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Afin de commenter cette analyse de Chapus sur l’expression et la fonction de la peur dans Le

cauchemar d’Innsmouth, il est nécessaire de replacer l’œuvre et surtout son auteur, Howard
Philips Lovecraft, dans son contexte. Cet auteur américain est profondément ancré dans l’idéologie
de son époque du début du XXème siècle : le racisme. En effet, les Etats-Unis de cette époque
entretiennent une culture du racisme qui entre même dans la normalité de la pensée américaine
des WASPS (White Anglo-Saxon Protestant). Ainsi que l’explique Michel Houellebecq, et sans l’en
excuser, Lovecraft aurait développé sa haine totale des noirs et des immigrés venus voler la dignité
des blancs. L’auteur aurait ainsi été confronté à l’extrême pauvreté de New-York, en concurrence
avec ces nouveaux venus et justifie sa situation de sans emploi par la présence de ceux-ci qui lui
prendraient sa place. On peut ainsi, sans en justifier les raisons, faire le parallèle entre la situation
de l’auteur et la forme de malaise de la race étrangère entretenue tout au long de son livre Le
cauchemar d’Innsmouth. L’évidence est là : le racisme de Lovecraft se sent à des mille à la ronde
comme l’odeur de poisson des créatures marines qui viennent hanter les rues d’Innsmouth. En
effet, les créatures non-humaines présentes dans le livre sont toujours hideuses, indicibles, et font
un écho direct aux populations honnies par l’auteur. Souvent, c’est le seul fait de les approcher qui
fait courir le risque de devenir fou et d’en mourir. Même lorsque ces monstres ne témoignent
aucune agressivité particulière ou sont éteints depuis des millénaires, c’est le seul fait de leur
existence qui provoque un chavirement vers la terreur ; sans parler des possibles hybridations ou
métissages qui ne font rien planer de moins qu’un risque d’extinction de l’humanité. En effet, toute
l’intrigue de l’œuvre repose sur les sentiments du personnage principal, partagé entre mal-être
voire dégoût et curiosité pour les habitants d’Innsmouth, de viles créatures déguisées sous un
costume humanoïde. Si l’on reporte cette conception de « l’autre » dans l’essai, on peut faire le
parallèle avec la conception que se fait HP Lovecraft vis-à-vis des Noirs et des étrangers. Il reporte
ainsi tout son mépris voire son aversion qu’il ressent au quotidien dans ses fictions. De plus, ce qui
semble le hanter par-dessus tout, n’est pas simplement l’autre comme identité différente de la
sienne mais bien l’hybridation des « races ». Cela s’exprime parfaitement à la fin de l’œuvre – et on
comprend alors que c’est bien la finalité de la pensée de Lovecraft – lorsque le personnage
principal se rend compte du métissage qui, malgré lui, fonde son identité. C’est là que réside toute
la hantise de la pensée de l’auteur : l’altération de l’identité et plus particulièrement de son
identité même d’homme blanc américain jouissant d’une position de « supériorité de race ».
LOVECRAFT – SUJETS D’ESSAI

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« sur le sens et la fonction de la peur dans les récits de cet auteur que vous avez lus ?

« [ … ] d’un côté on peut clairement constater la confiance de Lovecraft dans la méthode


scientifique et la supériorité de l’homme sur la nature, de l’autre, il semble évident que cette
confiance, face à l’horreur, face à l’antithèse, face à l’inversion de ce qu’on peut appeler la
certitude scientifique, va se concasser. Ce qui semble l’effrayer est le croisement, le
métissage, l’hérédité morbide et la dispersion de l’identité pour l’altérité. On voit bien
comment le récit Le cauchemar d’Innsmouth est une condamnation du métissage. »

P. Chapus

H.P. Lovecraft et la postmodernité

Sociétés n°75, janvier 2002

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