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Vincent MARTY-TERRAIN
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1. Introduction
Par la suite, ce n'est pas seulement les juifs mais les Romains aussi qui
les persécuteront, et encore aujourd'hui la majorité des chrétiens vivent
dans des pays où leur foi leur cause une forte hostilité. Comment com-
prendre cette haine du monde, et comment y faire face ?
1 Understanding the Fourth Gospel, John Ashton (Clarendon Paperbacks, 1993), p.205-
206.
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2. Contexte.
a) Auteur et date
Bien qu'il ne soit fait mention de l'auteur, comme dans aucun des 4 évan-
giles, néanmoins dès le 2e siècle2 et jusqu'au 18e siècle, l'avis unanime
de l'église chrétienne est que l'auteur du 4e évangile est l'apôtre Jean,
et qu'il l'aurait rédigé à Ephèse à la fin du premier siècle. Cette position
a été contestée au cours des derniers siècles avec l'avènement de la cri-
tique textuelle, préférant, pour expliquer certains aspects du texte, une
théorie qui met en oeuvre plusieurs auteurs tardifs.
- Un lien constaté entre deux pensées n'indique pas laquelle est à l'ori-
gine de l'autre;
- Le débat essentiel dans cet Evangile est centré sur l'opposition entre
Judaïsme et Christianisme;
2 Ignace d'Antioche, dans ses lettres au Philadelphiens (7,1), aux Romains (7,3), aux
Magnésiens (7,1; 8,2), et Polycarpe dans son épître (7,1) - écrits qui datent du début du
2e siècle - font référence à l'évangile de Jean comme un écrit déjà bien connu et sacré.
3 C'est-à-dire les ruptures logiques dans l'enchainement du discours.
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défini, probablement une communauté johannique, à laquelle on attribue
la paternité de cet Evangile. Cependant en comparant le 4e évangile aux
synoptiques, on voit que l'expression "le disciple que Jésus aimait" dans
le premier remplace pour ainsi dire les mentions de l'apôtre Jean dans
les trois autres.
b) Contexte du livre
- enfin, leur ministère d'apôtre, à cause des persécutions, d'où son ex-
position claire de la haine du monde et son encouragement à persévé-
rer dans le témoignage en partenariat avec l'Esprit Saint.
C'est sur ce troisième point que se focalise le passage que nous avons
choisi d'analayser. Après avoir abordé les questions du fruit et de
l'amour, Jésus parle ici de la haine du monde et du Paraclet, celui qui
leur viendra en aide pour leur ministère.
7 Le verbe grec traduit ici par "trébucher" (σκανδαλιζω) n'est utilisé qu'une seule autre
fois dans cet évangile (6,61) où, comme ici, il semble faire référence au fait de ne plus
suivre Jésus - or si ce discours précède effectivement de peu l'arrestation du Christ,
les disciples sont sur le point de fuir leur maître (Mt.26,31).
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3. Remarques grammaticales et textuelles
a) Texte grec
18 Εἰ ὁ κόσμος ὑμᾶς μισεῖ8, γινώσκετε ὅτι ἐμὲ πρῶτον ὑμῶν9 μεμίσηκεν. 19 εἰ ἐκ τοῦ
κόσμου ἦτε, ὁ κόσμος ἂν τὸ10 ἴδιον ἐφίλει· ὅτι δὲ ἐκ τοῦ κόσμου οὐκ11 ἐστέ, ἀλλ’ ἐγὼ
