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Lycée
JUIN 2022
N°99 / 11,25€
Nouvelle
Revue nrp-lycee.nathan.fr
Pédagogique
ISSN 1636-3574
La revue & sa banque de ressources
Peindre ses
contemporains
Conformément aux dispositions sur le droit d'auteur (Code de la Propriété Intellectuelle),
la reproduction et la représentation de tout ou partie de ce numéro de la NRP notamment sur
les sites web contributifs, les blogs, sont strictement interdites et passibles de sanctions pénales et civiles.
N°99
Nouvelle Revue Pédagogique
Lycée / JUIN 2022
Lettres
Lycée
Édito
Peints d’après nature, les personnages prennent vie dans les œuvres
JUIN 2022
N°99 / 11,25€
Nouvelle
Revue nrp-lycee.nathan.fr
Pédagogique
La revue & sa banque de ressources
littéraires et nous embarquent dans la fiction. Mais les portraits qu’en font les
ISSN 1636-3574
Peindre ses écrivains sont également des outils d’optique qui permettent au lecteur de mieux
contemporains
approcher, observer ou penser la condition humaine.
C’est bien à la loupe que l’auteur des Caractères, au programme en 1re, scrute et
photographie l’esprit et les corps des hommes de son siècle, et esquisse d’un trait
de plume leurs travers, toujours de mise chez nos contemporains !
Et dans D’autres vies que la mienne, proposé à l’étude dans ce numéro, le romancier
Emmanuel Carrère croise les portraits bouleversants d’une enfant et d’une femme :
le miroir qu’il nous tend nous confronte alors à notre vérité intime et sociale. En cela,
il fait aussi œuvre de moraliste.
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Sommaire
Éditeur : Nathan, 92, avenue de France
75013 Paris
Directrice de la publication : Catherine Lucet
ACTUALITÉ
Directrice déléguée : Delphine Dourlet
Directrice éditoriale : Catherine Gaschignard Brèves ........................................................................ 4
Rédactrice en chef :
Claire Beilin-Bourgeois
Livres. . ........................................................................ 6
Édition : Claire Beilin-Bourgeois, Simon Hafi
Édition Web : Alexandra Guidal, Camille
Lire au CDI................................................................... 8
Lacour
Fabrication : Isabelle Montel
À l’affiche .................................................................... 9
Iconographie : Laure Penchenat Marketing/
Diffusion : A. Errafi, G. Guerrier Impression : DOSSIER Portraits en tous genres… littéraires.................. 10
Imprimerie de Champagne, 52200 Langres
Création et réalisation de la couverture :
Élise Launay
Création des pages intérieures : Élise Launay SÉQUENCES PÉDAGOGIQUES
et Clémentine Largant
Mise en page : Thomas Winock Séquence 2de « Un sujet en or » :
Publicité et partenariats : Comdhabitude
publicité, directrice de la publicité : Clotilde
16
D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère................
Poitevin, 7 rue Émile Lacoste 19 100 Brive
Séquence 1 La Bruyère, Les Caractères ou les mœurs de ce siècle............... 24
re
Tél. : 05 55 24 14 03
Code article : 116782
N° d’édition : 10276983
Bac 1 « Tout est dit… depuis » La Bruyère, et si bien dit !........................ 34
re
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bo
r
La
Maximes
es
h iv
aphorismes
Ar c
et fragments
© BIS / Ph. Coll.
Séquence NRP
Ingres, esquisse pour le tableau Le Déjeuner de Versailles,
bibliothèque du musée de la Comédie-Française. Séquence NRP
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ACTU Le lecteur le perçoit d’autant mieux que l’intrigue de ce
roman est d’une banalité extrême. Le contexte rural d’un
hameau du bourg de La Bassée dont s’occupe Bergogne,
Livres
l’éleveur de vaches, sert de décor à une fête de famille pour
l’anniversaire de l’épouse Marion, mère de la petite Ida –
dans le voisinage d’une femme artiste peintre, Christine,
installée à côté depuis des années. Tout va basculer au mo-
ment où se prépare la fête, par l’arrivée d’inconnus que l’on
a vu rôder autour du hameau, et qui vont avec une violence
Roman menaçante s’installer dans les lieux. La mécanique infernale
s’enclenche à partir de la découverte du chien de Christine,
Histoires de la nuit,
tué à coups de couteau. Trois hommes la prennent en otage,
Laurent Mauvignier,
attendant les arrivées successives d’Ida et de son père, puis
Minuit double,
de Marion qui travaille en ville dans une imprimerie. En
606 pages, 10 €
même temps que les événements se précipitent, construi-
sant progressivement le huis clos d’un piège menaçant, le
récit ménage des révélations progressives sur l’histoire per-
« La violence est au cœur sonnelle de Marion, objet d’une vengeance liée à un passé
Livres
sucer. Il lui échappe un cri petit et vulnérable. Je voudrais
avaler sa main entière, les lignes brunes qui disent son des-
tin et que ma mère aurait pu déchiffrer quand la lune monte
au ciel ».
Daniel Bergez
Roman
Rien ne t’appartient,
À lire
aussi
Natacha Appanah, Poésie
Gallimard, 160 pages, Autoportrait au roitelet, Emily
16,90 € Dickinson, Les Belles Lettres, 286
pages, 21,50 €
« Je suis encore plus vide qu’au-
« Cette impression de me paravant. Vous voir serait presque Es-
Qui peut dire que Les Caractères de La Bruyère trônent sur sa table de chevet
sans paraître prétentieux ou dépassé ? Et pourtant... Une amie professeure
documentaliste m’avait offert un vieil exemplaire trouvé au fond de son CDI à la fin
du xxe siècle, et cela a été pour moi une véritable rencontre. Je me suis donc demandé
comment partager mon coup de cœur pour ce texte avec des élèves d’aujourd’hui.
La Bruyère et les moralistes, trop anciens ? Podcasts, tags et stories pour s’approprier
un héritage
J’ai imaginé un travail en co-enseignement avec une
professeure de lettres et une professeure d’EMC (« La Dans la dernière étape, les élèves réalisent des œuvres
société » est un des thèmes du programme de 1re) dans le personnelles à partir de citations choisies en français et
cadre de l’étude des Caractères. La Bruyère et les moralistes de personnalités rencontrées en EMC, sur un support au
s’inscrivent dans une forme de modernité tant par la forme choix : podcast audio pour la webradio du lycée, panneau
utilisée que par leur regard sur les sociétés et la nature d’affichage sur des matériaux de récupération, portraits
humaines. Cette séquence propose plusieurs types de en story Instagram. Quelques affiches dans le hall du lycée
restitutions, le choix permettant aux élèves de mettre en permettent de mettre en valeur le travail réalisé et relient
avant leurs compétences littéraires, artistiques et oratoires. les différents supports (cartouches pour les panneaux,
QR-codes vers les podcasts et les stories). La professeure
Histoire littéraire et approche documentaliste accompagne les élèves pour la mise en
contemporaine de la société voix et la technique du podcast et, stimule la créativité des
Une première étape propose aux élèves des travaux de élèves en leur proposant des œuvres inspirantes pour en
recherche menés au CDI, en français et en EMC. extraire des citations.
• En français, les enseignantes introduisent la notion de
forme courte, et proposent des sujets littéraires et histo- NOTION INFO-DOCUMENTAIRE : CITATION
riques : les moralistes, la société et la cour au xviie siècle Une citation consiste en un extrait écrit ou oral d’un
en France, les différentes formes de la littérature fragmen- document. Elle suppose une identification comme telle, avec
taire. des guillemets et la référence au document d’origine (entre
parenthèses après la citation ou sous la forme d’une note de
• En EMC, il s’agit d’explorer les moyens de s’exprimer
bas de page). La citation, dans un document, participe d’un
à travers une forme brève dans la société du xxie siècle, et phénomène d’intertextualité, tout comme la référence, le lien
de présenter un « Caractère », une personnalité qui joue hypertexte. Définition complète sur :
« la comédie sociale ». https://wikinotions.apden.org/notions.
La professeure documentaliste insiste sur la nécessité php?p=consult&nom=Citation
de multiplier les sources et de les référencer. Elle inter-
vient conjointement avec ses collègues pour guider les
élèves dans la collecte d’informations, la prise de notes, RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
l’organisation et la rédaction de leurs synthèses. Les élèves La Bruyère et les moralistes
présentent un bref exposé de leur recherche à la classe. • La Bruyère, Les Caractères, Nathan, coll. Carrés Classiques, 2021
• Bérengère Parmentier, Le Siècle des moralistes, Le Seuil, 2000
Le style et la forme, La Bruyère au cœur de
• Denise Werlen, Les Caractères, La Bruyère – « De la cour » ; « Des
la modernité grands », Ellipses, 2004
La deuxième étape confronte les élèves aux textes La forme brève
en cours de français. Ils étudient un groupement de • Guy Belzane, « Les formes brèves », TDC n°1077, 01/06/2014,
p. 3-48
maximes, de fables et de « caractères » regroupés par
thème (l’hypocrisie, l’inconstance, l’orgueil, les femmes, • Sur la twittérature : https://twittexte.wordpress.com/
les courtisans...). Il s’agit d’appréhender le style rythmé • En poésie :
– Matsuo Bashô, Haïkus et notes de voyage, Synchronique, 2017
(avec des effets de rupture qui incitent à la lecture à voix – Omar Khayyâm, Robâiyât, Actes Sud, 2008
haute) le jeu sur le lexique et la satire.
Exposition
TOYEN, l’écart absolu
Par Roger Courault
Toyen
bien bousculer les conventions. 25 mars – 24 juillet 2022 un animal (une panthère ?) se mue
Elle fréquente l’avant-garde tchèque en robe sur une femme évanescente.
avec son ami, le peintre et poète Jin- C’est aussi un monde où dominent
drich Styrsky. Ensemble, ils fondent un l’angoisse et l’intranquillité. Dans À
mouvement artistique mêlant peinture une certaine heure, une femme ef-
et poésie, l’artificialisme, terme emprun- frayée, peut-être parce qu’elle est
té aux Paradis artificiels de Baudelaire. poursuivie, passe devant une fenêtre
Il s’agit, dans des œuvres novatrices, encadrée de branchages à l’intérieur
de provoquer des émotions poétiques comme à l’extérieur. La limite entre
Toyen, Le Paravent, 1966, huile sur toile, 116 x 73 cm, Musée d’Art Moderne de Paris © Paris Musées,
par l’abstraction lyrique. Ainsi, bien que les deux espaces s’efface comme
musée d’Art moderne, Dist. RMN-Grand Palais / image ville de Paris © ADAGP, Paris 2022
Quatre carnets recouverts de toile et illustrés de personnages, contenant des notes prises par Marcel Proust vers 1908-1909, BnF, Paris.
s
brune que décrivait ce haillon, tradition issue du monde de
qu’un homme d’imagination la cour des temps royaux.
aurait pu prendre cette vieille
Ici encore, La Princesse de
tête pour quelque silhouette
Clèves n’en donne-t-il pas
due au hasard, ou pour un
portrait de Rembrandt, un précieux témoignage ?
