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Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?

(Travail préparatoire et devoir rédigé)

A. Travail préparatoire

1. Détermination du type de sujet


Le sujet est du type « faut-il ? », il est donc susceptible d’entraîner une double lecture :
- à un premier niveau (question de fait), il peut être reformulé ainsi : est-il nécessaire
de ? (nécessité vitale ou matérielle, besoin), en ce cas, c’est l’idée que l’oubli du passé serait
une nécessité pour qui veut « vraiment » ou « réellement » se donner un avenir, en avoir un ;
sans oubli, pas d’avenir, mais peut-être seulement une répétition, un ressassement, une
reproduction du passé (c’est ce qui est présupposé, implicite).
- à un second niveau (question de droit), on peut reformuler ainsi la question : oublier
le passé est-il un devoir ? une obligation morale ? un impératif ? Mais la question semble peu
appropriée. En revanche, il sera peut-être utile de se demander si, à l’inverse, il ne peut y
avoir un devoir de se souvenir du passé, si nous n’avons pas une obligation morale de nous le
rappeler, et si l’oubli n’est pas dangereux, irresponsable, voire coupable. C’est donc la
question morale qui sera en jeu ici, à travers celle de la nécessité elle-même morale, càd du
devoir. Même s’il peut sembler vital d’oublier si l’on veut « avancer » et vivre, faut-il pour
autant laisser absolument de côté le passé, ou le nier ? Une articulation des deux lectures du
sujet sera possible.

2. Analyse du sujet
a - « faut-il » oublier… : comme nous venons de le voir, deux niveaux
complémentaires sont à distinguer ; la nécessité vitale (pas d’avenir sans oubli( et la nécessité
morale, paradoxalement, de se souvenir pour construire un avenir (commémoration, travail ou
devoir de mémoire). Il faudra montrer que le besoin d’oublier et l’impératif de se souvenir ne
sont pas contradictoires dans la mesure où ils ne se situent pas sur le même plan : le plan de la
vie et celui de l’éthique ou de la morale sont distincts.

b - « oublier » peut avoir des sens multiples, à hiérarchiser.


- Ignorer, mettre de côté, tenir à l’écart, négliger, ne pas tenir compte de, comme si cet
oubli était la condition minimale pour se donner un avenir.
- Occulter, et d’une certaine manière refuser de se soucier, passer sous silence, avec
l’idée de se débarrasser, de se délivrer, de se libérer (poids du passé, fardeau, etc.)
- Prescrire : oubli juridique, droit à l’oubli, besoin d’effacer tout ou partie du passé.
- Pardonner : oubli moral, culpabilité-faute, reconnaissance-dépassement.
- Nier, oubli comme forme de négation ou de reniement : le sujet « oublie » en faisant
comme si son passé ou une partie de celui-ci n’avait pas eu lieu, il veut l’oublier, le faire
disparaître. Ici les notions de mensonge et de mauvaise foi peuvent intervenir, dans la mesure
où le sujet veut oublier tout en sachant que ce passé a eu lieu. On peut aller à l’extrême
jusqu’aux notions de mythomanie, de révisionnisme et de négationnisme : nier certains faits
historiques est une manière de les oublier volontairement pour des raisons idéologiques et
politiques. Distinguer : le déni est inconscient, la dénégation est consciente, le désaveu est
volontaire.
- noter que dans tous les cas il ne peut s’agir que d’un oubli volontaire, d’une décision
libre ; la question de l’oubli involontaire, inconscient, ou dû aux défaillances de la mémoire,
est exclue par la formulation même du sujet (« faut-il ? » n’est pas l’équivalent de « peut-on ?,
la question de la possibilité est HS).
c - « le passé » : on peut comprendre par-là l’ensemble des événements qui se sont
produits depuis le commencement du temps jusqu’au moment présent et, plus précisément,
1
d’une part le passé en général, l’histoire, càd le passé commun, et d’autre part le passé
individuel, « mon » passé, càd l’histoire personnelle du sujet. Le sujet suppose de parler des
deux, et les réponses à apporter seront certainement valables aux deux niveaux ; il n’y a pas
de différence de nature entre les deux, pas de différence qualitative, mais seulement une
différence quantitative. D’autre part, la distinction entre passé proche et passé plus lointain
paraît peu importante.

d - « pour se donner » : le « pour » devra être pris au sens fort de « dans le but de »,
avec l’intention de, avec pour finalité de, ce qui insiste à nouveau sur l’aspect volontaire : qui
veut, qui souhaite se donner un avenir ne doit-il pas oublier, n’est-ce pas indispensable ? Se
donner un avenir est donc clairement ce qui non seulement motive mais aussi justifie, légitime
la nécessité d’oublier.
Ainsi, « se donner » implique l’idée d’être capable de s’offrir, de manière libre et
ouverte, un avenir ; c’est un « don » au sens où le sujet serait délivré du poids du passé, libéré
de son frein. Le verbe implique en outre l’idée de construction, de positivité, de quelque chose
qui représente vraiment pour le sujet un espace de liberté, avec aussi l’idée d’un détachement,
d’une rupture, d’une innocence, d’une légèreté que seul l’oubli permettrait.