ἐξελεξάμην ὑμᾶς ἐκ τοῦ κόσμου, διὰ τοῦτο μισεῖ ὑμᾶς ὁ κόσμος12. 20 μνημονεύετε τοῦ
λόγου οὗ13 ἐγὼ εἶπον ὑμῖν· Οὐκ ἔστιν δοῦλος μείζων τοῦ κυρίου αὐτοῦ· εἰ ἐμὲ ἐδίωξαν,
καὶ ὑμᾶς διώξουσιν· εἰ τὸν λόγον μου ἐτήρησαν, καὶ τὸν ὑμέτερον τηρήσουσιν 14. 21 ἀλλὰ
ταῦτα πάντα15 ποιήσουσιν16 εἰς ὑμᾶς17 διὰ τὸ ὄνομά μου, ὅτι οὐκ οἴδασιν τὸν πέμψαντά
με. 22 εἰ μὴ ἦλθον καὶ ἐλάλησα αὐτοῖς, ἁμαρτίαν οὐκ εἴχοσαν· νῦν δὲ πρόφασιν οὐκ
ἔχουσιν περὶ τῆς ἁμαρτίας αὐτῶν18. 23 ὁ ἐμὲ μισῶν καὶ τὸν πατέρα μου μισεῖ. 24 εἰ τὰ
ἔργα μὴ ἐποίησα ἐν αὐτοῖς ἃ οὐδεὶς19 ἄλλος ἐποίησεν, ἁμαρτίαν οὐκ εἴχοσαν· νῦν δὲ καὶ
ἑωράκασιν καὶ μεμισήκασιν καὶ20 ἐμὲ καὶ τὸν πατέρα μου. 25 ἀλλ’ ἵνα πληρωθῇ ὁ λόγος
ὁ ἐν τῷ νόμῳ αὐτῶν γεγραμμένος21 ὅτι Ἐμίσησάν με δωρεάν. 26 Ὅταν22 ἔλθῃ ὁ
8 εμισησε (aoriste, aspect ponctuel) corrigé ensuite en εμισει (imparfait, durée) dans le
Papyrus 66 (P66).
9 Omis à l'origine dans le Codex Sinaïticus, omis également dans le Codex Bezae, ainsi
que dans quelques textes, et dans la majorité des témoins textuels de la Vetus Latina.
Influe sur l'emphase mais pas le sens.
10 τον (masculin) dans P66. Le remplacement du neutre par le masculin influe peu sur
le sens.
11 ουκ εκ τουτου του κοσμου à l'origine dans P66, et dans la majorité des témoins tex-
tuelles de la Vetus Latina. Le démonstratif ajoute une emphase mais ne change pas le
sens.
12 Ordre variant dans P66 (υμας μισει ο κοσμος), également dans Sinaïticus ainsi que
quelques textes (ο κοσμος μισει υμας) - deux inversions emphatiques qui ne changent pas
le sens.
13 τους λογους ους (masc.plur.) dans Bezae, τον λογον ον (masc.sing.) dans Sinaïticus et
quelques textes, οτι (pron.rel.) dans la Vetus Syra. Cela ne modifie pas le sens de la
phrase.
14 ει τον λογον μου ουκ ετηρησαν, και τον υμετερον ουκ τηρησουσιν selon Alex Pallis.
15 Omis dans Bezae et quelques textes. Cela enlève l'emphase mais ne modifie pas le
sens.
16 ποιησωσιν dans le Sangallensis et quelques textes, ποιουσιν dans le P66 et la Vetus La-
tina. L'indicatif futur ou présent et le subjonctif impliquent une temporalité différente.
17 εις est omis dans quelques textes, υμας est remplacé par υμιν dans Alexandrinus et
Bezae, l'Athous Lavrensis, les minuscules de la famille 13, le texte majoritaire, la lec -
ture combinant Vulgate et Vetus Latina, et enfin la Syra Harklensis. Rien qui ne change
le sens.
18 Omis dans le P66. Les mots précédents étant au génitif, αυτων reste sous-entendu.
19 μηδεις dans le P66. Les deux mots sont synonymes.
20 Omis dans P66, Bezae, la Vetus Latina et des versions minoritaires de la Vulgate.
21 Ordre variant (γεγραμμενος au début dans Sinaïticus et Coridethianus, les minuscules
de la famille 13 et le texte majoritaire; αυτων omis à l'origine dans le P66). L'emphase
disparaît mais le sens demeure.
22 Oταν δε dans les Alexandrinus, Bezae, Regius, Coridethianus, l'Athous Lavrensis, la
majorité des minuscules, le texte majoritaire, la version syriaque, et samaritaine. L'em-
phase ne modifie pas le sens.
