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JEAN LALOY

LA PREMIÈRE CRISE
DE BERLIN
Juin 1948 — Mai 1949

erlin est au cœur de l'Allemagne ; l'Allemagne, au centre


B de l'Europe ; l'Europe, un point sensible du monde.
L a crise de Berlin est comme une lentille grossissante. Grâce
à elle, on distingue l'enchevêtrement des forces et des poids,
le jeu des calculs et des choix, certains rouages d'un système
(ou d'un sous-système) international qui est encore le nôtre après
trente ans.

L'environnement

L a glaciation progressive de l'Europe orientale ne résulte


ni de Yalta ni d'aucun accord explicite entre la Russie sovié-
tique et ses alliés. Elle se révèle, dès la fin de la guerre, comme
une évolution inéluctable, une sorte de phénomène géologique
observable en Pologne et en Allemagne orientale, puis dans les
Balkans, enfin en Europe centrale, jusqu'en Hongrie et en Tché-
coslovaquie.
N u l n'en a mieux expliqué l'origine que Staune lui-même
à Potsdam. Dans une conversation que rapporte Philip E . M o -
sely, professeur à l'université Columbia et expert de la délé-
gation américaine, Staline déclarait : « Tout gouvernement libre-
ment élu serait anti-soviétique et cela, nous ne pouvons le per-
mettre (1). » Appliqué à l'Allemagne, ce point de vue conduit
à l'absorption ou, si elle est impossible, à la division.

(1) Ph. E. Mosely, The Kremlin in World Politics, New York 1960,
p. 214.
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Staline a envisagé les deux éventualités. E n mars 1946,


i l dit, s'adressant à un groupe de communistes yougoslaves et bul-
gares : « L'ensemble de l'Allemagne sera à nous. » E n janvier
1948, c'est le contraire : «L'Ouest s'emparera de l'Allemagne
de l'Ouest et nous ferons de l'Allemagne de l'Est notre Etat (2). »
Entre ces deux dates, au printemps et en été 1947, Staline se
prononce encore en faveur de l'unité de l'Allemagne. L e 15 avril
1947, i l explique au secrétaire d'Etat américain qu'il faudra
des années pour résoudre le problème allemand de. façon satis-
faisante (3). De façon plus claire, i l déclare en juillet 1947 à
une délégation dirigée par Walter Ulbricht : « L'Allemagne a
besoin de son unité et de son traité de paix. C'est ainsi seule-
ment que nous remporterons la lutte pour une paix durable. C'est
pour nous décisif. C'est pourquoi nous devons rester en Alle-
magne plus longtemps que nous ne le souhaitons (4). » Ce serait
donc dans l'automne 1947 qu'il aurait changé d'avis. Encore
n'est-ce pas sûr, car i l existe une tierce solution : l'Allemagne
demeurant divisée, mais tout entière contrôlée par l'U.R.S.S.
Pour celle-ci ce n'est pas la plus mauvaise. C'est la plus dif-
ficile à obtenir.
Staline à l'époque n'était pas sans soucis. Dès 1946, i l a
pensé à regrouper sous son contrôle les partis communistes du
continent européen. N o n seulement Tito l'inquiète depuis 1943
ou même depuis la guerre d'Espagne, mais dans chacun des
pays où i l a placé les communistes au pouvoir i l découvre ceux-
ci en proie à des préoccupations nationales parfois même révi-
sionnistes. E n Union soviétique, où les mêmes tentations existent,
la poigne de Jdanov a rétabli conformisme, austérité et silence.
Il n'est pas facile de concilier ces impératifs avec une politique
s'étendant à l'ensemble du continent européen. De là, les hési-
tations sur l'Allemagne. Comment s'ouvrir tout en se fermant?
Entre mars et juillet 1947, le président Truman est obligé
de définir enfin sa politique en Europe. A u mois de mars, la
Grande-Bretagne, épuisée, lui a remis le fardeau de l'aide à la
Grèce et à la Turquie. Pour faire voter les crédits nécessaires,
Truman a dû brosser un tableau très sombre des méfaits du
« communisme ». U n mois plus tard, George Marshall, le secré-

(2) M . Djilas, Conversations with Stalin, New York, 1967, p. 153.


