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Éditions de la
Sorbonne
Théorie critique et modernité négro-africaine | Jean-Godefroy Bidima
p. 173-224
Texte intégral
1 Notre propos étant de procéder à un examen des postulats, méthodes et thématiques
structurateurs de ce discours, il ne sera question pour nous, ni de labourer les champs
négro-africains pour trouver une quelconque philosophie, cette tendance idéologique
obture la vraie recherche sur les problèmes fondamentaux de la praxis, ni de faire une
herméneutique des traditions pour ressusciter une quiddité rationnelle garantissant au
Nègre le brevet d'humanité, ni de chercher une philosophie dite du développement (vite
récupérable par les pouvoirs autoritaires et utilisée aux fins d'obturation des possibles).
Notre intervention sur le domaine du discours philosophique africain change de
perspective et s'emploiera à étudier comment le discours des philosophes négro-africains
s'érige en discours du pouvoir, en pouvoir obturateur des possibles qui prend pour
alliées/alibis la rationalité et l'émancipation du Sujet négro-africain. Notre démarche
voudrait explorer la réponse à cette question qui résume le paradoxe de la philosophie
africaine : comment la philosophie africaine, initialement projet de déstructuration des
postulats réducteurs et autoritaires issus de la colonisation et de ses adjuvants, est-elle
devenue un discours de maîtrise fonctionnant avec des catégories autoritaires ?
Comment, et en quoi l'émancipation se tourne-t-elle en son contraire de façon active et
passive ? Pourquoi ce discours philosophique se transmue-t-il en discours de l'ordre ?
Comment rendre compte que la mise en ordre de certains philosophèmes n'était qu'une
mise en discours de la violence symbolique structuratrice de l'espace répressif en Afrique
Noire ? Le devenir-pouvoir répressif du discours philosophique négro-africain ne peut
être démasqué que par une mise en lumière des diverses tendances qui agitent à l'heure
actuelle ce discours. De cette mise en évidence, nous dégagerons les "philosophèmes" (en
vérité les idéologèmes) afin de voir les implications épistémologico-politiques de ce
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L'essentiel du propos tournait autour des grandes généralités sur la position à adopter
devant les alternatives : "pour ou contre" l'existence de la philosophie africaine, pour ou
contre l'ethnophilosophie, pour ou contre l'existence de la philosophie négro-
pharaonique, pour ou contre une existence d'une philosophie éthiopienne (nègre et
copte !). Poser déjà l'essentiel des questions du colloque autour d'une alternative (soit...
soit...) relève d'un questionnement idéologique parce qu'anti-dialectique. En effet, la
catégorie dialectique d'action réciproque interdit de poser les problématiques en termes
d'alternative (ou bien on est pour la philosophie traditionnelle et collective alors on est
un ethnophilosophe, ou bien on est contre, alors on est signalé à la vindicte des
"authentiques" Africains qui vous baptiseront "europhilosophes"). L'alternative comme
procédé de questionnement se révèle autoritaire, dans la mesure où l'énoncé binaire des
termes de la question met le Sujet répondant en demeure de ne choisir qu'entre l'un des
termes de l’alternative. Osera-t-il ajouter une réponse qui échappe à ce carcan binaire
qu'il lui sera signifié que ce n'était pas là la question posée ni le problème à résoudre. Ce
procédé autoritaire a figé et stérilisé le débat philosophique en Afrique. Et le colloque
d'Addis-Abeba dont la problématique générale partait de cette alternative implicite, a
débouché sur une première classification des "philosophies africaines" fortement sujette
à caution comme les autres.
5 J.M. Van Parys1 classe les communications de manière curieuse. Il distingue les textes
dits de révolte, ensuite l'ethnophilosophie. De ces deux séries, il dégage quatre courants :
la nouvelle problématique de la philosophie africaine, les études historiques, la
philosophie éthiopienne et la philosophie sociale. Une classification/dissection analogue
du champ philosophique en Afrique noire se fait observer chez Elungu Pene Elungu2.
Celui-ci, avec un grand talent didactique, classe les courants philosophiques en Afrique
sous trois rubriques : les philosophies ethnologiques, les philosophies idéologiques, et le
courant critique. Le récent ouvrage de ce penseur ne fait qu'habiller ce schéma3. Ces
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deux classifications sont faites dans un contexte zaïrois, mais les mêmes schémas de
classification se font voir au Sénégal et au Cameroun. Ce qui nous suggère l'étendue et
l'importance de ce problème de classification.
6 Deux penseurs sénégalais attirent notre attention, Pathé Diagne et A.Aly Dieng. Le
premier, dans un ouvrage sur l'europhilosophie4, s'emploie à "penser les possibles d'une
histoire libératrice des hommes et des peuples"5. Sur ce, il n'entreprend pas de détecter
les "images-souhaits" et la possibilité d'une utopie concrète libératrice du tissu social
africain, mais il procède plutôt à une "redécouverte de l'esprit de la civilisation
pharaonique et post-pharaonique en Afrique noire"6. Cette découverte est subordonnée
au démasquage des puanteurs et pesanteurs de "l’euro-philosophie" dans le continent.
Dans ce projet, la classification des philosophies en Afrique suit une démarche
manichéenne ; d’un côté l'europhilosophie, et de l'autre, la pensée négro-
africaine/pharaonique. Ce dualisme un peu trop intangible ignore la complexité et la
subtilité des différents problèmes qui peuvent sous-tendre cette philosophie africaine
que les classifications et présupposés idéologiques réduisent à un discours stérile voué à
la répétition du même. Cette analyse oublie que chaque concept et chaque philosophie
obéissent à une logique des multiplicités (Deleuze). Celle-ci introduit entre une
philosophie et elle-même des écarts et un foisonnement incontrôlable des devenirs qui
font qu'une philosophie n'a jamais un fond commun, à la fois présence à soi et absence.
L'europhilosophie est à la fois elle-même et peut être autre chose qu'elle-même.
7 Le deuxième penseur, Aly Dieng, économiste sympathique et érudit, entreprend à la
suite de son ouvrage Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, d'étudier les
"problèmes philosophiques d'Afrique Noire"7. Le but de cette oeuvre est de procéder à
l'examen de la "pertinence du discours philosophique par rapport aux luttes des peuples
africains"8. Et la classification qui est sous-jacente à cette analyse se trouve être la même
que celles sus-évoquées. Il se profile, derrière ce discours, une répartition de la
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démarche au rang de science rigoureuse par une soumission de ses conjectures à une
"vérification" à l’aide des disciplines auxiliaires (l'archéologie, les statistiques, la
géographie, l'héraldique, la numismatique, la sigillographie, la sociologie,
l'anthropologie...), mais il n'en demeure pas moins que la phase herméneutique est
sujette au choix d'une subjectivité qui veut connaître (la connaissance, comme le
souligne Habermas, étant toujours liée à l'intérêt) en fonction de ses préoccupations.
C’est ainsi qu'une certaine représentation du devenir historique peut avoir des
incidences sur la façon dont les Sujets impliqués dans l'histoire se déterminent vis-à-vis
de la société, au regard de l'action qu'ils doivent mener dans celle-ci. L'histoire et la
façon de l'aborder peuvent se souder aux intérêts politiques. Il est clair que présenter le
devenir de l'histoire (naturelle/sociale/humaine) comme le théâtre dans lequel tout est
mû et converge vers la Christogenèse (point omega) serait, ni plus ni moins, soumettre
l'action humaine à la nécessité et étouffer le possible11.
10 Ce qui est intéressant dans le cas qui nous préoccupe, consistera, non pas à voir la place
que les Africains ont occupée dans l'histoire de la philosophie, mais à examiner les
arguments et présupposés qui se trouvent à la base de la présentation de leurs
philosophies. Notre démarche se propose de ne pas répondre à la question déjà trop
débattue, à savoir ce qu'on a dit des Africains/Nègres concernant la philosophie, mais de
s'interroger sur un problème brûlant et peu abordé par les Africains : que disent-ils
d'eux-mêmes, comment se positionnent-ils dans la philosophie ? Il s'agit de travailler à
dégager les implications idéologiques de ce dire des Africains ; ce qu'on dit d'eux est
moins important que ce qu'ils disent d'eux-mêmes. La philosophie en Afrique, telle
qu'elle se fait présenter par les penseurs de ce continent, tourne autour d'un point
central qui semble être ce missionnaire belge, Tempels. Les tentatives sont faites de part
et d'autre, soit pour le disculper, soit pour le dénoncer12. Dénoncé ou récupéré, il
demeure d'après les présentations évoquées une figure incontournable. Les diverses
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et, par conséquent, la détermination historique de son soi ne peut qu'obéir à un schéma
évolutionniste dans lequel la platitude cédera le pas à un "grand destin du peuple noir".
Les dépassements que nous fait voir la classification de la philosophie en Afrique
renvoient à une conception du temps qui sous-tend l'horizon intellectuel des
présentateurs sus-nommés.
14 Le dépassement, supposé ou réel, des différentes philosophies africaines ne tient
compte, ni de la lutte qu’il y a à l'intérieur de chaque système philosophique, ni même de
l'abandon de l’évolution comme méthode de classification. La philosophie n'évolue pas
en Afrique noire à travers une Odyssée comprenant le stade ethnophilosophique, le stade
critique, le stade idéologique, et le stade de la refondation d'une philosophie à base des
traditions pharaoniques ou tribales. Mais, en son sein, s'articule une lutte entre la
nécessité et la possibilité, autrement dit, entre un discours institué (fût-il rationnel !) et
les clameurs des discours instituants. La classification des philosophies en Afrique en
termes d'évolution et non en ceux d'opposition dialectique s'adosse sur l'idée d'un
progrès très linéaire.
15 En elle-même, l'idée du progrès ne semble pas avoir des retombées idéologiques
susceptibles de barrer la voie à l'émergence du possible dans l'histoire. Cette idée revêt
une certaine importance pour la compréhension du gauchissement idéologique et de son
corollaire, l'idée du développement15. Notre intention est de mettre en lumière comment
l’idée du progrès est devenue une idéologie fonctionnant/distribuant une certaine
méconnaissance qui transparaît dans la classification évolutive et unilinéaire de la
philosophie en Afrique. L'idée du progrès est liée à une certaine conception de l'histoire
supposant soit un optimisme fondé, soit un pessimisme déclaré. Les utopies et certains
millénarismes -croyant la plupart du temps au développement d'une histoire dont
"l'arché" et le "telos", dans un ailleurs spatial ou temporel situés, réconcilieront l'être de
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l'homme avec lui-même- supposent une notion du progrès reposant sur un optimisme
historique.
16 En revanche, les eschatologies avec leur vision cataclysmique de l'évolution et de sa
finalité, fonctionnent implicitement avec la notion d'un progrès pessimiste. Que ce soit la
variante doctrinale optimiste, que ce soit la pessimiste, toutes les deux peuvent, à des
degrés divers, procéder à une démobilisation au niveau de l'action. Si la progression de
l'histoire vise une fin heureuse s'imposant à nous, moyennant un certain réajustement de
nos comportements, alors point n'est besoin d'introduire les ridicules histoires de lutte
des classes ; "il n'y a qu'à...". A contrario, si le progrès suit la chute d'une humanité
coupable, il va s'acheminer vers la catastrophe finale purifiant/régénérant cette
humanité, alors "il n'y a qu'à... attendre la venue du Soler...". Ces deux visions du progrès
installent le Sujet dans une espèce de nécessitarisme où, croyant agir pour produire du
neuf, il se fige dans la répétition du "même". A partir de ces visions du progrès, aucun
discours pratique du possible ne peut émerger, nous évoluons à l'intérieur d'une vision
nécessitariste de l'histoire, où les possibles divers que nous rencontrons/expérimentons,
concourent à la réalisation d'un dessein eschatologique. Mais, pourquoi les philosophes
africains s'acharnent-ils à présenter leur philosophie sous la démarche d'un progrès se
dirigeant vers les formes supérieures de la rationalité ? Est-ce innocent de croire à un
développement continu s'effectuant à coups de dépassements ? Pourquoi privilégier le
dépassement et non le conflit qui se trouve à l'intérieur des divers paradigmes d'une
même philosophie ? L'imaginaire obturateur des possibles et l'imaginaire instituant qui
sont repérables dans chacune de ces philosophies sont-ils mis en valeur ?
17 La classification de la philosophie africaine sous la bannière du dépassement ou du
progrès obéit à la première méconnaissance qui est la vision triomphaliste du devenir
historique de l'Afrique noire. S'il est établi que la philosophie a évolué en Afrique à partir
des balbutiements ethnophilosophiques (ou bien à partir des textes fondateurs des
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qui hante les Africains à travers ces classifications traduit et conduit au désamorçage
politique consistant à ne plus "trop demander", ni aux politiques, ni aux intellectuels, ni
à la société civile, puisque tous font ce qu'ils peuvent dans une histoire qui, somme toute,
est ascendante. Le progrès dont il s'agit ici est un semblant de "croissance dans
l'homogène"16.
19 La conception du progrès dont il s'agit dans ces présentations est abstraite et la Raison
dont parlent ces philosophies se révèle être une Raison intemporelle et anhistorique qui
chevauche de l'ethnophilosophie aux philosophies néo-négro-pharaoniques, via les
philosophies critiques et celles du développement. Comment ces philosophies se sont-
elles déterminées vis-à-vis de la production matérielle, autrement dit, quel lien pouvait-il
y avoir entre la production/reproduction de la vie en Afrique et l'apparition de ces
philosophies ? L'apparition ou la disparition de l'ethnophilosophie, par exemple, ont-
elles été liées aux changements ou à la permanence d'une certaine économie de marché
ou non ? Ce passage, des élaborations ethno-philosophiques aux philosophies africaines
dites critiques, a-t-il été l'objet ou la conséquence du changement de l'organisation de
l'Etat dans les post-colonies ? Quels sont les rapports entre les philosophies africaines, le
Capital, le sexe et l'Etat ? Une présentation/classification de type triomphaliste ne tient
compte, ni des contradictions internes des philosophies, ni du nécessaire (et parfois
relatif) rapport qu'il peut y avoir entre la philosophie, l'économie, la sexualité et l'Etat.