sans cadre. » « La reine Dauphine fai-
sait faire des portraits en
Sur un plan stricte-
petit de toutes les belles
ment narratif, le por-
personnes de la cour,
trait ne relève pas d’un
simple ornement du pour les envoyer à la
récit. Son importance reine sa mère […]. »
reste d’autant plus Plus globalement,
significative quand le nous conviendrons
récit multiplie les per- que le portrait pos-
sonnages comme dans sède une vertu multi-
Notre-Dame de Paris. fonctionnelle, pouvant
En somme, pour qu’un avoir, comme chez La
lecteur en ait pour son Bruyère, un enjeu argu-
argent, il faut que l’écri- mentatif ou un rôle plus
vain lui en donne assez. narratif dans un roman. Le
Par les portraits qu’il en fait portrait, au même titre que
en détaillant les changements la description, apparaît aussi
d’apparence du héros, Alexandre très instructif sur la personnalité
Dumas crédibilise l’histoire a priori
d’un personnage. Lors du bal
invraisemblable d’Edmond Francisco Primaticcio, de la Vaubyessard, le point
Dantès dans Le Comte de dit Le Primatice, Portrait de Diane de Poitiers de vue d’Emma Bovary, à
Monte-Cristo. En outre, le (1499-1566), maîtresse d’Henri II, apparaissant sous
lecteur aspire à bénéficier les traits de la duchesse de Valentinois dans
la fois émerveillée par ce
d’éléments à la fois moraux La Princesse de Clèves. Coll. privée qu’elle voit et terrifiée par
et physiques pour s’immerger ce qu’elle est socialement, par
pleinement dans le texte. Aussi Balzac contraste, s’exprime pour une bonne
cherchera-t-il à travailler dans ses portraits, du Père part dans les portraits qu’elle esquisse pour elle-
Grandet à Rastignac, de Raphaël de Valentin à la même en focalisation interne. « Ils avaient le teint de
Duchesse de Langeais la physionomie du personnage la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pâleur des por-
afin d’en radiographier la personnalité. celaines, les moires du satin, le vernis des beaux meubles,
et qu’entretient dans sa santé un régime discret de nour-
d’u n sim ple ritures exquises. » ou encore « Madame Bovary tourna
Le portrait ne relève pas
e res te la tête et aperçut dans le jardin, contre les carreaux, des
ornement du récit. Son importanc faces de paysans qui regardaient. Alors le souvenir des
le réc it
d’autant plus significative quand Bertaux lui arriva. Elle revit la ferme, la mare bour-
multiplie les personnages. beuse, son père en blouse sous les pommiers, et elle se revit
elle-même, comme autrefois, écrémant avec son doigt les
terrines de lait dans la laiterie. »
L’influence de l’art pictural Le portrait que l’on retrouve à toutes les sauces
Il convient par ailleurs de faire remarquer que littéraires relève nécessairement d’un exercice de
le travail des écrivains se trouve notablement bou- style ayant des fins spécifiques ; tantôt à valeur
leversé à partir du moment où l’art pictural devient documentaire, comme dans les nouvelles réalistes de
plus « grand public », et, plus encore, quand la pho- Maupassant ; tantôt, pour en rester au même écri-
tographie fait son apparition. En effet, la photo, s’ap- vain, à valeur imaginaire et poétique, quand il s’agit
parente à l’art du portrait notamment lorsque l’on de focaliser l’attention dans le cadre d’une écriture
pense par exemple au travail de Nadar, grand por- plus fantastique sur un personnage étrange, absent,
traitiste des années 1850, à qui nous devons, entre mort ou rêvé.
x
Le portrait peut pencher des deu
dat if ; de mê me
côtés : péjoratif au lau
sif.
La comédienne et humoriste Lison Daniel, mai 2020. il peut être représentatif ou allu
Dans le roman « réaliste » plus spécifiquement, À partir du moment où il y a expression sati-
l’art du « portrait » reste évidemment lié à l’impor- rique, il y a nécessairement « portrait ». C’est d’ail-
tance prise par la description. Balzac donne à son leurs toute la force des moralistes du Grand Siècle,
dont La Bruyère au premier chef, d’avoir mené
lecteur une idée assez précise du faciès du Colonel
l’exercice de style à son plus haut niveau de perfec-
Chabert. Il n’en reste pas moins que d’un genre à
tion. Il suffit de relire l’entrée en matière des « Biens
l’autre, le portrait participe à la figuration de l’être de Fortune » (Les Caractères) pour s’en convaincre.
papier. Il faut que le lecteur « voit » le personnage et [Le riche] « Gito » « a le teint frais, le visage plein et les
par là même, il convient pour le romancier d’insister joues pendantes, l’œil fixe et assuré » ; [le pauvre] « Phé-
sur ce qui le singularise, à savoir son visage, et par don » a quant à lui « les yeux creux, le teint échauffé,
extension, son corps. « En tant que révélation expressive le corps sec et le visage maigre ». Dans la mesure où,
d’une personne ou d’un personnage, le portrait implique quelle que soit l’époque, l’homme n’aime rien tant
« Un sujet en or » :
D’autres vies que la mienne,
d’Emmanuel Carrère
Par Anne Cassou-Noguès, professeur de Lettres, Lycée Jacques Monod (Clamart)
Durée de • 9 heures
la séquence
Présentation
D’autres vies que la mienne, roman d’Emmanuel Carrère, m’a
bouleversée et je garde un souvenir brûlant de la première lec-
ture de ce texte sur lequel je suis revenue plusieurs fois. Je n’avais
jusque là jamais eu le courage de l’étudier avec les élèves, de peur
qu’ils n’apprécient pas, qu’ils se moquent, ou et c’est peut-être
plus problématique encore, qu’ils soient bouleversés à leur tour.
Pourtant, pour faire aimer la littérature aux élèves, ne doit-on pas
prendre le risque de partager des lectures qui nous ont marqués ?
Cette séquence, qui s’inscrit dans l’objet d’étude « le roman
et le récit du xviiie siècle au xxie siècle », a un double objectif.
D’une part, elle permet de s’interroger sur le genre et la dimen-
sion romanesque du récit de vie. Elle met en évidence la place
de la réalité dans le récit tout en montrant comment le regard
de l’écrivain transforme une réalité déprimante en un « sujet
en or ». D’autre part, la séquence portera sur la dimension
sociologique du récit qui s’appuie sur une série de portraits
de personnes appartenant à des classes sociales différentes,
confrontés à des expériences plus ou moins douloureuses,
pour finalement questionner le fonctionnement de notre
société contemporaine.
Séquences 2de
Les ressources !
L ’article de la revue
Les images projetables
Séance 2. Une fiche pour les questions
préparatoires
Contrôle de lecture sur D’autres vies que la mienne Emmanuel Carrère, écrivain, scénariste et réalisateur.
Séance 1D’autres vies que la mienne, – Controverse : elle n’est pas évoquée dans le roman puisqu’elle n’a
pas lieu d’être : Hélène est alors mariée au narrateur et elle lit le texte
qu’est-ce c’est ? en premier (« Hélène a été la première à lire ces pages. Elle avait accepté
que je m’engage dans ce travail, mais plus il approchait de sa fin, plus elle
Support : Internet, le roman dans son ensemble avait peur de découvrir que j’aurais écrit sur Juliette », p. 323). Toutefois,
Objectif : S’interroger sur le genre de cet ouvrage et sur le pacte se pose la question du droit de regard des personnes mises en scène
de lecture qui en découle dans l’ouvrage qui vont relire le texte et à qui le narrateur a promis
Durée : 2 heures d’opérer des modifications s’ils en ressentaient le besoin (« Cet enga-
Mise en œuvre pédagogique gement inquiétait Paul, mon éditeur », p. 323).
Au lieu d’aborder la question du genre de manière théorique, par
des définitions d’ailleurs sans cesse remises en question, nous Mise en commun et réflexions
proposons une approche plus pragmatique.
• La comparaison entre la « fiche d’identité » de l’auteur et celle du
narrateur montre sans ambiguïté que le narrateur et l’auteur sont
Avant la séance une seule et même personne, très présente dans l’ouvrage même
Pour commencer la séance, on peut diviser les élèves en plu- si ce n’est pas sa propre vie qu’Emmanuel Carrère raconte. Il y a une
sieurs groupes : identité entre l’auteur, le narrateur et un personnage secondaire.
– Premier groupe : qui est Emmanuel Carrère ? On ne peut donc pas parler d’autobiographie puisque l’auteur ne
– Deuxième groupe : qui est le narrateur de D’autres vies que fait pas le récit rétrospectif de son existence, mais il apparaît claire-
la mienne ? ment que l’on ne peut pas parler non plus de roman au sens strict.
– Troisième groupe : comment le narrateur s’y prend-il pour • De plus, comme l’auteur l’affirme sur la quatrième de couverture :
raconter son histoire ? « Tout est vrai ». Emmanuel Carrère n’a transformé ni les dates, ni le
nom des personnages. Il établit ainsi un contrat de lecture particu-
Activités lier : il s’engage à dire la vérité. À nouveau, on voit bien que D’autres
• Pour les premier et deuxième groupes, afin d’éviter que les vies que la mienne n’est pas un roman, une œuvre de fiction.
élèves ne se perdent dans des recherches chronophages et peu
• On peut alors se demander ce qui distingue ce récit d’un docu-
ment, d’un travail journalistique1. Pour nourrir la réflexion des
fructueuses, nous leur proposons de répondre en remplissant cinq
élèves, on peut leur proposer de relire plusieurs passages : p. 122-
rubriques :
123 (« Sa manière, je l’ai dit […] par l’évocation de son père »), p. 251
– Dates
(« Ouf. Dans un film […] de tous les enthousiasmes »), p. 321-322 (« À
– Profession
mon retour de Rosier […] je l’achève trois ans après l’avoir abandon-
– Roman, film (indiquer un titre de chaque)
né »). On envisage alors deux pistes pour répondre à cette question.
– Famille : (indiquer le nom de sa femme et de ses enfants)
– D’abord, l’auteur narrateur occupe une place importante dans son
– Controverse
récit. Il n’est pas seulement le réceptacle d’une mémoire : il donne
• Pour le troisième groupe, il s’agit de faire repérer aux élèves les son avis, allant parfois jusqu’à contredire les témoins (« mais la vérité
différentes étapes du processus d’écriture : est que je ne suis pas certain d’être d’accord », p. 151). Il expose sa vie
– Première étape : expérience vécue (pour le tsunami) ou entre- privée même quand elle n’a pas grand-chose à voir avec les événe-
tiens avec les différents protagonistes (Étienne, Patrice, Marie-Aude ments qu’il raconte (par exemple, il ouvre son récit par ce souvenir :
et Jacques…). « La nuit d’avant la vague, je me rappelle qu’Hélène et moi avons parlé
– Deuxième étape : l’écriture. de nous séparer », p. 9. Cette difficulté dans le couple n’a pas grande
– Troisième étape : la relecture par les principaux intéressés (« Note importance dans la suite du récit qui évoque le tsunami et la mort
d’Étienne, en marge du manuscrit », p. 143 ; « En lisant cette page, trois d’une fillette). Il choisit de raconter ou pas, faisant une pause de
ans plus tard, Étienne m’a dit… », p. 279). trois ans entre le début de son entreprise et son achèvement (« Mon
projet n’était plus de saison, j’ai appelé Étienne et Patrice pour les aver-
Éléments de réponse tir que je l’abandonnais, ajoutant que peut-être je m’y remettrais un
Premier groupe : jour, mais j’en doutais », p. 321).
– Date : né en 1957 – Ensuite, l’auteur narrateur n’est pas seulement un témoin, mais un
– Profession : scénariste, cinéaste, romancier, essayiste metteur en scène. D’une part, il ne se contente pas de reproduire
– Roman, film : La Moustache, Ouistreham les paroles qu’il a recueillies. Il les transforme. Ainsi, il instaure une
– Famille : Emmanuel Carrère a été marié à Hélène Devynck de 2011 chronologie dans les propos d’Étienne qui construit plutôt son récit
à 2020, il a trois enfants, Gabriel, Jean-Baptiste et Jeanne. par association d’idées (« Sa manière, je l’ai dit, est libre et associative,
– Controverse : depuis son divorce, Hélène Devynck ne veut plus avec des sautes brusques d’un thème à l’autre, d’un temps à l’autre. J’ai,
être mentionnée dans les ouvrages de son ex-mari. moi, le goût et même l’obsession de la chronologie », p. 122). D’autre
part, il est aussi scénariste et romancier, il est parfois tenté par le
Deuxième groupe :
spectaculaire, la construction d’une scène clé. Il prend ses distances
– Dates : inconnues
avec cette tentation mais en rend compte dans l’ouvrage (« Dans un
– Profession : scénariste (p. 90), écrivain (p. 115)
film, une musique intensément dramatique devrait accompagner la
– Roman, film : le narrateur évoque à plusieurs reprises L’Adversaire découverte de ces lignes par l’héroïne », p. 251).
(p. 118, par exemple).
– Famille : la compagne du narrateur s’appelle Hélène, il a fils Jean-
Baptiste qui est au Sri Lanka avec lui au début du roman et à la fin, 1. Sur cette question, on peut consulter le hors-série de la NRP consacré au
il a une petite fille avec Hélène. récit Le Quai de Ouistreham.