e - « un avenir » : l’article indéfini insiste sur ce caractère indéterminé de l’avenir. A la


différence du futur, qui est en général connu et prévisible, donc clos, l’avenir ou à-venir est
indéfini et ouvert ; il est moins ce qui sera que ce qui pourrait être ; il n’est pas écrit, il est à
faire, à construire, à inventer ; il représente donc cet espace de liberté du sujet, ce projet d’être
qui le caractérise en tant que libre, il est ce qu’il en fera librement. Ainsi retrouve-t-on
l’opposition entre un avenir encore ouvert et le passé, déterminé et intangible, figé une fois
pour toutes, et par là même paralysant. « Un » avenir est quelque chose qu’on ne connaît pas
encore parce qu’il n’est pas écrit et parce qu’on a à l’inventer, à le créer, et de façon
personnelle ou singulière, « un » avenir qui soit « mon » avenir et non celui de tout le monde,
un avenir qui en soit véritablement un et qui me soit propre, qui m’appartienne Le passé, qui
est de l’ordre de ce qui fut, serait au contraire ce qui ne nous appartient plus mais nous
détermine, voire nous aliène.

3. Les grands axes du devoir


1 - il semble possible d’insister d’abord sur l’idée d’une fonction vitale de l’oubli, vu
comme besoin. En effet, comment se donner un avenir, comment être libre si l’on demeure
constamment tourné ou retourné vers le passé ? Vivre « dans le passé », ce n’est pas tout à fait
vivre. Oublier, en ce sens, paraît indispensable.

2 - Mais il est évident par ailleurs que le passé détermine le présent et donc l’avenir ;
ils sont liés, voire enchaînés, et l’on peut dire que l’avenir n’est pas sans racines, sans
fondements, sans bases. Ne serait-il pas naïf, ou dangereux, et dans tous les cas
irresponsables, de s’imaginer qu’on puisse avoir un avenir sans passé ? L’inconscience
volontaire du passé n’est-elle pas le plus grand danger, celui qui, loin de l’ouvrir,
hypothéquerait en réalité tout avenir ?

3 - la question du rapport du sujet à son passé doit donc être envisagée à un autre
niveau, celui de l’éthique, qui apparaît de manière encore plus visible si l’on s’interroge sur le
passé historique. En effet, un travail de mémoire, voire un devoir, n’est-il pas indispensable,
moralement nécessaire ? Sans occulter ni être inversement prisonnier du passé, n’est-il pas
simplement « humain » d’avoir une mémoire responsable du passé, si l’on veut vraiment et
sainement s’ouvrir un avenir ?

4. Formulation de la problématique

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(1) Chercher à tenir le passé à l’écart peut toujours apparaître comme une tentation
libératrice, dans la mesure où le poids des événements passés représente un frein pour qui
veut avancer dans l’existence : oublier semble être une condition nécessaire de la vie. (2) Or,
le piège serait sans doute de négliger les rapports étroits et souvent invisibles qui unissent le
passé aux autres moments du temps : pas d’avenir sans présent, pas de présent sans passé.
Vouloir occulter ce dernier sous prétexte de s’en affranchir absolument semble non seulement
être une illusion, mais aussi un danger. (3) Il sera donc indispensable de s’interroger sur la
dimension éthique du sujet : la volonté d’oublier le passé témoigne aussi de l’importance qu’il
revêt pour tout sujet, mais est-elle incompatible avec le souci proprement humain et
responsable de conserver une certaine mémoire du passé ? Un travail de mémoire du passé ne
nous incombe-t-il pas ? Ne serait-ce pas se condamner à n’avoir aucun avenir, aucun projet,
que de vouloir rejeter et occulter le passé ?

B. Elaboration du devoir

5. Organisation du plan
(1) la thèse sera destinée à montrer que
- le détachement du passé est une nécessité vitale, un besoin, condition pour vivre le présent et
avoir un avenir,
- càd un moment du temps qui soit réellement à venir, càd encore ouvert, inconnu, à
construire.

(2) Il faudra montrer ensuite dans l’antithèse que


- l’avenir n’est pas sans liens avec le passé tant individuel que collectif, et que
- la volonté d’ignorer le passé peut se révéler dangereuse.
- Les trois moments du temps ne sont-ils pas enchaînés, pris les uns dans les autres, de sorte
que le sujet humain serait dans l’illusion s’il croyait pouvoir oublier absolument le passé et «
s’en sortir » ou « s’en tirer » ainsi.