20 Les articulations entre le discours philosophique africain, les contraintes de la
production et la loi étatique sont ignorées. Quels investissements/désinvestissements se
font entre les codes du discours philosophique, la catégorie d'échange en économie
tropicale et le problème de l'obligation suggéré par la loi étatique ? Les Africains qui
disent et classent leurs philosophies sont muets sur ces problèmes fondamentaux et se
contentent de présenter des séquences conduisant vers le grand destin du Nègre reconnu
et rénové ! A cette classification triomphaliste, il faut opposer une présentation qui
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prend les diverses élaborations de la philosophie en Afrique dans une structure qui met
ses différents moments en relation avec des thématiques bien définies et répondant à
une certaine organisation du social.
21 Ainsi, au schématisme réducteur de la présentation : ethnophilosophie, philosophie
critique, le courant idéologique, le courant néo-négro-pharaonique, etc... il faut
substituer des couples à l'intérieur desquels se dégageront des problématiques bien
déterminées. Notre insistance sur cette classification est due au fait que c'est à l'intérieur
d'elle que nous pourrons dégager comment le discours philosophique est devenu un
discours de maîtrise sous les oripeaux de la rationalité en Afrique, et comment le
philosophe négro-africain, apparatchick, vit/théorise/fantasme sa propre
méconnaissance. La classification par couples nous permet de distinguer les pistes de
recherche ; ces rapports s'articulent avec l'ethnologie et les traditions.
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consistant à trouver des ressemblances entre les langues dominées et les langues
dominantes. Le Sujet discoureur en langue dominée veut, par cette réfutation, prouver sa
sortie de la particularité pour se hisser au niveau de l'universalité décrétée et définie par
le maître. Dire que le Ki-Swahili a aussi la table des dix catégories d'Aristote serait le
sortir de sa particularité géographique, afin qu'il exprime, à sa manière, l'universalité des
catégories de l'Organon. Le Kiswahili serait ainsi sauvé-du moins, pense le philosophe
négro-africain-des pesanteurs de la particularité, afin d'adopter la "souplesse" des
langues indoeuropéennes. Les tenants de ce concordisme furent ceux qu'on qualifia jadis
d'ethnophilosophes22.
32 Les deux versants du concordisme23 opèrent une hypostase du problème de la langue en
Afrique. En posant les langues européennes comme modèles en fonction desquels seront
analysées les langues africaines, on en fait par présupposition une substance immuable à
laquelle les modèles périphériques que sont les langues africaines devront se conformer.
Pourquoi vouloir à tout prix prouver, comme Kagame, que les langues bantoues
déclinent la substance et les modes comme le grec du temps d'Aristote ? La même
substantialisation du langage se retrouve chez les concordistes égyptophiles. Poser que
l'égyptien ancien a des parentés avec le yoruba ou le haoussa, présuppose que l'égyptien
est une substance immuable et, comme l'Idée platonicienne, il éclaire et fonde les
langues négro-africaines devenues (comme les ombres de la caverne) de pâles reflets de
cette substance divine et éternelle. Le concordisme égyptophile aboutit à deux
conséquences. D'abord, nous observons un phénomène d'émanation plus ou moins
métaphysique concernant le problème de la langue. Les langues africaines procéderaient
-mystérieusement comme le Fils procède du Père- de l'égyptien antique... Ensuite, cette
filiation quasi mécanique suppose que les langues africaines n'ont pas évolué. Le
substantialisme, qui projette une langue essenceétalon, consiste en un réductionnisme
anti-dialectique et moniste. Le travail philosophique sur ces langues pourrait laisser cet
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comme le dit Hebga, ils sont aussi "fânés de honte", parce que, en Ki-Swahili, le
Président Amin ordonna des tortures et des meurtres. Parler, enseigner, "exporter" les
langues africaines ne pose ni ne résout le problème de l’autorité et de l'émancipation.
36 Un phénomène qui illustre le caractère illusoire de la problématique de l'extension des
langues africaines et de la réappropriation de celles-ci par les institutions africaines
(l'école, l'Etat, les Eglises) se trouve être, chez les théologiens catholiques africains, le
fameux problème de l'inculturation. Après Vatican II, les Eglises catholiques africaines
ont "africanisé" la liturgie. Les instruments de musique africains prirent la place des
harmoniums, les langues locales chassèrent sympathiquement le latin. Le sérieux, la
sévérité et l’austérité de la messe en latin firent place à la danse africaine à l'Eglise et à la
jovialité hilare des fidèles. Ce changement aurait pu nous faire croire à l'émancipation,
mais, illusion d'optique ou de perspective, plus que jamais ces Eglises ne sont pas pour
autant libérées. Que le personnage du prêtre ne soit plus "Rex secundum ordinem
Melchisedech" mais "chef de tribu" ne pose pas a priori les problèmes de l'autorité et de
l'émancipation. Ce que nous voulons souligner réside dans le fait que la promotion de la
langue dans les écoles, l'emprunt de l'alphabet latin25 et arabe, l'explication des termes
scientifiques dans les langues africaines ne résolvent pas en eux-mêmes le grand
problème de l'émancipation à travers le langage. A preuve, les Eglises catholiques
africaines qui ont traduit toute la liturgie en costumes et langues locaux n'échappent pas
au problème de l'indépendance. Même si la messe est dite en Lingala (Zaïre), cela
n'élimine, ni l'action disciplinaire des "épiscopocrates" de la curie romaine, ni la gestion
symbolique des affects, ni la vassalité et la dépendance matérielle de ces Eglises vis-à-vis
de l'Occident, ni l'impérialisme symbolique du judéo-christianisme. L'illusion
triomphaliste consiste à mettre en marche les mécanismes de la célébration d'une
victoire et d'une prospérité beaucoup plus supposées que réelles à l'aide de la catégorie
du possible illusoire, "il n'y a qu'à...". Pour que les langues africaines parviennent à une
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meilleure élucidation du rapport entre le Sujet et son historicité... il n'y a qu'à... trouver
les accointances avec les Pharaons..., prouver qu'elles sont aptes à la métaphysique..., les
enseigner..., les exporter..., les exhiber à l’O.N.U, etc... Le triomphalisme veut exorciser
l'histoire africaine en rendant impossibles ces possibles en gestation que notre rapport à
la souffrance au cours de l'histoire appelle. En faisant croire à la grandeur de l'Afrique, (à
la limite, c'est assez sécurisant psychologiquement pour nous Africains), en célébrant de
façon ostentatoire les fêtes faisant suite à l'obtention de la reconnaissance, les
intellectuels africains postulent/veulent une histoire africaine guidée par un grand
dessein, une Afrique qui se vante d'avoir enseigné les Grecs, et qui considère ses maux
présents comme des accidents de parcours qui n'entament en rien la majestuosité de ce
"continent berceau de l'humanité". Ces tentatives de rattacher à tout prix le destin actuel
de l'Afrique noire-dans ses douloureuses parturitions-à l'Egypte pharaonique relèvent
d'une méconnaissance. Vouloir fonder l'historicité présente sur une Egypte éloignée
dans le temps est une tentative de masquer les écueils présents ; les fondements cachent
l'effondrement ! !26
37 Le concordisme linguistique chez les philosophes africains a eu avant nous plusieurs
critiques de direction et de talents différents. La plupart de ces critiques relevaient les
incohérences méthodologico-historiques d'une telle démarche. Ce qui n'a pas été traité,
et que nous voulons ici souligner, concerne le concordisme comme attitude
pathologique qui se traduit par une "haine de soi" (Selbsthasst). Vouloir fonder son
historicité à travers la concordance entre le grec d'Aristote et les langues bautoues
traduit la haine de soi-même dans la mesure où l'auto-consistance de soi n'est garantie
que par le prestige d'autrui. Cette situation de "haine de soi" est un phénomène qui
s'était déjà produit dans l'histoire des Juifs de Vienne au début de ce siècle. Le cas du
Juif viennois Karl Kraus est très éclairant. Celui-ci, dans son journal "Die Fackel" (la
torche), a entrepris une campagne antisioniste contre Theodor Herzl. Pour Kraus, les
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sionistes voulaient constituer un nouveau ghetto pour les Juifs en Palestine. Selon lui, la
décadence était due à la corruption judéo-libérale de la finance et de la presse. Il
demanda aux Allemands de ne pas contaminer leur race par les Juifs. Ces
recommandations sont dans Die Fackel, n. 413-417, 1915 (Au sujet de la "Selbsthasst", il
faut consulter Jacques le Rider, Modernité viennoise et crise de l'identité, Paris, 1984).
Dans son délire assimilationiste apparaît le problème du langage. Le rapport du Juif
assimilé au langage était une sorte d'auto-exorcisme. Son propre langage était fort
déprécié. Le "Mauschel" (Moïse, le pauvre juif errant en Hébreu-yiddish) symbolisait le
"jargon" juif. Ce "Mauschel", méprisé par les Allemands l'était aussi par les Juifs comme
Karl Kraus et Eduard Engel. Ceux-ci sont devenus de véritables obsédés du bon usage et
du purisme de l'allemand. Les études comparatives entre le "Mauschel" et l'allemand
était largement favorables à ce dernier, ce qui aboutissait à la dépréciation du
"Mauschel". Le concordisme linguistigue des Africains est, malgré les apparences, fort
dépréciable pour les langues africaines. Il naît en Afrique, un syndrome fréquent chez les
opprimés : la haine de soi. Le concordisme n’est donc pas une simple affaire linguistique,
mais un problème pathologique. Albert Memmi exprime bien cette attitude : "il existe
une judéophobie du Juif, comme il existe une négrophobie du Noir et un anti-féminisme
des femmes, qui sont l'aboutissement logique du refus de soi" (Albert Memmi, Portrait
d'un Juif, II, Paris, 1966, p. 92 et sv.).
38 La vision triomphaliste est historiciste, dans la mesure où est présupposé
méthodologiquement un principe de continuité (entre les langues africaines, et les
catégories d'Aristote, cf. Alexis Kagame, et entre l'égyptien ancien et les langues
africaines) lui-même s'inscrivant dans une lecture du développement historique très dix-
neuvièmiste. Ce principe de continuité est unilinéaire et presque mécanique chez les
philosophes africains. Ce principe continuiste présuppose, toujours dans un cadre très
dix-neuvièmiste, un déterminisme rigoureux du passé sur le présent et l'avenir. Ainsi,
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suivant cette lecture d'une histoire africaine continuiste, le passé glorieux de l'Afrique
pharaonique déterminera-t-il le futur de l'Afrique et, puisque ce passé était triomphant,
le futur -par le principe de continuité- sera lui aussi triomphant. Le triomphalisme
historiciste qu'occultent ces exposés sur les langues africaines, introduit une approche
nécessitariste du devenir historique de l'Afrique. Il est vrai, les propos d'un Senghor ont
assez agacé, mais la réaction du rétablissement de la dignité des langues africaines a
insidieusement opté contre le possible. Senghor affirmait :
39 "Le français est une langue à vocation universelle... parce que le français est une langue
"de gentillesse et d'honnêteté". Qui a dit que c'est une langue atone d'ingénieurs et de
diplomates ?... Je sais ses ressources pour l'avoir goûté, mâché et enseigné, et qu'il est la
langue des Dieux... Et puis, le français nous a fait don de ses mots abstraits-si rares dans
nos langues maternelles-... chez nous les mots sont nécessairement nimbés d'un halo de
sève et de sang, les mots français rayonnent de mille feux comme les diamants. Des
fusées qui éclairent notre nuit..."27.
40 La réfutation de l'auto-négation du Nègre (telle qu'elle transparaît chez Senghor) aurait
dû pousser les philosophes africains à examiner les rapports entre le dit, le non-dit et le
non-encore dit. Au lieu d'adopter le concordisme ou le triomphalisme, le rapport du
Sujet négro-africain au langage-rapport non-encore bien circonscrit et par conséquent
opaque-peut s'inscrire dans l'examen laborieux des divers codes à travers lesquels les
stratégies de capture du Sujet s'investissent dans la vie des Africains. Comment se place
la notion de code relativement à l'idéologie à travers la multiplicité des sociolectes en
Afrique ? Tâche linguistique, mais aussi politique dans la mesure où les codes mis en
marche par une certaine rhétorique peuvent contribuer au renforcement de la
redondance autoritaire. Comment les codes rhétoriques, architecturaux,
cinématographiques et iconiques en général peuvent-ils opérer chez les individus des
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mana. "La religiosité est un prédicat essentiel dans la vie du Nègre". Ce refrain, repris en
choeur par les Africains, a investi plusieurs domaines. Si on a pu dire que son art était
originairement religieux, le problème relatif à la langue en Afrique ne manquera pas au
rendez-vous de la "transcendance" et du "spirituel". La langue est ainsi inféodée à la
magie et au mana.
43 Dans La pensée africaine, Alassane Ndaw, développe tout au long de son ouvrage un
vitalisme spiritualiste et manifeste un intérêt pour la linguistique. A celle-ci, il assigne
une tâche de description des langues africaines, mais, sans poursuivre l'argumentation et
tirer les conséquences socio-politiques qui s'imposeraient, il tombe immédiatement dans
l'incantation. "Nommer est un acte magique doué d'efficace". Parler, c'est aussi
manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques. C'est aussi évoquer le monde
non visible des ancêtres et des Dieux. Peut-être devrait-on, plus exactement, parler de
mondes au pluriel, et du même coup... il faudrait s'attacher à l'étude des niveaux de
langue... Peut-être devrait-on... s'acheminer vers une théorie linguistique de la magie"30.