(3) Foreign Relations of the United States (ci-après F.R.U.S.) Washington,
1972, année 1947, vol. II, p. 344.
(4) E . Gniffke, Jahre mit Ulbricht, Cologne, 1966, p. 249.
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taire d'Etat, revient de la Conférence de Moscou convaincu que


le gouvernement soviétique compte sur la ruine de l'Europe occi-
dentale pour y étendre son influence. « Le patient meurt, déclare-
t-il dans son rapport au peuple américain, pendant que les méde-
cins discutent. » U n mois encore et, le 5 juin 1947, i l propose
son plan de restauration de l'Europe tout entière, y compris
l'U.R.S.S. E n juillet, George Kennan publie dans Foreign
Ajjairs l'article qui définit (non sans ambiguïtés) la politique
du « containment ». L'offre d'aide, plus formelle que réelle, est
repoussée par Molotov en juillet 1947. Staline a dû interdire au
gouvernement tchécoslovaque de l'accepter. L'Organisation euro-
péenne de coopération économique (OECE) est créée en avril
1948. Les trois zones occidentales d'Allemagne vont bénéficier
de l'aide américaine. L a France, non sans hésitation, a accepté
de se joindre à ce projet. L'Allemagne occidentale va sortir de
l'apathie.
De janvier à avril 1948, se tiennent à Londres entre les
trois puissances occupantes, auxquelles se joint le Bénélux, des
pourparlers pour mettre en forme un programme qui comporte,
pour l'Allemagne occidentale, la création d'un gouvernement
national (de type fédéral), un statut d'occupation (limitant les
droits de l'occupant), un Office militaire de sécurité (surveillant
la démilitarisation), une autorité internationale de la Ruhr et,
première pierre de tout l'édifice, une réforme monétaire. Paral-
lèlement se préparent l'union de l'Europe occidentale (traité de
Bruxelles, mars 1948) et, à plus long terme, le traité de l'Atlan-
tique Nord (4 avril 1949). L'Occident s'est réveillé (5).
Staline, lui, ne dort pas.
E n septembre 1947, s'est réunie en Pologne une Conférence
de neuf partis communistes : U.R.S.S., Yougoslavie, Bulgarie,
Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, plus les partis
de France et d'Italie. Elle a créé un organisme permanent, le
Bureau d'information, ou Informbureau, après avoir entendu
des discours dont le principal est celui de Jdanov. Décrivant
le monde comme divisé en deux blocs, Jdanov affirme que dans

(5) Contre cette présentation des choses, les historiens américains de la


tendance dite « révisionniste » décrivent la politique américaine comme respon-
sable de la scission, hostile à tout ce qui est à gauche en Europe et décidée
à repousser l'U.R.S.S. jusque dans ses frontières. Ces thèses ont beaucoup perdu
de leur attrait depuis la fin de la guerre au Vietnam. Elles ne donnent pas
une explication satisfaisante de la politique américaine et méconnaissent gra-
vement la politique soviétique en Europe dans les années 1943-1953.
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la lutte qui s'engage « la question de l'Allemagne, et en parti-


culier la question du bassin de la Ruhr comme base industrielle
et militaire potentielle du bloc hostile à l'U.R.S.S., est la ques-
tion décisive de la politique internationale et la pomme de dis-
corde entre les Etats-Unis, l'Angleterre et la France (6). »
E n France et en Italie, les partis communistes se mobi-
lisent contre le plan Marshall. Mais c'est en Allemagne et à
propos de l'Allemagne que s'engage l'épreuve de force.

