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Chapeau : Après nos précédentes études des combattants de l’Antiquité que furent le
gladiateur romain et l’hoplite grec, poursuivons avec l’un des guerriers qui fut à la fois moine
et chevalier pendant le Moyen Âge classique (XI-XIIIème siècles), à savoir le templier.
Intro : Aux yeux de ses contemporains, ce fut probablement le templier qui incarna le mieux
l’idéal du « croisé ». C’est sûrement la raison pour laquelle, jusqu’à nos jours, son image
magnifiée a perduré alors qu’elle était également chargée de légendes. Les secrets qui
entourent son souvenir – en particulier ceux qui concernent son trésor – sa puissance puis
sa disparition injuste ont contribué à lui conférer une aura mythique. La présentation qui suit
tentera de restituer une image aussi précise que possible de ces « Soldats du Christ » en
veillant à ne pas se laisser séduire par la version populaire par trop hagiographique de cet
ordre chevaleresque devenu symbolique de son époque complexe. Pour ce faire, le présent
article s’appuiera principalement sur les travaux du chercheur et universitaire Alain
Demurger – ancien enseignant à la Sorbonne – et en particulier sur l’un de ses nombreux
ouvrages, Vie et mort de l’ordre du Temple (1989).
Du modèle à sa chute
Comme tout ordre monastique, le Temple fonctionne avec une règle stricte que rédige Saint-
Bernard quelques années après sa création. On y retrouve – comme dans de nombreux
ordres monastiques – le triple vœu d’obéissance, de chasteté et de pauvreté. Il y a débat
pour savoir si le célèbre sceau avec deux templiers sur un même cheval fait référence au
vœu de pauvreté. Mais du fait que les chevaliers possèdent trois chevaux et les dignitaires
quatre montures, cela rend cette explication très discutable selon moi. Le sceau serait plutôt
une référence à ses deux chevaliers fondateurs et aux valeurs de l’union et du dévouement.
Photo 1 Herpin. Le sceau du Temple avec les lances visibles. Acheté à Vézelay, lieu de
départ de la deuxième croisade lancée par Saint-Bernard.
Le même Saint-Bernard a fait l’éloge des templiers : « J’hésite à les appeler moines ou
chevaliers [...] ces deux noms à la fois, eux à qui ne manquent ni la douceur du moine, ni la
bravoure du chevalier ». Un signe du prestige de l’ordre à sa création est la mission – en
plus d’assurer la « police de la route » – de garder les « Lieux saints » liés à la vie de Jésus.
L’exemple de Guillaume le Maréchal, considéré par les chroniqueurs de l’époque et par
Georges Duby – le plus fameux de nos médiévistes – comme étant le « meilleur chevalier du
monde » (contemporain de Richard Cœur de Lion), montre bien que l’ordre est un modèle
pour ses contemporains ! En effet, bien que n’étant pas templier lui-même, Guillaume a le
privilège à sa mort d’être recouvert par un manteau blanc – apporté par le maître
d’Angleterre – et d’être enterré à Londres à Temple Church.
Même si le prestige de cette milice à l’époque est réel ; les critiques par leurs contemporains
sont cependant nombreuses. On leur reproche leur orgueil, leur fierté et leur arrogance. Mais
ces critiques sont valables à tous les ordres militaires au XIIIème siècle (teutonique et
hospitalier) car elles viennent du clergé séculier (des prêtres aux cardinaux) qui sont jaloux
des privilèges et de l’indépendance des ordres. Par exemple, le Temple est sous l’autorité
directe du pape, une faveur qui entraîne beaucoup de jalousie. Mais certaines critiques
touchent les templiers directement, comme en témoignent les expressions suivantes : «
boire comme un templier » et « méfiez-vous d’un baiser d’un templier ».
