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MUSIQUE & HANDICAP

IV
MUSIQUE ET MUSICOLOGIE
Musicothérapie, réalités et confusions
INTRODUCTION
La musique est une activité qui engendre des effets sur l’être humain (mais pas
seulement), que ce soit chez l’amateur de musique, le mélomane, l’instrumentiste et le
chanteur, ou encore dans le monde du travail, de l’enseignement, du commerce
(Muzak), de la politique (slogan), de la religion, de la publicité, chez les militaires, etc.
La musique permet également d’aider à supporter certaines situations du quotidien,
parois anxiogènes : prendre le métro, attendre un rendez-vous chez son médecin,
prendre l’ascenseur avec des inconnus, etc.
À travers l’ensemble de ces expériences ou de ces situations, la musique est
fonctionnalisée dans un but précis, devenant un dispositif modulé par des
« techniques psychomusicales ».
Employée dans un cadre médical, la musique comme outil thérapeutique a conduit à
la naissance d’une profession spécifique de santé : la musicothérapie.
DÉFINITION

En France, si le mot est entré dans le dictionnaire dès l’aube du XXe siècle (1907 ;
Nouveau Larousse illustré) la Fédération Française de Musicothérapie (FFM) définit
la musicothérapie comme étant :

« une pratique de soin, de relation d’aide, d’accompagnement, de soutien ou de


rééducation, utilisant le son et la musique, sous toutes leurs formes, comme moyen
d’expression, de communication, de structuration et d’analyse de la relation. Elle
s’adresse, dans un cadre approprié, à des personnes présentant des souffrances ou
des difficultés liées à des troubles psychiques, sensoriels, physiques,
neurologiques, ou en difficulté psycho-sociale ou développementale. »

cf. https://www.musicotherapie-federationfrancaise.com/musicotherapeute/
HISTOIRE

Dans cette définition, la cadre thérapeutique, le rôle et la place de la musique, les


bénéficiaires et la nature de la relation patient-thérapeute sont des éléments
explicitement énoncés.

Toutefois, si l’on cherche à définir la musicothérapie depuis le XXe siècle, l’usage


spécifique de la musique en tant que pratique de soin est très largement antérieur.

Par exemple, l’ethnomusicologue Gilbert ROUGET a notamment commenté un


passage de l’Ancien Testament dans lequel David est sollicité pour jouer de la lyre
dans le but de purifier le roi de la Terre d’Israël, Saül, de « l’esprit mauvais » (G.
ROUGET, 1980).
HISTOIRE

REMBRANDT, Saül et David, Huile sur toile vers 1650-60, Mauritshuis, La Haye, Pays-Bas.
HISTOIRE

De nombreux autres exemples abondent à travers l’histoire, depuis l’Antiquité à nos


jours, ainsi que dans différentes civilisations (F.-X. VRAIT, 2018).

De plus, dans certaines cultures, la musique occupe toujours une place


prépondérante dans la réalisation de nombreux rituels à visée thérapeutiques.

De manière générale, musique et médecine ont longtemps entretenu un lien fort,


faisant se succéder différentes conceptions (pythagoricienne, boècienne, traitement
de la mélancolie, de la folie, etc.)

« Beaucoup de faits montrent que Dieu, dans sa bonté et sa toute-puissance, a


donné aux harmoniques musicales l’admirable propriété de calmer les sentiments
troublés de notre âme, […] » (J. SCHENCK, 1644).
HISTOIRE
« À ne considérer le corps humain que comme un assemblage de fibres plus ou
moins tendues, […], on concevra sans peine que la musique doit faire le même
effet sur les fibres qu’elle fait sur les cordes des instruments voisins » (D. DIDEROT,
1765).
Dans son Mémoire sur la manière de guérir la mélancolie par la musique, publié en
1769, le médecin Pierre Joseph BUCHOZ décrit des instructions opératoires et
préconisations musicales précises afin de guérir les « tempéraments
mélancoliques » (P. J. BUCHOZ, 1769).
Au XIXe siècle, l’aliénisme et le « traitement moral » de P. PINEL (cf. cours) intègre la
musique au sein dans le processus de traitement des maladies mentales. Son
successeur à la direction de l’hôpital de la Salpêtrière, le docteur Jean-Étienne
ESQUIROL, organise également plusieurs concerts au sein même de l’établissement.
HISTOIRE

Progressivement, l’institutionnalisation de la musique au sein des établissements


de soin spécialisés se répand en France, puis en Europe, et la nouvelle tendance
implique que les patients participent activement en tant que musiciens, formant
ainsi des orchestres,des fanfares, ou encore des chorales (cf. F. LEURET, 1846).

