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Tracés.

Revue de
Sciences humaines
38 | 2020
Angoisse
Articles

Faire du stress son métier :


l’anxiété de performance chez
les interprètes de musique
classique
Making stress your profession: performance anxiety among classical music performers

CASSANDRE VILLE
p. 63-82
https://doi.org/10.4000/traces.11272

Résumés
Français English
Au cours de leur formation, les étudiant-e-s en interprétation de musique classique
acquièrent une maîtrise instrumentale poussée et de solides connaissances théoriques. Ils
et elles sont également amené-e-s à s’entraîner à se produire sur scène au travers de
multiples concerts, récitals et auditions. Nombreux sont celles et ceux qui éprouvent de
l’angoisse lors de ces événements. Les termes trac et stress sont très répandus pour parler
de ces difficultés et la prolifération d’articles et d’ateliers témoigne d’un intérêt croissant
pour ce sujet dans le milieu de la musique classique. Dans cet article, nous proposons de
réfléchir à la place du stress lié à la performance musicale et à sa gestion par les interprètes.
À partir de l’ethnographie d’une faculté de musique classique québécoise, nous analysons
les discours et les pratiques qui participent à la définition mouvante du concept même de
stress. La manière par laquelle les interprètes expliquent et s’approprient les discours
scientifiques sur ce concept révèle une conceptualisation du stress comme étant une
composante à part entière de la profession et de fait, inévitable. Défini comme ayant des
effets néfastes seulement en l’absence de contrôle sur soi, le stress correspond finalement à
une manière de décrire le travail émotionnel que les interprètes doivent effectuer. Cette
recherche révèle en outre la construction d’un état physique et mental idéal pour monter
sur scène, véhiculant dès lors une injonction à l’excellence ainsi qu’un discours sur l’art et
sur la profession. Cet article contribue à mieux comprendre les effets tant normatifs que
prescriptifs que peuvent porter en leur sein les angoisses et les peurs sociales lorsque celles-
ci sont mises en mots et font l’objet d’une forme d’institutionnalisation.

In the course of their training, students of classical music performance acquire thorough
mastery of their instruments and solid theoretical knowledge. They are also trained to
perform on stage by giving multiple concerts, recitals and auditions. Many of them
experience anxiety at these events. The terms “stage fright” and “stress” are widely used to
refer to these difficulties, and the proliferation of articles and workshops shows a growing
interest in this subject in the classical music community. In this article, we propose to
reflect on the place of stress in relation to musical performance and its management by
performers. Based on the ethnography of a classical music faculty in Quebec, we analyse the
discourses and practices that contribute to the changing definition of the very notion of
stress. The way in which performers explain and appropriate the scientific discourse on this
notion reveals a conceptualization of stress as an integral and, indeed, inevitable
component of the profession. Defined as having harmful effects only in the absence of self-
control, stress is ultimately a way of describing the emotional work that interpreters have to
undertake. This research also reveals the construction of an ideal state – both physical and
mental – for going on stage, thus conveying an injunction to excellence as well as a
discourse on the profession and, more generally, on art. This article contributes to a better
understanding of normative as well as prescriptive effects that social anxieties and fears can
have when they are put into words and subjected to a form of institutionalisation.

Entrées d’index
Mots clés : stress, musique classique, trac, performance
Keywords: stress, classical music, stage fright, performance

Texte intégral
C’est une angoisse… Je ne sais pas… C’est extrêmement difficile à expliquer. C’est
tout du même ordre, c’est tout le temps parce qu’on ne veut pas se tromper, parce
qu’on veut que les choses aillent bien, parce qu’on n’est pas sûr si ça va bien.
Un chef d’orchestre

1 Un chef d’orchestre québecois quinquagénaire évoque son état avant de monter


sur scène. Il le définit comme une angoisse directement liée à l’incertitude et à son
désir de réussir la prestation qu’il va entreprendre. Il s’agit d’un sentiment que
l’enquêté dépeint comme intrinsèquement difficile à décrire à autrui. L’enquêtrice
peut toutefois en percevoir les stigmates : tremblements, suées et l’expression d’une
certaine confusion en coulisses, avant le concert. Mais cette définition multiforme de
l’angoisse n’est pas le propre de notre enquêté : elle fait en effet écho à celle,
institutionnelle, donnée au terme anxiété (anxiety), dans la plus récente version du
DSM, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, qui en livre une
lecture par l’anticipation :

L’anticipation craintive du danger ou du malheur futur accompagnée d’un


sentiment d’inquiétude, de détresse et/ou de symptômes somatiques de
tension. Le danger prévu peut être interne ou externe. (American Psychiatric
Association, 2013, p. 181, notre traduction)

2 Ce qui caractérise dès lors l’anxiété, si l’on s’en tient à cette définition officielle,
c’est l’inquiétude face au risque et les effets de cette inquiétude. L’historien et
anthropologue français spécialiste de la médecine Peter (2012) nous rappelle que
l’angoisse, qui désignait originellement une sensation de constriction physique et
était un symptôme parmi d’autres, est peu à peu devenue, avec l’avènement de la
psychiatrie, une pathologie en soi avec ses propres causes et ses propres traitements,
et dont les usages sont en hausse. L’auteur mentionne la psychiatrisation de la
« peine de vivre » et du « trouble de penser » (Peter, 2012, p. 38) et réfère également
à la multiplication des diagnostics de troubles anxieux, rappelant les racines
communes et l’interchangeabilité des termes angoisse et anxiété. Il décrit également
la dimension métaphysique de l’angoisse :

L’angoisse est en nous un abîme toujours ouvert ; elle est liée à notre
condition. Elle est née avec l’espèce humaine, avec la conscience, qui nous
caractérise, qui est notre terrible et magnifique privilège. (Peter, 2012, p. 38)

3 Toutefois, l’angoisse de monter sur scène n’est pas toujours exprimée sous ce
vocable. Les musicien-ne-s et la presse peuvent aussi faire allusion au trac ou au
stress tandis que les psychologues parlent d’anxiété de performance ou, encore plus
précisément, de music performance anxiety (Kenny, 2006). De quelle façon tous ces
termes s’imbriquent-ils dans le contexte de la performance en musique classique ?
Le stress des musicien-ne-s est-il une angoisse à la forme bien particulière, dotée de
caractéristiques propres à l’activité de l’interprétation musicale et aux formes
d’élitisme liées à ce type de professions artistiques (Odoni, 2015) ? Selon l’historien
Peter (2012), il y a effectivement lieu de s’interroger sur les significations
contemporaines et les usages croissants des termes angoisse et anxiété et de leur
relation avec l’accomplissement de soi et la réussite : « Leur succès […] est récent, et
l’on assiste d’ailleurs à une inflation notable de leur usage, de leur imputation à tout
un chacun dès que la personne concernée (“le sujet”) quitte l’espace de la satisfaction
de soi et de la performance » (Peter, 2012 p. 38). Ainsi, les termes angoisse et
anxiété ne désigneraient pas seulement une souffrance liée à la condition humaine
universelle mais seraient de plus en plus mobilisés pour exprimer la souffrance liée
aux échecs individuels et, plus généralement, à l’incapacité de satisfaire ses attentes
personnelles ou encore d’atteindre ses objectifs.

