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Pratiques psychologiques 15 (2009) 39–47

Dossier
Les bases du développement de la psychologie
communautaire en Europe
Basis of the development of community
psychology in Europe
R. Dugravier ∗,1 , A. Legge 2 , M. Milliex 2
Service de psychiatrie infanto-juvénile du professeur Guedeney, hôpital Bichat, AP-HP,
CMP Binet, 64, rue René Binet, 75018 Paris, France
Reçu le 1er janvier 2008 ; accepté le 1er mars 2008

Résumé
La psychologie communautaire est née aux États-Unis d’Amérique dans un climat de réforme sociale
marquée notamment par le processus de désinstitutionalisation psychiatrique, l’augmentation de la précarité
et, parallèlement, la création compensatoire de structures communautaires. En Europe, la psychologie
communautaire s’est implantée plus tardivement en raison du contexte politique et de la culture des instituts
de psychologie. En revanche, il existe depuis longtemps des expériences de soins alternatifs à l’hospitalisation
qui reposent sur les mêmes principes (l’expérience de Basaglia en Italie, la philosophie de la politique de
secteur en France. . .). Il existe tout de même de plus en plus de formations à la psychologie communautaire
au sein des universités européennes depuis les années 1980. Enfin, la création de l’ENCP (réseau européen
de la psychologie communautaire) en 2005 illustre la vigueur de la psychologie communautaire en Europe.
Dans cet article, nous allons revoir les différentes politiques sanitaires et sociales en Italie, en France, au
Royaume-Uni, et d’autres pays d’Europe qui se rapprochent des principes de la psychologie communautaire.
© 2008 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de psychologie.
Abstract
Community psychology was born in the USA during the sixties, in a context of poverty, social reforms and
deinstitutionalisation. In Europe, because of government policies (dictatorships in Spain, Portugal. . .) and
the orientation of Psychology Institutes, community psychology developed lately. On the other hand, there

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : romain.dugravier@bch.ap-hp.fr (R. Dugravier).
1 Pédopsychiatre – praticien hospitalier. Dixième secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris.
2 Psychologue. Dixième secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris.

1269-1763/$ – see front matter © 2008 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de psychologie.
doi:10.1016/j.prps.2008.03.001
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has been for a long time experiments of alternative care to the hospitalization which are based on the same
principles (the experiment of Basaglia in Italy, the district policy in France. . .). Since the eighties, there are
also much more courses in European universities. Finally, the creation of the European Network Community
Psychology (ENCP) in 2005 illustrates the expansion of community psychology in Europe. In this article,
we will reexamine the various medical and social policies in Italy, in France, in the United Kingdom, and in
the other countries of Europe which supported the establishment of Community Psychology.
© 2008 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de psychologie.

Mots clés : Psychologie communautaire ; Europe ; Revue de la littérature ; Politique de secteur

Keywords: Community psychology; Europe; Literature review; District policy

1. Introduction

La psychologie communautaire s’appuie sur le modèle écologique de Bronfenbrenner (voir


Saïas, ce numéro). Le principe de base de cette discipline est la promotion de la santé mentale
qui suppose le développement des ressources, des compétences et de l’autonomie des individus
et des communautés ainsi que la réduction des stress psychosociaux.
La psychologie communautaire émerge aux États-Unis dans un climat de réforme sociale
marquée notamment par le processus de désinstitutionalisation psychiatrique, l’augmentation de
la précarité et la création compensatoire de structures communautaires. Cette nouvelle politique
de santé mentale trouve son essor dans les années 1940–1960. En effet, le système asilaire est
vivement critiqué et les conditions de vie des patients sont dénoncées. Dans le même temps, le
gouvernement s’implique dans des programmes de santé communautaire dans le cadre de la lutte
contre la délinquance juvénile, de la lutte contre la pauvreté, etc.
En Europe, la psychologie communautaire apparaît de manière plus tardive. Ce concept peine
à s’imposer dans une Europe où la culture psychologique est fondée sur des modèles psychopa-
thologiques davantage centrés sur l’individu.
On recense aujourd’hui très peu de structures (formation, recherche et pratique) se revendiquant
du label de la psychologie communautaire. En revanche, il existe depuis longtemps en Europe
des approches alternatives dans lesquelles on peut retrouver une philosophie s’apparentant aux
principes de la psychologie communautaire.