Les débuts de la crise

Le 5 juin 1945, les quatre alliés ont « assumé l'autorité


suprême en Allemagne ». Ils ne sont pas seulement les occupants,
mais les gérants, les responsables de l'Allemagne jusqu'à ce que
celle-ci retrouve sa souveraineté. Chacun des commandants en
chef est souverain d'abord dans sa zone et aussi « conjointe-
ment pour les questions intéressant l'ensemble de l'Allemagne »
au sein du conseil de contrôle décidant à l'unanimité, c'est-à-
dire ne décidant pas ou presque pas. L e conseil siège à Berlin,
ville divisée en quatre secteurs. Les secteurs occidentaux sont
ravitaillés, chauffés, équipés par les zones occidentales corres-
pondantes. Les accès sont libres (selon des procédures fixées
avec le commandement soviétique) par autoroutes, voies ferrées,
voies d'eau et couloirs aériens spécifiquement désignés. Il n'y
a pas de contrôle des personnes mais seulement enregistrement
des passages et, pour les avions, observation de règlements de
sécurité.
Pendant l'hiver 1947-1948, au conseil de contrôle, des
questions ont été posées à diverses reprises par les représentants
soviétiques. Pourquoi ces conversations séparées à Londres ?
Dans quelle perspective ? Les trois alliés ont promis une réponse,
dès que les consultations seraient achevées. Le 20 mars 1948,
le maréchal Sokolovski réitère ses demandes. L a réponse est
la même. Là-dessus, i l se coiffe de sa casquette et quitte la salle
avec tout son monde. L e conseil de contrôle a cessé d'exister.
Dès le début d'avril, les fonctionnaires soviétiques préten-
dent contrôler les militaires alliés en transit à travers la zone.

(6) Informatsionnoe sovechtchanié predstavitéléï nekotorykh Kompartii


(Conférence d'information de certains partis communistes), Moscou, 1948, p. 40.
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A u lieu d'affirmer leur droit de passage, ceux-ci prennent l'avion.


C'est la première forme de « pont aérien ». De part et d'autre,
on est prudent. Pour les Occidentaux, est-il sage de l'être tant ?
Aurait-il suffi d'une manifestation de fermeté pour éviter la
suite ? O n l'ignore toujours.
Le 18 juin 1948, le nouveau mark est introduit dans les
trois zones, prélude au « miracle économique allemand » (7).
L'Union soviétique, pour protéger sa zone, interrompt les com-
munications terrestres de Berlin avec l'Ouest, ainsi que les livrai-
sons aux secteurs occidentaux de courant, charbon, produits
alimentaires venant de la zone orientale. Mais tous contacts ne
sont pas rompus. Les quatre commandants de Berlin discutent
du régime de la monnaie à Berlin. Une réforme monétaire a eu
lieu en zone soviétique le 23 juin. Les Occidentaux n'accepte-
raient le mark de l'Est à Berlin que moyennant un contrôle spé-
cial à quatre. Mais comment le faire fonctionner ? Faute de
s'entendre à ce sujet avec le commandant soviétique, ils intro-
duisent un mark spécial dans leurs secteurs, le mark B . Cou-
pure en Allemagne, coupure à Berlin, coupure entre Berlin et
l'Ouest de l'Allemagne. Les secteurs occidentaux de Berlin comp-
tent plus de deux millions d'habitants. Les stocks sont de trente-
cinq jours. Que faire ?

Le blocus

Le premier dilemme est intellectuel : de quoi s'agit-il ? Sta-


line veut-il surtout verrouiller la zone soviétique contre le nou-
veau mark occidental ? O u bien veut-il obliger les trois puissan-
ces à changer de politique en Allemagne ? Les négociations de
juillet à septembre 1948 donneront la réponse.
L e second dilemme est pratique : comment répliquer à la
force passive du blocus ? Par un convoi armé ? De Berlin, le
général Clay, commandant en chef américain, et son conseiller
politique, Robert Murphy, le suggèrent à deux reprises en juin