44 Toute étude des langues africaines devra tenir compte de sa "vocation ontologique"31 et,
du coup, la linguistique doit y être "une ontolinguistique"32. L’originalité des langues
africaines, poursuit Ndaw en toute sérénité, consiste à être des actes magiques, car elles
sont substantiellement liées à l'Etre comme force vitale. Et si jamais on traite de ces
langues sans en référer à ce qui suit, on ferait de belles théories "désincarnées" et
"vides"33. L'étude de la linguistique devra s'occuper des niveaux de langue au sein d'une
société, en établissant par exemple une nette différence entre le langage profane et celui
des initiés (nous y sommes !). La langue aura alors ici une double fonction : "signifier et
cacher"34, d'ailleurs, on doit conserver ces initiales et ce langage sacré.
45 "Il est juste que la langue profane ne puisse galvauder le sacré"35. Brillant, Alassane
entreprend l'étude des différences entre la langue secrète Dogon (toujours !) et la langue
profane de cette tribu. De la linguistique comparative, Alassane glisse vers une onto-
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cosmo-théologie qui débouche sur un acte de foi politique : "Le langage organise le
monde, c'est-à-dire maintient le statu quo des forces vitales bénéfiques et maléfiques"36.
Examinons cette inféodation du problème de la langue au mana.
46 D'abord, il n'est pas sûr que "nommer" ne soit qu'un acte magique. Alassane fait dans
cette définition une curieuse concession au mythico-religieux. Cette conception de Ndaw
se rapproche de la Genèse biblique où Dieu opère à travers la nomination des éléments.
La parole, dans ce cas, a une fonction ontogénétique de nature métaphysique
incompréhensible pour ceux qui, comme nous, sont habitués à voir dans la nomination
un acte linguistique et politique de classification, de disposition et d'assignation des êtres
dans leurs statuts respectifs. La seule parole ne crée pas, c'est plutôt l'action de l'homme
sur la matière physique et sociale qui peut être porteuse de création. Dire que "parler,
c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques"37, c'est supposer
a) que la nature est animée des forces conscientes, b) qu'il y a une continuité et une
connivence de type astrologique entre le Sujet humain et ces forces, c) qu'il existe un
méta-monde ou un infra-monde qui contient ces forces bénéfiques. Ces forces
mystérieuses, ce topos transhistorique, et ces existences invisibles ouvrent à de brillantes
synthèses métaphysiques qui, malheureusement, ne posent pas le problème du rapport
entre le langage et l'autorité.
47 La première supposition, à savoir que la Nature est animée de forces
maléfiques/bénéfiques est assez curieuse. Historiquement, après la révolution
galiléenne, il est tout à fait ahurissant de voir ceux qui prétendent à la philosophie
présenter la Nature, non pas en termes de relations séculières, mais comme une espèce
de participation vitale et mystérieuse. Cette Nature dont nous parle Ndaw et ses forces
vitales rentrent à la fin du vingtième siècle dans un espace d’intelligibilité de la
cosmologie pré-copernicienne.
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D'abord, la causalité cesse d'être une influence venant du ciel (astres, etc...) pour devenir
l'articulation/désarticulation improbable des structures. Le schéma nécessitariste cède
ainsi le pas au schéma probabiliste/dialectique et ouvert. Ensuite, à la vérité des absolus
se substituent la vérité du relatif et le caractère provisoire de toute connaissance. Dans ce
nouveau schéma, le langage n'évolue pas au sein d'une ontologie de l'Etre vital, mais
s'articule pour signifier (donner un sens qui n'est lié ni à une ontogénèse, ni à une
cosmogénèse, ni à une ontophanie, ni à une hiérophanie, ni a fortiori à une
théophanie !). La temporalité ne sera plus ce cours cyclique enfermé dans une logique
répétitive et éternitaire, mais s'ouvrira à l'infinité. Le langage n'exprimera plus "l'être
magique" comme le veut Ndaw, sa tâche ne consistera plus, comme il le souhaite, à
protéger le sacré39, mais sera ce qui traduit intentionnellement ou inconsciemment des
significations par la médiation des signes. Le langage sera donc, non pas l'aptitude à
répéter, mais à inventer et à utiliser intentionnellement des signes.
50 A travers le rattachement de la problématique du langage au mana est occultée, outre la
caducité de sa conception de la Nature, une méconnaissance de nature politique.
Alassane Ndaw affirme que le langage a une double fonction : "signifier et cacher". Or, la
distorsion de la communication n'a d'autre but à travers le langage que de "cacher",
d'occulter, de soustraire à la vigilance et à l'analyse du Sujet certaines réalités. Une vue
moins idéologique aurait assigné au langage la double fonction de "signifier et
dévoiler/déconstruire la fausse harmonie des totalités répressives". Le Kant du Projet de
paix perpétuelle nous a habitué à la notion de publicité concernant l'espace public ;
toutes les maximes relatives au droit public dont on ne peut faire la publicité sont
"injustes".
51 Le rattachement au mana vise moins à exorciser le langage profane qu'à défendre les
intérêts des castes sacerdotales dans certaines sociétés africaines qui ont encore des
chefferies et royautés de type féodo-esclavagistes. La défense des intérêts de cette caste
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vise aussi sur le plan historique à refuser à l'Afrique un langage porteur de négativité
qui, ouvrant sur le possible, discriminerait la réalité africaine présente en établissant la
tension dialectique en son sein, non entre le "est" (ce qu'elle est) et le "devrait" (ce
qu'elle devrait être), mais entre le est et le non-encore. La problématique du langage
produit une méconnaissance par la production des oublis.
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administratif est sobre et accessible à tous, alors l'Etat n'appartient pas à une seule classe
et a fortiori ne peut défendre les intérêts d'une faction. L'Etat est un, au-dessus et pour
tous. La neutralité du langage administratif vise en fait à atténuer, et même à effacer,
toutes les tensions qui peuvent surgir dans le langage issu du tissu social en devenir.
Nous aboutissons au langage univoque et obscur à force de transparence. Ce langage
monolithique est bien caractérisé par la mise en évidence de "l'oblativité" de l'Etat, car,
par ce style limpide, ramassé, économique, et à la portée de tous, l'Etat se veut "Servus
servorum"42. Le langage administratif43 introduit une deuxième variante. S'il se veut
accessible à tous, il lui faut un recul, une preuve de distinction, de majestuosité, de
noblesse, et même d'autorité, susceptible de le distinguer du langage profane. Il se
sacralise à travers l'écriture, il s'institue en code sacré agitant le spectre tricéphale
(interdiction, transgression, punition). Le langage administratif devient ainsi à cause de
sa majestuosité, l'idéal, "la langue promise"44 ; et le "clerc administratif se mue en objet
de désir et d'admiration aux yeux de ceux qui ne maîtrisent pas les codes de ce langage.
Pour améliorer les facultés de rédaction, Gaudouin stipule :
"Règle seconde permettant de donner au style sa noblesse...
-délicatesse, goût, choix judicieux des expressions, propriété du terme...
55 Règle troisième pour que le style ait à la fois de la force (gravité) et même de la
majesté..."45
56 Du simple problème de style, nous remarquerons une évolution vers l'incrustation des
signifiants par lesquels l'autorité s'investit. Robert Catherine, dans son homélie sur le
style, opère ce glissement des soins stylistiques à la célébration du pouvoir politique :
"Etant donné son rôle et sa place dans l'Etat, le caractère officiel de ses actes,
l'importance de ses décisions sur l'activité économique et sociale de ses concitoyens, le
délégataire de l'autorité publique se doit non seulement d'écrire en français, mais sous
une forme telle que la différence du ton permette à son lecteur de reconnaître qu'il est
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immédiatement en présence d'un document officiel qui participe à la dignité qui doit
accompagner les affaires de l'Etat"46.
57 La majestuosité du style est chargée d'établir la distance et le caractère suprême de
l'Etat. Les qualités linguistiques exigées du rédacteur administratif introduisent une
méconnaissance par identification/substitution. Les qualités linguistiques du texte
administratif (la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la propriété du terme, la
force, la gravité et la majestuosité) s'individuent, et par le procédé d'identification, c'est
l’administrateur qui incarnera la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la gravité,
etc... Il s'opère ainsi une substitution, ce n'est plus le style qui est délicat, mais
l'administrateur. En exigeant la majestuosité, l'administrateur veut se faire valoir. Le
discours administratif, par son côté anonyme, prescriptif/menaçant, établit une
dialectique entre son ambition de se vouloir transparent et la peur de la transparence
caractérisée par le schématisme et la sécheresse de ses stéréotypes. C'est un discours qui
suggère l'ordre, le respect, la hiérarchie, et dont "l’objectivité" vise-à travers
l'accentuation du caractère impersonnel- le gommage de la subjectivité. Dans l'optique
de cette impersonnalisation du, et par le langage administratif, l'expression de la liberté
du Sujet se réduit à l'application des prescriptions du texte administratif. L'interrogation
et la création s'effacent ainsi au profit de l'application, et la transcendance au profit de
l'adaptation. Ce style participe à la reproduction du même par homogénéisation des
consciences47.
58 Le philosophe négro-africain qui interroge son rapport au langage affiche une
indifférence étonnante vis-à-vis du langage administratif (l’une des composantes les plus
sophistiquées du langage technocratique). L'exercice du métier de philosophe en Afrique
vit et évolue au sein du langage administratif. Non libéré des nécessités matérielles
comme certains philosophes-aristocrates d'Athènes, les nécessités matérielles poussent
le philosophe négro-africain à avoir comme employeur l'Etat. Celui-ci l'assigne (le
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espaces de "clôture" et des "lignes de fuite" ainsi que "l’horizon de la fuite", implique
comme le souligne H. Védrine de repenser cet "après-coup"51.
66 En Afrique, sauf quelques exceptions (Eboussi dans La crise du Muntu)52, la vocation de
la philosophie participe à une espèce de dialectique sacerdotale dans laquelle le
philosophe, faisant fi de toutes les méconnaissances et ambiguïtés qui logent au creux du
réel, maîtrise la réalité à travers un discours totalisant. Commentant Michel de Certeau,
Védrine saisit bien l'importance de cette interrogation sur le croire : "c'est finalement le
croire qui façonne l'opinion publique, le consensus, la passivité et qui permet aux
structures de domination de coexister avec des tactiques individuelles de contour. Mais
ce croire a changé de formes ; fondé autrefois sur le primat de l'invisible sur le visible, il
est aujourd'hui totalement voué au visible et au bruit"53. Le discours philosophique
africain, tout au moins sa grande tendance, est insensible à ces nouvelles modalités du
croire où se logent le "visible et le bruit". Aucune analyse n'est faite concernant ces lieux
visibles, par exemple la publicité (une excuse, un peu trop facile, est souvent donnée, à
savoir que l’étude de ces lieux visibles relèverait soit de la sociologie, soit de
l’anthropologie) qui gagne de plus en plus du terrain en Afrique noire, ou l'image, car
l'efficacité des emblèmes, les montages du Droit et la méconnaissance politique sont
médiés par ces représentations. Le discours philosophique africain, dans sa grande
partie, reste un discours autarcique, auto-fondateur et clos sur lui-même. Même Eboussi
qui critique le discours de maîtrise de la philosophie, reste dans une position
autocratique, il n’étudie pas par exemple pas le rapport entre l'emblématique, le
fantasmatique et la politique (image/pouvoir, armoiries/représentations politico-
linguistiques). Ce n'est pas un discours qui essaye, à travers l'exploration de ces zones
inconnues du réel où loge la méconnaissance, de s'ouvrir à la problématique de
l'inconscient. Très sûr de proposer une théorie salvatrice, le philosophe africain ne fait ni
l'analyse de la ruse, ni celle, très périlleuse, de son propre dire qui est rongé par la ruse
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magico-vitalistes (A. NDaw), considèrent la Nature comme une instance que l'on doit
dominer.
71 L'oubli fondamental de la philosophie africaine concernant le concept de rationalité, et
celui de Raison, est relatif à une saisie pathologique de l'action de la rationalité dans
l'existence. C'est Habermas qui, à la suite d'Adorno et Horkheimer et tout en les
modifiant, essaye de repenser la contemporanéité, en y soulignant l'effectuation
déformante de la Raison dans l’histoire55. L'effet de la déformation de la Raison dans
l'histoire se manifeste en Afrique par le désir de la technique, et du pouvoir où, les
mythes une fois rejetés, le Nègre pourra enfin, en toute clarté et distinction, utiliser le
calcul pour dominer la Nature (physique et humaine !). "Dès lors la matière doit être
dominée enfin sans qu'on l'imagine habitée par des forces... occultes. Tout ce qui ne se
conforme pas aux critères du calcul et de l'utilité est suspect à la Raison"56. Réélaborer
un nouveau concept de rationalité devient plus que jamais fort important en Afrique
aujourd'hui et ce, pour plusieurs raisons :
a. Ceci mettra en lumière tous les subjectivismes qui, avec cette critique de la
rationalité, pourraient introduire en Afrique une pensée agonistique. Celle-ci
soutient, sous couvert de post-modernisme, un scepticisme démobilisateur où, la
Raison humiliée et "l'Aufklärung"57 désavoué, le Sujet n'aurait plus de support pour
penser et orienter sa praxis.
b. La deuxième utilité de cet examen de la rationalité sous l'angle de son effectuation
déformante serait une réévaluation de la position du Sujet en Afrique à l'heure des
bouleversements.
dont il s'agit chez les Africains concernerait ce que Hegel nomme la rationalité de
l'entendement, il s'agit non pas du "Vernunft", mais bien du "Verstand", car il y a
réduction de la Raison à la rationalité instrumentale. Ce qui se profile à l'horizon, c'est la
réhabilitation philosophique du Sujet autoréférentiel et autotélique.