1.1. L’antipsychiatrie et l’émergence de la psychologie communautaire en Italie

Au début des années 1960, Basaglia, psychiatre italien, s’insurge contre la pratique psychia-
trique se résumant à déterminer les cadres nosographiques de la maladie mentale et à isoler les
fous dans de grands établissements hors de la ville. Dans ce contexte, la souffrance des malades
mentaux n’est pas suffisamment prise en compte, les soins consistent essentiellement à éloigner
le patient de la communauté.
Il met alors en place une expérience originale à Gorizia, puis Trieste qui se fonde sur la prise
en compte du contexte dans lequel vivent les malades mentaux, sur la maladie mentale en tant
que construction sociale, sur la nécessaire ouverture vers l’extérieur (Onnis, 2002).
À sa suite, beaucoup de professionnels de la santé mentale se sont inscrits dans ce mouvement
en faveur de la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Un certain nombre de lois ont aussi permis
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d’évoluer d’une pratique de prévention secondaire ou tertiaire vers une prévention primaire. C’est
une période fructueuse pour l’instauration de recherches-action et le développement d’actions
communautaires.
Finalement, en 1978, la « loi 180 » est approuvée, elle aboutit à la suppression des hôpitaux
psychiatriques et prévoit l’intégration de la psychiatrie dans une réorganisation territoriale des
services de santé, pour aboutir à la création de nouveaux services de petite dimension à l’intérieur
des hôpitaux généraux, à l’organisation de réseaux de soignants au cœur de la cité.
Dans ce contexte, la psychologie communautaire a pu émerger. Donata Francescato, formée
aux États-Unis a, la première, lancé la psychologie communautaire de façon informelle, écrivant
le premier livre sur les applications possibles de cette approche en Italie (Francescato et al., 2007)
Dans les années 1980, de nombreux travaux sont publiés sur la place de la psychologie
communautaire dans les services sanitaires et sociaux aboutissant à une certaine formalisation :

• en 1980, la division de psychologie communautaire est créée au sein de la Société de psy-


chologie italienne. En 1994, cette division est dissoute et la Société italienne de psychologie
communautaire (SIPCO) la remplace ;
• en 1985, la psychologie communautaire est introduite dans les principales universités italiennes
comme discipline fondamentale ;
• enfin, un programme doctoral de trois ans existe depuis 1998 organisé par les universités de
Lecce, Turin, Rome. Il existe aussi d’autres formations à Padoue, Naples, Pise.

L’Italie comme certains autres pays européens (Espagne, Grèce, Portugal, Allemagne) a connu,
au cours du xxe siècle des périodes plus ou moins longues de régimes dictatoriaux. Les auteurs
européens (Francescato et al., 2007), tout en reconnaissant ce qu’ils doivent aux concepteurs
américains de la psychologie communautaire, insistent sur les particularités européennes de la
pratique consécutive de leur culture historique et politique (Francescato, 1977 ; Reich et al., 2007).

1.2. La naissance de la politique de secteur en France, une expérience similaire

En France comme ailleurs, la prise en charge des malades mentaux s’est longtemps résumée au
placement dans de grands ensembles asilaires afin de protéger la population. Pour Robert Castel,
la loi du 30 juin 1838 dite « loi des aliénés » correspond « à un stade de développement de la
psychiatrie où être aliéné, c’était devoir être interné, et où l’activité thérapeutique se déroulait
tout entière dans un espace asilaire fermé » (Castel, 1981).
L’avènement des neuroleptiques découverts par Delay et Deniker (1952) a révolutionné les
soins prodigués aux « malades mentaux ». À la même période, entre 1950 et 1960, sous l’impulsion
notamment du « Groupe de Sèvres », comptant un certain nombre de psychiatres dont Georges
Daumézon, Lucien Bonnafé et Henri Ey, s’amorce le processus de désinstitutionalisation de la
maladie mentale au bénéfice des soins ambulatoires. Ainsi, le nombre de lits d’hospitalisation
diminue fortement tandis que se développent les structures externes. Cette politique de sectorisa-
tion ainsi initiée par Lucien Bonnafé1 et officialisée par la circulaire du 15 mars 1960 (confirmée
par la loi du 31 décembre 1985) consiste à diviser chaque département en un certain nombre

