Vous êtes sur la page 1sur 6

Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?

🕒 4 heures ⌨ 20 points

INTÉRÊT DU SUJET • Qui n'a pas déjà subi une déception amoureuse ? Le passé amoureux est-il
alors un obstacle au déploiement des passions à venir ? Autrement dit, faut-il nécessairement
faire table rase de son passé pour pouvoir s'offrir d'autres horizons ?

LES CLÉS DU SUJET

Définir les termes du sujet

Faut-il

Cherchez les différents sens de cette expression :

- « Est-ce une condition nécessaire ? » ;

- « Est-ce juste et légitime ? ».

Oublier le passé

■ Le passé constitue la somme des évènements dont on peut faire le récit sous la forme de
l'histoire et que l'homme ne peut plus modifier.

■ En ce sens, oublier le passé reviendrait à se débarrasser de la mémoire des évènements


pour ne pas être déterminé par ce qui ne dépend plus de nous.

Pour se donner un avenir

■ Il faut distinguer l'avenir du futur. Le futur constitue l'ensemble des évènements que nous
cherchons à prédire et à anticiper à partir de notre connaissance du passé et du présent.
L'avenir désigne plutôt le caractère indéterminé des évènements à venir, dans la mesure où
ils sont le produit d'une conscience libre.

■ Se donner un avenir revient donc à ne pas se laisser déterminer par le passé et à conserver
la suite de son existence comme un horizon libre.
Dégager la problématique

Construire un plan

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne
doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] À la différence du futur, que l'on cherche à prédire ou à anticiper, l'avenir se présente
comme un horizon indéterminé. Il n'y a donc d'avenir que pour une conscience libre : c'est
justement parce que l'homme n'est pas déterminé qu'il ne peut pas savoir de quoi sera fait son
avenir. Mais ne sommes-nous pas enchaînés au cours de nos actions passées ? [Reformulation
du sujet] Peut-être faut-il faire table rase du passé pour ménager la possibilité d'un avenir, c'est-
à-dire pour nous libérer de ce que nous ne pouvons plus changer ? [Problématique] Dès lors,
est-il possible de reconnaître le passé, nécessairement déterminé, sans renoncer à la liberté de
l'avenir ? [Annonce du plan] Dans l'horizon de notre histoire individuelle et collective, il semble
que l'avenir exige la mémoire du passé. Mais cette mémoire peut faire obstacle au déploiement
du possible et nous rendre prisonniers du passé : nous donner un avenir impliquerait donc
d'accepter l'oubli. En réalité, nous sommes responsables du passé comme de l'avenir : notre
liberté se fonde sur l'exigence d'une reconnaissance du passé qui n'implique pas la
détermination de l'avenir.

1. L'avenir ne peut se passer de la mémoire du passé

LE SECRET DE FABRICATION

Il nous faut d'abord souligner le caractère vain et lâche de l'oubli du passé : nous préférons
souvent oublier ce qui nous déplaît. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il est de notre
responsabilité de nous souvenir pour ne pas faire reposer l'avenir sur l'ignorance et le refus
du passé.

A. L'homme peut se rendre prisonnier du passé

■ Du point de vue collectif et individuel, le passé constitue la somme des évènements dont on
peut faire le récit sous la forme de l'histoire et qui échappe d'une certaine manière à la liberté
humaine. Le passé, c'est précisément ce que l'on ne peut plus changer.

■ L'homme semble dès lors condamné à une certaine impuissance. Arendt explique que notre
pouvoir d'agir se heurte à l'irréversibilité du passé. Nous sommes contraints à reconnaître le
passé, sans plus pouvoir modifier la suite des actions, quand bien même nous voudrions refaire
l'histoire.