On parle de « symphonie asilaire » pour qualifier cette tendance (F.-X. VRAIT, 2018),
qui s’inhibera au début du XXe siècle au profit du développement des
expérimentations psychophysiologiques.

Alfred BINET et Charles FÉRÉ expérimentent par exemple l’action de la musique lors
de séances « d’hypnotisme » afin de guérir l’hystérie ou le somnambulisme.
HISTOIRE

La Première Guerre Mondiale marque, une nouvelle fois, une rupture importance
dans ce développement, et les expérimentations de la musique en tant que geste
médicale se restreignent progressivement à des activités de loisirs.

Cependant, c’est à travers les théories freudiennes et le développement de la


psychanalyse que l’utilisation de la musique, destinée aux personnes atteintes
d’une maladie mentale, va retrouver une dynamique dans son développement en
tant que geste médical (É. LECOURT, 2001).

Cette vision perdurera jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale (et la découverte


des neuroleptiques par H. LABORIT) et c’est dans ce contexte que sera définie et
structurée la musicothérapie, « une si nouvelle et à la fois si ancienne pratique
thérapeutique » (F.-X. VRAIT, 2018), ainsi que la profession de musicothérapeute.
HISTOIRE

Aux USA, le premier cursus de formation en musicothérapie a été mis en place en


1944 à l’Université du Michigan et la National Association for Music Therapy (NAMT)
est créée en 1950.

En France, l’Association Française de Musicothérapie (AFM) voit le jour en 1980 (cf.


cours III) et la première Revue de musicothérapie (depuis 2016, Revue française de
musicothérapie) parue en 1981, place la musicothérapie en tant qu’objet d’étude
scientifique.
Une nouvelle perspective s’amorce alors, celle d’une « musicothérapie analytique »,
à travers laquelle la musique « n’est pas considérée comme thérapeutique par elle-
même » mais où « les techniques de musicothérapie se doivent d’être élaborées
dans cet objectif » (É. LECOURT, 1988).
MUSICOTHÉRAPIE

Ainsi, il existe de nombreuses techniques psychomusicales employées en


musicothérapie, induisant des méthodes spécifiques.
Ces techniques et méthodes sont généralement sélectionnées par le thérapeute en
fonction de la situation et de la sensibilité du/des patient.e.s (séance individuelle ou
en groupe).
Par exemple, deux méthodes peuvent être articulées dans la relation thérapeutique :
• la méthode « réceptive » : fondée sur un dispositif d’écoute de la musique, par exemple
enregistrée, suivi d’un temps de discussion verbale ou non verbale (dessin, danse,
visualisation, etc.),
• la méthode « active » : privilégiant la production sonore et musicale, l’improvisation, la
créativité à travers le jeu instrumental ou/et le chant par au moins l’une des personnes
en présence.
MUSICOTHÉRAPIE
Ainsi, au-delà des personnes en situation de handicap, la musicothérapie peut s’adresser à
tout le monde et à tous les âges, à l’exception de quelques contre-indications médicales
(ex : épilepsie auditive, acouphénie).
De ce fait, la musicothérapie est une pratique qui peut autant être indiquée dans le
traitement de certains troubles ou pathologies (maladie de Parkinson, Alzheimer,
psychoses, troubles du syndrome de l’autisme, coma, etc.) qu’appliquée dans un but de
développement personnelle ou de bien-être.
Elle introduit une dimension non verbale offrant l’opportunité pour le patient de
s’exprimer à travers un langage alternatif, palliant ainsi à certaines situations où la
psychothérapie verbale traditionnelle est inaccessible pour le patient.
L’acte musical possède une fonction expressive qui permet de « mettre en jeu » les
souffrances de la personne, de les conceptualiser sans avoir nécessairement recours au
langage (H. CENTURY, 2010).
MUSICOTHÉRAPIE
Les progrès en matière d’imagerie médicale permettent aujourd’hui de penser que la
musique peut être un outil privilégié dans la prise en charge et le traitement de certaines
pathologies neurologiques ou neurodégénératives pouvant engendrer des troubles de
développement et, par conséquent, des situations de handicap ou de polyhandicap (O.
BONNOT, 2014).

Par exemple, les dimensions vocales et rythmiques de la musique peuvent être


pertinentes chez des individus ayant des difficultés à communiquer ou interagir
socialement, notamment à travers les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) (E. CARASCO,
2014).