1 Au congrès de Tours de la commission des Maladies mentales, en 1959, la note de synthèse, rédigée par Lucien

Bonnafé, énonçait qu’« il convient de mettre en place une structure fondée sur le territoire au sein duquel les divers moyens
concourent à la protection de la santé mentale pour desservir un secteur maximum de 100 000 habitants » (Hochmann,
1971).
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de secteurs géographiques sur la base d’une population moyenne de 70 000 habitants par sec-
teur « à l’intérieur de chacun desquels la même équipe médicosociale devra assurer pour tous
les malades, hommes et femmes, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement
sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance
de postcure » (Bonnafé, 1981). Cette conception du secteur permet à l’hôpital psychiatrique de
s’ouvrir vers l’extérieur et cherche à traiter le malade dans son cadre de vie. Dès le début, la psy-
chiatrie de secteur a une mission de prévention et a pour principe l’accessibilité et la continuité
des soins.
Ainsi, comme le souligne Jacques Hochmann, la sectorisation plus qu’une simple réorgani-
sation administrative est une organisation qui prend en compte le milieu de vie du malade, sa
famille et son entourage socioprofessionnel. La relation soigné–soignant se modifie et s’élargit.
« Au psychiatre s’associent les autres travailleurs de la santé mentale (infirmiers psychiatriques,
assistantes sociales, psychologues ou éducateurs spécialisés) et aussi les travailleurs sociaux de
la communauté, les médecins généralistes, finalement tous ceux qui rentrent en contact avec le
malade et, en particulier, ses proches » (Hochmann, 1971).

1.2.1. Bilan et résultats de la politique de secteur


La politique de sectorisation a permis de diversifier l’offre de soins, de favoriser le développe-
ment de structures alternatives à l’hospitalisation et de proposer des prises en charge en dehors des
murs de l’hôpital. À côté de l’hospitalisation classique à plein temps et de l’hospitalisation de jour,
un ensemble d’autres modes de prise en charge est offert, en ambulatoire (consultations, visites à
domiciles) ou par des soins de prise en charge spécifiques à temps partiel (centre d’accueil théra-
peutique) ou à temps complet (accueil familial, appartement thérapeutique) (Coldefy et Salines,
2004).
Cependant, les disparités sont nombreuses aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif et les
réformes apparaissent aujourd’hui inabouties. Ainsi, les secteurs ne bénéficient pas tous d’une
offre de soins variée. De plus, depuis 1960, le découpage sectoriel n’a pas été reconsidéré malgré
l’évolution sociodémographique. C’est ce que soulignent Gérard Massé et Emmanuel Vigneron :
« On peut relever que la sectorisation, contrairement aux principes fondateurs de la circulaire de
1960, n’a pas réussi à prendre en compte les variations des besoins de la population » (Masse et
Vigneron, 2006).
Par ailleurs, malgré les recommandations « les interventions dans la communauté sont encore
relativement peu répandues, sauf auprès des services sociaux » (Coldefy et Salines, 2004).
À côté du suivi individuel des patients, les secteurs ont un certain nombre de missions à
assurer dans la communauté : information, formation, appui technique, prévention, mise en place
de réseaux de soins. . . Or, ces actions encore trop rares restent dépendantes d’initiatives locales.
De même, les liens entre le secteur psychiatrique et les dispositifs sociaux et médicosociaux sont
encore bien trop fragiles.
Piel et Roelandt, dans leur rapport de 2001, « De la psychiatrie vers la santé mentale », partagent
le constat que la politique de sectorisation psychiatrique n’a pas été menée à son terme : « la
décision politique de confier la gestion du secteur psychiatrique à l’hôpital, en 1986, est de ce
point de vue une date historique de remise en cause des principes de la sectorisation, comme toute
autre forme de véritable psychiatrie communautaire » (Piel et Roelandt, 2001).
Pourtant, le but initialement poursuivi était de « transférer le budget des sites hospitaliers vers
la communauté » (Piel et Roelandt, 2001).
Leur rapport pose les bases d’une conception préventive et communautaire du soin psycholo-
gique (résumées dans son titre) à savoir promouvoir la santé mentale des usagers en les considérant
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comme des partenaires (patients, associations. . .). Ils constatent que partout dans le monde où la
situation de la santé mentale et de la psychiatrie a évolué, c’est grâce « au rôle essentiel et impor-
tant donné aux associations d’usagers, patients et familles » (Piel et Roelandt, 2001) qui, selon
eux, sont l’un des moteurs les plus importants du changement de la politique des soins en santé
mentale. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prône depuis 2001 un change-
ment de modèle en psychiatrie, demandant de « passer d’une politique de structures accueillant un
patient, à une politique de services accompagnant un usager à son domicile et avec son entourage »
(Roelandt et Desmons, 2001).
En termes de psychologie communautaire, il n’existe actuellement en France qu’un seul module
de formation en psychologie communautaire au sein du Master de l’université de Rennes-2. Notons
aussi la naissance récente (2006) de l’Association française de psychologie communautaire
(AFPC).