Méthodologie

Cet article présente une analyse anthropologique basée sur une enquête
ethnographique réalisée dans la faculté de musique d’une université montréalaise.
L’entrée sur le terrain a été rendue possible par le biais de l’administration :
l’enquêtrice a rencontré en amont des membres de la direction (doyenne et vice-
doyenne) qui ont accepté que la recherche soit effectuée dans l’enceinte de leur
établissement, soulignant leur intérêt pour le sujet. Durant quatre mois, une session
universitaire complète, nous avons pu réaliser des observations participantes et des
entretiens.
Notre présence quotidienne à la faculté nous a permis d’observer six auditions, une
dizaine de concerts et de récitals, une douzaine de répétitions d’orchestre, mais aussi
les moments de pause, plus informels. Nous avons également suivi des cours au sein
de la faculté, à titre d’étudiante en anthropologie « invitée ». Durant les premières
séances, les étudiant-e-s ont été mis-e-s au courant de la recherche et de son objet
d’étude (le stress) et ont accepté d’y participer. Trois cours ont été observés de
manière régulière : le premier portait sur la préparation à la performance et sur la
gestion de soi sur scène (classique) ; le second sur le jeu scénique en chant
(classique) ; et le troisième sur la gestion d’une carrière d’interprète (jazz et
classique).
Vingt-deux entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’une heure et demie ont
été réalisés avec seize étudiant-e-sa et quatre membres de la faculté, à savoir un chef
d’orchestre (trois entretiens), un professeur, une personne de l’administration et un
technicien. Autant d’hommes que de femmes ont été interrogé-e-s. Parmi les
étudiant-e-s, neufs sont d’origine québécoise, cinq sont français-es et ont auparavant
étudié dans des conservatoires en France et deux viennent d’Amérique du Sud. Le
recrutement des enquêté-e-s pour les entretiens s’est d’abord effectué par le biais
des observations participantes et selon l’intérêt des personnes pour le sujet. Les
personnes recrutées par ce biais sont neuf étudiant-e-s et un technicien (employé à
la faculté). Dans un second temps, le recrutement s’est fait de manière plus formelle.
Les douze autres entretiens ont été menés avec trois professeur-e-s, contacté-e-s
individuellement ainsi qu’avec sept étudiant-e-s ayant répondu à l’annoncebque
nous avons fait circuler par le biais des courriels envoyés par la faculté. La grille
d’entretien était constituée de dix questions ouvertes qui portaient sur le parcours
musical, la préparation aux performances, les sensations et émotions vécues avant et
pendant une prestation, les habitudes et techniques pour gérer le stress ou encore
l’état idéal pour jouer.
La grande majorité des enquêté-e-s a commencé à jouer de la musique à un très
jeune âge, un fait incontournable et évident dans le milieu de la musique classique
(Lehmann, 2002), notamment en ce qui concerne les instruments à cordes réputés
pour être les plus difficiles à maîtriser, au contraire des cuivres ou des percussions,
comme c’est le cas pour deux de nos enquêtés. Le milieu de la musique classique est
un milieu élitiste très propice à la reproduction sociale et les parents jouent un rôle
fondamental dans le parcours des jeunes musicien-ne-s dont l’enfance est jalonnée
de sacrifices (ibid.). Il en découle toute une rhétorique entourant la notion de
vocation qui se retrouve dans de nombreux milieux artistiques (Sapiro, 2007) mais
est extrêmement marquée en musique classique. C’est effectivement le cas pour la
plupart des enquêté-e-s, notamment les étudiant-e-s français-e-s qui ont été dans
des conservatoires dès leur plus jeune âge. Ils et elles sont par ailleurs unanimes sur
les différences entre les deux cultures musiciennes : le système français est plus
élitiste et le stress y est plus présent, plus tabou et moins pris en charge que dans la
faculté québécoise.

a. Tous les niveaux d’étude ont été considérés : six en licence, huit en master, une en
diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) et un en doctorat.
b. L’annonce stipulait que l’enquêtrice, étudiante en anthropologie, faisait une
recherche pour « comprendre le phénomène du stress en musique, son impact sur la
santé ou la performance ainsi que le recours aux différentes techniques de gestion »
et qu’elle cherchait des participant-e-s volontaires (sans rémunération) ayant déjà
« rencontré des situations de stress » pour mener des entretiens.

4 La première partie de cet article propose un éclaircissement des différents termes


utilisés pour évoquer l’angoisse particulière au fait de monter sur scène. Nous
présenterons par la suite les résultats de l’enquête ethnographique que nous avons
réalisée au sein d’une faculté de musique québécoise en nous penchant sur les
expériences dites de stress vécues, décrites et expliquées par les musicien-ne-s. Le
concept de stress porte en fait en son sein une injonction à l’excellence assurant chez
les musicien-ne-s des formes de distinction sociale et professionnelle. Il
s’accompagne également d’un travail de gestion du stress désigné par les musicien-
ne-s comme un nécessaire travail émotionnel, tel que théorisé par Arlie Hochschild
(1983) dans ses études sur les professionnel-le-s du domaine tertiaire. L’article se
conclut par une réflexion sur les points de contact et de divergence entre l’angoisse
et le stress, illustrant la cohésion croissante du discours sur la gestion des émotions
dans nos sociétés.

Le stress et l’anxiété de
performance : définitions et
approches
5 L’expression anxiété de performance ou, en anglais, performance anxiety, est très
employée dans la littérature en musicologie et en psychologie (Kenny, 2005 ;
Spahn et al., 2010). Elle est également utilisée de manière interchangeable avec celle
de music performance anxiety (Barbeau, 2011). Ce terme, objet de définitions
variables dans les recherches actuelles nord-américaines et européennes en
musicologie, en psychologie mais également en neurobiologie et en pharmacologie
(Barbeau, 2011), est parfois associé à un diagnostic de phobie sociale ou à une
anxiété typique mais adaptée aux particularités de la performance musicale. Kenny
propose une définition qui prend en compte les multiples facettes de cette anxiété :

L’anxiété liée à la performance musicale [music performance anxiety] est


l’expérience de l’appréhension marquée et persistante liée à l’exécution
musicale qui surgit à travers des expériences particulières d’anxiété. Elle se
manifeste par des combinaisons de symptômes affectifs, cognitifs,
somatiques et comportementaux et peut se produire dans un éventail de
contextes de performance, mais elle est généralement plus grave dans des
contextes impliquant un investissement élevé de l’ego et une évaluation
perçue comme une menace. (Kenny, 2009, p. 433, notre traduction)

