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Chapitre 7
Anxiété de séparation
L. Vera
Épidémiologie
L’anxiété de séparation est le trouble anxieux de l’enfance le plus fré-
quent chez l’enfant prépubère, 33 % d’enfants dans la population d’en-
fants anxieux ont comme diagnostic principal l’anxiété de séparation
(Last et al., 1987). Sa prévalence dans la population générale (enfants
et adolescents) est estimée entre 3 et 5 % (Prior et al., 1999). Les jeunes
soufrant de symptômes d’anxiété de séparation mais sans retentissement
ou handicap dans le quotidien sont beaucoup plus nombreux (plus de
50 %) (Kashani et Orvaschel, 1990). Quant au sexe, les différentes
études épidémiologiques montrent que ce trouble touche aussi bien les
filles que les garçons. En général, l’anxiété de séparation semble affecter
plus les enfants que les adolescents. L’âge le plus représenté dans cette
pathologie se situe entre 7 et 9 ans (Last et al., 1992). Certaines études
évoquent une comorbidité de 50 % avec un autre trouble anxieux (en
général anxiété généralisée ou phobie spécifique) et un tiers présenterait
un trouble de l’humeur (Hewitt et al., 1997). Les phobies simples telles
que vis-à-vis des fantômes ou de l’obscurité sont fréquentes. L’obscurité
provoque probablement des fantasmes de vulnérabilité et de danger
auxquels ces enfants sont particulièrement sensibles.
Facteurs prédisposants
Ils ont été recherchés mais nombre d’entre eux, traditionnellement évo-
qués en psychiatrie de l’enfant, se sont avérés, ici, dépourvus d’effets.
Le rôle des événements vitaux est discuté : pour Gittelman-Klein et
Klein (1984), un facteur de stress (décès ou maladie dans l’entourage,
déménagement, changement d’école) est retrouvé dans 80 % des cas,
renvoyant à un vécu ou à une menace de perte, alors que d’autres
auteurs tels Marker Zitrin et Ross (1988) ne font aucune constatation
de ce genre et plaident pour un début spontané des troubles. Il semble
qu’aucune perturbation spécifique de la personnalité ne soit associée au
trouble angoisse de séparation. De même, on ne retrouve pas de carence
affective chez ces enfants, en général bien investis. Les dissociations
familiales ne sont pas plus fréquentes que dans d’autres pathologies (il
s’agit plutôt « d’associations malheureuses »). Néanmoins, les relations
familiales, bien étudiées par Estes et al. (1956), sont marquées par la
dépendance, l’insatisfaction et l’agressivité. Les auteurs insistent sur les
liens précoces et mutuels existants entre mère et enfant, leur besoin
intense de rester proches l’un de l’autre, reflet du type de relations que
la mère a entretenu avec sa propre mère. Ces femmes « n’ont pas leur
compte de gratifications en besoins émotionnels » et les recherchent
auprès de l’enfant. Une hostilité larvée se développe entre les deux par-
tenaires : hostilité de la mère envers l’enfant qu’elle réduit, asservit, lie à
elle ; hostilité de l’enfant envers sa mère, très ambivalent vis-à-vis d’elle,
avec un désir inconscient de destruction dont la force l’oblige constamment
156 TCC chez l’enfant et l’adolescent
Deuxième hypothèse
Une deuxième approche considère que les peurs et les phobies de l’en-
fant finissent par se résoudre avec le temps, par un mécanisme de dé-
sensibilisation « naturelle » par exposition progressive et répétée de la
vie quotidienne aux stimuli anxiogènes.
Selon cette approche, les enfants souffrant d’un trouble anxiété de
séparation présenteraient dans leur histoire un défaut d’expériences de
désensibilisation « naturelle » en matière de séparation, probablement
dû à une surprotection parentale (Thyer et al., 1988).
D’autres enfants pourraient avoir vécu des expériences traumatiques
de séparation (décès, maladie, divorce, déménagement, etc.).