Extraits :
– « Les établissements de crédit […] Cour de cassation », p. 247
– « La première arme […] il n’a plus le droit de s’en plaindre »,
p. 247-48
– « La situation est devenue critique […] il doit le rester en son fort
intérieur », p. 248-249
Éléments de réponse
3. Il existe en effet plusieurs sortes de juges en France :
– les juges d’instruction : chargés d’enquêtes judiciaires en matière 1. Le juge d’instance essaie, selon J.-P. Rieux, « de concilier » les
pénale ; parties adverses. Il travaille à partir des dossiers, mais peut aussi
– les juges d’application des peines : chargés de suivre les condam- se rendre sur place pour constater, et il rencontre les parties.
nés, en prison et après leur emprisonnement ; 2. Il traite de litiges qui touchent des particuliers et, le plus sou-
– les juges des enfants : ils s’occupent des affaires impliquant des vent, des questions d’argent. Ce sont des problèmes du quotidien.
mineurs ; 3. Il se heurte à deux types de difficultés : d’une part, il doit trai-
– les juges aux affaires familiales : ils traitent des divorces et des ter de plus en plus d’affaires (en raison de l’engorgement des
gardes d’enfants ; greffes et du système de notation des juges), ce qui pourrait le
– les juges des contentieux de la protection : ils s’occupent de la conduire à être expéditif, mécanique ; d’autre part, il n’y a pas
protection des majeurs et des litiges liés aux baux d’habitation, aux vraiment de solution pour faire payer une dette à quelqu’un qui
crédits à la consommation et au surendettement des particuliers. n’a pas d’argent…
4. La loi Scrivener empêche ceux qui ont le pouvoir (un apparte-
B. Activité de lecture et de recherche : ment à louer, de l’argent à prêter…) de s’arroger tous les avan-
le surendettement et le droit tages, de se tailler la part du lion (« La loi Scrivener déclare donc
On propose des lectures cursives d’extraits pour comprendre abusives les clauses qui rendraient le contrat trop léonin »). Elle
le rôle d’Étienne et Juliette. Ce travail se fait en groupes : chaque impose à celui qui rédige le contrat un certain nombre de règles,
groupe relit quelques passages et répond à des questions. de façon à ce que celui qui le signe sache bien à quoi il s’engage.
5. Cette loi est malheureusement difficile à appliquer car, dans
Questions le cadre du crédit notamment, ceux qui signent, qui ont besoin
Groupe 1. Le quotidien des juges d’instance d’argent et ne peuvent pas en emprunter à la banque, appar-
tiennent souvent à des classes défavorisées, peu éduquées. Ils
Extraits : ignorent donc cette loi (« les établissements de crédit qu’elle est
– « Quand il était juge d’application des peines […] appelant une supposée encadrer ne la respectent pas et […] les consommateurs
solution de droit particulière », p. 172-173 qu’elle est supposée protéger ne la connaissent pas »).
– « Et que fait-il le juge d’instance […] qui est la commission de 6. Les juges Florès et Rigal appliquent la loi Scrivener en décla-
surendettement », p. 181-182 rant nul et non avenu tout contrat qui ne respecte pas les règles
– « La cinquantaine, costaud, […] ne se fassent pas trop arna- fixées par la loi, c’est-à-dire la plupart des contrats émis par les
quer », p. 184 compagnies de crédit.
7. Les établissements de crédit trouvent cette manière de pro-
1. Quel est le rôle du juge d’instance ?
céder injuste : ils ont prêté de l’argent ce qui a servi à la fois au
2. Quel type d’affaire instruit-il ?
bien-être des familles et au bon fonctionnement de l’économie,
3. À quelles difficultés se heurte-t-il ?
ils souhaitent être remboursés. Ils sont en droit d’estimer que si le
Groupe 2. La loi Scrivener contrat n’était pas conforme, il ne fallait pas le signer. Inversement,
Florès et Rigal estiment que la loi Scrivener existe et qu’elle doit
Extraits : être appliquée.
– « Il existe une loi, pourtant, qui vise à limiter ces arnaques […] 8. La Cour de cassation vise à unifier l’interprétation des lois et à
Rien de plus, mais rien de moins », p. 194-195 contrôler la bonne application du droit. Elle est saisie ici par les
– « Florès, lui, regardait à peine […] le contrat ne vaut rien », p. 196 avocats des organismes de crédit qui considèrent comme injuste
– « Les avocats des banques et des établissements de crédit […] j’ap-
que les débiteurs ne soient pas obligés de rembourser leurs
plique la loi », p. 199-200
dettes, alors qu’ils s’y étaient engagés en signant un contrat écrit.
Marie Gillain et Vincent Lindon dans Toutes nos envies, adapté très librement de D’autres vies que la mienne, réal. Philippe Lioret, 2011.
Mais la réalité est différente. D’une part, la réalité est plus com- – Enfin, ces deux juges ont subi une violence de l’existence elle-
plexe. L’adjectif « compliqué » est répété deux fois et la phrase même : « ils étaient boiteux tous les deux ». Cette dernière notation
se complexifie pour illustrer cette idée (« même si souvent c’est est importante pour le récit parce qu’elle justifie qu’Étienne raconte
plus compliqué et ils aimaient que ce soit plus compliqué »). D’autre Juliette. Lui seul peut comprendre Juliette parce qu’il a lui aussi subi
part, le rôle d’un juge n’est pas de prendre parti, mais d’appliquer « ce que personne ne peut comprendre s’il ne l’a vécu ». De plus, cela
le droit. Là encore, les répétitions viennent souligner le propos donne une dimension romanesque au récit. Alors qu’Étienne et
(« juridique » fait écho à « juriste » et « droit » est répété deux fois). Emmanuel Carrère ont veillé à éliminer toute conception roman-
Juliette en effet ne défend personne en particulier, elle applique tique de la justice, le duo improbable formé par ces deux juges
le droit. boiteux devient un couple de fiction : on se plaît à penser qu’il ne
– L’adverbe « vraiment » est souligné dans le texte par l’ita- pourrait naître que dans l’esprit d’un romancier facétieux soucieux
lique. Toutefois, l’auteur entend pour la première fois parler du tra- de personnages victimes d’une injustice.
vail de Juliette : il se contente de rapporter les propos d’Étienne,
sans cacher sa distance (« Juliette n’aurait pas aimé, disait-il, Conclusion
qu’on dise »). Il ne sait pas encore bien en quoi Juliette et Étienne Récapitulation : en rapportant et en s’appropriant les propos
appliquent vraiment le droit. On devine un premier aspect dans d’Étienne Rigal sur le duo qu’il formait avec Juliette au tribunal
l’opposition entre une justice mécanique (« une série de cases à d’instance de Vienne, Emmanuel Carrère obéit à deux exigences
remplir ») et une justice qui sait écouter les individus, leur « his- contradictoires : il cherche à donner une image réaliste de la justice
toire ». et du travail de ces deux justes, mais il fait aussi le portrait de deux
héros dignes de figurer dans un roman.
Deuxième mouvement
Ouverture : on peut proposer aux élèves d’étudier d’autres per-
La technicité du travail effectué sonnages de juge dans la littérature avec, par exemple, la lecture de
De « Pour cela ils étaient capables » à « mais illégale » Dans l’intérêt de l’enfant de Ian McEwan ou le visionnage de films,
– Ce deuxième mouvement est composé d’une seule phrase, Trois couleurs : rouge de K. Kievslowski, par exemple, puisque c’est le
très longue, organisée selon un rythme ternaire et une cadence premier film qu’Étienne et sa femme ont vu ensemble.
majeure, grâce à la répétition de « capables ». Elle donne une
dimension lyrique au passage, en totale contradiction avec les
faits mentionnés qui semblent non pas héroïques mais techniques,
voire ennuyeux.
Séance 5L’écriture pour panser
– En effet, les deux juges ne sont pas présentés ici comme rédi- les plaies ?
geant des avis provocateurs ou innovants, comme remportant des
batailles épiques, mais bien comme travaillant. Leur travail consiste Support : La dernière page du roman, de « Arrivé à la fin de ce
à « éplucher » des dossiers (la métaphore souligne ce que ce travail livre » à la fin
peut avoir de fastidieux), à « dénicher » une directive (là encore le Objectif : Réfléchir à l’émotion suscitée par ce récit
verbe employé suggère les efforts à fournir). Enfin, dans la troi- Durée : 1 heure
sième proposition, le vocabulaire juridique domine (« taux d’inté- Mise en œuvre pédagogique
rêt », « pénalités », « taux d’usure »), ce qui est une façon de montrer Jusqu’à présent, nous avons contourné la question de l’émotion
que les deux juges appliquent la loi. qui saisit à la gorge à la lecture de ce récit. En effet, on ne peut
– Toutefois, au terme de cette présentation d’un travail répé- négliger le fait qu’il y ait parmi nos élèves des Diane… Toutefois,
évacuer complètement la question serait fermer les yeux sur un
titif, rébarbatif, on aboutit à une conclusion qui permet de faire
aspect important du livre et sur une réalité sociale importante.
coïncider un idéal de justice (lutter contre ceux qui « saign[ent] les
gens », qui agissent de façon « immorale ») avec la pratique de la
justice (condamner des actes illégaux). Activités
© Milene Cardoso/Brazilphoto Press via AFP- Tous Droits Réserves pour l’artiste Ron Mueck
fille parmi d’autres, elle est privée de deux choses essentielles pour
une enfant : sa mère et le pouvoir de son père de la rassurer (« mais
il ne peut pas et ne pourra jamais plus lui dire ce que les pères vou-
draient dire à leurs enfants, toujours : “ce n’est pas grave” » : on note
dans cette phrase une allitération en [p] qui rapproche douloureu-
sement les négations du nom « père »).
– On peut d’autant mieux s’identifier à Diane et à Patrice que jus-
tement, Emmanuel Carrère se refuse à tout procédé grandiloquent.
La simplicité de son écriture semble refléter le réalisme de la situation
nous rappelant qu’il ne s’agit pas là d’une fiction. On remarque ain-
si des répétitions (« Patrice regarde sa femme. Diane regarde sa mère.
Patrice regarde Diane la regarder. Elle pleure, il pleure aussi »).
– De plus, la douleur de Diane et de Patrice semble sans cesse
renouvelée, inépuisable. Trois ans après la mort de Juliette, ils
semblent toujours aussi malheureux. Ainsi, on relève de nombreux
connecteurs de temps qui disent à quel point la douleur est tou-
jours vive (« tout le temps », « cent fois », « très souvent »), comme le
présent d’habitude (« Ils descendent », « ils prennent place »).
– Enfin, on est ému par la posture de l’auteur. Au début de
l’extrait, on retrouve les références à sa méthode d’écriture (voir
séance 1, p. 17) : il écoute (« m’a raconté », « raconte », « dit aussi »),
« pense » et écrit. Mais pour la première fois, avec humilité, il réflé-
chit à l’effet produit par son livre. Il ne s’agit plus de répondre à sa
curiosité (qu’est-ce qu’un bon juge ?), de faire réfléchir (a-t-on le
droit de consommer ?) mais peut-être de faire du bien, de « panser »
des blessures.
Sujet
« Tu es le seul type que je connaisse capable de penser que l’amitié
de deux juges boiteux et cancéreux qui épluchent des dossiers de
surendettement au tribunal d’instance de Vienne, c’est un sujet en
or. En plus, ils ne couchent pas ensemble, et à la fin, elle meurt. J’ai Ron Mueck, Woman with Shopping, 2013 : avec ce moment
bien résumé ? C’est ça l’histoire ? », p. 120. quotidien, le plasticien saisit la vulnérabilité du personnage.
Hélène résume ironiquement le projet de son compagnon alors
qu’il s’apprête à écrire D’autres vies que la mienne. Vous vous de-
manderez, à la lumière de votre lecture de ce récit, mais aussi des
œuvres que vous avez étudiées ou lues, si un récit ne peut intéres-
2. Identifier le type de sujet
ser le lecteur que s’il repose sur « un sujet en or ».