6 Selon Kenny, il s’agirait donc d’une manifestation d’angoisse, que l’on pourrait
qualifier de générique, dont la cause serait l’implication de l’ego et les différents
risques liés au fait d’être jugé-e. Le contexte de la performance musicale serait
davantage un élément déclencheur qu’une cause en soi, sa définition faisant
référence à un processus plus général de la psychologie (ibid.).
7 Cette expression demeure cependant très peu utilisée dans la faculté étudiée, où
elle s’apparente plutôt à une notion médicale fondée sur un diagnostic. Seul-e-s
quelques professeur-e-s l’emploient, comme cet enseignant, par ailleurs ostéopathe
et très au fait des nombreuses blessures des musicien-ne-s :

Donc, d’une certaine manière, ça [échouer à gérer le stress, NDLR] peut


entretenir l’anxiété de performance, augmenter le risque de blessure, parce
qu’ils sont moins prêts à être là en tant que musiciens 100 % disponibles
[…]. (Enseignant)

8 Parler d’anxiété présente toutefois des avantages : le terme, qui repose sur une
lecture pathologique de l’angoisse, souligne la gravité du sujet, et invite à souligner
auprès des tiers l’aspect déviant du phénomène. Or, c’est aussi l’aspect banal de cet
état qu’il est pertinent de prendre en compte pour comprendre l’expérience des
musicien-ne-s professionnel-le-s en formation. À cet égard, le stress englobe une
plus large palette de sensations dont la présence peut être légère et subtile, telles
qu’un mal de ventre, l’envie d’uriner ou des sueurs inhabituelles, ou, au contraire,
envahissantes, provoquant des nausées et des vomissements ou encore des pertes de
mémoire. Le terme est couramment utilisé par les étudiant-e-s et les professeur-e-s
rencontré-e-s, contrairement à la notion de trac qui semble très utilisée en France
(Ravet, 2008).
9 Ces résultats empiriques nous ont donc incitée à nous saisir des catégories
indigènes, en nous focalisant sur le terme vernaculaire stress lorsque celui-ci
désigne, de proche ou de loin, un état lié à la performance pour les instrumentistes
et les interprètes en chant classique. Outre le fait que le terme est très répandu et
mobilisé par les enquêté-e-s, il inclut aussi davantage de nuances en matière
d’intensité et de gravité. Le stress englobe une vaste palette de symptômes et une
temporalité large, incluant la performance sur scène mais également l’anticipation
de cet événement. Dans cet article, le concept de stress est donc utilisé comme
catégorie émique, qui fait référence à l’ensemble des sensations, pensées et émotions
expérimentées et identifiées par les musicien-ne-s comme liées au fait de jouer sur
scène. En revanche, le stress plus chronique lié à des circonstances personnelles
n’ayant pas de lien avec la performance musicale a été écarté (dans les entretiens
directement et dans l’analyse).
10 La présente recherche s’intéresse à l’aspect socialement et professionnellement
situé du stress, plutôt qu’à son sens commun, souvent défini comme un malaise
global. Dans la presse, on retrouve en effet une abondance d’articles sur le stress
comme phénomène biologique qui laissent entendre qu’il serait commun à toutes les
professions, toutes les classes sociales, toutes les tranches d’âge, et tous les genres1.
Cette vision fait en général écho aux travaux en neurobiologie et en psychologie
évolutionniste qui théorisent deux phases de stress : une phase aiguë des symptômes
de stress, c’est-à-dire une réponse vive de l’organisme qui s’accompagne de
« symptômes d’altération passive de l’équilibre fonctionnel qui traduisent un état de
souffrance générale intense » (Aubert et Pagès, 1989, p. 34) puis une phase
chronique, pendant laquelle le stress s’installe et devient nocif pour la santé de
l’organisme (Lupien, 2010). Popularisé dans les années 1930 par Hans Selye dans le
milieu scientifique, notamment en biologie, puis associé à la fameuse hypothèse
« fight-or-flight »2 théorisée par Walter Cannon, le concept offre alors une
perspective purement physiologique du phénomène. Selye le caractérise de
« tentative de l’organisme de maintenir son équilibre face à un stimulus externe
identifié comme une menace » (Viner, 1999), s’intéressant à l’air malade et aux
douleurs musculaires et intestinales ainsi qu’à la langue pâteuse, des symptômes qui
lui semblent communs à toutes les maladies. Des études en psychologie clinique
soulignent par la suite l’importance de la subjectivité individuelle dans l’expression
du stress (Aubert et Pagès, 1989). L’accent est porté sur les différences
interindividuelles dans la manière de réagir aux stimuli externes et la manière dont
« le sujet appréhende subjectivement comme une menace la situation » (ibid.,
p. 42). La notion se répand à la fin du siècle et se diffuse aux autres disciplines, y
compris les sciences humaines et sociales.
11 Pour les sociologues du travail Buscatto, Loriol et Weller (2008), le stress désigne
un ensemble vaste et varié de manifestations qui traversent de nombreux milieux
professionnels sans toutefois constituer un phénomène précis et homogène. Il
existerait autant de stress que de contextes, autant de stress singuliers, reflets des
difficultés et des souffrances vécues par différents groupes sociaux, corps de métiers
ou individus. En outre, tous les métiers ne voient pas l’usage du terme exploser
(Loriol, 2010). Au-delà des psychologies individuelles, le stress a donc également
une forte composante culturelle et sociale, incluant le milieu professionnel, le genre
ou encore l’ethnicité. Il est donc primordial de mettre à jour les différentes manières
dont le stress est vécu et le concept mobilisé (Loriol, 2014). En ce qui concerne le
milieu de la musique classique, les analyses de Ravet (2008) et des recherches en
psychologie montrent que « les femmes sont deux à trois fois plus susceptibles que
les hommes d’éprouver de l’anxiété, et cette corrélation se maintient lorsqu’il est
question de music performance anxiety (MPA) puisque les études montrent que les
femmes ont une MPA significativement plus élevée » (Kenny 2006, p. 52, notre
traduction). La présente enquête n’a en revanche pas mis au jour de différence
notable entre les hommes et les femmes3.
12 Par ailleurs, considérer les modulations du stress selon le contexte culturel et
social et adopter un point de vue constructiviste n’implique pas de balayer d’un
revers de la main le pouvoir explicatif des descriptions physiologiques et
psychosociales du stress (Loriol, 2010). Ces dernières peuvent avoir au contraire un
intérêt heuristique. Le sociologue du travail Guillaume Lecœur rappelle que « les
études sur le stress obligent le regard du sociologue à apprécier le concret et la
réalité des corps. Penser le terme “stress” ne doit pas faire oublier que ce mot est
aussi lié à une réalité biologique qu’il ne nous apparaît pas pertinent de négliger »
(Lecœur, 2011, p. 59). Les sensations physiques éprouvées par les musicien-ne-s et
les modifications hormonales et neurobiologiques observées par les scientifiques
sont en effet indéniables. Il s’agit donc de prolonger ces raisonnements, de lier les
forces de l’anthropologie et de la sociologie aux avancées faites par la psychologie ou
la neurobiologie afin de tenir compte de dimensions souvent négligées ou reléguées
au rang de « croyances » ou de « désinformation », tout en proposant une critique
des utilisations croissantes de ces termes (Lecœur, 2011). Cela implique de replacer
la manifestation du stress dans un milieu social et professionnel particulier (Loriol,
2010), à savoir le contexte social de son émergence pratique (monter sur scène et
jouer devant d’autres) et celui de sa compréhension (la faculté de musique et les
multiples savoirs qui la traversent). Le fait de jouer de la musique sur scène, pour un
public, constitue un échange de nature sociale (Ravet, 2005) et le stress est
également constitué d’émotions très relationnelles et socialement situées,
provoquées par des interactions qui « tournent mal », du moins du point de vue de
l’individu concerné (Scott, 2007).