1.3. En Angleterre, une implantation tardive dépendante des institutions (institut de


psychologie, politiques)

Ronald David Laing, psychiatre écossais et figure de proue de l’antipsychiatrie au Royaume-


Uni, a, dans les années 1960, tenté une autre approche de la maladie mentale et de ses causes en se
démarquant des principes et des méthodes d’une psychiatrie plus classique, plus institutionnalisée.
En parallèle, c’est le début de la fermeture des hôpitaux psychiatriques et l’ouverture d’unités
psychiatriques plus modernes dans les hôpitaux généraux locaux qui serviront de socle à la mise
en place d’une santé mentale communautaire (Kotowicz, 1997).
L’émergence de la psychologie communautaire en Angleterre a pourtant lieu plus tardivement
que dans certains autres pays d’Europe de l’Ouest (comme l’Italie), qui s’y intéressent entre les
années 1960 et 1980. À cette période, en Angleterre, la conception de la psychologie est encore
majoritairement centrée sur l’individu et moins sur les interactions réciproques et parfois délé-
tères entre ce dernier et son environnement, comme l’illustrent la British Academic Psychology
et quelques institutions influentes, telles l’université de Cambridge, ce qui freine le développe-
ment de la psychologie communautaire. De plus, le système politique et social anglais, encore
très traditionnel, est peu disposé à l’émergence et au développement d’autres pratiques en santé
mentale.
On constate néanmoins la mise en place de certaines structures (principalement, par les tra-
vailleurs sociaux) qui s’inspirent des fondements de la psychologie communautaire, sans en
prendre explicitement le nom. Il faut attendre les années 1970 pour voir apparaître plus régu-
lièrement le terme « Psychologie communautaire » dans le Bulletin of the British Psychological
Society. De plus, des psychologues tels que Bender et Orford mettent au point des formations
spécifiques en psychologie communautaire (Burton et al., 2007).
Dans les années 1980, on assiste à un certain nombre de changements dans la société bri-
tannique, mais aussi dans le gouvernement et dans le système de protection sociale. Sous le
gouvernement de Margaret Thatcher, l’échec du projet « Care in the Community » permet para-
doxalement l’essor d’une approche communautaire de la santé mentale : le fondement de ce
projet, en théorie plus libéral et progressiste consiste, à travers le développement des théories
médicamenteuses, à penser le soin dans la communauté en se fondant sur la responsabi-
lité des patients. Cette approche devait permettre de décharger l’État de la responsabilité des
malades chroniques. Ce projet est un échec, le système de prise en charge n’est pas accom-
pagné des structures locales nécessaires à sa réussite, les patients sont livrés à eux-mêmes.
L’absence, dans cette approche, des piliers qui constituent la psychologie communautaire,
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tels que le principe écologique (le nécessaire travail avec l’environnement n’est pas pris en
compte), l’empowerment (les patients sont maintenus dans leur statut de patients), la participation
communautaire (les patients ne sont pas réinsérés dans un réseau social, professionnel. . .) per-
met d’apporter a contrario la preuve de leur importance dans la prise en charge de la santé
mentale. Les résultats alarmants induits par le projet « Care in the Community » entraînent un
assouplissement et une certaine décentralisation du pouvoir des institutions (jusque-là peu sen-
sibles à la psychologie communautaire) qui gèrent la politique de santé mentale (Burton et al.,
2007).
C’est dans les années 1990 qu’apparaît un intérêt pour une psychologie définie explicite-
ment comme communautaire. À Londres, dans quelques structures, les équipes sont encouragées
à se former régulièrement aux principes de la psychologie communautaire. Très récemment,
en 2005, la London School of Academics a créé un nouveau Master en santé, communauté
et développement, explicitement inspiré des concepts de la psychologie communautaire.
À Nottingham, un groupe de psychologues cliniciens a créé le U.K Community Psychology
Network, qui organise des événements annuels et des conférences. À ce jour, la Manches-
ter Metropolitan University est la seule à proposer un programme de Master en psychologie
communautaire.
Aujourd’hui, les conditions semblent être réunies pour le développement de la psycholo-
gie communautaire en Angleterre. Malgré l’absence d’une discipline organisée et influente,
on constate l’émergence d’approches qui peuvent s’apparenter aux idées de la santé mentale
communautaire. Le contexte politique de santé récent, lié au New Labour de Tony Blair (tentative
de réduire les exclusions, création des health action zones), a été une opportunité pour les psy-
chologues communautaires de s’implanter dans des domaines tels que la prévention des troubles
de santé.
Néanmoins, aujourd’hui, la psychologie communautaire a encore peu de poids en raison des
réticences des institutions qui réglementent la psychologie. La British Academic Psychology
donne certes beaucoup plus de support et de crédit à la psychologie communautaire, mais elle
continue d’exercer un contrôle sur les possibilités de l’enseigner dans les cursus universitaires.
Un nombre de plus en plus importants de psychologues exercent en se fondant sur les théories de
la psychologie communautaire, mais sans les définir en tant que tels (Wingenfeld et Newbrough,
2000 ; Burton et Kagan, 2005).

