Les philosophies idéologiques (L’Afrique à l’heure de l’idéologie ;
l’Afrique à la recherche de son idéologie-panafricaine, négritude,
socialisme ; la critique de l’idéologie africaine)
- Les philosophies critiques (leur idée de la philosophie africaine ; la
destination de la philosophie)
3.5.1.6. E.A. RUCH et K.C. ANYANANWU en 1981508
- Ouvrages généraux (Conscience mythique, Travaux généraux sur
l’idéologie)
506
Cf. A.J. SMET, La philosophie africaine contemporaine; courants et problèmes, Kinshasa,
FTC, 1980, p. 296-299.
507
Cf. A. ELUNGU Pene Elungu, Op.cit., p. 169.
508
Cf. J.M. VAN PARYS, Op.cit., p. 69-70.
147

- Ethno-philosophie (études ethnologiques fondamentales, collections de


textes, études ethno-philosophiques, études ethno-religieuses, études
ethno-artistiques)
- Philosophie culturelle (études générales, philosophie de l’identité
africaine, Authenticité africaine et Négritude, Littérature africaine
moderne)
- Philosophie idéologique africaine (Humanisme africain, Socialisme
africain, Panafricanisme).
- Approche critique et recherche d’une voie nouvelle.
3.5.1.7. DIMANDJA Eluy’ a Kondo en 1985509
- Les philosophies ethnologiques ou ethnophilosophie
- Les philosophies nationalistes et indépendantistes
- Le courant des philosophes critiques

3.5.1.8. J.M. VAN PARYS résumant la philosophie africaine« anglophone » en


1993510
- Recherche des moyens de libérer l’Afrique (African Personality,
Panafricanisme)
- Des philosophies politiques et sociales (Consciencisme de Kwame
Nkumah, Ujamaa de J.K. Nyerere, Humanisme zambien de Kenneth
Kaunda)
- Des recherches de Philosophie du Développement
3.5.1.9. E. NGOMA – BINDA Phambu en 1994511
- Axe idéologico-politique
- Axe herméneutique (L’herméneutique comme philosophie de vie et de la
force : Placide Tempels, Kagame, etc. l’Herméneutique comme
philosophie et méthode, l’Herméneutique de la philosophie antique :
Cheich Anta Diop, Bilolo, etc.)
- Axe critco-prospectif (ethnologie et Ethno-Philosophie. Le Tempelsisme
à la barre : Towa, Hountondji, Elungu, Youssouph M. Guisse ; La contre-
critique : Eloge de la philosophie populaire ; Philosophie et
développement de l’Afrique)
3.5.1.10. MUTUZA Kabe en 2008512

509
Cf. DIMANDJA Eluy’ a Kondo, “Les philosophies africaines contemporaines et la
problématique du développement”, dans Les Nouvelles Rationalités Africaines, Vol 1, N°1,
octobre 1985, p. 8-15.
510
Cf. J.-M. Van PARYS, op.cit., p. 114.
511
Cf. E. NGOMA – BINDA Phambu, op.cit., p. 5-7.
512
Cf. R. MUTUZA Kabe, op.cit., p. 287-288.
148

- Courant de l’herméneutique (Kinyongo J., Tshiamalenga Ntumba,


Nkombe Oleko)
- Le courant théologique
- Le courant de la critique classique (Elungu Pene Elungu, Mudimbe)
- Le courant de la réévaluation des concepts (Buakasa, Musey, Mutuza
Kabe)
3.5.1.11. H. MONO Ndjana en 2009513
- Le Panafricanisme (Blydin, M. Garvey, Du Bois)
- La Négritude (Senghor, césaire et S. Adotevi)
- L’Ethnophilosophie (Tempels, Kagame, Fouda ; la critique : Towa et
Hountondji ; une troisième voie : les Nyctosophe ; Tedanga Ipota
Bembela)
- La Renaissance africaine (Thabo Mbeki, Steve Biko, le Nepad, etc.)
- Égyptologie, Afrocentricité (C. A. Diop, T. Obenga, Malefi Kete Asante,
J.-P. Omotunde, Maulana Karenga, Ama Mazama)
Tenant compte des courants précédents et de la pratique
philosophico-politico-économique, je propose ce qui suit :
3.5.1.12. Grands courants de la pensée philosophique africaine selon Louis
MPALA Mbabula en 2019
Dans le souci d’avoir une classification argumentée, je pose cette
question :
3.5.1.12.1. Sur quoi doit-on se baser pour parler des Grands courants
incluant les petits courants ? Cette question soulèvera le débat. Je propose les
critères suivants :
3.5.1.12.1.1. Thèmes
3.5.1.12.1.2. Méthodes
3.5.1.12.1.3. Branches philosophiques
3.5.1.12.1.4. Un Maître à penser et ses disciples
3.5.1.12.1.5. Polémique
3.5.1.12.1.6. autres
N.B. : Tenant compte de ces critères, nous aurons cinq Grands
courants et le sixième est à compléter. Autrement dit, le travail continue.

Cf. H. MONO Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan, 2009, p.