Anxiété de séparation 159
Troisième hypothèse
L’anxiété de séparation peut être entretenue par conditionnement opé-
rant. Le conditionnement opérant est une théorie de l’apprentissage des
comportements humains mise en évidence par Skinner en 1953 (expé-
rience sur les rats). On définit le conditionnement opérant comme l’ap-
prentissage par les conséquences d’une action. Il est considéré que ce sont
les facteurs du milieu qui gouvernent le comportement et qui contrôlent
ses probabilités d’apparition dans le futur. Selon la loi de l’effet de
Thorndike, le comportement qui est suivi de conséquences agréables sera
répété, celui qui est suivi de conséquences désagréables disparaîtra.
Ces expériences sur le conditionnement opérant sont très impor-
tantes en thérapie comportementale et elles ont permis de mettre en
évidence la notion de renforcement positif et de renforcement négatif
(renforcement positif lorsque la présentation des conséquences positives
augmente l’intensité et/ou la fréquence de la réponse, renforcement
négatif lorsque le retrait des conséquences négatives augmente l’inten-
sité et/ou la fréquence de la réponse).
Ainsi, l’anxiété de séparation est entretenue par conditionnement opé-
rant, soit par un mécanisme de renforcement positif, soit par un méca-
nisme de renforcement négatif. Dans cette conception, l’attachement résul-
terait des renforcements positifs (récompenses, gratifications) et négatifs
(mécanisme aversif, punitions) issus de l’environnement. Les phénomènes
de conditionnement sont possibles dès les premiers jours de vie. Cela a été
démontré expérimentalement en 1935, pour le type pavovlien, par Kasat-
kin et Levikova (1935) sur des nouveau-nés entre 14 et 18 jours. Siqueland
et Lipsitt l’ont mis en évidence en 1966 pour le conditionnement opérant.
Les travaux des diverses écoles ont montré l’importance de la qualité précoce
entre la figure d’attachement et l’enfant pour son développement affectif. Il
apparaît que c’est un facteur essentiel pour l’autonomisation et la tolérance
à la séparation. La source de l’anxiété est un « attachement anxieux ». Une
relation initiale gratifiante, fondée sur la disponibilité entre le bébé et sa mère,
donne une base de sécurité qui permet une meilleure assise à la personnalité,
une autonomisation plus rapide et sereine (la conduite intermédiaire type est
représentée par les conduites d’exploration du jeune autour de la base de sé-
curité que représente sa mère). Mais une relation primaire trop enveloppante
va s’opposer à un développement sain, car allant en sens inverse de l’auto-
nomisation. Ainsi ce type de nursing faussement parfait satisfera les besoins
avant même l’expression de toute demande (avant « l’émergence du désir »).
L’absence d’émergence du désir s’oppose donc à l’éveil de la personne et
augmente la dépendance (le sujet, incapable de reconnaître les moyens de
satisfaction, ne pourra lui-même chercher à se les approprier). D’après les
théories de l’apprentissage, un excès de renforcements par une mère trop
gratifiante va pousser l’enfant vers la dépendance et ses bénéfices, sans l’en-
courager à chercher une autonomie problématique.
160 TCC chez l’enfant et l’adolescent
Séance 1
Cas clinique
G. et ses parents se présentent en consultation dans un service de pédo
psychiatrie selon le conseil du pédiatre de G.
G., âgé de 5 ans, présente une anxiété de séparation envahissante, ne peut
pas supporter les moments de séparation. Son anxiété a débuté au mo
ment de la naissance de sa sœur (il avait 2 ans) : réveils la nuit en hurlant,
refus d’aller se coucher si ses parents ne sont pas couchés, hurlements au
moment de la séparation lorsqu’il va chez la nourrice, au centre de loi
sirs, à l’école maternelle. Il veut s’enfuir, s’accroche aux parents, ses crises
d’angoisse durent en moyenne 20 minutes. Ce comportement s’est aggra
vé avec les années, actuellement hurle si son père ou sa mère sortent de la
maison pour aller acheter quelque chose (du pain, par exemple) à côté de
la maison. Son comportement à l’école maternelle est tout à fait normal
après la crise : il a des amis, dessine, ne montre pas d’instabilité, il obéit
normalement. Il n’a pas de rituel ni d’autre type de symptôme anxieux.