Rappel
Les différents types de sujet :
1. Analyse des mots-clés – Les sujets de discussion = plan dialectique : le sujet propose
– « récit » : il peut s’agir d’un roman, d’un récit autobiogra- une thèse qu’il faut discuter : le plan doit d’abord valider cette thèse
phique… puis la discuter, la nuancer ou la compléter. On utilise un raisonne-
– « intéresser » : capter l’attention, donner envie au lecteur de ment par concession (I. Certes, la thèse du sujet ; II. Mais…)
poursuivre sa lecture, s’identifier aux personnages. – Les sujets de justification = plan thématique : le sujet pro-
– « sujet en or » : cette expression se comprend mieux quand on pose une thèse qu’il faut justifier. Le plan envisage toutes les raisons
lit la citation. Hélène présente tout ce qui, selon elle, va rebuter le pour lesquelles la thèse est pertinente. On a un raisonnement par
lecteur, et, au rebours, elle suggère ce qui serait un bon sujet. En accumulation (I. Tout d’abord la thèse est vraie parce que ; II. De plus
effet, le propos d’Hélène suggère qu’un « sujet en or » présente des la thèse est vraie parce que…)
personnages plus héroïques, plus extraordinaires que « deux juges – Les sujets ouverts = plan thématique : le sujet ne propose pas
boiteux et cancéreux », que ce sont des thèmes moins techniques et de thèse. Il pose une question et il faut trouver toutes les réponses
quotidiens que « des dossiers de surendettement », sur fond d’histoire possibles. On a un raisonnement par accumulation (I. Tout d’abord,
d’amour (« En plus, ils ne couchent pas ensemble ») qui se termine première réponse ; II. De plus, deuxième réponse…). Il s’agit ici d’un
bien (« et à la fin, elle meurt »). sujet de discussion.
3. Formuler la problématique exceptionnels qui vivent une aventure remarquable pour séduire
Un récit doit-il nécessairement mettre en scène des person- le lecteur ? Nous verrons dans une première partie qu’un sujet
nages exceptionnels qui vivent une aventure remarquable, pour remarquable aide à séduire le lecteur, mais que ce dernier peut
séduire le lecteur ? être intéressé par une réflexion sur son quotidien. Enfin, nous
essaierons de montrer qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais sujet,
4. Trouver un plan mais seulement l’attrait d’une écriture.
I. Certes, un « sujet en or » aide à séduire le lecteur
a. Des personnages d’exception. Le lecteur admire alors des • Rédaction d’un paragraphe (II. 2)
personnages aux nombreuses qualités qu’il veut imiter ou qu’il De plus, le lecteur peut s’intéresser à un récit qui l’invite à réflé-
espère égaler. Ex. : La princesse de Clèves, héroïne vertueuse. chir à la société dans laquelle il vit et à la considérer avec lucidité. Le
b. Des histoires d’amour. Il est très rare qu’un récit ne contienne récit n’a pas en effet comme unique objectif de divertir, il ouvre éga-
pas d’histoire d’amour. La littérature est pleine de premières ren- lement à la réflexion. Sans nécessairement prétendre que l’auteur soit
contres. Ex. : La Princesse de Clèves, Manon Lescaut, Le Rouge et un mage qui regarde le monde avec un regard plus sensible que les
le Noir. autres, l’inévitable pas de côté que propose un récit par rapport à notre
c. Un cadre exotique. On lit souvent pour se distraire, on aime quotidien, le regard neuf qui ne se superpose pas tout à fait avec celui
donc des histoires qui se situent dans d’autres lieux, d’autres que nous portons sur les choses, nous permet de nous interroger sur
époques, y compris des lieux et des époques qui n’existent pas. la société. Ainsi, dans D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère
Ex. : les romans de fantasy. fait le portrait de plusieurs familles en situation de surendettement :
Mme A., M. et Mme L. Eux non plus ne constituent sans doute pas des
II. Mais le lecteur peut être intéressé par autre chose
« sujets en or », au sens où les entend Hélène, mais ils nous invitent à
a. Des personnages qui lui ressemblent. Le lecteur s’identifie nous demander s’il est normal de devoir survivre quand on travaille.
davantage à un personnage qui a des failles, des faiblesses, dans Est-il légitime ou non de prétendre se loger, se nourrir, protéger ses
lesquelles il peut se reconnaître. Ex. : Étienne est un grand juge, enfants dans une société où d’autres gagnent des fortunes ? Est-ce
mais aussi un personnage orgueilleux, un juge unijambiste… que l’on doit estimer que s’ils n’ont pas les moyens de prétendre à plus,
b. Des questions auxquelles il est lui-même confronté. La lec- à mieux, c’est de leur faute ? Qu’ils auraient dû faire d’autres choix de
ture d’histoires ancrées dans le quotidien permet au lecteur de vie ? Et que la société n’a pas à payer pour leurs erreurs ? Le récit ne
réfléchir à des problématiques importantes pour lui ou la société donne pas de réponse à ces questions, mais il intéresse le lecteur pré-
dans laquelle il vit. Ex. : la question du droit à la consommation. cisément parce qu’il lui permet de réfléchir et peut-être de trouver sa
III. En réalité, il n’y a pas de bon ou de mauvais sujet propre réponse. Ainsi, un sujet très quotidien, un peu déprimant, est
a. La construction d’une intrigue. Ce qui intéresse le lecteur l’occasion de mener une réflexion.
c’est la manière dont est construit le récit. Ex. : les deux parties de
D’autres vies que la mienne qui se font écho.
© Collection Christophe L/ © SND
5. Rédiger la dissertation
• Rédaction de l’introduction
Nombreux sont les films ou les récits consacrés à une figure
marquante de l’Histoire : on ne compte plus les biopics sur tel
ou tel personnage historique, chanteur, peintre… Ainsi, un
grand personnage, un contexte particulier seraient les éléments
essentiels pour construire un récit. Ce n’est pas le choix que fait
Emmanuel Carrère quand il entreprend d’écrire D’autres vies que
la mienne qui paraît finalement en 2009. « Tu es le seul type que je
connaisse capable de penser que l’amitié de deux juges boiteux et
cancéreux qui épluchent des dossiers de surendettement au tribu-
nal d’instance de Vienne, c’est un sujet en or. En plus, ils ne couchent
pas ensemble, et à la fin, elle meurt. J’ai bien résumé ? C’est ça l’his-
toire ? » (p. 120) : c’est ainsi qu’Hélène résume ironiquement le
projet de son compagnon. On peut donc se demander si un récit Tom Holland dans film The Impossible, qui a pour thème, aussi,
ne peut intéresser le lecteur que s’il repose sur « un sujet en or ». l’histoire d’une famille lors du tsunami du 26 décembre 2004,
Un récit doit-il nécessairement mettre en scène des personnages réal. Juan Antonio Bayona, 2012.
VàX
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Sommaire ÉTAPE 1. Entrer dans l’œuvre : quand le style est si elliptique et si ironique ? Pour le professeur, en
l’auteur et son projet 1re générale, comment construire un parcours qui rende compte de
Séance 1. L’expérience sociale de cinq chapitres aux sujets divers ? En séries technologiques, comment
La Bruyère traiter d’un discours fragmentaire et sans coutures ?
Séance 2. L’œuvre et son contexte La séquence essaie de résoudre ces difficultés. Nous excluons de
ÉTAPE 2. Une comédie de caractères faire lire l’œuvre au préalable : nous préconisons au contraire une
Séance 3. (pour les séries lecture progressive, sélective. La plupart des séances sont accom-
technologiques). Le portrait pagnées d’une fiche de préparation destinée à faire découvrir un ou
de Ménalque plusieurs chapitres à travers une sélection de fragments. Nous avons
Séance 4. (séries générales). « Ceux mis l’accent sur l’approche contextuelle et la progression adoptée est
qui parlent, et qu’il faut que les autres thématique. Se contenter d’explications linéaires ne permet pas de se
écoutent » : Théodote familiariser avec l’œuvre, tandis que la découverte d’un thème éclaire
l’analyse ultérieure d’un extrait. D’autre part, nous avons voulu étu-
ÉTAPE 3. La comédie sociale
dier les deux programmes : livres V à X et les parcours « La comédie
Séance 5. La société des Caractères
sociale » (1re générale), livre XI et le parcours « Peindre les Hommes,
Séance 6. Un « théâtre de vanité »
examiner la nature humaine » (1re technologique).
ÉTAPE 4. La portée critique Nous espérons que cette séquence facilitera la tâche du pro-
Séance 7. Une anthropologie critique : fesseur qui veut faire découvrir à ses élèves une œuvre exigeante,
les misères de l’Homme mais passionnante.
Séance 8. La Bruyère, un précurseur des
Lumières ?
Durée de • 12 heures
© Coll.Jonas / KHARBINE-TAPABOR
la séquence
Séquence 1re
Les ressources !
L ’article de la revue
Les images à projeter
Les Caractères et les humoristes
d’aujourd’hui (pour toutes les sections),
avec un résumé et un essai pour la 1re
technologique.
Les fiches élèves 1 et 2 pour l’étape 1
Séance 4. Une analyse développée du texte
La fiche 3 pour la séance 6
Séance 7. Un exemple d’abécédaire des
défauts visés par l’auteur des Caractères
La fiche 4 pour la séance 9 Les Caractères de Jean de La Bruyère, illustration par Octave
Penguilly, 1845.
L’expérience sociale de
Séance 1 situation détachée et marginale lui permet sans doute d’adopter la
juste perspective pour voir la Cour. Non, La Bruyère n’a été ni ébloui
La Bruyère ni heureux, et tient parfois des propos qu’on croirait ceux d’un
Recherches, documentation Alceste, comme dans les deux fragments qui clôturent le chapitre
sur la Cour (VIII, 100-101).
Public : Séries générales et technologiques
Objectif : Connaître le parcours social de La Bruyère pour
éclairer l’œuvre
Supports : La fiche élève 1, le texte Séance 2 L’oeuvre et son contexte
Durée : 2 heures L’œuvre d’une vie
Mise en œuvre pédagogique • Lorsque La Bruyère fait paraître en 1688 Les Caractères, il y
La présentation biographique d’un auteur paraît souvent travaille depuis longtemps déjà. Le succès est immédiat ; la recon-
rébarbative aux élèves. Il nous paraît pourtant indispensable d’y
naissance du talent de l’auteur par ses pairs se concrétise bientôt
consacrer une séance pour donner un peu de chair à La Bruyère
(difficile, tant on sait peu de choses de sa personne). D’autre par l’élection à l’Académie (1693). On compte deux rééditions pour
part, il est indispensable de fournir un « tableau » la seule année 1688. Six autres suivront. Les trois premières éditions
du contexte dans lequel a lieu la rédaction des sont à peu près identiques, mais les six autres s’enrichissent régu-
Caractères. Les fiches de préparation visent à aider Les fiches lièrement de nouvelles « remarques » ou « caractères », car la déno-
l’élève à faire le tri parmi les informations, les arti- 1 et 2 sont
disponibles mination employée par La Bruyère évolue ; comme Montaigne qu’il
culer autour de certains axes susceptibles d’éclairer dans la admire, il ajoute et ne supprime pas (ou peu). On passe ainsi de 418
l’œuvre, en découvrir quelques fragments avant de banque de remarques à 1 119.
s’y plonger. ressources.