B. L'oubli nous condamne à la résurgence du passé

■ Dès lors, ne faut-il pas céder à l'oubli pour ne plus porter le poids du passé ? Cet oubli paraît
vain : il ne nous prémunit pas du risque de répéter sans cesse le passé . Dans la répétition, le
temps humain s'enferre dans une circularité qui prive l'homme de sa liberté. L'idée même d'un
avenir n'a plus de sens : il n'y aurait rien à faire ni à apprendre de plus. L'agir humain se limite
ainsi à la reproduction de certains schémas déterminés par ce qui est arrivé par le passé.

À NOTER
L'homme qui répète le passé vit à l'image de Sisyphe, condamné par les dieux à hisser pour
l'éternité une pierre en haut d'une montagne. Une telle existence semble absurde et vaine :
elle se prive de tout avenir et se place sous le signe de la fatalité.

■ L'histoire des communautés politiques montre ainsi l'effort des hommes pour se souvenir du
passé afin d'éviter de le répéter. À l'issue du traumatisme du génocide des Juifs dans
l'Allemagne nazie, on a ainsi vu émerger l'idée d'un devoir de mémoire. Pour ne pas voir un passé
traumatique se répéter, les hommes doivent garder leur histoire en mémoire plutôt que céder à
l'oubli.

C. Il faut tirer les leçons du passé pour se donner un avenir

On peut avancer encore d'un pas : la seule mémoire ne suffit pas. Il faut aussi tâcher de
comprendre le passé pour se donner un avenir. Nous avons le devoir de tirer des leçons du
passé pour nous en libérer. En tâchant de donner du sens à son histoire individuelle et
collective, l'homme apprend par l'expérience à se connaître et à connaître le monde, en sorte de
devenir plus libre, c'est-à-dire davantage capable de mettre en œuvre le projet qu'il aura
librement choisi.

[Transition] Mais peut-on toujours supporter le poids du passé ? Celui-ci ne constitue-t-il pas
l'obstacle fondamental à un avenir libre et indéterminé ?

2. L'oubli, condition nécessaire au déploiement de l'avenir

A. La mémoire du passé est faillible

■ Si le passé est précisément ce qui n'est plus, la mémoire constitue l'agent de conservation du
passé dans le présent. En ce sens, elle lui assure un statut ontologique spécifique : le passé est
ce qui n'est plus, mais il conserve une existence virtuelle, dans le souvenir des hommes et les
récits qu'ils en font.

■ Cependant, la mémoire que nous conservons du passé n'est pas nécessairement fidèle à ce
qui s'est passé. Les souvenirs ne sont pas des représentations neutres : ils sont aussi
déterminés par les désirs ou les peurs des hommes. On dit d'ailleurs qu'on ne se souvient parfois
que de ce dont on préfère garder la mémoire : c'est l'idée d'une mémoire sélective.

B. Elle peut constituer un fardeau pour l'avenir

■ Le refus de l'oubli ou la déformation du passé nous expose ainsi à un double écueil, pouvant
faire obstacle au déploiement de l'avenir. C'est ce qu'explique Nietzsche en affirmant qu'il est
« impossible de vivre sans oubli ».
■ Le premier sentiment pouvant faire obstacle au déploiement de l'avenir n'est autre que la
nostalgie. En nous replongeant dans la mémoire d'un passé heureux, nous sommes susceptibles
de le préférer au présent et à l'avenir : nous rejouons un passé dont nous ne voulons pas nous
détacher.

LE SECRET DE FABRICATION

Dans son roman L'Invention de Morel, Adolfo Bioy Casares met ses personnages face à un
dilemme. Le scientifique Morel a créé une machine permettant de vivre éternellement dans
un souvenir heureux. Il témoigne ainsi du désir qui conduit les hommes à fuir l'avenir pour le
passé en ne vivant que dans la virtualité du souvenir.

■ À rebours, le souvenir du passé peut faire naître le ressentiment : une forme de colère voire de
haine qui reconduit inlassablement le sujet à un tort subi par le passé. Le désir de vengeance
manifeste ainsi la possibilité d'un asservissement de l'homme au passé.