(3) La synthèse devra montrer que


- c’est à un vrai travail sur le passé que nous devons nous astreindre si l’on veut construire
l’avenir, car
- celui-ci ne se donne pas de lui-même. Ainsi,
- la responsabilité du sujet est-elle engagée par là même.

6. et 7. Arguments, références et exemples


- pour la thèse : l’idée d’abord qu’une analyse rationnelle du passé nous fait
comprendre qu’il a cessé effectivement d’être, et qu’il paraît contradictoire et même inutile ou
vain de s’en soucier, et encore plus d’être affligé. Saint Augustin procède à cette analyse (le
passé par définition n’est plus) dans les Confessions, livre XI. Pascal explique dans les
Pensées que nous perdons le présent et « oublions de vivre » en pensant aux « temps qui ne
sont pas », etc.
Un autre argument découlant du précédent insistera sur l’idée du poids du passé qui
freine ou paralyse l’action et la vie. Le souvenir peut être morbide, pathologique, névrotique.
Cf Freud : les troubles psychiques sont issus d’un passé qui ne passe pas ou passe mal, et
revient sous forme de symptômes névrotiques qui empêchent le sujet de se construire.
L’argument le plus fort de la thèse consiste à conférer à l’oubli une fonction vitale,
c’est donc un besoin. Action, vie, avenir ne sont envisageables que sur fond d’oubli. Cf
Nietzsche, qui s’inspire lui-même des pensées antiques comme celle d’Epicure.

- pour l’antithèse : la notion d’identité complique d’avoir un passé, des racines, et


3
d’avoir à ce passé un rapport sain. L’histoire nous montre que ce socle est indispensable, et
que l’occultation de certains événements, le déni et plus encore la négation, sont des dangers
et mettent en péril l’avenir : si nous ne savons pas d’où nous venons, il paraît difficile de
savoir où nous irons. Cf sur ce point le pb du révisionnisme en histoire.
Insister aussi sur le piège du refoulement (volontaire et la mauvaise foi qu’il entraîne.
L’illusion de la construction d’un avenir libre est engendrée paradoxalement par la volonté de
se détacher absolument du passé. Cf Sartre : le passé aussi est choisi dans la mesure où je suis
forcé d’en faire quelque chose ; il ne peut pas ne pas être interprété, en plus du fait qu’il laisse
nécessairement des traces.
C’est donc la question du sens du passé qui est engagée, avec un renversement de
l’idée commune : l’avenir est ce qui donne le temps, et c’est en fonction de lui que le passé est
regardé. Il est trop simple de dire seulement que le passé détermine l’avenir, ce qui peut aussi
servir d’alibi ; en réalité l’avenir détermine aussi le passé, l’image qu’on s’en fait ou qu’on
s’en « donne ».

- Pour la synthèse : l’argument de la responsabilité tant individuelle que collective, et


l’idée qu’il n’y a pas d’oubli sans mémoire et réciproquement. Exiger l’oubli, c’est dans le
même temps exiger la mémoire. Dépasser les visions unilatérales (ni négation, ni sacralisation
d’un passé figé). Cf Jankélévitch.
La notion d’un travail de mémoire peut être analysée, et confrontée à celle de devoir
de mémoire, qui se situe sur un plan moral, celui de l’obligation. Faut-il ne rien oublier pour
se donner un avenir ? est-ce possible, est-ce vivable ? Peut-on et doit-on vivre avec ce
« poids » du passé ?
L’idée d’assumer le passé de manière responsable ne semble pas entraîner le besoin de
culpabilité à l’égard du passé, surtout lorsqu’il est lointain, mais la responsabilité de la
mémoire nous incombe. Se donner un avenir implique la liberté, mais la liberté ne signifie pas
pour autant que l’on doive rompre absolument avec le passé. Distinguer oublier et pardonner,
avec leurs présupposés. Cf là aussi Jankélévitch.

C. Rédaction du devoir

8. 9. 10. Introduction, développement et conclusion

Introduction
(a) « Tout acte exige l'oubli », écrivait Nietzsche, signifiant par là qu'il est
indispensable aux hommes, pour agir effectivement, de se détacher d'un passé qui les tire vers
l'arrière. (b) Cependant, le bon sens nous indique en même temps que la mémoire est
nécessaire en tant que repère dans l'existence. (c) Ainsi pouvons-nous nous poser la question :
« Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ? » (d) En effet, l’oubli a une fonction
vitale et rend possible la mise de côté, l’abolition d’un passé qui se révèle parfois envahissant
voire paralysant, compromettant pour envisager l’avenir avec sérénité et légéreté. Or, il est
cependant indéniable qu’il ne saurait y avoir de présent ni d’avenir sans un passé qui les fonde
et les relie en nous conférant une identité. Il sera donc nécessaire de s’interroger sur
l’opportunité d’un travail de mémoire, voire d’une obligation morale de se souvenir, peut-être
impératifs à qui veut s’efforcer de vivre de manière pleinement responsable et constructive en
se projetant librement vers l’avenir.
[(e) Nous verrons d’abord dans quelle mesure il est nécessaire de savoir oublier le
passé pour vivre ; ensuite, que le passé conditionne toujours, consciemment ou à notre insu,
notre présent individuel et collectif ; et enfin, que pour cette raison savoir se souvenir est sans
doute tout aussi important, sinon plus qu’oublier, si l’on veut véritablement assumer le passé.]