• Si sa structure ne change pas (partie « grecque » puis partie
« française » en 16 chapitres), l’œuvre se transforme. La nature des
Quelle place occupe La Bruyère dans la société de son temps ?
fragments évolue : des portraits toujours plus nombreux et des
Quelle part y prend-il ? Depuis quel point de vue l’observe-t-il ?
réflexions plus longues au détriment des maximes. La dimension
La Bruyère a vécu toute sa vie d’adulte sous le règne de
Louis XIV : il a 16 ans quand le roi prend personnellement le pouvoir satirique, voire polémique, s’accentue.
en 1661. Il assiste aux transformations politiques, sociales, écono- Une intention affirmée
miques, intellectuelles du Grand Siècle. • La Bruyère se montre extrêmement soucieux de l’interpréta-
À la ville tion que l’on peut faire de son œuvre. Pour preuve l’importance du
• La Bruyère n’a guère quitté la capitale, où il est né en 1645. paratexte, composé de l’épigraphe (qui apparaît en 1689 lors de
Issu d’une famille de petite bourgeoisie, il fait des études de droit à la 4e édition), du Discours sur Théophraste qui ouvre l’ouvrage, de
Orléans et devient avocat au Parlement de Paris. la Préface, présente dès 1688, augmentée en 1693, le discours de
• En 1673 – il a 23 ans – il achète grâce à l’héritage d’un oncle réception à l’Académie, ajouté lors de la 8e édition.
une charge de Trésorier des Finances à Caen, office qui lui assure La Bruyère, un classique
des revenus et un titre (modeste, « écuyer ») mais l’occupe peu. Dès
• Observer l’homme de son siècle et le faire voir dans sa vérité :
1674, une dispense de résidence lui permet de retourner vivre à
La Bruyère appartient bien à un temps qui ne met rien au-dessus
Paris. La Bruyère est dépourvu d’ambitions matérielles. À ses yeux,
de la lucidité. La littérature du xviie siècle nous fournit en abondance
être riche et être « content », c’est-à-dire satisfait de son sort, empli
des images de l’époque où sont réunis le spectacle offert et le juge-
d’un plaisir intérieur, s’excluent mutuellement (VI, I).
ment sur celui-ci. Les Caractères ne sont pas sans rappeler le théâtre
À la Cour de Molière (cf. étape 2 p. 28), les Satires de Boileau, ou les Fables de
• L’année 1684 marque une promotion sociale et un tour- La Fontaine, auteurs dont il partage les ambitions d’instruire et de
nant dans la vie de l’auteur : il entre au service d’un « Grand » en plaire. Mais par la forme fragmentaire choisie comme par l’acuité de
devenant précepteur du petit-fils du Grand Condé, puis, en 1686, l’analyse des « replis du cœur », La Bruyère s’inscrit dans la lignée des
secrétaire, bibliothécaire et « gentilhomme ordinaire de M. le Duc ». moralistes, La Rochefoucauld et Pascal.
Ce titre lui assure une pension et lui vaut de découvrir le monde • Car si La Bruyère, dans la querelle qui éclate justement au
des cours : celle des Condé, à Chantilly ou à l’Hôtel de Condé à moment de la publication des Caractères (en 1688, tir groupé des
Paris, celle du roi, installée à Versailles en 1682, à laquelle la mai- « Modernes » avec la parution du Parallèle des Anciens et des Modernes
son de Condé se rend régulièrement, comme il se doit. De l’âge de Perrault et de la Digression sur les Anciens et les Modernes de
de 39 ans à sa mort brutale à 61 ans, La Bruyère a pu observer Fontenelle) se positionne bien comme un partisan des Anciens, cela
à loisir le fonctionnement de milieux auxquels sa naissance ne le
ne signifie pas qu’il se borne à une plate imitation.
destinait pas.
« Au balcon pour tout voir » (Sainte-Beuve) éléments détaillés pour corriger les fiches élève ou pour
Les
• La Bruyère, simple « gentilhomme ordinaire » de Condé dépour- préparer un cours sur la biographie de La Bruyère sont
disponibles dans la banque de ressources.
vu d’ambition, ne pouvait que rester en position d’observateur. Cette
Éléments de réponse
Le portrait en mouvement de Ménalque se distingue également
par sa composition fondée sur la multiplication de saynètes racon-
tées au présent de l’indicatif à valeur itérative : celles-ci sont autant
de gags visuels ou langagiers qui illustrent l’étourderie caricatu-
rale du personnage, source de cocasses méprises, quiproquos et
dérèglements. C’est pourquoi La Bruyère lui-même avertit dans
une note : « Ceci est moins un caractère particulier qu’un recueil de
faits de distractions. Ils ne sauraient être en trop grand nombre s’ils
sont agréables ; car, les goûts étant différents, on a à choisir ». Si ce
« recueil de faits » vise essentiellement à faire rire, par l’outrance ou
l’absurdité des méprises de Ménalque, il offre aussi un recensement
de lieux, faits et gestes de la vie quotidienne au Grand siècle, côté
Cour ou côté ville : embarras des rues parisiennes (l. 57, rappelant
la description de Boileau dans ses Satires), mendiants (l. 60, 100),
tenues et accessoires des Grands (l. 51-54, 66-73, 110-118, 156),
agencement et mobilier des demeures ou du palais royal (l. 68, 120-
122, 145), jeux (l. 125), échanges épistolaires (l. 134-145), manières
de table (l. 171-179), relations entre maîtres et valets (l. 65, 201-206,
217, 235, 241-247), etc.
Une autre particularité de ce portrait tient à son apparence inache-
vée, qui contraste avec l’art de la pointe ou de la chute dont l’au-
teur est habituellement maître. C’est dire le ridicule inépuisable du Gravure représentant Ménalque dans Les Caractères, 1688.
II. Un étrange prie-Dieu : de « il s’avance » à « ailleurs » à terre. Tel Cendrillon au retour du bal, le distrait « s’en retourne chez
a. En suivant l’ordre chronologique et spatial de l’avancée de soi avec une pantoufle de moins », mais une pitrerie de plus.
Ménalque dans l’église, l’enchaînement des propositions se fait selon
le procédé de l’asyndète qui renforce le comique de répétition et la Conclusion
dimension mécanique du comportement du distrait. Sa nouvelle La saynète dans l’église témoigne de la virtuosité burlesque du
méprise est annoncée par la locution verbale « il croit voir un prie- moraliste. Loin de toute vraisemblance et des bienséances, l’étourdi
Dieu ». La confusion entre les apparences et la réalité est d’un gro- lunaire (dont le nom vient peut-être du grec « menis » désignant un
tesque encore plus outré que l’exemple précédent, puisque Ménalque croissant de lune) sème le désordre et la dissonance où qu’il passe,
se « jette lourdement » sur ce qui s’avère être un fidèle en prière. Le constituant ainsi un contre-modèle du classicisme. Tout en faisant
registre burlesque est ainsi utilisé au sens le plus littéral consistant à rire par ses gags en cascade, La Bruyère livre une satire poussée
traiter un sujet élevé, sérieux, dans un style bas qui le dégrade. jusqu’à l’absurde de la confusion entre la réalité et les apparences
b. Pour autant, la description relève aussi du burlesque au sens qu’il dénonce au fil de ses Caractères.
moderne tel que l’ont illustré les films muets de Buster Keaton ou Nombre de contemporains du moraliste ont lu en Ménalque le
de Charlie Chaplin, peuplés de pantins qui ne parviennent pas portrait du comte de Brancas, connu pour ses étourderies et dont
même à maîtriser leur propre corps et se retrouvent aux prises avec Madame de Sévigné disait qu’il n’était « pas vraisemblable » (lettre
du 8 juillet 1671). Plutôt que cette lecture à clefs, on pourra compa-
des objets ou des machines dont le fonctionnement leur échappe.
rer le distrait si spectaculaire de La Bruyère au caractère plus sobre
c. Or, si La Bruyère décrit ici une « machine [qui] plie, s’enfonce
de « L’étourdi » décrit par Théophraste et surtout aux personnages
et fait des efforts pour crier » sous le poids de Ménalque, il joue sur
théâtraux de Molière (L’Étourdi, 1655) et de Regnard (Le Distrait,
la polysémie du mot dans la langue classique : au xviie siècle, une
1697, ouvertement inspiré de Ménalque) ou, plus près de nous, aux
« machine » désigne d’abord un mécanisme, tel que celui des auto-
anti-héros du cinéma burlesque, de Buster Keaton à Blake Edwards,
mates, ou de la machinerie théâtrale ; mais on l’emploie aussi pour
en passant par Jacques Tati (Jour de fête, 1947, Mon oncle, 1958) ou
désigner le corps humain ou encore, au sens figuré, un artifice, une Pierre Richard (Le Distrait, 1970).
machination. Voir Ménalque étreindre le corps d’un fidèle « les deux
bras passés sur ses épaules, et ses deux mains jointes et étendues qui
BIS/ Ph. Coll.Archives Larbor © Cady Films-Francinex/ Panoramic Films
Séance 5 La société des Caractères fiche élève 3, qui permet une approche par l’image, est
La
disponible avec son corrigé dans la banque de ressources.
Étude d’ensemble
Objectif : Faire comprendre la réalité que peint La Bruyère en y adjoignant les juristes et gens de robe (5, 7, 8…). « De la Cour »
Supports : Livres VI à IX, fiche élève 3 et « Des Grands » se concentrent sur les mœurs des courtisans, c’est-
Durée : 1 heure à-dire la noblesse qui vit à la Cour et parmi celle-ci, le cercle privi-
légié de l’aristocratie formé de ceux qui sont « Grands » par leur
Déroulement de la séance
Cette séance est préparée à l’aide de la fiche 3. En prolongement, naissance et parfois par la faveur du roi (princes légitimés, ducs et
on pourra étudier la remarque 74 du livre VIII dans laquelle La pairs, favoris, puissants ministres). Ces groupes sociaux sont parfois
Bruyère adopte le procédé du regard étranger pour évoquer la vie opposés à d’autres entités aux contours plus flous et aux dénomi-
de Cour (questions de l’édition « Carrés classiques », p. 104-105). nations variables : le « peuple », les pauvres (VI, 47-8, ou encore 83,
Phédon), la province ou la campagne.
On a parfois dit de La Bruyère qu’il était notre premier socio- • Logique spatiale : « De la Ville » et « De la Cour » étudient le
logue. De fait, les chapitres VI à IX s’attachent à dépeindre les fonctionnement de la vie sociale à l’intérieur de deux unités de lieu
mœurs d’entités et catégories sociales dont il s’agit d’abord de pré- distinctes. Paris, cependant, cherche à imiter la cour : « Paris, pour
ciser la composition. On s’efforcera de les replacer dans le contexte l’ordinaire le singe de la cour, ne sait pas toujours la contrefaire » (VII,
des mutations sociales et économiques qui se produisent sous le 15). De jeunes magistrats calquent les manières des courtisans et
règne de Louis XIV, mais également d’apporter de quoi aider l’élève deviennent « des copies fidèles de très méchants originaux » (VII, 7). La
à s’en faire une représentation plus vivante, plus concrète. On pour- Cour à cette époque s’affirme comme le centre culturel et politique
ra lire quelques extraits des Caractères pour illustrer le propos (nous du royaume.
nous référons à de nombreuses remarques) : la lecture personnelle Une société en mutation
de l’élève s’en trouvera facilitée.