73 On continue paisiblement à parler de la Raison comme une espèce de "Ratio perennis",
sans en faire une approche pathologique quant à son effectuation dans l'histoire, sans
nuancer son gauchissement instrumental58. La conception massive de la Raison ouvre
aussi la voie à une conception massive du politique.
l'ensemble de tous les artifices et règles par lesquels un prince peut "policer" et
"administrer" les Etats et les Empires. Ces règles et ces artifices doivent rester secrets.
Les coups d'Etat sont donc l'ensemble des secrets du gouvernement59. Si le coup d'Etat
s'identifie à tout secret du gouvernement chez Naudé, il a un sens plus profond au
XVIII. siècle européen : à savoir le "coup de théâtre" et le "coup d'éclat" du prince.
76 Réfléchir sur la pragmatique du politique par la médiation de la catégorie du "coup
d'Etat" exige un travail de cette notion dans sa multivocité, afin d'en dégager l'opacité et
la déchirure qui déterminent le caractère aporétique du pouvoir politique. Le coup
d'Etat, entendu comme coup d'éclat du prince et coup de théâtre, est un acte de rupture
et curieusement de fondation. Si le coup d'Etat (d'éclat !) vient du prince, celui-là a pour
but de rompre avec la continuité historique (libérer tout d'un coup des otages
provoquera une sorte d'arrêt historique et de rupture avec le temps des jérémiades à
propos des otages), et, par ce "coup d'histoire", le prince assure une nouvelle fondation
de son pouvoir. Mais si ce coup d'Etat est pris au sens de prise de pouvoir et éviction du
prince, la violence qui s'ensuit est aussi en même temps rupture avec l'ancien ordre et
fondation d'un nouvel ordre. Dans tous les cas, cette notion indique le caractère
aporétique de l'action politique. Cette déchirure, cette béance, ce caractère contradictoire
rendent très difficile une réflexion sur une pragmatique du politique. Mais le caractère
aporétique du passage à l'acte du politique exprime une tension entre la continuité et la
discontinuité de l'Etat de droit. Cette tension peut être pensée sous l'angle de l'espace
d'abord. Comment, et qu'est-ce qui rend aporétique et distendu le lieu du pouvoir ?
77 Pour répondre à cette question, nous faisons appel à la notion de sublime. Nous prenons
sublime au sens où l'entend Kant : "est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste
est petit"60. Le prince, dans un espace public soustrait au pluralisme, veut toujours être
l'incomparable, il n'est comparable à rien d'autre qu'à lui-même. Et c'est parce que son
incomparabilité doit s'inscrire dans l'espace qu'il construit ou fait construire des
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nature par l'abolition du droit, et retour à l’Etat civil par la fondation d’un nouvel état de
droit. L'événement politique, en général, porte en creux, outre ce caractère aporétique,
une opacité consubstantielle, parce que nous ne pouvons rien dire du déroulement de
l'instant irruptif, destructeur et fondateur. Lors de l’irruption/destruction, il y a
suspension de la visibilité et du dire, c'est après l'irruption qu’il est possible de trouver
des chaînes causales, d'expliquer les signes prémonitoires, etc... Cette lisibilité de
l'histoire "post festum", sans être une excuse pour ne pas réfléchir sur l'action politique,
introduit la réflexion aux arcanes de la méconnaissance inscrite dans le dire politique.
Cette distension/opacité du pouvoir doit inciter à la prudence dans l'appréciation du
passage à l'acte du politique. Tout simplement parce que, aussi bien ceux qui gèrent les
pouvoirs politiques que ceux qui les critiquent de manière viscérale, ne savent rien du
moment irruptif destructeur/fondateur. Quelles sont les conditions de possibilité d'une
pragmatique de l'action et de la décision politique ? La question reste ouverte.
79 Cette aporie du pouvoir absolu est présente dans tous les régimes politiques, et jusque-
là, les philosophes africains, qui ont une approche très massive (se reflétant dans leurs
critiques) du phénomène politique, n’ont pas réfléchi sur cette espèce de défi que lancent
les apories de la pratique politique à l'intelligence humaine. Les apories du politique nou
introduisent dans l'optique d'une réflexion sur le temps, réflexion intensive dont la
philosophie africaine fait dans une certaine mesure l'économie.
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l'espace, autre ordre possible, mais cette fois, de coexistence ! Notre propos ne consistera
pas à l'associer à une saisie spatialisante. La conception du temps qui nous intéresse
saisit celui-ci comme déchirure, et distension. Et, c'est bien entendu à la saisie
augustinienne des formes du temps que nous pensons. Le temps comme déchirure
s'ouvre sur une aporie chez Augustin : "Mais je ne mesure pas l'avenir qui n’est pas
encore, je ne mesure pas le présent, car il n'a pas d'étendue, je ne mesure pas le passé
puisqu'il n'est plus..."63. Cette aporie du temps le définit comme une distension64. Sans
toutefois assumer le fait que chez Augustin la distension du temps trouve sa résolution
dans l'éternité, il est possible de dégager les trois paramètres que cette distension met en
vue : l'attente, la tension et le souvenir65.
84 L'attente est prise ici, non pas comme un état, mais comme processus, une attente au
sens de "adventus". Mais, chez Augustin, c'est l'attente de Dieu. Qu'il nous soit permis de
pervertir cette notion d'attente afin de penser la temporalité en Afrique à l'aide de cette
catégorie, mais sécularisée. Nous excluons aussi de cette notion d'attente la conception
judaïque, telle que nous la retrouvons exprimée chez Ernst Bloch. Dans son but de
trouver un système ouvert des catégories dans lequel la mobilité de celles-ci pourra
constituer un terreau viable pour la "conscience anticipante", Bloch développe une
théorie de l'attente (fortement liée à sa conception de l’espérance) qui est subtilement
teintée de messianisme juif. Cette attente est celle qui soupçonne toujours la venue d'un
Messie qui peut à tout moment apparaître. Peut-on supposer que cette attente
messianique équivaut à la situation du "Dasein" heideggerien, attendant et guettant
l'Etre qui peut à tout moment apparaître ou plutôt se dévoiler ? Certes, la comparaison
serait ridicule ! Bloch préconise une philosophie matérialiste qui saisit la matière dans sa
processualité, alors que Heidegger n'aime pas beaucoup cette dégradation de l'Etre qui
essaye de le fixer dans des catégories. Toujours est-il que Bloch, tout en fondant une
ontologie matérialiste, veut aussi en même temps avoir une foi de type eschatologique en
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ils leurs textes ? Le réel dans sa multivocité, interpellant le philosophe dans ses écrits,
une certaine forme d'écriture peut mimer la logique identifiante, classificatoire et
fonctionnaliste, la manière d'écrire peut refléter la consonance/l'harmonie. Une certaine
manière d’écrire-et là, ce n'est pas une simple affaire de style-peut, à travers l'amour du
"jargon" et de la cohérence, investir l'espace de lisibilité au point d'y loger, avec méthode,
des clichés autoritaires. La hantise de la systématique peut cacher la clôture
conceptuelle... Le problème du style d'écriture philosophique africaine, n'est pas un
problème de pure esthétique où le style serait une certaine modalité de l'expression, mais
bien plus un problème politique, parce que "toute pratique, en effet, comporte un style,
et que le style est inséparable d'une pratique"68. Toute pratique implique une manière de
faire, le contenu de la pratique étant inséparable de la manière. Granger définit le style
comme "usage du symbolisme ; il ne concerne pas seulement la texture de ce dernier,
mais aussi son rapport à une expérience qui l'enveloppe"69. Dans ce symbolisme passent
les diverses pratiques de pouvoir. En attendant, une étude des stratégies discursives et
socio-langagières relatives à la narration, à la rhétorique et à l'argumentation du
discours des philosophes africains, il est possible de faire quand même une remarque
générale. Chez tous les philosophes africains, il n'y a pas l'ombre d’une écriture
désarticulée, par exemple sous forme d'aphorismes, ou sous une autre forme susceptible
de piéger la cohérence. C'est une écriture continue se voulant rigoureuse, qui enchaîne,
de manière soit inductive, soit déductive des raisons et des causes, une écriture qui tient
compte de la mesure dans la bonne optique apollinienne. De cette écriture est proscrite
la césure et l'incohérence. L'allure de ces textes est souvent épidictique, l'auteur y écrit
un discours du genre démonstratif (leurs textes philosophiques comme les discours
d'Isocrate sont des textes d’apparat !) et même réfutatif. "Demonstratio" et "refutatio"
sont aussi les vieux réflexes du droit romain et, aujourd'hui, de la répression du droit
pénal, par exemple l’établissement de l'aveu obéit à une procédure de "demonstratio et
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91 Une écriture philosophique qui ne met pas en scène les concepts et leurs mouvements
est une écriture morte. Le philosophe doit utiliser l'effet d’hypotypose où les concepts
auront une vie très incohérente que l'on met en scène à travers l'écriture. On doit, dans
cette écriture, utiliser les variations de la langue, les modulations et une tension qui
orientent le discours philosophique vers un "dehors", exprimant ainsi une ligne de fuite.
La variation du style, c’est la variation de la vie dans ce qu'elle a de contradictoire : "le
style en philosophie, c'est le mouvement du concept. Bien sûr, celui-ci n'existe pas hors
des phrases... c'est une mise en variation de la langue... En philosophie, c'est comme
dans un roman : on doit se demander : "qu'est-ce qui va arriver ?" "Qu’est-ce qui s'est
passé ?" Seulement les personnages sont des concepts, et les milieux, les paysages sont
des espaces-temps. On écrit toujours pour donner la vie... pour tracer les lignes de fuite.
Pour cela, il faut que le langage ne soit pas homogène, mais un déséquilibre, toujours
hétérogène : le style creuse des différences de potentiels entre lesquelles quelque chose
peut passer, un éclair... va sortir du langage même..."72.
92 La philosophie africaine est une écriture monocorde, le style des phrases n'admet pas
une tension entre une principale et une subordonnée, "l'éloquence professorale" des
tropiques ne supporte pas entre les phrases une sorte de "zig-zag"73, il lui faut des
phrases toutes droites. Ce qui manque au style des philosophes africains, c'est un peu de
musicalité dans l'écriture, une polytonalité qui saisira le réel dans ses multiples aspects.
93 L'exemple type du style d'écriture philosophique polytonale est l’aphorisme que nous
rencontrons déjà chez Nietzsche, chez Schelling74 et surtout chez Adorno. Chez celui-ci,
même si son écriture aphoristique très travaillée peut déboucher sur "un maniérisme
formaliste qui peut aller jusqu'à l'hermétisme"75, l'aphorisme est cette écriture
d'indication et d'incitation qui introduit au sein de la béatitude linéaire un scandale
stylistique et une provocation à penser. Le fragment comme élément privilégié de cette
écriture indique plusieurs choses ; d'abord la fêlure de l'écriture et par conséquent de
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cette fausse Totalité qui mutile la vie, ensuite, le fragment libère le processus, parce qu'il
est le résultat d'une fragmentation passée et la promesse d'une fragmentation future.
Avec le fragment, la négativité se met à l'abri de la vengeance des hypostases et des
glaciations conceptuelles : les "aphorismes mettent l'accent sur la négativité"76.
94 Bien sûr, l’aphorisme n'est pas le seul mode d'écriture discontinue, on pourrait créer de
nouveaux concepts et une nouvelle manière de pratiquer la césure et la béance dans
l'écrit en Afrique. L'écrit, s'il ne se fragmente pas, a tôt fait de se figer en institution. Les
discours des philosophes africains sont réfutatifs/démonstratifs et, en tant que tels, se
figent dans les institutions où les textes contre l'ethnophilosophie, la colonisation, ou qui
militent pour une Egypte pharaonique nègre ont une valeur sacrée pour les générations
futures qui se livreront à une hagiographie de type talmudique. La tendance générale de
la philosophie africaine privilégie la positivité et se méfie de la dialectique. Bien sûr, nous
fera-t-on remarquer, que la plupart des philosophes de ce continent sont, soit des
"hégéliens", soit des "marxiens" qui privilégient la dialectique, à preuve, ils luttent pour
le changement et l'avènement en Afrique d'un autre exister où puissent s'épanouir les
prédicats de l'homme : la Liberté et la Raison. A supposer que ces philosophes luttent
(l’impensé de cette lutte n'a pas encore été mis à jour !) pour l'Afrique, il n'en demeure
pas moins que leurs philosophies refusent la négativité, ou plutôt, leur dialectique n'est
pas assez négative. Leur discours est réfutatif, mais se fige, car ne sécrétant pas de par sa
forme, les éléments de son propre dépassement et de sa propre dislocation. Réfutatifs,
ces discours sur le marxisme, sur l'ethnologie, sur l'Afrique, sur le développement, sur
les traditions, se constituent en institutions qui pensent avoir une vue panoptique sur le
devenir africain. Un discours qui ne veut pas se figer en catéchisme devra être
anatreptique. Le discours anatreptique est ce discours qui se retourne contre lui-même,
afin d’être non seulement réfutateur, mais aussi auto-réfutateur. Car la ruse du système
voudrait qu’un discours, quelque critique qu'il soit, s'incruste en un objet figé. Le
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discours anatreptique est celui qui s'annonce et s'énonce comme moment transitoire,
comme une réalité en cours de fragmentation. Bien sûr, les "dialectiques sacerdotales" et
leurs vieux réflexes pseudo-platoniciens feront remarquer que cette façon de mettre le
négatif en marche confine au scepticisme, car on ne pourrait jamais rien affirmer, il leur
faut toujours un "arché" stable sur lequel s'appuyer.
