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IONESCO
ENTRETIEN SUR LE RIRE TRAGIQUE
Rien ne les lie à rien. Il n’ont plus d’idées, ne savent plus quoi faire de leur vie. Ces
personnages sont ridicules, quelque chose leur manque à leur insu : la condition
métaphysique.
Le spectateur rit, et il rit de rien.
Il rit avec qu’il n’y a que du rien en face de lui. C’est pour cela qu’il rit, même s’il en
s’en aperçoit pas. Le spectateur intelligent oit avoir l’impression qu’on lui démontre que
Dieu a créé le monde pour faire un farce à l’homme. Cette idée n’est pas de moi : elle est
bouddhiste. C’est un moine qui, sortant de son monastère, voit un cadavre puis le ciel, et a
ce qu’on appelle un illumination : il comprend que tout est à la fois farce, illusion et blague.
Tout est risible, mais tout est mystérieux en même temps. On m’a reproché souvent et
vivement de. Ne pas faire de réalisme socialiste à l’époque où tout le monde s’était engage,
alors que la réalité n’est pas réaliste.
Il est un système de convention comme les autres ; on l’appelle réalisme, mais il n’est pas
réel. Le réalisme n’est pas la réalité. Ce réalisme contre lequel nous luttons et dont nous
rions, cette réalité-là, nous ne savons pas ce qu’elle est.
Les auteurs réalistes mentent parce qu’il luttent pour une cause ou un dogme et être
dogmatique, c’est être tendancieux.
Théâtre de l’absurde ?
Elle ne veut rien dite, cette expression. C’est dans le vent qu’on m’appelle ainsi.
« Rire, c’est la seule réponse que nous pouvons donner à Dieu face à la blague tragique
qu’il a créée ».
Ionesco décrit son expérience de lumière comme un fugitif moment d’extase, où léger et
aérien, il eut l’impression d’être brusquement plongé au coeur d’un monde illuminé. Il
retrouve alors ce sentiment de plénitude devant l’harmonie du monde, éprouvé pendant
l’enfance, lorsque n’existe pas encore la conscience de la finitude du temps. De cette
expérience de lumière, il dira, dans Antidotes, que « c’était un satori », comparant ainsi la
sensation éprouvée à l’état d’illumination auquel accèdent certains mystiques orientaux.
Toute sa vie durant, il essaiera de retrouver cet instant privilégié qu’Eliade interprète comme
une hiérophanie, acte par lequel le sacré fait irruption dans le réel.
Ionesco attribue à un certain nombre de ses héros ce contact fulgurant avec le sacré. Ses
personnages, jusqu’à l’apparition de Bérenger, qui marque un tournant de l’oeuvre, sont
plongés dans la nuit de l’âme. Ils sont comme « morts », dit Ionesco lui-même à propos des
protagonistes de La Cantatrice chauve. La lumière scénique, qui, chez lui, reflète toujours la
psyché des personnages, est froide, dure, parfois même glauque, dans les premières pièces.
Les didascalies la concernant sont de la plus haute importance, car elles renseignent
indirectement sur l’état spirituel des personnages. Si les protagonistes ne se comprennent
pas, s’ils ont du mal à s’entendre, c’est qu’il sont loin de cette lumière mystique qui, seule,
donne sens.
« Dis-moi une seul parole et je serai guéri.. »
Cette parole vraie ne vient jamais pour eux. Les personnages de La Cantatrice chauve et
de La leçon, perdus dans la tour de Babel du langage, s’entre-déchirent. Ceux des Chaises,
d’Amédée, du Nouveau Locataire, sont empêtrés dans une matière labyrinthique qui, dans sa
prolifération, les tue.
Hanté par l’absurdité du mal qui pourrit le monde, Bérenger, dans la tétralogie, est le
premier personnage de Ionesco à porter explicitement sur l’existence un questionnement
métaphysique, mais il n’obtient pas de réponse. Seuls les derniers personnages de Ionesco
en trouveront une. Elle sera de l’ordre de la Manifestation.
