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ETUDE EXEGETIQUE DE MARC 6.

30-44

I. Questions introductives au livre de Marc

1. Auteur

L’évangile selon Marc est une œuvre anonyme qui n’affiche aucun « je »

et qui parle à la différence de la dédicace lucanienne (Luc 1 : 1-4). L’auteur

n’explique pas son intention à la différence de la conclusion Johannique (Jean

20 : 30-31). Le livre ne nomme pas son auteur, mais Marc est désigné comme

l’auteur de l’évangile par la suscription « selon Marc » "κατά μαρκον", un nom

d’origine romaine.

Le fait que Marc soit l’auteur est attesté depuis Irénée (fin de II siècle).En

plus toute la tradition patristique (vers 125) rapporté par Eusèbe de Césarée

(Histoire ecclésiastique III, 39, 15).

2. Destinataires

L’absence de réflexion profonde sur la torah fait penser à des pagano-

chrétiens comme destinataires. Les déplacements de Jésus dans les territoires

limitrophes de Tyr et de Sidon, de Césarée de Philippe, et de l’autre côté du lac

de Galilée, en Décapole appuie cette hypothèse. Elle est confirmée par la

traduction d’usage Juifs inconnus des lecteurs (7 : 1-4).

L’imprécision historique dans les explications de l’auteur et

l’infléchissement des coutumes pouvant s’expliquer par l’angle polémique des

débats mis en scène par la narration démontre que l’auteur écrit pour des

pagano-chrétien de communauté romaine du monde occidentale.


3. Date

Pour la datation c’est le chapitre 13 qui annonce la fin des temps à partir

de la destruction du Temple de Jérusalem qui est sollicité : ce texte reflète une

période troublée par les informations suivantes :

- climat tendu, profanation du lieu saint ;

- urgence à proclamer l’Evangile aux nations v.10 ;

-comparution devant les tribunaux v. 11 ;

-prétentions messianiques (v. 5-7 ; 22)

Ces informations peuvent parler de la 1ère guerre civile (66-70) qui

aboutit à la prise de Jérusalem par Titus et a incendié le temple.

Le martyre de Pierre a pu pousser à mettre par écrit les traditions sur

Jésus. Ainsi la date de 70, est à retenir soit juste avant soit juste après, selon

que l’on suppose la chute de Jérusalem imminente ou déjà réalisé.

4. Structure

L’organisation d’ensemble ne se laisse pas aisément saisir et pour

découper la matière, mettre en évidence les articulations significatives du récit,

plusieurs critères ont été retenus : une attention au cadre spatial, une attention

aux rapports entre les personnages, une attention au développement du drame,

centré sur l’identité de Jésus. Alors, l’Évangile selon Marc serait structuré

comme suit :

I. Préface (1,1-13)

II. L’autorité du fils de Dieu

1. Les premiers commencements (1.14-35)

2. Les traversés en barque (4.1-8.21)


III. Le service du fils de Dieu

1. Le chemin vers Jérusalem (11-16)

2. Postface (16.1-8)

5. Circonstances de rédaction

Les circonstances de rédaction de l’Evangile selon Marc et de notre

péricope en particulier (Mc 6.30-44), ne sont pas bien précises. Cependant, le

livre semble déclarer l'intérêt qu'il porte à « l'Evangile de Jésus Christ, Fils de

Dieu »1 (Mc 1.1), Mais ce titre étonnant, pourtant confirmé à plusieurs reprises

tout au long de l'évangile (1.11 ; 9.7 ; voir aussi 3.11 ; 5.7). Nous fait penser

que l’auteur cherche à résoudre un problème de croyance et du salut, posé par

ses contemporains sur la personne de Jésus.

Il semble qu’il y avait aussi des gens dont l'attachement à Jésus était mis

à rude épreuve en une période de persécution (4.17 ; 10.30 ; 13.9-13). Après

Jean le Baptiseur (1.14), après leur Maître lui-même (8.31 ; 9.31 ; 10.33s), les

disciples de Jésus de toutes les époques doivent s'attendre à être eux aussi

livrés aux détenteurs du pouvoir (13.9, 11). Il fut donc, nécessaire de mettre en

écrit l’évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu, comme un récit. Cet Evangile c’est

la bonne nouvelle qui doit aider les croyants à mieux connaître Jésus, en ces

temps difficiles.

1
Daniel, MARGUERAT, (sous dir.), introduction au Nouveau Testament, son histoire, son écriture, sa
théologie, Genève: Editions Labor et Fides, 2008, page 57
II. Etude de la péricope de Marc 6.30-44

1. Limites

Le premier récit de la multiplication des pains est précédé par l'épisode

de la mort de Jean Baptiste (Mc 6.14-29). Il est suivi par celui de la marche sur

les eaux (Mc 6.45-52). Ce découpage des versets 30 à 44, s'il permet de

souligner la cohérence interne de la péricope, ne signifie pas que l'épisode de la

multiplication des pains ne fait sens qu'en relation avec ce qui précède et ce

que suit:

Limite en amont:

En amont, le début de l'épisode constitue l'épilogue du récit d'envoi en

mission des versets 7-13. Le fait que la conclusion d'un premier récit serve

d'introduction à un second a des conséquences sur l'interprétation de ce

dernier.

