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gouvernance multilatérale
Pierre Defraigne
1. Les auteurs américains parlent souvent d’embedded liberalism pour désigner le régime de
Bretton Woods.
2. Le mécanisme réel est celui de l’étalon de change-or avec la Livre sterling comme « monnaie
aussi bonne que l’or » de sorte qu’il n’y a pas à proprement parler d’entrées et de sorties d’or,
mais des mouvements de devises ou des crédits de la Banque d’Angleterre qui ont le même
effet.
3. La thèse de la résistance sociale croissante à l’ajustement contredit celle du déclin de la
puissance économique hégémonique, en l’occurrence l’Angleterre dont la banque centrale n’a
progressivement plus été en mesure d’assurer le rôle de prêteur en dernier ressort pour les
pays parties au régime d’étalon-or. Voir l’exposé des deux thèses par Eric Helleiner dans
l’ouvrage magistral édité par John Ravenhill (2008), Global Political Economy, Oxford
University Press, seconde édition, p. 217 et sv.
Depuis les années 1980, la finance a connu une triple révolution qui lui
a permis de surfer sur la globalisation et d’en extraire d’énormes bénéfices
de plus en plus aux dépens du reste de l’économie. D’abord, la libéralisation
des marchés internationaux de capitaux censée relever la rémunération de
l’épargnant et abaisser le coût de la finance pour l’investisseur a ouvert une
niche prometteuse pour l’industrie financière globalisée. Ensuite, la chute
du coût des communications et leur fantastique accélération ont permis
aux marchés financiers de fonctionner en temps réel à l’échelle de la
planète sans interruption et de permettre opérations d’arbitrage sur les
marchés et pressions sur les politiques financières des États. Enfin,
4. Depuis le krach de septembre 2008, le Consensus de Washington qui a servi pendant vingt
ans de doctrine au FMI, à la Banque mondiale, à l’OCDE et à l’UE est orphelin. Les désaveux
de paternité se multiplient dans les think tanks et lobbies de Washington y compris de la part
de l’IIF pourtant longtemps considéré comme son père putatif. Il consistait d’une part à
recommander, voire à imposer, des politiques macroéconomiques prudentes et flexibles, ce
qui est juste, et d’autre part des réformes structurelles inspirées par la doctrine néolibérale,
ce qui était abusif et contreproductif.
7. Ce sont les pratiques d’ancrage à une autre monnaie (pegging, crawling peg, target zones)
qui font le jeu de la spéculation (le pari à sens unique ou one-way bet).
8. Les taux d’intérêt avantageux qui ont permis le surendettement des ménages pauvres
américains ont été aussi exploités par les institutions financières pour leur propre
endettement de manière à accroître leur effet de levier et, par là, leur propre retour sur
investissement. Cette stratégie leur a permis d’émettre et d’acheter des produits financiers
plus rémunérateurs parce qu’ils étaient plus risqués. L’endettement à bon marché a ainsi
réduit la perception du risque.
9. Cette thèse est brillamment exposée dans un essai remarquable par sa concision et sa clarté
de George Cooper auteur de « The Origin of Financial Crises », Vintage Books, New York
2008.
10. Le retour sur investissement est devenu tellement élevé, voire absurde, qu’on a vu de plus en
plus d’entreprises affecter les dividendes au rachat de leurs propres actions faute de projets
de réinvestissement. Bien entendu, ces gains en capital sont avantageux pour les actionnaires
d’autant qu’ils bénéficient souvent d’un traitement fiscal plus favorable.
Il réunit d'une part les pays11 où s’est déclenchée la crise financière, soit
essentiellement les États-Unis et l’Europe liés par un agenda trans-
atlantique de coopération règlementaire et normative, et d’autre part
les pays affectés par la crise mais disposant de réserves de change
importantes. Le G20 offre un double avantage : d’un côté, il organise la
solidarité entre pays détenteurs de réserves internationales et économies
dominantes, la Chine revendiquant désormais son appartenance aux
deux camps ; de l’autre, il associe à ces économies qui font 85 % du PIB
mondial et deux tiers de la population, les grandes organisations
L’agenda initial du G20 a été axé sur trois priorités. Tout d’abord, le
sauvetage des banques et la prévention d’une contraction du crédit
(credit crunch) suite à l’illiquidité du marché interbancaire s’imposaient
comme une urgence absolue. Dans un premier temps, c’est exclusivement
l’affaire des pays touchés par la crise financière, de leurs banques centrales
prêteuses de liquidités en dernier ressort, et des gouvernements des
pays d’origine ou des pays hôtes selon le cas qui garantissent les dépôts
et sauvent les banques de la faillite. Mais les pays détenteurs de réserves
(Chine, Russie, Brésil, Arabie Saoudite...) ont, avec leurs fonds
souverains, une capacité de renforcer les moyens propres des banques
occidentales et donc de consolider les marchés financiers déstabilisés.
12. À cette occasion, la Commission européenne jusque-là tenue à l’écart est entrée au CSF avec
les nouveaux membres du G20.
13. On notera que la finance est par excellence l’univers des experts et des praticiens, tantôt
officiels non élus, tantôt ayant partie liée avec le secteur privé. D’un côté, les pouvoirs publics
délèguent nombre de tâches au secteur privé, ainsi aux agences de notation comme Standard
& Poor’s et Moody’s chargés d’évaluer le risque souverain, ou à l’International Accounting
Standards Board (IASB) pour les normes comptables en usage dans l’UE. De l’autre, la
proximité entre régulateurs et financiers est un risque permanent dans un univers fermé très
incestueux de la régulation. Le rôle de Goldman Sachs dans la politique financière américaine
férocement disséqué sous le titre évocateur « The Great American Bubble Machine » par la
revue Rolling Stones des 9-23 juin 2009 à laquelle la presse internationale a donné un large
écho, illustre en outre la collusion intellectuelle, mais aussi très matérielle, qui peut exister
entre le pouvoir et la finance dans une opacité complète, en l’occurrence aux États-Unis.
