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Antigone, une voix face au pouvoir

Sources antiques de la pièce


Dans la mythologie grecque, Antigone figure dans les légendes attachées à la ville de
Thèbes. Sans le savoir, Oedipe, roi de Thèbes, a contracté une union incestueuse avec sa
mère Jocaste après avoir assassiné son propre père Laïos. Antigone, ses deux frères
Étéocle et Polynice ainsi que sa sœur Ismène sont nés de cette union. Lorsque Oedipe
apprend la vérité, il se crève les yeux et s'exile. Antigone l'accompagne sur les routes, le
guidant et le soutenant jusqu'à sa mort. De retour à Thèbes, elle voit ses deux frères
s'entre-tuer, chacun disputant à l'autre le pouvoir. Créon, le frère de Jocaste devenu roi de
Thèbes, accorde des funérailles à Étéocle, mais interdit à quiconque, sous peine de mort,
de donner une sépulture à Polynice, qui était entré en guerre contre sa propre cité avec le
concours d'étrangers. Antigone, estimant que son devoir familial lui commande d'ensevelir
ses deux frères, enfreint l'interdiction en connaissance de cause. Elle est condamnée à
mort.
Les mythes d'Oedipe et d'Antigone ont inspiré de nombreux auteurs, en particulier
Sophocle, dramaturge grec du Ve siècle avant J-C., dont les tragédies Oedipe Roi et
Antigone sont célèbres.
L'auteur
Jean Anouilh est un dramaturge et écrivain français, né le 23 juin 1910 à
Bordeaux, et mort le 3 octobre 1987 à Lausanne, en Suisse.
En 1929, il rédige sa première pièce, Humulus le muet, qui est un échec.
C'est avec L'Hermine (1932) qu'il rencontre les faveurs de la critique et
du public. Et, en 1937, Le Voyageur sans bagage lui confère le succès.
Il a organisé ses pièces en deux catégories : les « pièces roses » sont
des comédies, marquées par la fantaisie ; les « pièces noires » sont plus
graves. Elles mettent en scène des héros souvent issus de la mythologie,
comme Eurydice (1946) ou encore Médée (1946).
En 1942, il achève Antigone, qui est jouée pour la première fois au Théâtre de
l'Atelier en 1944. Cette pièce est très vite associée à la résistance. En 1946, il écrit Roméo
et Jeannette.

Contexte historique

Antigone est une pièce des années noires, lorsque la France connaît
la défaite face aux armées nazies et elle tombe sous l'Occupation.
Anouilh, présentant sa pièce, lors de sa première édition en 1946, avec la
mention « nouvelle pièce noire », écrit : « L'Antigone de Sophocle, lue et
relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc
soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches
rouges. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que
nous étions alors en train de vivre». Il insiste ainsi sur le contexte dans
lequel sa pièce s'inscrit : l'Occupation, et plus particulièrement l'épisode
de l'Affiche rouge, affiche de propagande placardée par le régime de Vichy et l'occupant
allemand au moment de la condamnation à mort de 23 résistants.

En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est occupée par les Allemands depuis la
débâcle de 1940 et l'Armistice. La République a été abolie et remplacée par l'État français,
sous la direction du maréchal Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions :
une zone libre au Sud, sous l'administration du régime de Vichy, une zone occupée au
Nord, sous la coupe des Allemands.
Refusant l'Armistice et le gouvernement de Vichy, le général Charles de Gaulle lance un
appel aux Français le 18 juin 1940 depuis Londres et il regroupe ainsi autour de lui les
Forces françaises libres (F.F.L.). C'est le début de la Résistance.

Cette dernière s'organise, tout d'abord de façon indépendante et sporadique, puis en se


rapprochant de de Gaulle sous la forme de réseaux, comme Combat . En 1942, le
mouvement a déjà pris une certaine ampleur qui se manifeste par des actes de sabotage
et des attentats contre des Allemands et des collaborateurs ; l'armée d'occupation réplique
par des représailles massives et sanglantes.

L'année 1942, marque un tournant décisif dans cette période. Les rapports de force se
sont modifiés, car les États-Unis viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne.

C'est à un acte de résistance l' « affaire Collette » qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le
personnage d'Antigone. En août 1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe
de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires
français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme
n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste est
isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et
vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique.
Nourri de culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit
moderne évoque la résistance d'un individu face à l'État. Il la traduit, la retravaille et en
donne une version toute personnelle.

André Barsacq met en scène Antigone et la fait jouer à Paris pour la première fois le 4
février 1944. La pièce conquiert les critiques et le public, mais suscite également de vifs
débats et des interprétations contrastées : s'agit-il d'une défense de l'ordre établi, à travers
Créon ? Ou, au contraire, d'une approbation de la révolte, avec Antigone ? Les
représentations s'enchaînent, puis elles sont suspendues par les autorités, avant de
reprendre après le débarquement allié de Normandie.

La nouvelle Antigone est donc issue d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de
2400 ans et d'un événement contemporain.

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