Nombre d’études se concentrent aujourd’hui à démontrer que la stimulation cognitive


engendrée par l’action de la musique permet une « remédiation cognitive » due au
phénomène neurologique de plasticité cérébrale/neuronale (neuro-plasticité) (E.
BIGAND, 2014).
MUSICOTHÉRAPIE

Aujourd’hui, le musicothérapeute est donc (d’après la FFM) :

• un professionnel de santé possédant des connaissances confirmées dans le


domaine musical, une pratique régulière de la musique, des capacités
d’improvisation, ainsi qu’une bonne maitrise instrumentale et/ou vocale,

• un spécialiste ayant suivi une formation spécifique lui inculquant des


connaissances et des savoirs théorique, pratique et clinique en psychologie,
neuropsychologie, psychiatrie, psychopathologie, neurophysiologie et
développement personnel,

• soumis au règlement éthique et au code de déontologique médical, s’inscrivant


dans une démarche de soin, d’accompagnement ou/et de soutien psychologique.
MUSICOTHÉRAPIE
Le musicothérapeute peut être amené à travailler dans un cadre salarié ou libéral, en
cabinet, en association, parfois à domicile, dans un but de prévention ou
d’enseignement, dans une équipe de recherche, etc.

Néanmoins, l’essentiel de l’activité s’exerce dans le secteur de la santé, en secteur


médico-judiciaire, carcéral ou encore en milieu médico-social.

Aujourd’hui, la musicothérapie connait des difficultés à être reconnue en France en


tant que profession de santé à part entière, contrairement au statut officiel dont elle
dispose en Grande-Bretagne ou en Autriche par exemple.

En l’absence d’une réglementation officielle en France et bien qu’il existe de


nombreuses formations non reconnue officiellement (ex : DU), seule la FFM fait office
d’institution de référence pour proposer un cadre permettant de différencier le
musicothérapeute du musicien intervenant, psychologue ou éducateur spécialisé.
MUSICOTHÉRAPIE
En effet, la musicothérapie implique « la prise en compte de diagnostics médicaux,
la définition d’objectifs thérapeutiques, de suivi de ces objectifs, de protocoles de
prises en charge et de méthodes d’évaluation […] » (A. FERTIER, 2011).
On constate aujourd’hui certains détournement visant à promouvoir une
musicothérapie « amateur », qui, bien que pouvant être réalisée dans un lieu de
soin, se dévoile davantage comme une activité de médiation, de loisir, d’animation
culturelle et artistique.
Selon André FERTIER, ces détournements sont dus à « des confusions entre effets,
objectifs et cadres thérapeutiques […] » (ibid.).
Car si l’activité de la musique peut avoir un impact sur l’état émotionnel ou
psychique d’une personne, ce n’est pas pour autant que toute pratique de la
musique est de ce fait musicothérapeutique.
MUSICOTHÉRAPIE
Face au handicap, cette confusion entre activité artistique cathartique et pratique
thérapeutique peut avoir un impact discriminatoire.
En effet, le risque est d’orienter des personnes en situation de handicap en demande
d’activités culturelles et artistiques vers des pratiques thérapeutiques (art-thérapie)
et inversement.
Ce défaut d’orientation est fondé, selon des perspectives anciennes (cf. réadaptation,
cours II), sur la confusion (amalgame) entre handicap et maladie, faisant parfois de la
musicothérapie la seule porte d’accès à la pratique musicale des personnes pour
lesquelles, en tant que citoyens, la pratique artistique relève pourtant d’un droit (cf.
ONU, 1975, cours III).
La musicothérapie n’a pas pour but de répondre au besoin de
participation à la vie culturelle des individus quels qu’ils soient.
CONCLUSION
La musicothérapie est une pratique qui fait appel aux fonctions « psychologiques » de
la musique et qui intègre l’expérience de celle-ci au sein d’une relation thérapeutique
qui, dispensée en tant que geste médical, peut avoir des impacts sur différentes
dimensions humaines (sociale, cognitive, linguistique, sanitaire, neurologique, etc.).

Cependant, on constate que la politique culturelle du handicap menée dans les


années 80 en France (cf. cours III), orientant le rapport musique-handicap vers le
secteur de la santé, est une conséquence profonde de la confusion, encore ancrée de
nos jours, entre pratique médicale et pratique culturelle.

Si les résultats de la musicothérapie peuvent être salutaires dans la prise en charge des
personnes en situation de handicap (stimulation cognitive), il est nécessaire d’opérer
cette distinction afin de réduire les discriminations existantes dans l’accès des
personnes en situation de handicap à la musique en tant que pratique artistique.
MUSIQUE & HANDICAP

? Alban BRICENO
Chargé de cours
Doctorant (5ème année)
EN CAS DE QUESTIONS Musicologie (Faculté des Humanités)
CEAC — SCALab
📧 alban.briceno@univ-lille.fr ou Moodle

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