14. Les ménages à revenus moyens ou faibles ont pu recourir à l’endettement par cartes de crédit
et par le biais du crédit hypothécaire en vue de financer leur consommation courante. Cet
endettement a été rendu possible par les taux d’intérêt maintenus à un niveau très bas par la
FED grâce à deux facteurs : d’un côté, par l’abaissement de l’inflation permise par les importations
chinoises à bas prix et, de l’autre, par les achats massifs par la Chine de Bons du Trésor US
dont le taux d’intérêt détermine le taux de base des prêts hypothécaires aux États-Unis.
15. Selon le Financial Times (Jeffrey Garten, 29 novembre 2009), la dette extérieure nette des
USA aurait triplé l’an dernier pour s’élever à $3,500 milliards. Avec un déficit budgétaire de
10 % l’an, elle s’accroîtra de 1 milliard par an.
16. Mais ne perdons pas de vue que c’est le défaut de surveillance du côté européen qui a rendu
possible l’importation des subprimes américains et l’exposition excessive de nos banques. Un
régime de contrôle des mouvements de capitaux déstabilisateurs ne répondant pas à des
normes strictes de qualité, aurait pu prévenir la diffusion de l’onde de choc américaine. La
Chine et certains pays de l’OCDE comme le Canada ont bien été épargnés.
leurs déficits extérieurs tandis que les pays en surplus seraient encouragés
à stimuler leurs importations.
17. Le rapport de Larosière commandé par la Commission européenne lui a été remis le
25 février 2009 et a été approuvé par le Conseil européen des 19 et 20 mars 2009.
18. La Commission européenne, dont la mandature avait été marquée par une forte réticence à
introduire des mesures de régulation financière, s’y est résolue suite au rapport de Larosière
par des propositions d’ensemble en mai 2009 et à l’automne 2009.
19. Le FMI, à l’initiative de son Directeur général, Michel Camdessus, avait envisagé d’amender
sa constitution pour introduire une telle disposition. Il y a, en définitive, renoncé après son
échec dans le traitement de la crise financière asiatique de 1997-1998. Par ailleurs, les codes
de l’OCDE sur les mouvements de capitaux n’ont pas valeur coercitive.
20. L’article 63 du TFUE (TUE 58) dispose que « (…) toutes les restrictions aux mouvements de
capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».
21. Il faut signaler sur ce point l’œuvre pionnière de Nicolas Veron, chercheur à Bruegel et
chroniqueur de la Tribune qui s’inscrit dans une réflexion plus large, à jour et éclairante de
toute la problématique de la régulation financière.
22. À l’exception des flux OTC (échanges de gré à gré entre banques et clients), les capitaux
passent par les chambres de compensation (Euroclear, Clearstream) qui prélèvent déjà leur
marge sur ces transactions. Obligation pourrait être faite aux opérations OTC de passer en
chambre de compensation publique.
Ce dernier point implique d’en finir avec la concurrence fiscale qui mine
l’existence même du modèle européen bien plus sûrement que la
concurrence sociale23. Une fiscalité européenne du capital mobile (actifs
financiers et profits des entreprises transfrontalières) appelle au
minimum une harmonisation (assiettes et taux) des impôts nationaux,
voire dans un deuxième temps un impôt européen. Une partie du
produit de ce dernier pourrait d’ailleurs alimenter un fonds de
sauvetage pour les banques ou institutions systémiques de manière à
éviter toute discrimination entre États fondés sur leurs capacités
financières. A priori, un tel objectif semble hors de portée aujourd’hui,
d’autant plus que l’unanimité en matière fiscale a été renforcée à la
suite du référendum irlandais. Néanmoins, il faut considérer que dans
le contexte de croissance faible et d’endettement public élevé, et compte
tenu de la nécessité absolue de rééquilibrer les budgets sans alourdir la
charge fiscale, la question de la répartition de cette charge fiscale entre
capital et travail, entre grandes entreprises et PME, entre actifs et
inactifs, et singulièrement entre jeunes au statut précaire et retraités
nantis, va devenir centrale dans plusieurs pays d’Europe. De technique
et d’obscure au profane, aujourd’hui et donc hors du champ de vision
des citoyens et de leurs mandataires, la fiscalité du capital va s’imposer
comme un thème central du débat politique au même titre que la fraude
sociale ou l’intégration des jeunes immigrés.
Dans la décennie à venir, l’UE devra de plus en plus, n’en déplaise aux
souverainistes, assumer toute la logique de l’intégration, aussi bien celle
du marché unique, que de la gouvernance de l’eurozone et de la
régulation financière et fiscale. Trop d’externalités, de débordements de
politiques (spill overs) et d’économies d’échelles ignorées créent
aujourd’hui des pertes d’efficacité pour la politique économique
européenne. Le discours politique doit désormais préparer l’opinion
aussi « à penser l’impensable » en lui faisant apparaître que le coût de
l’inaction ou de l’action trop lente, trop tardive et trop partielle dessert
en réalité en définitive tous les États et toutes les catégories de citoyens.
23. Selon le Pr Bernard Plagnet, la délocalisation fiscale à travers les prix de transfert pratiqués
en leur sein par les multinationales coûterait à la France seule pas moins de 7 milliards
d’euros (Le Monde, 1er décembre 2009).