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I. L’oubli du passé est une fonction vitale. (Thèse : il est nécessaire de mettre de côté le
passé pour vivre le présent et se projeter dans un avenir)
1. L’absence du passé
Le passé est le temps révolu, qui n'est plus, qui a cessé d'être. Il y a donc dès l’abord
un paradoxe du passé. Il n’est plus, mais il existe encore, en un sens. En effet le passé, tout en
ayant cessé d’exister, est encore présent grâce à la mémoire, qui instaure donc avec lui un
rapport indirect. Il a été, mais n’est plus, on en a des images, et le problème de leur fiabilité et
de leur vérité se pose d’ailleurs à nous. Il ne s’agit pas de s’intéresser ici à l’oubli involontaire
du passé, à ce qu’on pourrait aussi définir comme un défaut ou comme un « raté » de la
mémoire, dans la mesure où celle-ci peut être défaillante ou limitée, ou encore dans les cas où
nous avons de la difficulté à retenir tout ou partie du passé. En effet, la question n’est pas celle
de la possibilité d’oublier, mais celle de la nécessité de l’oubli, laquelle implique donc la
volonté et la conscience du sujet. Or le passé a un statut, une « existence » toute particulière.
Si l’on suit ce que dit saint Augustin dans le livre XI des Confessions, on comprend que seul
le présent « existe » au sens strict, dans la mesure où c’est le seul moment du temps qu’il nous
soit donné de vivre, et auquel correspond ce que saint Augustin nomme « attention » ou
« perception ». Au contraire, l’avenir et le passé n’existent pas réellement mais « subsistent »
seulement dans notre conscience ; il y a, dit-il, « une « présence de l’avenir, l’attente, une
présence du présent, l’attention, une présence du passé, la mémoire. » Ainsi faut-il reconnaître
que cet « objet » qu’est le passé est difficile à définir, et que ce qu’il s’agit d’oublier non pas
involontairement, par une sélection qui s’opère naturellement, mais volontairement, est peut-
être impossible à éliminer sans une forme de travail ou tout au moins d’effort. En effet, dans
la mesure où le souvenir peut resurgir sans qu’on le veuille (voir à ce propos ce que Proust
nomme « mémoire involontaire », revenant malgré le sujet à l’occasion d’une perception
présente, et représentée par la fameuse « madeleine »), la volonté d’oublier le passé nécessite
elle-même pour être effective et efficace un travail, c’est-à-dire une transformation du
souvenir et de soi-même en même temps, afin de pouvoir en quelque sorte conserver ce
souvenir, mais en le neutralisant, autrement dit en faisant en sorte qu’il soit quelque part au
fond de notre mémoire, d’où on puisse le tirer à volonté et seulement quand on le veut, et non
quand « il » veut. En d’autres termes, il s’agit de savoir abolir le passé, c’est-à-dire à la fois le
mettre de côté et le conserver, inoffensif.