Chez Ionesco, il existe une euphorie, elle réside dans un comique libérateur, lié à
l’invention verbale, aux jeux sur les mots très souvent accompagnée de délire. Mais dans de
très bref éclairs, l’euphorie prend une dimension encore plus positive, quasi poétique, dans
des instants d’ « étonnement » : il s’agit en particulier de la découverte faite par Bérenger
d’une cité paradisiaque au début de Tueur sans gages.
Ionesco développe une satire du langage dans ses automatismes et son absurdité, à travers
la mise en scène caricaturale de la logique, du principe de non-contradiction, des répétitions
« Oh ! Un rhinocéros «! » au début de Rhinocéros, etc.
Pour Ionesco, les objets occupent une place capitale. La prolifération des chaises montre la
vanité du langage et de l’homme dans Les Chaises ; l’abondance des paroles et celle des
chaises sont analogues et symboliques l’une de l’autre : elles dénoncent le vide d’une parole
ne correspondant plus à la réalité et perdant toute signification.
Il est quelque peu paradoxal que Ionesco ait commencé par détester le théâtre avant d’en
faire. Il lui paraissait être face à des situation arbitraires et fausses. Il comprit ensuite
l’origine de ce malaise : « On peut tout oser au théâtres, c’est le lieu où on ose le moins ».
Il faut exagérer les effets jusqu’à leur faire atteindre le paroxysmes car c’est là que prend
naissance le tragique. Bien que Ionesco nie l’influence d’Artaud, on retrouve dans cette
esthétique les bases mêmes sur lesquelles Artaud faisait reposer son théâtre de la cruauté.
C’est en lui-même que Ionesco va chercher son inspiration, car c’est seulement en
s’exprimant lui-même qu’il peut exprimer l’humanité.
Le pessimisme le plus noir nous semble être à la base de la vision du monde d’Eugène
Ionesco, pendant il ne constitue dans son oeuvre qu’un point de départ. Il faut que l’homme
ait le courage d’affronter les monstres de son existence pour pouvoir s’en libérer. On ne peut
pas se fier à la raison ou à la logique d’après Ionesco, car elles sont insuffisantes et
inadéquates.
Le théâtre doit révéler des choses monstrueuses et comme le dramaturge ne doit être
limité par aucune règle arbitraire, toutes les possibilités lui sont offertes : « incarner des
personnages, mais aussi matérialiser des angoisses, des présences intérieures. Il est donc
non seulement permis, mais recommandé de faire jouer les accessoires, faire vivre les
objets, animer les décors, cocotier les symboles. »
Sur la base de ce qui précède, il apparait impérieux de s’interroger sur ce qui encombre
tant dans la pièce et que l’on cherche à s’en débarrasser. S’agit-il de ces accessoires qui
caractérisent le décor ?
Sur quoi repose la matérialité proliférante ?
Miniaturisation spatiale enfonce les deux pertes dans les méandres de l’existence
humaine. De fait, la multiplication des matières va jusqu’à les rendre invisibles « le fouillis
des meubles, le plateau vide de personnages, puisqu’on ne voit pas Am d e et Madeleine,
cach s par tous ces objets, un long moment ».
L’effusion des objets ne permet pas aux deux pertes d’effectuer le moindre mouvement
dans un univers aussi réduit qu’étouffant.
Dans le premier acte, divers bruits extérieurs se signalent, l’univers dans lequel les
personnages évoluent se révèle étouffant en raison de l’intensification des bruits. Du bruit
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d’une porte, on passe à des coups répétés sans oublier la sonnerie du téléphone, de plus en
plus pressante.
« La scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse et qu’on lui
fasse parler son langage concret. » Artaud.
Les jeux d’interf rence linguistique sont l’un des aspects esth tiques de la prolif ration
chez Ionesco. L’entrem lement des langues marque l’originalit de la texture dialogique
ionescienne.