95 L'optique de l'auto-dislocation construit et affirme, mais à la différence des "dialectiques
sacerdotales", l'affirmation n'est qu'un moment transitoire et la construction est
impliquée dans une processualité qui empêche toute hypostase. Pour l'instant, le
discours philosophique africain s'écrit de manière très autoritaire où on trouve trop de
prescriptions ("on doit...", "il faut...") teintées d'un moralisme fort douteux dans lequel le
"devoir-être" fonctionne comme une hypostase. Discours de capture par la manie de la
prescription moralisante, mais aussi par sa hantise de maîtriser la Totalité à travers le
concept, celui-ci se comporte de manière conquérante et la Nature chez ces philosophes
n'est qu'un objet qu'il faut "maîtriser", tout cela fonctionne dans la bonne optique de la
rationalité instrumentale. Ce discours ne va pas vers le réel avec la modestie d'y trouver
des ambiguïtés, des trous, des manquements, la part de méconnaissance qui se glisse
dans le rapport entre le concept et la réalité, mais explique, critique, expose ce qu'est la
crise du Muntu, ce qu'est le réel africain, et ce qu'il devrait être. "Pour qu'il y ait
développement, il n'y a qu'à... Discours suffisant, où le philosophe, mieux, l'intellectuel,
ignorant la méconnaissance qui se loge dans tout dire, dicte et prescrit le devenir de
l'Afrique.
96 Nous avons ici affaire au développement d'une espèce particulière de notre modernité :
"les prêtres masqués" dont parlait Nietzsche et Max Stirner77. Le specimen du "prêtre
masqué" est dans la littérature philosophique africaine Njoh Mouellé. L'oeuvre
fondamentale de ce penseur tourne autour d'une idée-force : le passage du Négro-
Africain de sa situation de médiocrité à l'excellence78. Le médiocre étant celui qui reste
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sourire bien élevé. Ce faisant, elle considère que d'un côté il y a la médiocrité et de l'autre
l'excellence. Ce schéma dualiste, binaire et franchement manichéen est inconsciemment
un réflexe politique d'une période qui a structuré nos schèmes intellectuels, à savoir la
guerre froide : d'un côté les preux et, de l'autre, les nuis. Le brouillage des schémas, le
déplacement des repères et l'extrême fluidité de notre histoire pourraient nous empêcher
de nager dans cette illusion du panoptique, où l'intellectuel, parce qu’il a saisi une petite
face du devenir, croit maîtriser celui-ci à travers le concept.
99 La position de Njoh fait penser à ces "prêtres masqués" dont parle Nietzsche. "Le
philosophe enseigne les qualités qui lui sont propres comme les seules qualités
nécessaires pour arriver au bien supérieur (...) Il laisse s'élever graduellement toutes les
espèces d'hommes, jusqu'à ce qu'elles aient atteint son type, le type supérieur. Il méprise
ce qui est généralement apprécié ; il ouvre un gouffre entre les valeurs supérieures du
prêtre et les valeurs du monde. Il sait ce qui est vrai, ce qui est le but, ce qui est le
chemin... Le philosophe-type est ici dogmatique absolu"81. Culpabiliser les pratiques de
la "métis" comme étant "médiocres" et s'élever vers "l'excellence" est une ruse du
cléricalisme : "les prêtres - et, avec les demi-prêtres les philosophes, ont appelé... vérité
une doctrine dont l'effet éducateur était bienfaisant... une doctrine qui rendait
"meilleur". Ils ressemblent par là... à un faiseur de miracle sorti du peuple, qui, parce
qu'il s'est servi d'un poison comme remède nie que c'est un poison... Vous les
reconnaîtrez à leurs fruits"82 (Nietzsche, op. cit, p. 271). L'excellence et la médiocrité sont
des figures processuelles qui, dans leur présence, exprimeraient leur absence.
L'excellence serait ainsi, non seulement sa propre absence, mais un moment et une
figure du déploiement de la médiocrité. Et celle-ci se déclinerait comme "image-essai"
(E. Bloch) de l'excellence. Ainsi comprise, la médiocrité serait alors l'action par laquelle
les "sans-espoir", reconnaissant la règle truquée du jeu social et la comédie des surfaces,
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bifurquent pour rester "hors-jeu" et inventer un lieu qui est pour l'instant un "non-
encore" (nondum).
100 Un discours qui dicte au peuple les critères de "l'excellence" peut-il se considérer comme
une institution qui doit non seulement mettre en marche le mouvement du négatif, mais
se saisir comme un moment appelé à être dépassé ? La forme d'écriture reflète un certain
esprit suffisant de l'intellectuel qui, sautant au-dessus de toutes les méconnaissances et
ruses du système, opère donc une douce réconciliation entre le Sujet et le réel décadent.
101 A travers le problème de l'écriture se profile l'examen de la place de l'intellectuel dans
l'économie du devenir africain. Les intellectuels qui disputent avec l'Etat post-colonial le
rôle de "phares", de "klaxons-avertisseurs solennels", détiennent aujourd'hui un pouvoir
en Afrique : "celui du discours", de la parole. Se sont-ils interrogés pour savoir si c'est
leur seul talent qui leur ouvre toutes grandes les portes des mass-médias ? Se
demandent-ils qui est aujourd'hui exclu de la prise de parole, alors qu'eux ne cessent de
s'expliquer sur leurs motivations, ce qu'ils souhaitent, ce que doit être le devenir de
l'Afrique, etc... ? Se sont-ils interrogés sur le "lieu de leur discours" ? Articulent-ils leur
discours sur la place qu'ils occupent à l'intérieur du procès de production ? Analysent-ils
la place du Nègre dans le monde au XXI. siècle ? Se posent-ils des questions sur un
certain libéralisme qu'on présente aujourd'hui, à la suite de la faillite du marxisme
autoritaire, comme la clé de la réussite ? Aucun de ces philosophes ne montre très
clairement que son discours est d'abord une hypo-thèse, une erreur et que, finalement,
le travail d'élucidation qui compose les diverses strates de leurs thèses n'est qu'un
fragment mal assuré parce qu'en attente d'un dehors et promesse d'une future
fragmentation. Une écriture philosophique sacerdotale est celle qui critique sans
montrer en quoi elle-même peut être une impasse. Dans un opéra inachevé et composé
en 1930 par Schönberg : Moïse et Aaron83, se lit cette impossibilité qui arrive à toute
pensée de s'incarner dans la parole (et surtout dans l'écrit). Dans cette oeuvre, l'Idée et le
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Réel sont confrontés : Moïse "sachant penser mais non parler", et Aaron étant "parole et
action". L'antagonisme et l'impasse résident entre la pensée et les images (peu importe
que celles-ci soient iconographiques ou graphiques) qui prétendent la relayer. Moïse
s'exclame : "...Ainsi je suis battu... Ainsi tout ce que j'ai pensé était insensé... O Parole,
toi, parole qui me manques !". En vue d'une ouverture de son discours, le philosophe
africain devrait arriver à cette impossiblité et reconnaître comme Moïse de Schönberg
dans cet inachèvement de son dire une force stimulant le non-encore. Si la majorité des
intellectuels africains sont muets sur ces questions, il faut quand même voir qui est exclu
de leurs discours.
104 Mais cette philosophie "gérontocratique" qui exclut les enfants dans l'espace de parole
est aussi autoritaire, car elle se conjugue au masculin84, c'est-qu'on pardonne le
barbarisme -une "phallosophie". L'absence du discours sexuel dans l'économie de la
philosophie africaine est assez curieux. Certes, le discours philosophique africain a plus
ou moins été nourri dans les schèmes patriarcaux de la philosophie occidentale qui vient
seulement de prendre en considération (assez tardivement) le problème sexuel. Aucun
texte de philosophie africaine contemporaine, à notre connaissance, n'explore les
problèmes africains sous l'angle de l'inconscient. Ils ne parlent pas de sexualité. Tout se
passe comme si le problème sexuel et la cohorte des désublimations répressives qu'il
permet de mettre à jour n'importaient pas. Quand il leur arrive de faire allusion à la
sexualité, c'est pour la rabattre sur une analyse moralisante, pharisienne et superficielle
où l'on condamne la prostitution, la polygamie, la dot85, alors qu'il faudrait discriminer la
"sexuation" du discours en philosophie ainsi que la "masculinisation" des philosophèmes
qui permettent à ces philosophes africains d'appréhender la société. Il s'agit moins de
"moraliser" les rapports avec les femmes, de se poser en donneur de leçons que de
"démasculiniser" (c'est-à-dire se déposséder du pouvoir) ce pouvoir symbolique par
lequel on a prise sur le réel africain. Et ceci en réinstaurant un nouveau "contrat socio-
symbolique" avec le féminin ; position qui ferait voler en éclat les codes et le langage
philosophiques ambiants pour trouver un nouveau discours.
105 En ce qu'elle ne laisse pas la parole aux "exclus" du discours que sont les femmes et les
enfants, la philosophie négro-africaine mime les mêmes schèmes autoritaires d'une
philosophie occidentale qui n'a laissé que très peu de place au cours de son histoire à la
femme et à l'enfant. Le discours philosophique africain a une pratique d'exclusion et un
discours de maîtrise. Un discours de maîtrise est celui qui refuse la Négativité, un
discours autosuffisant qui, par sa forme d'écriture, fige le devenir.
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En fait, cette attitude dérive de notre ignorance des preuves qui peuvent invalider les
thèses de l'oeuvre X (La crise du Muntu). L'environnement verbal peut aussi produire un
sophisme ad populem : on essaye alors de (se) persuader en faisant appel à l'émotion.
C'est une non-argumentation qui recourt au pathos en invoquant "à l'appui d’un point de
vue les éléments culturels jouissant d'un grand prestige, mais, qui, en eux-mêmes ne
constituent pas une raison... rigoureuse d'adhérer à ce point de vue"88. Ce sophisme peut
exploiter les prestiges liés à la modernité et à la tradition. Les notions de "crise" et
"d’authenticité" qu'utilise Eboussi dans La crise du Muntu correspondent aux grands
besoins de la modernité africaine dont tout le monde s'accorde à y décéler la crise. Alors,
au nom de quoi ne justifierait-on pas une oeuvre qui fait appel et qui traite de la crise et
de l'authenticité ? Critiquer La crise du Muntu serait nier cette "crise" et refuser
"l'authenticité" !
108 Si l’environnement verbal (le cotexte) qui entoure La crise du Muntu peut engendrer des
sophismes "ad ignorantiam" et "ad populem”, l'environnement situationnel (le
contexte) pourrait faire surgir le sophisme "tu quoque”. Ce dernier refuserait une
critique dirigée contre La crise du Muntu en la retournant contre celui qui ose critiquer
ce livre. Par exemple, certains aspects du livre sont du plagiat et la réplique sera : "les
passages du tien aussi". C’est un argument qui rejette à la face de l'autre la critique qu'il
nous a formulée. Sans parvenir à le réfuter, on se contente de dire, "... lui aussi fait la
même chose". Ce sophisme "tu quoque" (toi aussi) peut parfois prendre l'aspect d'une
attaque contre la personne89. L'exemple pourrait être celui-ci, La crise du Muntu est
souvent un plagiat, la réponse serait :"voyez un peu qui dit cela... lui aussi ? "90. Le
contexte favorise aussi une position relevant du sophisme ad misericordiam. Ce dernier
convoque la pitié, en invoquant la gentillesse d'un auteur pour ne pas critiquer l'oeuvre
de celui-ci : "tu ne peux pas dire ça du livre X, son auteur est si gentil", "qu'est-ce l'auteur
de La crise du Muntu lui a fait pour qu'il puisse critiquer son livre ? ". Comme dans le
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aurait manifesté". Pourquoi Eboussi ne dit pas qu'il reprend l'argument principal de
L'Idéologie allemande de Marx, puisqu'avant lui, Marx a qualifié d'idéologique toute
institution (y compris la philosophie) qui occulte ses "conditions de naissance", sa
manière d'être produite et reproduite ? Dans les pages 118-119, où il traite de "la logique
de l'appartenance", Eboussi fait l'analyse du "Menon" de Platon et arrive à cette
constatation : "ce petit esclave pense-t-il vraiment par lui-même ? N'est-il pas vrai que le
dialogue avec Socrate est fictif ? C'est Socrate qui invente les questions, et il les pose de
telle manière que l'autre n'a plus qu'à acquiescer", p. 119. Cette critique de Socrate n'est
pas d'Eboussi, mais de Nietzsche. Observons les figures de Socrate chez Nietzsche et
nous retrouvons cette "analyse" d'Eboussi dans Naissance de la tragédie et La
philosophie de l'époque tragique des grecs. A la page 129, Eboussi fait une observation
sur le mot "philosophique" qui devient un article de commerce : "la marchandise est ici
une certaine littérature" p. 129. Nous reconnaissons là la critique de la "Kulturindustrie"
faite par Adorno et Horkheimer vers les années 1940. Pour ceux-ci, l'industrie de la
culture avait réduit la littérature, la peinture, la musique en articles de vente dans le
marché des biens symboliques (Cf. La dialectique de la raison). Comment ne pas voir
une reprise des analyses de Ricoeur sur la métaphore dans les pages 57 et 58 ? Comment
ne pas surprendre une reprise de Merleau-Ponty dans La phénoménologie de la
perception, (Paris, 1945 réed. 1983 1er paragraphe p. 251) avec cette phrase qu'Eboussi
développe en page 211 : "le sentir est la communication originelle avec le monde" ?