2. Le poids du passé.
On considère en effet souvent le passé comme un frein ou un fardeau qui empêche
d’avancer et paralyse. A quoi s’ajoute parfois le ressassement d’un passé parfois mal vécu,
douloureux ou traumatisant. Ainsi Paul Ricoeur écrit-il dans Le conflit des interprétations :
« L’homme est cet être qui est toujours la proie de son enfance. » Il montre ainsi deux choses.
D’une part il existe un déterminisme propre au passé, qui nous conditionne au sens où nous ne
pouvons pas faire autrement que d’avoir à vivre « avec lui » d’une manière ou d’une autre.
Qu’on le veuille ou non, il agit sur nous, positivement ou négativement, et en l’occurrence
plutôt comme un poids qui nous tire vers l’arrière comme un « boulet » ou une chaîne dont il
est impossible de se détacher. D’autre part, il veut dire que nous sommes impuissants vis-à-vis
de ce passé qui ne peut pas ne pas avoir été, donc qui revêt un caractère de nécessité : il est
inévitable de l’avoir eu, mais surtout l’homme ne peut s’empêcher de l’interpréter comme
déterminant. Si nous sommes la « proie » du passé, c’est parce qu’il va agir à notre insu sur
nous, et de manière souvent invisible mais non indolore ; d’où les notions de répétition et de
reproduction du passé au cours de la vie. Il y a une forme sinon d’hérédité, du moins
d’héritage psychologique qui nous détermine et fait que le présent est ce qu’il est parce qu’il
découle de tel passé précisément. D’où les pathologies de type névrotique liées à
l’impossibilité de se détacher d’un passé envahissant. Voir par exemple ce que dit Freud : les
hystériques « commémorent » le passé à travers leurs symptômes et le langage de leur corps,
qui témoignent de traumatismes de l’enfance. Plus généralement les maladies psychiques
renvoient à une emprise du passé sur le présent.
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3. La fonction vitale de l’oubli.
En conséquence, il est possible de considérer l’oubli comme nécessaire à la vie.
L’insistance sur l’exigence de s’en tenir au seul présent pour être heureux, en s’efforçant
d’oublier le passé et de ne pas se soucier de l’avenir, est ancienne. Les épicuriens, et dans une
moindre mesure les stoïciens, montrent qu’il s’agit de cueillir l’instant présent (carpe diem).
En ce sens, il faut mettre de côté le passé pour être heureux, c’est le bonheur qui est la finalité.
Mais plus radicalement, on peut montrer avec Nietzsche (Considérations inactuelles) que c’est
un besoin, une nécessité vitale d’oublier. L’amnésie est libératrice, le souvenir est au contraire
paralysant, il nous empêche d’avancer et de vivre au sens dynamique du terme, il produit une
atrophie du désir, il tue la vie. Nietzsche montre ainsi que l’hypermnésie ou excès de mémoire
est en contradiction avec le mouvement de la vie, et que trop de conscience aboutit à une
paralysie psychique. Il faut au contraire savoir oublier, c’est-à-dire dépasser le passé, pour ne
pas être comme le dyspeptique, qui ne parvient pas à digérer. Celui qui n’oublie rien est
affecté par tous les événements du passé, il est comme « pollué » par leur présence. Nietzsche
montre que l’oubli est le gardien nécessaire de la vie, ce qui signifie aussi que c’est à une
forme d’inconscience et de spontanéité qu’il est permis de se laisser aller si l’on oublie,
lesquelles sont synonymes de liberté. Ainsi ressemble-t-on alors à l’animal, qui a le « bonheur
» de vivre dans l’instant. L’oubli est donc ici l’effacement fonctionnel de certains souvenirs,
d’un point de vue pragmatique, c’est une mise en place positive du passé ; Nietzsche écrit
ainsi : « Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant
présente pourraient exister sans faculté d’oubli. » (La généalogie de la morale). On peut
même aller jusqu’à considérer que c’est un éloge de l’irresponsabilité que fait Nietzsche, pour
qui il faut enfin pouvoir « en finir » avec le passé ; c’est une question de survie, de
renouvellement, même au niveau historique. Cependant, la relation passé-présent-avenir est
profonde, et le passé n’est-il pas toujours encore présent ?

II. Or, pas d’avenir sans présent, et pas de présent sans passé (Antithèse : le passé est
constitutif du présent et donc de l’avenir).
1. Pas de présent sans passé.
Que serions-nous sans le passé ? Il est toujours difficile de répondre, et c’est
également artificiel, dans la mesure où nous avons toujours un passé. Cependant, si l’on
observe des cas particuliers comme l’amnésie, notamment lorsqu’elle est accidentelle, on
constate que l’absence de passé est toujours douloureuse et peut en quelque sorte empêcher de
vivre et même d’avoir un présent, parce qu’elle rend difficile voire impossible de se situer, de
se repérer, et plus généralement d’avoir une identité. Et ce tant du point de vue de l’identité
individuelle que de l’identité collective. En effet, un peuple, ou un Etat qui n’aurait plus de
passé, ou qui décréterait arbitrairement de l’effacer, de l’occulter, ne pourrait avoir face au
présent et vis-à-vis de l’avenir une attitude constructive. C’est d’un besoin de « racines » qu’il
s’agit, de fondement, de socle, notamment commun. Voir ce qui a pu se passer dans les pays
de l’ex-bloc communiste ou en Chine, lorsque pour des raisons politiques on décida de faire
en quelque sorte table rase du passé et de le passer sous silence, ou tout au moins de le
réécrire, de le reconstruire en partie, c’est-à-dire aussi de le nier. Voir les problèmes que pose
aussi par exemple l’occultation plus ou moins totale de la période de Vichy en France, ou
celle de la guerre d’Algérie : c’est la construction d’une identité fondée sur des bases solides
qui est mise en péril par ces formes de révisionnisme, ou d’oubli volontaire, qui s’identifient à
un mensonge par omission. Il va de soi qu’il en va de même au niveau individuel, dans la,
mesure où chacun a besoin d’avoir et de connaître ses racines pour pouvoir s’édifier en tant
que sujet à la fois individuel et « ancré » dans une collectivité, par exemple dans une famille.