Cette dernière expression peut faire référence aux calculs politiques et diplomatiques menés
par l’ordre. Par exemple, plusieurs courants critiquent le Temple. Cela va du courant des «
pacifistes » – incarnés par les poètes et troubadours – qui remettent en cause l’idée même
des pertes liées aux croisades (Saint Louis est mort par exemple de la peste en 1270 au
retour d’une croisade) et aussi au courant des missionnaires qui pensent qu’il faut convertir
les « sarrasins ». De plus, il y a une critique récurrente d’une mauvaise entente avec les
autres ordres, qu’il faut cependant pour moi nuancer en fonction du contexte, différent dans
le temps sur deux siècles ; et dans l’espace principalement, sur deux parties de la
Méditerranée (orientale avec les croisades et occidentale avec la « Reconquête » de la
péninsule ibérique). D’où l’idée pour certains, comme le roi de France Philippe IV, de
fusionner l’ordre des templiers et des hospitaliers pour limiter ainsi leur puissance et leur
autonomie, avec le rêve même pour ce dernier d’en devenir le maître unique ! Une critique
spécifique au Temple serait son avarice en comparaison avec l’ordre des hospitaliers, mais
comme son nom l’indique, pour ce dernier, il s’agit d’un ordre charitable avec une mission
bien différente de celle des templiers. Alors que dans le même temps, le Temple lui, garde
les trésors des puissants comme celui de Philippe IV à Paris ; mais cet argent ne lui
appartient pas, et rappelons que l’usure est condamnée par l’Eglise ! Mettons de côté la
légende liée au Trésor de l’ordre du Temple – très vivace en France – du fait du nombre
d’anciennes commanderies (qui servent de base aux templiers) existantes comme à Rennes
le Château, Coulommiers. La toponymie témoigne de la présence de nombreuses
commanderies en France comme à Savigny-sur-Temple et le Lot-sur-Temple.
Cependant, ce ne sont pas les critiques traditionnelles comme l’avarice et l’orgueil (qui font
parties des 7 pêchers capitaux que l’on peut associer à Saint Thomas D’Aquin au XIIIème
siècle) qui entraînent la chute de l’ordre mais les accusations d’hérésie, de pratiques
homosexuelles et même d’idolâtrie ! Ces attaques viennent des hommes de Philippe IV qui
ordonnent – par une opération de police inédite – l’arrestation de tous les templiers dans le
royaume de France un vendredi 13 (de l’an 1307), ce qui participe vivement à la croyance
populaire attachée au vendredi 13 ! Le roi force ainsi la main au pape Clément V, qui doit se
résoudre un mois plus tard, à prendre la même décision (de faire arrêter les templiers) au
sein de toute la Chrétienté. Pour obtenir les aveux, on va faire appel à l’inquisition et même
utiliser la torture ! Jacques de Molay, le dernier maître du Temple arrêté en France, passe
dans un premier temps aux aveux – sous la torture – avant de se rétracter. Sa ligne de
défense est de comparaître uniquement devant le pape. Plusieurs historiens considèrent
qu’il n’est pas l’homme de la situation – notamment à cause d’une intelligence limitée –. Il est
certainement dépassé par le jeu politique entre le roi de France et le pape et il a
probablement compris trop tard son erreur, lorsqu’il n’est pas entendu directement par le
pape mais par une commission d’enquête composée de trois légats pontificaux ! Cette
commission débouche sur un bûcher pour le dernier maître du Temple – ainsi que de ces
principaux dignitaires – en 1314. Son exécution entraîna une autre légende liée à la célèbre
malédiction des templiers, portée par Jacques de Molay et que l’on retrouve dans la culture
populaire récente…
Les templiers dans la « pop culture »
On peut affirmer que les templiers sont les combattants du Moyen Âge qui inspirent le plus la
production culturelle contemporaine. On trouve de nombreux exemples accessibles en
français comme :
- Dans une célèbre suite romanesque, Les rois maudits, écrits à partir de 1955 par Maurice
Druon (membre de l’Académie française et coauteur célèbre du Chant des partisans). Ce
dernier commence le premier de ses sept romans par la malédiction qu’aurait lancé Jacques
de Molay en 1314 sur le bûcher : « Pape Clément ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à
paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement ! Maudits ! Maudits !
Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Même si le pape et
le roi sont bien morts dans l’année qui suit, ces propos rapportés s’appuient en fait sur une
légende inventée à posteriori par un chroniqueur italien décédé au XVIème siècle ! A noter que
ces romans ont fait l’objet de plusieurs adaptations télévisées en 1972 et 2005, et que dans
la dernière, c’est Gérard Depardieu qui interprète le rôle du dernier maître de l’Ordre du
Temple.
– Dans la Bande Dessinée : celle parue en 2009 de Falba et Bono intitulée Confessions d’un
templier qui commence justement par Jacques de Molay qui passe à la torture. Celle aussi
sortie en 2013 intitulée « Templier », d’Istin et Léoni, met en avant l’opposition à Saladin et
surtout les trésors du Temple comme l’or et même l’Arche d’Alliance ! Dans les deux B.D.,
on peut dire que l’histoire est « romancée » et dès la couverture on constate une
représentation identique du templier. En effet, nous avons l’image d’un combattant avec les
cheveux longs mais sans casque, une longue épée qui est sortie et ensanglantée, et
arborant un corps très musclé, à croire que les templiers pratiquent aussi la musculation !
Sur son torse – musclé donc – une croix pâtée rouge bien visible que l’on retrouve aussi en
arrière-plan sur un gonfanon – l’étendard de l’ordre –.