La société repose encore sur la division en trois ordres, mais la
hiérarchie traditionnelle est ébranlée. À partir de 1660, sous l’impul-
Une double logique sion de la politique de Colbert – le « mercantilisme » –, l’économie
Les chapitres VI à IX suivent une double logique, à la fois hié- autrefois fondée sur les revenus fonciers possédés par la noblesse
rarchique et spatiale. est concurrencée par le commerce et l’industrie, dont les progrès
• Logique hiérarchique : « Des Biens de Fortune » évoque les sont favorisés par la limitation des importations et le développe-
hommes qui se sont enrichis : la bourgeoisie commerçante (6, 43), ment d’une industrie nationale (Compagnie des Indes, Manufacture
la bourgeoisie d’affaires (12, 28), les financiers également désignés royale de Saint-Gobain…). Émerge alors une nouvelle bourgeoisie
comme « partisans ou “P.T.S” » (14, 25, 34), bref tous les « nouveaux d’affaires dont l’enrichissement est parfois spectaculaire (que peut
riches » dont le portrait de Giton (83), en conclusion du chapitre, incarner un personnage moliéresque connu des élèves, Monsieur
concentre les traits. « De la Ville » prolonge l’étude de cette catégorie Jourdain). Mais ceux dont la fortune paraît le moins légitime aux yeux
de notre auteur et sur lesquels il concentre les feux de sa critique sait d’une épée et d’un chapeau pour être autorisé à se promener
sont les « financiers » ou « partisans », qui avancent au roi le montant dans Versailles.
de l’impôt et se chargent de récupérer la somme auprès des contri- La société de Cour est composée de la noblesse qui loge de
buables, s’arrogeant au passage une commission substantielle. façon prolongée à Versailles, et qui est suffisamment fortunée pour
Ces nouveaux riches sont perçus non seulement comme des « tenir son rang ». La vie de Cour entraîne en effet des « frais de repré-
arrivistes mais comme des rivaux par une noblesse dont les res- sentation », ne serait-ce qu’en vêtements : magnifiques et à la mode,
sources diminuent pour des raisons économiques (le foncier ne aussi bien pour les femmes que pour les hommes (on rappellera
« rapporte » pas autant que l’industrie, le commerce, la finance), qu’à l’époque la tenue masculine est aussi chargée et complexe
mais aussi à cause des dépenses excessives auxquelles les contraint que celle des femmes). Cette noblesse ne forme pas un groupe
la vie de cour. La noblesse de « sang » est par ailleurs concurren- homogène : elle est hiérarchisée en fonction de l’élévation de la
cée par la noblesse « de robe » : le statut nobiliaire était attaché naissance, des titres, de la fonction. Ces distinctions se retrouvent
à l’exercice de certaines fonctions dans l’administration royale par exemple dans les logements attribués aux uns et aux autres :
(au Parlement, à la Cour des Comptes…) et le principe de la plus ou moins proches de la famille royale, et plus ou moins vastes.
vénalité des offices a contribué à élargir et pérenniser cette nou- Que font ces courtisans de leurs journées ? Leur vie est codifiée
velle noblesse. par le cérémonial de Cour, centré sur le déroulement immuable
La Bruyère juge absurde le mépris réciproque de l’épée et de des activités du souverain. L’étiquette règle l’ordre des préséances
la robe (IX, 40). D’autre part, il épingle l’ambiguïté des nobles vis- pour toutes les activités. Il y a ceux qui peuvent approcher la famille
à-vis des roturiers enrichis : « Si le financier manque son coup, les royale en participant au très convoité service du roi, et ceux qui
courtisans disent de lui : “C’est un bourgeois, un homme de rien, un espèrent simplement en être aperçus. « Mille gens à peine connus
malotru” ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille » (VI, 7). Surtout, il met font la foule au lever pour être vus du prince qui n’en saurait voir mille
en garde les Grands qui négligent et les affaires publiques et leurs à la fois ; et s’il ne voit aujourd’hui que ceux qu’il vit hier et qu’il verra
propres affaires : d’autres travaillent, et conquerront une position demain, combien de malheureux ! » (VIII, 71). L’enjeu pour tous est
telle que les premiers seront un jour heureux de les avoir pour d’obtenir un titre, une charge, une pension, une faveur quelconque :
gendres (IX, 24). « l’on se couche à la cour et l’on se lève sur l’intérêt » (VIII, 22). Il s’agit
de se rapprocher de personnes plus élevées dans la hiérarchie et
d’obtenir leur appui, par habileté stratégique ou par chance (cf. VIII,
© Aurimages
64). Pour occuper cette foule oisive, le roi fait organiser des spec-
tacles, des fêtes, des bals… Le roi, se méfiant du passé frondeur de
Paris, en a ainsi éloigné la noblesse, et l’a domestiquée : « Un noble,
s’il vit chez lui dans sa province, il vit libre, mais sans appui ; s’il vit à la
Cour, il est protégé, mais il est esclave ; cela se compense. » (VIII, 67).
Un regard démystificateur
La remarque 65 (VIII) est bâtie, comme la 25 (VI), sur une méta-
Dans le chapitre ouvrant Les Caractères, La Bruyère définit la phore : le courtisan qui intrigue secrètement est pareil à une
tâche ardue à laquelle s’attelle l’écrivain de mœurs : « Le philo- montre dont on ne voit que l’aiguille, tandis que « les roues, les
sophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à ressorts, les mouvements sont cachés ». Et de même que la passion
en démêler les vices et le ridicule » (I, 34). Philosophe, il scrute ses de l’argent absorbe la vie entière du financier, la quête de faveur
contemporains : il capte le brillant des apparences et sonde la oblige le courtisan à « un jeu sérieux, mélancolique, qui applique »
réalité qu’elles cachent, il désigne et ôte les masques. où la meilleure stratégie risque toujours d’être renversée par
Ainsi ne faut-il pas se laisser éblouir par la fortune éclatante le hasard.
des financiers. L’avertissement ironique concluant la remarque 25 Le moraliste révèle les motivations véritables de ces hommes
(VI), « n’approfondissez pas la fortune des partisans ! » est en réalité aussi « polis » que « durs » (VIII, 10) : l’intérêt (22), l’avidité (46), l’am-
une invite. La Bruyère emploie deux analogies pédagogiques : la bition, l’égoïsme, l’ingratitude… Dans les rapports avec autrui, l’hy-
cuisine et le théâtre. La première, burlesque, transfère la répulsion pocrisie (36) et l’instrumentalisation (23, 93) sont la règle. Morgue
physique qu’on éprouverait à manger d’un plat dont on aurait vu envers celui qui est inutile à son avancement, servilité envers les
la ragoûtante confection sur le dégoût moral que suscitent les puissants que révèle la grimace grotesque défigurant le courtisan
sordides manœuvres dont se salissent les partisans. La seconde le plus hautain en présence du prince (13). Quant aux riches, ils
assimile toutes les machines mises au service de l’illusion théâ- ont des « âmes sales, pétries de boue et d’ordure » ; l’appât du gain
trale aux machinations dans lesquelles la vie des financiers se ruine en eux toute affection, et jusqu’à l’humanité (« de telles gens
consume. Les richesses s’achètent en sacrifiant « repos », « santé », ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être même
« honneur » et « conscience » (VI, 13), et en usant de vile tromperie des hommes » VI, 58).
(VI, 42, 43).
De même, si voir la Cour, c’est avoir « vu du monde ce qui est le Vanité de l’homme
plus beau, le plus spécieux et le plus orné », c’est aussi, « après l’avoir L’image du « théâtre du monde » a également un sens moral et
vue », « méprise [r] le monde » (VIII, 100). L’antanaclase dont joue religieux dont l’âge baroque a fait grand usage : celui de la vanité
La Bruyère distingue deux sortes de spectateurs, celui qui ne de la vie humaine, précaire et vouée à une prompte disparition.
voit que la superficie, et celui qui voit aussi ce qui est dessous. Sous le regard de Dieu, chaque homme joue un rôle imposé dans
une pièce dont il n’est pas l’auteur et qui se répète à l’infini. C’est C’est pourquoi beaucoup sont décrits comme des automates agi-
ce qu’on retrouve dans la remarque 99 (VIII) où La Bruyère envi- tés d’un mouvement permanent et mécanique (19, 65) dans une
sage le monde depuis une position de surplomb : « ce sera le même Cour où tout le monde court sans savoir pourquoi ni comment (22,
théâtre », mais « ce ne seront plus les mêmes acteurs », ce seront « quel moyen de demeurer immobile… »), fantoches à qui « l’usage
« d’autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes du monde, la politesse ou la fortune tiennent lieu d’esprit » (83). À la
rôles ». L’image du jeu, le rappel constant de l’inconstance de la for- ville, à la Cour, grands ou petits, les hommes ne pensent pas par
tune (sort, richesse, ou faveur) à travers les livres VI et VIII vont dans eux-mêmes et abdiquent toute raison. En effet, le prestige falla-
le même sens : l’homme a beau calculer, il n’est pas le maître de cieux de la richesse et de la faveur fausse le jugement et entraîne
son destin. Un jour, les premiers seront les derniers (VI, 78, 79, 80), une confusion entre être et avoir : on attribue du mérite au riche et
et le courtisan, comme l’aiguille de la montre, revenu à son point au courtisan favorisé, et eux-mêmes s’en persuadent, tandis qu’on
de départ. méprise le vrai mérite (VI, 2, 3, 4, 10). Par conformisme, les hommes
Mais le pire est la vacuité de la psyché humaine. Les courtisans sont des girouettes qui suivent l’opinion générale ou celle des puis-
sont « fades », c’est-à-dire sans caractère ; ils n’ont pas « deux pouces sants (VIII, 32, 56 à 59), et pas seulement en paroles : « Un grand dit
de profondeur : si vous les enfoncez, vous rencontrez le tuf » (VIII, 83). de Timagène, votre ami, qu’il est un sot, et il se trompe. [...]Osez seule-
ment penser qu’il n’est pas un sot. » (VIII, 78).
Une anthropologie
Séance 7 alors et qu’ils sont marqués dans Théophraste : vains, dissimulés,
flatteurs, intéressés, effrontés, importuns, défiants, médisants, que-
critique : les misères de l’Homme relleux, superstitieux » écrit-il dans son Discours sur Théophraste.
Parcours de lecture Pareille accumulation, figure privilégiée dans Les Caractères, se
retrouve dans les remarques du livre XI listant les vices et les fai-
Public : Séries technologiques blesses de l’homme (à commencer par ceux des enfants décrits
Support : Livre XI, coll. « Classicolycée », Belin dans la remarque 50). Si le moraliste prend pour modèle ses
Objectif : Parcourir le livre XI « De l’Homme » dans la perspective contemporains (« Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté
du parcours « Peindre les Hommes, examiner la nature humaine » de lui la matière de cet ouvrage », Préface, p. 11), il prétend « peindre
Durée : 2 heures les hommes en général », affirmant ainsi la croyance en une nature
Mise en œuvre pédagogique humaine qui transcende les singularités individuelles et les varia-
Cette séance est émaillée de propositions d’exercices et de projets tions spatio-temporelles. C’est à cette nature humaine universelle
qui permettent aux élèves d’avoir une lecture active du livre au
que renvoie le titre du chapitre « De l’Homme ».
programme.
La présentation sous forme d’abécédaire des divers défauts qui y
sont pointés vise à favoriser une lecture transversale de l’œuvre
Questions et à comparer, en classe, les repérages effectués par les élèves.
1. Au cours de votre lecture du livre XI, relevez une dizaine de
défauts humains nommés par La Bruyère, que vous classerez dans exemple d’abécédaire est disponible dans la banque de
Un
ressources.
l’ordre alphabétique en illustrant chacun d’eux par une ou plusieurs
« remarques » (à l’exclusion des portraits).
2. Nommez (par un mot ou une expression de votre composition) 2. Une galerie de portraits-types
le principal défaut des personnages décrits dans les portraits 26, Comme dans l’ensemble du recueil, La Bruyère alterne dans ce
35, 74, 83, 105, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 141. livre XI les réflexions, maximes, descriptions, saynètes et por-
3. Recopiez sur un post-it ou sur un mur collaboratif virtuel une traits de personnages fictifs dont chacun illustre un défaut de
phrase de La Bruyère comportant le mot « homme(s) » qui vous l’homme ou de la société : Érophile le fourbe récompensé par ses
marque particulièrement. dupes (26) ; Irène l’hypocondriaque (35) ; Alcippe le snob qui ne
4. À quelles vertus ou à quels remèdes au mal dont souffrent les salue que pour être vu en compagnie d’un Grand (74) ; Argyre la
hommes La Bruyère fait-il allusion dans ce livre XI ? coquette qui exhibe ses attraits et bavarde bêtement (83) ; Géronte
5. L’inconstance est-elle un vice ou une vertu ? (Reportez-vous le vieillard qui meurt sans avoir rien légué à sa jeune et dévouée
notamment aux remarques 2, 4, 5, 6, 18, 99, 133, 140, 145, 147) épouse (105) ; Phidippe, autre vieillard qui multiplie les « super-
6. Comparez la remarque 1 du livre XI au début de la Préface fluités » pour se rendre la vie agréable au lieu de se préparer à la
(l. 1 à 19, p. 11) : ces affirmations vous paraissent-elles contra- quitter (120) ; Gnathon le glouton égocentrique (121) ; Cliton le
dictoires ? gourmand obsédé par la nourriture (122) ; Ruffin l’imbécile heu-
reux et indifférent aux autres (123) ; N**, vieillard qui multiplie les
Éléments de réponse projets dans le déni de sa mort imminente (124) ; Antagoras le juge
1. Une collection de défauts humains acharné à plaider, qui se mêle de tout (125) ; Télèphe le prétentieux
La Bruyère n’échappe pas à la tradition qui fait rimer moraliste qui outrepasse ses limites et dont le caractère « est de ne savoir
avec pessimiste. Dans la lignée de Théophraste et des moralistes pas se renfermer dans celui qui lui est propre, et qui est le sien » (141).