LA PERTINENCE DIDASCALIQUE
Franck Evrard:
« Les didascalies, autrement dit toutes les indications donn es par l'auteur en dehors du
texte dire; comprennent non seulement la liste et la qualification des personnages et le
d coupage de la pi ce, mais aussi des indications de d cor, de lumi re, de jeu, d'une extr me
pr cision. »
Dans Rhinocéros, l’auteur use généreusement des didascalies, tant et si bien qu’elles
deviennent pertinentes dans la lecture de cette oeuvre. Ionesco dépasse l’accoutumance qui
considère les didascalies comme de simples indications scéniques. Il en fait une constante
nécessairement pertinente parce que révélatrice de sens.
The plays of Ionesco have inspired both violent condemnation and rhapsodic adulation.
Jacques Lemarchand, an ardent supporter of Ionesco, stated that Ionesco’s theater « is not a
psychological theatre, it is not a symbolist theatre, it is not a social theater, nor is it a poetic
or a surrealistic one … The Theatre of Ionesco is certainly the strangest to have emerged
from the post-war period. »
These statements have helped create an image of Ionesco as the incomprehensible poet of
the obscure. Until very recently, Ionesco himself has not done much to create a different
impression. Such statements as « reality is unreal … words are just noises » have fostered
the legend that Ionesco writes little more than fascinating double-talk.
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Lately, however, Ionesco has become more articulate, and in his recent sittings and
speeches about the theatre, we can see a logical aesthetic credo. A new style of art is usually
unpopular, he reminds us, chiefly because its technique is unfamiliar. To illustrate this, he
compares Proust and Sue :
« Eugène Sue was extremely popular. Proust was not. He was not understood. He did not
speak to everyone… Today it is Proust who offers a wealth of truth, it is Eugene Sue who
seems empty. How fortunate that the authorities did not forbid Proust to write in a Prussian
language! »
The type of theatre against which Ionesco usually inveighs is the ideological theatre, the
theatre which claims social usefulness as its main function.
This, he says, is nonsense, for when the theatre « tries to become the vehicle of
ideologies, it can only become their popularizer. It simplifies them dangerously… An
ideological theatre is insufficiently philosophical. » And it is more illuminating to read a
psychological traits than to visit a psychological theater, for the latter is insufficiently
psychological. Pirandello, he says, is now outdated.
« Since his theatre is founded upon theories of personality or of many-faceted truth,
theories which since psychoanalysis and depth psychology seem clear as day. By confirming
the correctness of Pirandello’s theories, modern psychology, necessarily going further in the
exploration of the human psyche, gives him a certain validity, but at the same time renders
him insufficient and useless: since it says more completely and more scientifically that
which Pirandello has said. »
But although Ionesco harangues against the ideological theatre, he does not maintain that
ideas have no place in the theatre.
Ionesco draws a line between ideas and ideology: « A work of art is not devoid of ideas.
Since it is life or the expression of life, ideas are emanated from it: the work of art does not
emanate from an ideology. »
He makes a distinction between ideas which are universal in character and those which
are local and specific, such as political ideas.
Rhinocéros is not an allegory. Few readers are likely to agree at the outset with this assertion,
because for most interpreters of the play, starting with its author, Ionesco, Rhinoceros is indeed
allegorical, at least broadly symbolic.
The meaning of the dream must be explained in dualistic terms, so the argument goes : good
versus evil, Bérenger against the worlds, humanity refusing to succumb to the grotesque epidemic
of rhinoceritis, the individual — flawed but admirably courageous — celebrating selfhood in
defiance of conformism or totalitarianism, language holding its own in the face of rampant non-
communication.
In the field of auto exegesis, Ionesco has few peers for prolixity. Unless he has been deliberately
mystifying us, his assessment of the import of Rhinocéros is clear. Ionesco claims that this piece is
« sans doute une pièce antinazie » but also, especially, a play « contre les hystéries collectives et les
épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées… ».