1.4. Les autres pays d’Europe

1.4.1. En Allemagne
Comme ailleurs, l’expansion de la psychologie communautaire en Europe résulte de question-
nements sur la malade psychiatrique, de la remise en question des institutions psychiatriques et
d’un contexte sociopolitique favorable.
Les concepts en sont régulièrement enseignés dans les facultés depuis 1973, pour la première
fois à l’université d’Heidelberg. Pourtant, hormis dans les universités formant les travailleurs
sociaux, il n’existe pas de formation effective, ce qui est évidemment préjudiciable pour la diffu-
sion de la psychologie communautaire (Wingenfeld et Newbrough, 2000 ; Bergold et Seckinger,
2007).

1.4.2. En Norvège
La psychologie communautaire ne s’est jamais implantée comme telle, principalement parce
que le système de santé tel qu’il est conçu dans ce pays intègre déjà les principes essentiels de
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la discipline (collaboration entre institutions, développement d’un système de santé pour tous,
éducation gratuite. . .) (Carlquist et al., 2007).

1.4.3. En Espagne
Rappelons que la psychologie en elle-même n’a été distinguée de l’enseignement philoso-
phique qu’à partir de 1969 et que c’est seulement en 1978 que fut créé le premier département de
psychologie. Avec le retour de la démocratie, à la fin des années 1970, une place a pu être faite
au développement d’actions communautaires.
Mais, malgré certaines expérimentations, la psychologie communautaire n’a pu s’implanter
dans la pratique professionnelle aussi bien par manque de volonté politique que d’institutions
suffisamment solides. L’enseignement de ses principes est, quant à lui, bien présent sur le plan
académique souvent associé au courant de la psychologie sociale, avec une demande importante
de formation des psychologues et des travailleurs sociaux. Pourtant, il n’existe pas encore de
formation permettant à l’étudiant de se réclamer de la psychologie communautaire (Martin et
Lopez, 2007).