2. Problème de l'identité et piège du refoulement.

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En conséquence, il paraît nécessaire de se méfier de ce qu’on pourrait appeler la
tentation de l’oubli. Certes, il est impératif de vivre le présent, et de ne pas être entraîné vers
un passé qui peut s’avérer parfois pesant, voire insupportable. Mais passer d’un extrême à
l’autre, c’est-à-dire de l’enlisement dans le passé à l’occultation pure et simple, donc à la
négation, n’est pas préférable et tout aussi dangereux. Si oublier signifie « rejeter » ou
« occulter », alors on s’illusionne et s’expose à ce que Freud a nommé le « retour du refoulé »,
retour inconscient, souvent intempestif, « empoisonnant » et douloureux pour celui dont
l’oubli prétendait sauvegarder la vie. En effet, comme le disait aussi Schopenhauer, « oublier
son passé, c’est se condamner à le revivre », c’est-à-dire courir le risque de recommencer ce
qui a déjà pu être fait, et notamment les erreurs. C’est bien d’une forme de refoulement qu’il
s’agit, au sens où il est de mauvaise foi, au su et au vu du sujet qui croit ainsi se délivrer à bon
compte du passé en faisant comme s’il n’avait pas existé, et en disant avec désinvolture qu’il
faut savoir tourner la page. Cependant, si ce qui est ainsi refoulé a toutes chances de revenir,
c’est parce que cet « oubli » apparemment salvateur ne s’accompagne d’aucun travail,
d’aucune vraie prise de conscience, d’aucune responsabilisation du sujet ; autrement dit, c’est
parce qu’il n’est pas assumé que le passé refoulé revient. A l’extrême, cette volonté d’oublier
le passé sous prétexte d’en être délivré ou débarrassé, libéré, peut aboutir à une forme de
négation, ou tout au moins de déni, lequel est toujours un aveu d’échec, celui de n’avoir pas
réussi à admettre son passé, de ne pas parvenir à l’accepter tel qu’il est. Avec les précautions
qui s’imposent, dans la mesure où il implique un arrière-plan politique et des partis-pris
particuliers, il est possible d’évoquer ici le négationnisme, qui est bien une tentative pour
« oublier » et faire oublier absolument certains faits historiques, et en l’occurrence l’existence
des chambres à gaz nazies. Vidal-Naquet montre bien qu’il s’agit ici, après l’assassinat des
personnes, d’un second assassinat, celui de leur mémoire. Ici l’oubli volontaire devient un
acte criminel, et le problème essentiel, outre la gravité qu’il représente et le danger qu’il fait
courir, est bien qu’il ait pu être possible de procéder ainsi, autrement dit de nier l’indéniable,
et de vouloir (faire) oublier l’inoubliable, c’est-à-dire à la fois ce qui ne peut et ce qui ne doit
pas être oublié. L'identité d'un sujet ou d'une collectivité, c'est ce qui les définit, ce qui fait
qu'ils sont eux-mêmes tels qu'ils sont et pas autrement. Mais cette identité, présente et
toujours cependant malaisée à définir, présuppose une histoire, et se trouve toujours-déjà prise
dans un devenir, un projet global d'existence plus ou moins conscient, plus ou moins implicite,
un vouloir-être tirant son sens de l'avenir vers lequel on se dirige.

3. Pas de passé sans avenir : la question du sens du passé.


On le voit, passé, présent et avenir sont irréductiblement liés, enchaînés même, et ils le
sont aussi et surtout parce que nous sommes des sujets conscients, et parce que c’est à travers
nous qu’ils sont reliés. Comme le montre Sartre, il est évident d’une part que sans le passé il
n’y aurait ni présent ni avenir : je suis mon passé, il me constitue, me donne en quelque sorte
ma « chair », mon épaisseur en tant qu’être pourvu d’un vécu. Il oriente mon existence, la
détermine, on ne peut pas ne pas se positionner par rapport à lui, en fonction de lui,
indéfectiblement. Mais d’autre part, et c’est peut-être moins visible dans l’immédiat, même si
cela en est inséparable, le passé est aussi ce dont le sens, la signification provient du présent
que je vis et de l’avenir que je projette de vivre et d’être, et en ce sens il doit être « choisi »
par le sujet. Autrement dit, ce passé qui me fait, c’est en même temps moi, qui en résulte, qui
doit lui donner un sens, l’interpréter. Je ne suis plus ce que j’ai été, mais je ne puis être ce que
je suis sans lui, tout comme il n’est rien sans moi. En conséquence, même la volonté d’oubli
est une autre manière de se situer par rapport au passé, c’est encore un type de rapport, qui
révèle d’autant mieux qu’abstraction faite de lui je suis au sens strict insituable, et en même
temps que son sens lui est donné par moi. Pas de présent sans passé, mais pas de sens du passé
sans le présent, et sans projet. En d’autres termes, je suis par ce que j’ai été, mais je suis ce
que je serai, c-à-d ce que je deviens en fonction de mon projet existentiel, de ce que je projette
d’être. Le passé appartient à l’avenir, c’est à partir de l’avenir envisagé que je suis au présent,