(7) De longues négociations à quatre sur une réforme monétaire pour


toute l'Allemagne, c'est-à-dire pour une politique monétaire commune, s'étaient
heurtées à la divergence croissante entre les exigences de l'économie d'Etat
dans la zone Est et celles de l'économie privée ou semi-privée à l'Ouest. C'est
en mars 1948 que le gouvernement américain se décide pour une réforme à
l'Ouest de l'Elbe.
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et en juillet. Par la négociation ? Beaucoup, qui sont prêts à quit-


ter Berlin, y pensent. Ou par une combinaison des deux ? C'est
la solution qui prévaut.
A la première question, la réponse est donnée par Staline
lui-même. A u début d'août, les trois ambassadeurs occidentaux
vont le voir. Staline, aimable (il laisse à ses subordonnés les tâches
ingrates), ne laisse cependant aucun doute : si le plan de création
d'un gouvernement allemand à l'Ouest est suspendu, les entraves
à la circulation prendront fin. Pas autrement. L e maréchal Soko-
lovski en avait dit autant au général Clay dès le 3 juillet. Dès
lors, les ambassadeurs ont beau rédiger avec Molotov une direc-
tive sur la monnaie à Berlin ; faute d'un accord (fût-il implicite)
sur l'abandon du programme de Londres, les négociations sur
la monnaie n'aboutissent à rien. I l y aura encore des pourparlers
en octobre, lorsque l'affaire de Berlin sera évoquée par les trois
puissances devant les Nations unies. Des plans seront esquissés.
Ils s'enliseront eux aussi. Mais les conversations sur la monnaie
à Berlin continueront à l ' O . N . U . jusqu'à la fin de février 1949.
L a réponse à la deuxième question est donnée par le pré-
sident Truman. Comme ses chefs d'état-major, i l refuse d'en-
voyer un convoi armé. Plus ferme qu'eux, i l décide de développer
et de renforcer par tous les moyens le ravitaillement aérien qui
a commencé le 26 juin. L e 23, le général Clay a téléphoné au
général Curtiss Le May, chef des forces aériennes américaines
en Allemagne, un fonceur : « Pouvez-vous transporter par avion
du charbon et de la farine ? — Puis-je vous demander de répé-
ter votre question ? » L a surprise passée, la réponse vient :
« Pourquoi pas ? » L'effort sera considérable : un avion toutes
les trois minutes, 200 000 sorties en un an, 1 500 000 tonnes
transportées par tous les temps. A cela s'ajoute le transfert en
Grande-Bretagne de deux groupes de bombardiers B 29, capa-
bles de porter la bombe atomique, ainsi qu'un contre-blocus de
la zone orientale à partir de l'automne 1948. Ces décisions sont
prises alors que le président Truman doit affronter en novembre
une élection présidentielle que tous les sondages donnent comme
perdue pour lui. Il n'a pas fléchi. Mais, instinctivement, i l a choisi,
comme le fera en 1962 John F . Kennedy, de ne gravir que len-
tement l'échelle du risque : un avertissement significatif (les
bombardiers d'Angleterre) accompagné de mesures de rétorsion
économique, une entreprise technique brillante (le pont aérien),
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un refus des négociations ambiguës où Staline cherche à l'entraî-


ner, mais aussi le maintien des contacts, permettront de surmonter
l'épreuve sans abandon.
De son côté, Staline, celui qu'Hitler, expert en la matière,
avait surnommé un « maître-chanteur à froid », n'a commis au-
cune imprudence. Ses menaces contre les couloirs aériens (dont
l'une a conduit Truman à s'interroger avec angoisse sur l'em-
ploi éventuel de l'arme atomique) sont restées verbales. I l a sur-
tout compté sur le général Hiver pour stopper les avions. Quand
cet allié le trahit, Staline donne lui-même le signal du recul.