classiques influencés par l’augustinisme, il dresse un tableau 4. Les remèdes au mal
négatif du genre humain : « En effet, les hommes n’ont point changé Tout en recensant les vices qui font le ridicule et le malheur des
selon le cœur et selon les passions ; ils sont encore tels qu’ils étaient hommes, La Bruyère suggère les vertus qu’il conviendrait de culti-
Les inégalités de richesse 52, « nous devons les honorer… qui nous honorent »). En revanche,
La critique que fait La Bruyère de la richesse comporte une dimen- il exhorte les Grands à être à la hauteur de leur position sociale
sion morale traditionnelle. Il est malheureusement dans la nature de (36 : « Tu es grand, tu es puissant : ce n’est pas assez ; fais que je t’es-
time »), ce qui revient à leur reprocher de ne pas l’être. En effet, les
l’homme de désirer toujours plus : « Faire fortune est une si belle phrase,
Grands manquent à leurs devoirs : leur fortune et leur puissance
et qui dit une si bonne chose (on notera l’ironie), qu’elle est d’un usage
devraient les inciter à soulager les misères des petits (4, 31), mais ils
universel » (VI, 36). Pourtant la fortune ne fait pas le bonheur (VI, 1) ;
se font une règle de ne tenir aucun compte de ceux-ci (22) et mul-
richesse et pauvreté s’inversent selon le sens que l’on donne à ces
tiplient les dépenses futiles (4) pour leur seul agrément ; ils n’ont
mots, matériel ou moral (VI, 49). Tout cela n’est pas nouveau, et ne
nulle reconnaissance, sont cruels envers ceux qui les ont servis (7,
remet pas en cause le fait qu’il existe des riches et des pauvres. La
8) et sans parole (6) ; l’éducation des jeunes princes encourage leur
Bruyère, en effet, n’est pas égalitariste.
morgue sans leur inspirer de vertus (43). Le comble sans doute est
En revanche, il est choqué par l’avidité insatiable des riches (35, 48)
que par légèreté (54), négligeant aussi bien les affaires publiques
et l’excès d’inégalité. Il se montre très sensible à la misère, comme le
que leurs affaires privées, les grands favorisent l’essor de roturiers
montrent les remarques 18 et 47 (on pourra lire aux élèves la remarque
qui conquièrent pouvoir économique, intellectuel, politique (son-
128 du livre XI, saisissante, « L’on voit certains animaux farouches… »).
geons aux ministres de Louis XIV) et contribuent à leur propre
En effet, de nouvelles conditions socio-économiques (vénalité des
« déclassement » (24) : avertissement qui, loin d’encourager l’ascen-
charges, mercantilisme, système d’affermage) ont favorisé pour cer-
sion de la bourgeoisie, appelle l’aristocratie à se réveiller.
tains un enrichissement rapide, immoral et scandaleux aux yeux de
l’auteur : il éprouve une aversion profonde envers les « P.T.S », spécu- Une très discrète contestation politique
lateurs improductifs (14, 32), ou Ergaste (28), l’homme d’affaires prêt
On ne s’étonnera pas que La Bruyère adopte une position
à trafiquer de tout (ressources naturelles, arts, sciences), ou encore
conservatrice vis-à-vis du régime politique (X, 1). Loin d’être révo-
les Sannions (VII, 11) qui, après l’achat d’une charge, s’entêtent de
lutionnaire ou utopiste (trop pessimiste sur la nature humaine et
noblesse et négligent leur devoir de juge : tous ces nouveaux riches
sur l’Histoire !), il semble cependant osciller entre trois tendances :
sont de mauvais riches, vaniteux et égoïstes. Cependant, La Bruyère réactionnaire par sa nostalgie de l’ancienne société féodale (VI,
n’incrimine pas seulement la nature humaine ou le caractère propre de 23, VII, 22) ; prudemment sceptique dans la lignée de Montaigne
certains individus (« la dureté de complexion ») mais l’empreinte sociale (X, 1 : s’en tenir au système dans lequel on vit puisqu’on ne saurait
sur l’individu : ainsi y a-t-il une dureté « de condition et d’état » dont « on déterminer quel est le meilleur de ceux existant) ; « moderne », car
tire […] de quoi s’endurcir sur la misère des autres » (38). Ce qu’il s’agit de il est conscient de la nécessité d’un État fort et centralisé incarné
réformer, ce sont des vices collectifs, pas seulement individuels. dans la personne royale, comme le suggèrent le titre du chapitre
La Bruyère envisage-t-il comme remède une révolution ? Non pas, (le « ou » établissant une consubstantialité entre le souverain et la
ou alors au sens d’un retour en arrière. On trouve chez lui (nonobs- chose publique) et la longue remarque finale qui fait dépendre du
tant son parcours personnel !) une nostalgie évidente pour l’ancienne roi le fonctionnement entier du royaume.
société d’ordre dans laquelle chacun reste à sa place (cf. VI, 23), un La Bruyère fait-il l’éloge de Louis XIV et de l’absolutisme ? Même
éloge de la sobriété publique (VII, 22, sorte de variation sur le mos si elle se clôt sur le terme « grand », la remarque 35 apparaît plutôt
majorum cher aux Romains), voire un idéal de société agraire (VII, 21). comme un portrait du souverain idéal. Les chapitres précédents
révèlent des désaccords avec la politique de Louis XIV : domesti-
La condition des Grands
cation de la noblesse, puissance des parvenus, accroissement des
La Bruyère, à l’instar de Pascal mais en d’autres termes, dis- inégalités, prestige du luxe. Surtout, certaines remarques du cha-
tingue entre « grandeur naturelle » et « grandeur d’établissement ». pitre X minent par avance la dernière. Le roi doit gouverner non pas
La présomption des Grands – ils seraient naturellement dotés de seul, mais avec des ministres, et se soulager de son « secret » auprès
qualités légitimant leur statut social - est à maintes reprises battue de favoris ; ces gens songeront-ils toujours au bien public plutôt
en brèche : « discernement », « vertu », « esprit », « goût », « habileté », qu’à leur intérêt propre ? (18 à 23). Que valent les conquêtes et la
« grandeur », « droiture d’esprit », « délicatesse »..., rien de tout cela gloire du prince si le peuple est opprimé par les puissants, vit dans
ne leur appartient en propre, tandis qu’ils ont à leur service des l’insécurité et l’indigence ? (24, allusions probables à la guerre de la
hommes qui les « passent » par « le cœur et l’esprit » (3, 19, 20, 21), Ligue d’Augsbourg et aux famines). N’est-ce pas tenir « le langage
et dont ils ne savent ni reconnaître ni honorer le mérite (21,35). Et de la flatterie » que de faire accroire au souverain qu’il est « maître
d’où provient le courage militaire dont l’épée est le symbole, si ce absolu » du sang de ses sujets (25, une « monnaie dont il achète une
n’est de la gloire qui leur est assurée du fait de leur notoriété (41) ? place ou une victoire »), et de « tous les biens de ces sujets, sans égards,
En réalité, les grands ne sont que des hommes (47) et sont comme sans compte ni discussion » (28) ? On expliquera les avertissements
les autres hommes (29) : « mêmes passions, mêmes faiblesses, mêmes donnés sur les risques de pervertissement du souverain dans les
petitesses » (53). Pire encore, eux qui prétendent en tout se distin- remarques 29 et 30 : du bon berger au veau d’or, du souverain
guer du « peuple », c’est-à-dire de tous les roturiers (cf. remarque démophile au despote démovore.
amusante sur le choix des prénoms, 23) et qui méprisent en parti-
culier la partie la plus humble de celui-ci, le petit « peuple » qui tra- La Bruyère et le Petit Concile
vaille de ses bras (25), ils sont « peuple », autrement dit semblables La Bruyère a fréquenté le groupe de réflexion catholique
à la populace, aussi vulgaires et grossiers (28). appelé le Petit Concile, où l’on trouve notamment Bossuet
Là encore, La Bruyère en déduit-il qu’il faudrait supprimer ces et Fénelon. Il partage leur vision critique des dérives écono-
« grandeurs d’établissement » ? Non, même s’il juge que l’homme miques et de la monarchie absolue, leur volonté de lutter
de mérite devrait être mieux récompensé. Il ne conteste pas la contre la pauvreté et de réformer la société pour qu’elle soit
nécessité d’un ordre social qu’il n’imagine pas autrement qu’inéga- plus conforme au principe chrétien de la charité.
litaire (19, « cela ne leur peut être contesté » ; 5, « tous sont contents » ;
Les ressources !
pourrait être. Plusieurs activités d’écriture,
de jeux théâtraux, sont proposées autour
L ’article de la revue de la préface et de quelques remarques de
Les éléments de cours pour une présentation des manière à pouvoir, par exemple, élaborer un
Caractères en deux temps : recueil collaboratif de caractères contempo-
rains. Une fois observés, compris et mis en
1. Une esthétique chevillée à la tradition classique
œuvre, des éléments d’interprétation du
2. La pierre de touche de l’honnête homme : une lecture du portrait sont appréhendés, clés utiles avant
caractère « Aemile » (remarque 32 du chapitre II, « Du Mérite
la rédaction d’un commentaire.
personnel »), traité comme un texte programmatique
Joseph-Stanislas
Lescorne, statue
de La Bruyère
dans la cour
Napoléon à Paris.
TEXTE
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un
homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que
de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table
d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui
allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région loin-
taine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette
cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des
historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le
premier jusqu’à éclater. Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui
prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias
ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur : « Je
n’avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’original : je
l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu
à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai
fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance. » Il reprenait
le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée,
lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-
même, et qui arrive fraîchement de son ambassade. »
La Bruyère, Les Caractères, Livre V. Arrias le beau parleur, livre V des Caractères de La Bruyère.
Parmi les nombreux personnages portraiturés par La Bruyère dans Les Caractères ou les
Mœurs de ce Siècle, publiés en 1688, figure Arrias. Dans le chapitre V intitulé « De la société
et de la conversation », le moraliste illustre le comportement social de l’homme. Son propos
est d’analyser et de décrire l’être humain, ses singularités et ses faiblesses à l’instar du Grec
Théophraste dont il s’inspire. Arrias lui fournit l’occasion de camper un individu qui pousse la
suffisance à l’extrême. Hâbleur, il est saisi à travers ses actes et ses paroles, ce qui confère un
rythme vif, alerte à cette peinture vivante à visée satirique. C’est l’observation de ce caractère
que nous étudierons tout d’abord pour voir ensuite comment il prend vie par la dynamique d’un
portrait en mouvement.
Incisif, La Bruyère pose d’emblée le trait principal qu’il veut épingler, l’outrecuidance du
personnage révélée dès la première phrase. Sur un mode affirmatif, émerge l’absurdité d’une
connaissance livresque et visuelle globale, « Arrias a tout vu, a tout lu », accentuée par le
parallélisme et la répétition de l’adverbe « tout » supposé circonscrire la totalité du savoir.