L’université : moment crucial de la


formation des élites musiciennes
13 L’enquête ethnographique a couvert une session universitaire complète,
permettant d’observer à la fois le moment crucial des auditions de septembre et celui
des concerts et des récitals qui font notamment office d’examens, en décembre. La
recherche avait pour objet initial l’usage de médicaments, notamment les
bêtabloquants (Kenny, 2005), en vue d’améliorer les performances sur scène (Otero
et Collin, 2015, p. 163). Une telle enquête impliquait de discuter des différentes
techniques de gestion du stress. Le sujet du stress a donc été abordé de façon
explicite dans les grilles d’entretien.
14 Allant du baccalauréat (licence) au doctorat, la faculté de musique propose
plusieurs filières d’apprentissages, à savoir l’interprétation, la composition, l’écriture
ou la musicologie. En ce qui concerne l’interprétation, les étudiant-e-s sont invité-e-s
à choisir entre chant classique, instruments classiques ou jazz. Cette spécialisation
est jugée importante dans la carrière des musicien-ne-s car elle permet notamment
d’acquérir une forte qualification technique, un élément indispensable dans un
milieu où la compétition est grande (Odoni, 2015). En revanche, l’acquisition du
diplôme ne garantit en rien le succès d’une carrière comme interprète. Le milieu de
la musique classique est en effet considéré comme un « milieu de travail ouvert »
(Odoni, 2015) dont le marché est très complexe et hiérarchique. Mis à part les
concours d’entrée dans certains orchestres, les modalités d’insertion sur ce marché
ne sont pas toujours formelles. La réussite dépend également des réalisations
individuelles, des participations à des concours et à des stages ou encore des réseaux
d’interconnaissance. Le milieu étudiant, lieu d’apprentissage et de formation, est
particulièrement intéressant pour comprendre la place du stress dans la musique
classique, offrant un cadre idéal pour étudier la construction et la transmission de
normes et de valeurs dans ce contexte d’incertitude professionnelle (Good, 1994).
15 L’étude de ce passage crucial d’apprentissage qu’est l’université donne accès à une
compréhension des processus de construction des représentations du stress, de la
performance musicale et, plus largement, de la manière dont elles s’articulent avec la
profession d’interprète. Cela est d’autant plus intéressant qu’on observe, depuis
plusieurs années, un intérêt marqué pour la préparation à la performance,
impliquant la gestion de leurs émotions par les artistes et prenant la forme de
conférences sur le stress et de divers ateliers de relaxation, de méditation ou encore
de yoga. Comme l’ironise une professeure, ancienne flûtiste devenue psychologue :
« Il n’y a pas si longtemps, la seule technique pour se préparer aux performances,
c’était la prière ». Dans la faculté de musique étudiée, cet intérêt se traduit par la
création, en 2012, d’un cours sur la santé des musicien-ne-s. Quelques années plus
tard, un deuxième cours est créé, venant séparer la question de la santé corporelle et
l’aspect mental de la performance. Il en résulte deux cours complémentaires,
intitulés Préparation psychologique à la performance et Santé physique des
interprètes, chacun d’une durée de trois heures par semaine pendant un semestre
complet, qui sont traversés par la question du stress sans toutefois s’y limiter. Les
deux cours ont en commun de soulever des questionnements sur la performance qui
ne sont pas de l’ordre de la technique instrumentale, mais bel et bien de la
performance physique, mentale et émotionnelle, redonnant de la place aux corps qui
travaillent. Ils sont d’ailleurs professés par des personnes convaincues que ces
éléments sont tout aussi importants que la technique instrumentale et l’expression
musicale dans la carrière des musicien-ne-s. Des théories issues de la psychologie
positive et des techniques provenant du domaine du développement personnel
(recherche du moment présent, identification d’un animal totem, bienveillance
envers soi-même) constituent le socle de ces enseignements. À cet arsenal éducatif
s’ajoutent des cours de yoga hebdomadaires visant explicitement les musicien-ne-s.
Ceux-ci sont donnés dans les locaux de la faculté mais ne font pas partie du cursus
officiel (et ne sont donc pas crédités).