Une situation nouvelle

E n six mois, les choses ont changé. Non seulement le pont


aérien a été efficace, mais la population de Berlin est demeurée
ferme. Pas d'arrogance, mais une sorte de conviction : celle de
défendre la liberté, que douze ans de totalitarisme ont conduit
à apprécier. De Berlin, cet état d'esprit s'est étendu aux zones
occidentales. Les soldats alliés apparaissent moins comme des
occupants que comme des garants. Le conseil parlementaire
qui, depuis septembre 1948, prépare la Constitution, loin de se
sentir responsable de la division du pays, se voue à créer le
Rechtstaat, un Etat fondé sur le droit. Hors d'Allemagne, les
Européens n'ont pas tremblé. Certes, i l existe, spécialement en
France, des esprits chagrins qui souhaitent l'abandon de Berlin
et le repli sur une Confédération du Rhin. Mais, dans l'ensem-
ble, l'opinion ignore ces subtilités. Les négociations pour la con-
clusion du pacte atlantique sont menées à bien avant le début
du printemps. Enfin, dans le monde, la prolongation de ce blo-
cus d'une population civile fait murmurer.
Cependant, dans le camp oriental, les crises s'accroissent :
après le coup de Prague en février 1948, la dispute avec la You-
goslavie se prolonge. A u même moment, en Chine, M a o reprend
en 1949 l'offensive qui le mènera à la victoire en octobre. E n
Europe, i l est temps de jeter du lest.

L'issue

E n janvier 1949, un correspondant américain envoie à Sta-


line quelques questions écrites. Elles portent sur l'Allemagne,
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l'Europe, le blocus, les conditions pour y mettre fin. Staline reçoit


beaucoup de demandes analogues qu'il laisse sans réponse. Cette
fois, i l envoie ses commentaires. Les restrictions seront levées,
confirme-t-il, si « la mise sur pied d'un Etat allemand de l'Ouest
est suspendue jusqu'à la convocation d'une réunion des ministres
des Affaires étrangères ». De la monnaie à Berlin, ce nid d'em-
brouilles, i l n'est plus question.
Cette omission est remarquée à Washington. Le 15 février,
Philip Jessup, représentant américain à l ' O . N . U . , juriste éminent,
esprit vif et sagace, rencontre « par hasard » son collègue sovié-
tique Jacob Malik et, mine de rien, lui demande : « Est-ce à des-
sein que la monnaie est passée sous silence ? » Malik répond
le 15 mars. « Oui, c'est à dessein (8). » L a conversation s'engage
entre les deux hommes. Elle conduira au communiqué du 4 mai
1949 : «Les restrictions seront levées le 12 mai. Le 23 mai,
les quatre ministres se réuniront à Paris. » Comment est-on par-
venu à s'entendre? E n faisant observer à M . Malik que si les
ministres se réunissaient à bref délai, les préparatifs constitution-
nels à Bonn ne seraient pas achevés. Une entente entre les quatre
n'est donc pas préjugée. Mais l'entreprise occidentale en Alle-
magne n'est pas interrompue pour autant. E n fait, i l n'y aura
pas d'entente. Vychinski, qui a remplacé Molotov au ministère
des Affaires étrangères en mars 1949, proposera le retour à l'im-
possible système de contrôle établi à Potsdara. O n en restera là.
A u mois de septembre et d'octobre 1949 seront créés, dans des
conditions très différentes, les gouvernements de Bonn et de Pan-
kow. L ' u n est fondé sur le suffrage universel, l'autre est issu d'un
organisme (le Congrès du peuple) désigné par les partis et les
organisations de masse, c'est-à-dire essentiellement par le parti
socialiste unifié, le S E D que dirige Walter Ulbricht. Dix ans
vont s'écouler avant que Berlin ne redevienne le nœud d'une
crise, celle qui, commencée en 1958, s'achève en 1962 après la
crise de Cuba, crise centrale de la période contemporaine.

Les leçons de la crise

Les alliés occidentaux paraissaient pris dans un dilemme


insoluble : ou bien ils restaient à Berlin mais renonçaient à leur

(8) F.R.U.S. (op. cit.), Washington, 1974, année 1949, vol. III, pp. 695-696.
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politique en Allemagne et, avec elle, à leur politique européenne ;


bu bien ils quittaient Berlin. Qui dès lors en Allemagne ou en
Europe aurait accepté de se confier au soutien américain ? Cha-
cun des termes de l'alternative conduisait à la défaite.