Comment ne pas penser à Marcuse de La fin de l’utopie avec des phrases comme "le rêve
et l'utopie... sont des forces de transformation plus puissantes qu'une rationalité qui ne
se comprend pas elle-même", p. 215 ? La critique d'une rationalité instrumentale
(Eboussi est parmi les rares Africains à la faire) que nous retrouvons à la page 215 : "une
rationalité qui... se donne une éternité illusoire parce qu'abstraite et intemporelle plus
qu'une rationalité serve, parce qu'elle est raison entravée et bloquée", c'est la vieille
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critique de Nietzsche reprise par l'Ecole de Francfort vers les années 1940 (Cf.
Horkheimer, L'éclipse de la raison).
111 Quand Eboussi traite de la question linguistique (pp. 132-133), il décrit les aberrations
du fantasme du colonisé à savoir parler la langue du colonisateur, et la dictature de l'écrit
sur "l'oral". Il note que la raison coloniale "est grammairienne" (p. 133), "lexicale"
(p. 133) et surtout que cette "raison grammairienne, normative et prescriptive" (p. 134)
aboutit à une "grammmaire" comme "science paradigmatique de la raison coloniale”
(p. 134). Pourquoi Eboussi n'avoue-t-il pas qu'il reprend ici les analyses de Michel de
Certeau sur les rapports entre les langues dominantes et les langues dominées ? Que la
grammaire exerce des "prescriptions", "ordonne", "légitime" (p. 134), c'est bien de
Certeau qui, bien avant Eboussi, a dénoncé cette législature. Parlant du "français gélé
dans les livres" (La culture au pluriel, Paris, 1974. p. 141), de Certeau pense que "la
langue des maîtres" (p. 141) tend à "substituer la multiplication des pratiques actuelles à
la préservation d'une origine législative dont les grammaires exerçeraient la
magistrature" p. 141. Ces analyses seront complétées quand de Certeau expliquera la
brimade que le français a exercé sur le basque et le breton (voir de Certeau, J. Revel, D.
Julia, Une politique de la langue)
112 La notion de rire qui est utilisée tout au long de La crise du Muntu est nietzschéenne.
"L'éclat de rire (qui) produit une faille dans le sérieux compact d'un discours..."(Eboussi,
p. 132) nous rappelle la fonction corrosive du rire dans Le gai savoir de Nietzsche (liv.
IV, 327, "Prendre au sérieux").
113 S'agissant de la notion de mémoire vigilante et du refus du "triomphalisme historique"
dont parle Eboussi à la page 154, c'est un thème que nous retrouvons déjà vers les
années 1935-1940". "Brosser l'histoire à rebrousse-poil" était pour Walter Benjamin la
lutte contre une vision historiciste, continuiste et triomphaliste de l'histoire. Quand
Eboussi dit : "celle-ci (l'histoire) n'est pas une épopée de part en part. La servitude
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initiale doit être reconnue, elle ne doit pas être attribuée uniquement à des forces
extérieures" (p. 154), comment ne pas penser à cette phrase de Benjamin : "Il n'est aucun
document de la culture qui ne soit aussi document de barbarie. Et la même barbarie qui
les affecte, affecte tout aussi bien le processus de leur transmission de main en main !”
(Essais, p. 199). Parfois on croit entendre l'ontologie fondamentale de Heidegger, la
copie est si bien faite qu'Eboussi imite Heidegger jusqu'aux définitions circulaires.
Comment définit-il "l'origine" ? L'origine c'est la permanence de l'origine !" L'origine
dont il est question n'est pas le commencement, mais l'actualité en tant que permanence
de l'origine" p. 212. De l'origine nous aboutissons à l'origine ! Quid de l'origine ?
114 L'oeuvre entière donne l'impression d’un pastiche très cohérent. Nous employons
pastiche au sens du XVIII. siècle français : "on nomma pastiches, les opéras formés par
la réunion de plusieurs morceaux appartenant à différents ouvrages"92.
115 Parfois, il s'agit tout simplement du plagiat. "Le plagiaire (c'est) celui qui fait passer pour
sienne l'oeuvre d'autrui. Le véritable auteur est donc frustré du profit ou de la réputation
qui lui seraient revenus... le plagiat n'est pas seulement une malhonnêteté ; c'est aussi
une dévalorisation de l'oeuvre du plagiaire... Le plagiat se distingue 1, de la citation, car
celle-ci est attribuée à son auteur 2, de la documentation, qui entre dans le travail
nouveau et original 3, de l'adaptation car l'oeuvre adaptée est modifiée et d'ailleurs son
auteur est reconnu".93 Chez Eboussi, dans A contretemps (Paris, 1991), le plagiat est plus
que criant. Dans la dernière partie de ce livre intitulée "l'agir", l'auteur reproche à un
autre auteur l'usage abusif de la citation et utilise avec mesure ses sources. Il cite Michel
de Certeau (pp. 245, 248), Michel Foucault (pp. 224, 248), Wittgenstein (p. 253),
Rowlands et Warnier (p. 255), Léo Strauss (p. 256), Ignace de Loyola (pp. 257, 258),
Kierkegaard (p. 259), Merleau-Ponty (p. 260), Péguy (p. 261). Mais, fidèle à la procédure
du plagiat, il cite et utilise les termes d'autrui sans revéler ses sources. A la page 242 dans
laquelle l'auteur étudie le dogme comme énoncé, nous y reconnaissons les analyses de
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Saül Kripke dans la Logique des noms propres, Paris, 1980. Le terme de "désignateur
rigide" qu'Eboussi utilise, bien que mis entre guillemets, est de Kripke. Pourquoi Eboussi
n'a pas signalé-en mettant entre parenthèses le nom de Kripke, comme il le fait en
page 247 concernant René Thom-que ce terme n'est pas de lui ?94 En page 246, Eboussi
indique le vieux thème de "l'impossibilité du langage" que nous connaissons depuis les
tergiversations des sceptiques jusqu'à la théologie négative. Eboussi dit : "nous heurtant
aux quatre "impossibilités du langage" qui affligeaient les écrivains juifs de l'époque et de
la culture de Kafka : "... l'impossibilité de ne pas écrire, l'impossibilité d'écrire en
allemand, l'impossibilité d'écrire dans une autre langue, ce à quoi on pourrait ajouter
l'impossibilité d'écrire....". Cette citation laissée ainsi, le lecteur pourrait croire
qu'Eboussi cite Kafka puisqu'il utilise les guillemets. On pourrait aussi suggérer
qu'Eboussi "adapte" cette citation à partir de l'oeuvre de Kafka qu'il a peut-être lue.
Mais, ne signalant pas dans quelle oeuvre (de Kafka) il a puisé cette citation, une
question s'est posé, pourquoi cite-til ailleurs en mettant l'oeuvre et les références et, dans
ce cas précis, il n'indique rien ? Dans quelle oeuvre de Kafka puise-t-il cette citation ?
Recherches faites, ce n'est pas une citation de Kafka, c'est plutôt un commentaire de
Deleuze sur Kafka qu'Eboussi plagie en taisant le nom de Deleuze. Il fait comme si c'était
sa lecture de Kafka alors que c'est bien le commentaire deleuzien qui est reproduit de
manière tronquée (car Eboussi change le verbe parler en verbe écrire). Deleuze dit : "Il
faut parler de la création comme traçant son chemin entre les impossibilités... C'est
Kafka qui expliquait : l'impossibilité pour un écrivain juif de parler allemand,
l'impossibilité de parler tchèque, l'impossibilité de ne pas parler. Pierre Perrault retrouve
le problème : impossibilité de ne pas parler, de ne parler anglais, de parler français..."
Pourparlers, Paris, 1990, p. 182. Nous signalons que le texte d’Eboussi est paru en 1991,
chronologiquement Eboussi a eu en main ce texte de Deleuze. C’est la même citation que
nous retrouvons chez Eboussi (p. 246) mais très falsifiée. Peut-être devrions-nous nous
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poser cette question de Jacques D'Hondt concernant Hegel ? "Faut-il surveiller les
lectures des philosophes ? On n'exige pas habituellement qu'ils les confessent. Mais c'est
dommage... car la connaissance de ce qu'ils lisent faciliterait souvent l'intelligence de ce
qu'ils disent. Parfois, une inflexion surprenante de leur discours laisse soupçonner qu'ils
reprennent la parole d'un autre sans prévenir. Ils la transposent, et elle devient comme
un écho brisé, presqu'indéchiffrable. L'énigme des formules ne se délie que si l'on
retrouve le texte original." (Avant Propos, Hegel secret, 2. éd, Paris, 1968, p. l). La crise
du Muntu nous a semblé l'une des rares oeuvres de philosophie africaine où nous
trouvons une esquisse de pensée anatreptique (autoréfutatrice). Eboussi indique que son
livre n'est pas l'unique voie d’accès au vrai (p. 218), et que "l'appel à l'existence
raisonnable" que fait le philosophe "sonnerait comme un message de salut" (p. 232), la
relativité de sa position ne justifierait pas "un privilège aussi exorbitant" (p. 233).
Finalement, cette pensée (de la crise) "confesse sa modestie et sa banalité originelles, en
se reconnaissant comme oubli surmonté, tentation refusée ou mieux à surmonter.... pour
une franche acceptation des limites et de la mortalité... de ce qui est, à commencer et à
finir par soi-même" (p. 236). Ces très belles paroles d'Eboussi qui nous rappellent
Nietzsche (Cf. Les doctrinaires du but de l'existence, dans Le gai savoir) sont à méditer.
Mais La crise du Muntu se ferme à cette ouverture esquissée et traduit la clôture.
Clôture, parce que ce texte est comme la plupart en philosophie africaine, un texte de
"rétention anale", gage d'efficacité théorique et de politesse philosophique. Ce texte ne
laisse pas parler le fantasme, il ne parle pas de ces fonctions corporelles par lesquelles le
corps s'exprime. Rien n'est dit sur le sexe et ses montages rhétorico-politico-symboliques
en Afrique. Semblable à un Sujet bien élévé qui serre ses concavités anales pour ne pas
laisser s'échapper un gaz, le philosophe nègre serre ses neurones pour ne pas laisser
sortir le bouillonnement fantasmatique constitutif de chaque subjectivité. Discours de
maîtrise qui ne laisse s'exprimer ni les femmes, ni les enfants, ni même le peuple.
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Pratique patriarcale qui pense en place et lieu des "exclus". Plaidoyer qui souligne ses
limites mais au nom d'une vérité que le texte défend. Pourquoi n'avoir pas reconnu que
le texte (La crise du Muntu !) est une erreur ? Errer c'est s'ouvrir au possible. L'erreur
n'est-elle pas une modalité du vivre ? Pourquoi se laisser enchaîner dans la mystique de
la vérité ? Laquelle ? Depuis les années 60 les politiciens et les intellectuels ont confisqué
la parole en Afrique. Une transformation des clameurs populaires en énoncés doctes est
en Afrique un mensonge !95 La crise du Muntu brise plusieurs idoles, mais n'arrive pas à
briser sa propre idole qui est son propre discours à travers un démembrement formel.
Celui-ci, à travers les décrochages syntaxiques, les séries interrogatives ponctuées
d'oxymores, les fragments romancés dans une diversité contrastive de tons, la
polyphonie discontinue, ouvre le Sujet philosophant/fantasmant à l'inconnu. Au
contraire, le fait de ne pas briser l'écriture obéit à l'illusion continuiste et identitaire.
Celle-ci suppose a) que le Sujet écrivant est identité et pure présence à soi et, b) que le
texte philosophique produit de cette identité serait une totalité non fissurée n'admettant
aucune incohérence. Tout texte, et a fortiori un texte philosophique, devrait être bâti
comme une "hyphologie" (hyphos, tissu de la toile d'araignée en grec)96. Roland Barthes
insiste sur ce fait que le "texte veut dire tissu"97 donc diversité et hétérogénéité des
fibres/strates.
116 A travers cette écriture qui refuse l'incohérence d'une syntaxe syncopée, quand le
philosophe africain évite l’inintelligibilité, le manque d'ordre et le chaos, quand son
discours philosophique n'est pas ponctué par des interpolations diverses, des kyrielles et
des paradoxes, il ne fait que traduire l'esprit de système (qui est dans une certaine
mesure l’esprit du système !) se caractérisant par une continuité narrative. "L'esprit de
système" avec ses modélisations dissertatives et ses logicités abstraites, articule la vieille
"dispositio" rhétorique. Sa hantise est l'équilibre mutuel des parties d'un texte et, sa
vérité se soude à un finalisme d'une pensée téléologique qui sait toujours ce qu'elle
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cherche, où elle va, quel est le lieu et le but de son discours. L'exposition paratactique et
anatreptique -jouant sur des substitutions instantanées, des brisures, des répétitions, des
destructions, des modélisations éphémères avec une mosaïque de débuts et de fins-
inquiète, car elle révèle à chaque auteur muré dans sa suffisance que son savoir est
incomplétude. Dans son rapport à la réalité, le concept bute sur des disruptions qui
révèlent la liaison opaque entre son ipséité et sa matérialisation scripturaire. En parlant
de la crise du Muntu, de nos langues, de notre rapport à la modernité et de la religiosité
des Etats post-coloniaux, il faudrait peut-être essayer de le dire en désarticulant notre
dire, afin de réhabiliter l'idée d'inconnu à notre savoir triomphant.
117 L'identité du Sujet nègre qui croit articuler des raisons (comme s'il était unité) se veut
une identité différenciante qui, dans son travail de totalisation interne, indique qu'elle
est affirmation parce que négation, présence parce qu'absence, articulation parce que
désarticulation, savoir parce que et à cause de l'ignorance. Cette structure
antithétique/fragmentaire cohabite donc au sein d'un même qui n'est déjà plus même
mais autre parce qu'étant en voie d'altération et de fragmentation.