Limite en aval:

En aval, un écho de l'épisode se trouve dans le récit de la marche sur les

aux (6.52). Par ailleurs, en Mc 8.1-9, se trouve un second récit de

multiplication. L’épisode s'insère ainsi dans une thématique plus large qui

culmine dans le récit du dernier repas de Jésus (14.22-25), où le vocabulaire

fait écho à notre texte.

Ce passage se présente comme un miracle de générosité (abondance de

nourriture dans un contexte de manque). On trouve d'autres exemples de cette

forme particulière de récit de miracle dans le nouveau testament (Jn 2.1-11

avec le vin, Lc 5.1-11 et Jn 21.1-11 avec le poisson) ou dans l'Ancien

Testament (1R 17.8-16 avec la farine et l'huile).


2. Structure

Notre péricope peut se structurer de la manière suivante:

30-32: Retour des disciples et mise à l'écart avec Jésus;

Dans cette partie, les disciples sont plus éloquents que le narrateur qui, à

leur retour de mission, raconte tout ce qu'ils ont accomplis au nom de Jésus.

Marc n'est pas explicite sur ce qu'ils ont fait, on se rend compte qu'ils quittent

le statut de disciples pour devenir des apôtres. Mais pour Jésus, rien n'a

changé: les foules sont toujours là, empêchant de manger et de se reposer. Il

faut donc partir à l'écart.

33-34: Venue de la foule et compassion de Jésus;

Dans cette section, où Jésus cherche une intimité avec ses disciples en

empruntant une barque avec eux pour se rendre de l'autre coté, se trouve le

thème de la foule sans berger. En effet, cette image est tirée de Nb 27.17: Jésus

occupe dans le récit la place de Dieu dans l'AT. Il est le berger de son peuple. Il

le fait asseoir dans l'herbe verte et le nourrit en abondance de son pain.

35-40: Dialogue entre Jésus et ses disciples:

Pour E. CUVILLIER2, le récit de multiplication des pains fonctionne

comme un prolongement de l'envoi en mission et ce de trois manières:

- le projet de Jésus de donner du repos à ses envoyés est mis en échec

par l'arrivée de la foule. Avec Christ, la mission continue, pas de repos.

- les disciples réagissent différemment de jésus face à cette situation

inattendue. Il y a là un contraste réel entre Jésus et ses disciples en ce qui

concerne le traitement de la foule.

2
E. CUVILLIER, L’évangile de Marc, Labor et Fides, Genève, 2002, p. 129.
- il y a une nouvelle mission que Jésus donne à ses disciples quand il dit:

donner leur à manger vous-mêmes. Cette consigne rencontre une résistance

logique des disciples en terme humain (manque d'argent, sous-estimation de ce

qui existe,)

Ayant évalué les limites de ses disciples, Jésus leur ordonne de faire

asseoir la foule dans l'herbe par groupe. C'est la marque de l'autorité de Jésus

sur la foule non pas en tant que masse, mais en tant que groupe organisé.

41-44: partage du pain avec la foule;

Il y a une coïncidence entre les paroles de jésus quand il bénit le pain et

ce qu'il dit lors du dernier repas (Mc 14.22). Le thème qui se dégage ici est

celui de la surabondance car c'est Dieu qui nourrit son peuple.

3. Contexte intertextuel

Deux textes de l'AT ont influencé la rédaction du récit: le don de la

manne et des cailles dans le désert (Ex 16 et aussi Nb 11) et la multiplication

des pains par Elisée (2R 4.42-44). Ici, jésus renouvelle le miracle d'Elisée et se

répète avec lui, les merveilles d'Exode. En reprenant ce récit de miracle, Marc

s'approprie le potentiel de sens qui est celui de la tradition chrétienne

primitive.

4. Contexte littéraire

Ce texte se présente comme un exposé d’un récit. A partir d’un style

narratif, nous constatons l’emploi de certaines expressions qui montrent que

l’auteur retrace un fait, une histoire : l’emploi des expressions telle que : il leur

dit, il leur répondit… fait remarquer qu’il y a une intervention de protagoniste

dans un récit dont la trame est bien agencée.


Selon Combet-Galland l’Evangile selon Marc se présente comme une

première narration parvenue jusqu’à nous de la bonne nouvelle de la

libération des hommes par Dieu. Marc demeure pour nous le premier exemple

du genre littéraire appelé évangile. A propos de l’usage du mot « évangile », on

note qu’à l’époque du NT, euaggelion c’est-à-dire (« évangile » = « bonne

nouvelle ») ne se référait pas à un livre ou à un écrit, mais à la proclamation

d’un message. Cela s’explique si l’on songe au contexte habituel du terme : les

mots associés à celui-ci étaient employés en grec (non chrétien) pour signifier

de bonnes nouvelles, en particulier une victoire militaire. D’ailleurs, le II e

siècle atteste qu’euaggelion était employé pour les écrits chrétiens3.