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et que mon passé prend sens. Ma conduite globale (mon projet d’être), oriente ou réoriente
mon passé.
Ainsi la présence du passé implique-t-elle de notre part une attitude responsable vis-à-
vis de lui. C’est aussi la raison pour laquelle un travail de mémoire nous incombe. On ne doit
pas faire abstraction du passé.

III. Une obligation morale du souvenir ? (Synthèse : l’homme est responsable, il ne peut
ignorer le passé s’il veut se donner un avenir et non se le voir imposer).
1. Travail de mémoire et travail de deuil.
Une question de conscience, de compréhension et de pédagogie se pose donc. Voir à ce
propos M. Bloch, qui montre qu’on n’écrit pas l’histoire que dans un but scientifique mais
aussi dans une perspective morale. Il y a un travail de mémoire à effectuer et à assumer au
sens où le rapport au passé est toujours en même temps un rapport à soi. Ce travail de
mémoire ou cet effort constitue donc toujours en même temps un travail sur soi, c’est-à-dire
une transformation de soi, qui passe parfois par un travail de deuil, qui nécessite du temps
pour accepter et surmonter ; je ne suis plus tout à fait le même si je comprends le passé, ou
tout au moins un certain passé ; je me sens en conséquence responsable, non seulement de ce
que je décide de conserver de lui mais aussi du présent que je vis et de l’avenir que je peux
envisager de construire, comprenant qu’ils ne peuvent rien comporter de positif sans lui. En
ce sens il n’y a donc pas de travail de deuil sans compréhension, et pas de travail de mémoire
sans travail de deuil, autrement dit pas de vraie mémoire (responsable) sans oubli. C’est donc
reconnaître que tant au plan individuel qu’au plan collectif, historique, il ne faut pas oublier
tout le passé ; il faut au contraire reconnaître que sa connaissance a une valeur particulière
dans la mesure où elle peut permettre de tirer des enseignements, des leçons, etc. Le passé a
donc une valeur d’exemple ou de contre-exemple tour à tour, il peut servir à la fois à montrer
une voie ou à l’interdire. Cependant élever nos exigences peut se justifier.

2. Oublier ou pardonner : le devoir de mémoire.


On peut, et peut-être le doit-on, poser la question d’un devoir de mémoire. Autrement
dit, c’est bien d’une obligation morale qu’il s’agit et, « il ne faut pas oublier le passé » signifie
« nous ne devons pas l’oublier », ou encore « il est interdit de l’oublier, nous n'en avons pas le
droit », autrement dit, comme il est écrit à l’entrée d’Oradour : « Souviens-toi ». C’est un
absolu, une exigence formelle, stricte, inconditionnelle (sans conditions), un impératif
catégorique comme dirait Kant. Comme le montre par exemple Jankélévitch dans
L’imprescriptible, l’amnésie, l’indifférence, qui se produisent déjà par l’effet du passage du
temps, sont « coupables » et occasionnent parfois de dangereuses réécritures ou négations du
passé. Si l’on revient au génocide juif par les nazis, on dit avec l’auteur que non seulement il
ne faut pas oublier, mais aussi qu’il ne faut pas pardonner aux criminels, dans la mesure où le
crime est trop grave, et d’une autre nature que tous les autres crimes. Porter atteinte à
l'humanité même de l'homme, c'est un crime ontologique, - vouloir détruire l'être même de
l'homme, ou l'homme en tant qu'être humain, crime qui touche au sacré, à l'absolu, sans
absolution possible, comme le souligne aussi Derrida. L'historien P. Vidal-Naquet dit pour sa
part que « la Shoah transcende l’histoire », montrant par là que ce crime dépasse absolument
tous les autres, et ainsi ne peut être considéré comme un crime de guerre, mais bien comme un
crime contre l’humanité, une tentative et une volonté de destruction de celle-ci, et une atteinte
irrémédiable à toute l’humanité à travers le meurtre d’une partie de celle-ci, à qui les nazis
reprochaient d'exister, d'être. Ce qui est grave, c’est non seulement ce qui s’est passé, mais
aussi que cela ait pu se passer, c’est-à-dire que des hommes aient pu agir ainsi, ce qui prouve
définitivement que c’est possible. Et c’est parce que cela fut possible que cela pourrait l’être à
nouveau, et qu’en ces conditions il faut considérer que plus qu’un effort ou un travail de
mémoire, c’est au sens strict un « devoir » qui nous incombe : nous devons obligatoirement
nous souvenir, c’est absolument nécessaire à l’humanité. Ceux à qui incombe ce devoir sont
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donc non seulement responsables mais en quelque sorte coupables, sans pour autant avoir
commis eux-mêmes de faute. Nous pouvons dès lors comprendre pourquoi Derrida écrit que
le pardon est « l'impossible vérité de l'impossible don » Ce « don » absolu qu'est le pardon, ne
peut avoir pour véritable objet que l'impardonnable. On le voit, l’oubli comme le souvenir
n’ont pas de sens s’il n’y a pas de véritable responsabilisation du sujet, de vraie conscience, si
l’on n’assume pas le passé. Sans conscience la mémoire est, comme le dit Finkielkraut,
« vaine ».