De la gestion du stress à la recherche


de l’excellence : le travail émotionnel
des interprètes
16 L’enquête ethnographique révèle que le concept de stress est mobilisé par les
enquêté-e-s pour référer à une perte de contrôle de soi rendue manifeste par un
ensemble vaste et divers de symptômes, tant physiques que psychologiques, qui
surviennent pendant ou en vue d’une performance musicale. Deux idées principales
sont développées : premièrement, le stress induit une perte de contrôle qui cause de
nombreuses difficultés ; deuxièmement, reprendre le contrôle sur son stress permet
d’en exploiter le potentiel positif. Seul un enquêté rapporte vouloir éliminer
complètement son stress. Tous les autres envisagent le stress comme une réalité à
gérer, soulignant la nécessité de faire le tri entre les effets négatifs et les potentiels
apports positifs. Ce désir de potentialiser les effets du stress et les discours incitant à
la bonne gestion de soi portent en leur sein une injonction à l’excellence, liant le
contrôle nécessaire du stress à la recherche d’un état corporel et mental optimal. Le
travail émotionnel des interprètes constitue une composante importante de l’activité
des musicien-ne-s mais il occupe une part négligeable dans la formation formelle de
ces élites musiciennes (deux cours abordent le sujet de front, soit 7 % seulement de
la formation totale pour les premiers cycles). Cette préparation émotionnelle vient
donc s’ajouter à la maîtrise instrumentale et musicale, venant suggérer une gestion
de soi plus intime et en dehors du cadre universitaire.
Une perte momentanée du contrôle de soi
17 Comme en témoignent les entretiens réalisés, le stress éprouvé durant une
performance est difficile à circonscrire : les musicien-ne-s qui l’expérimentent et en
parlent le décrivent comme un ensemble de sensations physiques et de pensées,
souvent désagréables et dérangeantes. Leur description du stress renvoie aux
manifestations décrites par Kenny (2009, p. 433) de l’appréhension que représente
l’anxiété liée à la performance musicale. En revanche, l’appréhension n’est pas
nommée comme telle pour décrire le stress. Dans les témoignages, symptômes
physiques et symptômes psychologiques s’entremêlent et s’influencent, l’un pouvant
aggraver l’autre, et vice versa. Par exemple, des mains qui tremblent signifient la
présence de stress, mais elles contribuent aussi à l’amplifier en créant une perte de
confiance chez l’artiste, comme l’explique un pianiste. Ces manifestations de stress
causent parfois l’échec mais cela n’est pas systématique. Une chanteuse lyrique
affirme par exemple être fière d’avoir réussi « malgré son stress », c’est-à-dire
malgré sa gorge serrée et ses tremblements.
18 Lorsque les étudiant-e-s parlent de l’aspect physique du stress, ils et elles réfèrent
à un ensemble de sensations telles que des mains moites ou froides, l’accélération du
rythme cardiaque, l’envie d’uriner, des nausées, des maux de tête ou de ventre, des
rougissements, des tremblements, les jambes lourdes, la bouche sèche, le souffle
court, etc. Cette panoplie de maux apparaît la veille, quelques heures ou quelques
minutes avant de monter sur scène. Autrement dit, le corps se manifeste de manière
inhabituelle, ce qui entraîne une forte sensation de perte de contrôle pour l’artiste.
L’impression de « ne plus [être] dans [s]on corps », comme l’explique une étudiante
pianiste.
19 Ces sensations physiques déconcertantes entraînent pour certain-e-s enquêté-e-s
une perte de confiance déstabilisante qui vient accentuer le stress et empirer les
symptômes physiques, telle une spirale descendante. La grande majorité des
enquêté-e-s exprime ressentir ce cercle vicieux, de façon plus ou moins intense et
ayant des effets plus ou moins marqués sur la qualité de leur performance. Quelques
enquêté-e-s déclarent souffrir peu de manifestations corporelles mais avoir un stress
davantage « psychologique », redoutant notamment des pertes de mémoire. Un
guitariste relate des moments de déconnexion durant lesquels il oublie
complètement ce qu’il doit jouer, notamment lorsqu’il joue sans partition sur scène.
Pour d’autres enquêté-e-s, le stress est associé à un état d’esprit pessimiste qui
entraîne des imperfections : « les pensées noires » provoqueraient les erreurs.
Benoît, étudiant percussionniste, raconte :

Mais il y a toujours une petite voix, quand je commence, qui va me dire


« plante pas, plante pas, plante pas », mais qu’est-ce que je me rends compte
c’est qu’il faut que t’élimines cette voix-là dès que tu commences, qu’elle
refasse pas surface à deux fois. Parce que sinon, dès que tu te poses la
question, dès que t’as des doutes, c’est là que t’es pas sûr puis que tout peut
débarquer4 durant ta performance. (Benoît, étudiant percussionniste)

20 Ces pensées négatives découlent, selon la sociologue états-unienne Susie Scott, de


la peur de communiquer de manière inadéquate et témoignent du désir de livrer une
bonne performance (Scott, 2005). Deux enquêtées françaises, altiste et violoniste,
interprètent leur stress comme étant une forme d’autosabotage : l’appréhension de
l’échec provoque, via les manifestations de stress, des erreurs, des imperfections et
des échecs qui peuvent avoir des conséquences lourdes sur le parcours des
interprètes.
21 Au-delà des échecs, le stress est également perçu comme une entrave à
l’excellence musicale. Pour la grande majorité des enquêté-e-s, il aurait des
répercussions sur l’interprétation et sur la transmission des émotions suggérées par
l’œuvre jouée. Elsa, une étudiante en piano en troisième année de licence, soutient
que le stress l’empêche de s’unir à la musique. Elle a l’impression d’« être extérieure
à la musique et du coup de jouer n’importe comment ». Elle n’a pas peur de faire des
erreurs, mais plutôt de mal interpréter la pièce : « Tu joues toutes les notes, mais
voilà… il n’y a pas de musicalité, il n’y a pas de fondation rythmique donc t’as
tendance à presser, à ralentir n’importe où ». Elsa n’est pas la seule à insister sur la
relation entre le stress et la qualité de l’interprétation, au-delà de l’exécution
technique de l’instrument. La peur d’être jugée par l’auditoire dévie l’attention de
l’interprète sur les craintes associées à la présence du public au détriment de la pièce
qui est jouée. Cela est nuisible selon Morgane, une altiste : « Je pense d’abord à ce
que l’autre va penser, je n’arrive pas à me concentrer. Je suis obsédée par l’autre
donc je ne pense pas du tout à la musique ». Cette situation se retrouve dans les
contextes de concert, notamment lors de solo, et s’inscrit dans un désir de plaire à
l’audience. Dans un contexte de récital, la peur est accentuée par la comparaison
induite par la structure de ces performances. Comme l’exprime Stéphanie :

Je stresse plus pour les concerts de classe que pour mes récitals à moi.
– Tu sais pourquoi ?
– Je pense que peut-être la peur d’être jugée par rapport aux autres qui sont
meilleur-e-s que moi ou quoi que ce soit [...]. C’est plus facile à comparer, là
tu sais que la musicienne qui joue après toi est meilleure. (Stéphanie,
étudiante flûtiste)

22 Cette flûtiste n’est pas la seule à avoir un stress qui varie selon les circonstances.
De façon notable, tout le monde s’accorde pour dire que l’intensité du stress ressenti
varie en fonction du contexte de la performance. En revanche, cela est très personnel
et chaque personne voit ses propres craintes ressortir. De manière générale, trois
variables sont prises en compte pour expliquer l’intensité du stress selon le
contexte : l’enjeu de la performance (concert ou audition), le degré d’exposition
(orchestre ou soliste) et la nature de l’audience (expert ou amateur). Cette variation
du stress fait écho à la définition de l’anxiété de performance donnée par Kenny
(2009, p. 433), selon laquelle le degré d’implication de l’ego est corrélé à l’intensité
de l’anxiété ressentie. À partir de tout ce qui vient d’être présenté, il apparaît
relativement clair que, malgré la tendance à l’homogénéisation du phénomène dans
les discours, le stress fait intervenir un vaste ensemble d’éléments et ne se répète pas
de la même façon d’une personne à l’autre ou dans le temps.
23 Au travers de ces explications, on voit se dessiner la dimension sociale du stress.
Jouer de la musique pour les autres, mais aussi pour soi, est une pratique ancrée
dans un échange de nature sociale (Ravet, 2005). Par conséquent, des sentiments et
des sensations profondément relationnels émergent, compromettant le succès d’une
rencontre entre l’interprète et son public (Scott, 2007). Or, les discours des enquêté-
e-s révèlent un véritable attachement à cette relation et l’existence d’un idéal qu’ils et
elles nourrissent : celui d’un-e artiste pleinement engagé-e avec l’œuvre jouée. Cet
engagement se traduit par une exécution instrumentale parfaite mais également par
une disposition d’esprit idéal qui requiert une véritable optimisation de ses propres
émotions. Le stress semble procurer aux interprètes une grammaire pour traduire
cet idéal en rendant palpable les obstacles et les attentes.