Contexte proche du texte

La trame narrative de la péricope soumise à notre analyse nous traine

dans un décor, un environnement qui présente en amont la mort de Jean-

Baptiste et en aval la marche de Jésus sur les eaux.

Ainsi, l’auteur aborde l’événement de la multiplication du pain et de

poissons et l’insère entre ces deux faits importants.

Le miracle des pains survient dans un contexte d’entretien entre Jésus-

Christ et ses disciples, après un compte-rendu de leur mission. Cette épisode lié

au récit de l’envoi des douze en mission par l’introduction utilisé par l’auteur :

« Les apôtres, s'étant rassemblés auprès de Jésus, lui racontèrent tout ce qu'ils

avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné ». Or le récit de l’envoi en mission

se trouve décalé de la multiplication des pains par : l’événement de la mort de

JB et les perplexités d’Hérode à propos de celui-ci. Ces derniers faits insérés par

3
In Marguerat p. 141-142.
l’auteur démontrent-ils quelque chose de particulier ? Dans tous les cas, le

miracle des pains lui-même a une signification importante au regard du

commentaire de l’auteur : « car ils n'avaient pas compris le miracle des pains,

parce que leur cœur était endurci4 ».

Nous notons également des caractéristiques littéraires employées par

l’auteur pour exprimer ses intentions. Combet-Gallant livre alors quelques

grandes lignes dont nous exposons des points essentiels qui concernent

plusieurs procédés littéraires. Cela provient de l’évangéliste pour tisser

ensemble des unités narratives5 :

- Des structures concentriques ;

- Des récits de transition ;

- Une dramatisation des récits ;

- Des enchâssements ;

- Des dualités d’expression ;

- Des mots-crochets.

Contexte large

Mc 1 ouvre son récit par ces mots : « Commencement de l’Evangile de

Jésus-Christ, Fils de Dieu. » La bonne nouvelle de ce que Dieu a fait, jadis

annoncée à Israël, sera désormais proclamée à toutes les nations dans et par

Jésus Christ (13.10). Elle comporte le royaume ou règne de Dieu, rendu présent

en Jésus qui pardonne les péchés, guérit les malades, nourrit les affamés,

ressuscite les morts, calme les tempêtes ; ce royaume/règne est proclamé dans

4
Mc 6.52
5
Combet-Galland in Marguerat p. 75.
ses enseignements et paraboles qui cherchent à identifier et à contrecarrer les

obstacles humains. Jésus est un roi que Dieu fait triompher alors même que ses

ennemis l’ont crucifié6.

5. Circonstances

Pendant la guerre juive, les chrétiens de Jérusalem sont déboussolés et

fuient en Galilée pour attendre la parousie. Il faut réparer les évènements

historiques perdus de vue par les chrétiens.

III. Application- réflexion

Le miracle dont parle Marc 6 :30-44 est perçu par les auditeurs en tant

que concrétisation de la puissance de Dieu. C’est aussi le signe que Dieu prend

soin de tout l’homme et va jusqu’au bout de sa compassion. En plus, pour nous

aujourd’hui, cela signifie que nous sommes appelés à non seulement nourrir

spirituellement le peuple de Dieu par la parole de Dieu, mais aussi et surtout,

nous devons nous occuper de la vie sociale et économique de nos fidèles.

Le récit de multiplication de Pains, nous invite à croire dans la toute-

puissance de Dieu envers les humains. On peut réaffirmer que Dans sa

générosité sans borne, Dieu comble les hommes au-delà de leurs besoins. 7 Cela fait

de lui un « bon berger »8 annoncé par les prophètes. Par sa parole et la

nourriture qu’il prodige, il est capable de rassasier toutes les faims humaines.

6
Raymond, BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris : Bayard, 2000, p. 142.
7
Jacques HERVIEUX,l’Evangile de MARC, commentaires, Paris : Bayard éditions/ Centurion, 1991,
page 96
8
Ibd. Page 96
BIBLIOGRAPHIE

BABUT, J-M., Actualité de Marc, Cerf, Paris, 2002, 333 p.

BASSIN, F., L’Évangile de Marc, EDIFAC, Vaux-sur-seine, 1984, 304 p.

BROWN, E., R., Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard, Paris,


2000, 840 p.

COUTURE, A., et VOUGA, F., La présence du royaume, une nouvelle lecture


de l’Évangile de Marc, Labor et Fides, Genève, 2005, 199 p.

CUVILLIER, E., L’évangile de Marc, Labor et Fides, Genève, 2002, 317 p.

FOCANT, C., L’évangile selon Marc, Cerf, Paris, 2004, 655 p.

HERVIEUX, J., L’Évangile de Marc, Bayard édition/Centurion, Paris,


1991, 240 p.

MARGUERAT, D., Introduction au Nouveau Testament, son histoire, son


écriture, sa théologie, Labor et Fides, Genève, 2008,
547 p.

TROADEC, H., Evangile selon Saint Marc, Mame, Paris, 1965, 254 p.

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