118 Quand le Sujet philosophant écrit, il vacille parce qu'il accède, comme dirait Lacan, dans
l'ordre du symbolique. Le Sujet n'y apparaît que comme "éclipse de Sujet". En écrivant,
le Sujet rejoue parfois le drame de l'impossibilité de sa condition, drame dans lequel la
scène de l'écriture se donne comme une mise en abyme où le Sujet et l'objet de son
discours adviennent sous forme d'une absence/présence. "Le réel ne saurait s'inscrire
que d'une impasse de la formalisation"98. Le philosophe n'est confronté aux concepts que
dans l'acte même de les manquer, il faudrait bien -et c'est valable pour la plupart des
intellectuels quand ils parlent doctement-reconsidérer l'écriture comme le suspens et la
suspension du sens. Ecrire et articuler les concepts désignent le paradoxe consistant à
trouver dans l'absence le lieu même de la communication.
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119 Un livre ne vaut pas seulement par ce qu'il dit (son champ), mais aussi par ce qu'il ne dit
pas ou n'a pas su dire (tout le hors-champ). La crise du Muntu se légitime donc par ce
qu'il ne dit pas (son hors-champ) et par des "structures d'appel" (W. Iser) qu'il secrète à
travers la pluralité des thèmes abordés. Ce que nous voulions souligner, c'est le respect
des règles de déontologie quant à l'appropriation et à l'utilisation des thématiques et tics
de langage élaborés par d’autres : une simple affaire d'honnêteté intellectuelle. A moins
que La crise du Muntu, violant les codes de la tradition constituée en philosophie avec sa
manie des renvois, des filiations, des citations, des sources et paradigmes, inaugure un
genre qui existe déjà dans les arts : les collages. En arts plastiques, les artistes dadaïstes
ont utilisé les collages pour lutter contre la tendance mimétique en peinture. Dans la
musique contemporaine, le collage s'appelle "citation" et sert à introduire des éléments
composites dans l'oeuvre. Ce qui a pour but de briser l'unité de celle-ci en mettant un
peu de "hasard" dans le continuum musical. Concernant les procédés d'écriture, le
collage consiste à insérer dans un roman des lettres écrites par des inconnus de la rue,
des prospectus et des slogans. C'est ainsi que sont construits certains romans d'Aragon et
de Breton. Si c'est bien une philosophie des collages que préconise La crise du Muntu, au
moins, cette oeuvre doit signaler qu'elle emprunte ailleurs-l'esthétique des collages
avoue ses emprunts et ne prétend en aucun cas dissoudre l'emprunt dans la création
initialeafin que le lecteur soit averti. C'est une précaution pédagogique de citer et de ne
pas cacher le référent. Le poète, le musicien et le romancier qui "collent" ne cachent pas
qu'ils "collent", ils le proclament parce qu'ils veulent briser la logique unitaire et
continuiste. L'oeuvre est toujours appelée à être transmise aux générations futures, cette
déontologie de l'emprunt-qui est très bien représentée dans l'opéra Votre Faust de
Michel Butor et Henri Pousseur-devrait être respectée afin que les futurs lecteurs
puissent distinguer dans La crise du Muntu le texte, ses emprunts et ses réfutations. Le
texte de La crise du Muntu, en réalisant l'exploit de parler des autres et par d’autres sans
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les citer participe à l'illusion continuiste, car la citation rompt la linéarité de la pensée de
l'écrivain99. L'acte d'écriture comporte des dangers dont celui de citer ses sources. Citer
ses référents devient souvent un danger dans la mesure où l'on voit ce que l'on croit
savoir se transmuer en non-savoir (c'est-à-dire, en savoir d'autrui, en un savoir déjà
formulé ailleurs et qui ne nous est pas propre !). La crise du Muntu, en ne citant pas ses
sources, exprime cette angoisse inconsciente de se voir retourné en non-savoir, en savoir
d'autrui. Au-delà de la peur inconsciente de se découvrir non-savant, se profile une
attitude autoritaire très utilisée par les politiques : la mise-en-silence. Cette politique de
mise-en-silence se traduit comme suit : "on dit X pour ne pas (laisser) dire Y"100. Les
tactiques de la domination utilisent le silence, les "sans-espoir" aussi. En tant que figure
autoritaire, la mise-en-silence peut aussi s'investir dans les manières d'écrire. Il y a un
silence qui fait taire la voix de l'autre, et "un silence du plagiat, où vient s'effacer sous son
propre nom la voix du Sujet qui énonce"101. Le plagiaire, en ne citant pas ses sources,
impose un silence à celles-ci et, imposer le silence à ses sources pour faire triompher sa
propre voix est un procédé politique autoritaire. Les Etats autoritaires ne font rien
d'autre que d’étouffer les autres voix. Le plagiaire est peu ou prou un autoritaire. "Savoir
faire et savoir montrer, c'est double savoir"102, par conséquent savoir écrire, c'est aussi
savoir montrer où on a puisé ses sources.
Conclusion
120 Cette partie avait pour but de surprendre les diverses stratégies par lesquelles un devenir
historique autre s'efface. Une lutte se fait jour dans l’espace public africain entre un
imaginaire instituant et la gestation du non-encore-advenu. A quelles conditions, dans
l'optique de la Théorie Critique, l’avènement du possible dans la temporalité peut-il
s'effectuer ? Les critiques formulées à l'égard de l’organisation instrumentale du réel
négro-africain n’avaient pas pour but de verser dans "l"afro-pessimisme" ou dans "le
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Notes
1. J. M. Van Parys, "Philosophie en Afrique", Séminaire sur la Philosophie-Africaine à Addis-Abeba (1-3
décembre 1976), Mélanges de philosophie africaine, 1978, pp. 33-69.
2. P.E.A Elungu, "La philosophie Africaine hier et aujourd'hui", op. cit, p. 10.
3. Idem, L'Eveil philosophique africain, Paris, 1986.
4. P.F. Diagne, L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, Dakar, 1981.
5. Ibidem, p. 11.
6. Ibidem, p. 11.
7. A. Aly Dieng, Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, Dakar, 1978 ; le second ouvrage est intitulé,
Contribution à l'étude des problèmes philosophiques en Afrique, Paris, 1983.
8. Ibidem, p. 9.
9. Ce que nous appelons "Ecole" n'est pas un groupe de penseurs travaillant dans le même sens. Au sein de
la pensée philosophique sénégalaise ou zaïroise, il ya des oppositions, le terme d'Ecole ne devrait donc pas
tromper, il sert à caractériser la tendance dominante en philosophie dans ces deux contextes, extrêmement
complexes une fois de plus...
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présentateurs de la philosophie en Afrique ne montrent pas, c'est cette lutte qu'il y a au sein de toute
philosophie entre les éléments émancipateurs et les pesanteurs de stabilisation.
17. Nous récusons la présentation de J. Smet et Nkombe dans "Panorama de la philosophie", Mélanges de
philosophie africaine, Kinshasa, 1978, pp. 263-282. Ces deux auteurs indiquent une structure dite interne
et une autre externe. La structure externe dégage les rapports entre la philosophie africaine, le savoir
européen et la sagesse africaine ; l'emploi des deux substantifs : savoir (européen) et sagesse (africaine) est
dans la droite ligne du senghorisme qui voulut qu'aux uns échût la "Raison analytique", superficielle,
déshumanisante, etc..., et aux autres la "grande sagesse" d’une émotion qui dirige vers les profondeurs de
la "participation vitale". Ce qui est occulté par cette théorie, c'est l'union du Sujet avec le mana. La
structure interne, se compose, quant à elle, d'un courant idéologique, d'un courant de reconnaissance,
d'une phase critique et de la variante synthétique. Ce qui semble gênant dans cette présentation, c'est
l'amalgame fait entre les oeuvres littéraires (Maryse Condé, Cf. p. 270), les manifestes politiques (Mobutu,
Nyéréré, Kaunda, Lumumba cf. pp. 268 et sv.), les ethnologues et les textes de philosophie. Ces différents
secteurs, pour les auteurs précités, sont des moments de "grande marche" de la philosophie africaine...
vers quels abîmes ?
18. Cf. Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Yaoundé, 1971. F.
Eboussi, "Le Bantou problématique", Paris, 1968, La crise du Muntu, Paris, 1977. P. Hountondji, Sur la
philosophie africaine, Paris, 1977. S. Adotevi, Négritude et Négrologues, Paris, p. 1972, Elungu P. Elungu,
"Authencitité et culture", Revue Zaïroise de psychologie et pédagogie, n. 1, 1973. "La philosophie
africaine, hier et aujourd'hui, Mélanges de philosophie africaine, publié par A. J. Smet, Kinshasa, 1978,
pp. 9-32. L'éveil philosophique africain, Paris, 1984.
19. Y. Mbargane Guissé, Philosophie, culture et devenir social en Afrique Noire, Dakar, 1979. Ceux qui ont
été qualifiés d'ethnophilosophes occupaient bien une place spéciale dans le processus économique (ils
étaient en majorité ecclésiastiques les RR. PP. Tempels, V. Mulago, A. Kagame, Makarakiza, Mabona, J.
Mbiti, F.M Lufuluabo, Tshiamalenga Ntumba). Leurs places et leurs discours devaient aussi avoir un
rapport particulier avec la sexualité.
20. Towa dans une certaine mesure s'est orienté vers cette voie. Il a parfois expliqué que l'ethnophilosophe
Tempels a écrit sa Philosophie bantoue pour venir à bout, moyennant l'évangélisation, des révoltes des
Nègres chargés de travailler dans les mines et firmes coloniales de l'ancien Congo-Léopoldville. Mais, ce
que Towa ne fait pas, c'est analyser certaines catégories de l'économie de marché (l'échange, la valeur,
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l’investissement...) afin de voir leur transfert, leur réfraction et surtout leur légitimation dans les
philosophèmes (idéologèmes) émaillant des textes ethnophilosophiques. Hountondji et Eboussi, eux-
aussi, n'utilisent pas cet axe de recherche.
21. Un exemple éclairera l'interrogation que nous formulons à l'égard des promptes critiques de
l'ethnophilosophie. La critique qui revient le plus souvent contre l'ethnophilosophie concerne le processus
de fétichisation de la culture qu'elle opère. Dans la mesure où la dynamique contradictoire qui existe entre
les éléments d'une même culture est occultée, l'ethnophilosophie peut être rejetée. Mais alors, ce concept
de fétichisme de la culture africaine ne peut trouver son explication qu'à travers les autres fétichismes :
celui de l’Etat autoritaire et l'universalisation de l'aspect marchandise, corollaire du fétichisme de la
marchandise. Se limiter à une critique de l'ethnophilosophie en s'arrêtant au seul confusionnisme
méthodologique que celle-ci réalise, aux cercles de son expression, relèverait d'une critique idéaliste et
romantique (au mauvais sens du mot !). Les cercles qui sont relevés dans le discours et la pratique de
l'ethnophilosophie (Cf. F. Eboussi, La crise du Muntu, Paris, 1977, pp. 60-61) devraient aussi s'étendre et
rejoindre, ceux non moins importants dans lesquels s'enferment les Etats autoritaires et les économies de
marché en Afrique. Si on ne parle, en traitant de l'ethnophilosophie, ni de l'Etat et ses investissements sur
le Sujet, ni du sort de celui-ci dans ses désinvestissements/réinvestissements, on abstrait, et on critique
l'ethnophilosophie sur un fond de méconnaissance.
22. Nous n'entrerons pas dans le débat trop connu et lassant sur la méthode de ces "ethnophilosophes".
Nous signalons : A. Kagame, La philosophie BantuRwandaise de l'Etre, Bruxelles, 1956, La philosophie
Bantu comparée, Paris, 1978. Tierrou, Le Nom africain ou langage des traditions, Paris, 1977. F.M. Lufu
Luabo, Vers une théodicée Bantu, Tournai, 1961, La notion Luba de l'Etre, Tournai, 1964. Une critique
récente met en perspective "l'hypothèse relativiste" concernant la méthode de Kagame dont le côté
aristotélicien se "méprend sur sa propre généalogie", Cf. P. Hountondji, "Langues africaines et
philosophie : l'hypothèse relativiste", Etudes philosophiques, Paris, n. 4, oct-déc, 1982, p. 393 et sv. Un
peu plus loin, il y a une critique violente de Kagame par Mukendi Ntite, "Les langues Africaines et vision du
monde", Présence Africaine, n. 103, 3è trim, 1977. Mais d'autres courants fleurissent, entre autres le
concordisme égypto-négro-pharaonique. L'enjeu de ce versant du concordisme est simple, si l'Egypte
pharaonique/nègre a été le berceau de la civilisation grecque qui donne tant de suffisance et d'arrogance à
l’Occident, alors l'établissement des filiations entre l'égyptien ancien et les langues nègres devrait bien
restituer au Noir sa fierté et sa dignité.
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23. Il s'agit du versant qui regarde vers la Grèce et de celui qui retourne à l'Egypte
24. M.P. Hebga, "L'homme vit aussi de fierté", Présence Africaine, n. 99-100, 3. et 4. trim, 1976, pp. 26-27.
25. Cette proposition est de Y. Mbargane, Philosophie, culture et devenir social en Afrique, p. 135.
26. Cheik Anta Diop a fait une oeuvre archéologique en parlant des rapports entre l'Egypte pharaonique et
la culture négro-africaine, mais le risque est grand aujourd'hui chez ses laudateurs d'hypostasier cette
oeuvre féconde par la louange inconsidérée de l'Egypte pharaonique. La ruse de l'histoire voudrait souvent
qu’un concept fécond soit statufié et monumentalisé par la postérité, l'expurgeant de par le fait même de
sa charge explosive. Anta Diop s'est occupé du passé par amour du présent. A nos générations de trouver à
cette oeuvre archéologique une dimension proleptique. Une étude, non faite par Anta Diop, peut s'amorcer
pour savoir comment cette société négro-africaine gérait le problème de l'exclusion. Tout se passe le plus
souvent comme si égypto-négro-africaine, cette société du simple fait qu'elle était de même couleur, vivait
sans contradictions. Dans une société -peut-on lire le plus souvent-les niveaux de langues différencient les
divers groupes (l’ouvrier de Sarcelles bien que s'exprimant en français parle une langue différente de celle
d'un énarque). Comment s'articulait la lutte entre le langage des "sans-espoir" dans cette Egypte-là et celui
de l'aristocratie pharaonique ? Quelle était la culture des "sans-espoir" ? Et sous quelles modalités
s’investissait l'emblématique dans les stratégies d'hibernation ? Autant de questions qui font de ce rapport
négro-africain à l'Egypte tout un programme.