513

173-243.
149

3.5.1.12.2. Grands courants idéologico-politiques et identitaires (proposés en


partant du critère de thèmes)
- African Personality : Edward W. Blyden
- Panafricanisme : B. T. Washington, Marcus Garvey, W.E. Du Bois,
John Chilembwe, Navuma Tambula et Salomon Kumalo
- Ujamaa (Socialisme africain) J.K. Nyerere
- Humanisme zambien : Kenneth Kaunda
- Consciencisme : Kwame Nkrumah
- Authenticité : Mobutu
- Négritude : Senghor, Césaire, Stanislas Adotevi
3.5.1.12.3. Grand courant ethnophilosophique et critique (proposé à partir du
critère d’un maître et ses disciples de droite et de gauche)
- Ethnophilosophie : P. Tempels, Kagame, Mujinya…
- Critique de l’ethnophilosophie : F. Crahay, Hountondji, Towa, Elungu
Pene Elungu
- Critique des critiques : Nyamkey Koffi, Ngoma – Binda,…
3.5.1.12.4. Grand courant de l’herméneutique (proposé en tenant compte de
la méthode)
- Kinyongo J.
- Tshiamalenga Ntumba,
- Nkombe Oleko
- Okolo okonda
3.5.1.12.5. Grand courant politico-économique (proposé en partant des
branches philosophiques : philosophie politique et sociale, philosophie de
développement)
- Renaissance africaine : Steve Biko, Thabo Mbeki
- NEPAD
- Prosôponisme : Mpala Mbabula Louis
3.5.1.12.6. Grand courant de l’Égyptologie et de l’Afrocentricité (proposé à
partir du critère de thème, de la méthode et de la polémique)
- Cheikh Anta Diop
- Théophile Obenga
- Molefi Kete Asante
- Jean Philippe Omotunde
- Maulona Karenga
- Ama Mazama
- Bilolo Mubabinge
150

- Mabika Nkata
3.5.1.12.7. Et autres : à ce niveau, nous tiendrons compte du critère branches de
la philosophie. Ainsi on aura, p.e., l’Association des Épistémologues de…, etc.
Je sais que l’Association nous rapproche du courant.
N.B. : - Loin de moi de prétendre que ma classification aura l’assentiment de
tout le monde. Elle a un mérite, celui de partir de certains critères,
discutables sans doute.
L’histoire humaine et philosophique n’étant pas encore close, les Grands
courants naîtront toujours. A d’autres chercheurs de poursuivre le travail en
ayant à l’esprit que A.J. Smet est notre pionnier.
Un même philosophe africain peut appartenir à plusieurs courants à
la fois. Voilà qui embarrasse tout chercheur qui voudrait classer les philosophes
selon les courants.
Comme l’on peut apprendre par pratique ou exercisation, par résolution
des problèmes, par exploration, par création et par débat ; j’invite le lecteur
ou la lectrice à poursuivre le travail ayant trait à la philosophie africaine.
151
152

BIOBLIOGRAPHIE SOMMAIRE A COMPLETER

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Ibidem
Ibidem
Cf. A.LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris,
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Cf. P.MICCOLI, Filosofia della storia, Roma, Città Nuova, 1985, p.67-69.
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"l'application de l'épithète philosophie à toutes autres formes de pensée en
pratique chez tout peuple autre que le peuple grec, reste une application
analogique", et pour lui les Grecs ont inventé la chose qu'on nomme philosophie
(La philosophie, pourquoi en Afrique? Dans C.P.A. 3-4 (1973), p. 90-92).
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Cf. T. OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique, 2780-
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Cf. C. RAMNOUX, Les Présocratiques, dans PARRAIN, B.(dir),Encyclopédie
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Cf. C. SUMMER, Aux sources éthiopiennes de la philosophie africaine,
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1990, p. 29.
T. OBENGA, La Philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330
avant notre ère, p.60. cf. Le Livre des morts des anciens égyptiens, introduction,
traduction, commentaire, de Paul BARGUET, Paris, Cerf, 1967, Chapitre 17.
Cf. ID., La philosophie pharaonique, dans Présence Africaine 137/138(1986)
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1981, p. 126. inédit Cf. Le livre des morts des anciens égyptiens, chapitre
J. MABIKA Nkata, Whitehead et la cosmologie africaine. 7th Withehead
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commentaire de P. Barguet, Paris, Cerf, 1967..
Le livre des morts des anciens égyptiens, chapitre 125, p.158-159.
Cf. NGOMA-BINDA, La philosophie africaine contemporaine, Kinshasa,
F.C.K., 1994, p. 128.
J. YOYOTTE, La pensée préphilosophique en Egypte, dans PARAIN, B. (dir),
Encyclopédie de la Pléiade. Histoire de la philosophie. I. Orient –Antiquité –
Moyen Age, p. 14-19.
Cf. P. SAÏDA RADJA, Kemet, Berceau des civilisations modernes.
Introduction à l’afro-centrisme scientifique, Lubumbashi, Presses
Universitaires de Lubumbashi, 2000, p. 47.
P. MASSON – OURSEL, Histoire de la philosophie, Paris, s.e., 1969, p. 32.
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J. BURNET, L’aurore de la philosophie grecque, Paris, Payot, 1970, p.22.
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Cf. L. COULOUBARITSIS, Aux origines de la philosophie européenne : de la
pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles, De Boeck, 1994, p. 597.
M. DE GANDILLAC, Platon, dans Dictionnaire des Philosophes, p.
1246. ??????????
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F. COPLESTON, Histoire de la philosophie. La philosophie médiévale, Paris,
Casterman, 1964, p. 31.

Ibidem, p. 31.
E. D’ASTER, Histoire de la philosophie, Paris, Payot, 1952, p. 121. Nous
soulignons.
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Ibidem, p.
Ibidem, p.
Ibidem, p.
Ibidem, p.
Ibidem, p.
Cf . L. MPALA Mbabula,
165

Cf. H. MONO Ndjana, Histoire de la philosophie africaine, Paris, L’Harmattan,


2009, p. 173-243.
166
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