Le bon et le mauvais stress : optimiser ses


émotions
24 Pour la très grande majorité des personnes interrogées, le stress est foncièrement
problématique. Pourtant, elle considère aussi que l’absence de stress, risquant de
rendre la performance trop morne, n’est pas souhaitable. Le stress, dès lors une
condition nécessaire pour la motivation et l’implication des interprètes, apporterait
quelque chose de positif à la performance. L’important serait avant tout de le gérer,
de le contenir, de le contrôler afin de pouvoir trouver la juste dose, c’est-à-dire
éliminer les effets négatifs tout en conservant les effets bénéfiques. Un pianiste
l’explique comme suit :

J’étais moins connecté, on dirait que ça a toujours fait un peu ça, quand je
suis comme nerveux, on dirait que tout déconnecte ; j’ai plus trop le contrôle
et il y a comme quelqu’un qui est comme plus intelligent que moi, qui prend
les contrôles puis ça va toujours très bien, comme dans mes auditions [...],
mais je suis vraiment meilleur quand je suis nerveux que quand je suis dans
mon cubicule [à pratiquer seul]. (Un étudiant pianiste)

25 Dans cette perspective, le stress – décrit comme une excitation positive – détient
un potentiel qu’il s’agit d’apprendre à canaliser mais également à exploiter. Même
les rares enquêté-e-s qui déclarent ne pas trop souffrir du stress affirment vouloir
améliorer leurs performances et leur jeu musical en le contrôlant davantage : « Ça ne
nuit pas, mais ça pourrait être mieux », explique un chanteur. Le stress serait donc
aussi et paradoxalement, un phénomène désirable. On quitte dès lors le registre de
l’angoisse paralysante pour se diriger vers l’optimisation de soi : la potentialisation
du stress va de pair avec une meilleure maîtrise de soi, ce qui permettrait d’atteindre
un état idéal.
26 Plusieurs professeur-e-s et étudiant-e-s mentionnent l’existence de l’état de
« flow », un concept importé du domaine du développement personnel et popularisé
par l’ouvrage The Inner Game of Music de Barry Green et Timothy Gallwey (1986)5.
Il correspond à un état idéal pour jouer qui implique une forte connexion avec la
musique jouée, le sentiment « d’être dans la musique » et de transmettre quelque
chose de vrai et d’authentique aux mélomanes venu-e-s les écouter. Un violoncelliste
le décrit comme suit : « Comme si l’on était obligé de jouer, qu’il n’y avait rien
d’autre à faire. Tout coule. J’avais un sentiment de maîtrise, de plénitude, de grâce ».
Cela correspondrait à un état de communion avec la musique rendu possible par une
adéquation des émotions personnelles avec les émotions de la pièce jouée. Atteindre
cet état nécessite un travail émotionnel qui doit être fait en amont de la prestation.
Le stress, loin d’être nié ou étouffé, est embrassé par l’artiste, procurant une base
théorique et pratique sur laquelle baser ce travail émotionnel. Tou-te-s les enquêté-
e-s affirment effectivement ne surtout pas souhaiter supprimer complètement leur
stress mais vouloir le contrôler pour conserver la concentration qui en découle et
plonger dans l’instant présent. Contrairement à l’angoisse ou l’anxiété qu’on cherche
à guérir ou à faire taire (Peter, 2012), la rhétorique du stress semble plus nuancée,
intimant une parfaite maîtrise de soi.
27 Pour les musicien-ne-s interrogé-e-s, le stress constitue par conséquent une
manière d’exprimer la crainte ou la réalisation d’un échec dans la relation à l’autre,
relation dont la musique constitue le liant. Le concept matérialise les peurs et les
espoirs des interprètes qui sont modulés par les exigences élevées du milieu de la
musique classique. La socialisation à l’excellence de ces élites musiciennes est
extrêmement forte, jouer des œuvres classiques demandant à la fois une parfaite
maîtrise instrumentale et une façon d’être et de se sentir très normée.

Responsabiliser les interprètes : la


socialisation à l’excellence

Reprendre le contrôle de ses instincts et se


domestiquer soi-même
28 Lorsqu’ils et elles parlent de leur stress, plusieurs musicien-ne-s discutent des
effets et proposent aussi des pistes de réflexions permettant d’expliquer leur
expérience à partir de leurs connaissances théoriques sur le sujet. L’enquête révèle
qu’il y a une importation des discours de la neurobiologie et que ceux-ci sont
remaniés de sorte à s’adapter à l’interprétation musicale. Par exemple, Morgane,
altiste, mobilise les concepts utilisés par une psychologue et un médecin qu’elle a
consultés en dehors de l’université pour décrire et justifier ses sensations
handicapantes et ses échecs à répétition. Alain, professeur à la faculté, s’est quant à
lui beaucoup renseigné sur le sujet et a notamment lu le livre de la neurobiologiste
Sonia Lupien (2010). Les explications qui puisent dans la psychologie évolutionniste
le guident pour décrire et donner un sens à l’apparition du stress sur scène. Elles lui
permettent d’identifier les éléments6 qui le provoquent et de préconiser certains
comportements et remèdes, tels que du sport et des exercices de respiration. Ce
discours neurobiologique est également vulgarisé dans les médias ou sur le Net.
Dans la faculté où l’enquête de terrain a été menée, l’importation des discours de la
neurobiologie et son adaptation à l’interprétation musicale se révèlent
principalement de deux manières : d’une part, par la tendance à parler en termes
d’hormones, citant le rôle de l’adrénaline et son action supposée sur le cerveau ;
d’autre part, en expliquant l’origine du phénomène de façon évolutionniste, stipulant
que le stress est un vestige du passé de l’espèce humaine, du temps où les êtres
humains devaient survivre dans un environnement hostile.
29 La première explication neurobiologique a plutôt pour effet de décrire le
fonctionnement du corps en condition de stress et d’expliquer les changements
ressentis (les symptômes). « L’adrénaline, c’est ça la cause », explique un professeur
de guitare à ses élèves. Pour plusieurs personnes, il existerait deux sortes
d’adrénaline : une « bonne » qui donne de la motivation et une « mauvaise » qui
serait responsable des symptômes négatifs. En faisant référence à ces deux
adrénalines, les musicien-ne-s attribuent une origine et une cause à l’ensemble des
symptômes vécus, permettant ainsi de les lier les uns aux autres. Cette dualité fait
également écho à la différence marquée par certain-e-s interprètes entre le « bon »
et le « mauvais » stress.
30 La seconde manière par laquelle le discours neurobiologique se révèle est la
propension à expliquer les causes de l’existence d’une telle réaction. À cet égard, les
propos de Sophie, violoncelliste, sont éloquents :