1.4.4. Au Portugal
Comme en Espagne, le pays a longtemps connu un régime dictatorial. Les droits individuels,
politiques et sociaux étaient très restreints. Et le gouvernement ne permit la création de facultés
de psychologie dans les trois universités principales (Porto, Coimbra, Lisbonne) qu’à partir de
1980. Après la fin de la dictature, l’entrée du Portugal dans la Communauté européenne fut une
autre étape importante favorisant les échanges avec les universités étrangères.
Avec les années 1980, des projets directement inspirés des travaux de Bronfenbrenner, tels
que le Projet Alcacer pour le développement du jeune enfant (trois à six ans) peuvent être
introduits. Parallèlement, les universités prodiguent toutes des heures d’enseignement (un ou
deux semestres) sur les bases de la psychologie communautaire nord-américaine et sur les
travaux italiens et espagnols. L’université de Coimbra et une école privée, l’institut supérieur
de psychologie appliquée (ISPA) offrent ainsi un Master spécialisé. Plusieurs congrès ayant la
psychologie communautaire pour thème furent organisés à l’initiative de sociétés telles que la
Société portugaise de psychologie communautaire créée par José Ornelas (Menezes et al., 2007).

1.4.5. En Pologne
Le concept de psychologie communautaire n’existait pas avant 1989 et la chute du
communisme en Pologne. L’idéologie communiste interdisait de reconnaître que certains troubles
pouvaient trouver leur origine dans la communauté ; les pathologies étaient donc toujours attri-
buées aux faiblesses de l’individu. En résumé, comme il n’y avait pas de problème de société, il
n’y avait pas de place pour la psychologie communautaire. Encore maintenant, les psychologues
polonais ne sont pas familiers avec ces concepts. S’il existe tout de même plusieurs expériences
de recherche communautaire tels que les programmes mis en œuvre pour résoudre les problèmes
d’abus de substance, ou de violence familiale, à ce jour, il n’y a ni formation ni revue permettant le
développement de la psychologie communautaire (Wingenfeld et Newbrough, 2000 ; Bokszczanin
et al., 2007).

2. Conclusion

Les conceptions de la santé mentale diffèrent selon les disciplines. Ainsi, pour la psychiatrie,
il s’agit d’identifier la maladie et de la traiter. La psychologie communautaire, quant à elle, est
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fondée sur la reconnaissance des vulnérabilités, et la mise en œuvre des ressources du sujet dans
une optique de promotion de la santé mentale.
Si la psychologie communautaire en tant que discipline est encore peu développée en Europe,
on trouve dans de nombreux pays des applications de la psychologie s’inspirant de ses concepts.
Jacques Hochmann (1971), en France, peut ainsi écrire, « le professionnel fait partie d’un
ensemble, il est un facilitateur, commis par la société pour catalyser une libération des forces thé-
rapeutiques déjà présentes dans le système (le système étant aussi bien le couple médecin–malade,
que l’institution ou l’agglomération dont l’équipe thérapeutique fait partie et qu’elle contribue à
traiter tout en se traitant elle-même) ».
Si aujourd’hui, la psychologie communautaire reste peu formalisée en Europe, il y a néanmoins
des explications contextuelles. Ainsi, les régimes politiques sévères ou dictatoriaux ont parfois
constitué un obstacle à l’expansion d’une autre forme de prise en charge de la santé mentale.
Dans d’autres pays comme l’Angleterre, la formation des psychologues est longtemps restée
focalisée sur une approche individuelle du soin mental, en lien avec le conservatisme du système
politique.
Quelques formations émergent tout de même au sein d’universités ou par le biais d’associations
même si cela reste encore très dépendant de structures locales. En 2005, on assiste aussi à la créa-
tion de l’Association de psychologie communautaire européenne (ECPA), succédant à l’ENCP
(réseau européen de la psychologie communautaire) qui consolide la discipline par la création
d’un Master reconnu au niveau européen.

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