Ce point a été compris à Washington par tous les respon-


sables : Truman, Marshall, Acheson, le général Clay. E n France
et en Grande-Bretagne, i l y a eu plus d'hésitations. Mais le moyen
d'en sortir n'est apparu qu'au cours de l'hiver parce que le ravi-
taillement par avion a été suffisant. Il fallait un effort quelque
part. Plus cet effort se situait dans un domaine non directement
militaire, plus i l était efficace. Mais i l fallait que la menace ultime
soit sinon probable, au moins non totalement exclue. C'est le
rôle des bombardiers stratégiques sur les aérodromes britanni-
ques. Entre ces deux pôles se développent les réactions berli-
noise, allemande, européenne, et les autres qui font pencher le
sort. Stratégie, politique et psychologie sont étroitement imbri-
quées.
Truman applique instinctivement les règles de la dissua-
sion que l'on codifiera plus tard. Bien que ne craignant aucune
réplique atomique, i l prend soin et de monter l'engrenage et de
n'y pas mettre le doigt. C'est un exercice difficile. Il l'est plus
encore aujourd'hui.
L'article de George Kennan avait posé le principe qu'on
pouvait refuser l'appeasement sans dériver vers la guerre. L a
crise de 1948-1949 lui donne raison. L'adversaire ne cesse pas
complètement d'être aussi un partenaire. Le fantôme d'Uncle
Joe s'est évaporé mais Joseph Vissarionovitch ne se conduit pas
comme un irresponsable. Ces constatations vont influencer les
réflexions en Occident pendant une longue période.
On ne sait rien des réflexions des dirigeants soviétiques.
André Jdanov est mort le 31 août 1948. Malenkov, revenu aux
côtés de Staline, a sévi contre les partisans de Jdanov, spécia-
lement à Leningrad en 1949. Ces changements au sommet ont-ils
eu une incidence sur les conversations du printemps 1949? Ce
n'est pas impossible. L a fin du blocus a été marquée par quel-
ques esquisses d'une détente au moins verbale. Mais, un an plus
tard, a commencé le conflit de Corée qui provoque par contre-
coup le réarmement de la République fédérale. Les réflexions
amorcées sans doute en 1949 ne se développeront qu'après 1953.
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L'important est l'effet sur l'Allemagne. E n juillet 1948,


les responsables politiques des Länder allemands avaient hésité
à s'engager dans l'aventure d'une fédération d'Allemagne occi-
dentale. Ils craignaient l'abandon de Berlin par les Alliés. Dès
lors que les Occidentaux sont fermes à Berlin, l'entreprise alle-
mande à l'Ouest trouve son assiette. Berlin est le symbole de
l'unité ou plutôt du maintien du principe de cette unité, impro-
bable mais non interdite. Le symbole d'un espoir. Mais aussi
une réalité.
L a République fédérale n'est stable que si, associée étroi-
tement à l'Occident, à la légitimité démocratique, à la liberté poli-
tique, bientôt à la défense commune, elle maintient en même
temps avec Berlin des liens chargés d'un sens à peine percep-
tible, mais indispensable à la santé de l'ensemble allemand. Tant
que Berlin tient, la République fédérale, le Bund, n'est pas la
Confédération du Rhin, le Rheinbund de 1806, elle continue
à assumer l'avenir allemand, même si celui-ci est au-delà de toute
prévision raisonnable.
Il ne faut pas s'étonner qu'aujourd'hui encore, après le traité
germano-soviétique de 1970, et l'accord sur Berlin de 1971,
le gouvernement de Moscou s'en prenne à chaque occasion aux
liens entre Bonn et Berlin. L a stabilité de cet ensemble de lour-
des masses qu'est l'Europe occidentale dépend, dans une large
mesure, des grands équilibres mondiaux stratégiques, écono-
miques et politiques, mais aussi de ces facteurs impondérables
et généralement inaperçus que sont la tranquillité des esprits et
l'idée que des aménagements pacifiques ne sont pas définiti-
vement exclus.
E n ce sens, la crise d'il y a trente ans mérite d'autant plus
réflexion qu'elle n'a pas encore pris fin, on l'oublie trop souvent.

JEAN LALOY
de l'Institut

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