Photo 2 Herpin . Représentation du templier dans les B.D.
- Dans un roman, le Da Vinci Code de l’américain Dan Brown publié en 2003. Ce best-seller
vendu à près de 100 millions d’exemplaires nous décrit deux endroits situés au Royaume-
Uni qui seraient liés au Temple : tout d’abord Temple Church construit à la fin du XIIème siècle
à Londres avec cette description intéressante dans le roman : « Les templiers étaient des
guerriers. Leurs églises leur servaient de forteresses, et de banques ». Puis, l’épilogue du
roman se situe en Ecosse à Rosslyn Chapel, dans une chapelle construite au XVème siècle
par... des templiers ! Rappelons que l’ordre a été dissous plus d’un siècle auparavant ! Mais
le roman met en avant le thème de la filiation avec différentes sociétés secrètes comme le
Prieuré de Sion et la Franc-Maçonnerie... A noter que le roman a été adapté en 2006 en jeu
vidéo, et bien sûr au cinéma avec comme acteurs principaux Tom Hanks, Audrey Tautou et
Jean Reno.
- Au cinéma : difficile de dire si dans le film sorti en 1989 Indiana Jones et la dernière
croisade de Steven Spielberg, les rôles principaux du film – joués par Harrison Ford et Sean
Connery – rencontrent un templier ! En effet, il y a bien un chevalier qui les attend pour
plusieurs épreuves sur le site – magnifique – de Pétra en Jordanie. Cependant, il n’y a pas
(de mémoire) de référence directe aux templiers dans le film. A noter que l’histoire se
déroule aussi à Venise, en référence à la quatrième croisade, détournée en 1204 par Venise
pour piller sa rivale commerciale, Constantinople (cité orthodoxe à l’époque). De nombreux
téléfilms (de qualité nous dirons très discutables…) sont sortis au XXIème siècle dont les titres
ne laissent pas de doutes concernant la référence à l’ordre, avec par exemples Le sang des
templiers, Arn le chevalier du Temple, Prince Killian et le trésor des templiers. Ainsi que deux
films avec Nicolas Cage : Le dernier des templiers et National Treasure, traduit en France
par Benjamin Gates et le trésor des templiers !
Mais c’est certainement le film Kingdom of Heaven, réalisé en 2005 par Ridley Scott, qui
représente, selon moi le plus d’intérêt, notamment parce que la distribution compte au
casting des acteurs réputés (comme Eva Green, Orlando Bloom, Jeremy Irons ou bien Liam
Neeson. Et surtout du fait que le film mette en avant des templiers – présentés comme
avides et violents – et aussi des hospitaliers ainsi que des personnages célèbres du Moyen
Âge comme Richard Cœur de Lion et Saladin, le prestigieux chef des musulmans. Avec ce
dernier personnage illustre, le thème de la diplomatie et des regards croisés entre
combattants de l’époque est mis en avant.
- Dans un jeu vidéo : Assassin’ Creed sorti en 2007 qui met en avant un assassin qui croise
Richard Cœur de Lion – présent dans le jeu – et dont la mission est d’assassiner neuf
hommes dont Robert de Sablé, le maître du Temple. Les assassins désignent les membres
d’une secte chiite – dont le nom provient du Haschisch ! – qui combattent souvent les
sunnites en Méditerranée, ce qui a entraîné à quelques occasions des alliances entre
assassins et templiers... Devant le succès mondial de ce jeu, sont sortis une adaptation
cinématographique en 2016 – avec Marion Cotillard – et une douzaine d’autres jeux,
parcourant différentes époques comme la Grèce antique avec Leonidas (cf. article précédent
sur les combattants de Dragon Magazine.).
En conclusion, alors que nous aurions pu a priori considérer comme improbable toute
comparaison entre un ordre chevaleresque du Moyen Âge européen installé au Proche-
Orient et un art martial d’origine japonaise et « moderne », notre analyse comparative de
l’histoire de l’ordre du Temple a permis de mettre en lumière divers éléments convergents au
niveau martial. Nous pouvons constater qu’il n’est pas totalement incongru de mettre en
perspective la naissance et la diffusion d’un ordre militaire médiéval avec celles de notre art
martial. Nous y retrouvons les rôles d’un fondateur et de ses différents successeurs, son
organisation hiérarchique et son fonctionnement, sa représentation dans les médias et dans
la culture populaire. Et tous comptes faits, ce qui apparait en filigrane, ce sont les valeurs
que la discipline véhicule autant que les critiques qu’elle rencontre qui semblent
étonnamment se faire écho à travers le temps...