En fait, parce que le stress, t’sais, moi j’avais déjà eu un séminaire qui nous
expliquait c’est quoi le stress, en fait, c’est notre cerveau qui est en état de
panique qui nous dit, euh ! « sauve-toi, bats-toi » ou t’sais c’est comme notre
instinct un peu animal, inconscient, qui prend le dessus. [...] c’est comme si
y avait encore une partie de notre cerveau qui était un peu primitive puis le
fait d’aller devant les gens, de savoir qu’on va être jugé-e […]. (Sophie,
étudiante violoncelliste)

31 L’étudiante mobilise ses connaissances acquises sur le stress durant un cours


d’éducation pour mettre en lien son expérience personnelle avec celles d’autres
artistes. Tout comme Alain, le professeur précédemment cité, Sophie donne un sens
à ce qu’elle vit en liant le stress à la notion de nature humaine par un discours
évolutionniste. Cette explication est en fait très répandue au sein de la faculté de
musique étudiée, que les personnes aient ou non suivi des cours sur le sujet. Le
stress est conçu comme un vestige de l’évolution qui serait subi et qui émergerait de
notre nature profonde et universelle. Il s’agirait donc d’une condition partagée par
tout-e-s et qui « fait partie du métier », comme le déclare Simon, violoncelliste en
master. Or, pour que cette condition universelle se manifeste, il faut que la scène –
ou plutôt l’acte de monter sur scène – soit un déclencheur potentiel du stress.
32 Selon ce paradigme, le regard des autres sur soi, intrinsèque au fait de monter sur
scène, est interprété comme un danger, tout comme l’était le mammouth pour nos
ancêtres, une analogie souvent citée lors des cours et des entretiens. Cette
conscience du regard des autres constituerait un stimulus extérieur qui déclenche la
réaction instinctive du fight-or-flight. Cette explication correspond tout à fait aux
origines du concept en physiologie, accompagnée des avancées plus récentes autour
de la valeur évolutionniste du stress comme instinct de survie (Lupien, 2010). En
revanche, cette utilisation des théories évolutionnistes sur le stress est modulée par
les particularités du milieu de la musique classique : la scène et le public deviennent
menace et les symptômes ne seraient plus adaptatifs. Les musicien-ne-s adaptent
donc cette grille de lecture et l’utilisent pour expliquer leurs échecs et mettre en
place de nouvelles techniques pour s’améliorer. Les symptômes du stress sont lus à
travers les particularités de celle et celui qui souffre de ne pouvoir faire les gestes qui
lui importent le plus. Loin d’être homogène et stéréotypé, le stress est avant tout ce
qui nuit à l’instrumentiste. Mais tout comme le stress permettrait, selon les théories
évolutionnistes, de réunir toutes les ressources nécessaires pour fuir ou combattre,
le stress donnerait la possibilité aux musicien-ne-s d’atteindre un état de
concentration et d’attention idéal.
33 Du point de vue des enquêté-e-s qui adaptent cette vision évolutionniste à leur
condition d’artiste de la scène, le stress puiserait sa source, ou du moins une grande
partie de sa force et de son intensité, dans leur psychologie. L’attitude mentale,
consciente ou inconsciente, des interprètes causerait en grande partie le stress en
érigeant la scène ou l’auditoire en menace comparable au mammouth. Or, la
psychologie des individus étant largement perçue comme malléable, notamment
avec la popularisation du domaine du développement personnel qui contribue à
« transformer la subjectivité en objet de gestion » (Brunel, 2004, p. 86), il en
découle un devoir d’agir. Il s’agit de « reprendre le contrôle de ses instincts »,
comme l’explique à ses élèves une professeure de la faculté observée, après avoir
comparé le cerveau à « un animal sauvage qu’il faut dompter ». Autrement dit, il
serait nécessaire de dépasser la normalité de la condition humaine pour pouvoir
devenir pleinement artiste et transmettre son art. C’est finalement un discours sur
l’art de jouer de la musique classique et sur l’artiste idéal-e qui se trouve incorporé
dans cette rhétorique du stress. Selon cette perspective, est artiste celui ou celle qui
sait mettre de côté ses propres peurs et ses tracas égocentriques pour se mettre au
service de l’œuvre jouée et faire vivre un véritable moment de plaisir et d’art aux
mélomanes venu-e-s l’écouter. Selon un professeur : « C’est ça une partie de la magie
de la profession », c’est l’essence même de leur métier.

Les interprètes, uniques responsables de leur


succès
34 Avec cette institutionnalisation de la gestion du stress et la relecture et la
réappropriation des discours scientifiques, le stress se retrouve entièrement intégré
dans le processus d’interprétation musicale. La gestion du stress devient une des
multiples compétences qu’un-e interprète peut acquérir pour réussir dans le milieu.
Avec la multiplication des ressources vient la responsabilité de les utiliser et
l’injonction d’acquérir plus de contrôle sur soi (Brunel, 2004 ; Lecoeur, 2011).
Échouer à gérer son stress peut alors difficilement être attribué à un manque de
chance ou à une condition malheureuse mais plutôt à un manque de travail et de
motivation. L’échec devient dès lors réprimandable. Les musicien-ne-s stressé-e-s
sont sommé-e-s de gérer leurs émotions pour réussir, les éléments suscitant cette
réaction étant impossibles à éliminer. Difficile, effectivement, d’imaginer la
profession de musicien-ne sans l’acte de monter sur scène. Comme le montrent
d’autres études, par exemple dans le milieu infirmier (Loriol, 2005) ou dans les
centres d’appels téléphoniques (Sarfati, 2008), le stress est perçu comme inévitable
et la résistance au stress est requise et valorisée. Cette dernière devient une
caractéristique recherchée ou inculquée aux individus (Brunel, 2004). Par ce biais,
les valeurs de travail et de mérite sont réaffirmées tandis que les difficultés liées à la
concurrence, aux attentes institutionnelles et aux normes culturelles sont écartées
(Buscatto et al., 2008), bien qu’il réside toutefois des tensions, notamment en ce qui
concerne le rythme et la charge de travail. Tout comme les infirmières étudiées par
Loriol, les interprètes embrassent la psychologisation et prennent à bras-le-corps ce
travail sur soi, contrairement à d’autres corps de métiers comme les policiers ou les
conducteurs de bus (Loriol, 2005) qui y voient l’occasion de rendre visible la
pénibilité de leur travail et les difficultés d’ordre structurel (ibid. ; Lecoeur, 2011).
35 Il en résulte une pression sociale qui pousse les musicien-ne-s à prendre des
initiatives visant leur bien-être de façon générale et qui dépasse le cadre scolaire ou
professionnel pour entrer dans la sphère de l’intime : « Je devrais faire de la
méditation » souffle Vanessa à Clémence à la sortie du cours de Sylvie, la
psychologue. L’institutionnalisation entraîne un accroissement des discours
normatifs qui prescrivent des bonnes manières de faire et en bannissent les
mauvaises, induisant une pression supplémentaire sur les stressé-e-s. La norme
n’est pas tant la présence ou l’absence de stress, mais plutôt le fait d’opérer une
gestion, de s’en préoccuper et d’agir afin d’en utiliser le potentiel. De surcroît, les
modalités de cette gestion sont également l’objet de normes et de valeurs, certaines
techniques étant préférées à d’autres, jugées plus efficaces ou plus morales. Ainsi, on
constate de nombreuses réticences face au recours à des médicaments tels que les
bêta-bloquants tandis que le yoga, la méditation ou la visualisation sont des
techniques ouvertement prônées et recommandées par le corps professoral et
étudiant. L’idée même de stress constitue finalement une manière de nommer un
travail supplémentaire, réel et assidu, que les artistes doivent effectuer, plus intime
et plus holistique que le travail parfois très mécanique de la technique
instrumentale.