3. Assumer le passé pour s’en libérer : une perspective constructive.


Cette exigence, qui est en même temps un besoin, est valable à la fois pour l’individu
et pour la société. La mémoire est d’autant plus positive qu’elle implique aussi de savoir
oublier, et réciproquement l’oubli n’est possible et justifiable que s’il s’accompagne de la
nécessaire conservation de traces du passé. Comme le dit le psychiatre Jean Delay, « l’oubli
est le gardien de la mémoire ». On ne peut et doit oublier que sur fond de souvenir, qu’en
ayant en quelque sorte à l’esprit ce que représente le passé ; d’autre part, il est indispensable
de savoir oublier pour se souvenir mieux, et aussi pour ne pas être encombré et envahi par le
passé. Assumer implique d’abolir, mais cela ne signifie pas annuler ni annihiler, mais
seulement mettre de côté, pour pouvoir rappeler, convoquer éventuellement le passé. Abolir
n’est pas anéantir, ce n’est pas oublier définitivement, mais conserver « quelque part », en
mémoire, ce qui peut être évoqué voire invoqué si besoin est. Le véritable oubli ne serait donc
pas l’occultation mais la capacité à retenir, sans que cela « pollue » le présent, le souvenir du
passé. Mais la condition nécessaire pour que cela puisse se produire, c’est-à-dire aussi pour
avoir au passé un rapport sain et non pas pathologique ou névrotique, est d’abord d’avoir le
courage d’affronter le passé, qu’il soit personnel ou collectif. C’est ce que signifie
précisément « assumer », à la fois accepter, admettre, reconnaître consciemment, et d’autre
part dépasser, surmonter. Abolir en conservant, c’est la condition pour oublier à bon escient,
c’est-à-dire sans que le passé prenne la place du présent qui en provient mais doit aussi en
quelque sorte savoir le faire oublier. Si le passé ne passe pas, le présent est mal vécu et
l’avenir inconstructible ; mais que le passé passe et soit même dépassé ne doit pas signifier
qu’il soit nié ou refusé, récusé. C’est ce que montre toute l’entreprise de Freud, qui oppose au
passé empoisonnant et non dépassé, qui rend malade, le passé assumé et accepté, et par suite
dépassé, et même fondement de l’avenir. Construire et se construire ne saurait avoir lieu si le
passé est détruit.

Conclusion
Vouloir oublier le passé est une tentation et une tentative légitime mais qui se révèle le
plus souvent vaine et dangereuse, si elle n’est pas consciente que le souvenir est
indispensable, dans la mesure où le passé est toujours, de façon plus ou moins visible, présent
en nous ou autour de nous. On peut donc dire que l’oubli est un besoin vital, mais que c’est
également une impossibilité psychologique, et par suite un danger moral, s’il n’est pas
responsable et sensé. Le passé est ce qui nous permet de construire et de nous construire, et il
s’agit de vivre, ni en lui ni sans lui, mais avec lui, ce qui peut signifier parfois contre lui.
N’est-ce donc pas fondamentalement le rapport à soi-même qui est constamment présent dans
le rapport que nous entretenons avec le passé ? Désirer être un « voyageur sans bagages »
comme le disait Anouilh, peut être tentant dans la mesure où la légèreté peut apparaître
comme un besoin au sein d’une réalité souvent pesante et grave ; cependant l’oubli bien
compris et garant d’une mémoire plus stable et raisonnée ne devrait jamais s’identifier ni à
l’ignorance dangereuse ni à la fuite sans courage.

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Références
Saint Augustin, Les Confessions, livre XI.
P. Ricoeur, Le Conflit des interprétations, partie 2, sur la psychanalyse.
Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse et Etudes sur l’hystérie.
Nietzsche, Considérations inactuelles, cf texte.
Sartre, L’Etre et le néant, cf texte.
M. Bloch, Apologie pour l’histoire, Introduction.
V. Jankélévitch, L’imprescriptible.
P. Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire.
J. Derrida, Pardonner.

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