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παράκλητος ὃν ἐγὼ πέμψω23 ὑμῖν παρὰ τοῦ πατρός, τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθείας ὃ παρὰ τοῦ
πατρὸς ἐκπορεύεται, ἐκεῖνος μαρτυρήσει περὶ ἐμοῦ· 27 καὶ ὑμεῖς δὲ μαρτυρεῖτε, ὅτι ἀπ’
ἀρχῆς μετ’ ἐμοῦ ἐστε.
b) Traduction
18 Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï moi en premier. 19 Si vous
étiez du monde, le monde vous aimerait comme les siens. Puisque ce-
pendant vous n'êtes pas du monde, mais que moi je vous ai choisis hors
du monde, à cause de cela le monde vous hait. 20 Souvenez-vous de la
parole que je vous ai dite : "Le serviteur n'est pas plus grand que son
seigneur". S'ils m'ont persécuté, de même ils vous persécuteront; s'ils
ont gardé ma parole, de même ils garderont la vôtre. 21 Cependant ils fe-
ront toutes ces choses contre vous à cause de mon nom, parce qu'ils
n'ont pas connu celui qui m'a envoyé. 22 Si je n'étais pas venu et ne leur
avais parlé, ils n'auraient pas eu de péché. Mais maintenant ils n'ont pas
d'excuse pour leur péché. 23 Celui qui me hait, hait aussi mon père. 24
Si je n'avais pas fait les oeuvres parmi eux que personne d'autre n'a fait,
ils n'auraient pas eu de péché. Mais maintenant, ils ont à la fois vu et
haï, à la fois moi et mon père. 25 Cependant c'est afin que soit accom-
plie la parole de la loi écrite à leur sujet : " Ils m'ont haï gratuitement". 26
Quand sera venu l'avocat que je vous enverrai du Père, l'Esprit de vérité
qui du Père vient, celui-ci témoignera24 à mon sujet. 27 Et vous aussi
vous témoignerez car vous êtes avec moi depuis le début.
c) Points de confusion
23 πεμπω (présent) dans Bezae. Le verbe conserve néanmoins un aspect de futur, mais
futur proche.
24 L'impératif présent et l'indicatif futur du verbe μαρτυρεω ayant la même terminaison,
les deux traductions sont possibles. Etant donné le parallèle entre l'action de l'Esprit et
celle des disciples dans cette phrase, nous retiendrons plutôt la seconde option, de
plus le même verbe est ensuite conjugué au futur pour décrire l'action des disciples.
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A. Si le monde vous hait, sachez que c'est moi en premier qu'il a haï.
B. Si vous étiez du monde, le monde vous aimerait comme les siens.
C. Puisque cependant, vous n'êtes pas du monde, mais que moi je
vous ai choisis hors du monde, à cause de cela le monde vous
hait.
D. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : "Le serviteur
n'est pas plus grand que son seigneur". S'ils m'ont persécuté,
de même ils vous persécuteront; s'ils ont gardé ma parole, de
même ils garderont la vôtre.
C'. Cependant ils feront toutes ces choses contre vous à cause de
mon nom, parce qu'ils n'ont pas connu celui qui m'a envoyé.
B'. Si je n'étais pas venu et ne leur avais parlé, ils n'auraient pas eu de
péché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuse pour leur péché. Celui
qui me hait, hait aussi mon père.
A'. Si je n'avais pas fait les oeuvres parmi eux que personne d'autre n'a
fait, ils n'auraient pas eu de péché. Mais maintenant, ils ont à la fois vu
et haï, à la fois moi et mon père.
Par ailleurs, Jésus fait souvent référence au monde (" κόσμος") dans
l'Evangile de Jean, directement ou indirectement, pour indiquer deux
choses différentes : la création matérielle d'une part (par exemple en
Jean 1:10) et les incroyants hostiles au plan de Dieu d'autre part. C'est
de cette seconde catégorie qu'il s'agit ici.
d) Procédés stylistiques
25 Craig S. Keener, The Gospel of John. 2e volume (Peabody, MA: Hendrickson, 2003),
p.1019.
26 B.F. Westcott, The Gospel According to St John, 2e volume (Grand Rapids, 1954),
p.213; également Rodney A. Whitacre, IVP New Testament Commentary Series : John
(Intervarsity Press, 1999).