27. L.S. Senghor, Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, 1964, pp. 225-226.
28. N. Chomsky, Réflexions sur le langage, trad. J. Milner, Vauterin et Fiala, Paris, 1981, p. 169.
29. H. Lefebvre, Le droit à la ville, suivi de Espace et politique, Paris, 1972, p. 2.
30. Alassane Ndaw, La pensée africaine, Dakar, 1983, p. 250.
31. Ibidem, p. 251.
32. Ibidem, p. 251.
33. Ibidem, p. 251.
34. Ibidem, p. 251.
35. Ibidem, p. 251.
36. Ibidem, p. 252.
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37. Ibidem.
38. Alassane Ndaw, op. cit.
39. Cf. p. 251.
40. Pour une vue assez technique de ce problème d'actes illocutoires, lire. O. Ducrot, Dire et ne pas dire.
Principes de sémantique linguistique, Paris, 1972. J.R Searle, Les actes du langage, Essai de philosophie
du langage, Paris, 1972.
41. En réponse à la question : comment améliorer la rédaction administrative, Gaudouin énonce la
première règle "indispensable" : "posséder son sujet-réfléchir assez-établir un plan harmonieux, équilibré-
établir un plan rigoureux-précision, simplicité, clarté, homogénéité, vivacité, cohérence". J. Gaudouin,
"Entre les documents d'information et les documents d'instruction" Correspondance et rédaction
administratives, Paris, 1980, pp. 141-151. Il est très important de souligner que l’universalisation
tentaculaire de l’Etat et le problème de l'assimilation du colonisé justifient le fait qu'en Afrique Noire
l'écriture administrative suive les mêmes canons d'écriture et de légitimation qu'en Europe occidentale.
Comme le montre G. Conac, "il est facile de reconnaître aujourd'hui encore dans les institutions
administratives des divers Etats décolonisés par la France et l’Angleterre l'empreinte métropolitaine...",
"Le développement administratif des Etats d'Afrique Noire", Les Institutions Administratives des Etats
francophones d'Afrique Noire, sous la dir. de G. Gonac. Paris, 1979, p. XIX.
42. Gaudouin, op cit, p. 84, dit : "Une administration animée d'un esprit intégral de service public doit tout
mettre en oeuvre pour être comprise de ceux pour qui elle travaille et pour les associer à son action... il y a
là plus qu'une question de forme. Il y a là un impératif catégorique de la morale administrative".
43. E. Landowski insiste longuement sur la méconnaisance introduite par le langage administratif qui
devient "un langage sans frontière de classe". L'impartialité affichée ne sert que les intérêts autoritaires des
obturateurs des possibles. Ceux-ci, à travers les suggestions administratives imposent une nouvelle
légitimation, un nouveau "faire-valoir". "Le langage administratif", L'administration, Paris, 1974, pp. 358-
389.
44. E. Landowski, op. cit. p. 371.
45. Gaudouin, op. cit, p. 84. La juxtaposition entre force, gravité, majesté est très significative.
46. Robert Catherine, Le style administratif, Paris, 1967, pp. 17-18.
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58. Ce qu'analyse Horkheimer dans un texte "Raison et conservation de soi", Eclipse de la Raison.
59. Cf. Naude, Considérations politiques sur les coups d'Etat, Paris, 1988, p. 89.
60. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Oeuvres Philosophiques, tome 2, Paris, 1985, p. 1017
61. Cité par Bernard Teyssedre, L'art au siècle de Louis XIV, Paris, 1967, p. 46.
62. Max Horkheimer, Théorie Critique, p. 171.
63. St. Augustin, Les confessions, trad. J. Trabucco, Paris, 1964 p. 276.
64. Ibidem, p. 273.
65. Ibidem, p. 278.
66. Ernst Bloch, L'esprit de l'utopie, Paris, 1977, lire particulièrement le chapitre "Karl Marx", la mort et
l'Apocalypse".
67. La conception non-intensive du temps a été critiquée par Bergson qui oppose la durée à la
spatialisation du temps. Mais une conception intensive vue sous l'angle bergsonien est lourde de
présupposés idéalistes, cf. la critique que fait Max Horkheimer de l'hypostase du temps bergsonien, "la
métaphysique bergsonnienne du temps", trad. Ph. Soulez, L'homme et la société, N. 69-70, Déc, 1983,
pp. 11-21.
68. Gilles G. Granger, Essai d'une philosophie du style, 2. éd. Paris, 1988, p. 11.
69. Ibidem, p. 10.
70. Collectif, Anthropologie de l'écriture, sous la dir. de R. Laffont, Paris, 1984, p. 241.
71. Une écriture discontinue, qui privilégie la césure et le ratage, est une écriture qui est en devenir, car
étant en attente de l'improbable. La discontinuité, la césure introduite au sein de la linéarité de l'écriture
amène une espèce de suspension de l'écriture dans laquelle le Sujet est en attente d'une rencontre avec le
réel dont il continue inlassablement à maintenir l'exigence. L'écriture continue qui ne s'occupe pas de la
violation du sens devient close, car à la polysémie du scriptural, on oppose les praxèmes figés dans une
syntaxe non ambiguë.
72. Gilles Deleuze, "Signes et événements", entretien avec R. Bellour et F. Ewald, Magazine littéraire,
n° 257, Sept 1988, p. 19.
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84. La plupart des thèses se font sur l'oppression des femmes en Afrique, ce sont des thèses dont
l'essentiel du discours est ethnologique, la seule en philosophie qui essaye de secouer l'establishment
phallocrate est celle de Ndeye Awa Thiam, Continents Noirs, Paris, 1984. La limite de cette thèse est de
n'avoir pas pu analyser au niveau des stratégies discursives comment se profilent les idéologèmes
phallocrates, autrement dit, il manque à cette thèse une étude génétique de la sexuation du discours.
85. Njoh Mouellé, (Développer la richesse humaine, p. 21 et sv.) condamne la prostitution, et opte pour la
responsabilisation et la libération de la femme. Il existe certainement dans la philosophie africaine
d'autres textes luttant contre la "chosification" de la femme. C'est la dernière trouvaille du cynisme
philosophique phallocrate africain consistant pour le vainqueur à prendre la . défense du vaincu. Il n'est
pas commode de dire que le réel est déformé sans avoir pu, au préalable, corriger les lunettes qui vous
déforment le réel. D'ailleurs, parler des femmes est différent de laisser parler les femmes. L'important n'est
pas de changer de réponse à propos de la question féminine en Afrique, mais de changer la forme et le
contenu du questionnement en philosophie africaine. La question n'est pas : comment les femmes peuvent
s'en sortir, mais plutôt, comment sortir, en philosophes, de nos réflexes androcrates ? La philosophie
africaine deviendra alors le lieu incertain où le philosophe procède à travers les règles du discours
(syntaxe, sémantique, typographie) à la dé-possession du pouvoir masculin. Dé-masculiniser les catégories
philosophiques est une affaire beaucoup plus importante que le discours hypocrite des phallo-sophes sur
les femmes. Le discours philosophique négro-africain n'a pas du tout parlé du corps. Eboussi, certes,
disserte sur le corps, mais c'est un corps épuré, il vaut mieux dire qu'il parle de la corporéité (Cf. son
analyse du sentir dans La crise du Muntu, pp. 211 et sv.). La philosophie africaine, en omettant d'aller du
"haut" vers le "bas", en refusant de laisser s'exprimer la sueur, les pets, les fèces et les fesses, en donnant à
l'espace public des concepts graves et tristes, sans senteur et humour, tombe sans le savoir dans le piège de
l'immaculée conception. Dans celle-ci, ce qui compte c'est le résultat, propre, dégagé de toute souillure
corporelle. Dans la rhétorique philosophique africaine qui ne se compromet jamais dans "l'épithuméia", ce
qui importe, c'est le concept propre, c'est à dire affranchi de toute souillure de la sexuation. Le discours
philosophique africain actuel serait-il une ruse de "l'immaculée conception" ? "La souveraineté des
cerveaux est toujours une fausse souveraineté" (P. Sloterdijk, op. cit, p. 16). Le jour où la philosophie
africaine osera parler, sans sourciller, des lèvres, des vulves, des saignements et écoulements, du sperme et
du pus, elle aura alors fait un grand pas hors de ses concepts patriarcaux et immaculés. Toute "immaculée
conception" (formulation des concepts dépourvus d'affectivité) est une ruse du patriarcat. Celui-ci nous
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livre, comme concepts philosophiques, des entités froides, impassibles, distantes, arrogantes et
indifférentes à la viscosité du réel que nous aimons voir dégouliner.
86. Jacques Lacan, Le séminaire, liv. XX, Encore, Paris, 1975, p. 190
87. Cf. Joseph Blais, La logique, une introduction, Montréal, 1985, p. 152. Ce terme vient de Locke dans
son traitement des "fallacies".
88. P. Talbot et J. Doyon, La logique du raisonnement, théorie de l’inférence propositionnelle et
application, Québec, 1986, p. 152. Ces deux penseurs estiment que ce sophisme exploite les privilèges en
faveur du progrès, de la science, de la crise, de l'authenticité, pour tout ce qui est moderne ou d'avant-
garde. Le raisonnement implicite de ce genre d’argument est : si une critique porte sur la "crise" ou
"l'authenticité" alors elle est vraie (ou justifiée) Or ce livre porte sur la "crise" et "l'authenticité". Donc cette
critique est vraie (justifiée).
89. Frans Van Eemeren, Rob Grootendorst, "les sophismes dans une perspective-pragmatico-linguistique",
L'argumentation, colloque de Cérisy sous la direction d'Alain Lempereur, Liège, 1991, p. 175.
90. La forme "tu quoque" qui se mue en attaque "ad personam" vise "à éliminer l'interlocuteur comme
participant sérieux à la discussion... en déconsidérant sa compétence, son objectivité... ou sa crédibilité".
Ibidem, p. 175.
91. A. Souriau, Vocabulaire d'esthétique, Paris, 1990, p. 495.
92. Ibidem, p. 1113.
93. Ibidem, pp. 1136-1137.
94. Il ne prend pas la précaution épistémologique de justifier et spécifier dans quel contexte ce terme
complexe est "adapté". Se définissant comme la constance référentielle d'un individu dans tous les mondes
possibles, le désignateur rigide a au moins trois sens. Il existe une rigidité "de jure", "de facto et étendue.
Eboussi n'indique pas dans quel sens il utilise sa "rigidité". Lire Pascal Engel, La norme du vrai, Paris,
1989, p. 197.
95. La crise du Muntu soulève des ambiguïtés qui doivent être interrogées ; quel est le statut du désir
(conatus ? cupiditas ?) Au nom de quel fondement "exercer" la vigilance vis-à-vis du savoir (p. 206) ? Au
nom de quel principe ? Ce dernier sera-t-il un savoir ou un non-savoir ? Qu'en est-il du mythe comme
parole originaire ? Qu’est-ce que l'originaire ? L'originaire est-il ici pris au sens du fondement (Grund), ou
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au sens de "Ursprung" ? Quid des rapport entre art et instant (pp. 215-216) ? Comment s’articule la notion
de lieu (du discours, du rire) ?
96. Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, 1973, p. 101.
97. Ibidem,, p. 100.
98. Lacan, op. cit. p. 85.
99. Il serait intéressant de voir tout le travail de Walter Benjamin sur la citation. Celle-ci, brise la
continuité et le paradigme du progrès dans un texte. La citation fend l'oeuvre et l'oriente vers un dehors
qui, telle une semence, vient la féconder. Citer, c’est donner un rendez-vous, (citar en espagnol c'est
donner un rendez-vous) à la nouveauté et souligner par là l’incomplétude/richesse de notre dire.
100. E. Pulcinelli-orlandi, "Hétérogénéités et silences", Le sens et ses hétérogénéités, p. 208. Les
modalités de mise-en-silence peuvent être : "prendre la parole, oter la parole à quelqu'un, empecher de
dire, interdire certains sens, faire taire, censurer".
101. J.J. Courtine, C. Haroche, "Silences du langage, langages du visage à l'âge classique", préface à la
présentation de l’abbé Dinouart, op. cit, p. 28.
102. B. Gracian, L'Homme de cour, trad. Hamelot de la Houssaie, Paris, 1987, p. 77. Pour l’historien de la
philosophie, il faudrait peut-être comparer la 3. proposition de la page 11 de La crise du Muntu d’Eboussi
et toute la page 83 de l'Idéologie allemande, trad. Auger, Badia, Baudrillard, Cartelle, Paris, Ed. Sociales
1976. On pourrait aussi confronter (si on peut confronter ce qui n'est qu'une reprise d'une même pensée !)
La critique de la maïeutique/dialectique socratique d’Eboussi aux pages 118-119 à la critique nietzschéenne
de la même dialectique/maïeutique socratique à l'aphorisme 7, de la page 84 du livre très connu. Le
Crépuscule des idoles, trad. H. Albert, 1985, pp. 84-85.
103. Théophile Obenga, La philosophie Africaine de la période pharaonique, Paris, 1990.
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