Séance 2
Nous avons proposé tout d’abord à la famille des entretiens avec G.
afin de mieux observer les manifestations d’anxiété au moment de la
séparation. Le deuxième entretien a été filmé, le père est resté au début
de l’entretien, puis il est parti de façon ostensible sans qu’il ait eu de
réaction particulière de G. à la séparation. Nous avons discuté avec
lui sur son école, ses amis, sa mère qu’il imaginait heureuse dans son
travail « elle s’occupe actuellement de choisir les cadeaux de Noël pour nous
dans son entreprise ». Cette séance a duré au moins 90 minutes. Le temps
d’exposition sans son père dans le bureau a été de 40 minutes environ.
Séance 3
Un troisième entretien a été programmé avec G. et sa mère. Nous avons
montré le film du premier entretien lorsque l’enfant parlait avec nous de
façon détendue, son père étant dans la salle d’attente. La mère en regar-
dant le film nous a confié à ce moment-là qu’elle n’avait jamais cru que
son fils était détendu quand il était avec d’autres gens, elle se sentait très
culpabilisée de travailler et de le « rendre malheureux ». Ce sentiment
de mal faire avec lui était renforcé du fait que sa fille n’avait aucune
manifestation d’anxiété au moment de la séparation. Après avoir observé
164 TCC chez l’enfant et l’adolescent
son fils dans le film, elle nous a demandé des conseils pour atténuer
l’anxiété de G. Le problème a été donc défini différemment : G. réagit
avec excès d’angoisse aux séparations sans raison valable.
L’analyse comportementale ou fonctionnelle est schématisée dans le
tableau 7.2.
Séance 4
Les principes d’exposition graduelle et d’extinction lui ont été exposés
et un quatrième entretien a été proposé aux parents pour mettre en
place un programme d’immersion et par conséquent d’extinction. Ceci
a consisté à exposer l’enfant à des séparations successives et répétées :
par exemple, l’un des parents va acheter une baguette, l’enfant hurle
même s’il est avec l’autre parent, le père va, malgré la crise, acheter la
baguette, mais il revient 5 minutes après : « la boulangerie était fer-
mée ». Deux minutes après son retour, il décide à nouveau d’aller voir si
le boulanger a ouvert, crise d’anxiété à nouveau, il sort et revient 8 fois.
Son fils ne pleure plus au bout de la 7e fois. Cette expérience est répétée
quotidiennement dans des situations diverses, les instructions sont de
provoquer la séparation jusqu’au moment où l’enfant ne pleure plus.
Séance 5 (téléphonique)
Progressivement, l’enfant commence à accepter les moments de sépa-
ration, descend jouer au jardin (il revient vérifier si ses parents sont
Anxiété de séparation 165
Séances 1 et 2
Cas clinique
M., âgée de 12 ans 3 mois est adressée en pédopsychiatrie par le service
d‘urgence de l’hôpital. Elle présente depuis un an des manifestations
dépressives, avec crises de larmes, sanglots, qui se sont aggravés au cours
de l’été dernier alors qu’elle était en vacances chez ses grands-parents en
Belgique. Les symptômes dépressifs se sont associés à un tableau d’anxiété
de séparation qui a nécessité son retour à Paris. C’est une enfant qui est
décrite par sa mère comme très expansive et enjouée, assez comédienne,
raisonnant beaucoup, mais en même temps « très bébé » et très accrochée
à elle. Devant la symptomatologie qui a nécessité son retour à Paris, la
famille consulte en urgence à l’hôpital et une indication d’hospitalisation
a été formulée devant les manifestations grandissantes d’anxiété que
présentait M. L’hospitalisation n’a pas pu être mise en place parce
qu’elle soulevait trop d’anxiété de la part de M. et de ses parents. Un
suivi en ambulatoire est proposé à M. Elle accepte volontiers, soulagée par
l’annulation de proposition d’hospitalisation.
Son père est peu présent à la maison, étant souvent de longues périodes à
l’étranger, à cause de son travail dans le cinéma. La mère a également une
activité professionnelle assez prenante. M. a un frère âgé de 16 ans.