C. C'est en oubliant le passé que l'homme peut envisager un avenir heureux

■ Nietzsche explique ainsi que l'oubli du passé ne relève en rien de la lâcheté, mais témoigne au
contraire du courage de se donner un avenir, en acceptant justement que le passé soit passé.

■ Le précepte à suivre serait donc le suivant : « Faire silence, un peu, faire table rase dans notre
conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles » (Généalogie de la
morale). Il faut se détacher du passé pour ménager une place au possible.

[Transition] Cette nécessité de l'oubli ne témoigne-t-elle pas en réalité de la manière dont nous
nous rapportons au passé ? Plutôt que d'oublier le passé, ne faut-il pas se souvenir qu'il aurait pu
être autrement qu'il a été ?

3. Pour se donner un avenir, il faut considérer le passé comme le produit de notre liberté

A. L'homme doit accepter la contingence de l'existence

■ C'est seulement lorsque nous pensons être déterminés par le passé que celui-ci peut nous
conduire à une forme d'aliénation. Mais l'oubli n'est alors que le remède commode à notre
méconnaissance de la nature même de l'existence.

■ Au contraire, lorsque nous considérons la pure contingence de l'existence, nous comprenons


que le passé n'est lui-même qu'une simple possibilité réalisée. Sartre explique ainsi qu'il nous
est toujours possible d'agir autrement que nous le faisons. Aussi devons-nous comprendre que
le passé ne détermine l'avenir qu'en tant que nous le choisissons.

B. Céder à l'oubli, c'est renoncer à sa liberté

Sartre, dans une pièce de théâtre intitulée Huis clos, met en scène trois personnages en enfer.
Chacun tente de fuir la mémoire d'un passé peu glorieux : tous veulent, par l'oubli, se détourner
de leur responsabilité. Il s'agit de figures de la mauvaise foi. En quoi sont-ils donc en enfer ?
Parce que les autres rappellent à leur souvenir ce qu'ils ont fait et ce qu'ils ont été. L'oubli est en
réalité impossible : nous devons nous confronter au passé comme un témoignage de notre
liberté.

LE CONSEIL DE MÉTHODE

Lorsque vous convoquez un exemple littéraire pour développer un paragraphe, rappelez


rapidement l'intrigue de l'ouvrage en soulignant les éléments pertinents au regard du sujet.

C. Il est de notre responsabilité de maintenir l'avenir comme un horizon ouvert

■ C'est seulement en reconnaissant notre passé que nous pouvons aussi nous donner un avenir.
Ce qui s'est passé était par nature aussi indéterminé que l'avenir. Il ne faut pas opposer ces deux
moments du temps : l'avenir d'aujourd'hui n'est autre que le passé de demain.

■ Dès lors, la liberté de l'avenir ne se trouve ni dans l'oubli ni dans la mémoire obsédante du
passé : elle exige plutôt que nous acceptions notre responsabilité face à l'indétermination de
l'existence. L'avenir est un horizon contingent dont nous déterminons nous-mêmes le sens. Rien
ne peut donc entraver l'avenir sinon notre propre lâcheté, qui consiste à refuser le fardeau de
notre condition humaine, à savoir que « nous sommes condamnés à être libres ».

Conclusion

Le passé et l'avenir entretiennent des rapports ambigus. Nous pouvons d'abord considérer que
l'avenir ne peut être envisagé sans la mémoire du passé et qu'il est donc de notre devoir de nous
en souvenir pour éviter de le répéter. Mais qu'il soit heureux ou malheureux, notre rapport au
passé ne nous prive-t-il pas justement de l'avenir ? Plus que l'oubli, la solution au problème se
situe précisément dans la façon dont nous nous rapportons au passé. De même que l'avenir, le
passé a été le produit de notre liberté. Il faut donc reconnaître notre passé tout en nous
arrachant à l'idée qu'il détermine l'avenir : c'est le sens même de notre liberté et de notre
responsabilité.

Vous aimerez peut-être aussi