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- Ensuite au verset 26, par deux désignations : L'Esprit de vérité (c'est la
deuxième des trois fois que ce titre est utilisé dans cet évangile - voir
14,17 et 16,13), une expression absente du reste de la Bible et peu com-
mune dans la littérature juive de l'époque27; puis le "Paraclet", qui est
toujours lié au titre précédent (14,16&26; 16,7).
4. Structure du passage.
Cette hostilité dirigée contre Jésus est ultimement dirigée contre Dieu,
et manifeste son jugement, c'est pourquoi Jésus assène deux sentences
dans ce passage :
- Le monde n'a plus d'excuse pour son péché (v.22, 24). Il faut correc-
tement comprendre l'affirmation "Ils n'auraient pas eu de péché".
Cette formule rappelle l'enseignement de Jésus suite à la guérison de
l'aveugle-né (Jn.9:39-41), dont le parallèle avec la situation présente
est saisissant. En effet, après avoir recouvré la vu grâce à l'interven-
tion miraculeuse de Jésus, l'aveugle-né devient témoin du Christ et fi-
nit par se faire chasser de la synagogue par les juifs opposés à Jésus
(Jn.9,34), comme ils l'avaient résolu (Jn.9,22).
Il ne s'agit pas d'exempter de péché ceux qui n'ont jamais entendu
l'enseignement de Jésus ou été témoins de ses miracles, car ici c'est
justement l'ignorance coupable de Dieu par le monde qui le pousse à
rejeter Jésus.
28 C.H. Dodd, The Interpretation of the Fourth Gospel (Cambridge University Press,
1953) p.413.
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Le verbe haïr est à comprendre dans le sens de persécution 29, et Jésus
assimile même cela à un procès, en appelant le Saint-Esprit "avocat".
Ainsi le discours et les miracles de Jésus sont à la fois ce qui prouve
qu'il est qui il prétend être (Jn.3,2; 7,31; 9,32), et ce qui le fait condam-
ner par le monde. C'est donc ce qui atteste de l'injustice du jugement,
et ce qui le renverse.
29 On trouve souvent deux références pour cette citation : Ps.35,19 et Ps.69,4. Il s'agit
probablement du second, qui est cité 17 fois en tout dans le Nouveau Testament (dont
deux en Jean : Jn.2,17 et 19,29), d'autant que c'est un psaume messianique (Carson,
The Gospel According to John, p.527; Köstenberger, John, p.465). Quoi qu'il en soit, les
autres mentions de la haine dans les Psaumes (Ps.35,7; 59,3-4; 109,3; 119,161) font
clairement référence à des persécutions.
30 Là encore, on retrouve une double temporalité dans le jugement : Jésus n'est pas
encore mort, mais le Prince de ce monde a été jugé (Jn.16,11).
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deux choses : la persécution et l'obéissance. Ainsi, si Jésus a eu un es-
prit humble dans l'obéissance et dans la persécution, de même les dis-
ciples sont appelés à l'avoir.
Evidemment, la foi à laquelle nous sommes appelés est une foi en la bon-
té de Dieu et non seulement en sa souveraineté (ce qui serait une foi
équivalente à celle des démons), or l'oeuvre de Jésus est emblématique
de la bonté de Dieu. Cependant la culpabilité humaine demeure même
sans avoir été témoin de l'oeuvre rédemptrice de Christ, comme le rap-
pelle Paul (Rm.2,12-16). David Platt, lors la conférence missionnaire Ur-
bana 12, dénonçait l'erreur du contre-argument qu'on devrait autrement
attendre du monde : "Et l'Africain innocent, qui n'a jamais entendu parler
de Jésus, il va en Enfer ? Bien sûr que non ! L'Africain innocent qui n'a
jamais entendu parler de Jésus va au paradis. C'est biblique. Seulement,
l'Africain innocent, il n'existe pas. Personne n'est innocent devant Dieu,
tous sont coupables de l'avoir rejeté".
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6. Conclusion.
"Qui est mon ennemi ?" - la question n'est pas posée dans le Nouveau
Testament, puisque, contrairement à la question du prochain, la réponse
est évidente : ceux qui me persécutent, d'une manière ou d'une autre.
Mais y a-t-il des persécutions contre les chrétiens aujourd'hui en
France ? Et sinon, cela veut-il dire que nous ne sommes plus ennemis du
monde ?
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