Séances 3 à 5
Nous avons reçu le compte-rendu de l’examen psychologique. Dans
le cadre de cet examen, M. présente un excellent contact et une très
bonne incitation verbale. Elle est apparemment souriante, à l’aise, dé-
niant toutes difficultés actuellement, comme si elle focalisait toute son
anxiété sur la « menace » d’hospitalisation qu’elle avait gardée en tête.
Elle demandait quotidiennement à ses parents si elle serait hospitalisée
tout en insistant sur le fait qu’elle allait bien n’avait donc aucun besoin
d’hospitalisation.
Lors de la passation des épreuves, elle se montre tout à fait coopé-
rante. Quelques manifestations anxieuses peuvent être toutefois rele-
vées sans qu’elles entravent sa participation : elle se mordille les doigts,
demande parfois des précisions quand elle se trouve en difficultés, et
utilise alors des propos de dévalorisation (« je ne suis pas bonne »).
L’évaluation du fonctionnement cognitif a été menée à l’aide de
l’échelle de Wechsler pour enfants (WISC, forme révisée) ; elle témoi-
gne des bonnes aptitudes de M., qui la situent dans la bonne moyenne
des enfants de son groupe d’âge. Il faut toutefois remarquer la présence
d’une dissociation interscalaire significative qui intervient au détriment
de l’échelle non verbale (d = 17 points).
Dans le domaine verbal, globalement, ses réalisations sont de bonne
qualité (zone d’efficience normale forte où se situent 25 % des enfants
de son groupe d’âge). La psychologue constate qu’à côté d’excellentes
capacités de raisonnement, aussi bien dans le domaine de l’abstraction
verbale (similitudes 14+) que dans celui de la compréhension et de l’adap-
tation à des situations concrètes de la vie sociale (compréhension = 15+),
son rendement est plus moyen dans les épreuves à connotation plus sco-
laire (information = 11 ; vocabulaire = 11 ; arithmétique = 10).
Elle n’est pas toujours très précise dans ses explications et très at-
tentive aux questions posées, notamment en calcul mental, alors qu’on
peut noter d’excellentes capacités de rétention immédiate (mémoire de
chiffres = 16).
Anxiété de séparation 167
Dans le domaine non verbal, il semble que ce soit moins des difficul-
tés spécifiques d’organisation temporospatiale qu’un manque d’initia-
tive et d’assurance qui expliquent un rendement plus moyen. Elle est
parfois hésitante, peut s’affoler et perdre ses moyens dans des épreuves
qui nécessitent des capacités d’analyse et de synthèse (arrangements = 7 ;
cubes = 11) sans qu’elle ait une réelle lenteur.
L’étude de la personnalité a été menée par le biais d’épreuves pro-
jectives, principalement à l’aide du test Patte Noire et des phrases à
compléter. Différents éléments peuvent être retenus pour éclairer la per-
sonnalité de M. En premier lieu, on note l’expression d’une très vive
anxiété d’allure phobique, qui s’exprime le plus souvent sur un mode
très labile et impulsif. Elle traduit la crainte que peut représenter le
monde extérieur et la difficulté à maîtriser des conflits de développe-
ment. Elle peut se manifester par le biais d’une expression somatique,
mais également sur un mode beaucoup plus dysphorique, quels que
soient les mécanismes de lutte qui sont mis en place. Parallèlement, on
peut retenir l’expression d’une problématique d’individuation comme
si M. cherchait dans l’enfance des moyens de réassurance. Les compor-
tements plus régressifs qu’elle manifeste peuvent prendre l’allure d’un
appel vis-à-vis de l’entourage, et d’un besoin d’attirer l’attention et le
soutien, même si dans un second temps, ils donnent lieu à des senti-
ments de culpabilité.
Il semble que l’anxiété de séparation que M. éprouve pourrait
masquer une agressivité sous-jacente vis-à-vis de l’image maternelle à
l’égard de laquelle elle ne peut s’autoriser à s’opposer, réprimant ainsi
une grande part de son dynamisme, dans un contexte où elle se sent
souvent contrainte. Les images parentales ne semblent pas en effet ré-
pondre de manière très structurante et sécurisante aux demandes de
soutien qu’elle leur adresse. En conclusion, l’examen psychologique
traduit une expression anxieuse très importante que les mécanismes
contraphobiques ne parviennent pas à endiguer, laissant apparaître un
vécu dépressif dans le contexte de difficultés d’individuation et d’affir-
mation de soi vis-à-vis de l’image maternelle.