La ponctuation (les deux points) annonce un corollaire logique qui file l’emphase à l’aide de
l’adjectif hyperbolique, donnant à l’affirmation un tour de vérité générale, « c’est un homme
universel ». L’étendue de son prétendu savoir est soulignée par l’accumulation de propositions
mimétiques de son flot de paroles introduites par une cascade de verbes du discours, « « il
prend la parole », « il discourt » « il récite », « prend feu », « il reprenait le fil de la narration »,
qui incarnent sa verve volubile supposée démontrer sa familiarité avec « un grand d’une cour du
Nord » ; proximité confirmée par la comparaison « il s’oriente dans cette région lointaine comme
s’il en était originaire ». Tel un expert, il démontre sur un rythme ternaire l’étendue de son savoir
et disserte, « des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes. »
Or cette universalité revendiquée est assez rapidement écornée puisque le lecteur, alerté par
les allitérations « q » et « r », apprend qu’elle se double d’une assurance peu fiable : il « aime
mieux mentir que de paraître ignorer quelque chose ! »
Ainsi, ce personnage si sûr de lui est en fait trop sûr de lui ! La Bruyère, par son récit
anecdotique, tend à blâmer ce type d’individu imbu de lui-même qui ignore comment se
comporter avec bienséance dans les conversations de cour. « Les hommes sont trop occupés
d’eux-mêmes pour avoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres » : cette remarque 5
du chapitre « Du Mérite personnel » trouve dans Arrias une incarnation pleine d’éclat. Utilisant
autrui comme faire-valoir et ne supportant aucun désaccord comme le suggère l’indéfini, il
endigue vivement toute tentative d’opposition : « Quelqu’un se hasarde de le contredire... Arrias
ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur » Il est tellement soucieux d’être
au cœur de la conversation qu’il s’impose par des interventions intempestives au point de
confisquer aux autres toute observation : « il prend la parole et l’ôte à ceux qui allaient dire ce
qu’ils en savent. » Sans mesurer son indélicatesse, se fortifiant de son ingérence, « il reprenait
le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée. » Pour amuser la galerie
« il récite des historiettes » et comme « il les trouve plaisantes », « il en rit le premier jusqu’à
éclater », ce qui rajoute encore à la grossièreté du personnage, désireux d’occuper coûte que
coûte le devant de la scène. Accumulant les interventions aussi fâcheuses qu’inconvenantes,
La Bruyère exalte ces travers en même temps qu’il creuse la distance qui le sépare d’une
attitude courtoise et bienséante.
Ce comportement négatif est épinglé par la dynamique d’un portrait en actes, caractéristique
de l’écriture alerte de La Bruyère. C’est par une anecdote divertissante bien mise en scène que
le moraliste nous permet de saisir les défauts du personnage, un individu qui se fait prendre
➔
Tous les exemples des leçons ainsi que les textes des exercices
Exercice 2
sont tirés des Caractères.
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un
Rappel du programme de Seconde homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir
que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle
Leçon : les compléments circonstanciels dans la phrase simple à la table d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et
• Les compléments circonstanciels dans la phrase simple peuvent l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans
avoir des natures différentes : cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt
des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses
a. Des noms, des GN ou des pronoms : « on ne doit parler, on ne
coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve
doit écrire que pour l’instruction » (préface) plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater. (« De la société et
b. Des infinitifs ou des groupes à l’infinitif : « passez jusqu’à moi de la conversation », 13)
sans me faire avertir » (« Des biens de fortune », 12)
c. Des adverbes ou locutions adverbiales : « on commence par le
mépris, on les envie ensuite » (« Des biens de fortune », 14) a. Relevez dans la première phrase les propositions indépendantes
d. Des gérondifs : « c’est l’unique fin en écrivant » (préface) juxtaposées. Combien en comptez-vous ?
• Les compléments circonstanciels expriment une idée de temps b. Relevez une proposition indépendante coordonnée.
(c-d), de lieu, de cause, de conséquence, de moyen, de manière c. Dans la seconde phrase, soulignez en rouge les subordonnées
(b), de but (a), d’opposition et de concession, de condition, de et en vert les principales dont elles dépendent. Soulignez en noir
comparaison. les indépendantes.
d. Quel est le signe de ponctuation forte qui juxtapose les proposi-
tions indépendantes et principales ?
Exercice 1 e. Dites en quoi l’emploi insistant de la juxtaposition est au service
du sens.
1. L’on porte Crésus au cimetière : de toutes ses immenses
richesses, que le vol et la concussion lui avaient acquises, et qu’il Les subordonnées circonstancielles
a épuisées par le luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas de-
meuré de quoi se faire enterrer ; il est mort insolvable, sans biens,
et ainsi privé de tous les secours ; l’on n’a vu chez lui ni julep, ni Leçon : les subordonnées circonstancielles
cordiaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l’ait assuré de son Dans la phrase complexe, les propositions subordonnées
salut. (« Des Biens de Fortune »,17) conjonctives peuvent exprimer différentes circonstances. Elles
2. Champagne, au sortir d’un long dîner qui lui enfle l’estomac, sont introduites par des conjonctions de subordination ou des
et dans les douces fumées d’un vin d’Avenay ou de Sillery, signe un locutions conjonctives qui en précisent la nuance.
ordre qu’on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province Temps (lorsque, dès que, après que), cause (parce que,
si l’on n’y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, puisque…), conséquence (si bien que, de telle sorte que), com-
dans la première heure de la digestion, qu’on puisse quelque part paraison (comme, ainsi que), but (afin que, de sorte que), condi-
mourir de faim ? (18) tion (si, pourvu que), concession ou opposition (bien que, alors
que…).
Pour chaque extrait, indiquez la classe grammaticale des complé-
ments circonstanciels soulignés et la circonstance qu’ils expriment.
Exercice 3
Leçon : la coordination, la juxtaposition, la subordination Dans les extraits suivants, soulignez les conjonctions de subordina-
Dans une phrase complexe (c’est-à-dire comportant plusieurs tion et mettez entre crochets les subordonnées circonstancielles ;
propositions), les propositions peuvent être indépendantes, dites quelle est la circonstance exprimée.
principales, subordonnées. Les propositions situées sur un même
plan peuvent être juxtaposées (séparées par une virgule) ou coor-
données par une conjonction de coordination (mais, ou, et…).
Il y a un certain nombre de phrases toutes faites, que l’on a. Identifiez dans la première phrase une subordonnée conjonctive
prend comme dans un magasin et dont l’on se sert pour se féliciter et donnez-en le sens.
les uns les autres sur les événements. Bien qu’elles se disent sou- b. Dans la phrase 3, quel rapport de sens est établi entre les deux
vent sans affection, et qu’elles soient reçues sans reconnaissance, il
propositions juxtaposées séparées par un point-virgule ? Transfor-
n’est pas permis avec cela de les omettre, parce que du moins elles
mez la première proposition en une subordonnée conjonctive qui
sont l’image de ce qu’il y a au monde de meilleur, qui est l’amitié,
et que les hommes, ne pouvant guère compter les uns sur les autres exprimera clairement ce sens.
pour la réalité, semblent être convenus entre eux de se contenter c. Montrez que la phrase 2 et la suite du texte reposent sur le même
des apparences. (« De la cour », 81) procédé d’écriture.
d. Expliquez l’intention de l’écrivain lorsqu’il emploie ce procédé.
a. Dites si la proposition subordonnée introduite par « bien que »
exprime l’opposition ou la concession.
FICHE
ÉLÈVE
Le culte impérial
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Objet d’étude n° 2 : notaret, futurumque ut inter deos referretur, quod aesar, id est reli-
Les dieux dans la cité : le politique et le sacré qua pars e Caesaris nomine, Etrusca lingua deus vocaretur.
Suétone, Vie d’Auguste, 97.
Présentation
Sa mort, dont je parlerai plus bas, et son apothéose furent an-
En s’attribuant le titre de Grand Pontife, Jules César conféra à son pou- noncées aussi par les prodiges les plus évidents. […] La foudre
voir personnel un caractère sacré, savamment entretenu par la propa- tomba sur l’inscription de sa statue, et enleva la première lettre
gande qui faisait de Vénus l’origine de la gens Julia et confirmait donc de son nom. L’oracle répondit qu’il ne vivrait plus que cent jours,
son aura divine. Aussi sa déification sembla-t-elle aller de soi au début nombre marqué par la lettre C, et qu’il serait mis au rang des
du règne d’Octave, qui y puisa une légitimation religieuse, attestée dieux, parce que « ésar », qui était le reste de son nom, signifie
par le surnom même d’Auguste. Il ne lui restait plus qu’à développer « dieu » en langue étrusque.
les éléments d’un culte personnel : son nom fut ainsi invoqué à la Traduction de J.-R.-T. Cabaret-Dupaty, 1893.
suite de ceux de Jupiter, Junon et Minerve (la triade capitoline), un
prêtre (flamine) fut dévoué à son culte, et il bénéficia de son propre
collège religieux. À sa mort, son apothéose s’imposa à son successeur
Traduction et commentaire du texte
Tibère. Toutefois, sur les dix empereurs qui lui ont succédé, seuls trois de Suétone
(Claude, Vespasien et Titus) en bénéficièrent. Mais, à partir de Nerva 1. À l’aide du dictionnaire, proposez une traduction mot à mot du
(fin du Ier siècle), l’apothéose de l’empereur défunt devint la règle. texte 2, à partir de « Ictu ».
2. Cherchez la définition étymologique d’apothéose : quelles expres-
sions latines rendent ce sens dans les deux textes ? En quel sens les
Déification de César et d’Auguste deux traducteurs emploient-ils le mot apothéose ?
3. Quelles sont les caractéristiques communes aux « prodiges » qui
marquent la divinité de César et d’Auguste ? Quelles sont les sources
L’historien romain Suétone (début du IIe siècle de notre ère)
de la déification de l’empereur ?
raconte comment César [1], puis l’empereur Auguste [2] accédèrent
à la divinité.
Hadrien l’empereur-dieu
[1] Periit sexto et quinquagensimo aetatis anno atque in deorum Marguerite Yourcenar, nourrie d’une connaissance intime du
numerum relatus est, non ore modo decernentium, sed et per- monde romain, publia en 1951 les mémoires fictifs de l’empereur
suasione volgi. Siquidem ludis, quos primos consecrato ei heres Hadrien (76-138). Dans ce passage, l’empereur fait le bilan de son
Augustus edebat, stella crinita per septem continuos dies fulsit règne, marqué par la recherche de la paix et l’influence de l’Orient.
exoriens circa undecimam horam, creditumque est animam esse
Caesaris in caelum recepti ; et hac de causa simulacro ejus in
vertice additur stella. Que je le voulusse ou non, les populations orientales de l’em-
Suétone, Vie de César, 88. pire me traitaient en dieu. Même en Occident, même à Rome, où
nous ne sommes officiellement déclarés divins qu’après la mort,
Il périt dans la cinquante-sixième année de son âge, et fut mis l’obscure piété populaire se plaît de plus en plus à, nous déifier
au nombre des dieux, non seulement par le décret qui ordonna vivants. Bientôt, la reconnaissance parthe éleva des temples à l’em-
son apothéose, mais aussi par la foule, persuadée de sa divinité. pereur romain qui avait instauré et maintenu la paix ; j’eus mon
Pendant les premiers jeux que donna pour lui, après son apothéose, sanctuaire à Vologésie1, au sein de ce vaste monde étranger. Loin
son héritier Auguste, une comète, qui se levait vers la onzième de voir dans ces marques d’adoration un danger de folie ou de
heure, brilla durant sept jours de suite, et l’on crut que c’était l’âme prépotence2 pour l’homme qui les accepte, j’y découvrais un frein,
de César reçue dans le ciel. C’est pour cette raison qu’il est repré- l’obligation de se dessiner d’après quelque modèle éternel, d’asso-
senté avec une étoile au-dessus de la tête. cier à la puissance humaine une part de suprême sapience3. Être
dieu oblige en somme à plus de vertus qu’être empereur.
Traduction de Théophile Baudement, 1845.
Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, © Gallimard 1951, « Folio », p.161.
[2] Mors quoque ejus, de qua dehinc dicam, divinitasque post mor-
tem evidentissimis ostentis praecognita est. […] Ictu fulminis ex 1. Ville de l’empire parthe (dans l’actuel Iran), baptisée ainsi en l’honneur de
inscriptione statuae ejus prima nominis littera effluxit ; responsum Vologèse, souverain mythique de la dynastie des Arsacides.
est, centum solos dies posthac victurum, quem numerum C littera 2. Exercice abusif d’un pouvoir absolu.
3. Sagesse.
Une déification moderne : L’Apothéose de Napoléon III du peintre Guillaume Cabasson (1814-1884)
© Bridgeman Images
Guillaume Cabasson, L’Apothéose de Napoléon III (1854), huile sur toile (64 cm x 81 cm), musée national du château de Compiègne.
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« Viens je t’emmène
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