De l’angoisse fondamentale à la
distinction sociale
36 Dans le milieu de la musique classique, le stress revêt des significations
singulières. Il serait la manifestation d’une physiologie inapte à l’excellence et qu’il
faudrait donc, selon les interprètes, travailler, façonner, meuler, de manière à en
tirer le meilleur profit. Avoir du succès, atteindre ses objectifs, être efficace ou
encore faire carrière nécessite de réussir à contrôler ce corps qui fait défaut et cet
esprit qui se défile. Le stress entre par conséquent en relation avec des
questionnements sur la légitimité des interprètes à évoluer dans ce milieu élitiste,
devenant par là même un élément de distinction sociale.
37 Associé à la notion d’angoisse (Kenny, 2006 ; Barbeau, 2011), le stress des
musicien-ne-s est reconnu comme une souffrance légitime et les discours sur sa
nécessaire gestion se multiplient, débordant par ailleurs du cadre médical pour
entrer dans le registre de la performance. Cette prolifération des techniques et
discours sur la gestion du stress a effectivement des effets normatifs et prescriptifs,
et porte en son sein l’injonction au travail émotionnel. Ce dernier n’est pas le propre
du milieu de la musique classique mais se retrouve dans de nombreuses professions
qui impliquent un service à la clientèle, soit des interactions et la création d’une
relation, aussi temporaire soit-elle (Hochschild, 1983). Le stress, l’anxiété ou encore
l’angoisse sont dès lors à penser au travers de critères relationnels, les ancrant dans
une réalité où les interactions et le travail émotionnel qu’ils nécessitent ne sont pas
une évidence et résultent, en soi, d’une performance (Scott, 2007).
38 Tandis que l’angoisse fait l’objet d’une médicalisation conséquente (Lloyd, 2008 ;
Peter, 2012), le stress peut paradoxalement présenter un potentiel positif (Lupien,
2010) ou un caractère politique et revendicateur (Buscatto et al., 2008). Là réside
peut-être une explication à la réappropriation du terme par le champ du
développement personnel et sa popularité croissante dans les différents milieux
professionnels (Brunel, 2004 ; Loriol, 2014). Il est d’autant plus nécessaire de
multiplier les études qui permettent de cerner le rôle joué par les individus, les
groupes et les institutions dans la définition et la redéfinition incessantes de telles
entités qui s’avèrent être tout autant descriptives que prescriptives7.

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Notes
1 À ce propos, le sociologue du travail spécialiste du stress, Marc Loriol pointe du doigt
les « représentations du social véhiculées par les théories psychologiques ou médicales sur
le stress et fondées sur une approche de l’individu et du psychisme décontextualisée et
anhistorique » (2014, p. 1), celles-là même qui sont largement diffusées dans la sphère
médiatique et sur le Net.
2 La réponse de « fight-or-flight » ou « combat-fuite » désigne une réponse
physiologique de l’organisme, d’abord observé dans le règne animal, entraîné par un
stimulus externe perçu comme un danger et préparant l’organisme à combattre ou fuir.
3 Plusieurs interprétations sont possibles. Les artistes interrogé-e-s s’identifiaient tou-te-
s comme étant des personnes très sensibles, une qualité jugée par tou-te-s nécessaire pour
les musicien-ne-s. Par ailleurs, une majorité des hommes interrogés s’identifiaient comme
homosexuels et défiaient les normes de genre hétéronormatives. Un biais dans la sélection
est également une source potentielle d’explication puisque les méthodes de recrutement ont
pu contribuer à exclure les personnes moins ouvertes à parler de leur stress et plus enclines
à le cacher. Il apparaît, par ailleurs, que les différents instruments joués induisent
davantage de différences que le genre dans la manière d’éprouver du stress. Tandis que les
pianistes estiment souffrir davantage de sueurs, les violoncellistes se plaignent plutôt de
tremblements faisant sautiller les archets et les instrumentistes à vent blâment un souffle
court. Les symptômes perçus comme présents sont finalement ceux qui sont les plus
nuisibles pour l’activité visée, soulignant le caractère très contextuel du stress et son lien
direct avec la tâche à effectuer et les attentes individuelles.
4 Dans le cas présent, débarquer signifie « mal tourner » (en français québécois).
5 Ce livre est dérivé du best-seller de Timothey Gallwey, The Inner Game of Tennis
(1974) et est une des six adaptations qu’il en a tirées au cours de sa carrière, appliquant ses
recommandations pour la performance sportive dans le cadre du tennis à la performance au
sein d’autres activités, de la musique au golf en passant par le travail.
6 En mobilisant notamment la théorie du C.I.N.É développée par Sonia Lupien, selon
laquelle la présence d’une ou de plusieurs caractéristiques déclenche cette réponse de
stress : le contrôle faible, l’imprévisibilité, la nouveauté et l’ego menacé.
7 L’auteure remercie vivement les relecteurs et relectrices pour leurs conseils et
relectures très attentives et pertinentes qui ont permis d’améliorer cet article.

Pour citer cet article


Référence papier
Cassandre Ville, « Faire du stress son métier : l’anxiété de performance chez les
interprètes de musique classique », Tracés. Revue de Sciences humaines, 38 | 2020, 63-
82.

Référence électronique
Cassandre Ville, « Faire du stress son métier : l’anxiété de performance chez les
interprètes de musique classique », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne],
38 | 2020, mis en ligne le 12 janvier 2021, consulté le 04 mars 2024. URL :
http://journals.openedition.org/traces/11272 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.11272

Cet article est cité par


Ville, Cassandre. (2021) « Prendre un bêta » pour monter sur scène. Socio-
anthropologie. DOI: 10.4000/socio-anthropologie.8235

Auteur
Cassandre Ville
maîtrise ès sciences en anthropologie, université de Montréal

Droits d’auteur

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