Nous continuons l’évaluation du tableau anxieux avec M. et sa mère,
puis avec M. toute seule.
M. nous fait part de ses craintes d’être abandonnée par ses parents
car elle se sent « méchante », elle a peur également que son père ait un
accident dans ses nombreux déplacements. Elle a du mal à se faire plai-
sir dans son quotidien car a peur d’être loin de chez elle « si j’accepte
d’aller chez une copine, j’ai peur d’avoir besoin de voir ma mère tout de
suite. Si je suis chez une copine, comment je vais expliquer à mon amie
ce besoin, cette angoisse qu’il arrive un malheur à ma mère ? Comment
faire pour téléphoner et écouter la voix de ma mère sans donner des
explications ? Je préfère rester à la maison. »
168 TCC chez l’enfant et l’adolescent
Séances 6 à 8
Le cadre de la thérapie était en séance individuelle d’une durée de 45
minutes sur un rythme hebdomadaire. Le choix thérapeutique est en
général une thérapie d’exposition graduelle avec une insistance par-
ticulière sur la notion d’urgence de retour à la maison ou ce que l’on
appelle « retour chez soi ». En effet, si le retour était envisagé par M.
comme basé sur un sentiment de malaise dans un endroit inconnu, si
elle se basait sur un choix d’endroit, les sensations d’angoisse ne se-
raient pas redoutées. C’est la notion d’urgence qui maintient l’angoisse.
Pourquoi le retour doit être immédiat ?
M. restait perplexe face à notre questionnement sur la notion d’ur-
gence. Ses réponses étaient insatisfaisantes pour elle mais elle n’arrivait
pas à justifier l’urgence du retour : « J’aurais honte de pleurer devant
mes amies qui m’ont invitée à passer la nuit » ; « Si je pars à l’étranger,
les gens qui me reçoivent ne comprendront pas ce que je ressens et ils
vont se vexer » ; « On va me trouver bizarre ». Nous avons répondu à
M. que toutes ses raisons étaient valables, mais pourquoi se comporter
bizarrement ? Pourquoi pleurer alors que le danger de la situation était
minime ? Elle a commencé à élaborer autour de la notion d’urgence :
« En effet je sais que le lendemain quand je vais chez une copine je vais
rentrer chez moi, donc je peux attendre. Mais le problème est que je
ne dormirai pas et je serai fatiguée le lendemain ». Nos questions ont
concerné les inconvénients de la sensation de fatigue. M. n’avait pas
tellement d’arguments pour défendre l’idée qu’il fallait être toujours
en forme. Cette discussion sous la forme de questionnement obéit aux
règles d’application de techniques cognitives : modification progressive
des idées erronées ou dysfonctionnelles.
Séances 9 et 10
En parallèle aux discussions sur le retour immédiat à la maison, nous
avons travaillé sur un programme d’autonomie. Les conséquences d’un
tel programme ont été analysées et M. commence, au bout de plusieurs
mois de thérapie, à accepter l’idée qu’elle peut contrôler son anxiété. Sa
réaction d’anxiété dans des situations de séparation a été interprétée en
séance comme une réaction de « fausse alerte » : l’arrivée imminente
d’une crise d’angoisse ou d’une forte sensation de mal-être. Les conduites
d’évitement ont été définies comme des renforcements de l’apaise-
ment, de la diminution de l’angoisse. Les conséquences négatives des
comportements d’évitement ont été discutées avec M., notamment
l’isolement et le sentiment de ne pas être comme tout le monde.
Tableau 7.3. Analyse comportementale ou fonctionnelle : tableau récapitulatif
Antécédents Conséquents Stratégie thérapeutique envisagée
Anxiété de séparation dévelop- Nombreux symptômes anxieux Exposition graduelle à des situations de sépara-
pementale un peu « exacerbée » somatiques (peur de maladies qui tion
depuis l’enfance mais pas de nécessiteraient une hospitalisation) Traitement cognitif (examen de l’évidence d’idées
tableau de trouble anxieux jusqu’à Idées d’être abandonnée par ses dysfonctionelles d’abandon, de perte, etc.)
la période avant consultation parents Renforcement de l’autonomie et du plaisir associé
Affects dépressifs depuis l’âge de Idées dysfonctionnelles sur des dans son quotidien
11 ans éventuels accidents des parents
Symptômes Anxiété de séparation
Symptômes dépressifs
⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑ ⇑
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 Âge
(ans)
Anxiété de séparation
169
170 TCC chez l’enfant et l’adolescent
L’un des aspects traités dans ce programme a été, par exemple, d’in-
viter une ou plusieurs amies chez elle et de ne pas céder à la panique
d’être invitée à son tour.
D’autres thèmes ont été abordés en séance, par exemple le fait que
certains enfants partaient à l’étranger dans des séjours linguistiques :
l’évocation de ce sujet déclenchait chez M. des appels téléphoniques
compulsifs à sa mère, pendant plusieurs jours de suite pour être sûre
qu’elle ne serait pas envoyée à l’étranger contre son gré.
Progressivement, M. a commencé à mieux maitriser son anxiété d’an-
ticipation, à reconnaître ses désirs de partir ou non chez des amis. Elle
avait un comportement très peu anxieux, mais il persistait encore le doute :
« Et si je pars et je commence à pleurer et à vouloir rentrer tout de
suite à la maison ? » Il faut préciser qu’elle était déjà partie plusieurs fois
passer des week-ends sans qu’il y ait eu d’anxiété pendant son séjour.
Séance 11
L’élément le plus significatif de l’évolution positive de M. est à notre
avis son acceptation du fait qu’il était tout à fait légitime de vouloir
rentrer chez soi mais ce qui était pathologique était les conditions du
retour : il fallait qu’il soit immédiat. Le contrat thérapeutique passé
entre M. et ses parents a été élaboré autour de l’acceptation des parents
d’aller la chercher mais pas à 3 heures du matin ni encore moins dans
le premier train ou le premier avion. Elle pouvait attendre. Le deuxième
élément positif a été la gestion de la crise d’angoisse : elle a appris la re-
laxation, elle savait qu’au bout d’un certain temps certains symptômes
s’estompent et surtout elle critiquait le déterminisme s’éloigner = crise
d’angoisse. L’exposition en imagination et in vivo a été la technique qui
est restée en toile de fond tout au long de la thérapie.
Plan du traitement
Séances 1 à 3
• Diagnostic clinique, évaluation, troubles comorbides.
• Analyse fonctionnelle :
– entretien avec les parents et l’enfant ;
– entretien avec l’enfant ;
– passation de questionnaires d’évaluation ;
– entretien avec les parents seuls ;
– demande aux parents de noter les conduites problèmes quotidien-
nement (fréquence, durée, etc.).
• Hypothèses thérapeutiques : explication aux parents des modalités
du traitement envisagé. Choix en accord avec eux d’une méthode thé-
rapeutique.
Anxiété de séparation 171
Séance 4 à 5 : traitement
Sur le plan cognitif :
• Expliquer à l’enfant ce qui est vu par son entourage comme problé-
matique.
• Aider l’enfant à identifier ce qui est problématique pour lui.
Sur le plan comportemental :
• Exposition graduelle à des séparations courtes (les parents vont
prendre un café pendant la consultation).
• Exposition graduelle à des conduites exploratoires (le thérapeute et
l’enfant vont acheter une bande dessinée pendant que les parents atten-
dent dans la salle d’attente).
Sur le plan familial (parents) :
• Renforcer l’alliance thérapeutique en insistant sur les bénéfices psy-
chologiques à long terme pour leur enfant.
• Répondre aux questions (problèmes avec la fratrie, avec les grands-
parents, etc.).
Tâches à domicile :
• Expositions graduelles aux situations mentionnées dans le contrat
thérapeutique.
Séances 6 à 8
Idem.
Séances 9 à 11
Planifier des séances de suivi espacées aussi bien pour l’enfant que pour
les parents.
Références
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172 TCC chez l’enfant et l’adolescent